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Chapitre 4 Les banques : une approche en termes de firme bancaire

Les deux premiers chapitres de ce cours ont abordé les banques d’un double point

de vue. Dans le Chapitre 1, nous avons montré que les banques – en fait, dans une

acception plus large, les intermédiaires financiers – étaient des acteurs importants

du financement de l’économie en étant en mesure de satisfaire à la fois les

préférences des agents à besoin de financement et ceux à capacité de financement.

Nous avons aussi souligné que les intermédiaires financiers sont davantage

capables que les marchés de faire face aux problèmes posés par les asymétries

d’information. Dans le Chapitre 2, nous sommes allés un peu plus loin en montrant

que les banques ont une double spécificité par rapport aux autres intermédiaires

financiers. D’une part, à travers la création monétaire, elles sont capables de

monétiser des créances, de prêter de la liquidité à l’économie sans besoin d’épargne

au préalable. D’autre part, les banques sont amenées à gérer le système de

paiement de nos économies.

Ces deux fonctions – création monétaire et gestion du système de paiement –

montrent la spécificité des banques dans nos économies. Or, le mouvement de

déréglementation qui a touché le secteur financier dans le monde à partir des

années 1980 a eu pour conséquence de « banaliser » le secteur bancaire, c’est-à-dire

d’en faire une entreprise comme les autres à travers le jeu de la concurrence. C’est

en ce sens que l’on parle de firme bancaire. A travers ce terme, on souligne que la

banque comme toute autre entreprise doit générer un résultat net positif afin d’être

viable dans le temps. Cependant, en même temps, la banque n’est pas une

entreprise comme les autres compte-tenu de ses responsabilités macroéconomiques

très particulières.

1
Dans ce chapitre 1, on privilégie une approche en termes de firme bancaire, ce qui

signifie que l’on a une approche de la banque qui se veut microéconomique en se

focalisant sur ses différents métiers (Section 2) et la formation de son résultat

(Section 3). La section 4 présente une typologie des risques bancaires conduisant à

la question de la supervision des banques et de leur règlementation. La section 5

analyse les nouvelles formes de concurrence à l’intermédiation bancaire.

Cependant, avant d’aborder ces différents points, il est important de présenter

l’environnement de la firme bancaire (Section 1).

A la fin de ce chapitre 4, vous devez être en mesure :

• d’expliquer les principales activités des banques à partir de leur bilan

(comptes en T). Il s’agit aussi de souligner l’importance du poste interbancaire ;

• d’expliquer quels étaient les objectifs de la libéralisation financière des

années 1980 et comment se sont manifestées les mutations bancaires. Les

conséquences en termes de concurrence et de sensibilité aux conditions du marché

doivent être soulignées ;

• de distinguer entre liquidité de financement et liquidité de marché ;

• de distinguer entre internationalisation des banques et mondialisation des

banques ;

• de montrer que les modalités de financement des banques exercent une

influence sur leur vulnérabilité ;

1 Principales références liées à ce chapitre :


- D. Chabert (2014), Manuel d’économie bancaire appliquée, 2ème édition, RB Edition, Paris ;
- S. Lecarpentier-Moyal et P. Gaudron (2011), Economie monétaire et financière, 6ème édition,
Economica, Paris, Chapitre 6 ;
- F. Mishkin (2007), Monnaie, banque et marchés financiers, 8ème édition, Pearson Education,
Paris, Chapitres 8, 9 et 11.

2
• d’exposer les principaux facteurs explicatifs du mouvement de consolidation

du secteur bancaire et ses résultats en termes d’efficacité ;

• de décrire les principaux métiers des banques ;

• d’expliquer pourquoi le bilan des banques est spécifique ;

• de montrer l’importance de la structure des taux d’intérêt dans la formation

du résultat bancaire ;

• d’expliquer comment se forme le produit net bancaire ;

• de définir ce que l’on appelle le système bancaire parallèle, d’en préciser le

périmètre, de décrire sa taille et ses activités ;

• d’expliquer les raisons du développement du système bancaire parallèle ;

• de définir la fintech et la bigtech du point de vue des activités de

financements ;

• d’expliquer en quoi les financements de la fintech et de la bigtech diffèrent

des financements bancaires traditionnels ;

• de préciser la taille du marché du crédit de la fintech et de la bigtech ;

• d’analyser la concurrence exercée par la fintech et la bigtech en prenant

l’exemple des services de paiements ;

• d’expliquer les facteurs de développements de la fintech et de la bigtech ;

• d’analyser les principales implications de la fintech et de la bigtech sur le

financement de l’économie et sur les banques.

Section 1 L’environnement de la firme bancaire

Nous avons déjà souligné dans le Chapitre 1 l’imbrication de plus en plus étroite

entre la banque et les marchés financiers. A cette fin, nous avons distingué entre

3
intermédiation de marché et intermédiation de bilan. Cette imbrication est le

résultat des modifications de l’environnement bancaire depuis les années 1980.

Cette section se compose de quatre sous-sections. Dans la première, le

fonctionnement de la banque est abordé à travers une présentation simplifiée de

son bilan (1.1.). Ensuite, on présente les principales mutations du paysage

bancaire en considérant le mouvement de déréglementation (1.2.). La troisième

sous-section souligne les principales évolutions dans le processus

d’internationalisation des banques (1.3.). Enfin, le mouvement de consolidation du

secteur bancaire est analysé (1.4.).

1.1. Le fonctionnement de la banque à travers son bilan

En suivant D. Chabert (2014), il est possible de présenter le fonctionnement de la

banque en utilisant les comptes en T. Ces derniers constituent une manière

simplifiée de présenter un bilan en traçant des lignes en forme de T avec l’actif à

gauche et le passif à droite 2.

La fonction traditionnelle de la banque repose sur son activité d’intermédiation.

Ainsi la banque capte les ressources des ménages qui forment des dépôts à son

passif et prête à l’économie sous forme de crédit. On obtient alors le bilan simplifié

suivant :

2 Voir aussi S. Lecarpentier-Moyal et P. Gaudron (2011), op. cit., p.134-139.

4
Comme l’indique ce bilan, la banque emprunte des ressources à court terme – ici

les dépôts – et prête à moyen-long terme. Elle effectue ce que nous avons appelé

une activité de transformation qui doit lui permettre de dégager une marge

d’intermédiation. Celle-ci est la différence entre les taux d’intérêt à court terme

payés sur ses ressources et les taux longs perçus sur ses emplois. Dans la mesure

où, en principe, les taux courts sont inférieurs aux taux longs, il en résulte une

marge d’intermédiation qui doit être positive.

Comme n’importe quel autre agent économique, la banque peut simultanément

avoir un besoin de financement et une capacité de financement. Le besoin de

financement peut provenir d’un besoin de trésorerie et / ou de la recherche de

ressources stables. Dans le premier cas, la banque va émettre des titres de créances

négociables à court terme 3 ou elle sera émettrice de bons à moyen terme

négociables et d’obligations. Dans le second cas, la banque peut être amenée à

acquérir des titres par d’autres agents : banques, fonds d’investissement,

entreprises, Etats. Comme précédemment, le placement peut être dans une logique

de court terme – gestion d’un excédent de trésorerie – ou de long terme.

Le bilan simplifié de la banque s’enrichie alors de la manière suivante :

3Les certificats de dépôts sont ici l’instrument privilégié. Il s’agit de titres de créances négociables
dont la durée est d’un jour à un an émis sur le marché monétaire. Le montant minimal d’émission
en Zone euro est de 150 000 euros. Ils ont été introduits en France en 1985. Ils sont apparus en
1961 aux Etats-Unis.

5
Actif Passif

Crédits Dépôts
(emplois illiquides) (Ressources liquides)

Titres acquis Titres émis


(certificats de dépôt (certificats de dépôt
BMTM et obligations) BMTM et obligations)

Comme le souligne D. Chabert (2014 : p.24-25), la banque peut reproduire le

schéma traditionnel de l’intermédiation (voir le premier bilan) en émettant des

titres courts et en acquérant des titres longs. Ainsi, elle supportera le versement

de taux d’intérêt à court terme et recevra le paiement de taux d’intérêt à long

terme. On peut alors parler de marge d’intermédiation sur titres. Le fait d’émettre

des titres courts situés au passif et d’acquérir des titres longs mis à l’actif constitue

une forme de transformation des échéances. Dès lors, le fait d’émettre au passif

une part croissante de titres longs afin d’acquérir des ressources stables participe

à la réduction de l’intensité de l’activité de transformation des échéances. Nous

verrons plus loin que la règlementation prudentielle oblige les banques à collecter

des ressources de long terme.

Afin de faire face à ses besoins de ressources courtes, la banque peut se refinancer

sur le marché interbancaire (voir aussi le Chapitre 2). Elle peut soit se refinancer

auprès d’une autre banque en payant le taux interbancaire du moment, soit

recourir aux opérations de refinancement de la banque centrale en payant alors le

taux fixé par cette dernière, soit combiné les deux. La banque peut aussi avoir des

excédents de trésorerie qu’elle prêtera à d’autres banques ayant un besoin de

trésorerie ou en plaçant cet excédent auprès de la banque centrale.

Notre bilan devient donc :

6
Actif Passif

Crédits Dépôts
(emplois illiquides) (Ressources liquides)

Titres acquis Titres émis


(certificats de dépôt (certificats de dépôt
BMTM et obligations) BMTM et obligations)

Prêt interbancaire Emprunt interbancaire


: autres banques : autres banques
Banque centrale Banque centrale

Enfin, la banque peut émettre des actions – s’il s’agit d’une société par actions – ou

des parts sociales – dans le cas d’une banque mutualiste ou coopérative – qui

représentent une partie de ses fonds propres. Ces titres apparaissent à leur passif.

A l’actif du bilan se trouvent les prises de participation dans d’autres entreprises

et la détention des filiales.

Le bilan devient ainsi :

Actif Passif

Crédits Dépôts
(emplois illiquides) (Ressources liquides)

Titres acquis Titres émis


(certificats de dépôt (certificats de dépôt
BMTM et obligations) BMTM et obligations)

Prêt interbancaire Emprunt interbancaire


: autres banques : autres banques
Banque centrale Banque centrale

Participations directeActions émises


Filiales* ou
Immobilisations** Parts sociales émises

* Il s’agit des filiales spécialisées du type crédit-bail, capital-risque, affacturage…


** Ce poste recouvre des actifs hétérogènes représentant tous des emplois stables
(équipements, immeubles…).

7
1.2. Les mutations du paysage bancaire

Après avoir présenté la situation des systèmes financiers avant les années 1980

(1.2.1.), les objectifs visés par la libéralisation financière sont introduits (1.2.2.).

Enfin, les différents éléments caractérisant les mutations financières sont

analysés (1.2.3.).

1.2.1 Le contexte financier avant les années 1980

A la fin des années 1970, les systèmes financiers de nombreux pays développés se

caractérisent par des réglementations que l’on peut regrouper en deux ordres

principaux : d'une part, celles qui exercent une contrainte sur la capacité des

agents financiers à effectuer des opérations aux prix du marché (contrôles sur les

taux d'intérêt ou segmentation organisée des marchés...) et, d'autre part, celles qui

fixent des barrières entre les institutions financières et encadrent strictement les

conditions de la concurrence avec les institutions étrangères.

Cet ensemble de réglementations répond alors à trois préoccupations principales :

- une préoccupation d'affectation des ressources. L'Etat, dans le cadre de sa

politique économique, a fréquemment comme outil ce que l'on a appelle la

sélectivité du crédit, c'est-à-dire le fait de favoriser le financement de secteurs

jugés stratégiques par des moyens dérogatoires ;

- l'efficacité du contrôle monétaire. Les banques centrales ont longtemps considéré

qu’un système bancaire cloisonné et relativement fermé permettait un contrôle

plus aisé sur la création monétaire dans la mesure où les possibilités de

contournement des politiques pouvaient sembler limitées. On a donc associé

implicitement large possibilité du contrôle monétaire à efficacité de ce contrôle ;

8
- la garantie de la stabilité des systèmes financiers. Il s'agit là d'une considération

essentielle des réglementations, héritage des crises bancaires des années 1930.

La libéralisation financière des années 1980 ne doit pas être interprétée comme

une remise en cause du bienfondé de ces préoccupations, mais plutôt comme une

remise en cause de la manière de les atteindre.

1.2.2. Les objectifs de la libéralisation financière

Premièrement, il s'agit d'obtenir une meilleure allocation des ressources. A cette

fin, la libéralisation financière passe par l'introduction de la concurrence entre les

multiples canaux de financement (le décloisonnement) ainsi que par l'abolition de

tout contrôle sur la formation des taux d'intérêt (suppression de la bonification ou

de l'encadrement du crédit). L'objectif est de redonner au taux d'intérêt sa véritable

dimension de prix de marché, seule à même de permettre une allocation optimale

(ou au moins plus efficace) des ressources entre les secteurs de l'économie. On

espère ainsi réduire le financement d'investissements à la productivité effective

douteuse. Si le taux d'intérêt monétaire est maintenu artificiellement (en raison

de l'intervention de l'Etat) en-dessous de la productivité du capital, alors la

sélectivité microéconomique des investissements est perturbée. D’un point de vue

macroéconomique, cela aura pour conséquences que des investissements non

rentables et qui n'auraient pas été financés si le taux monétaire s'était formé

librement (à l'équilibre, il y a égalité entre les deux) sont mis en route avec un coût

d’opportunité important puisqu'ils se révèlent peu productifs. De ce point de vue,

un système financier réglementé est susceptible de grever la croissance future.

Deuxièmement, l'objectif de la libéralisation financière est d'obtenir une réduction

des coûts de l'intermédiation qui pèsent in fine sur le coût de l'endettement des

9
entreprises et des ménages. Dans une perspective libérale, on considère que si on

met les banques en situation de concurrence, soit entre elles en décloisonnant les

circuits spécialisés, soit en offrant aux entreprises de nouvelles opportunités de

financement, le coût de l'intermédiation devra baisser. En effet, les intermédiaires

financiers seront incités à distribuer de manière plus efficace les crédits à

l’économie, et ce, afin de ne pas perdre des parts de marché.

Troisièmement, la libéralisation financière, en ouvrant considérablement les

possibilités de financement des agents économiques, permet de mieux satisfaire

les besoins de financement sans augmenter corrélativement les risques bancaires.

On peut même considérer que l'expansion des financements par titres de créances

négociables conduit à une dilution des risques par émiettement des prêteurs alors

que le crédit bancaire se caractérise au contraire par une concentration du risque.

Le fait que la libéralisation financière soit sensée (i) mieux satisfaire les

préférences des prêteurs et des emprunteurs en élargissant la gamme des supports

de financement accessibles et (ii) mieux diluer les risques entre les agents prêteurs,

améliore l'efficacité du système financier.

1.2.3. La caractérisation des mutations financières

On aborde de manière successive le décloisonnement (1.2.3.1.), la

déréglementation (1.2.3.2.) et la marchéisation des bilans bancaires (1.2.3.3.). On

montre enfin les conséquences de ces mutations sur la structure des bilans

bancaires (1.2.3.4.).

10
1.2.3.1. Le décloisonnement

Le décloisonnement traduit le processus d'ouverture des marchés nationaux. Il

s'agit d'une ouverture qui est à la fois externe (levée des contrôles de changes) et

interne (remise en cause des compartiments préexistants).

Au niveau externe, le décloisonnement prend la forme de la levée des contrôles sur

les mouvements de capitaux. Une manière de mesurer ce décloisonnement est de

considérer l’indice Chinn et Ito∗ qui s’appuie sur les rapports annuels publiés par

le Fonds monétaire international concernant les régimes et les restrictions de

change (Annual Report on Exchange Arrangements and Exchange Restrictions).

L’indice est une mesure synthétique prenant en compte (i) l’existence de taux de

change multiples, (ii) les restrictions sur les transactions du compte courant, (iii)

les restrictions sur les transactions en capital, et (iv) l’obligation de rapatriement

des revenus en provenance de l’activité d’exportation. Une valeur élevée (faible)

signifie un haut (bas) degré d’intégration financière internationale. Le Graphique

1 présente l’indice de Chinn et Ito pour les pays avancés, les marchés émergents

et les pays en développement. L’indice rend bien compte de l’accroissement de

l’intégration financière internationale qui caractérise l’économie mondiale à partir

du milieu des années 1990.


Pour les notions suivies d’une « * », voir aussi le glossaire.

11
Graphique 1 L’indice de Chinn et Ito par groupe de pays, 1970‑2019

Pays développés

Pays émergents

Pays en
développement

Source : M.D. Chinn et H. Ito, 2021

Au niveau interne, le processus de décloisonnement vise à introduire plus de

concurrence entre les opérateurs (déspécialisation et libéralisation de la

tarification) et à offrir une gamme plus étendue de titres (intégration des

compartiments et création de nouveaux produits).

1.2.3.2. La déréglementation

La déréglementation constitue un trait caractéristique du début des années

quatre-vingt qu'il est difficile d'isoler des innovations financières. En effet, les

nouvelles pratiques financières tendent à rendre obsolètes les réglementations

existantes. Surtout, les coûts d'adaptation de la réglementation peuvent devenir

exorbitants. Cependant, le processus de déréglementation, en raison de

l'instabilité financière qu'il peut engendrer, conduit souvent à un mouvement de

re-réglementation des activités financières (Sur ce point, voir le Chapitre 5).

Les activités traditionnelles des banques ont été libéralisées dans la plupart des

pays développés. Les autorités ont ainsi supprimé les contraintes pesant sur les

taux d'intérêt, à l’exception des taux créditeurs. La remise en cause de la sélectivité

12
du crédit a largement réduit les obligations d’emplois pour les banques. La

déréglementation a aussi concerné la gamme des produits disponibles sur les

marchés. Les pays industrialisés se sont dotés de marchés de titres courts

(certificats de dépôts, papier commercial, bons du Trésor). De nouveaux marchés

dérivés largement pénétrés par les banques tels que les futures*, les swaps* et les

options* se sont rapidement développés.

La déréglementation a permis aux banques d'élargir la gamme de leurs activités

contribuant au décloisonnement. D’une part, les institutions de crédit ont été

autorisées à accorder des types de crédits aux caractéristiques plus diversifiées

qu'auparavant et à capter des fonds de manière plus libérale. D’autre part, la

possibilité pour les banques de mener des activités sur titres a été élargie,

principalement depuis le milieu des années 1980.

La déréglementation concernant l'imbrication entre les activités de banque et

d'assurance a été d'une ampleur plus limitée, cependant les autorités ont assoupli

la manière d’appréhender la séparation des activités. En effet, la réglementation

est strictement appliquée au niveau de la production des services respectifs, mais

non pour leur distribution (à l'exception des Etats-Unis).

L'imbrication des activités bancaires et non financières est demeurée limitée par

la réglementation. Même s'il existe de très importantes différences entre les pays,

on peut considérer que cette séparation a été relativement moins affectée par la

déréglementation.

La déréglementation apparaît comme la condition permissive du décloisonnement.

Elle constitue un élément décisif de l'intensification de la concurrence.

13
1.2.3.3. La marchéisation

La marchéisation désigne l'accroissement de la sensibilité des intermédiaires

financiers aux risques de marché. D'une part, il apparaît une concurrence au

niveau de la formation des prix. Ainsi, les réformes financières sont ancrées dans

l'idée qu'il faut laisser jouer au taux d'intérêt sa véritable nature qui est d'être un

prix de marché. Si l'on se situe uniquement au niveau des banques, on dira qu'il y

a une marchéisation des conditions bancaires, c'est-à-dire une indexation de plus

en plus systématique des conditions bancaires sur les conditions du marché. On

retrouve ici la connexion créée entre les différents marchés. D'autre part, on

observe un accroissement de la mobiliérisation des bilans bancaires. Au niveau du

passif, il apparaît dès les années 1980, une augmentation des émissions

d'obligations (long terme) et des émissions de certificats de dépôts négociables sur

le marché monétaire (court terme). De même, au niveau des emplois bancaires, le

poids des titres s’accroit au détriment de la part des crédits.

La mobiliérisation des bilans s'est déroulée dans un contexte de dégradation des

résultats des banques. L'objectif est d'alléger le bilan des banques par cession des

créances à un tiers. La mobiliérisation trouve ainsi sa raison d'être lorsque la

marge d'intermédiation* (différence entre le rendement des crédits et le coût des

ressources) est insuffisante pour faire face aux charges de fonctionnement et à la

prise de risque.

Au total, les mutations financières accroissent de manière considérable le poids

des marchés financiers dans les pays, mais aussi le poids des mécanismes de la

libre concurrence. Les intermédiaires financiers sont amenés à devenir des acteurs

14
essentiels de ces marchés, notamment à travers le processus de mobiliérisation des

créances.

1.2.3.4. Conséquences sur la structure des bilans bancaires

Comme nous l’avons souligné précédemment, une des conséquences importantes

des mutations financières est d’avoir augmenté le degré de concurrence au sein des

systèmes, à la fois du point de vue de la captation des ressources que de celui du

financement de l’économie. Les banques ont ainsi vu leur marge d’intermédiation

s’éroder les conduisant à se redéployer vers de nouvelles activités.

Ce paragraphe souligne cette évolution en considérant les changements dans la

structure des bilans bancaires.

On observe dans un grand nombre de pays développés une réduction du poids des

ressources traditionnelles – essentiellement les dépôts des clients – au profit de

ressources issues des marchés financiers et plus particulièrement du marché

interbancaire.

Sur le marché interbancaire, on peut distinguer deux types transaction. Les

premières concernent les transactions interbancaires dites « en blanc ». Il s’agit de

transactions qui ne font pas l’objet d’une garantie par l’intermédiaire de titres

amenés par la banque à besoin de financement auprès de la banque à excédent de

liquidités. Ces transactions étant plus risquées, elles portent un taux d’intérêt plus

élevé que le second type de transactions interbancaires. Ces dernières sont en effet

gagées par des titres – on dit qu’elles sont collatérisées*. Les titres apportés comme

garantie sont mis en pension pendant la période du prêt auprès de la banque

prêteuse. A la fin de la période, la banque emprunteuse rachète les titres, d’où

l’expression d’accords de rachat (repurchase agreement ou repos). Les repos font

15
fréquemment l’objet de ce que l’on appelle un haircut afin d’en limiter le risque. Le

haircut fait référence à la différence entre le prix de marché d’un actif détenu par

la banque emprunteuse et le prix auquel est fait le repo sachant que la banque

prêteuse conservera en dépôts l’actif concerné.

La montée de la composante interbancaire est une tendance lourde observée au

niveau mondial 4. Elle a une conséquence fondamentale ayant des implications sur

la stabilité financière : l’accroissement très important des interconnexions entre

les banques. Plus précisément, les années qui ont précédé la crise financière ont

été marquées par une modification importante de la structure de financement des

banques dans de nombreux pays développés, mais aussi dans certains pays

émergents. En prenant appui sur les travaux de Hahm et al. (2013), il est possible

de distinguer deux principaux types de financement 5. Le premier fait référence aux

engagements essentiels (core liabilities) et regroupent principalement les dépôts

des ménages. Outre le fait que ces engagements correspondent au modèle

traditionnel d’intermédiation – les banques captent des dépôts et les prêtent à

d’autres agents économiques – leur caractéristique essentielle est d’être une source

stable de financement. En effet, avec la présence de l’assurance dépôts, les courses

aux guichets sont devenues un événement extrêmement rare, au moins dans les

pays avancés. Le second type de financement pour les banques est constitué par le

recours au financement de gros (wholesale funding*) à travers notamment

l’émission de titres de dettes à court et à long terme. Il s’agit d’une ressource non

4 Ce paragraphe prend appui sur J.P. Allegret et P. Le Merrer (2015), Economie de la


mondialisation, 2ème édition, de Boeck, Bruxelles, p.211-214.
5 Hahm, J.-H., Shin H.S. et Shin K. (2013), « Non-core bank liabilities and financial vulnerability

», Journal of Money, Credit and Banking, vol. 45, no S1, p. 3‑36.

16
essentielle (non-core liabilities) qui peut se révéler instable dans les périodes de

tensions financières. Les non-core liabilities sont importants à considérer en ce

qu’ils créent une interdépendance accrue entre les marchés monétaires et les

marchés financiers, et, au-delà, l’activité de crédit des banques. En effet, une part

croissante des transactions interbancaires s’effectue sous la forme de prises en

pension, ce qui implique que les banques utilisent davantage leurs portefeuilles de

titres comme garantie du refinancement. Comme le soulignent Praet et Herzberg

(2008 : 107), « les fonds empruntés par les banques avec une garantie servent à

leur tour dans une large mesure à prêter avec garantie à d’autres participants du

marché. Cependant, la garantie utilisée pour les deux volets de ces opérations

n’affiche pas forcément la même nature ou la même liquidité. En fait, les banques

mobilisent de plus en plus leurs portefeuilles classiques d’obligations d’État et

d’entreprise pour financer des formes d’actifs moins liquides mais à rendement

plus élevé, qui peuvent à nouveau servir de sûreté. Selon une enquête sur le

marché des pensions publiée en juin 2007, les obligations d’entreprise et les titres

adossés à des actifs (ABS) gagnent en importance » 6. Les banques d’investissement

(qui ne peuvent pas recevoir de dépôts de la clientèle) ont été particulièrement

actives sur le marché des repos : la part de leurs actifs financés par des prises en

pension au jour le jour a presque doublé entre 2000 et 2007. La conséquence est un

accroissement considérable de leur déséquilibre de maturité : leurs engagements

ont eu une maturité raccourcie, ce qui n’a pas été le cas de leurs actifs.

6Praet P. et Herzberg V. (2008), « Liquidité de marché et liquidité bancaire : interdépendances,


vulnérabilités et communication financière », Revue de la Stabilité Financière, no 11, La liquidité,
Banque de France, p. 105‑120.

17
De nombreuses études montrent qu’il existe une relation entre stabilité bancaire

et structure de financement des banques. Plus précisément, le recours croissant

aux non-core liabilities augmente la fragilité bancaire. Une des explications à cette

relation réside dans la présence d’une interdépendance entre la liquidité de marché

et la liquidité de financement. La liquidité (Crockett, 2008) peut se définir comme

la facilité avec laquelle il est possible d’extraire de la valeur à partir d’actifs 7 :

- soit en prenant appui sur sa solvabilité afin d’accéder à des financements

externes, c’est la liquidité de financement. Cette dernière est en lien direct avec la

fonction d’intermédiation des institutions financières. En effet, en tant que

fournisseur de liquidité à l’économie, elles émettent des titres à court terme afin

de détenir des actifs moins liquides. On retrouve ici ce que l’on appelle l’activité de

transformation. Les capitaux propres des institutions financières doivent leur

permettre de faire face au risque de liquidité, c’est-à-dire d’être en mesure de

rembourser leurs engagements. La fourniture de services de liquidité doit offrir

une rentabilité supérieure au coût des capitaux investis ;

- soit en vendant des titres sur les différents segments du marché financier,

c’est la liquidité de marché. Celle-ci est caractérisée par quatre principales

dimensions (Crockett, 2008 : 14-15) :

- la profondeur du marché qui fait référence à la possibilité d’effectuer

d’importantes transactions sans provoquer de fortes variations des prix des actifs ;

- l’étroitesse du marché qui porte sur les écarts entre cours acheteur et

vendeur. Plus cet écart est important, plus le marché est étroit ;

7 Crockett A. (2008), « Liquidité de marché et stabilité financière », in Revue de la Stabilité


Financière, Liquidité n°11, Banque de France, p.13‑18.

18
- l’immédiateté liée à la rapidité d’exécution des transactions ;

- la résilience qui fait référence « à la rapidité avec laquelle les prix des actifs

reviennent à leur niveau normal après un épisode de perturbation des marchés »

(Crockett, 2008 : 15).

1.3. L’internationalisation des banques

Les banques commerciales, dans leur activité quotidienne, effectuent des prêts à

des agents résidents et à des agents non-résidents, en monnaie nationale ou en

devises. En tant qu’intermédiaires entre les prêteurs (agents économiques privés

ou États) et les emprunteurs, elles permettent une meilleure allocation des

capitaux à l’échelle mondiale. Les activités bancaires internationales se

subdivisent en trois segments qui se distinguent principalement selon qu'un prêt

est libellé dans une devise étrangère à l'emprunteur, au prêteur ou aux deux.

(Graphique 2).

Les deux premiers segments constituent l'activité bancaire internationale

traditionnelle dans lesquels la devise est étrangère soit au prêteur, soit à

l'emprunteur, mais pas aux deux. Un segment est celui des prêts transfrontaliers

par les résidents d'un pays dans leur monnaie nationale. Par exemple, une banque

à New York pourrait prêter des dollars américains à un emprunteur à Londres ou

à Tokyo (aire orange sur le graphique 2). L'autre segment est lui aussi

transfrontalier mais implique des résidents qui empruntent dans leur monnaie

nationale auprès d'une banque à l'étranger (aire bleue sur le graphique 2). Par

exemple, une société à New York pourrait emprunter des dollars américains à une

banque à Londres ou à Tokyo. Ces deux exemples impliquent une contrepartie qui

19
est un résident non américain et effectue donc des transactions dans une devise

étrangère.

Le troisième segment est le marché offshore – hors frontières - (aire grise sur le

graphique 2) au sens où le support monétaire est indépendant de la nationalité du

prêteur et de l’emprunteur. Par exemple, une banque japonaise installée à Londres

prête des dollars à une firme allemande située en Allemagne. Le dollar n’est pas la

monnaie domestique de l’emprunteur et du prêteur. Ils sont eux-mêmes subdivisés

en :

– eurodevises, qui recouvrent les financements à court terme (du jour le jour à un

an) ;

– eurocrédits pour les financements par crédits bancaires d’un à huit ans

d’échéance.

Graphique 2 Répartition des activités bancaires internationales selon les trois

segments, en %

Source : Robert McCauley, Patrick McGuire et Philip Wooldridge (2021), « Seven


decades of international banking », BIS Quarterly Review, September, p.61-75.

20
Entre 1965 et 1980, le montant des prêts bancaires internationaux est passé de 17

à 810 milliards de dollars. Ce montant s’est ensuite accru de manière régulière

passant de près de 2 000 milliards de dollars au quatrième trimestre 1983 à près

de 35 000 milliards en juillet 2021 (Graphique 3).

Graphique 3 Encours des prêts bancaires internationaux, en trillions de dollars,

données trimestrielles, octobre 1977 – octobre 2022

Source : Banque des règlements internationaux, Macrobond (connexion : 23 mai

2023)

En termes de poids dans le PIB mondial, l’encours des prêts bancaires

internationaux représentait 2 % du PIB mondial en 1963, 60 % en 2007 (pic) et

près de 40 % début 2021 (McCauley et al.,2021).

Les prêts bancaires internationaux sont aussi un marché interbancaire, un marché

de gros : le montant minimal des transactions est de l’ordre d’un million de dollars.

Historiquement, comme le montre le Graphique 3, l’encours des prêts bancaires

internationaux au secteur non bancaire a été moins important que le total. On

observe cependant que la crise financière mondiale de 2008 – 2009 a conduit à un

recul marqué, et durable, des transactions interbancaires. Depuis 2019, les crédits

21
interbancaires et ceux à destination du secteur non bancaire sont très proches en

termes de montants.

L’interbancaire est un facteur d’efficacité du marché dans la mesure où les coûts

de transaction sont réduits par la centralisation des offres et des demandes

d’euromonnaies. Les principaux intervenants sur les euromarchés sont les

banques commerciales, les banques centrales, les entreprises industrielles et

commerciales, les investisseurs institutionnels et quelques intervenants

individuels. La plus grande partie des dépôts consiste en dépôts à terme, leur

fonction de transaction est ainsi limitée. Le développement des activités

eurobancaires dépend des besoins du commerce mondial qu’elles financent mais

aussi des réglementations nationales. Par exemple, les dépôts en monnaie

nationale sont souvent soumis à des réserves obligatoires ce qui explique que les

banques offrent des conditions plus avantageuses sur les dépôts en devises.

A partir des années 1980, les banques ont amorcé une nouvelle étape dans leur

développement international axé sur leur mondialisation. Celle-ci doit être

distinguée de leur activité internationale. Alors que cette dernière repose sur la

captation de dépôts dans un pays pour effectuer des prêts dans un autre, la

mondialisation est « une stratégie consistant à collecter des fonds et octroyer des

crédits (à la consommation, au logement et aux entreprises) à l’intérieur de divers

marchés nationaux, grâce à une implantation locale » (McCauley et al., 2002 : 44)8.

Le Graphique 4 montre la part des créances étrangères locales – correspondant à

la mondialisation des banques – dans l’ensemble des créances étrangères des

8 R.N. McCauley, J.S. Ruud et P.D. Wooldridge (2002), « Mondialisation de l’activité bancaire », BIS
Quarterly Review, mars, p. 44-55.

22
banques. Ce graphique appelle deux commentaires principaux. D’une part, les

pays émergents et en développement sont particulièrement concernés par ce

processus comme le montre le poids plus important des créances locales dans ce

groupe de pays relativement aux pays développés. D’autre part, dans l’ensemble

des pays émergents et en développement, deux régions ont été fortement marquées

par la mondialisation des banques : l’Amérique latine et les Caraïbes et l’Europe.

Graphique 4 Poids des créances étrangères locales dans le total des créances

étrangères en %

Source : estimations JPA, données BRI, Statistiques bancaires internationales,


Macrobond (connexion : 23 mai 2023).

La mondialisation de l’activité bancaire est le résultat de deux mouvements

principaux. En premier lieu, les réformes financières se sont accompagnées d’une

nouvelle intermédiation répondant au souci des banques de capter des nouvelles

sources de revenus. La présence sur les marchés domestiques devient

prépondérante. En second lieu, la pénétration des marchés bancaires domestiques

par des banques étrangères a été encouragée par les institutions internationales

car il s’agit d’un moyen d’intensifier la concurrence et d’améliorer l’efficacité des

banques locales.

23
La mondialisation des banques n’est pas du seul fait des banques des pays

développés. Les banques en provenance de pays en développement jouent un rôle

croissant dans d’autres pays en développement. Cette évolution répond à

l’intensification des relations économiques Sud – Sud et à la multiplication des

accords commerciaux régionaux intra-Sud.

Cette nouvelle étape dans le développement international des banques a contribué

à la montée des interconnexions entre les banques, mais aussi entre les banques

et les marchés financiers, du point de vue du financement de leurs activités. Or,

comme nous l’avons déjà souligné plus haut, les banques sont d’autant moins

vulnérables à un retournement des marchés qu’elles ont accès à des sources de

financement stables et qu’elles disposent de volants suffisants de liquidité pour

faire face à leurs engagements de court terme. La crise financière internationale

liée à l’effondrement du marché des crédits subprimes* et à la faillite de Lehman

Brothers a mis en lumière les problèmes de financement et de liquidité sur les

marchés interbancaires internationaux. En effet, les problèmes informationnels –

et donc les incertitudes quant aux expositions aux risques – y sont plus importants

que sur les marchés domestiques. Les banques centrales ont dû intervenir pour

faciliter le financement des marchés internationaux en dollars par l’intermédiaire

de lignes de swaps. Afin de comprendre les enjeux liés à l’ampleur des

perturbations qui ont affecté les marchés internationaux de financement, il est

important de considérer les modèles bancaires qui se sont développés avec

l’expansion de l’activité internationale des banques.

Les banques japonaises, et dans une moindre mesure les banques françaises et

allemandes, financent leurs activités internationales à partir de leur pays

24
d’origine. D’autres systèmes bancaires lèvent des fonds en dehors de leur espace

d’origine. Ainsi, les banques suisses et américaines effectuent des emprunts

transfrontières dans différents centres financiers alors que les banques

canadiennes et espagnoles privilégient un financement local, c’est-à-dire dans le

pays où elles s’implantent. Une autre dimension doit être prise en compte : le degré

de centralisation / décentralisation dans l’organisation de leurs activités de

financement et de gestion de la liquidité. Un modèle de financement décentralisé

est associé à deux caractéristiques principales :

- d’une part, le rôle limité de la maison mère dans l’allocation et la distribution des

liquidités entre les différentes filiales. Cette caractéristique s’apprécie à travers la

part du financement intra-groupe. Une faible part est associée à davantage de

décentralisation ;

- d’autre part, la part des créances locales financées localement. Plus cette part est

importante, plus la banque tend à être décentralisée.

A partir de ces deux caractéristiques, il apparaît que les banques espagnoles sont

les plus décentralisées alors que les banques allemandes, canadiennes et

américaines ont des degrés élevés de centralisation. Quel lien peut-on faire entre

les modèles de financement de l’activité bancaire internationale et la vulnérabilité

des banques aux tensions sur les marchés interbancaires telles que celles que l’on

a connues au cours de la crise financière ?

Une analyse de la structure des créances et des engagements bancaires par devises

permet d’apporter quelques éléments de réponses à cette question. En effet, elle

permet de mesurer l’importance des financements entre devises et, par là-même,

la dépendance aux opérations de swaps sur le marché des changes. Les banques

25
non-américaines ont des positions en dollars qui tendent à excéder les

financements en dollars. Elles doivent donc recourir à des swaps pour convertir

des financements libellés dans d’autres devises en dollars américains. Les banques

japonaises, allemandes, suisses et britanniques sont particulièrement exposées à

une perturbation sur le marché des changes. A contrario, les banques suivant un

modèle plus décentralisé sont moins exposées à une perturbation. Or, la crise

financière a fortement affecté les marchés de gros (appelée aussi international

wholesale markets). Les banques ayant un modèle davantage décentralisé

s’appuyant moins sur les financements entre devises ont donc été moins exposées

aux tensions affectant ce type de financement. Les enquêtes effectuées auprès des

banques depuis la crise montrent que celles-ci entendent accroître leur appel au

financement de détail (retail funding) avec pour objectif majeur de diversifier leurs

sources de financement. Cela devrait favoriser un glissement vers des modèles plus

décentralisés. En outre, les banques entendent faire davantage appel aux marchés

des capitaux pour des financements longs.

1.4. Le processus de consolidation bancaire

Le mouvement de consolidation décrit un processus dans lequel le nombre de

firmes présentes sur le marché se réduit. La consolidation peut résulter de la

concentration au sein du secteur entre les firmes existantes, de la croissance des

firmes leaders ou de la sortie des firmes les plus faibles. C’est le processus de

concentration qui retient notre attention ici.

Ce processus peut s’effectuer de différentes manières 9 :

9 Group of Ten (2001), Consolidation of the financial sector, janvier.

26
- les fusions – acquisitions dans lesquelles deux firmes formellement

indépendantes deviennent contrôlés de manière commune ;

- les alliances stratégiques lorsque des partenariats sont passés entre firmes

indépendantes impliquant la création d’actifs tangibles ou intangibles. De telles

alliances peuvent être utiles lorsqu’il s’agit de faire des échanges d’informations

techniques ou lorsque des obstacles légaux ou culturels empêchent une

collaboration plus étroite ;

- les firmes conjointes (joint venture) lorsque au moins deux firmes

indépendantes créent ensemble une nouvelle entité qu’elles contrôlent ensemble

afin de développer une activité.

Si nous nous concentrons dans cette sous-section sur le mouvement de

consolidation concernant les institutions de crédit, il convient néanmoins de noter

qu’il a concerné l’ensemble de l’industrie financière, soit aussi le secteur des

assurances et celui des maisons de titres.

On présente dans un premier temps un état des lieux du processus de consolidation

bancaire en accordant une attention particulière à l’Union européenne (1.4.1.).

Dans un deuxième temps, les facteurs explicatifs de la consolidation sont analysés

(1.4.2.). Enfin, on étudie dans quelle mesure la consolidation bancaire améliore ou

non l’efficacité du secteur (1.4.3.).

1.4.1. Un état des lieux de la consolidation du secteur bancaire

Le Tableau 1 montre l’évolution du nombre d’institutions de crédit dans quelques

pays de l’Union européenne et pour l’ensemble de la zone depuis 2000. On voit

clairement une tendance lourde marquée par le recul du nombre d’institutions de

crédit.

27
Tableau 1 Nombre d’institutions de crédit, Union européenne

France Allemagne Italie Espagne Union européenne Zone euro


2000 1099 2742 861 368 8368 7521
2005 854 2089 792 348 6248 8616
2010 686 1927 778 337 6334 8209
2015 467 1774 656 218 5454 7051
2021 399 1445 457 194 4199 5264
Variations en % -63,7 -47,3 -46,9 -47,3 -49,8 -30,0
Source : Banque centrale européenne

Comme le souligne Pujals (2013) 10, cette évolution a eu deux effets principaux. En

premier lieu, un effet taille au sens où, parmi les dix premiers établissements

bancaires en termes de capitalisation boursière en 2010, la moitié n’apparaissait

pas en 1990. En outre, la totalité de ce Top-10 a effectué une opération de

croissance externe entre 1990 et 2010. En second lieu, on observe aussi un effet

concentration : la part des cinq principales institutions bancaires dans le total des

actifs est passée de moins de 45 % en 1990 à plus de 60 % en 2010.

D’une manière générale, la consolidation en Europe a pris deux formes

principales :

- des fusions entre des banques commerciales de taille importante d’un côté

et des institutions financières bancaires et non bancaires d’un autre côté ;

- des fusions entre banques coopératives et caisses d’épargne.

Le Graphique 5 montre l’évolution des fusions-acquisitions bancaires au sein de

l’Union européenne.

On observe un recul des fusions-acquisitions depuis 1999 suggérant que le

processus de consolidation continue au sein de l’UE à un rythme plus lent qu’au

début des années 90.

10 Pujals G., « Vingt-cinq ans de fusions-acquisitions bancaires en Europe », Revue d'économie


financière, 2013/2, p. 43-63.

28
Graphique 5 Nombre et valeur des fusions-acquisitions dans le secteur bancaire

au sein de l’Union européenne

Source : Banque centrale européenne (2005, 2021), EU banking structures et


Financial stability review

Le Tableau 2 présente les dix principales opérations domestiques et le Tableau 3

l’équivalent pour les opérations transfrontalières.

Les opérations transfrontalières ont été principalement à dimension

paneuropéenne (près de 53 %) et à destination des Etats-Unis (près de 30 %).

La crise financière mondiale a marqué une rupture importante dans la dynamique

des fusions-acquisitions. En effet, le nombre d’opérations a baissé de manière très

significative. L’industrie bancaire s’est d’abord trouvée dans la nécessité de

restaurer ses fonds propres. Ensuite, la crise des dettes souveraines en Zone euro

a entrainé une fragmentation de l’espace financier européen qui s’est notamment

exprimé par un mouvement de repli national (retrenchment selon l’expression

anglo-saxonne). Enfin, la crise a conduit à des modifications dans les business

models avec un recentrage sur les métiers de base.

29
Tableau 2 Les dix principales opérations de fusions-acquisitions domestiques

Source : Pujals (2013), p.47

Tableau 3 Les dix principales opérations de fusions-acquisitions transfrontalières

Source : Pujals (2013), p.51.

Si on s’intéresse aux Etats-Unis, le Graphique 6 illustre parfaitement les effets de

la réglementation en vigueur jusqu’au début des années 1990 : le nombre

d’établissements a été globalement stable depuis 1934 avant de baisser de manière

très importante ensuite. Selon les données publiées par le Federal Deposit
30
Insurance Corporation (FDIC), le nombre de banques commerciales a chuté de

57 % entre 1990 et 2015 11.

Graphique 6 Le mouvement de consolidation bancaire aux Etats-Unis

Source : Jamet V. et Vinel A.P. (2015), « L’avenir de la banque de détail aux


États-Unis : entre pluralité et hybridation des modèles industriels », Revue
d'économie financière, 2015/2, p.113-133, p.116.

Le graphique suggère que si les faillites ont pu jouer un rôle dans ce mouvement

de baisse, ce sont bien les opérations de fusions-acquisitions qui expliquent en

expliquent l’essentiel.

Comme le montre le graphique 7, le nombre de banques a aussi diminué en Suisse

depuis le milieu des années 1980.

11 Sur la même période, le nombre d’institutions d’épargne a baissé de 70 %.

31
Graphique 7 Nombre de banques en Suisse depuis 1985

Source : Banque nationale suisse

1.4.2. Facteurs des fusions - acquisitions


Les fusions – acquisitions répondent à une logique de maximisation de la valeur

de la banque. Elles peuvent tout d’abord conduire à une réduction des coûts pour

les raisons suivantes :

- l’obtention d’économies d’échelle dans lesquelles il y a une réduction des

coûts unitaires à la suite de l’accroissement de l’échelle de production ;

- l’apparition d’économies de variété dans lesquelles il y a une réduction des

coûts unitaires due aux synergies liées à la production d’une gamme diversifiée de

produits à l’intérieur de la firme ;

- la réduction des risques liée à la diversification des produits et / ou

géographique ;

- permettre à la firme de devenir suffisamment importante en taille pour

améliorer de manière significative ses conditions d’accès aux marchés financiers

ou recevoir une notation de la part d’une agence de rating.

Les fusions – acquisitions peuvent ensuite accroître les revenus pour les raisons

suivantes :

32
- accroître la taille de telle manière à permettre à la firme bancaire de servir

des clients de taille plus importante ;

- accroître la diversification des produits afin de permettre à la banque d’offrir

à ses clients la gamme de produits dont ils ont besoin. C’est le principe du « one-

stop shopping » ;

- accroître la diversification des produits et géographique de telle manière à

élargir la gamme des clients potentiels ;

- accroître la taille ou la part de marché rendant plus aisé la captation de

nouveaux clients, notamment de par l’effet positif en termes de visibilité et de

réputation.

Les fusions – acquisitions répondent aussi à des forces externes que nous avons

déjà évoqué : (i) les nouvelles technologies ; (ii) la déréglementation et (iii) la

globalisation des marchés.

Les changements technologiques exercent une influence positive sur les fusions –

acquisitions pour les raisons suivantes :

- améliorer de manière significative les possibilités de bénéficier d’économies

d’échelle dans la production de certains produits ou services financiers. Par

exemple les cartes de crédit et la gestion d’actifs ;

- bénéficier des avantages d’échelle dans la production d’instruments liés à la

gestion des risques ;

- bénéficier d’économies d’échelle dans la fourniture de certains services

financiers tels que le cash management et le back office.

La déréglementation, notamment sous l’impact de la politique de l’Etat, influence

le processus de restructuration dans l’industrie bancaire de différentes manières.

33
A travers ses effets sur la concurrence au sein du marché et les conditions d’entrées

de nouveaux concurrents. D’un point de vue négatif, la présence d’une

réglementation peut limiter la possibilité de recourir à des fusions – acquisitions,

notamment lorsque le gouvernement doit donner un accord préalable. D’un point

de vue positif, la déréglementation qui intensifie la concurrence peut promouvoir

une stratégie de restructuration afin d’éliminer les surcapacités bancaires et

gagner en efficacité afin de faire face à la nouvelle pression de la concurrence.

La globalisation exerce une influence sur le processus de restructuration de

l’industrie financière dans le segment consacré aux marchés de gros. En effet, de

nombreux marchés ont vu les conditions de la concurrence se durcir, exigeant

d’accroître les volumes pour maintenir le niveau des profits.

1.4.3. Les effets sur l’efficience de l’industrie bancaire

Compte tenu du fait que les fusions – acquisitions obéissent à une logique de

maximisation de la valeur de la banque, il peut paraître évident que cette stratégie

améliore l’efficacité bancaire. Nous allons montrer qu’en réalité le diagnostic est

moins clair qu’il n’y paraît.

L’efficience est une notion difficile à définir précisément car elle possède plusieurs

dimensions :

- selon une définition technique étroite, une firme sera dite efficiente si elle

minimise les coûts pour une quantité donnée de production. De manière similaire,

on dira qu’elle est efficiente si elle maximise son profit pour une combinaison

donnée d’inputs et d’outputs. Ces deux définitions raisonnent à technologie et taille

données et considèrent uniquement comment les facteurs de production sont

combinés ;

34
- l’efficience technologique considère les économies d’échelle et de variété :

une firme sera dite efficiente si elle cherche à atteindre sa taille optimale

(économies d’échelle) et si elle produit la gamme optimale de produits étant donné

le prix des facteurs de production (économies de gamme).

La relation entre taille et coûts dans les banques nord-américaines et européennes

montre quelques similarités : le ratio des coûts opératoires au revenu brut est plus

élevé pour les petites banques (actifs totaux inférieurs à 5 milliards de dollars) et

diminue d’un niveau de plus de 60 % à environ 55 % pour les banques dont les

actifs sont compris entre 20 et 50 milliards de dollars. Pour les plus grandes

banques, avec des actifs supérieurs à 50 milliards de dollars, ont les ratios les plus

élevés (plus de 65 % du revenu brut).

On en déduit une conclusion importante : les banques connaissent des économies

d’échelle jusqu’à une certaine taille ; au-delà, il apparaît des déséconomies

d’échelle.

On relève cependant que la profitabilité s’accroît avec la taille. En effet, les coûts

opératoires élevés sont compensés par un ratio action / actifs totaux plus bas – un

bénéfice indirect de l’accroissement de la diversification – et par une part plus

élevée des revenus hors-intérêt.

Quels sont les principaux résultats des études consacrées aux fusions –

acquisitions sur l’efficience bancaire ?

Aux Etats-Unis, il existe peu de preuves empiriques montrant qu’une fusion

s’accompagne d’une amélioration significative de l’efficience en termes de coûts.

Les travaux consacrés aux banques européennes obtiennent le même résultat.

35
Pour celles-ci, les difficultés à améliorer l’efficience en termes de coûts sont

expliquées par une autre difficulté : celle des banques à réduire les coûts salariaux.

Par contre, les banques américaines améliorent leur efficience en termes de profit

en bénéficiant des avantages liés à la diversification des risques. Ce gain est

particulièrement important pour les grandes banques, ce qui explique le

rendement plus élevé de leurs actions. En Europe, les fusions – acquisitions

améliorent la profitabilité dans la mesure où ce sont souvent les institutions les

plus efficientes qui prennent le contrôle des banques les plus faibles.

Une question importante est celle de savoir si les fusions – acquisitions permettent

d’exploiter les économies d’échelle. Les banques qui accroissent de manière

significative leur taille peuvent espérer réduire les coûts liés aux investissements

technologiques ou répartir sur une base plus large ces coûts. Dans les deux cas, il

apparaît une réduction des coûts et par là même une amélioration de la

profitabilité.

Les travaux empiriques confirment pour la banque de détail la présence d’une

taille critique : au-delà d’une certaine taille (10 milliards de dollars), les coûts

s’accroissent de nouveau. Nous avons ce que l’on appelle une courbe en U. il

convient d’être prudent dans l’interprétation de ce résultat qui suggère que les

fusions – acquisitions ont un effet limité en termes d’économies d’échelle. En effet,

la plupart des travaux datent de la fin des années 80 et du début des années 90.

Ils n’intègrent donc pas les effets possibles des nouvelles technologies.

Les travaux sur les économies de variété n’identifient pas d’effet significatif des

fusions – acquisitions.

36
En conclusion, il apparaît que, contrairement à ce qu’en attendent les praticiens,

les fusions – acquisitions n’exercent pas d’influence significative pour améliorer

l’efficacité des banques. On peut donc penser que cette stratégie repose davantage

sur une logique défensive liée au nouvel environnement où la pression de la

concurrence est beaucoup plus intense.

Section 2 Les activités de la firme bancaire

(Il est conseillé de lire attentivement cette section même si elle ne fera pas l’objet

d’une évaluation. Cette section permet en effet de bien identifier les différentes

activités des banques)

Traditionnellement, on considère que les activités des banques s’organisent autour

de deux principaux pôles :

- d’une part, la banque de réseau, appelé aussi banque de détail* (ou retail banking

en anglais) ;

- d’autre part, la banque d’investissement et de financement (investment banking).

La logique de cette distinction repose non seulement sur le type de clientèles

concerné, mais aussi sur l’organisation industrielle de la banque. Plus

précisément, la banque de détail concerne ce qu’il est convenu d’appeler la clientèle

« retail » dans laquelle la banque de détail opère un processus d’industrialisation

des produits et des process. Cela signifie que l’organisation industrielle de la

banque de détail est fondée sur le traitement de masse des différentes opérations.

Par exemple, les crédits aux particuliers et aux professionnels sont traités de

manière industrielle dans la mesure où ils font l’objet de traitements standardisés

(méthode du scoring par exemple). Ce traitement standardisé signifie aussi que ces

opérations sont relativement banalisées entre les réseaux bancaires. La

37
conséquence, dans un environnement concurrentiel, est qu’elles dégagent des

marges relativement faibles.

A contrario, la clientèle « corporate », relative à la banque de gros, est davantage

fondée sur le sur-mesure. Ainsi, les financements structurés faisant appel à des

crédits de montants élevés, les opérations de marché pour le compte d’investisseurs

institutionnels ou la gestion privée sont autant d’opérations nécessitant un

traitement particulier. Elles sont donc fortement margées, productrices

d’importants revenus pour les banques.

Or, dans la mesure où la déréglementation financière a tendu à réduire les

frontières entre les différentes catégories de banques (banques d’investissement –

banques de dépôts) et institutions financières (banques – assurance), on raisonne

désormais non plus en termes de statut, mais en termes de métiers. On peut alors

distinguer trois principales lignes de métiers : métiers de la banque de détail (2.1.),

métiers de la banque de financement et d’investissement (2.2.) et gestion d’actifs

(2.3.) 12.

2.1. Les métiers de la banque de détail

Les métiers de la banque de détail renvoient aux activités traditionnelles des

banques :

- collecte des dépôts aux guichets (comptes à vue ; comptes d’épargne) ;

- distribution de crédits à l’économie (particuliers, professionnels, entreprises) ;

12Cette section s’appuie essentiellement sur Chabert D. (2014), op. cit., Chapitre 2 et Saïdane D.
(2006), La nouvelle banque, métiers et stratégies, Revue Banque Editeur, Paris. Pour le métier de
conservation d’actifs, voir Chabert D. (2014).

38
- mise à disposition des agents économiques d’instruments de paiement

scripturaux (chèques, cartes bancaires, autorisation de prélèvements, virements,

etc.) ;

- activité de courtage liée aux actions commerciales des banques afin de favoriser

l’acquisition par les clients de titres, de parts d’OPCVM (Organismes de placement

collectif en valeurs mobilières) ou de produits d’assurance-vie ;

- commercialisation de produits d’assurance-dommage (Incendies, Accidents et

Risques Divers, IARD).

L’éventail des activités de la banque de détail conduit cette dernière à favoriser le

développement d’un modèle du type « one stop shopping » dans lequel l’agence – le

guichet – est le point d’entrée unique pour accéder à une diversité de produits et

services financiers. La multiplication du nombre de guichets dans les années 1970

a joué un rôle déterminant pour favoriser ce modèle. Ainsi, dans le cas de la France,

le nombre d’agences est passé de plus de 16 000 en 1970 à 26 000 entre 1985 et

2004 (Saïdane, 2006 :21). Cette logique de développement extensif des banques a

été rendue possible grâce à un environnement faiblement concurrentiel. La

libéralisation financière des années 80 – en intensifiant la concurrence – a révélé

la présence de surcapacités bancaires. Dans ce contexte, comme nous l’avons

souligné en abordant le processus de consolidation du secteur bancaire, on a assisté

au niveau européen à un vaste mouvement de rationalisation du réseau d’agences.

Cette rationalisation s’est accompagnée d’une densification du réseau des

automates depuis le milieu des années 90.

Le souci de rentabilité a aussi conduit les banques à développer la banque dite

« multicanal » qui cherche à articuler la banque à distance avec la banque

39
traditionnelle fondée sur la relation de proximité. La stratégie a consisté à chercher

à sortir de la banque physique les activités les moins margées pour la banque afin

de rendre plus efficaces les conseillers présents dans les agences.

2.2. La banque de financement et d’investissement

La banque de financement et d’investissement concerne les activités de la banque

de gros, appelée aussi « wholesale bank ». Elle porte sur des opérations de

financement, d’investissement et de conseil dans trois domaines principaux : (i) le

haut de bilan, (ii) l’investissement sur le marché financier et (iii) le financement

du commerce international.

Dans la mesure où elle se concentre sur les grandes entreprises, la banque de

financement et d’investissement les accompagne dans leur processus

d’internationalisation. A cette fin, il se noue à l’échelle mondiale un réseau de

relations entre grandes banques et institutions financières afin de faciliter le

montage des opérations de gros montants et de favoriser la circulation

internationale des capitaux.

Le Graphique 8 présente les trois principaux domaines visés par la banque de

financement et d’investissement. L’objectif pour la banque est de favoriser

l’émergence de synergies (« cross selling ») entre ces différents domaines.

Le conseil et les opérations relatives à la stratégie de l’entreprise (le Corporate

Finance) sont liés à l’activité de « Global Investment Banking ». Il s’agit

d’opérations d’expertise et de conseil qui génèrent une valeur ajoutée importante.

Elle concerne les grandes entreprises ainsi que les investisseurs institutionnels.

Cette activité rassemble les opérations dites de haut de bilan telles que les fusions-

acquisitions, les mandats de conseil à l’achat ou à la vente, le conseil financier

40
stratégique, le conseil en privatisation… A ces différentes opérations, il convient

d’adjoindre la structuration d’opérations de marché (« Equity Capital Markets »)

liée à l’introduction en Bourse, à l’augmentation de capital, aux émissions

d’obligations, etc. On est ici au cœur de l’interface banques et marché.

A travers l’activité de marché des capitaux, la banque cherche à satisfaire les

besoins de sa clientèle. Il s’agit à la fois d’émetteurs et d’investisseurs en produits

obligataires et actions. La banque va alors chercher à monter des opérations sur

mesure à destination de ses clients tels que les financements structurés. Pour les

investisseurs, la plate-forme appelée Fixing Income répond aux besoins des clients

(entreprises, autres institutions financières, entités publiques) sur trois lignes de

métiers : crédit, taux et change. Ici, la fourniture de services d’optimisation de la

trésorerie ou d’instruments de couverture est très importante.

Graphique 8 Les trois principaux domaines de la banque de financement et

d’investissement

Source : Dhafer Saïdane (2006), p.42

41
Les financements structurés sont quant eux au croisement des activités de crédit

et de marché (Saïdane, 2006 : 44). Il s’agit en effet pour de grandes banques

agissant au niveau international (on les appelle parfois Global Players) de monter,

structurer et distribuer des financements complexes du type crédits structurés,

financements d’acquisition, financements avec LBO (Leveraged Buy-Out)*…

Il convient de souligner que l’activité de la banque de financement est

d’investissement est très concentrée. Plus précisément, trois banques d’affaires

américaines dominent le marché : Goldman Sachs, Morgan Stanley et Merrill

Lynch. Il s’agit des Big Three. En Europe, les banques les plus importantes sont

Groupe Crédit Suisse, Deutsche Bank Group et UBS Group. En France, on peut

citer Calyon née de la fusion entre le Crédit Agricole (entité CASA) et le Crédit

lyonnais.

2.3. La gestion d’actifs

La gestion d’actifs est au croisement de la banque de gros et de la banque de détail

dans la mesure où cette dernière est amenée à distribuer des produits issus de

l’activité de la première.

Comme le montre le Graphique 9, cette activité recouvre l’asset management, le

métier titres et l’assurance (logique de la bancassurance liée au modèle de la

banque universelle).

La gestion d’actifs répond à une logique « d’outsourcing » conduisant les banques à

développer ce type d’activités dans des filiales indépendantes spécialisées. En effet,

la gestion d’actifs pour compte tiers repose sur une stratégie d’optimisation des

besoins spécifiques de la clientèle. Elle fait référence à ce que l’on appelle aussi la

banque privée.

42
Graphique 9 La gestion d’actifs, de titres et assurance

Source : Dhafer Saïdane (2006), p.47.

L’activité de titres repose notamment sur la compensation de titres et de produits

dérivés, la conservation (Custody) des titres et des espèces, la sous-traitance

Middle et Back-Office. L’activité de conservation d’actifs repose sur la gestion

administrative du stock des titres détenus par les investisseurs (particuliers ou

institutionnels). Il s’agit non seulement d’assurer la « garde » des titres mais aussi

de gérer tous les évènements affectant la vie des titres conservés (détachements de

coupons, paiement des dividendes, augmentation de capital) …13

Section 3 La formation du résultat bancaire

Cette section aborde la question de l’efficacité des banques. Nous entrons ici en

quelque sorte à l’intérieur du processus de production de la banque. On rappelle

dans un premier temps les spécificités du bilan bancaire (3.1.). Nous verrons

qu’elles jouent un rôle important dans la compréhension du revenu des banques

13 Pour une présentation plus détaillée, voir Chabert D. (2014), op. cit., p.89-94.

43
(3.2.). Ensuite est analysée la formation du résultat de la firme bancaire (3.3.) et

les soldes intermédiaires de gestion (3.4.).

3.1. Les spécificités du bilan bancaire

Une première spécificité du bilan des banques repose sur son asymétrie. Ainsi, les

banques ont dans leur passif des engagements liquides dont la valeur nominale est

fixe (les moyens de paiement et les dépôts d'épargne) alors que leur actif est

composé de créances peu liquides (crédits bancaires) ou moins liquides (titres).

Cette asymétrie repose fondamentalement sur l’activité de transformation des

échéances dont nous avons précédemment souligné l’importance en ce qui concerne

la mise en correspondance entre les agents à capacité de financement et ceux à

besoin de financement (voir le Chapitre 1).

La deuxième spécificité du bilan des banques est relative à l’importance du poste

interbancaire qui rend compte des relations avec les autres banques. Les

opérations interbancaires induisent une forte interdépendance entre les activités

des banques avec une conséquence très importante : la santé de chaque banque

dépend ainsi étroitement de la santé des autres banques. Cette interdépendance

est caractéristique de la présence d’externalités. L'importance du poste

interbancaire peut en effet amener les défaillances bancaires à se propager

rapidement, ce qui peut constituer un foyer de crise dite systémique. Les réactions

des marchés interbancaires mondiaux à la suite de la faillite de Lehman Brothers

en septembre 2008 l’ont clairement montré (voir le Chapitre 5).

Une troisième spécificité du bilan des banques doit être notée : ses parties sont

dites non contingentes. Pour comprendre ce point, on peut comparer les banques

aux autres intermédiaires financiers :

44
- les bilans des intermédiaires financiers tels que les fonds de pension et les

OPCVM sont tels que des pertes enregistrées sur l’actif entrainent une réduction

du passif. Les deux parties du bilan sont contingentes ;

- au contraire, pour les banques, l’apparition d’une perte sur les actifs (incidents

de crédit par exemple) ne se traduit pas par une réduction de la valeur de son

passif. Par exemple, même si la banque enregistre des pertes liées à des

défaillances d’entreprises, elle se doit de rendre aux déposants la valeur exacte de

leurs dépôts.

La non-contingence des éléments du bilan est l’un des fondements des ratios de

solvabilité (voir Supplément 2).

3.2. La formation du revenu bancaire

La distinction intermédiation de bilan – intermédiation de marché permet de faire

apparaître les deux grandes masses participant à la formation du revenu des

banques : les revenus d’intérêt (3.2.1.) et les revenus hors intérêt (3.2.2.).

3.2.1. Les revenus d’intérêt

Les revenus d’intérêt reposent fondamentalement sur l’activité de transformation

des échéances des intermédiaires financiers. En même temps, ces derniers opèrent

une transformation des risques puisque les crédits accordés sont soumis à des

incidents de crédits (en ce sens ils sont risqués) alors que les dépôts sont non

risqués.

L’activité d’intermédiation produit une marge d’intermédiation qui est la

différence entre les produits perçus sur les emplois (les taux débiteurs) et le coût

des ressources collectées (les taux créditeurs).

45
Compte-tenu du fait que les banques doivent lever des ressources pour développer

leur activité de crédit – soit auprès des ménages clients, soit sur les marchés

financiers – la marge d’intermédiation est directement liée à la structure par terme

des taux d’intérêt. Cette notion a été présentée de manière détaillée dans le

précédent chapitre. Rappelons qu’elle décrit pour un titre homogène (par exemple

des titres émis par l’Etat) l’ensemble des rendements sur différentes maturités (un

mois, trois mois, …, dix ans, trente ans). Plus précisément, la banque essaie de

jouer sur la structure des taux d’intérêt à travers son activité de transformation

des échéances. On peut poser les principes suivants :

- lorsque les taux courts sont très inférieurs aux taux longs – on parlera alors de

pente fortement positive – la marge d’intermédiation tend à être élevée. En effet,

la banque lève des ressources à court terme peu coûteuses et les prête à long terme

à un taux plus élevé ;

- lorsque les taux courts et les taux longs se rapprochent – on dit qu’il y a un

aplatissement de la courbe des taux – la marge d’intermédiation se réduit ;

- lorsque la courbe s’inverse, les taux courts deviennent supérieurs aux taux longs,

la pente négative induit des pertes pour les intermédiaires financiers.

Le graphique 10 présente la structure des taux d’intérêt en Suisse et celle de la

Zone euro. En abscisse figurent les maturités en années et en ordonnée les

rendements respectifs.

Ces deux économies sont intéressantes à considérer car, à l’instar du Japon et de

la Suède, les banques centrales ont adopté des taux d’intérêt négatifs.

46
Graphique 10 Structure par terme des taux d’intérêt en Suisse et en Zone euro

Sources : BNS, bulletin trimestrielle 1/2023, p.23 et BCE, courbe au 24 mai 2023

Pour comprendre les effets des bas taux d’intérêt sur la marge d’intérêt, il est

important de distinguer entre les effets de court terme et les effets de moyen-long

termes 14.

À court terme, une baisse des taux d'intérêt peut exercer un impact favorable sur

l'activité et la rentabilité des banques. En effet, tant que la courbe des taux ne

s'aplatit pas – on observe cet aplatissement en Suisse et en Zone euro pour les

maturités longues – des taux plus bas se traduisent par des coûts de financement

plus bas pour les banques, des valeurs d'actifs et de garanties plus élevées (leur

valeur actualisée augmente), un risque de défaut plus faible sur les prêts nouveaux

ou réévalués et des valeurs de fonds propres plus élevées, attirant ainsi le

financement des investisseurs et favorisant les prêts à crédit. La baisse des taux

d'intérêt à court terme accentue la pente de la courbe des rendements, ce qui est

favorable pour la marge d’intérêt net.

À moyen et à long terme, les effets positifs des taux d'intérêt bas tendent à

14Elena Carletti, Stijn Claessens, Antonio Fatás et Xavier Vives (2020), Model in the Post-Covid-
19 World, The Future of Banking 2, CEPR et IESE Banking Initiative, édité par le Centre for
Economic Policy Research, Londres.

47
s'estomper. Alors que l'économie entre dans un scénario où les taux nominaux à

court terme se rapprochent de la limite inférieure effective (ELB) et où les taux

d'intérêt à long terme continuent de baisser, la pente de la structure par terme des

taux d'intérêt s’aplatit, affectant négativement la marge nette d’intérêt.

Autrement dit, les taux longs baissent plus rapidement que les taux courts. C’est

précisément ce que l’on observe après 2015 (Graphique 11).

Graphique 11 Taux d’intérêt bancaires dans plusieurs économies

Source : IMF (2020), Global financial stability report, p.70.

Plusieurs mécanismes sont ici en jeu. Premièrement, l'aplatissement de la courbe

des taux réduit les marges que les banques peuvent obtenir entre les actifs à long

terme et les passifs à court terme. Cela réduit la marge nette d'intérêt, qui

représente actuellement la composante la plus importante du revenu global des

banques. (Graphique 12).

48
Graphique 12 Répartition des revenus d’intérêt et des revenus hors intérêt au

niveau mondial, 2006-2020, en %.

Source : McKinsey & Company (2020), McKinsey_Global banking annual


review_2020, December, p.46.

Bien que cette évolution affecte principalement les nouvelles émissions de prêts,

l'utilisation de taux variables peut aussi réduire les marges. En deuxième lieu, la

présence d'une borne inférieure effective sur les taux nominaux crée une rigidité

sur les taux de dépôt ou les rendements des obligations. Cet effet contribue à la

réduction de la rentabilité des institutions financières, en particulier celles qui sont

plus endettées ou financées par des dépôts ou qui accordent des prêts à taux

variable. Troisièmement, un environnement où les taux d’intérêt bas dure une

longue période rend difficile l'obtention de rendements élevés, en particulier sur

les investissements liés aux titres à revenu fixe15. Enfin, pour tenter d'accroître la

15 Sur ce point, voir le chapitre trois de ce module.

49
rentabilité, les banques peuvent commencer à s'engager dans une recherche de

rendement en assouplissant les normes de prêt ou en investissant davantage dans

des classes d'actifs de moindre qualité. Le premier effet est généralement associé

à une réduction de l'activité de surveillance des emprunteurs par les banques,

puisque leurs incitations à la surveillance diminuent à mesure que l'écart entre les

taux de prêt et de dépôt diminue. Cela peut à son tour produire des risques d'erreur

d'évaluation et de volatilité excessive.

Des études récentes ont analysé les effets des taux d'intérêt bas sur la rentabilité

et le comportement de « recherche de rendement » des banques, mais les résultats

sont ambigus. Il existe cependant un large consensus à propos de l'impact négatif

des taux d'intérêt bas sur les marges d'intérêt nettes, avec des effets plus prononcés

pour les banques ayant des taux de dépôt élevés, les petites banques et les banques

moins capitalisées, et en période de taux nominaux négatifs.

Dans son rapport 2022 sur la stabilité financière, la BNS précise que les banques

davantage axées sur le marché intérieur ont connu un nouveau repli de la marge

d’intérêt net à partir d’un niveau déjà bas 16. Plus précisément, l’évolution des taux

d’intérêt a continué en 2020 de comprimer la marge d’intérêt. Ainsi, l’intérêt moyen

sur les prêts hypothécaires en cours est passé de 1,37% fin 2019 à 1,09% fin 2021,

au fur et à mesure que les prêts arrivant à échéance étaient renouvelés à des taux

plus bas. On observe cependant un ralentissement dans le recul de la marge

d’intérêt lié notamment au fait que les banques ont de plus en plus répercuté la

charge de l’intérêt négatif sur les déposants contribuant à la baisse de leurs coûts

16 La BNS définit la marge d’intérêt par approximation comme le produit net des intérêts divisé
par la somme des créances hypothécaires, des créances sur la clientèle et des immobilisations
financières.

50
de financement. La BNS précise que si les taux d’intérêt devaient demeurer bas,

les marges d’intérêt resteraient sous pression et pourraient poursuivre leur recul

lorsque les prêts arrivés à échéance seront renouvelés à des taux plus bas. De ce

point de vue, les hausses attendus des taux courts liés aux pressions inflationnistes

pourraient changer la donne s’ils s’accompagnent d’une pentification positive

(forme ascendante du chapitre 3) de la pente des taux. Par rapport à son niveau de

2007, la marge d’intérêt moyenne sur les créances en cours des banques axées sur

le marché intérieur a baissé de 40% (BNS, 2022 : p.33).

Dans son rapport sur la stabilité financière paru en novembre 2021, la BCE

rappelle que les revenus nets d’intérêts ont reculé au sein de la Zone euro de 6 %

depuis le quatrième trimestre 2015 en raison de la compression des marges dans

un environnement de taux d'intérêt bas. Depuis 2018, les banques ont cherché à

compenser cet effet de marge en augmentant les volumes de prêts, ce qui a pu

élever le risque de crédit. Cependant, la réponse des autorités à la suite de la

pandémie liée au COVID-19 – notamment les garanties de l'État – ont aidé les

banques à limiter leur risque de crédit tout en soutenant le flux de prêts à

l'économie réelle. Ces politiques ont cependant entraîné une baisse des primes de

risque qui a intensifié la compression des marges. Avec la réouverture progressive

des économies et l'expiration des mesures de soutien de l'État, la baisse des

revenus nets d'intérêts s'est récemment ralentie.

Un autre facteur important pour expliquer la formation de la marge

d’intermédiation est l’intensité de la concurrence entre les établissements de

crédit, mais aussi entre ces derniers et d’autres canaux de financement.

51
Le Graphique 13 montre clairement le recul de la marge d’intérêt net dans la

plupart des pays.

Graphique 13 Marges d’intérêt net en % des actifs moyens portant intérêt

4,5 4,5 1,8


4 4 1,6
3,5 3,5 1,4
3 3 1,2
2,5 2,5 1
2 2 0,8
1,5 1,5 0,6
1 1 0,4
0,5 0,5 0,2
0 0 0
01/01/2000
01/01/2001
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01/01/2003
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01/01/2017
01/01/2018
01/01/2019
01/01/2020
01/01/2021
Royaume-Uni Etats-Unis Canada Espagne Italie Allemagne France Suisse Suède Japon

Source : World Bank, Global Financial Development 2021

3.2.2. Les revenus hors-intérêt

Les revenus hors-intérêt proviennent largement des activités des banques en tant

que prestataires de services. Ce redéploiement de l’activité bancaire a été une

réponse à l’intensité de la concurrence et à l’érosion des revenus traditionnels. Les

banques mettent à disposition de leurs clients une large gamme de services de

paiement (instruments de paiement et gestion des comptes à vue), de titres

(courtage, tenue de comptes-titres), de change (services de change). Les banques

ont aussi une activité de conseil, d’ingénierie financière et de distribution de

produits non bancaires. Le point commun de ces différentes activités est de générer

non pas des marges d’intérêt mais des commissions.

Comme nous l’avons souligné dans l’analyse des comptes en T, la structure des

revenus bancaires est fortement dépendante de la structure des activités des

banques. Prenons l’exemple de la Suisse. Dans l’édition 2022 de son Financial

Stability Report, la Banque nationale de Suisse distingue trois principales

catégories de banques : (i) les banques dites à activité globale, qui sont au nombre

52
de deux (Crédit Suisse et UBS, avant la fusion) ; (ii) les banques dont l’activité est

essentiellement domestique 17, cette catégorie comprenant essentiellement des

banques régionales, cantonales et les banques coopératives (Raiffeisen) et (iii) les

autres banques qui incluent notamment les succursales et filiales de banques

étrangères. Si ces trois catégories diffèrent en termes de taille et de part de marché,

on se focalise ici sur leur modèle d’affaire.

Les deux banques à activité globale sont des banques dites universelles. Cela

signifie qu’elles mènent des activités diversifiées allant bien au-delà de l’activité

traditionnelle de crédit. Elles se caractérisent aussi par une forte proportion

d’activités internationales (près de 70 % de leur bilan). Comme nous l’avons déjà

dit, Crédit Suisse et UBS sont particulièrement impliquées dans la gestion privée

internationale (international wealth management). Elles sont aussi très présentes

dans les activités domestiques traditionnelles d’intermédiation – gestion des

dépôts et distribution de crédits à l’économie – et dans les activités de banques

d’investissement (1/3 environ du total des expositions des deux banques). Compte-

tenu de cette diversité d’activités, les banques à activité globale se caractérisent

aussi par une structure de revenu plus diversifiée (Graphique 14).

17Deux critères sont retenus : soit les prêts domestiques excèdent 50 % de l’actif, soit les banques
ont un rôle prédominant dans la gestion des dépôts domestiques.

53
Graphique 14 Structure des revenus des banques suisses, en % du total des

revenus en 2021

Source : Banque nationale suisse, Rapport sur la stabilité financière 2022, p.21.

Dans la mesure où les banques domestiques sont davantage concentrées dans les

activités de dépôts et de prêts (en particulier les prêts hypothécaires), les revenus

d’intérêt ont une place prédominante. En ce qui concerne les autres banques,

compte-tenu du poids important de la gestion privée, les charges et commissions

représentent près de la moitié de leurs revenus.

3.3. La formation du résultat de la firme bancaire

Comme nous l’avons souligné plus haut, le bilan de la banque est non contingent.

Une conséquence importante de cette caractéristique est que la banque doit

déconnecter le taux de rémunération des dépôts et le taux de rendement des actifs.

Dans cette perspective, la marge bancaire est directement liée à la transformation

des risques et à la transformation des échéances. La marge bancaire doit traduire

ces deux éléments. D’une part, elle dont intégrer le fait que les taux courts et les

taux longs peuvent changer au cours du temps. D’autre part, elle doit prendre en

compte le fait que la banque est confrontée à un rendement de fait incertain sur

54
son portefeuille de créances alors qu'elle s'est engagée sur les dépôts à offrir un

rendement certain. Autrement dit, le taux perçu relève d’un rendement incertain

alors que le taux payé est quant à lui certain.

La marge peut donc être exprimée de la manière suivante :

(Intérêts – pertes) sur crédits – rémunération des dépôts = marge bancaire

En faisant abstraction du risque de crédit, la marge de la banque est influencée

par le risque de transformation18. Celui-ci fait référence au fait que :

- le coût de la collecte des ressources peut augmenter alors que celui des emplois

ne varie pas, voire diminue ;

- les taux d’intérêt sur les marchés baissent dans un contexte où les crédits sont à

taux variables et qu’ils sont adossés à des ressources à taux fixes.

La tarification pratiquée par la banque doit intégrer ce risque de transformation,

c’est-à-dire s’assurer que les intérêts qu’elle perçoit sur son actif excèdent

suffisamment les intérêts qu’elle verse sur son passif.

Comme nous l’avons souligné dans la section 1, la libéralisation financière s’est

accompagnée par ce que l’on a appelé une marchéisation des conditions bancaires :

les taux pratiqués par les banques tendent à être indexés sur l’évolution des

conditions du marché : les taux EONIA* (jour le jour) (devenu ESTER depuis le

deux octobre 2019) ou EURIBOR* (un mois ou trois mois par exemple) pour les

échéances courtes (marché monétaire) ou le taux des OAT* (obligation assimilable

du Trésor) pour les échéances longues.

18 On prend appui ici sur Chabert D. (2014), p.125-129.

55
La question fondamentale à laquelle la banque est confrontée est qu’elle ne connait

pas quand les conditions d’accès à ses ressources vont changer ni dans quelles

directions.

Afin de bien comprendre la signification économique du risque de transformation,

considérons la situation d’une banque ayant le bilan suivant 19.

Bilan de la banque

Crédit à un an 2,3 % Dépôts à vue 0 %


1 000 000 € 1 800 000 €
Comptes à terme 0,75 %
Crédit à dix ans 2,9 % 900 000 €
2 000 000 € Certificats de dépôts à trois mois 1,25 %
300 000 €

La marge d’intermédiation est égale à la différence entre le rendement des emplois

et le coût des ressources. En reprenant les termes du bilan, nous avons :


[(0,023 × 1 000 000 + 0,029 × 2 000 000) − (0 × 1 800 000 + 0,0075 × 900 000 + 0,125 × 300 000)]
�3 000 000 = 2,7% − 0,35% = 𝟐𝟐, 𝟑𝟑𝟑𝟑%

Le premier élément à considérer est le coût d’accès à la ressource qui doit se

répercuter dans le taux d’intérêt appliqué à la clientèle. Or, une estimation précise

de ce coût est impossible compte-tenu de la diversité des ressources mobilisées par

la banque. Notre bilan simplifié en est une illustration. Le montant collecté par la

banque est de 3 000 000 d’euros. On a supposé que 60 % de ce montant est sous la

forme de dépôts à vue, 30 % en comptes à terme et 10 % en certificats de dépôts.

Le bilan donne les rémunérations respectives de ces ressources.

Dans le cas considéré ici, le coût moyen de la ressource est le suivant 20 :

[1 800 000 × 0 + 900 000 × 0,0075 + 300 000 × 0,0125]


�3 000 000 = 0,0035 = 0,35%

19 On utilise ici l’exemple donné par Chabert D. (2014).


20 On fait ici abstraction du coût de collecte des dépôts par le réseau d’agences de la banque.

56
Face à la difficulté d’estimer le coût des ressources sur la durée des immobilisations

(les crédits), la banque peut élaborer un bilan notionnel qui « consiste à construire

une situation « théorique » permettant de comparer le coût constaté de la collecte

des différentes ressources au coût de marché si l’on devait trouver sur le marché

des ressources sur les mêmes échéances » (Chabert (2014) : p.127).

On aurait par exemple la situation suivante :

Bilan de la banque Bilan notionnel

Crédit à un an 2,3 % Dépôts à vue 0 % EONIA 0,9 %


1 000 000 € 1 800 000 € 1 800 000 €
Comptes à terme 0,75 % Interbancaire ERIBOR un mois 1,05 %
Crédit à dix ans 2,9 % 900 000 € 900 000 €
2 000 000 € Certificats de dépôts à trois mois 1,25 % Certificats de dépôt 3 mois 2,17 %
300 000 € 300 000 €

Ainsi, la banque compare le coût effectif de l’accès aux ressources (partie gauche)

au coût qu’elle aurait supporté pour des maturités identiques en recourant aux

marchés aux conditions du moment (partie droite). Lorsque l’on compare les deux

bilans, on voit que le bilan notionnel fait l’hypothèse que la banque n’a pas de

dépôts à vue. Le coût notionnel moyen est ici de :

[1 800 000 × 0,009 + 900 000 × 0,0105 + 300 000 × 0,0217]�


3 000 000 = 1,072 %

Le taux de marge est égal à la différence entre le coût notionnel et le coût réel

d’accès aux ressources, soit 1,072 % − 0,35 % = 𝟎𝟎, 𝟕𝟕𝟕𝟕𝟕𝟕 %. Il s’agit de la marge

commerciale sur les ressources. Elle repose sur la capacité de la banque à lever des

ressources à des taux inférieurs à ceux en vigueur sur les marchés. Compte-tenu

de la structure des ressources bancaires, cette capacité porte sur les dépôts qui

doivent servir des taux inférieurs aux conditions du marché (ici l’EONIA) en

contrepartie des services de disponibilité et de sécurité que la banque offre aux

déposants.

57
Le second élément à intégrer dans l’analyse est le rendement des emplois. Le

raisonnement est identique à celui conduit sur les ressources. Plus précisément, la

banque compare le taux effectif de rendement de ses emplois avec des placements

alternatifs ayant les mêmes caractéristiques en termes de durée et de risque.

Afin de simplifier l’analyse, on suppose que les emplois de la banque sont sans

risque. Dans ce cas, la banque va comparer le rendement effectif de ses emplois à

la rémunération qu’elle obtiendrait si elle avait acquis des titres d’Etat avec des

durées similaires. On a ainsi :

Bilan de la banque Bilan notionnel

Crédit à un an 2,3 % Bon du Trésor à un an


1 000 000 € 1,75%
1 000 000 €
Crédit à dix ans 2,9 % Obligation du Trésor à 10 ans
2 000 000 € 2,15%
2 000 000 €

La marge commerciale sur les crédits est la différence entre le taux moyen

effectivement perçu et le taux d’intérêt moyen notionnel. Le premier s’écrit :

(1 000 000 × 0,023 + 2 000 000 × 0,029)�


3 000 000 = 2,7%

(1 000 000 × 0,0175 + 2 000 000 × 0,0215)�


Et le second : 3 000 000 = 2,017%
On obtient alors une marge commerciale sur les crédits de 0,683 %. Elle repose sur

la capacité de la banque à prêter à des taux supérieurs aux conditions du marché.

La marge financière liée à la transformation des échéances repose sur la

combinaison des deux côtés du bilan notionnel :

Bilan notionnel

Bon du Trésor à un an EONIA 0,9 %


1,75% 1 800 000 €
1 000 000 € Interbancaire ERIBOR un mois 1,05 %
Obligation du Trésor à 10 ans 900 000 €
2,15% Certificats de dépôt 3 mois 2,17 %
2 000 000 € 300 000 €

Le taux de marge financière est de 0,945 %.

58
La marge d’intermédiation est de 2,35 % et se décompose de la manière suivante :

- la marge commerciale sur le coût de la ressource bancaire (0,722 %) ;

- la marge commerciale sur les crédits (0,683 %) ;

- la marge financière (0,945 %).

Le résultat est conditionné par la marge que l’on vient de définir à laquelle on doit

retirer les frais de gestion liés à l'administration des crédits et des dépôts :

Résultat bancaire = marge bancaire - frais de gestion

Les pertes sont intégrées à la marge d'exploitation. La tarification du crédit devra

alors tenir compte des pertes moyennes attendues sur le portefeuille des crédits.

Le taux d'intérêt pratiqué sur les crédits incorpore ainsi une prime de risque qui

dépend du risque de contrepartie de l'emprunteur. Le crédit est ainsi proposé à un

taux supérieur aux coûts supportés afin de dégager une marge bénéficiaire.

3.4. Du PNB au résultat net, les soldes intermédiaires de gestion

Trois éléments composent le résultat d’une banque :

1. La marge d'intermédiation et les commissions tirées des activités d’intermédiation ;

2. Les charges d'exploitation générées par les activités d'intermédiation ;

3. L'impact des risques pris par la banque sur ses activités de crédit et de marché.

Le principal solde intermédiaire de gestion est le Produit net bancaire (PNB)*.

Celui-ci peut être rapproché de la notion de valeur ajoutée en ce sens qu’il va

mesurer la production nette de la banque. Dans la construction du PNB, on va

retrouver l’ensemble des activités menées par la banque, à savoir intermédiation

de bilan et intermédiation de marché.

59
La rentabilité de l’intermédiation de bilan repose sur le taux de marge

d’intermédiation de crédit présenté précédemment. En faisant abstraction des

pertes éventuelles sur les crédits, nous avons :

Taux de marge d’intermédiation de crédit


=
Taux d’intérêt débiteur perçu – Taux d’intérêt créditeur payé

Le taux de marge doit aussi intégrer les intérêts perçus en lien avec la détention

de titres et les taux versés en contrepartie de l’émission de titre. Cette composante

est appelée produit de taux. On a alors :

Taux de marge d’intermédiation de crédit (crédits et titres)


=
Ensemble des taux d’intérêt débiteurs perçus – Ensemble des taux d’intérêt
créditeurs payés

La diversification des activités des banques a conduit celles-ci à devenir des

prestataires de services. Elles offrent ainsi des services à ses clients (notamment

les opérations sur cartes bancaires et le placement de titres). Comme nous l’avons

vu précédemment, ces services sont tarifés et rapportent des commissions. La

distribution de ces services est basée sur des relations clients/fournisseurs nouées

sur le plan interbancaire. Cela donne lieu à des paiements de commissions entre

banques. Un exemple est l’utilisation par le client de la banque Beta des automates

de la banque Alpha. Beta devra supporter une charge liée à cette utilisation. On

parle ici de commissions interbancaires de retraits. Celles-ci sont in fine

supportées par les clients. La rentabilité des activités de prestataires de services

peut s’écrire de la manière suivante :

Marge sur tarification


=
Commissions reçues de la clientèle et des autres banques - Commissions payées

60
Les banques effectuent aussi des opérations sur les marchés de capitaux pour

compte propre. Ces opérations génèrent des plus ou moins-values, des marges

positives ou négatives, mais aussi des commissions d'intermédiation. On a ainsi :

Résultat des opérations de marché


=
Le solde de ces opérations nombreuses et diversifiées

Le PNB agrège l’ensemble de ces activités. Il s’écrit comme tant la différence entre

les produits d'exploitation bancaire (intérêts, revenus des titres, commissions,

gains sur opérations financières, plus-values) et les charges d'exploitation bancaire

(intérêts versés, moins-values). Ainsi :

PNB
=
(Intérêts reçus sur prêts et placements + commissions perçues + plus-values + dividendes
perçus) - (Intérêts payés à la clientèle + intérêts sur emprunts + commissions payées +
moins-values)

soit aussi :

PNB
=
Marge sur crédits + Marge sur tarification des services + Résultat des opérations de
marché + Résultat des participations

Le PNB peut ainsi bien s’interpréter comme la valeur ajoutée de la banque. Il finance les

frais généraux et les risques.

Le graphique 15 montre l’évolution du PNB des banques de quelques pays développés

Graphique 15 Produit net bancaire en % de l’actif

Source : Fonds monétaire international, Financial Soundness Indicators, Core Set


61
L’efficacité de la gestion bancaire repose sur le rapprochement entre les frais

engagés et la marge dégagée. Le coefficient d'exploitation (noté Ce) est le rapport

entre les charges de fonctionnement ordinaire et le PNB. Soit :

Ce = Charges de fonctionnement / PNB

Par exemple, si le coefficient d'exploitation est de 70 %, cela signifie que pour

générer cent euros de marge, la banque a dû dépenser soixante-dix euros. Il mesure

en quelque sorte la consommation du PNB par les frais généraux.

Deux ratios sont particulièrement utilisés pour estimer la rentabilité globale des

banques. Ils sont tous deux fondés sur le résultat net* des banques. Ce dernier

découle des éléments suivants :

- le résultat brut d'exploitation qui repose sur le PNB auquel on enlève les charges

générales d'exploitation (par exemple les frais de personnel et informatiques) et les

dotations aux amortissements et provisions des immobilisations ;

- le résultat d'exploitation avant impôt qui est le RBE auquel on a déduit les

provisions pour risques ;

Le résultat net est alors le résultat d'exploitation ajusté du solde des opérations

exceptionnelles.

Le premier ratio est le Return on Equity (ROE)* qui constitue le ratio de rentabilité

financière de la banque. Il mesure par construction le rendement des capitaux

propres, soit aussi la productivité du facteur capital : Résultat net/Fonds propres.

Le second ratio est le Return on Assets (ROA)* qui mesure le rendement net de

l'ensemble des actifs constitué par la banque. Il s’écrit de la manière suivante :

Résultat net par actif = (Résultat net/FP) x (FP/Actifs)

Le ROA souffre de plusieurs limites qui rendent son interprétation délicate. En

62
premier lieu, ce ratio est très dépendant des provisions effectuées. En effet, le

résultat net incorpore le coût du risque alors que les actifs figurent au bilan sans

les provisions qui leur sont rattachées. En deuxième lieu, les activités hors-bilan

ne sont pas prises en compte alors qu'elles représentent une part importante de

l'activité des banques. En troisième lieu, les actifs sont tous placés sur un même

plan bien qu'ils ne soient pas homogènes en termes de risque.

Le Graphique 16 présente ces deux ratios pour quelques pays développés.

Graphique 16 ROE et ROA des banques de quelques pays développés, en %

Return on equity Return on assets


2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020
2
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021
25
1,5
20
1
15

10 0,5

5 0
0
-0,5
-5
-1
-10

-15 -1,5
France Allemagne Suisse Royaume-Uni Etats-Unis Espagne France Allemagne Suisse Royaume-Uni Etats-Unis Espagne
-20

Source : Fonds monétaire international, Financial soundness indicators

Section 4 Les nouvelles formes de concurrence à l’intermédiation bancaire

Les banques doivent faire face depuis les années 2000 à une nouvelle

intensification de la concurrence. Celle-ci a d’abord pris la forme de l’émergence du

système bancaire parallèle appelé aussi shadow banking (4.2). Plus récemment, et

de façon sans doute plus structurelle, les banques doivent faire face à la

digitalisation de nos économies avec l’arrivée de nouveaux acteurs que sont les

FinTech et les BigTech sur le terrain du financement de l’économie et des services

financiers rendus aux ménages et aux entreprises (4.3).

Avant d’étudier ces acteurs, il est important de rappeler les principaux défis

auxquels doivent faire face les banques. En effet, ces défis exercent une influence

63
sur la capacité des banques à répondre à ces nouvelles formes de concurrence (4.1).

4.1 Les principaux défis auxquels doivent faire face les banques

L’environnement dans lequel évolue les banques depuis quelques années est

fortement marqué par les conséquences de la crise financière mondiale de 2007 –

2009.

En premier lieu, comme nous l’avons rappelé plus haut dans ce chapitre, les

banques doivent faire face à un environnement durable de bas taux d’intérêt qui

érode leur rentabilité. Comme dans les années 1980 à la suite de la

déréglementation financière, cette situation oblige les banques à rechercher de

nouvelles sources de revenus. Accroître leur rentabilité est capital pour les

banques si elles entendent lever des capitaux afin de réaliser les investissements

nécessaires à la digitalisation de nos systèmes financiers. Les indicateurs de

marché, que ce soit le prix des actions ou les ratios capitalisation boursière sur

valeur nette comptable (price-to-book ratio), suggèrent que les investisseurs se

montrent relativement pessimistes quant à la capacité des banques d’augmenter

durablement leur rentabilité 21. La crise économique liée à la COVID-19 a aggravé

la situation des banques, en particulier du point de vue de l’anticipation d’un

accroissement significatif des prêts non performants (ce que l’on n’observe pas

encore).

En deuxième, la crise financière mondiale a conduit à un durcissement de la

règlementation prudentielle concernant les banques (voir la section précédente de

ce chapitre). Ces dernières ont notamment vu les contraintes de capital s’accroître,

Voir notamment McKinsey & Company (2020), McKinsey Global Banking Annual Review 2020,
21

December.

64
et ce, dans un contexte où le coût du capital est élevé pour ce secteur économique.

Comme le rappellent Carletti et al. (2020 : 47-50), s’il est difficile de démontrer

avec certitude que le durcissement de la réglementation prudentielle a des effets

négatifs en termes de distribution du crédit, un certain nombre de travaux récents

suggère que les banques européennes, particulièrement frappées à la fois par la

crise financière mondiale et la crise des dettes souveraines, ont répondu à

l’augmentation des exigences en capital par la réduction de la taille de leurs actifs

(dont les crédits). D’une manière générale, on observe aussi une tendance du

secteur bancaire à chercher à réduire la taille des actifs risqués détenus à leur

bilan.

En troisième lieu, la crise financière mondiale couplée aux effets de Bâle III a

conduit les banques à revoir les modèles d’affaire adoptés avant 2007. Dans un

rapport publié en 2018, le Committee on the Global Financial System présente un

état des lieux des principaux changements ayant affecté les modèles d’affaire des

banques depuis la crise financière mondiale 22. Les tendances centrales dans la

redéfinition des modèles d’affaire des banques ont été, d’une part, un

redéploiement des activités de trading vers des produits moins complexes et par

là-même dont il est plus facile d’estimer le niveau de risque effectif, et, d’autre part,

une réduction de la dépendance à l’égard des sources de financement de gros. On

a donc observé un recul des financements interbancaire et une augmentation du

poids des dépôts dans le financement des banques. Les banques ont aussi cherché

à se repositionner vers la banque de détail et la gestion de patrimoine. Un exemple

22Committee on the Global Financial System (2018), Structural changes in banking after the crisis,
January.

65
intéressant de restructuration est le cas d’UBS.

Dans les années qui ont précédé la crise financière mondiale, l’activité de banque

d'investissement d'UBS a représenté un peu moins de la moitié du bénéfice (et des

revenus) avant impôt du groupe. Cette activité a été la source de pertes

importantes pendant la crise financière mondiale, principalement sur l'immobilier

américain et d'autres positions de crédit risqué. Un ensemble de mesures de la

Confédération suisse et de la Banque nationale suisse a été nécessaire fin 2008

pour stabiliser le groupe UBS. Ce dernier a alors décidé de restructurer ses

activités en diminuant celles liées à la banque d'investissement vers ses autres

activités, en particulier la gestion mondiale de fortune et la banque de détail et

d'entreprise en Suisse. En 2009, UBS a annoncé un repositionnement de sa banque

d'investissement vers un modèle centré sur le client. Ce changement stratégique

s'est accompagné d'une réduction importante de son bilan, divisé par deux entre

2007 et 2010, la banque d'investissement étant à l'origine de l'essentiel de cette

baisse. En 2011 et 2012, UBS a révisé sa stratégie en annonçant un nouveau recul

de l’activité de banque d'investissement. Plus précisément, les dirigeants d’UBS

avaient pour objectif que la banque d'investissement soutienne la nouvelle

orientation stratégique du groupe dans la gestion de fortune et la banque de détail

et d'entreprise en Suisse. En outre, UBS a décidé que sa banque d'investissement

allait se retirer d'un nombre substantiel de lignes de métier concernant des actifs

à revenu fixe, en particulier les produits de crédit et de taux d'intérêt complexes et

à forte intensité capitalistique. Ces changements ont entraîné une nouvelle

contraction du bilan de la banque et une réduction importante des instruments à

revenu fixe. UBS a transféré une partie des actifs de la banque d'investissement à

66
son siège central pour liquidation. Fin 2014, UBS considérait son processus de

transformation stratégique comme achevé.

4.2 Le système bancaire parallèle

Le shadow banking system – appelé aussi système bancaire parallèle – caractérise

un ensemble de pratiques et d’organisations effectuant des opérations les

rapprochant des fonctions de l’intermédiation bancaire, mais échappant largement

aux contraintes réglementaires pesant sur les banques 23. Ainsi, selon le Conseil de

stabilité financière, le shadow banking est un « système d’intermédiation de crédit

impliquant des entités et des activités (entièrement ou partiellement) en dehors

du système bancaire traditionnel ». Le Comité européen du risque systémique

(CERS) propose quant à lui une définition moins large en considérant que le

système bancaire parallèle comprend « le total des actifs des fonds

d’investissement, y compris les titres du marché monétaire et d’autres institutions

financières […]. Cette mesure englobe toutes les entités du secteur financier, à

l’exception des banques, des sociétés d’assurance et des fonds de pension ».

Le système bancaire parallèle recouvre un ensemble d’entités pratiquant des

activités financières qui se rapportent aux fonctions historiques des banques. La

première pratique est la titrisation qui fait référence à la fonction bancaire de

transformation de maturités.

La titrisation repose sur la transformation d’actifs non cessibles – des crédits

bancaires – en actifs cessibles sur un marché en émettant à partir des premiers

des titres les représentant et pouvant faire l’objet de transactions. La titrisation

23 Adrian T., Ashcraft A., Boesky H. et Pozsar Z (2012), « Shadow banking », Revue d’Économie
Financière, n°105, p. 157‑184.

67
des crédits a pour objectif de céder à d’autres tout ou partie du risque et du

rendement attendu de ces crédits. C’est le modèle « originer pour distribuer »

(originate to distribute) : la banque initie le crédit (c’est l’origination) et le

transforme en titres pour se débarrasser du risque (c’est la distribution). En faisant

cela, les banques sortent de leur bilan une partie des crédits octroyés, ce qui leur

permet de ne pas avoir à accroître leurs fonds propres comme l’exige la

réglementation prudentielle. Ainsi, elles peuvent continuer à accorder davantage

de crédits tout en disséminant le risque dans l’économie via la titrisation.

Dans sa version la plus simple, la titrisation repose sur deux étapes (schéma ci-

dessous) :

- dans la première, une société, appelée l’initiateur, et le plus souvent une banque,

qui détient des créances ou d’autres actifs générateurs de revenu choisit les actifs

qu’elle veut enlever de son bilan. Elle les regroupe dans un portefeuille de

référence. Elle vend ensuite ces actifs à un émetteur créé par une institution

financière (le sponsor) pour acheter les actifs en question. Cet émetteur est souvent

un véhicule spécialisé, appelé aussi conduit ;

- dans la seconde étape, l’émetteur finance l’acquisition des actifs groupes en

mettant sur le marché des titres rémunérés négociables – à moyen ou long terme

(asset backed securities) ou à court terme (asset backed commercial paper) – qui

sont vendus à des investisseurs sur le marché des capitaux. Ceux-ci reçoivent des

paiements d’intérêt issus d’un compte financé par le produit du portefeuille de

référence.

L’initiateur assure le service des prêts du portefeuille, collecte les paiements des

emprunteurs initiaux et les transmet, moyennant une commission, au véhicule.


68
Initiateur Agent Investisseurs
(1) (2)
des actifs émetteur (marché des capitaux)

Emission de titres adossés


Actifs sous à des actifs
jacents
Tranche Senior

Transfert des actifs La structure d'émission


Tranche Mezzanine
de l'initiateur à la propose des titres
structure d'émission de dette adossés à des actifs Tranche Junior
aux investisseurs

Source : à partir de A. Jobst (2007) « Qu’est-ce que la titrisation ? », Finances et

développement, septembre.

Les crédits titrisés sont mis en pools c’est-à-dire qu’ils sont assemblés par une

institution financière. Ensuite, l’émission de titres fait l’objet d’un découpage en

tranches contenant chacune des crédits classés selon divers niveaux de risques. La

logique est de pouvoir proposer aux investisseurs les types de produits financiers

les mieux à même de répondre à leur préférence en termes de risques. Trois

tranches sont distinguées :

- la tranche senior : elle est la moins risquée et peut bénéficier de la meilleure note

(AAA) par les agences de rating ;

- la tranche mezzanine a un niveau de risque plus élevé, d’où sa note inférieure

(BBB), mais elle offre un rendement élevé ;

- la tranche equity est la plus risquée avec un rendement ex ante non défini et une

espérance de gain très élevée.

La tranche senior est sensée être protégée de tout défaut dans la mesure il faut des

taux de défaut très supérieurs à l’historique pour que cette tranche soit

ponctionnée. Elle est donc censée être moins risquée que les autres, ce qui concoure

69
à sa notation. En outre, diverses techniques de réhaussement de crédit, dont

l’intervention des monolines 24, permettent d’émettre des tranches AAA alors que

les sous-jacents sont risqués.

Les prêts hypothécaires ont d’abord fait l’objet de la titrisation. Les Mortgage-

Backed Securities (MBS) font référence aux titres représentatifs d’un portefeuille

de prêts hypothécaires liés au financement de biens immobiliers, les Residential

Mortgage-Backed Securities (RMBS) pour les biens immobiliers résidentiels et les

Commercial Mortgage-Backed Securities (CMBS) pour les biens immobiliers

d’entreprise (bureaux, centres commerciaux…). Par la suite, d’autres types de

crédits ont fait l’objet d’un processus de titrisation : crédits automobiles, prêts

étudiant, encours de cartes bancaires… Ces actifs sont regroupés sous le terme

d’Asset-Backed Securities (ABS), c’est-à-dire de titres représentatifs d’un

portefeuille d’actifs financiers hors prêts hypothécaires. La titrisation a fait l’objet

d’une sophistication, et donc aussi d’une complexité, croissantes. On peut ainsi

citer les Collateralized Debt Obligations (CDO) qui font référence à des titres

représentatifs de portefeuilles composés de créances bancaire et/ou d’instruments

financiers négociables (obligations, autres titres de créances…) et/ou de dérivés de

crédit, voir aussi des actifs ayant déjà fait l’objet d’une première titrisation (ils sont

alors retitrisés). On trouve des CLO (Collateralised Loan Obligations) où le sous-

jacent est constitué de prêts bancaires, des CBO (Collateralised Bond Obligations)

24 Les rehausseurs de crédit – dits aussi assurances monolines – ont pour fonction de garantir les
institutions publiques ou privées qui émettent des emprunts sur les marchés financiers. Les
rehausseurs bénéficiant de la meilleure note possible par les agences de notation (AAA), les crédits
qu’ils garantissent bénéficient eux aussi de cette notation, ce qui conduit à un coût de financement
(le taux d’intérêt) plus faible. Si, historiquement, les rehausseurs de crédit ont garanti les titres
émis par les collectivités publiques américaines, ils ont diversifié leur activité en direction des
produits structurés. Le terme monoliner fait référence à l’idée qu’ils ont une activité unique.

70
où le sous-jacent est composé d’obligations, des CSO (Collateralised Synthetic

Obligations) où les sous-jacents sont des dérivés de crédit, des CDO2 (CDO de

CDO)… Les dérivés de crédit sont des contrats permettant le transfert du tout ou

partie du risque de crédit sur un tiers que l’on appelle entité de référence.

L’émetteur qui appartient au périmètre du shadow banking se comporte comme

une banque traditionnelle dans la mesure où il opère une transformation des

échéances. En effet, l’émetteur emprunte à court terme des ressources (au passif,

sous la forme de billets de trésorerie adossés à des actifs) pour financer des produits

titrisés (à l’actif) à long terme. Cependant, contrairement aux banques, l’émetteur

ne détient pas de fonds propres, d’où sa vulnérabilité à une crise de liquidité.

La deuxième pratique financière liée au shadow banking concerne les pensions

livrées appelées aussi « repos » (repurchase agreement)*. Les prises en pension

sont une pratique ancienne utilisée par les banques commerciales pour obtenir de

la liquidité auprès de la banque centrale. Ainsi, en échange de la monnaie centrale

obtenue auprès de cette dernière, les premières amènent des titres garantissant le

prêt temporaire. Au cours des années 1990, le repos est devenu une pratique de

refinancement courante entre les banques commerciales. Elle s’est étendue à

d’autres acteurs non bancaires tels que les assurances, les fonds spéculatifs, les

fonds mutuels… ce qui explique son inclusion dans le périmètre du shadow

banking.

La troisième pratique financière liée au shadow banking fait référence à la gestion

alternative mise en œuvre par les fonds spéculatifs appelés aussi hedge funds*.

Les hedge funds sont des groupes d’investissement privés le plus souvent offshore

afin d’échapper aux contraintes fiscales et réglementaires. Leur développement a

71
été particulièrement rapide à partir des années 1990 à la suite de la libéralisation

financière. En effet, la progression annuelle des encours a été de plus de 25 %

depuis cette période 25.

Les hedge funds combinent deux activités :

- la vente courte : ils empruntent des titres et les vendent en anticipant de les

racheter à un prix plus bas sur les marchés avant le moment où ils devront les

rembourser au prêteur ;

- l’effet de levier : pour développer leurs activités, ils utilisent des fonds empruntés.

En termes de stratégies d’investissements, les fonds spéculatifs cherchent à

identifier les pays ou firmes en situation de vulnérabilité faisant ainsi apparaître

des perspectives de fortes fluctuations des prix. Le recours à l’effet de levier

implique qu’ils prennent des positions importantes sur les marchés lorsque le coût

des capitaux est bas, ce qui correspond à la période qui a précédé la crise financière

mondiale. En dépit de leur taille relativement petite – leur encours est par exemple

dix fois inférieur à celui des fonds de pension – les hedge funds peuvent influencer

les marchés de deux manières principales. D’une part, en jouant sur l’effet de

levier, ils sont en mesure de prendre des positions très importantes sur les

marchés 26 et de provoquer ainsi des fluctuations de cours. D’autre part, étant

donné leur réputation en matière d’anticipations, toute publicité relative à leurs

positions est susceptible d’entraîner un mouvement d’imitation des autres

investisseurs. C’est cette imitation qui provoque les perturbations sur les marchés.

Deux raisons majeures ont conduit à intégrer les fonds spéculatifs dans le

Monarcha G. et Teïletche J. (2013), Les hedge funds, Collection Repères, La Découverte, Paris.
25

Une illustration des risques pris par les Hedges Funds est la quasi-faillite de Long-term Capital
26

Management en 1998. Voir le supplément « Quasi-faillite de LTCM ».

72
périmètre du shadow banking 27. Tout d’abord, des hedge funds peuvent être des

filiales de banques. Ils permettent ainsi à ces dernières de développer des activités

financières échappant à la réglementation. Ensuite, l’activité des hedge funds est

proche de celle des banques au sens où ils détiennent des titres peu liquides alors

que leurs ressources (épargne des clients et lignes de crédits des banques) sont de

court terme.

Le développement du système bancaire parallèle prend appui sur trois facteurs

principaux 28. En premier lieu, les agents économiques ont recouru au shadow

banking afin d’effectuer de l’arbitrage réglementaire. Ainsi, afin d’alléger les

contraintes en fonds propres liées à la réglementation prudentielle* du type Bâle 2,

les banques ont transféré une partie importante de leurs activités hors-bilan 29. En

deuxième lieu, le système bancaire parallèle fournit à l’économie un système de

gestion des risques répondant à plusieurs besoins. Tout d’abord, il permet aux

investisseurs de diversifier les risques par rapport au système bancaire : les entités

composant le shadow banking offrent une alternative aux dépôts bancaires

faiblement rémunérés. Puis, comme le rappellent Brender et Pisani (2009) 30, le

système bancaire parallèle a permis l’émergence de preneurs de risque dans

l’économie, ce qui doit en principe améliorer l’efficacité du système économique à

travers une meilleure gestion des risques. En fait, l’expérience de la crise

27 Tadjeddine Y. (2013), « Le shadow banking », in Les systèmes financiers, mutations, crises et


régulation, édité par C. de Boissieu et Couppey-Soubeyran, Éditions Economica, 4e édition, Paris,
p. 102‑120.
28 Clerc L. (2013), « Le shadow banking en Europe », Revue d’Économie Financière, no 109, p. 17‑32.
29 Dans le hors-bilan figurent des éléments qui pourront se traduire par des opérations financières

mais ne le sont pas encore tels que des engagements de crédit irrévocables à accorder, des cautions,
des achats et ventes de titres non encore enregistrés pour tenir compte des délais de
règlement/livraison, des engagements liés à des instruments de financement à terme (opérations
sur des produits dérivés) …. Ce dernier est le poste le plus important de l’hors-bilan.
30 Brender A. et Pisani F. (2009), La crise de la finance globalisée, collection Repères, La Découverte,

Paris.

73
financière mondiale suggère que le système bancaire parallèle a encouragé les

prises de risque excessives et a participé à l’accumulation de profonds déséquilibres

financiers. En troisième lieu enfin, à travers l’activité de « repos », le shadow

banking a permis de répondre à la demande croissante des épargnants et des

agents financiers en termes de financement sécurisé.

Le Conseil de stabilité financière a estimé la taille approximative du secteur

bancaire parallèle en prenant en compte l’ensemble des autres institutions

financières menant des activités d’intermédiation de crédit mais échappant à la

réglementation bancaire. Partant de cette définition, le Graphique 17 présente

l’évolution des actifs gérés par les différents acteurs du système financier mondial

depuis 2002. Depuis cette année, le total des actifs financiers gérés par l'industrie

financière a connu une croissance importante.

Il convient de noter que, d’une part, le secteur bancaire parallèle a été fortement

frappé par la crise financière mondiale (recul de sa taille relative) et que, d’autre

part, sa part a reculé en 2020 par rapport à 2019 sous l’effet de la crise liée à la

COVID-19. Plus précisément, les Etats sont massivement intervenus pour soutenir

le crédit bancaire, ce qui a donné un rôle plus important aux banques au cours de

cette période.

Le Tableau 5 présente la composition du système financier fin 2020 pour quelques

pays avancés, l’ensemble des pays avancés et les pays émergents. Dans l’ensemble

des pays considérés, à l’exception des Etats-Unis, on voit que les banques

détiennent la part la plus importante des actifs financiers domestiques. Il est

cependant très important d’observer que, parmi les intermédiaires financiers non

74
bancaires, la catégorie « autres intermédiaires financiers » est la plus importante.

La Suisse n’échappe pas à cette observation.

Graphique 17 Actifs gérés par les intermédiaires financiers

L’intermédiation financière non bancaire regroupe les sociétés d’assurance, les fonds de pension,
les autres intermédiaires financiers, les autres intermédiaires financiers incluant notamment les
fonds d’investissement, les sociétés financières, les véhicules de financements structurés
(titrisation)… et les auxiliaires financiers (comprenant toutes les sociétés et quasi-sociétés
financières dont la fonction principale consiste à exercer des activités étroitement liées à
l'intermédiation financière mais qui ne sont pas elles-mêmes des intermédiaires financiers.
Exemples : les courtiers d'assurance, les courtiers de crédit, les conseillers en placement ...).

Source : Financial Stability Board (2022), Global Monitoring Report on Non-Bank


Financial Intermediation 2022, December

Les Etats-Unis ont représenté en 2021 29,5 % des autres intermédiaires financiers,

suivie par la Zone euro (28,1 %) et la Chine (10,4 %).

En 2015, le Comité pour la stabilité financière a créé une nouvelle mesure du

shadow banking. Selon le Comité, l’assimilation du secteur financier parallèle aux

intermédiaires financiers autres que les banques, assurances et fonds de pension

(autres intermédiaires financiers) comportait des inexactitudes dans la mesure où

certains acteurs n’étaient aucunement engagés dans des activités de

transformation d’échéances ou de liquidité, activités facteur de risque pour la

stabilité financière.

75
Tableau 5 Composition du système financier fin 2021, en %

Institutions Autres
Banques financières Société Fonds de intermédiaires
Autres Banques en % centrales en % publiques en % d'assurance en pension en % financiers en %
intermédiaires du total des du total des du total des % du total des du total des du total des
financiers en % actifs financiers actifs financiers actifs financiers actifs financiers actifs financiers actifs financiers
du PIB domestiques domestiques domestiques domestiques domestiques domestiques
France 116,0 56,4 10,5 15,5 14,7
Espagne 72,7 52,0 21,8 0,8 5,9 2,9 15,9
Allemagne 107,8 47,3 15,5 13,0 3,6 19,8
Japon 130,1 47,1 15,8 7,3 11,1 3,5 14,7
Royaume-Uni 332,3 45,8 4,1 8,9 11,3 28,4
Italie 66,9 42,6 19,5 5,2 12,6 1,7 14,7
Suisse 358,9 34,6 12,6 8,3 12,8 31,7
Canada 331,2 31,1 3,1 2,8 5,8 12,7 40,6
Etats-Unis 194,5 22,5 6,6 8,0 9,6 20,4 33,0
Tous les pays 194,8 37,4 8,4 4,4 8,3 9,3 31,5
Pays avancés 262,6 32,5 8,1 4,0 9,0 11,3 34,2
Pays émergents 72,6 56,6 9,6 5,8 5,5 1,5 20,9

Source : Financial Stability Board (2022), Global Monitoring Report on Non-Bank


Financial Intermediation 2022, December

C'est dans cette perspective que le CSF a proposé une mesure « étroite » du système

bancaire parallèle compris comme toutes les entités non bancaires impliquées dans

des activités d’intermédiation présentant un risque de transformation d’échéance

ou de liquidité, de crédit ou de levier.

Selon cette définition « étroite », le système financier parallèle exclut :

- les entités non bancaires ne se livrant pas à de l'intermédiation de crédit et de

liquidité c’est le cas des autres intermédiaires financiers non impliqués dans les

activités d’intermédiation de crédit et de liquidité comme les fonds actions et les

fonds fermés ;

- les entités consolidées dans le périmètre prudentiel d’un groupe bancaire et donc

déjà soumises à réglementation, c’est‑à‑dire les courtiers, les sociétés de

financement et les véhicules de titrisation.

76
Le graphique 18 donne l’évolution depuis 2002 du système bancaire parallèle

« étroit » en trillions de dollars. Le graphique montre une croissance significative

de ce secteur interrompue de manière temporaire par la crise financière mondiale.

Graphique 18 Taille du système bancaire parallèle « étroit », en trillions de dollars

Source : Financial Stability Board (2022), Global Monitoring Report on Non-Bank


Financial Intermediation 2022, December

En % des actifs financiers mondiaux, le système bancaire « étroit » est passé de

11,7 % en 2011 à 13,7 % fin 2020. Une grande partie du système financier parallèle

« étroit » est logée aux États‑Unis (30,3 % du total), suivis par la zone euro (23,2 %),

la Chine (16,8 %) et les Îles Caïmans (11,4 %).

Le secteur est essentiellement constitué d’organismes de placement collectif qui

représentent plus de 75 % du shadow banking total mondial.

5.3. La concurrence de la Fintech et des Bigtech

Le Conseil de la stabilité financière définit la fintech comme une « innovation

financière fondée sur la technologie, susceptible de donner lieu à de nouveaux

modèles stratégiques, applications, processus ou produits ayant un impact

important sur les marchés et établissements financiers ainsi que sur la prestation

77
de services financiers » 31. Une manière complémentaire de définir la fintech est de

considérer qu’il s’agit de « l’activité de crédit par le biais de plateformes

numériques qui ne sont pas exploitées par des banques commerciales » 32.

La fintech tend à se développer parallèlement à la bigtech. Le terme bigtech fait

référence aux grandes entreprises existantes 33 dont l'activité principale est la

fourniture de services numériques, plutôt que principalement dans les services

financiers. Ainsi, alors que les entreprises fintech opèrent principalement dans les

services financiers, celles liées à la bigtech n'offrent des produits financiers que

dans le cadre d'un ensemble beaucoup plus large de secteurs d'activité. En d'autres

termes, la bigtech finance en parallèle des activités non financières 34.

Les implications de la fintech sur les systèmes financiers sont potentiellement très

importantes. Ainsi, comme le rappelle le gouverneur de la Banque de France,

François Villeroy de Galhau (2016), la pénétration du numérique dans l’industrie

financière a conduit à un déplacement du « centre de gravité du processus

d’innovation financière » 35. En effet, alors que dans les décennies précédentes, les

innovations financières technologiques reposaient sur des pressions

concurrentielles s’exerçant au sein du système financier lui-même, ce sont

désormais de nouveaux acteurs, dont beaucoup sont extérieurs au système

31CSF (2017), Financial Stability Implications from FinTech, Supervisory and Regulatory Issues
that Merit Authorities’ Attention, juin.
32 Stijn Claessens, Jon Frost, Grant Turner et Feng Zhu (2018), « Les marchés du crédit fintech à
travers le monde : taille, moteurs et enjeux de politique publique », Rapport trimestriel BRI,
septembre.
33 Alibaba, Amazon, Apple, Facebook, Google et Tencent …
34 Pour une présentation détaillée, voir Jon Frost, Leonardo Gambacorta, Yi Huang, Hyun Song

Shin and Pablo Zbinden (2019), « BigTech and the changing structure of financial intermediation »,
Economic Policy, Vol. 34, n°100, p.761–799.
35 François Villeroy de Galhau (2016), « Construire le triangle de compatibilité de la finance

numérique : innovations, stabilité, régulation », Revue de la stabilité financière, La stabilité


financière à l’ère du numérique, n°20, avril, p.7-15.

78
financier, qui sont à l’origine des innovations financières. La caractéristique

fondamentale de ces nouveaux acteurs est leur maitrise de ces nouvelles

technologies.

Dans un premier temps, on identifie le périmètre et la taille du marché du crédit

fintech et la bigtech (5.3.1). Ensuite, on étudie l’exemple des services de paiement

en tant que services financiers soumis à la concurrence de la finance alternative

(5.3.2). Dans un troisième temps, les facteurs explicatifs du développement du

marché du crédit fintech sont abordés (5.3.3). Enfin, on souligne les principales

implications liées au développement de la fintech et de la bigtech (5.3.4).

5.3.1. Périmètre et taille du marché du crédit fintech


D’une manière générale, le périmètre du marché du crédit fintech – auquel on peut

joindre la bigtech – fait référence à l’ensemble des prêts qui sont accordés par le

biais de plateformes rapprochant emprunteurs et prêteurs (investisseurs). Les

désignations de ces plateformes peuvent différer entre les pays. Ainsi, les

dénominations « plateformes de prêts entre pairs » (peer-to-peer (P2P) lenders),

« spécialistes du financement participatif fondé sur le prêt » (loan-based

crowdfunders) ou « plateformes de prêt » (marketplace lenders) doivent être

considérées comme équivalentes du point de vue de la définition du périmètre de

ce marché. Le marché du crédit fintech et de la bigtech inclue aussi les plateformes

qui utilisent leur propre bilan pour rapprocher emprunteurs et prêteurs.

Ce qui différencie de manière radicale les fournisseurs traditionnels de crédit et

ces nouveaux entrants est que ces derniers recourent aux technologies et

innovations numériques, d’une part, afin d’établir une interaction quasi totale avec

leurs clients en ligne, et, d’autre part, pour traiter de vastes quantités

79
d’informations les concernant. Comme le soulignent Claessens et al. (2018), les

banques commerciales – y compris les banques en ligne – n’ont pas encore atteint

un degré de numérisation aussi élevé. Par exemple, les banques sont amenées à

recourir à du personnel hors ligne alors que les firmes de la fintech et la bigtech

vont mobiliser des algorithmes et des automates.

Une autre différence importante avec le marché bancaire traditionnel est liée au

fait que les banques gèrent des dépôts à vue, ce qui n’est pas le cas des fournisseurs

de crédit fintech et bigtech. Cette différence en implique une autre : les banques

commerciales sont soumises à un contrôle prudentiel (notamment l’exigence de

déclaration complète des données bancaires) alors que les firmes liées au marché

du crédit fintech et bigtech sont encore peu ou pas concernées par ces exigences

réglementaires ou prudentielles. Le fait que le crédit fintech et bigtech ne soit pas

assujetti à la réglementation bancaire conduit certains à considérer qu’il fait de

facto partie du marché alternatif du crédit (Claessens et al., 2018).

Le Cambridge Centre for Alternative Finance 36 est sans doute l’une des

organisations publiant le plus de données sur la fintech. Ces données restent

cependant incomplètes. Dans cette perspective, Cornelli et al. (2020) ont tenté de

construire une base de données plus complète intégrant la fintech et la bigtech en

considérant un ensemble plus large de bases de données 37.

Le graphique 19 montre dans sa partie gauche le montant en milliards de dollars

des distribués par les bigtech et les fintech. La partie droite donne une indication

36https://www.jbs.cam.ac.uk/faculty-research/centres/alternative-finance/
37Giulio Cornelli, Jon Frost, Leonardo Gambacorta, Raghavendra Rau, Robert Wardrop and Tania
Ziegler (2020), « Fintech and big tech credit: a new database », BIS Working Papers, n°887,
September.

80
pour quelques pays de leur importance dans le total des crédits des économies

concernées.

En 2019, le crédit fintech et bigtech (ensemble crédit alternatif total) a atteint 795

milliards de dollars dans le monde. Les bigtech (572 milliards de dollars) ont connu

une croissance particulièrement rapide en Asie (Chine, Japon, Corée du sud et Asie

du Sud-Est) et dans certains pays d'Afrique et d'Amérique latine. Les volumes

mondiaux de crédit fintech (223 milliards USD) ont quant à eux diminué en 2018

- 2019 en raison notamment d’un durcissement de la réglementation en Chine. En

dehors de la Chine, le crédit fintech continue de croître. Par rapport aux données

disponibles en 2013 (partie gauche du graphique 19), on observe à la fois pour la

fintech et la bigtech une augmentation spectaculaire dans la mesure où les volumes

de crédit n'étaient que de 9,9 milliards de dollars et 10,6 milliards, respectivement.

La partie droite du graphique 19 suggère que si les crédits alternatifs représentent

encore une part faible des crédits totaux (0,3 % du stock de crédit global au secteur

privé sur les marchés du monde entier en 2018 selon Cornelli et al. (2020), il existe

cependant d’importantes variations entre les pays. Plus précisément, les crédits

alternatifs représentent 5,8 % du stock de crédit total au Kenya, 2,0 % en Chine et

1,1 % en Indonésie. Sur d'autres grands marchés comme les États-Unis, le Japon,

la Corée et le Royaume-Uni, les flux de prêts fintech et big tech représentent moins

de 1 % du stock de crédit total.

81
Graphique 19 Les crédits liés à la fintech et à la bigtech

Note : CN, Chine, US, Etats-Unis, JP, Japon, KR, Corée du sud, GB, Royaume-Uni, ID, Indonésie,
NL, Pays-Bas, RU, Russie, KE, Kenya et DE, Allemagne.

Source : Cornelli et al. (2020), op. cit., p. 6.

Une manière complémentaire d’appréhender l’importance croissante de la fintech

et de la bigtech dans nos économies est de considérer les fonds levés par cette

finance alternative auprès d’investisseurs et l’évolution de leur capitalisation par

rapport au secteur financier traditionnel.

Le graphique 20 permet de voir la montée quasi-continue des fonds levés par la

fintech sur les marchés entre 2001 et 2019. Le pic a été atteint en 2018 avec un

montant total de fonds levés de près de 230 milliards de dollars.

Les bigtech utilisent en grands parties leurs fonds propres pour financer la

pénétration des activités financières, de sorte que les chiffres de leurs activités de

services financiers n'apparaissent pas dans les fonds levés.

82
Graphique 20 Fonds levés par la fintech en milliards de dollars, 2001 - 2019

Source : Elena Carletti, Stijn Claessens, Antonio Fatás et Xavier Vives (2020), The
Bank Business Model in the Post-Covid-19 World, The Future of Banking 2, CEPR
et IESE Banking Initiative, édité par le Centre for Economic Policy Research,
Londres, p.61.

En termes de capitalisation, le graphique 21 montre que beaucoup de bigtechs ont

désormais des capitalisations supérieures à celles des entreprises financières

traditionnelles.

Graphique 21 Capitalisation boursière des principaux groupes financiers des


Bigtech, en milliards de dollars

Note : Ant, Ant Financial, CCB, China Construction Bank, ICBC, Industrial and Commercial Bank
of China, JPM, JPMorgan Chase, WF, Wells Fargo, BAC, Bank of America.

Source : Kathryn Petralia, Thomas Philippon, Tara Rice et Nicolas Véron (2019),
Banking Disrupted ? Financial Intermediation in an Era of Transformational
Technology, Geneva Reports on the World Economy, n°22, édité par le Centre for
Economic Policy Research, Londres, p.54.

83
Comme le rappellent Meier et al (2023 : 70), au cours des années 2020, la Suisse a

réussi à être un leader mondial en matière d'applications nationales et

internationales fondées sur le DLT et les crypto-monnaies. En 2022, on comptait

près de 400 entreprises FinTech en Suisse, dont environ un tiers étaient actives

dans des projets liés au DLT. La « Crypto Valley », à Zoug, en Suisse centrale, et

la région autour de Genève sont des précurseurs mondiaux dans le développement

des technologies numériques. Un des facteurs explicatifs de cette position est le

fait que l'environnement réglementaire suisse joue comme un incitateur et non un

frein au développement des entreprises FinTech. Les licences FinTech sont ainsi

intentionnellement moins strictes que les licences bancaires. Le 1er janvier 2019,

la Suisse a modifié la Loi fédérale sur les banques et les caisses d'épargne, dite Loi

sur les banques dont la première version date de 1934 38 afin d'exiger l'obtention de

licences FinTech pour les entreprises dont le total des dépôts dépasse 100 millions

de CHF et acceptant des dépôts supérieurs à 1 million de CHF. Ces sociétés ne sont

cependant ni réglementées par l'Autorité fédérale de surveillance des marchés

financiers (FINMA), ni tenues de respecter les exigences en matière de fonds

propres des banques suisses. Elles doivent disposer de fonds propres, sous une

forme acceptable, égaux à au moins 300 000 CHF ou 3 % de leurs engagements en

matière de dépôts. L'approche réglementaire st considérée comme «

technologiquement neutre » afin de réduire les obstacles à la naissance, à la

croissance et au développement d'entreprises innovantes. La FINMA a exprimé sa

volonté de fournir aux entreprises FinTech avant leur lancement des conseils au

cas par cas sur un éventail de sujets, tels que les modèles commerciaux utilisant

38 https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/51/117_121_129/fr

84
des actifs numériques ou des offres initiales de jetons, stablecoins et la technologie

blockchain. Des conseils sur les règles et les interprétations juridiques sont aussi

prodigués. Les principales contraintes réglementaires sont les suivantes :

interdiction de verser des intérêts, d'investir ou de mélanger les fonds des clients

avec les propres fonds ; respect des règles de la loi anti-blanchiment ; restriction

sur les services financiers qu'elles peuvent offrir ; et limitation des formes

sociétaires qu'elles peuvent prendre.

5.3.2. La concurrence de la fintech – bigtech : l’exemple des services de paiements

Le degré de présence de nouveaux entrants dans les services de paiement semble

être lié à la fois à la qualité des services de paiement existants et à l'ampleur des

externalités de réseau. La Chine est souvent considérée comme l'exemple type de

ces deux facteurs.

En 2017, Alipay (lancé en 2004 (puis Ant Financial depuis 2014) par Alibaba) et

WeChat Pay (lancé en 2011 par Tencent) avaient acquis respectivement 500

millions et 900 millions d'utilisateurs actifs mensuels, et représentaient ensemble

94 % du marché des paiements mobiles de 16 000 milliards de dollars (Carletti et

al., 2020) et près de 16 % du PIB (Petralia et al., 2019). Cette croissance rapide

reflète en partie la médiocrité des services existants des banques publiques et la

présence d'importantes externalités de réseau (liées à la clientèle de base dont

disposaient déjà ces entités sur leurs plateformes de e-commerce et de messagerie).

En Inde, une stratégie plus descendante a été adoptée avec pour objectifs visés par

les autorités d’améliorer l'accès aux comptes bancaires et aux paiements, l'idée

sous-jacente étant que cet accès est le point d'entrée pour de nombreux

consommateurs dans le système financier. Cette stratégie portée à la fois par des

85
acteurs publics et privés a permis des gains importants en matière d'inclusion

financière. L’approche de l’Inde repose fondamentalement sur le principe de

fournir une infrastructure financière numérique en tant que bien public 39.

En Afrique de l'Est et dans certains autres pays en développement, la croissance

des paiements par application mobile a elle aussi été assez rapide. M-Pesa, lancé

pour la première fois par l'opérateur de réseau mobile kenyan Safaricom en mars

2007, s'est rapidement emparé d'une part importante du marché des transferts

monétaires au Kenya. Il s'est étendu à d'autres pays et, en 2017, Safaricom

comptait 32 millions d'utilisateurs mensuels actifs en Afrique de l'Est, en Égypte

et en Inde, traitant 6,5 milliards de transactions. En Amérique latine, Mercado

Pago compte 12 millions d'utilisateurs mensuels actifs. En Indonésie, Go-Jek’s Go-

Pay (créé en 2016) traite la moitié des 100 millions de transactions mensuelles de

Go-Jek. Grab's GrabPay étend rapidement son réseau de marchands en Malaisie,

à Singapour et aux Philippines.

En revanche, dans de nombreuses économies avancées, les services de paiement

sont encore largement fournis de manière traditionnelle par les banques

commerciales et les sociétés émettrices de cartes de crédit (graphique 22). Cela

suggère que la qualité des services existants et la permanence des habitudes de

consommation sont des déterminants importants, du moins à court terme.

Frost et al. (2019, op. cit.) soulignent qu’il est important de distinguer entre

l'utilisation de l'infrastructure de paiement existante, telle que les cartes de crédit,

de débit ou les banques partenaires, et la construction d'une infrastructure de

39 Pour une présentation synthétique, voir, entre autres : G30 (2020), Digital currencies and
stablecoins, Risks, Opportunities, and Challenges Ahead, Report by the Working Group, Box 1, p.6-
7.

86
paiement distincte. Ainsi, dans les pays où l'infrastructure de paiement bancaire

en place est dominante - comme les États-Unis, l'Europe et la Corée du sud - les

innovations dans les services de paiement liées à Google Pay, Amazon Pay, Apple

Pay, Samsung Pay et les paiements sur Facebook Messenger reposent toutes sur

les infrastructures de paiement existantes. Cette tendance peut être reliée à la

forte pénétration des cartes de crédit et des comptes bancaires dans la population

et donc à la capacité de tirer avantage des effets de réseau associés à des

infrastructures de paiement bien développées.

Graphique 22 Fraction de la population avec des comptes bancaires, des cartes de

crédit et des applications mobiles, en %

c
Note : SG, Singapour, HK, Hong Kong, KR, Corée du sud, IL, Israël, AE, Emirats Arabes Unis, PL,
Pologne, MY, Malaisie, TH, Thaïlande, CZ, République tchèque, CN, Chine, IN, Inde, RU, Russie,
HU, Hongrie, CL, Chili, SA, Arabie Saoudite, BR, Brésil, ZA, Afrique du sud, TR, Turquie, ID,
Indonésie, AR, Argentine, CO, Colombie, DZ, Algérie, PE, Pérou, MX, Mexique, PH, Philippines,
AE, Pays avancés (moyenne).

Source : Jon Frost (2020), « The economic forces driving fintech adoption across
countries », BIS Working Papers, n°838, February, p.3.

En revanche, Alipay, WeChat Pay, Vodafone M-Pesa et Mercado Pago de Mercado

Libre reposent sur une infrastructure de paiement distincte qui est intégrée aux

produits connexes de ces entreprises (à savoir une plateforme mobile de commerce

87
électronique et de services, une messagerie et des réseaux sociaux plateforme

média, crédit de téléphonie mobile et plateforme de commerce électronique,

respectivement).

Les bigtech facturent des frais inférieurs à ceux des fournisseurs historiques et

fonctionnent avec de faibles marges. Dans un certain nombre de cas, ces services

de paiement peuvent offrir des avantages complémentaires à leur cœur de métier,

et pour cette raison peuvent même être subventionnés par d'autres métiers de

l'entreprise.

5.3.3. Facteurs de développement de la fintech - bigtech

Certains facteurs pouvant expliquer le développement du marché du crédit fintech

sont communs à l’ensemble des formes de crédit. On identifie ainsi les variables

macroéconomiques tels que la croissance économique, le niveau de développement

économique et financier du pays et la qualité de ses institutions – juridiques

notamment. Toutes ces variables entretiennent une relation positive avec le

développement du marché du crédit fintech. Par exemple, l’augmentation du PIB

par tête s’accompagne du développement de ce marché comme de l’ensemble des

marchés du crédit. De la même manière, des marchés de capitaux développés,

comme aux États-Unis et au Royaume-Uni, peuvent contribuer à financer le

développement des plateformes de crédit fintech. Empiriquement, on observe que

l’investissement dans les entreprises de la fintech (rapporté au PIB) est plus élevé

dans les économies où le système financier est plus profond, la profondeur étant

mesurée par le ratio crédit / PIB et actifs bancaires / PIB.

Le degré de compétitivité sur les marchés du crédit peut exercer une influence sur

le développement des fintechs. Ainsi, un système bancaire peu compétitif pourrait

88
s’accompagner de marges plus élevées sur le crédit bancaire et, donc, soutenir les

sources de financement alternatives moins onéreuses pour les emprunteurs tel que

le crédit fintech. Les études empiriques confirment cette prédiction puisqu’elles

montrent que le crédit fintech tend à être plus important dans les économies où les

intermédiaires financiers déjà présents sont plus rentables, ce qui suggère bien

que l’absence de concurrence attire de nouveaux entrants.

Un autre facteur important porte sur l’inclusion financière. Ce terme fait référence

à la capacité des agents économiques à accéder aux marchés du crédit et, plus

largement, aux différents compartiments du système financier. Dans cette

perspective, si les plateformes du marché du crédit fintech sont capables de mieux

évaluer les informations sur les emprunteurs ou d’atteindre plus efficacement les

clients que les prestataires de crédit actuels, le crédit fintech pourrait être plus

développé dans les pays où l’accès au crédit est plus difficile. Ce facteur explique

une régularité empirique importante. Plus précisément, si, d’une manière

générale, les fintechs représentent une part relativement modeste du marché

mondial des services bancaires, elles occupent une place non négligeable dans

certaines régions où elles fournissent déjà une très grande partie des services

bancaires locaux. C’est précisément le cas où l’accès au crédit traditionnel est

difficile comme par exemple, M-Pesa au Kenya et en Tanzanie, ou Alipay en Chine.

Les plateformes analysent une gamme de données beaucoup plus large que

d’autres prêteurs ne le font généralement, y compris auprès de sources

d’informations non conventionnelles – dépenses en ligne, réseaux sociaux ou

empreintes numériques. Claessens et al. (2018) citent ainsi le cas d’une plateforme

P2P indienne dont le site internet affirme que, dans le cadre de son évaluation de

89
crédit, elle passe en revue plus de 1 000 données par emprunteur. Certains

prêteurs fintech utilisent des informations clients détaillées dont ne disposent pas

d’autres entreprises ou fournisseurs de crédit, comme les déclarations d’impôt ou,

dans le cas des big tech, les données exclusives de plateformes de distribution en

ligne ou les informations relatives aux paiements mobiles. A contrario, la capacité

de nouveaux entrants à conquérir une part non négligeable du marché des services

bancaires dans des économies plus avancées est encore largement débattue.

Les études suggèrent que la réglementation financière exerce des effets ambigus

sur le développement du marché des fintechs. D’un côté, un durcissement de la

réglementation pourrait susciter la confiance dans de nouvelles formes

d’intermédiation financière et donc exercer une influence positive sur les fintechs.

D’un autre côté, un tel durcissement pourrait freiner l’innovation et dissuader

d’éventuels nouveaux entrants. Les règles propres au secteur des fintechs peuvent

avoir un impact. Une réglementation plus souple des activités fintech pourrait

contribuer à leur développement, notamment en encourageant l’arbitrage

réglementaire en leur faveur dans un contexte où des risques similaires sont

soumis à des règles plus strictes dans le secteur des prêts traditionnels. Les études

empiriques montrent qu’une réglementation bancaire plus stricte décourage

l’activité de crédit fintech. Une explication possible est que les règles régissant les

technologies financières sont plus souples dans les juridictions où la

réglementation bancaire est plus souple. Une autre explication réside dans le fait

qu’il pourrait être plus difficile de lancer de nouvelles activités de prêt dans les

pays dotés de régimes d’agrément et de contrôle bancaires relativement stricts.

90
Dans tous les cas, ce résultat contredit l’argument selon lequel l’arbitrage

réglementaire stimule généralement l’activité fintech.

Il existe des facteurs explicatifs au développement du marché du crédit fintech qui

sont spécifiques à ce secteur. Un de ces facteurs est l’appétence croissante de la

part des individus pour les solutions numériques qui a modifié de manière

importante les modes de consommation, à travers l’essor de la banque en ligne et

l’exploitation de données permettant aux fournisseurs d’accès à internet d’acquérir

une connaissance détaillée des préférences et du profil des consommateurs. Dans

une étude publiée en 2018, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire identifie deux

facteurs clefs pour comprendre la diffusion et l’adoption des nouvelles technologies

financières : (i) le taux d'adoption de la technologie sous-jacente dans la société et

(ii) le degré de compétence technologique de la population générale. L’étude

souligne une accélération dans le rythme d’innovation relativement aux décennies

précédentes avec en parallèle une accélération du rythme d'adoption. « Ainsi, si

l'on compare le temps nécessaire à l’adoption de diverses innovations bancaires,

celle des distributeurs automatiques a pris une vingtaine d'années, tandis que les

temps d'adoption de la banque en ligne et de la banque mobile ont été à chaque fois

un peu plus rapides. En outre, une génération née avec le numérique grandit

aujourd’hui, disposant des compétences technologiques précisément au cœur des

innovations de la fintech. En fait, l'évolution du comportement des clients et la

demande de services financiers numériques constituent les moteurs clés du

changement. Celui-ci accélérant, les effets de l’innovation et de la disruption

91
peuvent être plus rapidement sensibles qu’auparavant, ce qui signifie que les

acteurs historiques pourraient devoir s'adapter plus vite aussi » 40.

Un autre facteur spécifique concerne les importantes évolutions touchant le

domaine du stockage et de la gestion des données. La généralisation de l’open data,

qui permet d’exploiter les informations multiples collectées sur les clients, joue un

rôle important dans le développement d’outils permettant de stocker et traiter de

très gros volumes de données (le big data).

5.3.4. Implications liées au développement des fintech - bigtech

Les fintech et bigtech introduisent une rupture fondamentale par rapport au

modèle bancaire traditionnel dans la mesure où elles conduisent à passer d’un

modèle centré sur les produits à un modèle centré sur les consommateurs.

Comme nous l’avons déjà souligné plus haut, le recours aux nouvelles technologies

numériques et à des données plus détaillées sur les clients a des implications

importantes sur différentes dimensions afférentes au crédit. On peut notamment

faire référence à la plus grande disponibilité du crédit, à des frais de transaction

moins élevés liés à une plus grande efficacité dans le traitement de l’information

et à une meilleure évaluation du risque de crédit. Ainsi, la numérisation des

processus de crédit concernant les clients et le montage des prêts peut être un

puissant facteur d’efficacité. Par exemple, les décisions de crédit passent

fréquemment par des algorithmes prédictifs et des techniques d’apprentissage

automatique. Ces dernières font référence à l’utilisation de différents outils

statistiques servant à ajuster les données ou à décrire les schémas sous-jacents.

40 Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (2018), Implications des évolutions de la technologie
financière pour les banques et les autorités de contrôle bancaire, février.

92
Les algorithmes d’apprentissage automatique exploitent souvent des séries de

données très volumineuses.

Des études confirment les remarques précédentes. Ainsi, des travaux montrent que

les prêteurs fintech aux États-Unis offrent un meilleur service aux emprunteurs

en traitant les demandes de prêt hypothécaire en moyenne 15 à 30 % plus vite que

les autres prêteurs. Dans une perspective similaire, il a été montré que le système

de notation de la plateforme américaine LendingClub – fondé sur des données non

traditionnelles – prédit bien la performance des prêts et permet à certains

emprunteurs d’obtenir des conditions de crédit plus favorables. Des études sur les

plateformes allemandes suggèrent que les évaluations du risque de défaut incluant

des données sur les empreintes numériques des clients enregistrés sur leur site,

produisent de meilleurs résultats que les évaluations reposant uniquement sur les

informations fournies par des agences d’évaluation du crédit.

Du point de vue de l’inclusion financière, il apparaît que les plateformes fintech

ont élargi l’accès au crédit. Des études concernant les États-Unis montrent que le

prêt P2P est non seulement un substitut au prêt bancaire en ce qu’il est utilisé par

les clients infra-marginaux des banques, mais aussi un complément dans les

opérations de petite taille qui seraient trop coûteuses à financer pour des

intermédiaires traditionnels. En Chine, le crédit fintech s’avère particulièrement

bien adapté au financement des petites entreprises et des particuliers moins aisés.

Avant l’arrivée de ces nouveaux acteurs, ces emprunteurs à l’accès limité au crédit

bancaire classique devaient recourir à des prêteurs informels privés et plus

onéreux. Par exemple, les lignes de crédit automatisées accordées à des entreprises

93
présentes sur la plateforme de commerce électronique d’Alibaba semblent accroître

l’accès au crédit des emprunteurs mal notés (Claessens et al, 2018).

Les acteurs de la fintech sont susceptibles de concurrencer les acteurs traditionnels

de la finance là où ces derniers sont peu efficaces ou peu compétitifs. C’est

particulièrement le cas des paiements transfrontières 41. Ces derniers font

intervenir de nombreux intermédiaires et contreparties ainsi que des opérations

de change qui les rendent non seulement coûteux mais aussi porteurs de risques

opérationnels. Ils sont aussi pour les consommateurs plus longs que les paiements

domestiques. Les paiements transfrontières sont d’autant plus onéreux que les

montants sont faibles. En conséquence, le développement de la fintech a permis

des transferts familiaux ou opérés par des migrants à des meilleures conditions

que celles pratiquées par le système traditionnel. Ainsi, des systèmes de « peer-to-

peer », opérant sans intermédiaire et pouvant fonctionner sur une infrastructure

internet existante concurrence le système de paiements transfrontières. On peut

citer l’exemple de Ripple qui « est un protocole de paiement, décentralisé et semi-

fermé, dont la technologie (DLT plus une forme allégée de la blockchain) et la

propre crypto-monnaie (dénommée XRP) permettent la transmission très rapide

de messages de paiement, dans toutes les monnaies (crypto ou officielles) entre

toute localisation dans le monde » (Landau, 2018).

La BNS a effectué une enquête au dernier trimestre 2018 auprès d'un échantillon

de 34 banques suisses exécutant principalement des opérations de dépôt et de

crédit concernant l'influence de la numérisation sur les banques dans ces deux

41
Jean-Pierre Landau avec la collaboration d’Alban Genais (2018), Les crypto-monnaies, Rapport
au Ministre de l’Économie et des Finances, juillet. Voir aussi les développements dans le chapitre
2 sur la monnaie digitale qui ont des liens avec cette question.

94
domaines. Les résultats de l'enquête montrent que les banques anticipent un

accroissement rapide de la numérisation de l'intermédiation financière. Du point

de vue des banques, il s'agit à la fois de répondre à la concurrence de nouveaux

acteurs et de gagner en efficacité, d'une part, en réduisant les coûts et, d'autre part,

en améliorant la qualité des services offerts. A un horizon de long terme, les

banques interrogées considèrent que les bigtechs seront des concurrentes directes

en raison de leur taille et des effets de réseau. Elles perçoivent davantage les

fintech comme des partenaires en raison de leur faible taille et de leur

spécialisation dans certains services financiers. Les perspectives en termes de

numérisation du côté des banques concernent l'automatisation de l'ouverture des

comptes et une amélioration de l'ergonomie des services offerts à distance. Les

banques de taille moyenne à grande prévoient aussi de numériser l'essentiel du

processus des crédits hypothécaires aux ménages. L'enquête révèle aussi que les

objectifs de numérisation sont davantage limités pour les banques de petite taille,

les contraintes financières liées aux besoins d'investissement jouant ici un rôle

important 42.

Les fintechs, mais aussi les big tech, soulèvent d’importantes questions en termes

de traitement de l’information privée. Une première question concerne ce que l’on

appelle la data privacy qui porte sur la protection des données personnelles. C’est

une question importante sur laquelle les régulateurs de différents pays tentent de

mettre en place des règles. Une seconde question porte sur la possible émergence

d’une industrie capable de capter des parts croissantes des différents segments des

42 Voir BNS (2019), Enquête sur la numérisation et la fintech dans les banques suisses, août.
https://www.snb.ch/fr/mmr/reference/fintech_20190827_umfrage/source/fintech_20190827_umfrag
e.fr.pdf

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systèmes financiers. En effet, ce qui caractérise la fintech mais plus encore la big

tech est la présence d’externalités de réseaux. Plus les firmes de ce secteur captent

de l’information, plus elles peuvent offrir de nouveaux services et plus elles offrent

de nouveaux services plus elles accumulent de nouvelles informations. Le point

important est que l’accaparement d’une part croissante des marchés peut générer

des comportements de rente préjudiciables à l’efficacité des marchés 43.

43Sur ces points, le chapitre 3 du BIS Annual Economic Report (2019), Big tech in finance :
opportunities and risks, juin. Voir aussi pour une vue d’ensemble : Frederic Boissay, Torsten
Ehlers, Leonardo Gambacorta et Hyun Song Shin (2021), « Big techs in finance: a new trade-off
between efficiency and privacy », SUERF Policy Briefs, n°250, December; Petralia et al. (2019),
op.cit., chapitre 4.

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