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Chapitre 9. Ports de
commerce et économie
portuaire
p. 361-389
Texte intégral
1Il est évident que les ports accompagnent depuis plusieurs siècles le processus de
mondialisation de l’économie marchande. Mais la brutalité des transformations des
modes de circulation au cours des dernières décennies, l’augmentation et la
spécialisation croissante des échanges, le renforcement des opérateurs de taille
mondiale font que les ports subissent, depuis quelque temps, de profondes
transformations, tant dans leurs rapports aux marchés et aux territoires desservis que
dans leurs modes d’organisation et de gouvernance. Les deux grandes parties de ce
chapitre cherchent à rendre compte de ces profondes évolutions qui éloignent
sensiblement les ports contemporains de leur organisation traditionnelle. L’une
s’interroge sur le rôle des ports dans l’économie des territoires, l’autre sur leur mode de
gouvernance et leurs stratégies de tarification.
3Cela dit, le contact portuaire est rentabilisé par ses effets d’expansion ou de diffusion
terrestre (ou maritime) de sorte qu’il est apprécié selon la nature de son insertion
économique et spatiale, autrement dit selon ses fonctions. L’efficacité de ces dernières
dépend très largement d’une équation globale des coûts de circulation qui est mesurée
de plus en plus dans le cadre de services « porte à porte », comme savent les mettre en
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5Pourtant, elle n’est pas sans défaut, car elle ne précise guère les mécanismes d’action
qui lient les ports à leurs avant et arrière-pays ni la qualité réelle des fonctions ainsi
détectées. Le manque d’appréciation des structures de liaison a favorisé des propositions
méthodologiques très partielles, déconsidérant tantôt le rôle de l’arrière-pays, tantôt celui
de l’avant-pays. Ainsi, l’« école havraise » a longtemps privilégié l’importance des avant-
pays :
« L’activité portuaire n’est pas déterminée par les besoins des régions que dessert
le port à l’intérieur du continent, mais bien par l’ensemble des phénomènes qui
peuvent être regroupés sous l’expression de mouvement maritime. » (Amphoux,
1950)
6Ou encore « un examen minutieux de la vie des ports nous conduit à ne voir, dans cette
notion d’arrière-pays, qu’un phénomène imprécis et de second ordre, subordonné en
quelque sorte à l’avant-pays que constitue l’ensemble des relations maritimes d’un port »
(ibid.). Cette vision outrancière, dont l’objectif est de réhabiliter la dimension maritime un
peu dédaignée par P. de Rousiers, ne résiste pas à l’analyse des partisans des arrière-
pays qui, à partir de l’examen des ports rhénans et allemands, ont bien senti le poids des
dépendances terrestres dans la vie des ports. Leurs travaux ont alors mis en évidence la
notion d’arrière-pays fondamental et de marge de concurrence (Morgan, 1948), mais le
risque était de conduire à une vision presque mécanique des animations portuaires par le
biais d’arrière-pays théoriques, baptisés parfois « hinterlands naturels » (Kom et
Reynaud, 1982), déterminés de façon déductive par la distance brute, la distance-coût ou
la distance-temps.
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7Plus mesurée et surtout plus complexe dans ses propositions d’explication, la notion de
triptyque portuaire (Vigarié, 1964) permet de faire la part des choses entre les impulsions
maritimes et continentales qui expliquent le degré d’utilisation des espaces portuaires. Si
ce triptyque conduit à identifier des types de ports, classés par fonctions dominantes
(ports de transit, ports industriels pour les fonctions d’arrière-pays, ports d’escale, ports
de marché ou d’entrepôt pour les fonctions d’avant-pays), il permet aussi de vérifier les
interdépendances de la mer et de la terre, conduisant à mieux apprécier l’importance
d’un continuum de circulation, dont l’efficacité globale pousse à privilégier les ports qui
sont disposés sur sa trajectoire. Tous les ports sont déterminés par des dosages à
préciser de dépendance à l’égard de l’espace marin et terrestre. Par la même occasion,
se mettent alors en place des hiérarchies portuaires, dont on ne peut rendre compte qu’à
l’échelle d’une façade maritime. Cette façade peut être définie comme une « région
portuaire formée par plusieurs organismes maritimes interdépendants et dont la cohésion
résulte d’une soumission à un faisceau de causalité qui oriente leurs développements
locaux […] au-delà des nuances qui leur restent propres […]. Étudier isolément chacun
d’entre eux apparaît, dès lors, insuffisant : leur destinée individuelle s’inscrit dans un
devenir commun, dans celui d’une famille littorale où chacun conserve malgré tout sa
personnalité » (Vigarié, 1979). Ce jugement qui permet de remettre explicitement les
ports en système, tout en leur reconnaissant une grande part d’autonomie dans leur
capacité de développement permet de redonner toute sa valeur à l’analyse inductive, fût-
elle servie par des méthodes statistiques de plus en plus sophistiquées (Charlier, 1983 ;
Marcadon, 1988).
11CGC étant le Coût global de circulation de bout en bout, payé tout ou partie par
l’expéditeur ou le destinataire de la marchandise, CAT1 et CAT2 étant le Coût de
l’acheminement terrestre à chaque extrémité du trajet, CPP1 et CPP2 étant les Coûts de
passage portuaire aux lieux d’embarquement et de débarquement, le fret étant le prix à
payer pour le transport maritime. Il convient tout de suite de remarquer que le couple
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CAT1 et CAT2 pèse toujours très lourd dans l’équation globale, en proportion du coût à la
tonne/km du mode de transport impliqué et dont la valeur relative est en relation inverse
de la valeur de la marchandise déplacée. On conçoit, dès lors, que l’aire de collecte ou
de distribution des marchandises traitées par le port peut varier considérablement selon
les modes de déplacement et la nature des produits.
12Pour des biens de haute valeur circulant sur des modes de transport compétitifs, l’aire
peut être logiquement très étendue et, a contrario, pour les produits de faible valeur,
privés de moyens efficaces de circulation, l’aire peut se réduire jusqu’à se limiter au
contact même des quais (Verlaque, 1986). C’est d’ailleurs cette solution qui a fait le
succès des zones industrialo-portuaires dans les années soixante/soixante-dix, à ceci
près qu’elles ont été très souvent associées à des réseaux lourds d’acheminement
terrestre, sur lesquels pouvait être relancé le convoyage continental des produits
préalablement transformés dans l’enceinte portuaire. Pour les produits manufacturés,
moins sensibles aux coûts additionnels du transport, la route est tout à fait adaptée aux
acheminements de quelques centaines de kilomètres. Elle s’impose d’autant plus
aisément qu’elle permet de réaliser des acheminements porte à porte, du terminal
portuaire à l’usine. Il n’y a pas de rupture de charge, la fiabilité et la souplesse sont
certaines et les délais sont souvent plus courts que ceux que proposent les autres
modes. Contrairement à une idée répandue, cette performance en matière de délais ne
se traduit pas par des tarifs plus élevés. D’une part, parce que la concurrence est vive
entre les transporteurs routiers et d’autre part, parce que le camion permet d’éviter la
double manutention, à laquelle n’échappent que très rarement le train ou la barge. Plus la
distance est courte, plus les rotations sont élevées, plus le camion est donc compétitif, à
condition bien sûr que les attentes dans les ports ne viennent pas neutraliser son
avantage. Ceci dit, la taille croissante des navires, la massification qui en résulte, le
regroupement dans les arrière-pays des marchandises sur des ports secs ou load
centers (Hayuth, 1980, 1981) permettent de redonner toute sa valeur aux modes
ferroviaire et fluvial sur moyenne et longue distances (Notteboom et Konings, 2004).
C’est une clé majeure de compréhension des hiérarchies actuelles entre les ports de la
conteneurisation (Notteboom, 1997).
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14La seconde série de raisons dérive, pour partie, de la première dans la mesure où elle
gravite autour du choix des localisations les plus pertinentes pour l’implantation de ces
prestations logistiques. Longtemps, on a considéré que la rupture de charge portuaire,
pour minime qu’elle fût en termes de coûts globaux de circulation, représentait une
surcharge financière dont il fallait améliorer l’efficacité pour en baisser les prix. Il en a
résulté des conséquences parfois radicales dans l’organisation de la vie du port, par
l’intégration, la mécanisation, l’informatisation des tâches, dont les signes les plus
tangibles ont été la remise en cause des statuts de la main-d’œuvre de la manutention,
l’affirmation des terminaux spécialisés ou la modification des modalités d’utilisation du
domaine public. On cherchait donc à rendre totalement transparent l’obstacle portuaire à
l’égard des flux qui le traversaient. Malgré son efficacité, cette stratégie n’a pas
totalement éliminé les coûts de la rupture de charge, d’où l’idée de la valoriser par des
prestations logistiques.
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17On retrouve ces ports de transit au contact d’arrière-pays ouverts à des trafics très
spécialisés. La configuration est alors différente, puisque le port doit être au plus près de
sa clientèle, la portée de son influence étant limitée à quelques dizaines ou centaines de
kilomètres. Ce sont généralement des ports de vracs secs, dans la mesure où la faible
valeur de ces marchandises les rend très sensibles aux coûts d’acheminement. Ainsi en
2000, on ne dénombrait pas moins de 127 ports de plus d’un million de tonnes de vracs
secs en Europe : si les plus grands établissements étaient placés au regard de bassins
industriels ou agricoles puissants, les ports les plus modestes fonctionnaient en général
sur deux ou trois marchandises bien identifiées pour lesquelles ils avaient un quasi-
monopole de passage (Lacoste, 2003). En revanche, si le trafic est captif, son évolution
dépend de considérations qui n’ont absolument rien à voir avec la dynamique portuaire
(stratégies des chargeurs, évolutions des réglementations et des politiques, agricoles en
particulier pour les ports européens).
18Les ports industriels sont déjà plus complexes, en résonance avec leurs effets de
filière. Généralement appuyés sur des usines de tête de cycle, ces ports sont tournés
vers des trafics de vracs, dont l’intérêt économique tient surtout à leur transformation sur
les lieux mêmes de leur rupture de charge. Ainsi peut-on distinguer, à leur sujet, la valeur
ajoutée « productive », largement dominante, et la valeur ajoutée « marchande »,
toujours minorée. Tel est bien le cas de Dunkerque, dont les neuf dixièmes de la valeur
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1 Le port principal émet des stolons, c’est-à-dire des tiges aériennes rampantes à la
manière des fr (...)
19On débouche ainsi sur le troisième type de port qu’on peut qualifier de port
logistique. Le trafic ne dépend plus d’un principe de proximité, mais bien d’un principe
d’attractivité qui résulte de la complexité et de l’efficacité des prestations portuaires. Il est
possible d’envisager une véritable gradation dans la complexité. Les ports logistiques les
plus élémentaires ne vivent que d’effets de réseaux, sur des croisements de lignes
maritimes, voire sur des regroupements ou éclatements de trafics de vracs à partir de
plates-formes de transbordement. Ces ports se sont multipliés avec l’essor des terminaux
spécialisés, comme le montre l’intérêt actuel des armements à détenir des terminaux
dédiés (voir chap. 8). On peut évoquer à leur sujet le terme de port-réseau, selon une
logique presque stolonifère1. Dans la structure de leur trafic, l’importance des
transbordements ou des réexpéditions est patent. Mais c’est bien l’opérateur qui crée le
lieu et le fait vivre, ce n’est pas le lieu qui s’impose à l’opérateur, comme on peut le
constater avec les véritables places portuaires. Ces dernières disposent en effet de
relations bien plus complexes avec leur arrière-pays : elles sont au débouché de réseaux
solidement territorialisés, sur lesquels s’écoulent des trafics de nature diverse, tenus par
des opérateurs multiples. On peut y détecter des synergies entre les effets de réseau, de
filière et de marché qui les rendent beaucoup plus solides contre les aléas conjoncturels,
alors que le port-réseau les subit généralement sans inertie ni résilience.
20Au plus haut niveau, émergent les métropoles portuaires qui se caractérisent par le
rôle majeur des effets de marché dans leur dynamique contemporaine. Non qu’elles
ignorent les effets de réseau, car elles profitent de réseaux maritimes et terrestres très
performants, mais ce sont bien l’organisation des flux et le contrôle de cette organisation
qui leur donnent l’avantage décisif.
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22Tout d’abord, il convient de s’entendre sur un classement des activités par catégorie.
Une segmentation en trois ensembles (voire quatre) est généralement admise (fig. 9.1) :
les fonctions portuaires qui comprennent tous les métiers du port, autour des
prestations à fournir au navire et à la marchandise, sous leurs aspects
commerciaux, techniques et réglementaires (certains font la distinction entre les
activités directes qui comprennent la gestion du port ainsi que les services
auxiliaires du navire ou de la marchandise et les activités directes élargies
concernant les établissements publics et privés concernés partiellement par le trafic
portuaire, dans lesquelles peut intervenir la délicate évaluation des transports
terrestres liés au port) ;
les activités indirectes, constituées des activités stimulées par la fonction portuaire,
qu’elles soient implantées dans la zone portuaire ou près d’elle ou qu’elles fassent
transiter leurs marchandises par le port sans y être implantées. Dans le premier
cas, il s’agit des industries utilisatrices ou expéditrices des matières premières ou
des produits finis transitant par le port. Dans le second cas, les utilisateurs des
trafics peuvent être plus ou moins distants du port. La production indirecte
comprend aussi les fournisseurs et sous-traitants de la fonction portuaire ou des
établissements industriels de la zone, parmi lesquels divers services aux
entreprises ;
les activités induites qui sont sans lien avec le port, par la nature même de leurs
activités, mais dont l’emploi et le chiffre d’affaires sont stimulés par la présence des
fonctions portuaires et des fonctions de production indirecte. On peut y voir
l’expression d’un multiplicateur de revenu keynésien calculé à l’échelle locale.
23Si les fonctions portuaires sont assez faciles à cerner, les activités indirectes ne le sont
guère. La méthode des flux, utilisée pour les ports du nord-ouest Atlantique (Cariou [et
al.], 2003), utilise des agrégats calculés après extrapolation de données régionales ou
nationales. Ainsi, les services nationaux des douanes fournissent les statistiques
d’exportations et d’importations par branche (les valeurs unitaires par tonne). Les valeurs
portuaires par type de trafic sont ainsi estimées par simple multiplication des tonnages
enregistrés par ces prix unitaires. Des coefficients d’importation (ou d’exportation)
peuvent être calculés, en reportant la valeur des flux importés (ou exportés) par le port au
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chiffre d’affaires de la branche concernée. Puis le plus élevé des deux coefficients est
multiplié par la valeur ajoutée ou les emplois de la branche, pour avoir une vision
approchée de la valeur ajoutée ou des emplois créés par le port. On évite ainsi la
redondance d’un calcul qui comptabiliserait deux fois la valeur ajoutée par une branche
qui importerait et exporterait les mêmes biens. Enfin, en ce qui concerne les fonctions
induites, par définition les plus difficiles à évaluer, on établit, à partir de la propension des
ménages à consommer dans le secteur tertiaire, un chiffre d’affaires hypothétique à partir
duquel sont estimés valeur ajoutée et emplois. On aboutit ainsi, pour l’ensemble des
ports du nord-ouest Atlantique (Brest, Lorient, Nantes/Saint-Nazaire, La Rochelle,
Bordeaux et Bayonne), à un total de 4,2 milliards d’euros de valeur ajoutée et de près de
53400 emplois en 2001, les activités indirectes générant 84 % de la valeur ajoutée, pour
65 % des emplois des trois types d’activités cités plus haut. À titre indicatif, le tonnage
des six ports s’élevait, la même année, à plus de 55 millions de tonnes, répartis entre
vracs liquides (pour plus de la moitié du tonnage), vracs secs (pour plus du tiers) et
divers (pour moins du dixième).
24Pour séduisante que soit cette méthode, elle n’échappe pas à quelques critiques qui
tiennent aux risques de redondance ou de surévaluation de certains effets. Les activités
indirectes ne se limitent pas au strict cadre de la ville portuaire, ce qui peut être gênant
pour apprécier les modalités d’intégration du port dans la ville. C’est pourquoi un
important travail d’évaluation par enquêtes a été entrepris en 2003 à partir du cas de
Dunkerque, sous la responsabilité de P. Gaubert (2003). Sans remettre en cause les trois
types d’activités déjà évoquées, le travail a porté sur les établissements, permettant un
chiffrage de la valeur ajoutée et des emplois, en distinguant à chaque fois la zone
portuaire (la circonscription du port), la zone de la communauté urbaine, la zone hors
communauté urbaine, où n’a été pris en compte qu’un nombre limité d’établissements
étroitement dépendants du port. Pour un trafic de plus de 47,5 millions de tonnes, la
fonction portuaire mobilisait plus de 4 500 personnes en 2002 (dont moins de 2 300 dans
la fonction portuaire stricto sensu), soit respectivement 21 et 11 % de tous les emplois.
En termes de valeur ajoutée, cette fonction générait 12 % ou 8 % de la valeur ajoutée
portuaire. Ce sont donc des résultats assez modestes, pour un port dont la fonction
portuaire et les activités indirectes réunies généraient, la même année, plus de 21 000
emplois et près de deux milliards d’euros de valeur ajoutée. D’une façon générale, on
s’aperçoit que dans un port industriel, les fonctions portuaires sont assez marginales par
rapport aux activités indirectes et que la valeur ajoutée par tonne (en raison de la
transformation de masses importantes de produits bruts) est plus élevée que dans un
port classique, à l’inverse de la valeur ajoutée par emploi, bien plus élevée dans un port
classique que dans un port industriel. Ce dernier constat peut surprendre, mais ce serait
oublier que la fonction portuaire améliore sans cesse sa productivité, en particulier dans
la manutention et que l’industrie lourde, en tête de cycle des filières, ne dégage pas
forcément beaucoup de valeur ajoutée par emploi.
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25En fait, c’est la nature des tonnages traités qui influe directement sur la fonction
portuaire. La pratique expérimentale de l’économie portuaire tend à appliquer à chaque
tonne brute, selon la nature du produit et ses modes de conditionnement, un coefficient
de pondération pour traduire son potentiel de création de richesse et d’emplois. De toutes
les propositions d’estimation qui circulent dans la littérature spécialisée, on peut retenir
que la tonne de référence est toujours la tonne de marchandises diverses non
conteneurisée et manutentionnée à la grue. C’est elle qui mobilise le plus d’emplois à la
manutention et qui crée le plus de valeur ajoutée au contact immédiat des quais. Toutes
les autres marchandises sont donc étalonnées par rapport à cette tonne de référence, les
moins intéressantes pour le port étant le pétrole brut, dont les tonnes brutes peuvent être
divisées par huit, voire par douze ou même quinze, selon les auteurs, pour estimer sa
valeur économique réelle (tableau 9.1). On obtient ainsi des trafics en tonnes pondérées,
dont la somme finale, par comparaison avec les trafics en tonnes brutes, permet de
calculer un indice de valeur du trafic portuaire. Par hypothèse, plus cet indice est élevé,
plus le port est pulsateur d’activités et de richesse économique.
Tableau 9.1 – Diviseurs des tonnes brutes des trafics portuaires selon diverses sources
pour le calcul des tonnes pondérées
Tableau 9.1 – Diviseurs des tonnes brutes des trafics portuaires selon
diverses sources pour le calcul des tonnes pondérées
28Notons cependant que ce ratio d’emploi a tendance à s’effriter au fil des années. Au
milieu des années quatre-vingt-dix, on était plus près de 0,7 à 0,8 emploi, voire d’un
emploi pour 1 000 tonnes pondérées il y a un quart de siècle. On conçoit alors que les
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29L’intérêt national et régional des ports ainsi que l’importance des coûts fixes, des coûts
irrécupérables2 et l’indivisibilité des investissements3 ont amené, partout dans le monde,
les pouvoirs publics à participer à la prestation des services portuaires. Les ports qui
servent des hinterlands captifs4 sont des ports bénéficiant d’un avantage concurrentiel
(position géographique, coûts de transport faibles, etc.). Ils font face à une faible
concurrence et leur position peut, par conséquent, être considérée comme un monopole
naturel. Afin d’éviter l’abus de position monopolistique, les autorités publiques
interviennent dans la régulation et le fonctionnement de ces ports. Cette intervention se
justifie aussi par d’autres préoccupations comme la sécurité et l’environnement, mais
aussi la nature publique de certains services et infrastructures portuaires. Toutefois, le
modèle selon lequel les ports sont vus en tant que bien public est de plus en plus critiqué
et la tendance actuelle est au partage des fonctions dans le port entre le secteur public et
le secteur privé. Il s’est avéré que ce dernier est capable aussi d’offrir certains services et
infrastructures, longtemps considérés comme biens publics. La participation du secteur
privé à l’économie portuaire prend plusieurs formes et l’impact de la déréglementation
varie d’un port à un autre. Les besoins de tarification dans les ports ont changé pour
couvrir l’intégralité des coûts et internaliser les préoccupations environnementales. Nous
étudions dans une première sous-section la déréglementation récente qu’a connue le
secteur portuaire en Europe. Dans la deuxième sous-section, nous nous interrogeons sur
l’impact économique de la déréglementation, en particulier sur les besoins de
financement, la production et les prix des services portuaires. Finalement, la troisième
sous-section présentera la politique communautaire de tarification portuaire et
s’interrogera sur l’opportunité de la tarification au coût marginal social dans les ports
européens.
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31Un bien public est un bien consommé simultanément par plusieurs personnes sans
que la quantité consommée par l’une diminue les quantités disponibles pour les autres.
On comprend alors que le bien n’est vraiment collectif que dans la mesure où il n’y a pas
encombrement pour son usage. Cette règle découle de deux principes, celui
d’indivisibilité du bien collectif (l’air, un paysage…) et celui de non-rivalité dans la
consommation (l’accès au bien par un individu ne prive pas les autres de la jouissance
du même bien). La troisième caractéristique des biens collectifs est la non-exclusion de
quiconque souhaite en user. On ne peut ainsi exclure le consommateur qui n’accepterait
pas d’en payer le prix. Ceci ne peut évidemment être le cas d’une production privée. Si le
consommateur ne peut être exclu alors qu’il n’en a pas acquitté le prix, les recettes
perdues peuvent placer l’entreprise en situation de perte, voire de faillite. Les firmes
privées n’ont donc aucun intérêt à entreprendre la production de biens qui posséderaient
une telle caractéristique. Pour qu’un bien puisse satisfaire cette condition, il faut que son
coût marginal soit égal à zéro. Indivisibilité, non-rivalité et non-exclusion constituent donc
les caractéristiques intrinsèques du bien public.
32Goss (1990) définit les biens publics comme ceux qui « qui ne peuvent pas être fournis
suffisamment, ou pas fournis du tout dans un cadre concurrentiel ». Il relève également le
caractère obligatoire de l’usage du bien par les consommateurs. Par rapport aux
caractéristiques générales d’un bien public citées précédemment, il ajoute donc une
quatrième caractéristique pour les biens publics portuaires, celle qui rend impossible,
pour un navire qui souhaiterait faire escale dans une ville, le rejet de l’infrastructure
portuaire existante. Un bien collectif pur se définirait donc par :
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l’indivisibilité,
la non-rivalité de sa consommation,
la non-exclusion de ceux qui refusent de payer,
le non-rejet de la consommation.
33Les pratiques et les expériences de certains pays européens montrent que le secteur
privé est capable d’assumer la gestion d’un port dans des conditions de rentabilité
acceptables, bien que certaines infrastructures et services vérifient ces propriétés
théoriques (Goss, 1990). Les services d’aide à la navigation et le dragage présentent un
caractère de non-rivalité puisque les coûts de ces services sont les mêmes quel que soit
le nombre d’usagers. Toutefois, cette caractéristique ne justifie pas la fourniture de ce
service, sans contrepartie, sous certaines conditions. L’expérience de privatisation
portuaire britannique a montré que des opérateurs privés peuvent entretenir et exploiter
un chenal tout en récupérant les coûts de ce service auprès des usagers. En ce qui
concerne la condition de non-exclusion, Goss (1990) note que plusieurs infrastructures
maritimes ne possèdent pas cette propriété. Les navires qui ne payent pas les
redevances d’accès au port (y compris l’aide à la navigation et l’usage des principaux
équipements portuaires) sont facilement identifiés et peuvent être poursuivis devant la
justice. En ce qui concerne les biens dont on ne peut éviter la consommation, les phares
et balises, la police portuaire et les services qui assurent la sécurité des navires en sont
des exemples. Toutefois, la concurrence inter-portuaire permet, dans une certaine
mesure, aux navires de se passer de ces services en choisissant un autre port.
34Dans le secteur maritime, les phares constituent un exemple souvent cité pour illustrer
la nature d’un bien public. Tous les navires qui passent peuvent profiter de leur lumière
quel que soit leur nombre (Kaul [et al.], 2001). Dans plusieurs pays, notamment en
Grande-Bretagne, les phares ont néanmoins été parfois construits et exploités par des
investisseurs privés, des compagnies de transport maritime ou par des partenariats
public-privé. Les économistes continuent de considérer qu’il n’est pas possible d’en fixer
un prix en contrepartie de son usage et que le coût de ce bien est indivisible. Outre
l’exemple des phares, Sloman (1997) classe, comme biens publics portuaires, les quais,
les digues et la police.
É
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38Les prérogatives des pouvoirs publics peuvent comprendre la gestion et l’offre de tous
les services fournis par le port, ou se limiter simplement à la construction et à l’entretien
de l’infrastructure. Actuellement, il existe plusieurs modèles d’organisation des ports. Ces
modèles se différencient par le degré d’intervention des autorités publiques dans l’activité
portuaire. On peut classer ces modèles en quatre catégories : le port propriétaire foncier,
le port outil, le port public et le port privé (Cour des comptes, 2006 ; Banque mondiale,
2001 ; Juhel, 2001).
39Dans un port propriétaire foncier (Landlord Port), le secteur public est impliqué dans
l’investissement infrastructurel (dragage, construction des quais et des terminaux etc.).
L’autorité portuaire loue à bail cet investissement à des entreprises privées sous des
contrats de concessions. Toutes les dépenses en rapport avec l’acquisition, le
fonctionnement des équipements de manutention ainsi que la main-d’œuvre nécessaire à
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40Dans un port outil (Tool Port), les autorités portuaires effectuent les investissements en
infra et superstructure. Le reste est similaire au modèle précédent, c’est-à-dire que les
équipements sont loués à bail à des entreprises privées. L’opérateur privé utilise aussi sa
propre main-d’œuvre. Ce modèle est commun en Australie, en Espagne et aux États-
Unis.
41Le troisième type est le port public (Public Service Port). Dans ce modèle, le secteur
privé n’est engagé dans aucune activité. Cela signifie que le gouvernement régule,
contrôle les opérations de manutention et possède l’infra et la superstructure. Le but des
autorités portuaires est de monopoliser toute l’activité portuaire, y compris l’offre de
services. Ce type de port se rencontre à Singapour, en Inde, au Sri Lanka, ainsi que dans
quelques pays africains.
44Sous une forme plus élaborée, la corporatisation transforme l’autorité portuaire en une
entreprise commerciale autonome qui peut obtenir des crédits bancaires et exercer son
autonomie en matière d’investissement (bien que l’infrastructure reste toujours propriété
publique). L’objectif est d’obtenir des bénéfices aussi élevés qu’un port privé. Cette
entreprise indépendante peut confier l’exploitation de l’infrastructure portuaire au secteur
privé.
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9 Voir Trujillo et Nombela (1999) pour une description plus détaillée des différents
contrats.
46La dernière voie est celle de la privatisation. Dans le monde, peu de ports ont été
privatisés en totalité (à l’exception de quelques exemples au Royaume-Uni ou à Hong-
Kong). La privatisation totale consiste à vendre les équipements, les terrains et les
installations au secteur privé qui devient également responsable des services aux navires
et des services liés à la protection environnementale et à la sécurité. La majorité des
pays préfèrent la privatisation partielle par laquelle les terminaux sont privatisés sous un
contrat de concession (contrat de management, accord de leasing ou plan BOT – Built
Operate Transfer9 –).
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21/09/2023 18:40 Mare economicum - Chapitre 9. Ports de commerce et économie portuaire - Presses universitaires de Rennes
49La responsabilité d’investissement dans les ports est partagée entre l’État, les
autorités portuaires et le secteur privé. Dans le modèle le plus commun en Europe, l’État
et l’autorité portuaire se partagent les investissements et la maintenance des
infrastructures d’accès maritime et terrestre alors que l’autorité portuaire est responsable
du développement des infrastructures opérationnelles telles que la construction et
l’entretien des terminaux10 (tableau 9.3). Ceci laisse au secteur privé la fourniture des
équipements et éventuellement les autres formes de superstructures (bâtiments, etc.11).
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51Baird (2004) note que la création d’emplois, à une échelle locale ou nationale, à
travers l’activité portuaire, malgré ses avantages, ne saurait justifier les subventions aux
ports. L’offre et la demande de travail sont déterminées par des facteurs
macroéconomiques. Les subventions ne font que déplacer temporairement l’offre ou la
demande d’un marché à un autre. En outre, elles permettent aux importations de
concurrencer les exportations, ce qui peut faire baisser le nombre d’emplois. Baird (2004)
évoque un autre inconvénient : l’aide publique s’accompagne généralement d’une
augmentation des impôts et taxes, ce qui rend la zone moins attractive aussi bien pour
les résidents que pour les entrepreneurs. Finalement, cet économiste s’interroge sur le
degré selon lequel les biens subventionnés peuvent être qualifiés de biens publics. Dans
des ports comme Hambourg, Anvers, Rotterdam, Le Havre et Bremerhaven par exemple,
les dépenses de dragage et d’entretien sont si importantes que Baird (2004) les qualifie
de « dépenses publiques ». Les seuls arguments qui peuvent, selon lui, justifier l’octroi
de subventions doivent être liés aux effets nets sur les producteurs et les consommateurs
et sur l’environnement dans toute la région concernée.
52Van de Voorde et Winkelmans (2002) ont proposé que l’État fasse la distinction entre
l’infrastructure accessible à tous et celle exploitée par le seul secteur privé afin d’identifier
ce qui peut être qualifié de bien public et qui, à ce titre, peut bénéficier de subventions.
Ces auteurs considèrent que le financement public des infrastructures de base est toléré
dans la mesure où il n’entraîne aucune discrimination. Cependant, ils n’expliquent pas
pourquoi ces infrastructures doivent être subventionnées, ni à partir de quel seuil les
capitaux ainsi investis constituent des « biens publics ».
13 La Banque mondiale (2001) a ainsi mis l’accent sur les risques de privatisation
du pilotage et plu (...)
53L’effet de la déréglementation sur l’efficience de l’activité portuaire et sur les coûts est
assez incertain. L’idée dominante est que les ports gérés par des organismes publics
proposent des prix élevés et sont moins efficients que les ports privatisés ou semi-
privatisés (Eyre, 1990). Toutefois, les études empiriques n’ont pas validé cette hypothèse
de manière irréfutable, ni montré de rapport direct entre le modèle de propriété (public,
privé, ou semi-public) et l’efficience portuaire. En revanche, une relation positive a pu être
trouvée entre l’engagement du secteur privé dans l’activité portuaire et l’augmentation de
la production de services (Estache [et al.], 2002), en particulier dans le modèle du port
propriétaire foncier déjà évoqué. Ceci est conforme avec les analyses pionnières de
Bailey et Friedlaender (1982) qui ont montré que la séparation entre les activités de
transport dont les rendements sont croissants (offre d’infrastructure) et les autres
activités (les services) réduit les coûts totaux. Faut-il en déduire que la réduction des
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coûts des services portuaires est toujours désirable ? Ce n’est pas toujours le cas au
regard des quelques pays où la privatisation du pilotage a poussé les opérateurs à
minimiser leurs coûts en employant un personnel non qualifié et peu expérimenté avec
des équipements vieillissants. Dans d’autres pays, des firmes, en position dominante, ont
pu discriminer entre utilisateurs la qualité ou la tarification du service dispensé. La
privatisation du pilotage, qui doit combiner sûreté et qualité, n’est donc pas toujours
synonyme de réussite13.
14 Toutefois, la captivité de la demande (non-rejet de la consommation) et la
limitation des prix peu (...)
54La participation accrue du secteur privé à l’industrie portuaire semble souhaitable pour
que ce secteur puisse faire face à la demande croissante du transport maritime.
Toutefois, la privatisation ne doit pas signifier le désengagement des autorités publiques
de l’activité portuaire. Au contraire, rappelons les justifications admises de la présence
d’un régulateur public. Tout d’abord, celui-ci a pour mission d’empêcher les firmes privées
d’abuser d’une position dominante en fixant des prix plafond et en limitant le profit de ces
firmes par la fixation d’un taux de rendement minimal. Les prix plafond présentent
l’avantage d’inciter les firmes à réduire leurs coûts, ce qui améliore l’efficience globale du
port14. Ensuite, une deuxième série de mobiles tient à la planification et à la coordination
nécessaires pour garantir la sécurité des navires et des riverains du port et éviter de
provoquer des externalités négatives, c’est-à-dire les effets indésirables de l’activité
portuaire non pris en compte par le marché. Une densité élevée du trafic dans les zones
d’accès d’un port augmente le risque de collision entre navires. En raison des pollutions
causées par les accidents maritimes, une régulation stricte de la qualité et de la sûreté de
certains services s’impose. Puisque les non-usagers du port peuvent également être
touchés, le rôle d’une autorité portuaire s’étend donc à la défense de l’intérêt général.
Une autorité publique est mieux à même de remplir ce rôle qu’une autorité privée.
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60Le concept du coût marginal social est resté assez ambigu dans le Livre vert et a été
partiellement remanié dans le Livre blanc de 1998. Dans ce dernier, la Commission
estime que la grande diversité des systèmes tarifaires appliqués aux infrastructures de
transport dans les différents États membres compromet l’efficacité et la durabilité du
système de transport européen. Les redevances sont rarement perçues au point où a lieu
l’utilisation et sont généralement sans rapport avec les coûts environnementaux. C’est
pourquoi la Commission juge nécessaire d’entreprendre, à l’échelle de la Communauté,
une harmonisation progressive des principes de tarification appliqués à l’ensemble des
principaux modes de transport commercial, y compris aux infrastructures portuaires. Elle
propose que le système de tarification soit fondé sur le principe du « pollueur/payeur ».
Les redevances doivent être directement liées aux coûts d’usage des infrastructures et
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aux dommages subis par les citoyens. La méthode préconisée par la Commission est
une tarification sur la base du Coût marginal social (CMS) de court terme qui consiste à
faire payer aux usagers les coûts internes (coûts d’exploitation ou privés) et externes
(coûts liés à la dégradation des infrastructures, coûts liés aux encombrements, coûts
environnementaux et coûts liés aux accidents) qu’ils génèrent. Dans l’évaluation du coût
marginal social, la Commission suggère d’évaluer séparément les coûts privés et les
coûts externes.
61S’ils doivent supporter les coûts réels de leur activité, les usagers de l’infrastructure
portuaire seraient incités à adapter leurs choix de transport en utilisant des véhicules
moins polluants et plus sûrs. Ils choisiraient des itinéraires et une organisation logistique
permettant de réduire la dégradation des routes et l’encombrement. Ce principe de
tarification rendra plus efficace l’utilisation des infrastructures existantes et facilitera la
fourniture de nouvelles infrastructures.
62Le Livre blanc de 2001 n’a curieusement fait aucune référence explicite au principe de
tarification au CMS, bien qu’il ait mis l’accent sur la nécessité d’introduire les coûts
externes dans le calcul des coûts d’usage des infrastructures dans tous les modes d, e
transport. Les documents de la Commission qui ont suivi n’ont fait aucun progrès
significatif vis-à-vis des méthodes d’identification ou bien des critères du calcul des coûts
externes.
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Différence entre le coût marginal de court terme et le coût marginal de long terme
- Le coût marginal de court terme : c’est le coût de produire une unité supplémentaire
avec les capacités de production existantes. Le coût marginal de court terme exclut donc
les coûts liés aux investissements.
- Le coût marginal de long terme désigne le coût de produire une unité supplémentaire
si l’on suppose qu’il est possible d’ajuster les capacités de production instantanément.
La tarification au coût marginal de court terme semble donc être plus adaptée aux
services et infrastructures de transport puisqu’il n’est pas possible d’ajuster en temps réel
les inputs à la demande. L’avantage d’une tarification de long terme est de fournir aux
usagers un indicateur de prix qui permet d’éviter des variations brutales de tarifs lorsque
la congestion se déclare. En outre, avec la tarification au coût marginal de long terme, il
est possible de financer les extensions de capacité tout en proposant des prix stables sur
longue période. Si la capacité est optimale, le coût marginal de court terme et celui de
long terme sont égaux.
64Cette interprétation a été entièrement rejetée par le premier Livre blanc (1998) dans
lequel la Commission ignore toute référence au coût marginal de long terme et interprète
le concept du coût marginal comme l’incrément du coût variable obtenu à capacité fixe. Il
s’agit donc bien du coût marginal de court terme. Ce même Livre blanc indique aussi que
les coûts, qui doivent être inclus dans le calcul du coût marginal privé, sont les coûts
opérationnels (outillage et main-d’œuvre) et les coûts de maintenance liés à l’usage
(restructuration, substitution et réparation). Il modifie alors la vision selon laquelle l’usager
devrait payer pour le coût d’opportunité des investissements dans les infrastructures.
65Le second Livre blanc (2001) n’a pas contribué à lever cette ambiguïté. Le CMS n’y est
jamais cité. En revanche, l’intégration des coûts externes a été placée parmi les objectifs
les plus urgents à atteindre :
https://books.openedition.org/pur/53818 22/31
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66La seule recommandation qui concerne le transport maritime est celle relative à
l’intégration des coûts de sécurité aux redevances d’accès maritime. On note aussi
qu’une « directive-cadre devra autoriser des exceptions permettant d’ajouter un élément
au coût marginal quand ce dernier ne permet pas de compenser les coûts externes. Cet
élément serait justifié par le financement d’infrastructures alternatives plus respectueuses
de l’environnement » (Livre blanc, 2001, p. 83). Cependant, aucune précision n’a été
donnée sur la manière de calculer cette charge supplémentaire, ni les critères retenus
pour décider à quelles infrastructures elle s’appliquerait.
68En pratique, cette solution est assez intéressante. Toutefois, elle constitue une
antithèse aux premières déclarations de la Commission qui conditionnaient l’efficience à
la libre expression des forces du marché dans les choix d’offre et d’infrastructures. Il n’est
pas évident qu’un système de subventions croisées puisse garantir une composition
efficiente des investissements. D’autre part, l’équilibre qui existe actuellement dans le
système portuaire européen a été établi au fil des années. Cet équilibre résulte d’une
combinaison complexe entre les différentes caractéristiques géographiques, la proximité
des marchés de consommation, les contraintes de navigation, les subventions et le
financement des infrastructures. Le changement et l’harmonisation des politiques de
tarification devraient surtout perturber l’équilibre actuel existant entre les ports situés sur
la mer du Nord (qui sont des ports de conteneurs fortement concurrents entre eux).
69D’un point de vue théorique, la tarification au coût marginal n’est efficiente que sous
une hypothèse de capacité optimale. Les ports européens opèrent sous différentes
conditions. Certains ports souffrent d’une surcapacité alors que d’autres manquent
d’infrastructures. La tarification au CMS ne peut donc constituer une base efficiente pour
tous les ports. L’efficience, l’équité et l’acceptabilité des réformes dans la tarification ne
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dépendent pas seulement d’une modification des prix mais aussi de la façon dont les
revenus sont utilisés. On peut dès lors se demander si l’application du CMS dans les
ports privés est appropriée (Abbes, 2007). L’application du principe « pollueur/payeur »
doit donc être strictement encadrée afin d’utiliser une partie des revenus dégagés dans la
réduction des externalités négatives. Finalement, on peut noter certaines difficultés dans
l’application du CMS dans les ports publics où les coûts réels sont moins bien connus et
où la comptabilité est beaucoup moins transparente que dans les ports privés.
Conclusion
70Les fonctions, la gouvernance, les coûts et la tarification sont les bornes d’un jeu à
quatre bandes qui permet de mieux comprendre les missions des ports et l’efficacité
dans l’accomplissement de ces missions, sous la double exigence de l’alimentation des
marchés et de la desserte des territoires. Infailliblement, ne tenir compte que des
exigences des marchés conduit à placer les ports en concurrence parfaite, en libéralisant
les processus opérationnels, voire en privatisant les équipements. Une telle posture
conduit à recommander des tarifications à la fois déréglementées et globalisantes,
prenant en compte, non seulement les coûts réels d’exploitation, mais aussi le
recouvrement des dépenses liées aux investissements.
72On aboutit ainsi, sans aller jusqu’au port public « intégral » (qui n’est justifié que dans
le cas d’un secteur opérationnel privé totalement défaillant), au port outil ou au port
propriétaire foncier. Le risque est alors celui d’une confusion des coûts ou d’une
inefficacité opérationnelle et la Commission européenne, dans le changement d’échelle
qu’elle doit assumer pour la question des dessertes territoriales de l’Europe, l’a plusieurs
fois rappelé. La voie étroite d’une gouvernance efficace et d’une tarification juste des
prestations portuaires passerait-elle alors par la prise en compte du coût marginal social,
intégrant non seulement le coût réel des infrastructures, mais aussi les coûts externes
engendrés par les dégradations environnementales ? Ces dernières sont occasionnées
bien sûr par les installations portuaires, mais également par les trafics de marchandises,
dont la nuisance est fonction de leur intensité. Cette voie étroite s’appelle sans doute le
développement durable d’un système portuaire.
Bibliographie
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Notes
1 Le port principal émet des stolons, c’est-à-dire des tiges aériennes rampantes à la
manière des fraisiers permettant ainsi le départ de nouveaux organismes portuaires.
2 Ce sont des coûts qui ne peuvent pas être recouvrés une fois que la firme décide de
quitter le marché. Dans l’activité portuaire, les brise-lames en sont un exemple.
3 On ne peut pas construire des fragments de quais, ni élargir le port d’une façon infinie.
5 L’efficacité est entendue comme le rapprochement entre les résultats obtenus et les
objectifs fixés.
6 L’efficience se définit par le rapport entre les moyens de production employés et les
résultats économiques obtenus.
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21/09/2023 18:40 Mare economicum - Chapitre 9. Ports de commerce et économie portuaire - Presses universitaires de Rennes
9 Voir Trujillo et Nombela (1999) pour une description plus détaillée des différents
contrats.
11 Voir Commission européenne (1999, 2006) pour plus de détails sur le financement
des principaux ports européens.
12 En France, le financement des investissements est considéré au cas par cas et les
parts sont négociées entre les différentes parties concourant au financement.
13 La Banque mondiale (2001) a ainsi mis l’accent sur les risques de privatisation du
pilotage et plusieurs pays l’ont tout simplement interdit, comme ceux de l’Union
européenne et les États-Unis.
Titre Figure 9.1 – Segmentation des effets induits par l’activité portuaire
Légende Source : Cariou [et al.] 2003, étude des ports du nord-ouest
Atlantique
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/53818/img-1.jpg
(Uniform
Resource
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Titre Tableau 9.1 – Diviseurs des tonnes brutes des trafics portuaires
selon diverses sources pour le calcul des tonnes pondérées
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/53818/img-2.jpg
(Uniform
Resource
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(Uniform
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(Uniform
Resource
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URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/53818/img-5.jpg
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Auteurs
Souhir Abbes
ATER et doctorante en sciences économiques, membre du Len, prépare une thèse sur la
prise en compte des coûts externes dans la tarification portuaire. Elle participe également
à une étude sur les indicateurs portuaires de développement durable.
Du même auteur
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Jacques Guillaume
Professeur d’université en géographie. Membre du laboratoire Géolittomer-LETG, UMR
6554 CNRS. Spécialiste en géographie maritime et portuaire, recherches actuelles sur
les territoires littoraux, leur représentation et les conflits d’usage, auteur de nombreux
ouvrages et articles sur les réseaux portuaires, la construction navale française et le
transport maritime.
Du même auteur
© Presses universitaires de Rennes, 2008
https://books.openedition.org/pur/53818 31/31