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Autonomie de l'apprenant et dimensions affectives de l'autoformation. Etude


exploratoire dans les Centres de Ressources en Langues

Article · January 2010

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Peggy Candas Jérôme Eneau


University of Strasbourg Université de Rennes 2
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Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).

In Albero B., Poteaux N. (dir. par) (à paraître), Enjeux et dilemmes de


l'autonomie. Une expérience d'autoformation à l'université. Etude de cas,
Paris, Les éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, coll. praTICs.

Chapitre 7 - Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de


l’autoformation - Une étude exploratoire

Peggy Candas, Jérôme Eneau

Les travaux sur l’autoformation et l’apprentissage autodirigé permettent aujourd’hui de mieux


connaître les caractéristiques et les compétences des apprenants autonomes (Tremblay, 2003 ; Eneau,
2005). Les chercheurs soulignent toutefois un déséquilibre persistant entre les nombreux travaux qui
privilégient l’étude des dimensions individuelles et psychopédagogiques de l’autoformation, et celles
qui s’intéressent aux facteurs affectifs du développement de l’adulte (Caffarella, O’Donnell, 1991 ;
DeJoy, Herrmann, 1993) ou aux dimensions sociopédagogiques de l’autonomie dans l’apprentissage
(Confessore, 2002 ; Hrimech, 2002). Par ailleurs, si l’on connaît bien les compétences des apprenants
autonomes, grâce notamment aux études empiriques menées auprès d’autodidactes (Danis, Tremblay,
1985 ; Bouchard, 1994 ; Le Meur 1998), on ne sait toujours pas exactement comment se construisent
ces compétences en cours d’apprentissage.
Des travaux complémentaires utilisant différentes options méthodologiques, apparaissent nécessaires
pour approcher de façon plus précise les processus d’autonomisation des apprenants en cours
d’activité et dans leur environnement. Cette étude propose d’examiner les comportements individuels
d’étudiants en langues mis en situation d’autonomie dans l’environnement particulier de formation
offert par les CRL de l’ULP. A la suite de travaux attirant l’attention sur certaines dimensions mal
connues de l’autoformation (Albero, 1998, 2000 ; Ciekanski, 2005), l’enquête s’est concentrée sur les
relations entre les aspects cognitifs et affectifs des stratégies individuelles d'apprentissage.

1 - Contexte de l’étude

La formation dans les Centres de Ressources de Langues (CRL) vise le développement de l’autonomie
des apprenants par l'apprentissage d'une langue étrangère (Poteaux, 2003). Cet apprentissage est
orienté vers l'acquisition réflexive de la part de l'étudiant d’une démarche experte par élaboration
progressive de son parcours de formation, par construction de méta-compétences en termes
d'explicitation d’objectifs, de critères d’évaluation, etc. Le modèle pédagogique des CRL repose sur
l'hypothèse que l'acquisition de compétences à l'autonomie dans le cadre d'un apprentissage des
langues peut conduire à développer une autonomie plus globale de l'apprenant, voire même une
compétence à apprendre tout au long de la vie.
Une première étude exploratoire1 (Candas, 2005) avait débouché sur des résultats qui conduisaient à
mettre cette hypothèse en discussion. Une deuxième étude, plus approfondie a été réalisée sur le
1
Basée sur des entretiens semi-directifs d’étudiants inscrits dans les CRL, cette étude a permis d’analyser leur itinéraire de
formation grâce à leur "feuille de suivi" (annexe n° 11). Il est ressorti de cette étude que les intentions formelles des
enseignants, ancrées dans leur culture professionnelle, s’opposent en partie aux pratiques informelles des étudiants, dont la
trajectoire semble moins liée à un parcours choisi de manière raisonnée qu’à un itinéraire d’apprentissage fortuit, intuitif,
construit sur des préférences individuelles. Ainsi, les apprenants utilisent le CRL de manière très personnelle et mettent en
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
parcours de formation de ces étudiants, de manière à repérer notamment les stratégies effectivement
mises en œuvre et le type d’autonomie qui se développe dans les CRL. Cette étude associée à une
connaissance empirique du terrain, a conduit à formuler l’hypothèse suivante : dans le contexte des
CRL et contrairement aux conceptions rationnelles, procédurales courantes, l’apprentissage autonome
se construit probablement davantage par "bricolage" individuel que par raisonnement, l’étudiant étant
incité à adapter ses stratégies personnelles (Oxford, 1990) ; Hrimech, 2000) aux ressources offertes par
l’environnement, notamment aux "circonstances organisatrices" imposées par l’apprentissage
autodirigé (Spear, Mocker, 1984 ; Bouchard, 1994 ; Tremblay, 2003).

2 - Stratégies d’apprentissage et autoformation

La notion de stratégie permet d’étudier la manière dont les apprenants construisent leur autonomie en
termes de processus dans le cours de la formation (Candy, 1991) plutôt que de bilans des
caractéristiques ou des compétences acquises. Des recherches portant sur les stratégies déployées en
situation d’autoformation (Hrimech, 2000) dans l’apprentissage des langues offrent un cadre de
référence bien établi (Oxford, 1990, 1994 ; Mihaljevic-Djigunovic, 2000 ; Ciekanski, 2005).
A propos du travail de R. Oxford (1985, 1989, 1990), B. Albero (1998) a montré que l’un de ses
principaux intérêts2 est de dépasser l'analyse jusqu’alors principalement centrée sur des stratégies
cognitives et métacognitives et de l'élargir aux compétences communicationnelles, affectives et
sociales des apprenants. Or, il s’agit de compétences qu’il paraît d’autant plus important d’approfondir
qu’elles restent largement méconnues dans la recherche sur l’autoformation (Hrimech, 2002 ;
Tremblay, 2003 ; Eneau, 2005). Les travaux de M. Hrimech3 (ibid.) qui concernent l'analyse des
stratégies en situation d'autoformation vont dans le même sens.
Ces chercheurs distinguent deux grandes catégories de stratégies (directes et indirectes) qui
interviendraient tant dans l’autoformation de manière générale que dans l’apprentissage spécifique des
langues étrangères. Ces stratégies cognitives et métacognitives sont primordiales pour apprendre par
soi-même (Oxford, 1994), au même titre que la dimension psychologique soulignée par certains
auteurs (Long, 1997, 1998 ; Carré, 1992, 2005), mais elles ne sont pas les seules. Les deux typologies
montrent que les stratégies indirectes autres que métacognitives, en particulier affectives et sociales,
contribuent également à la construction de compétences plus larges et au renforcement des stratégies
directes d’apprentissage. L’autoformation, en effet, ne se résume pas à la capacité de se "connaître
comme apprenant", mais consiste aussi, comme l’a montré N. Tremblay (1996, 2003), à développer
des méta-compétences qui concernent l'ensemble de l’apprentissage : choix et mode d’usage des
ressources sollicitées, capacité à interagir avec l’environnement, tolérance à l’incertitude, etc.

place des routines qui facilitent l’apprentissage et réduisent le risque de difficultés, bien plus qu’ils ne développent une réelle
autonomie d’apprentissage, éventuellement transférable dans d’autres domaines que celui des langues étrangères.
2
Les travaux de R. Oxford (ibid.) débouchent sur une classification qui se compose de stratégies directes et indirectes. 1) Les
"stratégies directes" recouvrent des stratégies : a) "mnémoniques" qui concernent la mémorisation, la création de liens
mentaux et d’association, d’images, de sons et de mots ; b) "cognitives" qui ont pour fonction la pratique de la langue,
l’émission et la réception de messages, l’analyse, le raisonnement, la compréhension ; c) "compensatoires" qui permettent de
contourner manques et carences, grâce à l’intuition ou l'utilisation de périphrases. 2) Les "stratégies indirectes",
comprennent des stratégies : a) "métacognitives" qui permettent de se concentrer, porter une attention sélective, organiser et
planifier son apprentissage, l'évaluer ; b) "affectives" qui conduisent à réduire l’anxiété, s’encourager soi-même, prendre en
compte ses émotions ; c) "sociales" qui renvoient aux comportements à l’égard des autres, aux interactions de
questionnement et de clarification, à la coopération, au développement de l’empathie.
3
Les travaux de M. Hrimech (ibid.) débouchent sur un répertoire de stratégies qui se compose de stratégies directes et
indirectes. 1) Les "stratégies directes" ou "primaires" recouvrent des stratégies de : a) "mémorisation" ou "rappel" pour
élaborer des bases de connaissances et de mise en lien ; b) "transformation des informations" par paraphrase, métaphores,
reformulation ; c) "restructuration" pour établir les liens entre anciennes et nouvelles informations, par regroupement,
hiérarchisation ; d) "élaboration" pour établir des liens logiques, des relations significatives entre concepts, la structure
cohérente des nouveaux apprentissages ; e) "compréhension de textes" pour analyser le contenu informatif, la structure des
textes informatifs. 2) Les "stratégies indirectes" ou "de soutien" recouvrent les stratégies : "métacognitives" pour gérer et
contrôler les autres stratégies, guider, corriger ou ajuster les opérations cognitives par un ensemble d’activités de
planification, d’attention, de révision, d’évaluation ; "affectives" pour créer un climat favorable à l’apprentissage et au
maintien d’un haut niveau d’activation affective et intellectuelle, la formation d’une image de soi positive, la réduction de
l’anxiété ; "sociales" pour identifier les ressources humaines, rechercher de l’aide ou du soutien face aux difficultés.
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
Ces stratégies indirectes, affectives et sociales, semblent tout aussi importantes pour le transfert des
acquis et le développement de l’autonomie que les aspects cognitifs et psychologiques ainsi que le
montrent certaines recherches sur l’autoformation en contexte professionnel (Foucher, 2000 ;
Confessore, 2002 ; Hrimech, 2002 ; Martin, 2004 ; Eneau, 2005). Les travaux de R. Oxford (op. cit.) et
de M. Hrimech (op. cit) ont plus particulièrement analysé l’importance et la multiplicité des fonctions
propres aux stratégies affectives : réduire l’anxiété et maintenir un haut niveau d’activation affective et
intellectuelle par la prise en compte de ses propres émotions, former une image de soi positive et créer
un climat favorable à l’apprentissage, développer une pensée optimiste, savoir prendre des risques
calculés ou s’octroyer certaines récompenses.
Dans le domaine de l’apprentissage des langues étrangères dans lequel la communication, le dialogue
et le contact avec d’autres cultures sont essentiels, ces stratégies deviennent particulièrement
importantes à étudier.

3 - Les stratégies affectives : cadre théorique et interrogations

D'un point de vue méthodologique, ce travail nécessiterait une étude extensive des stratégies affectives
et sociales réalisée à partir d’échantillons représentatifs d’étudiants inscrits dans les CRL.
Deux études antérieures (Marquet, Poteaux, Triby, 2005 ; Candas, 2005) ont toutefois permis de
délimiter l'investigation. La première étude (Marquet, Poteaux, Triby, 2005) montrait qu'il n'existe pas
de liens directs, quantitativement observables, entre le style cognitif des apprenants4, le rapport qu’ils
entretiennent avec les langues vivantes5 et leur niveau de performance en anglais6. En revanche, la
seconde étude (Candas, 2005) conduisait plutôt à penser qu’il existe un lien, qualitativement repérable,
entre les routines développées par les étudiants et leurs préférences en termes d'apprentissage. A
condition de vérifier que ces préférences relevaient bien de stratégies affectives, il devenait possible de
préciser les questions et de passer à une observation plus fine et plus circonscrite des comportements.
Le présent travail propose donc d’étudier la manière dont les stratégies affectives et sociales
contribuent à renforcer des stratégies d'apprentissage dépassant le cadre strictement cognitif et
métacognitif.
Plus largement encore, le recours à ces stratégies devrait rendre explicites certaines des dimensions
affectives repérées par d’autres auteurs dans le processus de formation des adultes (Avanzini et al.,
1994) et de leur autoformation (DeJoy, Herrmann, 1993), voire, éventuellement, les dimensions
qu’entretiennent émotions et apprentissage, dans le développement de l’être humain (Damasio, 1995 ;
Berthoz, 2003). Pour tous ces chercheurs, les dimensions affectives jouent un rôle prépondérant dans
la construction de soi car, pour eux, les émotions ne sont pas seulement constitutives de nos
comportements rationnels, elles jouent aussi un rôle prépondérant dans la précision et l’efficacité du
processus de décision.
On peut alors se demander dans quelle mesure les stratégies affectives sollicitées dans l’autoformation
participent à la construction de ces compétences cognitives de haut niveau, qui permettront notamment
aux apprenants, selon M. Linard (2003), de "s’orienter et se repérer en environnement instable, trier
des données pléthoriques et disparates, les assimiler de façon critique à ses connaissances antérieures
[et] en tirer rapidement les décisions adéquates pour s’adapter à des urgences permanentes" (ibid.,
p. 244). De quelle manière les apprenants combinent-ils ces stratégies, pour réduire leur anxiété ou
maintenir un haut niveau d’activation, se forger une image positive ou prendre des risques calculés,
dans une nouvelle "logique composite floue" (ibid., p. 243), permettant de construire ou de renforcer
leur propre autonomie ? On se demandera si ces stratégies affectives fonctionnent de manière
strictement individuelle, s'il est possible de repérer des combinaisons optimales et des sollicitations
plus efficaces que d’autres ? Comment repérer ces dimensions dans le cours même de l’activité pour
comprendre si elles participent ou non au développement de l’autonomie ?

4
Repéré grâce au questionnaire établi d’après les travaux de D.A. Kolb (1976). Adaptation française du questionnaire par
J. Berbaum.
5
Repéré grâce au questionnaire inspiré des recherches de R. Oxford (op. cit.).
6
Repéré grâce au Test of English for International Communication (TOIEC).
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
4 - Le repérage des dimensions affectives de l'apprentissage en autoformation : perspectives
méthodologiques

L’approche retenue dans l’étude s'est appuyée sur l’analyse qualitative du discours de différents
apprenants s’exprimant sur leur apprentissage sur au cours de séances de travail dans un CRL.
L'objectif n'était pas seulement d'examiner les dimensions affectives mobilisées dans leur activité
d'autoformation, mais aussi de relever les difficultés méthodologiques que pose à la recherche
l’examen de telles dimensions. Le recueil de données effectué en collaboration avec F. Roublot (voir
contribution dans le même ouvrage) s'est limité à trois apprenants7 aux profils contrastés, sélectionnés
sur la base des résultats obtenus lors d'une expérimentation antérieure8.
L’échantillon des comportements analysé ne prétend pas être représentatif et s’en tient à une visée
exploratoire. Il présente toutefois trois caractéristiques qu'il convient de présenter ici avant l’examen
des résultats.
En premier lieu, les chercheurs sont partis du principe que le discours que tient l’intéressé sur sa
manière d’apprendre est en relation avec son profil, défini en termes de personnalité, de rapport aux
études et à l’apprentissage des langues, et de style d’apprentissage, au-delà des stratégies qu’il emploie
(Oxford, 1994) ou de son propre style d’apprenant autodirigé (Bonham, 1989). Ainsi, parmi les trois
interviewés, l’un va se montrer insouciant, sans ambition particulière concernant ses résultats et plutôt
superficiel dans sa démarche ; à l'opposé, un autre se montrera plus soucieux de sa réussite, plus
méthodique et appliqué. Cette source de variabilité rend nécessaire de croiser les données recueillies
avec d’autres sources objectives d’informations sur les étudiants afin de minorer les effets possibles de
surinterprétation. Dans cette perspective, trois sources complémentaires de résultats ont été utilisés
pour chaque étudiant : leur score au TOEIC, leurs résultats au questionnaire de D. Kolb sur les styles
d’apprentissage et leur profil linguistique selon l’échelle de R. Oxford.
Le second point est méthodologique. Les entretiens des trois étudiants ont été prévus d'emblée en
complément de l'étude de leur cours d'action réalisée par F. Roublot (chap. 8). Les entretiens d’auto-
confrontation suivant les séances de travail9 ont permis d'enrichir et de nuancer l'analyse des entretiens
semi-directifs par un autre type de matériau concernant le déroulement individuel de l’activité et le
discours des étudiants sur leur apprentissage. Cette démarche s'inscrit dans le paradigme de l’action
située (Barbier, Galatanu, 2000) qui considère que l'apprenant en autoformation, comme tout sujet
s’exprimant sur son activité, ne fait pas toujours ce qu’il dit ou ce qu’il pense qu’il fait (Vermersch,
2003). En conséquence, il semblait plus intéressant de partir du faire et du dire à propos de ce faire
plutôt que du dire isolé du faire, surtout pour l'analyse de dimensions aussi subjectives que celles
portant sur les affects et les émotions dans l’apprentissage.
Deux aspects ont constitué une limite à cette démarche : l'une provenant du contexte de l'activité10 ;
l'autre de la méthodologie même de l'auto-confrontation11. Les deux aspects conjugués ont produit un
parasitage dû aux nombreuses relances de l’intervieweur cherchant des précisions sur le ressenti,
7
Il s’agit de trois étudiants, un homme et deux femmes, qui suivent un cursus de formation initiale en Licence et Master 1 de
biochimie à la Faculté des Sciences de la Vie de l’Université Louis-Pasteur. L’expérimentation a eu lieu dans le CRL où ces
trois étudiants sont inscrits. Ils ont fréquenté leur CRL durant deux semestres (l’étudiant de licence étant redoublant) et,
encadrés par la même enseignante, ils ont participé à des groupes différents.
8
Lors de cette expérimentation, des étudiants volontaires ont passé le TOEIC, complété deux questionnaires sur leur
expérience et leurs modes d’apprentissage des langues étrangères et communiqué leurs feuilles de suivi à la fin de leur
parcours de formation. Sur l’ensemble de ces sujets, huit étudiants ont été sélectionnés au regard de leur score au test TOEIC
(scores faibles / intermédiaires / élevés) ; trois de ces huit étudiants ont ensuite été sollicités et ont accepté de participer à
l'étude qui donne lieu à deux communications dans cet ouvrage : Candas, Eneau ; Roublot.
9
Cette méthodologie, empruntée à J. Theureau (2004), consiste à enregistrer en vidéo une séance de travail individuel en
CRL (environ 1h30 par séance). Au cours de l’entretien d’autoconfrontation qui suit, les sujets visionnent la cassette,
explicitent et détaillent leur activité. Ces entretiens, d’une durée moyenne d’1h20 ont également été enregistrés sur vidéo,
puis intégralement retranscrits.
10
L'expression de l'émotion n'est pas habituelle dans le contexte institutionnel de la formation. Bien au contraire, cette
expression est extrêmement contrôlée, voire déniée en tant que brouillage de l'activité intellectuelle.
11
Les hypothèses sous-jacentes à la théorie du cours d’action (Theureau, 2004) considèrent "l’action manifeste" comme une
unité de comportement significative pour l’acteur (racontable et commentable) ; les actions s’accompagnent
d’interprétations (unités de discours privé ou public significatif pour l’acteur) et de sentiments (émotions significatives pour
l’acteur). Les questions du chercheur sur le ressenti, ayant pour but de repérer ces actions, interfèrent alors avec la mention
spontanée de dimensions affectives ou émotionnelles liées à l’apprentissage.
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
l’émotion ou les raisons d’agir de l'étudiant. L'analyse des matériaux a donc dû prendre en compte un
double niveau de langage : l'un, lié à la réponse aux relances de l’interviewer12 ; l’autre, relatif aux
stratégies affectives directement mobilisées dans l’apprentissage, registre plus spontané, plus pertinent
pour l'analyse13.
Le troisième point concerne le niveau de discours des étudiants. Alors que ces derniers semblent
recourir davantage au registre affectif quand ils abordent spontanément leur activité, ils se trouvent
en fait très influencés par le contexte, le support étudié et/ou le contenu des apprentissages14 qui les
sollicitent plus ou moins dans ce sens, ce qui nuance la portée des résultats.
L’analyse thématique de la retranscription des discours a été faite en deux temps : une analyse de
contenu portant sur le champ lexical de l’affectif avec une double catégorisation, par chacun des deux
chercheurs, des registres affectif et/ou émotionnel repérés dans les retranscriptions ; une analyse des
stratégies utilisées par les sujets lors de leur séance de travail, au regard des dimensions repérées par
R. Oxford (op. cit.) et M. Hrimech (op.cit). Pour certaines phases de cette analyse, la mise en commun
des résultats trouvés par chacun des deux chercheurs a nécessité des choix visant à réduire autant que
possible les biais méthodologiques15.
Malgré ces restrictions, la convergence des observations conduites en parallèle est à souligner, car, en
montrant la pertinence des hypothèses et des choix méthodologiques des deux études (Candas, Eneau ;
Roublot), elle permet d'envisager des travaux ultérieurs sur des corpus plus nombreux qualitativement
plus variés.

5 - Résultats de l’analyse des entretiens d’autoconfrontation

Trois types d’analyses complémentaires ont été menés : 1) une comptabilisation des termes ressortant
du champ lexical de l’affectif ; 2) une analyse contextualisée qui est venue nuancer certains résultats et
permettre de repérer une influence indirecte d’aspects affectifs ; 3) un retour au profil des apprenants.

5.1 - La prédominance des vocables16 ressortant de l’affectif et de l’émotionnel

Le premier constat, concernant le nombre total de mots employés, leur nature liée à des choix
d’interprétation des chercheurs, le nombre d’occurrences pour certains des mots17, pose différentes
questions quant au rôle de l’émotion et des affects dans l’activité d’apprentissage. En termes
d’occurrence et sur un plan strictement numérique18, 28 %, 10 % et 17 % des interventions respectives
de S1, S2 et S3 concernent au moins pour partie le domaine de l’affectif19. Lorsque sont éliminés les
énoncés du sujet induits par les relances du chercheur, on comptabilise respectivement 18 %, 5 % et

12
Par exemple : "et donc ça te touche émotionnellement ?", "et à ce moment là, qu’est-ce que tu ressens ?", "cette période, au
niveau émotionnel, tu la vis comment ?".
13
Une attention particulière a dû être portée à l'analyse, car il a fallu discriminer : l'expression "spontanée" dans le registre
affectif et émotionnel (prise en compte) ; celle qui est le fruit d'une relance visant à faire préciser l'expression (prise en
compte) ; celle qui est suscitée par les relances du chercheur (non prises en compte). Le décompte des interventions induites
et spontanées est un calcul délicat. Par exemple, une question sur le ressenti n’implique pas nécessairement une réponse
immédiate en termes d’affects ou d’émotions ; parfois les termes rattachés à ce registre apparaissent une ou deux réponses
plus loin. On peut donc émettre l’hypothèse que les questions posées lors des entretiens orientent le sujet dans la durée, ce qui
complexifie et relativise encore toute tentative de quantification et de représentativité dans le comptage des termes employés.
14
Par exemple, sur les trois cas étudiés, l’un des apprenants visionnait une cassette donc le contenu portait sur la dépression,
les tendance suicidaires et les liens entre la biologie (biochimie, facteurs génétiques) et la dépression nerveuse ; l’autre
repérait des ressources à propos des migraines, ce qui le concernait indirectement ("[ayant] une copine qui en a beaucoup") ;
le troisième préparait, au moment du recueil de données, un oral d’anglais de fin d’année, avec le stress lié à ce type de
circonstances.
15
Par exemple lorsqu’il s’est agi, pour le second sujet (S2), de déterminer quelles interactions devaient ou non être prises en
compte pour l’analyse, il a été décidé que seuls les affects et les émotions en rapport avec l’apprentissage devaient été pris en
considération, et non les émotions éprouvées par les personnes filmées sur la cassette portant sur la dépression, ou celles
éprouvées par le sujet envers ces personnes.
16
Un tableau des fréquences d’utilisation de mots appartenant au champ lexical de l’affectif pour chaque sujet (S1, S2, S3)
durant l’entretien d’auto-confrontation est présenté en annexe.
17
Par exemple : "intéressant", "plaire", "fatigant", "marre".
18
Dans la suite du texte, les pourcentages ont été arrondis à l'unité inférieure ou supérieure.
19
Soit en valeur absolue : 58 interventions sur 205 pour S1 ; 37 sur 382 pour S2 ; 61 sur 355 pour S3.
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
10 % des interventions spontanées de S1, S2 et S3 concernant au moins pour partie le domaine de
l’affectif.
Si les pourcentages établis s’avèrent peu représentatifs, il a en revanche été possible d'établir que les
interventions spontanées des sujets S1, S2 et S3 ayant au moins en partie trait au domaine de l’affectif
sont en moyenne de 1,6 fois, 1,8 et 1,8 fois plus longues qu’une intervention moyenne de chacun des
sujets et respectivement 2,2 fois, 2 et 2,2 fois plus longues qu’une intervention n’y faisant pas
référence. En d’autres termes, solliciter le registre de l’affect ou des émotions suscite des interventions
environ deux fois plus longues de la part des interviewés que lorsqu'ils décrivent leur activité sans
faire appel au ressenti. Cette tendance est également vérifiée pour les interventions induites chez les
trois sujets par la méthodologie et la nature des relances du chercheur, même si elle est un peu moins
marquée, dans ce cas, pour les sujets S2 et S3.

5.2 - L’incidence cachée des stratégies affectives et des dimensions émotionnelles

Le comptage des items liés au registre affectif / émotionnel de S2 et son faible score apparent,
relativement à S1 et S3 (10 % ou 5 % du total des termes utilisés, avec ou sans interventions induites)
mérite quelques précisions. Ce score contraste avec l’impression donnée au visionnage dans lequel la
dimension affective semble être au moins aussi importante que pour les deux autres sujets. L’analyse
contextuelle montre toutefois que cette dimension reste très implicite dans les propos de S220. Par
exemple, dans l'une des séquences (Transcript 1 en annexe de ce texte), l'apprenant S2 explique qu’il
a, comme souvent, recherché sur Internet des informations sur des résultats sportifs, avant de travailler
sur un cédérom de biochimie. Dans ce passage, les multiples relances (I) se heurtent à l'esquive du
sujet. Il faut une question explicite pour placer le sujet en situation d'aveu. Dans sa représentation, il
semble que le plaisir lié à l’information sportive ne relève pas d'une situation d'apprentissage, alors
même que l'information est communiquée en anglais sur un site anglo-saxon. Il s’agit probablement là,
comme les intervenants dans les centres d’autoformation l’ont souvent noté, d’une assimilation /
intériorisation de l’autoformation en tant que non-formation. L'observation est récurrente : pour les
étudiants habitués aux contrôles externes de leur activité, se faire plaisir21 ne revêt pas un statut de
formation. Dans le cas de l'apprenant S2, cette hypothèse tendrait à indiquer que le chiffre de 5 % des
termes utilisés en relation avec des dimensions affectives de l’apprentissage est probablement sous-
estimé, interrogeant par là même la pertinence de l’analyse retenue (i.e. le décompte des termes
appartenant au champ lexical des affects). En termes méthodologiques, il serait donc sans doute
nécessaire de doubler ce type de décompte d’une analyse contextuelle plus fine pour obtenir un plus
haut degré de fiabilité.
D’autre part, il est utile de revenir sur un aspect de cet entretien. Lors de sa séance, le sujet a visionné
un documentaire aux témoignages poignants sur la dépression. Or, le protocole méthodologique
prévoyait de ne prendre en compte que les émotions et affects en rapport direct avec le processus
d’apprentissage et non les émotions éprouvées par les personnes filmées dans le documentaire ou
celles ressenties par le sujet envers ces personnes. Un certain nombre d'expressions ont donc été
exclues du corpus analysé, alors qu'elles apparaissent significatives22 et que l'on pourrait postuler
l'influence de ce type d’affects sur les apprentissages. La captation de l’attention que peut provoquer
une activité de travail liée à un thème affectivement troublant (le suicide dans le cas de ce
documentaire) provoque sans doute des champs d’intérêt ou de rejet qui ont des effets sur les
apprentissages. D’autres effets indirects pourraient donc être induits, comme le plaisir ou la crainte
d’être émotionnellement affecté par des sujets sans rapport avec la raison initiale de la venue dans un

20
C’est aussi le cas dans les deux autres entretiens, mais dans une bien moindre mesure.
21
Par exemple en consultant sur Internet des pages étrangères ou en visionnant des films en version originale.
22
Par exemple : "elle, ça m’a particulièrement touchée parce que je trouvais ça … dans un reportage, pour moi, qui était à …
vraiment à visée juste informationnelle sur la dépression et ce qu’on pouvait ressentir, je trouvais ça dur qu’elle explique
comment elle a essayé de se suicider" ; "mais comme moi, j’ai vraiment aucune notion en psycho, ça … ça me fait bizarre
d’avoir des reportages comme ça où les gens sont encore vraiment pas bien, bon là (?) c’est clairement … pas en grande
forme, quoi. Donc c’est vrai que ça fait un peu … c’est un peu déstabilisant. Je m’attendais pas à ce genre d’informations-là".
De manière à obtenir des données homogènes et comparables les termes faisant référence aux émotions provoquées par le
documentaire ont été exclus : bizarre (3 mentions), désolé (1), déstabilisant / déstabiliser (3), dur (3), gênant (1), glauque (2),
intéressé (1), marqué (1), "particulier" (1), pas agréable, désagréable (3), pas terrible / terrible (1), touché (3).
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
CRL23. Dans la suite de l’entretien, S2 confirme avoir pris des notes, tenté de comprendre ce qui se
passe au plan psychologique24, même si cette activité n’est pas directement liée à un apprentissage de
vocabulaire scientifique en biochimie, objectif de sa présence au CRL. Nous retrouvons donc ici, un
type d’apprentissage qualifié de fortuit ou incidentiel (Czeh, Watkins, Marsick, 2000), ainsi que le rôle
des "circonstances organisatrices" de l’apprentissage autodirigé (Spear, Mocker 1984 ; Tremblay,
2003), l’impact du contexte et de la situation sur le processus d’autoformation, souligné depuis de
nombreuses années par les chercheurs. S’autoformer, c’est aussi apprendre ce qui n'était pas prévu,
accepter de laisser une place au hasard, aux acquisitions inattendues, tout en sachant que la formation
se poursuit, même si ce n’est pas directement lié à ce que l’on était venu chercher.
Du point de vue des recherches complémentaires à entreprendre, cette indication de la prégnance du
contexte sur le vocabulaire utilisé lors des recueils de données permet aussi et surtout de souligner
combien les conditions de passation des entretiens influencent le registre des stratégies affectives qu’il
s’agit d’étudier. S’il n’est pas question, dans ce type de recueil, de standardiser les expérimentations
puisqu’il s’agit bien d’appréhender le processus d’apprentissage au plus proche du vécu des
apprenants, la question se pose alors de l’influence des contenus étudiés, des supports utilisés, des
perturbations et aléas des conditions d’apprentissage.

5.3 - Profils d’apprenants, stratégies affectives et styles d’apprentissage

L’analyse des décomptes lexicaux (tableau en annexe de ce texte) permet de constater des disparités
marquantes entre les trois sujets, que l’on peut attribuer au contexte de la séance de travail25, au sujet
lui-même26, ou à une combinaison des deux. Au titre des différences individuelles, la majorité des
termes employés par S1 sont connotés positivement27, alors que la plupart des termes de S3 sont
connotés négativement28 et que pour S2, la répartition est plus équilibrée et les termes utilisés plus
courants, sobres, parmi les moins fortement connotés.
Les stratégies affectives sont en revanche fortement sollicitées par les trois sujets, même si elles le
sont de manière inégale, et ce bien plus que les stratégies métacognitives (planification, évaluation,
etc.) ou les stratégies sociales (recours aux pairs, sollicitation d’aide, d’experts, etc.). Une
classification et/ou une comparaison des stratégies évoquées reste cependant difficile à établir, au plan
technique et en raison de la faible représentativité des cas étudiés. La classification fait apparaître une
prégnance de stratégies directes chez les trois sujets (lecture, prise de note, écoute et réécoute,
recherche de vocabulaire dans le dictionnaire, etc.), ce qui reflète la nature de l’activité filmée et la
formulation des relances pour l’explication de l’activité. De même, l’absence de stratégies sociales
n’est pas représentative du processus d’apprentissage dans son ensemble, puisque que seule une
séance de travail solitaire d’une heure et demie a été filmée, pour chacun des trois apprenants. En
revanche, le répertoire des stratégies affectives reste étonnamment fourni, dans les trois cas, et ceci,
même en dehors de la précaution méthodologique liée aux relances de l’interviewer au sujet des
ressentis.
Au regard des stratégies affectives identifiées par M. Hrimech (2000), on retrouve dans les différents
entretiens : le "traitement conscient des sentiments négatifs", la "gestion du temps et de l’effort
consenti", la "recherche de l’utilité de l’information" mais aussi le "choix de sujets ludiques" ou bien
"l’organisation agréable de l’environnement d’apprentissage". En revanche, certaines stratégies
affectives liées à la "formation d’une image positive de soi", à la "réduction de l’anxiété" ou encore à
la "prise de risques calculés" qui sont données comme particulièrement importantes dans la littérature
du domaine, ne sont pas évoquées directement par les sujets de cette étude. Là encore, des recueils de

23
Par exemple, dans le cas étudié, des informations du champ de la psychologie qui ne sont pas directement liées à
l’apprentissage de l’anglais pour un étudiant en biochimie.
24
Par exemple : "j’ai pris en notes … c’était des expressions que je connaissais pas et j’ai pas réussi à noter directement les
mots, donc j’ai noté phonétiquement ce que ça me semblait être" ; "J’ai continué de noter les explications du psychiatre sur
les … sentiments qui étaient exacerbés pendant la dépression, comme les … le sentiment de tristesse".
25
Les contenus abordés, la liberté d’explorer des ressources en lien direct ou non avec l’objectif principal d’apprentissage, le
stress de l’imminence ou non d’un examen, etc.
26
Son style d’apprentissage, sa propre sensibilité, sa sensibilité au registre affectif et/ou émotionnel.
27
Par exemple : intérêt, plaisir, envie, marrant, plaire, aimer, etc.
28
Par exemple : fatigant, frustrant, énervé, pressé, panique, pas très à l’aise, etc.
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
données complémentaires pourraient permettre d’approfondir ces aspects, en cherchant à préciser le
traitement des dimensions spécifiques concernant par exemple la gestion du temps et des efforts
d’apprentissage, la manière dont ils réduisent ou non leur anxiété, l’image qu’ils ont d’eux-mêmes au
fil des différentes phases de l'apprentissage , etc.
Le dernier type d’analyse effectué concerne le profil des apprenants et leur style d’apprentissage,
caractérisation effectuée à partir de l’analyse qualitative de leur discours (retranscription de l’entretien
d’auto-confrontation), de leur style d’apprentissage (questionnaire de Kolb) et de leur profil
linguistique (échelle d’Oxford). Cette analyse se décline selon trois registres accentués par leur
caractérisation de sujet : "zappeur-hédoniste", "bon élève", "laborieux". Cette dénomination a été
appliquée a posteriori, en tant que synthèse sémantique à l'issue des croisements de l'ensemble des
analyses.

Le sujet "zappeur-hédoniste"

L'apprenant (S1) qualifié de "zappeur-hédoniste" montre une apparente distance à l'égard du travail à
réaliser, sans plan formel, sans attente pré-établie. Ses activités sont principalement liées à ce qui lui
plaît ou non, l’intéresse ou non. Il n’hésite pas à changer d’activité quand le contenu ou les tâches à
réaliser l’ennuie (Transcript 2 en annexe de ce texte). Comme il se lasse rapidement, se plaignant de la
lenteur des téléchargements29, des pages obsolètes, peu lisibles, autant que de la superficialité de
certains sujets30, il change donc fréquemment d’activité. Il "zappe" comme s’il détenait une
télécommande et aborde une multitude de tâches comme s’il changeait de chaîne, sans trouver
d’intérêt durable à une activité en particulier, sauf à de rares exceptions. Lors de l’entretien, la quantité
de bâillements augmente avec la longueur de l'échange. Pour autant, S1 ne tient pas un discours
systématique d’ennui ou de contrainte à l'égard de l’apprentissage de l’anglais. Il sait quels sites
l’intéressent, quels outils lui sont utiles, l’amusent, qui lui servent à gagner du temps dans la recherche
de vocabulaire (le logiciel de traduction Babylon, notamment31) ou encore qui renforcent sa propre
efficacité32. Il a construit une méthode efficace de lecture et de recherche des ressources, développé
ses propres façons de faire pour trouver l’information utile et/ou intéressante33, un ensemble de
patterns qui lui permettent d’aller à l’essentiel de son point de vue et d’allier apprentissage et plaisir. Il
effectue ainsi de nombreux liens entre les sujets qu’il aborde en anglais et ses centres d’intérêts dans la
vie courante. Il connait ses limites d'attention, ses capacités d’intégration d’apprentissage nouveau, il
sait renforcer ou non sa propre motivation. Il a repéré le moment déclencheur d’une baisse d’attention,
d’un décrochage possible34. Il sait identifier ses difficultés, révélatrices d’apprentissages nouveaux35,
tout autant qu’il s’avoue ennuyé de ne pas réussir à effectuer certains exercices. Il se connaît comme
apprenant et c’est probablement parce qu’il a développé cette compétence de méta-apprentissage,
caractéristique des apprenants autodirigés (Tremblay, 1996, 2003), qu’il peut s’autoriser à peser le
pour et le contre de ses difficultés : si l’intérêt l’emporte sur l’appropriation de vocabulaire nouveau, il
consent un effort supplémentaire, une deuxième écoute par exemple ; sinon, il utilise des stratégies de
contournement, en demandant la solution de l’exercice sans la rechercher par lui-même et pare au plus
pressé. Il analyse lui-même sa démarche36 : si l’activité est intéressante, l’apprentissage est agréable et
effectif37 ; dans le cas contraire, il zappe38.
Par ailleurs, la nature des activités d’apprentissage de S1 dépend également du contexte dans l’année
universitaire et des travaux qui lui sont demandés, même s'il ne se fait pas d’illusion sur ce qui est

29
"ça a mis du temps et puis… j’aime pas trop attendre".
30
"c’est plutôt du niveau lycée".
31
"c’est un truc génial pour les fainéants".
32
"je reste objectif, je m’économise et je note les mots qui me semblent intéressants à utiliser".
33
Par exemple, "dans le sujet, c’est souvent au début qu’on a les informations les plus capitales".
34
c’est celui où il n'"arrive plus à créer l’image ou la continuité par rapport au début".
35
Comme, par exemple, ce que revêt pour lui : "faire plus de travail, du vrai travail".
36
"plus on avance dans le texte et souvent plus ça devient technique et plus les constructions de phrases sont… compliquées,
les associations de mots sont pas forcément… évidentes".
37
"j’aurais presque envie que ça continue encore un peu parce que c’était intéressant et… on a envie d’apprendre plein de
trucs […] ; j’en ressors grandi, j’ai appris quelque chose".
38
"quand je vois que la suite ne me plaît pas ou m’aide pas à avancer dans la notion de plaisir […], je saute le petit bout qui
m’intéresse plus, enfin je le lis… dans les grosses lignes".
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
demandé. C'est pourquoi, il ne travaille pas pour les notes39, il préfère entretenir son anglais pour lui-
même et vise plutôt une expression fluide au service de la communication40. Ce recul critique et cette
capacité d’analyse semblent ainsi confirmer, au-delà de l’apparente immaturité de son comportement
apparent41, une certaine autonomie par rapport à ses propres capacités à diriger ses apprentissages au
CRL. Au regard des stratégies employées, son discours reflète une conscience de ses préférences
d’apprentissage, qui sont avant tout conduites par le plaisir et l’intérêt. Ces données sont corroborées
par le questionnaire sur les caractéristiques du mode d’apprentissage qui le présente comme un
"accommodateur", intuitif et impatient. Ce questionnaire révèle un score élevé en termes d’expérience
concrète (i.e. une approche de l’apprentissage principalement basée sur la réceptivité et l’expérience),
corrélée essentiellement à des jugements inspirés par le sentiment, mais aussi un score assez élevé en
expérimentation active (i.e. à une préférence pour l’apprentissage par l’action).

Le sujet "bon élève"

L’analyse du discours de l'apprenant S2 est plus complexe et plus équivoque. Le "bon élève" esquive
l'expression des émotions. Il ne parle pas explicitement de ses affects si ce n'est de manière détournée,
utilisant pudiquement la litote et le sous-entendu. Cet évitement quasi systématique du recours au
registre des affects est renforcé par un vocabulaire courant et sobre, relativement neutre. Plusieurs
raisons peuvent justifier ce registre de discours. Le sujet fait preuve de maturité, offrant une image
responsable d'étudiant sérieux et appliqué, anticipant la préparation d'une thèse dans une discipline
scientifique. Cette culture scientifique est revendiquée par le sujet dans sa conduite même42 au point de
neutraliser l'expression des émotions et affects et de l'amener à se justifier sur ses
activités "périphériques" (lecture des résultats sportifs). Le sujet S2 utilise pratiquement tous les types
de stratégies, sauf celles intitulées "Gérer vos émotions" pour lesquelles la réponse cochée est "jamais
ou presque jamais". Il semblerait que, pour cet apprenant, l’émotion n’ait pas sa place dans le
processus d’apprentissage, en fait, on peut faire l'hypothèse qu'il s’agit moins d'une absence de recours
aux stratégies émotionnelles qu'une absence du recours au registre de l’affect dans le discours : se
comporter comme "scientifique", c’est aussi, pour un étudiant de la filière, avoir intégré que ce registre
n’est pas légitime dans le domaine, c’est donc aussi minorer potentiellement (consciemment ou
inconsciemment), la validité ou le droit que l’on s’accorde à laisser place à ce registre dans son
comportement et son langage de scientifique.
La séance de consultation d'un documentaire concernant l’étude des causes psychologiques de la
dépression permet toutefois de nuancer l’image que le sujet s’efforce de donner (Transcript 3 dans les
annexes de ce texte). Si l'objectif explicite de cette consultation est la préparation d'un oral d'anglais,
ce choix s'avère plus déstabilisant que prévu et constitue une source de difficulté vis-à-vis de l’image
que le sujet cherche à se donner de lui-même. L’entretien d’autoconfrontation laisse apparaître une
limite de la méthodologie d’analyse des stratégies émotionnelles et en particulier celle qui concerne la
"formation d’une image de soi positive" (Hrimech, 2000).
Au regard du questionnaire sur les caractéristiques du mode d’apprentissage, S2 se révèle comme un
sujet "divergent" qui sait faire preuve d’imagination et d’émotion, même s'il obtient par ailleurs un
score élevé en "observation réfléchie", privilégiant l’apprentissage par expérimentation et en
"observation minutieuse", reflétant une personnalité plutôt introvertie. Le paradoxe de S2 tient donc
dans les scores assez élevés obtenus en expérience concrète, reflétant une approche de l’apprentissage
basée sur la réceptivité et l’expérience qui dépend essentiellement de jugements inspirés par le
sentiment, et par ses scores d’observation qui reflètent plutôt l’image que le sujet aspire à donner de
lui-même. De ce point de vue, la tentative de cerner plus précisément la personnalité de S2 à partir de
ces dimensions affectives rejoint alors toute la difficulté de travailler sur l’identité de l’apprenant à la
fois individuelle et sociale. Au-delà d’un parcours de "bon élève" culpabilisé de pas toujours se centrer

39
"même si j’ai 15 en anglais, ben ça sert à rien si on n’arrive pas à discuter".
40
"c’est de pouvoir un jour faire une conférence en anglais […] utiliser l’anglais autant que possible […] ; j’aimerais bien
pouvoir suivre une conférence, pouvoir intervenir ou poser des questions, pouvoir parler […], pouvoir communiquer parce
que pour moi c’est plus un outil qu’une … nécessité […]. C’est vraiment une notion de pratique".
41
Il mentionne son intérêt pour les sports de glisse, le roller, le skateboard, fait des allusions au cannabis et aux effets
thérapeutiques du THC, veut se montrer très détaché, recherche la connivence de l’interviewer, etc.
42
"la pure scientifique", "très carré".
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
sur ses apprentissages, la personnalité de l’apprenant n’est pas univoque, lisse et uniquement orienté
vers autrui. Le rôle des affects et des émotions semble rattraper même le plus "scientifique" des
étudiants rationnels et objectifs.

Le sujet "laborieux"

Insatisfait de sa séance, jugée improductive, l'apprenant S3 en a eu vite "marre" de cette activité


"fatigante" pourtant librement choisie. Le relevé quantitatif des termes utilisés est révélateur de cette
impression négative de difficulté, de pénibilité et d'inefficacité43. Au-delà de l'impression d’ensemble,
S3 ne réussit pas à doser l’effort consenti au regard du niveau de difficulté exigé. Le "laborieux"
s’ennuie fréquemment dans des tâches monotones, peu productives en apprentissages effectifs,
privilégiant des stratégies qui s'avèrent inefficientes. Parallèlement, le sentiment d'être dépassé par un
niveau inattendu de difficulté ou un rythme trop rapide entraînent un découragement et une déception
face aux maigres résultats obtenus dans les tests finaux. Pourtant, le sentiment d'avoir appris est
présent44 et relance momentanément l'effort. Le sujet a l’impression de savoir (connaître le
vocabulaire), de savoir-faire (connaître les réponses et les modalités de l’exercice), mais se laisser
piéger par un certain nombre de facteurs (temps, rapidité, automatismes, etc.) qui lui rappellent que s'il
y a progrès, ils ne sont pas suffisamment au regard des heures investies45. Les sentiments négatifs
reprennent alors le dessus46, accentuant un sentiment d'impuissance47 et l'angoisse d'une réussite
limitée48, d'autant plus forte que la perspective de l'examen se rapproche (Transcript 4 en annexe de ce
texte).
Si le questionnaire sur les caractéristiques des modes d’apprentissage montre que S3 sait faire preuve
d’imagination et d’émotion, cet apprenant n'apparaît pas suffisamment "réfléchi" ou "concret". Deux
caractéristiques sont particulièrement remarquables : le différentiel entre les explications /
justifications attribuées à la conduite d'apprentissage et les données factuelles observables ; les
contradictions dans ces explications et justifications. Ainsi, alors même que le sujet déclare une
préférence plus auditive que visuelle49, il déploie de nombreux efforts pour visualiser50 les mots
inconnus, engageant une surcharge cognitive importante pour traduire51 au mot à mot des phrases
entières dont le sens partiel lui échappe le plus souvent. A un autre moment, le même sujet justifie une
méthode de travail52 en s'appuyant sur son sentiment d'être plus visuel qu'auditif53, sans s'interroger sur
le degré de fatigue, de déconcentration et de pénibilité que génère sa conduite d'apprentissage. Par
ailleurs, si S3 regrette amèrement de ne pas mieux réussir, le flou54 du projet au service duquel serait
placée cette réussite ne le questionne pas. Entre réponse à un besoin concret immédiat55 et besoin
virtuel à venir56, le sujet ne construit pas de lien entre l'activité et ses finalités. Enfin, l'inscription en
autoformation met le sujet "mal à l'aise" et le conduit à attribuer son "moyennement bon travail" à
l'absence de prescription et de contrôle externe57. Là encore, l'inscription dans une modalité différente
d'un enseignement habituel ne le conduit pas à s'interroger sur les adaptations qu'il pourrait réaliser
pour être plus en adéquation avec cet environnement particulier de formation. De ce fait, l’engagement

43
A différentes reprises dans l’entretien, S3 évoque sa "frustration", son "stress", le fait qu’elle "manque de temps" pour
réussir les activités (tout va "très vite" ou "trop vite"), et ceci la met "mal à l’aise", le fait qu’à d’autres moments l’exercice
soit "rébarbatif" et qu’elle travaille de manière "machinale", ou encore la "fatigue" qu’elle éprouve alors qu’elle déploie des
efforts réels de "concentration", voire même sa "panique" lors d’exercices alliant difficulté et rythme élevé d’exécution.
44
Le sujet mentionne finalement que ses résultats ne sont pas si mauvais et qu’il peut relativement se réjouir de ces progrès.
45
Le quota horaire habituellement attribué aux étudiants de son niveau a été dépassé.
46
"j’apprends pas beaucoup de choses".
47
Tout cela "l’énerve".
48
Le sujet est "angoissé" par son manque de maîtrise et conclut aux "progrès à faire".
49
"j’ai l’impression que j’apprends plus en écoutant qu’en lisant".
50
Tente de transposer ce qui est entendu "en mots écrits, comme si je les voyais devant mes yeux".
51
Tente de traduire simultanément la bande son.
52
"j’entends les mots et j’arrive à les transposer en … en mots écrits" ; "je retiens la fin du texte en écoutant et en le voyant,
quoi, d’une certaine manière".
53
"je pense… comme j’ai une mémoire très visuelle".
54
L'anglais, ça peut toujours servir.
55
"dans l’optique de la présentation", pour l'examen.
56
"je travaille pas vraiment pour mon futur, quoi".
57
"j’ai pas non plus appris comme si on m’avait demandé d’apprendre".
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
dans un processus d’autoformation s’avère pour ce type d'apprenant particulièrement coûteux. Les
efforts investis, le temps passé au CRL, la mise en œuvre d'une diversité de stratégies mnémoniques,
cognitives, métacognitives débouchent sur des progrès limités de part cette inadéquation récurrente
entre objectif et environnement de formation, stratégie et activité, activité et finalité pour soi, pour son
projet d’études ou son projet professionnel.

6 - Conclusions

Il n’est pas possible de généraliser les résultats d’une étude exploratoire menée auprès de trois
étudiants, mais plusieurs résultats intéressants sont à retenir aux plans méthodologique et théorique.

Au plan de la méthode, interrogeant les limites des interactions verbales entre intervieweur et
interviewé, il a été procédé à un décompte de ces termes pour relever la prégnance relative des affects
dans le processus d’apprentissage, et ce, quels que soient les profils, niveaux ou préférences
d’apprentissage des sujets concernés et quels que soient les choix des ressources, des activités ou
encore la poursuite ou l’interruption de ces activités.
Au plan des résultats, il ressort qu'à la différence des stratégies cognitives et métacognitives qui se
trouvent minorées, les stratégies affectives occupent une place prépondérante à côté des stratégies
mnémoniques, même si sur ce point il faut tenir compte d'un biais possible induit par la technique de
l’autoconfrontation qui implique un effort de remémoration. Si certains types de stratégies sont à
l’évidence plus difficilement verbalisables que d’autres et donc moins mentionnées, il semble
néanmoins, ainsi que l’ont souligné plusieurs auteurs, que le rôle des émotions dans le processus
d’autoformation, et probablement dans l’apprentissage en général, soit grandement sous-estimé. Il
pourrait même paraître légitime d’interroger la pertinence de classifications telles que celles proposées
par R. Oxford ou M. Hrimech, qui incluent les dimensions affectives dans les stratégies indirectes ou
de soutien, alors que la place des émotions semble au contraire primordiale, contribuant à guider les
choix de l’activité, le rythme ou encore l’abandon du travail en cours, en particulier lorsque
l’apprenant est amené à en piloter lui-même la majorité des étapes dans un contexte d’autoformation,.
En d’autres termes, il semble bien que le contexte et le dispositif, dans les choix de supports
d'apprentissage proposés en CRL, contribuent à modifier les priorités accordées aux stratégies
affectives et émotionnelles par les apprenants : un individu "déjà autonome" dans sa démarche aurait
tendance à laisser libre cours à ses envies, ses intuitions ou ses désirs, renforçant ainsi son image de
lui-même comme apprenant déjà autonome, alors qu'un individu au profil plus "scolaire" tendrait à
lutter contre ses propres habitudes pour recréer de manière artificielle, potentiellement moins
efficiente, un guidage qui n’existe plus, au risque d’une fatigue ou d’une lassitude, voire de stratégies
d’évitement lui permettant de prendre tout de même plaisir à son travail d’élève studieux.
La même hypothèse, de ce point de vue, pourrait être posée pour l’examen des stratégies sociales
employées dans un dispositif où le soutien et la demande de relation d’aide dépendent principalement
de l’initiative de l’apprenant. Le dispositif risquerait de ne renforcer, dans les faits, que des capacités
ou des caractéristiques individuelles préexistantes. Même si cette étude a privilégié l'exploration des
stratégies affectives et émotionnelles, elle a montré tout l'intérêt d'un travail similaire sur les
dimensions sociales qui sont tout aussi importantes et insuffisamment étudiées dans la recherche sur
l’autoformation, en particulier sur l'apprentissage en CRL.
Des recherches complémentaires pourraient être entreprises pour examiner la prégnance du contexte
sur le vocabulaire utilisé lors du recueil de données concernant les dimensions affectives et
émotionnelles ; influences relatives aux contenus privilégiés par les apprenants, le type de supports
utilisés, les perturbations et aléas des conditions d’apprentissage, etc. De ce point de vue, l’entretien
d’autoconfrontation est d'une utilité indéniable pour accéder à l’expression de stratégies affectives
dont la subjectivité reste problématique pour la recherche en éducation. En même temps, l’analyse des
entretiens a également montré à quel point il restait tout aussi difficile d’accéder à la réalité de
l’activité, tant les réponses données reflètent l’idée que l’apprenant se fait de sa démarche en général :
par son discours, il reconstruit son action et même, à certains moments, justifie ses choix plutôt qu’il
n’explicite cette activité. Ainsi, nous avons pu vérifier que la communication sur l’activité constitue
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
bien une action différente de l’activité elle-même, possédant ses enjeux propres dont de probables
enjeux identitaires.
Au regard d’autres études menées sur l’apprentissage dans les CRL, il semble par ailleurs important de
mentionner que l’analyse de F. Roublot, portant sur les mêmes données, relève quant à elle trois types
d'objectifs dans les démarches de la sélection des ressources par les étudiants : explorer des thèmes
personnels ; préparer un examen ; apprendre la langue/acquérir des compétences linguistiques. Ces
démarches n’aboutissent pas à la construction de types particuliers de connaissances mais articulent
systématiquement la construction de connaissances à la fois linguistiques et non linguistiques. De
façon transversale, et pour ce qui concerne l’exploration de thèmes individuels, les préférences et les
préoccupations personnelles en lien avec les dimensions affectives pourraient jouer un rôle important
dans la construction du parcours d’apprentissage, ne serait-ce que parce qu’elles permettent aussi aux
apprenants de donner un sens à leur démarche d’autoformation.
Dans une visée praxéologique, il serait utile dans une recherche ultérieure d'approfondir l’enquête
qualitative amorcée dans cette étude pour vérifier si les stratégies affectives utilisées dans le cadre
éventuel d’une autonomie plus importante, pourraient ou non améliorer le processus d’autoformation
en langues. Les entretiens conduits auprès des étudiants auxquels est destiné le dispositif montrent que
sans être dupes des contraintes académiques qui leur sont imposées, ils sont capables de formuler en
quoi l’acquisition de compétences linguistiques peut leur être utile, en termes d’objectifs
professionnels notamment. On pourrait faire l'hypothèse qu’une autonomie renforcée contribuerait à
les impliquer davantage dans leur parcours de formation, depuis la définition de leurs objectifs jusqu’à
l’explicitation de leurs critères d'autoévaluation, voire la co-évaluation des atteintes de ces objectifs.
Dans une telle approche, les CRL limiteraient pas l'autonomisation de l'apprentissage à celui d'une
langue étrangère, mais pourraient l'étendre à l'acquisition d’une autonomie plus générale des étudiants.
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).

Annexes du chapitre 7
S1 S2 S3
Adorer 1
Agréable 1 3 1
Aimer 8 1
Amuser, amusant 2
Angoisser 1
Apprécier 1 1
Bon 1
Bonheur 1
Botter 1
Ça ne me parle pas 1
Calmer 1
Content 2 5
Déçu 2 4
Dur, difficile 2
Effort 1
Emballer 1
Embêtant 2 1
Enerver 1 4
Engageant 1
Ennuyer 2 2
Envie, envies 6 1 5
Excitation 1
Fatigant, fatiguer, fatigué, fatigue 1 10
Flemme 1
Frustrant 5
Gaver 1
Goûts 1
Grandi 1
Inspirer 1
Intérêt, intéressant, intéressé, inintéressant 36 6 5
Interpeller 2
Machinal 2
Marrant, pas marrant 5
Marre 1 6
N’avoir rien à faire de 1
Paniquer, paniqué 3
Pas mal, assez bien 2
Pas motivé 1
Pas très à l’aise, pas sûr de moi 2
Plaire 21 1
Plaisir 3
Préférer 1
Pressé de, avoir hâte 2
Ras-le-bol 1
Rébarbatif 1
Ressentir 2 1
Saouler 1
Satisfait 1
Se détériorer 2
Se lasser 1
Soulagé 3
Stress 1
Super 1
Sympa 8 2
Vexant, vexé 2
Note : La présentation des items est volontairement classée par ordre alphabétique, et non par importance de fréquence ou
par ordre d’apparition dans les retranscriptions d’entretiens.
Tableau 1: Fréquence des mots appartenant au champ lexical de l’affectif utilisés par chaque sujet
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
I: Donc là, t’es allée chercher ton logiciel ?
S2 : Oui. Et je l’ai pas essayé tout de suite parce qu’en fait je fais un truc assez souvent. J’aurais peut-
être pas du laisser filmer [inaudible] parce que je crois qu’on n’a pas le droit de le faire.
I: C’est pas grave.
S2 : J’ai tendance à prendre … me prendre vingt minutes pour lire les infos, par exemple de la BBC, et à
… je me mets en fond sonore la radio sur ABC dans le casque. Normalement, je crois, il me semble
qu’on n’a pas le droit de télécharger des logiciels ou écouter de la musique ou ce genre de choses, en
fait. […]
I: Alors, mais t’y vas dans quel euh … ? Comment ça se fait que tu [inaudible] ?
S2 : Ben là, c’est juste parce que euh … lire les infos seul, je trouve ça un petit peu … Enfin, disons, quand
j’ai le support écrit, je peux me permettre de mettre un fond sonore, ça me dérange pas - au niveau
de ma compréhension. Donc, comme je trouvais ça un peu euh … un peu embêtant de juste lire les
infos de la BBC sur une page, je le (?) me suis mis.
I: D’accord.
S2 : Donc après j’ai cherché les résultats sportifs, sur la BBC […]
S2 : Je regarde ce qui s’est passé au Master de [inaudible], ce qu’a fait Tim Henman [rire]. Voilà. Donc
là, c’était un … c’étaient des articles …
I: Alors ça … si t’y vas, là t’as une attente particulière d’aller voir ?
S2 : Oui, je mets les résultats sportifs en … en tennis et en golf, et je voulais savoir ce qu’il y avait ce week-
end [inaudible] golf.
I: D’accord. Parce que c’est quelque chose qui … enfin, je suppose, que tu suis, que tu … ?
S2 : Oui, voilà. Enfin, en ce moment, je suis pas trop parce que comme je suis en train de réviser (?) mes
partiels, j’essaie de travailler un petit peu, donc euh … [rire].
I: Mais tu joues au tennis, ou … ouais ?
S2 : Oui, je fais du tennis et je fais du golf. Bon là, ça fait un … j’en fais plus beaucoup.
I: D’accord. Donc tu suis aussi … donc l’actualité, ça t’intéressait d’aller voir, en fait [inaudible] ?
S2 : Oui. Là c’était vraiment plus euh … Oui, c’était vraiment plus profiter de ce qu’on nous mettait à
disposition.

Transcript 1 : Apprendre en lisant les résultats sportifs sur le web, tout en n'en étant pas convaincue

I: Alors là tu ouvres quoi par exemple ?


S1 : Là je vais, je vais sur le site euh…, du CRL parce que les profs ont pas mal de sites ou de trucs comme ça,
relativement intéressants et euh…, là je suis en train de regarder si, ben si je vais faire un peu de
compréhension orale, un peu d’expression écrite euh…
I: Tu dis regarder, regarder … c'est-à-dire … en fait ?
S1 : Ben c'est-à-dire euh…, je regarde euh ce qu’il y a comme sites et euh… en fonction de ce que j’ai envie
de faire euh…, et de ce que m’inspire le site que je vais aller voir je vais, je vais utiliser tel ou tel outil
[…]
S1 : Ben je voulais quand même regarder s’il y avait un sujet intéressant mais donc comme ça ne m’a pas
plu…
I: Qu’est-ce que t’as regardé sur la page ?
S1 : Ce que j’ai regardé sur la page euh… c’est essentiellement les titres.
I: Les titres oui… et qu’est-ce qui t’a paru… tu me dis ça, ça m’a pas plu ?
S1 : Ben c'est-à-dire que, enfin moi je travaille beaucoup en fonction de… de…, de ce que je ressens, des
envies, c'est-à-dire si quelque chose me plaît, je fais tiens, je vais aller voir si ça me plaît, je lis quelques
lignes, je regarde si ça me plaît, si la façon dont c’est écrit me plaît ou de la façon dont c’est présenté, je
continue là-dessus et sinon je… je pense qu’il y a suffisamment de documents sur…, sur le net pour euh…
pour pas s’embêter avec des choses pas intéressantes […]
I: Et donc tu me dis qu’il y a des petits moments difficiles ; comment tu le ressens celui-là, par exemple, où
tu me dis qu’ils expliquent ?
S1 : Ben je suis… je suis obligé de relire donc euh… c’est… c’est embêtant parce que c’est pas… c’est pas
linéaire à… c’est une difficulté au-delà de laquelle il faut passer et euh… ben… ben on fait avec quoi,
c’est, c’est jamais agréable de rencontrer des difficultés …

Transcript 2 : Le sujet "zappeur-hédoniste"

S2 : […] Ensuite j’avais quelque chose sur tout ce qui était mécanismes biochimiques, donc euh …
implication de la [inaudible] et de la sérotonine, un beau schéma de synapses comme on a vu avant. Et en
fait en troisième partie, je crois que j’avais proposé un petit … une forme de petit test avec des phrases
chocs qui sont en général posées par les psychiatres et les psychologues et qui peuvent permettre de
détecter les premiers signes … les premiers signes d’apparition de la dépression.
I: D’accord. D’accord. Alors ces infos là, tu les ... , tu les … ? […]
Candas, P. & Eneau, J. (2010). Autonomie de l’apprenant et dimensions affectives de l’autoformation. Etude exploratoire dans les Centres de
Ressources en Langues. In B. Albero & N. Poteaux (dir.), Enjeux et dilemmes de l’autonomie. Une expérience d’autoformation à
l’université. (pp. 141-167). Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme (Collection pracTICs).
S2 : Ouais, là c’est … c’est … Ouais, c’est très très … très très spécifique, les infos que je reçois et pourquoi
je les prends.
I: D’accord. Très bien. Très bien. (long silence) Donc là c’est la fameuse histoire d’analyse, c’est ça ?
S2 : Ouais, c’est ça. (long silence) En fait, pour moi, le reportage était un petit peu déstabilisant parce que,
bon je savais que Trouble in Mind, c’est plutôt des trucs de psycho, mais euh … moi, je m’attendais à ce
que ce soit présenté - donc la personne, à la limite ancienne dépressive, guérie entre guillemets, qui dit
« voilà, je pense avoir été dépressive à ce mo… à ce moment là de ma vie parce que, trois ans avant, j’ai
… j’ai eu un décès dans mes proches ou euh…» ; et après une explication vraiment purement
biochimique. Mais comme moi, j’ai vraiment aucune notion en psycho, ça… ça me fait bizarre d’avoir
des reportages comme ça où les gens sont encore vraiment pas bien, bon là, c’est clairement… pas en
grande forme, quoi. Donc c’est vrai que ça fait un peu… c’est un peu déstabilisant. Je m’attendais pas à
ce genre d’informations là. Je voyais ça plus…
I: Tu voyais ça plus, on va dire, …
S2 : Je vais pas dire plus scientifique [inaudible : parce que c’est quand même peu scientifique ?]
I: Moins informel … oui, oui, mais moins inform… enfin, oui, plus … plus … plus formel justement, plus
structuré et plus … et moins d’histoire de vie, c’est ça ?
S2 : Voilà. Ouais. Voilà.
I: D’accord.
I: (silence) Et déstabilisée, t’entends … t’entends quoi par … par ça, en fait ?
S2 : Euh … En fait, moi je suis … je suis vraiment la pure scientifique, hein, moi je suis très carrée. Si il y a
une maladie, c’est qu’il y a une cause. Donc je m’attendais vraiment à avoir la cause, la réponse et les
solutions.

Transcript 3 : Le sujet "bon élève"

S3 : Donc là c’est pareil, j’ai du en écouter 2 ou 3 et au bout du troisième … Pareil, je … on a l’impression


que je me lasse assez vite, mais en même temps c’est essayer d’en faire plein, essayer de faire différentes
choses en deux heures, donc peu (?), mais assez, quoi.
I: Tu te lasses assez vite. Donc à partir duquel … ? Là, t’es … t’es [inaudible] ?
S3 : Non. Oui, là ça va. Je pense que le dernier, le troisième ou le quatrième, ma tension aussi diminue … ma
concentration diminue, et je me dis qu’il faut que j’en garde aussi pour euh … ce qui est [inaudible]
maintenant un peu plus important. Et euh …
I: Tu dis ça à partir du troisième, quatrième ? […]
S3 : Ben au début, je suis a… plutôt assez fraîche, puis je suis plutôt assez concentrée. Puis après quand … là
quand je relis le … le script, je suis plutôt assez contente parce que j’ai … j’ai assez bien compris ce qui a
été dit.
I: Hm hm. Sur le premier là, c’est ça ?
S3 : Oui, le premier, ça allait. Je crois que le deuxième, je l’ai écouté deux-trois fois parce que ça parlait assez
vite et j’ai pas tout compris dans le vocabulaire. Donc là j’étais un peu plus … un … pas … un … pas
paniquée mais j’étais un … j’étais moins contente de moi. Mais j’ai essayé d’en refaire un troisième, enfin
j’en ai refait un troisième, je crois […]
S3 : Non, je suis … je suis pas obligée. Normalement je peux … je peux … je peux simplement écouter et
essayer de retenir le maximum d’informations. Mais, pour essayer [inaudible] de réponses, j’ai déjà lu la
première question, pour que pour la dernière, je puisse avoir moins à emmagasiner, quoi. Donc, là, j’étais
un peu … j’étais un peu … pas paniquée, mais j’ai recommencé parce que [inaudible]. (silence) Et là, je
me suis rendue compte – je crois que je l’ai même écouté 2 ou 3 fois … je me suis rendue compte que …
j’avais du mal (?).
I: Là, tu lis les questions, en fait, c’est ça - quand tu baisses ?
S3 : Oui, oui, c’est ça. Mais ça … défile en même temps.
I: Et t’as pas répondu, en fait, là pour l’instant ?
S3 : Non. Non. Non, non. Puis je crois que j’ai du répondre à la … 1 ou 2 questions … Je l’ai écouté deux fois
je crois … trois … enfin non, deux fois je crois, puis j’ai du répondre à … à 2 questions ou 3 questions sur
5 ou 6. Et après, j’ai mis à peu près ce qui semblait le plus … le plus … ce qui était possible, quoi […]
S3 : Oui, [inaudible] première question, je pense, que … où j’ai répondu. [inaudible : Mais j’hésitais (?) C’est
pas agréable.

Transcript 4 : Le sujet "laborieux"

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