Chapitre 6

Mon expérience de terrain pour créer des outils d'observation à la fois qualitatifs et quantitatifs
s'articule à travers la mise en place de différents exercices pouvant mettre en valeur l'émergence
d'un imaginaire sonore à partir des musiques concrètes utilisant des objets sonores.
Mes séances se sont premièrement déroulées selon un objectif qui correspond à l'un des attendus du
cycle 3 en matière d'enseignement artistique dans les programmes de l'école issus du BO spécial
n°11 du 26 novembre 2015 qui est « la composition de partitions graphiques et réalisations
sonores » dans le but « d'explorer, imaginer et créer ».
Mes observations se sont portées également sur la question de la présence active ou non du
musicien intervenant dans la phase de créativité des enfants.
La création de partitions graphiques avec les enfants n'est pas aisée à mettre en place. Cela implique
une sensibilisation aux idéogrammes, aux gestes musicaux et à leurs représentations graphiques. Il y
a chez certains enfants un frein dans l'écriture d'un système de construction graphique des sons.
D'autres sont déjà dans une phase de symbolisation plus élaborée. Ils envisagent cette activité
comme un espace d'expression ludique.
La création de partitions graphiques passe par des symboles très simples comme des points, des
ronds, des lignes, des figures géométriques plus ou moins élaborées, l'utilisation des couleurs. La
construction de cette compétence nécessite l'utilisation d'un matériel simple, un tableau et des
feutres de couleurs. Elle est d'abord très instinctive. Elle fait intervenir tous les enfants et en
particulièrement ceux qui se sentent investis dans l'activité. Elle se fonde sur une démarche
collective qui crée des valeurs constructives de vivre-ensemble à cet âge-là. Elle permet de définir
un code commun dont le groupe a validé sa représentation symbolique.
Par ailleurs la représentation de sons concrets apparaît chez beaucoup d'enfants comme énigmatique
d'un premier abord avant de s'ancrer dans le jeu. La deuxième étape se situe dans la hiérarchisation
et la succession des événements sonores. Comment faire se succéder les événements sonores dans le
temps et selon une progression construite ?
Beaucoup d'enfants n'expriment pas les mêmes ressentis ni les mêmes architectures graphiques.

Mon analyse de terrain va donc porter sur des données que j'ai récoltées dans des séances
d'observation qui se basent sur des enregistrements.

Observation n°1 :
Les enfants sont disposés en cercle. Ils ont à leur disposition un instrumentarium varié. Ils se
répartissent après avoir choisi leurs instruments en différents groupes :
– le 1er groupe : celui des peaux (tambourins, etc...)
– le 2e groupe : celui des idiophones
– le 3e groupe : celui des voix (langage parlé, chuchoté, chanté, murmuré, sifflé pour imiter
les chants des oiseaux)
Une première phase d'expérimentation sonore a lieu avant toute forme de construction préalable
d'écriture collective.
Puis des modes de jeu émergent sur les différents instruments et des techniques commencent à se
mettre en place.
Vient la phase de retranscription de ces modes de jeu sur partition pour matérialiser le geste musical
et son intention expressive.
Une discussion a lieu autour de la recherche de symboles qui pourraient représenter les modes de
jeu accompagnés des différents paramètres que sont la hauteur, l'intensité et la durée.
Plusieurs propositions émergent autour de formes géométriques : ronds, carrés losanges, lignes,
etc...
Nous décidons ensemble d'inscrire les propositions sur un tableau pour fixer la partition collective
selon les choix des uns et des autres. Voici par exemple une illustration de l'une de ces partitions
graphiques :

//////////////////////////////// SILENCE Elle va bien Sophie

t, b, t, b, t, b, t, b, t, b ChChChChChChChch Et Julie, je l'ai revue
Train. P < ffff pour le petit déjeuner

OOOOOOOOOOOOO
la ville, la cité, la ville, Tambourins
WAFFFFFFFF
(chien)
<<<<<<<<<<<<<<<<
<<<<<<<<<<<<<<<<
uuuuurrrrrbainnnnnnn e_____ CLAcLacCLacClacCla
a_____________ cLAclAClAclAclac
il fume sa cigarette, il
fume, la fumée (bruits de talons)

klaxon : tuuuuuuuuuu i_______

;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;; °°°°
;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;; …................. Idiophones °°°°°°°°°°°° °°°°
instruments à peaux  fffffffffffffff.. °°°°
vroom...... °°°°°
pin pon pin pon pin Idiophones
pon (sirènes de
pompiers)

Cette première partition qui a pour thème la ville a été totalement modélisée par des enfants. Elle
reprend des « clichés » du monde urbain tels les bruits d'automobile, les bruits de voix du quotidien,
les bruits d'animaux. Elle façonne leur imaginaire du quotidien de petits citoyens urbains. Elle
évoque leur conscience du monde sonore qui les entoure et la manière dont ils se la représentent.
Elle dépeint leur « fable » sonore du quotidien dans laquelle ils évoluent avec toutes les agressions
et les plaisirs que cela leur procure. Comme disait Apollinaire qui célébrait les bruits de la
modernité, elle est une « manière » de sentir le plein enchantement de la vie industrielle.
J'ai ensuite réalisé une petite enquête sur la manière dont cette partition représente fidèlement ou
non leur imaginaire de la ville selon des critères très différents à un mois d'intervalle. Pour les
élèves habitant la ville ou la campagne, la partition qu'ils ont façonnée représente t-elle des
émotions positives ou négatives et si oui lesquelles ?
Dans un premier temps, voici les réponses qui m'ont été fournies. La colonne bleue représente la
joie, la colonne rouge, la peur et la colonne jaune l'excitation. Dans le premier diagramme, il s'agit
d'enfants habitant dans un contexte urbain. Dans le second diagramme il s'agit d'enfants venant d'un
contexte sonore excentré du monde urbain.
Un mois après leurs premières impressions et écoutant l'enregistrement de leur performance, leurs
opinions avaient nettement changé. Le troisième idéogramme représente ces mêmes émotions un
mois après pour les enfants habitant dans un contexte urbain et le quatrième dans un contexte non
urbain.
A la lecture de ces idéogrammes et de cette enquête, il est possible de constater l'évolution de
l'imaginaire sonore d'un enfant selon sa prise de conscience de son environnement sonore à un
intervalle de temps différent.

12

10

0
Ligne 1 Ligne 2 Ligne 3 Ligne 4
 Observation n°2 : le musicien intervenant est davantage présent dans la conduite de
l'imaginaire de l'enfant. Il propose des choix et oriente les initiatives des élèves.
Les enfants sont disposés en cercle. Ils ont à leur disposition un instrumentarium varié. Ils se
répartissent après avoir choisi leurs instruments en différents groupes :
– le 1er groupe : celui des peaux (tambourins, etc...)
– le 2e groupe : celui des idiophones
– le 3e groupe : celui des voix (langage parlé, chuchoté, chanté, murmuré, sifflé pour imiter
les chants des oiseaux)
Le musicien intervenant fait appel à sa connaissance des répertoires de musiques contemporaines
comme les expériences de Guy Rebel ou de Henri Pousseur pour faire advenir une partition
graphique qui se met à la fois au service de l'imaginaire de l'enfant et qui adopte la forme
« ouverte » des processus de composition aléatoire des expérimentations des années 70.
Cette fois-ci la recherche intègre davantage le geste musical, la notion de hauteur et de durée. Elle
met en avant le déroulement de l'espace-temps qui s'écoule dans le chemin vivant de
l'environnement sonore de l'enfant.
Voici l'illustration de cette seconde partition :

VRRRRRRRRRRRR  Les bruits d'un grand Elle me fait péter un

!!! magasins : SILENCE plomb !
Un avion vient de Colère d'une femme
décoller idiophones ////////////////

Un camion livreur
Une chanson de Les bruits d'un chantier
s'arrête :
Michael Jackson
((((((((((((((((((((((((((( retentit au loin tambourins idiophones
(
boum, bam, boum, IIIIIIIIIIIIII /////////////////////////////////
bam

<<<<<<<<<<<<<<<< Une femme s'exclame

<<<<<<<<<<<<<<< Ahhh---------------------- YY !
FRRRRRRRRRRRRR 
! Aie !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Les freins d'une voiture Un homme perd sa
se détachent au loin chaussure

Une manifestation a Tambourins : IIIIIIIIIII

lieu : les claquements de Un chat se met à
 portes devant un miauler : miaou, miaou,
Non ! Non ! Abandon ! parking miaou ppp<<<<ffffffff

^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^
Bruits des manifestants

Dans la seconde partition graphique, les différents états de la voix autour du contexte urbain
apparaissent plus nettement. L'intervention des instruments à percussions se structure aussi
différemment. Le paramètre des hauteurs se décline avec un spectre plus large. Les durées n'ont pas
la même scénographie sonore.
Ces partitions présentent toutes deux des qualités avec des points forts et d'autres aspects à
promouvoir dans l'intérêt de la production des structures graphiques du monde sonore que vit
l'enfant.
Une enquête cette fois-ci intégrant seulement deux paramètres a été prise en compte. Le bleu est
devenue la couleur du rire et le rouge celle de l'étonnement. Dans la ligne 1, il s'agit d'enfants vivant
dans un contexte urbain tandis que dans la ligne 2 les enfants vivent dans un contexte non urbain.
L'échelle de 1 à 10 décrit l'intensité de leurs voyage sensible.
Un mois après, les enfants ont modifié leurs réponses. Dans la ligne 3, les enfants réagissent plus
modérément. Ils ont atténué leurs sentiments de rire et d'étonnement.
Dans la ligne 4, les émotions sont par contre analysables dans une autre perspective avec des
enfants vivant dans un contexte non urbain.

10
9
8
7
6
5 1 colonne
4 2 colonne

3
2
1
0
Ligne 1 Ligne 2 Ligne 3 Ligne 4
Pour conclure, on peut observer que l'imaginaire sonore de l'enfant se nourrit d'une grande
pénétration avec son environnement sonore du quotidien. Il est structurable à travers une partition
graphique. Il est intelligible et lisible par des enfants dont la musique n'est pas une activité
quotidienne. Il est marqueur d'identité et fait vivre aux enfants un intérêt pour les notations
visuelles. Il est l'indicateur d'une expression vivante chez l'enfant. Il les rend à la fois être créatifs
pour produire de nouvelles symbolisations et schématisations de leur imprégnation au monde
sonore.