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i

REMERCIEMENTS

Au seuil de cette étude, nous sommes pétri de reconnaissance en-


vers tous ceux qui nous ont, d’une façon ou d’une autre, apporté leur inesti-
mable concours dans sa réalisation.

Nous adressons nos sincères remerciements au Professeur


Faustin MULAMBU MVULUYA, Directeur de cette dissertation. A lui, nous joi-
gnons nos Co-directeurs, les Professeurs Alphonse KAZUMBA TSHITEYA et
Jean-Pierre LOTOY ILANGO-BANGA.

Nous remercions aussi les Professeurs Laura Grace, David Bar-


tram, James Hamill de l’Université de Leicester en Grande Bretagne ;
Eric KAZEKELE MBELE Eric, Godé ATSHWEL-OKEL MUNTUNGI, Emma-
nuel KASONGO MUNGONGO, Célestin MUSAO KALOMBO MBUYU de
l’Université de Kinshasa, le Chef de Travaux Deschamps TEHAMBA, pour leur
soutien sans failles, notre famille ainsi que nos autres amis et collègues qui ont
toujours reconnu nos efforts scientifiques.

Patience KAMANDA LONDO


ii

ABSTRAIT

Cette étude concerne les interventions humanitaires post-guerre


froide en Afrique face à l’impératif de la reconstruction des Etats fragiles et
plus particulièrement en République démocratique du Congo.

Nous analysons les raisons pour lesquelles la Mission des Nations


Unies pour la stabilisation du Congo a échoué, c’est-à-dire qu’elle ne parvient
pas à aider la RDC à mettre en place les institutions étatiques stables et légi-
times pour éviter que cette dernière ne puisse retomber dans la situation pré-
intervention.

Si de manière générale, les échecs des missions humanitaires sont


plus liés aux intérêts divergents et contradictoires de ceux qui doivent imposer la
paix entre eux d’une part et d’autre part avec le pays concerné ; à l’inadaptation
de ces accords de paix à la réalité de chacun des Etats ou encore par le fait que
les missions d’interventions veulent achever un rêve impossible en essayant
d’implanter en quelques années seulement ce qu’a pris des années entières aux
pays occidentaux et cela dans des conditions défavorables. Plus important en-
core, tous les efforts de l’ONU se concentrent à la résolution des conflits aux
seuls niveaux régional et national (Top down approche), faisant de l’organisation
des élections le point final du processus d’intervention.

Cette étude par contre, met en évidence les raisons de ces échecs :
Les agendas locaux au niveau individuel, de la famille, du clan, de l’ethnie, de
la municipalité, du territoire, du district, de la province, de la communauté
…qui sont une des causes principale de la fragilité des Etats.

Ce travail insiste sur le fait que, la reconstruction de l’Etat en


RDC est principalement une affaire des congolais. La communauté internatio-
nale ne peut que nous accompagner dans cette démarche. Ainsi, pour résoudre
la crise endémique de l’Etat ; la RDC et la communauté internationale doivent
intégrer les deux approches développées dans ce travail (National et Local).
Cette démarche tiendra en plus compte de la reforme en profondeur de l’Etat
iii

notamment du changement du régime politique actuel et du transfert des pou-


voirs de Kinshasa vers les provinces, du renforcement des compétences des pou-
voirs locaux et régionaux. Un gouvernement central devra être maintenu, mais
ses fonctions doivent être strictement limitées dans sa portée et ses institutions
en nombre. Au même moment, la RDC doit naviguer dans le concert des nations,
améliorant sa gouvernance interne, jouissant d’une réelle influence internatio-
nale. Elle doit encourager et développer les éléments de la puissance nationale ;
à savoir : l’armée, l’économie, l’alimentation… ainsi que les éléments de la
puissance douce.

Bien au-delà, du Congo ou/ et de l’Afrique, l’étude considère que


dans certains endroits, il existe des peuples qui pour diverses raisons ne peuvent
plus vivre au sein d’un même Etat-nation hérité de la colonisation. Dans ces en-
droits là, il y a lieu d’imaginer au cas par cas, soit la balkanisation, soit le pro-
tectorat soit encore d’autres formes d’organisations politiques.

Dans le cadre de ce travail, le concept d’Etat fragile apparait utile


non pas seulement dans son caractère opératoire, mais surtout pour les ques-
tions qu’il suscite quant à la recherche de ce qui pourrait constituer les causes
de la fragilité des Etats et les moyens de les surmonter.
iv

LISTE DES ABREVIATIONS

 ADF : The Allied Democratic Forces (Forces Démocratiques Alliées)


 AFDL : Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération
 ALIR : Alliance pour la libération du Rwanda
 AMISOM : Mission de l'Union Africaine en Somalie
 ANC : Armée Nationale Congolaise
 APR : Armée Patriotique Rwandaise
 AQMI : Al Qa'ida dans le Maghreb islamique
 ASEAN : Association des Nations de L’Asie du Sud-est
 CEDEAO : Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest
 CEPGL : Communauté économique des pays des Grands Lacs
 CIA : Central Intelligence Agency (Agence Centrale d’Intelligence)
 CISSE : Commission internationale de l'ONU sur la sécurité et la
Souveraineté des États
 CNDP : Congres National pour la Défense du Peuple
 CNRT : Conseil National de la Resistance du Timor
 CNS : Conférence Nationale Souveraine
 CPI : Cours Pénale Internationale
 DFID : Départent for International Develpment (Département du
Développement international)
 FAC : Forces Armées Congolaises
 FAR : Forces Armées Rwandaises
 FARDC : Forces Armées de la République Démocratique du Congo
 FDD : Forces pour la Défense de la Démocratie
 FMI : Fonds Monétaires Internationales
 FNL : Front National de libération
 FNLA : Front National pour la Libération de l’Angola
 FPLC : Forces Patriotiques pour la Libération du Congo
 FPR : Front Populaire Rwandais
 FRR : Force Européenne de Réaction Rapide
 HCR : Haut Commissariat des Nations Unies pour les refugiés
 INTERFET : Force Internationale au Timor Oriental
 ISAF : Force Internationale d’Assistance Sécuritaire en Afghanistan
 JUFERI : Jeunesse de l’union des fédéralistes et républicains indépendants
 KDF : Forces de Défenses Kenyanes
v

 KFOR : Kosovo Force


 LICUS : Low income countries Under stress
 LRA : Lord Resistance Army (Armée de Resistance du Seigneur)
 M 23 : Mouvement du 23 Mars
 MINUAR : Mission d'Assistance de Nations Unies pour le Rwanda
 MINUSTAH : la mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti
 MLC : Mouvement de Libération du Congo
 MNLA : Mouvement National pour la libération de l'Azawad
 MONUC : Mission des Nations Unies en République Démocratique du
Congo
 MONUSCO : Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la
Stabilisation du Congo
 MPLA : Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola
 MPR : Mouvement Populaire de la Révolution
 MUJAO : Mouvement pour l'unité et le djihad en Afrique de l'Ouest
 NEPAD : Nouveau Plan de Développement de l’Afrique
 OCDE : Organisation pour la Coopération et le Développement en Europe
 ONG : Organisations non-gouvernementales
 ONU : Organisation des Nations Unies
 ONUC : Opération des Nations Unies au Congo
 ONUCI : Opération des Nations Unies en Cote d’Ivoire
 OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique Nord
 PAM : Programme Alimentaire Mondial
 PECSD : Politique Européenne Commune de Sécurité et de Défense
 PKK : Parti des Travailleurs du Kurdistan
 PNUD : programme des Nations Unies pour le développement
 RCA : République Centrafricaine
 RCD : Rassemblement Congolais pour la Démocratie
 RCD-ML : Rassemblement Congolais pour la Démocratie- Mouvement de
Libération
 RDC : République démocratique du Congo
 RSA : République Sud Africaine
 RUF : Revolutionary United Front (Front Révolutionnaire Uni)
 SADC : Southern African Develpment Community
 SIDA : Syndrome d’Immunodéficience Acquise
 SPLA : Sud Soudan Peuples Libération Army
 SSE : Stratégie de Sécurité Européenne
vi

 SSN : Stratégie de Sécurité Nationale Américaine


 TVA : Taxe sur la Valeur Ajoutée
 UA : Union Africaine
 UDPS : Union pour la Démocratie et le Progrès Social
 UE : Union Européenne
 UFERI : Union des Fédéralistes et Républicains Indépendants
 UNAMIR : Mission d’Assistance des Nations Unies au Rwanda
 UNC : Union pour la Nation Congolaise
 UNITA : Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola
 UNITAET : Administration Transitoire des Nations Unies au Timor Oriental
 UNITAF : United Task Force
 UNMIK : Mission d’Administration Intérimaire des Nations Unies au
Kosovo (MINUK)
 UNMISET : United Nations Mission of Support in East Timor (Mission
d’Appui des Nations Unies au Timor Oriental)
 UNOSOM I : United Nations Operations in Somalia I
 UNOSOM II : United Nations Operations in Somalia II
 UPC : Union des Patriotes Congolais
 UPDF : Force de Défense Du peuple Ougandais
 URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques
 USA : United States of America ( Etats Unis d’Amérique)
 USAID : Agence Américaine de Développement International
 USC : United Somali Congres (Congres Des Somaliens Unis)
 VIH : Virus de l’Immunodéficience Humaine
1

INTRODUCTION GENERALE

1. ETAT DE LA QUESTION

En 2001, la Commission internationale de l'ONU sur la sécurité et


la souveraineté des États a rédigé un rapport intitulé La responsabilité de proté-
ger. Arguant que, les États ont la responsabilité première de protéger leurs ci-
toyens. Cependant, lorsque ces derniers sont incapables de le faire ou quand ils
terrorisent délibérément leurs propres populations, le principe de non-
intervention s'en remet à la responsabilité internationale de protéger. Cela signi-
fie que la communauté internationale a la responsabilité non seulement de réagir
aux crises humanitaires mais aussi de prévenir de telles crises et surtout de trans-
former les États faibles ou fragiles en Etats viables.

Cette revendication de la nouvelle norme d'intervention humanitaire


reste controversée. L'idée d'une norme émergente de l'intervention humanitaire a
tendance à provenir principalement des pays du Nord qui ont la capacité et les
ressources militaires pour intervenir. En revanche, le Sud a exprimé la plus forte
critique de la notion d'intervention humanitaire. La mémoire coloniale de la
formation des Etats du Sud lui fait méfier toute doctrine qui semble légitimer
une nouvelle forme d'interventionnisme du Nord.

L'intervention humanitaire est un phénomène politique dynamique,


son contexte et sa signification changent au fil du temps. Elle sera selon Dann-
reuther1, une nouvelle caractéristique de la période post-guerre froide pour diffé-
rentes raisons :

- dans l'ère post-guerre froide, le risque de guerre majeure entre les


Etats a baissé sensiblement, les principaux défis de sécurité provien-
nent des guerres civiles complexes dans les Etats fragiles, une inter-
vention internationale est de ce fait de plus en plus justifiée comme
réponse aux catastrophes humanitaires créées par ces guerres ;

1 DANNREUTHER, R., International security : The contemporary Agenda ,Polity Press, Cambridge, 2009, pp.146-148.
2

- la fin de la guerre froide a considérablement accéléré l'expansion du


nombre des pays qui adoptent la démocratie libérale comme leur
système politique. Il y a aussi une convergence par rapport au con-
cept des droits humains, une évolution progressive des normes hu-
manitaires universalistes. La fin de la guerre froide a libéré l'ONU
des pesanteurs idéologiques qui jadis minaient son fonctionnement
et a conduit à une explosion du nombre des missions de maintien
de la paix ;

- les attaques du 11 Septembre 2001 sur les Etats-Unis ont considéra-


blement modifié le contexte de l'intervention. D'une part, les évé-
nements ont accéléré la prédilection pour l'intervention unilatérale
énoncée dans la Stratégie de sécurité nationale Américaine de 2002,
à exercer leur droit de légitime défense, en agissant de façon pré-
ventive; d'autre part, les États faibles ou fragiles sont considérés
comme stratégiques et désormais objet d'un défi humanitaire.

Sur le plan théorique, l'approche de la sécurité humaine a interprété


la fin de la guerre froide comme un renforcement et l'apologie de l'internationa-
lisme libéral. L'approche a favorisé l'intervention humanitaire comme test déci-
sif pour le développement progressif d'une solidarité internationale où les reven-
dications de l'humanité remplacent l'égoïsme et l'amoralité d'intérêt stratégique
des Etats. Cette opinion a été contestée par le courant critique de la sécurité in-
ternationale qui a condamné la pratique de l'intervention humanitaire comme un
écran de fumée à quoi recourent les Etats occidentaux pour des objectifs géostra-
tégiques. Enfin, pour des motifs différents, le courant réaliste conteste la ma-
nière avec laquelle l’intérêt de l'État a été sacrifié au profit des normes humani-
taires et met en garde la promotion des doctrines interventionnistes qui peuvent
conduire à l’extension impériale et à l'échec.
3

En dépit de ce qui précède, le monde post- guerre froide a connu un


nombre croissant d’interventions humanitaires. Soulignons cependant que, la
majorité des conflits militaires récents ont été des guerres civiles internes. Nom-
breuses de celles-ci ont pris fin par la négociation des accords de paix entre les
parties. Sévérine Autesserre2 note que 20% des Etats qui ont signé les accords
de paix ont très vite replongé dans la violence et la guerre après quelques années
et même pendant le processus d’implantation de l’accord.

Pour Eduard N. Luttwak « La guerre, aussi tragique qu'elle puisse


être, historiquement a le résultat final de mener à la paix. Cependant, ceci peut
avoir lieu seulement après qu'un côté soit décisivement défait. De telles victoires
décisives ont diminué depuis la deuxième guerre mondiale, pendant que les or-
ganismes tels que les Nations Unies et l'OTAN sont intervenues dans diverses
régions du monde, donnant la possibilité aux belligérants de se réarmer et de
relancer les hostilités»3. Pour lui, les interventions internationales sont inutiles
car tôt ou tard ces pays finissent par replonger dans la guerre. Il propose donc
qu’il faille laisser la guerre continuer son cours normal jusqu'à ce qu’il y aura
victoire finale d’une des parties en conflit.

Comme on vient de le noter précédemment, la majorité des conflits sont


internes aux Etats. Elles opposent les clans, les tribus, les ethnies…ou encore les
communautés au sein des mêmes Etats. Elles sont complexes et quelques fois très
violentes et conduisent à la désintégration même des Etats.

En Somalie, suite au changement global créé par la fin de la guerre


froide et le succès de l’opération Tempête du désert ; les USA désormais unique
superpuissance et l’ONU se retrouvèrent impliqués dans le chaos somalien dont
les forces du célébrissime Général Aïdid, semaient la terreur. Le conseil de sécu-
rité des Nations Unies approuvera trois missions humanitaires à savoir UNO-
SOM I, UNITAF ou Restore Hope et enfin UNISOM II avec pour mis-
2 AUTESSERRE, S., The trouble with the Congo: Local violence and the failure of International Peace building,
Cambridge University press, Cambridge, 2010, p5.
3 LUTTWAK, E.N., « Donnez à la guerre une chance », in Foreign Affairs, 78.4, July-August 1999.
4

sions d’établir et sécuriser l’environnement pour l’aide humanitaire, maintenir le


cessez le feu et conduire un dialogue politique4.

Malheureusement les efforts de construction de l’Etat Somalien


prendront fin le 03 octobre 1993 lorsque dix-huit Rangers Américains ont été
tués et soixante dix-huit blessés. Pendant ce temps, les hommes du général Aïdid
étaient engagés dans des violents combats au sud de Mogadishu.
L’administration Clinton décida de retirer ses forces dans des circonstances
autres que celles de pires humiliations. Clinton déclara : les USA ne supporte-
ront plus jamais une intervention Onusienne sans l’accord préalable des parties
aux conflits…Risquer la vie des soldats américains pour des simples objectifs
humanitaires ne sera plus jamais autorisé5. Plus tard Clinton ajouta : Recons-
truire la Somalie n’était pas notre boulot sauf s’il y a des évidences réelles
d’implications de notre sécurité nationale6.

Depuis Janvier 1991, la Somalie se retrouve sans gouvernement


central. Il est certes vrai que l’intervention internationale a eu le mérite de sau-
ver des vies humaines mais la réalité à ce jour est que les conflits armés y font
rage entre différents groupes, clans et ethnies. Son économie est la plus pauvre
au monde. Le pays a été abandonné dans un désordre sans précédent, pour cer-
tains observateurs, la Somalie est l’un des endroits les plus dangereux au-
jourd’hui dans le monde. Toutefois, un effort de reconstruction est entrain d’être
mis en place au niveau local. Les Régions telles que le Somali land et le Put land
sont entrain de connaitre un essor de développement et commencent à peine à
être sécurisées. Ceci, grâce à la prise de conscience des Somaliens eux-mêmes et
un timide accompagnement de la communauté internationale.

4 LEWIS, I. and MAYALL, J., The new interventionism 1991-1994: UN experience in Cambodia, Yugoslavia and
Somalia, Cambridge University Press, Cambridge, 1996, p.95.
5 WOODS, J.L., “U.S government decision making processes during humanitarian operations in Somalia”, in Clarke. W and

Herbst .J (ed), Learning from Somalia, West view Press, Oxford 2000, p.65.
6 COHEN, W.I., America’s failing empire : US foreign relations since the cold war, Blackwell publishing ,Oxford 2006, p.62.
5

Il y a donc ici lieu de remarquer que l’échec de l’intervention inter-


nationale en Somalie est liée en partie à l’absence de prise en compte des con-
flits locaux opposant les clans majeurs somaliens, notamment entre les Darood,
les Dirs, les Isaqis ainsi que les Hawiyes.

Plus proche de nous au Rwanda, en Aout 1993, un accord de cessez


le feu fut signé pour mettre fin à la guerre civile entre Hutus et Tutsis. Une mis-
sion de l’ONU fut envoyée sur place pour superviser l’accord et apporter de
l’aide humanitaire. Malgré la présence de l’ONU, le président Habyarimana fut
tué le 6 Avril 1994. Il s’ensuivit des violences indescriptibles. Les Hutus com-
mencèrent à massacrer les Tutsis et autres Hutus modérés, plus grave encore ₺ils
arrêtèrent 15 casques bleus, libéreront 5 Ghanéens et tueront 10 Belges7.La suite
nous la connaissons, la mission internationale fut paralysée. Il y aura plusieurs
personnes tuées. Selon le HCR, plus d’un million des personnes traverseront les
frontières Congolaises dont plus d’un seront assassinées suite à la guerre dite de
libération de 1996-97.

Le nouveau pouvoir au Rwanda est parvenu à reconstruire l’Etat


central et à rapatrier les refugiés. Mais la question centrale de répartition de
pouvoir entre les deux principales ethnies n’a pas été résolue. L’organisation des
élections n’a pas réglé cette question centrale car à notre avis comment expli-
quer que la direction du pays soit toujours occupée par l’ethnie minoritaire dans
un pays où les clivages ethniques sont réels et où la population vote principale-
ment par des motivations ethniques ? Le Rwanda reste à ces jours un pays fra-
gile. Le refus de reconnaitre l’existence des conflits locaux et refuser d’y faire
face, va très certainement replonger ce pays dans le chaos.

Un peu plus loin de nous en Yougoslavie, les violences contre les


civils en Bosnie ont montré que le conflit ethnique était entrain de prendre corps.
Les efforts fournis par l’UE et l’ONU de contenir l’animosité entre Serbes et
Croates ont échoué. Seuls Sarajevo et Srebrenica ont été les rares zones où
7 COHEN, W.I., Art.cit, p.62.
6

l’ONU a pu protéger les refugiés contre les violences. Malgré tout, les serbes
repousseront en Juillet 1995 les casques bleus Hollandais et tueront 7,000 Mu-
sulmans. L’OTAN dès lors commença sa campagne de bombardement pour
stopper les massacres, mais hélas le mal était déjà fait. Michael Mandelbaum
qualifiera du reste avec raison l’intervention en Yougoslavie de « perfect fai-
lure » c’est à dire un échec parfait8. De nos jours la Yougoslavie dans sa forme
ancienne n’existe plus. La paix qui y règne est la résultante de la balkanisation
de cet ancien Etat soviétique en plusieurs entités indépendantes.

Retenons de ces trois exemples que trois différentes approches ont


été appliquées pour reconstruire ces Etats : la Somalie, bien que toujours en
grande difficulté essaye de s’en sortir par l’approche par le bas (Botton-up) en
renforçant plus les pouvoirs au niveau local qui, on vient de le voir ne résolvent
encore rien de la question du gouvernement central. Le Rwanda quant à lui a
choisi l’approche contraire dite par le haut (Top-down). Cette approche non
plus, n’a pas résolu les véritables causes pour lesquelles les massacres des an-
nées 1990 avaient eu lieu à savoir la détention du pouvoir par un seul groupe
ethnique. Quant à la Yougoslavie, elle a choisi une toute autre approche encore,
la balkanisation du pays.

Ces illustrations montrent que l’échec de la communauté internatio-


nale à construire la paix et la sécurité au Congo n’est pas unique. Comprendre
les causes de ces échecs est plus complexe que le seul exercice académique.

De manière générale, deux explications sont avancées : Primo,


l’ONU doit uniquement se réserver à rétablir la paix et non s’impliquer dans des
questions économiques, politiques ou encore sécuritaires de l’Etat concerné. Se-
cundo, les échecs sont plus liés aux intérêts divergents et contradictoires de ceux
qui doivent imposer la paix entre eux d’une part et d’autre part avec le pays con-
cerné. Pour l’ancien secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, beaucoup
d’Etats qui sont sortis de la guerre, sont vite replongés dans les conflits après cinq
8 MANDELBAUM, M., “A perfect failure- Nato’s war Against Yugoslavia”, in Foreign Affairs, 78.5, Sept-Oct 1999.
7

ans. Il remet en question les plans de paix mis en place par l’ONU dans ces pays
en faisant notamment référence à l’Angola, au Congo, à l’Haïti, au Liberia et le
Rwanda…Pour lui « les conséquences tragiques de l’inadaptation de ces accords
de paix à la réalité de chacun des Etats reste la cause fondamentale de la reprise
des conflits armés…si les choses étaient faites de manière différente, on aurait du
prévenir la mort des millions des personnes en Angola et au Rwanda»9.

Plusieurs autres explications sont avancées pour rendre compte de


l’échec des opérations humanitaires. Peut être la plus simple de toutes est que les
missions d’interventions veulent achever un rêve impossible en essayant
d’implanter en quelques années seulement ce qu’a pris des années entières aux
pays occidentaux et cela dans des conditions défavorables10.

Pour Doyle et Sambanis11, les opérations humanitaires sont confron-


tées à des conditions difficiles de travail, comprenant le manque d’infrastructures,
un niveau élevé de destruction de la société entière suite à la guerre ; les violences
continuelles ainsi qu’un support minimal de la part des donneurs ainsi que des bé-
néficiaires.

Cette étude par contre, met en évidence les raisons de ces échecs :
Les agendas locaux au niveau individuel, de la famille, du clan, de l’ethnie, de
la municipalité, du territoire, et du district…qui sont une des causes principale
de la fragilité des Etats.

Pour exemple, dans l’île de Malang en Indonésie entre 1999 et


2000, les conflits politiques locaux, l’agenda économique local ainsi que
l’agenda ethnique ont constamment paralysé les efforts du gouvernement de Ja-
karta de mettre fin aux deux années de violence intercommunautaires. De même

9 K. ANNAN cité par THALIF DEEN, “UN Chief Warns of Collapsing Peace Agreements”, United Nations Inter Press
Service, July 20, 2005.
10 S. Chesterman, You, the people: The United Nations, Transitional Administration, and State building, Oxford, Oxford

University Press, 2004, p.20.


11 M. Doyle and N. Sambanis, Making War and Building Peace. United Nations Peace Operations, Princeton, Princeton

University press, 2006, p.37.


8

au Burundi les disputes relatives à la propriété foncière ainsi que les antago-
nismes entre et au sein des groupes ethniques ont fragilisé la transition et le pro-
cessus démocratique entre 2001 et 2009.

Pendant la transition démocratique en Afghanistan entre 2002 et


2003, les observateurs ont relevé que l’interaction des tensions locales et régionales
ont été les causes principales de la production de la violence au niveau national.

En Irak, après l’invasion du pays en 2003 par la coalition anglo-


américaine suivie de la chute de Saddam Hussein, les américains installèrent un
gouverneur intérimaire au pouvoir. Peu après, ils organiseront les élections et un
premier ministre Chiite, Maliki deviendra l’homme fort du pays. Cependant, les
antagonismes locaux notamment entre sunnites et chiites vont terriblement re-
plonger le pays dans le chaos jusqu’à favoriser l’émergence d’un groupe extré-
miste, L’état islamique en Irak et au levant ayant pour objectif de créer un califat
de la Syrie jusqu’en Irak, et invitant les musulmans du monde entier d’aller y
vivre. On peut donc remarquer que les conflits communautaires entre sunnites et
chiites d’une part, mais aussi contre les kurdes sont à la base de la déstabilisa-
tion de l’Irak post intervention Américaine.

En Lybie, dans la foulée du printemps arabe, la France et la Grande


Bretagne interviendront pour créer un « no Fly zone ». Théoriquement, pour
empêcher au colonel Kadhafi de recourir à ses avions de chasse pour attaquer les
civils. Ce dernier sera chassé du pouvoir et tué. Cependant, la période post-
intervention est la plus chaotique dans l’histoire de la Lybie. Les conflits tribaux
font surface et les milices portent une identité tribale. La communauté interna-
tionale devient incapable de faire face à cette violence. La situation libyenne
montre une fois de plus comment la non résolution des conflits locaux affecte
tout effort de paix et de stabilisation rendant ainsi fragile l’Etat et la société li-
byenne dans son ensemble.
9

Nous pouvons multiplier les exemples avec le Mali entre le sud et le


nord notamment Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad. Les
conflits communautaires récents en République Centrafricaine opposant les
Seleka de la communauté musulmane ainsi que les Anti Balaka, chrétiens.

Que dire du Congo, lorsque les tensions entre les autochtones à


l’Est du pays et les Congolais d’origine rwandaise constituent pour certains une
de causes de l’invasion Rwandaise en RDC. Ces conflits liés aux questions fon-
cières, économiques, au pouvoir politique entre villages et surtout entre autoch-
tones et immigrants se sont escaladés au niveau national. Ces conflits causeront
des violences massives bien avant les guerres des années 1990 et 2000. Les ten-
sions locales dans le Kivu se sont transportées sur le plan régional et national.

De manière générale, pendant la transition politique au Congo et


après les élections de 2006, la communauté internationale a réussi à imposer la
paix et la sécurité au niveau national, mais elle a échoué de faire pareil au ni-
veau subnational notamment dans l’Est du pays où les rivalités locales ont lar-
gement contribué à produire de la violence. Ces agendas locaux ont opposé des
villages entiers, des chefs traditionnels, des leaders ethniques contre les uns et
les autres autour des questions de propriétés terriennes, exploitations minières,
de nomination au niveau du pouvoir administratif local, du pouvoir traditionnel
ainsi que de la collecte des impôts.

Les politiciens Congolais et étrangers ont continué à instrumentali-


ser ces rivalités, manipulant les leaders locaux et milices pour défendre leurs
propres causes. La situation Congolaise est représentative de l’ensemble dans le
monde, les Nations Unies et d’autres humanitaires en général ont toujours négli-
gé de résoudre les causes locales de violence, diminuant ainsi les chances de ré-
ussite des accords de paix.
10

2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES

La déliquescence des Etats, la déstructuration des Etats, la dé-


construction des Etats, la faillite des Etas ne sont pas que caractéristiques de la
RDC. Elle peut bien s’observer en Europe, en Asie et bien entendu partout dans
le monde. Cependant l’effort de construction ou de reconstruction de ces der-
niers est un processus difficile, impliquant différents acteurs, nationaux et inter-
nationaux et qui exige temps et patience.

Le problème majeur de cette étude est d’expliquer le phénomène


d’intervention humanitaire en co-relation avec la construction ou mieux la re-
construction des Etats. Nous cherchons à comprendre pourquoi certains Etats
surtout ceux du Nord cherchent-ils à intervenir dans d’autres Etats. Nous es-
sayons de cette façon de ressortir les causes et les motivations de ces interven-
tions.

En rapport avec la RDC, cette étude va évaluer l'effort réalisé par


la Monusco en vue de faciliter la reconstruction de l’Etat Congolais. Nous ré-
pondrons aux questions suivantes : L'intervention de l'ONU en RDC est elle jus-
tifiée? Est-elle un succès ou un échec? Quelles sont les épreuves, les dilemmes
et les défis auxquels elle reste confrontée ? Enfin et plus important encore,
comment reconstruire le nouvel Etat congolais ?

Il n’y a pas des réponses faciles à ces questions car il est impossible
de répéter l'histoire avec un scénario de non-intervention et de là, avoir une
meilleure idée de ce qu’aurait été l'avenir de la RDC. Nous ferons valoir qu'il
existe des données empiriques qui suggèrent les réussites et les échecs. En gé-
néral, l'ONU a échoué à atteindre ses objectifs : construire la paix et un nouvel
Etat en RDC.

Dans l'ère post- guerre froide, des super puissances ont des intérêts
divers en Afrique : économiques, contrats d'armement avec les pays africains,
exploitations des matières premières…plus largement encore, les pays qui déci-
dent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU vont préférer la situation de chaos
11

que de stabilité pour mieux exploiter l’Afrique dès lors que celle-ci ne menace
pas encore leur propre sécurité nationale. Le manque de volonté politique, l'ab-
sence d'intérêts nationaux, les Etats majeurs ne sont pas disposés à accepter les
risques et de fournir des ressources adéquates pour des réponses efficaces.

Plus largement encore, la Monusco a construit toute sa stratégie de


reconstruction de l’Etat aux seuls niveaux national et régional. Elle a considéré
l’organisation des élections comme le mécanisme principal de construction
Etatique en négligeant les autres aspects de résolution des conflits. De ce fait, la
résolution des conflits locaux est considérée comme négligeable. L’idée de
s’impliquer dans les conflits locaux s’oppose avec la culture et les intérêts des
Nations Unies. Enfin, la Monusco a été confrontée à une série de dilemmes et
contraintes qui ont rendu quasi impossible la réalisation des challenges de re-
construction étatique en République Démocratique du Congo.

Malgré la présence de la MONUSCO, jusqu'à quatorze armées


étrangères ont combattu activement sur le territoire congolais. Ces combats ont
entraîné la division du pays en cinq grands ensembles. Par ailleurs, la guerre a
traumatisé la population par les morts violentes, les femmes et les enfants en
particulier ont fait l'objet de violences sexuelles à plusieurs reprises sans protec-
tion de la MONUSCO. Dans la quête de sa sécurité, la population abandonna
maisons et autres biens matériels derrière elle.

Après les élections générales de 2006, le président Joseph Kabila a


été élu. Si la situation dans de nombreuses régions du pays s’est améliorée, le
pays dans son ensemble est resté très instable: des affrontements entre différents
groupes armés et milices, les massacres de civils, les déplacements massifs de
population, les violations des droits humains y compris les violences sexuelles
ont persisté dans l'Est du Congo.

En décembre 2011, d’autres élections générales ont étés organisées.


Ces dernières ont été émaillées des contestations jamais vues dans toute
12

l’histoire politique du Congo. La Monuc qui entretemps était devenue Monusco


(mission des nations unies pour la stabilisation du Congo) déclarera à la sur-
prise générale n’avoir pas reçu mandat de certifier les résultats des élections. On
peut dès lors s’interroger, en quoi consiste sa mission de stabilisation si elle ne
peut même pas aider le Congo à disposer des institutions légitimes ?

Cette dissertation fournira un aperçu des dilemmes et des défis


principaux de l'intervention humanitaire dans la période post-guerre froide. Une
attention particulière portera sur le débat très animé mais internationalement
controversé sur la nécessité ou non de l'intervention humanitaire.

En effet, à la suite du génocide rwandais qui a mis en évidence les


conséquences terribles de l’inaction internationale et le conflit au Kosovo qui a
soulevé des questions sur les conséquences de l’action sans consensus interna-
tional c’est-a-dire sans l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU, la com-
munauté internationale est désormais soumise à un dilemme : d’un coté est il
permissible de laisser continuer les violations systématiques des droits de
l’homme avec ses conséquences humanitaires comme présentement en Syrie ou
alors intervenir pour mettre fin à ses violations des droits humains avec ou sans
autorisation du Conseil de Sécurité des Nations Unies dans le cadre des organi-
sations sous-régionales ou d’une coalition des Etats volontaires.

En rapport avec les challenges à relever et suite aux interventions


en Afghanistan et en Irak, outre apporter l’aide alimentaire et changer le régime
là où c’est nécessaire, le challenge le plus important est celui de reconstruire
l’Etat pour éviter que ce dernier ne puisse de nouveau replonger dans la situa-
tion pré-intervention.

Nous fournirons le contexte de fond de cette analyse, exposant les ra-


cines historiques plus profondes de la prolifération des guerres civiles complexes
dans les États fragiles, et l'augmentation correspondante de la demande d'une inter-
vention extérieure pour faire face aux crises humanitaires résultantes. L’étude re-
13

connaît que le contexte d'intervention a changé après la guerre froide. Mais, elle
soutient qu'une bonne compréhension de la nature de ce changement a été compli-
qué par le décalage entre le discours normatif pour l'intervention humanitaire et la
réalité empirique sur les interventions partielles et sélectives qui ont eu un bilan mi-
tigé dans la résolution des multiples crises humanitaires. Cette réalité, souligne la
façon dont l'environnement plus permissif de l’ère post- guerre froide de l'inter-
vention a certainement renforcé l'élan humanitaire, à contrario cet élan a été
contrebalancé par la contrainte anti-interventionniste justifiée par les intérêts
stratégiques des uns et des autres dans certaines parties du monde où des telles
crises humanitaires se déroulent. Le cas Syrien est un exemple intéressant.

L'intervention est donc le mieux analytiquement séparée de la


sphère de l'humanitaire apolitique, et placée dans le domaine plus traditionnel de
la politique, où les décisions sur l'intervention militaire doivent être constam-
ment interprétées comme étant essentiellement des actes politiques et où les mo-
tifs stratégiques et humanitaires sont inévitablement liés. On peut donc se de-
mander si une norme d'intervention humanitaire apolitique a émergé, ou plutôt
si la pratique internationale depuis la fin de la guerre froide a ouvert un espace
plus grand pour faciliter la réussite de l’intervention humanitaire aux côtés des
justifications stratégiques.

Les données empiriques sont mixtes, avec des réussites et des


échecs assez équitablement répartis. Par ailleurs, des jugements définitifs sont
compliqués à avancer car la reconnaissance du critère de réussite ne peut pas
être limitée à l'acte militaire immédiat, elle est dépendante du défi à long terme
de développement, de reconstruction des Etats où l'effondrement de l'ordre so-
ciétal et de la fragmentation d'Etat sont normalement les principales causes de
l'intervention en premier lieu.

La reconnaissance croissante que la déliquescence de l'État est en


soi un facteur contribuant à l’insécurité internationale est de plus en plus répan-
due parmi les décideurs, leur imposant ainsi l’obligation plus large de recons-
14

truction de L’Etat. Mais les difficultés de ces objectifs ambitieux de reconstruc-


tion étatique efficace en dépit des contraintes stratégiques, de l'inattention du
Nord et la vigueur persistante des normes anti-impérialistes indiquent également
que les dilemmes et les ambiguïtés de l'intervention ne vont pas disparaître.

La RDC a toujours été un Etat fragile. Elle a souffert d'insécurité con-


sidérable depuis sa fondation. A l'indépendance en 1960, le Congo a été mal prépa-
ré pour devenir un Etat viable ; avec les institutions étatiques sous-développées,
l'insuffisance des infrastructures, une base économique fragile et avec seulement
peu de diplômés universitaires pour remplir la fonction publique.

Récemment encore, la RDC a existé comme un Etat en faillite avec


des seigneurs de guerre divers, les entrepreneurs étrangers engagés dans des pil-
lages à grande échelle, le commerce et la monopolisation des exploitations des
minerais. Pour l'ONU la compétition pour les ressources naturelles est la dyna-
mique principale qui a façonné la guerre en RDC. Il est estimé que la concur-
rence internationale pour les ressources congolaises a prolongé la guerre et a fa-
çonné des stratégies de pouvoir menée par différents belligérants.

L'histoire montre que depuis le premier contact avec les puissances


européennes spécifiquement la Belgique, la RDC a été considérée comme une
source inépuisable d'objets de valeur, le caoutchouc, le cuivre, le cobalt, les
diamants, l’or, le bois, le coltan, l'uranium et d'autres. L'extraction de ces res-
sources a été accompagnée par un degré terrifiant de violence directe ou indi-
recte. On estime que pendant les quarante premières années de pillage impi-
toyable du roi Léopold II, dix millions de Congolais sont morts dans le proces-
sus de récolte du latex et la construction du chemin de fer Matadi-
Léopoldville12.

De nos jours, le peuple congolais continue à considérer le processus


de paix et la présence des Casques bleus comme suspect, contenant des inten-
12 De Vangroenweche, Du sang sur les lianes, Collection grands documents, Didier Hatier, 1986.
15

tions cachées. Pour les congolais, l'exploitation des ressources naturelles de la


RDC est la principale cause de la guerre et l'insécurité dans l'Est du pays.

Comment relever le défi de la reconstruction de l’Etat en RDC ?


La responsabilité de construire un Etat fort revient aux congolais eux-mêmes.
Une des raisons justificatives de la faiblesse des institutions étatiques en RDC a
été leur manque de légitimité. Les dirigeants politiques et les représentants de
l'Etat doivent rendre compte au public et développer une vision nationaliste qui
met l’intérêt général au dessus des intérêts privés.

Pour aggraver les choses, les erreurs du passé sont constamment répé-
tées par la communauté internationale en traitant les problèmes Congolais qu’aux
seuls niveaux nationaux et régionaux. Une approche sans imagination, sans esprit
critique, et un modèle axé sur le renforcement de l'État central. La RDC pour ré-
soudre la crise endémique de l’Etat, devrait intégrer les deux approches « Top-
down et Bottom-up ». Celle-ci tiendrait en plus compte du changement du régime
politique actuel et du transfert des pouvoirs de Kinshasa vers les provinces, du ren-
forcement des compétences des pouvoirs locaux et régionaux.

La communauté internationale devrait abandonner ses tentatives


d'imposer un modèle d'Etat de haut en bas, centralisé et profondément artificiel
et de commencer à travailler avec les pouvoirs locaux et régionaux, les seuls vé-
ritablement proches des populations, connaissant leurs problèmes et pouvant
donc mieux y répondre. La communauté internationale en travaillant directe-
ment avec les villages, les territoires et les régions, les aidant à construire une
série de gouvernements régionaux désormais calqués sur ceux opérant par
exemple dans le Somali land et le Punt land Somalien. Ces entités pourraient, si
on leur donne un certain soutien international, servir leurs populations au jour le
jour dans le secteur de l’éducation, en soins de santé, dans la police, et à ré-
soudre les différends d'affaires et de famille. Les gouvernements régionaux
pourraient aussi acquérir une légitimité populaire indispensable si elles intègrent
des formes coutumières de gouvernance, faisant entrer dans la chambre haute
16

des anciens et enfin utiliser là où c’est possible, des bases traditionnelles de ré-
solution des litiges.

Un gouvernement central devrait être maintenu, mais ses fonctions


doivent être strictement limitées dans sa portée et ses institutions en nombre. Le
gouvernement central devrait, par exemple gérer une monnaie commune, une ar-
mée nationale et une police. Il devra offrir une structure pour la négociation des re-
présentants des régions à travailler ensemble pour parvenir à un consensus sur les
grandes questions de politique étrangère et des projets nationaux d'infrastructure.
Sur le plan de la fiscalité, il devra percevoir que les seuls revenus de la banque
centrale y compris la TVA. Les autres impôts relevant de la compétence exclu-
sive des pouvoirs locaux et régionaux. Il faut une véritable réforme de la fiscali-
té nationale. L'aide étrangère à l'État central devrait se concentrer sur le soutien
de ces quelques institutions, et non pas sur la construction d'une bureaucratie des
fonctionnaires couteux et inutiles.

La grande majorité de l'aide internationale, cependant, doit être


adressée à l'échelle locale, où les chances de faire avancer la paix et les béné-
fices du développement sont susceptibles d'être les plus grands. Cette assistance
pourrait être conditionnée à l'engagement de chaque gouvernement régional
pour gérer l'aide extérieure de manière transparente et sa volonté de promouvoir
la démocratie et le développement.

Ce serait, entre autres choses, donner aux donateurs plus


d'influences sur les groupes qui en réalité contrôlent les plus du territoire du
pays et aider à prévenir toute rechute sur les progrès déjà réalisés, comme cela
s'est produit dans une certaine mesure dans le Somali land.

Cette structure « fédérale » serait distinctive, mais pas totalement


sans précédent dans l’histoire. Par exemple, à certains égards, elle ressemblerait
aux autres Etats ayant choisis soit la confédération, la fédération ou la dévolu-
tion pour maintenir la paix et la coopération entre les différentes entités.
17

Cette approche n'est pas sans défis car les congolais eux-mêmes sont
divisés entre les unitaristes qui veulent une approche plus centralisée et les fédéra-
listes à la recherche d'une autonomie régionale significative. . Une solution fédé-
rale est également opposée au motif que seul un gouvernement central fort sera en
mesure d'empêcher non seulement la balkanisation du pays, mais aussi les pays
frontaliers de s'ingérer dans les affaires internes de la RDC. De maintenir la paix
entre les régions concurrentes, et de promouvoir le développement économique
national et du bien- être. Hélas, toute l’histoire politique de la RDC basée sur le
modèle central de l’Etat a produit des résultats très forts décevants.
Au même moment, la RDC doit continuer à naviguer dans le concert des na-
tions, améliorant sa gouvernance interne, jouissant d’une réelle influence inter-
nationale. Elle doit développer l’élément final de la souveraineté Westphalienne,
la capacité de se défendre seul contre les attaques externes.

En outre, la RDC doit développer ce que Joseph Nye appelle le


« soft power13 » c’est-à-dire la puissance douce ; qui est pour Pascal Boniface″
une forme indirecte, mais extrêmement efficace, d’exercice de la puissance ; le
Soft power se distingue du Hard Power, une nation doit disposer des deux pour
affirmer sa puissance14.

3. INTERET ET OBJECTIF DU TRAVAIL

Ayant constaté une carence de recherche en rapport avec


l’intervention humanitaire et la reconstruction de l’Etat en RDC, nous avons ju-
gé utile d’aborder ce thème de recherche. Ce travail présente un intérêt direct car
le thème est non seulement contemporain à la réalité du monde comme nous
l’avons précédemment souligné ; l’intervention humanitaire reste le futur même
des relations internationales et un élément constitutif de la politique étrangère
dans un monde en pleine transformation depuis la fin de la guerre froide.

13 NYE, J., “The decline of America’s Soft Power”, in Foreign Affairs, May/June 2004.
14 BONIFACE, P., La géopolitique : Les relations internationales, Eyrolles, Paris, 2011, p.146.
18

Samuel P. Huntington note que « Dans le monde post-guerre froide,


les conflits les plus étendus, les plus importants et les plus dangereux n’auront
pas lieu entre classes sociales, entre riches et pauvres, entre groupes définis se-
lon les critères économiques, mais entre les peuples appartenant à différentes
entités culturelles. Les guerres ethniques et conflits tribaux feront rage à
l’intérieur même des civilisations »15. Critiquant le paradigme euphorique de
Francis Fukuyama sur le monde post-guerre froide, Huntington souligne
que « durant les cinq années qui ont suivi la chute du mur de Berlin, on a pro-
noncé le mot génocide bien plus souvent que pendant n’importe quelle autre pé-
riode équivalente durant la guerre froide »16. Il conclut que « le paradigme re-
posant sur l’idée selon laquelle le monde est harmonieux joue trop avec la réalité
pour nous servir de repère »17.

Dans le contexte où, la menace des guerres majeures entre les Etats
a sensiblement diminué, les principaux défis sécuritaires proviennent des guerres
civiles dans les Etats fragiles. L’intervention humanitaire dirigée par les Etats du
Nord a de plus en plus été justifiée comme réponse humanitaire créée par ces
guerres. Face à ces différentes souffrances humaines, la norme de l’intervention
humanitaire est la réponse au défi moral de ce qui doit être fait.

Notons que depuis cette réflexion de Huntington, la situation sécuri-


taire dans le monde n’a fait que s’aggraver. Il y a eu l’Irak, Artémis en RDC,
Monusco, Lybie…et bien d’autres interventions ici et là. Les demandes
d’intervention sont donc grandissantes, il est donc urgent pour les chercheurs en
science politique de travailler sur le sujet afin d’apporter des améliorations pour
une meilleure réussite des ces opérations.

Pour les personnes impliquées dans la résolution des conflits, ce


travail offre une nouvelle explication relative aux échecs des missions
15 HUNTINGTON, S.P, Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 2000, p.23.
16 Idem.
17 HUNTINGTON, S.P, op.cit, p.23.
19

d’intervention humanitaires. La culture humanitariste qui néglige la résolution


des conflits locaux lors de l’intervention rend impossible la mise en place des
processus de paix.

Pour les chercheurs, ce travail est une étude de cas de la violence et


échec de l’action humanitaire en RDC. Les conclusions et recommandations qui
y seront tirées pourront être testées au cas par cas ailleurs dans le monde. Enfin,
par les techniques et la méthode utilisées dans ce travail, nous mettons à la dis-
position du monde scientifique, des données matérielles de premières sources,
originales et non trouvables ailleurs.

Pour les décideurs, cette étude suggère un certain nombre des solu-
tions qui pourront dans le futur améliorer l’implantation des missions humani-
taires pour le bénéfice du pays assisté en ré-conceptualisant l’approche de la re-
construction de l’Etat.

Enfin pour les congolais eux-mêmes, à l’heure où les élections de


2011 viennent de remettre en question tous les efforts de construction de l’Etat en-
tamé depuis les accords de Lusaka et Sun city, il est temps pour les hommes poli-
tiques, les membres de la société civile, et surtout les chercheurs en science poli-
tique de faire appel à notre imagination pour repenser la reconstruction de l’Etat.

Ce travail n’est pas une critique adressée à la Monusco. Comme


nous l’avons souligné plus haut et nous y reviendrons plus tard, la stratégie mise
en place par la Monusco a dans une certaine mesure réussie. Elle a contribué à
rétablir la paix dans une large partie du pays et elle a aidé le Congo a progressé
sur la voix de la démocratie. Sans la présence de la MONUSCO, le Congo serait
certainement retombé dans des scènes des violences et des guerres similaires à
celles des années antérieures. La population congolaise souffrirait plus au-
jourd’hui si elle n’a pas continué à bénéficier de l’assistance de la MONUSCO
et des autres agences d’aide internationale.
20

Notre objectif ici n’est pas de demander aux donneurs internatio-


naux de stopper le financement des programmes d’aides car l’intervention a en
grande partie échoué, mais plutôt d’inclure à coté de la première approche, une
nouvelle approche dans le processus de résolution des conflits et d’application
des programmes d’aides internationales.

Les congolais eux-mêmes doivent savoir se prendre en charge,


comprendre que c’est leur pays et que seuls les congolais en premier lieu peu-
vent réellement le reconstruire en tenant compte de leur propre passé historique.

4. METHODOLOGIE DU TRAVAIL

Les recherches pour la rédaction de ce travail ont commencé à


l’Université de Leicester en Grande Bretagne en tant qu’étudiant doctorant au
département des sciences politiques et relations internationales. L’université m’a
offert un environnement intellectuel formidable qui m’a permis de développer
les aspects conceptuels théoriques et des recherches.

Cette étude s’appuie sur un ensemble de données de première main


collectées auprès des plusieurs personnes que j’ai pu interviewer que ce soit au
Congo ou ailleurs dans le monde. Ces interviews m’ont fourni un ensemble
d’informations qui m’ont permis de mieux percevoir la violence, la paix ainsi
que l’intervention en RDC. J’ai fait recours aux interviews semi-structurées ain-
si qu’à l’analyse des documents et à l’observation participante. J’ai passé plu-
sieurs mois au Congo tant à Kinshasa, qu’à l’Est du pays à cause de son con-
traste expérience de la violence ; la présence des groupes militaires sur place
ainsi que les violations répétitives des droits de l’homme qui y sont dénoncées.

En qualité de chercheur en République Démocratique du Congo,


j’ai été très attaché avec les humanitaires internationaux qui m’ont fourni plu-
sieurs données. J’ai dû faire la triangulation de mes sources et surtout conduire
21

de manière indépendante la recherche en analysant avec attention toutes les


données pour éviter qu’elles soient biaisées.

Alternativement, j’ai aussi réalisé des interviews à Bruxelles, Paris,


Londres, Genève et New-York pour me permettre de contraster mes observa-
tions avec la manière dont les décideurs de ces endroits pensaient de
l’intervention internationale au Congo.

Les différentes évidences récoltées auprès de mes sources confir-


ment mes arguments de base selon lesquels les humanitaires sont guidés par une
culture qui les amènent à considérer et à résoudre les conflits qu’au niveau na-
tional et régional. En négligeant les aspects locaux qui sont généralement la
source première de l’escalade, ces derniers se mettent dans une situation difficile
d’implanter la paix et la reconstruction.

Deuxièmement, nombreux de mes interviewés ont plusieurs fois insisté


sur le fait qu’il revenait aux Congolais de bâtir leur propre pays. La communauté in-
ternationale ne pouvait que les accompagner dans la mesure du possible.

Mes interviewés dans leur majorité ont préféré rester anonymes à


cause de leur risques personnel en fournissant les informations sur la dynamique
de la guerre et violence au Congo. Les diplomates, quant à eux sont tenus par la
culture du secret qui les lie à l’exercice de leurs métiers. Pour ces raisons, j’aurai
a référencier seulement ceux qui m’ont donné leur accord de le faire. Les autres
seront soit anonymes en usant des tournures telles que₺ d’après un diplomate, un
agent de l’ONU, un 0fficier Congolais…., d’autres encore si nécessité il y a de
les citer, j’utiliserai des pseudonymes.

Troisièmement, j’ai analysé plusieurs documents tant publics que


confidentiels : les rapports des Nations Unies et ses différentes agences, des
memos des agences humanitaires y compris des journaux. Certains contacts ont
refusé de me recevoir, de me fournir des documents ou de m’imposer la manière
22

avec laquelle je devrais les utiliser. Je ne vais donc pas de ce fait révéler cer-
taines de mes sources. J’ai traité ces documents comme des sources anonymes
pour protéger la confidentialité. Afin d’éviter d’ennuyer les lecteurs en répétant
dans les références le caractère confidentiel de la source, j’ai pris la décision de
ne référencier que les seules sources indispensables.

Quatrièmement, ce travail porte sur la mission des Nations Unies


pour la stabilisation du Congo qui est un sous élément de l’ensemble du système
des Nations Unies. J’ai donc été tenté de recourir à la méthode systémique,
précisément le modèle théorique de David Easton18corrigé et amélioré par Jean
William Lapierre19, afin de mieux saisir le processus de la décision politique re-
lative à l’intervention humanitaire. Pour les deux auteurs, les systèmes poli-
tiques sont des systèmes ouverts, qui reçoivent des inputs et des outputs faits
d’énergie et d’informations. La transformation des inputs en outputs est réalisée
par des processus politiques, ou séries d’interactions entre des rôles politiques,
chacune d’entre elles pouvant être considérée comme un élément du système.

On peut donc constater que le modèle Easton/Lapierre reste trop cy-


bernétique et incapable de devenir un véritable outil de connaissance de la com-
plexité des décisions politiques car elle ne prend pas en compte des ambigüités, ir-
rationalités, interactions et rétroactions imprévues. En ce qui concerne le système
des Nations Unies en tant que système décisionnel, il ne nous parait pas possible de
définir les capacités d’action uniquement à partir de l’information et de considérer
cette dernière comme la condition nécessaire et presque suffisante d’une décision
attendue finalement d’une organisation technocratique.

La méthode systémique n’a à ce jour, influencé que marginalement la


science politique. Cet échec ne signifie pourtant en aucune manière que l’approche
systémique n’a rien apporté à la science politique notamment dans le domaine de
la décision politique. La méthode systémique reste cependant enfermée dans des

18 EASTON, D., A framework for political analysis, Prentice Press, Prentice Hall, 1965.
19 LAPIERRE J.W, L’analyse des systèmes politiques, PUF, Paris, 1973.
23

limites conceptuelles qui lui interdisent de rendre compte des décisions politiques
les plus lourdes de conséquences et les plus irrationnelles de ce siècle.

En rapport avec cette étude qui tient compte des catastrophes de ce


siècle résultant des décisions qui ont abouti au résultat inverse de celui qui était
recherché, il est temps d’analyser les difficultés , les échecs, les irrationalités, les
significations multiples de la décision politique , et de prendre en compte les
progrès des connaissances de l’ensemble des sciences de l’homme et notamment
de la psychologie individuelle et sociale dans la définition de l’acteur politique.

On ne peut pas continuer sous prétexte de scientificité ou de modélisa-


tion, à théoriser en science politique comme si les insuffisances ou la folie de
l’acteur individuel ou social n’existaient pas ; comme si les chambres à gaz, les
génocides, les crimes staliniens, ou les femmes violées à l’Est du Congo avaient
été des décisions politiques anodines caractérisées d’abord par la rationalité.

David Léopold et Marc Stears20 constatent qu’au sein même du dé-


partement de science politique de l’Université Oxford, il y a énormément des
désaccords sur les méthodes et approches à utiliser pour les recherches en
science politique. Ils recommandent aux chercheurs d’inventer leur propre che-
min de recherche, de rejeter les paradigmes méthodologues rigides et d’en expé-
rimenter des nouvelles sans avoir peur car, il n’existe pas une seule voix unique
à conduire des recherches en science politique.

De ce qui précède, on peut constater que les approches théoriques


dominantes dans les relations internationales basées sur l’Etat sont incapables de
comprendre le comportement des belligérants dans des guerres complexes, de
l’ère post-guerre froide. Ces guerres mettent en interactions des réseaux
d’acteurs multiples et complexes dépassant le seul niveau Etatique. Il faut donc
un nouvel effort de reconceptualisation de ces guerres qui sont transnationales

20 LEOPOLD, D. and STEARS, M., Political theory: Methods and approaches, Oxford University Press, Oxford 2010, pp.1-10
24

par nature, en vue de nous permettre de mieux cerner la façon dont nous aborde-
rons les efforts pour consolider la paix.

Dans le cadre de ce travail, nous allons recourir à l’approche cons-


tructiviste. Elle élargit le débat théorique dans les relations internationales en
offrant une ontologie plus large qui permet les structures sociales et matérielles,
d’agir non seulement au sein des structures mais surtout d’être capable de les
transformer21.

L’approche constructiviste et l'analyse des réseaux sociaux peuvent


offrir des conseils méthodologiques pour comprendre comment les réseaux de
guerre opèrent et changent. L’analyse des réseaux sociaux, méthode utilisée lar-
gement en anthropologie sociale et plus récemment en science de l’information,
met l'accent sur les relations et les interactions entre les acteurs au sein des ré-
seaux sociaux.

Au sens large, un réseau est une structure sociale liant les acteurs,
interagissant entre eux, et constituant la principale unité d’analyse. Les acteurs
ne sont donc pas considérés comme agissant isolément, mais ont plutôt des
liens complexes avec d'autres acteurs afin d’influer sur la décision.″ Les acteurs
et leurs actions sont considérées comme interdépendants plutôt que les unités
indépendantes, ou autonomes″22.
La combinaison de ces deux méthodes et du constructivisme
s’avère incontournable dans la réalisation de cette étude.

21WENDT, A., Social Theory of International Politics, Cambridge University Press, Cambridge, 1999, p.33.
22WASSERMANN, S. and FAUST, K., Social Network Analysis: Methods and Applications, Cambridge University Press,
Cambridge, 1994, p.4.
25

5. CHOIX ET DELIMITATION DU TRAVAIL

Pour des raisons de consistance, le nom Congo utilisé dans ce tra-


vail se réfère à la République Démocratique du Congo à ne pas confondre avec
la République du Congo dont la capitale est Brazzaville et ancienne colonie
Française.

Ce travail ne discute pas de l’opération des Nations Unies au Congo


connu sous l’acronyme ONUC implantée au Congo de 1960-1964. La raison est
toute simple, premièrement nous traitons de l’intervention humanitaire dans
l’ère-post guerre froide, deuxièmement nos recherches n’ont pas révélé
l’influence directe qu’aurait la première mission sur la deuxième que nous ana-
lysons. Toutefois, l’ONU a déployé en 1960 une mission pour aider le nouveau
Congo indépendant à faire face à la guerre civile et à chasser les militaires
belges qui étaient encore sur le territoire congolais. Cette mission a été déployée
dans un climat politique différent, celui de la guerre froide et devrait faire face
aux challenges remarquables similaires à ceux de la MONUSCO incluant₺ la
restauration de la légitimité, de l’intégrité territoriale ainsi que de la souveraineté
internationale de l’Etat23.

Finalement, comme avec la MONUSCO plus de cinquante ans


après, beaucoup d’observateurs considèrent l’ONUC comme un échec majeur et
l’ONUC est justement devenu l’exemple de ce qu’une mission humanitaire ne
doit pas faire : devenir une partie dans la guerre et interférer dans les affaires in-
ternes d’un autre Etat membre.

Ce travail analyse la plus grande et couteuse mission des Nations


Unies de l’ère post-guerre froide en RDC. Ce pendant, il est ici impératif de sou-
ligner que dans le cadre de ce travail, Par Monusco il faut entendre l’intervention
onusienne en RDC dès les premiers jours de son établissement par la résolution
1279 du 30 Novembre 1999 créant la Monuc qui deviendra Monusco par la réso-
lution 1925 du 28 Mai 2010 du même Conseil de Sécurité des Nations Unies.

23 LEMARCHANT R, The dynamics of violence in Central Africa, Philadelphia University Press, Philadelphia 2008, p.245.
26

Ainsi, Nous utiliserons dans le cadre de ce travail les deux acronymes de manière
interchangeable, car pour nous ils signifient la même chose. En réalité, les opéra-
tions de stabilisation peuvent être considérées comme similaires aux opérations de
reconstruction de L’Etat, que nous allons développées plus tard dans ce travail, et
sont généralement utilisées de manière interchangeable.

Sur le plan temporel, ce travail couvre la période allant du 30 No-


vembre 1999 créant la Monuc jusqu’au 5 Novembre 2013 date marquant la fin
de l’insurrection du M23.
27

PREMIERE PARTIE
LE FONDEMENT THEORIQUE ET CONCEPTUEL

Cette première partie consiste à développer un aperçu général des


différentes théories de la sécurité internationale afin de chercher à savoir si les
violations des droits humains, les atrocités des masses qui conduisent à
l’intervention humanitaire constituent des menaces à la sécurité internationale.
Nous répondons notamment aux questions de savoir qu’est ce qu’est la sécurité
ou l’insécurité ? Quel est son objet de référence et enfin quand est ce qu’une is-
sue peut être considérée comme une issue de sécurité.

D’autre part, nous allons définir en détails la notion même de


l’intervention humanitaire ainsi le concept d’Etat fragile ; en vue de permettre au
lecteur d’avoir une idée précise du débat qui va en découler.
28

CHAPITRE PREMIER
THEORIES DE LA SECURITE INTERNATIONALE

L’argument principal de ce chapitre consiste à dire qu’il y a eu deux


éléments importants qui ont permis la théorisation de la sécurité internationale
dans l’ère post-guerre froide. Le premier représente le passage en termes de po-
pularité des théories rationalistes aux théories constructivistes ; de la manière
d’étudier et de comprendre la sécurité internationale. L’approche rationaliste du
néo-réalisme, reste vibrant et garde toujours une tradition théorique importante
mais, elle a perdu sa prééminence de la guerre froide et doit désormais faire face
avec le constructivisme où les idées, les identités ainsi que les normes jouent un
rôle central dans la dynamique de la reconfiguration de la sécurité internationale.
Le deuxième élément est le passage vers une évaluation plus optimiste des pos-
sibilités et de la volonté du changement, là où la fin de la guerre froide est vue
comme un soutien à une conceptualisation universelle et cosmopolite de la sécu-
rité internationale. La popularité et la proéminence du concept de la sécurité
humaine, qui est explicitement définie en opposition à la sécurité étatique, est un
élément qui reflète ce changement. En plus, avec le néoréalisme, le réalisme
comme une tradition normative, continue à exercer une influence considérable,
tout en cédant de l’espace au libéralisme et aux radicaux.

Ces développements théoriques doivent être compris comme un


dialogue et non comme un choc incommensurable. L’argument central est que
ce dialogue en dépit de la popularité du constructivisme et des approches cos-
mopolites, est bénéfique et doit être le bien venu. Le constructivisme met en
évidence les dimensions intersubjectives et subjectives de la sécurité tandis que,
le cosmopolitisme, comme l’illustre l’approche de la sécurité humaine ou cri-
tique, est essentiel pour nous rappeler les souffrances humaines, les exclus et les
marginalisés, et les multiples manières dont les comportements des Etats sont
des sources principales de l’insécurité.
29

Tout en acceptant ces nouveaux changements, trois observations


sont importantes à relever. La première est le danger du constructivisme et sa
tendance à tomber dans un relativisme radical en considérant la sécurité interna-
tionale comme une mère et artifice constructions. Néanmoins, la sociologie his-
torique peut cependant aider à arrêter cette tendance idéologique excessive.

Deuxièmement, l’engagement au cosmopolitisme a le danger


d’augmenter les exigences excessives pour un altruisme international ainsi que
les attentes pour un humanitarisme. En réalité, le développement international
doit être guidé par un mixte messie d’altruisme humanitaire et des intérêts natio-
naux égoïstes. On peut de ce fait argumenter que le réalisme, fournit des élé-
ments d’analyse importants qui permettent de contrebalancer ces attentes opti-
mistes.

SECTION 1. LES APPROCHES TRADITIONNELLES DE LA SECURITE

La sécurité internationale pendant la guerre froide miroitait la per-


ception selon laquelle les menaces sécuritaires contre les pays occidentaux pro-
viendraient de l’extérieur.

Pour Mohamed Ayood, le terme sécurité doit être construit autour


des deux idées : l’une est que, la majorité des menaces à la sécurité de l’Etat
proviennent de l’extérieur de ses frontières et, la deuxième, est que ces menaces
sont premièrement, sinon exclusivement militaires en nature et exigent une ré-
ponse militaire pour préserver la sécurité de la nation24.

Pour Martin Levy, ″ la sécurité n’est pas facile à définir. La ques-


tion de savoir qui ou que ce qui constitue l’objet de la sécurité (la nation, le sys-
tème international, l’environnement, l’humanité…) est facile à dispenser car le
choix de l’analyse dépend des objectifs poursuivis par l’analyste“25. “La sécurité

24 AYOOD, M., the Third World Security Predicament: State making, regional conflict and the international system,
Lynne Rienner Publishers, London, 1995, p.5.
25 LEVY, M., “Is the environment a national security issue? in International Security, vol 20, n°2, 1995, p.39.
30

est l’absence des menaces militaires ou la protection de la nation aux attaques


extérieures″26.

Cette dernière définition correspond aux études traditionnelles de la


sécurité ; elle exclut les menaces non militaires. La sécurité correspond dans ce
sens à la préservation de l’Etat, son intégrité territoriale, ses institutions poli-
tiques et sa souveraineté nationale contre toutes les menaces physiques.

Stephen Walt, quant à lui, définit la sécurité comme étant « l’étude


des menaces ainsi que le contrôle des forces militaires »27.

Pour les réalistes, l’Etat est l’acteur principal de la politique interna-


tionale. Ils portent attention sur le comportement des Etats et négligent les indi-
vidus et les autres acteurs transnationaux. Pour eux, l’anarchie et l’absence
d’une autorité centrale au plan international capable de garantir la paix, les Etats
doivent agir de leur propre manière en vue de protéger leurs intérêts.

Stephen Walt suggère que les Etats recherchent la sécurité dans un


système international anarchique. Les menaces principales de leur bien-être pro-
viennent des autres Etats. Les Etats forment des alliances en vue de se protéger,
leur conduite est fonction des menaces qu’ils perçoivent ainsi que le pouvoir des
autres Etats, qui constitue l’élément principal de leur calcul28.

La guerre froide est donc apparue conforme à la théorie réaliste dé-


veloppée ci-dessus, cela jusqu’en 1979 avec la publication du livre de Kenneth
Waltz intitulé : Théorie de la politique internationale (Theory of International
Politics), qui constitue la base de la théorie néoréaliste.

26 HAFTENDORN, H., “The security puzzle: theory building and discipline building in international security”, International
studies quarterly, vol 35, no1, 1991, p.4.
27 WALT, S., The renaissance of security studies, International Studies Quarterly, Vol 35, 2, 1991, p.212.
28 WILLIAMS, P.D., Security studies: An introduction, Rutledge, London, 2008, p.21.
31

Pour John Mearsheimer29, la guerre froide valide les trois hypothèses


de la théorie néoréaliste : Premièrement, la division idéologique de la guerre
froide reflète l’assomption réaliste selon laquelle, le système international reste
anarchique, c'est-à-dire qu’il contient des multiples unités et non pas une autorité
suprême ou un Léviathan. Deuxièmement, l’assomption néoréaliste selon laquelle
les éléments du système se différencient particulièrement par leur capacité à por-
ter des dommages et du tort aux autres éléments du système ; ce qui fut le cas de
l’obsession pendant la guerre froide des menaces des guerres et l’acquisition des
armes sophistiquées. Enfin, le système international est un ″ Self-help“ système,
apparait être confirmé par les clivages Est-West. Pour les néoréalistes, les issues
sécuritaires non militaires sont des diversions dangereuses car pour eux la priorité
stratégique doit être accordée au seul acteur étatique.

Une des contributions importantes de la théorie néoréaliste a été sa


crédibilité scientifique, son approche théorique a produit des recherches en vue
d’identifier les menaces à la sécurité et comment éviter la guerre et préserver la paix.

Il y a ici lieu de signaler le débat très engagé entre les partisans de


l’hypothèse de la paix démocratique et les néoréalistes. Pour Michael Doyle30 et
certains autres libéraux, les Etats démocratiques peuvent jouir de la paix entre
eux car ils ne se font jamais la guerre ; ceci à cause des institutions domestiques
démocratiques qui contraignent leurs leaders de s’engager dans la guerre, aussi à
cause des valeurs et normes démocratiques qui empêchent les démocraties de se
faire la guerre .Les démocraties ont des normes domestiques ainsi que des mé-
thodes des résolutions pacifiques des conflits aux quels ils recourent en relation
avec d’autres démocraties.

Pour les réalistes et néoréalistes, l’hypothèse de la paix démocra-


tique est un mythe car les démocraties ont eu par le passé et encore maintenant à
se faire la guerre. Deuxièmement et encore plus important, dans son analyse sur

29 MEARSHMEIR, J., The false promise of International Institutions, International Security, 19(3):5-19.
30 DOYLE, M., Kant, Liberal Legacies and Foreign Affairs, Philosophy and Public Affairs, 12(3):204-35.
32

les causes de la paix en Europe de 1945 en 1990, John Mearshmeir conclut que
la paix en Europe pendant la guerre froide résultait de la bipolarité, de la balance
militaire entre des superpuissances, ainsi que de la présence des armes militaires
des deux côtés. “ Il établit donc une corrélation entre la bipolarité, l’égalité de la
puissance militaire et des armes nucléaires d’un côté, et la paix de l’autre côté.
Cette corrélation suggère que la théorie de la bipolarité, celle de l’égalité ainsi
que la théorie nucléaire de la longue paix en Europe sont valides″31.

La théorie réaliste connaît plusieurs critiques ; une d’elle estime que


le réalisme ne peut pas expliquer les changements importants dans la nature du
système international : en se focalisant sur les conditions de l’anarchie et de la
distribution du pouvoir parmi les Etats, le réalisme ignore plusieurs aspects de la
politique internationale et les nouveaux agendas de la politique globale. Les
problèmes globaux comme le changement climatique, les maladies comme le
Sida, le flow migratoire, la pauvreté ainsi que le terrorisme …deviennent des
menaces plus importantes que des problèmes traditionnels de la sécurité mili-
taire avec ses obsessions des menaces militaires32.

En outre, le réalisme comme le suggère son nom, estime qu’il existe


une voie réaliste par laquelle la balance entre la sécurité et les autres valeurs
doivent s’accommoder. Le fait que le réalisme a traditionnellement privilégié
l’Etat et spécifiquement les intérêts et la sécurité de l’Etat, lui a rendu vulnérable
aux critiques selon lesquelles, la théorie réaliste est explicitement anti-normative
et essentiellement amorale. Il existe admissiblement, plusieurs justifications de
ces critiques, car il une des traditions au sein du réalisme, à la suite de la philo-
sophie politique de Machiavel, Hobbes et, plus récemment Carl Schmitt et John
Mearsheimer, pour qui les relations internationales sont exclusivement définies
par la poursuite des avantages politiques et militaires, avec les considérations
morales jouant un minimal ou inexistant rôle.

31 MAERSHEIMER, J., “Back to the future: instability in Europe after the cold war”, in International security, Vol 15, n°1,
summer 1990, p.28.
32 SNYDER, A., Contemporary security and strategy, 2ème ed. Palgrave Mac Millan, London, 2008, pp.20-32
33

Néanmoins cette vision n’est cependant pas partagée par tous les
réalistes. Certains ont eu des considérations morales. Reinhold Niebuhr33 faisait
souvent attention entre l’irréconciliable conflit entre les besoins de la société
ainsi que les impératifs de la conscience sensitive. Hans Morgenthau, le père du
réalisme moderne a certes critiqué la morale en relations internationales, mais
ceci doit être perçu comme la critique à un certain type de morale, ce qu’il a ap-
pelé moralité plutôt que les considérations morales en tant que telles. Une ré-
cente relecture de ses travaux, montre qu’il tentait d’offrir une alternative au
pessimisme de Carl Schmitt et articulera la conception de la politique non pure-
ment réductible à la violence34. De manière similaire, Henri Kissinger,
l’architecte praticien du réalisme en politique étrangère, reconnait que les prin-
cipes moraux de la société américaine sont inévitables et font partie intégrante
dans la formulation et la conduite de la politique étrangère35.

SECTION 2. CONSTRUCTIVISME

Vers la fin des années 1980, avec les événements pré- énonciatifs
de la fin de la structure de la guerre froide, le néo-libéralisme ainsi que le néo-
réalisme sont apparus pour certains dépassés. Michael Gorbatchev énoncera une
nouvelle façon de penser en politique étrangère, une nouvelle génération des
chercheurs lanceront une révolution philosophique sur la manière dont les rela-
tions internationales doivent être théorisées .Ceci a abouti à la naissance du cou-
rant constructiviste importé de la sociologie avec des origines philosophiques
inspirées de la philosophie idéaliste de Emmanuel Kant.

La nature révolutionnaire du constructivisme en relations interna-


tionale fut la manière dont il interroge radicalement les hypothèses fondamen-
tales du néoréalisme et du réalisme, en particulier les assomptions de l’anarchie,
la souveraineté et l’inévitabilité de la guerre.
33 NIEBUHR, R., Moral Man and Immoral Society: A Study in Ethics and Politics, Westminster John Knox Press,
Louisville, 1932, p.257.
34 WILLIAMS, M., “Why Ideas matter in international relations: Hans Morgenthau, classical realism, and the moral

construction of power politics”, International Organisation, 58(4): 633-65.


35 KISSINGER, H., Diplomacy, Simon & Schuster, New-York, 1994, p.812.
34

L’approche constructiviste a largement influencé les études de la sé-


curité internationale après la guerre froide. En première place, le constructivisme
qui se focalise sur les idées subjectives et intersubjectives accorde une importance
sur comment les idées et les perceptions influencent et structurent la réalité de la
structure internationale. Ce fut le pouvoir apparent des idées promues par Gorbat-
chev sur les concepts de la″ défense défensive“, de « Zéro option » dans les né-
gociations sur le désarmement nucléaire, qui singulièrement ont inspiré
l’interprétation constructiviste alternative sur la fin de la guerre froide.

La seconde attraction du constructivisme est sa proéminence sur


l’analyse des identités et des cultures. Les études de la sécurité post-guerre froide
montrent que la culture et les identités sont devenues une préoccupation après que
les confrontations idéologiques de la guerre froide soient remplacées par les con-
flits identitaires. Les études fournissent des explications sur la manière dont les
conflits peuvent émerger entre les groupes identitaires et hostiles36.

L’attention sur la culture et la différentiation culturelle a aussi in-


fluencé les études de la sécurité internationale post-guerre froide. Ces études
montrent comment les pays comme l’Allemagne et le Japon, suite à leur histoire
ont développé une attitude introspective et non interventionniste. Enfin, sa der-
nière attraction a été la manière avec laquelle l’approche rejette d’identifier la
sécurité avec l’Etat. Le constructivisme influencera l’approche de la sécurité
humaine et le courant critique.

SECTION 3. COURANT DE COPENHAGUE (THE COPENHAGEN SCHOOL)

The Copenhagen School est construit autour de deux importants


concepts : la notion sectorielle d’analyse de la sécurité et le concept de la sécuri-
sation.

36 POSEN, B., The security dilemma and ethnic conflict, Survival, 35(1):27-47.
35

Dans son ouvrage People, States and Fear (Peuple, Etats et la peur),
Barry Busan37 suggère que la sécurité militaire est un des cinq facteurs compre-
nant le secteur politique, sociétal, économique ainsi que écologique. Les me-
naces militaires sont celles qui concernent les relations entre les armées des dif-
férents Etats ; les menaces politiques sont liées au système du gouvernement
ainsi que les idéologies d’un Etat ; les menaces économiques concernent l’accès
aux ressources, à la finance qui permettent à soutenir le bien être social et le
pouvoir de l’Etat ; les menaces sociétales se focalisent sur l’évolution des élé-
ments culturels, et de l’identité nationale ; et enfin les menaces environnemen-
tales impliquent le changement climatique , la dégradation de la couche d’ozone
et le maintien du biosphère planétaire local et international.

Le deuxième concept est celui de la sécurisation développé origina-


lement à partir des études de paix (peace studies) au Danemark suite aux travaux
d’Ole Weaver38. Pour lui le concept de sécurité est considéré comme étant un
″Speech act“ (acte de discours). Il ajoute que lorsque quelque chose est identi-
fiée comme une issue sécuritaire, ceci constitue un speech act particulier impli-
quant le processus de sécurisation. Une issue est donc considérée comme“ issue
de sécurité parce que et seulement si, elle a été analysée dans le domaine de la
sécurité. En plus elle est une issue de sécurité non nécessairement parce qu’il
existe des réelles menaces à la sécurité, mais parce que l’issue est présentée
comme une menace sécuritaire″39.

L’apport important de cette école est la démocratisation du champ


d’études de la sécurité. Contrairement aux néoréalistes qui mettent l’accent sur
l’Etat, Buzan et Weaver mettent l’accent sur la sécurisation, en analysant com-
ment l’opinion publique ainsi que les leaders construisent les enjeux ainsi que les
menaces à la sécurité. De ce fait, ils ont introduit dans le champ d’étude de la sé-
curité, des menaces sécuritaires non-traditionnelles comme l’environnement, le
mouvement migratoire, les crimes transnationaux…

37 BUZAN, B., People, States and Fear, 2ed, ecpr press, London, 2007, pp107-119.
38 WAEVER, O., Security, the Speech Act: Analyzing the Politics of a Word, Centre of peace and conflict research,
Copenhagen, 1989, p.21.
39 BUZAN, B., WAEVER, O. et WILDE, J., Security: A new framework for analysis, Lynne Rienner, London, 1998, p.24.
36

Toutefois, l’approche par la sécurisation a des limites. Première-


ment, la manière dont l’approche considère la sécurité comme une construction
subjective. L’argument selon lequel la sécurisation est purement un speech act
(un discours) sans directe correspondance avec la réalité extérieure pose pro-
blème. Car, aucune menace à la sécurité ne doit être privilégiée par rapport à
une autre. Le deuxième problème avec l’approche de la sécurisation est la ma-
nière dont elle tente d’isoler la sécurité comme une valeur et de séparer le do-
maine de la politique du domaine de la sécurité. La sécurité n’est pas seulement
un mal mais peut aussi être une importante valeur pour l’humanité qui doit être
balancée avec d’autres valeurs, comme la liberté, la prospérité et la justice.

SECTION 4. APPROCHE CRITIQUE

L’approche critique de la sécurité a beaucoup en commun avec


l’approche de la sécurité humaine que nous développerons dans la section sui-
vante. Elle partage les visions de la sécurité humaine et sa conceptualisation an-
ti-étatiste et antiréaliste de la sécurité. Mais l’approche critique se diffère de la sé-
curité humaine par son scepticisme à propos du libéralisme internationaliste con-
tenu dans l’agenda de la sécurité humaine. Le néolibéralisme est considéré par
l’approche critique comme un des moyens par lequel les pays du Nord recourent
pour continuer à subjuguer les pays du Sud. Ainsi, si l’agenda de la sécurité hu-
maine est aux mains des pays du Nord, ces derniers vont y recourir pour sécuriser
ses issues économiques et politiques ainsi justifier les interventions.

Le courant critique est un ensemble hétérogène des courants in-


cluant le féminisme et post-modernisme. L’approche est principalement cons-
tructiviste, cherchant non seulement à montrer comment la sécurité est cons-
truite mais surtout comment les concepts existants de la sécurité peuvent être
transformés.
37

L’approche tient pour origine la conférence tenue à York Université


au Canada en 1994.Dans cette conférence, Krause et williams40 commencent par
questionner le référent objet de la sécurité : qui et qu’est ce qui doit être sécuri-
sé ? Pour eux, leur défi est le désir de traiter l’objet de la sécurité non pas
comme l’Etat souverain mais comme l’individu. La sécurité est donc la condi-
tion par laquelle les individus jouissent et reçoivent à la fois la primauté dans la
définition des menaces et dans la manière d’être sécurisée.

L’approche est aussi efficacement représentée à Aberystwyth au


Pays des Galles. Pour Ken Booth notamment, la sécurité correspond à
l’émancipation qui est″l’absence des contraintes physiques et humaines sur les
individus qui peuvent leur stopper de mener librement leurs activités. La guerre
ou la menace à la guerre est une de ces contraintes, ensemble avec la pauvreté,
l’absence d’éducation, l’oppression politique…la sécurité et l’émancipation sont
intimement liées. Emancipation, théoriquement correspond à la sécurité“41.

L’approche critique apporte une contribution importante dans


l’étude de la sécurité, en particulier, en incorporant les voix des marginalisés et
des non affranchis. Néanmoins, sa large ambition de résoudre tous les problèmes
aux quels ont fait face des théories traditionnelles des relations internationales
doit être questionnée. Le problème principal est sa tendance vague et une ab-
sence claire de la définition de ce que serait un monde émancipé.

SECTION 5. APPROCHE DITE DE LA SECURITE HUMAINE

Le concept de la sécurité humaine est devenu la plus influençable


ré-conceptualisation des études de la sécurité Post-guerre froide, gagnant en po-
pularité non seulement dans la sphère académique mais aussi politique.
L’approche critique la conception étatique de la sécurité pendant la guerre froide
laissant ainsi des milliers des personnes mourir aux mains des Etats. L’ONU
souligne dans un rapport la manière dont dans le passé, l’abstinence de préser-

40 KRAUSE, K. et WILLIAMS, M., Critical Security Studies: concepts and cases, UCL Press, London, 1997, p.43.
41 BOOTH, K., “Security and emancipation”, in Review of International Studies, Vol. 17, N°4, October 1991, p.321
38

ver la sécurité de l’Etat fut utilisé comme excuse pour mettre en place des poli-
tiques qui ont conduit à mâter les populations42. Pour l’ancien secrétaire général
des Nations Unies Koffi Annan, “ les Etats doivent désormais être des instru-
ments au service de leur peuple, et non vice versa″43. Ainsi le concept de la sé-
curité humaine pose le débat autour de l’issue de la souveraineté des Etats et de
l’intervention ; et s’il existe la reconnaissance internationale de la responsabilité
de protéger des populations souffrant des abus de leurs Etats.

L’approche de la sécurité humaine offre une alternative au pessi-


misme et à la conception étroite de la sécurité défendue par les réalistes. Dans
l‘ère post-guerre froide, il ya eu résurgence de l’internationalisme libéral qui fait
partie de son agenda .De ce point de vue, l’obsession des conflits militaires de la
guerre froide apparait à la fois anachronique et complaisant, ignorant les souf-
frances des milliers des personnes dues à la pauvreté, au sous-développement et
aux guerres civiles. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de constater que le
concept de la sécurité humaine fut principalement porté par le programme des
Nations Unies pour le développement (PNUD), qui fut lui-même marginalisé
pendant la guerre froide. Dans un influent rapport publié en 1994, le PNUD es-
time que le fait pendant la guerre froide de centrer la sécurité sur l’Etat a permis
d’ignorer et d’obscurcir les problèmes sécuritaires urgents des millions des per-
sonnes pour lesquelles, la sécurité symbolise la protection contre les menaces
des maladies, de la famine, du sous-emploi , des crimes, des conflits sociaux,
des répressions politiques y compris des questions environnementales44.

L’approche de la sécurité humaine rencontre cependant des cri-


tiques, non seulement à cause de sa faiblesse en rigueur académique mais sur-
tout sa conception de la sécurité est trop large et diffuse45. Comme dans le cas de
la sécurité collective, l’approche de la sécurité humaine rencontre le problème
de considérer toute chose comme une potentielle issue sécuritaire, dévaluant de

42 UN Commission on Global Governance, Our Global Neighborhood, Oxford University Press, Oxford, 1995, p.81.
43 ANNAN, K., Facing the Humanitarian Challenge: Towards a Culture of Prevention, UN, New York, 2000, p 81.
44 UNDP, Human Development Report, Oxford University Press, Oxford, 1994, p.23.
45 MEARSHEIMER, J., The False Promise of international Institutions, International Security, 19(3):5-49.
39

ce fait le concept de sécurité, perdant ipso facto son caractère urgent ; en plus, la
responsabilité collective pour l’action est ainsi affaiblie plutôt que renforcée46.

Un problème additionnel que pose l’approche de la sécurité hu-


maine est sa dimension morale. Car, pour l’approche de la sécurité humaine, les
populations civiles doivent être secourues partout dans le monde lorsqu’elles
sont dans les besoins. Cette vision exclut les intérêts stratégiques particuliers des
Etats. En pratique cette vision est idéaliste. En effet, les questions relatives à
l’intervention humanitaire qui font objet de ce travail, sont rarement guidées par
la seule poursuite des objectifs purement humanitaires, mais plutôt par un en-
semble mixte des objectifs à la fois humanitaires et stratégiques des Etats.

En dépit de toutes ces critiques, l’analyse des interventions humani-


taires et la reconstruction des Etats fragiles en Afrique, est donc en large partie,
la discussion autour du concept de la sécurité humaine.

46 PARIS, R., Human Security: paradigm shift or hot air? International Security, 26(2):87-102.
40

CHAPITRE DEUXIEME
LEGALITE, MORALITE ET ETHIQUE DE
L’INTERVENTION HUMANITAIRE

Le 6 Avril 1994, le Président Habyarimana du Rwanda et certains


membres de son gouvernement furent tués lorsque l’avion présidentiel fut abattu
par un missile à l’approche de l’aéroport de Kigali. Dans les heures qui ont suivi cet
assassinat, la police et l’armée s’attaquèrent aux membres de l’opposition et surtout
aux membres de l’ethnie minoritaire, les Tutsis ainsi que les Hutus modérés. Les
massacres et tueries étaient quotidiens, « des milliers des personnes furent tués
…un cas terrible de génocide prenait corps. La situation était hors contrôle »47.

La communauté internationale n’a rien fait pour stopper les mas-


sacres48. Un second cas d’holocauste fut prévenu grâce à la victoire militaire de
l’armée patriotique rwandaise, une guérilla armée Tutsi basée au nord du pays et
soutenue par l’Ouganda. Mais, que devait faire la communauté internationale
pour stopper le carnage ? Avait-elle une obligation morale et légale
d’intervenir ? Qu’est-ce qui devrait être fait si les Nations Unies avaient refusé
d’autoriser une intervention militaire ? Et plus important encore, quelles me-
sures prendre pour prévenir de tels catastrophes dans le futur ?

L’objectif de ce chapitre est d’examiner certaines des réponses gé-


néralement données à ces questions et à d’autres encore, en identifiant et en éva-
luant de manière critique les considérations morales et empiriques liées à
l’intervention humanitaire.

47 DES FORGES A, “Leave None to Tell the Story“: Genocide in Rwanda (Human Rights Watch, New York, 1999), pp303-594.
48 Report of the Secretary General on the situation in Rwanda [s/1994/640, 31 May 1994], UN and Rwanda 1993-1996, p.291.
41

SECTION 1. DEFINIR L’INTERVENTION HUMANITAIRE

La fin de la guerre froide qui a eu pour conséquence l’implosion de


l’Union Soviétique, laissera son successeur la Russie sérieusement diminuée et
se débrouillant à mettre en place des réformes démocratiques et économiques.
L’autre protagoniste de la guerre froide, La Chine, a rejeté le système écono-
mique Maoïste et commença son ouverture à l’économie de marché. Les USA
sont donc devenus la seule superpuissance mondiale. La fin de la division Est-
Ouest qui dominait la période de la guerre froide, la marche vers la gouvernance
démocratique et l’économie de marché sont donc devenus irréversible.

Les nouvelles idées en rapport avec les droits humains et la sécurité


commencèrent à prendre de l’ampleur entrant en collision avec des vielles no-
tions de l’inviolabilité de la souveraineté des Etats. Ceci fut couplé avec
l’élaboration des nouvelles lois internationales et il est aujourd’hui apparent que
les années où les leaders des Etats commettaient des atrocités et se cachaient
derrière la notion de la souveraineté des Etats étaient désormais comptées. Les
futurs Pol Pot et Idi Amin pourront raisonnablement rendre compte devant la
communauté internationale pour leurs crimes contre l’humanité, devant la Cour
Criminelle Internationale. La souveraineté de l’Etat est donc désormais liée à
certaines conditions : Les leaders et les chefs d’Etats sont appelés à se confor-
mer à un standard universel reconnu de bonne gouvernance et de respect des
droits humains. Avec ces nouveaux développements, il faut s’attendre à ce que
la communauté internationale puisse intervenir quand ces nouvelles conditions
de souveraineté sont violées en recourant à la force militaire.
§1. Définition

L'intervention humanitaire constitue “L'utilisation de la force mili-


taire par un Etat ou groupe d’Etats pour secourir des populations dans un autre
Etat”49. Selon Steven Lee50, l’intervention humanitaire doit avoir pour objet la
réduction de la souffrance humaine dans un Etat tiers, pour arrêter les violations

49 LEE, S., “Humanitarian Intervention and Just War”, in Philosophy and Public Policy, School of Public Affairs, Universi-
ty of Maryland, 5 March 2004, p.1.
50 Idem.
42

des droits de l'homme infligées à ses citoyens. Celle-ci peut prendre la forme du
recours à la force armée.

Cependant, Walzer note que, l'utilisation de la force armée est seu-


lement une des formes d'intervention. D'autres formes comprennent notamment
l’ingérence coercitive telles que des sanctions économiques, l’aide économique
et militaire51. Il existe aussi un débat sur le consentement du tiers Etat à
l’intervention humanitaire. Selon Lee, l'intervention humanitaire se produit de
manière générale sans le consentement de l'État cible. Pour Coady,
l’intervention constitue « un acte intentionnel conduit par un ou groupe d'États
ou par une organisation internationale visant à exercer une autorité absolue sur
les politiques internes d’un ou d’autres Etats. Il est important de signaler que
dans ce cas, l’Etat cible ne consent pas à l’intervention »52.

Cette définition est contestée par Hoffman, qui soutient que l'on ne
peut pas « distinguer le cas où l'intervention se produit avec le consentement
formel d'un gouvernement et celle où l’Etat ne consente pas, car le consentement
initial peut se transformer en ressentiment et hostilité plus tard »53.

L'argument de Hoffman est soutenu par la possibilité que le consen-


tement apparent peut conduire à d’autres formes non militaires de coercition.
Dans le cadre de ce travail, notons que l’absence du consentement de la part de
l’Etat cible n’est pas l’élément déterminant pour empêcher l’intervention huma-
nitaire. En d’autres termes et sur le plan théorique, il est souhaitable que l’Etat
tiers puisse consentir à l’intervention humanitaire. Néanmoins, il faut noter que
le concept de l’intervention humanitaire est fondé sur l’idée que la notion même
de souveraineté de l’Etat engagé dans les violations systématiques des droits
humains est compromise par ces types des violations rendant ainsi le consente-
ment de l’Etat et le principe de la non intervention irelevant54.

51 WALZER, M., Just and Unjust Wars, Basic Books, New York 2000, pp.86-108.
52 COADY, J., “The Ethics of Armed Humanitarian Intervention”, Peace works 45, United States Institute of Peace, Wash-
ington DC, July 200, p.10.
53 HOFFMANN, S, “The Politics and Ethics of Military Intervention” in World Disorders: Troubled Peace in the Post-Cold

War Era, Rowman and Littlefield, Lanham Md 1998, p.153.


54 ROBERTS, A., Humanitarian Action in War, Adelphi Paper 305, Oxford: IISS and Oxford University Press 1996, p.19.
43

Ainsi Teson55 note que le principe de non intervention ainsi que ce-
lui de la souveraineté nationale ne fournissent pas une base morale pour ignorer
des massives violations des droits de l’homme. En effet, l’existence même des
Etats est fonction de la protection et du respect des droits naturels de ses conci-
toyens. La violation délibérée de ces droits remet en question les raisons même
d’être des Etats y compris sa légitimité tant nationale qu’internationale. Ainsi la
communauté des Etats possède non seulement l’obligation morale mais le droit
moral de conduire une intervention humanitaire pour assister les victimes de
telles violations des droits humains.

La vision de Teson de l'intervention humanitaire correspond à la


notion selon laquelle, le niveau d’intervention humanitaire doit être proportion-
nel au degré des violations des droits humains observées.

Nous partageons l’idée selon laquelle l’intervention humanitaire


reste la meilleure justification philosophique aux violations des droits humains
dans un Etat tiers. Car, la justification même de l’existence des Etats est la pro-
tection et le respect des droits naturels des citoyens. Un gouvernement qui
s’engage dans des violations substantielles de ces droits trahit le but même pour
lequel il existe et perd ainsi toute légitimité. Ainsi, la communauté internationale
est moralement dans le droit d’aider les victimes de l’oppression et de renverser
si possible les dictateurs. Il est souhaitable que l’intervention soit bien accueillie
par des populations dont les droits sont violés afin de mettre fin à l’oppression et
à d’éventuels cas de génocides.

55TESON, F., Humanitarian Intervention: An Inquiry into Law and Morality, Dobbs Ferry Transitional Publishers, London
1988, p.15.
44

Teson ajoute que“ l’intervention doit produire des résultats béné-


fiques, mais dans le cas contraire, si l’intervention est accompagnée par des abus
de la part des troupes d’intervention, celle-ci perd non seulement sa nature hu-
manitaire mais toute l’action sera aussi compromise“56.

Chomsky fournit quelques autres éléments utiles pour établir si une


intervention est authentiquement humanitaire ou pas. Il suggère que les interven-
tions devraient être analysées pour déterminer si elles sont conformes à l'une des
trois possibilités logiques d'action ci-après : agir pour désamorcer la catastrophe,
ne rien faire et tenter d'atténuer la catastrophe. Une intervention humanitaire par
définition, doit évidemment, consciemment adopter le troisième cycle de l'ac-
tion. Dans une certaine mesure, l'intervenant doit tenter d’atténuer la crise avec
des raisons de croire qu'une telle tentative sera sans doute une réussite57.

De ce qui précède, Chomsky58 postule les principes généraux sui-


vants comme base des critères pour définir une intervention humanitaire. Les
trois premiers sont nécessaires pour définir l'intervention comme une crise hu-
manitaire, les autres sont spécifiquement liés à la définition de l'intervention
elle-même :

- l’existence des violations massives des droits humains l’Etat cible ;


- le gouvernement de l'État cible est incapable de prendre des me-
sures correctives, et / ou est directement complice de ces violations
et qu'il consente ou non à l'intervention ;
- il y a urgence manifeste en raison de l'ampleur de la crise humanitaire ;
- l'utilisation de la force armée doit être le dernier recours ;
- l'objectif principal de l'intervention est d'atténuer la crise et de pro-
téger les droits de l'homme ;
- l'action est soutenue par ceux pour qui elle est destinée ;

56 TESON, op.cit.
57 CHOMSKY, N., The New Military Humanism: Lessons from Kosovo, Pluto Press, London 1999, p.48.
58 Idem ‘Humanitarian Intervention: Definitions and Criteria’, CSS Strategic Briefing Papers 3, Victoria University, Center

for Strategic Studies, Wellington June 2000.


45

- l’intervention doit projeter une forte probabilité de succès ;


- l’intervention doit envisager la sécurisation des conditions propices
vers une économie durable de la paix post-conflit, si elle a l'inten-
tion de mettre un terme à la crise humanitaire ;
- l'utilisation de la force doit être proportionnée à la réalisation de
ces objectifs ;
- les intervenants ne doivent pas s'engager dans des abus et violences
pendant l'intervention.

Par intervention, nous nous référons à toute action menée par un ou


groupe d’Etats contre un ou un groupe d’autres Etats pour arrêter ou changer une
politique considérée comme indésirable . Les interventions peuvent être essentiel-
lement militaires en nature, elles impliquent l’usage direct ou indirect de la force ;
et celles qui sont non-militaires qui tiennent compte des pressions politiques, éco-
nomiques et diplomatiques. Les interventions non-militaires, comme dans le cas où
un ou groupe d’Etats offrent à un autre Etat l’accès au marché en échange de son
comportement sur la scène internationale. C’est le cas par exemple où on exige à la
Corée du Nord d’arrêter son programme d’enrichissement nucléaire en échange de
l’aide alimentaire. Ils existent aussi des sanctions commerciales punitives pour af-
fecter l’économie du pays, référons- nous ici à titre d’exemple à l’embargo imposé
par les USA et l’UE à l’importation du pétrole Iranien. Nous pouvons aussi citer
des sanctions dites intelligentes (smart sanctions) désignées à impacter sur l’élite
dirigeante en gelant leurs comptes financiers et en leur interdisant l’octroi des Vi-
sas, c’est notamment le cas des dignitaires du régime Assad en Syrie.

Les efforts diplomatiques précédent généralement les autres formes


de l’intervention et sont constitués des lobbyings et pressions sur les élites poli-
tiques, économiques et dans certains cas le public lui-même envoie de persuader
les dirigeants à abandonner toute activité ou politique considérée comme me-
nace à la sécurité internationale, au commerce international… Si cependant ces
efforts diplomatiques venaient à échouer et que les risques à la paix internatio-
nale sont considérés comme réels, ainsi, le recours aux mesures économiques
et/ou militaires est envisageable.
46

Les interventions militaires diffèrent des autres formes


d’interventions car elles recourent à l’usage de la force et les vies de toutes per-
sonnes impliquées dans l’opération sont en risque. Coady définit l’intervention
militaire comme « le recours à la force menée par un ou plusieurs Etats sans
l’invitation ou sans le consentement de l’état envahi »59. Cette définition nous
semble cependant très étroite car elle exclut plusieurs cas où l’Etat cible invite
une force externe pour intervenir. Recourant à la définition de Coady, la mission
militaire Australienne de 1999 au Timor Est ainsi que l’assistance militaire aux
iles Salomon en 2006 n’est pas à considérer comme interventions militaires car
toutes ont reçu l’approbation du gouvernement hôte.

Par contre Haass suggère une autre définition plus large et qui nous
semble plus appropriée dans le cadre de ce travail. L’intervention est donc pour
Richard Haass « le déploiement des nouvelles forces ou des forces addition-
nelles dans une ère donnée pour des objectifs spécifiques qui vont au de-là de la
simple formation militaire mais aussi de la simple poursuite des intérêts natio-
naux »60.Cette définition inclut la conception la plus large du déploiement mili-
taire allant des guerres d’agression y compris les circonstances où l’intervention
est bienveillante et l’approbation de l’Etat cible existe. Ces types d’intervention
comprennent les missions de maintien de la paix, l’assistance humanitaire et cer-
taines missions de stabilisation comme celles au Timor Est en 2006 y compris la
Monusco qui fait l’objet de cette étude.

Les interventions militaires varient selon leurs objectifs : elles sont


fonctions de l’échelle des opérations, de la composition des forces, des types des
forces (forces navales, forces aériennes-no Fly zone, forces au sol…), du
nombre des nationalités impliquées …elles comprennent la dissuasion, la guerre
préventive, les opérations de maintien et d’établissements de la paix des secours
des otages…la catégorisation de ces types d’interventions est l’objet du para-
graphe suivant.

59 COADY, T., “Intervention, Political Realism and the Ideal for Peace“in Coady T and O’Keefe M, Righteous Violence: The
Ethics and Politics of Military Interventions, Melbourne University Press, Melbourne 2005, p.15.
60 HAASS, R., Intervention: The use of American Military Force in the Post Cold War World, Brookings Institution’s

Press, Washington 1999, p.20.


47

§2. Typologie des interventions

Comme illustré ci- haut, les interventions militaires peuvent être de


nature directe ou indirecte. Elles peuvent être constituées des petites incursions
dans un territoire étranger par des forces spéciales comme ce fut le cas de
l’opération Israélienne en 1976 à l’aéroport d’Entebbe en Ouganda pour libérer
les otages. Elles peuvent aussi être de nature plus large recourant aux forces
conventionnelles comme ce fut le cas de l’intervention américaine pendant la
deuxième guerre mondiale aux côtés des forces alliées contre l’Allemagne
d’Hitler. Ses objectifs varient des préoccupations purement humanitaires comme
la livraison de la nourriture et médicaments aux victimes des désastres naturels
comme fut le cas de l’intervention humanitaire à la suite du Tsunami dans
l’Océan Indien en 2004, elles peuvent aussi avoir pour objectifs la destruction
des capacités militaires réelles ou potentielles d’un autre Etat comme ce fut le
cas de l’intervention Israélienne en Irak afin de bombarder le central
d’enrichissement nucléaire d’Osirak en 1981.

Haass61classifie les interventions selon leurs objectifs : elles com-


prennent la dissuasion, la prévention, les actions punitives, les missions
d’établissement et maintien de la paix, les missions de stabilisation de la paix,
l’assistance purement humanitaire… Il identifie en outre le recours indirect à la
force, comme par exemple l’assistance militaire sans s’engager cependant direc-
tement dans une intervention directe. Alex Bellamy et Paul Williams62offrent
une classification alternative des Operations de paix qui ne sont pas du ressort
des Nations Unies. Ils établissent une typologie intéressante des six catégories
d’intervention basées sur le type d’acteurs (Etats, organisation régionale ou coa-
lition) qui s’engagent dans une intervention avec ou sans accord du Conseil de
Sécurité des Nations Unies.

61HAASS, R., art.cit, p.50.


62 BELLAMY, A. and WILLIAMS, P., “Who’s keeping the peace? Regionalisation and Contemporary Peace Operations“,
International Security, 29-4 2005, pp.157-195.
48

En combinant l’approche développée par Haass et celle de Bellamy


et Williams, une nouvelle catégorisation intéressante peut être développée.
Haass fournit la base des différentes espèces d’intervention militaire tandis que
Bellamy et Williams fournissent un canevas pour identifier les interventions
sub-generis. Cette nouvelle catégorisation nous permet d’évaluer le mélange
confus des conflits qui ont émergé dans l’ère post-guerre froide.

Bellamy et Williams distinguent les interventions dites de paix


(peace Operations) de celles qui ne les sont pas (non- peace Operations). Les in-
terventions de paix sont celles qui conduisent à mettre fin à un conflit armé et/ou
à venir en aide à la population civile. Elles comprennent le maintien de la paix,
l’établissement de la paix, l’action humanitaire ainsi que les opérations de stabi-
lisation post-conflit. Par contre les interventions qui ne sont pas de paix (non-
peace Operations) sont les autres formes d’interventions qui sont conduites avec
intérêt personnel comme première motivation guidant l’intervention.

Toutefois, cette classification peut devenir floue car une forme


d’intervention peut conduire à une autre. Ce fut le cas de l’affectation des con-
seillers militaires américains au Vietnam en 1959 qui escalada à un déploiement
massif des troupes américaines suivi de la guerre des années 1960. Aussi,
l’intervention militaire en Irak en 2003, évoluera en mission de stabilisation
probablement ce qui ne fut pas l’objectif primaire de l’administration Bush.
2.1. Operations de paix (Peace Operations)

Les Nations unies ont une longue histoire des missions de maintien
de la paix et de l’assistance humanitaire depuis 1948 incluant les cas du Proche
Orient, l’Inde et le Pakistan, le Congo, la guerre Iran-Irak des années 1980… En
dépit des controverses de ces dernières années dans le cas par exemple de la
Somalie, Bosnie, Rwanda, les succès des opérations de maintien de la paix de
l’ONU sont souvent oubliés. Toutes fois ce record est considérable et fut récom-
pensé par le prix Nobel de Paix en 1988. Nous allons dans les pages suivantes
analyser les différentes catégories des opérations de paix.
49

2.2. Assistance humanitaire

L’assistance humanitaire est le déploiement des forces pour sauver


des vies humaines sans nécessairement changer le contexte politique d’un Etat.
Ces types d’interventions comprennent l’assistance médicale, la nourriture, la
fourniture de l’eau potable, dans le contexte où le gouvernement central est lui-
même incapable de venir en aide où sa propre population. Cette intervention peut
être consensuelle, c’est- à –dire que les forces d’interventions peuvent ou pas être
armées. Ce fut le cas de la réponse internationale au Tsunami de 2004 en Asie où
les forces militaires furent déployées pour apporter assistance aux populations en
difficultés. Mais, il existe aussi des circonstances par lesquelles l’assistance hu-
manitaire peut être imposée, comme ce fut le cas de la protection des populations
Kurdes au Nord de l’Irak après la guerre de 1991 ainsi que la protection humani-
taire apportée aux civils en Bosnie entre 1992 et 1995 par l’ONU.

2.3. Opérations de maintien de la paix

Durant la période de la guerre froide, les traditionnelles opérations


de maintien de la paix avaient pour objectifs de prévenir les deux grandes super
puissances à intervenir dans des conflits régionaux afin d’éviter toute escalade
au niveau international. Ces opérations peuvent être définies comme le déploie-
ment des forces armées ou non armées ayant pour missions de restaurer l’ordre
dans un Etat. Ces forces ont entre autres pour objectifs de séparer les belligé-
rants, surveiller le cessez-le-feu et encourager le retrait des forces étrangères.
Ces forces d’interventions doivent jouer un rôle passif et impartial. L’opération
doit recevoir l’autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU. Pendant la guerre
froide, ces missions excluaient les forces de deux grandes puissances : USA et
URSS mais pouvaient inclure en son sein les troupes des autres Etats membres
de l’OTAN ou du pacte de Varsovie.
Avec la fin de la guerre froide, les missions de maintien de la paix
sont devenues une industrie montante. Elles sont passées du simple rôle passif
50

de la guerre froide à une approche plus proactive avec un mandat plus fort de
recours à la force pour la protection personnelle des Casques bleus mais aussi de
la population civile. Cette évolution est la conséquence directe des atrocités
commises dans des conflits tels au Rwanda ou dans les Balkans, qui seront qua-
lifiées par Mary Kaldor63 des nouvelles guerres. Dans ces nouvelles guerres, les
Casques Bleus traditionnels avec un mandat restrictif, se sont vus incapables
d’intervenir devant des atrocités commises contre eux et contre les civils dont ils
sont censés protéger. Ceci fut le cas où “ les Serbes Bosniaques prirent en otages
en 1995 plusieurs Casques Bleus, repoussèrent les Casques Bleus hollandais et
de manière systématique et brutale tuèrent 7.000 musulmans qui se seraient re-
fugiés dans le camp“64.

Les opérations de maintien de la paix doivent être sous mandat


d’une organisation multilatérale, dans le cas échéant l’ONU ou une organisation
régionale comme l’OTAN, l’UE, la SADC…mais aussi peut être conduite par
une coalition ad hoc comme fut le cas en 2003 de l’intervention des forces amé-
ricaines, Sud africaines et marocaines au Liberia.

2.4. Opérations de rétablissement de la paix

Les opérations de rétablissement de la paix sont une combinaison


des efforts coercitifs et non coercitifs qui conduisent à amener les groupes belli-
gérants à négocier un accord de paix avec l’aide des acteurs extérieurs servant
comme médiateurs65. L’objectif des opérations de rétablissement de la paix est
de restaurer un degré d’ordre permettant de ramener la paix en vue de rétablir le
contrôle de l’Etat.

Les forces de rétablissement de la paix sont généralement lourde-


ment armées que celles de maintien de la paix et sont appelées à faire face aux
forces locales bien équipées et formées. Ce type d’intervention doit être transi-
63 KALDOR, M., New and Old Wars: organised Violence in a Global Era, Polity, and Cambridge 1999.
64 COHEN, W I., op.cit, p.67.
65 TALENTINO, A., Military Intervention after the Cold War: the Evolution of Theory and Practice, Ohio University

Press, Athens 2005, p.15.


51

tionnel et expansif à maintenir. Elle doit être de courte durée et doit se préparer à
céder la place à l’opération de maintien de la paix.

2.5. Opérations de reconstruction de la nation et de rétablissement de


la paix

Reconstruction de la nation et rétablissement de la paix sont des


termes interchangeables dans le contexte de la reconstruction de l’Etat en situa-
tion post-conflit. Le rétablissement de la paix est un processus consistant à refor-
mer ou à reconstruire les institutions politiques, sociales et économiques. Par
contre la reconstruction de la nation ou mieux de l’Etat est le processus par lequel
on crée les institutions tant politiques, sociales qu’économiques qui furent quasi
inexistantes66. C’est généralement le cas dans les Etats dits fragiles, dans les qua-
si-Etats ou faibles Etats (weak, failed or collapse states), l’objectif est que ces
institutions puissent soutenir la paix, la bonne gouvernance ainsi que la démocra-
tie. Ces opérations sont une option pour les quasi-Etats comme furent les cas de
l’Allemagne et le Japon après la deuxième guerre mondiale, l’Afghanistan en
2001, l’Irak en 2003 et la RDC en 2003 après le dialogue inter-congolais de Sun
City, par la mise en place du gouvernement de transition qui conduira à
l’organisation des élections en 2006.

2.6. Opérations de stabilisation

Les opérations de stabilisation sont les activités post-conflit ayant


pour objectifs de stabiliser la sphère sociale et politique d’un Etat 67. Ainsi
comme l’indique les différents titres, la mission des Nations Unies pour la stabi-
lisation en Haïti (MINUSTAH) ainsi que la mission des Nations Unies pour la
stabilisation du Congo (MONUSCO) qui fait l’objet de cette étude est aussi une
mission de stabilisation. Cependant il est ici impératif de souligner que dans le
cadre de ce travail, par Monusco il faut entendre l’intervention onusienne en
RDC dès les premiers jours de son établissement par la résolution 1279 du 30

66 TALENTINO, A., op.cit.


67 GRAY, C., “Stability Operations in Strategic Perspective : A Skeptical View“, Parameters, 36: 4-14.
52

Novembre 1999 créant la Monuc qui deviendra Monusco par la résolution 1925
du 28 Mai 2010 du même Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ainsi, nous
utiliserons dans le cadre de ce travail les deux acronymes de manière interchan-
geable, car pour nous ils signifient la même chose.

En réalité, les opérations de stabilisation peuvent être considérées


comme similaires aux opérations de reconstruction de l’Etat, développées ci
haut dans ce travail, et qui ont une connotation négative aux USA. En effet,
James Dobbins68 décrit les opérations de stabilisation en Bosnie, Haïti, Somalie,
Irak et Afghanistan comme un exercice de reconstruction de l’Etat. Dans son
rapport devant le Sénat américain, les opérations de stabilisations et celles de re-
construction de l’Etat sont utilisées de manière interchangeable. Et plus impor-
tant encore, il plaide pour une approche plus inclusive de plusieurs agences pour
la conduite de ces opérations.

Les opérations de stabilisation ont pour objectif d’assister les forces de


sécurité locales à rétablir la loi et l’ordre comme fut le cas de l’intervention austra-
lienne de 2006 au Timor Est et aux Iles Salomons . C’est aussi le cas de la Monus-
co en RDC. Par contre dans le contexte de la reconstruction de l’Etat, les forces
d’intervention font face à des combats armés afin de rétablir la paix. Ce fut les cas
de l’Afghanistan et de l’Irak. L’objectif ici est de faciliter le contrôle gouvernemen-
tal et aider les forces de sécurité locales à rétablir l’ordre et la loi.

Une approche multilatérale de plusieurs acteurs est souhaitable afin


de faire face aux différents challenges auxquels sont confrontés les intervenants.
Une approche purement militaire serait très étroite et conduirait à l’échec de
l’intervention.

§3. Autres types d’opérations (non-peace Operations)

68DOBBINS, J., Testimony: Stabilisation and Reconstruction Civilian Management Act of 2004, testimony presented to the
Senate Committee on Foreign Relations on 3 March 2004, CT-280, Santa Monica: RAND Corporation.
53

Michael Arnold69 distingue plusieurs types d’intervention qu’il con-


sidère comme n’étant pas des opérations de paix.

3.1. Dissuasion militaire

La dissuasion militaire est selon Haass70 une forme indirecte


d’intervention ayant pour objectif de persuader un adversaire à renoncer à une
action qui pourrait les entrainer dans un escalade militaire avec pour consé-
quence la défaite militaire de celui-ci. Ces stratégies de dissuasion furent long-
temps utilisées par les Etats collectivement ou individuellement pendant la
guerre froide. Elles exigent l’acquisition par l’Etat des capacités militaires con-
sidérables notamment l’arsenal nucléaire.

Cependant, depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001, la


stratégie de la dissuasion nucléaire est de plus en plus remise en question ; du fait
que les Etats font de plus en plus face aux acteurs non Etatiques. La véritable me-
nace à la sécurité des Etats ne provient plus seulement des autres Etats, mais plutôt
de ces nouveaux acteurs mobiles à travers le monde rendant ainsi la dissuasion nu-
cléaire en partie inadaptée aux questions sécuritaires contemporaines.

3.2. Attaque préventive/ guerre préventive

L’attaque préventive consiste à détruire ou dégrader la capacité


d’un Etat ou d’un acteur non-étatique avant que ce dernier ne devienne une me-
nace pour sa sécurité. Nous avons déjà évoqué la destruction par Israël du réac-
teur nucléaire d’Osirak en Irak en 1981 et lors de la rédaction de ce travail,
Israël indique clairement ses intentions de détruire les centrales
d’enrichissement nucléaires Iraniennes.

A la suite des attaques du 11 septembre 2001, les USA ont adopté la


notion de la guerre préventive comme nouvelle approche stratégique de sa sécu-
69 ARNOLD, M., “ Intervention“ in Snyder C (ed), Contemporary Security and Strategy, 2ed, Palgrave McMillan, New York
2008, p9195-198.
70 HAASS, R., op.cit, p.51.
54

rité. En effet, définie comme stratégie de la sécurité nationale, la Maison


Blanche a indiqué que les USA se réservait le droit de mener la guerre préven-
tive contre les Etats qui soutiendraient les terroristes et ceux qui tenteraient de
développer les armes de destruction massive71. Cette nouvelle approche a con-
duit Georges Bush à envahir l’Irak en 2003 afin d’y « détruire les armes de des-
truction massive ».

Il faut souligner que cette doctrine est inspirée par un groupe


d’intellectuels très influents à Washington dénommés, les Néoconservateurs.
Pour Charles Krauthammer72, dans un monde unipolaire, les Usa doivent recou-
rir à une nouvelle doctrine de politique étrangère, le réalisme démocratique qui
consiste à agir de manière unilatérale afin de maintenir sa dominance. Ainsi,
l’Amérique doit agir de manière préventive contre les Etats voyous soutenant le
terrorisme et développant les armes de destruction massive.

Cette pensée est cependant critiquée par certains libéraux. Joseph Nye73
note qu’il est dans l’intérêt de l’Amérique d’agir de manière multilatérale avec ses
alliés et aussi au sein des organisations internationales pour maintenir sa suprématie
car l’unilatéralisme conduirait au rejet de l’Amérique par le reste du monde.

Une autre série de critiques proviennent de John Ikenberry74 qui


souligne que la doctrine de la guerre préventive pose plusieurs problèmes : pre-
mièrement, en agissant de manière préventive, l’Amérique ouvre la voix aux
autres Etats de faire pareil. L’Amérique est elle prête à accepter que la même
doctrine soit appliquée par les autres Etats ? Deuxièmement, le recours à la force
pour éliminer les armes de destruction massive ou changer des régimes n’est pas
simple à réaliser. Après l’intervention militaire, il faut reconstruire le nouvel
Etat et ceci exige des efforts de plusieurs acteurs étatiques et non étatiques.

71BUSH W., The National Security Strategy of USA, September 17, 2002, http://georgewbush-
whitehouse.archives.gov/nsc/2002/index.html (accessed 9/03/2012)
72 KRAUTHAMMER, C., The Unipolar Moment Revisited, National Interest 70 (Winter 2002/03).
73 NYE, J., The Paradox of American Power: Why the World’s Only Superpower Can’t Go It Alone, Oxford University

Press, Oxford 2002


74 IKENBERRY, J., America’s Imperial Ambition, Foreign Affairs 81.5 (September-October 2002)
55

Comment l’Amérique peut-elle seule faire face à ces défis de reconstruction ?


Troisièmement, agir de manière unilatérale réduit les chances de coopérer avec
les autres acteurs. Or, la lutte contre le terrorisme implique une large coopéra-
tion entre différents acteurs. Comment l’Amérique seule peut- elle lutter contre
le terrorisme, faire face aux challenges de la stabilisation financière ou encore
lutter contre le changement climatique ?

SECTION 2. RESPONSABILITE DE PROTEGER : ARGUMENT POUR


L’INTERVENTION HUMANITAIRE

L’essentiel de l’analyse de cette section provient du rapport de la


commission internationale sur l’intervention et la souveraineté des Etats75 adop-
tée par l’assemblée générale des Nations Unies en 2005.

La fin de la guerre froide a suscité une lueur d’espoir sur la paix et le


bien être. Hélas, des milliers d’êtres humains demeurent encore à la merci de
guerres civiles à travers le monde. Telle est la réalité crue mais incontestable du
monde d’aujourd’hui. Le bilan de ces dernières années en matière de défense inter-
nationale des droits humains contient plus d’échecs que de réussites. La reconnais-
sance internationale d’un droit d’intervention continue de susciter des craintes.

L’acceptation de la notion d’intervention à des fins de protection


humaine, y compris la possibilité d’une action militaire, suppose impérativement
que la communauté internationale élabore des normes cohérentes, crédibles et
ayant force exécutoire qui régiraient les pratiques étatiques. Les événements
survenus tant en Somalie, au Rwanda, ou encore au Kosovo, ainsi que des cas
d’intervention et de non-intervention dans un certain nombre d’autres lieux, ont
amené la communauté internationale à réévaluer de fond en comble les outils,
les dispositifs et les théories élaborés en matière de relations internationales si
l’on veut être en mesure de répondre aux besoins prévisibles du XXIe siècle.

75 JENTLESON, B,“ International Commission on Intervention and State Sovereignty : The case for Humanitarian Interven-
tion“ in American Foreign Policy, Fourth Edition, Norton Company, New York, 2010, pp.672-674.
56

Cette réévaluation a conduit la communauté internationale à adopter une série


des dispositions sous le label de la responsabilité de protéger.

§1. Qu’est-ce que c’est la responsabilité de protéger ?

Les principes de base :

- un Etat est dit souverain lorsqu’il est responsable. Et, l’Etat est le
responsable premier de la protection de sa propre population ;
- si une population donnée fait face à des souffrances multiples résul-
tant de la guerre civile, de l’insurrection ou de la fragilité de l’Etat
et que l’Etat en question est incapable ou ne veux pas mettre fin à
ces souffrances, le principe de non-intervention se transforme en
responsabilité de protéger.

§2. Fondement de la responsabilité de protéger

La responsabilité de protéger comme principe guidant la commu-


nauté internationale des Etats tire son fondement dans :

- les obligations inhérentes du respect par celle-ci du concept de la


souveraineté ;
- la responsabilité du Conseil de Sécurité, en vertu de l’article 24 de
la charte de l’ONU pour le maintien de la paix et la sécurité interna-
tionale ;
- les obligations spécifiques de respect et de protection des droits de
l’homme, de respect des traités internationaux du droit humanitaire
ainsi que des lois nationales ;
- la pratique des Etats, des organisations régionales et du Conseil de
Sécurité lui-même.
57

§3. Eléments constitutifs de la responsabilité de protéger

La responsabilité de protéger embrasse trois responsabilités spéci-


fiques qui sont :

- la responsabilité de prévenir : La communauté internationale doit


s’attaquer aux causes directes et indirectes des conflits internes qui
pourront dans le futur mettre les populations dans les risques ;
- la responsabilité de réagir : Il s’agit ici de venir en aide aux popula-
tions expérimentant déjà des souffrances diverses par des mesures
appropriées qui peuvent inclure des mesures coercitives comme les
sanctions et le recours aux tribunaux internationaux et dans des cas
extrêmes, recourir à l’intervention militaire ;
- la responsabilité de reconstruire : Après l’intervention militaire, la
communauté internationale doit fournir assistance, reconstruction et
réconciliation. Elle doit en plus s’attaquer aux causes principales du
malaise qui ont été à la base de l’intervention.

§4. Responsabilité de protéger : Principes pour une intervention militaire

L’intervention militaire est une mesure exceptionnelle et extraordi-


naire à prendre. Elle doit poursuivre des objectifs de protection humaine et il
faudrait qu’il existe des preuves réelles de violations des droits humains comme
par exemple des cas de génocides, l’incapacité observée de l’Etat à protéger ses
citoyens, les conflits ethniques, les expulsions des populations, les actes de ter-
reur ou des viols massifs.

La première justification de l’intervention doit consister à mettre un


terme aux souffrances humaines et cela nécessite une opération multilatérale re-
cevant le soutien de l’opinion régionale et des victimes concernées. Le recours à
l’intervention militaire ne doit être justifié qu’en dernier ressort et lorsque tous
les autres moyens non-militaires pour résoudre le conflit ont étaient exploités. Il
58

faut en plus qu’il existe des raisonnables chances de succès ; l’action militaire ne
doit pas engendrer plus des souffrances que la situation de l’inaction.

L’autorité compétente qui doit autoriser l’intervention humanitaire


reste le Conseil de Sécurité de l’ONU. Son autorisation doit être antérieure à
toute intervention et ceux qui veulent la conduire doivent explicitement deman-
der l’autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU.

Les objectifs de l’intervention doivent être clairs et précis, une ap-


proche militaire commune parmi les intervenants, une unité de commandement
et une coordination maximale avec diverses organisations humanitaires.

La responsabilité de protéger comme on vient de le voir reste un des


éléments caractéristiques des débats en relations internationales en rapport avec
la prévention du génocide et des atrocités de masse, aussi pour protéger de po-
tentielles victimes. Selon Alex Bellamy76 ce principe diffère du vieux concept de
l’intervention humanitaire dans la mesure où la responsabilité de protéger élève
la responsabilité première des Etats à protéger ses propres citoyens et en exi-
geant à la communauté internationale d’assister les Etats et dans les cas ex-
trêmes, l’intervention humanitaire devient la réponse contre le génocide et les
atrocités de masse.

Quelques années après son adoption, la responsabilité de protéger


fait désormais partie du langage diplomatique international utilisé par des gou-
vernements, des ONG et autres organes pour demander d’agir là où on observe
des violations massives des droits humains. Malgré ces avancées, plusieurs dé-
saccords demeurent. Les critiques estiment que la responsabilité de protéger est
une doctrine dangereuse et impérialiste qui menace la souveraineté et
l’autonomie politique des Etats faibles ou fragiles. Des désaccords profonds per-
sistent aussi au sujet même de sa signification, de ses fonctions et de
l’inconsistance avec laquelle certains ont recouru à ce principe pour justifier

76 BELLAMY, A., The responsibility to protect-Five years on, Ethics and International Affairs 24.2, summer 2010.
59

l’intervention. Par exemple, la France, en relation avec Myanmar après le pas-


sage du cyclone Nargis qui laissera près de 138.000 morts et disparus, plus de
1.500.000 de déplacés et créa une catastrophe humanitaire sans précédent. En
dépit de son incapacité d’apporter de l’aide à sa propre population, le régime mi-
litaire en outre refusa l’accès sur son territoire de toutes les agences d’aide hu-
manitaire. Cette situation frustra le ministre français des affaires étrangères de
l’époque. Bernard Kouchner demanda au Conseil de Sécurité de l’ONU
d’évoquer la responsabilité de protéger en vue d’intervenir au Myanmar sans le
consentement du gouvernement pour y apporter de l’aide argumentant que le re-
fus d’autoriser l’assistance humanitaire constituait un crime contre l’humanité.
La proposition fut rejetée par la Chine et les Etats membres de l’ASEAN esti-
mant que la responsabilité de protéger ne devrait pas s’appliquer dans les cas des
désastres naturels. Quand à la Russie en relation avec la Géorgie, lorsque le
gouvernement nationaliste géorgien lança une opération militaire dans la pro-
vince sécessionniste d’Ossétie du Sud. Le gouvernement russe intervenant mili-
tairement et unilatéralement dans la province rebelle et justifiant son interven-
tion par le principe de la responsabilité de protéger car voulant empêcher la
commission imminente des atrocités par les troupes géorgiennes. Ces arguments
furent rejetés par la communauté internationale estimant que cette intervention
était non seulement disproportionnée mais ajouta que la responsabilité de proté-
ger n’accordait aucune justification pour recourir à la force sans l’autorisation
préalable du Conseil de Sécurité.

Ces deux Etats ont recouru au principe de la responsabilité de pro-


téger pour justifier l’usage actuel ou potentiel de la force dans le contexte où il
n’existait aucun risque réel des violations des droits humains en rapport avec le
génocide ou des atrocités de masse. Ce principe fut récemment évoqué par la
France et la Grande Bretagne pour justifier l’intervention de l’OTAN en Lybie
qui empêcha les forces du Colonel Kadhafi de commettre des atrocités à Ben-
gazi et qui conduira à son renversement du pouvoir. A contrario, le principe n’a
jamais été utilisé par les gouvernements et les diplomates dans le contexte de la
Somalie, Yémen, Barhain et Syrie en dépit du fait que plusieurs atrocités ont été
60

commises contre les populations civiles dans ces pays. Dans le cas syrien no-
tamment, comment expliquer la passivité de la communauté internationale alors
qu’il existe des évidences réelles de la commission par le régime Assad et
Daersh des atrocités massives dans des villes comme celle de Homs ? Pourquoi
la Lybie et pourquoi pas la Syrie ?

Il apparait ici très clairement que l’intervention humanitaire conti-


nue à faire face à plusieurs dilemmes. Elle n’a toujours pas été guidée par les
seules justifications humanitaires. Elle est à la fois fonction des intérêts person-
nels des individus, des intérêts stratégiques des Etats et surtout de la géopoli-
tique mondiale.

SECTION 3. OBJECTIONS CONTRE L’INTERVENTION HUMANITAIRE

Il existe sur le plan académique un débat très engagé entre le cou-


rant dit solidariste défenseur de l’intervention humanitaire et un autre groupe
comprenant les pluralistes ainsi que les réalistes, opposés à l’intervention hu-
manitaire. En effet, les solidaristes estiment que toute intervention doit satisfaire un
certain nombre des critères pour qu’elle soit considérée comme humanitaire :

Premièrement, il faut qu’il existe une juste cause ou mieux “une ur-
gence humanitaire suprême“77. L’urgence humanitaire ici n’est pas à définir en
termes de nombre de morts ou de déplacés car ce critère semble être arbitraire.
Une urgence humanitaire existe si la seule chance de sauver des vies dépend de
l’intervention des forces extérieures qui viennent au secours des populations op-
pressées. En d’autres termes, les violations des droits humains doivent atteindre
une magnitude qui choque la conscience de l’humanité. Ceci permet d’établir
une distinction entre les abus quotidiens et ordinaires des droits humains et ceux
extraordinaires résultant des assassinats massifs et des brutalités à classifier
dans la catégorie des crimes contre l’humanité, des génocides, des assassinats

77 WHEELER, J.N., Saving Strangers: Humanitarian Intervention in international Society, Oxford University Press, Ox-
ford 2010, p.34.
61

des masses, des expulsions des populations par la force sans oublier la faiblesse
de l’Etat à maintenir l’ordre et la loi. L’intervention humanitaire est donc ici jus-
tifiée dans ces cas, mais, si on attend trop longtemps jusqu’à ce qu’on arrive à
ce point, il est possible qu’il soit trop tard de sauver ceux qui sont déjà tués ou
déplacés. Ceci pose le problème de quand faut il intervenir ? Que devient le cas
où peu des personnes seulement ont été tuées comme prémices à une campagne
plus large ? Est-il acceptable d’attendre qu’il ait plusieurs morts pour justifier
une intervention ? Nous sommes ici de l’avis que les intervenants ne doivent pas
attendre trop longtemps. Il faut intervenir lorsqu’il existe des preuves suffisantes
que des massacres des populations sont en préparation.

Deuxièmement, comme on vient de le voir, l’intervention reste liée


avec l’impérative morale de la théorie de la guerre juste selon laquelle la force
doit toujours être utilisée en dernier ressort. Il s’agit ici du principe de nécessité.
Il est selon Nigel Rodley78 la seule condition suffisante qui puisse permettre à
mettre fin aux violations des droits humains en question. Pour lui, le recours à la
force est acceptable seulement si tout retard conduirait à assister à des violations
irréparables. Sinon, tout doit être mis en œuvre pour résoudre la crise de manière
pacifique. Ceci constitue un des dilemmes de l’intervention humanitaire, car
pendant le temps où on est entrain de chercher à résoudre pacifiquement le pro-
blème, les massacres et expulsions peuvent continuer sur le terrain rendant ainsi
l’intervention future inadéquate.

Troisièmement, ces calculs sont rendus difficiles car toute décision


de recourir à la force doit être proportionnelle. L’usage de la force ne doit pas
être supérieur au degré de la menace ou ne doit pas créer plus des problèmes
qu’il prétend résoudre. Dans le cas de l’intervention de l’OTAN au Kosovo,
Adam Roberts79 note que dans la longue histoire des débats sur l’intervention
humanitaire, il existe toujours des questionnements sur les méthodes et moyens
utilisés pour intervenir.

78 RODLEY, N., “Collective Intervention to Protect Human Rights“ in Rodley N(ed), To Loosen the Bands of Wickedness,
Brasses’, London 1992, p.37.
79 ROBERTS A, NATO’s Humanitarian War over Kosovo, Survival, 41/3(1999), p.110
62

Enfin, Il faut qu’il existe une réelle probabilité selon laquelle, le re-
cours à la force va résoudre des problèmes humanitaires en question.

Pour les réalistes et notamment avec l’intervention de l’OTAN en


Yougoslavie, Michael Mandelbaum80 souligne que la campagne de bombardement
de l’OTAN en Mai 1999 a détruit l’ambassade de Chine à Belgrade et tua deux
journalistes chinois. L’attaque de l’ambassade de Chine fut donc une erreur grave
qui symbolisât tous les échecs politiques et militaires de cette guerre. La guerre a en
outre eu des effets négatifs sur des intérêts nationaux des Etats intervenants.

Les relations entre les intervenants d’une part, la Chine et la Russie


d’autre part sont devenues tumultueuses et pouvaient conduire à une escalade
dans les Balkans. Ceci résume en gros les objections des réalistes contre toute
intervention humanitaire pour laquelle les intérêts nationaux ne sont pas en jeu.
Les réalistes et les pluralistes estiment que dans un environnement international
anarchique, où il n’existe pas un consensus sur les règles qui gouvernent
l’intervention humanitaire, les Etats vont agir selon leur propres principes mo-
raux, qui en définitif vont affaiblir l’ordre international construit autour des
principes de la souveraineté, de la non-intervention et du non recours à la
force81. Nicholas Wheeler82 développe quatre autres objections des réalistes à la
notion de l’intervention humanitaire :

- Les revendications humanitaires masquent la poursuite par les Etats


des leurs propres intérêts nationaux. Ainsi légaliser le droit
d’intervention humanitaire conduira les Etats à en abuser. La doc-
trine de l’intervention humanitaire devient de ce point de vue une
arme utilisée par les puissants contre les faibles.

80 MANDELBAUM M., A Perfect Failure. NATO’s War against Yugoslavia, Foreign Affairs, 78-5, (Sept-Oct 1999)
81 WHEELER, N., op.cit, p.29
82 Idem.
63

Dans leur étude sur les cas possibles d’intervention humanitaire


entre 1945 et la période post 1945, Frank et Rodley83 conclurent que peu ou au-
cune intervention n’est réellement apparue comme poursuivant des objectifs
humanitaires ; dans l’ensemble elles furent guidées par la poursuite des intérêts
nationaux.

- La deuxième objection des réalistes consiste en ce que, sans intérêts


nationaux en jeu, les Etats ne vont pas intervenir pour risquer la vie
de leurs militaires car en plus, les conséquences financières et éco-
nomiques sont à prendre en compte.

L’enjeu ici est que l’Etat ne peut pas intervenir seulement pour des
raisons humanitaires car il est toujours motivé par la considération des intérêts na-
tionaux. Les réalistes estiment que les questions humanitaires peuvent pousser un
Etat à intervenir sur la scène internationale mais ce dernier ne pourra recourir à la
force que seulement si ses intérêts vitaux sont en jeu. L’intervention humanitaire
est donc fonction des considérations géopolitiques et stratégiques des Etats.

- L’intervention humanitaire s’applique toujours de manière sélective

L’histoire montre que par le passé l’intervention humanitaire a été


appliquée que de manière sélective, elle y sera certainement dans le futur. En lé-
gitimant donc l’intervention humanitaire, les Etats vont appliquer la règle de la
manière sélective selon que la réponse aux violations des droits humains seront
dictées par leurs intérêts nationaux.

- Enfin la dernière objection est normative dans le sens que les Etats
n’ont aucun intérêt à risquer la vie de leurs militaires et autres per-
sonnels pour sauver la vie des étrangers.

83FRANK, T. and RODLEY, N., After Bangladesh: The Law of Humanitarian intervention by Military force, American Jour-
nal of International Law, 67(1973), p.290.
64

Cette question a été soulevée notamment dans les cas des interven-
tions en Somalie et au Kosovo. Ken Booth84 estime que les leaders politiques
n’ont pas le droit de stopper la barbarie au delà de leurs frontières. Si un gouver-
nement est incapable de maintenir l’ordre et la loi, ou s’il viole les droits hu-
mains de ses citoyens, il est de la responsabilité morale des leaders et citoyens
de cet Etat de rétablir l’ordre et la loi. Les autres Etats n’ont pas le droit
d’intervenir même s’ils sont convaincus de pouvoir y apporter la solution. La
raison est que les citoyens sont les seuls responsables de leur Etat et celui-ci
reste leur propre affaire. Il s’agit ici d’un paradigme Etatique selon lequel la
seule justification des vies des soldats doit être justifiée par la défense des inté-
rêts nationaux.

Huntington, critiquant l’intervention américaine en Somalie estime“


qu’il est moralement injustifiable et politiquement indéfendable que les
membres de l’armée américaine soient tués pour empêcher les somaliens à tuer
d’autres somaliens“85.

En dépit de ce débat combien intéressant pour et contre


l’intervention humanitaire, la tendance générale tant du côté des gouvernants,
des opinions publiques que des organisations internationales restent très favo-
rables à l’intervention humanitaire là où des abus des droits humains y sont ob-
servés. Cette tendance est justifiée on l’a dit par la fin de la guerre froide qui a
vu promouvoir une vision plus libérale de l’humanité ayant conduit à l’adoption
des nouvelles règles internationales en relation avec la protection des droits hu-
mains. Il faut aussi y ajouter l’effet de la mondialisation. Le développement des
nouvelles technologies, du téléphone, de l’internet, des réseaux sociaux (Face
book, Twitter…) ont rendu les communications plus rapides entre les différents
peuples qui peuvent donc échanger plus facilement leurs expériences. Il faut en-
fin y voir le rôle des medias, qui tous les jours nous balancent des images de na-
ture différentes qui peuvent heurter les sensibilités et la morale des oignions pu-
84BOOTH K, Human Wrongs in International Relations, International Affairs, 71/1 (1995).
85 S.P. HUNTINGTON cité par SMITH, M.J., Humanitarian Intervention; An Overview of the Ethical Issues, Ethics and In-
ternational Affairs, 3 (1989).
65

bliques. Aux USA notamment, l’intervention en Somalie fut rendu possible par
ce qu’on a appelé le ″CNN-Effet″, qui n’a cessé de balancer des images des en-
fants somaliens affamés quémandant à manger dans les rues de Mogadiscio.
L’opinion américaine trouva ces images choquantes et inacceptables et força
l’administration Bush à intervenir.

Les Nations Unies ont donc adopté en Assemblée Générale un outil


important justifiant l’intervention humanitaire en 2005 sous le label de la res-
ponsabilité de protéger. Néanmoins, toute intervention humanitaire doit être
autorisée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Il est ici important de
souligner que cette exigence constitue un autre dilemme auquel fait face toute
action d’intervention humanitaire car, comme on le sait, le fonctionnement du
Conseil de Sécurité est non seulement anachronique mais surtout anti-
démocratique. Le droit de veto est généralement utilisé pour des raisons
d’intérêts nationaux des cinq membres permanents. Il est donc impératif de ré-
soudre cet autre dilemme en reformant en profondeur le fonctionnement du
Conseil de Sécurité. Malheureusement, toutes les tentatives de reformes propo-
sées notamment par Koffi Annan, ont été rejetées par les fameux membres per-
manents. Comment alors venir en aide aux populations civiles qui se voient
massacrées par leurs gouvernements lorsqu’il est impossible de trouver un con-
sensus parmi les membres permanents ? Le cas syrien nous interpelle.

SECTION 4. CONTEXTE STRATEGIQUE DE L’INTERVENTION HUMANI-


TAIRE : DE LA GUERRE FROIDE A L’ERE POST-GUERRE FROIDE

La manière la plus simple d’examiner le contexte politique et la


norme de l’intervention humanitaire est d’identifier les conditions structurelles
incluant celles matérielles ainsi que les facteurs idéologiques qui ont à la fois
permis et contraint la pratique de l’intervention humanitaire. Ces conditions
structurelles proviennent des politiques encourageantes ainsi que des contraintes
pour ceux qui s’engagent dans l’intervention humanitaire ou s’y retiennent.
66

La période de la guerre froide fut marquée par les conflits idéolo-


giques qui ont paralysé la pratique de l’intervention par les Nations Unies .Le
passage à l’ère post-guerre froide a changé le contexte politique et normatif de
l’intervention humanitaire. Bien que la structure post-guerre froide fourni un
contexte plus permissif de l’intervention sur des bases humanitaires, ceci doit
être balancé car il faut reconnaitre que les contraintes contre l’intervention re-
levant à la fois des éléments de la continuité et de la discontinuité de l’ère
guerre froide demeurent. Ainsi, l’examen approfondi des pré-conditions struc-
turelles pour l’intervention humanitaire entre la période de la guerre froide et
celle post-guerre froide ; centré sur des facteurs permissifs et des contraintes,
fournissent un aperçu essentiel des dilemmes et challenges contemporain de
l’intervention humanitaire.

§1. Du contexte de la guerre froide

Le contexte de l’intervention humanitaire pendant la guerre froide


fournit un ensemble mixte des facteurs permissifs et contraignants distinctive-
ment différents de ceux de la période post-guerre froide. Les facteurs permissifs
furent guidés par la structure bipolaire de la guerre froide qui impliquait à la fois
une compétition compréhensive et une lutte entre deux modèles idéologiques
d’organisations économique, sociale et politique. Pour Raymond Aron, le sys-
tème international pendant l’ère guerre froide fut″ hétérogène plutôt
qu’homogène“ en ce sens qu’il existait plus qu’un seul principe de légitimité
domestique86. Ceci fut particulièrement le cas des pays nouvellement indépen-
dants qui furent confrontés au choix entre deux modèles opposés : le capitalisme
pro-occidental liant le capitalisme avec le développement des formes démocra-
tiques des gouvernements ; et un modèle socialiste opposé basé sur la promotion
des Etats forts pour mieux maintenir l’ordre et d’une économie dirigée afin de
surmonter les injustices créées par le capitalisme international. Ainsi, pour les
deux superpuissances gardiennes de ces modèles, tout Etat se considérant
comme non-aligné ou menacé sur le plan interne par les forces promettant un

86 ARON, R., Peace and War: A Theory of International Relations, Weidenfeld and Nicolson, London 1966,p99
67

modèle opposé devenait légitimement un cycle potentiel pour l’intervention.


Garthoff87 note que la conséquence de cette opposition se manifestait dans la
manière où les deux puissances s’ingéraient dans des conflits en longue distance,
en relevant par exemple leur intervention dans les négociations sur le contrôle
des armes suite à l’intervention de l’URSS dans la guerre somalo-éthiopienne
dans la corne africaine.

La structure bipolaire de la guerre froide, qui fournit le contexte


permissif de l’intervention des superpuissances a eu pour effet de marginaliser le
rôle interventionniste des autres acteurs comme les Nations Unies et les autres
agences humanitaires. En relation avec les Nations Unies, la guerre froide a es-
sentiellement paralysé le mandat de la sécurité collective, la division idéolo-
gique Est-West a rendu impossible l’application de la disposition du Chapitre
VII pour l’intervention collective. Pour Durch, c’est dû à cette paralysie que le
concept des missions de maintien de la paix de l’ONU, qui ne se trouve pas dans
la charte, fut développé pour fournir un rôle ad hoc et strictement limité pour
l’intervention Onusienne dans peu des conflits où les deux puissances pouvaient
s’accorder que dans leur intérêt mutuel, ils autorisaient l’intervention d’une
force impartiale et multilatérale88. Dans le contexte de la guerre froide, l’action
des Nations Unies pour l’intervention fut essentiellement limitée, les activités de
l’ONU furent dépendante à la stricte observance du mandat des missions de
maintien de la paix traditionnelles basé sur“ le consentement, l’impartialité et le
minimum recours à la force″89.

Il serait une erreur de considérer que la structure de la guerre froide


fournissait une invitation sans limite aux superpuissances d’intervenir. En réali-
té, il existait aussi des forces qui limitaient et agissaient comme contraintes à
l’intervention. Une de ces contraintes fut la peur endémique selon laquelle un
conflit mineur pouvait conduire à l’escalade et à la confrontation des deux
puissances, avec pour danger majeur le recours à l’arme nucléaire. Ce fut le cas
87 GARTHOFF, R., Detente and Confrontation: American-Soviet Relations from Nixon to Reagan, Brookings Institution,
Washington DC 1985, p.651.
88 DURCH, W.J., The Evolution of UN Peacekeeping: case studies and comparative analysis, St Martin’s Press, New

York 1993, p.19.


89 BELLAMY, A., WILLIAMS, P. and GRIFFIN, S., Understanding Peacekeeping, Polity, Cambridge 2004, p.96.
68

notamment au Proche Orient que cette peur fut grande, particulièrement durant
les guerres de 1967 et 1973 qui ont vu les puissances collaborer pour essayer de
résoudre le conflit Israélo-arabe.

Une autre contrainte fut la conséquence du fait même de la sous-


cription par les deux puissances à l’idéologie anti-impérialiste en encourageant
le démantèlement des empires européens et la reconnaissance du principe du
self-détermination ainsi que la souveraineté et l’indépendance des territoires
sous le contrôle européen.

§2. Contexte post-guerre froide

Comprendre les conditions structurales des pratiques de


l’intervention pendant la guerre froide fournit un prisme essentiel pour examiner
le changement stratégique de l’intervention dans l’ère post-guerre froide. Beau-
coup de choses ont indéniablement changé mais surtout dans la nature et la por-
tée des facteurs permissifs et contraignants. Mais, au même moment, ce chan-
gement n’a pas rendu les dilemmes politiques et moraux concernant
l’intervention substantiellement facile à résoudre. En effet, ces dilemmes sont
devenus encore plus complexes et controversés qu’avant.

En termes des facteurs permissifs, deux éléments importants ont


contribué à fournir une bonne opportunité pour l’intervention et pour un consen-
sus international en vue de légitimer l’intervention. Le premier est le fait que la
menace de guerre entre les deux super puissances a substantiellement diminué.
Ceci affaiblit une des principales contraintes de la guerre froide sur
l’intervention : la peur selon laquelle l’intervention dans des conflits lointains
peuvent escalader jusqu'à menacer la stabilité stratégique internationale. Ceci est
le cas de l’intervention de l’OTAN dans l’ancienne Yougoslavie pendant les an-
nées 1990 qui pouvaient être impensable pendant la guerre froide, surtout que la
Yougoslavie fut un Etat pivot dans la balance stratégique Est-Ouest. De manière
similaire, il n’y avait pas de peur que l’intervention en Somalie en 1992-4 puisse
69

matériellement endommager l’ordre international lorsqu’on repense aux inter-


ventions des années 1970 des deux puissances dans la corne de l’Afrique qui ont
miné la détente. Il existe cependant des exceptions à cet environnement permis-
sif, notamment en rapport avec des conflits qui sont stratégiquement liés aux in-
térêts de certains Etats puissants, comme la Russie, la Chine et l’Inde qui déter-
minent les modalités de toute intervention internationale. Dans les conflits
comme ceux en Tchétchénie, au Tibet ou dans le Kashmir, les préoccupations
stratégiques pour une stabilité internationale réduisent dramatiquement toute
chance pour une intervention internationale.

Le deuxième facteur permissif est la fin même de l’idéologie rigide


de la guerre froide. Pour revenir à la distinction de Raymond Aron, le système
international passe de″ l’hétérogénéité à l’homogénéité “. Dans l’air post-guerre
froide, il existe seulement peu de pays comme la Corée du Nord et le Cuba, qui
ne reconnaissent pas que le capitalisme est la forme d’organisation économique
la plus effective. La fin de la guerre froide a accéléré de manière significative
l’expansion en nombre des pays ayant adopté la démocratie libérale comme leur
système d’organisation politique90. Il existe aussi de nos jours une convergence
en relation avec le concept des droits humains, qui fut sérieusement contesté
pendant la période de la guerre froide entre les libéraux, les marxistes et les in-
terprétations des pays du tiers monde91. Dans l’ère actuelle, la sévérité de ces dé-
saccords a sensiblement diminué, ceci a contribué à faire évoluer progressive-
ment des compromis sur les standards et les normes humanitaires universelles.

Les implications de ces nouveaux facteurs permissifs post-guerre


froide ont eu un impact dramatique sur les acteurs internationaux qui furent
marginalisés pendant la période de la guerre froide : Les Nations Unies et les
agences humanitaires. La fin de la guerre froide a libéré l’ONU de sa paralysie
et a conduit à une implosion en nombre des opérations de maintien de la paix.

90 FUKUYAMA, F., The End of History and the Last Man, Hamish Hamilton, London 1992.
91 FORSYTHE, D., Human Rights in World Politics, Nebraska university press, Lincoln 1989, p.36
70

Pour Michael Berdal92, entre 1988 et 1993, l’ONU a établi vingt nouvelles mis-
sions de maintien de la paix, plus importantes en nombre comparativement aux
quarante précédentes années ; elles assument des nouvelles missions comme la
fourniture de l’aide humanitaire, la démobilisation des combattants, la surveil-
lance du processus électoral et le support à la démocratie. Pour les agences hu-
manitaires, la fin de la guerre froide a eu un effet libérateur similaire. Leurs mis-
sions et mandats ont aussi connu de l’expansion, désormais elles arrivent à
pousser pour plus d’engagement politique par exemple en termes de campagne
pour l’abandon des mines anti-personnelles.

Il est important de contrebalancer ces moyens permissifs qui ont po-


tentiellement transformé le contexte de l’intervention avec certains autres facteurs
contraignants. Le plus important de ces facteurs est que la fin de la guerre froide et
de la lutte idéologique a substantiellement réduit la stratégie rationnelle de
l’intervention dans des conflits lointains. Il faut préciser que l’ère post guerre froide
connait une attraction du libéralisme inspiré par Emmanuel Kant, qui est en opposi-
tion avec la tradition réaliste et le scepticisme moral de David Hume. Dans cette ère
post guerre froide, les arguments humanitaires pour l’intervention doivent con-
vaincre les opinions publiques occidentales pour le quelles le seul outrage moral ne
conduit pas nécessairement à accepter les coûts et sacrifices liés à l’intervention.
Les interventions militaires souffrent d’une insuffisance en nombre des militaires
prêts à s’engager dans le processus de l’intervention. L’occident, particulièrement
l’Europe a été en retard de changer sa structure militaire de la stratégie défensive
de la guerre froide à une nouvelle plus favorable à l’intervention. Comme le sou-
ligne Michael O’Hanlon93, il existe actuellement 100.000 troupes sur un total de 22
millions des troupes dans les armées du monde qui sont potentiellement disponibles
pour l’intervention humanitaire. Ce chiffre est deux fois inférieur au minimum ac-
ceptable. Cette faiblesse dans la contribution des troupes par les Etats limite de ma-
nière potentielle l’action de l’ONU qui est dépendante de cette contribution.
L’ONU s’est donc souvent retrouvée dans l’impossibilité de trouver des ressources
matérielles nécessaires pour remplir sa mission.

92 BERDAL, M., The UN’s unnecessary crisis, survival, 47(3), 7-32.


93 O’HANLON, M., Expanding Military Capacity for Humanitarian Intervention, Brookings institution, Washington DC, p.54.
71

En plus des contraintes liées aux ressources matérielles, il existe


d’autres contraintes qui peuvent être considérées comme idéationnelles ou nor-
matives. Premièrement et comme on l’a ci- haut signalé, il existe des limites à la
convergence normative sur la ré-conceptualisation de la notion de souveraineté
en vue de faciliter l’intervention humanitaire. Signalons que la CISSE (commis-
sion internationale sur la sécurité et souveraineté des Etats) a rencontré une forte
résistance sur ses propositions notamment en Asie et en Amérique latine où il
demeure une forte suspicion sur des potentielles implications néo-impérialistes
liées à la notion de l’intervention94. Au Proche Orient, il y a eu des frustrations
additionnelles liées à la manière différente dont les pays occidentaux conçoivent
les abus des droits humains dont subissent les populations palestiniennes sous
occupation israélienne95. En rapport avec l’Afrique, la CISSE a relevé sa frustra-
tion car comparée aux Balkans, l’Afrique n’a connu que peu d’interventions96.

En plus, la contrainte de la guerre froide liée à la norme anti-


impérialiste qui défend les dispositions territoriales postcoloniales ont été que
partiellement modifiées dans l’ère post-guerre froide. Mis à part, la sécession
des anciens Etats de l’Union Soviétique et de la Yougoslavie, toute autre tenta-
tive à l’auto-détermination a été contestée ou mise à l’échec ; ceci est le cas de la
Tchétchénie et du Kosovo. En Afrique, en dépit des débats qui ont eu lieu sur
les avantages à repenser certaines frontières problématiques des certains Etats
dans la région, la reconnaissance à l’auto-détermination de certaines régions
comme fut les cas de l’Erythrée ou du Soudan du Sud restent plutôt des excep-
tions que le principe. En rapport avec la RDC, certains observateurs notent que,
la tragédie de cet Etat et en dépit de la présence de l’ONU, prêt de 3.8 millions
de personnes sont mortes dans des multiples guerres. La RDC est donc recon-
nue comme un quasi-Etat ou un Etat fragile (failed state) et devrait peut être re-
pensé ses frontières actuelles pour mieux être gérée97.

94 CISSE, 2001b, p.392


95 AYOOB, M., Third World perspectives on humanitarian intervention and international administration, Global Governance,
10(1):99-118.
96 CISSE, 2001b: 389-90.
97 International Rescue Committee, Mortality rates in the DRC: results of a nationwide survey conducted December 2004, at

www.theirc.org accessed December 2009.


72

La prolifération des administrations internationales mises en place à


la suite des interventions (le cas de la Monusco) augmente les craintes d’un
nouvel âge de l’impérialisme. Ceci est un de plus intéressant et controverse dé-
veloppements de l’ère post-guerre froide car ces administrations viennent saper
le principe selon lequel les Etats sont souverainement égaux, principe sur lequel
l’ordre international actuel est construit98.

§3. 11 septembre 2001 et nouveau contexte de l’intervention

Les attaques terroristes sur le territoire américain en 2001ont de


manière significative changé le contexte de l’intervention. L’environnement sé-
curitaire post-11 septembre a radicalement changé la balance pour l’intervention
qui passe des impératifs humanitaires aux exigences sécuritaires. En pratique, il
est toujours difficile de séparer les exigences purement politico-stratégiques des
impératifs humanitaires.

Du point de vue négatif, comme on l’a précédemment souligné, les


événements du 11 septembre ont certainement accéléré la prédilection pour une in-
tervention unilatérale qui fut déjà appliquée dans le cas du Kosovo, avec les USA
particulièrement retrouvant des nouvelles prérogatives définies dans la stratégie de
sécurité nationale (SSN) en 2002 ; les USA exerceront leur droit à l’auto-défense
en agissant préventivement99. Pour les USA, le contexte stratégique de
l’intervention a été étendue partout dans le monde entier où il existe un potentiel
menace du terrorisme international, où les Etats dit voyous tentent d’acquérir des
armes de destructions massives. Cette nouvelle stratégie détourne l’attention loin de
l’Afrique (exception faite pour le Sahel et la Lybie) où on assiste à plusieurs dé-
sastres humanitaires suite aux guerres de ces dernières années, vers le Moyen
Orient et l’Asie où les menaces du terrorisme international et l’acquisition poten-
tielle des armes de destruction massives sont quasi- journalières. La guerre d’Irak
en 2003 apparait avoir fatalement compromis la norme de l’intervention humani-

98 Mortimer D, International administration of war-torn territories, Global Governance, 10(1):7-14.


99 WHITE HOUSE, The National Security Strategy of the United States of America, The White House, Washington DC, p.6
73

taire en dépit des justifications humanitaristes post intervention qui d’ailleurs ont
été moins convaincantes.

Néanmoins, il existe aussi une autre perspective plus positive. Un déve-


loppement notable depuis le 11 Septembre 2001 est la manière avec laquelle les Etats
fragiles, les quasi-Etats (weak, failed or collapse states) ont à la fois été considérés
comme stratégiques et exigeant une intervention humanitaire. Ceci a fait l’objet d’un
consensus entre les USA et l’Union Européenne, contenu à la fois dans la stratégie
de sécurité nationale américaine (SSN) et la stratégie de sécurité européenne (SSE)
de 2003100. Cette nouvelle conception formule une nouvelle stratégie de
l’intervention dans les Etats jadis considérés comme non stratégiques. Ceci est le cas
de l’Afghanistan car l’intervention de 2002 arrive après plus de quinze ans que ce
pays ait disparu sur la carte stratégique et fut abandonné à lui-même, connaissant
l’anarchie et des conflits internes. Comme résultats, la période post-guerre froide
ouvre un contexte stratégique plus favorable à l’intervention avec des retombées po-
sitives sur le plan humanitaire. Ceci inclut l’Afrique où on a des préoccupations sur
la pénétration des réseaux terroristes.

§4. Post-intervention : les challenges de la reconstruction de l’Etat

Les nouveaux challenges sécuritaires post 11 septembre présentés


par les Etats fragiles constituent un changement critique dans le débat sur
l’intervention. Pendant les années 1990, le débat sur l’intervention humanitaire por-
tait premièrement sur la justesse ou non des décisions spécifiques conduisant à
l’intervention ; de plus en plus l’issue de l’intervention, particulièrement après la
guerre d’Irak, consiste à savoir ce qui arrive après l’intervention et comment faire
face aux challenges de la reconstruction de l’Etat. Pour les USA, en particulier, ceci
représente une réorientation politique significative. Ce renouveau provient de la
mauvaise planification de la reconstruction Etatique post-intervention en Afghanis-
tan et en Irak. Mais aussi, ceci reflète une manière fondamentale de repenser les di-
lemmes et challenges principaux de l’intervention humanitaire.

100 EUROPEAN UNION, A Secure World in a Better World: European Security Strategy, EU, Brussels 2003,p 4.
74

De manière plus large encore, l’insuffisance d’attention sur l’issue


de la reconstruction post-intervention ou sur le rétablissement de la paix est liée
à une conception étroite du débat sur l’intervention humanitaire. Les racines ex-
plicatives de cette tentative se trouvent dans le débat sur la tradition de la guerre
juste, sur la quelle une attention significative est donnée sur les pré-conditions
de la“ juste ou bonne intention ″, pour ainsi savoir si les intentions des forces
d’interventions peuvent être caractérisées d’humanitaires101. Comme on l’a pré-
cédemment signalé, cette conception tend artificiellement à limiter les interven-
tions humanitaires aux seules instances où l’humanitaire, plutôt que les exi-
gences de sécurité nationale doit prédominer, tout en excluant que les retombées
humanitaires puissent émerger des motivations stratégiques. Ceci rend étroite la
morale détermination de la justice de l’intervention au moment de prendre la dé-
cision d’intervenir plutôt que de rester dans les retombées et les conséquences à
long terme de l’intervention. La théorie réaliste notamment critique
l’intervention humanitaire, argumentant que ces types d’interventions même si
justifiables dans les instances particulières, auront un effet négatif sur la stabilité
de l’ordre international.

Cette application réaliste de l’éthique conséquente, ne fournit pas


une résolution définitive du débat sur l’intervention humanitaire. Le problème
est plutôt de savoir, que ce qui serait arrivé si l’intervention n’a jamais eu lieu ?
Pour les réalistes, la question est de savoir si ceux qui interviennent assument
la responsabilité de ce qui arrive après l’intervention. Prenant le cas de l’Irak,
l’intervention a conduit à une guerre civile comme fut le cas de la guerre civile
libanaise. Du point de vue critique, ces conséquences remettent en cause les
premières justifications de l’intervention ; tandis que, de l’autre côté, le succès
de la transition vers la démocratie peut justifier l’intervention. Pour la RDC, en
dépit de la présence des Nations Unies, les violences continuent d’être journa-
lières surtout dans l’Est du pays. La transition vers la démocratie est considérée
comme un échec aux vues de l’organisation des dernières élections considérées

101 FARER, T. and alii, Roundtable: Humanitarian Intervention after 9/11, International Relations, 19(2):211-50.
75

par plusieurs observateurs comme de chaotique102. Il y a donc ici lieu de


s’interroger sur la nécessité de l’intervention Onusienne en RDC.

La justesse ou non de l’intervention humanitaire a été de manière


significative conceptualisée avec une demande à long terme de la construction
de la paix et la montée du phénomène international des administrations de tran-
sition. C’est dans ce secteur qu’il faut trouver une convergence entre les études
de la sécurité et celles de développement. Un consensus selon lequel la pré-
condition pour le développement est la fin des conflits civils et la reconstruction
des forces de sécurité.

Il existe par contre peu de consensus au sujet des implications à


long-terme des administrations de transition. En Bosnie, Kosovo et Timor Est,
les missions de maintien de la paix ont certes stoppé la guerre et se sont inves-
ties à l’exercice de la reconstruction de l’Etat, mais le succès relatif au Timor
Est n’a pas été similaire en Bosnie ou au Kosovo où, en dépit des fonds engagés,
les causes principales des conflits demeurent. Les nombreuses opérations en
Afrique ont été généralement moins financées, et le danger de revoir ces pays
replongés dans les guerres est élevé. Similairement en Afghanistan et en Irak,
les espoirs du succès pour la reconstruction de ces deux Etats demeurent incer-
tains à cause des sources internes d’oppositions et des violents conflits.

Pour certains observateurs, ces records mixtes de succès mais sur-


tout d’échecs du processus de reconstruction demeurent des challenges réels de
l’intervention humanitaire. Amital Etzioni fournit un aperçu historique de re-
construction nationale par les forces étrangères. Il reconnait que peu d’exemples
ont été un succès : l’Allemagne et le Japon après la deuxième guerre mondiale
constituent des exceptions au principe selon lequel toute autre tentative de re-
construction nationale par les forces étrangères est appelée à échouer103. Kim-
berly Zisk Marten abonde dans le même sens. Il estime que l’idée des adminis-
102 CARTER CENTER, Democratic Republic of the Congo: Legislative Election Results Compromised, New York, Feb-
ruary 23, 2012.
103 ETZIONI, A., A self-restrained approach to nation-building by foreign powers, International Affairs, 80(1):1-17.
76

trations internationales transportant la démocratie libérale est une illusion et que


les missions internationales doivent se limiter à fournir la sécurité, aidant les ac-
teurs locaux à repenser eux-mêmes leurs systèmes politico-économiques104. Pour
Roland Paris, ce qui doit être exigé doit être plus d’engagement de la commu-
nauté internationale, avec plus de volonté politique, plus des ressources finan-
cières et un engagement à long terme sur la reconstruction de l’Etat. Il reconnait
donc que les missions internationales de reconstruction nationale sont excessi-
vement optimistes sur l’implémentation des démocraties libérales et l’économie
de marché, reproduisant ainsi les erreurs de la théorie de la modernisation des
années 1950. Pour lui, les échecs peuvent être surmontés si une attention parti-
culière est portée sur l’édification des institutions politiques effectives avant de
s’engager dans la libéralisation économique105.

Nous reviendrons dans la dernière partie de ce travail sur ce débat sur


l’impératif de la reconstruction de l’Etat. Mais, ce que nous pouvons dire à ce stade
sur cette pratique des administrations internationales de maintien de la paix repré-
sente un développement significatif en rapport avec la question de l’intervention.
Ce débat comme on l’a souligné ci-haut, est devenu urgent et acceptable dans
l’environnement post 11 septembre 2001. En pratique, ce débat se focalise aussi sur
l’Afrique sub-saharienne, la communauté internationale a reconnu la nécessité
d’avoir une force pour la paix et la démocratie dans les Etats fragiles d’Afrique, qui
aura pour mission de s’engager dans la reconstruction de la nation106.

En liant ces développements avec la discussion précédente sur les


possibilités et les contraintes de l’intervention, cette vision permissive d’un en-
vironnement proto-impérial doit être nuancée avec la reconnaissance des fac-
teurs restrictifs. Il faut reconnaitre notamment la complexité ainsi que les diffi-
cultés de la formation étatique dans les pays du sud où les problèmes du passé
ont conduit à mettre en place des Etats fragiles avec une insuffisance de syner-
gie entre l’Etat et sa société avec sur le plan économique, une intégration limitée
104 MARTEN, K., Enforcing the peace: Learning from the imperial Past, Columbia University Press, New York 2004, p.52.
105 PARIS, R., At War’s End: Building Peace after Civil Conflict, Cambridge University Press, Cambridge 2004, p.179
106 LAWSON, L. and ROTHCHILD, D., Sovereignty reconsidered, Current History, 104:228-35.
77

dans le processus de l’économie globale. Francis Fukuyama note que, les leçons
des dernières décennies d’assistance au développement et des ambitions de re-
construction Etatique ne fournissent pas de réponses sur la faiblesse et fragilité
de certains Etats au sud du Sahara107. Lorsque ces difficultés essentielles sont
combinées avec l’inattention stratégique et l’impatience des démocraties du
Nord, celles-ci n’ont souvent pas la volonté d’investir des ressources impor-
tantes dans les problèmes qui sont loin de leurs frontières, qui certainement
n’apporteront pas des dividendes politiques immédiates.

Le second facteur contraignant est l’anti-impérialisme. Le danger


constant des forces d’intervention, même avec l’autorisation de l’ONU, elles
sont considérées comme des forces d’invasion impérialistes ; particulièrement
par ces élites et groupes sociaux qui sont destinés à perdre une partie ou tous
leurs privilèges. Le cas de l’Irak où le quartier général des Nations Unies fut de
manière délibérée attaqué par les insurgés, illustre cette crainte.

107FUKUYAMA, F., State-Building: Governance and World Order in the 21 st Century, Cornell University Press, New
York, 2004, p.19
78

CHAPITRE TROISIEME
ETATS FRAGILES :
ORIGINE ET DEFINITIONS DU CONCEPT

Les crises multidimensionnelles que connaissent de nombreux Etats


africains depuis le début des années 90 trouvent l’une de ses expressions théo-
riques dans le concept « d’Etat fragile ». Ce terme désigne généralement
l’incapacité de l’Etat à assumer les missions principales que l’on attend de lui.
Ce débat a connu un regain d’intérêt à la suite des attentats du 11 septembre,
époque à laquelle les États-Unis et l’Europe ont entamé une réorientation de
leurs politiques sécuritaires assumant que les États fragiles pouvaient offrir un
terrain propice aux terroristes dans leur ambition de menacer l’occident en parti-
culier et, partant, la sécurité internationale.

Tant dans la Stratégie de sécurité nationale des États-Unis de 2002


que celle de l’union européenne de 2004, la défaillance des États, et notamment
celle des États d’Afrique, est identifiée comme un enjeu majeur pour leur sécuri-
té. En conséquence, nombreux sont ceux qui estiment que soutenir les États afri-
cains à renforcer leurs capacités à délivrer des biens publics, y compris la sécuri-
té, pourrait non seulement être bénéfique pour les Africains, mais aussi pour les
intérêts sécuritaires occidentaux.

Depuis lors, une série de contributions scientifiques et politiques a


tenté de mettre en lumière les diverses manifestations de la fragilité des États et
la manière dont la communauté internationale devrait y réagir. Ce faisant, elles
ont conféré une nouvelle actualité à un phénomène qui n’a, en fait, rien de neuf.
Si certaines analyses présentent indubitablement un intérêt théorique et métho-
dologique, la pertinence analytique d’autres est davantage sujette à caution, no-
tamment parce que le concept-même d’État fragile est souvent considéré comme
allant de soi. Par ailleurs, l’essentiel de ce débat s’est tenu en Occident et il a
omis dans une très large mesure le point de vue africain.
79

SECTION 1. LES ETATS-UNIS : DES ETATS DEFAILLANTS AUX ETATS FRA-


GILES

L’origine des analyses autour du concept d’Etat fragile est à recher-


cher dans les analyses et discussions autour de la notion d’Etat défaillant ou dé-
fait, notion construite autour de la situation haïtienne108. C’est de cette manière
que l’ancienne secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright a décris le
monde post-guerre froide, les autres catégories étant les Etats industrialisés, Les
états émergeants et les Etats voyous109.

C’est ainsi qu’entre 1995 et 2000, la CIA mettra en place un groupe


d’étude, la State failure task force. L’enjeu étant de mettre en avant la prétendue
incapacité des certains Etats à se maintenir comme membre de la communauté
internationale, annonçant ainsi la nécessité et la légitimité d’une mise sous tu-
telle des pays concernés. Cependant, abondamment utilisé dans les discours, la
notion d’Etats défaillants ne va pas donner lieu à des activités spécifiques et à
une stratégie d’envergure hormis quelques opérations militaires ponctuelles.

Bien évidemment, les attentats du 11 Septembre 2001 comme on l’a


ci- haut souligné vont modifier la position américaine. Le président Bush va
faire noter que les dangers les plus importants proviennent non pas des Etats tra-
ditionnels, mais des Etats défaillants (failed states). Mais dans le reste du docu-
ment de la stratégie de sécurité américaine de 2002, le raisonnement est cons-
truit autour des Etats voyous, ceux qui maltraitent leurs populations, dilapident
des ressources aux profits des dirigeants, rejettent les normes internationales,
cherchent d’acquérir les armes de destruction massive et soutiennent financiè-
rement le terrorisme. Cet amalgame volontaire permet de concentrer les efforts
sur les Etats voyous que défaillants.

108 HELMAN, G. et RAINER, R, Saving failed States, Foreign Policy, 1992 (89), pp.3-20.
109 ALBRIGHT, M., Affair of State, Diplomatic Press Corps Meetings, Washington, January 24, 1997.
80

C’est en 2004 que l’USAID distingue deux types de pays en déve-


loppement : les pays relativement stables et les Etats fragiles qui incluent les
pays engagés dans une spirale conduisant à la crise et au chaos, ceux qui se re-
mettent de conflit ou des crises et les autres qui sont essentiellement des états
fragiles110. Ce livre blanc jette les bases d’une stratégie d’aide aux états fragiles
qui doit passer par une amélioration de l’analyse de la fragilité des Etats et leurs
vulnérabilités aux conflits.

A la suite de ce livre blanc de 2004, l’USAID publie sa stratégie


pour les Etas fragiles en janvier 2005. Le terme Etat fragile fait référence à la
grande catégorie des Etats défaits (collapse states), défaillants (failed states), et
en rémission (weak States). Ce sont des Etats incapables de fournir de services
de base et la sécurité à une grande proportion de leur population et dont la légi-
timité du gouvernement est en question. Le gouvernement quelque fois ne con-
trôle pas effectivement son territoire et où les conflits violents sont une réalité
ou un risque majeur111.

SECTION2. LE ROYAUME-UNI : DES ENVIRONNEMENTS DIFFICILES AUX


ETATS FRAGILES

Avant les attentats du 11 septembre 2001, l’aide britannique aux


pays pauvres était conduite par le Départment for International Development
(DFID). L’objectif poursuivi était de lutter contre la pauvreté. Les britanniques
réaffirment le rôle central de l’état, qui doit non seulement fournir le cadre ma-
cro-économique, mais seulement assurer la justice sociale112.

Apres le 11 Septembre 2001, Le parlement vote la loi sur le déve-


loppement international. Cette loi consacre l’objectif unique de la politique
d’aide britannique : la lutte contre la pauvreté. Ce pendant, la nouveauté est que,

110 USAID, Foreign Aid: Meeting the challenges of the twenty-first century, White paper, Bureau for policy and program coor-
dination, 2004.
111 USAID, Fragiles States strategy, 2005.
112 DFID, Eliminating World Poverty: Making globalisation work for poor. White paper on International Development , 2002.
81

le parlement interdit Au DFID de financer les programmes dont l’objectif serait


de combattre les menaces sécuritaires à l’encontre du Royaume-Uni. Seuls qui
peuvent être financés les programmes qui renforcent la sécurité humaine des
populations pauvres. Une catégorie spécifique de pays est définie, ceux pour
lesquels des autorités rencontrent un environnement particulièrement difficile
pour intervenir. Pour Torres et Anderson, « les environnements difficiles sont
ces territoires où l’Etat n’est pas en mesure de/ou est réticent à exploiter les res-
sources domestiques et internationales pour réduire la pauvreté »113.

En Janvier 2005, peu avant la conférence de Londres sur les Etats


fragiles, la DFID publie, un Policy paper dont l’objectif est de donner les
grandes orientations pour une amélioration de l’efficacité de l’aide destinée aux
Etats fragiles. A cette occasion, la dénomination « environnement difficile » est
remplacée par celle d’ « Etats fragiles »114. La notion d’Etats fragiles permet de
fusionner deux champs d’analyse et d’intervention relativement séparés : le
post-conflit et la prévention des conflits qui mélangent du militaire et de l’aide
d’une part, et d’autre part la lutte contre la pauvreté.

Enfin, le dernier livre Blanc écrit après les engagements pris au


sommet du G8 de Gleneagles, met dès l’introduction l’accent sur les Etats fra-
giles : « le Royaume-Uni concentrera son aide au développement sur les pays
comptant le plus grand nombre des pauvres, particulièrement l’Afrique subsaha-
rienne et l’Asie du Sud, et sur les Etats fragiles, plus particulièrement ceux vul-
nérables aux conflits »115. Le terme est présent tout au long du rapport. « Les
Etats fragiles comprennent ceux qui se sont effondrés (collapsed states) comme
la Somalie, la Syrie ou qui sont en difficultés à contrôler leur territoire (Failed
States) comme l’Afghanistan, l’Irak, RDC. Ils peuvent être en conflit ou sortir
du conflit (Weak states) comme le Rwanda, Le sud soudan… »116.

113 TORRES, M. and ANDERSON, M., Fragile States: Defining difficult environments for poverty reduction, DFID, Working
paper1, 2004.
114 DFID, Why we need to work more effectively in fragile states, White paper, DFID, 2005
115 DFID, Eliminating World Poverty: Making governance work for poor. White paper on International Development, 2006, p10
116 DFID, Eliminating World Poverty: Making governance work for poor. White paper on International Development, 2006, p16
82

SECTION3. LA BANQUE MONDIALE : DES PAYS PAUVRES EN DIFFI-


CULTES AUX ETATS FRAGILES

Peu de temps après les attentats du 11 septembre 2001, la Banque


mondiale créa un groupe spécial d’études sur l’aide aux pays à faible revenu et
en difficulté ; en anglais (Low income countries Under stress soit LICUS). Selon
la banque Mondiale, les pays du LICUS « sont ceux caractérisés par de très
faibles politiques, institutions et gouvernances. L’aide ne fonctionne pas correc-
tement car il manque aux gouvernements la capacité ou la volonté d’utiliser effi-
cacement l’aide pour réduire la pauvreté »117.

Ce pendant, la mise en jour de l’initiative LICUS en 2005 est


l’occasion pour la Banque Mondiale d’affirmer l’adoption de la terminologie
Etats Fragiles et donc son adhésion formelle au consensus construit au sein de
l’OCDE. Plus précisément, elle est marquée par l’affirmation de la construction
de la paix et la construction des Etats comme le principal défi posé par les Etats
fragiles118.

SECTION 4. L’UNION AFRICAINE ET LE CONCEPT D’ETAT FRAGILE

L’élaboration du concept d’État fragile comporte des implications


politiques sérieuses, au même titre que les concepts plus généraux dans lesquels
il s’inscrit. C’est pourquoi, l’Union Africaine a décidé de refuser de reconnaître
ce concept, et ce pour trois raisons principales :

1. le contexte politique et idéologique qui a présidé à sa définition res-


tant emprunt des conceptions occidentales post-11 septembre,
l’Union africaine a considéré que cette notion revenait de facto à
une criminalisation implicite des États africains.

117 BANQUE MONDIALE, World Bank Group in Low-Income Countries under Stress: A task Force Report, 2002.
118 BANQUE MONDIALE, Low Income Countries under Stress: Update, World Bank, 2005.
83

Elle y voyait une catégorisation des États africains selon des critères
occidentaux et a préféré rejeter le concept, le jugeant inacceptable. Il n’y a au-
cun intérêt à être « fragile », par opposition à être « pauvre ». Dans ses relations
avec l’Union européenne, l’Union africaine privilégie l’expression plus neutre
de « situation de fragilité ».

2. Deuxième motif de ce rejet : ce concept s’inscrit dans une justifica-


tion de l’interventionnisme occidental. Quels sont les bénéficiaires
de cette sécurité ou des processus de consolidation de l’Etat ?

Le concept de fragilité de l’État est surtout utile pour les pays occi-
dentaux qui ressentent la nécessité de justifier leurs actions et leurs politiques.
En tant que telle, la coopération au développement peut contribuer à une réduc-
tion de la pauvreté mais constitue également une question stratégique de plus en
plus à des préoccupations sécuritaires occidentales. Ceci doit également être
mis en corrélation avec la tendance à réduire la mainmise de l’État dans le Nord
en la renforçant dans les pays en développement.

3. La troisième raison de ce refus a trait à la recherche d’investisseurs.


En effet, comment attirer et obtenir des investissements si on ap-
pose sur l’Etat en question le label de « fragile » ? Une autre di-
mension concerne la problématique de la viabilité de certains États
africains et des écarts considérables, dont certains sont structurels,
subsistant sur le continent.

Quant aux questions portant sur les tenants et aboutissants de


l’utilisation du concept de fragilité, elles restent posées, le concept d’Etats fra-
giles étant très vague et ne répondant à aucun critère spécifique. Pour y ré-
pondre, il conviendrait davantage de se focaliser sur l’analyse de la situation lo-
cale, idéalement menée par des experts locaux. Ce qui nous amène à la question
centrale de l’appropriation et de la nature présumée universelle du modèle occi-
dental de gouvernance, se posant en « modèle de vertu ».
84

Relevons toutefois, pour conclure sur une note positive, qu’en éla-
borant ce concept, la communauté internationale se penche à nouveau sur plu-
sieurs Etats, laissés-pour-compte de l’aide internationale qui avaient pour ainsi
dire été rayés de ses cartes.

Ces définitions restent toutefois très générales, et il est extrêmement


difficile d’identifier avec précision les critères de la fragilité. En effet, ce con-
cept comporte des dimensions économiques, sociales, sécuritaires et politiques
qui sont, par définition étroitement liées. Les États qualifiés de fragiles peuvent
présenter des profils très différents : certains sortent de conflits ; d’autres traver-
sent une profonde crise politique, sociale et/ou économique. Il semble donc plus
opportun de dire qu’il n’existe pas un État fragile type, ce qui rend ce qualifica-
tif d’autant plus complexe à définir. Cette question de la définition de la notion
de fragilité est pourtant cruciale, car c’est elle qui détermine le prisme au tra-
vers duquel sont élaborées les politiques. Ce concept n’est pas neutre, et ceci
soulève de sérieuses inquiétudes, surtout dans le monde d’après les attentats du
11 septembre et dans le cadre de ce que certains appellent la «Guerre mondiale
contre le terrorisme ou The war on terror ».

Émergeant souvent à peine d’une situation de conflit, les États fra-


giles sont confrontés à des crises de natures diverses, qui amenuisent considéra-
blement leur capacité à pourvoir au bien-être de leurs citoyens. Ces crises sont
les suivantes :

- la crise sociale : les services sociaux de base (éducation, santé, in-


frastructures, produits de première nécessitée) sont totalement lais-
sés à l’abandon ;
- la crise judiciaire : il existe des tensions entre les appels à la justice
et la nécessaire réconciliation.
85

Les demandes émanant de la communauté internationale sont sou-


vent axées sur une justice de transition, là où la situation du pays exigerait que
l’on consacre davantage d’efforts à la réconciliation. Ce contraste s’est révélé
hautement problématique pour la CEDEAO dans le contexte du Liberia.

- La crise politique/de légitimité/institutionnelle : comment négocier


un consensus politique ? Cette crise concerne le système électoral,
l’organisation du système politique de transition, etc. Par ailleurs,
l’État est confronté à un délabrement de ses institutions susceptible
de conduire à son effondrement complet.
- La crise économique : augmentation du coût de l’activité écono-
mique, préférence aux investissements à faible risque. Cette crise
repose sur la menace physique et sur l’incertitude, de même que sur
la difficulté à faire respecter l’État de droit.

Ce type d’investissement, souvent concentré sur l’exploitation des


ressources naturelles, offre peu de perspectives de développement socio-
économique. L’environnement juridique lui-même est touché. Par ailleurs, on
assiste à une fuite des travailleurs qualifiés et des forces vives du pays. Les res-
sources naturelles s’épuisent et sont détournées au moyen de la corruption et du
clientélisme.

- La crise sécuritaire : la sécurité publique, à savoir la prérogative de


l’État à faire usage de la force, est difficile à rétablir, et ce pour plu-
sieurs raisons : accès aisé à des armes légères et de petit calibre, ré-
intégration laborieuse des combattants, criminalité, etc. Ainsi, en
RDC, il subsiste un grand nombre de milices, et le Liberia reste
confronté à de nombreux groupes d’autodéfense armés.

Aujourd’hui, plus personne ne remet en question la corrélation entre


la fragilité de l’État et la sécurité. L’insécurité étant reconnue comme l’un des
principaux vecteurs d’instabilité. La Corne de l’Afrique est particulièrement
86

confrontée à cette problématique de la fragilité de l’État, ce qui n’est pas sans


conséquence pour la sécurité régionale et internationale. À ce titre, elle constitue
un excellent exemple de la manière dont l’instabilité et la fragilité de l’État peu-
vent évoluer vers un phénomène régional complexe. Zone de préoccupation de
la « Guerre mondiale contre le terrorisme », la Somalie en tête, est de plus en
plus souvent confrontée à des actes de piraterie et à une insécurité maritime
d’ampleur internationale. Le gouvernement somalien n’est pas en mesure
d’assurer la sécurité intérieure de son pays, ni de défendre sa souveraineté,
comme l’illustrent les pêcheries illégales dans ses eaux territoriales.

Les différents processus de paix en cours dans la région, en Éthio-


pie/Érythrée et au Soudan, restent extrêmement fragiles. Par ailleurs, le moteur
de la région, à savoir l’Éthiopie, rencontre lui aussi de sérieuses difficultés dans
l’intégration de ses minorités, dont la minorité somalienne présente dans la ré-
gion d’Ogaden.

Les institutions étatiques, et notamment les services sécuritaires de


l’État, doivent être renforcées pour être en mesure de gérer ces situations. Une
telle montée en puissance exigerait une intensification des efforts dans le do-
maine de la réforme du secteur de sécurité, de manière à développer les capaci-
tés de l’État et à mettre en place des mécanismes de contrôle démocratique.

Sur un plan plus stratégique, il se peut que d’autres acquis, comme


l’intégrité territoriale, doivent également être remis en question. Ainsi, dans la
Corne de l’Afrique, certains estiment qu’il serait judicieux de reconnaître
l’indépendance du Somali land119. Ceci pourrait toutefois conduire à un phéno-
mène de balkanisation et accroître l’instabilité ailleurs. Dans d’autres régions, et
notamment en Afrique centrale et australe, la poursuite de l’intégration régionale
pourrait apporter une réponse aux difficultés, en offrant de nouvelles perspec-
tives à des pays enclavés, privés de ressources naturelles.
119KAMANDA LONDO, P., Causes et conséquences de l’intervention américaine en Somalie en 1991/92: Vers une
nouvelle approche dans la reconstruction des états fragiles, Mémoire de DEA en sciences politiques, Université de
Kinshasa, 2012-2013.
87

Plus important encore, l’un des problèmes clés de l’Afrique réside


dans les tiraillements entre processus électoral et stabilité. Récemment et dans
plusieurs cas, dont ceux du Nigéria, du Kenya, du Zimbabwe, de la RDC et le
Burkina Faso qui a vis la fuite de l’ancien président Blaise Compaoré qui a tenté
de modifier la constitution pour se maintenir au pouvoir, le processus électoral
s’est révélé être une cause majeure d’instabilité politique et une source de nou-
velles difficultés en matière de sécurité. Par ailleurs, dans le contexte actuel, les
États, et plus particulièrement ceux qui, au sortir d’un conflit, amorcent un pro-
cessus de démocratisation, sont confrontés à un défi majeur : répondre aux at-
tentes de la population. Les promesses faites pendant les élections sont souvent
irréalistes, et les choix politiques dictés par les pays donateurs (ce qui nous ren-
voie une fois de plus au problème de l’appropriation nationale des projets).

Les processus de consolidation de l’État, de même que les exercices


de démocratisation des pays africains, peuvent souvent être considérés comme
biaisés. Le processus de démocratisation y est toujours perçu comme une me-
nace par les dirigeants politiques. Ce constat a donné lieu à un débat sur la di-
chotomie entre État fort et État efficace, notamment eu égard aux capacités des
services de sécurité. Dans quelle mesure le régime a-t-il la volonté politique
d’ouvrir effectivement le paysage politique ?

Ces dernières années, les interventions extérieures se sont multipliées


en Afrique subsaharienne, notamment menées soit par les Nations Unies,
l’Union européenne Ou encore l’Union Africaine. Chaque État africain présente
des besoins qui lui sont propres dans le contexte du renforcement de l’État (state-
building). Ce phénomène s’explique par plusieurs raisons historiques particulières
à chacun, la principale étant que la structure étatique a été imposée de l’extérieur
par des puissances étrangères et n’émanait pas de la société-même. La formation
de l’État africain reste, dans une large mesure, un processus en cours. La légitimi-
té et le contrôle social restent des notions étrangères à un certain nombre d’États
africains. Ces besoins différenciés exigent des réponses adaptées et une certaine
88

refonte institutionnelle. Quant au renforcement de l’État dans la restructuration


« post-conflit », il reste confronté à trois écueils principaux :

- la panacée n’existe pas; les États sont complexes et il faut tenir


compte de leurs particularités et de leur contexte propre.
- il existe souvent des tensions entre les exigences et les priorités de
la communauté internationale et les exigences et les besoins qui se
font sentir dans le pays lui-même.

Pour être couronnées de succès, les stratégies de renforcement des


capacités étatiques doivent être menées de l’intérieur. À cet égard,
l’appropriation nationale de ces stratégies est déterminante.

Comment restaurer l’efficience de l’État ? La première étape de-


vrait consister à négocier un nouveau cadre institutionnel reposant sur un con-
sensus entre les acteurs politiques. Deuxième priorité : le rétablissement de
l’État de droit et la mise en œuvre d’une réforme judiciaire. Eu égard à la fai-
blesse de l’État, il est indispensable de promouvoir des modes alternatifs de ré-
solution des conflits. La reforme des services de sécurités constitue elle aussi
une priorité. Ici, professionnalisme et représentativité sont les maîtres mots. La
dernière priorité consiste à remettre sur pied le système social, et notamment
l’éducation et les soins de santé.

Néanmoins, le renforcement de l’État en tant que concept doit être


explorée de manière plus approfondie, car celui-ci peut être considéré comme
fragile, d’autant qu’il révèle plusieurs paradoxes :

- État contre société civile (ou gouvernement vs autres branches de


l’État) : dans le cadre d’une action internationale ciblant les États
fragiles, il est parfois difficile de trouver un interlocuteur. Dans cer-
tains cas, l’État n’est d’ailleurs pas disposé à agir à ce titre. Sou-
vent, la communauté internationale a donc tendance à prendre des
89

contacts au sein de la société civile afin de pourvoir aux services


sociaux de base. Toutefois, rejeter de facto l’État comme partenaire
ne permet en aucune manière de le renforcer. La société civile est
un acteur clé dans le jeu des contrôles et équilibres des pouvoirs
ainsi qu’un acteur social de premier plan. Mais il est fréquent que
les acteurs de terrain misent trop sur celle-ci.

Il convient également de reconnaître que l’État est bien plus qu’un


simple exécutif, ce à quoi il est trop souvent réduit. Il convient de ne pas mettre
de côté le pouvoir législatif et judiciaire. Souvent, la communauté internationale
a tendance à résumer la consolidation de l’État à des questions purement tech-
niques, mécaniques, éludant ainsi leur dimension politique. Le Parlement et
l’organe législatif dans son ensemble doivent être inclus dans ce processus.

- État central contre autorités locales : l’enjeu ici est la question de la


décentralisation, fédéralisme ou dévolution. Celle-ci est souvent
considérée comme une garantie de démocratie du fait du principe de
subsidiarité. Elle réduit le fossé entre l’autorité étatique et la popu-
lation. Les relations entre les différents niveaux de pouvoir doivent
faire l’objet des études plus approfondies. La décentralisation peut,
sans aucun doute, contribuer à la construction de l’État, mais elle
peut également, dans certains cas concourir à renforcer les ten-
dances centrifuges. La RDC constitue un exemple intéressant de ce
phénomène. En effet, la décentralisation peut être considérée
comme un projet impossible : les compétences ont été décentrali-
sées sans que les ressources et capacités ne le soient. L’intégration
régionale doit également être incluse dans cette perspective.
90

CONCLUSION

Il apparaît clairement que le concept de fragilité de l’Etat est un


concept émanant des donateurs, c’est-à-dire un concept imposé, au même titre
que la « Démocratie », la « (bonne) gouvernance » ou le « développement ».
Autant de concepts profondément enracinés dans le discours et dans les actions
politiques occidentales. Ce constat en limite clairement l’utilité politique,
comme le démontre sans équivoque la réaction de rejet de l’Union africaine.
Toutefois, au-delà du débat terminologique et de son agenda interventionniste,
il existe un réel besoin, y compris en Afrique, d’admettre que les situations de
fragilité existent bel et bien sur le terrain et qu’elles présentent des problèmes
non seulement pour l’Occident et pour la région, mais surtout pour les popula-
tions concernées.

Cette réalité semble indéniable. Par conséquent, la communauté in-


ternationale devrait prioritairement se concentrer sur le soutien des dynamiques
et processus de réforme internes, et mettre de côté ses propres priorités. Le con-
tinent africain doit quant à lui développer ses propres concepts et s’appuyer sur
sa propre expérience.

Un second élément concerne le rôle de la société civile en tant


qu’acteur majeur dans les situations de fragilité. Les actions visant à remédier à
la fragilité doivent se concentrer dans une plus large mesure sur l’État et sur ses
institutions en tant qu’acteurs centraux de la gouvernance, mais la société civile
et les citoyens doivent également être parties prenantes à ces politiques.

Notre troisième conclusion porte sur le processus politique et la


démocratie, le processus électoral n’étant qu’une dimension de la résolution de
conflit. A cet égard, la situation en RDC offre un exemple patent : en dépit des
élections libres et démocratiques qui s’y sont tenues, le pays reste le théâtre de
violations manifestes des droits de l’homme. L’Occident est trop obsédé par la
91

tenue d’élections, et cette attitude finit par entraver la démocratisation effective


des pays ainsi que leur stabilisation « post-conflit ».

La communauté des donateurs est souvent soumise à la pression


d’agir, ce que l’on pourrait qualifier « d’effet CNN », d’intervenir sans nécessai-
rement bien comprendre les enjeux en présence. Cette stratégie, alliée à des inté-
rêts motivés par un agenda politique, nuit clairement à une stabilisation efficace.
Au contraire, il existe un réel besoin d’un engagement à plus long terme de la
part de la communauté internationale, y compris pour traiter de questions straté-
giques et fondamentales dans un contexte socio-économique plus vaste.
92

DEUXIEME PARTIE
AUX SOURCES DE LA TRAGEDIE CONGOLAISE

Dans cette partie, nous allons essayer de comprendre pourquoi la


RDC, un pays aux potentialités minérales et agricoles importantes, continue
d’être incapable d’émerger en Etat viable. Ces causes de l’échec sont à recher-
cher depuis la période coloniale où le Roi Léopold II a fait du Congo sa proprié-
té privée conduisant à l’exploitation horrible de la population. La gestion congo-
laise par la Belgique fut assurée par une trilogie à savoir l’Etat, l’église et les en-
treprises privées. Pendant ce temps, les congolais n’ont pas reçu une éducation
conséquente, cela pour les empêcher d’accéder aux rôles dirigeants.

L’indépendance en 1960, n’a pas mis fin au conflit entre le Congo


et la Belgique, mais a exacerbé le chaos rendant quasiment le pays ingouver-
nable. Sous l’influence des leaders ambitieux et des intérêts extérieurs, les pro-
blèmes congolais ont escaladé. Patrice Lumumba, le premier ministre fut assas-
siné. L’intervention onusienne n’est pas parvenue à résorber le conflit. Apres
cinq années des tergiversations, Mobutu prendra le pouvoir avec l’aide de
l’occident. Il institua le parti unique et régna pendant plusieurs années.

La fin de la guerre froide conduit les occidentaux de repenser leur


politique dans le monde. Mobutu fut incapable de comprendre ces bouleverse-
ments et de s’y adapter. Les atrocités qui ont eu lieu au Rwanda en 1994, et la
présence sur le territoire congolais des présumés « génocidaires » ont conduit le
Rwanda de mener une opération militaire en RDC avec l’aide des pays de la ré-
gion ainsi que des congolais pour chasser Mobutu du pouvoir.

Les ressources minières congolaises furent utilisées comme source


de financement de la guerre et restent de nos jours une des causes principales de
l’insécurité notamment à l’Est du pays. L’intervention onusienne au nom de
l’assistance humanitaire pose des nouvelles questions sur ses motivations réelles
car la violence contre les populations civiles, les viols …persistent toujours en
dépit de la présence onusienne.
93

CHAPITRE PREMIER
DIMENSION POLITIQUE DE LA CRISE CONGOLAISE

Ce chapitre nous permet d’analyser le rôle joué par ceux qui ont di-
rigé le Congo et leurs responsabilités dans la débâcle actuelle.

SECTION 1. DE LA MISSION DITE CIVILISATRICE AU CONGO-BELGE

Avant la colonisation du Congo, le commerce des esclaves faisait


rage dans la sous-région. Les portugais en compétition avec les arabes transpor-
taient plusieurs africains vers le nouveau monde pour servir comme esclaves
dans des plantations. Ce fut dans ces conditions que Léopold II, le roi des belges
convoqua une conférence en 1876 à Bruxelles pour discuter du Congo. La
France et la Grande-Bretagne ayant des intérêts à s’opposer aux portugais sou-
tiendront la Belgique. Ce soutien continua jusqu'à la conférence de Berlin et le
Congo deviendra la propriété privée de Léopold II.

La gestion du Congo, plus ou moins colonie internationale dont la


gestion fut confiée à Léopold II, roi d’un petit pays neutre … fut caractérisée par
le recours à la force contre les populations locales, les obligeants à travailler du-
rement dans l’extraction des matières premières comme l’ivoire. Adam Roth-
schild estime que pendant cette période, plus de 5 à 10 millions des congolais
ont péri dans les travaux des champs ou à cause des maladies infectieuses.
D’autres auteurs notent que la population congolaise a connu une décroissance
de 30 à 8 million, c’est- à –dire deux sur trois congolais ont perdu la vie dans ce
qu’ils appellent un cas avéré de génocide colonial120.

Les abus contre les populations civiles continuèrent jusqu'à ce que


l’Angleterre commence une campagne obligeant Léopold II de changer son sys-
tème de gestion coloniale. Les pressions internationales aidant, ce dernier fut obligé
de céder sa colonie au gouvernement Belge pour enfin devenir le Congo-Belge.

120 HASKIN, J., The tragic State of the Congo: From Decolonization to Dictatorship, Algora Publishing, London, 2005, p.2.
94

Durant la gestion du Congo par la Belgique, certains efforts ont été


faits notamment dans les secteurs de l’éducation, de l’habitat, de la santé ainsi
que des services sociaux. Malheureusement sur le plan économique, les pra-
tiques léopoldiennes de l’extraction des matières premières sont restées intactes.

Il existe de nos jours un débat sur le caractère génocidaire du rôle


des colonisateurs Belges au Congo. Nous allons ainsi essayer d’analyser le con-
cept de génocide pour enfin nous permettre de comprendre si les pratiques colo-
niales au Congo sont des actes génocidaires.

§1. Définition du génocide

Jusqu’ à la fin de la deuxième guerre mondiale, le terme génocide


fut un « crime sans nom ». Celui qui le nomma, le plaça dans un contexte histo-
rique global, il s’agit d’un Juif d’origine Polonaise Raphael Lemkin, qui se refu-
gia aux USA suite à l’occupation de l’Europe par les Nazis. Le terme génocide
provient d’un néologisme issu du grec (genos qui signifie race ou tribu), et du
latin (cid qui signifie assassinat ou destruction). Par génocide, il faut entendre la
destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique121.

Le terme génocide a connu deux développements majeurs pour con-


tinuer à demeurer au centre des débats aujourd’hui : Premièrement, la conven-
tion des Nations Unies sur la prévention et la répression des crimes des géno-
cides fut adoptée en 1948 en imposant le terme dans le droit international et na-
tional ; deuxièmement, les années 1970 furent marquées par des études et ana-
lyses sur des cas concrets de génocide en tentant de redéfinir le concept tel que
développé par Lemkin.

121 JONES, A., Genocide: A Comprehensive Introduction, Rutledge, London, 2011, p.10.
95

§2. Génocide selon l’ONU

Pour les Nations Unies, le génocide est un des actes ci après, com-
mis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, eth-
nique, racial ou religieux, comme tel :

- meurtre de membres du groupe ;


- atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du
groupe ;
- soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
- mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
- transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe122.

Il faut noter le fait que l’ONU dans sa convention insiste sur le fait
que les crimes des génocides peuvent être commis tant en temps de paix que de
guerre, ceci remettant en cause la position des tribunaux de Nuremberg qui n’ont
pris en compte que les seuls crimes Nazis commis après l’invasion de la Pologne
le 1er Septembre 1939.

§3. Génocide : le débat dans la littérature scientifique

Depuis l’adoption de la convention de l’ONU sur la prévention et la


répression des crimes des génocides, le monde scientifique a timidement débat-
tu de la question et cela jusqu'à la publication en 1981 par Leo Kuper de son
ouvrage intitulé Génocide : Its Political Use in the Twentief Century. Cet ou-
vrage sera suivi par un autre en 1985 sur la prévention du génocide. D’autres
études suivront mais porteront surtout sur l’Holocauste.

122 ONU, Convention sur la prévention et répression des crimes des génocides.
96

Le terme génocide est un des plus contestables dans le milieu aca-


démique. Les auteurs sont divisés en deux groupes selon qu’ils adoptent une po-
sition rigide portant sur une extermination totale d’un groupe pour éviter que le
terme ne soit banalisé et ceux qui pensent que des nos jours il existe d’autres
groupes qui doivent être inclus dans la définition de l’ONU comme la violence
contre les enfants et les femmes qu’on qualifie désormais de gendercide.

Pour Leo Kuper notamment, sa définition sur le génocide est simi-


laire à celle des Nations Unies, mais in contrario, il estime qu’il existe une omis-
sion majeure dans la définition de l’ONU ; l’exclusion des groupes politiques de
la liste des groupes à protéger. Car, dans le monde contemporain, les différences
politiques constituent une base significative qui conduit aux massacres et annihi-
lation au même degré que la race, le groupe national, l’ethnie ou la religion123.

§4. Colonisation : un cas de génocide ?

La colonisation ainsi que l’esclavagisme ont détruit des sociétés en-


tières entre les seizième et dix-neuvième siècles. Selon l’ONU, l’esclavagisme à
lui tout seul a été la cause de près de 20 millions des morts, un véritable cataclysme
humain124. Cependant, l’esclavagisme et la colonisation sont rarement inclus dans
les analyses sur le génocide. Seymour Drescher dans son ouvrage « Is the Holo-
causte Unique » (l’holocauste est il un cas unique ?), exclut le terme génocide et
dresse des différences entre l’esclavagisme et l’holocauste125. Récemment, Michael
Ignatieff126 estime que, considérer l’esclavagisme comme un cas de génocide, est
une tendance à banaliser le concept même du génocide ; car, l’esclavagisme et/ou
la colonisation consistait à exploiter les vivants plutôt que de les exterminer…le
génocide apparait seulement lorsqu’il existe une intention claire d’exterminer un
groupe humain. Considérer tout crime, crime de génocide, rendra difficile toute ac-
tion à entreprendre lorsque les véritables cas de génocides existeront.
123 KUPER, L., Genocide: Its Political Use in The Twentieth Century, Penguin, Harmondsworth, 1981, p 13
124 United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, September 13, 2007
http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/en/drip.htm
125 DRESCHER, S., “ Is the Holocaust Unique“, in Rosenbaum A (ed), The Atlantic Slave Trade and the Holocaust: A

Comparative Analysis, We view Press , Boulder, 2001, pp97-117


126 IGNATIEFF, M., “Lemkin’s Word″, the New Republic, February 26, 2001.
97

Pour revenir au roi Léopold II, son intention fut celui de réaliser les
profits sur les congolais et la colonie, c’est- à -dire l’exploitation de ses matières
premières. Dans ces conditions, la population constituait l’outil de production
essentiel sans lequel le profit était inimaginable. On peut donc de ce fait récuser
l’argument selon lequel, Léopold II voulait exterminer les Congolais.

L’argument de Michael Ignatieff sur la nécessité de maintenir en


vie l’esclave ou le travailleur semble être solide contre ceux qui estiment que
l’esclavagisme et la colonisation sont des cas de génocides. Ce pendant, nous
sommes de l’avis que tous ces arguments sont sophistiqués et peuvent conduire
à ignorer les crimes commis pendant cette période.

Considérer la colonisation et l’esclavagisme comme des cas des


génocides ne revient pas à considérer tout crime comme un cas de génocide,
comme le dit Michael Ignatieff. Mais il apparait à nos yeux être la réponse ap-
propriée aux pratiques Léopoldiennes au Congo qui ont eu un effet néfaste tant
sur la démographie, l’économie et d’autres pertes dont les conséquences sont
encore présentes.

Pour revenir à l’intention, si une institution comme la colonisation


au Congo ait pu maintenu et encouragée par des personnes qui savaient que des
pratiques coloniales pouvaient avoir des conséquences néfastes sur la démogra-
phie, pourquoi donc des telles pratiques ne doivent elles pas être considérées
comme génocidaires ?

SECTION 2. CRISE ORIGINELLE ET L’INTERVENTION ONUSIENNE

Ce fut seulement quelques jours après l’indépendance que la force


publique se lança dans la mutinerie sur base des revendications salariales. Les
déclarations du commandant Janssens selon lesquelles rien ne pouvait changer
après l’indépendance, furent reçu par les militaires congolais comme une insulte
et décidèrent de protester et demandèrent le départ des officiers Belges. “ En-
semble avec d’autres européens, les Belges furent violentés, certaines femmes
98

violées, les hommes tabassés ; on assista aux morts, au cannibalisme et enfin la


loi martiale fut déclarée″127.

Tentant de contrôler la situation, le premier ministre Lumumba afri-


canisa la force publique, elle deviendra l’armée nationale congolaise, il renvoya
les officiers Belges et promu tous les militaires congolais au grade supérieur.
Malheureusement, tous ces efforts ne calmèrent pas la situation. La mutinerie
continua à travers tout le pays et la vie des milliers d’européens fut menacée.

Alarmé par la situation de ses ressortissants, le gouvernement Belge


envoya des troupes pour faire évacuer ses ressortissants sans avoir préalable-
ment demandé l’autorisation du gouvernement congolais. Celui-ci considéra
l’arrivée des troupes Belges comme un affront à sa souveraineté. En plus des
opérations d’évacuation, les Belges commencèrent à soutenir la sécession du
Katanga qui fut déclarée par Moise Tshombe le 11 Juillet 1960. En s’alignant
avec le Katanga, le centre des ressources minières du pays, les Belges
s’exposèrent eux-mêmes aux critiques selon lesquelles, ils avaient l’intention de
diviser le pays et continuer à diriger le Katanga afin de continuer l’exploitation
des ressources minières.

Face à ces différentes menaces de mutinerie et de la sécession ka-


tangaise qui sera suivie par celle du Sud Kasaï, le gouvernement Congolais a re-
couru d’abord aux USA leur demandant d’intervenir pour chasser les Belges. Le
Président Eisenhower qui ne voulait pas voir le Congo basculé aux mains des
soviétiques, ne voulait pas non plus intervenir directement car en le faisant, il
était possible de voir les soviétiques aussi intervenir pour ne pas laisser le champ
libre aux américains (la guerre froide oblige). Ainsi, il conseilla le gouverne-
ment congolais de demander l’aide des Nations Unies.

127 HASKIN, J., op.cit, p.23.


99

Le 12 Juillet 1960, Patrice Lumumba demanda l’aide de l’ONU le


mettant en garde qu’au cas de retard, il va recourir aux pays membres du traité
de Bandœng ou bien même aux soviétiques.

L’ONU réagira très vite et le secrétaire général Dag Hammarskjöld


recruta assez rapidement des troupes pour intervenir. Il implanta des principes
suivants : Les troupes devraient être sous le contrôle du Secrétaire General.
Deuxièmement, l’ONU ne devait pas intervenir dans les affaires internes du
pays ; troisièmement, les forces devraient jouir de toute la liberté de mouvement
sur toute l’étendue du territoire ; quatrièmement, le recours à la force était né-
cessaire qu’en cas de self défense et enfin les forces onusiennes ne pouvaient
pas recevoir l’ordre du gouvernement congolais128. Il apparait donc clairement
que sous ces principes, les Nations Unies ne pouvaient pas prendre parti pour un
des camps dans le conflit ou tenter de recourir à la force pour faire revenir les
deux provinces sécessionnistes dans le giron du gouvernement central, et enfin
ne devaient pas supporter une des fractions dans le conflit. L’ONU refusa de
considérer l’intervention Belge comme un cas d’agression internationale avec,
toute la déception de Lumumba et des soviétiques.

Lumumba sera donc très déçu de l’action des Nations Unies surtout
son refus de mettre un terme à la sécession Katangaise. Il décida alors de de-
mander l’aide des soviétiques. Il autorisa l’invasion du Katanga par l’armée na-
tionale congolaise utilisant des chars et avions de guerre qu’il acheta aux sovié-
tiques. Le président Eisenhower répondant que ceci fut“ en violation des résolu-
tions de l’ONU et que cela révélait les intentions politiques de la Russie en
Afrique“129. L’ordre fut donc donné à la CIA pour que Lumumba soit physi-
quement éliminé, un agent fut chargé de mettre fin à sa vie car pour les améri-
cains Lumumba était déjà au service des soviétiques130.

128 LEFEVER, E., Crisis in the Congo: A United Nations Force in Action, Brookings Institution, Washington DC, 1965, p.23.
129 LEFEVER, E., op.cit, p.40.
130 BERKLEY, B., The graves are Not Yet Full : Race, Tribe, and Power in the Heart of Africa, Perseus Books, New

York, 2001, p.110.


100

Avant son assassinat, Lumumba fut renvoyé de son poste par le pré-
sident Kasavubu, cela à cause de son implication avec les soviétiques mais aussi
en partie au désaccord sur le système politique. Lumumba fut un unitariste alors
que Kasavubu un fédéraliste qui voulait repenser les relations entre les provinces
et le gouvernement central. Il nomma Joseph Ileo comme nouveau premier mi-
nistre ; et Lumumba, à son tour renvoya le président.

Le parlement refusa d’entériner le renvoi de Lumumba. La situation


fut bloquée et permettra à Joseph Mobutu, le commandant de l’ANC d’entrer en
jeu. Il continua de reconnaitre le président Kasavubu comme chef de l’Etat, ren-
voya le parlement et organisa la formation du gouvernement des jeunes universi-
taires. Pendant ce temps, l’envoyé américain à l’ONU fournissant à Mobutu 1
millions de dollar pour payer les militaires congolais afin de les garder loyal au
président Kasavubu131.Contrairement à la volonté des Etats africains, l’ONU ac-
cepta la décision de Mobutu de paralyser les institutions du pays. Ayant com-
mencé avec la décision de la neutralité, l’ONU ne pouvait pas en théorie, in-
fluencer le leadership au Congo. Toute fois, lorsque les délégations de deux par-
ties furent reçues par l’ONU, celle-ci ouvertement supporta Kasavubu.

L’ONUC est- elle parvenue à reconstruire la RDC ? Le réel travail


de la reconstruction nationale doit se faire pendant des mois et mieux pendant
des années entières. Avec la fin de la sécession katangaise et en tenant compte
de l’impréparation dans laquelle les Belges ont laissé le Congo, la reconstruction
du Congo ne devait se faire qu’avec l’aide étrangère c’est-a-dire des nations
unies. Malheureusement, dans le contexte de la guerre froide, cette mission fut
impossible. Les soviétiques ont échoué de mettre pied au Congo, les intérêts
commerciaux occidentaux furent sécurisés et un gouvernement pro-occidental
était en place au Congo. En outre, l’ONU s’était endettée pour financer son opé-
ration au Congo et ses membres divisés sur les retombées de l’opération.
L’organisation n’était donc plus dans la position de continuer l’opération. Pour

131 COLLINS, C., “The Cold War Comes to Africa: Cordier and the Congo Crisis″ Journal of International Affairs, 47.1 (1993).
101

Thomas Mockaitis, si les puissances occidentales ont émergé comme les vain-
queurs de la crise congolaise, les vrais perdants sont les congolais eux-mêmes132.

Il faut souligner que l’ONUC n’était pas une opération de recons-


truction nationale, ses objectifs étaient de fournir une assistance militaire et
technique pour assister le Congo dans son effort de pacifier le pays sans interve-
nir dans ses affaires internes. La Belgique, ancienne puissance coloniale qui
pouvait mieux jouer ce rôle, se retrouva partie prenante dans le conflit en soute-
nant la sécession katangaise ; les USA s’impliquèrent dans l’assassinat de Lu-
mumba et dans le coup d’Etat de Mobutu pour empêcher les soviétiques de
prendre pied au Congo ainsi, les ressources minérales congolaises sont restées
sous contrôle occidental.

SECTION 3. MOBUTISME

La seconde conquête de pouvoir par Mobutu arriva à la suite du


renvoi du premier ministre Tshombe par le président Kasavubu qui le remplaça
par Evariste Kimba. La coalition de Tshombe tenta en vain de bloquer
l’investiture d’Evariste Kimba, mais ce dernier fut toujours soutenu par le prési-
dent Kasavubu.

Ainsi, dans une réunion de l’ANC, Mobutu décida d’assumer le


pouvoir politique par coup d’Etat militaire. Il annonça le remplacement du pré-
sident Kasavubu et du premier ministre Kimba ; le colonel Léonard Mulamba
devient premier ministre et Mobutu lui-même devenant président pour une pé-
riode de cinq ans. Il justifia son acte par″ la rivalité entre Kasavubu et Tshombe
et agissant pour sauver la nation, mettre fin au chaos et à l’anarchie″133.

132 MOCKAITIS, T., Peace operations and intrastate Conflict: The Sword or the Olive Branch? Praeger Publishers,
Westport, 1999, p.14.
133 LEFEVER, E., Army, police and Politics in Tropical Africa, Brookings Institutions, Washington DC, 1970, p.114
102

Mobutu tenta de pacifier le pays mais rencontra de la résistance à la


fois sur le plan interne qu’externe. De la mutinerie à Kisangani, des attaques des
anciens gendarmes katangais l’autre fois fidèles à Tshombe dans la sécession
katangaise, ainsi que la rébellion menée par Jean Schramme, un mercenaire
Belge , autre fois allié de Mobutu et de Tshombe agissant apparemment à son
propre compte.

C’est dans ce contexte des menaces internes et externes que Mobutu


décida de centraliser le pouvoir en mettant fin au régime parlementaire issu de
l’indépendance. Il promulgua une nouvelle constitution, mettant en place le ré-
gime présidentiel, un parlement unicaméral, un seul parti politique, le MPR fut
autorisé à fonctionner ; le président étant le seul responsable pour nommer les
ministres, les gouverneurs des provinces, les juges…

Sur le plan économique, il annonça la « Zaïrianisation », le transfert


des entreprises commerciales détenues par les étrangers aux nationaux. Il expli-
qua que le Zaïre était un des pays le plus exploité par les étrangers et que le
temps était enfin arrivé de voir les nationaux eux-mêmes gérer l’économie du
pays. Ainsi, les plantations, les concessions commerciales et toutes les autres ac-
tivités furent transférées aux nationaux. Hélas, il faut noter que cette décision a
eu des conséquences déplorables à ces jours sur l’économie du pays car, toutes
ces entreprises ont fini par faire faillite.

Sur le plan de la politique extérieure, on a déjà relevé le fait que


Mobutu ne fut pas un ami des soviétiques ; lors de sa première prise de pouvoir,
il expulsa l’ambassadeur soviétique et sa suspicion envers eux continua jusqu’en
1968 lorsqu’il rétablissait formellement les relations diplomatiques avec Mos-
cou. Par contre, durant ses premières années de règne, les officiers de l’armée
congolaise ont été envoyés en formation aux USA, l’Amérique lui fournit aussi
de l’assistance financière, surtout de la part de la CIA pour assurer sa loyauté à
103

l’Ouest134. Il recevra aussi d’autres fonds pour supporter les rebelles anti-
communistes en Angola, en échange, Mobutu céda aux américains une base mi-
litaire au Katanga ayant pour objectif de conduire les opérations militaires en
Angola pour renverser le gouvernement communiste en place et le remplacer par
Roberto Holden135.

Il recevra aussi des fonds des institutions financières internatio-


nales, surtout vers les années 1975 avec la chute des prix des matières premières
et qui ont vu exploser la dette extérieure du Congo.

La volte face de la communauté internationale contre Mobutu


commence vers le début des années 1980. Premièrement avec la dissidence poli-
tique interne au sein du parlement, au sein même du parti unique, le MPR ; un
groupe de treize parlementaires décidèrent d’écrire à Mobutu une lettre ouverte
dénonçant la gestion désastreuse du pays. Les auteurs de la lettre, dont Etienne
Tshisekedi, furent tous emprisonnés.

Deuxièmement, les USA, le parrain de Mobutu commencera à reje-


ter sa politique. En effet, le congrès américain rejeta la demande du président
d’augmenter de l’aide à accorder au Congo, due à l’existence des preuves de
corruption et malversations financières de la part du régime.

Ainsi, au début des années 1990, les USA et le FMI ont officielle-
ment suspendu de l’aide au Zaïre. Avec la fin de la guerre froide, il n’existait
plus aucune raison de maintenir Mobutu dans le style de vie dont il aspirait. La
situation économique s’était complètement dégradée, les devises étrangères de-
venant rares, la banque centrale congolaise devenant incapable de soutenir
l’économie.

134 HUBBARD, M., The Skull beneath the skin: Africa after the Cold War, West View Press, Boulder, 2001, p.12
135 Idem
104

Devant ce chaos, les militaires et policiers se livrèrent aux activités de


pillages qui viendront rendre la situation du pays plus compliquée. Ainsi, subissant
des pressions politiques internes et externes, Mobutu décida l’ouverture de la CNS,
pour discuter de l’avenir du pays et mettre en place un gouvernement de transition
qui aboutirait par l’organisation des élections générales. Malheureusement, Mobutu
empêchera cet organe de fonctionner normalement et limogea Etienne Tshisekedi,
le premier ministre issu de la CNS.

Comme on vient de le voire, la situation du Congo alors Zaïre en


1994, montre l’image suivante : l’inflation a augmenté de 6.000 pourcent, 80%
de la population active était sans emploi. La croissance économique était déjà
négative depuis les années 1989, et fut estimée à -0.8 pourcent en 1992136. Se-
lon les statistiques de la banque mondiale, l’économie zaïroise était tombée au
niveau des années 1950, alors que la population avait triplé ; l’espérance de vie
était de 52 ans, sans oublier que les maladies infectieuses peuvent bien remettre
en question ces statistiques137.

La crise endémique de l’économie congolaise, les tergiversations au


plan politique, la corruption du régime, l’impunité et l’insécurité globalisée, ajou-
tées aux événements malheureux opposant Hutus et Tutsis au Rwanda ; tout cela
dans un contexte post-guerre froide, ont vu précipiter le régime Mobutu dans sa dé-
chéance et ouvert les portes à Laurent désiré Kabila de prendre le pouvoir.

SECTION 4. DE LAURENT DESIRE KABILA A JOSEPH KABILA

Nous n’allons pas consacrer beaucoup de temps sur cette section, car
les guerres congolaises ayant conduit Laurent Kabila au pouvoir et voir son assas-
sinat sont analysées en détails dans les chapitres suivants. Toutefois, il faut relever
à la suite de Gnamo que ″les conséquences du génocide rwandais, ensemble avec
l’évolution géopolitique de la vision des grandes puissances dans l’ère post-guerre

136 MEDITZ, S. and MERRILL, T., Zaire a Country Study, Federal Research Division, Washington DC, 1994, p xxvii
137 WRONG, M., Living on the Brink of Disaster in Mobutu’S Congo, Perennial, New York, 2002, p.137.
105

froide ainsi que le fort désir au Congo même pour un changement, ont largement
contribué au changement tant attendu, à savoir, le départ de Mobutu″138.

La présence massive des refugiés sur le territoire congolais y com-


pris ceux qui ont perpétré le génocide au Rwanda d’une part, le soutien d’autre
part que Mobutu a accordé aux groupes insurrectionnels utilisant le territoire
congolais comme base arrière pour attaquer les pays voisins sont des éléments
importants dans le départ de Mobutu.

138Gnamo A, ″ The Rwandan Genocide and the collapse of Mobutu’s Kleptocracy″ in Suhrke H(eds), The Rwanda Crisis
from Uganda to Zaire: The path of a genocide, Transaction Publishers, Brunswick, 1999, p 308
106

CHAPITRE DEUXIEME
AGENDA ECONOMIQUE DANS LE CONFLIT CONGOLAIS

Dans le conflit congolais, les différents acteurs furent largement


motivés par les profits qu’ils pouvaient extraire des ressources naturelles de la
RDC. Cependant, les évidences suggèrent que les raisons initiales ayant poussé
ces acteurs à entrer dans les guerres congolaises ne sont pas économiques.
Même si, les motivations économiques sont devenues partie prédominante dans
le conflit, elles ont émergé comme fonction de la guerre ; la guerre n’étant pas
premièrement liée à la poursuite des intérêts économiques139.

L’origine de la deuxième guerre congolaise est principalement à re-


tracer dans le désir du Président Laurent Kabila à devenir plus indépendant de
ses parrains rwandais et ougandais ainsi que la volonté propre de Kabila
d’engager des reformes politiques et économiques, pour tenter de retrouver une
certaine légitimité qui lui a fait défaut ; suite à la présence étrangère notamment
à Kinshasa. Dès lors, avec le début de cette nouvelle guerre, les intérêts écono-
miques sont devenus significatifs pour les acteurs engagés dans la guerre car ils
étaient incapables d’obtenir une victoire rapide et devaient donc continuer à fi-
nancer les opérations en cours. En plus de cela, différents acteurs individuels et
organisationnels présents au Congo ou en relation directe avec les forces dé-
ployées, sont devenus intéressés à réaliser des profits.

L’émergence des intérêts économiques combinés aux intérêts poli-


tiques ont transformé la nature des guerres congolaises, les rendant multiformes
et complexes. Ces guerres sont à la fois interétatiques et des guerres civiles :
elles opposent le gouvernement congolais aux forces rebelles internes ; l’armée
patriotique rwandaise et les interahamwe ; l’armée congolaise avec ses alliés
Zimbabwéens, Angolais, namibiens…contre les armées rwandaises, ougan-
daises, burundaises et autres. Les conflits locaux opposeront les rebelles Mai-

NEST, M. and al., The Democratic Republic of Congo: Economic Dimensions of War and Peace, Lynne Rienner
139

Publishers, London, 2006, p.31.


107

MAi, l’APR, la LRA, l’UPDF…qui sont motivés par une variété des raisons soit
militaire, politique, économique et voir ethniques. Les belligérants dans ces con-
flits intègrent leurs stratégies avec celles des autres acteurs extérieurs ; les gou-
vernements étrangers et les entreprises privées, afin d’exploiter de manière effi-
ciente les opportunités économiques disponibles. Ce conflit est de plusieurs ni-
veaux, il implique plusieurs acteurs et réseaux qui dépassent les frontières natio-
nales ; devenant national et international facilitant des réseaux criminels à se
servir aisément des minerais congolais.

Pourquoi les intérêts économiques sont ils devenus centraux dans le


conflit et pourquoi ces intérêts ont ils changé la course et le caractère de la
guerre en RDC ? Nous allons analyser dans les pages suivantes l’émergence de
l’économie de la guerre et ses effets sur les différents belligérants.

Les conflits militaires en RDC ont transformé son économie et ont


largement contribué au déclin de l’économie formelle. Ils ont fait ressurgir des
réseaux économiques informels qui affecteront la survie même du pays. Les ac-
tivités économiques existantes pendant le conflit au Congo ont été principale-
ment organisées autour de quatre réseaux ; les acteurs congolais politiciens et
militaires ainsi que les élites du monde d’affaire rwandais, Ougandais et zim-
babwéens. L’opérationnalité de ces réseaux fut facilitée par leur partenariat avec
des firmes étrangères.

Les documents principaux qui nous serviront de guide et analyse de


ces réseaux sont les rapports du panel des experts des Nations Unies sur
l’exploitation illégale des ressources naturelles en RDC140. Ces rapports apportent
deux contributions analytiques majeures pour analyser les guerres au Congo.
Premièrement, les rapports mettent en évidence la nature des activités commer-
ciales auxquelles les belligérants ont été impliqués, l’exploitation des ressources
naturelles. Deuxièmement, les rapports détaillent les différents réseaux politiques,
économiques, militaires…qui ont été impliqués dans la guerre au Congo.

UN: the Report of the Panel of Experts on the Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of Wealth of the
140

DRC (April 2001), the Addendum to the report (November 2001), and the final report (October 2002).
108

SECTION 1. GOUVERNEMENT CONGOLAIS

Les liens commerciaux du gouvernement congolais avec les autres


acteurs dans les pays voisins ont été une combinaison des compagnies publiques
et privées contrôlées par des réseaux des hommes politiques. Les membres de
ces réseaux sont des membres de l’AFDL au pouvoir. ″Cette nouvelle élite re-
produit le modèle mobutien des relations patron-client ayant dominé l’économie
congolaise depuis des années 1970″141.

Les activités économiques du gouvernement et des officiels ont été


réalisées à travers des partenariats avec des organisations étrangères. Michael
Nest note que ″Laurent et Joseph Kabila ont recouru à une compagnie privée,
COMIEX, une compagnie que Laurent Kabila créa dans les années 1970, pour
exploiter les ressources de l’Etat à des fins personnelles ″142. COMIEX forma
Cosleg qui est une unité des forces de défenses zimbabwéennes, puis Osleg qui
elle, a des activités dans les diamants. C’est ainsi qu’en 2000, par décret, Lau-
rent Kabila cède une concession de diamant à Cosleg, et une autre à Senga-
mines. Nest souligne que ceci fut un coup terrible porté sur la Miba, qui a le titre
légal sur les concessions et qui n’a pas été consultée et qui n’a du reste jamais
reçu la compensation143.

En résumé, le groupe d’experts des Nations Unies note que, ″le


gouvernement de la RDC a utilisé les ressources minérales et l’industrie minière
pour financer la guerre. Entre 1998 et le début de 2001, la stratégie de finance-
ment reposait sur trois méthodes : l’obtention des espèces par l’attribution de
monopole ; la levée directe ou indirecte de fonds provenant d’entreprises pu-
bliques et de sociétés privées ; la création de coentreprises unissant des entre-
prises publiques congolaises et des sociétés de pays alliés à la RDC″144.

141 KENNES, E., ″The mining Story″, Review of Africa Political Economy, no 93/94(2002), p.604.
142 NEST, M., op.cit, p.45.
143 Idem.
144 ONU, Rapport du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la RDC,

S/2001/357, p.34.
109

Les Nations Unies considèrent que le défunt président Kabila est res-
ponsable des pillages des ressources naturelles du Congo à trois niveau : en tant que
leader de l’AFDL, ″il a crée un précédent en conférant une apparence de légalité ou
de légitimité à des opérations néanmoins illégales. Pendant sa marche sur Kinshasa,
il a accordé des concessions minières alors même qu’il ne disposait nullement de
l’autorité pour le faire. Certains groupes armés ont copié le modèle, et utilisent les
mêmes méthodes dans leur lutte pour le pouvoir″145. Deuxièmement, ″ il a toléré et
permis un certain nombre d’entreprises illégales à titre de récompense pour ses al-
liés. Il a également lancé le régime de troc existant afin de défendre son territoire.
Ce système est entrain de devenir une pratique normale pour les groupes rebelles″ ;
enfin troisièmement, ″il a offert la meilleure excuse et le meilleur prétexte à ceux
qui ont méticuleusement planifié la façon dont la carte de la région devrait être re-
dessiné en vue d’en redistribuer les richesses ″146.

SECTION 2. ANGOLA ET NAMIBIE

L’agenda économique de l’Angola dans le conflit en RDC est mi-


neur par rapport à d’autres Etats. Néanmoins, on peut citer la création de la so-
ciété Sonangol dont l’Angola détient 60% des parts et la Comiex 40%. Selon
Michael Nest, ″Sonangol est un projet d’apparence bilatérale entre deux gouver-
nements ; mais il est en réalité contrôlé par un réseau d’élites de deux pays pour
leurs intérêts privés. Sonangol est sous le contrôle du président Dos Santos de
l’Angola, alors que Comiex est contrôlé par Joseph Kabila″147. Il ajoute que ″le
gouvernement angolais a en outre demandé des compensations sous forme des
concessions des diamants pour des dépenses militaires, pour avoir assisté le
gouvernement congolais″148.

Le groupe d’experts de l’ONU a mentionné″ l’existence d’une


coentreprise réunissant une société namibienne intitulée <<August 26>>, dont le
principal actionnaire est le ministère de la défense, une société américaine et une
145 ONU, op.cit.
146 Idem.
147 NEST, M., op.cit, pp.50-51.
148 NEST, M., op.cit, p.51.
110

société de la RDC. D’autres transactions impliquant des particuliers ont été si-
gnalées″149 .Il semble donc que la motivation principale de l’intervention en
RDC, surtout pour l’Angola, était politique et stratégique.

SECTION 3. ZIMBABWE

Le commerce entre le Zimbabwe et la RDC fut organisé autour des


réseaux des leaders gouvernementaux et militaires du parti au pouvoir le ZANU-
PF. La Sengamine, l’OSLEG, deux sociétés zimbabwéennes dont les actionnaires
sont des membres du parti au pouvoir ont été au cœur de l’exploitation et de la
vente des produits minéraux, du bois et d’autres ressources naturelles de la RDC.

Le défunt président Kabila avait accordé au Zimbabwe diverses con-


cessions minières dans la région du Kasaï et du Katanga en échange de l’appui mi-
litaire. Pour les experts des Nations Unies,″ Le gouvernement congolais a donné
sous forme de possibilités d’accès , d’exploitation et de gestion des ressources mi-
nières, de fructueuses incitations qui, à leur tour auraient convaincu les autorités
zimbabwéennes de demeurer en RDC ; incitations si importantes que l’équilibre de
l’ensemble du secteur minier au Congo risque d’en être affecté″150 .

SECTION 4. RWANDA

Le réseau par lequel fut organisé l’activité économique entre les


zones rebelles et le Rwanda été directement contrôlé par le gouvernement
rwandais à travers « Congo Desk », une unité du département des relations exté-
rieures du ministère de la défense rwandais. Congo Desk étant le bras commer-
cial de l’armée patriotique rwandaise.

Ainsi, le Rwanda a bénéficié directement du conflit en RDC. Le


Rwanda a financé sa guerre en RDC de cinq façons : la participation directe à des
activités commerciales ; les ressources qu’elle tire des parts qu’elle détient dans
149 ONU 2001, op.cit, p.38.
150 Idem.
111

certaines sociétés ; les impôts collectés ainsi que les versements effectués par des
individus en contrepartie de la protection de leurs entreprises assurée par l’armée
rwandaise ; enfin les prélèvements directement opérés par l’armée sur le pays151.

Il faut ici mettre en évidence le rôle décisif joué par le président


Kagamé dans l’exploitation des ressources naturelles de la RDC. Sur le plan de
ses relations avec les hommes d’affaires rwandais actifs en RDC ; il entretient
des rapports étroits avec des hommes d’affaires rwandais de premier plan qui
sont directement impliqués dans l’exploitation des ressources naturelles dans les
zones sous contrôle rwandais. Chacun de ces hommes d’affaires a bénéficié à un
moment ou un autre du coup de pouce du président. Sur le plan du contrôle qu’il
exerce sur l’armée et les structures impliquées dans les activités illégales, le Pré-
sident Kagamé a réorganisé l’armée qui a débouché sur la création du départe-
ment des relations extérieures où se trouve le bureau Congo, qui est la clef de
voûte des opérations financières de l’APR.

SECTION 5. OUGANDA

Les officiers de l’armée ougandaise proche du président Museveni


ont développé un réseau d’exploitation illégale des ressources de la RDC. Ce ré-
seau a été plus décentralisé que le réseau hiérarchique rwandais car formé des
compagnies privées. L’économie ougandaise a bénéficié du conflit en RDC
sous forme des réexportations, ce qui entrainât un surplus de recettes pour son
trésor et a permis d’accroitre le budget de la défense. Ces réexportations des res-
sources naturelles importées du Congo, étiquetées en tant que ressources natu-
relles ougandaises, puis réexportées. Ces réexportations ont très fortement con-
tribué au financement de la guerre ; permettant aux hommes d’affaires ougan-
dais d’accroitre leurs revenus. L’exploitation illégale de l’or en RDC s’est tra-
duite par une amélioration sensible de la balance des paiements et a permis
d’accroitre les recettes du trésor public152.

151 ONU 2001, op.cit, p.30.


152 ONU 2001, op.cit, p.32
112

Le président Museveni et sa famille ont joué un rôle crucial dans


l’exploitation des ressources naturelles du Congo et la poursuite de la guerre.

SECTION 6. MOUVEMENTS REBELLES

De manière officielle, ces groupes rebelles reçoivent l’essentiel de


leurs matériels militaires par l’intermédiaire de leurs parrains ougandais ou
rwandais. En réalité, ces groupes se procurent les matériels dont ils ont besoin
soit en achetant soit dans le cadre d’opérations de troc.

§1. RCD-GOMA

L’exploitation illicite du coltan et des diamants a été une source


importante de revenue pour ce mouvement. En 2000, Adolphe Onusumba, lea-
der du RCD-Goma déclarait « nous réalisons 200.000$ par mois pour les dia-
mants… et un million de dollars par mois pour le coltan »153.

Le RCD-Goma a mis en place un système budgétaire principale-


ment basé sur le secteur extractif. Les experts de l’ONU ont déduit que les re-
cettes fiscales collectées par le RCD-Goma, sont relativement importantes.

§2. RCD-ML

Les intérêts économiques du RCD-ML ont été développés en colla-


boration avec l’Ouganda. Ses activités majeures concernaient l’exploitation du
Coltan ainsi le prélèvement des taxes. Le contrôle de la ville de Bunia a permis
au mouvement de développer un réseau d’affaires florissant entre la RDC,
l’Ouganda, le Kenya ainsi que les pays du Golfe.

153 VICK, K., ″In the Waging of Congo’s Wars, Vital Ore Plays Crucial Role″ International Herald Tribune, March 20, 2001.
113

§3. MLC

La source majeure de financement du MLC provenait des prélève-


ments des taxes auprès des entreprises privées. Le mouvement s’est aussi lancé
dans le commerce et l’exploitation des ressources naturelles comme l’or, les
diamants et la vente du café.

§4. Mai Mai

En comparaison aux organisations rebelles, peu des détails sont


connus en ce qui concerne les activités économiques des Mai Mai ; mais les mi-
liciens se sont organisés en vue de soutenir leur lutte. Ils ont selon le cas, déve-
loppé des liens avec d’autres mouvements anti-Tutsis comme les interamwe et
les FDD pour commercialiser de l’or.

SECTION 7. ENTREPRISES CONGOLAISES ET ETRANGERES

Les entreprises congolaises privées ont joué un rôle pivot dans la


guerre économique et dans le fonctionnement des réseaux commerciaux. Certaines
entreprises étaient des acteurs commerciaux avant la guerre et d’autres furent sélec-
tionnées pour faciliter les activités commerciales et remplacer les précédentes. Les
entrepreneurs expatriés sont devenus des acteurs majeurs dans la transaction des
ressources naturelles. Ils se lancèrent dans des activités illicites tirant avantage de
leurs nationalités et des réseaux internationaux qu’ils disposent.

Le rapport des experts des Nations Unies a relevé des nombreuses


compagnies étrangères de plus de vingt-six pays impliquées dans l’exploitation
illégale des ressources naturelles du Congo. Ces acteurs commerciaux provien-
nent des milieux économiques différents, les multinationales occidentales, les
banques…ces compagnies étrangères avec intérêts dans les zones antigouver-
nementales ont travaillé avec des partenaires locaux ou des compagnies liées
aux forces rwandaises et ougandaises. Ces entreprises se sont spécialisées sur
114

des ressources minérales, spécialement le coltan qui se trouvait dans les zones
contrôlées par les rebelles.

La guerre pour l’exploitation des ressources naturelles en RDC a été


conduite par des acteurs armés travaillant en collaboration avec les compagnies
locales et étrangères, ainsi que les acteurs criminels ; les activités illégales sont
devenues un élément intrinsèque de la guerre économique. Ensemble, ces ac-
teurs ont organisé des réseaux commerciaux recourant à la violence et autres
stratégies prédatrices, fixation des prix et spoliation de la population, pour ex-
ploiter les ressources naturelles.

L’incertitude causée par ces tactiques prédatrices couplées à la fail-


lite de l’Etat, dans un environnement général des combats a permis ces réseaux
commerciaux de se concentrer sur les activités demandant peu d’investissements
mais offrant un profit rapide. En outre, la violence a permis aux belligérants
d’atteindre leurs objectifs politiques et assurer leur survie économique.
115

CHAPITRE TROISIEME
FAILLITE DE L’ETAT ET ENJEUX DES PUISSANCES
ETRANGERES EN RDC

Dans ce chapitre, nous examinons les facteurs internes et externes


qui ont précipité la guerre en République démocratique du Congo (RDC). Nous
analysons également les effets de la politique internationale de l'après-guerre
froide, les motivations géostratégiques des pays de la région ainsi que les ten-
sions politiques et socioéconomiques en RDC.

L'Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo-


Zaïre (AFDL) a renversé la dictature corrompue du Président Mobutu Sese Se-
ko, le 17 mai 1997. A cette époque, il y avait un grand soupir d’espoir et un en-
thousiasme sur les perspectives démocratiques après trente-deux années de des-
potisme, kleptocratie et immobilisme. Le Président Laurent-Désiré Kabila, le
chef de l'AFDL, a été considéré comme un héros, un libérateur par le peuple
congolais. La communauté internationale appelât à la restauration de la primau-
té du droit, le respect des droits de l'homme et une progression rapide vers la
démocratisation et le développement. En effet, comme on l’a ci-haut indiqué, le
mobutisme a été caractérisé par le culte de la personnalité, la mauvaise gestion
économique, la manipulation des clivages ethniques, l'impunité et l'érosion des
structures institutionnelles de l'Etat. Les aspirations congolaises pour le multi-
partisme, la transparence gouvernementale et la démocratie ont été brutalement
étouffées, de préférence pour le parti unique et un régime néo-patrimonial glori-
fiant et plaçant Mobutu et ses amis au-dessus de la Loi.

Son successeur Laurent Désiré Kabila n’a pas fait mieux. Après
avoir renvoyé ses parrains rwandais et Ougandais, il s’entoura des ressortissants
de sa province d’origine, le Katanga. Tout ceci plongea de nouveau le pays dans
une crise politique et un conflit avec la création des plusieurs rébellions no-
tamment à l’Est du pays.
116

Pour une résolution politique pacifique du conflit en République


démocratique du Congo, il y a eu un besoin vital pour une plus grande participa-
tion de la communauté internationale, l'Organisation des Nations Unies et autres
grandes puissances occidentales. Ils considèrent que la démocratie, les droits de
l'homme et l'entreprise privée ne pouvaient pas être réalisables dans la région
des grands lacs dans des conditions de chaos, banditisme et d'instabilité poli-
tique chronique. L'accent mis sur des« Solutions africaines aux problèmes afri-
cains » ne devrait pas être un euphémisme pour une absence d’un leadership
moral et politique décisif de la communauté internationale. La communauté
mondiale a une responsabilité essentielle sur la sécurité internationale, elle doit
encourager, la gouvernance démocratique et la mise en place des programmes de
développement économiques dans la région des Grands Lacs. Considérant les
vastes ressources minérales et les potentialités économiques de la RDC, les pers-
pectives de stabilité politique peuvent améliorer la condition humaine ainsi que le
bien-être socio-économique de la population.

Dans l’ère post -guerre froide, l'importance des sources politiques


et socio-économiques, ethnico-culturelles, domestiques, de tensions et les cli-
vages a été mis en évidence. L'accent sur les sources internes des conflits régio-
naux est juxtaposé à la tendance croissante à préconiser une plus grande auto-
nomie africaine et la responsabilité accrue continentale pour le rétablissement de
la paix et de maintien de la paix. Le recours aux politiques diplomatiques afri-
caines pour les conflits militaires endémiques du continent s’est intensifié. Par
conséquent, l'organisation de l'unité africaine (OUA) et d'autres organisations
régionales, telles que la communauté économique des États de l'Afrique de
l'Ouest et la communauté de développement en Afrique australe (SADC) ont été
placées au Centre des préoccupations de gestion des conflits militaires de
l'Afrique. Ces organismes continentaux maintenant servent comme instruments
clés et des véhicules pour les accords de médiation et de la sécurité des conflits
dans l'après-guerre froide. La multitude de conflits armés dans les États de
l'Afrique modernes, constitue en fait un défi de taille pour les organisations poli-
tiques, socio-économiques et militaro-sécuritaire régionales de l'Afrique.
117

La fin de la guerre froide a marqué le retrait des États-Unis et


d'autres puissances occidentales comme gardiens de la paix et ont fait resurgir
les conflits armés de facto scrupuleux inter-états. La gestion des structures mili-
taires de la sécurité régionale dans le développement de l'Afrique contemporaine
a été déléguée à des organismes et des armées africaines. La débâcle somalienne
de 1993 et le génocide au Rwanda de 1994 constituent des vifs rappels de
l'orientation changeante des puissances occidentales à l'égard du rôle et de la
pertinence de la médiation internationale et l'intervention dans les conflits mili-
taires africains. La France et la Belgique qui jouèrent des rôles actifs en inter-
venant en Afrique, ont choisis une approche plutôt différente. En effet, les
africains doivent maintenant assumer plus des fardeaux et partager les respon-
sabilités en matière de maintien de la paix et le rétablissement de la paix.

Quatre des principaux protagonistes dans le conflit en République


démocratique du Congo, le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et l'Angola, partagè-
rent un dilemme politique commun. Ces Etats étaient confrontés à des groupes
rebelles et les milices armées qui continuent d'utiliser le territoire de la Répu-
blique Démocratique du Congo comme leurs bases opérationnelles pour fomenter
des troubles et des raids transfrontaliers. Ces insurgés armés, qui commettent des
incursions en Ouganda et au Rwanda, constituent un défi majeur de sécurité pour
une résolution pacifique du conflit en RDC. L'exportation des rébellions internes
et des insurgés qui traversent les frontières nationales dans la région des grands
lacs constitue un problème de sécurité qui a gravement sapé les notions conven-
tionnelles de la souveraineté territoriale de l'Etat, comme un principe essentiel des
relations internationales d'Etats africains postcoloniaux. La perméabilité des fron-
tières territoriales vastes de la RDC a rendu difficile les distinctions analytiques
entre les questions de sécurité interne et propre à la RDC et celles liées à la ré-
gion. La survie des gouvernements actuels dans les pays limitrophes de la RDC
en dépend. L’Effondrement du régime, la délégitimation du politique et une ins-
tabilité sociale interne en Ouganda, au Rwanda, au Burundi et l'Angola, sont les
facteurs externes, liés à la guerre en RDC. La régionalisation de la guerre signifie
118

que même les questions politiques internes en RDC doivent être adressées dans
un cadre plus large de sécurité géostratégique et d’un point de vue exogène. Un
gouvernement politiquement légitime et stable en RDC, capable de contrôler ses
propres frontières, servira comme une panacée pour l'insécurité régionale et aven-
turisme dans la région des Grands Lacs.

Le clivage ethnique engendré par la persécution politique et la margi-


nalisation des minorités demeurent au cœur de la guerre en RDC. Tout aussi im-
portantes sont les questions des droits de la terre et de la citoyenneté pour les con-
golais Tutsis, dont le sort est politisé avec l'introduction des biais idéologiques dans
la région des Grands Lacs entre les Bantous et les populations nilotiques.

Les questions de la légitimité de pouvoir, de la bonne gestion, de la


redistribution des richesses et surtout de la répartition réelle du pouvoir entre le
centre et les provinces restent essentielles dans la résolution du conflit en RDC.

Sans doute la guerre civile congolaise doit être examinée dans le


contexte de l'incapacité persistante des gouvernements du Rwanda, Ouganda,
Burundi, et du Soudan à promouvoir des politiques de réconciliation nationale
entre leurs groupes insurgés ethniquement polarisés et orientés sur les extré-
mistes dans leurs pays respectifs. En bref, l'absence de l’engagement démocra-
tique, du pluralisme politique viable, du véritable dialogue national et des solu-
tions pragmatiques pour les conflits communautaires intrinsèquement domes-
tiques et les animosités ethniques restent les causes des menaces récurrentes de
sécurité régionale et la déstabilisation politique de plusieurs gouvernements de
la région des Grands Lacs.
119

SECTION 1. RWANDA : LES MOBILES DE SON INTERVENTION MILI-


TAIRE EN RDC

Il est impératif de lier le génocide de 1994 au Rwanda à la situation


chaotique que connait la RDC à ces jours. Le conflit ethnique au Rwanda entre
les Hutus et les Tutsis a explosé dans une guerre communautaire d'usure, dont
800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été systématiquement et sauvagement ex-
terminés par les milices extrémistes Hutu, appelés les Interahamwe.

En effet, cette année là, des miliciens Interahamwe avaient décidés


d’exterminer les Tutsis et Hutus modérés. La milice chassa les Tutsis, maison
par maison ; tortura même les jeunes enfants, elle commettra des viols et assas-
sinats de toute nature. Comme un résultat direct du génocide, près de deux mil-
lions d’Hutus ont fui le Rwanda après le renversement du gouvernement par la
rébellion Tutsi FPR. Beaucoup d'entre eux sont devenus des réfugiés dans l'est
du Congo. Certains se sont enfuient de peur des représailles. D'autres ont été
rassemblés à travers la frontière par les Interahamwe et le régime extrémiste Hu-
tu, qui a été déterminé à son tour, de tout faire pour reprendre le pouvoir.

Les terribles événements du génocide au Rwanda ont déclenché une


vague sans précédent d'afflux massifs de réfugiés dans les pays voisins de la ré-
gion des grands lacs et d'autres parties de l'Afrique centrale. Faisant partie des
réfugiés, la milice extrémiste, qui avait perpétré le génocide, ainsi que les sol-
dats vaincus de l'ancien gouvernement dirigé par les Hutus, connus comme les
Forces armées rwandaises, ou ex-FAR.

Le regroupement effréné et aveugle des innocents réfugiés et des


organisateurs et auteurs du génocide dans la région orientale du Congo produit
des conséquences désastreuses. La présence de réfugiés hutus dans cette région,
qui est toujours fortement peuplée par les Banyamulenge, fait raviver les cli-
vages communautaires existants et intensifie les angoisses ethniques dans les
provinces du Nord et du Sud-Kivu. Les camps de réfugiés dans l'Est du Congo
120

tombent bientôt sous le contrôle des Interahamwe, qui étaient les auteurs du gé-
nocide au Rwanda. La milice Hutu extrémiste, a continué de s'infiltrer sur le ter-
ritoire rwandais afin, comme on vient de le dire de reconquérir le pouvoir. Les
raids transfrontaliers sont devenus quotidiens rendant ainsi la présence de ces
refugiés une question très alarmante mais à laquelle la communauté internatio-
nale s’est avérée impuissante.

Dans la région de l'est du Congo-Zaïre, l'afflux de réfugiés hutus a


exacerbé les tensions ethniques entre les Banyamulenge et les autres communau-
tés ethniques autochtones. La province du Sud Kivu et la zone de Masisi en par-
ticulier sont devenues la poudrière et l'épicentre de ces incursions transfronta-
lières. Ces refugiés et d’autres personnes impliquées dans les crimes contre
l’humanité dans leur pays d’origine, sont restés armés et ont continué à mener
leur guerre contre le FPR, à partir de la RDC154.

La menace persistante des Interahamwe posait un problème de sé-


curité fondamentale pour la stabilité politique du Rwanda. Le gouvernement de
la minorité Tutsi décida d’engager des actions militaires draconiennes pour ré-
duire l'instabilité causée par l'agression des milices armées rebelles dans son es-
pace géographique. L'incapacité du gouvernement de la RDC à contrôler ses
frontières contraint le gouvernement rwandais à rechercher des solutions mili-
taires peu orthodoxes pour garantir sa sécurité géopolitique. En effet, le gouver-
nement de Kigali conclut que, seules les solutions drastiques nécessaires pou-
vaient résoudre une situation désespérée.

Le bouleversement ethnique dans l'est du Congo a longtemps été


associé à la préoccupation de Banyamulenge en rapport avec la question de la
Citoyenneté et de leur statut de nationalité. La population Tutsi congolaise per-
sécutée rejoint la rébellion menée par Kabila (qui est parrainée et soutenue par le
Rwanda, l'Ouganda et l'Angola) à renverser la dictature de Mobutu à Kinshasa

154HUMAN RIGHTS WATCH, "Democratic Republic of Congo: What Kabila Is Hiding: Civilian Killings and Impunity in
Congo," October 1997, p.10.
121

en 1997. Le Rwanda avait à cette époque fourni des troupes militaires et soutenu
Kabila dans l'attente qu'un changement de direction politique au Zaïre créerait
un régime amical à Kinshasa qui serait capable de régler ses problèmes de sécu-
rité dans la région de l’Est du Congo et de cesser de soutenir des bandes d'ex-
trémistes Hutus comme fut le cas du régime de Mobutu affaibli.

L'insécurité frontalière et la question des réfugiés étaient les prin-


cipales raisons de la participation du Rwanda à la rébellion congolaise de 1996,
qui a chassé le dictateur Mobutu du pouvoir en mai 1997. Le Rwanda mena
donc une guerre au Zaïre pour renverser le régime de Mobutu, écraser les Inte-
rahamwe et les ex-FAR, qui permettraient au gouvernement de préserver son in-
tégrité territoriale et la souveraineté politique. Les enjeux sont clairs, et ils se
sont concentrés carrément sur la survie du régime. Les responsables rwandais
avaient averti que tous les efforts entrepris par les Interahamwe et leurs alliés
étrangers afin de renverser le régime Tutsi au Rwanda seraient considérés
comme inacceptables et sans doute partisans.

Les conflits ethniques internes du Rwanda sont devenus étroitement


liés dans le réseau complexe des contestations politiques intérieures pendant les
derniers jours du régime de Mobutu. L'exclusion, la marginalisation et la persé-
cution des Banyamulenge au Congo a été aggravée par le refus des copains de
Mobutu à désarmer et à expulser les extrémistes Hutu (auteurs du génocide au
Rwanda) du territoire congolais. Compte tenu de la situation politique défavo-
rable à Mobutu, le gouvernement minoritaire Tutsi au Rwanda a jugé nécessaire
de soutenir la rébellion de l'AFDL dirigé par Kabila afin de protéger ses fron-
tières et pour protéger les Banyamulenge au Congo de plus en plus harcelés par
la présence des génocidaires.

Dans une région marquée par la fragilité des frontières et des luttes
politiques intenses, les lignes entre les conflits intrinsèquement internes, les raids
transfrontaliers, menacent la sécurité régionale, et la déstabilisation des régimes. Il
est évident que les armées du Rwanda, de l'Ouganda et de l'Angola ont aidé à ins-
122

taller Kabila au pouvoir à Kinshasa en mai 1997. Cependant, à la grande surprise


générale de ses maitres, Kabila a refusé de désarmer et d'expulser les extrémistes
Hutu Interahamwe, les groupes rebelles ex-FAR et autres. Kabila n'a pas pu ré-
soudre le problème de la nationalité Banyamulenge. Dans les provinces du Kivu, en
particulier, les incursions des Interahamwe soutenues en territoire rwandais vou-
laient dire que les conflits ethniques ainsi que les effets du génocide rwandais de
1994 ont été exportés sur le territoire de la République démocratique du Congo. Le
territoire congolais est devenu l'arène imprévue ou inévitable pour les conflits ar-
més communautaires, en dépit du fait que les causes profondes de l’opposition Hu-
tu-Tutsi, les tensions ethniques restent profondément ancrées dans la nature délicate
des relations entre la société et l’Etat au Rwanda.

En août 1998, Le Rwanda et l'Ouganda promettent appui militaire à


la rébellion du RCD majoritairement constituée de Banyamulenge dans le but
d’évincer Kabila du pouvoir. Le gouvernement Tutsi du Rwanda accuse Kabila
de remobiliser, de former et rééquiper des extrémistes hutus, qui sont basés en
RDC et qui continuent à terroriser les populations rwandaises à travers les raids
transfrontaliers incessants. Kigali a accusé le régime de Kabila d'utiliser les re-
belles à attaquer le Rwanda et de déplacer la scène du conflit armé de l'intérieur
du Congo en territoire Rwandais. Le gouvernement du Rwanda parraine donc la
rébellion du RCD au sein de la République démocratique du Congo afin de pro-
téger l'autonomie politique du pays et la souveraineté territoriale.

Paul Kagamé, a souligné avec insistance que″ le génocide contre les


Tutsis et les autres groupes avaient déjà commencé au Congo ; il existait selon
lui, des charniers frais dans les parties occidentales et orientales du Congo″ 155. Il
ajouta que « nous on ne se soucie pas qui est le président au Congo. Kabila a
rassemblé les forces génocidaires et dit qu'il apportera la guerre au Rwanda.
Nous sommes clairs que Kabila est génocidaire et nous voulons son arrestation.
Nos forces sont au Congo pour assurer la sécurité rwandaise, et avec Kabila

155 PITMAN, T., "Congo Rebels Accuse Kabila of Fomenting Genocide," Reuters Limited, 16 September 1998, 1.
123

notre sécurité n'est pas assurée »156. Le Rwanda considère que la présence d'un
grand nombre des Interahamwe constitue une menace pour sa survie nationale.
Pour Kigali, les génocidaires Interahamwe doivent être arrêtés, désarmés, démo-
bilisés et forcés à répondre de leurs crimes.

Le tribunal international des crimes de guerre à Arusha, en Tanza-


nie, est considéré comme le meilleur mécanisme de résolution des crimes contre
les Tutsis par des Hutus. Jusqu'à ce que soit déployées des forces de paix des
Nations Unies au Congo, la machine militaire du Rwanda restera sans faille
l'appui des rebelles du RCD. Le Rwanda s'est engagé à rester au Congo jusqu'à
ce que les Interahamwe soient capturés. Pendant ce temps, le gouvernement de
Kabila à Kinshasa a intensifié ses accusations contre ce qu'il perçoit comme
l'invasion du Rwanda de la RDC, un Etat souverain.

Kabila a continué à insister sur le fait que la présence des « troupes


étrangères non invitées » pose une menace de sécurité grave à l'intégrité territoriale
de la RDC. Les autorités congolaises ont appelé la SADC, l'OUA et les Nations
Unies de condamner publiquement les envahisseurs rwandais et ougandais. Le ré-
gime de Kabila maintient que la RDC se réserve le droit d'utiliser tous les moyens
à sa disposition pour défendre son intégrité territoriale et la souveraineté politique.
Ce ne fut pas une surprise, donc, lorsque les troupes du Zimbabwe, la Namibie,
l'Angola et du Tchad (en plus de plusieurs milices non étatiques et les groupes ar-
més rebelles) ont été déployés et recrutés par le gouvernement de Kabila pour assu-
rer une protection militaire et éviter l'effondrement imminent de son régime. En
bref, l'internationalisation de la guerre congolaise a commencé sérieusement. Kabi-
la a continué à rejeter l’idée selon laquelle il existait des rebellions internes en Ré-
publique démocratique du Congo, pour lui, ces gens étaient rien d’autres que des
miliciens au service du Rwanda et de l’Ouganda.

156 SALTER, G., "Chirac's Congo `Peace' Has Little Chance," Daily Mail & Guardian, 4 December 1998.
124

En dépit de la rhétorique de la propagande, on assistât à une frag-


mentation géopolitique de facto de la République démocratique du Congo. Cette
″rebalkanisation″ de facto a pendant longtemps compromis les perspectives de
forger l'unité nationale, l’édification de la nation et la revitalisation rapide du
capital humain ainsi que les initiatives de développement économique.

SECTION 2. OUGANDA : CALCULS GEOSTRATEGIQUES ET DILEMME SE-


CURITAIRE

Les préoccupations de sécurité régionale ont figuré en bonne place


dans la décision de l'Ouganda à abandonner le régime de Kabila en fournissant un
appui militaire pour le mouvement rebelle RCD au Congo. L'Ouganda avait pré-
cédemment soutenu la rébellion d'AFDL pro-Kabila contre Mobutu Sese Seko du
Zaïre en 1996. Après que Kabila s'est proclamé Président de la RDC renommé,
son gouvernement s'était montré incapable de maintenir la sécurité efficace le
long des frontières communes du territoire ougandais. Pour compliquer davantage
les choses, Kabila enrôle des insurgés rebelles ougandais et offre une protection
politique des milices. L'incapacité prolongée de l'État congolais pour contrôler
les frontières demeure une source constante des tensions avec l'Ouganda et le
Rwanda sur la souveraineté territoriale ainsi que les considérations sur la sécurité
régionale. Le gouvernement de Kampala est actuellement confronté à des groupes
rebelles armés basés dans les pays voisins notamment en RDC, qui se battent pour
déstabiliser l’Ouganda, leur pays d’origine.

Trois groupes rebelles armés ougandais ont créé une instabilité poli-
tique et une menace de sécurité formidable contre le gouvernement de Kampala
: West Nil Bank Front (WNBF) dirigé par le fils de Idi Amin, Taban ; the Allied
Democratic Forces (ADF) dirigé par Jamil Makulu, un religieux musulman qui
opèrait à partir de la région orientale du Congo ; et the Lords Resistance Army
(LRA), dirigé par Joseph Kony. L'ADF est une milice qui puise ses membres
parmi les anciens soldats d'Idi Amin, déserteurs de l'armée ougandaise et les
restes de l'armée nationale pour la libération de l'Ouganda. La LRA par contre a
125

été créée en 1986 pour s'opposer au gouvernement du Président Yoweri Muse-


veni et est devenu un groupe actif et militant et a orchestré des insurrections, les
raids transfrontaliers et les infiltrations sporadiques en territoire ougandais. De
toute évidence, l'Ouganda connaissait un dilemme de sécurité régionale grave
parce que la LRA recevait l'appui du gouvernement du Soudan, qui était totale-
ment engagé pour le renversement du régime Museveni à Kampala.

Le gouvernement soudanais accusait le régime Museveni de finan-


cer ainsi que de fournir un soutien militaire et logistique au Soudan Peuples Li-
bération Army (SPLA), un groupe des rebelles du Soudan qui était impliqué
dans une guerre civile armée, vielle de plusieurs décennies, avec le gouverne-
ment musulman du Nord de Khartoum. Les intransigeances des soudanais et ou-
gandaises de soutenir des rebellions à partir de leurs pays respectifs sont direc-
tement liées au conflit en RDC par les permutations régionales et la corrélation
sur le terrain des forces belligérantes. Soutenus par le gouvernement du Soudan,
l'ADF, WBNF et LRA (groupes de rebelles ougandais) fonctionnaient au Congo
sans être inquiétés par le gouvernement du Président Kabila.

″La présence de l’Ouganda en RDC pouvait aussi s’expliquer par


son implication dans la guerre civile au Soudan entre le gouvernement de Khar-
toum et la SPLA. La présence militaire ougandaise n’a pas été limitée aux fron-
tières où les rebelles ougandais sont actifs ; mais à des milliers des kilomètres de
la frontière. Cela, pour empêcher le Soudan de contrôler les installations straté-
giques comme les aéroports″157.

Le parrainage des milices rebelles par les différents gouvernements


etait devenu un formidable défi pour la coopération et la sécurité régionale, ain-
si que les perspectives de règlement des conflits et de maintien de la paix dans la
région des grands lacs. Bien que l'Ouganda et le Rwanda aient été les principaux
parrains des rebelles du RCD et du MLC dans la guerre civile en RDC, les
forces soudanaises se sont secrètement impliquées dans la guerre congolaise, du
157 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, "Central Africa: Africa's Seven Nation War," 21 May 1999, 19.
126

côté des Forces armées congolaises. L'Ouganda a insisté que le Soudan a mené
les bombardements à l'intérieur du territoire ougandais, en plus de fournir un
soutien militaire à l'armée congolaise et les forces rebelles du LRA. ″ Les autori-
tés ougandaises ont réclamé que quelques 2 800 rebelles rwandais et ougandais
ont été formés au Soudan pour lutter contre les rebelles qui cherchent à renver-
ser le gouvernement de Kabila″158.

En réponse à l'attaque du Soudan contre le mouvement de libération


congolais ,le MLC, le gouvernement de Museveni a déployé les forces de dé-
fense dans la région du nord-est de la RDC pour contrôler les bases aériennes
afin de devancer l'utilisation future de ces bases par le Soudan en vue de mener
des raids contre l’Ouganda. L'hostilité et l'animosité persistante entre le Soudan
et l'Ouganda a trouvé un exutoire commode dans le conflit en RDC, en raison de
la fraternisation de Kabila avec les milices rebelles. Le territoire congolais est
donc devenu l'arène centrale pour régler les conflits militaires brutaux entre les
belligérants et concurrents de la région.

Museveni a conclu qu’une occupation militaire et le soutien aux re-


belles du MLC et du RCD empêcheraient des raids transfrontaliers récurrents
menés par des groupes rebelles, qui sont soutenus par le gouvernement de Kabi-
la et le Soudan contre l’Ouganda. L'Ouganda a soutenu officiellement deux
groupes rebelles dans la crise Congolaise : la faction du RCD-Kisangani dirigée
par Wamba dia Wamba ; et le MLC, dirigé par Jean-Pierre Bemba, avec pour
siège opérationnel Gbadolite. En dépit de cette longue occupation militaire de
l'Ouganda au Congo, des infiltrations rebelles en Ouganda se sont poursuivies,
remettant ainsi en question les motifs et la validité de la mission de l'Ouganda,
en République démocratique du Congo159.

158ACHIENG, J., "Uganda Over-stretched by Congo's War," The Guardian, 24 September 1998, p.2.
159AMNESTY INTERNATIONAL, "Democratic Republic of Congo: A Longstanding Crisis Spinning out of Control.", AFR
62/033/98, 7.
127

L'alliance militaire entre l'Ouganda et le Rwanda en termes de leur


conjoint soutien de la rébellion du RCD contre Kabila se désintégra en raison de
la lutte de leadership au sein du RCD, qui a abouti à l'éclatement du mouvement
rebelle. Le Rwanda et l'Ouganda avaient précédemment réclamé qu'ils parta-
geaient les mêmes objectifs et avaient les mêmes stratégies militaires en RDC
contre le régime de Kabila. Les deux pays ont cherché à mettre un terme à
l'insécurité de leurs frontières communes et renverser le régime de Kabila qui a
trahi leur appui plus tôt au cours de la rébellion qui a réussi à renverser l'ancien
dictateur Mobutu. Le dilemme des Interahamwe et la présence d'autres forces
rebelles ayant des bases en RDC avec le soutien de Kabila, est devenu la base
primaire du pacte militaire Ouganda/ Rwanda dans le conflit en République dé-
mocratique du Congo. Les deux pays veulent effectuer un changement de direc-
tion à Kinshasa pour protéger les Banyamulenge et remédier à la question de
l'insécurité des frontières dans la région des Grands Lacs.

Le mouvement rebelle-RCD fut scindé en deux factions, le 19 mai


1999. Le Rwanda soutiendra le RCD-Goma, une faction dirigée par Emile Ilun-
ga ; et l’Ouganda a soutenu le RCD-Kisangani, dirigé par Wamba dia Wamba.
En outre, l’Ouganda soutenait aussi le MLC, un mouvement rebelle nouvelle-
ment formé sous la direction de Jean-Pierre Bemba. Cette reconfiguration con-
duit aux yeux des observateurs de s’interroger sur des réelles ambitions de ces
deux pays. En effet, les deux pays semblent être principalement intéressés dans
le contrôle des vastes et riches ressources minières de la RDC. De plus en plus,
par conséquent, il y avait l'impression que l'Ouganda et le Rwanda ont été enga-
gés dans une guerre des diamants et des minéraux dans leur effort pour atteindre
la prépondérance politique et militaire dans la région des Grands Lacs.

En fait, la principale cause de l'interventionnisme militaire ougan-


dais dans la guerre de la République démocratique du Congo est restée non réso-
lue malgré son invasion militaire et l'occupation du territoire de la République
démocratique du Congo. Les rebelles de l’ADF ont continué à s'infiltrer à ouest
de l'Ouganda en utilisant les forêts dans les districts de Gulu. Ceci suggère for-
128

tement qu’il ya lieu de douter des préoccupations sécuritaires publiquement arti-


culées par Kampala pour justifier son intervention militaire en RDC.

La sécurité de la frontière commune, la présence des milices re-


belles et l'accès aux armes et aux ressources économiques stratégiques sont au-
tant des raisons qui ont justifiés l’intervention militaire ougandaise en RDC.

SECTION 3. AVENTURE MILITAIRE BURUNDAISE EN RDC

Le rôle du Burundi dans le conflit en République démocratique du


Congo reste un sujet de spéculation et de controverse, bien qu'il partage des
frontières territoriales avec le Congo. Le gouvernement de Laurent Kabila avait
accusé à plusieurs reprises et avait dénoncé publiquement le Burundi pour viola-
tion des frontières territoriales congolaises. Bujumbura avait toujours farou-
chement nié toute implication ou soutien militaire pour les rebelles du RCD.

Similaire au Rwanda, le Burundi fut gouverné par un régime mili-


taire de la minorité Tutsi. Il connaitra aussi des insurrections rebelles hutues
contre le gouvernement Tutsi, sous la direction du Major Pierre Buyoya.

La guerre civile du Burundi a commencé en 1993 et les clivages


ethniques Hutu-Tutsi ont provoqué l'hostilité profonde, des affrontements bru-
taux entre le régime militaire et l'opposition rebelle hutu ont eu lieu. Les soldats
burundais avaient franchi à plusieurs reprises les frontières pour combattre la
guérilla rebelle Hutu connue comme les Forces pour la défense de la démocra-
tie, FDD. Un autre groupe rebelle, le Front National de libération (FNL), conti-
nuait à s'engager dans des raids transfrontaliers contre le régime militaire au Bu-
rundi. Malgré ces incursions transfrontalières signalées, le gouvernement du Bu-
rundi niait participer dans le conflit en RDC. Bujumbura soutenait publiquement
la neutralité du Burundi dans la crise congolaise, mais Kinshasa avait toujours
menacé d’attaquer Bujumbura pour son aventurisme militaire160.

160 MUNENE, F., "Burundians in DRC, But Fighting Only Their Own Rebels," Agence France Presse, 2 June 1999, p.3.
129

Le gouvernement Laurent Kabila avait souligné que le Burundi avait


secrètement fourni un appui militaire aux rebelles du RCD et que Bujumbura
avait même mis en scène ses hélicoptères pour bombarder le territoire congolais.
Les autres sources régionales avaient constaté que quelque 2 000 soldats burun-
dais se battaient à l'Est de la RDC contre la guérilla des Hutus burundais : ″les re-
belles burundais du FDD ont été réarmés par Kabila. Afin de les contrer, Bujum-
bura a déployé des forces dans le sud-est du Congo. En dehors de la lutte armée,
le Burundi tient à protéger son itinéraire économique vital sur le lac Tanganyika,
nécessaire pour l’acheminement des marchandises stratégiques″161.

La frontière entre la RDC et le Burundi est restée aussi probléma-


tique que celle avec le Rwanda et l'Ouganda, créant des graves menaces pour la
stabilité politique et la viabilité économique dans la région des Grands Lacs.
Bujumbura justifia ses manœuvres militaires le long de la frontière congolaise
comme une mesure légitime de protéger son territoire contre les rebelles Hutus,
qui recevaient également des armes et la protection militaire du régime Kabila.

En dépit des contraccusations entre les représentants de la RDC et


du Burundi, la sécurité à la frontière s'était détériorée. La situation précaire est
exacerbée par la présence des centaines de réfugiés congolais et autres per-
sonnes déplacées qui ont fui au Burundi.

Compte tenu de la proximité géographique et le réseau complexe


des liens transfrontaliers et ethnico-nationale au sein de la région des grands
lacs, il y a des antipathies fortement intégrées pour ce qui est des questions
d'identité communautaire, basées sur la dichotomie entre les Hutu-Tutsi. Le net
effet cependant, est la tendance des actes des Etats dans les deux pays à sponso-
riser des révoltes et contre-insurrections sur leurs territoires nationaux.

161 Interview avec un diplomate africain, Kinshasa, le 8 Aout 2011.


130

SECTION 4. ANGOLA ET CRISE CONGOLAISE

Mwayila Tshiyembe note″ qu’il existe ente Luanda et Kinshasa, un


vieux contentieux qui date de l’indépendance de l’Angola, le 11 Novembre
1975. En effet, compte tenu du contexte de la guerre froide et du jeu des al-
liances, le MPLA est soutenu par les pays du bloc de l’Est tandis que le FNLA
et l’UNITA sont soutenus par ceux du bloc de l’Ouest… Partant de ce clivage,
le président Mobutu, allié de l’Occident, reçoit mandat (moyens militaires et fi-
nanciers) pour contrecarrer le MPLA prosoviétique ″162.

La participation militaire de l'Angola dans la guerre congolaise est


directement liée aux conflits intérieurs prolongés entre le gouvernement MPLA
à Luanda et l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (UNITA).
Il est intriguant, voire incompréhensible de constater que l’implication de tous
ces pays dans la guerre du Congo, est en partie le résultat et une extension de
leur tensions internes.

En octobre 1996, l'Angola a rejoint le Rwanda et l’Ouganda à en-


vahir militairement le Zaïre, qui a entraîné le renversement de l'ancien dictateur
Mobutu, en mai 1997. Le gouvernement MPLA angolais appuya la coalition
AFDL dirigée par Kabila. Lorsque la rébellion RCD a débuté le 2 août 1998
dans l'actuelle République démocratique du Congo, le gouvernement angolais a
militairement soutenu le régime assiégé de Kabila à Kinshasa. Contrairement à
la coalition contre Mobutu, cette fois l'Angola fait équipe avec le Zimbabwe, la
Namibie et le Tchad pour sauver le gouvernement de Kabila de la défaite mili-
taire et ainsi évité l'effondrement politique éminent du régime de Kinshasa. En
effet : le déploiement des troupes angolaises à l’ouest du Congo a été le facteur
clé qui empêchera les rebelles de rejoindre la capitale.

162MWAYILA, T., Géopolitique de paix en Afrique médiane : Angola, Burundi, RDC, Ouganda, Rwanda, L’Harmattan,
Paris, 2003, p.55.
131

Pour l'Angola qui était également impliqué dans une guerre civile
avec les rebelles de l'UNITA, dirigé par le Dr Jonas Savimbi, le gouvernement
MPLA a conclu que le renversement probable du gouvernement de Kabila cons-
tituerait une menace directe pour son régime. Ce ne fut pas une surprise, que
l'offensive militaire de l'Angola contre les rebelles du Congo a changé la nature
et l'ampleur et donc la longévité de la guerre.

En clair, la violation des accords de paix de Lusaka négociés entre


les MPLA et l'UNITA a conduit à la reprise et l’intensification de la guerre ci-
vile en Angola. L'UNITA avait des bases arrière au Congo et recevait un soutien
logistique et militaire de Mobutu. C’est pour cette raison que le gouvernement
MPLA en Angola a fermement soutenu et a fourni le soutien militaire à la rébel-
lion de l'AFDL de Kabila contre Mobutu. ″ Le gouvernement angolais entre en
guerre aux côtés de Kabila en grande partie afin de nettoyer les bases de l'UNI-
TA au sud-ouest du Congo. Luanda s’opposera à tout cessez-le-feu qui laisse un
gouvernement favorable à l'UNITA en place dans la région163″. Les rebelles de
l'UNITA importaient des armes et carburant en échange du commerce illicite de
diamants de contrebande. Le soutien de Mobutu avait pendant longtemps permis
à Savimbi de poursuivre la guerre contre le MPLA. L'objectif stratégique de
Luanda était de paralyser gravement les capacités de l'UNITA et mettre un terme
à la déstabilisation de l’Angola, cela passait par le renversement de Mobutu.

Un leadership politique pro-MPLA en République démocratique du


Congo a été jugé essentiel pour la paix et la sécurité en Angola. Amnesty Inter-
national dans son rapport sur la RDC a fourni un aperçu chronologique et cri-
tique de l'implication de l'Angola dans la crise congolaise : « En août 1998,
l'Angola assurait le soutien militaire aux forces fidèles au président Kabila. Les
réfugiés zaïrois qui avaient vécu en Angola depuis des nombreuses années ont
également rejoint l'AFDL en 1996. Le gouvernement angolais tenait à empêcher
l’UNITA d'utiliser le Zaïre comme base arrière. Durant les années 1980 et début
des années 1990, il a été largement rapporté que les Etats-Unis utilisait la base
163 Interview avec un diplomate angolais, Londres 26 Avril 2012.
132

aérienne de Kamina et autres routes pour fournir des armes à l'UNITA. Ces
derniers mois, les membres de la police de la RDC ont reçu une formation en
Angola. C’est dans ces contextes que des troupes du gouvernement angolais
ont lancé une attaque contre les forces opposées au Président Kabila ; Il a été si-
gnalé que l'UNITA pourrait être impliqué aux côtés des opposants armés du
gouvernement de la République démocratique du Congo »164.

La volonté de Luanda d’en finir avec les rebelles de l'UNITA a


contraint le gouvernement MPLA à fournir un soutien militaire à Kabila, tout
d'abord en 1996 et en 1998, pour sauver le régime de sa défaite militaire. L'An-
gola a besoin de Kabila au pouvoir à Kinshasa comme garantie pour éliminer
les bases de l'UNITA. Contrairement au Rwanda et à l’Ouganda, l'Angola est
resté inébranlable dans son soutien militaire à Kabila depuis 1996.

Pour l'Angola, l'installation d'un gouvernement Tutsi à Kinshasa


serait perçue comme l'équivalent politique d'un triomphe de l'UNITA sur le
gouvernement MPLA à Luanda, une situation qui serait considérée comme inac-
ceptable et intrinsèquement déstabilisante. Pour International Crisis Group,
″l’intervention militaire angolaise au Zaïre puis en RDC est motivée par des rai-
sons internes : la protection de Soyo, Cabinda ainsi que la sécurisation des fron-
tières du Nord″165.

Le gouvernement angolais a également accusé les rebelles du RCD de


fournir un soutien à la guérilla de l'UNITA angolaise. Les rebelles congolais ont
catégoriquement nié ces allégations. Pourtant, les preuves disponibles suggèrent
fortement que parallèlement au soutien du MPLA au gouvernement de Kinshasa,
l’UNITA a également déclenché une contre-offensive militaire en Angola. ″Il est
certain que l’UNITA a profité de l’intervention militaire angolaise en RDC pour
lancer son offensive , qui a aboutit à la destruction de nombreuses villes et la mort
de milliers de civils profitant du fait que les troupes gouvernementales étaient mi-

164 AMNESTY INTERNATIONAL, op.cit, 1998.


165 INTERNATIONAL CRISIS GROUP ,"Central Africa: Africa's Seven Nation War,", 21 May 1999, p.9.
133

noritaires sur le terrain…l’Angola est maintenant sur trois fronts : en interne contre
l’UNITA, au Congo-Brazzaville et en RDC″166.

L’Intervention de l'Angola dans le conflit en République démocratique


du Congo nous donne une étude de cas classique sur les effets de la militarisation des
tensions ethnico-communautaires, le développement d'une culture de la violence, la
règle de l'impunité et la violation flagrante de la souveraineté territoriale.

Les conflits post-guerre froide en Afrique ont gravement compro-


mis la confiance mutuelle qui est critique pour la coopération régionale entre les
Etats voisins. La guerre congolaise a encore démontré la brutalité avec laquelle
les africains tentent de résoudre leurs différents, laissant de coté, la rechercher
des solutions pacifiques et diplomatiques.

SECTION 5. ENJEUX ECONOMIQUES DE LA NAMIBIE EN RDC

Le Président namibien Sam Nujoma, a déclaré sans équivoque que


l'intervention de son gouvernement dans la République démocratique du Congo
a été strictement conçue pour défendre la souveraineté politique et l'intégrité ter-
ritoriale du régime de Kabila à Kinshasa. Néanmoins, le déploiement de troupes
namibiennes pour protéger le gouvernement de Kabila a provoqué des contro-
verses entre les Etats membres de la SADC. Des analystes ont souligné que
l'intervention de Windhoek semble reposer sur des politiques et des opportunités
économiques plutôt que sur un simple altruisme 167.

Les réalités géopolitiques et les considérations économiques ont


motivé l'aventurisme de la Namibie en RDC. « Le gouvernement namibien a
l'intention de détourner l'eau du fleuve Congo à travers l'Angola vers le nord de
la Namibie. Ainsi, en intervenant au nom de Kabila dans la crise du Congo, le
président Sam Nujoma, comme le président Mugabe du Zimbabwe, cherche à

166INTERNATIONAL CRISIS GROUP 1999, op.cit, p.7.


167 United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs Regional Information Network for Central and Eastern
Africa (IRIN-CEA), 18 August 1999.
134

garantir leurs avantages économiques vitaux. La Namibie a fourni en 1998 en-


viron vingt tonnes d'armes de guerre et d'autres fournitures pour le gouverne-
ment de la République démocratique du Congo »168.

Le nombre de troupes namibiennes déployées en RDC est minime


par rapport aux autres contingents des principaux belligérants. Sam Nujoma
proclame fièrement que : Nos troupes sont là pour garantir la sécurité future de
la Namibie. Nous ne devrions pas nous comporter comme des enfants et de nous
bercer d'illusions en pensant que la paix et stabilité dont nous profitons aujour-
d'hui restera à jamais. Comme le Commandant en chef, j'ai pris les mesures né-
cessaires pour venir en aide à un voisin agressé et membre de la SADC. J'ai
donc conscience des dangers inhérents et des problèmes dont la mort de nos sol-
dats. C'est un acte honorable qui poursuit nos intérêts nationaux169.

Les autorités namibiennes se sont engagées publiquement à garder


leurs troupes à l'intérieur du territoire congolais pendant toute la durée de la guerre
afin de récolter les dividendes de leur soutien au gouvernement de Kabila. Ils ont
maintenu fermement qu'uniquement lorsque les forces de paix des Nations Unies
seront sur le terrain (à l'intérieur du territoire de la République démocratique du
Congo) qu’ils pourront alors envisager la possibilité de retrait des troupes.

SECTION 6. INTERVENTION MILITAIRE DU ZIMBABWE

La participation d'aucun autre pays dans la guerre en République


démocratique du Congo a généré un plus grand débat public, une controverse et
la spéculation généralisée que celle du Zimbabwe car elle a été surnommée « la
guerre des diamants ». L'implication du Zimbabwe dans la guerre du Congo a
ajouté une dimension nouvelle et grave au conflit. Le président Mugabe a dé-
ployé plus de dix mille troupes zimbabwéennes au Congo.

INTERNATIONAL CRISIS GROUP 1999, op.cit.


168
169MOYO, T. and MACHIPISA, L., "D. R. Congo: Demands to Withdraw Troops Anger Zimbabwe and Namibia," World
News: Inter Press Service, 18 September 1998, 1.
135

Il faut signaler que la RDC est située à des milliers de kilomètres


de la frontière zimbabwéenne. L’intervention du Zimbabwe a effectivement
transformé la nature de la guerre en RDC ; elle a pris une dimension régionale
plus grande que celle des seuls pays des grands lacs. L’aventure militaire du
Zimbabwe au Congo a également causé la discorde et frottement au sein de la
SADC ; ce soutien militaire massif pour le gouvernement a conduit des ana-
lystes à mettre l'accent sur les récompenses financières et économiques associées
à l'expédition militaire170.On a supposé que les soldats zimbabwéens se battent
pour le compte bancaire de Mugabe, par opposition à la rhétorique officielle de
Harare qui prétendait défendre l’Afrique171.

Mwayila Tshiyembe cependant, articule les causes de cette inter-


vention autour des trois éléments172 :

Premièrement, il évoque la solidarité traditionnelle entre deux an-


ciens maquisards se connaissant depuis longtemps et qu’il allait de soi que l’un
et l’autre puissent se secourir ; deuxièmement, il note que les ressources mi-
nières de la RDC sont l’objet de convoitise des entreprises Zimbabwéennes ain-
si que des milliers proches du pouvoir ; enfin, le Zimbabwe est intervenu sur in-
vitation de Kabila et cela dans le cadre de la SADC.

En dépit de considérations économiques, le président Mugabe a


maintenu fermement que l'intervention du Zimbabwe au Congo est basée stric-
tement sur l'impératif politique de défendre un gouvernement souverain africain
contre l'invasion étrangère de facto et l'agression militaire lancée par le Rwanda
et l'Ouganda.

L'ampleur et la complexité du conflit au Congo peuvent être mieux


comprises par l’analyse des intérêts divers et contradictoires des protagonistes et
belligérants, engagés, à des degrés divers, sur le terrain dans la guerre. La con-
170 SANTORO, L., "Congo Lives with Uneasy Cease-fire," Christian Science Monitor, 3 August 1999.
171 Interview avec un diplomate occidental, Kinshasa 9Aout 2011
172 MWAYILA, T., op.cit, pp.82-83.
136

centration sans précédent de soldats armés reflète les divers intérêts des parties
prenantes dans la guerre congolaise qui a transformé le conflit en République
démocratique du Congo en conflit plus grand, plus dangereux et potentiellement
catastrophique de l'Afrique dans l'après-guerre froide.

SECTION 7. CAUSES DE L’INTERVENTION EUROPEENNE EN RDC : OPE-


RATION ARTEMIS

Comme nous l’avons déjà signalé dans les paragraphes précédents,


les données fournies par l’ONG américaine IRC, depuis avril 2003 montrèrent
que environ 3,3 millions de personnes sont morts en RDC entre 1998 et 2003.
Huit Etats africains ont été impliqués directement dans la guerre. L'Afrique du
Sud et le Botswana, y compris les diplomates américains, belges, britanniques,
français et UE ont tous agi comme médiateurs dans le conflit173.

Le conflit s'est produit principalement dans l'est du Congo où vi-


vent plus de 20 millions de personnes. Au cours de l'été 2003, dans la Province
du Sud Kivu, plus de 5000 femmes et les jeunes enfants ont été violés 174. Les
conditions humanitaires se sont donc détériorées. La communauté internationale,
les organisations internationales et les ONG ont été incapables de répondre adé-
quatement à cette crise.

Cette section met l'accent sur l'intervention militaire de l'UE au


cours de l'été 2003. Le 12 juin 2003, l'UE a envoyé 2000 troupes vers le nord est
de la RDC à Bunia. Cette mission de l'UE fut dénommée « Artémis ». Son ob-
jectif était de contribuer à la stabilisation des conditions de sécurité et à l'amélio-
ration de la situation humanitaire à Bunia. Cette opération a pris fin officielle-
ment le 1er septembre 2003.

173 IRIN, webside, document consulté le 12 Mars 2009, http//www.irinnews.org


174 TONY HALL, Ambassadeur américain au programme alimentaire mondial, CNN, 4 Novembre 2003.
137

§1. Tentative d’explication

Nous essayerons d’analyser les raisons pour lesquelles l’UE est in-
tervenue en RDC. La théorie réaliste peut expliquer la politique de l'UE vers la
République démocratique du Congo. Le réalisme, à première vue, considère que
l'intervention militaire dans un Etat africain n’est pas plausible. Hoffmann, par
exemple souligne que les néo-réalistes sont critiques de l'intervention, car ils es-
timent que les grandes puissances devraient se concentrer sur leur sécurité, pré-
venir les conflits entre les grandes puissances et de lutter contre le terrorisme175.
Leurs forces ne doivent pas servir pour les conflits qui ne sont pas une menace
pour leurs intérêts. Michael Mandelbaum note que l'intérêt national est une no-
tion non morale176. Forsythe établit une distinction entre la définition réaliste des
intérêts et le principe libéral de droits de l'homme 177. C'est en raison de l'intérêt
national que l’USA n’intervient pas militairement dans les Etats sans impor-
tance stratégique, économique, ou avec lesquels l’Amérique n'a pas des liens
historiques, géographiques ou sentimentaux.

Si nous nous accordons que la morale n'est pas un intérêt national


et que les États devraient principalement être concernés à préserver leur sécurité
nationale alors, le réalisme ne semble pas expliquer l’intervention européenne en
République Démocratique du Congo.

Posen et Ross toutefois, établissent une distinction entre les réa-


listes minimalistes et maximalistes, qui ont des positions différentes sur quand
un Etat doit intervenir dans un conflit178. Pour les minimalistes, les Etats-Unis
ne devraient pas intervenir militairement dans tout conflit dans le tiers monde179.
En rapport avec la théorie minimaliste, on peut donc logiquement déduire que
les Etats européens peuvent se comporter en tant que néo-isolationnistes :
175 HOFFMANN, ″Intervention: should it go on, can it go on?″ in Chatterjee D.K and Scheid D.E (eds), Ethics and Foreign
Intervention ,Cambridge University Press, Cambridge, 2003, pp. 21-30, p.23.
176 MANDELBAUM, M., op.cit, pp.2-8.
177 Forsythe, D.P, Human Rights in International Relations ,Cambridge University Press, Cambridge, 2000, pp. 141, 159

and 160.
178 POSEN, B.R. and ROSS, A.L, ″Competing Visions for US Grand Strategy″, International Security, (1997) 21/3, p.6.
179 LAYNE, C., ″The Unipolar Illusion: Why Great Powers Will Rise″, International Security, (1993) 17/4, p.19.
138

l'Afrique sub-saharienne n'est pas une menace pour l'Europe, et l'intervention


serait une erreur car cela signifierait prendre parti dans un conflit et se créer des
ennemis. Ainsi, l’intervention européenne en RDC n’était pas guidée par
l’approche minimaliste.

Pour les réalistes maximalistes, la paix et l’ordre mondial ne peu-


vent être assurés que par une puissance prépondérante, l’Amérique. 180 Cela cor-
respond à la théorie de la stabilité hégémonique, où un Etat garantit la stabilité
du système international. Les conflits dans le tiers monde, tels que les conflits
ethniques, ne devraient pas être une préoccupation pour les grandes puissances.

Cependant, revenant aux analyses de Posen et Ross qui soulignent


que, en ce qui concerne les USA, certaines opérations (telles que la Bosnie)
peuvent offrir des occasions de démontrer et d'affirmer leurs pouvoirs et lea-
dership181. Si nous appliquons le réalisme maximaliste de Posen et Ross à l'ac-
tion des puissances européennes, celles-ci peuvent intervenir dans un Etat tiers
pour renforcer leur pouvoir et leadership. Pour cela, les cinq conditions sui-
vantes doivent être réunies pour intervenir : la nation envahie est petite, elle est
faible sur le plan militaire, l'intervention est la bienvenue par la majeure partie
de la population, le coût des pertes est relativement faible et la probabilité de
succès est élevée182.

Le réalisme maximaliste semble être la meilleure façon d'expliquer


la politique de l'UE vers la République démocratique du Congo. L'Union euro-
péenne a agi après avoir évalué les coûts et les avantages d'une intervention et
non pas simplement à cause de la crise humanitaire en RDC.

180 GILPIN, R., War and Change in World Politics , Cambridge University Press, Cambridge, 1981.
181 POSEN et ROSS, op.cit, p.32.
182 Art R.J, ″A Defensible Defense″, International Security, (1991) 15/4, p.43.
139

§2. Rôle croissant de l'UE et ses intérêts en Afrique

De 1998 à 2004, la RDC traverse une guerre et une période de tran-


sition difficile, au même moment l'UE développait ses capacités militaires sur le
continent africain. Deux ans après la mise en place du gouvernement de transi-
tion, la situation dans l'Est était toujours instable. Pour l’ONG américaine IRC,
1 000 personnes par jour furent toujours tuées183.

Au moment où se déroulait la crise en RDC, l'UE a établi des struc-


tures militaires et la coopération entre les deux principaux acteurs européens en
Afrique, le Royaume-Uni et la France. La déclaration commune sur la défense
européenne du 4 décembre 1998 publiée lors du sommet franco-britannique de
Saint Malo, a stipulé que pour permettre à l’UE de prendre des décisions et ap-
prouver une action militaire où l’alliance dans son ensemble n’est pas engagée,
l’union doit développer des structures et capacités appropriées ; elle doit égale-
ment avoir recours aux moyens militaires européens adaptés au sein ou en de-
hors de l’OTAN.

Cette déclaration Franco-britannique représente un jalon dans l'his-


toire de la construction d'une politique européenne commune de sécurité et de la
de défense (PECSD), autonome de l'OTAN. Sur la base de St Malo, l'UE a déve-
loppé des capacités militaires. Le Conseil européen d'Helsinki en décembre
1999 a créé un objectif global d'une force européenne de réaction rapide (FRR)
comprenant 60 000 troupes dé ployable dans les 60 jours pour une mission d'au
moins un an. Que cet objectif n'était pas atteint, les États membres de l'UE ont
convenu le 22 novembre 2004 pour créer des groupes de combat (avec une ca-
pacité opérationnelle initiale en 2005 et engagements sur la pleine capacité opé-
rationnelle à partir de 2007).

183 IRC cite par, The Economist, 6 January 2005.


140

A St Malo, la France et le Royaume-Uni ont décidé également de


coopérer dans le domaine de leur politique vers l'Afrique. Ces Etats européens
souhaitent promouvoir les valeurs européennes en Afrique. Ils estimaient qu'ils
étaient responsables et devraient jouer un rôle particulier en Afrique 184. Ils vou-
laient intensifier l'échange d'informations sur la situation en Afrique et organi-
ser des visites conjointes des ministres et des fonctionnaires. Ils étaient particu-
lièrement préoccupés par la crise dans la région des grands lacs et souhaitaient
coopérer à la médiation et de convaincre les acteurs responsables de la crise de
consentir à une conférence de paix. Puis, le Royaume-Uni et la France ont souli-
gné leur volonté de travailler ensemble pour résoudre les crises politiques en
Afrique. Chirac a mentionné que le « profond lien historique avec l'Afrique » a
été la raison d'agir.

Au sommet du Touquet en France (4 février 2003), Chirac et Tony


Blair ont adopté une conception large de politiques à l'égard de l'Afrique. Ils ont
souligné l'importance de régler les questions politiques et économiques telles
que la nécessité d'appuyer le NEPAD (le nouveau Plan de développement de
l'Afrique) et de créer une facilité de financement internationale. Ils ont aussi
souligné leur volonté de soutenir les efforts de l'UA (Union africaine) et à ren-
forcer les capacités des opérations de maintient de la paix en Afrique.

Le sommet du Touquet a insisté sur la nécessité d'une coopération


entre la France et le Royaume-Uni sur la crise en RDC. La France et le
Royaume-Uni ont également discuté leurs politiques vers la Côte d'Ivoire, le Li-
béria et le Zimbabwe. Ils ont déclaré qu'ils étaient concernés par le pillage et
l'exportation illégale des ressources naturelles et le développement du crime or-
ganisé en Afrique subsaharienne.

En novembre 2003, à la maison de Lancastre en Angleterre, la


France et le Royaume-Uni ont confirmé leur volonté de coopérer pour favoriser
le développement et l'aide à l'égard de l'Afrique et ont accepté de discuter de
184 Déclaration conjointe sur le renforcement de la coopération, 4 Décembre 1998.
141

questions telles que le crime organisé et le terrorisme. Deux documents ont été
émis lors du sommet de Lancaster House à savoir la déclaration sur l'Afrique et
le plan d'Action sur le crime organisé en Afrique.

La France et le Royaume-Uni ont défini explicitement le rôle mili-


taire de l'Union européenne en Afrique : l’UE devait être capable de déployer
rapidement des groupements tactiques qui devaient réagir rapidement en cas de
crise en Afrique et donner le temps à l’OUA et l’ONU de préparer une interven-
tion à long terme.

L'Union européenne serait capable d'envoyer une mission à court


terme pour l'Afrique afin de soutenir les Nations Unies ou l'Union africaine.

Le plan d'Action sur la criminalité organisée en Afrique a été ex-


trêmement détaillé. La France et le Royaume-Uni ont souligné qu'ils appuient
les États de l'Afrique dans la lutte contre les réseaux criminels transnationaux (y
compris clandestins, blanchiment d'argent, trafic d'armes légères et réseaux de
trafic de drogue) et la corruption et améliorer la transparence.

Une intervention militaire européenne en RDC pour prévenir la


propagation de la violence semble qu'une conséquence logique de renforcer les
capacités de l'UE et de cet intérêt grandissant pour le développement de
l'Afrique. La section suivante montre que la théorie réaliste explique le contour
du déploiement de la mission de l'Union européenne Artémis : cette mission a
été possible parce que les Etats européens ont fait une analyse coûts-avantages,
et non pas parce qu'ils se sont sentis obligés d'agir pour des motifs humanitaires.

§3. Opération Artémis : contexte général de son déploiement et la


realpolitik

L'UE a aidé économiquement et a développé un rôle de médiation


dans la crise de la RDC et enfin réagi militairement avec la mission Artémis.
142

En termes de politique d'aide, malgré le fait que la coopération avec le


Zaïre a été suspendue le 22 janvier 1992, l'UE a injecté en moyenne 40-50 millions
d’euros de dollars par année en RDC. La Commission a pris en partie des fonctions
du gouvernement Congolais en travaillant dans les infrastructures, le développe-
ment urbain et l'aide humanitaire185. La Commission a repris sa coopération directe
avec le gouvernement de la République démocratique du Congo le 5 février 2002.
Cependant, si l'on compare le montant de l'aide apportée à la République démocra-
tique du Congo par rapport à celle accordée aux autres Etats de l'Afrique, l'UE ne
semblait pas avoir beaucoup d'intérêt en RDC. En effet, selon un document de la
Commission , le Bénin, le Burkina Faso, Tchad, la Côte d'Ivoire, l’Éthiopie, le
Ghana, la Guinée, le Kenya, le Madagascar, le Malawi ,le Mali, la Mozambique, le
Niger, le Nigeria, l’Ouganda, le Sénégal, la Sierra Leone, la Tanzanie et la Zambie
tous ont obtenu plus de fonds que la RDC186.

Dans le domaine diplomatique, en 1996, l'Union européenne a créé


une unité électorale européenne. Il a également créé un mandat pour un envoyé
spécial pour la région des grands lacs, Aldo Ajello, de travailler avec les Nations
Unies, l'OUA et des personnalités africaines pour aborder la question de la
guerre en République démocratique du Congo. Puis, en 1999, l'UE a soutenu fi-
nancièrement la mise en œuvre de l'accord de cessez-le-feu de Lusaka et au pro-
cessus de paix en République démocratique du Congo.

L'UE a souligné sa volonté de coopérer avec l'OUA lors du som-


met Afrique-Europe, le 4 avril 2000. En 2003, l'UE a clairement déclaré qu'il
voulait travailler avec les Nations Unies. Cela a été rendu possible avec le déve-
loppement d'une force européenne de gestion des crises.

En juillet 2003, lorsque le nouveau gouvernement de la République


démocratique du Congo a été mis en place, les ministres des affaires étrangères
britanniques et français, le haut représentant Javier Solana et le représentant
185 KOBIA, R., ″European Commission Policy in the DRC″ (2002) 29/93-94 Review of African Political Economy , (2002)
29/93-94, pp.431-443.
186 Interview avec un membre de la commission européenne, Bruxelles, 13 Juin 2011.
143

spécial de l'UE pour les grands lacs, Aldo Ajello, étaient présents dans la région
des Grands Lacs. Javier Solana a rencontré le président de la République démo-
cratique du Congo, Joseph Kabila et ses vice-présidents, l’ambassadeur William
Swing, le Président Kagame du Rwanda et le Président ougandais, Yoweri Mu-
seveni. Il s’est ensuite rendu au Conseil de sécurité des Nations Unies et a pré-
senté un rapport sur l'opération Artémis.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé l’opération Ar-


témis, la force d'intervention de l'UE afin d’arrêter le conflit à Bunia au nord est
du Congo187. L'Action commune créant cette opération est entrée en vigueur le
5 juin 2003 et a expiré le 1er septembre 2003.

L’opération Artémis a été reconnue comme un succès, mais il faut


garder à l'esprit qu'il avait des objectifs très limités dans le temps et dans l'empla-
cement géographique. Artémis a rétabli la sécurité dans la région et a aidé les per-
sonnes déplacées à retourner dans leurs foyers : après l'opération, la population de
Bunia a augmenté de 40 000 à 100 000 personnes, les marchés ont été rouverts et
un bataillon de la MONUC renforcé a été déployé188. Cependant, l'intervention de
l'UE a duré trois mois seulement et a été limitée à la ville de Bunia.

Artémis était considéré comme une intervention militaire spéciale


de l'UE, car c’est pour la première fois que les troupes européennes soient dé-
ployées hors continent et indépendamment de l'OTAN.

Cette section se concentre principalement sur les raisons pourquoi


la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont convenu d'une intervention de
l'UE, car ils sont les plus grandes puissances militaires dans l'Union européenne.
Cette intervention militaire de l'UE pourrait être expliquée par le réalisme
maximaliste, les Etats de l'UE ont voulu prouver leur capacité à agir seuls, et
non avant tout pour répondre à une crise humanitaire.

187 Conseil de Sécurité de l’ONU, résolution 1484 of 30 Mai 2003.


188 IRIN, 17 September 2003.
144

Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU, était désespéré de voir


un Etat majeur d’intervenir en RDC. L'ONU était prête à laisser l'UE rétablir
l'ordre dans une ville où la MONUC était incapable d'agir efficacement. La si-
tuation à Bunia était extrêmement tendue. Le 6 mai 2003, 7 000 ougandais se
sont retirés de Bunia. Le conflit ethnique Lendu et Hema a refait surface. La
MONUC n'a pas réussi à protéger les Hema et les civils à Bunia189.

Le 10 mai, Kofi Annan a demandé au Conseil de sécurité


d’envisager des mesures efficaces pour prévenir la perte des vies civiles190. Il a
alors demandé à la France, qui avait l'expérience de l'intervention en RDC et
qui partage la même langue avec la République démocratique du Congo ; si elle
serait prête à soutenir la mission de la MONUC à Bunia. La France a accepté
d'intervenir militairement en RDC ; par ce geste elle voulait réparer son image
d'intervention partiale au Rwanda, l’opération Turquoise. Comme l'ONU de-
mandait l'action, la France a exigé l’autorisation de l’ONU, car ne voulait pas le
faire toute seule191 .

Le président français Chirac s'est rendu compte de que cette interven-


tion serait le cas idéal de prouver la capacité de l'UE à agir de manière autonome de
l'OTAN. La décision de l'Elysée de créer une mission de l'Union européenne a été
stratégique. Selon les personnes interrogées: «La France voulait une mission pour
montrer que l'UE est capable d'agir seule, lorsque l'OTAN ne serait pas impli-
quée192. » Pour Catherine Gegout, ″ Artémis est une conséquence directe de la mis-
sion Concordia dans l'ex-République yougoslave, qui a été réalisée avec l'OTAN.
En mars 2003, les États-Unis et le Royaume-Uni ont demandé à effectuer la pre-
mière opération militaire de l'UE: Concordia a été faite pour plaire aux États-Unis.
Artémis est un jeu de stratégie avec effet immédiat″193.

189 ULRIKSEN, S., GOURLAY, C. and MACE, C., ″Operation Artemis: The Shape of Things to Come?″ International
Peacekeeping, (2004) 11/3, p. 511.
190 UN News Service, 10 May 2003.
191 Interview avec un diplomate Français, Quai d’Orsay, 19 Avril 20012.
192 Interviews du 19 Avril 2012 (Paris) et Londres 30 Avril 2012, Ministère des affaires étrangères.
193 GEGOUT, C., ″Causes and consequences of UE intervention in DRC″, European Foreign Affairs Review, 10.3, (2005), p.7.
145

La France voulait utiliser l'UE comme un instrument de sa propre


politique étrangère nationale : dans ce cas, l'objectif de la politique étrangère na-
tionale était de renforcer l'indépendance de l'Union européenne face aux États-
Unis dans le domaine de la défense. Elle a réussi à démontrer que l'UE était ca-
pable d'agir d'une seule voix--après la crise irakienne et sans l’USA. La position
française en faveur d'une intervention de l'UE était compatible avec la théorie
réaliste de l’équilibre des puissances (balance of power). Dans la période post-
guerre froide, Chirac voulait que l’UE devienne la force qui doit <<équilibrer>>
les USA. En 1993, Kenneth Waltz a soutenu que ″les Etats, dans l’ère post
guerre froide vont être tentés de s’émanciper de l’Amérique afin de l'équilibrer.
Dans un monde unipolaire, les Etats devraient vouloir équilibrer la toute-
puissance hégémonique″194.

Avec Artémis, La France a aussi réussi à démontrer ses propres ca-


pacités de défense : elle a fourni le plus grand nombre des troupes et a donc été
reconnue sur le plan politique comme un acteur militaire majeur. Artémis a
permis à la France de restaurer son image gâchée lors de l’opération Turquoise
au Rwanda.

Par l'envoi d'une mission de l'UE au lieu d’une mission unique


française, elle a limité le risque de pertes pour ses troupes. En outre, le gouver-
nement de Paul Kagamé au Rwanda n'était pas en bons termes avec la France ;
l’implication britannique a été un élément apaisant, car le Rwanda était un allié
du Royaume Uni.

La décision par la France à envoyer une mission militaire de l'UE


en RDC ne semble pas avoir été fondée sur la nécessité de réagir à une crise
humanitaire ; elle tenait principalement à prouver la capacité de l'Union euro-
péenne d'agir sans les USA. La France n'était apparemment pas prête à interve-
nir à l'extérieur de la zone de Bunia, même si les massacres y ont eu lieu. La po-
sition française peut s'expliquer par la théorie réaliste car elle a agi dans une si-
194 MASTANDUNO M, ″Preserving the Unipolar Moment″ , International Security, (1997) 21/4, p.54.
146

tuation où l'intervention a été accueillie par la majeure partie de la population et


où elle croyait que la probabilité de succès serait élevée.

La position du Royaume-Uni sur Artémis est assez surprenante d'un


point de vue réaliste car n’ayant ni des liens historiques, ni économiques appa-
rents en RDC. Le Royaume-Uni a apparemment hésité avant d'intervenir avec
les français au niveau de l'UE. ″Le Royaume-Uni devait prouver qu'il faisait
partie du projet de création d'une politique de défense européenne. L'interven-
tion du Royaume-Uni était symbolique : le total de ses militaires s'élevait à 85.
Parmi ceux-ci, 70 étaient des ingénieurs. En outre, dans le cas où la mission de
l'Union européenne a été couronnée de succès, il aurait été une honte de n’avoir
pas pris part à l’intervention″195.

L'intervention britannique est conforme à la position développée


par Tony Blair le 22 avril 1999 à Chicago: Pour qu’une intervention militaire
puisse avoir lieu, il faut d’abord épuiser toutes les voix diplomatiques, il faut en
outre faire une bonne évaluation de la situation surtout en ce qui concerne les
chances de réussite, il faut aussi un engagement à long terme de reconstruction,
et enfin il faut qu’il existe un intérêt national en jeu196.

En intervenant symboliquement en RDC, le Royaume-Uni ne met-


tait pas ses troupes en danger et voulait principalement confirmer son désir de
promouvoir et de mener une politique de défense européenne.

Quand à l'Allemagne, elle était réticente à intervenir en Répu-


blique démocratique du Congo. Elle a finalement accepté de suivre les positions
britanniques et françaises.

Artémis semble avoir été considéré comme une intervention huma-


nitaire par Kofi Annan, mais pas par la France, le Royaume-Uni ou l'Allemagne.

195 Interview réaliser le 30 Avril 2012 a Londres, avec un Diplomate Britannique.


196 BLAIR T, ″A New Generation Draws the Line″, Newsweek, 19 April 1999, p.40.
147

Les Etats phares de l'UE considèrent l'Union européenne comme un intermé-


diaire pour leurs propres politiques étrangères nationales. Le rôle de l'Union eu-
ropéenne pouvait être comparé à ce que Jean François Bayart appelle ″la mon-
tée croissante de la privatisation des relations que l’Afrique maintient avec le
reste de la planète197 ″. Il explique qu’après le fiasco somalien de 1993 et la
tragédie rwandaise de 1994, les pays occidentaux utilisent les opérateurs privés,
tels que des sociétés commerciales et des organisations non gouvernementales,
d’apporter l’assistance technique, l’aide humanitaire, la défense ... Ils n'ont pas
renoncé à leur autoproclamé droit d'influer sur la politique africaine, mais ils
agissent par l'entremise des intermédiaires privés. L'UE est utilisé comme un
autre intermédiaire pour établir un équilibre entre l'OTAN et les États-Unis, de
rependre l’influence politique en Afrique.

L'intervention militaire de l'UE en République démocratique du


Congo a été un succès car il a permis aux Nations Unies de renforcer la MO-
NUC à Bunia. Les Etats de l’UE ont voulu montrer leurs capacités d'intervenir
militairement. L'UE n'a pas agi principalement afin de répondre à une crise hu-
manitaire, mais plutôt comme le suggère la théorie réaliste de l’équilibre des
puissances, elle a voulu prouver aux USA notamment sa capacité à agir seule et
en dehors de l’OTAN.

Ainsi, comme le souligne Richard Little, ″ la théorie de l’équilibre


des puissances, a toujours été centrale dans la pratique des relations internatio-
nales depuis plus de cinq cents ans ; car, elle reste la plus effective théorie qui
puisse rentre compte du caractère fondamental des relations internationales″198.

197BAYART J F, ″Africa in the World, a History of Extraversion″, African Affairs, (2000) 99, pp. 238-239
198Little R, The Balance of Power in International Relations: Metaphors, Myths and Models, Cambridge University
Press, Cambridge, 2007, p.1.
148

CHAPITRE QUATRIEME
LA NATURE COMPLEXE DU CONFLIT EN RDC :
POUR UNE NOUVELLE METHODE ANALYTIQUE

La République démocratique du Congo est depuis1996 le champ de


bataille des plusieurs guerres. Ces guerres où les réseaux des conflits interagis-
sent pour produire les différents modèles d'extraction de ressources locales, de
violence locale et régionale, devenant l'un des plus dévastateurs catastrophes
humanitaires de nos jours. Ce chapitre analyse ces réseaux transfrontaliers de
conflit à l'aide d'une approche axée sur le réseau et essaye de comprendre com-
ment les modifications normatives intervenues dans système international peut
avoir contribué aux processus de ces guerres.

Une grande partie de la littérature sur les guerres contemporaines en


Afrique les traite comme des phénomènes de guerre civile ; quand ils sont, en
fait, des guerres complexes, hybrides combinant la guerre civile, les guerres in-
terétatiques et transfrontalières y compris des insurrections ; cette complexité
doit aussi tenir compte de l'économie politique de la guerre199 et les explications
économiques de la violence200 . Ce chapitre soutient que nous avons besoin des
nouvelles façons de concevoir et de caractériser ces guerres.

Depuis l'invasion de 1996 du Zaïre par une coalition d'États voisins,


le Congo est le champ de bataille pour une série de guerres continentales avec
une myriade d'acteurs reliés par un réseau complexe et changeant de liens poli-
tiques, militaires et commerciaux. La rareté d'études sur ces guerres est surpre-
nante étant donné qu'on estime, depuis 1998, que ces conflits violents, compre-
nant la famine et les maladies qui l'accompagnent ont coûté environ 3,5 millions

199 KEEN DAVID, P., "The Economic Functions of Violence in Civil Wars", Adelphi Paper 320, Oxford University Press/IISS,
Oxford, 1998.
200 MATTS, B. and MALONE, D (eds), Greed and Grievance: Economic Agendas in Civil Wars, Lynne Rienner Publish-

ers, Boulder, 2000.


149

de vie ; environ 7 % de la population, le taux de mortalité le plus élevé d'un con-


flit depuis la seconde guerre mondiale201 . Ces guerres, qui retracent leurs ra-
cines dans le génocide au Rwanda de 1994 et sa déstabilisation subséquente de
l'est du Congo, ont fait participer au moins neuf pays africains comme des com-
battants directs, financiers, hommes d’affaires, mais aussi un certain nombre des
rébellions internes, dans un environnement complexe et changeant, incluant les
réseaux militaires, politiques et économiques. Avec pour conséquence, la divi-
sion du pays en plusieurs grandes sphères d'influence contrôlées, à des degrés
divers par ces réseaux.

La dimension extérieure du conflit a connu plusieurs invasions sur


le territoire d'un État souverain par différentes coalitions d'Etats africains con-
duisant à l’insécurité globale, tandis que les dimensions internes de ces guerres
impliquent plusieurs rébellions internes avec des agendas compétitifs incluant
des commanditaires étrangers et avec des degrés variés de soutien et de mobili-
sation locale. Elle comprend également les conflits localisés qui impliquent des
milices locales, des groupes d’insurrection non congolais de l’extérieur ainsi
que des groupes ethniques combattant pour le contrôle des ressources locales et
de la population. Il n’existe donc pas une ligne de démarcation entre les dimen-
sions externes et internes de ces conflits, parce qu'ils sont interconnectés par des
facteurs financiers, politiques et idéologiques qui traversent le territoire et les
relient à des réseaux mondiaux de la guerre.

La diversité tant en nombre qu’en nature des acteurs étatiques que


non étatiques opérants en RDC, entrainant parfois des comportements imprévi-
sibles, les réalignements, les changements des alliances… peuvent être compris
que lorsqu'ils sont analysés dans le contexte des réseaux sociaux dans lesquels
ils opèrent. Nous estimons donc à la suite de Tatiana Carayannis202 que le réseau
peut être l'outil conceptuel le plus approprié avec lequel on peut analyser le

201 INTERNATIONAL RESCUE COMMITTEE : Mortality in the Democratic Republic of Congo: Results from a Nationwide
Survey, International Rescue Committee, New York, 2003.
202 CARAYANNIS, T., “The complex wars of the Congo: Towards a new analytical approach ″ Journal of Asian and African

studies 38. 2 -3, August 2003.


150

comportement des belligérants et leurs partisans dans les guerres du Congo et est
donc un préliminaire afin de développer une approche centrée sur le réseau qui
explique les guerres multidimensionnelles, complexes dans l'après-guerre froide.

Ces guerres sont beaucoup organisées de la façon dont les relations


sociales ont été organisées avant l'invasion du Zaïre en 1996 autour des réseaux
transfrontaliers ; certains illicites et d’autres pas. L’incapacité de l'État sous Mobu-
tu, a permis l'émergence d'une économie souterraine liée à des réseaux écono-
miques transnationaux qui, en particulier celles depuis l'est du Zaïre, établi le com-
merce et les zones monétaires fonctionnant indépendamment de Kinshasa203. Ce-
pendant, étant donné que tous les réseaux sont connectés à un environnement mon-
dial en constante évolution, Marck Duffield204 estime que les changements globaux
déclenchés par la fin de la guerre froide ont permis les élites de développer des
liens avec des réseaux différents. Les acteurs locaux aussi après la guerre froide ont
continué de développer des liens externes avec d’autres États, organisations inter-
nationales, les entreprises sur les marchés mondiaux et divers autres réseaux
comme un moyen de faire valoir des revendications sur les ressources et l'autorité.
Des nouvelles situations politiques complexes ont émergé pour exploiter la puis-
sance et la flexibilité des économies non formelles en mobilisant les ressources re-
liées par des réseaux de l'économie de l'ombre.

Par conséquent, comme l’explique très bien Alexander Wendt205 nous


allons explorer comment les changements dans la structure du système international,
défini à l'aide d'une approche constructiviste partage ses connaissances et pratiques,
ainsi que la répartition des capacités entre les Etats, ont eu de l’impact sur ces guerres
en influant sur les identités et les intérêts de ses acteurs. Nous allons donc analyser
les processus antérieurs et en cours des guerres du Congo ; comment ces guerres

203 Mc GAFFEY, J., The Real Economy of Zaire: The Contribution of Smuggling and Other Unofficial Activities to Na-
tional Wealth, University of Pennsylvania Press, Philadelphia, 1991.
204 DUFFIELD, M., Global Governance and the New Wars : The Merging of Development and Security, Zed Books,

London, 2001, p.11.


205 WENDT, A., Social Theory of International Politics, Cambridge University Press, Cambridge, 1999.
151

sont elles constituées, organisées, interconnectées et liées une à l'autre, ainsi que les
normes internationales qui les ont influencés.

La première section traite de la nécessité d'une nouvelle approche


analytique de ces guerres. La deuxième section présente un aperçu des origines
de ce conflit et examine la première et la seconde guerre, ainsi que l’instabilité
permanente dans l'est du Congo. Enfin, nous explorerons comment les récentes
tendances normatives peut avoir influencé le cours de ces guerres.

SECTION 1. NECESSITE D'UNE NOUVELLE APPROCHE ANALYTIQUE

Les conflits post- guerre froide en Afrique ont été caractérisés par des
violentes luttes entre les seigneurs de guerre, les groupes armés, les insurgés autour
des divers intérêts privés pour le contrôle des ressources précieuses206 ; où les mas-
sacres systématiques et les viols de civils sont devenus un instrument de guerre207 .
Les forces rebelles sont des commerçants des matières premières ou justes des pil-
lards largement motivés par la cupidité financière plutôt que des griefs politiques.
Paul Collier dans une analyse statistique des conflits civils, conclut que les com-
mandants rebelles régulièrement terrorisent les populations civiles pour obtenir leur
coopération, dominent les territoires riches en ressources, obtiennent de l'argent pour
les armes et de munitions ; et il soutient que les agendas économiques et non poli-
tiques, sont ceux qui expliquent le comportement dans ces guerres208.

Alors que cela peut être une représentation exacte dans certains cas,
le plus célèbre étant le RUF de Sierra Leone--l'expérience des autres rebellions,
notamment le mouvement rebelle MLC au Congo209 suggère que ces mono-
explications ne sont pas des lentilles utiles permettant de comprendre tous les

206 KLARE M, Resource Wars: The New Landscape of Global Conflict, Henry Holt & Co, New York, 2001.
207 HUMAN RIGHTS WATCH, the War within the War: Sexual Violence and Women in Eastern Congo. New York, 2002.
208Collier P, "Doing Well Out of War: An Economic Perspective." In Matt’s B and Malone D (ed), Op-cit, p 101
209 CARAYANNIS, T., "Resistance and Patriotism in the Congo Wars: A Study of the Movement de Liberation du Congo

(MLC)." Paper presented at the African Studies Association Conference, December 2002, Washington, DC.
152

cas de rébellion. Par exemple, Christopher Clapham210 a identifié plusieurs


types de rebellions : les mouvements de libération luttant pour acquérir une in-
dépendance du joug colonial ; Les mouvements séparatistes visant à défendre les
intérêts particuliers ou l'identité d'un groupe, soit par le biais de Sécession ou
une certaine forme d'autonomie ;Les mouvement réformistes ayant pour objec-
tifs de changer la direction existante et de réformer radicalement le gouverne-
ment national et ses politiques pour créer un nouvel ordre politique ; et des in-
surrections de seigneurs des guerres voulant changer la direction existante et
créer des personnels territoriaux fief distincts des institutions de l'Etat central.

Il existe donc un courant qui soutient que tous ceux qui utilisent la
violence pour contester l'état aujourd'hui sont après l’enrichissement personnel
et n’ont pas d’agendas politiques avérés. Cette approche qui tente de com-
prendre les conflits contemporains violents en Afrique, par conséquent, n’offre
seulement que des explications partielles, mettant l’accent que sur une des acti-
vités de la guerre, l’exploitation des ressources. Cependant, sa faiblesse consiste
dans son incapacité de faire la différence d’une part entre l’exploitation légale et
illégale des ressources et d’autre part entre l'exploitation des ressources comme
la cause initiale de la guerre et l'exploitation des ressources comme le facteur de
maintien de la guerre.

Alors que certains acteurs impliqués dans les guerres du Congo


peuvent avoir été motivés par des facteurs non économiques, l'extraction illé-
gale des ressources naturelles et l'exploitation des civils est devenue le principal
moyen d'autofinancement dans un environnement rare en capitaux qui n'est plus
défini par le parrainage des grandes puissances. Les économies des Etats déchi-
rés par la guerre sont généralement dans un état lamentable, même avant le dé-
clenchement de la guerre, et à quelques exceptions près, la plupart des fabricants
d'instruments de violence sont basés à l'extérieur immédiat des zones de conflit.
Cela signifie que les acteurs des conflits doivent établir des liens avec les acteurs

210 CLAPHAM, C., African Guerrillas, James Currey Ltd, Oxford, 1998, pp.1-19.
153

et les réseaux à l'extérieur de leur région pour obtenir biens et services et de se


livrer à une activité commerciale qui va générer les capitaux étrangers néces-
saires pour payer les acteurs du conflit.

Ce phénomène de privatisation de la guerre est devenu courant dans


les conflits post-guerre froide. Ces guerres ne sont pas nouvelles comme le sug-
gère Mary Kaldor, mais ont plutôt besoin des nouveaux concepts et caractérisa-
tion avec une plus grande puissance explicative. En effet, ″ la plupart de ces
guerres sont localisées, elles impliquent une multitude de liens transnationaux
ainsi que la distinction entre guerre interne et externe, entre l'agression (attaques
de l'étranger) et la répression (attaque de l'intérieur du pays), ou même entre
guerre purement locale et globale, elles sont difficiles à soutenir ″211 . Mais les
conflits interétatiques qu'intra-étatiques dans le monde en développement ont
connu depuis longtemps des degrés d'implication extrarégionale, soit sous la
forme de parrainage de l'Etat, la présence des mercenaires étrangers, ou
l’interaction avec des trafiquants d'armes étrangers. Ce qui est différent aujour-
d'hui, c'est la diversité des types d'acteurs, notamment les acteurs non étatiques,
dans ces guerres ; ils chevauchent les frontières territoriales et la densité de leurs
interactions rendent ces guerres plus complexes, soulevant la nécessité d'ap-
proches conceptuelles appropriées pour guider nos observations et exigent
l’abondance de données empiriques pour expliquer toutes ces dynamiques212.

Les approches théoriques existantes dans les relations internatio-


nales ont également été cruellement insuffisantes ou limitées pour comprendre le
comportement des belligérants dans ces guerres complexes. Les théories domi-
nantes dans les relations internationales ; le néoréalisme213 et l’institutionnalisme
néolibéral214 privilégient l'Etat et donc ne peuvent pas adéquatement tenir
compte du comportement d'acteurs supra-étatiques et intra étatiques, qui consti-
tuent la majeure partie des combattants dans ces conflits. Les conflits intra-

211 KALDOR, M., New and Old Wars: Organized Violence in a Global Era, Stanford University Press, Stanford, 1999, p 2.
212 KALYVAS, S., "'New' and 'Old' Civil Wars: A Valid Distinction?" World Politics 54:99-118.
213 WALTZ, K., Theory of International Politics, Random House, Berkley, 1979.
214 KEOHANE, R., Neorealism and its Critics, Columbia University Press, New York, 1986.
154

étatiques, les transitions politiques et le rôle des acteurs non étatiques sont traités
comme des questions de second ordre et donc à l'extérieur de l'univers de la
théorie Etatique. La reconnaissance croissante que les conflits post- guerre
froide franchissent le fossé théorique artificiel entre les relations internationales
et la politique comparée a encouragé les tentatives pour ouvrir la boîte noire et
explorer ce qui motive les intérêts des acteurs étatiques et non étatiques dans ces
conflits et leurs interactions.

Des efforts récents cherchent à conceptualiser ces guerres comme


appartenant aux réseaux des conflits qui sont transnationaux par nature--non pas
parce que ces conflits se déversent ou se propagent à travers les frontières terri-
toriales215. Il s'agit d'une importante contribution visant à repenser la façon dont
nous analysons ces guerres, ainsi que la façon dont nous abordons les efforts de
consolidation de la paix. Cependant, le concept analytique qu'ils offrent à savoir,
la concentration régionale des conflits, est limité, car il traite les guerres comme
territorialement liées à une région, dont ils définissent de manière ambiguë
comme ″un ensemble des territoires au delà duquel les conflits entre les réseaux
sont étroitement liés ″216 . Cette conceptualisation ne tient pas compte de la na-
ture dynamique du temps et de l'espace dans ces réseaux, et le fait que leurs ac-
teurs sont incorporés dans les liens sociaux qui transcendent l'espace territorial ;
points dont Rubin et Armstrong semblent conscients mais ne parviennent pas à
capturer en raison du carcan conceptuel de « la région ». Par contre, Duffield 217
pour qui « réseaux de guerre » impliquent des projets politiques qui vont désor-
mais au-delà des formes conventionnelles territoriales, du pouvoir bureaucra-
tique, ou de l’autorité juridictionnelle étant donné que les Etats sont impliqués
dans des réseaux de prise de décision à plusieurs niveaux et de plus en plus qui
dépassent les seules frontières territoriales.

215 RUBIN, B. and ARMSTRONG, A., "Regions and Networks in Conflict Prevention and Peace Building: A Discussion Paper
for the Project on Regional Conflict Formations." Center on International Cooperation/NYU, New York, 2002.
216 Idem.
217 DUFFIELD, M, op.cit, p.163.
155

Ce qu'on peut tirer de ces efforts récents pour comprendre la guerre


contemporaine, c'est qu'ils reconnaissent que ces guerres sont organisées autour
des réseaux sociaux, qui relient un large éventail d'acteurs et qui sont eux-
mêmes intégrés dans le système international. Ces réseaux de conflits traversent
les frontières territoriales, monétaires ainsi que les zones de libre-échange ; ils
lient les organisations gouvernementales et des communautés ethniques ; in-
cluent les organisations internationales et régionales ; et ont une portée mon-
diale. Certains, comme les réseaux de commerce illicite des armes légères, sont
violents et clandestins, alors que d'autres, tels que le réseau transnational de mi-
litants des droits de l'homme, sont plus bénins et plus transparents. Mais tous
sont des structures sociales avec des composants interdépendants.

Cette interdépendance structurale signifie qu'un changement appor-


té par un acteur ou une activité au sein du réseau, ou à l'intérieur d'un réseau
concurrent dont elle est également une partie ; peut générer des changements
dans d'autres parties de la structure, bien que la densité et la proximité puissent
être facteurs atténuants de cette interdépendance. En effet, dans le cadre de l'ana-
lyse des réseaux, les liens peuvent être toute relation existante entre les uni-
tés...la parenté, les transactions, les flux de ressources ou de soutien, les interac-
tions comportementales, ou l'évaluation affective d'une personne par une autre.
De toute évidence, certains types de liens peuvent être utiles ou mesurables
pour certaines catégories d'unités sociales mais pas pour d’autres. En outre,
toutes les activités entre les unités dans un réseau ne sont pas de nature amicale
ou solidaire ; l'activité et les liens peuvent également être compétitifs et hos-
tils218. Contrairement à la théorie des systèmes Parsonien, qui délimite les fron-
tières d'un réseau de guerre ou un système par ses composantes et qui ne peuvent
être examinées qu’empiriquement.

Il existe trois catégories d'activités qui régissent les liens relationnels


et façonnent des significations partagées entre les acteurs dans les réseaux de la
guerre. La première est politique, cela comprend les alliances, les négociations
218 WASSERMAN, S. and FAUST, K., op.cit, p.1.
156

pour mettre fin à la guerre ou pour obtenir d'avantage et les efforts pour gagner la
légitimité locale ou internationale. Le second est économique, cela implique des
efforts de guerre-financement à travers le commerce légal et illégal et de l'exploi-
tation des ressources naturelles et du travail forcé. La troisième est militaire et
quasi-militaire : il s'agit d'efforts pour assurer la sécurité de l'alliance et de faire
des progrès territoriaux, d’acquérir les ressources nécessaires ou conquérir des
populations civiles. Ces interactions peuvent être effectuées par le biais des liens
directs et indirects, formels et informels avec d'autres acteurs dans le réseau.

Par l'utilisation d'une approche axée sur le réseau, ″ notre attention


va au delà des changements des attributs et des motivations des personnalités in-
dividuelles vers des réseaux dans lesquels l'activité de guerre est reproduite ″219.

Pour Stanley Wassermann et Katherine Faust220, l’organisation de


recherche autour des réseaux plutôt qu'autour des attributs individuels ou les re-
lations bilatérales entre acteurs peuvent donc être une approche plus analytique
utile pour expliquer les guerres du Congo compte tenu de l'ensemble des acteurs
concernés et leurs liens complexes, qui sont des canaux de transfert de matériel
et de ressources non matérielles.

SECTION 2. HISTORIQUE DU CONFLIT

Le premier événement d'une série qui a transformé une pauvre, pour-


tant relativement non-violente société congolaise dans une arène de conflit et de
guerre a été le génocide des Tutsi rwandais en 1994, qui a vu les dirigeants hutus
mobiliser presque l'ensemble de la population Hutu pour commettre des meurtres
de masse organisés contre des Tutsis et des Hutus modérés. Depuis plusieurs an-
nées, le gouvernement rwandais dominé par les Hutus, dirigé par le président Ha-
byarimana et les Forces Patriotiques Rwandaises (FPR), un groupe des rebelles de
Tutsis avait été impliqué dans une guerre civile. L'échec des interventions interna-

219 GERNOT, G. and STARK, D. (eds), Restructuring Networks in Post-Socialism: Legacies, Linkages, and Localities,
Oxford University Press, Oxford, 1997, p 3
220 WASSERMAN, S. and FAUST, K., op.cit, p.4.
157

tionales au Rwanda, les mauvaises décisions politiques, cependant ont eu un im-


pact profond sur le Congo. Le retrait par l'ONU de la plus grande partie de sa
Mission d'Assistance de Nations Unies pour le Rwanda (MINUAR I), contribua à
faire accélérer le processus de génocide en raison de la détérioration de la situa-
tion sur le terrain. La France se montra disponible de mener une mission humani-
taire dans la région jusqu'à ce que l'Organisation des Nations Unies pourrait mobi-
liser un soutien pour une nouvelle opération. Le 22 juin 1994, le Conseil de sécu-
rité des Nations Unies par la résolution 929 autorise avec le soutien de l'OUA,
une mission française temporaire dite opération Turquoise à des fins humani-
taires au Rwanda jusqu'à ce que la MINUAR puisse prendre relève. Son mandat
était d'utiliser « tous les moyens nécessaires » pour assurer les objectifs humani-
taires énoncés par la résolution 925, adoptée le 8 juin 1994. En outre, la mission
devait protéger en interne les personnes déplacées, des réfugiés et des civils en
établissant des zones protégées humanitaires et assurer la sécurité et support
pour la distribution des secours et des opérations de secours humanitaire. Enfin,
l’autorisation de la résolution 929 de l'intervention française, adoptée le 22 juin
1994, a souligné « le caractère strictement humanitaire de cette opération qui doit
être effectuée de façon impartiale et neutre221.

L’Opération Turquoise cependant, a fait quelque chose de tout à fait


contraire à son mandat de neutralité ; elle a permis aux milices Hutus, appelés
les Interahamwe, les unités des Forces armées Rwandaises (FAR) et de leurs
dirigeants politiques, y compris des civils rwandais Hutus, de se rendre au Con-
go pratiquement sous la protection française tandis que la population Tutsi
rwandaise n’a reçu aucune protection contre le génocide en cours commis à leur
encontre. L'afflux d'environ un million des rwandais Hutus, a à son tour entraî-
né la profonde déstabilisation du Congo.

En août 1994, après que les FPR avaient défait le gouvernement


Hutu au Rwanda, plusieurs camps du haut-commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (HCR) ont été établis dans l'est du Congo près de la frontière rwan-
221 CONSEIL DE SECURITE DES NATIONS UNIES, résolution 929, 22 juin 1994.
158

daise pour abriter les réfugiés hutus rwandais, les génocidaires et unités de l'an-
cienne armée rwandaise et des dirigeants politiques qui ont traversé la frontière
avec eux. Pour les deux prochaines années, que ces camps ont été utilisés
comme zones de rassemblement de ces Interahamwe et ex-FAR se sont regrou-
pés et ont lancé des offensives contre le nouveau gouvernement dominé par les
Tutsis au Rwanda. La présence de cette population armée importante et nouvelle
des Hutu a changé l'équilibre ethnique dans les Kivus, surtout dans la partie sud
du Nord-Kivu.

Malgré les conditions locales engendrées par l'afflux des Hutus du


Rwanda, le gouvernement de Mobutu, certains politiciens du Kivu et certains
officiers de l'armée congolaise en particulier, font cause commune avec les Hu-
tu. Une campagne a été lancée contre les Banyamulenge, un groupe Tutsi congo-
lais qui vit sur un haut plateau au Sud-Kivu. À l'été 1996, cette campagne a at-
teint des proportions de crise menaçant d'expulser tous les Banyamulenge du
pays. Cette menace contre la population Tutsi congolaise a été habilement utili-
sée par les rwandais pour légitimer leur ultime invasion du Congo et obtenir le
soutien des Banyamulenge pour attaquer les camps du HCR en septembre 1996.
Le gouvernement rwandais avait fait appel à plusieurs reprises à la communauté
internationale pour désarmer les Hutu dans les camps du HCR, sans résultats
concrets, malgré les avertissements répétés du Rwanda que si la communauté
internationale n'agissait pas, le Rwanda prendrait ses responsabilités.

En septembre 1996, le Rwanda attaqua les camps avec l'objectif


d'éliminer la menace Interahamwe et les ex-FAR et frapper un coup contre le ré-
gime de Mobutu et ses sympathisants Hutus. Cette attaque conjointe contre les
camps conduit à démanteler la base des Interahamwe et ex-FAR et permettait à
la majorité des hutus réfugiés civils dans les camps de rentrer au Rwanda. Il a
également marqué le début de la première guerre du Congo.
159

§1. Première guerre du Congo

Les forces ougandaises ont rapidement rejoint le gouvernement


rwandais pour des raisons semblables, quoique moins pressantes de sécurité.
Pendant les années, les mouvements d'insurrection anti-Museveni, dont certains
ont été pris en charge par le gouvernement soudanais, exploitaient des bases au
Congo avec l'appui du gouvernement de Mobutu, ou au moins certains des géné-
raux de Mobutu. Quelques mois plus tard, l'Angola rejoint l'alliance contre le
gouvernement de Mobutu, également pour des raisons similaires. Son principal
adversaire, l'Union nationale pour l'indépendance totale de l’Angola (UNITA),
continue d'avoir des bases au Congo et pendant des années durant de la guerre
froide, elle a reçu un appui important des Etats-Unis, via Mobutu. Par consé-
quent, l'Angola, l'Ouganda et le Rwanda se fusionnaient autour d'un objectif
commun, de paralyser les mouvements d'insurrection contestant leurs gouver-
nements de basés au Congo.

Afin que leurs actes ne puissent pas être considérés comme un


simple acte d'agression contre un Etat souverain, les gouvernements rwandais et
ougandais ont immédiatement parrainé la création d'une alliance des petits et
obscurs exilés, anti-Mobutu, des groupes révolutionnaires congolais qui avaient
depuis longtemps été disposés à s'engager dans une lutte violente contre Mobu-
tu. Laurent-Désiré Kabila est apparu comme le principal porte-parole de l'Al-
liance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) et devient
le protégé des promoteurs étrangers de la coalition. Peu de temps après, l'Ango-
la encourage les dits Tigres du Katanga, un groupe vieillissant des anciens sol-
dats Katangais et leurs fils qui vivaient en exil en Angola depuis l’échec de la
sécession du Katanga du début des années 1960, à se joindre à la lutte contre
Mobutu. La tentative de donner un caractère révolutionnaire congolais à ce con-
flit a largement réussi à cause du rejet dans le monde et au Congo de Mobutu,
mais il n'y a guère de doute que la force militaire écrasante employée dans cette
guerre contre Mobutu était étrangère.
160

La communauté congolaise de la diaspora, organisée autour de l'op-


position à Mobutu et liée aux mouvements nationaux opposés à la règle de Mobu-
tu, a aidé à convaincre la communauté internationale de déplacer son soutien de
Mobutu à la nouvelle « rébellion ». La conférence nord-américaine sur le Zaïre,
été créée aux USA, comme un groupe virtuel de chat permettant aux intellectuels
et exilés politiques zaïrois de discuter des effets dévastateurs du régime Mobutu.
Elle préconisa un soutien international pour Kabila dès le mois de décembre 1996
et a aidé à influencer comment la guerre a été dépeinte dans la presse internatio-
nale par le biais des campagnes, des lettres et d'autres efforts de lobbying222.

Mobutu a demandé l'aide de ses amis et alliés à l'étranger, mais de-


puis la fin de la guerre froide et le nouvel accent sur la démocratie, la gouver-
nance et la transparence, son régime corrompu était devenu un embarras pour les
gouvernements de l'Ouest. L’invasion du Zaïre n’a pas connu de condamnation
du Conseil de sécurité, et le seul soutien reçu en Afrique fut celui de l'UNITA.
Selon des sources de renseignement américaines, signalées dans le New York
Times le 2 mai 1997, Mobutu a reçu une aide militaire de la France, qui aurait
mené une opération secrète pour aider le régime de Mobutu chancelant par
l'intermédiaire des représentants du gouvernement yougoslave et Geolink, une
entreprise de télécommunications basée à Paris. Le gouvernement français a si-
gnalé avoir fourni à Mobutu trois avions de combat, avec les équipages et envi-
ron 80 mercenaires Serbes. Les forces qui ont mené l'essentiel de la lutte pour le
régime de Mobutu étaient les Interahamwe et ex-FAR, les mercenaires Serbes et
les forces rebelles de l'UNITA. À la fin de 1996, l’armée de Mobutu était en
pleine retraite, elle était impliquée dans les actes de pillage, de viol ; tuant des
civils congolais en chemin. Atteint du cancer de la prostate, Mobutu a finale-
ment fuit en exil au Maroc où il mourut peu de temps après, et l'alliance anti-
Mobutu marcha partout au Congo et à Kinshasa en grande partie incontestée,
huit mois seulement après le début de la guerre. Kabila a assumé la présidence le

222 FRIEDMAN, J., "Zaire's Grassroots in U.S.: Exiled Scholars Now Kabila Aides." Newsday 22 May, 1997.
161

17 mai 1997 et était redevable d'aucune force congolaise autres que les jeunes
kadogos qui ont été recrutés au cours des mois précédents.

La gestion calamiteuse et tribale de l'armée par Mobutu pendant la


dictature, aide à expliquer pourquoi le peuple congolais, en gros, se ralliât à l'al-
liance anti-Mobutu. L'AFDL a recruté des milliers de jeunes hommes et les en-
fants comme l'alliance avancée vers Kinshasa. Les unités entières de l'armée de
Mobutu désertaient pour elle. Certaines des actions de Kabila sur le chemin de
Kinshasa, comme l'organisation d'élections locales pour les administrateurs des
villes, ont donné l'apparence d'un engagement envers la démocratie. Ce pendant,
divers rapports et témoignages affirmaient que les forces de l'alliance exécu-
taient systématiquement des Hutu sur leur passage. Les médias occidentaux ont
commencé à parler d’un « nettoyage », une opération visant à éliminer les au-
teurs du génocide rwandais. Il n'y a aucun doute que le massacre d’Hutus rwan-
dais s'est produit, mais il y a une controverse sur qui a procédé à ces massacres
et la mesure dans laquelle Kabila avait le pouvoir de les arrêter, même s'il avait
voulu le faire223. Pendant que les gouvernements occidentaux avaient des pré-
occupations humanitaires qu'ils percevaient comme une nouvelle crise de réfu-
giés qui se dérouler au Congo, les hommes d'affaires occidentaux nouaient des
contacts avec les ougandais et les rwandais, se rendaient dans les zones rurales
afin de rencontrer Kabila pour signer des contrats miniers, anticipant que les
jours de Mobutu étaient comptés.

Les efforts de médiation du président sud-africain Mandela, desti-


nés à assurer une transition en douceur vers une sortie négociée de Mobutu,
n'incluent pas l’opposition non violente, les ONG locales ou des groupes confes-
sionnels, qui avaient un appui public considérable dans la lutte pour la fin de la
dictature de Mobutu. En excluant les partis de l'opposition congolaise des négo-
ciations, les efforts de médiation dans la première guerre ont marginalisé des di-
rigeants politiques populaires et privilégié les forces armées.

223 UN: DRC , Mapping human rights violations 1993-2003.


162

Dans aucun moment depuis l’indépendance du Congo, on a assisté


à une déliquescence avancée de l’Etat, une armée congolaise mortellement af-
faiblie et les leaders des partis politiques efficacement marginalisés , conduisant
à l'émergence d’une situation politique complexe ayant des liens avec diffé-
rentes forces régionales et mondiales.

Kabila a fait quelques changements intérieurs initiaux qui ont été


accueillis favorablement par le peuple congolais. Le taux d'inflation a été réduit,
mais au premier rang de ces efforts, on doit citer la réelle amélioration de la sé-
curité personnelle résultant de l'élimination des obstacles arbitraires et capri-
cieux ; les arrestations des paisibles citoyens par des soldats et des policiers
impayés, un phénomène quotidien pendant les dernières années du règne de
Mobutu. Ce changement fut moins apprécié par l’élite politique et économique
congolaise, car expérimentant une perte directe d’influence.

L'opposition non violente a initialement fait confiance au nouveau


gouvernement de Kabila, mais les relations entre eux se détériorent très rapide-
ment. Kabila a rejeté tous les arrangements de partage du pouvoir avec les nom-
breux partis politiques qui avaient été établis au cours de dernières années du ré-
gime Mobutu. Il interdit toutes les activités politiques et refuse de coopérer avec
les ONG, qui deviennent de plus en plus critiques de son régime autoritaire. Ka-
bila refuse non seulement de donner une reconnaissance à la longue lutte des
groupes comme l'UDPS menée contre Mobutu, mais aussi impose une nouvelle
dictature inspirée par sa longue association avec les révolutionnaires marxistes.
Il a tenté d'ouvrir une « révolution culturelle » dans laquelle les citoyens ordi-
naires devaient élire les comités des pouvoirs populaires, qui leur sont rede-
vables. Le comportement des soldats rwandais à Kinshasa, ajouté à l'aliénation
de la population à l’AFDL ; beaucoup ont commencé à voir des troupes rwan-
daises dans la capitale comme une armée d'occupation plutôt qu'une armée de
libération. Rien de tout cela ne répond aux désirs de la population congolaise, et
la popularité de Kabila a chuté rapidement.
163

Les quinze mois entre la fin de la première guerre du Congo et le


début de la seconde, Kabila réussit à énerver les Nations Unies, les donateurs
occidentaux, la base de son pouvoir à l'intérieur et ses commanditaires étrangers
avec son style peu coopératif. Au début de 1998, il était devenu de plus en plus
évident que ceux qui ont placé Kabila au pouvoir ont été mécontents de sa per-
formance. Sa présidence n'avait pas produit les résultats qu'ils voulaient. Kabila
n'avait pas réussi à mettre fin au problème de l'insécurité à la frontière en neutra-
lisant les groupes insurgés menaçant l'Ouganda, le Rwanda et l’Angola ; la rai-
son principale qui a motivé leur intervention en premier lieu. Toutefois, c'est un
peu irréaliste d'attendre de Kabila combattre les groupes insurrectionnels étran-
gers opérant au Congo car il avait à peine commencé de créer une nouvelle ar-
mée, les Forces Armées Congolaise (FAC). Les rwandais et ougandais avaient
de facto le contrôle militaire à l'est du pays où les concentrations d'insurrections
principales sont trouvées, et les rwandais occupaient les postes des dirigeants au
sein des FAC.

En dépit des revendications de Kabila selon lesquelles son lea-


dership était fondé sur une « révolution » contre Mobutu, comme du temps
passé, il est devenu de plus en plus évident que la « révolution » était plus une
invasion étrangère qu'un soulèvement violent des congolais contre un dictateur
haï. En outre, les deux groupes de congolais qui avaient combattu pour lui dans
la guerre, les kadogos et les Banyamulenge, devenaient de plus en plus impopu-
laires : les kadogos en raison de leur comportement impitoyable, arbitraire et
violent envers la population civile et les Banyamulenge parce qu'ils étaient de
plus en plus associés à tous les autres Tutsi et donc considérés comme étrangers
rwandais. La revendication publique du président rwandais Kagamé, du renver-
sement de Mobutu dans une interview du Washington Post en juillet 1997, n'a
pas aidé Kabila avec déjà la détérioration rapide de la base de son pouvoir in-
terne. Cette déclaration fut clairement une humiliation pour Kabila et sapa sa re-
vendication d'avoir mené la lutte224.

224 POMFRET, J., "Rwandans Led Revolt in Congo." Washington Post 9 July, 1997.
164

Le clash entre Kabila et ses commanditaires étrangers ne pouvait


qu’être inévitable pour n'importe quel leader congolais qui aurait demandé une
légitimité populaire. Cet effort devait consister à se distancer de l'étranger, sur-
tout de leur présence militaire ainsi que de leurs commanditaires. En effet, des
sondages d'opinion menées par l’institut BERCI, un groupe d’enquête
d’oignions à Kinshasa, au cours de 1997 et 1998 montrent que la présence
rwandaise était profondément impopulaire et que la popularité de Kabila a at-
teint des sommets quand les rwandais furent renvoyés du pays225.

§2. Deuxième guerre du Congo

Il y a des nombreuses indications en juin et juillet 1998 que les rela-


tions entre Kabila et les rwandais se détérioraient à un point de méfiance mu-
tuelle totale. Kabila de plus en plus reconstituait sa base tribale et régionale, ses
partisans du Katanga, sa province natale. Le chef d'état-major des FAC, l'officier
Rwanda James Kabarebe fut remplacé et le 27 juillet, l'armée rwandaise a été
invitée à quitter le Congo immédiatement, et ils l'ont fait dans une atmosphère
d'antagonisme et de méfiance réciproque.

Le 2 août 1998, la deuxième guerre du Congo a éclaté lorsque deux


des meilleures et plus grandes unités de la nouvelle armée congolaise station-
nées à l'est et en contact étroit avec les troupes de l'armée rwandaise se mutinent
et obtiennent le soutien de l’armée officielle rwandaise. A Kinshasa, les soldats
Tutsi congolais dans les FAC refusent les ordres de désarmer et furent attaqués
par des soldats d'autres origines ethniques. La plupart d'entre eux ont été tués et
un sentiment anti rwandais se développait à travers tout le pays.

Le 4 août 1998, dans un spectaculaire vol aérien, un avion détourné


plein de soldats rwandais et ougandais a atterri à Kitona, où quelque 10 000 à 15
000 anciens soldats de Mobutu ont été « rééduqués ». Ces ex-FAZ (Forces Ar-
mées Zaïroises) ont rejoint les forces rwandaises et ougandaises et commencè-

225 CARAYANNIS, T., op.cit, 2003.


165

rent une marche sur Kinshasa. Le Rwanda et l'Ouganda dès lors convoquent à
Goma, un groupe de politiciens congolais pour former l'aile politique du mou-
vement anti-Kabila, le Rassemblement Congolais pour la démocratie (RCD).

L'Angola, contrairement à la première guerre interviendra militai-


rement aux cotés de Kabila. L’Angola attaqua les forces Rwando-Ougandaises
au Congo, à partir de ses bases de Cabinda. Bien que cette manœuvre visant à
renverser Kabila ait échoué à la suite d'une intervention de l'Angola, la « rébel-
lion » a été en mesure d'atteindre un contrôle militaire à l'est du Congo. Cette
deuxième guerre aurait sans doute été terminée dans deux semaines n'eut été la
volte-face angolaise, même avec l'appui militaire de Mugabe le président du
Zimbabwe, sans doute Kinshasa serait tombée même avec l’aide zimbabwéenne
suffisante. La décision de l'Angola de changer ses alliances antérieures avec le
Rwanda et l'Ouganda a eu un profond impact sur la guerre et sur la politique de
la région. Bien qu'il y ait eu beaucoup de spéculations sur pourquoi l’Angola
avait rompu avec ses anciens alliés, la raison la plus probable de sa décision etait
que le président Santos croyait que l'alliance anti-Kabila aurait passé un marché
avec l’UNITA.

Le Zimbabwe, l'Angola et la Namibie ont invoqué le fait que


Kinshasa soit un membre de la SADC comme une raison pour lancer une inter-
vention militaire pour défendre le gouvernement Kabila d'agression étrangère.
Le président du Zimbabwe exerçant la présidence de la commission politique,
défense et sécurité de la SADC durant cette période, utilisa son poste pour légi-
timer l’intervention militaire. Cette position ne rencontra pas le consensus sous-
régional, notamment l’Afrique du Sud, qui s'opposa fortement.

Pour les prochaines années, le Congo est devenu l'arène d'une


guerre régionale avec des dimensions globales. Kinshasa a reçu une aide mili-
taire directe de Angola, du Zimbabwe, de la Namibie, du Soudan et du Tchad,
tandis que les diverses rébellions ont été soutenues par l'Ouganda, le Rwanda et
plus tard, dans une moindre mesure, le Burundi et la Libye. Toutes les parties
166

ont reçu le soutien logistique, financier ou autre des entreprises appartenant à


des expatriés de la région ; ainsi que des institutions financières, les compagnies
de communications, de transport, les sociétés minières et les trafiquants d'armes
de l'extérieur de la région. Significativement, Kabila a mobilisé les Intera-
hamwe, ex-FAR et autres Hutus rwandais dans le pays. Il les a incorporés dans
les bataillons ethniquement homogènes dans son armée. Cherchant le soutien
partout où il pouvait le trouver, il a aussi intégré les combattants Maï-Maï dans
l'est du Congo, en particulier dans la zone contrôlée par le RCD.

Les combattants congolais Maï-Maï, organisés souvent en groupes


ethniquement homogènes et s'opposant à toute présence étrangère sur le sol con-
golais, avaient jusqu'à présent des relations tendues contre Kabila, l’ayant com-
battu lors de son alliance avec les rwandais ; les Maï-Maï ont constitué une des
meilleures armes à sa disposition contre le RCD et l'occupation rwandaise de
l'est du Congo. Il les a fourni en armes et nomma certains de leurs dirigeants à
des postes élevés dans les FAC, déclarant à un point que les Maï-Maï faisaient
une partie des FAC.

Le soutien de Kinshasa aux Maï-Maï et la mobilisation d’Hutus a


eu un autre effet dans l'est du Congo ; il a créé une alliance de circonstance entre
les ex-FAR/Interahamwe qui formeront l’alliance pour la libération du Rwan-
da(ALIR) unités de guérilla encore opérant contre les intérêts rwandais. Avec le
temps, le réseau créé par Kinshasa ; Maï-Maï-ex-FAR/Interahamwe, auquel on
peut ajouter également le mouvement d'insurrection Hutus burundais le FDD,
devient la plus forte carte de Kinshasa dans une guerre dans laquelle les alliés de
sa propre armée étaient incapables de gagner d'importantes victoires militaires.

Le RCD n'est pas seulement affaibli parce qu'il a été contesté par un
soulèvement populaire, la violence contre les civils dans une grande partie de l'est
du Congo, plus précisément dans le Nord et le Sud-Kivu, mais aussi en raison des
divisions internes. Comme la relation entre le Rwanda et l'Ouganda s'est détério-
rée, chacun se mis à réclamer sa propre sphère d'influence du Congo, chaque
167

sphère contrôlée et exploitée par des réseaux différents d'acteurs. Le RCD divisé
en deux factions avec les commandements militaires distincts, une prise en charge
par le Rwanda, l'autre par l'Ouganda. Le RCD-Goma, le siège du mouvement re-
belle original de la deuxième guerre a été sous influence rwandaise. Le RCD/ML
(Mouvement de libération) était sous influence ougandaise jusqu'à ce qu'elle se
divise en fractions plus petites accompagnées de batailles violentes dans la région
de l'Ituri, au nord-est du Congo. L'Ouganda a également appuyé la création d'un
nouveau mouvement anti-Kabila, le Mouvement de libération du Congo (MLC),
qui a été dominant dans le nord-ouest du Congo.

La situation actuelle était similaire à celle des années 1996 - 1997,


pouvant aboutir à la balkanisation du Congo. Car, une division de facto avait eu
lieu avec les établissements politiques et militaires ayant créé ce qui allait deve-
nir les frontières reconnues entre Kinshasa et les zones contrôlées par les re-
belles. A un stade ultérieur, ces frontières étaient encore surveillées par la MO-
NUC, la mission d'observation de l'ONU au Congo. Pourtant, malgré les anta-
gonismes profonds qui existaient entre les dirigeants des mouvements différents,
pas un seul n'a postulé un éclatement du Congo. Ceci témoigne largement la
force de l'identité nationale congolaise.

Bien qu'il y ait eu au moins vingt tentatives par l'ONU, l'OUA,


SADC et des médiateurs d'arrêter les confrontations violentes, des engagements
militaires plus actifs durant la deuxième guerre du Congo se terminèrent seule-
ment lorsqu'une impasse a émergé et que chaque côté s'est rendu compte que la
victoire militaire n'était pas possible. En outre, une pression considérable des
pays occidentaux a été exercée, surtout sur les forces rebelles et leurs clients
étrangers, d'arrêter d'avancer. Le résultat de l'impasse dans laquelle se trouvait
l'accord de Lusaka pour un cessez-le-feu en RDC, sera finalement signé par tous
les belligérants en août 1999. Le génie de l'accord de Lusaka est qu'il a reconnu
le chevauchement des conflits interétatiques et intra étatiques d’une part et a re-
connu les préoccupations sécuritaires du Rwanda et l'Ouganda d’autre part, con-
cernant les mouvements d'insurrection basés au Congo. L'accord expressément
168

insistait sur le désarmement des milices étrangères au Congo les soi-disant «


forces négatives », et le retrait de toutes les forces étrangères du pays. Il prévoit
aussi un « Dialogue inter congolais, » pour produire un nouvel ordre politique
transitoire pour le Congo, et Sir Ketumile Masire, ancien président du Botswana,
a été nommé en 1999 comme le « facilitateur neutre » pour organiser ce proces-
sus. Une disposition importante est que toutes les parties aux différends, armés
ou non participent à ce dialogue comme des égaux.

Les groupes armés de l'est du Congo comme les Maï-Maï cepen-


dant, n'étaient pas représenté lors des négociations de paix de Lusaka, n’ont
donc par conséquent pas signé l'accord. L'omission des Maï-Maï de ces négocia-
tions a eu des résultats particulièrement graves, comme ils ont continué à se
battre dans l'est du Congo, et ils ont été sous aucune obligation formelle à res-
pecter un cessez-le-feu, en dépit de leur étroite relation avec les FAR.

L'accord a également appelé pour une force des Nations Unies sous
mandat du chapitre VII de faire respecter le cessez-le-feu et de désarmer les mi-
lices étrangères opérant dans le Congo. La résolution 1279 du Conseil de sécurité
du 30 novembre 1999 autorise l’implantation de la MONUC (Mission de l'Orga-
nisation des Nations Unies en République démocratique du Congo). Le 24 février
2000, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1291 prolongeant le mandat de
la MONUC pour six mois et en augmentant la force de 5 537 militaires, un
nombre qui a été largement critiqué comme trop petit pour surveiller efficacement
un accord de paix avec les belligérants multiples dans un pays avec peu d'infras-
tructures et environ de la taille de l'Europe occidentale. En vertu du mandat initial
de la mission, il a le pouvoir, en vertu du chapitre VII, « de prendre les mesures
nécessaires... pour protéger le personnel des Nations Unies... assurer la sécurité et
la liberté de circulation de son personnel et de protéger les civils sous la menace
imminente de violence physique »226. La MONUC a également pour mandat de
coordonner le désarmement, la démobilisation, la réinsertion et le rapatriement de
tous les groupes armés étrangers, mais il n'était pas autorisé pour les désarmer par
226 CONSEIL DE SECURITE DE L'ONU, résolution 1291, 24 février 2000.
169

la force. Le mandat de la MONUC sous le chapitre VII était en effet, beaucoup


plus un mandat du chapitre « 6 1/2 »: sa capacité d'application a été limitée à la
protection de son propre personnel, celui des travailleurs humanitaires et des ci-
vils congolais. Cependant, comme on a constaté l’échec de la MONUC à interve-
nir pour arrêter les massacres du 14 mai 2002 à Kisangani, il ya lieu de conclure
que même ce faible mandat n’était pas appliqué ; ces échecs sont attribuables au-
tant à des problèmes de gestion interne au sein de la mission et ses capacités face
à la violence de plus en plus grandissante. La poursuite des hostilités dans le nord-
est du Congo et les rapports quotidiens des massacres de civils par les milices ri-
vales dans cette région a conduit à une autorisation du Conseil de sécurité le 30
mai 2003 (résolution 1484) pour une intervention européenne d'urgence déployée
à Bunia pour trois mois afin de stabiliser l'Ituri jusqu'à ce que la MONUC pourrait
mobiliser des ressources supplémentaires pour remplacer la Force intérimaire. Le
28 juillet 2003, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1493, donnant à la
MONUC un mandat d'application plus robuste et autorisant une augmentation de
son personnel à 10 800.

L'accord de Lusaka prévoyait un dialogue national long de six se-


maines entre des groupes armés et non armés congolais sur les futures institu-
tions et le gouvernement provisoire du Congo. Jusqu'à son assassinat en janvier
2001, Laurent-Désiré Kabila a, à plusieurs reprises refusait de collaborer non
seulement avec les Nations Unies, mais aussi avec le facilitateur du dialogue,
l’ancien président Masire. Kabila n'a jamais accepté de disposition de l'accord
selon laquelle toutes les parties, y compris le gouvernement, bénéficierait du
même statut au dialogue inter congolais. Une fois au pouvoir en janvier 2001,
après l'assassinat de son père, Joseph Kabila, a pris des mesures pour relancer le
dialogue national, qui a finalement eu lieu à Sun City en Afrique du Sud, en fé-
vrier 2001. En dépit de nombreux efforts déployés par l'Afrique du Sud, le dia-
logue a échoué à atteindre même un accord général entre les principaux acteurs
nationaux : le gouvernement et le MLC ont signé un accord pour une transition ;
un arrangement de partage du pouvoir dans lequel Joseph Kabila devrait rester
président et le chef du MLC Jean-Pierre Bemba pourrait être nommé premier
170

ministre. Cela a été rejeté cependant, par le RCD-Goma soutenus par le Rwanda
et par l'opposition politique non militarisée.

Le dialogue de Sun City a échoué, car le caractère inclusif de l'ac-


cord de Lusaka a été ignoré. Avec la poursuite de la guerre à l'est et ses consé-
quences désastreuses, il est devenu évident que l'unification nationale était diffi-
cile à réaliser, le Pacte Kinshasa-MLC a cessé d'avoir tout intérêt à Kinshasa. Le
gouvernement choisira de conclure des accords bilatéraux avec le Rwanda et
l'Ouganda et de marginaliser les mouvements rebelles. Un accord bilatéral signé
entre Kinshasa et Kigali à Pretoria le 30 juillet 2002 a entraîné le retrait de toutes
les forces rwandaises en échange de la promesse de Kinshasa à démanteler les mi-
lices Hutu et à arrêter les génocidaires afin de les transférer au Rwanda.

Un accord de cessez-le-feu similaire avec Kampala à Luanda, le 6


septembre 2002, entraînant le retrait des troupes ougandaises. Le retrait des
troupes étrangères, cependant, a créé un vide du pouvoir à l'est et conduira à une
augmentation significative des conflits violents entre les plus petits groupes qui
sont devenus des acteurs importants dans les activités illicites. Mais il a égale-
ment ouvert la voie à une poursuite du dialogue sous les auspices de l'Afrique du
Sud, et la création éventuelle, en juillet 2003, d'un nouveau gouvernement tran-
sitoire d'unité nationale composé des représentants de tous les partis armés et
non armés. Modelé sur la forme du gouvernement de transition de l'Afrique du
Sud, le nouveau gouvernement congolais est un arrangement de partage du pou-
voir entre le Président Kabila et quatre vice-présidents issus de deux mouve-
ments rebelles principaux, l’opposition non armée et la société civile.

§3. Troisième guerre du Congo

Depuis la signature de l'accord de Lusaka, les violences et les catas-


trophes humanitaires furent limitées en grande partie dans trois provinces à sa-
voir ; le Sud-Kivu, le Nord-Kivu et la Province Orientale. Au Sud-Kivu, les
luttes violentes opposaient le réseau Maï-Maï, Interahamwe /ex-FAR-FDD,
171

d’un côté et le Rwanda, les forces du RCD-Goma sur l'autre. La plupart des di-
rigeants Maï-Maï n'ont jamais accepté le cessez-le-feu imposé par l'accord de
Lusaka et ont fait valoir que tant qu’il y aurait des troupes rwandaises dans leur
région ils vont leur combattre, eux et leurs collaborateurs du RCD. Appliquant la
notion selon laquelle «l’ennemi de mon ennemi est mon ami », ils ont souvent
été alliés avec les Interahamwe et ex-FAR et le FDD même si, pour les Maï-
Maï, ces groupes sont aussi étrangers qu'ils aimeraient voir quitter leur région.

Les objectifs politiques initiaux du Rwanda ont été de traduire en jus-


tice les auteurs du génocide et de contrôler l'est du Congo afin de se protéger contre
les insurgés. Ce second objectif fut largement atteint en introduisant des troupes
rwandaises parmi les forces rebelles du RCD dans l'est du Congo qui s’engagèrent
dans les combats directs, mais aussi en élargissant son contrôle sur la vie écono-
mique de cette région. Le Rwanda introduit sur les territoires congolais sous son
contrôle les réseaux téléphoniques et la monnaie rwandaise. Avec le retrait des
troupes, le Rwanda a remplacé le management des compagnies congolaises dans
l'est avec les officiers rwandais en vêtements civils et a retourné les Tutsi congolais
réfugiés à l'est du Congo pour consolider la base de leur pouvoir227.

Ainsi, le réseau de guerre rwandais hautement centralisé et coor-


donné de l’extérieur du Congo continua de fonctionner en grande partie sans
interruption à travers le RCD et noua des liens commerciaux avec les réseaux
criminels internationaux impliqués dans le trafic illicite d'armes, des diamants,
du coltan et la fausse monnaie.

En 2002, la communauté Banyamulenge sur le Haut Plateau du


Sud-Kivu se mobilisa contre les forces du RCD et du Rwanda. Les Banyamu-
lenge sont venus à la conclusion que l’alliance avec le Rwanda a été contre-
productif pour eux, surtout en ce qui concerne leur objectif d'être accepté en tant
que citoyens congolais. Ils estimaient également que le RCD et les Rwandais
227UNITED NATIONS, Final report of the Panel of Experts on the Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms
of Wealth of the Democratic Republic of the Congo, S/2002/1146, 15 October, 2002.
172

n’ont pas fait assez pour les protéger contre les attaques des congolais qui les
considèrent comme ressortissants rwandais. Un officier Banyamulenge qui a dé-
serté le RCD a trouvé un soutien massif dans le Haut Plateau en 2001. En s'op-
posant au RCD, il était capable non seulement de négocier la fin de l'antago-
nisme qui existe entre la communauté des Banyamulenge et les Maï-Maï envi-
ronnant, mais aussi forger une alliance entre les Banyamulenge du Haut Plateau
de Minembwe et l’ethnie Bembe, y compris d’autres groupes Maï-Maï. Ceci
fut considéré comme une provocation dangereuse par les rwandais et le RCD, et
lancèrent une vaste campagne militaire contre le Haut Plateau à la mi-2002.

Le Nord-Kivu et l'Ituri au nord-est du Congo ont assisté à une situa-


tion différente, mais tout aussi non résolue et mortelle ; des conflits plus locali-
sés sur les questions foncières et les ressources minières furent aggravés par des
acteurs impliqués dans le conflit plus large dans la région. La stratégie initiale de
l'Ouganda pour un contrôle politique sur les territoires congolais du Nord, con-
trairement au Rwanda, s'est fondée sur le monopole et l'usage de la force mili-
taire mécanisée et sur la formation des rebelles congolais du MLC dans la pro-
vince du Nord de l'Équateur et le groupe sécessionniste du RCD, le RCD/ML,
dans le nord-est. L’Ouganda a placé peu de troupes sur le terrain et a fait des
combats très peu directs, sauf contre les troupes rwandaises à Kisangani sur le
commerce des diamants.

Cependant, une série d'autres subdivisions dans le RCD/ML impu-


tée aux ougandais a entraîné l'émergence des groupes Maï-Maï petits, organisés
sur le plan ethnique, souvent alliés avec ou contre les officiers de l'Armée ou-
gandaise qui ont superbement bien profité de leur présence au Congo. Plus tard,
avec la naissance de l’UPC contrôlant une autre milice qui empêcha une fois de
plus toute tentative sérieuse pour mettre fin à la violence. Un vieux conflit inte-
rethnique entre éleveurs Hema et les agriculteurs Lendu a explosé à plusieurs
reprises ces dernières années en raison de l'absence de toute autorité locale effi-
cace dans la région et parce que ces conflits ont été alimentés et encouragés par
173

les officiers ougandais engagés dans l’exploitation des minerais avec la compli-
cité des dirigeants locaux.

Le réseau ougandais de guerre a été plus décentralisé que les rwan-


dais et donc plus facilement transformé en un réseau de générateur de profits des
officiers ougandais individuels plutôt que pour les intérêts de l'Etat en général.
Selon le groupe d'experts de l’ONU qui a enquêté sur ces réseaux, les officiers
ougandais ont mis en place des cartels avec les rebelles locaux et des dirigeants
ethniques pour l'exportation illégale des matières primaires, l'utilisation de la
monnaie contrefaite, la fraude fiscale et la manipulation du secteur bancaire par
le biais des partenariats avec des entreprises européennes et russes. Cependant,
dans la perspective du retrait des troupes, ils formèrent des forces paramilitaires
locales pour superviser et continuer à faciliter ces activités commerciales228.

Plus tard, avec la décentralisation du réseau Ouganda, l'indépen-


dance croissante du MLC ont permis l’émergence d’un nouveau réseau
d'échanges commerciaux, organisé autour de l'axe du MLC-République centra-
fricaine-Libye.

Fin 2002, le gouvernement de Kinshasa a recruté dans son réseau de


guerre le dernier chef du RCD/ML de la sphère d'influence de l’Ouganda, Mbu-
sa Nyamwisi, dans le but de placer les milices liées à Kinshasa à l'est, ainsi qu’à
l'Ouest, la zone tenue par les rebelles du MLC. Un rapprochement plus tôt avec
l'Ouganda avait rendu cela possible et la MONUC estima que ceci fut une viola-
tion de l'accord de cessez-le-feu qui stipulait que tous les signataires doivent te-
nir leurs positions au moment de sa signature ; deuxièmement, il en résultait
d’une campagne menée par le MLC contre Mbusa, avec des conséquences dé-
sastreuses pour la population civile.

228 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, op.cit, 2002.


174

La stratégie de Kinshasa a été d'utiliser les Maï-Maï et les autres


forces de lutter contre le Rwanda et le RCD à l'Est étant donné que Kinshasa ne
disposait pas d’une véritable armée propre et efficace. Kinshasa a également
profité de l'exploitation illégale des ressources du pays par le biais des coentre-
prises et des agents étrangers, des sociétés offshores, comme un moyen pour ré-
compenser les Etats voisins, qui intervenus en son nom, ainsi que pour les
proches de l'élite du gouvernement229.

Les guerres au Congo sont donc impossibles à comprendre sans


analyser le rôle de forces régionales et transnationales, qui se manifeste diffé-
remment dans chacune de ces trois guerres. La troisième guerre du Congo est
fondamentalement différente de la première guerre et la deuxième guerre du
Congo, à cause des réseaux au sein desquels les acteurs sont liés, influencés, et
engagés. Elle est beaucoup moins structurée avec beaucoup d'autres petits ac-
teurs militaires liés à plusieurs réseaux concurrents et illicites.

Dans la première et seconde guerre du Congo, les éléments institu-


tionnels de la communauté internationale sont intervenus pour contenir le conflit
et atteindre, au minimum un accord de cesser- le- feu. La troisième guerre du
Congo a bénéficié de telles initiatives seulement après des années d'escalade de
la violence locale. La mission de Pacification de l'Ituri est une opération provi-
soire mise en place avec le soutien international qu'en 2003, et a eu certes,
quoique limité, un succès qui a permis de mettre fin à la confrontation quoti-
dienne, sanglante dans cette région. La force intérimaire dirigée par la France a
eu plus de succès dans la démilitarisation de la ville de Bunia, le point d'éclair
des nombreux massacres des civils.

Comment alors, analyser le caractère régional et transnational en ré-


seau de ces guerres ? Les conditions de la déliquescence d'un Etat ou son ef-
fondrement, ainsi que la concurrence ethnique, mènent à la guerre. Les preuves
préliminaires dans le cas du Congo, cependant, suggèrent que l'Etat avait long-
229 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, op.cit, 2002.
175

temps cessé d'exercer les fonctions de l'Etat moderne tel que conçu par Weber. Il
est un fait que les changements dans la structure du système international au
sein de laquelle les réseaux de guerre sont intégrés ainsi que l'identité chan-
geante de l'Etat et des acteurs non étatiques peuvent mieux expliquer ces con-
flits et les réseaux dans lesquels ils opèrent.

Avec l'éruption des guerres civiles en Europe et en Afrique à la fin


de la guerre froide, un grand optimisme a émergé concernant le rôle des institu-
tions internationales ; l'Organisation des Nations Unies en particulier, pour atté-
nuer ces conflits dans le monde entier. Malgré le succès indéniable au Mozam-
bique, l’enthousiasme pour ces efforts multilatéraux ont connu un déclin suite à
l'inefficacité des Nations Unies en Somalie en 1993, son inaction au Rwanda en
1994 et sa marginalisation par les interventions écrasantes de l'OTAN dans les
Balkans à partir de 1995.

Le multilatéralisme sous l’égide des Nations Unies a connu comme


un glissement discursif à l'idée de « solutions régionales pour les problèmes ré-
gionaux » dans la pratique en Europe de l'Est et en Afrique de l'Ouest. L’idée
selon la quelle les organisations régionales sont mieux placées et ont une plus
grande volonté politique de répondre aux menaces à la sécurité dans leurs
propres régions a depuis gagné un large terrain et reflète à la fois la réticence
des grandes puissances à intervenir dans des conflits loin de chez eux à moins de
percevoir un intérêt direct pour le faire et a été rendu facile par la suppression
des obstacles de la guerre froide pour les initiatives régionales.

En Afrique, la pratique consistant à déléguer la responsabilité de la


prévention des conflits, sa gestion et sa résolution se manifeste dans deux ten-
dances normatives. La première, la sous-traitance des opérations de l'ONU aspi-
rées par les organisations régionales, a entraîné un certain nombre d'interven-
tions en Afrique occidentale et centrale, avec des résultats mitigés.
L’approbation tacite de l'ONU accordée à certains groupes d'États, pas néces-
sairement de l'intérieur de la région touchée, d'intervenir sans avoir obtenu
176

l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies, est une deuxième ten-
dance normative. Cette norme internationale émergente fut soulignée lors de
l'adresse de l’ancien secrétaire général Koffi Annan à l'Assemblée générale de
l'ONU en septembre 1999, quand il a contesté les interrogatoires des interven-
tions qui n’étaient pas sanctionnées par l'organisme mondial en introduisant
l'idée d'un droit d'intervention humanitaire: si, dans ces jours sombres et les
heures précédant le génocide, une coalition d'Etats avait été préparée à agir en
défense de la population tutsi mais n'a pas reçu l’autorisation rapide du Conseil
de Sécurité , n’aurait t’elle pas pu empêcher l’horreur déplorable de nos
jours ?230 La présente approbation publique de l'ONU , couplée avec la recon-
naissance croissante, fortement soulignée dans le rapport Brahimi231 publié en
août 2000 estimant que l'ONU ne devrait entreprendre des missions de paix à
moins qu'elle puisse mobiliser les ressources nécessaires à leur mise en œuvre,
ont donné un nouvel élan non seulement à la sous-traitance régionale, mais aussi
à la naissance des « coalitions de volontaires » ; des coalitions ad hoc des Etats
formées à prendre des mesures en réponse à une menace particulière en question
ou à la sécurité . La norme de « coalitions de volontaires » a sanctionné une
vaste gamme d'interventions : de l'intervention de l'OTAN en Yougoslavie, à
l'opération « Enduring Freedom » en Afghanistan, en réponse aux attentats du
11 septembre 2001 aux États-Unis, ainsi que de l'alliance qui envahit et renversa
Mobutu et l'intervention de la SADC menée au Congo pour soutenir Kabila.

Les guerres du Congo constituent la preuve des dangers multiples


dans ces nouvelles normes. L'écart entre le caractère « neutre, strictement huma-
nitaire » et la poursuite des objectifs stratégiques du mandat de l'opération Ar-
témis au Congo en ce que la mission a accompli sur le terrain en est un exemple
flagrant comment certains sous-traitants peuvent profiter de l'occasion pour se
voiler en « UN bleu » et poursuivre leurs propres programmes nationaux. Et les
coalitions de volontaires, lorsqu'ils sont puissants, combattant en face des ar-

230 UNITED NATIONS, Two Concepts of Sovereignty: UN Secretary-General Address to the 54th session of the United Na-
tions General Assembly, New York. 20 September, 1999.
231 UNITED NATIONS, Report of the Panel on United Nations Peace Operations, A/55/305-S/2000/809. 23 August, 2000.
177

mées déterminées, comme dans les guerres du Congo, celles-ci se traduisent


tout simplement dans des grandes guerres.

On peut cependant relever une troisième tendance normative, qui


est la norme de la paix mondiale libérale, qui trouve ses racines dans la logique
kantienne sur le caractère pacifiste des républiques constitutionnelles. La paix
libérale suppose que les démocraties libérales ne se combattent pas pour deux
raisons : elles commercent avec les autres et sont donc plus interdépendantes, et
elles partagent les mêmes valeurs civiques et contraintes constitutionnelles et
donc ont des populations moins enclins à la guerre intérieure232 . Bien que cette
idée ait été largement critiquée233 , la norme de la paix libérale a été adoptée
pour sa simplicité et sa propagande potentielle que par l’existence d’une quel-
conque logique causale ou la preuve entre la paix et la démocratie. Cependant, la
théorie a été vigoureusement promue par les États-Unis par le biais des canaux
bilatéraux et institutions multilatérales. Ce qu'on appelle le consensus de Was-
hington ou le consensus libéral encourage la privatisation, l'esprit d'entreprise, la
libéralisation des marchés et la libre circulation des marchandises et des capi-
taux. Comme Duffield le souligne cependant, les mêmes forces qui animent la
paix libérale sont les mêmes qui conduisent également les guerres libérales234.
Les guerres dont la violence repose de plus en plus dans les mains privées, des
milices armées mercenaires et des sociétés militaires privées ; et dans lesquelles
une toute nouvelle classe d'entrepreneurs internationaux voit le jour au nom de
l'aide humanitaire internationale, des entrepreneurs organisés dans des réseaux
mondiaux de l'extraction illégale des ressources et de trafic d'armes235.

Cette hégémonie libérale--dans l'économie mondiale et dans les ef-


forts mondiaux pour la paix et la sécurité, peut aider à expliquer les processus et les
interactions qui ont construit des réseaux de la guerre du Congo en aidant à créer et

232 DOYLE, M, op.cit.


233 GOWA, J. and FARBER, H., Ballots and Bullets: The Elusive Democratic Peace, Princeton University Press, Princeton, 2000.
234 DUFFIELD, M., op.cit, p.46.
235 SINGER, P.W, Corporate Warriors: The Rise of the Privatized Military Industry, Cornell University Press, New York, 2003.
178

développer des réseaux commerciaux et en faisant pression sur les États de la ré-
gion. De plus, les entreprises internationales sur les marchés mondiaux sont pro-
fondément complices de perpétuer les économies de guerre, car ils sont souvent les
principaux nœuds de ces réseaux. Ils fournissent des biens et des services et offrent
des débouchés aux autorités gouvernementales belligérantes, rebelles et seigneurs
de guerre qui, sans ces sociétés, n'auraient ni les capitaux étrangers nécessaires
pour financer une guerre, ni l'incitation de bénéfices pour la soutenir.

Il est clair que ces guerres complexes exigent des approches diffé-
rentes, mais il est également clair que les efforts internationaux visant à les ré-
soudre continuent à les voir à travers les lentilles classiques. La première étape
pour résoudre ces conflits prolongés, est donc, de reconnaître son caractère
transfrontalier et sa nature en réseau. Il s'agit à la fois des guerres civiles, des
conflits interétatiques ; les réseaux qui les soutiennent, n’existent pas non seu-
lement pour piller des ressources, mais à faire valoir de nouvelles revendications
politiques, en participant directement dans la constitution de structures poli-
tiques et des relations sur le terrain.
179

TROISIEME PARTIE
INTERVENTION ONUSIENNE EN RDC :
STRATEGIES, APPROCHES ET DILEMMES
DE LA RECONSTRUCTION DE L’ETAT

Nous allons dans cette partie analyser en détails les stratégies, les ap-
proches choisis par la Monuc d’abord puis la Monusco plus tard pour résoudre le
conflit en RDC et les dilemmes auxquels les Nations Unies ont été confrontées.
En effet, les Etats du monde plus précisément encore ceux du Nord et ceux ayant
de l’influence au Conseil de Sécurité de Nations Unies, sont généralement con-
frontés à un dilemme avant de décider de leur participation au sein des missions
dites humanitaires. Ils doivent faire un choix entre la poursuite des objectifs pu-
rement humanitaires ou ceux des intérêts stratégiques de leurs Etats respectifs.

Les challenges sont les défis à relever par l’intervention pour éviter
que l’Etat cible ne puisse retomber dans la même situation pré-intervention. Il
s’agit ici d’apporter l’aide humanitaire, de faire cesser les hostilités, de changer
le régime pour certains pays comme la Lybie, l’Irak ou encore l’Afghanistan et
le plus important reconstruire l’Etat et la nation.
180

CHAPITRE PREMIER
STRATEGIES ET CONTEXTE GENERAL
DU DEPLOIEMENT ONUSIEN

Nous avons montré dans les pages précédentes que les guerres con-
golaises ont été des plus complexes de notre temps qui ont conduit à des souf-
frances terribles de la population et qui ont impliqué un plus grand nombre des
Etats dans le conflit.

Pour comprendre comment la RDC émerge de ce désastre il est cru-


cial d’examiner l’intervention internationale conduite pour appuyer le processus
de paix. En effet, Les diplomates onusiens, européens et africains ont supervisé
les négociations de paix d’Arusha conduisant à la fin de la guerre. L’accord de
paix exigeait la mise en place d’un cessez- le- feu et le déploiement d’une force
de maintien de la paix de l’ONU. De Juin 2003 à Décembre 2006, la mission de
l’Onu au Congo était devenue la plus large au monde.

Pendant la transition, l’ONU a exercé une forte influence en RDC.


Pour la première fois dans l’histoire, l’accord de paix a permis de créer une struc-
ture spécifique, le comité international d’accompagnement à la transition dont
l’objectif fut d’institutionnaliser le rôle des acteurs internationaux dans
l’implémentation de l’accord de paix. Ainsi, la réunification du pays a été rendue
facile, les différents mouvements rebelles ont intégré le gouvernement d’union na-
tionale et le pays commença à se préparer pour les élections démocratiques. Dans
certains endroits du pays, seules les troupes onusiennes étaient à mesure d’assurer
la protection de la population ; l’influence internationale fut tellement large que
certains observateurs considéreront le Congo comme étant un Protectorat.

Cependant, si la situation dans la plus part du pays est restée calme ;


les violences ont été observées dans l’Est du pays. Pendant la transition et plus
tard, on a assisté à des conflits armés entre différents groupes et milices condui-
181

sant aux massacres des civils, au déplacement des populations ainsi qu’aux vio-
lations des droits de l’homme. Jusqu’en 2009, le Congo a continué à traversé
une crise humanitaire sans précédent. Pour l’ONU, près de 2 millions des congo-
lais vivent comme des personnes déplacées à l’intérieur du pays, et plus de
360,000 sont devenues des refugiés dans les pays voisins236.

Au moment de la rédaction de ce travail, cette violence persiste


dans l’Est du pays ; les forces dites négatives continuent à terroriser les popula-
tions civiles et des combats sont observés entre les FARDC et les groupes dites
négatifs ; combats qui ont de nouveau conduit plus de 5,000 personnes à fuir
leurs domiciles, créant de nouveau une autre crise humanitaire237.

En outre, les élections présidentielles et législatives de Novembre


2011, ne sont pas parvenues à fédérer le pays et légitimer les nouvelles autorités.
En effet, de l’avis de tous les observateurs (fondation Carter, UE, ONGs Congo-
laises238), ces élections ont été entachées de plusieurs irrégularités. Contraire-
ment à la Côte d’Ivoire, la Monusco n’a pas certifié les résultats des élections.
Les autorités issues de ces élections sont donc contestées par une partie de la
population congolaise notamment Etienne Tshisekedi, qui s’est autoproclamé et
qui se considère à ces jours comme le seul président élu de la RDC. Il faut aussi
signaler la position de l’église catholique, par la voix de son chef, le Cardinal
Mosengwo qui pour lui, c’est Tshisekedi qui a été élu président de la république.
Dans cette liste , il faut y ajouter les congolais de la diaspora unis sous le titre de
« combattants », qui refusent de reconnaitre les nouvelles autorités et qui se sont
lancés dans des pratiques violentes, en interdisant tous ceux qui sympathisent
avec le pouvoir actuel en RDC (politiciens, ministres, pasteurs, musiciens…) de
voyager à l’étranger sous peine des représailles ; comme ce fut le cas de
l’agression physique contre le président du Sénat Léon Kengo au mois de dé-
cembre 2011 à Paris.

236 UN High Commissioner for Refugees, Country Operations Profile, http://www.unhr.org/cgi-


bin/texis/vtx/page?=49e45c366, accessed November 7 2011.
237 France24, Dimanche 6 Mai 2012.
238 UE, Rapport final de la mission d’observation électorale en RDC 2011.
182

Ce travail va essayer de comprendre pourquoi les efforts internatio-


naux de maintien de la paix y compris la plus large mission de la paix de l’ONU
échouent, ou mieux ne parviennent pas à maintenir une paix durable et relever le
défis de la reconstruction en RDC.

SECTION 1. CHOIX DE LA STRATEGIE

L’échec de la communauté internationale de maintenir la paix et la


sécurité en RDC n’est pas un cas unique. Nous avons dans l’introduction de ce
travail relevé le fait que les conflits militaires post-guerre froide ont été des
guerres civiles et qui ont abouti par des accords de paix. Malheureusement dans
la plus part des cas, ces Etats replongent vite dans les conflits. Les études ré-
centes ont donc montré que les raisons de ces échecs sont liées à l’ignorance et
au rejet de résoudre des conflits locaux.

En RDC, les antagonismes locaux ont eu des répercussions au plan


national et régional. Les tensions entre les congolais d’origine rwandaise et les
autochtones dans le Kivu est un exemple plus qu’évident de la manifestation de
cette dynamique des conflits.

Ces antagonismes sont à la fois antérieurs à la colonisation mais ont


aussi été amplifiés par la même colonisation qui a permis aux rwandais de
s’installer dans le Kivu depuis les années 1930, générant des conflits fonciers,
économiques et politiques entre différents villages en opposition aux nouveaux
arrivants. Ces conflits ont escaladé au niveau national lors de l’indépendance en
1960 ; chacun des camps envoyant ses représentants au parlement pour défendre
ses intérêts. Ces tensions causèrent des violences massives bien avant les guerres
des années 1990. Le génocide Rwandais de 1994 avec pour conséquence
l’arrivée des milliers des refugiés au Kivu ajouta une dimension régionale à la
crise. Les congolais Tutsis s’allièrent avec le gouvernement rwandais alors que
les autochtones s’allièrent avec les rebelles Hutus et le gouvernement congolais.
183

Ces tensions locales dans le Kivu conduiront aux violences plus larges au niveau
national et régional.

Après la fin officielle de la guerre en 2003, les mêmes tensions lo-


cales ont continué et ont paralysé les provinces du Kivu. Au Nord Kivu, les Maï-
Maï sont restés alliés au gouvernement congolais et aux miliciens Hutus et ont
combattu les Tutsis congolais en vue de consolider leur suprématie et contrôle
sur le pouvoir économique et politique. Ces violences opposeront indirectement
les Hutus et Tutsis sur le territoire de la RDC, la présence des miliciens Hutus
génocidaires au Congo reste le premier obstacle à la paix dans la région.

De manière générale, pendant la transition, l’ONU est parvenue à


imposer la paix au niveau régional et national ; mais a échoué de faire pareil au
niveau local. Les rivalités locales ont joué et continuent à jouer un rôle impor-
tant dans la déstabilisation locale, nationale et régionale. Ces rivalités opposent
des villages, des chefs traditionnels, des leaders ethniques contre d’autres sur
des revendications foncières, l’exploitation des ressources naturelles, occupation
de la sphère politique ainsi que sur le statut social des groupes et individus.

Les hommes politiques congolais et régionaux continuent à mani-


puler les leaders locaux et les milices locales pour leurs intérêts personnels.
Pendant ce temps, l’ONU a continué à unifier et légitimer le leadership par les
élections. Les chefs de guerre ont accepté d’intégrer l’armée nationale, et les
hommes politiques se sont engagés dans le processus électoral. Ces efforts ont
de manière temporaire impacter sur les conflits locaux et ont rédui les tensions
et violences locales.

Malheureusement, comme nous allons le montrer dans les pages


suivantes, étant donné que les causes du conflit en RDC étaient distinctivement
aussi locales, la paix ne pouvait donc être possible et définitive qu’en combinant
la résolution locale de ces conflits avec la recherche des solutions au niveau na-
tional et régional. Ces conflits locaux nécessitent une approche locale dans leurs
184

résolutions en plus de l’approche nationale et régionale. C’est ici que l’ONU a


largement échoué dans la recherche de la paix en RDC ; l’intervention interna-
tionale n’a pas essayé de résoudre des disputes foncières ou autres en vue de re-
construire les institutions locales, faciliter la réconciliation entre des villages ou
communautés.

Le cas de la RDC est représentatif du problème général avec les in-


terventions Onusiennes. Les Nations Unies négligent la résolution des causes
locales des conflits. Au moment de la rédaction de ce travail, aucune mission
onusienne de maintien de la paix dans le monde n’a implanté un programme des
résolutions des conflits locaux239. Pourquoi alors négliger les tensions locales
dans le processus de paix alors qu’elles menacent directement toute tentative de
recherche de la paix au niveau régional et national ?

Notre argumentation est que les opérations d’intervention humani-


taires des Nations Unies sont guidées par un ensemble d’idéologies, des règles, des
rituels, des définitions ainsi que des paradigmes. Cette culture établit les paramètres
d’une action acceptable ; exclut la résolution des conflits locaux et se concentre sur
ce qui leur semble naturel, l’action au niveau régional et national conduisant à
l’organisation des élections. Cette culture rend facile le travail des diplomates in-
ternationaux en ignorant les conflits locaux lesquels sont en réalité la cause pre-
mière de la production de la violence au niveau national et régional.

§1. Explications conventionnelles de l’échec du rétablissement de la


paix par la Monusco en République Démocratique du Congo

Depuis le début des années 1990, il existe une large série de littéra-
ture sur le processus de paix et différents auteurs ont analysé notamment la
phase d’implantation après la signature des accords de paix. Ces études ont lar-
gement contribué à notre compréhension théorique de ce qui détermine
l’implication internationale au stade de l’implantation du processus, quels sont

239 Communication personnelle avec les officiels des missions de maintien de la paix de l’ONU, New York, Février 2011
185

les dilemmes rencontrés et quel type d’intervention peut mieux fonctionner et la


quelle ne peut pas fonctionner240. Cependant, ces récits réduisent l’étude de
l’implication internationale aux seules missions de maintien de la paix. Ces
études ne tiennent pas compte de l’influence des autres formes de l’intervention
internationale, comme le rôle des diplomates, l’intervention économique et le
rôle joué par les autres acteurs de l’humanitaire. Enfin, ces études se focalisent
sur les variables nationaux et régionaux, par exemple le niveau de violence, les
intérêts des grandes puissances ou la capacité nationale à reconstruire la paix en
ignorant les causes locales du conflit.

Ces études suggèrent deux explications aux échecs du rétablisse-


ment de la paix. Premièrement, la communauté internationale est soumise aux
contraintes politiques, économiques, légales, sécuritaires qui l’empêchent de
traiter de manière adéquate les causes réelles de la guerre241. Ces contraintes im-
pliquent l’existence d’un niveau élevé d’hostilité et une absence de volonté pour
la paix, l’existence des Etats et réseaux hostiles à la paix, la présence des res-
sources naturelles facilitant le financement de la guerre et l’enrichissement per-
sonnel, la faiblesse même des institutions de l’Etat et ses manques de légitimité ,
le manque de crédibilité des intervenants, l’ambigüité ou la confusion du man-
dat, l’impératif de respecter la souveraineté de l’Etat…

Deuxièmement, les grandes puissances et les puissances régionales


n’ayant pas d’intérêts nationaux, ne vont dès lors pas s’impliquer et ne fourni-
ront pas des ressources adéquates pour mettre fin à la guerre et rétablir la paix242.

Ces explications basées sur les contraintes et intérêts nous permet-


tent de saisir le niveau effectif de l’implication internationale dans la résolution
des conflits. Cependant, elles nous fournissent peu d’explication théorique sur le

240 DOYLE, M. and SAMBANIS, N., Making War and Building Peace: United Nations Peace Operations, Princeton Uni-
versity press, Princeton, 2006; Stedman S, Rotchild D, and Cousens E (eds), Ending Civil Wars: The implementation of
Peace Agreements, Lynne Rienner Publishers, Boulder, 2002.
241 ZARTMAN, W., Ripe for Resolution: Conflict and Intervention in Africa, Oxford University Press, Oxford, 1989.
242 DOWNS, G. and STEDMAN, S., “Evaluation Issues in Peace Implementation”, in Stedman and al (eds), Op-cit, pp.43-69.
186

pourquoi et comment l’existence de ces contraintes et intérêts conduit les acteurs


internationaux à prioriser certaines stratégies du rétablissement de la paix, telle
que l’organisation des élections, au détriment des autres comme la résolution des
conflits locaux.

§2. Inadéquation des explications conventionnelles

De manière générale, l’explication suggérée sur la négligence par la


communauté internationale des conflits locaux en RDC est que les grandes puis-
sances n’ont pas d’intérêts nationaux majeurs au Congo ; ce manque d’intérêts
constitue une contrainte qui a limité toute action potentielle au niveau local. En
rapport avec cette explication, lorsque pendant nos interviews nous demandions
pourquoi la Monusco n’a pas résolu les conflits locaux, les diplomates ont esti-
mé que la Monusco ne dispose pas de moyens humains et financiers adéquats ;
l’existence des contraintes organisationnelles, sécuritaires les contraignent de
mieux faire leur travail. Ils ont estimé que les casques bleus n’étaient pas en
grand nombre pour couvrir l’immense territoire congolais et ne suffiraient même
pas pour les seules provinces instables du Congo.

Cette analyse est certes correcte. Cependant, elle nous semble ina-
déquate car la Monuc puis la Monusco après, disposent des ressources humaines
et financières signifiantes et une bonne partie de ces ressources pouvait bien ser-
vir aux résolutions des conflits locaux ; en implantant des projets locaux de ré-
conciliation, comme par exemple la construction des marchés, des écoles, des
centres de santé, qui peuvent rétablir des liens sociaux et commerciaux entre
deux communautés en conflit. En plus, il y avait moyen de reconstruire des mé-
canismes sociaux comme les institutions judicaires locales pour des résolutions
pacifiques des conflits. Enfin, la Monusco pouvait faire accompagner ses mili-
taires d’un spécialiste, un anthropologue par exemple pour analyser les causes
réelles des tensions sur le terrain et proposer des solutions comme l’a fait
l’armée américaine en Iraq et Afghanistan.
187

Il y a ici donc lieu de chercher à mieux comprendre pourquoi la


Monusco interprète le manque des moyens financiers et humains comme con-
trainte l’ayant empêcher d’adresser les conflits locaux. Nous allons montrer que
cette négligence est liée à la présence d’une culture dominante au sein des mis-
sions de la paix.

La théorie néo-réaliste, néolibérale ainsi que la théorie des organi-


sations nous servent de guide pour expliquer que les acteurs internationaux igno-
rent généralement les conflits locaux dans la recherche de la paix.

Si on considère que la négligence d’adresser les conflits locaux au


Congo est liée au fait que la Monusco manquait de volonté réelle de mettre fin
aux violences ; cette explication ne tient pas. Il est certes vrai qu’aucune grande
puissance n’a d’intérêts nationaux majeurs au Congo, mais le nombre des sol-
dats et le budget de la Monusco montre l’existence des intérêts humanitaires et
géostratégiques parmi les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU. En com-
paraison avec l’intervention onusienne au Rwanda en 1994, l’ONU justifia son
retrait par la permanence d’une violence soutenue sur le terrain. Si l’ONU était
de manière similaire désintéressée à mettre fin à la violence au Congo, les na-
tions unies pouvaient donc simplement se comporter comme au Rwanda en se
retirant. L’ONU a tout fait pour empêcher que le conflit en RDC puisse être
transporté dans les pays voisins. En outre, il est de l’intérêt de l’ONU de pacifier
le Congo pour préserver sa crédibilité en rapport avec le maintien de la paix.
Laisser le Congo s’effondrer serait considérer comme un fiasco pour sa plus
large et couteuse mission de nos jours... Plus important encore, après le succès
de l’opération Artémis que nous avons analysée dans la deuxième partie de ce
travail qui a été considérée comme un succès, le redéploiement de l’ONU dans
l’Ituri fut considéré comme un test sur sa capacité à conduire une opération sous
son unique commandement et pas sous la direction d’un Etat spécifique comme
ce fut le cas dans le passé.
188

Une autre explication de la négligence des conflits locaux serait que


la Monusco considère la résolution des conflits locaux comme relevant des af-
faires internes du Congo et par conséquent de l’exclusive compétence d’un
Congo souverain. Cette explication pose problème. En effet, pendant la transi-
tion il y avait moyen de s’interroger si le Congo était encore un Etat souverain,
si on se réfère à la façon dont l’ONU s’est impliquée pour <<réussir>> la transi-
tion. Prenons pour exemple le fait que l’ONU ait supervisé la rédaction de la
constitution, une matière relevant exclusivement de la souveraineté des Etats au
dessus de toute autre. Pourquoi alors considérer les conflits locaux comme rele-
vant de la souveraineté du Congo, alors que la constitution ne l’est pas. Une fois
de plus, la culture Onusienne considère les conflits locaux comme de moindre
importance en comparaison avec les conflits nationaux et internationaux.

La troisième explication de cette négligence serait que, l’ONU


poursuivait quelques objectifs spécifiques et limités au Congo, avec les élec-
tions comme point d’achèvement. Au Congo, les élections ont mis un terme à la
transition. Cette analyse est correcte mais explique seulement la stratégie de cer-
tains acteurs internationaux. Les Etats les plus actifs pendant la transition qui
sont la Belgique, la France, le Royaume Uni, l’Afrique du Sud et les USA ont
voulu non seulement mettre en place un gouvernement internationalement re-
connu mais aussi donner une chance à la paix pour garantir leurs opportunités
des affaires et protéger leurs gouvernements alliés dans la région. Ainsi, comme
le Congo est un test pour l’ONU, ces Etats ont réalisé que stabiliser la RDC est
d’une importance capitale pour l’organisation.

Enfin le département des opérations de maintien de la paix de


l’ONU a estimé qu’il existait une chance de succès sans s’impliquer dans la ré-
solution des conflits locaux. Il était dans l’intérêt de l’organisation de laisser de
côté les conflits locaux pour éviter de se retrouver dans la situation similaire à
celle de la Somalie d’il y a quelques années.
189

SECTION 2. RAPPORT ENTRE CULTURE ONUSIENNE ET LE CHOIX DE LA


STRATEGIE EN RDC

La culture est un objet social. Elle est selon Emanuel Adler243 un


objet qui dépasse les seules approches psychologiques, elle implique les routines
sociales, les pratiques, les discours, la technologie ainsi que les institutions. La
culture est aussi constituée des idéologies, des règles, des postulats et définitions
ainsi que des paradigmes244 pour exemple, la paix démocratique avec pour co-
rollaire l’organisation des élections.

Ce paradigme de la paix démocratique a conduit à la création des


agences et des départements pour l’assistance électorale au sein des plusieurs
organisations internationales ; Nations Unies, UE, fondation Carter…ainsi qu’au
sein des plusieurs ministères des affaires étrangères. Cette culture a largement
influencé l’intervention au Congo en considérant l’organisation des élections
comme l’élément principal de l’intervention Onusienne.

En outre, durant la transition, la culture dominante au sein de la


Monuc était celle de considérer le Congo comme étant en situation « post-
conflit ».Ce label considère que le Congo n’est plus en guerre. Son application a
conduit à la Monuc d’adopter un ensemble de stratégies y correspondant, straté-
gies qui à nos yeux n’étaient pas appropriées à la situation congolaise.

En plus, à la suite de Michael Barnett et Martha Finnemore245, nous


identifions un élément important faisant partie de la culture des Nations Unies :
l’ONU et les autres organisations impliquées dans le conflit en RDC, compren-
nent leur rôle comme étant exclusivement lié au rétablissement de la paix aux
niveaux régional et national. Cependant, l’approche organisationnelle de Barnett
et Finnemore s’attendrait plutôt à voir ces différentes organisations se compor-

243 ADLER, E., Seizing the Middle Ground: Constructivism in World Politics, European Journal of International Relations
3(3):319-363.
244 WEICK, K., sense making in Organisations, Sage Publications, Thousand Oaks, 1995, pp113-118
245 BARNETT, M. et FINNEMORE, M., Rules for the World: International Organizations in Global Politics, Corneil Uni-

versity Press, New York, 2004, pp334-337.


190

taient de manière différente. Il est inexplicable que différents acteurs avec des
identités distinctes, des cultures internes et des intérêts distincts puissent réagir
de manière similaire. De même, la théorie réaliste et le libéralisme, les deux ap-
proches standard des relations internationales, ne parviennent pas non plus à ex-
pliquer cette similarité de comportement pour les acteurs différents, ayant des
intérêts différents246.

Ainsi, il nous parait important de placer les sources de cette culture


dominante des organisations internationales au delà de ces organisations, au ni-
veau de la politique mondiale. A la suite de Roland Paris et de l’école sociolo-
gique de la politique mondiale, on peut traiter le monde comme une seule socié-
té afin d’identifier une culture globale distincte dominante sur la scène interna-
tionale247. Cette culture politique globale comprend les règles formelles et in-
formelles de la vie sociale qui définissent qui doivent être les acteurs principaux
de la politique mondiale, comment ces acteurs doivent-ils être organisés, et
comment doivent-ils se comporter. Avec la fin de la guerre froide, la culture
dominante sur la scène internationale est celle de la vénération de la démocratie
comme le système politique le moins mauvais avec pour corollaire
l’organisation des élections.

De ce qui précède, les éléments de cette culture encrés dans la men-


talité de ceux sensés reconstruire la paix au Congo, à savoir la Monusco, les
ONGs internationales et les Etats ; partagent des idées selon lesquelles la RDC
est un Etat dans une situation « post-conflit » et la négligence des conflits locaux
sont autant d’éléments qui ont poussé ces différents acteurs d’adopter des straté-
gies de reconstruction similaires.

246 BARNETT, M. et FINNEMORE, M., op.cit.


247 PARIS, R., Peacekeeping and the Constraints of Global Culture, European Journal of International Relations 9
(3):441-473.
191

CHAPITRE DEUXIEME
APPROCHE REGIONALE ET NATIONALE DANS
LA RESOLUTION DU CONFLIT EN RDC

Les praticiens et chercheurs intéressés sur les questions de la paix et


de la guerre partagent une approche similaire sur la question ; ils cherchent les
causes de la violence au niveau régional et national et se désintéressent des con-
flits locaux. Dans une analyse sur les conflits armés, Kalyvas démontre que
l’analyse sur les politiques de la guerre ne porte pas sur les populations ordi-
naires mais plutôt sur les élites : les gouvernements des Etats lorsqu’il s’agit des
guerres internationales, ou le gouvernement et les leaders rebelles dans les cas
des guerres civiles. Les conflits locaux apparaissent non importants et sont con-
sidérés comme la réplique de ce qui se passe au sommet248.

Cette approche top-down est en partie due à ce que Kalyvas appel


«urban bias », la déformation urbaine, car les études sur les guerres civiles sont
produites par les intellectuels urbains, en dépit du fait que ces guerres se dérou-
lent principalement dans les milieux ruraux. Du fait de la difficulté de récolter
des données de terrain dans le contexte des violents combats, les analystes sont
poussés à interpréter ces conflits de manière top-down249.

Depuis la fin de la guerre froide, les recherches sur les conflits eth-
niques ont renforcé cette tendance à expliquer la violence en se focalisant sur les
actions des élites. Il existe cependant des exceptions, certains chercheurs ont de-
puis longtemps recouru aux sources réelles des conflits pour analyser les
guerres250. Malheureusement, ces études n’ont pas encore permis d’expliquer les
raisons réelles de la poursuite de la violence. Durant nos recherches, les officiels
de la Monusco nous ont confirmé que les Nations Unies ne considèrent pas que
les conflits locaux puissent avoir un impact sur le plan national et régional.
248 KALYVAS, S., The Ontology of political Violence: Action and Identity in Civil Wars, Perspective on Politics 1 (3): 475-494.
249 Idem.
250 Ibidem.
192

L’idée que les violences locales, nationales et régionales peuvent avoir une inte-
raction semble être nouvelle dans le milieu international. C’est ainsi que les Na-
tions Unies adopteront une approche Top-down dans le problème congolais.

SECTION 1. TENSIONS NATIONALES ET REGIONALES

Nous analysons dans cette section l’impact des tensions nationales


et régionales sur le processus de paix en République Démocratique du Congo.

§1. Antagonismes nationaux

Signalons que pendant la transition, les acteurs internationaux et


congolais estimèrent que la persistance de la tension au sommet du gouverne-
ment était la cause principale de la continuation de la violence dans l’Est du
Congo. Car, l’accord de paix consistait au partage de pouvoir entre différents
groupes rebelles et autres seigneurs de guerre qui se sont fait la guerre pendant
des années, et dans ces conditions le partage de pouvoir et la confiance mutuelle
ne pouvaient qu’être défiés.

L’unification politique et militaire au sommet de l’Etat fut une uni-


fication de façade car chaque composante retenait une structure administrative et
militaire extra gouvernementale pour maintenir un contrôle territorial. Par
exemple, les antagonismes entre le RCD-Goma et Joseph Kabila conduiront à la
résistance de plusieurs groupes armés du Kivu d’intégrer l’armée nationale car
chaque partie voulant maintenir un contrôle séparé sur ses alliés dans l’option
éventuelle de la reprise des combats. Ce manque de confiance et la faiblesse
d’intégration militaire créeront une situation volatile notamment dans les terri-
toires contrôlés par les troupes affiliées avec différentes fractions ayant conduit
aux affrontements entre différents groupes.
193

Durant nos interviews, nous avons remarqué que les élites natio-
nales ont généralement instrumentalisé les conflits locaux dans les Kivu pour
occuper des positions politiques nationales. Signalons que les violences obser-
vées dans les Kivu pendant la transition, notamment les batailles de Bukavu en
Mai 2004, Kanyabayonga au Nord Kivu en Décembre 2004, Rutshuru au Nord
Kivu en Février 2006, Sake au Nord Kivu en Novembre 2006 ainsi la reprise des
combats en 2008 sous Nkunda Batware et plus tard encore par le M23, sont les
effets des leaders qui recourent à la violence pour poursuivre leurs propres inté-
rêts même s’il faille toujours garder à l’esprit que les revendications sécuritaires
rwandaises justifient d’une certaine manière le soutien que ce pays apporte aux
groupes rebelles (Nkunda et Ntangana) opérant sur le territoire congolais251.
Il faut en outre faire remarquer que pendant la transition , les trois principaux
protagonistes le RCD-Goma, le MLC ainsi que le gouvernement Kabila furent
tous divisés en deux fractions entre légitimistes voulant avancer dans la direc-
tion du processus de paix et des faiseurs de guerre voulant la continuité de la
guerre pour garder leurs positions. Cette situation a eu pour conséquence la
souffrance de la population locale car les différents groupes armés recouraient à
la violence pour obliger des villages entiers à les soutenir ou pour punir ces vil-
lages qui soutiennent des groupes opposés.

En outre, les violences entre différents villages sont l’effet de la mobi-


lisation des entrepreneurs ethniques dont le premier d’entre eux est le feu président
Mobutu252. Au début des années 1990, Mobutu fut face à trois développements ma-
jeurs qui ont mis en péril son pouvoir : Premièrement, l’aide financière internatio-
nale fut réduite suite à la fin de la guerre froide ; deuxièmement les revenus finan-
ciers internes ont sensiblement diminué à cause de la crise économique ; et enfin il
faisait face aux pressions occidentales pour déclencher le processus de démocrati-
sation. Ainsi, selon Vlassenroot, Mobutu et ses amis décidèrent d’exacerber les ten-
sions ethniques pour se maintenir au pouvoir en recourant au principe des « origi-

251BBC : Rwanda supporting DR Congo mutineers, Monday , 28 May 2012.


252 WILLAME, J.C., Banyarwanda et Banyamulenge: Violences Ethniques et Gestion de l’identitaire au Kivu, Institut
Africain –CEDAF, Bruxelles, 1997, pp.62-68.
194

naires » qui stipulait que toutes les positions de pouvoir pour des élections à venir
devraient revenir aux originaires des régions concernées253.

Cette nouvelle stratégie de patronage causa des instabilités massives


spécialement dans les provinces du Katanga et celles du Kivu. Dans le Katanga,
cette stratégie fut mise en place par le leader <<nationaliste>> Kyungu wa
Kumwanza qui, ordonna à tous les Kasaiens de quitter le Katanga. On assista à
une véritable épuration ethnique et à ces jours on continue de s’interroger sur la
qualification exacte de ces actes.

En effet, depuis plus d'un siècle, une importante communauté origi-


naire des provinces des Kasaï s’était installée au Katanga pour construire, à
l’appel des autorités coloniales Belges, le chemin de fer et travailler dans les
mines. A l’exception de la période de Sécession (1960-1963) les deux commu-
nautés avaient toujours vécu en paix.

Toutefois, sous le régime du Président Mobutu, les Katangais se


sentaient politiquement marginalisés et reprochaient aux Kasaiens d’occuper
trop d’emplois et de postes de direction, notamment dans la principale société
minière, la Gécamines. Après la libéralisation politique du régime, la plupart des
délégués Kasaiens et katangais à la Conférence nationale souveraine se sont re-
groupés au sein de la plate-forme de l’Union sacrée de l’opposition pour obtenir
le départ du Président Mobutu du pouvoir. En novembre 1991 cependant, le Pré-
sident Mobutu a obtenu des délégués katangais de l’Union des fédéralistes et ré-
publicains indépendants (UFERI) qu’ils rompent avec la principale composante
de l’Union sacrée, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) diri-
gée par Étienne Tshisekedi.

253VLASSENROOT K, The Promise of Ethnic Conflict: Militarization and Enclave Formation in South Kivu, in Conflict and
Ethnicity in Central Africa, 2000, pp 59-109.
195

Suite à ce changement d’alliance, le président national de l’UFERI,


Nguz Karl-i-Bond, est devenu Premier ministre, le président provincial du parti,
Kyungu wa Kumwanza, a obtenu le poste de Gouverneur du Shaba et les rapports
entre Kasaiens et Katangais se sont alors fortement dégradés. Tandis qu'à Kinsha-
sa, Étienne Tshisekedi et Nguz Karl-i-Bond s’affrontaient pour le contrôle de la
CNS, au Shaba, le Gouverneur Kyungu wa Kumwanza a commencé à diaboliser
l'UDPS et ses partisans. Comme l’UDPS était très populaire chez les Kasaiens du
Shaba et qu’Étienne Tshisekedi lui-même était originaire du Kasaï oriental, le
conflit politique entre l’UFERI et l’UDPS a pris une coloration tribale.

Pendant des mois, Kyungu wa Kumwanza a accusé les Kasaiens de


s’opposer au gouvernement de Nguz Karl-i-Bond afin de pouvoir continuer à
dominer les Katangais. Il les a rendus responsables de la plupart des problèmes
de la province et a appelé les Katangais à les expulser. A son instigation, de
nombreux jeunes katangais se sont engagés dans la jeunesse de l’UFERI, la JU-
FERI, où ils ont suivi une formation paramilitaire inspirée des rites Mai-Mai.

Les premières attaques des miliciens JUFERI contre des civils Ka-
saiens ont eu lieu fin 1991-début 1992 dans les villes de Luena, Bukama, Pweto,
Kasenga, Fungurume et Kapolowe.

Au cours du premier semestre 1992, Kyungu wa Kumwanza a écar-


té de nombreux Kasaiens des tribunaux, du secteur de l’enseignement, des hôpi-
taux, des entreprises publiques, des associations sportives, des médias d'État et
de l'administration.

Dans plusieurs villes, les commerçants Kasaiens n'ont plus eu accès


aux marchés publics et dans de nombreux endroits, la JUFERI a interdit aux Ka-
saiens de cultiver la terre. Le 15 août 1992, après l’élection d’Étienne Tshisekedi
par la CNS au poste de premier ministre, la tension est montée d’un cran. À Lu-
bumbashi, la JUFERI a pillé des maisons appartenant à des Kasaiens avant
d’être maîtrisée par les FAZ [Forces armées zaïroises] aux termes
196

d’affrontements meurtriers. Au cours des jours suivants, Kyungu wa Kumwanza


et Nguz Karl-i-Bond ont accusé les Kasaiens d’avoir insulté les Katangais lors
des manifestations organisées pour fêter l’élection du chef de l’UDPS à la pri-
mature. Comparant les Kasaiens à des insectes « Bilulu » en swahili, ils ont ap-
pelé la population katangaise à les éliminer.

Dès le mois d'août 1992, la JUFERI a attaqué des Kasaiens à Lue-


na, Kamina, Kolwezi, Sandoa et Likasi. Entre septembre et novembre 1992, la
JUFERI a mené, avec la complicité des autorités locales et provinciales, une
campagne de persécution et de déplacement forcé contre les Kasaiens de Likasi.
Les violences ont fait des dizaines de victimes parmi les civils, entraîné le pil-
lage de centaines d’habitations et causé la destruction de nombreux bâtiments
parmi lesquels des lieux de culte. En quelques mois, près de 60 000 civils, soit
près de la moitié de la population kasaienne de Likasi se sont réfugiés dans la
gare et dans les athénées dans l'attente d’un éventuel retour au calme ou d'un
train pour quitter la ville.

Au cours de la même période, la JUFERI a mené des attaques simi-


laires, bien que de moindre ampleur contre les Kasaiens vivant dans la ville mi-
nière de Kipushi.

Le 20 février 1993, lors d’une réunion organisée sur la place de la


poste de Kolwezi, le Gouverneur Kyungu wa Kumwanza a appelé les Katangais
à chasser les Kasaiens de la Gécamines et à prendre les postes de direction de la
compagnie. A partir du 20 mars 1993, les miliciens de la JUFERI ont organisé
avec le concours de la gendarmerie et la complicité des autorités municipales et
provinciales une campagne de persécution et de déplacement forcé contre les
Kasaiens de Kolwezi.

Pour l’ONU, les multiples actes de violence perpétrés à l’encontre


des Kasaiens à compter de Mars 1993 offrent l’exemple type des crimes contre
l’humanité commis en dehors d’un conflit armé. Plusieurs actes énumérés dans
197

la définition des crimes contre l’humanité ont été perpétrés à l’égard des Ka-
saiens: le meurtre, la déportation ou le transfert forcé de population, d’autres
actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes
souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique
et mentale. On trouve également les éléments essentiels de la persécution en tant
que crime contre l’humanité: les Kasaiens étaient un groupe identifiable dont les
membres ont été persécutés pour des motifs d’ordre politique et ethnique, vic-
times d’une virulente campagne antikasaienne lancée par les plus hauts respon-
sables politiques de la province à l’époque.

Les attaques lancées contre la population civile kasaienne étaient de


toute évidence généralisées et systématiques. Entre 1992 et 1995, la violence
s’est étendue à travers toute la province, touchant des milliers de victimes, ce
qui lui donne un caractère généralisé. Les attaques étaient également systéma-
tiques. Elles étaient orchestrées de manière calculée par les autorités militaires et
politiques.

L’étendue de la violence, l’organisation des trains pour la déporta-


tion des Kasaiens, la campagne antikasaienne de Lubumbashi, pendant laquelle
certains ont été chassés dans le cadre d’une « purification professionnelle », et la
multitude d’attaques individuelles tolérées ou organisées par les autorités sont
toutes des facteurs montrant le « caractère organisé des actes commis et
l’improbabilité de leur caractère fortuit » Finalement, les auteurs, en majorité
membres d’une milice issue de l’aile jeunesse d’un mouvement politique, à sa-
voir l’Union des fédéralistes et républicains indépendants (UFERI), la JUFERI,
étaient bien conscients que les actes commis s’inscrivaient dans la dimension
plus vaste d’une campagne antikasaienne lancée par leurs dirigeants politiques
qui allait se transformer rapidement en attaque systématique et généralisée
contre la population civile kasaienne254.

Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international hu-
254

manitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, Août 2010, p284
198

Dans les provinces des Kivu, Mobutu et ses alliés provinciaux en-
couragèrent les populations autochtones à s’opposer aux autres communautés
connus sous les noms de Banyarwanda et Banyamulenge. En effet, les Hutus et
Tutsis rwandais sont arrivés au Congo depuis des longues années suite à plu-
sieurs événements historiques : Premièrement bien avant la colonisation ; Deu-
xièmement durant la colonisation comme mains d’œuvre dans des plantations ;
troisièmement durant les années 1960 et 1970 lorsque des milliers des rwandais
traversèrent la frontière congolaise fuyant des massacres dans un Rwanda nou-
vellement indépendant. Dans l’histoire récente, le génocide rwandais de 1994 et
l’arrivé subséquente de prés de 2 millions des réfugiés et des groupes armés
dans les Kivu marque le point culminant de ces mouvements. Les antagonismes
persistants entre les autochtones et les ressortissants rwandais autour des ques-
tions foncières, nationalité, politiques …sont des causes majeures de la persis-
tance de la violence dans les Kivu. Les manipulations nationales des antago-
nismes ethniques profitent aux élites nationales en termes des pouvoirs poli-
tiques mais aussi économiques.

L’ituri est devenu un site des combats entre les armées rwandaise,
ougandaise et différents groupes congolais qui manipulent le conflit latent Hema
–Lendu ; l’entreprenariat ethnique est aussi dans le cas de l’Ituri la cause des
tensions locales.

Les acteurs régionaux et nationaux sont donc responsables de la


création et supervision des milices ethniques, conduisant à l’escalade de la vio-
lence et aux séries des massacres entre les groupes ethniques.

§2. Antagonismes régionaux

En plus des antagonismes nationaux, l’explication dominante de la


persistance de la violence fut la présence des acteurs étrangers se livrant aux
combats sur le territoire congolais. Au début de la transition, on pouvait remar-
quer la présence des militaires rwandais et ougandais au Congo surtout dans les
199

provinces du Kivu. Ces pays ont continué à soutenir des groupes armés au Con-
go notamment le CNDP de Laurent Nkunda et comme l’avait si bien confirmé la
Monusco, le M23 de Bosco Ntagana.

Une série d’explication dominante de la continuité de la violence et de


la présence étrangère en RDC consiste dans la poursuite des certains intérêts ma-
jeurs au Congo : la question de la sécurité des frontières en rapport avec les groupes
rebelles opérant à partir du territoire congolais, le désir d’exploiter les ressources
naturelles congolaises et enfin le désir du Rwanda de protéger des congolais Hutus
et Tutsis originaires du Rwanda, qui pour ce dernier expérimentent des discrimina-
tions et abus au Congo. Craignant un « génocide » des congolais de descendance
rwandaise, le Rwanda a toujours menacé de ré-intervenir au Congo si le gouver-
nement de Kinshasa ne parvient pas à protéger ces minorités.

La communauté internationale a toujours compris la préoccupation


rwandaise sur la protection des minorités rwandaises au Congo, mais elle estime
surtout que la question sécuritaire ainsi que les motivations économiques sont
les principales raisons de la présence Ougando-rwandaise en RDC. L’issue des
rebelles étrangers sur le territoire congolais est particulièrement préoccupante
surtout avec l’arrivée en 1994 des miliciens Hutus au Congo qui ont commencé
à collaborer avec divers groupes armés congolais manifestant clairement leur
désir de reconquérir le pouvoir au Rwanda. Le président Kagamé considère que
l’armée congolaise et la Monusco sont toutes incapables de sécuriser la frontière
rwandaise et de désarmer les rebelles.

Cependant, de l’avis de plusieurs experts militaires, les combattants


Hutus rwandais résidant encore au Congo sont peu nombreux et ne peuvent plus en
réalité poser un réel danger au Rwanda255. Le groupe rebelle a cessé d’attaquer le
Rwanda et s’infiltre de manière rare depuis son assaut majeur en 2001.

UNSC, Fourteenth to Twenty-Third Report of the Secretary-General on the United Nations Mission in the Democratic
255

Republic of Congo, UN, New York, 2003-2006a.


200

Il y a ici donc lieu de s’interroger sur la préoccupation sécuritaire


que le Rwanda avance toujours pour intervenir au Congo et son désir de voir ces
ex-miliciens retourner au Rwanda. Il apparait à nos yeux que le comportement
du Rwanda pendant la guerre de l’AFDL de 1996-1997 ainsi que son soutien
aux différents groupes rebelles congolais prouve que Kigali préfère
l’extermination de ces miliciens Hutus ou la continuité de leur présence au Con-
go. En effet, les maintenir hors du territoire rwandais c’est se rassurer que le
principal mouvement politique Hutu, le FDLR ne peut pas devenir un parti poli-
tique officiel au Rwanda, et de surcroit le principal parti d’opposition au régime
Tutsi. En maintenant les miliciens Hutus au Congo, Kagamé maintient le
Rwanda dans une situation de quasi-Etat en permanente guerre. Il peut donc res-
treindre les libertés publiques et même empêcher les partis politiques de fonc-
tionner normalement. Finalement, la présence des rebelles Hutus au Congo
fournit Kigali un excellent prétexte pour intervenir dans les Kivu afin de pour-
suivre d’autres intérêts tels que l’illégale exploitation des ressources congolaises
et la protection des minorités rwandaises.

L’Ouganda fournit les mêmes préoccupations sécuritaires pour jus-


tifier sa présence au Congo ; la présence des rebelles ougandais dans l’Ituri et au
Nord Kivu. Cependant, plusieurs diplomates interrogés estiment que la présence
ougandaise en RDC n’est pas liée aux rebelles mais à l’exploitation des res-
sources naturelles. En effet, les différents groupes rebelles étrangers opérant au
Congo constituent plus un danger majeur pour les populations congolaises que
pour leurs différents pays d’origine. Les rebelles du FDLR ont commis des hor-
reurs contre les communautés congolaises et sont aussi considérés comme une
menace permanente contre les Tutsis congolais. L’ONU considère ces rebelles
comme la principale source d’instabilité dans les Kivu pendant la transition 256.
Ils sont considérés comme des prédateurs qui exploitent les populations locales.
En outre, la nature dictatoriale du régime de Kigali, son manque de concession
contre les rebelles Hutus, laisse peu d’espoir pour ces derniers de retourner dans
leur pays ; ils savent qu’ils seront tués s’ils retournaient au Rwanda257.

UNSC, op.cit, 2003-2006a


256

Synergie Vie, Mémoire sur les Entraves au Rapatriement des Groupes Armés Hutu Etrangers dans le Kivu, Bukavu,
257

DRC, 2004.
201

Enfin, l’exploitation des ressources naturelles de la RDC est


l’explication la plus avancée pour justifier la continuité de la violence au Congo.
Cet argument a déjà fait l’objet de l’analyse dans la deuxième partie de cette
étude. Signalons que, le Congo constitue une réserve importante des matières
premières dont une grande partie se trouve dans les provinces du Kivu. Pendant
les différentes guerres, le Rwanda et l’Ouganda ont établi des monopoles dans
les zones sous leurs contrôles.

L’implication nationale et régionale dans l’exploitation des res-


sources naturelles a contribué à produire la violence de plusieurs manières : les
acteurs nationaux, étrangers et leurs alliés locaux se sont confrontés pour le con-
trôle des sites miniers. Ainsi, les combats furent observés dans les Kivu. Deu-
xièmement, l’exploitation des ressources naturelles a permis aux différents ac-
teurs de financer la guerre. Enfin, tous les groupes impliqués dans les conflits
ont recouru aux méthodes violentes contre les civils258.

En dépit de la persistance de la violence, la Monusco a interprété


cette situation comme la conséquence des tensions permanentes au sommet des
institutions. L’ONU a donc, dès la formation du gouvernement de transition,
considéré le Congo comme un Etat à situation <<post-conflit>>. Ce label permet
de considérer la RDC comme un Etat ne connaissant plus la guerre.

§3. RDC : un Etat « Post-conflit »

Le label « post-conflit » ainsi que les stratégies qui vont avec, fu-
rent appliqués au Congo vers la fin 2002 lorsque différents accords de paix fu-
rent signés. Pour l’ONU, le label post –conflit s’applique aux pays qui ont connu
des guerres et dès lors que ces guerres finissent, ils deviennent des Etats post-
conflits, comme le Congo.

Global Witness, Under-Mining Peace: The explosive Trade in Cassiterite in Eastern DRC, Global Witness, Washington
258

DC, 2005.
202

Cependant cette définition a des conséquences pratiques : les pays


comme la Belgique ont revu leurs priorités envers le Congo. Les préoccupations
économiques et politiques sont devenues prioritaires que celles de la sécurité. Le
Congo n’étant plus en guerre, l’ONU devait aussi revoir sa stratégie : passer no-
tamment du renforcement de la paix au maintien de la paix. Les ONG aussi
étaient soumises à adopter le langage nouveau dès 2003 alors que sur le terrain
les humanitaires assistaient aux combats entre différentes fractions. La RDC
était et continue à être en guerre mais la communauté internationale préfère con-
sidérer cette situation comme des crises, alors que des combats causent des mil-
liers des morts et de déplacements de plusieurs personnes.

Cette interprétation continue de nos jours en dépit des violences


auxquelles nous assistons, renforcée par une autre interprétation ; celle de consi-
dérer l’Est du Congo comme un environnement proche de celui défini par
Hobbes. En réalité et avec toutes les réserves de l’analyse, dans un passé encore
très proche, la situation du Congo n’était pas très éloignée de celle de la Soma-
lie. En effet, la grande partie de la Somalie se trouve en ces jours en paix et un
bon nombre de programmes de développement y prennent place comme dans le
Putt land et le Somali land ; par contre Mogadiscio la capitale est soumise à des
combats intensifs. Au Congo par contre, si la capitale et les provinces de
l’Ouest, du sud et du centre sont dans le calme, l’Est et le Nord-ouest demeurent
des zones des combats permanents.

Il est certes vrai que les tensions régionales et nationales ont large-
ment contribué à la poursuite de la violence, mais ces tensions ne sont pas la
seule explication. Cette vision « top-down » échoue de reconnaitre le rôle des
conflits décentralisés « bottom-up » autour des questions foncières, des res-
sources minérales, du pouvoir traditionnel, de la collecte des impôts et du statut
spécifique des différents groupes et individus. Cette nouvelle vision présente les
conflits locaux comme principaux cause de la violence. Les acteurs locaux sont
manipulés par les élites nationales et régionales.
203

§4. La Problématique du Léviathan

La communauté internationale considère la persistance de la vio-


lence au Congo surtout à l’Est comme un problème Hobbesien. La situation
dans l’Est est généralement comparée à l’anarchie envisagée par Thomas
Hobbes. Kalyvas ajoute que les guerres civiles sont la caractéristique de la fai-
blesse de l’autorité259.

Ainsi, la communauté internationale estime que les violences per-


sistantes dans l’Est du Congo sont la conséquence de la faiblesse de l’autorité de
l’Etat. Dans un rapport au Conseil de Sécurité de l’ONU en 2005, le Secrétaire
General identifie la faiblesse de la loi et de l’ordre comme les principales causes
à la base de la fragile situation sécuritaire au Katanga260. Plusieurs diplomates et
agents humanitaires déclarèrent pendant des interviews que les violences au
Congo sont liées à l’absence de l’Etat.

Cette analyse inclut des éléments convaincants. L’absence de


l’autorité de l’Etat est un obstacle majeur au maintien de la loi et l’ordre. Bien
avant sous Mobutu, l’Etat avait graduellement pris sa retraite dans plusieurs
provinces du pays. Recevant l’aide de l’étranger pour faire fonctionner les in-
dustries minières, Mobutu n’a pas recouru aux méthodes classiques de finance-
ment de l’Etat à savoir l’impôt. Pendant les années 80, il diminua le financement
des services publics tels que la santé, l’éducation ainsi que les infrastructures.
Plus grave, il déstabilisa les services sensés maintenir l’ordre qui sont la police
et l’armée. Cette retraite de l’Etat toucha tout le pays mais plus grave encore les
provinces de l’Est.

Pendant les années 90, peu de choses ont été faites pour rétablir
l’autorité de l’Etat. Les provinces de l’Est sont souvent sous le contrôle des
mouvements rebelles et groupes armés, les quelques rares services publics y

259 KALYVAS, S, op.cit, 2003, p.475.


260 UN Security Council, Nineteenth Report of the Secretary-General on the UN Mission in the DRC, New York, 2005.
204

existant sont financés par les ONG. Plus grave encore, les services d’ordre, la
justice, la police et l’armée sont quasi-inexistants. Là où ils existent les condi-
tions de travail sont lamentables, inexistence d’électricité, des moyens de com-
munication… dans tous les cas, de l’avis de tous les observateurs, au Congo les
agents de l’Etat sont plus intéressés à l’extorsion et à la corruption plutôt qu’à
fournir des services publics.

Cette situation ne s’est jamais améliorée même avec la fin officielle


de la guerre. Dans les Kivu on assiste toujours à l’existence des administrations
et structures militaires parallèles continuant à perpétuer l’absence de l’Etat sur-
tout dans les milieux ruraux. L’inefficacité et inefficience de la justice et de la
police font que partout au Congo, ces services ne jouissent pas de la crédibilité
auprès de la population. La police et la justice étant des instruments au service
des plus forts, nous renvoyant ainsi dans l’Etat de nature de Hobbes. Cette ab-
sence d’autorité conduira le ministre Belge des affaires étrangères à déclarer en
février 2005 que le Congo est un « Etat failli », failed state. Plusieurs années
plus tard, l’indice de la faiblesse des Etats continue à identifier le Congo comme
le troisième Etat failli dans le monde après la Somalie et l’Afghanistan261.

SECTION 2. APPROCHE REGIONALE ET NATIONALE EN QUESTION

La Monusco et tous ceux qui sont impliqués dans le conflit au


Congo ont focalisé leurs efforts dans la résolution régionale et nationale du pro-
blème. Les résolutions du Conseil de Sécurité ont insisté sur la nécessité exclu-
sive d’axer les efforts aux niveaux régional et national. Dans le quinzième rap-
port du Secrétaire Général au Conseil de l’ONU daté du mois de Mars 2004, il
recommande à la Monusco de centrer les efforts aux seuls niveaux supérieurs.
Dans son seizième rapport de Décembre 2004, le Secrétaire General de l’ONU
recommande à la Monuc d’aider le gouvernement à rédiger les textes législatifs
et organiser les élections crédibles262. Aucun de ces rapports ne mentionne
l’action au niveau local.

261 http://www.brookings.edu/research/reports/2008/02/weak-states-index, accessed 5 June 2012


262 Sixteenth Report of the Secretary-General on the UN Mission in the DRC, New York, 2004.
205

Deux raisons expliquent cette attitude. La Monuc considère la per-


manence de la violence comme un problème régional (par région ici il faut en-
tendre la région des grands lacs et non les provinces et villages) et national.
Deuxièmement, l’ONU considère son rôle comme exclusivement lié avec
l’intervention à ce seul niveau.

Pour l’ONU, étant donné que les tensions régionales et nationales


ont généré plus de violences, la résolution de ces dernières mettraient fin aux
violences, faciliteraient la réunification du pays, l’intégration de l’armée, la ré-
conciliation des leaders, le rétablissement de l’autorité de l’Etat et enfin
l’édification de l’Etat. Deuxièmement, les diplomates onusiens définissent leurs
rôles comme exclusivement liés au top niveau et non localement.

Cette tendance tire ses origines dans l’antiquité lorsque le rôle du


diplomate consiste à développer des bonnes relations avec le pays hôte. Il n’était
pas question de s’impliquer au niveau sub-national. Le développement du sys-
tème de la souveraineté des Etats avec pour principe de base la règle de la non-
intervention et codifié en 1648 au traité de Westphalie renforce cette tendance
des diplomates d’inter acter principalement avec les représentants de l’Etat. Il
est cependant vrai que beaucoup de chose ont changé en diplomatie (immunités,
privilèges, transmission des informations…) mais une caractéristique demeure :
les diplomates entretiennent des relations avec les gouvernements centraux et
par extension, avec les élites politiques263.

§1. Stratégie d’intervention Post-conflit

La vision régionale et nationale du problème est une règle standard


encrée dans la vision des Nations Unies, dans sa culture organisationnelle.
Comme on l’a déjà signalé, le Congo fut considéré dès 2002 comme un Etat
post-conflit. Ce label montre que la RDC était devenue un Etat normal, unifié,
avec une baisse de la violence et l’existence d’un gouvernement pouvant contrô-
ler le pays.

263NEUMANN, I, ″Returning Practice to the Linguistic Turn: The case of Diplomacy“, Millennium Journal of International
Studies 31(3):626-651.
206

La MONUC commença donc à travailler dans le cadre du comité


international de soutien à la transition notamment dans le secteur constitution-
nel, de la sécurité et de l’agenda électoral. En outre comme on l’a ci –haut men-
tionné, dans cet environnement post-conflit, la Monuc est devenue une mission
de maintien de la paix et non de renforcement de la paix. Les soldats déployés
au Congo sont arrivés sans la perspective de livrer des combats et en plus les
matériels n’étaient même pas encore disponibles. Les personnels civils quant à
eux considèrent qu’ils sont venus solidifier la paix et non travailler dans des
zones des combats. Ainsi, la bataille de Bukavu de 2004 et les protestations
contre les casques furent une surprise pour eux et commencèrent à se demander
comment travailler dans ce nouvel environnement.

La désignation post-conflit créa une autre contrainte au staff de


l’ONU. Comme le Congo n’est plus en guerre, les acteurs sub- nationaux ne
peuvent plus être considérés comme des rebelles. Ce label crée une catégorisa-
tion entre ceux qui peuvent être considérés comme des partenaires légitimes et
d’autres non. Cette différentiation sépare les acteurs avec qui les diplomates
peuvent rencontrer et débattent de la transition et les autres qui sont devenus des
illégaux et qui ont continué la terreur.

Pour illustrer cette contrainte, considérons le statut d’illégal qui fut


accordé à Laurent Nkunda et le refus par la Monuc d’engager une quelconque
discussion ave lui alors qu’il existait des signes évidents du début de la crise.
Cette logique d’exclusion continua jusqu’ à ce qu’il soit tard : Nkunda prenant
sous son contrôle Bukavu en Mai 2004 obligea la Monusco de négocier avec lui.
Cette stratégie changea lorsqu’en 2007 et 2008, Nkunda tenta de créer un quasi-
Etat indépendant dans le Nord Kivu et lorsque les combats violents opposèrent
Nkunda à l’armée congolaise.

C’est dans ce contexte post-conflit que les diplomates onusiens


considéreront l’organisation des élections comme le point final de toute leur
stratégie top-down de résolution de conflit. Comme l’a si bien souligné Paris et
207

Richmond : après la guerre-froide, l’hypothèse de la paix libérale domine la po-


litique mondiale264. Au cœur de cette thèse découle l’idée selon laquelle les dé-
mocraties libérales jouissent d’une paix interne et externe et disposent des ins-
truments démocratiques pour résoudre pacifiquement des antagonismes et enfin
ne se livrent pas des combats entre eux. Cette hypothèse est devenue de nos
jours l’élément principal de politique étrangère des grandes nations occidentales.

Les élections sont devenues l’élément central du paradigme de la


paix démocratique. Ainsi, organiser les élections est un élément fondamental de
la légitimité domestique et internationale. Ainsi, pour l’ensemble
d’organisations internationales, les élections sont les seuls moyens qui fournis-
sent la légitimité de base pour toutes les autorités au sein d’un Etat. En plus, tout
Etat que les démocraties occidentales construisent doit être démocratique, don-
nant naissance au « modèle de reconstruction démocratique »265.

Ce modèle a progressivement inclus plusieurs prescriptions et de-


mandes : la reforme totale des services de sécurité, la reconstruction entière du
système politique ainsi que la transformation entière de l’environnement éco-
nomique. Les élections donc offrent une solution simple et rapide à la résolution
du conflit car elles permettent de passer d’une situation violente de contestation
du pouvoir politique à une situation politique issue de la légitimité populaire.

En outre, les élections ont un avantage de créer un environnement


propice au développement économique, car avec un leadership central reconnu, les
institutions financières internationales disposent d’un partenaire approprié avec qui
ils peuvent exécuter les nouvelles stratégies de développement économiques.

Au Congo et pendant la transition, l’organisation des élections fut


l’élément principal de la stratégie post-conflit des Nations Unies. Les officiels
de l’ONU ont considéré l’organisation des élections comme le mécanisme pre-

264 PARIS, R., At War’s End: Building Peace after Civil Conflict, Cambridge University Press, Cambridge, 2004, p.5.
265 OTTAWAY, M ,“Rebuilding State Institutions in Collapsed States ″, Development and Change 33(5) pp.1006-1007.
208

mier du rétablissement de la paix ; car, ils concevaient la guerre comme une


conséquence de la crise de légitimité du gouvernement en place, et ont cru que
les élections deviendront un stabilisateur de la paix. Deuxièmement, les élec-
tions étaient considérées comme le premier mécanisme de la reconstruction de
l’Etat. On pouvait ainsi lire sur le site de la Monuc que ″la mission travaillait
pour l’établissement d’un Etat de droit par l’organisation des élections multipar-
tites, libres et transparentes″266. Il est important d’insister sur le fait que la
communauté internationale en considérant la continuation de la violence comme
un problème Hobbesien, elle verra la reconstruction de l’Etat par les élections
comme le moyen idéal de mettre fin à cette violence. Le Conseil de Sécurité de
l’ONU insista en disant que″ les élections marquent un point tournant dans
l’histoire du Congo, elles conduiront à la paix, la démocratie et le développe-
ment social″267. Ainsi pour l’ONU, les élections mettraient fin au cercle vicieux,
aux comportements arbitraires, à l’auto destruction de la société congolaise ;
elles résoudraient le problème posé par les milices armées étrangères opérant au
Congo, elles faciliteraient l’intégration de l’armée et résoudraient les conflits po-
litiques dans la région, enfin elles amélioreront la situation humanitaire.

Au delà de ces attentes bénéfiques pour le Congo, les élections pro-


curaient d’autres avantages pour différents contributeurs et pour la Monuc elle-
même. En effet, l’organisation des élections était l’élément central de la stratégie
du retrait de la Monuc268. Enfin, l’organisation des élections permettait d’évaluer
le succès ou l’échec de l’intervention onusienne.

C’est ainsi que la Monuc orientera toute sa stratégie militaire à


l’organisation des élections plutôt qu’à combattre la violence dans le pays. En
2005, le secrétaire général de l’ONU demanda l’envoi des troupes supplémen-
taires au Katanga non pas pour sécuriser la province où des combats opposaient
les milices locales et les troupes gouvernementales, mais plutôt pour assurer la

266http://www.monuc.org/news.aspx?newsID=742, accessed between 2005 and 2008.


267Fourteenth report of the Secretary-General of the UN in the DRC, UN, New York, 2003, p.70
268 Refugee International, ″RI letter to Monuc regarding exit strategy″, http://www.refugeesinternational.org/ con-

tent/article/detail/1007, 2004, accessed March 17 2009.


209

sécurité des élections. Le Conseil de Sécurité autorisa le déploiement de ces


troupes ″exclusivement pour la durée du processus électoral et pour apporter le
support au processus électoral″269. L’approche de la Monuc durant ces années
peut être résumée en ces termes : l’objectif poursuivi n’était pas de combattre la
violence, mais plutôt de réduire la violence pour permettre l’organisation des
élections dans des bonnes conditions.

§2. ONU, une approche standard d’intervention

Dans son approche d’intervention, les diplomates onusiens consa-


crent leurs temps, ressources et attention à résoudre ce qu’ils identifient comme
les causes des conflits à savoir les antagonismes régionaux et nationaux. Ainsi,
ils se focalisent sur les élites régionales et nationales et limitent leur interférence
aux niveaux inferieurs ; provinciaux et locaux.

Pour rétablir des bonnes relations entre les Etats de la région des
grands lacs, les Nations Unies ont focalisé leurs efforts dans les secteurs ci-
après : Premièrement, ils organisent des conférences entre les pays de la région
pour aider les anciens combattants à trouver des solutions sur la présence des
groupes armés étrangers en RDC et sur l’exploitation illégale des ressources na-
turelles du pays. Ces conférences avaient aussi pour mission de restaurer les rela-
tions diplomatiques, de promouvoir la collaboration économique et commerciale,
préparer le retour des refugiés ainsi que de rétablir la collaboration sécuritaire.

Deuxièmement, les diplomates représentants leurs pays au Conseil


de Sécurité de l’ONU établirent un panel d’experts pour enquêter de près sur
l’exploitation illégale des ressources naturelles du Congo. Ils imposèrent un em-
bargo sur la vente des armes pour empêcher les acteurs régionaux et congolais
de continuer à armer les milices dans l’Ituri et dans les Kivu.

269 Third Special Report of the Secretary-General on the UN in the DRC, UN, New York, 2004, p.25
210

Troisièmement, les diplomates onusiens ont tout mis en œuvre pour


convaincre les leaders des armées étrangères dans les Kivu et l’Ituri de renoncer
officiellement à la violence. Au même moment, ils demandèrent aux gouverne-
ments de la région de laisser retourner les différents groupes rebelles œuvrant au
Congo dans leur pays d’origine respectifs ; et demandèrent au gouvernement
congolais de cesser tout soutien à ces groupes rebelles. En plus de ces actions, la
Monuc lança un programme de désarmement volontaire, de démobilisation, de
rapatriement, de réintégration des anciens combattants. Elle forma des militaires
congolais et avec son soutien, elle tenta sans succès de désarmer les rebelles
rwandais et ougandais et est toujours incapable de détruire leurs bases.

Enfin, la Monuc tenta de mettre fin aux discriminations contre les


Tutsis congolais. La médiation fut engagée entre le RCD-Goma et les autres ac-
teurs de la transition, en mettant plus de pression sur le parlement congolais de
rédiger une nouvelle loi sur la nationalité garantissant la protection suffisante sur
cette minorité.

Au plan national, comme on l’a ci-haut discuté, tous les efforts fu-
rent concentrés sur l’organisation des élections générales et la reforme du sec-
teur sécuritaire. Premièrement, la Monuc supervisa la rédaction de la constitu-
tion, de la loi électorale, la loi sur la nationalité et celle sur le secteur de sécuri-
té270. Cette interférence dans les affaires intérieures du Congo fut considérée
comme légitime car elle eu lieu en parfait accord avec les élites congolaises. La
Monuc s’engagea dans le processus le plus familier avec l’intervention onu-
sienne, l’intégration de l’armée. Elle demanda aux différents groupes de démo-
biliser leurs troupes et les intégrer au sein d’une même armée nationale.

En dépit de la rhétorique sur l’Etat de droit, peu d’actions et initia-


tives ont été engagées sur la promotion des droits de l’homme, la lutte contre la
corruption et la mauvaise gestion économique. La protection des populations ci-
viles fut largement négligée en dépit du fait que cette question fait partie du
270 TRAUB, J., ″The Congo Case″, New York Times, July 3, 2005.
211

mandat de la Monuc depuis Février 2000 et fut régulièrement réaffirmée pen-


dant et après la transition ; en réalité la Monuc/Monusco s’est toujours montrée
incapable de remplir cette mission. Si on tient compte de toutes les violences
auxquelles les populations congolaises font face tant dans l’Est du pays que par-
tout ailleurs même à Kinshasa, en prenant seulement pour exemple les violences
emmaillées lors des dernières élections du 28 Novembre 2011 ; les massacres
des civils à Kinshasa le dernier jour de la campagne présidentielle, ou accord ré-
cemment en Janvier 2015 lors de la contestation de la loi électorale ; il y a lieu
de s’interroger sur la capacité de cette mission onusienne et l’utilité de sa pré-
sence encore au Congo.

En résumé, la reforme du secteur de sécurité, la reconstruction du


secteur de la justice et autres éléments de la reconstruction de l’Etat pouvaient
être considérés comme prioritaires car ils étaient possibles et essentiels à la sta-
bilité du Congo. Malheureusement, avec la complicité des élites congolaises, la
focalisation de tous les efforts sur les élections ont empêché l’ONU de mettre
en place une approche réaliste de résolution du conflit. Ainsi, depuis
l’intervention onusienne, la persistance de la violence surtout dans l’Est du pays
révèle l’inadéquation et l’échec de toute la stratégie onusienne.

Le chapitre suivant suggère une alternative sur la stratégie à enga-


ger dans ce type de conflit, il analyste les causes de la persistance de la violence
et explique pourquoi ces efforts onusiens ont échoué à rebâtir un Etat viable au
Congo. Le chapitre suggère que les conflits locaux sont les causes de la conti-
nuité de la violence, la reforme du secteur de sécurité fait face à la résistance
des officiers et soldats ; les groupes rebelles continuent toujours à opérer au
Congo. L’organisation des élections, surtout celles de 2011 augmentent les divi-
sions et tensions entre les populations, les provinces, les groupes sociaux. Une
autre forme radicale de l’opposition vient de naitre, elle oppose désormais tous
ceux qui soutiennent le pouvoir de Kabila (politiciens, musiciens, pasteurs…) à
la diaspora congolaise connue sous le nom de ″combattants″, ces derniers sont
prêts à recourir à la violence pour renverser le régime.
212

CHAPITRE TROISIEME
L’APPROCHE LOCALE DANS LA RESOLUTION
DU CONFLIT

Le rôle des agendas locaux permettent d’expliquer pourquoi la stra-


tégie d’intervention onusienne présentée dans le chapitre précédent a échoué à
maintenir une paix durable en RDC. Dans ce chapitre, nous nous appuyons sur
un ensemble des recherches démontrant que les tensions régionales et locales ne
sont pas les seules causes de la violence pendant la guerre et dans
l’environnement post-guerre271. Selon Kalyvas, qui mena des recherches en
science politique sur des conflits locaux, les agendas locaux jouent un rôle con-
sidérable dans la production de la violence entre les communautés pendant la
guerre civile272.

Nous recourons ici au model d’analyse de Kalyvas que nous modi-


fions pour y inclure les dimensions régionales et nationales, pour analyser les
mécanismes par lesquels les différentes dimensions de la violence interagissent :
les clivages (idéologie, ethnicité, religion) et les alliances, le concept qui ex-
plique les liens entre les acteurs locaux et centraux. Ainsi, nous développons une
argumentation basée sur le rôle des conflits locaux dans la production de la vio-
lence et leurs interactions avec les conflits nationaux et régionaux ; argument
différent de celui développé dans le chapitre précédent.

SECTION 1. ROLE DES CONFLITS LOCAUX DANS L’HISTOIRE POLITIQUE


DU CONGO

Dans l’histoire politique du Congo moderne, les rivalités locales sur


les questions foncières, les ressources ainsi que le pouvoir produisent progressi-
vement une série de clivages tant au niveau local que national. Ces conflits im-

271 HUSSEIN, A, ″Somalia: International Versus Local Attempts at peace building″, in Taisier A and Matthews R (ed), Dura-
ble peace: challenges for Peace building in Africa, University of Toronto Press, Toronto, 2004, pp253-281; Kalyvas S,
″The Ontology of Political Violence: Action and Identity in Civil Wars″ ,Perspectives of politics 1 (3):475-494; Fujii L, ″The
Power of Local Ties: Popular Participation in the Rwandan Genocide″, Security Studies(17):568-597.
272 KALYVAS, op.cit, 2003, p.482.
213

pliquent des villages, des communautés entières ainsi que des leaders provin-
ciaux. C’est notamment le cas du conflit entre les populations originaires du Ki-
vu et les congolais d’origine rwandaise qui conduira à la polarisation de ces
deux communautés et deviendra un des clivages national pendant la guerre. Ces
tensions locales causèrent des violences bien avant la guerre de 1996.

§1. Nationalité, identité et question foncière

Avant les guerres des années 1990, l’accès à la propriété, aux droits
politiques et autres avantages dépendaient de l’appartenance à un village ou une
communauté273 . Sous la colonisation Belge, la loi coloniale établissait une dis-
tinction entre la nationalité politique, garantie aux Belges résidents et plus tard
aux évolués et la nationalité ethnique, basée sur l’appartenance à une commu-
nauté ethnique274. De ce fait, cette appartenance à une identité tribale ou eth-
nique, était devenue la base pour recevoir des droits tels la nationalité, l’accès à
la propriété foncière, aux droits politiques et économiques au niveau local.

Pendant la colonisation Belge, la majorité de terres cultivables ap-


partenaient aux colons, une seule partie fut réservée aux communautés locales.
L’accès à la propriété foncière fut crucial et demeure crucial de nos jours. Selon
Van Acker et Vlassenroot, ″ l’accès à la propriété foncière fut très probléma-
tique dans le Kivu et conduit à la création de deux milices ayant pour rôle de dé-
fendre ce qu’ils considèrent comme l’expression de l’ordre traditionnel rural″275.
Ces conflits sur la propriété foncière affecteront l’Est du Congo, principalement
les deux provinces du Kivu.

273 WILLAME, J.C., Banyarwanda et Banyamulenge: Violences Ethniques et Gestion de l’identitaire au Kivu, CEDAF,
Bruxelles, 1997, p.35.
274 DOOM, R. et GORUS, J., Politics of Identity and Economics of Conflict in the Great Lake Region, VUB University

Press, Brussels, 2000, p.57.


275 VAN ACKER, F. et VLASSENROOT, K.,” Youth and Conflict in Kivu”, Journal of humanitarian Assistance, April 2000,

p.25.
214

Les conflits locaux ont pour sources les agendas vitaux : nationalité,
accès aux ressources naturelles, propriété foncière…les violences entre commu-
nautés continueront même après l’indépendance. Pour Jean Claude Willame, les
Shis, Regas et Kusus s’opposèrent sur des questions provinciales et nationales,
et même des conflits seront observés parmi les populations appartenant à la
même ethnie ou tribu276. Avec l’arrivée de Mobutu au pouvoir, ces conflits vont
provisoirement prendre fin, mais les rebellions sporadiques seront toujours ob-
servées au Katanga et dans le Sud Kivu.

Pour nous résumer, les conflits locaux en RDC ont existé bien avant
les guerres de 1990. Nous allons ici présenter une étude de cas détaillée pour
nous permettre de mieux saisir comment les conflits locaux peuvent interagir
avec les tensions nationales et créer le chaos. Ce cas spécifique concerne les an-
tagonismes existant entre les populations originaires du Kivu et les congolais
d’origine rwandaise.

Dans les années trente, la Belgique créa la mission d’immigration


des Banyarwanda, une structure ayant pour objectif de transférer des populations
rwandaises au Congo pour travailler dans les plantations du Kivu et les mines du
Katanga277. Cependant, les statuts de ces immigrants au Congo deviennent rapi-
dement ambigus. D’un côté, le colonisateur refusa de leur accorder le statut des
″indigènes″ lequel revenait aux autochtones ; de l’autre côté, les Belges nommè-
rent les Rwandais immigrés dans l’administration, leur accordant plus de pou-
voirs politiques et économiques que les populations natives. Les tensions se déve-
loppèrent entre les deux communautés, les immigrés rwandais revendiquèrent
l’accès à la propreté foncière et à la représentation traditionnelle de pouvoir, alors
que les populations originaires se plaignirent du fait que les étrangers détenaient
plus de pouvoir tant dans l’administration que dans les secteurs économiques.

276 WILLAME, J.C., op.cit, 1997, pp.45-46.


277 Idem.
215

En 1960, lors de l’accession du Congo à l’indépendance, le débat


sur le statut de ces immigrés rwandais était tellement sensible que la loi fonda-
mentale laissa la question non résolue278. Au même moment, l’arrivée dans le
Kivu des refugiés Tutsi fuyant les massacres occasionnés par la révolution et
l’indépendance au Rwanda (1959-1962) compliqua la situation. La constitution
de 1964 garantit la nationalité congolaise aux seuls individus dont les ancêtres
étaient membres d’une des tribus vivant sur le territoire congolais avant 1908,
année à laquelle le roi Léopold II céda le Congo à la Belgique. Ainsi, cette cons-
titution dénie la nationalité congolaise aux individus dont les ancêtres furent dé-
portés par le colonisateur Belge en 1930.

Dans le Kivu, les tensions sur l’accès foncier et la nationalité con-


duiront à une crise majeure. L’élite Banyarwanda (Populations originaires du
Rwanda) manifesta la volonté de maintenir son pouvoir économique et politique
dans la province ; elle facilita l’immigration illégale des populations rwandaises
au Congo et expulsa certains chefs traditionnels. Les populations locales
s’opposèrent aux Banyarwanda en rétablissant le contrôle politique et écono-
mique dans la province. Ces antagonismes conduiront au premier conflit oppo-
sant les Banyarwanda aux populations autochtones.

Cependant, Mobutu accorda support aux Banyarwanda en encoura-


geant la promotion des minorités car ces dernières l’aideraient à gouverner sans
pouvoir menacer son régime. Malheureusement ce support renforça les tensions lo-
cales. Premièrement, Mobutu encouragea l’immigration des Tutsis éleveurs au
Congo, une politique qui avait été découragée par le colonisateur. Cet influx inten-
sifia le conflit entre les fermiers autochtones et les nouveaux arrivés en majorité
Tutsi. Deuxièmement, Mobutu garantit les positions importantes de pouvoir aux
Banyarwanda. Ces derniers exploitèrent leur influence pour aider les autres Ba-
nyarwanda à reconquérir le leadership politique et économique dans le Kivu.

278MAMDANI, M., When Victims Become Killers: Colonialism, Nativism, and the Genocide in Rwanda, Princeton Uni-
versity Press, Princeton, 2001, pp 239-242.
216

En 1972, sous l’influence des politiciens Banyarwanda, Mobutu


promulgua une nouvelle loi sur la nationalité qui garantisse la nationalité à tous
les rwandais arrivés au Congo avant 1950. Cette reforme, permettra aux Ba-
nyarwanda d’amplifier leur influence dans le Kivu.

Ainsi, les rivalités locales et nationales demeurent interconnectées.


Les Banyarwanda recoururent à leurs connections avec Bisengimana, l’ancien
directeur de cabinet de Mobutu pour continuer à avoir la main mise dans le Ki-
vu ; au même moment, les populations locales de leur côté exploitèrent leurs
relations avec leurs frères influents sous Mobutu, pour s’opposer aux revendica-
tions de leurs ennemis notamment sur la nationalité. Ces efforts aboutiront en
1981 ; une nouvelle loi vit le jour pour révoquer la loi de 1972, octroyant cette
fois la nationalité aux individus pouvant prouvés que leurs familles habitaient le
Congo avant 1885.

En plus des conflits opposant les Banyarwanda aux populations au-


tochtones, il a existé des tensions entre les Banyarwanda eux-mêmes, opposant
Hutus et Tutsis. En dépit des combats opposant les Hutus et Tutsis au Rwanda et
au Burundi, les Banyarwanda au Congo étaient unis. Cependant, dans les années
1980, ces deux communautés commencèrent à s’opposer car les Hutus du Congo
tentèrent d’affirmer leur pouvoir et dominer sur les Tutsis279.

En 1991, La conférence nationale sensée engagée des reformes pour


relancer le pays, exclura les représentants de Banyarwanda. Cette exclusion pla-
ça les représentants des populations autochtones dans la meilleure position
d’allier plus des congolais pour combattre les Banyarwanda. Ce qui plaça ces
derniers dans la peur des éventuelles persécutions .Comme résultat, la tension
monta d’un cran dans le Kivu et chacun des camps forma sa propre milice tri-
bale pour se protéger.

279 MANDANI, M, op.cit, p.235.


217

Durant la même période, la guerre civile au Rwanda a eu des con-


séquences sur les antagonismes locaux au Congo et contribua à diviser les Ba-
nyarwanda ; Hutus et Tutsis. Les Tutsis du Congo financèrent les rebelles du
FPR, avec des milliers des jeunes Tutsis du Congo traversant les frontières ou-
gandaises qui y recevront la formation. Les Hutus du Congo, iront soutenir le
président Habyarimana pour faire échec aux Tutsis. Les conséquences sont telles
que, les antagonismes Hutus –Tutsis seront renforcés ; de l’autre côté, les au-
tochtones congolais considéreront désormais tous les Banyarwanda comme dan-
gereux et ayant des alliances avec le Rwanda.

L’arrivée des milliers des Hutus suite au génocide de 1994, amplifia


les tensions dans le Kivu. Les Tutsis craignant le risque de se faire éliminer
comme fut le cas au Rwanda. Les autochtones se radicalisèrent contre tous les
Banyarwanda, réfugiés ou pas.

Les tensions locales causèrent des violences au Congo bien avant


les facteurs régionaux, le génocide Rwandais de 1994 et l’invasion du Congo
par ses voisins, précipitant la guerre de 1996. Les rivalités locales sur l’accès
aux ressources, au pouvoir politique et économique, à la nationalité renforcées
par la manipulation des acteurs provinciaux et nationaux, produiront des conflits
aux niveaux local et national. Les agendas locaux sont la cause directe des ten-
sions ethniques, qui se manifesteront dans le clivage national des guerres de
1990 et surtout celle de 1998. L’Etat colonial et le régime Mobutu ont perpétué
la question de la nationalité comme élément central du système politique congo-
lais. Les stratégies Mobutiennes causeront la désintégration de l’autorité de
l’Etat. Comme conséquence, la résolution des antagonismes locaux est devenue
impossible. Mobutu et ses alliés locaux instrumentalisèrent ces conflits locaux
pour maintenir leur contrôle sur le pouvoir. Tous ces éléments préparèrent le ter-
rain pour les agendas locaux de jouer un rôle déterminant durant les guerres que
le Congo continue à connaitre.
218

§2. Impact de la guerre sur les antagonismes locaux et la violence

Les agendas politiques, économiques et sociaux locaux ont largement


contribué dans la propagation de la violence en RDC. Ces dynamiques locales ont
préparé la fondation pour les conflits nationaux et régionaux. Au même moment,
les clivages régionaux et nationaux ont renforcé les antagonismes locaux.

L’interaction entre la violence locale et les conflits nationaux et ré-


gionaux sont visibles durant les guerres congolaises. Durant la première guerre,
les Banyamulenge s’allieront avec l’APR et l’AFDL pour combattre le régime
de Mobutu ; alors que les Mai-Mai appuieront le gouvernement de Kinshasa.
Durant la seconde guerre, le RCD, majoritairement Tutsi soutenu par l’APR, or-
ganisera la population en groupes de défense pour attaquer les rebelles Hutus
rwandais. Au même moment, les Mai-Mai avec les rebelles rwandais Hutus de-
viendront les principaux alliés du régime AFDL pour combattre le RCD et
l’APR. La nomination du Général Wetshia, le leader des Mai-Mai comme chef
de l’armée congolaise, formalisa cette alliance nationale-locale. En outre, les
Mai-Mai et les rebelles rwandais Hutus travaillèrent la main dans la main car ils
avaient un ennemi commun, les Banyamulenge et l’APR.

Comme résultat, on assista à la multiplication des groupes armés


locaux, nationaux et régionaux nouant et dénouant des alliances. Pour Interna-
tional Crisis Group, la guerre interne entre Kabila et le RCD-Goma, le conflit
régional entre le Rwanda et l’Ouganda d’un coté et le gouvernement congolais
de l’autre interagissent avec les conflits locaux basés sur les antagonismes de
pouvoir locaux, les ressources locales et les statuts des Banyarwanda280.

Les études sur l’Ituri illustrent la relation entre les conflits locaux et na-
tionaux. La manipulation des acteurs locaux par les ougandais, rwandais et le gou-
vernement de Kinshasa conduit à la fragmentation des milices locales et à l’escalade
des disputes entre les communautés. Au même moment, les antagonismes politico-
économiques locaux causèrent la scission du RCD, en plusieurs sous-groupes.

280 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, The Kivus: The forgotten crucible of Congo conflict, ICG, Brussels, 2003.
219

La guerre renforça aussi les antagonismes intercommunautaires exis-


tant. En effet, au début du conflit, l’APR et le RCD-Goma remplacèrent plusieurs
chefs traditionnels par les rwandais Tutsi281. En réponse, les populations locales se
mobilisèrent pour sauver le reste de leur pouvoir. L D Kabila recourut au thème de
l’ethnicité pour mobiliser les combattants afin de combattre l’agresseur. Il rouvrit le
débat sur la nationalité en demanda à la commission chargée de préparer les ac-
cords de Lusaka de brandir les archives coloniales pour prouver définitivement
l’origine étrangère de ces minorités282 . Ainsi, beaucoup de chefs traditionnels re-
coururent à cette information en provocant des violences ethniques pour gagner le
support des populations dans la lutte contre le RCD.

Comme résultat, l’ethnicité devient l’un des principaux paradigmes


auquel les congolais recourent pour expliquer les causes de la guerre et des vio-
lences. Le fait que les Tutsi ont pris le contrôle du pouvoir politique dans l’Est
du pays avec le support de l’APR renforça dans la conception des populations
locales, leur association avec le Rwanda et conduit à la polarisation des tensions
ethniques déjà existantes. De manière générale, les congolais condamnent des
rwandais spécialement des Tutsis de tous les malheurs qui arrivent au Congo. La
guerre de 1998, est considérée comme la guerre de Banyamulenge.

SECTION 2. MONUSCO A L’EPREUVE DE L’APPROCHE LOCALE DES RE-


SOLUTIONS DES CONFLITS AU CONGO

Cette section cherche à comprendre pourquoi l’ONU n’a pas révisé


sa stratégie d’intervention lorsque la continuation de la violence établît claire-
ment ses limitations. Nous allons démontrer la faisabilité d’une approche locale
de résolution de conflit.

281 REYNTJENS, F., La guerre des grands lacs: Alliances Mouvantes et Conflits Extraterritoriaux en Afrique Centrale,
L’Harmattan, Paris, 1999, p.178.
282 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, The Inter-Congolese Dialogue: Political Negotiation or Game of Bluff? Africa Report,

ICG, Brussels, 2001, pp.13-15.


220

§1. Pour une stratégie locale de résolution de conflit

Durant nos recherches, nous avons demandé aux officiels onusiens les
raisons pour lesquelles ils n’ont pas en plus des stratégies nationales, intégré les
stratégies locales dans la recherche de la paix en RDC. Ils présenteront deux objec-
tions à nos préoccupations : Premièrement, les conflits locaux sont complexes et il
apparait difficile de mettre en place une stratégie cohérente pour y faire face ; deu-
xièmement, ils évoquèrent les obstacles financiers, logistiques et politiques aux-
quels ils font face et toute intervention à ce niveau serait insoluble.

Il est certes vrai que toute stratégie efficace de résolution du conflit


en RDC demande de la patience et du temps. Intégrer l’approche locale à
l’approche nationale pouvait en notre avis être possible. La Monusco pouvait
prioriser la résolution des problèmes locaux en plus de la gestion des questions
nationales. Car, les officiels congolais sont incompétents et corrompus, les
ONGS congolaises font face aux obstacles tant financiers que logistiques, seuls
donc les acteurs internationaux qui sont capables de jouer un rôle dans la mise
en place des programmes locaux de résolution des conflits.

La communauté internationale pouvait donc consacrer plus de temps


et des moyens dans la résolution des conflits locaux plutôt que dans l’organisation
des élections. Elle pouvait privilégier la paix et la justice au détriment d’une illu-
sion démocratique. Les millions des dollars dépensés pour les élections pouvaient
mieux être dépensés pour la reforme du secteur de sécurité, aux résolutions des
conflits locaux et à la réorganisation du système de justice. En renvoyant
l’organisation des élections plus tard, en se focalisant d’abord sur la création d’un
environnement favorable à la liberté, justice et paix, la Monuc devrait aider à la
promotion à la fois de la paix et de la démocratie dans la durée.

Il est certes difficile de savoir comment la population congolaise


dans l’ensemble pouvait réagir à cette initiative ; mais il est aussi impensable
d’imaginer qu’on puisse organiser des élections démocratiques dans un pays où
la majorité de la population est analphabète et ne comprend pas grand-chose sur
221

le processus électoral. Par contre, une transition politique mieux organisée pour
construire la paix et la démocratie à tous les niveaux devrait inclure la recons-
truction de l’administration publique, du système judicaire, des capacités éco-
nomiques de l’Etat, minimiser les interférences internationales, construire la ca-
pacité et la crédibilité des gouvernants démocratiquement choisis qui continuent
à faire grandement défaut de nos jours, garantir la liberté de parole et de cam-
pagne, éduquer la population sur l’avantage du processus. Au même moment, il
apparait important de clarifier les lois sur l’attribution des terres ainsi que les
lois sur la nationalité. Parallèlement, différentes agences et organisations de-
vraient organisées des séances de travail pendant lesquelles tous les acteurs lo-
caux pouvaient exprimer leurs préoccupations et les résoudre ; notamment aux
sujets d’attribution des terres, du pouvoir traditionnel et de la nationalité. De
cette manière, les ONGs pouvaient ressouder les liens entre les communautés en
créant des entreprises, des hôpitaux et écoles fréquentées par toutes les commu-
nautés. Ces types des projets ont déjà été testés dans plusieurs autres pays et
ont montré leur efficacité283.

Il faut souligner que la paix est durable lorsque l’Etat est stable et
ses institutions sont fonctionnelles à tous les niveaux. Il est crucial pour la Mo-
nusco de soutenir l’intégration de l’armée et de résoudre le problème des re-
belles étrangers œuvrant sur le territoire congolais. Ce pendant, le mixage et
brassage de l’armée a toujours été défavorable pour la RDC. Car, les congolais
d’origine rwandaise ont toujours montré qu’ils soutenaient plus la cause rwan-
daise que congolaise durant toutes ces années. Les Nkunda, Ntanganda et autres
sont des Rwandais et doivent faire partie de l’armée rwandaise. Pour ce qui est
des groupes rebelles œuvrant au Congo, les Nations Unies devraient organiser
leur rapatriement et leurs protections dans leurs pays d’origine respectifs en leur
garantissant des droits civiques et politiques. Pour cela, les gouvernements auto-
ritaires du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi doivent être démocratisés. Tant
que cela sera le contraire, la paix en RDC sera hypothétique. C’est à la fin de
tout ce processus que l’organisation des élections pouvait être effective.

283 ANDERSON, M., Do Not Harm: How Aid Can Support Peace-or War, Lynne Rienner Publishers, Boulder, 1999.
222

§2. MONUC et résolution locale des conflits

L’initiative de résolution locale des conflits en RDC apparait entre


2002 et 2004, période pendant laquelle les diplomates onusiens redéfinissaient le
contexte congolais comme post-conflit. Lena Sundh, une diplomate suédoise
servant comme représentante spéciale adjoint du Secrétaire General de l’ONU
au Congo initia le projet, après avoir analysé avec son équipe les échecs de la
mission onusienne sur le terrain.

Elle conclura que le conflit congolais avait plusieurs niveaux ; lo-


cal, provincial, national et régional. Elle et son équipe, regrettèrent le fait que la
Monuc n’était intéressée que sur les aspects nationaux et régionaux du conflit,
que seules les organisations onusiennes d’urgence comme le HCR ou le PAM
intervenaient aux niveaux provinciaux et locaux. Son équipe estima que seule la
Monuc pouvait donc réellement travailler aux niveaux locaux et nationaux pour
restaurer la paix en RDC. Pour eux, le processus de paix en RDC doit être conçu
comme un objectif à long terme ; pendant ce temps l’ONU doit commencer à
travailler localement en manageant le conflit de bas en haut.

L’équipe de Sundh identifia des tensions dont l’accord global et in-


clusif de 2002 n’a pas tenu compte ; les disputes que les acteurs nationaux et ré-
gionaux instrumentalisent et qui peuvent avoir des conséquences sur le plan na-
tional ou régional. Il s’agit par exemple les antagonismes que susciteraient le re-
tour des Tutsis dans la région de Kalemie, la Bataille de Nande et Banyarwanda
dans le Nord Kivu ; la possibilité des émeutes dans les provinces d’origines des
leaders politiques, si ces derniers venaient à être déclaré perdants aux élections.

Centrer les efforts sur les conflits locaux est apparu comme une
idée nouvelle et controversée au sein de la Monuc. L’équipe de Sundh rédigea
en premier lieu un document sur la résolution des conflits locaux en Décembre
2002, rappelant à tous les officiels de la Monuc qu’en dépit du processus de
paix, il existait toujours des tensions et conflits dans le pays. Et si rien n’était
223

fait, le processus de paix avait de risque d’échouer. L’idée était que la Monuc
puisse réagir et résoudre ces conflits avant qu’ils ne deviennent majeurs.

Le département des Operations Humanitaires de l’ONU accepta les


propositions de l’équipe de Sundh en 2003284. C’est ainsi que devant le Conseil
de Sécurité de l’ONU, le Secrétaire General exigea à la Monuc de contribuer à
la résolution des conflits locaux et de maintenir la sécurité dans le pays285. La
Monuc a de ce fait reçu trois missions prioritaires : premièrement, imaginer une
stratégie managériale pour faire face aux problèmes sécuritaires opposant diffé-
rents groupes ; deuxièmement, mettre en place des mesures post-conflit pour re-
créer la confidence entre groupes ; et enfin, prévenir des conflits pour éviter la
récurrence de la violence. La Monuc devrait jouer le rôle de catalyseur pour as-
sister toutes les initiatives prises pour résoudre les conflits locaux. Il fallait ren-
forcer la présence des observateurs civils et militaires notamment dans les Kivus
et demander aux donneurs de contribuer au maintien de la paix localement.

Malheureusement, le déploiement de ces personnels pour travailler


sur les conflits locaux n’aura jamais lieu. Bien plus encore, cette initiative de ré-
solutions des conflits locaux en RDC demeura sous le leadership de Sundh elle-
même. Les autres officiels de la Monuc et la division des affaires politiques de
la Monuc ignorèrent d’intégrer le projet dans leur travail. Toute fois, la Monuc
nomma un coordonnateur des conflits locaux et d’autres officiels y compris les
proches de Sundh qui produiront analyses et recommandations sur la manière de
résoudre les conflits locaux.

Cette unité présenta une stratégie de résolution des conflits locaux


dans les Kivus. L’objectif fut d’assurer la stabilité de ces provinces et à long
terme restaurer l’autorité de l’Etat et l’Etat de droit. La stratégie consista à ana-
lyser les conflits locaux dans les Kivus depuis la colonisation à la transition ; et
delà, concevoir un plan régional de résolution de ces conflits. C’est dans ce
284 SUNDH, L., Making Peace Keeping Missions More Preventing Aware, Paper presented at the Stockholm International
Forum, Preventing genocide, Stockholm, 2004.
285 Second Report of the Secretary-General on the UN mission in the DRC, UN, New York, 2003, pp.29-30
224

cadre que la Monuc facilita le cessez- le- feu local entre Mai-Mai, RCD-Goma
et les troupes gouvernementales à Shabunda, Walungu et Béni-Butembo.

Fort de ce succès, l’unité de résolution des conflits locaux décida de


mettre en place une stratégie provinciale de résolution des conflits en commençant
par le Katanga. Malheureusement, la Monuc ne le fera pas et cela pour des raisons
non évidentes. Les officiels de la Monuc estimèrent avoir beaucoup de travail et
certains estimèrent que la résolution des conflits locaux n’était pas primordiale.
Cette stratégie rencontra de la résistance au sein de la Monuc. Les autres officiels
de la Monuc estimeront que Sundh et ses collaborateurs étaient autoritaires, arro-
gants et ne respectaient pas les idées des autres. Sundh et ses collaborateurs quittè-
rent le Congo en début 2004 et cette initiative sera mise en veilleuse.

Cependant, une chance demeura toujours pour appliquer les idées de


Sundh. En 2004, la Monuc créa une mission pour centraliser les informations du
pays et conduire des analyses. Elle recruta François Grignon, un spécialiste des
Grands Lacs travaillant jusque là pour International Crisis Group et lui demanda de
développer un plan de travail pour les Kivus, Maniema, Katanga et les Kasaï.

Au lieu de recourir au premier travail de Sundh, Grignon rédigea


une autre stratégie. De l’avis de nos interviewés l’approche de Sundh fut écartée
car elle était trop académique, théorique et difficile à opérationnaliser sur le ter-
rain. La nouvelle stratégie porta sur la mobilisation de tous les secteurs poli-
tiques, militaires, humanitaires… tant au niveau régional, national que local.

Une fois de plus, cette stratégie ne sera jamais appliquer, car la Monuc
considéra que résoudre les conflits locaux relève de la compétence du futur gou-
vernement congolais et des autres organisations internationales et non gouverne-
mentales. L’abandon de toutes ces initiatives sur la résolution des conflits locaux
demeure un secret au sein de la Monuc. Rare sont ceux qui peuvent en parler. Il est
difficile d’obtenir des copies des documents rédigés par les uns et les autres sur ces
225

initiatives, évoquant la confidentialité, ils refusèrent de nous les faire passer et


d’autres estiment même n’avoir jamais entendu parler de ces initiatives.

Comme résultat, l’implication de la Monuc dans la résolution des


conflits locaux demeure limitée. Il est certes vrai que les officiels de la Monuc
basés en province réclament qu’ils s’investissent dans les conflits locaux. Ce-
pendant, ces déclarations sont en contradiction totale avec la stratégie centrale
de la Monuc basée sur le règlement politique du conflit congolais aux niveaux
régional et national.

§3. Ituri comme exception dans la résolution des conflits locaux en


République Démocratique du Congo

L’approche recourue par la communauté internationale pour mettre


fin à la violence dans l’Ituri a été différente de celle appliquée dans tout le pays.
Ce district a joui d’un processus de pacification propre, adapté à la réalité lo-
cale. C’est dans ce contexte qu’en juillet 2003, la cours Pénale Internationale
lancera des mandats d’arrêts contre les leaders rebelles qui ont eu à œuvrer dans
l’Ituri. Cette partie du pays a bénéficié d’un programme de désarmement spéci-
fique et indépendant du reste du pays. Le PNUD y implanta plusieurs micropro-
jets de développement ayant pour objectifs de faciliter la réconciliation entre dif-
férentes communautés en rétablissant la confiance et en les encourageant de tra-
vailler ensemble.

En outre, c’est à Bunia que l’Union Européenne déploiera sa pre-


mière mission d’intervention militaire en dehors du continent Européen.
L’opération Artémis, comme on l’a dit dans la deuxième partie de ce travail sera
couronnée d’un grand succès. En plus dans sa résolution 1493 de 2003, le Con-
seil de Sécurité de l’ONU autorisa la MONUC de recourir à toute la force né-
cessaire pour mettre fin à la violence dans l’Ituri286.

286 UNSC, Resolution 1493, 2003.


226

La MONUC traita l’Ituri avec attention. Pour certains officiels de


la MONUSCO, l’Ituri était devenue ″une mission dans une mission″. La MO-
NUC déploya plus des ressources dans l’Ituri que partout ailleurs ; en dépit du
fait que les violences dans les Kivus et le Katanga causèrent plus de casualités.
La mission déploya en Septembre 2003 près de la moitié de ses troupes dispo-
nibles, soit 4.800 sur 10.800 pour sécuriser l’Ituri. La stratégie militaire de la
MONUC était de réduire la violence dans l’Ituri d’abord avant de focaliser les
efforts dans les Kivus.

Comment alors expliquer cette exception ? Pour comprendre le cas


de l’Ituri, nous allons examiner l’influence que certains événements choquant
peuvent avoir sur la communauté internationale.

En effet, pendant la transition il s’est produit plusieurs événements


choquants qui ont attiré l’attention de la communauté internationale pour repen-
ser sa stratégie d’intervention en y incluant une approche locale notamment dans
l’Ituri. Il s’agit notamment des faits suivant : certains terrains comme l’Ituri était
soudainement devenu hors contrôle de la MONUC ; cette crise apparaissait
comme un cas potentiel de génocide ; la violence était devenue spectaculaire ;
les casques bleus étaient devenus les cibles des milices locales et enfin il était
clairement établi que les conflits locaux risqueraient de mettre en péril le règle-
ment régional et national du conflit.

Il est certes vrai que la violence continua dans tout les pays à cause
entre autres du non résolution des conflits locaux. Ce pendant, contrairement aux
autres provinces, la communauté internationale considérait l’Ituri comme étant
mieux pacifié par rapport aux deux Kivus. Malheureusement, après le départ des
rwandais et ougandais, la reprise de la violence entre 2002-2003 surprenant la
communauté internationale ; en percevant la détérioration de la situation dans
l’Ituri comme un cas potentiel de génocide. Signalons que les événements de
1994 sont encore présents dans nos esprits. Cette perception, du point de vue hu-
manitaire a extrêmement influencé le déploiement de l’opération Artémis et la
227

MONUC renforcît sa présence plus dans l’Ituri que partout ailleurs287. En outre,
certains milices tuèrent et prirent en otages des casques bleus, ce qui amena la
MONUC à conduire des actions militaires extensives. Enfin, on assista pendant la
transition à des pratiques proches de celles utilisées au Rwanda pendant le géno-
cide, le recours aux machettes pour massacrer les populations et les torturer.

Il faut cependant noter que ces événements choquant ont eu un im-


pact limité et temporaire. Ils ont permis d’attirer plus l’attention de la commu-
nauté internationale et une plus large implication, mais n’ont en rien changé à
l’approche dominante de la MONUSCO. Pourquoi alors ces événements cho-
quants n’ont pas permis à l’ONU de repenser sa stratégie de reconstruction de
l’Etat en RDC ?

Nous allons répondre à cette question dans le chapitre suivant con-


sacré aux dilemmes et contraintes auxquels la MONUSCO continue de faire
face sur le terrain en RDC.

287 HOFNUNG T, Comment l’ONU a évité un Génocide en RDC- Ituri au bord du Gouffre, Libération, 20 Juin, 2005.
228

CHAPITRE QUATRIEME
MONUSCO FACE AUX DILEMMES ET CONTRAINTES DE
LA RECONSTRUCTION DE L’ETAT EN RDC

Par dilemme, dilemma en latin, il faut entendre une situation qui


nécessite de faire un choix entre deux solutions contradictoires, chacune étant
insatisfaisante que l’autre. Dans le cadre des interventions post-guerre froide, les
Nations Unies font face sur le terrain à plusieurs dilemmes notamment ceux liés
à la durée de la mission et ceux en rapport avec le degré de l’intrusion de la
mission dans les affaires intérieures de l’Etat.

Les contraintes sont les difficultés, les obstacles que la MONUS-


CO rencontre sur le terrain dans le cadre de sa mission. Celles-ci peuvent être
d’ordre juridique, matériel ou financier.

SECTION 1. INTERVENTION MILITAIRE ET DILEMMES DE LA RECONS-


TRUCTION DE L’ETAT

De nos jours, les scientifiques et hommes politiques sont d’avis que


tout pays qui sort de la guerre doit être sécurisé pour lui permettre de se recons-
truire politiquement et économiquement. Cette sécurité est dans un premier
temps dépendant des forces d’intervention, les Nations unies en l’occurrence
qui doivent jouer ce rôle avant de passer le relai aux troupes nationales. Nous
allons ici examiner le rôle de ces forces étrangères dans le processus de la re-
construction de l’Etat. Nous chercherons à savoir, sous quelle condition une
force d’intervention étrangère, dans notre cas la MONUSCO, peut être un outil
essentiel dans le processus de la reconstruction de l’Etat.

Cette section va examiner deux dilemmes principaux auxquels sont


confrontés à la fois, les populations de l’Etat à reconstruire et les puissances es-
trangères participant dans cette reconstruction.
229

§1. Dilemme de la durée

Les forces d’intervention peuvent jouer un rôle important dans la


sécurisation du pays et des populations civiles. Cependant, le souhait de voir ces
forces remplir ce rôle peut devenir obsolète dans le temps, car l’Etat tient tou-
jours à regagner sa totale souveraineté sur toute l’étendue du territoire. Face à ce
dilemme, les forces d’intervention peuvent subir des pressions pour se retirer
avant même que les forces de sécurité locale soient à mesure de prendre la re-
lève ou elles décideront de rester en dépit de la résistance locale et du ressenti-
ment contrent-elles.

Ce choix difficile entre d’un côté se retirer ou rester sur le territoire


fait émerger ce dilemme : si les forces d’intervention restent essentielles pour
maintenir l’ordre dans l’environnement post-conflit, mais au même moment on
assiste au rejet de leur présence par la population locale. Ainsi, les forces
d’intervention comme on vient de le dire peuvent mettre fin à l’intervention en
se retirant ou continuer une intervention devenue impopulaire. Ce dilemme
émerge de trois façons.

Premièrement, les forces d’intervention jouissent d’une période de


bienvenue, de joie et de paix car la population qui a vécu la guerre considère ces
forces comme les mieux à même de s’engager dans la mission de reconstruction.
La population en général accepte ces forces sans résistance. Même dans la pé-
riode post-intervention en Irak, les violences contre les forces américaines n’ont
pas commencé immédiatement ; la violence commença lorsqu’il fut établit que
la coalition était incapable de fournir la sécurité.

Deuxièmement, cette période de bienvenue vient à son terme, et la


population en général ou une partie d’elle décide de continuer à accepter la pré-
sence de ces forces ou de les rejeter. La réaction de la population est fonction
non seulement comment ces forces sécurisent la population mais aussi sur la
crédibilité de ces forces de quitter le territoire dans un délai acceptable.
230

Enfin, les forces d’intervention font face au dilemme de la durée.


La reconstruction de l’Etat est un acte ambitieux qui demande du temps. La po-
pulation généralement impatiente et insatisfaite des progrès réalisés par ces mis-
sions peut recourir à plusieurs formes de résistance, par exemple le recours à la
violence contre ces forces. Ainsi, les forces d’intervention sont confrontées à un
choix entre le retrait prématuré de ses forces ou prolonger une présence qui n’est
pas la bienvenue. Si ces forces se retiraient prématurément sans pourtant stabili-
ser le pays et assurer la sécurité, les risques de voir le pays replonger dans la
violence sont évidents ; de l’autre côté, si les forces étrangères prolongent leur
présence, la résistance de la population augmentera rendant difficile la création
d’un environnement stable pour la reconstruction effective de l’Etat.

Le dilemme de la durée a de l’impact aussi sur les politiques in-


ternes des pays qui conduisent l’intervention. Les interventions militaires à
l’étranger sont coûteuses en termes financiers et des vies humaines. Ainsi, lors-
que la mission devient longue, les audiences domestiques de ces pays
s’interrogent sur la nécessité de continuer la mission. Au même moment, mettre
fin à l’intervention donne le sentiment de gâchis et de dilapidation des res-
sources. Les pressions du dilemme de la durée comme on le voit, ne proviennent
pas seulement du pays où l’intervention a lieu mais aussi des pays qui condui-
sent l’intervention.

Pour illustrer le fonctionnement de ce dilemme de la durée, nous al-


lons considérer l’expérience de l’intervention onusienne au Timor Oriental, au
Kosovo et en RDC. Ces trois cas vont illustrer non seulement la difficulté de
manager ce dilemme mais aussi la relation entre les forces militaires
d’intervention et les aspects politiques de la reconstruction de l’Etat. Car, la pré-
sence militaire ne peut pas être la bienvenue à l’absence réelle des progrès réali-
sés sur terrain et une perspective claire du retour à la souveraineté nationale.
231

L’intervention onusienne au Kosovo débuta un peu avant


l’intervention au Timor Oriental. Il est vrai que le contexte de ces deux interven-
tions diffère, car les Nations Unies sont venus au Kosovo dans la suite de
l’intervention militaire de l’OTAN dans sa guerre contre la Serbie alors qu’au
Timor l’ONU fut invitée à intervenir. Beaucoup d’observateurs considèrent que
ces deux interventions sont les plus ambitieuses jamais engagées par l’ONU à
nos jours, ainsi une comparaison de deux s’avère importante.

Dans sa résolution 1264 du 15 Septembre 1999, le Conseil de sécu-


rité de l’ONU autorisa le déploiement d’une force internationale au Timor
Oriental (INTERFET). A partir du 20 Septembre, les premiers éléments consti-
tués des 12,000 australiens débarquèrent avec pour mission de restaurer la paix
et la sécurité à la suite d’un vote tumultueux de l’indépendance. En Octobre, le
Conseil de sécurité approuva la formation d’une administration de transition
onusienne (UNTAET) ayant pour mission de faciliter la transition vers
l’indépendance. Le 20 Mai 2002, le Timor Oriental deviendra indépendant, mais
la mission onusienne pour la stabilisation du pays (UNMISET) demeura au Ti-
mor pour trois ans.

La mission onusienne au Timor fut la bienvenue car toutes les par-


ties l’ont considéré comme transitoire et devant faciliter l’indépendance du pays.
Cependant, l’UNTAET rencontra certaines critiques à cause de la lenteur dans
l’avancement du processus et la non implication de la population locale. C’est
dans ce contexte que le leader du Conseil National de la Resistance du Timor
(CNRT), un des mouvements politiques le plus influant lança un mouvement de
désobéissance contre l’ONU et initia une déclaration unilatérale de
l’indépendance288. En plus, le CNRT exigea de Koffi Annan de renvoyer tous
les officiels de l’ONU en Mai 2000 et de fixer une date pour le départ de l’ONU.
Car pour le CNRT, la population de Timor Oriental était déçue par l’ONU, il y a

288 CHOPRA, J., “The UN’S Kingdom of East Timor”, Survival 42(3), p.34.
232

un manque de confiance à cause de l’incapacité de l’ONU d’impliquer la popu-


lation, de produire un calendrier clair de travail289.

On peut donc noter qu’une année seulement après avoir invité les
forces onusiennes à faciliter la transition, celles-ci furent l’objet de contestation.
Ainsi l’ONU s’est vue obliger d’accélérer le processus en facilitant l’organisation
des élections démocratiques, maintenir la sécurité et manager la question des re-
fugiés. Ces objectifs furent obtenus en moins de trois ans pour éviter que la popu-
lation ne puisse définitivement se rebeller contre les Nations Unies.

L’ONU réalisa des progrès majeurs au Timor Oriental. Cependant,


la reprise des violences et l’instabilité politique en Mai 2006 soulève la question
de savoir s’il était nécessaire pour l’ONU de quitter le pays plutôt, le fait d’avoir
réduit sensiblement sa présence soulève ici la problématique du dilemme de la
durée. Retirer les forces d’intervention rapidement a l’avantage de montrer la
volonté de transférer la souveraineté aux autorités nationales, mais au même
moment introduit le danger de voir la violence reprendre. Koffi Annan se posa la
question de savoir “on a été en Chypre pour des années, on a été en Bosnie et au
Kosovo… mais pourquoi devons nous quitter les autres régions seulement après
deux ou trois années de présence ?”290.

La question de Koffi Annan est très intéressante, mais le cas du Ko-


sovo va nous montrer les difficultés de prolonger les missions onusiennes. Si les
longues missions peuvent empêcher la résurgence de la violence, cependant
elles soulèvent l’impatience parmi les populations nationales surtout en
l’absence des progrès réels.

L’intervention onusienne au Kosovo fut précédée par l’intervention


de l’OTAN après l’échec des négociations pour résoudre la question du statut du
Kosovo au sein de la république fédérale Yougoslave. En Juin 1999, après plus

289 CHOPRA, J., “Building State Failure in East Timor”, Development and change 33(5), p.33.
290 ANNAN, K., “ East Timor Commanding World’s attention”, Associated Press, June 8, 2006.
233

de trois mois de bombardement de l’OTAN, le président Yougoslave Slobodan


Milosevic capitula à la demande de l’OTAN et retira les forces Serbes du Koso-
vo. Cependant, la défaite de la Serbie laissa non résolue l’importante question du
statut du Kosovo comme Etat indépendant ou soit comme une entité autonome
au sein de la Yougoslavie.

Cette issue fut adressée aux Nations Unies, et la résolution 1244 du


10 Juin 1999 décida de l’établissement d’une présence civile internationale au
Kosovo sous le contrôle d’un représentant spécial du Secrétaire General de
l’ONU. En Juillet, l’ONU à travers sa mission au Kosovo (UNMIK) contrôla
tous les pouvoirs ensemble avec la force d’intervention de l’OTAN, la KFOR.

La KFOR fera face aux défis sécuritaires nombreux. Les violences


opposèrent les albanais du Kosovo aux restes des populations serbes ainsi
qu’aux minorités romaines. Ainsi, l’UNMIK décida de laisser les albanais du
Kosovo de se gouverner eux-mêmes.

Malgré ces quelques avancées, les albanais du Kosovo sont devenus


impatients du retard accumulé par l’ONU de reconnaitre l’indépendance du Ko-
sovo. En Mars 2004, les manifestations contre l’absence des progrès vers
l’indépendance tournèrent en violence contre les serbes et contre les véhicules
onusiens de l’UNMIK. Ces violences feront 19 morts, 900 blessés, 4.500 per-
sonnes déplacées et des infrastructures entières détruites291.

C’est dans ce contexte que beaucoup d’observateurs commencèrent


à s’interroger sur des progrès réalisés au Kosovo et sur la capacité réelle de la
KFOR à maitriser les violences. Si l’intervention au Kosovo a réussi de stopper
la guerre ethnique que Belgrade voulait mener au Kosovo, cependant le verdict
de la reconstruction du Kosovo surtout en termes d’entité politique indépendante
a trop pris de temps et fut la raison principale de violence qu’on venait
d’évoquer ci-haut.
291 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, “ Collapse in Kosovo”, Europe Report 15, Pristina, Belgrade, Brussels, ICR, 2004.
234

En RDC, la MONUC qui deviendra MONUSCO est implantée de-


puis 1999. Si à son début, certains efforts ont été réalisés en rapport avec le ces-
sez-le feu, la facilitation du dialogue inter-congolais, la mise en place des méca-
nismes de paix régional et national, l’organisation des élections… mais comme
l’argumente ce travail en 16ans de présence au Congo , son bilan est négatif et
tant la population en général que les hommes politiques ont ici et là exigé le dé-
part des troupes onusiennes car les avancées sur le terrain en termes de paix et
reconstruction sont de moins en moins visibles. En dépit d’une panoplie de réso-
lution, des prolongations des mandats de cette mission, le bilan en termes des
droits de l’homme en RDC sont catastrophiques. Ces troupes assistent de ma-
nière impuissante aux attaques des troupes rebelles contre les populations civiles
notamment dans l’Est du pays. Nous n’allons pas ici nous étaler sur toutes ces
exigences au départ de ces troupes, mais il faut signaler que la majorité de con-
golais ne croit plus ni à l’efficacité de la mission et ni à son rôle.

Si cependant, contrairement aux deux cas évoqués ci-haut, on


n’assiste pas encore aux manifestations de grande envergure contre la Monusco,
(même s’il faut signaler que celles-ci ont déjà eu lieu, conduite par des étudiants
et des associations des femmes militaires à l’Est du pays), c’est parce que la popu-
lation elle-même se trouve confrontée devant un autre dilemme : celui de se faire
protéger tout au moins par l’ONU qui de temps en temps dénonce les violations
des droits humains commis par le gouvernement congolais ou prendre le risque de
se livrer à un pouvoir dont il ne fait pas confiance. Deuxièmement, les mouve-
ments de contestation contre la présence onusienne au Congo sont toujours stop-
pés brutalement par les autorités congolaises qui recourent aux moyens dispropor-
tionnés. Enfin, il faut ajouter que le gouvernement congolais issu des élections de
2011, tire sa légitimité de la MONUSCO qui est la seule force militaire réelle du
pays sans laquelle le Congo est susceptible de replonger dans la violence. C’est
dans ce cadre qu’on peut comprendre le revirement de la position du gouverne-
ment Kabila issu des élections de 2011, qui par son porte parole le Ministre
Mende avait auparavant exigé le départ des troupes onusiennes avant
l’organisation des élections de 2011, qui aujourd’hui soutient la prolongation en-
235

core d’une année de la présence de ces troupes au Congo. Quant à l’opposition,


l’UDPS par la voix de son président Tshisekedi wa Mulumba avait déjà demandé
le départ de Roger Meece, le représentant du Secrétaire General de l’ONU au
Congo, l’accusant de complicité et connivence avec le pouvoir Kabila.

Ces trois cas illustrent clairement le dilemme de la durée. Au Timor


Oriental, l’ONU se retira avant que la résistance devienne plus grande contre ses
troupes. L’ONU se retira trop tôt, prolonger la mission pouvait faciliter la stabi-
lisation du pays mais avec le risque de voir la résistance s’accroitre. Au Kosovo
par contre, l’ONU et la KFOR continuèrent leur mission ; mais la présence de
l’UNMIK suscita des protestations parmi les populations albanaises du Kosovo.
Enfin en RDC, la présence de l’ONU est très controversée. D’un côté, la majo-
rité de la population considère qu’elle ne fait rien pour stabiliser le pays si on
considère l’instabilité qui perdure surtout dans l’Est du pays. Cependant, se reti-
rer dans ces conditions constituera un aveu d’échec avec le risque de voir le pays
se replonger dans des violences plus grandes. D’un autre côté, demeurer au
Congo risque de susciter de plus en plus des sentiments de rejet car les avancées
sur le terrain sont invisibles et le plan de retrait définitif reste inexistant.

De ce qui précède, pour éviter le dilemme de la durée, les forces


d’intervention engagées dans la reconstruction de l’Etat doivent remplir trois
taches importantes avant de se retirer. Premièrement, elles doivent faciliter
l’installation d’un gouvernement pour assurer la gouvernance du pays mais sur-
tout celui-ci doit jouir d’une large légitimité populaire. Car, céder le pouvoir à
un gouvernement incompétent risque de mettre en péril tous les efforts engagés
pour l’intervention. Deuxièmement, la sécurité de l’Etat post-conflit doit être
largement assurée. La formation des forces de sécurité locales doivent continuer
même après l’intervention. Enfin, les forces d’intervention doivent maintenir les
missions de reconstruction même après l’intervention. De ce qui précède, le dif-
ficile défi qui confronte les puissances d’intervention est l’accomplissement de
ces taches dans un délai raisonnable, ne pas se retirer avant de les remplir et non
plus tard après qu’ils soient remplis.
236

§2. Dilemme du nombre et de l’intrusion

Ce dilemme se réfère non seulement au nombre des forces mili-


taires et civiles qui doivent être engagées dans une intervention mais aussi au
degré d’intrusion de ces forces dans les affaires intérieures de l’Etat.

Dans plusieurs cas, les forces d’intervention peuvent être nom-


breuses et intrusives pour rétablir la sécurité. Un grand nombre de troupes avec
un mandat assertif peut produire des effets bénéfiques. Ce pendant et comme on
l’a ci -haut noté, cette assertivité peut aussi accélérer des résistances nationales à
la présence des forces étrangères dans le pays. Par contre, lorsque les forces
d’intervention sont moins nombreuses et passives, il y a des chances qu’elles ne
puissent pas rencontrer la résistance des populations locales mais avec les
risques de ne pas mieux remplir les missions de reconstruction.

Pour illustrer la dynamique de ce dilemme, nous allons considérer,


les interventions américaines post 11 Septembre en Afghanistan et en Irak avant
de conclure sur le Congo.

L’invasion américaine et ses alliés en Afghanistan débutèrent en


Octobre 2001. Plusieurs Afghans ont accueilli avec joie cette invasion avec le
souhait qu’elle mettra fin au régime tyrannique de Talibans et renvoyer des
étrangers dont ces derniers ont fait venir dans leur pays, dont le plus célèbre
d’entre eux Ben Laden292. En Décembre 2001, la conférence réunissant des poli-
ticiens Afghans décida de la mise en place d’une autorité intérimaire pour gou-
verner le pays. La conférence de Bonn demanda à l’ONU de mettre en place une
force internationale d’assistance sécuritaire (ISAF) pour maintenir la sécurité et
former les nouvelles forces afghanes.

292 BARFIELD, T., “Problems in Establishing Legitimacy in Afghanistan”, Iranian Studies 37(2), p.209.
237

Les USA et leurs alliés optèrent dans un premier temps pour un


nombre limité des troupes, soit 22.000 pour les USA et 20.000 pour les membres
de l’OTAN293, ayant pour mission de sécuriser Kabul et combattre les Talibans,
laissant au gouvernement Afghan de s’occuper du reste du pays. En refusant
d’occuper entièrement le pays, cette stratégie tourna vite à l’échec car stabiliser
l’Afghanistan exigeait une force robuste et intrusive. Les Talibans s’organisèrent
et commencèrent à mettre en échec les forces de la coalition surtout dans les
provinces et même à Kabul. Obama décidera à la demande du général Mac Cris-
tal d’y envoyer 30.000 forces supplémentaires pour stabiliser le pays. En outre,
les américains contrôlèrent tous les rouages du pouvoir. Ils soutiennent Karzai,
le président Afghan dont l’élection a été émaillée d’irrégularités et dont
l’administration est corrompue. Dans ces conditions, la population afghane de-
vient de plus en plus hostile aux occupants. L’armée Afghane se retourne même
contre les américains en réalisant des attentats. Plusieurs Etats membres de
l’OTAN viennent de décider du retrait de leurs troupes. Le dernier en liste est
François Hollande.

La reconstruction de l’Etat en Iraq a rencontré des difficultés et vio-


lences énormes. L’invasion américaine et alliés en Iraq a eu pour conséquence
l’émergence dans ce pays des groupes d’insurgés pour combattre et mettre en péril
l’occupant. Si dans le Kurdistan irakien la situation est paisible, le reste du pays est
confronté aux violences, opposants la majorité Chiite à la minorité Sunnite.

Les USA et leurs alliés ont recouru à une stratégie différente en


Irak. Ils ont envahi le pays avec un plus grand nombre des troupes et ont mis en
place une administration de transition dirigée par un américain. Cette stratégie
souleva des interrogations non seulement sur leurs motivations réelles, mais aus-
si produit une opposition de la part de la population irakienne. De nos jours,
malgré le transfert du pouvoir et de la sécurité aux autorités irakiennes, les vio-
lences demeurent permanentes dans le pays, le gouvernement central reste très

293 SUHRKE, A., “The Limits of State building: The Role of International Assistance in Afghanistan”, Paper presented at the
International Studies Associated annual meeting. San Diego, CA, March 21-24.
238

instable, la situation sécuritaire en général est plus mauvaise en comparaison aux


années Saddam Hussein, même si sa disparition reste tout de même une bonne
nouvelle pour le monde libre.

En RDC, si au départ l’ONU décida d’envoyer un nombre limité


d’observateurs et troupes pour surveiller le cessez-le feu et faciliter le dialogue
entre congolais, ce nombre augmentera de plus en plus suite à la poursuite de la
guerre et aux violences commises contre les populations civiles. La MONUSCO
est devenue au moment de la rédaction de ce travail, la plus grande et robuste
mission onusienne dans le monde. En outre, comme nous le montrerons plus bas,
l’ONU a joué et continue d’être présente dans les affaires intérieures du Congo.

Ces cas nous montrent comment fonctionne ce dilemme du nombre


et de l’intrusion. En Afghanistan dans sa première phase, le fait pour la coalition
d’avoir engagé un nombre relativement limité des troupes dans l’intervention et
d’avoir mis en place une administration de transition dirigée par un Afghan a
certes eu l’avantage d’éviter la résistance des populations civiles. Mais, cette
stratégie a par contre limité les efforts de reconstruction car les Talibans ont
continué à opérer dans les provinces. Dans un second temps, avec
l’augmentation des nombreuses troupes, en plus du soutien américain à Karzai
considéré comme corrompu et donc devenu l’homme des occupants, la résis-
tance contre les troupes d’occupation a augmenté mais à contrario, les violences
ont tout de même baissé dans le pays.

En Irak, la coalition fut plus assertive en prenant le contrôle de tous


le pays, sa présence visible et intrusive dans les affaires intérieures de l’Irak gé-
néra des fortes résistances en rendant difficile les objectifs de la reconstruction
nationale. Au Congo, ce dilemme est difficile à mieux saisir car la classe poli-
tique en général est incompétente et incapable de produire une vision pour le
pays et de ce fait de canaliser et mobiliser la population pour cette vision. Elle se
positionne en faveur ou contre ces dilemmes selon qu’elle trouve son compte
comme nous l’avons ci-haut montrer avec la position du ministre Mende.
239

Comme avec le dilemme de la durée, le défi du dilemme du nombre


et de l’intrusion est d’avoir une “présence nécessaire” : Un nombre limité de
troupes rend difficile le défis de sécuriser le pays, et un nombre plus grand pro-
voque des résistances nationales contre les forces d’intervention. Les forces
d’intervention doivent être nombreuses pour faire face aux violences dans le
pays, mais pas trop nombreuse pour apparaitre comme des forces d’occupation.
Elles doivent être intrusives pour éviter les insurrections, mais pas trop intru-
sives pour générer la résistance contre l’intervention.

SECTION 2. MONUSCO FACE AUX CONTRAINTES DE LA RECONSTRUC-


TION EN RDC

Cette section nous permet d’approfondir les raisons de l’échec de la


Monusco, c’est- à -dire les obstacles auxquels cette mission a fait face ou conti-
nue à faire face au Congo.

§1. Résistance au Changement

Nous avons précédemment montré que les Nations Unies sont gui-
dées par une culture d’intervention, celle qui focalise toute la stratégie aux plans
nationaux et régionaux. Ainsi, changer de stratégie et inclure la gestion des con-
flits locaux auraient sans doute menacé les intérêts de l’organisation. Concéder
que les conflits locaux devenaient prioritaires impliquerait la formation des agents
onusiens aux résolutions des conflits locaux. Alternativement, ces agents devaient
concéder que leur expertise était insuffisante et qu’éventuellement, il fallait enga-
ger des nouveaux agents pour ce travail. Pour toute l’organisation, cette conces-
sion signifie l’embarquement dans un processus intensif de changement (création
des nouveaux départements, des nouvelles procédures opérationnelles, des fonds
supplémentaires…). Pour une bureaucratie comme l’ONU et les ambassades, tra-
vailler aux niveaux locaux remettait en cause leur identité, centrée sur l’idée
qu’elles sont des organisations ne traitant qu’avec des acteurs nationaux.
240

La résistance au changement aussi persiste parce que la stratégie al-


ternative développée dans le chapitre trois de cette partie portant sur les conflits
locaux en addition des tensions nationales et régionales et priorisant la sécurisa-
tion du pays sur l’organisation des élections, entre en contradiction avec cer-
taines normes des Nations Unies. La norme de la non-intervention dans les af-
faires intérieures des Etats, spécialement si cet Etat est une ancienne colonie,
devient de plus en plus forte sur la scène internationale dans cette deuxième
moitié du Vingtième siècle. Les acteurs internationaux trouvent l’idée de
l’intervention aux niveaux locaux outrageuse, paternaliste, néocolonialiste et
néo-impérialiste. Similairement, les élections sont associées à la démocratie, que
les forces d’interventions perçoivent l’idée de repousser les élections comme un
rejet de l’idée même de la démocratie.

§2. Impact limité des événements choquants

Nous avons précédemment soutenu que la MONUC s’est tout de


même lancée dans la résolution des certains conflits locaux, notamment dans
l’Ituri à cause de certains événements choquants tels le génocide, la violence gé-
néralisée et dirigée contre le personnel de l’ONU, le risque d’embrasement gé-
néral du pays…mais à ce niveau d’analyse il devient facile de comprendre pour-
quoi ces événements choquants n’ont eu qu’un impact limité et temporaire.

Ces événements choquants en effet, n’ont changé qu’un seul élé-


ment de la culture onusienne, celui de catégoriser le Congo comme étant en si-
tuation post-conflit. L’existence d’une paix relative fut un des critères essentiels
pour le déploiement des casques bleus, car comme le soulignait un diplomate, la
mission de l’ONU est de maintenir la paix et non de l’établir.

En outre, l’ONU ayant déjà dépensé d’énormes ressources au Congo,


il était devenu inimaginable de penser à un quelconque retrait et comme on l’a dé-
jà dit, la MONUC fut un test pour l’ONU, la possibilité d’évaluer sa capacité de
mener seule une intervention humanitaire. Les craintes de l’échec furent grandes
241

qu’au Congo la réponse fut différente de celles du Rwanda et de la Somalie. En


lieu et place du retrait, au Congo l’ONU a par contre augmenté ses forces.

Enfin, le spectre du génocide, la violence horrifique et la reconnais-


sance par les acteurs internationaux que les tensions locales et nationales furent
interconnectées prouvèrent que la stratégie onusienne conduisait à l’échec et
exigeait une plus grande implication au niveau local. Malheureusement, ces
événements choquants n’affectèrent en rien la stratégie et les normes de
l’engagement onusien au Congo ; ces éléments ont par contre renforcé la résis-
tance au changement.

§3. Souveraineté congolaise

Dans nos interviews, les acteurs internationaux ont souvent consi-


déré la souveraineté du Congo comme obstacle à leur action sur le terrain. C’est
dans ces conditions que la MONUC considéra les conflits locaux comme un
problème interne au Congo. Dans le monde de ses officiels, il n’est donc pas né-
cessaire ni légitime d’intervenir localement mais plutôt que de se centrer sur le
processus de paix au niveau national.

Cependant, la souveraineté congolaise ne doit pas être considérée


comme une contrainte absolue. Premièrement, la charte des Nations Unies sti-
pule que le principe de non-interférence ne doit pas préjudicier l’application des
mesures prises sous le chapitre VII de la dite charte. Deuxièmement, comme
nous l’avons évoqué précédemment, la souveraineté égale responsabilité. Si un
gouvernement est incapable d’assurer la sécurité de sa population, celui-ci se
disqualifie et la responsabilité de protéger revient à la communauté internatio-
nale. Enfin, comme les conflits locaux au Congo devenaient une menace à la
paix et la sécurité internationale, la charte des Nations Unies autorise une inter-
férence dans ces circonstances. Encore plus important, les diplomates et officiels
onusiens outrepassaient la souveraineté congolaise lorsqu’ils estimaient néces-
saire. Ils ont supervisé la rédaction de la constitution, la supervision des élec-
242

tions et les autres actes législatifs, toutes les matières relavant de la souveraineté
de l’Etat. Ils ont corrigé des textes présentés par les congolais, exigeant des re-
présentants congolais de suivre les instructions de la communauté internationale,
les menaçant d’arrêter leur aide si ces derniers restaient sur leurs positions. En-
fin, ils imposèrent des experts dans différentes institutions pour s’assurer que
tout devrait être fait selon leur vision.

En définitive, le fait pour l’ONU de n’avoir pas reconnu le rôle cri-


tique des conflits locaux comme menace à la sécurité internationale, causant des
désastres humanitaires, celle-ci considéra la souveraineté congolaise comme un
paravent ou un obstacle insurmontable pour justifier leurs échecs au Congo.

§4. Contraintes liées au Mandat

Les officiels de la MONUC présentèrent les contraintes imposées


par le mandat de l’ONU comme un autre obstacle auquel ils ont fait face au
Congo. Pour eux, les missions de maintien de la paix dérivent du processus de
paix et que l’accord de paix en RDC portait sur la réconciliation régionale et na-
tionale et non sur les politiques locales. En outre, le Conseil de Securit de
l’ONU n’avait jamais autorisé la MONUC d’œuvrer sur les antagonismes locaux
et elle ne pouvait donc pas en passer outre.

En effet, les mandats définissant les rôles des missions de la paix


sont en général vagues ; ils produisent une orientation générale sur la mission et
ne vont pas en détails. Ils doivent donc être interprétés. Pour illustrer cette réali-
té, considérons la résolution 1493 de Juillet 2003. Pour le Conseil de Sécurité de
l’ONU, le rôle de la MONUC est de fournir l’assistance pendant la transition, de
reformer le système de sécurité, le rétablissement d’un Etat de droit et
l’organisation des élections294. Cette définition fut très ambiguë que le Secrétaire
Général de l’ONU reconnaissait dans un rapport sur la MONUC que

294 UNSC, resolution 2003b, p.5.


243

l’interprétation de la résolution 1493 fut un défi majeur pour la MONUC et que


la difficulté de spécifier son rôle sous cette résolution, posait des problèmes295.

C’est ainsi que pendant la transition, le bataillon népalais des


casques bleus stationné en Ituri, interpréta cette résolution comme les autorisant
d’agir directement contre les milices pour protéger les populations civiles. Les
pakistanais dans le Nord Kivu avaient la même interprétation mais seulement au
cas par cas. Par contre, le bataillon indien dans le Sud Kivu interpréta le mandat
différemment : Pas d’action directe pour protéger les populations locales, mais
seulement apporter un support aux troupes de l’armée congolaise.

Enfin de compte, le mandat de la MONUC/MONUSCO n’a pas été


une contrainte absolue pour une implication plus large au Congo. Ce qui trans-
forma ce vague mandat en obstacle insurmontable reste la manière de
l’implémenter et d’interpréter ses instructions. A l’exception de quelques uns,
les officiels de la MONUC considérèrent leur mandat comme les proscrivant
d’intervenir localement, sous l’influence de la culture dominante, ils estimèrent
que les conflits locaux sont ineffectifs, non familiers et illégitimes pour les ac-
teurs internationaux.

§5. Autres contraintes

Des contraintes diverses sont généralement présentées comme un


obstacle significatif dans le rôle de l’ONU au Congo. Ces contraintes sont ce
pendant construites différemment selon que les acteurs internationaux considé-
raient les élections prioritaires ou la résolution préalable des conflits locaux.
L’inexistence de l’appareil de l’Etat met en péril ces initiatives qui demandent
l’implication de l’Etat. L’absence de la sécurité affecte le processus électoral,
car la liberté de faire campagne ne peut être garantie et l’accès dans certaines
zones instables devient impossible.

295 UNSC, Third Special Report on the UN mission in DRC, 2004, pp 58-59.
244

Cependant, comme les acteurs internationaux ont considéré


l’organisation des élections comme prioritaires, ils y ont placé tous les moyens
logistiques, financiers qu’humains. Ils pouvaient redistribuer ces moyens en
consacrant une partie aux politiques locales.

Ainsi, l’argument selon lequel les contraintes financières, tech-


niques ou autres humaines constituent des obstacles que l’ONU fait face en
RDC, ne résiste pas à l’analyse.

Inclure l’approche locale à l’approche régionale et nationale dans la


résolution des conflits au Congo, pouvait être possible et devait largement con-
tribuer à construire la paix et la stabilité. Cependant, la combinaison des normes
et intérêts de l’ONU rendra les acteurs internationaux résistant au changement ;
les événements choquants qui se produisent au Congo n’ont pas non plus mal-
heureusement permis à ces acteurs de repenser leur stratégie d’intervention. Le
Congo est donc de nos jours un pays très instable, aux perspectives d’avenir dif-
ficiles. Il exige donc une nouvelle stratégie de sa reconstruction à la fois de la
part des Nations Unies mais surtout des congolais eux-mêmes.

SECTION 3. ACCORD CADRE D’ADDIS ABEBA ET DEFAITE DU M23


Le 5 Novembre 2013, le M 23 annonça la fin de son insurrection de
près de 20 mois contre le gouvernement congolais. Cette annonce qui est une
conséquence logique de la défaite politique et militaire du mouvement constitue
un moment d’espoir, de paix et de stabilité dans la région.
Cependant, la stabilité à long terme du pays et de la région exigera
une prise en compte plus large des nombreux aspects : la démilitarisation des
groupes rebelles étrangers, le retour des refugiés y compris la poursuite devant
des tribunaux des responsables des violations des droits humains.
Dans cette section, nous allons présenter les éléments de l’accord-
cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région. En
deuxième lieu, nous discuterons de la défaite du M23 et ses conséquences.
245

§1. Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC


et la région
Les membres de la communauté internationale qui se sont retrouvés
à Addis Abeba en février 2013, ont estimé que d’importants progrès ont été en-
registrés en RDC et que le processus de paix national et régional à établi la base
d’une paix et d’une stabilité dans des grandes parties du pays. La même com-
munauté internationale, a aussi estimé que le gouvernement congolais avec
l’appui des partenaires internationaux a entamé un certain nombre des reformes
en vue de préparer le pays à la démocratisation et à la reprise économique.

Cependant, l’Est du pays continuait à subir des cycles des conflits


récurrents et des violences persistantes de la part des groupes armés tant natio-
naux qu’étrangers.

Les conséquences de cette violence ont été plus que dévastatrices.


Des actes de violence sexuelle et des graves violations de droits de l’homme
sont utilisés régulièrement et quasi-quotidiennement comme des armes de
guerre. On y dénombre des déplacements massifs des populations. Ainsi, tout
effort tant de reconstruction que de sécurisation ne peux qu’être interrompu.

En dépit de ces défis, il s’est révélé important de s’atteler sur les


causes profondes du conflit en vue de mettre un terme aux différents cycles de
violence. Les différents acteurs du conflit en RDC ont donc pris des engage-
ments afin de mettre fin à ce cycle de violence. Il s’agit de :
246

1.1. Pour le gouvernement congolais

- continuer et approfondir la réforme du secteur de la sécurité, en par-


ticulier en ce qui concerne l’armée et la police.
- consolider l’autorité de l’Etat en particulier à l’Est du pays y com-
pris en empêchant les groupes armés de déstabiliser les pays voi-
sins ;
- effectuer des progrès en ce qui concerne la décentralisation ;
- promouvoir le développement économique, y compris au sujet de
l’expansion des infrastructures et de la fourniture des services so-
ciaux de base ;
- promouvoir la reforme structurelle des institutions de l’Etat y com-
pris la réforme des finances ;
- enfin, promouvoir les objectifs de réconciliation nationale, de tolé-
rance et de démocratisation.

C’est surtout ici qu’il faille prendre en compte la tenue à Kinshasa


en Octobre 2013 des travaux des concertations nationales. Celui-ci fut boudé par
une grande partie de l’opposition politique dont l’UDPS et l’UNC… continuant
à considérer que le président Kabila est illégitime car pour eux il n’a pas gagné
les élections de 2011. Tshisekedi notamment estime toujours qu’il est le prési-
dent élu et exige à la population de tout faire pour l’installer au pouvoir.

Le dialogue entre Congolais peut être perçu comme un échec car


n’ayant pas permis à tous les congolais notamment les opposants les plus con-
nus d’y prendre part.

Il faut aussi signaler que certains congolais de la diaspora réunis au-


tour « des combattants » ont aussi refusé de participer aux assises. Pour eux, le
président Kabila est un rwandais ou mieux au service du Rwanda pour la désta-
bilisation de la RDC. Tous ceux travaillant avec lui sont pour reprendre leur
terme des « collabos », terme emprunté de l’histoire de la résistance française
247

pendant la deuxième guerre mondiale associant des personnalités comme Pétain


aux collabos c’est à dire ceux ayant collaboré avec l’Allemagne Nazi.

Il faut aussi signaler que plus d’une année après la clôture de ces
assises, plusieurs résolutions n’ont jamais été appliquées. Si, la formation d’un
gouvernement dit « d’union nationale » a eu lieu, ce pendant, la double nationa-
lité à accorder aux congolais d’origine devenus étrangers par la force des choses
ou encore la facilité des visas pour ces derniers n’a pas encore été abordée. .

Plus gravement encore, alors que l’heure doit être à la cohésion na-
tionale, la majorité présidentielle relança un débat qui commença à empoison-
ner la vie politique, la question de la révision constitutionnelle et surtout de tou-
cher aux articles intangibles de la constitution.

Si ce processus aboutissait, il y a des forts risques que les nouvelles


institutions ne puissent pas jouir d’un soutien populaire nécessaire dont tout
gouvernement a besoin pour réaliser les reformes. La question de la légitimité
reste essentielle pour toute action politique. Les lois et constitutions doivent sur-
vivre au delà des animateurs. Il est bon de laisser la constitution inchangée, dans
son état actuel. Rien à mon avis ne justifie sa révision surtout en ce qui concerne
le nombre du mandat présidentiel.

1.2. Pour la région

- Ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats voisins ;


- Ne pas tolérer, ni fournir une assistance ou un soutien quelconque à
des groupes armés ;
- Respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des Etats voisins ;
- Renforcer la coopération régionale, y compris à travers
l’approfondissement de l’intégration économique avec une attention
particulière accordée à la question de l’exploitation des ressources
naturelles ;
248

- Respecter les préoccupations et intérêts légitimes des Etats voisins,


en particulier au sujet des questions de sécurité ;
- Ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce
soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre
l’humanité, d’actes de génocides ou de crimes d’agression, ou aux
personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies ; et
- Faciliter l’administration de justice, grâce à la coopération judi-
ciaire dans la région.

Nous avons dans des pages précédentes évoqué la théorie de migra-


tion sur « les mauvais voisins ». Ces Etats voisins qui cherchent à déstabiliser
les autres. Les guerres du Congo sont aussi des guerres des voisins notamment,
l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi. Ces voisins ont des intérêts multiples au
Congo. Pour la stabilité dans la région, les seules bonnes intentions ne suffisent
pas. Il faut faire plus. Chacun de ces Etats doit devenir réellement démocratique.
L’alternance au pouvoir doit être respectée y compris les droits de toutes les
communautés.

La théorie de la paix démocratique que nous avons aussi déjà évo-


quée dans ce travail, nous enseigne que les Etats démocratiques sont moins vio-
lents envers les autres démocraties, à cause de leurs structures politiques et au
contrôle que subissent les gouvernants. Si la région des grands lacs devenait dé-
mocratique, il y a beaucoup de chances que la région devienne stable, qu’elle ex-
périmente la croissance et le développement pour le bien être de ses populations.

1.3. Pour la communauté internationale

- Le Conseil de Sécurité resterait saisi de l’importance d’un soutien à


la stabilité à long terme de la RDC et de la région des Grands Lacs ;
- Un engagement renouvelé des partenaires bilatéraux à demeurer
mobilisés dans leur soutien à la RDC et la région, y compris avec
les moyens appropriés pour assurer la durabilité de ces actions sur
249

le long terme ; et d’appuyer la mise en œuvre des protocoles et des


projets prioritaires du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le dévelop-
pement dans la région des grands lacs ;
- Un engagement renouvelé à travailler à la revitalisation de la com-
munauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) et à sou-
tenir la mise en œuvre de son objectif de développement écono-
mique et d’intégration régionale ;
- Une revue stratégique de la MONUSCO afin de renforcer son appui
au gouvernement pour faire face aux enjeux d’ordre sécuritaire et
favoriser l’expansion de l’autorité de l’Etat ;
- la nomination d’un envoyé spécial des Nations Unies pour soutenir
les efforts pour trouver des solutions durables avec un plan à plu-
sieurs volets qui permettront la convergence de toutes les initiatives
en cours.

Comme nous venions de le souligner, la communauté internationale


doit faire plus. Elle doit notamment exiger des ces « dictateurs » de la région de
respecter des constitutions et l’alternance. Elle doit comme ce fut le cas avec
l’ONUCI en Côte d’ivoire, certifier les résultats des élections en vue de les cré-
dibiliser. Elle doit donner un signal fort comme dans le cas Gbagbo que les tri-
cheurs seront punis. C’est de cette manière que les choses avanceront dans la ré-
gion car, comme nous le disons en sociologie politique, le pouvoir corrompt,
peu des dirigeants sont ceux qui acceptent de s’en séparer.

1.4. Mécanisme de suivi

En ce qui concerne le mécanisme de suivi, les signataires de


l’accord cadre d’Addis Abeba ont estimé que la RDC, les pays limitrophes, les
partenaires régionaux et la communauté internationale travailleront de façon
synchronisée afin de promouvoir les principes ci-après :
250

- un mécanisme de suivi régional impliquant les dirigeants des pays de


la région, notamment de la RDC, de la RSA, de l’Angola, du Burun-
di, de la République centrafricaine, de la République du Congo, de la
République de l’Ouganda, de la République du Rwanda, de la Répu-
blique du Soudan du Sud, de la République unie de Tanzanie et de la
République de Zambie, jouissant des bons offices du Secrétaire Gé-
néral des Nations Unies, de la présidente de la commission de
l’Union Africaine, du président de la conférence internationale sur la
Région des Grands Lacs et du président de la Communauté pour le
développement de l’Afrique australe, en qualité de garants du présent
accord, sera établi et se réunira régulièrement pour passer en revue
les progrès dans la mise en œuvre des engagements régionaux ci-
dessus, dans le respect de la souveraineté des Etats concernés ;
- ce mécanisme est en soutien aux efforts régionaux en cours et par
conséquent soutenu par et étroitement lié à l’union africaine, la con-
férence internationale sur la région des grands lacs et la communau-
té pour le développement de l’Afrique Australe, ainsi qu’à d’autres
partenaires internationaux, y compris l’Union Européenne, la Bel-
gique, les Etats-Unis d’Amérique, la France et le Royaume-Uni. Un
plan détaillé pour la mise en œuvre de l’accord sera développé con-
jointement, y compris l’établissement de critères et mesures de suivi
appropriées ;
- le Président de la RDC mettra en place, au sein du gouvernement,
un mécanisme national de suivi en vue d’accompagner et de super-
viser la mise en œuvre des engagements pris au niveau national
pour les reformes susmentionnées. Les Nations Unies, l’Union
Africaine, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Dévelop-
pement et d’autres partenaires bilatéraux ou multilatéraux qui seront
convenus apporteront leur soutien à ce mécanisme ;
- le mécanisme de suivi national fonctionnera dans le respect total de
la souveraineté de la RDC ;
251

- en RDC, la MONUSCO fera partie de la solution, et continuera à


travailler en étroite collaboration avec le gouvernement de la RDC.

§2. Défaite du M23

Toute défaite militaire d’un groupe armé est une étape importante à
la fois pour la paix mais aussi dans le processus tant de la démobilisation, du
désarmement que de la réintégration. Le 5 Novembre 2013, le Président Ber-
trand Bisimwa du Mouvement du 23 Mars exigea de ses commandants militaires
de déposer les armes et annonça le début des discussions politiques avec le gou-
vernement de Kinshasa afin de trouver une solution politique au conflit. Le 7
Novembre, le commandant militaire Sultani Makenga et plusieurs de ses com-
battants se retirèrent en Ouganda. Le 12 Décembre, le gouvernement congolais
et le M23 signèrent la déclaration de Nairobi, au Kenya.

Ces actes ont été suivis par le renforcement des troupes de la MO-
NUSCO ainsi que celles du gouvernement dans l’Est du pays. Il faut aussi signa-
ler des pressions diplomatiques contre le Rwanda pour son soutien au M23 et le
début des pourparlers de paix en Angola, Ouganda et en Afrique du Sud.

Avant de présenter l’historique du M23, signalons que la partie la


plus instable de la RDC reste principalement la Région de l’ancienne Kivu. La
subdivision administrative de 1987 consacra trois différentes nouvelles régions :
le Sud-Kivu (partageant la frontière à l’est avec le Burundi et le Rwanda), le
Nord-Kivu (ayant pour voisins le Rwanda et l’Ouganda), ainsi que le Maniema.
Le M23 a été très actif autour de Goma, la capitale du Nord Kivu.
252

Figure 1 Map of the DRC with North and South Kivu provinces in red. Source: www.berejst.dk/389/Goma.htm

La formation du M23 en 2009 doit être comprise dans un contexte


continuel d’instabilité politique et sociale en RDC. Le M23 fut crée suite à
l’accord du 23 Mars 2009 signé entre le gouvernement congolais et le congrès
national pour la défense du people (CNDP), dirigé par Bosco Ntaganda, une
fraction du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) ayant le sou-
tien du Rwanda). Au vu de cet accord, le CNDP est devenu un parti politique
légal et sa branche armée intégra les forces armées gouvernementales296.

Il faut ici noter qu’en 2006 la Cour Pénale Internationale avait lancé
un mandat d’arrêt contre Bosco Ntanganda pour crimes de guerre commis entre
2002 et 2003 par les forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC)297 . Ce
pendant, en 2012, le président Kabila se retrouva sous pression internationale suite
aux élections chaotiques de 2011, Ntanganda le chef du CNDP était devenu indé-
sirable avec la possibilité pour Kabila de le livrer à la CPI comme acte de bonne

296 Article 1.1 de l’accord du 23 Mars


297 Prosecutor v Ntanganda, ICC 2006
253

foi298. En outre, les militaires du CNDP désormais membres des FARDC, refusè-
rent de se faire déployer dans les provinces de l’Ouest et du Centre du pays arguant
que leur intégration dans l’armée n’était pas réelle. Ils estimèrent que le gouverne-
ment n’a pas respecté l’accord signé. C’est ainsi qu’un groupe de 300 ex- combat-
tants du M23 forma le M23 le 4 Avril 2012.

Le M23 sera composé principalement des membres de l’ethnie


Tutsi et des miliciens Mai-Mai du Nord Kivu et atteindra un nombre croissant
de près de 5000 membres vers fin 2012. Pour l’ONU, le M23 a bénéficié du sou-
tient tant militaire que financier du Rwanda et de l’Ouganda299.

Durant sa mésaventure de 20 mois, le M23, est parvenu à prendre la


ville de Goma en Novembre 2012 et selon l’ONU, le mouvement a commis plu-
sieurs violations des droits humains dans la province du Nord Kivu. En Mars 2013,
le Conseil de Sécurité de l’ONU adopta la résolution 2098, créant la brigade
d’intervention de l’ONU, premièrement composée des troupes venant du Malawi,
Afrique du Sud et la Tanzanie. Cette brigade ayant pour objectifs de protéger les
civils et surtout de neutraliser les groupes armés opérant dans la région300.

Les efforts coordonnés entre les FARDC et la brigade onusienne


vers la fin 2013, la faiblesse des nouveaux recrus, les désertions massives, les
conflits internes au sein du M23 entre les homes de Ntanganda, Makenga et de
Runiga en rapport avec les négociations avec le gouvernement contribueront
largement à la défaite du mouvement en Novembre 2013. Ces facteurs mis en-
semble y compris le manque de soutien de la part du parrain Rwandais dû aux
sanctions internationales affaibliront terriblement le mouvement.

298 BERWOUTS, K., Congo: Waiting for M24 or a real window of opportunity?. African Arguments,. November 5; Available at
http://africanarguments.org/2013/11/05/congo-waiting-for-m24-or-a-real-window-of-opportunity-by-kris-berwouts/ [Last ac-
cessed 4 January 2014]
4.United Nations Security Council Final report of the Group of Experts on the DRC submitted in accordance with
paragraph 4 of Security Council resolution 2021 (2011). S/2012/843. November 15; (referred to as ‘UN Group of Experts
Report on DRC’)
300 United Nations Security Council Resolution 2098. on extension of the mandate of the UN Organization Stabilization Mis-

sion in the Democratic Republic of the Congo (MONUSCO) until 31 Mar. 2014. S/RES/2098,. March 28; (2013)
254

En dépit de la neutralisation du M23, il existe toujours d’autres


groupes rebelles qui sèment la terreur y compris les Forces démocratiques pour
la libération du Rwanda (FDLR). Il serait souhaitable que ces derniers déposent
les armes ou se fassent éliminer par les FARDC et la brigade onusienne afin de
permettre la stabilité totale de la région. Cependant, ces groupes rebelles ne sont
pas les seuls qui violent les droits humains, la stabilité de la région exige que
tous ceux qui ont commis des crimes en RDC y répondent devant les tribunaux.
255

QUATRIEME PARTIE
IMPERATIF DE LA RECONSTRUCTION
DE L’ETAT CONGOLAIS

Dans le cadre de cette étude, il faut entendre par reconstruction de


l’Etat, la capacité de mettre en place des institutions et structures gouvernemen-
tales légitimes dans des pays émergeant dans les conflits. Ainsi :

1. La reconstruction de l’Etat n’est pas synonyme du rétablissement de


la paix. Ce dernier se réfère à la création des conditions stables pour
éviter que le pays ne replonge dans la violence. Par contre, la re-
construction de l’Etat qui est la mise en place de ces structures gou-
vernementales légitimes, est un élément important du rétablisse-
ment de la paix ;

2. La reconstruction de l’Etat ne doit pas se limiter à l’approche ″Top-


down″ que nous avons développée dans le deuxième chapitre de la
troisième partie de ce travail, qui ne se focalise qu’au niveau natio-
nal. Elle doit inclure le ″Bottom-up″ approche car la mise en place
des institutions légitimes exige un attentisme dans la relation entre
institutions et société civile. La légitimité de l’Etat doit provenir à la
fois des sources internationales et domestiques. Sur le plan domes-
tique, la légitimité dérive de la croyance parmi la population que les
institutions publiques ont le droit et l’autorité de gouverner pour
l’intérêt général ;

3. La reconstruction de l’Etat n’est pas synonyme de la reconstruction


de la nation, même si les deux termes peuvent paraitre liés. Si la re-
construction de l’Etat est liée aux institutions publiques, à la ma-
chine étatique, la reconstruction de la nation se réfère à la consoli-
dation de l’identité collective nationale.
256

Enfin, nous n’allons pas ici produire la liste exhaustive des fonctions
de l’Etat ; mais cependant, elle doit absolument inclure la provision de la sécurité,
la mise en place d’un Etat de droit, une armée capable de protéger les frontières
nationales, une police au service de la population, une justice pour tous, la pro-
duction des services de base (santé, éducation…), une capacité extractive réelle de
la matière imposable et l’exécution d’un budget public. Ces fonctions n’exigent
pas nécessairement la mise en place d’un style occidental de démocratie ou des
idéologies libérales, même si la démocratisation et l’économie des marchés sont
de nos jours intimement liées avec le rétablissement de la paix, mais sont analyti-
quement distinctes du concept de la reconstruction de l’Etat.

Tout Etat qui ne soit pas en mesure de produire ces quelques fonc-
tions que nous venons d’évoquer, est bien entendu un Etat faible, fragile ou un
quasi-Etat. Pour le besoin de l’analyse, nous allons analyser le rôle de l’Etat mo-
derne et cela dans le contexte particulier de la RDC et voir comment ce dernier
peut devenir un Etat stable.
257

CHAPITRE PREMIER
LES FONCTIONS D’UN ETAT MODERNE

Le concept d’Etat fragile, comme nous l’avons analysé dans la


première partie de cette étude, est synonyme de plusieurs autres concepts dans la
littérature de la science politique. Il est notamment synonyme de quasi-Etat,
d’Etat faible ou d’Etat en déliquescence. Dans la première section de ce cha-
pitre, nous allons approfondir les fonctions d’un Etat moderne pour nous per-
mettre de saisir les éléments d’opposition entre un Etat fragile et un Etat stable.

SECTION 1. DU RÔLE D’UN ETAT MODERNE

La reconstruction de l’Etat, la création des nouvelles institutions


étatiques ou renforcer celles qui existent déjà, est une question cruciale pour la
communauté mondiale aujourd'hui. Les Etats fragiles, déliquescents ou les qua-
si-Etats sont la racine de beaucoup de problèmes les plus graves du monde : de
la pauvreté, du sida au trafic de drogue et du terrorisme. Si de manière générale,
il est important de disposer des institutions fortes, cependant il est devenu diffi-
cile de transférer ces solides institutions vers des pays en développement. Si
nous savons comment faire transférer des ressources, des personnes et la tech-
nologie à travers les frontières, mais bien les institutions publiques exigent cer-
taines habitudes d'esprit et sont difficiles à mettre en place.

Cependant la tendance globale de ces dernières années a été de foca-


liser les efforts de reconstruction sur le secteur privé et la société civile pourtant,
particulièrement dans les pays en développement, les Etats fragiles continuent
d'être une source des graves difficultés. Par exemple, l'épidémie du SIDA en
Afrique sub-saharienne a infecté plus de 33 millions de personnes et emporté des
vies entières de manière impressionnante. Le SIDA peut être traité, comme il en
est le cas dans les pays développés, avec des médicaments antirétroviraux. Le
problème du sida est donc une question de ressources. Un autre aspect important
258

est la capacité des gouvernements à gérer les programmes de santé. Les médica-
ments antirétroviraux sont non seulement coûteux, mais compliqués à administrer.

Ces médicaments doivent être pris dans les doses complexes des
longues périodes de temps ; négliger de suivre le traitement approprié peut ef-
fectivement aggraver l'épidémie en permettant le virus VIH à muter et à déve-
lopper la résistance aux médicaments. Un traitement efficace requiert une solide
santé publique, des infrastructures adéquates, l'éducation du public et les con-
naissances sur l'épidémiologie de la maladie. Même en présence des ressources
disponibles, la capacité institutionnelle pour traiter la maladie est absente dans la
plupart des pays en Afrique subsaharienne (bien que certains, comme l'Ouganda,
aient fait un peu beaucoup mieux que d'autres).

La fin de la guerre froide a eu pour conséquence l’effondrement


des plusieurs Etats qui s'étend des Balkans, le Moyen-Orient, l'Asie centrale et
du Sud, et enfin l’Afrique. Cet effondrement de l'État avait déjà créé des grandes
catastrophes humanitaires et des droits humains avec des centaines de milliers
de victimes dans les années 1990 en Somalie, en Haïti, au Rwanda, en Bosnie,
au Kosovo et en RDC.

Pendant un certain temps, les pays occidentaux ont prétendu que ces
problèmes étaient juste locaux ; mais les attentats terroristes du 11 septembre ont
révélé que la faiblesse de l'État constitue un énorme défi stratégique. Les Islamistes
radicaux tentent de disposer des armes de destruction massive, cette nouvelle di-
mension de sécurité s’ajoute à la faiblesse de la gouvernance dans beaucoup de
pays. Dans la foulée des actions militaires engagées depuis le 11 septembre obli-
gent les États-Unis et leurs alliés d’assumer des nouvelles responsabilités : la re-
construction de l'Etat notamment en Afghanistan et en Irak. La faiblesse de l'État
est donc de nos jours un enjeu national et international de premier ordre.
259

Le problème des Etats fragiles et la nécessité pour la reconstruction de


l'Etat existent depuis de nombreuses années ; les attentats du 11 septembre n’ont
fait que les rappeler. La pauvreté par exemple n'est pas la cause immédiate du terro-
risme : les organisateurs des attentats du 11 septembre sont venus de milieux relati-
vement aisés poursuivant des études supérieures en Europe de l'Ouest.

L'attaque toutefois, a attiré l'attention sur un problème central pour


l'Occident : Ces pays offrent un cadre attrayant pour la population mondiale :
l’économie des marchés, la prospérité matérielle avec le patrimoine de la démo-
cratie libérale. C'est un paquet qui attire beaucoup de personnes dans le monde,
comme en témoignent les flux unidirectionnels en grande partie des immigrants
et des réfugiés vers les pays plus développés.

La modernité de l'Occident libéral est difficile à atteindre pour des


nombreuses sociétés du monde. Alors que certains pays d'Asie de l'est font cette
transition avec succès sur les dernières générations, d'autres pays dans le monde
ont soit été bloqués ou ont effectivement régressé pendant la même période. En
cause est la question de savoir si les institutions et les valeurs de l'Occident libé-
ral sont universelles, ou si elles représentent, comme le soutient Samuel P. Hun-
tington dans Le choc des Civilisations, simplement des habitudes culturelles
d'une certaine partie du monde occidental301.

Une bonne façon de commencer à analyser le rôle de l'État est de


se demander si les États-Unis sont un Etat fort ou un Etat fragile (nous choisis-
sons les USA comme référence car il est de l’avis de la majorité, la première
puissance militaire et économique actuelle du monde).

Les institutions politiques des Etats-Unis sont délibérément con-


çues pour affaiblir ou limiter l'exercice du pouvoir de l'Etat et la constitution as-
sure des protections claires des droits individuels, la séparation des pouvoirs ain-
si que le fédéralisme.
301 HUNTINGTON, S.P., op.cit, 1996.
260

L'éminent sociologue allemand Max Weber a défini l'État comme une


communauté humaine qui (avec succès) réclame le monopole de l'usage légitime
de la force physique au sein d’un territoire donné302. En d'autres termes, l'essence
de l’Etat est l'application en fin de compte, la capacité d'envoyer quelqu'un avec un
uniforme et une arme à feu pour forcer les gens à se conformer aux législations éta-
tiques. A cet égard, les Etats-Unis est un Etat extrêmement fort: à travers son terri-
toire, il existe une pléthore de polices et d'autres organismes -local, étatique et fédé-
ral - à tout faire respecter, aux règles de circulation en passant par les règlements
commerciaux ainsi que des droits en matière criminelle.

La Banque mondiale a produit en 2002303 un rapport fournissant


une liste plausible des fonctions de l'Etat. Cette liste n'est évidemment pas ex-
haustive, mais elle fournit un repère utile pour évaluer la portée de l'Etat. De
cette liste, on constate que différents pays remplissent plusieurs fonctions et ont
des priorités contradictoires. Certains pays font du respect de la loi, de la sécuri-
té du territoire leurs priorités, alors que d’autres font du développement écono-
mique et social la priorité majeure, pendant que d’autres combinent les deux et
d’autres encore ne font quasiment pas grand-chose.

Un des critères importants de comparaison entre les Etats est la ca-


pacité pour ces derniers non seulement de voter les lois mais surtout de les faire
respecter. Pour administrer les affaires publiques avec efficacité relative, il faut
être à mesure de disposer des agences, des structures et des institutions gouver-
nementales qui soient à même d’appliquer la loi dans la justice et la vérité.

Avec l'accent placé sur la qualité institutionnelle dans les années


1990, un nombre d'indices pertinents existent maintenant qui peuvent aider à
mesurer les pays sur l'échelle d'efficacité. L'un d'eux est la transparence interna-
tionale, l’indice de perception de la corruption, qui s'inspire principalement des
enquêtes. Un deuxième est le guide international des pays en risque, qui mesure

302 WEBER, M., Essays in Sociology, Oxford University Press, Oxford, 1946, p.78.
303 www.worldbank.org/wbi/governance/govdata2002.
261

le niveau de respect de la loi et l’ordre, et la qualité de la fonction publique. En-


fin, la Banque Mondiale, vient de développer un indicateur composite sur 199
Etats dans le monde et le PNUD publie chaque année un indice de développe-
ment humain prenant en compte le niveau des vies de la population, le standard
de vie ; dans son rapport de l’année dernière, la RDC est classée dernière sur la
liste de 187 pays304.De ce qui précède et en comparaison avec les USA, la RDC
est un Etat fragile.

En effet, sur le plan économique par exemple, le contrôle des mine-


rais du Katanga, les diamants du Kasaï, le Coltan du Kivu ou encore les perspec-
tives pétrolières de l’Ituri ou du Bas-Congo, se trouvent au cœur de l’histoire poli-
tique et économique de la RDC dont les enjeux dépassent largement le cadre na-
tional. Le Congo Belge s’est construit sur l’exploitation des ressources agricoles,
minières, forestières, mais depuis l’indépendance les priorités accordées aux res-
sources minières ont dévalorisé les autres secteurs d’activité. Les convoitises sus-
citées par la mine sont devenues un enjeu politique majeur ; elles ont fini par mi-
ner et fragiliser l’Etat. Il y a donc ici lieu d’établir un lien entre ressources natu-
relles et fragilité de l’Etat en RDC : En effet, la fragilité de l’Etat ici se traduit par
la difficulté, sinon l’incapacité, à tirer parti de l’exploitation des ressources natu-
relles comme tremplin pour le développement socio-économique de la nation,
suscitant ainsi des frustrations et des mécontentements parmi la population.

Deuxièmement, et comme l’exprime si bien Jean-François


Bayart305, la politique du ventre s’est imposée sans retenue au Congo –Zaïre,
elle a précipité l’effondrement de l’Etat sous l’effet d’une corruption générali-
sée. Le « mal zaïrois » peut être en effet, être considéré comme constitutif de la
fragilité de l’Etat. Symbolisée par le fameux « article quinze » qui proclame en
substance le droit à la débrouille, elle affaiblit inéluctablement l’Etat de droit,
bafoué par des pratiques prédatrices des pouvoirs despotiques exercés sans con-
trôle ni contrepoids politiques. La RDC paye aujourd’hui les prix du délabre-

304 UNDP, Human development report 2011


305 BAYART, JF, L’Etat en Afrique: La Politique du Ventre, Fayard, Paris, 2006.
262

ment et dysfonctionnement des pouvoirs publics, réduits à leur apparence avec


la complicité d’une large fraction de la classe politique qui s’approprie une
grande partie de la richesse nationale. D’autre part, l’affaiblissement des fonc-
tions d’un Etat de plus en plus fantomatique qui recourt à la violence armée pour
défendre ses derniers arpents de pouvoir a répondu la prolifération des ONG na-
tionales ou internationales, dont le nombre constitue un bon indicateur pour
l’identification des Etats fragiles.

Troisièmement, l’identité ethnique, l’autochtonie, et la nationalité


constituent des éléments de la fragilité de l’Etat. En effet, sans vouloir entrer
dans un débat sur la réalité des ethnies, force est de constater qu’en certaines
circonstances historiques leur instrumentalisation politique devient une compo-
sante majeure de la dynamique des conflits. Les tensions internes à un Etat,
quelles qu’en soient les origines, provoquent des replis communautaires, nour-
rissent des processus identitaires fondés sur le rejet de l’autre dont la diabolisa-
tion est amplifiée par les medias et les discours de haine. Nous n’allons pas ici
revenir sur la liste des violences « tribales » que le pays a connues depuis son
indépendance ayant conduit aux tentatives de sécessions et indépendances. Ce-
pendant, dans l’histoire récente, il faut rappeler l’ethno régionalisme au Katan-
ga, contre les populations Luba originaires des Kassaï proclamés « étrangers ».
La situation devient plus explosive lorsque la question de la nationalité interfère
avec celle de l’autochtonie, comme c’est le cas dans les provinces du Nord et
Sud Kivu qui comptent un grand nombre de migrants originaires du Rwanda.

Enfin, nous avons déjà mis en exergue le rôle des voisins de la RDC
dans la fragilisation de cette dernière. Rappelons seulement que, la RDC rongée
de l’intérieur est incapable de faire face aux contraintes de la mondialisation,
souffre d’un handicap supplémentaire celui d’être exposé aux convoitises de ses
voisins de l’Est. L’Ouganda et surtout le Rwanda ; dans l’espace interactif de la
région des Grands Lacs, les différences de potentiel démographique et écono-
miques représentent un facteur d’instabilité majeure.
263

En recourant de nouveau à la théorie néo-réaliste qui considère la


sécurité comme la protection des frontières nationales d’une part, et d’autre part
la théorie de la sécurité humaine pour laquelle la sécurité est l’absence de toute
sorte d’insécurité ; aux vues des événements survenus au Congo ces dix huit
dernières années où les frontières congolaises sont remises en cause et violées
tant à l’Est qu’ au Sud-ouest du pays, l’incapacité des FARDC ou des FAR de
protéger les frontières nationales d’une part, l’incapacité des gouvernants congo-
lais de protéger la population et de lui fournir des services publics de base, il y a
lieu de considérer le Congo comme un Etat fragile. Il apparait donc impérieux
pour le Congo de mettre en place les éléments de la puissance nationale306, afin
de reconquérir sa souveraineté tant internationale que nationale. Ces éléments
font l’objet de la section suivante.

SECTION 2. ELEMENTS DE LA PUISSANCE NATIONALE

Quels sont les éléments qui déterminent la puissance d’une nation


par rapport à d’autres nations ? Quels sont les composantes de la puissance na-
tionale ? Enfin, si on veut déterminer la puissance d’une nation, quels sont les
éléments qu’il faut prendre en considération ?

§1. Géographie

Le facteur le plus stable dont la puissance d’une nation dépend est


son positionnement géographique. Le fait par exemple que les USA soient sépa-
rés des autres continents par des océans, est un atout considérable de la puis-
sance américaine. Cependant, l’importance de ce facteur de nos jours est diffé-
rente de celui qu’il fut le temps de Georges Washington à cause du développe-
ment de la communication et des autres moyens technologiques, mais du point
de vue de son positionnement, la location géographique des USA demeure un
facteur fondamental d’importance permanente dont les autres nations doivent
prendre en considération.
MORGENTHAU, H.J., Politics among Nations : The Struggle for Power and Peace, Seventh edition, Mc Graw Hill,
306

New York, 2005, pp.113-162.


264

En outre, le fait pour la Grande Bretagne d’être séparée du conti-


nent européen par la mer du Nord est un facteur qui a rendu impossible la con-
quête de ce pays par outre Julius César, Napoléon ou Hitler.

Ce qui est vrai pour la location insulaire Britannique est aussi vrai
pour l’Italie. En effet, la péninsule italienne est séparée du reste de l’Europe par
des hauts massifs montagneux des Alpes. Ce positionnement géographique a
toujours été un élément de considération politique et militaire des autres Etats
envers l’Italie.

Le fait pour la Russie de constituer un territoire très vaste, deux fois


et demi plus vaste que le territoire américain ; avec la possibilité de passer près
de huit heures de vol d’une ville à l’autre, rend l’invasion et la conquête de ce
territoire très difficile. En outre, cette étendue territoriale est une source de puis-
sance nationale, car il permet à la Russie de distribuer à travers le pays ses ins-
tallations nucléaires.

Les Etats qui ont l’étendue de sous-continent, les USA, la Chine et


la Russie jouent le rôle de puissance nucléaire majeur ; par contre en comparai-
son avec la France et la Grande Bretagne, par l’étroitesse de leurs territoires, se
vont imposer un handicap réel pour rendre la dissuasion nucléaire crédible.

Un autre facteur géographique qui constitue une faiblesse pour son


positionnement international est que la Russie est séparée à l’ouest avec ses voi-
sins européens par une continuité des plaines jusqu’en Pologne et en Allemagne
de l’Est. Il n’existe donc pas d’obstacle naturel pour rendre l’invasion tant de la
Russie ou de ses voisins difficile. C’est dans cette zone que la Russie et ses voi-
sins s’affrontèrent dans le passé.

La République démocratique du Congo est un Etat presque encla-


vé ; avec ses 2 345 410 km2, elle est le deuxième plus grand pays d’Afrique,
seule l'Algérie est plus étendue qu’elle. Elle est quatre-vingt fois plus grande
265

que la Belgique et sa superficie légèrement inférieure au quart de celle des Etats-


Unis d’Amérique. Elle est occupée en grande partie par le bassin du fleuve Con-
go et de ses affluents.

Partageant sa frontière avec neuf pays d’Afrique, elle est limitée au


Nord par la République centrafricaine et le Soudan du Sud, à l’est par
l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie, au sud par la Zambie et
l’Angola et à l’ouest, l’enclave angolaise de Cabinda, la République populaire
du Congo et une quarantaine de kilomètres de côte atlantique la limite.

A l'est, la frontière suit l'axe tectonique de ses grands lacs sur une
longueur de 1 400 km dans une direction à peu près nord-sud. Avec l'Ouganda,
la limite est marquée par le lac Albert, le Ruwenzori et le lac Edouard ; avec le
Rwanda par le lac Kivu, avec le Burundi par le Ruzizi et le nord du lac Tanga-
nyika ; avec la Tanzanie par les 600 km du lac Tanganyika ; enfin avec la Zam-
bie par le lac Moero et le Luapula. A l’Ouest, le fleuve Congo le départage de la
République populaire du Congo.

Hormis ces quelques kilomètres d’obstacle frontalier, en grande


partie ses frontières avec ses neufs voisins sont terrestres. Cette situation place la
RDC dans une position de faiblesse sur le plan géostratégique, surtout qu’elle
est entourée de ce qu’appel Myron Weiner″ Bad Neighbors, Bad Neighbor-
hoods″307, pour dire ″mauvais voisins″, capable d’envoyer de l’autre coté de la
frontière des milliers des refugiés qui deviennent par la suite une menace à la sé-
curité et dont les Etats d’origine de ces derniers recourent comme argument pour
déstabiliser le Congo. Devant cette situation, il est donc impérieux pour les congo-
lais d’être inventif pour mieux assurer la sécurité de leurs frontières qui devra passer
par le recours à une combinaison des moyens tant militaires, juridiques qu’autres.

307WEINER, M., ″Bad Neighbours, Bad Neighbourhoods: An Inquiry into the Causes of Refugee Flows″, International Se-
curity, 1996, 5-42.
266

De la même manière, la RDC occupe aussi une position stratégique,


celle de se situer au centre de l’Afrique. Elle peut donc devenir dans le futur un
épicentre incontournable pour relier les autres pays d’Afrique. Elle peut ainsi
profiter des investissements ferroviaires et routiers qui sont un élément impor-
tant de développement.

§2. Ressources naturelles

Un deuxième facteur important qui met en exergue la puissance


d’une nation est ses ressources naturelles. On a montré précédemment que la
RDC constitue une réserve des ressources naturelles rares ; cette position la
place dans une situation qui suscite des appétits tant de ses voisins que des com-
pagnies multinationales.

Nous allons montrer comment ces éléments peuvent à la fois deve-


nir une force ou une faiblesse pour un Etat. Nous n’allons pas ici détailler
l’importance de chacune de ces ressources naturelles, mais nous les regroupe-
rons en secteurs clés pour le besoin de l’analyse.

2.1. Alimentation

La première ressource élémentaire pour la puissance d’une nation


est l’alimentation de la population. Toute nation qui jouit d’une autosuffisance
alimentaire a un avantage sur les autres nations dont l’alimentation de leurs po-
pulations dépend des importations.

La Grande Bretagne a souffert dans le passé du manque


d’autosuffisance alimentaire pendant les deux guerres mondiales contribuant à
l’affaiblissement de cette dernière entant que puissance et nation. De la même
manière, l’Allemagne connaitra les mêmes difficultés. Dans l’ordre de survivre,
l’Allemagne a recouru à trois stratégies : éviter une guerre longue pour éviter
que ses réserves alimentaires ne finissent, conquérir des espaces cultivables en
267

Europe de l’Est, enfin détruire la puissance maritime britannique pour avoir ac-
cès aux sources étrangères de ravitaillement alimentaire.

Cette déficience en autosuffisance alimentaire est une source per-


manente de la faiblesse tant de la Grande Bretagne que de l’Allemagne que ces
Etats doivent contenir pour ne pas perdre leurs statuts de Grande puissance. Les
USA par contre, jouissent d’une autosuffisance alimentaire qui constitue un
élément important de sa puissance.

L’incapacité pour l’Etat de nourrir sa population constitue une fai-


blesse en politique internationale. Avant la révolution dite verte, l’Inde a souf-
fert du manque de nourritures pour sa population à cause notamment de
l’augmentation en nombre de celle-ci et de l’insuffisance des exportations pour
combler le déficit des importations en nourritures. Cette situation fut un handi-
cap majeur pour toute politique étrangère que voulait poursuivre ce pays.

Cette observation sur l’Inde est valable pour les pays dits du tiers
monde qui vivent sous la menace permanente de la famine. Il faut aussi signaler
que le déclin de Babylon et d’autres pays de l’Afrique du Nord comme l’Egypte
est lié à la désorganisation de leurs systèmes d’irrigation qui a eu de l’impact sur
la production agricole et in fine altérer la puissance nationale.

Pour revenir à la RDC, il ya bien longtemps que la population a


cessé de se nourrir. Dans la grande partie du pays comme à l’Est, elle dépend de
l’assistance internationale et des ONGs. Dans la capitale même Kinshasa, les
familles entières mangent à tour de rôle ou mieux par le système mieux connu
des kinois ″Gong unique″. Alors que le pays dispose des terres cultivables im-
menses, rien n’est fait pour que celles-ci soient mises en valeur.
268

Tous les slogans connus par le passé comme ″agriculture : priorité des
priorités″, ou encore ″retroussons les manches″, enfin la création du service national
sont des échecs dus au manque de volonté politique et à l’incapacité des gouvernants
respectifs de définir les intérêts réels à poursuivre par un Etat digne de ce nom.

Est-il possible dans ces conditions de devenir d’ici quelques années


un pays émergeant comme l’affirme le Président de la République, lorsqu’on
doit importer l’huile de palme de l’Asie pour la fabrique du savon alors que dans
le temps il existait au Congo des sociétés de production d’huile de palme et
autres , ou il s’agit d’un discours pour la consommation étrangère, car les con-
golais eux savent que les jours meilleurs ne sont pas pour demain.

2.2. Capacité industrielle

Ce qui est vrai pour l’alimentation est aussi vrai pour des ressources
naturelles qui sont importantes pour la production industrielle et plus impor-
tantes encore pour l’industrie de la guerre.

Depuis la première guerre mondiale, le carburant (pétrole, mazout,


essence…) comme source d’énergie est devenu très important pour l’industrie et
pour la guerre. Les armes mécanisées et les véhicules recourent au carburant ;
ainsi les pays qui possèdent des réserves considérables de ces carburants ont ac-
quis une influence dans les affaires internationales.

La Russie est devenue encore plus puissance depuis qu’elle peut se


suffire en réserve d’énergie tandis que la dépendance du Japon constitue un fac-
teur de faiblesse. C’est ainsi qu’il faut comprendre la lutte pour le contrôle des
pays du Moyen Orient qui est devenu un facteur de distribution de pouvoir. Les
grandes puissances s’engagent donc dans la ″diplomatie de l’énergie″ pour éta-
blir des sphères d’influences leur donnant accès exclusif à ces sources d’énergie
dans certaines régions. Dans le même ordre d’idées, Daersh est devenue la plus
puissante organisation terroriste au monde, supplantant Al-Qaïda parce qu’elle
269

contrôle un territoire entier mais surtout elle a la main mise sur des puits des pé-
troles, le Blé et le phosphate. Selon certains experts, ses revenus pétroliers se re-
lèveraient entre 500.000 et un million de dollars Américains par jour308.

La RDC dispose des réserves importantes en énergie. Elle doit ce


pendant être capable de les raffiner pour la satisfaction interne d’abord puis pour
l’exportation. On assiste malheureusement à la carence du carburant dans nos
stations services ou à la manipulation des prix par des exportateurs alors que
d’autres pays producteurs de cette énergie appliquent des prix préférentiels pour
la consommation locale.

L’Uranium est un autre élément qui illustre la puissance d’une na-


tion. La RDC dispose d’une vaste réserve en uranium, en dépit du fait que ce
facteur accroit la valeur du Congo en relation avec la guerre et son importance
du point de vue de la stratégie militaire, ce facteur n’a jamais affecté la puis-
sance du pays en relation avec les autres Etats ; car le Congo n’a jamais déve-
loppé une industrie pour des objectifs militaires.

Au contraire, pour les USA, la Russie, la Grande-Bretagne… la


possession de l’uranium est un élément important de puissance. Dans ces pays,
l’uranium peut être transformé en énergie pour être utilisé en temps de paix ou
en temps de guerre.

Enfin de compte, l’industrie est un élément important de dévelop-


pement économique en termes de création d’emplois, d’augmentation des reve-
nus et enfin de compte de contribution au budget national. Un pays qui a un taux
de chômage élevé est un pays fragile, qui a du mal à se financer et dont les
agences de notation finiront par baisser sa note souveraine. Un tel pays aura du
mal à s’engager dans une guerre longue et généralement coûteuse.

308 TV5, Emission dans l’air autour du financement du terrorisme international, 13 Février 2015
270

L’Allemagne reste la première puissance économique européenne


grâce notamment à son industrie automobile, alors que les pays comme
l’Espagne qui ont vu leurs industries se délocaliser sont aujourd’hui en très
grande difficulté dont le taux de chômage avoisinera le vingt-cinq pourcent de
la population active.

En RDC, personne ne connait exactement le taux du chômage de la


population active, selon certaines sources, celui-ci avoisinerait les quatre vingt
dix pourcent de la population. Si par le passé, le pays disposait encore de
quelques industries surtout dans l’agro alimentaire, la situation est complètement
différente aujourd’hui. Les seuls secteurs qui semblent marcher sont la télépho-
nie mobile et l’industrie minière mais là encore avec des salaires des misères.

La préoccupation première de tout gouvernement responsable est celui


de la création d’emplois pour ses concitoyens. Hélas, on assiste ce pendant aux dis-
cours des bonnes intentions mais qui ne se traduisent pas dans le concret. Il est dif-
ficile voir impossible pour la RDC d’attirer des investisseurs à cause de la situation
sécuritaire du pays, de la corruption qui ruine toutes les instances de la nation, du
manque de la main d’œuvre qualifiée, en un mot de l’absence même de l’Etat.

§3. Hard power (Les forces armées)

Du point de vue de plusieurs congolais, les guerres que subissent ce


pays sont liées au fait de l’incapacité de son armée à gagner une guerre. Cette
réalité est en partie vraie mais elle est de notre avis réductionniste. La réalité est
plus grande comme nous n’avons cessé de la dénoncer dans ce travail. Une ar-
mée est toujours le reflet de la société. Une société malade ne peut que produire
une armée malade. L’absence même de l’Etat en RDC affecte dans son en-
semble toutes les autres composantes de la nation congolaise, dont l’armée.
271

Une armée forte dérive de plusieurs facteurs, dont les plus impor-
tants du point de vue de cette discussion sont l’innovation technologique, le lea-
dership et enfin la qualité et la quantité même des forces armées.

La puissance d’une nation et des civilisations est toujours détermi-


née par le différentiel dans la technologie de la guerre. L’Europe, dans la pé-
riode de son expansion entre le quinzième et le dix-neuvième siècle a recouru à
l’infanterie, l’artillerie qui l’a rendue supérieure aux autres nations.

Les victoires dans les guerres modernes dépendent du recours aux


avions de combat, aux chars de combat, aux navires militaires, aux moyens des
communications, aux missiles téléguidés par les satellites. Ces victoires dépen-
dent aussi de la capacité de l’industrie militaire, des inventions des scientifiques,
d’une organisation managériale…tous ces facteurs formant la capacité indus-
trielle et technologique d’une nation, forment en définitive sa puissance.

Le recours à l’innovation technologique exige aussi l’existence d’un


leadership militaire. La puissance de l’ancien royaume Prusse au dix-huitième
siècle est liée au géni de Frédéric le Grand à cause des innovations et des straté-
gies qu’il introduit. L’art de la guerre changea après sa mort en 1786. Napoléon
en profita pour détruire en 1806 l’armée prussienne lors de la bataille de Léna.

Dans l’histoire récente, nous pouvons évoquer le rôle joué par le géné-
ral américain David Petraeus. Docteur en sciences politiques de l’Université de
Princeton et théoricien des nouvelles méthodes anti-insurrectionnelles de l’armée
américaine, il fut nommé par George W. Bush, le 5 janvier 2007, pour succéder au
général George Casey comme commandant de la Coalition militaire en Irak pen-
dant la période à laquelle les forces de la collation font face à une forte insurrection.
Il assuma ses fonctions du 10 février 2007 au 16 septembre 2008 et fait diminuer
les pertes militaires alliées ainsi que la violence sur le terrain. Ce succès va valoir
sa nomination le 23 avril 2008, à la tête du commandement central américain
qui supervise les opérations en Irak et en Afghanistan.
272

Le 23 juin 2010, il est nommé par le président Obama chef des


troupes de l'OTAN et commandant de l'ISAF en Afghanistan, remplaçant le gé-
néral Stanley McChrystal relevé de ses fonctions suite aux divergences de vue
avec l’administration Obama et aussi à cause de la résurgence des combats sur le
terrain. Le 28 avril 2011, le président Obama annonce sa prochaine nomination à
la tête de la CIA à la place de Léon Panetta, pressenti pour devenir secrétaire à
la Défense. Le 30 juin, il est confirmé à son futur poste à l'unanimité des
membres du Sénat et prend ses fonctions le 6 septembre 2011, mais démission-
nera plus tard. Son rôle en Irak lui a valu d'être classé au 33e rang de la liste des
100 personnes les plus influentes dans le monde en 2007 établie par le maga-
zine le Time.

Enfin, une nation peut recourir à l’innovation technologique, elle


peut en plus avoir des bons stratèges militaires, mais elle a besoin d’une bonne
qualité et quantité des forces armées.

Ces quelques éléments nous permettent d’analyser la situation ac-


tuelle de l’armée congolaise. En effet, la mise en place d’une armée républicaine
et patriotique est un des défis majeurs auquel le pays doit faire face. Cependant,
pour qu’une armée soit républicaine et patriotique, elle doit fonctionner au sein
d’une république et d’une patrie. Or, depuis l’époque Mobutu, les recrutements,
les nominations et les promotions dans l’armée nationale ont été souvent l’objet
d’une complaisance. Elles obéissaient en effet, sous la deuxième république à
l’arbitraire et au clientélisme. On y retrouvait des civils sans formation militaire
devenir des officiers supérieurs sur base de leur seule appartenance tribale.

A l’entrée de l’AFDL, tous les hommes en uniforme sont devenus


des commandants, avec toute la confusion qu’elle a du reste créée. En plus, avec
les accords politiques qui ont permis la mise en place du gouvernement de tran-
sition, nul ne connait exactement les critères de sélection, de nomination et de
promotion au sein des forces armées de la RDC. La réalité qu’on puisse dire est
273

que l’arbitraire, le trafic d’influence et le clientélisme n’ont pas encore quitté les
mœurs politiques.

Il existe pourtant, des principes et des critères objectifs sur lesquels


une république se base pour sélectionner ses meilleurs éléments : nous pensons
au niveau de formation, la loyauté et la discipline militaire.

L’arrivée de l’AFDL a amené avec elle au sein de l’armée congo-


laise des unités incontrôlées et incontrôlables. Cette situation est rendu encore
plus compliquée par l’idéologie dite ″du brassage et du mixage″ de l’armée.
Une armée ne peut pas tenir face à un adversaire en ayant en son sein des unités
ou des descendants ayant des liens avec l’ennemi.

Dans son analyse sur la gestion de la crise en RDC par l’ONU,


Charles Wola Bangala affirme sans détour que ″le mal qui ronge l’armée congo-
laise ronge aussi les autres institutions du pays. Ce mal s’appel phénomène Ba-
nyamulenge qui est une donnée démographique qui, dans sa politisation et son
instrumentalisation actuelles, rend absolument opaque l’origine nationale réelle de
ceux qui composent la classe dirigeante congolaise. Il se demande si tous ceux qui
aujourd’hui se disent Banyamulenge, sont ils des Tutsis congolais ou étrangers ?
S’ils sont des Tutsis congolais, se pose alors le problème de leur patriotisme ou de
leur loyauté citoyenne, d’autant plus qu’ils ont donné des signes clairs du con-
traire. Et s’il y a parmi eux des Tutsis étrangers, alors se pose la question de la sé-
curité du pays qui est déstabilisé par des agents infiltrés″309. Il conclut en disant″
la république est en danger et doit réagir. Car, les congolais savent que ces popu-
lations Banyamulenge et leurs leaders politiques se sentent plus proches du pou-
voir de Kigali ou d’ailleurs que du Congo″310.

309 WOLA, B., L’ONU et la crise des Grands Lacs en RDC (1997-2007), L’Harmattan, Paris, 2009, p.111.
310 Idem
274

Cette analyse nous semble pertinente. Car, comment expliquer que


les personnes qui se sont déclarées congolais comme Nkunda Batware, Bosco
Ntanganda et autres puissent retrouver refuge au Rwanda en dépit des demandes
d’extradition du gouvernement congolais ? Comment expliquer que le gouver-
nement congolais continu à entretenir des relations diplomatiques avec un pays
qui soutient sa déstabilisation ?

La solution à notre avis ne proviendra ni des Nations Unies, ni de


l’Union africaine. La RDC doit revoir sa politique vis-à-vis du Rwanda. Il faut
comme on l’avait ci-haut indiqué ″ donner la chance à la guerre″. Il faut une vic-
toire militaire claire et nette contre le Rwanda. La guerre est certes une mauvaise
chose, mais dans l’histoire, elle a eu le mérite de cimenter une paix durable.

La RDC doit cesser de pleurnicher, le monde dans son ensemble sait


que le Congo subit une guerre injuste de la part du Rwanda. Il faut réagir militaire-
ment ; pour cela il faut un leadership politique capable de mobiliser la nation en-
tière autour de cette cause, car le leadership actuel nous a assez montré ses limites
et incapacités dans l’analyse et la conduite de ce conflit. Pour y parvenir, il faut une
morale nationale et un soutien de la population, car une guerre ne se gagne pas seu-
lement avec les armes mais surtout avec la volonté et la détermination.

§4. Morale nationale, support populaire et la qualité des gouvernants

Très élusive et moins stable, mais aussi important que sont les
autres éléments de la puissance nationale ; la morale nationale est le degré de
soutien et de détermination qu’une nation accorde à la politique nationale et
étrangère de son gouvernement en temps de paix ou de guerre. Dans la forme de
l’opinion publique, la morale nationale est un facteur intangible sans lequel tout
gouvernement démocratique ou autocratique soit il ne pourrait poursuivre avec
succès et efficience sa politique.
275

La morale nationale se manifeste plus en temps de crise majeure,


lorsque la survie même de la nation est en danger et lorsque certaines décisions
fondamentales doivent être prises pour l’intérêt national.

Deux événements majeurs dans le passé récent de la RDC peuvent


nous permettre d’analyser la morale nationale congolaise vis-à-vis de ses gou-
vernants : En 1996-1997, lorsque les forces de l’AFDL engagèrent une guerre
contre le régime dictatorial de Mobutu, les congolais dans leur majorité soutien-
dront les forces rebelles car, la gestion du pouvoir par Mobutu fut personnelle,
tribale et contraire à l’intérêt général. En dépit des appels au soutien populaire
par le régime, la population refusa de le faire et s’arrangea totalement aux côtés
des rebelles. Cependant, à la prise du pouvoir par l’AFDL, un autre événement
se produit. La population estimera que le pouvoir AFDL, de 1997 au 1 août
1998, ressemblait en parti au régime Mobutu, si on se réfère au comportement
autoritaire des Kadogos et des rwandais qui se croyaient en terrain conquis. De
nouveau, le gouvernement Kabila deviendra vite impopulaire surtout à Kinshasa
et la population exigea le départ des Rwandais.

Par contre, lorsqu’en Août 1998, L.D Kabila s’est mis en phase
avec la population en demandant aux rwandais et ougandais de retourner chez
eux, de nouveau, le régime est redevenu populaire et a pu bénéficier du soutien
populaire. Beaucoup de jeunes gens s’enrôlèrent avec enthousiasme dans
l’armée pour combattre les étrangers.

La prise du pouvoir par Joseph Kabila, suivie par la mise en place


en place d’un gouvernement de transition, puis de l’organisation des élections en
2006 ont suicidé au départ un espoir et un enthousiasme de la part de la popula-
tion. Cependant, l’évaluation de douze années de règne par Joseph Kabila est ca-
tastrophique tant sur le plan sécuritaire qu’économique. Il est ainsi difficile dans
ce contexte de solliciter le soutien populaire aux actions publiques engagées par
son gouvernement.
276

Ainsi, certains congolais de la diaspora par exemple qui du reste ont


toujours étaient écartés dans le choix politique des dirigeants sont totalement
opposés au régime Kabila qu’ils sont déterminés à faire partir du pouvoir par
tous les moyens. Le pays est ainsi divisé, entre Kinshasa et la Diaspora. Les di-
plomates congolais ne peuvent même plus se déplacer dans les communautés
congolaises. Les musiciens congolais et toute personne associée au pouvoir sont
″interdits″ de déplacement à l’étranger. Les autres tranches importantes de la
population qui se sont sentis ″voler″ les résultats des élections de 2011, et de ce
fait, ne se sentent pas concernées par les actions gouvernementales.

Il se pose donc un réel problème de soutien populaire à l’action


gouvernementale surtout en ce temps de guerre permanente avec le Rwanda (car
pour nous le Rwanda mène la guerre par procuration). Il se pose également le
problème de la qualité du gouvernement ; sa capacité d’analyse de la situation,
sa capacité de réagir, ses réponses aux problèmes économiques du pays.

Un Etat qui ne dispose pas des bons gouvernants, est un Etat fragile.
Des bons gouvernants doivent être mesurés par rapport aux actions qu’ils mè-
nent, par rapport aux missions qui sont les leurs : la sécurité des frontières et des
personnes, la sécurité économique et environnementale, bref le bien être de leurs
compatriotes.

§5. Soft power ou la puissance douce

La puissance douce, qui diffère de la puissance militaire (hard Po-


wer) ; c’est celle qui rend une nation très attractive par rapport à une autre. Et
comme nous l’avons mentionné dans l’introduction de cette étude, une nation
doit disposer de deux.

Beaucoup de nations dans le monde sont puissants et attractifs grâce à


leurs performances économiques, culturelles, sportives ou autres. L’Allemagne, le
Japon ou la Corée du Sud sont des puissances économiques incontestables et des
277

modèles sociaux qui donnent envie et estime des autres nations. De ce point de vue,
ces pays comptent parmi les pays puissants dans le monde.

Le Brésil avant de devenir un pays émergeant, a mis de l’avant son


football. Il est devenu inimaginable d’avoir une coupe du monde de football
sans le Brésil. Le Qatar avec ses milliards du pétrole, s’impose dans le monde
moderne en créant sa propre ″CNN″. AL Jazzira est devenue une des chaines
des télévisions la plus suivie au monde. En outre, les fonds Qatari investissent
dans plusieurs secteurs économiques et sportifs en Europe, faisant de lui une
puissance en devenir.

Le rêve américain, Hollywood, son basket Ball, la qualité de ses


universités, sa politique migratoire, la langue …sont aussi autant d’éléments qui
font toujours de l’Amérique un pays attractif et restera encore pour longtemps
une des grandes puissances si non la première.

Que dire de la RDC ? Si par le passé l’organisation du combat de


boxe Mohamed Ali contre Georges Foreman fut un événement important qui a
permis au Congo alors Zaïre de l’époque d’être connu dans le monde entier,
nous pouvons y ajouter la participation du pays à la coupe du monde comme
premier pays de l’Afrique noire… mais tout ceci c’est de l’histoire.

Le Congo d’aujourd’hui est un pays faible, dont aucun de ces élé-


ments de la puissance douce ne marche encore. Il est certes vrai que nos musi-
ciens ont conquis le public africain, mais tout cela est entrain de finir notamment
à cause du conflit contre les ″combattants″. Dans le secteur sportif, seul le Tout
puissant Mazembe ou encore l’AS V. CLUB essaie encore de représenter vala-
blement le pays. Où sont alors passés nos Léopards ? Impuissants et fragiles de-
puis les dernières prouesses africaines des années soixante –dix; ils viennent tout
de même de sauver l’honneur national face aux diables rouges du voisin Congo-
Brazzaville à la Can 2015 dans un climat encore tendu suite aux expulsions des
congolais de Kinshasa de Brazzaville en 2014.
278

Au début de la rédaction de ce travail en 2012, il se déroulait les


jeux olympiques de Londres. Sur le plan géopolitique et géostratégique, les jeux
olympiques constituent le prolongement des conflits entre les nations, mais de
manière pacifique et apaisée. C’est ainsi que pendant la guerre froide, les
grandes puissances s’affrontaient sur le nombre des médailles à gagner par cha-
cune des délégations. Aujourd’hui, cette confrontation oppose les USA à la
Chine. Cette dernière a gagné sa première victoire dans sa conquête à la supré-
matie mondiale lors des jeux de Beijing en 2008 ; cette victoire de la chine fut
très mal ressentie par les USA qui veulent prendre leur revanche à Londres.

Les jeux Olympiques sont aussi un facteur d’identité nationale.


Alors que des délégations entières font des efforts pour ramener des médailles
ainsi présenter une image positive de leurs pays, les congolais sont éliminés au
premier tour. Un des représentants du pays en boxe fut même incapable de bien
lasser ses chaussures. Dans le monde actuel, on ne parle du Congo que dans le
mal ; lorsqu’il s’agit d’Ebola, du Sida, des viols des femmes, de la corruption…
rien ne se fait pour que cette image ne soit renversée.

Il est donc impératif pour les gouvernants congolais de penser aux


nouvelles politiques dans ces secteurs car non seulement ils constituent les élé-
ments de la puissance nationale mais sont un atout pour la création d’emplois et
du développement économique.

Sans ces efforts, la RDC déjà malade du ″Hard power″ sera toujours
dépourvu du ″soft power″, les deux éléments principaux qui font la puissance
d’une nation.
279

CHAPITRE DEUXIEME
TUTELLE INTERNATIONALE, BALKANISATION
OU REFORME DE L’ETAT

Face à l’impasse de reconstruire des Etats fragiles, certains auteurs et


décideurs politiques suggèrent une série des réponses pour sortir ces Etats de la si-
tuation du conflit vers une situation meilleure. Nous allons dans les pages suivantes
analyser ces quelques réponses qui ont été proposées dans un moment ou un autre
dans le contexte non seulement de la RDC mais aussi de certains autres pays.

SECTION 1. TUTELLE INTERNATIONALE

Aucune organisation politique ou de la société civile Congolaise


demande formellement que le Congo soit placé sous la tutelle tant de l’ONU ou
moins encore de l’UA. L’idée cependant a été portée par quelques Congolais
minoritaires qui sont fatigués du statu quo. Ceux qui soutiennent cette approche
estiment que les congolais ont largement prouvé qu’ils sont incapables de
s’autogouverner. De ce fait, il est bon de demander au monde d’aider le pays à
installer une sorte de gouvernance de tutelle. D’autres congolais rejettent cette
approche en estimant que les Nations Unies sont elles mêmes une des causes
majeures des problèmes congolais en se référant à l’Onuc et dans son rôle dans
l’assassinat du premier ministre Lumumba ou encore de L.D. Kabila. Et plus
gravement encore son incapacité à protéger les populations congolaises.

Pour William Bain, la tutelle internationale présuppose une relation


d’inégalité ; c’est une pratique qui assume que certains peuples sont incompé-
tents et que d’autres doivent décider à leur place311. Ali A. Mazrui évolue dans
le même sens en suggérant que les Etats fragiles et défaillants d’Afrique doivent
être placés sous une administration de tutelle africaine312.

311 BAIN, W., ″Trusteeship: A Response to Failed State? ″, Paper presented at the conference on Failed States and Global
Governance, Purdue University, Florence, Italy, 10-14 April 2001.
312 ALI MAZRUI, ″Blood of Experience: The Failed State and Political Collapse in Africa″, World Policy Journal 12, n°1,

1995, pp.28-34.
280

Cependant, il se pose un problème de droit. Placer ces Etats sous la tu-


telle internationale impose l’amendement de la charte de l’ONU par l’assemblée
générale. Car, l’article 78 du chapitre xii sur le régime de tutelle stipule que″ Le ré-
gime de tutelle ne s'appliquera pas aux pays devenus Membres des Nations Unies,
les relations entre ceux-ci devant être fondées sur le respect du principe de l'égalité
de souveraineté ″. Il est donc possible que dans ces circonstances, il soit impossible
que les Etats membres dont certains sont des Etats fragiles puissent soutenir un tel
projet d’amendement qui en retour, verra leurs souverainetés remises en question.

Pour la RDC, les interventions onusiennes tant des années 1960 que
2000 ont été des échecs car le pays n’a pas hérité des institutions étatiques ef-
fectives. Pour ce qui est de la tutelle africaine, les voisins directs dans l’Est de la
RDC par exemple sans pour autant énumérer d’autres Etats africains, sont eux-
mêmes confrontés aux problèmes de capacités étatiques.

La proposition de placer la RDC sous tutelle internationale se base


sur deux assomptions : la première est que toutes les alternatives pratiques et
disponibles ont été essayées et ont échoué. Ce qui laisse dire que les Congolais
ne veulent pas de la paix et même s’ils en voulaient, ils sont incapables de la
mettre en place. Or, cette affirmation ne résiste pas à l’analyse. L’instabilité en
RDC est à la fois liée aux facteurs endogènes et exogènes. Les intérêts straté-
giques du Rwanda, de l’Ouganda…, l’indifférence de la communauté interna-
tionale de mettre en place un véritable processus de paix en identifiant claire-
ment les agresseurs. Sur le plan interne, la corruption, la mauvaise gouvernance,
les conflits locaux, les frustrations de toute nature….le manque de légitimité des
dirigeants rendent encore la reconstruction du pays difficile.

Deuxièmement, la RDC n’est pas seulement l’Est du pays. Il existe


des régions entières qui fonctionnent et expérimentent la paix. Les chances de
placer la RDC sous tutelle internationale sont inexistantes, car cette décision exige
l’amendement de la charte onusienne. Même si cela était possible, la RDC a été
un Etat indépendant depuis des années qui a vécu dans des conditions de paix ; les
281

congolais ont la volonté et la capacité de se diriger eux-mêmes. La tutelle inter-


nationale, soutenue par l’ONU ou l’UA, n’est pas une option pour la RDC.

Un autre moyen pour la communauté internationale de mettre fin à


la fragilité de l’Etat, est de placer certains pays sous une administration de tran-
sition onusienne. Pendant la période post-guerre froide, l’ONU est intervenue
dans plusieurs pays pour différentes raisons. La Somalie fut le premier, puis il y
a eu le Timor, le Cambodge, le Kosovo, la RDC, le Liberia…

Ces interventions n’ont pas recouru au concept de la tutelle interna-


tionale. Cependant, avec peut-être l’exception de l’intervention onusienne en
RDC, dans ces autres pays, les fonctions de ces administrations de transition
sont similaires au système de tutelle internationale. Commentant sur les similari-
tés entre les deux systèmes, Edward Marks note que, sans avoir la volonté de le
faire, la communauté internationale vient de faire revivre le système de tu-
telle313. James Fearon et David Laitin qualifient les administrations de transi-
tions onusiennes, des nouveaux systèmes de tutelle314. Cette option n’est pas non
plus la bonne pour la RDC.

SECTION 2. BALKANISATION

Les phénomènes de balkanisation, d’auto détermination ou la créa-


tion d’entités ethno-nationales sont devenus des issues sécuritaires cruciales
pour un grand nombre d’Etats dans le tiers-monde et voire plus importants que
les issues de l’hégémonie régionale, de transferts d’armes et de la prolifération
des armes nucléaires qui ont marqué la période de la guerre froide.

Nous aimerons dans le cadre de ce travail développer un ensemble


d’éléments autour de cette question, qui se pose avec insistance particulière-
ment depuis la fin de la guerre froide. Notre objectif étant d’expliquer pourquoi

313 MARKS, E.,″ Transitional Governance: A Return to the Trusteeship System″, American Diplomacy 9, n°1, 1999.
314 FEARON, J. and LAITIN, D., ″Neotrusteeship and the Problems of Weak States″, International Security 28, n°4, 2004, pp.5-43.
282

certains Etats ont connu soit la balkanisation, soit l’auto détermination ou la


création des entités ethno-nationales. Nous allons ensuite analyser les évolutions
de ces dernières années en rapport avec la question d’intangibilité des frontières
et les derniers développements du droit international. Enfin, nous allons nous
appesantir sur le débat autour de la tentative de la balkanisation de la RDC par
« les puissances étrangères ».

§1. Crise du Balkan et émergence des micro-Etats

L’acceptation par les Etats européens des entités ethno-nationales,


auto déterminées ou encore balkanisées symbolisée par la reconnaissance de la
Slovénie, de la Croatie par les Etats de la communauté européenne et la sépara-
tion de la Slovaquie et de la République Tchèque risque d’encourager la création
d’autres micros Etats dans le tiers -monde.

L’acceptation par les puissances majeures européennes et les Na-


tions Unies, de la division de la Bosnie en trois Etats Ethno-nationaux tend à en-
courager les groupes ethniques dans le monde qui luttent pour l’auto détermina-
tion. La dislocation de l’Union Soviétique suivie de la création des plusieurs
Etats encourage les idées des ethno-nationalistes.

Cependant, l’ethno nationalisme dans les Balkans, spécialement les


atrocités qui s’en suivirent perpétrées notamment par les serbes contre les mu-
sulmans bosniaques peuvent tempérer les aspirations des certains ethno nationa-
listes mais aussi les parties engagées dans des conflits ethniques ou religieux
dans les tiers-monde315. Néanmoins, le réveil de l’ethno nationalisme dans les
Balkans et dans l’ancienne Union Soviétique peut légitimer ce phénomène et
porter un coup dommageable dans les relations fragiles entre plusieurs ethnies
dans certains Etats.

315 BELL-FIALKOFF A, ″A Brief History of Ethnic Cleansing″, Foreign Affairs 72, no 3(summer 1993), pp 110-121.
283

Signalons que les territoires auto déterminés suite à la décolonisation


et après la deuxième guerre mondiale furent liés à un territoire et non suivant les
impératifs ethniques. Ainsi, ces démarcations coloniales issues du consentement
commun ont permis aux nouveaux Etats post coloniaux de demeurer stables.

Cependant, dans le contexte où la communauté internationale en-


dosse la doctrine de l’ethno nationalisme et de l’auto détermination, même dans
les cas exceptionnels, cette attitude remet en cause le principe selon lequel les
Etats post coloniaux dans leurs formes actuelles, sont des territoires intangibles.

L’Erythrée et le Sud Soudan sont les deux cas dans l’histoire ré-
cente de l’Afrique. Ces deux exemples vont servir comme précédents pour justi-
fier la lutte des autres peuples pour l’auto détermination. Ce fait de contagion fut
analysé par certains experts qui conclurent que, même si la création des nou-
veaux Etats peut se révéler nécessaire et inévitable, la fragmentation de la socié-
té internationale dans plusieurs entités territoriales indépendantes est une situa-
tion dangereuse qui créera de l’anarchie dans le monde316.

Les événements dans les Balkans et le Caucase ont démontré la


dangerosité de l’ethno nationalisme ; ces problèmes peuvent se reproduire dans
les pays en développement faisant de cette idéologie un danger pour la stabilité
des plusieurs Etats.

Premièrement, considérant la mixture des ethnies dans plusieurs


Etats du tiers monde, peu d’ethnies pures disposent de leur propre espace territo-
rial. Comme le note William Pfaff ″l’Etat ethnique est le produit d’une imagina-
tion politique ; il n’existe pas en réalité… l’idée de la nation ethnique est une
provocation permanente à la guerre″317. Pour Rupert Emerson, l’auto détermina-
tion doit être associée dans ses manifestations pratiques avec la guerre et ses
conséquences318.

316 GOTTLIEB, G., Nation Against State: A New Approach to Ethnic Conflicts and the Decline of Sovereignty, Council
on Foreign Relations Press, New York, 1993, p.2.
317 PFAFF, W., ″Invitation to War″, Foreign Affairs 72, no3 (Summer 1993), pp.99-101.
318 EMERSON, R., From Empire to Nation, Beacon Press, Boston, 1960, p.307.
284

Les nouveaux Etats créés sur base du nationalisme ethnique font


face à plusieurs défis qui peuvent se résumer de la manière suivante :

Ces Etats vont évaluer les intérêts et demandes des autres petits
groupes ethniques. Il est donc difficile de diviser ces Etats en plusieurs autres
micros Etats qui pourront envenimer des tensions ethniques et contribuer dans
l’augmentation de l’anarchie dans le monde. L’exemple de la Yougoslavie reste
éloquent à ce sujet.

Le second défi est celui de l’assimilation ethnique et ses corollaires.


Ignorer délibérément les droits politiques et culturels des minorités ne résoudra
pas les conflits, même dans des sociétés où existent clairement une ethnie domi-
nante. L’insurrection des Kurdes du PKK en Turquie et l’insurrection des mu-
sulmans en Thaïlande montre une remarquable résistance de ces derniers face
aux pratiques assimilationnistes qu’ils considèrent inacceptables319.

La troisième option est la plus radicale. Elle consiste à éliminer ou


expulser par la force les membres des groupes ethniques minoritaires. La tragé-
die bosniaque en même elle seule suffit pour montrer comment cette stratégie est
moralement répréhensible et politiquement inacceptable. Les massacres génoci-
daires au nom des conflits ethniques laissent des séquelles derrières qui sont dif-
ficiles à surmonter.

Il existe un autre problème lié à la création des entités ethno natio-


nales ; la définition même du concept ethnie, qui est sujet au changement dépen-
dant du contexte dans lequel il opère en un temps déterminé. L’ethnie est un
concept fluide et flexible320. Elle est selon Manoff et Perrin constituée « d’un
groupe d’individus appartenant à la même culture et se reconnaissant comme
tels »321L’intensité des conflits ethniques varie avec le changement social et les
conditions politiques322.

319 BARKEY, H., ″Turkey’s Kurdish Dilemma″, Survival 35, no 4(Winter 1993-1994), p.51.
320 PHADNIS, U., Ethnicity and Nation Building in South Asia, Sage, New Delhi, 1990, p.241
321 MANOFF, M. et PERRIN, M., Le dictionnaire de l’ethnologie, Ed Payot, 1973, p 96
322 SNYDER, J., ″Nationalism and the Crisis of the Post-Soviet State″ survival 35, no1 (Spring 1993), p.5
285

L’exemple actuel de ce phénomène est la transformation de la So-


malie. Longtemps considérée comme le seul vrai Etat-nation en Afrique parce
qu’habité exclusivement par un seul groupe ethnolinguistique et ethno religieux,
la Somalie actuelle est tombée dans une anarchie totale avec des conflits oppo-
sants des clans et des sous-clans.

La Somalie n’est pas seule, le Pakistan est un autre exemple. Créé


sur base d’une identité ethno nationale musulmane, le Pakistan de nos jours
connait des fissures ethniques profondes qui ont même facilité Al Qaeda de s’y
installer aisément.

Toute accélération de la désintégration des Etats dans le tiers monde


risque d’être dangereuse pour la stabilité régionale et internationale. Cette désin-
tégration risque d’être différente de celle connue par les Etats européens du dix
septième au dix neuvième siècle. Pendant cette période, les conquêtes et les an-
nexions furent autorisées suivant les normes internationales. Ainsi, de nombreux
Etats non viables furent partiellement ou totalement annexés par leurs puissants
voisins. Cette situation a conduit à une réduction dramatique en nombre des en-
tités politiques dans le système international européen, ″de 500 entités en 1500,
l’Europe ne comptait en 1900 que vingt cinq entités″323.

Les annexions et les conquêtes ne sont plus acceptables dans le sys-


tème international actuel ; car les annexions et les conquêtes ne sont pas per-
mises par le droit international actuel. Deuxièmement, maintenant que le colo-
nialisme est derrière nous, les annexions et les conquêtes ne peuvent être réali-
sées que par les voisins. Or, la plupart des voisins dans le tiers monde sont inca-
pables de le faire pour une multitude des raisons.

323AYOOD, M., The Third World Security Predicament, state making, regional conflict and the international system,
Lynne Rienner Publishers, 1995, p.175.
286

Les Etats fragiles vont donc avoir deux options : continuer de demeu-
rer dans l’anarchie avec les souffrances que cela engendre ou alors, se disloquer en
plusieurs micro-Etats basés sur des critères ethniques, religieux ou autres.

§2. Transformation de la norme internationale

La fin du support accordé par des grandes puissances aux régimes


vulnérables du tiers monde et la présence d’une large quantité d’armes dans les
Etats fragiles, la corruption, la mauvaise gouvernance sont une partie des raisons
de la déliquescence des Etats du tiers monde. Une autre raison étant, la trans-
formation de la norme internationale.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la pratique internationale


était que les Etats postcoloniaux étaient souverains et reconnus par la communauté
internationale ; ces derniers ne pouvaient pas aliéner leurs souverainetés ou une
partie de leurs territoires même si ces Etats n’étaient pas viables. Cette norme assu-
rait l’intégrité territoriale des états fragiles aidant plusieurs d’entre eux de survivre
dans le stade initial. Sans la protection internationale par cette norme, plusieurs
Etats, spécialement en Afrique mais aussi au Moyen Orient et en Asie, pouvaient se
désintégrer dès le début de leur existence postcoloniale.

La stabilité créée par la guerre froide aida à renforcer cette norme


car les deux super puissances furent préoccupées par la déstabilisation des Etats
qui pouvait les affecter et surtout ne voulaient pas s’affronter dans des conflits
lointains dans le tiers monde. Cependant, les événements de ces dernières an-
nées ont remis en question cette norme internationale.

La désintégration de l’Union Soviétique démontra que même une


super puissance ne peut pas demeurer immunisée contre les pressions centri-
fuges. En plus, avec la relaxation des tensions internationales et la fin de la bipo-
larité, l’Amérique et les autres puissances émergentes ont peu d’intérêt à main-
tenir le statuquo territorial. Plusieurs capitales du monde ont une vision diffé-
287

rente sur la question des frontières, la faillite des Etats, ou encore la balkanisa-
tion ; par rapport aux craintes qu’elles avaient pendant la guerre froide sur le
changement mondial de l’équilibre des forces.

La désintégration de l’Union Soviétique, de la Yougoslavie et de la


Tchécoslovaquie, l’indépendance de l’Erythrée et du Sud Soudan suivie de la
reconnaissance par les Nations Unies de ces nouveaux Etats constitue un mes-
sage pour le reste du monde que la communauté internationale n’est plus atta-
chée à la maintenance des actuelles frontières des Etats. ″L’ancienne acception
selon laquelle les frontières mises en place après la seconde guerre mondiale fu-
rent permanentes a été remise en question par les événements dans l’Union So-
viétique et en Yougoslavie″324. En outre, le maintien du principe selon lequel les
frontières des Etats sont garanties par la communauté internationale risque
d’exacerber les problèmes sécuritaires face aux challenges sécessionnistes325.

La combinaison de la fin de la guerre froide et l’érosion de la norme


internationale qui garantissait l’intégrité des Etats peut faciliter l’établissement
des nouveaux Etats en Afrique et ailleurs. Cette situation exige les efforts de la
communauté internationale pour imposer l’ordre. Cependant, en l’absence
d’intérêts et ressources de la part de la communauté internationale, la leçon de
l’épisode somalien montre que certains Etats pourront être abandonnés dans la
situation de perpétuelle anarchie, qui en fin de compte suscitera les ambitions
balkanisantes. Heureusement, comme aucun Etat ne vit ou ne disparait en com-
plète isolation, ce qui arrive aux frontières d’un Etat défaillant peut avoir une
implication majeure chez les voisins. Comme le Liberia, l’Afghanistan, la Syrie,
la Somalie et le Rwanda le démontrent, l’anarchie au sein d’un Etat a des impli-
cations chez les voisins en termes des réfugiés, de trafic des drogues… et
d’autres maux qui seront à la base des tensions entre Etats. Les problèmes ac-
tuels de la RDC sont intimement liés aux événements malheureux survenus au
Rwanda en 1994.

324 HALPERIN and al quoted by AYOOD, M., op.cit, p.174.


325 AYOOD, M., op.cit, p.174.
288

§3. Du Quasi-Etat à l’Etat défaillant

A la fin de la deuxième guerre mondiale, les Nations Unies encou-


ragèrent la fin de l’impérialisme et décrétèrent que tous les Etats doivent devenir
indépendants. Mais, la capacité pour ces Etats à se gouverner par eux-mêmes, ce
que Robert Jackson appela la souveraineté positive326, n’était pas pris en compte.
Ainsi, les Etats sans véritable capacité de s’auto gérer (Quasi-Etats) mais repré-
sentant une véritable valeur stratégique, sont devenus de manière informelle les
protectorats des grandes puissances. Avec la fin de la guerre froide, ces Etats fu-
rent abandonnés par leurs sponsors et sont devenus pour certains des véritables
jungles exigeant l’intervention de la communauté internationale.

L’issue de la balkanisation, de l’auto détermination est liée au phé-


nomène de la faillite de l’Etat327. Pour Jack Snyder, l’ethno nationalisme pré-
domine lorsque les institutions d’un Etat sont défaillantes et incapables de ré-
pondre aux besoins élémentaires de la population et lorsque les institutions al-
ternatives satisfaisantes ne sont pas disponibles328. Ces éléments ne peuvent pas
à eux seuls fournir toute l’explication sur la balkanisation et l’ethno nationa-
lisme mais ils s’alimentent de l’ingrédient majeur, la faillite de l’Etat.

Ceci n’est pas seulement vrai dans l’ancienne Union Soviétique et


l’ancienne Yougoslavie mais dans beaucoup d’autres Etats du monde. La faiblesse
effective de l’Etat ou pour reprendre l’expression de Robert Jackson l’inexistence
d’un ″Etat empirique″ est la cause de l’émergence des ″quasi-Etats″ dans le tiers
monde. Ces quasi-Etats sont précurseurs des Etats défaillants329.

La fin de la guerre froide a favorisé la transformation de ces quasi-


Etats en Etats défaillants. Ceci est spécialement vrai dans les cas des pays qui
ont connu une implication militaire élevée des grandes puissances. Aux temps
forts de la guerre froide, les deux grandes puissances soutenaient plusieurs gou-
326 JACKSON, R., Quasi-States: Sovereignty, International Relations and the Third World, Cambridge University Press,
Cambridge 1999.
327 HELMAN, G. and RATNER, S., ″Saving Failed States″, Foreign Policy, no 89 (Winter 1992-1993), p.3.
328 SNYDER, J., op.cit, p.12.
329 JACKSON, R., op.cit.
289

vernements dans les pays alliés et maintenaient de ce fait, un semblant de stabili-


té, dont l’un des instruments majeurs fut le transfert des armes aux gouverne-
ments en place. Au même moment, la puissance rivale soutenait les forces
d’opposition en transférant également des quantités d’armes pour combattre le
régime en place. L’Afghanistan, la Somalie et l’Angola ont notamment vécu ce
phénomène d’action-réaction durant les années quatre vingt.

Ces politiques des grandes puissances de transférer les armes dans


des Etats du tiers monde sont devenues une source d’instabilité dans l’ère post-
guerre froide. Comme on peut le relever dans le contexte somalien, son rôle stra-
tégique dans la corne de l’Afrique, son instrumentalisation par les deux grandes
puissances à l’un ou l’autre moment de son histoire, a eu pour conséquence
d’affaiblir ce qui est considéré comme la fondation de l’ordre en Somalie,
l’autorité du chef du clan330.

La forte présence des quantités d’armes sophistiquées , combinée avec


le retrait du support des superpuissances aux régimes faibles, support qui empêchait
ces régimes de se faire renverser par leurs rivaux comme le fut le cas du régime
Mobutu pendant la guerre froide ; ce phénomène créa une anarchie totale dans des
pays comme l’Afghanistan ou la Somalie. Dans ces deux pays, l’autorité centrale
est totalement affaiblie faisant de ces quasi-Etats, des états défaillants.

Le Zaïre, la RDC actuelle, un client majeur des Etats-Unis


d’Amérique, vers qui on recourait pour fournir des armes au mouvement rebelle
MPLA pour combattre le régime de Luanda, est depuis près de dix-huit ans entrain
de devenir un Etat défaillant. Depuis que les USA ont perdu l’intérêt de soutenir le
régime corrompu de Mobutu au début des années quatre vingt dix, la situation dans
ce pays est devenue anarchique. Le département d’Etat Américain avait même es-
timé il y a quelques années, que la RDC allait devenir la prochaine Somalie331.

330 CLARK, J., ″Debacle in Somalia″ in DAMROSCH L(ed), Enforcing Restraint: Collective Intervention in Internal Con-
flicts, Council of Foreign Relations Press, 1993, p.205.
331 NOBLE, K., ″Mobutu Overture to US reported″, New York Times, January 16, 1994, p.7.
290

La Somalie actuelle, le Mali et l’expérience congolaise démontre


que la faillite de l’Etat est une source majeur des tragédies humaines. Plus im-
portant encore, la combinaison de la faillite de l’Etat, la mauvaise répartition des
ressources nationales, la corruption des dirigeants politiques, la gouvernance par
défis, la détention du pouvoir politique, économique ou militaire par un groupe
ethnique ou régional… sont autant d’éléments qui provoquent la frustration et
encouragent certaines personnes, à choisir la balkanisation ou l’auto détermina-
tion, comme une option par défaut. La RDC actuelle, n’est malheureusement pas
loin de ce scenario.

La RDC, pays immense et doté de richesses géologiques fabu-


leuses, le Congo est selon Pascal Boniface un Etat failli332. Un Etat failli est ce-
lui dont le gouvernement ne contrôle pas effectivement le territoire. Ce vide
constitue un défi sécuritaire et son existence est donc sujette à question.

La faillite de L’Etat au Congo se caractérise par une diversité de


symptômes : l’absence du contrôle du territoire national, l’affaiblissement des
structures étatiques qui place la RDC dans l’incapacité de lutter contre ses ad-
versaires, des violences communautaires, des déplacements internes des popula-
tions, des inégalités de développement, le déclin économique, le chômage chro-
nique, la détérioration des services publics, le non-respect des droits de l’homme
ainsi que l’interférence ou l’intervention des puissances extérieures.

Si depuis 2008, la Somalie occupe la première place de l’index mon-


dial des Etats défaillants ; plusieurs organisations internationales et magasines
comme le Think Thank, le fund for peace, et le magasine foreign affairs publient
chaque année le failed states index basé sur douze indicateurs repartis en trois caté-
gories : sociale, économique et politique. Ces dernières années, la Somalie, le Zim-
babwe, l’Afghanistan, l’Irak et la RDC y occupent les premières places.

332 BONIFACE, P., La géopolitique : Les relations internationales, Eyrolles, Paris, 2011, p.103.
291

L’enjeu étant la construction ou la reconstruction d’un Etat qui


pourrait mettre au service de la population les immenses richesses du pays et
mettre fin aux appétits extérieurs qui l’ont conduit à la déchéance.

Nous venons ici d’apporter une contribution dans le débat passionnant


et agité sur les tentatives et risques de balkanisation de la république démocratique
du Congo, ″suite à un complot de longue date qui existerait parmi les membres in-
fluents de la communauté internationale pour mieux exploiter le Congo″.

Nous avons voulu en ce qui nous concerne faire un effort de rester


scientifique en analysant les faits et non en spéculant sur les faits. Nous avons
voulu donc présenter l’évolution du phénomène de balkanisation, d’auto déter-
mination ou de création des entités ethno nationales dans l’histoire récente du
monde ; liée à la fin de la guerre froide, à l’effondrement à la fois de l’Union
Soviétique et de la Yougoslavie.

Nous forgeons notre conclusion sur les éléments de définition dé-


veloppés par le professeur Alphonse Kazumba, selon lesquels ″la balkanisation
peut être un acte conscient et réfléchi des populations autochtones intéressées
dans le but de résoudre positivement les problèmes de mal gouvernance liés à la
gestion du macro-Etat d’un coté ; de l’autre côté, elle peut être le résultat de ran-
cœur et de convoitise des Etats ou des individus tiers, qui viennent se greffer sur
la trahison ou l’incompétence avérée des gouvernants″333.

En effet, dans une interview avec un Professeur d’université, ce


dernier déclara ce qui suit : ″Pourquoi le pays dans son ensemble doit-il être pris
en otage par les seuls originaires du Katanga ou du Maniema ? La solution pour
moi, est la Balkanisation pour que chacun reste chez lui″.

333 KAZUMBA, T., ″Gouvernance Militaire, Etat et Balkanisation en RDC″, Kinshasa, inédit, p 17, Octobre 2012.
292

Le député national et président du parlement provincial du Katanga,


Kyungu wa Kumwanza déclarait dans une interview avec Jean Marie Kassamba
de Télé 50 que″ tôt ou tard le Katanga sera indépendant. Il suivra l’exemple du
Sud Soudan″. Dans le même ordre d’idées, un autre compatriote de la diaspora
ressortissant du Katanga disait ″si le Katanga ne se développe pas rapidement
c’est à cause de Kinshasa qui nous bloque. Nous gagnerons beaucoup en demeu-
rant un Katanga indépendant, que de rester dans le bourbier congolais″.

Un universitaire originaire du Bas-Congo me faisais remarquer que


″dans les entreprises au Bas-Congo, un grand nombre des directeurs et autres
responsables sont originaires du Katanga, alors que ce phénomène est inimagi-
nable dans le sens contraire″.

Le forum des jeunes ressortissants du Kivu fait ressortir que″ dans


les forces armées de la RDC, les Banyamulenge eux seuls détiennent le nombre
le plus élevé des officiers dans des postes de responsabilités qu’aucune autre
ethnie de la RDC″334.

Enfin, lors des incidents conduisant au report du match de football de


la ligue nationale ente le TP MAZEMBE et l’AS V CLUB en 2013, initialement
prévu au stade de la Kenya puis délocalisé au stade de TP MAZEMBE et qui a vu
la direction de l’AS V CLUB refuser de jouer, des supporteurs kinois montrèrent
leur agacement et estimèrent que″ le TP MAZEMBE a toujours été favorisé par les
autorités et qu’il était temps pour les clubs de la capitale de ne plus jouer dans la
même ligue que ce dernier″.Pour en terminer avec les faits, plusieurs amoureux du
football et fanatique des Léopards, équipe nationale du football ; se sont interrogés
sur des véritables raisons qui ont poussé la fédération nationale de football de loca-
liser le premier match qualificatif Maroc 2015 à Lubumbashi dans un stade vide,
alors que le match pouvait bien avoir lieu à Kinshasa.

334 www.kivuyouth.com
293

Si nous partageons la définition du professeur Kazumba évoquée ci-


haut, nous ne le suivons cependant pas entièrement lorsqu’il affirme que″ les
différentes tentatives de balkanisation ne relèvent pas des masses congolaises
poussées au bout par le pouvoir ni dans leur intérêt, ni dans leur stratégie. Pour
le professeur, l’Etat congolais n’étant que la créature des forces étrangères, ces
mêmes forces seraient donc responsables de sa balkanisation″335.

Il est peut être vrai qu’il puisse exister une main étrangère qui sou-
haiterait la balkanisation de la RDC, mais il est surtout vrai que la dimension in-
terne, propre au Congo est l’élément principal dans cette entreprise de balkanisa-
tion. Les interviews que nous venons d’évoquées dans ce travail, les frustrations,
le sentiment d’injustices et d’exploitations ressentis par la majeur partie de la
population ouvrent la voix vers la balkanisation, comme choix par défaut et
comme réponse aux inégalités et injustices.

Il est certes vrai que les congolais sont dans leur majorité animés
par le bon vouloir de vivre ensemble comme cela pouvait se vérifier dans la So-
malie pré- anarchie actuelle. Si en Somalie, les clans jouissent à l’interne d’une
cohésion très forte, ils se détestent à l’externe en partie à cause de
l’instrumentalisation que les uns et les autres en ont fait.

Au Congo cependant, la situation est différente. Si les différents


groupes ethniques sont soudés à l’interne, ils entretiennent aussi des bonnes re-
lations avec les autres groupes ethniques. Néanmoins, cette situation tend à
changer comme en Somalie à cause de l’instrumentalisation de l’ethnie pour as-
seoir le pouvoir. Cela fut le cas pendant la deuxième république, Mobutu recou-
rant à ses frères de l’Equateur pour se maintenir au pouvoir d’une part et d’autre
part, il s’arrangea pour opposer les populations congolaises comme ce fut le cas
des événements survenus au Katanga contre les Kasaiens au début des années
quatre vingt dix.

335 KAZUMBA, T., op.cit, p.17.


294

Apres le départ de Mobutu, le nouveau pouvoir AFDL recourut aux


mêmes pratiques ; les congolais swahiliphones furent privilégiés dans toute la
sphère de la vie nationale, et comme on l’a ci haut souligné, cette situation n’a
guère évolué. De telles pratiques sont susceptibles de fragiliser la cohésion na-
tionale, de conduire les différents groupes de se haïr et donc de favoriser la vo-
lonté autonomiste.

La vulnérabilité interne des Etats en Afrique est le responsable


premier des conflits dans la majeure partie des Etats336. Ces fissures internes ont
permis beaucoup de conflits internes à devenir des conflits inter étatiques, don-
nant lieu aux interférences des Etats voisins dans les disputes internes. Plus im-
portant encore, des fragilités internes au sein des Etats Africains ainsi que les
disputes que ces fragilités génèrent au sein et entre les Etats, permettent des riva-
lités fortes de prendre corps. Si les sources internes des conflits ont été absentes,
ou présent mais à un niveau négligeable, les Etats africains seraient immunisés
contre les interventions régionales ou des grandes puissances337.

En plus, la dynamique globale y compris l’équilibre des forces ainsi


que les normes internationales devraient avoir peu d’impacts sur les Etats en
Afrique, si ces derniers jouissaient d’une réelle cohésion interne et si leurs ré-
gimes possédaient une légitimité politique réelle. En l’absence de cette cohésion
et de cette légitimité, les ingrédients majeurs de ″l’insécurité software″, font que
ces Etats sont soumis à un haut degré d’interférence, spécialement de la part des
grandes puissances dans le système international338.

Il revient donc aux gouvernants, de repenser toute la stratégie de la


gouvernance dans ces pays, de faire participer réellement toute la population à
la vie nationale par des mécanismes réels et réellement démocratiques (recours
aux critères de compétence dans la fonction publique, meilleure redistribution

336 AMER, R. et al., World Armament and Disarmament, Oxford University Press, Oxford, 1993, p.81.
337 AYOOD, M., op.cit, p.189.
338 AZAR, E. and MOON, C., ″Legitimacy, Integration and Policy Capacity: The Software side of Third World National Securi-

ty″, in E AZAR et C Moon (ed), National security in the third World: The Management of Internal and External Threats,
University of Maryland, Maryland, 1988, p.77.
295

des revenus…) et non seulement par des élections qui ressuscitent la haine, les
divisions et les injustices et in fine le rejet du macro-Etat par la population, un
facteur s’il n’est pas pris au sérieux basculerait plusieurs pays dans la balkanisa-
tion ou la sécession.

Enfin, le débat jadis alimenté par la majorité présidentielle sur la


révision de la constitution et surtout des articles dits verrouillés est très dange-
reux pour la cohésion nationale. Il est un facteur de tension, qui va conduire cer-
tainement à l’instabilité et nourrira encore les ambitions séparatistes.

SECTION 3. REFORME DE L’ETAT ET AUTONOMIE LOCALE

Nous avons affirmé dans les pages précédentes que la fragilité de


l’Etat en RDC se caractérisait par une diversité de symptômes entre autres :
l’absence du contrôle du territoire national, l’affaiblissement des structures éta-
tiques, des violences communautaires, des déplacements internes des populations,
des inégalités de développement, le déclin économique, le chômage chronique et
endémique, la détérioration des services publics, le non-respect des droits humains
ainsi que l’interférence ou l’intervention des puissances extérieures. Pour en sortir
il faut que la RDC s’engage dans un processus des reformes de l’Etat.

Il nous semble donc impératif d’imaginer des solutions institution-


nelles pour répondre à ces préoccupations. Premièrement, il nous semble que le
régime politique actuel au Congo ne tient pas compte de la réalité. En effet, le
régime semi-présidentiel calqué sur le modèle français de la cinquième répu-
blique a certes l’avantage de confier le pouvoir à un président élu au suffrage
universel qui doit gouverner. Cependant, dans le contexte congolais ce régime
présente plusieurs désavantages. Dans un pays où l’ethnie reste le principal
cadre sécuritaire, à chaque période électorale, nous assistons à la résurgence des
oppositions tribales, ethniques ou régionales qui mettent en mal le fragile senti-
ment national. En outre, au moment où tous les pays du monde s’engagent à
faire des économies, le régime semi-présidentiel est coûteux ; avec un président
et un premier ministre tous entourés d’une pléthore des conseillers qui en réalité
296

ne font rien et dont leurs chefs respectifs bénéficient des dotations, et notam-
ment pour le président, en plus d’une armée personnelle comme fut la DSP et
maintenant la garde républicaine qui de facto devient à elle seule, l’armée na-
tionale. Il est peut être temps d’imaginer un autre régime, plus économique et
représentatif de la nation pour relever les défis politiques et économiques.

Nous militons pour la mise en place d’un régime qui tienne compte
à la fois des avantages du présidentialisme et du parlementarisme mais aussi de
leurs désavantages respectifs. Pour être concret, si on se réfère aux derniers ré-
sultats des élections législatives de 2011, le gouvernement serait composé du
PPRD, UDPS, PPPD, MLC, UNC…

Le système parlementaire a l’avantage de mettre un terme au risque de


l’émergence d’un « Rais » qui profiterait de la légitimité du suffrage universel pour
se tailler une constitution sur mesure et accaparer tous les leviers du pouvoir. Il est
vrai que la dérive monarchique du système parlementaire (Semi-présidentiel) existe
même dans des pays de longue tradition démocratique comme la France, surtout
lorsque ce dernier jouit d’une majorité absolue au parlement.

Le système présidentiel américain a, de son côté, l’avantage d’avoir


instauré une véritable séparation des pouvoirs, un système de freins et contre-
poids (checks and balances), une presse libre et un pouvoir judiciaire indépen-
dant. Mais, malgré ces garde-fous, ce pays n’est pas totalement à l’abri des abus
de pouvoir de la part du locataire de la Maison Blanche, notamment en période
de crise grave, comme on l’a vu avec George Bush suite aux attentats du 11 sep-
tembre 2001.

L’autre avantage de l’abandon du système présidentiel, notamment


dans les pays arabes, est psychologique : la disparition de la personnification du
pouvoir qui tend à engendrer le culte de la personnalité qui se manifeste souvent
par la présence du portrait du « Rais » dans toutes les administrations publiques.
297

Cependant, le régime parlementaire n’est pas la panacée ; il est loin


d’être exempt de tout risque. Par exemple, le système britannique avec son scru-
tin uninominal à un tour consacre l’hégémonie du Premier ministre dont le parti
a obtenu la majorité absolue au Parlement ; un Premier ministre qui, en terme de
pouvoir, n’a rien à envier au « monarque de l’Élysée », comme ce fut le cas sous
Margaret Thatcher ou Tony Blair. L’autre inconvénient majeur du mode de scru-
tin britannique est qu’il débouche sur la domination de deux grands partis poli-
tiques et l’exclusion des petites formations. La coalition récente entre le parti
conservateur et le parti libéral n’est qu’une exception à la règle qui a prévalu
pendant plusieurs décennies.

Il nous faut donc tirer les leçons de ces deux systèmes qui ont fait
leurs preuves et montré leurs avantages et leurs inconvénients et essayer d’être
inventif. Une telle méthode pourrait permettre l’adoption d’un système qui com-
porte les avantages du système parlementaire sans tomber dans les excès du pré-
sidentialisme. Autrement dit, un système avec un Parlement détenant des réels
pouvoirs et un président au dessus de la mêlée, représentant de tous les citoyens
et garantissant ainsi l’unité et la cohésion du pays. Ce dernier devrait être élu au
suffrage universel à deux tours pour un mandat de cinq ans une et une seule fois
renouvelable ; pour lui donner une légitimité populaire et pour garantir l’autorité
de l’Etat. Il devra disposer du pouvoir de promulguer toute législation adoptée
par le Parlement, celui de nomination des membres de son gouvernement ; con-
duire la politique gouvernementale. Bref, un président jouissant de pouvoirs ré-
els, mais pas un président omnipotent. Tout doit être fait pour garantir un équi-
libre entre les trois pouvoirs. En plus le nombre des ministères doit être sensi-
blement limités (pas plus de quinze) et une administration publique bien réorga-
nisée recourant aux normes du management privé.

Quand au mode de scrutin qui peut paraître comme une question


technique, est fondamental pour éviter toute dérive « autoritaire » dans un sys-
tème parlementaire ou présidentiel. Par exemple, la représentation proportion-
nelle est un mode de scrutin qui tend à favoriser le multipartisme, ou la compéti-
298

tion ouverte entre de nombreux partis, contraints après les élections de nouer des
alliances pour former une majorité parlementaire. Mais l’inconvénient majeur de
ce système est qu’il débouche très souvent sur une situation d’instabilité perma-
nente et un pays ingouvernable. Le scrutin majoritaire à un tour tend à instaurer,
ou à maintenir, un système dualiste (ou bipartisan) dans lequel le parti gagnant,
ayant obtenu la majorité nationale des sièges, peut gouverner seul ; tandis que le
scrutin majoritaire à deux tours tend, quant à lui, au multipartisme mais il con-
traint les partis à conclure des accords de désistement entre les deux tours, et les
rend par conséquent plus dépendants les uns des autres que ne le fait la représen-
tation proportionnelle.

Il faut donc rester extrêmement inventif une fois de plus. Les diffé-
rences dans le mode de scrutin ont des effets sur le nombre et la configuration des
partis, mais aussi sur les rapports qu’ils entretiennent : alternance, indépendance, et
accentuation stratégique des écarts entre les programmes. Un scrutin majoritaire à
deux tours avec une petite dose de proportionnelle a, non seulement l’avantage de
garantir une stabilité politique, mais en outre de permettre à des petits partis d’être
représentés. Bien sûr, le mode de scrutin à lui tout seul n’est pas toujours détermi-
nant : les réalités nationales, les idéologies, et surtout les structures socio-
économiques ont un impact parfois décisif à cet égard.

Dès lors, sans une véritable séparation de pouvoirs, sans une justice
indépendante, sans la liberté d’expression, de rassemblement et de la presse et sans
la liberté d’association, pour ne citer que les plus importantes, aucun système poli-
tique, qu’il soit parlementaire ou présidentiel, ne débouchera sur une véritable dé-
mocratie. Ce régime a certes des inconvénients car on connait la difficulté de
faire cohabiter les congolais, mais il a l’avantage d’être représentatif des partis
politiques et de toute la nation qui devra supporter ses programmes des reformes
nécessaires pour un pays en déliquescence.
299

Un tel régime fonctionne normalement si en plus une large autono-


mie est accordée aux entités locales et provinciales qui s’engageront dans des
programmes de développement. Les entités locales moins viables peuvent se re-
grouper en organisations intercommunales ou interprovinciales pour produire en
commun des biens collectifs locaux afin d’éviter la concurrence fiscale, les phé-
nomènes dits de ″ voter par les pieds″ ou de ″ passagers clandestins″. Nous sug-
gérons l’élection des gouverneurs au suffrage universel direct afin de contourner
les pratiques liées aux corruptions des grands électeurs.

Enfin un appareil judicaire local, provincial, national et une presse


indépendante du pouvoir exécutif doivent réellement jouer le rôle des contre-
pouvoirs pour faire fonctionner ce nouvel Etat.

Sur le plan législatif, nous suggérons la suppression du Senat qui


nous semble être une « anomalie démocratique » surtout parce que son utilité
réelle nous parait moins évidente et son pouvoir déséquilibré en faveur de
l’assemblée nationale ; cette situation nous place non seulement dans une situa-
tion du ping-pong parlementaire mais surtout son mode de désignation et le
nombre de ses élus reste exorbitant. En effet au moment où les congolais vivent
dans la pauvreté, l’argent public doit servir à un usage utile... et l’Etat doit
s’engager dans une réduction sensible du cout de son fonctionnement.

Le nombre des députés nationaux doit être revu à la baisse, leurs


immunités supprimées surtout celles n’ayant aucun rapport avec l’exercice direct
de leurs fonctions parlementaires. Il faut surtout un redécoupage des circonscrip-
tions électorales qui ne répondrait plus aux limitations ethniques actuelles. Nous
militons pour l’introduction d’une « clause de 5% » dans la loi sur le fonctionne-
ment des partis politiques. En effet, pour continuer à avoir des représentants au
parlement, il faut réaliser comme dans plusieurs pays du monde un minimum de
5% des élus au parlement. Cette loi aura l’avantage de faire naitre des véritables
partis politiques et non des « partis familiaux » que nous connaissons depuis le
processus de démocratisation avec plus de 400 partis politiques.
300

Enfin, les députés nationaux doivent aussi être soumis à une limita-
tion de mandat, du reste comme dans le cas actuel du président de la république,
à un mandat électif, une fois renouvelable. Ceci permettra de renouveler la
classe politique dans son ensemble.

Sur le plan économique, outre la révision de la loi fiscale pour per-


mettre aux nouvelles entités de demeurer viables, il faut restructurer les entre-
prises publiques, lutter contre la corruption et la fraude fiscale, s’engager dans le
processus de privation des services… tout doit être fait pour encourager les in-
vestissements publics et privés ayant pour objectifs la création d’emplois.

Sur le plan sociétal et voie politique, nous suggérons l’instauration


du vote obligatoire afin de rendre tout citoyen responsable du choix politique.
Pour ce faire, l’âge de maturité politique doit passer de dix-huit ans à seize ans.
Car en effet, un enfant de seize ans en 1960 n’est pas le même aujourd’hui. Pour
cela, il faut revoir le système de formation secondaire et primaire pour que les
jeunes puissent à seize ans finir leurs études secondaires et entrer à l’université.
Une autre question majeure qui nous vient à l’esprit est la prolifération des
églises dites de réveil et les conséquences néfastes qui vont avec elles. Nous
suggérons la formation obligatoire des pasteurs, une licence en théologie et une
agrégation avant de prester comme pasteur. Enfin, il faut un véritable débat sur
la question de la double nationalité surtout en ce qui concerne les congolais
d’origine qui ont par la force des choses choisi une autre nationalité. En effet,
ces derniers constituent un véritable laboratoire du soft power si on se réfère au
rôle combien important qu’ils jouent pour faire vivre les familles entières restées
au pays en l’absence totale et coupable de l’Etat. En plus c’est parmi eux qu’on
retrouve la jeunesse talentueuse de demain…des enfants ayant étudié dans les
meilleures universités du monde et des jeunes disposant du talent dans les sec-
teurs les plus aussi important comme celui des footballeurs.

Ces quelques pistes des solutions ne sont pas exhaustives, elles doi-
vent faire l’objet des recherches et approfondissement pour être améliorées.
301

SECTION 4. POUVOIRS LOCAUX, PARTAGE DE SOUVERNEITE ET DE-


CERTIFICATION DES ETATS

Les Etats-nations actuels que l'Europe a créés en Afrique doivent


céder la place à un monde qui reconnaît au moins la possibilité d'alternatives. La
reconnaissance du fait que la réforme est possible doit être guidée par deux pro-
positions : les solutions de rechange proposées doivent, en fin de compte, prove-
nir des Africains eux-mêmes, aucune alternative à l'État-nation ne doit être im-
posée à l'Afrique, compte tenu en particulier de l'histoire du colonialisme, qui a
commencé avec la Conférence de Berlin. Deuxièmement, l'objectif de toute so-
lution de rechange devrait être d'accroître le dynamisme de formation de l'État,
de sorte que des unités nationales fortes peuvent émerger et celles qui fonction-
nent mal ne doivent pas nécessairement se poursuivre indéfiniment. Non seule-
ment un tel dynamisme aura une forte résonance avec le passé de l'Afrique, mais
il sera également question de fixer la base essentielle pour le développement po-
litique et économique.

La première étape vers l'élaboration de nouvelles alternatives serait


de fournir à l'espace intellectuel africain un cadre pour présenter des alternatives,
ceci aura l’avantage de reconnaitre que la communauté internationale n'est pas
aveuglément attachée à l'état actuel du système. Dans l’histoire récente de
l’Afrique, il vient d’être reconnu au peuple du Sud-Soudan le pouvoir d’exercer
leurs droits fondamentaux d’auto-détermination. Bien sûr, certaines propositions
de changement dans le système étatique peuvent avoir des conséquences et ris-
quer la colère des dirigeants politiques.

En effet, Ken Sara-Wiwa et ses collègues ont été exécutés par les
autorités nigérianes en 1995 parce qu'ils ont exigé l’auto-détermination pour le
peuple Ogoni. La situation politique et sécuritaire actuelle du Nigeria soulève la
question de savoir si ce pays reste viable en tant que tel dans le futur ? La pré-
sence de la milice Boko Haram, les oppositions communautaristes, le conflit
confessionnel entre chrétiens et musulmans, qui selon Huntington s’il est récu-
302

péré par les grandes puissances pourrait conduire à un choc civilisationnel339,


exige à notre avis, de repenser l’Etat-nation dans ce pays.

En outre, est-il réaliste de continuer à imposer aux Kurdes, Sunnites


et Chiites irakiens l’obligation de vivre ensemble au sein d’un Etat-nation ira-
kien qui n’existe quasiment plus ?

A ce jour, il n'est pas surprenant de voir que peu de pays se sont


engagés dans la façon de repenser l’expérience des Etats actuels, compte tenu de
l'environnement international sceptique. On assiste cependant à une évolution,
en particulier en ce qui concerne les droits des groupes minoritaires. La constitu-
tion éthiopienne prévoit la possibilité d'une sécession fondée sur la majorité des
deux tiers. Cette constitution a été soutenue par un certain grand nombre de pays
occidentaux, malgré le fait qu'elle défie les notions de la diplomatie post-
Seconde Guerre mondiale en Afrique.

La Constitution éthiopienne restaure d’une certaine façon l'an-


cienne pratique selon laquelle les régions périphériques précoloniale pourraient
quitter l'unité politique existant avec relativement peu de difficulté si elles sont
mécontentes de leurs dirigeants politiques.

Malheureusement, il n’y a apparemment pas d’autres exemples en


Afrique de l’innovation constitutionnelle importante pour créer des nouvelles
formes d’entités en réponse à la désintégration des Etats actuels ; l'Éthiopie a
adopté ses règles actuelles après avoir perdu une longue guerre civile qui a con-
duit à l'indépendance de l'Erythrée, son ancienne province.

Afin de faciliter le développement de solutions de rechange au sys-


tème actuel, la communauté internationale et les pays africains peuvent aussi
commencer à étudier les problèmes du continent sur une base régionale sans
égard aux frontières des pays. Malgré la rhétorique apparemment sans fin sur la
339 HUNTINGTON, S.P., op-cit.
303

nature régionale des problèmes de nombreux pays africains, la plupart des rap-
ports et des travaux recourent aux Etats-nations comme unités d'analyse. Le
cadre intellectuel continue à être dogmatique se basant sur les cartes actuelles,
car dans de nombreux cas des organismes multilatéraux tels que les Nations
Unies et la Banque mondiale sont composés uniquement d'Etats souverains, qui
conduisent ou financent les analyses. Ces agences ont du mal à travailler sur
n'importe quelle autre hypothèse que celle des limites actuelles, parce que le sys-
tème des Nations Unies lui-même est la source de la souveraineté que les diri-
geants africains gardent jalousement.

Les relativement peu d'études qui ne reposent pas sur les limites
existantes sont importantes à mentionner car elles suggèrent des possibilités qui
sont ouvertes lorsque le vieux cadre devient obsolète. Une des œuvres la plus
novatrice récente sur le développement de l'Afrique est l’étude des perspectives
à long terme publiée par le Club du Sahel. L'étude vise à analyser l’Afrique de
l'Ouest dans son ensemble pour comprendre à l’échelle de la région des dyna-
miques de changement, et met l'accent un peu moins sur les frontières poli-
tiques. L’idée ici est d’aboutir « au partage de souveraineté » dans le cadre des
organisations sous-régionales ou régionales. En effet, les Etats peuvent mettre
en commun certaines matières comme par exemple la défense nationale, la jus-
tice, les affaires étrangères, les investissements communs….comme le fait si
bien les pays européens soit dans le cadre de l’Otan ou des institutions euro-
péennes comme la cour européenne des droits de l’homme.

En outre, rares sont des publications officielles qui s’interrogent


sur l'avenir du système étatique actuel en Afrique. Dans un rapport intitulé "Re-
penser les Etats en Afrique de l’Ouest″, le rapport note que les Etats du Sahel
sont soit trop grands, peu peuplés, et difficiles à gérer; certains Etats côtiers sont
trop petits et n'ont pas une masse importante de la population "340. Cette ana-
lyse implique que l'adoption de certaines politiques économiques et sociales sont

340 Club du Sahel, Preparing for the Future: A vision of West Africa in year 2020, Club du Sahel, Paris, 1995, p.47.
304

difficiles à mettre en place à cause de la nature actuelle des certains Etats-


nations qui est un obstacle permanent au développement.

Soixante ans après avoir supposé que les frontières actuelles, même
dans les pays qui n’existent que par le nom sont inchangeables, une autre initia-
tive importante pour la communauté internationale serait de considérer la possibi-
lité d'autoriser la création de nouveaux États souverains, cela au cas par cas et se-
lon la réalité de chaque Etat. Permettre la création de ces nouveaux Etats, défierait
l'hypothèse de base défendue par les dirigeants africains et la communauté inter-
nationale selon laquelle, les frontières établies au hasard en 1885 sans égard à la
réalité sociale, politique, économique, ou ethnique sur le terrain devraient conti-
nuer à être universellement respectées. Dans le même temps, permettre la création
des nouveaux Etats africains aiderait à retrouver l'élément de la perspective préco-
loniale sur la souveraineté selon lequel, le contrôle politique doit se réaliser par
adhésion populaire et ne doit pas s’imposer par un acte administratif.

Un critère de changement aux circonstances particulières des Etats


fragiles d'Afrique pourrait être le suivant: les entités nouvellement formées, sont
elles à même de fournir un ordre politique plus meilleur que celui préexistant ?
Par ordre, nous entendons, une armée, une police et une justice qui sont les pré-
conditions essentielles pour tout progrès politique et économique. Ces services
publics sont précisément ce que les Etats en déliquescence d’Afrique comme le
Congo, ne fournissent pas. Une telle norme permettrait d’exclure de nombreuses
tentatives de sécession et marquera un retour aux anciennes conceptions de la
souveraineté qui sont en résonance avec le passé africain.

La principale objection à la reconnaissance des nouveaux Etats en


Afrique a été à la base le critère de sélection. Étant donné qu'il y a très peu de
limites «naturelles» en Afrique ce qui permettrait une démarcation rationnelle
des terres sur la base de critères ethniques, géographiques, ou économiques, le
souci est que la reconnaissance de ces nouveaux Etats conduira à un processus
de fragmentation qui favoriserait la création des unités toujours plus petites,
conduisant à un chaos politique qui semble sans fin. Ainsi, Gidon Gottlieb milite
305

contre la création des nouveaux Etats, parce qu'il craint "l'anarchie et le trouble à
l'échelle planétaire "341 .Le coût réel de la construction des nouveaux Etats, en
particulier le mouvement de la population avec les souffrances qu’ils impliquent
est un autre argument pour ceux qui considèrent que les frontières actuelles doi-
vent être préservées.

L'argument est qu'une fois que des nouveaux Etats sont reconnus,
on ouvrira une boite de pandore et la descente de la pente glissante de la création
des micro-Etats est inévitable. Cet argument crédite la crainte de la communauté
internationale et les africains sans capacités de discerner les détails des situa-
tions sur une base de cas par cas. Soutenir la création des nouveaux Etats, ne
veut pas dire que les critères de reconnaissance des États ne peuvent pas exister.
Ceux-ci doivent être créés et que la dévotion dogmatique sur les limites actuelles
doit être mise de coté. Un des critères doit se baser sur la capacité pour les nou-
veaux Etats de fournir de l’ordre dans la durée.

Ainsi, il existe un contraste entre la réalité de la désintégration et du


dysfonctionnement des Etats africains et la fiction juridique des États souverains
qu’ils expérimentent encore. Par exemple, dans le Somali land, la province du nord
de la Somalie qui a proclamé son indépendance ; l’ordre est fourni, un gouverne-
ment central a été créé avec des unités de l’armée, une force de police est en
marche et, des structures administratives fonctionnent. En revanche, dans le reste
de la Somalie il y a le chaos, en dépit du fait que le Sud a reçu énormément d’aide
étrangère et le Somali land très peu. Nous ne sommes pas ici entrain de sous esti-
mer les problèmes auxquels le Somali land fait face, problèmes du reste nombreux
et illimités pour l’instant, mais nous voulons insister sur le fait que la communauté
internationale devrait envisager de reconnaître le Somali land, étant donné le po-
tentiel des développements positifs là-bas qui contraste avec le chaos de Mogadis-
cio. Cependant, la pratique internationale actuelle d'attendre un signal de Mogadis-
cio à reconnaître le Somali land, ou les autres tentatives de recréer l’Etat-nation
somalien de triste mémoire, sont incompréhensibles.

341 GOTTLIEB, G., Nation against State, Council of Foreign Relation, New York, 1993, p.26.
306

La résistance à la création des nouveaux États devrait également


être tempérée par la reconnaissance des développements positifs en Erythrée de-
puis son indépendance de l’Ethiopie. La communauté internationale a continué
de soutenir l'intégrité territoriale de l'Éthiopie jusqu'à ce que les Érythréens et
leurs alliés aient remporté une victoire militaire. Les bailleurs de fonds-après des
décennies ont tenté de convaincre les Erythréens qu'ils seraient mieux dans le
cadre de l'Ethiopie et qu'ils ne seraient pas viables en tant qu’entité indépen-
dante. Ce pendant, l'Érythrée constitue un succès en raison de son engagement
pour le développement. La reconnaissance implicite de la communauté interna-
tionale de s’être trompée sur la viabilité de l'Erythrée est un élément important
de rappel que l'engagement envers les anciennes frontières est un obstacle pour
le développement de certains peuples.

En ce qui concerne la RDC, il me semble que la majorité de la po-


pulation partage encore le vouloir vivre collectif au sein des frontières actuelles
héritées de 1885. Cependant, face à l’incapacité continuelle de Kinshasa de
remplir pleinement les fonctions d’un Etat moderne, certaines voix dissidentes
commencent à se faire entendre. Certains officiels du Katanga ont menacé pen-
dant la période électorale de 2011 d’exiger l’indépendance de la province si
Tshisekedi devenait président de la république.

Ce même point de vue est de plus en plus évoqué parmi les ressor-
tissants du Bas-Congo, estimant qu’ils gagneraient beaucoup en étant indépen-
dant plutôt qu’en demeurant dans le Congo actuel, faible et incapable de faire
face aux défis qui s’impose à lui.

Les conséquences de l'adoption de nouvelles règles concernant la


sécession, évoquées précédemment dans ce travail dépendront de la compétence
de la communauté internationale de défier des Etats défaillants en envoyant un
signal fort pour le changement. Cependant, la réalité sur le terrain dans certains
pays africains, c'est que la souveraineté n'est pas exercée par l'Etat central dans
307

tout le pays et les régions éloignées, et les groupes sous-nationaux exercent déjà
une autorité dans certaines régions.

Si les nouveaux sous-groupes nationaux sont ignorés, ils continue-


ront à être des racketeurs institutionnalisés plutôt que les gardiens des droits de
leurs citoyens. Ils se lanceront dans des pratiques informelles, des prises
d’otages, les pirateries, le commerce informel impliquant souvent des médica-
ments, des armes, et animaux braconnés, plutôt que de promouvoir le dévelop-
pement économique.

La communauté internationale est donc confrontée à un choix entre


ignorer le succès des mouvements sécessionnistes et les forcer ainsi à demeurer
des criminels, ou d'essayer de créer de nouvelles institutions de l'Etat. Quelque
soit la position adoptée par la communauté internationale et compte tenu du ca-
ractère non viable de certains Etats en Afrique, ceux-ci vont finir par désinté-
grer.

Une approche plus révolutionnaire serait que certains Etats


d’Afrique soient réorganisés autour d'une autre organisation outre que les Etats-
nations actuels. Bien qu'une telle réforme serait un changement radical pour la
société internationale, leur adoption serait une reconnaissance importante de ce
qui se passe réellement en Afrique où de nombreux Etats n'exercent pas leur
autorité souveraine sur les territoires. En effet, dans un monde où le capital ne
connaît pas de frontières et où la projection de la force sur la distance est de plus
en plus facile, il est curieux que le pouvoir politique continue à être fermement
délimité en fonction du territoire. Le développement des solutions de rechange à
la situation actuelle de la souveraineté serait conforme avec les anciennes pra-
tiques africaines où la souveraineté a été parfois partagée et où il y avait beau-
coup d’arrangements concernant l'exercice du pouvoir et de l’autorité en fonc-
tion des circonstances locales.
308

C’est aux Africains de trouver des alternatives à l’État-nation. Cepen-


dant, la communauté internationale peut jouer un rôle important en envoyant un si-
gnal fort que l’environnement a changé et qu'il y existe la possibilité des alterna-
tives à l'État-nation actuel. En effet, les alternatives à l'État-nation sont en cours de
développement. Par exemple, l'anarchie en Somalie a conduit certains chercheurs
enfin de discuter des alternatives à l'ancien ordre politique défaillant342.

Un domaine important à explorer serait d’expérimenter le rôle joué


par les acteurs locaux face à l’incapacité des gouvernements africains d’exercer
le pouvoir loin de la capitale. En effet dans des régions éloignées de la capitale,
d'autres acteurs, y compris les chefs traditionnels et religieux ont émergé dans le
vide créé par l'effondrement de l’Etat et peuvent exercer un contrôle substantiel,
assurer la sécurité, et percevoir des impôts. Dans certains États défaillants
d’Afrique, les communautés rurales sont déjà confrontées à une situation com-
plexe où le contrôle souverain ne s'exerce que partiellement, voire pas du tout,
par le gouvernement central.

Cette situation diffère des critères discutés ci-dessus pour la recon-


naissance de nouveaux Etats, il s’agit ici d’encourager l’émergence des vrais
pouvoirs locaux dans le cadre d’une réelle décentralisation ou du fédéralisme. Il
serait particulièrement utile d’encourager la participation des unités sous-
nationales qu'il s'agisse des régions séparatistes potentielles ou tout simplement
des unités telles que les villes ou les régions qui ont été largement abandonnées
par leurs propres gouvernements centraux, à négocier directement avec des bail-
leurs de fonds internationaux et les organisations faisant partie de l’ONU pour
recevoir aide, assistance technique pour le développement local.

La diplomatie de l'intégration des acteurs sous-étatiques dans ce


qui constituait auparavant le club des nations souveraines, est bien sûr difficile.
Cependant, dans une variété des circonstances, la communauté internationale a
démontré sa capacité à s'adapter à la diplomatie avec autre chose que les Etats
342 LSE, A Study of Decentralised Political structures for Somalia: A Menu for Options, LSE, London, 1995.
309

souverains traditionnels. Comme William Reno le démontre, les sociétés étran-


gères n'ont pas été réticentes à traiter directement avec une autorité informelle
au Libéria et en Sierra Leone, prêtes à travailler avec toute personne qui possède
un réel pouvoir plutôt que celle détenant un contrôle théorique sur un terri-
toire343. Dans le même contexte, la communauté internationale ne reconnait pas
formellement Taiwan comme un pays indépendant, cependant la grande majori-
té des pays entretiennent des relations commerciales normales avec Taipei et, à
certains moments, celles-ci sont des relations diplomatiques. Une fois que la
question de la souveraineté a été adressée, il ne devrait pas être si difficile pour
les agences techniques de traiter directement avec ces unités qui fournissent des
services et qui sont réellement au service de la population.

Une étape supplémentaire pour la communauté internationale serait


de reconnaître officiellement que certains États sont tout simplement incapables
d’exercer un contrôle formel sur certaines parties de leurs pays et ne devraient
plus être considérés comme souverains. Par exemple, les États-Unis ont déjà ré-
duit leur aide envers les pays qui sont incapables de lutter contre les trafiquants
de drogue ou ceux qui les encouragent. En effet, les États-Unis exigent que ces
pays luttent efficacement et punissent les trafiquants de drogue et aussi contre
toute forme de corruption dans la vie publique. Très récemment, les USA et
d’autres pays occidentaux dont l’Allemagne viennent de décider de l’arrêt de
leur coopération militaire avec le Rwanda suite à son soutien avéré aux rebelles
du M23 et son ultime tentative de déstabiliser la RDC. Ces genres des réactions
sont des signaux forts pour décourager des Etats ″voyous″ qui sèment la terreur
et déstabilisent les autres Etats.

Ainsi, le Nigeria a été ″de- certifié″ en partie parce qu'il n'a pas en-
quêté sur les hauts fonctionnaires impliqués dans le trafic des drogues. La com-
munauté internationale peut faire de même en exigeant du Rwanda d’extrader ou
livrer à la CPI les Nkunda Batware et les autres officiels Rwandais engagés dans
la déstabilisation de la RDC. Au Congo, la même communauté internationale
343 RENO, W., Corruption and State Politics in Sierra Leone, Cambridge University Press, Cambridge, 1995, p.128.
310

aurait dû enquêter sur les allégations des fraudes autour des dernières élections
de Novembre 2011, car sans un pouvoir réellement légitime, le Congo ne sortira
jamais du chaos dans lequel il se trouve et toutes les tentatives de son redresse-
ment ne produiront pas d’effets.

Une décision similaire pourrait être prise si un Etat n'exerce pas


d'autres aspects de contrôle souverain, y compris l'échec ou l'incapacité à proje-
ter l'autorité dans une grande partie de son territoire pendant une longue période
de temps. En posant cet acte, la communauté internationale lancera un signal
fort aux autres pays pour devenir plus responsable plutôt que de continuer le
mythe selon lequel les États africains continuent d’exercer l'autorité souveraine
sur leurs territoires.

Il est paradoxal de constater que la communauté internationale


s'étant fermement opposée aux tentatives de la Libye de Kaddhafi ou de l’Iran
pour obtenir des sièges au sein de certains organes des Nations Unies en raison
de son soutien au terrorisme international, mais elle n’a aucun problème de voir
certains autres Etats comme la Somalie de continuer à siéger aux Nations Unies
malgré l’existence des preuves évidentes que ce dernier a cessé de fonctionner
comme Etat souverain depuis plusieurs années. La révocation de ″ l'accrédita-
tion″ offrirait un certain moyen de sortir de l'impasse actuelle, où il n'existe pas
de statut à accorder à un pays autre que la souveraineté, indépendamment des
réalités nationales.

Le retrait de l'accréditation devrait être une démarche rare qui serait


utilisée seulement en dernier recours. Il aurait également l'avantage de monter
que certains pays ne sont pas souverains ; elle pourrait donc être une «maison
de transition» pour les pays qui sont entrain de reconstruire leur autorité souve-
raine. En tant que telle, elle pourrait être considérée non pas comme une puni-
tion mais comme une simple reconnaissance de la réalité. Alternativement, la
révocation de ″l'accréditation″ pourrait être la première étape dans la reconnais-
sance que l'Etat est défaillant, et que quelque chose d'autre doit prendre sa place.
311

Il est ironique de constater que les États-Unis ne reconnaissaient


pas (jusque dans un passé plus récent) le Cuba et la Corée du Nord comme des
Etats au même titre que les autres .En effet, le problème avec ces pays, selon les
États-Unis, est que leurs gouvernements exercent beaucoup trop de contrôle sur
leurs propres sociétés. A contrario, certains Etats africains, qui sont incapables
de sécuriser la population, de lui fournir le minimum vital pour vivre et enfin ces
Etats qui exercent peu de contrôle sur leurs sociétés continuent à être reconnus
comme États.

Sans doute, de nombreux diplomates s’opposeront aux pratiques re-


latives à la révocation de l'accréditation, faisant valoir qu'il est contre les pra-
tiques actuelles des relations Etat à Etat. Cependant, la situation dans certaines
parties de l'Afrique, et peut-être ailleurs dans le monde en développement, a
maintenant divergé de façon spectaculaire qu'il serait effectivement dans l'intérêt
à long terme des grandes puissances visant à créer une nouvelle catégorie pour les
Etats qui ne peuvent vraiment plus être considérés comme souverains. Cette dé-
certification devra s'appliquer à un nombre très limité des pays, ceux-ci sont pré-
cisément les pays qui auront l'attention des décideurs à travers le monde qui re-
cherchent une solution contre les souffrances humaines dans ces pays.

L'idée que les catastrophes humanitaires complexes du type connu par


la Somalie , le Rwanda ou la RDC doit à un certain niveau devenir la responsabilité
de la communauté internationale est un phénomène nouveau dans les relations in-
ternationales, et est en contradiction avec la notion post-Seconde Guerre mondiale
de la souveraineté selon laquelle, tout Etat est autonome sur son territoire national.
En conséquence, des nouveaux outils doivent être développés pour faire face à ces
problèmes et la vieille pratique de la souveraineté doit être rejetée.

Ainsi, la de-certification de certains pays qui ont démontré une in-


capacité sur une longue période de temps pour gouverner leurs territoires pour-
rait faire partie de l'arsenal des techniques nouvelles nécessaires pour répondre
aux nouveaux problèmes aux quels la communauté internationale est confrontée.
312

Ainsi, la communauté internationale n'a pas encore reconnu que


certains Etats tout simplement ne fonctionnent pas. En effet, il faudra des ef-
forts considérables pour créer un environnement où la possibilité d'alternatives à
l'actuelle État-nation est possible. Mettre fin à l'impasse intellectuelle provoquée
par l'insistance actuelle de conserver les anciens États-nations permettrait aux
Africains en particulier de commencer à développer, pour la première fois en
plus d'un siècle, les plans nouveaux pour leurs États-nations actuels.

Compte tenu de l'ampleur des problèmes dans les Etats fragiles


d'Afrique, il serait inexact de laisser entendre que toute innovation sera de faible
coût, ou sera garanti pour s'attaquer aux causes profondes de l'échec. Toutefois,
l'ampleur même des problèmes qui affectent des millions de personnes suggère
également que l'accent mis actuellement sur les efforts de ressusciter les Etats
qui n'ont jamais démontré la capacité d'être viable est une erreur.
313

CHAPITRE TROISIEME
ALTERNATIVES AU SYSTEME ACTUEL

La faillite des Etats en Somalie, en RDC et au moment de la rédac-


tion de ce travail, ″l’Afghanisation″, du Mali, cause des souffrances aux millions
de personnes, et tout porte à croire qu’il y a des risques évidents que la liste ne
puisse pas s’arrêter là. La réponse internationale à ces États défaillants porte
principalement sur la façon de les ressusciter, tout en limitant la souffrance de la
population civile.

Toutefois, les tragédies humaines causées par l'échec des institutions


centrales et les possibilités offertes par les changements économiques et politiques
qui se produisent dans tout le système mondial nous obligent de réinventer
d'autres réponses sur la manière de répondre aux faillites des Etats en Afrique. Ce
chapitre suggère quelques stratégies alternatives pour mieux s’attaquer à la faillite
des Etats en Afrique et partout dans le monde, stratégies qui impliquent des chan-
gements significatifs dans les pratiques internationales et diplomatiques. L'objec-
tif est d'élaborer un ensemble de réponses à l'échec de l'Etat qui serait plus appro-
prié aux circonstances propres de chacun des Etats particulier, et de ce fait de
s'éloigner de la fixation actuelle sur le maintien des unités existantes.

SECTION 1. PARADOXE DE LA DECOLONISATION

Dans l'Afrique précoloniale, il existait une variété d’organisations


politiques (villages, empires, royaumes…), connaissant soit des apogées soit des
déclins. Cependant, la colonisation formelle de l'Afrique et la démarcation du
continent en Etats-nations en 1885 a remplacé cette diversité des formes
d’organisations politiques avec le modèle européen de l’Etat- nation344.

LEWIS, M., ″Pre and Post Colonial Forms of Polity in Africa″ in Lewis M, ed, Nationalism and self determination in the
344

Horn of Africa, Ithaca Press, London, 1983, p.74.


314

Après l'indépendance, l’héritage du patrimoine politique hétérogène


de l’Afrique a été écarté par des nationalistes qui ont saisi les rênes du pouvoir
des Etats-nations tels que définis politiquement et géographiquement par les co-
lonisateurs européens.

Paradoxalement, alors que Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, et


Sékou Touré proclamaient une rupture avec l'Europe et l'Occident, ils se référè-
rent à cette nouvelle organisation de l’Etat pour gouverner.

L'embrassement par l’Afrique de l'État-nation a été favorisé par plu-


sieurs facteurs : Premièrement, plusieurs africains étaient contents de se débarras-
ser d’une mixture d’institutions politiques qui ont caractérisé la période précolo-
niale. Comme le note si bien Adu Boahen, un des mérites de la colonisation c’est
d’avoir créé pour les nouveaux Etats des frontières fixes en lieu et place de ces
royaumes, empires …sans frontières très précises345. Deuxièmement, les leaders
africains avaient eux-mêmes intérêts à préserver les Etats-nations en lieu et place
d’expérimenter d’autres formes d’organisations politiques car, en le faisant ces
leaders n’avaient pas de garantie de demeurer au pouvoir.

Immédiatement après la décolonisation, l'Assemblée générale des


Nations Unies s’empressa de reconnaitre la souveraineté de ces nouveaux Etats
et leurs frontières. Ces Etats ont constitué une part importante de cette organisa-
tion, deuxièmement, l’enthousiasme réel fut observé dans le monde entier car
tant d'États ont conquis leur liberté en grande partie par des moyens non violents
contrairement à la division du sous-continent indien à la fin des années 1940.

Le paradoxe central du traitement international des Etats africains est


que, bien que la souveraineté a été accordée comme une simple suite de la déco-
lonisation, il a été immédiatement supposé que les nouveaux Etats prendraient des
mesures qui avaient précédemment caractérisé la notion de la souveraineté, no-
tamment plus de contrôle physique incontesté sur un territoire défini, mais aussi
345 ADU BOHAEN, African perspectives on Colonialism, John Hopkins University Press, Baltimore, 1987, p.95.
315

une présence administrative sur tout le pays et l'allégeance de la population à


l'idée de l'Etat. Implicitement, l'octroi de la souveraineté aux nouvelles nations a
également suggéré que tous les pays qui ont gagné la liberté seraient politique-
ment et économiquement viables, en dépit du fait que la plupart des colonies en
Afrique ont été délimitées avec l'hypothèse qu'ils ne seraient pas devenus dis-
tincts, des Etats indépendants. La réalité actuelle est cependant très différente.

La concurrence stratégique mondiale entre les Etats-Unis et l'Union


soviétique a aussi découragé les menaces à la refondation de la conception
d'Etats en Afrique ou ailleurs. L'une des règles implicites de la guerre froide,
c'est que soutenir les efforts pour changer les frontières ne faisait pas partie du
jeu. En fait, là où les grandes puissances sont intervenues, il était généralement
question de protéger l'intégrité des Etats existants (comme au Zaïre, au Tchad et
l'Éthiopie)346.

Enfin, la décolonisation s'est passée tellement vite que les dirigeants


africains étaient si déterminés à s'emparer du pouvoir qu'ils n'avaient ni le temps
ni la motivation pour développer des nouveaux concepts d'organisation politique
nationale.

SECTION 2. SOUVERAINETE DES ETATS AFRICAINS A L’EPREUVE DE LA


REALITE

La nature réelle de la souveraineté des pays africains est exposée à


la réalité. La longue crise économique que des nombreux pays africains ont con-
nue a provoqué une profonde érosion des revenus gouvernementaux de base.
Plusieurs agents de l’Etat ont déserté les milieux ruraux. En conséquence, cer-
tains Etats sont de plus en plus incapables d'exercer un contrôle physique sur
leurs territoires.

346 HERBST, J., ″The Challenges to Africa’s Boundaries″, Journal of International Affairs, Vol 46, No1, 1992, p.17.
316

Pour William C. Thom, la plupart d’armées étatiques des pays afri-


cains sont en déclin, en proie à une combinaison de réduction des budgets, les
pressions internationales pour réduire leurs tailles et le manque d’assistance mili-
taire qui a caractérisé la période de la Guerre froide. A quelques exceptions près,
la formation est presque inexistante… Les principales forces de l'ordre sont mal
formées et mal équipées dans de nombreux pays à un moment où la légitimité
des gouvernements centraux et parfois même des Etat est remise en doute347.

Dans le même temps, une assistance internationale pour de nom-


breux Etats africains est stagnante ou à la baisse. Les donateurs internationaux
réorientent leur aide vers les pays qui parviennent à réaliser des reformes éco-
nomique et politiques. Les pays qui échouent sont laissés de coté. La Somalie a
commencé à avoir des problèmes quand elle ne pouvait plus jouer le rôle straté-
gique de la guerre froide dans la corne africaine entre les USA et l’URSS.

Le déclin de l'aide représente une rupture fondamentale avec la pra-


tique des cent dernières années, qui a vu les acteurs internationaux offrir un soutien
aux Etats africains, d'abord par la création des colonies, puis par la consécration de
la souveraineté, et enfin par la mise à leurs dispositions des ressources financières
sans égard à la performance économique ou de politique intérieure.

Il est donc guère surprenant que tant de pays africains se sont ef-
fondrés depuis que le mur de Berlin est tombé, ni que ceux qui se sont effon-
drés comprennent un nombre important d'États qui avaient été richement récom-
pensés par des mécènes internationaux en raison de leur position stratégique
pendant la Guerre froide, mais ont ensuite connu des problèmes lorsque les bail-
leurs de fonds sont devenus plus soucieux des performances économiques et po-
litiques, c’est notamment le cas de la RDC.

347THOM W,″ An Assessment of Prospects for Ending Domestic Military Conflict in Sub-Sahara Africa″, CSIS Africa Notes,
N° 177, October 1995, p.3.
317

Plus gravement encore, les populations africaines vivent dans la mi-


sère la plus totale. Le taux de chômage avoisine dans certains pays près de 80 à
90 pourcent. Elles expérimentent des problèmes de santé publique que l’Afrique
sub-saharienne regorge le taux le plus élevé des malades du Sida. Des nombreux
gouvernements sont incapables d’assurer la sécurité et de fournir des services de
base à leurs populations. Ces mêmes gouvernements sont minés par la corrup-
tion et les détournements des fonds publics rendant impossible la réalisation de
toute politique publique adéquate.

La combinaison de ces facteurs ont vu certains Etats comme la


Somalie s’effondrer totalement, tandis que les autres comme la RDC existe tou-
jours, mais ne peut pas étendre son pouvoir très loin sur le territoire qu'il con-
trôle formellement. En effet, depuis les dernières années Mobutu jusqu'à Joseph
Kabila, le gouvernement exerce un contrôle très limité sur le territoire.

Dans d’autres pays, l’Etat émerge d’une association d’hommes


d’affaires qui ont peu d'intérêt dans l'exécution des fonctions traditionnelles de
l'Etat, qui ne reconnaissent ni ne respectent les frontières des autres Etats et
s’enrichissent sur le dos de la guerre et grâce au commerce.

Cependant, il serait inexact de suggérer que tous les Etats d’Afrique


s'effondrent. Le Bénin, le Ghana, la Tanzanie, et d'autres accroissent de manière
significative leurs capacités en tant qu’Etats en raison de la mise en œuvre des
programmes de réformes. Un nombre important d'autres pays ne font pas d'amé-
lioration des capacités considérables de l'État mais ne sont pas en déclin évident
en ce moment.

Ainsi l’Afrique présente une image de formation de l'État hétéro-


gène. Malheureusement, la communauté internationale dans sa réponse à la fail-
lite des Etats en Afrique, refuse de reconnaître les facteurs structurels à l'œuvre,
en dépit de l’existence des preuves croissantes que la perte du contrôle sur le ter-
ritoire, la perte de la souveraineté est devenue un modèle dans la plupart des
318

pays d’Afrique. Au contraire, chaque faillite de l'État est considérée comme un


événement unique. Aucun doute, la confluence des facteurs de soutien à la sou-
veraineté africaine dans le passé était si forte que l'inertie considérable au sein
des organisations internationales aujourd'hui soutient l'hypothèse selon laquelle
il n'y a pas d'alternative à l'actuel Etat-nation.

En outre, les diplomates africains, qui sont parmi les principaux bé-
néficiaires de ce modèle de souveraineté, travaillent dur pour supprimer tout
changement dans les pratiques internationales et diplomatiques. Par exemple,
même si il était évident que la Somalie s'est effondrée en Décembre 1992, sous
la force d'intervention américano-onusienne, personne n’a sérieusement envisa-
gée le protectorat ou toute autre disposition que de continuer la fiction de consi-
dérer la Somalie comme étant encore un Etat-nation souverain.

De nombreuses critiques de la performance des Etats africains ont


également supposé qu’il n'y a pas d'alternative au statu quo. Pendant ce temps,
tous les secteurs de la vie dans beaucoup de pays africains connaissent des pro-
blèmes. Les preuves de la crise institutionnelle abondent: tant dans le système po-
litique, dans la fonction publique, dans la gestion de l'économie et même dans le
secteur militaire. Malgré ces longs records de la faillite des Etats en Afrique as-
sociée aux institutions politiques actuelles, rares sont les énergies qui sont consa-
crées pour explorer les nouvelles pistes ou des solutions de rechange.

Il existe de nos jours une littérature abondante consacrée à la faillite


des Etats. William Zartman par exemple, tout en admettant des changements dans
la nature de l'État-nation, affirme encore qu’il est préférable de réaffirmer la validi-
té de l'unité des Etats actuels et de les faire fonctionner, en tirant une attention adé-
quate aux préoccupations des citoyens, plutôt que d'expérimenter des plus petites
unités homogènes, mais ayant une base moins large et moins stable. ... En général
la restauration de l’Etat faible dépend de la réaffirmation de l'État préexistant348.

348ZARTMAN, W., ″ Putting Things Back Together″, in Zartman W, ed, Collapsed States: The Disintegration and
Restoration of legitimate Authority, Lynne Rienner, Boulder, 1995, p.268.
319

Ainsi, il a eu peu de discussion ou d’alternatives, même pour


l'après-génocide au Rwanda, en dépit de ses évidentes difficultés structurelles et
en dépit du fait que son gouvernement actuel, dont la principale composante
reste la minorité Tutsie, n’est évidemment pas viable. Certains suggèrent que les
alternatives à l'État-nation ne se développeront pas en raison du caractère con-
servateur de la communauté internationale dans la reconnaissance des capacités
des solutions de rechange. Ainsi, Robert Jackson fait valoir qu’il y a peu
d’éléments qui suggèrent que les règles actuelles de la souveraineté ne vont pas
continuer à être généralement observées dans l'avenir comme ils l'ont été dans le
passé349. Cependant, comme le note Henrik Spruyt, le changement dans la nature
des unités constitutives de la communauté internationale a toujours eu lieu de
manière lente et progressive. Il existe toujours des longues périodes de stabilité
suivies des périodes de coup, et d’innovations institutionnelles350.

En effet, les normes de la communauté internationale sont en pleine


mutation de nos jours. L’ancien Secrétaire général des Nations Unies Boutros
Boutros-Ghali a écrit que le temps de la souveraineté absolue et exclusive était
derrière nous351.

Plus généralement encore, la fin de la guerre froide a ouvert la possi-


bilité des nouvelles formes organisationnelles politiques. Déjà, le «Kurdistan» dans
le nord de l'Irak, la nouvelle organisation politique qui est en train de se former en
Cisjordanie et à Gaza, et le fameux″ un Etat, deux entités ″ qui a vu le jour en Bos-
nie remettent en question le monopole de l’Etat-nation. Que ces créations furent
largement négociées par les grandes puissances, qui étaient auparavant parmi les
forces les plus conservatrices de la communauté internationale, suggère que la por-
tée des solutions de rechange à l’Etat-nation est en augmentation.

349 JACKSON, R., ″Sub-Saharan Africa″, in Jackson R and James A, ed, States in a Changing World: A Contemporary
Analysis, Charendon Press, Oxford, 1993, p.154.
350 SPRYUT, H., The sovereign States and its Competitors: An analysis of Systems Change, Princeton University

Press, Princeton, 1994, p.186.


351 BOUTROS BOUTROS GHALI, An agenda for peace 1995, UN, New York, 1995, p.44.
320

Enfin, les échecs dramatiques de certains Etats et la performance


médiocre de beaucoup d'autres a fait diminuer l'attachement que beaucoup en
Afrique portaient envers des États-nations dans les années 1960. Les africains
vivent dans des Etats qui ont échoué de les protéger politiquement, économi-
quement et humainement. Une nouvelle fenêtre d'opportunité vient donc de
s’ouvrir ; beaucoup d'Africains commencent à s'interroger sur la pérennité des
Etats-nations conçue par les Européens.

SECTION 3. ANCIENNES ET NOUVELLES CONCEPTIONS DE LA SOUVE-


RAINETE DES ETATS EN AFRICAINE

Comprendre ce qui a été perdu lorsque les Européens imposèrent


les État-nations est une première étape qui puisse nous conduire à imaginer ce
qui est approprié pour l'Afrique d'aujourd'hui. Cela ne veut pas dire qu’on
s’engagera dans la nostalgie de reproduire des formations politiques dévelop-
pées des centaines d'années. Comme le note Davidson, le passé précolonial n'est
pas récupérable. Cependant, comprendre ce que les colonialistes ont détruit de-
vrait être utile à l'élaboration d'une alternative à l’État-nation tel que théorisé,
conçu et imposé par les Européens.

La souveraineté précoloniale a eu deux caractéristiques radicale-


ment différentes de la souveraineté exercée dans l'Afrique moderne. Tout
d'abord, en Afrique précoloniale, le contrôle politique fut exercé primordiale-
ment sur les personnes plutôt que sur des territoires352.

Comme le territoire n'a pas été perçu comme une ressource con-
traignante, l'exercice politique du pouvoir était principalement destiné à contrô-
ler les individus. Les pratiques précoloniales africaines n'étaient donc pas si dif-
férentes de l'Europe féodale, où les territoires étaient un développement tardif353.
Cependant, les pratiques précoloniales africaines étaient radicalement différentes

352GOODY, J, Technology, Tradition and the State in Africa, Cambridge University Press, Cambridge, 1971, p.30.
353RUGGIE, J.R, ″ Continuity and Transformation in the World Polity: Towards a neorealist Synthesis″, World Politics, Vol
35, 2, January 1983, p.274.
321

des pratiques européennes postféodales et postindépendances africaines où les


Etats sont des entités territoriales354.

Le second aspect des pratiques politiques précoloniales, c'est que la


souveraineté tendait à être partagée. Il n'était pas rare pour une communauté
d'avoir des obligations nominales et des allégeances à plus d'un centre politique.

Comme le pouvoir n'a pas été strictement défini dans l'espace, il y


avait beaucoup de confusion plus grande par rapport à ce que cela signifiait pour
contrôler une communauté particulière. Dans le même temps, les communica-
tions et la technologie ont été si peu développées que peu de centres politiques
pouvaient espérer exercer une autorité incontestable, même sur les zones qu’ils
pensaient contrôler.

Ecrivant sur la théorie de la souveraineté chez les Ashanti, Ivor


Wilks note que, les droits de souveraineté sont distincts de l'exercice de l'autori-
té. Ainsi, dans la loi Ashanti, la terre appartenait à une autorité donnée tandis
que la population devait allégeance à une autorité différente355.

En effet, telles étaient les limites de l'autorité territoriale, que le


gouvernement central n’était souvent pas concerné par ce qui se passait dans les
régions périphériques tant que l’allégeance était faite356.

A cet égard, l'Afrique précoloniale était semblable à l'Europe mé-


diévale, où la souveraineté était partagée-par exemple, entre l'Eglise et les di-
verses unités. Cependant, encore une fois, ceci diffère nettement de la notion
moderne de l'État, où le contrôle souverain sur chaque morceau du territoire est
sans ambiguïté.

354 CRAWFORD, J., The creation of States in International Law, Clarendon Press, Oxford, 1979, p.36.
355 WILKS, I., Asante in Nineteenth Century: The structure and evolution of political order, Cambridge University Press,
Cambridge, 1975, pp.191-192.
356 JAN VANSINA, Kingdoms and Savannah, University of Wisconsin Press, Madison, 1966, p.82.
322

En conséquence, des nombreux Etats africains précoloniaux étaient


beaucoup plus dynamiques qu’ils le sont devenus dans le monde depuis 1945.
Ces organisations politiques furent créées, elles s’émancipèrent ou tombèrent
naturellement en réponse à des opportunités et des défis nombreux. Les terri-
toires périphériques qui ont découvert qu'ils pouvaient s’échapper à leurs diri-
geants l'ont réalisé. Par exemple, dans les royaumes d'Afrique centrale, les pro-
vinces pouvaient se détacher du royaume, lorsque les circonstances étaient favo-
rables. Ceci arriva dans le royaume Kongo, dans le royaume Kuba, et dans l'em-
pire Lunda, où tous les dirigeants qui étaient assez loin du centre sont devenus
indépendants357.

En outre, la guerre était une caractéristique commune de l'Afrique


précoloniale. Le contrôle politique dans l'Afrique précoloniale a dû être acquis
grâce à la construction de la loyauté, le recours à la coercition, et la création
d'une infrastructure. En effet, le contrôle politique sur les zones périphériques ne
pourrait jamais être tenu pour acquis, étant donné que l'environnement rendait si
difficile l’exercice du pouvoir sur toute importante distance.

L'imposition des Etats territoriaux par les autorités coloniales était


donc une grave perturbation sur des pratiques politiques africaines. La concep-
tion de l'État-nation comme introduite par les Européens exige que le territoire
soit clairement délimité. L’autorité ne dépend pas plus du soutien populaire ou
de la légitimité. Il n'y a rien d'exotique au sujet du système politique africain
précolonial. Là où l’Europe et l’Afrique divergent est dans la vitesse avec la-
quelle ils se sont déplacés d’un système à l'autre. L'évolution européenne de
l'ancien système des Etats où le territoire n'a pas été bien défini et la souveraine-
té a été partagé a été très lente, pendant des siècles.

En dépit du fait que cette lente transformation d'un système à


l'autre fut un désavantage pour les Etats de faire face aux crises, il y avait cepen-
dant des avantages , le nouvel Etat ne pouvait pas être appelé à exercer tous les
357 JAN VANSINA, op.cit, p.247.
323

aspects de la souveraineté moderne à la fois: par exemple, dans de nombreux


pays européens, les notables locaux étaient toujours responsables pour arrêter les
criminels et fournir de services sociaux, longtemps après la naissance de l'Etat
moderne, parce que ce dernier n’avait pas encore la capacité de remplir toutes
ces fonctions. Ainsi, l’Europe a mis le temps de développer les Etats relative-
ment viables.

En Afrique, cependant, il y avait une discontinuité entre l’ordre


politique ancien et le nouveau qui commença avec la conférence de Berlin de
1885. En l'espace de quelques décennies, les nouveaux Etats furent formés, peu
de temps après, ils deviendront indépendants. Les structures politiques qui per-
mettaient l’exercice du pouvoir dans l’Afrique précoloniale furent détruites et
non reconstruites.

Les profonds changements dans la nature de la souveraineté ont ag-


gravé le déclin du continent. Tout d'abord, la tendance naturelle des dirigeants
africains a été de servir la population urbaine, qu’ils considérèrent comme une
menace à leurs pouvoirs. L’OUA et l’ONU apportèrent soutien et reconnais-
sance aux gouvernements qui contrôlaient leurs capitales, quand il y avait tenta-
tives de révolte dans les zones rurales, la communauté internationale à la fois
implicitement et explicitement donnait son approbation à l'utilisation de la force
pour casser les révoltes.

Deuxièmement, une partie de l'échec à s'adapter à la diversité eth-


nique dans certains États vient de l'acquiescement de la communauté internatio-
nale dans le gel des limites frontalières. La communauté internationale a estimé
que les limites frontalières étaient inviolables et que, par conséquent, l'utilisation
de la force était justifiée contre les sécessionnistes potentiels. Les grandes puis-
sances allaient souvent au-delà de l'acquiescement à activement fournir des armes
et de l'expertise pour combattre des mouvements sécessionnistes, de sorte que
même des Etats déliquescents pourraient maintenir leur intégrité territoriale.
324

Plus important encore, le système statique actuel des Etats en


Afrique a institutionnalisé leurs faiblesses et déclin, il est une des sources de dé-
faillance. La communauté internationale continue de considérer plusieurs pays
comme souverains quelque soit leur incapacité à remplir les fonctions d’un Etat
moderne, elle continue à leur donner une légitimité, prétendant qu'il s'agit des
Etats qui fonctionnent, et soutient les efforts pour préserver leurs intégrités.

Ainsi, des pays comme la Somalie, l’Irak, le Mali …sont toujours


considérés comme des unités viables alors que le pouvoir des gouvernements
respectifs ne s’étend plus au-delà de leurs capitales et quelque fois nulle part.

Si les Etats faibles comme ceux que nous connaissons aujourd’hui


avaient existé en Afrique précoloniale, ils seraient soit conquis, soit ouvriraient
la voix à la création des structures étatiques plus viables. Cependant, le prix de
la stabilité des frontières a été que, même les Etats déliquescents continuent à
revendiquer la souveraineté internationale. La communauté internationale répète
les mêmes erreurs à remettre ensemble plusieurs pays, même s’il ya peu de
preuves que ca peut marcher.

Il n'est donc guère surprenant que l'expérience africaine de déve-


loppement a été particulièrement mauvaise. Patrick Conway et Joshua Greene
conclurent que, pour la période 1976-1986, la performance macroéconomique
et les politiques de pays africains différaient sensiblement de celles des pays
non-africains en développement dans bien des égards. Les pays africains con-
naissaient la baisse des investissements et des taux d'inflation élevés 358. Peu de
gens se posent la question la plus importante de savoir pourquoi les politiques si
même, si elles sont correctement conçues, ne marchent pas généralement en
Afrique ; est-ce n’est pas à cause de la nature même des Etats-nations, tels
qu’hérités de la colonisation ?

358 CONWAY, P. and GREENE, J., ″Is Africa Different″, World Development, Vol. 21, No 12, (December 1993), p.2005.
325

CONCLUSION GENERALE

Les années quatre vingt dix marquent un changement dans la pro-


motion des droits humains et leur protection par le droit international ; elles
marquent aussi la naissance d’un nouveau et violent phénomène de protection
des droits appelés : Intervention humanitaire. La décennie 1990 débuta avec cer-
taines actions innovatrices sur le plan international. De la protection des Kurdes
en Irak, de l’intervention au Kosovo sans oublier la Somalie.

L’intervention humanitaire est un défi à la notion de la souveraineté


des Etats car elle implique l’invasion d’un Etat souverain en recourant à l’usage
de la force militaire. Cependant selon l’école anglaise, le système Westphalien
ne peut fonctionner que lorsque les Etats reconnaissent la souveraineté des
autres Etats. Le principe soutenant cette règle est donc celui de la non-
intervention. Chaque Etat doit respecter les frontières des autres Etats pour
s’assurer que ses propres frontières sont en sécurité. Ceci pour ne pas dire que
les Etats ont toujours respecté les frontières des autres Etats. En effet, depuis la
signature du traité de Westphalie en 1648, on a toujours assisté aux incursions et
aux invasions des Etats par d’autres Etats359 .

Mais, le problème ici, et selon English School, c’est l’existence


d’une norme de la non-intervention. C’est le principe que tous les membres de la
communauté internationale doivent respecter même si cela n’est toujours pas le
cas360. Lorsque certains Etats la violent, ils doivent être rappelés à l’ordre car
cette règle est un des principes important qui maintient l’ordre international
comme affirmé dans la charte des Nations Unies.

359 KRASNER, S.D., Sovereignty: Organised Hypocrisy, Princeton University Press, Princeton, 1999, p.35.
360 FROST, M., Ethics in international relations, Cambridge University Press, Cambridge 1996, p.12.
326

Cependant, la règle de la souveraineté des Etats a connu des boule-


versements au début des années 1990 par la naissance de la norme de
l’intervention humanitaire. L’invasion d’un Etat souverain par un ou plusieurs
autres Etats, avec ou sans autorisation des Nations Unies pour des raisons hu-
manitaires apparait être en contradiction avec le principe du système de souve-
raineté des Etats. Ceci s’explique par l’élévation du régime des droits indivi-
duels des personnes en lieu et place de la souveraineté des Etats.

La montée du régime des droits de l’homme montre que le standard


de légitimité des Etats vient de changer. Désormais cette légitimé est liée à la
soumission et à l’observance des normes et des lois du droit international huma-
nitaire. La conséquence logique de ce shift de légitimité montre que toute action
d’intervention humanitaire en vue de soutenir le respect des droits de l’homme
est devenue légitime et même exigée.

Cette vision peut être déjà retracée au début des années 1960. Mal-
heureusement les pesanteurs de la guerre froide, l’attachement des deux grandes
puissances à la vision traditionnelle de la souveraineté montrent que les inter-
ventions au Bangladesh, Cambodge et en Uganda en 1970 qui devraient être
considérées comme humanitaire, ne l’étaient pas361.

La fin de la guerre froide a à la fois mis fin au risque de conflit


entre les deux superpuissances, mais elle créa aussi beaucoup des candidats à
l’intervention humanitaire du fait de la fin du protectorat et de la montée du na-
tionalisme au sein des anciens territoires socialistes.

A la fin de la deuxième guerre mondiale, les Nations Unies encou-


ragèrent la fin de l’impérialisme et décrétèrent que tous les Etats doivent devenir
indépendants. Mais la capacité pour ces Etats à se gouverner par eux-mêmes, ce

361BROWN, C. and AINLEY, K., Understanding International Relations, Palgrave Macmillan, Fourth Edition, London
2009, p.236
327

que Robert Jackson appela la souveraineté positive362 n’était pas pris en compte.
Ainsi, les Etats sans véritable capacité de s’auto gérer (Les Etats fragiles ou les
quasi-Etats) mais représentant une véritable valeur stratégique, sont devenus de
manière informelle les protectorats des grandes puissances.
Avec la fin de la guerre froide, ces Etats furent abandonnés par leurs sponsors et
sont devenus pour certains des véritables jungles exigeant l’intervention de la
communauté internationale.

Les leaders du monde élevèrent la notion du nouvel ordre mondial


dans lequel la politique étrangère des Etats doit être guidée par la croyance à
l’universalité des droits de l’homme. Pour Tony Blair, la nouvelle doctrine de la
communauté internationale doit inclure l’idée de la guerre juste363, la guerre ba-
sée non pas sur les ambitions territoriales mais ayant pour objectif d’empêcher
ou de prévenir les désastres humanitaires.

La Chine et la Russie rejettent cette idée de la guerre juste estimant


que l’OTAN n’a pas le droit d’interférer dans les affaires intérieures d’un Etat et
a agi de manière illégale en intervenant par exemple au Kosovo. Les deux Etats
estiment que l’intervention humanitaire est une atteinte à la souveraineté des
Etats. Elle est motivée par le désir d’imposer les standards occidentaux aux
autres Etats et plus largement encore elle est motivée par la poursuite des inté-
rêts occidentaux.

Les raisons pour lesquelles les Etats doivent intervenir dans un autre
Etat font objet des débats comme nous l’avons précédemment souligné dans ce
travail. On estime en général que les Etats interviennent lorsqu’ils ont un intérêt
réel à défendre mais aussi seulement pour des raisons humanitaires. La question
est donc de savoir, qui doit intervenir ? Sous l’ordre de quel organe ? Si le conseil
de sécurité des Nations Unies n’est pas reconnu comme dernier organe de déci-
sions à ce niveau, alors qui a l’autorité de décider ? En plus, si c’est le conseil de

362 JACKSON, R., Quasi-States: Sovereignty, International Relations and the Third Word, Cambridge University Press,
Cambridge 1999.
363 WALZER, M., Just and unjust wars: A Moral Argument with Historical illustrations, Library of Congress Cataloguing,

Fourth edition, New York, 2006.


328

sécurité de l’ONU seul qui doit de décider, est-il acceptable de confier la protec-
tion des individus entre les mains de seuls cinq membres permanents ?

En 2001, un rapport des Nations Unies intitulé la responsabilité de


protéger, publié par la commission internationale sur l’intervention et la souve-
raineté des Etats tente de répondre à ces questions. Le rapport soutien que les
Etats souverains ont la responsabilité principale de protéger leurs ressortissants,
mais s’ils sont incapables ou ne veulent pas le faire, la communauté internatio-
nale doit prendre ses responsabilités. Le rapport soutient le recours à la force
pour empêcher les abus sur les individus même sans un accord explicite du con-
seil de sécurité des Nations Unies mais seulement si la force est utilisée seule-
ment en dernier ressort.

La Chine et la Russie émettent certaines objections. L’objection de


la Chine et de la Russie contre l’intervention humanitaire n’est pas liée à l’issue
pratique de l’intervention telle que la motivation, la légitimité ou le processus de
décisions, mais plutôt sur une différente conception théorique du système inter-
national et rejette l’idée selon laquelle la souveraineté de l’Etat est dépendante
des droits de la population au sein de cet Etat.

De ce point de vue, la souveraineté ainsi que le droit à l’auto-


détermination sont les conditions nécessaires pour maintenir l’ordre internatio-
nal. Il n’est donc pas question pour une quelconque organisation d’émettre un
jugement sur ce qui se passe au sein d’un Etat indépendant.

La conception universelle des droits de l’homme est rejetée comme


étant un projet libéral occidental et l’utilisation de la force armée contre les Etats
faibles est considérée comme une agression.

Le courant réaliste est d’avis que l’intervention humanitaire est une


politique qui poursuit la réalisation des intérêts des Etats occidentaux facilitée
par l’absence temporaire de la balance de pouvoir ou l’équilibre des forces au
329

sein de la communauté internationale. Ces interventions sont considérées


comme dangereuses car elles menacent l’ordre international et peuvent conduire
à l’escalade des conflits car l’intervention est généralement justifiée en recou-
rant à la rhétorique des bons Etats et mauvais Etats (axe du mal), conduisant à
recourir à la force disproportionnée pour combattre les mauvais.

Certains libéraux aussi émettent des réserves en ce qui concerne l’intervention


humanitaire. Ils soutiennent l’application universelle des droits de l’homme mais
estiment que le principe de non-intervention est nécessaire pour supporter la
promotion de la liberté et de la paix364.

Il existe donc clairement des obstacles pratiques et théoriques aux-


quels font face les supporteurs de l’intervention humanitaire. Mais le débat est il
clos ? Depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001, les régimes en
Afghanistan, en Irak et récemment en Lybie sont tombés avec ses conséquences
multiples. Ces guerres, notamment les deux premières furent justifiées par les
leaders de la coalition par des impératifs de la sécurité nationale mais aussi par
des motivations humanitaires. La guerre pour chasser les Talibans était présen-
tée comme une opportunité pour garantir les droits de l’homme dans un Etat fra-
gile (failed State), plus particulièrement les femmes afghanes.

En ce qui concerne l’Irak, la justification Anglo-américaine était


que chasser Saddam Hussein du pouvoir et instaurer une démocratie servira le
peuple irakien. Cette justification était devenue la principale raison de la guerre
car n’ayant pas trouvé les armes de destruction massives qui fut la justification
initiale, il fallait vite s’en remettre aux justifications humanitaires.

Ceci est considéré comme une instrumentalisation de l’intervention


humanitaire surtout que la coalition n’a pas elle même respecté ses propres stan-
dards des droits humains comme on a pu expérimenter les violations des droits

364 WALZER, M., Arguing about war, Yale University Press, New Haven CT, 2004.
330

humains à Guantanamo Bay et à la prison d’Abu Ghraid en Irak ainsi que


l’échec de la coalition à transformer l’Afghanistan pour devenir un Etat viable
économiquement, montre que la justification humanitaire de leurs actions n’est
rien d’autre qu’une couverture pour poursuivre leurs intérêts.

La notion des droits de l’homme occupe désormais une place


centrale dans le débat contemporain des relations internationales. Aujourd’hui
les individus peuvent recourir aux tribunaux internationaux pour exiger répa-
ration de leurs droits par les Etats ou leaders s’ils estiment que leurs droits
humains ont étaient bafoués. Est-ce cela signifie t il que les Etats ont perdu de
leur pouvoirs ?

La cour criminelle internationale et la cour européenne des droits


de l’homme constituent notamment des défis à la souveraineté des Etats. Cepen-
dant, les Etats restent des principaux acteurs des relations internationales mais
leur pouvoir est entrain de se transformer et doit désormais tenir compte de la
protection des droits humains. Les catastrophes humanitaires, les violations des
droits de l’homme ont toujours eu des conséquences catastrophiques comme ce
fut le cas en Afghanistan en 1992, au Rwanda en 1994, au Darfour en 2006, ré-
cemment encore en Lybie et en Syrie.

En RDC, la transition violente de la guerre, à la paix causa et conti-


nue encore de causer des milliers des morts et des déplacés. L’intervention in-
ternationale peut empêcher ces catastrophes et reconstruire l’Etat, mais elle a
échoué de le faire. L’intervention onusienne continue d’être orientée vers la ré-
solution régionale et nationale de résolution du conflit ; elle a largement négligé
les conflits locaux et a préféré l’organisation rapide des élections.

En Décembre 2006, la RDC inaugura les nouvelles institutions poli-


tiques issues des élections générales. La communauté internationale et les con-
golais eux-mêmes ont estimé que, désormais le pays était en paix. Certes, le
pays n’était plus divisé en plusieurs zones de guerre comme fut le cas avant la
331

transition, mais il existait encore certaines poches de résistance et des rébellions


dans l’Est du pays.

On peut donc créditer l’intervention onusienne avec deux accom-


plissements majeurs : le premier est l’organisation des élections générales et
l’installation des officiels, qui introduiront un élément de compétition politique
dans la société congolaise. Le second accomplissement fut la diminution géné-
rale des tensions au niveau régional et national. La plupart des combats entre les
différentes armées ont pris fin, et la MONUC aida le Congo à ne plus retomber
dans la guerre totale comme fut le cas avant et quelque fois pendant la transition.

Cependant, la communauté internationale échoua d’atteindre ses


objectifs principaux, à savoir : rétablir la paix, installer la démocratie et surtout
mettre en place des nouvelles institutions étatiques légitimes et crédibles pour
éviter que le pays ne replonge dans la guerre.

En effet, depuis l’intervention onusienne en 1999 jusqu'à ces jours,


la situation sécuritaire demeure toujours précaire dans le pays, surtout dans
l’Est. Plusieurs initiatives sont prises pour améliorer la situation en RDC,
comme le sommet des pays membres des Grands Lacs, voulant mettre en place
une force ″neutre″ pour combattre les groupes rebelles dans l’Est de la RDC.
Pendant ce temps, le ministre Ougandais des affaires étrangères estimait sur
France 24 que″ les Nations Unies ont largement échoué au Congo ; car elles sont
incapables d’identifier les sources de l’insécurité et d’y apporter les réponses
adéquates. Elles ne doivent donc plus faire partie de la nouvelle force, qui doit
mettre fin aux problèmes sécuritaires dans l’Est du Congo″365.

Plus important encore, les élections surtout celles de 2011, n’ont


pas donné naissance à la démocratie. Elles continuent à faire l’objet des critiques
de la part des observateurs internationaux et des congolais eux-mêmes ; allant

365 France 24, le 8 Aout 2012.


332

jusqu'à qualifiés ceux qui sont sensés être des élus, ″des personnes nommées″
par la commission électorale.

En outre, la situation économique des congolais ne s’est jamais


améliorée. Dans le premier rapport de la MONUC après les élections de 2006, le
Secrétaire Général de l’ONU estimait que les indicateurs économiques étaient
mauvais : l’espérance de vie était de 43 ans, le taux de mortalité des enfants de
moins de 5 ans était de 220 sut 1000 ; 16 millions de la population souffraient
des besoins en alimentation…la population vivait avec moins d’un dollar par
jour. La RDC était classée 167eme pays sur une liste de 177, dans le rapport du
PNUD de 2006, sur l’indice de développement Humain366. Cinq années plus
tard, en 2011, le rapport du PNUD sur l’indice du développement humain, clas-
sait la RDC 187eme pays sur 187, c'est-à-dire, le dernier367.

Ce travail suggère que la communauté internationale doit revoir sa


stratégie d’intervention dans les zones des conflits. Elle ne doit pas seulement se
focaliser sur l’organisation des élections, la reforme du secteur de sécurité ou le
désarmement des milices ; mais, elle doit à la fois intégrer dans son approche de
reconstruction, la résolution des conflits locaux, car elles sont cruciales et dans
certains cas, elles constituent les raisons principales qui soutiennent les tensions
nationales et régionales.

Cet argument n’est pas seulement limité à l’intervention au Congo.


L’approche suggérée dans ce travail nous permet de comprendre les succès et les
échecs des interventions humanitaires dans plusieurs endroits instables dans le
monde. Cette étude insiste sur le fait que, la reconstruction de l’Etat en RDC
est principalement une affaire des congolais. La communauté internationale ne
peut que nous accompagner dans cette démarche. Ainsi, pour résoudre la crise
endémique de l’Etat, la RDC doit intégrer les deux approches développées dans
ce travail. Cette démarche tiendra en plus compte de la reforme en profondeur

366 UN Security Council, Twenty-Third Report Of the Secretary-General on the UN mission in the DRC, New York, UN, 2007, p.38.
367 UNDP, Human Development Report 2011.
333

de l’Etat, du transfert des pouvoirs de Kinshasa vers les provinces, du renforce-


ment des compétences des pouvoirs locaux et régionaux.

Un gouvernement central devra être maintenu, mais ses fonctions doi-


vent être strictement limitées dans sa portée et ses institutions en nombre. Le gou-
vernement central devra, par exemple gérer une monnaie commune, une armée na-
tionale et une police. Il devra offrir une structure pour la négociation des représen-
tants des régions à travailler ensemble pour parvenir à un consensus sur les grandes
questions de politique étrangère et des projets nationaux de développement.

Au même moment, la RDC doit continuer à naviguer dans le con-


cert des nations, partager ou mettre en commun certains éléments de sa souve-
raineté avec d’autres Etats, améliorant sa gouvernance interne, jouissant d’une
réelle influence internationale. Elle doit encourager et développer les éléments
de la puissance nationale ; à savoir : l’armée, l’économie, l’alimentation… ainsi
que les éléments de la puissance douce.

Bien au-delà, du Congo ou/ et de l’Afrique, l’étude considère que


dans certains endroits, il existe des peuples qui pour diverses raisons ne peuvent
plus vivre au sein d’un même Etat-nation hérité de la colonisation. Dans ces en-
droits là, il y a lieu d’imaginer au cas par cas, soit la balkanisation, soit le pro-
tectorat soit encore d’autres formes d’organisations politiques. Car, dans certains
pays, les Etats-nations actuels ont largement montré leurs limites et leurs inca-
pacités de faire cohabiter différentes populations. Ces Etats-nations dans leurs
formes actuelles, sont dans la plupart des cas, des causes mêmes de la faillite.
Ainsi, les sécessions, les indépendances, les protectorats… doivent être considé-
rés comme des solutions de substitution au chaos actuel.

En attendant les résultats des autres études, nous recommandons à


la communauté internationale de réviser son approche de résolution des conflits.
Ce changement permettra la ré-conceptualisation même de l’approche de la re-
construction de l’Etat.
334

En outre, chacun des Etats en faillite devra sans complaisance réé-


valuer la situation qui est la sienne et proposer des alternatives au modèle éta-
tique présent. Pour la RDC, des études approfondies sur les modèles des institu-
tions politiques que nous proposons dans ce travail, le redécoupage des circons-
criptions électorales pourront largement être utiles pour la consolidation de
l’Etat et le modèle de société à mettre en place. Ces études doivent aussi porter
sur la reforme de la fiscalité pour permettre une bonne répartition des compé-
tences et taches entre les différentes entités étatiques.

Il est aussi souhaitable de créer au sein de la faculté des sciences


sociales, administratives et politiques de l’université de Kinshasa, un départe-
ment d’études sécuritaires et stratégiques ou plus largement encore un institut
d’études stratégiques au Congo, à l’instar de l’institut des relations internatio-
nales et stratégiques de Paris, financé par des fonds privés ou publics, regrou-
pant des spécialistes d’horizons divers qui auront pour taches de produire des
travaux et propositions concrètes pour un Congo puissant dans un environne-
ment en pleine mutation.
335

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TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS ............................................................................................................................................. I
ABSTRAIT ........................................................................................................................................................... II
LISTE DES ABREVIATIONS .......................................................................................................................... IV
INTRODUCTION GENERALE ......................................................................................................................... 1
1. ETAT DE LA QUESTION ............................................................................................................................ 1
2. PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES .................................................................................................... 10
3. INTERET ET OBJECTIF DU TRAVAIL ................................................................................................... 17
4. METHODOLOGIE DU TRAVAIL ............................................................................................................. 20
5. CHOIX ET DELIMITATION DU TRAVAIL ............................................................................................. 25

PREMIERE PARTIE ......................................................................................................................................... 27


LE FONDEMENT THEORIQUE ET CONCEPTUEL .................................................................................. 27

CHAPITRE PREMIER ...................................................................................................................................... 28


THEORIES DE LA SECURITE INTERNATIONALE .................................................................................. 28
SECTION 1. LES APPROCHES TRADITIONNELLES DE LA SECURITE ............................................... 29
SECTION 2. LE CONSTRUCTIVISME ......................................................................................................... 33
SECTION 3.LE COURANT DE COPENHAGUE (THE COPENHAGEN SCHOOL) .................................. 34
SECTION 4. L'APPROCHE CRITIQUE ......................................................................................................... 36
SECTION 5. L'APPROCHE DITE DE LA SECURITE HUMAINE .............................................................. 37

CHAPITRE 2 ...................................................................................................................................................... 40
LEGALITE, MORALITE ET ETHIQUE DE L’INTERVENTION HUMANITAIRE ............................... 40
SECTION 1. DEFINIR L’INTERVENTION HUMANITAIRE ...................................................................... 41
§1. Définition................................................................................................................................................ 41
§2. Typologie des interventions .................................................................................................................... 47
2.1. Operations de paix (Peace Operations) ................................................................................................ 48
2.2. Assistance humanitaire.......................................................................................................................... 49
2.3. Opérations de maintien de la paix ......................................................................................................... 49
2.4. Opérations de rétablissement de la paix ............................................................................................... 50
2.5. Opérations de reconstruction de la nation et de rétablissement de la paix ........................................... 51
2.6. Opérations de stabilisation ................................................................................................................... 51
§3. Autres types d’opérations (non-peace Operations) ................................................................................ 52
3.1. Dissuasion militaire .............................................................................................................................. 53
3.2. Attaque préventive/ guerre préventive ................................................................................................... 53
SECTION 2. LA RESPONSABILITE DE PROTEGER : ARGUMENT POUR L’INTERVENTION
HUMANITAIRE .............................................................................................................................................. 55
§1. Qu’est-ce que c’est la responsabilité de protéger ? ............................................................................... 56
§2. Fondement de la responsabilité de protéger .......................................................................................... 56
§3. Eléments constitutifs de la responsabilité de protéger ........................................................................... 57
§4. Responsabilité de protéger : Principes pour une intervention militaire ......................................................... 57
SECTION 3 .LES OBJECTIONS CONTRE L’INTERVENTION HUMANITAIRE.................................... 60
SECTION 4. LE CONTEXTE STRATEGIQUE DE L’INTERVENTION HUMANITAIRE : DE LA
GUERRE FROIDE A L’ERE POST-GUERRE FROIDE ............................................................................... 65
§1. Du contexte de la guerre froide .............................................................................................................. 66
§2. Contexte post-guerre froide .................................................................................................................... 68
§3. 11 septembre 2001 et nouveau contexte de l’intervention ...................................................................... 72
§4. Post-intervention : les challenges de la reconstruction de l’Etat ........................................................... 73
348

CHAPITRE 3 ...................................................................................................................................................... 78
ETATS FRAGILES : .......................................................................................................................................... 78
ORIGINE ET DEFINITIONS DU CONCEPT ................................................................................................ 78
SECTION 1.LES ETATS-UNIS : DES ETATS DEFAILLANTS AUX ETATS FRAGILES............................... 79
SECTION2. LE ROYAUME-UNI : DES ENVIRONNEMENTS DIFFICILES AUX ETATS FRAGILES . 80
SECTION3. LA BANQUE MONDIALE : DES PAYS PAUVRES EN DIFFICULTES AUX ETATS
FRAGILES ....................................................................................................................................................... 82
SECTION 4. L'UNION AFRICAINE ET CONCEPT D’ETAT FRAGILE .................................................... 82
CONCLUSION ................................................................................................................................................ 90

DEUXIEME PARTIE......................................................................................................................................... 92
AUX SOURCES DE LA TRAGEDIE CONGOLAISE ................................................................................... 92

CHAPITRE PREMIER ...................................................................................................................................... 93


LA DIMENSION POLITIQUE DE LA CRISE CONGOLAISE ................................................................... 93
SECTION 1. DE LA MISSION DITE CIVILISATRICE AU CONGO-BELGE ............................................ 93
§1. Définition du génocide ........................................................................................................................... 94
§2. Génocide selon l’ONU ........................................................................................................................... 95
§3. Génocide : le débat dans la littérature scientifique ................................................................................ 95
§4. Colonisation : un cas de génocide ?....................................................................................................... 96
SECTION 2. LA CRISE ORIGINELLE ET L’INTERVENTION ONUSIENNE.......................................... 97
SECTION 3.LE MOBUTISME ...................................................................................................................... 101
SECTION 4. DE LAURENT DESIRE KABILA A JOSEPH KABILA ........................................................ 104

CHAPITRE 2 .................................................................................................................................................... 106


L'AGENDA ECONOMIQUE DANS LE CONFLIT CONGOLAIS ............................................................ 106
SECTION 1. LE GOUVERNEMENT CONGOLAIS ................................................................................... 108
SECTION 2. L'ANGOLA ET NAMIBIE ....................................................................................................... 109
SECTION 3.LE ZIMBABWE ........................................................................................................................ 110
SECTION 4.LE RWANDA............................................................................................................................ 110
SECTION 5.L' OUGANDA ........................................................................................................................... 111
SECTION 6.LES MOUVEMENTS REBELLES .......................................................................................... 112
§1. LE RCD-GOMA ................................................................................................................................... 112
§2. LE RCD-ML ......................................................................................................................................... 112
§3.LE MLC ................................................................................................................................................ 113
§4. LES Mai Mai ........................................................................................................................................ 113
SECTION 7.LES ENTREPRISES CONGOLAISES ET ETRANGERES ................................................... 113

CHAPITRE 3 .................................................................................................................................................... 115


FAILLITE DE L’ETAT ET ENJEUX DES PUISSANCES ETRANGERES EN RDC ............................. 115
SECTION 1.LE RWANDA : LES MOBILES DE SON INTERVENTION MILITAIRE EN RDC ............. 119
SECTION 2 .L'OUGANDA : CALCULS GEOSTRATEGIQUES ET DILEMME SECURITAIRE ........... 124
SECTION 3. L'AVENTURE MILITAIRE BURUNDAISE EN RDC .......................................................... 128
SECTION 4. L'ANGOLA ET CRISE CONGOLAISE .................................................................................. 130
SECTION 5. LES ENJEUX ECONOMIQUES DE LA NAMIBIE EN RDC ............................................... 133
SECTION 6. L'INTERVENTION MILITAIRE DU ZIMBABWE ............................................................... 134
SECTION 7. LES CAUSES DE L’INTERVENTION EUROPEENNE EN RDC : OPERATION ARTEMIS
........................................................................................................................................................................ 136
§1. Tentative d’explication ......................................................................................................................... 137
§2. Rôle croissant de l'UE et ses intérêts en Afrique .................................................................................. 139
§3. Opération Artémis : contexte général de son déploiement et la realpolitik ......................................... 141

CHAPITRE 4 .................................................................................................................................................... 148


LA NATURE COMPLEXE DU CONFLIT EN RDC : POUR UNE NOUVELLE METHODE
ANALYTIQUE ................................................................................................................................................. 148
SECTION 1. LA NECESSITE D'UNE NOUVELLE APPROCHE ANALYTIQUE .................................... 151
SECTION 2.L' HISTORIQUE DU CONFLIT ............................................................................................... 156
§1. Première guerre du Congo ................................................................................................................... 159
349

§2. Deuxième guerre du Congo .................................................................................................................. 164


§3. Troisième guerre du Congo .................................................................................................................. 170

TROISIEME PARTIE ..................................................................................................................................... 179


L'INTERVENTION ONUSIENNE EN RDC : STRATEGIES, APPROCHES ET DILEMMES DE LA
RECONSTRUCTION DE L’ETAT ................................................................................................................ 179

CHAPITRE PREMIER .................................................................................................................................... 180


STRATEGIES ET CONTEXTE GENERAL DU DEPLOIEMENT ONUSIEN ........................................ 180
SECTION 1. CHOIX DE LA STRATEGIE................................................................................................... 182
§1. Explications conventionnelles de l’échec du rétablissement de la paix par la Monusco en République
Démocratique du Congo ............................................................................................................................ 184
§2. Inadéquation des explications conventionnelles .................................................................................. 186
SECTION 2. RAPPORT ENTRE CULTURE ONUSIENNE ET LE CHOIX DE LA STRATEGIE EN RDC
.................................................................................................................................................................... 189

CHAPITRE 2 .................................................................................................................................................... 191


L'APPROCHE REGIONALE ET NATIONALE DANS .............................................................................. 191
LA RESOLUTION DU CONFLIT EN RDC.................................................................................................. 191
SECTION 1. LES TENSIONS NATIONALES ET REGIONALES ............................................................. 192
§1. Antagonismes nationaux....................................................................................................................... 192
§2. Antagonismes régionaux ...................................................................................................................... 198
§3. RDC : un Etat « Post-conflit » ............................................................................................................. 201
§4. Problématique du Léviathan ................................................................................................................ 203
SECTION 2. L'APPROCHE REGIONALE ET NATIONALE EN QUESTION .......................................... 204
§1. Stratégie d’intervention Post-conflit .................................................................................................... 205
§2. ONU, une approche standard d’intervention ....................................................................................... 209

CHAPITRE 3 .................................................................................................................................................... 212


L’APPROCHE LOCALE DANS LA RESOLUTION ................................................................................... 212
DU CONFLIT.................................................................................................................................................... 212
SECTION 1. LE ROLE DES CONFLITS LOCAUX DANS L’HISTOIRE POLITIQUE DU CONGO ...... 212
§1. Nationalité, identité et question foncière .............................................................................................. 213
§2. Impact de la guerre sur les antagonismes locaux et la violence .......................................................... 218
SECTION 2.LA MONUSCO A L’EPREUVE DE L’APPROCHE LOCALE DES RESOLUTIONS DES
CONFLITS AU CONGO ............................................................................................................................... 219
§1. Pour une stratégie locale de résolution de conflit ................................................................................ 220
§2. MONUC et résolution locale des conflits ............................................................................................. 222
§3. Ituri comme exception dans la résolution des conflits locaux en République Démocratique du Congo
.................................................................................................................................................................... 225

CHAPITRE 4 .................................................................................................................................................... 228


LA MONUSCO FACE AUX DILEMMES ET CONTRAINTES DE LA RECONSTRUCTION DE
L’ETAT EN RDC.............................................................................................................................................. 228
SECTION 1. INTERVENTION MILITAIRE ET DILEMMES DE LA RECONSTRUCTION DE L’ETAT
........................................................................................................................................................................ 228
§1. Dilemme de la durée............................................................................................................................. 229
§2. Dilemme du nombre et de l’intrusion ................................................................................................... 236
SECTION 2. LA MONUSCO FACE AUX CONTRAINTES DE LA RECONSTRUCTION EN RDC ...... 239
§1. Résistance au Changement ................................................................................................................... 239
§2. Impact limité des événements choquants .............................................................................................. 240
§3. Souveraineté congolaise ....................................................................................................................... 241
§4. Contraintes liées au Mandat ................................................................................................................ 242
§5. Autres contraintes................................................................................................................................. 243
SECTION 3. L'ACCORD CADRE D’ADDIS ABEBA ET DEFAITE DU M23 .......................................... 244
§1. Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région ............................ 245
§2. Défaite du M23 ..................................................................................................................................... 251
350

QUATRIEME PARTIE ................................................................................................................................... 255


IMPERATIF DE LA RECONSTRUCTION DE L’ETAT CONGOLAIS .................................................. 255

CHAPITRE PREMIER .................................................................................................................................... 257


LES FONCTIONS D'UN ETAT MODERNE ................................................................................................ 257
SECTION 1. RÔLE D’UN ETAT MODERNE ............................................................................................. 257
SECTION 2. ELEMENTS DE LA PUISSANCE NATIONALE .................................................................. 263
§1. Géographie ........................................................................................................................................... 263
§2. Ressources naturelles ........................................................................................................................... 266
2.1. Alimentation ........................................................................................................................................ 266
2.2. Capacité industrielle ........................................................................................................................... 268
§3. Hard power (Les forces armées) .......................................................................................................... 270
§4. Morale nationale, support populaire et la qualité des gouvernants ..................................................... 274
§5. Soft power ou la puissance douce ........................................................................................................ 276

CHAPITRE 2 .................................................................................................................................................... 279


LA TUTELLE INTERNATIONALE, BALKANISATION OU REFORME DE L’ETAT ....................... 279
SECTION 1. LA TUTELLE INTERNATIONALE ....................................................................................... 279
SECTION 2. LA BALKANISATION ............................................................................................................ 281
§1. Crise du Balkan et émergence des micro-Etats .................................................................................... 282
§2. Transformation de la norme internationale ......................................................................................... 286
§3. Du Quasi-Etat à l’Etat défaillant ......................................................................................................... 288
SECTION 3. LA REFORME DE L’ETAT ET AUTONOMIE LOCALE ..................................................... 295
SECTION 4. LES POUVOIRS LOCAUX, PARTAGE DE SOUVERNEITE ET DE CERTIFICATION DES
ETATS............................................................................................................................................................ 301

CHAPITRE 3 .................................................................................................................................................... 313


ALTERNATIVES AU SYSTEME ACTUEL ................................................................................................. 313
SECTION 1. LE PARADOXE DE LA DECOLONISATION ...................................................................... 313
SECTION 2 .LA SOUVERAINETE DES ETATS AFRICAINS A L’EPREUVE DE LA REALITE ......... 315
SECTION 3. LES ANCIENNES ET NOUVELLES CONCEPTIONS DE LA SOUVERAINETE DES
ETATS EN AFRICAINE ............................................................................................................................... 320

CONCLUSION GENERALE .......................................................................................................................... 324

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................ 334


I. DOCUMENTS OFFICIELS ....................................................................................................................... 334
II. OUVRAGES .............................................................................................................................................. 335
III. ARTICLES ET REVUES SCIENTIFIQUES ........................................................................................... 339
IV. WEBOGRAPHIE ET AUTRES DOCUMENTS ..................................................................................... 345

TABLE DES MATIERES ................................................................................................................................ 346

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