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HISTOIRE DE L’EGLISE DU CONGO (RDC) DE 1491


A NOS JOURS
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0. INTRODUCTION

J’estime qu’il y a deux façons d’écrire et de lire l’histoire du christianisme en


Afrique. Il peut s’agir d’écrire et de lire l’histoire des missionnaires venus d’ailleurs,
notamment de l’Occident, et qui ont « apporté la Bonne Nouvelle » aux Infidèles
africains. C’est l’histoire du dehors. On peut aussi envisager l’histoire des natifs qui
ont reçu le christianisme et qui ont réagi de leur façon. C’est l’histoire du dedans.

0.1. Histoire du « dehors »

Celle-ci prend en compte les missionnaires (acteurs du dehors) comme un


groupe sociologique différent du groupe des acteurs locaux. Ils viennent d’ailleurs : ils
sont ethniquement et culturellement différents des autochtones qui les considèrent
comme étrangers et étranges. Leur façon de penser et de vivre ne se confond pas
avec celle des originaires. L’historien étudie leurs voyages, leurs implantations en
terres païennes, les rapports qu’ils ont entretenus avec les hiérarchies qui les ont
envoyés, leurs modes de vie dans ces lointaines terres de Mission, leur façon de
proclamer l’Evangile et d’implanter des œuvres et leurs réactions vis-à-vis des
« indigènes ». A examiner de près, les missionnaires n’ont pas les mêmes motivations
que les autochtones. Leur trajectoire historique est parallèle à celle des natifs. Elle est
facile à décrire à cause de l’abondance des sources écrites laissées par ces acteurs du
dehors.

0.2. Histoire du « dedans »

Cette histoire est celle les autochtones qui, malgré leurs diversités ethniques,
constituent, par rapport aux missionnaires, un groupe homogène, le groupe des
« païens » à convertir. Leurs motivations face au christianisme ne sont pas
nécessairement celles des missionnaires ; leur compréhension du christianisme et leur
conversion n’obéissent pas nécessairement aux vues des missionnaires. Ont-ils
compris l’énoncé chrétien avec ses dogmes et son juridisme romain ? Partiellement
peut-être ! Mais, de toute évidence, le christianisme était pour eux, l’une de ses
choses que les Blancs ont apportées. Certains « indigènes » n’ont-ils pas qualifié le
christianisme de « Dieu des Blancs ». La trajectoire historique des autochtones est
restée parallèle à celle des missionnaires. L’histoire de la réception de l’énoncé
chrétien par l’autochtone serait la plus féconde et la plus intéressante, mais son
écriture reste difficile par manque des témoignages écrits.

0.3. Histoire de l’évangélisation

Une histoire objective de l’évangélisation devrait prendre en compte les deux


dimensions évoquées ci-haut. La proclamation du message par les missionnaires et sa
réception par les autochtones ont été une confrontation des cultures. Cette
confrontation a appelé des négociations et ces dernières impliquent nécessairement
des lieux de rencontre.
Ces lieux de rencontre sont des lieux médians, des lieux de compromis qui peuvent
parfois devenir des lieux de compromission.
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L’histoire de l’évangélisation serait finalement celle qui prend en compte ces


compromis, ces compromissions et enfin ces malentendus producteurs du
christianisme africain tel que vécu aujourd’hui par nos contemporains et qui se veut
de visage africain.

0.4. Histoire et sources

L’histoire est la connaissance ou la science du passé. Elle se caractérise par une lecture
critique et raisonnée des témoignages ou des traces (sources) laissés par les hommes
du passé. L’historien qui vit au présent, reconstruit le passé en interprétant de façon
rationnelle les sources. Il essaie de s’approcher de la vérité et de l’objectivité en
produisant une synthèse chronologiquement ordonnée et thématiquement
cohérente.
Les traces laissées sont diverses et multiples. Les historiens les classent en deux grandes
catégories :

0.4.1. Sources verbales

Les sources verbales sont celles qui relèvent de la parole. Elles peuvent être écrites ou
orales.

1. Sources écrites

On les appelle, classiquement, documents écrits. Jusque très récemment, elles


étaient considérées comme la trace privilégiée, capable de fournir à l’historien
l’information la plus authentique et vérifiable. On distingue trois grandes catégories
de sources écrites :

a. Sources manuscrites
On appelle manuscrit, n'importe quel document contenant des caractères écrits
à la main à l'aide d'un pinceau, d'un stylo, d'un crayon ou d'un style ; un manuscrit se
distingue d'un document imprimé mécaniquement. Dans le vocabulaire de
l'imprimerie, le terme manuscrit désigne également l'original, ou la copie, d'un texte
destiné à la composition, qu'il soit écrit à la main ou dactylographié.
Les manuscrits sont couramment gardés dans les dépôts d’archives, d’où leur
nom de sources d’archive. Quand elles ne sont pas encore éditées, on les appelle
sources inédites. Les manuscrits se présentent sous forme d’original ou de copie.

b. Sources imprimées

Il s’agit des manuscrits imprimés mécaniquement ou édités après avoir subis une
critique (édition critique). Les revues qui publient intégralement les lettres de leurs
correspondants constituent des sources imprimées. Certains livres sont aussi des
sources imprimées.
On entend par livre tout volume constitué d'un grand nombre de feuilles de
papier reliées ensemble, contenant du texte, des illustrations ou des partitions
musicales.
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À l'opposé d'un monument marqué d'inscriptions, un livre peut être transporté.


Un livre constitue une unité indépendante, ce qui le différencie d'un périodique. Ce
terme s'applique par extension aux rouleaux contenant les premiers écrits. Dans le
domaine de l'édition, le mot livre se rapporte à toutes sortes d'œuvres, ou à des
divisions majeures dans une œuvre littéraire, comme les livres de la Bible. Les livres,
en tant qu'objets transportables et fabriqués pour durer, ont permis de préserver et
de répandre dans l'espace et dans le temps les connaissances et les témoignages qui y
sont consignés.
Le mot « incunable » désignant les œuvres imprimées avant 1500. Ce terme fut
définitivement adopté au XIXe siècle pour désigner la première production
typographique. Le mot vient du latin « incunabula » qui signifie « langes » ou
« berceau ». L'invention à la fin du XVe siècle de l'imprimerie utilisant les caractères
mobiles constitua une véritable révolution. Alors que les livres étaient auparavant
copiés un à un à la main, l'imprimerie permit leur multiplication de façon beaucoup
plus rapide et de manière identique. Parmi les inventeurs de l’imprimerie, une
personnalité émerge, celle de Johann Gensfleisch dit Gutenberg, du nom de la
maison familiale à l'enseigne de « La Bonne Montagne » (Zu Guten Bergen).
Gutenberg naquit à Mayence entre 1393 et 1399 ; son père, orfèvre, exerçait la
fonction de maître des monnaies de l'évêque. Il se familiarisa par conséquent très
jeune aux techniques du métal. À partir de 1434, son activité est attestée à Strasbourg
et il fait partie de la guilde des orfèvres. Il mit au point, vers 1440, le procédé
d'imprimerie à caractères mobiles. De retour à Mayence, en association avec Johann
Fust, il imprima et publia en 1455 la Bible dite « à quarante-deux lignes » en raison du
nombre de lignes par page. La nouvelle invention fit tache d'huile et les presses à
imprimer se multiplièrent dans les grandes villes.

c. Source bibliographique

Il s’agit ici des différents ouvrages de synthèse publiés par un auteur sous forme
de livre, d’article ou de compte-rendu. La bibliographie est la science qui recherche,
signale, décrit et classe les documents imprimés. Elle vise à constituer des répertoires
qui seront des instruments de travail intellectuel, permettant de s'orienter au mieux
dans « l'énorme bibliothèque accumulée par les écrivains de tous les peuples et de
tous les pays, c'est-à-dire le patrimoine littéraire de l'humanité » (Langlois). Le mot
désigne aussi le répertoire bibliographique lui-même.
Le mot latin bibliographia (du grec biblion, « livre » et graphein, « écrire ») est
utilisé pour la première fois dans le titre du répertoire des livres sur la politique fait
par Gabriel Naudé pour le cardinal Mazarin (1633). Mais le mot « bibliographe »
aura longtemps le sens de « paléographe » (celui qui connaît et sait déchiffrer les
anciens manuscrits) et le terme « bibliographie » désignera jusqu'à la fin du XIXe siècle
la science du livre et des bibliothèques. Bibliography a d'ailleurs encore ce sens très
large dans les pays anglo-saxons (la bibliographie, dans l'acception restreinte qu'a le
mot dans le français actuel, y est appelée systematic bibliography).
La bibliographie, entre la fin du XVIIIe siècle et le XXe siècle, a élaboré des
méthodes de recherche des documents et codifié leur identification et leur description
(description externe : le livre comme objet ; description interne : le livre comme
texte) ; elle a établi aussi des principes pour leur classement (quel que soit le mode
choisi : chronologique, alphabétique, systématique).
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Une typologie des répertoires s'est ainsi constituée : répertoires généraux


universels ou généraux internationaux (pas de distinction de sujet ni de langue),
répertoires généraux nationaux (même langue et même nation), répertoires
spécialisés (un seul sujet). Chacun de ces répertoires peut être par ailleurs exhaustif ou
sélectif (complet ou opérant un choix), signalétique (comprenant une description
externe des documents), analytique (comprenant une description interne des
documents), critique (intégrant un jugement), rétrospectif (sur une large période) ou
courant (ne signalant que les nouvelles parutions, souvent de façon régulière :
répertoires courants périodiques). Il existe enfin des bibliographies de bibliographies.
L'établissement de « listes d'œuvres » par les savants et les érudits est une
pratique très ancienne : le médecin Galien rédige un De libris propriis au IIe siècle.
Inventorier les écrits des auteurs de l'Église s'impose comme une nécessité, dès saint
Jérôme (IVe siècle) et pendant tout le Moyen Âge ; une compilation de ces listes
imprimée à Cologne en 1580 recueille environ neuf mille titres. Dès la naissance de
l'imprimerie se fait jour la volonté de répertorier les livres : bibliotheca, catalogus,
repertorium, inventorium, index, etc.
Les répertoires bibliographiques anciens se présentent souvent comme des
historiques des études concernant un domaine particulier ; ils sont donc l'équivalent
de ce qu'on appellerait aujourd'hui une bibliographie spécialisée rétrospective : la
Bibliographia politica déjà évoquée en fournit un exemple. On trouve également des
répertoires sous la forme de dictionnaires bio-bibliographiques : c'est le cas de la
Bibliothèque française de La Croix du Maine, parue en 1584, et de celle de
Du Verdier, parue l'année suivante ; ces deux bibliographies constituent les premières
bibliographies générales nationales pour la France.
La première tentative de bibliographie générale internationale, la Bibliotheca
universalis, publiée par Gesner à Zurich en 1545, décrit (avec son Appendix) quinze
mille ouvrages écrits en latin, en grec et en hébreu par trois mille auteurs différents.
En 1664, un jésuite français fait paraître la première bibliographie des bibliographies.
Les premières bibliographies générales internationales courantes apparaissent avec les
périodiques littéraires et savants au XVIIe siècle (par exemple, pour la France, le
Journal des scavans à partir de 1665).
L'érudition historique du XVIIe siècle (rôle du clergé régulier dans le
dépouillement des documents historiques et le répertoire des sources) trouve sa
synthèse au siècle suivant, qui est « le » siècle des dictionnaires (dictionnaires
historiques de Moreri dès 1674, de Bayle dès 1697). La nationalisation des biens
religieux sous la Révolution donne lieu à un vaste travail de catalogage. Au
XIXe siècle, la bibliophilie amène des amateurs curieux, des libraires ou des
bibliothécaires à constituer d'importants répertoires : le Manuel du libraire et de
l'amateur de livres de Brunet (1810-1860) est un répertoire européen, la France
littéraire de Quérard une bibliographie française portant sur la période allant de 1700
à 1827.
La bibliographie est aujourd'hui la tâche, organisée institutionnellement, de
spécialistes qui travaillent en équipe. Elle utilise l'informatique pour la création de
bases de données (début des années 1960) qui sont accessibles sur le mode
conversationnel (« on line » à partir des années 1970) ou publiées sur disques à
lecture optique (CD-ROM commercialisés depuis 1986). Peuvent tenir lieu
maintenant de bibliographies générales universelles les catalogues qui opèrent la
fusion de catalogues de différentes bibliothèques ou les catalogues des grandes
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bibliothèques encyclopédiques qui sont automatisées et mises « on line » (c'est-à-dire


qu'elles sont accessibles par la télématique) : citons à titre d'exemple la Library of
Congress de Washington en 1966, la British Library de Londres depuis 1975.
Le dépôt légal et l'informatique permettent la tenue à jour de bibliographies
générales nationales. D'autre part, des organismes privés (association d'éditeurs en
particulier) fournissent des répertoires commerciaux (Électre sur Minitel depuis 1986).

2. Sources orales

Elles concernent la transmission des informations de bouche à oreille. J. Vansina


parle, en ce qui concerne l’histoire, de la Tradition orale. Celle-ci se définit comme
une façon de préserver et de transmettre l’histoire, la loi et la littérature de
génération en génération dans les sociétés humaines qui n’ont pas de système
d’écriture ou qui, dans certaines circonstances choisissent ou sont contraintes de ne
pas l’utiliser.
Dans les régions où l’écriture est d’origine récente, la littérature orale garde
encore son importance. Elle englobe aussi bien les contes et les légendes populaires
que les récits épiques et les généalogies royales.
L’histoire de l’Europe, antérieure à la conquête romaine, n’a longtemps été
connue qu’à travers les seuls écrits de l’Antiquité gréco-romaine, puis à travers les
récits, rédigés en latin, des hommes d’église des pays concernés. Il en a été de même
pour l’Afrique dont les seules sources écrites ont été celles des chroniqueurs arabes du
Moyen Âge, qui tenaient leurs informations de voyageurs, puis des commerçants
européens. La population, qui n’avait pas accès à l’écrit en raison de l’absence
d’écriture, conservait la connaissance des siècles passés dans une littérature orale
abondante.
Dans la plupart des civilisations, les gardiens de la mémoire des États sans
écriture sont nombreux à la cour des souverains où ils jouent le rôle de
bibliothèques, chargées, en premier lieu, de conserver les généalogies royales, sources
de la légitimité. Au service du pouvoir, ils sont, comme les textes, soumis à la
censure, et servent ceux dont ils étaient chargés de chanter les louanges ou de
présenter un arbre généalogique favorable. De même, les grands récits fondateurs sur
lesquels s’appuient les prêtres pour assurer la cohésion du peuple et donner des
fondements aux rites doivent répondre à une stricte orthodoxie. La christianisation
en Europe et l’islamisation en Afrique se substituent aux grands personnages
mythiques et aux génies bienfaiteurs de la nature (sources, rochers) à travers le culte
des saints et leurs spécialisations (maladie, récolte, fécondité, etc.).
En Afrique, particulièrement en Afrique subsaharienne, la tradition orale
gouverne la vie quotidienne des populations rurales jusqu’à la multiplication des
postes de radio dans les années cinquante, l’écriture étant réservée aux lettrés en
milieu islamisé (depuis le XIe siècle environ) et à une petite élite de cadres
administratifs sous la colonisation depuis le début du siècle. La connaissance des
traditions et leur diffusion sont réservées aux griots, une caste dotée d’un statut à
part, le terme recouvrant aussi bien le généalogiste royal que le conteur traditionnel.
Les missions de Marcel Griaule, entreprises à la veille de la Seconde Guerre mondiale
et portant notamment sur les mythes dogon et bambara, donnent lieu au célèbre
Dieu d’eau (1948), une transcription de la cosmologie dogon. Les recueils de
traditions orales, aidés par l’existence du magnétophone, se multiplient. Mais, en
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raison du développement économique qui ouvre les régions isolées au monde


extérieur (migrations temporaires, exode rural, essor de la radio), les récits du passé
se trouvent soumis à des altérations de plus en plus importantes. Ainsi, des récits
traditionnels adaptés pour la radio avec les additifs nécessaires à leur dramatisation,
ou des théories historiques nouvelles, se trouvent intégrés dans les récits oraux
comme issus de la parole des ancêtres. C’est pourquoi Amadou Hampâté Bâ, formé à
la pensée scientifique et humaniste de Théodore Monod — qui lui a ouvert les portes
de l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN), à Dakar — a lancé son célèbre
appel de l’Unesco : « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui
brûle ! »
L’ouvrage de J. Vansina, De la tradition orale, essai de méthode historique, est
considéré comme un modèle classique en matière de tradition orale. Il se présente
comme une analyse critique de la valeur historique des traditions orales. La tradition
orale ne peut être bien interprétée que située dans son contexte anthropologique et
linguistique. Le plus souvent, l’archéologie vient à la rescousse de la tradition orale et
des hypothèses linguistiques.

0.4.2. Les sources non verbales

Les sources non verbales sont de deux ordres : les sources matérielles et les
sources immatérielles.

1. Les sources matérielles

Elles sont visibles et palpables. Il s’agit des monuments, des œuvres d’art
mineurs et majeurs, des outils laissés par les hommes du passé, de reste de nourriture,
des traces de sépultures, des photos, etc. Ces sources constituent souvent des preuves
irréfutables puisque leur falsification est souvent difficile à opérer et plus facile à
remarquer.
2. Les sources immatérielles
Elles ne sont ni visibles ni palpables : elles relèvent de l’Esprit, on ne les voit
pas. Les données de l’anthropologie et de la linguistique sont des sources
immatérielles par excellences. Les travaux de J. Vansina, de J.M. de Decker (Les Clans
Ambun) et d’Isidore Ndaywel (sur l’histoire clanique et ethnique, sur l’institution
polyandrique, etc.) ouvrent des perspectives méthodologiques sur l’utilisation des
sources immatérielles.

0.5. Question de chronologie

1ère et 2ème Evangélisation : Terminologie essentiellement employée en R.D.C. datant


des années 1979-1980. L’épiscopat du Congo voulant
célébrer le centenaire de l’Eglise du Congo a divisé
l’histoire de l’évangélisation en 2 parties :

1ère Evangélisation (1491-1835) liée à l’ancien Royaume du Kongo :


1491 : Baptême du 1er Roi du Kongo Muzinga a Nkuwu (Joã Ier – qui renia son
baptême par rapport aux exigences de la tradition ancestrale).
1835 : Correspond au départ du dernier capucin italien.
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Œuvre des portugais romain en vertu du droit de patronage.

2ème Evangélisation : (1880 – à nos jours) : 1880-1980 centenaire.


Œuvre des missionnaires belges sous la haute protection de Léopold II
(concomitamment avec la colonisation et nous porte jusqu’aujourd’hui et
a créé la hiérarchie au Congo).
Que dire de cette division bipartite ?
1880 : fondation de la mission de Boma Ouest spiritains et fondation de la
mission Mulueba Est par les Pères blancs de Mgr Lavigerie.

1835 : Fin de tous les chrétiens ?


Les limites chronologiques ne sont que des repères ; elles n’arrêtent pas la
marche de l’histoire.
45 ans : - l’histoire a continué
- production d’une sorte de mutation du catholicisme (vivre la
vie chrétienne sans prêtres). Mélange du culte chrétien avec la
tradition (Nkadi).
D’où, il faut intégrer cette partie dans l’histoire de l’Evangélisation du Congo.

CHAPITRE PREMIER : EMPIRE PORTUGAIS DU COMMERCE ET DES


MISSIONS

Entre le christianisme ancien et celui moderne, on peut considérer un autre


mouvement chrétien qui a été à l’origine de la foi dans les terres au Sud du Sahara :
c’est le christianisme apporté sous le patronage du Portugal. On considère ici le
christianisme comme une retombée de l’empire commercial du Portugal, bâti au
cours de la période dite des grandes découvertes lorsque Christophe COLOMB
découvrit l’Amérique en 1490 et Vasco de Gama, la route maritime vers l’Inde 1498.
Le Portugal joua un rôle décisif pendant cette période en établissant des
communications entre les quatre continents (Europe, Amérique, Afrique, Asie), ainsi
qu’en plantant la foi chrétienne dans tous les lieux visités par ses navires.
En effet, à partir de la deuxième moitié du XVe siècle, les Portugais, sous
l'impulsion d'Henri le Navigateur, entreprennent la reconnaissance systématique des
côtes occidentales de l'Afrique, dans le but d'établir des comptoirs commerciaux et
d'atteindre les Indes. Cette volonté économique et politique est accompagnée par
des progrès techniques favorisant l'art de la navigation : l'astrolabe se perfectionne,
des tables de déclinaisons établies par des mathématiciens rendent plus juste la
détermination de la latitude et les cartes marines se font plus précises. Un nouveau
bateau, la caravelle, muni d'un gouvernail à étambot, permet de s'aventurer au large.
Grâce à ces innovations, le navigateur portugais Bartholomé Dias double le cap de
Bonne-Espérance en 1488, puis Vasco de Gama atteint Calicut en 1498. Les Arabes
sont de ce fait durablement concurrencés sur leur propre terrain : le commerce des
épices. La route reste cependant longue, et l'idée d'atteindre directement les Indes en
passant par l'ouest fait son chemin, favorisée par les insuffisances et approximations
des relevés cartographiques, qui minimisent l’importance des distances qu’il y a lieu
de réellement parcourir. Un Génois, Christophe Colomb, persuadé qu’« entre la fin
de l’Orient et la fin de l’Occident, il n’y a qu’une petite mer » décide de tenter
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l’aventure. Il y parvient, grâce au soutien de Ferdinand et d’Isabelle d’Espagne, et, en


1492, à la tête de trois caravelles, il aborde ce qu’il croit être la Chine — en fait, les
îles des Antilles. Puis, poursuivant ses recherches, il effectue trois autres voyages
(1493, 1498, 1502). C’est ainsi que, en 1498, il découvre — sans le savoir —
l’Amérique du Sud. Mais la carte qu’il établit permettra à ses contemporains
d’explorer ce nouveau continent, appelé Amérique en 1507, d'après le prénom du
navigateur Amerigo Vespucci.

I.1. LES MOTIVATIONS DES EXPEDITIONS D’HENRI LE NAVIGATEUR

I.1.1. La légende du prêtre Jean


En Occident, on ne connaissait de l’Afrique que son rivage septentrional, le Sahara
et la ceinture du Soudan (appelée Ethiopie). L’Ethiopie actuelle (appelée l’Abyssinie)
était dénommée Inde centrale ; l’actuel Pakistan était baptisé Inde proche et la
majeure partie de l’Inde moderne était connue comme l’Inde extrême. Cette
représentation est la reprise de la cartographie de l’Alexandrin PTOLEMEE, qui a
élaboré une première mappemonde en 150 après Jésus Christ.
C’est de cette représentation confuse de la géographie que naîtra la légende du
« Prêtre Jean ». On rapportait que le « Prêtre Jean » vivait aux Indes et qu’il aurait
lancé un appel à partir de l’Ethiopie pour qu’on aille à son secours et former une
coalition pour combattre les musulmans. La légende parlait d’un puissant Souverain
chrétien qui était à la fois prêtre et roi et gouvernait un grand empire quelque part
dans les Indes. Et ce prêtre et roi avait pour nom Jean.
Dans un faux document publié à 1165, ce prêtre Jean se présente lui-même à
l’Empereur de Byzance comme régnant sur 72 rois et 33 Evêques et qu’il dominait les
3 Indes (Ethiopie, le Pakistan et l’Inde actuelle). Il dit dans cette lettre que son palais
a été bâti selon un plan dû à l’apôtre Saint Thomas et que ce palais contenait un
miroir lui permettant de surveiller toutes les parties de son empire, rempli des
peuples et d’animaux étranges ; qu’il était à la tête d’une formidable armée avec
l’ambition de marcher sur Jérusalem pour détruire les infidèles. Cette fausse lettre
circulait partout et même à Rome.
En Europe, on avait cru à cette légende, mais on estimait que ce prêtre et roi était
un peu vantard. Le Pape Alexandre II lui répond en 1177 en lui promettant le soutien
avec comme remarque que se vanter n’était pas une vertu chrétienne.
1. Origine de la légende
-Le nom Jean : est une confusion avec Gian. GIAN est le titre que le roi éthiopien
portait parfois. Le roi, étant reconnu chef de l’Eglise, confusion qu’il soit aussi prêtre
(conclusion découlant de cette logique : en Europe on ne peut pas être chef de
l’Eglise sans être prêtre).
-La localisation de ce prêtre Jean aux trois Indes pose le problème de l’emplacement
et de l’accès à ce lieu.
➢ En Europe, des grandes personnes, comme Marco Polo et les Franciscains
(célèbres voyageurs) vont assimiler Jean à Khan, prince turc vivant en Asie
centrale. D’où l’organisation des expéditions pour le chercher.
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➢ Plus tard, par la présence des moines éthiopiens à Jérusalem, on découvre que
ce royaume du prêtre Jean était l’Ethiopie.
➢ Aux 14e et 15e siècles, avec la restauration en Ethiopie des empereurs
salomoniens, ceux-ci feront appel aux chrétiens d’Europe pour défendre les
chrétiens en Egypte et en Palestine contre les musulmans. Ils considéraient que
leurs moines en Egypte et à Jérusalem étaient l’avant-garde pour entrer en
guerre contre les infidèles (musulmans) et pour rester en contact avec la
chrétienté de l’Occident.
Par deux fois, les Empereurs éthiopiens enverront des expéditions militaires en
Egypte :
- Une 1ère fois pour libérer le patriarche d’Alexandrie emprisonné par les
musulmans.
- Une seconde fois pour libérer Jérusalem.
Deux tentatives qui se sont soldées par des négociations avec des musulmans
(nombreux et forts). D’où, pour vaincre les musulmans, il fallait une entente avec les
rois de l’Europe.
➢ En 1306, on entend parler d’une ambassade du prêtre Jean, empereur
d’Ethiopie qui arrive à Rome pour proposer au Pape et au roi d’Espagne une
aide militaire contre les infidèles.
➢ En 1402, à la requête de l’Empereur DAWIT (éthiopien) ANTONIO BARTOLLI
(de Florence) arrive en Italie comme ambassadeur d’Ethiopie et en repart de
chez le Pape avec des ouvriers qualifiés et des fournitures d’Eglise.
➢ En 1427, l’ambassade de l’Empereur YISHAQ (Isaac) forte de sept hommes
atteint l’Europe sain et sauf. A leur retour pour l’Ethiopie, ils furent identifiés en
Egypte ; emprisonnés et leur chef (originaire de Perse) fut pendu parce que les
Mamelouk (Musulmans) refusaient tout contact de Ethiopie avec l’Europe.
2. Conséquences de la légende
Cette légende mobilise l’Occident à rechercher les voies et moyens pour venir
en aide au fameux prêtre Jean. A partir de là, le mouvement de découvertes
géographiques pouvait trouver sa justification religieuse. En réalité ce mouvement de
grandes découvertes trouve son origine dans la recherche d’une nouvelle route
pouvant permettre aux Européens d’avoir accès aux épices et à la soie des Indes sans
passer par le Moyen-Orient alors contrôlé par les musulmans.

I.1.2. Continuer les croisades

Pour le prince, son entreprise faisait partie des croisades, cette guerre séculaire (de
1063-1492) que l’occident chrétien livrait contre les musulmans. A cette époque,
Constantinople était assiégé par les Turcs et l’Empereur de Constantinople était venu
en Italie solliciter de l’aide.
Comme condition préalable à une action militaire commune, on restaura l’union des
Eglises d’Orient et d’Occident au concile de Florence (1439).
Le pape désirait aussi inviter le prêtre Jean, Empereur d’Ethiopie à se joindre à
l’union des Eglises et à la croisade. C’est ainsi qu’en 1438, le pape écrit au prêtre
Jean. Finalement, l’abbé du Monastère éthiopien de Jérusalem donna l’ordre à une
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délégation des moines de se rendre à Florence et il promit d’envoyer ses propres


délégués au Négus au nom du Pape (début 1441).
Cette arrivée des moines éthiopiens fut pour Dom Henri le signal qu’il fallait partir à
la recherche du prêtre Jean pour en faire un allié dans sa croisade maritime pendant
que les principes européens décidaient d’entreprendre une croisade dans les Balkans
qui étaient déjà à moitié tombés entre les mains des Turcs.

I.1.3. Achever la « reconquista »

Pour le Portugal et l’Espagne, l’entreprise d’Henri le Navigateur avait


des motivations supplémentaires ; c’était la ‘‘reconquista’’ c’est-à-dire la reconquête
de leur propre pays qu’ils voulaient arracher aux mains de ceux qui les avaient
longtemps dominés, les Maures. C’était la dernière phase de cette guerre de
libération.

A cette époque, les Maures (les musulmans) règnent encore au Sud de l’Espagne et
repoussent tous les attaques visant à les faire déguerpir.
C’est ainsi que le Principe Henri (Espagne) décide de faire la guerre au pays de
Maures (Mauritanie). Il organise l’expédition à Ceuta (territoire Espagnol en Afrique
en face de Gibraltar) en 1415 à partir de là, il conçoit un plan pour prendre les
musulmans (Maures) par le revers en contournant l’Afrique ; cela permettrait aussi de
faire la jonction avec le Prêtre Jean. C’est pourquoi Henri le Navigateur va
développer la marine ; mais n’avait jamais lui-même voyagé.

I.1.4. Rechercher l’or, le poivre et la soie


La route de la méditerranée qui donnait accès aux épices des Indes et à la soie de
la Chine étant bloquée par les Turcs et les musulmans arabes, il fallait trouver
d’autres voies pour emmener en Europe ces denrées très prisées à l’époque. Les
expéditions d’Henri le Navigateur seront donc, dès le départ, à vocation
commerciale. Ce commerce se met en place progressivement sur les côtes africaines
et débauche sur la constitution d’un vaste empire commercial englobant les côtes
asiatiques et plus tard l’Amérique.
A Ceuta, le Prince Henri fut informé qu’il existait un commerce transsaharien de
l’or. Et en contournant l’Afrique grâce à ses navires, il espérait trouver les sources de
ce précieux métal.
En 1441, une expédition du Prince dépasse le cap Bojadore et atteint le cap Blanc
(Mauritanie). C’est là où les Portugais eurent leur premier contact avec les Africains
noirs. On leur offrit des esclaves que les marins acquirent en échange des
marchandises européennes. En vue de détourner le commerce transsaharien (entre le
Sud et Nord Sahara) de l’or, ils établirent un poste commercial sur l’île proche
d’Arguin. Mais, les Maures ne livraient jamais de l’or, mais des esclaves (début de la
traite des noirs).
Le roi João II (1481-1495) qui poursuivit avec détermination la quête du prêtre
Jean, espérait dépouiller les Arabes du commerce des épices qui prenait sa source en
Inde et atteignait l’Europe par l’Egypte ou par la route de la soie (ou des épices).
Le commerce est donc à l’origine de la « conquista », c’est-à-dire la conquête des
nouvelles terres précédemment inconnues de l’Europe.
12

I.1.5. Entreprendre la conversion des âmes


Un chroniquer écrit que le Prince Henri était poussé par son désir de faire croître
la foi à notre Seigneur Jésus-Christ et de lui apporter toutes les âmes qui devaient être
sauvées. Les expéditions étaient liées aux missions. C’est dans ce sens qu’Henri le
Navigateur est considéré comme initiateur de l’Evangélisation du Sud du Sahara.
Le désir d’évangéliser fut fort chez les rois João II et Manuel I ; plus faible chez leurs
successeurs et souvent inexistant dans le cœur des hommes qu’ils envoyaient en
Afrique.

I.2. LE PRINCE ET LE PAPE

L’approbation papale à l’entreprise d’Henri le Navigateur joua un rôle décisif, car


elle servit par la suite de couverture religieuse à toutes les activités portugaises outre-
mer. L’argumentation papale procédait aussi de l’esprit de croisade de l’Eglise
militante qui considérait qu’il était juste de recourir aux armes pour rétablir le
royaume de Dieu sur terre.
Ainsi, à la nouvelle de la prise de Ceuta, le Pape Martin V pressa le roi et les
Evêques du Portugal de poursuivre la croisade africaine afin de propager la foi et il
accorda des indulgences aux croisés.
Le Prince Henri fut admis plus tard dans la branche portugaise « des chevaliers
templiers ». Cette institution existait au Portugal sous le nom de « Ordre du Christ » ;
cette institution jouissait d’une fortune et d’un prestige considérables.
Henri devint grand maître et l’ordre fournit des chevaliers et un appui financier pour
ses expéditions.
En 1452, le Pape NICOLAS V accorde au roi du Portugal l’autorisation de
conquérir les territoires musulmans et païens en Afrique et de « réduire en perpétuelle
servitude les musulmans, les païens et les autres ennemis du Christ ».
Cette autorisation se fondait sur la raison que le roi entreprenait ces expéditions en
vue d’augmenter la gloire du Roi des rois (le Christ) et qu’il avait l’intention
d’emmener ces ennemis de la foi chrétienne à accepter le christianisme.
Cette permission fut explicitement contenue dans la bulle « Romanus Pontifex »
(1455) qui attribuait solennellement au Portugal le droit à toutes les futures
conquêtes au Sud du Cap Bojador aussi loin que les Indes.
Ce monopole a eu son parallèle dans le domaine religieux avec la Bulle « Inter
Caetera » (1456) qui accordait, pour toujours à l’ordre du Christ une juridiction
ecclésiastique (droits épiscopaux) sur tous ces territoires. La juridiction serait exercée
par le Grand prieur du monastère de Thomar (supérieur religieux de l’ordre).
Cependant, après la mort du Prince Henri, le Pape accepta de confier au roi du
Portugal, l’administration de l’ordre du Christ si bien que, de fait, la juridiction
ecclésiastique revint aussi entre les mains du roi.
13

I.3. FONDEMENT JURIDIQUE DE L’EMPIRE DU COMMERCE ET DE


MISSION

Les conquêtes d’Henri le Navigateur confirmées par l’autorité papale, devaient


bientôt atteindre la dimension d’un empire maritime mondiale. C’est la conquista.
L’entreprise était maintenant parrainée et conduite par les rois eux-mêmes,
spécialement AFONSO V (1438-1481), João II (1481-1495), MANUEL I (1495-1521).
La motivation de participer à la croisade était désormais remplacée par celle du
commerce et de la mission. En vertu de la juridiction ecclésiastique exercée par le roi,
les deux activités étaient intimement liées. Cette union étroite entre le royaume, le
commerce et la mission caractérise l’œuvre d’évangélisation durant ces siècles.
La formation définitive de l’empire fut précipitée par la découverte inattendue de
l’Amérique par Christoph COLOMB pour le compte de la couronne espagnole.
Lorsque COLOMB annonça qu’il avait découvert la côte occidentale des Indes
(Amérique), le Portugal déclara, en appuyant ses revendications sur les bulles papales
de 1455 et 1456, qu’il jouissait d’une autorité civile et ecclésiastique sur ces pays
puisque ceux-ci faisaient partie des Indes.
L’Espagne fit appel à l’arbitrage papal qui aboutit à trois nouvelles bulles émises
par Alexandre VI en Mai 1493.
- La première accordait à l’Espagne l’autorité sur les territoires de l’Ouest (les Indes
occidentales).
- La seconde traçait une ligne de démarcation dans l’Atlantique entre les Indes
occidentales et les Indes orientales.
- La troisième donnait à Espagne les mêmes droits et privilèges qu’au Portugal à
savoir la juridiction ecclésiastique sur les territoires conquis.
A cette division qui partageait pratiquement le monde extra-européen entre
l’Espagne et le Portugal, était couplée une injonction pressante à évangéliser ces pays.
C’est dans cette voie que le Patronage royal (en portugais, padrõado) sur l’Eglise et
la mission se développa dans les territoires d’outre-mer de l’Espagne et du Portugal.
Que signifie en pratique ce padrõado? Le roi se voyait confié la fondation et la
dotation des sièges épiscopaux, des aumôneries et des couvents. Les missionnaires
bénéficiaient de la gratuité des transports et les prêtres séculiers recevaient un salaire.
En retour, le roi avait le droit de présenter les candidats à l’épiscopat, de nommer
des vicaires et des aumôniers et de lever la dîme. Sans passeport royal aucun
missionnaire ne pouvait se rendre dans les territoires soumis pour y séjourner. Ce
patronage créa chez les pionniers portugais la conviction d’avoir reçu une mission
divine. Conviction qui inspira leur politique coloniale en Afrique jusqu’en 1974 (la
révolution des œillets au Portugal). Ils refusaient obstinément les missionnaires des
autres pays considérés comme une menace potentielle à leur empire.

I.4. LES PORTUGAIS AU ROYAUME KONGO

I.4.1. Le royaume kongo

L’espace de la côte atlantique était dominé, vers la fin du 14e siècle, par trois
centres d’innovation politique, au nord et aux alentours du bas fleuve, ainsi qu’en
amont, davantage dans l’arrière-pays.
14

Ces structures primaires se transformèrent en royaumes : Loango, Kongo et Teke,


tous trois nés à la même époque de la fusion de petites principautés préexistantes.
Bien que se conformant aux mêmes principes d’organisation, ils présentaient aussi des
différences, notamment concernant la fonction royale. Le Kongo, quant à lui,
bénéficiait d’une plus grande centralisation, sans doute parce que le royaume
disposait d’une monnaie nationale, le coquillage, perçu comme propriété du roi. Son
nom allait désigner l’ensemble du pays.

1. Naissance

Vers 1400, une poignée de principautés se partageaient la région. Son évolution


politique eut pour base la succession des épisodes de regroupement ou de
morcellement des espaces politiques disponibles. L’histoire de la royauté se confond
avec celle de la cour kongo.
D’après les traditions historiques, l’ancêtre fondateur, Nimy Lukeni, était un
prince « cadet » et non « aîné » pour prétendre à l’héritage.
Provenant d’une seigneurie au nord du fleuve, il vint s’installer avec ses compagnons
sur les terres méridionales et, par des jeux d’alliances, les nouveaux venus arrivèrent à
se faire admettre et à dominer les autochtones. S’il était craint et respecté, c’est parce
qu’il maîtrisait l’art de la forge, peu connu jusque-là, et qu’il fabriquait des armes plus
perfectionnées, une activité qui, par sa rareté, était aristocratique et royale. Voilà
pourquoi on le qualifia de seigneur de la forge ou roi forgeron. À partir de la
conquête matrimoniale originelle, grâce à l’alliance avec un clan, il parvint à
adjoindre à son pouvoir « de fait » un caractère sacré et légal. Ses successeurs
entreprirent de regrouper progressivement le territoire. Ils réussirent à faire de
quelques seigneuries du voisinage, les « provinces » du nouveau royaume dont
l’influence, à son apogée, atteignit des régions plus lointaines.

2. Organisation

Le royaume se voulait centralisé, puisque le roi nommait les gouverneurs


territoriaux. L’idéologie de la royauté était liée à trois cultes différents : les ancêtres,
les esprits territoriaux et les charmes royaux. Les maladies et infortunes étaient
attribuées au sorcier, que les devins pouvaient identifier, parfois à l’aide d’ordalies.
La royauté était sacrée : le roi assurait la protection du royaume et garantissait sa
fécondité par le contrôle de la pluie. Maître incontesté de son État, il représentait sa
force et sa vitalité, rendait justice en dernière instance, nommait et destituait les
fonctionnaires.
Voilà pourquoi, en plus des familles historiquement princières, la noblesse était
constituée des dignitaires nommés par le roi. Celui-ci disposait, pour la gestion du
royaume, de plusieurs conseils : l’assemblée élective, la caste dirigeante (nobles
exerçant des fonctions particulières), le corps administratif (chefs de provinces et de
villages) et la garde royale (chargée de la mise en œuvre des décisions royales et de
la perception de tributs).
15

I.4.2. Diogo Cão et le padrão

En 1482, les caravelles de sa Majesté le roi du Portugal sillonnèrent les eaux de


l’embouchure du Congo, offrant ainsi aux autochtones l’opportunité de rencontrer
pour la première fois des hommes blancs venant d’Europe. Un monument officiel y
fut planté, le padrão, qui sanctionnait toute nouvelle découverte géographique
portugaise depuis l’initiation de cette politique par le roi Henri le Navigateur, avec
cette inscription : En l’année de la naissance de Notre-Seigneur 1482, le très haut, très
excellent et puissant prince le roi Dom João le second de Portugal fit découvrir cette
terre et ériger cette colonne par Diogo Cão son écuyer.
Ce « fleuve puissant », ainsi le qualifièrent les nouveaux venus, n’était pas sans
dénomination dans le pays. On le qualifiait parfois d’ « eau profonde », mais son
appellation la plus courante était simplement, « le fleuve » (nzadi), à cause de son
caractère unique, terme qui sera retranscrit en portugais Zaire. L’événement fit date :
par cette rencontre, le domaine du Kongo et, partant, toute l’Afrique centrale
occidentale, ne purent plus désormais être ignorés.
Diogo Cão laissa quelques membres de l’équipage aller à la rencontre du roi du
Kongo et poursuivit son voyage, avant de rebrousser chemin. À l’embouchure du
Congo, il s’empara de quelques otages qu’il amena à Lisbonne, comme à
l’accoutumée, en guise de témoignage de la nouvelle découverte.
Lors de sa deuxième expédition, il les ramena au Kongo. Le roi, Muzinga a
Nkuwu, fut impressionné par les récits de ses sujets revenus du lointain pays des
« Blancs » qui lui vantèrent, sans aucun doute, les merveilles de l’Europe, à cette
époque, à l’ère de la Renaissance. Dans le but d’accéder à ce charme étranger,
capable de produire tant de réalisations extraordinaires, le roi s’empressa de solliciter
le baptême et de réclamer l’assistance de techniciens, surtout ceux du bâtiment :
menuisiers, charpentiers et maçons.

CHAPITRE DEUXIEME : L’EVANGELISATION DU ROYAUME KONGO

L’histoire connue du royaume fut liée à sa connexion avec la « découverte » de


l’Afrique par l’Europe. C’est elle qui rendit possible la consignation par écrit des récits
historiques recueilli, lors de ces premiers contacts, sur la fondation du royaume et
l’évolution qui s’ensuivit. Elle se conte en trois étapes. La première, qui va de 1483 à
1543, évoque les rapports initiaux avec la lointaine Europe et se caractérise par
l’adaptation du royaume aux sollicitations nouvelles provenant de la côte. En résulta
une longue crise, attisée par le développement de la traite, qui aboutit à la deuxième
phase : la balkanisation du royaume en 1667. La troisième retrace la consécration de
la crise, marquée par l’histoire des vaines tentatives de réunification ; le royaume fut
voué à se transformer en un vaste espace culturel uni par le partage de la mémoire
du passé.
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II.1. LA PREMIERE PHASE DE CHRISTIANISATION (15e et 16e siècle)

Cette phase de christianisation était le fait des missionnaires portugais qui


situaient leur action dans le cadre de la lutte contre l’Islam (mythe du prêtre Jean).

II.1.1. Baptême du roi et de sa famille

Lors d’une troisième expédition les franciscains débarquent, le 29 Mars 1491, à


Mpinda. Le premier qui fut baptisé est le Mani Soyo, le 03 Avril (Pâques). Il prend le
nom Dom Manuel (Ndo Manwela).
Le roi lui-même est baptisé le 03 mai sous le nom de Don João (Ndo Nzao). Ce
nom est celui du roi de Portugal qu’il considère comme étant son frère. Sa femme
Muzinga a Nlenza est baptisée le 05 Juin et prend comme nom Dona Eleanor à
l’instar de la reine du Portugal. Le fils aîné du roi, Mubemba a Muzinga est baptisé et
prend le nom de Don Afonso 1er (Ndo Funsu) au même moment que sa mère. Ce
nom est celui du prince héritier du Portugal qui, à époque, était déjà mort. Don
Afonso 1er attribue sa conversion à une grâce divine spéciale.
Quant à Muzinga a Nkuwu, sa conversion ne fut que de façade. Les exigences de
la nouvelle foi, notamment l’abandon de la polygamie, le rejet des fétiches, des
amulettes et du rituel ancestral lié à la fonction royale ne lui permettait pas de
demeurer chrétien. D’ailleurs, il commençait à subir les attaques d’une bonne partie
de l’aristocratie restée fidèle à la tradition ancestrale. Le roi ne résistera pas à toutes
ces pressions et finira par renier son baptême et retourner à ces « idoles ». La reine et
son fils aîné, Don Afonso, restent chrétiens. Tandis que le cadet, MPANZU a
MUZINGA, suit son père et prend la tête des partisans de la tradition ancestrale.
La tension monta si rapidement qu’elle sépara les autorités du pays en deux
camps opposés. C’est dans cette atmosphère que survint la mort du roi.

II.1.2. Une succession difficile

Muzinga a Nkuwu meurt en 1504. MPANZU qui est demeuré païen et qui
résidait à Mbanza Kongo se prépare à prendre le pouvoir selon le désir de son père.
Entretemps NDO FUNSU, gouverneur de la province de Nsundi, soutenu par sa
mère et les Portugais, se présente à la porte de la capitale avec ses partisans armés et
exige le pouvoir. Une bataille est alors engagée entre les partisans de deux camps.
NDO FUNSU gagne ; victoire due au concourt des Portugais. Lui-même présente
cette victoire comme due à l’intervention de Saint Jacques qui serait descendu avec
une escorte des anges.
NDO FUNSU arrive donc au pouvoir en 1504. Avec lui, le royaume va être vraiment
christianisé.

II.1.3. Le règne de Ndofunsu

Dès son avènement en 1506, Ndofunsu misa sur la modernisation du royaume.


Son long règne fut marqué par deux situations contradictoires : la montée de la
christianisation et le développement de la traite. Il mit beaucoup de zèle à la
christianisation, comme passage obligé vers la modernité, au point d’utiliser la
manière forte et de faire brûler les fétiches. Il réclama des prêtres, des instituteurs, des
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maçons et des charpentiers et les prit en charge. Des fils du pays furent envoyés au
Portugal pour y étudier, notamment son propre fils, Ndodiki (Dom Henrique), celui-
là même qui devint, en 1521, le premier évêque noir des temps modernes. Ce denier
entama sa formation religieuse au Portugal, dont le roi entreprit des démarches pour
qu’il fût nommé évêque. Le pape Léon X accorda les dispenses nécessaires : l’âge (il
n’avait que 23 ans), l’irrégularité canonique de naissance (comme fils de « roi
adultère ou de mère non régulièrement mariée ») et le fait d’être éthiopien, africain
ou indien, en tant que premier Noir à accéder à cette dignité ecclésiastique. Le grand
chapelain de la cour du roi du Portugal l’ordonna prêtre, puis le sacra évêque au
début de l’année suivante, avant son retour au Kongo où il vécut encore une dizaine
d’années.
Malgré ces symboles importants, la prétention à la modernisation du royaume
Kongo n’alla pas loin, ses partenaires portugais ayant d’autres priorités. L’impératif
du commerce, leur première motivation, bascula de plus en plus vers la traite des
esclaves, hautement rentable. En effet, la mise en valeur de l’Amérique et des
Caraïbes, à partir du début du 16e siècle nécessitant une main-d’œuvre de plus en plus
abondante. L’accroissement de cette demande exigea la maximisation de l’offre.
Les Portugais inventèrent de nouvelles stratégies d’acquisition d’esclaves, allant
de la capture pure et simple des passants à l’incitation à des guerres internes
continuelles pour que les vainqueurs puissent disposer des vaincus à vendre.
Ndofunsu s’opposa farouchement à ce commerce et exigea de son homologue
portugais la même attitude de fermeté, sans savoir que ce dernier était lui-même le
maître des colonies à rentabiliser dans les Amériques. La traite ruine la prometteuse
expérience de christianisation du Kongo. Les techniciens (ouvriers) venus d’Europe
refusent de travailler pour Ndo Funsu et son pays ; certains, et même les
missionnaires portugais, se livrent au commerce des esclaves. Les Portugais du Kongo
n’obéissent plus au « frère africain » du roi du Portugal !
Le roi NDO FUNSU, mécontent, écrit au roi du Portugal lui demandant
d’envoyer une ambassade s’occuper des portugais insoumis et délinquants. Lisbonne
dépêche Simão da Silva qui vient avec un recueil d’instruction (Regimento) émanant
de la couronne du Portugal. Ce « regimento » est tout un programme d’acculturation
du royaume et de prospection pour chercher l’or … (discipliner le roi lui-même).Da
Silva trouve la mort (dès son arrivée) avant son arrivée à Mbanza Kongo.
Vers la fin du règne de Ndo Funsu, quelque progrès furent réalisés dans la
christianisation et l’organisation de l’Eglise du Kongo.
En 1514, Kongo fut attaché à l’Evêché de Madère. En 1534, il est attaché à l’Evêché
de Sao Tomé.
Ce règne est avant tout caractérisé par l’objectif de moderniser et de
christianiser le royaume sur le modèle du Portugal. Le roi réclame les maçons, les
menuisiers ; les enfants sont envoyés au Portugal pour être éduquer. Les écoles sont
ouvertes sur place. Lisbonne (Portugal) envoie des missionnaires et des techniciens.
Dans la capitale, une Eglise est érigée sous le nom de Notre Sauveur. L’Eglise
remplace « la case des idoles » (Nzo-Nkisi). La capitale devient Sâo Salvador
(Saint Sauveur) à la place de Mbanza Kongo.
Pour avoir ouvert largement le royaume aux étrangers au compte de la
modernisation, ce grand roi du Kongo favorisa, sans l’avoir voulu, l’expansion de ce
commerce et la désintégration des structures traditionnelles. À sa mort en 1543, le
Kongo entra dans une crise de type nouveau qui évolua en s’accentuant.
18

II.1.4. Longue période d’instabilité politique et de crise religieuse

Une longue période d’instabilité politique s’étala sur près d’un siècle, marquée
par une succession de règnes, environ dix-sept au total.
A la mort d’Afonso, les portugais parviennent à faire introniser Pedro I (Ndo
Petelo), mais quelques années plus tard, il est chassé par le parti nationaliste, qui
place Diogo (Ndo Dyoko) à la tête de l’Etat après que Francisco ait régné quelques
jours seulement.
Diogo (1545-1561) envoya à deux reprises une ambassade à Lisbonne pour
demander des prêtres, restreindre le monopole commercial portugais et essayer
d’établir des contacts directs avec Rome. Seul le premier objectif fut atteint : Lisbonne
envoya quatre Jésuites(1548) auxquels fut confiée la tâche d’établir un séminaire
Mbanza Kongo. L’école des Jésuites fondée était un séminaire. Les Jésuites se mirent
à travailler avec zèle ; ils rédigèrent le premier catéchisme en kikongo, mais ni eux ni
leur séminaire ne trouvèrent grâce auprès du roi, déçu que tous gardent un contact
trop étroit avec cet empire portugais de commerce et de mission. Pire, ils échouèrent
à se dissocier de leurs concitoyens. Ils participèrent même au commerce des esclaves.
En 1551, Diogo les expulsa en même temps que les commerçants. Cependant les
commerçants revinrent bientôt.
En 1561, ils parvinrent à faire tuer le successeur de Diogo et le remplacèrent par
un homme plus accommodant, Afonso II. Les Jésuites expulsés se réfugient en Angola
et reviennent en 1620.
À partir de cette époque, les Jésuites furent en mesure de diriger un collège à São
Salvador jusqu’à la fin du siècle et de former un petit nombre des prêtres Kongolais
dignes de respect.
En 1568, le royaume vécut l’un des épisodes les plus sanglants de son histoire :
des bandes hostiles, les Jaga, provenant du Kwango s’emparèrent de la capitale,
obligeant le roi Ndoluvwalu (Dom Alvaro) à se réfugier sur une île. C’est un corps
expéditionnaire portugais qui délivra le Kongo de ses assaillants. Mais le roi craignit
d’être désormais à la merci du Portugal qui l’avait sauvé et chercha à obtenir une
protection spéciale du souverain pontife. C’est ainsi qu’il décida d’envoyer son ami
portugais Duarte Lopez à Rome, pour plaider sa cause. Dans les milieux du Vatican,
ce commerçant ne fut pas reçu par le pape Sixte V, mais il rencontra l’humaniste
italien Filipo Pigafetta auquel son récit inspira le livre : la description du royaume du
Congo et des contrées environnantes (1591).
L’ouvrage fit une forte impression : il révéla à la chrétienté l’existence, au cœur
de l’Afrique, d’un royaume chrétien soucieux de faire acte d’obédience au pape. En
réaction, Rome décida de l’érection Diocèse de São Salvador en 1596 et un nouveau
territoire ecclésiastique fut créé avec juridiction sur l’Angola. L’événement apporta un
regain d’intérêt pour le Kongo, du point de vue missionnaire, mais dans les limites
des monopoles d’Espagne et du Portugal quant à l’envoi des missionnaires dans les
espaces sous leurs influences. Cependant, le conseil portugais de Madrid s’assura que
le nouveau diocèse demeure dans le Padroado, c’est ainsi qu’il va dépendre de
l’archidiocèse de Funchal (Madère) et les Evêques devaient être portugais.
C’est dans cette lancée que Alvaro II envoya une nouvelle ambassade conduite
par Dom Antonio Manuel Ne Vunda qui devait de nouveau demander la protection
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du Pape contre les portugais de l’Angola et obtenir des prêtres et des Evêques non
portugais.
Ne Vunda atteint Rome en 1608, épuisé par un voyage qui a duré 4 années
émaillé de beaucoup d’infortunes. Le Pape PAUL V l’héberge près de la chapelle
Sixtine. Le lendemain, Ne Vunda mourrait. Il fut enterré en présence des Evêques et
cardinaux dans la basilique Sainte Marie Majeure, sous le nom d’Antonio Nigrita. Un
moment de marbre avec son buste fut érigé sue sa tombe. Une fresque dans la
bibliothèque Vaticane rappelle la visite du Pape dans son lit d’agonie.
Rome nomme le Cardinal Jean-Baptiste VIVES comme protecteur du roi du
Kongo. Il négocie l’envoi des missionnaires non portugais. Entre temps, la série des
Evêques de São Salvador avait commencé à travailler au Kongo.
On a 4 Evêques portugais pendant les 30 années du diocèse de São Salvador (ils
passaient tout le temps en Angola 23/30).
A partir de 1622, avec la création par Grégoire XV, de la Sacra Congregatio de
propaganda fide, communément appelée la « Propagande », les ingérences
portugaises vont être tempérées parce que les missionnaires seraient désormais
affectés dans le monde, non pas en fonction de leur nationalité, mais de leur
congrégation. Le Kongo, décrété préfecture apostolique, fut confié à l’ordre des
Capucins.
C’est l’Evêque SOVERAL (1627-1642) décide d’établir sa résidence permanente
à Loanda et San Salvador ne sera qu’un siège de nom. Le diocèse de San Salvador ne
sera supprimé qu’en 1940 lorsque l’Archidiocèse de Loanda fut créé. Ce diocèse sera
de nouveau érigé en 1984 sous le nom de Mbanza Kongo.

II.1.5. Héritage de la première phase

Les missionnaires portugais de cette période étaient indignes. Ndo Funsu se


plaint constamment de la conduite de ces missionnaires, conduite indigne. En plus de
leur implication dans la traite des noirs, les saints serviteurs de Dieu n’étaient des
saints que de nom. Seuls les chanoines vont trouver une compromission des
missionnaires avec les femmes esclaves, affaires séculaires. Les peuples se moquent des
missionnaires.
Le roi du Portugal suggère de renvoyer ces missionnaires. Seuls 3 missionnaires dignes
d’éloge.
En 1534, le nonce en poste à Lisbonne suggéra au pape d’appliquer à ces
prêtres du Kongo qui ne savaient pas se contenir, la loi des prêtres orientale de
Maronites (mariés).
En 1539, un laïc portugais qui avait travaillé au Kongo 15 ans durant, suggère
au Roi qu’il serait très avantageux d’expulser du Kongo tous les blancs clercs comme
laïcs.
Ndo Funsu désirait son propre clergé local. En 1487, un certain nombre des
jeunes congolais envoyés au Portugal apprendre à devenir des bons chrétiens, à lire
et à écrire. Ce contingent avait été confié au couvent de saint Eloi de chanoines de
Saint Jean l’Evangéliste.
A partir de 1492, ce couvent recevait régulièrement des jeunes congolais. C’est
dans ce couvent qu’avaient étudié les deux fils du roi Ndo Funsu : don Henrique
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(Ndo Diki) et Ndo Funsu Fils. Ndo Funsu Fils s’installe définitivement à Lisbonne et
dirige une école.
Ndo Diki devient le premier Evêque de l’Afrique centrale.
En 1512, le Roi Manuel du Portugal annonce que ce fils royal (Ndo Diki) était si
avancé dans ses études qu’il projetait l’envoyer à Rome avec une ambassade
Congolaise pour qu’il prononce une adresse en Latin, demandant ainsi au Pape de le
placer à la tête de la série des futurs archevêques et évêques dans le royaume du
Kongo.
En 1518, le Pape Léon X accède à la requête du Roi Manuel et il nomme
Henrique Evêque, mais il n’avait que 23 ans, avec dispense. Il est nommé évêque et a
été consacré à l’âge de 26 ans. En 1520, ordonné prêtre. En 1521, ordonné Evêque,
et revient au Kongo auprès de son père et accompagné de 4 prêtres assistants. Il est
évêque de San Salvador, mais auxiliaire de l’Evêque de Funchal. Il était reçu avec
grande pompe à Mbanza Kongo et se met au travail. Ndo Diki meurt en 1531 : vie
éphémère comme évêque. Pas de trace sur l’ordination des prêtres.

II.2. LA DEUXIEME PHASE (de 1648-1835) : LA MISSION DES CAPUCINS

Cette phase démarre sous le règne de Ndo Ngalasia II, Don Garcia II qui
accueille les Capucins Italiens et Espagnols en 1648.

II.2.1. Négociations diplomatiques

Les Capucins ont été envoyés par Rome, après négociations diplomatiques
menées par les rois du kongo pour obtenir des prêtres zélés non obsédés par les
affaires et les Evêques non portugais.
Le succès final est dû à 2 raisons :
- La 1ère : Négociation menées par Mgr VIVES ;
- La 2ème : Etablissement en 1622 de la congrégation pour la Propagande de la
foi (Propaganda Fide)

II.2.2.Établissement des capucins

Les capucins avaient accepté d’entreprendre la mission depuis 1618, mais leur
requête ne sera approuvée par le Conseil qu’en 1640.
1648-1835 : 440 Capucins œuvrent au Kongo. La mission a été érigée le 25 Juin
1640.
Le 25 Mai 1648, les 12 premiers capucins arrivent à Pinda (port dans la Province
de Soyo) conduit par un Préfet apostolique, le Père Bonaventure d’Alessano. Le
roi remarque qu’il n’y a pas d’Evêque. L’année suivante, il envoie à Rome 2
missionnaires pour demander 3 Evêques et 40 prêtres supplémentaires.
La Propagande prépare une liste de 32 missionnaires sans nommer d’Evêques à cause
de la résistance du Portugal. Rome nomme quand même un Vicaire apostolique.
Garcia II voulait que le Pape établisse par une bulle chez lui une monarchie
héréditaire.
Garcia II se met en opposition avec les capucins supposant qu’ils pactisaient
avec les portugais. L’apostolat des capucins pendant cette 2ème Evangélisation va mal
commencer. Un capucin Flamand Adrien WILLEMS, appelé Georges de Geel (en
21

religion) fut assassiné en 1652 dans la province de Mbaka pour avoir essayé de
mettre fin à une cérémonie fétichiste (pourtant cérémonie au kimpasi).
Réaction de Don Garcia II : vouloir mettre à mort tous les habitants. Il fut déconseillé
par les missionnaires.
II.2.3. La secte des antoniens

Cette 2ème phase Evangélisation était sous le signe de Saint Antoine de Padoue
qui avait séjourné au Nord du Maroc et les capucins ont introduit le culte de Saint
Antoine au Congo. La vie de ce Saint constituait un facteur d’unité tous les capucins
au Congo. La vie de saint Antoine suggérait qu’une harmonie était possible entre
les Italiens, Espagnols et portugais capucins au Congo puisque Saint Antoine est né à
Lisbonne (Portugal) en 1195, mort Italie en 1231. Se réclamant du Portugal, il a la
faveur de l’Espagne.
Ce culte consistait à l’invoquer en cas de malheurs. Ce culte a connu un grand
succès au Congo (comme leur protecteur contre la sorcellerie).
A partir du 18e siècle, ce culte a conduit à l’apparition d’une secte particulière « Secte
des antoniens ». Les membres de cette secte invoquaient aussi bien les ancêtres que les
saints. Ils faisaient aussi la transposition géographique de données de la révélation :
(San Salvador = Jérusalem). C’est à partir de ce mouvement que se préparait petit à
petit le grand mouvement de la prise du christianisme en mains avec Dona Béatrice
KIMPA VITA.
Avant elle, Apollonia MAFUTA, une prophétesse qui fait son apparition. Ces
capucins ont fait montre d’un zèle apostolique remarquable. Leur mission aurait duré
150 ans.
II.2.4. L’apostolat de Capucins

Ils ont construit des écoles à San Salvador et à Soyo. Chacune de ces écoles
pouvait compter jusqu’à 600 élèves.
En 1648 arrivent 14 frères pour commencer l’évangélisation systématique du
Royaume. Un auspice est installé dans chacune de 6 provinces. Le Les capucins sont
surtout des « Excurrens ». Dès le début, ils enregistrent beaucoup de baptême parce
qu’on ne voyait plus des missionnaires depuis longtemps. Les capucins bénéficiaient
de la bienveillance de la classe dirigeante, mais leur insistance sur l’abandon des
fétiches, du concubinage et de la polygamie ne rencontrait pas l’assentiment de cette
aristocratie.
En 1648, Garcia II avait soutenu les capucins en proclamant un édit exigeant
que tous les villageois soient convertis et qu’ils soient ouverts et laissent faire pour
enlever leurs fétiches. Les capucins ont trouvé le soutien des fils des nobles qui
avaient été formés ; d’où une classe intermédiaire de ceux qui les fréquentaient. Ces
fils de nobles deviendront des catéchistes pour lutter contre la polygamie et
l’idolâtrie ou fétiches. D’où un grand nouveau religieux avec les capucins à San
Salvador.
Les premières années de leur mission, leur soutien le plus important viendra du
Chanoine Manuel ROBOREDO (un noir, un des parents du roi, éduqué par les
jésuites et ordonné en 1635) ; il était un conseiller du roi, respecté et le plus capable
de son temps.
22

En 1652, Roboredo devient lui aussi capucins sous le nom de François de Saint
Sauveur (Francisco de San Salvador). Plus tard, nommé Chapelain et Conseiller
d’ANTONIO Ier, successeur de Garcia (1661-1665). Pendant la rébellion de Mani
Wangu (soutenu par les Jaga et les Portugais), Manuel ROBOREDO ne parvint pas à
dissuader le jeune roi d’aller lui-même en guerre. Il l’accompagna sur le champ de
bataille d’Ambwila où tous deux moururent au premier choc, en même temps qu’un
grand nombre de nobles de la classe dirigeante.
II.2.5. Les Méthodes des capucins
Elles se fondent sur les pratiques et sur les convictions religieuses en
vigueur à l’époque (en Europe). Ils ne cherchent pas à s’adapter aux réalités du pays.

1. Les principes

1) Si vous n’êtes pas baptisé, vous ne pouvez pas être sauvé (résumé par : Hors de
l’Eglise, pas de salut). D’où leur 1er souci est de baptiser (sur tous les enfants)
même ceux sans une certaine éducation chrétienne.
En 1700, le père ZUCHELLI qualifie ce baptême : « le baptême des enfants est le
fruit le plus consolant et le plus significatif pour le salut éternel des âmes ».
2) Le royaume de Dieu est en guerre contre le règne de Satan. Principe tiré de Saint
Augustin, le royaume de Dieu qui est en guerre contre celui de Satan.
De ce fait, ils considèrent toutes les religions ancestrales comme cultes des idoles
ou adoration de Satan. On pensait que les Africains étaient sans religion, tout ce
qu’ils faisaient n’était qu’adoration contre Satan. D’où les capucins luttent contre
les devins, guérisseurs traditionnels, … Il ne faut pas avoir le quartier avec le
démon.
Même au niveau de la propagande, on considérait les Africains comme des
peuples sans religion. C’est le contraire de l’Asie (tolérance). Mise en garde contre
les jugements expéditifs : ce que les capucins faisaient représentent la mentalité de
l’époque.
Les capucins remplacent par les sacramentaux ce qu’ils considéraient comme idolâtrie.
Exemple : Le rosaire, les médailles, la croix.
* En 1747, un capucin père Bernardino d’Asti écrit « Missione in pratica ». Il
introduit une triple distinction entre :- les mauvaises coutumes à détruire ;
- les coutumes à tolérer (indiférentes) ;
- les bonnes coutumes à adopter.
Une évolution dans la pensée de capucins.

2. La polygamie et le mariage à essai (combattus)


Aucun effort pour comprendre. Ils partent de la conception « les
Africains sont des enfants de Cham » ; ils avaient une sexualité débridée, avec des
organes sexuels démesurés. Ils ne pouvaient par contre appliquer les principes
canoniques à tous les cas de Mariage indigène.
5. Jugement sur l’œuvre de capucins
Les capucins ont fait un travail quantitatif et qualitatif supérieur aux Portugais.
A leur arrivée, 1/4 de la population qui étaient baptisés. Au cours de 25 premières
années, ils baptisent 300.000 personnes (souvent des enfants).
23

Entre 1670 et 1770, le rapport indique que la moyenne annuelle des baptêmes était
oscillée en
1 à.000 et 12.000. On estime que 50% de la population du Congo qui était baptisés.
La répartition territoriale était inéquitable :
Soyo = Tous chrétiens
Mbaka et Nsuni = 1/3
Mpemba = 50% de la population.
Dans le reste de territoire, c’est dans les grandes agglomérations.

Le Père Bernardo Da galla (1699-1717) souligne l’importance de la classe


gouvernementale (dirigeante Mwisi Kongo) en religion. Les autochtones de la
campagne, pas beaucoup évangélisés – restés dans le régime de Satan.

3. Les sacrements
Le sacrement important est le baptême. Les congolais l’appelaient
« Kulia mungwa ». Les capucins l’ont appelé « Lusukulu bangwisi » (bain sacré),
terminologie des capucins sans succès. L’engouement des mamans avec leurs enfants,
ne peut-il pas être lié à la protection contre les mauvais esprits, ou croire que la force
de l’homme blanc est lié au baptême ?
Le sacrement de pénitence et la Communion fréquemment reçus, avec des longues
processions.
4. ‘‘Confraternités’’ : Association pieuses fondées par les capucins.
Exemple : La fraternité de Saint François.
5. Formation des enseignants et des prêtres africains par les capucins les enseignants
appelés des Maestri (= catéchistes, interprètes, enseignants).
Les capucins, d’après le bilan, n’avaient pas réussi à former des prêtres
Kongolais. Mais quelques uns formés par les Portugais (Exemple : Abbé Roberto).
La relation entre les prêtres africains et les capucins était tendue. Les noirs les accusent
d’administrer les sacrements sans demander des honoraires, de rejeter les prêtres, de
s’adonner avec un zèle intempestif.

6. La rencontre du christianisme avec la religion traditionnelle

Le culte des ancêtres, à l’époque des capucins, limité à la vénération


des tombes des ancêtres, ne posait pas de problème parce que les rois et les nobles
étaient enterrés dans les Eglises et les autres près des Eglises en Europe.
Les tombes étaient grandement vénérées. Dans l’Eglise où reposait Aphonso 1er une
messe était dite chaque jour une année durant. Le Christ était considéré comme un
chef « Mfumu Kristu » et sa mère était « Mfumu Nkento » (Ntinu nkento), on les
considérait comme des ancêtres et ils avaient droit au même culte que les ancêtres.
Dans la tradition Kongo, on croyait aux Esprits célestes dominés par
l’être suprême, « Nkadi Mpemba ». Le Nkadi Mpemba a un pouvoir de « Dieu Tout
Puissant » ; mais c’est un esprit entêté, despotique, suprême, destructeur (monstre).
On croyait aussi qu’il avait un pouvoir protecteur. C’est lui qui était le Seigneur de la
sorcellerie dans la mentalité kongolaise. Il avait une influence chez les hommes. Son
24

pouvoir était maîtrisé par les guérisseurs « nganga ». Le Nganga avait le pouvoir de
détecter la sorcellerie « Ndoki ». Nkadi Mpemba est considéré comme le démon par
les capucins. Les missionnaires combattaient l’idée que le Nkadi Mpemba était un
être suprême. Ils ont détruit tout ce qui protégeait les Kongolais contre les esprits
mauvais pour les remplacer par l’eau bénite, le chapelet et les sacramentaux,
considérés par les autochtones comme les amulettes des Blancs. Les Kongolais
comprenaient difficilement la notion du ciel et de l’Enfer.
Le plus grave problème que le christianisme ait rencontré au Kongo
est le suivant : comment traiter avec le culte religieux le culte le plus important et le
plus profondément enraciné, celui de la vénération de l’eau et des esprits terrestres,
associé à la fécondité ? Le symbole dominant de ce culte était un Serpent géant,
vivant dans les eaux et sautant sur les arbres ; on l’appelait Mbumba, « le fécond ». La
manière de le vénérer était complexe ; elle se concentrait essentiellement autour des
arbres ; on pensait que les esprits donnaient la santé et la fécondité et empêchait la
mort et la stérilité. Ses ministres les plus importants les kitome, les propriétaires et les
seigneurs de la terre ; ils avaient la position la plus sacrée. Ils régulaient toute la vie
agricole, procuraient la pluie, bénissaient les semences, permettaient que la récolte se
fasse et recevaient les premiers fruits.
Les kitombe avaient une telle puissance que même le roi Afonso ne pouvait jamais
oser aller en guerre contre eux. Car c’étaient eux qui distribuaient la terre et aucun
Kongolais n’aurait pu commander sans leur bénédiction et leur consentement ; les
kitome s’attendaient à recevoir en mariage les filles des nobles. On peut soutenir
qu’Afonso et ses successeurs ont vu dans le culte chrétien une source unique de
légitimation religieuse qui les rendrait indépendants des propriétaires terriens et
augmenterait ainsi leur propre autorité. Durant la célébration de la messe, ils étaient
désireux de jouir des mêmes privilèges que les princes européens, comme embrasser
l’évangéliaire et tenir le cierge allumé durant le canon ; quand ils allaient à la messe,
cela ressemblait toujours à un acte officiel. De plus, ils ont cherché avec acharnement,
mais sans succès, de placer le culte sous leur contrôle en ayant leur propre évêque qui
aurait été un rival évident pour les kitome. Plus tard, ils ont introduit le rite chrétien
d’intronisation qui était cependant incomplet sans l’investiture donnée par les
kitome. Malheureusement, les capucins assimilèrent les KITOME aux autres nganga et
persécutèrent de la même manière. Il arriva même que le Mani Soyo eut à
emprisonner et à faire fouetter son propre beau-père. C’est parce qu’on brûla leurs
« idoles » que des rébellions éclatèrent et que deux prêtres furent tués.
La campagne brutale des capucins provoqua même un certain
renouveau du culte indigène. Aux moins deux sectes secrètes vinrent à prospérer.
L’une était le mouvement « Tombola » qui exhumait et ressuscitait les corps qui
avaient été enterrés dans les églises chrétiennes sans respecter la tradition, raison pour
laquelle on croyait que leurs esprits avaient été transformés en sorciers.
Afonso Ier s’était lié au Tombola, en ajoutant ses titres royaux celui de « Seigneur des
Matombola ».
L’autre secte était le « Kimpasi » et elle fut redoutée à cause de sa puissante
magie. Son culte accomplit dans un demi-cercle des idoles, permettait aux initiés de
mourir puis de ressusciter sous forme d’esprit de l’eau ou de la terre ; c’est-à-dire que
dans un état de transe, ils devenaient posséder par un tel esprit. Garcia II s’était lié au
KIMPASI durant ses dernières années.
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Cette rencontre de l’énoncé chrétien avec la religion traditionnelle kongo a produit


d’autres effets inédits. Le syncrétisme antonien est l’un de ses effets. D’autres
manifestations se produisent au moment du déclin du royaume. A la même époque
que Dona Béatrice défrayait la chronique, le Mani Soyo tenta de manifester sa
sympathie avec les convictions religieuses de la population locale, les Kanda. En
premier lieu, il assuma certaines fonctions des kitome. Il recevait un de leurs serments
et, avant les semailles, il accomplissait le rite envers le serpent Mbumba. A Mpinda il
encouragea un culte qui se déroulait autour d’une statue de Notre-Dame, dans
l’église Saint Antoine, et unissait en lui tous les éléments de la pensée religieuse
kongolaise : la statue de bois provenait d’un navire espagnol qui avait coulé ; elle
avait flotté jusqu’au rivage, mais les gens la vénéraient comme si elle était tombée du
ciel. Ils apportaient de riches offrandes et demandaient à Mama Nzambi, la Mère de
Dieu, ce qu’ils attendaient de l’esprit de fécondité : la guérison, la pluie et des
bénédictions pour leurs semences.

II.3. LE DECLIN DU ROYAUME ET LA FIN DE LA MISSION DES CAPUCINS

La bataille fatale d’Ambwila (1665) marque la fin de l’ancienne gloire du


Royaume Kongo et le début d’une période de 40 ans de chaos et d’incertitude. La
capitale Sâo Salvador est désertée. Le Royaume éclate et trois rois s’installent dans
trois capitales différentes : San Salvador, Bula, au Mont Kimbangu. Soyo se considère
comme Etat indépendant par rapport à l’ensemble du Royaume.
Près de la moitié des missionnaires s’en vont en Angola où on leur avait offert
une église dès 1648. Durant les 80 années suivantes, il n’y eut plus jamais plus de dix
capucins résidant habituellement au Kongo. Dans l’incapacité d’occuper tous les
postes, les capucins recoururent à ce qu’ils appelaient des « missions volantes » ;
c’étaient des tournées pastorales hors de Luanda, au cours desquelles le nombre des
baptêmes ne diminuait pas, tandis que la formation des catéchistes se réduisait. Seule
la province de Soyo demeura une Eglise vraiment florissante. La présence
momentanée de 20 pères en 1742, ne se renouvela pas. Cependant les efforts furent
entrepris pour restaurer le royaume.
- Les premières tentatives d’unification étaient d’ordre politique et militaire ;
- les secondes d’ordre messianique.

II.3.1. Efforts militaires et politiques

Par la force, chacun de ces trois rois s’efforce d’en imposer aux autres. Personne
ne gagne. D’où la ruse et la négociation souvent avec l’appui des capucins.
Dom João II (NZUZI) après l’assassinat de son frère Nsimba, s’établit à San
Salvador, soutenu par un missionnaire Girolamo (Jérôme) Morrela Da Sorrento. Il
tente de réunifier le royaume en faisant la guerre à ses rivaux de Bula et de Mont
Kimbangu, mais sans grand succès. En 1706, Pedro IV écouta l’appel des antoniens –
notamment celui de Dona Béatrice - en faveur de la résurrection du royaume : trois
ans après, en 1709, il parvint à défaire ses rivaux et établit sa résidence à São
Savador. Il reconstruit quelques Eglises avec l’appui du capucin Francisco Da Pavia.
Cette unité fut de courte durée.
26

II.3.2. La Tentative d’ordre messianique

En 1704, une vieille femme, Apollonia MAFUTA, apparaît et fit des prophéties.
Elle disait avoir rencontré la Vierge Marie qui lui aurait fait part de l’indignation de
son Fils, Jésus, qui se plaignait de l’abandon de São Salvador et exigeait la
restauration de la capitale et l’unification du royaume. La prophétesse, se disait
inspirée par Saint Antoine, elle chassait les sorciers et brûlait les fétiches.
Dona Beatrice KIMPA VITA, prétendit que Saint Antoine aurait pris
« possession » d’elle au moment de sa mort, après une maladie grave. Elle mourait
chaque vendredi, et tel un esprit céleste, s’en allait au ciel où elle intercédait pour la
cause du Kongo, elle ressuscitait à nouveau le samedi. La cause du Kongo était la
restauration de la gloire du royaume. São Salvador était désertée depuis des années.
Béatrice établit son quartier général dans les ruines de l’église de la capitale et exigea
un nouveau royaume. Il y aurait là une vraie religion kongolaise, une Eglise de saints
kongolais. Jésus et Marie étaient en fait des Bakongo ; São Salvador était Bethléem et
Mbanza Soyo, Nazareth. Il faillait brûler tous les nkisi (fétiches), y compris les croix,
et on ne baptiserait plus les gens. En 1706, Dona Béatrice fut arrêtée par le roi Pedro
IV, sur conseil des Capucins, et elle fut condamnée à mort. Bien qu’ait abjuré ses
hérésies, elle fut accusée d’être possédée par le démon et brûlée vive, pratique
typiquement européenne.

II.3.3. Fermeture de la mission

En 1759, au Portugal, le ministre POMBAL arrive au pouvoir ; il était


anticlérical ; il supprime l’ordre de Jésuites au Portugal et interdit tout départ de
missionnaires de Lisbonne. Pas de renouvellement des missionnaires pendant cette
période ; il ne reste au Kongo qu’un seul capucin, le père CHERUBINO Da Sanova.
Durant ses quatorze années d’incessantes tournées (1758-1774), on estime qu’il a
baptisé 700.000 personnes. Après la mort de POMBAL en 1782, on ne mentionne
qu’un petit nombre de voyages missionnaires vers le Kongo. São Salvador fut
revisitée en 1792 par le Père Raymondo da Dicomano ; il aurait couronné 2 rois :
Aleix I (1792) et Henrique I (1795). Sa principale moisson consista en 25.000
baptêmes d’enfants. Les sources notent encore trois autres visites en 1814, 1819 et
1830, chacune d’elles durant presque une année.
La fermeture définitive de la mission intervient lorsque le gouvernement
portugais de 1834 supprima tous les ordres religieux sur ses territoires.
Le Préfet apostolique du Kongo quitte Loanda, le 07/05/1835. Il est
accompagné du frère Kongolais Bernardo de São Salvador. Tel fut la triste fin de 190
ans de présence capucine au Kongo. Sur les 438 Frères connus, 229 sont morts après
peu d’année dans le champ missionnaire ; la plupart des autres retournaient, la santé
ruinée, après sept ans d’apostolat ou moins. « Ils sont venus et repartis seulement
avec leur bréviaire », commente un gouverneur portugais en 1717, ce qui contrastait
avec les prêtres portugais qui sont enrichis.
27

CHAPITRE TROISIEME : LE KONGO DANS LA TOURMENTE DE LA


TRAITE

La couronne portugaise, malgré le souci du roi Ndofunsu de renforcer son autorité


grâce aux étrangers et de développer une relation de fraternité chrétienne avec son
homologue, ne se prêta pas longtemps à ce jeu. Les richesses de la Guinée, de l’Inde
et du Brésil n’avaient rien d’équivalent au Kongo. La seule ressource immédiatement
exploitable consistait dans la main-d’œuvre servile.
En outre, elle passait pour relativement aisée : elle pouvait s’appuyer sur un réseau
d’échanges préexistant, avec son épicentre (Kongo), ses zones d’expansion (les
royaumes périphériques) et ses moyens d’échange, les monnaies locales (coquillages,
raphia). Pour intensifier les échanges, les marchands vinrent s’établir dans le royaume
même.
C’est ainsi que le roi du Kongo perdit peu à peu son prestige ; des vassaux
devenant plus riches que lui commencèrent à basculer dans la contestation politique.
Mais là ne s’arrêtèrent pas les transformations et les absurdités qui s’introduisirent à la
faveur du nouveau commerce. Les Portugais, afin de rapprocher les zones
d’approvisionnement en esclaves de plus en plus lointaines dans l’arrière-pays des
points d’embarquement, cherchèrent la possibilité d’installer d’autres ports au sud,
dans des royaumes plus attractifs, plus coopératifs et moins réticents à l’activité
négrière.
À cause de cette action volontariste, l’espace commercial régional changea
d’épicentre au profit de l’Angola où furent même acheminés des esclaves provenant
du royaume du Kongo. Jusqu’à la Conférence de Berlin, marquant le début officiel
de la colonie portugaise d’Angola, l’influence lusitanienne fut permanente dans ces
zones d’extension et plusieurs chefs locaux dans le sud se révoltèrent contre elle.

III.1. LES ORIGINES DE LA TRAITE

La pratique d’esclavage consistait en la réduction d’une personne humaine à l’état de


servitude, avec des diversités interne suivant le degré appliqué. Dans l’Afrique
ancienne, l’esclave pouvait être associé à la vie de la famille et y être intégré par sa
descendance.
La traite était une pratique commerciale, l’échange d’une personne humaine comme
une simple marchandise. N’était, en principe réduit à un tel traitement qu’un esclave.
Si l’esclavage n’était pas inexistant, puisqu’il est aussi vieux que le monde, c’est la
transaction massive des humains qui marqua l’innovation du siècle des grandes
découvertes. Elle naquit, de manière imperceptible du besoin, au terme d’une
nouvelle implantation, de ramener Lisbonne ou à Madrid les preuves humaines des
terres lointaines.
Très tôt, l’opération devint violente, se réalisant par capture, faisant à l’occasion des
victimes. Très vite, on se rendit compte du profit en tirer et ces esclaves furent
soumis à la vente, au même titre que les autres produits exotiques : pointes d’ivoire,
perroquets, gomme arabique, etc.
Ce furent les Portugais exilés sur les îles de l’Atlantique qui inaugurèrent un nouvel
usage des esclaves : les utiliser comme main-d’œuvre dans les plantations de canne à
sucre. Cette pratique connut un grand succès. Elle s’exporta peu à peu dans les
28

Antilles, puis au-delà, sur la terre ferme ; l’esclave noir finit par y être considéré
comme l’auxiliaire incontournable pour les cultures d’exportation, mais aussi pour les
travaux publics et l’exploitation des mines. La forte demande qui s’instaura dans ce
sens produisit une offre importante, d’autant que les premiers esclaves utilisés,
amérindiens et marginaux européens, s’étaient avérés inefficaces et, de toute façon,
insuffisants, alors que la réserve des Noirs en Afrique paraissait inépuisable.

III.2. LES JUSTIFICATIONS IDEOLOGIQUES

Une certaine idéologie religieuse vint même en renfort, légitimant ces pratiques
devant les consciences.

III.2.1. Des mythologies antiques à la légitimation de la traite

Les Noirs étaient païens ; les déporter n’était-ce pas une manière de leur rendre
service, en les soustrayant à la condamnation éternelle ? Esclaves et déportés, ils
avaient enfin la chance d’être baptisés et de devenir chrétiens ! Le combat de
Bartolomé de Las Casas, qui s’était fait le protecteur des Amérindiens, eut pour effet
d’encourager ces pratiques.

III.2.2. Bartolomé de Las Casas

Bartolomé de Las Casas (1474-1566), missionnaire et historien espagnol,


surnommé l'Apôtre des Indiens. Fils d'un marchand qui avait accompagné Christophe
Colomb lors de son second voyage, Bartolomé de Las Casas naît à Séville.
Avocat, il se rend en 1502 à Hispaniola, dans les Antilles, où il est conseiller auprès
du gouverneur colonial de Saint Domingue. En 1512, il devient le premier homme à
être ordonné prêtre en Amérique. Son intervention dans plusieurs expéditions lui
vaut de recevoir une encomendia, qui définit l’attribution par la royauté de terres et
des esclaves indiens qui y vivent. Confronté aux abus du système, il renonce aux
Indiens qu’il « possède ». Il entame une croisade en faveur de l'abolition de
l'esclavage, et en appelle directement à Ferdinand V d'Espagne (1515), à qui il adresse
la Très Brève Relation de la destruction des Indes (1542). Entré chez les dominicains
en 1522, il se consacre à la rédaction d'une monumentale Histoire des Indes (Historia
de las Indias) rédigée entre 1527 et 1561, qui retrace l'histoire des premières colonies
espagnoles en Amérique sur plus de 2000 pages imprimées et réparties en trois
volumes. Bartolomé de Las Casas y cite notamment le journal de bord de Christophe
Colomb au cours de son premier voyage, inédit par ailleurs. Il se sert aussi de
l’autorité de certains ecclésiastiques et de certains philosophes pour alimenter un
débat d’idées autour de notions telles que le droit du plus fort, l’égalité devant Dieu
et l’humanité. L’ouvrage couvre les années 1492 à 1520, à raison d’un volume par
décennie. L’Histoire des Indes n’est publiée en Espagne que trois cents ans après sa
rédaction, en 1875 et traduite en français en 2002. Il pacifie les peuples du nord du
Guatemala (1537) et les convertit au christianisme. Tous les efforts de Bartolomé de
Las Casas sont couronnés par la promulgation, en 1542, des « Nouvelles Lois »
abolissant le système de l'encomendia et interdisant l'asservissement des indigènes.
Nommé évêque du Chiapas, dans le sud du Mexique (1544), il rentre définitivement
en Espagne en 1547. Que peut-on retenir de l’attitude de Las Casas vis-à-vis de la
29

traite esclavagiste ? Las Casas avait demandé à la Couronne Espagnole, l’utilisation


des Noirs en remplacement des Indiens libérés de l’asservissement. La suppression du
système de l’encomienda et l’interdiction de l’asservissement des Indiens eurent pour
conséquence un envoi massif des Noirs dans les colonies d’Amérique. En effet, les
noirs étaient déjà présents en Amérique au début du ministère de Las Casas et leur
arrivée restait toujours ou recommandée, notamment par les dominicains, afin de
soulager les Indiens moins résistants. La position de Las Casas obéissait à la pensée
courante de l’époque.

III. 3. LE COMMERCE TRIANGULAIRE OU LA TRAITE ATLANTIQUE

L’expression « commerce triangulaire » désigne le processus de la traite des Noirs


de la fin du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe siècle entre les puissances européennes,
l'Afrique et l’Amérique. Les bateaux partaient de ports européens (Lisbonne,
Liverpool, Amsterdam, La Rochelle, Bordeaux, Le Havre, Nantes, etc.). Ils
embarquaient des verroteries, des armes, des bijoux. Arrivés en Afrique, les négriers
échangeaient leur cargaison contre des esclaves. Le voyage se prolongeait vers
l’Amérique (Antilles, Brésil, Amérique espagnol, Amérique du nord) où des Noirs
étaient débarqués chaque année en échange de l’or et d’autres minerais, de sucre, de
vanille et de différents produits tropicaux, rapportés en Europe pour y être vendus.
L'armateur pouvait espérer 800 p. 100 de bénéfice ; la sécurité sur les mers était
plutôt mieux assurée qu'au XVIIe siècle, et des dynasties de négriers assurèrent ainsi
leur fortune (par exemple, le Nantais Antoine Walsh arma 28 navires négriers à lui
seul). Les révoltes d'esclaves étaient assez fréquentes à bord et la mortalité, selon les
cas, variait aux alentours de 15 p. 100 par voyage.
Quels furent les acteurs de ce commerce honteux ? Des États, agissant par des
compagnies commerciales qu’ils avaient créées ou par des marchands qu’ils avaient
envoyés. Au départ, le Portugal parvint à maintenir sa prépondérance sur les côtes
africaines. Le Traité de Tordesillas (1494) qu’imposa le pape Alexandre VI pour
trancher le conflit avec l’Espagne, le confirma dans ses prérogatives. L’Afrique se
situait, en effet, à l’est de la ligne médiane passant à cent lieues de l’île extrême des
Açores, comme le stipulait ce traité partageant le monde en deux entre les grandes
puissances de l’époque : l’Espagne et le Portugal.
Mais ce monopole ne résista pas longtemps à l’usure du temps. Les Hollandais
furent les premiers à le contester. Par la puissance de leur flotte, à partir de la
deuxième moitié du 16e siècle, ils se mirent à concurrencer les Portugais dans leur
propre fief. Déjà sous menace, leur monopole s’effondra au cours du siècle suivant,
quand la
France et l’Angleterre devinrent à leur tour les principales puissances
marchandes d’Europe.

III.4. LES MISSIONNAIRES FACE A LA TRAITE

Le constat est profondément lamentable : complice des trafiquants, des


missionnaires ont été en amont (Afrique), dans le cours (traversée atlantique) et en
aval (Amérique) du trafic du « bois d’ébène ». Du moment que la traite contribuait en
bonne part au financement de la mission, les agents évangélisateurs n’avaient plus
d’autre choix que de l’approuver et d’y participer.
30

III.4.1. Acquisition des esclaves

Progressivement et sans signature d’un quelconque décret de la magistrature


suprême du Kongo ou de Rome, les capucins ont mis à leur service des esclaves
hérités des Mani et d’autres chefs qui les leur offraient en cadeau. Il faudrait noter
que certains religieux avaient des scrupules à les admettre à leur service. On peut citer
à titre d’exemple Girolamo da Montesarchio qui, vers le milieu du XVIIe siècle, remit
au facteur d’un Européen l’esclave que lui avait offert le Mani Ngobila. Le père
Dioniso da Piacenza, deux décennies plus tard, réexpédia au Mani Mbamba les
esclaves que celui-ci lui avait offert en cadeau.
Quoi qu’il en soit, ce fut un don précieux pour les missionnaires que de posséder
des esclaves que leur octroyait l’autorité locale. D’ailleurs, l’usage s’en répandit après
la mort du père Georges de Geel (1652), lorsque Ndo Ngalasia II ordonna à tous ses
sujets de veiller à ce que les pères fussent toujours escortés par des esclaves. Une
décision contrariante pour certains missionnaires, mais qui prélude quasi
officiellement - peut-être sans que Ndo Ngalasia l’ait forcément ainsi pensé – à
l’institution dite des « esclaves d’Église ».
A la fin du XVIIe siècle, on ne redoute plus que les missionnaires du Kongo,
d’Angola et des contrées environnantes, possèdent des indigènes esclaves ou
affranchis, aussi bien pour le service indispensable au poste missionnaire et dans
l’hospice que pour la tournée apostolique. Certains témoignages de l’époque signale
qu’il ya treize ‘’esclaves l’Église’’ dans l’hospice de Soyo. Plus tard, le P. Préfet
Stefano Maria da Castelleto atteste dans son rapport du 6 mai 1777 qu’il y en entre
400 et 500 dans la mission de Soyo. Et l’autorité coloniale d’Angola vendra, en
1834, des ‘’esclave d’Église’’ de la mission de Luanda en même temps que les biens de
l’hospice ».
A partir du moment où l’institution des « esclaves d’Église » fut plus ou moins
admise par tous, certains missionnaires avaient parfois crée leur propre mode
d’acquisition. Le cas du P. Giuseppe da Pistoia est scandaleux : il avait amené du
Kongo à Genova (Gênes) un jeune garçon noir, nommé Lorenzo. Ce garçon avait
commencé à aider le missionnaire depuis l’âge de cinq ou six ans, et il avait été
« donné comme cadeau pour trente messes célébrées à l’intention de la femme d’un
capitaine (portugais). » En tant qu’esclave du P. Giuseppe da Pistoia, le jeune Lorenzo
avait servi ce dernier pendant huit ans avant de quitter le Kongo pour Genova.
Même si les modes d’acquisition d’esclaves des capucins devinrent diversifiés, par
exemple la soumission de ceux qui s’attaquaient ou désobéissaient à l’Église ou au
missionnaire, il ne s’était généralement posé aucun problème lorsque les détenus
étaient déclarés « d’Église ». Les uns et les autres avaient toujours considéré que cette
détention était bénéfique à la mission et que sans les esclaves, les pères capucins
n’auraient rien pu entreprendre d’efficace pour la suivie de la mission dans un
royaume comme celui du Kongo.

III.4.2. Au service de l’œuvre missionnaire

Les capucins, ayant graduellement endossé l’acquisition d’esclaves dit


« d’Église », ne pouvant faire autrement que de les mettre au service de leur
31

apostolat, se sont affairés a une distribution des tâches d’après les besoin de la
mission. Voici quelques activités des plus fréquentes des « esclaves d’Église ».

1. La contribution aux voyages apostoliques

Les missionnaires, comme les autres Européens, avaient pris l’habitude de se faire
transporter sur un hamac (Tipoy ou Kipoyu) dans un pays où les distances à
parcourir étaient considérables et où quasiment aucun pont n’était construit sur les
fleuves, les rivières et les marécages à traverser, même si, à certains endroits, de
petites barques en bois se trouvaient sans cesse tenues disposition.
Le religieux qui prend donc le départ de son hospice vers d’autres villages ou une
autre contrée, engage avec lui des esclaves le transportant-ainsi que tout le matériel
requis (autel portatif, objets liturgiques et sacramentels, ombrelle, caisse de vivres et
d’ustensiles de cuisine, etc.) pour l’apostolat. Le hamac est porté par deux esclaves
qui, la fatigue venue, passent la charge à deux autres. On a pu prévoir jusqu’à six
esclaves pour cette besogne. Les esclaves accompagnent ainsi le missionnaire pendant
toute la durée de sa tournée, jusqu’à son retour à l’hospice du départ au jusqu’à son
nouvel établissement.

2. Le service à l’hospice

Il faudrait bien faire la différence dans ce service à l’hospice entre le domestique


(esclaves affranchis ou simples serviteurs) et les esclaves proprement dits (souvent
destinés aux tournées apostolique).Dans la répartition des tâches et le récompenses,
cette différence et clairement perceptible. Les domestiques habitent l’hospice même
ou le plus proche de l’hospice, et il ne leur est pas permis de s’en éloigner sans
autorisation.
Après la messe matinale, tous les serviteurs (domestiques et esclaves) se
présentent devant le missionnaire qui passe les troupes en revue et repartit les
charges.
Ordinairement, les domestiques (hommes, femmes, filles et garçon) occupaient
la journée à chercher du bois de cuisine, du chaume, des poutres ou des branchages.
Les filles étaient le plus souvent destinées à puiser l’eau. La récompense réservée aux
domestiques était habituellement un don d’étoffe, de nourriture ou même un retour
à la maison après trois jours. Si effectivement des indigènes avaient été attirés par le
service dans l’hospice, les raisons seraient très probablement les récompenses
réservées aux domestiques par le missionnaire. Dans ce cas, c’est la domesticité et
non l’esclavage au sens premier du terme qui motivait les candidats au service à
l’hospice.
Un autre argument pourrait soutenir cette interprétation : le sort réservé aux
esclaves. Ils sont mariés pour la plupart et habitent le Nzanzala, un quartier de
cabanes situé à quelque distance de l’hospice. Ils doivent cultiver le champ pour leur
propre subsistance car ils ne reçoivent du missionnaire ni étoffe ni nourriture. On ne
les traite avec confiance que lors des voyages apostoliques, afin d’échapper aux
nombreux risque menaçant le religieux : ici, les esclaves sont nourris et même
symboliquement récompensés. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle
certains esclaves s’inscrivent relativement librement aux programmes des voyages
missionnaires.
32

Ces deux attitudes contradictoires : sévérité et intransigeance au Nzanzala, puis


douceur pendant les tournées apostoliques, révèlent l’intérêt qu’accordaient les
religieux au succès de leur apostolat, mettant avec doigté à leur service, toutes les
forces non seulement nécessaires, mais aussi contrôlables, à l’expansion de la mission.
En tout cas, il apparaît qu’en général, les pères ne réservaient aux esclaves qu’un
traitement dévalorisant.
Les missionnaires dans leur majorité jugeaient sommairement les Kongo sur base
de préjugés parfois sans fondement.
Depuis juillet 1700, le Mani Kongo Ndo Mpetelo IV avait placé les « esclaves
d’Église » sous la protection de l’autorité locale : il interdit que les détenus fussent
opprimés ou qu’ils aient à subir quelque dommage, ni qu’on leur volât leurs effets ou
les fruits de leurs champs.
Plusieurs père n’ont pas résisté à la tentation d’enrichissement personnel ou du
moins celle de surmonter les difficultés financières liées à la mission, par la vente des
esclaves du Nzanzala ou d’autres. D’où la question pour quiconque de savoir à qui
appartenait de vrai ces esclaves : à l’Église ou au missionnaire.

III.4.3. La vente des esclaves par les missionnaires

La traite et l’esclavage des Africains en général et des Kongo en particulier


ressortent comme des faits monstrueux, abominables, recelant de multiples facettes
thématiques : économiques, idéologiques, politiques, diplomatiques,
démographiques, culturelles, etc. Ils sont ressentis comme un phénomène très
douloureux à relire par ceux dont les ancêtres ont souffert de l’indescriptible
tragédie et même par ceux dont les arrière grands-parents ont été dénommés
« négriers ». Ils sont encore plus pénibles à aborder lorsqu’il s’agit de l’implication
d’hommes d’Église dans cette pratique exclusivement capitaliste.
Que des capucins aient mis en vente leurs propres esclaves, quasiment quelques
témoignages en font preuve. Naturellement, les documents y afférents font économie
d’une entrée profonde en la matière. On ne peut pas se leurrer : la grande majorité
des chroniqueurs de l’époque en question sont capucins. Les pères n’auraient eu
aucun intérêt à détruire leur crédibilité en multipliant les rapports sur leur propre
participation à une pratique plus que compromettante, alors qu’ils faisaient face à
plusieurs ennemis à travers des conflits plus ou moins ouvertes. Par ailleurs, on
pourrait honnêtement reconnaître que les capucins qui, dans leur majorité, ont
possédé des esclaves, n’étaient vraisemblablement pas dans leur grand nombre passé
à l’exercice de la traite proprement dite.
Pour confirmer la vente par des missionnaires de leurs propres esclave, il vaut
la peine de commercer d’abord par un témoignage : la mesure décrétée par les
missionnaires à l’époque du P. Giuseppe M. da Madena (1713-1720) excluant de la
communauté ecclésiale des membres qui falsifiaient le prix ou volaient l’argent que
procurait la vente des esclaves de l’hospice.
Les interprétations de cette déclaration peuvent différer. Cependant, il y a lieu
de conclure qu’ici, les esclaves sont rangés non pas du côté des sous-hommes, c’est-à-
dire entre les hommes et les choses, mais exclusivement du côté des choses (au même
titre, par exemple, que le matériel apostolique), propriété de Dieu et de l’Église.
Mais les « esclaves d’Église » sont, d’après les dires de Giuseppe M. da Modena,
beaucoup plus choses que certains objets liturgique et d’autres biens inaliénables et
33

de droit imprescriptible de l’Église, qui ne peuvent ni les vendre, encore moins être
troqués ou même hypothéqués. Les esclaves, choses de l’Église, sont au contraire de
précieuses marchandises dont le profit peut rapidement enrichir personnellement le
marchand-missionnaire ou du moins procurer une meilleure santé financière à son
budget pour l’apostolat.
Certains témoins affirment que des pères n’ont pas non plus résisté à la
tentation de vendre des esclaves qui n’étaient pas « d’Église » et donc très
probablement des citoyens libres et innocents; ou qu’ils ont prétexte des délits sans
aucune gravité à leur charge, afin de les annexer au reste de la marchandise. Du fait
du bénéfice que rapportait aux pères la vente des esclaves, le doute était de plus
semé dans la tête des Kongo quant à l’esprit de pauvreté tant proclamé et
recommandé par les religieux. L’autorité de l’Église, dont la crédibilité était, par un
tel comportement missionnaire, remise en cause, se devait de réagir.

III.4.4. De la dénomination « esclaves d’Église »

En dépit du fait que l’Église n’avait, jusqu’au XIXe siècle, jamais débattu du
drame de la traite et de l’esclavage, c’est- à- dire la déportation vers l’Amérique des
peuples entiers d’Afrique, elle n’avait jamais non plus rédigé un décret autorisant son
personnel missionnaire à détenir, pour des besoins d’apostolat, des captifs qui leur
soient entièrement soumis, à titre d’esclaves.
Au Kongo, la réduction de nombreux hommes, femmes et enfants à la servitude
par ou pour le missionnaire, a connu un assez long développement, avant qu’il ne
soit collé aux détenus l’étiquette d’ « esclaves d’Église » ce terme n’est, par exemple,
nulle part évoqué à l’époque de Laurent de Lucques; pourtant, son confrère
Giovanni Maria da Barletta mentionne la possession d’esclaves par les capucins en
1703.
De toute manière, les esclaves existant dans les États pontificaux, plus proches
de Rome, n’avaient jamais été désignés comme biens de l’Église. Ceux acquis par le
missionnaire au Kongo, de quelque mode que ce soit, étaient au départ, selon le
donateur et les témoins, considérés comme la propriété de l’agent évangélisateur, mis
à son service, au bénéfice de son apostolat.
La désignation « esclaves d’Église » (au Kongo) se précise vers le milieu du XVIIIe
siècle, lorsque Bernardino Ignazio d’Asti (1741-1748) témoigne de la nécessité de
posséder des « esclaves d’Église » et spécifie leur statut, un statut juridique
d’asservissement : le missionnaire ne pouvant de toute évidence pas sillonner la vaste
région de sa juridiction sans le concours indigène, chaque hospice ou poste de
mission posséde pour cela un nombre suffisant d’esclaves. Le simple usage de ces
derniers revient au missionnaire, tandis que leur propriétaire reste le Saint-Siège par
l’intermédiaire du syndic apostolique qui réside à Luanda et assiste le P. Préfet de la
mission.
Le promoteur du statut des « esclaves d’Église » défend, de manière assez
étrange, cette institution.
Du moment que B. Ignazio d’Asti avait décidé de conférer un « statut ecclésial »
aux détenus, il se devait de toute façon de s’expliquer d’une pratique contraire à la
charité chrétienne et contradictoire de la vertu et de l’amour. Ainsi son insoutenable
argumentation.
34

L’hypothèse la plus probante justifiant la cession de leurs esclaves à l’autorité


ecclésiale, c’est certainement que les capucins ne pouvaient en principe rien posséder
en propre, allusion faite à leur vœu de stricte pauvreté. La référence à Rome dans la
détention des captifs constituait, en face des trafiquants de confession catholique et
vis-à-vis des Mani et leur peuple à évangéliser, une protection rassurante et une
excuse d’auprès de l’audience tant européenne que Kongo.
Au terme, la Propaganda Fide n’a rien voulu savoir d’une quelconque
démarche favorisant toute pratique abusive à l’endroit des « esclaves d’Église ».
Néanmoins, force est de constater qu’il est paradoxalement arrivé à l’administration
financière de la Congrégation de la propagande de tirer profit du bénéfice de la
traite exercée par des missionnaires.

III.4.5. La chasse à l’homme

Les esclaves d’origine congolaise ne furent pas acheminés dans la seule colonie
portugaise d’Amérique, à savoir le Brésil. Autre cause de leur essaimage : au départ
du Brésil intervenait une redistribution des ventes, assurée par des négriers de toutes
nationalités. C’est ainsi que les Congolais se retrouvèrent largement dans les
Amériques et les Antilles.
Du côté africain, les partenaires étaient des rois, des princes et des chefs locaux.
Mais très vite, un réseau d’intermédiaires se mit en place, attisé par l’appât du gain.
On y retrouvait, pêle-mêle, en plus des hiérarchies locales, des interprètes, des guides
ou de simples aventuriers, selon les circonstances, les lieux et le mode de capture
envisagé.
Ces techniques furent, en effet, diversifiées, allant de la simple vente des
prisonniers de guerre à celle des condamnés pour vol ou viol, en passant par
l’échange de quelques cadets de familles contre des biens importés. La simple capture
n’était pas rare. Dite de poignage c’était un mode de recrutement par ruse. On
invitait les curieux à visiter les installations des marchands et, au besoin, à y partager
un verre d’alcool, sans le moindre soupçon du danger qui les guettait. Le courtier
trouvait ainsi le moyen d’exhiber la « marchandise ». L’Européen jugeait au coup
d’œil si celle-ci lui convenait ou pas. Lorsque le marché était enfin conclu, des
exécutants faisaient irruption et bondissaient sur la victime, pour la maîtriser et lui
passer le collier et l’entrave de l’esclave. Le tour était joué. Plusieurs traitants
disposaient du droit de poignage sur des territoires des chefs locaux partenaires.
Capturés, les esclaves étaient acheminés vers la côte. Dans les ports, ils étaient
entassés dans des sortes de hangars, en attente d’une occasion de vente bénéfique ou
d’un nombre suffisant pour envisager une traversée de l’Atlantique. Cette période
pouvait totaliser plusieurs semaines.

III.5. LA TRAITE ORIENTALE

Sur la côte orientale, l’activité commerciale continua à être assez florissante au


18 siècle, y compris l’activité négrière. Les principaux débouchés en étaient pour
e

l’essentiel les plantations françaises, les colonies espagnoles et portugaises


d’Amérique, l’Inde, l’Arabie et les pays du golfe Persique.
Les familles et groupes arabes qui contrôlaient ces activités ne manquèrent pas
de s’affronter sur ce terrain juteux en des conflits parfois fameux. Le sultan d’Oman
35

décida de s’installer à Zanzibar et d’y transférer sa capitale. Toutefois, à cause d’un


traité préalable signé avec l’Angleterre, relatif à l’interdiction d’exportation des
esclaves, il se trouva dans l’obligation de trouver d’autres ressources. Il s’orienta alors
vers les cultures de cocotiers et, surtout, de girofliers. Cette plante, d’origine
indonésienne, rencontra un grand succès, les clous de girofle se vendaient bien en
Asie. Ce commerce devint des plus florissants. Mais ce succès présentait un revers. Ces
cultures exigeaient une main-d’œuvre abondante. Pour y pourvoir, une traite
négrière s’y développa, s’étendant jusqu’à l’ouest du lac Tanganyika et touchant des
populations relativement épargnées, du moins jusque-là.
C’est ainsi que, dans la deuxième moitié du 19e siècle, Zanzibar devint à la fois
le gros importateur d’esclaves, mais aussi leur important distributeur vers d’autres
destinations. Ils étaient utiles, non seulement pour l’agriculture, mais aussi pour le
commerce d’ivoire. Développée depuis des siècles vers l’Inde et la Chine, cette
activité connut un essor prodigieux au 19e siècle, à cause de la grande croissance de la
demande. En effet, au marché traditionnel du Moyen et de l’Extrême-Orient
s’ajoutèrent ceux d’Europe et d’Amérique. L’épuisement rapide des zones de chasse,
à cause des armes à feu, incita à poursuivre des troupeaux d’éléphants encore et
toujours plus loin. Et ces zones d’approvisionnement ne cessèrent de s’enfoncer dans
l’arrière-pays.

III.6. L’ABOLITION DE LA TRAITE

En principe, le 19e siècle fut celui de l’abolition de l’esclavage. En pratique,


cette période de passage du commerce illicite au commerce licite continua encore, au
Congo, à être celle du règne esclavagiste.
En effet, tandis que la côte atlantique connaissait ses derniers rebondissements
en matière négrière, la côte orientale sombrait dans une importante activité dans ce
domaine, dont les effets touchèrent le Congo oriental. Même la Grande-Bretagne, la
championne de l’abolition de la traite, mit plus de soixante ans avant de l’extirper de
ses pratiques. C’est seulement en 1873 qu’elle ferma son dernier marché d’esclaves à
Zanzibar, malgré la fondation auparavant de Freetown et Libreville pour
l’établissement des esclaves libérés respectivement par les Britanniques et les Français.
Sur la côte occidentale, le trafic d’esclaves réussit à prospérer, au début du 19e
siècle. S’y activaient des négriers de toutes nationalités : britannique, française,
hollandaise et portugaise. Environ 384 300 esclaves furent exportés de cette région.
Mais, bientôt, les exportations d’ivoire entrèrent en concurrence et dépassèrent
en valeur celles d’esclaves. Ce boom ne dura pas plus de trente ans ; l’ivoire fut
dépassé, dans la suite, par le caoutchouc. Plusieurs royaumes perdirent de leur
influence à la suite de celui du Kongo et éclatèrent en une multitude de micro- États.
D’autres groupes se mirent à faire fortune : l’ivoire facilitait l’acquisition des fusils qui,
à leur tour, rendaient la chasse plus facile et plus rentable.
36

CHAPITRE QUATRIEME : L’EGLISE A L’EPOQUE DE L’ETAT


INDEPENDANT DU CONGO

Dans la deuxième moitié du 19e siècle, on observe un regain d’intérêt de


l’Europe pour l’Afrique. Aux expéditions d’exploration succède bientôt une course à
l’occupation (scramble) des territoires explorés. Les voyages et récits des explorateurs
préparent la voie aux « aventures missionnaires ». Plusieurs congrégations se fondent
ou se restructurent en Europe pour évangéliser le « pays nègre ». Une compétition
s’engage entre différents instituts missionnaires qui cherchaient chacun à avoir des
« terres » à évangéliser. Cette compétition qui se déroulait au même moment que les
rivalités entre les puissances européennes qui cherchaient, elles aussi, à occuper
l’Afrique noire, tournera parfois en véritables crises dont le dénouement impliquera à
la fois le Saint Siège et les Etats. La crise entre les Spiritains et les Pères Blancs de Mgr.
Lavigerie est la plus emblématique pour l’histoire de l’Eglise en Afrique Centrale.

IV.1. « EXPLORATION » DU BASSIN DU CONGO

Les interrogations géographiques continuaient à hanter les esprits. Depuis Ptolémée,


on n’avait guère avancé dans la connaissance de l’Afrique, en dehors des
informations sur le pourtour du continent, révélées par les voyages du 15e siècle.
Trois siècles après la découverte de l’embouchure du grand fleuve, on ne disposait
toujours d’aucune donnée complémentaire. Deux personnages, pour des raisons
différentes, furent à la base du basculement du bassin du Congo dans le champ des
connaissances géographiques, au début de la deuxième moitié du 19e siècle. Il
s’agissait de David Livingstone et d’Henry Morton Stanley.
Auparavant, quelques avancées avaient été réalisées, sous l’impulsion de la Royal
Geographic Society de Londres. En 1816, l’Anglais James Kensington Tuckey fut
chargé de vérifier si le grand fleuve, dont on ne connaissait que l’embouchure, n’était
pas le Niger qui coulait à Tombouctou. Il réussit à remonter le cours du Congo, sans
toutefois parvenir à contourner les chutes et trouva la mort au cours de l’expédition.
Ce souvenir douloureux détourna longtemps l’Europe de cette contrée.
En 1858, deux officiers de l’armée des Indes, Richard Burton et John Hanning Speke,
furent chargés de s’approcher des fameuses chaînes de montagnes signalées par
Ptolémée, où devaient se trouver les sources du Nil. Cette mission conduisit à la
connaissance des grands lacs. Le 13 février 1858, les deux compagnons firent la
découverte du Tanganyika. Puis, Speke poursuivit seul vers le nord et parvint au lac
Nyanza qu’il baptisa Victoria du nom de la reine.
L’année suivante, le même Speke revint sur les lieux avec le capitaine ,Grant pour
tenter de confirmer que le lac Victoria était bel et bien la source du Nil. Descendant
le Nil Blanc en pirogue, ils croisèrent Sir Samuel Baker qui le remontait, en
provenance de l’aval. La preuve était ainsi faite. Baker, à son tour, poursuivit son
expédition et le lac Nzige qu’il baptisa lac Albert, en l’honneur du mari de la reine
d’Angleterre.
Les Britanniques ne furent pas les seuls à se préoccuper de l’énigme du Nil. D’autres
s’efforcèrent de percer ce mystère, au départ de l’embouchure de ce fleuve en
Égypte, dans la direction du sud. Le botaniste allemand, Georges Schweinfurth,
37

donna le ton avec sa grande expédition qui atteignit Fachoda en 1869. De là, il
pénétra dans l’espace congolais Il nous a laissé les premières descriptions de la région,
évoquant notamment les Pygmées de l’Uélé et les méfaits de la traite des esclaves.
L’énigme des sources du Nil hantait également Livingstone, le premier missionnaire
de la région. Cet Écossais avait d’abord caressé le rêve de devenir médecin
missionnaire en Chine, au service de la LMS (London Missionary Society). Mais il fut
détourné de cet objectif vers l’Afrique. De l’Afrique du Sud où il commença sa
carrière, il décida d’aller affronter les « terres inconnues », plus au nord, à partir de
1849. En Afrique centrale, il fut choqué par les ravages de la traite et, dès lors,
préoccupé par la nécessité de trouver une voie pour désenclaver ce pays, l’ouvrir à la
prédication de l’Évangile et à la suppression de la traite, pour remplacer cette activité
par un commerce légal. Le médecin missionnaire se fit alors explorateur et devint un
héros par sa traversée de l’Afrique. En 1858, il y repartit, avec l’appui du
gouvernement anglais, dans le but d’assurer l’exploration du cours du Zambèze. Mais
la remontée du fleuve ne put se réaliser à cause des chutes. Aussi regagna-t-il
l’Angleterre pour y repartir en 1866, cette fois-ci pour rechercher la véritable source
du Nil, au sud du lac Tanganyika. Il découvrit ainsi les lacs Moëro et Bangwelo et les
rivières Luapula et Lualaba.
Durant les années qui suivirent, comme on était sans nouvelles à Londres du vieux
missionnaire, des expéditions furent organisées pour le retrouver. C’est dans ce cadre
qu’Henry Morton Stanley vint en Afrique. Mandaté par l’éditeur du journal The
New York Herald pour aller à la recherche du missionnaire explorateur, ce
journaliste américain débarqua à Zanzibar en 1871. Un mois plus tard, avec la
caravane qu’il avait constituée, il prit le chemin de Tabora. Après trois mois d’arrêt, il
se dirigea vers Udjidji. C’est là, le 10 novembre 1871, qu’eut lieu la légendaire
rencontre avec Livingstone. La visite était plus que bienvenue. Malade, le vieux
missionnaire médecin était sans ressources et sans soins, sa valise médicale ayant été
emportée et ses provisions alimentaires volées. Ensemble, ils explorèrent le nord du
lac Tanganyika et établirent formellement que la Rusizi coulait vers ce lac et non
l’inverse. Stanley regagna l’Angleterre. Peu après, dans son campement, Livingstone
fut retrouvé sans vie par ses serviteurs. Son corps fut transporté en Angleterre où il
repose dans l’abbaye de Westminster.
À Stanley, la nouvelle causa un choc. C’était aussi une interpellation. Lors des
obsèques de Livingstone, il s’estima en devoir de poursuivre son œuvre
d’exploration, ayant été le dernier Européen à le rencontrer. Le problème séculaire
des sources du Nil restait à résoudre. Il fallait dénouer l’énigme du Lualaba pour
déterminer de quel fleuve il constituait le cours supérieur. L’option de Stanley
correspondait à l’attente du public, à celle aussi des grands journaux, comme le New
York Herald et le Daily Telegraph qui lui assurèrent le soutien matériel nécessaire. Il
reçut plus d’un millier d’offres de collaboration et finit par se choisir trois jeunes
assistants.
Ce deuxième voyage, through the dark continent (à travers le continent mystérieux),
selon le titre qu’il donnera plus tard à son récit de voyage, fut entamé en 1874. Il
dura trois ans, avec pour objectif de balayer les dernières énigmes géographiques de
l’Afrique centrale : parachever l’exploration du lac Victoria, assurer celle du lac
Albert, vérifier si le lac Tanganyika possédait ou non un canal d’écoulement et
surtout en finir avec les multiples hypothèses sur l’identification du Lualaba.
38

Parti du littoral, avec une caravane d’au moins 356 hommes, il s’orienta d’abord vers
le lac Victoria. Ensuite, il effectua un périple sur le lac Tanganyika. Restait à affronter
l’inconnu. Il obtint de Tippo-Tip de l’accompagner. Le contrat fut conclu pour
soixante jours de marche, dans cette « terre inconnue », tant des Européens que des
Arabes. Stanley rencontra bientôt les premières hostilités, mais ce n’était que le début
: lui-même reconnut avoir livré trente-deux combats.
Pourtant, le plus dur était ailleurs. Le franchissement des cataractes, en aval du pool,
fit encore plus de victimes parmi ses hommes ; il occupa quatre mois du voyage. À
une dizaine de kilomètres de Boma, complètement exténué, il demanda de l’aide.
Une équipe de secours rejoignit les voyageurs à la dérive. Celui qui avait retrouvé
Livingstone venait de révéler au monde les secrets du fleuve Congo et d’ouvrir
l’ensemble de son bassin aux influences extérieures. Le dernier vide de la carte de
l’Afrique venait d’être comblé, du moins dans ses grandes lignes : le Lualaba était le
cours supérieur, non pas du Nil, mais du Congo.

IV.2. AUX ORIGINES DE L’ETAT INDEPENDANT DU CONGO

Le tout avait commencé en ce jour du 17 décembre 1865 quand Léopold II


succédait à son père Léopold I au trône de Belgique. Ce pays venait, trente-cinq ans
plus tôt, en 1830, de s’émanciper de la tutelle hollandaise. Le jeune roi de trente ans
cherchait une colonie pour trouver de nouveaux débouchés pour l’industrie de son
pays afin de compenser ceux que la séparation avec la Hollande avait fait perdre.
C’était même avant de devenir roi qu’il avait entamé ces démarches : il avait
envisagé d’acheter le sultanat de Sarawak en 1860 et avait entrepris un voyage en
Égypte et en Extrême-Orient en 1865. Une fois au pouvoir, il tentera, en vain,
d’acquérir le Mozambique. Il se tournera alors vers les Philippines et proposera, en
1868, de les racheter à l’Espagne. C'était peine perdue.
En 1875 était apparu la version française du livre de l’explorateur allemand
Schweinfurth sous le titre de « Au cœur de l’Afrique ». L’auteur estimait, qu’à son
avis, le moyen le plus efficace de supprimer l’esclavage des Noirs est la formation de
grands ensembles politiques africains indépendants et forts. Ces ensembles réuniraient
les territoires les plus exposés aux rapts pour les placer sous le protectorat de
puissances européennes. Léopold II avait enfin trouvé un projet à réaliser, à la fois
d’ordre humanitaire et international. Il était convaincu que, sous couvert d’une
œuvre humanitaire, il pouvait se constituer un empire au cœur de l’Afrique.
C’est ainsi qu’il a convoqué une conférence internationale de géographie pour
faire le point sur les connaissances acquises jusque-là sur l’Afrique. Cette Conférence
Géographique de Bruxelles s'était tenu, au palais royal, du 12 au 14 septembre 1876.
Les délégués de la France, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de l’Autriche et de la
Russie ainsi que d’autres nations y ont pris part. A l’issue des travaux, il était décidé
de créer une Association Internationale pour l’exploration et la civilisation de
l’Afrique (A.I.A.) ; son support sera une structure souple : chaque nation crée en son
sein un Comité national. Le roi, désigné président de l’association, nomme un
secrétaire général, en l’occurrence le baron J. Greindl. L’A.I.A. choisit comme
emblème, un drapeau bleu à l’étoile d’or. Le Comité belge de l’A.I.A. se montrera
actif.
39

Un autre événement majeur avait décidé Léopold II à continuer son projet


colonial en Afrique centrale : l’arrivée de Henry Morton Stanley à Boma, en Août
1877.
En effet, Stanley, de son vrai nom John Rowlands, est venu pour la première
fois en Afrique en 1871 à la recherche du missionnaire protestant David Livingstone
dont on avait plus de nouvelles en Europe depuis 1869.
En 1874, avec les appuis et le soutien matériel de deux journaux américains, le
New York Herald et le Dally Telegraph, Stanley entame, à partir de la côte Est, son
second voyage africain. Son expédition part de Bangomoyo, le 17 novembre 1874.
Son escorte est composée de 356 personnes. Il fait le tour du lac Victoria puis des lacs
Albert et Édouard. Il descend vers le Tanganyika puis, par la Lukuga, il débouche sur
le Lualaba qu’il descend jusqu’à Nyangwe. Il décide de poursuivre la descente du
fleuve.
Il arrive au large des Falls qu’il entreprend de contourner, le 8 janvier 1877. Il
parcourt sans grande difficulté le Haut-Fleuve et atteint le Pool Malebo, le 12 mars.
Épuisé et après avoir perdu plusieurs de ces hommes, Stanley arrive à Boma, en août
1877. Il vient ainsi résoudre, pour la science occidentale, le problème de la source du
fleuve Congo et le mystère du cœur de la forêt équatoriale.
La nouvelle de cette traversée fait la une de plusieurs journaux en Europe et
Léopold II est très intéressée. En janvier 1878, il apprend que le fameux
« explorateur » anglo-américain, venant de l’Italie par express, va regagner sa patrie
d’origine par le port de Marseille.
Le roi saisit l’occasion et envoie ses émissaires, - le baron Greindl et le général
Sanford - rencontrer Stanley et l’inviter à Bruxelles pour lui offrir de mettre au service
de l’A.I.A. l’expérience qu’il venait d’acquérir en Afrique.
L’explorateur commence par décliner l’invitation, préférant accorder la primeur
du capital d’information à l’Angleterre. Mais déçu par le peu d’empressement que
manifeste son pays d’origine, il revient vers Léopold II. Le roi le reçoit à Bruxelles en
juin 1878. Profitant de la nouvelle opportunité que lui offrent les connaissances de
Stanley sur le vaste bassin du Congo, Léopold II constitue, le 25 novembre 1878, un
Comité d’Etudes pour le Haut-Congo (CEHC). Cet organisme a pour objectif la
création d'une voie commerciale entre la côte atlantique et la partie navigable du
fleuve ; ses ressources seront constituées de plusieurs souscriptions.
Fin 1878, Stanley signe un contrat de cinq ans avec le CEHC. Il s'engage à fonder des
stations, à étendre leur influence aux chefs des tribus voisines et à garder le secret de
son action jusqu’au terme de son contrat. Stanley travaillera au Congo de 1879 à
1884 soit cinq années. Il fonde des stations à partir du Bas-Fleuve, de Vivi à
Léopoldville à l’endroit qu’on appelait Khonzo Nkulu (1er décembre 1881). Dans le
Haut-Fleuve : la dernière est Stanleyville (Kisangani) le 1er décembre 1883.
Il entre dans la bouche de Kwa, Kwamouth. Il fonde Nswata pour aller jusqu’au lac
Mai-Ndombe qu’il baptise lac Léopold II (en Mai 1882).
Au même moment, un autre explorateur, Savorgnan de Brazza, parcourt la
région du Bas-Fleuve et du Pool Malebo au profit de la France. Il signe aussi des
traités avec les chefs locaux et implante le drapeau français à Nshasa à quelques lieues
en amont de la future station de Léopoldville. Un véritable « scramble » (« course au
cocher ») s’engage entre la France et Léopold II. Pour contrecarrer les prétentions de
De Brazza, le souverain belge décide, le 17 novembre 1879, de dissoudre le C.E.H.C.
qui dépendait d’un éventail de souscripteurs. Il crée alors, en 1882, l’Association
40

Internationale du Congo (A.I.C) dont il est le seul maître. Cette nouvelle association
a un but essentiellement politique : l’acquisition de la souveraineté pour l’ensemble
des stations créées dans le bassin du Congo. On voit germer, lentement mais
sûrement, un État sous le couvert d’une association humanitaire.
Il fallait maintenant laisser tomber les masques et donner à cette entreprise sa
signification politique. Léopold II cherche d’abord à soustraire les territoires qu’il est
entrain de gagner, aux convoitises d’autres puissances, notamment celles de la
France, de l’Angleterre et du Portugal. Pour gagner ce pari, il s’ingénie à faire
admettre ses possessions comme des entités jouissant de « l’indépendance ». Il
demande d’abord qu’on reconnaisse ses stations comme des « villes libres »
(novembre 1882) ; puis il réclame que ses conquêtes deviennent des « stations et
territoires libres » (février 1883). Il ne s’arrête pas là. Il légitime ses territoires en
« États libres du Congo » (novembre 1883) puis en « État libre du Congo » (janvier
1884).
Entre temps, les tensions grandissent dangereusement entre les puissances
européennes qui veulent chacune s’octroyer des zones d’influence en Afrique. Il
s’avère donc nécessaire d’organiser une concertation pour faire baisser la tension.
C'est ce qui sera fait à la Conférence de Berlin.

IV.3. SITUATION RELIGIEUSE DE L’AFRIQUE CENTRALE

Sur la côte atlantique, la Préfecture Apostolique du Kongo, abandonnée par


les capucins italiens en 1835, est reprise en 1865 par les missionnaires du Saint-Esprit
suite au démembrement du Vicariat Apostolique des Deux-Guinées créé en 1863.
À l‘est, les Spiritains occupent Zanzibar et s’établissent à Bagamoyo en 1868.
L’année suivante, ils élaborent des plans pour pénétrer à l’intérieur du continent et
rejoindre leurs confrères venus de la côte occidentale. Les missionnaires de Vérone de
Daniel Comboni entreprennent la pénétration du Haut-Nil (Soudan) à partir du nord
et font de Karthoum le centre de leur action. Les Lazaristes (Mgr de Jacobis)
reprennent la Mission d’Abyssinie et les capucins de Toulouse celle des Gallas (Mgr.
Massaja). En juillet 1868, Lavigerie formule des projets missionnaires en direction de
l’Afrique saharienne. Ceux-ci n’entrent pas directement en concurrence avec les
sociétés chargées d’immenses territoires dessinés très grossièrement à l’est (Gallas,
Abyssinie, Zanguebar), à l’ouest (Vicariat de deux-Guinées, Sénégambie, Sierra Leone,
Bénin-Dahomey), au centre (Vicariat d’Afrique centrale) et au sud ( Vicariat de cap
de Bonne-Espérance divisé en 1847).
Les ignorances de la géographie sont telles que le Vicariat d’Afrique centrale
est établi en 1872 « jusqu’aux monts de la lune » dont Comboni continue à certifier
l’existence en 1877. En réalité, jusqu’à la traversée du centre de l’Afrique et la
descente du fleuve Congo par Stanley, le « cœur » du continent restera une « terra
incognita » aussi bien pour les géographes que pour les missionnaires occidentaux.

IV.3.1. La Préfecture Apostolique du Kongo sous la juridiction de Spiritains

Préfecture apostolique du kongo créée en 1640 et confiée aux Capucins, est


abandonnée par ceux-ci, le 07 Mai 1835. En 1852, l’Evêque de Loanda Mgr Joaquim
41

Moreira Reis pour évangéliser l’Angola et le Kongo ne dispose en tout et pour tout
que de 5 prêtres.
Le 9 septembre 1865, la sacrée congrégation de la Propagande publie un décret
qui confie à la Congrégation du Saint Esprit la Préfecture apostolique du Kongo avec
la position et les droits qu’avaient autrefois les capucins. Après avis de son conseil, le
Père Ignace Schwinden Hammer décide en date du 1er octobre 1865 d’accepter cette
nouvelle œuvre qui entre dans les fins de l’institut.
Le 9 décembre 1865, le Cardinal Barnabo, Préfet de la sacrée Congrégation de
la Propagande fait paraître un nouveau décret où l’expose les circonstances
historiques de cette reprise de la mission du Kongo. Quelle l’origine de cette
congrégation du Saint Esprit qui accepte de reprendre le Kongo ?
La congrégation du Saint Esprit a été fondée par le père François LIBERMANN
(1805-1852), fils d’un pieux rabbin de l’Alsace. Après avoir reçu une éducation juive
conservatrice, il devint agnostique, puis se convertit au catholicisme. Il étudie la
théologie ; mais avant le sous-diaconat, il est terrassé par une crise d’épilepsie et donc
exclus de la prêtrise. Il continue au séminaire comme domestique jusqu’au jour où les
Pères Eudistes le moment maître de Novices. Deux de ses condisciples Frédéric le
Vavasseur et Eugène Tisserant l’encouragent à fonder une société par l’évangélisation
des esclaves nègres qui devraient bientôt être émancipés dans les colonies françaises.
Il alla à Rome et son projet reçut l’approbation du pape ; sa santé s’améliore,
il est ordonné prêtre et immédiatement après, il ouvre un noviciat pour sa
congrégation « la société du Saint cœur de Marie » (1842). Cette Congrégation au
départ va en Haïti, Île de la Réunion, au Madagascar. L’idéal de base de la société :
annoncer le Royaume, établir l’Evangile dans les pauvres, les gens les plus négligés.
A Haïti et à l’Île Maurice, il y avait déjà des pères des missionnaires du Saint Esprit et
ces missionnaires refusent la venue des missionnaires de Libermann. Ce dernier avec
ses gens cherche d’abord en Amérique de la place pour s’installer. Les USA renvoient
des esclaves en Afrique pour constituer le Liberia ; les missionnaires américains
viendront au Liberia (à Monrovia, capitale). Les missionnaires de Libermann
s’installent au Liberia en partance des Etats-Unis. Le siège confie le Vicariat
apostolique de deux Guinées c’est-à-dire la côte Ouest (Afrique occidentale sauf le
Sénégal) aux pères du Saint Cœur de Marie. (Le vicariat de 2 Guinées). Ils fondent les
missions jusqu’au Gabon.
En 1848, Libermann entre en négociation avec la Congrégation du Saint Esprit. Il
dissout sa Congrégation et entre dans la congrégation du saint Esprit avec tous ces
nombres. Les Spiritains étaient déjà au Sénégal. L’actuelle congrégation du Saint Esprit
est la fusion de la congrégation du Saint Esprit et du saint Cœur de Marie. Libermann
meurt le 02 février 1852.
Les Spiritains prennent donc officiellement la possession de la préfecture du Kongo.
Ils fondent progressivement une série des missions : Ambriz le 14 Mars 1866, Saint
Jacques de Landana (au Sud du Gabon actuel), le 25 juillet 1873.
De Landana, le Père Carrie se rend à Boma et acquiert le 11 Juillet 1876 un lopin de
terre situé au bord du fleuve. Après quelques visites en 1878 et 1879, la mission
Notre dame de Victoire de Boma est fondée le 12 Mai 1880 par les Pères Carrie et
Jean-Baptiste Visseq. A la fin de l’année, le Père Mattias Schmitt prend la direction de
la mission. Boma est donc la première installation des spiritains français dans
l’actuelle RDC.
42

IV.3.2. Les Missionnaires d’Afrique (Les Pères Blancs) en Afrique centrale

Pendant qu’à la côte ouest les spiritains s’activent à fonder les missions, à l’est
les missionnaires du cardinal Lavigerie pénètrent eux aussi à l’intérieur du continent.
Charles Lavigerie est né en 1802 au pays Basque ; grand admirateur d’Ignace de
Loyola. Sa vocation missionnaire se serait éveillée lorsqu’il était directeur de l’œuvre
d’Orient de 1857-1861 (œuvre d’Orient = association qui soutient les chrétiens
d’Orient). Après avoir été Evêque de Nancy, il accepte l’Evêché d’Alger en 1867.
Dans sa tête, Alger est seulement le point de départ d’en vaste programme
d’évangélisation d’Afrique. Il manifeste une activité et une imagination débordantes
au service de l’Evangélisation.
En 1868, il fonde « les Missionnaires d’Afrique » pour prêtres et frères. En 1869, il
fonde « les Sœurs missionnaires d’Afrique ». A cause de leur vêtement blanc, ils furent
connus comme les Pères blancs ou les Sœurs blanches. Les Pères blancs, à partir
d’Alger, font montre d’un grand zèle missionnaire. Lavigerie les envoie vers l’Afrique
équatoriale commençant par le Sahara, puis le Soudan.
Devant ce zèle, Rome confie à Lavigerie un vicaire apostolique qui couvre le Sahara
et le Soudan ; à partir de 1873, une délégation apostolique pour l’Afrique
équatoriale.
En 1877, le voyage de Stanley ouvre l’Afrique centrale au monde occidental.
Lavigerie se saisit de cette opportunité pour présenter au Pape l’obligation qui
incombe à l’Eglise d’évangéliser cette partie pour lutter contre la traite des noirs
opérée par les Arabe. C’était à l’époque de Pie IX Lavigerie se dresse une lettre au
cardinal FRANCHI, le 02 janvier 1878 : « quel spectacle plein de grandeur un pape
enfermé dans son palais envoie des missionnaires pour détruire l’esclavage ». Léon
XIII, successeur de Pie IX, le 24 février 1878 ratifie et publie la décision de confier à
Mgr Lavigerie la direction de l’organisation des missions en Afrique centrale.
En 1870, il fonde des frères armés du Sahara (ne dure pas longtemps).
La découverte (exploitation) du Fleuve Congo depuis la Lwalaba (considérée
comme source du Nil) à Banana, embouchure. Les occidentaux découverts qu’il y
avait la traite des noirs opérée par les orientaux, les arabes. Esclaves destinés d’abord
à l’île de Zanzibar à cause de la culture de girofle (les épices) ; canne à sucre,
domestiques …
Cette traite a servi d’alibi pour Lavigerie qui dira au pape que « l’Eglise devait
porter le message à ces lions d’arbres assis… ». C’est le Pape Pie IX. Le Pape réunit la
Congrégation de la Propagande et les missionnaires qui se rendent compte de
l’urgence de l’appel de Lavigerie. Pie IX meurt avant d’envoyer ces missionnaires.
Le 03 février 1869, Lavigerie obtient l’approbation de constitution de sa
Congrégation (pères blancs en Afrique). Lavigerie, alors Archevêque d’Alger, envoie
ses missionnaires vers le sud à l’Est de l’Afrique centrale où ils fondent 2 missions :
Nyanza et Tanganyka. Les 2 à peine établies, Lavigerie obtient de la Propagande le
30 décembre 1870 la transformation de ces 2 premières missions en Provicariats et il
obtient aussi la fondation de 2 nouvelles missions : celle du Congo septentrional et
du Congo méridional.
- La mission du Congo septentrional : va des sources de la Bénoué (sud du Nigeria)
jusqu’au Pool Malebo (Stanley Pool).
- Les limites du Congo Méridional suivaient les cours du Congo.
43

A l’est du Congo, dans leur mission de Tanganyka, les pères Blancs fonde leur
premier poste à Mulweba en 1880.

IV.3.3. Les protestants

Il convient de remarquer que les missions protestantes s’intéressent au Congo


bien avant la création de l’E.I.C. Deux sociétés missionnaires cherchent déjà à cette
époque à pénétrer à l’intérieur du Congo : la Livingstone Inland Mission (LIM) et la
Baptist Missionary Society (BMS).
La première société est créée à Londres en 1877. Le nom de Livingstone désigne
le fleuve Congo, baptisée ainsi par Stanley. Les premiers missionnaires s’installent
dans le Bas-Congo, à Palabala et Mbanza Manteka (1879) en amont des chutes. Les
missionnaires britanniques essaiment progressivement le long du fleuve et s'établissent
successivement à Bemba (1880), Mukimvika (1881), Lukunga(1882) et Kintambo
(1883). La LIM cesse d’exister en 1884, après avoir fondé une mission à Wangata tout
près du poste de l’État à l’Équateur. Ses dirigeants britanniques remettent leurs postes
et leurs missionnaires aux Baptistes américains de l’American Baptist Missionary
Union (ABMU). Ceux-ci fondent à partir de 1890 des stations dans le Haut-Congo (
Bwemba, Irebu, Ikoko) et dans le Bas-Congo (Kifwa). Pour le service des postes situés
le long du fleuve et de ses affluents les Baptistes Américains se servaient du steamer
Henry Reed repris à la LIM.
La station de la LIM fondée à Mukimbungu, sera acquise en 1885 par la
Société Missionnaire Suédoise (Svenska Missionsförbundet) Les Suédois fondent
Kibunzi, Diadia, Kinkenge, Nganda, Kingoyi et Kinkenda.
En 1888 les fondateurs britanniques de la LIM créent une nouvelle société, la
Congo Bolobo Mission qui choisit plutôt de s’établir dans l’actuelle province de
l’Équateur. Ils disposent de leur propre steamer, le Pioneer.
Quant à la Baptist Missionary Society (B.M.S.), implantée au Cameroun depuis
1844, elle avait déjà, au début de 1878, envoyé son missionnaire George Grenfell au
Bas-Fleuve pour y chercher un point de départ vers le Stanley Pool.
Grenfell revient en 1879 avec: Thomas J. Comber. Ils choisissent de s’établir à
São Salvador, considéré comme une base de départ idéale en direction du Pool. Ils
sont suivis par William Bentley et H.E. Crudgington qui arrivent au Pool en février
1881 en longeant la rive nord du fleuve, mais à Fwa, ils doivent rebrousser chemin
sous la pression de Malamine. De leur côté Grenfell et Comber avancent sur la rive
gauche du Congo et établissent des missions dans les stations de Stanley : Isangila et
Manianga. Ils arrivent à Kinshasa en 1882 et fondent plus tard Lukolela et Ngombe-
Lutete en 1884.
Grâce à un bateau qui leur avait été offert – le « Peace » - Grenfell et Comber
explorent, en juillet 1884, le Kwa et la Mfimi jusqu’au lac Maï-Ndombe (Léopold II),
ensuite ils s’engagent dans le Kwango, car les îles leur ont masqué l’embouchure du
Kasaï au confluent Kasaï-Kwilu. La résolution de l’énigme du Kasaï, décide Grenfell à
projeter, pour l’année 1886, une tournée de reconnaissance sur cette rivière et sur la
Lulwa. Cette fois-ci, Wissmann qui revenait de son repos à Madère et voulait
regagner Luluabourg, s’offre pour lui servir de guide.
44

IV.3.4. Les revendications portugaises

Au même moment que Stanley et de Brazza cherchent à occuper le territoire, le


Portugal fait revivre sur le plan religieux et politique ses anciennes prétentions sur la
partie située entre l’Angola et le Gabon comprenant l’estuaire du Congo.
La réponse politique à cette revendication intervient à Berlin le 14 Février 1885
lors d’une transaction entre le marquis de Penafiel (représentant le Portugal) et le
Colonel Strauch représentant l’E.I.C.
A la suite de ces pourparlers, l’E.I.C. prend possession de la rive Nord du fleuve
Congo et se fraye un accès à l’Océan ; tandis que le Portugal voit ses revendications
réduites à une petite bande sur la rive gauche de l’estuaire du Congo (petite terre sur
Nioki) et l’enclave de Kabinda (fait partie de l’Angola).
Sur le plan religieux, le Portugal envoie son émissaire à Rome pour réclamer le
droit lié Padroâdo (droit de patronage ou de présentation). Depuis le Pape Nicolas
V, le Portugal a le droit d’Evangéliser le Congo » (Privilège ou droit historique).
Si Léopold II reconnaît ce privilège historique, cela signifie qu’il va laisser à un
état étranger s’immiscer dans les affaires du Congo. C’est alors que ses juristes
donnent les réponses suivantes :
Sur le plan théorique, les revendications portugaises se justifiaient par le fait que
les bulles conférant de droit de patronage n’avaient jamais été révoquées.
En droit l’impossibilité matérielle où se trouvait le Portugal de remplir ses
charges patronales avait été constaté depuis 2 siècles et demi. Le décret de la
propagande du 14/07/1634 et du 27/06/1640 instituant sous la direction de la sacrée
congrégation de la propagande des préfectures de la Guinée et du Congo avait
implicitement abrogé de ses circonscriptions les patronats concordataires.
De plus, le Portugal acceptant de son plein gré et sans l’ascension de son contractant
le Saint Siège, les stipulations du Congrès de Berlin sur la liberté du culte renonçaient
par là même à la concession du patronat dont il n’avait pas observé la condition
principale.
Un précédent de plus sera établi à l’encontre de prétention portugaise par la création
le 24/11/1886 du vicariat apostolique du Congo français.
En ne protestant pas à cette occasion, les hommes d’Etat de Lisbonne perdaient leur
crédibilité.
Libre de tout engagement vis-à-vis du Portugal, le Saint Siège érigera le Vicariat
apostolique de l’E.I.C. cette décision entraînera l’abrogation du patronat religieux
dans tous les territoires soumis à l’autorité de Léopold II.

IV.3.5. Crise de juridictions ecclésiastiques : les Spiritains contre les Pères Blancs

La mission du Congo Méridional confiée aux Pères Blancs avait comme une des
frontières le Kwango. Or cette frontière se trouve être à l’intérieur de la préfecture
apostolique du Kongo donnée depuis 1865 aux Pères Spiritains. Les frontières définies
par Rome, en 1865, jusqu’à la rivière Kunene en Angola et à l’est jusqu’au Kasaï.
La première plainte provient des spiritains qui constatent que la Propagande ne leur
a rien dit lorsqu’il s’est agi de confier le Congo méridional à Lavigerie. Le Supérieur
des Spiritains, le père Emonet, lira, comme n’importe qui, cette information dans
« Les Missions Catholiques ». Les Spiritains protestent donc contre l’attribution d’une
45

juridiction à l’ouest aux Pères Blancs. Ils évoquent leur droit de premier occupant et
veulent s’installer au Stanley pool.
Au même moment, les Pères Blancs cherchent à occuper leur mission du Congo
Méridional.
En 1883, Mgr Lavigerie envoie deux prêtres à partir de l’Ouest. Ce sont les Abbés
Guyot et Baudonnet. Il les envoie fonder une mission sur les rives du Congo, ils
arrivent au Stanley pool en Juin 1883. L’Abbé Guyot cherchant à monter le fleuve se
noie le 12 Juillet 1883 à une trentaine de km de Kwamouth (avec un belge Jassens).
Une autre tentative avec Dupont, Schynse et Merlon ils embarquent à Lisbonne
le 06 Juillet 1885, arrivent à Banana avec pour mission de fonder 2 postes de
missions sur la rive droite du Kasaï.
Au mois de Mars 1886, ils construisent une nouvelle station un peu en amont
de Kwamouth et ils la nomment « Notre Dame de Bungana ». Le 18 Mai 1886, les
Pères Spiritains avaient aussi fondé sur la rive gauche du Kasaï prêt du Kwamouth, la
mission « Saint Paul du Kasaï ». Ainsi on trouve cette année-là, deux missions à
Kwamouth (rive droite Pères Blancs, rive gauche, Pères spiritains).
Ce conflit ne sera résolu que de façon politique à la conférence de Berlin.
IV.3.6. Conférence de Berlin et reconnaissance de l’E.I.C.
C’est le Chancelier allemand Bismarck, ami personnel de Léopold II, qui
convoque la Conférence. Elle dure trois mois, du 15 novembre 1884 au 26 février
1885. Son objectif est d’aboutir à une entente entre les nations occidentales au sujet
de l’occupation et de l’exploitation de l’Afrique. Les conclusions de la conférence
sont présentées dans l’Acte général de Berlin dont le contenu se résume en ces
quelques points :
- Liberté de commerce dans le bassin conventionnel du Congo ;
- Lutte sur terre comme sur mer contre le trafic des esclaves ;
- Neutralité du bassin de Congo même en cas de guerres ;
- Navigation libre sur le Congo et sur le Niger bien que l’administration de ces
fleuves soit réservée aux puissances souveraines ;
- Toute prise de possession sur les côtes de l’Afrique doit être notifiée et ne sera
valable qu’à condition d’être effective.
- Sur le plan religieux, l’acte de Berlin reconnaît la liberté d’opinion et de cultes
dans le bassin du Congo.
En marge de cette conférence, Léopold II manœuvre habilement pour faire
reconnaître ses possessions. Le 23 février 1885 fut une journée historique. Le
président de séance donna lecture de la lettre du président de l’AIC, le colonel
Strauch, au prince Otto von Bismarck, par laquelle l’AIC communiquait qu’elle avait
conclu avec les puissances représentées à Berlin des traités reconnaissant son pavillon
comme celui d’un Etat ou d’un gouvernement ami.
L’État Indépendant du Congo était né. Il sollicitait et obtenait son
adhésion à l’Acte général de Berlin, le 26 février. Il était alors la seule nation
« africaine » à avoir été présente à Berlin du moins en cette dernière journée. Léopold
II, le fondateur du nouvel État, devint son premier souverain absolu.

IV.3.7. Le dénouement de la crise des juridictions ecclésiastiques

Les principes posés par la conférence de Berlin mettent fin aux incertitudes en
permettant la fixation progressive de frontières. La conférence de Berlin apporte aussi
46

une réponse à la propagande quant à l’aide à attendre des Etats européens.


Les puissances coloniales s’engagent à protéger les missions et à assurer la liberté
religieuse. Mais pas exclusivement au profit des Eglises chrétiennes car les
gouvernements de la France et de l’Angleterre ne sont pas disposés à accorder un
statut privilégié aux missions chrétiennes en terre d’Islam. La généralisation du
partage colonial implique d’harmoniser les frontières religieuses aux frontières civiles
qui deviennent de plus en plus nombreuses.
Les volontés françaises et anglaises de ne pas mécontenter les populations
musulmanes justifient plus que jamais le choix de Rome d’appuyer Léopold II qui se
montre le plus favorable aux missions catholiques.
Profitant de cette nouvelle donne, les spiritains arguent de l’extension de la
colonisation française et de la création du Congo français (Brazza) pour réclamer les
territoires accordés en 1880 aux missionnaires d’Alger (Pères Blancs).
La Propagande publie le 28 mai 1886 le décret instituant le Vicariat apostolique
du Congo français. Les limites de ce Vicariat sont celles que la conférence de Berlin
avait attribuées au Congo français. Le Préfet apostolique est le spiritain Père Janny.
Que devient alors la préfecture du Kongo ? Elle continue à subsister comme par le
passé avec son ancien territoire en dehors du Congo français.
Mgr Lavigerie n’est pas informé. Il lit la nouvelle dans les « Missions catholiques ».
Alors, il écrit à Rome et lui demande d’annuler le décret du 28 Mai. Il se rend
finalement lui-même à Rome et la situation redevient tendue. Pour en finir, la
Propagande propose dans sa réunion du 19 Juillet d’annuler le décret du 28 Mai. Le
lendemain, Léon XIII approuve cette proposition. La propagande demande au
cardinal Lavigerie et au Supérieur des Spiritains de fixer d’un commun accord les
limites de leurs missions respectives et de soumettre leur convention à la Propagande
qui la sanctionnerait par de nouveaux décrets. Les 2 Supérieurs se rencontrent à Paris
au début du mois d’Août. Lavigerie reconnaît l’existence du Vicariat apostolique du
Congo français avec ses limites correspondant à celles fixées à ce territoire par les
puissances réunies à Berlin.
Il réserve cependant ses droits sur l’E.I.C. Cette réserve retarde l’approbation de
la propagande parce qu’entretemps Léopold II est entré en scène. Léopold II exige
que le Congo soit évangélisé exclusivement par les missionnaires belges (le 25 mars
1886). Il demande que les Spiritains et les Pères blancs français quittent l’E.I.C. Il
cherche alors les Instituts belges. Les spiritains vont au Congo français.
Lavigerie s’était arrangé de fonder un Noviciat en Belgique et avait accepté que
ses missionnaires français soient remplacés par les belges. Léopold II leur concède de
rester au Congo à condition de se cantonner dans le Congo Oriental, dans la région
allant de Falls jusqu’au Tanganyika. C’est ainsi qu’ils renoncent à leur station de
Notre Dame de Bungana (à Kwamouth). En compensation à la perte de cette station,
les Pères Blancs reçoivent, à l’Est du Congo, les postes de Karema et de Mpala.

IV.4. LEOPOLD II ET MISSIONS NATIONALES

À l'origine des missions, au Congo, se trouve le Roi Léopold II. Bien avant la
Conférence de Berlin, il aborde les Scheutistes et les Jésuites, sans grand succès à
l'époque, pour leur demander de le seconder dans la constitution de ses stations
scientifiques et hospitalières, embryons de son futur État Indépendant.
47

Pendant la Conférence de Berlin, il n'hésite pas à s'opposer aux ambitions du


Portugal qui voulait ressusciter le droit d'intervenir dans les affaires religieuses des
contrées sur lesquelles, autrefois, la papauté lui avait reconnu le privilège du
patronat.
Lorsqu'il s'agira de délimiter les circonscriptions ecclésiastiques en Afrique
centrale, le monarque fera pression sur le Saint-Siège pour écarter du Congo les
Spiritains français et exiger des supérieurs de Pères Blancs de n'envoyer dans leurs
missions du Congo que des missionnaires belges.
C'est aussi sur insistance du Roi que les Scheutistes et les Jésuites belges
acceptent de s'implanter au Congo.
Le Roi avait donc exigé et obtenu que «son Congo» soit réservé aux seuls
missionnaires belges, du moins en ce qui concerne les missions catholiques. Cette
préférence pour les catholiques belges devait bientôt apparaître en contradiction
avec l'Acte de Berlin qui recommandait la protection des institutions religieuses sans
distinction ni de culte ni de nationalité.
La question s'est posée d'une manière aiguë vers 1906, lorsque des campagnes
d'opinion accumulent des griefs contre l'administration coloniale du Roi et contre
certaines réalisations missionnaires. Il fallait que les experts précisent le sens exact des
mots «protéger» et «favoriser» contenus dans le texte de l'Acte de Berlin. Après
d'âpres débats, on en vient à conclure que «si un gouvernement colonial estime
opportun d'apporter à certaines œuvres une aide et une assistance matérielle
quelconque, il peut le faire sans crainte d'une intervention des Puissances
cosignataires ». Cette conclusion va permettre à l'autorité belge de poursuivre une
politique de «préférence patriotique» visant à favoriser et à protéger ce qu'on a
appelé plus tard les Missions nationales.

IV.4.1. Les Scheutistes à l’assaut du Congo


La Congrégation du Cœur Immaculé de Marie (CICM)a été fondée, en 1856,
par Théophile Verbist. Ses membres sont appelés Scheutistes puisque leur maison
mère se trouvait à Scheut (banlieue bruxelloise). En 1876, les Scheutistes qui,
initialement, étaient destinés à la Chine, sont sollicitées, par Léopold II, à venir au
Congo, ils n’acceptent pas l’offre. Le roi se tourne vers les Evêques belges.
1. Le Séminaire africain « Saint Albert de Louvain »

Au mois de Juillet 1876, les évêques belges décident de la création d’un


Séminaire africain « Saint Albert de Louvain » sur le même modèle que celui
américain. Le 16 novembre, ils recommandent au jeune clergé d’entrer dans ce
nouvel établissement.
Ce Séminaire avait pour objectif de recevoir les jeunes gens et les prêtres
désireux de desservir plus tard les aumôneries des E.I.C. et de travailler à l’œuvre
d’Evangélisation. On admettait en Philosophie et en Théologie. Pour l’inscription il
fallait, au préalable, l’autorisation des Evêques. Ce Séminaire donnerait aussi des
cours appropriés aux besoins de la future colonie (étude des langues, notions
d’hygiène et de médecine, les notions les plus indispensables sous un climat
équatorial).
C’est Léopold II qui était le vrai initiateur de ce Séminaire. Il n’hésitera pas de
promettre aux missionnaires qui sortiraient de ce Séminaire une retraite honorable
48

après leur mission au Congo. Il leur avait aussi assuré les facilités pour l’habitation,
l’alimentation, les moyens de transport pendant la durée de leur séjour en Afrique
(Congo).
Quelques prêtres et un séminariste répondent à cet appel des Evêques :
- Ferdinand Huberlant qui entre en décembre 1886.
- En Janvier 1887, Camille van Ronsle
- A. Backer (déjà chez les Pères Blancs).
- Abbé Reynen (du Diocèse de Liège).
- Un Théologien Bernard Dierkes (d’une vingtaine d’années).
Le Séminaire dépendait officiellement de l’Université de Louvain.
Un prêtre du diocèse de Namur est nommé Président du séminaire Africain
(Recteur), Abbé Forget.
Abbé Forget entretenait de bonnes relations avec le roi et les comtes notamment le
comte de Hemptine.
Malgré le début encourageant, ce Séminaire ne fera pas long feu. Au mois
d’octobre 1886, les propositions sont faites aux Scheutistes de prendre la direction du
séminaire africain, mais ils éprouvent la difficulté de gérer une maison de formation
des séculiers, eux qui sont réguliers. Le Séminaire Africain sera supprimé et les prêtres
qui y étaient, entrent dans la congrégation des Scheutistes.

2. Les Scheutistes et le Vicariat Apostolique de l’EIC

En 1887, les Scheutistes cèdent à la demande du roi pour venir évangéliser le


Congo et absorbent le Séminaire Africain de Louvain. Le pape Léon XIII crée, le 11
Mai 1888, par le Bref « Quae catholico nomini » le Vicariat Apostolique de l’EIC qu’il
confie, comme souhaite le roi, aux missionnaires de Scheut.
Le 26 Août 1888, la première caravane des missionnaires Scheut part d’Anvers
et arrive à Boma le 21 Septembre 1888 (Caravane sacrée). Cette première caravane,
dite sacrée, est composée de :
- Père Albert Guely
- Ferdinand Huberlant
- Albert de Backer
- Emery Cambier.
Cette caravane avait pour mission de s’installer à la mission « Notre dame de
Bungana » sur la rive droite du Kasaï et ont baptisé cette première mission « Berghe-
Sainte-Marie ». De là, ils vont rayonner vers le Haut-Fleuve et vers le Kasaï. Pourquoi
l’installation à cet endroit ?
Ce site offrait un avantage stratégique. Situé au croisement de deux principales
voies de communication, le poste permettait aux missionnaires d’accéder et de
contrôler les rives du Haut-Congo et la « riche vallée » du Kasaï. L’installation des
Scheutistes à l’embouchure du Kasaï était même une exigence du roi qui voulait
stopper les protestants anglo-américains dans leur progression vers le Haut-Congo. J.
Marchal indique que c’est le roi lui-même qui avait ordonné la fondation de Berghe-
Sainte-Marie et demandé à Van Eevelde, de faire « retaper » le poste de Bungana par
un agent de l’Etat et de prescrire au gouverneur de traiter les missionnaires de Scheut
avec bienveillance.. Celui-ci, en effet, voulait, pour des motifs politiques « jeter des
missionnaires belges entre les jambes des missionnaires protestants, britanniques et
américains, occupés à avancer vers le Haut-Congo »
49

Une seconde caravane arrive en septembre 1889 composée d’un ancien du


Séminaire Africain, Camile van Ronsle et les deux frères Garmyn (Jules et Ferdinand).
En Janvier 1890, Ronsle et Cambier sont envoyés vers le Haut Equateur et fondent la
station de Nouvelle-Anvers (Makanza).
Pendant ce temps, Huberlant (responsable du Groupe sous le titre de
Provicaire) s’établit à la capitale de l’E.I.C. à Boma le 13 février 1889. Il meurt 2 ans
plus tard. Son remplaçant, C. Van Ronsle, ne s’installe pas à Boma, reste à Berghe –
Sainte – Marie. Nommé d’abord Administrateur du Vicariat de l’EIC, il fut sacré
Vicaire apostolique le 24 Février 1897 à Malines (Près de Bruxelles).
Van Ronsle abandonne Berghe en 1899 à la suite de ravage de la maladie de
sommeil. Le 02/12/1899, il installe son siège épiscopal à Léopoldville à l’actuel
emplacement du séminaire Jean XXIII et à la Paroisse Saint Léopold.
La même année, Natalis De Cleene, à Boma depuis 1893 fonde dans le Mayumbe la
Mission de Kangu (1ère mission des Scheutistes).

3. Les Scheutistes au Kasaï

C’est Emery Cambier qui est envoyé en 1891 pour fonder la mission de
Luluabourg Saint Joseph au bord de Mikalay. Avec ses confrères, il procède au
quadrillage de la région par la création d’autres postes missionnaires :
Merode Salvdor (1897), Thielen-Saint-Jacques (1898), Saint Trydon (1895), Hemptine
Saint-Benoit (1897).
Ce réseau de mission constitue l’embryon de la préfecture du Haut Kasaï dont E.
Cambier devient Préfet en 1904.
En 1904, les Scheutistes se répartissent deux juridictions :
- La Préfecture apostolique du haut Kasaï avec E. CAMBIER. La limite Ouest était
la rivière Lubwe.
- Le Vicariat apostolique du Congo Indépendant.
En 1919, le Vicariat apostolique est divisé en circonscription :
- Le Vicariat de Léopoldville qui comprenait le Bas-Congo, Léopoldville et le Lac
Léopold II (actuel Inongo).
- Le Vicariat de Nouvelle-Anvers.
Jusqu’en 1908, 147 missionnaires Scheutistes partirent à destination du Congo.

IV.4.2. Les Pères Blancs du cardinal Lavigerie

A la suite de la belgisation des missions du Congo, le roi a confiné les Pères


Blancs à l’Est.
La mission de Tanganyika confiée aux Pères Blancs en 1878, avait été érigée en
Vicariat Apostolique du Haut Congo le 26/11/1886 (avant les Scheutistes) et avec
pour nom Baudouinville en 1939.
Mgr Victor Roelens en était le 1er Vicaire apostolique depuis 1895 avant Van Ronslé
(1897).
50

IV.4.3. Les Jésuites et la mission du Kwango

Ils avaient été approchés dès 1879 par le roi à la suite du refus de Scheutistes,
mais sans succès.
En 1885, abordés encore, ils refusent pour deux raisons :
° insuffisance des ressources humaines ;
° le refus de collaborer à une œuvre qu’on croyait dominée par la franc-
maçonnerie.
En 1890, il était question de colonies scolaires et la proposition devient
alléchante. D’où, il faut négocier avec les Scheutistes, les premiers occupants.
La décision de leur accorder la mission du Kwango fut prise le 08/04/1892.
La mission du Kwango était l’espace compris entre l’Inkisi et la Préfecture du
Haut-Kasaï (Lubwe) ; au Nord le Bas-Kasaï ; au Sud, la frontière avec l’Angola.
On leur ajouta 400 hectares de terre aux environs de Léopoldville (vers Kimwenza).
La Première Caravane missionnaire s’embarque le 6 Mars 1893 à Anvers sous E. van
Hencxthoven. Elle est composée de 9 personnes :
J.M. Dumont, E. Liagre, Emile Meulemeester, Golet, Lombary, Charles Petit, Auguste
Van Houtte, Frans Sadeleen.
L’Etat leur confie la colonie scolaire de Kimbangu (à Masina). A cause de
l’insalubrité, ils décident de déménager à Kimwenza (la colonie baptisée « Colonie
scolaire Sainte Marie », installée le 27/07/1893). De là, ils décident d’essaimer vers
l’Ouest pour contrecarrer l’action des protestants. Ils fondent le poste stratégique de
Kisantu le 17 Novembre 1893 (qui deviendra le centre de rayonnement de la mission
du Kwango). A partir de Kisantu, ils fondent des postes :
-Ndembo (1896)
- Lemfu (1898)
- Biense Kipako (1901).
A partir de 1900, ils se tournent vers l’Est de Kimwenza et fondent des postes
dans le bassin du Kwango.
En juin 1901, Van Henxcthoven fonde Wombali, baptisé Casier-Saint-Jean (à
l’embouchure du Kwilu-Kwango). Il sera le point de départ des implantations
missionnaires dans le Kwango-Kwilu.

IV.4.4. Les autres congrégations masculines


- En 1899 est constituée la mission de Matadi confiée aux Pères Rédemptoristes.
- En 1905, Basankusu est constituée et confiée aux Pères de Mill-Hill.
- Les frères des écoles chrétiennes arrivent en 1909.
- La préfecture apostolique du Katanga est constituée le 05 Août 1910 et confiée
aux Bénédictins.
- Les Frères de la charité de Gand à Léopoldville et en 1911.
- Les Frères maristes en 1911.
51

IV.4.5. Religieuses en mission au Congo

L’expansion missionnaire des religieuses, au 19e siècle et dans la première moitié


du 20e siècle, n’était réglée par aucune instance romaine contrairement aux
congrégations masculines dont l’envoie en mission était régulée, depuis 1622, par la
Sacrée Congrégation pour la Propagation de la Foi (Propaganda Fide).
Les femmes désireuses de servir le Seigneur dans son immense champ
apostolique devaient négocier avec les congrégations masculines déjà installées en «
terres des missions ».
L’initiative de ces négociations provenait tantôt des Supérieurs religieux, tantôt
d’un prêtre qui connaissait telle ou telle congrégation féminine ou encore des
religieuses elles-mêmes qui ressentaient le besoin d’aller en « mission ». Aucune règle
commune et universelle ne régissait ces pourparlers. Tout se traitait au cas par cas et,
souvent, suivant les besoins du site qui devait recevoir les religieuses. Les Sœurs
étaient destinées à une « station» précise pour des tâches déjà spécifiées. Leur accueil
était préparé à l’avance par le supérieur de la mission qui aménageait la maison
d’habitation et les dépendances indispensables aux activités à exercer par les
religieuses. Une fois sur place, les Sœurs se considéraient comme des « auxiliaires » de
l’apostolat des Pères et elles se remettaient, en toute circonstance, à la protection et
au bon conseil de ceux-ci.
L’histoire des religieuses en mission, en République Démocratique du Congo,
commence timidement à la fin du 19e siècle avec l’arrivée des Sœurs de Charité de
Gand ( Moanda en 1891), invitées par les missionnaires de Scheut, pour soigner et
assister chrétiennement les malades et les mourants de la maladie du sommeil. Ces
premières religieuses se déploieront essentiellement dans le Kongo Central et le Kasaï.
Les Sœurs de Notre Dame de Namur s’installent en 1894 à Kimwenza dans le sillage
de Jésuites. En 1895, les Sœurs Blanches s’implantent à l’Est dans les missions des
Pères Blancs.
Rapidement, le nombre de congrégations et de religieuses augmente dépassant,
au tournant des années 1950, celui des hommes et se déployant dans l’ensemble de
tous les Vicariats du Congo Belges. Les statistiques du 30 juin 1949 indiquent un total
de 2.412 religieuses (dont 1.907 Européennes et 505 autochtones) contre 1. 961
prêtres (dont 1.697 Européens et 264 indigènes) et 914 Frères (dont 628 Européens
et 316 noirs). Ces chiffres élevés de religieuses montrent l’importance qu’elles ont
acquise dans le progrès des activités missionnaires. Leur succès provient avant tout de
leur dévouement aux œuvres à caractère caritatif. Les Sœurs se sont vouées, dès le
début de leur apostolat, à instruire et à éduquer la jeune fille et la femme indigène et
aussi à soigner les malades et à se préoccuper des mères et de leurs nourrissons. Leur
sens pratique, leur capacité à répondre aux besoins et leur proximité des populations
ont progressivement compensé leur manque de préparation spécifique à l’action
missionnaire. Ces activités leur ont valu l’estime des femmes et des hommes aussi.
52

IV.5.LOGIQUES DU CHOIX DES SITES D’IMPLANTATION

IV.5.1. Logique politique

Pour « le bien spirituel de ses futurs sujets » (sic) du Congo, Léopold II fit appel,
avec l’accord du Saint-Siège, à ses compatriotes Scheutistes et Jésuites. Aux premiers,
la mission politique était donnée de remplacer les Spiritains et les Pères Blancs
français, suspectés d’accointances avec les intérêts de la France, et d’arrêter la
progression des missionnaires protestants, proches de la Grande-Bretagne et des
États-Unis d’Amérique. Ces raisons politiques, expliquent que les Scheutistes belges ne
s’établissent pas d’abord à Boma (pourtant fondée en 1880 par les Spiritains), ils
créent Berghe-Sainte-Marie au confluent du fleuve Congo et du Kasaï sur injonction
du roi. En effet, ce site offrait un avantage stratégique. Situé au croisement de deux
principales voies de communication, le poste permettait aux missionnaires d’accéder
et de contrôler les rives du Haut-Congo et la « riche vallée » du Kasaï.
Rappelons que ce site avait auparavant fait l’objet de disputes entre les
Spiritains et les Pères Blancs du cardinal Lavigerie. En effet, dans leur avancée
apostolique, les Spiritains atteignent l’embouchure du Kasaï où ils fondent, le 18 mai
1886, sur la rive gauche, la mission de Saint-Paul du Kasaï. La même année, les Pères
Blancs tentent aussi de s’établir dans ce même environnement. Le 27 juillet 1885, les
Pères Dupont, Merlon et Schynse débarquent à Banana avec l’ordre strict de leur
hiérarchie de remonter le Congo et de fonder une première station en amont de
Stanley-Pool. Ce poste est établi en mars 1886, à l’embouchure du Kasaï, sur la rive
droite sous le nom de Notre-Dame de Bungana. Ainsi, entre 1886 et 1887, deux
missions catholiques concurrentes s’affrontent au confluent du Congo et du Kasaï :
Saint Paul du Kasaï pour les Spiritains et Notre-Dame de Bungana pour les Pères
Blancs.
L’installation des Scheutistes à l’embouchure du Kasaï était même une exigence
du roi qui voulait stopper les protestants anglo-américains dans leur progression vers
le Haut-Congo. Jules Marchal indique que c’est le roi lui-même qui avait ordonné la
fondation de Berghe-Sainte-Marie. Celui-ci, en effet, voulait, pour des motifs
politiques « jeter des missionnaires belges entre les jambes des missionnaires
protestants, britanniques et américains, occupés à avancer vers le Haut-Congo ». Une
autre preuve de cette implication politique est donnée par le fait que c’est le roi qui
ordonnera à son secrétaire d’État, van Eevelde, de faire réparer le poste de Bungana
par un agent de l’État et de prescrire au gouverneur de traiter les missionnaires de
Scheut avec bienveillance.
C’est dans cette optique qu’il faut aussi comprendre la fondation de la mission
Saint-Joseph de Mikalayi (Luluabourg). La demande d’érection de cette station
missionnaire est l’œuvre d’un laïc : le capitaine Adolphe de Macar, commandant du
poste d’État de Luluabourg. Celui-ci, en effet, avait adressé, le 10 juillet 1887, une
lettre au Pape au nom du « plus puissant des chefs bachilanges, Kalamba, de sa
famille et de ses sujets » qui sollicitaient le baptême. Il s’agissait encore ici, pour les
agents de l’État léopoldien, de chercher à devancer les protestants anglo-américains
qui, malgré tout, s’établiront dans les parages en 1890, plus tôt que les catholiques.
53

Quant aux Jésuites du Kwango, ils n’ont pas eux-mêmes choisi Kimbangu, leur
premier site d’installation. Le lieu avait été préparé par les agents de l’État sur ordre
du roi lui-même.
La plupart des missions fondées suivant cette logique politique, n’ont pas
survécu soit à cause du mauvais choix du site (insalubrité, manque de nourriture,
maladie, etc.), soit parce que les raisons politiques ayant présidé à leur création
avaient disparu.

IV.5.2. Logique de la concurrence et de la compétition religieuse

Comme indiqué précédemment, les missions protestantes s’intéressent au


Congo bien avant la création de l’EIC.
Grenfell est le premier missionnaire protestant à avoir visité le Kasaï et le
Sankuru en 1886, mais son expédition n’avait pas abouti à l’établissement d’une
mission. Ce sont les presbytériens américains qui établiront une première mission
protestante, en 1890, à Luebo, au Kasaï. Les deux pionniers de ce poste sont l’un
noir, William Sheppard et l’autre blanc, Samuel Lapsley. C’est pour contrer ces
protestants que les Scheutistes s’établiront, en 1891, au Kasaï.
Aussitôt installés, les Scheutistes affinent un plan d’occupation de l’espace en
vue d’arrêter l’expansion de ce qu’ils appellent « l’hérésie protestante ». En février
1898, le révérend William Morisson demande une concession au commissaire de
district : « J’ai l’honneur de vous envoyer ci-joint une demande de concession
provisoire au village indigène de Banzadi qui est situé (comme indiqué sur la carte
annexée) à environ 70 km NE. N au N. de Lueb. » Une fois au courant de cette
demande, Cambier s’adresse directement au gouverneur général le suppliant de ne
pas agréer la demande du presbytérien si elle lui était faite.
À la fin de l’année 1898 ou au début de 1899, depuis sa résidence de Berghe-
Sainte-Marie, Camille van Ronslé écrit au gouverneur général pour solliciter
l’établissement, le long du Kasaï, d’une série de postes de Mission permettant de
relier le Bas et le Haut-Kasaï. Peu après, Émeri Cambier demande, lui aussi, au
gouverneur général la permission d’établir trois nouveaux postes de mission : l’un
dans les environs de Wissmann Falls, l’autre sur la Haute-Loange et le troisième à
l’embouchure de la Loange. L’objectif visé par ses demandes répétées, reste
clairement le contrôle des rives du Kasaï et l’empêchement de l’établissement d’un
quelconque poste protestant sur cette voie stratégique.
Depuis sa fondation en 1890, la Mission presbytérienne a conservé son siège à
Luebo. Jusqu’en 1912, le gouvernement de l’État du Congo et les missionnaires de
Scheut s’efforcent de contrecarrer les tentatives des presbytériens de s’étendre au-delà
de la région de Luebo et leur petit poste d’Ibanji. La création de la Compagnie du
Kasaï (CK) en 1901 et l’érection du Haut-Kasaï en Mission autonome (1901) puis en
Préfecture (1904) n’améliorent guère la situation des presbytériens. Cambier réussit,
grâce à un coup de main de l’État et à sa collaboration avec la Compagnie du Kasaï,
à les enfermer au centre même de leurs œuvres, c’est-à-dire à Luebo et à Ibanji.
Les missions créées suivant cette logique de la concurrence sont les plus
nombreuses. Elles ont résisté et elles ont prospéré aussi longtemps que « l’adversaire »
était présent. Dans cette compétition, le missionnaire (protestant ou catholique)
devait user de grands moyens pour attirer, impressionner et maintenir ses « clients ».
54

Dans ce type de mission, les « œuvres » ont souvent été spectaculaires : église
monumentale, hôpital, écoles, etc. Les missionnaires utilisaient, chaque fois, ce
mobile de la concurrence pour demander et obtenir des soutiens de bienfaiteurs de
l’Europe.

IV.5.3. Logique économique

Cette logique est mise en œuvre dans deux sens : soit les missionnaires
s’installent dans le site d’une compagnie commerciale et ils bénéficient des avantages
matériels ou financiers que leur offre l’entreprise, soit ils choisissent un milieu où les
ressources naturelles leur permettent d’organiser des activités d’autofinancement.
Dans les circonscriptions des Pères de Scheut la collaboration avec les compagnies
commerciales est remarquable au Kasaï et plus tard à l’Équateur où elle sera à
l’origine de quelques postes de mission.
Au Kasaï, c’est à partir de 1901 que cette collaboration s’amplifie entre la CK,
créée cette année-là, et les missionnaires de Scheut. Dès 1902, l’État réduit fortement
sa présence dans cette contrée. Il confie l’exploitation et la sécurisation du district à la
CK, ne gardant que des garnisons à quelques endroits comme Luluabourg et
Lusambo. Les Scheutistes ne peuvent donc pas se passer de cette Compagnie dont les
« surveillants » jouent, à certains endroits, le rôle de la police. Ensuite, les Scheutistes
attendent encore beaucoup d’autres avantages de la CK. Outre les subsides mensuels
versés aux missionnaires qui s’occupent de la santé « spirituelle et physique » de ses
travailleurs, la CK les aide dans diverses circonstances quotidiennes (réparation,
transport, dépannage en sel ou en mitako, etc.). Enfin, la CK a contribué à
l’établissement de nouveaux postes de mission. Trois postes de mission – Bena-
Makima (1904), Demba (1908) et Pangu (1908) – n’ont pu être érigés que grâce à
l’argent de la CK.
Il nous semble que, dès leurs origines, ces missions, nées de la volonté des
compagnies commerciales, étaient des missions en sursis. En effet, leur survie
dépendant du bon vouloir de leurs bailleurs de fonds. Le déclin des Compagnies
devait nécessairement entrainer la chute de ces missions qui étaient leurs appendices.
L’autre version de cette logique économique est le choix par les missionnaires
des sites offrant des ressources naturelles suffisantes pouvant permettre l’organisation
des activités d’autofinancement et d’autosubsistance alimentaire des pensionnaires de
la mission. La méthode des fermes-chapelles initiée par les Jésuites correspond à cette
logique.
IV.5.4. Logique idéologique ou moralisante

Comme l’indique si bien Jean Pirotte le réveil missionnaire du XIX e siècle ne


rénova guère la mentalité antérieure imprégnée par l’obsession de la « nécessité du
salut des âmes, parfois jusqu’à la comptabilité de baptême d’enfants moribond ». Les
Scheutistes du Kasaï et les Jésuites du Kwango s’ingéniaient à « pourchasser » les
malades et les agonisants pour les baptiser et leur donner le « passeport » pour le
paradis. Pirotte démontre encore que cette accentuation sur la nécessité du salut des
âmes, a comme « corollaire la concentration des efforts sur la mise en place de
l’institution de salut qu’est l’Église. Une telle installation de la société ecclésiastique
doit s’opérer suivant la vieille image d’une chrétienté unanime dans le cadre stable
de la paroisse rurale ». Cette idée d’une chrétienté unanime et stable conduit aux
55

expériences comme celles des fermes-chapelles ou des villages chrétiens. Le


missionnaire paraît ici auréolé du prestige du moine défricheur des terres,
constructeur des cathédrales, libérateur de l’esclavage, pourfendeur des superstitions
et des coutumes asservissants, en bref, sauveur de la civilisation. Pour constituer cette
chrétienté stable et unanime, la stratégie missionnaire consiste à ne pas se lancer dans
la mêlée, les païens étant les plus nombreux, mais à pêcher les néophytes avec des
appâts et de les soustraire des « influences négatives » de leurs milieux d’origine pour
les placer à l’abri à la « mission » sous la protection des Pères. Dans cette perspective,
les missions, ces lieux de protection, devaient être éloignées des villages indigènes et
des centres urbains où le démon régnait en maître.
Cette idée du refus de la contamination était aussi observable dans la
philosophie qui régentait la formation de la jeunesse et notamment celle des
candidats au sacerdoce et à la vie religieuse. Les séminaires et les noviciats ont été
construits loin des villages et des centres urbains. Avant le concile Vatican II, les Pères
persuadaient les séminaristes à s’éloigner de leur famille surtout large, à se dérober
devant les femmes et les jeunes filles qui, au hasard, se présenteraient sur leur chemin
et à se mettre constamment sous la protection des missionnaires.
Il est évident que pour les Pères, les missions devaient être des sanctuaires de
moralité et des espaces protégés contre les perversions et la corruption des villages
indigènes. Plus les missions étaient éloignées des villages païens moindres étaient les
risques de contagion.

IV.6. LES MISSIONS CATHOLIQUES ET LA QUESTION CONGOLAISE

L’expression « question congolaise » est empruntée au titre du célèbre ouvrage


du Jésuite A. VERMEERSCH, La Question congolaise, Bruxelles, 1906. Cet épisode de
l’histoire est qualifié de « Campagne anti-léopoldienne » par les défenseurs de
Léopold II. VERMEERSCH écrit ce livre et d’autres encore pour défendre les jésuites
du Kwango accusés par la commission d’enquête de s’être livrés, eux aussi, à la
violation des droits humains au Congo.
En effet, la politique économique mise en place par l’E.I.C., à partir des années
1890, consistant à donner certains pouvoirs régaliens aux Compagnies
concessionnaires et à impliquer les agents de l’État dans la récolte de l’ivoire et du
caoutchouc, devait nécessairement conduire à de nombreux abus. Des récits
d’atrocités (massacre des populations, villages incendiés, enfants mutilés, femmes
violées, etc.) commises au Congo sont régulièrement relatés dans la presse étrangère
par des personnes comme E.D. Morel, Charles Dilke et Richard Fox Bourne. Certains
témoins oculaires rédigent aussi des rapports : le Docteur Sidney Hinde, médecin de
l’armée britannique, le missionnaire suédois E.V. Sjöblom, le missionnaire américain
J.B. Murphy, l’explorateur anglais Edward Glave, et l’ethnographe allemand Leo
Frobenius. Le Capitaine Guy Burrows publie La Malédiction de l’Afrique centrale
(1903) pour lequel il est condamné pour diffamation Le négociant anglais Charlie
Stokes est jugé et pendu en 1895-1896 pour avoir diffamé le roi et son État
Indépendant en dénonçant les atrocités commises au Congo. Le Révérend Edgar
Stannard est lui aussi objet d’un procès en diffamation en 1906.
À partir de 1902, les critiques contre le modèle de colonisation imposé par
Léopold II deviennent de plus en plus véhémentes. Le 15 mai 1902 a lieu à Londres
56

dans la Mansion House une assemblée convoquée par l’Aborigenes Protection


Society. Deux membres du parlement anglais, Pease et Sir Ch. Dilke, prennent la
parole pour dénoncer les abus qui se commettent au Congo contre les indigènes. Un
membre de l’Assemblée, Mohun, prend la défense de l’E.I.C. L’Assemblée adopte
cependant une résolution demandant au Gouvernement britannique d’entrer en
communication avec les autres puissances afin d’imposer à l’état du Congo les
réformes nécessaires.
Le 23 mai 1902, l’Assemblée Générale de la Société Coloniale allemande se
réunit sous la présidence du duc Jean Albert de Mecklembourg. La politique
inhumaine instaurée au Congo est violemment attaquée d’autant plus qu’elle
entraîne des conséquences néfastes pour le commerce allemand dans la région. Un
journal local exige même une révision de l’Acte de Berlin.
Plusieurs pétitions sont adressées, cette année-là, par les chambres du
Commerce de Liverpool, Burmingham, de Halifax et de Brême à leurs
gouvernements respectifs pour demander la convocation des signataires de l’Acte de
Berlin afin d’examiner la question du respect de ses clauses au Congo.
Durant l’année 1903, un nombre important de brochures polémiques
paraissent en Angleterre sur le Congo, notamment celle de E. D. Morel, Affairs of
West Africa. Le 3 mars 1903, Anglais et Allemand se retrouvent en Assemblée
Générale à Londres et votent le vœu que les États signataires de l’Acte de Berlin
étudient les réformes nécessaires et la conduite à suivre envers l’E.I.C. Le 30 avril, la
Baptist Union vote une résolution contre le système administratif des Compagnies à
Charte, considéré comme la cause de toutes les atrocités commises au Congo.
En cette année 1903, Morel et ses alliés au Parlement britannique réussissent à
faire inscrire la « question du Congo » sur l’agenda politique. Au mois de mai, à la
suite d’un important débat, la Chambre des communes adopte à l’unanimité une
résolution exigeant que « les indigènes [du Congo] soient gouvernés avec humanité ».
La résolution déplore également que Léopold II n’ait pas tenu ses promesses
concernant le libre-échange.
Peu après l’adoption de cette résolution, le Foreign Office envoie au consul de
Sa Majesté au Congo un télégramme lui ordonnant « de se rendre dès que possible à
l’intérieur, et d’envoyer rapidement des rapports ». Ce consul est un Irlandais du
nom de Roger Casement. À la fin de 1903, Casement regagne l’Europe pour
préparer son rapport. Ce rapport, publié au début de 1904, est accablant. Il parle des
massacres, des mains et des organes génitaux coupés. À cause du caoutchouc, les
compagnies concessionnaires et les agents de l’État sèment la terreur partout au
Congo. Pour qualifier ce qui se passe dans ce pays, Casement n’hésitera pas à écrire
plus tard que le Congo est « un antre de démons ».
Le 23 mars 1904, après s’être entretenu quelques semaines auparavant avec
Casement sur les abominations constatées au Congo, Morel fonde la « Congo Reform
Association » avec laquelle Morrison et Sheppard vont activement collaborer.
En Belgique, la « question congolaise » est, au début, perçue comme une
campagne orchestrée par les protestants anglo-allemands contre le très catholique roi
Léopold II. On demande même aux missionnaires catholiques de faire une contre-
propagande contre l’Angleterre. Mais, au fur et à mesure que les preuves des
accusations s’accumulent, les protestations commencent à se lever en Belgique. Deux
personnalités reconnaissent la justesse des attaques anglo-allemandes, le professeur
Félicien Cattier, de l’Université Libre de Bruxelles, et le Socialiste Émile Vandervelde.
57

Ils animent le débat sur la « Question congolaise » au Parlement et, par leurs écrits et
leurs prises de position, sensibilisent l’opinion publique en Belgique.
Le 23 juillet 1904, pressé par les critiques, Léopold II signe un décret nommant
une commission chargée d’enquêter sur les exactions éventuelles commises à l’égard
des indigènes, soit par des particuliers soit par les agents de l’État. Le décret accorde à
la commission les pouvoirs les plus étendus et demande à tous les agents de l’État de
lui prêter sans réserve leur concours et leur aide dans l’accomplissement de sa tâche.
La Commission est composée d’Edmond Janssens, avocat général à la Cour de
Cassation de Belgique, Président, du Baron Nisco, italien d’origine, Président ad
interim du tribunal de Boma, et du docteur de Schumacher, Conseiller d’État et Chef
du département de la justice du Canton de Lucerne en Suisse. Victor Deneyn,
Substitut du Procureur du Roi à Anvers, est désigné comme secrétaire de la
Commission et Henri Grégoire, originaire de la ville de Huy, comme secrétaire
interprète.
La commission arrive à Boma le 5 octobre 1904, finit son enquête et rentre en
Belgique le 21 février 1905. Elle commence ses travaux à Boma, puis se rend à Matadi
et à Kinshasa. Elle continue ses enquêtes en remontant le fleuve jusqu’à Kisangani et
en pénétrant dans le lac Tumba et dans le Bassin de la Lulongo. Elle n’a pas visité le
bassin du Kasaï et les territoires étudiés dans la présente étude, mais elle y fait
quelques allusions dans son rapport final.
Pendant son séjour au Congo, la commission a reçu les déclarations de
magistrats, de fonctionnaires, de directeurs et d’agents de sociétés, de missionnaires
catholiques et protestants, ainsi que des populations locales.
Le rapport est officiellement signé à Bruxelles et daté le 30 octobre 1905. Il
comporte 150 pages et est publié dans le Bulletin officiel du 5 novembre.
En ce qui concerne les Missions catholiques, le rapport de la commission n’est
pas du tout tendre, surtout à l’endroit des Jésuites du Kwango. Il critique
particulièrement les fermes-chapelles et les colonies scolaires. Il reproche aux Jésuites
d’opérer des recrutements forcés des enfants et de les retenir dans les missions contre
leur gré, de maltraiter ces enfants ( mise aux fers, peine de la chicotte, etc.) et
d’exercer une tutelle étroite sur les habitants des missions et des fermes-chapelles.
La publication de ce rapport cause un émoi profond dans les milieux
catholiques en Belgique. Les accusations contre les missions catholiques restent
incompréhensibles et cachent, pour les missionnaires, d’autres intentions inavouées :
« On constata, écrit Léon Dieu, avec stupeur que, par un étrange renversement des
rôles, ceux qui avaient plaidé la cause du droit et s’étaient efforcés de protéger les
Noirs, étaient eux-mêmes accusés de les exploiter et de les maltraiter ».
Les catholiques voient derrière ces accusations la main des Francs-maçons et
des protestants anglo-américains. C’est ainsi qu’au Kasaï, ils prendront parti pour la
C.K. contre les presbytériens qui accusaient la compagnie de maltraiter les
populations.
Dans cette affaire, les protestants se sentaient plus proches des « opprimés »,
c’est-à-dire des Noirs. D’abord, ils n’étaient pas cités dans le rapport. Ensuite, ils
pouvaient se vanter d’être les premiers à avoir rendu publiques les exactions
commises par le régime de Léopold II et par les compagnies concessionnaires.
Mais cette philanthropie des protestants ne peut pas être expliquée
simplement par l’innocente charité évangélique. D’autres facteurs doivent être pris en
compte.
58

En premier lieu, les protestants du Congo n’étaient pas d’origine belge. Ils
étaient considérés, dans le cercle des blancs du Congo, comme une minorité
étrangère capable de nuire aux intérêts de la Belgique et de son roi. A ce titre, les
Belges nourrissaient des soupçons à leur endroit. C’est peut-être pour affirmer leur
existence et leur différence, qu’ils ont pris fait et cause pour les Africains.
Deuxièmement, sur le plan financier, les protestants n’attendaient pas grand-
chose de l’État léopoldien. Jusqu’en 1909, les subsides annuels réguliers accordés par
l’État aux sociétés missionnaires n’avaient guère dépassé le montant de 2.500 francs
pour les Baptistes anglais qui, seuls, en bénéficiaient. Les autres missionnaires
protestants ne recevaient aucun subside de l’État. Les sommes importantes allaient
aux missionnaires catholiques belges qui, non seulement jouissaient de subsides
réguliers, mais aussi de l’assistance extraordinaire et des fonds dits spéciaux. Cette
indépendance financière des protestants vis-à-vis de l’État léopoldien peut aussi
expliquer leur esprit critique et leur liberté d’action.
Troisièmement, les protestants, surtout ceux du Kasaï, s’étaient gardés de tisser
des liens privilégiés avec les Compagnies commerciales. Ils essayaient d’organiser leur
apostolat missionnaire en dehors des influences du commerce et plus tard de
l’industrie. Cette distance leur a permis de tenir un discours critique contre les abus de
ces compagnies sans craindre d'éventuelles représailles. Les missionnaires catholiques,
les Scheutistes du Kasaï particulièrement, étaient tellement impliqués dans le système
léopoldien et dépendants des sociétés commerciales qu’ils n’ont pas pu s’apercevoir
des abus commis contre les Noirs et les dénoncer.
Les protestants, dans leurs écrits et leurs déclarations, n’ont pas manqué de
fustiger le silence sinon la complicité des catholiques dans cette fameuse « question
congolaise ».

IV.7. LA CONVENTION DE 1906

A partir de 1902, la politique d’impôts, les corvées excessives et les abus


constatés dans l’exploitation du caoutchouc naturel, avaient fini par choquer
l’opinion des pays signataires de l’Acte de Berlin, spécialement l’Angleterre et
l’Allemagne, et pour discréditer l’État Indépendant du Congo et son fondateur, le roi
Léopold II. Une crise politique et diplomatique secoua l’administration léopoldienne
qui fut obligée d’instituer, le 23 juillet 1904, une commission d’enquête chargée de
faire la lumière sur les allégations de mauvais traitement dont se seraient rendus
coupables les agents de l’État ou les particuliers à l’égard des populations indigènes.
Cette commission d’enquête avait effectué son travail au Congo du 5 octobre
1904 au 21 février 1905. Son rapport, publié le 5 novembre 1905, avait fait l’effet
d’une bombe. Ce rapport condamnait avec vigueur non seulement les dérives de
l’administration de l’E.I.C et du régime léopoldien, mais aussi les abus observés dans
les Missions catholiques. La commission visait particulièrement les Jésuites du Kwango
à qui elle reprochait, notamment, la méthode des fermes-chapelles, le recrutement
forcé des enfants et leur rétention à la mission contre leur gré, le mauvais traitement
(mise aux fers et la peine de la chicote), la tutelle étroite exercée par les Pères sur les
habitants des missions et des fermes-chapelles, etc.
Cette remise en cause des actions missionnaires avait causé une grande émotion,
non seulement dans les milieux catholiques en Belgique, mais aussi dans les instances
59

romaines qui reprochaient au Gouvernement de l’E.I.C d’avoir diligenté une enquête


qui a discrédité auprès de l’opinion publique toute l’œuvre des Missions.
C’est pour chercher à rétablir un climat de confiance avec l’Église Catholique
et le Saint-Siège que le roi et les administrateurs de l’E.I.C entameront des pourparlers
en vue de la signature de la Convention 26 mai 1906, une Convention qui équivaut
presque à un concordat.
En vertu de cette convention, les Missions catholiques s'engageaient à créer
des écoles indigènes sous le contrôle du Gouvernement; elles assureraient dans la
mesure de leur personnel disponible et moyennant traitement équitable, le ministère
sacerdotal dans les centres; elles notifieraient au Gouverneur Général la nomination
de chaque supérieur de Mission; enfin les missionnaires entreprendraient pour le
compte de l'État et moyennant indemnité, certains travaux spéciaux d'ordre
scientifique rentrant dans leur compétence, tels que les reconnaissances
géographiques, ethnographiques, linguistiques, etc.
De son côté, l'État promettait d'allouer à chaque poste ou station de Mission,
dont l'établissement serait décidé de plein accord, 100 à 200 hectares de terres
cultivables. Ces terres seraient concédées à titre gratuit et en propriété perpétuelle,
mais elles ne pourraient être aliénées et devraient rester affectées aux œuvres de
Mission.
Enfin les deux parties contractantes recommanderaient toujours à leurs
subordonnés la plus parfaite harmonie. Si néanmoins des difficultés venaient à surgir
entre missionnaires et agents de l'État, elles seraient réglées à l'amiable par les
autorités locales respectives. Si l'entente ne pouvait s'obtenir, les autorités locales en
référeraient aux autorités supérieures.
.
IV.8. METHODES D’APOSTOLAT

IV.8.1. Mission : arène de l’action missionnaire


Dans la littérature missionnaire belge, le mot « mission » désigne la station où
est implantée la résidence permanente du missionnaire, le lieu principal de l’activité
d’évangélisation, celui où est assurée la survie matérielle de la communauté. Dans ce
centre, les missionnaires tentent de développer une chrétienté modèle soumise à
l’autorité du Père supérieur, responsable principal et coordinateur de toutes les
activités (admission au catéchuménat et au baptême, organisation des prières et
liturgies, surveillance des travaux manuels, etc.). La mission sert aussi de base et
d’appui logistique aux Pères qui se déploient dans l’arrière-pays, allant de village en
village, installant des catéchistes, inspectant des écoles rurales, prêchant la Bonne
Nouvelle et enrôlant les recrues.
Aux yeux des autochtones, la « mission » apparaît comme un espace acculturé,
un milieu étranger et même étrange où les « européens » sont maîtres et organisent, à
leur manière, leurs différentes activités.

IV.8.2. Les colonies scolaires

Les « colonies scolaires » étaient, à l’origine, des établissements fondés par l’Etat
Indépendant du Congo pour éduquer des enfants de la colonie recueillis de divers
côtés et pour en faire des travailleurs agricoles, des travailleurs de divers métiers et
des soldats selon les aptitudes de chacun de ces jeunes. Au début, devant les
60

impératifs sécuritaires consécutifs à l’occupation coloniale, l’option de la formation


militaire prit le dessus sur les autres choix. Léopold II confia, dès le départ, la
direction des colonies scolaires à des religieux à qui il joignit un ou des sous-officiers
qui s’occupaient de l’instruction militaire.

1. Les colonies scolaires de Scheutistes

Au début de leur apostolat au Congo, les Scheutistes collaborent avec l’État


pour mettre le système de colonies scolaires sur pied. En 1892, l’État crée pour eux
deux colonies officielles: une à Nouvelle-Anvers, l’autre à Boma. Eux-mêmes
entretiennent des colonies privées à Berghe, Nouvelle-Anvers et Moanda. Les Pères-
directeurs des colonies officielles de Boma et de Nouvelle-Anvers avaient droit à un
cinquième des garçons arrivant chez eux, quota qu’ils transféraient aux colonies
privées, le quota de Boma allant à Moanda, celui de Nouvelle-Anvers à Berghe-
Sainte-Marie.

2. Les Jésuites du Kwango et leur colonie scolaire

La venue de Jésuites au Kwango, contrairement à celle des Scheutistes,


répondait à une demande précise du Roi Léopold II et de son Etat Indépendant : la
fondation d’une colonie scolaire aux environs de Léopoldville. Le statut de cette
colonie scolaire, rédigé sous forme de convention entre l'E.I.C. et la Compagnie de
Jésus, est signé le 16 janvier 1893. Ce texte comporte sept articles. Il soumet, en fait,
la compagnie au décret du 12 juillet 1890, qui stipule en son article 3 que les enfants
admis dans ces colonies restent soumis à la tutelle de l’État et sont astreints après leur
sortie aux travaux que le Gouverneur Général déterminerait, jusqu'à l'expiration de
leur vingt-cinquième année. Pour la plupart, cela signifie un engagement d'office dans
la force publique, pour quelques-uns, c’est, peut-être, une entrée dans les services
techniques ou administratifs de l'État.
Après s’être installés brièvement à Kimbangu (dans l’actuelle commune de
Masina à Kinshasa), station qui leur avait été préparée par les agents de l’Etat sur
ordre du Roi Léopold II, les Jésuites s’établissent finalement, en juillet 1893, au
plateau de Kimwenza où ils organisent leur première colonie scolaire avec les enfants
leur confiés par l’Etat.
Cette colonie scolaire de Kimwenza, baptisée colonie Sainte Marie, est officiellement
ouverte le 27 juillet 1893. Les premiers pensionnaires de cet établissement sont,
comme chez les Scheutistes du Kasaï, les enfants libérés de l’esclavage et aussi des
orphelins des guerres de conquêtes menées par les forces de l’Etat Indépendant du
Congo. Ils provenaient essentiellement du Haut-Congo et du Kasaï. Lors de leur
installation à Kimwenza, les Jésuites avaient 73 enfants sous leur protection.

3. Les colonies scolaires pour filles

Suivant les prescriptions en vigueur à l’époque, en Belgique, les écoles des


garçons étaient séparées de celles des filles qui recevaient leur formation de
religieuses. C’est cette même logique qui devait présider à l’organisation des écoles au
Congo. Dès la création des premières colonies scolaires, il s’avéra nécessaire de
recourir aux Sœurs pour éduquer les futures épouses de pensionnaires de ces
61

colonies. Les Scheutistes invitèrent les Sœurs de Charité de Gand qui s’établirent à
Moanda en 1891. Ces Sœurs devaient s’occuper, à la colonie scolaire des Scheutistes,
de la section des filles fondée en 1892. Dès sa fondation, cette section des filles était
considérée comme une institution officielle appelée à former des épouses pour les
garçons de Boma. Elle sera momentanément supprimée en 1895, sur, croit-on savoir,
injonction de Rome, où on serait allé raconter, probablement Mgr. Augouard, que
les filles y étaient éduquées pour servir de concubines aux Blancs. Elle rouvrira en
1897 dans le seul but de fournir des épouses aux candidats sortant de la colonie de
Boma. Les filles venaient de tous les coins du Congo et même du Kasaï.

IV.8.3. Villages chrétiens et fermes-chapelles

L’expérience des « colonies scolaires » ne se généralisa pas à cause de la réticence


des missionnaires qui estimaient que le but essentiel de l’éducation à donner aux
enfants autochtones était la conversion au catholicisme. En plus des bons chrétiens, il
fallait former les catéchistes et des jeunes, capables de travailler pour faire vivre
chrétiennement et dignement leurs foyers. Les Scheutistes du Kasaï et les Jésuites du
Kwango envisagèrent différemment cette formation.

1. Les Scheutistes et les villages chrétiens

Les Scheutistes du Kasaï ont recruté leurs premiers adeptes parmi les esclaves
libérés par l’Etat ou ceux qui leur étaient offerts par les chefs locaux. Ils les
organisaient en villages des libérés et après les avoir baptisés, leurs villages étaient
transformés en villages chrétiens. Ces derniers villages qui, en réalité, constituent les
premiers postes de mission, vivaient de façon plus au moins autarcique et sous la
conduite du père supérieur. Les premiers chrétiens issus de ces villages essaimeront
dans la région pour fonder des nouveaux postes.
Il n’existait pas encore d’école. La formation religieuse, en vue du baptême, était
assurée par les missionnaires après les travaux manuels. Hommes, femmes et enfants
suivaient cette formation qui consiste à l’apprentissage de la récitation des prières et
de quelques fragments de la doctrine chrétienne, notamment les commandements de
Dieu et les commandements de l’Eglise.

2. Les Jésuites et le système des fermes-chapelles

Ce système consistait à placer un catéchiste et quelques enfants dans chaque


poste secondaire; groupés en hameaux, ils pratiquaient systématiquement
l’agriculture et l’élevage et recevaient une instruction religieuse. Ces postes devaient
constituer des noyaux de nouveaux villages chrétiens exerçant un attrait sur les
populations voisines.
L’expression elle-même de « fermes-chapelles » était tout un programme. Par
ferme, on désignait les travaux d’agriculture et d’élevage que devait développer
chaque poste secondaire pour subvenir à ses propres besoins et, dans la mesure du
possible à ceux du poste de Mission, dans une perspective d’autosuffisance
alimentaire et financière. Par chapelle, on entendait associer étroitement à l’amour
du travail agricole l’enseignement du catéchisme. Dans les fermes-chapelles, on
62

entendait donc, pour reprendre une expression forte en usage à l’époque,


promouvoir une civilisation chrétienne.
Le chef de la ferme-chapelle était le catéchiste, chargé à la fois de diriger les
travaux et d’assurer l’instruction religieuse des enfants pour les initier à la vie
chrétienne.
L’objectif final des fermes-chapelles était donc de substituer, par la promotion
humaine et sociale jointe à l’évangélisation, des villages chrétiens aux villages païens.
Les fermes-chapelles n’étaient qu’une étape vers ce but, en même temps que les
prototypes devant lui servir d’exemples. Pour atteindre cet objectif de villages
composés uniquement de familles chrétiennes religieusement mariées.
La décision fut prise dès 1909 d’envisager le remplacement des fermes-chapelles
par des écoles-chapelles et elle fut exécutée en mai 1910.
63

CHAPITRE CINQUIEME : L’EGLISE CATHOLIQUE AU CONGO BELGE


Lorsqu'en 1908, la Belgique succéda à l'État Indépendant, elle reprit à son
compte les divers engagements assumés par Léopold II vis-à-vis des missions et les
compléta par des nouvelles dispositions. Les querelles vives caractérisèrent aussi cette
période.

V.1. LA CARTE ECCLESIASTIQUE DU CONGO A LA VEILLE DE L’INDEPENDANCE


Mis à part les Spiritains, expulsés du Congo en 1891, les Pères Blancs et les
Scheutistes doivent être considérés comme les Pionniers de la Deuxième
Evangélisation.

V.1.1. Mission des Pères Blancs

De 1910-1954, ce Vicariat subit plusieurs démembrements qui donnèrent


naissance à 6 autres circonscriptions ecclésiastiques :
La Préfecture Apostolique du Katanga, le 05/08/1910 (devint Vicariat apostolique le
22 Mars 1932 et prend le nom d’Elisabethville le 10 Novembre 1959).
La Préfecture Apostolique du lac Albert, le 20/06/1923 (Vicariat, le 11/12/1933 et
prendra le nom de Bunia le 11/11/1959).
La Préfecture Apostolique du Haut-Lwapula, le 12/05/1925 (Vicariat de Sakanya, le
14/11/1939).
Les Vicariats Apostoliques du Kivu, le 26/12/1929 ; de Kasongo, le 10/01/1952 et de
Goma, le 30/06/1959
Entre-temps, la dénomination Vicariat du Kivu avait été modifiée à 2 reprises :
Du Vicariat de Costermansville, le 10/01/1952 , il devient Vicariat de Bukavu, le
06/01/1954.

V.1.2. La Mission des Pères de Scheut

Aux missionnaires de Scheut avaient échu la charge évangélique du Vicariat


apostolique de l’E.I.C. La division progressive de ce Vicariat avait donné naissance à
plusieurs grands ensembles :
-la Mission indépendante du Kwango, le 08/04/1892
-la Préfecture apostolique d’Uélé, le 12/05/1898
-la Mission Indépendante du Kasaï Supérieur le 26/07/1901
-les Préfectures apostoliques de Stanley Falls, le 03/08/1904, de l’Ubangi le
07/04/1911 ; du Katanga Septentrionale, le 30/06/1911 et de Matadi, le 01/07/1911.
-Et le Vicariat apostolique de Nouvelle-Anvers le 03/04/1919.
A la même date, la partie restante du Vicariat du Congo, avait pris le nom de
Vicariat de Léopoldville. Plus tard, on y détache la mission de Bikoro (le 03/01/1931)
et le Vicariat de Boma (le 26/02/1934). Bikoro devint Préfecture, le 02/04/1940 et
Vicariat le 24/01/1954.
Enfin, au cours de la décennie 50, 2 nouvelles circonscriptions virent encore le
jour : -La Préfecture Apostolique de Kole, le 22 Juin 1951
-Le vicariat Apostolique d’Inongo, le 29 Juin 1953.
Hormis la Préfecture de l’Ubangi (érigée en Vicariat le 28/01/1955) et la Mission de
Matadi (Préfecture le 1er/07/1911 et vicariat le 14/07/1930), tous les grands ensembles
issus du Vicariat du Congo Indépendant avaient subi des amputations.
64

- La Mission du Kwango (le 08/04/1892) fille aînée de la mission de Scheut,


devenue Préfecture le 30/06/1903 et Vicariat le 29 Mars 1928, avait pris le nom de
Kikwit depuis le 21 Février 1955.
De ses démembrement successifs étaient nés le 01/04/1931 le vicariat
Apostolique de Kisantu, le 13/04/1937, la Préfecture Apostolique d’Ipamu (vicariat le
12/02/1948 et pris le nom d’Idiofa, le 20 Juin 1960) et le 07/07/1957, la Préfecture
Apostolique de Kenge.
La division de la préfecture de l’Uélé avait donné le 18/12/1911, deux Préfectures
sœurs :
- -celle de l’Uélé occidental (Vicariat apostolique de Buta le 15/04/1924) dont fut
détaché le 10 Mars 1926 la préfecture de Bondo (Vicariat le 02/12 :1937) ;
- -celle de l’Uélé oriental (Vicariat, le 06/05/1924 et qui prit le nom de Nyangara le
14/12/1926 dont naquirent les Préfectures de Lolo (22/02/1937) et d’Oruma
(24/02/1958).
La mission Indépendante du Kasaï Supérieur, élevée au rang de préfecture le
18/03/1904 et de Vicariat, le 13/06/1917, avait pris le nom de Luluabourg le
10/03/1949. De cette mission sortirent 8 autres circonscriptions : le 18/07/1922, la
Préfecture de Lulwa Katanga (Vicariat, le 26/02/1934, pris plus tard le nom de
Kamina), le 18/05/1936, la Préfecture de Tshumbe (Vicariat le 13/03/1947), le
08/07/1948, la Préfecture du lac Moero, le 10/03/1949, le Vicariat de Wamba ; le
22/06/1951 la Préfecture de Kole ; le 24 Mars 1953, le Vicariat de Kabinda et la
Préfecture de Mweka et le 25/04/1959, le Vicariat de Luebo.
La Préfecture Apostolique de Stanley Falls créée le 03/08/1904 devint Vicariat le
12 Mars 1908 et pris le nom de Stanleyville. Elle fut démembrée à deux reprises pour
constituer, le 09/04/1934, la mission Indépendante de Beni (Vicariat le 09/02/1938)
et le 10/03/1949, le Vicariat de Wamba. Le Préfecture Apostolique du Katanga
Septentrional devint Vicariat le 18/06/1935 et pris le nom de Kongolo le 08/03/1951.
Sa division le 23/04/1956 donna le Vicariat de Kindu.
Institué le 03/04/1919, le Vicariat Apostolique de Nouvelle-Anvers avait pris le nom
de Lisala le 27/01/1937. Il fut amputé de ce territoire à 3 reprises pour former le
11/02/1924 la Préfecture de Tswapa (qui prit 2 ans plus tard le nom de Coquillatville
et fut élevé au rang de Vicariat le 15/03/1932).
Le 28/07/1926, la Préfecture de Basankusu (vicariat le 08/01/1948) et le 14/06/1951
la Préfecture d’Isangi.
La division du Vicariat mère du Congo-Belge avait fini par donner 32
circonscriptions ecclésiastiques dont 25 vicariats et 07 préfectures apostoliques.
Si l’on considère le développement d’ensemble, de 2 missions initiales (celle de pères
Blancs et celles des Scheutistes), on arrive au résultat suivant au 30/06/1959 :
39 circonscriptions dont 32 vicariats et 7 préfectures apostoliques contre 33
circonscriptions en 1953 dont 28 vicariats et 5 préfectures.
Disons en conclusion que la carte ecclésiastique du Congo était achevée au
cours de la décennie 1950. Le pays avait pratiquement acquis une configuration
territoriale précise des circonscriptions ecclésiastiques.
65

V.2. EGLISE ET ETAT COLONIAL : COLLABORATION ?

V.2.1. Missions dans la division coloniale du travail

D’après la conception de l’époque, l’Etat avait besoin des missionnaires parce


que ces derniers malgré leur contestation dans une Europe de plus en plus sécularisée,
demeuraient des experts incontestés en matière d’éducation à la civilisation. Ils
étaient les seuls capables d’apporter non seulement la lumière de la foi et la Bonne
Nouvelle de la rédemption, mais aussi cette efflorescence du christianisme qui
s’appelle « la civilisation ». Ils étaient les seuls à pouvoir aider les pauvres noirs » dont
les pensées et les préoccupations sont bien terre à terre » et les aider à ne pas suivre la
loi du moindre effort qui est celle de sa race (nègre) et de continuer à croupir dans sa
misère ancestrale.
Sans l’intervention des missionnaires, l’indigène retomberait sous le joug de la
superstition. Cet argument justifie tout l’effort des missionnaires à organiser les
activités économiques, à inculquer le goût du travail et le désir du progrès, à se
préoccuper de la médecine, de l’hygiène, des œuvres sociales et scolaires et de la
recherche scientifique.
La mission avait donc une place dans la division coloniale du travail. C’est dans ce
sens qu’on parle de la trilogie coloniale.
Etat

Mission Commerce
Mais sur le plan pratique, il convient d’indiquer que, tout au long de la
période coloniale, depuis l’époque léopoldienne jusqu’à l’indépendance du Congo,
les relations entre l’Eglise missionnaire et l’Etat coloniale n’ont toujours pas été
sereines. Les périodes de vives tensions ont succédé à des moments d’accalmie et de
franche collaboration. Cette histoire, à la fois tumultueuse et tranquille, sera chaque
fois plantée comme décor dans l’arène politique en Belgique quand il s’agira de
débattre des questions politiques ou ecclésiales du Congo.

V.2.2. Répercussions des conflits politiques belgo-belges sur les missions

On n’admet généralement que les missions catholiques et la colonie


entretenaient d’étroits rapports de collaboration. Dans l’idéologie coloniale belge, la
mission et l’Etat avaient un même combat à mener, une même justification à fournir :
apporter les lumières de la civilisation aux populations indigènes longtemps restées
dans les ténèbres. Sur le terrain, cependant, les choses ne se passaient pas souvent
comme le prévoyaient les instructions des instances romaines ou comme le
souhaitaient les accords passés avec l'État ou avec les entreprises commerciales. Là où
l'on s'est réjoui du nombre toujours grandissant des convertis, on a passé sous silence
les nombreux courants d’indocilité, de fronde, de refus voilé, etc. Là où la bonne
entente semblait parfaite entre Missionnaires, colonisateurs et commerçants, on a
occulté les tensions vives et les oppositions ouvertes qui ont épisodiquement marqué
les relations entre Européens dans la colonie.
66

En réalité l'histoire de l’Eglise coloniale n'a pas été un "Long fleuve tranquille",
elle a connu plusieurs soubresauts provoqués soit par des événements survenus dans
la colonie, soit par les querelles en métropole, soit par la géopolitique internationale.
Chacune de ces crises aura des répercussions sur la conduite des missionnaires et sur
la réaction des autochtones.

1. Offensive anti-missionnaire (1909-1912)

A partir de 1908, le Congo devenait colonie belge. La politique coloniale et par


conséquent les œuvres missionnaires subiront le contrecoup des luttes politiques en
Belgique. Les anticléricaux estimaient que le moment était venu de réduire l’influence
des missions catholiques. Ces missions, à leurs yeux, s’étaient transformées en Etat
dans l’Etat. Pour les missionnaires, l’offensive serait inspirée par la franc-maçonnerie
belge dont certains membres éminents ont collaboré, dès ses débuts, à l’entreprise
africaine de Léopold II.
La première attaque ouverte contre les missions était lancée, en quelque sorte,
par le leader socialiste Emile Vandervelde. Elu député dès 1894, il jouera jusqu’à sa
mort, en 1938, un rôle de premier plan dans la vie politique belge et il interviendra à
la Chambre des représentants dans tous les débats concernant le Congo. Après une
visite au pays de juillet à octobre 1908, il publiait son journal de voyage sous le titre
Les derniers jours de l’Etat du Congo, dont des extraits avaient apparu dans le
quotidien Le Peuple. Il critiquait les écoles des missions catholiques aussi bien celles
des jésuites que celles des Scheutistes. Deux missionnaires ont répondu à ces
critiques : Alfred Corman (Scheutiste) et Arthur Vermeersch (Jésuite).
Retourné au Congo en qualité d’avocat de deux missionnaires presbytériens
américains cités en justice par la Compagnie du Kasaï (CK), E. Vandervelde stigmatise,
dans un article sur Les missions catholiques au Congo Belge, « l’envahissement lent
chez les Azande d’un idéal collectif chrétien et européanisé ; lèpre ulcérante qui doit
faire de ces belles races de l’Uélé un troupeau de bigots fétichistes, vicieux, soumis et
définitivement perdus à la vie heureuse que leur eussent faite les Arabes ». A.
Vermeersch répond par un opuscule intitulé Sur-Nègres ou chrétiens. Les
missionnaires au Congo Belge. L’anticléricalisme colonial.
De part et d’autre, le ton s’envenime. L’opinion publique catholique est mobilisée et
au cours des premiers mois de l’année 1912, des manifestations de masse ont lieu
dans les villes les plus importantes de Belgique.
Dans le Haut-Kasaï, Émeri Cambier, l’influent préfet apostolique est accusé par
Vandervelde de fabriquer des boissons alcooliques et d’infanticide. Après s’être
expliqué dans une lettre ouverte sur la question de la fabrication de l’alcool, le
missionnaire intente un procès pour diffamation dans l’affaire d’infanticide. Le 14
juillet 1913, le procureur du Roi à Lusambo signe une ordonnance de non-lieu dans
l’instruction ouverte contre le Préfet apostolique.
Suite à toutes ces tensions, il se constitua le 7 octobre 1912, en Belgique,
une « Ligue pour la protection et l’évangélisation des Noirs ». Elle se fixa comme but
« de défendre les missionnaires en cas d’agression ; de les affranchir des vexations de
certains agents ; de faire mieux connaître leurs efforts et leurs résultats, d’aider à
promouvoir le bien moral et religieux des Congolais ».
Rentré en Belgique, Mgr Victor Roelens, Vicaire Apostolique du Haut-Congo,
échange une série de correspondances avec le ministre des Colonies, Jules Renkin,
67

qu’il accuse de complicité dans les vexations contre les missions catholiques au
Congo. Le ministre entreprend une démarche officielle auprès du Secrétaire d’Etat du
Vatican « pour faire cesser la campagne des missionnaires contre le Ministre des
Colonies ». Suite à cette démarche, Rome intervient, le 22 mars 1913, auprès de Mgr
Roelens et des supérieurs majeurs, les priant de laisser la personne du Ministre en
dehors du débat.
Cette querelle ne prendra finalement fin qu’avec le déclenchement de la Guerre de
1914.

2. Polémique autour de la « politique indigène »

En 1918, un gouvernement libéral vient au pouvoir en Belgique, Louis Franck,


son ministre des colonies, essaye d’appliquer les théories d’origine anglo-saxonne sur
l’administration indirecte (indirect rule). Cette nouvelle pratique administrative,
qualifiée de « politique indigène », suscita encore des polémiques entre l’Etat et les
Missions. L’application de cette politique se traduisait, sur terrain, par l’insoumission
des catéchistes aux ordres des chefs païens protégés par l’administration coloniale et
par les vexations des autorités de l’Etat contre les catéchistes et les villages chrétiens.
En septembre-octobre 1923, les Supérieurs Ecclésiastiques des Missions
Catholiques du Congo Belge se réunissent à Saint Gabriel, près de Stanleyville.
Stanislas De Vos, Préfet Apostolique du Kwango et secrétaire du comité, rédige le
rapport sur la « politique indigène » à soumettre au ministre des colonies. Ce texte
intitulé « La politique Indigène et les Missions Catholiques » affirme l’opposition
catégorique des missionnaires à la « nouvelle politique » parce qu’elle porte préjudice
à plusieurs de leurs œuvres. Cette polémique durera jusqu’au début de la Seconde
Guerre Mondiale.

3. Echec de la convention de 1953


La nomination de Mgr Pierre Sigismondi à la délégation apostolique de
Léopoldville relançait au sein de l’épiscopat du Congo les débats sur la collaboration
de l’Eglise avec l’Etat.
Paul Zeeland, Ministre des Affaires Etrangères et du Commerce Extérieur, envisagea,
à partir de 1952, la possibilité de remplacer la Convention du 26 mai 1906 par un
concordat, réglant « d’une manière plus large et plus complète la situation de l’Eglise
catholique » au Congo. Ce projet rencontra, d’une manière inattendue, les
préoccupations de Mgr Sigismondi et de l’Episcopat du Congo.
En effet, dans le domaine de l’enseignement et de la santé – des tracasseries
administratives de plus en plus fréquentes traduisaient, aux yeux des responsables
ecclésiastiques, la volonté du Gouvernement de la Colonie d’établir graduellement
leurs œuvres et de soumettre les missions à cette politique, au besoin en recourant à
la menace de la suppression des subsides. Les Ordinaires reprochaient à l’Etat de
vouloir leur imposer des « conventions rédigées unilatéralement, modifiées
continuellement et trop souvent appliquées de façon arbitraire et hostile ».
Mgr Sigismondi comprit que ces difficultés, suscitées en partie par l’évolution
des missions, ne pourraient trouver un règlement durable par des accords
68

compartimentés, ou en cherchant à négocier chaque nouveau cas avec les autorités


coloniales. Quant à la Convention de 1906, conçue pour une chrétienté à se débuts,
elle ne pouvait plus s’accommoder des besoins actuels et apporter des solutions
satisfaisantes. C’est alors que le Délégué Apostolique s’appliqua, avec les ordinaires, à
chercher des voies et moyens pour mieux assurer les intérêts présents et futurs de
l’Eglise du Congo. L’idée s’imposa d’établir une nouvelle Convention inspirée de la
première, mais élargissant le champ de la collaboration, conformément à l’expansion
et aux besoins actuels des missions.
Avec l’autorisation de Rome, le projet de cette nouvelle convention fut rédigé
au courant de l’année 1952. Après plusieurs examens par le comité permanent, la
délégation apostolique, le Saint-Siège et le gouvernement Belge, le texte final de la
Convention, comprenant 31 articles, fut signé le 8 décembre 1953, entre, d’une part,
Mgr Fernand Cento, Nonce apostolique à Bruxelles, et d’autre part Paul Zeeland,
Ministre des Affaires Etrangères et représentant du Gouvernement belge. Après avoir
obtenu le placet du Conseil d’Etat et du roi Baudouin, le texte fut soumis aux
Chambres belges pour ratification. La Chambre des Représentants approuva la
Convention, le 11 mars 1954, après d’interminables débats et polémiques. Il restait au
Sénat d’examiner et d’approuver le texte. Il ne se montra nullement empressé à se
livrer à un tel exercice à un mois seulement des échéances électorales. L’étude du
dossier fut donc renvoyée à plus tard.
Les élections eurent effectivement lieu le 11 avril 1954. La défaite du Parti
Social-Chrétien entraîna non seulement la perte de la majorité absolue qu’il détenait
au Parlement, mais aussi la fin des Gouvernements catholiques qui s’étaient succédés
de 1951 à 1954. Pour l’Eglise, cette débâcle signifiait la perte de l’unique allié qui
avait jusqu’ici pris la défense de ses intérêts au Gouvernement et au Parlement.
Quant à la Convention, les sessions du Sénat qui suivirent les élections d’avril 1954,
ne retinrent pas le projet de loi portant sa ratification à l’ordre du jour. Ainsi, cette
Convention de 1953 ne verra pratiquement jamais le jour et son échec sera ressenti
comme une défaite par les catholiques belges et les Ordinaires du Congo.
4. La « Guerre scolaire » de 1955

Pendant que le projet de la nouvelle Convention, attendait son approbation


par le Sénat belge, un autre événement vint assombrir les relations de l’Eglise avec
l’Etat coloniale : la querelle scolaire de 1955.
En effet, les socialistes belges furent les grands vainqueurs des élections du 11 avril
1954. Ils formèrent avec les libéraux une coalition gouvernementale laïque,
fortement anticléricale, dirigée par Achille van Acker. Auguste Buisseret, libéral et
franc-maçon, fut nommé ministre des colonies. Il porta son action essentiellement sur
l’enseignement. Une « mission pédagogique » fut aussitôt chargée d’enquêter sur la
situation scolaire de la colonie.
Dans son rapport, elle critiqua avec véhémence le monopole de l’Eglise
catholique et elle souligna les abus et les situations scandaleuses que ce monopole
avait suscités. Buisseret favorisa la création des écoles laïques pour briser la mainmise
de l’Eglise catholique sur l’enseignement. En septembre 1954, Léo Collard, le
nouveau ministre de l’Instruction publique, présenta un projet de loi réduisant les
avantages accordés aux écoles catholiques. Il modifiait ainsi les lois Harmel du 17
décembre 1952. L’approbation de la loi Collard par les deux Chambres déclencha de
69

vives protestations dans les milieux catholiques, chez les syndicats chrétiens, les
missionnaires et l’Episcopat. Les évêques, dans une déclaration publique firent savoir
qu’ils « se verraient dans la douloureuse nécessité de fermer toutes les écoles aussi
longtemps que le gouvernement se dérobait à ses obligations ». Face à une telle
menace, la négociation s’imposait. Elle s’engagea à Léopoldville, entre le corps des
évêques et le ministre lui-même. Un compromis fut adopté en faveur des missions
qui conservèrent tous les droits acquis jusque-là en matière d’aide financière
gouvernementale.
Comme on le voit, les Missions et la colonie entretenaient officiellement
d'étroits rapports de collaboration, mais sur le terrain concret, ces rapports n’ont
toujours pas été harmonieux. Tantôt les intérêts de l’Etat ne correspondaient guère
avec ceux de la Mission, tantôt les changements des gouvernements et de politique
en métropole emmenaient sur la scène des acteurs favorables ou défavorables à
l’action missionnaire. Les incertitudes du jeu politique et, parfois, les humeurs des
acteurs politiques et missionnaires, influaient sur les relations Etat-Eglise et
entraînaient souvent des périodes de crise et de vives tensions.

V.3. L’EGLISE DU CONGO FACE A LA QUESTION DE L’INDEPENDANCE

C’est au cours de sa 5e Conférence Plénière tenue à Léopoldville du 21 juin au


premier juillet 1956, que l’Episcopat du Congo Belge et du Ruanda-Urundi, jusque-là
apparemment muet sur la question de l’ « émancipation » des peuples, se prononça
sur les aspirations nationales des Congolais. Cette déclaration, rendue publique le 29
juin, soit un jour seulement avant la publication du Manifeste Conscience africaine,
légitimait non seulement la volonté des autochtones de participer à la gestion de leur
pays, mais aussi leur désir d’émancipation. A la nation tutrice, en l’occurrence la
Belgique, revenait l’obligation de les y préparer par une éducation politique
progressive. Les évêques proclamaient :

Tous les habitants d’un pays ont droit de collaborer activement au bien général.
Ils ont donc droit de prendre part à la conduite des affaires publiques. La nation
tutrice a l’obligation de respecter ce droit et d’en favoriser l’exercice par une
éducation politique progressive. Les autochtones ont l’obligation de prendre
conscience de la complexité de leurs responsabilités et de se rendre aptes à les
assumer. L’Eglise n’a pas à se prononcer sur les modalités de l’émancipation d’un
peuple. Elle le considère comme légitime du moment qu’elle s’accomplit dans le
respect des droits mutuels de la charité.

La question de l’émancipation, bien que d’actualité à l’époque, n’était pas l’unique


sujet du document des évêques. Celui-ci touchait aux problèmes socio-économiques
du moment. Il condamnait le racisme, critiquait « les outrances d’un paternalisme qui,
à la longue, risque de réduire dangereusement les libertés de l’homme et de la
famille ».
S’interrogeant sur les motivations profondes de cette prise de position de
l’Episcopat, d’aucuns n’ont cru y voir qu’un revirement
« purement tactique, histoire de se soustraire au camp des perdants, puisque
pendant des décennies, on n’avait rien trouvé à redire au comportement
colonial ni à son action. Les attaques scolaires de Buisseret ont pu fournir le
prétexte nécessaire à cette volte-face. Malgré son caractère démagogique, la
70

position de l’Eglise ne faisait que confirmer l’effritement de l’ordre colonial, miné


par les assauts menés par les autochtones mais aussi par ses propres
contradictions et les dissensions de la métropole ».
Cet argument, bien ficelé, ne me semble pas suffisant et n’explique pas assez les
contours de cette déclaration et tous les antécédents qui ont conduit à son
élaboration. La déclaration de juillet 1956 n’est pas un cheveu tombé
accidentellement dans un bol de soupe. Elle serait l’aboutissement d’un long débat
qui a occupé les Supérieurs de Missions et les Ordinaires du Congo Belge et du
Ruanda-Urundi dès l’année 1897 et qui s’est amplifié à partir de 1950. Il est évident
que cette discussion ne portait pas directement sur la question de l’indépendance du
Congo, mais sur celle de l’établissement de la hiérarchie ecclésiastique et de la
« formation, de la promotion et de la responsabilisation des prêtres indigènes ». La
« question des prêtres autochtones » était éminemment politique parce qu’elle posait,
en filigrane, le problème de la place du « Noir » dans la hiérarchie d’une Eglise
dominée par les « Blancs » et surtout du rapport que le « prêtre indigène » (seul noir
civilisé !) devait entretenir avec « ses frères de race » en régime de domination
coloniale. On ne pouvait dès lors pas parler de la promotion d’un clergé indigène
sans se pencher sur le sort des peuples dont il était issus et ce clergé était, comme le
démontre l’histoire de la décolonisation, conscient du rôle qu’il avait à jouer dans
l’émancipation et dans le processus de la décolonisation.
D’autres éléments expliquent la déclaration de 1956. D’abord, le virement de la
politique de Rome qui, à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale avait
changé son attitude vis-à-vis des nations colonisatrices pour s’adapter aux
changements qui s’opéraient dans le Monde. Ensuite, au Congo, les conflits
récurrents entre les missions catholiques et le gouvernement belge qui culminent par
l’échec du projet de convention de 1953 et par la guerre scolaire de 1955 ont
surchauffé l’opinion catholique en Belgique et ont certainement constitué l’occasion
pour l’Episcopat de se désolidariser des atermoiements du gouvernement vis-à-vis des
revendications pressantes d’autonomie des populations indigènes. L’explication de la
déclaration de 1956 se serait nichée dans ce faisceau d’événements situé dans une
séquence historique essentiellement constituée par la prise de conscience des peuples
colonisés après la deuxième guerre mondiale.

V.4. L’EGLISE COLONIALE FACE AUX MOUVEMENTS RELIGIEUX AUTOCHTONES

A l’époque coloniale, on a observé, chez les autochtones, l’émergence des


plusieurs courants religieux. Ces mouvements sont généralement classés en deux
catégories : ceux qui naissent de la rencontre de la révélation biblique avec la
tradition religieuse ancestrale et ceux qui se réclament de l’authentique tradition
ancestrale et réfutent toute accointance avec le christianisme, considéré comme une
« religion étrangère ».
V.4.1. Marges du christianisme ou « bricolage religieux »
Les mouvements religieux issus la rencontre de la révélation biblique avec la
tradition religieuse ancestrale ont souvent été qualifiés de « syncrétiques », car leurs
enseignements consistent en une sorte de compromis entre les croyances africaines,
les préceptes chrétiens et une interprétation plus ou moins « africanisée » de la Bible.
Nous pouvons dire qu'il y a eu ici, de la part des Africains un effort de « bricolage »
71

pour se donner une religion qui se situe à la frontière (marges) entre le christianisme
et les religions dites « traditionnelles ».
Les succès de ces mouvements provenaient de leur enracinement dans la
culture locale et des réponses concrètes qu'elles proposent aux problèmes vitaux de
leurs adeptes (la maladie, la sorcellerie, les impôts et les corvées exigés par le
colonisateur, la pauvreté, etc.). À cause de leur caractère millénariste promettant un
monde nouveau débarrassé de l’oppression coloniale, ces mouvements sont vite
apparus comme de dangereuses rébellions et ont été rapidement l’objet
d’impitoyables répressions de la part des autorités coloniales. Les missionnaires ont
combattu ces formes de religiosité les qualifiant tantôt de « sorcellerie », tantôt de
« superstitions dangereuses » ou de « rébellion contre l'autorité étatique ». Ils ne se
sont pas souciés de les étudier pour mesurer leur impact sur l'action évangélisatrice.
Dans l’entre-deux-guerres, apparaissent à l’ouest du Congo, le Kimbanguisme
(1921) et la Mission des Noirs (1939) de Simon Mpadi ; à l’Est et au Sud-est, le
Kitawala et ses avatars. Tous ces mouvements qu’on peut qualifier de « messianiques
et protestation sociale », rêvaient de la fin du règne des Belges et de la venue d’un
nouveau Congo libre et juste grâce à une sorte d’intervention étrangère.
V.4.2. Mouvements nés des cultes traditionnels
Au fur et à mesure que les missionnaires élargissaient leurs espaces
topographiques et que les statistiques envoyées aux instances romaines et publiées
dans les périodiques montaient en épingle les progrès réalisés par l'évangélisation, on
a vu apparaître, au Congo belge, de nouvelles formes de religiosité et de dévotion
ne revendiquant pas d’accointances avec le christianisme (catholique ou protestant)
qualifié de « religion des Blancs ». Ces formations religieuses remettaient au goût du
jour les différents cultes traditionnels et elles n’empruntaient rien à la religion
chrétienne qu’elles semblaient, à certains endroits, combattre. Vansina affirme que
« leur expansion forme une histoire parallèle à celle de la conversion à différentes
confessions chrétiennes ». En réalité ces mouvements religieux ne constituaient pas
une nouveauté au Congo. Liés à la question récurrente de la sorcellerie, ils
apparaissaient chaque fois que les villages se croyaient frappés par la « malchance »
provoquée par les actions malveillantes des sorciers. La nouveauté, à l’époque
coloniale, est que ces mouvements s'étaient étendus sur des espaces géographiques
dépassant les simples limites ethniques et qu'ils avaient intégré dans leur doctrine
l'idée que les Blancs et l'ordre social qu'ils tentaient d'imposer, relevaient du sphère
de la sorcellerie, c'est-à-dire du « mal absolu » qu'il fallait combattre. En même temps
qu'il fallait « purifier » les villages en les débarrassant de leurs sorciers, il fallait aussi
« exorciser » l'ensemble du territoire national en expulsant les « Blancs », auteurs de
plusieurs malheurs (impôts, corvées, cultures obligatoires, recrutement forcé de la
main-d'œuvre, etc.). Parmi leurs objectifs, la lutte contre la sorcellerie reste
essentielle. Nous pouvons, dans ce sens et improprement, les appeler « cultes anti-
sorciers ». Ces « sectes » se caractérisaient aussi par leur irrédentisme vis-à-vis du
christianisme qu’ils considèrent comme une « religion coloniale », la « religion des
Blancs », fossoyeuse des authentiques traditions africaines, source de la dépendance et
des malheurs qui accablent les populations noires. Ces cultes seront combattus par
l’autorité coloniale qui les considérait comme des formes de « résistance politique ».
Citons quelques mouvements de ce type :
1. Tonga-Tonga
72

Les archives coloniales nous renseignent qu’entre 1904 et 1905, un charme


connu sous le nom de Tonga-Tonga ou Epikilikili, venu de la région de Bena Dibele,
se répandit, sous forme de révolte contre l’ordre colonial, dans l’entre Sankuru-
Lukenie et atteignit les Kuba, Lele et Wongo.
2. Bwambo Ikaya
Ces mêmes sources parlent d’un soulèvement semblable dans cette même
région entre 1919 et 1920. Ce dernier mouvement séditieux résultait aussi d’un
charme, le Bwambo Ikaya.

3. Marie aux Léopards (Maria Nkoy)

En 1915, en pleine Grande-Guerre, apparait dans la province de l’Equateur un


curieux mouvement politico-religieux animé par une prophétesse du nom de Sombe,
surnommée Maria Nkoy (Marie aux Léopards) par ses disciples.
Sombe, née dans le pays Ekonda, aux environs de 1890, elle a eu l’expérience,
dans sa jeunesse, du régime du caoutchouc. Elle a près de trente ans quand elle
connait une expérience mystique, elle reçoit le pouvoir de guérir, distribue un
charme, annonce la libération prochaine du pays par les « Germani », Allemands
(1915). Elle reçoit alors le nom de Maria NKoy et devient bientôt célèbre jusqu’au
nord de la région du lac Maï Ndombe, tandis que ses fidèles entrent en conflit avec
des chefs et avec l’administration coloniale. Victime d’un chef qui la trahi et d’un
« commandant » obtus, elle est reléguée, tandis que la répression s’abat sur la région.

4. Lukoshi ou culte du serpent parlant

Le Lukoshi était, en ses débuts, un des cultes ou charmes collectifs, ayant un but
diffus et polyvalent : celui de restaurer la normalité ou l’ordre correct et naturel des
choses, l’harmonie cosmique, en éliminant la sorcellerie qui est la cause de tout mal,
de toute anormalité et disharmonie. Les cultes de ce genre présupposaient une
croyance à la sorcellerie et en l’existence d’un ordre naturel ou d’une « bonne vie ».
Les archives signalent l'existence de Lukoshi, chez les Kuba du Kasaï, à partir de
1924. Il prend son essor au début de l’année 1932 atteignant de nombreuses
populations de la savane du sud et s’étendant, comme l’indique J. Vansina « jusqu'à
couvrir finalement une aire correspondant environ à un sixième de la superficie du
Zaïre ainsi qu'une partie de l'Angola, affectant plus de vingt peuples de cette région
de l'Afrique Centrale ».
En ce moment, le Lukoshi adopta une posture anticoloniale avec apparition du
serpent parmi ses symboles et l’idée du « retour des ancêtres ». Il est alors qualifié de
la secte du serpent (parlant) dans différentes sources coloniales. Les adeptes du culte
font courir la rumeur que le jour de la libération venu, les ancêtres parleraient par la
bouche des serpents. Il fallait donc garder des paniers contenant des vipères vivantes.
Ces vipères devaient enfanter des « messagers » qui chasseraient les Blancs. Les balles
des soldats se retourneraient contre eux, tandis que les messagers du serpent, les
Djamaing (Allemands) détruiraient tout vestige de l’État.

CHAPITRE SIXIEME : L’EGLISE CATHOLIQUE POSTCOLONIALE


73

L’indépendance du Congo fut proclamée officiellement, le jeudi 30 juin 1960,


après des années de violences politiques et de prises de positions, parfois
contradictoires, de l’Eglise catholique. Derrière l’organisation impeccable des festivités
de l’indépendance couvaient de nombreux problèmes politiques, économiques et
sociaux qui feront du Congo le « grand malade » de l’Afrique des années 60.

VI.1. ETABLISSEMENT DE LA HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE

A partir de 1956 les choses bougent à l’intérieur du pays et de l’Eglise. Les Abbés
Malula et ses compagnons s’interrogent sur leur place dans l’Eglise locale. Le 09 août
1956, Vatican nomme un prêtre séculier autochtone Pierre Kimbondo, évêque
auxiliaire de Kisantu. Evénement accueilli avec enthousiasme par les congolais. Le
Père jésuite Jan van Wing avait consacré un article dans l’hebdomadaire belge De
Linie ; il voyait dans cette promotion le couronnement de l’œuvre missionnaire, le
signe de maturité de la chrétienté et le reconnaissance des mérites apostoliques du
clergé indigène de Kisantu.
Le choix d’un prêtre de Kisantu par le Vatican se justifie par le fait d’un clergé
local nombreux : avec 50 prêtres autochtones, ce vicariat venait en tête du
classement, suivi de Kikwit 31 prêtres, Luluabourg 27, Bukavu 20 et Baudouinville 19.

On peut aussi penser que Rome aurait tenu compte de ancienneté historique de
Kisantu, berceau de l’Evangélisation du Congo (Don Henrique, de Mbanza Nsudi à
environs 15 km de Kisantu).
En 1957, l’idée d’établir la hiérarchie ecclésiastique en Afrique belge avait
rebondi au sein de l’Episcopat. Le problème fut examiné au Comité permanent, non
pas à la conférence plénière. Ce comité permanent réuni à Léopoldville du 02 au 06
Avril sous la présidence de Mgr Van Wimp, Vicaire Apostolique de Kisantu, en
présence du délégué apostolique (Nonce) Mgr Alfred Bruniera.
Le débat était assez houleux et deux positions s’étaient dégagées : les uns
pensaient qu’il n’était pas encore temps car le clergé autochtone n’est pas
suffisamment mûr ; d’autres jugeaient qu’il était temps de poser ce problème.
La réaction de Rome à ce rapport était mitigée malgré le rapport positif de Mgr
Bruniera.
Pie XII, s’était montré plein d’admiration devant le progrès grandiose et magnifique
réalisé par les missionnaires au Congo. Mais, il se contenta de donner des instructions
à la Propagande pour veiller à augmenter les effectifs missionnaires dans cette région,
au besoin en faisant appel à des nouveaux instituts religieux.
Jusqu’en 1958, Rome n’avait pas changé de position vis-à-vis de la situation au
Congo. Le Pape comme la secrétairerie d’Etat et la Propaganda Fide portaient un
intérêt exceptionnel à l’avenir de la Colonie Belge surtout par crainte de perdre, au
bénéfice du monde soviétique, un pays au cœur même du continent noir et de plus
où le christianisme avait poussé ses racines les plus profondes. Rome cherchait donc à
mettre en place des conditions idéales pour l’établissement de la hiérarchie.

1. Position des missionnaires

Deux tendances se dégagent parmi ceux qui œuvraient au Congo :


74

La 1ère tendance, est celle d’une attitude sinon positive du moins compréhensive à
l’égard de la promotion des Africains à l’Episcopat.
La 2ème estime qu’il était encore prématuré de confier des responsabilités à un jeune
clergé indigène.

2. Position des congolais

Le clergé autochtone n’était pas insensible à l’évolution des idées dans le pays.
Tout comme les laïcs, il aspirait également à jouer un rôle déterminant dans la
direction de l’Eglise de son pays. Beaucoup de réactions à travers le pays, mais pas de
communication entre clergé autochtone.
Au cours d’une Conférence, le 28 Mai 1958, en marge de l’exposition internationale
de Bruxelles, l’Abbé Joseph Malula fait une déclaration reflétant le point de vue du
clergé indigène. Pour lui « les aspirations religieuses des noirs ne concernaient pas
seulement la direction de l’Eglise, elles soulevaient un problème beaucoup plus
profond à savoir celui de l’adaptation du christianisme aux cultures locales ».
Les missionnaires avaient réussi à donner à l’Eglise du Congo, une organisation et une
structure solide. Mais, celles-ci demeuraient cependant étrangères au milieu à cause
de nombreux éléments d’emprunt qui marquait sa vie et sa physionomie. Pour
beaucoup l’Eglise restait une affaire des Blancs. Elle faisait partie du « Cargo », c’est-
dire de toutes ces choses que les Blancs ont apportées et que les Noirs ne
comprenaient pas.
Le Projet de Joseph Malula était de confier à la direction des africains une Eglise
Africaine incarnée dans le substrat culturel local.

3. Réaction du Gouvernement Belge

La déclaration des évêques de 1956 et leur prise de position en faveur de


l’élévation du clergé local sont senties comme un scandale, une trahison pour le
gouvernement belge.

4. Accélération des événements

Un événement majeur changea, cependant, les idées et du gouvernement belge


et de plus conservateurs dans le rang des missionnaires : ce sont les émeutes du
04/01/1959 à Léopoldville.
Mgr Scalais, Vicaire apostolique de Léopoldville, tire la sonnette d’alarme en
avisant le monde et en montrant à l’opinion qu’il était temps d’agir.
Dans une lettre pastorale du 10/02/1959, il s’adressant à tous les ecclésiastiques
(Pères, Abbés, Frères et Sœurs) œuvrant dans son vicariat :
« Notre mission est d’implanter l’Eglise dans ce pays et de la mettre à même de se
développer et de se gouverner elle-même sous l’autorité du Souverain Pontife ».
Les missionnaires étaient donc prêts à l’établissement de la hiérarchie.
Le 18 Mars 1959, Mgr Bruniera communique en secret la décision de Rome
d’accorder un auxiliaire à Mgr Scalais. Le 25 Avril 1959, Rome détache quelques
territoires du Vicariat de Luluabourg et fonde le Vicariat de Luebo dont la direction
fut confiée à un prêtre diocésain congolais Mgr Joseph NKONGOLO. L’Abbé Joseph
MALULA est nommé auxiliaire du Vicaire Apostolique de Léopoldville, le 02 Juillet
75

1959. La nouvelle de l’établissement de la hiérarchie ecclésiastique au Congo fut


officiellement publiée dans ‘‘Observatore Romano’’ du Dimanche 29 Novembre
1959. Le texte qui avait consacré cet établissement de la hiérarchie est la Bulle ‘‘Cum
parvulum’’ du 10 Novembre 1959.
Cette bulle devait apporter des changements et la mise en place d’une nouvelle
structure :
Les dénominations vont changer mais les limites de circonscription restent les
mêmes. Tous les vicariats apostoliques étaient élevés au rang des Diocèses et
regroupés en 6 provinces ecclésiastiques : Léopoldville, Coquilathville, Stanleyville,
Bukavu, Luluabourg et Elisabethville.
Les Préfectures apostoliques étaient rattachées aux sièges métropolitains les plus
proches. Aussi bien les Diocèses, Archidiocèses que les Préfectures restaient, comme
dans le passé, toujours placés sous la juridiction de la Sacrée Congrégation pour la
propagation de la foi. A la tête des diocèses étaient placés les Evêques résidents et
non plus de vicaires apostoliques. Par rapport au personnel, il n’y a pas eu des
changements notables. Seulement 3 Evêques congolais :
- Mgr Pierre Kimbondo (Kisantu)
- Mgr Malula (auxiliaire de Léopoldville)
- Mgr Nkongolo (de Luebo)
Seul le siège Episcopal de Goma restait vacant.

VI.2. EGLISE ET ETAT EN SITUATION POST-COLONIALE

Si la proclamation de l’indépendance a suscité une véritable euphorie populaire


et une allégresse dans l’ensemble du pays, – sauf au Kasaï où Lulwa et Luba
s’entretuaient -, les jours qui suivirent furent des moments de guerres et de
désolation.

VI.2.1. Les hommes en soutane soupçonnés et inquiétés

Dès lendemain de l’indépendance, on déplora une série d’actes de violence


contre les représentants de l’Eglise.
Ainsi, le meurtre du commissaire de District et de l’Administrateur de Kenge advenu
le 26 août 1960 fut-il imputé à deux blancs en soutane. Une perquisition fut alors
réalisée, sans succès, à la résidence du Préfet Apostolique le 28 août.
Le 30 août, un avion non attendu atterrit à Inongo pour évacuer deux religieuses
venues de Mpenzwa pour raisons de santé. L’évêque, accusé par les militaires de
posséder un poste-émetteur fut quelque peu malmené, de même que les deux sœurs,
suspectées d’être des hommes déguisés en religieuses. Le lendemain, ce fut Mgr
Nkongolo, évêque de Luebo qui fut arrêté. Le Comité Permanent des évêques du
Congo, à l’issue de sa session de septembre, adressa une lettre de protestation au
premier ministre, Lumumba. Il ignorait que le soir même le président Kasa-vubu allait
prononcer sa révocation. Le 25 octobre , l’abbé Thomas Baya fut taillé en pièce par
les guerriers Kanioka qui avaient envahi le petit séminaire de Kalenda.
La mort du Premier ministre Lumumba, en janvier 1961, constitua une
occasion d’attaquer l’Eglise catholique. Les bruits furent lancés avec insistance dans le
public, accusant le clergé catholique d’avoir fomenté cette mort et d’avoir influencé
76

certaines autorités civiles pour mettre le complot à exécution. Les réactions furent
d’une extrême violence. Des Blancs et des missionnaires de la région de Kasongo
frappés et arrêtés. Le 15 février, les passionistes de Lodja et de Tshumbe dans le
Sankuru furent inquiétés par les soldats venus du nord et des jeunes désœuvrés. Le 16
février, la Paroisse de Kadutu à Bukavu fut attaquée et un Père Blanc y fut assassiné.
Le lendemain, un prêtre du Sacré-Cœur fut abattu à Basoko en Province Orientale,
d’autres furent maltraités. Mais le pire massacre en une seule fois fut celui de 21 Pères
du Saint rassemblés pour une retraite à Kongolo.
Le peuple ne doutait pas de l’implication des missionnaires et du Vatican dans
la mort du futur héros national. A la veille de l’indépendance, certains missionnaires
n’avaient-ils pas ouvertement affiché leur hostilité à Lumumba et à son discours
qualifié de « trop nationaliste » ? En tout cas, l’Eglise l’accusait d’être communiste. Et
dans certaines chapelles de brousse, les Pères expliquaient aux fidèles que le
communisme était un ordre politique diabolique et sans aucune règle morale. Que
dans ce régime on se partageait les femmes et que les enfants étaient les « biens » de
l’Etat. Si Lumumba venait à instaurer un tel régime, entendait-on dire, les gens ne se
marieront plus à l’Eglise, ils n’auront plus des maisons individuelles ; tous logeront
dans des dortoirs communs. Si ce discours anticommuniste était bien reçu des
inconditionnels du catholicisme, le plus grand nombre, surtout les « lettrés » qui
souhaitaient le départ rapide des « Blancs », le jugeaient faux. Vite, l’opinion établira
un rapport de cause à effet entre l’anticommunisme de l’Eglise et l’assassinat de
Lumumba.
La rumeur de l’implication de l’Eglise dans l’assassinat de Lumumba ira donc
en s’amplifiant. Elle s’était tellement répandue que Mgr Scalais, alors archevêque de
Léopoldville, et Mgr Mojaisky-Perelli, délégué apostolique, se sentirent obligés, le 17
mars 1961, de lui opposer au nom de l’épiscopat du Congo un démenti public :

« Les dernières manifestations de véritable persécution contre l’Eglise montrent


clairement l’influence du communisme international. Nous mettons les fidèles en
garde contre les calomnies du communisme. Ce dernier, il ne faut plus douter,
s’efforce de pénétrer le Congo et il sert pour cela des armes qui lui ont si bien
réussi en d’autres pays. L’une d’entre elles, employée partout, consiste à détruire
la confiance des chrétiens dans l’Eglise. Il commence par accuser quelques prêtres
étrangers de crimes contre l’Etat ou le peuple, tout en protestant de son respect
pour la religion. Bientôt, l’accusation s’étend à tous les prêtres étrangers qu’on
taxe d’agents de l’impérialisme extérieur, encore une fois cependant en réitérant
les affirmations gratuites de respect de sentiments religieux. Enfin les prêtres
locaux eux-mêmes sont englobés dans une même réprobation et taxés de
trahison envers le peuple. A ce moment, le pays est mûr pour l’extermination
pure et simple de toute religion, il est mûr pour l’esclavage communiste ».

Mais cette déclaration, comme d’ailleurs la plupart de textes officiels de l’Eglise,


ne fut pas connu des gens du peuple. Les rares élites qui la lurent ne la trouvèrent
guère convaincante. On se demandait si, en s’attaquant aux communistes, la
déclaration ne donnait pas l’implicite impression d’un aveu. Pour ses détracteurs,
l’Eglise cherchait simplement à justifier son implication dans un crime auquel elle
aurait participé.
77

VI.2.2. Rébellions au Congo

La période de turbulence que Benoît Verhagen a analysé dans ses Rébellions au


Congo fut aussi un moment de grande épreuve pour l’Eglise. On se souviendra que
ces guerres que les autochtones baptisèrent eux-mêmes « révolution », « événement »
ou « deuxième indépendance », se déroulèrent sur deux fronts : à l’Ouest et à l’Est.
Le Kwilu fut le principal théâtre des opérations menées, à Ouest, par Pierre
Mulele. Les partisans se firent appeler « jeunesses ». Ces bandes armées composées des
jeunes désœuvrés baptisés et sortis, suivant diverses fortunes, des écoles catholiques
et protestantes, combattaient sous les ordres des chefs recrutés parmi les élites
chrétiennes de l’époque : anciens séminaristes, commis de l’Etat, instituteurs,
catéchistes, cuisiniers des missions, magasiniers, infirmiers, etc. C’est avec la
complicité de ces auxiliaires de l’Eglise et de ces chrétiens que les églises et les
chapelles furent profanées ; les couvents, les hôpitaux et les écoles saccagés. La fureur
révolutionnaire fit quatre victimes parmi les prêtres du Diocèse d’Idiofa : trois
missionnaires européens et un prêtre diocésain africain.
Le front Est manifesta la même hostilité en l’endroit de l’Eglise. Les jeunes
partisans connus sous le surnom guerrier de Simba, étaient recrutés dans les mêmes
couches sociales que ceux du Kwilu. Qu’ils s’appellent Soumialot, Gbenye ou Kabila,
les chefs qui ont conduit cette rébellion étaient eux aussi des « anciens fidèles » de
l’Eglise missionnaire ; mais ils n’hésitèrent pas d’ordonner le saccage des biens
ecclésiaux et le massacre des hommes d’Eglise. Parmi les victimes de la rébellion de
l’Est, on signalera les Sœurs de Banalia, 31 prêtres rassemblés et exécutés à Buta et la
célèbre martyre de la virginité, sœur Clémentine Nengapeta Annuarite, béatifiée par
le Pape Jean Paul II à Kinshasa en août 1985.
On peut s’interroger sur les causes de l’animosité des mouvements
révolutionnaires à l’endroit de l’Eglise. Mise à part la vieille rancœur provoquée par
l’assassinat de Lumumba, on accusait l’Eglise d’être le suppôt de l’impérialisme et du
néocolonialisme.
Au Kwilu, par exemple, les prêtres et ceux qui les défendaient, étaient taxés de
« P.N.P », c’est-à-dire « pene pene na Mundele »( ceux qui sont proches des blancs, les
révisionnistes ou les contrerévolutionnaires).
A côté de ces thèses officielles, il conviendrait de signaler que l’envie de biens
matériels, la rancune vis-à-vis d’un missionnaire, la soif de la vengeance pour une
humiliation publique ou des coups de fouet subis à l’époque coloniale, la passion et
même l’ambition personnelle peuvent aussi expliquer la violence et les exactions des
partisans à l’endroit de l’Eglise.
78

VI.2.3. Luttes pour le contrôle de l’école et de l’hôpital

Depuis l’époque coloniale, grâce à un réseau considérable d’institutions


couvrant tout le pays (missions – écoles – hôpitaux, maternités – foyers sociaux –
mouvements d’action religieuse et sociale), l’Eglise catholique exerçait, de fait, une
influence considérable sur l’ensemble de la population. Pour les nouveaux leaders
politiques, tenus au silence, de par l’organisation même du régime colonial, il fallait
arrêter cette influence en contrôlant les institutions jusque-là monopolisées par
l’Eglise catholique.
Les institutions scolaires furent les premières visées, car c’est ici que l’influence
de l’Eglise catholique fut la plus remarquable. Voyons par exemple, comment se
répartissait l’enseignement maternel, primaire et secondaire dans le pays en 1966-
1967. L’enseignement officiel touchait 12,8% ; l’officiel « congrégationiste », 0,8% ;
le catholique, 63,4% ; le protestant, 15,3% ; le kimbanguiste, 4,8% ; le non subsidié,
2,9%. Comme on le voit, avec 63,4% d’individus touchés, l’enseignement
catholique exerçait non pas seulement un quasi-monopole dans la formation et
l’éducation de la jeunesse mais aussi un contrôle intellectuel et moral sur les élites et
les formateurs de cette jeunesse.
Cette influence ne devait pas plaire à un Etat qui, avec l’indépendance,
cherchait à affirmer sa laïcité et imposer une nouvelle vision de la société. L’Etat
tentera donc, dès les premières années de l’indépendance, à imposer sa tutelle sur les
institutions scolaires.
En effet, en février 1961, le gouvernement, sous l’impulsion de son nouveau ministre
de l’Education nationale, Bernardin Mungul Diaka entama une profonde réforme de
l’Enseignement secondaire. Celui-ci fut divisé en deux volets : d’abord, le Cycle
d’Orientation (C.O.), d’une durée de deux ans, puis quatre années de formation,
avec trois sections spécialisées : enseignement général littéraire ou scientifique,
enseignement pédagogique, enseignement technique ou professionnel. Au terme de
l’enseignement secondaire, tous les finalistes sont soumis à un concours national
organisé par le ministère de l’Education et qui leur permet d’obtenir un diplôme
national dit « diplôme d’Etat ».
Par cette réforme l’Etat s’était assuré partiellement le contrôle de l’institution
scolaire, mais l’effectivité de la gestion financière et du personnel restait encore entre
les mains de l’Eglise qui le poursuivait par l’entremise de son puissant Bureau de
l’Enseignement Catholique (B.E.C) dont un missionnaire disait : « le BEC, c’est notre
ministère de l’Education nationale ». C’est seulement le 4 décembre 1974, sous le
régime de l’authenticité que le bureau politique du MPR décida la nationalisation de
toutes les écoles en même temps que la suppression des cours de religion et des
symboles religieux dans ces écoles.
En ce qui concerne l’enseignement supérieur et universitaire, la situation était
favorable à l’Eglise catholique. Celle-ci, en effet, contrôlait la plus prestigieuse
université du pays, l’université Lovanium, et depuis 1962, une série d’écoles
moyennes supérieurs, les futurs Instituts Supérieurs pédagogiques, par exemple celle
de Lubumbashi et de Kinshasa.
Les premières propositions de nationalisation de Lovanium furent faites, en
1960, par Pierre Mulele, ministre de l’Education Nationale dans le premier
gouvernement du Congo indépendant.
79

Ce projet rencontra une vive opposition de l’épiscopat congolais qui, à l’époque,


considérait le gouvernement Lumumba, comme anticlérical et procommuniste.
C’était au plus fort de la guerre froide.
Mais cela ne fut que partie remise. En août 1971, une ordonnance-loi décida que
l’Université Nationale du Zaïre absorberait désormais les trois universités du pays, ce
qui constituait une nationalisation de l’Université Lovanium. Le Comité Permanent
des évêques éleva une vigoureuse protestation contre ce qu’il estimait une spoliation,
mais en vain.
La mainmise de l’Etat sur la jeunesse non universitaire se fit progressivement et
sans beaucoup d’heurts. Il existait depuis 1966 deux centrales encadrant les
mouvements de jeunesse : le Conseil national de la jeunesse (CNJ) et la Jeunesse
pionnière nationale (JPN). Il fut entendu qu’aucune initiative ne pouvait se concevoir
dans le secteur de la jeunesse sans être sous la bannière de l’une ou l’autre de ces
deux formations. A partir de là, l’abolition des mouvements de la jeunesse au profit
d’un seul et unique procédait de ces deux structures de regroupement. Ce fut chose
faite en juillet 1967. Les directoires furent en effet fusionnés en un seul comité de la
jeunesse qui fut le seul habilité à diriger les jeunes sur toute l’étendue du territoire. La
suppression de toutes les organisations confessionnelles de jeunesse n’interviendra
que le 29 novembre 1972.
Dans le domaine de la santé, l’Etat étendit lentement son emprise en
perpétuant la pratique coloniale consistant à accorder les subsides aux formations
médicales confessionnelles. Il arriva petit à petit à affecter et payer les salaires des
médecins. La nationalisation n’intervint qu’en 1974.

VI.2.4. L’Eglise catholique sous le régime de Mobutu

Le 24 novembre 1965, par un Coup d’Etat, le général Joseph Désiré Mobutu


prenait le pouvoir avec l’appui des puissances occidentales. Il était fier de se réclamer
catholique tout en revendiquant d’être un légitime héritier de Lumumba qui, dans les
milieux ecclésiaux, avait la « mauvaise réputation d’être communiste ».

1. Les préludes au durcissement politique des années 70

En ce début de sa nouvelle magistrature, personne, dans l’Eglise, comme


d’ailleurs dans le pays entier, ne soupçonnait le jeune chef de l’Etat de dériver vers
l’autocratie et nul n’augurait un quelconque conflit avec l’Eglise catholique qu’il
appellera plus tard « la religion de mes parents ».
La hiérarchie catholique, par le biais de l’archevêque de Kinshasa lui fit même
allégeance. En effet, lors du Te Deum chanté le 19 décembre à l’occasion de la
clôture du concile Vatican II, Mgr Malula, déclara que l’Eglise reconnaissait l’autorité
du nouveau chef de l’Etat, car l’autorité vient de Dieu. Il lui rassura la franche
collaboration de l’Eglise dans l’œuvre de restauration de la paix à laquelle tous
aspirent si ardemment.
Au sortir d’une longue période d’instabilité politique où l’Eglise fut sérieusement
secouée par des rébellions ostensiblement anticléricales, Mobutu apparaissait comme
l’homme qui apportait la tranquillité et la paix, conditions indispensables pour le
développement du renouveau chrétien.
80

Monseigneur Jean Marie Maury, alors Nonce Apostolique à Kinshasa, écrivait à une
Sœur dominicaine : « Ma Mère, […] Je n’ai pas pu venir en France, l’été dernier,
parce que la situation au Congo demeurait alors très incertaine. Cela semble aller
mieux maintenant, grâce au dynamisme courageux de notre jeune chef d’Etat, mais le
pays n’a pas encore trouvé sa stabilité : Dieu nous garde la tranquillité et la paix pour
que se développe le renouveau chrétien qui se manifeste partout, et surtout dans les
régions qui ont été éprouvées par la rébellion ».
Jusqu’à la crise de janvier 1972, Mobutu jouissait donc d’un certain crédit dans
les milieux ecclésiaux. On lui reconnaissait le mérite d’avoir pacifié le pays sans
toutefois approuver la brutalité de ses méthodes, notamment la pendaison publique
de trois parlementaires le jour de la pentecôte 1966 et retour rocambolesque de
Mulele à Kinshasa et son assassinat dans des conditions restées jusqu’à ce jour non
élucidées.
Mobutu profita de cet état de grâce pour damer quelques pions à l’Eglise. Il se
montra généreux sinon ervegète à l’endroit de l’épiscopat. Chaque évêque
autochtone nouvellement ordonné recevait en prime une voiture de marque
« Mercedes », la même qu’on attribuait aux hauts dignitaires du régime. Les écoles
catholiques et plusieurs autres œuvres caritatives de l’Eglise bénéficièrent aussi des
dons présidentiels.
Lors des manifestations officielles, à la capitale comme en provinces, le Te
Deum continuait à être chanté comme à l’époque coloniale et « les princes de
l’Eglise » à occuper leur rang protocolaire parmi les « Grands » du pays.
Cependant ces cérémonies officielles offraient parfois à certains prélats
l’occasion inattendue d’interpeller l’Etat. C’est ainsi, par exemple, que Mgr Malula
profita du Te Deum du 18 août 1966 pour stigmatiser le régime :
« Je voudrais être ici le porte-parole de ce peuple qui souffre, de ce peuple qui reste
pauvre au milieu de tant d’abondance[…] Nous voulons […] vous dire à Vous,
gouvernants : sachez que notre peuple attend de vous un peu de soleil. Notre peuple
attend de vous un peu de joie de vivre ».
Le 23 novembre 1966, il récidiva en faisant appel à la conscience chrétienne des
dirigeants. Le peuple a droit au bien-être, leur dit-il.
En 1967, le pays se dotait d’une nouvelle constitution qui consacrait un régime
politique de type présidentiel avec un parlement monocaméral. C’est aussi au cours
de cette année que fut promulgué le manifeste dit « de la N’Sele », texte fondateur du
Mouvement Populaire de la Révolution, qui, à partir de 1970, deviendra le Parti
unique.
On sait aujourd’hui que, dès son début, le régime Mobutu s’inspira largement
de la vision idéologique proposée par l’Union Général des Etudiants Congolais
(UGEC). Ce mouvement, en effet préconisait l’édification d’un « Etat socialiste pour
une révolution nationale, démocratique et populaire ». Il se prononçait aussi pour le
parti unique conçu comme «organe suprême » concrétisant la volonté du peuple. Lors
de son troisième congrès tenu en octobre 1966, UGEC proposa même que le
président de la république et les parlementaires soient élus au suffrage universel sur
présentation du parti. Les congressistes imaginèrent aussi la création d’une milice
populaire et la suppression de toutes les associations estudiantines. Ce sont ces
résolutions qui furent reprises mutatis mutandis par les rédacteurs de la Constitution
et du Manifeste de 1967 et constituèrent le prélude à la création de la JMPR et sa
81

future installation aussi bien dans les universités que dans les instituts de formation
religieuse.
Il est aussi établi que les idéologues d’UGEC, situés plutôt « à gauche » et promoteurs
de la « politique nationaliste » du nouveau régime, avaient beaucoup des griefs à
formuler contre l’Eglise catholique qu’ils considéraient comme une institution
néocoloniale. Ces élites, soupçonneuses vis-à-vis de l’Eglise, constitueront le « brain
trust » du nouveau régime et seront, à ce titre, des acteurs de premier plan dans la
crise de 1972.
A partir de 1967, le nouveau régime avait commencé à clôturer l’espace
politique et à contrôler toutes les forces sociales.
C’était une véritable opération de subjugation et de démolition qui, au
départ, était malignement menée, sans tambour ni trompette, mais d’une façon
méthodique et programmée : l’abolition des partis politiques et la création du MPR
comme mouvement de masses ; la création de la JMPR, l’abolition des mouvements
de jeunesse (juillet 1967), la suppression en 1968 de l’UGEC et son intégration dans
la JMPR ; la fermeture de Lovanium et l’enrôlement des étudiants dans l’armée en
1969, etc.

2. Le messianisme politique du Manifeste de la N’sele

Arrêtons-nous un moment sur le projet politique du Manifeste de la N’sele. A


lire attentivement ce texte, on ne peut pas s’empêcher de remarquer qu’il avait
l’allure d’une prédication messianique qui proposait au peuple l’avènement d’une
nation « libre, juste et prospère ». La « révolution culturelle, politique, sociale et
économique » se présentait alors comme la voie obligée pour hâter et réaliser cet
avenir de bonheur pour tous. Le citoyen n’avait donc pas d’autres choix, s’il voulait
son salut, sinon de se soumettre aux exigences de la révolution. Comme tout
messianisme, celui du Manifeste de la N’sele était totalisant et englobant. Il ne
laissait, de ce fait, aucune place à d’autres messianismes ou à d’autres pensées
contradictoires, fussent-ils catholiques et apostoliques.
Le messianisme politique du Manifeste de la N’sele engendra son « Eglise », le
MPR ; son messie-prophète, Mobutu et ses nombreux zélateurs, les Cadres du Parti.
Aussi le projet du Manifeste de la N’sele avait-il, de cette manière, préparé
l’émergence d’un régime totalitaire prêt à régenter toutes les sphères de la société et
à engager un combat inquisitorial contre les « hérésies » et les fractions réactionnaires.
L’Eglise catholique qui, par essence, se veut messianique et prophétique, devait donc
nécessairement se trouver dans la ligne de mire de ce nouveau messianisme du
Manifeste de la N’sele.

3. Les turbulences des années 70

Au début des années 70, le nouveau régime, issu du projet politique du Manifeste
de la N’sele, était établi. La logique de la centralisation et de la mise au pas de la
société allait s’imposer comme l’unique alternative aux tendances centrifuges propres
aux premières années de l’indépendance.
82

a. L’idéologie de l’authenticité

Du 21 au 23 Mai 1970 le MPR tint son Congrès extraordinaire qui recommanda


la consécration juridique de la position de parti unique dont il bénéficiait depuis sa
naissance en 1967. La révision constitutionnelle du 23 décembre 1970 officialisa la
recommandation du Congrès. L’article de la constitution de 1967 prévoyant le
bipartisme fut aboli. Le processus de sublimation du MPR était donc en marche. C’est
aussi à partir de 1970 que le régime commença à expliciter l’idéologie du Parti que le
Manifeste de la N’sele avait qualifié de « nationalisme congolais authentique ». De
cette triple expression, on ne finira par retenir que le substantif découlant du
qualificatif « authentique ». On parlera, à partir de 1971, de « l’authenticité » que le
chef de l’Etat lui-même définira à Dakar, le 14 février 1971, devant les membres de
l’Union Progressiste Sénégalaise comme étant « cette découverte de notre vrai visage
d’Africains, tel que l’ont façonné, jour après jour, les ancêtres à qui nous devons le
noble héritage de notre grande patrie africaine ». La logique de cette idéologie de
l’Authenticité conduira à une série de transformation dans le pays. Le 27 octobre
1971, une réunion conjoint du bureau politique du Parti et du gouvernement prend
les décisions suivantes :
1. le majestueux fleuve qui traverse notre pays reprend son nom d’origine et
s’appelle « Zaïre » ;
2. Notre pays s’appelle « la République du Zaïre » ;
3. La Province Orientale devient « Province du Haut-Zaïre » ;
4. La Province du Kongo Central devient « la Province du Bas-Zaïre » ;
5. Le drapeau national change ;
6. L’hymne national change […].

Les exigences de l’Authenticité allèrent plus loin encore. On changea non pas
seulement les noms de lieux et des entreprises, mais on s’attaqua aussi aux prénoms
chrétiens. Et c’est ce point qui constitua la pomme officielle de discorde entre l’Eglise
et l’Etat à partir de janvier 1972. En réalité la question des prénoms n’a été qu’une
tactique du pouvoir visant à soumettre l’Eglise catholique qui, à l’époque,
« constituait encore la seule force capable de contester le président ».
Effectivement, en ces années 70, la langue de bois et le discours monolithique
avaient remplacé le débat pluraliste. Seules quelques personnes, souvent exilées,
pouvaient tenir un discours différent.
A l’intérieur du pays, l’Eglise gardait encore la possibilité d’une parole contestataire et
d’espérance, capable de gêner le régime dans ses extravagances. Le pouvoir en était
conscient. C’est pourquoi il s’acharnera, à chaque occasion et par tous les moyens, à
réduire au silence toute personne qui, dans l’Eglise, oserait hausser un ton discordant.

b. Le cardinal Malula porte-parole d’une Eglise menacée

Dans ce « combat » contre la « parole de l’Eglise », le cardinal Malula fut la cible


la plus visée parce qu’il était le plus proche du centre de prise des décisions
politiques. Son charisme et ses dons prophétiques l’exposèrent aux attaques les plus
violentes. Les incidents entre Malula et le pouvoir se multiplièrent à partir de 1970.
Le 29 juin, l’archevêque de Kinshasa plaida à nouveau en faveur de la justice
distributive dans son allocution devant le Roi Baudouin de Belgique et le Président
83

Mobutu lors du dixième anniversaire de l’indépendance. L’expression déplut à ce


point qu’elle fut rayée du texte publié.
Le régime l’attendait au tournant. Le refus, par les étudiants, de l’installation
de la JMPR au grand séminaire Jean XXIII de Kinshasa et la publication dans la revue
Afrique chrétienne d’un éditorial critiquant la politique de l’authenticité furent pour
l’Etat, cette occasion rêvée de tourner le Cardinal Malula et l’Eglise en dérision et de
les discréditer auprès de l’opinion nationale.
En effet, le 22 janvier 1972, à midi, le journal parlé de la Voix du Zaïre, radio
officielle du pays, s’ouvrait par une « carte blanche », sorte d’éditorial, lue par
Alphonse Mavungu et intitulée « le voile d’un archevêque ». Ce texte fut rediffusé le
soir et le lendemain, 23 janvier.
Le 24 janvier, les auditeurs eurent droit à un autre pamphlet : « La révolution et
l’archevêque renégat ».
Ces éditoriaux de la Voix du Zaïre accusaient le cardinal Malula d’avoir été « la
vipère qui a dirigé son venin contre la révolution ». Il était de ce fait un « illuminé de
la protestation négativiste, produit du chantage et de la subversion néo-colonialiste,
archevêque caméléon, récidiviste indécrottable, etc.
Ce même 24 janvier, le directeur du Bureau politique du Mouvement Populaire
de la Révolution, Parti unique, M. Prosper Madrandele alias Madrandele Tanzi,
annonçait que le prélat ne figurait plus parmi les dignitaires de l’Ordre National du
Léopard et qu’il devait, sans délai, quitter sa résidence située à proximité du stade
Tata Raphaël.
L’escalade allait crescendo. Le Bureau politique, réuni le 26 janvier, chargea le
Ministre de la Justice de déposer une plainte contre le cardinal. Toutes ces menaces
conduisirent, le cardinal, archevêque de Kinshasa en exil à Rome du 11 février au 28
juin 1972.

c. Bras de fer entre l’Eglise et l’Etat

Cette crise de janvier 1972 sera le premier épisode d’un long bras de fer qui
opposera l’Eglise à l’Etat et dont il nous faut, à présent, narrer les principales phases.
En janvier et février 1972, une vive tension régnait donc entre les autorités de
l’Eglise et celles de l’Etat. C’est dans ce climat que se tint la 11e assemblée plénière de
l’épiscopat, du 28 février au 5 mars 1972. Les actes en furent édités en Belgique sous
le titre L’Eglise au service de la Nation zaïroise. Les conclusions des travaux de
l’Assemblée Plénière de l’épiscopat étaient mal reçues par le régime qui rejeta le
mémorandum et la requête en faveur du Cardinal Malula remis au Président de la
République au terme de la réunion des évêques.
Plusieurs mesures tendant à limiter l’influence de l’Eglise furent alors prises par
le Bureau Politique du MPR : la radiation des cérémonies religieuses du programme
des manifestations officielles ; suppression de toutes les organisations confessionnelles
de jeunesse (le 29 novembre 1972 ) ; suspension de 31 organes de presse
confessionnels ;dissolution de l’ASBL « Comité Permanent des évêques du Zaïre » -
reconnue par le décret royal du 7 octobre 1955 – et interdiction de toutes les
réunions de la conférence Episcopale sur toute l’étendue de la République à quelque
niveau que ce soit (le 8 février 1973 et le 9 février 1973).
84

Le 4 décembre 1974, le bureau politique du MPR décida nationalisation de toutes les


écoles en même temps que la suppression des cours de religion et des symboles
religieux dans ces écoles.
Dans son meeting au stade Tata Raphaël (alors du 20 mai) le 1er février 1975, le
président Mobutu qualifia ces documents de tracts. Il menaça de fermer les églises en
cas de récidive, tout en ajoutant qu’il n’entendait pas déclarer la guerre aux évêques.
En 1976, le Zaïre dévalua pour la première fois sa monnaie, presque de moitié,
et se présenta « aux guichets du Fonds Monétaire International » qui lui imposa une
série de programmes de redressement, de stabilisation ou de relance. Le régime se
mit à douter de ses capacités d’apporter le bonheur promis au peuple.
Entre temps les écoles étatisées commencèrent une véritable descente aux
enfers. La débauche et la corruption y avaient élu domicile.
Devant la dégradation rapide et inattendue du système scolaire, la grogne monta
chez les parents d’élèves. L’Etat dû reculer et la conférence épiscopale obtint, par
négociations, la signature le 26 février 1977 d’une nouvelle convention de gestion
des écoles nationales, qui lui rétrocédait la gestion des anciennes écoles catholiques.
Cet exercice d’autocritique atteint son point culminant le 27 décembre 1979 au
Conseil Législatif(Parlement) lors de sa séance d’interpellations des membres du
Conseil exécutif( Gouvernement). Il s’agissait d’une sorte de procès public du régime,
retransmis en direct à la radio et à la télévision. Les commissaires du peuple y
dénoncèrent le « mal zaïrois », c’est-à-dire les erreurs de gestion et la corruption sous
ses différentes formes. Malgré la répression de cette tendance par le pouvoir, ce jeu
de l’autocritique sonnait le glas du dogmatisme de la doctrine du MPR.
Mais on n’oubliera pas aussi de signaler qu’en 1979, une vague de contestations
secoua le monde universitaire. Des émeutes se propagèrent partout dans les trois
campus de l’UNAZA et dans plusieurs instituts supérieurs. A Lubumbashi, l’aumônier
catholique de l’université, le Jésuite Etienne Triaille, accusé d’avoir incité les étudiants
à la révolte, fut expulsé vers la Belgique. A partir de cette époque l’Eglise prit de plus
en plus conscience du rôle qu’elle avait à jouer dans la formation morale des élites
universitaires et laïques. C’est alors qu’elle multipliera ses actions auprès des
aumôneries universitaires.

4. La grande crise des années 80

Le régime mis en place par les théoriciens du Manifeste de la N’sele avait


engendré ses propres contradictions que le président qualifia lui-même de « mal
zaïrois ».

a. Crise économique et morale

La contradiction la plus flagrante apparut dans le secteur économique au sein


duquel une crise sans précédent dans l’histoire nationale se déclara. Cette crise
démarra, d’après les meilleurs spécialistes, en 1975, lorsque les cours du cuivre qui
avaient atteint en 1974 des sommets encore inégalés, connurent, pour la première
fois depuis 1967, une suite vertigineuse. Cette situation était d’autant dramatique que
le cuivre intervenait pour 70% dans les revenus en devises de l’Etat. Avec cette
dépression, toute l’économie allait sombrer dans la pénurie et la population dans une
misère sans nom.
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Pendant que l’indigence gagnait des couches de plus en plus larges de la population,
une minorité, à la tête duquel le président Mobutu et son clan, accentuait son
enrichissement.
Lorsqu’au début de l’année 1980, l’Eglise Catholique se préparait à célébrer son
centenaire et à recevoir la première visite du Pape Jean Paul II, la situation sociale et
morale du peuple était au plus bas. La précarité économique avait donné lieu à une
augmentation de la corruption, qu’il s’agisse d’obtenir une faveur ou tout
simplement de faire reconnaître un droit. Quelques fidèles, certes, s’engagèrent à
combattre ce mal, par la création des « chaînes d’honnêteté », mais leurs efforts
ressemblaient à une goutte versée dans un océan tant le mal à combattre était
tentaculaire.
En plus, aux yeux du peuple, la conduite de l’Eglise officielle restait ambiguë.
Tout en dénonçant le mal qui gangrenait la société, elle donnait l’impression de
s’accommoder au régime et de soutenir son chef, Mobutu, considéré par tous comme
la source des déboires de la nation. Si la venue du Pape, malgré les nombreux morts
qu’elle entraîna, fut bien perçue par tout le peuple chrétien, la bénédiction par Jean
Paul II du mariage de Mobutu avec Bobi la Dawa, à l’église Saint Léopold du grand
séminaire Jean XXIII, suscita, par contre, des nombreuses réactions. On se demandait
dans les rues de Kinshasa si le Saint Père était bien au courant de la situation
matrimoniale du Président. Ce dernier était accusé d’avoir assassiné Marie
Antoinette, sa première épouse, réputée être généreuse et fervente catholique. On
disait, à l’époque, que Mobutu l’aurait sauvagement battue parce qu’elle lui
reprochait sa conduite débridée et ses menées dictatoriales. On s’étonnait aussi que le
Pape et les évêques aient ignoré les relations passées de Bobi la Dawa avec Mobutu.
On murmurait dans tout Kinshasa que déjà, du vivant de Marie Antoinette, Bobi la
Dawa et sa sœur jumelle étaient des amantes du Mobutu.
En tout cas, pour bon nombre de Kinois, la bénédiction de ce second mariage était
mal venue.
Les sectes et les nouveaux prophètes qui avaient de plus en plus pignon sur rue
n’hésitèrent pas de vilipender l’Eglise Catholique et d’interpréter les incidents du
palais du Peuple comme un châtiment du ciel.
La crise sociale et économique ne cessait de s’accentuer et le régime se mit à
proposer des solutions. En 1980, le gouvernement initia un Programme agricole
minimum (PAM) qui préconisait la relance de la production agricole vivrière à très
court terme. Le peuple se moqua de cette initiative qu’il qualifia de « peuple a kolia
matiti » (le peuple mangera les herbes).
Pour attirer les investisseurs potentiels, la commercialisation de l’or et des diamants
fut libéralisée. Cette mesure fut vivement critiquée par l’opinion publique parce
qu’elle favorisait la fraude et ouvrait la porte d’un enrichissement illégal aux
dignitaires du régime et à leurs nombreux clients. L’Etat avait ainsi donné le ton au
pillage systématique des ressources naturelles du pays.
Sur le plan politique, le MPR continuait de raidir ses structures et d’imposer son
monopole sur les hommes et leurs biens. Une ordonnance-Loi du 15 novembre 1980,
réaffirma la primauté du MPR dans la vie politique par le réaménagement de la
hiérarchie définie en son sein selon l’ordre suivant : le président du MPR, le Congrès,
le Comité central, le Comité exécutif.
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b. Emergence d’une opposition politique interne

En 1981, une opposition politique intérieure commença à émerger dans le rang


même des dignitaires du Parti unique. Une « lettre ouverte » signée par treize
parlementaires fut envoyée au maréchal Mobutu pour dénoncer l’inadéquation entre
le « Manifeste de la N’sele » et la situation concrète du pays, et pour revendiquer des
réformes importantes dans la gestion du pays. Tout le programme futur y était déjà
présenté y compris la tenue d’une « Conférence nationale ».
Cette fronde fut encore une fois réprimée et les auteurs de la lettre, déchus de leurs
privilèges parlementaires, furent jetés en prison. Libérés sous la pression des
organisations internationales des droits de l’homme, certains furent allégeance au
pouvoir tandis que d’autres choisirent de rester fidèles à leur option pour le peuple.
En 1982, le MPR, réaménagea encore une fois ses structures. Le Comité centrale
décida la suppression du comité exécutif et trancha la question d’une vacance
éventuelle du poste du président du MPR. Il était alors dit qu’en cas de vacance, les
fonctions du président seraient provisoirement assumées par le Comité central, qui
les exercerait par l’entremise du plus âgé de ses membres. Du côté de l’opposition
politique, on notera la création, le 15 janvier, par Tshisekedi et ses amis, d’un
nouveau parti politique qu’ils nommèrent « Union pour la Démocratie et le Progrès
social » (UDPS). Aussitôt réprimé par le pouvoir, ce mouvement entra dans la
clandestinité.
En 1983, le Comité Central du MPR proclama que « le Mouvement Populaire
de la Révolution est un Parti-Etat en tant que tel […] commande et oriente l’Etat qui
est devenu son instrument pour la réalisation de ses objectifs ». Sur le plan
économique et sociale, entre 1983 et 1986, le mot d’ordre des autorités était
« politique de rigueur ». Il fallait coûte que coûte satisfaire aux exigences du Fond
Monétaire International et de la Banque Mondiale. Cette politique de « rigueur » ne
frappait durement que le petit peuple, tandis que les grands du pays continuaient à
s’enrichir et à se lancer dans les dépenses somptuaires.

c. Béatification de la Sœur Clémentine Annuarite

En 1985, le Pape Jean Paul II revint au Zaïre pour la béatification de la Sœur


Clémentine Annuarite. Cette année-là, le pays et l’Eglise aussi donnaient l’impression
d’être dans l’impasse. Chaque citoyen cherchait à résoudre ses propres problèmes de
subsistance au détriment de l’intérêt collectif. L’Etat passait pour une réalité
abandonnée de tous. La sagesse populaire élabora un certain nombre de principes
pour dénoncer cet Etat fictif. Le fonctionnaire ne devait jamais trop s’adonner au
travail car « le travail de l’Etat ne se terminait jamais » (mosala ya leta esilaka te). Au
don Quichotte qui aurait contredit ce propos, on rappelait que le relèvement du
Zaïre était bien éloigné dans le temps ! « Celui qui doit redresser cette société n’est
pas encore né » (moto akobongisa mboka oyo, naino abotami te !).
Dans ce climat morose, la visite du Pape paraissait comme un réconfort pour le
peuple de Dieu, confronté non seulement à la plus grande crise sociale de son
histoire récente, mais aussi à une émergence massive sur « le marché du religieux »,
d’un nombre incalculable des sectes, des mouvements mystiques et prophétiques
promettant bonheur et prospérité.
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La présence de Mobutu à la Messe de béatification suscita des commentaires en


sens divers. La foule amassée au Palais du Peuple de Kinshasa, n’apprécia guère la
présence de cet intrus qu’on laissa passer incognito.
Les évêques n’avaient pas de choix. Ils devaient, nécessairement, composer avec cet
invité encombrant parce qu’il était le Chef de l’Etat et à ce titre l’hôte officiel de son
homologue, Jean Paul II, chef de l’Etat du Vatican.
En 1986, se tint le 4e Congrès ordinaire du MPR. Ce Congrès se distingua par
son appel au changement. Le mot d’ordre à l’honneur était : « tout doit changer,
tout va changer ! ». Mais en réalité, dans la vie concrète, rien ne changea. Au
contraire la situation allait de mal en pis. Mobutu était devenu prisonnier de la mafia
qui s’était formée autour de lui.
En 1987, la critique la plus radicale du système zaïrois vint des chercheurs de
l’université de Kinshasa qui organisèrent un colloque national sur le thème de « La
crise de l’économie zaïroise et la recherche de nouvelles bases pour le
développement national ».
Le Maréchal Mobutu contesta la pertinence des résultats de ce colloque en alléguant
que les universitaires ont été les principaux agents de la crise.
En 1989, la « perestroïka » sonna le glas de l’empire soviétique. Ses répercussions
se propagèrent comme une onde de choc jusqu’au Zaïre déliquescent.
Mobutu cru d’abord que ce qui se passait en Europe de l’Est ne concernait nullement
« son Zaïre ». Il dut vite déchanter.

VI. 3. L’ENGAGEMENT SOCIAL ET POLITIQUE DE L’EGLISE

La déclaration des Evêques de 1956 et les Actes de la 6e Assemblée Plénière de


1962 avaient résolument engagé l’Eglise du Congo dans la direction de la promotion
sociale, politique et économique des populations congolaises.
VI.3.1. Prises de parole

A chaque tournant de l’histoire postcoloniale de notre pays, l’Eglise a pris la


parole pour exercer sa mission prophétique. Il convient de présenter
chronologiquement ces prises de parole.
1. Le 4 janvier 1969 à l’occasion du 10e anniversaire des victimes de la répression
coloniale de 1959, Mgr Malula demanda-t-il aux autorités congolaises de faire de
1969 l’année du bien-être des ouvriers pour que les fruits du travail de cette année
soient partagés dans la justice distributive. Mobutu s’en prit violemment à
l’archevêque de Kinshasa en faisant publier que : « cette justice distributive ne serait
autre chose que de la « provocation » et de la « démagogie » […] car la justice sociale
n’est pas un vain mot au Congo, tout le monde le sait, y compris Mgr Malula ».
2. La 11e assemblée plénière de l’épiscopat se tint du 28 février au 5 mars 1972
pendant que le Cardinal Malula était en exil à Rome. Les actes furent édités en
Belgique sous le titre L’Eglise au service de la Nation zaïroise. Les conclusions des
travaux de l’Assemblée Plénière de l’épiscopat étaient mal reçues par le régime
Mobutu qui rejeta le mémorandum et la requête en faveur du Cardinal Malula remis
au Président de la République au terme de la réunion des évêques.
3. Le 15 et le 16 janvier 1975, la 12e Assemblée plénière des évêques rendit publiques
deux déclarations retentissantes : Notre foi en Jésus Christ et Déclaration face à la
situation présente.
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4. L’archevêque de Lubumbashi, Mgr Kabanga, publia pour le carême 1976 une lettre
pastorale célèbre, intitulée Je suis un homme qui dénonça publiquement la misère et
l’injustice sociale. Dans une audience accordée au Comité Permanent des évêques le
26 août suivant, le Chef de l’Etat lui signifia qu’il ne tolérerait plus ce genre de lettre
qui, en dénonçant le mal, semblait surtout lui faire des leçons. Le Comité Permanent
lui répondit habillement que la mission apostolique des évêques ne permettait pas de
garantir que pareil cas ne se présenterait plus.
5. En 1977, la première guerre du Shaba ou « guerre de 80 jours » obligea le
Président Mobutu à accepter un certain nombre de mesures réclamées par
l’opposition, nouvelles élections, nomination d’un premier ministre, etc. La
conférence épiscopale profita des difficultés économiques, sociales et politiques qui
affaiblissaient le régime pour publier une lettre somme toute terne Tous solidaires et
responsables devant l’immoralité publique.
6. L’année suivante, 1978, une seconde guerre éclata au Shaba. Dans cette nouvelle
situation, le régime politique se prêta volontiers à l’autocritique. L’épiscopat profita
des remises en question faites par le pouvoir lui-même pour diffuser le 1er juillet 1978
la lettre vigoureuse Appel au redressement de la Nation.
7. Mgr Bakole, archevêque de Kananga, diffusa un écrit critique au titre significatif :
Chemin de libération. Entre temps, l’Eglise ne se résigna pas à observer le
pourrissement de la situation.
8. Les évêques publièrent, en 23 juin 1981, une déclaration significative : Notre foi en
l’homme image de Dieu. Ce texte dénonçait ce que le président de la république
avait lui-même surnommé « le mal zaïrois » et suggérait des réformes dans la gestion
de l’Etat.
9. La position des évêques sur la crise qui sévissait dans le pays était pourtant
suffisamment claire. Ils s’étaient exprimés, en juin 1985, dans un Message au peuple
zaïrois à l’occasion des 25 ans d’indépendance du Zaïre. Ils rappelaient à chacun ses
responsabilités devant la situation présente.
8. Les conclusions de la 26e Assemblée plénière de l’épiscopat du Zaïre, publiées le 17
septembre 1988 sous le titre Le chrétien et le Développement de la Nation,
évoquèrent une fois de plus la nécessité d’une transformation radicale de la société.
« Le temps n’est-il pas venu pour que tous ceux qui jouissent d’une parcelle d’autorité
acceptent de clarifier leur conduite vis-à-vis de cette crise tragique et persistante que
connaît notre pays ! […] Nous demandons aux dirigeant du pays de restituer aux
institutions nationales leur autonomie et leur pouvoir de décision et de rétablir le
sens de l’autorité responsable conçue non comme source d’enrichissement ou comme
moyen de brimade ou d’exploitation du peuple, mais comme service ».
9. Le 14 janvier 1990, Mobutu annonça pompeusement qu’il allait procéder à des
consultations populaires pour connaître la « volonté populaire ».
Ces consultations connurent un franc succès : 6.128 formulaires furent dénombrés en
réponse à la requête présidentielle, parmi lesquels un Mémorandum particulièrement
lucide et vigoureux de l’épiscopat adressé au chef de l’Etat le 15 mars. Une fuite
entraîna sa divulgation puis sa publication dans la revue Jeune Afrique, à la fureur du
président Mobutu.
Ce Mémorandum constitua un discours de type nouveau, plus politiquement
engagé et proche des préoccupations du peuple. Il sera déterminant dans les prises de
position et l’action politique de l’Eglise après le 24 avril 1990, date à laquelle
89

Mobutu mettait fin à l’Etat monolithique fondé et fourvoyé par les théoriciens du
Manifeste de la N’sele.

VI.3.2. Les actions entreprises

L’Eglise du Congo s’affirme aujourd’hui comme un acteur de premier et expert


dans l’organisation des œuvres éducatives, caritatives et du développement. La
Caritas Congo avec ses multiples services (BD, B.O.M) reste le fer de lance de l’action
de l’Eglise en matière de développement communautaire, de la santé et de
l’élévation de la femme. En ce qui concerne les écoles, une coordination nationale
travaille avec les coordinations provinciales et diocésaines pour faire le relais entre
l’Etat et l’Eglise

VI.4. L’INVENTION DES NOUVELLES PRATIQUES THEOLOGIQUES


Déjà à l’époque missionnaire, il s’est posé la question de la prise en compte de
la culture africaine dans le développement du christianisme.
- Le 1er écrit missionnaire emblématique dans ce domaine reste l’ouvrage de Placide
TEMPELS, la « Philosophie bantoue ». (Il a œuvré dans le Nord Katanga) ; après avoir
été qualifiée d’inculturation.
- Vers les années 30 et 40, les missionnaires du Congo ont parlé de la théologie de
l’adaptation en référence à la théologie d’adaptation initiée par les Jésuites en Chine
au 17e siècle.
Faire le tri dans les traditions pour prendre ce qui était compatible avec les valeurs
chrétiennes. Il existe dans les cultures les éléments compatibles avec l’énoncé chrétien.
Eléments appelés « Pierre d’attente » en un certain moment. On peut adapter le
christianisme à chaque culture locale en intégrant les « éléments positifs ».
-La Théologie de l’inculturation par contre veut que le christianisme s’approprie la
culture et l’assume dans ses dimensions les plus fécondes et les plus universelles.
Concrètement au Congo, quelques éléments ont changé le visage de l’Eglise
(Invention congolaise) :
Du point de vue intellectuel : La Faculté de Théologie Catholique était devenue un lieu
de production intellectuelle, d’élaboration d’une Théologie africaine.
Du point de vue liturgique : L’élaboration du Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre
(MRDZ) reste une avancée significative. Ce rituel intègre dans le déroulement de la
messe les éléments de la culture africaine : invocation des Ancêtres et des Saints, la
danse, le tam-tam, les chants, etc.

VI.5. L’EGLISE ET LE DESASTRE ECONOMIQUE ACTUEL

Il est erroné de penser l’avenir de l’Eglise congolaise seulement en terme de théories


d’inculturation dogmatique et pastorale. Ces théories ne peuvent s’enraciner que là
où l’Eglise se rend visible par une prise en charge correcte de ses agents pastoraux
(notamment les prêtres) et par les œuvres sociales capables d’améliorer la « condition
humaine » de fidèles.
Comme nous l’avons déjà indiqué, jusque vers la fin des années 1980, la plupart des
diocèses du Congo connaissaient une certaine prospérité économique, mais déjà, à
cette époque, certains penseurs dénonçaient cette « prospérité » factice, fondée sur la
dépendance vis-à-vis de l’Occident chrétien, lui-même en processus de
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« sécularisation ». L’Eglise congolaise (africaine) qualifiée alors d’Eglise « sous-tutelle »


ou « sous-perfusion », devait chercher les voies et moyens de son « autonomie » et de
son « autochtonie ». Ces idées novatrices ne furent que timidement suivies par l’Eglise
hiérarchique. C’est ainsi qu’à partir des années 1990, lorsque la crise économique,
politique et sociale a frappé le pays et que les « aides » des organismes et les
« subsides romaines » ont diminué sinon « tarie », beaucoup des diocèses traversent
des « pires crises » entrainant des tensions dans le clergé et emmenant certains prélats
à instaurer ce que J-F. Bayart appelle la « gouvernementalité du ventre »,
préjudiciable à l’action pastorale sur terrain.
Ces crises n’épargnent pas les congrégations religieuses qui, le plus souvent, se
réfugient dans des solutions palliatives sans envisager des remèdes durables pour
l’avenir.
A l’image du pays, l’Eglise ne manque pas d’atouts pour se constituer des réserves
financières substantielles et conséquentes. Ce qui manque c’est l’audace !

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