BRÈVES MARINES N°271

LA MER, TERRITOIRE DE CONFRONTATION CYBER

Davantage numérisé, toujours plus connecté, le monde maritime est particulièrement vulnérable face aux
risques cyber, leurs conséquences pourraient être désastreuses. L’emploi du cyber dépasse le seul secteur
militaire et s’étend à l’activité maritime dans son ensemble, au point de parler de « marétique ». Le cyber
recouvre aussi un nouvel espace qui s’intègre pleinement dans l’architecture de la stratégie navale.

LES ESPACES CYBER ET MARIN : DES MILIEUX LES VULNÉRABILITES DE L’ESPACE MARITIME
COMMUNS ET INTERDÉPENDANTS

Dans un contexte de maritimisation, l’économie mon-

Les espaces cyber et marins partagent un certain diale dépend aujourd’hui majoritairement des mers et
nombre de points communs. Ils sont au cœur des océans : 90% des échanges mondiaux sont assurés par le
échanges internationaux (commerciaux, financiers, d’in- transport maritime. Or, la bonne conduite de ces activi-
formations, etc.) et sont caractérisés par l’immensité de tés repose sur la circulation sécurisée des flux d’informa-
leur territoire, aux frontières non tangibles, qu’il est dif- tions, dont la manipulation ou l’exploitation malveillante
ficile de contrôler en permanence. La notion de liberté constitue une menace bien réelle.
de navigation, au sens propre comme au sens figuré, est En effet, la capacité de contrôler un pétrolier, de fer-
également partagée au sein de ces deux espaces. mer un port, de divulguer la position confidentielle d’un
Tout en étant similaires, ces espaces sont aussi interdé- navire sont des risques à envisager. Une cyberattaque,
pendants. Les câbles sous-marins constituent un élément même mineure, peut entraîner des pertes financières
essentiel pour la circulation de l’information tandis que importantes. De plus, la massification du transport ma-
le monde maritime est également fortement numérisé. ritime a amené le secteur à se numériser dans tous ses
aspects. L’informatisation et l’autonomisation généra-
lisées des systèmes de l’activité maritime – dite maré-
tique – permet d’augmenter la productivité du secteur.
LES CÂBLES SOUS-MARINS : Le développement rapide de nouvelles technologies
UNE TECHNOLOGIE ESSENTIELLE POUR LE performantes pour la navigation, la communication et
TRANSIT DES COMMUNICATIONS la logistique génère une dépendance croissante du mi-
lieu maritime à l’électronique à bord, à l’informatisation
Aujourd’hui, plus de 400 câbles sous-marins reposent au des systèmes ou à la mise en réseaux des ports et des
fond des océans, assurant 99% du transit des télécom- navires.
munications (dont notamment les données relatives aux
opérations financières, militaires, et au renseignement). En corollaire, le secteur recense un nombre croissant de
Infrastructures fragiles, mais vitales, ils représentent la cyberattaques (+400% d’attaques ciblant l’économie
couche physique du cyberespace, dont la protection est bleue au premier semestre 2020). Construction navale,
stratégique. ports, transport maritime, plateformes pétrolières ou
activités de croisière sont les principaux secteurs visés.
Océan Arctique

LES PRINCIPAUX CÂBLES SOUS-MARINS DE COMMUNICATIONS DANS LE MONDE

Océan Océan
Rép. Dom. Îles Vierges Pacifique Nord
Pacifique Nord
Haïti britaniques
Porto
Rico

Océan
Atlantique Nord
Trinité-et-tobago
Venezuela

Vers les Îles Cook

de Niué
et les Samoa
américaines
Polynésie Océan Indien
française

Océan
Atlantique Sud

Océan Wallis et Futuna

Pacifique Sud
Samoa Samo
Fidji américaines
Nouvelle calédonie

Niué
Câbles sous-marins
Câbles sous-marins en projet
Avec l’interconnexion de la filière maritime, une cyberat-
taque sur l’un des secteurs a des conséquences sur l’en-
semble du domaine. Par exemple, en juin 2017 l’arma-
teur Maersk a été victime du ver informatique NotPetya.
Impactés, les ports de Rotterdam, New York, Mumbai et
Buenos Aires ont été contraints de fermer, soit une perte
de 300 millions de dollars.
L’ENJEU STRATÉGIQUE DU CYBER
Dans le domaine maritime, les cyber-menaces touchent
indifféremment les secteurs civil et militaire. Ceux-ci
partagent en effet des vulnérabilités semblables : par
exemple, la manipulation du système de navigation d’un
navire militaire pour le dérouter dans un détroit ou en
direction des eaux territoriales d’un État.
Les navires de guerre disposent de systèmes spécifiques
pour assurer la conduite des opérations. Un bâtiment
militaire est également un ensemble de systèmes opéra-
tionnels, utilisés pour l’identification, le positionnement
(AIS), la navigation (RADAR, GPS) mais inclut aussi des
systèmes d’armes et des outils d’échange d’informations
tactiques. L’échange effectif des données est ainsi au
cœur des opérations navales, et leur protection consti-
tue un enjeu stratégique. Dans le domaine militaire, la
principale menace cyber est invisible : il s’agit de l’es-
pionnage et du recueil de l’information stratégique. Si
les navires militaires constituent des cibles encore plus
sensibles, de par la confidentialité et l’intérêt tactique ou
stratégique de leurs activités, la problématique cyber est
désormais pleinement intégrée au domaine militaire. Les
LA MENACE CYBER DANS LE DOMAINE MARITIME
LA MENACE CYBER DANS LE DOMAINE MARITIME
Alerte d’attaque rançongiciel et données chiffrées
PORTS ET ARMATEURS
- Panne informatique et interruption des communications
- Arrêt des opérations pendant plusieurs jours
Ex. l’attaque de Maersk : 80% des opérations ont été gérées
manuellement pendant 10 jours.
Infection par virus informatique
NAVIRE DE COMBAT TYPE FREMM OU FDI
des ordinateurs à bord
- Perturbation des données de navigation
- Déroutement du navire via système SCADA
- Piratage des systèmes d’information et de combat
- Interception d’informations classifiées
Ex. Exercice Polaris 21 : plusieurs attaques cyber ont ainsi ciblé
les différentes unités de la force.
www.defense.gouv.fr/cesm
constructeurs navals jouent là un rôle majeur, puisqu’ils
doivent intégrer des systèmes numériques complexes,
et sécurisés, à bord des nouveaux bâtiments, tels que
les FREMM ou les FDI. C’est donc tout l’écosystème du
navire qui doit être sécurisé.
LA MARINE NATIONALE : ACTEUR DE LA
CYBERDÉFENSE
Aujourd’hui pleinement consciente des enjeux du cyber,
la Marine a créé une unité spécifique et opérationnelle
à la pointe de la lutte informatique : le Centre support
cyberdéfense (CSC), basé à Toulon et à Brest. Le CSC
assure une cyber-surveillance de l’ensemble de l’éco-
système Marine nationale, et est capable d’intervenir
rapidement en cas d’incident. L’objectif est d’assurer
un maximum d’autonomie à la mer, en protégeant la
connectivité des navires. Dans un contexte d’augmenta-
tion globale des cyber-attaques, de plus en plus d’inci-
dents sont enregistrés aujourd’hui, mais les impacts opé-
rationnels sont moindres, grâce à une meilleure efficacité
dans la lutte.
Milieu d’opportunités et de menaces, le cyberespace
ouvre un nouveau champ d’action pour la Marine. En
2021, l’exercice Polaris21 a ainsi intégré des scenarii
dans le cyberespace. Alors que l’horizon du cyberespace
se mêle à celui de la mer, les forces navales françaises
déploient aujourd’hui d’importants moyens pour maitri-
ser leur environnement numérique et assurer les opéra-
tions navales dans un espace toujours plus complexe.
TRANSPORTEUR – NAVIRE CIVIL
- Perturbation des données de navigations
- Déroutement du navire via le système SCADA
Ex. Simulation de Naval Dome : cyberattaque des systèmes
de navigation d’un porte-conteneurs provoquant sa déroute
Leurrages GPS
par le cyberattaquant
Pays les plus visés
par les cyberattaques :
- États-Unis : 28,22%
- France : 10,4%
- Allemagne : 5,45%
- Norvège : 4,95%