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L’ECONOMIE D’ECHELLE DANS LA

CONTENEURISATION : QUELLE PLACE POUR


L’AFRIQUE ?
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admin Posted on October 23, 2018

Navire porte conteneur dans le terminal

La conteneurisation est une activité qui consiste à transporter les marchandises au


moyen des conteneurs par voie routière, maritime ou par la navigation intérieure. La
conteneurisation permet donc le transport multimodal des marchandises : les différents
modes de transport peuvent être combinés pour réaliser le transport porte à porte. Ainsi
un commerçant en déplacement en Chine peut faire conteneuriser ses marchandises et
confier son conteneur à GUANGZHOU à un transporteur maritime pour son
acheminement d’abord par voie maritime jusqu’à un port Africain et de là, le conteneur
pourra continuer par chemin de fer ou par route jusqu’à la cité du commerçant à l’intérieur
du pays. Au besoin, le même conteneur pourrait éventuellement continuer son voyage
par voie fluviale jusqu’à sa destination finale. Tous ces segments de transport se font
sous la responsabilité d’un seul opérateur car le fret perçu au départ inclue la livraison
porte à porte.

Le commerce international se réalise à 80% par voie maritime. Les biens produits dans
certains pays du monde sont transportés à l’aide des navires vers les pays de
consommations. Il en suit les enjeux suivants :

-Les navires transporteurs sont de plus en plus construits avec des capacités de
transport de plus en plus grandes afin de réaliser des profits importants liés à l’économie
d’échelle ;

-Une concurrence féroce entre les différents armements transporteurs qui n’hésitent pas
à « casser les prix », d’où la baisse des taux de fret. Les plus faibles et les moins
organisés disparaissent ou font faillite et laissent la place aux géants de la
conteneurisation ;

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-La bataille de mer se gagne désormais sur terre car l’organisation d’une logistique
compétitive à travers les terminaux à conteneurs dans les ports et à l’intérieur devient la
clé du succès ;

-Les transporteurs maritimes se lancent dans la gestion des terminaux à conteneurs afin
de mieux en contrôler les flux. Les terminaux à travers le monde sont donc rachetés ou
loués à longue durée par ces opérateurs qui n’hésitent pas à financer des projets de
construction des routes, des ponts et autres infrastructures permettant l’évacuation des
conteneurs vers l’arrière-pays ;

-Une guerre sans nom s’installe lentement mais surement dans le paysage économique
mondial. C’est la guerre de fret, disent certains. Non, c’est la troisième guerre mondiale,
renchérissent les autres.

-L’Afrique ayant évolué pendant très longtemps en marge de la conteneurisation est


aujourd’hui très courtisée par les géants de la conteneurisation qui monopolisent le trafic
des conteneurs vers l’Afrique et qui y construisent des nouveaux terminaux afin de mieux
asseoir leur suprématie dans ce secteur.

Ces enjeux montrent à quel point le continent Africain a intérêt à participer activement
d’une façon ou d’une autre à la rentabilisation du trafic maritime issu de ses propres
échanges avec le monde extérieur. En 1885 à Berlin, l’Afrique a été « partagée » par les
grandes puissances de l’époque et qui sait si demain une nouvelle conférence Berlin II ne
viendrait pas décider sur la répartition des zones de trafic et des terminaux en Afrique
entre les géants de la conteneurisation ? Il serait souhaitable que l’Afrique tire aussi profit
de ses échanges.

L’économie d’échelle dans la conteneurisation exige l’utilisation des navires de plus en


plus grands dont l’accostage ne peut être possible que dans des ports et terminaux d’une
certaine taille. Au vu de la taille de ces navires, les terminaux doivent répondre à
certaines exigences d’ordre logistique et opérationnel. Les pays Africains ne pouvant
financer seuls ces investissements afin de répondre à toutes ces exigences sont donc
contraints de faire exploiter leurs terminaux par des groupes dérivant des géants de la
conteneurisation. Les bénéfices récoltés de l’encaissement des frets de conteneurs vers
l’Afrique et aussi de la gestion de leurs terminaux reviennent aux géants de la
conteneurisation. Les concessions des terminaux à conteneurs Africains sont bradées à
vil prix sur base de location à longue durée (15 ans, 20 ans, 25 ans, …). La flotte
marchande Africaine est d’ailleurs inexistante depuis la faillite des armements Africains…
Encore un vide comblé par les géants de la conteneurisation.

Dans le dernier ouvrage de l’auteur intitulé « LE GUIDE DE LA CONTENEURISATION


ET DU TRANSPORT MULTIMODAL », paru en 2011 aux Editions Shipping
Guides/Ghana, ces géants de la conteneurisation sont classés en fonction de leur part du
trafic mondial. On retrouve au premier rang le géant Danois MAERSK SEALAND avec
16,1% du trafic suivi du géant Italo-suisse MSC avec 11,3% et en 3eme position le géant
Français CMA CGM avec 7,6% du trafic mondial conteneurisé. Les autres géants tels

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qu’EVERGREEN LINE (Taiwan), HAPAG LLOYD (Allemagne), COSCO (Chine), APL
(Singapour), CSCL (Chine), NYK LINE (Japon) et HANJIN (Corée du Sud) complètent la
liste jusqu’à la 10eme place

L’ECONOMIE D’ECHELLE
La tendance aujourd’hui dans la conteneurisation est de transporter un grand nombre de
conteneurs à la fois. C’est l’économie d’échelle: le coût de transport par unité transportée
baisse au fur et à mesure que le nombre d’unités augmente. En d’autres mots, pour les
mêmes de transport, il est plus avantageux de transporter plusieurs conteneurs que peu.

C’est à cause de cette économie d’échelle que la taille des navires porte-conteneurs(PC)
ne fait qu’augmenter…

L’évolution en taille des PC se réalise au fil des générations depuis le début de la


conteneurisation en 1956. La 1e génération des PC transportait jusqu’à 1000 EVP
(Equivalents Vingt Pieds). La 2e génération atteignit les 2000 EVP. La 3e génération
réalisa des transports de 3000 EVP à la fois. Ce sont des navires jusque là dits
« panamax » dont la taille correspond au maximum admissible pour le passage des
écluses du canal de Panama, avant l’élargissement du canal. La 4e génération vit
l’apparition sur le marché des « post-panamax » pouvant transporter plus de 4000 EVP.
Maintenant que le canal vient d’être élargi, certainement les dénominations « panamax »
et « post-panamax » seront revues…

Un porte conteneur moderne

Les navires PC de la 5e génération avec plus de 5000 EVP à bord à une vitesse
dépassant les 23 nœuds et adaptés à une manutention automatisée sont déjà sortis des
chantiers depuis un certain temps.

En 2011 quand nous rédigions notre ouvrage « LE GUIDE DE LA CONTENEURISATION


ET DU TRANSPORT MULTIMODAL », nous étions réellement surpris d’apprendre que
les navires PC de 9600 EVP étaient en construction.

Aujourd’hui, pendant que nous rédigeons cet article nous venons de lire dans le « daily
collection of maritime press clippings 2015-156 » du 04/06/2015 que le géant Danois
MAERSK LINE, No1 mondial dans la conteneurisation, vient de commander 11 ULTRA-
LARGE CONTAINER VESSELS (ULCV) ayant chacun une capacité de … 19 630 EVP !

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C’est le chantier DAEWOO SHIPBUILDING & MARINE ENGINEERING (DSME) qui
s’occupera de la construction. Ces PC auront une longueur approximative de 400 m, une
largeur de 58,6 m et un tirant d’eau de 16,5 m. Le montant du contrat serait de l’ordre de
1,8 milliard USD.

A lire ce qui précède, on voit clairement que l’Afrique a d’autres priorités que de se lancer
dans cette course effrénée de l’économie d’échelle. Malheureusement cette économie
d’échelle influe directement sur les infrastructures portuaires car les terminaux sont
obliges de s’adapter à l’évolution des PC. Pour la manipulation des conteneurs des PC
de 58,6 m de large, les terminaux doivent s’équiper des portiques pouvant déborder
jusqu’à 74 m et pouvant soulever à hauteur de 51,50 m !

La fin justifie les moyens

La nature a horreur du vide, dit-on. Le vide qu’aurait du laisser l’Afrique est comblé par
les géants de la conteneurisation qui, à visage découvert ou sous-couvert de divers
groupes, remportent des concessions des ports et terminaux Africains et y construisent
des terminaux modernes qu’ils exploitent. L’Afrique se contente alors des miettes que ces
géants lui rétrocèdent…

Les analystes DREWRY SHIPPING CONSULTANTS, dans le « daily collection of


maritime press clipping 2015-163 » du 11/06/2015, soulignent même qu’au premier
trimestre de l’année 2015, l’industrie de la conteneurisation a réalisé son meilleur résultat
depuis 4 ans avec un profit estimé à 8%, contrairement aux autres trimestres au cours
desquels seule une poignée de géants dont MAERSK LINE et CMA CGM, ont pu réaliser
des profits.

La stratégie de ces géants pour gagner le monopole de transport en écrasant la


concurrence reste la même : proposer toujours des taux de fret maritime très bas année
après année en jouant sur l’économie d’échelle et en ayant la maitrise de la chaine
logistique du pre-acheminement (pre-carriage) et du post-acheminement terrestre (on-
forwarding) des conteneurs afin de réaliser le « porte à porte ».

LES LIGNES MARITIMES VERS L’AFRIQUE ET LES TERMINAUX


AFRICAINS

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LES LIGNES MARITIMES

Depuis le retrait des Armements Européens des conférences maritimes, le glas venait de
sonner pour les Armements Africains qui n’ont pas pu faire face à la libre concurrence
devant désormais régner dans l’industrie maritime mondiale. Les Armements Africains
tels que « Black Stars » du Ghana, « CMZ » de l’ancien Zaire (RDC), « SITRAM » de la
Cote d’Ivoire et « CAMSHIP » du Cameroun ont été liquidés car n’ayant pas été capable
de sortir la tête hors de l’eau suite à la concurrence féroce des armements de grandes
puissances maritimes sur diverses lignes. Le code de conduite des conférences
maritimes de la CNUCED, privilégiant la clé de répartition 40-40-20 dans son article 2,
était du coup vidé de toute sa substance…

Après l’élimination du « circuit » de l’Afrique, les géants de la conteneurisation se sont


« jetés » sur l’Afrique, comme un fauve sur une proie, pour y asseoir le contrôle et
l’exploitation du fret entrant et sortant de l’Afrique. Ces géants sont sur toutes les lignes
import et export en Afrique. Ils construisent des terminaux à conteneurs pour maximiser
leur profit. Ils réhabilitent routes, chemins de fer, ponts, … pour l’évacuation rapide des
conteneurs vers l’arrière pays. Les bénéfices engendrés sont tellement importants au
point que le retour sur investissement est très vite garanti.

L’Afrique importe de plus en plus à partir de la Chine et de l’Asie du Sud-Est au détriment


de l’Europe. Des nouvelles lignes maritimes conteneurisées desservent l’Afrique à partir
de la Chine et de l’Asie du SE à travers le Cap de Bonne Esperance en Afrique du Sud.
La desserte de l’Afrique du Nord à partir de l’Asie se fait à travers l’océan Indien puis la
méditerranée et le détroit de Gibraltar via la mer rouge et le canal de Suez.

Toutes ces lignes sont assurées par des Armements tels que MAERSK
LINE/SAFMARINE, CMA CGM/DELMAS et MSC pour le trafic transocéanique et
NILEDUTCH ou PIL pour le feedering interafricain. Le feeder est un navire de petite
taille qui distribue les conteneurs dans les ports de la sous-région à partir d’un hub.

PIL (Pacific International Line) s’occupe souvent de la distribution des conteneurs vers
l’Afrique de l’Ouest à partir du hub de Durban ou Cape-Town. De même aussi, PIL
récupère tous les conteneurs de la RD Congo à Pointe-Noire et les amène à Matadi.

1. LES TERMINAUX

Ne pouvant pas donner les détails de tous les ports d’Afrique dans cet article, nous allons
nous limiter aux ports et terminaux Africains de premier plan.

Le port de Dakar est doté d’un terminal à conteneurs exploité depuis 2008 par l’operateur
DP WORLD. La durée de la concession est 25 ans, d’après le rapport MLTC/CATRAM
du 15/01/2013. En 2011, le terminal a manipulé 415 592 EVP en import et export. Le quai
a une longueur de 660 m et 2 postes d’accostage y sont prévus avec 4 portiques. Le
Tirant d’eau maximum admissible est de 11,5 m.

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Le port d’Abidjan évolue avec un terminal à conteneurs opéré par SETV (filiale de
BOLORE-APMT, le groupe BOLORE étant aussi la « maison mère » de CMA CGM). La
durée de la concession est de 30 ans. Sur les 960 m de quai sont prévus 5 postes
d’accostage et 4 portiques. Le Tirant d’eau est de 11,5 m. Abidjan est le hub naturel de
CMA-CGM.

Un deuxième terminal à conteneurs est actuellement en construction et c’est MAERSK


qui s’est vu attribuer la concession dont les travaux devraient être terminés en 2016 pour
un investissement de 500 million USD.

Le même MAERSK devrait, sauf surprise, remporter la concession du terminal de


Badagry au Nigeria dont le cout de construction tournerait autour de 2 milliard USD.

Le port de TEMA au Ghana dispose d’un terminal conteneurs opéré par MPS (Meridian
Port Services), un JV entre BOLLORE (CMA CGM) à hauteur de 35%, APMT 35% et
GPHA (l’autorité portuaire du port de Tema) à hauteur de 30%. La durée de la concession
est de 20 ans à partir de 2004. Le quai de 575 m de long est doté de 2 postes
d’accostage servis par 4 grues portiques. Le Tirant d’eau maximum est de 11,5 m.

Le Ghana est en plein boom économique. C’est cela qui explique qu’en 2011, le terminal
conteneurs a manipulé près de 750 000 EVP. Ce chiffre avoisinerait actuellement le
million.

Watch Video At:

https://youtu.be/b6G1j4N1fnk

Le port de LOME a manipulé en 2011 un total de 350 000 EVP. Il dispose d’un terminal
conteneurs de 500 m de longueur de quai, opéré par BOLLORE (CMA CGM) avec une
durée de concession de 35 ans depuis 2010. Sur la darse LCT (Lome Container
Terminal) de 400 m de long, la gestion est plutôt assurée par MSC qui a remportée la
concession et qui y a investi 400 millions Euros.

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Au Congo-Brazza, le port de Pointe-Noire dispose d’un terminal conteneurs exploité par
BOLORE (CMA CGM). C’est donc normal que Pointe-Noire constitue un hub pour CMA
CGM. Les conteneurs destinés à la RDC (Matadi) sont de plus en plus débarqués à
Pointe-Noire pour être acheminés par feeder à Matadi. PIL tire profit de ce trafic car il
aligne ses feeders sur la ligne exclusive Pointe Noire – Matadi.

Avec l’érection prochaine du pont route/rail KINSHASA-BRAZZA, le trafic des conteneurs


de la RD Congo via Matadi risque simplement de disparaitre car le coût du tronçon routier
POINTE NOIRE-BRAZZA-KINSHASA devrait être plus compétitif que la navigation des
PC sur le bief maritime jusqu’à Matadi. Le manque d’infrastructures appropriées au port
de Matadi et le coût/risque excessif de la route Matadi-Kinshasa devraient faire pencher
la balance au profit de Pointe-Noire. A moins que les autorités de la RD Congo relancent
simultanément les projets de construction d’un port en eau profonde à Banana et la
construction de la route BANANA-MATADI afin de faire jonction avec la route existante
MATADI-KINSHASA.

CONCLUSION

Corridor de Bolloré en Afrique de l’Ouest

La conteneurisation poursuivra son chemin et c’est à l’Afrique de faire des efforts pour se
mettre à la hauteur des enjeux, au risque de voir le trafic maritime engendré par son
économie profitée plus aux géants et multinationales qu’a ses fils.

En bradant ses concessions, l’Afrique devrait aussi garder certaines pour une exploitation
locale en s’efforçant d’atteindre le standard international. Il y a lieu de former les futurs
cadres dans la logistique afin de comprendre d’abord les enjeux de la conteneurisation et
d’y donner après des réponses appropriées.

La bonne maîtrise des paramètres du transport multimodal permet un développement


rapide des structures économiques d’un pays (routes, chemins de fer, voies d’eau
intérieures, ports, etc…). Avec un taux de croissance bientôt à 2 chiffres, l’Afrique devra
donc ouvrir l’œil, le bon, pour ne pas rater ce décollage…

7/8
Capt Gabriel
MUKUNDA SIMBWA,
Expert Maritime

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