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G.W.V.

Leibniz
Correspondance Leibniz-Clarke
Paris, Puf, 1957 (éd. A. Robinet)

Cinquième écrit (août 1716), §24

Les corps simples, et même les parfaitement similaires, sont une suite de la fausse position
du vide et des atomes, ou d’ailleurs de la philosophie paresseuse, qui ne pousse pas assez
l’analyse des choses, et s’imagine de pouvoir parvenir aux premiers éléments corporels de
la nature, parce que cela contenterait notre imagination.

Quatrième écrit. Apostille (12 mai 1716)

Tous ceux qui sont pour le vide se laissent plus mener par l’imagination que par la raison.
Quand j’étais jeune garçon, je donnai aussi dans le vide et dans les atomes ; mais la raison me
ramena. L’imagination était riante. On borne là ses recherches : on fixe sa méditation connue
avec un clou ; on croit avoir trouvé les premiers éléments, un non plus ultra. Nous voudrions
que la nature n’allât pas plus loin, qu’elle fût finie comme notre esprit ; mais ce n’est point
connaître la grandeur et la majesté de l’Auteur des choses. Le moindre corpuscule est
actuellement subdivisé à l’infini, et contient un monde de nouvelles créatures, dont l’univers
manquerait, si ce corpuscule était un atome, c’est-à-dire un corps tout d’une pièce sans
subdivision. Tout de même, vouloir du vide dans la nature, c’est attribuer à Dieu une
production très imparfaite ; c’est violer le grand principe de la nécessité d’une raison
suffisante, que bien des gens ont eu dans la bouche, mais dont ils n’ont point connu la force,
comme j’ai montré dernièrement en faisant voir par ce principe que l’espace n’est qu’un
ordre des-choses, comme le temps, et nullement un être absolu. Sans parler de plusieurs
autres raisons contre le vide et les atomes, voici celles que je prends de la perfection de Dieu
et de la raison suffisante. Je pose que toute perfection que Dieu a pu mettre dans les choses,
sans déroger aux autres perfections qui y sont, y a été mise. Or, figurons-nous un espace
entièrement [quelque petit qu’il soit] vide, Dieu y pouvait mettre quelque matière, sans
déroger en rien à toutes les autres choses : donc il l’y a mise : donc il n’y a point d’espace
entièrement vide [quelque petit qu’il soit] : donc tout est plein. Le même raisonnement
prouve qu’il n’y a point de corpuscule qui ne soit subdivisé. Voici encore l’autre raisonnement
pris de la nécessité d’une raison suffisante. Il n’est point possible qu’il y ait un principe de
déterminer la proportion de la matière, ou du rempli au vide, ou du vide au plein. On dira
peut-être que l’un doit être égal à l’autre ; mais comme la matière est plus parfaite que le
vide, la raison veut qu’on observe la proportion géométrique, et qu’il y ait d’autant plus de
plein qu’il mérite d’être préféré. Mais ainsi il n’y aura point de vide du tout ; car la perfection
de la matière est à celle du vide, comme quelque chose à rien. Il en est de même des atomes.
Quelle raison peut-on assigner de borner la nature dans le progrès de la subdivision ? Fictions
purement arbitraires, et indignes de la vraie philosophie. Les raisons qu’on allègue pour le
vide ne sont que des sophistes.

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