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L'UNIVERS.
HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES.

AFRIQUE.
TABLEAU GENERAL.

AFRIQUE ANCIENNE.
PARIS.

TYPOGRAPHIE DE FIRM1N DIDOT FRÈRES

imprimeurs de l'institut,
rue Jacob , 56.
AFRIQUE.
TABLEAU GÉNÉRAL,
PAR M. D'AVEZAC,-
DES SOCIÉTÉS GÉOGRAPHIQUES DE PARIS , LONDRES ET FRANCFORT ,
DE LA SOCIÉTÉ AFRICAINE DE LONDRES,

VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ ETHNOLOGIQUE DE PARIS, ETC.

AFRIQUE ANCIENNE
(CYRENAIQUE, CARTHAGE, NUMIDIE , MAURITANIE),

PAR MM.

DUREAU DE LA MALLE,
MEMBRE SE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES,

YANOSKI,
PROFESSEUR SUPPLEANT AU COLLEGE DE FRANCE

AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ, ETC.

CHEZ FIRMIN DIDOT PARIS, *U^.^>


FRÈRES, ÉDITEURS,
IMPRIMEURS-LIBRAIRES DE L'iNSTITUT,
RUE JACOB, 56.

M DGCG XLII.
no

Ji
L'UNIVERS, OU

HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, INDUSTRIE, COUTUMES, etc.

ESQUISSE GENERALE DE L'AFRIQUE,


ASPECT ET CONSTITUTION PHYSIQUE, HISTOIRE NATURELLE;
ETHNOLOGIE, LINGUISTIQUE , ÉTAT SOCIAL, HISTOIRE;
EXPLORATIONS ET GÉOGRAPHIE.

PAR M. D'AVEZAC,
DES SOCIÉTÉS GÉOGRAPHIQUES DE TARIS, DE LONDRES ET DE FRANCFORT, ETC.

INTRODUCTION.
Près d'aborder un sujet vaste dans le futile mérite de présenter tour à
son ensemble, compliqué dans ses dé- tour des descriptions ou des récits
tails, dont nous ne voulons laisser en particuliers, dont l'intérêt spécial fasse
oubli aucun trait essentiel; ayant des- oublier le récit qui précède pour s'ef-
sein d'effleurer, au moins, les parties facer bientôt devant le récit qui sui-
que diverses raisons, telles que le temps vra : préoccupé du besoin d'exciter
et l'espace assignés à notre travail, la dans la pensée quelques idées plus du-
nature de ce travail lui-même , et par- râbles que les fugitifs souvenirs de ces
dessus tout notre propre insuffisance, descriptions et de ces récits morcelés ,
ne nous permettraient point d'appro- qui n'ont d'autre lien apparent que
fondir; forcé de consacrer, au tableau leur juxtaposition ou leur succession
que nous allons entreprendre, une Ion- matérielle, nous avons dû porter nos
gue série de pages, variées comme les premières sollicitudes sur la méthode
aspects multiples du sol, comme la qu'il nous convenait d'adopter pour
pbysionomie diverse des populations, montrer et ne ja'mais laisser perdre
comme les faits successifs de l'histoire de vue l'enchaînement mutuel de toutes
des empires; et désirant, plus que ces choses que nous avons à décrire et
toutes choses , que ce tableau dont le à raconter.
cadre est si grand, les détails si nom- C'est d'une puissante synthèse qu'il
breux, les parties si variées , n'ait point nous faut emprunter le secours , afin
ire Livraison. (Hist. de l'Afrique. 1
L'tJNIVERS,
de ramener à une constante unité les physiques qui la caractérisent, et les
faits de divers ordres sur lesquels no? influences atmosphériques auxquelles
tre attention doit se trouver tour à tour elle est soumise; puis nous apparaîtra
appelée. Montrer et définir cette unité, la végétation distribuée à sa surface
la considérer sous les divers aspects par grandes agglomérations diverse-
qu'elle peut offrir dans son ensemble; ment nuancées au gré de la multipli-
tracer les grandes coupes naturelles cation de telle ou telle espèce prédo-
entre lesquelles se distribuent par minante. Ensuite se montreront les
masses, puis par groupes successive- animaux qui la peup'ent, et à leur
ment étages, les détails sans nombre tête l'homme, sur lequel
qui doivent former comme les fils d'un trera dès lors toute notre seattention
concen- :
nous verrons les différences de couleur
vaste tissu : tel est le plan qu'il con-
vient de suivre pour que , saisis- et de formes, nous entendrons les
sant lacorrélation naturelle des faits variétés de langages qui le séparent
isolés, des groupes où ces faits ont en races distinctes; nous étudierons
leur place déterminée, des masses où ses mœurs, ses usages, son dévelop-
ces groupes se doivent encadrer, et pement intellectuel , la constitution
du grand tout, enfin, que compose sociale qu'il s'est donnée; nous pour-
la réunion de ces masses, l'esprit par- rons aussi interroger ses traditions
coure sans ennui, retienne sans fatigue historiques, apprendre son origine,
une multitude de détails, dont chacun son établissement, ses alliances, ses
aura désormais ainsi une valeur de guerres, les conditions actuelles de sa
position, un degré d'importance ap- vie politique, et peut-être même cal-
préciable dans l'ensemble du sujet. culer ses chances d'avenir. Et souvent,
Elevons-nous par la pensée hors des au milieu de ces considérations, un
limites terrestres où notre frêle hu- retour sur nous-mêmes nous portera
manité se trouve emprisonnée, et pla- à rechercher par quelles routes nous
nant dans l'espace, considérons cette sommes parvenus jusqu'à lui, et quelle
terre, notre demeure, d'assez haut place nous devons lui assigner dans
pour que son unité seule nous soit nos inventaires géographiques du sol
perceptible; puis, nous rapprochant qu'il occupe.
d'elle
la massepar des degrés,eaux et nous distinguerons
la masse des ter- Aussi, en jetant d'abord un coup
d'oeil d'ensemble sur la vaste division
res émergées, parmi ces terres des terrestre dont nous avons entrepris la
continents séparés, en ces continents description historique, nous paraît-il
de grandes divisions tracées par d'im- convenable de traiter tour à tour, eu
muables limites; et concentrant dé- trois seetions distinctes, du sol afri-
sormais notre attention sur l'une d'el- cain des
, peuples qui l'habitent , et de
les, nous observerons d'abord ses l'étude qui en a été faite.
formes extérieures, les grands traits
PREMIERE SECTION.

DU SOL DE L'AFRIQUE.

VUE GÉNÉRALE DE L'AFRIQUE,


Aux premiers temps de sa forma-
SI. tion universelle , la forme sphéroïdale
tion,la masse terraquée, roulant in- qui lui est restée; un refroidissement
candescente dans l'espace, revêtait, graduel concrétait successivement, des
sous la pression des lois de la gravita- pôles à l'équateur , la pâteuse fluidité
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
des couches minérales, et cette cristal- tre ignorance, et auquel
lisation homogène offrait une surface couvertes ont depuis ajoutéd'autres
un mondedé-
unie sur laquelle se condensaient les maritime (*) ; le nôtre est resté pour
nous le monde ancien. Et dans ce
eaux jusqu'alors suspendues dans l'at- monde ancien, qui est le nôtre, des
mosphère il
: n'y eut ainsi d'abord
qu'une seule mer enveloppant le globe séparations tranchées par des mers in-
tout entier, et déposant par assises, térieures enire les plages occupées par
sur Téeorce plutonienne, les sédiments les nations civilisées dont nous avons re-
terreux qu'elle tenait dissous. Mais sancecueilli
à l'héritage,
une distribution donnèrent jadis nais-
des terres alors
quand l'inégalité de retrait de la croûte
refroidie à l'égard des couches intérieu- connues en trois grandes divisions con-
res eut forcé la pellicule externe à se tinentales, quiportent de nos jours les
rider, se ramasser en plis , se soule- noms d'Afrique, d'Europe et d'Jsie.
ver, s'affaisser, se tourmenter de mille Mais l'œil de l'homme n'embrasse à
manières, comme le constate la diver- la fois qu'un étroit horizon; il lui faut
sité d'inclinaison des roches stratifiées, une longue série d'études persévéran-
Téeorce solide n'offrant plus la symé- tes pour reconnaître de proche en pro-
trie d'un sphéroïde
ambiante alla combler régulier
de sa, lamasse
mer che toutes les parties d'un district, d'un
fluide les dépressions qui altéraient la pays, d'une région, et arriver ainsi
jusqu'à la notion générale des grandes
forme primordiale, laissant à décou- divisions terrestres : aussi des appel-
vert une quantité de terres égale au lations générales n'ont-elles été données
volume de liquide que ces dépressions aux continents que longtemps après la
absorbaient. dénomination des contrées particuliè-
Nées de cet antique partage des ter- res qui y sont encloses ; et celles-ci, à
res et des eaux à la surface de notre
leur tour, n'ont eu de noms propres
globe , trois îles immenses , que nous que postérieurement aux localités spé-
intitulons pompeusement des mondes, ciales renfermées dans leurs limites ;
émergent du sein d'un océan plus im- presque toujours, au surplus, l'appel-
mense encore. Habitants de l'un de lation générale n'a fait que reproduire
ces mondes terrestres, nous avons ap- dans une acception plus large le nom
pelé nouveau celui qu'une découverte qui était primitivement restreint à une
fameuse (*) vint révéler naguère à no- région, à un pays, à une localité fort
bornée. Tel est le fil conducteur dont
(*) «v Nuevo
A Castilla y Léon
mundo dio Colon.» il se faut aider pour la recherche des
étymologies géographiques; et nulle
Sans doute des navigations antérieures
avaient fait connaître certaines plages sep- part, peut-être, ce guide n'est plus
tentrionales visitées
, par les aventuriers utile et plus sûr qu'en cette grande
nordmans ; peut-être aussi quelques autres terre d'Afrique, ainsi dénommée au-
jourd'hui dans son ensemble, quoique
points des terres d'outre-mer avaient-ils déjà
été aperçus : le hasard , les courants , et les cet ensemble lui-même soit encore
vents alizés ont dû conduire obscurément bien loin d'être complètement connu.
plus d'une fois les marins d'Europe à ce
nouveau monde dont la découverte officielle tant c'est un autre qui eut l'insigne triom-
était réservée à Colomb; mais à Colomb seul phe de donner son nom au monde que
revient la gloire de cette grande révélation, Colomb était allé découvrir : le charlata-
annoncée à l'avance par d'autres peut-être, nisme et la camaraderie l'emportèrent sur
mais poursuivie par lui seul avec cette les droits légitimes de l'inventeur véritable ;
tenace persévérance qui caractérise une mis- « tulit alter honores !
« Sic vos non vobis »
sion providentielle, et vérifiée par lui après
des obstacles, des dégoûts, des entraves, (*) C'est au baron Walckenaer qu'est dû
des lenteurs qui donnaient une solennité le premier emploi de cette dénomination
plus grande encore à cette épreuve en la- pour caractériser la troisième division ter-
quelle luiseul avait une robuste foi. Et pour- restre éparpillée dans le grand Océan.
L'UNIVERS,

DÉNOMINATIONS DB L'AFBIQUE. essayé d'autres étymologies : le docte


Varron avait cru trouver celle de Libye
Les traditions les plus anciennes ne dans le nom grec du vent de sud-est,
sont pas toujours celles que nous ra- libs ; et le scholiaste de Virgile, Ser-
content lesécrivains des premiers âges; vius, proposait de dériver Afrique soit
elles ne nous sont parfois conservées du latin aprica, exposée au soleil, soit
que chez les polygraphes des temps du grec a-phrike, privée de froid.
inférieurs, usagers encore de sources Les étymologistes modernes, incon-
historiques qui n'ont point survécu au testablement plushabiles, se sont éver-
vandalismeou à l'oubli des siècles de bar- tués, sans beaucoup de succès, à décou-
barie. C'est ainsi qu'Etienne de Byzance vrir l'origine cachée de l'une et l'autre
nous a transmis , d'après Alexandre de ces dénominations usuelles : la Li-
Polvhistor, un catalogue des dénomi- bye aété pour eux tour à tour le pays
nations qu'avait portées la polyonyme des lions, la plage rousse, la région
Afrique, tour à tour appelée Olympie, enflammée, la terre noire; et cette
Océanie, Eskhatie, Koryphe, Hespé- dernière explication du moins s'accor-
rie, Ortygie, Àmmonide , Ethiopie, dait avec le sens généralement recon-
Cyrêne, Ophiuse, Libye, Kephénie, nu des noms d'Ethiopie, d' Aérie et
Aérie. De tous ces noms, les uns n'ont d'Éthérie, qui désignaient certaines
jamais eu qu'une application spéciale contrées libyennes; mais il semble que
et restreinte, comme Cyrène, Ammo- les biblistes sont bien mieux fondés à
nide, Ethiopie, Aérie; les autres sont revendiquer les Libye/is comme repré-
appellatifs, et désignent tantôt une sentant les Lehbym de la Genèse, iden-
situation relative, comme Océanie ou tiques aux Loubym des Paralipomènes
plage de l'Océan , Eskhatie ou extré- et des Prophètes, postérité directe des
mité du monde, Hespérie ou région Messrym ou Égyptiens , occupant le
du couchant; tantôt quelque trait phy- littoral opposé à la Grèce, et fournis-
sique, comme Koryphe ou haute ter- sant ainsi aux Hellènes un nom pour
re ,Ophiuse ou patrie des serpents. désigner
Peut-être faut- il comprendre aussi l'ouest detoute l'Egypte. la plage qui s'étend à
dans la même classe Kephénie, Orty- Pour ce qui est du mot Afrique, on
gie (*) , et plus douteusement Olympie, a voulu y retrouver un territoire fer-
que semble revendiquer la mythologie tile en épis, le pays des palmiers, la
hellénique. Le nom de Libye fut seul région poudreuse, la contrée divisée,
employé par les Grecs dans toute la la terre de Barqah, et même (sans
largeur d'acception que les Romains s'en douter) l'Éthérie des Grecs; mais
ont attribuée au nom d'Afrique. combien ces diverses conjectures pa-
Les écrivains de l'antiquité, poètes raissent forcées à côté de l'assertion
plutôt que linguistes, avaient adopté toute simple de Suidas (*) (qui souvent
le procédé commode de rattacher tou- a puisé à d'excellentes sources) , énon-
tes les dénominations géographiques çant qu'Afrique était le nom antique
au grand arbre de leurs généalogies de Carthage même ! N'est-ce point là
divines ou héroïques : il leur suffisait une origine toute naturelle de cette dé-
ainsi de forger, d'une pnrt, une prin- nomination venue en grandissant jus-
cesse Libye, soit indigène, soit fille qu'à nous pour désigner un continent
de Jupiter, ou de Neptune, ou d'Épa- tout entier, mais dont les siècles n'ont
phus ; d'autre part un prince Jpher, pas effacé complètement les applica-
fils de Saturne ou d'Hercule , trans- tions antérieures, successivement cor-
formé par les juifs et les chrétiens en un respondantes d'abord à la seule Zeu-
fils d'Abraham ou de Madian , et par gitane, puis à cette province augmentée
les Arabes en un de leurs propres rois.
Cependant, quelques érudits avaient
(*) Kapxï)8ù>v, v^ xai 'A<pptxr) xaî Bvpaa
Xeyojiiw].
(*) KrjçTlv, guêpe ; "OptuS, caille. Suidas , au mot 'Açpaavôç.
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
de la Byzacène , ensuite à la région Afrxjqah un établissement sépare, une
comprise depuis les Mauritanies jus- colonie de Tyr ; et les Arabes sont ve-
qu'à la Cyrénaïque, même jusqu'aux nus, par une dérivation régulière, dé-
confins de l'Egypte, puis enfin à tout nommer Afryqyah le pays dépendant
ce que Rome et l'Europe néo-latine de cette antique Afryqah. Il n'est pas
connurent de cette vaste portion de sans intérêt d'annoter ici que le pre-
l'ancien monde? Et quant à l'étymolo- mier emploi connu que les Romains
gie radicale de cette appellation pri- aient fait de ce nom étranger date du
mitive de Carthage, la langue de Car- vieux poète Ennius (*), postérieur à
thage elle-même nous la fournit simple la première guerre punique et contem-
et naturelle en nous montrant dans porain de la seconde.

ASPECT CONSTI TUTION PHYSIQU


E.
ET § IL
SITUATION, FIGUBE, ETENDUE. dominatrices de cette plage, mais im-
puis antes franchir
à l'étroite lisière
Double de l'Europe en étendue, mais resserrée entre la mer et l'Atlas. De-
plus petite d'un tiers que l'Asie, à qui puis ce détroit où la fabuleuse anti-
elle dispute en vain quelque parcelle
de l'Orient, l'Afrique partage l'Occi- quité plaçait les colonnes d'Hercule ,
dent avec l'Europe, et tandis que jusqu'au cap des Aiguilles qui marque
au sud la pointe extrême du continent,
celle-ci tient l'empire du Nord, tous se contourne onduleusement sur l'o-
les feux du Midi s'épandent et débor- céan Atlantique un littoral de plus de
dent sur la torride Afrique.
En sa forme ramassée et compacte, 2,600 lieues, où quelques rivages mal
où nul golfe profond, nul fleuve aisé- connus attendent encore l'exploration
ment navigable n'a ouvert au com- de l'hydrographie moderne. Et depuis
ce cap des Aiguilles, que les marins
merce et à la civilisation l'accès des ré- de Tyr doublèrent dans les vieux âges
gions intérieures, l'Afrique oppose à avec une flotte égyptienne , jusqu'au
la fois au génie des découvertes, qui
tourmente notre savante Europe , les fond du golfe Arabique où ces habi-
les navigateurs ramenaient du grand
difficultés naturelles d'un sol brûlant, voyage d'Ophir les vaisseaux chargés
sans routes et sans abords, etl'inhos- d'or de l'opulent Salomon, se déve-
pitalité sauvage des peuples indigènes
dont la fréquentation des nations loppe sur l'océan Indien une côte de
plus de 2,400 lieues, dont la majeure
étrangères
la rudesse native. n'est point venue adoucir partie ne nous est connue que par le re-
lèvement nautique de ses contours.
Depuis l'isthme de Souéys , qui lui L'ensemble de cette vaste périphé-
est à l'orient comme une jetée de com- rie offre donc une ligne continue de
munication avec l'Arabie, jusqu'au plus de 6,000 lieues géographiques,
détroit de Gibraltar, où elle n'est sé- présentant en sa forme une figure ir-
parée de l'Europe que par un détroit régulière que l'on a bien ou mal com-
de moins de 3 lieues, l'Afrique dé- parée tantôt
, à un triangle , tantôt à
ploie de l'est à l'ouest, sur la Médi- un cœur, ou bien à ce jouet que les
terranée, plus de 1,000 lieues de côtes enfants nomment cerf-volant : si nous
en regard de la Grèce, de l'Italie, de voulions grossir le catalogue des com-
la France et de l'Espagne, tour à tour paraisons de ce genre, nous ajoute-
(')««Undique.
Africa terribilei
» tremit horrida terra tumoltu rions que l'Afrique reproduit la figure
Ewn. Annal, vu (Cicéron, Festus, etc.). réniforme d'une noix d'acajou tour-
« Lati campi quos gerit Africa terra politos. »
Eux., Satjr, m (Nonius Marcellus).
sud. nant ses deux lobes à l'ouest et au
G L'UNIVERS.

Depuis le cap Blanc, voisin de Bi- lieues carrées; puis, rangées autour
zerte, qui projette à 37° 19' 40" de la- res, d'elle comme des satellites, les Como-
titude nord l'extrémité la plus avan- les Séchelles, et ces îles de France
cée de la côte septentrionale, jusqu'au et de Bourbon, que les affections mu-
cap des Aiguilles , qui termine à tuel es, lelangage, les mœurs et la
34° 38' 40" de latitude australe la pointe communauté d'origine tiennent étroi-
sud du continent, on mesure un dia- tement liées sous des pavillons rivaux ;
mètre de 1,450 lieues, que coupe, sous enfin, à l'extrémité du cap Gharda-
un angle de 80° nord-ouest, un autre fouy, Socotora, de plus de 100 lieues
diamètre de 1,380 lieues, déterminant carrées, acquisition récente de l'An-
la plus grande largeur de l'Afrique, gleterre pour assurer à ses paquebots
entre le cap Vert, par 19 53' 7" de lon- la voie de l'Inde par la mer Rouge.
gitude àl'ouest de Paris, et le cap Bien plus : située au voisinage im-
Ghardafouy qui s'avance à l'opposite médiat de l'Afrique, offrant avec elle
jusqu'à 49°l'36"de longitude est. La la plus parfaite similitude de caractè-
superficie totale est évaluée à 929,000 res physiques et de productions natu-
lieues carrées géographiques. Et, com- relles, ainsi que les rapports ethnolo-
me appendices immédiats, le banc des giques etlinguistiques les plus intimes,
Aiguilles à l'extrémité sud, et le banc l'Arabie semble constituer au nord-
d'Àrguin, sur la marge occidentale, est un appendice de ce continent bien
prolongent sous
vaste étendue des terres africaines. les eaux de l'Océan la plutôt que
tendre sur cede motif celui introduire
d'Asie. Sans
une pré-
dé-
limitation nouvelle des grandes divi-
DÉPENDANCES.
sions de l'aricien monde, du moins
est-il opportun de signaler ces con-
En dehors de ces limites existent nexités répétées, que la géographie et
des îles, soit isolées, soit groupées en l'histoire s'accordent à montrer si
archipels, que leur voisinage relatif étroites et si nombreuses.
fait encore annexer, comme des dé-
MEBS AMBIANTES, COUBANTS.
pendances, au large continent d'Afri-
que. En nous bornant à indiquer les
principales, nous avons à énumérer, Les mers qui baignent ces immen-
dans l'océan Occidental, Madère, fa- ses rivages circulent autour du
d'eux en
meuse par ses vins; les Canaries, aux- courants rapides, dérivations grand
quel es se rattache le souvenir des îles courant équatorial que la rotation ter-
Fortunées, des Hespérides et des Gor- restre imprime aux mobiles eaux de
gones de l'antiquité', et celui peut-être l'Océan. Dans la mer des Indes, le
de cette Atlantide disparue, que la mouvement normal, modifié par la
vieille Egypte racontait «à la Grèce disposition des côtes, court au nord-
naissante; plus loin, les îles du cap ouest le long des rivages, jusqu'au
Vert; au fond de la mer de Guinée, fond du golfe du Bengale, d'où il se
Fernan-do-Po, le Prince, Saint-Thomé, réfléchit au sud-ouest pour aller frap-
Annobon, qui semblent culminer sur per ies berges de Madagascar; pen-
une prolongation sous -marine des dant que la même impulsion, propagée
montagnes des Ambozes ; au large, et en deçà de la chaîne des Maldives, en-
jalonnant la route de l'océan Indien, traîne" les eaux de la mer d'Oman le
le rocher de l'Ascension, terre nue long des plages orientales du continent
sans souvenirs, et celui de Sainte-Hé- africain, et les précipite dans le canal
lène, sur lequel est ineffaçablement de Mozambique. Au sortir de cette
écrit le plus grand nom historique manche, elles se réunissent à la fois
des temps modernes; sur la côte au courant particulier du Bengale et
orientale, Madagascar, la plus grande au grand courant équatorial , pour
des îles africaines , présentant à elle continuer avec une nouvelle puissance
seule une étendue de plus de 20,000
de glisser le long des côtes jusqu'au
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
banc des Aiguilles, le traverser en le qu'aux abords du littoral africain : sur
contournant, et là, se combinant avec toute la côte occidentale, des vents
les effluves polaires, s'avancer d'une tout aussi réguliers , tout aussi cons-
part au nord dans la mer de Guinée, tants, loin de souffler à l'ouest, se di-
et s'aller perdre d'autre part au nord- rigent dans un sens opposé vers la
ouest dans le courant équatorial de terre; et dans la mer des Indes, le
l'Atlantique. Ici encore les mers d'A- phénomène des moussons frappe les
frique se refusent à l'influence directe côtes orientales, jusqu'au cap Delga-
du mouvement normal; elles ne reçoi- do, d'un vent de nord-est qui dure une
vent que son impulsion réfléchie, alors moitié de l'année (d'octobre à février),
qu'après avoir glissé sur les côtes bra- tandis qu'un vent de sud-ouest le rem-
siliennes, contourné le golfe du Mexi- août). place pendant l'autre moitié (d'avril à
que et longé les États-Unis, il revient
sur lui-même porter d'une part les eaux GOLFES ET CAPS.
de l'Océan dans la Méditerranée, où elles Les mers ambiantes ne tracent
courent à l'est contre le littoral barba-
resque, etd'autre part se diriger en biai- point de profondes découpures dans
sant vers la côte occidentale, imprimer le massif du continent africain; l'é-
au banc d'Arguin la triste célébrité d'un chancrure la plus considérable, qui
fameux naufrage (celui de la Méduse), est au sud-ouest, ne fait qu'une ob-
et poursuivre sa marche fatale jusque tuse rentrée, où l'océan Atlantique
dans le golfe de Guinée, où sa rencon- élargi forme, entrele le cap' oudesplutôt
Palmesla
tre avec le courant du sud se révèle et le cap Lopez, golfe
par des tournants moins renommés, mer de Guinée, laquelle reçoit, en
mais plus à craindre que Charybde et
Scylla, tant chantés par la poétique s'approchant
nom de golfedes ou terres,
baie deà ga'uche
Bénin, leà
antiquité. droite celui de golfe ou baie de Biafra,
Cette route circulaire du Gulf- séparés par la pointe basse et mousse
Strëam (comme l'appellent les marins qu'on appelle cap Formose.
du Nord) n'a-t-elle d'autre noyau cen- La mer Méditerranée dessine pareil-
tral que la masse inerte des eaux lement au nord, entre le cap Bon de
atlantiques? ou bien faut -il croire Tunis et le Gebel Akhclhar de la Cyré-
qu'un grand continent submergé trace naïque, une large rentrée, ou plutôt
encore, au fond des mers, un lit in- deux rentrées jumelles, que les an-
franchis ablece
à fleuve gigantesque? ciens nommaient les Syrtes, et que la
O Platon! cette Atlantide, attestée à géographie moderne a dénommées
Solon par les traditions immémoriales golfe du Sidr (nom arabe du jujubier
de l'Egypte , et dotée, par ta rêveuse lotos), et golfe des Qâbes.
imagination, de peuples si merveilleu- Comprimée en quelque sorte entre
sement sages, cette terre, que la fable les Syrtes et la mer de Guinée, l'Afri-
dispute à l'histoire, gît-elle, en effet, que s'épanouit ensuite vers l'ouest en
sous ces eaux immobiles, autour des» un vaste demi -cercle, jalonné d'une
quelles roule incessamment un cou- multitude de caps, parmi lesquels le
rant fougueux, emprisonné dans ses cap Spartel, le cap Noun, le cap Bo-
liquides rivages? jador, le cap Blanc, le cap Vert, le cap
Tagrin et le cap Mesurado sont les
VENTS RÉGULIERS . plus connus. Dans les intervalles de
ces caps, la côte n'éprouve que des dé-
D'accord avec les courants mariti- pressions peu sensibles; mais en avan-
mes généraux, les vents alizés régnent çant au sud, les rentrées et les saillies
constamment d'est en ouest sur la zone se prononcent davantage, de même
équinoxiale de l'Océan; mais, comme que sur la plage orientale, dont les on-
les courants généraux, les vents alizés dulations correspondent avec une sin-
n'étendent point leur domaine jus- gulière symétrie à celles du rivage oc-
8 L'UNIVERS.

cidental : c'est ainsi qu'à l'enfoncement Gambie,


au versant leseptentrional,
Sénégal, le Dara'h.
compris Quant
entre
de la mer de Guinée correspond la
longue saillie du cap Ghardafouy, au le cap Spartel et Soueys, etqui porte ses
cap Lopez la rentrée de la côte de Zan- eaux à la Méditerranée, il ne présente
zibar, àla rentrée de celle de Benguêla qu'un grand à fleuve, le plusieurs
Nil d'Egypte,
la saillie de celle de Mozambique, au débouchant la mer par bras,
cap Negro la baie de Sofalah, à la baie dont l'écartement sépare de la terre
des Baleines le cap des Courants, à la ferme une grande île triangulaire, cé-
côte saillante des Namakouas la baie lèbre sous le nom de Delta , que les
de Lourenço Marquez : il semble que Grecs lui donnèrent en la comparant à
les ondulations d'un axe commun aient cette lettre de leur alphabet.
simultanément déterminé ces symétri-
ques configurations; car les rentrées LACS.
du littoral accusent, par la grandeur
Des lacs assez nombreux , mais im-
des fleuves
ment des reliefs qui s'ygénéraux
versent, oùl'éloigne-
ils ont parfaitement connus, sont répandus
leurs sources ; et les dernières explo- sur le sol africain : sans parler de l'im-
rations de celles du Gariep ont effec- mense mais douteuse lagune à laquelle
tivement constaté, en confirmation de est attribué le nom des peuples Ma-
cettela théorie, qu'il naît au voisinage ravis, qui semble reproduire, comme
de côte orientale.
tant d'autres en Afrique, celui de l'an-
tique Méroé; sans compter non plus
VERSANTS ET RELIEFS GENERAUX, ce Kalounga Kouffoua, qui offrirait
FLEUVES. le singulier phénomène de se déchar-
ger àla fois dans les deux océans , nous
C'est ainsi que la disposition et la avons à mentionner, comme les plus
mesure des reliefs généraux, liées par célèbres et les plus considérables, dans
une corrélation nécessaire aux circons- l'est le lac de Dembaya ou de Ssanà,
tances hydrographiques, se peuvent dé- traversé par le Bahhr Azreq, bran-
duire conjecturalement de la longueur che orientale du Nil d'Egypte; dans
des fleuves, et de l'inclinaison de leurs l'ouest le lac Gybâ ou Gyébou, traversé
pentes, révélée par la rapidité de leurs par le Niger ou Nil des Nègres; dans
ondes. L'Afrique, sous ce rapport, of- l'intervalle compris entre les Nils, le
fre trois versants principaux, séparés grand lac Tchad, que l'on croit en gé-
deux à deux par de tortueuses démar- néral occuper le fond d'un vaste bas-
cations, dont le sommet commun est sin intérieur, mais dont les eaux dou-
au point où les traditions ont placé les ces trahissent l'écoulement inconnu :
hypothétiques montagnes de la Lune. on a voulu le rattacher hypothétique-
Sur le versant oriental, qui s'étend ment, à travers les sables et des chaî-
depuis Soueys jusqu'au cap des Aiguil- nes de lacs, au Bahhr Abyadh ou bran-
les, et s'abaisse vers l'océan Indien, che principale du Nil égyptien; mais
coulent les grands fleuves de Maqda- il nous semble bien plus probable (d'a-
schou, de Mélinde, le Lofih, le Zam- près le témoignage précis que rendent
bêzé, et nombre d'autres, dont le cours les indigènes, d'une communication
est entièrement inconnu, sauf celui continuellement navigable entre Je
du Zambêzé ou Kouama, le seul, sur Tchad et le Niger, par le Schâry ou
cette côte, que les Européens aient re- Tchâdy) que le Yéou , traversant le
monté. Le versant occidental , qui du Tchad, en ressort au sud sous le nom
cap des Aiguilles s'étend jusqu'au cap de Schâry (au lieu d'y affluer comme
Sparte! , offre , parmi les cours d'eau le dit Denham), pour s'aller jeter dans
les plus considérables, le Gariep ou le Niger, où Lander a vérifié la direc-
Orange, la rivière aux Poissons, le tion de son cours. Enfin, dans le nord,
Kouanza, le Zaïre ou Kouango, le fa- nous avons à mentionner encore la
meux Niger ou Gjalibâ ou Rouârah, la grande Sebkhah-A'oudyah, lac de sel et
0
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
sins des deux océans, offre, selon toute
de boue que traverse un sentier ja- apparence , vers le point où naissent
lonné par des poteaux, jadis fameux
chez les Grecs sous le nom de lac Tri- d'une part le Kouâma ou Zambèze,
tonide, et que les Arabes de nos jours et de l'autre le Kouanza et le Kouan-
désignent comme le tombeau muet de go, un grand nœud austral
lévation des terrasses dont doit
inférieures l'é-
reused'une
Elus caravan e. de plus d'une nom- faire estimer la hauteur fort considé-
armée,
rable; les montagnes de Loupata qui
MONTAGNES. n'atteignent guère qu'un maximum
de 2,000 mètres , et celles du Congo
Les culminances montagneuses qui dont l'altitude a été fort exagérée,
serpentent plus ou moins capricieuse- semblent former à l'est et à l'ouest
ment sur les lignes de partage de tou- des chaînons collatéraux de l'axe cen-
tral,dont une des culminances, le
tes ces eaux, ne sontconnues^ avec cer- Mouloundou-Zambi, estévaluée à 5,000
titude qu'au voisinage des côtes , d'où mètres. Madagascar, avec ses hautes
l'œil européen a pu les apercevoir : au cimes de plus de 3,500 mètres, étend
nord-ouest l'Atlas, qui s'élève près de
Marok jusqu'à 4,000 mètres, projette dans l'est une chaîne isolée parallèle à
ses rameaux, d'une part jusqu'au cap celle gion de Loupata. Enfin, dans la ré-
australe, une chaîne dirigée est
Noun et dans les Canaries, de l'autre
jusqu'au fond de la grande Syrte , et ouest, et dont quelques pics culmi-
s'abaissant par degrés pour se perdre nent peut -être jusqu'à 2,500 ou 3,000
dans les sables de Barqah. La chaîne mètres , semble constituer un prolon-
de Koung, dont le nœud principal sem- gement de l'arête dorsale , et vient
ble marqué par les sources du Niger et expirer au sud-ouest , où la montagne
des fleuves de la Sénégambie, et que de la Table élève auprès du Cap un
l'on retrouve aux bords occidentaux sommet
mètres. aplati qui n'atteint pas 1,200
du Niger inférieur, n'accuse en ces
points extrêmes que des hauteurs mé- PLAINES ET TERRASSES.
diocresla; partie mitoyenne est igno-
rée.* De hautes plaines , tantôt fertiles ,
De l'autre côté du Niger se mon- tantôt brûlées, s'étendent par étages
trent les ramifications d'une autre entre les chaînons collatéraux, com-
chaîne à laquelle appartiennent peut- me de vastes terrasses, dont ils figu-
être aussi les montagnes des Amboses, rent les parapets ; l'élévation de ces
et qui se poursuit à l'est pour culmi- dans plaines est quelquefois considérable, et
les Rarrous du sud elle dépasse
ner, dans le Mandharah, jusqu'à 2,000
ou 2,500 mètres. Peut-être encore une 1,500 mètres. C'est dans ce trait ca-
liaison est-elle établie entre ces alpes ractéristique que le docte géographe
centrales et celles qui, sous le nom de Ritter a puisé l'idée synthétique sous
montagnes de la Lune, renferment, laquelle il a individualisé le continent
au dire de Ptolémée et des Arabes , africain , supposant un vaste plateau
les sources les plus reculées du grand supérieur dont la périphérie s'abaisse
Nyl, élevant vers le ciel des cimes en terrasses successives, sillonnées de
neigeuses dont il faut, d'après cette cours d'eau qui conduisent par une
circonstance, estimer l'altitude à plus transition graduelle du plateau aux
de 5,000 mètres, offrant plus loin, basses terres ; l'Atlas , la Cyrénaïque,
dans quel'Abyssinie, membres détachés de ce grand corps ,
aussi élevés , etdesse sommets continuantpres-
en reproduisent , sous des échelles pro-
un long rameau, sur le littoral de la gressivement rapetissées, les mêmes
mer Rouge, jusqu'aux environs de formes constitutives, et demeurent an-
Souéys. nexés àla masse principale par la mer
Le relief dorsal qui trace la dé- de sables, à travers laquelle des chaî-
marcation commune entre les bas- nes d'oases sont aux caravanes voya-
10 L'UNIVERS.

geuses comme autant de ports de re- sans eau , sans verdure, couvrant plus
lâche au milieu de cet océan dont le de 200,000 lieues carrées, depuis la
vent du midi tourmente les flots des- vallée du Nil jusqu'à l'Océan occiden-
séchés (*); plaine immense, effrayante tal, et depuis l'Atlas jusqu'au Tchad ,
d'étendue et de nudité, ondulant quel- avec une altitude moyenne de 500
mètres.
quefois en sèches collines , coupée ra-
rement dequelques rangées de rochers,

ATUREL LE,
HISTOIRE
§ NIII.
règne minerai,. part des caps de la côte occidentale
sont basaltiques; des trachytes, des
Constitution géognostique. — - laves , des ponces et des scories ont
La tré
géologie n'a pointassez
des observations encore enregis-
nombreuses été observées dans le pays d'Alger : des
volcans ignivomes existent même, dit-
pour qu'il soit possible d'indiquer la on, dans les montagnes du Congo, dans
distribution géognostique des terrains
qui celles de Mozambique, et jusqu'en Abys-
dans constituent
toutes les chaînes le sol de
de montagnes
l'Afrique; sinie ; mais la plupart de ces indica-
qui ont été visitées, la base granitique tions auraient besoin d'être vérifiées.
a pu être aperçue, se montrant surtout Quant aux sables du Ssahhrâ, sont-ils
à découvert dans celles du Marok, du un transport alluvionnaire, ou le ré-
Mandharah, de PAbyssinie et du Con- sultat d'une décomposition spontanée
go, avec les porphyres, la syénite, le de roches préexistantes ? C'est une
gneiss, le micaschiste, le scliiste argi- question sur laquelle les notions acqui-
leux, lequartz, le calcaire primitif. ses ne permettent point encore de pro-
Les grès abondent à peu près partout, noncer, bien que la nature friable des
tantôt reposant immédiatement sur les grès du Fezzân paraisse favoriser la
formations granitiques , tantôt sur les côté, secondele quartzhypothèse gris; blanc
mais ,qui
d'una formé
autre
formations schisteuses; dans la région ces sables si ténus se retrouve de même
australe ils se présentent comme un au désert en graviers , en galets , en
couronnement tabulaire posé horizon- cailloux roulés, et semble témoigner
talement sur le granit qui s'élève au
travers des roches stratifiées. Les cal- de l'ancienne action d'un océan que
caires secondaires prédominent dans la les traditions historiques n'ont peut-
être pas , non plus , complètement
région moyenne de l'Atlas ; dans le
sud, ils se montrent, comme le grès, oublié.
en couronnement horizontal sur les Obyctognosie. — Quant aux espè-
hautes terrasses du Gariep. Le sel, soit des ces minérales disséminées, sans parler
mines de fer, de cuivre, et autres
en couches, soit dissous dans les eaux
métaux moins recherchés, qui parais-
de quelques lacs, de quelques ruis- sent nombreuses et abondantes , de
seaux ,se trouve en diverses parties
du continent, mais particulièrement régions riches mines d'or ont rendu certaines
dans celles du nord ; la plaine de sel africaines célèbres parmi les
géographes orientaux ; les pavsdeBan-
de l'Abyssinie est fameuse par son éten- bouq , de Bouré, de Ouanqarah dans
due. Des basaltes, des roches trapéen-
nes sont indiquées dans presque toutes l'ouest, celui de Sofalah dans l'est, sont
les plus renommés sous ce rapport.
les grandes chaînes montagneuses, sur- Les Arabes appellent spécialement ces
tout dans les rameaux de l'Atlas qui deux dernières contrées Beled el-dze~
s'étendent au sud de Tripoli ; la plu-
heb ou Beled el-tebr, le pays de l'or ou
(*) « Ille (auster) immodicus exsurgit, de la poudre d'or; les Européens eux-
arenasque quasi maria agens, siccis sœvit mêmes donnent le nom de Côte d'or
iluetibus. » Mêla, I, vin.
à une partie du Ouanqarah, où l'or se
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
Il
montre en grains dans les roches quart- rie ; et dans la région du Cap elle est
zenses qui alternent avec le schiste aussi fraîche, aussi douce et moins
argileux sous les couches du grès su- variable qu'en notre beau pays de
périeur. Des gemmes précieuses exis- France. VÉGÉTATION.
tent, dit-on, en abondance dans cer-
tains cantons, tels que les parties
élevées du Congo, et surtout les pays Sous l'influence de températures
aussi diverses, la végétation, fille du
qui avoisinent le Nil , où l'on voit les
fameux Gebêl el-Zamarrad, ou mon- sol et du climat, ne peut manquer d'of-
frir des aspects pareillement divers ;
tagnes d'émeraudes ; le diamant lui- cependant, malgré les variations de
même, dont Pline attestait l'antique puissance végétative que déterminent
existence dans la région qui s'étend
depuis
retrouvéThangeh de nos jours jusqu'àdans
Méroé, a été les différences de latitude, d'altitude ou
les sables d'exposition , des caractères aisément
aurifères de Constantine. saisissables, permettent de distribuer
CLIMAT. la flore générale de l'Afrique en trois
flores spéciales (*) , ayant chacune un
Les deux tropiques enferment dans vaste domaine; et l'Arabie, placée dans
la zone torride la majeure part des des conditions climatériques et cho-
terres africaines; les portions compri- rographiques absolument analogues ,
ses dans les zones tempérées se rédui- vient en outre s'annexer au continent
africain , pour être classée dans cette
sent àmoins d'un quart de la superficie grande division tripartite.
totale. Cependant la température n'est Les dénominations respectives de
point aussi généralement brûlante que
cette distribution climatérique pour- septentrionale , équinoxiule et aus-
rait le faire supposer : l'élévation des trale, appliquées aux trois zones pic-
terrasses qui se succèdent par étages tographiques ainsi établies, obéissent,
jusqu'à des hauteurs considérables pro- il est vrai, aux conditions les plus
cure, jusque sous l'équateur, un air frappantes de l'habitat des types, mais
frais et doux, quelquefois même un sont loin de représenter le gisement
froid vif et piquant ; mais les plaines de chacune d'elles et leur disposition
inférieures et les plages maritimes su- relative. Une ligne tirée d'est en ouest,
bissent toute l'ardeur du soleil zéni- du Caire à Marok ou aux Canaries,
thal ,à laquelle viennent seulement laisse en effet au nord la première de
faire diversion les vents constants et ces trois zones, étendue presque en
les brises réglées. Des pluies diluviales entier sur la Méditerranée , et produi-
reviennent chaque année grossir tou- sant le chêne , le pin , le cyprès , le
tes les rivières intertropicales, dont myrte , le laurier , l'arbousier , la
les débordements couvrent et fécondent
les terres riveraines : les crues du Nil bruyère rangarborescente , l'olivier , l'o-
er, lejujubier, le dattier, le rai-
sont fameuses depuis les temps les sin, lafigue , la pêche, l'abricot, les
plus reculés. L'époque qui succède im- melons , l'orge , le maïs , le froment ,
médiatementla
à saison des pluies est le riz, le tabac, le coton, l'indigo, Ja
un moment critique, où l'humide cha-
leur de l'air occasionne de dangereu- ces (*) De précieux échantillons, types de
trois flores distinctes , nous sont offerts
ses maladies, jusqu'à ce que les vents par les beaux ouvrages de Desfontaines
aient assaini l'atmosphère. C'est dans {Flora atlantica, 2 vol. grand in-40, Paris ,
le Ssahhrâ et les plaines limitrophes i798),dePalissotdeBeauvois(F/ore^Owrt/-e
que la chaleur est le plus intense : elle et de Bénin, 2 vol. in-folio, Paris, 1804),
s'élève, au Bournou et dans le Hhaou- et de Thunberg {Flora capensis, vol. in-8°,
sa , jusqu'à plus de 45° du thermomè- Upsal, 1807), auxquels on ne peut se dis-
tre octogésimal; elle atteint même 50° penser de joindre les travaux plus récents
dans Jes basses terres de Bénin ; mais de Robert Brown, de Perrottet, de Ton-
elle est fort modérée dans la Barba- ning et Schumaker, etc.
12 L'UNIVERS.
canne à sucre; offrant ainsi de nom- mier élaïs, le khaïr, le nété, les ar-
breuses analogies avec les côtes oppo- bres àbeurre, le kola ou gourou , les
sées de l'Europe méridionale. cypéracées , etc. , non par divisions
Mais c'est une ligne tirée du sud- juxtaposées, mais par succession de
ouest au nord-est, entre le fleuve d'O- plus grande fréquence au milieu de la
range et Maskat, qui détermine la fusion commune. Outre les fruits et les
limite et la direction de la troisième autres produits que le nègre retire de
région phytographique, développée sur ces arbres, tels que le vinet l'huile de
l'océan Indien en une zone prolongée palme, le beurre végétal, etc., il re-
qu'il serait plus exact d'appeler aus- cueille pour sa nourriture le miel, le
tro-orientale, etque caractérise d'une maïs, le manioc, les ignames, quelques
manière remarquable l'abondance des légumes, la banane, la goyave, l'o-
plantes grasses. On y rencontre en range, lelimon, les fruits du papayer,
nombreuses tribus les stapélias , les du tamarin, et nombre d'autres; il
mesembryanthèmes, les aloès (qui ont cultive aussi le coton , l'indigo , le ta-
fait la renommée de Socotora ) , les bac :mais c'est la végétation spontanée
euphorbes, lescrassules aux fleurs écar- sur laquelle est basée notre réparti-
lates; puis les pélargoniers, les protéeS tion.
au feuillage d'argent , les ixia , les La vallée du Nil, appartenant à la
bruyères ; sans parler de la vigne, des fois aux trois zones , conduit de l'une
fruits, des céréales, et autres végétaux à l'autre par un passage insensible; la
que la main de l'homme y cultive pour basse Egypte se lie, par la Cyrénaïque,
ses besoins. Madagascar et les îles voi- à la lisière barbaresque ; à Thèbes se
sines établissent une sorte de liaison montrent le palmier doum et le bala-
entre cette flore et celle de l'archipel nite; en Nubie paraît le baobab; et dans
indien, offrant en outre quelques plan- les mares de l'Abyssinie se retrouve le
tes qui leur sont propres, surtout des souchet papyrier des bords du Kouan-
fougères et des orchidées en grande go et de ceux du Schâry , comme le
quantité. sésame ptérosperme du Bornou ; la
Tout le reste de l'Afrique appartient flore d'Abyssinie tend d'ailleurs à se
à la grande division intermédiaire dé- rapprocher de celles de Mozambique et
signée sous l'appellation d'équinoxia- du Cap : les pélargoniers et les protées
le, figurant un triangle immense dont s'y montrent déjà.
le sommet est au golfe Persique , et Quant à l'Arabie, elle n'offre qu'une
dont la base onduleuse s'épanouit sur prolongation des zones africaines, de-
l'océan Atlantique. Peut-être pourrait- puis les gommiers et les balanites jus-
elle être subdivisée en bandes succes- qu'aux mesembryanthèmes et aux sta-
sives ,qui tireraient leurs caractères pélias; lecafé lui-même, qui fait la
spéciaux de la prédominance de cer- renommée de Mokhâ, ne serait , de
tains genres , si des notions moins l'aveu des Arabes, qu'une importation
vagues et moins bornées permettaient de l'Abyssinie.
de déterminer avec quelque assurance ZOOLOGIE.
leur distribution. Le désert a des buis-
sons de gommiers , l'agoul ou herbe La faculté locomotive qui distingue
du pèlerin , quelques poacées et pani- le règne animal rend plus difficile la
cées , entre autres le kaschya, incom- distribution du sol par régions zoolo-
mode au voyageur par les piquants de giques ;peut-être cependant une con-
son calice, une capparidée , appelée naissance plus étendue des circonstan-
souag , et un petit nombre d'autres ces spéciales d'habitat pour certains
plantes chétives et glauques. Le pal- genres , certains ordres , certaines
mier doum et le soump ou balanite ca- classes même , permettra-t-elle de dé-
ractériseraient ensuite la bande la plus terminer ultérieurement quelques cen-
voisine du désert; puis viendraient tour tres de fréquence pour ceux dont l'u-
à tour le baobab, les fromagers, le pal- biquité est plus restreinte ; mais ce
AKI ! l'I'l AN ' II; N N E

liiLobah, /:,.„„,■,,;, Palmiers


13
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
Sennâr, resté inconnu à Sait, mais
n'est point dans l'état incomplet et
vague des notions actuelles qu'il est retrouvé par Rûppel , est loin d'être
possible de se livrer avec assurance à aux hommes et aux animaux un aussi
cette zoographie dianémétique. Nous redoutable ennemi que l'avait proclamé
devons nous borner, quant à présent, Bruce ; les mosquites, les abeilles, les
à indiquer, pour l'ensemble du conti- scolopendres à la piqûre douloureuse,
nent africain, la physionomie caracté- et mille autres insectes divers, méri-
ristique que lui procurent les animaux teraient également une mention. Parmi
répandus à sa surface ou le long de les aranéides nous devons citer la ta-
ses contours, depuis le polype qui est rentule qui abonde en Barbarie, le
au bas de l'échelle jusqu'à l'homme tendaraman ou araignée venimeuse de
qui en occupe le sommet. Marok , la mygale a robe veloutée de
Invertébrés. — De nombreux zoo- la Sénégambie , et l'araignée du Cap ,
phytes végètent autour de l'Afrique : toutes fort dangereuses ; le scorpion
le plus remarquable est le corail rouge, est également redoutable, et plus fré-
dont les Européens font des pêches quent, ainsi que le galéode qui lui est
réglées ; l'éponge fait l'objet d'un analogue. Enfin, parmi les crustacés,
commerce assez considérable ; des co- on trouve mentionnés par les voya-
rallines, des madrépores, des gorgo- geurs des homards , des crabes , des
nes, des alcyons, des polypes de toute langoustes, des chevrettes.
forme abondent sur le littoral , où se Poissons. — Passons aux vertébrés.
trouvent aussi quantité d'échinoder- Les poissons maritimes qu'on pêche
mes et d'acalèphes; nous ne devons aux atterrages d'Afrique sont ceux des
pas oublier, entre les helminthes , le mers qui baignent ces côtes; et quant
ver de Guinée, filaire qui s'insinue sous aux poissons des fleuves, on n'en a
la peau de l'homme, et lui cause à la encore étudié qu'un nombre fort res-
longue les plus cuisantes douleurs. Les treint :M. Geoffroy Saint-Hilaire a
mollusques maritimes appartiennent décrit ceux du Nil , parmi lesquels se
aux mers et non aux côtes : l'Atlanti- font remarquer l'énorme bichir , des
que amène sur le littoral des seiches silures et des pimélodes, dont les ana-
que l'on dit colossales; la spirule n'est coffres,loguesetc. ont été retrouvés au Congo, des
Les rivières occidentales
point rare dans les parages du Séné-
gal; le nautile se montre en nombreu- ont fourni de curieux acanthopodes ,
ses flottes aux environs du cap de des gymnarques, des sciènes, quelques
Bonne-Espérance ; la janthine pour- poissons qui vivent dans la vase , et
prée se fait remarquer le long du rivage beaucoup d'autres encore mal connus.
barbaresque ; les doris , les aplysies Les poissons d'eau douce paraissent
abondent dans la mer Rouge. Parmi d'une extrême rareté dans la région
les fluviatiles, M. Caillaud a fait con- australe ; on n'y a guère signalé que
naître les éthéries du Nil : les terres- le silure à tête plate et la carpe gono-
tres sont presque complètement igno- rhynque.
rés. Entre les annelides, nous nous Reptiles. — Les reptiles parais-
contenterons de signaler la sangsue du sent fort multipliés , plus toutefois par
le nombre des individus que par la
Sénégal,
res années, que tenté l'on'a,
de dans ces derniè-
naturaliser aux variété des espèces. Les plus remar-
Antilles et à Cayenne. Le plus vorace quables sont, parmi les lézards, ces
des insectes africains, c'est la saute- crocodiles et ces caïmans ou alligators
relle voyageuse, fléau aussi terrible que qui peuplent les grands fleuves ; les
monitors ou ouarans du Nil et du
l'incendie,
dont les essaims qui anéantit les récoltes,
immenses obscurcis-et Kouango ; les iguanes de Guinée ; les
sent lejour (sans que cette expression cordyles du Cap ; les geckos immondes
ait aucune exagération métaphorique); du Caire et de Madagascar ; les scin-
les fourmis et les termites font aussi ques du Fezzan et des régions du haut
de grands ravages ; le ssalssalyah du Nil, si prompts à disparaître sous le
u L'UNIVERS.
sol ; et ces caméléons dont les diverses l'ancienne Numidie : le dronte, qu'on
affections sensitives se peignent sur la voyait jadis à l'île de France et dans
peau en couleurs changeantes. On a quelques parties du continent , ne se
observé peu de batraciens, mais parmi rencontre plus, et peut-être a-t-il en-
eux , des crapauds énormes et des sa- tièrement disparu du globe. Les échas-
lamandres. Les fleuves et les rivières siers offrent des falcinelles, des plu-
offrent beaucoup de tortues soit de viers, des vanneaux, des grues, des
mer, soit d'eau douce, et la tortue hérons, des cigognes, entre autres la
terrestre d'Europe est aussi fort ré- cigogne à sac de la côte orientale; des
pandue en Barbarie. Entre les serpents ombrettes , des flamants , des spatu-
on cite l'énorme boa, mais à tort, les ,l'ibis, oiseau sacré de l'ancienne
les grands serpents d'Afrique parais- Egypte, des courlis, des bécasses, des
sant appartenir au genre python ; le râles, des poules d'eau. Dans les pal-
céraste et d'autres espèces venimeuses mipèdes on trouve le canard et l'oie,
ont surtout été signalés dans la région le pélican, le cormoran, la frégate,
du Cap; des vipères d'une nouvelle es- Tanhinga, le fou, le manchot; on voit
pèce ont été recueillies au Sénégal; Tas- de plus, sur les côtes, des goélands,
pic , et surtout Vurxus ou naia , sont des pétrels, des albatros. Mais le plus
fameux dans l'histoire de l'Egypte. remarquable de tous les oiseaux de
Oiseaux. — Trop souvent simples cette partie du monde, c'est l'autru-
hôtes passagers , les oiseaux ne four- che, compagne habituelle du zèbre ou
nissent point un des traits les plus de la girafe, et qui vit en troupes dans
saillants dans la physionomie zoolo- le Ssahhrâ ; il faut mentionner aussi
gique du sol ; cependant , sur environ plusieurs espèces d'outarde, vivant pa-
six cent cinquante espèces qui se trou- reil ement entroupes en compagnie de
vent en Afrique, près de cinq cents lui la gazelle.
appartiennent en propre : c'est un trei- Mammifères. — A mesure que Ton
zième de la totalité des espèces con- remonte l'échelle zoologique , des no-
nues. Les plus nombreuses sont, dans tions plus précises et plus nombreuses
Tordre des promeneurs, les passereaux permettent de reconnaître mieux la
si variés, les hochequeues, les gobe- physionomie particulière et tranchée
mouches, les merles, les loriots, les
rolliers , les troupiales , les pique- que l'Afrique présente sous ce point
bœufs, les calaos, les hirondelles, les de vue. Cette spécialité d'aspect est
surtout remarquable pour les mammi-
soui-mangas, les guêpiers, les martins- fères; elle possède un quart, à peu
pêcheurs , les pies-grièches , les mé- près, des espèces connues, et sur cette
sanges les
, alouettes , le crinon dont quantité un sixième seulement (ou un
le bec est accompagné à sa base de vingt-quatrième de la masse totale )
soies longues et rudes. Puis, parmi les étend son habitat sur d'autres ter-
res.
oiseaux de proie, on compte les vau-
tours, les griffons, les percnoptères , Il est vrai de dire , toutefois , que
les aigles, les pygargues, les éperviers, les ordres qui ne s'offrent à l'étude de
les buses, les faucons, les messagers, et l'homme qu'en des rencontres rares et
la plupart des rapaces nocturnes. Les
grimpeurs fournissent beaucoup de fortuites,
rentes, onten même tempsmoins
naturellement qu'indiffé-
éveillé
perroquets et de perruches , des tou- son attention. Ainsi, parmi les céta-
racos , des couroucous , des coucous , cés proprement dits , les voyageurs
aux riches plumages. Entre les gallina- n'ont guère mentionné que les dau-
cés on remarque des pigeons varlés,tels phins souffleurs et les marsouins, fré-
que la tourterelle à collier du Sénégal quents dans les mers d'Afrique. Ils
et de l'Afrique australe , et le pigeon ont remarqué aussi , à l'embouchure
vert d'Abyssinie et de Guinée; des des fleuves, ce curieux lamentin qui,
perdrix, des cailles , des tétras , et la sans doute , fut le type des fabuleuses
pintade qui appartient spécialement à
syrènes de l'antiquité. Ils ont vu pa-
A V I LOTI E AN ' I l'I N N E

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1/aù !i.n/t,,//,
15
HISTOIRE DÉ L'AFRIQUE.
reniement sur les côtes quelques am- du baudet et de la vache , que Rozet
phibies, du moins le phoque commun n'a pu retrouver.
et le lion de mer. Quant aux quadrupèdes onguiculés,
Les pachydermes sont répandus en les moins nombreux en Afrique sont
Afrique dans une proportion très-for- les édentés, parmi lesquels nous n'a-
te , et Ton peut estimer que les deux vons àciter que l'oryctérope du Cap
cinquièmes des espèces connues appar- et le kouaggelo ou pangolin à longue
tiennent en propre à ce continent. queue, à écailles mobiles et tranchan-
Entre les ruminants, le genre antilope tes , qui habite au Sénégal et en Gui-
est particulièrement développé : ses née. Dans les rongeurs on remarque
espèces les plus remarquables sont le plusieurs espèces d'écureuils à riches
canna ou élan du Cap, et le gnou, qui fourrures, les gerboises du désert,
existe sous ce même nom en Guinée
l'aye-aye de Madagascar, le rat- taupe
comme dans le Sud ; mais il ne faut et le rat-sauteur du Cap, des rats va-
guère s'attendre à y rencontrer la fa- riés ,entre autres la souris du Caire
buleuse licorne des anciens, que des armée de piquants, le porc -épie à
rapports indigènes persistent néan- crête , et quantité de lièvres et de la-
moins àsignaler encore dans l'ouest pins. Les carnassiers sont répandus en
du Dâr-Four, mais que Cuvier suppo- grand nombre sur le continent : le
sait avoir été imaginée d'après un pro- lion , la panthère , le léopard , l'once ,
fil égyptien de l'oryx recticorne ; le le lynx, le caracal, le serval, y sont l'ef-
mouflon traîne une énorme et pesante froi dudans voyageur ; l'hyène
queue ; le bœuf à bosse sert de mon- troupes ies villes pendantvient en
la nuit;
ture, de bête de somme et de trait le loup et le chacal abondent ; le re-
dans toute la Nigritie; le bœuf galla nard aété signalé dans le Nord et dans
porte des cornes immenses ; le buffle le Sud ; le chien , hôte dédaigné dans
sauvage du Cap est remarquable par sa la demeure de l'Arabe, lui montre en
grosseur et sa férocité; la girafe ha- retour peu d'attachement, et il est re-
devenu tout à fait sauvage au Congo ;
bite depuis l'Egypte
le dromadaire jusqu'au
ou chameau à uneGariep
bosse;
le fennec de l'Abyssinie et du Belêd-
est, comme on sait, le navire du dé- el-Géryd, qui semble devoir être rap-
sert. Entre les pachydermes non ru- porté au même genre , est caractérisé
minants, le premier rang est dû à par ses longues oreilles de lièvre ; la
l'éléphant africain , différent de celui civette se rencontre presque partout,
d'Asie par ses molaires losangées, son et l'ichneumon , jadis adoré en Egyp-
front convexe , sa tête ronde , et ses te, continue son incessante guerre aux
immenses oreilles : on le rencontre
reptiles ; enfin l'ours, dont Cuvier ré-
depuis la limite du Ssahhrâ jusqu'au voquait en doute l'existence sur le sol
cap de Bonne-Espérance ; le rhinocéros africain , paraît du moins y être ex-
à deux 'cornes a été trouvé en Abys- trêmement rare ; il faut citer encore
sinie comme au Cap; l'hippopotame, plusieurs espèces de hérissons, la mu-
qui a disparu depuis longtemps des saraigne etla chrysochlore du Cap à
eaux du Nil , se montre dans tous les robe dorée, le tenrec de Madagascar,
grands fleuves de la région australe ; et diverses taupes. Parmi les chéiroptè-
!e phacochère à défenses énormes a été res, l'Afrique possède diverses espèces
vu au cap Vert en même temps que de chauves-souris, dont la plus grosse
dans le Sud , où se rencontre aussi le est la roussette, recherchée à Mada-
sanglier à masque, différent du san- gascar et à Maurice comme un mets
glier éthiopique du Sénégal. Le zèbre comparable au faisan et à la perdrix ;
et le couagga sont répandus dans les les nyetères et les rhinolophes méri-
parties centrales et méridionales; le tent aussi une mention. Quant aux
cheval et l'âne sont élevés principale- quadrumanes, l'Afrique possède à elle
ment dans le Nord ; Shaw y avait signa- seule plus d'un quart de la totalité des
le aussi le kumrah, produit hybride espèces : l'indri paraît, il est vrai,
16 L'UNIVERS.
spécial à Madagascar ; mais les gala- d'une manière encore plus frappante,
gos et les makis à longue queue sont Nulle part, au surplus, cette res-
nombreux dans toute la Nigritie. Entre semblance singulière ne pouvait pa-
les singes, le genre cynocéphale est raître aussi prodigieuse qu'en Afrique,
représenté par des espèces variées, car la nature y a réuni , comme une
presque toutes grandes, fortes et mé- nouvelle preuve de l'enchaînement inin-
chantes les
; guenons sont aussi fort terrompu detous les êtres , à côté de
multipliées : et dans le genre si remar- ce singe si voisin de l'homme, l'homme
quable des orangs, c'est l'Afrique qui le plus voisin du singe, ce bushman
nous offre la plus remarquable des es-
pèces ,ce curieux chimpansé dont les
abruti
sur le ,mêmegui , sol d'un, àautre côté,
travers une sesérie
lie,
bras sont moins longs, la taille plus de variétés intermédiaires, à celles qui
haute, l'intelligence moins étroite que sont regardées comme le type le plus
chez l'orang-outang de Bornéo, et parfait de l'espèce humaine.
qui se rapproche ainsi de l'homme
SECONDE SECTION.
DES PEUPLES AFRICAINS.
I.
ETHNOLOGIE AFRICAINE,
MULTIPLICITE DES RACES HUMAINES. chaque type et ne sauraient permuter
de l'un à l'autre.
A ces mots $ espèce humaine se On cherchera peut-être longtemps
rattache une grande question débattue encore dans les traditions bibliques des
parmi les adeptes des sciences natu- arguments contre la multiplicité origi-
rel es celle
: de savoir si l'homme cons- nelle des espèces dans le genre hu-
titue la
à fois un ordre, un genre et une main ;mais en invoquant , contre les
espèce uniques, conservant invaria- résultats des études scientifiques, un
bles tous les caractères fondamentaux témoignage présenté comme dogmati-
de l'ordre, du genre, de l'espèce, et ne que , on oublie trop que les textes al-
laissant percer de diversité que dans légués ne sont produits qu'à travers
ces caractères accessoires et accidentels une interprétation grammaticale qui
de forme et de couleur, que la science n'est point incontestée, et une exégèse
considère d'habitude comme les plus contestable encore : et d'ailleurs
diacritiques des simples variétéssignes ; ou le prophète s'écriant que la peau du
s'il faut l'admettre comme un genre nègre ne peut changer de couleur, pas
subdivisé en plusieurs espèces distin- plus que celle de la panthère ne peut
guées entre elles par des caractères cesser d'être mouchetée (*), n'apporte-
tranchés, constants, ineffaçables : en t-il point un argument de même valeur
d'autres termes, si l'Européen, le Mon- à l'hypothèse contraire ? Loin d'ad-
gol et le Nègre , qui offrent les trois mettre que la Genèse ait voulu faire
types les plus divergents, peuvent être descendre de l'unique Noé toutes les
ramenés à une souche commune, ou ramifications de la grande famille hu-
s'ils ont chacun des caractères spé- maine, nous soutiendrions volontiers
ciaux ,entre lesquels des croisements
à divers degrés peuvent, il est vrai, la thèse que l'écrivain génésiaque n'a
voulu désigner que les trois grands
avoir produit des variétés nombreu-
ses, mais qui sont fondamentaux pour (*) Jércmie, xiii, 23.
A.FÉ ngUE AN^IE N N E

/„,..:, n, ./, ,■
HISTOIRE DE L'AFRIQUE. 17
rameaux de la race blanche, individua- variétés, les nombreuses espèces de
lisés pour nous dans les trois types Bory de Saint-Vincent, et celles qu'il
grec, égyptien, et syriaque, dont les faut ajouter à son incomplète nomen-
traditions respectives ont conservé à clature. Sans nous détenir à montrer
travers les siècles, comme un témoi- comment le zoologiste anglais , s'éle-
gnage indélébile de la véracité de Moï- vant sur les idées de Mac-Leay, établit
se, les noms de Japet, de Hham et de dans toute section naturelle du règne
Schêm ; mais sans aborder digression- animal une subdivision tripartite pré-
nellement une question aussi vaste , sentant un type, un sous-type, et un
hâtons-nous de dire qu'à nos yeux les groupe aberrant ou moins développé,
textes bibliques sont fort désintéres- composé à son tour de trois groupes
sés dans les doutes que soulève celle secondaires dont un principal et deux
de l'unité ou de la multiplicité des subordonnés, nous supposerons de
espèces dans le genre humain. prime abordestque l'espèce blanche du
ou
A ne considérer cette dernière ques- caucasique le type fondamental
tion que sous un aspect purement genre humain , l'espèce jaune ou mon-
scientifique , on ne tarde point à re- golique le sous-type, et l'espèce éthio-
connaître que la controverse roule en pique le groupe aberrant, formé des
majeure partie sur l'acception réelle trois sous-espèces nègre , américaine
des mots espèce, variété; et l'on peut et malaie, dont la première se lie à
considérer que si, d'un autre côté, les l'espèce blanche par la sous-espèce amé-
partisans de l'unité d'espèce restent en ricaine ou rouge, et à l'espèce jaune
deçà des concessions qui semblent in- par la sous-espèce malaie ou brune.
dispensables, leurs antagonistes vont Poursuivant l'application de la même
sans doute beaucoup au delà en ad- méthode,
mettant autant d'espèces qu'ils ont che en troison variétés
peut classer l'espèce blan-
qui seraient ainsi
reconnu de types plus ou moins tran- échelonnées, savoir : la variété japé-
chés, bien que les cadres les plus lar- tique ou indo-germanique constituant
ges qu'ils aient tracés ne comprennent le groupe normal , la variété schêmi-
point encore, tant s'en faut, tous les tique ou syro-arabe offrant le sous-
types différents que présente l'Afrique. type, et la variété hhamitique ou phé-
GRANDES DIVISIONS DU GENRE nico- égyptienne formant le groupe
HUMAIN. aberrant, dans lequel il faudrait pro-
bablement compter comme sous -va-
Nous ne saurions prétendre établir riétés les Messrytes, les Kouschytes et
ici une nouvelle classification du genre les Kananéens, ces derniers servant
humain ; mais il nous importe du de lien avec la variété japétique, et les
moins d'indiquer en gros quelle place Kouschytes se rapprochant davantage
occupent les types africains dans le de la variété schêmitique.
vaste tableau des populations du glo- Les races blanches africaines repré-
be. Sans nous restreindre aux trois sentent, autant à raison de leurs gé-
variétés de Link et de Cuvier, ou aux néalogies traditionnelles que par la
cinq variétés deBlumenbach, ni même persistance des caractères physiques ,
aux deux espèces de Virey, sans débor- toutes ces grandes sections de l'espèce
der non plus jusqu'aux onze espèces blanche, dont la coordination présen-
de Desmoulins ou aux quinze espèces tait dès lors ici un intérêt direct et
de Bory de Saint-Vincent, nous pren- immédiat.
drons comme un mezzo termine com-
L'espèce jaune, sans être complète-
mode les trois divisions principales et ment désintéressée dans l'ethnologie
deux divisions subordonnées dans la africaine, ne laisse toutefois aperce-
coordination desquelles Swainson a voir qu'une liaison éloignée, immémo-
concilié les classifications de Cuvier et
riale, et dont la trace n'est pourtant
de Blumenbach : dans ces grandes pas entièrement perdue, entre le Cop-
coupes viennent se ranger , à titre de te, héritier dégénéré de l'antique peu-
2e Livraison. (Hist. dr l'Afrique.)
18 L'UNIVERS.

pie d'Egypte , et le Chinois , variété 2° Les races arabes répandues sur


sous-type dans l'espèce mongole , où les côtes orientales jusqu'à Sofalah et
le groupe aberrant paraît formé par Madagascar, dans toute l'Egypte , sur
les sous-varietés hyperboréennes. la lisière boréale le long de la Médi-
Quant à l'espèce éthiopique, la sous- terranée, sur le littoral atlantique jus-
espèce nègre, qui en constitue le type qu'au Sénégal, et étendues à une assez
normal , appartient essentiellement à grande profondeur dans le désert ,
dont elles occupent encore les parties
l'Afrique;
un mais rationnel
classement pour coordonner dans
les variétés austro-orientales.
dé celle-ci, il serait indispensable de 3° La race copte, au teint jaune
réunir des notions beaucoup plus éten- foncé, au nez court et droit, aux gros-
ses lèvres, au visage bouffi, qui tend
dues et plus précises que nous n'en
possédons encore sur les populations à s'effacer chaque jour davantage du
susceptibles de figurer dans ce cadre : sol de l'Egypte, et qui semble, ainsi
ce n'est donc qu'à titre d'hypothèse que nous l'avonsdedéjà
server latrace remarqué,
1 ancienne con-
infusion
' aventurée et conjecturale que nous dé-
signerions leNègre africain propre- d'un élément mongol ou chinois.
ment dit comme variété type, le Papou 4° Les races kouschytes , au teint
de l'Océanie comme sous-type , et que nigrescent, au nez presque aquilin , à
nous placerions dans le groupe aber- la bouche moyenne, au visage ovale,
rant le Hottentot, le Kafre et l'Ai- qui peuplent l'Abyssinie et une partie
fourous. Puis, dans la variété nègre du littoral de la mer Rou^e sous les
proprement noms de Hhabeschvn, Danâqyl, Scho-
méconnaître dite, que desil est impossible"sont
subdivisions de hou, Ababdeh ; la plupart de ces na-
commandées par des différences frap- tions, sinon toutes, se dénommant
pantes entre les belles races du Nord elles-mêmes aga'zyàn , ou pasteurs.
et celles qui vers le Sud se rappro- Peut-être divers éléments asiatiques et
chent pu Hottentot par les formes cor- africains s'y sont-ils fondus dans des
porelles; mais les indications éparses proportions diverses ; les traces d'une
et incomplètes qui laissent apercevoir infiltration nègre sont aisément sai-
ces diversités tranchées ne suffisent sissables, et, d'un autre côté, le noyau
point à en esquisser la distribution semble offrir une grande analogie avec
synthétique : la détermination des ty- les castes inférieures de l'Inde. Quoi
pes ,la recherche des éléments géné- qu'il en soit de l'origine indigène ou
rateurs des populations hybrides, sou- étrangère de ces peuples, toujours est-
difficultés. lèvent à chaque pas d'inextricables il que l'Afrique seule les possède au-
jourd'hui; quelques rameaux détachés
s'en retrouvent sur la côte de Zan-
CLASSIFICATION DES RACES AFRI- guebar et parmi les populations ber-
CAINES. bères.
5° Celles-ci forment l'un des groupes
Quoi qu'il en soit de ces essais de les plus remarquables du continent, où
classification , les races africaines qui elles occupent les régions montagneu-
doivent trouver leur place dans ce ta- ses du Nord , et les parties centrales
bleau d'ensemble peuvent être énu- du Ssahhrâ , depuis l'Egypte jusqu'à
mérëes en gros dans l'ordre suivant , l'océan Atlantique et aux Canaries, et
corrélatif à la disposition systématique
des groupes naturels , eu égard aux depuis la Méditerranée jusqu'à Ten-
Boktoue et Kasynah , peut-être même
affinités les plus marquées :
jusqu'au
dénominationsdelà dudiverses
lac Tchad , sous les
de Schelouhh,
1° Lesdesraces
formé européennes
colonies , qui ont
disséminées sur Berêber, Qabàvl, ïouârek, Sourqà et
toute la périphérie et dans les îles, y autres, que leur donnent leurs voisins
compris la race turke,clair-semée dans arabes ou nègres, et sous l'appellation
les pays de la côte septentrionale.
générale de Amazygh, c'est-à-dire
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
races qui forment cette division eth-
nobles, ou de Amazerqt, c'est-à-dire nographique ainsi
: le Ouolof, le plus
libres, qu'ils se donnent eux-mêmes : noir de tous les nègres, est celui dont
réunion d'éléments fort divers, les
le nez est le moins épaté, les lèvres les
uns blancs, d'autres hâlés, la plupart
olivâtres, quelques-uns presque noirs; moins grosses ; le Moutchicongo , au
un front étroit, une' figure ovale, des contraire, dont le teint est beaucoup
traits arrondis , des yeux foncés et moins foncé, a le nez presque plat,
cruels, des cheveux noirs et rudes des lèvres énormes, et la femme pos-
semblent, avec le teint olivâtre, carac- sède ,dans de moindres proportions ,
tériser, au milieu de cette aggloméra- le tablier et les grosses fesses de la
tion confuse, une sourhe primordiale, Hottentote; entre ces types extrêmes,
que les traditions désignent comme l'Aschanty, le Manding, l'Arada , 1*1-
kana'néenne, mais qui, d'une part, bo , le Monjou , le Makoua , offrent
s'est nourrie d'une sève dérobée aux une série de types intermédiaires.
races nègres, et sur laquelle, d'autre brunâtre 8° Les races hottentotes , à peau
part, sont venus s'enter de puissants comme la suie, au nez entiè-
rameaux japétiques. rement épaté, aux lèvres grosses et
6° Du milieu des races nègres se avancées, aux pommettes saillantes,
détache une population metive, à cou- au visage triangulaire profilant celui
leur tannée ou cuivreuse, au nez sail- du singe, habitent l'extrémité sud-ouest
lant, àla bouche moyenne, au visage de l'Afrique; chez la femme, un trait
ovale, qui se compte elle-même parmi remarquable est le développement des
les races blanches, et se dit issue de nymphes qui couvre les parties géni-
pères arabes unis à des femmes tau- tales d'une sorte de tablier naturel ,
roudes. Sous les noms de Foulahs , et celui des fesses, dont l'énorme sail-
Fellânys, Fellâtahs, ou plutôt sous lie semble destinée à supporter l'en-
celui de Peuls, qu'ils se donnent eux- fant pendant l'allaitement.
mêmes, ces peuples occupent une zone 9° Les races kafres, au teint gris
large et onduleuse depuis les rives du noirâtre ou plombé, au nez arqué,
Sénégal jusqu'aux montagnes du Man- aux grosses lèvres, aux pommettes
dharah, et peut-être beaucoup plus saillantes, occupent, au noro est des
loin ; leur chevelure crépue et même Hottentots, une vaste portion de l'A-
laineuse, quoique longue, justifie leur frique orientale , ainsi que la pointe
classement parmi les populations ou- sud de Madagascar ; il semble qu'avec
lotriques; mais ni les traits du visage, elles doivent être classés les Gallas,
ni la couleur de la peau, qui leur a qui , depuis Melinde , se sont avancés
valu de la part des voyageurs la dé- jusqu'au cœur de l'Abyssinie.
nomination dePeuls rouges , ne per- 10° Enfin la race malaxe a répandu
mettent de les confondre avec les quelques colonies sur la plage afri-
nègres, quelque intime que soit d'ail- caine, puisqu'elle a peuplé les rivages
leurs, sur la lisière commune, la fu- orientaux de Madagascar ; d'ingénieux
sion des deux types. rapprochements voudraient même en
7° Les races nègres proprement di- signaler des traces jusque dans le cen-
tes, à peau noire plus ou moins fon- tre de la Nigritie.
cée , au nez généralement épaté , aux Il est à peine besoin de dire que sur
lèvres grosses et saillantes, au visage la limite mutuelle des cantonnements
court , aux cheveux laineux , sont ré- géographiques respectifs, les races que
pandues sur la majeure partie du sol nousmoinsvenonsfondues d'énumérer se sont
africain , depuis le Sénégal et le haut ou les unes dans plus
les
Nil jusqu'au delà du tropique austral. autres, et que leurs démarcations pré-
Les caractères spécifiques sont diver- cises ne sont pas toujours faciles à
sement combinés chez les différentes discerner. 2.
20 L'UNIVERS.

LINGUISTIQUE §11. AFRICAINE»


CONSIDERATIONS GENERALES SUR LES
Un phénomène qu'il importe de ne
INDICATIONS LINGUISTIQUES. pas perdre de vue dans cette étude
diacritique, c'est que la similitude de
Telle est l'ébauche grossière à la- langage
tantôt bornée n'est àsouvent que communes
des racines partielle ,
quelle nous devons borner, quant à
présent, nos essais de distribution eth- modifiées et construites suivant des
nographique des races africaines sous analogies et des syntaxes différentes,
le point de vue de leur constitution tantôt restreinte à l'unité de syntaxe
physique : l'état incomplet de nos et d'analogie grammaticale appliquées
connaissances actuelles à cet égard ne à des radicaux divers. L'affinité, en
permet point de tenter une esquisse ce dernier cas, est moins apparente ,
moins imparfaite ; mais les données mais plus intime, et l'on peut dire
linguistiques, bien que fort incomplè- qu'elle constate , sinon la parenté des
tes aussi , peuvent utilement concou- idiomes, du moins celle des popula-
rir àune classification méthodique de tions qui les parlent ; dans le premier
ces peuples, au moyen des échantil- cas, au contraire, l'affinité est plus
lons de langage recueillis en grand apparente que réelle, et s'applique aux
nombre, et dont les connexités ou les
langues
Souvent bien , en plutôt
effet , qu'aux hommes.
les peuples sont
différences mutuelles sont plus fa-
ciles àsaisir; mais il faut se garder forcés d'apprendre des langues étran-
d'une erreur trop commune aux lin- gères, au gré des réunions ou des
guistes, celle de considérer sans res- morcellements
triction comme ethnographiques les sent; mais, en politiques
général, lequ'ils subis-
vocabulaire
rapprochements ou les divisions fondées de la langue maternelle est alors seul
sur de tels indices. On ne doit point changé, et la grammaire native con-
oublier que bien souvent un même serve le privilège de façonner à ses
langage est parlé par des races fort di- idiotismes les éléments nouveaux qui
verses ,et que souvent aussi des ra- lui sontmairesimposés.
est donc la L'étude
meilleure des
clefgram-
dont
meaux d'une même souche ont appris
des langues distinctes. Ainsi parmi les la linguistique comparée se puisse ai-
lkrbers sont cantonnés quelques peu- der pour l'éclaircissement des origi-
plades noires évidemment hétérogè- nes ethnologiques; malheureusement
cette étude est difficile, souvent même
nes, et qui n'ont pourtant d'autre
idiome que le berber, tandis que, d'un impossible faute de matériaux suffi-
autre côté, ces mêmes peuplades, rap- sants; et réduits que nous sommes à
prochées des Abyssins par tous leurs de minces et imparfaits vocabulaires,
caractères physiques, en demeurent quelquefois même à de simples indi-
complètement séparées par le langa- ces, nous ne pouvons aspirer à des
ge. Mais il est aisé de concevoir que résultats exempts d'incertitudes.
les dissidences linguistiques entre des CLASSIFICATION ARTIFICIELLE DES
peuples limitrophes ou mutuellement LANGUES AFRICAINES.
enclavés révèlent, dans la plupart des
cas, une différence réelle d'origine, et Quoi qu'il en soit, et sans avoir la
que réciproquement les similitudes de prétention de donner ici, des idiomes
langage entre des peuples séparés par africains , ni un inventaire complet ,
de grandes distances , supposent une ni même une liste fort étendue, nous
communauté antérieure , sinon tou- les distribuerons en deux catégories :
et de jours d'origine, au moins d'habitation
nationalité. l'une composée des langues que nous
appellerions volontiers cohésives, pour
21
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
marquer l'espèce de lien qu'elles for- de l'Atlas, qui naguère parlait aussi
ment entre tous les éléments d'une le berber, oublié aujourd'hui pour l'a-
même race ou des éléments juxtaposés rabe, et chez lequel ou retrouverait
de races diverses; l'autre, des langues peut-être encore, à travers l'arabe et
qu'il faudrait , au contraire , appeler le berber, les vestiges d'une grammaire
antérieure.
diacritiques, à raison des séparations
qu'elles déterminent entre des éléments Dans un voisinage immédiat, et sur
une étendue non moiris vaste , divers
qui, au moins dans l'état imparfait de dialectes, philologiquement rattachés
nos connaissances ethnographiques ,
sont vulgairement considérés comme à la souche araméenne, réunissent en
homogènes. Il n'est pas besoin d'ajou- un seul groupe tous les éléments de
ter qu'un tel classement n'a rien de race sémitique répandus sur le sol afri-
sérieux, et qu'il indique simplement cain ,puis à ceux-ci presque tout ce
le point de vue d'utilité actuelle sous qui subsiste encore de la race copte ,
lequel nous envisageons momentané- puis encore les seuls restes intacts de
ment le catalogue général des langues la race kouschyte, et avec ces derniers
africaines. quelques débris étrangers que la jux-
LANGUES AFRICAINES CONSIDÉRÉES taposition oul'enclavement a ramenés
SOUS UN POINT DE VUE COHÉSIF.
à la communauté de langage. Et si
l'on tranche la séparation des deux
estL'espèce
utile de deconsidérer fonction dans
cohésive qu'il
les unes dialectes principaux, l'arabe d'une part
avec toutes ses variétés, et, d'autre
est particulièrement frappante dans la part, le g'ez et ses annexes, il faudra
langue berbère ou amazygh , qui réu- tenir compte, dans la division arabe,
nit en un seul faisceau, ramène à une indépendamment de la fusion des deux
souche unique de nombreux rameaux familles qahhthanyte et ismaylyte , de
dispersés sur une immense étendue : l'immixtion à celles-ci des Coptes, de
ses dialectes sont parlés dans toutes quelques débris des Hébreux pales-
les ramifications de l'Atlas, dans toute tins, et d'autres éléments moins dis-
la ligne d'oases qui s'étend , derrière tincts peut-être
: les KaldéoNabathéens
ces montagnes, depuis El-Ouahh el- nous sont-ils révélés par les formes
Bahharyeh confinant à l'Egypte, jus- syriaques qu'affectent tant de noms
qu'au Ouâdv Dara'h qui s'approche de propres de la topographie africaine. Il
l'Atlantique, et dans toute cette vaste faudra reconnaître aussi dans la divi-
partie du Ssahhrâ comprise entre Soq- sion kouschyte l'intromission de quel-
nâ et Geny , entre Touât et Bornou ; ques rameaux hhomayrytes , que leur
montrant la parenté intime de l'habi- peau blanche signale encore sur les
tant de Syouah avec le Schelahh de montagnes de Samen et d'Énarya, et
Marok, même avec l'ancien Guanche que l'on a identifiés aventureusement,
des Canaries, et celle du Qahâyly d'Al- sur la foi de leur culte, à des juifs de
ger avec le Sourqû des bords du Niger ; Palestine, ou, d'après le nom de leur
réunissant aussi avec eux des débris province, aux Schamyyn ou Syriens
des races blanches du Nord, recon- de Damas.
naissables encore à leur tête carrée, En continuant d'envisager les indica-
leurs cheveux blonds et leurs yeux tions linguistiques sous le même point
bleus; et des rameaux égarés de la race de vue d'assimilation ethnologique,
kouschyte, tels que les Èrouâghah, en- nous rattacherions à la race copte les
core noirs au milieu des blancs, encore peuples qui habitent, au sud du golfe
doux et bons au milieu de peuples fa- de Qabes , les montagnes de Mathmâ-
rouches et cruels ; et d'autres élé- thah et de PïaouayT, et dont le langa-
ments que signalent des différences
ge, au rapport d'un voyageur magh-
physiques tranchées, mais qu'on ne rébin assez récent, n'est ni berber, ni
sait à quel type rapporter , tels que le turk, ni arabe, mais copte.
Beskery aux traits heurtés, Auvergnat De même, la langue peule ou fel-
22 L'UNIVERS.
lâne a fait reconnaître , avant que les la langue Eyo pour une autre partie
non moins considérable.
caractères physiques l'eussent confir-
mée ,l'homogénéité des tribus qui Dans l'est, divers groupes sont for-
habitent, dans l'ouest, le Toro, leFou- més d'après les analogies et les répul-
ta, le Bondou , le Rassou , le Fouta- sions respectives des langues nubien-
Gjalon, le Sangaran, le Fouladou, le nes , qui classent ensemble les Nubes
Brouko, le Massina, avec les Fella- ou Dongolais et les Qenouz ou Barâ-
tahs dont le puissant empire presse le bras à part des Tibbous de l'ouest et
Bornou par l'ouest et le sud , et en- des Ababdehs et Bischaryyn leurs voi-
voie des colonies vers les bords infé- sins àl'orient : ceux-ci réunis à leur
rieurs du Niger. tour distinctement desSchohou, De-
Et pareillement le Malai de Mada- nâqyl et Adayel , lesquels sont eux-
gascar est rattaché par son idiome mêmes rapprochés des Gallas et des
aussi bien que par sa physionomie na-
tive, à la grande famille malaie de Sçoumâl.
l'Océanie. 'La langue bounda ou mogialoua, et
la langue bomba, déterminent pareil-
LANGUES AFRICAINES CONSIDEREES
lement, entre des populations limi-
trophes, une division tranchée en deux
SOUS UN POINT DE VUE DIACRI-
groupes, dont l'un renferme, avec les
TIQUE. peuples du Congo, une quantité de
nations successivement voisines, dont
Si nous considérons, au contraire, les plus remarquables sont les Cassan-
les idiomes africains sous le rapport
des indications diacritiques qui résul- ges et les Molouas, tandis que l'autre
s'étend au nord , comprenant les peu-
tent de leur examen comparatif, ils ples de Ho, ceux de Sala ou Anzico,
viendront en aide à notre ignorance et les Ninéanay , sujets du Mouéné
fiour tracer , à, défaut d'autres Émougy. Plus loin, sur la côte orien-
a distribution en diverses racesbases
, de, tale, on ne connaît encore, parmi les
tant de peuples différents que nous
peuples
consanguinité qu'on dey langage a aperçus
qui ,permette
aucune
confondons vulgairement sous l'appel-
lation commune de nègres, qu'ils soient de les grouper par agglomérations con-
noirs de jais comme le Ouolof, oli- génères mais
; , dans la région austra-
vâtres comme le Sçoumaly, ou mar- le ,les peuplades hottentotes et les
rons comme le Nube ; mais ces langues tribus kafres sont respectivement reu-
n'en conservent pas moins simultané- nies et distinguées par deux systèmes
ment un caractère cohésif à l'égard spéciaux de langages.
des fractions éparses qu'elles rallient. Autour des diverses familles que
Ainsi l'idiome manding sépare d'entre nous avons indiquées, quelquefois mê-
la masse confuse de l'espèce nègre une me dans leur sein, des idiomes dissi-
population nombreuse et puissante, dents, parqués en quelques cantons iso-
qu'il réunit en un seul groupe, bien lés ,témoignent encore de l'ancienne
qu'elle constitue, sous les noms de existence de peuples qui se sont fon-
Mandings, de Sousous, de Bambar- dus ou effacés dans des nations con-
ras, de Kong, et autres encore, plu- quérantes :tels sont le sérère au mi-
sieurs nations politiquement séparées. lieu du ouolof, le feloup, le banyon
La langue ouolofe détermine de mê- à côté du manding , le kissour à côté
me, diacritiquement et cohésivement du peul , le bouroum au sein de
à la fois, le groupe des peuples de l'aschanty, et mille autres. Nous ne
Ouâlo, Gjolof, Kayor, Baol , Sin et parlons point du turk, dominateur pré-
Saloum. Il en faut dire autant de la caire sur la côte septentrionale, ni des
langue aschanty , pour une grande langues apportées par les colons euro-
partie des peuples du Ouanqârah , au- péens, et qui demeurent confinées avec
tant de la langue aradah pour une au- eux dans leurs établissements.
tre grande partie, et autant encore de
23
HISTOIRE DE L'AFRIQUE
ÉCRITURES AFRICAINES. cien alphabet , relégué au jourd'hui dans
des livres qu'ils ne lisent plus. Les
Les monuments lapidaires épars Abyssins ont gardé leurs vieux carac-
dans le nord de l'Afrique nous ont tères éthiopiens , moins vieux peut-
transmis, outre les alphabets des do- être que ne l'admet l'opinion com-
minateurs phéniciens , grecs et ro- mune; certaines tribus gallas les leur
mains, le triple alphabet des Égyp- ont empruntés en les modifiant à leur
tiens ,ingénieusement déchiffré par guise (*); quelques juifs barbaresques
l'heureux effort de l'érudition moder- griffonnent encore l'écriture chaldaï-
ne (*) ; ils nous ont aussi révélé un que. Partout ailleurs l'alphabet arabe,
alphabet de caractères inconnus , ac- natif chez les uns , importé chez les
colés àdes inscriptions puniques , et autres, réservé aux docteurs chez quel-
qu'il semble plausible d'attribuer aux ques peuples nègres, tout à fait incon-
peuples berbers (**) , bien qu'ils les nu au delà d'une certaine limite, est
aient oubliés pour l'écriture arabe, àparpeulesprès le seul indigènes.
employé aujourd'hui
comme ont fait les Coptes de leur an- Africains

§ III.
ÉTAT SOCIAL DES PEUPLES AFRICAINS
Naissante chez les uns, caduque chez Palestine, mais aussi chez les Hho-
les autres, la civilisation est en géné- mayrytes sécution
chassés d'Arabie par la per-
ral médiocre parmi les peuples afri- musulmane; Vislamisme est
cains les plus avancés sous ce rap- la religion la plus répandue, mais pro-
port, et elle est absolument négative fessée sans ferveur, et n'opérant dès
chez les nations qui occupent les der- lors qu'un bien faible progrès dans la
niers degrés de l'échelle. mesure déjà si restreinte de son uti-
lité sociale, tout en fomentant l'into-
RELIGIONS DE L'AFRIQUE. lérance etle fanatisme de ses grossiers
Le principe le plus actif du mouve- sectateurs ; le sahéisme , qui se trou-
ment intellectuel , la croyance reli- vait jadis parmi quelques tribus de
gieuse, n'a acquis nulle part ce degré l'Atlas , et qui se retrouverait peut-
être encore dans certains cantons re-
d'épuration qui seul peut témoigner de
l'accomplissement de sa mission civi- culés de l'Abyssinie , compte aussi
lisatricle
e : christianisme grossier des quelques adhérents à Mozambique ;
Coptes et des Abyssins, celui que le mais c'est surtout le fétichisme le plus
zèle des missionnaires évangéliques grossier qui constitue le culte ou plu-
tente d'implanter chez les Kafres, les tôt la multitude de cultes entre les-
Hottentots et les Nègres , n'est pour quels se partagent la plupart des
les uns et les autres qu'un culte sans peuples d'Afrique, et ce rudiment lui-
intelligence des préceptes, et par con- même ne s'est point, dit-on, encore
séquent inerte; te judaïsme est tra- fait jour à travers la stupide anima-
ditionnellement conservé non -seule- lité de quelques tribus , ou du moins
ment chez les Hébreux réfugiés de la
la sagacité des voyageurs n'a-1-elle su
(*) Le nom de Champollion est trop po-
découvrir chez ces sauvages l'indice
pulaire pour que nous ayons besoin de le d'aucune idée religieuse.
rappeler ici. (*) Le seul échantillon qu'on possède main-
(**) M. de Saulcy, membre de l'Institut, tenant en Europe de l'écriture galla, est
a déchiffré la plus étendue de ces inscrip- une lettre du roi d'Enâria à un prince abys-
tions, et nous avons reconnu des formes
sin , envoyée par M. Arnaud d'Abbadie à
berbères dans les noms propres qu'il y a M. Reinaud, de l'Institut, et publiée dans
le Bulletin de la Société de géographie.
24 L'UNIVERS.

Chrétien ou juif, musulman , sa- actif, et l'usage naissant d'une écri-


béen, ou idolâtre , l'Africain est poly- ture importée. Mais cette industrie est
game ,sans acception de culte , parce fort médiocre , même dans les États
que la nature l'a ainsi voulu en gros- les mieux policés, et ne peut guère four-
sissant laproportion des femmes , et nir, qu'aux besoins locaux ; aussi le
en n'accordant à celles-ci qu'une courte commerce est-il presque exclusivement
fécondité en regard d'une faculté proli- borné à l'exportation des produits na-
turels, entre lesquels les plus notables
fique longtemps
me :tant persistante
il est vrai mœursl'hom-
que les chez des sont l'or, l'ivoire, les cuirs, la cire,
peuples ont, au-dessus de la sphère la gomme. Quant à la zone septen-
des volontés individuelles, des causes trionale, l'exemple de l'Europe y a
primordiales auxquelles il leur faut façonné les peuples du littoral à cer-
obéir , en dépit des règles qui parais- tains arts; et sous la volonté forte de
sent les meilleures à notre prétendue l'homme supérieur qui commande à
sagesse européenne. l'Egypte,
rabe et le legénie
Turk eteuropéen le Copte instruit l'A-
à enfanter
ÉCHELLE DE LÀ CIVILISATION AFRI-
CAINE.
des prodiges : des ports, des flottes,
des arsenaux , des hôpitaux , des éco-
Dans la carrière ascendante que re- les, une administration régulière, et
monte péniblement l'humanité, pour jusqu'à des victoires , l'Egypte les doit
arriver de l'état sauvage à l'état de ci- aux enseignements de la France. Et
vilisation perfectionnée dont nous nous la France, en s'asseyant à Alger, ne
proclamons orgueilleusement le type, promet -elle point la civilisation de
il semble qu'arrivés au but et regar- toute la côte barbaresque ? Qu'elle
dant en arrière nous voyions descen- plante en maîtresse son drapeau sur
dre du nord au sud , depuis les bords
l'Atlas, que ses garnisons habilement
de la Méditerranée échelonnées soient autant de digues
australe du continentjusqu'à la pointe
africain, cette inébranlables, et le flot indompté dont
longue échelle dont le pied est occupé la vaine fureur se briserait contre leur
par le Bosjesman ou Hottentot des immobile résistance, viendra glisser
taillis, que les voyageurs nous repré- autour d'elles en ondes amollies.
sentent comme si voisin de la brute.
Nulle part, cependant, il ne se trouve ORGANISATION POLITIQUE.
isolé, et sauf quelques exceptions ré- L'organisation politique des États
trogrades qu'expliquent des guerres et des nations africaines est naturelle-
d'extermination et la plus profonde ment assortie au degré d'avancement
misère, le Hottentot est généralement social qu'elle
arrivé à l'état de tribu, et la sociabi- triarcale chezest appeléenomades,
les tribus à régir : elle
pa-
lité est flagrante parmi toutes ces peu- passe généralement à la monarchie
plades, puisqu'il existe entre elles un chez les nations à demeures fixes ; il
système uniforme de langage, quelque est cependant quelques peuplades où
étrange que soit d'ailleurs ce langage dominent les formes républicaines. La
par ses gloussements et ses claque- royauté élective et temporaire , ou la
ments de langue. Une apathie stupide présidence si l'on aime mieux ce mot,
est le partage de ces misérables hor- est décernée dans un congrès en cer-
des, dont les plus avancées ont seule- tains pays , tels que le Foutah. Une
ment quelques troupeaux. Les Kafres,
pasteurs, chasseurs et guerriers, ont sorte de féodalité , constituée par l'hé-
rédité des grandes charges et des com-
sur elles une supériorité marquée. Les mandements provinciaux, existe en
peuples nègres , généralement agrico- d'autres contrées , telles que les États
les et constitués en nations territo- ouolofs, et peut-être chez les Molouas.
riales, s'élèvent graduellement jusqu'à Le despotisme absolu paraît, du reste,
une demi-civilisation caractérisée par le régime le plus fréquent , et c'est lui
quelque industrie, un commerce assez qu'on retrouve chez les nations les
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
souveraine est exercée sous les titres
plus avancées ; au point où sont arri-
vées les populations africaines, le pro- reconnaître
les plus diversau , milieu
et l'on dea peine
toutes à ces
se
grès ne s'accomplit d'ordinaire que dénominations de konk, inkousi, ki-
sous l'irrésistible impulsion d'une vo- téva, mani, mouata, mouéné, makoko,
lonté de fer; plus tard les peuples
marchent d'eux-mêmes : mais l'Afri- mansa , bour, damel , téyn , brak, al-
que est bien loin encore de voir poin- mamy, saltiqé, dâ, mây', négous, ras,
dre l'aurore d'un tel jour. L'autorité . paschâ, solthân, et bien d'autres.

HISTOIRE §
DE
iv. L'AFRIQUE,
TRADITIONS FABULEUSES , HYPO- les auteurs anciens tous les vestiges
THESES CONJECTURALES. des vieilles traditions sur les premiers
Est-il une histoire générale de ces âges
surtoutdesà terresécouter d'occident , dociles
les enseignements
contrées, et des peuples qui y sont ré- écrits sur le sol par les révolutions
pandus? Où la trouver? La faut-il
demander à de vagues et menteuses physiques qui l'ont tourmenté, nous
traditions, ou bien à de conjecturales pourrions tenter de reconstruire l'his-
hypothèses ? toire de ces temps effacés où l'Espagne
tenait à l'Afrique pendant que la Mé-
Les mythes grecs nous parlent d'At- diterranée communiquait à l'Océan
las, ce poétique géant des vieux âges,
qui de ses épaules rocheuses soutenait par une autre route , encore reconnais-
sable au nord des Pyrénées, dans les
la voûte vers laquelle l'entassement de landes et les lagunes de la Gascogne
Pélion et d'Ossa n'avait offert aux et du Languedoc; la mer Atlantique
Titans qu'un insuffisant marchepied ; alors couvrait le Ssahhrâ , et de ses
il était fils de Neptune et père de sept flots directs allait battre les rivages
Atlantides, dont l'aînée fut mère de méridionaux de la péninsule arabique,
Mercure : n'est-ce pas simplement une où Strabon et Diodore lui conservent le
tradition des temps primitifs dont nos
nom ô'sJtlantikon pelagos (* ), en même
langues prosaïques offriront une ver-
temps qu'Hérodote affirme son identité
sion fidèle en traduisant qu'Atlas avait avec la mer Erythrée (**), imbus qu'ils
émergé des eaux, qu'il dominait sept étaient d'antiques souvenirs. A cette
îles plus petites formées des culmi-
époque sans doute l'Afrique donnait
nances de ses rameaux, et qu'en la à l'Espagne ses premiers habitants,
principale
che commerce?d'elles Platon
prit naissance un ri-
a mis dans la qu'Hérodote avait entendu appeler
Kynètes, et dont Ptolémée aussi bien
bouche d'un prêtre égyptien de Sais que Tacite connurent plus tard la
l'histoire d'une grande terre atlantide, souche africaine, demeurée avec le
où Neptune procréa Atlas, et son ju- même nom au voisinage de la petite
meau Gadiron ou Cadiz, et bien Syrte; et quand cette dénomination
d'autres enfants, dont la puissance eut disparu de part et d'autre, Am-
s'étendit graduellement jusqu'auprès mien et Corippe nous montrèrent en-
de l'Egypte avant qu'un grand cata-
clysme vînt engloutir leur empire;
(*) 'H 'EvSacVwv £(tt!v I^'XP1 T0^
c'est une de ces lueurs vacillantes qui 'AxXavTiKoû %ekdyov<;.
percent
des siècles à grand'peine
oublies pourl'épaisse nuit
arriver jus-
Strabon, XVI (Comp. Diodore, III, 38).

(**) Kal tt] ëijco <jvr\léu>v 6à).aG-cra y] 'AfXav-


me qu'à
, denos jours d'orgueilleux
capricieuse scepticis-
incrédulité. Et Ttç xa},ea)|xevYi , xai i\ 'Epuôpri , (xta tuyjjdwet
èoOaa.
pourtant, soigneux à rassembler dans HÉRODOTE, I, 203.
L'UNIVERS.
core des Cantavriens sur le territoire
qui souvenirs
de persiste encore, du passé. n'a point recueilli
dépendant d'Alger, et des Austures
vers lasesTripolitaine, Les races australes, pour lesquelles
avait Cantabres etcomme l'Hispanie
ses Astures non
n'a point déjà lui l'aurore de la civi-
loin du fleuve Magrada , homonyme lisation, n'ont à raconter que leur
lui-même du Megerdah tunisien. propre naissance : encore est-ce de
D'autres, rêveurs érudits, ou phy- leurs tribus Jes moins sauvages que
siologistes ingénieux, au lieu de rede- Kolbe apprit la tradition de Noh et
mander l'histoire primitive des Afri- de sa femme Hingnoh, premier cou-
cains àdes traditions presque perdues, ple générateur, que Dieu introduisit
ont mieux aimé la chercher dans d'a- au monde par un soupirail; mais elles
ventureuses hypothèses, et leurs con- ne savent rien des déplacements terri-
jecturales narrations nous montrent toriaux qu'elles ont subis, et la no-
dans le nègre l'aîné de la création , menclature géographique du pays que
fils de la terre et du hasard , prenant les Kafres leur ont enlevé vient seule
naissance aux neigeuses montagnes de nous instruire des anciennes limites
la Lune, où trouva plus tard aussi son de la terre des Hottentots.
berceau l'homme qui depuis, descendu Les races centrales, beaucoup plus
dans le Sennâr, engendra l'Égyptien avancées, sont néanmoins trop jeunes
et l'Arabe et l'Atlante : la race nègre, encore pour avoir de vieux souvenirs :
longtemps plus nombreuse, soumit et leur histoire se borne à la mémoire de
domina d'abord la race blanche ; mais quelques migrations peu anciennes;
celle-ci, graduellement multipliée, se- migrations qui affectent en général un
couant le joug de ses maîtres, et mouvement vers l'ouest ou vers le
d'esclave devenant maîtresse à son sud, comme s'il existait au nord-est
tour, les condamna a porter désormais une puissance impulsive toujours la
ces tyranniques fers ont qu'elle venait même. Sans parler des prétendus peu-
briser; des siècles passé, et de
sa ples Jagas, que Bruce a voulu identi-
vieille colère n'est point encore apaisée. fier aux Aga'zyan de PAbyssinie, nous
voyons à l'ouest les peuples du Congo,
INDICES HISTORIQUES SUR L'ORIGI- que leurs traditions aussi bien que
NE, LES MIGRATIONS ET LES RÉ- leur langue rattachent aux Molouas
VOLUTIONS POLITIQUES DES PEU-
PLES NÈGRES. du nord-est, tandis qu'à l'orient, der-
rière les Arabes de la côte, incontes-
Ne nous arrêtons pas davantage à tablement venus du nord, nous sont
de tels récits, arbitraires imaginations indiqués des peuples maravis, dont
que l'histoire ne saurait adopter : le nom, offre ainsi laqueplus déjàintime
nous l'avons
c'est dans les traditions nationales, annoté, liaison
dans l'archéologie des langues et des avec celui de l'antique Méroé; et que
monuments, qu'il faut chercher les ce rapprochement onomastique ne sem-
vestiges des origines et des révolutions ble point une de ces coïncidences for-
africaines; et quand l'étude de la gé- tuites et sans portée, auxquelles un
néalogie des nations est impuissante esprit sage ne peut raisonnablement
à nous révéler leur berceau, force s'arrêter : car à une distance pareille du
nous est de les considérer comme abo- point de départ, mais cette fois dans
rigènes et autochthones , en dépit de la direction de l'ouest, la même coïn-
cette curiosité qui nous entraîne à re- cidence se reproduit, sous des formes
monter sans cesse l'échelle des siècles que l'orthographe anglaise a écrites
pour découvrir le commencement des Mallowa et Marroa , faciles à rétablir
choses. Il faut bien reconnaître que en Méraoueh ; et ici le nom est ac-
nul indice subsistant ne rappelle la compagné de traditions, que le sultan
venue en Afrique d'aucun des peuples Mohhammed-b-Ellah nous a trans-
oulotriques répandus sur la majeure mises dans ses annales de Takrour,
partie de ce continent ; et leur enfance, curieuse esquisse historique d'une
27
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
partie de l'Afrique centrale, où il qui remontent aux siècles les plus re-
culés. Avant les merveilleuses listes
assure que le Ghouber et le Mêly ont
été peuplés par des Coptes. Ce livre que Manéthon déroula aux yeux des
nous montre également, d'un côté le souverains de trente et grecs investis de
une dynasties l'héritage
antérieures,
Bornou recevant par l'est des Berbers
expulsés du Yémen, et par le nord-est une chronique plus ancienne, que le
des Touâreq d'Aougélah ; et d'un au- prêtre de Sebennyte comptait parmi
tre côté le Yaoury et le Ya'rbali tirant les sources historiques dont il fit usa-
leur population de tribus kana'néen- à lage , montrait
domination le pays soumis Aurites
des divins d'abord ,
nes chassées de l'Arabie.
Sans examiner si les Aschantys sont auxquels succédèrent les héros mes-
venus de l'Abyssinie, ainsi que le pen- tréens, remplacés à leur tour par des
sait Bowdich, toujours est-il qu'ils rois être decesraceAurites égyptienne(*).
divins ? Quels purent
Les Berbers
sont
commearrivés ont fait de aussi
l'intérieur
leurs àvoisins
la côte,
les
d'Aouryah ou deliaouarah les doivent-
Daoumans et les Yébous. Enfin, dans ils revendiquer ? Les vieux Hhorytes
la Sénégambie, les Mandings se disent de la Genèse, qui régnaient aux mon-
issus des Bambarras de l'est, les Peuls tagnes de Scha'yr, se trouvent-ils ici
des Fellâtahs; et les Ouolofs eux- en cause? Ou bien s'agit -il de ces
mêmes, moins nouveaux dans leurs géants enfants d'E'naq, race proba-
demeures actuelles, en ont jadis re- blement japétique, établie, à une épo-
foulé vers l'ouest et le sud les anciens que perdue dans la nuit des âges, sur
possesseurs sérères. i\lais à l'opposite le territoire palestin , d'où la vinrent
une race conquérante effectue sa mar- expulser les tribus kana'néennes , et
che du sud au nord , et les farouches qui , chassée encore d'Egypte et de
Gailas viennent ainsi déborder sur Libye, alla peupler la Grèce de ces
Inachides devenus ensuite si fameux
l'Abyssinie.
A côté de ces vagues indices des sous le nom de Pélasges? Les ques-
tions se pressent et se compliquent, les
migrations des peuples nègres, l'his-
toire doit enregistrer quelques notions conjectures s'entre-choquent à l'égard
éparses, acéphales et mutilées, des ré- de ces premiers temps du premier de
volutions politiques de leurs empires : tous les empires, et l'esprit demeure
il fut chez eux, en effet, quelques en suspens au milieu de ce monde
grandes monarchies , comme celles de d'hypothèses.
ÎVIotapa , de Congo , de Gjolof, de Ten- Les Mestréens nous sont moins incon-
Boktoue, nus :la géographie mosaïque nous les
est encore aujourd'hui dont la puissance écroulées; il en
séculaire représente sous l'appellation de Mess-
a persisté, comme celles de Bornou, rym , compris avec les Kouschytes et
de Ya'rbah, et autres moins connues; les Kana'néens parmi les descendants
enfin il en est aussi de nouvelles, de Hham ; et Sankhoniaton , d'ac-
comme Aschanty, que Say-ïoutou- cord avec ces généalogies , fait naître
Kouamynah a, de nos jours, rendue sur le sol phénicien leur ancêtre Messr,
redoutable même à des troupes euro- dont le nom s'est perpétué dans la
, Haousâ , fondée par O'ts- bouche des Arabes. C'est donc l'Asie
péen es et
man-Dzou-el-Nafadhyah, et portée à qui débordait sur l'Afrique. Un mou-
un haut degré de splendeur par son vement plus ou moins sensible du
fils Mohhammed-b-Ellah , l'hôte de nord-est au sud-ouest faisait refluer
Clapperton. Messr devant Kousch, et Kousch de-
ORIGINE ET HISTOIRE ANCIENNE DES vant Yeqthan , poussé lui-même par
ÉGYPTIENS. Ismaël ; mais tandis que les Messrytes
Les races africaines du nord ont arrivèrent naturellement par l'isthme
seules une histoire suivie, et l'Egypte (*) IIpwTov [xèv Ttov 'Aupirwv , Seuxepov 83
étale sur ses monuments des fastes
tc5v Meatpouwv, xpitov ôè 'Ai^j^tiwv.
28 L'UNIVERS.
de Souéys , la route des Kouschytes de Gétules. Parmi ces tribus se vinrent
dut être par le détroit de Mandeb ; et fondre et naturaliser de nombreuses
leur cantonnement dans les hautes colonies de Coptes , de Kouschytes ,
vallées du Nil refoula sans doute vers
d'Arabes Sabéens, d'Amaleqyteset de
le nord la race égyptienne ou copte, Palestins , distinguées encore au mi-
dont les ruines de Méroé, aussi bien lieu de la fusion commune par leurs
que les récits de Diodore, attestent traditions respectives, qui nous mon-
l'antique civilisation, descendue plus trent en particulier Ssenhêgah , Kctâ-
tard et si admirablement développée mah , Lamthah, Haouârah, Massmou-
sous le beau ciel de Thèbes et de Mem- dah , Léouâtah , comme issues des
phis. Sabéens du Yémen , Zénêtah comme
Quelle était cette race méroétique
sortie de la lignée de A'malêq, et d'au-
apparaissant alors au sein de l'Egyp- tres vulgairement dénommées Gja-
te? C'est un problème encore non ré- loutyah, comme représentant la pos-
térité de Goliat.
solu ,insoluble peut-être. Et pourtant
si, d'une part, les traits physiques Tels étaient les éléments qui cons-
des rejetons quitrahissent
ont persisté jusqu'à tituaient avec
, les Libyens , les deux
nous sur le sol en eux des races indiquées par Salluste comme
affinités mongoles, ne peut-on, d'au- formant la population primitive de
tre part, soupçonner une souche ber- l'Afrique septentrionale , alors que s'y
bère ou syrienne, quand plus tard , à
Syouah, colonie de Thèbes, Hérodote vinrent agréger les débris de l'armée
d'Hercule, refluant de lTbérie, savoir:
nous signale une population samien- d'un côté des Mèdes et des Arméniens,
ne, où nous ne saurions reconnaître dont le mélange avec les Libyens de
des Grecs de Samos, alors surtout qu'il l'ouest donna naissance à la race hy-
nous est permis d'y voir des Berbers bride des Maures; et d'un autre côté
ou des Syriens de Scham ? des Perses, tige sans doute des Pé-
Des invasions de nomades étrangers rorses et des Farousiens de la géogra-
et de conquérants éthiopiens avaient phie africaine, et qui, mêlés aux Li-
déjà interrompu plus d'une
cession des monarques fois laquand
indigènes suc- byens du l.ttoral, s'étendirent à l'est,
les victoires de Cambyse annexèrent sous le nom de Numides, jusqu'auprès
de l'endroit où des colons phéniciens
l'Éiiypte à l'empire persan; Alexandre, étaient venus fonder l'opulente Car-
vainqueur des Perses , fut à son tour thage. Quel fut cet Hercule menant à
maître de l'Egypte et de la colonie que sa solde jusqu'au fond de, del'Occident,
les Grecs avaient fondée à Cyrène. des guerriers de Médie Perse et
Dans la répartition de son héritage, d'Arménie ? Peut-être le génie de Tyr
l'Egypte échut aux Ptolémées, Cyrène avec les soldats mercenaires qu'ache-
eut encore quelques rois particuliers ; tait son or; ou bien peut-être un sou-
puis tout fut englouti dans le monde verain fameux de l'Asie occidentale,
romain. conquérant de Tyr, dont Strabon et
ORIGINE ET HISTOIRE ANCIENNE DES Eusèbe ont répété après Mégasthènes
POPULATIONS ATLANTIQUES.
la venue en Afrique et en Espagne,
Nabou-Kodn-Asar en un mot.
A l'occident s'était répandue, mê- Carthage étendit au loin sa puis-
lée sans doute de quelques E'naqytes , sance :les tribus de l'Afrique propre
la population kana'néennesous
quele San- lui étaient directement soumises; la
khoniaton a individualisée nom Numidieet la Mauritanie lui formaient
d'Atlas; population identique, peut- à l'ouest deux royaumes alliés ; mais
être , au noyau de celle qui y subsiste la jalouse Rome sut appeler à elle leur
aujourd'hui , que ses propres généalo- foi douteuse et s'en faire des auxiliai-
gies font descendre de Mâzygh, fils de res contre sa rivale; et lorsque Car-
Kana'n, et que l'ancienne géographie thage eut succombé après cent vingt
désignait sous les noms de Mazikes et ans d'une lutte acharnée, Rome fit
29

HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
subir son despotique protectorat a ces el-Mandeb, vinrent se réfugier en
deux États , et les réduisit successive- Abyssinie, se répandre au sud le long
ment en provinces de l'empire. Alors de la côte orientale, ou s'infiltrer à
toute l'Afrique septentrionale fut ro- l'ouest vers le Bahhr-Abyadh.
maine, etle christianisme de ces nou- Le débordement ismaylyte, grossi
veaux maîtres vint s'enter sur le ju- peut-être de quelques convertis du Yé-
daïsme des tribus émigrées du Yémen men , mais surtout de ceux de Syrie ,
et des Hébreux chassés de la Pales- se précipita par l'isthme de Soueys sur
tine, comme celui-ci s'était implanté l'Egypte, et roula le flot musulman
au milieu du sabéisme des Kouschytes jusqu'aux extrémités occidentales du
et du tiède paganisme des indigènes : littoral barbaresque; mais les tribus de
les églises se multiplièrent, et le titre l'intérieur opposèrent une vive résis-
épiscopal leur fut décerné à profusion. tance, etle célèbre O'qbah lui-même
Lors du partage de l'empire, l'Egypte éprouva de leur part une défaite ; et
et Cyrène échurent à Byzance; Rome quand elles eurent été subjuguées et
garda le surplus, que lui disputaient converties, de fréquentes rébellions
de perpétuelles révoltes ; puis quand montrèrent, dans ces nouveaux frères,
les Vandales repoussés de l'Hispanie des gens impatients du joug, indiffé-
vinrent chercher des établissements en rents tous
à les cultes, chrétiens, juifs,
Afrique, les indigènes se joignirent païens , plutôt que mahométans. Et
volontiers à eux contre les Romains, pourtant , ébranlés par la commotion
qui furent dépossédés sans retour , et musulmane, ils s'élancèrent les pre-
contre les Byzantins, qui vinrent re- miers sur l'Espagne, où les Arabes les
cueillir l'héritage de leurs frères. Les suivirent , et ils continuèrent avec
Vandales furent vaincus et dispersés eux, sur ce nouveau théâtre, une lutte
sans que l'esprit de révolte des Afri- incessante depuis les haines de Thâ-
cains pût être dompté ; on parvenait req et de Mousày jusqu'aux dernières
bien à réduire quelques districts, mais querelles des Âbencerrages et des
la plupart des tribus bravaient le joug, Zégris.
et l'appellation de Barbares , qui leur Mais cet Occident , que la ferveur
était donnée par opposition aux Mau- des conquérants islamites avait si ra-
res soumis , leur devint bientôt une
dénomination nationale, qui a persisté lyfes, leur pidementfut annexé
plusà rapidement
l'empire desencore
kha-
jusqu'à nos jours dans le nom de Ber- enlevé par de successives défections :
bers. Les Goths d'Espagne occupaient, un nouveau khalyfat s'éleva dans l'An-
près du détroit des Colonnes, une dalousie pour les Ommyades que l'u-
Dortion de la Tingitane.
DOMINATION MUSULMANE EN ; surpation
rient les a'bbasyde déshéritait
Medrârytes de l'O-
fondèrent, au
AFBIQUE. delà de l'Atlas occidental , l'empire de
Segelmêsah; lesBerbers de Barghaouâ-
Le grand mouvement islamique pour thah élevèrent un État indépendant à
lequel s'ébranlaient , dans les déserts Temsnâ ; les Rostamydes établirent
du Hhegjâz, les Arabes de la troisième celui de ïeyhert; le pays compris entre
famille (ces hordes mosta'rabes qui ceux-ci et les Barghaouâthah devint le
reconnaissent pour aïeul Ismaël), vint patrimoine des Édrysytes, fondateurs
peser de tout le poids du prosélytisme de Fês ; enfin les Aghlabytes , en se
et des persécutions sur les Hhomay- rendant maîtres de toute la région
rites ou Arabes de la seconde famille
(issus de Yeqthan ou Qahhthan), soit comprise
achevèrententre de ravir Teyhert aux etsultans
l'Egyptede,
juifs, soit chrétiens, soit encore sa- Baghdâd le reste de leurs possessions
béens, possesseurs du Yémen et frères d'Occident. L'Egypte elle-même leur
des Arabes déjà établis en Afrique; échappa sous le gouvernement des
ceux qui ne voulurent point subir la Thoulounydes : s'ils la reprirent pour
conversion, s'échappant par le Bab- quelques années , ce fut pour la perdre
30 L'UNIVERS.

encore, et sans retour, alors qu'elle des Fathémytes, leur fut un peu plus
passa aux mains des Ekhschédytes. tard enlevée par les Ayoubytes, qui se
L'héritage des Édrysytes, déjà mor- la virent arracher eux-mêmes ensuite
celé par les princes ghomérytes de par les mamlouks qu'ils avaient insti-
Sebthah , fut recueilli en partie par tués, et qui formèrent deux dynasties
successives désignées par les dénomina-
les Bény-Aby-el-A'âfyah de MeknéVh, tions de Bahharytes et de Circassiens,
possesseurs passagers de la royale Fês
et souverains persistants d'Agarsyf ; le jusqu'à
missent ce lin que
a leurlessouveraineté.
Ïurks-Othomans
surplus passa aux Ommyades d'Espa-
gne , ainsi que Sebthah et une partie Le reste de l'Afrique musulmane
de Segelmêsah. Mais là, sur les ruines forma, à la chute des Almohades, trois
des Aledrârytes, avaient surgi les Fa- Etats principaux : le plus occidental ,
thémytes, sous la puissance croissante qui est celui de Marok , échut aux
desquels croulèrent de proche en pro- Mérynytes , auxquels succédèrent les
che les Rostamytes de Teyhert', et les Bény-Ouathâs , rameau détaché de la
Aghlabytes de Qayrouàn, maîtres de même dynastie; ceux-ci furent rem-
la Sicile, et les Ekhschédytes d'Egyp- placés par des schéryfs Dara'ouytes ,
te ; et le Caire s'éleva sur les bords dont le sceptre passa en dernier lieu
du ]\jl pour devenir leur capitale. Mais aux schéryfs Fillêlytes qui le tiennent
pressés de continuer leur marche vers aujourd'hui. Dans un voisinage immé-
l'Orient, ils abandonnent leurs pre- diat, Telemsên redevint un royaume,
mières conquêtes à l'ambition de nou- indépendant cette fois, sous les Zyâny-
velles dynasties : les A'bdélouadytes tes, rejetons des anciens
tes; mais sa durée fut peuA'bdélouady-
longue : le
établissent dans l'ouest le royaume
tributaire de Tejemsên, les Hhamma- fameux corsaire A'rougj , et son frère
dytes dans l'est celui de Bougie, tandis Khayr-el-Dyn Barbe-rmisse, qui de-
qu'entre les deux les Zéyrytes conser-
vent l'état suzerain d'Àschvr et de mane,vintjetèrent
grand "amiral de la
à Alger les Porte Otho-
fondements
d'une puissance nouvelle; tout le ter-
se montrent; puis
Qayrouàn les Yafrounytes à l'extrême occident
de Salé, ritoire de Telemsên fut bientôt sou-
maîtres intermittents de Fês et profli- mis àleur pavillon ; Bougie, enlevée à
g;iteurs des infidèlesdeB;irghaouâthah; Tunis, vint aussi grossir leur domai-
enfin , à côté d'eux , en même temps ne : et le repaire de ces forbans, no-
minalement tributaire du Grand -Sei-
(jue voisins et rivaux des Zéyrytes d'As- gneur, fatiguait la chrétienté de ses
chvr ,les Bény-A'thyah , rois de Fês
et fondateurs de Ouetchdah, qui éten- perpétuelles déprédations, lorsque la
dirent leur domination jusqu'au Zab. France, vengeant son injure person-
Bientôt apparut l'association redouta- nelle, adélivré l'Europe de ces auda-
ble des iMorabethyn ou Almoravides, cieux pirates et fondé pour elle-même
formée au désert, qu'elle avait envahi une importante colonie.
jusqu'aux Enfin, à l'est, le royaume de Tunis,
remontant États au nord, nègres absorba
du sud, tour
et quià
étendu jusqu'à l'Egypte, fut le lot des
tour les monarchies des Bény-Aby el- Hhafssytes, qui se partagèrent en plu-
A'âfyah, des Bargbaouâthah, des A'b- sieurs branches , dont l'une garda
délouadytes, des Yafrounytes, des Bé- Tunis, et une autre eut Bougie, qui
ny-A'thyatoute
h, l'Andaiousie, et les lui fut enlevée par la victoire du comte
Baléares, étendant en outre sa suze- Pierre de Navarre ; puis les Turks
raineté sur les Zéyrytes de Qayrouàn s'emparèrent successivement de ce qui
restait aux Hhafssytes, et y établirent
et les
les Hhammadytes"
Mouahhedyn de Bougie.vinrent
ou Almohades Puis
renverser les uns et lesautres, et tout deux pâschâs, l'un à Tunis, l'autre à
Tripoli; ainsi furent constituées, avec
englober dans une seule monarchie
homogène. Alger,
les Régences ce que barbaresques.
l'on appela depuis lors
L'Egypte, alors encore aux mains
HISTOIRE DE L'AFRIQUE. 31
TROISIEME SECTION.

DE L'ÉTUDE DE L'AFRIQUE.
NS S.
OR ATIO UV ERTE
EXPL ET DÉCO
ANCIENNES CIRCUMNAVIGATIONS. - pour aller fonder des
Mnon
les côtes occidentales.
colonies sur

De l'histoire des vicissitudes poli- Les Grecs , qui , auguère temps


tiques passons à celle des découvertes re, ne connaissaient qued'Homè-
de nom
et des informations géographiques suc- la Libye, terminée brusquement au
cessivement acquises sur l'Afrique par delà des céan,Syrtes par les pas,
sources
les nations policées dont nous avons ne voulaient au detemps
l'O-
recueilli l'héritage littéraire. d'Hérodote, croire à la circumnaviga-
Les Hébreux, qui n'avaient vu que tion des Phéniciens, et Ja même incré-
l'Egypte, ne nomment guère dans leurs dulité n'est point encore complètement
livres sacrés qu'elle et ses dépendan- vaincue dans l'esprit des savants mo-
ces ;au delà ils indiquent seulement, dernes; mais l'Europe occidentale, à
dans une contiguïté successive, les peine sortie, sans traditions, des té-
nèbres séculaires où la civilisation
pays de Konsch ou d'Ethiopie, des
Lehbym ou Libyens, de Fout, dont grecque et romaine la trouva plongée,
la synonymie paraît devoir être cher- a mauvaise grâce à se prévaloir de sa
chée dans la Marmarique (*); plus tard longue enfance pour taxer de menson-
ils entendirent le nom de Koub, dont ge ies récits que la vieille Egypte avait
la même contrée nous offre, chez les transmis a la jeune Grèce sur une ex-
géographes grecs , une traduction lit- pédition queie génie de Tyr avait dès
térale dans la dénomination de Pa- longtemps exécutée. Pour un esprit
liouros. sans préjugé, cette navigation autour
Les Kana'néens de Tyr et de Sidon , de l'Afrique est un fait incontestable,
ainsi que leurs frères de Carthage,
maîtres du commerce de la Méditerra- et le passage de l'équateur demeure
hors de doute, par cette circonstance
née et de la mer Rouge , durent avoir
si vraie, mais qu'en
rance Hérodote sa naïve
accueillait igno-
avec incré-
sur l'Afrique des connaissances beau-
coup plus étendues; mais ils ne les di- dulité, que le soleil se trouvait à la
vulgaient point aux peuples étrangers : droite des navigateurs. Les Perses,
il n'est resté d'eux que le souvenir mieux instruits que nous du vaste
d'une expédition de circumnavigation commerce et des longs voyages des
accomplie par des marins phéniciens
pour le compte du pharaon Nékoh, et Tyriens,
de cette périlleusecroyaient àexpédition
l'accomplissement
: Xercès
le rapport d'un autre voyage mariti- accordait grâce de la vie au coupable
me, entrepris par le Carthaginois Han- Sataspes, à condition qu'il refît le tour
(*) M. Lenormand, de l'Institut, a fait de l'Afrique; et lorsque, après l'avoir
ressortir l'identité du peuple Fout de la Ge- tenté par l'occident , Sataspes revint
nèse avec les Ni-Pliaïat des livres coptes , sur ses pas conter les fabuleux obsta-
où ce nom désigne les Libyens; si celte cles qui avaient arrêté sa navigation
dernière synonymie était rigoureuse. Fout à quelques mois du détroit de G^dès,
serait un double emploi avec Lehbym dans
le livre sacré : il faut les considérer comme
le grand roi n'admit point cette chi-
mérique excuse, et Sataspes fut em-
désignant, à l'ouest de l'Egypte, deux po-
pulations voisines , mais distinctes.
palé. Possidonius, s'appuyant d'un récit
(aujourd'hui perdu) d'Hérodote, énon*
32 L'UNIVERS.

çait qu'une semblable expédition avait Hipparque, Marin de Tyr, Ptolémée


été renouvelée avec un plein succès
sous le règne de Darius. Le Carthagi- supposaient l'Afrique "contournée à
l'est
la merparallèlement
des Indes àcomme
l'Asie etune
ceignant
autre
nois Hannon , dont nous ne connais-
sons plus que les premières explora- Méditerranée. Mais au lieu de conclure
tions, avait, au dire de Pline, franchi qu'ils admissent la réunion complète
des deux continents à leurs dernières
l'Océan depuis Gadès jusqu'aux con-
fins de l'Arabie, et laissé une relation limites, il faut suivre la trace vérita-
écrite de ce voyage; de même Ccelius ble de leur hypothèse, d'abord sur les
A ntipater affirmait avoir connu un mar- planisphères arabes , puis sur ceux
chand qui, dans une expédition com- des cosmographes européens du moyen
merciale partie d'Espagne, avait atteint âge, Marino Sanuto, Andréa Bian-
l'Ethiopie; et Héraclide de Pont ra- cho , Fra Mauro , qui fournissent les
contait ,mais sans preuves , qu'un termes successifs d'une transition gra-
mage était venu d'Orient, par la même duelle aux résultats des explorations
modernes.
voie, trouver Gélon à Syracuse. D'un
autre côté, Eudoxe de Cyzique avait, Mais à ne parler que des périples in-
au rapport de Possidonius, trouvé sur contestés, desimples reconnaissances
la côte orientale et rapporté en Egypte nautiques paraissent avoir été le but
les débris d'un navire gaditain ; et des voyages de Scylax, qui décrivit,
Pline assure que sous Auguste on re- conformément à la première naviga-
connut pareillement dans le golfe Ara- tion de Hannon , la côte occidentale
bique des vestiges de vaisseaux espa- jusqu'à l'île de Kerné, au delà de la-
gnols qui avaient péri. Bien plus, Eudoxe quelle lamer est couverte de sargasses
lui-même, sans être découragé par un épaisses qui la rendent impraticable ;
premier naufrage, serait parvenu, dans d'Euthymême, qui parvint sur la mê-
une nouvelle navigation , à effectuer me côte jusqu'à un grand fleuve ( le
le tour entier de l'Afrique ; Possido- Sénégal , peut-être ) , soumis comme
nius, du moins, en était persuadé, et le Nil à des crues périodiques ; et de
Cornélius Népos affirmait que, de son
Polybe , qui semble n'avoir point dé-
propre temps , Eudoxe avait mené à passé ,dans son exploration du litto-
heureuse fin cette entreprise si long- ral ,les caps où viennent aboutir les
temps et si opiniâtrement poursuivie grands rameaux de l'Atlas. Quant à
par l'intrépide navigateur. Tous ces Eudoxe, il était parvenu, dans sa pre-
rapports ne méritent sans doute point mière expédition , jusqu'à un pays où
une égale confiance, mais ils témoi- l'on parlait
gnent hautement des traditions d'a- entendu sur unla langage qu'il avait
côte orientale, déjà
et dont
près lesquelles la pointe australe de il avait recueilli un vocabulaire. Quant
l'Afrique avait été doublée ; en vain aux notions que l'on possédait sur ce
suppose-t on les anciens inébranlable- littoral d'Orient, le périple de la mer
ment convaincus que le continent se
Erythrée s'avance au sud jusqu'à Rhap-
terminait au nord de l'équateur : Pline ta , qu'on croit généralement être la
connaît deux zones tempérées, et Lu- Quiloa moderne, et qui était dès cette
cain, antérieur à Pline, mentionne les
Libyens éloignés qui voient leur ombre époque sous la domination d'un chef
arabe de la tribu sabéenne de Mo'af-
se projeter au sud : il faut donc recon- fer; Marin de Tyr indique, au delà de
naître ,à travers les contes du cré- Rhapta , la ville et le cap Prasum, que
dule Mêla, bien moins une hypothèse l'on fait coïncider avec Mozanbique.
imaginaire, qu'une vague et confuse
notion des périples antiques qui étaient CONNAISSANCES DES ANCIENS SUR
allés doubler au loin ce cap, aujour- L'INTÉRIEUR DE L'AFRIQUE.
d'hui réputé découvert seulement vers
la fin du quinzième siècle. Il est vrai A l'intérieur du continent, les ex-
que les géographes mathématiciens, plorations étaient plus difficiles, et les
33
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
voyages des Grecs ne dépassèrent pas bus porta les armes romaines , par
l'oasis d'Ammon (la moderne Syouah), Cydamus et la route de la Phazanie ,
colonie de la Thèbes égyptienne; mais jusqu'à Garama , ou , en d'autres ter-
Hérodote apprit des par
Libyens l'itiné-et mes, par Ghadâmes et la route du
raire des caravanes Aougélah Fezzân jusqu'à Germah près de Mor-
le Fezzân jusque chez les peuples de zouq , en traversant quelques bourga-
l'Atlas. Ils lui racontèrent aussi le des obscures dont on a, sur de douteuses
voyage de cinq jeunes chefs nasamons, homonymies, voulu retrouver les tra-
qui , traversant les terres habitées , ces jusque sur les bords du Kouârah !
puis des solitudes infestées de bêtes Julius Maternus employa quatre mois
féroces , et continuant leur route vers à se rendre de Leptis à Garama, et de
l'ouest par des déserts sablonneux d'une là, vers le midi, au pays d'Agysimba,
longue étendue, arrivèrent chez des où l'on trouve le rhinocéros. Septimius
peuples noirs , habitants d'une ville où Flaccus s'avança chez les Éthiopiens
coulait d'ouest en est un grand fleuve jusqu'à trois mbis de route au delà de
rempli de crocodiles. Nous pensons Garama. Ces deux àexpéditions, que l'on
a voulu rattacher celle deBalbus, ne
avec Rennel que ce fleuve n'est autre
que le Niger, et nous ne faisons point sont guère connues que par une simple
difficulté d'admettre que des nomades mention de Ptolémée, et leurs bornes
qui connaissaient toute l'étendue du extrêmes semblent difficiles à déter-
Ssahhrâ entre Thèbes d'Egypte et le miner. Quelques rapprochements pour-
voisinage des Colonnes d'Hercule, aient raient faire penser que les Éthiopiens
accompli dès lors une découverte que de Septimius Flaccus sont les Blem-
les Européens
la fin du siècle n'ont renouvelée
dernier. qu'à
Ne sommes- myes
bous dede Bilmah,Pline , etc'est-à-dire
Walckenaer lesestime
Tib-
nous point encore aujourd'hui fort en que la terre d'Agysimba n'est autre
arrière des anciens à l'égard du Nil ? que l'oasis d'Azben, tandis que d'au-
Hérodote savait qu'à quatre mois de sinie,tres laetvont même chercher
encorejusqu'en
bien auAbys-
delà
route au-dessus d'Éléphantine, ou deux
mois au-dessus de Méroé , une colonie jusque dans la Zimbaoueh de Motapa !
égyptienne était établie sur les bords A ces explorations des voyageurs qui
de ce fleuve , lequel en cet endroit ve- allèrent jalonner dans le sud les limi-
nait de l'ouest; dès le temps de Pto- tes extrêmes des connaissances géogra-
lémée, les sources en sont indiquées phiques des anciens sur l'Afrique, aux
dans les montagnes de la Lune, dont indications recueillies par les hommes
l'existence est confirmée par les Ara- de la science , tels que Strabon et
bes , et sur lesquelles nous avons été Ptolémée, et l'encyclopédiste Pline, et
jusqu'àcurerce jour inhabiles à nous pro- leurs abréviateurs Denys le Périégè-
de nouvelles lumières. te, Pomponius Mêla, Julius Solinus,
Les Romains-, qui dans leurs démê- il faut joindre deux documents officiels
lés avec Carthage , apprirent d'elle le du plus haut intérêt. L'un est la no-
nom d'Afrique, contribuèrent eux-mê- tice des grandes routes militaires de
mes par quelques expéditions aux pro- l'empire daction romain, dont la n/emière
grès de la géographie africaine , bien paraît remonter au temps ré-
de
qu'il faille restreindre de beaucoup la Jules César, mais qui nous a été léguée
dans son état actuel par le dernier âge
aportée
leurs qu'on attribue
itinéraires. trop légèrement
SuétoniusPaulinus, de la décadence de Rome (*). L'autre
qui le premier traversa dans l'ouest le est la table ou carte itinéraire qui, de
grand Atlas , arriva en dix étapes jus- la bibliothèque de Conrad Peutinger,
dont elle a conservé le nom, est pas-
sur laqu'à simple
un fleuve consonnance
Ger ou Niger,desqu'on
noms,a, sée dans celle de l'empereur à Vienne :
voulu identifier au Niger des Soudâns,
au lieu de le reconnaître dans le Gir
(*) Cet itinéraire a été compilé vers 375
de Léon et de Marmol. Cornélius Bal- par l'istriote Ethicus.
3e Livraison. (Hist. de l'Afrique.)
34 L'UNIVERS.
la date de sa rédaction est l'année éloignées qu'il indique vers le sud sont
même de la mort de Constantin le
Aoudeghâst , qu'on s'accorde , trop lé-
Grand (*) ; quant à la copie actuelle, gèrement peut-être , à identifier avec
c'est l'œuvre d'un moine du treizième Agades , Ghânah à dix journées plus
siècle. Les routes détaillées en l'une loin, et qu'on regarde généralement
et l'autre ne dépassent point l'Atlas, comme le Kano des voyageurs moder-
mais elles constituent, pour la région nes ; puis Koughah , qui semble être
qu'elles sillonnent , le réseau géodési- Kouka de Bornou , et plusieurs autres
que le plus complet que nous possé- dont il est difficile de déterminer la
dions encore.
synonymie.
CONNAISSANCES GÉOGRAPHIQUES DES
Un siècle
Békry, après, composa
de Cordoue, Abou-O'bayd-el-
aussi un
ARABES SUR LE CONTINENT AFRI- livre des Routes et Royaumes , où les
CAIN.
pays les plus reculés d'Afrique sont
décrits d'après le témoignage verbal
Quand l'exaltation islamique eut mi- du faqyh voyageur A'bd-el-Malek. Au
raculeusement transformé les pillards delà des peuples musulmans, les pre-
isma'ylytes en de nobles guerriers, de miers nègres qu'on rencontre sont ceux
chevaleresques conquérants , de pas- de Ssanghayan , ayant au sud -ouest
sionnés amants des lettres et des Takrour sur les bords du Nil des Sou-
sciences, l'établissement de leur domi- dans, lequel passe aussi à Silây , et
nation dans l'Occident vint redonner tourne au sud à la hauteur de Tyrqày ;
une vigueur nouvelle à la civilisation, Békry n'oublie d'ailleurs ni Ghânah ni
qui expirait étouffée dans les nerveuses les autres lieux mentionnés par Ebn-
étreintes de la barbarie germanique Hhaouqâl, et il indique, au delà, les
et Scandinave. L'intérieur de l'Afrique Remrem anthropophages.
leur était ouvert par les courses anté- A un autre siècle de distance paraît
rieures de leurs frères yéménytes et le schéryf El-Edrysy, natif de Sebthah
des Berbcrs devenus leurs alliés : les ( Ceuta des Espagnols ) et courtisan
Alinoravides y étendirent leur puis- de Roger de Sicile : il ne dissimule
sance, etles auteurs arabes décrivirent pas ses emprunts à Ebn-Hhaouqâl et
dans leurs livres les routes de leurs
au Békry, mais il étend plus loin qu'eux
caravanes, les conquêtes de leurs guer- ses indications géographiques : il nom-
riers, l'histoire de leurs dynasties. Ra- me , au delà de Ghânah , le pays de
rement lemoi du voyageur perce dans Ouanqârah entouré par le Nil des Nè-
les récits qui nous en sont parvenus; gres, leKânem, Zeghaouah du Dâr-
ils se bornent à constater d'une ma- Four , les montagnes de la Lune avec
nière générale l'extension donnée de les sources du Nil d'Egypte , les côtes
leur temps aux connaissances géogra- de Barbarah , de Zeng et de Sofalah ;
phiques. puis, dans la mer des Indes , indépen-
Précédé par Abou-Ishhaq-'Aly, d'Iss- damment de l'île bien connue de So-
takhar, auquel il a beaucoup emprun- 3othrah, beaucoup d'îlesdesconfusément
té ,Ebn-Hhaouqâl , de Baghdad , qui ésignées vers la côte Zeng , no-
écrivit dans la seconde moitié du tamment les grandes îles de Scher-
dixième siècle son Livre des routes et bouah et de Qomor, qui semblent tour
des royaumes, parcourut lui-même, à tour répondre à Madagascar, appelée
dit-on , toutes les possessions musul- peut-être aussi par les Arabes du nom
manes en Afrique, aussi bien qu'en de Qanbalou ; etTénébreuse
dans l'Océan occi-
Europe et en Asie. Les villes les plus dental ou
, mer , nombre
d'îles non moins difficiles à reconnaî-
(*) Nous avons déterminé cette date
tre ,mais parmi lesquelles il en est
d'après des indications précises puisées dans six principales nommées Eternelles
le manuscrit même ; et nous en avons fait
( Khaledât) , qu'il faut peut-être iden-
le sujet d'un mémoire lu à l'Institut en 1839. tifier aux Açores plutôt qu'aux an-
35
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
ciennes Fortunées, puisque nous trou- expéditions jusqu'au delà de SierraLeo-
vons bientôt celles-ci représentées en ne , à l'embouchure du Rio dos Cestos,
même temps par les îles du Bonheur où ils auraient établi dès lors le comp-
(gezâyr-el-Sa'âdeh) chez quelques géo- toir ou loge du Petit-Dieppe; l'année
graphes arabes postérieurs. suivante ils auraient pousse leurs ex-
Ebn-el-Ouârdy, le Qazouyny, Ebn- plorations jusqu'àéchelonné
la Côte
Sa'yd, écrivirent dans le siècle suivant, rieurement leursd'Or, et ulté-
comptoirs
et Âbou-el-Fedâ au commencement du
quatorzième : ils reproduisirent ou ils depuis
auraient le cap bâti Vert une jusqu'à la Mine,
église en 1383. où
résumèrent les notions recueillies par Ces faits ont été contestés par une
leurs devanciers , mais n'en ajoutè- critique rigoureuse (*), aux yeux de la-
rent point de nouvelles. quelle des allégations tardives ne peu-
Peu après voyagea , pendant trente vent suppléer les preuves positives ou
années consécutives, Ebn-Bathouthah les témoignages contemporains.
de Tangeh, qui le premier a mentionné A défaut des expéditions dieppoises,
cette Ten-Boktoue, devenue si fameuse d'autresdisentfaits, aussi lamieux commune établis, contre-
renommée
depuis par les tentatives d'exploration
dont elle a été le but : il s'y rendit en des qui a proclamé sans distinction comme
découvertes toute la série des re-
l'année 1353 , en partant de Segelmê-
sah et passant par Karssakhoue et la connaissances queles Portugais effec-
grande ville de Mêly, dont Ten-Bok- tuèrent plus tard, le long des côtes
toue n'était alors qu'une dépendance ; africaines, au delà du cap Boyador, et
puis il descendit le Niger vers l'est même du cap deNoun. Un Catalan nom-
mé Ferrer avait envoyé de Majorque, en
jusqu'à
à Segelmêsah.Koukou , et revint par Touât
1346, une galéace à la rivière d'Or,
Sans parler d'Ebn-Khaldoun, du Ba- ligurée au sud du cap Boyador sur un
qouy , ni d'Ebn-Ayâs, qui suivent dans portulanthèque de 1375 qui existe à la Biblio-
royale de Paris, et même sur
l'ordre chronologique, nous arrivons la carte des frères Pizigani, conservée
à El-Hhasan de Grenade , si connu
sous le nom de Jean Léon , qui visita à Parme et qui date de 1367. Madère,
deux fois Ten-Boktoue, et nous a laissé Porto Santo, les Canaries , sont éga-
une description étendue de l'Afrique , lement tracées en détail sur ces portu-
rédigée par lui-même en italien : le lans et sur d'autres plus anciens ; dès
cercle des connaissances géographiques le treizième siècle, les Génois avaient
n'y est point agrandi, mais de nom- conduit leurs flottes jusqu'à ces îles.
breux détails y sont ajoutés aux notions Or les navigations portugaises, reven-
précédemment recueillies. A Léon il diquées d'ailleurs par les marins génois
faut annexer Marmol, qui souvent n'est qui les conduisaient (**), n'atteignirent
que son copiste , bien qu'il eût voyagé les Canaries que vers 1336, et le cap
lui-même dans plusieurs des contrées de JNoun demeura jusqu'en 1415 la li-
qu'il a décrites.
(*) Un ouvrage ad hoc , accompagné de
NAVIGATIONS DES PEUPLES MODER- fac-similé de cartes du moyen âge , a été
NES AUTOUR DE L'AFRIQUE. publié en 1842 par le vicomte de Santa-
rem , sous ce titre : « Recherches sur la
Pendant que les géographes arabes « priorité de la découverte des pays situés
consignaient dans leurs livres les lu- « sur la côte occidentale d'Afrique au delà
« du cap Bojador. »
mières par eux recueillies sur l'inté- (**) Depuis i3i7, le roi Denis de Portu-
rieur du continent africain, les marins
gal avait engagé à son service, à titre d'amiral
de l'Europe en côtoyaient les rivages. héréditaire, le génois Emmanuel Pezagno,
A en croire les récits de quelques' siè-
au- avec charge expresse que celui-ci fournirait
teurs normands du dix-septième et tiendrait toujours au complet un état-
cle, des marchands de Dieppe et de major de vingt officiers génois pour le com-
Rouen auraient, dès 1364, envoyé des mandement etla conduite de ses galères.
3.
36 L'UNIVERS.
mite des connaissances des pilotes pour la mer Rouge ceux des officiers
espagnols sur cette côte ; Joâo Gon- de la marine de l'Inde anglaise.
çalvez ne fut poussé par la tempête à
Porto-Santo qu'en 1418; Gil-Yanez ne DERNIERS VOYAGES D'EXPLORATION
doubla le cap Boyador qu'en 1434; et ET DE DÉCOUVERTES DANS L'iN-
enfin Antonio Gonçalvez ne parvint TÉRIEUR DE L'AFRIQUE.
à la rivière d'Or qu'en 1442. Ainsi se trouve déterminée, avec
C'est seulement à partir de ce point
que commencent les découvertes réel- une précision satisfaisante et sauf quel-
les des Portugais. Denis Fernandez ques rares lacunes que l'Angleterre et
arriva au Sénégal en 1446 ; Nuno la France se partagent le soin de com-
Tristao, après avoir vu le Rio-Grande, bler, l'immense périphérie où prennent
atteignit en 1447 le fleuve auquel il a leurs points de départ les nombreuses
donné son nom , et où il fut tué ; le lignes itinéraires qui convergent vers
vénitien Cadamosto et le génois An- l'intérieur du continent; quelque mul-
tonio Usodimare visitèrent les îles du tipliées que soient ces lignes, elles
cap Vert en 1455; Pedro de Cintra n'ont pu couvrir l'Afrique d'assez nom-
breux sillons pour former un réseau
s'avança etenJoâo
Guinée, 1462de jusqu'à
Santaremla en
côte1471
de
continu d'où résultât une connaissance
jusqu'à la côte d'Or, où les nouveaux complète des grands traits géographi-
venus bâtirent le fort Saint-George ques de cette partie du monde : des
de la Mine en 1482. Deux ans après , vides fort considérables laissent sans
Joâo Affonso d'Aveiro abordait au liaison mutuelle divers cercles distincts
Bénin , et Diogo Cam au Congo ; on d'exploration , et marquent ainsi la
longea ensuite rapidement la côte aus- distribution naturelle en divers grou-
trale, etBartolomeu Diaz atteignit en pes, des voyages de découvertes des
1483 le cabo Tormentoso ( cap des modernes. Nous ne saurions prétendre
Tempêtes ) , que le roi Jean de Portu- renfermer ici l'inventaire détaillé de
gal aima mieux appeler cap de Bonne- ces voyages; il doit nous suffire de
Espérance. Vasco da Gamma fut en- récapituler les plus importants et les
voyé en 1497 pour le doubler, toucha plus nouveaux.
à la côte de Natal , visita Mozambi- Dans la région du Nil , les magnifi-
que, Monbasah, Mélindah, et continua ques travaux des Français de l'expé-
sa route vers l'Inde; Pedro Alvarez dition d'Egypte, en 1798, ont procuré
Cabrai vint en 1500 à Quiloa, Albu- sur ce pays des lumières étendues et
Suerque en 1503 à Zanzibar, et Pedro précises, auxquelles ajoutent encore,
a Nhaya en 1506 à Sofalah, où il bâ- sous certains rapports, les Egyptiaca
tit un fort, de Hamilton , qui arriva pareillement
Après ce résumé des premières cir- jusqu'à Syène en 1801. Parmi les pré-
cumnavigations del'Afrique par les cédents voyageurs, Pococke et Nor-
Européens, nous ne donnerons point den, qui datent tous deux de 1737, ne
le catalogue des expéditions qui ont peuvent être oubliés , non pJus que
été faites sur ces côtes pour en opérer Savary et Volney qui sont entre les
le relèvement nautique; il suffit de si- mains de tout le "monde. Comme Nor-
gnaler, comme ayant procuré à l'hy- den, Legh en 1813 et Light en 1814
drographie lesdocuments les meilleurs dépassèrent les frontières égyptiennes
et les plus récents , pour la Méditer- jusqu'à Ibrim. Waddington en 1820,
ranée les travaux de Gauthier , Hell , Cadalvène et Breuvery en 1830, sont
Richard , Beechey , Smyth et Bérard ; remontés jusqu'à Méraoueh. Sous le
pour l'océan Atlantique ceux de Bor- vêtement arabe et le nom emprunté
da, Baldy, Arlett, Roussin, Demayne, de Scheykh Ibrahym , Burckhardt s'a-
Leprédour , Owen , Vidal , Boteler ,
Belcher, Bouet; pour la côte orientale vança en 1814 jusqu'à Schendy, d'où
il opéra son retour par Souâken; Hos-
oeuxd'Owen, Christopher, Jehenne; et kins, en 1833, est pareillement re-
37
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
térieur se sont concentrés dans le
monté
1825, vint jusqu'à aussiSchendy.
à MéràouehRù'ppell, en bassin du fleuve Kouâma ou Zambê-
et Schen-
dy, et alla reconnaître le Kordoufan, zé; ils sont d'ailleurs fort rares, ceux
visité aussi en 1836 par Holroyd, en du moins dont il a été publié des no-
1839 par le czeche Pallme, et au delà tices :le plus ancien est celui de Fran-
duquel est le Dâr-Four , déjà marqué cisco Baretto, envoyé de Portugal en
sur le planisphère de Fra-Mauro en 1570, avec mission de s'emparer des
1460, puis complètement oublié, mines d'or que possédaient les indi-
signalé de nouveau par Bruce , et visité gènes. Après une première expédition
enfin par Browne en 1793. Cailliaud , peu fructueuse, il fonda le comptoir
en 1820, remonta le cours du fleuve de Séna, et s'avança ensuite jusqu'à
beaucoup plus haut que tous ses devan- Chicova à la recherche d'une mine
nciers , et s'avança sur le Bahhr- d'argent qu'il ne put découvrir; après
Azreq jusqu'aux pays de Fazoql et de quoi il bâtit le fort de Tété et demeura
Qamâmyl. Linant, prenant une autre
direction à El-Khartoum , suivit le paisible possesseur du pays,
blirent successivement où s'éta-
plusieurs au- •
Bahhr-Abyadh ou véritable Nil, à tres comptoirs. En 1796, Pereira se
soixante-dix milles du confluent : nul rendit à la cour du prince Cazembé ,
autre encore n'avait entrepris cette sur le Zambêzé supérieur, à quarante-
voie ; mais elle a depuis été explorée, deux journées de marche au delà de
en 1840, 1841 et 1842, jusqu'à un» Tété et à trois mois de distance d'An-
gola : mesures dont la combinaison
distance beaucoup plus considérable
par les ordres du paschâ d'Egypte , exige un raccourcissement notable de
qui fait poursuivre avec une ténacité la longueur, qui est habituellement
digne du monarque le plus civilisé , la attribuée sur les cartes à la route de
curieuse et difficile recherche des sour- Pereira. En 1798, le colonel la Ceïda
ces de ce grand fleuve ; et le français partit de Tété pour une exploration à
D'Arnaud en a tracé le cours jusqu'au l'intérieur, et y périt. Enfin, en 1823,
delà de 5" de latitude. La vallée du les officiers anglais Browne , Forbes
Nil a encore servi de route à Poncet en
et Kilpatrik, attachés à l'expédition
1699, pour arriver dans l'Abyssinie hydrographique du capitaine Owen,
où Bruce se rendit en 1768 par la remontèrent le Zambêzé jusqu'à Séna,
mer Rouge et Massouah : c'est par et reçurent d'un colon portugais une
là qu'étaient jadis entrés en ce pays notice sur ce pays. Un document plus
les anciens voyageurs européens, no- récent est le mémoire statistique du
tamment les missionnaires portugais, pair de Portugal SebastiaÔ Xavier Bo-
tels que Alvarez, Paez, Fernandez, telho, sur les domaines portugais de
Lobo , qui ont laissé des relations l'Afrique orientale, imprimé à Lis-
étendues ; ce fut, bonne en 1835. Ajoutons-y, pour le
introduisirent Sait aussi par làenque
et Pearce s'y
1805,
Sait encore à son second voyage en pays des Sçoumâl,
tement inconnu , jusqu'alors complè-
les renseignements
1809, puis en 1830 le missionnaire nouvellement recueillis par Antoine
évangélique Gobât, ensuite Rùppell en d'Abbadie. En ce moment même une
1832, et Antoine d'Abbadie en 1842, grande expédition, envoyée par la Com-
tandis que l'on voit Combes et Tami- pagnie anglaise des Indes orientales
sier en 1835, Arnaud d'Abbadie en sous la conduite du capitaine Harris,
1841 , Lefebvre et Petit en 1843, s'a- pour frayer une route entre Zeyla' et
vancer par cette route jusque dans le le cap de Bonne -Espérance par le
Schoa, où Dufey en 1838, Rochet, Schoa , vient d'abandonner cette ten-
Isenberg et Krapf eu 1839, Thomas tative ,contrariée par de trop grands
Beke, Harris en 1841, se sont cle leur obstacles.
côtéDansrendus par la voie de Zeyla'. et Si les relations manquent en ce qui
la région de Mozambique concerne la région qui vient de nous
des côtes orientales, les voyages à l'in- occuper, elles abondent au contraire
38 L'UNIVERS.
Yanvo, capitale des Molouas, et de
pour celle du Cap ou de l'Afrique aus-
trale ;à ne citer que les plus remar- l'autre par Missel, ville principale du
quables ,nous indiquerons celle de Macoco des anciennes cartes, embras-
Kolbe, trop dénigrée sur la foi de sant ainsi dans le rayon des connais-
quelques amours- propres froissés; sances positives les points les plus
celle de Le Vaillant, dont la rédaction éloignés jusqu'où se fussent étendues
trop étudiée a fait révoquer en doute les vagues informations jusqu'alors re-
la véracité; celle de JohnBarrow, qui cueil ies. Iest
l vrai que des doutes ont
a voyagé en 1797 et 1798 dans toute été élevés sur la véracité du voyageur;
la colonie, et au delà chez les Kafres mais les matériaux géographiques qu'il
et les Bosjesmen ; celle de Truter et a rassemblés et mis en lumière n'en
Somerville, qui, en 1801 et 1802, se sont pas moins à nos yeux une inté-
ressante acquisition.
sont avancés jusqu'à Lattakou , capi- Quant aux contrées intérieures que
tale de Betjouànas ; celle de Lichten-
borde la côte de Guinée, les routes
• stem, laquelle se rapporte à l'année parcourues par les Européens y sont
1803; et celles encore des voyages de
Campbell en 1812 et 1820, de Philips en général rares et d'une extrême briè-
en 1825, de Burchell en 1811 et 1812, veté la
: relation du voyage de Norris
en 1772, reproduite par Dalzell, et
de Thompson en 1821 jusqu'en 1824,
de Cowper Rose en 1824 et 1828, et copiée encore par Mac Léod , ne con-
nombre d'autres, dont les plus ré- duit que jusqu'à la capitale de Daou-
centes sont celle du capitaine Harris, meh; Bowdich en 1817, Dupuis et
offrant le récit de son voyage dans le Hutton en 1820 , n'ont point dépassé
pays des Zoulas, et celle du capitaine la capitale de l'Aschanty, et tout l'in-
Alexander, qui a visité en 1836 les térêt de leurs voyages gît dans les in-
Damaras. formations qu'ils ont recueillies sur
Les missionnaires portugais du Con- les pays plus reculés. Le missionnaire
go n'ont point gardé le même silence Thomas Freeman n'est pas allé plus
loin en 1841 . C'est seulement dans l'Est
que ceux toire dede leurs la côte orientale
courses sur l'his-:
apostoliques que les itinéraires ont acquis une exten-
Lopez en 1658, Carli en 1668, Cavazzi sion et une importance très-grande,
de Monte-Cuccolo en 1654 jusqu'en car c'est par là que Clapperton est re-
1670, Mérolla de 1682 à 1688, Zuc- tourné, en 1827, à Kano et à Sakka-
chelli de 1696 à 1704, nous offrent des tou ; que Lander est allé, en 1830,
récits détaillés qui ont encore, malgré à Yaoury pour y trouver le Niger et le
leur ancienneté, un intérêt géogra- descendre jusqu'à l'embouchure de
phique actuel. Cependant depuis eux Noun, et qu'il est revenu en 1833 re-
sont venus Tuckey, qui en 1816 a re- monter par cette même embouchure
monté leZaïre ou Kouango jusqu'à une jusqu'au Tchaddah et à Rabbah, en
soixantaine de lieues ; Gregorio Men- compagnie de Laird et Oldfield , et
du lieutenant de vaisseau William
dez, qui parcourut en 1785 l'intérieur Allen qui a fait le relèvement hydro-
des terres au sud de Benguêla jus-
qu'au cap JVegro; et Feo Cardoso, qui graphique deleur route. Plus récem-
a donné l'histoire et la description gé- ment, une grande expédition anglaise,
nérale des possessions portugaises de sous le commandement du capitaine
cette région d'après les documents of- Trotter, avait projeté de remonter
ficiels qu'il avait à sa disposition. Mais plus loin, mais les maladies y ont mis
le voyage le plus remarquable entre obstacle. Nicholls en 1805 , Coulthurst
tous ceux du Congo est celui qui a été en 1832 , voulaient tenter aussi de re-
publié en 1832 par Douville, et dont monter, par le Kalbar, jusqu'au grand
la ligne itinéraire s'étend depuis Ben- fleuve; mais l'un mourut au voisinage
guêla jusqu'à Bomba, capitale du peu- de la côte , et l'autre ne put dépasser
ple Nineanay et du souverain Mouéné- Ibo. Becroft en 1840, après avoir cher-
Emougy, en passant d'un côté par ché vainement sa route par le Rio
39
HISTOIRE DR L'AFRIQUE.
Fermoso, a été plus heureux par la 1810 ; et l'on conte même qu'un autre
branche d'Owère. Français, Paul Imbert, des Sables-
C'est aussi la recherche du Niger et fois d'Olonne, avait, dès 1770, visité deux
de Ten-Boktoue qui a produit les iti- cette ville fameuse.
néraires les plus importants de la Sé- Nous avons déjà dit comment Clap-
négambie : Brue avait reconnu le perton et Lander étaient allés par la
côte de Guinée à Kano et Sakkatou \
Sénégal
1698; Jobson jusqu'àen Galam 1620, et Kényou,
Stibbs en
en 1724 ce n'était pour Clapperton qu'un se-
avaient exploré la Gambie jusqu'au- cond voyage, car il s'y était déjà rendu
dessus de Barra-Koundah; Compagnon par le Bornou, où il avait quitté Den-
avait parcouru le Bambouc en 1716, ham son compagnon. Cette voie avait
et Rubault avait , en 1786 , frayé la été préparée de longue main : Lucas ,
route de Galam par terre , quand envoyé dès 1788 à Tripoli pour l'en-
Houghton, le premier de tant de mar- treprendre, ne put s'éloigner de la côte
tyrs envoyés par Y African- Association barbaresque, mais il revint à Londres
à la découverte du Niger, alla périr en avec provision de renseignements ;
1791 dans le Kaarta. Mungo-Park s'é- Hornemann, autre voyageur de YA-
lança sur ses traces en 1795, échappa frican- Association, se rendit en 1798
comme par miracle aux mêmes assas- au Caire, d'où il partit l'année suivante
sins, et put atteindre ce Niger objet pour aller au Fezzân à travers les oa-
de ses vœux , qu'il remonta jusqu'à ses de Syouah et Aougelah : arrivé à
Silla. Il revint dire à l'Europe sa dé- Mourzouq, il y recueillit de nombreu-
couverte, etretourna en 1805 en Afri- ses informations sur les populations
que pour la compléter : il revoit le du désert et sur les pays de Hhaousâ
Niger, et s'y embarque; il arrive à et Bornou, pour lesquels il se mit en
Yaoury, atteint Bousâ , et périt. Ped- route en 1800, et l'on n'a plus eu de
die et Campbell voulurent tenter en ses nouvelles; Ritchie et Lyon arrivè-
1816 la voieduFoutah-Gjalo : la mort rent àleur tour à Tripoli en 1818 : ils
arrêta leurs projets; Gray et Dochard visitèrent le Fezzân, et ajoutèrent de
prirent leur place et ne furent guère nouvelles lumières aux lumières pré-
plus heureux. Mollien, en 1818, dé- cédemment rassemblées sur les pays
couvrit les sources du Sénégal et de du Sud. Enfin en 1822 l'expédition de
la Gambie , sur une route que déjà Denham, Clapperton et Oudney péné-
Watt et Winterbottom avaient parcou- tra au delà du Fezzân, traversa le dé-
rue sans en .apprécier l'intérêt; et en sert, atteignit le Bornou, découvrit le
1822, Laing, parti de Sierra-Leone , grand lac Tchad , et poussa des recon-
alla constater, sansy pouvoir atteindre, naissances divergentes , d'une part
l'emplacement véritable des sources jusqu'au Mandharah et au Loghoun ,
du Niger. Ernest de Beaufort, en 1825, de l'autre dans le Hhaousâ jusqu'à
Sakkatou.
fut arrêté par la mort avant d'avoir
dépassé les derniers confins du Bam- Le Ssahhrâ n'a été vu que par les
bouc. Enfin, en 1827, Caillié, revêtu voyageurs qui de la côte barbaresque
du costume musulman , s'avance à se rendaient aux pays des Nègres , et
l'est jusqu'à Timé , jusqu'alors incon- réciproquement, ou bien par quelques
nue, reprend au nord pour aller atteins naufragés; tels que Robert Adams, que
dre Gény , s'y embarque , descend le nous avons déjà cité, Brisson, Follie,
Niger jusqu'à Ten-Boktoue, et tra- Saugnier, Riley, Cochelet, et cet
versant l'immense désert regagne la Alexandre Scott qui a occupé la saga-
cité de Rennel, mais dont la route
côte atlantique à Rabâth.
Laing aussi avait vu Ten-Boktoue semble avoir été bien autre que ne le
en 1826, quelque temps avant Caillé, soupçonnait le savant géographe.
mais il y était venu par le nord-est; le Il nous reste à parler des explora-
matelot américain Robert Adams y tions géographiques des États du lit-
avait été conduit du nord-ouest en toral méditerranéen : les relations ,
40 L'UNIVERS.
nombreuses pour les uns , rares pour quelques lignes, à celles qu'ils ont visi-
les autres, sont généralement médio- tées. Nous n'avons garde d'insérer ici
cres ,bien qu'il y ait de notables ex- le catalogue de ces explorations for-
ceptions. Délia Cella en 1817, Beechey tuites. Ayons soin d'ajouter, pourtant,
en 1822, Pacho et Millier en 1825, que l'illustration historique de Malte a
parcoururent la Cyrénaïque et Barqah. justement motivé une exception en sa
La Bibliothèque royale de Paris pos- faveur, et que de nombreux ouvrages
sède un manuscrit étendu, contenant sont consacrés au récit des prouesses
une Description et histoire de Tripo- de ses chevaliers; mais, au point de
ly, rédigée en 1685 par un chirurgien vue descriptif, bien qu'on puisse citer
provençal longtemps prisonnier et es- quelques relations spéciales, elle a , le
clave dû paschâ ; les Lettres que l'on plus souvent, été reléguée sur un plan
désigne habituellement sous le nom de secondaire, à côté deJa Sicile, comme
Tully sont à peu près le seul ouvrage dans l'ouvrage de Brydone qui date de
édit spécialement consacré à cette ré- 1770, et dans celui de Borch qui est
gence. Pour Alger et Tunis, le voyage venu le compléter en 1776; dans celui
de Shaw, en 1727, est encore, malgré de Houél publié en 1782; dans celui
sa date ancienne , ce que l'on possède de Blaquieres écrit en 1812; et dans
de mieux sur ces deux États ; cepen- ceux de l'anglais Smyth en 1815, et de
dant nous avons aussi la relation du l'américain Bigelow en 1830.
major Grenville Temple, qui renferme Dans l'océan occidental , les Aço-
d'intéressants détails sur le pays de res , Madère , les Canaries , déjà figu-
Tunis, recueillis en 1833 pendant une rées sur les cartes du quatorzième
excursion rapide, et la carte dressée siècle , ont eu leurs explorateurs spé-
par le capitaine de vaisseau Falbe, sur ciaux; bornons-nous à citer, pour les
des éléments amassés pendant une Açores, Webster en 1821, et Boid en
longue résidence; et, d'un autre côté, 1835 ; pour Madère, Bowdich en 1823;
l'occupation française del'Algérie a per- pour les Canaries, il y aurait une lon-
mis de rassembler les matériaux d'une gue série de relations à énumérer;
description précise et nourrie, dont mais après avoir rappelé celle que Boc-
une commission scientifique est char- cace nous a transmise de l'expédition
gée de diriger la publication. Quant à de 1341, celle des pères Bontier et le
l'empire de Marok, nous nous con- Verrier, sur la conquête de Béthen-
tenterons deciter le voyage du géné- court en 1402; les histoires de Nunez
ral Badia, mieux connu sous le nom de la Pena en 1676, de Glass en 1764,
mauresque d'Ali-Bey , en 1805 ; celui deViera en 1772, et de Borv de Saint-
du lieutenant Washington, de la ma- Vincent en 1803, il nous suffit de si-
rine anglaise, en 1829; et les livres gnaler les descriptions de Léopold de
descriptifs de Hœst, de Jackson et de Buch en 1815, et deBerthelot et Webb
Grâberg de Hemso , dont le premier en 1835. Quant aux îles du Cap-Vert,
remonte à 1779 et dont le dernier vues dès 1455 par Cadamosto et Uso-
porte la date de 1834. dimare, elles ont été visitées en 1639
par le père Alexis de Saint-Lo , et en
EXPLORATION DES ILES AFRICAINES. 1838 par Samuel Brunner. Roberts,
en 1725, avait décrit à la fois les îles
Nous n'avons encore rien dit des du Cap- Vert et les Canaries; et le père
îles. Celles de la Méditerranée , con- Antonio Cordeyro a donné, en 1717,
nues de toute antiquité, ont une si une histoire générale des quatre archi-
mince importance individuelle qu'il se- pels atlantiques.
rait difficile d'en trouver de relations Au fond du golfe de Guinée, Fernam
spéciales ; seulement les voyageurs et do Po, Principe, San-Thomé, Anno-
les touristes qui y ont touché dans bom , qui figurent dans tous les Pilotes
leurs courses ou leurs promenades, africains, ont occasionnellement été
ont accordé quelques pages, parfois visitées par beaucoup de voyageurs.
HISTOIRE DE L'AFRIQUE. 41

Des Marchais, en 1725, leur a consa- rendu sont celles de Cauche qui s'y était
en 1638 , de Flacourt qui y ar-
cré quiquelques ; l'expéd
pagesavec ition d'O- ne riva en 1648 et y passa sept années,
wen, avait elle le capitai
de Souchu de Rennefort qui y fut
Boteîer et l'aimable aveugle Holman,
a recueilli , en 1827, les éléments de envoyé en 1664, de Drury qui y fit nau-
descriptions plus détaillés. frage en 1702, puis celles de Le Gentil,
L'Ascension et Sainte-Hélène ont de Rochon , d'une foule d'autres , ré-
leur place dans tous les routiers de en dernier sumées en 1831 par d'Unienville, et,
lieu , celle de Leguével
l'Inde : ce sont comme deux hôtelleries
par lesquelles il faut indispensablement qui y a séjourné de 1823 à 1830, et
celle des missionnaires anglais qui s'y
passer; et cependant, la route n'a point étaient établis en 1818 et qui en ont
toujours été si certaine , que Jean de été chassés en 1835.
Nova n'eût trouvé, en 1501, l'îlot
écarté de la Trinidad , avant de décou- Quant aux petites îles qui sont ré-
vrir, en 1502, Sainte-Hélène, qui nous pandues autour de cette grande terre
a été décrite avec détail par Brooke insulaire, Bourbon, Maurice, Rodri-
en 1806 , mais qui nous est bien mieux gue, les Séchelles, les Comores, con-
connue par le fameux Mémorial de tentons-nous deciter les relations de
Bernardin de Saint-Pierre en 1768, de
Napoléon, par les
et allée de l'expé-
récits naguère Milbert et de Bory de Saint-Vincent
dition qui est y chercher
les restes du grand Empereur. Tristao en 1800, de Grant en 1801, de Billard
aussi , en 1506 , l'îlot en 1816, de Frappaz en 1818, de Le-
da Cunha trouva
éloigné qui a gardé son nom , avant de lieur de Ville-sur- Arce en 1819, deTho-
rencontrer, en 1508 , le rocher de l'As- mas en 1828 , et de d'Unienville en
cension, dont nous devons au capitaine 1831, dont les unes s'appliquent à quel-
Brandrethune notice détaillée, publiée ques points isolés, d'autres à plusieurs
en 1835. îles à la fois , ou même à tout l'en-
Dans la mer des Indes, Madagascar, semble de cet archipel inconnexe.
Il nous reste à dire un mot de Soco-
qui nous est connue sous ce nom (*) tora : il doit se borner à signaler ici
depuis le temps de Marc Polo , a une
telle importance, que les voyageurs le mémoire descriptif du lieutenant
qui l'ont visitée en ont laissé de nom- Wellsted , qui a exploré cette île en
breuses relations; les plus connues 1834.

DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DU SOL


§ IL
AFRICAIN.
SYSTEMES ANTERIEURS. l'ensemble en eut été déterminé, au
moins par ses contours ; et cette divi-
Il ne put être question, pour les sion ne présenta d'abord , ainsi qu'il
géographes, d'une division méthodique devait naturellement arriver, qu'une
du continent africain, que lorsque simple extension, à ce cadre agrandi,
de la nomenclature précédemment ad-
mise, en attribuant désormais une si-
une(*) dérivation
Le nom vulgaire
évidentede de
Madagascar est
celui de ses gnification plus large , mais avec des
limites certaines, à la dénomination
habitants et de la langue qu'ils parlent ; de
cette même racine, Malacassa , sont pro- vague jusqu'alors appliquée au limbe
venues les deux formes vulgaires de la dé- indéfini de l'Afrique ultérieure. C'est
nomination donnée aux habitants, savoir, ainsi que Marmol , après avoir décrit,
Madecasses et Malgaches,
en suivant Léon de Grenade, l'Afrique
42 1/ UNIVERS.
musulmane,, comprend sous le nom de cette division, sauf peut-être quel-
commun d'Ethiopie , avec le pays des ques différences de nomenclature, ap-
Nègres connu de Léon, tout le surplus pelant, par exemple, Ethiopie orien-
du continent, auparavant ignoré; seu- tale ce que les De l'Isle nommaient
Cafrerie.
lement ildistingue la haute et la basse
Ethiopie , l'une répondant à l'empire Depuis que les explorations mo-
d'Abyssinie , l'autre englobant tout le dernes ont procuré des notions plus
reste. précises et plus nombreuses , les géo-
Graduellement cette immense sur- graphes contemporains, Malte-Brun,
face fut amoindrie , subdivisée , à me- Ritter, Balbi^ ont tenté de refondre
sure que l'on se lit une idée plus juste cette nomenclature pour l'ajuster au
de son étendue : Livio Sanuto crut de- nouveau point de vue sous lequel il
voir en séparer le pays des Nègres de leur a paru convenable de considérer
Léon , en joignant même à celui-ci la l'Afrique dans son ensemble : et nous
région maritime jusqu'au cap de Lope avons à exposer, à notre tour, nos pro-
pres idées à cet égard. Sans répudier
Gonçalvez
en deux moitiés , et partager touteligne
par une l'Afrique
tirée absolument certaines dénominations
d'Alexandrie d'Egypte à la mer de générales dès longtemps en usage,
Guinée, de manière à compter, dans la comme celle de Nigritie pour desi-
première, la Barbarie, la Numidie et la gner vaguement tous les pays afri-
Libye de Léon , avec la Nigritie jus- cains autres que ceux où dominent les
qu'au cap de Lope Gonçalvez ; et dans races blanches, celle de Cafrerie pour
la seconde, l'Egypte et les deux Éthio- indiquer, sans plus de prétention à
pies : en tout, sept régions, qu'on re- l'exactitude, ceux où étaient réputées
trouve les mêmes , quoique différem- habiter des populations cafres ; notre
ment rangées , dans la volumineuse dessein est de proposer un système
description de l'Afrique de Dapper. de fractionnement qui réponde le mieux
Les Sanson , à leur tour , établirent possible à une étude raisonnée de cha-
une première grande division de l'A- cune des parties jusqu'ici explorées.
frique en deux moitiés , différant un Dans l'état incomplet de nos con-
peu de celle de Sanuto, en ce qu'ils guère ni à lanaissances sur l'Afrique , ce n'est
constitution physique du
réunissaient l'Egypte à la première,
qu'ils appelèrent du nom général de sol, ni au classement ethnologique ou
Libye; tandis que la seconde, com- linguistique des habitants, ni aux cir-
mençant àla Nubie, recevait le nom conscriptions politiques des empires,
et moins encore à leur histoire, que
général d'Ethiopie : puis l'une et l'au-
tre étaient symétriquement partagées l'on peut demander les bases d'une
en six régions chacune; en sorte que distribution géographique de ce con-
la Libyebarie, renfermait l'Egypte , la Bar-la tinent c'est
; plutôt à notre ignorance
la Bilédulgérid, le Sahara, même de certaines de ses parties qu'il
Nigritie et la Guinée ; et qu'on trou- nous paraît nécessaire d'accommoder
vait, dans l'Ethiopie, la Nubie, l'Abys- une division provisoire en régions fac-
sinie, le Zanguebar, le Congo, le Mo^ tices déterminées
, par un cercle de
nomotana et les Cafres. notions acquises ; et le tableau que
Claude et Guillaume De l'Isle, au nous avons esquissé des explorations
lieu de ces douze régions, n'en comptè- et des découvertes accomplies jusqu'à
rent pie
que proprement
six, savoir": ditel'Egypte, l'Ethio-la ce
comprenant
jour, offre naturellement lui-même
ce cadre que nous cherchons.
Nubie et l'Abyssinie, la Barbarie, la
Nigritie, la Guinée englobant le Congo, RÉGIONS AU SUD DE L'eQUATEUB.
et la Cafrerie renfermant à la fois l'ex-
trémité méridionale et toute la côte Sous ce point de vue, il y a lieu
orientale du continent. D'Anville ne de considérer d'abord qu'une lacune
paraît point s'être écarté en général , énorme sépare pour nous l'Afrique en
43
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
deux moitiés, au moyen d'une large sion fort rationnelle en laissant à l'est
zone de terres inconnues entre le golfe la longue vallée du Nil , avec ses dé-
de Biafra et la côte de Maqadoschou ; fjendances; au sud les contrées que
puis, qu'une seconde lacune sépare en- Arabes es indigènes appellent Takrour et les
core |a moitié trans-équatoriale en Belcd-el~ Soudan, ou pays des
deux portions , au moyen d'une autre nègres; au nord les États barbares-
large zone de terres inconnues entre ques, auxquels il s'annexe lui-même
la baie aux Baleines et celle de Lou- pour former avec eux la grande région
renço traleMarquez. Le nom d'Afrique aus- quelesArabesappellentMag'Areô.Cette
ou de région du Cap appartient dénomination , qui sur nos indications
naturellement à celle de ces portions et nos conseils , a été introduite par
qui regarde le sud, et qui comprend, Balbi dans la Géographie vulgaire, a
outre )a colonie européenne du Cap et pour les musulmans un sens relatif à
ses dépendances, le pays des Hotten- l'ensemble de l'empire islamique : tout
tots et celui des Kafres.
ce qui n'est point compris en celui-ci,
L'autre portion , presque entière- soit parmi les Beydhân ou blancs,
ment renfermée entre l'équateur et le soit parmi les Soudan ou noirs , est
tropique du Capricorne , est composée Kafr ou mécréant ( et c'est cette épi-
de deux régions , sur lesquelles les lu- thète , si souvent lancée contre nous-
mières ont respectivement été recueil- mêmes, que l'usage a consacrée ex-
clusivement chez nous à dénommer la
lies, pour l'une dans l'ouest, pour
l'autre dans l'est, sans que l'on sache race austro-orientale que nous enten-
avec précision où ni comment elles se dions appeler ainsi par les Arabes de
rejoignent sur une limite commune. Sofalah ). Quant au pays des Mosle-
Cette circonstance oblige de classer myn ou fidèles , il a deux parts , le
dans la première , avec les pays de Maghreb ou occident, habitation des
Congo, d'Angola et de Benguêla, tous Occidentaux, ouet Maures
les cantons et les peuples indépendants Maghrebyn le Scharq, c'est-à-dire
ou orient,
qui se trouvent au delà de ces posses- comprenant l'Egypte, habité par les
sions portugaises, jusqu'aux Bihens Scharqyyn
Orientaux. ou Sarrasins, c'est-à-dire
et aux Moganguêlas du sud-est, aux
Cassanges de l'est, aux Molouas et aux Le Maghreb se subdivise géogra-
Ninéanay du nord-est, bien que le phiquement, pour les Arabes ( nos
pays de ces derniers soit évidemment maîtres sans contredit sous le rapport
une dépendance physique du bassin de des connaissances qu'ils possèdent sur
la mer des Indes ; nous appellerons l'Afrique musulmane), en Ssahhrâ ou
cette agglomération de territoires con- désert , en Belêd el-Geryd, ou région
tigus, région du Congo. des dattiers, et en Tell ou hautes ter-
La seconde portion consiste princi- res, dénomination appellative que rem-
palement dans le bassin du Kouâma place quelquefois celle de Ardh el-Ber-
ou Zambêzé, avec les établissements ber, c'est-à-dire la terre des Berbers
portugais dont le chef-lieu est à Mo- ou la Barbarie. Cette longue zone est
zambique ;et le surplus des notions partagée à son tour , sous le rapport
acquises sur le reste de la côte orien- géographique , en Afryqyah , répon-
tale est si peu de chose, qu'il y a toute dant àpeu près aux régences de Tri-
convenance de l'y réunir comme une poli et de Tunis; en Maghreb Aousath
annexe, pour former du tout la région ou occident mitoyen , représenté par
de Mozambique. ce que l'on appelle maintenant Algé-
rie ; et en Maghreb Aqssày ou occi-
RÉGIONS AU NORD DE L'EQUATEUR. dent éloigné, qui correspond à l'em-
pire de Marok.
Quant à l'Afrique septentrionale , La région du Nil (ou le Nilland,
le grand trait qui la caractérise, l'im- comme les Allemands ont eu l'heureuse
mense désert , nous indique une divi- idée de l'appeler ) , restée à l'est du
44 L'UNIVERS.
Maghreb, comprend successivement, des Palmes jusqu'au fond de la baie
en remontant, l'Egypte, les deux Nu- de Biafra; mais ici encore, où l'usage
bies; puis d'une part l'Abyssinie avec le conserve pour le littoral , nous lui
Adel ou Zeyla' et Hharrar, et de l'au- préférons, pour l'intérieur des terres,
le nom indigène de Ouanqârah , qui
blanc,tre leetpays qui inconnu qu'arrose
paraît habité le Nil
en majeure s'étend précisément au nord jusqu'aux
partie , sur un long espace , par les nè- limites du Takrour; sur la côte il of-
fre dans une contiguïté successive les
gres Schillouks, jusqu'aux hautes val-
lées qu'on appelle Donga ; il y faut trois
et de États
Beny. d'Aschanty , de Daoumeh
rattacher le Kordoufân, que sa posi-
tion géographique aussi bien que ses Enfin notre distribution géographi-
relations politiques lient à la Nubie; que du sol africain se trouve complétée
et même le Dâr-Four, qui appartient par l'adoption de ce nom de Takrow,
peut-être physiquement au bassin du qui embrasse tous les pays entre la
Nil , et que les Européens n'ont d'ail- Sénégambie et le Dâr-Four ; nous le
leurs encore abordé que par la voie préférons à celui de Belêd el-Soudân
de l'Egypte. (vulgairement écourté en celui de Sou-
Quant à la zone qui s'étend au sud dan) ,par le motif que cette appella-
du Ssahhrâ, depuis l'océan Atlantique tion , qui se rapporte aux peuples
jusqu'au Dâr-Four, l'extrémité occi- nègres , s'applique avec une médiocre
dentale, caractérisée par les deux grands justesse à une région où domine par
fleuves du Sénégal et de la Gambie, Je nombre comme par la puissance la
en a tiré le nom de Sénégambie, qui, race Peule qui est rouge , et qui se
borné d'abord , dans son application, compte elle-même parmi les blancs. La
aux bassins de ces deux rivières, s'est région de Takrour se partage assez na-
successivement étendu vers le sud à turel ement entrois grandes sections :
mesure que des notions étaient ac- à l'est le Bornou et ses annexes , au
quises de proche en proche sur les centrevec le Hhaousâ, à l'ouest ce qu'a-
contrées voisines le long du littoral , le sultan Mohhammed-b-Ellah
tandis qu'une grande lacune subsistait nous appellerons d'un seul mot Mély,
au delà. Pour nous , dépassant encore redonnant ainsi une application actuelle
les limites qui s'arrêtaient vis-à-vis de à une dénomination employée dès long-
l'île Scherbrou, nous les porterons jus- temps par les voyageurs et les géogra-
qu'auricainecapades Palmes, où l'Union amé- phes arabes, mais qui demeurait inu-
établi une nouvelle colonie, tile, ainsi que celle de Ouanqârah, faute
sœur de Libéria, qui prospère au cap d'indices suffisants pour les placer.
Mesurado, et que tant d'analogies doi-
vent faire comprendre dans une même ILES AFRICAINES.
division avec la Free-toum des Anglais
de Sierra - Leone , inséparable elle- Voilà pour le continent; restent les
même de Saint-Mary sur la Gambie, îles. Celles que l'Afrique peut reven-
dont elle est le chef-lieu hiérarchique. diquer dans la Méditerranée sont une
Nous effaçons ainsi de cette côte le annexe naturelle des États barbares-
nom de Guinée, que nous avons déjà ques ; dans l'océan Atlantique, les Ca-
laissé en oubli pour la région du Con- naries ,dont on ne peut séparer Ma-
go , où les routines géographiques la dère ni les Açores , sont évidemment
gardaient seules encore , bien que l'u- un
sage eût dès longtemps admis à sa cap appendice"
Vert sont deà l'Atlas;
leur tour les
un îles du
appen-
place ce nom de Congo avec une ac- dice de la Sénégambie : celles du golfe
ception plus large que celle qu'il eut de Guinée un appendice du Ouanqâ-
dans rah oriental ; et dans la mer des Indes
La l'origine.
dénomination de Guinée reste- Madagascar se rattache à la région de
rait donc uniquement aux côtes qui Mozambique, aussi bien que Socotora,
s'étendent sur le golfe , depuis le cap prolongement insulaire de la grande
45
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
tincte toute la zone maritime où sont
presqu'île des Sçoumâl. Mais tel- ces disséminées les îles africaines, sauf à
liaisons respectiv es ne sont point
la subdiviser en archipels au gré des
lement étroites, qu'il ne convienne
peut-être mieux, ainsi que l'ont pensé affinités relatives qui déterminent la
la plupart de nos devanciers, de consi- distribution de toutes ces îles en di-
dérer comme une seule région dis- vers groupes séparés.

PLAN GÉNÉRAL s niDE. L'OUVRAGE.


Nojus venons de montrer sous ses tandis que certaines régions se recom-
divers aspects ce grand tout qui a nom mandent àla fois par les traits de
Afrique : nous avons dit ses caractères leur physionomie locale et par les sou-
extérieurs et sa constitution intime, venirs de leur passé, il en est dont le
et sa parure d'êtres animés; puis con- rôle est pour nous sans intérêt, dans
sidérant l'homme à qui la possession le temps
De là uneaussi bien nécessaire
variété que dans l'espace.
dans la
en est dévolue, nous avons recherché
sa race, étudié son langage, ses mœurs, forme sous laquelle se déroule le ta-
ses habitudes sociales , scruté ses ori- bleau successif de ces régions diver-
gines, parcouru ses annales; et du ses, et dans leur
l'étendue des pages que
sujet lui-même passant à ses rapports nous devons consacrer.
avec notre propre étude, nous nous Nous avons à nous préoccuper aussi
sommes demandé compte des explora- de l'ordre dans lequel il convient de
tions qui nous l'ont révélé, et de la les ranger, pour obéir à la double
condition de leurs affinités mutuelles
corrélation
blir entre les qu'il est nécessaire
notions acquises d'éta-
et le et de la séparation inévitable des vo-
théâtre sur lequel elles sont recueil- lumes où elles ont leur place. Emprun-
lies. Tel est le cycle que nous avons tant ici le commode artifice des clas-
essayé de former des fragments épars sifications dichotomiques, nous avons
que nul encore n'avait réunis; quelque d'abord considéré l'Afrique comme
mince que soit leur valeur isolée, elle offrant à notre étude, d'une part un
se grossit en raison de la place qu'ils continent, de l'autre des îles ; et nous
occupent dans le tableau d'ensemble. avons accordé un volume à ces der-
Cette méthode, descriptive et nar- nières. Puis, dans le continent afri-
rative tour à tour, que nous venons cain, une distinction nous a paru facile
d'appliquer à l'Afrique entière, nous autant que naturelle entre les contrées
où commande la race blanche et celles
avons à l'employer maintenant pour où dominent les populations nègres ;
chacune des parties de ce grand tout ;
mais les éléments tantôt historiques , et nous avons réservé un volume à la
tantôt géographiques dont nous pou- Nigritie. Il nous restait à partager
vons disposer , ont l'étendue et l'im- cette autre portion , féconde pour la
portance laplus diverse. De vastes géographie concentrées et pour l'histoire,
régions explorées par de nombreux trouvaient toutes lesoùcon-se
voyageurs nous présentent un sol, des naissances que l'antiquité a eues de
productions , des habitants , à la des- l'Afrique, et l'antiquité elle-même nous
cription desquels sont consacrés, dans a ici indiqué ce partage. Si les moder-
nos bibliothèques, une multitude de nes, en effet, comprennent l'Egypte
volumes, mais elles ne peuvent nous dans le continent d'Afrique, il n'eu
offrir une seule ligne d'histoire ; d'au- fut pas de même des anciens, non plus
tres points au contraire, stériles pour que des Arabes : pour les uns et pour
la géographie, nous fournissent de co-
les autres l'Egypte appartenait à l'O-
pieuses annales ; et, d'un autre côté , rient, l'Afrique à l'Occident; nous
46 L'UNIVERS.
avons fait comme eux , en consacrant en nous conduisant jusqu'à l'invasion
une division spéciale à l'Egypte, et à des Arabes.
l'Ethiopie qui occupe avec elle le bas-
sin du Nil ; et cette division a exigé ÉTATS BARBABESQUES.
deux volumes, l'un rempli tout entier La conquête musulmane imprime
des faits de l'Egypte antique , l'autre un nouvel aspect à l'Afrique, et ouvre
réunissant
et les contrées à la ultérieures
fois l'Egypte moderne
du haut Nil. ainsi l'histoire moderne de cette grande
Enfin , il nous reste à aborder l'Afri- région, qui ne tarde pas à être mor-
que des anciens, Maghreb des Arabes, celée en plusieurs Etats, sous diverses
Régences barbaresques des modernes, dynasties, dont il faut tour à tour ex-
et nous lui consacrons aussi deux volu- plorer les annales : à côté des Aghla-
bytes de Qay rouan régnent les Ros-
mes ,un pour les temps anciens, l'au- tamytes de Teyhert , les Médrarytes
tre pour l'état moderne. de Sagelmêsah , les Edrysytes de Fês,
Ainsi, la Barbarie, l'Egypte, la
Nigritie, les Iles, tel est l'ordre géné- les Barghouâthes
tres dynasties encore de Temsnâ, et d'au-
à Sebthah , à
ral de cette Histoire et Description Nokour, au désert ; puis surgissent les
de l'Afrique , en tête de laquelle avait Fahémytes, sur les ruines de plu-
sa place naturelle le tableau d'ensem- sieurs de ces principautés; mais ils
ble que nous achevons d'esquisser. sont bientôt remplacés eux-mêmes par
AFRIQUE ANCIENNE. les Zeyrytes
madytës d'Aschyr
de Bougie, et les Hham-
les Abdelouâdytes
de Telemsên , et à côté , les Bény-
Après un coup d'œil général sur la 'Athyah, les Yafrounytes et les Bény-
région que les anciens connaissaient
Aby-el-A'âfyah, qui se disputent Fês ;
sous le nom d'Afrique, et que nous ap- puis s'élèvent les Almoravides , qui
pelons vulgairement aujourd'hui Bar- engloutissent la plupart de ces dynas-
barie, vient l'histoire de la Cyrénaï- ties, et sont engloutis à leur tour,
que qui en occupe les parties les plus
orientales : colonie grecque sur le sol avec les Zeyrytes et les Hhammady-
tes, dans la domination des Almohha-
libyen, tour à tour royaume des Bat- des, dont le grand empire ne dure
tiades , république turbulente , con-
guère plus d'un
deviennent siècle : les
les maîtres Hhafssytes
de Tunis et de
quête des Ptolémées d'Egypte , et
enfinRome
de province et dansobscure dansConstanti-
celui de l'empire toute la contrée qui s'étend depuis
l'Egypte jusqu'aux portes d'Alger; les
nople, en même temps que dans l'église Zyanytes restaurent le royaume de
chrétienne d'Alexandrie. A la suite des
fastes de Cyrène viennent se placer les Telemsên
nytes succèdent , et dans
aux l'ouest, les Méry-
Almohhades, les
annales de Carthage, depuis sa nais- Bény-Ouathâs aux Mérynytes; puis
sance jusqu'à la conquête des Ro- aux Bény-Ouathâs des schéryfs Da-
mains : récit dramatique de la lutte
ra'ouytes , remplacés enfin par les
acharnée où succomba l'opulente ri- schéryfs Fillêlytes aux mains des-
vale de Rome. Puis nous nous occu-
pons de la Numidie et des Maurita- quels est encore aujourd'hui le scep-
tre de Marok. Dans l'est, Tripoli, Tu-
nies , dont l'antique histoire acquiert nis, Alger, conquis par les Turks , ne
un intérêt nouveau par suite de notre
possession sont plus que des paschâliks de l'em-
bleau de laactuelle de l'Algérie.
domination Le ta-
des Romains pire othoman; et en 1830, Alger, ar-
en Afrique , du développement et des raché aux pirates, devient une pro-
vicissitudes du christianisme en ces vince française.
contrées, le récit de la conquête et de EGYPTE ANCIENNE.
la souveraineté passagère des Vanda-
les, enfin la restauration byzantine, De la région barbaresque nous pas-
complètent cette section de l'ouvrage sons en Egypte , dont le sol est jon-
47
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
ché d'innombrables débris des temps souvenirs qui nous restent des vieilles
antiques; témoins, longtemps muets annales de la Nubie où fut Napata ,
pour nous , d'une longue succession du Sennâr où fut Méroé , de l'Abys-
de siècles, ils nous en redisent aujour- sinie où fut Axum , en même temps
d'hui l'histoire, depuis que le génie de que l'esquisse des révolutions qui s'y
Champollion a su faire parler les mil- sont accomplies jusqu'à nos jours.
liers de légendes hiéroglyphiques dont
leurs faces sont couvertes. A la vue NIGBITIÉ.

de ces vénérables monuments, l'esprit Nous entrons alors dans la Nigri-


s'enfonce dans la profondeur des âges tie. Là, ce n'est plus dans la descrip-
pour étudier cette primitive Egypte, tion des monuments , dans l'étude
dont il veut connaître l'ancien état d'une civilisation immémoriale , dans
physique et les anciens habitants , la les récits d'une lutte acharnée dont
constitution politique , l'organisation dans l'empire du monde est le prix, ou
civile , les mœurs , les usages , les les chevaleresques exploits des
croyances , et les curieuses écritures, apôtres d'une religion enthousiaste,
tracées , peintes , sculptées partout à que se trouve l'intérêt de notre tra-
profusion. Puis il interroge ses im- vail. Ce sont les mœurs, les coutumes,
mémoriales annales, où se succèdent, l'aspect, le langage, les costumes va-
après les dieux et les héros , trente- riés, les croyances et les superstitions
trois dynasties de rois et d'empereurs, singulières, qui doivent former les di-
depuis l'indigène Menés jusqu'au by- véritablement verses parties d'un tableau animé et
zantin Héraclius, détrôné par la con- pittoresque, où des
quête des Arabes. hommes noirs, bruns, basanés , olivâ-
tres, gris, jaunes, au corps tailladé de
EGYPTE MODERNE ; ETHIOPIE. mille insignes distinctifs, doivent se
distribuerpar groupes différemment
Là commence l'histoire moderne de caractérisés , depuis le Peul jusqu'au
l'Egypte , d'abord simple province du Hottentot , depuis le Yolof jusqu'au
grand empire des khalyfes, puis éman- Sçoumâly. Entre le bassin du Nil et
cipée sous les Thoulounydes, reprise, l'Océan s'étend, d'est en ouest , l'im-
et perdue encore par la révolte des mense zone du Takrour, où se succè-
Ekhschidytes , puis conquise sur ces dent, après le Kordoufân et le Dâr-
derniers par les Fathémytes, qui se la Four, les grands empires, disons plu-
virent enlever à leur tour par les tôt régions, de Bornou, de Hhaousâ,
Ayoubytes ; ceux-ci furent dépouillés de Mêly, terminés à l'occident par la
eux-mêmes par les mamlouks bahha- Sénégambie, et touchant au sud le
rytes , auxquels succédèrent les mam- Ouanqârah,
louks circassiens , remplacés enfin du Niger, et signalé dont lespar l'embouchure
rivages , connus
par les Turks othomans. La France sous le nom de côte de Guinée, nous
alla inoculer à ces derniers posses- offrent les grands états d'Aschanty,
seurs de la vieille Egypte le germe de Daoumeh et de Bénin. Plus loin,
d'une civilisation nouvelle , et il s'est c'est le Congo, lié par de curieux rap-
trouvé un homme , dont la main vi- ports de langage avec les peuples Be-
goureuse et la volonté irrésistible, tchouanas, frères eux-mêmes des Ka-
étouffant fres de la côte orientale , que tentent
populationsl'anarchie
orientaleset àfaçonnant
ïordre desles
aujourd'hui de refouler les Anglais,
sociétés européennes , a tenté de re- possesseurs de la riche colonie du Cap,
constituer une monarchie égyptienne. ou les races hottentotes ont à peine
Ses armes ont pénétré jusqu'aux plus laissé quelques restes. Les autres par-
hautes régions du Nil , et rattaché ties de l'Afrique ne s'étaient montrées
ainsi à l'histoire de l'Egypte moderne à nous que du point de vue européen ;
celle de l'antique Ethiopie. Là se pla- celle-ci veut être envisagée du point de
cent donc naturellement le peu de vue africain.
48 L'UNIVERS.

ILES DE L'AFRIQUE. que Atlantide, vérité perdue ou fiction


ingénieuse , qui relie entre eux les ar-
Enfin, nous arrivons aux îles qui chipels des Açores , de Madère , des
nagent dans la Méditerranée et ies Canaries, et du cap Vert , après les-
deux Océans, et qui sont rattachées au quelscenapparaît
continent africain par la position géo- sion, etcet le rocher
autre isoléde deSainte-
rocher l'As-
graphique, l'histoire, ou méritent
le langage. Hélène, stigmatisé à tout jamais par
Celles de la Méditerranée un
développement particulier. Les unes l'exil du grandau homme
avait opposé que" la , France
monde entier et sur
ont été les escales des premières na- lequel l'Europe voulut se venger de la
vigations dont se soit occupée l'anti- longue humiliation qu'il lui avait fait
quité classique; nous les parcourons subir. Nous passons enfin à l'océan In-
en suivant pieusement la trace de ces dien, etlà nous avons deux parts à faire
vieux nautoniers , dont les routes des îles que nous connaissons; d'a-
nous sont tracées dans les périples bord, legroupe où domine Madagas-
grecs; nous arrivons ainsi aux trop car, cette île immense dont les popu-
fameuses Syrtes, où les anciennes îles lations diverses gravitent autour d un
des Lotophages sont devenues plus noyau malai aux mains duquel est le
tard , sous les noms de Gerbeh et de sceptre, et qui oppose une valeur sau-
Qerqeneh, le théâtre des expéditions vage, ou une politique rusée, aux ten-
chrétiennes du moyen âge, et le siège tatives d'établissement des Français
d'une seigneurie féodale ; puis s'of- de Bourbon , aussi bien que des An-
frent ànotre étude les îles que les glais de Maurice , maîtres aussi de
Grecs appelaient Pélagiennes , et au Rodrigue et des Séchelles ; puis les
sein desquelles Arioste et Shakspeare îles de l'ancienne mer Erythrée, célè-
sont venus placer la scène de leurs bres surtout dans l'antiquité, et nous
fantastiques créations ; Malte , enfin , offrant la fameuse Panchaia d'Evhé-
s'empare de notre attention , en nous mère, pleine de merveilles et d'incer-
racontant les hauts faits de cette mi- titudes comme l'Atlantide , et cette île
lice, immortelle dans l'histoire, née à de Dioscoride, qui, sous le nom mo-
Jérusalem, et qui, après avoir illustré derne de Socotora , devenue posses-
Rhodes, vint aussi jeter sur Malte l'é- sion anglaise, sert, aux paquebots de
clat de saarrive
gloire, leavant la Grande-Bretagne, de point de ravi-
Ensuite tour dedes'ycetéteindre.
Océan l'Inde. taillement sur la route nouvelle de
qui semble conserver, dans sa dénomi-
nation même , un souvenir de l'anti-

FIN DE L'ESQUISSE GENERALE.


EEIS'E'OTMB TËT BHSGffiSIPmQtëî 10)13 2L>9.â.imir(§TOc

AFRIQUE ANCIENNE.

INTRODUCTION

Du vaste continent que nous appe- recherches, en investigations pénibles,


lons aujourd'hui du nom commun d'A- en discussions approfondies , allons-
frique, les anciens ne connaissaient nous conduire le lecteur au milieu de
qu'une faible partie : les expéditions ce dédale d'assertions et d'hypothèses,
hardies d'un peuple navigateur avaient de conjectures et d'incertitudes, à tra-
bien pu le contourner au sud; mais il vers lesquelles serpente, indécis et ari-
n'en était résulté aucun agrandissement de ,l'étroit sentier par où la critique
du cercle dans lequel demeuraient ren- introduit ses adeptes dans le sanc-
fermées les notions en circulation par- tuaire de la vérité? Non : sachons nous
mi les Grecs et les Romains, dont les garder de cette faiblesse inopportune ;
traditions constituent pour nous l'an- amant passionné de la déesse qui cache
tiquité classique. au fond d'un puits sa nudité pudique,
jetons un voile discret sur les luttes
SITUATION ET GRANDEUR DE L'AFRI-
QUE DANS LE MONDE CONNU DES persévérantes au prix sachons
chètent ses faveurs, desquellesgarder
s'a-
ANCIENS.
pour nous le secret de ses charmes, et
Quelle place était attribuée à l'Afri- ne livrons à des regards profanes que
que, ou plutôt à la Libye , ainsi que ces contours vulgaires qu'il leur est
la dénommaient les Grecs , dans le donné de contempler.
monde géographique des anciens ? Ce La synthèse, résumant pour les uns
n'jest point d'un mot qu'on peut répon- les multiples souvenirs d'une savante
dre àune question posée en des termes étude , esquissant pour les autres les
aussi larges ; car ce monde antique , traits saillants d'un sujet encore ina-
au sein duquel nous voulons chercher bordé, nous vient en aide ici pour ré-
le site et les proportions de la Libye, duire ses
à phases principales la grande
ce monde fut variable au gré des siè- question que nous nous sommes posée.
cles et des systèmes plus ou moins Tous les monuments de la géogra-
empiriques ou scientifiques des poètes phie ancienne se peuvent, en effet, dis-
et des historiens , des géographes et tribuer en cinq catégories successives,
des philosophes. Il faut donc parcou- auxquelles s'attachent autant de noms
rir toute la série des monuments de
célèbres pour les caractériser. D'abord
la géographie ancienne, pour détermi- apparaissent les poètes, au milieu des-
ner d'âge en âge les conditions et la quels brille Homère; puis se montrent
solution , tout à la fois , du problème les historiens , avec Hérodote à leur
que nous venons d'énoncer. tête : c'est ensuite le tour des géogra-
Entreprendrons-nous ici une pareille
tâche ; et cédant à l'attrait de cette cu- phes
gale descriptifs,
Strabon ; après entre eux
lesquels nul n'é-
viennent les
rieuse étude, féconde en laborieuses
géographes mathématiciens, tous ran-
4e Livraison. (Afrique ancienne.)
50 L'UNIVERS.

gés autour de Ptolémée ; enfin , la dé- nord et le sud sont certainement dési-
cadence romaine nous présente les gnés par Homère comme le côté de
itinéraires, notices, dictionnaires, et Borée ou de l'Aquilon et le côté de
cosmographies, fastidieuses mais uti- INotos ou de l'Autan. Plus tard on ap-
les compilations, dont les plus impor- pliqua aux deux segments les noms
tantes ont eu pour rédacteur Éthicus : d'Europe et d'Asie ; mais le poète ne
c'est encore de la géographie ancienne, connut ces deux noms que dans une
acception beaucoup plus restreinte ,
mais c'est déjà le moyen âge de la
géographie. inscrivant celui d'Europe entre le Pé-
CONTREES LIBYENNES COMPRISES loponèse et les Iles (*),et celui d'Asie
à l'embouchure du Raystre (**), tout
TERRESTRE D'HO-
MÈRE. LE DISQUE
DANS près d'Éphèse.
Dans l'hémicycle septentrional s'é-
Le Planisphère homérique, dont le tendaient jusqu'au limbe océanique, au
fleuve Océan déterminait le circulaire delà des Mysiens de la Thrace et des
contour, représentait la terre comme peuples hippomolges, les Cimmériens,
dans
tentée lesquels l'ethnologie moderne est
un disque, au centre duquel s'élevait de retrouver les ancêtres de cette
l'Olympe , et que traversait , du cou- puissante race celtique dont les restes
chant àl'aurore, une zone tracée par
la mer Intérieure depuis les sources de portent encore le nom de Cymris.
l'Océan jusqu'au Phase. L'orbe terres- Dans l'hémicycle austral , sur les
tre se trouvait ainsi coupé en deux seg- bords de la mer Intérieure, après la
ments, pour lesquels le divin rhapsode Colchide, laTroade, lesCariens, les
n'avait point encore de noms propres Lyciens , les Solymes, les terres qui
généraux. En vain Strabon, panégy- s'arrondissent autour de Chypre, la
riste, maladroit cette t'ois, de la science Phénicie et les Érembes, s'étend l'E-
gypte ,et enfin la Libye ; et au delà ,
géographique d'Homère , aflirme-t-il sur le limbe que baigne l'Océan, les
que chez le poète l'hémicycle septen- Éthiopiens éloignés , divisés en deux
trional est le côté des ténèbres, l'autre
celui du soleil et du jour. Cette appli- parts, l'une d'Orient et l'autre d'Occi-
cation est plus ingénieuse que vraie, dent. Ainsi dans la mappemonde d'Ho-
et c'est folie de croire que le chantre mère, ledisqueinégales
terrestre',
deux moitiés dontpartagé en
la plus
d'Ulysse ait renversé Tordre de la na- grande était consacrée tout entière à
a mis au dulevant
ture*, quiéternelle l'aurore et
la source jour, au cou- l'Europe, n'offrait plus qu'un segment
chant les ténèbres et la nuit (*). Le amoindri pour l'Asie et l'Afrique, en-
semble ; et quant à cette dernière en
(*) Iïpoç Çocpov — (ÔTtep fort Tcpoç àpxTOv) particulier,
au fond du couchant, qui s'y trouvait
il nous reléguée
reste à
— ai os t' âveuOe T:pô; r,ù> x' rjsXiôv te.
(ôXov ib vÔTiov uXeupôv ouxto )iycov). examiner dans quelles proportions elle
Strabon, I, sur Hom., Odys. ix, 25. s'y trouvait comprise.
Il nous suffit d'opposer à cette explication Ménélas, qui passa huit années à er-
rer sur des plages étrangères avant de
celle qui ressort de cet autre passage d'Ho-
mève (Odyssée, x, 191).
Nous n'avons pas besoin de nous étendre
"*Q 91X01, oùyàp x' Ï8u.êv Ô7tr) Ço<poç, ovS' ont] r)à>ç, ici davantage sur cette question.
Oùo° ôtcy) YjéXioç çaeciu-êpoio; î\a? vtcô yaïoa,
Oûô' otcyj àvveîrai. (*) 'H[xàv ÔQ-oi IleXoTîOvv/iaov lueipav eyo'j-
Nous ne doutons pas que la véritable aiv.
'Hô' ôcroi Eùpo)7a]v xe xai àpupipuraç
traduction ne soit celle-ci : « O mes amis , xatà vyjaouç.
«< nous ne savons plus où sont ni l'obscu- Homère, Hymne à Apollon, a5o.
« rite (l'occident), ni l'aurore (l'orient), ni le
« côté où le soleil lumineux fait sa route au- (**) 'Affito ev XetjM&vi , KaOo-xpîou àu-tpl
«« dessous de la terre {le nord), ni le point où
(Séeôpa. Homère, Iliade, II, 461.
«il culmine au-dessus d'elle {le midi). »
AFRIQUE ANCIENNE.
51
rentrer à Sparte . visita ainsi tour à de Charybde et le rocher de Scylla; il
tour Chypre et la Pîiériicie, les Egyp- y fait naufrage, et, ballotté sur les
tiens et les Éthiopiens, les Sidoniens débris de son navire, il arrive au bout
et les Érembes , et la Libye où les de dix jours à Ogygie, l'île de Calypso
agneaux ont des cornes dès leur nais- fille d'Atlas. Il en repart enfin sur
sance, où les brebis mettent bas trois un radeau , et après dix-huit jours il
t'ois l'an, offrant aux maîtres comme gagne l'île Skhéria, terre des Phéaciens,
aux bergers d'abondantes provisions qui le ramènent à sa chère Ithaque.
de fromage, de chair, et de lait frais, L'antiquité, religieuse admiratrice
puisqu'on peut les traire toute Tan- des chants du sublime poète, devait se
née. Sur quel point de la Libye aborda complaire à reconnaître et à signaler
l'époux d'Hélène? La tradition géo- tous les lieux qu'il avait décrits : aussi
graphique semble nous le révéler, en les noms homériques sont-ils restés
conservant, jusqu'au temps de Ptolé- traditionnellement attachés aux points
mée, le nom de Ménélas à l'un des ports qui semblaient répondre à ses indica-
de la Marmarique. Ménélas , au sur- tions ,et nous les trouvons consignés
plus , ne doit point mourir dans la dans les géographes aussi bien que dans
Grèce : à la fin de ses jours, les dieux les scholiastes. La moderne Gerbeh
le transporteront au champ Élysien , est chez eux appelée l'île des Lotopha-
à l'extrémité de la terre , séjour déli- ges ; Favignana , à la pointe occiden-
cieux àl'abri des neiges, du long hiver tale de la Sicile, représente Éguse,
et de la pluie, doucement rafraîchi par voisine du pays des Cyclopes. Quant à
le souffle du zéphyre, ou vent d'ouest, l'île flottante d'Éole, c'est, d'après les
émane de l'Océan. Malheureusement explications de Pline , la moderne
le poète ne nous dit point à quelle Stromboli. Les Lestrygons d'Homère
distance du phare d'Egypte, où Méné- sont généralement placés sur la côte
las apprit son destin, gisait cette terre d'Italie , au fond du golfe de Gaëte ,
fortunée.
où, suivant le dire d'Horace (*) , La-
Les pérégrinations mos avait régné sur Formies. Le nom
instruiront sans doute d'Ulysse
davantage, nous
car de Circé est resté jusqu'à nos jours
il se rendit lui-même aux limites du attaché à un promontoire, qu'on sup-
profond Océan. Suivons rapidement le pose avoir autrefois été détaché du ri-
sillage de son navire, depuis qu'au dé- vage, et qui passe pour avoir été le
partie Troie, repoussé par les Cicones séjour de la fameuse magicienne. C'est
de la Thrace, il fut emporté par Borée de là que passant devant les îles Syré-
jusqu'auprès de Cythère , et poussé nuses indiquées en face de Pestum, et
ensuite en dix jours chez les Lotopha- traversant le détroit de Messine, Ulysse
ges de la Libye; de là nous le voyons fut poussé dans l'île Ogygie , qui se
aborder chez les Cyclopes, en face des- retrouve dans le groupe maltais , et
quels est l'île boisée d'Éguse; échappé gagna ensuite Skhéria , la moderne
des mains de Polyphême , il arrive à Cori'ou, d'où il revint enfin à Ithaque.
l'île d'Éole, d'où le zéphyre le ramène Dans cette navigation errante, Ulysse
en dix jours jusqu'en vue d'Ithaque , n'a touché aux terres Libyennes qu'en
mais où il est rejeté par le déchaîne- « JEU, vetusto nobilis ab Lauao
ment des vents contraires. Alors il ga- (*)
gne en sept journées la côte des Lestry- « Qui Formiarum înœnia dicitur
gons, sujets du roi Lamos , échappe « Prince|is, et inuanletn Maricae
« Liltoribus tenuisse Lirim,
à grand'peine à leur dent cruelle , et « Latè tyrannus.
gagne Eéa, l'île de l'enchanteresse Horace, Odes, lit, xn.
Circé. De là un jour lui suffit pour se Malte-Brun conduit Ulysse chez les Les-
rendre aux bords de l'Océan, et, re- trygons de la Sicile, mais il oublie que ce
venu chez Circé , un jour encore le peuple était cantonné sur la côte orientale,
conduit, en doublant les îles des Syrè- et il le transporte de son autorité privée
sur la côte septentrionale.
nes, au détroit où l'attendent le gouffre
L'UNIVERS.

deux points insulaires, l'un habité par partagé en deux sections, en sorte que
tout un peuple de Lotophages, l'autre la Libye, bien que considérée encore
par la solitaire fille d'Atlas; et cette comme une dépendance de l'Asie, eut
double indication ne peut guère nous dès lors à l'orient une limite déter-
minée.
suffire pour estimer l'étendue de la
Libye dent.
homérique du côté
Mais nous avons vu de
le l'occi-
(ils de LA. LIBYE DANS LE PLANISPHÈRE
D'HÉRODOTE.
Laërte, parti de l'île de Circé, parve-
nir en un jour jusqu'aux bords de 10- Au temps d'Hérodote, les conditions
céan,
de Circéde ilmême
revientqu'en un jour,de deSicile.
au détroit l'île du problème avaient changé : le disque
Cette deuxième journée nous donne la terrestre s'était étendu, le cercle de
mesure de la première, et nous désigne l'Océan agrandi; il semble même que
le centre du monde se fût déplacé, et
l'entrée de l'Océan fantastiquement que du Parnasse, qui avait succédé à
ouverte sous le méridien de l'île d'Elbe
et de Carthage. Tel était donc le terme l'Olympe, il eût été transporté vers le
sud-est , à Rhodes peut-être.
de la Libye d'Homère. Et l'on n'était L'Europe, en effet, séparée de l'Asie
pas plus avancé dans les siècles sui-
par le Phase, l'Araxe, et la mer Cas-
eût étévants, jusqu'à ceparquela letempête
poussé samien auColéos
delà pienne, était bien aussi longue que
du l'Asie et la Libye, en face desquelles
notredétroit
ère. d'Hercule, 639 ans avant elle étendait ses rivages ; mais elle ne
Si le rapprochement des portes de leur était point comparable en largeur,
l'Océan raccourcissait à ce point la quoique, à vrai dire, personne ne l'eût
encore explorée au nord et à l'est, et
Libye du côté de l'ouest, elle se trou-
vait bien plusrétrécie encore entre les ne pût certifier en conséquence qu'elle
contours méridionaux de l'immense fût de toutes parts entourée par l'O-
céan, comme on le savait pourla Libye
fleuve circulaire et la rentrée des Syr-
tes. On en peut juger en recueillant, et l'Asie, autour desquelles Nékos et
Darius avaient fait naviguer leurs flot-
dans les Pythiques dePindare, la tra- tes le
, premier du golfe Arabique aux
dition primitive du voyage des Argo-
nautes, qui, du Pont-Axène passant Colonnes d'Hercule, sous la conduite
par le Phase dans l'Océan oriental, et des mariniers deTyr, l'autre depuis
naviguant au sud de la Libye, trans- Caspatyros sur l'Inaus jusqu'au golfe
f)ortèrent ensuite leur navire à travers Arabique , sous les ordres de Scylax
de Caryande : ce qui avait permis de
es terres, jusqu'au lac Tritonide, ac- juger que ces deux grandes portions
complis ant endouze journées ce mer-
veilleux trajet de tout le continent de l'hémicycle austral étaient mutuel-
lement de grandeur égale.
africain (*).
Mais quand Hécatée de Milet, qui Mais ce n'est point au Nil que l'il-
écrivit le premier traité de géographie, lustre historien veut placer leur limite
comme son compatriote Anaximandre naturelle : c'est au golfe Arabique, sé-
avait tracé la première mappemonde, paré de la mer Intérieure par un isthme
eut désigné le Nil comme un bras de si étroit! Au surplus, il trouve risible
l'Océan, les Argonautes virent s'ouvrir qu'on ait voulu couper ainsi en trois
pour eux une voie plus aisée de retour parts l'orbe terrestre , et qu'on ait
à la grande mer Intérieure, et le con- choisi précisément le Nil pour faire
tinent austral se trouva naturellement cette coupure, puisque sa bifurcation
sépare de l'Asie et de la Libye, tout à la
fois , le Delta égyptien, qui constitue-
(*) Àto8e-/.a oï itpotepov
'Ayipa; i\ 'Qxsavov cpépo^sv rait ainsi lui-même une quatrième (*)
NoÔTtov U7rèp yaïaç èpr^cov
'EvàXiov ôopu.
Pindare, Pythiques, IV, Sir. 2. dans(*) leur
Les division
Égyptiensethnologique
l'entendaient dubien ainsi
monde,
AFRIQUE ANCIENNE. 53
partie du monde!... Ces moqueuses Bien que les conquêtes de la science
sorties du grave historien nous prou- ne soient point irrévocablement assu-
vent que ses propres idées , malgré rées contre des retours d'ignorance
et de barbarie, il faut néanmoins se
leur justesse, n'étaient point celles qui
avaient cours parmi ses contempo- garder de croire, sur la foi de quel-
rains, et que l'Egypte restait séparée ques exagérations modernes, que l'é-
de la Libye. cole aristotélique, venue plus d'un
Les connaissances constatées par siècle après Hérodote, eût rétrogradé
Hérodote sur la Libye au delà de jusqu'au monde d'Homère; que l'au-
l'Egypte suivent trois lignes principa- teur d'un livre publié sous le nom du
les vers l'occident : l'une s'avance le Stagyrite lui-même ait voulu repré-
long des côtes de la Méditerranée, at- senter la Méditerranée comme for-
teint le détroit des Colonnes , et le mant legolfe Syrtique immédiatement
franchit pour se continuer jusqu'à un après le détroit des Colonnes ; qu'un
peuple avec lequel les Carthaginois autre disciple d'Aristote, Héraclide
échangeaient leurs marchandises con- de Pont, ait parlé de Rome comme
tre de l'or; l'autre , partant de Thèbes d'une ville voisine de l'Océan. Ce sont
d'Egypte, se poursuit d'oase en oase, là de pures équivoques : Héraclide, en
à travers le désert, jusqu'à l'Océan ; la effet, avait consigné dans un de ses
troisième, inclinant plus au sud, sil- écrits la vague nouvelle de la prise de
lonne tour à tour des pays habités, des Rome par les Gaulois, et il la dési-
solitudes infestées de bêtes sauvages, gnait comme une ville assise sur les
des déserts sablonneux, et aboutit en- bords de la Grande mer; et la
fin aux bords d'un fleuve intérieur Grande mer ne fut jamais, dans l'an-
coulant d'ouest en est , habités par mais bien tiquité celui
classique,dele la
nomMéditerranée.
de l'Océan,
des hommes noirs , ce qui a fait con-
jecturer que cette indication s'applique Et quant au livre aristotélique Du
au grand fleuve Kouârâ ou Niger, qui Monde, on n'y trouve que cette ex-
passe à Ten-Boktoue. plication pleine de justesse : « L'O-
S'il en est ainsi , Hérodote aurait « céan, répandu autour du monde que
recueilli dans ces informations , qui « nous habitons, se frayant une route
n'étaient, au surplus, que le simple « à travers le détroit appelé les Co-
récit d'une expédition isolée, des ren- « lonnes d'Hercule, forme une mer
seignements quis'étendaient, dans la « intérieure, s'agrandissant de proche
Libye intérieure, bien plus loin que « en proche et s'enfonçant dans des
les Grecs ni les Romains des siècles « golfes considérables, se rétrécissant
ultérieurs ne poussèrent leurs connais- « et s'élargissant tour à tour. Et d'a-
sances géographiques. Il ne faut point « bord, en effet, Ton dit que sur la droite
oublier, d'ailleurs, que, dans les idées « des navigateurs venant des Colonnes
que le père de l'histoire se formait de « d'Hercule, elle s'avance dans les
l'orbe terrestre, la Libye et l'Asie se « terres et produit les deux Syrtes;
balançaient symétriquement de part et « tandis qu'à l'opposite elle forme les
d'autre du golfe Arabique, et que même « trois mers Sarde, Gauloise et Adria-
l'Arabie était, au midi, la dernière des « tique, immédiatement suivies de la
terres habitées (*). « mer de Sicile, après laquelle vient
« la mer de Crète, ayant elle-même
où ils se donnaient comme de raison la « d'un côté celles d'Egypte, de Syrie
première place , sous le nom de Rome ou « et de Pamphylie, de l'autre la mer
Hommes ; puis venaient successivement les « Egée et celle de Myrtos. »
Nahasi ou Africains, les Namou ou Asia-
Il n'y a là, certes,- rien qui ne soit
tiques et
, les Tamliou ou Européens. d'une parfaite exactitude; mais notre
J*)oîxeouivtov
TTpoç 8' au x^pîwv
(j.£aa|j.êpirJ;
vaniteuse légèreté est prompte à taxer
Ttov èorî. ir>yârr\ 'ApaêiY]
Hérodote, Thalle, 107.
d'ignorance et d'erreur ce qu'elle ne
s'est pas donné la peine de compren-
54 L'UNIVERS,

rire * et c'est ainsi qu'une critique plis ; la sphéricité de la terre, ensei-


superficielle et tranchante a pu mé- gnée par Aristote, était devenue une
connaître la supériorité réelle de l'é- vérité incontestable; et la mappe-
cole la plus savante de l'antiquité. monde, cessant de représenter un
Mais si Ton ne peut imputer aux disque imaginaire, devait offrir désor-
disciples d'Aristote un retour aux mais une projection rationnelle de la
vagues et étroites limites du monde portion habitable de notre globe. Vers
homérique, on est forcé de reconnaî- le pôle un froid excessif, sous la zone
tre que Pline, compilateur laborieux torride une chaleur insupportable, ne
plutôt qu'habile critique, a reproduit, permettaient l'habitation de l'homme
sur la distribution des terres et leur que sur un espace allongé d'est en
étendue relative, des idées qui sem- ouest entre ces deux extrêmes de
blent appartenir à l'âge d'Hérodote température; en sorte que pour long-
bien mieux qu'à son propre temps, temps désormais VÉcumène (*), ou
malgré cinq siècles entiers d'études monde habité, présenta la figure d'une
progressives. Pour lui, l'Europe est chlamyde, ou, pour nous servir de la
presque égale à l'Asie et l'Afrique comparaison de Possidonius. répétée
ensemble; l'Asie équivaut à peine aux dans les vers de Denis le Périégète (**),
deux tiers de l'Europe, et l'Afrique elle affecta la forme d'une fronde,
n'en atteint pas les deux cinquièmes; mesurant, du levant au couchant, une
en d'autres termes, l'Europe compte, longueur ou longitude double de la
dans l'orbe terrestre, pour un tiers et largeur ou latitude comprise entre le
un peu plus d'un huitième, l'Asie pour midi et le septentrion,
un quart et un quatorzième, et l'A- Dès lors aussi la Libye ne fut plus
frique pour un cinquième augmenté comptée comme une dépendance de
d'un soixantième. Afin de représenter l'Asie, et formant avec elle l'hémicy-
ces grandeurs relatives par une série cle austral, tandis que l'Europe cons-
unique de chiffres qui répondent à tituait à elle seule l'hémicycle boréal ;
toutes les conditions énoncées par l'en- l'Écumène fut considérée comme sé-
cyclopédiste romain, nous consigne-
rons ici les valeurs suivantes de cha- (*) oixovpiévY] est l'expression usuelle des
que fraction dans l'unité terrestre : auteurs grecs; notre langue a bien admis
Europe 0.48 l'adjectif écwnénique, mais elle n'a point
Asie 0.31 accepté encore écumène; cependant nous
Afrique 0.21 ne faisons Pas difficulté d'employer ici ce
déjà tenté...de natif
Humboldt a ,.,.,,,,.
ser que Pline s'
.. Gardons-nou
^ fût toutefois ' suppo-
de
resté complètement
r *p.Au q»«
M,,*er- surplus, I impossibilité d habiter sous
étranger aux connaissances perfec- h zone ^ J{aii im abso|ne : on
tionnees qui assujettissaient- la geogra- admellait Vlle fut tn£ePfée
phie de son temps n de savantes theo- baildeétroite de lieux habitables .Tic oixou- ,
ries cosmographiques. Nous nous ^y, «utt, Èari , 8tà u.é^ t^ àoixr^ou ôtà
bornons à constater qu'il restait fidèle xaùu.a aievr) texajiév*!, ainsi que le dit Sira-
aux traditions du siècle d'Hérodote sur bon à propos des déterminations australes
la distribution des trois grandes par- d'Hipparque.
ties du monde, et qu'il demeurait, sur (**) Mv^aou.^ 'Qxeavoïo pa6uft6ou- èv
ce point, en arrière des notions déjà yàpèxsîvw
acquises touchant la grandeur rela- Ilàca ybw, àxe vrjffoc àueipiToç,
tive de l'Asie. loreçdvwTaf
6ouç,
Où [xyjv Tràaa Staupô 7tepiSpou.oç , àXXà
LÀ LIBYE DANS LA MAPPEMONDE 5iau.<piç
DE STRABON. E-jpuTspy] (3e6auTa 7tpoç rjeXioio xeXeu-
Au temps de Strabon, en effet, ïçevôôvyj eîoixuîa.
d'immenses progrès s'étaient accom- Dewts, Pér'ûghe, 3-7.
55
AFRIQUE ANCIENNE.
parée par le Nil, la mer Egée, la Pro- dre que le double de cette quantité.
f)ontid(\ le Pont-Enxin, la Méotide et
e ïanaïs, en deux fractions conoïdes, se Quelle
trouvaitportion de l'Afrique
comprise actuelle
dans ce triangle
l'une orientale et formée tout entière ou ce trapèze? On ne peut se dissi-
par l'Asie, l'autre occidentale et répu- muler qu'elle était peu étendue. Le
tée Europe dans son ensemble, mais point extrême auquel on fût parvenu,
subdivisée par la Méditerranée en sur la côte orientale , était le promon-
deux parties, savoir, au nord l'Europe toire appelé Corne du Sud, qui semble
proprement dite, et au sud la Libye. ne pouvoir être cherché plus loin que
Celle-ci comptait donc toujours pour le Râs-el-Kheyl , vers le huitième
un quart, plus ou moins, du monde degré de latitude nord. Sur la côte
habité ; mais elle était annexée à l'Eu- occidentale , on connaissait les îles
rope au lieu de l'être à l'Asie. Elle Fortunées , situées à une médiocre
offrait, au surplus, la figure d'un trian- distance des extrémités de la Mauri-
gle rectangle dont le Nil et la Méditer- tanie ,après laquelle étaient les Éthio-
ranée traçaient les deux côtés mu- piens du couchant , limitrophes des
tuellement1 perpendiculaires, tandis états de Bocchus : on ne s'avançait
que l'Océan en baignait l'hypoté- les
donc Canaries
guère au étaient delà dule cap
dernier
Nounterme
* et
nuse; quelquefois aussi on la regar-
dait comme un trapèze, sans doute que l'on atteignît. Dans l'intérieur
parce que le retranchement du Delta des terres , on n'avait que des notions
égyptien mettait en évidence un qua- très-vagues sur la région montagneuse
trième côté dessiné par la branche et déserte occupée par les Gétules et
Canopique du Nil. Le sommet aus- par les Garamantes, au delà desquels
tral de cette figure se prolongeait sous on pouvait, en neuf ou dix jours,
la zone torride, et l'on n'en parlait arriver chez les Éthiopiens répandus
que par conjecture : d'Alexandrie à sur les bords de l'Océan : d'où il suit
Méroé, surait capitale que cet Océan était censé passer à une
dix mille de l'Ethiopie,
stades environ,on etme- de centaine de lieues tout au plus de
là jusqu'à la limite commune de l'É- Germa, et non loin des limites méri-
cumène et de la région torride, encore dionales du Fezzan.
trois mille stades; en sorte que la plus Au surplus, la disposition que l'on
grande largeur de la Libye se pouvait
estimer à treize ou quatorze mille sta- inévitablement très-défectueuses dans un
des (*); sa longueur était un peu moin- âge où l'on n'avait que des instruments très-
imparfaits, déterminèrent, sur le méridien
(*) Le stade, de 600 pieds grecs, ou 6i5 céleste, la mesure angulaire de l'arc com-
pieds romains, équivalait précisément à pris entre le zénith d'Alexandrie et celui de
un huitième de mille romain , ce qui revient Syène , à un cinquantième environ de la
à un dixième de mille géographique. circonférence totale; et comme la mesure
Le lour de la terre , pris sur un de ses itinéraire de ces deux points était à peu
grands cercles, était estimé 252,000 sta- près de 5oo stades, on en conclut très-logi-
des : c'était un sixième de plus que la me- quement que la circonférence à laquelle
sure généralement admise aujourd'hui. Gos- appartenait cet arc contenait en totalité
sellin a eu la singidière prétention d'établir 252,000 stades, ce qui donnait 4200 stades
que les anciens connaissaient la véritable par soixantième de cercle, comme comptait
mesure de la terre , et qu'ils en avaient Eratosthènes, ou 700 stades par dejjré; tandis
déduit la valeur exacte du degré, à laquelle qu'en réalité le degré terrestre ne valait que
était subordonnée la longueur du stade : 600 stades.
c'est renverser l'ordre naturel des idées, et D'autres mesures ayant fourni ultérieu-
méconnaître les leçons journalières de l'ex- rement des bases différentes, on attribua
périence. au degré terrestre une longueur de 5oo sta-
La division du cercle en parties aliquotes des seulement : c'était une erreur en sens
susceptibles d'une mesure angulaire était contraire, puisqu'on
au-dessous de la vérité.restait d'un sixième
enseignée par la théorie; des observations,
56 L'UNIVERS.

attribuait à notre Écumène n'était inconnus à cause de l'insu]


pas exclusive de l'existence d'autres chaleur de la plage intermédiaire; et
terres habitables. L'école d'Aristote il lui paraît très-vraisemblable que le
avait dès longtemps proclamé que no- Nil a chez eux sa source, d'où il se
tre monde était , au sein de l'Océan , rend dans notre hémisphère par des
une grande île, la seule que nous voies souterraines , apportant chez
Eussions voir, mais que, vraisembla- nous , dans ses crues d'été , l'eau
lement, d'autres îles, les unes plus des pluies hivernales de l'hémisphère
grandes, les autres plus petites, émer- austral. Telle est la vague notion que
geaient de l'immense Océan en des l'on se formait alors de la portion ul-
parages éloignés de nous : et comme térieure du continent africain ; et
Eratosthènes affirmait que, si la gran- Pline, tout en croyant aux circumna-
deur de l'Atlantique n'y faisait obsta- vigations de Hannon, d'Eudoxe et de
cle, on pourrait naviguer à l'ouest quelques
moins toute autres , n'en considérait
communication entre pas
les
depuis l'Espagne jusqu'à l'Inde, Stra-
bon objectait qu'une ou plusieurs deux zones tempérées comme imprati-
terres habitables pouvaient occuper la cable àcause de l'ardeur du soleil.
zone tempérée à travers laquelle eût
LÀ LIBYE DANS LA MAPPEMONDE
dû s'accomplir cette navigation : Chris- DE PTOLÉMÉE.
tophe Colomb, à dix-sept siècles de
distance, partit d'Espagne pour na- Ptolémée fut l'éditeur d'une nou-
comme viguer leàl'occident jusqu'à l'Inde
voulait Eratosthènes ; il, velle théorie géographique empruntée
rencontra sur sa route l' Écumène en majeure partie à Marin de Tyr, et
nouvelle prévue par Strabon. où se reflétaient aussi probablement
Pomponius Mêla , plus jeune que quelques-uns des résultats énoncés par
Strabon de quelques années, se pré- Hipparque. La Libye ne fut plus une
occupa moins de l'existence possible simple annexe, soit de l'Asie comme
de plusieurs mondes sous une même aux siècles d'Homère ou d'Hérodoto ,
zone , que de l'existence , à peu près soit de l'Europe comme au siècle de
certaine pour lui , d'un monde habité Strabon ; sa grandeur relative avait été
sous la zone tempérée opposée à la reconnue, et elle prenait rang en con-
nôtre; aussi expose-t-il que la masse séquence immédiatement après l'A-
des terres émergées de l'Océan est sie, et avant l'Europe. L'Océan ne la
partagée par la zone torride en deux terminait plus au nord de l'équateur
côtés ou hémisphères , dont l'un est pour rejeter loin
Antichthones : on d'elle
eut lela mérite
terre des
de
habité par nous , l'autre par les
Antichthones (*), lesquels nous restent savoir ignorer ce qu'on n'avait pas
vu ^ et l'on ne craignit pas d'avouer
(*) Déjà Hipparque avait soupçonné que qu'au nord et à l'est de l'Asie atte-
la Taprobane pouvait bien être le commen- naient des terres inconnues , qu'à
cement de cet autre monde, que Manilius l'ouest et au sud de la Libye atte-
avait également signalé dans ses vers : naient pareillement des terres incon-
« Terraruiïi forma rolunda. nues. Mais on ne s'arrêta malheureu-
« Hanc circurn varia; pentes koininum atque ferarum sement point là : et cette terre incon-
« Aerioeque colunt volucres. Pars ejus ad arctos
« Eminet ; austrinis pars est habitabilis oris,
« Sub pedibusque jacet nostris, supraque videtur « Altéra pars orbis sub aquis jacet invia nobis
« Ipsa sibi fallenle solo declivia longa « Ignotacque hominum gentes, nec transita régna,
« Et pariter surgente via, pariterque cadente. « Commune ex uno lumen ducenti.i sole,
« Hincubi ab occasu nostros sol aspicit ortus, « Diversasque umbras, laevoque cadentia signa,
« Illic orta dies sopitas excitât uibeis, « Et dextros ortus cœlo spectantia verso.
« Et cura luce refert operum vadin.onia terris : Etc.
Idem, ibidem, I, 432 sqq.
« Nos in nocte suinus, somnosque in inernbra loca-
ir.us.
« At tibi, quascumque es, libyco sens igné diremta,
« Ponlus utrosque suis distinguit et alligat undis. « In Noton uinbra cadit, qnac nobis exit in Arcton.f
BfoniLius, Astronomiques, I, 234. Lvcain, Pharsale, IX, 548.
GE(H \ïE D'HOMERE
AFRIQUE ANCIENNE.
57
nue du sud , où se trouvait renfermé et plus étendue des contrées de la ter-
le pavs d'Agasymba, on la contourna re, ainsi que cela arrive encore jour-
nellement pour les régions peu ou mal
vers l'est, parallèlement à l'Asie, pour
enfermer entre elles , comme une au- connues; elle a supposé, dis-je, que
tre Méditerranée , la mer des Indes , la géographie positive a été portée ,
dans des temps primitifs et oubliés, à
désormais
trouvait ainsi séparée de l'Océan
repoussé , qui des
au delà se un degré de perfection qui a produit
terres inconnues. La mappemonde de d'excellentes cartes , défigurées ensuite
Ptolémée, dont le cadre n'embrasse par l'ineptie
romains de notre des géographes grecs
connaissance. ou
Alors
que les parties connues de notre globe,
ne représente point dès lors l'orbe on se pose le problème de deviner
terrestre tout entier ; mais les cosmo- comment Ptolémée a mal compris telle
graphes arabes, qui le prirent pour donnée très-juste du géographe primi-
modèle au moyen âge , nous en don- tif, comment il s'est mépris sur telle
nent un dessin complet. autre donnée, non moins parfaite, et
par quelles corrections on rétablira
Étendue et formes générales du tout cela dans l'état où Ptolémée au-
monde connu de Ptolémée. rait du le laisser. Ce fut, à la fin du
siècle dernier et au commencement de
Le monde connu embrassait, du nord celui-ci, une œuvre glorieuse et vantée
au sud, une largeur de 40,000 stades , que cette restitution fantastique de
et une longueur de 72,000 stades sous toute la géographie positive des anciens.
le parallèle de Rhodes , auquel se rap- Le Les
temps est venu d'en faire justice.
portaient laplupart des mesures en erreurs de Ptolémée sont de
longitude. Ptolémée, qui avait déduit deux sortes , et révèlent elles-mêmes
de quelque mesurage particulier une leur double origine : les unes existent
valeur de 500 stades pour la grandeur uniquement dans la graduation de sa
d'un degré du méridien, comptait donc carte, et proviennent d'une fausse ,base
pour sa mappemonde quatre-vingts de calcul pour la transformation en
degrés de latitude entre le parallèle degrés, des mesures comptées en sta-
trans-équatorial opposé à celui de Mé- des ;le degré de latitude vaut réelle-
roé, d'une part, et le parallèle de ment 600 stades, et Ptolémée l'a éva-
Tulé d'autre lué à500 ; le degré de longitude sous
près la mêmepart; baseet il
de comptait, d'a-
calcul , cent le parallèle de Rhodes vaut réellement
quatre-vingts degrés de longitude en- 485 stades, et Ptolémée l'a évalué à
tre le méridien des îles Fortunées et
444 : voilà de véritables méprises, qu'il
celui de ïhines, capitale des Sines est aisé, de corriger en revenant aux
ichthyophages. mesures foren
L'érudition moderne, frappée de l'er- ; stades
mées et qu'il a ainsi
cette correction trans-
faite, on
reur énorme qu'offrait cette extension aura la carte fidèle du monde tel que
des latitudes et des longitudes, s'est l'a connu le siècle de Ptolémée.
grandement préoccupée d'en recher- Les erreurs de la seconde espèce
cher les causes, afin de restituer , tiennent à l'imperfection
comme on dit, la carte de Ptolémée; dans les observations et dansinévitable
les cal-
mais la science moderne est si ingé- culs de réduction des itinéraires : il
nieuse ,si subtile , qu'elle a imaginé ne nous deappartient pas d'y toucher ,à
de merveilleuses explications, dont le moins vouloir substituer arbitrai-
seul défaut est d'être en contradiction rement, par un capricieux tripotage,
avec les procédés naturels aussi bien aux connaissances de Ptolémée, le
qu'avec l'histoire de l'esprit humain. résultat de nos élucubrations pour les
Elle a supposé que la géographie posi- faire cadrer avec celles que nous pos-
tive des anciens, au lieu de s'améliorer sédons aujourd'hui (*>.
successivement par1 de lents progrès,
dus à une exploration plus attentive (*) La restitution de Ptolémée d'après les
58 L'UNIVERS.
Cependant, après nous être rendu matériaux réunis et discutés en érudit
compte des formes sous lesquelles on par Marin , afin d'en soumettre la
se représentait la Libye, au temps de combinaison et l'emploi à une révision
Ptolémée, il convient d'examiner dans scientifique. Quoi qu'il en soit , nous
quelles limites réelles se trouvaient pouvons, à défaut du témoignage for-
renfermées les notions alors acquises. mel de Ptolémée , qui nous manque
Là, encore, grand conflit entre les souvent, reconnaître par l'inspectionet
géographes critiques; les uns prolon- attentive des noms géographiques,
geant fort loin , les autres restreignant de l'ordre dans lequel ils se succèdent
à l'excès le terme des connaissances sur sa c;irte, à quels documents Ma-
anciennes : pour les gens qui , sans rin les avait empruntés. Ainsi , pour
se plonger dans toutes les profondeurs la côte orientale de la Libye , il avait
de ces graves questions, veulent pour- pris pour guide quelques périples de la
tant sortir de l'indécision qui résulte mer Erythrée, analogues à celui qui
de telles dissidences, le procédé com- nous est parvenu sous le nom d'Ar-
mode des moyennes peut les tirer
rien;tait pour
servi du lacélèbre côte occidentale, il s'é-
périple de H;innon,
d'embarras: In medio virtus , dit le
proverbe , et les proverbes sont la sa- d'une date bien antérieure à Strabon ,
gesse des nations. Eh bien, ce mode mais resté inconnu à celui-ci; quant à
facile de vider sans examen un grand l'intérieur des terres, Marin avait pro-
litige tant
scientifique, bablement employé les itinéraires four-
avec de succès,peutque s'appliquer
la critique ici
la nis par les expéditions militaires de
plus rigoureuse en confirme les ré- Caius Suetonius Paulinus(*), au delà
sultats.
de l'Atlas occidental jusqu'au fleuve
Comme la mappemonde de Ptolé- Gir, et de Lucius Cornélius Balbus (**)
mée nous offre, à peu de chose près, dans la Phazanie , l'un et l'autre indi-
dans leur extension la plus développée, qués par Pline; et nous apprenons de
les notions recueillies par les anciens Ptolémée lui-même que, pour les po-
sur la géographie de la terre , et parti- sitions les plus avancées, Marin avait
culièrement dela Libye , nous ne pou- fait usage des routes de Septimius
vons nous dispenser d'exposer ici , Flaccus(***) et de Julius M a ter nus au
pour le continent auquel est consacré sud de Garama: nous ne connaissons
cet ouvrage, le résultat général des point autrement les détails de ces deux
explorations avancées au moyen des- nouvelles expéditions , et la date même
quelles s'étaitconstatées
agrandi leparcerele des de la dernière est incertaine.
connaissances Strabon.
Vérifions successivement jusqu'où
Ce n'est point Ptolémée lui - même ces documents divers peuvent nous
qui avait rassemblé les documents iti- conduire, tant sur les côtes que dans
néraires employés à la construction de l'intérieur du continent africain, tel
sa carte : ce travail de recherches avait
été accompli par son prédécesseur, que nous le connaissons aujourd'hui.
Kt d'abord , examinons le périple de
M.irin de Tyr, qui avait déjà mis en la côte orientale.
circulation deux éditions de son livre
et de sa mappemonde, et qui était Limite des connaissances anciennes
mort avant d'avoir pu mettre la der- sur la côte orientale.
nière main à la troisième édition qu'il Au sortir du golfe Arabique, auquel
préparait. Le savant d'Alexandrie se
borna à reprendre en sous -œuvre les nous restreignons à présent la déno-
bases de construction fournies par les ob- (*) Consul en l'année 66 de notre ère.
servations modernes, peut procurer quel- (**)vulgaire.
Triomphateur en l'année 19 avant
l'ère
ques résultats de détail d'une application
utile ; mais ce ne peut ùtre ici le lieu d'en (***)ère.Sous Donatien, en l'année 87 de
notre
exposer les procédés ni la portée»
AFRIQUE ANCIENNE.
mination de mer Rouge , on se diri- point à se produire ici. Cette route
était donc, en totalité , de quinze mille
geait àl'est , le long de la cote , jus- stades , et la direction en était au sud-
qu'au cap des Aromates, pointe la plus ouest , tandis que celle des Rhaptes au
orientale de la terre-ferme, et répon-
dant dès lors, sans conteste, à ce qu'on Prason se dirigeait au sud- est.
appelle maintenant le cap Gharda- Telles sont les données que l'anti-
fouy, ou plus exactement Râs'Aseyr. quité afournies aux élucubrations des
De là, naviguant au sud, on contour- modernes : les uns, comme Henri Ja-
nait une chersonnèse ou presqu'île cobs, ont hardiment poussé le Prason
pour gagner le comptoir d'Opone; on jusqu'au cap de Bonne-Espérance; le
dépassait ensuite une double apocope plus grand nombre, et avec eux le
ou échancrure, terminée par un cap docteur William Vincent, à qui l'on
appelé Corne du Sud ; puis on lon- doit un savant commentaire sur le pé-
geait une petite côte et une grande riple de la mer Erythrée, se sont dé-
côte, on faisait escale aux mouillages terminés pour Mozambique, faisant
de Sarapion et de Nicon , on trouvait répondre le comptoir des Rhaptes à
encore plusieurs embouchures de riviè- Quiloa , et le promontoire de même
re ou ancrages, et l'on atteignait enfin nom au cap Delgado. Gossellin, qui
la rivière , le comptoir et le cap des
Rhaptes ou barques cousues, limite ter sansavoirpitié
semble eu pour systèmeled'écour-
ni mesure monde
ordinaire des navigations commercia- connu des anciens, ne fait aucune dif-
les en ces parages. Depuis les Aro- ficulté de colloquer à Brava le cap
mates jusqu'au voisinage des Rhaptes, Prason, et dans le torrent hivernal de
le pilote Diogène avait mis vingt-cinq Doara le fleuve et le comptoir des
jours d'une marche continue; tandis Rhaptes , sans s'inquiéter en rien du
que le pilote Théophile, favorisé par gisement de la côte intermédiaire, qui
le vent du sud , n'avait mis que vingt se continue au sud-ouest au lieu de
jours depuis les Rhaptes jusqu'aux faire retour vers le sud-est.
Aromates, estimant à mille stades cha- Entreces déterminations dissidentes,
cune de ses journées de vingt-quatre nous avons une moyenne, appuyée du
heures. Marin de Tyr jugeait cette es- grand nom géographique de D'A mille,
time fort raisonnable; néanmoins il qui sans doute n'est pas infaillible,
n'évaluait qu'à cinq mille stades, quoi- mais dont l'admirable sagacité est bien
rarement en défaut, alors surtout
qu'elle eût employé bien des jours, la
navigation du pilote Dioscore au delà qu'aucun des éléments de solution ne
des Rhaptes jusqu'au promontoire Pra- lui a manqué. Pour lui , qui d'abord
son , terme le plus éloigné des recon- avait adhéré à l'opinion générale, mais
naissances vers le sud : la variabilité qui modifia ses premières idées après
des vents ne permettait pas une route un examen plus rigoureux de la ques-
assez directe pour autoriser une éva- tion , pour lui, dis-je, les Rhaptes
luation plus considérable. doivent coïncider avec Pâté , et le Pra-
Ptolémée s'enquit lui-même, auprès son avec le cap Delgado : nous ne pou-
des mariniers pratiques de ces parages, vons, ce semble, que nous ranger à
de la distance qu'ils calculaient entre
les Aromates et les Rhaptes ; cette na- plie, aussi pu'sque
son avis, bien quesoncelle explication
du docteurse
vigation équivalait à trente journées Vincent, aux conditions de détail du
de douze heures, soit de jour, soit de périple ancien et des tables de Ptolé-
nuit , qu'on devait estimer à quatre ou mée, tout en se renfermant dans les
cinq cents stades chacune. Ce résultat limites les plus restreintes où se puisse
encadrer la double direction de la côte
est précisément celui qu'offrait déjà le
périple spécial de la mer Erythrée au sud-ouest jusqu'aux Rhaptes, puis
connu sous le nom d'Arrien (antérieur au sud-est depuis les Rhaptes jusqu'au
Prason.
de quatre-vingts ans à Ptolémée), sauf
La chersonnèse immédiatement
quelques dissidences de détail qui n'ont
60 L'UNIVERS.
et son étude fut de restituer en con-
après laquelle vient le comptoir d'O- séquence cette partie du littoral : le
pone , ne peut , dans toutes les hypo-
thèses, être méconnue dans la pres- promontoire Arsinarion ou Ryssa-
qu'île vulgairement appelée, sur nos dion, identifié avec le promontoire
anciennes cartes, cap d'Orfui, et plus Gannaria d'une part, et avec celui
exactement désignée aujourd'hui sous d'Hercule d'une autre part, fut placé
la dénomination indigène de Ras-Hha- au cap de Ger; la Corne du couchant,
foun, qni semble conserver quelque identifiée avec le promontoire du grand
Atlas , fut établie au cap Noun ; le
trace de l'antique nom d'Opône. fleuve Masitholos, confondu avec le
L'île Menuthias, inscrite dans les
tables de Ptolémée au nord-est du Pra- fleuve Nia d'une part, et avec le fleuve
son, a été spécialement considérée, Nouios d'autre part, fut représenté
par les partisans de l'hypothèse la plus par le fleuve vulgairement appelé au-
large, comme un indice de la grande jourd'hui Ouêdy Noun; et l'hypodro-
île de Madagascar ; dans la pensée de me d'Ethiopie trouva sa place non loin
D'Anville, c'est de la moderne Zanzi- de l'embouchure.
bar qu'il s'agit. Nous aurons à revenir Aucune des hypothèses que nous
sur ce sujet dans la partie de cet ou- venons
vrage où nous traiterons spécialement manière de signaler ne
satisfaisante résout d'une
la question pro-
des îles africaines de la mer Erythrée. posée :toutes pèchent par la base, en
Limite des connaissances anciennes ce qu'elles ont toutes négligé, pour la
sur la côte occidentale. détermination du promontoire Ar-
sinarion, une condition essentielle,
Transportons-nous maintenant sur résultant des tables mêmes de Pto-
la côte occidentale, pour y détermi- lémée, savoir, de se trouver préci-
ner aussi le point
de Ptolémée. Le trait d'arrêt des notions
saillant de ces sément par le travers des îles Fortu-
nées, que représentent de nos jours
longs rivages que le géographe alexan- les îles Canaries. Le cap Boyador seul
drin trace jusqu'à cinq degrés seule- est justement ainsi placé : voilà donc
ment de distance de l'équateur, c'est le véritable cap Arsinarion; et tout à
le cap Arsinarion, qui s'avance consi- côté s'élève la Penha-Grande, ou le
dérablementl'ouest,
à et après lequel grand Rocher des premiers explora-
s'ouvre le golfe Hespérique, c'est-à- teurs portugais, pour représenter le
dire occidental, où l'on remarque suc- promontoire Ryssadion. La Corne du
cessivement un promontoire appelé couchant semble se retrouver dans le
Corne du couchant, l'embouchure du cap du Lagedo ou pavé, au sud du-
fleuve Masitholos qui vient de la quel s'ouvre le fameux Rio do Oaro,
montagne nommée Char des Dieux, ou fleuve de l'Or, visité au quator-
et enfin trémitél'hypodrome
des terres connues d'Ethiopie, ex-
dans cette zième siècle par les marins de la Mé-
direction. diter anée, etoui répondrait au Masi-
tholos,de Ptolémée; enfin, l'hypodro-
Pour un grand nombre d'érudits me d'Ethiopie viendrait se placer dans
du siècle dernier, le golfe Hespériqus la petite anse innommée qui précède
n'était autre que la grande mer de l'Angra de Gonçalvo de Sintra.
Guinée, et la Corne du couchant ré- Telle est la synonymie géographique
pondait au cap des Palmes. D'An- àopinion,
appliquer
ville trouva que le promontoire Arsi- aux aujourd'hui, dansavancés
points les plus notre
narion était évidemment représenté de la côte occidentale d'Afrique dont
par le cap Vert, et le Char des Dieux ait fait mention Ptolémée. C'est jus-
par les montagnes de Sierra-Leone. que-là
Gossellin pensa tout autrement; il crut gation dequeHannon,
s'était prolongée
aux tempsla navi-
de la
découvrir que Ptolémée avait répété
splendeur de Carîhage ; mais l'Italie
jusqu'à trois fois, bout à bout, une et la Grèce n'eurent qu'une révélation
même série de points géographiques, tardive de ces explorationspuniques, et
Gl
AFRIQUE ANCIENNE.
Pomponius Mêla semble êtrele premier trême limite de nos connaissances sur
qui en eût employé les résultats dans l'Afrique centrale, et la géographie
un ouvrage géographique. Le roi .Tuba vulgaire s'est même emparée du nom
le jeune les^ mais
circulation; avait ilsans doute pas
ne paraît en de
mis que Niger pour l'appliquer au fleuve le
plus considérable de ces parages, ce-
les reconnaissances nautiques exécu- lui-là même dont Laing, Caillié, Mun-
tées par ordre de ce prince eussent go-Park et Lander ont découvert de
dépassé les Canaries, et c'était encore, notre temps quelques fractions suc-
cessives.
probablement, sur la seule foi de Han-
non, qu'après un intervalle de six siè- notions Il y a pourtant bien loin de là aux
cles Marin
, de Tyr et Ptolémée indi- réelles des anciens. Chez Pto-
quaient sur leurs cartes la côte qui se lémée, le Nigir et le Gir sont deux
développe au delà des îles Fortunées. fleuves, presque connexes, mais cepen-
Nous examinerons dans son ensem- dant distincts, le premier occupant la
ble et ses détails cette expédition de région de l'ouest, le second celle de
Hannon, le long des côtes libyennes, l'est. Quant au premier, son cours est
à l'île de Kernèet aux îles Gorgades, compris entre les montagnes Mandron
en traitant, dans la suite de cet ou- et Thala, d'un côté, Sagapola et Ou-
Atlantique. vrage, des îles africaines de l'océan sargala de l'autre : celles-là au sud,
celles-ci au nord. Quant au second, il
Limite des connaissances anciennes est compris entre le même mont Ou-
sargala et la vallée Garamantique. Or,
dans l'intérieur. ce mont Ousargala. dont le nom se
Maintenant, c'est dans l'intérieur trouve mêlé à la description du cours
des terres, dans ces régions si peu de ces deux fleuves , est justement
connues à nous-mêmes, que nous aussi le point de départ du Bagradas, le
avons à chercher la limite des explo- fleuve de Carthage, et il serait dès lors
rations romaines et des notions re- complètement superflu de chercher
cueillies parMarin de Tyr et Ptolémée. d'autres preuves que les deux cours
Des rivières, des montagnes, des d'eau signalés par Ptolémée dans la
noms de contrées et de peuples, occu- Libye intérieure, ont leurs sources
pent le vaste espace compris entre les au revers de l'Atlas, et coulent au
deux côtes dont nous venons de véri- nord du grand désert : et l'on peut
fier l'étendue : le Nil, avec ses sources juger par les noms de quelques peu-
remontant jusqu'aux montagnes de la plades indiquées au delà du Gir et du
Lune, est tracé dans la partie orien- Nigir, telles que les Dolopes, les As-
tale. De ce côté, si le cours supérieur tacures, les Mimaces, les Nabathres,
de ce fleuve n'est pas une délinéation inscrites en même temps sur le ver-
fantastique et conjecturale, les con- sant boréal de l'Atlas, qu'il ne s'agit
naissances des anciens ont été pous- en définitive ici que de la région atlan-
sées plus loin que les nôtres ; il fau- tique.
drait avouer, dans tous les cas, qu'ils Puis vient l'Ethiopie intérieure, où
étaient aussi instruits que nous sur se trouvent l'éléphant, le rhinocéros
la région du haut Nil. et le tigre : on n'y voit figurer aucun
Deux autres grands fleuves, le Gir nom de peuple, mais seulement quel-
et le Nigir, serpentent en plusieurs ques montagnes, et la grande contrée
rameaux sur le reste de la Libye inté- d'Agasymba, après laquelle tout est
rieure, et c'est même à la région qu'ils ces absolument inconnu. Nous savons que
arrosent qu'est spécialement restreinte vagues notions étaient le résultat
cette dernière dénomination. On a des expéditions de Septimius Flaccus
beaucoup disserté sur la question de et de Julius Maternus. Le premier,
savoir quels fleuves modernes repré- dans une campagne de trois mois,
sentent ces deux grands cours d'eau : était allé^ de chez les Garamantes
on les a longtemps cherchés à l'ex- chez les Éthiopiens du sud; l'autre,
62 L'UNIVERS,

parti de Garama et de la Grande Lep- heures de la nuit (*). Que dis -je? la
tis, avec le roi des Garamantes. pour rotondité même n'est plus une condi-
marcher droit au sud contre les Éthio- tion des représentations graphiques;
piens, avait, dans l'espace de quatre et le moine grec Cosmas, surnommé
mois, atteint la contrée d'Agasymba; Indicopleustes ou le navigateur in-
mais, saitremarquait Ptolémée, il s'agis- dien inscrit
, sa mappemonde dans un
des Éthiopiens limitrophes des parallélogramme, sur la marge duquel
Garamantes, étendus à l'ouest et à reparaît,
des au delà dede l'Océan,
Antiehthones la terreà
Mêla, offrant
l'est aussi bien qu'au midi, etl'on n'en
rapportait d'ailleurs aucun renseigne- l'orient le paradis terrestre, où se
voient les sources non-seulement du
mesurerment digne d'intérêt,
là-dessus Nous des
la valeur pouvons
con- Gihon ou Nil , comme l'avait énoncé
naissances acquises jusqu'alors sur le géographe romain , mais aussi de
l'Afrique centrale : elles se rédui- l'Euphrate, du Tigre et du Phvson.
saient àquelques vagues indices des Dans les œuvres du moyen âge pro-
peuples noirs qui bordent le Fezzan prement dit , se reproduisirent ces
par nosle jours.
sud, c'est-à-dire, des Tibbous fantastiques délinéations du monde
de connu des anciens. Les disques offrant
un hémicycle et deux quartiers se re-
Connaissances géographiques posté-
rieures àPtolémée. trouvent "nombre de fois; les Anglo-
Saxons, à i'autre bout de la terre, ont
Après Ptolémée, la science de la aussi laissé leur parallélogramme, ana-
terre subit une révolution nouvelle :
logue àcelui de l'indicopleustes Cos-
alors commence une époque de tran- mas ;quelques traces de la terre des
sition où la géographie, Rappliquant Antichthones se montrent sur de rares
encoretoireàdu monde,
la périodese ancienne mappemondes oibiculaires , dans les
rattache deparl'his-
ses conditions indiquées par Mêla; puis
formes aux siècles ultérieurs : ainsi apparaissent les planisphères arabes,
que nous l'avons dit plus haut, ce où percent, à travers l'impéritie de
n'est point encore la géographie du l'art le plus naïf, les enseignements de
moyen âge, mais c'est déjà le moyen Ptolémée , et son système du prolon-
âge de la géographie. gementla mer
de l'Afrique à t'est pour une
en-
Toutes les cosinographies latines fermer des Indes comme
sont désormais rédigées sur une base autre Méditerranée; ceux-là servirent
qui s'éloigne peu de ce principe fon- de modèle aux cosmographes néo- la-
damental que
, l'orbe terrestre, cireu- tins (iui vinrent après eux, jusqu'à ce
lairement entouré d'un océan continu, qu'une subite lumière sur la véritable
est diamétralement coupé du nord au forme de la terre détermina la brusque
sud par le Tanaïs et le Nil, en deux transition de ces planisphères grossiers
parties, dont la plus orientale s'ap- aux mappemondes sphériques de la
science moderne.
pelle Asie , tandis que celle d'occident
est séparée d'est en ouest par la Mé- RÉSUMÉ DES NOTIONS DES ANCIENS
diterranée en deux quartiers , l'un
d'Europe , l'autre d'Afrique. C'est un SUR L'AFRIQUE.
retour
thènes etgrossier de Strabon. aux lia
idées d'Ératos-
sphéricité de Ainsi , dans la revue historique que
la terre s'efface même devant les scru- nous venons de passer des phases di-
pules des Pères de l'Église; on rétro- verses sous lesquelles se sont produites
grade jusqu'au disque plan d'Hérodote
et d'Homère; et le soleil, effectuant (*) On retrouve l'exposition de ce sys-
son cours du levant au couchant par tème au neuvième siècle dans le géographe
le midi pendant les douze heures de la anonyme de Ravenne , et son application
journée, revient du couchant au le- graphique beaucoup plus tard encore, dans
vant par le nord pendant les douze le Planisphère niellé du musée Borgia.
AFRIQUE ANCIENNE.
successivement les connaissances géo- Rio do Ouro , par le nord du désert63,
le pays des Tibbous, et les sources du
graphiques del'antiquité sur l'étendue
et la repartition des continents ter- Nil , jusqu'au cap Delgado voisin de
restres, parmi lesquels nous avions à
Quiloa.
reconnaître la place réservée à l'Afri-
que, nous avons vu, tour à tour, Ho- LIMITES DE L'AFRIQUE ANCIENNE
mère, donnant à l'Europe la plus grande DU CÔTÉ D'ASIE.
moitié du disque , laisser l'autre seg-
ment àl'Asie, dont la Libye occupait Ptolémée, le premier, avait osé mar-
l'extrémité occidentale ; puis Hérodote, quer expressément la séparation de
amoindrissant l'Europe, consacrer à l'Afrique et de l'Asie à l'isthme que les
l'Asie le segment le plus considérable, modernes ont aussi adopté pour limite
dans lequel la Libye avait la moindre définitive : Hérodote en avait déjà eu
part; ensuite Strabon, attribuant à la pensée, mais il ne l'avait pas impo-
l'Asie toute la moitié orientale de l'Ecu- sée d'autorité à ses contemporains et
mène sphéroïde, donner l'autre à l'Eu- à ses successeurs ; aussi Ptolémée est-il
rope, en y comprenant la Libye comme forcé de la proposer lui-même comme
une annexe de moindre étendue, in- une nouveauté, et d'en plaider les avan-
dépendam ent des terres extérieures, tages, sans parvenir toutefois à con-
au nombre desquelles se range celle vaincre son siècle ni les géographes des
des Antichthones de Mêla ; nous avons âges ultérieurs : en vain il représenta
vu enfin Ptolémée , soudant la terre
des Antichthones aux extrémités con- que le Nil avait l'inconvénient de scin-
der l'Egyptemoins
séparation , et d'offrir
tranchéed'ailleurs une
et moins
nues de la Libye , agrandir celle-ci jus-
qu'à lui assigner le second rang, après commode que le golfe Arabique; l'an-
l'Asie et avant l'Europe, dans la dis- cienne routine prévalut. On se con-
tribution des continents de l'Écumène. tentait d'échapper à l'inconvénient de
Après lui, la géographie rétrograde scinder l'Egypte et '.'Ethiopie, en rat-
vers l'imperfection des âges antérieurs, de la vallée tachant i'Asie
à du Niltoute
: cettela vallée
rive gauche
même
et s'enveloppe des langes de la barba- devint plus étroite ou plus large au
rie, d'où elle naissance desne lettres. doit sortir qu'à la re-
gré des vicissitudes politiques qui an-
Et parallèlement à ces représenta- nexaient l'Egypte
à une portion tantôt
tions contemporaines, sous lesquelles plus grande, tantôt moindre, de la li-
les anciens formulaient à la fois leurs sière libyque limitrophe.
connaissances positives et leurs théo- Ainsi, tantôt c'était à l'embouchure
ries systématiques du monde habité, canopique du Nil , ou bien à Alexan-
cherchant la portée véritable de leurs drie, ou encore au fond du golfe Plin-
notions réelles, nous avons vu Ho- thinète, tantôt à Parétonion, ou à
mère, mentionnant à peine quelques Apis, ou à Plynos, ou enfin au grand
îles libyennes de la Méditerranée, tout Catabathme , que l'on marquait, sur la
ignorer au delà du méridien de Car- côte , le point de division de l'Asie et
tilage ;Hérodote n'a de renseigne- de la Libye, continuant droit au sud
ments précis que sur une partie du lit- leur ligne de démarcation. En un mot,
toralmais
; les informations plus vagues l'Egypte meura , avec ses dépendances , de-à
fondamentalement annexée
qu'il avait obtenues suivaient la ligne
des Oases, et s'enfonçaient peut-être l'Asie , et le nom de Libye fut invaria-
même dans les terres jusqu'aux confins blement restreint, dans l'acception
ultérieurs du désert; la limite des con- usuelle, à la région africaine située à
nais ances deStrabon, partant des Ca- l'ouest de l'Egypte ; les Arabes \r. "me,
naries, suivait la chaîne de l'Atlas, et dont Ptolémée fut pourtant le princi-
passait au sud du Fezzan pour se ter- pal guide, subirent néanmoins cette
miner au Râs el Kheyl ; enfin , l'hori- influence des vieilles habitudes ; et
zon de Ptolémée s'étendait depuis le comprenant le Messr, c'est-à-dire
64 L'UNIVERS.

l'Egypte, dans le Scharq ou Orient, ils nègres proprement dits, qui se seraient
eurent, pour représenter la Libye des avancés alors jusqu'au nord du désert,
anciens, le nom général de Maghreb soit der
qu'on
ou Occident. comme les unedoive seulement regar-
race basanée.
Il convenait donc, en traitant de A ces populations indigènes ou pré-
tendues telles, se vinrent mêler des
l'Afrique ancienne, de n'y pas intro- éléments étrangers qui en modifièrent
duire l'Egypte et le reste de la vallée la composition intime et la distribu-
du Nil, toujours considérés, dans l'an-
tiquité, comme une division séparée, tion territoriale ; c'est encore aux livres
et qui, dès lors, exigeaient une des- de Hiempsal que Salluste en a emprunté
cription à part , une histoire dis- le récit. « Quand Hercule, dit-il, selon
tincte. les traditions africaines , eut péri en
Espagne , son armée , composée de
DIVISIONS GÉOGRAPHIQUES DE L'A-
nations diverses, sans chef, en proie à
FRIQUE ANCIENNE. des ambitieux qui s'en disputaient le
commandement , ne tarda point à se
Cette troisième partie du monde débander. Une partie , s'étant embar-
connu des anciens n'a point gardé, dans quée, passa en Afrique: c'étaient des
le cours des siècles, une distribu- Mèdesrent suretledes Arméniens, qui s'établi-
tion géographique constante à laquelle littoral de la Méditerranée;
nous puissions accommoder de prime- et des Perses, qui s'enfoncèrent plus
saut les subdivisions de notre travail. loin, vers l'Océan. Ceux-ci se liront
D'abord on n'entrevoit d'autre distinc- des abris delà coque renversée de leurs
tion que celle des peuples : Hérodote navires, à défaut de matériaux que le
d'après les notions qu'il avait directe- sol ne leur fournissait pas, et qu'ils ne
ment recueillies , Salluste d'après pouvaient tirer d'Espagne par voie
celles qu'il trouva consignées dans les d'achat ou d'échange, car l'étendue de
livres puniques de Hiempsal , concou- la mer et la différence de langage s'op-
rent ànous donner une idée générale posaient aux relations commerciales.
de la situation primitive des popula- Peu à peu ils se mêlèrent aux Gétules
tions par des mariages ; et comme souvent,
daient duautochthones,
moins comme ou qu'ils
telles.regar-
Sur tatant le pays, ils étaient allés de place
toute l'étendue du littoral était répan- en place , eux-mêmes se donnèrent le
due la race libyenne, à laquelle ce nom nom tredeformeNumides (quiden'est qu'une au-
de celui nomades). Au
appartenait en propre; depuis l'Egypte temps de Salluste , les demeures de ces
jusqu'au fond de la petite Syrte et aux Numides agrestes, appelées mapalia
bords du fleuve Triton , elle menait la
vie errante des nomades ; du Triton à en leur langue, avaient encore la forme
l'Océan, elle était adonnée aux cul- allongée et la courbure latérale d'une
tures sédentaires. Derrière ces Libyens coque de navire.
agriculteurs étaient cantonnés d'autres « Quant aux Mèdes et aux Armé-
nomades, peuples rudes et sauvages, niens, ils s'unirent aux Libyens, plus
désignés sous le nom de Gétules , et rapprochés de la mer d'Afrique; tandis
que représentent peut-être les Berbers que les Gétules étaient plus au midi,
de nos jours : les traditions généalo- non loin des ardeurs du tropique. Ils
giques de ces derniers, rapprochées de eurent bientôt des villes ; car, séparés
celles que nous a transmises Procope, de l'Espagne par un simple détroit, ils
tendent à montrer en eux les descen- avaient institué un commerce d'échan-
dants des Rananéens expulsés de la ges. Les Libyens, altérant peu à peu
Palestine par Josué. Puis , derrière leur nom, les appelèrent, en leur langue
tous ces nomades, soit libyens, soit barbare, Maures, au lieu de Mèdes
gétules , habitaient les Éthiopiens , (se rapprochant ainsi de la prononcia-
ainsi appelés de la noirceur de leur tion arménienne , qui donne en effet
la forme Mar au nom des Mèdes).
teint, soit qu'il y faille reconnaître des
AFRIQUE ANCIENNE.
65
«La puissance des Perses fut prompte dont le plus considérable fut Carthage,
à se développer (et leur descendance bientôt devenue cité prépondérante au
directe se perpétua dans les tribus des milieu des cités puniques , souveraine
Pérorses et des Pharusiens, ainsi que d'un État puissant, et dominatrice de
Pline en a fait la remarque). Plus tard, tout le littoral africain depuis le fond
à cause de leur multitude, ils se sépa- de la Syrte jusque par delà les colonnes
rèrent de leur souche et s'étendirent, d'Hercule. Ce furent , d'un autre côté,
sous le nom de Numides, dans les can- les Grecs de Théra, qui vinrent fonder,
tons voisins du site de Carthage, qui sur la côte libyenne à l'est de la Syrte,
s'appelèrent dès lors Numidie. Puis, des établissements dont la métropole
s'aidant les uns les autres, ils subju- fut Cyrène, moins célèbre par son im-
guèrent parles armes ou par la crainte portance politique et ses richesses que
par la culture des sciences et des
les
beaucoup delimitrophes,
peuples gloire et deet renommée,
s'acquirent
lettres et par l'illustration de ses
écoles.
surtout ceux qui s'étaient le plus avan- Alors se trouvèrent déterminées de
cés vers la Méditerranée, où ils n'eu-
rent affaire qu'aux Libyens, moins véritables limites territoriales, que les
belliqueux que les Gétules : en défini- vicissitudes politiques purent déplacer,
mais qui ne s'effacèrent plus ; les au-
tomba,tive, la pour
plage lainférieure de l'Afrique
majeure partie, en la tels des Philènes, au fond de la Syrte,
possession des Numides; et tous les marquèrent la séparation des états de
vaincus n'eurent désormais d'autre na- Cyrène et de Carthage; le nom de
tion ni d'autre dénomination que celle Libye acquit, surtout dans la bouche
de leurs maîtres. » des Romains, une application spéciale
Ainsi, à sa deuxième phase, la po- à la première de ces divisions, tandis
pulation de l'Afrique se trouva répar- que le nom d'Afrique fut adopté comme
tie de manière à nous offrir, au voisi- la dénomination propre du domaine
nage le plus formés
les Maures, immédiatdudemélange
l'Hispanie,
des carthaginois; tout le reste s'appelait
Numidie , jusqu'au Molouya , après le-
Arméniens et des Mèdes avec ies Li- quel était la Mauritanie.
byens indigènes; derrière eux les Pé- Dans la Libye proprement dite , on
rorses et les Pharusiens, postérité des distinguait la Pentapole cyrénaîque, et
Perses; puis les Gétules, et, en avant le pays des Marmarides ou Libye mar-
de ces derniers , les Numides formés manque, appelée aussi Maréotide;
de leur mélange avec les Perses , et quand les Romains en furent devenus
englobant les Libyens subjugués du les maîtres, ils en firent une province
lrttoral , depuis le fleuve Molouya d'abord réunie à la Crète, puis sépa-
borne des Maures, jusqu'au fond de la rée, et enfin divisée elle-même en deux
{>etite Syrte, et même au delà; enfin, à provinces présidiales sous l'autorité
'extrérnité orientale de cette longue supérieure du préfet d'Egypte.
zone , les Libyens pasteurs , chez les- Dans l'Afrique et la Numidie, il y
quels les Numides ne s'étaient point eut , jusqu'à l'époque où la conquête
étendus; et derrière eux tous, les Éthio- romaine eut passé le niveau sur les ri-
piens. valités nationales des dominateurs pu-
D'autres races étrangères vinrent niques et des sujets indigènes, une
s'impatroniser
comme élémentsen nouveaux Afrique, destinés
non plusà fluctuation de limites que l'érudition
et la science des modernes n'a pas tou-
s'effacer dans une comme fusion fondatrices
commune, jours bien comprise, et que nous au-
mais au contraire
de colonies conservant une nationalité rons latâche d'expliquer. Contentons-
nous de dire ici que la province
séparée. Ce furent, d'une part, les d'Afrique, graduellement agrandie, fut
Phéniciens de Tyr et de Sidon , qui ensuite partagée de manière à former
échelonnèrent sur la côte , à l'ouest de d'est en ouest les provinces successives
la grande Syrte, divers comptoirs, appelées Tripolitaine, Bizacène, Afri-
5* Livraison. (Afrique ancienne
66. L'UNIVERS.
que propre, et Numidie nouvelle. Le fils. Et la mer elle-même, vis-à-vis
reste de l'ancienne Numidie, donné de ce point , semblait avoir subi , dans
par les Romains au roi de Mauritanie la nomenclature qui lui est spéciale,
Bocchus, fut désormais confondu dans l'influence de ce grand divorce entre
les états de ce prince , sous le nom l'Occident et l'Orient; car un ancien
général de Mauritanie; puis, rentrées périple grec de la Méditerranée dis-
sous la domination romaine, ces con- tingue expressément , dans le golfe
trées formèrent les deux provinces de communément appelé grande Syrte,
Mauritanie, distinguées, d'après le nom d'une part une Syrte de Cyrène, de
de leurs capitales, en Mauritanie Césa- l'autre la grande Syrte proprement
rienne et Mauritanie Tingitane ; plus dite.
tard, on sépara de la première, du côté Dépendance politique de l'empire
de celle de Numidie, une province nou- d'Orient , la Libye chrétienne recevait
velle, qu'on appela Mauritanie Siti- ses évêques d'Alexandrie. Les provin-
fienne. Quand Rome porta ses armes ces africaines, comprises dans l'em-
au delà de cette zone littorale, les
f)ire d'Occident,
a primatie constituèrent,
de Carthage, sous
la célèbre
cantons qui subirent alors le joug
furent annexés à la province la plus voi- Église d'Afrique, placée dans par
l'obé-la
sine le: reste n'était connu que de nom. dience de Rome, et anéantie
Les dénominations territoriales que persécution des Vandales. Quand elles
la géographie a consacrées pour les furent reprises aux barbares pour être
grandes divisions de l'Afrique an- réunies à l'empire d'Orient, ces pro-
cienne sont donc celles de Libye pro- vinces formèrent ensemble une grande
pre, d'Afrique propre, de Numidie, et préfecture prétorienne, distincte de
de Mauritanies. toutes les autres.
Ces contrées n'ont point, n'eurent C'est donc adopter, pour notre tra-
même jamais une histoire commune : vail , une distribution conforme au
et d'abord une séparation profonde di- sujet lui-même, que de traiter séparé-
visait en deux parts très -distinctes ment de ces deux grandes divisions
territoriales. Nous consacrerons, en
cette longue zone de provinces : d'un
côté c'était l'Orient , de l'autre l'Occi- conséquence, une première partie de
dent, grandes régions dont la nature ce livre à la Libye proprement dite,
même avait indiqué le partage, et que dont nous suivrons l'histoire, sans in-
la force des choses maintenait cons- ter uptiodepuis
n, les temps les plus
tamment en des mains diverses, bien reculés jusqu'à l'invasion arabe, dans
avant que les maîtres du monde son- les flots de laquelle fut engloutie toute
geas ent àle morceler en deux em- l'Afrique ancienne.
pires jumeaux. Les dénominations gé- Passant ensuite aux provinces afri-
nérales étaient, dans leur acception la caines, nous donnerons une section à
plus large, soumises aux exigences de chacune des trois grandes contrées,
ce partage : on n'étendait "point au l'Afrique propre , la Numidie , les
delà de la région occidentale l'appel- Mauritanies , depuis l'origine jusqu'à
lation de provinces africaines; et la leur réduction en provinces romaines;
langue de Rome échappait à l'influence la domination des Romains, le déve-
des habitudes grecques , pour concen- loppement etles vicissitudes de l'É-
trer dans la division orientale le nom
de Libye. glise d'Afrique , le règne des Vandales,
la restauration byzantine, demande-
La borne commune- était marquée ront àleur tour de nouvelles sections
par les Autels des Philènes, monu- pour arriver à l'invasion musulmane,
ments àla fois de l'ancienne étendue qui doit ouvrir, ainsi que nous l'avons
des possessions littorales de Carthage l'Afrique.
déjà marqué, l'histoire moderne de
et du patriotique dévouement de ses
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AfIEE<SWîS AKTSISSrïîB.

PREMIÈRE PARTIE.

LA LIBYE PROPRE,
COMPRENANT

LA GYRÉNAÏQUE ET LA MARMARIQUE.

IPT ION.
D ESCR
I. LE SOL. Ier. îles de verdure étaient parse-
§ quelques
mées àla lisière septentrionale de la
Limites générales, politiques et grande mer de sables, la possession
physiques; dénominations. de ces îles flotta souvent, incertaine,
Limites politiques de l'an- entre tions
la Libye, l'Egypte, et les popula-
cienne Libye. — La Méditerranée au indépendantes du désert.
nord, au sud les profondeurs du désert, Limites naturelles ou physi-
à l'est l'Egypte, et l'Afrique propre à ques. — Cependant , le territoire que
l'ouest, telles sont, en termes généraux, nous venons de signaler, peut aussi être
les bornes de la contrée à laquelle les considéré , au point de vue de la géo-
Romains restreignaient le nom de Li- graphie physique, comme une région
bye, employé par les Grecs dans un sens déterminée par des limites assez bien
beaucoup plus étendu. Sauf le .côté de tracées : il y faut remarquer en effet ,
la mer, dont le caprice des hommes au nord-ouest, un plateau culminant,
ne pouvait avancer ou reculer les ri- dont les déclivités s'abaissent rapide-
vages, cesdes
limites n'eurent pas la fixité ment, dans cette direction, vers la
indélébile démarcations naturelles
mer qui l'entoure, tandis qu'elles s'é-
que n'affectent point les vicissitudes po- tendent, àl'opposite, en vastes ter-
litiques; mais si les variations qu'elles rasses successivement étagées vers
éprouvèrent furent fréquentes et sen- l'est, où le passage de l'une à l'autre
sibles du côté de l'Egypte , où un pou- est remarquable par les ressauts appe-
voir puissant envahissait par degrés un lés le grand et le petit Catabathme,
domaine qu'il devait finir par s'appro- et dont la dernière vient expirer aux
prier tout entier, les limites occiden- confins immédiats de la vallée du Nil ;
tales ne subirent que des changements pendant que vers le sud , depuis le fond
plus rares et moins considérables , dus
de la grande Syrte jusqu'à l'extrémité
encore à l'extension de la puissance orientale, une longue vallée s'étend
égyptienne, qui sous les Ptolémées comme un lit desséché', entre les der-
s'avança d'une centaine de milles au nières déclivités du plateau, et les
delà même des Autels des Philènes, jus- dunes sablonneuses où commence le
5.
qu'à latour Euphranta; et au sud , où grand Ssahhrâ , présentant sur quel-
68 L'UNIVERS.
ques points des cultures et des bosquets Villes, bourgades et autres
verdoyants, qui signalent les oases lieux dépendants de la penta-
d'Augiles et d'Ammon. DIVERSES pole. — Cyrène , Apollonie, Ptolé-
DÉNOMINATIONS DU maïs, Arsinoé, Bérénice, telles furent
pavs. — Le plateau culminant, partie les cinq cités qui constituèrent la floris-
principale de tout cet ensemble , cons- sante Pentapole : dans leur dépendance
tituait, proprement
à parler, ce qu'on étaient comprises d'autres villes moins
appela tour à tour Cyrénaïque , Pen- importantes , comme Adrianopolis ,
tapole, Libye supérieure; le reste for- entre Bérénice et Arsinoé; sur la route
mait la Marmarique, Libye aride ou de Ptolémaïs à Cyrène, Kélida , Ké-
inférieure, nommée aussi, dans sa
nopolis, Phalacra, dans l'intérieur; et
partie la plus orientale, Libye maréo- sur la côte, Ausigda, et le petit tem-
tide. Il est superflu
la domination d'ajouter
de Cyrène , leque,
nomsous
de Ele
re d'Aptoukhos;
de villages plus sans compter
obscurs nom-
, répandus
sur tout le plateau en tirant vers le
Cyrénaïque
reunie sous s'étendait
ses lois. à toute la contrée sud.
Description de la Libye supérieure A l'est d'Apollonie, s'ouvrait une
baie spacieuse offrant un Naustathmos
ou Pentapole cyrénaïque. ou station navale, au sortir de laquelle
* Territoire et villes de la Pen- on rencontrait, sur la droite, Éry-
tapole.—Figurant une ellipse, le pla- thron , puis Chersis voisine de la
teau verdoyant de Cyrène projetait à petite île d'Aphrodisias, et sous l'abri
l'est la grande Cbersonnèse, à l'ouest le du promontoire Zephyrion la cité de
promontoire Borion , comme les deux Darnis, dont le nom a persisté dans
pôles de son grand axe; tandis que sur le celui de la moderne Derneh ; après
flanc septentrional , le promontoire de Darnis on trouvait encore, sur la côte,
Phyconte marquait: !el'extrémité
moindre diamètre de son
flanc méridional Axilis, avant d'atteindre la grande
Cbersonnèse des Antides; et quand
s'abaissait vers les landes arides d'une on avait doublé celle-ci , on voyait le
Paliouros déboucher en face des îles
grande terrasse qui s'étendait elle-
même au loin jusqu'à Augiles et à Platée et Sidonie. A l'intérieur étaient
l'oasis d'Ammon. Sur le plateau étaient Limniade, Hvdrax, Leucon, et d'au-
assises Cyrène et Barkê, ayant à leurs tres points plus obscurs.
pieds , au fond de deux petites anses Productions naturelles du
de la côte , les ports d'où elles expé- plateau cyrénéen. — Le flanc sep-
diaient leurs navires ; là c'était Apol- tentrional du plateau offrait la plus
lonie, le port de Cyrène, connu plus admirable fertilité, et les récoltes,
tard sous le nom de Sozousa, que
s'étageant en trois saisons successives
peut-être il avait primitivement porté, depuis le pied jusqu'au sommet , oc-
reconnaissable encore dans l'appella- cupaient les deux tiers de l'année. On
tion arabe de Mersày-Sousah qu'il commençait la moisson et la ven-
conserve encore aujourd'hui; de l'au- dange sur le bord de la mer ; on pas-
tre part , c'était Ptolémaïs , le port de sait ensuite à la région intermédiaire,
Barkê, d'abord appelé aussi Barkê de celle des coteaux, où le blé et le rai-
même que la cité principale à la for- sin achevant de mûrir appelaient la
tune de laquelle il était attaché. Plus main qui devait les couper; et pen-
loin, à l'ouest, se montrait, sur la dant qu'on les cueillait sur cette zone
côte, Teukhira, qui fut appelée Arsinoé moyenne, ils venaient aussi à matu-
sous les Ptolémées, mais qui reprit rité dans la dernière région , et vou-
ensuite son nom indigène, qu'elle garde laient àleur tour être moissonnés
encore de nos jours; puis enfin Béré- et vendangés. L'extrémité occidentale
nice, l'antique Hespéride, près des présentait surtout la plus délicieuse
ruines de laquelle s'élève la moderne végétation, et méritait à juste titre ce
Ben-Ghâzy. nom de Jardin des Hespérides, que
AFRIQUE ANCIENNE.
du grand Pétras et de Panormos ,
l'antiquité poétique lui avait décer-
né :c'étaient d'admirables vergers , de jusqu'au grand Catabathme ; quelques
charmants bocages , où l'ombre et la autres points, marqués à l'intérieur
fraîcheur s'étendaient sous l'épaisse dans la direction d'Ammon et d'Au-
verdure des lotiers , des pommiers de giles , n'étaient probablement que des
toute espèce , des grenadiers , des poi- lieux de campement. A l'ouest, au
riers, des arbousiers, des mûriers, delà du cap Borion , on voyait se suc-
des vignes , des myrtes, des lauriers,
des lierres , des oliviers, des oléastres, raclion céder,les postes de Diacbersis
de Sérapion , d'Hé-
, les ports de
des amandiers , des noyers. Le figuier Diarrhoas et d'Apis, les châteaux de
et le cornouiller, le lentisque , le gené- Kainon , de Borion , d'Automala , et
vrier odorant et le cyprès, étaient aussi enfin le bourg et les Autels des Phi-
répandus sur ce terroir fertile où la lènes. Si, de cette limite, on voulait
brise promenait un air pur et vivifiant, suivre plus loin le rivage, on ren-
où des eaux fréquentes nourrissaient contrait lepetit port d'Épèros , celui
de verdoyants pâturages émaillés des de Charax où l'on croit que naquit
fleurs du safran. Au delà de cette li- Denys le Périégète, et enfin la tour
sière littorale , sur les hautes plaines , Euphranta, dernière borne de la Cy-
depuis la grande Chersonnèse jus- rénaïque sous les Ptolémées.
Seconde terrasse, au-dessous
de 1 500qu'auxstades Hespérides,
surdans
uneunelargeur
longueur
de du grand Catabathme. — En des-
300, naissait le précieux silphion aux
on arrivaitcendant àl'est
à unele seconde
grand Catabathme,
terrasse, non
ombelles d'or, aux vertus héroïques ,
produit sauvage des terres incultes, moins aride et nue que la première,
fuyant lesraissantsoins s'étendant vers l'orient jusqu'au petit
sous la de
dentl'homme et dispa-
des troupeaux, Catabathme, et offrant, sur la côte,
jadis abondant, puis rare, puis disparu Zygris, Zagylis; Plynos , Apis, Paré-
tout à fait du sol, et reparaissant après tonion, et autres lieux de moindre im-
un long oubli, pour se laisser étudier portance sans
, parler de nombreuses
par les botanistes modernes, sous le stations plus écartées de la mer. Et
nom de deriah ou zerrah que lui don- lorsqu'on avait encore descendu ce
nent les Arabes nomades, maîtres ac- deuxième Catabathme, on trouvait, sur
tuels de l'antique région silphiophore. le littoral, Pédonia, Antiphra, Leu-
caspis, et enlin Plinthine où la Libye
Description de la Libye inférieure venait expirer devant l'Egypte, outre
ou Marmarique. quelques autres points moins immé-
diatement rapprochés du rivage.
Première terrasse, au-dessus Tel est le théâtre sur lequel nous
du grand Catabathme — Des- avons à distribuer les populations qui
cendons du plateau supérieur sur la se partageaient la possession du sol.
vaste terrasse qui lui succède au sud,
IL LES HABITANTS.
et qui s'étend d'est en ouest depuis
le grand Catabathme jusqu'au fond
de la grande Syrte , borné au midi , C'étaient , nous le savons , des races
comme nous l'avons déjà indiqué , indigènes, des Libyens nomades, au
par les oasis d'Ammon et d'Augiles; nord desquels s'étaient juxtaposés ,
ce n'était qu'un désert, parcouru par sur la côte , des colons grecs , hôtes
quelques nomades sans habitations d'abord , puis maîtres du pays.
fixes, et l'on n'y pouvait guère relever La plus ancienne description que
qu'un petit nombre de points sur la nous ayons de ces divers peuples , est
côte. A l'est, depuis l'embouchure du celle que nous devons à Hérodote : et
Paliouros , se succédaient les ports de nous ne pouvons mieux faire que de
Batrachos, du petit Pétras , d'Anti- la transcrire ici , telle à peu près qu'il
pyrgos, de Skythranion, de Ménélas, nous l'a laissée.
70 L'UNIVERS.

Description des populations indi- qu'à la merdu près des Hespérides. Vers
qènes au cinquième siècle avant le milieu territoire des Auskhises
l'ère vulgaire. sont cantonnés les Cabales, petite na-
tion qui s'étend jusqu'à la mer vers
Adyrmachides, Giligames, As- Taukhira, ville dépendante de Barkè.
BYSTES , AUSKHISES. — « Voici » , Ces peuples ont les mêmes mœurs que
dit Hérodote, « l'ordre dans lequel on ceux qui habitent au-dessus de Cyrène.
trouve les peuples de la Libye, à com- INASAMONS , PSYLLES. — « AUX
mencer depuis l'Egypte. terres des Auskhises confinent , à
« Les premiers qu'on rencontre sont l'ouest, les Nasamons, peuple consi-
les Adyrmachides. Ils ont presque les
mêmes usages que les Égyptiens ; mais dérable, qui, laissant
leurs troupeaux au bordpendant l'été
de la mer,
ils s'habillent comme le reste des Li- s'avancent jusqu'au canton d'Augiles,
byens, elleurs femmes portent à cha- pour y récolter des dattes , parce que
que jambe un anneau de cuivre. Elles les palmiers y sont abondants , vigou-
laissent croître leurs cheveux , et si reux et tous féconds : on les cueille
elles sont incommodées par les poux, à peine mûres (*) , on les fait sécher
elles les prennent, les tuent avec les au soleil, et on les moud ensuite; on
dents, et s'en débarrassent de cette les détrempe dans du lait pour les
manière ; ils sont, au surplus, les seuls
d'entre les Libyens qui en agissent femmes, Chacun
manger. et il les avoit
d'ordinaire plusieursà
publiquement,
ainsi. Ce sont également les seuls qui peu près comme les Massagètes, après
montrent au roi leurs filles nubiles
avoir planté en terre son bâton. Lors-
afin qu'il choisisse celle qui lui plaît. qu'un Nasamon se marie pour la pre-
Ces Adyrmachides habitent depuis mière fois , la coutume est , la pre-
l'Egypte jusqu'au port appelé Plynos mière nuit des noces, que la mariée
(voisin du grand Catabathme). reçoive les embrassements de tous les
« Ils ont auprès d'eux les Gigames convives, qui lui font un cadeau ap-
ou Giligames, qui occupent la con- porté tout exprès de chez eux. Voici
trée al'occident, jusqu'à l'île Aphro- leur manière de faire des serments et
disias. Dans cet intervalle est l'île de d'exercer la divination : ils mettent la
Platée, où les Grecs fondateurs de main sur les tombeaux des hommes
Cyrène s'étaient d'abord établis, et qui
sur le continent est le port de Méné- été ont parmijustes
les plus eux laetréputation d'avoir
le plus gens de
las , et Aziris où les Cyrénéens habi- bien, et jurent par eux. Pour exercer
tèrent aussi. Là commence le sil- la divination, ils vont aux tombeaux
phion , car c'est depuis l'île de Pla- de leurs ancêtres, y font leurs prières,
tée jusqu'à l'entrée de la Syrte que et y dorment ensuite : si pendant leur
croît cette plante. Ces peuples ont à sommeil ils ont quelque songe, ils en
peu près les mêmes coutumes que font usage dans leur conduite. Ils
leurs voisins.
s'engagent mutuellement leur foi en
«Après les Gigames, du côté du cou-
chant, sont les Asbystes , qui habitent
le pays au-dessus de Cyrène; ils ne (*) Le texte d'Hérodote est en cet en-
droit équivoque à tel point, que les uns y
s'étendent pas jusqu'à la mer, attendu ont vu des hannetons, d'autres des saute-
que le littoral est occupé par les Cyré- relles, et peut-être ceux-ci ont-ils raison;
néens. Ils sont fort habiles , ce sont
cependant nous avons préféré interpréter
même les plus habiles des Libyens à toùç ôè àrreXéëovç ÈTieàv 6ïipeu<Ttoai par une
conduire les quadriges ; ils s'étudient cueillette de (dattes) à peine mûres, plutôt
à imiter la plupart des coutumes des que par une chasse aux sauterelles , nous
Cyrénéens. consolant d'avance, si nous nous trompons,
« Au couchant des Asbystes confi- de le faire en compagnie du savant Henri
nent les Auskhises, qui occupent le pays Estienne , réviseur et éditeur de la version
latine de Laurent Valla.
au-dessus de Barkê, et s'étendent jus-
AFRIQUE ANCIENNE.
buvant réciproquement dans la main sables, est une colline de sel gemme
l'un de l'autre; à défaut de liquide, ils pareille à celle d'Ammon, avec une
ramassent à terre de la poussière et la source autour de laquelle sont établis
lèchent. les habitants : ce canton porte le nom
« Aux Nasamons confinent les Psyl- d'Augiles; c'est là que les Nasamons
les, lesquels périrent de la manière viennent , en automne , faire leur ré-
que voici : le vent du midi avait, de colte de dattes. A dix journées plus
son souffle, desséché leurs citernes, loin habitent les Garamantes.
et toute leur contrée, située en dedans « Les maisons de tous ces peuples
de sont bâties de quartiers de sel , car il
tenula Syrte,
conseilestentre
dépourvue
eux, ilsd'eau : ayant
résolurent, ne pleut jamais dans cette partie de la
d'un consentement unanime, d'aller Libye, sans quoi les murailles de leurs
faire la guerre au vent du midi : je ré- habitations seraient bientôt fondues.
pète le récit des Libyens eux-mêmes. On tire de ces mines deux sortes de
Lorsqu'ils furent arrivés au milieu des sel : l'un blanc, élévation
l'autre rouge. Au-des-
sables , l'autan déchaîné les y enseve- sus de cette sablonneuse
lit. Quand ils eurent péri , les Nasa- vers le midi , dans l'intérieur de la Li-
mons s'emparèrent de leurs terres. bye, le pays est désert, sans eau, sans
Populations de l'intérieur. — animaux, sans pluie, sans bois, dé-
«Voilà quels sont les Libyens nomades
pourvu de toute espèce d'humidité.
les plus rapprochés de la mer. Au-des- Moeurs et coutumes des Li-
sus , en avançant dans l'intérieur
des terres s on rencontre la Libye thé- byens. — « Ainsi, à partir de l'Egypte,
riode ou sauvage, au-dessus de laquelle les Libyens rissant de lasont des etnomades
chair du lait se
de nour-
leurs
on dit qu'une élévation sablonneuse
brebis; s'abstenant, comme les Égyp-
s'étend depuis Thèbes d'Egypte jus-
qu'aux stèles Héracléennes, offrant de
dix en dix journées, ou à peu près, des vanttiens,pasdenon
manger plusdudebœuf, et n'éle-
cochons. Les
collines de sel gemme; du milieu de femmes cyrénéennes, même, ne se
croient pas permis de manger du
celles-ci jaillissent des sources d'eau
douce et fraîche, autour desquelles bœuf, à cause de l'égyptienne Isis,
habitent les peuples les plus reculés dont elles observent soigneusement
vers le désert au-dessus de la Libye les jeûnes et les fêtes; et les femmes
thériode. Les premiers qu'on rencon- des Barkéens s'abstiennent non-seule-
tre depuis Thèbes , à dix journées de ment du bœuf, mais aussi du porc :
route, sont les Ammoniens, qui ont telle est leur observance.
un temple consacré à Jupiter thébéen, « Chez la plupart des Libyens no-
car on sait qu'à Thèbes la statue du mades (jene saurais dire avec certi-
dieu a une tête de bélier. Chez ces peu- tude s'il en est de même pour tous) ,
ples se trouve une autre source dont quand les enfants ont atteint quatre
l'eau est tiède au point du jour, fraî- ans, on leur brûle, avec de la laine en
che àl'heure du marché, extrêmement suint, les veines du haut de la tête,
froide à midi, au moment où ils arro- quelquefois celles des tempes, pour les
sent leurs jardins ; puis à mesure que délivrer à toujours de l'écoulement des
le jour avance , elle devient moins humeurs de la tête , et leur procurer
froide jusqu'au coucher du soleil, une santé robuste. Il est de fait que
qu'elle est tiède; elle s'élève ensuite de tous les .peuples que nous connais-
de plus en plus jusqu'à minuit, qu'elle sons, les Libyens sont ceux dont le
bouta gros bouillons; passé minuit, corps est le plus sain ; je ne puis dire
elle va en refroidissant jusqu'au lever que telle en soit la cause , mais il est
de l'aurore. duOnSoleil.
la fontaine appelle cette fontaine certain qu'ils ont une santé parfaite.
« Après les Ammoniens, à dix autres Si , pendant
fants sont prisqu'on les brûle , les
de convulsions, on en-
y a
journées de route sur cette zone de trouvé remède : il suffit de les asper-
72 L'UNIVERS,

ger d'urine de bouc; je répète ce que troisième ne reconnaît aucun roi, n'a
disent les Libyens. aucune notion de la justice , et ne vit
« Voici comment ces nomades font que de brigandages , enlevant tout ce
leurs sacrifices : d'abord ils coupent, qui arrive du désert, et l'emportant
à titre de prémices , une oreille de la aussitôt dans son repaire. Tous ces Li-
victime, et la jettent sur le toit de byens mènent une existence abrutie ,
leurs maisons; cela fait, ils lui tordent couchant
le cou : ils l'immolent au soleil et à la nourritureen sauvage plein air, ;etsans
n'ayantmaisons
qu'une,
lune, seules divinités auxquelles sacri- sans habits, se couvrant seulement le
fient tous les Libyens sans distinction. corps de peaux de chèvres. Leurs chefs
(Nous dirons ailleurs le culte particu- n'ont pas de villes sous leur obéis-
lier des habitants du lac TritoniHe, et sance, mais seulement, au voisinage
les emprunts que leur a faits la Grèce.) des sources , des tours où ils renfer-
C'est aussi des Libyens que les Grecs ment leurs richesses ; tous les ans ils
ont appris à atteler quatre chevaux à somment les peuples tributaires de
leurs chars. L'enterrement des morts faire leur soumission , traitant en
se fait chez les nomades comme chez amis ceux qui obéissent, poursuivant
les Grecs; il faut excepter les Nasa- comme rebelles ceux qui s'y refusent.
mons, qui enterrent leurs morts assis, Leurs armes sont analogues à la na-
ayant soin de tenir les agonisants dans ture de leur pays et à leur genre de
cette posture, vie; car, légers de corps, et habitant
couchés. Leursde habitations
peur qu'ils n'expirent
sont des un pays de plaines, ils courent au
cabanes tressées d'asphodèles et de combat avec trois javelots et des pierres
joncs, qu'ils transportent à volonté. dans un sac de cuir, sans aucune au-
Voilà quels sont les usages de ces tre arme offensive ou défensive, ayant
peuples. » pour but de gagner de vitesse l'ennemi
dans la poursuite comme dans la re-
État des populations libyennes de-
puis le premier siècle avant J.-C. traite, habiles qu'ils sont, à courir et à
lancer des pierres, après s'être appli-
jusqu'au deuxième siècle de notre
ère. qués à développer par l'exercice et
l'habitude leurs dispositions natu-
Exposé de Diodore de Sicile,
au premier siècle avant noire relles. En général, à l'égard des étran-
gers, ils n'observent absolument ni
ère. —Tel est le tableau que nous offre foi , ni loi. »
Hérodote, au cinquième siècle avant Exposé de Stràbon et de Pline,
notre ère; quatre cents ans plus tard, au premier siècle de notre ère.
Diodore de Sicile nous fait une nou- — Strahon, un peu plus récent, est plus
velle description, moins étendue, mais bref : « La région aride et stérile qui
qui offre quelques détails curieux, di- s'étend au-dessus des Syrtes et de la
gnes de trouver place ici. Cyrénaïque, est occupée par les Li-
« Passons», dit-il , « aux Libyens voi- byens, et en premier lieu par les Na-
sins de l'Egypte, et aux contrées limi- samons, cident)qui ont près d'eux (vers l'oc-
trophes. Très de CyrCne et des Syrtes, les Psylles et quelques Gétules,
habitent, dans l'intérieur des terres, après lesquels viennent les Garaman-
quatre races de Libyens : on appelle tes; à l'orient , les Marmarides, qui
Nasamons ceux qui s'étendent au midi ; d'un côté touchent à la Cyrénaïque,
Auskhises ceux qui et de l'autre se prolongent jusqu'à
dent; Marmarides ceuxoccupent
qui ont l'occi-
leurs l'oasis d'Ammon. On ignore ce qui est
demeures entre l'Egypte et Cyrène, au delà d'Ammon et des oases jus-
tenant une partie du rivage; les autres qu'aux frontières de l'Ethiopie. »
habitent autour des Syrtes. Deux de Pline, postérieur à Strabon, se
ces peuples obéissent à des rois, et borne comme lui à quelques notions
mènent une vie moins grossière, moins extrêmement concises : « Les Marma-
éloignée de toute civilisation : mais le rides habitent à peu près depuis les
73

AFRIQUE ANCIENNE.
ciers ensemble ; mais il faut se bâter
environs de Paretonium jusqu'à la de reconnaître que beaucoup de ces
grande Syrte ; puis viennent les Ara- noms de peuples ne désignent proba-
raucèles, et, sur les bords de la Syrte ,
les Nasamons, que les Grecs appe- blement que les habitants de quelques
laient jadis Mcsammons à cause de petits districts, quelquefois de simples
leur situation nu milieu des sables. villages; les Espagnols qui appellent
Après les Nasamons vivent les A sbystes pueblos ou peuples leurs villages, les
et les Makes. Depuis le Catabathme Portugais qui appellent les leurs po-
voacào ou population , emploient
jusqu'à l'Egypte s'étend la Libye ma-
réotide, occupée par les Marmarides une' frappé
métaphore
et les Adyrmachides, après lesquels est , dèstoute semblable.coup
le premier On
viennent les Maréotes. » d'œil , des rapports que présentent
Exposé dk Ptolémée, au deuxiè- les noms des Zygrites, des Khatta-
me SIÈCLE DE NOTRE ÈRE. — Mais niens et des Zyges, dans la liste ci-
Ptolémée, dans le siècle suivant, vient dessus, avec ceux des villes ou villages
nous fournir de nouveaux détails : de Zygris, de Khettéa, de Zygis, ins-
« Au-dessus de la Pentapole », nous crits dans les tables du géographe
alexandrin. Il est probable que plu-
dit-il, « le pays est occupé, à l'est
des jardins des Hespérides , par les sieurs desbranches
peupladesou qu'il désigne
étaient des des rameaux
Bark'ites,
Araraucides. à l'orient desquels
Derrière sont des
le jardin les de tribus plus considérables.
Hespérides sont les montagnes appe- Résultats comparatifs des notions
lées les buttes d'Hercule, au levant
desquelles on trouve les Asbvstes. Plus qui précèdent»
loin vers l'Afrique, au-dessus des Modifications organiques et
monts Ouelpa , se présentent les Ma- déplacements, subis par les di-
katoutes, puis les repaires des Lesa- VERSES TRIBUS LIBYENNES. — Il faut
nikes, à l'est desquels sont les Psylles, tenir compte, au surplus, dans l'exa-
et ensuite, des lieux sauvages et la men comparatif des données succes-
région silphiophore. Les parties sep- sives que nous venons de passer en
tentrionales dela Marmarique appar- revue, des modifications qu'ont pu
tiennent aux Libyarkes, aux Anèrittes produire, d'une part la fusion de plu-
et aux Bassakhites , derrière lesquels sieurs tribus en une seule, d'autre
sont les Apotomites, et plus au sud part le morcellement d'une seule tribu
encore, les Augyles ; après ceux-ci les en plusieurs. Hérodote nous dit lui-
Nasamons et les Bacates, ensuite les même que les Psylles avaient été ab-
Aukhises et les Tapanites, au delà des- sorbés par les Nasamons; il est à croire
quels sont les Sentîtes et les Obèles , que les Cabales et les Gigamcs ou Gi-
puis les Ésariens. Le littoral du nome ligames, qu'il avait signalés, et qui ne
de Libye est possédé par les Zygrites, se retrouvent plus dans les siècles pos-
térieurs, furent pareillement absorbés,
les Khattaniens
ties méridionaleset par
les Zyges;'ies
les Bouzespar-
et les premiers par les Auskhises ou par
les Ogdémiens; au delà sont les Adyr- les Barkéens , les seconds par les Mar-
makhites, ensuite le pays d'Ammon, fectionmarides. Quelquefois aussirecueillies
des connaissances l'imper-
puis les Anagombriens, et après eux
les Iobakbes et les Rouadites. » Nous par certains écrivains, ou le désir de
n'avons pas à nous occuper ici de la réduire leurs descriptions à quelques
Maréotide, dépendance trop immédiate grands traits, leur ont fait réunir,
de l'Egypte pour que nous puissions sous une désignation commune, divers
consentir à l'en séparer. peuples
Diodore d'ailleurs
de Sicile, indépendants;
en distribuant ainsi
tout
On voit que Ptolémée à lui seul énu-
mère , dans la contrée qui fait le sujet l'intérieur de la Libye propre entre les
de notre étude actuelle, un plus grand Nasamons au sud , les Auskhises à
nombre de peuples que tous ses devan- l'ouest, et les Marmarides à l'est,
74 L'UNIVERS
confond avec chacune de ces nations qui forme l'étage suivant, occupée à
une ou plusieurs des nations voisines la fois , depuis le Catabathme jusqu'à
qui la Syrte , au par milieu les Gigames
, et les àAuskhises
l'est , les
voit n'avaient point péri,
ultérieurement puisqu'on
reparaître les
: tels Asbystes
sont les Asbystes ou Asbytes, proba- à l'ouest, avec les Cabales enclavés;
blement sous-entendus parmi les Aus- plus tard seulement, les Marmarides,
khises; tels sont, d'une manière plus les mêmes peut-être que les Gigames,
frappante encore, les Adyrmachides, se trouvèrent maîtres exclusifs de
enveloppés dans les Marmarides. cette terrasse ; à l'étage au-dessous
Il faut, en outre se rendre compte figuraient , vers l'ouest les Psylles ,
de quelques déplacements ; les Asbystes vers le sud les Nasamons, et vers l'est
et les Ausk bises paraissent avoir été les Adyrmachides. Voilà, ce nous sem-
poussés au sud par les Barcéens, ou ble, la disposition générale qui ressort
plutôt par les Marmarides, qui au- de l'étude des faits ultérieurs. Il est
raient été repoussés à leur tour par utile de ne pas perdre de vue cette es-
les Barcéens, pendant que les Ararau- pèce de symétrie des populations in-
cèles ou Araraucides, qui se trouvaient digènes avec les grands traits physi-
jadis au delà des Marmarides, tout au- ques du sol , parce qu'elle a toujours
près des Nasamons, remontaient vers influé, à un certain degré, sur les déli-
le nord pour devenir limitrophes des mitations que l'histoire ou la géogra-
Barcéens. Ces déplacements n'ont rien phie ont ensuite adoptées.
qui nous doive surprendre, puisqu'ils Et maintenant que nous avons dé-
crit lethéâtre où se succédèrent, dans
s'opéraient
dont entre des tribus
le cantonnement nomades,a
territorial le cours des siècles , les actes divers
toujours moins de fixité que les éta- du drame politique où le premier rôle
blissements des peuples sédentaires. appartient à Cyrène, il est temps de
Distribution relative des po- raconter l'origine, l'accroissement, la
pulations SUR LE TERRITOIRE. — puissance et les vicissitudes de cette
Quoi qu'il en soit, en remontant parla ville tour à tour royale et populaire,
pensée aux temps primitifs de la Li- autonome et asservie, païenne, juive
bye, avant que les Grecs y fussent et chrétienne; fameuse par sa turbu-
venus fonder leurs colonies, et em- lence par
, ses richesses, par ses mœurs
brassant dans une considération sy- raffinées , par ses philosophes , ses
noptique les populations autochtho- poètes et ses savants, aujourd'hui dis-
nes et le territoire qui leur était parue du monde, et n'ayant laissé à sa
dévolu, on peut se représenter le pla- place que le nom de Qerenneh pla-
teau supérieur en la possession exclu- nant sur quelques ruines éparses aban-
sive des Barcéens; la grande terrasse don ées àd'insouciants nomades.

RE.
HISTOI
I. HISTOIRE DE LA FONDATION
§ IL
DE CYRÈNE. antiques,
de fables; au entourée
milieu des d'incertitudes
récits divers,et
ressort néanmoins invariablement ce
Origine des Thérêens fondateurs fait principal, que Cyrène fut une co-
de Cyrène. lonie de l'île de Théra, dont les habi-
tants étaient, pour la plupart, venus
Les Achéens de la Laconie , de la Laconie. Il est donc nécessaire,
premier élément de la popula- pour éclaircir, au point de vue ethno-
TION de Théra. — L'origine de Cyrène logique, l'histoire de la fondation de
se trouve, comme toutes les origines
Cyrène , de remonter, comme l'a fait
75
AFRIQUE ANCIENNE.
Hérodote, aux colons qui peuplèrent réfugiés de Lemnos. — Dans l'in-
Théra, et aux causes qui déterminè- tervalle, l'invasion des Pélasges avait
rent leur émigration. chassé de Lemnos les Minyens, origi-
naires deThessalie, et célèbres à raison
Un coup d'œil sur l'état de la La-
conie à cette époque paraît d'abord de la part qu'ils avaient prise à
indispensable. Cette contrée était en l'expédition des Argonautes; expul-
Ja possession des Achéens, quand l'in- sés de leur île, ils cinglèrent vers la
vasion dorienne, conduite par les Hé- Laconie, débarquèrent à Ténare pa-
raclides , au douzième siècle avant trie de l'argonaute Euphème, et vin-
notre ère, vint y établir un ordre de rent camper sur les hauteurs du Tay-
choses entièrement nouveau : les con- gète.A la vue des feux qu'ils y avaient
quérants, dont le nombre n'était point allumés , les Lacédémoniens leur en-
assez considérable pour occuper à la voyèrent demander qui ils étaient ,
fois tout le pays, se contentèrent, dans d'où ils venaient, et ce qu'ils voulaient:
le principe, de s'établir à Lacédémone, ils répondirent qu'ils étaient Minyens,
sauf à étendre graduellement leur do- descendants de ces vaillants guerriers
mination sur les cantons voisins , en qui montaient le navire Argo, et qui
refoulant les anciens habitants au ayant abordé à Lemnos y avaient laissé
delà des limites, successivement agran- leur postérité ; ils ajoutèrent qu'ayant
dies, du territoire subjugué. De là les été chassés par les Pélasges, ils ve-
émigrations qui eurent pour résultat naient , comme cela était naturel ,
la colonisation de Théra , métropole à chercher un asile au pays de leurs pè-
son tour de Cvrène. res ;ils priaient donc les Laconiens
Second élément, les Cadméens de les recevoir chez eux et de les ad-
réfugiés de ïhèbes. — Mais avant mettre au partage non-seulement de
l'arrivée des Héraclides, l'ancienne ca- leurs terres, mais encore des droits et
pitale des Achéens de la Laconie, la des honneurs de la cité. Les Laco-
ville de Tyndare et de Léda , la pa- niens yconsentirent, en considération
trie de Castor et de Pollux , d'Hélène surtout de ce que les Tyndarides
et de Clytemnestre, Amyclée, avait avaient fait partie de l'expédition des
reçu dans son sein les restes de la Argonautes : ils accueillirent les Mi-
noble race des Égides , dépossédée nyens, leur donnèrent des terres, et
de Thèhes par l'invasion béotienne les répartirent parmi leurs tribus.
(1150 ans avant notre ère); elle avait Ceux-ci y prirent aussitôt des épou-
ainsi donné l'hospitalité à Théras et ses, et y trouvèrent des époux pour
Argie, tous deux enfants d'Autésion, les filles qu'ils avaient amenées de
Lemnos.
fils déshérité du roi Tisamène , dont
la généalogie remontait, qtravers huit Mais bientôt les Minyens affichè-
générations, par OEdipe, Jusqu'à Cad- rent des prétentions exorbitantes : ils
mus. Quand l'héraclide Aristodème voulurent s'emparer de l'autorité, et
s'empara d'Amyclée, il y prit pour violèrent sur plusieurs points les lois
épouse la cadméenne Argie, et la ren- du pays. Les Lacédémoniens alors ré-
dit mère de deux princes jumeaux , solurent de s'en délivrer : ils se sai-
Eurysthènes et Patrocles , qui ne vi- sirent d'eux , et les jetèrent en prison
rent toutefois le jour qu'après sa mort pour attendre leur supplice, les exé-
(1 125 ans avant J.-C.) : leur oncle ma- cutions, Lacédémone,
à ne se faisant
ternel Théras gouverna pendant leur que la nuit, et jamais de jour. Comme
minorité , et quand ils furent en âge l'heure de leur mort approchait, leurs
de prendre eux-mêmes les rênes de femmes , qui étaient filles des princi-
l'État , Théras , trop lier pour obéir paux citoyens de Lacédémone, deman-
après avoir si longtemps commandé, dèrent àentrer dans la prison pour
résolut de s'expatrier pour aller ail- parler à leurs maris , ce qui leur fut
leurs fonder un nouveau royaume. accordé sans défiance. Elles ne furent
Troisième élément, lesMinyens
pas plutôt entrées, qu'elles se hâtèrent.
76 L'UNIVERS.

de donner à leurs époux leurs propres à la postérité de Théras, avec laquelle


vêtements , et de prendre les leurs : l'aristocratie des Égides et des Mi-
et les Minyens, ainsi cachés sous les nyens partageait l'administration des
habits de leurs femmes, sortirent à la affaires publiques. Si Théra eut plus
tard un gouvernement populaire sous
faveur pantdede lacesorte
déguisement, et s' échap-
, se réfugièrent de des archontes, ce ne fut sans doute
nouveau sur les hauteurs du Taygète. qu'à une époque postérieure à la fon-
Fondation de la colonie de dation età l'émancipation de Cyrène.
Théra.— C'était le moment où Théras Causes de l'émigration vers
voulait quitter Lacédémone pour aller Théra et de là vers Cyrène. —
fonder une colonie : il avait jeté les Quels que soient les détails anecdoti-
yeux sur l'île appelée 3ues au milieu desquels se trouve
habitée, depuis huit alors Calliste, déjà
générations, par élayée l'histoire de la colonisation de
ses compatriotes les descendants de Théra, on voit qu'elle eut lieu par suite
Membliarès fils de Péciles, phénicien, des rivalités intestines qui devaient na-
que Cadmus y avait laissé quand il tra- turellement surgir entre des popula-
versait les mers à la recherche d'Eu- tions de races diverses, amenées sur
rope. Théras avait réuni pour son ex- un même sol par des déplacements
pédition ,un grand nombre de Laco- qui ne sont pas sans quelque analogie
niens pris dans les tribus parmi les avec ceux dont l'Europe occidentale
Égides et les Achéens d'Amyclée, avec fut le théâtre au moyen âge. L'expé-
le dessein d'aller s'établir à Calliste, dition de Cadmus avait jadis donné
non à la place des anciens colons cad- des habitants à Thèbes ; celle des Ar-
méens, mais paisiblement et dans une gonautes en avait laissé à Lemnos :
parfaite union avec eux : il proposa l'invasion des Béotiens chassa les Cad-
d'emmener aussi les Minyens fugitifs, méens de Thèbes; celle des Pelages
qui dans leur retraite du Taygète chassa les Minyens de Lemnos, et celle
excitaient encore l'inflexible colère de des Doriens chassa à son tour, de la
Lacédémone, et il obtint leur grâce à Laconie, les Cadméens et les Minyens
la condition de cet exil volontaire.
qui s'y étaient
anciens maîtresréfugiés, du pays.et les Acheens
Son tils
avec lui,ayant refusécomme
il le laissa de s'embarquer
une brebis Ce furent probablement aussi des
parmi les loups , ce qui lit donner à dissensions intestines entre les Mi-
celui-ci nyens et les Cadméens de Théra qui
mit à la le nomavecd'Oïolycos.
voile Théras
trois vaisseaux de déterminèrent, quatre siècles et demi
trente rames, se rendit à Calliste au- plus tard , l'émigration à laquelle
près de la postérité de Membliarès, rène dut sa naissance: la tradition Cy-
de
et y forma un établissement (jui prit cette cause simple et naturelle nous a
le nom de son fondateur, bientôt subs- même été conservée par un scholiaste.
titué à celui de Calliste même. Les Mais Cyrène eut des destinées trop
traditions de Lacédémone aussi bien brillantes , pour que la fable ne vînt
que celles de Théra avaient conservé pas, de mille manières, parer son ber-
jusque-là un souvenir uniforme des ceau, et l'entourer de cette trompeuse
événements que nous venons de rap- auréole qui rend indécises les formes
fieler : Théra seule pouvait raconter sur lesquelles elle semble jeter le plus
a suite de son histoire. d'éclat. Il nous faut donner au moins
Ainsi , l'île de Théra , d'où Cyrène un coup d'œil rapide à ces menteuses
annales.
devait un jour sortir, était une colonie
laconienne ; elle avait reçu pour ha-
bitants des Amycléens de race achéen- Expéditions des Théréens pour la
neoudanaënne,des Minvens venus de
Lemnos au Ténare, et des Cadméens fondation d'une colonie en Libye.
tant Égides que Membliariens. La di- Traditions conservées a Thé-
gnité royale, dans le nouvel État, resta ra; première reconnaissance de
AFRIQUE ANCIENNE.
i/ÎLE de Platée. — Dix-sept généra- et remirent en mer pour aller en dili-
tions après la colonisation deThéra, le gence faire aux Théréens leur rapport
sceptre se trouvait entre les mains de sur cette île.
Séjour de Corobios ; arrivée
Grinos
des fils d'Esanios;
Minvens et leouprincipal
était Aristote Aristée des colons a Platée.— Leur absence
fils de Polymneste, plus connu sous le s'étant prolongée au delà du temps
nom de Battos, descendant de ce Sé- convenu , Corobios se trouva dans
samefils
, de Leucophane et petit-fils une très-grande disette; heureusement
de l'argonaute Euphème, qui avait qu'un navire de Samos , qui allait
accompagné Théras à Calliste. Or en Egypte sous le commandement
voici , au dire d'Hérodote , ce que ra- de Coïéos , ayant abordé à Platée
contaient d'eux les Théréens. et appris la position critique de Co-
Grinos fils d'Esanios , descendant robios lui
, donna des vivres pour un
de Théras et roi de l'île de Théra, était an, après quoi il se remit en route
allé à Delphes pour y offrir une héca- pour l'Egypte où il était pressé d'ar-
tombe, en compagnie de plusieurs ha- river ;mais le vent d'est qui soufflait
bitants de son île, et entre autres du alors, emporta, comme on sait, le na-
minyen Battos fils de Polymneste, vire jusqu'au delà des colonnes d'Her-
euphémide. Quand ce prince consulta cule. La conduite de Coléos à l'égard
l'oracle, de Corobios fut l'origine de la grande
lui fallait la aller Pythie fonderluiune
répondit
ville enqu'il
Li- amitié que les Théréens et les Cyré-
bye. «Divin Apollon, s'écria Grinos, néens eurent depuis ce temps pour les
« je suis vieux , trop lourd pour de Samiens.
« telles entreprises»; et montrant Bat- Les Théréens qui avaient laissé Co-
robios àPlatée, rendirent compte , à
tos : « Chargez-en plutôt quelqu'un
« de ces jeunes gens venus avec moi.» leur arrivée chez eux, de l'établisse-
De retour dans leur île, les Théréens
ment qu'ils avaient commencé de for-
n'eurent aucun égard à la réponse de mer dans cette île libyenne. Là-dessus
l'oracle, attendu que ne sachant point il fut résolu que de tous leurs can-
où était la Libye, ils n'osaient s'aven- tons ,qui étaient au nombre de sept,
turer ày envoyer une colonie. on enverrait des hommes, que les
Il se passa ensuite sept années sans frères tireraient au etsort,
tos serait leur chef leur etroique: etBat-
en
qu'il plût à Thera, où la sécheresse fit
périr tous les arbres hors un seul ; les conséquence de cette résolution , fu-
Théréens eurent alors recours à l'ora- rent équipés deux vaisseaux à cin-
cle, et la Pythie leur ordonna de nou- quante rames, qui transportèrent à
veau d'aller fonder une colonie dans Platée les nouveaux colons.
Récit des Cyrénéens; origine
la Libye. mède àleurN'ayant donc position,
fâcheuse pas d'autre re-
ils en- cretoise de battos par sa mere.
voyèrent en Crète s'enquérir de quel- — Les traditions cyrénéennes , consi-
qu'un, crétois gnées dans l'histoire d'Hérodote, et
en Libye. Les ouenvoyés
étranger,parcoururent
qui eût été
rappelées dans les chants de Pindare,
l'île, et arrivés à la ville d'Itanos, ils y attribuent à Battos un rôje plus im-
découvrirent un teinturier en pourpre, portant, et entrent, à l'égard de ce
nommé Corobios , qui leur dit avoir prince, dans beaucoup plus de détails,
été poussé par un vent violent dans que nous allons rapporter aussi. Nous
l'île de Platée en Libye; ils l'engagè- ne pouvons mieux taire que de trans-
rent moyennant salaire, et revinrent crire lerécit du vieil historien.
avec lui à Théra. On fit partir alors , Étéarque, roi de salapremière
ville d'Axos en
sous la conduite de Corobios, un petit Crète, ayant perdu femme,
nombre de citoyens chargés d'exami- dont il avait une fille appelée Phro-
ner les lieux ; et quand il les eut me- nime, prit une nouvelle épouse, qui, à
nés àl'île de Platée , ils l'y laissèrent peine installée chez lui , se conduisit
avec des vivres pour quelques mois , en véritable marâtre , cherchant tous
L'UNIVERS.
?8'
les moyens de nuire à la jeune prin- Battos répliqua: «Divin régulateur,
cesse, qu'elle accusa enfin, auprès de « je suis venu vous consulter sur le
son crédule époux , de s'être abandon- « défaut de ma langue ; mais vous me
née à un homme ; et à l'instigation « commandez des choses impossibles
de cette femme, Etéarque se porta, à « en m'envoyant établir une colonie
l'égard de sa fille , à une résolution « en Libye : avec quelles troupes, avec
odieuse. Il y avait alors à Axos un « quelles forces puis-je exécuter un tel
marchand théréen nommé ïhémison: « projet ? » Malgré ces raisons , il ne
ce prince le fit venir , et après avoir put amener la Pythie à lui parler au-
contracté avec lui l'hospitalité, il lui trement. Voyant
fit promettre , avec serment , de lui persistait dans sa donc
réponseque, ill'oracle
quitta
prêter son ministère dans toutes les Delphes, et retourna à Théra.
choses où il aurait besoin de lui : et Mais dans la suite, il lui arriva beau-
dès que le serment eut été prononcé,
il lui remit sa fille, en le chargeant de coup de malheurs, ainsi qu'aux autres
habitants de l'île, et comme ils en igno-
l'emmener et de la jeter à la mer. raient lacause, ils envoyèrent consul-
Fâché de se trouver ainsi lié par ter l'oracle de Delphes sur les calami-
une promesse surprise à sa bonne foi, tés qui les frappaient: la Pythie leur
Thémison rompit avec Ktéarqne, par- répondit qu'ils seraient plus heureux
tit avec la jeune princesse, et pour s'ils fondaient avec Battos la ville de
obéir à son serment, quand il fut au Cyrène en Libye. Sur cette réponse,
large, il la jeta à la mer, mais attachée ils firent partir Battos avec deux vais-
à une corde , au moyen de laquelle il seaux a cinquante rames ; Battos et
la retira de l'eau ; et il remmena à ses compagnons, forcés par la néces-
Théra. Là elle fut recueillie par un sité, naviguèrent vers la Libye, puis
grand seigneur nommé Polymneste, ils voulurent retourner à Théra; mais
(le qui elle eut, quelque temps après, un les Théréens les repoussèrent quand
fils qui, d'après les Théréens aussi bien ils tentèrent de débarquer, leur inter-
que les Cyrénécns, fut appelé Battos. dirent d'aborder, et leur ordonnèrent
IÎATTO* CONDUIT UNE COLONIE A de retourner à l'endroit d'où ils ve-
Platrk.-Lo [rime prince avait,dit-on, naient. Force leur fut de reprendre la
été appelé Battos parce qu'il bégayait même route, et d'aller s'établir dans
et ne pouvait prononcer certaines ar- une île voisine de la Libye; cette île,
ticulations; mais Hérodote croyait comme on l'a déjà dit /était celle de
qu'il avait, un autre nom ( Pindare Platée , dont la grandeur ne dépassait
et Callimaque disent Aristote , Jus- pas mecelle qu'eut plus tard la ville mê-
tin dit Aristée), et que celui de de Cyrène.
Battos lui fut donné en Libye, tant Les colons quittent Platée
tour aziris, et arrivent enfin
à cause de la réponse qu'il avait re- A LEUR DESTINATION. — Les récits
sonçuededesal'oracle
dignité;de carDelphes Battos, qu'à rai-
comme des Théréens et des Cyrénéens concor-
le fait observer l'historien grec, signi- daient entre eux, quant à la suite de
fie roi dans la langue des Libyens, et cette
en ces termes : qu'Hérodote poursuit
histoire,
c'est pour cela sans doute que la Py- Les Théréens restèrent deux ans
thie ,l'envoyant en Libye pour y ré-
gner, lui donna, dans sa réponse, ce dans l'île de Platée; mais comme rien
titre libyen. En effet, étant allé, à sa ne leur prospérait, ils y laissèrent
majorité l'un d'entre eux, et le reste se rem-
phes sur, leconsulter
défaut de l'oracle de Del-la
sa langue, barqua pour aller à Delphes. Quand
Pythie lui repondit : « Battos, comme ils y furent arrivés , Battos dit à la
si elle lui eut dit : «Roi ! tu viens ici
Pythie qu'ils s'étaient établis en Li-
« pour ta voix : le divin Apollon t'or- bye , et que, cependant, ils n'en
« donne d'aller t'établir dans la Libye étaient pas plus heureux. L'oracle lui
« où paissent de nombreux moutons. » répondit : « Tu n'as jamais été dans la
AFRIQUE ANCIENNE.
« Libye féconde en troupeaux , et tu peler quelques autres versions qui nous
« prétends la connaître mieux que sont parvenues par d'autres voies.
«« moi quitony ai été. J'admire Et d'abord il nous faut rapporter
dément savoir! » Sur cettegran-
ré- en première ligne le mythe poétique,
célébré dans les vers de Pindare et de
monde, ponse, Battos s'enle retourna
puisque dieu ne lesavectenait
son Callimaque, où figure la chaste et
pas seraient
quittes depasl'entreprise courageuse Cyrène, fille d'Hypsée,
ne allés danstant qu'ils
la Libye roi des Lapithes de la Thessalie, fils
même. De retour à Platée, ils prirent lui-même du Pénée, et petit-fils de la
avec eux celui des leurs qu'ils y avaient Terre et de l'Océan. Ce n'étaient pas
laissé, et allèrent s'établir sur le con- la navette et les fuseaux, les soins et
les jeux domestiques qu'elle aimait,
Aziris ,tinent
lieulibyencharmant,
, vis-à-visenvironné
de l'île,deà
c'était la garde active des troupeaux
deux côtés par des collines agréables de son père, et la chasse des fauves,
couvertes d'arbres, et arrosé en outre qu'elle poursuivait de ses javelots et
par une rivière. combattait de son épée d'airain. Apol-
Ils demeurèrent six années à Aziris ; lon l'aperçut un jour luttant seule
mais la septième année ils se lais- contre
aussitôt unChiron 'lion impétueux;
du fond de il
sonappelle
antre
sèrent persuader d'en sortir, sur les
vives instances des Libyens, et sur la pour venir admirer cette vierge intré-
promesse qu'ils leur firent f>ide , dont la résolution , la vigueur,
ner dans un meilleur canton.de Les
les me-
Li- e courage, étaient inaccessibles à la
byens leur ayant fait quitter cette ha- crainte et supérieurs au danger. Il lui
bitatioles
n , conduisirent vers le cou- demanda qui était cette noble fille , et
chant; et de crainte qu'en passant s'il pouvait prétendre à ses faveurs.
par les plus beaux sites du pays , les « Est-ce à moi , répondit le centaure,
Grecs ne les préférassent, ils réglè- « à révéler le présent ou l'avenir à un
rent leur marche sur la durée du jour « dieu? Vous l'épouserez et la condui-
de manière à leur faire traverser pen- « rez au delà des mers pour lui don-
dant la nuit cette belle contrée appe- « ner à régir une cité où vous aurez
lée Irasa (*). Quand ils les eurent con- « réuni, sur une colline entourée de
duits àune fontaine qu'on prétend « plaines, des habitants insulaires;
consacrée à Apollon : « Hellènes », leur « la vieille Libye recevra la nymphe
dirent-ils, «la commodité du lieu « illustre dans ses palais d'or, et lui
« vous invite à fixer ici votre demeu- « donnera aussitôt, pour l'assujettir à
« re : le ciel y est ouvert pour vous « ses lois , une terre fertile en fruits
« donner les pluies qui rendront vos « de toute espèce , féconde aussi en
« terres fécondes. » « bêtes sauvages. Là elle enfantera
Ce lieu était l'emplacement où fut « Aristée, chasseur et pasteur à la
bâtie Cyrène. « fois. » Les dieux sont prompts , sur-
tout quand ils sont pressés : dès le
Traditions diverses relatives à la ' jour même le fils de Latone, enle-
fondation de Cyrène.
vant dans un char d'or la vierge chas-
Mythe poétique de la nymphe seresse, laconduisit dans les somp-
Cyrène. — A côté de ces traditions tueux palais de Libye où Vénus les
que le père de l'histoire avait recueillies reçut et consacra leur union', et Cy-
sans doute lui-même à Lacédémone, à rène demeura la maîtresse d'un pays
Théra et à Cyrène, il convient de rap- chargé de troupeaux et de moissons ,
dans la plus riche des trois parties de
la terre.
(*) "Ipaaaa rcoXi; 'Avxaîou, comme la dé-
signe Pindare dans sa ixe Pythique; on Est-ce l'histoire ornée de poétiques
verra, dans notre volume des îles, que le dehors, ou bien est-ce une allégorique
nom des Aniides était attaché à la cher- fiction que Pindare a voulu consacrer
sonnèse appelée aujourd'hui Râs-el-Tyn. dans ses chants? Il semble impossi-
80 L'UNIVERS.

ble d'hésiter pour cette dernière hy- « tre est bon ; abandonne une terre
pothèse. La nymphe thessalienne, « isolée au milieu des flots, le con-
« tinent te vaut mieux,; renonce à
conduite en Libye par Apollon, n'est-
ce pas une allusion directe à la popu- « l'orient, où fut ton premier domi-
lation d'origine minyenne, transpor- « cile, et obéis à mes ordres en allant
tée sur le sol libyen par ordre de l'o- « habiter la terre-ferme , suivant la
racle de Delphes? Quand il rappelle « volonté des dieux. Garde-toi donc
des souvenirs historiques, Pindare « d'entreprendre une navigation fu-
lui-même ne nous parle pas de la nym- « neste pour retourner dans ta patrie,
phe Cyrène, mais bien d'Aristote ou « et souviens-toi que selon les œu-
Battos (ils de Polymneste , que la « vres de l'homme est le succès de ses
Pythie envoya fonder une colonie « entreprises. »
quand il venait la consulter sur le dé- Version adoptée par l'histo-
faut de sa langue, et qui amena en rien Trogue-Pompée. —Le récit de
Libye, dans ses vaisseaux, les colons Trogue-Pompée, tel queJustin
nous ,l'asemble
trans-
minyens, égides et lacédémoniens , mis son abréviateur
qui de Sparte s'étaient jadis rendus être un amalgame des traditions et
des fables antérieures, emprunté, à
àalors
Calliste.
recouvré Le Ipoète usage ajoute
facile dequ'ayant
sa lan- ce qu'il semble, d'un fragment de
gue, ileffrayait les lions du seul bruit Théopompe; nous nous bornerons à
de sa voix; tandis que Pausanias ra- le traduire ici.
Cyrène, raconte-t-il , fut bâtie par
lion luicontedéliaque la lafrayeur
langue qu'il
en luieutfaisant
d'un Aristée, surnommé Battos à cause de
pousser de grands cris. sa difficulté à parler. Son père Cyr-
RÉCITS RECUEILLIS PAR UN ANCIEN
nus , roi de l'île de Théra , étant venu
scholiaste. -Cependant, si l'on en à l'oracle de Delphes pour consulter
croit Acésandre, auteur d'une histoire le dieu au sujet de l'infirmité de son
de Libye ou de Cyrène, citée par l'an- (ils adolescent qui ne parlait point
cien scholiaste de Pindare, Battos n'au- encore, reçut une réponse qui ordon-
rait été nullement bègue, mais bien au nait àce fils Battos de se rendre en
contraire, éloquent, instruit et habile, Afrique pour y bâtir la ville de Cy-
et son prétendu défaut de langue n'au- rène, où il recouvrerait l'usage de sa
rait été qu'une feinte. Un autre histo- langue. Comme cette réponse avait
rien, Ménéclès, cité par le même scho- l'air d'une plaisanterie , à cause du pe-
liaste, traitait de fables tous ces récits tit nombre d'habitants de l'île de Thé-
où il était question du bégaiement de ra , où il s'agissait de prendre des
Battos, et voici la version qu'il donnait colons pour aller fonder une ville dans
lui-même de la fondation de Cyrène. une contrée aussi vaste que l'Afrique ,
« Il y eut», dit-il, « des troubles dans on négligea de s'y conformer. Mais
l'île de Théra , et les citoyens se par- quelque temps après , ils furent, com-
tagèrent endeux factions : Battos, qui me des rebelles, forcés par la peste
était a a tête de l'un des deux partis, d'obéir au dieu : ils étaient si peu
ayant eu le dessous dans un combat, qu'ils remplissaient à peine un seul
fut obl;eé de quitter sa patrie; et navire. Quand ils furent arrivés en
comme il désespérait d'y pouvoir ren- Afrique, ils occupèrent, à cause de
trer, ilforma le projet de s'aller éta- l'aménité du lieu et de l'abondance de
la source , la montagne de Cyra , dont
blir ailleurs avec ceux qui l'avaient ac- ils chassèrent les habitants. Là leur
compagné dans sa fuite. Etant allé à
chef Battos commença à parler sans
Delphes pour y consulter l'oracle sur difficulté, ce qui, eh leur montrant
ce qu'il devait faire, de combattre
pour recouvrer sa patrie, ou de cher- l'accomplissement des promesses du
cher ailleurs un établissement , le dieu dieu à cet égard, leur donna du cou-
lui répondit : « Battos, de ces deux rage et l'espérance du succès pour la
« partis , le premier est mauvais , l'au- fondation d'une ville.
AFRIQUE ANCIENNE.
81
Ayant établi leur camp sur ce point, navire l'espace de douze jours à tra-
ils apprirent la tradition de l'ancienne vers les déserts de la Libye jusqu'au
fable d'après laquelle Cyrène , vierge marais de Triton ; bien que , suivant
d'une merveilleuse beauté, enlevée du Apollonius de Rhodes, ils effectuèrent
mont Pélion en ïhessalie par Apol- ce portage à partir seulement de la
lon ,et transportée sur le sommet de Syrte , où les avait poussés une tem-
la montagne même dont ils occupaient pête qui les avait saisis en vue du
le versant, avait eu de ce dieu quatre Péloponèse
enfants : Nomius, Aristée, Eutocus Diodore de ;Sicile, tandis sequ'Hérodote
taisant sur et
le
et Argée. Son père Hypsée, roi de portage, racontent que la tempête,
Thessalie , ayant envoyé à sa recher- saisissant le navire sur la route de
che, les messagers, séduits par l'a- Delphes, au retour de la Colchide d'a-
ménité du lieu , s'étaient établis avec près celui-ci , avant le départ d'après
la princesse sur ce même territoire. l'autre, l'emporta sur les basses du
Les enfants étant devenus adultes ,
lac de Triton. Quoi qu'il en soit , il
trois d'entre eux étaient retournés en s'agissait, pour les navigateurs grecs,
Thessalie, où ils avaient succédé aux de dégager leur vaisseau de ces bas-
domaines de leur aïeul ; Aristée avait fonds dangereux : Triton lui-même,
eu un vaste royaume en Arcadie: c'est se montrant à leurs yeux sous les
lui qui , le premier, avait fait connaî- traits d'Eurypyle roi du pays, leur
tre aux hommes les abeilles et le miel , enseigna la bonne route, soit au prix
le lait et le fromage, et qui le pre- du trépied que Jason destinait au tem-
mier avait observé le lever solsticial
des astres. Instruit de ces détails , et ple de Delphes, ou d'une patère d'or
au dire de Lycophron, soit sous l'in-
s'étant informé du nom de la prin- fluence d'un sentiment plus désinté-
cesse Battos
, fonda en cet endroit la
ville de Cyrène. lité,ressé;racontent
et commeles présent d'hospita-
uns, il arracha du
Attribution prophétique delà sol une glèbe pour la leur offrir, et
possession du territoire de cy- elle fut reçue par Euphème, en fa-
rène, lors du passage des argo- veur duquel elle était, ainsi que le
NAUTES. — Un savant géographe cri- prophétisa Médée ou Jason, l'emblè-
tique, Mannert, a cru trouver, dans le me de la possession future de la con-
mythe de la nymphe Cyrène, une preuve trée; suivant les autres, c'est au tré-
que des navigateurs grecs avaient, dans pied outachées
à la patère d'or qu'étaient at-
leurs pérégrinations, en des temps re- les destinées du pays.
culés, abordé à ces rivages. En quittant le Triton , les Argo-
Cette opinion est confirmée par les nautes arrivèrent près de Théra , et
traditions des temps héroïques, où Euphème y ayant laissé tomber à la
nous trouvons, au milieu du récit de
la grande expédition des Argonautes, mer la glèbe qu'il avait reçue d'Eury-
des traits directement relatifs à l'éta- pyle ,cet accident fut le 'texte de la
blissement futur des Grecs dans les prophétie que Pindare a mise dans la
bouche de Médée : « De cette île », dit-
parages où fut plus tard bâtie Cy- elle, « la fille d'Épaphus recevra un
rène.
Sans nous engager dans le dédale « jour le germe des villes qui s'élève-
« ront sur le sol consacré à Jupiter
des traditions diverses qui, dans la « Ammon , et à cause de cette glèbe
succession des âges, se sont formulées « Théra deviendra la métropole de
sur la route par laquelle les Argonau- « grandes cités ; car dans cette île est
tes revinrent de la Colchide, nous « prématurément tombée la semence
nous bornerons aux récits les plus « destinée à féconder la vaste Libye.
anciens , d'après lesquels , suivant Pin- « Si Euphème l'eût jetée sur sa terre
dare, les conquérants de la Toison « natale , aux abords du Ténare ,
d'Or rentrèrent de l'Océan dans la « ses enfapts , après quatre généra-
Méditerranée en transportant leur « tions, seraient allés occuper cette
6e Livraison. (Afrique ancienne 0 6
82 L'UNIVERS.
« grande terre avec les Danaèns tous
« qui seront alors chassés de Lacédé- Enfin les , lecas, savant qu'une date deincertaine.
évêque Césarée ,
« mone , d'Argos et de My cènes ; tan- Eusèbe le chronologiste, n'est pas,
« dis que maintenant il rencontrera plus que Solin , d'accord avec lui-
« des épouses étrangères , de qui naî- même, , puisqu'en troisdates
endroits de son
« tra dans cette île le rejeton que les canon il énonce des différentes,
répondant aux années 1333, 758 et
« oracles d'Apollon Pythien invite-
« ront à transporter aans ses vais- 631 avant J.-C. ; on peut croire, avec
« seaux de nombreux colons en Li- ceux qui supposent divers établisse-
ft bye. » ments successifs des Grecs dans la
Date probable de la fondation Libye , que ces trois dates se rappor-
de Cyrène. — A quelle époque faut-il tent àtrois différents essais de coloni-
rapporter la fondation de Cy rêne? C'est sation. Quoi qu'il en soit , la dernière
un point d'autant plus controversé par- a été acceptée par les critiques comme
mi les modernes, que les anciens nenous la plus probable de celles qui ont été
ont transmis à cet égard que des indica- attribuées à l'établissement de Battos,
tions vagues et discordantes. Le natu- et nous l'adopterons nous-même sans
raliste Théophraste énonce d'une plus de discussion.
manière générale que les Cyrénéens
étaient établis dans leur ville environ II. RÈGNE DES BATTIADES.
trois cents ans avant l'archontat de Enfance, développement et organU
Simonides , dont la date se rapporte sation de la colonie sous les cinq
à l'année 311 avant notre ère. Pline
premiers rois.
l'ancien, répétant probablement le Enfance de la colonie sous les
calcul de Théophraste , fait corres-
pondre la fondation de Cyrène à l'an deux premiers monarques.— Pen-
143 de Rome, ce qui revient de même dant huit générations, dont les chro-
à 611 ans avant l'ère chrétienne. So- nologistes évaluent habituellement la
lin , si fréquemment servile copiste de durée à deux siècles, -Cyrène fut sou-
Pline, s'écarte cependant ici du maître mise àdes rois, dont la dynastie prit
dont on l'a surnommé le singe; sui- le nom de Battiades , de celui de son
fondateur Battos Aristote.
vant lui , c'est à la quarante-cinquième
olympiade, au règne d'Ancus Martius, Le règne, de ce premier monarque
et à l'an 586 de la prise de Troie, que fut de quarante ans, et ne laissa que
doit être fixée la date de l'établisse- de bons souvenirs, consacrés par les
ment formé par Battus à Cyrène: or louanges des historiens et des poètes;
cette triple indication est d'autant il bâtit aux dieux plusieurs sanctuaires,
plus embarrassante, que si d'un côté et fit construire , pour les solennités
l'année 590 avant l'ère chrétienne ré- instituées en l'honneur d'Apollon, une
pond aux deux conditions tirées de la route droite et pavée rendue célèbre
chronologie grecque , d'un autre côté par les chants de Pindare, et à l'un des
les vingt-quatre ans du règne d'Ancus bouts de laquelle , vers le Forum, fut
Martius s'étendent de 640 à 616 avant ensuite placé son propre tombeau.
J. C, en sorte que la première date ne Pausanias rapporte que les Cyrénéens
s'accorde nullement avec la seconde , avaient consacré à sa mémoire, à Del-
qui est précisément celle que Solin a phes, un tableau du peintre crétois
dû écrire avec le plus d'assurance , Amphion de Gnosse, où ce prince était
puisqu'elle se rapporte à la chronolo- représenté dans un char conduit par la
gie de sa propre patrie. On a tenté di- nymphe Cyrène, et couronné par la
verses corrections au texte de l'auteur, nymphe Libye.
on en a donné diverses explications , Il eut pour successeur son fils Ar-
pour faire disparaître les contradic- césilas, le premier de ce nom, qui
tions qu'il présente ou semble présen- régna seize années ; c'est tout ce que
ter ;mais on n'en a pu retirer, dans nous savons de celui-ci. Hérodote
AFRIQUE ANCIENNE.
83
nous apprend seulement que , sous ce sur le territoire qu'ils avaient envahi,
prince, comme sous son père, la co- et sur les tribus libyennes d'alentour;
lonie resta confinée dans les limites
elle leur valut aussi le respect de l'E-
du premier établissement. gypte, dont le nouveau souverain,
Extension de la. colonie sous Amasis , rechercha leur amitié ; il
LE BÈGNE DE BATTOS L'HEUBEUX. leur envoya, pour se concilier leurs
— Le troisième roi , appelé Battos bonnes grâces, une statue de Minerve,
comme son aïeul, fut surnommé Eudé- et
mone ou l'Heureux : il s'appliqua au des ladeux
sienne États propre
fut ;cimentée
enfin l'alliance
par le
développement de la cité restée jus- mariage d'Amasis avec une princesse
qu'alors stationnàire, et trop faible cyrénéenne, Ladice, fille de Battos,
pour tenir tête aux peuplades indigènes ou d'Arcésilas , ou peut-être d'un
dont elle était entourée. Il appela les grand seigneur nommé Critobule.
Grecs au partage des terres fertiles C'est sans doute à cette époque d'ex-
qu'on pouvait enlever aux Libyens , et tension etde développement qu'il faut
s'adressa , pour les déterminer, à la rapporter aussi la fondation de la
Pythie , dont les oracles se firent en- plupart
tendre aussitôt : « Ceux qui n'iront grecque desdisséminésvilles etsurbourgs d'origine
le territoire de
« dans la fertile Libye qu'après le par- la Cyrénaïque. L'augmentation consi-
« tage des terres», disait le dieu, «au- dérable tout à coup survenue dans la
« ront plus tard sujet de s'en repen- population, et la diversité des élé-
« tir. » Ainsi excités, nombre de ments dont elle se trouvait composée,
Grecs du Péloponèse, de la Crète et durent naturellement amener cette
des îles de la mer Egée, vinrent grossir diffusion , ce fractionnement entre
la population de Cyrène, et la colonie divers centres d'agglomération. Les
s'étendit alors aux dépens des Li- dissidences politiques contribuèrent
byens nomades du voisinage, hors surtout à la formation de plusieurs
d'état désormais de lui résister. Les cités distinctes, ainsi que le règne
anciens maîtres du sol ne se laissèrent suivant en offrit un exemple remar-
pourtant pas dépouiller sans mur-
mure :ils étaient faibles, il est vrai, RÈGNE d'AbCÉSILAS II: DISSEN-
quable.
mais ils pouvaient appeler à leur aide SIONS politiques. — Battos II avait
un protecteur puissant : c'est ce qu'ils laissé plusieurs enfants , Arcésilas ,
firent; leur chef Adikran implora le Léarque, Persée, Zacynthe, Aristomé-
secours d'Apriès , le pharaon de Sais , don et Lycos;
au trône; maisA ses
rcésilas,
frèresl'aîné, succéda
ne voulurent
qui envoya contre les Cyrénéens des
forces considérables ; les deux armées point subir son autorité, et quittèrent
se rencontrèrent dans la belle con-
le canton de Cyrène pour s'aller éta-
trée d'Irasa,près de la fontaine de blir sur un autre point: résolus à fon-
Thesté. Les Égyptiens, qui jamais en- der une cité nouvelle, ils firent alliance
core n'en étaient venus aux mains avec les Barcéens, et soit que ces peu-
avec des Grecs , dédaignaient de tels ples eussent déjà une ville où les Bat-
ennemis : mais ils firent en cette oc- tiades dissidents vinrent avec leurs par-
casion une cruelle épreuve de leurs tisans prendre domicile1, soit que les
armes ; ils furent battus si complète- nouveaux venus fussent les premiers
à élever chez leurs alliés nomades la
ment ,qu'il n'en retourna en Egypte
?u'un très-petit nombre; et cette dé- ville qu'ils habitèrent depuis en com-
aite devint, dans leur patrie, le si- mun, telle fut l'origine de la cité
gnal d'une révolte qui précipita du gréco-libyenne de Barkê ou Barca,
trône Apriès lui-même, 570 ans en- dont le nom couvre encore le sol de
viron avant notre ère.
l'ancienne Libve. Excités par leurs
Cette victoire , à laquelle sans doute hôtes , les Barcéens s'insurgèrent con-
Battos II dut le surnom d'Heureux, tre la suprématie de Cyrène : Arcé-
assura la domination des Cvrénéens silas marcha contre les rebelles et
84 L'UNIVERS.

contre leurs fauteurs; ceux-ci, redou- solider son usurpation , voulut obte-
tant ses armes, s'enfuirent à son ap- nir sa main , promettant d'adopter en
proche chez les Libyens orientaux; même temps le jeune prince; la reine
mais Arcésilas se mit à leur poursuite, feignit d'y souscrire,dumais en repré-
et les atteignit près de Leucon , dans sentant lanécessité consentement
la Marmarique : forcés d'accepter le de sessantpropres
à dessein frères ; et laceux-ci
traîner chose fai-
en
combat, ils se comportèrent avec vi-
gueur, et la victoire se déclara pour longueur , elle parut céder au désir
leur cause , si bien que les Cyrénéens du prétendu régent, en lui donnant
y perdirent sept mille hommes de leurs un rendez-vous qui devait rendre inu-
meilleures troupes. tile l'opposition calculée de ceux-ci;
Il résulta sans doute de cet échec
mais au lieu d'Eryxo, le tyran trouva
des concessions de la part d'Arcésilas Polyarque , frère aîné de la princesse,
envers ses frères, et probablement accompagné de deux jeunes gens ar-
l'admission d'un ou plusieurs de ceux- més qui se surpateur
jetèrent aussitôt desurleurs
l'u-
ci au partage de l'autorité souveraine ; et le percèrent
il paraît du moins que Léarque s'im- épées.
misça complètement au maniement Il était à craindre que les Égyp-
des affaires, expulsa ou fit périr beau- tiens dont Léarque s'était entouré ,
coup de citoyens considérables, en n'attirassent sur ses meurtriers la co-
ayant la perfide adresse de faire attri- lère d'Amasis, ou pour mieux dire,
buer au roi ces actes d'odieuse ty- n'offrissent à l'ambition du pharaon
rannie, de manière à attirer l'exécra- un prétexte d'envahir la Cyrénaïque,
tion publique sur ce prince, auquel il dontil convoitait la possession; peut-
projetait de se substituer lui-même : être une armée égyptienne était-elle
quand les choses lui parurent suffi- déjà prête à marcher sur la Libye,
samment avancées , il empoisonna son
quand les desseins d'Amasis, d'abord
frère, et comme l'effet du breuvage ajournés par la mort de sa mère , fu-
n'était pas assez prompt , il l'é- rent heureusement conjurés par les
trangla. démarches de Polyarque, qui se rendit
Usurpation de Léarque, dé- auprès du pharaon avec sa sœur
jouée PAR LA REINE KRYXO MERE Eryxo et sa vieille mère Critola, sœur
de Battos m. — Arcésilas II laissait de Battos l'Heureux; les bonnes rela-
un fils encore mineur, à qui devait ap- tions qui avaient existé entre Amasis
partenir lcouronne;
a Léarque s'en em- et la dynastie royale des Battiades
para, sous prétexte de la conserver in- furent consolidées, et le monarque
tacte pour son neveu, le jeune Battos III, égyptien renvoya ses nobles hôtes
le Boiteux, ainsi appelé, parce qu'en comblés d'honneursA et
LOIS DONNÉES LA deCOLONIE
présents.PAR
effet il était affligé de cette infirmité;
et le nouveau tyran, s'entourant de Démonax. — Cependant, après avoir
soldats égyptiens gagnés par ses lar- détourné les périls extérieurs, il fallait
gesses donna
, un libre cours à ses pourvoir à l'ordre intérieur; et les der-
dispositions arrogantes et cruelles. niers événements n'avaientque trop fait
Mais il ne jouit pas longtemps de l'im- sentir l'imperfection des institutions
punité :la reine Eryxo, veuve d'Ar- politiques sous le régime desquelles les
césilas I , et mère du jeune Battos , factions pouvaient faire naître de pa-
reils bouleversements : on eut recours
femme d'un esprit aussi ferme que
doux, qui jouissait à Cyrène de la con- au dieu protecteur de la colonie, et l'on
sidération due à ses vertus, et qui députa vers l'oracle de Delphes pour le
appartenait d'ailleurs à une famille consulter sur l'organisation
venait de donner qu'il con-
au gouvernement de
puissante, étant, par sa mère, la nièce
de Battos l'Heureux; Eryxo, dis-je , Cyrène afin d'y assurer désormais la
sut venger son époux et maintenir les tranquillité publique. La Pythie ré-
droits de son fils. Léarque, pour con- pondit qu'il fallait aller chercher à
AFRIQUE ANCIENNE.
monax subsistassent plus longtemps85,
Mantinée, en Arcadie, le législateur
dont les sages règlements sauraient et réclama les honneurs et préroga-
tives dont avaient joui ses ancêtres;
apaiser leurs dissensions. Il y avait
en effet alors , parmi les Mantinéens, mais il éprouva une vigoureuse résis-
tanceon
; recourut aux armes , et son
un homme sidération jouissan t d'une grande con-
politique, appelé Démonax : parti ayant eu le dessous , il s'enfuit à
et ce fut lui que , sur la demande qui Samos , et sa mère Phérétime à Sala-
mine de Chypre.
leur en fut faite, ils envoyèrent à Cy- Phérétime étant arrivée à la cour
rène.
Le premier soin de Démonax fut d'Évelthon , qui régnait alors à Sala-
d'étudier la situation de la colonie pour mine, lui demanda des troupes pour
laquelle on lui demandait des lois; se rétablir à Cvrène, elle et son fils;
quand il se fut bien mis au fait de mais ce prince lui donnait plus volon-
l'état des choses , il sépara en trois tiers toute autre chose qu'une armée :
différentes tribus les éléments hétéro- Phérétime acceptait ses présents et les
trouvait fort beaux ; mais elle ajoutait
gènes dont se composait l'ensemble de
la population : il réunit dans la pre- qu'illuiserait
de accorderbeaucoup plus honorable
des soldats. Comme
mière tous les anciens colons venus de
Théra ; puis il distribua dans les deux elle faisait, à chaque présent, tou-
autres, d'une part les Péloponésiens jours la même réponse , Évelthon lui
et les Cretois, et d'autre part les insu- envoya enfin un fuseau d'or avec une
quenouille chargée de laine, en lui
bua aulaires
roi venusle de soin l'Archipel
des choses; il attri-,
sacrées faisant dire qu'on offrait aux femmes
avec la jouissance des revenus du do- de tels présents
maine sacerdotal ; mais il lui retira , donnait pas une ,armée.
mais qu'on ne leur
pour les rendre au peuple, tous les Arcésilas rassemble des trou-
pes ET REPREND POSSESSION DE CY-
droits que les monarques s'étaient jus- rène. — A Samos, où Polvcrate avait
qu'alors arrogés. sans doute besoin de garder pour lui-
Ce nouveau régime fut accepté par
même ses soldats, Arcésilas prit le parti
toutes les parties , d'un commun con- de faire de tous côtés un appel auxGrecs,
sentementet
, il se continua sans op-
position pendant tout le règne de Bat- en leur promettant des terres dans
la Cyrénaïque ; ce moyen lui réussit ,
tos le Boiteux , bien qu'il y ait lieu de et ayant ainsi rassemblé un corps de
croire que son épouse Phérétime, prin-
cesse ambitieuse et hautaine, cher- troupes assez considérable, il se rendit
chât àlui faire considérer comme une àlesDelphes
chancespour consulter
de son l'oracle
entreprise sur
; voici
honte l'abaissement de puissance au- quelle fut la réponse de la Pythie :
quel ils'était résigné. « Apollon accorde à ta famille la do-
Histoire d'Arcêsilas III et de Phé- rt mination de Cyrène pour huit géné-
rétime. « rations de rois , quatre du nom de
Arcésilas et sa mère expulsés «« Battos
mais le, dieu
quatrete durecommande
nom d'Arcêsilas
de ne;
pour avoir voulu abolir les lois « rien prétendre au delà. Quant h toi,
de démonax. — Arcésilas III, fils de « Arcésilas , il te conseille de rester
Battos et de Phérétime , succéda à son « tranquille chez toi , quand tu y seras
« rentré : si tu trouves un fourneau
père vers l'an 530 avant l'ère chrétien-
ne; ilavait sucé, avec le lait de sa mère, « plein de vases de terre , garde-toi de
les idées d'ambition et de fierté de cette « les faire cuire , mets-les au contraire
femme orgueilleuse, dont les conseils
eurent désormais sur son esprit et sa «« au grandle air
lumer ; que s'il
fourneau t'arrive garde
, prends d'al-
conduite une influence exclusive. A
« d'entrer dans le lieu qu'entoure l'eau
peine monté sur le trône, il déclara qu'il « courante; autrement tu périrais, et
ne souffrirait point que les lois de Dé- « avec toi le plus beau des taureaux. »
86 L'UNIVERS.
Sur cette réponse , Arcésilas fit voile Perses poub le vengeb. — Cepen-
pour Cyrène avec les troupes qu'il dant Arcésilas , ne pouvanf se dissi-
avait levées à Samos, et rentra en pos- muler la puissance des factions sou-
session de ses États ; mais au lieu d'y levées contre lui à Cyrène, n'osa point
demeurer tranquille, ainsi que l'avait y rester après qu'il eut reconnu, dans
recommandé l'oracle, il voulut se ven- ce qu'il venait de faire à la tour d'A-
ger des rebelles qui l'avaient expulsé , glomachos , l'accomplissement d'une
et il ordonna contre eux des pour- des conditions fatales auxquelles l'o-
suites ceux
; dont on put se saisir fu- racle avait subordonné sa destinée,
rent déportés en Chypre, où ils de- persuadé qu'il était d'ailleurs que Cy-
vaient trouver la mort; mais leur vais- rène était le lieu entouré d'eau cou-
seau ayant touché à Cnide, les habi- rante où il devait en ce cas prendre
tants les délivrèrent, et leur fournirent garde d'entrer. Comme il avait épousé
les moyens de se sauver à Théra. De une de ses parentes , fille d'Alazir roi
ceux qui échappèrent , les uns émigrè- des Barcéens , ce fut à Barkê , près de
rent à l'étranger, les autres se réfu- son beau-père,dence, laissantqu'il
sa alla
mèrefixerPhérétime
sa rési-
gièrent dans le château fortifié d'Aglo-
machos , l'un d'eux. Arcésilas, ne jouir en son nom à Cyrène de tous
pouvant les forcer dans cette retraite, les privilèges de la souveraineté , en-
fit entasser du bois à Tentour, y mit le tre autres de celui de présider aux déli-
feu, et les étouffa de la sorte au milieu bérations du sénat.
de l'incendie, sans réfléchir qu'il vio- Mais déjà s'étaient réfugiés parmi
lait ainsi la défense que lui avait faite les Barcéens quelques-uns des citoyens
la Pythie, de faire cuire dans leur
de Cyrène, que les persécutions d'Ar-
fournaise
trouverait les vases de terre qu'il y
réunis. césilas avaient forcés d'émigrer , et ils
fomentèrent contre lui un soulèvement,
La Libye devient tributaire dans lequel il fut tué sur la place pu-
des Pebses. blique ,et avec lui le roi Alazir son
amassait sur —sa Pendant
tête lesqu'Arcésilas
haines de beau-père. A peine la nouvelle en fut-
son peuple, Cambyses envahissait l'E- elle parvenue à Phérétime , qu'elle se
gypte, se rendait maître de Memphis, rendit en toute hâte à Memphis , au-
et s'asseyait sur le trône des pharaons près d'Aryandes satrape d'Egypte,
(l'an 525 avant notre ère). Les Libyens afin de lui demander vengeance , com-
voisinsvahisdeaussi,l'Egypte, craignant me au représentant de Cambyses, dont
se soumirent sans d'être
combat,en-
Arcésilas avait reconnu l'autorité en
s'imposèrent un tribut, et envoyèrent lui livrant Cyrène et se soumettant
des présents. Les Cyrénéens et les au tribut; et elle ne manqua pas d'a-
Barcéens imitèrent les Libyens par le jouter que c'était surtout en haine de
même motif de crainte. Cambyses son attachement à la domination per-
reçut favorablement les présents de sane qu'il avait été assassiné par les
ceux-ci; mais il trouva mesquins ceux factieux.
de Cyrène , qui ne montaient pas au- Les Pebses viennent assiégée
dessus de 500 mines d'argent (valant Babké. — Aryandes, touché des plain-
environ 45,000 fr. de notre monnaie), tes de Phérétime, mit à sa disposition
et il les abandonna à ses soldats. toutes les forces de l'Egypte, tant de
Ayant trouvé à Sais la princesse La- terre que de mer , les premières com-
dice, du sang royal des Battiades, et mandées par le maraphien Amasis, les
veuve d'Amasis, Cambyses lui permit autres par le pasargade Badrès; ce-
de retourner à Cyrène. Depuis ce temps, pendant, avant de les faire partir, il
la Libye orientale, Cyrène et Barkê, envoya à Barkê un héraut chargé de
furent comprises comme tributaires demander qu'on lui livrât le meurtrier
dans la satrapie est persane d'Arcésilas; mais les Barcéens, qui
Arcésilas tué de dans
l'Egypte.une avaient eu beaucoup à se plaindre de
émeute; sa mèbe s'adresse aux ce prince, se déclarèrent tous soli-
AFRIQUE ANCIENNE.
claires de l'attentat; et cette réponse Le serment ayant été prêté sans dé-
ayant été rapportée à Aryandes, le fiance par les Barcéens , ils ouvrirent
satrape saisit avec empressement cette leurs portes , sortirent de la ville , et y
occasion d'envahir la Libye, ainsi qu'il laissèrent entrer ceux des ennemis qui
en avait voulurent y venir; pendant ce temps-
mée aveclePhérétime.dessein ; et il expédia l'ar-
là, les Perses, ayant détruit le pont
Arrivés devant Barkê, les Perses caché , entrèrent en masse dans la
sommèrent la ville de livrer les coupa- ville. Ils avaient eu soin de détruire le
bles, et n'ayant point obtenu satisfac- pont, afin de ne pouvoir être accusés
tion ils
, attaquèrent vigoureusement de violer le traité qu'ils étaient tenus
la place; ils poussèrent leurs mines, d'observer tant que subsisterait le ter-
en neuf mois rain sur lequel il avait été conclu ; en
murailles; mais de ellessiège,
furent jusqu'aux
éventées effet , le pont une fois détruit , le
par un ouvrier en cuivre, au moyen traité
toire. lui-même cessait d'être obliga-
d'un bouclier d'airain , qu'il prome- Les Perses livrèrent à Phérétime les
naitceicontre
: oùterre
nte là les leennemis
long desnemurs d'en-
minaient
plus
aussitôtcoupables
elle les d'entre
fit mettreles enBarcéens
croix au-;
pas , le bouclier ne rendait aucun son ;
mais il résonnait distinctement dans tour des murailles; et ayant fait cou-
les endroits où l'on travaillait. Guidés per le sein à leurs femmes, elle en fit
par cet indice, les Barcéens firent border le mur. Barkê fut mise au pil-
aussitôt des contre- mines, et tuèrent lage par l'ordre de cette princesse : on
les mineurs persans ; quant aux atta- n'épargna que les Battiades, et ceux
ques ouvertes, ils parvinrent égale- qui n'avaient eu aucune part à l'assas-
ment àles repousser. sinat d'Arcésilas. Ce furent les seuls
Barkê est puise par trahison qui eurent la permission de demeurer
et saccagée.— Le siège durait depuis dans la ville. Le reste fut emmené en
esclavage.
longtemps, et les pertes étaient consi-
dérables de part et d'autre, autant du Fin de l'expédition; Barcéens
côté des Perses que du côté des Bar- déportés en bactriane; mort de
céens, quand Amasis, qui commandait Phérétime. — L'armée persane s'é-
l'armée des assiégeants, voyant qu'il ne tant remise en îriarche pour retourner
pouvait réduire "la place par la force, en Egypte, passa par Cyrène,
trée lui fut librement accordée;dont l'en-
Badrès,
s'avisa de la prendre par la ruse; et
voici le stratagème qu'il imagina : commandantde la flotte, était d'avis de
Il fit creuser , pendant la nuit, un la piller; mais Amasis s'y opposa , par
large fossé, sur lequel on mit des le motif que leur mission avait unique-
pièces de bois très-faibles , qu'on cou- ment été de réduire Barkê. Cependant,
vrit de terre , de sorte que le terrain après être sortis de Cyrène , et avoir
était de niveau et égal partout. Au assis leur camp sur la colline de Ju-
point du jour, il invita les Barcéens à piter-Lycéen, ilsregrettèrent de ne
un pourparler; ils reçurent cette nou- s'être pas emparés de cette riche cité ;
velle avec joie, ne demandant pas ils rebroussèrent chemin pour tenter
mieux quedement.d'en venir donc
à un sur
accommo- de rentrer dans la place ; mais ils trou-
On se réunit le fossé
vèrent les Cyrénéens en devoir de s'y
couvert , et ayant conclu un traité , on opposer;ennemi et bien
jura de part et d'autre d'en observer aucun , ilsqu'il furentne tout
se montrât
à coup
tous les articles aussi longtemps que saisis d'une terreur panique, et se re-
subsisterait le terrain sur lequel on se tirèrent précipitamment à soixante
trouvait. La convention portait que stades de là , où ils posèrent leur camp.
les Barcéens payeraient au roi un tribut Ils furent rejoints en cet endroit par un
convenable , et que les Perses ne for- courrier d'Aryandes, qui les rappelait.
meraient point de nouvelles entreprises Ils demandèrent aux Cyrénéens de
contre eux. leur fournir des vivres , et en ayant
88 L'UNIVERS.
obtenu , ils continuèrent leur marche l'on ne prenait garde que son décès
vers l'Egypte , harcelés tout le long avait dû précéder le succès d'Arcésilas.
de lacherchaient
route'par des Libyens pillards, Tentative d'insurrection ré-
qui à leur enlever leurs primée par Arsames. —C'est donc
bagages, tuant les traînards et tous sous Battos le Beau qu'il faut placer
ceux une expédition contre les Barcéens ,
mée. qui s'écartaient du gros de l'ar-
commandée par Arsames qui fut l'un
Ainsi se termina cette expédition , des généraux de Xerxès , et rappelée
qui s'était avancée à l'ouest jusqu'au dans un de ces récits anecdotiques où,
pays des Évhespérides ; les Barcéens , sans indiquer la date du fait ni l'au-
qu'elle emmenait en servitude, furent torité àlaquelle il l'a emprunté, Po-
envoyés d'Egypte en Perse, où Darius lven raconte aux empereurs Marc-
fils d'Hystaspes était monté sur le Âurèle et Vérus les stratagèmes em-
trône quelques mois après la mort de ployés par les chefs militaires en des
Cambyses. Ce prince leur accorda des circonstances célèbres. Il s'agit ici
terres dans la Bactriane, où ils bâti- d'un événement contemporain des pré-
rent une ville à laquelle ils donnèrent paratifs de la fameuse guerre des Per-
le nom de leur chère patrie, qu'elle ses contre les Grecs. Il est probable
conservait
dote. encore au temps d'Héro- qu'entraînées par l'exemple de l'insur-
rection des Égyptiens, à la fin du règne
de Darius , les populations de la Libye
unePhérétime , ajoute l'historien
fin malheureuse : revenue, eut
en voulurent aussi recouvrer leur indé-
Egypte après s'être vengée des Bar- pendance, etque Xerxès, après avoir
céens ,elle périt misérablement , dé- réduit l'Egypte et lui avoir donné pour
vorée par les vers dont son corps gouverneur son propre frère Achémé-
fourmilla : tant il est vrai que les dieux nès, envoya Arsames contre les pro-
haïssent et châtient ceux qui portent vinces plus occidentales. Celui-ci ayant
trop loin leur ressentiment. mis le siège devant Barkê, des ambas-
sadeurs lui furent envoyés pour traiter
Insurrections contre la domination de la paix; il la leur accorda, en leur
persane; abolition de la royauté. donnant la main , suivant la coutume
persane, et leva le siège. Il engagea
Durée présumée du règne de alors les Barcéens à se joindre aux
Battos tv. — Au troisième Arcésilas Persesrait contre
pour lal'expédition
succéda le quatrième Battos, surnommé Grèce , et àquifournir
se prépa-
des
le £eau,qui ne nous est ainsi individuel- renforts de chars de guerre. Ils dépê-
lement désigné que par Héraclide de chèrent leurs chefs pour traiter avec
Pont, et dont nous ne savons rien autre lui de cette alliance; Arsames ayant
chose, sinon que son règne doit remplir fait préparer un splendide festin, y
Ja lacune qui sépare la mort d'Arcési- invita ces chefs, et ouvrit pour la foule
las III son père, tué dans les premières des Barcéens un marché abondant en
années de Darius, et l'avènement d'Ar- toute espèce de denrées. Pendant que
césilas IV son fils, qui était tout jeune ceux-ci y affluaient , il donna un signal
encore mais déjà roi , en 466 avant aux Perses, qui, armés de leurs épées,
l'ère chrétienne, quand il fut vainqueur s'emparèrent des portes, envahirent
aux jeux Pythiques : les chronologistes et saccagèrent la ville , tuant tous ceux
attribuent ainsi à Battos IV environ qui voulurent leur résister.
cinquante ans de gouvernement, et mê- Troupes lieyennes dans l'ar-
me davantage, en sorte qu'il aurait vu mée de Xerxès. — Nous n'avons
s'écouler la majeure partie du règne de aucun autre détail sur cette expé-
Darius fils d'Hystaspes , celui de dition de Libye, qui ne nous est
Xerxès le Grand tout entier, et qu'il connue que par cet épisode : mais
aurait même pu voir encore l'avéne- nous savons du moins qu'elle eut pour
ment d'Artaxerxès Longue-main , si résultat de faire marcher les Libyens
89
AFRIQUE ANCIENNE,
avec l'armée de Xerxès, dans cette dans ces éloges un peu de flatterie,
grande invasion de la Grèce qui devait car le poëte attend une grâce du jeune
si désastreusement échouer à Platée : roi de Cyrène : les troubles politiques
dans le dénombrement de l'immense ont causé l'exil de quelques hommes
armée du roi des rois , on voit figurer distingués, entre lesquels brille Dé-
en effet, après les Arabes et les Ethio- mophïîe, qui a cherché asile à Thè-
piens au-dessus de l'Egypte comman- bes , et Pindare veut obtenir le rap-
dés par Arsames, les Libyens avec pel de ce noble Cyrénéen, l'allié des
leurs vêtements de peau et leurs épieux rois, l'honneur de son pays, qui as-
durcis au feu , sous les ordres du Per- pire àrevoir sa terre natale; il sem-
san Massages fils d'Oarize : ils de- ble même que l'unique objet de la
vaient former un corps très-considé- quatrième Pythique tout entière soit
rable, pour avoir ainsi à eux seuls un de gagner la cause de Démophile au-
de ces généraux dont le commande- près d'Arcésilas.
ment embrassait souvent le contingent Quellenarquequ'ait été particulier,
la décision ilduparaît
mo-
de plusieurs nations, et se partageait dans ce cas
en nombreuses divisions de dix mille
certain qu'il avait juste motif de se
hommes d'infanterie chacune. Il faut défier de l'esprit remuant et factieux
compter à part, en outre, une division des Cyrénéens : aussi médita-t-il un
de cavalerie libyenne menant ces chars
de guerre que les Cyrénéens étaient si changement de résidence , et s'occupa-
t-il prudemment de se ménager ainsi
habiles à diriger. un refuge en cas d'événements graves.
ArCÉSILAS IV, VAINQUEUR AUX Il chargea en conséquence Euphème,
allié à la famille royale, de réunir des
jeux pythiques. — Le règne d'Ar- troupes mercenaires pour la défense de
césilas IV, fils et successeur de Bat-
tos le Beau, ne nous est guère mieux son autorité, et de rassembler des co-
connu que celui de son père ; mais lons pour fonder une nouvelle ville aux
il remporta le laurier pythique, pour Evhespérides , sur la côte occidentale
la course des chars, à la trente et de la Cyrénaïque , à l'endroit où gît la
unième célébration des jeux institués moderne Ben-Ghâzy ; mais Euphème
à Delphes par Euryloque , c'est-à- ayant péri, à ce qu'il paraît, dans un
engagement où la victoire resta aux
dire en l'année
et Pindare en a466 "avant notrele sou-
immortalisé ère ;
siens , ce fut Karrhôtos fils d'Alexi-
venir en consacrant au royal vain- bias, beau-frère du roi , qui prit à sa
queur laquatrième et la cinquième de place le commandement des troupes ,
ses odes pythiques. Le chantre thébain et qui velle
reçut
a célébré la puissance et la sagesse de colonielades
mission d'établir la nou-
Hespérides.
Insurrection de la Libve sous
son héros ; il s'est plu 5 répéter ce que
la renommée proclamait de son esprit la conduite d'Inaros. — Lorsque,
et de son éloquence au-dessus de son à la faveur des troubles qui suivirent
âge, de son audace et de sa vigueur le meurtre de Xerxès, les Égyptiens
dans les combats , de sa précoce faci- s'insurgèrent contre Artaxerxès , en
lité pour la poésie, de son habileté à l'année 462 avant notre ère , il sem-
conduire les chars (*). Peut-être y a-t-il ble que l'insurrection eût son foyer
(*) ■••• «v-,
tête le roi puisqu'ils
en Libye, mirenten àmême
libyen Inaros, leur
5pa xeîvov Ê7raiv£ovxi ctvivexoi.
temps qu'un autre prince du nom
xpécaova jtèv àXtxîaç d'Amyrtée; et il y a tout lieu de
vôov çépêexai ,
présumer que la Cyrénaïque profita
yXiôacrâv xe 6ap<roç te xavv- de cette occasion pour échapper elle-
7UTEpOÇ èv ôpvtijiv at-
exoç etcXexo. àytoviaç
(jLaxpoç cpiXaç', 7t£'cp<xvxai
6' àp[xaxr)Xàxaç aoy 6ç.
8' Ëpxoç ÔÏOÇ , (JÔÉVO;*
èv te [xoicratut Ttoxavo; cmo Pindare, PylhiqueV.
90 L'UNIVERS.

même au joug persan , d'autant plus ce qu'on ignore, bien que cette dernière
qu'Inaros, après avoir chassé le sa- hypothèse semble s'accorder mieux
trape Achéménès et tous les gouver- avec l'idée que Cyrène, en prenant part
neurs étrangers, appela aux armes non- à l'insurrection libyenne contre la do-
seulement les guerriers du pays, mais mination persane, se débarrassa dès
encore tout ce qu'il put réunir de lors d'une dynastie les
considérait comme de alliés
rois qu'elle
de ces
tous les côtés, envoyant chercher du
secours jusqu'à maîtresdue étrangers, à l'appui desquels
un renfort de Athènes , d'oùvaisseaux.
deux cents il reçut était la restauration de Battos IV
Artaxerxès renvoya Achéménès avec sur le trône d'où Arcésilas III avait
trois cent mille hommes, tant d'in- été précipité. Quoi qu'il en soit, nous
fanterie quede cavalerie; l'armée liby- apprenons d'un des scholiastes de
co-égyptienne soutint seule le premier Pindare, qu' Arcésilas IV fut tué en
choc, et semblait devoir céder la vic- trahison par les Cyrénéens, qui dé-
clarèrent alors la royauté abolie , et se
Athénienstoire au nombre, rétablit quand l'arrivée
le combat des
: Aché- constituèrent en république démocra-
ménès fut tué de la main d'Inaros, son tique.
armée taillée en pièces, et les fuyards Battos , fils du dernier Arcésilas ,
acculés et assiégés dans une forteresse fuyant la turbulente cité où ses pères
près de Memphis. avaient régné pendant deux siècles,
Artaxerxès mit une nouvelle armée alla chercher asile dans celte nouvelle
de trois cent mille soldats sous les cité des Hespérides que son père avait
ordres d'Artabaze et de Mégabyze élevée pour être la sauvegarde de sa
J)Our aller réduire les insurgés ; mais il puissance et de sa race ; mais il y trouva
une aussi cruelle destinée : il y périt
eur fallut
rendre à leur plusdestination
d'une annéeet pourrefairese misérablement, et pour effacer jusqu'à
leurs troupes. Enfin , cette multitude sa mémoire , on jeta sa tête à la mer,
se porta contre les insurgés, et les en haine de la royauté.
enveloppa à son tour : les Égyptiens, Tels sont les renseignements que
effrayés, se soumirent en livrant leurs Diodore, Thucydide, HéraclidedePont,
chefs , et Inaros , trahi par les siens , et les scholiastes, fournissent sur les
périt sur la croix (458 ans avant J.-C). derniers règnes de la dynastie des Bat-
Mais les Athéniens tinrent ferme, brû- tiades, dont les descendants, confondus
désormais avec le reste des citoyens,
lèrent leurs vaisseaux que l'ennemi
avait mis à sec , et s'apprêtèrent avec ne se distinguèrent plus que par le vain
une telle résolution à se frayer un che- prestige d'une illustre origine, Jusqu'à
min par la force des armes, que les ce que l'auréole poétique de Callimaque
généraux persans, pour éviter un car- vînt encore nier éclat.
jeter sur leur nom un der-
nage inutile, leur permirent d opérer
leur retraite en sûreté : ils gagnèrent
la Libye, arrivèrent à Cyrène, et de III. GOUVERNEMENT REPUBLICAIN.

là s'en retournèrent par mer dans leur Période de complète indépendance.


patrie. Soit magnanimité, soit impuis-
sance les
, Perses ne poussèrent pas DÉVELOPPEMENT REMARQUABLE
plus loin leur victoire contre les Li- DE LA PROSPÉRITÉ DE CYRENE. —
byens ;ils laissèrent Thannyras fils Après deux siècles de monarchie ,
d'Inaros succéder tranquillement à son Cyrène eut deux siècles de gouverne-
père , de même qu'Amyrtée ment républicain; mais son histoire,
successeur son fils Pausiris. eut pour pendant cette seconde période , nous
Abolition de la royauté a Cy- est tout à fait inconnue, sauf quelques
rène. — Arcésilas vivait-il encore à résultats généraux et quelques faits
cette époque comme le pensent quel- épars dont la mention isolée se ren-
ques critiques, ou bien était-il déjà dé- contre au milieu des récits du temps.
cédé comme d'autres le supposent, c'est Le développement de la prospérité
91
AFRIQUE ANCIENNE.
agricole, industrielle et commerciale, poussés par les vents sur les côtes de
fîit une conséquenc la Cyrénaïque ; ils y furent hospitaliè-
e naturelle de l'ac-
cession des classes inférieures au ma-
rement reçus, et on leur fournit deux
niement des affaires de la cité; car
trirèmes et des pilotes pour les guider
l'égalité politique engendre des rappro- dans leur navigation jusqu'à Syracuse :
cette conduite reçut sa récompense
chements sociaux qui amènent la dif-
fusion des richesses précédemment immédiate ; car, en passant devant la
concentrées entre les mains des classes colonie des Hespérides, les troupes
privilégiées. Le morcellement de la qu'emportait la flottille délivrèrent
propriété territoriale augmente la pro- cette place des attaques auxquelles
elle se trouvait alors en butte de la
duction du sol; l'accumulation des
produits multiplie les transactions part des tribus libyennes du voisi-
commerciales, qui à leur tour accé- nage ,qui en avaient formé le siège.
Insurrection populaire sous
lèrent la circulation de l'argent; et
sous l'influence de cette circulation la conduite d'ariston. — la
rapide naît le luxe , dont les caprices turbulente Cyrène était toujours en
aiguillonnent l'industrie manufactu- proie aux factions : la querelle s'agi-
rière, inséparable des arts utiles, qui tait entre l'aristocratie et le peuple ,
eux-mêmes appellent à leur aide les l'une voulant conserver une supréma-
beaux-arts. Telle est la voie par la- tie que l'autre considérait comme un
quelle Cyrène devait arriver à une opu-joug insupportable; enfin un chef po-
lence sans bornes, admirée et enviée pulaireAriston
, , se rendit maître de
par les autres nations, tributaires ou la ville, et résolut de consommer par
émules de sa puissance commerciale. le meurtre l'abaissement de la classe
Avec les mœurs élégantes et raffi- jusqu'alors privilégiée : cinq cents des
nées qu'amène l'abondance des ri- principaux de la cité furent massacrés;
les autres parvinrent à échapper par
ches es, se concilient mal les exigences
et les rudes habitudes de la guerre : la fuite, en attendant quelque circons-
quand les cités opulentes ont besoin tance favorable qui leur permît de
de soldats,et elles ont deellesrentrer avec sécurité dans leur patrie.
l'orarrachent
pour en
acheter, rarement Cette occasion ne tarda point à se
leurs citoyens à la paisible activité des présenter: quand, après la bataille
affaires pour tenter la fortune des d'Égos-Potamos, les Spartiates restés
armes. vainqueurs chassèrent les Messéniens
Cyrène ne prend point part
de Naupacte et de Céphallenie (**) ,
a la guerre du péloponese. — trois mille de ces fugitifs vinrent,
Pendant que la guerre du Pélopo- sous les ordres de Comon , chercher
nèse rassemblait toutes les forces ac- asile dans la Cyrénaïque, où les Évhes-
tives de la Grèce sous deux bannières pérites, harcelés par les incursions li-
rivales, la grecque Cyrène s'abstint de byennes, appelaient de toutes parts les
prendre part à une lutte dont le théâ- Grecs à s'alier établir. A peine débar-
tre était éloigné d'elle; mais elle ne qués, ils furent sollicités par les exilés
refusa pas ses bons offices, quand elle de Cyrène à leur prêter main-forte
en trouva l'occasion , aux membres de pour reconquérir la position politique
la famille dorienne, à laquelle elle- dont l'usurpation plébéienne les avait
même était si étroitement apparentée ; dépouillés. Les Messéniens se laissè-
quand le Spartiate Gylippe entreprit rent persuader, prirent fait et cause
de rétablir l'état désespéré des affaires pour l'aristocratie déchue, et lui four-
de Syracuse et appela à son aide les nirent un corps de troupes pour tenter
renforts de la mère patrie, il arriva (*) un mouvement contre - révolution-
que des vaisseaux doriens , partis du naire; mais l'attaque fut vigoureuse-
Péloponèse pour la Sicile , furent ment soutenue , le combat acharné, et

(*) L'an 4i3 avant l'ère vulgaire. (**) L'an 401 avant l'ère vulgaire.
92 L'UNIVERS.
la perte énorme des deux côtés , à tel ans après (*) , la bataille de Leuctres
point que les Messéniens auxiliaires y ayant substitué la fortune de Thèbes à
périrent presque tous. Après cette rude celle de Lacédémone, Ëpaminondas
épreuve , les deux partis en vinrentà des rappela avec instance dans leurs foyers
prétentions moins exclusives; ils mi- les fugitifs de la Messénie, dont il
rent bas les armes, et un accommo- voulait restaurer l'existence politi-
dement fut ménagé , à Cyrène , entre que (**), afin d'établir ainsi l'ennemi
leurs envoyés respectifs : il fut unani- aux portes mêmes de Sparte; et Comon,
mement convenu , sous serment , que quittant la Cyrénaïque , où des songes
la querelle serait oubliée, et que per- prophétiques lui avaient déjà fait pres-
sonne ne garderait rancune du passé. sentir la renaissance de Messène, ra-
Des modifications sont appor- mena alors à Naupacte ses compa-
tées A LA CONSTITUTION POLITIQUE gnons d'exil : « On ne peut se figurer»,
de Cyrène. — Quelques modifica- s'écrie Pausanias, « avec quel em-
tions furent introduites alors dans « pressement ces fugitifs accoururent
l'organisation de la république; elles « à l'appel d'Épaminondas, tous éga-
eurent sans doute le succès qu'on en « lement transportés d'amour pour
devait attendre, puisque Aristote , « leur patrie et de haine contre Lacé-
en son traité de la Politique, les cite « démone. »
comme exemple de ce qu'il convient Traité de limites avec Car-
de faire en pareil cas : « Augmen- thage. — Dans le développement sans
ter le nombre des tribus et des sec- bornes de sa richesse et de sa puissance
tions , effacer autant que possible commerciale, Cyrène avait une active
l'ancienne distinction des nationalités et jalouse rivale : de l'autre côté des
diverses, faire rentrer dans le culte Syrtes, Carthage s'était élevée aussi
commun les observances religieuses à la plus haute prospérité, et la con-
particulières; tout faire en un mot currence des deux cités devait
pour l'appro-
pour opérer une fusion générale , et vision ement dumonde amener
détruire l'empire des vieilles coutu- fatalement des collisions dès qu'elles
mes. »Ce changement fut-il immédiat , se rencontreraient sur un même théâ-
ou fut-il le résultat d'une pénible éla- tre. Séparées par une immense plage
borationc'est
: ce que nous ne saurions aride et déserte , ce n'est point de ce
dire; nous pensons toutefois qu'il ne côté que la ratte dut commencer, et
fut résolu, ou du moins effectué, qu'a- déjà sans doute leurs flottes s'étaient
près une infructueuse tentative faite, plus d'une fois trouvées aux prises
suivant une anecdote vulgaire , auprès avant que l'extension de leurs comp-
du divin Platon, pour obtenir de sa toirs sur la côte rendît leurs posses-
sagesse de nouvelles institutions poli- sions territoriales contiguës; mais
tiques. Platon connaissait bien Cyrène, quand à peu de distance du poste
où il était venu écouter les leçons du cyrénéen d'Automalax fut venue s'é-
célèbre Théodore sur la géométrie : tablir l'escale punique de Charax, le
« Les Cyrénéens sont trop riches et conflit fut engagé aussitôt sur la li-
« trop blasés », répondit le philosophe, mite où devaient mutuellement s'ar-
« pour que j'essaye de leur donner des rêter les deux puissances devenues
« lois : il est trop difficile de gouver- voisines : l'irritation était vive des
« ner une république si opulente. » deux parts, et il s'ensuivit une guerre
Quoi qu'il en soit , les dispositions qui longue et sanglante , dans laquelle
furent alors adoptées, parvinrent à des armées et des flottes furent dé-
ramener l'ordre et laDES paixMESSENIENS.
dans la cité. faites et dispersées, au grand dom-
RAPATRfEMENT mage de chacune des parties conten-
— Quant aux Messéniens qui n'étaient dantes ; si bien que reconnaissant enfin
pas intervenus dans la lutte, ils se
cantonnèrent chez les Évhespérites, et (*) L'an 371 avant l'ère vulgaire.
y demeurèrent jusqu'à ce que, trente (**) L'an 369 avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 93

qu'un tiers pourrait proflter de leur avant notre ment qu'elle ère.eut lieu vers l'an 350
affaiblissement et de leur fatigue pour
venir sur leurs brisées, elles convinrent
de régler à l'amiable leur différend , et Période de soumission nominale à
voici les conditions qu'elles arrêtèrent: Alexandre le Grand.
à un jour désigné , des délégués de- Alexandre le Grand se met
vaient respectivement partir de chez
eux, et le point de leur rencontre se- en route pour aller consulter
rait désormais la limite commune des l'oracle d'Ammon. — Bientôt le
deux peuples. Les envoyés de Carthage nom d'Alexandre de Macédoine, le
étaient deux frères du nom de Phi- plus grand de tous les noms histo-
lène; ils hâtèrent leur marche , tandis riques que l'admiration des peuples
que les Cyrénéens se laissaient attar- ait légués jamais à la postérité, vient
der, soif par négligence, soit par acci- remplir le monde et lui annoncer un
dent ; en ces régions , en effet , les maître; des bords du Danube aux
tempêtes peuvent retenir les voyageurs plaines d'Issus, et d'Issus aux riva-
aussi bien qu'en pleine mer ; car lors- partout ges de Tyr,
; illaarrive victoireen l'accompagne
Egypte, et
que le vent souffle sur ces plaines nues
et arides, le sable, enlevé du sol et l'Egypte, aussitôt soumise, voit s'é-
violemment agité, remplit la bouche lever une capitale nouvelle qui ef-
et les yeux , et empêchant de rien aper- facera Thèbes et Memphis , et perpé-
cevoir, arrête forcément la marche. tuera dans les siècles a venir la gloire
de son fondateur ; Alexandrie , qui
Quoi qu'il en soit, les envoyés cy-
rénéens se voyant en retard , et crai- sera l'entrepôt du commerce de l'uni-
gnant d'être punis au retour pour avoir vers entier, projette son merveilleux
mal fait leur devoir , se mirent à accu- port en avant de la côte, sur la limite
ser les Carthaginois d'être partis de de l'Egypte et de la Libye : c'est dire
chez eux avant le temps convenu , éle- assez que la Libye désormais doit
vèrent des contestations , déclarèrent obéir à Alexandrie.
enfin qu'ils tenteraient tout plutôt A cette époque où les croyances
que de s'en retourner vaincus ; mais païennes exerçaient sur les esprits un
les Carthaginois leur ayant demandé empire illimité, il était d'une bonne
de poser une condition dont les chan- politique de se concilier les oracles ,
ces fussent égales, les Grecs offrirent de donner à ses armes l'appui des
à leurs adversaires cette alternative , superstitions populaires, et Alexandre
ou de se laisser enterrer vivants à l'en- ne négligea en aucune occasion ce soin
droit qu'ils réclamaient pour limite important : il avait promis de rebâtir
de leur pays, ou de souffrir qu'eux- le temple de Diane à Éphèse; il avait,
mêmes , à pareille condition , pussent dans la capitale de la Phrygie, tranché
avancer jusqu'où ils voudraient. Les avec éclat le célèbre nœud gordien ;
Philènes , souscrivant à cet accord , et aux portes de la Libye, il avait voulu
sacrifiant leur existence à leur patrie , visiter, au milieu des déserts, l'oracle
furent ensevelis vivants en cet endroit; fameux de Jupiter Ammon.Cet oracle,
et Carthage éleva à cette même place dit Arrien , passait pour infaillible:
des autels consacrés aux frères Phi- Persée , Hercule même , l'avaient in-
furentlènes pour
, aussi lesquels instituésd'autres honneurs
dans leur ville par ordre terrogé lorsqu'ils marchaient , l'un
de Polydecte contre la Gor-
natale.
gone, l'autre contre le libyen Antée
Cette détermination, antérieure à la et contre l'égyptien Busiris; Alexan-
rédaction du Périple de Scylax , où dre voulait rivaliser de gloire avec
ces héros dont il était descendu, fai-
l'on voit figurer les autels de^Philène,
n'est point rapportée par les historiens sant d'ailleurs remonter sa propre ori-
et les polygraphes à une date précise ; gine jusqu'à Ammon lui-même,puisque
mais on peut estimer approximative- les traditions mythiques rapportaient
94 L'UNIVERS.

à ce dieu celle de Persée et d'Hercule. ni arbres, ni hauteurs pour se recon-


Il avaittruiredessein, au surplus, de s'ins- naître ;rien n'indique la route que
de sa destinée, ou de passer du doit tenir le voyageur, plus malheureux
moins pour être allé s'en instruire. Il que le nocher, dont les astres du moins
se mit donc en route, cheminant le dirigent la navigation. Alexandre et
les siens étaient dans cet embarras,
long de la côte l'espace de seize cents
stades, à travers un pays désert où lorsque, au rapport de Ptolémée, deux
l'eau ne manque cependant pas tout à dragons sifflent et précèdent l'armée:
fait jusqu'à Parétonion, Alexandre
de suivre leur accepte l'augure
trace, et ordonne
qui dirige ainsi
Soumission des Cyrénéens. —
Les Cyrénéens, avertis de la mar- leur marche vers le temple, et ensuite
che d'Alexandre, s'étaient empressés leur retour. Mais Aristobulç prétend,
de lui dépêcher des ambassadeurs; et son opinion paraît plus générale-
c'est auprès du lac Maréotide au rap- ment adoptée, que ce furent deux cor-
port de Quinte-Curce, ou vers le mi- beaux dont le vol guida l'armée. Je
lieu seulement du voyage suivant Dio- crois bien, ajoute Arrien , qu'Alexan-
dore de Sicile, que les envoyés de dre n'arriva que par un prodige; mais
Cyrène rencontrèrent le héros macé- ici, vu la diversité des récits, tout n'est
donien; ils lui apportaient une cou- qu'obscurité.
ronne d'or et des présents magnifiques « L'ondée imprévue qui survint au
parmi lesquels on remarquait trois milieumée dedurecueillir
désert avait permis
cents chevaux de guerre et cinq qua- dans un ravinà l'ar-
une
driges de la plus grande beauté, en le nouvelle provision d'eau pour les qua-
suppliant de leur accorder sa bienveil-
lance et de venir visiter leurs villes. danstrecette
journéescontrée
qu'il lui restait
aride. On àarriva
faire
Alexandre les accueillit favorablement, enfin au lac amer, et après avoir mar-
leur octroya amitié et alliance, mais ché encore l'espace de cent stades, on
ne se détourna point de sa destination. < gagna les lieux habités; puis, en une
Alexandre continue sa boute
journée de marche on atteignit le tem-
A TRAVEES LE DESERT JUSQU'AU ple d'Ammon.
temple d'Ammon. — Il quitta la Description de l'oasis d'Am-
côte à Parétonion pour s'avancer di- mon. — Ce district, entouré de tou-
rectement vers le temple d'Ammon tes parts de déserts sans eau et sans
à travers le désert et les sables brû- culture , est lui-même arrosé , sur un
lants de la Libye; il emportait dans espace de cinquante stades en tous
des outres chargées sur des chameaux sens , d'eaux abondantes , douces et
la provision d'eau nécessaire pour saines , qui fertilisent un sol couvert
voyager dans ces vastes solitudes dé- de bosquets, et surtout de vergers, où
pourvues de sources ; mais le qua- l'on jouit d'une agréable température
trième jour cette provision était déjà semblable à celle du printemps, for-
épuisée , et son armée , haletante et mant un délicieux contraste avec la
abattue, eût éprouvé toutes les hor- sécheresse et l'intolérable chaleur des
reurs de la soif, sans une pluie abon- alentours.
dante qui survint à l'improviste, et qui « On dit (nous empruntons ces dé-
fut regardée comme un prodige, aussi tails àDiodore de Sicile) que le temple
bien que le fait suivant raconté par
fut bâti par l'égyptien Danaùs. La ré-
Arrien d'après l'autorité de Ptolémée gion sacrée où il domine a pour voi-
le Lagide et d'Aristobule , deux des sins, àl'ouest et au sud les Éthiopiens,
compagnons assidus d'Alexandre. au nord les Libyens nomades et les JNa-
« Quand le vent du midi souffle dans
ces contrées, il élève une si grande samons qui leur succèdent vers l'inté-
rieur; ce canton lui-même est exclusi-
quantité de sables, qu'il en couvre les vement habité par les Ammoniens. Au
chemins disparus. Alors ces plaines centre est une acropole composée de
offrent l'aspect d'un océan immense : trois forteresses ; la première est l'an-
95
AFRIQUE ANCIENNE.
cienne résidence royale des princes du chemin selon Aristobule, en allant di-
rectement Memphis
à au dire de Pto-
pays ; la seconde, beaucoup plus consi- lémée, qui semble avoir, sur ce point,
dérable, renferme la demeure des fem-
mes, des enfants, et de tous les parents une plus grande autorité.
du roi, la citadelle, le sanctuaire, et la Alexandre pourvoit a l'admi-
fontaine sacrée où sont purifiées toutes nistration de l'Egypte et de la
les offrandes destinées à la divinité Libye. — De retour à Memphis ,
du lieu. Dans la troisième habitent les
il distribua le gouvernement et l'ad-
satellites du roi, qui y ont des caser-
nes fortifiées. trées voisinesministentre ration del'Egypte
diverset officiers
des con- :
«Non loin de l'acropole est un autre et la satrapie de Libye échut à Apol-
temple d'Ammon , ombragé d'arbres lonius fils
, de Charinus. La Cyré-
grands et touffus , et près duquel se naïque y était-elle comprise ? Il sem-
trouve la fameuse fontaine du soleil ble difficile d'en douter : car Alexan-
à la température périodiquement chan- dre avait la prétention de commander
geante. L'image du dieu est couverte au monde; et l'on sait qu'il reçut plus
d'émeraudes et d'autres pierreries ; et tard les députations des peuples afri-
les oracles sont rendus avec des for- cains plus reculés à l'ouest, lesautres,
Libo-
mes particulières : quatre-vingts prê- Phéniciens, les Carthaginois,et
tres portent sur leurs épaules une nef jusqu'aux colonnes d'Hercule. Mais on
d'or dans laquelle le dieu est conduit peut considérer, en même temps, que
à l'endroit dont il fait choix ; il est le conquérant macédonien n'imposait
suivi d'une troupe nombreuse de filles qu'un joug très-léger aux nations sub-
et de femmes psalmodiant en leur lan- juguées, etqu'à l'égard des populations
gue, tout le long du chemin, des hym- grecques en particulier sa domination
nes en son honneur. » était plutôt un simple protectorat. Il
Alexandre consulte l'oracle est donc plausible de croire que tout
et retourne a Memphis.— Alexan- annexée qu'elle était à l'empire d'A-
dre ayant été introduit dans le tem- lexandrela
, Libye cyrénaïque n'en
ple, en présence du dieu, le plus conservait pas moins toutes les liber-
vieux des prêtres
du titres'avançade fils, vers lui de
en tés politiques dontà son elle s'était
le saluant au nom à user et abuser caprice.habituée
la divinité dont il était le prophète ; On en vit de nouvelles preuves au
Alexandre , oublieux de sa destinée moment où la mort d'Alexandre vint
mortelle, s'empressa d'agréer ce titre livrer les lambeaux de son empire à
en demandant que Jupiter lui accordât l'ambition de, ses généraux : on sait
l'empire du monde : ce à quoi il fut en effet que l'Egypte échut en partage
répondu à Ptolémée le Lagide, qui en prit pos-
de toute aussitôt la terre. qu'il seraitensuite
Il voulut le maître
sa- session sans conteste ; mais la Cyré-
voir sitous les meurtriers de son père
naïque suivait alors d'autres desti-
avaient été punis ; et. le prêtre cour- nées ,que Diodore de Sicile nous a
tisan de répondre : que le dieu son racontées avec détail, et que nous rap-
père était au-dessus de toute atteinte porterons d'après lui.
criminelle; mais que s'il voulait parler
de Philippe, les meurtriers de ce prince Histoire de la tyrannie de Thimbron.
avaient subi leur peine; et il prédit
Thimbron appelé a Cyrène
enfin à Alexandre qu'il serait toujours
invincible jusqu'à ce qu'il allât pren- par une faction; ses premiers
dre place auprès des dieux.
Merveilleusement satisfait de ces succès. — Il faut rappeler d'abord
oracles, le héros macédonien fit à Am- que pendant l'expédition d'Alexandre
dans les Indes, Harpale, qu'il avait
mon et à ses ministres de magnifi- laissé gouverneur de Babylone, sup-
ques offrandes, et se remit en marche
posant" que son maître n'en revien-
pour l'Egypte, en passant par le même drait jamais, s'était abandonné à
96 L'UNIVERS.

toute espèce de luxe et de débau- était le crétois Mnasiclès , homme de


che, de telle sorte qu'à la nouvelle grands talents militaires, pétulant et
du retour de son souverain , il n'osa audacieux, qui, mécontent du partage
attendre les effets de sa juste co- du butin , fit défection , et passa au
lère, et emportant cinq mille talents côté des Cyrénéens, auxquels il per-
d'argent, il se fit suivre d'environ six suada, par ses accusations de cruauté
mille hommes de troupes mercenai- et de perfidie contre Thimbron , de
res, avec lesquelles il se rendit d'abord rompre la capitulation et de repren-
dans le Péloponèse, puis en Crète, où dre leur liberté. Comme il n'y avait
il périt par les embûches du lacédé- encore que soixante talents de payés,
monien Thimbron, l'un des siens, qui et qu'ils n'acquittaient pas le surplus,
s'empara Thimbron, les traitant de rebelles, fit
dats et de deses ses trésors, de ses sol-
vaisseaux. arrêter ceux des Cyrénéens qui se
Tel était l'état des choses lorsque trouvaient dans le port , au nombre
Cyrène, toujours partagée entre deux d'environ huit cents , et menant aus-
factions rivales, et dominée alors par sitôt ses troupes contre la ville, il en
l'une d'elles , expulsa de son sein les fit le siège, mais avec si peu de succès,
chefs de l'autre parti; et ceux-ci, aux- qu'il fut obligé de revenir à Apollo-
quels se réunirent les Barcéens qui nie.
partageaient la même fortune politi- Les Barcéens et les Évhespérites
que, allèrent chercher asile en Crète, ayant fourni à Thimbron, contre Cy-
où ils trouvèrent Thimbron disposé rène, les renforts stipulés pour une
en apparence à prendre fait et cause autre destination, les Cyrénéens, afin
pour eux. Les troupes et les réfugiés de se venger de cette conduite, allèrent
furent embarqués sur les vaisseaux, ravager les terres de leurs jaloux voi-
et Thimbron fit voile aussitôt pour la sins: ceux-ci recoururent à Thimbron,
Cvrénaïque , où les connaissances lo- qui partit d'Apollonie pour marchera
calesvirent
des exilés qu'il ramenait lui ser- leur aide ; et les Cyrénéens , profitant
merveilleusement à diriger ses habilement de l'occasion d'après les
opérations. conseils du Crétois, vinrent aussitôt
avancés à sa Les rencontre Cyrénéens
, il leurs'étant
livra sous ses ordres reprendre possession
bataille , les vainquit , leur tua beau- de leur port pendant l'absence de
coup de monde, leur fit un grand nom- Thimbron , recouvrer leurs marchan-
bre de prisonniers , et s'étant rendu dises, et se mettre en défense,
maître du port , il les assiégea si vi- La perte de cette place , et de ses
goureusemenqu'il
t, les força à capi- munitions, ôta d'abord tout espoir à
tuler moyennant une contribution de Thimbron; cependant, ayant repris
cinq cents talents d'argent et de la courage et s'étant rendu maître par
moitié de leurs chars de guerre com- voie de siège de la ville de Teuchira,
me contingent dans les expéditions il conçut quelque espérance de se re-
qu'il voulait entreprendre. Il envoya lever; mais il éprouva bientôt de nou-
aux autres villes des délégués pour veaux désastres ; car ceux qui étaient
conclure une alliance, comme s'il allait dans les vaisseaux , exclus du port et
soumettreles populations libyennesqui manquant de vivres, faisaient chaque
tenaient le plat-pays ; et s'appropriant jour des descentes sur la côte pour se
les richesses que les marchands avaient procurer des provisions ; mais les Li-
abandonnées dans le port, il les livra byens se mirent en embuscade, en tuè-
au pillage de ses soldats afin de sti- rent un grand nombre, et firent beau-
muler leur ardeur pour la guerre. coup de prisonniers ; ceux qui échap-
Revers répétés de Thimbron. pèrent et purent regagner leurs vais-
— Mais la fortune ne tarda point à seaux ,se dirigèrent vers les villes
changer la face des affaires et à met- alliées; mais la tempête en fit sombrer
tre un terme aux prospérités de Thim- plusieurs , et le reste fut emporté en
bron :parmi les chefs de son armée Chypre et en Egypte.
97
AFRIQUE ANCIENNE.
On appelle des renforts de rent des secours pour leur rétablisse-
part et d'autre. — Sous le poids ment, et obtinrent l'envoi d'une armée
de tant de calamités , Thimbron ce- tant de terre que de mer sous les or-
pendant continuait la guerre; il y dres du général Ophellas.
avait dans le Péloponèse , auprès de Les Égyptiens , venus au se-
Ténare, un corps de soldats étran- cours des Cyrénéens, s'emparent
gers; car beaucoup de mercenaires , du pays. — A la nouvelle de son ap-
restés sans emploi, erraient de divers proche, ceux qui s'étaient réfugiés au-
côtés, cherchant qui les prît à sa solde; près de Thimbron,
et il se trouvait alors près de Ténare chapper dans la nuit cherchèrent à s'é-
pour aller joindre
une troupe de deux mille cinq cents leurs compagnons; mais ils furent dé-
hommes environ, dans cette position. couverts etmis à mort. De leur côté,
Thimbron leur dépêcha quelques amis leschefs plébéiens deCyrène, craignant
intelligents , qui les engagèrent pour les effets du retour des exilés, firent la
lui et les ramenèrent en Cyrénaïque. paix avec Thimbron , et se réunirent
Mais dans l'intervalle, les Cyrénéens, pour résister ensembleàOphellas; mais
enhardis par leurs précédents succès, celui-ci battit Thimbron et se rendit
avaient attaqué à leur tour , étaient maître du pays et des villes , à l'ex-
restés vainqueurs, et avaient tué beau- ception de Cyrène qui se défendit en-
coup de monde à l'ennemi. Ainsi battu, core vigoureusement ; Thimbron fugi-
Thimbron désespérait presque de sa tif fut pris par quelques Libyens , et
cause , quand l'arrivée des renforts livré à l'olinthien mandait àTeuchiraÉpicydes qui com- ,
pour Ophellas
partis de Ténare, en augmentant no-
tablement ses forces, vint de nouveau puis conduit à Apollonie, où il avait
rétablir ses affaires et lui rendre cou- commis tant de méfaits, pour y être
rage. crucifié. Enfin, Ptolémée lui-même
Les Cyrénéens, de leur côté, voyant vint , dit-on , achever en personne la
la guerre se ranimer, demandèrent aide conquête de la Cyrénaïque (*), et laissa
aux Libyens du voisinage,et même aux garnison dans les places.
Carthaginois ; et ayant rassemblé ainsi, Quelle était la nature de la do-
en y joignant les troupes de la ville, mination ainsi établie par Ptolémée ?
jusqu'à trente mille soldats, ils se pré- Sans doute, dans sa pensée, une
parèrentune
à bataille décisive. Thim- souveraineté absolue ; et de cette épo-
bron ,ayant réuni une armée consi- que ,à ce compte , devrait dater le
dérable livra
, le combat, obtint la règne des Lagides à Cyrène. Mais il
victoire , fit un grand carnage, et se est douteux que les Cyrénéens fussent
regarda comme bientôt maître des vil-
les voisines. Mais les Cyrénéens, dont disposés tre véritable à considérer'comme
l'allié dont ilsunétaient
maî-
tous les chefs avaient été tués dans allés solliciter le secours ; et le monar-
l'action , en élurent d'autres à leur que égyptien avait trop affaire lui-
place, avec le crétoisMnasiclès à leur même, en ces premières années de son
tête, pendant que Thimbron, profitant avènement, avec les rivalités et les in-
de sa victoire, assiégeait Apollonie et trigues auxquelles donnait lieu le par-
livrait à Cyrène des assauts journa- tage de la succession d'Alexandre ,
liers. La continuation de la guerre
pour s'appliquer à tenir dans une
amena dans la place la disette des vi- stricte obéissance une population qu'on
vres, etbientôt le renouvellement des faisait plier difficilement sous le joug.
séditions et des querelles entre la
plèbe et l'aristocratie ; le parti popu- Histoire de la tyrannie d1 Ophellas.
laire prévalut, et expulsa les riches,
qui , désormais sans patrie , allèrent lesIntervention dissensions des Cyrénéens.
d'Ophellas dans
chercher asile, les uns auprès de Thim- — Il arriva cependant , peut-être, que
bron même , les autres en Egypte au-
près de Ptolémée , dont ils sollicitè- (*) L'an 3aa avant l'ère vulgaire.
7* Livraison. (Afrique ancienne.)
98 L'UNIVERS.

la garnison égyptienne que les Cyré- troupes nombreuses , il manifesta des


néens avaient reçue comme une con- intentions d'agrandissement qui arri-
ces ion voulut
, un jour faire la loi ; vèrent jusqu'aux oreilles d'Aaathocles,
telle fut sans cloute la cause d'une in- roi de Syracuse , alors en Afrique , où
surrection quiéclata par la suite (*) , il menait rude guerre aux Carthagi-
et dans laquelle les Cyrénéens , reje- nois. Ce prince dépécha le syracusain
tant la garnison dans la citadelle, l'y Orthon vers Ophellas, pour lui propo-
ser une alliance offensive contre les
tinrent bloquée : il vint d'Alexandrie Carthaginois leurs ennemis communs,
des envoyés chargés de les inviter à
lever le siège ; mais les Cyrénéens dont la destruction laisserait à Aga-
irrités tuèrent les envoyés, et pres- thocles la possession paisible de la
sèrent plus vivement encore les soldats Sicile , à Ophellas l'empire de la Libye.
égyptiens. Ptolémée, irrité à son tour, Le Macédonien accepta avec joie, et
envoya une armée sous les ordres envoya demander du renfort à Athè-
nes/où il était connu et fort estimé,
d'Agis , et une flotte sous le comman-
dement d'Épainète; Agis, ayant atta- tant à cause de son mérite personnel
qué vigoureusement les insurgés , se qu'à raison de son mariage avec Eu-
rendit maître de la ville , se saisit des thydice fille de Miltiades, de la
chefs des mutins pour les envoyer à race du vainqueur de Marathon : les
Alexandrie , désarma les autres , et Athéniens se rendirent avec empresse-
ment àson invitation ; et beaucoup de
ayant rétabli l'ordre dans la Cyrénaï- guerriers des autres cités de la Grèce
que , s'en retourna en Egypte. accoururent aussi se ranger sous ses
Il est probable que l'insurrection
ainsi apaisée n'était que l'une des drapeaux, espérant que la fortune al-
phases de la lutte toujours subsis- lait leur livrer la plus belle portion de
tante des deux partis entre lesquels la Libye et les richesses de Carthage
se divisait la population de Cyrène, pour dissensions
se refaire deintestinesl'état misérable où
les les avaient
l'un ayant pour noyau l'aristocratie réduits.
des villes qui s'appuyait sur l'armée
d'occupation égyptienne commandée Expédition malheureuse d'O-
phellas contre les carthagi-
par Ophellas, l'autre formé de la
plèbe impatiente de toute domina- NOIS. — Ophellas ayant tout préparé
tion et de tout frein. L'expédition pour son expédition, se mit en marche
d'Agis et d'Épainète ayant rendu à avec une armée de dix mille fantassins,
Ophellas la supériorité de forces que six cents cavaliers, et cent chars mon-
l'insurrection populaire avait quelque tés par plus de trois cents combattants;
temps neutralisée , le parti aristocra- il y avait en outre, hors des cadres de
tique ,recouvrant par ce moyen sa l'armée, près de dix mille hommes,
prépondérance politique, dut se mon- avec femmes, enfants et bagages, en
trer reconnaissant envers le chef ma- sorte qu'il semblait que ce fût une
cédonien quiavait fait cause commune colonie tout entière. Après dix-huit
avec lui; et de là résulta sans doute, journées de route, pendant les-
pour celui-ci, l'occasion et le dessein quelles on avait parcouru plus de trois
de se former aussi un royaume indé- mille stades , on campa auprès d'Auto-
pendantà, l'exemple des autres com- malax.
pagnons d'armes d'Alexandre. Au delà sont des montagnes aux
Ophellas se déclare roi de Li- flancs abrupts, renfermant une vallée
se borner à être le lieutenant aude lieu
bye. — Quoi qu'il en soit, de
Ptolé- profonde d'où surgit une roche es-
carpée, au pied de laquelle des
mée, Ophellas prit en son propre nom lierres et des cyprès cachent l'entrée
le gouvernement de la Cyrénaïque d'une vaste caverne. C'est là, dit-on,
avec le titre de roi, et ayant réuni des que vivait jadis la reine Lamia,
femme d'une beauté merveilleuse,
transformée en bête féroce à cause de
(*) L'an 3i3 avant l'ère vulgaire.
99
AFRIQUE ANCIENNE.
sa cruauté: on raconte que, voyant Conquête de la Cyrénaique
mourir tous ses enfants , le chagrin par les Égyptiens. — Avec la
lui inspira une envie furieuse contre mort d'Opheilas s'évanouit le rêve
les femmes fécondes , et qu'elle leur d'un empire de Libye. Mais ce n'est
fit arracher leurs enfants pour être point à dire que Cyrène tombât im-
aussitôt massacrés. « Aussi, jusqu'à ce médiatement sous la domination égyp-
jour, écrit Diodore de Sicile, les enfants tienne; laveuve d'Opheilas, Euthy-
ont -ils gardé le souvenir de cette dice , retournée en Grèce, y devint
femme , dont le nom est pour eux un l'épouse deDémétrius fils d'Antigone,
épouvantail. » Elle chercha l'oubli de l'ennemi le plus redoutable de Ptolé-
ses douleurs dans l'ivresse, laissant mée, et Ton peut croire qu'elle employa
alors chacun faire ce qu'il voulait, sans l'influencequ'elle devait avoirconservée
s'enquérir de ce qui se passait dans le en Libve, à déjouer les projets de con-
pays, en sorte qu'on la tint pour quête cfumaître d'Alexandrie. Nous sa-
aveugle : et l'on en vint à dire tigu- momentvons du où moins Ptolémée , de Pausanias
marchait ,contre
qu'au
rativement qu'elle avait mis ses yeux
dans sa poche, exprimant son incurie Cyrène, Antigone, lui enlevant la Sj -
née de l'ivresse par la cécité supposée rie et la Phénicie , le forçait à revenir
que lui aurait causée vers l'Orient; puis ce fut en Chypre, et
ait, dans tous les cas, levécuvin.en Qu'elle
Libye,
bientôt en Egypte même, qu' Antigone
c'est un point, ajoute Diodore, sur et Démétrius"" transportèrent le théâtre
lequel on peut invoquer le témoignage de la guerre , en sorte qua c'est seule-
formel d'Euripide, lorsqu'il dit (*) : ment après la mort d'Antigone et la
« Qui ne connaît la race, en horreur défaite de Démétrius, à la célèbre ba-
aux mortels , de la libyenne Lamie? » taille d'Ipsus (*) , que Ptolémée , ayant
Ophellas
travers ces désertsconduisitarides
"ses et
troupes
infestésà repris possession de la Syrie et de l'île
de Chypre , put songer de nouveau à
d'animaux dangereux , où le manque soumettre la Cyrénaique.
d'eau et de vivres mit en péril le sort Il chargea de ce soin son beau-fils
de toute l'armée. Au voisinage des Magas , iils de cette Bérénice qui , de
Syrtes , le pays est rempli de bêtes ve- suivante qu'elle était d'abord de la
nimeuses dont la morsure fit beaucoup reine Eurydice fille d'Antipater, s'é-
de ravages , sans que la médecine ni tait élevée à son tour jusqu'à la couche
les soins de l'amitié en pussent con- royale. Magas , fils de l'obscur macé-
jurer les effets; on rencontrait des donien Philippe, dut à l'influence de
serpents dont la couleur terreuse se sa mère le commandement des trou-
confondait tellement avec celle du pes chargées de réduire les Cyrénéens
sol , qu'on ne savait les éviter, et ceux a l'obéissance , et ensuite le gouverne-
qui les foulaient par inadvertance, mentde la nouvelle province ajoutée par
périssaient de leurs morsures. Enfin ses armes à l'empire des Ptôlémées.
après plus de deux mois de la marche C'est de ce moment que date l'éta-
la plus pénible, on rejoignit Agatho- blissement définitif de l'autorité des
cles , et l'on campa dans le riche pays Lagides sur la Cyrénaique.
de Carthage : on sait comment le per- IV. Règne des Lagides.
fide Syracusain fit périr Ophellas (**)
pour s'approprier son armée. Rois particuliers de la Cyrénaique.
Magas gouverne d'abord au
(*) Tic, xowo\).<x tô è7uoveiôiarov (ipoTôiç nom de Ptolémée Lagide. — De-
Oùx otôe Aajnocç xrjç Xiëua-uxyjc; yévoç.
Euripid. apud Diodor. , XX, 4». puis l'expédition de Magas, 7, Ptolé-
(**) L'an 3o8 avant notre ère. T7]ç wpocç ^rrtojxevoç 7T£ptetTcev aùrèv, xaî rcepl
ty)v 0£pa7ceiav ocOtoO (xôvyjv rpyolzïxo... x.t.X.
'AyaôoxXTÎç 'OçéXav... uvjôofJLSvoç elvai çiXo- Poltew, Stratagèmes, V. Agath. 4*
7tat8a, Ô(JLT)pov aùxâ) tov ÏStov vtôv £7CE[x<|>£v
cHpaxXe(ÔY)v tbpatov 6vxa '0 Kvorivaîoç (*) L'an 3oi avant notre ère.
100 L'UNIVERS.
mee régna encore quinze années , Apamé, fille d'Antiochus Soter roi de
pendant lesquelles Cyrène demeura Syrie, et petite-fille de Démétrius Po-
tranquillement soumise à son sceptre, lyorcète. Il profita des circonstances,
sous le gouvernement doux et ferme prit le titre de roi (*), et se prépara à
de son beau-fils ; car la douceur de marcher contre l'Egypte. Avant de
Magas n'est pas moins vantée que ses
qualités militaires, et Plutarque cite quitter Cyrène , il n'oublia point les
précautions de prudence que comman-
un exemple de son indulgence envers daient l'esprit remuant et l'humeur
le poète Philémon , qui l'avait publi- changeante de ses inconstants sujets;
quement offensé par des railleries pi- il eut soin d'y laisser une garnison
quantes dans ses comédies : une tem- dévouée , de renfermer dans la cita-
pête l'ayant poussé à Parétonion , delle toutes les armes, machines et
Magas , pour toute vengeance, se con- munitions de guerre, et de faire dé-
tenta de l'effrayer par l'appareil du manteler les murailles de la ville , afin
supplice, et tournant ensuite la chose d'être toujours, en cas de sédition , le
en plaisanterie, il le renvoya chargé maître d'y rentrer par cette voie. S'é-
de jouets et de bagatelles comme un tant mis en marche, il s'empara bien-
enfant. tôt de Parétonion, et il envoya de là
L'historien Josèphe nous apprend des éclaireurs qui , s'avançant sous
que c'est ce premier Ptolémée qui des dehors amis , conduisirent ainsi
établit, à Cyrène et dans les autres l'armée sans obstacle jusqu'au village
villes de la Libye , de nombreuses co- de Khi (**), voisin d'Alexandrie.
lonies de Juifs, tirés de l'Egypte, où réconciliation Insurrection des Marmarides;
de magas et de
il les avait d'abord transportés après
ses expéditions en Syrie , et où il en Philadelphe. — Ptolémée Phila-
existait d'ailleurs delphe ,à la première nouvelle de
lexandre leGrand. déjà du temps d'A-
Sentant sa fin approcher, Ptolémée l'approche de Magas, se hâta de for-
tifier tous les passages, et se tint sur
voulut désigner et même installer son la défensive; mais dans ces conjonc-
successeur : il choisit l'aîné des enfants tures, Magas apprit que les Marma-
qu'il avait eus de Bérénice mère de rides errants de la Libye secouaient
Magas , et le fit solennellement pro- le joug et pouvaient rendre sa re-
clamer roi à sa place (*); puis il s'é- traite périlleuse : il abandonna aus-
teignit environ deux ans après , dans sitôt ses projets pour regagner Cy-
un âge fort avancé. rène. Ptolémée eût bien voulu le pour-
Magas se déclare souverain suivre, mais quatre mille Gaulois
et marche contre philadelphe. mercenaires qu il avait pris à sa solde
— Le nouveau roi d'Egypte, frère pour se défendre contre les Cyrénéens,
utérin de Magas, avait nom Ptolémée lui inspirèrent une telle défiance, que
comme son père; il fut surnommé son premier soin fut d'aller les perdre
Philadelphe , par une amère ironie sur une île déserte du Nil , où il les
de sa conduite envers plusieurs de ses laissa mourir de faim et de détresse. "
frères , dont la vie fut sacrifiée à son Magas avait, d'un autre côté, engagé
ambition. son beau-père Antiochus à venir por-
Magas ter la guerre en Egypte ; mais Ptolé-
tour une n'attendit nouvelle point victimed'être
de àcette
son
amitié fraternelle ; dix-sept années (*) Il est parvenu jusqu'à nous des mon-
d'un gouvernement paisible avaient naies etdes pierres gravées de cette époque.
habitué les Cyrénéens à son autorité , (**) Ce village, ainsi nommé dans le Sta-
et rendaient facile toute tentative d'in- diasme anonyme de la Grande mer, est
dépendance desasa position
part : ilenavait appelé de même par Polyen, comme le
d'ail- marquait
leurs consolidé épousant le ins. de Casaubon, bien que le
savant critique ait regardé cette leçon
comme fautivt.
(*) L'an a85 avant notre ère.
101
AFRIQUE ANCIENNE.
mée y obvia en dépêchant dans les alliance avait été résolue, s'empressa
États de ce prince des émissaires af- de la rompre pour faire passer entre
fidés, chargés d'inciter les populations les mains d'un autre époux le sceptre
à la révolte , en sorte que le roi de de la Cyrénaïque. Arsinoé jeta les yeux
Syrie fut retenu chez lui par le soin sur le beau Démétrius , fils du Po-
de ses propres affaires. lyorcète, et frère d'Antigone Gonna-
La concorde fut rétablie plus tard tas roi de Macédoine : ce prince ac-
entre les deux frères , et la paix fut cepta avec joie l'offre qui
cimentée par les fiançailles de la jeune de la main de Bérénice et lui fut faite
du trône de
Bérénice, fille unique et héritière de Cyrène; il accourut, fut fiancé à la
Magas, avec le jeune Ptolémée, fils de royale héritière, et prit possession de
Philadelphe. Ainsi se trouvaient con- son royaume : mais il n'en jouit pas
ciliées toutes les prétentions; et Ma- longtemps.
gas, passant les dernières années de sa Démétrius était d'une telle beauté,
vie dans le repos et la mollesse, acquit que le philosophe Arcésilas s'en était
une telle obésité qu'il mourut étouffé épris, et que la reine mère conçut pour
par l'excès d'embonpoint, après avoir lui
mêmeun amour résisterauquel il ne sut'pas
: Bérénice, lui-
offensée
commandé à Cyrène pendant cinquante
années.
Troubles de Cyrène apaisés de l'oubli qu'il faisait de ses engage-
ments envers elle , conjura sa perte;
par ecdème et démophanes. — et l'imprudent Démétrius fut surpris
A la mort de Magas , privés d'un et mis à mort par ses ordres , dans la
maître dont l'habileté avait su à la propre chambre d'Arsinoé, qui essaya
fois concilier et comprimer leurs riva- vainement de le défendre (*).
lités et leur turbulence, les Cyrénéens Alors Bérénice, libre d'accomplir le
se laissèrent de nouveau entraîner à
des dissensions civiles: il y a lieu de mariage auquel son père l'avait des-
tinée , apporta en dot à Ptolémée
croire que le parti populaire , ébloui Evergète, au moment même où il
de l'éclair de liberté qui sillonnait montait sur le trône d'Egypte (**), la
alors la Grèce et préludait aux grandes couronne de Cyrène , une beauté que
luttes de la ligue achéenne, renouvela les poètes ont célébrée, et une pureté
ses anciennes prétentions à une pré- virginale qu'ils ont aussi proclamée
pondérance exclusive ; deux philoso- dans leurs vers (***). Callimaque la re-
phes mégalopolitains , Ecdème et Dé- présentait comme la quatrième des
mophanes , disciples d'Arcésilas, les Grâces, et Cyrène préparait ses par-
deux plus grands pubiicistes de leur fums de rose les plus délicieux pour sa
siècle, qui avaient délivré leur patrie magnifique chevelure , immortalisée
de la tyrannie d'Aristodème , et puis- par le sacrifice qu'elle en fit à Vénus
samment aidé Aratus à délivrer Sicyo- pour obtenir l'heureux retour de son
ne de celle de Nicoclès, furent appelés époux lors de son expédition de Syrie,
à Cyrène pour y rétablir l'équilibre et par la flatterie de l'astronome Co-
entre les factions rivales ; et le dou- non de Samos qui lui donna place
ble témoignage de Polybe et de Plu-
tarque nous assure qu'ils remplirent (*) Cùm in lectum socrùs concessisset
avec succès leur mission, et maintin- percussores immittuntur.Sed Arsinoë auditâ
rent la versatile cité dans le paisible voce filiae ad fores stantis et prœcipientis
ut malri parcerent, adulterum paulisper
exercice d'une sage liberté.
BÉRÉNICE ÉPOUSE SUCCESSIVE- corporesuonacis ,
protexit. (Justin, Hist. XX"VI.)
MENT DÉMÉTRIUS ET PTOLÉMÉE (**) L'an 247 avant l'ère vulgaire.
Evergète. — Cependant, le mariage ( ) Quà Rex tempestate, novis auctus hyme-
de Bérénice avec le prince royal d'E- Vastatuin fines iverat Assyrios ,
gypte n'était point encore accompli; et Dulcia nocturna? portans vestigia rix«
la reine Arsinoé, mère de la jeune prin- Quara de virgiiieis gesserat exuviis.
cesse, contre le vœu de laquelle cette Catulle . de Coma Berenicis.
102 L'UMVERS.
parmi les constellations célestes, et qui s'y rattache. Pendant les cam-
plus encore par les chants de Calli- pagnes d'Annibal en Italie , quand les
maque et de Catulle. Campaniens, préférant l'alliance de
Travaux et mort de Bérénice. Carthage à celle de Rome, lui ouvri-
— Bérénice, dont le nom et l'image rent les portes de Capoue (*) , Décius
accompagnent le nom et l'image de Magius,cette
contre qui honteuse
s'était hautement
soumissionélevé
de
Ptolémée Évergète sur les nombreux
monuments dont la magnificence de sa patrie , lui fut livré, et aussitôt em-
barqué pour être exilé à Carthage;
ce règne orna les villes de l'Egypte, mais la tempête emporta le bâtiment
voulut aussi consacrer, dans les déno-
minations nouvelles qu'elle imposa à de l'autre côté des Syrtes, et Décius
quelques-unes des villes de la Cyrénaï- Magius aborda à Cyrène, où il courut
que, la mémoire de son époux, de sa se mettre sous la sauvegarde de la sta-
mère, et d'elle-même; le port de Barkè tue du roi. Ce fut le gage de sa déli-
fut ainsi appelé désormais Ptolémaïs , vrance; conduit à Alexandrie devant
et la trace en est restée au nom mo- Ptolémée pour s'expliquer, il exposa
derne de Tolomeytah ; Teuchira reçut comment Annibal, au mépris du droit
celui d'Arsinoé, qui s'est effacé ; et des nesgens,
Hespéride celui de Bérénice, qui a dis- ,et le l'avait
roi les fait charger
lui fit de chaî-,
ôter aussitôt
paru sous celui de Ben-Ghâzy. lui permettant de s'en retourner à son
Après un règne d'environ trente gré à Rome ou à Capoue : Magius de-
ans, depuis la mort de son père, Béré- manda à rester dans les États du
nice, qui avait eu la douleur de voir prince à la protection duquel il devait
son époux bien-aimé périr par le poi- son retour a la liberté.
son (*) de la main d'un (ils qu'une Règne de Ptolémée Épiphanes.
amère ironie surnomma Philopator, — Ptolémée Épiphanes, âgé seulement
et son autre fils Magas sacrifié par de cinq ans, succéda à son père en
son frère à une ombrageuse ambition,
Bérénice elle-même devint la victime l'année 205 avant notre ère, et porta,
pendant vingt-quatre années, la double
de ce fils dénaturé. Peut-être avait- couronne de Cyrène et de Memphis.
elle eu la pensée de réserver à Magas
C'est sous son règne qu'Annibal, de-
le trône de Cyrène; peut-être eût-elle puis trois ans réfugié près d'Antio-
pu en faire pour elle-même la dot chus de Syrie, voulut tenter un der-
d'un nouveau mariage : son fils aîné nier effort contre Rome : après avoir
coupa court successivement à toutes persuadé à son hôte de passer avec des
ces éventualités, en se défaisant de troupes en Italie, il partit lui-même
Magas
défait de et de sonBérénice,
père pourcomme il s'était
se saisir plus pour l'Afrique avec cinq vaisseaux (**),
et vint débarquer à l'extrémité du ter-
tôt du sceptre de l'Egypte; il ne lui ritoire cvrénéen, où il appela son frère
restait plus que sa sœur Arsinoé : il
l'épousa. Magon "pour
moyens de déterminer concerter sa avec
patrieluià re-
les
prendre les armes; mais les Cartha-
La Cyrénaïque réunie à l'Egypte. ginois prononcèrent aussitôt contre
Règne de Ptolémée Philopator. Magon
portée la
contre mêmeAnnibal peine qu'ils
; et lesavaient
deux
— Ptolémée Philopator, débarrassé de frères n'eurent d'autre parti éprendre
tout compétiteur, réunit ainsi sur sa que de se rembarquer.
tête les deux couronnes d'Egypte et RÈGNE INDIVIS ET PRÉTENTIONS
de Cyrène. Nous savons peu de chose RESPECTIVES DE PHILOMÉTOR ET
de lui , en ce qui concerne cette der-
nière royauté : Tite-Live , cependant, de Physcon. — Ptolémée Épiphanes,
nous a conservé l'indication d'un fait
(*) L'an 216 avant l'ère vulgaire.'
(*) L'an 222 avant l'ère vulgaire. (**) L'an ïg3 avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 103

en mourant (*), laissait deux (ils en missaires spéciaux, que Polybe appelle
bas âge, sous la tutelle de leur mère simplement Canuléius etQuintus, pour
Cléopâtre,
tous deux fille d'Antiochus
avaient le Grand ;; régler sa querelle avec son frère. Le
nom Ptoléméè patrimoine
lors indivis des deux princes,
et disputé jusqu'a-
entre eux , leur
l'aîné fut surnommé Philométor, et
le second, Évergète; mais ce der- fut partagé : l'Egypte fut rendue à
nier, qui acquit plus tard un embon- Philométor, et la Cyrénaique avec la
point difforme, en reçut le surnom Libye fut adjugée à Physcon.
de Physcon, sous lequel il est plus
généralement désigné. Arrivé à sa La Cyrénaique de Vde nouveau séparée
Egypte
majorité, Philométor voulut porter la
guerre en Syrie ; il fut battu , et An-
tiochus Épiphanes vint le faire pri- RÉCLAMATIONS DE PHYSCON CON-
sonnier dans Memphis (**). Éver- TRE LA MODICITÉ DE SON LOT. —
gète ,qui à son tour atteignait alors Physcon ne se tint pas pour satis-
sa majorité, fut aussitôt proclamé à fait du royaume de Cyrène , et il
Alexandrie, et occupa seul le trône voulut, à son tour, venir à Rome
pendant quatre années, au bout des- faire valoir ses droits (*) ; il s'y ren-
quelles Philométor obtint sa liberté; dit en même temps que les commis-
les deux princes régnèrent alors en- saires qui avaient fait le partage, et
semble deux années, pendant lesquelles se plaignit au sénat de l'exiguïté de
des discussions s'élevèrent entre eux , la part qui lui était faite , demandant
chacun ayant la prétention de garder que l'on réformât la convention et
exclusivement la couronne. qu'on ajoutât à son lot l'île de Chypre,
Rome intervient et fait adju- après quoi son domaine serait encore
ger la Cyrénaique a Physcon. beaucoup moindre que celui de son
— Rome, qui intervenait d'office dans aîné. Canuléius et Quintus combatti-
rent cette réclamation, de concert
le règlement
voya ases commissai des affaires
res en d'Orient, en-
Syrie (Cnéus avec le carien Ménylle d'Alabande, en-
Octavius, Spurius Lucrétius et Lucius voyé de Philométor, qui prétendait
Aurélius) l'ordre d'aviser à la concilia- qu'Évergète devait s'estimer heureux
tion des différends qui divisaient les d'avoir obtenu la Cyrénaique; qu'il en
était bien redevable aux Romains ,
deux rois d'Alexandrie (***). Mais
dans l'intervalle la guerre s'était allu- ainsi que de la vie , tant il s'était fait
mée entre les deux princes, et l'aîné, détester des Égyptiens; qu'au surplus
chassé du trône par son frère, venait il y avait un traité juré sur les .autels,
à Rome implorer la commisération et que les paroles avaient été mutuel-
du sénat : il y entra à pied , couvert lement données. Physcon contesta tout
de haillons ; en vain son cousin Dé- cela, et le sénat, voyant qu'en effet
métrius Soter, alors en otage , vint au- le partage n'était point égal, profita
devant de lui mettre à sa disposition habilement, dit Polybe^ de la querelle
un train plus digne de son rang; il des deux frères, pour amoindrir les
refusa tout , et alla demander un loge- forces du roi d'Egypte par un nou-
ment àun peintre alexandrin. Aussi- veau morcellement , en accordant au
tôt que le sénat en fut instruit , il en- plus jeune ce qu'il demandait. Deux
voya faire au monarque détrôné des autres commissaires, Titus Torquatus
excuses de ne lui avoir pas rendu les et Cnéus Mérula, furent envoyés avec
honneurs d'usage; on pourvut avec Physcon pour le faire mettre en pos-
munificence à ses besoins, et l'on en- session de l'île de Chypre , et établir
voya avec lui , en Egypte , deux com- une paix durable entre les deux rivaux.
Arrivé en Grèce avec les envoyés
(*) L'an 181 avant l'ère vulgaire. romains, Ptoléméè Physcon y engagea
(**) L'an 170 avant
iuuul
l'ère
1 Ut
vulgaire.
TUl^ailL*

(***) L'an 164 avant l'ère vulgaire.


vulgaire. (*) L'an 162 avant l'ère vulgaire.
104 L'UNIVERS.

un grand nombre de soldats merce- la même conspiration, et que son lieu-


naires, parmi lesquels se trouvait le tenant Ptolémée le trahit : c'était un
macédonien Damasippe banni de sa Égyptien à qui il avait confié le gouver-
patrie pour crime politique; à la tête nement deson royaume lorsqu'il s'était
de ces troupes, il se rendit dans la Pé- embarqué pour Rome. Ayant eu avis
rée, vis-à-vis de Rhodes, et se dispo- bientôt après que les Cyrénéens en
sait àpasser en Chypre , lorsque Tor- armes se sont mis en campagne, et
quatus lui représenta craignant qu'en se préoccupant trop
sénat était de le mettrequeen l'ordre du
possession de l'affaire de Chypre, il ne s'exposât
de ses États sans recourir aux armes; à perdre la Cyrénaïque, il abandonne
qu'il devait donc congédier son armée, tout pour marcher vers Gyrène. Ar-
renoncer à s'emparer de force de l'île rivé au grand Catabathme , il en trouve
de Chypre, mais aller attendre en Cy- les défilés occupés par les Libyens,
rénaïque les commissaires romains, faisant cause commune avec les Cyré-
qui de leur côté allaient se rendre néens dans
: cet embarras, il partage
à Alexandrie auprès de Philométor sa petite armée en deux corps , dont
pour le déterminer à consentir à l'ar- il fait embarquer l'un pour tourner
rangement souhaité, et iraient ensuite l'ennemi et le prendre à dos, pendant
le rejoindre lui-même sur ses fron- que lui-même l'attaquera de Les
front Li-
et
tières, en amenant son frère avec eux. tachera de forcer la montée.
Sur ces observations Physcon renonça byens, effrayés de cette double attaque,
abandonnèrent leurs postes ; et Phys-
à son projet
licencia de descente
ses troupes en Chypre'
mercenaires, passa , con franchissant
, le Catabathme, ga-
en Crète avec Damasippe et Cnéus gna les hauteurs et occupa Tetrapyrgia,
Mérula l'un des commissaires , et de où il trouva de l'eau en abondance.
là mettant à la voile pour la Libye De là , ayant traversé en sept jours le
avec un millier de soldats , il vint désert, et ayant été rejoint par les ha-
mouiller au port d'Apis. bitants de Mochyrinon, il atteignit les
De son côté, Torquatus, arrivé à Cyrénéens, campés au nombre de huit
Alexandrie, employa tous ses efforts mille fantassins et cinq cents cava-
pour amener le plus âgé des Ptolémées liers.
a faire la paix avec son frère, et à lui Jugeant des dispositions de leur nou-
abandonner l'île de cédant
Chypre;sur mais tan- veau roi par ses précédents à Alexan-
dis que ce prince, quelques drie, et reconnaissant que ses com-
points, résistant sur d'autres, faisait mencements, aussi bien que toute sa
traîner les choses en longueur, le plus ligne de conduite, annonçaient moins
jeune , campé avec ses Cretois en Li- un
bye, auprès d'Apis, ainsi qu'il avait été loin roi
de sequ'un tyran, deles*bon
soumettre Cyrénéens
gré à sa,
convenu , et s'impatientant de ne rien domination, étaient résolus à tout ris-
voir venir , envoya Cnéus à Alexan- quer pour la défense de leur liberté.
drie pour joindre ses efforts à ceux Ainsi donc alors, à son approche, ils
de Torquatus. Mais il attendit vaine- lui présentèrent la bataille, et eurent
ment son retour; le temps se passa, l'avantage. Physcon n'en continua pas
quarante jours s'écoulèrent sans qu'il moins la guerre : Athénée nous a con-
apprît rien de nouveau : son inquié- servé un fragment des mémoires de
tude était extrême. En effet , son aîné ce prince, où il fait mention des arti-
cherchant, à force de caresses, à mettre chauts dont se nourrissaient ses trou-
les envoyés romains dans ses intérêts, pes
les retenait chez lui , quelque répu- rons dependant
Bérénice. qu'il campait aux envi-
gnance qu'ils eussent des
à y rester. Dans un récit qui semble ne pouvoir
Insurrection Cyrénéens mieux s'appliquer qu'à cette époque ,
bépbimée. —Pendant ces délais, Phys- Polyen rapporte que les Cyrénéens,
dans leur guerre contre Ptolémée ,
con apprend queCyrène s'insurge con-
tre lui, que les autres villes entrent dans s'étaient donné pour chef, avec les
AFRIQUE ANCIENNE. 105

pouvoirs les plus étendus, l'étolien saires chargés de lui annoncer la déci-
Lycope; et que, pendant que les hom- sion rendue en sa faveur. Publius
mes combattaient, les femmes forti- Apustius et Caïus Lentulus furent
fiaient les retranchements , creusaient nommés, et partirent pour Cyrène,
les fossés, portaient les munitions, soi- afin de s'acquitter au plus tôt de leur
gnaient les blessés, préparaient les mission. Physcon, plein de confiance,
vivres ; mais qu'après l'extinction des se mit aussitôt à lever des troupes et
guerriers, Lycope avant voulu trans- àde s'occuper
former son administration en souve- Chypre. exclusivement de l'affaire
raineté, ces femmes l'accablèrent de Mais pendant ces préparatifs, il se
tant d'injures que, dans son exaspéra- tramait contre lui une conspiration
tion il, en tua le plus grand nombre, dont il faillit être la victime; il courut
qui couraient elles-mêmes à la mort. risque de la vie , et n'échappa au fer
Ces circonstances expliquent assez des assassins qu'après avoir reçu plu-
comment la résistance des Cyrénéens
ne put tenir longtemps contre les ar- sieurs blessures: ce fut pour' lui le
motif d'un nouveau voyage à Rome ,
mes de Physcon.
Rome appuie ouvertement les afin de s'aller plaindre au sénat d'un
RÉCLAMATIONS DE PHYSCON. — Sur attentat dont il ne craignait point d'ac-
cuser son frère; et de son côté ce-
ces entrefaites, Cnéus Mérula arriva lui -ci envoya Néolaïdas et Androma-
d'Alexandrie, et apprit au roi de Cy- chos pour se disculper. Mais quand
rène que son frère rejetait toutes les
propositions qui lui avaient été fai- Physcon, cours, eutàmontré
l'appui les
d'uncicatrices
touchantde dis-
ses
tes, prétendant qu'on devait s'en te- plaies, l'émotion générale fut telle,
nir exclusivement aux conditions pri- que l'assemblée refusa d'entendre les
mitivement convenues. A ces nouvelles,
le roi désigna aussitôt les deux frères envoyésdonnadu roi d'Egypte,
de sortir et leurdélai.
de Rome sans or-
Coman et Ptolémée pour se rendre à On désigna au contraire, au roi de
Rome avec Cnéus , et se plaindre au Cyrène, cinq commissaires, du nombre
sénat de la ténacité et des mépris de desquels furent Cnéus Mérula et Lu-
son frère. Philométor laissa partir cius Thermus, qui devaient prendre
aussi , vers le même temps, Titus Tor- chacun une galère afin de conduire
quatus, sans avoir rien fait. Voilà où
en étaient les choses à Alexandrie et ce prince en Chypre ; et l'on envoya
aux troupes alliées , en Grèce et en
l'île.
à Cyrène. Asie, l'autorisation de lui prêter main-
C'est dans ces circonstances qu'ar- forte pour opérer sa descente dans
rivèrent (*)à la fois à Rome les am-
bassadeurs des deux Ptolémées ; ceux RÉCONCILIATION DE PHYSCON ET
du plus jeune ayant à leur tête Coman , de Philométor. — Il semblait que la
ceux de l'aîné ayant pour chet Ménylle réussite de ses désirs fut ainsi assurée;
d'Alabande. Ils se rendirent au sénat, mais la fortune en décida autrement: il
où ils firent de longs discours et se je- fut battu par son frère, bloqué dans la
tèrent mutuellement à la face les re- ville deLapithe,et obligé de se rendre
proches les plus odieux : on entendit à discrétion. Cependant Philométor,
aussi Cnéus et Titus qui se hâtèrent soit par indulgence , soit par crainte
d'appuyer de leur témoignage la cause des Romains, ne profita point avec ri-
du plus jeune. Il fut décrété par le sé- gueur de ses avantages : il lui offrit ,
nat que Ménylle et les siens sortiraient en dédommagement de l'île de Chypre,
de Rome dans le délai de cinq jours , la cession de quelques villes libyennes
que toute alliance était rompue avec de plus à ajouter à son royaume de
l'aîné des Ptolémées, et qu'il serait Cyrène , des subsides annuels de fro-
envoyé au plus jeune des commis- ment, et dans l'avenir la main de sa
fille comme gage d'une alliance du-
(*) L'an 161 avant l'ère vulgaire. rable. Ainsi fut terminée définitive-
106 L'UNIVERS.

ment (*) la querelle des deux rois ; et En l'année 132 avant l'ère vulgaire,
Physcon put désormais continuer dans sa tyrannie ayant comblé la mesure ,
l'étude, le repos et la mollesse, un règne une émeute survenue à Alexandrie l'o-
dont les premières années avaient été bligea de se réfugier en Chypre; là,
si agitées. Il nous a transmis lui- craignant que les Alexandrins, excités
même, dans un passage de ses mé- par la première Cléopâtre , n'eussent
moires ,conservé par Athénée , quel- l'idée de proclamer à sa place son fils
ques détails sur le luxe qu'il déploya à Memphite, jeune homme plein de grâ-
l'occasion du sacerdoce du temple ce et de bonnes qualités, qui était alors
d'Apollon à Cyrène, quand il en fut à Cyrène, il le rappela près de lui, et
revêtu ; c'était une charge annuelle , le fit mettre à mort sous ses yeux ;
dont le titulaire, à son entrée en exer- puis, s'il faut en croire un affreux ré-
cice, réunissait dans un festin tous cit, illui fit couper la tête, les pieds et
ceux quifonctions, l'avaient etprécédé dans les les mains, qui furent enveloppés dans
mêmes leur offrait un un drap et renfermés dans un panier
vase de terre d'une certaine capacité, pour être envoyés à la malheureuse
rempli de provisions , en y joignant mère comme un présent le jour anni-
le plus souvent une lyre. Phvscon leur versaire de la naissance de ce même
fit servir des vases d'argent d'un grand fils ! A la suite de cette atrocité,
prix, et y joignit, pour chacun, un Ptolémée Physcon revint en forces
cheval dressé couvert de harnais do- reprendre possession de l'Egypte ,
rés et conduit par un écuyer, avec in- d'où la vieille Cléopâtre se sauva en
vitation àchaque convive de monter
le sien pour s'en retourner chez lui. Syrie.
Une grande pluie de sauterelles af-
Physcon s'empare de l'Egypte fligea laCyrénaïque dans les dernières
et règne tyranniquement. — a années du règne de ce prince (*) :
la mort de Ptolémée Philométor, ar- d'immenses essaims , après avoir ra-
rivée en l'an 147 avant notre ère , vagé toute l'herbe et toutes les feuil-
Ptolémée Phvscon, en ayant reçu la les des arbres, furent poussés dans la
nouvelle à Cyrène, se mit aussitôt en mer par le vent , et ramenés par les
marche avec une armée pour aller re- flots sur la côte, où leur accumulation
vendiquer lasuccession de son frère, causa, par ses miasmes putrides, une
qui ne laissait qu'un fils mineur; sa cruelle peste qui fit périr les animaux
sœur Cléopâtre, veuve de Philométor, et les hommes par milliers.
lui envoya offrir sa main et la tutelle La Cyrénaïque passe a Apion ,
de son fils : il accepta , entra dans qui la lègue aux romains. — en-
Alexandrie; et au milieu des fêtes du fin, après quarante-cinq ans de règne
mariage, il fit mettre à mort les par- depuis son avènement au trône de
tisans du jeune prince, le tua lui- Cyrène, Ptolémée Physcon mourut,
même entre les bras de sa mère, et en l'année 117 avant notre ère , et la
demeura ainsi maître du trône d'Egyp- Cyrénaïque fut de nouveau l'apanage
te, qu'il souilla de sang et de crimes. d'un souverain distinct de celui d'E-
Les Cyrénéens même qui l'avaient ac- gypte le
: monarque défunt
cialement léguée, par l'avait spé-
testament , à
compagné furent sacrifiés pour quel-
ques paroles indiscrètes sur la cour- Ptolémée, surnommé Apion, ou le
tisane Irène, sa maîtresse. Après avoir Maigre, son fils naturel. Ce prince
eu de sa sœur Cléopâtre un fils qui occupa le trône plus de vingt années ;
reçut le nom de Memphite , il la ré- mais l'histoire se tait sur les événe-
pudia, afin de prendre pour épouse la ments de son règne , dont il nous est
jeune Cléopâtre fille de la première, seulement parvenu quelques médail-
dont il eut deux autres fils , Ptolémée les ; et il n'a acquis une certaine cé-
et Alexandre. lébrité qu'à raison du testament par
(*) L'an 169 avant l'ère vulgaire. (*) L'an 125 avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 107
lequel, en mourant, il légua ses États suffit de répéter qu'Apion fils de Phys-
au Cet
peuple con fut le dernier roi de la Cyrénaï-
acte romain a été , (*).
pour les érudits du que, dont les limites s'étendaient de-
dix.- septième siècle , le sujet d'une puis la grande Syrte jusqu'aux portes
grave controverse, à cause de l'équi- de l'Egypte,
aussi bien que comprenant l'aride Libyeet
la riante Pentapole,
voque commise par un ancien compi-
lateur et
, répétée sans examen par qu'à sa mort , arrivée en l'année 96
divers autres , sur la double date du avant notre ère, tout ce territoire de-
legs fait à Rome par le dernier Pto- vint, suivant les dernières volontés
lémée de Cyrène, et de la réduction en du défunt, une dépendance de Rome.
province romaine de cette même terre
libyenne ainsi léguée par Apion.Sextus V. MOEURS PUBLIQUES ET PRIVÉES
DES CYRÉNÉENS AVANT LA PERTE
Rufus Festus, l'auteur du petit Bré-
viaire des conquêtes et provinces du DE LEUR NATIONALITÉ.

peuple romain , adressé -à l'empereur


Valens , y a consigné ainsi ce double Ce monde romain dans lequel ve-
fait : « Cyrène avec les autres cités de nait se fondre le royaume de Cyrène,
« la Pentapole libyque,nous les avons c'était comme un Océan où disparais-
« reçues de la libéralité du vieux Pto- saient dans un commun naufrage tou-
« lémée ; la Libye , nous l'avons ac- tes les nationalités qui s'y laissaient
« quise par la dernière volonté du roi entraîner. Sans doute il put rester, il
« Apion.» Ammien Marcellin, Eusèbe, resta certainement, à la place qu'occu-
Jornandès, ont suivi cette rédaction, paient respectivement les nations ainsi
et Joseph-Juste Scaliger en a expres- englouties, quelque faible vestige des
sément conclu qu'il y avait eu deux caractères distinctifs qui les différen-
Apion, l'un roi de Cyrène, l'autre roi ciaient; mais ils se laissaient difficile-
ment apercevoir à travers la surface
de Libye, qui tous deux, celui-là d'a-
bord, celui-ci ensuite , avaient légué uniforme de l'unité romaine. Il y a
leur royaume aux Romains: et quel- donc intérêt à esquisser ici le tableau
ques modernes , faute d'examen suffi- rapide des mœurs publiques et privées
sant, ont admis cette explication. Mais des Cvrénéens avant que la conquête
les écrivains antérieurs, Cicéron,Tro- et la longue domination de Rome en
gue-Pompée, Tite-Live, Tacite, Ap- eussent effacé les traits spéciaux et la
pien, suivis encore par Julius Obsé- couleur originale.
quens , Eutrope et Cassidore , ne Passons donc en revue les croyances,
reconnaissent qu'un seul roi Apion , les dispositions naturelles, les habitu-
un seul royaume légué, un seul testa- des, les goûts, les talents des Cyré-
ment; et Henri de Valois, faisant va- néens au temps de leur indépendance,
loir leur témoignage, a rétabli avec tous ces détails de la vie sociale qui
l'autorité d'une saine critique la seule donnent à une nation sa physionomie
explication admissible de l'équivoque propre, qui font
commise par Sextus Rufus, Ammien , et non point une qu'elle
autre. est elle-même
Eusèbe et Jornandès; et de nos jours,
un savant danois qui s'était fait l'his- Religion, Culte.
torien spécial de Cyrène , le profes-
seur Thrige, si prématurément enlevé Apollon. — Apollon était le dieu
aux lettres, a reproduit avec clarté la principal, le dieu archégète du pays:
discussion de Valois , que sans doute il était naturel que les fondateurs de
il n'avait point ignorée. la colonie grecque de Libye y missent
Nous n'avons donc point à nous en honneur le culte du dieu pythien,
préoccuper ici d'une résolue
question dont la prêtresse leur avait tant de fois,
raît définitivement ; et qui pa-
il nous dans le temple de Delphes, transmis
les oracles. Son nom fut donné à la
(*) L'an 96 avant l'ère vulgaire. fontaine limpide qui surgissait ou voi-
108 L'UNIVERS,
sinage de leur principal établissement; mities : c'était pendant leur célébra-
il fut donné aussi à la ville même qui tion que le grand prêtre d'Apollon pre-
s'éleva autour du port de Cyrène, d'où nant possession de sa charge, réunis-
un chemin taillé dans le roc condui- sait dans un banquet tous ceux qui
sait directement au temple consacré l'avaient eue avant lui.
au même dieu par le premier Battos Les autres grands dieux. —
sur la grande place de la cité : de ma- Cyrène célébrait aussi des Olympien-
gnifiques cavalcades parcouraient en nes en l'honneur de Jupiter, qu'elle ap-
pompe cette avenue au temps des fêtes pelait Élinymène ou immuable. Et qui
carnéennes. Ces solemnités avaient pourrait oublier Ammon, ce Jupiter
successivement passé, avec les Égides, JJbyen que les colons grecs considérè-
de ïhèbes de Béotie à Amyclée, à rent comme le même dieu que le maî-
ïhéra, et enfin en Libye, ainsi que le tre de l'Olympe, et dont le culte, dé-
constatent les hymnes du poète Calli- bordant sur la Grèce, s'introduisit à
maque : on doit penser que le nom de ïhèbes, à Sparte, à Athènes, à Elis?
Nous avons rencontré en outre, dans
Carnéades, qui se rencontre plus d'une
fois chez les Cyrénéens, se donnait sou- l'histoire de l'expédition d'Amasis con-
vent aux enfants nés pendant la célé- tre Barkè, la mention du tertre de Ju-
bration des Carnées. D'autres fêtes piter Lycéen, dont le nom avait sans
étaient réservées au dieu aleximbrote, doute été rapporté en Libye par Dé-
à Apollon médecin, pendant lesquelles monax de JYIantinée. Enfin des mon-
on entendait retentir mille fois l'in- naies cyrénéennes offrent également la
vocation sacramentelle : Yè, yè, Pèan! tête de Jupiter.
Son fils Esculape avait lui-même un La déesse qui naquit tout adulte de
temple à Balacris près de Cyrène, et cette tête sacrée, avait pour sa part
il semble qu'une école médicale y lût les fêtes Palladiennes, et des monnaies
annexée. à son effigie; le pharaon Amasis lui
Le grand temple d'Apollon, où le avait consacré une statue à Cyrène ; et
feu sacré brûlait toujours sur l'autel, son miimage
les ruiness'est de retrouvée
Bérénice. encore par-
était desservi par un collège de prê-
tres, dont le chef annuel était choisi Après les dieux du ciel, ceux des
entre les personnages les plus distin- eaux. Le culte de Neptune avait été
gués par le rang et les richesses , et porté du Ténare aux rivages libyques
nous avons vu le roi Ptolémée Phys- sur les vaisseaux
con revêtu lui-même de ce sacerdoce, tait répandu mêmedeschez
Minyens, et s'é-
les barbares;
et célébrant avec magnificence son en- Synesios mentionne un de ses temples
trée en charge. dans la Cyrénaïque : il était invoqué
Le culte d'Apollon se manifestait tour à tour sous l'épithète à'Amphi-
jusque sur les monnaies de la cité, où
la tête du dieu se trouve souvent figu- baios par allusion
céan, et sous celleaudecircuit de l'O-
Pellanios eu
rée. Les barbares du voisinage subi- égard à la sombre couleur des profon-
rent eux-mêmes l'influence de cette des eaux. — La déité charmante née
dévotion des colons grecs au culte de leur écume donnait son nom d'A-
d'Apollon pythien, et l'on vit les Am- phrodite àune petite île de la côte ;
péliotes, peuplade libyenne du littoral, elle avait un temple et des jardins aux
aller déposer sur l'autel de Delphes portes de Cyrène , où sa statue avait
l'offrande d'une branche de silphion. été placée parLadice, épouse de l'é-
La sœur d'Apollon, la chaste Diane, gyptien Amasis; un autre temple lui
ne pouvait était consacré dans une île du lac Tri-
rementmanquer
honorée dansd'être particuliè-
la cité dont il tonide. Nous aurions à mentionner de
était le patron ; on la voit figurer aussi plus ici la colline des Grâces, si elle ne
sur les monnaies cyrénéennes, et des se fût trouvée en dehors des limites
fêtes solemnelles lui étaient pareille- de la Cyrénaïque.
ment consacrées sous le nom d'Arté- cieuse déesse, le— noir
L'époux de lanous
Vulcain gra-
AFRIQUE ANCIENNE. 109
montre aussi sa figure sur quelques nom à une bourgade obscure de l'A-
pierres gravées recueillies parmi les frique au delà des Syrtes. — Divers
ruines de Bérénice. rites avaient été empruntés à l'Egypte,
Venons aux dieux terrestres. Au dont le voisinage ne pouvait manquer
dire de Macrobe, les Cyrénéens attri- de faire sentir, sous ce rapport, son
buaient àSaturne l'invention du miel influence : nous savons que les femmes
et des fruits, et pour célébrer sa fête, deCyrène observaient, en l'honneur
ils se couronnaient de figues fraîches, d'Isis, des jeûnes, des jours de fêtes,
et s'envoyaient réciproquement des gâ- et l'abstinence de la chair de vache ;
teaux. Us observaient les Telluries en par quelque motif analogue les Bar-
l'honneurronnée dedetours
Cybèle, dont sur
la tête cou- céennes s'abstenaient en outre de la
se voit quelques chair de porc.
monnaies
offrent la tête de ladeCyrénaïque.
Bacchus ; onD'autres
trouve Caractère national.
d'ailleurs, parmi les ruines deCyrène,
plus d'un vestige du culte de ce dieu , ethnologiques Jusqu'à quel point les données
peuvent servir a
et l'on aperçoit encore à Teukhira les déterminer les instincts natio-
vestiges
sacré. d'un temple qui lui était con-
naux. — Ce serait une étude vérita-
Les dieux secondaires ou blement curieuse , mais complexe et
étrangers. — Quant aux demi- ardue, que de rechercher à priori, dans
dieux, un temple dédié aux Dioscures la proportion relative et l'influence ré-
s'élevait sur la place de Cyrène, et un ciproque des éléments divers dont l'a-
village s'était paré de leur nom ; un grégatjon forma la population cyré-
temple d'Hercule existait sur le rivage constituer lerésultante
néenne, la générale qui dut
caractère national de cette
près de Paliouros; des pierres gravées
recueillies sur l'emplacement de Béré- population, et de vérifier ensuite par
nice nous offrent son image , et son les faits de l'histoire les indications de
nom 'était attaché à diverses locali- la théorie. Malheureusement la plupart
tés de la Cyrénaïque ; la nymphe Cy- des données essentielles du problème
rène et son fils Aristée étaient l'objet échappent à notre investigation : car
d'une vénération particulière, à couse nous n'avons, sur les races antiques
des traditions qui les faisaient inter- d'où prenaient leur origine les diver-
venir dans la fondation de la colonie ses fractions de la colonie grecque de
grecque. Libye, aucune notion assez précise
Outre ces dieux de la Grèce, les Cy- pour qu'il soit possible de formuler les
rénéens recurent des étrangers, et mê- caractères ethnologiques de chacune
de ces races, dont quelques érudits se
me des barbares,
certains rites dont certaines'divinités
il convient de consta-et sont complu de nos jours à faire res-
ter au moins la trace; ainsi les anténo- sortir avec une ingénieuse finesse l'af-
rides Glaucus, Érymanthe et Hippo- finité ou l'antagonisme politique, com-
loque, qui passaient pour s'être établis me de sûrs indices de la parenté ou de
chez Amnax roi des Libyens, sur une l'opposition généalogiques.
colline située entre Cyrène et la mer, et 11 s'est manifesté néanmoins, dans
à laquelle ils laissèrent leur patronyme, la vie sociale des différentes popula-
furent placés par les colons grecs au tions grecques, quelques traits saillants
rang de leurs héros mythologiques, qui sans être peut-être caractéristiques
lorsqu'ils vinrent eux-mêmes prendre d'une moins origineune différence diverse, deaccusent au
civilisation
possession de ce lieu. — A l'ouest de
Cyrène, sur la côte voisine, se trouvait assez marquée pour n'avoir échappé à
un petit temple à Aptoukhos , sans personne; si bien que les noms de
doute un dieu libyen, sur lequel nous Sparte et d'Athènes rappellent forcé-
n'avons aucune autre lumière, mais ment et immédiatement, aux esprits
qui semble pourtant avoir donné son les plus vulgaires, les termes extrêmes
no L'UNIVERS.

de la progression par laquelle les na- exotiques sur une terre qui avait elle-
tions grecques s'échelonnaient entre même ses rejetons autochthones, étouf-
elles depuis une grossière rudesse jus- fés peut-être sur les points où l'implan-
qu'à la politesse la plus raffinée. tation grecque fut plus dense, mais
i Mais si l'on traduit les noms de qui durent s y entremêler, dans le pour-
Sparte et d'Athènes par les dénomi- tour, bien qu'ils ne se développassent
nations génériques de Doriens et d'Io- plus dans toute leur vigueur qu'à de
niens, peut-on, même en forçant l'ex- plus grandes distances des lieux en-
vahis.
oublier lespressionanneaux
de leur antagonisme jusqu'à
intermédiaires for- Ainsi , dans les premiers siècles de
més par les Éoliens et les Achéens, son existence la population cyrénéenne
méconnaître encore qu'ils ont eu tous fut grecque au centre et libyenne à son
un père commun dans Hellen? Il est extrême circonférence; puis dans le
vrai qu'on attribue à l'influence étran- centre même, indépendamment de tou-
gère des Pélasges asiatiques cette dé- tes les accessions étrangères successi-
générescence ou, si on aime mieux, ce vement amenées par les relations po-
progrès qui détermina le caractère spé- litiques et par le commerce, mais qui
cial d'élégance et de mollesse des Io- durent se perdre dans la masse hellé-
niens; mais que sait-on avec précision nique, ilfut introduit un élément asia-
et certitude des Pélasges eux-mêmes ? tique, important par le nombre autant
On n'est guère plus avancé quant que par le défaut d'affinité; je veux
aux immigrations austro-orientales des parler des juifs que le premier Ptolé-
Inachides , des Cécropides, des Cad- mée transplanta dans les villes de la
Pcntapole.
méens, des Lélèges et des Danaëns, dé-
puis que le système d'explication sym- Trois peuples , non-seulement dis-
bolique introduit dans l'histoire vient tincts, mais encore hétérogènes, se
à la fois, arme à deux tranchants, dé- trouvaient donc juxtaposés sur le mê-
truire d'une part le voile mythique me sol : l'un en dehors de la cité, les
sous lequel on suppose cachés des faits Libyens, anciens possesseurs du pays;
traditionnels, et d'autre part le pré- des deux autres, exerçant à des titres
tendu masque historique derrière le- divers leurs droits politiques dans les
quel on suppose que se cache un my- mêmes villes, l'un nouveau-venu, les
the. Que penser, au milieu de ce bou- Juifs tansplantés ciennement établideet Syrie ; l'autreen an-
réunissant un
leversement d'idées, des dénominations
de Danaëns et de Cadméens qui se trou- seul faisceau tous les éléments qui pou-
vent mêlées aux indications ethnolo- vaient prétendre au nom d'Hellènes.
giques touchant la formation originaire Décomposition de l'élément
de la population cyrénéenne? grec : Cadméens , Éoliens ,
ÉLÉMENTS PRINCIPAUX DE LA. PO- Achéens; Péloponésiens et Cre-
PULATION CYRÉNÉENNE AU POINT DE tois; insulaires de la mer Egée.
VUE ETHNOLOGIQUE ! LES LIBYENS — Les colons hellènes avaient été
INDIGÈNES, LES COLONS GRECS, LES
groupés
peut se lepar Démonax
rappeler, , ainsi
en trois qu'on
fractions,
Juifs transplantés. — Sans pré-
tendre aborder de si haut, ni avec un eu égard à leur origine, savoir : en pre-
tel dédain des vieilles croyances histo- mier lieu les Théréens avec les voisins
riques, une question qui se présente à immédiats qu'ils s'étaient assimilés ,
nous entourée de tant de difficultés et puis les Péloponésiens avec les Cre-
d'incertitudes, bornons-nous à rappe- tois, et enfin les insulaires de la mer
ler d'une manière générale que la co- Egée. Chacun de ces groupes était,
lonie grecque établie sur le sol libyen comme on le voit, formé lui-même
s'était formée d'un premier noyau thé- par l'agglomération de plusieurs élé-
ments. Dans le premier surtout les
réen, prés duquel s'étaient ultérieure- éléments étaient nombreux et divers.
ment implantes d'autres rameaux hel-
lènes, pour jeter ensemble leurs racines Et d'abord, ces voisins immédiats, cette
111
AFRIQUE ANCIENNE.
population ambiante (wepîoixoi),ces gens Minyens, en déroulant les généalogies
de la banlieue comme nous dirions au- du cadméen Théras et du minyen Bat-
jourd'hui chez nous, semblent ne pou- tos ; teur Denys le périégète et son traduc-
Priscien ont rappelé dans leurs
voir être que des Libyens sédentaires
de la côte soumis par les colons thé- vers l'origine amycléenne des Cyré-
réens, et fondus dans l'agrégation néens (*); et Pindare, qui a consacré
commune; et quant aux ïhéréens, on par ses chants la tradition antique des
doit se souvenir qu'ils devaient leur aussi Égides (**) et des Minyens (***), donne
origine à une association de gens d'A- aux fondateurs deCyrène le nom
myclée en Laconie, de Minyens, et de de Danaëns (****), comme si l'influence
Cadméens. Ces derniers , établis en de l'immigration conduite par Danaùs
partie d'ancienne date , en partie ve- chez dueles Achéens d'Argos se fût éten-
àtous ceux du Péloponèse avant
nus avec ïhéras, étaient, suivant l'o-
pinion vulgaire et probable, de race que la conquête dorienne les eût dé-
phénicienne; les Minyens, quoique nés placés. Ainsi le premier noyau de la
a Lemnos , avaient pris origine à population de Cyrène, il est bon de le
Iolehos en Thessalie, et paraissent de- et constater,
le langage. n'avait de dorien que le nom
voir être rapportés à la famille éolien-
ne; et le seul élément laconien de Le deuxième groupe, dans lequel
l'association appartenait à la famille figuraient
achéenne.
les Péloponésiens et les Cre-
tois, était, suivant toute apparence,
Il n'enétant est pas moins maîtres
vrai quede les empreint davantage de la nationalité
Doriens devenus la dorienne : il est présumable qu'il était
Laconie lors du retour des Héracli- au moins conduit par des chefs do-
des, et leur domination s'étant éten- riens, dans le nombre desquels se trou-
due et consolidée à Théra , les Thé- vait même quelque fféraclide, puisque
réens eux-mêmes furent compris dans le cyrénéen Synesios, près de dix siè-
la famille dorienne dont ils subissaient cles après, faisait remonter sa généa-
à là fois l'autorité politique et l'in- cule. logie, par Eurysthènes, jusqu'à Her-
fluence sociale, et dont ils prirent le
langage, soit parce que la langue du maî- Quant aux nésiotes ou insulaires
tre s'impatronise d'ordinaire chez les réunis dans le troisième groupe, nous
sujets, soit peut-être aussi parce que n'avons aucune désignation certaine
l'adoption
la différence s'en mutuelletrouvait favorisée par de la famille à laquelle ils appartenaient
des dialectes
des trois populations réunies, et par (*) Kvpyivri t' evi7vrcoç 'Af/.uxXauov ye'voç
la prédominance de la fraction éolien- àvopwv.
Denys, Périégèse, v. 21 3.
ne, dont l'affinité était plus grande Necnon Cyrenc clarorum mater equorum,
avec les habitudes doriennes. Quoi Urbis Amyclœa; populus quain condidit olim.
Priscien, Périégèse, v. 197-8.
qu'il en soit, il est manifeste que les
Théréens, déjà compris dans la natio- (**) '06ev Yev£voc[jtivoi
nalité dorienne au moment de leur fxovxo ©vjpavôs Ç&-
expédition coloniale en Libye, appor- xeç Alyeïoai, è\iol rca-répeç.
tèrent dans leur établissement cette Pindare, Pythu/ues, V, Antistr. 3.
même nationalité dorienne, avec la (***) .... x68e yàp yévoç, E0-
langue qui en était le caractère exté- <pà[j.ou «pureuèèv, Xoiuàv aïet
rieur le plus apparent. TeXXeTo , xat Aaxeôai-
[xovîwv {M^ôévre; àvôpcôv
Ce n'est point à dire, toutefois, que fjôeaiv, dt7t<î>XY]<jav
ëv uoxs KaX-
le souvenir y fût perdu de la distinc- Xtarav yj^àvtù
tion primordiale des trois éléments VÔCCTOV.

réunis et confondus sous une déno- Pindare, Pjthiques, IV, Sir. 12.
mination commune : les traditions re- (****) Alfjià 0! xetvav Xaêe <rùv Aavaotç
cueillies parHérodote en font foi, sur- eùpeïav a7reipov.
tout àl'égard des Cadméens et des Pindare, Pjthiques, IV, Str. 3,
112 L'UNIVERS.
En relisant, avec ces impressions,
dans la division ethnologique de l'Hel-
lade; mais en consultant les conve- l'histoire de la Cyrénaïque depuis l'ar-
nances géographiques de proximité rivée de Battos jusqu'au testament
tant à l'égard de Delphes d'où partait d'Apion, on sera porté à s'expliquer,
l'oracle qui détermina leur émigration par l'antagonisme des deux principes,
la plupart des troubles dont elle fut si
qu'à l'égard de Cyrène qui en était le souvent le théâtre; on reconnaîtra, ou
but, on doit regarder comme infini-
ment probable qu'ils venaient des Cy- l'on croira reconnaître, ici les exigen-
clades, où des Pélasges, des Phéniciens, ces de l'aristocratie dorienne, là les
des Cretois , des Eoliens , peut-être caprices
étaient habituelsde la démocratie
aux Ioniens.tels qu'ils
Nous ne
aussi déjà quelques Ioniens, avaient
voulons point formuler nous-mêmes
tour à tour posé les assises d'une po-
pulation mélangée, au sein de laquelle ces explications de détail : qu'il nous
le commerce de Délos appelait encore suffise de les avoir indiquées d'une
journellement des étrangers. manière générale, laissant à la pru-
Nous ne poserons pas ici , tant il dence de chacun des interprétations
nous semble difficile de la résoudre , tantôt plausibles, tantôt spécieuses ,
tantôt aussi fort aventurées.
la question de savoir jusqu'à quel point
la distribution ethnologique dont nous D'autres, d'ailleurs, voudront expli-
venons d'esquisser les traits princi- quer les mêmes
antagonisme dont faits, et jusqu'à
on fait honneur cetà
paux, se trouva conservée ou mécon-
nue dans la distribution politique si- l'esprit de famille, par des circonstan-
gnalée par Josèphe comme existante à ces tout à fait indépendantes des faits
Cyrène au temps de Sylla et de Lu- ethnologiques , telles que l'opposition
cullus, et où l'on vit figurer, en quatre des intérêts individuels, l'esprit de
classes distinctes, les citadins, les pay- corps, la différence des directions pri-
sans, les étrangers et les juifs; toutes ses sur la grande voie de la civilisation
et du progrès social. A ce compte, le
les hypothèses que l'on pourrait être caractère national des Cyrénéens au-
tenté de proposer à cet égard ne se-
rait été le produit, non des instincts
raient fondées que sur d'arbitraires
conjectures. héréditaires, mais de l'influence mu-
Les Grecs de Cyrène, comp- tuelle des institutions politiques, et du
tés DANS LA. FAMILLE DORIENNE , développement industriel et commer-
AVAIENT NÉANMOINS LES MOEURS cial déterminé par la richesse du sol
RAFFINÉES DES IONIENS. — Ce qui et la facilité des communications ma-
ritimes.
ressort au moins de ce que nous ve-
On ne peut du moins se dissimuler
nons d'exposer, c'est que la population
cyrénéenne, formée d'éléments em- que, dorienne par le langage et la dé-
pruntés, dans des proportions inégales, rivation politique, et se reconnaissant
aux diverses races helléniques , dut comme telle, la population cyrénéenne
présenter, dans le développement de se distingua bien moins parla sévérité
ses instincts nationaux^ une diversité des mœurs, l'économie, la sobriété, le
de caractères conséquente à ces pré- patriotisme, la vertu guerrière, qui fi-
mis es la
: prédominance dorienne se rent la gloire de Sparte, que par les
manifesta sans doute dans la consti- mœurs élégantes, le luxe, la mollesse,
tution aristocratique, dans les habitu- la turbulence, l'amour des lettres et
des agricoles, dans le langage; tandis des arts, qui firent la célébrité d'A-
que les races assujetties, bientôt puis- thènes.
santes par les richesses que procurent Elle poussa même bien plus loin
l'industrie et le commerce, révélèrent qu'Athènes l'amour du bien-être, la
leur turbulence démocratique dans plus recherche, la sensualité, l'ostentation.
d'une tentative d'émancipation dont le Le poète comique Alexis , cité par
succès ne profita guère à la consoli- Athénée, avait mis en scène le luxe
dation des libertés publiques. des festins à Cyrène : quelqu'un in-
113
AFRIQUE ANCIENNE.
vile-t-il un ami à dîner? voilà aussitôt le silphion si rare et si recherché, le
dix-huit autres convives, dix voitures, safran odorant , la rose principe des
quinze attelages à héberger! — Qui plus suaves parfums, le sphagnos mus-
ne sait d'ailleurs que l'école philoso- qué, le concombre aux vertus médici-
phique cyrénéenne avait pour doctrine nales, enfin le bois de genévrier si es-
que le bonheur est dans le plaisir? timé àAthènes sous le nom de thyon,
Ce n'est point toutefois d'un seul à Rome nement sousdes meubles celui de decitrus, pourchasse
luxe. La l'or-
bond que la colonie dorienne de Libye
put arriver à ce raffinement de mœurs; mettait de plus à leur disposition les
et la civilisation plus rude des monta- magnifiques plumes de l'autruche; et
gnes de la Laconie ne dut s'oublier l'exploitation des mines leur procurait
que progressivement, à mesure que le le sel limpide d'Ammon et la craie de
développement des ressources agrico- Parétonion. On peut supposer que l'or
les et commerciales amenait une opu- de l'Afrique centrale parvenait jusqu'à
lence corruptrice. eux par la voie du commerce indigène,
dont le temple d'Ammon était peut-
Agriculture et commerce; Revenus être le comptoir.
publics ; monnaies. Commerce. — Placée entre Alexan-
drie et Carthage, Cyrène eut dans
Productions. — Établis sur un l'une et dans l'autre de dangereuses
sol éminemment fertile , les colons rivales, dont l'active concurrence dut
grecs durent y continuer avec autant nuire beaucoup à l'extension de son
de goût que de succès et d'avantages commerce d'échanges avec les peuples
la vie agricole et pastorale à laquelle reculés dans le continent , attendu la
ils se trouvaient déjà façonnés ; aussi facilité qu'avaient l'une et l'autre de
ne doit-on pas être surpris que l'idée recevoir directement aussi par la val-
de richesse et de bien-être fût attachée lée du Nil ou par le Fezzân les pro-
pour eux au mot gyuEvioç (*). Le blé , Cyrène duitsavait de l'Ethiopie intérieure. Mais
des produits que ses ri-
le riz, la vigne, l'olivier, couvraient la vales même étaient forcées de venir
majeure partie de leurs terres; leur
huile était la meilleure qui fût au prendre chez elle : Alexandrie lui de-
monde. Synesios vante aussi , plus mandait lesilphion et le thyon, qu'elle
tard, la qualité du miel de Cyrène, consommait sur place ou qu'elle réex-
moins vanté toutefois que ceiui du portait àson tour, et les Carthagi-
mont Hymette; au surplus la cire et le nois soutiraient par leur comptoir de
miel sont restés un des principaux Charax le silphion de la Cyrénaïque
articles d'exportation de ce pays. D'im- occidentale, en échange des vins de
menses pâturages nourrissaient de luxe qu'ils apportaient de la Sicile et
nombreux troupeaux de bœufs, de de la grande Grèce.
pourceaux, de chèvres, et surtout de Cette précieuse denrée était telle-
brebis au doux lainage, et de chevaux ment recherchée que Ton fit sur plu-
de race supérieure : tout cela se re- sieurs points, notamment dans le Pé-
trouve encore chez les nomades d'au- loponnèse et dans i'Ionie asiatique ,
jourd'hui. mais partout sans aucun succès, des
Leurs céréales, leur huile, leur miel, tentatives d'acclimatement et de natu-
la laine et les cuirs de leurs troupeaux, ralisation de la plante qui sécrétait
leurs chevaux même , étaient sous leur cette substance merveilleuse. Aussi,
main pour fournir les éléments d'un I'Ionie par la voie de Samos, le Pélo-
commerce d'exportation considérable: ponnèse par celle de Cythère, en
la nature leur offrait spontanément étaient -ils directement approvision-
nés par les navires de Cyrène, qui
d'autres articles plus précieux, tels que
l'apportaient aussi en Crète, en Chy-
de la lerre. ayant en abondance les Rome. pre, àAthènes, en Sicile, et jusqu'à
(*) C'est-à-dire,
fruits

8* Livraison. (Afrique ancienne.)


114 L'UNIVERS.

Revenus publics; monnaies.— Spartiate Doriéus voulut tenter de


fonder une nouvelle colonie sur les
Les droits d'exportation
tion sur les et d'importa-
marchandises devaient côtes libyques(*), il trouva à Cyrène
concourir à former , avec )e produit des guides qui le conduisirent à Vem-
des terres domaniales, les principales bouchure du Cynips, entre autres Phi-
ressources du trésor public. L'or et lippe fils de Butacides, exilé de Cro-
l'argent monnayés abondaient, ainsi tone, qui arma à ses frais une trière
que le démontre la variété des ty- et y embarqua des soldats pour le sui-
pes et des modules monétaires parve- vre. Un siècle après {*") Cyrène four-
nus jusqu'à nous ou mentionnés par nissait de même à une flotte Spartiate
les anciens écrivains : à ne parler que égarée sur ses côtes, deux trières et
des monnaies d'or , le lexicographe des pilotes pour la conduire en Sicile.
Pollux constate l'existence , chez les Il n'est point douteux que les forces
Cyrénéens, de tétrastatères, de statè- navales des Cyrénéens ne fussent res-
res. de demi-statères, et de pièces de pectables, puisque nous savons de Sal-
cinquante drachmes (*). Il n'est pas luste qu'ils luttèrent longtemps sur
moins vrai que le tribut imposé par mer comme sur terre contre les Car-
Rome à la Cyrénaïque fut exigé, pour thaginois, pour la question de limites
partie au moins, en nature, et que le
qui fut enfin vouement desdécidée par l'acte de dé-
frères Philènes.
silphion notamment était reçu et dé-
posé par les questeurs dans Te temple Chevaux, chars. — LJn autre élé-
de Saturne. ment de force militaire qui appartenait
Éléments de force matérielle. en propre
qualité supérieure aux Cyrénéens,
des chevaux c'était
du pays,la
et leur habileté à les dresser au trait
Puissance maritime. — L'éten- par attelages de deux et de quatre che-
due et l'activité du commerce mari- vaux de front. Ce n'est probablement
time des Cyrénéens durent les rendre
point en vue de la guerre qu'ils s'adon-
habiles dans l'art de la navigation et naient àcet exercice: le luxe, l'élé-
dans celui des constructions navales ;
la renommée, ainsi que le constate doute lagance, l'amour-propre,
meilleure part, y etavaient sans
la victoire
Pline, leur attribuait l'invention des des jeux olympiques , pythiques ou
lernbes, embarcations légères et rapi-
des, que les Romains adoptèrent plus isthmiques.naient leplusétait
: un celle qu'ilsrois,
de leurs ambition-
le der-
tard pour leurs stations flottantes dans nier des Arcésilas, se faisait gloire de
les grands fleuves (**). Quand le prince remporter, à la course des chars, le lau-
rier pythique (**) et l'olivier d'Olym-
(*) Le statère d'or comptait pour 20 pie(*c)"; l'antiquité classique a de mê-
drachmes d'argent, et vaudrait pour nous, me conservé les noms d'Eubotas(*rf),
d'après cette base, environ 20 francs; et
dès lors le tétrastatère serait de 80 francs ,
de Cratisthènes, et des deux Théocres-
tes, vainqueurs également à la course
l'hémistatère de 10 francs, et le penteconta- des chars dans les jeux olympiques, et
drachme de 5o francs. Mais dans ce calcul,
dont l'un, le premier Théocrestes, avait
le rapport de l'or à l'argent est seulement
décuple, tandis que chez nous ce rapport
déjà été couronné pour le même genre
est de près de 16 à 1 : les monnaies cyré- de course, aux jeux isthmiques. Anni-
céris conduisait ses chevaux avec une
néennes que nous venons de désigner au-
raient donc pour nous une valeur intrin- telle dextérité, que les roues de son
char, après avoir tracé en cercle leur
sèque d'environ 3o francs pour le siatère,
120 francs pour le quadruple, i5 francs
pour le demi, et 75 francs pour le pente- (*) En l'année 5ig avant l'ère vulgaire.
contadrachme.
(*a) En l'année 41 3 avant l'ère vulgaire.
(**) Dans le Rhin et dans le Danube ; et (**) L'an 466 avant l'ère vulgaire.
les soldats qui y étaient employés portaient (*c) L'an 460 avant l'ère vulgaire.
le nom de Lembarii.
(*d) L'an 36i avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 115
ornière, passaient et repassaient sur remportèrent tour à tour le prix de la
la même trace sans s'en ëearter, au- course à Olympie; le barcéen Amési-
tant de fois qu'il lui plaisait. Antici- nesy gagna celui de la lutte (*). Élien
pant au surplus sur nos habitudes mo- nous raconte l'anecdote d'Eurydamas
dernes, les Cyrénéens se voituraient en de Cyrène, vainqueur au pugilat a Olym-
char dans l'enceinte même de leur ville. pie, qui pour dissimuler un désavan-
Mais ce raffinement de leur vie opulente tage momentané, avala les dents qu'un
tournait au profit de leur puissance coup vigoureux de son adversaire avait
militaire; car ces chars si commodes brisées dans sa bouche. On pourrait
et si habilement dirigés étaient d'un encore ajouter ici un témoignage re-
grand effet à la guerre, soit qu'ils vins- cueilli par Athénée sur le goût des
sent déposer inopinément des renforts Cyrénéens pour les monomachies ou
de troupes fraîches au milieu des com- combats de gladiateurs à l'exemple de
ceux que Démonax avait établis à
battants fatigués, soit que, lancés au
sein de la mêlée, ils doublassent, par Mantinée.
l'impétuosité de leur course, la vigueur Culture des arts et des lettres ;
des guerriers qui les montaient. L/équi-
tation était aussi dans leurs habitudes, Philosophie.
et la garde du roi se composait de
trois cents cavaliers choisis. Beaux-arts, langage, poésie.
Exercices gymnastiques. — Du — S'ils étaient adonnés aux exercices
reste, tous les exercices gymnastiques du corps , ils ne négligeaient pas ceux
propres à développer l'agilité et la de l'esprit; nous ne pouvons guère
force du corps, étaient en honneur juger que par des ruines , de leurs
chez les Cyrénéens , ainsi que le cons- talents dans les arts libéraux : des
tatent de nombreux triomphes dans pierres gravées, des médailles, des
les jeux publics de la Grèce. Télési- vases peints , des restes d'édifices
crates fils de Carnéades, deux fois écroulés , tels sont à peu près les seuls
vainqueur à la course dans les jeux témoignages que nous ayons de leur
pythiques (*) et dans d'autres solen- habileté dans la sculpture , la peinture
nités àÉgine , à Mégare , à Cyrène et l'architecture.
même, fut chanté par Pindare et eut Leur histoire littéraire est un peu
une statue à Delphes; les Cyrénéens mieux connue , malgré la perte des
Polymnestes (*a), Eubates (**), Eu- cent vingt livres que le cyrénéen Cal-
botas (*c) , Pauros deux fois cou- limaque avait consacrés à un Tableau
ronné (*d), Polyclès (*e), Idéos Nica- des écrits de tout genre. Ils avaient
tor (*/) , Acusilas (*') , Mnaséas (*A) , apporté de Théra le dialecte dorien ;
le voisinage immédiat des tribus li-
(*) Dans les 28e et 3oe pythiades, 478 byennes, defréquentes relations mer-
et 470 ans avant l'ère vulgaire. cantiles avec des peuples de toute
(*a) Dans la 81e olympiade, 456 ans origine , durent altérer la pureté du
avant l'ère vulgaire. langage , et introduire, au moins dans
(**) Dans la 93e olympiade , 408 ans le parler usuel, un grand nombre de
avant l'ère vulgaire. mots et de locutions étrangères ; mais
('c) Dans la 104e olympiade, 364 ans les écrivains durent prendre d'autant
avant l'ère vulgaire. plus de soin de se tenir en garde con-
Cd) Dans les io5e et 106e olympiades, tre ces indices du contact des barbares.
36o ou 356 ans avant l'ère vulgaire. Comme dans toutes les histoires
(*e) Dans la 108e olympiade, 348 ans
avant l'ère vulgaire. littéraires, c'est la poésie qui point
(*■/) Dans la 126e olympiade , 276 ans d'abord à l'horizon : dès le temps du
avant l'ère vulgaire. second Battos, Eugammon composait
(**) Dans la i65e olympiade, 120 ans
avant l'ère vulgaire. (*) vulgaire.
Dans la 80e olympiade, 460 ans avant
(**) La date est incertaine. l'ère
116 L'UNIVERS.
en deux chants son poëme de la Tèlé- son propre chef-d'œuvre. A ces noms
gonie, récit des dernières aventures géographiques, nous devons ajouter
d'Ulysse, de son arrivée chez les Thes- encore celui du cyrénéen Apellas,dont
protes , et de sa mort sous les coups l'âge est incertain, et qui n'est cité que
de Tèlégone. Il faut descendre ensuite dans l'abrégé d'Artémidore d'Éphèse
sous les Ptolémées pour rencontrer par Marcien d'Héraclée.
le lyrique Callimaque lui-même , qui r Parmi les divers précepteurs dont
flonssait à la cour de Philadelphe , et Ératosthènes avait pris les leçons à
dont il ne nous reste qu'un petit nom- Cyrène, on compte le grammairien
bre d'hymnes , des épigrammes , et Lysanias ; ce titre de grammairien
quelques fragments d'élégies; il ne n'était pas dédaigné, par Callimaque,
reste rien de son neveu , le poète épi- par Ister , ni par Ératosthènes lui-
que Callimaque le jeune. Et ce n'est même. Il est donné encore à un A^ol-
plus qu'à deâgelongs siècles province
d'intervalle, lodore, un Damon , un Démétrius-
au dernier de Cyrène des Stamnos, tous Cyrénéens aussi , mais
Romains, que Svnesios nous donnera dont l'époque est incertaine, et l'exis-
son nom à inscrire à côté de ces poètes, tence même à peine constatée.
pour les hymnes qui se trouvent parmi Dans le champ de l'histoire , le juif
ses œuvres. cyrénéen Jason composa en grec, vers
GÉOGRAPHES , GRAMMAIRIENS ; l'an 160 avant notre ère, sur les évé-
HISTOIRE, MÉDECINE, SCIENCES MA- nements de son temps touchant les
THÉMATIQUES. —Plutôt savant que Juifs, cinq livres de mémoires qui ser-
poète , Callimaque l'ancien avait écrit virent de guide au rédacteur du second
de nombreux ouvrages scientifiques, livre biblique des Machabées.
parmi lesquels il y en avait d'histoire Dès le temps d'Hérodote, l'école mé-
naturelle, et principalement de géo- dicale de Cyrène était vantée comme
graphie, sur les îles et les villes au la plus habile après celle de Crotone;
point de vue surtout de la nomencla- et pourtant aucune renommée indivi-
ture comparative, sur les fleuves de duelle ne s'est fait jour jusqu'à nous;
la terre, sur les choses remarquables et nous n'aurions pas un seul nom
des diverses contrées du monde. Il propre à prononcer dans cette catégo-
devait avoir, pour cette dernière scien- rie, si Sextus Empiricus n'avait men-
ce, une affection ou une aptitude par- tionné un traité de Polyante le Cyré-
ticulière, car la vocation des élèves néen, sur l'origine des Asclépiades ou
dépend presque toujours de celle du enfants d'Esculape.
professeur , et Callimaque compta Si nous passons aux sciences ma-
parmi ses disciples plusieurs géogra- thématiques, nous aurons à citer le
phes distingués: Philostéphanos, Is- géomètre Théodore , contemporain et
ter, et le grand Ératosthènes. Philo- ami de Socrate, et dont le divin Platon
stéphanos écrivit un livre des îles, cité vint à Cyrène écouter le docte ensei-
par quelques scholiastes; Ister, qui gnement; àmais mentionner
nous n'avons après pas d'au-
semble avoir été un esclave cyrénéen tre géomètre lui.
originaire des bords du Danube, avait L'astronomie ne nous offre également
composé un recueil de documents sur
qu'un seul nom , celui de Nicotélès ,
l'Attique, des Argoliques , et un livre dont nous ne savons d'ailleurs rien
des colonies de l'Egypte, dont on re- autre chose sinon qu'il avait écrit un
trouve quelques minces fragments chez mémoire contre l'astronome Conon de
les polygraphes ultérieurs; quant à Sa m os.
Ératosthènes, qui fut bibliothécaire École philosophique de Cy-
des Ptolémées à Alexandrie, il réunis- rène ,et autres philosophes cy-
sait les connaissances les plus variées, rénéens. — C'est la philosophie pro-
mais c'est prement dite cmi fit la renommée
dessus toutlasagéographie
renommée qui ; eta fait par-
Strabon littéraire de Cyrène ; et sur cette ma-
a puisé dans ses écrits le germe de tière l'antiquité nous a légué des no-
AFRIQUE ANCIENNE. 117
tions plus étendues ; mais il convient « d'argent , je viens à Denis. » S'il sol-
de nous borner à quelques indications licite letyran en faveur d'un ami (de
rapides, afin d'achever à grands traits Platon peut-être ! ), il ne rougit pas de
cette esquisse morale de Cyrène an- pousser ses instances jusqu'à se pros-
tique. terner et
; quand on a le courage de le
A la tête de tous les noms que nous lui reprocher, il s'écrie : « Est-ce ma
avons à inscrire ici, vient se placer, « faute, à moi , si Denis n'a d'oreilles
dans l'ordre chronologique comme « qu'à ses pieds? » Mais si Denis ne
dans l'ordre de célébrité, le fondateur lui donne à sa table que le dernier
de l'école cyrénéenne, le fameux Aris- rang : « Ah ! dit - il , on veut que cette
tippe, tant méconnu , tant calomnié, « place devienne la plus honorable. »
amant du plaisir et sachant le dédai- Et si le tyran ose dire qu'un philoso-
gner; cet homme à qui allaient égale- phe, en venant à la cour, n'est plus
ment bien , suivant l'expression d'Ho- qu'un esclave , de libre qu'il était au-
race^*)toutes
, toutes
les couleurs, toutescar lesil paravant :« Non, non, réplique aus-
conditions, les fortunes, « sitôt Aristippe; un philosophe n'est
portait avec la même grâce le manteau « point à la cour un esclave, s'il était
de pourpre ou la robe de bure, gar- « libre avant d'y venir. » Et quand on
dait auprès des tyrans la même liberté lui demande quel est le mérite d'un
d'esprittrait laque philosophe : « De n'avoir rien à chan-
mêmedans*ïa vie privée,
aisance à jouir etdesmon-
ri- « ger à sa vie, se borne-t-il à répon-
chesses et à s'en passer. Disciple de « dre , soit qu'il y ait ou n'y ait point
Socrate, il professa d'autres doctrines, « de lois. » Sa philosophie, voisine de
qu'il paraît n'avoir enseignées que sur celle d'Épicure , qui finit par l'absor-
ber, en différait pourtant en ce que la
ses
dansvieux sa patrie jours,, après quandavoir
"il fut
vécurentré
tour volupté se trouvait davantage, pour le
à tour à Athènes, à Égine, à Syracuse. Cyrénéen, dans le bien-être matériel,
Aucun de ses écrits ne nous est par- tandis que les jouissances intellectuelles
venu ,et l'on ne saurait juger saine- et morales tinrent une plus grande
ment de ses principes par les mé- place dans le système du dernier.
disances ou les calomnies de ses
L'école d'Aristippe se continua d'a-
détracteurs ; il semble résulter des bord par ses propres disciples, Anti-
mots graves ou piquants, sérieux ou pater de Cyrène, Ptolémée l'Éthiopien,
enjoués, qu'on lui attribue, qu'il re- et sa propre fille Arété, qui transmit
gardait lebien-être matériel comme sa doctrine à son fils, nommé Aristippe
un élément essentiel du bonheur; mais comme son aïeul , et surnommé, avec
qu'il faisait consister la sagesse à sa- juste raison, Métrodidacte ou élève
voir jouir des plaisirs sans leur accor- de sa mère. Mais bientôt la secte cy-
der assez d'importance pour les fuir rénaïque se partagea en trois subdivi-
comme un danger, ou pour subir leur sions, les Hégésiaques, les Annicériens,
empire comme celui d'un besoin indis- et les Théodoriens ; les premiers pro-
pensable. S'il va voir Lais, et qu'on fessaient les opinions d'Hégésias, dis-
lui en fasse reproche : « Elle est à ciple de Parébates, qui était disciple
« moi , répond-il ; mais je ne suis point d'Épitimèdes, disciple lui-même d'An-
« à elle. » Si son esclave est fatigué du tipater; les seconds eurent pour chef
poids de l'or dont il est chargé : « Ne un autre disciple de Parébates, Anni-
« porte que ce que tu pourras, lui dit- céris, qu'il ne faut pas confondre,
« il , et jette le reste. » Si on lui de- comme le fait Diogène de Laërte, avec
mande pourquoi il vient à la cour de son homonyme l'habile conducteur de
Syracuse, il répond : « Pauvre de quadriges, par lequel Platon fut ra-
« science , j'allais à Socrate ; pauvre cheté de l'esclavage ; les derniers sui-
virent les leçons de Théodore, disciple
(*) Oinnis Aristippum decuit color et status et res. d'Aristippe le jeune , et auteur d'un
Horace, Épures, I, xvn, v. 23. traité des dieux, qui le fit surnommer
118 L'UNIVERS.
tour à tour l'athée et le dieu : du nom- de sa nouvelle acquisition , pour se
bre de ceux-ci furent Bion de Borys- l'assimiler d'une manière plus com-
thène, renommé pour ses bons mots ; plète ou
, de prendre les choses dans
et Ëvhémère le Messénien , qui ensei- l'état où elles se trouvaient , en subs-
gna le premier tituant purementà et simplement
des rois. l'au-
dieux. Mais, enl'origine historiqueà des
nous bornant des torité du sénat celle Elle
noms cyrénéens, nous n'avons à ajou- prit ce dernier parti, laissant aux villes
ter àceux qui précèdent que Nicotélès, de la Pentapole leurs libertés munici-
frère et condisciple d'Annicéris ; et un pales, sebornant à prendre possession
Aristote, dont nous ne savons rien, des terres domaniales, dont les pro-
sinon que plusieurs élèves le quittè- duits durent être désormais et furent
rent pour aller écouter Stilpon de Mé- en effet versés au trésor : dès les pre-
gare. mières années de la domination ro-
Parmi les philosophes qui, nés à Cy- maine on voit figurer, parmi les re-
rène, n'appartiennent cependant point venus publics , trente livres de sil-
à la secte cyrénaïque, Strabon nous phion faisant partie des tributs de la
fait connaître Apollonius Cronos , de Cyrénaïque ; et Ton sait que plus tard,
au commencement de la guerre civile,
l'école de Mégare, professeur du dia- Jules César, dictateur, put retirer du
lecticien Diodore de Iassus, qui prit
lui-même, de son maître, le surnom trésor cent onze livres de cette pré-
de Cronos. Nous voyons plus tard La- cieuse matière. En résumé , ce fut le
cydes fils d'Alexandre, au temps de domaine utile que retinrent les nou-
Ptolémée-Évergète, briller au premier veaux maîtres du pays, laissant à leurs
rang dans la moyenne académie; Pto- sujets pleine liberté de se gouverner à
leur guise.
iémée , qui avait reçu , par l'intermé-
diaire d'Eubule et d'Euphranor, les Il était impossible , avec l'esprit
doctrines de Timon , essayer la res- versatile et turbulent des Cyrénéens,
tauration de l'école sceptique; puis qu'une telle latitude ne produisît pas
enfin Carnéades, qui florissait environ de déplorables résultats ; les divisions
170 ans avant notre ère, fonder la intestines recommencèrent, et du sein
nouvelle de l'anarchie surgit un despotisme
babil isme.académie , ou l'école du pro- tyrannique. Un récit anecdotique de
Et si l'on cherche encore à Cyrène, Plutarque peut nous donner une idée
dans les temps postérieurs, un philo- de la situation où se trouva bientôt
sophe àmentionner comme un loin- réduite sans
liberté Cyrène frein.par l'exercice de cette
tain reflet de l'ancien lustre de sa
patrie, on verra luire, au milieu de Tyrannie de Nicocrate , dé-
la nuit qui enveloppe alors les der- truite par Arétaphile. — Nico-
niers restes de la civilisation cyré- crate est le nom du tyran qui d'abord
néenne , le néo-platonicien Synésios , s'empara de l'autorité et la conso-
après lequel les lettres ne trouvent lida en ses mains par le meurtre d'un
plus un seul nom à prononcer. grand nombre de citoyens distin-
gués , entre autres de Mélanippe ,
VI. DOMINATION DES ROMAINS. grand prêtre d'Apollon, dont il prit
la place ; il fit aussi périr Phédime ,
Première période , jusqu'à la réduc- homme d'un rang illustre, dont il con*
tion en province : Epoque de dis- voitait la femme Arétaphile, fille d\Ê-
sension et de tyrannie. glator, aussi remarquable par sa gran-
de beauté que par sa prudence singu-
Première organisation de la lière et son aptitude à traiter des af-
domination romaine en lirye. — faires publiques; et ill'épousa malgré
En recueillant la succession des rois elle. Il commit une infinité d'autres
de Cyrène , Rome avait le choix , ou actes en violation des lois, si bien que
de changer les institutions politiques l'on se fût empressé de fuir pour se
AFRIQUE ANCIENNE. 119

soustraire à son horrible tyrannie, s'il « jugiez digne de mort l'épouse qui ,
n'eut eu la précaution de taire garder « par un breuvage d'amour, espérait
les portes avec une telle rigueur, qu'on « se faire chérir plus peut-être que
piquait même les cadavres, ou qu'on « vous n'aviez résolu. »
En entendant Arétaphile se défendre
les passait au feu, pour s'assurer que ainsi, Nicocrate ordonna seulement
des vivants ne tentaient pas de s'é-
chapper en faisant les morts. Ce mons- qu'elle fût mise à la question , laissant
tre farouche, que rien ne pouvait ap- à l'implacable Calbia le soin d'y prési-
privoiser se
, laissait pourtant subju- der ; mais Arétaphile supporta les
guer par son amour pour Arétaphile ; tourments avec tant de fermeté, se
pour elle seule il était doux et mania- tira avec tant d'avantage de toutes les
ble, et souffrait qu'elle jouit d'une épreuves , que Calbia , fatiguée elle-
grande autorité. Mais outre le poids même , fut forcée d'y renoncer, et que
de ses propres chagrins, elle avait le Nicocrate, persuadé de l'innocence de
poignant spectacle des malheurs de sa sa femme, lui rendit la liberté, plein de
patrie indignement soumise à de si regret des tortures qu'elle avait subies.
atroces épreuves : car on sacrifiait les Et bientôt il revint à elle plus amou-
citoyens l'un après l'autre , et il n'y reux que jamais , la comblant d'atten-
avait pas de vengeance à espérer de tions et d'honneurs.
la part de quelques exilés timides, Quant à elle, que la douleur et les
faibles et dispersés. tourments n'avaient pu faire céder,
Arétaphile sentait qu'en elle seule elle ne se laissa pas décourager; le
était l'espoir de son mais
pays, dénuée
et pleined'une soin de sa gloire et sa ténacité à rem-
noble résolution, de tout plir un noble dessein, lui firent pren-
secours, elle tenta de se débarrasser de dre d'autres voies. Elle avait une fille
son époux par le poison; comme elle assez à belle, et déjà
faisait ses dispositions, se procurait voir Léandre, frèrenubile , qu'elle
du tyran, fit
jeune
les drogues nécessaires, et essayait la homme facile à enflammer , et dont
force de ses préparations, la chose fut elle exalta , dit-on , par des prestiges
découverte ; après en avoir recueilli et deslire.philtres,
les preuves, Calbia, mère de Nicocrate, Et lorsque,latombé passiondans
jusqu'au dé-
le piège,
femme sanguinaire et implacable , il eut, à force de prières, obtenu de
opina pour qu'Arétaphile , honteuse- son frère la main de la jeune fille ,
ment traitée, fût mise a mort sur-le- celle-ci, sous l'inspiration de sa mère,
champ. Mais l'amour retenait Nico- lui insinua l'idée de délivrer sa patrie
crate et lui ôtait le courage de sévir, d'une tyrannie sous laquelle il ne lui
d'autant plus qu'Arétaphile repoussait était pas permis de vivre en liberté et
vivement l'accusation et soutenait son de prendre ou de garder une épouse;
innocence. Voyant cependant qu'elle pendant que d'un autre côté les amis
ne pouvait tout nier absolument, elle d'Arélaphile lui suggéraient officieu-
avoua qu'en effet elle avait voulu pré- sement de calomnieux soupçons con-
parer un breuvage , mais non pour tre son frère. Léandre ayant compris
causer le trépas : « Il s'agissait pour que les idées d'Arétaphile étaient d'ac-
« moi , dit-elle , d'une chose impor- cord avec les siennes , se mit à l'œu-
« tante; car les honneurs dont je jouis, vre, gagna le chambellan Daphnis , et
« l'autorité que je dois à votre bien- par son moyen parvint à tuer Nico-
« veillance , ont excité contre moi les crate.
« dangereuses jalousies de beaucoup Tyranniede Léandre, détruite
« de femmes; craignant leurs breuva- également par aretaphile. —
« ges et leurs artifices, j'ai voulu aussi Léandre ne remplit point ensuite l'at-
« recourir à de semblables moyens : tente d'Arétaphile, et montra au con-
« imaginations vaines et féminines , traire, par sa conduite inhabile et hau-
« §ans doute, mais non punissables taine, qu'il avait bien été un fratricide,
« du supplice ; à moins que vous ne mais non un tyrannicide. Arétaphile
120 L'UNIVERS.
conservait toutefois auprès de lui son été en présence de l'image de quelque
rang et son autorité , ne montrant divinité ; et comme ils affluaient les
elle-même ouvertement à son égard uns après les autres , ils ne purent
ni hostilité ni répugnance ; mais elle emmener Léandre et rentrer dans la
faisait silencieusement ses disposi- ville que le soir. Là , après avoir sa-
tions. Elle excita d'abord à la guerre tisfait lebesoin qu'ils avaient de re-
contre Léandre, Anabos, chef des Li- mercier et de bénir Arétaphile , ils
byens du voisinage, qui fit des incur- s'occupèrent enfin des tyrans : Calbia
fut brûlée vive, et Léandre, cousu dans
sions dans le pays, et s'avança en ar-
mes contre la ville; puis elle repré- un sac, fut jeté à la mer.
senta à son gendre que ses amis et On supplia Arétaphile de se joindre
ses généraux, peu disposés à la guerre, aux sénateurs pour gouverner et ad-
ne cherchaient que la paix et le repos ; ministrer lacité ; mais elle , comme
qu'au surplus, c'était le parti qui con- s'il se fût agi d'une pièce de théâtre
venait le mieux à ses intérêts s'il vou- en plusieurs actes qu'elle aurait enfin
lait affermir son autorité sur ses con- conduite jusqu'au dénoûment , dès
citoyens et
: elle offrit en même temps qu'elle vit la liberté rétablie, elle ren-
de s'entremettre de la paix, se faisant tra aussitôt dans le gynécée , et refu-
forte d'amener Anabos à une confé- sant de se mêler en rien des affaires
rence avec lui, s'il le souhaitait, avant publiques, elle passa le reste de sa vie
que les hostilités eussent amené quel- à filer sa quenouille au milieu de sa
que dommage irréparable. famille et de ses amis.
Léandre lui ayant ordonné d'agir Intervention de Lucullus ; sé-
dans cette voie , elle eut d'abord une duction DE LA. CyBENAÏQUE EN
entrevue avec le Libyen, et obtint de province. — La perturbation causée
lui, à force de présents et de promes- par ces événements n'était point en-
ses ,qu'il s'engageât à se saisir de core effacée , quand le fameux Lucius
Léandre quand il viendrait pour con- Licinius Lucullus aborda à Cyrène.
férer avec lui. Cependant Léandre Il avait accompagné Syila comme ques-
hésitait; néanmoins, par honte vis-à- teur dans la guerre contre Mithridate,
vis d'Arétaphile qui déclarait vouloir et pendant que l'armée campée autour
assister à la conférence , il s'y rendit d'Athènes avait ses convois interceptés
sans armes et sans escorte; mais lors- par la Hotte ennemie , il était envoyé
qu'en approchant il aperçut Anabos, en Libye et en Egypte pour y rassem-
il se mit à tergiverser, à vouloir qu'on bler des vaisseaux (*) , afin de faire
apostat des satellites; sa belle-mère, cesser cet état de choses. A son arri-
de son côté, le rassurait, le grondait; vée àCyrène, Lucullus trouva la po-
et enfin , comme il tardait trop long- pulation encore en proie à l'agitation
temps, elle le saisit hardiment par la et au désordre causés par les révolu-
main , et le conduisit bel et bien au tions intérieures dont elle venait d'être
barbare, et le lui livra. Léandre, ar- le théâtre , et il mit ses soins à y ré-
rêté aussitôt par les Libyens, fait pri- tablir lebon ordre et la tranquillité :
il se souvint, à cette occasion, de la
son ier, etgarrotté, fut gardé jusqu'à
ce que les amis d'Arétaphile , accom- réponse que jadis Platon avait faite
pagnés par le reste des citoyens, vins- aux Cyrénéens qui lui demandaient des
sent apporter la récompense promise. lois : « Qu'ils étaient trop riches pour
Car la plupart, à la nouvelle de ce « cela; attendu que nul n'est plus dif-
qui se passait, accoururent au lieu de « ficile à gouverner que l'homme fa-
la conférence, et en voyant Arétaphile, « vorisé par la fortune, tandis qu'au
peu s'en fallut qu'oubliant leur colère « contraire nul n'est plus souple et
contre le tyran , ils ne négligeassent « plus docile que l'homme dans la dis-
d'en
plus tirer
pressévengeance , n'ayant'rien
que de venir, de
en pleurant (*) Au commencement de l'année 86
de joie, la saluer comme s'ils eussent avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 121
« grâce. » Le temps était venu où les bun du peuple Publius Servilius Rullus
Cyrénéens devaient se trouver dans proposa une loi agraire , dont le but
les dispositions convenables pour re- apparent était de procurer aux citoyens
cevoir avec soumission les lois qui pauvres des terres en Italie : ces terres,
leur seraient données; et cette cir- qu'on leur aurait gratuitement distri-
constance rendit plus facile la tâche buées, ifallait
l les acheter, et pour cela
de Lucullus , qui sans doute ne fit amasser des sommes immenses desti-
qu'assurer de nouveau l'observation nées àles payer; et Rullus proposait
des institutions anciennes. Après avoir d'y pourvoir en faisant vendre aux en-
pourvu à ce que lui paraissaient exi- chères, pardix commissaires spéciaux,
ger les besoins locaux , il poursuivit les terres domaniales de la république
sa mission et se rendit en Egypte. dans les provinces : les champs de la
Puis , lorsque douze ans après Lu- Cyrénaïque étaient formellement com-
cullus fut parvenu au consulat (*), la pris dans cette opération.
Bithynie, queNicomède venait de lé- du consul a rendu célèbre L'éloquence
ce projet de
guer aux Romains , et la Cyrénaïque loi , dont il sut avec tant d'habileté
qu'ils avaient reçuefurent d'Apion faire prononcer le rejet ; et les cam-
ans auparavant, à la vingt-deux
fois, ainsi pagnes cyrénéennes restèrent nomina-
que nous l'apprend Appien , réduites lement un domaine de l'État, pendant
en provinces de l'empire. qu'elles étaient envahies en réalité
A quelques années de là , l'île de par des usurpations privées, ainsi que
nous le verrons en son lieu.
Crète, qui s'allonge en face des côtes
libyennes , ayant été conquise par L'éloquence de Cicéron a de même
Quintus Cecilius Metellus, et réduite consacré la mémoire du procès in-
aussi en province (**), on pourrait con- tenté àCnéus Plancius, édile curule(*),
parMarcus Juventius Laterensis, son
clure d'un rapprochement fait par concurrent évincé, qui, parmi ses
Eutrope dans* une rédaction un peu
équivoque, que dès lors furent réunies titres aux suffrages du peuple, faisait
en une seule province la Crète et la valoir ses services comme questeur de
Cyrénaïque, bien que cette réunion ne la Cyrénaïque, où il avait su se mon-
trer àla fois libéral envers les officiers
soit incontestable qu'à dater de l'em-
pereur Auguste, et que dans l'inter- du fisc , et juste envers une population
alliée. Il accusait Plancius de lui avoir
valle la Crète d'une part et la Cyré-
enlevé, par la brigue et la corruption,
trouvéesnaïque entre
de l'autredesse mains
soient diverses
derechef:
une charge à laquelle il croyait avoir
car l'attribution des provinces n'eut plus de
dans droits; mais
la balance Cicéron
le poids "vint talent
de son jeter
dans le principe aucune fixité, et dans
la répartition annuelle qui en était en faveur de Plancius, et l'ancien
faite entre les consuls et les préteurs, questeur de Cyrène fut débouté de ses
on en réunissait souvent ensemble
poursuites.
La Cyrénaïque suit le parti
deux ou trois sous un même gouver-
neur, ainsi que Dion Cassius a eu soin de Pompée. — Au temps des guerres
d'en faire la remarque expresse. civiles , lorsque Jules César et Pompée
se disputaient l'empire, la Cyrénaïque
Seconde période, depuis la réduc- dut se trouver d'abord , avec tout l'O-
tion en province jusqu'à Auguste: rient, entraînée dans le parti de Pom-
Époque des guerres civiles. pée du
; moins.aprèslabatailledePhar-
sale(**), la flotte aux ordres de Caton
Cause de la. Cyrénaïque plai- vint-elle, avec les restes considérables
dée par Cicéron. — On sait que , de l'armée vaincue, y chercher refuge
sous le consulat de Cicéron (** *), le tri-
et s'y enquérir des nouvelles du fugi-
(*) L'an 74 avant l'ère vulgaire.
(**) L'an 65 avant l'ère vulgaire. (*) L'an 54 avant l'ère vulgaire.
(***) L'an 63 avant l'ère vulgaire. (**j L'an 48 avant l'ère vulgaire.
122 L'UNIVERS.
tif ; elle aborda au port de Paliouros , d'Antoine. — Mais , quand ces deux
en face de File de Platée; ce fut là chefs eurent été détruits à la double ba-
qu'on
de apprit lade mort
la bouche du grand
son fils Sextus Pompée,
et de sa taille de Philippes(*),et que les trium-
virs se partagèrent l'empire , Antoine
veuve Cornélie, qui s'étaient enfuis de s'attribua la mission d'aller réduire les
la rade de Péluse, et après avoir tou- provinces de l'Orient pour leur compte
ché à Chypre, avaient été portés par commun ; puis, lors du traité qui scella
les vents au port même où arrivaient par le mariage d'Antoine avec la fille
Caton et les siens. La se séparèrent d'Octavien la réconciliation de ces
dans diverses directions plusieurs des deux rivaux (**), dans le partage
chefs , quidun'espéraient
clémence vainqueur, plus
entrequ'en
autresla qu'ils se firent du monde romain ,'&
l'exception de l'Italie qui demeurait in-
Caius Cassius, qui alla peu après se divise Octavien
, prit l'Occident , et
rendre à César dans Alexandrie; mais Antoine
le plus grand nombre persista dans mite l'Orient, choisissant
commune entre ces deux pour
immen-li-
son dévouement à la cause des fils de ses départements , dans le nord la
Pompée. De Paliouros on vint à Cy- ville de Scodra en Illyrie, et dans le
rène; d'abord la ville ferma ses portes sud l'Afrique propre qu'on abandon-
à Labiénus, mais le port reçut la nait àLépide pour son lot.
flotte , qui de là se rendit en Afri- Antoine, subjugué par les charmes
que (*) , où allait se trouver le théâtre et l'adresse de la trop fameuse Géo-
de la guerre. pâtre, se montra prodigue envers elle
Lorsqu'après la mort de César (**) de ses provinces, comme il l'était de
on changea la distribution qui avait son temps, de ses trésors, de sa gloire,
naguère été faite des provinces entre de son honneur même ; il ne se con-
les magistrats, que la Syrie fut retirée tenta point d'agrandir les domaines de
à Cassius pour être donnée à Dola- la reine
bella , et la Macédoine retirée à Bru- bie, de lad'Egypte
Judée, deaux ladépens de l'Ara-
Phénicie, de la
tus pour être donnée à Antoine, ce- Celésyrie, qui appartenaient à des
lui-ci, daprès ce que raconte Appien, princes tributaires et amis; il lui ren-
fit assurer aux deux officiers ainsi dé- dit encore des pays dont Rome elle-
pouillés de leurs provinces, et envers même avait pris possession , et c'est
lesquels il voulait cependant garder ainsi que la Cyrénaïque rentra avec
quelque apparence de ménagement, Chypre sous le sceptre des Ptolé-
la Cyrénaïque et la Crète; suivant une mées (***). Cependant on le vit, trois
autre version recueillie par le même ans après (****), se déclarant publique-
historien, Cassius les aurait eues toutes ment l'époux de Cléopâtre, et procla-
deux, et c'est la Bithynie qu'on aurait mant rois les enfants qu'il avait eus
accordée à Brutus. Mais comme Cicé- délie, disposer encore en maître de
ron , dans une de ses Philippiques ces mêmes provinces, et faire de la
contre Antoine, rappelle expressément Cyrénaïque la dot future de sa filie
que la Crète avait été attribuée à CÏeopâtre-Sélene, la même qui depuis
Brutus avec le titre de proconsul , il fut mariée à Juba le jeune, roi de Mau-
ritanie.
semble qu'on en doit conclure que la TÉMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE
première version est plus exacte, et
DES JUIFS DE BÉRÉNICE ENVERS
que la Cyrénaïque et la Crète se trou-
vaient alors encore séparées, celle-ci Marcus Titius. — A cette époque
étant dévolue à Brutus, celle-là for- se rapporte, suivant l'opinion du docte
mant le département de Cassius. Fréret, une inscription grecque gravée
La Cyrénaïque entre dans le lot
(*) L'an 42 avant l'ère vulgaire.
(*) Il s'agit de l'Afrique propre, distin- (**) L'an 40 avant l'ère vulgaire.
guée de la Libye. (***) L'an 36 avant l'ère vulgaire.
(**) L'an 44 avant l'ère vulgaire. (****) L'ai; 33 avant l'ère vulgaire.
123
AFRIQUE ANCIENNE.
sur marbre blanc, venue originaire- la jeune princesse sa fille , dans le
ment de la Cyrénaïque, transportée royaume qui venait de lui être attri-
plus tard de Tripoli de Barbarie à Aix bué. D'autres critiques ont opté pour
en Provence, et dont voici la traduc- une époque plus ancienne , et d'autres
tion française : pour une date plus moderne : la ques-
tion dépend, à cet égard, de l'ère à la-
« semblée *55,
« L'an de lela 25fêtede des
paophi, en l'as4,
Tabernacles
« sous l'archontat de Cléandre fils de inscritequelleendoit être
tête rapportée l'année
de ce décret; 55e
les uns
« Stratonicus , d'Euphranor iils d'A- optent pour le commencement de la
« riston , de Sosigène fils de Sosippe, domination romaine en Cyrénaïque ,
« d'Andromaque fils d'Andromaque , les autres pour la réforme législative
«de Marcus Lélius Onasion fils d'A- de Lucullus, ceux-ci pour la réduction
« pollonius , de Philonide fils d?Agé- en
du province,
calendrier ceux-là Julien pour l'adoption
à Alexandrie:
« mon , d'Autoclès fils de Zenon , de
« Sonicus fils de Théodote, et de Jo- chaque hypothèse a ses arguments et
« seph fils de Straton ; ses difficultés, et il est difficile de
« D'autant que Marcus Titius fils prendre un parti définitif au milieu de
«de Sextus, de la tribu Emilia , per- toutes ces incertitudes.
« sonnage excellent, depuis son avé- Antoine perd la. Cyrénaïque
« nement à la préfecture s'est com- et l'empire. — Nous voici arrivés
« porté dans les affaires publiques avec au moment où la bataille d'Actium (*)
« beaucoup d'humanité et d'intégrité, allait décider de l'empire du monde. La
« et qu'ayant marqué dans sa conduite fuite de Cléopâtre détermina le départ
« toutes "sortes de bontés , il continue et la défaite d'Antoine, qui la suivit à
« d'en user de même , et non - seule- Parétonion , d'où il la laissa revenir
« ment se montre humain dans les
seuleà Alexandrie, déterminé qu'il était
« choses générales, mais aussi à l'égard en apparence à faire quelques disposi-
« de ceux qui recourent à lui pour leurs tions militaires pour la continuation de
«affaires particulières, traitant sur- la guerre. Il avait, dans la Cyrénaïque,
« tout favorablement les Juifs de notre quatre légions commandées par Pina-
«synagogue, et ne cessant de faire rius Scarpus, un de ses lieutenants,
« des actions dignes de son caractère et il voulut les appeler auprès de lui;
« bienfaisant :
mais Scarpus refusa d'obéir, fit tuer
« A ces causes, les chefs et le corps les courriers que lui dépêchait An-
« des Juifs de Bérénice ont ordonné toine, et même quelques soldats qui
« qu'il serait prononcé un discours à élevaient la voix pour blâmer une telle
« sa louange , et que son nom serait conduite; et il livra Cyrène et ses
« orné d'une couronne d'olivier avec quatre légions à Gallus, lieutenant
« le lemnisque, à chacune de leurs as- d'Octavien. Antoine alors se rendit
« semblées publiques , et à chaque re- lui-même à Alexandrie, pendant que
« nouvellement de lune; et qu'à la di- Gallus venait, avec les légions de Scar-
« ligence desdits chefs la présente pus, s'emparer lui-même de Paréto-
« délibération soit gravée sur une co- nion; le triumvir espéra qu'il pour-
« lonne de marbre de Paros , qui sera rait, en faisant directement appel à
« érigée au lieu le plus distingué de ces vieux soldats qui avaient com-
« l'amphithéâtre. battu sous lui , les ramener à sa cause,
« Voté à l'unanimité. » et ressaisir ainsi la place importante
Il s'agit, comme on voit, d'actions que la défection de Scarpus venait de
de grâces décernées par les Juifs de Bé- lui faire perdre: il reprit donc, avec
rénice au gouverneur romain Marcus une flotte et quelques troupes, la route
Titius, à raison de sa conduite pleine de Parétonion ; sa flotte entra sans
d'humanité envers eux ; Fréret pense obstacle dans le port, et lui-même
que la mission de Titius émanait d'An-
toine, et se liait à la proclamation de (*) L'an 3i avant l'ère vulgaire.
124 L'UNIVERS.

s'avança vers ses anciennes légions; rée consulaire , la Cyrénaïque fut ran-
mais comme il voulut leur parler, gée parmi les prétoriales. Les bornes
Gallus fit aussitôt couvrir le son de sa de cette dernière province étaient alors
voix par les fanfares de ses trompettes, marquées , en ce qui concerne la por-
et rendit de ce côté ses efforts inu- tion continentale, par les autels des
tiles; illui fit même souffrir, dans Philènes à l'ouest, et le grand Cata-
bathme à l'est; et cette délimitation
une sortie, quelque désavantage. D'un
autre côté, des chaînes d'abord ca- persista
Rescrits jusqu'au
en règne
faveurd'Adrien.
des Juifs
chées sous l'eau s'étaient tendues à
l'entrée du port, et les vaisseaux, blo- cyrénéens. — D'après le récit de Fla-
qués, attaqués de toutes parts, étaient vien Josèphe , les Juifs de Libye ainsi
coulés à fond ou brûlés, et il n'en put que ceux des provinces asiatiques, se
voyant fort maltraités par les Grecs,
échapper
sait le reste qu'un très-petitla nombre.
: désormais On
Cyrénaïque qui lesgent et deaccusaient
leur être d'exporter
à charge en detoutes
l'ar-
et l'empire tout entier étaient dévo- choses , furent contraints de recourir
lus à Octavien, à qui il ne manquait
plus que le titre d'Auguste , créé tout àrescrits
la justice auxd'Auguste,
magistratsquiprovinciaux,
adressa des
exprès pour lui quelque temps après.
et notamment à Flavius, préteur de
Troisième période , depuis Auguste Libye (*), pour qu'on ne troublât plus
les réclamants dans l'exercice de leurs
droits.
jusqu'à rection
Trajan des Juifs: cyrénéens.
Époque d'insur-
Malgré ces ordres précis , ils se
La Cyrénaïque comprise dans trouvèrent gênés de nouveau dans leurs
le lot du sénat. — Au commen- libertés , et réitérèrent leurs plaintes ,
cement de cette ère nouvelle qui
qui donnèrent lieu à un rescrit d'A-
commençait pour Rome avec des ins- grippa (**) , dont la teneur nous a été
conservée par Josèphe, et que nous
titutions* où tous les pouvoirs des croyons devoir transcrire ici :
grandes charges de l'ancienne répu-
blique venaient se concentrer entre « Marcus Agrippa, aux magis-
les mains d'un seul homme, quelques « trats et au sénat de Cyrène, salut.
dehors pourtant semblaient être con- « Les Juifs qui demeurent à Cyrène
servés pour témoigner du respect de « nous ayant fait des plaintes de ce
ce magistrat suprême envers le sé- ««àqueFlavius
, encorepréteur
qu'Auguste ait ordonné
nat et le peuple; et il leur abandonna de Libye, et aux
le gouvernement direct des provinces « officiers de cette province , de les
dont la tranquillité ne rendait point « laisser dans une pleine liberté d'en-
nécessaire l'active surveillance du gé- « voyer de l'argent sacré à Jérusalem,
néralis ime des armées, ou empereur. « comme ils ont de tout temps cou-
La Cyrénaïque , réunie à la Crète en « tume de le faire, il se trouve des
une seule province, était du nombre « gens assez malveillants pour préten-
de celles qui furent ainsi attribuées au « dre les en empêcher , sous prétexte
sénat (*) ; dans la même catégorie se « de quelques tributs dont ils les disent
trouvait aussi l'Afrique avec la Nu- «redevables, mais qu'ils ne doivent
midie; en sorte qu'au sud de la Mé- « point en effet ;
diter anée, lelot du sénat se trouvait « A ces causes , nous ordonnons
compris entre la Mauritanie encore « qu'ils seront maintenus dans la jouis-
aux mains de .Tuba , et l'Egypte dévo- « sance de leurs droits, sans qu'ils
lue àl'empereur ; l'Afrique fut décla- « puissent y être troubiés ; et que si
« dans quelque ville on avait diverti
(*) Ce partage des provinces fut fait le « de l'argent sacré , il soit restitué aux
i3 janvier de l'an 27 avant l'ère vulgaire;
et ce fut quatre jours après qu'Octavien re- (*) L'an i5 avant l'ère vulgaire.
çut le titre d'Auguste. (**) L'an 14 avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 125
« Juifs par des commissaires nommés commises sur les terres autrefois pos-
« à cet effet. » sédées par le roi Apion , et par lui lé-
Ces dispositions assurèrent peut-être guées ,avec tout son royaume , au
la tranquillité des Juifs pour le reste peuple romain; les propriétaires voi-
du règne d'Auguste; mais les vexa- sins s'en étaient emparés chacun à sa
tions devaient recommencer pour eux convenance, et ils se fondaient sur
bientôt après la mort de ce grand em- l'ancienneté de leur injuste possession
pereur. comme sur le titre le plus équitable.
Une simple mention de l'historien Le juge ayant prononcé le retrait des
Florus , répétée par Jornandes , nous terres usurpées, il en était résulté à
apprend mettrequ'Auguste son égard de grandes animosités, et on
les Marmaridesenvoya pour etsou-
insurgés les avait porté plainte contre lui au sénat,
Garamantes , Publius Quirinius, le qui déclara n'avoir point connaissance
de la mission donnée par Claude , et
même sans doute qui avait, peu d'an-
nées auparavant , procédé par ses renvoya les parties devant l'empereur.
ordres au recensement de la Syrie , à Néron, après avoir approuvé l'arrêt
l'époque où naquit Jésus-Christ, ainsi d'Acilius dant ilvoulait Strabose ,montrer ajouta que cepen-à
favorable
que le rapporte i'évangéliste saint Luc.
Quirinius fut victorieux, et il eût pu des alliés, et qu'il leur abandonnait les
se parer, à cette occasion , du surnom domaines qu'ils s'étaient appropriés.
Insurrection du zélateur juif
de Marmaricus , s'il n'eût eu la mo-
destie de priser moins haut les avan- Jonathas. — Sous le règne de Vespa-
tages qu'il avait remportés. sien , qui avait jadis été lui-même ques-
Procédures intentées par les teur de Cyrène et de Crète, la Cyrénaï-
Cyrénéens contre divers offi- que fut troublée par une sorte d'insur-
ciers romains. — Sous Tibère, Cé- rection parmi la population juive du
sius Cordus était proconsul de Crète pays. On sait que Judas leGaliléen,
et de Cyrène; il commit des exactions dont il est parlé dans les Actes des apô-
qui soulevèrent contre lui les Cyré- tres, avait été le fondateur d'une secte
néens , et les déterminèrent à s'en de fanatiques ennemis de toute sou-
plaindre devant l'empereur; Ancharius mission aux pouvoirs terrestres, sur-
Prisais porta contre lui une accusa- tout àla domination étrangère ; que
tion de concussion , en y ajoutant celle cette secte , grossie plus tard des restes
de lèse-majesté , qui était alors comme de toutes les factions vaincues, et des
le complément obligé de toutes les au- malfaiteurs toujours disposés à se met-
tres (*); la plainte des Cyrénéens fut tre en révolte contre les lois qui les con-
reconnue fondée, et sur la poursuite damnentcouvrant
, leurs brigandages
d'Ancharius
condamné Priscus comme ,concussionnaire.
Césius Cordus du prétexte d'un
fut dépendance nationale ardent
zèle , joua pour
un l'in-
rôle
Sous Néron, Pédius Blésus, à son important dans la défense de Jérusa-
tour, fut accusé par les Cyrénéens lem contre les Romains; après la sou-
d'avoir pillé le trésor du temple d'Es- mission de la Judée, un assez grand
culape , et de s'être laissé corrompre nombre de ces Zélateurs, ou comme'
par argent ou par intrigue dans les nommaient eux-mêmes, de cesilsSi-
se
opérations du recrutement militaire; caires ou assassins, comme les appe-
le coupable fut exclu du sénat (**). lait la voix publique, s'étaient sauvés
Les Cyrénéens se plaignaient en même à Alexandrie, en y portant l'esprit de
temps d'AciliusStrabo, qui avait exercé rébellion qui les caractérisait; mais il
les fonctions de préteur, avec une mis- fut coupé, court aux menées révolu-
sion spéciale de l'empereur Claude, tionnaires qu'ils y avaient entreprises,
pour prononcer sur les usurpations en les livrant aux magistrats romains;
plus de six cents furent exterminés, et
(*) L'an ai de l'ère vulgaire. l'on poursuivit jusqu'à Thèbes ceux
(**) L'an 5g de l'ère vulgaire. qui s y étaient réfugiés.
126 L'UNIVERS.

Mais l'un d'eux , un tisserand nommé le convaincre d'un si grand crime, il se


Jonathas activement , qui s'était àenfui à Cyrène , servit de ce même Jonathas et de quel-
travailla la résurrection ques-uns de sa faction , prisonniers
de son parti au moyen du rôle de pro- avec lui , pour dénoncer comme cou-
phète qu'il s'attribua; et ses annonces pables les gens les plus honorables de
de prodiges et de miracles ayant ras- cette nation qui demeuraient à Alexan-
semblé autour de lui la canaille juive drie et à Rome, et du nombre desquels
du pays, jl se trouva à la tête de deux était l'historien Josèphe lui-même.
mille misérables, avec lesquels il alla « Après avoir concerté une si grande
camper au désert (*). Les principaux méchanceté , et ne doutant point de
d'entre les Juifs avertirent de ce trou- réussir dans son détestable dessein ,
ble naissant Catullus, préteur de Li- il alla à Rome, y mena Jonathas en-
bye , qui envoya contre les insurgés chaîné, et ces autres calomniateurs.
des troupes de pied et de cheval ; ils Mais il fut trompé dans son espé-
furent entourés, tués pour la plupart, rance ;car Vespasien , ayant conçu
quelques-uns faits prisonniers et con- quelque soupçon , voulut approfondir
duits àCatullus ; l'auteur du mouve- la vérité; et quand il l'eut reconnue,
il déclara innocents, à la sollicitation
ment, Jonathas, parvint alors à s'é- de Titus, Josèphe et les autres qui
chapper, mais il fut recherché avec
soin dans tout le pays, arrêté, et amené avaient été si faussement accusés; et
devant le préteur : alors , pour retar- pour punir Jonathas comme il le mé-
der sa punition, il entraîna Catullus à ritait,il le fit brûler tout vif après
des iniquités au moyen de prétendues l'avoir fait battre de verges.
révélations qui désignaient les Juifs les Punition céleste des crimes
plus riches comme les promoteurs se- de Catullus. — « Quant à Catullus ,
crets de l'insurrection. la clémence des deux princes le sauva.
Exactions et cruautés du pré- Mais bientôt après il tomba dans une
teur Catullus a l'égard des Juifs. maladie incurable et si horrible , que,
— « Cet avare gouverneur » , ainsi que quelque extraordinaires et insupporta-
le raconte l'historien juif Flavien Jo- bles quesentaitfussent en tout son les douleurs qu'il res-
corps, celles qui
sèphe, « prêta volontiers l'oreille à bourrelaient son âme les surpassaient
une si grande calomnie , y ajouta même
encore de beaucoup. Il était agité sans
encore afin qu'il parut en quelque sorte cesse par des frayeurs épouvantables ,
avoir terminé lui-même la guerrecontre
les Juifs ; et pour comble de méchan- criait qu'il voyait devant ses yeux les
ceté, ilexcita ces scélérats de sieaires fantômes de ceux qu'il avait injuste-
à employer de nouvelles suppositions ment livrés au supplice ; et ne pouvant
pour perdre ces innocents. Il leur or- demeurer en place, il se jetait hors du
donna particulièrement d'accuser un lit comme s'il y eût été sur la roue
ou sur un brasier. Ses maux presque
juif nommé Alexandre, qu'au su de inconcevables allèrent toujours en
tout le monde il haïssait depuis long-
temps, et il le fit mourir avec sa augmentant, et enfin ses entrailles
femme Bérénice, qu'il enveloppa dans étant toutes dévorées par le feu qui le
la même accusation. Il fit ensuite consumait, il finit sa vie coupable par
mourir aussi trois mille autres Juifs, une mort telle , que jamais Dieu n'a
dont le seul crime était d'être riches, manifesté d'une manière plus remar-
sans qu'il crût avoir rien à craindre, quable la grandeur des peines que les
parce que, se contentant de prendre méchants doivent attendre de sa jus-
leur argent, il confisquait leurs terres tice. »
au profit de l'empereur; et pour ôter Josèphe a sans doute exagéré outre
à ceux qui demeuraient en d'autres mesure les tourments endurés par le
provinces le moyen de l'accuser et de préteur de Libye qui avait sévi contre
ses coreligionnaires. Divers savants
(*) L'an 72 de l'ère vulgaire. ont cru que ce magistrat était le même
AFRIQUE ANCIENNE. 127
que Catullus Messallinus mentionné mille le nombre des personnes qui ,
par Pline le jeune comme un homme dans la seule Cyrénaïque, périrent dans
sans hésitation, sans pudeur, sans pi- cette épouvantable boucherie; les Juifs
tié, fameux par ses méfaits et ses ar-
rêts sanguinaires. Quelques-uns ont exemple, d'Egypte etmassacrèrent de Chypre/excités
de leurparcôté
cet
pensé aussi que les hallucinations deux cent quarante mille victimes.
dont il était tourmenté avaient fourni En vain les Grecs de Libye avaient
Je sujet d'une pièce de théâtre citée tenté d'arrêter ce torrent furieux ; ils
par Juvénal sous le titre de Phasma avaient été battus à la première ren-
Catulli.
contre, et s'étaient sauvés à Alexan-
Nouvelle insurrection des Juifs drie, où ils avaient immédiatement
sous Trajan. — Sous le règne de Do- fait main-basse sur toute la population
mitien, il y eut un sénateur nommé juive de cette capitale, tandis que celle
Cécilius Ruflnus, que le nouvel au- qui était répandue dans le plat-pays
guste, exerçant la charge de censeur (*), vint, avec Lucua son chef, qu'Eusèbe
crut devoir rayer de la liste du sénat, décore même du titre de roi , se réunir
parce qu'il aimait à danser: peut-être aux révoltés de la Cyrénaïque. Trajan
est-ce à ce même personnage qu'il faut prit de sérieuses mesures pour remé-
rapporter une inscription où l'on voit dier à ces désordres : il envoya en
figurer Quintus Cécilius Rufinus avec Libye des troupes d'infanterie et de
Je titre de proconsul de Crète et de cavalerie, et même une armée navale,
Cyrène. le tout sous le commandement de Mar-
Sous Trajan , en la dix-huitième an- cius Turbo, l'un des plus vaillants ca-
née du règne de ce prince (**), une in- pitaines de ce temps, qui devint peu
surrection générale des Juifs, née dans d'années après préfet du prétoire.
la Cyrénaïque et propagée dans les Turbo réduisit en effet les rebelles,
contrées voisines, donna au monde le mais ce ne fut qu'à force de combats
spectacle des plus horribles atrocités. et de temps , ayant affaire non-seule-
Voyant l'empereur engagé dans les
la ment aux Juifs cyrénéens, mais en
guerre contre les Parthes, et toutes même temps à tous ceux de l'Egypte ,
forces de l'empire tournées vers l'O- qui étaient accourus à l'appel de leur
rient, ils avaient cru l'occasion favo- roi ; en sorte que la guerre se prolon-
rable pour recouvrer leur indépen- gea jusqu'à l'avènement d'Adrien (*),
dance les
: Juifs cyrénéens donnèrent et que ce fut seulement au commen-
le signal ; ayant mis à leur tête un des cement de ce nouveau règne que Mar-
leurs, nommé André, ils s'excitent au cius Turbo, ayant enfin complètement
massacre des Grecs et des Romains réprimé les Juifs de Libye, put être en-
au milieu desquels ils vivaient, et s'il voyé contre les Maures d'Afrique.
en faut croire Dion Cassius , ils man-
gent les chairs de leurs victimes , dé- Quatrième période, depuis Adrien
vorent leurs entrailles , se frottent le
corps de leur sang , se vêtent de jusqu'à Théodose le Grand: Épo-
tratives.que de réorganisations adminis-
leur peau ; ils les scient en long par le
milieu , ou bien ils les livrent aux
bêtes féroces , ou les font combattre Changement de limites sous
entre eux jusqu'à la mort comme des Adrien. — Les déprédations des in-
gladiateurs : affreuses représailles des surgés avaient tellement désolé la Li-
scènes de l'amphithéâtre où ces maî- bye, qu'elle serait demeurée presque
tres du monde amusaient la populace déserte , et inculte faute d'habitants ,
de Rome par de semblables horreurs. si Adrien n'eût rassemblé de tous
Dion fait monter à deux cent vingt côtés des colons pour y fonder de nou-
veaux établissements. Ils bâtirent, sur
(*) L'an 82 de l'ère vulgaire.
(**) L'an n5 de l'ère vulgaire. (*) Le 11 août 117 de l'ère vulgaire.
128 L'UNIVERS.
la cote, une ville à laquelle ils donnè- un nome Maréote. Peut-être cette dé-
rent lenom d'Adriane ou Adrianopolis, limitation nouvelle était-elle la consé-
qui a disparu sans laisser de vestiges. quence des dispositions militaires dont
Adrien, comme on sait, passa en la dernière insurrection des Juifs avait
fait reconnaître la nécessité.
voyages dans les provinces de l'em- Dans ces limites plus restreintes, la
pire, plus de moitié de la durée totale
de son règne; la Libye ne fut point Cyrénaïque continuait d'être réunie à
exclue de cette inspection générale du la Crète en une seule province , dont
monde romain , mais les historiens ne le jeune Publius Septimius Geta , fils
nous ont conservé à cet égard aucun de Septime Sévère, fut questeur et
détail , ni même aucune mention pré- propréteur avant son avènement à
cise : une anecdote seule, consignée l'empire , ainsi que le constatent les
dans le curieux recueil d'Athénée, et inscriptions. Le même ordre de choses
appuyée du témoignage des médailles, durait encore au temps de l'historien
Dion Cassius.
nous fait connaître qu'Adrien , dans
une chasse qu'il fit en ce pays(*), Une mention isoléede l'historien Vo-
y tua un lion d'une taille énorme, qui piscus nous apprend que sous le règne
depuis longtemps ravageait toute la d'Aurélien, Probus, qui bientôt après
Libye, les et avait en beaucoup d'endroits fut empereur, eut à combattre vigou-
forcé habitants à déserter leurs reusement contre les Marmarides, qu'il
demeures. réduisit à l'obéissance.
C'est sans doute au règne d'Adrien, La Cyrénaïque devenue chré-
ce grand et actif administrateur des tienne.— A l'époque où nous sommes
provinces, que doit être rapporté, s'il introduit parvenus, le christianisme, qui s'était
à Cyrèue dès le temps de la
eut lieu en effet dans l'ordre politique prédication des apôtres,y avait fait assez
comme on n'en peut guère douter, un
changement dans les délimitations de progrés pour que les mesures dont
communes de la Cyrénaïque et de la religion nouvelle était l'objet de la
part des empereurs, eussent, pour cette
l'Egypte, du
historien qui temps,
n'est accusé par se
mais qui aucun
fait province, une importance directe;
remarquer dans les descriptions du tout en nous réservant de consacrer
géographe Ptolémée. Dans le coup d'œil plus posé loin un paragraphe spécial à l'ex-
succinct du développement et des
général qu'Appien, au commencement
de son histoire, jette sur le monde ro- vicissitudes de l'Église chrétienne dans
main , on voit énumérées en effet , la Cyrénaïque, nous ne pouvons nous
sans distinction expresse , et d'une dispenser d'annoter ici que plusieurs
manière assez équivoque , les diverses des villes de la Pentapole avaient déjà
provinces de l'empire ; en sorte qu'il des évêques, et qu'à l'époque où la
est diflicile de reconnaître si l'on doit persécution entreprise par Dioclétien
réunir ou séparer mutuellement Cy- vint commencer l'ère des martyrs (*) ,
rène et les Marmarides, et les Ammb- de saints confesseurs y moururent
niens , et les peuples voisins du lac pour la foi ; l'évêque Théodore fut
Maréote, alors une des victimes de la persécu-
ainsi boutqu'une à bout.même Maisphrase nomme
son contem- tion dont
, le ministre, dans cette pro-
porain Ptolémée décrit expressément vince, était le gouverneur Dignianus
la province Cyrénaïque (yj KvpYivaïxr) ( Diogenianus ?), auquel la légende
iwapxia) comme bornée sur la côte, à donne le titre de praeses ou comman-
l'ouest par les autels des Philènes , et le diacre dant; et avec le saint évêque périrent
Irénée, et les lecteurs des
à l'est par la ville de Darnis; tandis
qu'il annexe à l'Egypte un nome de nius. divines Écritures Sérapion et Aramo-
Marmarique, un nome de Libye, et

(*)
tre ère.Probablement en l'année i32 de no- (*) On sait que l'ère des martyrs date
du 29 août 284.
X
AFRIQUE ANCIENNE. 129
Morcellement des provinces fournies par le livre De la mort des
sous Dioclétien. — On s'accorde persécuteurs : « Avare et timide à la
à rapporter au règne de Dioclétien, «fois,» s'écrie le fougueux
« Dioclétien a bouleversé toute écrivain,
la terre :
sur la foi d'un reproche adressé à sa
mémoire par l'auteur du livre De la « il s'est associé trois collègues , divi-
mort des persécuteurs (*), le morcel- « sant le monde en quatre parties ,
lement des provinces , dont on n'en- « grossissant les armées au point que
trevoit que des traces éparses et fu- « chacun des quatre empereurs a plus
gitives dans les auteurs contempo- « de soldats qu'il n'en fallait autrefois
rains, età l'égard duquel nous n'avons « au maître unique de tout l'empire...
de renseignements précis que posté- « Les provinces aussi ont été coupées
rieurement àl'organisation générale « en morceaux ; on a établi des gouver-
faite par Constantin le Grand. On sait « neurs avec toute leur séquelle dans
du moins que Dioclétien, et son col- « chaque contrée, presque dans chaque
lègue Maximien-Hercule, s'étant asso- « cité ; des intendants de finances mul-
cié, le 1er mars 292, Constance-Chlore tipliés, des inspecteurs généraux
et Galère, il y eut alors, entre les deux « militaires, des vice-préfets, etc. »
augustes et les deux césars , une di- Mode d'après lequel l'empire
vision quadripartite de l'empire, dans fut divisé en quatre parties. —
laquelledent auConstance
delà des -Chlore Alpes, eut l'Occi- Il y a donc lieu de penser que le
Maximien partage de l'empire se fit entre les
l'Italie et l'Afrique, Galère le reste Quatre princes par voie d'attribution ,
de l'Europe, et Dioclétien l'Orient : la à chacun d'eux, d'un certain nombre
Cyrénaïque avec la Libye et l'Egypte de provinces, suivant certaines conve-
nances résultant des affinités mutuelles
étaient comprises dans ce dernier lot.
Il est difficile de décider si la Crète de celles-ci; et que, plus tard seule-
fut dès lors détachée de Cyrène pour ment, quand chacune de ces provinces
s'aller annexer à la Grèce, apanage de en eut formé plusieurs, la grande di-
Galère : quelques auteurs ont admis vision quadripartite put être modifiée
cette séparation hâtive; il nous semble par le retrait ou l'accession de quel-
plus sage de douter, et nous penchons qu'une de ces provinces nouvellement
même à croire qu'elle ne dut avoir lieu constituées. C'est ainsi que nous rap-
que sous Constantin. Il est probable , portons au règne de Dioclétien l'or-
en effet, que le morcellement des pro- ganisation d'après laquelle trois pro-
vinces ne précéda point le partage de vinces distinctes se trouvèrent formées
l'empire, et qu'il fut, au contraire, une du territoire de l'ancienne province
conséquence de ce partage, parce qu'a- avons Cyrénéenne établie par Auguste. Nous
lors chacun des quatre princes régnants déjà remarqué le déplacement
voulut avoir sa cour, ses officiers, de limites qui , sous Adrien , avait
toute la hiérarchie administrative et transporté de cette province à celle
militaire d'un empire distinct ; et d'Egypte la Libye qui s'étend à l'est
pour multiplier les commandements , de Darnis; sous Dioclétien, cette der-
il fallut multiplier les divisions terri- nière dut être détachée de l'Egypte
toriales sur lesquelles ces commande- pour faire une province nouvelle; et
ments étaient exercés. Telle est la
celle qui du temps d'Adrien compre-
marche naturelle des choses , telle nait sous un seul gouverneur la Pen-
aussi la succession des indications
tapole cyrénaïque et l'île de Crète, fut
naturellement subdivisée par Dioclé-
(*) Ce livre est vulgairement cité sous le tien en deux gouvernements distincts,
nom de Laclance; mais le manuscrit unique
qui a servi de type à toutes les éditions ne l'un continental, l'autre purement in-
désigne l'auteur que sous le nom de Lucius sulaire; etc'est au temps de Constan-
Cécilius , qui n'a qu'un rapport bien in- tin seulement que ce dernier gou-
complet avec celui de Lucius CœliusLaclan- vernement ,ayant acquis ainsi une
tius Firmianus. individualité propre , put être distrait
9e Livraison. (Afrique ancienne.)
130 L'UNIVERS.

sans effort de l'un des quatre grands général à Nicée , en présence même
départements de l'empire, pour être du souverain, le 19 juin 325, au nom-
désormais rattaché à un département bre de trois cent dix-huit évêques,
voisin. pour y dresser le symbole de leur foi :
Il serait , en effet , erroné de croire les deux provinces de Libye (la Libye
que ces quatre grandes divisions, dans et la Pentapole) y furent représentées
chacune desquelles il y avait un préfet par sept évêques , groupés en deux
du prétoire avec plusieurs vice-préfets, camps, les uns autour de leur métro-
répondissent précisément aux quatre politain lepatriarche d'Alexandrie
préfectures établies par Constantin , autres autour du théologien Arius, ,qui
les
et renfermassent les mêmes diocèses fut alors déclaré hérésiarque.
ou vice-préfectures : ainsi Dioclétien L'organisation générale de l'empire
n'avait point dans son département sous Constantin ne nous est pas con-
le diocèse de Thrace , qui fut cepen- nue dans ses détails avec une pré-
dant compris ensuite dans la préfec- cision telle qu'on la pourrait désirer,
ture d'Orient; et après l'abdication puisque la Notice des dignités des
de Dioclétien (*), le lot qu'il avait eu empires d'Orient et d'Occident, ce
ne passa même à Maximin que dimi- précieux inventaire de toutes les charges
nué encore des provinces du Pont, civiles et militaires du monde romain,
qu'il reprit seulement après la mort est postérieure d'environ un siècle à
de Galère (**); Licinius au contraire l'établissement administratif fondé ou
ajouta tout le département de Maxi- complété par cet empereur. Toujours
min (***) à une portion de celui de Ga- est-il, nous le savons par le témoi-
lère. Nous ne saurions, au surplus, gnage explicite de Zosime, que dans
déterminer le nombre et l'étendue des le partage qu'il fit, en quatre grandes
diocèses existants à cette époque préfectures prétoriales, du territoire
dans chaque département, et c'est uni- de l'empire qu'il venait de pacifier (*),
quement par conjecture que nous pou- la Pentapole et la Libye furent attri-
vons considérer la Cyrénaïque et ses buées au préfet qui eut l'Egypte avec
démembrements comme englobés avec l'Orient ; tandis que la Crète , déjà sé-
l'Egypte dans un même diocèse, dont parée de Cyrène , fut dévolue à celui
la Palestine faisait peut-être alors éga- qui avait l'Illyrie avec la Grèce; l'A-
lement partie: tout ce que nous sa- frique, àl'ouest de la Pentapole, ap-
vons avec assurance , c'est que ces partenait au préfet d'Italie ; celui des
provinces appartinrent successivement Gaules tenait l'ancien lot de Constance-
a Dioclétien, à Maximin, et à Licinius, Chlore.
Cette organisation devait recevoir,
et que la persécution contre les chré-
tiens fut
y à diverses fois renouvelée, de son auteur même, une modifica-
jusqu'à
dans les la mains réunion de tout l'empire
de Constantin. tiontribuerimportante
entre ses ,trois
lorsqu'il voulut dis-
fils, Constantin,
Organisation et partage de Constance et Constant, et ses deux
l'empire sous Constantin et ses neveux Delmace et Annibalien (**),
enfants.— Sous ce dernier empereur, les provinces de ce grand empire; il
le christianisme cessa d'être opprimé, est vrai que le département du jeune
il devint même la religion dominante et Constantin répondit exactement à la
favorisée ; et les se Pères de l'Église ca- préfecture rient,des donnéeGaules; mais celleperdit
à Constance, d'O-
tholique purent réunir en concile
(*) Le i* mai 3o5. Maximin ne fut fait d'une part la petite Arménie, le Pont
et la Cappadoce, qui en furent démem»
alors que césar, mais il se déclara lui-même
auguste dès 3o8.
(**) En avril 3n. de (*) Ce ère.
notre qui indique pour date l'année 3a6
(***) Maximin, vaincu par Licinius, mou-
rut vers août 3i3; Licinius lui-même fut (**) En l'année 335 , deux ans avant sa
mort
dépouillé par Constantin à la fin de 3a3.
AFRIQUE ANCIENNE. 131

brés pour former un royaume à An- gation mutuelle entre collègues. Aussi
nibalien, et d'autre part la Thrace, les aperçus géographiques de l'empire
qui fut jointe à la Grèce démembrée de romain qui nous sont fournis par Sex-
tus Rufus sous Valens et Valentinien,
l'Illyrie , pour constituer le départe-
ment de Delmace; la préfecture d'Ita- par Ammien Marcellin et par la No-
tice des Provinces sous Théodose le
lie s'augmenta au contraire du reste
de celle d'Illyrie, pour devenir le lot de Grand et Valentinien le Jeune, le re-
Constant. Mais à la mort de Constan- présentent comme un seul tout, sub-
tin le Grand , cet ordre fut encore divisé en provinces. La Notice y
bouleversé , et pendant que Constan- compte cent treize provinces, renfer-
tin le jeune et Constant se disputaient mées dans onze régions ou diocèses ;
l'Italie et l'Afrique, Constance repre- la région d'Egypte y figure pour six
nait tout l'Orient et la Thrace ; puis , provinces, parmi lesquelles sont énu-
quand il alla combattre les tyrans qui mérées la Libye Aride {Libya Sicca\
s'étaient élevés en Occident à la place c'est-à-dire la Marmarique, et la Li-
de ses frères, il laissa le gouvernement bye Pentapole, c'est-à-dire la Cyré-
naïque.
supérieur de l'Orient à son jeune cou- SÉPARATION DES DEUX EMPIRES A
sin Gallus , avec le titre de César (*) LA MORT DE THÉODOSE LE GRAND.
et Lucilianus pour maître de la mi-
lice, indépendamment des préfets du — Après la mort de Théodose, au con-
prétoire entre les mains desquels se traire, iyl eut désormais deux empires
trouvait l'administration réelle, et dont bien distincts, conservant, il est vrai,
il se réservait la nomination; mais une organisation similaire, mais non
trois ans après, Gallus ayant été mis plus commune. C'est le tableau de
à mort par ordre de Constance, tout cette organisation qui nous est donné,
l'empire se trouva réuni de nouveau pour chacun des deux empires, par la
sous un même sceptre. Au milieu de Notice des Dignités, où nous allons
ces changements , la Pentapole et la relever les indications spéciales qui
concernent la Libye.
Marmarique n'avaient cessé d'apparte-
nir directement à Constance que pen- L'empire d'Orient était divisé en
dant le règne transitoire du césar deux préfectures du prétoire, celle d'O-
Gallus. rient et celle d'Illyrie. La première
RÈGNE DE VALENS ET DE ThÉO- comprenait cinq diocèses, savoir , l'E-
dose
donné leà Valentinien
Grand. — Quand l'empire
(en 364), fut
on sait gyptel'Orient
, , l'Asie , le Pont et la
Thrace, dontles quatre derniers étaient
qu'il le partagea avec son frère Valens, gouvernés par des vice-préfets, tandis
à qui il céda tout l'Orient, dont les deux que le gouverneur du diocèse d'Egypte
provinces libyennes formaient invaria- avait le titre particulier de préfet au-
blement une dépendance; et si Théodose gustal : six provinces se trouvaient
le Grand, qui succéda à Valens (en 379), dans sa circonscription, savoir , la Li-
parvint à réunir encore une fois en bye supérieure répondant à l'ancienne
ses mains tout l'empire, ce fut pour Cyrénaïque, la Libye inférieure ré-
en consommer le partage irrévocable pondant àla Marmarique, l'Egypte
(en 395) entre ses deux fils, Arcadius
propre, la Thébaïde, l'Arcadie,et l'Au-
qui eut l'Orient, et Honorius qui eut gustamnique; sauf l'Egypte propre,
l'Occident. Jusqu'alors il n'y avait eu, directement régie avec le titre de pro-
à proprement parler, qu'un seul et vince consulaire par le préfet augus-
même empire, possédé à la fois par tal lui-même, toutes ces provinces
deux ou plusieurs empereurs, dont avaient chacune un commandant titré
chacun exerçait plus spécialement son de prises, ayant, pour l'expédition
autorité dans une circonscription dé- des affaires administratives et judi-
terminée, mais par une sorte de délé- ciaires, des bureaux dirigés par un pre-
mier commis.
(*) Le i5 mars 35 1. Le commandement militaire, 9. qui
132 L'UNIVERS.
depuis Constantin le Grand demeurait que des autres documents que nous
tout à fait séparé du gouvernement possédons, laissent fort obscur pour
politique, appartenait, en chef, sous nous; et grande est la divergence des
les ordres immédiats de l'empereur, critiques qui ont voulu l'expliquer, les
à des grands-maîtres ou colonels-gé- uns supposant le retrait, absolu des
néraux, deux pour la garde impériale, troupes régulières de toute la Libye,
toujours présents à la cour, et trois ou au moins de la Cyrénaïque, les au-
pour tres la coexistence d'un gouverneur
chacun lesonreste de l'armée
autorité , exerçant
dans une grande civil et d'un commandant militaire
division militaire, comme l'Orient, la dans la Pentapole, d'autres encore la
Thrace ou l'Illyrie. Parallèlement à réunion des pouvoirs civils et mili-
eux, un grand-maître des offices ou taires en une seule main(*). Quoi qu'il
intendant-général avait dans ses at- en soit à cet égard, des modifications
tributions les services administratifs avaient eu lieu, qui excitaient le dé-
de l'armée et la juridiction militaire plaisir de Synésios, et lui avaient fait
supérieure. Chaque grande division se réclamer, quoique en vain, le retour à
partageait en plusieurs subdivisions, l'organisation ancienne.
attribuées à des généraux de divers
rangs, les plus élevés en grade ayant Cinquième période , règnes oVArca-
le titre de comte, les autres celui de dius et de Théodose le Jeune :
duc; trois de ces généraux étaient af- Époque de Synésios.
fectés au diocèse d'Egypte, savoir , un Commencements de Synésios.
comte d'Egypte, un duc de Thébaïde, — Nous venons de prononcer un nom
et un duc de Libye.
Création d'un duc de Libye. qui tient une place d'honneur dans
— Dans le principe, il n'y avait, pour l'histoire de la Cyrénaïque à cette
époque: Synésios nous présente, au
la défense de tout le diocèse d'Egypte, milieu des calamités qui désolèrent sa
qu'un seul duc, dont l'institution, sous patrie, une de ces belles figures que
ce titre ou sous un autre, paraît re-
grandit encore la petitesse dès person-
monter au règne même d'Auguste; nages qui occupent la scène autour de
puis on voit, au temps de Gallien, en lui. Il nous faut consacrer ici à ce
l'année 265, figurer dans l'histoire du nom célèbre une page spéciale.
tyran Celsus par Trébellius Pollio, un
duc de Libye, Fabius Pompeïanus, qui Issu de la race royale des Eurysthé-
s'était prononcé pour cet empereur (*) La première de ces opinions est ex-
éphémère : mais quelque doute peut posée par Marcus, dans ses additions à
s'élever sur l'exactitude de cette dési- la Géographie de Mannert ; elle n'est que
gnationil; est plus sûr de ne rappor- spécieuse, et accompagnée de notables er-
reurs. La seconde est professée par le savant
ter qu'au règne de Valens la création
des ducs de Thébaïde et de Libye, aux Tillemont, qui cependant n'a pas été suivi
sur ce point par Lebeau , son paraphraste
dépens des attributions du duc d'E- ordinaire ; mais Lebeau a certainement con-
gypte, que l'on consola de ce démem- fondu des indications très-distinctes, et l'on
comte. brement en l'élevant au rang de
peut s'étonner que Saint-Martin , son der-
Le duc de Libye, qui avait son quar- nier éditeurTillemont
confusion. critique, nous
n'ait semble
pas relevé
donccette
ici
tier-général àParétonion, paraît avoir le meilleur guide à suivre, et c'est en nous
été, dans l'origine, chargé de la dé- aidant de son jugement à la fois perspicace,
fense de toute la Libye, c'est-à-dire consciencieux et sûr, que nous avons pu
de la Cyrénaïque et de la Marmarique cheminer dans le labyrinthe des données
ensemble ; mais il y eut, à cet égard , historiques éparpillées dans le recueil désor-
quelque changement donné des écrits de Synésios. Notre con-
lacune dans le seul notable,
exemplaire qu'une
qui fiance n'a cependant point été aveugle, et
nous soit parvenu de la Notice des nous avons osé, sur quelques points, avoir
une opinion différente de la sienne.
Dignités, et l'insuffisance ou l'équivo-
AFRIQUE ANCIENNE. 133

nides de Sparte, Synésios avait vu le sures qui lui paraissaient au contraire


jour à Cyrène vers le milieu du qua- d'urgente nécessité. Ce fut d'abord à
trième siècle de notre ère, et se trou- propos de l'abandon qui était fait de
vait l'aîné de trois enfants : Evoptios la gardetion de la militaire
cité àetdesde mercenaires
l'administra- ,
était le nom de son frère, Stratonice
celui de sa sœur. Il fut élevé dans sa abandon que Synésios combattait ,
ville natale, où il étudia les belles-let- mais qu'il ne put empêcher. Puis ce
tres, mais surtout les mathématiques fut au sujet d'une mission que le noble
et la philosophie, et il alla perfection- Cyrénéen alla remplir, au nom de son
ner son instruction à l'école d'Alexan- pays, auprès de l'empereur Arcadius,
drie, où il suivit les leçons de la cé- en l'année 397; mission que Julius
ambitionnait sans doute, et pour la-
lèbre Hypathie fille de'Théon , aussi quel e ilne pardonna peut-être point à
savante qu'aimable, aussi chaste que son rival de lui avoir été préféré.
belle , pour laquelle il conserva toute
sa vie une vive et respectueuse affec- Mission de Synésios auprès
tion, soumettant à sa critique et à son d'Arcadius. — Synésios était chargé
goût exquis les œuvres sorties de sa d'offrir à l'empereur une couronne d'or,
plume, acceptant ses décisions comme et de demander une remise d'imposi-
des oracles. Un riche patrimoine lui tions.Le discours d'apparat qu'il pro-
permettait de suivre son inclination
pour la culture de la philosophie : il nous estnonçaparvenu;
àson audience d'introduction
il y indique seulement
s'éloigna des affaires et embrassa une en quelques
nom de la grecque mots l'objet de saantique
Cyrène, venue au
et
vie douce et tranquille, conforme à ses
mœurs. L'étude fit ses délices, la vénérable cité que les poètes célébrè-
chasse et l'agriculture son amuse- rent jadis par des milliers de vers ,
ment. Fuyant la barbarie de son maintenant pauvre et humiliée, ruines
temps , il se transportait dans les siè- vastes et désertes qui ont besoin de
la munificence souveraine pour être
cles les plus polis de la Grèce : c'était en mesure de soutenir la dignité de
là qu'il vivait ; il semblait en être un
reste précieux ; il en prit le goût et le leur vieille origine. Puis il entreprend
langage; écrivain pur, élégant, ingé- de faire entendre au jeune empereur
nieux , mais un peu trop chargé de quels sont les devoirs du monarque à
métaphores, il ne put, même dans les l'égard du pays ; il fronde cette pompe
fonctions austères du sacerdoce dont il extérieure dont la splendeur affecte de
fut revêtu dans la maturité de l'âge, se s'accroître à mesure que le mérite dé-
défaire de ce tour de pensées et d'ex- croît et s'anéantit. Quoiqu'il vît alors
pressions quilui était devenu familier tant de barbares promus aux premières
pendant sa jeunesse, et dans le langage dignités de l'État, il s'élève librement
chrétien il conserva, pour ainsi parler, contre cette coutume de prodiguer les
honneurs aux ennemis naturels de
l'accent du paganisme.
Sa position sociale, les charges mu- l'empire; il conseille d'éloigner ces
nicipales auxquelles il ne chercha point étrangers, qui ne sont nés, dit-il, que
àdont
se soustraire, pour être esclaves des Romains. Il
il fut honoré,plus lui tard l'épiscopat
assurèrent dans trace d'un pinceau ferme et hardi les
sa patrie de
à rendre unenombreux
influence services,
qu'il fit servir
mais défauts du gouvernement, l'affaiblis-
sement des troupes romaines, l'ascen-
qui lui suscitèrent aussi des rivaux et dant que prennent les barbares dans
des ennemis qui contrariaient ses des- les armées, les maux que leur inso-
seins ou se vengeaient de sa supério- lence va infailliblement produire, la
rité par des invectives et des calom- préférence que des hommes sans mé-
rite et même vicieux obtiennent à la
nies. Parmi les hommes qui s'élevè-
rent contre lui dans les luttes du sé- cour sur des officiers vertueux et dé-
nat, ilnous désigne un certain Julius, voués àla patrie. Il exhorte l'empereur
qu'il trouva toujours opposé aux me- à se choisir des amis sincères et éclai-
134 L'UNIVERS.
rés, à se faire aimer des troupes, à ne local, tout le monde s'accordant à dire
nommer pour gouverneurs et pour que l'unique
magistrats que des hommes désinté- affaires était demoyen de rétablir
faire rentrer les
les cités
ressés et qui aiment les peuples, parce sous l'ancienne administration prési-
que ceux-là seuls aiment le prince, et diale, c'est-à-dire sous l'autorité du
à veiller par lui-même sur la conduite préfet d'Egypte (*); mais des motifs sor-
de ceux qu'il emploie. Puissé-je, dit-il dides poussèrent encore Julius à s'y
en terminant, trouver un empereur opposer, peu soucieux qu'il était des
tel que je viens de le dépeindre, quand malheurs publics dont lui-même ne
je reviendrai l'entretenir des demandes serait pas atteint, et se félicitant d'un
que lui adressent les cités de ma succès présent, bien que la ruine fu-
patrie. ture de la patrie y fût attachée.
II suivit opiniâtrement pendant trois Fanfaronnade et lâcheté de
Jean, rival de Synésios. —Un
ans l'objet sous
auelquefois de sale portique
mission, ducouchant
palais, autre puissant du jour était un Phry-
dans un grand tapis égyptien dont il gien nommé Jean, un de ces hom-
paya plus tard les bons offices de l'un mes que l'on voit fanfarons pendant la
des tachygraphes de la cour ; il se con- paix, lâches à la guerre, toujours mé-
cilia les bonnes grâces d'un autre per- (*) IlàXiv ëypaçiov drap toO XeXucrOai vr\\>
sonnage en lui faisant cadeau d'un TOxp' ^|xïv (TTpaTTiyiav, ôrap àrcavreç 6u,o<pto-
globe céleste d'argent; mais le pro- vtoç ol TrjSe àvÔpamoi (xôvov elvai cpaat Xutïj-
tecteur qui lui fut le plus utile, c'est le piov tôJv ôetvâjv, èuavEXGeïv eïç àp^aïav yjye-
sophiste Troïle, qui jouissait d'une [xoviav tôcç nôleiç, , toutéotiv Û7to tôv Aiytj-
grande considération et d'un crédit •TiTicov àpxovra xai rà; AiêucDV Texà^Oai.
( Synésios, épure 94.)
réel. Synésios atteignit le but de ses
efforts, et revint àCyrène satisfait du Ce passage nous semble constater, contre
l'opinion de Tillemont, qu'il n'y avait pas à
marches.qu'avaient enfin obtenu ses dé-
succès la fois dans la Pentapole, à cette époque,
ÉTAT DE LA CyBÉNAIQUE AU RE- un gouverneur civil ou prœses, T^efubv, et
un commandant militaire ou àuc,dux, 5où|,
TOUR de Synésios. — Mais il y
trouva la guerre au dehors de la part (rranqyôç. Cependant le titre, un peu sus-
des barbares Mazikes et Ausuriens, pect il est vrai, de la Catastase de Syné-
habitants du désert sur la limite com- sios porte que l'invasion des barbares qui
en fait le sujet , a eu lieu yjyefjioveuovio;
mune de incursions
dont les la Libye etdésolaient
de l'Afrique (*),
la Pen- revvaôiou , xai ôouxàç ôvtoç 'Ivvoxevtîou.
Cela supposerait dès lors le retour désiré
tapole et s'étendaient même jusqu'à par Synésios eïç àpyaiav Vjyefjioviav ; mais
l'Egypte
de Julius, ; etconstant au dedans l'opposition
à repousser les
est-ce d'alors seulement? Tillemont regarde
Andronicus comme un gouverneur civil, et
Anysios comme un duc militaire, et il ne
mesures qu'il proposait comme re-
mède aux maux du pays ; quand, pour peut y avoir de doute pour ce dernier ;
redonner de la vigueur aux milices, quant à Andronicus, Synésios se sert géné-
Synésios voulait en écarter les étran- ralement son
à égard des mots ^yeu,wv, •fjye-
gers, dont les habitudes mercantiles p.ovîa, àpyriç, qui appartiennent à la magis-
trature civile ; mais il semble le désigner
ont l'inconvénient de réagir sur les aussi, dans sa lettre 72, par la qualification
gens même les plus braves, Julius s'y de stratège.
opposa dans un intérêt purement per-
Il y a dans tout cela une question d'or-
sonnel.
bolition duSynésios réclama ensuite
commandement l'a-
militaire ganisation provinciale assez difficile à dé-
brouiller. Synésios parle de stratèges; le
titre de sa Catastase accuse un duc et un
(*) Cette distinction entre la Libye et
prœses; sous Léon et Zenon nous ne trou-
l'Afrique se trouve expressément observée
ici par le grec Philostorge : MàÇixeç xai vons que des ducs; Hiéroclès ne désigne
que des prœses, à la place desquels Justi-
Aù£a>piavoi u-etaî-ù 8è Atêuyjç xai 'A<ppû>v ouxot nien vient constituer un duc. Que de va-
veu-ovrai , xarà uiv tô swOivov aùxûv x)iu,a
t-?1v Aiêtirjv IfriprijJLwa-av (XI, 8). riations en moins d'un siècle et demi 1
AFRIQUE ANCIENNE. 135
prisables. Au forum, il soutenait sa l'art rendaient un asile inexpugnable.
cause à coups de poing, insultait de Tels étaient les hommes avec les-
ses coups de pied les gens les plus quels avait à lutter Synésios : il y re-
tranquilles ; le péril vint rabaisser son
arrogance. Le bruit courait depuis Phyconte,nonça de puis
dégoût, et s'embarquant
touchant à Erythron à,
quelques jours qu'une incursion des et débarquant le cinquième jour à l'île
barbares se préparait ; un détachement du Phare, il vint habiter Alexandrie,
de cavaliers désignés sous le nom de où il semiermaria (*) et vit naître son pre-
enfant.
Balagrites , sans doute parce qu'ils
avaient leur quartier à Balacris, sorti- Gouvernement de Céréalis. —
rent avec leur chef pour aller faire une Après deux ans d'absence , il rentra
reconnaissance, et les citoyens s'avan- dans sa patrie, gouvernée alors par le
cèrent dans la campagne pour attendre stratège Céréalis, homme sans mérite,
1 ennemi; mais ne voyant rien venir, ils peu soucieux de renommée ni même
rentrèrent chez eux, pour se présentei de considération inhabile à la guerre,
de nouveau le surlendemain. On ne put tracassier pendant la paix, à qui il
alors découvrir Jean nulle part; on avait suffi d'un court intervalle de
faisait circuler le bruit qu'il s'était tranquillité pour tout bouleverser dans
cassé la jambe, ou qu'il lui était ar- le pays. Afin de s'approprier l'argent
rivé quelque autre grave accident, des soldats, il les dispensait du ser-
mais on ne savait où il était ; et ses
vice, leur laissant la faculté de s'aller
amis de déplorer l'absence d'un homme établir la où ils croiraient pouvoir
si résolu, dont le bras serait d'un si trouver à subsister; telle était du moins
grand secours. Le danger passé, il sa conduite avec les troupes indigènes;
revient comme d'un long voyage, fait quant aux autres, dont il ne pouvait
le brave, s'érige en commandant des extorquer l'argent, il les employait à
milices, prétend les instruire et les
rançonner les villes, en s'y portant
exercer, et s'avance avec elles pour comme pour tenir garnison, et accep-
faire face à un ennem' qu'il croyait tant l'or qu'elles s'empressaient d'of-
fort éloigné ; mais voilà qu'il arrivé au frir pour se racneter de cet onéreux se
camp quelques pâtres effrayés, suivis jour. De chez les Libyens à demi civili-
bientôt d'une troupe de pauvres cava- sés du voisinage, la nouvelle de cet état
liers que la faim plus que toute autre de choses se propagea chez les bar-
cause semblait amener, et qui s'arrê- bares pius éloignés, et bientôt Cyrène
tèrent àla vue des Cyrénéens, descen- se trouva assiégée par les Mazikes,
dirent de cheval et se tinrent en ob- qui pillèrent et ravagèrent tout le plat
servation, paraissant disposés à se dé-
pays ; le lâche Céréalis , au lieu d'af-
fendre plutôt qu'à attaquer ; et il n'y fronter ledanger qu'il avait provoqué
eut en effet aucun engagement, la re- lui-même, se hâta de quitter la terre
traite s'étant opérée de part et d'autre pour se réfugier dans un bâtiment et
avec prudence. Mais dès l'apparition se tenir en mer à quelque distance du
de l'ennemi, Jean avait tourné bride, rivage, avec des navires chargés de
et pressant les flancs de son cheval, son or et de provisions. Synésios à la
fouettant, criant, employant toutes ses tête de quelques soldats balagrites
ressources à accélérer sa course, il auxquels Céréalis avait ôté leurs che-
avait du moins, dans la fuite la plus vaux, mais qui n'en étaient pas moins
honteuse qu< fut jamais , montré un d'excellents archers, faisait pendant la
admirable talent d'équitation . fran- nuit des rondes autour de la place,
chissant les montées., les descentes, pour veiller à la tranquillité des habi-
les haies, les fossés sans se laisser
tants, et assurer l'approvisionnement
désarçonner, jusqu'à ce qu'il fût par- d'eau dont la ville ne pouvait se pas-
venu tout d'une traite au site de Bom-
béa, que l'aspérité des rochers, la pro- de (*)
404.A la fin de 4o3 ou au commencement
fondes des vallées, et les travaux de
136 L'UNIVERS.

ser. On manquait d'armes et de ma- lat; il alla jusqu'à faire emprisonner


chines Synésios
: faisait fabriquer des un avocat qui lui refusait son minis-
lances tère pour cette injuste accusation ;
balistes età "des
lancerflèches, construire
de grosses pierres des
du mais ses efforts furent inutiles, et la
haut des tours. réputation de Gennadius ne put être
ternie.
L'occupation du pays par les bar-
bares se prolongea, avec des succès Andronicus , néanmoins , suivant
balancés, pendant plusieurs années, sans honte son penchant à la rapine,
sans que le zèle de Synésios se ralen- enlevait les deniers publics et faisait
mourir de faim dans les cachots les
tît. Dans l'intervalle , sa femme lui
donna deux autres enfants, que, dans officiers chargés de les recueillir. Le
les moments de danger, il confiait aux pays avait déjà beaucoup souffert des
soins de son frère, tout en répétant tremblements déterre, des sauterelles,
pour lui-même ce mot des magistrats de la famine, et du ravage des barba-
de Lacédémone à Léonidas : « Que res; Andronicus fut un cinquième
c'est en combattant comme si l'on de- fléau. Il inventait des supplices inouïs ;
il avait des instruments de torture
vait être tué, qu'on échappe le plus
sûrement à la mort. » Les prêtres particuliers pour disloquer les doigts
d'Axilis, des pieds, pour écraser le nez, pour
les soldatsprès de Darnis,dans
se cachaient pendant que
les mon- arracher les oreilles et les lèvres ; et
tagnes, réunissant, à l'issue des saints il avait pour conseillers, Zénas qui
offices, une troupe de paysans déter- avait eu l'habileté de faire payer l'im-
minés, marchèrent droit à l'ennemi, pôt annuel deux fois dans la même
qui s'était engagé sans précaution dans année,rité sesJulius qui volontés
lui imposait d'auto-
la vallée profonde et boisée de Myrsi- propres comme un
nis ; le diacre Faustus, qui marchait maître à son esclave, mais surtout
en avant, frappe d'une pierre à la tempe Thoas "qui
le premier de ces ses pillards ceveur de de geôlier redevances
certaines était devenu mili-
re-
contre, lui enlève armes, qu'il ren-
et donne taires. Ce Thoas fit un voyage à Cons-
l'exemple d'une attaque meurtrière, tantinople, et voulant perdre deux hon-
qui fut couronnée du succès le plus nêtes citoyens de Cyrène nommés
complet. Maximin et Clinias, il rapporta à son
Gouvernement d'Andronicus retour, comme un secret fort impor-
successeur de Gennadius. — Quel- tant, que le patrice Anthémius, préfet
que temps après, nous voyons le gou- du prétoire et premier ministre de
vernement de la Cyrénaïque exercé l'empereur Théodose le Jeune, étant
par le syrien Gennadius, homme juste malade, avait été averti en songe qu'il
et habiie, qui, sans employer d'au- ne guérirait
Clinias et Maximinpas qu'on: aussitôt
ne fît Andro-
mourir
tres moyens que la persuasion , sut
faire venir au trésor public plus d'ar- nicus, affectant un zèle ardent pour la
gent que les gouverneurs qui em- santé du tout-puissant ministre, lit
ployaient les rigueurs de la contrainte. arrêter ces deux citoyens; mais ce qui
Il fut remplacé par Andronicus, fils montra bien qu'il y avait en lui moins
d'un pêcheur deen Bérénice,
sa nomination qui bonnes
achetant les obtint d'illusion que de méchanceté, c'est
qu'il ne les mit pas à mort sur-le-
grâces des eunuques de la cour, et champ; ils furent cruellement maltrai-
porta dans sa nouvelle dignité la bas- tés à plusieurs reprises : c'était son
passe-temps; il revenait à eux lors-
devait sesse
à sad'esprit et la grossièreté
naissance. Comme la qu'il
con- qu'il n'avait personne à tourmenter.
duite de son prédécesseur devait for- Synésios , devenu évêque , ex-
mer un fâcheux contraste avec celle communie Andronicus. — Syné-
qu'il se proposait de tenir, il tâcha sios avait, dans l'intervalle, vu ajou-
d'abord de le noircir, et voulut le faire ter à l'autorité que lui donnaient sa
condamner comme coupable de pécu- naissance et sa position sociale, celle
137
AFRIQUE ANCIENNE.

que confère le sacerdoce. Devenu chré- « sienne, jamais nous ne mangerons à


tien, ilavait été élu, en 410, évêque « la même table, bien loin de vouloir
de Ptolémaïs ; il voulut résister, peu « communier dans les saints mystères
disposé qu'il était à quitter une femme « avec ceux qui auraient aucun rap-
qu'il chérissait et des idées philoso- « port avec Andronicus et Thoas. »
phiques auxquelles il n'était pas moins Cet acte de vigueur étonna Andro-
attaché; mais on insista, et il fut sa- nicus et lui donna à réfléchir; il de-
cré à Alexandrie des mains du pa- manda la suspension de la sentence,
triarche Théophile, qui avait lui- promettant de s'amender, et Synésios,
même, sept ans auparavant, béni son sur les instances du clergé de la pro-
mariage. En prenant possession de son vince, consentit, quoiqu'il n'espérât
siège, il perdit un de ses enfants, et se rien de ce délai, à différer la publica-
laissa aller à la plus grande douleur, tion de la sentence. Andronicus , qui
d'où il fut tiré par le besoin d'arrêter avait promis tout ce qu'on avait voulu,
les persécuti ons d'Andronicus. Celui-ci montra bientôt que c'étaient de vaines
connaissait le crédit de Synésios, il y promesses ; il continua de piller, de
avait eu recours pendant le séjour du proscrire, de faire périr les citoyens.
e, d'y On déplora surtout la mort de Ma-
prélat
être mandé lui-même. pour
à Alexandri Mais éviter
il ne tint gnus, jeune homme de grande espé-
aucun compte de ses remontrances, rance, distingué par sa naissance et
s'aigrit de ses réprimandes, voulut ses services, dont le frère avait été
même ôter aux églises le droit d'asile, banni; on n'avait d'autre crime à lui
et s'emporta enfin en blasphèmes à ce reprocher que d'être le frère d'un
propos. Synésios alors formula contre homme qu'Andronicus haïssait : on
Andronicus,Thoas, et leurs adhérents, lui demanda de l'argent, et on le battit
la terrible sentence d'excommunica- jusqu'à ce qu'il payât ; et quand il eut
tion.
payé, on le battit encore jusqu'à ce
« L'Église de Ptolémaïs à toutes qu'il expirât , parce qu'il avait trouvé
« celles de la terre. Qu'aucun temple de quoi payer en vendant des terres
« de Dieu ne soit ouvert à Androni- à d'autres qu'au stratège lui-même.
« eus ni aux siens, à Thoas ni aux
« siens; que tous les lieux sacrés et Synésios alors lança l'excommunica-
tion, etl'envoya à tous les évêques de
« leur enceinte leur soient fermés ; la chrétienté , avec une lettre qui en
« car il n'est pour le démon aucune expliquait les motifs, et une seconde
« place en paradis, et s'il s'y glisse qui faisait connaître les nouveaux mé-
« furtivement on doit l'en chasser. faits d'Andronicus.
« J'ordonne, soit aux particuliers, soit Andronicus est remplacé; arri-
« aux magistrats, de n'avoir avec eux vée d'Anysios.— Le vigoureux prélat
« ni le même toit ni la même table ; je ne se borna point à user de ces armes
« le recommande surtout aux prêtres, spirituelles; il avait déjà écrit à Constan-
« qui ne leur parleront point de leur tinople pour dévoiler à quelques person-
« vivant, et ne leur feront point defu- nages puissants la conduite du gouver-
« nérailles après leur mort. Que si neur imposé à la Pentapole pour son
« quelqu'un, dédaignant une ville peu malheur; il s'adressa alors àTroïle,
« considérable, recevait ceux que son en le priant de mettre la vérité sous les
« Église a condamnés, comme s'il était yeux d'Anthémius; et enfin Andronicus
« permis de ne lui point obéir à cause fut révoqué. On avait déjà désigné, pour
« de son peu d'importance, qu'il sache le commandement militaire du pays (*),
«« que Anysios, jeune et brave, mais en même
Christc'est diviser l'Église
a déclarée indivisibleque; etJésus-
quel temps sage, vigilant, juste, pieux, in-
« qu'il soit, diacre, prêtre ou évêque, tègre, désintéressé, qui s'empressa de
« il sera pour nous dans le même cas faire rentrer dans l'ordre tous les su-
«« qu'Andronicus
mais notre mainlui-même , et ja-
ne touchera la
(*) Avant Pâques de l'année 4"*
138 L'UNIVERS.

balternes; d'arrêter leurs pillages et campagnes de la Cyrénaïque, ruinèrent


leurs exactions. Andronicus fut pour- le pays, où le cours de la justice fut
suivi et
, n'échappa aux rigueurs de la interrompu ; Synésios lui - même se
justice que par l'intercession de Syné- trouva assiégé dans sa ville épiscopale,
sios , qui , pour le sauver , ne craignit avec le seul "fils qui lui restât alors, et
pas de froisser plusieurs de ses amis, qu'il devait bientôt voir mourir aussi
que le désir de se venger animait con- tout jeune encore. L'éloquent évêque
tre le gouverneur destitué. nous a laissé, dans un morceau que l'on
Depuis sept ans, les courses sans a intitulé Catastase ou Constatation,
cesse renouvelées des barbares mena- le tableau de l'état déplorable où se
trouvait alors réduite la Pentapole :
çaient la Pentapole d'une ruine com- « Elle était naguère en la possession
plète; Anysios l'en préserva une année
encore par sa bravoure. Une horde «des Romains, s'écrie -t- il ; mais
d'Ausuriens s'étant avancée dans la « ils peuvent la rayer maintenant de
province, Anysios se mit à la tête des « la liste de leurs provinces ; c'en est
troupes, composées de Marcomans et « fait d'elle , elle est perdue. — Il eût
de Thraces, avec quarante cavaliers «suffi, pour la conserver, d'opposer
hunnigardes, qu'il attacha plus spécia- « aux barbares quatre centuries et un
lement àsa personne, et qui suivaient « stratège; mais on a laissé les Ausu-
tous ses mouvements; il attaqua en « riens s'enhardir par le succès ; et
diverses rencontres les Ausuriens , et « leurs femmes même, l'épée au poing,
par la valeur de ses quarante Hunni- « leur nourrisson à la mamelle, vien-
gardes, illes culbuta et les battit si « nent partager, avec leurs maris,l'hon-
« neur et le butin. — O honte ! ces fiers
rudement, que de mille cavaliers qu'ils «Romains, dont les trophées cou-
étaient , il en échappa à peine un cin-
quième. Synésios composa un éloge « vraient le monde, ne peuvent garder
spécial du stratège victorieux et de ses « les villes grecques de la Libye , ni
Hunnigardes, proclamant ceux-ci de « même peut-être Alexandrie d'Egypte !
véritables soldats romains quand ils « — Rien n'a arrêté les barbares , ni
étaient commandés par un tel chef, « les montagnes, ni les forts; ils en-
et demandant hautement qu'il fût ac- « lèvent les femmes et les enfants; les en-
cordé àla province un corps de deux « fants qu'ils élèveront pour la guerre,
cents hommes de cette arme, persuadé « et qu'ils ramèneront adultes dévaster
qu'avec lement eux chasser Anysios pourrait non-seu- « le sol qui les vit naître. — Qui vou-
définitivement les Au- « drait énumérer les châteaux qu'ils
suriens du pays, mais encore aller les « ont démolis, les dépouilles qu'ils ont
battre sur leur propre territoire. «emportées, les troupeaux qu'ils ont
État déplorable de la Cyrénài- « emmenés? ils ont chargé cinq mille
que après le rappel d'anysios. « chameaux de leur butin, et fait trois
— Ce vœu ne devait pas être rempli, « fois plus de prisonniers qu'ils n'é-
et Anysios , que l'on vit élevé peu « taient eux-mêmes. La Pentapole est
d'années après à la dignité de comte « perdue sans retour (*). — Je n'ai plus
des largesses impériales, fut appelé à « de patrie ; il ne me reste qu'à atten-
une autre destination; sa place fut « dre un navire qui veuille me trans-
donnée à un nouveau chef que l'âge et « porter pauvre et humble dans une
les infirmités rendaient impotent , et « île éloignée , à Cythère peut-être.
dont la bonne volonté ne pouvait sup- « O Cyrène ! quitterai-je donc ces ar-
pléer les forces; une indication sus- « chives publiques où ma généalogie
pecte lui attribue le nom d'Innocent « est inscrite depuis Hercule , et ces
et la qualité de duc, en même temps « tombeaux doriens où le mien devait
qu'elle nomme Gennade comme gou-
verneur civil. Les Ausuriens profitè- (*) Te9vY]xev oLitécëri rà IIcVTa7r6Xsc«>ç .
rent de sa faiblesse pour renouveler téXoç lyj.\ ' Staxeyeipiarat • a7r6>wXev " oùx
leurs déprédations, ils envahirent les W dcrù 7iavxeXàiç, oùô' rj{xtv, oûts paaiXsï.
AFRIQUE ANCIENNE. 139
« être, et cette infortunée Ptolémaïs toire, relativement à certaines condi-
« dont j'aurai été le dernier pasteur!— tions d'admission dans les bureaux
« Non , non , j'irai au saint temple de des grands
et dans fonctionnaires dede ceux-ci
la nomenclature l'État;
« Dieu , c'est là ma place ; je m'entou-
«« rerai des vases desacrés , j'embrasserai qui y est insérée , on voit figurer à la
les balustres la sainte table, et fois les ducs de la Libye et de la Pen-
«je m'assoirai là vivant pour y at- 474, de tapole; ce quiofficiers
constate del'existence , en
tendre » le moment où j'y reposerai les deux deux
«« mort. provinces libyennes, au lieu
ce rang pour
Telles étaient les circonstances au d'un seul marqué dans la Notice des
milieu desquelles le gouvernement de Dignités; mais ne faut-il point faire
la Pentapole fut confié à Marcellin; il remonter beaucoup plus haut la créa-
trouvait les villes assiégées au dehors tion du titre de duc de la Pentapole ?
par une multitude de barbares furieux , Il semble que les écrits de Synésios
en proie au dedans à la licence des nous désignent précisément cet officier
soldats et à la rapacité de leurs offi- sous l'appellation de stratège, bien
ciers il; apparut comme un Dieu sau- qu'il ne lui attribue nulle part le com-
veur, mit l'ennemi en déroute dans mandement exclusif de la Cyrénaïque.
une seule bataille, appliqua une sur- Sous Anastase , la Pentapole fut en-
veillance soutenue à retenir les mili- core affligée par le double fléau des
taires dans le devoir, et délivrant barbares et des mauvais gouverneurs.
ainsi les citoyens des deux fléaux qui Les Mazikes renouvelèrent en 491
les opprimaient, il leur rendit la paix, leurs incursions et leurs ravages dans
et se montra intègre, désintéressé, cette province, abandonnée en quel-
bienveillant , pieux , juste , humain , que sorte à la famille du premier mi-
tel enfin qu'un philosophe chrétien, nistre pour s'y enrichir: ce premier
ainsi que se désigne lui-même Syné- ministre était le syrien Marinus,
sios, pouvait se complaire à faire de homme grossier, brutal, outrageux en
lui, après qu'il eut quitté sa charge paroles, impitoyable à l'égard des mal-
et sa province, un éloge complet quoi- heureux ,avide de richesses pour lui
que exempt de flatterie; et c'est en àet lapour Libye son les siens. neveu Il préposa
Marinus,d'abord
jeune
ces termes que l'évêque de Ptolémaïs
rendait témoignage de la bonne admi- écervelé, à qui les confiscations in-
nistration dece gouverneur. Synésios justes, le sang même des innocents,
occupa encore plusieurs années son ne coûtaient rien pour arriver le plus
siège épiscopal, et continua sans doute tôt possible à son but de faire for-
de prendre aux affaires de sa patrie tune. Après lui, ce fut le tour de Bas-
une part active et influente; mais sianus , propre fils du ministre , dont
l'histoire ne nous en a rien conservé. les excès et les violences surpassèrent
encore celles de son prédécesseur , au
Sixième période, depuis Martien jus- point de le faire regretter. Les richesses
amassées par ces deux gouverneurs
qu'à
dence etHéraclius
de transition.: Époque de déca-
furent un appât pour toute leur pa-
renté etleurs amis, qui allaient, comme
Administration de la Cyrénai- un essaim , s'abattre sur cette pro-
que sous zenon et sous anastase. vince pour avoir leur part du pillage.
— Plus de soixante années s'écoulent Restauration de la Libye sous
sans que nous trouvions aucune trace Justinien.— Sous Justinien, la Libye,
des événements politiques de la Pen- qu'il avait trouvée entièrement envahie
tapole ;sous Zenon , et pendant le par les barbares, fut restaurée, et reçut
court espace de temps où il régna une organisation nouvelle. L'ancienne
conjointement avec le jeune Léon son organisation, telle qu'elle existait pen-
fils^ une loi fut adressée, par eux en dant les premières années de son règne,
commun, à Érythrius , préfet du pré- est constatée par le Synecdème de
140 L'UNIVERS.

Hiéroclès, ou l'on voit figurer la pro- blic. Ilentoura de fortifications deux


vince présidiale delà Libye supérieure, monastères situés aux confins de la
avec les villes de Sozousa, Cyrène, Pto- Pentapole, afin de repousser les bar-
lémaïs, Teukhira, Adriane et Bérénice; bares, etd'empêcher que , par des in-
et la province également présidiale de cursions inattendues, ils ne fissent ir-
la Libye inférieure, avec les villes de r u p t ion l'improviste
à
Parétonion, Zogra, Zagoulis, Pidonia, romain. Dans la même surcontrée
le territoire
est la
Antiphrai, Darnis et Ammoniaca. Pro- ville de Ptolémaïs, jadis florissante et
bablement ces deux provinces étaient populeuse , délaissée à la longue , à
soumises, au moins nominalement, au cause du manque d'eau, par la plupart
préfet d'Egypte. Par un édit spécial , de ses habitants , qui avaient émigré
Justinien sépara entièrement l'admi- dès longtemps
nistration dela Libye de celle de l'E- taient dispersés,pour au gréce demotif, et s'é-
chacun, sur
gypte ,laissant cette dernière sous différents points ; Justinien ayant fait
l'autorité civile et militaire du préfet réparer les aqueducs et les canaux de
augustal, et constituant dans une la place, lui rendit ainsi son ancien
complète indépendance, sous l'auto- air d'opulence.
ritécivile et militaired'un seul duc, une La dernière vï|Ie de la Pentapole
grande province de Libye, comprenant est Borion , où la réunion des chaînes
a la fois la Cyrénaïque et la Marma- de montagnes et la difficulté des che-
rique , plus la Maréotide et la ville de mins ferment le passage aux ennemis ;
Ménélas
deux annexes qui est contre
étaient l'Egypte
enlevées à la; cir-
ces elle n'avait pas de murailles; l'empe-
reur l'entoura de solides fortifications
conscription dupréfet augustal, pour qui en fissent un lieu sûr. A quatre
être désormais comprises dans la Li- journées de route de Borion pour un
bye. Le duc était chargé de toutes les bon marcheur, sont deux villes, toutes
branches de l'administration, et de la deux portant
levée des impôts de toute nature, sur ciennes toutes le nomtournées
deux, d'Augila, an-
au sud,
lesquels il devait prendre la solde de dont les habitants conservaient les
ses troupes. mœurs et les usages antiques , tous
L'empereur n'épargna rien, au sur- étant encore nomades au temps de
plus, pour relever les villes de l'état Procope, et adonnés au culte de plu-
d'abandon et de décadence où elles sieurs dieux; autrefois il y avait là
étaient tombées; et nous devons à des temples à Ammon et à Alexandre
Procope le recensement des travaux de Macédoine, où les indigènes avaient
qu'il y fit exécuter. Taposiris, qui est continué,
à sacrifier jusqu'au règneCe deprince,
des victimes. Justinien,
plus
à une journée d'Alexandrie, fut dotée,
entre autres édifices, d'un palais et de jaloux encore du salut de leurs âmes
bains publics ; comme cette partie de que de leur sûreté temporelle, pour-
la Libye est fort déserte et a besoin vut avec beaucoup de soin à leur con-
d'être défendue contre les incursions version àla vraie foi , en établissant
des Maures du voisinage, Justinien parmi eux plusieurs familles chré-
tien es :ils abandonnèrent les hon-
eut lamentprécaution
établir deux citadelles d'y faire oùprudem-
il mit teuses pratiques de leur patrie , et il
garnison: l'une à Parétonion; l'autre leur construisit un temple consacré au
vrai Dieu. Quant à la ville de Borion .
à Antipyrgos, qui n'est pas loin de la voisine des Maures barbares , elle de-
Pentapole. Celle-ci est , pour un bon
marcheur, à dix journées de route meura exempte de tributs ; et jamais
d'Alexandrie ; l'empereur y fit entou- depuis qu'elle existe , ajoute le narra-
rer la ville de Teuchira d'une forte teur, iln'y est entré aucun officier de
muraille, et réparer l'enceinte de Bé- finances ni percepteur d'impôts. Il y
rénice depuis les fondements , sans avait jadis , au voisinage , une colonie
parler des bains qu'il fit construire en de Juifs possesseurs d'un ancien tem-
ce dernier endroit pour l'usage du pu- ple fort vénéré parmi eux ; Justinien
141
AFRIQUE ANCIENNE.
les ayant convertis au christianisme , néens se font remarquer dans l'histoire
transforma ce temple en église. Au des premiers temps de l'établissement
delà sont les Syrtes. du christianisme: qui ne connaît Simon
La Libye enlevée a l'émigré le Cyrénéen, qui aida Jésus-Christ à
sous Héraclius. — Ces précautions porter sa lexandre croix, et qui ,futcomptés
père d'A-
assurèrent sans doute à l'empire la con- et de Rufus au
servation dela Libye; du moins voyons- nombre des premiers fidèles ? (jui ne
nous, à Pépoque où l'exarque d'Afrique sait que les Cyrénéens vinrent à An-
Héraclius, et le patrice Grégoire son tioche au temps du baptême du cen-
frère et son lieutenant, résolurent, à la turion Cornélius ? qui n'a vu le nom
sollicitation de Crispus gendre de Pho- de Lucius de Cyrène parmi les pré-
cas, d'envoyer leurs fils Héraclius et dicateurs entre lesquels Paul et Bar-
JNicétas pour détrôner cet empereur
débauché (*) , du moins voyons-nous , lat?nabeNosfurent
livres désignéssacrés pour
nous l'aposto-
fournis-
dis-je, Nicétas choisir, pour se rendre sent eux-mêmes ces premières indica-
de Carthage à Constantinople, la route tions ;et l'on doit croire que si des
de terre à travers l'Afrique, la Libye, Cyrénéens allaient ainsi professer au
l'EgypteHéracliuset l'Orient, pendant loin le christianisme, il s'en trouvait
cousin allait, avec laque son
flotte, sans doute aussi, dans leur patrie, qui
tenter de surprendre la ville impériale, avaient embrassé la foi du Christ; et
ainsi qu'il l'exécuta heureusement. ce fut probablement parmi les Juifs de
Héraclius fut le dernier empereur la Pentapole que la nouvelle loi trouva
qui posséda la Libye ; les Arabes lui de nombreux adhérents.
avaient enlevé déjà la Syrie et Ja Mé- On croit que l'évangéliste saint Marc
sopotamie; ilsétaient entrés en Egypte; lui - même , le disciple et le secrétaire
quand il mourut (**) , Amrou ben el-'As de saint Pierre, était un de ces Juifs
assiégeait Alexandrie, qui fut prise cyrénéens ; aussi, lorsque, après avoir
dans la même année ; et bientôt après écrit à Rome son évangile sous la dic-
son lieutenant Oqbah ben Nafé' enva- tée du prince des apôtres , il fut en-
hissait l'antique contrée des Barkéens, voyé en Orient pour propager la parole
lui imposait tribut, et poursuivait sa divine , il était naturel qu'il vînt dé-
course victorieuse vers l'Occident. C'é- barquer àCyrène, comme le témoi-
tait pour la Libye le commencement gnent les historiens ecclésiastiques,
d'une vie politique nouvelle, et son dont quelques-uns le font arriver dans
nom même disparaissait à tout jamais la Pentapole dès l'année 40 de Jésus-
sous celui de pays de Barqah ; l'his- Christ, et lui attribuent un séjour pro-
toire de l'ancienne Libye se termine longé dans cette province avant qu'ilà
donc naturellement à cette époque ; et vînt commencer sa prédication
il ne nous reste plus qu'à jeter un Alexandrie; quelle qu'ait été la durée
coup d'œil rétrospectif sur les annales effective de ce séjour, il est unanime-
de l'Église chrétienne que les apôtres ment reconnu qu'il en résulta de nom-
y avaient établie , et qui fut alors en- breuses conversions, tant parmi les
gloutie par le flot musulman. juifs que parmi les gentils. De Cyrène
il passa dans les autres parties de la
VII. FASTES DE L'EGLISE CHRÉ- Libye, telles que la Marmarique et la
TIENNE EN LIBYE. région Ammonienne, champs vastes et
vierges, où la moisson fut abondante.
Établissement et progrès du christia- Enfin , en la septième année du règne
nisme dans la province de Cyrène.
de Néron, l'an 61 de l'ère chrétienne,
Première prédication de l'é- il quitta la Cyrénaïque pour se rendre
vangile en Libye.— Des nomscyré- à Alexandrie, où il fonda diverses pa-
roisses, et exerça pendant deux ou
(*) En l'année 6ro. trois ans les fonctions du patriarcat;
(**) Le nmars64r. puis, s'étant donné un successeur dans
142 L'UNIVERS.

le gouvernement de l'église d'Alexan- duit à Taposiris, où il fut, malgré


drie (la seconde alors de toute la chré- lui, délivré de leurs mains par quel-
tienté), irevint
l dans la Libye visiter
ques fidèles qui l'obligèrent à fuir
les fidèles qu'il y avait convertis , en dans le désert de Marmarique, jusqu'à
augmenter le nombre par ses prédica- trois journées de Parétonion. La mort
tions, et établir parmi eux des mi- de Décius rendit un moment la paix
nistres du nouveau culte. On prétend à l'Église ; et le patriarche rentra dans
qu'il y institua même des évêques ; et sa métropole. Mais la persécution re-
les martyrologes désignent Lucius le commença avec une nouvelle force
Cyrénéen , le même qui avait concouru sous Valérien, en 257 ; et saint Denis,
à la consécration de saint Paul et de mandé par le préfet augustal , fut exilé
saint Barnabe, comme ayant été alors en Libye, dans un village obscur ap-
le premier évêque de Cyrène. Saint pelé Réphron ; quoique malade , le
Marc retourna ensuite à Alexandrie ,
pieux évêque eut à partir sur-le-champ
pour y trouver la mort dans une pour cette destination , dont le nom
émeute populaire le 25 avril 68. même lui était à peine connu; mais
Première organisation de l'É- sa présence y attira de nombreux fidè-
glise cyreneenne. — Depuis cette les, tant d'Alexandrie que du reste de
première institution d'évêques ( si l'Egypte; et les habitants du lieu, qui
elle est réelle) dans la province, alors
étaientbordidolâtressaint Denis etetpersécutaient
ses disciples d'a-
, ne
unique, de Cyrène, celle-ci fut désor-
mais soumise à l'obédience d'Alexan- tardèrent pas à subir l'influence de sa
drie; et il est remarquable que la prédication. Le préfet alors le trans-
hiérarchie était réglée de telle ma- féra àCollouthion dans la Maréotide,
nière, que l'ordination des évêques plus près d'Alexandrie il est vrai, mais
n'y pouvait être faite que par le pa- séparé de ses compagnons d'exil , à
triarche, soit directement, soit par dé- chacun desquels fut assignée une rési-
légation de ses pouvoirs à un de ses dence distincte.
suffragants, ainsi que nous en ver- Hérésie de Sabellius. — C'est
rons plus loin des exemples. pendant cet exil que saint Denis écri-
Cependant, suivant les annales arabes vit , tant au pape romain Sixte II ,
du patriarche Eutychius , qui ne sont qu'à Ammonius évêque de Bérénice
point contredites en cela par les mo- dans la Pentapole, et à d'autres, au
numents historiques plus anciens, les
sujet de l'hérésie de Sabellius de Pto-
évêques d'Alexandrie , depuis saint lémaïs , qui commençait alors à se
Marc jusqu'à son onzième successeur répandre ; renouvelant l'erreur de
Démétrius (*) , se bornèrent à admi- Praxéas, que lui avait transmise Noè-
nistrer les églises de leur obédience tus de Smyrne, dont il fut le disciple,
par de simples prêtres ; et eux-mêmes Sabellius enseignait qu'il n'y a en
étaient élus et ordonnés par leur pro- Dieu qu'une
pre chapitre. 11 est certain que , sauf de trois nomsseule personne,
différents appeléele
suivant
la mention de Lucius de Cyrène avec point de vue sous lequel on la consi-
le titre d'évêque, dans certains dère. «Il s'est élevé à Ptolémaïs dans
rologes, on ne découvre aucune marty-
autre « la Pentapole, » mandait saint Denis
trace à Sixte II , « une doctrine véritable-
avant d'évêque
le milieu ,dudans la Cyrénaïque
troisième siècle. , « ment impie, contenant plusieurs blas-
Saint Denis d'Alexandrie exi- « phèmes contre Dieu le Père, tendant
lé en Lieye. — Ce fut alors (en « à ne point regarder son fils unique
250) qu'eut lieu la persécution de « comme la première de toutes les
Décius, et la retraite en Libye du pa- « créatures, le Verbe incarné, et à ne
triarche saint Denis d'Alexandrie , « point reconnaître le saint Esprit.
pris d'abord par des soldats, et con- « J'en ai reçu premièrement des écrits
« de part et d'autre; et ensuite des
(*) Élu en 189, mort en 23 1. « frères sont venus m'en parler ; sur
AFRIQUE ANCIENNE. 143

« quoi j'ai écrit quelques lettres trai- ger ,d'autres mangeaient plus tôt ,
« tant la question sous le rapport du et quelques-uns dès le soir du samedi.
« dogme , et je vous en envoie les co- Le saint patriarche
« pies. » En effet . quelques évêques rance de ceux qui se blâme
hâtent l'intempé-
trop , loue
avaient adopté les idées de Sabellius , le courage de ceux qui tiennent bon
et leur opinion avait tellement pré- jusqu'à la quatrième veille, et ne
valu,que l'on ne prêchait presque trouve d'ailleurs rien à redire à ce
plus le mystère de l'incarnation de qu'on cède au besoin du sommeil,
Jésus-Christ ; saint Denis, en pasteur tandis que les plus fervents passaient
diligent, les avait exhortés à quitter la nuit entière sans dormir. « Vous
leur erreur ; mais ils n'en avaient rien « nous avez fait ces questions , mon
fait, et s'étaient imprudemment enga- « cher fils, » disait -il en terminant,
gés plus avant dans leur impiété ; et « non par ignorance , mais pour nous
c'est pour « faire honneur et entretenir la con-
triarche ce motif que
avait adressé le saint pa-
à Ammonius de
« corde ; et moi , j'ai déclaré ma pen-
Bérénice et à Euphranor une lettre « sée, non pour faire le docteur, mais
spéciale , où il rappelait les témoigna- « pour user de la simplicité avec la-
en ce qui touche l'hu- « quelle nous devons parler ensemble. »
ges évangéliques
manité de Jésus-Christ , afin de mon- Cette lettre à Basilides a toujours été
trer que ce n'est pas le Père , mais le regardée,
comme uneparépître les canonique
églises d'Orient,
faisant
Fils
et lesquiamener s'est ensuite
fait homme pour nous,
à la connaissance règle en matière de discipline. Deux
de la divinité du Fils. Mais, ainsi qu'il écrivains ecclésiastiques du douzième
arrive souvent dans les discussions, en siècle, Zonare et le canoniste Théodore
voulant combattre l'unité de personne Balzamon, ont recueilli quelques frag-
prêchée par Sabellius, saint Denis, ments de Basilides lui-même.
dans sa lettre à Euphranor et Ammo- Premiers évêques de la Cyré-
nius avait
, un peu forcé l'expression naique. — Le titre d'évêque de la Pen-
des arguments propres à établir la tapole, que portait Basilides, ne doit
distinction du Père et du Fils ; si bien
point nous induire à penser qu'il n'y eût
que des fidèles scrupuleux crurent alors qu'un seul évêque pour toute la
trouver dans cet écrit des assertions Pentapole, puisque nous avons déjà
contraires à la consubstantialité des rencontré aussi le nom d'Ammonius
deux personnes divines, et signa- évêque de Bérénice ; peut-être le pre-
lèrent au pape l'erreur prétendue du mier s'intitulait -il ainsi, parce que le
patriarche; ce fut, pour celui-ci, l'oc- siège de Ptolémais, qu'il occupait,
casion d'adresser à saint Denis, évêque était le principal de la Pentapole, et
de Rome et successeur de Sixte II, lui donnait, en quelque sorte, la qua-
une nouvelle lettre, accompagnée d'un lité de métropolitain. Il y a lieu de
traité apologétique où il se justifiait croire que , même sans remonter plus
pleinement de la fausse interprétation haut que le patriarche Démétrius, plu-
donnée à ses paroles. sieurs évêchés furent simultanément
Épitre canonique a Basiltdes établis dans la Cyrénaïque , bien que
de Ptolémais. — Une autre lettre nous n'ayons trouvé jusqu'ici d'indices
de saint Denis d'Alexandrie nous formels que pour Bérénice et Pto-
fait connaître le nom de Basil ides , lémaïs.
évêque de Ptolémais , ou comme on Les martyrologes nous désignent
disait alors, évêque de la Pentapole, ensuite , à la date du 4 juillet , Théo-
qui l'avait consulté sur plusieurs dore, évêque de Cyrène, comme ayant
points de discipline, notamment sur péri dans les tortures au temps de la
l'heure à laquelle on pouvait rom- persécution de Dioclétien , en l'année
pre le jeûne le jour de Pâques; les 302; et sous la date du 26 mars, un
uns attendaient le chant du coq après autre Théodore, évêque de Ptolémais,
avoir passé tout le samedi sans man- qui fut martyrisé avec le diacre Irénée
144 L'UNIVERS.
et les lecteurs Sérapion et Ammonius, lui , en telle sorte qu'il y avait distinc-
peut-être à la même époque, peut-être tion, non-seulement de personne, mais
seulement sous le règne de Licinius, aussi de substance. Cet enseignement,
vers 319, comme on pourrait le con- bien que renfermé dans son église, fit
clure des annales d'Eutychius , où se des prosélytes et entraîna plusieurs
trouve indiqué, sous ce prince, le mar- des prêtres les plus distingués d'A-
tyre de Théodore chevalier, et du mé- lexandrie; mais d'autres résistèrent,
tropolitain deBarkè , sans désigna- Ja controverse naquit, et le patriarche
tion plus précise de celui-ci ; il nous assembla dans sa métropole, en 320,
suffit de rappeler, quant à ce dernier, un synode, où fut anathématisée l'hé-
que Ptolémaïs était alors la métropole résie nouvelle, et son auteur excom-
de la province, et qu'elle portait dans munié avec neuf diacres qui parta-
l'origine le nom de Barkè. geaient son erreur. La lettre synodale
adressée au patriarche d'Antioche et
Le Libyen Jrius et son hérésie. à quelques autres évêques , pour les
instruire de cette décision, portait que
Naissance et progrès de l'hé- nombre d'évêques de l'Egypte, de la
résie d'Arius. — Bientôt éclata l'hé- Thébaïde, de la Libye, de la Penta-
résied'Arius. C'était, suivant ,1e portrait pole et de diverses autres provinces y
que nous a laisséde lui saintÉpiphanes, avaient adhéré par leurs lettres.
un Libyen déjà âgé, à la taille élevée, au Mais l'hérésie , loin d'en être abat-
maintien austère, au costume simple, tue, se propageait au contraire au de-
au visage mélancolique et grave, à la dans et au dehors. Secundus, évêque
voix douce et persuasive. Fait diacre de la Pentapole, c'est-à-dire de Ptolé-
sous le patriarcat de saint Pierre maïs, etThéonas, évêque de Marma-
successeur de saint Denis, il avait eu rique, c'est-à-dire peut-être de Darnis,
discussion avec son évêque en prenant l'adoptèrent avec éclat ; et le patriar-
le parti de Mélétius de Panopolis con- che assembla en 321 un nouveau sy-
tre les rigueurs qui avaient déterminé
node des évêques d'Egypte et de Li-
le schisme de celui-ci. Saint Achillas, bye, au nombre de près de cent
successeur de saint Pierre, n'en avait disent les historiens, pour anathéma-
pas moins élevé Arius à la prêtrise, tiser de nouveau Arius et ses adhé-
lui donnant même la direction de l'é- rents, et avec ceux-ci les évêques Se-
glise deBoukolion, l'une des paroisses cundus etThéonas. Des prêtres et des
d'Alexandrie. Arius, s'il en faut croire diacres d'Alexandrie et de la Maréo-
ses ennemis, prétendait à l'épiscopat, tide demandèrent à être compris dans
et ne put pardonnera saint Alexandre la même sentence , et Arius , se reti-
de lui être préféré pour succéder à
rant en Palestine, se vit à la tête d'un
saint Achillas (en 313); d'autres, au parti nombreux, où tenait le premier
contraire, assurent qu'Alexandre ne rang Eusèbe de Nicomédie.
Rescrit de Constantin pour la
lut
rius. nommé que par l'influence d'A-
pacification de l'Église. — Les
Alexandre, en prêchant à son clergé, choses en vinrent à ce point, que l'em-
et aux autres fidèles le mystère de la
pereurtervenir :illui-même
écrivit sentit le besoin d'in-
à Alexandre et à
Trinité, parut àentraîner
rius se laisser l'esprit prévenu d'A-
au sabellia- Arius une lettre commune, dans la-
nisme; et le prêtre ardent , comme quelle, au milieu de développements
autrefois saint Denis d'Alexandrie, étendus, il leur disait en substance :
prêchant à son tour contre cette er- « J'ai résolu , avec l'aide de la Pro-
reur, tomba dans l'excès contraire , et « vidence divine, de me constituer vo-
enseigna que, loin de n'admettre en « tre arbitre et votre médiateur, et de
Dieu qu'une seule personne, il fallait « vous rappeler à des sentiments plus
bien reconnaître que le Père étant le « sages et plus modérés. Je dirai donc
créateur du Fils, avait dû exister avant « avant tout que toi , Alexandre , tu
AFRIQUE ANCIENNE. 145
« as été la cause première de tout le « mon empire, aussi tranquilles et aussi
« mal, par ton imprudence à proposer « heureux qu'autrefois, et que je puisse
« à tes prêtres des questions subtiles « rendre à Dieu, pour la bonne har-
« et vaines sur divers passages du texte « monie, la prospérité et la liberté de
« de notre loi ; et que toi , Arius, tu « tous, le tribut de grâces et de louan-
« as indiscrètement manifesté une opi- te ges qui lui est si légitimement dû. »
« nion que tu ne devais point avoir, Osius, évêque de Cordoue, en qui
« ou que du moins tu devais cacher l'empereur avait toute confiance, fut
« avec grand soin: c'est de ces fautes chargé de remettre ces lettres et d'en
« qu'est née entre vous deux la dis- suivre l'effet ; il se rendit à Alexan-
« corde qui trouble votre Église. Mais drie et y convoqua (en 324 ), de con-
« tout pouvait être réparé; au lieu de cert avec le patriarche, un synode, où
« cela, vous avez refusé de vous con- se réunirent, dit-on, plus de deux
te certer, de vous entendre; vous avez cents évéques, tant de l'Egypte que de
« rompu toute communion religieuse la Libye; et il tenta tous les efforts
« entre vous; et le peuple des fidèles, imaginables pour amener une récon-
ciliation; mais ses tentatives furent
«. à votre exemple, s'est séparé en deux
« partis, et a détruit l'unité de l'Église vaines, et il vint rendre compte à
« par un schisme déplorable. — Mais, Constantin de l'inutilité de sa mis-
« puisque le mal est fait, pardonnez- sion. Alors, sur le conseil des évéques
« vous mutuellement, tant la demande les plus influents, l'empereur résolut
« inconsidérée de l'un que la réponse de convoquer un concile écuménique,
« imprudente de l'autre. Il ne s'agit c'est-à-dire de réunir en une seule as-
« pas entre vous de quelque point semblée tous les prélats de l'écumène
« principal de la loi nouvelle, ou d'un ou de la terre habitée, premier exem-
« dogme qu'on veuille inventer puur ple d'une réunion générale de toute
« l'ajouter à la somme des articles de l'Église chrétienne.
Concile général de Nicée, qui
« notre foi ; vous professez tous deux
« une seule et même opinion sur le condamne Arius. — Des lettres im-
« culte de la divinité ; à tous deux donc périales furent en conséquence en-
« il doit être facile de vivre dans la voyées dans toutes les provinces; Ni-
« même communion religieuse. — L'u- cée fut désignée pour le lieu du
« niformité en tout est impossible; rendez-vous, et les relais de l'empire
«« dans
elle n'existe ni dans des
les volontés, furent mis à la disposition des évéques
les caractères hommes : niil
et des prêtres convoqués. S'il en fal-
« doit suffire que vous soyez parfaite-
cette laitconvocationcroire les Annales d'Eutychius,
aurait amené à Nicée
«« avez
ment end'accord
Dieu et sur
danslalafoiProvidence
que vous
deux mille quarante-huit évéques, tous
« divine ; et si désormais quelque nou- divisés d'opinions et de croyances; mais
« velle question venait à s'élever entre probablement les simples prêtres et les
« vous sur des choses d'un moindre autres clercs sont compris dans ce chif-
« intérêt, ensevelissez-la soigneuse- fre, et l'on doit penser que le nombre
« ment au fond de votre cœur, et ne des évéques était seulement de trois
« vous attachez qu'à conserver là cha- cent dix-huit, suivant le compte admis
par la tradition la plus répandue.
« rite mutuelle, la vérité de la croyan-
te ce, et l'observation des préceptes de Après quelques conférences particu-
« Dieu et de la loi. Croyez-m'en : ai- lières, leconcile s'ouvrit le 19 juin 325,
« mez-vous de nouveau les uns les au- sous la présidence de l'empereur en per-
« très; faites que tout le peuple, sans sonne, dans une des salles de son palais.
« exception, puisse, comme de cou- Arius et ses partisans furent entendus,
« tume, donner et recevoir le baiser et malgré leur opposition la consubstan-
« de paix. — Faites, je vous en con- tialité du Fils avec le Père fut recon-
« jure, que je puisse bientôt vous re- nue et proclamée, et l'on adopta 10 corn
« voir, ainsi que tous les peuples de me sacramentel le mot destiné à expri-
10e Livraison. (Afrique ancienne.)
146 L'UNIVERS.
mer ce dogme. La majorité futénorme, Avant de se séparer, les Pères du
et les évêques ariens qui rejetèrent le concile écrivirent une épître synodale,
symbole de foi rédigé par elle se rédui- adressée principalement à l'église d'A-
saientdix-sept,
à parmi lesquels étaient lexandrie età tous les fidèles de l'E-
Secundus de la Pentapole, Théonas de gypte, de la Libye et de la Pentapole,
la Marmarique, Secundus de Theuchi- comme plus directement intéressés
ra, Dathès de Bérénice, Sentianus de dans la question, et en général à tou-
Borion, Zéphyrios de Barkè. La dis- tes les églises de la terre, afin de leur
cussion etdes considérations diverses notifier les décisions de l'assemblée,
réduisirent bientôt le nombre de dix- l'excommunication et l'exil d'Arius, de
sept à cinq seulement, savoir : Secun- Secundus et deThéonas. Saint Alexan-
dus de la Pentapole , Théonas de la dre, patriarche d'Alexandrie , et le
Marmarique, Eusèbe de Nicomédie, grand saint Athanase qui était alors
Théognis de Nicée , et Maris de Cal- son archidiacre, furent chargés de
cédoine mais
; ces trois derniers ne ré- promulguer cette épître dans leur dio-
cèse.
sistèrent pasà des menaces de déposi-
tion et d'exil, et en définitive Secun- RÉHABILITATION ET MORT D'A-
dus et Théonas restèrent seuls entre RIUS.— Mais cet acte solemnel, qui sem-
tous les évêques , fermes dans la cause blait devoir anéantir l'arianisme, fut
d'Arius. Titus de Parétonion et Sé- loin de le déraciner : Eusèbe de Nicomé-
die et Théognis de Nicée retirèrent leur
rapion d'Antiphra s'étaient rangés, signature, et se laissèrent déposer et
dès le principe, de l'avis de la majorité.
L'assemblée arrêta vingt canons re- exiler pour la cause d'Arius; plus
latifs àla discipline , dont le sixième, tard, à la prière de Constantia sœur
concernant principalement l'ordina- de l'empereur, les deux évêques et
tion des évêques, rappelait les ancien- Arius lui-même furent rappelés; et
bientôt la rigidité de saint Athanase,
nes coutumes établies dans l'Egypte,
la Libye et la Pentapole, où l'évêque devenu patriarche d'Alexandrie par
d'Alexandrie avait l'autorité exclusive, surprise, au dire de Philostorge, aigrrt
de telle sorte que, nul évêque ne pou- contre lui Constantin, au point que la
vant, en général, être institué dans une sentence portée au concile de Nicée ne
lui parut plus incontestablement juste,
province'qu'avecil fallait
métropolitain, le consentement
en outre ici dule et qu'un nouveau concile fut convoqué
consentement de l'évêque supérieur, à Tyr en 335, dix ans précisément après
patriarche, ou pape, auquel étaient celui de Nicée. On y vit des évêques
subordonnées en commun les diverses
de Macédoinede etdePannonie;
d'Egypte, Libye, de tout ilsl'Orient,
étaient
provinces que nous venons de dési-
nombreux, et la plupart ariens; ils
gner (*).
n'avaient pas terminé leurs opérations
(*) « Antiqua consuetudo servetur in quand une lettre impériale les invita
« jEgypto, Libyâ et Pentapoli, ul Alexan- à se transporter à Jérusalem pour y
« drinus episcopus horum omnium habeat assister à la dédicace de l'église du
« potestatem. » Saint-Sépulcre, qui eut lieu le 13 sep-
L'édition arabe des canons du même tembre. Arius et tous les siens furent
concile nous a conservé, sous le nombre 3g,
reçus Athanase
saint à la communion
condamné deet l'Église,
déposé,
le' renseignement suivant, curieux pour l'his-
toire de l'ancienne hiérarchie des églises et bientôt après exilé à Trêves par
d'Orient : Constantin , et Pistus ordonné à sa
« Consideret Patriarcha quœ Archiepis-
« copi et Episcopi ejus in provinciis suis place évêque d'Alexandrie, par Secun-
dus de Ptolémaïs. Une lettre synodale
«faciunt, et si quid reperiat secùs quàm
« oporteat, factum mutet, et disponat ut « curam habet fratrum suorum , et ei debent
« sibi videbitur, siquidem ipse est pater « obedientiam quià praeest , est tamen Pa-
««omnium; et quamvis sit Archiepiscopus « triarcha loco patris, sub cujus doininatu.
« in Episcopos tanquam frater major qui « ac potestate sunt filii ejus, n
AFRIQUE ANCIENNE. 147

fut adressée à l'Église d'Alexandrie, prononcée, et le désaccord se prolon-


aux évêques d'Egypte, de la Libye et geant de concile en concile, l'empereur
de la Pentapole, et généralement à Constans proposa général
à son frère
tous les évêques, prêtres et diacres du bler un concile des d'assem-
évêques
monde chrétien. Arius survécut peu à tant d'Orient que d'Occident, pour
sa réhabilitation , et Constantin le trancher enfin la difficulté d'un com-
Grand mourut lui-même peu de temps mun consentement. La réunion eut
après. lieu en 347 à Sardique enlllyrie, aux
confins des deux empires; mais les con-
Résistance de saint Athanase contre ditions que chacune des parties voulait
farianisme. imposer à ses adversaires rendirent
tout accord impossible, les Orientaux
Succession de conciles contra- refusant de siéger avec Athanase et
dictoires QUI CONSOMMENT LE d'autres évêques qu'ils avaient excom-
schisme.— Constantius, à qui fut dé- muniés et demandant que la procé-
volu l'Orient, penchait pour l'arianis- dure faite à leur égard fût au moins
me; mais Constantin le jeune, qui avait recommencée, les Occidentaux préten-
les Gaules, se crut en droit de renvoyer dant maintenir leurdétermination sans
saint Athanase à son patriarchat, soit nouvel examen. Les choses en étant à
qu'il obeîtencelaàdesdispositions réel- ce point, les Orientaux quittèrent Sar-
dique et se rendirent à Philippopolis,
lement favorables, comme on l'admet laissant les Occidentaux excommunier
généralement, soit peut-être qu'il ju- à leur gré le patriarche Grégoire et
geât prudent d'éloigner cet homme al-
tier et turbulent. Les ariens réclamè- dix autres évêques d'Orient ; maisleur
ils
rent hautement contre cette violation déclarèrent à leur tour maintenir
de la sentence portée par le concile de propre sentence contre Athanase et
Tyr ; mais saint Athanase répondit à Asantus, évêques si empressés d'aller
leurs plaintes en assemblant à Alexan- à l'étranger et loin du théâtre de leurs
drie, en l'année 340, un synode d'en- méfaits, obtenir l'absolution des con-
viron cent évêques de l'Egypte , de la damnations prononcées contre eux en
Thébaïde, de la Libye et de la Penta- connaissance de cause; et ils excom-
munièrent de leur côté le pape Jules
épitre pole, qui écrivirent
synodale 'enlescommun
à tous évêques une
ca- et quatre autres évêques d'Occident.
tholiques du monde chrétien, pour ré- Parmi les soixante-treize signatures
futer les accusations dont le patriar- que porte l'épître synodale écrite à ce
che consubstantialiste était l'objet, et sujet , nous devons relever spéciale-
repousser comme nulle l'ordination ment ici celle de Pison, évêque de Dar-
du patriarche arien que Secundus de nis.
la Pentapole et Théonas de Libye lui Les empereurs prennent part
avaient substitué. Il s'ensuivit un nou- a la querelle; nouveau rétarlis-
vel examen de la question dans un con- sement et nouvelle expulsion
cile convoqué à Antioche en 341 : saint de saint Athanase. — Les églises
Athanase y fut reconnu dûment déposé d'Orient et d'Occident se trouvèrent
par le concile de Tyr, et on lui nomma ainsi divisées plus que jamais ; et cha-
pour successeur Grégoire, qui reçut la cun des empereurs épousa la cause de
confirmation de l'empereur. Là-des- ses évêques. Constantius exila dans la
sus , réclamation de saint Athanase, Libye supérieure ou Pentapole Arius,
surtout auprès du pape Jules 1er, qui évêque de Pétra en Palestine, et Asse-
convoqua à Rome, en 342, un nouveau rius, évêque de Pétra en Arabie, qui s'é-
concile, où saint Athanase fut déclaré taient séparés de leurs collègues à Sar-
évêque légitime et Grégoire sans qua- dique pour se réunir aux Occidentaux.
lité. Constans de son côté écrivit à son frère
Les églises d'Orient pour lui demander le rétablissement de
cident se trouvant ainsi eten celles d'Oc-
dissidence
saint Athanase, avec menaces d'y pour*
10.
148 L'UNIVERS.

voir lui-même s'il le fallait. Grégoire Triomphe momentané de l'a-


étant mort sur ces entrefaites, au com- bianisme. — Le récit , sans doute
mencement de l'année 349, Constan- très-partial , de saint Athanase lui-
tius jugea opportun de céder aux exi- même, accuse cet officier général d'une
gences de Constans; il rappela saint rigueur cruelle : « il écrivit aux com-
mandants et aux chefs militaires des
Athanase , et adressa au préfet d'E-
gypte, ainsi qu'aux gouverneurs des provinces, pour requérir leur con-
provinces de l'Augustainnique, de la cours; on voyait des évêques prison-
Thébaïde et de la Libye, un rescrit à niers, des prêtres et des moines char-
ce sujet. Arrivé à Jérusalem , le pa- gés de chaînes après avoir été bat-
triarche fut
y accueilli par un synode tus jusqu'à la mort. Tout le pays était
de seize évêques, qui écrivirent à ceux en trouble; les peuples murmuraient
d'Egypte et de Libye, et aux prêtres, d'une ordonnance si injuste et de la
diacres et fidèles d'Alexandrie pour dureté de l'exécution ; car, quoique
les féliciter du retour de leur pasteur. l'ordre impérial portât seulement de
De là saint Athanase se rendit à les chasser de leurs sièges, on les en-
Alexandrie, où il fut reçu, dit-il lui- voyait deux
à ou trois provinces de là,
même, avec une joie incroyable non- dans des solitudes affreuses, ceux de
seulement du peuple, mais des évêques Libye dans la grande oasis de Thèbes,
d'Egypte et des deux Libyes, qui accou- ceux de Thébaïde dans la Libye ammo-
raient de tous côtés, joyeux de se voir nienne.On traitait de cette manière des
délivrés de la tyrannie des hérétiques. vieillards, des infirmes : quelques-uns
Cependant la roideurde saint Atha- moururent au lieu d'exil, d'autres en
nase envers les ariens , les menaces chemin. La persécution frappa ainsi
qu'il
vis de avait
son inspirées frère, sonà accession Constans vis-à-
vraie près de quatre-vingt-dix évêques, c'est-
à-dire à peu près autant qu'il y en avait
ou supposée au parti de Magnence, et dans toute l'Egypte et la Libye; seize
furent bannis, plus de trente chasses,
d'autres fait
bientôt griefsperdre secondaires, lui eurent
les bonnes grâces les uns et les autres remplacés aussi-
de Constantius, désormais seul empe- tôt par de jeunes débauchés qui ache-
reur. Un concile, assemblé à Arles en taient àprix d'or leur épiscopat; quel-
353, le condamna de nouveau, et un ques-uns dissimulèrent par contrainte,
concile tenu à Antioehe en 3.54 lui et se soumirent a la réordination du pa-
donna pour successeur George, que triarche George. — Il y avait à Barkè
les Alexandrins refusèrent de recevoir; un prêtre appelé Securùlus qui refusait
un troisième concile convoqué à Mi- de reconnaître l'autorité de l'évêque
lan en 355 ratifia encore la condam- Secundus de Ptolémaïs, l'un des plus
nation dAthanase,
' qui n'en persista fougueux ariens : celui-ci, aidé du prêtre
pas moins à rester dans sa ville épis- Etienne, qui depuis fut son successeur,
maltraita tellement à coups de pied le
copale, lui
contre jusqu'à ce qu'on
à la force, eût recours
en faisant venir prêtre réfractaire , que le malheureux
de Libye les troupes aux ordres du duc en mourut : ceci se passait au carême
Syrianus. Saint Athanase écrivit alors de l'an 356. » — Saint Athanase se
déroba aux violences dont il était me-
lettreévêques
aux d'Egypte etoù deil Libye
de protestation une
cite entre nacé, en s'enfuyantau désert.
autres Secundus de la Pentapole com- "Lesblés enévêques
me un des promoteurs de la persécu- -concile "d'Orientà Séleucies'étant assem-
au mois de
tion. Celle-ci , au surplus , s'étendit septembre 359 , on y vit assister Hé-
hors d'Alexandrie, par toute l'Egypte liodore, évêque de Sozysa, Etienne,
et la Libye : il y eut un ordre de Cons- successeur de Secundus au siège de
tantius pour chasser des églises les évê- Ptolémaïs, Pollux ou Polydeuces, évê-
ques consubstantialistes, afin de les quevantde nous
Marmarique, c'est-àdire sui-
livrer aux ariens; et le duc Sebastia- de Darnis, et Siras, évêque
nus fut chargé de l'exécution. de Parétonion ; pendant le même temps
AFRIQUE ANCIENNE. 149
les évêques d'Occident, réunis à Ri- vien , qui prononça le rappel de tous
mini, acceptaient une profession de les bannis et la restitution des églises
foi arienne envoyée par l'empereur; aux catholiques. Saint Athanase écri-
puis les uns et les autres furent man- vit au nouvel empereur au nom de
dés tous ensemble à Constantinople tous les évêques d'Egypte , de Thé-
au commencement de l'année 300 , baïde et de Libye, pour lui demander
pour y signer en commun la formule de proclamer l'observation exclusive
de Rimini , qui fut d'ailleurs envoyée du symbole de Nicée; les ariens vou-
par tout l'empire, afin de recevoir l'a- lurent réclamer de leur côté, mais ils
dhésion de tous les évêques sans ex- ne furent pas écoutés. Valens n'accorda
ception; etil y eut en effet très-peu point la même protection aux consub-
de réfractaires. stantialistes, et il voulut même, en
Réaction catholique. — Le pa- 307, expulser de nouveau saint Atha-
triarche George ayant été tué dans nase, qui se tint caché pendant quatre
une émeute populaire en 302, saint mois; mais, à la demande de Valenti-
Athanase, qui depuis sept ans était nien , il fit cesser la persécution et
resté rait
caché laissa le patriarche tranquille sur son
rentrerausans désert, pensa qu'il
obstacle pour-
a Alexan- siège.
drie; ily fut reçu en triomphe par Indulgence et rigueur de saint
les catholiques, et il y eut une réac- Athanase ; fin de la lutte. —
tion contre les ariens, auxquels ils Il y avait dans la Pentapole , aux
enlevèrent la possession des églises, confins de la Libye, deux bourgades
leur laissant la consolation de se réu- contiguës , nommées Hydrax et Palé-
nir dans des maisons particulières et bisca , comprises dans la circonscrip-
d'élire tion de l'église d'Érythron , et trop
Divers Lucius évêquespour succéder , àrevenant
catholiques George.
peu importantes pour avoir elles-mê-
de leur exil , se réunirent à Alexan- mes un évêque; cependant comme elles
drie sous la présidence de saint Atha- étaient un peu éloignées du siège, et
nase, et formèrent un concile peu quel'évêque Orion qui l'occupait alors
nombreux (vingt évêques en tout), n'était pas assez ingambe pour les pro-
qui se crut en droit de protester au
téger tant au lespirituel
elles eurent désir de qu'au temporel,
se donner aussi
nom de toute l'Église contre la for-
mule de Rimini et les conciles qui l'a- un évêque, et elles jetèrent les yeux
vaient acceptée. Au nombre des assis- sur Sidérios, jeune homme actif et
tants se trouvaient saint Eusèbe de
Verceil revenant de la Thébaïde , As- vigoureux
faire valoirquidesrevenait terres de
quil'armée pour
lui avaient
sérius de Pétra en Arabie revenant de été accordées. A leur prière, Philon
la Libye supérieure, puis encore Caïus,
évêque de Parétonion, Menas, évêque de Cyrène vint faire l'ordination du
nouvel évêque : ordination très-irré-
d'Antiphra, et Marcus, évêque de Zy- gulière sans doute, puisqu'elle edt dû
gris, tous les trois de la Libye infé- être faite
rieure et qui probablement revenaient drie, ou de parson leconsentement
patriarche d'Alexan-
par trois
de la grande oasis. évêques au moins; cependant saint
L'empereur Julien ayant appris le Athanase ne crut pas le moment favo-
retour de saint Athanase, s'écria que rable pour se montrer rigoureux en-
celui qui avait, été chassé par les déci- vers des chrétiens fidèles; d'autant plus
sions de plusieurs empereurs aurait que Sidérios lui parut un homme de
dii au moins en attendre une nouvelle mérite et de résolution , très-propre à
avant de revenir; et il envoya l'ordre lutter contre l'hérésie arienne, si bien
le plus formel au préfet d Egypte d'ex- qu'il le transféra même sur le siège
pulser l'audacieux évêque : celui-ci de Ptolémaïs, où l'arianisme avait be-
quitta la ville , mais pour y rentrer se- soinbattu.
d'être plus vigoureusement com-
crètement presque aussitôt, et s'y te- Plus tard Sidérios devenu vieux
nir caché jusqu'à l'avènement de Jo- revint terminer ses jours à Palébisca.
150 L'UNIVERS

L'altier patriarche ne se montra Épiscopat de Synêsios.


point aussi indulgent envers le gouver-
Le patbiarche Théophile pour-
neur de la Libye, qu'il traite d'homme voit A DIVERS SIEGES EN LIBYE. —
brutal , cruel et débauché , mais dont
on peut soupçonner que le principal Dans un concile assemblé en 394 à
crime à ses yeux était de favoriser la Constantinople, à l'occasion de la dédi-
cause des ariens; saint Athanase l'ex- cace d'une église, et qui eut à opter en-
com unia et
, dénonça l'anathème à tre deux évêques qui se disputaient le
saint Basile, qui avait dans son dio- siège de Bostra en Arabie, on vit figu-
cèse lafamille de cet officier ; l'évêque rer, avec le patriarche Théophile d'A-
de Césarée répondit qu'il avait notilié nice. lexandrie, Probatius, évêque de Béré-
cette condamnation à tous les servi-
teurs, tous les amis, tous les hôtes du C'était alors l'usage que les métro-
gouverneur excommunié , et que nul politains promulgassent chaque année,
n'aurait plus commerce avec lui , ni après l'Epiphanie, des lettres paschales,
de feu , ni d'eau, ni de couvert. où ils faisaient connaître le jour où
Saint Athanase étant mort en 373 , devait commencer le carême, et les
les ariens reprirent le dessus dans son fêtes mobiles dépendantes de la Paque.
diocèse, sous la protection déclarée de Saint Jérôme nous a conservé trois
l'empereur Valens; mais à l'avéne- des lettres paschales émanées du pa-
ment de Théodose, les églises furent triarche Théophile, pour les années
rendues aux consubstantialistes; et 401, 402 et 404 ; à la lin de la seconde
l'arien Lucius fut expulsé d'Alexan- se trouve l'indication de quelques nou-
drie. Bientôt le concile général de veaux évêques de Libye, dont il an-
Constantinople , de 381, vint complé- nonce l'avènement afin de les accrédi-
ter le symbole de Nicée, et le rendre ter auprès de leurs frères, pour qu'on
tel qu'il est aujourd'hui chanté dans leur écrivît et qu'on reçût leurs lettres
nos églises. Ce concile fut successive- suivant la coutume de l'Église. « 11
ment présidé par divers prélats , l'un « faut que vous sachiez qu'en rempla-
desquels fut Timothée, patriarche d'A- « cernent des saints évêques qui se
lexandrie; parmi les canons qui y fu- « sont endormis clans le Seigneur, on
rent décrétés , le cinquième attribuait « a ordonné, à Lemniade, Naséas à la
« place de Héron; à Érythron, Paul à
à l'évêque de Constantinople le second « la place de Sabbatius. »
rang, immédiatement après l'évêque
de Rome; mais cette décision, qui C'est ce même Théophile qui , en
préjudiciait aux droits de l'évêque l'année 410, ordonna Synêsios évêque
dePtolémaïs, malgré la répugnance
d'Alexandrie, fut repoussée par des
conciles postérieurs (*). expresse et motivée du nouveau pré-
lat, que l'amour de la famille et des
(*) Le 5e canon du concile de Constan- études philosophiques retenait dans la
tines :
tinople est ainsi conçu dans les sommes la- vie séculière, mais qui fut obligé de
sacrifier ses goûts aux instances de
« Constantinopolitanœ civitatis episeopum
• habere oportet prima tus honorem post ses
à sesamis, et qui, sacerdotales
fonctions après s'être par préparc
une
« Romanum episeopum , propter quôd sit retraite de sept mois, vint en 411
« nova Roraa. »
Mais le 2e canon du concile de Rome,
prendre possession de son siège , et
en 496, porte : exercer les pouvoirs .métropolitains
« Est ergo prima Pelri apostoli sedes Ro- qui y sièges
autres étaientde attachés
la Pentapole, à l'égard des
en même
« mana ecclesia, non habens maculam ne-
« que rugam, nec aliquid hujusinodi. Se- temps que la confiance de Théophile
« cunda autem sedes apud Alexandriam l'investissait des pouvoirs spéciaux ex-
« beati Pétri nomine a Marco ejus discipulo clusivement réservés au patriarche
- et evangelista consecrata; ipseque a Petro d'Alexandrie. Synêsios, de son côté,
« apostolo in iEgyptum directus. » professait pour Théophile la défé-
AFRIQUE ANCIENNE. 151
rence et la soumission la plus entière. du même nom qui occupait actuelle-
Tolérance de Synésios. — En ment le même siège. Mais la popu-
arrivant à Ptolémaïs, il y trouva ré- lation de ces bourgades, qui depuis
fugié et rentré dans la vie privée le la translation de Sidérios à Ptolé-
noble cyrénéen Alexandre, qui s'était maïs, du temps de saint Athanase,
engagé très-jeune dans les observan- était rentrée sous l'obédience de l'évê-
ces monastiques, avait ensuite été élevé que d'Érythron , et s'était attachée à
au diaconat, puis à la prêtrise , et s'é- Paul, qufc Théophile lui-même avait
tant rendu à Constantinople , y avait en 401 nommé à ce dernier siège, re-
fait la connaissance de saint Jean fusa d'en recevoir un autre, et de-
Chrysostome, qui l'avait promu à manda avec instance à Synésios de
l'épiscopat en lui assignant la ville suspendre l'exécution de sa commis-
de Basilinopolis en Bithynie; quand sion jusqu'à ce que le patriarche eût
avaient éclaté les querelles de Chry- entendu la réclamation qu'on lui adres-
sostome et de Théophile, où la dissi- sait; et il ne fut point donné de suc-
dence religieuse des origéniens et des ces eur àSidérios.
anthropomorphitescouvraitdes haines L'évêque de Ptolémaïs avait à ré-
personnelles, Alexandre était resté at- gler en même temps un différend sur-
taché au parti de son bienfaiteur; mais venu entre Paul d'Érythron et Dios-
maintenant Chrysostome était mort core de Darnis , au sujet d'un tertre
depuis quatre ans , il y en avait trois situé dans la bourgade d'Hydrax , sur
que la réconciliation avait été conve- la limite des deux évêchés, et dont
nue, et Théophile avait lui-même écrit les deux prélats se disputaient la pos-
au patriarche Atticus de Constantino- session, Dioscore revendiquant le lieu
ple ,en faveur des anciens partisans comme ayant été de tout temps dépen-
de Chrysostome. Synésios , encore dant de son église, Paul prétendant l'a-
nouveau dans le sacerdoce, était fort voir acquis par la consécration qu'il y
embarrassé sur la conduite à tenir en- avait faite d'une chapelle sur les ruines
vers Alexandre; il prit un terme d'une plus ancienne. Une enquête dé-
moyen , dont il rendait compte à Théo- montra que cette consécration avait été
phile en ces termes : « Voyant des subreptice : Paul avait violé la clôture
« vieillards qui , dans la crainte de d'une petite maison dontDioscoreavait
« blesser quelque règle canonique , le les clefs, et y avait fait porter une table
« traitaient durement, et sans pouvoir qu'il avait bénie; Synésios, présidant le
« articuler rien de précis contre lui , synode des évêques du voisinage qui
« refusaient de le recevoir sous leur s'étaient réunis à 'cette occasion, dé-
«toit, je n'ai voulu ni les reprendre , clara indigne ledeprocédé
les cérémonies d'employer
la religion pour
«ni les imiter. Savez-vous, mon véné-
«rable père, ce que j'ai fait? Je ne l'ai usurper la propriété d'autrui ; Paul
«point reçu à l'église, ni à la commu- reconnut ses torts , et Dioscore con-
sentit àlui céder, à des conditions fa-
««nionde lachez
accueilli sainte
moi table;
comme mais je l'ai
un homme vorablel'immeuble
s, objet du litige.
«sans reproche , lui faisant honneur
Synésios présida à l'élection d'un
«suivant mon habitude à l'égard de nouveau pasteur pour l'évêché d'Ol-
«mes concitoyens, sans crainte de dé- bia, devenu vacant par la mort d'Atha-
«roger en cela à la dignité de .mon
«siège. » mas, qui l'avait rempli jusqu'à un âge
très-avancé. Les suffrages se portèrent
Synésios remplit diverses mis- sur Antoine , compagnon d'études de
sions PATRIARCHALES. — Sur l'or- deux évêques présents à l'assemblée,
dre de Théophile, Synésios se rendit
à llvdrax et Palébisca, pour y insti- et qui avait même reçu de l'un d'eux
l'ordre de prêtrise ; l'évêque de Ptolé-
tuer un évêque en remplacement de maïs se joignit à eux pour le nommer,
Sidérios, jadis établi en ce lieu par et sollicita en sa faveur l'homologation
Philon de Cyrène, oncle de l'évêque patriarchale,
152 L'UNIVERS.
DÉFÉRENCE DE SYNÉSIOS ENVERS PHILOSOPHE ÉVAGRE PAR SYNESTOS.
LE PATRIARCHE POUR LES AFFAIRES — Un livre de la vie des Pères, qui pa-
DE SON PROPRE DIOCÈSE. — Syilé- raît avoir été composé à Rome dans le
sios avait soin en outre de rendre septième siècle, et qui porte le titre de
compte à Théophile des affaires de Pré spirituel, contient une légende re-
son propre diocèse. Le prêtre Jason lative àla conversion opérée par Sy-
ayant attaqué de paroles le prêtre nésios, d'un philosophe païen nommé
voies de fait, celui-ci
Lamponianus, et sur las'échappa
plainte deen Évagre, son ancien compagnon d'étu-
des, qui résista longtemps opiniâtre-
Jason fut exclu des assemblées ec- ment àses instructions et à ses ins-
clésiastiquesil
: témoigna un grand tances, mais qui se rendit enfin et se
repentir, et sa grâce fut demandée laissa baptiser : il remit à Synésios
par le peuple des fidèles; mais l'évêque une somme d'or pour être distribuée
déclara que le pouvoir d'absoudre le aux pauvres, en échange d'une pro-
coupable était réservé au patriarche. messe écrite de l'évêque, que Dieu lui
— Des ecclésiastiques s'intentaient mu- tiendrait compte de cette charité dans
tuellement des procès scandaleux de- l'autre vie. A sa mort, Évagre recom-
vant les gouverneurs militaires, à qui manda àses enfants de l'enterrer avec
ils procuraient ainsi un lucre illégi- cet écrit dans les mains, ce qui fut
time; Synésios demandait à Théophile exécuté. Trois jours après, il apparut
d'ordonner qu'on ne suivît plus cette en songe à Synésios , l'invitant
marche à l'avenir, mais qu'on s'adres- nir reprendre dans son tombeauà ve-
ce
sât, en pareil cas, à la juridiction épis- même écrit revêtu de sa quittance, at-
copale. — Des prêtres, quittant volon- tendu que. la promesse qu'il contenait
tairement leur église, venaient jouir, se trouvait remplie; on alla rechercher
sans charges ni soucis, des honneurs dans le sépulcre l'écrit de Synésios;
du sacerdoce là où la vie leur semblait
et l'on y trouva , fraîchement tracée
f»Ius agréable; Synésios proposa de ne de la main d'Évagre, la quittance an-
es admettre qu'à la communion des noncée. L'auteur de ce récit en avait
laïques, et de les laisser confondus dans recueilli les éléments à Alexandrie, de
la foule des fidèles, afin que la priva- la bouche de Léonce d'Apamée , qui
tion des honneurs ecclésiastiques les avait fait un long séjour à Cyrène,
portât à retourner chez eux, et à gar- dont il fut depuis évêque, et où il avait
der la résidence que leur ordination vu de ses yeux la pièce même dont
leur avait imposée. nous venons de parler, soigneusement
Le pieux évêque craignit une nou- conservée dans le trésor de la cathé-
velle invasion de l'arianisme dans la drale.
Pentapole, au moyen des prédications Nous avons déjà rapporté ailleurs
et des assemblées" les démêlés de Synésios avec le gou-
taires, favorisés parsecrètes de cesappelé
un officier sec-
verneur Andronic, et l'excommunica-
Quintianus, et protégés par l'autorité tion dont il le frappa. Le noble évêque
militaire; il écrivit à ce sujet aux prê- occupait encore, en 417 , le siège de
tres de son diocèse, pour les inviter à Ptolemaïs; mais, à partir de cette
se tenir sur leurs gardes, à épier et à date , l'histoire ne nous fournit plus
démasquer ces suppôts du démon, et à son égard aucune trace.
à les chasser honteusement, recom-
mandant surtout d'agir en vue des Lutte de l'Église d'Alexandrie con-
récompenses célestes , et non d'une tre le nesiorianisme.
'avidité sordide des richesses, anathé-
matisant d'avance ceux qui se laisse- HÉRÉSIE DE PSESTORIUS. — L'.l-
raient entraîner, à prix d'argent, à nimosité qui avait autrefois divisé
fermer les yeux sur ces réunions cri- Théophile et saint Jean Chrysostome
minelles. se reproduisit entre leurs succes-
LÉGENDE DE LA CONVERSION DU
seurs, saint Cyrille, patriarche d'A-
153
AFRIQUE ANCIENNE.
lexandrie, et Nestorius, patriarche de de saint Célestin. «Il nous dit, »
Constantinople. En expliquant le dog- ajouta Daniel , « de revenir le lende-
me de l'incarnation divine, Nestorius main le trouver en particulier; mais
avait poussé trop loin la distinction quand nous y allâmes, il nous ferma
des deux natures de Jésus-Christ , à les portes et ne daigna pas nous répon-
dre, aLa destitution de Nestorius fut
ce point
titre qu'il refusait
sacramentel de mèreà dela Dieu
Vierge; sesle
prononcée séance tenante, le 22 juin
431. Mais le comte Candidianus fit
écrits s'étaient répandus jusque dans
les couvents d'Egypte, et saint Cyrille publier dès le lendemain un édit de
écrivit à son tour pour les réfuter, en protestation contre tout ce qui s'était
en référant en même temps à Rome , fait, avec ordre d'attendre, pour ou-
au pape saint Célestin, qui écrivit de vrir le concile, l'arrivée des évêques
son côté , et envoya ses lettres à saint du patriarchat d'Antioche.
Cyrille pour les faire parvenir à Nes- étant entrés à Ephèse cinq joursCeux-ci
après,
torius, àqui elles furent portées par se réunirent de leur côté avec Nesto-
quatre évêques du diocèse d'Egypte, rius et les autres évêques qui avaient
entre autres Daniel de Darnis. Les déféré aux avertissements du comte
partisans de Nestorius, André de Sa- Candidianus, et ils prononcèrent à leur
mosate et Théodoret de Cyros, répon- tour la déposition de Cyrille d'Alexan-
dirent aux mémoires de saint Cyrille; drie et de Memnon d'Éphèse. Chaque
ce fut Evoptios, frère et successeur de parti prétendit être le véritable con-
Synésios à l'évêché de Ptolémaïs, qui cile, et écrivit en conséquence à la
envoya plus tard de Constantinople à cour de Constantinople; saint Cyrille
son métropolitain la critique incisive y envoya même Daniel de Darnis avec
de Théodoret. L'empereur Théodose deux autres évêques pour y soutenir
le jeune, sollicité de convoquer un sa cause. L'empereur, admettant les
concile général pour mettre fin à ces
discussions , désigna Éphèse pour lieu dépositions
tre comme prononcées de partleetcomte
valables, envoya d'au-
de réunion, et chargea Candidianus, Jean arrêter Nestorius , Cyrille et
comte des domestiques , c'est-à-dire Memnon , et tenter la réconciliation
capitaine de ses gardes , de pourvoir de leurs adhérents; et Jean n'ayant pu
à la sûreté du concile.
y réussir, Théodose ordonna que cha-
Concile d'Éphèse qui con- que parti lui envoyât ses députés pour
damne Nestorius. — Nestorius et exposer les prétentions respectives sur
Cyrille se rendirent chacun de leur lesquelles il avait à statuer: Evoptios
côté à Éphèse , où le patriarche d'A- de Ptolémaïs fut l'un des huit ora-
lexandrie amenait cinquante de ses teurs désignés en conséquence de cet
suffragants, parmi lesquels nous de- ordre par le parti de saint Cyrille.
vons signaler Evoptios de Ptolémaïs, Théodoret de Cyros, l'un des huit en-
Zenon de Teuchira , Zénobios de voyés du parti contraire, manda bien-
Barkè, Publius d'Olhia, Samuel de tôt aux siens que leurs adversaires
Dysthis, et Daniel de Darnis. Avant
avaient gagné à prix d'argent l'entou-
d'attendre l'arrivée du patriarche rage de l'empereur, et qu'il ne fallait
d'Antioche avec son clergé, et mal- point espérer gain de cause. En effet,
gré les protestations tant de Nestorius le concile fut dissous , Cyrille renvoyé
que du comte Candidianus, le véhément à Alexandrie, Memnon maintenu à
Cyrille voulut commencer les opéra- Éphèse, et Nestorius exilé et rem-
tions, et ayant fait sommer inutile-
ment Nestorius de comparaître , on placé. Pacification de l'Église en
procéda à une enquête : Daniel de Orient. — Le schisme fut loin de ces-
Darnis déclara qu'il avait, avec ses ser; Jean d'Antioche, dans un synode
collègues, remis publiquement à Nes- tenu à Tarse au mois de novembre 431,
torius, un dimanche, dans sa cathé- refusa de reconnaître le successeur de
drale, les lettres de saint Cyrille et Nestorius et anathématisa de nouveau
154 L'UNIVERS.
Saint Cyrille avec les évêgues députés de Sozysa, Rufus de Cyrène et Théo-
par lui vers l'empereur, et parmi les- dore deBarkè, pour la Pentapole; Lu-
quels était Evoptios de Ptolémaïs ; et cius de Zygris et Philocalos de Zagylis
retourné à Antioche, Jean y tint en- pour la Libye inférieure : Eutychès y
core un synode où furent conûrmées fut absous, et ses accusateurs condam-
ces résolutions; de leur côté, ceux nés. Les procès-verbaux du concile
qui se proclamaient exclusivement ca- témoignent d'une grande régularité de
tholiques, profitant de la faveur im- procédure, mais les historiens ecclé-
périaledésignaient
, de nouveaux évê- siastiques rapportent, surtout de la
ques à la place des
chassaient de leurs sièges. Théodose Nestoriens qu'ils part de Dioscore , des scènes de vio-
lence et des voies de fait à peine croya-
sentit le besoin d'arrêter ces désordres; bles, qui ont valu aux actes de cette
il s'entremit de la paix entre les deux assemblée d'être flétris , par les ca-
patriarches d'Alexandrie et d'Antio- tholiques, du nom de brigandage d'Ë-
che , et leur réconciliation fut enfin
obtenue après un an entier de négo- phèse,
Un nouveau concile général fut de-
ciations. Nestorius fut relégué en 436 mandé; l'empereur Marcien, succes-
dans la grande oasis. seur de Théodose le jeune, le réunit en
Il semble que des ordinations irré- octobre 451 à Calcédoine; il s'y trouva
gulières s'étaient faites dans les pro- trois cent soixante évéques, parmi les-
vinces libyennes, puisque nous avons quels nous remarquons , à la suite
une lettre de saint Cyrille provoquée du patriarche Dioscore d'Alexandrie,
par les plaintes des abbés de la Thé- Théophile d'Érythron. La sentence
baïde à ce sujet, et adressée aux évê- prononcée à Éphèse fut annulée, et
ques de la Libye et de la Pentapole,pour Dioscore anathematisé avec Eutychès;
on voulut ensuite faire violence aux
leur enjoindre de s'informer exacte-
ment de la vie des ordinands, s'ils treize suffragants de Dioscore pré-
étaient mariés on non et depuis quand, sents au concile, pour souscrire la nou-
s'ils avaient été chassés par quelque velle profession de foi; mais sur leur
évêque, ou de quelque monastère, afin déclaration opiniâtre qu'ils ne pou-
de n'ordonner que des personnes li- vaient canoniquement rien faire de
bres et sans reproche. leur chef et sans autorisation de leur
patriarche , on les ajourna jusqu'à ce
Établissement de V hérésie cC Eu- qu'un successeur eût été nommé à
tychès. Dioscore. Cependant le concile de Cal-
cédoine ne fut pas reçu paisiblement
L'hérésie d'Eutychès , triom- en Orient, et il fallut'plusieurs édits
phante Éphèse,
a est condamnée
par le concile de calcedoine. — impériaux pour en ordonner l'exécu-
tion il; y eut schisme dans le patriar-
D'une opposition outrée au nestoria- chat d'Alexandrie, les uns persistant à
nisme était née l'erreur de l'archi- tenir pour Dioscore, les autres lui
mandrite Eutychès, qui ne faisait point
une distinction suffisante des deux na- ayant donné pour successeur l'archi-
prêtre Protérius.
tures de Jésus-Christ; elle fut inci- SCHTSME SANGLANT DANS LE PA-
demment déférée en 448 à un concile TRIARCHAT D'ALEXANDRIE. — DioS-
assemblé à Constantinople, et ana- core mourut en 454 à Gangres en
thématisée; Eutychès en appela à un Paphlagonie, où il avait été relé-
nouveau concile , qui, fut en consé- gué; mais les eutychiens, maintenus
quence convoqué à Éphèse au mois
dans reur
le devoir tant que vécut
Marcien, profitèrent de sonl'empe-
décès
d'août 449 , et présidé par Dioscore,
successeur de saint Cyrille au patriar- pour se relever en Egypte , et promu-
chat d'Alexandrie; il avait près de lui rent au patriarchat le moine Timo-
plusieurs de ses suffragants, entre les- thée Élure (AUoupoç, chat), qui fut
quels nous devons nommer ici Zosime violemment intronisé le 29 mars 457,
155
AFRIQUE ANCIENNE.
par le meurtre de Protérius , dont le adressé aux évêques et aux fidèles d'A-
cadavre fut traîné dans les rues d'A- lexandrie, del'Egypte, de la Libye et
lexandrie. Quatorze évêques de son de la Pentapole , et portant en sub-
diocèse, entre lesquels on voit figurer stance que pour obtenir l'unité de
Maxime de Zagylis , fuyant les persé- l'Église, si vivement désirée par les
cutions du patriarche intrus, se sau- gens de bien , il convenait de se rallier
vèrent àConstantinople, où ils remi- exclusivement au symbole de Nicée,
rent à l'empereur une supplique afin complété à Constantinople, et suivi
d'obtenir l'expulsion de Timothée f>ar les Pèresarticles du concile d'Éphèse, avec
Élure ment et un la liberté d'élire régulière- es douze publiés par saint
successeur à Protérius. Un Cyrille contre Nestorius; anathémati-
synode assemblé aussitôt dans la ville sant toute profession contraire qui ait
impériale déclara nulle la nomination pu ou qui pourrait se produire, jadis
de Timothée, et un grand nombre de ou aujourd'hui , à Calcédoine ou ail-
synodes provinciaux tenus sur Tordre leurs. Pierre reçut l'Hénotique, le fit
de l'empereur firent la même déclara- recevoir par les catholiques, et écrivit
tion. Pendant que cette affaire se pour- à ce sujet des épîtres synodales tant
suivait, lepatriarche Gennadios de au pape Simplicius qu'au patriarche
Constantinople ayant tenu un concile de Constantinople; mais l'évêque Jean
contre la simonie , les évêques égyp- de Zagylis et les archimandrites des
tiens présents sur les lieux y assistè- monastères de la basse Egypte s'insur-
rent, et nous devons nommer parmi gèrent ouvertement, et envahissant
eux Pierre de Dysthis dans la Penta- séditieusement sa cathédrale, le forcè-
pole, Apollon cï'Antiphra et Maxime rent àanathématiser le concile de Cal-
de Zagylis en Marmarique. cédoine et les lettres du pape Léon
Timothée Salofaciole fut élu patriar- contre Eutychès. Le corps de Timo-
che d'Alexandrie par relégué
les catholiques, thée Salofaciole fut déterré et jeté à
et Timothée Élure dans la
la voirie. lexandrie Depuis fut occupélors par leunesiège
suited'A-
de
Chersonèse; mais il revint à Alexan-
drie en 475, à la faveur de l'usurpa- patriarches eutychiens, qui générale-
tion du tyran Basilisque, et força son ment recevaient l'Hénotique de Zenon
compétiteur à se retirer à Canope. et rejetaient en même temps le concile
Quand Zenon eut recouvré l'empire, de Calcédoine; et l'on ne peut guère
en 477, il voulut expulser de nouveau douter dience que les évêques
le patriarche intrus ; mais celui-ci ne suivissent aussidelesleurmêmes
obé-
doctrines.
s'empoisonna. Ses adhérents lui don-
nèrent alors pour successeur l'archi- Concile général de Constanti-
diacre'Pierre Monge(Moyy6ç, bègue), nople.— L'empereur Justinien eut à
qui fut sacré pendant la nuit par un
son tour la prétention
nion des diverses églises d'opérer la réu-
de la chrétienté
seulPierre
de évêque;et Zenon ordonna l'expulsion
le rétablissement de Sa-
aumoyend'uneconfessiondefoiqui sa-
lofaciole; mais le premier se cacha tisfît àtoutes les exigences légitimes,
dans Alexandrie, et le second étant et il rendit à ce sujet en 546 un édit,
mort en 482, on lui donna pour suc- où est formulée l'acceptation des qua-
cesseur Jean Talaïa, que sa liaison tre conciles généraux de Nicée, de
avec le rebelle Illus, maître des offices,
Constantinople, d'Éphèse et de Calcé-
lit repousser par l'empereur. doine, tout en rejetant certains écrits
Hénotique de Zenon. — Zenon de Théodore de Mopsueste, de Théo-
donna alors son approbation à l'in- doret de Cyros, et d'Ibas d'Édesse, dé-
tronisation de Pierre Monge , et en- signés en commun sous le titre vul-
voya au préfet et au duc d'Egypte des gaire des trois chapitres, et que le
ordres à ce sujet, en même temps concile de Calcédoine avait admis; es-
qu'un édit d'union, bien connu sous pérant ainsi lever le plus grand obsta-
le nom d'Hénotique (évamxov, unitif), cle àla réception du dernier concile
156 L'UNIVERS.
par les Eutychiens. Mais il éprouva des geait aussi à Cyrène l'évêque Léon-
résistances auxquelles il ne s'était pas tius, qui avait naguère raconté à Jean
attendu, et après les plus déplorables Moschus, l'auteur du Pré spirituel, la
scandales, la décision de la question légende de la conversion du philoso-
fut enfin déférée à un nouveau concile phe Évagre par Synésios dePtolémaîs.
écuménique : cent cinquante et un évê- Au moment de l'invasion de l'E-
ques rassemblés à Constantinople par gypte par les Musulmans, les Jacobi-
ordre de l'empereur, au mois de mai tes obtinrent la protection du vain-
553, condamnèrent les trois chapitres. queur, etfurent même mis en posses-
sion des églises des melkites, suspects
Avec le patriarche Apollinaire d'A- aux conquérants comme liés de croyan-
lexandrie souscrivirent George de Pto-
lémaïs dans la Pentapole, Émilien, évê- ce avec l'empereur, leur ennemi poli-
que d'Antipyrgos dans la Libye infé- tique; aussi le patriarche melkite
rieure ,et jusqu'à Théodore, évêque Pierre, ne trouvant plus la place te-
nable, se retira à Constantinople , et
d'Augila dans le désert.
Mais le schisme de l'église d'Alexan- Alexandrie n'eut pendant longtemps
drie était consommé; les Eutychiens que des patriarches jacobites. Quant à
la Libye et à la Pentapole, il ne reste
ou monophysites,
mais Jacobites à qu'on causeappela désor-
de Jacques aucune trace de la dernière agonie du
d'Édesse leur chef le plus actif, ou culte chrétien dans les églises qu'il y
cophtes à raison de leur nationalité avait fondées: il ne s'est trouvé au-
spécialement égyptienne, restèrent sé- cune voix pour déplorer assez haut ,
parés des catholiques, dont la masse se au milieu du naufrage, la disparition
des évêques, des prêtres, des fidèles
composait des habitants grecs de l'E-
gypte et des deux Libyes, et qui reçu- que le débordement musulman en-
rent plus tard, soit des Juifs, soit des gloutissait.
Arabes, la dénomination de melkites « Etiàm periêre ruinae. »
ou royauxde ,laparce
religion qu'ils
cour de suivaient la
Constantinople. Tableau des évêchés des deu,x Li-
DERNIERS EVEQUES LIBYENS ;
CONQUÊTE MUSULMANE. — Le pa- A cette esquisse byes.imparfaite des vi-
triarchat de saint Euîoge d'Alexan- cissitudes du christianisme dans l'an-
drie, intronisé par les catholiques sur cienne Cyrénaïque , il nous reste à
ce siège en 580 , et qui y mourut
en C07, a un droit particulier à notre joindre, comme un complément néces-
saire, le tableau succinct des évêchés
attention, en ce que ce prélat, dis- qui y étaient compris, et la liste des
tingué par ses écrits contre les di-
vers hérétiques de son diocèse, et par prélats dont l'histoire a enregistré les
noms.
l'amitié du pape saint Grégoire le
Grand, avait pour syncelle ou coad- 1° LIBYE SUPÉRIEURE , PENTA-
juteur Théodore, évêque de Darnis en POLE, OU CYRÉNAÏQUE.
Marmarique, dont le surnom de Skri-
boon n'est peut-être qu'une trans- 1 . Ptolémais , métropole.
cription grecque du titre de scribe ou
secrétaire, et dénoterait de sa part un Basilides, évêque des paroisses de
concours actif aux écrits polémiques la Pentapole, à qui le patriarche saint
de son métropolitain. Lui-même mon- Denis d'Alexandrie adressa, vers 260,
ta, après Euloge, sur le siège patriar- une de ses lettres canoniques.
cbal et l'occupa deux ans, jusqu'à ce Théodore, métropolitain de la Pen-
qu'il périt en 609, de la main de ses tapole, martyr dans la persécution de
ennemis , à l'époque où l'Afrique et Licinius vers 319.
l'Orient s'insurgeaient contre Phocas Secundus, évêque de la Pentapole,
pour donner la couronne impériale à fauteur d'Arius , excommunié en 321
Héraclius. Dans le même temps sié- par le synode d'Alexandrie, et en 325
157
AFRIQUE ANCIENNE.
7. Sozousà.
par le concile de Nicée; réhabilité en
335 par le concile de Tyr, condamné Hélicdore, présent au concile de Sé-
de nouveau en 340, et rétabli en 356. leucie en 359.
Etienne, évêque de Ptolémaïs de Li- Zosinie (ou Sosias), présent au bri-
de Sé-
359.présent au concile
leucie bye,enarien, gandage d'Éphèse en 449.
8. Erythron.
Sidérios , ordonné d'abord évêque
àd'Hydrax
Ptolémaïset vers Palébisca,
370. puis transféré Orion, vieux à l'époque
tion de Sidérios, avant 370.de l'ordina-
Synésios, évêque de Ptolémaïs en Sabbatios,cité comme mort, dans la
410, siégeait encore en 417. lettre paschale du patriarche Théo-
Évoptios, frère de Synésios, présent phile pour 402.
au concile d'Éphèse en 431. Paul , nommé en 401, en différend
Georges, présent au concile de Cons- avec lévêque de Darnis en 411.
tantinople en 553. Théophile, présent au concile de
Calcédoine en 451.
2. BÉRÉNICE.
9. Hydrax et Palébisca.
Ammonius, à qui le patriarche saint
Denis d'Alexandrie adressa une lettre Sidérios, transféré à Ptolémaïs, par
contre le sabellianisme, vers 260. saint Athanase, vers 370.
Dathès, arien, présent au concile de 10. Lemniade.
Nicée en 325.
Probatius , présent au concile de Héron, cité comme mort récem-
Constantinople en 394. ment, dans la lettre paschale du pa-
3. Cyrène. triarche Théophile pour 402.
Naséas, cité comme nouvellement
Théodore, martyr dans la persécu- promu, dans la même lettre.
tion de Dioclétien'en 302. 11. Olbia.
Philon l'Ancien, qui ordonna Sidé-
avant rios
370.évêque d'Hydrax et Palébisca Athamas, mort à un âge très-avan-
Philon le Neveu, qui .siégeait en cé, vers 410.
410. Antoine, élu en présence de Syné-
sios vers 411.
Rufus, présent au brigandage d'É-
phèse en 449. Publius , présent au concile d'É-
Léonce, contemporain de JeanMos* phèse en 431.
chus, auteur du Pré spirituel, vers 12. Dysthis.
600.
4. Barkè. Samuel , présent au concile d'É-
phèse en 431.
Zéphyrios (ou Zopiros), arien, pré- Pierre, présent au concile de Cons-
sent au concile de Nicée en 325.
tantinople en459.
Zénobios, présent au concile d'É-
phèse en 431.
2° LIBYE INFÉRIEURE, SECONDE
Théodore, présent au brigandage LIBYE, OU MARMARIQUE.
d'Éphèse en 449.
5. Teuchira. 1. Darnis, métropole.
Secundus, arien, présent au concile Théonas , évêque de Marmarique ,
de Nicée en 325.
fauteur d'Arius, condamné au synode
en Zenon,
431. présent au concile d'Éphèse d'Alexandrie en 321 et au concile de
Nicée en 325.
6. Borion.
Pison, évêque de Darnis, présent au
Sentianus, arien, présent au concile concile de Sardique en 347.
de Nicée en 325. Pollux ou Polydeuces, évêque de la
'
158 L'UMVERS.

seconde Libye, présent au concile de Apollon, présent au concile deCons-


Séleucie en 359. tantinople en 459.
Dioscore, évêque de Darnis, en dif- 4. Zygris.
férend avec Paul d'Erythron en 411.
Marc, présent au concile d'Alexan-
drie en 362.
en Daniel,
431. présent au concile d'Éphèse
Théodore Scribon,syncelle ou coad- Lucius, présent au brigandage d'É-
juteur du patriarche saint Euloge, et phèse en 449.
son successeur en 607. 5. Zagylis.
2. Parétonion. Philocalos, présent au brigandage
d'Éphèse en 449.
Titus, présent au concile de Nicée Maxime, présent au concile deCons-
en 325. tantinople en 459.
Siras, arien, présent au concile de Jean, qui força en 482 le patriarche
Séleucie en 359. Pierre Monge àanathématiser le con-
cile de Calcédoine.
Caïus, présent au concile d'Alexan-
drie en 362. 6. Antipyrgos.
3. Antiphra. Emilianus, présent au concile de
Constantinople en 553.
Sérapion,
cée en 325. présent au concile de Ni- 7. Augila.
Menas, présent au concile d'Alexan- Théodore, présent au second con-
drie en 362. cile général de Constantinople en 553

FIN TE LA PREMIERE PARTIE DE l'AFRTQUE ANCIENNE.


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SECONDE PARTIE.

LA RÉGION COMPRENANT
D'AFRIQUE
L'AFRFQUE PROPRE, LA NUMIDIE
ET LES MAURITANIES.

IP TION RALE
DESCR GÉNÉ
I. GEOGRAPHIE PHYSIQUE. Ier.
§ cette acception intermédiaire, où il
Étendue et limites. ne s'agit ni de toute l'Afrique connue
des anciens, ni de la seule Afrique
Bornes générales. — Ainsi que propre distincte de la Numidie et des
nous l'avons dit au début de ce livre , Mauritanies, mais bien de la vaste
le nom d'Afrique fut d'abord restreint région frique
à laquelle
à la colonie pbénicienne concentrée était donnéce par
mêmeopposition
nom d'A-à
sur l'emplacement de Carthage; puis il celui de Libye, c'est-à-dire de l'en-
s'étendit avec elle dans les environs, et semble des contrées se succédant d'est
gagnant de proche en proche, il désigna en ouest depuis les Autels des Philènes
successivement une petite province , jusqu'à l'extrême occident , et sur les-
puis une province plus grande, puis quelles l'évêque de Carthage étendait
toutes les possessions puniques dans son bâton pastoral à titre de primat.
leur plus grand développement , puis Limites a l'est et au nord. —
enfin tout le continent où elles étaient Cette région avait pour limite orientale
assises.
la Libye propre, et le désert ultérieur
De cette diversité d'étendue terri- jusqu'à l'Ethiopie au-dessus de l'Egypte.
toriale que représente tour à tour la Au nord , elle étendait sur la Médi-
dénomination d'Afrique, il résulte un terranée de longs rivages onduleux,
certain embarras dans l'emploi que où le cap des Trières (Tpir,où)v) et celui
nous en voulons faire ici. Dans son
qu'on appelait les Têtes (xecpaXoù) suc-
acception la plus large au point de vue cédaient ensemble à l'enfoncement de
de l'antiquité classique, elle désigne la grande Syrte, tandis qu'un peu plus
le sujet de tout ce volume ; dans son loin celui de Zitha et celui qui tirait
acception étroite , au contraire , elle son nom des bas-fonds adjacents (*),
reste attachée au domaine politique de
Carthage, auquel est consacrée une (*) BpocxwÔY); àxpa chez les Grecs, Caput
section importante dans la suite de ce vacla chez les Romains.
travail. Paur le présent, il nous faut «,,.,. quos nomine porta?
160 L'UNIVERS.

enfermaient la petite Syrte; le cap la pointe de Phébus, s'échelonnaient


d'Hermès ou de Mercure projetait ensuite jusqu'au détroit des Colonnes,
ensuite sa longue saillie au nord, pour à la sortie duquel se projetait le cap
enccindre d'un côté le golfe de Car- Côtés, où la ligne des rivages, jus-
thage, que bornaient à la fois, de l'au- que-là dirigée d'est en ouest, tournait
tre côté, le Beau promontoire (*) et brusquement au sud pour tracer, dans
celui d'Apollon, jumeaux mais dis- cette direction nouvelle , les limites
tincts l'un de l'autre. Puis les golfes occidentales de la région d'Afrique.
des deux Hippones, séparés entre eux Limites a l'ouest et au sud.
par le cap Blanc (candidum promon- — Le cap Côtés ou Cota, que les Grecs
torium), étaient suivis de la Pointe nommaient Ampelousia , était placé
du Cheval (innov àxpa); plus loin le cap justement à égale distance des Sy, tes
Trèton (tpïjtôv , percé) divisait le golfe et du terme des connaissances ancien-
Olcachitesdu golfe Numidique, lequel nes sur le littoral africain baigné par
se prolongeait vers l'ouest jusqu'au l'océan Atlantique. En suivant du nord
promontoire Audon ; puis les dente- au sud l'ondulation des rivages, on
lures de la côte s'amoindrissant , les trouvait d'abord le golfe des Comptoirs
géographes grecs et latins eurent peu puniques ( èu/jioptxèç xoXwoç ) portant
de souci de constater la nomenclature également le nom de Côtés et celui de
de ces rentrées et de ces saillies si Saguti, puis la saillie du petit Allas
petites et si nombreuses , jusqu'à un ("AtXoç èXàTtwv) appelée aussi cap d'Her-
autreCartenna.
promontoire d'Apollon, voisin mès (*), et successivement celles de la
de Ils nous ont pourtant montagne du Soleil , du cap d'Hercule,
conservé à leur insu , en transcrivant du cap Oussadion , du Grand Atlas
quelques noms puniques significatifs, ('AxXaç u-eiÇtov); la pointe Gannaria, la
l'indication de plusieurs de ces petits pointe Soloentia , le cap Arsinarion ou
caps intermédiaires, tels que Rousa- Surremtium (**), extrémité la plus occi-
zous , Rousoubbeser, Rousouccoron , dentale de l'Afrique alors connue ; le
Rousibbicar, Rousgonion , où la syl- cap Ryssadion , le cap Catharon , et
labe initiale vous n'est autre que la enfin la Corne du couchant ('Zmtéçw
forme punique du mot que les Arabes xépaç), après laquelle s'enfonçait dans
prononcent râs, et qui nous est main- les terres le golfe He>périque \ terminé
tenant si familier. Plus loin dans lui-même plus loin par la Corne du
sud (N6tou xépaç).
l'ouest s'arrondissait le golfe Laturus. La limite méridionale de cette vaste
Le Grand promontoire (fj-éyaàxpwTriptov),
et ceux qui portaient les noms de Mé- région demeurait indéterminée ; les
tagonite , Sestiaria et Oléastron , enfin connaissances positives s'arrêtaient à
la chaîne de l'Atlas , dont on savait
«c Alterna pro parle Caput dixêre vadorum
« Antiqui naulae. »
déjà que le nom indigène était Dy-
CoRirpE, Johannldc, I, 368. rin (***) ; au delà, sauf l'itinéraire de
Les modernes en ont fait Capoudla, et
même la Capoide. (*) \Epu-ocia àxpa ; c'est là que les Ro-
mains eurent plus tard leur poste le plus
(*) Ka).ôv àxpwcrjpiov de Polybe, Pid- avancé,
curios. sous le nom de Exploratio ad Mer-
chri promontor'ium de Tite-Live ; les criti-
ques qui le confondent avec le cap d'Her-
mès, comme Heyne et Heeren, ou avec le (**) Ce promontoire, ainsi appelé par
Polybe, était terminé par le mont Barce,
cap d'Apollon, comme Mannert, ne tien-
nent pas assez de compte, dans le premier nommé
vennate. Brace et Praxe par l'anonyme Ra-
cas, de la situation relative à l'égard de
Carthage, et dans le second cas , de la dis- (***) Nous avons à cet égard l'affirmation
tinction entre le râs Sydy 'Aly -el-Mekky expresse de Strabon, de Pline, de Solin ,
(Koc).ôv àxpwTYjpiov) à l'est de Porto-Farina, de Martianus Capella, qui écrivent tour à
et le râs
ouest de Zebyb
la même('AtcoXawvoç
ville. àxpov) au nord- tour Aupiv, Dyrin , Dirin, Addirin ; c'est
le même nom que les Arabes écrivent , ,\
AFRIQUE ANCIENNE. 161
quelques rares expéditions militaires, sés à reconnaître les grands fleuves
on n'avait que de vagues indications de la Nigritie, là où il ne s'agit que de
recueillies sur des ouï-dire sans ga-
rantie. quelques
Indications torrents dede Ptolémée
l'Atlas. qui
servent a corriger les défauts
Montagnes.
Insuffisance et défectuosités de sa carte. — Le géographe alexan-
DE LA NOMENCLATURE DE PtOLEMÉE. drin nous a donnélui-même la clef d'une
partie de ses délinéations, quand il a
— Cette chaîne de l'Atlas, qu'Héro- rattaché au cours du Cynips ou Cyni-
dote regardait comme un faîte sablon- phos, qui débouchait près de la Grande
neux courant depuis Thèbes d'E- Leptis, les montagnes de Zouchabari
où il coulait, et de Girgiris où il prenait
même gypte au jusqu'aux
delà, Colonnes mais dontd'Hercule
Strabonet sa source ; au cours du Triton , qui
connaissait bien à la fois la nature occupait le fond de la petite Syrte , le
montagneuse et la continuité depuis
mont Ousaletontendait en tripleaumarécage
pied duquel
; au il s'é-
cours
les Syrtes jusqu'à l'Océan, Ptolémée
n'en donne qu'une description mor- du Bagradas , qui débouchait au nord
celée , ou plutôt une nomenclature de Carthage, les montagnes Mampsa-
multiple sans enchaînement certain. ron où il coulait, et Oursargala où il
Cependant , l'ordre successif et les avait son origine; aux lacs d'Hippone
rapports de position de toutes ces Diarrhyte le mont Cirna ; au cours du
montagnes diverses, peuvent permet- Rubricatus qui se jetait à la mer près
tre d'en deviner la liaison mutuelle, d'Hippone-Royale , le mont Thammès
en s'aidant des indications orogra- d'où il venait ; et au cours de l'Amp-
phiques (souvent bien aventureuses il sagas , qui avait son embouchure entre
est vrai) de nos cartes modernes. Ce Igilgilis et Collops , les montagnes
n'est ici le lieu ni l'occasion d'exposer Bouzara au milieu desquelles il pre-
les lois et de justifier les procédés de nait naissance ; indiquant en outre les
redressement de la carte de Ptolémée, monts ïizibi et Giglion entre le Cyni-
dans le but de retrouver la place réelle phos et le Triton, le mont de*Jupiter
des éléments topographiques qu'il y entre le Triton et le Bagradas, et le
a si singulièrement éparpillés : qu'il mont Audon entre le Rubricatus et
l'Ampsagas.
nous suffise de faire remarquer d'une
manière générale que la corrélation Pareillement sur la côte occiden-
nécessaire des rivages et des cours tale Ptolémée lui-même nous met sur
d'eau avec les reliefs des terrains qui la voie des rectifications à lui appli-
déterminent les versants, nous four-
nit un heureux secours pour le dé- vières de l'intérieur de l'Afrique, sur les
pouil ement dece chaos : on peut bien notions tirées des anciens et des modernes»,
appeler chaos , en effet , le tracé fan- lu en 1755 à l'Académie royale des inscrip-
tastique où des savants recommanda- tions et belles -lettres par d'Anville; l'ou-
vrage intitulé : « Le Système géographique
bles, tels que d'Anville, Rennell et
Leake (*), ont pu se croire autori- d'Hérodote examiné et expliqué par une
comparaison avec ceux des autres auteurs
Ztererc, et avec l'article El-Deren (qui se anciens et avec la géographie moderne » ,
prononce Eddercn) : le mot berber Idràren publié à Londres en 1800 par Rennell ; et
signifie montagnes. Une observation à faire le mémoire sur cette question : « Le Kouâra,
à cette occasion , c'est que le nom de Rys- dont le cours a été récemment reconnu jus-
sad'ivon, Rusadiv ou Russader, et ses ana- qu'à son embouchure dans la mer, est-il le
logues plus ou moins corrects Ryssadion, même fleuve que le Nigir des anciens? »
et Oussadïon ou Risardir, paraissent ré- communiqué en i832 à la société royale
pondre simplement à la locution punique géographique de Londres par M. W. Mar-
Rds-he-Deren, ou, suivant la forme arabe, tin Leake, qui fait même coïncider la ville
de Thamondocana de Ptolémée avec la fa-
Rds-el-Deren , c'est-à-dire Cap de ï Atlas.
(*) Voir le « Mémoire concernant les ri- meuse Ten-Boktoue des modernes !...

11e Livraison. (Afrique ancienne.) Il


162 L'UNIVERS.
quer, en marquant expressément que diquée ;celle des monts Phocra est
le Soubos, dont l'embouchure était assurée par leur double liaison au
voisine, au sud , du promontoire du petit Atlas et au promontoire Ryssa-
grand Atlas , prenait naissance aux dion; et il ne reste plus à retrouver
monts Sagapola ; que le Darados , qui que les monts Garapha derrière le
débouchait au sud de la pointe Soloen- mont Zalacon, puis les monts Cinnaba
tia, avait sa source au mont Caphas ; et Madethoubadon derrière les monts
que le fleuve Stachir, dont l'entrée Phrouréson
le mont Dourdon et Garapha; pluslimite
sur la à l'ouest
des
s'ouvrait au sud du promontoire Rys-
sadion, et le fleuve Nia, qui avait la deux Mauritanies, à la hauteur du pro-
sienne un peu plus loin vers le midi , montoire Oussadion; enfin le mont
provenaient l'un et l'autre des mon- Diour tirant vers la pointe nord-ouest
tagnes appelées aussi Ryssad ion comme de la Tingitane.
le promontoire ; enfin que le Masitho- Synonymie moderne de la no-
los, dont l'embouchure était sous la menclature DES MONTAGNES CON-
Corne du couchant, avait sa source NUES de Ptolémée.— Toute cette no-
dans le Théôn-Ochéma. A quoi il faut menclature inconnexe peut donc être
ajouter encore rattachée avec assez de confiance, au
Mandron entre l'indication du montet
le fleuve Darados moins d'une manière générale.et sauf
les montagnes Sagapola. quelque hésitation dans les détails, aux
De même à l'intérieur le géographe grands traits connus de la chaîne Atlan-
d'Alexandrie nous fournit un moyen tique et de ses contre-forts : le mont
d'appréciation de ses propres erreurs, Girgiris se trouvera représenté par le
en montrant d'un côté le fleuve Nigir Gharyân des modernes ; les monts
liant entre elles , par son cours multi- Ousargala s'identifieront avec l'Auras
ple, les montagnes Sagapola, Mandron, le mont Phrouréson répondra' aux
Caphas, Ousargala, Thala, et formant montagnes de Tithéry, le mont Zala-
dans l'intervalle, à l'ouest le lac Nigri- con à celles de Mélyânah , les monts
tes , à l'est le lac Libya; et en mon- Garapha au Ouanscherys , le mont
trant d'un autre côté le fleuve Gir Dourdon aux montagnes de Dédès, les
liant aussi , de ses longs bras , les monts etSagapola
monts Ousargala à ceux du défilé Ga- mat; sur cesauxbases montagnes d'Agh-il
principales
ramantique , et formant dans l'inter- est aisé de compléter une restitution
valle les paluds Chélonides , puis , plausible, aux localités actuelles , des
après s'être caché quelque temps sous noms anciens recueillis par Ptolémée.
terre , reparaissant pour former le lac Mais ce n'est pas tout ; car d'autres
Nouba. noms encore sont fournis par les his-
Les indications directes ne man- toriens Tite-Live
: parle du mont Bal-
quent donc que pour les montagnes bum non loin du territoire de Carthage;
Ammien Marcellin nous fait connaître
répandues sur la contrée à l'ouest de les monts Ferratus , ïranscellensis ,
l'Ampsagas et au nord du Soubos ; et Ancorarius et Caprariensis , répandus
encore avons-nous ici quelques moyens
de repère, tels que le cours du fleuve dans l'intérieur de la contrée qui s'é-
Savos , dont l'embouchure se trouvait tendait depuis le méridien d'Igilgilis
entre Icosion et Rusgonia , et dont jusqu'à
un affluent supérieur, le Phémios, mentionnecelui à sondetourCésarée ; Procope
les monts Bour-
avait sa source dans l'intervalle des gaon, Aurasion et Pappoua, le pre-
monts Garas et Phrouréson , le Savos mier dans la Byzacène, les deux au-
lui-même, dans son cours inférieur, tres dans la Numidie, celui-là aisé-
ayant à sa droite le mont Byryn et à ment reconnaissable à son nom , et le
dernier voisin d'Hippone-Royale. Enfin
autregauche
sa côté, laleposition
mont Zalacon. D'un
du mont Valua
entre les monts Bouzara et Phrouré- Victor de Vite
Ziquensis le montdésigne sous "ledes
Zaghouân nomAra-
de
son se trouve par là suffisamment in- bes, jadis appelé montagne de Jupi-
163
AFRIQUE ANCIENNE.
ter, et dont il paraît que les chrétiens Fleuves débouchant dans le
avaient fait la montagne du Seigneur. bassin occidental de la méditer-
RANÉE, A l'est d'Icosion. — Pas-
Fleuves. sons le détroit de Sicile, et nous ren-
contrerons, auprès de Carthage, le
De cette chaîne descendaient aux fleuve Catada, sans doute le Wêd
deux mers, ou vers des bassins inté- Melyânah de nos jours ; puis , au-
rieurs, des fleuves nombreux, dont
dessous du Beau promontoire, débou-
nous avons déjà nommé les plus con- chait leBagradas, appelé aussi Macar
sidérableils dans les récits de Polybe, et dont le
s ; se trouvent naturelle-
ment répartis entre le versant septen-nom s'est perpétué sous la forme Mé-
trional incliné vers la Méditerranée ,
gerdah , le plus important des fleuves
le versant occidental incliné vers l'O- africains , surtout au point de vue de
céan, et le versant austral dont les l'histoire. La Table Peutingérienne
pentes ne conduisent à aucuns ri- nous apprend que l'un de ses affluents,
vages. sur la route d'Hippone-Royale à Car-
Fleuves débouchant dans le thage par Bulla-Regia, portait le nom
bassin oriental de la méditerra- d'Armascla ; et Orose appelle Àrdalion
cet autre affluent près duquel fut battu
NÉE.—Quant au versant septentrional,
il a deux plages bien distinctes , sépa- Gildon, entre Théveste et Ammédéra.
rées par le détroit de Sicile : l'une à Il faut peut-être chercher encore parmi
l'est , basse et sablonneuse , à peine les affluents du même fleuve ce fa-
sillonnée de quelques rares torrents; meux Muthul sur les bords duquel
l'autre à l'ouest, montueuse, et cou- Métellus eut à soutenir une si vigou-
pée de fleuves plus fréquents. Sur la reuse attaque de la part de Jugurtha.
première , la Table Peutingérienne Le fleuve Tusca avait son embou-
seule montre d'abord un torrent sans chure près de Tabraca ; un peu plus
nom, puis un fleuve Be, après les- loin vers l'ouest était le fleuve Armua
quels venait le Cynips connu dès le ou Armom'acum ; et l'approche d'Hip-
temps d'Hérodote et que les Arabes pone-Royale nous avertit ensuite que
appellent aujourd'hui Wêdy Qahan ; les noms d'Ubus et de Rubricatus
plus loin, débouchant près de Ga- doivent trouver ici leur place, soit
phara, était le fleuve Énoladon, men- qu'on les applique ensemble au même
tionné uniquement par le Stadiasme fleuve , le Wêd Seybous des Arabes ,
de la Grande-Mer, et que l'on retrouve comme le veulent la plupart des géo-
dans le Wêdy Lâdos des Arabes; puis graphes modernes , soitaux que conditions
l'on aime
on trouvait le fleuve Ausere, indiqué mieux , conformément
seulement par laTabie Peutingérienne, itinéraires, identifier à la petite ri-
qui le fait aboutir derrière l'île de vière qui se décharge à cinq milles à
Girba. Le célèbre fleuve Triton, et le l'est de Bone, le fleuve Ubus de la Ta-
triple marécage, qu'il traversait pour ble Peutingérienne, et réserver le Sey-
venir déboucher auprès de Tacape , bous pour représenter exclusivement
le Rubricatus de Ptolémée. Le Wêd el-
sont représentés par quelqu'un des
cours d'eau qui se déchargent au fond Safsaf près de Philippeville, répond
du golfe de Qâbes, et par la chaîne de exactement au fleuve Tapsus de Vi-
petits lacs que le voyageur Grenville bius Sequester, qui débouchait près de
Temple a signalés au voisinage de cette Rousiccade. Doublant alors le pro-
ville. C'est sans doute auprès de la montoire Trèton pour entrer dans le
colonie de Thènes qu'allait aboutir le golfe Numidique , on arrivait au
fleuve Tana, où Salluste raconte que grand fleuve Ampsagas, le Wêd Kébyr
Marius, parti des frontières de la des Arabes , important dans l'histoire
province romaine , vint faire provision des démarcations territoriales du pays.
d'eau le sixième jour de sa marche sur En continuant d'avancer à l'ouest ,
Capsa , où il arriva trois jours après. on rencontrait encore, dans le golfe
164 L'UNIVERS.

Numidique , d'abord le fleuve Goulos frappant des autorités anciennes aux-


débouchant un peu en deçà d'Igilgilis, quelles ilnous est possible de recou-
et qu'il semble naturel de reconnaître rir : il y aurait matière à d'intermi-
dans nables dissertations s'il nous fallait
nom celui
de laqui villeprend aujourd'hui
de Gygel ; puissonle traiter ici de telles questions, et dis-
fleuve Audon , qui se déchargeait sous cuter les indications contradictoires
le promontoire appelé pareillement de Pline et Ptolémée d'une part , et du
Audon , limite occidentale du golfe. routier vulgairement appelé l'Itiné-
Quelle est la dénomination actuelle de raire d'Antonin , d'autre part ; bor-
ce fleuve? Après de grandes difficultés nons-nous àsupposer admise sans
dans la fixation des synonymies géo- contradiction l'identité respective d'O-
graphiques applicables aux divers ran et de Mersày-el-Kébyr avec la
colonie de Kouiza et le Portus-Magnus
points de la côte à l'ouest de Gygel jus- des anciens ; et alors la rivière Chyli-
que vers Scherschel et même au delà,
math de Ptolémée, la même que le
les critiques semblentles s'accorder
tenant àadopter main-
déterminations Mulucha de Pline et de Salluste , indi-
jadis proposées par le docteur Shaw, quée entre Kouiza et le Grand-Port ,
et dont la plus importante dans la n'aura de correspondance possible
question en litige , est celle qui fait qu'avec la petite rivière d'Oran. Le
répondre Flumen Salsum de l'Itinéraire , le
derne l'ancienne Saldes à la
Bougie : le promontoire mo-
Audon fleuve Asarath de Ptolémée, le Sarda-
se place alors forcément sur le cap bal de Plinecomme et de Mêla , soitdequ'on les
Cavallo de nos cartes , et le fleuve considère autant fleuves
Audon est représenté par la rivière distincts, soit qu'on n'y voie que des
anonyme qui coule un peu à l'est de noms différents d'un même cours
ce cap. Le fleuve Sisar, que Pline d'eau , se placent nécessairement entre
appelle Usar, doit être cherché dans Mersày-el-Kébyr et la Tafnày, près
l'un des cours d'eau qui avoisinent de laquelle se voient encore les ruines
Manssouryah, et le fleuve Nasabath de Siga , et qui répond précisément à
s'identifie à la rivière même de Bou- l'ancien fleuve de ce nom.
gie; le fleuve Serbétès , au delà de Après Siga, jusqu'au promontoire
Rousouccora , paraît repondre au Wêd Métagonite où était la ville de Ryssa-
Isser ; et le fleuve Savos, appelé Aves dir, débouchaient plusieurs fleuves, à
par Mêla et Pline , débouchant entre l'égard desquels se reproduisent des
Rousgonia et Icosion, ne peut être incertitude^ de synonymie que les cri-
autre que le Hharratch. tiques modernes ont, en général, tran-
Fleuves débouchant dans le chées plutôt que résolues : Strabon
bassin occidental de la médi- n'indique en cet endroit que le fleuve
TERRANÉE, A l'ouest d'Icosion. Molochath, et Pline désigne seule-
— Le Chinalaph, qui débouchait à ment le fleuve navigable Maluana ;
mais Ptolémée énumere à la fois le
l'ouest et tout auprès de Césarée , dont Maloua et le Molochath , ce dernier
l'emplacement est occupé par la mo-
derne Scherschel, ne saurait être con- plus occidental que l'autre; tandis que
fondu avec le Schélif , à moins de sa- l'Itinéraire marque un fleuve Pople-
crifier àune douteuse homonymie les tum à l'est du fleuve Malua. Il n'est
conditions de distance et de position point douteux, d'après les conditions
relative : c'est dans quelque petit fleuve odométriques,
côtier que doit être retrouvé le Chi- raire ne soit leque le Maluadesde moder-
Malouyah l'Itiné-
nalaph, tandis que le Schélif, qui ne nes, leseul qui puisse représenter aussi
le Maluana navigable de Pline, et que
vient qu'après ïénès, répondra tout
au plus au fleuve Cartenna de Ptolé- l'homophonie semble identifier encore
mée. A partir de ce point , les diffi- au Maloua de Ptolémée; il resterait
cultés géographiques sont considéra- alors à chercher un peu plus loin le
blement accrues par le désaccord Molochath de Ptolémée et de Strabon.
AFRIQUE ANCIENNE. 165
Entre Ryssadir et les colonnes retrouver dans trois des petites riviè-
d'Hercule , Pline mentionne deux res qui précèdent Dâr-Baydhâ; puis,
fleuves navigables, le Laud et le Ta- entre la montagne du Soleil et le pro-
muda ; Ptolémée ne connaît que ce montoire Oussadion , était le fleuve
dernier, qu'il nomme Thalouda ; puis, Phthouth ou Fout, représenté aujour-
dans le détroit même, entre la mon- d'hui par l'Omm-Rabye'. Ensuite se
tagne des Sept frères ou de Sebthah, présentaient , entre le promontoire
et Tingis ou Thafogeh , il inscrit le Oussadion et le grand Atlas, les fleu-
fleuve Oualon. ves Ouna, Agna et Sala: nous igno-
Fleuves débouchant dans l'O- rons le nom des cours d'eau qui leur
céan OU SE PERDANT DANS L'iNTÉ- peuvent correspondre sur cette côte
eieur. — Sur l'Océan se succédaient, mal explorée; mais nous savons du
entre le promontoire Côtés et celui du moins que les voyageurs Badia et Wash-
petit Atlas ou d'Hermès, les fleuves ington ont l'un et l'autre rencontré
Zilias, Lix ou Lixos, Soubour, Sala, et sur leur route, à quelque distance du
Dyos, le même sans doute que Scylax littoral , des courants dirigés vers la
appelle Anidieus(*)etPolybeAnatis: on mer et qui remplissent ici les condi-
y reconnaît sans difficulté les rivières tions du problème.
d'Azylah, Séboue, de Salé, et Yetkem. Au delà du grand Atlas jusqu'à la
Entre le petit Atlas et la montagne pointe Gannaria, c'est-à-dire entre le
du Soleil , Ptolémée nomme les fleuves cap Cantin et le cap Agulou, il nous
Cousa, Asama et Diour (ces deux der- est facile de retrouver 4e fleuve Soubos
niers appelés Asana et Vior par les dans le Tensyft , le Salathos et le
indigènes, suivant Pline), qu'il faut Chousaris dans les rivières qui débou-
chent àAghadyr et à Mêsah. Puis,
(*) Il y a de grandes difficultés à faire entre les pointes Gannaria et Soloen-
concorder d'une manière satisfaisante les tia où Ptolémée indique les fleuves
descriptions que Hannon, Scylax et Polybe Ophiodes et Nouïos, les relèvements
nous ont laissées de celte côte; mais quel-
ques-unes de ces difficultés disparaissent nautiques nous offrent les rivières As-
quand on étudie les textes mêmes, au lieu
saka et Albuéda. Ensuite venaient,
des billevesées des traducteurs : ainsi , le entre la pointe Soloentia et le cap Ar-
fleuve Anidieus, que les versions latines et sinarion, les fleuves Massas ou Masa-
françaises de Scylax mettent au delà du tat, et Darados ou Darat,dont le der-
promontoire d'Hermès, est bien placé en nier, qu'on faisait venir de fort loin
deçà dans le texte grec, où il est déjà ex- dans l'intérieur, paraît répondre au
pliqué clairement que l'on va jeter un coup Wêd Dara'h de nos jours, qui débou-
d'œil rétrospectif sur la côte oltzo tt)? Aiêurjç che sous le cap Noun , et dont les in-
i%\ tyjv 'Eupio7iY]v, quand l'auteur ajoute :
digènes disent pareillement que la
àuô 6è xy}; cEpu.ouaç àxpaç 7TOTau.6ç sgtiv 'Avi- source est très-éloignée. Enfin les
ôieuç ; et c'est dans la même direction que fleuves Stachir et INias , les mêmes
doivent probablement être rangées les in- sans doute que Polybe appelait Salsum
dications qui suivent : u.età ôè Aviôteurà et Bambotum , se retrouvent dans les
x-t.X [XoràSè AiÇovx.t.X jusqu'à ce coupures ou les estuaires voisins du
que le retour à l'ordre inverse soit formel- cap des Sables (*), et le Masitholos
lement signalé par cette autre indication ex-
dans le fameux Rio de l'Or.
presse àuo
: ©u(j.ia-r£p(aç elç £oX6sa-av dxpav Pour ce qui est des deux grands
-/.. t. X. Polybe agit de même lorsqu'il énonce fleuves intérieurs, le Gir et le Nigir, il
d'abord que l'Atlas (le Grand-Atlas de Pto-
lémée ,ainsi que le constate le voisinage de semble que le premier ne puisse rai-
l'île de Cerné) est à 485 milles du fleuve
Anatis, lequel est à 2o5 milles du Lixus,
(*) Appelé sur les cartes italiennes du
situé lui-même à 112 milles du détroit de
moyen âge, Capo délie Sabbie, d'où les
Gadès ; après quoi les indications reprennent cartographes anglais ont tiré le nom défi-
leur point de départ au Lixus pour se con- guré de Capo Jubj, qui a passé sur toutes
tinuer dans la direction du sud. les cartes modernes.
166 L'UNIVERS.

sonnablement avoir d'autre représen- Animaux. — Mais les bêtes ve-


tant sur nos cartes , que le Wêd el nimeuses étaient si abondantes, qu'en
Gédy des Arabes certains cantons les habitants renon-
être cherché dans ,une
et que l'autreconfuse
réunion doive
çaient à la culture du sol, et que
du Zyz et du Ghyr de nos jours. dans d'autres ils ne pouvaient faire
Tel est le tableau général sinon com- leurs récoltes qu'en prenant des pré-
plet des fleuves de la région d'Afrique : cautions particulières : c'étaient de
Artémidore , qui disait ces rivières grands scorpions avec ou sans ailes ,
nombreuses et considérables , avait des araignées énormes , des lézards
raison du moins quant au nombre; et longs de deux coudées, de gros ser-
Possidonius , qui les trouvait rares et
petites, avait peut-être raison de son abondance pents. Le pays
de gazelles nourrissait
, de d'ailleurs
bubales ,
coté quant à leur peu d'importance. et autres animaux de la même famil-
le, outre des éléphants, des lions,
Pi'oductions naturelles. des léopards, des chats sauvages, enfin
une prodigieuse quantité de singes,
Nature du sol; minéraux. — dont les manières et la tournure amu-
Considérée dans son ensemble, toute
cette région offrait, depuis le fond sèrent beaucoup Possidonius d'Apa-
mée, quand il en vit, sur la côte, une
de la grande Syrte jusqu'au cap Cô- troupe nombreuse , dans laquelle se
tés, une plage d'abord large, sableu- trouvaient des nourrices aux grosses
se, basse et aride , puis graduelle- mamelles et à tête chauve donnant à
ment rétrécie, arrosée et fertile, la téter à leurs petits de manière à offrir
chaîne de montagnes qui traversait le la caricature de vénérables matrones.
pays dans l'intérieur s'élevant succes- Les rivières étaient infestées de croco-
sivement et s'étendant plus près du diles et de lamproies ( les traducteurs
rivage à mesure qu'elle se continuait de Strabon en ont fait des sangsues ! )
vers l'occident. On y trouvait des longues de sept coudées, ayant sur cha-
mines de cuivre, des pierres précieuses
que flanc une rangée d'ouvertures
branchiales.
telles que l'escarboucle et le grenat;
on y exploitait des marbres renom- Plus avant dans les terres, au dire
més; on y connaissait aussi une source
d'Iphicrate, serencontraient,avec l'élé-
d'asphalte. phant, des girafes, des rhinocéros, et
Végétaux. — La végétation y était des serpents d'une taille si extraordi-
admirable : les arbres y acquéraient une
grosseur prodigieuse, et fournissaient sur le naire
dos. qu'il leur
Là lescroissait de étaient
roseaux l'herbe
aux Romains ces larges tables d'une assez gros pour contenir huit chénices
seule pièce dont les veines présentaient de froment dans l'intervalle d'un nœud
à l'œil les accidents les plus variés ; des à l'autre, et les asperges avaient une
ceps de vigne acquéraient un tel dia- dimension non moins surprenante.
mètre que deux hommes pouvaient à
peine en embrasser le tronc , et les II. DISTRIBUTION DES POPULATIONS.
grappes qui pendaient à leurs rameaux
étaient longues de près d'une coudée. Indications 'primitives
Salluste. recueillies par
Les plantes herbacées et potagères y
devenaient aussi monstrueuses : des
Si l'on se rappelle l'exposé que Sal-
tiges d'estragon, de panais, de fenouil, luste nous a laissé des premiers temps
d'artichaut, avaient jusqu'à douze cou- de l'Afrique, en tête de son admirable
dées de haut et quatre empans de tour. livre de la guerre de Jugurtha (*) , on
Les blés, récoltés deux fois l'an et ne peut manquer de conserver une
rapportant chaque fois plus de deux
cents pour etunla, s'élevaient jusqu'àgrosse
cinq (*) Voir cet exposé transcrit en entier
coudées, paille en était dans notre Introduction à l'Afrique ancien-
comme le petit doigt. ne, pages 64 et 65 du présent volume.
167
AFRIQUE ANCIENNE.

idée ble
aussi des du littoral et des Gétuies de l'inté-
phase nette
sous que précisese d'une
laquelle dou-à
présente rieur, Hérodote laisse en dehors de ses
nous la distribution des populations descriptions les Gétuies et les Numi-
antiques qui se partagèrent le sol afri- des, et à plus forte raison les Maures
cain. relégués au delà des Numides. Pour
D'abord apparaissent soûles, inéga- lui l'Afrique n'a que deux peuples in-
lement réparties sur une triple zone, digènesles
: Libyens surja côte, et
trois races distinctes entre elles, sa- derrière eux, au loin, les Éthiopiens.
voir :d'un bout à l'autre de la plage Quant aux Libyens, ils sont noma-
qui borde la Méditerranée, les Libyens ; des depuis l'Egypte jusqu'au fleuve
derrière eux à l'intérieur, mais sur la Triton, qui s'écoule dans la petite Syrte;
moitié occidentale seulement, les Gé- au delà du Triton ils sont agriculteurs.
tules; et plus loin encore, à une pro- Notre examen doit se borner ici aux
fondeur inconnue, les Éthiopiens brû- contrées qui s'étendent à l'ouest de la
lés par le soleil. grande Syrte , où s'arrêtaient les Na-
Plus tard, blissement aprèsdéfinitif
l'arrivée et l'éta-
des débris de samons : c'est de là que nous allons
reprendre
Nomadesle récit de l'historien
du littoral. — grec.
« Sur
l'armée d'Hercule , la triple zone de
peuples existe toujours il est vrai, mais les bords de la mer, à l'ouest des
la composition en est changée : les Nasamorrs , habitent les Makes , qui
se rasent les cheveux autour de la
Éthiopiens sont restés à l'horizon ex-
trême ou nous les avions aperçus ; les tête
Gélules sont demeurés également les touffe etsurnele laissent vertex ; croître
pour la qu'une,
guerre
maîtres de l'intérieur en avant des ils se cuirassent de peaux d'autruches.
Éthiopiens, sauf peut-être à recon- C'est dans leur pays que débouche à
naître parmi eux, sous le nom de la mer le Cinyps, venant des coteaux
Pharousiens et de Pérorses, quelques qui portent le nom des Grâces, situés
Persans qui s'étaient conservés sans à deux cents stades de la côte, et cou-
mélange; mais sur le littoral, les Mau- verts de bocages épais, tandis que le
res, postérité des IVIèdes et des Armé- reste de l'Afrique,
tièrement déboisé. à l'orient, est en-
niens suivant Salluste. ou des Indiens
au dire de Strabon , mêlée aux Libyens «Près des Makes sont les Gindanes,
occidentaux, occupent la région la plus dont les femmes portent chacune, au-
rapprochée de THispanie ; à côté d'eux, tour de la cheville du pied, autant de
les Numides, nés du mélange des Per- lanières de cuir qu'elle a eu d'amants;
ses et des Gétuies, ont subjugué les et celle qui en compte davantage est
cantons qui s'étendent sur la mer Sar- la plus considérée , comme ayant mé-
do-Tyrrhenienne; et la plage orientale rité les suffrages du plus grand nom-
seule est restée aux Libyens primitifs. bre d'hommes.
Il serait fort délicat d'assigner une « Le rivage de la mer, en avant du
date absolue à ces changements : nous pays des Gindanes, est habité par les
ne l'essayerons point. Salluste les sup-^ Lotophages , qui ne vivent que de
fruits de lotos , lesquels ressemblent
pose^ antérieurs à l'arrivée des colo-' par la grosseur à ceux du lentisque ,
nies' phéniciennes : c'est
monter àseize siècles au les faireavant
moins re- par le goût à ceux du palmier, et dont
notre ère. ils font aussi du vin.
« Aux Lotophages confinent , le
État des populations indigènes au long de la mer, les Machlyes, qui eux-
temps d'Hérodote. mêmes font pareillement usage de
lotos , mais beaucoup moins que les
Le père de l'histoire, dont les con- premiers; ils s'étendent jusqu'au grand
nais ances dedétail sur l'Afrique pa- fleuve appelé Triton , qui se jette dans
raissent atteindre tout au plus la limite
où commençait le domaine des Numi- le grand
mée Phla.lac Tritonide où est l'île nom-
168 L'UNIVERS.

« Immédiatement après les Mach- leurs pères en l'honneur de la déesse


lyes viennent les Auses , qui habitent, indigène que les Grecs ont nommée
ainsi qu'eux, autour du lac Tritonide, Athéné, et elles appellent fausses
mais qui en sont séparés par le fleuve vierges celles qui meurent de leurs
Triton. Les Machlyes laissent croître blessures. Mais avant que de cesser le
leurs cheveux sur le derrière de la tête, combat, elles revêtent d'un casque
et les Auses sur le devant. Ils ont corinthien et d'une armure grecque
leurs femmes en commun , n'habitant celle qui est reconnue avoir le mieux
point avec elles, mais vivant ensem- combattu , et la faisant monter sur un
ble comme des brutes. Les enfants char, elles la promènent autour du lac.
sont élevés par leur mère : quand ils Quelle parure avaient ces jeunes filles
sont assez grands , ils vont à l'assem- avant l'établissement des Grecs dans
blée trimestrielle des hommes, et cha- leur voisinage, je ne saurais le dire ;
cun devient le fils de celui auprès du- mais je présume que c'étaient des ar-
quel illui convient de vivre. » mures égyptiennes, car je crois que le
Observations sur le fleuve bouclier et le casque sont venus aux
Triton et le lac Tritonide. — Grecs des Égyptiens. Ces gens pré-
Arrêtons-nous un instant ici pour re- tendent que Minerve est fille de Nep-
marquer que si le fleuve Triton est, tune et du lac Tritonide, et qu'ayant
comme nous l'avons dit plus haut, re- eu quelque sujet de plainte contre son
présenté par l'une des rivières qui père , elle se donna à Jupiter, qui l'a-
débouchent au voisinage de Qâbes, dopta pour sa fille. »
l'épithète de grand, que lui donne Hé- Nomades de l'intérieur. —
rodote, est une de ces libéralités méta- Nous venons de passer en revue les
peuples du, littoral qui mènent une vie
gue, et quiphoriques dudont l'histoire
Tibre ont estfaitsi prodi-
le roi nomade. Énumérons maintenant les
des fleuves. Il est évident en même nomades de l'intérieur qui ont été
temps que le lac Tritonide d'Hérodote connus d'Hérodote, et reprenons pour
est le golfe même de la petite Syrte, cela les paroles mêmes du vieil histo-
rien.
et que son île Phla n'est autre que
Gerbeh : explication si certaine à la « A dix journées de chemin à l'ouest
fois et si naturelle, que nous pouvons d'Augiles on trouve aussi une colline
nous étonner à bon droit de la donner de sel gemme, avec une source et de
ici pour la première fois. Le vieil his- nombreux dattiers, comme à Ammon
torien répète en cet endroit de sa des- et à Augiles même. Les habitants sont
cription en
, les appliquant à ce lac appelés Garamantes, et forment une
Tritonide, les traditions argonauti- nation grande et puissante. Ils répan-
ques que nous avons déjà racontées dent de la terre sur le sol pour faire
d'après les chants de Pindare et d'Apol- leurs semailles. Ils sont peu éloignés
lonius de Rhodes, qui les rapportent des Lotophages, de chez lesquels il y
au marais de Triton voisin de Béré-
a trente journées de route jusqu'au
nice traditions
; relatives à la prédic- pays sentoùen marchant
l'on voit àdes bœufs parce
qui pais-
tion faite aux Argonautes, de l'éta- reculons, que
sur ces bords. blissement futur d'une colonie grecque leurs cornes tournées en avant s'en-
fonceraient dans la terre s'ils mar-
Hérodote insère en outre ici quel- chaient devant eux; particularité au
ques détails curieux sur des coutumes surplus, qui seule, avec leur cuir plus
locales qui ont quelque liaison avec épais et plus souple, les distingue des
les croyances grecques : « A la fête autres bœufs. Ces Garamantes font la
annuelle de Minerve , leurs jeunes chasse aux Troglodytes éthiopiens au
filles se partagent en deux troupes , moyen de quadriges, car ces Troglo-
combattent les unes contre les autres dytes sont bien les coureurs les plus
à coups de pierres et de bâton, suivant, lestes et les plus rapides dont nous
à ce qu'elles disent, les rits établis par ayons jamais entendu parler : ils se
169
AFRIQUE ANCIENNE.
nourrissent de serpents , de lézards , tage par leur industrie. Ils se peignent
et autres reptiles analogues ; ils ont tous le corps de vermillon, et se nour-
un langage qui ne ressemble à aucun rissent de singes.
autre et qu'on prendrait plutôt pour le « Les Carthaginois disent que dans
cri des chauves-souris. le voisinage de cette contrée se trouve
« A dix autres journées de route l'île allongée de Kyrkynis (*). »
des Garamantes se rencontre encore
AinsiHérodote
dont , dans connaît la partie lesde habitants
l'Afrique ,
une colline de sel gemme, avec de
l'eau et des habitants à l'entour appe- le littoral entre les Syrtes était le do-
lés Atarantes, les seuls de tous les hom- maine des Makes, des Gindanes, des
mes que je connaisse, qui n'aient pas Lotophages, des Machlyes et des Au-
de noms ; car ils sont à la vérité dé- ses , derrière lesquels s'étendaient à
signés en commun par la dénomina- l'intérieur les Garamantes , les Ata-
tion d'Atarantes, mais aucun d'eux en rantes et les Atlantes; puis , au delà
particulier n'a de nom propre. Ils mau- du Triton s'échelonnaient les Maxyes,
dissent lesoleil quand il arrive à son les Zaouèkes et les Zygantes.
point culminant , lui reprochant de
venir brûler et les hommes et le sol.
Énumêration des peuplades africai-
« Après dix journées de chemin en- nes au temps des Romains
core, on retrouve une nouvelle colline
de sel, avec de l'eau et des habitants. Peuplades littorales de l'est
Auprès de là est la montagne appelée ENTRE l'AmPSAG-AS ET LES AUTELS
Atlas, étroite, escarpée de tous côtés, des Philènes. — Strabon et Pline
et considèrent de même, au point de
voirsi le élevée,sommet dit-on, qu'ondes
à cause n'ennuages
peut
vue géographique, la région des Syr-
dont il est toujours enveloppé, en été tes comme formant une division sé-
comme en hiver ; les indigènes en font parée ; mais ils ne tranchent pas,
une colonne du ciel , et les hommes dans leurs indications ethnographi-
même d'alentour en tirent leur nom, ques la
, rodoteséparation marquée
car ils sont appelés Atlantes; on dit au fleuve Triton. Sanspardoute
Hé-
qu'ils ne mangent de rien qui ait eu la domination de Carthage avait,
vie, et qu'ils n'ont jamais de songes. en se propageant sur la côte, im-
« Jusqu'à ces Atlantes », ajoute Hé- primé aux indigènes un cachet exté-
rote, « j'ai pu désigner par leur nom rieur de civilisation uniforme: aussi
les peuples cantonnés, de dix en dix Strabon attribue-t-il sans distinction
journées, sur le faîte qui s'étend jus- le littoral aux Libo-Phéniciens , der-
qu'aux stèles Héracléennes et par delà; rière lesquels il étend, sur une zone
mais je ne puis faire de même pour
ceux qui viennent après les Atlantes. » parallèle, les Garamantes, jusqu'aux
Populations agricoles. — « A montagnes des Gétules dans l'ouest.
Pline se borne d'abord à nous désigner
l'ouest du fleuve Triton et des Au- quatre nations principales dans la ré-
ses, habitent des Libyens agricul- gion syrtique , savoir : au fond de la
teurs ayant des demeures iixes , appe- grande Syrte confinant aux Autels des
lés Maxyes, qui laissent croître leurs Philènes, les Lotophages, quelquefois
cheveux sur le côté droit de la tête et
rasent le côté gauche ; ils se peignent appelés
de la grandeAlachroes;
Leptis à, les
l'entrée, du côté
Cisipades ; et
le corps avec du vermillon et se disent au delà de vastes déserts qui les sépa-
issus des Troyens. Aux Libyens Maxyes raient de la petite Syrte, les Gara-
confinent les Zaouèkes , dont les fem- mantes au-dessus
, desquels étaient les
mes conduisent les chars de guerre; Psylles. Mais ensuite il ne compte pas
après eux viennent les Zygantes, chez
lesquels les abeilles produisent natu- (*) Voir, au sujet de cette île, le volume
rellement une grande quantité de miel, de la présente collection spécialement con-
niais qui en recueillent encore davan- sacré aux îles de l'Afrique , page 80.
170 L'UNIVERS.
moins de cinq cent seize peuplades Audon, les Misoulans, derrière eux
sujettes de Rome, entre les Autels des les Nattaboutes , puis les Nisibes ;
Philènes et PAmpsagas; il ne donne [au sud] des Midènes les Miédiens,
toutefois qu'une très-petite liste de derrière lesquels les Mousounes; en-
noms, savoir: les Natabudes , les suite derrière le mont Thammès les
Capsitans, les Misulans, les Sabar- Sabourboures , derrière eux les Ha-
bares, les Massyles, les Nisives, les liardes, et la campagne Sittafienne. Au
Vamacurés, les Éthins, les Mussins, sud des Liby-Phéniciens est la contrée
les Marchubiens, et tous les Gétules Byzacitide, derrière laquelle sont les
jusqu'au fleuve Nigir qui sépare l'Afri- Ozoutes; puis les Kérophées, et les
que de l'Ethiopie. Mampsares sur la montagne du même
Ptolémée nous offre une nomen- nom, et derrière la montagne les Mo-
clature beaucoup plus riche , sans toutouriens. Derrière les Makhynes
distinguer non plus les peuplades syr- sont les Makhryes, puis les Gèphes ,
tiques de celles qui avoisinent Car- après lesquels les Mimakes , et der-
rière le mont Ousaleton les Ouzales
tilage; ilen fait l'énumération en al-
lant de l'Ampsagas aux Autels des Phi- et le commencement de la Libye dé-
lènes. Quelque sèche et décharnée que serte.
soit une liste étendue de noms aux- « De même derrière les Rinithiens
quels se rattachent peu de souvenirs, sont les Sigiplosiens, puis les Aché-
il nous semble nécessaire de rapporter mènes, puis les Moutourgoures, der-
ici celle que nous a transmise le géo- rière lesquels les Moukhthousiens;
derrière les Nigitimes les Astacoures;
graphe alexandrin , de peur que l'omis- derrière les Lotophages les Éropées ,
sion n'en fût considérée, avec quelque
raison, comme une regrettable lacune. puis les Dolopes, derrière lesquels les
Voici donc la version fidèle de ses Érébides ; derrière les Samamvkiens
indications ethnologiques: les Édamensiens, puis les Nygbènes;
« Les habitants des parties occiden- enfin derrière les Nycpiens et les
tales de l'Afrique propreet jusqu'à Éléons, les Makes syrtites, et la Libye
mer sont les Cirtésiens les Naba-la déserte. »
thres ; après eux vers l'est, les Iontiens, On voit que Ptolémée a disposé les
contre la Numidie ou Nouvelle pro- quarante noms qui composent sa liste,
sur trois zones parallèles , représen-
dènes, vince,
et jusqu'à
contreThabraca ; puis les Mi-
la Carthaginoise, les tant par leur réunion la zone littorale
Liby-Phéniciens ; ensuite, jusqu'à la d'Hérodote; quant à la zone intérieure
petite Syrte les Makhynes , et der- sur laquelle les Garamantes
rière (*)celle-ci les Rinithiens, et plus dote et les Gétules de Sallusted'Héro-
vien-
à l'est jusqu'au fleuve Cinyphos les nent, au dire de Strabon, se rejoindre
Nigitimes, et autour de ce même bout à bout, elle fait, dans son ensem-
fleuve les Lotophages. Puis vers la ble, pour le géographe alexandrin, le
grande Syrte les Samamvkiens , et à sujet d'un chapitre spécial sous le titre
leur suite les Nycpiens, derrière les- de Libye intérieure. Nous y revien-
quels sont placés les Éléons. drons après un coup d'œil sur le reste
« En revenant au sud des Cirtésiens des populations de la côte, dont nous
et de la Numidie, derrière le mont n'avons encore nommé que ceiles qui
occupent la fraction orientale.
(*) Bien que la particule imo pût être Peuplades littorales de
littéralement traduite sans inconvénient par
l'ouest : entre l'Ampsaoas et
sous, au-dessous de, j'ai préféré la rendre
uniformément, pour plus de clarté, par les colonnes d'Hercule. — A
derrière, qui laisse moins d'incertitude à l'ouest de Carthage, où Salluste se
l'esprit le plus inattenlif. J'ai soigneuse- borne à signaler, en deux grandes di-
ment traduit eitoc par puis ou ensuite. Ces visions, les Numides et les Maures,
mots ont ici une importance spéciale pour ca- Strabon n'est guère plus explicite,
ractériser lasituation relative des peuples.
puisqu'il se contente de nommer les
171
AFRIQUE ANCIENNE.
Numides Massyliéens qu il englobe Herpéditans, sur ce qu'on appelle les
dans le domaine punique , puis les mines de cuivre ( XaXxwpuxia); derrière
Numides Massésyliens qu'il étend du eux les Taladousiens. Puis les Sôres ,
cap Trèton au cap Métagonion, et enfin au midi desquels les Masésyles, der-
les Maurusiens à l'extrême occident. rière lesquels lesDryites. Ensuite, au
delà du mont Dourdon, les Élouliens,
Pline n'entre
de détails : il pas dans beaucoup
mentionne plus
sous la sim- et les Tolôtes et les Nacmousiens jus-
ple dénomination de Numides les Mas- qu'aux montagnes Garapha. A l'est
syliéens de Strabon , puis les Massé- des Taladousiens jusqu'aux bouches
syliens, parmi lesquels il place les peu- du fleuve Chinalaph sont les Machou-
plades des Macurèbes et des Nabades, siens , derrière lesquels le mont Za-
enfin les Maures ou Maurusiens , que lacon, et au delà de celui-ci les Ma-
l'invasion des Gétules Baniures, Auto- zikes. Puis les Bantourariens, et der-
loles et Vésunes , avait réduits,, de son rière les montagnes Garapha les
temps, à un petit nombre de familles. Akouensiens et les Mykènes et les
Ptolémée a recueilli une bien plus Maccoures, et sur la montagne Kin-
grande quantité de dénominations par- naba les Enabases. A l'est ou mont
ticulières des peuplades qui se ratta- Zalacon, vers la mer, les Makkhourè-
chent àl'une ou à l'autre de ces sou- bes, derrière lesquels les Toulensiens;
ches, dont la distinction ethnologique puis les Banioures, derrière lesquels
n'avait pas cessé, bien que le territoire les Makhoures; ensuite les Salassiens
respectivement occupé par chacune et les Malkhoubiens. Encore à l'est
des Toulensiens les Moukounes et les
d'elles portât, au moins depuis le rè-
gne de Claude, l'appellation uniforme Khitoues jusqu'au fleuve Ampsagas ;
de Mauritanie, sauf addition de l'épi- derrière ceux-ci les Kédamousiens ;
thète de Césarienne pour l'ancienne puis les Todoukes vers les sources du
Numidie , et de Tingitane pour la fleuve Ampsagas. »
Mauritanie véritable. Ptolémée, dont Quelque nombreux que soient ces
les descriptions procèdent d'occident noms, on est loin d'y retrouver pour-
en orient, commence par la Tingitane, tant tous ceux qui figurent dans les
et la fait suivre de la Césarienne; voici, récits d'Ammien Marcellin ou dans les
dans l'ordre qu'il a suivi, rénuméra- cosmographies
tion qu'ilcontrées. donne des populations de Honorius : nousd'Ethicus et de
ferons ici Julius
grâce au
ces deux lecteur de ces nomenclatures arides
« Les habitants de la province (Tin- qui passent sous les yeux sans inté-
gitane) sont, vers le détroit (des Co- resser l'esprit ; l'histoire nous dira
lonnes), les Métagonites , vers la mer ces noms avec plus de profit, en les
Ibérienne les Socossiens , et derrière enchâssant au milieu des faits auxquels
ceux-ci les Ouerouès, et derrière la ils se lient.
contrée Métagonite les Masikes; en- Peuplades de l'intérieur. —
suite les Ouerbikes, derrière lesquels Passons à la grande zone intérieure
les Salinses et les Kaunes; puis les partagée d'une manière générale, ainsi
Bakouates , derrière lesquels les Ma- que nous l'avons déjà remarqué, entre
canites. Derrière les Ouerouès les les Garamantes à l'est et les Gétules à
Ouoloubilians ; puis les Iangaucanes , l'ouest; il nous reste à voir comment
derrière lesquels les Nectibères; ensuite Ptolémée distribue sur ce vaste terri-
la campagne Rousse (IIvppov tc8£ov) , toire les tribus comprises dans chacune
derrière eux les Zégrensiens ; puis les de ces deux divisions principales. Nous
Banoïoubes et les Ôuakouates. La li- nous bornerons encore à traduire lit-
sière orientale est habitée eu entier téralement ce que le laborieux géogra-
par les Maurensiens et une partie des
Herpéditans. à cetpheégard.
d'Alexandrie nous expose lui-même
« Les habitants de la province (Cé- « Derrière les Mauritanies est si-
sarienne), vers l'occident, sont les tuée la Gétulie; derrière l'Afrique et
172 L'UNIVERS.

la Cyrénaïque, la Libye déserte. Et les Tnroualtes et les Maltites et les


les plus considérables des nations qui Afrikérons, nation considérable. Et
se partagent la Libye sont : celle des encore, au sud des Éthiopiens Odrag-
Garamantes qui s'étendent depuis les gides les Aclièmes, des Mimakes les
sources du Bagradas jusqu'au lac Goggales, au delà desquels les Nanos-
Nouba ; et celle des Mélanogétules qui bes; ensuite les Nabathres jusqu'au
habitent l'intervalle entre les monts Sa- mont Aroualton; et entre le lac Libya
gapola et Ousargala ; et la race des et le mont Thala, les Alitambes et les
Ethiopiens Rouges, qui sont au midi Maurales ; entre ceux-ci et les Noubes,
du fleuve Gir; et celle des Éthiopiens les Armies et les Thaïes et les Dolo-
Nigrites qui sont au nord du fleuve pes et les Astacoures
Nigir; et celle des Darades qui habi- des montagnes; et au jusqu'au
nord du Défilé
mont
tent vers la mer sur les bords du fleuve
du même nom ; et celle des Pérorses Araggas
Asarakes. lesEntre Arokkes, à l'orientet lesle
les Derbikkes
qui sont plus à l'orient et plus éloignés mont Aroualtes les Dermones; et der-
de la mer que la montagne appelée rière les Afrikérons, à peu près au sud-
Ïheôn-Ochéma; et celle des Ethio- sud-est, les Éthiopiens Agaggines ; au
piens Odraggides habitant l'intervalle levant de ceux-ci derrière le mont
entre les monts Kapha et Thala; et Aroualton jusqu'au mont Aragga, les
celle des Mimakes qui sont derrière ce Éthiopiens Xylikkes; enfin au delà de
même mont Thala; et celle des Nou- ces derniers les Éthiopiens Oukhalik-
bes habitant à l'ouest du Défilé des
montagnes; et celle des Derbikkes qui kes.On » voit reparaître sur cette liste les
sont à l'occident du mont Aragga. noms de diverses peuplades qui déjà
« Il y a des peuplades moins consi- ont figuré parmi celles du littoral, tel-
dérables vers
; la mer au delà des Gé- les que les Samamykierîs , les Sou-
tules, habitent les Autolales et les Si- bourpores, lesMakkourèbes, les Achè-
ragges et les Mausoles, jusqu'au mont mes, les Mimakes, les Nabathres, les
Mandron; puis, contre celui-ci, les Dolopes, les Astacoures; ce serait une
Dabiens et les Malkoes et les Mandors
nouvelle preuve, s'il en était besoin ,
jusqu'aux Darades, du peu de profondeur de cette zone
les Sophoukéens, et au delà desquels
derrière le mont intérieure que d'aventureuses hypo-
Ryssadion les Leukéthiopiens entre les- thèses ont beaucoup trop reculée vers
quels et les Pérorses s'étend la cam- le sud.
pagne Rousse. Ensuite , au nord du
mont Sagapola les Pharousiens , nu III. VILLES ET ROUTES.
nord du mont Ousargala lesNatembes,
du mont Girgiris les Lygxamates et Considérations préliminaires.
les Samamykiens; et entre le mont Importance des Itinéraires.
Mandron et le mont Sagapola les Sai- — Au surplus, les révolutions politi-
llies et les Daphnites et les Zamaziens
ques font varier l'emplacement des
et les Arokkes et les Ketianes jus- peuples, surtout lorsqu'ils
qu'aux Éthiopiens Nigrites. Derrière dans les habitudes nomades etpersistent
errantes
le mont Ousargala les Soubourpores, où l'histoire et la géographie les ont
derrière le mont Girgiris, comme vers trouvés; c'est ainsi que les Maures,
les Garamantes , les Makkoens et les
les Gétules,
tres, se sontles avancés
Mazikes,graduellement
et bien d'au-
Dauchites et les Kalètes jusqu'au lac
Nouba. Puis à l'est des Darades les de l'occident extrême à l'extrême
Makkhourèbes , des Sophoukéens les
orient de la région d'Afrique. Les vil-
Soloentiens; à l'est de ceux-ci les An- les qu'ils ont bâties ou laisse bâtir au mi-
ticoles ou Phraurousiens, et les Khou- lieu d'eux offrent au contraire, ainsi que
rites et les Staohires jusqu'au mont les traits caractéristiques du sol, tels
Capha, entre lequel et le mont Theôn- que la découpure
Ochéma, les Orphes, derrière lesquels des montagnes et ledescours
côtes,
des l'assiette
fleuves,
AFRIQUE ANCIENNE. 173

des points de repère invariables, pour et offraient respectivement en réalité


déterminer le véritable théâtre des
le point de départ d'un nombre plus
événements , et l'emplacement alors ou moins considérable de voies rayon-
occupé par les peuples qui en ont été nant à travers le territoire soumis à
les acteurs. chacune d'elles; enfin le croisement
Nous ne pouvons, à ce titre, nous de plusieurs de ces voies en quelques
dispenser de jeter ici un coup d'œil points faisait encore de ceux-ci comme
rapide sur la distribution des villes à de nouveaux centres de rayonnement.
la surface du territoire que nous étu- Le territoire occupé offrant, au sur-
dions. Les sources d'information les plus, sous le méridien de Carthage,
plus importantes que nous ayons à cet une bien plus grande largeur qu'en
égard sont bien moins les géographes, toute autre partie, les routes s'avan-
comme Strabon et Pomponius Mêla çaient àl'intérieur, de ce côté, jus-
qui se bornent à un petit nombrecomme
d'in- qu'à des profondeurs beaucoup plus
considérables.
dications principales, ou même
Pline et Ptolémée dont les listes sont A examiner sous un point de vue
assez considérables, que certains au- d'ensemble la disposition générale de
tres documents moins usuels, mais ces routes, on pourrait les systémati-
beaucoup plus utiles par leur spécia- ser ainsi : 1° une route non interrom-
lité, savoir, les deux routiers romains pue le long des côtes , plus certaines
vulgairement connus sous les dénomi- portions de route plus directes entre
nations deTable Peutingérienne et d'I- quelques-unes des principales villes
tinéraire d'Antonin, dont le premier maritimes; 2° diverses routes, à l'in-
date de l'année même de la mort de térieur, dirigées parallèlement à la
Constantin le Grand, et dont le se- première; 3° enfindesles
cond a été rédigé une quarantaine tions transversales unescommunica-
aux autres.
d'années plus tard par Ethicus. La réunion de toutes ces lignes cons-
Il est donc naturel que nous ayons titue un réseau aux mailles duquel se
recours surtout à ces guides que rien trouvent invariablement attachés tous
ne pourrait remplacer pour nous, afin
de donner une idée assez précise, tout les points de
routier, compris dans àl'unfournir
manière et l'autre
un
à la fois, des villes répandues sur le moyen assuré de fixer complètement
sol africain et des routes qu'elles ja- la correspondance des voies anciennes
lonnaient. avec le sol tel que les explorations
Disposition générale des modernes nous le font connaître au-
grandes routes de l'afrtque. jourd'hui ;cependant il n'en est pas
— Une observation préalable est d'a- tout à fait ainsi, attendu que l'un ni
bord nécessaire à cet égard : c'est que l'autre de ces routiers ne nous est
la civilisation, avec les villes qu'elle parvenu dans son intégrité officielle ,
enfante et les routes qu'elle trace, a et que nous en possédons seulement
fixé son point de départ à Carthage, des copies, doublement altérées par les
soit dès le temps des fondateurs phé- mutilations du temps et la révision des
niciens de cette cité puissante , soit éditeurs.
après leur chute sous les coups de Incertitude des synonymies
Rome, qui commença par là la con- géographiques applicables aux
quête du pays. C'est donc de là que stations itinéraires. — Quelque
devaient rayonner et que rayonnaient incertitude peut donc subsister en-
en effet les routes principales condui- core ,malgré ce précieux élément de
sant successivement, à travers des gî- vérification, dans la détermination
tes d'étape plus ou moins nombreux, des synonymies géographiques, et il
vers les centres d'administration des faut s'aider en outre d'autres indi-
provinces successivement ajoutées à ces, tels que la tradition, la ressem-
ce premier noyau; et ces centres se- blance des noms, les monuments lapi-
condaires devaient offrir à leur tour, daires trouvés sur place, sans se dissi-
174 L'UNIVERS.

muler qu'aucune de ces preuves prise tels des Philènes et au delà, côtoyait
isolément n'est irréfragable. La tra- la mer en suivant à peu près toutes
dition altère quelquefois le fait le les sinuosités du rivage. Elle se parta-
mieux constaté : n'est-ce point la tra- geait en deux moitiés inégales , dont
dition qui , en forgeant le nom de Carthage marquait la séparation, et
bataille de Zama pour la fameuse ren- qui étaient en outre, l'une et l'autre,
contre où Scipion Émilien vainquit coupées parmédiaires, lpremière
Annibal, a fait chercher sur ce champ ades pointsen d'arrêt inter-
sept portions
de bataille la ville royale de Zama qui successives , la seconde en trois : en
en est éloignée de plusieurs journées ? voici la série entière :
La ressemblance des noms est trom- Tingis
1. Du; poste de Mercurios jusqu'à
peuse aussi quelquefois , et si elle ne
laisse aucun doute pour certains points 2. De Tingis à Rusadder;
incontestables, n'a-t-elle pas offert de 3. De Rusadder à Césarée de Mau-
ritanie;
fausses lueurs à ceux, par exemple ,
qui dans Gézâyr (Alger) croyaient re- 4. De Césarée à Saldes ;
5. De Saldes à Rusiccade ;
Gemellse trouverdans Césarée, ou bien Gemmileh
la moderne l'ancienne
6. De Rusiccade à Hippone Royale;
que les inscriptions désignent comme 7. D'Hippone Royale à Carthage;
répondant en réalité à Cuiculum? Les 8. De Carthage à ïhènes ;
inscriptions néanmoins ne procurent 9. De Thènes à la Grande Leptis;
pas plus de certitude : non-seulement 10. De la Grande Leptis aux Autels
elles sont quelquefois matériellement des Philènes.
déplacées, mais on en trouve aussi qui Route depuisMercurtos jusqu'à
ont été consacrées en un lieu éloigné Rusadder. — La première de ces rou-
de celui au nom duquel elles sont fai- tes partielles avait son point de départ
tes; ainsi Rusgunia est nommée dans au poste de Mercurios, c'est-à-dire a la
une inscription à Hamzah, et Rusic- pointe d'Hermès ou du petit Atlas, et
ende dans une inscription de Constan- son point d'arrivée à Tingis, décorée par
tine. C'est par une intelligente combi- l'empereur Claude du titre de colonie
naison de tous ces divers éléments de et du surnom de Julia Traducta, à la
conviction que l'on arrive plus sûre-
ment àla vérité. place de laquelle s'élève la moderne
Thangeh; la route passait d'abord à
C'est sous l'influence de ces préoc- Sala, dont le nom est resté à la ville
cupations que doivent être examinées de Salé; plus loin à Banasa, colonie
et comparées les voies décrites par les d'Auguste,
routiers anciens, et les cartes dressées les cartes desurnommée Valentia,
Ptolémée nous dont
montrent
par les géographes modernes. Les dis- que la position n'était point tout à
cussions scientifiques auxquelles cet fait littorale; puis à Lix ou Lixos, cé-
examen comparatif peut donner lieu, lèbre par les fabuleuses relations de
ne sauraient trouver place ici : nous l'antiquité qui y plaçaient le palais
nous contenterons de présenter en d'Antée et le jardin des Hespérides ,
raccourci le tableau des routes ancien- érigée en colonie par l'empereur Claude,
nes, avec l'indication des positions et représentée aujourd'hui par El-
modernes qui offrent, à l'égard des 'Arâysch, à l'embouchure du fleuve
principales villes, les correspondances Aoufkos (*); ensuite à Zilis ou Zilia,
les moins contestables ou les plus
plausibles. (*) Nous préférons écrire Thangeh , El-
'Aràysch, Aoulkos , Sebthah , plutôt que
Tanger, Larache, Luccos, Ceuta, parce que
Grande route du littoral.
l'exactitude nous paraît devoir l'emporter
sur la corruption d'orthographe. Jl est des
Prenons d'abord la grande voie lit- gens dont la prononciation transforme,
torale qui de l'extrémité occidentale comme on sait, Shakspeare , shut the door,
de la province Tingitane jusqu'aux Au- en chat qui expire , chat qui dort; est-ce un
175
AFRIQUE ANCIENNE.
autre colonie d'Auguste, nommée plus D'un autre côté, les Trois-Iles, et
tard Julia Constantia, et dont la mo- le fleuve Malua, qui marquent les deux
derne Azylah retient la place et le premières étapes à partir de Rusadder,
nom. sont bien reconnus pour les trois îles
La seconde fraction de route se
ainsi Gja'faryn
des et le fleuvede Malouyah
les deux extrémités cette route :
poursuivait depuis Tingis jusqu'à Rus- sont bien déterminées; mais toutes
adder, colonie d'origine assez récente, les stations intermédiaires le sont fort
dont l'emplacement paraît répondre
à celui de Mélylah ; dans l'intervalle, peu, à raison tinéraire avecdeleslacartes
discordance de l'I-
de Ptolémée,
nous ne trouvons d'autre point digne
d'être signalé ici, que les Sept frères en outre d'une grande lacune que laisse
('Eut' àSeXçoi de Ptolémée), où l'on re- en cette partie laTablePeutingérienne,
connaît par son nom la ville de Seb- et de l'insuffisance actuelle des notions
thah , que les Espagnols appellent acquises sur cette région. Ce n'est pas
Céuta. que les principaux lieux compris dans
Route deRusadder a Césabée ; cet intervalle ne figurent à la fois dans
désaccord entre l'itinéraire et le routier romain et dans la série des
les Tables dé Ptolémée. — Depuis positionsdonnées par legéographegrec;
mais leur situation relative est souvent
Kusadder jusqu'à Siga. — La troi-
sième partie de la route que nous par- inverse. Du moins ne peut-il y avoir
courons se continuait depuis Rusad- doute sur certains points : Siga , par
der, exemple, qui avait été la capitale du
sous oule Mélylah,
nom de loi, jusqu'à Césarée,
résidence des jadis
rois
indigènes, dotée du titre de colonie pays au temps de Syphax, c'est-à-dire
à l'époqueensuite
devenue des guerres puniques,
une colonie Siga
romaine
romaine par l'empereur Claude, et ca-
pitale de la province à laquelle elle ainsi que le constate Ptolémée au se-
imposa son nom. On ne doute plus cond siècle, érigée plus tard en muni-
aujourd'hui que Césarée, qu'on a cher- cipe comme nous le montre l'Itinéraire
chée tour à tour sur l'emplacement 250 ans après ; cette ville est indiquée
d'Alger et sur celui de Ténès, ne fût par ces deux autorités dans une posi-
précisément à la place occupée par la tion qui doitplacementensur lesfaire reconnaître l'em-
moderne Sc.herschel, où l'on a recueilli, bords de la Tâfnày,
dans ces dernières années, des ins- où l'on en trouve encore des restes, "h
criptions quiparaissent décisives : l'endroit même où s'était élevée, après
L. LICINIO L. FIL. QV1B la conquête musulmane, la ville mau-
SECVNDINO. DECVRIONI
resque d'Areschqoul , non loin de la-
3AESAR1ENSIVM. EQVO PVBLICO quelle les Français avaient naguère
EXORNATO SACRISQVE
LVPERCALIBVS FVNCTO établi leur par
également posteles"de la Tâfnày,
Arabes appelé
Areschqoul,
« A Lucius Licinius Secundinus , fils de
« Lucius, de la tribu Quirina, décurion des tandis que nous n'avons conservé ce
nom, défiguré en Risgoun ou Harsch-
« Césaréens, gratifié d'un cheval d'honneur,
« et ayant été chargé de la célébration des goun, qu'a la petite île voisine.
« Lupercdes. » — Depuis Siga jusqu'à Césarée.
ENIO C. F. FATALI — Le géographe alexandrin nous dé-
DECVRIONI SPLEND1DISSIMAE signe bientôt après le Portos Magnos
COLONIAE CAESARIESNS1S RELIGIOSO ou Grand Port, puis la colonie de
ANTISTITI SANCTI NVM1NIS MATRIS
Kouiza qui dans le principe était un
DEVM DENDROPHORO DIGMSSIMO
établissement étranger , ensuite le
« A ... . énius Fatalis, fils de Caius, dé- Theôn-limên ou Port des Dieux , en-
« curion de la magnifique colonie de Césa- fin la colonie d'Jrsenaria, naguère
« rée, religieux pontife de la sainte divinité ville latine, à trois milles du rivage :
« de la Mère des Dieux, digne dendrophore. »
lieux importants qui seraient repré-
motif
ridiculespourbalivernes?...
que l'orthographe se plie à ces sentés aujourd'hui respectivement par
Mersày-el-Kébyr ou le Grand Port,
176 L'UNIVERS.
par Oran, par le port et par la ville Dans l'est, l'Itinéraire indique un
d'Arzêou; mais l'Itinéraire ne peut château appelé Lar, qui peut-être fut
cadrer à ces correspondances; son bâti à Kar-kôme ou village de Kar
Portus Magnus va tomber vers Mos- mentionné 250 ans auparavant par
taghânem, bien que son Portus Divi- Ptolémée. C'est un peu plus loin que
nus coïncide avec celui d'Arzêou ; ce géographe place des Castra Ger-
tandis que son Quiza, de colonie de- manônqm semblent répondre par leur
venu municipe, et son Arsenaria, dé- dénomination aux Castra puerorum
pouillé detoute qualification, devraient de l'Itinéraire, tandis que ce dernier
être cherchés sur la côte mal connue les désigne bien auparavant , dans
à la droite du Schélif. Il semble que l'ouest, auprès d'une colonie de Gilua
l'Itinéraire ait subi quelque transpo- inconnue a Ptolémée sur la côte (*) ,
sition dont il faudrait accuser l'inad- et qui répondrait à Oran dans le tracé
vertance des copistes. de cette route. Non loin de Césarée,
La colonie de Gartenna, fondée sous Gunugi ou Kanoukkis, ancien poste
Auguste par la seconde légion, paraît, carthaginois où fut établie une colonie
dans tous les cas, représentée par la sous Auguste par une cohorte préto-
moderne Ténès, où des fouilles récentes rienne, se montre dans Ptolémée au
ont fait découvrir cette inscription : second siècle, et dans l'Itinéraire au
C. FVLCVNIO. M. F. QVIR. quatrième, sans aucune mention de
OPTATO. FLAM. AVG. II VIR. cet ancien titre colonial. On voit de
QQ. PONT1F. II VIR. AVGVR.
combien d'incertitudes sont envelop-
AED. QVESTORI. QVI. pées les notions qui nous sont parve-
1NRVPTIONE. BAQVA- nues touchant les stations que les Ro-
T1VM.
TVS.
COLON1AM.
EST.
TVI-
TESTIMONIO. mains avaient établies sur cette portion
DECRETI. ORDIN1S. ET. de côte (**).
POPVLI CARTEMSITANI.
Route depuis Césabée jusqu'à
ET. INCOLA. PHIMO* IPSI. Rusiccade, par Saldes. — Position
NEC. ANTE. VLLl.
deSatdes. — La quatrième et la cinquiè-
AERE. CONLATO.
me portionde la route littoralequinous
« A Cains Folcinius Optatus, fils de Mar- occupe, sont comprises, dans leur en-
« eus, de la tribu Quirina, flamineaugustal, semble, entre Césarée que nous savons
« dnumvii quinquennal, pontife, duumvir être Scherschel , et Rusiccade dont les
« augurai, édile, questeur; qui a préservé
ruines se voient encore au Râs Sokay-
« la colonie de l'irruption des Baquates(*); kadah près de Storah; et comme elles
« en foi d'un décret du corps municipal et
« des citoyens de Cartenna , ainsi que des sont d'égale longueur, c'est précisé-
« habitants ; à lui le premier, et à personne ment au milieu de cet intervalle que
« auparavant; par souscription. » doit se trouver la colonie de Saldes
fondée par Auguste , dont la position
(*) Le nom des Baquates , connu d'ail- a longtemps été un problème pour les
leurs par les indications de Ptolémée, de
l'Itinéraire et de Julius Honorius, figure modernes, attendu que nulle ville im-
sur cet autre monument épigraphique, déjà
publié par Marini , par Fabretti , et par (*) Si l'on se résolvait à la chercher,
Orelli, quLoffre un intérêt particulier: avec Reichard, dans l'intérieur des terres,
n. m. on pourrait alors plausiblement l'identifier
MEMORIS à la Fiyàouyi de Ptolémée.
filI (**) L'intérêt spécial et actuel que notre
avrelI
possession de l'Algérie imprime ici à notre
canarthae sujet, nous a entraîné à nous départir quel-
principis gentivm que peu du système de description et de
baqvativm narration rapides auquel est astreint l'en-
QVI VIXIT semble de notre travail. Nous n'avons pour-
ANN. XVI. tant indiqué que les sommités de la ques-
« Aux mânes de Mémor, fils d'AuréliusCanarlha,
tion de géographie comparée que donne à
« prince des Baquates, mort à seize ans. » résoudre l'étude de cette côte.
AFRIQUE ANCIENNE. 177
portante ou ancienne n'existe sur la moderne Tefesah, puis Casas, Col-
côte, à égale distance de Scherschel venti qui était peut-être sur l'em-
et de Storah ; le voyageur Shaw sup- placement deQole'yah, ensuite la co-
posa Saldes à Bougie, et le grand lonie d'Icosion, bâtie, si l'on en croit
géographe d'Anville la plaça à Tedlès : Solin,cule par
une inscription recueillie à Bougie de- qui ne vingt voulurentcompagnons
laisser à d'Her-
aucun
puis notre conquête paraît, suivant d'entre eux la gloire de lui donner son
l'interprétation de divers savants , propre nom ; elle tenait de Vespasien
donner gain de cause au voyageur an- son titre de ville latine, et l'on pense
glais; lavoici : qu'elle occupait la place actuelle d'Al-
SEX. CORNELIO.
ger, d'autant plus qu'on y a trouvé
SEX. F. ARN. DEXTRO.
PROC. ASIAE. IVRIDICO. ALE
l'inscription suivante (*) :
L. SITIO. M. F. QVIR.
X ANDRE AE. PROC. NEASPO PLOCAMIAN.
LEOS. ET. MAVSOLEI. PRAEF. ORDO.
CLASSIS. SYR. DONIS. MILITA ICOS1TANOR.
RIB. DONATO. A. DIVO. HADRI
M. SITIVS. SP. F. QVIR
ANO. OB. BELLVM. IVDAIGVM. CAECILIANVS
HASTA. PVRA. ET. VEXILLO.
PRO FILIO
PRAEF. ALAE. I. AVG. GEM. CO PIENTISS1MO
LONORVM. TRIB. LEG. VIII. AVG. H. R. I. R.
PRAEF. COH. V. RAETORVM.
PRAEF FABRUM. III. PATRONO. « A Lucius Sittius Plocamianus fils de
COLONIAE. « Maicus, de la tribu Quirina, le corps mu*
« nicipal des Icositans : Marcus Sittius Ce-
P. BLAESIVS. FELIX. C. LEG.- II. TRA
IAN. FORT. ADFINI. PIISSIMO. « cilianus fils de Spurius, de la tribu Qui-
OB. MERITA. « rina, pour le meilleur des fils, après les
« honneurs reçus, a remboursé la dépense.»
« A Sextns Cornélius Dexter, fils de Sex-
On voit, après, Rusgunia, colonie
« tus, delà tribu Arnienne, proconsul d'Asie,
« graiid jUge d'Alexandrie, procurateur de fondée par Auguste, à laquelle appar-
« la nouvelle ville et du mausolée, préfet
tiennent, dit-on, les ruines que l'on
« de la flotte de Syrie, honoré de distinc- trouve un peu au sud du cap Têmed-
te tions militaires par l'empereur Adrien fous, et d'où l'on assure qu'ont été
« pour la guerre contre les Juifs (savoir),
tirées diverses inscriptions transpor-
« d'une pique simple et d'un guidon; préfet
« de l'Aile première Augusta-Gemina des tées àAlger, entr'autres celle-ci :
« colons; tribun de la légion huitième Au- L. FADIO.
ROGATO.
L. F. QVIR.
« guste ; préfet de la cohorte cinquième des
« Rhétiens ; trois fois préfet des ouvriers ; DEC. AED. IIVIR. IIVIR.

« patron de la colonie : Publius Blaesius QQ. RVSG. ET. RVSG.


« Félix , centurion de la légion deuxième C0NS1STENTES. OB.
MERITA. QVOD. FRV
« Trajana-Fortis, à son bon parent, pour
« ses bienfaits. » MENTVM. I1STVLERIT v
ET. ANNONAM. PAS
SVS. NON. SIT. INCRESGERE.
C'est ce titre de colonie donné à la AERE. GOLLATO.
ville sur l'emplacement de laquelle est
aujourd'hui Bougie , qui , à défaut «A Lucius Fadius Rogatus, fils de Lu-
d'existence connue d'une colonie autre « cius, de la tribu Quirina , décurion , édile,
« duumvir ; les duumvirs quinquennaux
que Saldes dans l'intervalle où peut « de Rusgunia et autres présents à Rusgu-
s'étendre l'incertitude des critiques,
a été considéré comme un argument « nia, pour les services qu'il a rendus en fai-
décisif : les deux routes conduisent
(*) Le texte de cette inscription offre
donc, dans cette hypothèse, l'une de beaucoup d'incertitude de lecture à la pre-
Scherschel à Bougie, et l'autre de mière ligne, ainsi qu'à la fui de la cinquième ;
Bougie à Storah. mais tout le reste ne donne prise à aucun
— De César -ée^à Saldes. — Après doute. Le nom quelque peu étrange de Plo-
Césarée vient immédiatement la ville
camianus paraît tiré du grec uXôy.a^oç (che-
latine de ïipasa, représentée par la velure bouclée).
12e Livraison. (Afrique ancienne.)
12
178 L'UNIVERS.
« sant venir des blés , et en ne souffrant pas saint Augustin, détruit par les Vanda-
«« souscription.
que l'approvisionnement renchérît ; par les, et dont les ruines gisent à quelque
» distance au sud de Boue, bâtie d? ses
A la suite paraît Rusubbicari dont débris par les Arabes , et dont le
le nom , écrit aussi Rousikibar par nom rappelle encore celui de la ville
Ptolémée, est quelquefois accompagné antique. Aucune des stations inter-
de celui de Matidie, en l'honneur sans médiaires ne se recommande parti-
doute de la princesse Matidie, nièce culièrementnotre
à attention.
deTrajan etbelle-mère d'Adrien. Cisse, Le septième segment arrive à Car-
qui suit, avait le titre de municipe, et thage; sur cette route se montre d'a-
Rusuccurum celui de colonie, qui lui bord Thabraca . dont le nom s'est
avait été donné par l'empereur Claude; conservé sur place presque sans alté-
Iomnium encore était un municipe; ration et
f qui fut une colonie de ci-
Rusazus , jadis colonie
était pareillement devenu und'Auguste
municipe , fleuve Tusca romains
toyens , limiteà l'embouchure
alors entre dula
au quatrième siècle; et dans l'inter- Numidie et l'Afrique proconsulaire,
valle compris entre Iomnium et Ru- comme il l'est encore aujourd'hui,
sazus laTable Peutingérienne indique sous le nom de Ouéd-el-Berber, entre
un autre municipe encore, celui de l'Algérie et la régence de Tunis ; puis
Rusippisir. vient Hippone - Diarrhyte , ancienne
— De Saldes à Rusiccade. — Pre- ville punique comme l'autre Hippone,
nant maintenant la route de Sal- et royale aussi comme elle, au dire de
des àRusiccade, on trouve pour pre- Str^tbon , que l'on a taxé d'erreur à
mière étape Muslubium, où la Table cet égard, sans prendre garde au voi-
sinage immédiat de Thimida qui fut
Peutingérienne nous avertit qu'il exis- la résidence du roi Hiemsal, fils de
tait des Horrea ou greniers. A l'étape
suivante était le municipe de Coba , qui Gulussa : Pline le jeune lui attribue le
occupait l'endroit appelé aujourd'hui titre de colonie, peut-être par inad-
Manssouryah. La moderne Gygel a vertance ou par suite d'une méprise,
car elle se dit libre sur ses monnaies;
succédésa à"fondation
devait la colonie d'Igilgilis,
à Auguste. qui
La sta- le surnom grec de Diarrhyte qu'elle
tion qui vient ensuite nous montre devait aux eaux du lac à l'entrée du-
encore une fois le nom de la prin- quel elle était bâtie, se corrompit par
cesse Matidie ; puis on traversait le la prononciation africaine en celui de
fleuve Ampsagas , qui vient de Cons- Zaryte, et d'HipponeZarite les Arabes
tantine, et à l'embouchure duquel le ont' fait Ben-Zert, que nous pronon-
bourg de Tucca marquait la limite çons et écrivons aujourd'huiUtique,
Bizerte.le
commune de deux provinces, et l'on Bientôt après se rencontre
arrivait au municipe de Chullu, dont plus ancien des établissements fondés
le nom s'est conservé sur place jus- sur les plages africaines par les Phé-
qu'à, nos jours, dans celui d'EI-Qoll. niciens, et la première des posses-
Enfin la route aboutissait à Rusiccade, sions romaines sur le territoire puni-
qui est décorée du titre de colonie que, puis capitale de la province con-
dans la Table Peutingérienne. quise, dotée par Auguste du droit de
Route depuis Rusiccade jus- cité romaine , et s'intitulant sur ses
qu'à Carthage. —Le sixième segment monnaies municipium Julium Uti-
de la grande voie littorale que nous cense, réduite déjà sous Adrien au
suivons nous conduit jusqu'à Hippone titre plus modeste de colonie , qu'elle
Royale, ancien établissement carthagi- conserve encore sur la Table Peutin-
nois, qui fut probablement conquis et gérienne, mais qui ne paraît plus dans
choisi pour capitale par le roi des Numi- l'Itinéraire, rangée parmi les villes la-
des Gala, père de Massinissa, érigé en- tines par Septime-Sévère et Caracalla ;
suite en colonie après la conquête des on croit que ses ruines sont celles
Romains, illustré par l'épiscopat de qu'on aperçoit aujourd'hui sous le nom
AFRIQUE ANCIENNE. 179

d'Abou-Schâter, à trois lieues au sud- arabe de Sousah élevée au milieu de


ouest de Porto-Farina. Entre ces deux ses ruines ; celles de la cité de Lepti-
points un village, appelé El-Ouqah par minus ou Leptis la Petite gisent au
les Arabes , conserve sous cette forme bourg de Lamthah , et celles de Tus-
Je nom de l'ancienne ville de Lokha , drum , dont le .titre colonial datait
prise par Scipion au commencement sans doute du règne de Gordien, qui
de la deuxième guerre punique. Nous y fut proclamé empereur, montrent
arrivons eniin à Carthage, dont il vaut encore de beaux restes à Legem. La
mieux , suivant l'expression de Sal- cité ou le municipe d'Usula , ancien
luste, ne rien dire que dire trop peu. établissement de Locriens-Ozoles si
Route depuis Carthage jus- l'on en croit les scholies de Servius, a
qu'aux AUTELS DES PHILÈNES. — laissé quelques traces de son nom à la
De Carthage à Thènes. — Poursui- moderne Inshilla : et le nom actuel de
vons à l'est de Carthage cette lon- Têny indique la place de l'ancienne
gue route dont nous avons déjà par- ville libre de Thènes, qui reçut de
couru la plus grande moitié : ainsi l'empereur Adrien le titre de colonie
que nous l'avons dit, cette seconde avec le surnom de Mercurialis (*). On
partie était divisée en trois segments voit que cette route abandonnait la
par les deux points d'arrêt qu'offraient côte à Leptis pour venir plus directe-
Thènes et* Leptis la Grande. ment à Thènes ; elle laissait ainsi sur
Au sortir de Carthage on rencon- la gauche, le long de la mer, Thapsus
trait successivement deux villes du devenue fameuse par la victoire de
nom de Maxula, l'une surnommée César, dont l'emplacement est marqué
Prates , dont il semble que le village
actuel de Rades ait gardé à la fois la au où lecaphérosDymas, et la tour
carthaginois d'Annibal
fit son dernier ,
place et le nom, l'autre distinguée par adieu
le titre de cité, et dont la position — Deà laThènesterre d'Afrique.
aux Autels des Phi-
paraît répondre à Hhammâm-el-Enf ; lènes. — De Thènes à Leptis la Grande,
l'une d'elles avait au temps de Pline la première étape se faisait au municipe
la qualité de colonie; la première re- des Petites Macomades, qui tirait son
çoit de Ptolémée l'épithète de Paléa nom des marécages salés du voisi-
ou ancienne. La route coupait l'isthme nage, ce mot de Macomades désignant
au delà duquel est la presqu'île du cap en effet toujours, ainsi qu'il est facile
Bon , pour arriver directement à de le vérifier par une étude attentive,
Putput, représenté par la ville mo- ce que nous appelons aujourd'hui,
derne de Hhammâmet; les Horrea les Arabes, une sebkhah; plus avec
loin
Cœiia qui venaient ensuite, ont laissé on atteignait la colonie de Tacape ,
leur nom à Ehraqlyah ; Adrumète ,
« le clarissime Quintus Aradius Valerius Proculus ,
chef-lieu de la Byzacène, ville libre « gouverneur de la province Byzacène , ses enfants
d'abord
titre de ,coloniepuis décorée par Trajan
et du surnom du
de Con-
« et descendants , comme patron pour eux , leurs
« enfants et descendants , etc. »
cordia (*), voit aujourd'hui la ville (*) Une inscription non moins connue
(*) Cela résulte d'une inscription bien que la précédente , et de la même date ,
connue, de l'an 32 1, où on lit :
COLONI. COLONIAE. CONCORDIAE. DECVRIONES. ET. COLONI. COLONIAE. AELIAE
porte :
AVGUSTAE. MERCVRIALIS.THAENIT. CVM. QVIN-
VLPIAE. TRAIANAE
AVGVSTAE. FRVGIFERAE. HADRVMETINAE TO. ARADIO. VALERIO. PROCVLO. V. C. PRAESIDI
PROVINC. VAL. BYZAC. HOSPITIVM. CLIENTE
Q. ARADIVM. VALERIVM. PROCVLVM. V. C.
PRAESIDEM PROVINCIAE. BYZACENAE. LAMQVE. FECISSENT etC.
LIBEROS. POSTEROSQVE. EIVS « Les décurions et les colons de la colonie d'É-
SIB1. LIBERIS. POSTERISQVE. SVIS. PATRONVM. « lius (Adrien) Auguste, la Mercuriale Thènes , au-
COOPTAVERVNT etC. « raient fait contrat d'hospitalité et de clientèle
« avec le clarissime Quintus Aradius Valerius Pro-
« Les colons de la colonie Concordia d'Ulpius « culus , gouverneur de la province Valérie Bvia-
« Trajan. Auguste, la féconde Adrumète, ont choisi « cène etc. »

12.
180 L'UNIVERS.
dont la moderne Qâbes conserve le par Volubilis, décorée du titre de co-
nom, dépouillé de l'article berber qui lonie postérieurement au temps de
le précède dans sa forme antique. On Ptolémée ; un embranchement qui
traversait les municipes de Gittis et était tracé sur la feuille perdue de la
de Zita et plusieurs villas, pour at- Table Peutingérienne, dont quelques
teindre lacolonie de Sabrata, que les vestiges défigurés se retrouvent dans
Arabes appelaient encore Santhbartha la compilation du cosmographe ano-
et Sabart avant que les mariniers euro- nyme de Ravenne, passait par Babba,
péens en eussent fait Tripoli vecchio érigée en colonie par Auguste, qui
ou le vieux Tripoli; après une autre lui donna le nom de Julia Campes-
tris.
villa,
ou Ea,on revêtue atteignaitdésormais
l'ancienne ducitétitre
d'Ééa
de Deux grandes etvoies,
à Rusuccurum, de là l'une de Calama
à Saldes, puis à
colonie, et représentée de nos jours
par la grande ville de Tripoli de Bar- Igilgilis, l'autre de Carthage à Césarée
barie; et après deux villas encore, on par Cirta et Sitifis, se croisant toutes
arrivait à Leptis la Grande, patrie de deux à Sufazar, formaient une grande
Septime-Sévère , et qui dut sans doute ligne continue, par l'intérieur, entre
à cet empereur son érection en colo- Carthage
la Mauritanie et l'extrémité
Césarienne. occidentale de
nie ;sonment nom ne s'est
effacé dans celuipoint entière-
de Lebedah Grande boute de Calama a Igil-
gilis par Rusuccurum et Saldes.
qu'elle porte aujourd'hui.
De Leptis aux AutelsdesPhilènes(*), — Le première, celle de Calama à Ru-
nulle station n'est digne d'être men- succurum, traversant un pays sur le-
tion ée, sice n'est peut-être celle des quel nous n'avons encore aujourd'hui,
Grandes Macomades , pour rappeler malgré les intelligentes reconnaissan-
qu'elles désignent en effet une sebkhah ces de nos officiers d'état-major, que
très-considérable. Quelques traverses des notions imparfaites, il est à peu
pouvaient, entre certaines mutations, près impossible de déterminer l'empla-
abréger le chemin, ou remédier à l'in- cement actuel d'une bonne partie des
terruption accidentelle de la grande lieux par où elle passait. Le point
voie : c'est là tout ce que nous avons de départ est lui-même un problème
à en dire, et nous le disons ici pour non encore résolu d'une manière satis-
n'y plus revenir. faisante, puisque les uns l'identifient à
A l'ouest de Leptis , au contraire , Nedromah , d'autres à un fort voisin
les traverses et les routes de l'inté- du Malouyah, les uns et les autres le
rieur méritent une attention particu- mettant ainsi à quelques lieues dans
lière, surtout en se rapprochant de les terres, d'accord en ceci avec la
Carthage, où est le véritable point cen- position qu'offrent les cartes de Pto-
tral de toutes ces lignes de communi- des Romainsléméetandis
; que l'itinéraire
semble en faire maritime
une ville
cation.
de la cote, en énonçant la distance qui
Routes de Vlntêrieur. le sépare de quelques îles voisines. Ce
n'est ici le lieu ni d'examiner ni de ré-
A l'extrême occident, une route in- soudre ces difficultés. A la quatrième
térieure, dont il ne nous est parvenu étape on trouvait une station appelée
qu'une indication tronquée , partait Regix; c'était sans doute une rési-
probablement de quelque point de la
côte pour revenir à Tingis en passant dence royale, des anciens princes indi-
gènes d'Anville
; supposait qu'elle ré-
pondait àTelemsên. Plus loin se ren-
(*) Nous" avons fait remarquer ailleurs
que les Autels des Philènes sont marqués
contraient consécutivement Castra
dans l'Itinéraire par la dénomination de nova ou le nouveau camp , le Praesi-
Jiomi,id est arœ , défiguré par les copistes en dium, poste ou fort de Ballene, Mina,
Banadedarï. — Voyez le volume consacré et le camp de Gadaum; pour cette
aux lies de F Afrique, ire partie, p. 3o. partie de ia route , des analogies de
181
AFRIQUE ANCIENNE.
dénomination , jointes aux conditions Grande route de Carthage a
de distances, et à la certitude acquise CÉSARÉE PAR ClRTA ET SlTIFIS. —
qu'au passage de la rivière Mynah exis- De Carthage à Théveste. — La se-
tent les ruines d'une ville romaine conde grande voie intérieure, de Car-
qui représentent très -bien celle de thage àCésarée, était distribuée aussi
Mina de l'Itinéraire: ces circonstances en trois fractions, par les stations
rendent très-probables les synonymies principales de Cirta et de Sitifis ;
géographiques d'après lesquelles on de et la première fraction elle-même ,
placerait Castra nova à Ma'skarah , Carthage à Cirta, se partageait
dont la signification arabe est analo- naturellement, bien que l'Itinéraire
gue à celle de Castra , un camp mili- n'en fasse pas mention , en deux sub-
tairePraesidium
; Ballene àQala'h, dont divisions àpeu près égales, ayant
la signification arabe est pareillement leur point de réunion à Théveste,
analogue à celle de Praesidium, un colonie romaine dont le nom est resté
poste fortifié, un fort; puis, au delà de avec peu d'altération à la moderne
Mina, Gadaum castra à Têqdemt, dont Tébesah. La première subdivision fut
l'homonymie est frappante. Plusieurs restaurée sous Adrien, en l'année 119
étapes venaient ensuite, dont les cor- de notre ère, ainsi que le constate
respondances modernes ne sont point l'inscription bien connue que voici :
déterminées; on y peut remarquer, IMP. CAESAR
échelonnés de proche en proche, le DIV1 NERVAE NEPOS
château de Tingitium (ou Tingitanum), DIVI TRAIANI PARTHICI P.
le municipe de Tigauda, la colonie TRAIANVS HADRIA1NVS
AVG. PONT. MAX. TRIB.
d'Oppidum
au passage du novum Schélif et le ;campaprèsdeTigava
quoi on POT. VII. COS. III.
VIAM A CARTHAGINE
rencontrait Malliana , dont le nom THEVESTEN STRAV1T

s'est conservé dans celui de Melyânah. PER LEG. III. AVG.


P. METILIO SECVNDO
La routeversessestations poursuivait
dont la à positionl'est "par di-
est LEG. AYG. PR, PR.

encore incertaine , mais parmi les-


quelles on peut remarquer le camp de « L'empereur et césar, petit-fils du bien-
Tarana-Musa, le poste du Tamaricetum « heureux Nerva, fils du bienheureux Tra-
ou de la plantation de Tamariscs, et « jan le Parthique, Trajan Adrien Auguste,
le camp de Rapida, sans doute au «« bunitienne grand pontife, revêtu de la puissance tri-
pour la septième fois, consul
passage de quelque rivière , à l'un de «« pour route
la troisième fois , a fait paver la
de Carthage à Théveste par la
ces endroits appelés aujourd'hui Schil-
lêlah ou Gjendel; et l'on atteignait «« légion Troisième-Auguste , sous Publius
Metilius Secundus , lieutenant impérial
enfin, sur la côte, la colonie de Rus-
uccurum, identifiée avec ïedlès par « propréteur. »
quelques géographes. Cette route passait par Musti , dont
De Rusuccurum à Saldes, la tra-
verse de l'intérieur passait par le mu- plusieurs inscriptions assurent l'em-
nicipe de Bida ou Bidil, et par celui placement au village arabe de Sydy-
'Abd-el-Rabbi; ensuite par Lares, Laris,
de ïubusuptus , qui avait précédem- ou Laribus comme on disait dans la
ment été une colonie, fondée par Au-
basse latinité (*), qui a laissé cette
guste ,ainsi que l'indique Pline.
De Saldes à Igilgilis, la route faisait forme au nom arabe actuel d'El-Orbos,
un coude assez prononcé, vers la co- ville déjà connue de Salluste, et dé-
corée du titre de colonie sans doute
lonie de Sitifis, dont le nom est resté
par Adrien , comme on peut le penser
à la moderne Séthyf , et qui fut la ca-
pitale de la Mauritanie Sitifienne; nous
y remarquons encore un municipe , (*) ««Urbs Laribus mediis surgit tutissima silvis,
Et mûris munita novis, quos conclidit ipse
celui de Sa va, entre cette colonie et « Justinianus apex orbis. »
celle de Saldes. Coriite , Johannide, VI , 143.
182 L'UNIVERS.

d'après cette inscription , encore exis- mérite que d'avoir été visitées par
tante sur place : Peyssonnel , et l'on atteignait Cirta ,
DIVO
peut-être la plus ancienne et même
ANTON INO
CAESAR. d'abord l'unique ville bâtie chez les Nu-
COLONIA mides, qui pour la désigner emprun-
AELIA tèrent àla langue des Carthaginois
AVG. LARES. cette appellation de ville (*) qui man-
quait leur
à vocabulaire, comme il man-
« Au bienheureux Antonin César, la co- que encore à celui de leurs rejetons les
« lonie Élia Augusta Lares. »
Berbers de nos jours. Tour à tour ca-
pitale de Syphax, de Massinissa, de
L'étape qui précédait Théveste por-
tait le nom d'Ammédéra et le titre de Micipsa, d'Adherbal,de Juba le jeune;
chef-lieu de la province romaine de
colonie , qu'Hygin , l'affranchi d'Au- Numidie, elle fut érigée en colonie
guste et l'ami d'Ovide , mentionne par Jules César, pour récompenser le
déjà comme une faveur récente, et qui
corps de partisans avec lequel Publius
réparaît dans l'Itinéraire après un ou- Sittius Nucerinus lui avait rendu de
bli de près de quatre siècles.
— De Théveste à Cirta. — La se- si utiles secours pendant la guerre
conde subdivision , entre Théveste et d'Afrique, et fut dès lors appelée Cirta
Cirta, ne nous offre pas de lieu remar- Sittianorum et Cirta Julia, jusqu'à
quable; nous y devons signaler tou- ce
nomqu'au
de Constantinequatrième siècle elleestreçût
qui lui resté.le
tefois de nouvelles Macomades, dont
le nom constate que la route passait — De Cirta à SU? fis. — La frac-
auprès, sinon au travers de la longue tion de route qui conduisait de Cirta
ou Constantine à Sitifîs ou Séthyf,
sebkhah qui s'étend du sud au sud-est traversait Mileum revêtue du titre de
de Constantine; de là on passait à Si-
colonie dans la Table Peutingérienne,
gus (*), dont les ruinef n'ont d'autre
célèbre par l'épiscopat de saint Optât
(*) Cette ville aurait eu le titre de co- l'historien du schisme des Donatis-
lonie ,si c'est à elle qu'il faut rapporter tes , et encore reconnaissable aujour-
l'inscription suivante trouvée à Constan- d'hui sous son nom arabe de My-
tine : lah ; puis on atteignait la colonie de
M. AVRELIO ANTO Cuiculum , dont une inscription re-
NINO CAES. IMP. DES cueillie sur place paraît déterminer
TINATO. FILIO
IMP. CAES. DIVI. M. ANTONI avec certitude la position à l'endroit
NI PII GERMANICI SARMATI même où s'élève aujourd'hui Gemmy-
CI FIL. DIVI COMMODI FRATRIS
leh , vers le nord-est de Séthyf; cette
DIVI ANTONINI PII NEP. DIVI
inscription est ainsi conçue :
TELLVRI GENETRICI RESPVBL1CA CVICVL1TANOR.
HADRIANI PRONEP. DIVI TRA
TEMPLVM FECIT.
IAHT PARTHICI AHNEP. DIVI
C. 1VLIVS LEPIDVS TERTVLLVS LEG. AVG. PR.
NERVAE ADNEPOTIS PR. DEDICAVIT.
L. SEPTIMI SEVERI PERTINA SIMVLACRVM DEAE ACROLITHVM TI. IVLIVS
CIS. AVG. PARTHICI ARABICI HONORATV.S PONT. FL. PP. DONO DEDIT.
PARTHICI ADIABENICI PRO
PAGATORK IMPERIt PONTIF. « généralissime pour la huitième fois, consul, pro-
MAX. TRIB, POT. V IMP. VIII « consul , puissant et inviolable prince; la colonie
COS. PROCOS. FORTISSIMI « des Siguitains. » Cette inscription (dont nous nous
dispensons de traduire les indications purement
ET SANCTISSIMI PRINCIPIS
COL. SIGVITANORVM. généalogiques) est de l'année 198, la 5e du règne
de Septime Sévère , et s'adresse à son fils Caiacalla,
alors césar.
« A Marc Anrèle Antonin , césar et futur empe-
« reur, fils de l'empereur et césar Lucius Sep-
« timius Severus Pertinax Auguste, le parthique ara-
même Qertà,
ont(*)deNnnp» la Ville.
emprunté Les Berbers
aux Arabes leur
« bique, le parthique adiabénique, l'extenseur de
« l'empire , grand pontife , revêtu de la puissance mot Médjnah, qu'ils ont naturalisé sous la
» u-ibumtUtiaa pour la cinquième fois > du titra ils forme Témdyttt»
AFRIQUE ANCIENNE.
183
« A la Terre génératrice , la république magasins, mais l'emplacement en est
« des Cuiculitains a élevé ce temple; Caïus encore ignoré. Maqqarah , lieu de nais-
« Julius Lepidus Tertnlliis , lieutenant im- sance du célèbre historien arabe Sche-
« përial propréteur, en a fait la dédicace ; hâb-el-Dyn Ahhmed ei Maqqary, re-
« Tibeiïus Julius Honoratus , pontife fla-
« vien, a donné, de ses deniers, la statue
« de la déesse sur son piédestal. » raire.présente très-bien qui
La route le Macri
, pourde arriver
l'Itiné-
jusque-là T avait tiré au sud-ouest,
Cuiculum communiquait à la côte reprenait ensuite au nord pour gagner
par deux routes directes , Tune sur Auza.
Coba avec embranchement vers Igilgi- Entre ce dernier point et Césarée ,
lis, l'autre sur Tucca à l'embouchure le nom de Rapidum indique une de
de l'Ampsagas. ces chutes d'eau que les indigènes ap-
— De Sitifis à César êe. — La der-
nière fraction de la grande route de plusieurspellent
sontaujourd'hui
marquéesSchillêlah,
sur les etcartes,
dont
Carthage à Césarée partait de Siti- dans ces cantons. Le Caput-Cillani
fis, et ne comptait pas moins de douze désignait-il un poste établi à la source
gîtes d'étape , parmi lesquels nous d'un fleuve Cillanus? On pourrait le
remarquons les noms de Perdices , croire : un commandant de frontière,
Cellas, Macri, Auza, Rapidum, Caput- prœpositus limitis Caput-Cellensisy y
Cillani, Sufasar, et Aquis. avait ses quartiers; et les montagnes
Séthyf d'une part et Scherschel de situées au delà portaient le nom de
l'autre indiquent les deux points ex- mont Tr ans- Celle nsis ; peut-être était-
trêmes vers
; le milieu se trouve, dans ce celles de Tythery. A Sufazar se trou-
le château actuel de Hamzah, le point vait le point d'intersection de la route
corrélatif à Auza,qu'Ammien Marcel- de Sitifis à Césarée avec celle de Cala-
lin appelle Castellum Audiense, et qui ma à Rusuccurum; puis on passait à
porte le titre de colonie dans deux Aquis,
inscriptions recueillies sur les lieux thermal c'est-à-dire
destiné au à soulagement
un établissement
des
mêmes ; lune est consacrée
malades et des blessés; et l'on n'avait
AVZIO DEO GENIO ET CONSERVATOR1 COL.
plus qu'une étape pour
sarée. La position arriver
de ces à Cé-
thermes,
« Au dieu» d'Auza , génie et gardien de la
« colonie. ainsi queétécelle
encore de Sufazar,
déterminée avec n'aquelque
point
l'autre trouvera sa place plus loin , assurance : le voyageur Shaw, qui con-
dans le résumé topographique de l'ex- naissait bien le pays , avait désigné
pédition de Théodose contre Firmus. Hhammâm-Merghah comme représen-
C'était le mandantquartier-général
de frontière que la d'un
Noticecom-
des tant plausiblement les Aquœ de l'Iti-
néraire.
dignités intitule prœpositus limitis Grande route de Thènes a Sal-
Audiensis. des par théveste, lambese et sl-
Ces trois points ne suffisent pas* pour tifis. — La grande voie que nous
donner une idée générale de la direc- venons de parcourir était coupée car-
tion de la route: car on vient aujour- rément àSitifis par une autre ligne
d'hui de Séthyf à Hamzah par les fa- importante conduisant de Thènes à
meuses Portes de fer que les soldats Saldes par Théveste , Lambèse et Si-
tifis.
français ont franchies, tandis que la
voie "romaine contournait par le sud Cette ligne se compose de divers
les montagnes dans lesquelles est ou- fragments,tinéraire qui
vert ce périlleux défilé. Un Qassr el- en cet sont
ordreprésentés
: route dedans l'I-
Sitifis
Thâyr ou Château des Oiseaux répon- à Saldes, route de Lambèse à Sitifis,
drait bien par sa dénomination à la route de Théveste à Sitifis par Lambè-
station de Perdices, si la condition de se, et plus loin, route de Thènes à
distance était mieux remplie. Le nom Théveste: nous aimons mieux les exa-
de Ctilkg indique suffisamment des» miner dans l'ordre inverse, qui mon-
184 L'UNIVERS.

tre plus clairement comment ces frag- « Félix Réceptus, fils de Caïus, de la tribu
ments s'ajustent bout à bout. «Papiria, outre d'autres monuments, a
« aussi, avec sa libéralité accoutumée en-
— Depuis Thènes jusqu'à Thèveste. « vers sa patrie, élevé cet arc décoré des
— La route de Thènes à Thèveste , « insignes de la colonie , etc. »
après avoir traversé Autentum, ou Au-
tenti comme on le trouve dans les
— —Depuis
bèse. Sur laThèveste
route de jusqu'à
Thèveste Lam~
à Si-
vers de Corippe (*), passait par Suf-
fétula ,lieu important pnr le croise- tifis, le point important était celui de
ment des diverses voies auxquelles elle Lambèse, dont la synonymie géographi-
offrait ainsi un centre commun , et que est bien connue par les vérifications
dont les ruines présentent encore de Peyssonnel et par la visite récente
d'assez beaux restes de trois temples , d'un jeune prince au milieu de ses
et d'un arc de triomphe dédié à An- ruines, où subsistent de nombreuses
tonin , sur lequel Peyssonnel , Shaw, inscriptions, qui constatent, aussi bien
et Grenville Temple ont lu quelques qu'une annotation spéciale de Ptolé-
mots épars d'une dédicace que nous mée (*), que c'était une colonie de la
croyons pouvoir rétablir ainsi dans
son entier :
(*) Il existe généralement, dans la ma-
IMP. CAESARl DIVI HADRIANT AUG. FIL. DIVI nière dont cette annotation est entendue
TRAIANI PARTIIICI NEP. DIVI NERVAE PRONEP.
par les éditeurs de Ptolémée et par les des-
TITO AELIO IIADRIANO ANTOMNO AVG. PIO
sinateurs de ses cartes, une erreur trop
PONT. MAX. TR1R. POT. COS. II. PP ORDO ET
grave pour que nous ne regardions pas
POPVLVS SVFFETVLENSIVM ( ARCVM ? ) HANC comme un devoir de la relever ici, surtout
EDIF1CAVEUVNT EX DD. PP.
au moment où la petite édition grecque de
« A l'empereur et césar fils du bienheu- M. Nobbe (destinée, par son mérite aussi
« reux Adrien Auguste , petit-fils du bien- bien que par la modicité de son prix et la
« heureux Trajan le Partliique, arrière-petit- netteté de son exécution, à une circulation
« fils du bienheureux Nerva , Titus Elius
« HadrianusAntoninusAugustus Pins, grand très-étendue) rend cette erreur plus sensible
encore par une coupure mal placée. On
« pontife, revêtu de la puissance tribuni- nous pardonnera cette digression, à cause
« tienne, consul pour la seconde fois (**) ,
« père de la pairie; le corps municipal des de l'intérêt qui s'attache à toutes les ques-
« Suffétulans a élevé cet arc; par décret tions de géographie ancienne relatives au
« des dédirions, des deniers publics. » territoire de l'Algérie.
Le nom de Suffétula se retrouve Ayant à énumérer les villes intérieures de
presque intact dans celui de Sobey- la province d'Afrique, Ptolémée les distribue
en quatre séries principales : i° entre le fleuve
thalah que porte
arabe élevée aujourd'hui
au milieu de ces la ville
ruines. Anip<;agas et Thabraca ; i° entre Thabraca
Après Suffétula on trouvait Cilium , et le fleuve Bagradas; 3° entre le fleuve Ba-
obscur dans les géographes, mais dont gradas et le fleuve Triton ; 4° entre les deux
Syrtes ; et il subdivise la première et la
les ruines, éparses auprès du village troisième de ces quatre séries principales
actuel deQassryn, montrent encore de en deux séries secondaires chacune, savoir :
grands tombeaux, et un arc de triomphe la 3e en villes soumises à Carthage et villes
avec une inscription qui constate que soumises à Adruinète (ce qui revient à la
ce lieu avait été décoré du titre de division bien connue de la Zeugitane et de
colonie :
COLON1AE C1L1TANAE la Byzacène) ; et la ire, dont nous voulons
parler spécialement ici, en villes des Cir-
Q. MANL1VS FELIX C FIL1VS PAPIRIA RECEPTVS tésiens et villes de la Numidie Nouvelle.
POST AL1A ARCVM QVOQVE CVM 1NS1GN1BVS
COLON 1AE Les éditeurs ne paraissent point s'être
SOL1TA IN PATR1AM LIBER AL1TATE EREX1T rendu compte, autant qu'il était nécessaire,
de cet arrangement, et ils ont fait ressortir
« A la colonie Cilitaine, Quintus Manlius d'une manière uniforme les titres des sub-
divisions aussi bien que ceux des divisions
(*) « Te Aulenti sacvos maclantes viderat hosles. » principales; bien plus, l'annotation qui suit
Corippe, Johannide, III, 3 19.
le nom de Lambèse, ils l'ont prise aussi
(**) En l'année 139 de notre ère. pour un titre applicable aux villes dénom-
185
AFRIQUE ANCIENNE.
légion Troisième- Auguste , qui fut, à Thamugadis, dont le titre colonial,
depuis la conquête, constamment af- qu'elle paraît avoir reçu de Trajan, ne
fectée àla garde de l'Afrique : cette nous est révélé que par cette inscrip-
circonstance, et la multiplicité des tion tumulaire :
D. M.
routes tracées à l'entour, nous fournit L. AELI. PERPETVI
une indication très-digne de remarque LEGATIONE FVNCTI
sur le fense
système adopté pard'occupation
les Romains eten decette
dé- PATRIAE SVAE COLONI
AE VLPIAE THAMVCA
région : c'est à vingt lieues au sud de DIS EX NVMIDIA.
FECERVNT
Constantine qu'ils avaient porté le
noyau de leurs forces militaires, te- AELII TERTIVS ET COMA
nant ainsi en échec, entre la côte et FILIl LEVGAD10.
le cordon des frontières, les indigènes « Aux mânes de Lucius Elius Perpetuus,
subjugués, et circulant librement sur «« sa
quipatrie,
avait rempli les fonctions d'envoyé de
leur territoire au moyen des routes la colonie Ulpia Thamucadis en
«Numidie; fait par Tertius et Coma fils
dont ils l'avaient sillonné : ce sytème v. d'Elius Leocadius. »
ne paraît pas encore avoir été assez
clairement aperçu ni médité.
Avant d'arriver à Lambèse on passait — —DeDepuis
Lambèse Lambèse jusqu'à
la route Saldes.
se continuait
vers Sitifis en passant par Diana, ap-
mées ultérieurement jusqu'au titre suivant;
si bien que la dernière édition grecque , pelée aujourd'hui Zanah , et qui était
stéréotypée à Leipzig, porte même :
un établissement de vétérans, ainsi
§ 29. Noujxtôîaç veaç*
que l'indique
Diana suffisamment
Veteranorum qui lui le
estnom de
donné
Aàjxêataa. . . . x 8 X. ailleurs dans l'Itinéraire; sur un arc
§ 30. Aeyeîwv Tpixy) <je6a<>TY)
de triomphe en ruines se lit encore
©ouêovxiç. . . x.t. X. cette inscription :
et les cartographes ont en conséquence 1MP. CAES. M. SEVEROPIO FELICI AVG. PONT.
tracé la limite de la Nmnidie Nouvelle au- MAX. TRI. POT. PROVIDENTISSIMO ET SANC-
tour des villes énumérées sous celle rubri- TISS1MO PRINCIPI. ET ANTONINO NOB1LISSIMO
CAESARI PRINCIPI IVVENTVTIS. DIANENS. EX
que jusques et y compris lambèse, laissant DECRETO DD. PP.
en dehors les villes dénommées après, com-
me si elles composaient une subdivision « A l'empereur et césar Marcus Severus
spéciale affectée à là légion Troisième-Au- « Pius Félix, auguste, grand prêtre, revêtu
guste.
« de la puissance ttibunitienne , prévoyant
« et inviolable prince ; et à Antonin très-
On ne s'est point aperçu : i° en la forme, « noble césar et prince de la jeunesse ; les
que si l'annotation
Aàu,éai<ra qui un
eût constitué suitnouveau
le nom titre
de «Dianais, par décret des décurions, des
« deniers publics. »
corrélatif à ceux de KipTY]<na>v et de Nou-
u-toiaç veaç, il aurait fallu lire Aeyiovoç xpi- Une autre route pouvait conduire
t/]ç cr£6acrof)ç au génitif , au lieu du nomi- de Théveste à Diana sans passer par
natif qui dénote une fonction explétive à Lambèse, mais il y avait communica-
l'égard du nom qui précède; 2° au fond, tion de l'une
que les inscriptions ont constaté le canton- traverse entre à Lambèse
l'autre voie
et leparVicus
une
nement de la. légion Troisième- Auguste à Aurelii. On pouvait aussi, à volonté,
Lambèse, et qu'en outre Ptolémée lui- aller de Lambèse à Sitifis sans passer
même a bien expliqué l'étendue qu'il en- par Diana, soit en prenant à droite
tend donner à la Numidie Nouvelle à l'est
par Taduttis dont le nom est resté à
des Ciitésiens jusqu'à Thabraca, quand il Tattubt, soit en prenant à gauche par
place les Iontiens xaxà rr,v Noufnoîav ttjV
Lamasba dont le nom se retrouve en-
xaî Néav èuap^t'av ui^pt 0aëpàxY]ç. Les core dans celui de Lamaza , et en al-
douze villes qui suivent l'annotation doivent
donc être comprises, aussi bien que les
lant, par Zarai qui est aujourd'hui re-
onze qui précèdent, dans la circonscription présenté par Zéryah, rejoindre Perdi-
de la nouvelle province de Numidie.
ces; mais Diana "communiquait direc-
186 L'UNIVERS.

tement d'un côté avec Taduttis et de EX EQV1TE


ROMANO
l'autre avec Lamasba.
Enfin de Sitifis on gagnait Saldes, CENTIAM ORDO
soit en droiture , soit en passant par OB MV.Mi'I
SICCENS1VM
le municipe de Tubusuptus. Cm ET COSnECVRIONÎ
— Autres communications de Lam- DD. PP.
bèse avec Théveste et avec Cirta.
— De Lambèse se détachait vers le « A Victor, centurion légionnaire , ex-
« chevalier romain , à raison de sa munifi-
sud une route qui revenait ensuite au « cence; le corps municipal des Siccéens à
nord vers Théveste ; le point le plus « leur concitoyen et co-décurion; par dé-
avancé du côté du désert était sans « cretdes déçu rions, des deniers publics. »
doute Badias dont le nom et la posi-
tion paraissent se rapporter au lieu On traversait ensuite Naraggara ,
que les Arabes appelèrent plus tard sous les murs de laquelle, et près de
Bâdys de Zâb; c'est là qu'avait son Killa, fut livrée cette bataille fameuse
quartier -général le commandant de où Scipion vainquit Annibal, et que
frontière désigné dans la Notice des les modernes appellent invariablement
dignités sous le titre de prœpositus bataille de Zama, par une de ces con-
limitis Bazensis. Parmi les stations fusions si communes dans les dési-
intermédiaires, celles qui portent les gnations de ce genre; une communi-
dénominations de Aquœ Her cutis et cation directe était établie de Narag-
ad Piscinam désignent probablement gara à Hippone-Royale par Tagaste,
des établissements thermaux, dont le patrie de saint Augustin. Plus loin on
dernier est peut-être représenté par le trouvait Tipasa , représentée par la
Qala't-el- Hhammâm des Arabes. moderne Tvfêsch, d'où se détachait
Une route partait également de un embranchement sur Hippone-Roya-
Lambèse vers le nord , pour aboutir le; àTipasa on avait à choisir, pour
directement à Cirta, en passant par gagner Cirta, entre la route de droite
une station ad Rotam qui semble in- par Tibilis, ou la route de gauche par
diquer un moulin à eau, et par le La- Sigus. Il existait en outre , pour aller
cus Regius représenté sans doute par de Musti à Cirta, une troisième route
la grande sebkhah allongée qui couvre tracée entre les deux premières et com-
une vaste plaine dans le sud et le sud- muniquant avec l'une et l'autre par quel-
est de Constantine, et que nous avons ques traverses; elle passait à Vatarum
déjà rencontrée sous le nom de Maco- ou CellasVatari qui a trouvé place dans
mades, entre Théveste et Cirta, sur les vers de Corippe (*), à Tigisis qui a
la grande voie de Carthage à Césa- laissé son nom a la moderne Teghzeh,
rée.
Routes de Carthage a Ctrta, et enfin mais
Cirta; à Sigus, d'où l'on àarrivait
on pouvait, volonté à,
par Vatarum, et par Hippone. poursuivre son chemin en droiture de
— Route par Fatarum. — On pou- Sigus à Sitifis, et continuer même au
vait se rendre, par un chemin plus delà vers quelques points, dont le seul
direct, de Carthage à Cirta, en pre- connu est Tubuna, qui se retrouve
nant à Musti un embranchement qui dans la ville arabe de Thobnah, et qui
conduisait d'abord à Sicca-Vénéria , était le quartier-général du prœposi-
tus limitis Tubuniensis.
que l'on croit un établissement ori-
ginairement punique, devenue une co- — Route par Hippone. — Il existait
lonie romaine dès avant l'époque de encore une autre route de Cirta à Car-
Pline, et remplacée aujourd'hui par thage :par Hippone-Royale. On arrivait
la ville arabe d'El-Rêf, où se voit en- d'abord de Cirta à Hippone soit par Ru-
core l'inscription suivante : sicade, soit un peu plus directement par
VICTORI
CENTURIONI
(*) Voir ci-après, page 25o, note (*), ce
LEGlONAfitO que noua disons de ce lieu.
187
AFRIQUE ANCIENNE.
dont nous supposons que Ptolémée
les Aquœ Tibilitanse, que l'on croit cor- avait fait son marais Libija : les noms
respondre aux Hhammâm el-Berda' de
nos jours. D'Hippone à Carthage, les de Praesidium, de Prœtorium, de Tur-
premières étapes nous montrent en res, de Spéculum, indiquent assez que
premier lieu des Aquœ désignant ici , la frontière était peu sûre , et qu'on
comme dans tous les cas semblables , avait pris ses précautions pour com-
un établissement thermal public; puis muniquer dece côté avec Thiges, Tu-
la colonie de Simittu, qui paraît avoir suros , Nepte, que représentent au-
laissé son nom à l'emplacement où le thah. jourd'hui Téqyous , Touzer et Nef-
roi de Tunis, au commencement du
seizième siècle, bâtit la ville de 'Ayn- — De Tacape à Leptis. — De Ta-
Sammit, bientôt après ruinée par les cape une route intérieure se ren-
Bédouins ; ensuite Bulla, qui dans le dait à Leptis la Grande le long des
premier siècle avait été la ville royale frontières tripolitaines ; elle passait
du numide Hiarbas le compétiteur de par les Jquœ que nous avons déjà si-
Hiemsal, et qui était bâtie au milieu gnalées, et s'enfonçait ensuite dans les
d'une campagne fertile vantée par terres en traversant des lieux aujour-
saint Augustin et Procope, et connue d'hui inconnus, à une profondeur in-
des Arabes sous le nom de Fahhss déterminée; des géographes ont pensé
Boll. Le reste de la route n'offre plus que la ville reculée de Cydamus , la
qu'une série de stations obscures moderne Ghadâmes, mentionnée seu-
échelonnées à des distances assez rap- lement par Pline et Procope, pourrait
prochées, lelong du Bagradas. se trouver cachée sous quelqu'un de
Routes deTacape.— DeVatarum ces noms barbares; nous n'osons le
à Tacape. — De Vatarum une route croire. Peut-être le village actuel de
conduisait parThéveste et Télepte jus- Télémin conserve-t-il quelque ves-
qu'à Tacape. Elle n'offrait, dans sa pre- tige du nom de la Turris Tamalleni
mière partie, aucun nom à mettre en et an Limes Thamallensis ; Bézéréos,
saillie; dans la seconde se rencontrait, Thabalati , Thémélami, Tillabari que
comme unique station intermédiaire, le Corippe a enchâssé dans ses vers (*),
château d'Ubaza, où aboutissait aussi Talalati, paraissent désigner les quar-
l'une des branches de la route de Ba- tiers où résidaient les commandants
dias. La troisième partie seule offre de ou prévôts de frontières que la Notice
l'intérêt. D'abord c'était Télepte même, des dignitésde deBizereutani, l'Empire énumère sous
que la Table Peutingérienne décore du les noms Tablatensis,
titre de colonie ; puis Capsa, dont les Thamallomensis, Tillibarensis, Secun-
traditions héroïques attribuaient la danorum in castris Tillibarensibus, et
fondation à Hercule, fameuse par l'ex- Talalatensis, les uns sous les ordres
pédition deMarius, ville libre à l'épo- du comte d'Afrique, les autres sous les
que de Pline, colonie au temps de la ordres du duc de la Tripolitaine. Entre
rédaction de la Table Peutingérienne, cette route et celle du littoral, une route
et décorée de monuments dont il reste intermédiaire partant de Tacape en
tirant vers Sabrata et traversant le
à peine quelques inscriptions* et quel-
ques débris enchâssés dans les cons- fleuve Ausere , est indiquée en partie
tructions ultérieures des Arabes , qui dans la Table peutingérienne.
lui conservent le nomdeQafssah; puis — De Musti à Tacape. — On ar-
les Jquœ Tacapitanœ, que l'on retrou- rivait encore à Tacape par une autre
ve à Hammam près de Qâbes. De Té- route intérieure, se séparant à Musti
lepte et de Capsa, deux routes jumel- de la grande voie de Carthage à Cé-
les bientôt réunies en une seule se
détachaient au sud pour regagner Ta- (*) « Nec cessant populos infausti mittere campi
« Quos Talantaeis nutrix suscepil ab arvis
cape après avoir contourné au midi la « Tillibaris, junctisque maris distendit arenis
grande lagune salée qu'on appelle au- « Martaanali genitrix. »
CoiurPE s Jokannidcs II, 78,
jourd'hui El-Sebkhàh-el-'Aoudyeh, et
188 L'UNIVERS.

sarée par Théveste et Cirta; on ve- sur une autre route encore de Tysdrus
nait d'abord à Assura, dont l'em- à Théveste parZoma Regia, Assura, et
placement est déterminé par les ruines Ammédéra : celle-ci , tracée unique-
qui portent aujourd'hui le nom de ment sur la Table Peutingérienne, est
Zanfour et au milieu desquelles se lit, importante
miner avec enassurance
ce qu'ellelasert à déter-
position de
sur une porte
suivante : triomphale, l'inscription
DIVO OPTIMO SEVERO PIO AVG. ARAB. PART.
Zama
erronée, plus
de son célèbre
nom par
à la l'application
fameuse ba-
ADIAB. MAX. ET IMP. CAESARI AYRELIO ANTO- taille oùScipion vainquit Annibal, que
NINO PIO AVG. FELICI PART. MAX. BRIT. MAX. par les faits réels de son histoire; le
GERM. MAX. PONT. MAX. FIL. TRIB. POT. XVIII.
titre de colonie lui fut probablement
IMP. III. COS IIII. PP. PROCOS. OPTIMO MAXI*
MOQVE P&INGIPI. ET IVLIAE DOMNAE PIAE PI.R-
accordé par l'empereur Adrien, ainsi
TINACI AVG. MATRI AVG. ET CASTRORVM ET qu'on en peut juger par le fragment
SENATVS ET PATRIAE. CONIVGI DIVI SEVERI d'inscription que voici:
AVG. PII COL. IVL. ASSVRA DEVOTA NVMIM COLONI COLONIAE AELIAE HABRIANAE AVG.
EORVM DDD. P. ZAMAE REGIAE
Q. ARADIVM VALERIVM PROCVLVM IPSVM
« Au dieu bienfaisant Severus Pius, Au- LIBEROS POSTEROSQVE EIVS S1BI LIBERIS POSTE
« guste, l'Arabique, le Partbique, le grand RISQVE SVIS PATRONVM COOPTAVEKCINT.
«« Aurélius
Adiabénique ; et à Pius
A.ntoninus l'empereur
Augustuset Félix,
césar « Les colons de la colonie Élia Adrienne
« le grand Partbique, le grand Britannique, « Auguste Zama Regia , tant pour eux que
« le grand Germanique, grand pontife, son « pour leurs enfants et descendants , ont
« (ils , revêtu de la puissance tribunitienne « choisi pour leur patron Quintus Aradius
« pour la xvme fois, généralissime pour la «« Valerius» Proculus, ses enfants et descen-
dants.
« 111e fois, consul pour la ive fois (*) , père
« de la patrie, le meilleur et le plus grand
« des princes ; et à Julia Domna Pia Perti- Multiplicité des villes et autres éta-
«« nax blissements.
arméesAugusta, mèreet de
, du sénat de lal'empereur, des
patrie , épouse
« du bienheureux Sévère Auguste Pius, la On vient de voir quel était dans son
« colonie Julia Assura, dévouée à leur divi- ensemble le système de communica-
« nité, a élevé ce monument, dédié par tions itinéraires établi dans la région
« décret des décurions. »
d'Afrique. Sur ces routes étaient se-
Les ruines de Mahhdher Aoulêd més, en grand nombre, les villes ro-
maines, les châteaux, les camps, les
'Ayâr sont moins explicites pour la dé- postes occupés par des soldats , les
termination de la correspondance de
thermes où ils allaient guérir leurs
ce lieu avec l'ancienne Tucca Téré-
benthina , qui venait après Assura ; blessures et leurs maladies, les gre-
Sufes, qui suivait, est représentée par niers oùdes provisions de vivres étaient
la moderne Esbybah. Bientôt on attei- accumulées pour leur subsistance.
Aussi, tranquilles possesseurs du sol,
gnait Suffétula, et l'on arrivait à Ta- ils bâtissaient, même hors du passage de
cape à travers quelques stations moins
connues. ces routes, des cités florissantes telles
Diverses routes passant par que Calama notre moderne Ghelmah,
Aquas Regias. — La route ci-dessus Madaurus la patrie d'Apulée; ils dis-
était coupée à angle droit par celle de séminaient sans crainte dans les cam-
Tysdrus à Théveste, sur laquelle se trou- pagnes ou les vallées des villas de
plaisance , comme au sein de la belle
ensuite vaient Jquœ Regix,Lesd'où
Suffétula. Aquœl'onRegiœ
gagnait
se Italie.
rencontraient également sur la route Les indigènes de leur côté avaient
des cités et des bourgades multipliées
d'Adrumète à Suffétula, de même que
sur celle de Sufes à Adrumète, et enfin répandues dans le plat pays, et l'his-
toire nous a transmis le. nom d'un
certain nombre de ces places; nous ne
de (*)
notreCesère.
chiffres se rapportent à l'an 21 3
chercherons point à en faire ici le fas-
189
AFRIQUE ANCIENNE.
tidieux inventaire: nous aimons mieux passer en revue pour y saisir les élé-
ies signaler avec précision dans une ments d'une détermination des limites
esquisse rapide, au point de vue topo- dans lesquelles se trouvèrent successi-
graphique, des faits historiques dans vement renfermés les états et les pro-
le récit desquels elles se trouvent en- vinces entre lesquels fut morcelé le
cadrées, etqu'il nous faut maintement territoire de l'Afrique.

APERÇU GÉNÉRAL U.
SDESRÉVOLUTIONS
POLITIQUES ET TERRITORIALES.
NAISSANCE ET PROGRES DE LA qui les séparait des Éthiopiens; mais
PUISSANCE PUNIQUE. nous pouvons présumer que la zone
mitoyenne occupée par ces deux na-
Établissement des colonies phéni- tions se partageait entre elles vis-à-vis
ciennes en Afrique. du fond de la petite Syrte.
RÉPARTITION DU TERRITOIRE EN- Voilà, autant que nous pouvons le
TRE LES POPULATIONS INDIGÈNES
présumer,rodote, laquelle était, probable
répartition au temps dud'Hé-
sol
AVANT L'ARRIVÉE DES PHÉNICIENS.
— L'histoire des divisions territoriales entre les grandes populations indigè-
du sol africain ne peut remonter jus- nes ou réputées telles. Le vieil histo-
qu'à une antiquité bien reculée, car il rien connaît de plus, en Afrique, deux
n'eut longtemps que des habitants no- peuples étrangers : — en premier lieu
mades, entre lesquels les Grecs établis dans la Cyrénaïque
de délimitations fixes;il n'existe guère
les récits de et dont nous n'avons plus à nous oc-
Salluste et les descriptions d'Hérodote cuper actuellement; peut-être aussi
nous montrent seulement une ancienne quelques autres réfugiés grecs, rares
distribution générale, par grandes mas- et épars sur divers points des côtes
ses, des populations auxquelles la pos- ultérieures, tels que les colons lacédé-
session en était dévolue : sur le pre- moniens conduits sur les bords du
mier plan les Libyens, les Numides et Cinyps par Doriéus , les Locriens-
les Maures; sur le second plan, les Ozoles de Kyrkinis et d'Uzala, les
Garamantes et les Gétules ; au dernier Hellènes égarés au retour de Troie
f>lan les Éthiopiens. Quelles étaient les qui abordèrent à Meskhela, et d'autres
imites respectives de ces peuples, on encore , tous disparus sans laisser
ne saurait prétendre le déterminer d'autres souvenirs; — en second lieu
avec précision ; il faut se contenter de les Phéniciens.
quelques indications vagues et flottan- Colonies phéniciennes en Afri-
tes , sorte de moyenne conjecturale que; PRÉÉMINENCE DE CARTHAGE.
entre des contours variables et igno- —Ceux-ci avaient fondé, sur les plages
rés :on peut ainsi tracer à la crête de libyennes, de nombreuses villes, les
unes succursales et ornement de leurs
l'Atlas la ligne qui séparait, des Ga-
ramantes etdes Gétules de l'intérieur, métropoles , qui y avaient écoulé le
les trois nations littorales, à l'égard trop plein de leur population ; les au-
desquelles le fleuve ïusca pourrait of- tres, souverainetés nouvelles créées
frir assez plausiblement la borne mu- par des factions expatriées, et qui prê-
tuelle des Libyens et des Numides, tèrent àleurs frères d'Orient un se-
comme le fleuve Malua celle des Nu- courable appui; toutes, à l'exemple de
mides et des Maures. Nous n'oserions la mère-patrie, trouvant dans le com-
nous hasarder à décrire au sud des
Garamantes et des Gétules la ligne lencemerce
et deune prospérité.
source inépuisable d'opu-
190 L'UNIVERS.
Favorisée par son heureuse position rer leur navigation jusqu'au détroit
maritime, Carthage devait naturelle- des Colonnes, au delà duquel Hannon
ment primer au milieu de toutes ces eme foncier de nouvelles colo-
colonies d'un même peuple; et la force nies sur la plage occidentale. Celte
des choses en dut faire un centre po- route leur était familière , ainsi que
litique en même temps qu'un centre nous l'assurent les informations re-
de commerce, pour tous ces comptoirs, cueillies par Hérodote, et dont il ré-
indépendants sans doute les uns des sulte qu'ils allaient porter leurs mar-
autres, mais réunis en confédération chandiseschezdes peuplesavec lesquels
nécessaire sous l'empire d'un intérêt ils traitaient d'une façon singulière ,
commun de monopole et de défense. déposant leur cargaison sur le rivage
Comme la plupart de nos comptoirs et retournant à leurs vaisseaux pour
modernes , ces villes phéniciennes attendre que les indigènes fussent ve-
étaient des postes isolés sur une plage nus déposer auprès de chaque objet la
étrangère , n'ayant dans leur dépen- quantité d'or jugée équivalente, et se
dance qu'un petit territoire fussent retirés à leur tour pour atten-
de leurs murailles; et nousà l'entour
savons dre que les vendeurs eussent examiné
avec certitude, au moins pour Cartha- si le prix offert était suffisant ; renou-
ge, qu'il avait fallu acheter des indi- velant de part et d'autre ce manège
jusqu'à ce que le marché fût accepté
établi, gènes
toutl'emplacement
comme nous sur lequel on s'était
achetons, des ou rompu.
peuples nègres chez lesquels nous por- Du côté de l'est , les villes phéni-
tons notre commerce, l'emplacement ciennes étaient nombreuses jusqu'à la
où nous voulons élever nos magasins ;
petite Syrte,
çaient beaucoupet quelques-unes
plus loin, telle s'avan-
que la
et le prix de cette cession était une re-
devance annuelle , tout comme celles grande Leptis fille de Sidon; au sur-
que nous payons sous le nom de cou- plus, lalimite orientale, vivement dis-
tumes. putée par les Cyrénéens, ainsi que
Carthage paya longtemps les coutu- nous l'avons raconté en son lieu, fut
mes convenues. Puis elle se crut assez définitivement portée au fond de la
forte pour répudier ce témoignage grande Syrte par le dévouement des
frères Philènes.
constant d'une possession précaire :
elle voulut être chez elle maîtresse in-
commutable ; et elle lutta à diverses Étendue et conditions de la puis-
reprises contre les indigènes qui se sance territoriale de Carthage en
prétendaient les véritables propriétai- Afrique.
res du sol. Justin nous la montre en
guerre avec les Libyens dès une épo- Répartition du sol entre di-
vers ORDRES DE POPULATIONS. —
que qu'Orose nous dit contemporaine
de Cyrus; puis encore au temps de Jusque-là Carthage ne se montre à
Darius, et forcée alors de payer les ar- nous que commecolonieprépondérante
rérages stipulés; mais renouvelant au milieu de la confédération des co-
bientôt ses tentatives, qui enfin eurent lonies phéniciennes , ayant peut-être
une meilleure issue et obligèrent les elle-même quelques établissements se-
condaires immédiatement soumis à
indigènes àcontestée.
redevance consentir l'abolition de la
son autorité, exerçant peut-être aussi,
Extension des escales et des
à l'égard de certaines villes de la con-
comptoirs puniques. — Les Car- fédération, un protectorat plus direct,
thaginois, au dire de Justin, por- bien voisin d'une suzeraineté absolue ,
tèrent dès lors aussi leurs armes chez ainsientre
qu'ille arrive
les Numides et même chez les Mau- cas fort et toujoursles faibles.en pareil
res. Peut-être cette expédition eut- xWais là ne se bornait point le do-
elle pour but l'établissement de quel- maine des Carthaginois. L'argent des
ques escales sur le littoral pour assu- mines ibériennes , accaparé par leur
AFRIQUE ANCIENNE. 191
que
commerce avant qu'il devînt le fruit conclu avec Rome immédiatement nous le montre le premier traité
de leurs propres exploitations , leur
servait à acheter des soldats merce- après l'expulsion des Tarquins (*).
naires, ces condottieri des vieux temps, Les Libo - Phéniciens , second
avec lesquels ils firent, en Afrique et élément de la population puni-
au dehors, des conquêtes territoriales. QUE.— Au premier rang parmi ces con-
Sans chercher à déterminer quant fédérés étaient les Libo-Phéniciens, les
à présent l'époque précise où Carthage Phéniciens Libyques comme les ap-
parvint à ce point de puissance terri- pelle Ptolémée ; c'étaient les posses-
toriale en Afrique , et sans discuter seurs de la plupart des villes mariti-
avec Heeren si Justin s'est mépris en mes, unis par d'étroites affinités avec
faisant descendre jusqu'au temps de les Carthaginois, et souvent confondus
Darius la date où elle s'affranchit de avec eux sous un même nom, ainsi que
la redevance annuelle stipulée lors de l'assure Diodore et que nous en offre
sa fondation ; nous remarquerons du d'ailleurs un exemple le stadiasme ano-
moins que dès le moment où cet ordre nyme de la Méditerranée, où toute la
de choses fut établi, des lors aussi se
côte depuis la petite Syrte jusqu'au
trouva constituée la distribution géné- delà d'Utique est désignée par le nom
rale du sol africain, telle que l'a ex- de Phênicie. Mais, ainsi que Carthage,
pressément signalée Diodore pour un et plus ancienne qu'elle, Utique sur-
temps ultérieur, entre les Carthaginois, gissait aussi au milieu des villes puni-
les Libo-Phéniciens alliés, les Libyens ques, de manière à se constituer une
tenus à grand'peine sous le jou£, et les nominativement, individualité distincte, et elle prit place
Numides indépendants. à ce titre, dans les
La cité de Carthage, noyau
actes fédéraux, ainsi qu'on le voit dans
de la population punique. — le second traité avec Rome (**) et dans
Quant aux de premiers , c'étaient le traité d' Annibal avec Philippe de
les Macédoine.
Phéniciens Carthage comme les
appelle Diodore, c'est-à-dire ceux qui, Quant aux autres villes de la confé-
au milieu de la nationalité tyrienne, dération, elles sont purement et sim-
s'étaient créé une nationalité spéciale; plement ainsi appelées dans le dernier
et le grand Annibal lui-même nous ex- de ces deux actes ; mais dans le pré-
plique ce qu'il faut comprendre en cédent elles ont une désignation plus
celle-ci, lorsque, traitant avec Philippe précise, puisqu'on y voit nommés, à
de Macédoine (*), il stipule pour les côté des Carthaginois ou citoyens de
seigneurs carthaginois, pour lui-même Carthage, et des Itijkéens ou citoyens
leur stratège, pour les citoyens com- d'Utique, les Tyriens, qui ne peuvent
battant sous ses ordres , pour les hy-
parques ou gouverneurs provinciaux être lesrient, nicitoyens de la vieille Tyr d'o-
d'une Tyr africaine inconnue,
carthaginois, pour tous ceux en un mais uniquement des villes tyriennes
mot qui avaient en commun les mê- réunies dans cette Phênicie d'occident
mes lois. C'était la cité carthaginoise dont nous venons de constater l'exis-
parallèle à la cité romaine, comprenant tence. Aucune de celles-ci n'avait une
comme elle, outre la métropole, toutes prépondérance assez marquée pour
les villes, tous les établissements colo- être mentionnée individuellement par-
niaux peuplés de citoyens tirés de son mi les membres influents de la confé-
sein. En dehors de ce cercle, tout ce dération; oubien elles ne constituaient
qui obéissait à Carthage était confondu
sous la dénomination générale de Sym- (*) L'an 5oo, avant notre ère. Voyez ce
maques , ou alliés , confédérés, ainsi traité transcrit en entier dans la suite de ce
volume {Carthage, pp. 4 et 5).
(*) L'an 2i5 avant notre ère. Ce traité (**) Le deuxième traité avec Rome est de
est rapporté en entier dans la suite de ce l'an 35a avant noire ère; nous le rappor-
volume {Carthage, pp. 86 et 87). terons un peu plus loin dans une note.
192 L'UNIVERS.

en commun qu'un seul état particu- régions distinctes, sur la délimination


lier, comme semble l'insinuer plus et le nom desquelles nous ne trouvons
tard Tite-Live. cependant quelques données précises
Ces villes étaient nombreuses, et qu'à une date plus récente.
rapprochées comme les anneaux suc- L'une était celle que Strabon ap-
cessifs d'une seule chaîne, sur la côte pelle Karkhédonie ou Carthaginoise ,
qui s'étendait jusqu'au fond de la pe- la dénommant ainsi d'après la capi-
tite Syrte, et le trafic y était si actif, tale , par imitation peut-être de ce
qu'elles en avaient reçu d'une manière qu'avaient fait les Carthaginois eux-
absolue la dénomination à* Emporta mêmes en étendant à toute cette con-
ou les Comptoirs. Entre les Syrtes , trée la désignation appellative $ Afri-
l'aridité des côtes n'était aucunement
propice à l'accumulation des établisse- seule que,ainsid'abord
que restreinte
nous le dità Suidas,
leur ville
et
ments de ce genre, et le nom de Tri- dont la signification paraît être ana-
poli, resté à la capitale actuelle du logue àcelle de qui colonie; mais c'est
pays, suffit pour nous rappeler que Pline seulement nous instruit des
trois grandes villes seulement avaient limites dans lesquelles était renfermée
pu trouver place sur ce rivage inhos- autrefois la province $ Afrique pro-
pitalier. Dans l'ouest elles étaient plus prement dite, assez exactement re-
fréquentes sans doute; après Utique , présentée aujourd'hui par cette portion
Hippone-Diarrhyte, ïabraca, venaient de la régence de Tunis qui est plus
les villes métagônites parmi lesquelles spécialement appelée Afryqyah par les
peut-être il faut compter l'autre Hip- indigènes. Pline nous révèle en même
pone qui plus tard fut distinguée par temps la dénomination , sans doute
l'epithète de Royale; et tant d'autres plus ancienne, de Zeugitane, qui rap-
villes que leur nom phénicien nous si- pelle d'une manière frappante le nom
gnale àdéfaut de témoignages histori- des peuples
ques plus précis; enfin, au delà des sément Zaouèkes d'Hérodote,
reconnaissable encore ai-
dans ce-
colonnes d'Hercule, les comptoirs de lui des berbers de Zouâghah, leurs
la côte occidentale. successeurs sur le même territoire.
Les Libyens sujets de Cartha- La seconde région est celle que bor-
ge : Zeugitane, Byzacène. — Pas- daient àl'orient les Emporia ou comp-
sons aux Libyens, désignés par Dio- toirs libo-phéniciens. Habitée par des
dore comme les habitants les plus peuples appelés Byzaciens ou Byzan-
nombreux et les plus anciens du pays, tes, elle en avait reçu la dénomination
sujets de Carthage, mais rongeant le deByssatide, Byzacium, Byzacène ou
frein qu'elle leur avait imposé. Stra- Byzacitide, qui apparaît déjà dans Po-
bon déclare que la domination des
lybe etniersqui instantssubsista jusqu'aux der-
de la domination ro-
Carthaginois dans la Libye s'étendit maine.
sur toute la contrée qui n'était point Rapports de Carthage avec les
dévolue aux Nomades, c'est-à-dire sur
la presqu'île comprise entre Tabraca Numides ou Nomades indépen-
et la petite Syrte. Nous avons déjà dants.— Voilà quelle était l'extension
recensé, avec Hérodote, les peuples territoriale de l'autorité de Carthage en
agricoles qui y avaient fixé leurs de- Afrique. Au delà de ces limites il n'y
meures. Carthage prenait soin de dis- avait plus que des Nomades indépen-
séminer au milieu d'eux, en colonies dants, quelquefois liés à elle par des
intérieures, le trop plein de sa popula- traités de paix et d'amitié, et chez les-
tion, constituant par ce moyen, sur le quels son or allait recruter des soldats
sol conquis, un reseau de villes puni- mercenaires : mais ceux-là n'étaient
ques destinées à maintenir l'asservis- point comptés dans la grande circon-
sement des indigènes. scription des Symmaques. Annibal ne
Le pays paraît avoir été partagé , les oublie cependant etpoint
dès une époque fort ancienne, en deux traite avec Philippe, après lorsqu'il
tous les
193
AFRIQUE ANCIENNE.
membres de la confédération énumé- que nous venons de transcrire ne sont
rés, il comprend encore dans la ligue qu'une application réciproque de ce
contre les Romains, les Stratioles qui que les Romains stipulaient de leur
ne faisaient partie qu'à ce seul titre de côté à l'égard des peuplades indépen-
dantes du Latium.
l'armée fédérale.
Quant à leur pays, dès que Carthage Agrandissement de la. puis-
s'était trouvée assez puissante, elle en .ET LE SECOND sance PUNIQUE ENTRE LE PREMIER
avait interdit l'accès à toute colonisa- TRAITE DE CARTHAGE
tion, àtout commerce étrangers : c'est avec Rome.— Dans le premier traité de
un double monopole qu'elle se réser- Carthage avec la république romaine, il
vait. Elle autorisait seulement les ex- n'est fait aucune condition à l'égard de
péditions de pillage et de piraterie cette région littorale où les Carthagi-
contre les villes indépendantes, à con- nois se réservent exclusivement ici le
dition que les habitants et le butin droit de commercer et de coloniser,
appartiendraient seuls aux capteurs, tout en reconnaissant n'être pas les
mais qu'on ne garderait point la place; maîtres du sol. A cette autre époque,
et s'il s'agissait d'une ville amie, il antérieure de plus d'un siècle et demi,
était stipulé, en outre, que les habi- ils se bornent à interdire l'accès des
tants ainsi enlevés ne seraient point contrées situées au delà du Kalon
conduits dans un port carthaginois Ahrotérion , qui est au nord de Car-
sans courir la chance d'être réclamés, thage, de la Byssatide et des Emporia;
et par suite rendus à la liberté. Tel dans le second traité ils sont bien plus
était le droit public d'alors : nous le explicites à l'égard de ces parages, et
trouvons ainsi expliqué dès le second ils prohibent positivement tout trafic,
traité avec Rome (*), et les conditions tout établissement et toute piraterie
au delà du Kalon Ahrotérion, aussi
(*) Il est essentiel de rapporter ici ce bien qu'au delà de Mastia et de Tar-
traité de l'an 352 avant notre ère, qui ne seïon (après lesquelles étaient les co-
se trouve pas, comme le premier, dans la lonies de l'Océan;.
suite de ce volume. Une grande différence se révèle ainsi
« Il y aura amitié entre les Romains et entre ces deux époques de la puissance
« les alliés des Romains , et le peuple des
« Carthaginois , des Tyriens et des Itykéens, carthaginoise: ce qu'elle stipulait jadis
« et les alliés de ceux-ci. pour l'Afrique propre n'est guère que
« Au delà du Beau promontoire, de Mas- ce qu'elle stipule ensuite pour la ré-
« tia , de Tarseïon, les Romains ne pourront gion indépendante où elle a échelonné
« faire ni pillage , ni commerce , ni établis- des postes et des comptoirs : une
« sèment. grande révolution s'est donc opérée
« Si les Carthaginois prennent quelque dans l'intervalle; et le dire de Trogue-
« ville du Latium non soumise aux Romains, Pompée, quelque mutilé qu'il soit abré-
dans
«ils garderont le butin et les prisonniers, le sommaire décharné de son
« mais rendront la ville. Si des Carthaginois
« font prisonniers des gens qui aient des « dans le cas d'infraction, on ne se fera point
« traités de paix av.ec les Romains, sans être «< justice soi-même ; s'il y a tort causé par
« néanmoins leurs sujets, qu'on n'en intro- «« sables
quelqu'un , ses nationaux seront respon-
du dommage.
« duise point dans les ports des Romains;
« s'il en est introduit quelqu'un , et qu'un « En Sardaigne et en Afrique, nul Ro-
« Romain le saisisse , il sera rendu à la li- « main ne pourra commercer ni former
« berté. La même condition sera observée « d'établissement, à moins que pour preu-
« par les Romains. « dre des provisions ou radouber son vais-
« Si dans un pays soumis aux Carthagi- « seau ; si la tempête l'y porte, il en repar-
« nois un Romain prend de l'eau ou des « tira dans les cinq jours. Dans la Sicile
« provisions , il ne pourra , avec ces pro- « soumise aux Carthaginois, et à Carthage,
« visions, rien faire contre ceux qui ont <' il fera et agira comme il appartient à tout
« paix et amitié avec les Carthaginois ; et le « citoyen. Le Carthaginois de son côté fera
« Carthaginois observera la même condition: « de même à Rome. »
13
13e Livraison, (Afrique ancienne.)
194 L'UNIVERS.

viateur, n'en a pas moins toute l'au- laient Carthage, les Libyens se hasar-
torité d'un fait historique confirmé dèrent encore à secouer le joug; il
par les documents contemporains, sa- fallut les combattre et les vaincre pour
voir : que Carthage ne devint maî- les faire rentrer dans la sujétion : et
tresse du pays que par les efforts de les efforts des Carthaginois pour y
la famille de Magon, au temps de Da- parvenir durent être bien grands, puis-
rius fils d'Hystaspes, et même plus que dix ans après Denys de Syracuse
tard (*). profitait de l'épuisement qui en était
Haine des Libyens pour le résulté
lités. pour recommencer les hosti-
joug de Carthage. — Au surplus ,
en ces ^Libyens conquis, Carthage ne Quand Agathocles, pressé en Sicile
trouva point des sujets toujours do- par les armes carthaginoises, résolut
ciles; et le joug sous lequel elle fai- de porter la guerre en Afrique, il
sait plier leur tête , trop lourd pour comptait sur la défection , en sa fa-
être porté sans impatience , n'était veur, des Libyens alliés de Carthage ,
point assez fortement assujetti pour qu'il savait être las de la domination
résister aux accès de colère d'un peu- punique ; et l'événement sur ce point
ple qu'elle ne sut qu'opprimer. justifia ses prévisions.
Quand Himilcon eut vu la peste en-
vahir son armée devant Syracuse (**), Invasion de V Afrique par Agathocles.
et que réduit à fuir avec la seule co-
horte sacrée des citoyens carthagi- Agathocles enlève aux Car-
nois, ilabandonna à la merci du vain- thaginois TOUTES LEURS POSSES-
queur ses auxiliaires libyens sans re- SIONS ET SE DÉCLARE ROI D'AFRIQUE.
fuge sur cette terre étrangère où ils — Cette expédition d'Agathocles (*) ,
furent bientôt dispersés et détruits , qui sillonna de ses marches le sol de
alors une violente indignation souleva l'Afrique et mit Carthage à deux doigts
l'Afrique , dès longtemps fatiguée du de sa ruine, fournit quelques indica-
joug de ses maîtres; elle reprit son
indépendance. Deux cent mille soldats santtions topographiques
de recueillir dans qu'il est intéres-
le récit de Dio-
dore.
s'emparant de Tunis et pressant Car-
thage, lui demandèrent compte de ce Furtivement parti de Syracuse, Aga-
lâche abandon. Mais ils étaient sans thocles vient débarquer aux Latoniies
chefs habiles, de tribus diverses, trop ou carrières que l'on voit encore près
nombreux pour se procurer aisément d'El-ïlawaryeh; il emporte et pille Mé~
des vivres ; les Carthaginois surent galopolis, qui paraît répondre à Sydy-
trouver quelques traîtres à acheter, et Daoud, et entre dans le blanc Tunis ,
bientôt cette multitude débandée, re- qui se rend à la première sommation. Il
gagnant ses demeures, délivra la cité bat les premières troupes qui lui sont
suzeraine des frayeurs qu'elle lui cau- opposées, dévaste les environs de Car-
sait. Et l'adroite Carthage eut bientôt thage , reçoit les soumissions d'un
repris son ascendant politique en Afri- grand nombre de places ; puis il mar-
que, où quatre ans après nous la voyons che contre les villes maritimes, s'em-
faire de puissantes levées de soldats
pour créer une nouvelle armée de Si- et va pare de Néapolis,
assiéger aujourd'hui
Jdrumète, Nabel,
la moderne
cile. Sousah, de concert avec Elymas roi
Mais quinze ans plus tard (***), pen- des Libyens devenu son allié. Il prend
dant que la peste et les émeutes déso- ensuite Thapsus, dont les ruines se
voient au cap Dimas, et plusieurs au-
tres villes du même canton. Ayant
(*) C'est-à-dire à la génération suivante,
sous les fils d'Amilcar le contemporain de ainsi, de gré ou de force, réduit à son
Darius.
(**) L'an 395 avant l'ère vulgaire. (*) De l'an 3 10 à l'an 3o6 avant l'ère vul-
(***) L'an 379 avant l'ère vulgaire.
gaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 195
obéissance plus de deux cents villes, vient auprès d'Archagathe. Une se-
il s'enfonce dans l'intérieur. Les Car- conde expédition est alors résolue, et
thaginois tentent une diversion; mais Eumaque , dépassant les villes déjà
Agathocles revient les surprendre, les soumises, attaque à l'improviste Mil-
taille en pièces, et reprend son ascen- Une, que des forces supérieures le
dant sur les Libyens après avoir forcent d'abandonner : traversant alors
vaincu et tué Elymas qui était retour- une montagne infestée de chats sau-
né au parti ennemi. Cependant les vages, ilentre dans un pays rempli de
Carthaginois envoient des troupes singes, et atteint trois villes dont le
pour regagner les Numides déficients, nom, traduit à la manière des Grecs,
et Agathocles ne peut les empêcher est exprimé dans Diodore par celui de
d'atteindre les terres des Zouphons , Pithêkousses; elles étaient sans doute
de faire déclarer pour Carthage un placées vers le golfe d'El-Qoll, où les
grand mener
nombre d'habitants, et debeau-
ra- pithèques abondent, et où Scylax in-
àleur ancienne alliance dique d'ailleurs une île Pithékousse
rés. coup de ceux qui s'en étaient sépa- qui suivantexistant
aux singes toute apparence
encore sous est l'île
ce nom
Après avoir appelé à son aide Ophel- près de Storah. Eumaque emporte et
las et l'avoir fait assassiner, Agatho- détruit une de ces villes, reçoit les
cles grossit sa propre armée des trou- soumissions des deux autres; mais ef-
pes venues de Cyrène; et comme Anti- frayé du nombre des ennemis qui ac-
gone, Démétrius, Ptolémée, Cassandre, couraient detoutes parts, il s'empresse
Lysimaque se créaient des royaumes de regagner les bords de la mer.
Carthage recouvre toutes ses
des lambeaux de l'empire d'Alexandre,
lui-même aussi prend la couronne et possessions d'Afrique. — Cepen-
le titre de roi. Il vient assiéger Utique, dant les revers d'Archagathe rappel-
qu'il enlève d'assaut, puis Hippou- lent Agathocle en Afrique, et dans
Akra, c'est-à-dire la citadelle de la le dénombrement qu'il fait à son ar-
première Hippone représentéeaujour- rivée ,ce prince compte encore six
d'hui parlement;Bizerte, mille Grecs, autant de mercenaires
etil se faitqu'il
ainsiemporte éga-
reconnaître d'Europe, dix mille auxiliaires libyens,
de la plupart des Libyens du littoral quinze cents chevaux et six mille chars
et de l'intérieur ; quant aux Numides du pays ; mais un premier échec
quelques-uns acceptent son alliance, amène la défection des Libyens , et
les autres attendent l'issue définitive Agathocles voyant sa cause perdue en
de la lutte.
Afrique, s'enfuit secrètement en Si-
Expéditions d'Eumaque chez cile. Ses soldats, indignés de ce lâche
les Numides. — Rappelé en Sicile par abandon, massacrent ses deux fils, et
l'état de ses affaires, Agathocles laisse traitent directement avec Carthage ,
à son fils Archagathe le soin de conti- qui leur accorde trois cents talents en
nuer la guerre d'Afrique. Celui-ci en- échange des villes qu'ils tenaient en-
voie dans l'intérieur des terres un corps core, réduit par la force les garnisons
de troupes sous les ordres d'Eumaque, qui voulaient résister , prend à son
lequel prend d'abord Tokai et soumet service ceux qu'elle y trouve disposés,
les Numides d'alentour, puis s'empare et transporte le reste en Sicile. Ainsi
de Phellinê, et réduit les Asphodélodes fut terminée cette guerre qui avait dé-
du voisinage, semblables pour la cou- pouillé un moment Carthage de tou-
leur aux Ethiopiens, se rend maître tes ses possessions territoriales d'A-
ensuite de la grande ville de Meskhe- frique, mais après laquelle les choses
la, de là va conquérir la citadelle de se trouvaient,en définitive, remises au
la seconde Hippone, homonyme de même état qu'avant les hostilités.
celle qu'avait naguère subjuguée Aga- Pour apprécier ses ions, au moins l'étendue de ces
sur certains pos-
rayons,
thocles ,et enfin emporte et rase la
ville libre iïAkris, après quoi il re- il nous suffirait de connaître l'empla-
13.
196 L'UNIVERS

cernent des Numides Zouphons , qui fin la dernière guerre avec Rome, où
étaient une nation amie et non sujette, le fils de Paul-Émile, le fils adoptif de
située par conséquent en dehors des Scipion, n'eut qu'à porter le coup de
limites puniques; et celui des villes de grâce à la malheureuse Carthage qui
l'ouest conquises par Eumaque, et se débattait en vain, dans une affreuse
dont la première, Tokai, est déjà in- agonie, sous le fer impitoyable de ses
bourreaux.
diquée comme une place numide : c'est
probablement la même que Ptolémée Voilà ce qu'il nous faut parcourir
indique sous le nom de Toukka entre d'un coup d'œil rapide ; mais aux seu-
Thabraka et le fleuve Bagradas; mais les choses d'Afrique doit se borner ici
la position en demeure pour nous in- notre examen, restreint même, dans
certaine: etquant aux Zouphons, il ne son point de vue, à de simples ques-
s'est encore produit à leur égard que tions de topographie et de limites ter-
ritoriales.
des hypothèses sans consistance.
IL LUTTE DE CARTHAGE CONTRE Première guerre punique.
ROME.
Expédition de Régulus.— -Après
Jusqu'à l'époque où nous sommes huit années de combats où la téna-
parvenus, la reine du commerce de cité des Romains semblait triom-
l'occident, Carthage n'avait eu de rap-
ports avec Rome que pour lui inter- sulsdeAulus
pher l'inconstante fortune,
Manlius Vulso et les con-
Marcus
dire l'approche de ses domaines d'A- Atilius Régulusfectuer une descente (*) avaient
sur lerésolu d'ef-
territoire
frique la
: Sicile, jetée entre les deux
rivales, était le champ sur lequel même de Carthage; et la flotte ro-
elles devaient se rencontrer, et com- maine, rompant les obstacles que les
mencer lalutte, fameuse dans tous les vaisseaux puniques avaient tenté de
siècles, où trois fois elles mesurèrent lui opposer, se rallia au promontoire
leurs forces, s'ébranlant l'une l'autre d'Hermès; puis longeant la côte vers
dans leurs fondements, jusqu'à ce le sud, elle s'arrêta devant Aspis, dont
qu'enfin Carthage fut violemment ar- le nom grec était traduit dans la lan-
rachée du sol par son implacable en- gue des Latins par celui de Clypéa, con-
nemie. servé presque entièrement par les Ara-
Les trois guerres qui forment com- bes à la moderne Éqlybvah. C'est là
me les actes de cette longue tragédie, qu'on débarqua ; la ville fut emportée,
eurent leurs intermèdes, dignes d'un et devint le quartier général
si grand drame : et Carthage, deux mée expéditionnaire, qui fut de l'ar-
bientôt
fois échappée aux coups de Rome, fut maîtresse de tout le plat pays et de
aux prises tour à tour avec les soldats nombre de places dans le voisinage.
stipendiés dont ses caisses épuisées ne A l'expiration de son consulat, Ré-
f>ouvaient solder les services , et avec gulus, maintenu comme proconsul à
'insatiable Massinissa, dont l'ambi tion la tête des troupes nécessaires pour
usurpatrice la dépouillait pièce à pièce continuertérieurladu pays guerre, s'avança versbords
l'in-
de ses domaines. , arriva sur les
Ainsi s'offrent successivement à no- du Bagradas, et vint mettre le siège
tre étude suivant l'ordre des temps ; devant la forte place nommée Adin,
— la première guerre avec Rome, celle au soutien de laquelle accoururent les
dont Régulus fut le héros ainsi que la Carthaginois ; mais l'habileté de Régu-
victime ; — la guerre des stipendiés ; lus triompha de leur nombre ; sa vic-
— la guerre chantée par Silius Itali- toire fut complète, et lui valut la ca-
cus, où les grands noms de Scipion et pitulation dupays dans un rayon assez
d'Annibal ne laissent de place pour étendu pour compter jusqu'à quatre-
aucun autre ; — les querelles de ter-
ritoire élevées par Massinissa ; — en- (*) L'an 256 avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 197
vingts villes soumises. Certaines condi- ritoirequ'une
, occupation passagère,
tions de position et d'homophonie sem- dont toutes les traces étaient déjà effa-
blent désigner la ville appelée Outhina cées. Iln'y eut plus de leur part, jus-
dans Ptolémée, Utina dans les conci- qu'à la fin de la guerre, aucune tenta-
les, et dont les ruines portent encore tive sérieuse d'invasion : d'abord les
le nom de Oudenah , à dix milles géo- consuls Cnéus Servilius Cépio et Caïus
graphiques au sud de Tunis, comme Sempronius Rlésus (*) vinrent faire
représentant l'AdindePolybe.La prise quelques courses de pillage sur divers
de Tunis couronna cette brillante cam- points du littoral , jusqu'à l'île des
pagne ,où les succès du proconsul Lotophages appelée Ménix (c'est-à-
étaient accompagnés des déprédations dire l'île de Gerbeh, où subsiste encore
des Numides , ennemis plus acharnés le nom de Menâqes) , emportant un
encore que les Romains. butin que la mer engloutit à leur re-
Victoire de Xantippe. — Ce- tour ,ce qui n'empêcha pas Sempro-
pendant Carthage ayant eu recours nius d'obtenir le triomphe. Six ans
a des Grecs mercenaires, le lacédé- après, quelques particuliers, armant
à leurs frais des galères empruntées à
monien Xantippe vint changer d'un la république, allèrent courir les côtes
seul coup la face des affaires ; l'ar-
mée des Romains fut anéantie , et africaines , pénétrèrent dans le port
2 000 hommes à peine parvinrent à re- d'Hippone-Diarrhyte , y brûlèrent les
gagner Clypéa. Les Carthaginois s'em- de vaisseaux ennemis ainsi qu'une partie
la ville, firent un butin considéra-
pressèrent d'expulser les Romains des ble ,et effectuèrent leur sortie en fran-
places qu'ils occupaient, et ils vinrent chissant adroitement les chaînes ten-
assiéger
tée de mettre Clypéa.en Mais Rome
mer de s'était for-
nouvelles hâ-
dues pour leur barrer le passage. Puis
ces ;les consuls Servius Fulvius Péti- à deux ans de là le consul Marcus
nus Nobilior et Marcus Emilius Paullus Fabius Rutéo (**) conduisit une flotte
vinrent d'abord à l'île de Cossura , la en Afrique, et remporta sur les Car-
moderne Pantellaria, dont ils s'empa- une victoire thaginois, auprès de
navale l'île Egimurus,
, dont encore une
rèrent ;puis ils se dirigèrent sur Cly-
péa ,en vue de laquelle ils remportè- fois la tempête enleva les fruits aux
rent sur la flotte carthaginoise une Romains. Egimurus est la plus grande
victoire vivement disputée, descendi- des deux îles conjointement appelées
rent àterre, établirent leur camp près aujourd'hui Gjouâmer, pluriel de Gja-
de la ville, et battirent encore les Car- mour, ou de Gjâmerah dont les Euro-
thaginois puis
; , embarquant la gar- nos cartes. péens ont fait Zembra , ainsi écrit sur
nison et le butin , ils abandonnèrent
l'Afrique pour retourner en Italie, où Enfin la paix fut conclue , et la pre-
les honneurs du triomphe les atten- mière guerre punique, dont le théâtre
daient àraison de la prise de Cossura était demeuré, sur le continent, res-
et de la défaite des Carthaginois. Mais treint dans un cercle médiocrement
une tempête détruisit leur flotte sur étendu , fut terminée sans que Rome
les côtes de Sicile , et Cossura fut re- eût pris pied sur le territoire d'A-
prise par Carthalon, pendant qu'Amil- frique.
car Rarca , parcourant en maître le
pays des Numides, les châtiait de l'ap- Guerre des Stipendiés.
pui qu'ils avaient prêté à Régulus ,
faisant pendre les chefs et imposant Causes de la guerre. — Car-
aux populations de grosses contribu- thage eut bientôt sur les bras toutes
tions d'argent et de bestiaux. les troupes mercenaires et libyennes
RÉSULTATS DE LA GUERRE. —
que l'évacuation de la Sicile et la ces-
Ainsi la première expédition des Ro-
mains en Afrique n'avait eu d'autre (*) L'an 253 avant l'ère vulgaire.
résultat, quant à la possession du ter- [ (**) L'au 245 ayant l'ère vulgaire.
198 L'UNIVERS.
sation des hostilités rendaient mainte- bes ont conservé le nom à la moderne
nant inutiles , et qui furent provi- Qafssah qui lui a succédé. Hannon
soirement transférées à Sicca, la mo- marcha au secours des places assié-
derne Kêf.
Elles avaient à réclamer un gros gées ,et remporta auprès d'Utique un
premier succès, presque aussitôt suivi,
arriéré de solde et de prestations de par son imprudence, d'un désastre qui
toute nature, sur le montant desquel- lui fit perdre son camp et tout son
les on voulut marchander ; elles s'en matériel ; puis, à quelques jours de là,
irritèrent , et prenant la route de Car- devant la ville de Gorza, dont nous
thage, elles vinrent camper à Tunis au ignorons remplacement certain, bien
nombre de 20 000 hommes (*) ; les cme des inscriptions en soient venues
tardives concessions du sénat cartha- à nos musées d'Europe (*) , deux fois
ginois accrurent leurs exigences, et son impéritie laissa échapper une vic-
comme on n'y obtempérait pas sans toire facile. Carthage effrayée se hâta
objections, elles se révoltèrent ouver- de mettre sur pied une nouvelle ar-
tement ,et appelèrent le pays à faire mée de 10 000 citoyens avec 70 élé-
cause commune avec elles. phants, eten donna fe commandement
Le pays concentrait une longue im- à Amilcar Barca, qui fit prendre aussi-
patience des exactions impitoyables de tôt une nouvelle face aux affaires.
ses maîtres, qui ne croyaient être que Les insurgés avaient établi des pos-
justes en ravissant au cultivateur la tes multipliés en travers de l'isthme
moitié de ses produits, en arrachant qui joignait Carthage au continent ;
aux villes , en temps de guerre , le
double des contributions ordinaires. ils occupaient en outre l'unique pont
du fleuve Makar (c'est ainsi que Po-
Toutes les villes et les campagnes ré- lybe appelle le Bagradas ou Megerdah),
pondirent l'appel
à de leurs frères ; de et y avaient même bâti une ville. Ce
toutes parts on envoya des soldats , pont et la ville attenante sont plau-
des munitions , de l'argent ; les fem- siblement représentés aujourd'hui par
mes même sacrifièrent avec empresse- la positionchemin d'El-Qantharah
ment leurs joyaux pour soutenir la à moitié de Tunis ouà leBizerte.
Pont ,
querelle nationale ; et les insurgés Amilcar, au grand étonnement de
ayant ainsi réuni une armée de 70 000 tous , tourna ces obstacles en opérant
hommes , allèrent, sous la conduite du son passage sur la barre même du
libyen Mathôs et du transfuge campa- fleuve , que la mer découvrait sous
nien Spendius, attaquer Utique et
Hippone-Diarrhyte, qui seules étaient (*) Le musée de Cortone renferme deux
restées fidèles à la cause des Cartha- inscriptions curieuses apportées d'Afrique
ginois. et publiées pour la première fois par Marini
Succès divers de Hannon et d'A- dans ses Monuments des Frères Arvales ;
milcar. — Le stratège Hannon, qui nous nous bornerons à rapporter ici un frag-
avait fait sa réputation militaire par la ment de l'une
notre ère : d'elles, datée de l'an 7 de
conquête antérieure du canton libyen CIVITAS GVRZKNSIS EX AFRICA
d'Hécatompyle, fut mis à la tête d'une HOSPITIVM. FECIT CVM C. AVFVS
armée improvisée au sein de la capitale. TIO C. F. GAL. MACRINO PRAEF.
Cette Hécatompyle, que Polybe et Dio- FABR. EVMQVE LIBEROS POSTE
dorefontconquérirpar Hannon, avait, ROSQVE EIVS SIB1 LIBERIS
suivant le dernier, été fondée par Her- POSTERISQVE SVIS PATRO
cule à la sortie du désert de Libye , NVM etc.
COOPTARVNT.

sur la route d'Egypte à Gades ; et nous


savons par Salluste que la grande ville « Les citoyens de Gurza en Afrique ont fait con-
fondée en cette région par Hercule, «trat d'hospitalité avec Caius Aufustius Macrinus
«fils de Caius, de la tribu Galeria , préfet des ou-
n'était autre que Capsa , dont les Ara- ït vriers , et l'ont choisi , lui , ses enfants et descen-
« dants, pour leur patron à eux , leurs enfauts et
(*) L'an 240 avant l'ère vulgaire. « descendants ; » etc.
AFRIQUE ANCIENNE. 199
l'influence de certains vents dont il tis, représentée comme on sait par la
sut profiter, et il put marcher à dé- moderne Lemthah, soit ailleurs. Enfin
couvert sur l'armée ennemie , la vain- on en vint à une bataille décisive où
cre, dégager Utique, occuper la ville la victoire demeura aux Carthaginois ;
du Pont, et parcourant en vainqueur la plupart des Libyens y périrent, le
le pays environnant , en reprendre reste se réfugia dans une ville voisine
toutes les places, les unes par capitu- qui ne tarda pas à se rendre. Tout le
lation les
, autres d'assaut. Une nou- pays rentra dans l'obéissance, sauf Uti-
^velle victoire (due principalement à la que et Hippone-Diarrhyte , qu'il fallut
défection en sa faveur du prince nu- réduire de force. Et les Carthaginois
mide Naravase avec ses 2 000 cava- se trouvèrent ainsi redevenus maîtres
liers) le délivre ensuite des corps de encore une fois de toutes leurs posses-
troupes envoyés pour le harceler dans sions d'Afrique. Ils châtièrent même
sa marche ; et il opère enfin sa jonc- les populations voisines qui s'étaient
tion avec Hannon. montrées hostiles, notamment les Nu-
Mais la rivalité des deux chefs vint mides Micatanes , dont ils maltraitè-
paralyser les efforts d'Amilcar; et la rent les femmes et les enfants, et em-
cause de Carthage éprouva d'autre palèrent tous ceux qui tombèrent en-
part des revers répétés; pour comble tre leurs mains.
de malheur, Utique et Hippone-Diar-
Deuxième guerre punique.
rhyte, jusqu'alors inébranlables dans
leur fidélité, ouvrirent leurs portes
aux Libyens ; et ceux-ci, enfin, vin- Dispositions préalables d'An-
rent mettre le siège devant Carthage. nibal. — Dépouillée, par les Romains,
Victoire des Carthaginois et de la Sicile, de la Sardaigne, de la Corse,
fin de la guerre. — Le rappel de de la plage ligurienne, Carthage trou-
Hannon rendit à Amilcar toute sa vait une ample compensation à ces
force; il harcela les assiégeants jus- pertes dans ses conquêtes nouvelles en
qu'à leur faire lâcher prise ; et les in- Hispanie ; mais la jalouse Rome en
surgés ayant mis à ses trousses une prit
armée de 50 000 hommes (où figurait pourombrage,
limites ,prétendit imposer
et réserva mêmel'Èbre
, au
avec les siens le prince libyen Zar- delà, l'indépendance de la grecque Sa-
xas) , il les battit en détail , les attira gonte : Annibal prit Sagonte et la
dans une position désavantageuse , guerre fut rallumée.
en un lieu appelé Priôn , scie , par Le général carthaginois pourvut
allusion à cet instrument; et pendant aussitôt à la sûreté de l'Afrique et de
qu'ils attendaient vainement des se- l'Hispanie en les munissant de garni-
cours de leur camp de Tunis , il les sons échangées entre les deux pays;
réduisit à manger leurs prisonniers et pour l'un , comme au temps de Scy-
leurs esclaves, jusqu'à ce qu'enfin il lax, Carthage commandait en maî-
pût anéantir jusqu'au dernier les tresse depuis la grande Syrte jus-
40 000 hommes qui restaient. qu'aux colonnes d'Hercule ; pour l'au-
Cette victoire valut encore la reddi- tre ,depuis les colonnes d'Hercule
tion d'un grand nombre de villes li- jusqu'aux Pyrénées. Annibal tira de
byennes. Après avoir assuré la sou- cette dernière 16 000 hommes qu'il
mission du pays, Amilcar vint assié- répartit entre Carthage et les places
ger Tunis de deux côtés à la fois ; de la Métagonie, après avoir pris à
mais l'un des camps fut surpris et celles-ci 4 000 fantassins qu'il trans-
Amilcar obligé de faire retraite vers fera dans la capitale, comme otages
l'embouchure du Bagradas. Hannon plus encore que comme défenseurs.
lui ayant amené des renforts, les deux En retour, il fit venir en Hispanie un
généraux , agissant désormais de con- corps de 15 000 hommes dont il n'est
cert, firent éprouver à Mathôs de pas sans intérêt de rappeler ici la com-
fréquents revers , soit auprès de Lep- positionl'infanterie
: présentait un ef-
200 L'UNIVERS.

fectif un peu moindre de 12 000 Li- après avec cinquante galères faire une
byens, auxquels iljoignit 300 Liguriens descente à Utique, ravager la campa-
et 500 Baléares ; quant à la cavalerie , gne et enlever des prisonniers. L'an-
la Libye et les villes libo-phénicien- née suivante, les comices voulurent que
nes n'avaient pas fourni 500 hommes ; Lévinus, conservant la Sicile comme
il y avait de plus 300 Lorgites et proconsul, fît encore quelque descente
1800 nomades Massy liens , Massésy- en Afrique, en personne ou par un de
liens, Makiens, et Maures des bords ses lieutenants, soit Messala, soit le
de l'Océan. Lui-même entra en cam- propréteur Lucius Cincius Alimentus ;
pagne avec une puissante armée, dont mais il n'effectua son expédition que
les Libyens et les Numides avaient la seconde année de son proconsulat ;
fourni une part importante. alors il partit avec cent galères , vint
Nous n'avons point à raconter ici débarquer près de Clypéa, poussa ses
les mémorables prouesses du héros excursions au loin dans la campagne
carthaginois conduisant ses éléphants sans trouver d'obstacles, et, chargé de
et ses phalanges africaines à travers les dépouilles, regagna précipitamment ses
frimas des Pyrénées, des Alpes, de vaisseaux pour combattre et vaincre la
l'Apennin,Rome ébranlant flotte carthaginoise envoyée contre lui.
réduisant à la toute l'Italie
dernière et
extré- L'année d'après, proconsul encore, il
mité ;nous n'avons point à dire les aborda
avant sur prèsle d'Utique,
territoire de s'avança fort,
Carthage
exploits des Scipions en Hispanie ;
l'Afrique seule , au point de vue de et ayant recueilli un riche butin, il
son histoire territoriale , a droit de se remit en mer pour battre la flotte
nous occuper. punique qui venait à sa rencontre.
Premières incursions des Ro- Rome se fait des alliés en Afri-
mains.—Le consul CnéusServiliusGé- que. — Mais des courses de pillage sur
minus (*) y lit une première incursion ; le littoral étaient sans portée : pour in-
d'abord il dévasta l'île de Ménix , ran- quiéter sérieusement Carthage en Afri-
çonna celle de Kerkina , et débarqua que, ilfallait prendre pied sur ce con-
ensuite sur le continent pour y faire tinentRome
; n'avait point négligé de
le dégât; mais il fut enveloppé, per- s'y ménager des alliances dans ce but.
dit 1000 hommes avec son questeur Entre les possessions puniques et les
Sempronius Blésus, et fut contraint Maures daient voisins
à une honteuse fuite; dans la traver- les deux depuissants
l'Hispanie s'éten-
royaumes
sée de retour, il prit la petite île de numides des Massésyliens et des Mas-
Kossyra, où il laissa garnison, et syliens, états rivaux se disputant la
rentré à Lilybée, il remit le comman- possession d'une province enlevée à
dement de la flotte au préteur Titus Carthage, l'un ayant pour roi Syphax
Otacilius, le même qui deux ans après dont la capitale était Siga, l'autre ap-
vint faire une descente sur les côtes partenant Gala
à et ayant pour capi-
carthaginoises qu'il dévasta, et trois tale peut-être la royale Hippone. Les
ans plus tard reparut avec quatre- Romains ayant gagné Syphax, les Car-
vingts galères devant Utique , enleva thaginois excitèrent contre lui Gala ,
dans le port même cent trente navires qui envoya son jeune fils Massinissa le
chargés de grains , ravagea les envi- combattre et le vaincre à deux repri-
rons ,et revint en Sicile avec un im- ses ;cependant Syphax se releva de sa
mense butin, fruit d'une simple croi- double défaite et obtint quelques avan-
sière de trois jours. tages contre les Carthaginois, pendant
A son exemple , Marcus Valérius que Massinissa faisait la guerre pour
Messala, envoyé par le consul Marcus eux en Hispanie , où l'avait accompa-
Valérius Lévinus (**) , vint deux ans gné son neveu le jeune Massiva.
Massiva ayant été fait prisonnier
n(*) L'an
V 217
L'an 210
avant l'ère vulgaire.
avant l'ère vulgaire.
dans une rencontre, Scipion le ren-
voya sans rançon et comblé de pré-
201
AFRIQUE ANCIENNE.
sents à son oncle, qui fut vivement étant devenue nombreuse , moins ce-
touché de cet acte de générosité , et pendant qu'il ne l'avait espéré, il mar-
résolut peut-être dès lors d'embrasser cha contre Lacumacès, qu'il atteignit
le parti des Romains. On peut croire près de Thapsus au moment où ce
toutefois que ses dispositions à cet prince partait pour aller joindre Sy-
égard furent principalement détermi- phax Massinissa
; s'empara de la ville,
nées par le désir de s'assurer, au reçut à merci les cavaliers royaux qui
moyen de leur alliance, la possession se rendirent, tailla en pièces ceux qui
future d'un trône qui venait de lui voulurent résister ; mais le gros de
échapper par l'avènement de son oncle l'armée ainsi que le jeune roi parvin-
Ésalcès, plus favorisé que lui-même rent às'échapper pendant la mêlée et
des Carthaginois, lesquels avaient ci- rejoignirent Syphax. Ce premier suc-
menté leur amitié en faisant épouser cès ayant grossi les forces de Massi-
au nouveau roi une nièce du grand nissa, ilput tenir tête à Mézétule mal-
Annibal. Quoi qu'il en soit, Massi- gré les renforts que Lacumacès avait
nissa fit de premières ouvertures au obtenus de Syphax; il leur livra ba-
propréteur Marcus Silanus, puis il eut tail eles
, défit, les obligea à se réfu-
avec Scipion lui-même une entrevue gier sur les terres de Carthage , et re-
secrète, dans laquelle il insista vive- couvra ainsi le royaume de ses pères;
vement peur que la guerre fut portée mais sentant qu'il allait avoir Syphax
en Afrique, où il était né, où il avait sur les bras , il se hâta de faire à ses
été élevé dans l'attente d'un trône, et compétiteurs défavorables conditions,
où il pourrait montrer aux Romains et les rallia ainsi à son parti.
que jamais ils n'avaient eu d'ami aussi Syphax en effet, adroitement excité
dévoué que lui. Après s'être engagé par les Carthaginois à occuper sur-le-
mutuellement leur foi , les deux chefs champ en maître le territoire qui avait
se séparèrent, et bientôt Scipion se été l'objet de contestations opiniâtres
rendit à Rome pour obtenir le consu- entre Gala et lui, fondit sur les Mas-
lat, et Massinissa fut rappelé en Afri- syliens, etforça Massinissa à fuir dans
que par le soin de ses propres affaires. les montagnes avec un petit nombre
Massinissa recouvre son royau- de cavaliers et quelques familles em-
me et le reperd. — Il avait d'abord portant leurs tentes et chassant de-
reçu la nouvelle que son oncle Ésalcès vant elles leurs troupeaux : les habi-
était mort, et que son cousin Capusa, tants ,dit Tite-Live , appellent ces
fils aîné du défunt, avait été proclamé montagnes Balbum,la soit que l'histo-
roi à sa place; bientôt il apprit que Ca- rien latin traduise signification du
pusa avait été tué dans un combat con- mot indigène, soit qu'il en reproduise
tre Mézétule, autre prétendant, qui tou- simplement l'émission phonétique. Un
tefois n'avait osé prendre le sceptre lieutenant de Syphax, chargé d'une
qu'à titre de tuteur du jeune Lacuma- expédition dans ces gorges étroites,
cès frère de Capusa, tout en cherchant poursuit Massinissa de retraite en re-
à consolider son usurpation, d'un côté traitel'atteint
, et le blesse auprès de
par l'alliancedes Carthaginois au moyen Clypéa, et perd enfin sa trace au pas-
de son mariage avec la veuve d'Ésal- sage d'un torrent où le prince s'est jeté
cès nièce d'Annibal , et d'un autre et doit avoir péri Mais une ca-
côté verne cache le monarque blessé , qui
envoyapardes l'alliance de Syphax, à qui il
ambassadeurs. bientôt rétabli reparaît au milieu des
Massinissa ne perdit pas un instant: Massyliens enthousiasmés, reprend son
il passa en Mauritanie, et obtint du roi royaume, ravage les terres de ses voi-
Bocchar 4 000 cavaliers à titre d'escorte sins ,vient se faire battre entre Hip-
jusqu'aux frontières de la Numidie des pone et Cirta par son heureux com-
Massyliens, où cinq cents de ses par- pétiteur, et va chercher un refuge au
tisans, prévenus de son arrivée, vin- fond de la petite Syrte, dans le canton
rent le recevoir; bientôt son armée situé entre les comptoirs puniques et
202 L'UNIVERS.
les Garamantes, où i) attendit avec une absence de sept jours seulement,
confiance des jours meilleurs. assiéger Utique par terre et par mer.
Arrivée de Scipion. — Tel était L'arrivée de Syphax et d* Asdrubal le
l'état des choses quand le consul Sci- détermine à lever le siège après qua-
pion (*), préparant en Sicile une ex- rante jours d'efforts inutiles, et à s'al-
pédition décisive contre Carthage, en- ler retrancher pour l'hiver sur un pro-
voya Caius Lélius avec une escadre montoire qu'un isthme étroit unissait
courir les côtes et sonder le terrain ; au continent; ce lieu en prit le nom
celui-ci débarqua à Hippone-Royale , de Castra Cornélia, sous lequel on le
fit le dégât dans les environs , eut voit figurer dans les itinéraires.
une entrevue avec Massinissa , et re- Premiers succès de Scipion. —
partit chargé de butin , pendant que Après quelques pourparlers sans ré-
les Carthaginois effrayés s'empres- sultat, Syphax se porta sur la ville de
ïholonte où les Romains avaient de
saient d'acheter, au prix de la main de
la belle Sophonisbe , la renonciation grands approvisionnements, et l'enleva
ouverte de Syphax à l'alliance ro- par surprise. Mais Scipion (*), dans
maine ,et tentaient de gagner égale- une expédition nocturne , se dirige
ment Massinissa , qui feignit de s'y silencieusement vers le camp d'As-
prêter et vint avec ses cavaliers éta- drubal, distant de soixante stades en-
blir son camp auprès d'Utique. Enfin viron, ou plus de sept milles, pour
Scipion, à qui Rome avait laissé, avec aller y mettre le feu, pendant que Lé-
le titre de proconsul , la province de lius se joint à Massinissa pour incen-
Sicile et le soin de la guerre d'Afrique, dier celui de Syphax ; profitant du tu-
mit en mer avec une flotte bien équi- multe et de l'effroi que cause de part
pée et de nombreuses troupes de dé- et d'autre cet embrasement, les assail-
barquement; après une journée et une lants font un épouvantable carnage et
nuit brumeuses, le soleil dissipa les demeurent bientôt maîtres des deux
nuages et !e vent fraîchit ; on aperçut camps : Syphax s'enfuit à huit milles
la terre à cinq mille pas, c'était le pro- de là, dans une position mieux défen-
montoire de Mercure: « Allons plus due; Asdrubal se réfugie avec 500
loin », dit Scipion. Le vent tomba, la cavaliers seulement dans la ville d'Au-
brume reparut et ne fut dissipée que da, qu'il abandonne presque aussitôt,
le lendemain au lever du soleil ; on et qui ouvre ses portes à Scipion ,
revit la terre , c'était le Beau promon- dont les soldats enlèvent et saccagent
toire :« Bon augure ! dit Scipion; dé- deux autres villes du voisinage , puis
barquons ici. » il revient au sesiègehâte
d'Utique.
Asdrubal de recruter de
Il établit d'abord son camp sur les
hauteurs les plus voisines , envoie sa nouvelles troupes ; Syphax , retiré à
flotte vers Utique , et prend la même Abba, y rallie tout ce qui lui reste de
route par les coteaux peu éloignés du soldats, fait de nouvelles levées, reçoit
rivage, s'empare chemin faisant de un renfort de Celtibériens qui arri-
quelques places, est rejoint par Mas- vaient de l'Hispanie , et les deux ar-
sinissa avec 2 000 cavaliers numides, mées réunies établissent ieur camp
ravage la campagne, occupe la ville dans ce qu'on appelait les Grandes
libyenne de Lokha dont le nom est Plaines, c'est-à-dire dans le canton
resté au village actuel d'El-Ouqâ, et arrosé par le fleuve Tusca, et qu'on ap-
vient camper à un mille d'Utique ; pelle encore la campagne de Boll ; Sci-
puis il va, à quinze milles de son camp, pion, partant d'Utique, arrive en cinq
tomber sur un corps de 4 à 5 000 ca- journées , campe d'abord à trente sta-
valiers cantonnés à Salera , qu'il em- des ou quatre milles de l'ennemi, puis
porte, dévaste les alentours, prend il s'en rapproche jusqu'à sept stades ;
quelques autres places, et revient, après enfin, après quelques escarmouches, la

(*) L'an 2o5 avant l'ère vulgaire. (*) L'an 2o3 avant l'ère vulgaire.
203
AFRIQUE ANCIENNE.

bataille s'engage, et Scipion remporte tion de Syphax : le sénat confirma tou-


une victoire complète qui force Syphax tes les dispositions de Scipion à cet
à regagner ses états et Asdrubal à re- égard , et combla de présents les am-
tourner àCarthage. Scipion alors en- bassadeurs que Massinissa avait en-
voie Lélius et Massinissa à la poursuite voyés àRome.
Victoire décisive de Scipion
de Syphax, et lui-même subjugue le
sur Annibal; fin de la guerre.
prenant les places les unes d'as-
pays, saut, — Les Carthaginois ayant intimé se-
le plus grand nombre par capi-
crètement àAnnibal l'ordre de venir
exactions tulation, dont fatiguées
les qu'elles
accablait étaient des
Carthage; défendre l'Afrique , il débarqua à
enfin il se rapproche de cette capitale Leptis
et s'empare de Tunis qui n'en est éloi- mète, où, alla il fit camper auprès d'Adru-
des approvisionnements
gné que de cent vingt stades ou quinze de vivres et de chevaux; il attira à son
milles. Les Carthaginois tentèrent avec parti Tychée chef des nomades Aréa-
leur flotte une diversion sur l'escadre cides, Mézétule qui disposait de 1 000
romaine stationnée devant Utique, cavaliers , et encore Vermina fils et
mais lentement, s'arrêtant en route successeur de Syphax; il s'empara,
au port de Ruscinona, et laissant ainsi tant par capitulation que par la force
aux Romains le temps défaire avorter des armes, de plusieurs villes du do-
cette attaque. Scipion de son côté fit maine de Massinissa, et il employa
une tentative contre Utique, puis con- même la trahison pour se rendre maî-
tre Hippone-Diarrhyte , sans réussir tre de celle de Narkê; puis il se porta
vers Zama , distante de cinq journées
d'une
brûla ses part machines plus que et de retourna
l'autre; alors
à Tu-il
nis. de
eut route
là un àengagement l'égard de de Carthage : ilouy
cavalerie
Expédition de Lélius et de
les Romains obtinrent l'avantage.
Massinissa en Numidie. — Cepen- Scipion de son côté courant la cam-
dant Lélius et Massinissa, arrivés en pagne, saccageait les villes , ne rece-
Numidie , trouvèrent les Massyliens vant pas même à composition celles
empressés de reconnaître leur roi lé- qui voulaient se rendre. Après avoir
gitime et d'expulser les gouverneurs emporté la grande ville de Parthos et
et officiers de Syphax, en sorte que reçu des renforts de Massinissa, il alla
celui-ci se trouva restreint à ses an- s'établir près de Naraggara , où il at-
ciennes limites ; mais , stimulé par tendit Annibal , qui lui avait fait de-
Sophonisbe et par Asdrubal , il leva mander une entrevue ; le général car-
de nouvelles troupes , marcha contre thaginois vint alors camper à quatre
l'ennemi, fut battu et fait prisonnier : milles de Scipion , tout près de Killa.
la plus grande partie de son armée Les deux chefs n'ayant pu s'accorder,
s'enfuit à Cirta dont il avait fait sa on en vint aux mains ; la victoire resta
capitale. Massinissa s'y rendit aussi- à Scipion , et Annibal , après avoir
tôt, emmenant avec lui ce prince en- vaillamment combattu, se réfugia avec
chaîné, et la ville ouvrit immédiate- une poignée des siens dans la ville de
ment ses portes. Nous n'avons point Thon, d'où il passa à Adrumète, fai-
à rappeler ici l'épisode touchant de sant àcheval en deux jours et deux
Sophonisbe, si jeune et si belle, qui ne nuits une route de près de trois mille
put échapper que par le poison à l'op- stades. Ayant rallié 6 000 fantassins
et 500 cavaliers, il se porta sur la ville
décerna probre d'orner un triomphe.
solennellement Scipion
à Massinissa de Marthama; mais il fut rappelé à
le titre de roi , en lui donnant la cou- Carthage par suite des négociations
ronne et la coupe d'or, le trône et le pour la paix.
sceptre d'ivoire , la robe et la tunique Après avoir marché à la rencontre
de pourpre à palmes d'or dont on dé- de Vermina qui venait au secours des
corait les triomphateurs, et lui fit es- Carthaginois, et lui avoir taillé en piè-
pérer toute la Numidie après l'exécu- ces 15 000 hommes, Scipion rentra à
204 L'UNIVERS.

Tunis pour y recevoir les soumissions ces fossés ne sont mentionnés que par
des vaincus ; les conditions de la paix lui, et par un fragment de la Périégèse
furent ainsi réglées : que les Carthagi- perdue d'Eumaque, conservé par Phlé-
nois demeureraient libres, conservant gon de Tralles, sans indication de
leurs lois et la possession des villes leur situation. Pline aussi nous parle
de leur territoire en dedans des limites d'un fossé que le jeune Scipion établit
existantes avant la guerre, évacuant pour limite entre les possessions ro-
toutes les villes en dehors de ces limi- maines et celles des rois numides, et
tes, et leur rendant leurs otages; qu'ils il est probable qu'il s'agit , au moins
livreraient tous les prisonniers et en partie , de la même ligne de dé-
transfuges, tous leurs éléphants, tou- marcation; mais nous ne sommes
tes leurs galères, sauf dix trirèmes guère mieux instruits de la situation
seulement ; qu'ils ne feraient aucune précise de celle-ci. Quoi qu'il en soit,
guerre, soit en Afrique, soit au dehors, nous pouvons admettre, sans crainte
sans l'autorisation de Rome ; qu'ils d'erreur grave, que les Carthaginois
rendraient à Massinissa tout ce qu'ils prétendaient posséder tout le terri-
lui avaient enlevé, et s'allieraient à lui ; toire compris entre Thabraca et Thè-
qu'ils fourniraient les vivres et la solde nes; que Massinissa avait sans con-
de l'armée jusqu'au retour des ambas- testation lacontrée qui s'étendait au
sadeurs àdéputer au sénat ; qu'ils delà de ces limites jusqu'à la CyrénaS
paveraient 10 000 talents euboïques , que d'une part, et d'autre part au
donneraient cent otages, et restitue- moins jusques et y compris la royale
raient toutes leurs prises. Cirta; sauf les prétentions puniques
Rome ayant décerné de pleins pou- sur quelques villes du littoral, et les
voirs à Scipion (*), la paix fut ainsi prétentions de Massinissa sur une
définitivement conclue. Le proconsul bonne partie du territoire occupé par
ajouta aux états que Massinissa te- les Carthaginois et dont la restitution
nait en héritage de ses pères, la ville était stipulée. Le domaine de Ver-
de Cirta et toutes les autres places et mina, assez vaste encore, se poursui-
territoires qui avaient été enlevés à vait àl'ouest du royaume de Massi-
Syphax par les armes romaines , le nissa jusqu'à la Mauritanie, c'est-à-dire,
surplus demeurant au pouvoir de Ver- suivant toute apparence, jusqu'au fleu-
ve Molochath au couchant du Malua,
mina. Puisà ilRome
recevoir quittales
l'Afrique et vint
honneurs du où commençait le royaume de Boc-
triomphe. char.
RÉSULTATS DE CETTE GUERRE
QUANT AUX DÉLIMITATIONS TERRITO- Envahissements de Massinissa.
RIALES. — Quelles furent alors les li-
mites où se trouvèrent renfermés les Gouvernement d'Annibal a Car-
Carthaginois, quelles furent celles de thage : révolution parlemen-
Massinissa et celles du fils de Syphax ? TAIRE contre lui. — Le traité qui ve-
La question est plus facile à poser qu'à nait d'être conclu entre Rome et Car-
résoudre. Toutefois il est quelques thage contenait, dans ses dispositions
données générales qui ressortent des en faveur de Massinissa, le germe de
faits que nous venons de résumer, des longues contestations ; car il était évi-
indications subséquentes des géogra- dent qu'un intérêt de conservation de-
phes, et des vait porter Carthage à résister aux ten-
demander aux lumières que ultérieurs.
événements l'on peut
tatives d'agrandissementque l'ambition
Les Carthaginois devaient se renfer- et la confiance en l'appui des Romains
mer, dit Appien, dans le territoire inspireraient au monarque numide : et
ceint par les fossés puniques (**); mais l'on avait ôté à Carthage la faculté de
vider à cet égard sa propre querelle, en
(*) L'an 2or avant noire ère. lui interdisant toute guerre qui n'au-
(**) 'Evtoç tûv <E»oivix(owv xatppwv. rait pas l'assentiment de Rome.
AFRIQUE ANCIENNE. 205
lendemain matin à la tour qui portait
Cependant la présence d'Annibal son nom , entre Acholla et ïhapsus.
dans sa patrie suffisait pour contenir
les prétentions de Massinissa dans les Il se rendit le même jour à l'île de
bornes d'une simple réclamation di- Cercina, et remit en mer la nuit sui-
vante pour aller chercher un asile au-
plomatiquel'illustre
: stratège , resté
a la tête de l'armée carthaginoise, près d'Antiochus de Syrie qui prépa-
partageait avec son frère Magon le rait la guerre aux Romains.
soin de maintenir l'Afrique dans le Massinissa se met en posses-
devoir. Mais bientôt Rome en témoi- sion des Emporia. — Au milieu
gna de l'ombrage. Le parti populaire des préoccupations nouvelles excitées
était alors assez puissant encore pour par cet événement inattendu, la ques-
lutter contre le servilisme qui envahis- tion de limites qui avait servi de pré-
sait le sénat punique; et ce ne fut texte àla venue des commissaires,
qu'après trois ans d'efforts que les fut probablement oubliée ; tandis que
deux factions que l'on appelait ro- Massinissa, enhardi par les mauvai-
maine et royale parvinrent à faire pro- ses dispositions des Romains contre
noncer le rappel d'Annibal et de Ma- les Carthaginois, et favorisé en même
gon: ce ne fut même qu'un succès temps par les dissensions intestines
momentané , car le parti patriote re- de ceux-ci , prit le parti d'envahir
gagna presque aussitôt l'avantage en le territoire qu'il convoitait, soumit à
portant Annibal à la suprême magis- son autorité quelques-unes des villes
tributaires de Carthage, et dévasta
trature (*). Le grand homme s'y mon-
tra plus menses
redoutable encore refluer
réformes faisant , et d'im-
au tout le pays : il s'agissait, nous dit
Tite-Live, de la contrée maritime ap-
trésor, pour l'acquittement des char- pelée Emporia, bordée à la fois, d'un
ges publiques , les richesses dont l'a- côté, par la petite
une campagne Syrte,etdeconstituant,
fertile, l'autre par
ristocratie avait seule jusqu'alors abu-
sivement profité , on vit Carthage se sous le nom de Leptis, une cité uni-
refaire de ses pertes avec une merveil- que (*) qui payait à sa métropole l'é-
leuse rapidité, se créer des ressources norme tribut d'un talent par jour.
nouvelles , et redevenir pour Rome Carthage envoya à Rome des am-
une rivale d'autant plus formidable bassadeurs (**) pour se plaindre de
qu'elle semblait se ménager des allian- cette violation des limites fixées par
ces étrangères. Scipion : limites, disaient-ils, que Mas-
Aussi des ambassadeurs romains sinissa avait bien reconnues et respec-
arrivèrent-ils à Carthage sous le pré- tées, alors que, poursuivant le nu-
texte de terminer par voie de concilia- mide Aphir ou Aphtérate dans sa fuite
tion les discussions soulevées par les vers Cyrène, il s'était cru obligé de
réclamations de Massinissa , mais en demander et s'était vu refuser par les
réalité pour favoriser une révolution Carthaginois le passage qu'il avait re-
parlementaire contre Annibal, et ob- vendiqué depuis. Mais des envoyés nu-
tenir l'extradition de leur implacable mides étaient aussi venus pour répon-
ennemi. Il leur échappa toutefois en dre à ces griefs : ils accusèrent les
s'exilant volontairement de son in-
grate patrie : averti de leurs menées, (*) C'est ainsi , suivant nous , qu'il faut
il fit secrètement disposer des relais entendre ce passage de Tite-Live : « Empo-
« ria vocant eam regionem ; . . . . una civitas
pendant qu'il affectait de se montrer « ejiiSjLeptis. » Les traducteurs, qui oublient
toute la journée exclusivement occupé
des affaires publiques ; et le soir il trop souvent la valeur du mot c'witas (corps
partit furtivement ; il fit une telle politique ) , font dire au Padouan qu'il
n'y avait en ce pays que la seule ville de
diligence, qu'après avoir traversé une Leptis ! tandis que Polybe assure au con-
partie du territoire Vocan, il arriva le
villes. traire qu'il y avait un grand nombre de
(*) L'an 197 avant l'ère vulgaire. (**) L'an 193 avant l'ère vulgaire.
206 L'UNIVERS.
Carthaginois de mensonge en ce qui très nations ibériennes , chargèrent
concernait les limites fixées par Sci- leur boëtharque (*) Carthalon de pro-
pion : que si l'on voulait remonter à fiter de sa tournée dans les provinces
l'origine des droits respectifs, Car- puniques pour reprendre aux Numides
tilage disaient-ils
, , n'aurait d'autre la contrée envahie : les hostilités, sou-
domaine que l'espace mesuré par les tenues de part et d'autre avec ardeur,
lanières de la fameuse peau de bœuf; durèrent jusqu'à ce que de nouveaux
tout ce qu'elle possédait au delà, elle commissaires romains vinrent y met-
l'avait usurpé ; mais si l'on voulait se tre un terme en adjugeant à Massi-
borner à la question actuelle , il était nissa leterritoire dont il s'était em-
certain que la possession du territoire paré ,remettant en compensation aux
en litige, loin d'avoir constamment Carthaginois les cent otages que
appartenu aux Carthaginois, avait au Rome avait jusqu'alors retenus.
contraire flotté sans cesse entre eux et Massinissa s'empare des Gran-
les rois numides, au gré de la fortune des Plaines. — Après un autre laps
des armes ; et il convenait de ne rien de dix années (**),Rome eut encore à in-
changer à cet ordre de choses. tervenir dans une troisième contesta-
Rome délégua trois nouveaux com- tion de territoire, suscitée par les em-
missaires, parmi lesquels était Scipion piétements continuels de Massinissa:
lui-même , pour aller régler cette af- c'était maintenant les Grandes Plaines,
faire sur les lieux; mais après exa- c'est-à-dire le district de Tusca , qu'il
men, les envoyés romains aimèrent avait envahi , et où il s'était , depuis
mieux laisser la question indécise que deux ans, rendu maître de plus de
de prononcer un jugement qui eût soixante-dix villes et châteaux. Les
Carthaginois renouvelèrent avec force
dantes : et l'une
mécontenté Massinissa des parties
demeuraconten-
ainsi leurs plaintes devant le sénat romain,
provisoirement maître de fait du pays et demandèrent avec instance ou qu'on
dont il s'était emparé.
Massinissa reprend un canton leur fît justice ou qu'on leur laissât
vider par les armes leur propre que-
jadis conquis par son père. — relle; ou du moins, si l'injustice devait
Dix ans après (*), de nouvelles que- prévaloir contre eux , que Rome elle-
relles de territoire furent provoquées même fixât une fois pour toutes la part
par d'autres envahissements de Mas- qu'il fallait faire à leur insatiable voi-
sinissa. Cette fois , il s'agissait d'un sin. Gulussa , fils du monarque nu-
canton jadis enlevé aux Carthaginois mide, arrivé en même temps que l'am-
par son père Gala, puis conquis sur bassade punique , essaya de conjurer
Gala par Syphax, et restitué par celui- l'orage , mais n'y réussit qu'à demi :
ci aux Carthaginois en considération il fut ordonné que les parties conten-
de son beau-père Asdrubal ; Massinissa dantes enverraient des délégués spé-
le reprit à main armée, et opposa aux ciaux pour discuter cette affaire, non
plaintes des Carthaginois le double dans la vue d'établir de nouvelles li-
titre de son droit héréditaire et de sa mites, mais bien de s'en tenir aux an-
possession effective. Des commissaires ciennes, sans faire perdre aux Cartha-
romains furent encore envoyés, et ginois pendant la paix ce que la guerre
maintinrent le statu quo si favorable ne leur avait pas enlevé.
à leur allié, réservant au sénat le droit Gulussa revint avec les pouvoirs de
de rendre une décision définitive. Les Massinissa , et son premier soin fut
Carthaginois, de leur côté, jugeant de suggérer des craintes sur l'usage
opportun un moment où les Romains que pourraient faire ultérieurement
avaient sur les bras la guerre contre les Carthaginois, des forces navales
les Celtibériens , pendant que Massi- qu'ils étaient censés préparer pour ser-
nissa lui-même était harcelé par d'au-
(*) Commandant des auxiliaires;
(*) L'aa 18a avant l'ère vulgaire. (**) L'an 172 avant l'ère vulgaire.
207
AFRIQUE ANCIENNE.
tir les Romains dans leur guerre de moyennant l'abandon que ferait Mas-
Macédoine ; en sorte que la question sinissa du territoire contesté; mais
des limites à débattre entre lui et les Giscon fils d'Amilcar, qui était alors
envoyés de Carthage ne se présenta revêtu de la suprême magistrature,
plus avec la même faveur. Comme voyant le sénat disposé à souscrire à
dans les précédentes contestations, ces conditions, souleva si bien par son
rien ne fut décidé, sinon que le statu éloquence l'indignation
triote contre les factionsduromaine
parti pa-
et
quo
de nouveauxserait maintenu commissaires jusqu'à ce que
fussent al- royale, que les envoyés de Rome eux-
lés régler le différend sur les lieux ; et mêmes eussent couru quelque danger
l'on prit soin de traîner l'affaire en s'il n'eût assuré leur fuite ; quant aux
longueur pour donner à Massinissa le royalistes , il y en eut quarante d'ex-
temps de consolider sa possession. pulsés, avec serment de ne jamais souf-
Enfin, après de longues années d'at- frir qu'il fût fait aucune motion pour
tente, les commissaires furent dési- leur retour ; ils allèrent chercher asile
gnés (*) , et l'un d'eux fut le farouche auprès de Massinissa , avec la résolu-
Marcus Caton , l'ennemi acharné de tion de le pousser à la guerre.
Carthage: arrivés sur les lieux, ils de- Gulussa vint à Rome pour dénon-
mandèrent que la décision du litige cer que l'on faisait à Carthage des le-
fût entièrement abandonnée à leur dis- vées de troupes , qu'on y armait une
crétion : Massinissa, sûr d'être favo- flotte, et qu'il n'était pas douteux
risé ,s'y prêtait volontiers ; mais les ifu'on n'y méditât la guerre : Caton,
Carthaginois , instruits à leurs pro- suivant sa coutume, fit valoir ces ar-
pres dépens de la partialité de Rome, guments; mais Scipion Nasica insista
insistèrent pour l'exécution pure et pour qu'on ne fît rien légèrement, dt
simple du traité fait sous l'autorité de une nouvelle commission de dix mem-
Scipion : aussi les commissaires s'en bres fut désignée pour aller vérifier
retournèrent-ils sans avoir rien fait, l'état des choses. Massinissa voulut
mais frappés de la richesse du pays, que ses fils Gulussa et Micipsa accom-
de l'opulence et de l'agrandissement pagnassent les envoyés romains , afin
de la ville, et depuis lors Caton ne de demander le rappel des quarante
cessa de prêcher hautement la guerre exilés ; mais le boëtharque qui cam-
contre Carthage. pait aux portes de la ville en interdit
Préparatifs de guerre de Car- l'entrée
thage. — Une grosse armée numide embuscadeauxleur princes numides
fut même ; uneà
dressée
commandée par Archobarzanes petit- leur retour, et Gulussa n'y échappa
fils de Syphax se trouvant rassemblée qu'en perdant plusieurs personnes de
sur les frontières puniques, Caton s'é- sa suite.
cria que ces forces, réunies en apparence Les commissaires, de retour à Rome,
contre Massinissa , l'étaient en réalité où Gulussa se rendit avec eux, attestè-
contre les Romains , et que c'était rent qu'en effet il existait à Carthage
pour ceux-ci un juste motif de com- une armée et une flotte; Caton et d'au-
mencer les hostilités; mais Scipion tres sénateurs opinèrent pour qu'on
Nasica s'y étant opposé , on résolut transportât aussitôt une armée ro-
d'envoyer des commissaires chargés maine en Afrique ; mais sur l'avis de
de s'assurer des faits , et Scipion fut Scipion , qu'ilsuffisante
n'y avait depoint encore
du nombre (**) : après avoir reproché là une cause guerre , il
au sénat carthaginois d'avoir levé une fut décidé qu'on y renoncerait si Car-
armée et équipé une flotte contraire- thage consentait à licencier son armée
ment aux traités , ils voulurent ame- et à brûler sa flotte, sans quoi les pro-
ner la paix entre les deux parties chains consuls auraient à s'occuper de
la guerre.
Massinissa prend Oroscopa et
(*) L'an îS'j avant l'ère vulgaire.
(**) L'an i52 avant l'ère vulgaire. taille en pièces les carthagi-
208 L'UNIVERS,

nois.— Sur ces entrefaites, Massinissa exact des nouvelles limites qui sépa-
vint assiéger la place d'Oroscopa, qu'il raient àcet instant le domaine puni-
désiraitréunir encore à ses usurpations, que des États de Massinissa , on se
sans s'inquiéter davantage des traités. rappellera les envahissements succes-
Le boëtharque Asdrubal marcha aussi- sifs du monarque numide au sud et à
tôt contre lui avec 25 000 hommes de
l'ouest de Carthage , et l'on reconnaî-
pied et 4 000 cavaliers urbains, et il tra ,dès l'abord , qu'il s'était mis en
fut bientôt renforcé de 6 000 cava- possession de toute la Byzacène, et de
tout le pays des Grandes Plaines ou
sis et liers
de numides
Suba, pardeux
la défection d'Osa-
des généraux de de Tusca , probablement jusqu'auprès
Massinissa ; il eut d'abord l'avantage d'Hippone-Diarrhyte, sans parler de
dans quelques escarmouches ; mais quelques autres points douteux ou
Massinissa , se retirant à dessein de- moins connus. Quant à ceux-ci , on
vant lui , le conduisit ainsi jusqu'à une peut , du moins en ce qui concerne les
grande plaine aride entourée de colli- cantons jadis enlevés à Carthage par
nes abruptes ; c'est là qu'à la vue de Gala , à Gala par Syphax , à Syphax
Scipion Émilien qui venait alors lui par Massinissa, puis repris par Syphax
demander au nom de Lucullus un ren- et rendus à Carthage , et repris enfin
fort d'éléphants pour l'armée de Celti- de nouveau par Massinissa , penser
bérie (*), le vieux monarque numide , avec quelque
agile encore malgré ses quatre-vingts pagne au nord raison
de la que c'était puisque
Byzacène, la cam-
ans , livra aux Carthaginois une ba- nous avons vu précédemment Massi-
taille meurtrière et prolongée, où il nissa, vaincu par Syphax dans la lutte
eut le principal avantage. Instruits de relative à la possession de ce terri-
la présence de Scipion , les Carthagi- toire ,se retirer sur le mont Balbum
nois réclamèrent sa médiation pour et dans le voisinage de Clypéa, c'est-
terminer enfin par un traité de paix à-dire jusque dans la grande presqu'île
une si longue querelle; ils consen- du Les
cap états d'Hermès.
taient à abandonner sans retour, à de Massinissa avaient dû
leur compétiteur, le district appelé s'agrandir considérablement aussi du
Emporta , à lui payer mille talents côté opposé , car, en admettant que
d'argent ; le roi numide exigea qu'on Vermina, fils de Syphax, eût gardé jus-
lui livrât en outre les transfuges, et qu'à sa mort sans contestation nou-
cette condition fit rompre aussitôt velle le sceptre des Massésyliens , il
les négociations; mais un peu plus est certain qu'Archobarzanes, petit-
tard Asdrubal, bloqué, affamé, réduit fils de Syphax, s'étant montré dans
à l'extrémité par la disette, la chaleur ces derniers temps l'allié de Carthage
et les maladies, consentit à tout, la contre Massinissa, dut subir les vicis-
reddition des transfuges , la rentrée situdes dela cause qu'il avait embras-
des quarante exilés, le payement d'une sée, et se voir dépouillé de son royaume
rançon de cinq mille talents en cin- par l'heureux rival de sa famille : aussi
quante années , l'abandon de ses ar- Appien énonce-t-il que les états de
mes; puis le vindicatif Gulussa tomba Massinissa touchaient d'une part à la
sur cette troupe désarmée, et Carthage Mauritanie voisine de l'Océan , et de
revit à peine quelques soldats , des l'autre à la Cyrénaïque. Mais quant à
58 000 hommes qu'avait eus Asdrubal. la limite précise entre la JNumidie et la
Alors éclata la troisième guerre pu- Mauritanie , on peut se demander si
nique. elle était restée au Molochath comme
Nouvelles délimitations ter- au temps où Syphax régnait à Siga , ou
ritoriales RÉSULTANT DES ENVA- si elle avait été transportée au Mulu-
HISSEMENTS de Massinissa. — En cha, où nous la trouverons prochaine-
cherchant à se rendre un compte ment indiquée ; la postérité de Syphax
ayant dû être dépouillée dans les der-
(*) L'au i5o avant l'ère vulgaire. niers temps du règne de Massinissa ,
509
AFRIQUE ANCIENNE.
on peut supposer que le roi de Mau- bal, occupant tout le reste de l'Afrique,
ritanie Bocchus y aura concouru pour dirigeait sur Carthage de nombreux
convois. Les consuls Jurent repoussés
sa part et à son profit, en s'emparant
du canton de Siga et s'avançant jus- au premier assaut qu'ils voulurent
qu'au JMulucha tenter, et ils éprouvèrent encore di-
tard avoir été la, limite
qu'il déclarera
commune plus
en- vers échecs partiels ; harcelée journel-
tre lui et Micipsa. lement par la cavalerie d'Asdrubal, qui
On peut se former ainsi une idée avait établi son camp à Néphéris , à
assez juste des conditions territoria- 180 stades de Carthage, l'armée ro-
les au milieu desquelles allait surve- maine se trouva plus d'une fois dans
nir la reprise des hostilités. une position difficile , dont elle fut ti-
réebileté
chaque fois par
de Scipion la bravoure
Émilien, alors et l'ha-
tribun.
Troisième guerre punique.
Premières opérations de la grande Ce jeune seigneur s'acquit ainsi une
réputation tant parmi les siens
guerre. — En prenant les armes sans que chez l'ennemi ; et le vieux Massi-
la permission de Rome pour repousser nissa ,qui voyait en lui le fils adoptif
les agressions de Massinissa, Carthage de son premier protecteur , l'investit
avait contrevenu aux conditions du en mourant du droit de régler le par-
traité que lui avait imposé sa rivale ; tage de sa succession entre ses enfants.
et elle redoutait maintenant d'autant Scipion adjugea à Micipsa le gouverne-
plus le courroux des Romains, qu'elle ment politique, avec la possessiowde la
venait d'éprouver des revers, et qu'Uti- royale Cirta; il attribua à Mastanabal
que abandonnait sa cause pour se don- le pouvoir judiciaire ; et il réserva le
ner à ses implacables ennemis. Elle commandement des troupes à Gulussa,
essaya de conjurer l'orage en offrant qu'il ramena avec lui et un corps de
satisfaction au sénat de Rome ; les con- cavalerie numide au camp des Romains
suls Lucius Marcius Censorinus et devant Carthage.
Marcus Manilius Nepos (*) furent en- Peu de succès des consuls Ma-
voyés en forces à U tique pour en dic- nilius et Calpurnius. — Pour
ter les conditions, pendant que trois laver la honte d'un premier échec
cents otages étaient exigés comme gage reçu devant Néphéris qu'il avait im-
préalable d'obéissance. prudemment attaquée, Manilius vou-
ges, les consuls se firentAprès
livrercestoutes
ota- lut alors faire contre cette place une
les armes , puis ils exigèrent l'abandon nouvelle tentative ; il emporta pour
de Carthage elle-même ; ce fut le signal quinze jours tle vivres, et alla établir
son camp dans le voisinage; mais il
d'une tentative deAsdrubal
Le boëtharque défense désespérée.
avait réuni n'eut pas plus de succès, et fut obligé
20 000 hommes sur le territoire exté- par le manque de vivres à effectuer
rieurtous
; les citoyens en état de por- sa retraite le dix-septième jour, ayant
ter les armes dans la ville se levèrent à faire en outre trois pénibles journées
en masse et furent placés sous les or- de marche pour regagner son camp de-
dres d'un autre vant Carthage ; et if fallut que l'habi-
Massinissa par Asdrubal,
sa mère; on petit-fils de
travailla leté de Scipion le tirât encore d'em-
jour et nuit à fabriquer de nouvelles barras.
armes , et l'on se trouva en état de De nouveaux consuls ayant été
soutenir vigoureusement un siège , nommés (*), Lucius Calpurnius Piso
d'autant. plus que les Romains ne se Césonius vint prendre le commande-
procuraient qu'à grand'peine des vi- ment de l'armée d'Afrique; mais il ne
vres qu'il leur fallait tirer exclusive- fut point heureux dans ses opérations.
ment d'Adrumète , Saxos , Leptis , Quittant le siège de Carthage , il alla
Achollè et Utique , tandis qu'Asdru- tenter contre Aspis ou Clypéa une

(*) L'an t49 avant Vère Tiilgaire. (*) L'an 148 avant l'ère vulgaire.
14e Livraison. (Afrique ancienne.) 14
210 L'UNIVERS
double attaque par terre et par mer, de détruire, après la victoire , ce que
et fut repoussé; il s'en vengea en sac- l'incendie et les dévastations de la
guerre avaient pu laisser encore de-
rendue àcageantlui. une ville
De làvoisine qui contre
il marcha s'était bout. Rome fut au comble de la joie,
Hippone-Diarrhyte ( ou Hippagreta et le sénat délégua dix commissaires
comme l'appelle Appien) qui profitait pour régler avec Scipion le sort du
de son voisinage d'Utique pour inter- pays conquis. 11 fut résolu que toutes
cepter les convois que celle-ci expé- les villes qui dans cette guerre avaient
diait àl'armée romaine; la place était tenu le parti de Carthage seraient ra-
grande et forte, Calpurnius passa tout sées, et leur territoire donné à celles
l'été à l'assiéger sans succès, et il s'en qui avaient embrassé la cause des Ro-
retourna, sans avoir rien fait, prendre mainsUtique
; obtint ainsi tout le can-
ses quartiers d'hiver à Utique. ton qui s'étendait d'un côté jusqu'à
Pendant ce temps, les Carthaginois, Carthage et de l'autre jusqu'à Hippone-
rassurés parles échecs répétés de leurs Diarrhyte ; le reste fut déclaré tribu-
ennemis et par l'accession de huit cents
cavaliers numides qui abandonnèrent rait taire,
de Romeetil fut unconvenu stratègequ'on
, ou y préteur
enver-
Gulussa pour venir avec leur chef Bi- annuel, comme gouverneur.
Rome se substituait ainsi purement
thyas se ranger à leur parti, s'enhar- et simplement aux Carthaginois dans
dirent àparcourir le pays , à y distri-
buer des garnisons, à se faire des par- la possession de leur domaine d'Afri-
tisans parmi les indigènes ; et le boë- que , tel qu'il se trouvait en dernier
tharque Asdrubal , à qui l'on devait lieu circonscrit par les états des mo-
tous ces avantages, fut élu stratège de narques numides. Peut-être doit-on
la république à la place de l'autre As- penser qu'une partie au moins de la
drubal ,qui fut mis à mort comme Byzacene fut dès lors reprise par Sci-
coupable pion, et que dès lors aussi fut tracé le
son oncle d'intelligences
maternel Gulussa secrètes
, allié avec
des
Romains. fossé de partage qui s'avançait jus-
qu'à ïhènes; peut-être au contraire
Scipion-Émilien détruit Car- est-il permis de croire que la prolon-
thage et réduit son territoire
gation du fossé jusqu'à Thènes est un
en province romaine. — Enlin le fait postérieur à la délimitation adop-
jeune Scipion Émilien fut porté au tée par Scipion, et dont nous rencon-
consulat avant l'âge (*), dans la per- trerons plus tard quelques indices.
suasion que la fin de cgtte guerre lui
était fatalement réservée, et il vint III. CONQUÊTE DE LA NUMIDIE PAR
LES ROMAINS.
prendre le commandement de l'armée
romaine ; il établit son camp devant
Carthage , s'empara dans un premier Guerre de Jugurtha.
assaut du faubourg de Mégara , et fit
ses dispositions pour affamer la place Succession de Micipsa envahie
par un blocus rigoureux; puis il alla par Jugurtha sur Hiemsal et
détruire devant ISéphéris l'armée exté- Adhereal. — La mort de Gulussa
rieure des Carthaginois; et la prise de et de Mastanabal, que la maladie em-
cette ville ayant amené la soumission porta àune époque dont la date ne
de toutes celles du voisinage, tranquille nous est point donnée, laissa Micipsa
désormais de ce côté, il revint presser seul maître des vastes états de son
le siège de Carthage (**), et malgré les père, dont il s'appliqua à continuer
efforts inouïs des assiégés, il emporta l'œuvre; on ne peut oublier com-
enfin la place, défendue pied à pied bien le règne long et brillant de Mas-
avec le courage du désespoir, et acheva sinissa avait eu d'influence sur les
mœurs de son peuple, qu'il sut façon-
(*) L'an 147 avant l'ère vulgaire. ner aux habitudes de la vie agrico-
(**) L'an 146 avant l'ère vulgaire. le; Micipsa, prince ami de la paix et
211
AFRIQUE ANCIENNE.
des arts , poursuivit activement cette Commencements de la guerre
œuvre de civilisation, orna sa capitale de Numidie. — L'habile Jugurtha
d'édifices et d'établissements utiles, y sut acheter la faveur d'un sénat cor-
appela une colonie de Grecs, et la ren- rompu, qui envoya une commission de
dit tellement florissante et peuplée, dix membres faire le partage des états
de Micipsa entre le fils survivant de
qu'elle pouvait mettre en campagne ,
suivant le calcul de Strabon , 20 000 ce monarque et le meurtrier de l'au-
fantassins et 10 000 chevaux. La plaie tre ;et les décemvirs, gagnés à force
de sauterelles racontée par Orose, qui d'or , lotirent Jugurtha de la portion
sous son règne (*) vintcette
anéantir les la plus étendue et la plus puissante,
moissons et causer affreuse la Numidie des Massésyliens depuis le
peste à laquelle succombèrent plus de fleuve Muluchaavoir jusqu'à une établie
limite dès
qui
800 000 Numides, 200 000 Libyens nous semble dû être
de la province d'Afrique, et 30 000 sol- lors près du port de Saldes , laissant
dats romains cantonnés à Utique, fut à Adherbal la plus ornée de villes etd'é-
un coup funeste à de si favorables difices, avec la royale Cirta. Mais l'am-
progrès, et il fallut longtemps sans bition deJugurtha n'est pas satisfaite :
doute pour s'en relever. Peut-être est- il vient piller le domaine d' Adher-
ce dans cette redoutable épidémie que bal , et bientôt envahit ouvertement
périrent et Mastanabal et Gulussa. Le ses états , le bat entre Cirta et la mer,
premier laissait deux enfants , Gauda et vient l'assiéger dans sa capitale. Une
et Jugurtha ; le second un fils , Mas- seconde, une troisième commission
siva , les seuls dont l'histoire ait eu à envoyées de Rome sont gagnées ; Cirta
nous entretenir. Micipsa lui-même eut capitule, et Jugurtha fait massacrer
deux enfants , Adherbal et Hiemsal. aussitôt Adherbal et tous ses adhé-
Tous ces princes eurent des préten- rents. Mais la nouvelle de ces attentats
tions au trône de Numidie. émeut à Rome les classes populaires;
On sait comment le fils adoptif de le tribun Caïus Memmius tonne contre
Micipsa , ce Jugurtha que nous a si les grands que l'or de Jugurtha a cor-
bien fait connaître Salluste, appelé à rompus; laguerre de Numidie est ré-
partager avec ses cousins Adherbal et solue, etle cousu! Lucius Calpurnius
Hiemsal la succession de son bienfai- Piso Restia est envoyé pour la com-
teur, sehâta de faire assassiner Hiem- mander.
Restia signale son entrée en cam-
sal dans sa capitaleThimida(**),et força
Adherbal vaincu à se réfugier à Rome pagne par la prise de quelques villes et
pour y demander protection contre de nombreux captifs; mais bientôt l'or
du Numide achète une paix facile ;
l'usurpateur.
Memmius indigné obtient qu'on ap-
(*) L'an 125 avant l'ère vulgaire. pelle àRome Jugurtha pour démas-
quer les concussionnaires, et Jugurtha
(**) Salluste l'appelle Thirmida; mais tous vient encore semer l'or à pleines mains
les documents ultérieurs s'accordent à écrire dans cette ville vénale : Massiva, fils de
Thimida, Thimida regia, entre autres cette
inscription mutilée :
C. IVLIO REG1NO DECVRIOïf.
Gulussa, qui s'ypour
dresse au sénat obteniraussi,
trouvait s'a-
lui-même
KARTHAG. AED. II VIR QVIW le royaume de Numidie , et Jugurtha
QVENNALICIO. GENTIS SEVERI le fait assassiner. Le sénat alors lui
ordonne de quitter immédiatement
CVRATOR
l'Italie, et le consul Spurius Posthu-
SPLEIÏDIDISSIMAE REIPVBLICAE mius Albinus recommence la guerre;
THIMIDENSIVM REGIORVM. ORD. puis en laisse le soin à son frère Au-
DECVRIONVM EX SPORTVLIS SVIS lus , qui court assiéger Suthul , où
OB MERITA D. D.
étaient les trésors du monarque nu-
* A Caius Julius Reginus, etc. , le caialeur de la mide, et que Paul Orose identifie à
«magnifique république de Thimida royale, »etc. Calama , vulgairement appelée aujour-
14,
212 L'UNIVERS.

d'hui Ghelma ; mais Jugurtha l'attire cagée ; il est battu de nouveau en rase
dans une embuscade au milieu des bois, campagne, se réfugie dans Thala (dont
et le force à capituler aux conditions Grenville Temple croit avoir de nos
les plus honteuses ; l'armée romaine jours retrouvé les ruines à vingt milles
est obligée de passer sous le joug et dans l'est d'Ayédrah , conservant en-
d'évacuer en dix jours la Numidie. core le nom de Tsâiah (*) ; puis il
Succès de Métellus. — Rome l'abandonne pendant que Métellus
ne veut point reconnaître une pa- vient voirl'assiéger , la fumantes
prendre , et
reille convention, et elle charge le sur ses ruines lesrece-
en-
nouveau consul Quintus Cécilius Mé- voyés de Leptis, fille de Sidon et alliée
tellus,plus tard surnommé Numidi- de Rome depuis le commencement de
eus, d'aller reprendre la guerre; il se la guerre, qui venaient lui demander
rend, avec le fameux CaïusMarius pour une garnison ; il leur accorda quatre
lieutenant, dans la province romaine, cohortes de Ligures avec Caïus Annius
où se trouvaient cantonnées les troupes, pour commandant. Jugurtha va alors
recruter chez les Gétules une armée
dont il fallut d'abord relever le moral,
puis entrant en Numidie , il y occupe dont il fait l'éducation militaire; il
d'abord Vacca, le marché le plus re- s'adresse au roi de Mauritanie Boc-
nommé de tout le royaume, très-fré- chus dont il avait épousé une fille,
quentédes marchands italiens ; arrivé l'entraîne dans son parti , et tous deux
sur les bords du Muthul, dans l'ancien s'avancent vers Cirta , sous les murs
domaine d'Adherbal , il y obtient sur de laquelle Métellus vient asseoir et
Jugurtha une victoire signalée, à la fortifier son camp.
suite de laquelle il reçoit les soumis- Marius termine là guerre. —
sions de plusieurs places , et en pre- Sur ces entrefaites , le consulat et la
mier lieu de Sicca , la moderne Kêf , guerre de Numidie échurent à Marius,
peut-être aussi celle de Cirta, où nous qui revint à Utique avec des renforts
voyons établis peu de temps après ses considérables de troupes fraîches, re-
magasins..!! se porte ensuite surZama, prit les hostilités avec une nouvelle
ville considérable (*), le boulevard du vigueur, battit Jugurtha et ses Gétu-
royaume dans la partie où elle était les non loin de Cirta , alla détruire la
lointaine Capsa, à neuf journées de
située ; mais il ne peut l'emporter, et
il revient prendre ses quartiers d'hi- distance , prit et brûla nombre d'au-
ver dans la province romaine, au voi- tres places; puis à l'autre extrémité
sinage de la Numidie. de la Numidie, non loin du fleuve Mu-
Enfin Jugurtha se résout à ouvrir lucha, limite commune des états de
ses trésors, à livrer tous ses éléphants Bocchus et de Jugurtha, il vint assié-
et une partie de ses armes et de ses ger et emporter d'assaut un château
chevaux ; ce n'est point assez : Métel- réputé imprenable ; c'est là qu'il fut
lus exige rejoint par son questeur, le fameux
cevoirqu'il vienneà ïisidium;
ses ordres en personne mais
re- Lucius Cornélius Sylla , qui arrivait
Jugurtha veut tenter un effort déses- d'Italie avec un corps considérable de
péré plutôt que de se livrer lui-même; cavalerie; et ils opérèrent ensemble
il recommence la guerre, fait égorger leur retraite vers Cirta, afin d'aller
par trahison la garnison romaine de
Vacca , qui est aussitôt reprise et sac- (*) Le nom arabe ,J L)' Tsâiah se pro,-
nonce exactement comme le grec 6àXa, dont
(*) « Urbem magnam, et in eâ parte le latin Thala est la simple transcription.
« quà sita erat arcem regni, nomine Za- Mais peut-être faudrait-il chercher Thala
« main, » tels sont les termes de Salluste. Il dans un moindre éloignement de la grande
ne peut donc être douteux que ce ne soit
Leptis, ou supposer, au contraire, qu'il
la Zcc[jia u.eiÇwv ou grande Zama de Ptolé- s'agit de la petite Leptis, et que c'est par
confusion que Salluste lui a appliqué des
mée, lamentsZama regia d'Hirtius et des monu-
ultérieurs. désignations propres à la grande.
213
AFRIQUE ANCIENNE.

quartiers d'hiveretdans sances


Comme qui s'y trouvaient établies
sur ce?
es villes leurs
f)rendre du littoral. Bocchus Ju- les historiens se taisent
gurtha , réunis de leur côté , saisissent point, les critiques ont tenté d'y sup-
le moment de ce départ, et tombent, pléer par des conjectures, et lés opi-
à la fin du jour, sur l'armée romaine ; nions varient beaucoup à cet égard.
mais l'avantage reste à Marius , qui Bocchus, qui promettait de se renfer-
reprend sa marche, et arrive quatre mer dans ses anciennes limites du
jours après non loin de Cirta, où une Mulucha, y demeura-t-il confiné, ou
nouvelle attaque des deux rois ne peut bien Rome le récompensa-t-elle de sa
encore leur procurer une victoire; et trahison envers Jugurtha en lui adju-
les Romains opèrent enfin leur ren-
trée àCirta. même geantconquis les pays qu'il
sur énonçait avoirNous
ce prince? lui-
Alors s'ouvrirent des négociations admettrons, comme la plus probable,
avec Bocchus, dont plusieurs fois déjà cette dernière hypothèse , contre la-
on avait sondé les dispositions favo- quelle ne s'élèvent point les faits ulté-
rables. Ce n'est point par animosité, rieurs et
; il y a quelque motif de pen-
répondit-il à Sylla, qu'il avait pris les ser, en ayant égard à ceux-ci, que la
armes contre les Romains, mais uni- limite orientale en put être portée
quement pour la défense de son pro- jusqu'à
borne commune Saldes, qui de fut plus tard desla
la Numidie
pre territoire; car il avait lui-même
Romains et de la Mauritanie de Juba
conquis sur Jugurtha (*) cette partie
de la Numidie que Marius venait ra- le jeune; il paraît certain, dans tous
vager :« Je n'ai point fait, je n'ai ja- les cas, que Bocchus n'eut point Cirta,
« mais souhaité qu'on fît la guerre au bien qu'il l'eût un moment occupée,
« peuple romain; j'ai défendu à main car elle fut plus tard conquise par son
a, armée mes frontières qu'on atta- fils Bocchus sur Juba l'ancien.
« quait à main armée. Mais laissons La province romaine demeura-t-elle
« cela , puisque vous le voulez ; faites aussi confinée dans ses premières li-
« comme vous l'entendrez la guerre à mites, ou fut-elle augmentée de quel-
« Jugurtha. Je ne dépasserai point le qu'une des conquêtes de Métellus et
« fleuve Mulucha, qui était entre moi de Marius ? Cette dernière hypothèse
« et Micipsa , et je ne souffrirai semble offrir quelque probabilité : on
<' pas que Jugurtha le franchisse ; peut croire que Vacca et le territoire
« si vous avez à me demander quelque
adjacent depuis Thabraca jusqu'à Hip-
«« chose pone-Diarrhyte , de même que Sicca ,
point, depourvu
plus, que
je ne
ce m'y
soit refuserai
digne de furent
d'Afrique. désormais annexés à la province
« moi comme de vous. » Après bien
des hésitations, -l'adroit Sylla parvint
à le faire consentir à livrer Jugur- Règne des princes numides succes-
tha ,qui fut amené à Marius, et alla seurs de Jugurtha.
mourir de froid et de faim dans un
cachot de Rome. Règne de Gauda. — Quant au
Modifications dans les circon- surplus, on a trop souvent oublié que
scriptions TERRITORIALES APRES le valétudinaire Gauda , fils de Mas-
LA DÉFAITE DE JUGURTHA. — tanabal et frère par conséquent de
Quels furent les résultats de cette Jugurtha , tenait , des volontés der-
guerre quant à la distribution du ter- nières de son oncle Micipsa, un droit
ritoire africain entre les diverses puis- éventuel de succession qu'il avait fait
valoir auprès de Métellus, et que Ma-
(*) A ce propos, il n'est pas sans intérêt rius avait adroitement caressé ; c'est
donc à Gauda que revenait de droit,
de rappeler ici que, d'après un fragment de
Dion Cassius, il semble que Cirta lut tom- aux yeux mêmes des Romains, le scep-
bée au pouvoir de Bocchus par voie de tre de la Numidie; et quand on voit
composition , quand il traita avec Marins.
plus tard un Hiarbas qu'on dit son
214 L'UNIVERS.

fils, et un Hiemsal qu'on fait gratui- vint, avec d'autres proscrits, chercher
tement fils de Gulussa, régner en Nu- refuge en Numidie auprès du roi
midie, on oublie de tenir compte du Hiemsal , dont les dispositions incer-
droit héréditaire qui les a appelés au taines excitèrent bientôt leur défiance;
trône. On a trop négligé, sur deux aussi dès qu'ils avait
apprirent
points essentiels, les indications d'une Marius fugitif paru que le vieux
à Carthagc,
inscription deCarthagène bien connue, ils s'échappèrent pour le venir joindre,
et souvent répétée (*),que nous allons et quittant avec lui ces rivages inhos-
reproduire à notre tour :
REGI. 1VRAE. RE..
pitaliers, ilss'empressèrent de passer
1VBAE. F1LIO. REGI»
a Cercina, d'où ils aperçurent bientôt
IEMPSALIS. N. REGIS. CAV.. les cavaliers
envoyait à leur numides 'que Puis
poursuite. Hiemsal
les
PRONEPOT1. REGIS. MAS1MSS..
proscrits de la veille devinrent les
PRONEPOT1S. KEPOTI
proscripteurs du lendemain; puis la
11V1R. QV1NQ. PATRONO
COLOM fortune revint à l'heureux Sylla, et les
restes du parti vaincu naviguèrent de
« Au roi Juba fils du roi Juba, petit-fils nouveau en Afrique, pour s'en empa-
« du roi lempsal , arrière-petit-fils du roi rer en compensation de la perte de
« Gauda, petit-fils de l'arrière-petit-fils du l'Italie (*); c'est alors que nous voyons
«roi Massinissa; les duumvirs quinquen-
« naux au Patron de la colonie. »
apparaître
du roi Hiarbas, pour laquepremière
suivantfois le "nom
toute ap-
Il résulte évidemment de cette ins- parence leparti de Marius éleva sur le
cription d'abord
, que Hiemsal était trône de Numidie à la place de Hiem-
fils de Gauda , et en second lieu que sal, ou au moins en rivalité avec lui.
Gauda a eu le titre de roi ; d'où il Mais Pompée envoyé par le dictateur
faut conclure que Gauda, à qui Marius
avait promis la Numidie dès que Ju- contre les rebelles, lit enlever dans l'île
de Cosyra le consul Cnéus Papirius
gurtha serait pris ou tué, reçut effecti- Carbo, qui fut décapité; et débarquant
vement lapossession de ce royaume, et à Curubis (la moderne Qourbah), il
la transmit à sa postérité. Comment fut
vint
Cnéus tailler
Domitius en pièces auprès d'Utique
Ahénobarbus et le roi
réglée sa succession, on l'ignore ; quel-
?ues modernes ont conjecturé qu'elle Hiarbas
ut partagée entre Hiemsal et Hiar- tius fut qui
tué s'était joint àprit
et Hiarbas lui la
; Domi-
fuite.
bas ; mais les lambeaux historiques
Pompée s'occupa alors de rétablir
qu'il est possible de recueillir sur ces Hiemsal dans son royaume ; il fit at-
princescune ne taquer et battre Hiarbas par Bogud,
lumière.procurent à cet égard au- fils du roi maure Bocchus, qui le força
règne simultané de hlemsal, à revenir s'enfermer dans Bulla sa
Hiarbas, et Massinissa père d'A- capitale (**), où Pompée le fit mettre à
rabion. — Quand le parti de Ma- mort après avoir emporté la place.
rius fut obligé de fuir devant la for- Hiarbas avait-il entièrement dépouil-
tune de Sylla (**), le jeune Caïus Marius
(*) 'Q; Atêuriv Trapad-cyiaou-evoç àvtc xfjç
(*) Nous donnons cette inscription d'a- 'lxa/iaç. (ArriEN, Guerres civiles, I, 92.)
près une empreinte tout nouvellement appor- (**) C'est à titre de capitale de Hiarbas
tée de Carlhagène par M. Joseph Tastu , qui
que Bulla fut décorée dès lors de l'épithète
l'a prise lui-même sur l'original : elle diffère de Royale qu'on lui trouve désormais dans
à la fois, et de la copie du Père Ximenez les géographes, les itinéraires et les actes
publiée par Shaw, et de la copie du che- des conciles. — Cette expédition de Pompée,
valier de Bibran empruntée par Spon aux sur laquelle on ne possède que quelques
rares indications éparses dans les fragments
papiers de Peiresc : elle s'éloigne néanmoins
fort peu de la première , adoptée par le de Salluste, dans Plutarque, Appien, Eu-
président de Brosses et l'abbé Belley, qui trope, Aurélius Victor, Orose, Paul Diacre,
en ont toutefois méconnu la portée.
et Zonare, se rapporte à l'an 81 avant l'ère
(**) L'an 88 avant l'ère vulgaire. vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 215
lé Hiemsal , ou lui avait-il seulement ment de la province d'Afrique, et
enlevé la portion de la Numidie située trouva dans le roi Juba un voisin et
à l'ouest de la province romaine d'A- un allié tout disposé pour sa cause.
frique ?On peut rester indécis entre César ayant envoyé contre Varus son
ces deux hypothèses. Mais il est une lieutenant Curion, celui-ci vint débar-
autre question à résoudre : Hiemsal quer àAquilaria, lieu bien abrité en-
devait-il seul reprendre tout ce dont tre deux caps, à vingt-deux milles de
on dépouillait
aucun autre prétendant Hiarhas, età n'y avait-il? Clypéa, et qui paraît être la moderne
satisfaire El-Hawaryah, le même point où plus
Aurélius Victor a laissé échapper le de deux siècles et demi auparavant
nom de Massinissa : est-ce une mé- Agathocles avait aussi abordé. Le jeune
prise de copiste, ou bien y avait-il en Lucius César, n'osant attendre à Cly-
effet un prince du nom de Massissina péa une attaque de la flotte de Curion,
à qui il fallût rendre quelque portion alla se réfugier à Adrumète, où Caïus
de la Numidie ? On peut à bon droit Confidius Longus était cantonné avec
s'arrêter à cette dernière pensée lors- une légion. Curion envoya ses vais-
qu'on réflechitque César, comme nous seaux àUtique, vers laquelle il sa-
le dirons tout à l'heure, dépouilla plus chemina lui-même par terre : trois
tard de ses domaines le numide Mas-
journées l'ayant conduit près du Ba-
sinissa, dont le fils Arabion est appelé gradas , il alla avec sa cavalerie re-
roi par Appien. N'est-ce pas, dirai-je connaître les Castra Comélia, et éta-
encore, contre ce même prétendant , blit ensuite son camp devant Utique.
dont le nom est écrit cette fois Ma- Juba avait à se plaindre personnel-
sintha par Suétone, que le roi Hiem- lement de Curion, qui l'année précé-
sal eut à envoyer à Rome (*), pour dente, pendant son tribunat, avait
soutenir ses intérêts, son propre fils proposé une loi pour la confiscation
Juba, aussi riche de pièces d'or que de la Numidie et sa réduction en pro-
vince romaine : aussi le vindicatif mo-
de cheveux, dit plaisamment Cicéron
dans son deuxième discours contre la
narque s'était-il empressé d'envoyer
loi agraire? Masintha s'était mis sous des secours à Varus, et il vint bientôt
le patronage de César, qui dans une le joindre lui-même avec de nouveaux
discussion animée au sujet de cette af- renforts, tailla en pièces Curion et son
faire s'emporta jusqu'à saisir Juba par armée, passa au fil de l'épée ses pri-
sa barbe : affront que celui-ci ne lui sonniers, et rentra triomphant dans
pardonna jamais; aussi, devenu roi, se ses états.
lit-il un des fauteurs les plus ardents L'Afrique devint alors le point de
du parti de Pompée. refuge de tous les restes, considé-
Règne de Juba l'ancien. -- rables, encore, du parti pompéien dis-
Lorsqu'il avait été chargé pour trois persés par les victoires de César, et
ans de l'immense commandement ma- l'on résolut de s'y défendre vigou-
ritime et territorial motivé par la reusement; Caton s'enferma dans Uti-
guerre des pirates, Pompée avait assi- que , qui devait être son tombeau,
Corsegnéàl'Afrique avec la Sardaigne
ses lieutenants Cnéus Corné- et la et Métellus Scipion prit le comman-
dement de l'armée. Mais si la Numidie
lius Lentulus Marcellinus et Publius de Juba étajt hautement déclarée pour
Attilius ; depuis son second consulat, eux , il n'en était pas de même des
ayant eu l'Afrique avec l'Espagne dans états de Bogud et de Bocchus , qui
son lot, il les gouvernait de même avaient succédé à leur père Bocchus
par ses lieutenants. Quand éclata la l'ancien, alliédeMarius, et qui s'étaient
guerre civile (**), le pompéien Attius partagé son héritage, Bogud conser-
Varus, chassé d'Italie, s'empara aisé- vant l'ancienne Mauritanie avec Tingis
pour capitale, Bocchus ayant pour son
(*) L'an 63 avant l'ère vulgaire. lot la Numidie des Massésyliens, avec
(**) L'an 49 avant l'ère vulgaire. loi pour capitale ainsi que nous l'in-
216 L'UNIVERS.

dique Solin ; l'un et l'autre avaient de se fortifier, de provoquer dans le


embrassé avec empressement le parti camp de Scipion la désertion des Nu-
de César, qui les avait proclamés tous mides etdes Gétules qui avaient tenu
deux rois, et amis du peuple romain. pour Marius , de faire déclarer pour
Caton encouragea le jeune Cnéus Pom- lui diverses places, telles qu'Acilla et
pée àtenter contre eux une expédition: ïisdrus, de recevoir des convois con-
il prit trente galères, et partant d'U- sidérables de vivres que Salluste lui
tique, il gagna la Mauritanie, royaume expédia de Cercina après en avoir
de Bogud , où il essaya un coup de chassé le questorien Caïus Décius, et
main sur la place d'Ascurum, défendue de voir arriver enfin une partie des
par une garnison royale; mais il fut renforts qu'il attendait de Sicile, tandis
repoussé dans ses vaisseaux, quitta ces que SittiUs enlevait à Juba un château
rivages, et se dirigea vers les Baléares. fort où le roi numide avait fait, en
vue de cette guerre, de grands approvi-
Guerre de Jules- César en Afrique. sion ements devivres et de munitions.
Victoire de César , qui reste
Arrivée de César en Afrique; MAITRE DE LA NUMIDIE. — César
ses dispositions. — Cependant Cé- alors s'avança par les hauteurs, vers
sar avait résolu de venir porter le le camp ennemi , et après une escar-
coup de grâce aux Pompéiens dans
leur dernière retraite : sans se lais- mouche où il eut l'avantage , il s'ap-
procha jusqu'à un mille d'Uzita, oc-
ser effrayer par le mauvais temps , cupée par Scipion ; d'un autre côté ,
il s'était embarqué pour l'Afrique, et Co'nfidius qui était allé tenter de sur-
passant en vue de Clvpéa et de Néa- prendre Acilla et n'avait pas réussi ,
polis , il avait abordé sans obstacle leva le siège, et prenant son chemin
mais avec peu de monde, près d'Adru- par le territoire de Juba , rentra
mète, d'où il s'était rendu à Ruspina, a Adrumète, et remit à Scipion une
puis à Leptis, qui se déclarèrent pour partie de ses troupes. Enfin Juba ,
lui : de là il envoya des bâtiments en pressé par Scipion de venir le rejoin-
croisière pour rallier sa flotte éparse, dre, arriva au camp, après avoir laissé
dépêcha le préteur Salluste à .Cercina à son lieutenant Sabura le soin de faire
pour y faire des approvisionnements tête à Sittius. César, ayant assuré par
de vivres, expédia des courriers dans de bonnes garnisons la défense de Lep-
les provinces pour demander des ren- tis, Ruspina et Acilla, et donné ordre
forts d'hommes et de munitions, et à sa flotte de bloquer Tapsus et Adru-
laissant une garnison à Leptis, il vint mète, brûla son camp devant Uzita et
établir son camp à Ruspina, où il fut vint se retrancher près d'Agar, dont
rejoint par une partie de son monde les habitants s'étaient vigoureusement
et eut aussitôt à soutenir une vigou- défendus contre diverses attaques des
reuse attaque qu'il repoussa, mais qui Gétules : Scipion alors le suit et porte
menaça bientôt de se renouveler plus ses quartiers à six milles d'Agar; il
formidable, envoie des troupes pour faire des vi-
que avec le Scipion reste de étant
son parti
armée d'Uti-
pour vres àZetta, dont il n'était éloigné
venir à Adrumète , où il devait être que de dix milles; mais César, quoi-
rejoint par Juba. Heureusement que le qu 'ayant dix-huit milles à parcourir
chef de partisans Sittius, avec une ar- pour y arriver, l'y devance, s'en em-
mée que mit à sa disposition le roi pare, ymet garnison, et revient à son
maure Bocchus, fit diversion sur la camp; Juba de son côté saccage Vacca,
Numidie et la Gétulie de Juba, par la peu éloignée de Zetta, et qui avait fait
prise de l'opulente Cirta et la ruine de inviter César à lui envoyer des trou-
deux villes gétules qui avaient refusé pes. César à son tour enlève à Scipion
de capituler; en sorte que Juba fut obligé la place de Sarsura, et met garnison
de courir à la défense de son propre dans Thabéna , située à l'extrémité
royaume. Cela donna à César le temps littorale du royaume de Juba ; puis,
217
AFRIQUE ANCIENNE.

de son camp d'Agar, où il est rejoint luste, qu'il décora du titre de procon-
sul :cette province fut appelée Nouvelle
par de nouveaux renforts , il s'avance
de huit milles, jusqu'à quatre milles par opposition à l'Afrique propre, qui
du camp de Scipion, auprès de la ville était Y Ancienne. Il semble que, dans
deTégéa, où il engage un combat de l'état où la constitua César, elle con-
cavalerie, mais sans pouvoir en venir serva Zama pour capitale, et s'étendit
à une action générale. au sud de l'ancienne province, par
Alors il prend le parti de quitter Adrumète, Ruspina, Leptis, Acilla ou
Agar, et faisant seize milles avant le Acholla, et Tysdrus, jusqu'à cette
jour, il vient assiéger Thapsus ; Sci- Thabéna extrême, dernière possession
pion le suit pour secourir la place; la littorale de Juba; et dans l'ouest jus-
bataille s'engage enfin, et César rem- Sittius et qu'auxau concessions faites au partisan
roi Bocchus.
porte une victore complète (*); les
fuyards
et comme prennent la ville dele Parada
chemin leur
d'Utique,
ferme Ces concessions elles-mêmes n'é-
taient autre chose que l'ancien terri-
ses portés, ils la prennent de force et toire du prince Massimssa, qui avait,
l'incendient. César laisse à un de ses comme allié, suivi la fortune du mal-
lieutenants le soin d'emporter Thap- heureux Juba , et qui peut-être avait
sus, en envoie un autre s'emparer de péri avec lui ; Arabion, fils de Massi-
Tysdrus, dépêche sa cavalerie vers Uti- nissa, se réfugia en Espagne auprès
que, va lui-même prendre Usceta, puis du jeune Pompée, et lorsque celui-ci,
Adrumète, et arrive à son tour à Uti- après la mort de César, eut recouvré
que, où Caton s'était donné la mort la fortune et les honneurs de son père,
de désespoir, et où Messala avait fait Arabion revint en Afrique , rallia les
aussitôt son entrée. Juba , échappé de indigènes auxiliaires, et avec leur aide
la mêlée, se cachant le jour et mar- il chassa Bocchus, se défit de Sittius
chant la nuit, atteignit ainsi Zama sa par trahison , et rentra en possession
capitale; mais elle lui ferma ses por- de son patrimoine. Quelles en étaient
tes , et fit porter ses soumissions à les limites? Sans avoir à cet égard des
César, qui vint en prendre possession; témoignages directs, nous avons du
le malheureux roi se tua de désespoir. moins cette indication essentielle que
D'un autre côté, Sittius avait taillé en la ville de Cirta, si elle n'y était point
pièces les troupes que ce prince avait elle-même renfermée , en était du
laissées pour le combattre , il arrêta moins immédiatement voisine; d'oùle
dans leur fuite à travers la Maurita- il suit que selon toute apparence,
nie les restes du parti vaincu qui vou- fleuve Ampsagas qui passait à Cirta,
laient passer en Espagne, et coula les et qui fut plus tard la limite occiden-
galères sur lesquelles se sauvait Sci- tale de la province de Numidie, était
pion et que la tempête avait poussées
dans le port de la royale Hippone. la borne orientale du royaume d'Ara-
bion, qui s'étendait sans doute à Fop-
Partage de la Numidie : créa-
tion DE LA NOUVELLE PROVINCE posite jusqu'à Saldes.
IV. DOMINATION DES ROMAINS EN
d'Afrique. — La Numidie de Juba était
tout entière au pouvoir du dictateur; il AFRIQUE DEPUIS LA CONQUETE DE
donna à Sittius, en récompense de ses
LA NUMIDIE JUSQU'AU REGNE DE
CLAUDE.
services, la ville de Cirta dont il s'était
emparé si à propos, avec un territoire
considérable au voisinage; il gratifia
Première période : l'Afrique an-
le.roi Bocchus de quelques autres can- cienne et V Afrique nouvelle for-
tons àsa convenance ; et de tout le mant deux provinces distinctes.
reste il lit une province romaine con-
fiée au gouvernement du préteur Sal- Les deux Afriques, partagées
entre Antoine et César Octavien,
(*) L'an 46 avant l'ère vulgaire. ABANDONNÉES A LÉPIDE. — Autant
218 L'UNIVERS.

qu'on en peut dejuger sur Cassius


les récitset Cirtésiens, contre lesquels il prit des
contradictoires Dion mesures rigoureuses, et Arabion ayant
d'Appien , Titus Sextius et Quintus refusé de reconnaître son autorité, il
le chassa de son territoire et demanda
Cornificius, l'un partisan d'Antoine, ensuite son extradition à Sextius au-
l'autre de César Oetavien, se dispu-
taient alors la possession des deux pro- près duquel il s'était réfugié; ne l'ayant
vinces d'Afrique, et cherchaient à at- point obtenue, il vint faire le dégât
tirer chacun dans son parti Je roi dans l'Afrique propre, fut repoussé et
Arabion; Cornificius, maître delà pro- poursuivi ; mais Sextius ayant , sur
vince Ancienne, ayant voulu envahir quelque soupçon, fait tuer perfidement
la Nouvelle, qui appartenait à Sextius, Arabion, la * cavalerie numide indi-
celui-ci se porta rapidement de Tucca gnée l'abandonna pour se joindre à
sur Adrumète, qu'il occupa, ainsi que Fango. Après un moment de paix, ce-
les places du voisinage; toutefois il se lui-ci fit une nouvelle irruption en
laissa surprendre par PubliusVentidius, Afrique; les deux partis en vinrent aux
l'un des lieutenants de son antago- mains, et un second combat ayant eu
niste, fut battu, poursuivi, et serré de lieu, Fango battu se sauva dans les mon-
près dans la Numidie, pendant que tagnes où il se tua. Sextius alors s'em-
Décimus Lélius, autre lieutenant de para sans difficulté de la Numidie, prit
Cornificius, vint assiéger Cirta; mais par famine Zama qui résistait, et se
Jes Sittiens et Arabion faisant alors trouva ainsi pour la seconde fois réunir
cause commune avec Sextius, celui-ci sous son autorité les deux Afriques;
reprit le dessus, tailla en pièces Yen- mais Lépide étant venu pour en pren-
tidius , repoussa Lélius jusqu'auprès dre possession (*) avec six légions déta-
d'Utique, le bloqua dans son camp, chées de l'armée d'Antoine, Sextius se
délit et tua Cornificius qui venait en résigna de bonne grâce à livrer au
personne au secours de son questeur; triumvir les provinces qui lui étaient
celui-ci eut le même sort, et Sextius, abandonnées par ses deux collègues :
maître des deux Afriques, en conserva Lépide les conserva quatre ans, jus-
le gouvernement jusqu'à qu'à ce que dépouillé du triumvirat
Oetavien, réconcilié avec ce que César
Antoine pour par César Oetavien à la suite de leurs
la formation d'un nouveau triumvirat querelles en Sicile., il vit le proconsul
avec Lépide (*), eut pour son lot, dans Titus Statilius Taurus les aller sou-
la distribution des provinces, les deux mettre au vainqueur (**).
Afriques avec la Sardaigne et la Sicile. La Mauritanie tombe au pou-
Sextius alors remit sans difficulté le voir des Romains. — Quant à la
commandement à Caïus Fulicius Fan- Mauritanie et à la Numidie des Mas-
go, désigné à cet effet par César. sésyliens , que l'on avait pris l'habi-
Mais après la bataille de Philippes , tude d'appeler le royaume de Bogud
une nouvelle division des provinces et le royaume de Bocchus, il s'y pas-
ayant été faite entre les triumvirs, la sait des événements d'une nature
Numidie seule demeura à César, et
analoguetraîner àcombattre
: Bogud s'étant laissépour
en Espagne en-
l'Afrique propre fut cédée à Antoine ,
sauf dévolution éventuelle à Lépide : la cause d'Antoine contre les lieute-
Sextius, qui était resté sur les lieux, nants de César, se trouva évincé de ses
fut invité par Fulvie, femme d'Antoine, propres rection
étatsadroitement
au moyen d'une dans
insur-
à prendre possession de la province ménagée sa
cédée ; Fango résista ; mais il ne s'é- capitale Tingis,
tait point fait aimer dans le pays, et son royaume par etBocchus,
de l'occupation de
à qui César
il fut obligé de se retirer dans la seule en confirma la possession ; Bogud fu-
province qui lui était conservée : là
aussi il eut maille à partir avec les (*) L'an 40 avant l'ère vulgaire.
(**) Cette expédition valut à Statilius Tau-
(*) L'an 43 avant l'ère vulgaire. rus un triomphe.
AFRIQUE ANCIENNE. 219
gilif alla rejoindre Antoine, et périt ment, puis s'insurgèrent contre leur
plus tard à ÎMéthone. Bocchus, souve- nouveau maître, dévastèrent ses fron-
rain de tout Je pays qui s'étendait de- tières, taillèrent en pièces de nom,-
puis Saldes jusqu'à l'Océan, conserva breuses expéditions romaines succes-
encore cinq années le gouvernement sivement dirigées contre eux, entraî-
de ce vaste royaume (*), dans lequel, à nèrent dans leur parti les Musulans,
sa mort, il n'eut point de successeur qui les avoisinaient à l'est, et ce parti
immédiat, César l'ayant alors compris était devenu assez formidable quand
dans le nombre des provinces directe-
ment soumises à son autorité. Cnéus de
après longuesCossus
Cornélius années d'hostilités
fut envoyé par
La Numidte rendue a Jujba le
jeune, puis reprise en echange Auguste afin d'en avoir raison (*) ,
de la Mauritanie.— Lorsque après pour que les succès qu'il obtint fus-
sent jugés dignes des honneurs triom-
la bataille d'Actium , le vainqueur phaux et du glorieux surnom de Gétu-
d'Antoine' fut resté seul maître de lique, qu'il transmit à son fils.
l'empire , il donna Cléopatre Sélène
pour épouse à .Tuba le jeune, son
Seconde période
maine réunie en: toute l'Afrique
une seule ro-
province
compagnon d'armes , et lui rendit ,
à cette occasion (**),le royaume de sous
Numidie, dont quinze ans auparavant consul.l'autorité exclusive d'un pro-
Jules César l'avait déshérité. Malgré
cette restitution cependant , lorsque RÉUNION DE LA NUMIDIE RO-
César Octavien, au moment d'être pro- MAINE a l'Afrique propre. — La
clamé Auguste, partagea avec le sénat Numidie, rentrée sous l'autorité di-
et le peuple l'administration des pro- recte de Rome , ne redevint point
vinces du monde romain, la Numidie, une province séparée, attribuée au sé-
si l'on s'en rapportait du moins à la nat ou à l'empereur, et régie par un
liste que donne l'historien Dion Cas- proconsul au nom du premier, ou par
sius, se serait trouvée, aussi bien que un lieutenant du second ; elle fut pu-
l'Afrique propre , dans le nombre de rement et simplement annexée à la
celles qui échurent au sénat; mais province sénatoriale d'Afrique , et
cette indication ne peut convenir à la confondue avec elle, pendant soixante-
date du partage général des provin- cinq ans, sous le gouvernement d'un
ces (***), puisque la Numidie étaitalors même proconsul, ainsi que nous som-
encore aux mains de Juba, à qui Au- mes autorisés à le conclure des faits
guste ne l'enleva que deux ans après , ultérieurs. Cette province unique, dé-
en échange de la Mauritanie, qu'il lui fendue par deux légions, s'étendait
octroya (****) telle que naguère l'avait depuis Saldes jusqu'aux confins de la
possédée le dernier Bocchus, avec quel- Cyrénaïque : dans une aussi vaste
ques portions de la Gétulie qui recon- étendue de territoire, il était difficile
nais aient ladomination de Rome : que la paix ne fut point quelquefois
les Gétules, mécontents de cette dis-
troublée par l'insurrection de quel-
position, résistèrent d'abord sourde- qu'une des tribus indigènes; mais les
historiens ne nous ont point transmis
(*) De l'an 38 à l'an 33 avant l'ère vul-
gaire. le récit des expéditions qu'il fallut di-
(**) L'an 3o avant l'ère vulgaire. Les mé- riger contre elles, et les fastes capito-
dailles royales de ce prince commencent lins nous révèlent seuls divers succès
dès cette époque. obtenus par les armes romaines, en
(***) Au surplus, Dion lui-même fait, con- nous disant les noms des proconsuls
tre l'exactitude rigoureuse de sa liste , cette
observation , qu'il ne faut pas perdre de (*) Cossus termina cette guerre en l'an 6
vue : Taûxa Se ouxw xaxéXeija , cm vOv xwpk de notre ère; elle durait depuis trente ans,
ëxaarov auxiov ^Y£|A0vsuexai. si on la fait remonter à l'avènement de
(****) L'an a5 ayant l'ère vulgaire. Juba au trône de Mauritanie.
220 L'UNIVERS.

d'Afrique auxquels ces succès valurent ordre : la ville de Tabidium , la peu-


les honneurs du triomphe : tels furent plade de Nitéris, la ville de Négligé-
Lucius Autronius Pétus (*), Lucius méla , la ville ou peuplade de Bubèium,
Sempronius Atratinus (**), et Lucius la peuplade des Enipes , la ville de
Cornélius Balbus (***). Thuben , les montagnes appelées Noi-
Mais s'il ne nous est parvenu d' Au- res, les villes de Nitibrum et de Rapsa,
tronius et de Sempronius Atratinus la peuplade deDiscéra, la ville de Dé-
que leur nom et la simple mention de bris, le fleuve Nathabur, la ville de
leur triomphe, quelques détails de Thapsagum , la peuplade des Nanna-
plus sont arrivés jusqu'à nous des ges- ges, la ville de Boïn , la ville de Pège,
tes de Balbus dans la province dont le le fleuve Dasipari ; puis la série con-
sénat lui avait confié le gouvernement, tinue des villes de Baracum, Buluba,
et nous devons à Pline des indications Alasi , Balsa , Galla , Maxala , Zizama ;
précises qu'il convient de transcrire enfin les montagnes de Gyri, avec une
ici en entier.
Expédition de Balbus en Pha- inscription portant qu'on y trouvait
des pierres précieuses. — Néanmoins
zanie. — «Vers ces solitudes africaines la route qui va chez les Garamantes
appelées Désert au-dessus de la petite est restée jusqu'ici impraticable, parce
Syrte, s'étend la Phazanie, dont nous que les gens du pays couvrent de sa-
avons subjugué, les habitants avec ble l'ouverture de leurs puits , qu'on
leurs villes d'Alèle et de Cillaba, ainsi retrouverait pourtant sans creuser
que Cydamus dans la région voisine beaucoup,
de Sabrata. Ensuite se prolongent du localités. » si l'on connaissait bien les
levant au couchant, sur un vaste es- Les points principaux de cette
pace ,des moYitagnes que les nôtres grande expédition, c'est, d'une part,
ont appelées Noires , à cause de leur Cydamus , dont la moderne Ghadâ-
aspect brûlé, ou noirci par la réver- mes a gardé à la fois la place et le
bération du soleil. Au delà se trouvent
nom, et d'autre part, Garama, dont
des déserts, Matelges ville des Ga- le nom mentetrestésl'emplacement sont Germah
pareille-:
ramantes, ainsi que Débris arrosée à la moderne
f>ar une source dont l'eau est bouil- le surplus de cette fastueuse énumc-
ante de midi à minuit et glaciale de ration de villes , de tribus , de fleuves,
minuit à midi ; puis la fameuse ville de montagnes, ne saurait être cher-
de Garama capitale des Garamantes : ché que sur les routes qui, de la côte,
tout cela a été subjugué par les ar- menaient à ces deux points; et comme
mes romaines, et a valu le triomphe toute cette nomenclature n'a point de
à Cornélius Balbus , le seul étran- synonymie certaine chez les écrivains
ger à qui l'on ait octroyé le char qui auraient pu nous en conserver la
triomphal et les privilèges de citoyen; tradition , il ne saurait plus aujour-
car on lui donna, quoique néàGades, d'hui se produire que des explications
le droit de cité romaine, en même purement conjecturales et arbitraires,
temps qu'à Balbus l'Ancien, son on- dont nirilquevaut
cle. Et il y a cela de remarquable, que de beaucoup
se laisser mieux s'abste-
entraîner aux
nos auteurs ont constaté qu'il avait fantastiques exagérations dont quel-
pris les villes nommées ci-dessus , et ques esprits peu sensés nous ont of-
que lui-même lors de son triomphe fert plus d'une fois de regrettables
avait dans son cortège , en outre de exemples.
Cydamus et de Garama , les noms et Guekbe de Tacfarinas. — Une
les images de toutes les autres villes autre guerre célèbre devait donner
ou peuplades, qui défilèrent dans cet lieu à plusieurs triomphes; je veux
parler de celle de Tacfarinas , ce Nu-
(*) L'an 29 avant l'ère vulgaire. mide d'abord mercenaire dans les
troupes auxiliaires des Romains, puis
(**) L'an 2 1 avant l'ère vulgaire.
(***) L'an 19 avant l'ère vulgaire.
déserteur, chef de bande , bientôt à la
221
AFRIQUE ANCIENNE.
tête d'une armée disciplinée, reconnu les honneurs triomphaux (*) , et de
et proclamé par la puissante tribu des rappeler en Italie une des légions em-
Misulames ou IVlisoulans, qui habi- ployées àces expéditions.
taient vers le mont Auras, non loin Ce fut pour Tacfarinas un motif de
du désertded'Afrique, recommencer de plus belle ses courses
encore villes ; iletattira
n'avaient
danspoint
son sur le territoire romain, aidé qu'il
parti, d'un côté les Maures du voisi- était, d'un côté par la défection des
nage auxquels commandait Mazippa, Maures , que Ptolémée fils de Juba ,
nouvellement assis sur le trône de son
et d'un autre côté les Cinithiens ,
peuplade considérable dont on con- père, avait mécontentés, et d'un
naît l'emplacement vers le fond de la autre côté par l'alliance des Gara-
mantes ; enfin par l'accession de tous
doute Syrte
petite pour :but l'insurrection
de briser leavait
jougsans
de les gens sans aveu de la province; si
Rome; Furius mais leCamilius proconsul d'Afrique bien qu'il s'enhardit jusqu'à venir as-
Marcus marcha con- siéger la ville de Thubuscum , la
tre eux, remporta des avantagnes si- même, suivant l'opinion commune,
gnalés, et obtint du sénat les orne- que celle de Tubusuptus vers Saldes,
ments triomphaux (*). Cependant Tac- bien qu'on puisse trouver une res-
farinas ne tarda point à porter de semblance phonétique plus grande en-
core dans le nom de Thubursicum.
nouveau la guerre dans l'Afrique ro-
maine; ils'empara même d'un château Le nouveau proconsul Publius Corné-
peu éloigné du fleuve Pagida ; mais il lius Dolabella n'eut qu'à se présenter
fut battu ensuite par le proconsul pour faire lever le siège. Se liguant
Lu ci us Apronius successeur de Ca- alors avec le roi Ptolémée, Dolabella
milius, devant le fort de Thala qu'il forma quatre détachements pour les
attaquait, et forcé plus tard de faire lancer plus aisément à la poursuite de
cet ennemi insaisissable; et comme
retraite jusqu'au désert; et Apro-
nius obtint, comme son prédécesseur, on eut bientôt la nouvelle que Tacfa-
les ornements triomphaux. Bientôt vinas et ses Numides avaient établi un
après (**), nouvelles incursion* de camp fixe auprès du château à demi
Tacfarinas, contre lequel fut envoyé ruiné d'Auzéa, qu'eux-mêmes avaient
par le sénat , selon le vœu de Tibère, jadis incendié, et dont on voit encore
le proconsul Caïus Junius Blésus. les restes au fort moderne de Ham-
Celui-ci se mit en campagne avec trois zah, il vint les y surprendre, et leur
corps d'armée , l'un confié à Cornélius livra une attaque meurtrière dans la-
Scipion son lieutenant , pour aller quelle Tacfarinas se fit tuer en com-
vers l'est garantir la ville de Leptis battant (**). Alors seulement la guerre
des déprédations de l'ennemi, et lui fut réellement terminée, et des am-
couper toute retraite vers le pays des bassadeurs vinrent même de la part
Garamantes; le second aux ordres du roi des Garamantes faire leur sou-
du fils de Blésus, pour aller à l'ouest mission. Tibère, ingrat envers Dola-
couvrir les cantons des Cirtésiens ; bella témoigna
, du moins hautement
lui-même, commandant le troisième sa satisfaction au roi Ptolémée en lui
corps, s'avançait entre les deux pre- envoyant, suivant l'ancien usage, un
miers, en ayant soin d'établir des sceptre
neur. d'ivoire et une robe d'hon-
postes et des garnisons dans les lieux
les plus convenables; enfin, dans une
expédition avancée, il parvint à s'em- (*) L'an 22 de l'ère vulgaire.
parer d'un frère du rebelle; et Tibère, (**) L'an 24 de l'ère vulgaire.
regardant la guerre comme terminée,
s'empressa d'accorder au proconsul
(*) L'an 17 de l'ère vulgaire.
(**) L'an 20 de l'ère vulgaire.
222 L'UNIVERS.

Troisième période : toute V Afrique l'empereur, pour diminuer la puis-


romaine réunie en une seule pro- sance de Lucius Pison, homme de
vince sous deux magistrats dis- cœur, qui avait à sa disposition de
nombreuses troupes, soit nationales,
tincts, l'un civil, l'autre militaire.
soit étrangères , partagea en deux la
SÉPARATION DU GOUVERNEMENT nation (to ëôvoç) pour attribuer à une
CIVIL ET DU COMMANDEMENT MILI-
autre personne l'armée et les nomades
TAIRE de l'Afrique. — Il n'est pas qui en dépendaient (toùç tcoî aùxo) , ce
sans intérêt de remarquer ici que qui semble ne pouvoir s'entendre que
dans cette guerre, où des succès pas- d'un
de sespartage,
habitants? non du territoire, mais
sagers valurent jusqu'à trois fois les
ornements triomphaux au générai Digression sur la date pré-
cise de la Géographie de Mêla.
qui commandait l'armée romaine ,
ce général était toujours le procon- —La circonscription donnée à la Nu-
sul d'Afrique, sans qu'on voie inter- midie par Pomponius Mêla vient dé-
venir aucun gouverneur de la Nu- montrer aussi que le territoire qui
midie, bien que cette contrée fût le forma ultérieurement la province de
principal théâtre de l'insurrection, et ce nom, était encore de son temps
de la lutte qui s'ensuivit. C'est que compris dans l'Afrique propre; car
la réunion, à cette époque, de l'Afri- ce qu'il appelle Numidie n'est autre
que et de la Numidie en une seule et chose que ce qui fut nommé depuis
même province, n'est point douteuse ; Mauritanie Césarienne; mais l'âge de
on en trouve une nouvelle preuve Mêla n'est point déterminé avec une
dans le témoignage contemporain de certitude et une précision suffisantes
Strabon , qui décrit comme formant
pour qu'on puisse tirer de son témoi-
une même circonscription territoriale gnage un argument péremptoire con-
le pays desMassyliéens et de Carthage.
Un fait non moins certain à con- tre l'hypothèse de la division de l'A-
frique en deux provinces par Caligula.
clure de ce On croit généralement en effet que
tribution durécit, c'est en outre
commandement l'at-
militaire Mêla écrivit postérieurement aux pre-
au proconsul. Mais l'ombrageuse sus- miers succès de l'expédition envoyée
ceptibilité de Caligula changea cet par Claude dans la Bretagne , et vers
ordresul ledecommandement
choses, en'ôtantdesau troupes,
procon- l'année 44, où cet empereur triompha
des Bretons; mais alors était définiti-
qui appartint désormais à un lieute- vement consommé le partage des états
nant du prince, ainsi que le rappor- du roi Ptolémée en deux provinces
tent Tacite et Dion, l'un à l'égard du portant l'une et l'autre la dénomina-
tion de Mauritanie, avec les épithètes
proconsul Marcus Silanus , l'autre de
Lucius Pison , son successeur : di- distinctives de Tingitane et de Césa-
vision de pouvoirs qui suscita au rienne, que Mêla n'a point connues,
magistrat sénatorial de perpétuelles non plus que la limite nouvellement
tracasseries, en faisant naître une tracée entre elles : on peut trouver là
envieuse rivalité, dont un autre Pison un indice d'où il résulterait que notre
fut , sous Vespasien , la sanglante géographe aurait écrit antérieurement
victime.
a l'adoption de cette nomenclature
Il semblerait naturel de penser que, officielle, c'est-à-dire avant l'année 41,
pour affaiblir d'autant plus l'autorité tandis que nous avons d'autre part la
du proconsul d'Afrique , Caligula dut certitude que sa description se rap-
retrancher de son gouvernement la porte àune époque postérieure à la
province de Numidie pour la donner, mort de Juba le jeune, qui est de
avec le commandement des troupes, à l'an 21 ; et il s'agit de retrouver entre
un lieutenant impérial ; mais le texte ces deux termes une expédition con-
de Dion Cassius se prête-t-il bien à tre la Bretagne, dont notre auteur ait
cette hypothèse-, quaud il énonce que pu dire que bientôt elle procurerait
223
AFRIQUE ANCIENNE.
sur ce pays des lumières nouvelles , étant dans l'ouest, le second dans
et donnerait lieu à un triomphe pro- Test de la royale Siga , celui-là limite
chain. Il n'est pas déraisonnable de purement ethnologique, celui-ci limite
penser, d'après ces indices, que Mêla politique. A l'autre bout au contraire,
malgré la différence des noms , le cap
a du écrire précisément en l'an 40, à Métagonion de Mêla est identique au
l'époque même où Caligula , après
avoir envoyé en exil Ptolémée , qui cap Treton de Strabon , et nous savons
paraît avoir été assassiné en route, que c'est la limite ethnologique. Il y
allait faire contre la Bretagne la ridi- a donc accord entre les deux géogra-
cule expédition d'où il ramena des phes, et nous pouvons en induire que
charges de coquilles et des captifs nulle délimitation n'avait changé de-
vrais ou supposés pour orner le triom- puis la mort de Juba , époque de Stra-
phe qu'il avait ordonné de lui pré- bon, jusqu'à la mort de Ptolémée,
parer. époque de Pomponius Mêla.
Observations sur la délimita-
tion DES CONTRÉES AFRICAINES A V. ADMINISTRATION ROMAINE DE-
cette époque. — Quoi qu'il en PUIS L'ORGANISATION PROVIN-
soit, les descriptions géographiques CIALE DE CLAUDE JUSQU'A CELLE
de Pomponius Mêla , rapprochées de DE MAXIMIEN-HERCULE.
celles de Strabon, rendent nécessai-
res ici quelques observations sur la Nouvelle organisation provinciale de
délimitation des contrées africaines. VJfrique.
Strabon, qui terminait son livre vers
Création de deux provinces
l'an 22 de notre ère, dit que le Mo-
lochath et le cap Métagonion qui en de Mauritanie et d'une nou-
est voisin, séparent le pays des Mau- velle province de Numidie. —
rusiens de celui des Massésyliens , Une nouvelle distribution de tous
et que le cap Treton (voisin de l'em- ces territoires semble devoir être rap-
bouchure de l'Ampsagas) sépare le portée à une organisation générale
pays des Massésyliens de celui des qui aurait été opérée au commence-
Màssyliéens et de Carthage ; mais il ment du règne de Claude. En appre-
fait remarquer en même temps que la nant l'assassinat du roi Ptolémée,
limite du royaume de Juba et du ter- Eudémon, l'un de ses affranchis,
ritoire romain est fixée à Saldes, après avait soulevé les indigènes de la Mau-
diverses variations causées par l'al- ritanie pour venger le meurtre de ce
liance ou l'hostilité des habitants de prince; les premiers troubles suscités
ces contrées : ainsi le géographe grec à cette occasion dès avant la mort de
nous fait connaître deux sortes de li- Caligula avaient été réprimés immé-
mites, les unes politiques, entre les diatement, etClaude, arrivant à l'em-
états ; les autres ethnologiques, entre pire , se laissa persuader par ses
les nations. Mêla , plus jeune que courtisans qu'il devait accepter les
Strabon de dix-huit années, dit à son honneurs d'un triomphe pour des
tour que le fleuve Mulucha sépare la succès que non-seulement il n'avait
Mauritanie de la Numidie comme il point obtenus en personne , mais qui
séparait jadis les royaumes de Boc- avaient même précédé son avènement.
chus et de Jugurtha ; et que le fleuve Les Maures s'étant de nouveau sou-
Ampsagas avec le cap Métagonion sé- levés l'année suivante, le prétorien
parent laNumidie de l'Afrique pro- Caïus Suétonius Paulinus fut envoyé
prement dite , qui s'étend de* là jus- pour les réduire , et c'est alors qu'en
ressemblancequ'aux Autelsdes des noms
Philènes. Malgré la
du Molochath dix étapes il se porta jusqu'à une dis-
tance de quelques milles par delà les
de Strabon et du Mulucha de Pompo- cimes neigeuses de fleuve
l'Atlas,Ger,
et qu'il
nius Mêla, on sait déjà qu'il n'est pas atteignit même le qui
question du même fleuve, le premier coule au milieu d'un désert poudreux
224 L'UNIVERS.
coupé de quelques roches brûlées, non tuelle des Massésyliens et des Massy-
loin des forêts remplies d'éléphants , liens, devint la ligne de partage entre
de fauves et de reptiles , où les Cana- la Césarienne et la Numidie. Celle-ci
riens faisaient leur demeure. Dans ne fut point rétablie dans son ancienne
une nouvelle expédition (*) , Cnéus étendue vers l'est , alors qu'elle en-
Sidius Géta marcha droit contre Sa- tourait de toutes parts la province
labos chef des insurgés, le poursui- d'Afrique concentrée autour d'Utique
vit dans le désert (où une pluie inat- entre Thabraca et Adrumète; la nou-
velle Numidie resta tout entière a
tendue vint suppléer à l'épuisement
de sa nemiprovision d'eau), et força l'en- l'ouest servadetous l'Afrique propre,annexes
les territoires qui con-
du
a se soumettre. Claude constitua
alors les deux provinces Mauritanien- sud et de l'est jusqu'à la Cyrénaïque.
nes, qui eurent pour chefs-lieux Tingis C'est dans cet état que Pline l'Ancien,
et Césarée, et où il envoya des gou- qui termina son grand ouvrage sous
verneurs pris dans l'ordre des Cheva- le règne de Vespasien , trouva les
liers.— « Dans le même temps,» ajoute provinces africaines et en composa
Dion, «quelques parties delà Numidie la description. Une trace s'y laisse
ayant été attaquées par les barbares apercevoir encore de cette annexion à
du voisinage, ceux-ci furent battus et l'Afrique propre d'une portion jadis
soumis, et la paix rétablie. » adhérente à la Numidie, quand il fait
Ce récit nous semble constater à la remarquer la distinction , en usage
fois la création des deux provinces de alors,delaZeugitanejusqu'àNéapolis,
Mauritanie, et la renaissance de la et du Byzacium depuis Adrumète ;
Numidie comme province séparée et peut-être faut-il imputer à la même
cause la dénomination de Numidie
avec Cirta pour capitale. Ce n'est plus nouvelle qui se retrouve longtemps
de la Numidie de Pomponius Mêla
qu'il peut encore après dans Ptolémée, par op-
celle-ci est être question
désormais , puisque
officiellement position sans doute à la Numidie an-
constituée sous le nom de Mauritanie
considérable.dont l'étendue était bien plus
cienne,
Césarienne; c'est donc bien de la Nu- Grades des gouverneurs de ces
midie des Massyliéens, naguère con-
fondue avec l'Afrique.DES PROVINCES provinces. — Le commandement des
DÉLIMITATIONS deux Mauritanies , nous avons à cet
ORGANISÉES PAR CLAUDE. — Ainsi égard un témoignage formel, était at-
Claude aurait, en l'an 42, pourvu à une tribué àde simples chevaliers, avec le
nouvelle répartition générale de toute la titre de procurateurs; la Numidie, tout
région d'Afrique en quatre provinces : semble porter à le croire, n'eut qu'un
l'Afrique propre, la Numidie, la Cé- magistrat du même grade. L'Afrique
sarienne etlaTingitane; et l'on doità proconsulaire elle-même, sous le règne
raisonnablement faire remonter éphémère de Galba son ancien pro-
cette répartition une modification dans consul, se trouva accidentellement en-
les circonscriptions jusqu'alors varia- inférieur : le d'un
tre les mains officier d'un
commandant rang
militaire
bles de ces pays , de manière à ce que
les limites des provinces coïncidassent Caïus Clodius Macer, poussé par les
désormais avec les délimitations eth- intrigues d'une femme perdue, aux
nologiques dont nous avons signalé derniers jours de Néron, se révolta
les traces. Le fleuve Malua , presque dans cette province, y leva de nou-
contigu au Molochath de Strabon, velles troupes, intitula de son nom
borne commune des Maures et des une légion ainsi formée , et se souilla
Numides Massésyliens , marqua la sé- d'exactions et de cruautés tyranni-
paration entre la Tingitane et la Cé- ques ; ce fut le procurateur Trébonius
sarienne; etl'Ampsagas, borne mu- Garucianus qui fut chargé par Galba
de la mission de le délivrer d'un tel
(*) L'an 4a de notre ère. rival , et qui s'en acquitta par les
AFRIQUE ANCIENNE. 225

mains du centurion Papirius (*) : cette reconnaître et signaler Pison, l'infâme


exécution fut vue de mauvais œil; Bebius Massa, un des procurateurs
mais l'Afrique et ses légions ne firent d'Afrique (*). Après avoir reçu à Adru-
cependant point difficulté de recon- mète la nouvelle de l'accomplissement
naître Galba, après avoir obéi à un de ses ordres (**), Festus courut à ses
maître de plus bas étage. A la fortune troupes , où il distribua arbitraire-
de Galba succéda celle d'Othon : le ment les punitions et les récompenses,
procurateur Lucéius Albinus , à qui comme s'il venait d'étouffer une in-
Néron avait confié le gouvernement surrection. Puis il s'achemina vers
de la Mauritanie Césarienne , et qui Eéa et la grande Leptis pour mettre
avait de plus reçu de Galba celui de la fin à leurs discordes.
Tingitane, se déclara pour le nouvel Expéditions romaines chez les
empereur ; autant en lit Carthage à Garamantes et les Éthiopiens.—
l'instigation- de Crescens affranchi de Nées d'abord de quelques vols de ré-
Néron, et son exemple entraîna toute coltes et de troupeaux entre paysans,
l'Afrique, qui n'attendit pas l'arrivée ces discordes étaient devenues sérieu-
du proconsul Vipsanius Apronianus ses par l'appel que ceux d'Eéa, se sen-
qui lui était envoyé; mais les destins tant plus faibles , avaient fait à l'al-
sont changeants, et Albinus, qui vou- liance des Garamantes, gens indomp-
lait, dit-on, s'approprier les deux: tés et pillards, qui avaient porté la
dévastation et la terreur chez les ha-
Mauritanies et envahir l'Hispanie pour bitants de Leptis. Festus, avec ses
lui-même, se vit dépouiller et tuer par
Cluvius Rufus au nom de Vitellius. cohortes et ses escadrons, alla atta-
quer et mettre en déroute les Gara-
Événements divers en Afrique de- mantes, auxquels il enleva tout le bu-
tin qu'ils avaient fait, sauf ce qui déjà
vère. puis Vitellius jusqu'à Septime Sé- avait été transporté par des sentiers
inaccessibles pour être vendu au loin.
Meurtre du proconsul Pison. C'est alors qu'on découvrit, ainsi que
— L'étoile de Vitellius pâlit bientôt à nous l'apprenons de Pline, la route
son tour devant celle de Vespasien. appelée prœter caput Saxi, qui con-
L'un et l'autre avaient été proconsuls duisait chez les Garamantes par un
d'Afrique; mais le premier n'y avait chemin plus court de quatre journées.
laissé que de bons souvenirs; le second Quelques expéditions eurent lieu
au contraire s'y était fait des enne- encore de ce côté, sur lesquelles nous
mis par sa sévérité : le proconsul actuel n'avons que des indications insuffisan-
Lucius Pison se montrait neutre en- tes et incorrectes : il est permis de se
tre les partis, mais fidèle à son de- demander, par exemple , comment le
voir, tandis que le lieutenant impé- nom des Nasamons peut se trouver
rial Valérius Festus, d'abord partisan rapproché dans un même récit de ce-
déclaré de Vitellius , ne tarda point à lui de la Numidie, dont le commandant
travailler activement pour Vespasien ; Flaccus aurait éprouvé un échec de la
et comme Pison avait fait exécuter le part de ce peuple, et en aurait pris
centurion Papirius, le meurtrier de
(*) Le récit de Tacite démontre qu'il
Clodius«Macer, envoyé pour l'assassi- pouvait y avoir à la fois dans une même
ner lui-même, Valérius Festus y sup- province un proconsul et des officiers
pléa en chargeant de la même com- ayant respectivement le titre de légats et de
mission quelques cavaliers auxiliaires; procurateurs : il ne faudrait donc pas , de
on sait le dévouement de cet esclave
la mention isolée du légat ou du procura-
qui, devinant leurs sinistres desseins, teur d'une province sénatoriale , conclure
se fit passer pour son maître : dévoue- que cette province eût cessé d'être procon-
ment inutile, car il y avait là, pour sulaire.
(**) ère.
notre 15 70 de
Au commencement de l'an
(*) L'an 68 de notre ère.
15e Livraison. (Afrique ancienne.)
226 L'UNIVERS.

immédiatement sa revanche : c'est le Insurrections des Maures. —


compilateur Zonare qui nous rapporte Sous Adrien nous voyons, dans les
cet événement comme l'effet d'une maigres histoires qui nous sont par-
rébellion venues de ce temps, les Maures se
exactions des des Nasamons
collecteurs (*) contre : les
romains ne
soulever (*) , leur gouverneur Lusius
semble-t-il pas que sous ce nom de Quiétus, dont l'empereur se défiait,
Nasamons il faille chercher celui de rappelé à Rome , et Martius Turbo
quelque peuple plus voisin de la Nu- envoyé en Mauritanie pour le rempla-
midie, et plus sûrement inscrit parmi cer et y réprimer l'insurrection. Mais,
les sujets de Rome? Quoi qu'il en soit qu'elle fût
de nouvelles mal étouffée,
circonstances soit que
excitassei.t
soit, il est à croire que ce Flaccus dé-
signé par Zonare comme chef de la de nouveaux troubles , les Maures
Numidie, est le même que Septimius étaient encore soulevés quand Adrien,
Flaccus mentionné par Marin de Tyr au milieu de la grande tournée qu'il
comme étant venu en armes d'Afrique faisait
en Ethiopie vint en dans personne les provinces de l'empire,
les faire rentrer dans
route au sud jusqu'à trois mois
des Garamantes. Marinde
le devoir (**), citations solennelles du sénat.les Plus
ce qui lui valut féli-
citait en même temps une expédition
de Julius Maternus qui, venu de Lep- tard (***). il vint aussi faire un voyage
tis à Garama, avait ensuite marché
quatre mois au sud, en compagnie du dans l'Afrique pression de sonpropre, et suivant
biographe l'ex-,
Spartien
roi des Garamantes , jusqu'au pays il octroya aux provinces africaines
d'Agisymba, patrie des rhinocéros. nombre de bienfaits : nous savons par
Nous n'avons sur ces faits aucun au- une inscription qu'il fit paver la route
tre renseignement. de Carthage à Théveste. Peut-être
La cause de la province d'A- était-il accompagné, dans ce voyage, de
frique plaidée par Tacite et la princesse Matidie nièce de Trajan
Pline le Jeune. — L'Afrique, pres- et sa propre belle-mère, pour laquelle
surée par ses gouverneurs, éleva quel- il professait la plus haute considéra-
quefois lavoix contre leurs exactions; tion ;toujours est-il que le nom de
le proconsul Marins Priscus et son lieu- cette princesse resta attaché à diverses
tenant Hostilius Firminus,qui avaient localités, telles que Rusubbicari et
Pacciana dans la Numidie.
pillé la province et vendu la justice, fu-
rent, sous Trajan, dénoncés au sénat, Oeservations sur la circon-
poursuivis etcondamnés; cette cause fit scription DES PROVINCES AFRICAI-
du bruit et nous est signalée par cette NES au temps d'Adrien. — Il n'ap-
circonstance remarquable , qu'elle fut paraît d'aucune modification appor-
poursuivie par Tacite et Pline le Jeune tée par Adrien à la division de ces
en présence de Trajan lui-même, pen- provinces; mais il semble que la na-
dant trois longues séances, et que ture des choses dût amener insensi-
Pline y occupa la tribune pendant cinq blement une subdivision de la vaste
heures d'horloge sans désemparer. Le étendue de l'Afrique proconsulaire, et
proconsul, coupable de concussion et l'on en découvre l'indice précurseur
de forfaiture, fut exilé, mais sans être dans l'énumération qu'A ppien, au proè-
dépouillé de ses honteuses richesses, me de ses Histoires, nous fait des pos-
et Juvénal put à bon droit flageller sessions deRome, où il compte tour à
dans ses vers cette vaine justice (**). tour distinctement les Maures , les
Numides, les Africains de Carthage,
(*) L'an 87 de notre ère, d'après la chro- et les Africains du littoral des Syrtes.
nique d'Eusèbe. Ptolémée , son contemporain , est
(**) « At hic damnatus inani
« Judicio (quid enim salvis iufamia nummis?)
« Exul ab octavâ Marius bibit , et fruilur diis (*) L'an 117 de notre ère.
k Iratis : at tu , viclrix provincia , ploras. » (**) L'an 122.
Juvénal, Satyres, I, 47. (***) L'an X25.
227
AFRIQUE ANCIENNE.
plus explicite encore à distinguer les d'inquiéter l'empire : Antonin refoula
villes de la dépendance de Carthage, les insurgés dans l'Atlas et les força à
les villes de la dépendance d'Adru- demander la paix (*); mais ils reparurent
mète, et les villes entre les deux Syrtes: sous Marc Aurèle, et poussèrent leurs
il n'est point déraisonnable de p'enser incursions hardies jusqu'en Hispa-
que chacune de ces fractions de la nie(**), d'où les lieutenants impériaux
province proconsulaire était spéciale- eurent à les chasser ; ils étaient encore
ment confiée dès lors à un lieutenant en rébellion dans la Tingitane sous le
du proconsul. règne d'Alexandre rentrer
Sévère (***),
Peut-être y aurait-il lieu de croire fit heureusement dans qui les
le de-
que la Numidie elle-même , au lieu voir par les dispositions de Furius
de former une province complète- Celsus, qui sans doute était alors com-
ment constituée à part de l'Afrique, mandant de cette province. Les au-
s'y trouvait réunie paranalogue
intervalles, tres provinces de l'Afrique n'étaient
comme une subdivision aux pas non plus exemptes de troubles :
précédentes, avec un lieutenant pour Commode avait fait semblant de vou-
la commander : ainsi s'expliqueraient loir s'y rendre en personne en l'année
quelques faits ultérieurs, dans lesquels 188; Pertinax, qui y fut envoyé deux
on est étonné de voir mutuellement aux ans après comme proconsul, eut beau-
prises les gouverneurs de l'Afrique coup àsouffrir des séditions.
des Mauritanies, sans aucune mentionet
de la Numidie qui devait pourtant sé- Empereurs africains.
parer leurs territoires respectifs; ainsi
Septime Sévère, Macrin, Éla-
s'expliquerait
commandant deaussi l'expédition
la Numidie du
(NoufuSîaç garal. — Septime Sévère, africain
apXwv) Fiaccus contre des peuples de la lui-même et natif de la grande Leptis,
Syrtique : il n'aurait fait ainsi que qui avait exercé la charge de légat du
passer d'un bout à l'autre de la même proconsul d'Afrique, eut soin , à son
province, au lieu de sortir de sa pro- avènement à l'empire (****) , d'envoyer
vince pour aller guerroyer dans une dans cette province des légions pour
province voisine où il n'aurait eu au- empêcher son concurrent Pescennius
cun droit de commandement. Quoi Niger de s'en emparer. Macrin, qui par-
qu'il en Numidie
soit, Ptolémée comprend en vint son
à tour à la pourpre par le meur-
effet la dans les limites de tre de Caracalla (*****), était un Maure
l'Afrique propre, ce qui vient à l'appui de la Césarienne qui s'associa aussi-
de l'observation précédente; mais il tôt son jeune fils Diaduménus, dont le
lui donna spécialement le titre de pro- règne éphémère semble avoir laissé
vince fEiïapxCa), qu'il refuse aux autres une trace en Numidie dans le nom de
subdivisions de son Afrique, ce qui Diadumène accolé à celui de la station
constate en même temps une sépara- militaire Ad Basilicam près de Lam-
tion administrative plus tranchée. Quoi bèse. Élagabal qui leur succéda était
qu'il en soit, nous avons une preuve le fils de Sextus Varius Marcellus, an-
expresse et directe de la séparation cien gouverneur de la Numidie et
complète sous le règne d'Antonin, commandant de la légion Troisième
dont une constitution recueillie parle Auguste, sous Septime Sévère : il sem-
jurisconsulte Tryphoninus et citée d'a- blait que l'Afrique eût alors le privi-
près lui dans le .Digeste de Justinien, lège de donner la pourpre, sinon à ses
est adressée à Tuscius Fuscianus lé-
gat de Numidie, c'est-à-dire lieute- (*) L'an
L'an i38
170. de notre ère.
nant impérial ayant le commandement (**)
(***) L'an 234.
de la province militaire ainsi dénom-
mée.
(**•**) L'au 173; c'est en l'année 172 qu'il
Nouvelles insurrections des (*****)
avait été L'an
légat217.
d'Afrique.
Maures.— Les Maures continuaient
15,
228 L'UNIVERS.
propres enfants, du moins à ceux dont ce choix (*) ; mais le gouverneur de
elle devenait la patrie d'adoption. La Mauritanie Capellianus, ennemi per-
proclamation des Gordiens en offrit
un nouvel exemple. sonnel de Gordien
tre destitué par lui ,, et
se qui
mit venait d'ê-
en marche
Les trois Gordiens. —MarcusAn-
tonius Gordianus Africanus, qui avait avec les nombreuses troupes qu'il avait
sous ses ordres pour contenir la tur-
été, en l'année 229, le collègue de l'em- bulence des Maures, et se dirigea vers
pereur Alexandre Sévère dans son troi- l'Afrique afin de soutenir la cause de
sième consulat, fut envoyé l'année sui- Maximin; Gordien le jeune alla au-de-
vante, comme proconsul en Afrique, vant de lui , mais il fut défait et tué;
par le sénat, qui plus tard lui désigna et son père , à cette nouvelle, mit lui-
son propre fils pour lieutenant. Sept même fin à ses jours, six semaines
années s'écoulèrent en paix sous le après sa proclamation. Mais un troi-
gouvernement de Gordien , toujours sième Gordien, son petit-fils, fut aus-
prorogé dans son proconsulat; mais sitôt amené à Rome par ordre du sé-
le meurtre d'Alexandre Sévère avait nat, et déclaré césar, puis auguste.
frayé à Maximin le chemin du trône Observation sur la nullité
impérial, et les partisans de ce prince BU RÔLE PROVINCIAL DE LA NUMI-
dur et grossier changèrent la face du DIE DANS LES TROUBLES DE L'AfRI-
pays(*)":
avide, tancé un procurateur rigoureux
parle proconsul et
et le lé- que A cetted'Afrique, époque. —ayant Sabinianus,"
proconsul voulu ,
gat, s'emporta contre eux en menaces, quelque
et les Africains , ne le pouvant souf- insurrection dans sa province, a une
temps après (**) , tenter son
frir, letuèrent et proclamèrent empe- propre bénéfice, le commandant de
reur, àTysdrus, le vieux Gordien lui- la Mauritanie , contre lequel il avait
même, malgré sa résistance, ainsi que d'abord eu l'avantage , le repoussa vi-
son fils, et le sénat de Rome confirma goureusementréduisit
, les rebelles à
livrer le coupable, et de cette manière
mit fin à la révolte.
(*) Cependant le nom de Maximin se
rattache, en Afrique, à des travaux utiles, Ainsi entre le premier Gordien et
ainsi que le prouve l'inscription suivante , Capellianus, entre Sabinianus et le
qui se rapporte à l'an 236 : commandant de la Mauritanie, on voit
IMP. CAESAR C. IVLIVS naître des collision^ directes, comme
V£RVS MAXIMINVS TIV3 s'il n'existait point entre leurs gou-
FELIX AVG. GERM. MAX. SAR
vernements respectifs une province de
MAT. MAX. DACICVS MAX. PON.
Numidie à traverser ; cependant nous
MAX.
C.
TRIB.
IVLIVS VERVS
POTEST.
MAXIMINI
III. IMP.
F.
V.
NO
avons en même temps , dans un autre
BILISSIMVS CAES. PRINCEPS ordre de faits , des témoignages cer-
IVVENTVTIS OERM. MAX. SAR tains de l'individualité provinciale de
MAT. MAX. DACICVS MAX.
la Numidie: le christianisme, dès
VIAM A KARTHAGINE VS longtemps introduit et propagé en
QVE AD FINES NVMID1AE Afrique, y avait fondé de nombreuses
PROVINCIAE LONGA INCVRIA églises , dont les pasteurs , décorés du
CORRVPTAM ADQVE DILAP titre d'évêque
ment en conciles, se :réunirent fréquem-
une assemblée de
SAM RESTITVERVNT.

« L'empereur et césar Caïus Julius Vérus Maxî-


soixante-dix évêques se tint à Car-
u minus Plus Félix, auguste, le Germanique, le thage dans l'une des dernières années
«« Sarmatique, le Dacique, grand pontife, revêtu de du deuxième siècle, et saint Cyprien
« la puissance tribuni tienne pour la troisième fois,
« empereur triomphant pour la cinquième fois ; et
énonce que ces prélats appartenaient
« Caius Julius Vérus , fils de Maximin Auguste ,
à la province d'Afrique et à la Numi-
« très-noble César, prince de la jeunesse , le Ger- die lui-même
; réunit en 254 un con-
« manique , le Sarmatique , le Dacique ; ont ré-
« tabli la route depuis Carthage jusqu'aux fron-
« tières de la Numidie , qu'une longue négligence (*) L'an 237.
« avait laissé dégrader et dépérir. » (**) L'an 240.
AFRIQUE ANCIENNE. 229
cile de soixante-onze évêques tant de alors que Florianus, proclamé par le
la province d'Afrique que de la Nu- sénat, était reconnu dans l'Europe,
midie , et il présida en 255 un autre l'Afrique et l'Asie Mineure, tandis que
concile de quatre-vingt-cinq évêques, le premier avait pour lui le reste de
dont les actes nous sont parvenus, et l'Asie avec l'Egypte; l'empire se trou-
constatent qu'ils étaient de la pro- va unvait moment partagé, ainsi qu'il ,l'a-
vince d'Afrique , de la Numidie, et de été aux temps des Triumvirs et
la Mauritanie. que Caracalla avait eu dessein de le
Le tyran Celsus. — Alors que partager avec Géta , en deux grandes
de toutes parts s'élevaient dans l'em- divisions, qui allaient bientôt se repro-
pire ces prétendants éphémères que duire d'une manière plus durable,
l'histoire a dédaigneusement appelés jusqu'à se perpétuer enfin sous les
les trente tyrans, l'Afrique eut aussi noms d'Empire d'Occident et d'Empire
le sien , plus misérable encore que d'Orient : et dès ce moment la région
les autres : le proconsul Vibius Pas- d'Afrique demeura comprise dans la
siénus et le duc de la frontière liby- division occidentale. Carus, en partant
que Fabius en 283 pour l'Orient avec Numérien,
rent, en 265 ,Pomponianus de proclamer s'ingérè-
auguste laissa à Carinus l'Italie, l'Illyrie, l'A-
un ancien tribun rentré dans la vie
frique et le reste de l'Occident, pour
privée et cultivant ses terres , nom- les gouverner avec la plénitude de
mé Celsus; on le revêtit, pour l'i- l'autorité impériale. Quand Dioclétien,
naugurer, du manteau de pourpre de en 286, se fut donné pour collègue
la Déesse Céleste de Carthage; mais la Maximien-Hercule, il lui fit un apa-
semaine était écoulée à peine, que son nage dans lequel se trouvaient l'Italie,
cadavre était livré aux chiens par les l'Afrique et PHispanie ; puis , en 292,
habitants les deux augustes s'associant deux cé-
crucifiait ende effigie. Sicca ,Nous
pendant qu'on
voyons, dansle sars, Maximien-Hercule partagea son
ce récit de Trébellius Pollion , figurer lot avec Constance-Chlore son gen-
pour la première fois un duc de fron- dre, àqui il abandonna tout l'Occident
tière; lafrontière libyque qui lui est au delà des Alpes, et peut-être même
attribuée doit probablement s'enten- la Tingitane comme annexe de l'His-
dre de celle de l'Afrique proconsulaire, panie,
avec lesse îles réservant
intermédiaires. l'Italie et l'Afrique
du côté de la Libye propre ou de la
Libye intérieure ; c'est de to même maximien-hercule maitre de
charge sans doute qu'était revêtu sous l'Afrique , y multiplie le inom-
Aurélien un Firmus cité par l'histo- bre des provinces. — L'attention
rien Yopiscus comme duc de la fron- de Maximien , excitée d'abord par les
tière africaine, en même temps que querelles intestines des Maures (*),
proconsul. Probus, qui depuis fut em- eut à se préoccuper bientôt plus sé-
pereur, avait été chargé par le même rieusement de leur insurrection; c'é-
prince d'apaiser des troubles à Car- taient de sauvages montagnards can-
tonnés entre Saldes et Rusuccurum ,
thage, et depuis son élévation à l'em-
pire lui-même chargea Sextus Julius formant une association de cinq peu-
Saturninus, qui fut plus tard son com- plades désignées en commun par le
pétiteur ,de délivrer l'Afrique des nom de Quinquégentiens , et qui se
Maures qui l'avaient envahie. croyaient à l'abri du joug dans ces
retraites inaccessibles , défendues par
VI. ADMINISTRATION ROMAINE DE- la nature elle-même; leur révolte
PUIS L'ORGANISATION PROVIN- semble se lier à celle d'un préten-
CIALE DE MAXIMIEN-HERCULE JUS-
dant nommé Julien, d'ailleurs incon-
QU'A CELLE D'HONORIUS.
(*) « Furit in viscera sua gens effrena
Divers partages de l'empire. MauroMim. » ( Mamertin , Panégyrique ,
A l'avènement de Probus, en 276, III, 17.) Ceci se rapporte à l'an. 291.
230 L'UNIVERS.

nu (*) : Maximien, comme naguère toire auquel


f'ans les mêmes lieux le gouverneur trouva ainsi resta le nom
composé d'Afrique
de six provincesse
français de l'Algérie , pénétra clans se succédant d'ouest en est en cet or-
dre :la Mauritanie Césarienne depuis
leurs' repaires,
merci; les battit
mais pour et lesdereçut
prévenir nou-à
veaux soulèvements, il les transplanta le Malua jusqu'à Saides, la Mauritanie
Sitifienne depuis Saides jusqu'à l'Amp-
ailleurs. D'autres tribus, voisines des srigas, la Numidie depuis l'Ampsagas
Syrtes, furent plus opiniâtres ou plus jusqu'à Thabraca, l'Afrique propre de-
heureuses, et échappèrent à son auto- fmis Thabraca jusqu'à depuis
Horréa-Célia
rité (**). a Valérie ou Byzacène Horréa ,
On suppose que ce fut alors que Célia jusqu'au fleuve Triton, et enfin
Maximien-Hercule effectua la subdivi- la Subventane (subsidiaire) ou Tripo-
sion de l'Afrique proconsulaire en trois litaine
provinces distinctes, ayant «respective- rénaïquedepuis: ces lesixTriton jusqu'à
provinces la Cy-
formaient
ment pour capitales Carthage, Adru- ensemble un diocèse gouverné par un
mete et la grande Leptis ; et qu'il vicaire du préfet du prétoire; quel ti-
subdivisa en même temps la Mauritanie tre était alors affecté au commandant
Césarienne en deux provinces dont les de chacune de ces provinces , c'est
chefs-lieux furent Césarée et Sitifis ; chose malaisée à définir : on sait seu-
la Numidie conservant son territoire
lement que l'Afrique propre demeurait
intégral et sa capitale Cirta. Quant à affectée à un proconsul; quant aux
la Tingitane, elle était probablement autres, on trouve bien dans le code de
déjà annexée à l'Hispanie. Le terri- Justinien, une constitution impériale
adressée en 295 à un Concordius y;ro-
(*) « Afncam Julianus ac nationes Quin- consulde Numidie; mais ce n'est peut-
quegentance graviter qualiebant. » (Auré-
i.ius Victor, des Césars, xxxix, 3.) — Il
être que l'erreur d'un copiste peu ha-
bile adistinguer l'abréviation du titre
ne peut êire question là de Sabinus Julia- de procurateur de celle de proconsul;
nus soulevé dans la Vénétie et tué par
quelques années après nous trouvons
Carinus, ni de Julien proconsul d'Afrique la mention d'un consulaire de Numi-
auquel est adressée une loi du 3i mars 296
contre les Manichéens, ni probablement de die, et un peu plus tard les monuments
Julien soulevé en Italie. Les médailles du épigraphiques donnent à la Numidie
temps nous montrent un Quintus Trebonius Un légal propréteur, et à la Valérie-
Julianus et un Marcus Aurélitis Julianus, Byzaèène un prœses.
dout l'un était sans doute le tyran africain, Tyrannies d'Alexandre et de
l'autre relui d'Italie ; mais nous n'avons Maxence. — Quand les césars Cons-
aucun indice pour reconnaître celui qui tance-Chlore etGalère furent procla-
nous intéresse.
més augustes à la place de Maximien-
(**) Nous voulons parler des Hilaguas ou Hercule et de Dioclétien qui abdi-
Ilasguas, qui jouent un grand rôle dans les
quaient, et qu'ils eurent à leur tour
vers de Corippe , où on les voit répéter
sans cesse :
pour associés comme césars Sévère
« Non quantum Hilaguas
et Maximin , Constance -Chlore mit
« Notas marte tibi, quem tania fama perennis sous l'autorité directe de Sévère les
v Prisca canit ? cujus jàm Maximianus in armis diocèses qui avaient été le lot de
« Antiquos persensit avos, Roinana per orbem Maximien -Hercule. Mais Maxence,
« Sceplra tenens, Latii princeps ?
Johannide , I, 478. fils de ce dernier, ayant battu et tué
« Imperium vicëre patres : non vincere noslros Sévère pour se substituer à lui, pré-
« Maximianus avos, Romani fortia regni tendit se faire reconnaître en Afri-
« Sceptra tenens, potuit.
Ibid., IV, 822. que :elle leva alors l'étendard contre
« Nec Maximianus apertas
Maxence et proclama auguste le pan-
« Bis potuit conferre manus, cùm sceptra teneret nonien Alexandre (*) qui avait été
« Romani princeps populi, victorque per omnes
« Pœnorum gentes bellis transiret acerbis. »
Ibid., VI,53o, (*) L'an 3c8; c'est en 3o4, et peut-être
auparavant, qu'il était comte d'Afrique,
AFRIQUE ANCIENNE.
231
quelques années auparavant comte nius, l'une par les décurions de Tabu-
militaire de l'Afrique et avait ensuite dis
cana., l'autre par la colonie Bisica Lu-
été promu au grade de vicaire ou lieu-
tenant général du préfet du prétoire Quand tout l'empire fut réuni sous
dans tout le diocèse : il conserva ainsi
son gouvernement dans une complète le sceptre de Constantin, et qu'en l'an-
indépendance pendant trois années , née 326 ce monarque en régla l'orga-
nisation en quatre préfectures préto-
au bout desquelles Maxence, devenu riales , l'Afrique fut comprise avec
plus fort, envoya contre lui Rufus l'Italie et les îles intermédiaires dans
Volusianus son préfet du prétoire, et l'une de ces grandes divisions territo-
Zénas général expérimenté, qui le bat- riales; nous avons à cet égard un té-
tirent, lepoursuivirent et l'assiégèrent moignage exprès de Zosime, qui men-
dans Cirta où il s'était réfugié, em- tionne en outre la séparation qui fut
portèrent la'place qui fut saccagée, faite alors de l'autorité civile laissée
et s'étant emparés d'Alexandre , le fi- aux préfets du prétoire, et de l'autorité
rent étrangler : les plus considérables militaire réservée aux maîtres de la mi-
des rebelles furent dépouillés de leurs lice; mais nous ne connaissons rien
biens et sacrifiés; Carthage elle-même de précis quant à la hiérarchie qui fut
fut pillée et incendiée , et toute l'A- en même temps établie dans chaque
frique ruinée. Constantin le Grand , branche des services publics, quoique
qui l'année suivante ôta à Maxence nous sachions d'ailleurs, par quelques
l'empire une
comme et lasorte vie, envoya en Afrique,la
de satisfaction, indices épars, qu'il y avait, dans le
diocèse d'Afrique, un vicaire, un pro-
tête du tyran qui l'avait dévastée; il consul, des consulaires, un conseil gé-
fit réédifier Cirta qui prit désormais néral des provinces, et des conseils pro-
le nom de Constantine, et il fit distri- vinciaux distincts , un comte , des
buer dans les provinces des indemni- ducs , etc. Dans la distribution que
tés et des aumônes par les mains de Constantin fit de ses états en 335 à
l'évêque de Carthage. ses trois fils et ses deux neveux, l'A-
Sortversde PARTAGES
l'Afrique frique fut attribuée à Constant avec
DE LAdans les di-
FAMILLE DE
l'Italie et l'Illyrie ; mais lorsqu'après
Constantin. — Bien que , dans le le meurtre de Delmace etd'Annibalien,
partage qu'il fit en les trois empereurs procédèrent en 338
nius , Constantin se 314
fût avec
réservéLici-la à un remaniement général de leur par-
possession de l'Occident , néanmoins tage, l'Afrique devint qui
un sujet de dis-
comme ce partage n'était à propre- corde entre Constant la possédait
ment parler, ainsi que nous en avons déjà, et Constantin le Jeune qui pré-
précédemment fait l'observation gé- tendait l'avoir : il y eut même, suivant
nérale , qu'une distribution des par- quelques critiques, soit un ^morcelle-
ties d'un même empire entre des col- ment par lequel Constantin obtint la
lègues possédant en commun un pou- proconsulaire pendant que Constant
voir indivis et solidaire, il ne faut point gardait la Numidie, soit une alterna-
être surpris de trouver en Afrique des tive de possession, pendant laquelle
monuments lapidaires en l'honneur du Constantin, en 339, agissait en maître
prince dans le lot duquel elle n'était àConstant
l'égard tenaitdes provinces encore enafricaines, que
338 et avait
pas comprise, mais qui n'en avait pas
moins, pour elle comme pour tout le déjà reprises en 340 avant que, la que-
monde romain, le titre et l'autorité relle des deux frères étant vidée par
impériale : on a ainsi relevé, dans les
environs de Tunis, deux inscriptions les armes, Constant vainqueur s'empa-
rât de tout l'héritage de Constantin.
des années 313 et 318 dédiées à Lici- Magnence ayant en 350 usurpé le trône
de Constant, qu'il fit assassiner, l'A-
c'est-à-dire légat ayant le commandement frique le reconnut pour maître jus-
des troupes.
qu'à ce que Constance vint en 352 le
232 L'UNIVERS.

punir de son usurpation, et demeurer le corrompt et le gagne; une troisième


bientôt seul possesseur de tout l'em- incursion des Austuriens porte dans
pire. Constance à son tour vit Julien la Tripolitaine le carnage et la désola-
saisir le sceptre dans les Gaules ; il tion, et Leptis dépêche
voulut défendre contre lui l'Afrique , de nouveaux députés pourà lui
l'empereur
exposer
et y envoya pour cet objet Gaudence, les doléances de la province; mais Va-
sur la fidélité duquel il pouvait comp- lentinien, prévenu par de faux rap-
ter ; mais la fortune de Julien l'em- ports, défère la connaissance de toute
porta enfin, et l'Afrique, conservée à cette affaire à Crescens vicaire d'A-
Constance tant qu'il vécut, fut remise frique (*), et de honteuses manœuvres
après sa mort à son successeur. amènent des rétractations par suite
Incursions des Maures AUSTU- desquelles Ruricius gouverneur de la
RIENS; PRÉVARICATION DU COMTE Tripolitaine est condamné comme
Romanus. — Valentinien, parvenu ayant fait un rapport entaché de men-
àsonl'empire en 364et, secéda l'Orient songe et d'exagération, et est exécuté
frère Valens, réserva pourà à Sitifis ; d'autres innocents sont aussi
lui-même l'Occident : l'Afrique était mis à mort à Utique. Et la Tripoli-
alors en proie aux courses des Aus- taine, saccagée, ensanglantée, fut ré-
turiens et autres nations maures- duite à une silencieuse résignation.
ques, dont l'insolence était augmen- Mais le jour de la justice devait arri-
ver plus tard : la conduite de Roma-
comtetée Romanus,
par la lâchetépluset habile l'avarice du
encore nus fut dévoilée à Théodose pendant
que les barbares à ruiner les provinces son expédition contre Firmus, et le
qu'il était chargé de défendre, mais qui coupable renvoyé devant l'empereur
se liait pour l'impunité de ses rapines, pour recevoir son châtiment.
à sa parenté avec le maître des offices,
son chef immédiat et ministre de l'em- Guerre contre Firmus.
pereur. Cet état de choses avait pré-
cédé l'avènement de Valentinien; la Insurrection de Firmus ; le
fureur des Austuriens avait été pro- comte Théodose est envoyé con-
voquée par le supplice d'un des leurs tre lui. — Nubel, un des chefs les
qui s'était rendu coupable de méfaits plus puissants des tribus mauresques,
dans la Tripolitaine; sous prétexte de étant venu à décéder, son fils Zamma
le venger ils étaient venus piller et in- qui avait lié amitié avec le comte Ro-
cendier lesfaubourgs mêmes de Leptis. manus, fut tué par son frère Firmus,
Le comte, appelé par les Leptitains , contre qui le comte envoya des rap-
vint avec ses troupes, mais refusa de ports passionnés , aussitôt remis à
marcher à l'ennemi si on ne lui four- l'empereur par le maître des offices,
nissait d'immenses provisions et qua- qui supprimait au contraire, ou re-
tre mille chameaux ; c'était au delà de tardait lacommunication des mémoi-
leurs facultés, et le comte s'en retour- res justificatifs de Firmus; celui-ci,
na ;les malheureux eurent recours à inquiet pour sa propre sûreté, se ré-
l'empereur, mais le maître des offices volta et commit des dévastations pour
rendit leurs plaintes vaines, et dans la répression desquelles Valentinien
l'intervalle les barbares, envahissant envoya le comte Théodose, maître de
la Tripolitaine, vinrent porter de nou- la cavalerie, avec quelques troupes de
veau le ravage et la mort sur le terri- sa garde.
toire de Leptis et d'Ééa : et le gouver- Ce général , débarqué sur la côte
mettreneur deaucun la province, Ruricius,
obstacle, n'y put
parce que ses (*) L'an 869. Morcelli rapporte à cette
pouvoirs militaires venaient d'être affaire une loi du code Théodosien qui laisse
transférés au comte : cependant l'em- les frais du retour dans leur province aux
pereur envoie son secrétaire Palladius députés dont la mission n'a point été jus-
pour vérifier les faits, mais Romanus tifiée par des motifs suffisants.
233
AFRIQUE ANCIENNE.
de la Mauritanie Sitifienne à Igil- qui ne furent pas agréées ; et le comte
gilis, après avoir dépêché Romanus Théodose arriva enfin à Césarée, au-
dans la Césarienne pour y organiser jourd'hui Scherschel, dont l'incendie
des postes avancés, se rendit à Sitifis et les dévastations des insurgés avaient
où il reçut les envoyés de Firmus et fait un monceau de ruines; la Pre-
demanda' des otages; puis il alla à la mière et la Seconde légion furent char-
station Panchariana (*) , passer la re- gées de la rétablir et d'y tenir garni-
vue des légions employées en Afrique, son ;et les magistrats de la province
auxquelles il avait assigné ce lieu de avec le tribun Vincentius vinrent y re-
rendez-vous; et revenu à Sitifis, il se prendre leurs fonctions.
Expédition de Théodose dans
mit en campagne et porta son quar-
tier général aïubusuptusdans les mon- le sud de Césarée. — Mais le
tagnes de Fer, où il refusa de voir de comte Théodose , ayant eu avis que
nouveaux envoyés de Firmus qui ve- Firmus tramait quelque perfidie, se
porta immédiatement à Sugabarri sur
naient sans les' otages : tombant alors
sur lesTyndiensetlesMassissiens,il les la pente du mont Transceilensis , y
tailla en pièces, saccagea le domaine surprit un corps de transfuges, et les
de Pétra aussi considérable qu'une emmena à Tigavies, où lui furent con-
ville, et emporta la place de Lamfocta, duits prisonniers Bellen un des prin-
où il reçut les soumissions que Firmus cipaux d'entre les Mazikes, et Feri-
vint luiVaire en personne : deux jours cium ou Faraxen , leur chef, capturé
après le chef maure fit la remise, dans par le tribun Quintus Gargilius (*):
Icosium (qu'on croit représenté au-
jourd'hui parAlger), des enseignes ro- cium (*) La capture de Faraxen, appelé Feri-
par Ammien Marcellin, est rappelée
maines demment
et du enlevés;
butinà Tipasa
qu'il avait précé-
(la moderne dans une inscription recueillie à Hankzah ,
ïefsah) les Mazikes alliés de Firmus l'ancienne Auza , qui nous fait connaître
vinrent faire des offres de soumission le nom du capteur :
Q. GARGILIO Q. F
TRAEF. COU.... BRITANNIAE
(*) On a , bien à tort ce me semble, cher-
ché cette station Pancharienne, rendez-vous TRIB. CO - MAVR. CAE
A. MIL. PRAE. COH. SING. ET VEX.
des troupes préposées à la garde de l'Afri-
que dans
, les Pacoiana de la cote, vers l'em- EQQ. MAVROR. IN ÏERRITORiO
bouchure de i'Ampsagas. Il ne faut pas AVZIENSI PRETENDENTIVM
oublier que le principal centre de canton- DEC. DVARVM COLL. AV2IEN
SIS ET RVSCVKIENSIS ET TAT.
nement était à Lambèse, et que c'est sur la
route de Lambèse à Sitifis, quartier géné- FROV. OB INSIGNEM IN CI
ral de Théodose, que celui-ci devait naturel- VES AMOREM ET SINGVLA
lement aller passer la revue des troupes REM ERGA PATRIAM ADFEC

qu'il voulait réunir à celles qu'il amenait des TIONEM ET QVOD EIVS VïR
Gaules, et qui étaient déjà arrivées à Sitifis; TVTE AC VIGILANTIA FA
or, à moitié chemin de Lambèse à Sitifis, RAXEN REBELLIS CYM SA
nous avons, dans la Table Peutingérienne, TELLITIBVS SV1S FVERIT

entre Thadute (identique à Tadutli de l'Iti- CAPTVS ET INTERFECTVS

néraire, aujourd'hui Tattubt) et Sitifis, une ORDO COL. AVZIENSIS


station appelée Baccarus, ou Baccaras sui- INSIDIIS BAVARVM DE
vant le Ravennate anonyme, qui paraît ré- CEPTO P.P. F. D.D. VIII KAL.
pondre parfaitement aux conditions du FEBR. PR. CCXXI.

problème , soit qu'on veuille lire Statio « A. Quintus Gargilius... fils de Quintus, chef de
Baccliariana ou Pacchariana dans Ammien,
«ta cohorte.... Britannique, tribun delà cohorte
soit qu'on lise Pancarus ou Bancarus dans «des Maures Césariens formant l'aile milliaire,
la Table. Il semble que la sagacité de d' An- « chef de la cohorte des cavaliers singnlaires et
ville ait deviné cette solution, puisque sur « vexillaires maures campés dans le territoire
sa carte de Numidie de 174a, où il a in- « d'Auza , décurion des deux colonies d'Auza et
« «le Riisçunia , et patron de la province; pour son
diqué les routes données par la Table , il a « amour insigne envers ses concitoyens , et son
écrit Pancarus au lieu de Baccarus, u affection particulière envers sa patrie ; et attendu
234 L'UNIVERS.
Théodose fit passer les transfuges par Fuite de Firmus ; sa mort. —
les armes, et décapiter les deux chefs Théodose s'occupa alors de rompre
maures. De là il alla prendre et raser adroitement la ligue formée à grands
le camp fortifié de Gallonatis, et se di- frais par l'ennemi , et de gagner par
rigeant vers le château Tingitan à tra- des promesses ou des menaces, les
vers le mont Ancorarium , il tomba tribus circonvoisines telles que les
sur un parti de Mazikes commandés Baïures , les Cantavriens , les Avas-
par Suggena, et les tailla en pièces. tomates , les Casaves , les Davares et
Le comte militaire d'Afrique succes- autres limitrophes. Firmus effrayé du
seur de Romanus (qui avait alors été danger d'une défection, se sauva au
démasqué et renvoyé à la justice de loin dans les monts Caprariens, puis
l'empereur), fut chargé d'aller dans la dans le municipe de Conta : ses
MauritanieSitifienne surveiller les pos- alliés se dispersent , Théodose dé-
tes afin de garantir la province de vaste leur camp abandonné, établit
toute invasion, et Théodose lui-même des chefs dévoués sur les tribus qu'il
se dirigea contre les Musons; mais à soumet sur son passage, va battre
peine avancé jusqu'auprès du municipe chez eux les Caprariens et leurs voi-
sins les Abannes , et tournant vers
d'Audia
affaire à (*), une ayant appris innombrable
multitude qu'il aurait Conta, il se rend maître de la place,
de gens de toutes les tribus , tandis d'où Firmus s'était enfui à son appro-
qu'il n'avait avec lui que 3 500 hommes, che pour se réfugier chez les Isafliens;
il prit le parti de battre en retraite, Théodose va les attaquer et les bat-
et quoique vivement harcelé, il arriva tre, et s'enfonce plus avant jusqu'aux
sans grave accident au domaine de montagnes des Jubalènes , patrie de
Mazuca, et de là à Tipasa,où il rentra Nubel et de Firmus : là les difficultés
au mois de février 373. du terrain l'arrêtent, et il revient au
château d'Audia, où il reçoit les sou-
missions des Iéssaliens.
« que c'est par son courage et sa vigilance que le
« rebelle Faraxen , avec sa bai/de , a été pris et mis Ayant porté son camp auprès du
* à mort ; le sénat de la colonie d'Auza a fait élever
(( ce monument à une victime de la trahison des Ba- château de Média,les ilmoyens
veau àchercher s'occupade dese nou-
faire
« vares , aux frais du trésor public , en vertu d'un
« décret des décurions, le 8 des calendes de février,
« l'an de la province 221. » revenu chez les Isafliens, il alla le était
livrer Firmus; apprenant qu'il leur
La restitution de cette inscription offre redemander, mais inutilement, et après
quelques difficultés ; la date de l'année pro- un combat acharné dont l'issue fut
vinciale soulève plus d'une question, el le douteuse, il retourna au château d'Au-
chiffre même nous en paraît erroné. Le nom dia, où il fut encore harcelé par les
de Faraxen, sa capture, sa mort, le cam- barbares; hâtant sa marche, il tomba
pement avancé d'Auza, la trahison ulté- à l'improviste , par des chemins de
rieure des Bavares, voilà assez de motifs de
traverse, sur le pays des Iéssaliens
certitude que l'inscription se rapporte à la dont il se défiait, le dévasta, et conti-
guerre de Théodose contre Firmus, et qu'elle nuant sa route par les villes de la
doit être réellement de l'année 373.
Mauritanie Césarienne, il rentra a Si-
(*) Ammien Marcellin , dont nous n'a- tifis. Enfin, dans une dernière cam-
vons qu'un texte très-imparfait, parle cer- pagne, Théodose ayant fatigué les Isa-
tainement du même lieu en trois endroits,
fliens par de nouvelles attaques, leur
où les éditions portent néanmoins trois le-
çons différentes ; municipium ou castellum roi Igmazen se décida à traiter se-
Addense, Audiense , et Duodiense ; la se- crètement avec lui de l'extradition de
conde leçon est évidemment la meilleure , Firmus,
chef des par Mazikes l'intermédiaire
dévoué auxdeRomains;
Massilla
et nous rappelle très-bien, sous une forme
adjective, le nom à'Audia, le même que Firmus, averti du danger, n'y échappa
Auza; la permutation de di en z est une qu'en se donnant la mort. Son cada-
des particularités les mieux constatées de vre, chargé sur un chameau, fut porté
l'ancienne prononciation africaine. au château de Subicara près duquel
AFRIQUE ANCIENNE. 235
campait Théodose, qui rentra alors diocèse d'Afrique, qu'il épuisa d'exac-
triomphant à Sitifis. tions; l'empereur Théodose vint le pu-
IVIAT DES PROVINCES AFRICAINES
nir, et rétablir immédiatement l'au-
A cette époque. — Ces événements torité du prince légitime ; et quand
signalaient la lin du règne de Va- celui-ci eut péri en 393, Théodose réu-
lentinien : il nous reste de ce temps nit en sa main tout l'empire , qu'il
le tahleau abrégé ou Bréviaire des partagea définitivement à sa mort (en
victoires et des provinces du peuple 395) entre ses deux fils; ce fut le plus
romain , de Sextus Rufus , où la ré- jeune, Honorius, qui eutde l'empire
duction successive des états de l'A- cident sous la tutelle Stilichon.d'Oc-
I friqne en provinces est rappelée en Dans ces temps de troubles et de
Iquelques lignes, et leur situation résu- minorités, l'organisation hiérarchique
mée en ces. mots : « Il a été fait, de des services publics éprouvait des va-
« toute l'Afrique, six provinces : d'a- riations au gré des besoins et des con-
« bord celle même où estCarthage, venances locales ou du caprice des in-
« proconsulaire; la Numidie, consu- fluences personnelles : Constantin avait
« laire; le Byzacium, consulaire; Tri- prétendu séparer ministration civilecomplètement
du commandement l'ad-
« poli, et les deux Mauritanies , c'est-
« à-dire la Sitifienne et la Césarienne, militaire, mais à l'époque où nous
« sont présidiales. » Quant à la Tin- sommes parvenus on voyait un même
gitane , il déclare un peu plus loin officier être à la fois duc et président
qu'elle est annexée à l'Hispanie et de la Mauritanie Césarienne, tel autre
qu'elle est au nombre des provinces duc et correcteur de la Tripolitaine.
présidiales. La même disposition se L'armée active avait été placée sous
trouve reproduite, avec quelques dé- les ordres de maîtres de la milice ré-
tails de moins, dans la Notice des Pro- sidant près de l'empereur, et les deux
vinces que l'on croit dater du règne armes de l'infanterie et de la cavalerie
étaient même attribuées à des maîtres
de l'empereur Théodose le Grand.
distincts; et d'un autre côté les trou-
VII. ORGANISATION PROVINCIALE pes sédentaires préposées à la garde
SOUS HONORIUS. des frontières étaient spécialement
commandées par des comtes et des ducs
Révolte de Gïldon. ressortissant au maître des offices ;
mais quand le maître de la cavalerie
le comte glldon, revêtu de Théodose fut envoyé en Afrique con-
tous les pouvoirs militaires en tre Firmus, le commandement mili-
Afrique, tente de se rendre in- taire lui appartint sans réserve pour
dépendant. — A la mort de Valen-
tout le temps de son expédition: c'é-
tinien (*) le sceptre d'Occident resta tait un premier pas; bientôt après le
aux mains de son fils Gratien, âgé comte Gildon fut revêtu du même
de dix-sept ans à peine, à qui l'ar- commandement en titre d'office, com-
mée donna pour collègue son frère me maître de l'une et l'autre milice
Valentinien le Jeune, enfant de qua- en Jfrique, ce qui lui conférait un tel
tre ans ; et il se fit entre eux , dit-
on, un partage, qui ne peut avoir été pouvoir, qu'il eut été surprenant qu'il
n'en abusât pas, surtout après qu'une
que nominal, par lequel l'Afrique, l'I- longue possession l'eût consolidé en
talie etPIllyrie auraient été attribuées ses mains (*) : aussi dès que l'autorité
au dernier. Quoi qu'il en soit, l'usur- impériale faiblirait on devait s'attendre
pateur Maxime , après s'être emparé
du lot de Gratien, voulut dépouiller (*) Claudien donne à Gildon douze an-
aussi Valentinien le Jeune , et parvint nées de gouvernement:
à se faire reconnaître en 388 dans le « Jàin solis habenae
« Bis senas torquent hieines , ceivicibus ex quo
pi Hseret triste jugum. »
(*) Le 17 novembre 375. Guerre de Gildon , i53.
236 L'UNIVERS.

de sa part à une défection. Un mo- bien que les rers des poètes furent
ment ilput croire douteuse la fortune, consacrés à célébrer le triomphe de
de Théodose le Grand, ébranlée par la Stilichon et le rétablissement de la
révolte d'Arbogast et d'Eugène, et il
négligea de fournir à son souverain le La grande charge de?nagisterutrius-
contingent de troupes qui lui était de- que militise per Jfricam demeura
mandé. Après la mort de Théodose, il paix.
supprimée, et c'est postérieurement à
se trouva plus à l'aise encore; et ré- cette suppression (*), que fut rédigée
solu à l'indépendance, mais n'osant la Notice des Dignités si précieuse
toutefois se mettre en hostilité ou-
verte sans appui suffisant contre la pour la connaissance de l'organisation
vigoureuse activité de Stilichon, il administrative des empires d'Orient et
d'Occident à cette époque. L'Afrique
prit le parti de se soustraire à l'obéis- y occupe une place importante, qu'il
sance d'Honorius en se plaçant nomi- y a intérêt de constater ici au moins
nalement dans la dépendance de l'em- d'une manière succincte, et sans en-
pire d'Orient (*), ce qui lui assurait la trer dans les développements que nous
protection d'une puissance rivale. interdisent la nature et les bornes de
Punition de Gildon; suppres- ce travail.
sion de la grande charge mi-
litaire dont il etait revetu. — Organisation des pouvoirs publics.
Mais Stilichon
ractère àsouffrir n'était
cettepoint d'un dé-
défection ca-
Administration centrale. —
guisée ,dangereuse pour Rome et Il nous faut dire d'abord comme in-
l'Italie qu'elle pouvait affamer; il avait troduction nécessaire qu'autour de
d'ailleurs à ses ordres un ennemi ir- l'empereur se trouvaient groupés, avec
réconciliable deGildon, son frère Mas-
kelzer, dont les enfants venaient d'être la qualification d'illustres , certains
égorgés par ordre du perfide : il lui grands dignitaires, ministres et offi-
confia un premier corps de troupes ciers du'4palais, qui avaient, sur la con-
assez considérable, prêt à le faire ap- duite des affaires de l'empire, une in-
fluence diverse: le gouvernement pro-
puyer par de Maskelzer
nécessaire. nouvelles ,forces s'il était
débarqué en prement dit, comprenant l'administra-
tion générale et la distribution de la
Afrique, s'avance aussitôt contre Gil- justice, était confié aux préfets du
don et le rencontre près du fleuve Ar- prétoire ; le commandement des ar-
dalion, entre Théveste et Ammédéra,
mées aux maîtres de dans
ministration centrale la milice;
le sensl'ad-le
l'attaque avec résolution, jette Je dé-
sordre dans la cavalerie indigène, et plus étendu, mais au point de vue de
met l'ennemi en complète déroute : la surveillance et du contrôle plutôt
Gildon , abandonné des siens, s'em- que de la direction des affaires, avec
barque pour chercher un refuge en
Orient, mais les vents contraires le
S. I>. Q. R. VINDICATA REBELLIONS ET
ramènent à Thabraca, où il trouve la AFRICAK RESTITUTIONE I.AETVS. FL. STI-
prison et la mort (**). L'Afrique re- LICHONI AFRICA CONSILIIS EIVS ET TRO-
tourna àHonorius; tous les fauteurs VISiOWE I.IBERATA, etC.
de la rébellion furent sévèrement re-
(*) Postérieurement même à la chute de
cherchés etpunis, leurs biens furent Stilichon en 408, puisque celui-ci était
confisqués, de même que ceux de Gil-
don , au profit du trésor impérial ; maure de la cavalerie et de l'infanterie de
l'empire d'Occident, charges distinctes dans
et des monuments lapidaires (***) aussi la Notice. Ce, titre de maître répond assez
bien à ce qu'on appelait autrefois chez nous
(*) Sur la fin de 397. grand maure, mestre de camp général, et
(**) Au commencement de 398. enfin colonel général de l'arme placée tout
(***) Sans les rapporter ici, nous pouvons entière sous le commandement de l'officier
du moins y relever les phrases suivantes : ainsi désigné.
237
AFRIQUE ANCIENNE.
la police patente OU secrète, les postes, cette anomalie. Ce diocèse avait six
les fabriques d'armes, tout ce qui con- provinces ; mais le proconsul qui gou-
cernait en un mot la sûreté de l'empe- vernait celle d'Afrique , avec deux
lieutenants sous ses ordres , échappait
reur et de l'empire, au maître des
offices; les affaires législatives au par son rang à l'autorité du vicaire ou
questeur; le maniement des finances gouverneur sous général , qui n'avaitqueainsi
ae l'état au comte des largesses im- réellement sa dépendance les
périales; l'intendance de la liste civile cinq autres gouverneurs, savoir, les
au comte des affaires privées de la deux consulaires de la Numidie et de la
maison de l'empereur. Nous ne disons Byzacène, et les trois présidents de la
rien des dignitaires dont les attribu- Mauritanie Sitifienne , de la Maurita-
tions avaient exclusivement pour objet nie Césarienne, et de la Tripolitaine.
le service personnel du souverain. Outre le proconsul et le vicaire, il y
Et maintenant voyons quellesétaient; avait encore en Afrique deux fonction-
quant à l'Afrique, les diverses hiérar- naires supérieurs obéissant directe-
chies de fonctionnaires placées dans ment au préfet du prétoire, savoir,
les attributions de ces illustres dépo- le préfet ou intendant des vivres d'A-
sitaires des pouvoirs publics et des vo- frique, et le préfet ou intendant des
lontés impériales. domaines patrimoniaux : nous n'avons
Gouvernement civil. — Quant pas d'autres lumières à leur égard.
au gouvernement, tout le territoire Commandement militaire. —
de l'empire était partagé en deux pré- En ce qui concerne le pouvoir mi-
fectures prétoriales renfermant six litaire, lecommandement des armées
diocèses et cinquante -huit provin- était dévolu fondamentalement à un
ces. Le préfet du prétoire des Gau- maître de l'infanterie et un maître de
les avait dans sa circonscription le la cavalerie , tous deux présents à la
diocèse de Bretagne, celui des Gau- cour : des circonstances exceptionnel-
les, et celui d'Hispanie où la province les pouvaient motiver la création d'un
de Mauritanie Tingitane se trouvait emploi semblable hors de la résidence
comprise ; le préfet du prétoire d'Italie impériale; c'est ce qui avait eu lieu
gouvernait les trois diocèses d'Illyrie, précédemment en Afrique pour Gil-
d'Italie, et d'Afrique. Chaque diocèse don Gaules
les ; c'est au ce qui existait
moment de encore dans
la rédaction
était régi par un officier qualifié de
respectable ou considérable (specta- de la Notice. A cette dernière époque,
bilis) , avec la dénomination de vicaire l'autorité militaire était exercée en
ou vice-préfet , et ayant sous ses or- Afrique, sous les ordres directs du
dres les gouverneurs particuliers des grand maître de l'infanterie , par un
provinces, auxquels était en général comte militaire, qualifié de respecta-
accordée la qualification de très-dis- ble ,aussi bien que deux ducs ou com-
tingués {clarissimi) , bien que les uns mandants defrontières qui lui étaient
eussent le titre de consulaires et les
adjoints , l'un pour la Mauritanie Cé-
autres celui de présidents : par excep- sarienne, l'autre pour la Tripolitaine.
tion, quelques gouverneurs de pro- Un comte militaire était pareillement
vinces étaient d'un rang plus modeste établi dans la Tingitane. Sous le
et ne recevaient que le nom de cor- commandement de ces comtes étaient
recteurs, avec la simple qualification placées un certain nombre de troupes
de très-parfaits; d'infanterie et de cavalerie tirées de
traire ,ou plutôt und'autres au con-
autre seulement l'armée, et organisées en légions et
dans tout l'empire d'Occident , était escadrons. Douze légions et dix-neuf
d'un rang plus élevé, et, revêtu du escadrons se trouvaient ainsi à la dis-
titre de proconsul
des vicaires, , marchait
recevant comme euxl'égal
la position du comte d'Afrique; le comte
qualification de respectable. Cest en de la Tingitane n'avait que quatre lé-
Afrique précisément que se montrait troupesgions etde cinqligne escadrons.
et de C'étaient
combat , lesen
238 L'UNIVERS.

garnison dans les villes , mobiles sui- commune, que le comte militaire avait
vant les exigences de la guerre, et au-dessus des ducs de frontière une
exclusivement attribuées aux comtes supériorité, non-seulement de titre et
militaires. Il y avait en outre des de rang, mais encore d'autorité réelle,
troupes spécialement affectées à la et peut-être de commandement hié-
garde des frontières, établies à de- rarchique. N'oublions pas de remar-
meure dans des cantonnements fixes ,
quer ici, qu'àdeladuc
commission date dede lala Césarienne
Notice , la
sous le commandement de préposés
ou prévôts respectivement placés sous avait été donnée au président ou gou-
les ordres du comte ou des ducs des verneur civil de cette province, qui
frontières, d'après les circonscriptions cumulait ainsi deux emplois regardés
territoriales assignées à ceux-ci. Le généralement comme incompatibles.
comte d'Afrique avait ainsi dans sa Dans la Tingitane, outre les troupes
circonscription particulière seize pré- de ligne mises à la disposition du
vôts ;le duc de la Mauritanie Césa- comte , il avait sous ses ordres une
rienne en avait huit, et le duc de la aile et six cohortes de troupes séden-
Tripolitaine quatorze. Malgré les dé- taires dans sept cantonnements éche-
fectuosités dela Notice et l'insuffisance lonnés sur la côte depuis Pariétina à
des documents contemporains où
peuvent être puisés les éléments de l'est jusqu'à Frigula à l'ouest (*).
FlNA-NCES DE L'EMPIRE ET DE
comparaison
reconnaît, auetmilieu d'éclaircissement, on
l'empereur ;ministration
de la triple liste offices. — Pour
des finances, l'ad-
YiUustre
des cantonnements qui y sonténumé- comte des largesses avait eu sous ses
rés, que si la circonscription respec- ordres dans chaque diocèse, et avait
tive des ducs de la Césarienne et de
la Tripolitaine était la même que celle parfait encore dans celui d'Afrique un très-
comte des largesses chargé de
de chacune de ces deux provinces, la pourvoir au double service des recet-
division territoriale du comte d'Afri- tes et des dépenses du trrâor pu»
que était beaucoup plus étendue que blic dans l'étendue du diocèse. Après
la province proconsulaire, car il est celui-ci venaient les comptables du
facile de retrouver la ligne de ses li- trésor (rationales summarum) , au
mites particulières , jalonnée entre nombre de deux , l'un d'Afrique, l'au-
Tacape et Saldes par les cantonne- tre de Numidie, ce qui indique suffi-
ments de Tamallenum, Nepte (*) , samment que le premier avait dans
Badiae, Gemellœ, Tubuna , Zabi et son ressort, avec l'Afrique proconsu-
ïubusuptus, qui embrassent à la fois laire, la Byzacène et la Tripolitaine,
la Byzacène, la Proconsulaire et la
tandis que le ressort de l'autre devait
Sitifienne; et l'on voit de plus qu'il comprendre, avec la Numidie, la Si-
avait aussi des prévôts sous ses or- tifienne etla Césarienne. Il y avait en
dres ,même concurremment avec ceux outre trois procurateurs des ateliers
des ducs, dans certains cantonnements publics, savoir, le procurateur du
de la circonscription de ceux-ci, comme gynécée de Carthage , atelier de fem-
à Bida, au Caput Cillani, et ailleurs mes pour la fabrication des étoffes,
dans la Césarienne, à Tillibari et et deux procurateurs des teintureries,
ailleurs dans la Tripolitaine; d'où il l'un pour le seul atelier de l'île de
nous paraît résulter, contre l'opinion Girba dans la Tripolitaine , et son
(*) Les éditions de la Notice portent : de collègue
teinture pourdisséminés tous les' autres ateliers
en Afrique.
Prœpositus Urnitis Montensis in caslris Lep-
titanis ; sans entrer dans une discussion Quant au domaine particulier de
dont ce n'est point ici la place, nous croyons
cependant nécessaire d'avertir que la véri- (*) Tous ces noms sont défigurés dans la
table leçon nous paraît devoir être : Prœ- Notice; et l'Itinéraire, qui pourrait aider à
positus militwnMontensium in castris Nep- les rétablir, a besoin lui-même d'une sévère
ttianis.
épuration.
AFRIQUE ANCIENNE. 239

l'empereur, Villustre comte des affai- un moment d'emportement par le


res privées avuit sous son autorité comte militaire Bonifaee, que des in-
quatre agents principaux dans le dio- trigues decour avaient fait disgracier;
cèse d'Afrique : en premier lieu , le simple tribun, il avait défendu vigou-
comte du patrimoineGildonien, chargé reusement les frontières contre les
de l'administration de tous les biens incursions des Maures ; nommé comte
confisqués naguère sur le rebelle Gil- d'Afrique en 423, il avait, au milieu
don et ses adhérents; administration des troubles politiques de cette époque,
assez importante pour que ce fonc- maintenu son diocèse dans le devoir.
tionnaire eût lui-même sous ses ordres Blessé de l'injustice dont on payait ses
des procurateurs, des préposés et des services par, près d'être attaqué
comptables dans les diverses provin- rebelle une armée envoyée comme
contre
ces où ces biens étaient situés. Il y lui , il eut recours aux barbares de la
avait en outre un comptable particu- Bétique, et pendant que les troupes
lier des immeubles de la maison im- impériales entraient à Carthage, qua-
périale en Afrique (*) , pins un comp-
table et un procurateur du domaine lains et. detre-vingtGothsmille Vandales,
, passaientmêlés d'A-
le détroit
privé, l'un pour Sitifienne. l'Afrique, l'autre au mois de mai 429, et s'abattaient
pour la Mauritanie sur les Mauritames. La cour de Ra-
Le maître des offices n'avait en venne fit alors appel à la fidélité de
Afrique aucun subordonné à résidence Boniface, et il essaya d'arrêter le tor-
fixe; mais les agents impériaux atta- rent dont lui-même avait rompu les di-
chés àson département y faisaient des gues; mais il fut battu, et refoulé dans
tournées d'inspection, et nous savons, Hippone-Royale, où les Vandales le
par l'exemple du comte Romanus , tinrent assiégé pendant quatorze mois,
qu'on pouvait quelquefois acheter leur tandis que leurs bandes, soumettant le
silence, et obtenir des rapports men- plat pays, ne laissaient plus aux Ro-
songers,alors surtout que le maître mains que Carthage, Cirta, et Hippone
des offices lui-même était complice des elle-même; si bien qu'au concile géné-
méfaits à dénoncer au prince.
ral d'Éphèse, en 431, l'Église d'Afri-
que n'avait d'autre représentant que
VIII. DOMINATION DES VANDALES.
le diacre Bessula, envoyé par l'évêque
de Carthage possibilité pouroù le faire connaître
clergé africainl'im-
se
Règne de Giséric.
trouvait alors de se réunir, à cause de
Invasion de l'Afrique. — Le rè- l'invasion des barbares qui avaientdé-
gne du troisième Valentinien , qui vasté complètement les provinces et
succéda à Honorius (**) , fut marqué coupé toutes les communications. Ce-
en Afrique par un grand désastre , pendantenhardit
l'arrivéeBoniface
d'un secours consi-le
dérable à tenter
l'invasion des Vandales, appelés dans
sort d'une nouvelle bataille; mais il la
(*) Un rescrit du 18 février 422, adressé perdit, et fut trop heureux que la mo-
par Honorius au comte du domaine privé, dération ou la prudence de Giseric
relativement à l'impôt dû sur les immeu- rendît possibles des négociations pour
bles de la maison impériale dans la Pro- la paix. Le roi des Vandales offrit de
consulaire etla Byzacène, peut nous faire
payer un tribut annuel , et il donna en
apprécier l'étendue des terres ainsi possédées
par le prince: deux commissaires avaient été otage de ses bonnes dispositions son
envoyés sur les lieux pour en faire la véri-
propre fils Hunéric. Une trêve au
fication, etils avaient trouvé, dans l'une et moins porteétait conclue, desi saint
ala chronique l'on s'en rap-
Prosper,
l'autre province, une mesure totale équi-
valente près
à de quinze cent mille hectares, lorsqu'en 432 Boniface quitta l'Afri-
dont plus de huit cent mille en terres ex- que pour venir à Ravenne prendre pos-
cellentes (optimorum fundorum). session de la charge de maître de la
(**) L'an 4*4. milice. Aspar, son compagnon d'ar-
240 L'UNIVERS.
mes, était encore à Carthage, suivant Nouveau traité de partage
le livre des Promesses de Dieu attri- des provinces d'Afrique entre
bué àsaint Prosper, quand il fut élevé les Vandales et les Romains. —
au consulat en 434. Il était naturel de voir les Vandales re-
Une partie
cédée de l'Afrique
aux Vandales par estun prendre les armes
terme convenu. après l'expiration
Ils choisirent du
le moment
traité. — Enfin, le 11 février 435 opportun, et s'emparèrent de Carthage
d'après la chronique que nous venons le 18 octobre 439. On songea bien à Ra-
de citer, la paix fut faite à Hippone , venne et à Constantinople à armer con-
moyennant la cession d'une partie de tre eux; mais l'un et l'autre empire était
l'Afrique aux Vandales, à qui fut sans en proie à la crainte d'invasions plus
doute alors rendu le jeune Hunéric. menaçantes encore de la part des bar-
L'histoire de ces événements est fort bares du Nord , et l'on traita; la paix
obscure et à peine indiquée par quel- fut conclue en 442 , et l'Afrique par-
ques mentions vagues et inconnexes tagée entre Giséric et Valentinien
des chroniqueurs; aussi, comme de d'une manière précise (*) : tout ce que
raison , les conjectures des critiques nous en savons cependant se borne à
se sont-elles librement exercées sur cette indication de Victor de Vite, que
l'arrangement des faitsLaet fixation
la détermi- Giséric disposa des provinces de la
nation des détails. des
limites territoriales résultant du der- Zeugitane,
la Gétulie et launeByzacène, partie de l'Abaritane,
la Numidie.
nier traité offre surtout une question Il restait à Valentinien le surplus de
susceptible de solutions fort diverses, la Numidie, et les Mauritanies, ainsi
tant sont insuffisantes les données du que le témoignent diverses lois ajou-
problème; les uns supposent que tées par lui au Code Théodosien:
Giséric ne garda que les;Mauritanies comme il ne rétablissait point pour
et restitua tout le reste, ce qui est ces provinces la charge de vicaire
contredit par l'exil qu'il prononça, en d'Afrique, il régla par une loi expresse
437, contre deux éveques de la Numi- du 21 juinsormais 445, que l'on porterait dé-
die, entre autres Possidius , l'ami et directement devant le préfet
le biographe de saint Augustin (*) ; du prétoire
dues dans la l'appel
Numidiedeset sentences ren-
la Mauritanie,
d'autres, au contraire, ont pensé que
Giséric carda ses conquêtes de Nu- aux habitants desquelles il fit en même
midie, d'Afrique et de Byzacène, lais- temps remise des sept huitièmes de
sant aux Romains , avec Cirta , Car- l'impôt foncier; et par une autre loi, du
thage et la Tripolitaine, les provinces 13 juillet 451, il assigna aux fonctionnai-
de l'ouest, dont il ne se souciait plus. res de la Zeugitane et de la Byzacène,
Cette dernière opinion nous paraît la dépouillés et chassés par les Vandales,
plus juste , pourvu qu'on ne com- des secours en argent, et des terres à
prenne point dans les provinces aban- prendre tant sur les jachères de la
données par Giséric la Mauritanie Numidie que sur les domaines impé-
Sitifienne, d'où il exila , en 437, No- riaux dans la Numidie, la Sitifienne et
vatus évêque de Sitifis. Suivant toute la Césarienne. Quant à la Tripolitaine
apparence, la paix de 435 ne fut que ou Subventane , dont il n'est fait nulle
provisoire, pour trois ans seulement, mention , d'une ou d'autre part ,
comme l'indiquent certaines éditions nous serions porté à croire qu'elle est
de la chronique de saint Prosper, et indiquée sous le nom , d'ailleurs in-
dut se borner dès lors à consacrer le
connu, d'Abaritane(**), dans le lot de
statu
finitif. quo jusqu'à un arrangement dé-
(*) Prosper.
saint Certis spatiis , dit la chronique de
(*) Giséric sévissait ainsi intrà liabita- (**) Il y avait bien dans la Proconsulairo
tionis suas limites, suivant les termes dô une localité appelée Abaritane, où croissait
saint Prosper. une espèce particulière de roseau; mais
241
AFRIQUE ANCIENNE.
Giséric, d'autant plus qu'il est certain jorien eut bien le projet d'aller en
qu'elle appartenait à ce prince, puis- personne faire revivre les droits de
qu'il en exila l'empire sur ce point; mais la mort
tamment ceuxplusieurs
de Girba évêques , no-
, de Sabrata l'arrêta dans ses préparatifs. Les em-
et d'Ééa , du vivant même de Valen- pereurs d'Orient voulurent à leur tour
tinien, et pendant la durée de leur porter la guerre chez les Vandales
bonne intelligence. Pour la Gétulie , pour réprimer et punir leurs pirate-
l'anonyme de Ravenne nous en dési- ries; Léon l'Ancien envoya contre eux
gne l'emplacement d'une manière as- en Afrique (*) Héraclius, qui débar-
surée, en y plaçant les villes de Thu- qua dans la Tripolitaine , battit les
surum, dont Tiges* Spéculum, Turres troupes qu'il y trouva, occupa les
Cerva, les deux premières sont, villes sans difficulté , et, laissant là sa
bien connues sous leurs noms moder- flotte, conduisit par terre son armée
nes de Touzer et Teqyous , à l'ouest vers Carthage pour y rejoindre Basi-
de la grande Sebkhah el-'aoudyah. lisque, beau-frère de l'empereur, qui
Nous n'avons donc exact
plus,despour nous devait y arriver avec une expédition
rendre un compte résultats formidable , et qui vint attérir en effet
du traité de 442 quant à la délimita- au cap d'Hermès , mais pour y voir
tion mutuelle du territoire romain et bientôt sa flotte incendiée par les brû-
du territoire vandale en Afrique, qu'à lots de Giséric; en sorte qu'il n'eut
tracer dans la Numidie la ligne qui rien de mieux à faire que de s'en re-
divisait cette province en deux par- tourner àConstantinople , aussi bien
ties :à cet égard nous ne possédons qu'Héraclius ; et Giséric reprit de plus
que de faibles indices; nous savons belle ses courses de piraterie; mais
enfin Zenon conclut avec lui , en 476,
d'un côtéaprès
tombée, qu'Hippone-
la défaite Royale était
dé Boniface une paix solennelle, qui dura jusqu'au
et d'Aspar, aux mains des Vandales ,
qui l'avaient saccagée, et nous savons
en même temps que Cirta leur avait Règne des successeurs de Giséric.
résisté , sans que nous trouvions au-
cune trace de la prise de cette capitale Étendue des possessions van-
par Giséric : c'est par conséquent en- dales sous Hunéric. — L'étendue
tre Hippone et Cirta que devait passer et la division territoriale du royaume
la ligne de démarcation ; mais nous des Vandales nous est particulière-
ne pouvons- rien dire de plus explicite ment indiquée par un document pré-
sur ce point. cieux qui se rapporte au temps de
Les Vandales s'emparent de la persécution exercée par Hunéric
tout ce qui restait aux ro- contre les catholiques de ses domai-
MAINS en Afrique. — A la mort nes : Victor de Vite raconte qu'il
de Valentinien, Giséric, appelé par exila quatre mille neuf cent soixante-
sa veuve pour le venger, alla punir seize évêques , prêtres, diacres et au-
Rome du forfait de Maxime, et se tres clercs , lesquels furent réunis à
considéra désormais comme délié des Siccaet Lares, où ils furent livrés aux
engagements que les nouveaux empe- Maures qui venaient les y chercher
pour les conduire au désert. La liste
reurs d'Occident ne pouvaient plus
le sommer des évêques arrachés ainsi à leurs siè-
la Numidie d'exécuter; il reprit :alors
et les Mauritanies Ma- ges en l'année 484, se trouve à la
suite de l'histoire de cette persécution
écrite en 487 par Victor de Vite; on
cela n'a rien
dislincte de Proconsulaire
de la commun avec la province
dont nous y voit figurer les noms de quatre cent
parle Victor de Vite. Peut-être, au lieu de soixante et un évêques, y compris
Subventana dans Ethicus et à^Abarïlana
dans Victor, faudrait-il lire uniformément (*) En l'année 468.
partout Sabratana ou Sabaratana.
16* Livraison. (Afrique ancienne.)
16
242 L'UNIVERS.
ceux des îles, plus quatorze sièges va- rent toute la Mauritanie depuis Gades
cants , le tout ainsi réparti : jusqu'aux frontières de la Numidie, et
Province deproconsulaire 54 une grande
<lue- Evidemment leurreste
partie du de l'Afri-
émancipation
Provime Numidie 125
Province de Bvzacène 115 avait du commencer par la Tmgitane,
ProvincedeMàuritanieCésarienne 126 Plus éloignée du centre du gouverne-
Province de Mauritanie Sitifienne. 42 ment, et se propager successivement
Province de Tripolitaine 5 vers ,,est i a la mort de Hunéric , elle
Province de Sardaigne 8 avait déjà atteint et envahi l'Aurasion.
lolai
Ttl ~~Â7^
4 5 Gondamondcombats
plusieurs eut à soutenir contre eux
, et Trasamond
Provinces successivement en- éprouva une sanglante défaite de la
levées aux Vandales par les Mau- part de ceux auxquels commandait
res.— Aucune indication ne se trouve Kabaon dans la Tripolitaine : Hildéric
làdelaprovinceTingitane.Lescritiques à son tour fut battu par Antalas chef
ont cru reconnaître, il est vrai, quel- des Maures de la Byzacène.
ques sièges susceptibles d'être attri- Usurpation de Gélimer ; Béli-
bués à cette province dans la liste de saire lui enlève l'Afrique. —
ceux de la Mauritanie Césarienne; mais Gélimer se prévalut de ce honteux
cette, attribution paraît fort douteuse, revers pour arracher le sceptre à Hil-
On peut expliquer de diverses manié- déric, qu'il emprisonna : l'empereur
res l'absence du nom de la Tingitane; Justinien, allié et ami de Hildéric
ou bien elle n'avait point d'évêques, qui avait été élevé à Constantinople,
ou ses évêques avaient embrassé l'a- réclama sa mise en liberté; Gélimer la
rianisme, ou bien encore elle secouait refusa : de là la guerre qui substitua
déjà le joug des Vandales. La présence la domination des Byzantins à celle
des éveques catholiques de la Sardaigne des Vandales. Il y eut d'abord défec-
etdes Baléares ne permet pas decroire tion de la Tripolitaine, qu'un citoyen
queceuxde laTingitane, si elle enavait de cette province livra aux troupes
eu , se lussent soustraits à l'appel impériales. Puis Bélisaire vint débar-
d'Hunéric sous prétexte de leur union quer à Caput-Vada, à cinq journées
à l'Hispanie sous le rapport de l'obé- de Carthage, avec une armée de 15 000
dience ecclésiastique. Elle apparte- soldats ; laissant à Gélimer, qui était
nnit incontestablement aux Vandales àHermione, à quatre journées dans
sous le règne de Giséric; mais elle les terres, la faculté de le poursuivre,
dut être la première à échapper à ses il marcha sur Carthage en suivant le
successeurs. littoral , et passant par Syllecte, Lep-
Nous savons en effet que les indigè- tis et Adrumète , il atteignit Grasse,
nés commencèrent, dès la mort àece résidence royale à trois cent cinquante
prince, à s'insurger dans leurs monta- stades ou cinquante milles romains de
gnes et à harceler les Vandales, tantôt Carthage; quatre jours après il arriva
battants, tantôt battus; sous le règne à Décimum , c'est-à-dire, comme le
même de Hunéric, ceux de l'Aura- nom l'indique, à dix milles de la capi-
sion avaient repris leur indépendance, taie, où l'on se rend en passant sur
et nul effort des Vandales ne put les la droite contre une sebkhah (rceSiov
réduire à la soumission: il est certain àXwv, une plaine de sel). C'est là que
que Procope, dans une rapide esquisse Gélimer le joignit, fut battu, et se
de leur histoire, dit que les Bomains sauva avec les restes de son armée
les avaient repoussés aux derniers dans la plaine de Bulla, à quatre jour-
confins de l'Afrique habitable, tandis nées vers les frontières de la Numi-
qu'ils avaient pris à leur solde les Car- die, pendant que Bélisaire entrait à
thaginois et les autres Libyens ; mais Carthage. Ayant été rejoint à Bulla
que les Maures, après de fréquents par les troupes que son frère lui ra-
avantages sur les Vandales , occupé- menait de Sardaigne , Gélimer vint de
243
AFRIQUE ANCIENNE.
nouveau se faire battre par Bélisaire l'Alanique, le Vandalique , l'Africain,
à Tricamara, à vingt milles de Car- débonnaire, heureux, renomme, vain-
GUSTE , queur et triomphateur, toujours au-
tilage (*), et s'enfuit précipitamment
en Numidie, où il se réfugia chez les
« A Archélaùs
Maures barbares des montagnes es-
carpées de Pappua , dans leur ville de Préfet du prétoire d'Afrique
Médéos , située à l'extrémité de ces « Notre esprit ne peut embrasser,
montagnes ; mais il y fut rigoureuse- notre langue ne peut dire tout ce que
ment bloqué, et forcé enfin de se ren- nous devons de remercîments et de
dre ;et Bélisaire , après avoir envoyé louanges à Notre-Seigneur Dieu Jé-
ses lieutenants prendre Césarée de sus-Christ. Déjà nous avions reçu de
Mauritanie qui est à trente journées Dieu bien des grâces, et nous confes-
de Carthage , le fort de Septon qui est sons les innombrables bienfaits qu'il
près des Stèles Héracléennes, les Ba- nous a accordés sans que nous eussions
léares, laCorse, la Sordaigne, et avoir rien fait pour les mériter. Mais ce que
pourvu à la sûreté de la ïripolitaine, le Dieu tout-puissant a daigné mani-
mit à la voile pour Constantinople, fester en dernier lieu , par nous en
emportant d'immenses trésors, Géli- son nom, dépasse toutes les merveilles
mer enchaîné, de nombreux captifs, accomplies en ce siècle : qu'eu si peu
et laissant à Carthage , pour comman- de temps l'Afrique ait par nos efforts
der àsa place , Salomon qui avait été recouvré la liberté après quatre-vingt-
son chef d'état-major. quinze années de servitude sous les
Vandales, ces ennemis des âmes et des
IX. DOMINATION BYZANTINE. corps à la fois , car ils entraînaient
Organisation civile et militaire de dans leur impiété, par un second bap-
tême, les âmes trop faibles pour sup-
l'Afrique sous Justinien. porter les tortures diverses et les sup-
Organisation civile. — Avant plices, et ils soumettaient durement
à un joug barbare des corps nés pour
que Bélisaire quittât l'Afrique, il avait être libres. Us souillaient aussi de
été pourvu à l'organisation civile et leurs impiétés les saintes églises de
militaire du pays par deux rescrits
impériaux , datés l'un et l'autre du Dieu ; de quelques-unes ils avaient fait
13 avril 534, et adressés, le premier des écuries. Nous avons vu des hommes
à Archélaùs, ancien préfet de Cons- vénérables dont la langue coupée à la
racine racontait douloureusement les
tantinople et d'IUyrie , en dernier
lieu questeur de Bélisaire, et qui était souffrances ; d'autres , après des tor-
nommé préfet du prétoire d'Afri- tures diverses, dispersés en diffé-
que ;le second à Bélisaire lui-même rentes provinces, avaient terminé leur
en sa qualité de maître de la milice. vie dans l'exil. Par quelles paroles,
Ce sont deux monuments trop direc- par quelles œuvres pourrons-nous di-
gnement rendre grâces à Dieu , qui,
tement liés à notre sujet pour qu'il par moi le dernier de ses serviteurs,
ne soit pas convenable d'en repro- a daigné venger les injures de son
duire ici les dispositions principales :
on pardonnera sans doute, on nous Église et arracher au joug de la servi-
saura gré peut-être, d'avoir conservé, tude les peuples de si vastes provin-
par une version très-littérale, les for- ces ?bienfait que n'avaient pu obtenir
mes et la couleur du style caractéris- de Dieu nos prédécesseurs, à qui non-
tique de cette époque. seulement il ne fut point donné de
«Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ: délivrer l'Afrique, mais qui virent
« l'Empereur et Césak Flavius Justinien, Rome elle-même prise par les Van-
dales, ettous les ornements impériaux
l'Allemanique, le Gothique, le Ger- transportés de là en Afrique. Tandis
manique , le Francique , l'Antique ,
que maintenant Dieu, par sa miséri-
(*) Décembre 533. corde, nous a non -seulement livré
16.
244 L'UNIVERS.

l'Afrique et toutes tre Grandeur, ou de Sa Magnificence


nous a aussi rendu sescesprovinces, mais
mêmes orne- le préfet du prétoire d'Afrique en
ments impériaux qui avaient été en- exercice, quel qu'il soit, nous ordon-
levés àla prise de Rome. Après donc nons qu'il y sera employé trois cent
de tels bienfaits que la Providence quatre-vingt-seize personnes , répar-
nous a départis , ce que nous atten- ties entre les diverses divisions et bu-
dons de la miséricorde du Seigneur reaux. Quant à ceux des consulaires
d'eux.
et présidents, il y aura cinquante
notre Dieu , c'est qu'il affermisse et personnes dans les bureaux de chacun
maintienne intactes les provinces qu'il
a daigné nous rendre, et nous les fasse
régir selon sa volonté et son bon plai- « 4. Les émoluments que, soit Vo-
sir, en sorte que l'Afrique entière tre Magnificence, soit les consulaires,
éprouve la miséricorde du Dieu tout- les présidents et chaque employé des
puissant, et que ses habitants, déli- bureaux, doivent recevoir aux frais
vrés de la plus dure servitude et d'un du trésor public , sont déterminés
joug barbare, reconnaissent en quelle dans un état ci-après annexé.
liberté il leur est donné de vivre sous « 5. Nous souhaitons donc que tous
notre heureux gouvernement. Nous nos magistrats s'appliquent à admi-
réclamons instamment aussi des priè- nistrer leurs gouvernements suivant
res de la sainte et glorieuse Marie la volonté et la crainte de Dieu , et
mère de Dieu , toujours vierge , que suivant nos instructions et nos ordres,
tout ce qui manque à notre empire, de manière
Dieu le lui restitue par nous les der- donne àdes qu'aucun
exactions d'eux
et ne ne s'aban-
commette
niers de ses serviteurs , en son nom ; lui-même, ou ne laisse commettre, par
et qu'il nous rende dignes d'accomplir des magistrats, ou leurs bureaux , ou
ses œuvres.
tous autres, aucune violence à l'égard
« 1. En conséquence, avec l'aide de des contribuables ; car bien que nous
Dieu et pour le bonheur de notre em- tâchions , avec l'aide de Dieu , que
pire, nous voulons, par cette loi im- dans toutes nos provinces en général
périale ,que toute l'Afrique que Dieu les contribuables n'éprouvent aucun
nous a confiée soit, par sa miséri- préjudice , nous nous occupons sur-
corde ,élevée au premier rang, et ait tout de ceux du diocèse d'Afrique,
une préfecture propre , en sorte que, lesquels, après un si long eselavage,
comme l'Orient et l'Illyrie, de même ont, avec l'aide de Dieu, obtenu par
aussi l'Afrique soit spécialement do- nos soins de voir de nouveau luire pour
tée par notre Clémence de la suprême eux la liberté. Nous ordonnons donc
autorité prétorienne, dont nous or- que toutes violences, toute exaction
donnons que le siège sera àCarthage, cessent, et que la justice et la lo}auté
et que le nom soit ajouté dans le soient gardées envers tous nos sujets ;
préambule des actes publics à celui c'est par là que Dieu sera satisfait, et
des autres préfectures; et nous avons qu'eux-mêmes pourront plus promp-
aujourd'hui temeut, comme les autres contribua-
lence pour lat'ait choix de Votre Excel-
gouverner. bles de notre empire, se relever et
fleurir.
« 2. Et avec l'aide de Dieu, il y sera « 6. Nous voulons que les bureaux
organisé sept provinces avec leurs
magistrats, entre lesquelles celle de de Sa Magnificence le préfet du pré-
ïingis , celle de Carthage ci-devant toire d'Afrique, aussi bien que des au-
appelée proconsulaire, celle de Byza- tres magistrats, reçoivent leurs épices
cium, et celle de Tripolis, auront des conformément à ce qui est réglé par
gouverneurs consulaires; les autres, nos lois et observé dans tout notre
savoir , la Numidie, la Mauritanie et empire; en sorte que personne ne se
la Sardaigne, seront, Dieu aidant, ad- permette, en aucun temps ni d'aucune
ministrées pardes présidents. manière, d'excéder le tarif.
« 3. Et quant aux bureaux de Vo- « 7. Nous jugeons devoir régler
AFRIQUE ANCIENNE. 245
aussi par la présente ordonnance, que et à ce qu'elle soit observée et portée
les magistrats n'aient point à suppor- à la connaissance de tous par des édits
ter de grands frais pour la mise en publics; car ceux qui auront été éta-
règle de leurs lettres ou commissions, blis par Votre Sublimité, conformé-
soit en notre chancellerie, soit dans ment àla présente constitution impé-
les bureaux du préfet du prétoire d'A- riale, seront maintenus à perpétuité
dans leur situation.
frique, afin que, n'étant point eux-
mêmes chargés de frais, ils n'aient « Nous statuerons , avec l'aide de
aucun besoin de grever à leur tour Dieu , par une autre ordonnance sur
les contribuables de notre Afrique. les magistrats militaires et leurs bu-
Nous voulons, en conséquence, que reaux, et sur l'armée.
les magistrats du diocèse d'Afrique, « Donné à Constantinople, etc. >»
tant civils que militaires, ne payent à Organisation militaike. — Pas-
notre chancellerie, pour les droits de sons maintenant à cette organisation
leurs commissions ou lettres de no- militaire annoncée dans le précédent
mination, que dix sous d'or (*), et au rescrit, et en tête de laquelle nous
bureau du préfet, que douze sous
nous dispensons de répéter l'invoca-
d'or. Que si quelqu'un excède cette tion sacramentelle et la pompeuse sé-
taxe, le magistrat lui-même pavera
rie des titres« Aofficiels de l'empereur.
une amende de trente livres d'or, et RÉLISAIRE,
ses bureaux seront passibles non-seu- Maître de la milice d'Orient.
lement de pareille amende, mais même
de la peine capitale; car si quelqu'un « C'est au nom de Notre-Seigneur
osait, en quoi que ce soit, excéder Jésus-Christ que nous poursuivons
nos ordres, et ne tâchait pas , dans la toujours nos desseins et nos actes; car
crainte de Dieu, de les observer, non- c'est par lui que nous avons reçu les
seulement il aurait à craindre la perte droits attachés à la dignité impériale,
de sa dignité et de ses biens , mais il par lui que nous avons conclu avec
encourrait même le dernier supplice. les Perses la paix à perpétuité, par
« tat8.des Voici,
émoluments avec l'aide de les
: Pour Dieu,vivres
l'é- lui que nous etavons
tres ennemis renversé puissants,
des princes d'opiniâ-
et fourrages du préfet du prétoire de par lui que nous avons surmonté de
toute l'Afrique, en exercice, 100 livres nombreuses difficultés, par lui qu'il
d'or ; — pour les vivres des consulai- nous a été donné de secourir l'Afri-
res, 20 livres d'or; pour les vivres des que et de la réduire en notre pouvoir,
[présidents], 7 livres d'or. (Suit le par lui enfin que nous avons la con-
détail, très-curieux, mais très-peu in- fiance qu'elle sera sous notre autorité
tel igible, etd'ailleurs très-long, des convenablement régie et fermement
émoluments des employés des bu- gardée. C'est ainsi que par sa grâce
reaux.)r nous avons établi des magistrats ci-
« 9. Étant ainsi instruit de ce que, vils avec leurs bureaux pour les pro-
par cette constitution impériale, nous vinces africaines respectives, et réglé
avons accordé, pour leurs frais, aux l'émolument que chacun doit recevoir.
magistrats civils de l'Afrique et à Soumettant encore notre esprit à sa
leurs bureaux, c'est à-dire tant aux providence, nous avons résolu d'orga-
commis qu'aux autres employés de niser les troupes armées et les com-
mandants militaires.
cette deur
grande pourvoira préfecture
à sa mise, Votre" Gran-
à exécution « 1. Nous ordonnons en consé-
à dater des calendes de septembre de quence que le duc militaire de la pro-
la prochaine indiction treizième (**), vince Tripolitaine aura sa résidence
(*) La valeur du sou d'or était d'environ provisoire dans la ville de Leptis la
14 francs. Il y avait 72 sous à la livre, qui Grande ; que le duc de la province By-
valait à peu près 1000 francs. zacène résidera provisoirement dans
(**) C'est-à-dire du 1e1 septembre 534. les villes de Capsa et de Leptis la Pe-
246 L'UNIVERS.

tite ; que le duc de la province de Nu- les provinces africaines; ce que nous
midie aura sa résidence provisoire espérons, avec la permission de Dieu
dans la ville de Constantine; enfin, par l'aidevoir
de arriver
qui elles nous deontnotre
été
que le duc de la province de Maurita- rendues, bientôt
nie résidera provisoirement dans la temps. Et tégralitéque les provinces,
ville de Césarée. de leurs anciennes dans l'in-,
limites
« 2. Nous ordonnons aussi que vous soient maintenues en sécurité et tran-
établissiez complètement, sur le pas- quillité, que par la vigilance et les ef-
forts des soldats les plus dévoués et
sage qui est vers l'Hispanie et qu'on les soins des respectables ducs en exer-
appelle Septa, en tel nombre que Votre
Grandeur le jugera nécessaire, des cice, elles soient conservées intactes ;
soldats avec leur tribun, homme pru- car il faut que les provinces aient tou-
dent et dévoué à notre empire , de ma- jours des gardiens fidèles, afin d'ôter
nière qu'ils puissent toujours garder aux ennemis la faculté d'envahir ou de
ce passage, et faire savoir au respec- dévaster les lieux possédés par nos su-
table duc tout ce qui se fait du côté
de l'Hispanie, de la Gaule ou des « 5. Quant au nombre de soldats,,
Francs, afin que lui-même le rapporte soit fantassins soit cavaliers, qu'il faut
à Votre Grandeur. Vous ferez établir placer
jets. sur chaque frontière pour la
en outre, dans ce passage, des vais- garde des provinces et des villes, Votre
seaux légers, autant que vous le juge- Grandeur le réglera ainsi qu'elle croira
rez nécessaire. convenable, de manière que si ces dis-
« 3. Nous voulons qu'il soit établi positions nous paraissent suffisantes
un duc en Sardaîgne, et qu'il réside nous les confirmions, ou que si nous
près des montagnes où se trouvent apercevions qu'il y eût à faire davan-
des populations barbares, avec autant tage nous y ajoutassions.
de soldats que Votre Grandeur ju- « 6. Ce qu'un duc doit recevoir à ti-
gera nécessaire pour la garde des tre de solde, pour lui et ses hommes, et
lieux. ce qui revient à ses bureaux, se trouve
« 4. Que tous veillent diligemment détaillé dans l'état ci-dessous annexé.
aux provinces commises à leur garde; « 7. Ainsi donc qu'il a été dit, les
qu'ilsdicepréservent
de toute incursion nos sujets
des du préju-; ducs et les troupes résideront provi-
ennemis soirement, quant à présent, confor-
qu'ils tâchent , en invoquant jour et mément ànotre ordre, dans les villes
nuit l'aide de Dieu, et en travaillant et lieux que nous avons désignés, jus-
activement , d'étendre les provinces qu'à ce que Dieu prêtant aide à nous
africaines jusqu'aux limites où avant et à notre empire , ils puissent être
l'invasion des Vandales et des Maures rétablis par nos efforts dans les lieux
l'empire romain avait ses frontières, et où était fixée l'ancienne limite de cha-
où les anciens entretenaient des pos- que province, à l'époque où lesdites
tes, ainsi qu'on le voit par les clôtu- provinces étaient restées entières sous
res et les tours; qu'ils se hâtent sur- l'empire florissant des Romains.
tout de prendre et de fortifier, à me- « 8. Il nous paraît toutefois néces-
sure ricorde
qu'avecdivinel'assistance
les ennemisde enla seront
misé- sairetièrque, pour créé, l'organisation
es, ilsoit en sus des des fron-
troupes
expulsés, les villes voisines des clô- mobiles distribuées dans les forts, des
tures et des limites, et qui étaient au- troupes spéciales qui puissent défen-
trefois occupées comme étant établies dre et les forts et les places de la fron-
sous l'autorité romaine ; que les ducs tière, veenraienmême
et les troupes se rapprochent succes- t lesol; entemps sorte qu'elles culti-
que les autres
sivement des points où étaient aupa-
ravant les limites et les clôtures des provinciaux
établir aussi. les Nous voyant avonslà,organisé
aillent s'y
un
modèle de bataillon de frontière, que
provinces, lorsque sous l'autorité ro-
maine se conservaient encore intactes nous vous envoyons , afin que sur ce
247
AFRIQUE ANCIENNE.
modèle Votre Grandeur en organise proportion de ses services, à des em-
de semblables dans les forts et les pla- plois et des grades meilleurs.
« 10. Quand il aura plu à Dieu, que
ces qu'elle choisira ; de façon cepen- par les soins de Votre Grandeur toute
dant que si vous trouvez dans les pro-
la frontière ait été remise en son an-
avaient vincesantérieurement
ou parmi les soldats
, desqu'elles
sujets cien état et soit bien organisée; alors,
convenables, vous en formiez un ba- là où cela deviendra nécessaire les res-
taillon spécial pour chaque frontière; pectables ducs se prêteront, quand le
afin que s'il y avait quelque mouvement, besoin l'exigera , une mutuelle assis-
ces troupes frontières pussent elles- tance, afin qu'avec faide de Dieu les
mêmes , sans le secours des troupes provinces ou les frontières soient con-
mobiles, défendre avec leurs chefs les servées intactes par leur vigilance et
lieux où elles auront été placées, sans leurs efforts.
s'éloigner beaucoup de la frontière, ni « 1 1 . De même que nous voulons que
les troupes , ni leurs chefs. Ces trou- nos magistrats et nos troupes soient
pes frontières ne supporteront aucuns audacieux et intraitables envers les
frais de la part des ducs ni des offi- ennemis , de même nous les voulons
ciers de ceux-ci , qui ne pourront dé- doux et bienveillants envers nos con-
tourner frauduleusement à leur profit tribuableset
, qu'ils ne leur fassent
aucun droit sur leur solde. Nous vou- aucun tort ni dommage. Que si un
lons, au surplus, que ceci soit observé militaire se permettait de faire quel-
non-seulement à l'égard des troupes que tort à nos sujets , il sera puni
frontières , mais aussi à l'égard des exemplairement, sous la responsabilité
troupes mobiles. du respectable duc , ou du tribun, où
« 9. Et nous voulons que chaque duc, du premier commis , de manière que
ainsi que les tribuns de ces mêmes trou- nos sujets soient indemnisés.
pes, exercent toujours leurs soldats au « 12. Que si, pour certaines causes,
maniement des armes, et ne leur per- il était fait une interpellation par-de-
mettent pas de ils
s'éloigner, vant nos magistrats, nous voulons que
cas de besoin puissent afin qu'enà
résister les exécuteurs ne reçoivent à titre d'é-
l'ennemi ; et que les ducs ni les tri- piceslois rien, sans au delàencourir de*ce qui
buns ne se permettent d'en envoyer nos la est fixé pro-
peine par
aucun chantenàencongé, de peurilsqu'en cher- noncée par les mêmes lois en cas de
faïre profit, ne laissent contravention.
les provinces dégarnies. Que si les « 13. Lorsque, avec la permission de
ducs susmentionnés ou leurs bureaux Dieu, nos provinces africaines auront
ou les tribuns s'avisaient de laisser été organisées par Votre Grandeur
quelqu'un des soldats en congé, ou de conformément à nos ordres , que la
tirer quelque profit de leur paye, non- frontière en aura été rétablie suivant
seulement nous voulons qu'ils resti- l'ancien état de choses , et que toute
tuent au trésor public le quadruple , l'Afrique aura été restaurée telle
mais encore qu'ils soient destitués de qu'elle était; lors donc que tout cela,
leur grade. Car les ducs et les tribuns avec l'aide de Dieu , aura été fait et
doivent attendre de notre largesse, en achevé sous les yeux de Votre Gran-
sus des émoluments qui leur sont ac- deur, et que par vos efforts l'Afrique
cordés, une rémunération proportion- aura repris toutes ses anciennes limi-
née àleurs services, et non chercher à tes, et que vous nous aurez rendu
gagner sur les congés ou sur la solde compte de l'organisation complète de
des troupes qui sont organisées pour tout le diocèse d'Afrique, savoir, dans
la garde des provinces ; d'autant plus quels lieux ou quelles villes et en quel
que nous avons assigné des émolu- nombre ont été distribuées les trou-
ments suffisants aux ducs eux-mêmes pes, et de quelle espèce elles sont;
et à leurs bureaux, et que nous avons combien de troupes frontières , et de
toujours eu soin d'élever chacun, en quelle arme , en quels lieux elles ont
248 L'UNIVERS.
été placées; alors nous voulons que septembre de la prochaine indiction
Votre Grandeur revienne auprès de treizième , suivant ce qui est réglé en
Notre Clémence. l'état ci-dessous annexe.
« 14. En attendant, si Votre Gran- « 19. Et voici, avec la volonté de
deur jugeait que certaines places ou Dieu, l'état de ce qui doit être alloué
châteaux de la frontière étaient trop aux ducs établis en Afrique, et à leurs
considérables pour être bien gardés , bureaux, pour les vivres et fourrages
qu'elle les fasse rebâtir de telle ma- qui leur sont annuellement dus. (Suit
un détail fort embrouillé des émolu-
nière qu'elles puissent être bien gar- ments dus, pour eux et leurs gens, aux
dées par peu de monde.
« 15. Lors donc que Votre Gran- cinq ducs, qualifiés simplement ici de
deur, après avoir réglé toutes choses, clarissimes ou très-distingués, au lieu
effectuera le retour qui lui est ordonné; de la qualification de spectabiles ou
alors les ducs de chaque limite, toutes considérables, qui leur est donnée dans
le reste de la loi.)
les fois qu'ils auront besoin de quel-
que chose pour la réparation des places « 20. État des droits que le duc de
ou châteaux, pour leur solde ou leurs chaque frontière doit payer à la chan-
provisions, le feront savoir au plus tôt cellerie impériale, au prétoire de l'am-
au magnifique préfet d'Afrique , afin plissime préfecture
secrétariat du maîtred'Afrique , et au
de la milice en
que lui-même fasse aussitôt ce qui sera
nécessaire, et qu'aucun délai ne puisse exercice ; savoir : à la chancellerie im-
nuire aux provinces. périale six sous d'or; au secrétariat
« 16. Et ce qu'il aura fait lui-même, du magistère de la milice, pour l'enre-
et ce à quoi il sera encore nécessaire gistrement del'ordre impérial deNotre
de pourvoir ultérieurement, le magni- Sérénité relatif à sa nomination, douze
fique préfet du prétoire d'Afrique sus- sous d'or ; au secrétariat de l'amplis-
mention é etles respectables ducs nous
en rendront fréquemment compte , sime préfecture registrement ded'Afrique, pour douze
s mêmes lettres, l'en-
ainsi que de tout ce qui se passe ; pour sous d'or.
que nous confirmions ce qui aura été « 21. En conséquence Votre Gloire
bien fait, et que les dispositions qui ordonnera la mise à exécution et l'ob-
auraient pu être mieux prises soient servation dece que Notre Éternité a
complétées par nos ordres. réglé par cette ordonnance officielle.
« 17. Nous réglons en outre que les « Loi rendue aux ides d'avril à Cons-
magistrats à établir sur les frontières tantinople, sous le quatrième consulat de
africaines, n'auront rien de plus à notre seigneur Justinien Père de la Patrie
payer, soit dans le palais impérial à et Auguste, avec Paulin. »
aucune personne ou dignité, soit dans Tout ce qui était ordonné à Béli-
saire dans ce rescrit était sans doute
le prétoire d'Afrique à la préfecture
ou au magistère de la milice, que ce en voie d'exécution quand ce grand
qui est déclaré dans l'état ci-dessous homme quitta Carthage pour aller re-
annexé; car si quelqu'un exigeait ou cevoir àConstantinople les honneurs
recevait plus que ce qui est taxé audit du triomphe, et prendre bientôt après
état, il serait puni d'une amende de possession du consulat. Son départ
trente livres d'or , et encourrait de laissa son œuvre inachevée, et priva
plus notre indignation. Ils n'auront l'Afrique de la main puissante qui
rien à payer d'ailleurs à aucune autre seule pouvait retenir à la fois dans le
personne, dignité, ou office, autre que devoir une armée hétérogène qui n'a-
celles dénommées en l'état ci-dessous. vait plus de romain que le nom, et des
« 18. Nous ordonnons en outre, avec chefs maures dont sa renommée avait
l'aide de Dieu , que chaque duc, ainsi amené la soumission.
que ses bureaux , reçoive ses émolu- Guerres contre les Maures.
ments sur les tributs de la province
d'Afrique , à partir des calendes de Première expédition de Salo-
AFRIQUE ANCIENNE. 249
mon. — Trois chefs principaux com- les monts Bourgaôn, les forçant à
mandaient aux Maures répandus sur le s'aller réfugier en ensuite
Numidiechercher
auprès
territoire romain; c'étaient, dans la de Iaudas.. Il vint
Byzacène, Antalas(*), fidèle à l'empire, celui-ci dans l'Aurasion , où il fut
qui se l'était attaché moyennant une guidé
pension annuelle, et Coutzinas, le de ces par deuxétait
guides princes maureschef: l'un
Orthaïas, des
plus notable d'une foule de petits chefs tribus cantonnées dans l'ouest de l'Au-
rasion, qui reprochait à Iaudas de
que le nom detenus
ce moment Bélisaire avait jusqu'à
en respect ; dans favoriser Mastigas , chef des tribus de
la Numidie, Iaudas, demeuré indépen- la Mauritanie, dans Orthaïas
le desseinlui-même
qu'avait
celui-ci de chasser
dant sur les montagnes d'Aurasion.
On peut croire que des conditions pa- et ses Maures du pays où ils étaient
reilles àcelles d'Antalas auraient as- depuis longtemps établis ; ce qui avait
suré la soumission des deux autres ; déterminé l'accession d'Orthaïas et
mais ils se plaignirent hautement d'a- des siens à la cause romaine. Après
voir été déçus par de vaines promes- avoir campé sur le fleuve Abigas, qui
ses, et les vaisseaux de Bélisaire s'échappe de ces montagnes, Salomon
avaient à peine levé l'ancre, que déjà s'avança jusqu'à celle à'Jspis ou du
un soulèvement général se manifestait Bouclier; mais craignant de s'engager
sur toute la frontière ; les postes ro- trop avant avec des guides peu sûrs,
mains dans la Byzacène et la Numi- il se borna pour lors à cette démons-
tration, renforça en se retirant les
die,
le torrent, trop faibles
étaient"encore battus pour arrêter
, et les bar- garnisons de la Numidie, et retourna
bares dévastaient tout le pays. Deux passer l'hiver à Carthage (*).
officiers distingués de la cavalerie im- Au printemps suivant, une mutine-
périale avaient été tués dans la Byza- rie de ses troupes obligea Salomon à
cène après une défense acharnée; dans quitter précipitamment son palais , et
la Numidie, Althias , qui était can- à se réfugier à Missoua, vers le cap
tonné àCenturies (**) avec un corps de d'Hermès, d'où il dépêcha un courrier
Huns tour, pour la plus gardeheureux,
des fortset d'alen- en Numidie, pendant que lui-même al-
avait été il avait lait chercher Bélisaire à Syracuse. La
remporté sur Iaudas , auprès de la révolte avait été excitée par les fem-
fontaine de Tigisis (où Procope met la mes et le clergé vandales , et les mu-
fameuse inscription constatant l'ori- tins grossissant leur nombre des débris
gine cananéenne des Maures) , un du peuple vaincu, se réunirent dans la
avantage brillant quoique de peu plaine de Bulla en un corps de huit
d'importance. Salomon marcha d'a- mille hommes, sous le commandement
bord contre Coutzinas et ses adhé- de Stotzas , qui vint bientôt assiéger
rents, qu'il battit rudement à deux Carthage, mais qui battit en retraite
reprises , d'abord à Mamma , puis sur au seul nom de Bélisaire arrivant
avec quelques soldats. Le fameux
(*) Ce nom africain se montre plus tard guerrier vint défaire et disperser les
dans l'histoire mauresque sous la forme rebelles auprès de Membressa, sur le
Hliantkalah, suivant l'orthographe des Ara-
bes. Bagradas , à 350 stades ou cinquante
milles romains de Carthaee , et, rap-
(**) 'ExuYxave ôè AXÔiaç sv xevxouptaiç tcov pelé en Sicile par une autre révolte, il
èxeivY) ( Novjuôta ) <ppoupitov œuXoooQV &XWV-
(Procope, Guerre des Vandales, II, i3.) laissa à Salomon, pour suivre les af-
Nous pensons, comme Ruinart , qu'il faut faires d'Afrique , deux braves officiers,
lire ici èv KevToupîai;, à Centuries, ce qui Théodore et Ildiger, et repartit aussi-
se rapporte au poste appelé ad Cenlena-
rium sur la Table Peutingérienne , entre (*) A la fin de l'année 535, et non en
Gasaupala et Tigisis, sur la route de Tipasa 536 comme l'indique Lebeau dans son
(Tyfèsch) à Conslantine par Sigus. Tiyiffiç Histoire du Bas-Empire, où cette date erro-
est la moderne Teghzeh.
née remonte jusqu'à la bataille de Mamma.
250 L'UNIVERS.

tôt. En Numidie, le duc Marcellus , battit si complètement, que Stotzas


ayant appris que Stotzas fugitif était prit le parti de se réfugier avec quel-
avec peu de monde à Gazophyles (que ques Vandales jusqu'en Mauritanie,
les routiers romains appellent Gazau- où il épousa la fille d'un chef indigène;
fula ou Gasaupala), à deux journées et l'Afrique demeura enfin quelque
de Constantine, voulut l'y aller sur- temps en paix (*)
prendre; mais le rebelle lui débaucha Seconde expédition de Salo-
ses troupes , et le fit massacrer avec mon.—En 539, treizième année de son
ses officiers. règne , Justinien rappela près de lui
Expédition de Germain. — Germain, Symmaque et Dominique,
Alors Justinien envoya en Afrique, et confia de nouveau le soin des af-
pour remplacer Salomon comme maî- faires d'Afrique à Salomon, qui arriva
tre de la milice, le patrice Germain avec des renforts de troupes et d'au-
son neveu , avec les sénateurs Sym- tres chefs. Il s'appliqua à purger le
maque comme préfet du prétoire , pays de tout ce qui y restait de rebel-
et Dominique comme maître de l'in- les et de Vandales , à fortifier les villes,
fanterie àla place de Jean récem- à assurer l'observation des lois, l'aug-
ment décédé. La vérification des ma-
qui se distingua particulièrement aux côtés
tricules fitreconnaître qu'il manquait de Germain , et dont Corippe a fait le héros
à l'appel les deux tiers des soldats : de son poème de la Johannide : on doit donc
l'habileté de Germain en rappela un
grand nombre dans le devoir, si bien trouver dans ce poème quelque allusion à
la conduite glorieuse de Jean dans cette
que Stotzas résolut de livrer ba- bataille; et en effet Corippe ne manque
taille avant que la désertion de ses
adhérents ne fût complète , et il vint pas de rappeler cette circonstance dans ses
vers, où il met dans la bouche d'un officier
camper non loin de la mer, à trente- faisant en présence de Jean, alors maître
cinq stades ou cinq milles romains de de la milice , le récit des précédentes guerres,
Carthage.
mit en déroute, Germain alla l'attaquer,
le suivit en Numidie,le
une indication précise de ce combat :
« Te quoque per médias vidit victoria pugnas;
et l'ayant atteint en un lieu que les « Fortis et iiruptis truncabas agmina castris
Romains appelaient Cellas Vatari, « linse gravi , similique viros virtute necabas.
« Germano spargente feruin viclumque tyrannum,
ou les Magasins de Vatarum (*) , il le « Te Cellas Vatari iniro spectabat amore;
«Te Autenti saevos mactantem viderat hostes. »
(*) Personne encore n'a su reconnaître CoRitPE, Johannide, III, 3 r 4- 3 19.
dans le texte de Procope le nom de ce lieu
Nous lisons dans ces vers Cellas Vatari
8 S^i KaXXaç (3axàpaç xaXouai 'Ptou.aToi; Sca- comme porte le manuscrit de Trivulce , et
liger, sans l'appui d'aucun manuscrit, sans non cultor Vatari, comme il a plu à Mazzu-
autre motif que sa fantaisie, pensa qu'il chelli de corriger.
fallait lire IxàXa; pérepeç , forgeant ainsi le
nom latin de Scalœ 'veleres, servilement La Table Peutingérienne nous avait déjà
adopté par tous les traducteurs, et retraduit révélé l'existence et fait connaître la situa-
à son tour dans notre langue en Vieilles tion relative d'un lieu appelé Vatari , entre
échelles; mais il est évident que KaXXocç Sicca , Théveste et Cirta , de manière à en
(âaxàpaç doit indiquer des celles ou maga- assurer la position à quelques milles dans
sins , cellas , comme on en connaît plu- le sud de Tipasa, aujourd'hui Tyfèsch. C'est
sieurs en Afrique, où l'on ne trouve point là qu'a eu lieu la bataille décrite en détail
par Procope. Mais les vers de Corippe nous
au contraire d'échelles, scalas; et que (3a- indiquent encore une autre affaire, dont
ràpa; , vataras, est l'adjectif caractéristique
Procope ne dit rien, qui eut lieu à Auten-
du lieu, comme nous voyons l'adjectif pi-
centinis attaché aux Cellis voisines de Ta- tum près de Suffelula.
cape. Or Procope, en nous racontant la (*) Cette paix est décrite avec beaucoup
bataille qui a eu lieu en cet endroit, nous de charme dans les vers de Corippe, très-
montre Germain partageant sa cavalerie en remarquables pour l'âge de décadence com-
trois corps commandés par Ildiger, Théo- plète où ils furent écrits; ils nous appren-
dore, et ce Jean frère de Pappus, auquel nent aussi qu'au milieu de cette paix sur-
Jornandès applique le surnom deTroglita, vint une épidémie.
AFRIQUE ANCIENNE. 251
mentation des revenus, et la prospérité pouvaient en conséquence se rendre
publique. Puis il résolut une expédi- queJustinien
par mer. ayant, en 543, donné le
tion contre Iaudas et les Maures de
l'Aurasion; son avant-garde vint cam- commandement de la Tripolitaine à
per sur les bords de PAbigas, auprès Sergius neveu de Salomon , en même
de la ville abandonnée de Bagaï, où temps qu'il accordait la Pentapole à
les Maures , par des barrages , l'eurent Cyrus frère du premier, il y eut un
bientôt inondée; mais l'arrivée de Sa- soulèvement général des Maures Léva-
lomon les refoule vers les montagnes, thes , par suite du massacre de quel-
en un lieu appelé Babôsis, où il vient ques-uns des leurs à Leptis Magna, et
les mettre en déroute ; une partie se les deux frères furent obligés de se
retire en Mauritanie , une autre chez sauver auprès de leur oncle. Les in-
les barbares du Sud. Iaudas, ayant surgés entrèrent dans le Byzacium,
encore vingt mille hommes , va établir où ils trouvèrent Antalas tout disposé
une forte garnison dans le château de à faire avec eux cause commune ; car,
Zervoula (*), et gagnant lui-même le à la suite de quelques troubles , Salo-
haut des montagnes, il s'établit au mon avait puni de mort son frère
milieu des rochers , sur un point en- Guarizilas, et supprimé la pension
touré de pentes abruptes , en un lieu annuelle d' Antalas lui-même. Salomon
appelé Toumar, pendant que ses fem- marcha à leur rencontre , et leur livra,
mes et ses trésors sont renfermés , près de Théveste , un combat où il
sous la garde
une tour d'un vieux
écartée, guerrier, bâtie
anciennement dans périt ; et les Lévathes s'avancèrent
jusqu'à
siège parLaribus , qui se racheta
une contribution d'un
en argent.
à la cime
Pierre de Géminiend'un pic; isolé appelé la,
mais Salomon Expédition de Sergius et Ario-
après être allé fourrager dans les binde; usurpation de Gonthâ-
champs de ïamougadis, s'empare de ris déjouée par Artaban. — Ser-
Zervoula, force Iaudas dans sa re- gius succéda à son oncle dans le
traite de Toumar, et enlève la tour de commandement , et se fit détester de
Géminien. Iaudas, blessé lui-même, tous par sa hauteur, si bien que les
se sauve en Mauritanie. Alors Salo- chefs de l'armée ne se souciaient point
mon établit à demeure des postes for- de lui obéir, tandis que les Maures,
tifiés dans l'Aurasion , et chassant les ayant appelé à eux le rebelle Stotzas,
Maures de toute la Numidie, il alla, se montraient plus formidables que
dit Procope, soumettre le canton de jamais. Le duc de la Byzacène, Himé-
Zaba , au delà de l'Aurasion , appar- rios, ayant été pris dans une embus-
tenant àla première Mauritanie, dont cade à Ménéfésis ( entre Suffétula et
la métropole était Sitifis. Césarée était Théveste) , ils en profitèrent pour al-
la capitale de l'autre Mauritanie, sou- ler s'emparer par ruse d'Adrumète ,
mise tout entière au prince maure
qu'une
enlever. autre ruse ne tarda pas à leur
Mastigas, à la seule exception de Cé-
sarée elle-même, où les vainqueurs ne L'empereur envoya le sénateur Ario-
binde partager avec Sergius le com-
(*) Procope l'appelle ZepêouXï) , qui de- mandement militaire des provinces de
vait se prononcer Zervouli; Corippe la nom-
me ZerquiUs , à côté de Geminam pelram, l'Afrique, lui donnant à cet effet quel-
qui est évidemment la 7tÉTpav refJuviavoO
ques officiers et un petit nombre de
de Procope : la synonymie de Zerquilis avec
nouvelles troupes pour continuer la
ZepëouXr) est donc certaine, et assure celle guerre en Byzacène pendant que Ser-
que la sagacité de M. Dureau de la Malle gius la ferait en Numidie. Athanase
avait devinée entre ZepëouXïi et Zerqelah fut envoyé en même temps comme
des géographes arabes. Le même savant a préfet du prétoire ; mais on conçoit
signalé avec la même justesse l'identité de que cette haute mngistrature civile
Toumar etPetra Geminiani avec Tovu.âppa était alors presque effacée au milieu
et TepEJuava de Ptolémée. du tumulte des armes. Ariobinde ayant
252 L'UNIVERS.

appris que les ennemis étaient campés mandaver àson rappel pour l'aller
près de Sicca- Vénéria , envoya contre Constantinople, où il retrou-
devint
eux un de ses lieutenants , qui les at- maître de la milice de la garde.
Expédition de Jean Tboglita.
taqua dans le port ou défilé deTacia (*),
tua Stotzas, et fut tué lui-même, au —Ce fut alors Jean Troglita que l'em-
milieu d'une défaite que le concours pereur nomma stratège d'Afrique ; il
de Sergius aurait empêchée: l'empe- vint débarquer à Caput-Vada comme
reur alors rappela enfin ce jeune pré- Bélisaire, et après avoir réuni à Car-
somptueux. Gontharis, chef des trou- thage les troupes d'Afrique, celles
qu'il amenait , et les Maures de Cou-
se substituer à la fois à l'ambition
pes de la Numidie,eut Sergius etdeà tzinas qu'une pension annuelle atta-
Ariobinde, en se liguant secrètement chait alors à l'empire, il courut dans
avec les Maures, et il ameuta Iaudas la Byzacène, à l'endroit autrefois ap-
etCoutzinas contre Carthage, en mê- pelé le Camp d'Antoine (*), remporta
me temps qu'Antalas s'y portait avec sur Antalas et ses confédérés une vic-
le rebelle Jean> que les soldats de toire complète, et retourna triom-
Stotzas avaient élu pour chef. Ario- phant àCarthage. Mais une ligue for-
binde rappela aussitôt près de lui tous midable s'étant formée des Maures de
ses la Tripolitaine avec ceux de la Byza-
les chefs maureset par
généraux, s'efforça de désunir
des négociations cène il, réunit de nouveau ses troupes
secrètes. Gontharis devenu nécessaire
et ses alliés pour marcher à l'ennemi
à Carthage , y leva le masque , fit mas- avant qu'il eût envahi cette dernière
sacrer Ariobinde, et se saisit ainsi province. Au bruit de son approche ,
du pouvoir; Jean et les soldats de les Lévathes , qui étaient déjà sur la
Stotzas , ainsi que le maure Coutzi- frontière,foncentrebroussent chemin et s'en-
nas , vinrent se joindre à lui , tandis dans le désert de Gadaïas , où
qu'Antalas prit le parti de se réunir Jean Troglita les suit sans pouvoir les
aux troupes de la Byzacène restées fi- atteindre. Le manque d'eau et de vi-
dèles dans Adrumète sous leur duc vres le rappelle vers la côte, où il
Marcentius; mais l'arsacide Artaban, reçoit les soumissions de quelques tri-
d'accord avec le préfet Athanase que bus; puis il se porte vers les collines
Gontharis avait dédaigné de frapper, de Gallica pour couper le chemin aux
fit assassiner le rebelle par un de ses ennemis, que la soif ramenait sur les
Arméniens, trente- six jours après son bords d'un fleuve, où il les devance
usurpation , et rendit ainsi Carthage avec quelques troupes : le combat
à l'empereur, qui l'en récompensa en s'engage avant que les Romains eus-
le nommant lui-même stratège ou maî- sent assis leur camp; ils sont défaits,
tre de la milice d'Afrique (**). Mais et Jean Troglita est obligé de se re-
l'amour peut-être entrait pour une plier sur une petite ville, puis de re-
part dans la conduite d'Artaban , et gagner Vinci , où son armée s'était
en sacrifiant Gontharis c'est d'un ri- ralliée et l'attendait; de là il renvoie
val qu'il s'était défait; peut-être Gon- ses troupes se refaire dans leurs quar-
tharis lui-même n'était-il devenu cri- tiers et
, lui-même prenant la route du
minel que pour rompre le nœud qui littoral, ne s'en écarte plus que pour
unissait comme épouse à Ariobinde la gagner Laribus, où il donne rendez-
jeune Préjecte nièce de Justinien, à vous à tout son monde pour une nou-
la main de laquelle il prétendit aussi-
tôt; Artaban fut plus heureux, et de- velle expédition (**).
(') « Jamque per extensos properans exercitus agros
«Byzacii, carpebat iter quô Antonio Castra
« INomine dictus avis locus est. »
(*) Procope parle du défilé sans le nom- CoRirpE, Joliannide, I, 460.
mer ;mais le chroniqueur Jean de Valclara
nous fournit une indication précise. (**) Toute cette campagne est résumée
(**) En la 19e année du règne de Justi- par Procope en ces mois : «Les Lévathes
nien, c'est-à-dire en 545. « venant de !a Tripolitaine avec une grande
253
AFRIQUE ANCIENNE.
Avant bientôt réuni les troupes et fort considérable de Maures alliés , il
les munitions nécessaires, et un ren- se remit en campagne. Les ennemis
s'étaient avancés jusqu'aux frontières
« armée, entrèrent dans la Byzacène et se de la Byzacène, et dévastaient le plat
« réunirent à Anlalas ; Jean ayant marché pays autour de Mamma ; à la nouvelle
« contre eux fut vaincu , perdit beaucoup de son approche, ils se retirèrent au
« de monde, et se réfugia à Laribus. » Co- désert pour qu'il s'y engageât encore
rippe au contraire nous fait un long récit,
à leur poursuite , et s'éloignèrent jus-
où ne se trouvent malheureusement qu'en qu'à une distance de dix journées. Jean
fort petit nombre les désignations précises Troglita ayant envoyé reconnaître leur
nécessaires pour la détermination des loca-
lités ;et Saint-Martin les a même négligées position, s'avança jusqu'à la ville de
dans son analyse du poëme ; nous avons au Vinci auprès de' laquelle ils étaient
contraire soigneusement relevé ces faibles campés sur le bord de la mer, et pen-
indices, que certaines corrections hasar- dant que les Maures se retiraient de-
dées par Mazzuchelli et répétées par le se-
vant lui sur les hauteurs, il occupa le
cond éditeur, M. Emmanuel Eekker, ren- rivage, dont il fit rentrer tous les bâ-
daient plus difficiles à saisir, en transportant timents dans le port de Lariscum ;
dans la Tingitane ce qui regarde exclusi- puis il s'avança encore jusqu'en un
vement la Tripolitaine, bien que la leçon
lieu appelé le* Camp de Caton (où
du manuscrit se prêtât mieux à la restitu- sans doute s'était jadis arrêté ce grand
tion plus naturelle que nous avons adoptée. homme lorsqu'il ramena par terre les
Ainsi, quand la renommée fait connaître
restes de l'armée des Pompéiens de-
aux Maures l'approche de Jean ïroglita puis Cyrène jusqu'à Utique). C'est là
avec tous ses ducs, ce n'est point Abylœ
qu'ayant habilement attiré les enne-
Tingensis ad arva qu'elle peut raisonnable-
ment aller, mais bien
mis dans la plaine, Jean ïroglita leur
livra une sanglante bataille , où leur
« Lnguatan gentis ad oras
«Improba tendit iter. Fines jàm raptor iniquus perte fut énorme (*); ils y perdirent,
« Byzacii vastabat eques : sic pectora rumor
« Nominis incutiens magna virtute Johannis suivant
tribus, et Jornandès*
demeurèrent dix-sept chefs de
complètement
«Terruit, innumeras acies post terga reflexit.
« Siccas superare Gadaias écrasés. Après avoir ainsi terminé la
« Nec dubitant.tristesque locos,quîs nullus eundi guerre, Jean Troglita rentra triom-
« \ ivendique modus. »
phant àCarthage, et s'appliqua à faire
Gadaïas ne s'identifie ni à Cydamus ou Ga- jouir l'Afrique des bienfaits d'une paix
dames, ni à Gadabis qui est vers Leptis la
profonde.
Grande ; mais c'est évidemment dans les
mêmes cantons que la position en doit être
Astrices; nous savons seulement que c'est
cherchée. Quand les Romains sont revenus une ville soumise aux Romains , non loin
à la côte, de la mer, à plusieurs journées au delà des
« tune maie fida Latinis limites de la Byzacène.
« Urceliana manus Romanis addita fatis.
(*) La victoire de Jean Troglita fut rem-
« Subjicit ipsa... sese portée dans les mêmes lieux où il avait
« Astricum gens clara virûm. »
éprouvé une défaite; outre le voisinage de
Puis lorsque Jean Troglita va couper aux la ville de Vinci , qui est déjà un repère
ennemis le chemin du fleuve, significatif, le Camp de Caton est lui-même
<t Infandum carpebat iter, coliesque malignos indiqué dans le récit antérieurement fait
« Tristis et infaustos monstrabat Gallica campos. »
par Corippe de cette défaite si bien rache-
Dans un autre passage, le nom est écrit Gal- tée, par cette allusion mise dans la bouche
de son héros :
lida ; mais l'une ni l'autre forme ne nous
rappelle un point déjà connu. Après la dé- « Magnoque Calone seenndum
faite « Me tentasse legent. »
a Suecessit parvsc defessus mœnibus uvbis.
« Inde petens Vinti Romanum contrahitagmen.»
En supposant que les trois campagnes de
Jean ïroglita ne se soient succédé que d'an-
Vinci ne nous est pas plus connu que Ga- née en année , la guerre aurait été terminée
daïas que
, Gallida , que les Urcéliens et les en 548 au plus tard.
254 L'UNIVERS.
Édifices de Justlnien en Afrique. belle église. A l'extrémité de la même
plage sont les deux villes de Tacapa
Alors sans doute s'achevèrent les et de Girgis , entre lesquelles est la
ouvrages entrepris par Bélisaire et petite Syrte.
continués par Salomon pour la sûreté Édifices de l'Afrique propre.
et l'embellissement des villes. Proco- — « Après la Tripolitaine et les Syrtes
pe, en nous racontant au sixième livre vient le reste de l'Afrique. Les Van-
de ses Édifices les constructions faites dales, devenus maîtres du pays, avaient
sous le nom de Justinien dans le res- pensé qu'il convenait à leurs intérêts
de démanteler toutes les places , de
sort de la préfecture d'Afrique , nous
fait apprécier l'étendue des travaux peur que les Romains venant à s'en
qui y furent exécutés. Il est intéres- emparer n'en tirassent avantage contre
sante jeter, sous ce point de vue , eux; ils épargnèrent les murs de Car-
un coup d'œil rapide sur les indica- thage et de quelques autres villes,
tions de l'historien courtisan. mais les laissèrent se dégrader par dé-
Édifices de la Tripolitaine. faut d'entretien : Justinien, après avoir
— « La Tripolitaine, voisine des Syr- arraché l'Afrique aux Vandales, non-
tes, a pour habitants des Maures bar- seulement releva les forteresses détrui-
bares d'origine phénicienne. Là est tes, mais en construisit en outre plu-
aussi la ville de Kidamè, peuplée de sieurs nouvelles. Etd'abord, s'occupant
Maures dès longtemps alliés des Ro- de Carthage, appelée aujourd'hui a bon
mains, et qui se sont aisément laissé droit Justinienne, il en restaura com-
persuader par Justinien d'embrasser plètement les murailles, et la ceignit
le christianisme: on les appelle Pacali, d'un fossé neuf; il érigea dans le pa-
pacifiés, à cause de la paix où ils se lais une chapelle à la Vierge, et hors
maintiennent vis-à-vis des Romains. du palais une autre à sainte Prime qui
La ville de Lepti-Magna , autrefois est l'une des saintes indigènes; il lit
grande et peuplée, «est devenue ensuite construire des portiques des deux cô-
presque déserte, et le sable Ta envahie : tés de la place dite de la Marine, et
Justinien en a relevé les murs depuis de très-beaux bains publics que l'on a
les fondements, mais sur une étendue
appelés Théodoriens pératrice; ila en outre du nom
bâtide sur
l'im-le
bien moindre que l'ancienne enceinte: bord de la mer , près du port appelé
il a laissé dans l'état où elle était la
portion de la ville ensevelie sous les Mandracion, un monastère si bien
sables, et il a entouré de fortes mu- fortifié, qu'il en a fait un château inex-
railles la partie restante : il y a fait pugnable :voilà les édifices dont Jus-
construire un fort beau temple sous tinien adoté la nouvelle Carthage.
l'invocation de la Vierge, et quatre au- Dans la contrée environnante, qu'on
tres églises; il a restauré l'ancien pa- appelle Proconsulaire, la ville de Vaga
lais de Septime Sévère , qui était né se trouvait sans murailles, au point
dans cette ville et y avait laissé ce mo- que les barbares auraient pu la pren-
nument de son élévation. Peu après dre sans effort et pour ainsi dire en
l'avènement de Justinien , et avant la passant : Justinien l'a fortifiée de ma-
guerre de Bélisaire, des Maures bar- nière àoffrir de véritables moyens de
bares, appelés Leucathes, ayant chassé défense à ses habitants, qui par re-
les dominateurs vandales de Lepti- connaissance ont donné à ieur ville,
Magna, l'avaient désolée complètement. en l'honneur de l'impératrice, le nom
Justinien l'a décorée encore de bains de Théodoriade ; il a érigé aussi dans
publics et d'autres édifices. Quant aux le même canton le château appelé
barbares d'alentour , appelés Gadabi- Toucca.
tains , qui professaient le paganisme Édifices de la Byzacène. —
grec, il les a complètement convertis « Dans le Byzacium, la ville d'Adra-
au christianisme. Il a aussi fortifié la myte, sur la côte, autrefois grande et
ville de Sabaratha, et y a bâti une peuplée , avait le rang et le titre de
AFRIQUE ANCIENNE. 255
métropole de la contrée , tant à cause
de son étendue que de son heureuse sur lestorallimites
du Byzacium. Dans l'intérieur,
de la province habitées
{>osition; les Vandales en avaient abattu par des Maures barbares, il a établi
es murs pour que les Romains ne des postes fortifiés, en sorte qu'ils ne
pussent s'y retrancher, et elle demeu- peuvent plus faire d'incursions sur le
rait exposée aux courses des Maures ; territoire romain ; car après avoir en-
les habitants avaient, pour leur propre touré de fortes murailles les villes
sûreté, relié entre elles et fortifié leurs frontières de Mamma , Télepte, Kou-
maisons contre les agressions du de- loulis, et le château que les indigènes
hors; mais dans une telle situation appellent Ammétéra , il y a mis de
leur salut ne tenait pour ainsi dire bonnes garnisons.
Édifices de la Numidie. — « Il
qu'à un fil, car les Maures les harce- a de même pourvu à la sûreté de la
laient, et les Vandales ne prenaient
nul souci de les défendre. Mais Justi- Numidie par des postes fortifiés et des
nien devenu maître de l'Afrique, a en- garnisons
ser. Dans, cetteainsi province
que je vais l'expo-
se trouve
touré la place de fortes murailles et y
a mis une garnison suffisante pour le mont Aurasion , qui n'a pas son
rassurer les habitants contre toute es- pareil au monde, car il s'élève abrup-
pèce d'ennemis; aussi appellent -ils tement à une grande hauteur, et n'a
également aujourd'hui cette ville Jus- guère moins de trois journées de cir-
tinienne en témoignage de leur grati- cuit; l'abord en est très-difficile, et
tude pour les bienfaits du prince; seul l'on n'y peut monter qu'à travers des
précipices; mais le sommet en est plat,
témoignage en effet qu'ils pussent lui
donner et qu'il voulût accepter. d'un parcours facile, couvert de prai-
« Sur la côte de la Byzacène était ries, de vergers et de bosquets odori-
un lieu appelé Capoudvada par les in- férants, de sources limpides, de ruis-
digènes :c'est là qu'avait abordé la seaux paisibles, et chose surprenante,
flotte impériale les moissons et les fruits n'y sont pas
contre Gélimer lors et lesdeVandales
l'expédition
, et moins frbeaux
Dieu y avait admirablement fait con- : estquele dans
ique tel mont leAurasion.
reste de l'A-
Les
naître sa bienveillance pour notre mo- Vandales s'en étant emparés au com-
narque en faisant naître dans ce lieu mencement de leur occupation, les
aride , où l'armée romaine souffrait Maures s'y établirent après le leur
beaucoup avoir enlevé, jusqu'à ce que Justinien
qui jaillit du toutmanque
à coupd'eau,
sousunela source
pioche les en ayant chassés, l'a réuni au do-
des soldats, du sein d'une terre jus- maine de l'empire; et afin d'empêcher
qu'alors desséchée; en sorte qu'après qu'il ne retombe au pouvoir des bar-
avoir trouvé là un campement favora- bares, ila fortifié les villes d'alentour,
ble, ils purent le lendemain s'élancer qu'il avait trouvées désertes et dé-
vigoureusement à la conquête de l'A- manteléesde
: plus il y a placé deux
frique. Aussi Justinien, pour consa- châteaux avec des garnisons suffisantes
pour ôter aux barbares du voisinage
de ce divin façon
crer d'une bienfait,durable le souvenir
ordonna aussitôt tout espoir de jamais reprendre F Au-
la fondation d'une belle et forte ville, rasion. Ila également mis en état de
dont il traça le plan; elle a été bâtie défense les villes situées dans le reste
en effet , entourée de murs , et son de la Numidie.
existence a changé la face dé ce can- Édifices en Sardaigne et a
ton, car les habitants se sont civilisés, Septa.— « Dans l'île de Sardôs qu'on
ont pris l'habitude de venir tous les appelle maintenant Sardinia, estime
jours au forum, de délibérer de leurs ville nommée par les Romains le Châ-
affaires dans des assemblées, d'établir teau deTrajan; Justinien Fa ceinte de
des marchés, de faire en un mot tout murailles et de fortifications, dont elle
ce qui se pratique dans les cités : était auparavant dépourvue.
voilà ce que Justinien a fait sur le lit- « Vers les colonnes d'Hercule, sur
256 L'UNIVERS.
le rivage africain , était autrefois un Teberseq, déclare que ces murs ont été
fort appelé Septon , construit par les bâtis pas ses soins :
Romains à une époque antérieure, et SALV1S DOM1N1S N0STR1S XP1ST1AN1SS1M1S
ET 1NV1CT1SS1M1S 1MPERAT0R1BVS
croulant de vétusté par suite de l'in-
curie des Vandales : Justinien l'a en- 1VST1NO ET SOFIA AVGVST1S HANC MVN1T101SEM

touré de bonnes murailles , y a mis TOMAS EXCELLENT1SS1MVS PRAFFECTVS


CITER AED1F1CAV1T.
FELI-

une forte garnison, et y a bâti une


« Sous le règne de nos seigneurs très-
belle
là que église
commencent à la Vierge. fCommeil ac'est
ses États, fait « chrétiens et invincibles empereurs Justin
en sorte que cette forteresse soit inex- « et Sophie , augustes, cette fortification a
«« été
mas.bâtie
» par le très-excellent préfet Tho-
pugnable. »
Dernière période de la domination A cette époque aussi les Garamantes
byzantine. demandèrent d'être reçus dans l'al-
liance de l'empire et dans la foi chré-
PROLONGATION DE LA. PAIX. — tien e, ce qui leur fut aussitôt accordé.
Après quinze années de profonde Nouvelles insurrections des
paix, une faute analogue à celle qui Maures. — Les guerres que la sa-
avait causé la révolte d'Antalas vint de
féesgesse
sans durecourir
préfet Thomas
aux armesavaitdevaient
étouf-
nouveau troubler l'Afrique. Le préfet
du prétoire Jean Rogathinus voulut éclater plus cruelles sous ses suc-
supprimer les coutumes annuelles qui cesseurs moins conciliants et moins
étaient payées au maure Coutzinas habiles que lui. A la tête des Mau-
comme prix de sa fidélité, et il fit as- res se trouvait un homme d'une
sas iner ce chef dans Cartilage quand grande énergie que malheureusement
il y vint pour les réclamer (*); ses fils nous ne connaissons que par les an-
notations sibrèves et si sèches des
s'insurgèrent aussitôt, ne respirant que
la vengeance, et se mirent à dévaster chroniques de ce temps. Jean de Val-
le pays : Justinien fut obligé d'en- clara seul nous parle du farouche Gas-
voyer, avec des troupes, pour rétablir mul; quatre fois il nous entretient
la tranquillité, son neveu Marcien maî- de ses sanglantes prouesses contre les
tre de la milice, auquel ils se soumi- Romains, et tout ce qu'il en dit se
rent; et la paix fut ainsi de nouveau trouve contenu dans ces froides an-
assurée pendant quelques années. nales de quelques lignes : « En 568
C'est peu de temps après sans doute « Théodore préfet d'Afrique est tué
que fut nommé préfet du prétoire « par les Maures; — en 569 Théoctiste
d'Afrique, Thomas, célébré dans quel- « maître de la milice des provinces
ques vers de Corippe comme le res- « africaines est défait et tué par les
taurateur de l'Afrique déchue, dont la « Maures; — en 570 Amabilis maître
sagesse avait plus fait pour la soumis- « de la milice d'Afrique est tué par les
sion des indigènes que d'autres n'a- « Maures; — en 577 Gennadius maître
vaient pufaire par les armes (**); de « de la milice en Afrique châtie les
tels résultats ne s'improvisent point, « Maures : il bat le puissant roi Gas-
et déjà Thomas les avait obtenus au « mul, qui déjà avait tué les trois
commencement du règne de Justin le « commandants sus-nommés de i'ar-
jeune. Une inscription lapidaire, en- « mée romaine , et il frappe de son
core encastrée dans les murs de l'an- « glaive ce roi lui-même. » Que de
cien tubursicum-Bure , aujourd'hui faits intéressants pour l'histoire de
l'Afrique se trouvent ensevelis sous ce
(*) Le 20 décembre 56a.
(**)« Et Thomas Libycac nulantis destina terra?, peuPlus
de tard
mots Gennadius .' eut le titre de
« Qui lapsam statuit, vita: spem reddidil Afris,
« Pacem composuit, bellum sine milite pressit, préfet du prétoire ou comme on disait
« Vicit consiliis quos nullus vicerat annis. » alors d'exarque d'Afrique; les Maures
CoRirrE, Louang. de Justin, 1, 18-21. voulurent tenter encore une insurrec-
AFRIQUE ANCIENNE. 257

tion générale (*), et ils marchèrent sur qu'Héraclius eût fermé les yeux. Cinq
Carthage avec des forces redoutables, ans après, l'exarque d'Afrique, le pa-
auxquelles Gennadius n'avait pas de trice Grégoire, ne craignait pas de se
troupes suffisantes à opposer ; mais déclarer indépendant dans son gou-
l'administrateur d'alors se montra vernement; etl'année suivante il pé-
aussi habile rissait lui-même sous les coups des
montré brave que le général
autrefois; s'était
il les amusa Sarrasins , qui avaient déjà envahi la
par une déférence simulée pour tou- majeure partie de l'Afrique et la sou-
tes leurs exigences, et pendant que sa- mirent dès lors au tribut. L'établisse-
tisfaits de cette facile victoire ils se ment de leur domination imprimait à
livraient aux festins et à la boisson, il cette région une face toute nouvelle ;
les surprit, les tailla en pièces, et dis- et quelque persistance que l'on veuille
sipa ainsi cet orage qui avait paru si supposer à certains éléments, à cer-
menaçant. tains caractères des populations sub-
L'Afrique est envahie par les juguées et du sol envahi, cette con-
Sarrasins. — A Gennadius succéda, quête néanmoins opérait une trans-
en l'année 600, Innocentius, connu par formation profonde , dans laquelle
les lettres du pape saint Grégoire le disparaissait sans retour l'Afrique an-
Grand, dont il était l'ami; et Innocen- cienne, dont l'histoire se termine donc
ici.
tius àson tour fut remplacé, en l'année
603, par le comte Héraclius, avec son
frère Grégoras pour lieutenant ou pour RÉSUMÉ.
collègue : on sait qu'à l'instigation des
principaux personnages de la cour de Nous venons de parcourir tout d'une
Phocas , les deux frères envoyèrent haleine l'histoire des révolutions po-
leurs fils Héraclius et Nicétas, le pre- litiques et territoriales de l'Afrique
mier avec- une flotte, le second avec
ancienne, depuis les temps primitifs
une armée, pour enlever l'empire au jusqu'à la conquête musulmane, qui en
tyran, et que le jeune Héraclius, ar- marque le terme ; mais quelque rapide
rivé àConstantinople le 4 octobre 610,
qu'ait été notre course, trop de dé-
y était proclamé empereur le lende- tails encore ont du passer devant nos
main :triste fortune, qu'il ne tarda
yeux pour qu'il n'y ait point utilité de
point à regretter, et qu'il aurait volon-
récapituler,
tiers quittée quelques années après semble, lesà principales
un point dephases vue d'en-
sous
pour revenir à Carthage près de son lesquelles s'est montrée à nous suc-
père, si les Byzantins n'y eussent mis cessivement la région d'Afrique, à
obstacle en exigeant de lui le serment mesure que les bouleversements poli-
solennel de ne les point abandonner. tiques yont changé la distribution des
L'empire d'Orient s'en allait alors états ou des provinces.
par lambeaux, et périssait sous l'é- PÉRIODE D'INDÉPENDANCE PRIMI-
TIVE.— A une époque primordiale,
treinte des peuples de l'Asie, comme
l'empire d'Occident avait péri sous dont la chronologie n'a point mesuré
l'étreinte des barbares du Nord : et Péloignement, une zone ininterrompue
cette Afrique, où Héraclius avait pensé de .peuples libyens occupe toute la
trouver un dernier refuge, il eut la plage littorale.
douleur de la voir entamée par les En arrière de cette zone , les Gétu-
conquérants sarrasins; quand ils eu- les à l'ouest, les Garamantes à l'est ,
forment une seconde assise, après la-
rent pris Damas, l'empereur écrivit,
dit-on, à Pierre qui commandait en quelle sont les Éthiopiens jusqu'à des
Numidie, pour l'appeler à la défense de profondeurs inconnues. Mais ces plans
l'Egypte; mais l'Egypte était déjà oc- éloignés du tableau restent invariables
cupée et Alexandrie assiégée avant
pour nous; le devant de la scène
éprouve seul les variations dont l'his-
(*) Eu l'année 597. toire s'est occupée.
17e Livraison. (Afrique ancienne.)
258 L'UNIVERS.
A une seconde époque, fort reculée
aussi dans la nuit des temps , les nissa, qui d'une part touchent à la
Maures et les Numides ont remplacé Cyrénaïque et de l'autre vont peut-
les Libyens dans la partie occidentale être étatsjusqu'à
de Vermina, Saldes, qui ayantse à prolongent
l'ouest les
de leurs possessions, les premiers de- au couchant jusqu'au Malua ou au
puis l'Océan jusqu'à une limite que Molochat, limite de la Mauritanie.
Mais bientôt les envahissements de
nous croyons devoir placer au fleuve
Malua , les seconds depuis ce fleuve Massinissa viennent amoindrir de plus
jusqu'à une autre limite que nous en plus les possessions carthaginoises,
supposons au fleuve Tusca ; les Libyens à ce point qu'au commencement de la
ne conservant que la plage qui s'étend troisième guerre punique , l'an 150
à lest de celui-ci. avant notre ère, Carthage n'a plus
Période punique. — L'établisse- qu'un territoire restreint entre Hip-
ment des colonies puniques vient chan- pone-Diarrhyte et la presqu'île du cap
ger cet état de choses; U tique, Car- d'Hermès , tandis que la Numidie s'est
tilage et les Emporia , implantées sur
la côte libyenne, forment une chaîne agrandie de tout le reste, et s'étend
au couchant jusqu'au fleuve Mulucha,
de plus en plus étendue, qui domine où s'avance alors la Mauritanie.
le pays, ou en interdit l'accès aux peu- Après la guerre, Carthage est dé-
ples étrangers. Deux phases distinc- truite ,et le territoire qu'elle avait
tes sont constatées à cet égard par le
premier et le second traité de Carthage jusqu'alors mis aux Romains gardé est désormais
, dont sou-
le préteur
avec Rome , qui se rapportent à l'an siège à Utique.
509 et a l'an 352 avant notre ère. Dans Période romaine. — C'est main-
le premier cas, les villes puniques tenant sur la Numidie que notre at-
n'ont que leur propre territoire avec tention est appelée. Après la mort de
le monopole du commerce, sur la côte Micipsa , il semble qu'il en eût été fait
au sud du Ralon-Akrotérion; dans le une division tripartite entre Adherbal
second cas, Carthage, arrivée à l'apo- régnant à Cirta, Hiemsal régnant à
gée de sa grandeur, est devenue maî- Thimida, et Jugurtha, dont nous ne
tresse des pays libyens, et se réserve connaissons pas la ville royale; il est
le monopole du commerce sur tout le du moins certain qu'après l'assassinat
reste de la côte africaine. de Hiemsal, il y eut un partage effec-
Un peu avant la deuxième guerre tif entre Adherbal et Jugurtha, le pre-
punique, le domaine libyen de Car- mier ayant toute la Numidie orientale
thage se trouve entamé par les con- avec la ville de Cirta, l'autre la Numi-
quêtes de Gala, roi des Numides Mas- die occidentale jusqu'au Mulucha. La
syliéens, occupant le pays entre les limite intermédiaire paraît avoir été à
fleuves Tusca et Ampsagas , avecHip- la hauteur de Saldes, et l'on peut pré-
pone pour capitale , tandis que le reste
sumer queprésentait
le territoire d'Adherbal
son lot primitif, augmentére-
de la Numidie, appartenant aux Mas-
sésyliens, avait pour roi Syphax, dont de celui de son frère Hiemsal ; mais
la capitale fut d'abord Siga , mais qui bientôt il est dépouillé lui-même, et
transporta sa résidence a Cirta après Jugurtha se trouve maître de tout
avoir agrandi vers l'est ses états aux l'ancien
Micipsa. royaume de Massinissa et de
dépens des Massylieens.
Après la deuxième guerre punique, Les Romains vinrent renverser cet
terminée par un traite l'an 201 avant état de choses. Après la chute de Ju-
notre ère, des changements notables gurtha, l'an 104 avant notre ère, le
se sont opérés ; le domaine de Carthage roi de Mauritanie Bocchus parait éten-
comprend encore la Zeugitane et la
dre ses limites jusqu'à Saldes, l'Afri-
Byzacène, depuis le fleuve Tusca jus- que romaine agrandit probablement
qu'à la petite Syrte; mais il est pressé les siennes jusqu'à Sicca et au fleuve
de tous côtés par les états de Massi- Tusca, et le reste forme les états du
AFRIQUE ANCIENNE. 250
roi numide Gauda. La succession de rétabli pour Juba le Jeune, tel, ce
celui-ci est ensuite possédée par Hiein- semble, que l'avait possédé son père
sal dont la capitale est peut-être Juba l'Ancien; mais cinq ans après,
Zama, par Hiarbas qui siège à Bulla, revenant sur sa première décision ,
et par Massinissa ou Masintha à qui Auguste reprit à Juba la Numidie pour
appartient
Cirta. Que le territoire
le règne à l'ouest
de Hiemsa! de l'annexer a la province romaine d'A-
et de
Hiarbas ait été simultané ou alterna- frique,àlasous l'administration
consul nomination du sénat; d'un pro-et
tif, Hiemsal demeura seul maître de la Mauritanie de Bocchus, depuis l'O-
leur double domaine, et le transmit céan jusqu'à Saldes, forma désormais
tout entier à Juba l'Ancien, qui con- le royaume de Juba , qui donna à loi,
serva Zama pour sa capitale. sa capitale , le surnom de Césarée.
Après la guerre de Jules-César, en Sous cette phase , l'Afrique ne nous
Afrique , l'an de 46 choses
avant notre ère ,éta-
un présente plus que deux états parallè-
nouvel ordre se trouve les : à l'ouest le royaume de Mau-
bli :les états du roi maure Bocchus
ritanie, àl'est la province romaine
l'Ancien étaient passés à ses enfants , d'Afrique depuis Saldes jusqu'à la
le roi Bogud conservant l'ancienne Cyrénaïque. réexpédition de Balbus
Mauritanie à l'ouest du Mulucha avec ajoute bientôt à celle-ci, nominalement
Tingis pour capitale ; le roi Bocchus le au moins, Cydamus et quelques can-
Jeune, qui régnait à loi, est gratifié de tons de la Phazanie.
quelques cantons pris sur les états de Avec le règne de Claude, l'an 42 de
Masintha, dont le surplus est donné, l'ère chrétienne, commence pour l'A-
avec Cirta, à Sittius et ses partisans ; et frique une nouvelle organisation ter-
la Numidie de Juba forme aux Romains ritorialele
: royaume de Mauritanie,
une seconde province d'Afrique, appe- devenu vacant par la meurtrière ja-
lée Nouvelle, gouvernée par un pro- lousie deCaracalla, forme dorénavant
consul quiréside probablement à Zama, deux provinces régies par des procu-
tandis que l'Ancienne continue d'être et de Césarienne rateurs, sous les noms de Tingitane
régie par un préteur siégeant à Utique. , avec le fleuve Malua
Peu de temps après , Arabion fils de pour borne commune, et l'Ampsagas
Masintha vint reprendre à Bocchus et à pour limite orientale; une province de
Sittius le patrimoine dont Jules-César Numidie est détachée à l'ouest de celle
l'avaitdépouillé;maisil ne tarda point d'Afrique , dont elle est séparée par
à en être expulsé par Fango lieutenant le fleuve ïusca, et son chef-lieu est à
de César-Octavien , et l'Afrique nou- Cirta; mais l'Afrique proconsulaire
velle se trouva augmentée d'autant. garde alors dans sa circonscription la
Sextius , lieutenant d'Antoine, l'en- Byzacène et la région Syrtique, celles-ci
leva à Fango, et la rendit, avec la constituant peut-être déjà des subdi-
province ancienne, au triumvir Lé- visions chacune
à desquelles était pré-
pide; puis Statilius Taurus, l'an 40 posé un lieutenant du proconsul.
avant notre ère, reconquit l'une et Maximien-Hercule, vers l'an 296,
l'autre pour César. Quant aux états opère le morcellement définitif de l'A-
maures, Bogud, entraîné dans le parti frique en sept provinces, dont l'une,
d'Antoine , et forcé de s'aller réfugier la Tingitane, est annexée à l'Hispanie,
près de lui, laissait son royaume à tandis que les six autres, la Césarien-
Bocchus, et celui-ci à son tour laissait ne, la Sitifienne, la Numidie, l'Afri-
en mourant, l'an 33 avant notre ère , que proconsulaire, la Byzacène, et la
toutes ses possessions à la merci de Tripolitaine ou Sabratane, constituent
César.
était auxA Romains. ce moment, toute l'Afrique un diocèse d'Afrique dépendant de la
préfecture
Période vandale.—d'Italie. du prétoire Un nouveau
L'empereur eut le bon plaisir d'en
disposer autrement, et l'an 30 avant bouleversement
sion des Vandales : entrés par est amené l'inva-
en Mauri-
notre ère un royaume de Numidie fut

17.
:60 L'UNIVERS.

tanie en l'année 429, ils ont déjà con- Période byzantine. — La restau-
quis en 431 tout le plat pays jusqu'à ration byzantine nous présente enfin
Carthage, qui seule avec Cirta et Hip- la dernière phase sous laquelle se
pone résiste à leurs attaques; encore
montrent à nous les provinces de l'A-
Hippone est-elle prise en 432. Alors un frique ancienne ; elles sont alors tou-
armistice provisoire, puis un traité tes réunies, avec la Sardaigne et les
conclu en 435 et stipulant une trêve de
trois ans , maintiennent le statu quo îles voisines pour annexes , sous l'au-
en attendant un arrangement définitif. torité d'un préfet du prétoire établi
à Carthage;
que nominalemais pourcette réunion n'est
la Tingitane, où
Mais la trêve expire avant qu'une paix
solide ait été réglée, les Vandales s'em- l'empire ne possède que le fort de
parent de Carthage, et la paix, enfin Septon ou Septa, et pour la Césarien-
conclue en 442 , leur assure toute la ne , où il ne possède que Césarée
même; néanmoins un gouverneur
partie orientale de la région d'Afrique, consulaire et un duc y sont revêtus
a partir d'une limite tracée au milieu
de la Numidie entre Hippone et Cirta; des pouvoirs civils et du commande-
toute la partie occidentale, à partir de ment. La Sitifienne appelée désormais
cette limite, retourne aux Romains. Première Mauritanie, la Numidie qui
Mais à la mort de Valentinien le Jeune, en est voisine , et la Sardaigne, sont
en 455, Giséric reprend ces provinces, gouvernées par des présidents; la
et toute l'Afrique est englobée dans le Carthaginoise, la Byzacène, et la ïri-
royaume des Vandales. politaine ont des gouverneurs consu-
Ce sont les Maures dont l'insurrec- laires. A côté de cette administration
tion vient ensuite imprimer à l'orga- civile est constituée en même temps
nisation territoriale de l'Afrique une une hiérarchie militaire, qui l'éclipsé
face nouvelle. A la mort de Hunéric, complètement chaque fois que la tur-
en 484, laïingitane et les districts de bulence des Maures renouvelle la
l'Aurasion sont déjà perdus pour les
Vandales , et sous Trasamund , vers Puis tout cela s'efface entièrement
guerre.
l'année 500, les Maures leur ont en- sous la conquête musulmane, qui
levé lerestededesla Mauritanies
frontières Numidie. jusqu'aux vient clore brusquement l'histoire des
temps anciens de l'Afrique.
Bélisaire acheva de les dépouiller.
TABLE DES MATIERES.

ESQUISSE GÉNÉRALE DE L'AFRIQUE


Pages.

Introduction • ' i
Première section : Du sol de l'Afrique 2
§ I. Vue générale, de l'Afrique a
Dénominations de l'Afrique 4
§ II. Aspect et constitution physique 5
Situation , figure, étendue 5
Dépendances 6
Mers ambiantes , courants 6
Vents réguliers . 7
Golfes et caps 7
Versants et reliefs généraux , fleuves 8
Lacs 8
Montagnes 9
Plaines et terrasses 9
§ III. Histoire naturelle 10
Règne minéral • Jo
Constitution géognostique , 10
Ory ctognosie Io
Climat 11
Végétation 11
Zoologie 12
Invertébrés i3
Poissons i3
Reptiles 13
Oiseaux 14
Mammifères 14
Seconde section : Des peuples africains 16
§ I. Ethnologie africaine 16
Multiplicité des races bumaines 16
Grandes divisions du genre humain 17
Classification des races africaines 18
§ II. Linguistique africaine 20
Considérations générales sur les indications linguistiques 20
Classification artificielle des langues africaines 20
Langues africaines considérées sous un point de vue cohésif 21
Langues africaines considérées sous un poiut de vue diacritique 22
Écritures africaines 23
§ III. Etat social des peuples africains 23
Religions de l'Afrique 23
Echelle de la civilisation africaine 24
Organisation politique , 24
262 TABLE
§ IV. Histoire de V Afrique 25
Traditions fabuleuses , hypothèses conjecturales a5
Indices historiques sur l'origine , les migrations et les révolutions politi-
ques des peuples nègres 26
Origine et histoire ancienne des Égyptiens 27
Origine et histoire ancienne des populations atlantiques 28
Domination musulmane en Afrique 29

Troisième sectiow : De l'étude de l'Afrique 31


§ I. Explorations et découvertes 31
Anciennes circumnavigations 3i
Connaissances des anciens sur l'intérieur de l'Afrique 32
Connaissances géographiques des Arabes sur le continent africain 34
Navigations des peuples modernes autour de l'Afrique 35
Derniers voyages d'exploration et de découvertes dans l'intérieur de l'A-
frique % 36
Exploration des îles africaines 40
§ II. Distribution géographique du sol africain 4i
Systèmes antérieurs 4r
Régions au sud de l'équa leur \>-
Régions au nord de l'équateur , 43
Iles africaines .. 44

§ III. Plan général de l'ouvrage 45


Afrique ancienne 46
Etats barbaresques 46
Egypte ancienne 46
Egypte moderne ; Ethiopie 47
Nigritie 47
Iles de l'Afrique 48

AFRIQUE ANCIENNE.
INTRODUCTION.

Situation et grandeur de l'Afrique dans le monde connu des anciens 49


Contrées libyennes comprises dans le disque terrestre d'Homère. . . , 5o
La Libye dans le planisphère d'Hérodote 52
La Libye dans la mappemonde de Strubon 54
La Libye dans la mappemonde de Ptolémée 56
Etendue et formes générales du monde connu de Ptolémée 57
Limite des connaissances anciennes sur la côte orientale 58
Limite des connaissances ancienues sur la côte occidentale 60
Limite des connaissances anciennes dans l'intérieur 61
Connaissances géographiques postérieures à Ptolémée 62
Résumé des notions des anciens sur l'Afrique 62
Limites de l'Afrique ancienne du côté d'Asie 63
Divisions géographiques de l'Afrique ancienne 64
DES MATIERES. 263

PREMIÈRE PARTIE.

LA LIBYE PROPRE , COMPRENANT LA CYRENAIQUE ET LA MARMARIQUE.

§ I. Description . 67
1. Le sol 67
Limites générales, politiques et physiques; dénominations 67
Limites politiques de l'ancienne Libye 67
Limites naturelles ou physiques 67
Dénominations diverses du pays 68
Description de la Libye supérieure ou Pentapole cyrénaïque.. 68
Territoire et villes de la Pentapole 68
Villes , bourgades et autres lieux, dépendants de la Pentapole 68
Productions naturelles du plateau cyrénéen 68
Description de la Libye inférieure ou Marmarique 69
Première terrasse , au-dessus du Grand Catabathme , 69
Seconde terrasse, au-dessous du Grand Catabathme . 69
2. Les habitants \ 69
Description des populations indigènes au ve siècle avant, l'ère vulgaire. . . 70
Adyrmachides , Giligammes , Asbystes , Auskhîses 70
Nasamous, Psylles 70
Populations de l'intérieur ■ 71
Mœurs et coutumes des Libyens 71
Etat des populations libyennes, depuis le premier siècle avant Jésus-Christ
jusqu'au deuxième siècle de notre ère 72
Exposé de Diodore de Sicile au premier siècle avant notre ère 72
Exposé de Strabon au premier siècle de notre ère 72
Exposé de Ptolémée au deuxième siècle de notre ère 73
Résultats comparatifs des notions qui précèdent 73
Modifications organiques, et déplacements subis par les diverses tribus
libyennes 73
Distribution relative des populations sur le territoire 74
§ IL Histoire 74
1. Histoire de la fondation de Cyrène ,... 74
Origine des Théréens, fondateurs de Cyrène 74
Les Achéens de la Laconie, premier élément de la population de Théra. 7 4
Second élément, les Cadméens réfugiés de Thèbes 75
Troisième élément , les Myniens réfugiés de Lemnos yS
Fondation de la colonie de Théra 76
Causes de l'émigration vers Théra et de là vers Cyrène 7f»
Expéditions des Théréens pour la fondation d'une colonie en Libye. ... 76
Traditions conservées à Théra; première reconnaissance de l'île de
Platée 77
Séjour de Corobios; arrivée des colons à Platée 77
Récit des Cyrénéens; origine Cretoise de Battos par sa mère 77
Battos conduit une colonie à Platée 78
Les colons quittent Platée pour Aziris, et arrivent enfin à leur desti-
nation . 78
Traditions diverses relatives à la fondation de Cyrène. .< 79
Mythe poétique de la nymphe de Cyrène 79
Récits recueillis par un ancien scholiaste 80
Version adoptée par l'historien Trogue Pompée 80
264 TABLE
Attribution prophétique de la possession du territoire de Cyrène, lors
du passage des Argonautes •. 8 t
Date probable de la fondation de Cyrène. 82
a. Règne des Batl'iadcs 82
Enfance , développement et organisation de la colonie sous les cinq pre-
miers rois 82
Enfance de la colonie sons les deux premiers monarques 82
Extension de la colonie sous le règne de Rattos l'Heureux 83
Règne d'Arcésilas II; dissensions politiques 83
Usurpation de Léarque, déjouée par la reine Erixo, mère de Rattos III. 84
Lois données à la colonie par Démonax 85
Histoire d'Arcésilas HI et de Phérétime 85
Arcésilas et sa mère expulsés pour avoir voulu abolir les lois de Dé-
monax 85
Arcésilas rassemble des troupes et reprend possession de Cyrène 85
La Libye devient tributaire des Perses 86
Ai'césilas est tué dans une émeute; sa mère s'adresse aux Perses pour
le venger 86
Les Perses viennent assiéger Rarkè 86
Rarkè est prise par trahison et saccagée. 87
Fin de l'expédition ; Rarcéens déportés en Ractriane; mort de Phérétime. 87
Insurrections contre la domination persane ; abolition de la royauté 88
Durée présumée du règne de Rattos IV 88
Tentative d'insurrection réprimée par Arsames 88
Troupes libyennes dans l'armée de Xerxès 88
Arcésilas IV vainqueur. aux jeux pythiques 89
Insurrection de la Libye sous la conduite d'Inaros 89
Abolition de la royauté à Cyrène 90
3. Gouvernement républicain 90
Période de complète indépendance 90
Développement remarquable de la prospérité de Cyrène 90
Cyrène ne prend point part à la guerre du Péloponèse 91
Insurrection populaire sous la conduite d'Ariston 91
Des modifications sont apportées à la constitution politique de Cyrène. 92
Rapatriement des Messéniens 92
Traité de limites avec Carthage 92
Période de soumission nominale à Alexandre le Grand 93
Alexandre le Grand se met en route pour aller consulter l'oracle d'Am-
mon 93
Soumission des Cyrénéens 94
Alexandre continue sa route à travers le désert jusqu'au temple d'Am-
mon , ; 94
Description de l'oasis d'Ammon 94
Alexandre consulte l'oracle et retourne à Memphis 95
Alexandre pourvoit à l'administration de l'Egypte et de la Libye,. . . 95
Histoire de la tyrannie de Thimbron g5
Thimbron appelé à Cyrène par une faction; ses premiers succès 95
Revers répétés de Thimbron 96
On appelle des renforts de part et d'autre 97
Les Egyptiens, venus au secours des Cyrénéens, s'emparent du pays. . 97
Histoire de la tyrannie d'Ophellas » 97
Intervention d'Ophellas dans les dissensions des Cyrénéens 97
Ophellas se déclare roi de Libye 98
Expédition d'Ophellas contre les Carthaginois. 98
DES MATIÈRES. 265
Conquête de la Cyrénaïque par les Égyptiens - ... 99
4 . Règne des Lagides 99
Ruis particuliers de la Cyrénaïque 99
Magas gouverne d'abord au nom de Ptolémée Lagide 99
Magas se déclare souverain, et marche contre Philadclphe 100
Insurrection desMarmarides ; réconciliation de Magas et de Phila-
delphe 1 00
Troubles de Cyrène apaisés par Ecdène et Démophanes » 10 1
Bérénice épouse successivement Démétriuset Ptolémée Evergète 10 1
Travaux et mort de Bérénice 102

La Cyrénaïque réunie à l'Egypte 102


Règne de Ptolémée Philopator 102
Règne de Ptolémée Épiphanes. 102
Règne indivis et prétentions respectives de Philométor et de Physcon. 102
Rome intervient et fait adjuger la Cyrénaïque à Physcon io3
La Cyrénaïque de nouveau séparée de l'Egypte io3
Réclamations de Physcon contre la modicité de son lot io3
Insurrection des Cyrénéens réprimée 104
Rome appuie ouvertement les réclamations de Physcon io5
Réconciliation de Physcon et de Philométor io5
Physctm s'empare de l'Egypte et règne tyrannîquement 106
La Cyrénaïque passe à Apion, qui la lègue aux Romains 106
5. Mœurs publiques et privées des Cyrénéens avant la perte de leur nationalité. 107
Religion , culte 107
Apollon 107
Les autres grands dieux 108
Les dieux secondaires ou étrangers 109
Caractère national 109
Jusqu'à quel point les données ethnologiques peuvent servir à déter-
miner les instincts nationaux 109
Éléments principaux de la population cyrénéenne au point de vue
ethnologique • '. ... 1 10
Décomposition de l'élément grec. 1 10
Les Grecs de Cyrène, comptés dans la famille dorienne, avaient les
mœurs des Ioniens 112
Agriculture et commerce; revenus publics ; monnaies n3
Productions. . . , 1 13
Commerce ii3
Revenus publics ; monnaies 114
Éléments de force matérielle 114
Puissance maritime 114
Chevaux ; chars 1x4
Exercices gymnastiques n5
Culture des arts et des lettres ; philosophie Il5
Beaux-arts , langage , poésie 1 15
Géographes, grammairiens; histoire, médecine, sciences, mathéma-
tiques 116
École philosophique de Cyrène, et autres philosophes cyrénéens 116
6 . Domination des Romains 118
ire période, jusqu'à la réduction en province ; époque de dissensions et de
tyrannie 118
Première organisation de la domination romaine en Libye 118
Tyrannie de Nicocrate, détruite par Arétaphile 118
Tyrannie de Léandre, détruite également par Arétaphile 1 19
266 TABLE
Intervention de Lucullus; réduction de la Cyrénaïque en province. . . 120
2e période , depuis la réduction en province jusqu'à Auguste ; époque des
guerres civiles 121
Cause de la Cyrénaïque plaidée par Cicéron 121
La Cyrénaïque suit le parti de Pompée ....»..» 121
La Cyrénaïque entre dans le lot d'Antoine 122
Témoignage de reconnaissance des Juifs de Bérénice envers M. Titius . 122
Antoine perd la Cyrénaïque et l'empire 123
3e période, depuis Auguste jusqu'à ïrajan; époque d'insurrections des
Juifs cyrénéens 124
La Cyrénaïque comprise dans le lot du sénat 124
Rescrits en faveur des Juifs cyrénéens „y. . 124
Procédures intentées par les Cyrénéens contre divers officiers romains. 125
Insurrection du zélateur juif Jonathas js5
Exactions et cruautés du préteur Catullus à l'égard des Juifs 126
Punition céleste des crimes de Catullus 126
Nouvelle insurrection des Juifs sous Trajan 127
4e période, depuis Adrien jusqu'à Théodose le Grand; époque de réor-
ganisations administratives 127
Changement de limites sous Adrien 127
La Cyrénaïque devenue chrétienne 128
Morcellement des provinces sous Dioclétien 129
Mode d'après lequel l'empire fut divisé en quatre parties 129
Organisation et partage de l'empire sous Constantin et ses enfants.. . . i3o
Règne de Valens et de Théodose le Grand i3i
Séparation des deux empires à la mort de Théodose le Grand i3i
Création d'un due de Libye i32
5e période ; règnes d'Arcadius et de Théodose le Jeune ; époque de Synésios. 1 3a
Commencements de Synésios i32
Mission de Synésios auprès d'Arcadius 1 33
État de la Cyrénaïque au retour de Synésios i34
Fanfaronnade et lâcheté de Jean , rival de Synésios i34
Gouvernement de Céréalis i35
Gouvernement d'Andronicus, successeur de Gennadius i36
Synésios, devenu évèque, excommunie Andronicus i3G
Andronicus est remplacé par Anysios 137
État déplorable de la Cyrénaïque après le rappel d' Anysios l38
6e période, depuis Marcien jusqu'à Héiaciius; époque de décadence et de
transition 139
Administration de la Cyrénaïque sous Zenon et sous Anastase 1 3g
Restauration de la Libye sous Justinien i3g
La Libye enlevée à l'empire sous Héraclius , 141
7. Fastes de l'Eglise chrétienne en Libye i4r
Établissement et progrès du christianisme dans la province de Cyrène. . . . 141
Première prédication de l'Évangile en Libye. i4i
Première organisation de l'Église cyrénéenne 142
Saint Denis d'Alexandrie exilé en Libye 142
Hérésie de Sabellius 142
Epître canonique à Basilides de Ptolémaïs 143
Premiers évêques de la Cyrénaïque 143
Le Libyen Arius et son hérésie 144
Naissance et progrès de l'hérésie d'Arius , 144
Rescrit de Constantin pour la pacification de l'Église i44
Concile général de Nicée, qui condamne Arius. 145
DES MATIÈRES. 267

Réhabilitation et mort d'Arius • 146


Résistance de saint Athanase contre l'arianisme 147
Succession de conciles contradictoires qui consomment le schisme. . . 147
Les empereurs prennent part à la querelle; nouveau rétablissement et
nouvelle expulsion de saint Athanase 1^7
Triomphe momentané de l'arianisme 148
Réaction catholique . • 1 49
Indulgence et rigueur de saint Athanase ; fin de la lutte 149
Épiscopat de Synésios 1 5o
Le patriarche Théophile pourvoit à divers sièges en Libye i5o
Tolérance de Synésios i5i
Synésios remplit diverses missions patriarchales i5i
Déférence de Synésios envers le patriarche pour les affaires de son
propre diocèse 1 62
Légende de la conversion du philosophe Evagre par Synésios i52
Lutte de l'Église d'Alexandrie contre le nestorianisme i52
Hérésie de Nestorius i52

Concile d'Éphèse, qui condamne Nestorius 'm3^^


Pacification de l'Église en Orient. . 153
Etablissement de l'hérésie d'Eutychès i54
L'hérésie d'Eutychès, triomphante à Éphèse , est condamnée parle
concile de Chalcédoine l54
Schisme sanglant dans le patriarchat d'Alexandrie l54
Hénotique de Zenon 155
Concile général de Constantinople ... i55
Derniers évêques libyens; conquête musulmane « i56
Tableau des évêchés des deux Libyes 1 56
1° Libye supérieure, Pentapole, ou Cyrénaïque • l56
20 Libye inférieure , seconde Libye, ou Marmarique., 157

SECONDE PARTIE.

LA RÉGION b'AFRIQUE, COMPRENANT l'aFRIQUE PROPRE, LA NUMIDIE


ET LES MAURITANIES.

§ I. Description générale. * i5q


1 . Géographie physique 1 5o
Étendue et limites i 1 5o
Bornes générales l5q
Limites à l'est et au nord 1 5q
Limites à l'ouest et au sud 1 60
Montagnes 161
Insuffisance et défectuosités de la nomenclature de Ptolémée 161
Indications de Ptolémée qui servent à corriger les défauts de sa carte. . 161
Synonymie moderne de la nomenclature des montagnes connues de
Ptolémée 162
Fleuves , 1 63
Fleuves débouchant dans le bassin oriental de laJMéditerranée i63
Fleuves débouchant dans le bassin occidental de la Méditerranée à
l'est dTcosion i63
Fleuves débouchant dans le bassin occidental de la Méditerranée à
l'ouest dTcosion ,, 164
Fleuves débouchant dans l'Océan, ou se perdant dans l'intérieur. . . . i65
2G8 TABLE
Productions naturelles f 166
Nature du sol; minéraux 166
Végétaux . 166
Animaux , »... 166
2. Distribution des populations 166
Indications primitives recueillies par Salluste 166
État des populations indigènes au temps d'Hérodote 167
Nomades du littoral 167
Observations sur le fleuve Triton et le lac Tritonide 168
Nomades de l'intérieur 168
Populations agricoles . . , 169
Enumération des peuplades africaines au temps des Romains 169
Peuplades littorales de l'est : entre TAmpsagas et les Autels des Philènes. 169
Peupladeslittorales del'ouest : entre TAmpsagas et les colonnes d'Hercule. 170
Peuplades de L'intérieur 171
3 . Villes et routes * 172
Considérations préliminaires 172
Importance des itinéraires 172
Disposition générale des grandes routes de l'Afrique 173
Incertitude des synonymies géographiques applicables aux stations des
itinéraires 173
Grande route du littoral 174
Route depuis Mercurios jusqu'à Rusadder 174
Route de Rusadder et Césarée; désaccord entre l'Itinéraire et les tables
de Ptolémée 175
— depuis Rusadder jusqu'à Siga 175
— depuis Siga jusqu'à Césarée ♦ 175
Route depuis Césarée jusqu'à Rusiccade, par Saldes 176
— Position de Saldes 176
— de Césarée à Saldes , 177
— de Saldes à Rusiccade 178
Route depuis Rusiccade jusqu'à Cartbage 178
Route depuis Cartbage jusqu'aux Autels des Philènes • 179
— de Cartbage à ïhènes 179
— de Thènes aux Autels des Philènes 179
Routes de l'intérieur 180
Grande route de Calama à Igilgilis, par Rusuccurum et Saldes 180
Grande route de Carthage à Césarée, par Cirta et Sitifis.. .., 181
— de Carthage à Théveste 181
— de Théveste à Cirta 182
— de Cirta à Sitifis • ., 182
— de Sitifis à Césarée • 1 83
Grande route de Thènes à Saldes, par Théveste, Lambèse et Sitifis. . . i83
— depuis Thènes jusqu'à Théveste 184
— depuis Théveste jusqu'à Lambèse. 184
— depuis Lambèse jusqu'à Saldes l85
— Autres communications de Lambèse avec Théveste et avec Cirta . . 186
Routes de Carthage à Cirta , par Vatarum et par Hippone 186
— Route par Vatarum 186
— Route par Hippone. ................. » 186
Routes de Tacape 187
— de Vatarum à Tacape. 187
— de Tacape à Leptis 187
DES MATIÈRES. 269
— tle Musti à Tacape. 187
Diverses routes passant par Aquas Réglas 188
Multiplicité des villes et autres établissements 188
§ II. Aperçu général des révolutions politiques et territoriales 189
I. Naissance et progrès de la puissance punique 189
Établissement des colonies phéniciennes 189
Répartition du territoire entre les populations indigènes avant l'arri-
vée des Phéniciens 189
Colonies phéniciennes en Afrique; prééminence de Carthage 189
Extension des escales et des comptoirs puniques 190
Étendue et conditions de la puissance territoriale de Carthage en Afrique. 190
Répartition du sol entre divers ordres de population 190
La cité de Carthage noyau de la population punique 191
Les Libo-Phéniciens , second élément de la population punique 191
Les Libyens sujets de Carthage : Zeugitane, P>yzacène 192
Rapports de Carthage avec les Numides ou Nomades indépendants. . 192
Agrandissement de la puissance punique entre le premier et le second
traité de Carthage avec Rome „ 1 93
Haine des Libyens jîour le joug de Carthage 194
Invasion de l'Afrique par Agathocles 194
Agathocles enlève aux Carthaginois toutes leurs possessions, et se dé-
clare roi d'Afrique Iq4
Expéditions d'Eumaque chez les Numides iq5
Carthage recouvre toutes ses possessions d'Afrique 195
2 . Lutte de Cartilage contre Rome 196
Première guerre punique 196
Expédition de Régulus 196
Victoire deXantippe. . , , 10,7
Résultats de la guerre 197
Guerre des stipendiés 197
Causes de la guerre , 197
Succès divers de Hannon et d'Amilcar 198
"Victoire des Carthaginois et fin de la guerre , 199
Deuxième guerre punique 199
Dispositions préalables d'Annibal. « 199
Premières incursions des Romains « 200
Rome se fait des alliés en Afrique 200
Massinissa recouvre son royaume et le reperd 201
Arrivée de Scipion e 202
Premiers succès de Scipion 202
Expédition de Lélius et de Massinissa en Numidie 2o3
Victoire décisive de Scipion sur Annibal ; fin de la guerre 2o3
Résultats de cette guerre quant aux délimitations territoriales 204
Envahissements de Massinissa , 204
Gouvernement d'Annibal à Carthage ; révolution parlementaire contre
la» » 204
Massinissa se met en possession des Emporia 2o5
Massinissa reprend un canton jadis conquis par son père 206
Massinissa s'empare des Grandes Plaines 206
Préparatifs de guerre à Carthage 207
Massinissa prend Oroscopa, et taille en pièces les Carthaginois 207
Nouvelles délimitations territoriales résultant des envahissements de
Massinissa. 208
270 TABLE
Troisième guerre punique . <. 209
Premières opérations de la guerre 209
Peu de succès des consuls Manilius et Calpurnius. 209
Scipion-Emilien détruit Cartbage et réduit son territoire eu province
romaine 210
3. Conquête de la Numidie par les Romains 210
Guerre de Jugurtba 210
Succession de Micipsa, envahie par Jugurtha sur Hiemsal et Adherbal. 210
Commencements de la guerre de Numidie 211
Succès de Métellus 212
Marins termine la guerre é 212
Modifications dans les circonscriptions territoriales après la défaite de
Jugurtha 0 . 2 13
Règne des princes numides successeurs de Jugurtha 2i3
Règne de Gauda 2i3
Règne simultané de Hiemsal, Iliarbas, et Massinissa père d'Arabion. . 214
Règne de Juba l'Ancien 2i5
Guerre de Jules-César en Afrique 216
Arrivée de César en Afrique; ses dispositions 216
Victoire de César, qui reste maître de la Numidie ; 216
Partage de la Numidie; création d'une nouvelle province d'Afrique. . 217
L. Domination des Romains en Afrique depuis la conquête de la Numidie
jusqu'au règne de Claude 217
Première période. — L'Afrique ancienne et l'Afrique nouvelle formant deux
provinces distinctes 217
Les deux Afriques , partagées entre Antoine et César-Octavien , sont
abandonnées à Lépide 217
La Mauritanie tombe au pouvoir des Romains 218
La Numidie rendue à Juba le Jeune, puis reprise en échange de la Mau-
ritanie ; 219
Seconde période. — Toute l'Afrique romaine réunie en nne seule province
sous l'autorité exclusive d'un proconsul 219
Réunion de la Numidie romaine à l'Afrique propre 219
Expédition de Balbus en Phazanie 220
Guerre de Tacfarinas 220
Troisième période. — Toute l'Afrique romaine réunie en une seule province
sous deux magistrats distincts , l'un civil , l'autre militaire 222
Séparation du gouvernement civil et du commandement militaire de
l'Afrique , 222
Digression sur la date précise de la géographie de Mêla 222
fObservations sur la délimitation des contrées africaines à cette époque. 223

5. administration romaine depuis l'organisation provinciale de Claude jus-


qu'à celle de Maximien-Hercule 223
Nouvelle organisation provinciale de l'Afrique. 223
Création de deux provinces de Mauritanie et d'une nouvelle province
de Numidie .■ 2 23
Délimitations des provinces organisées par Claude 224
Grades des gouverneurs de ces provinces 224
Événements divers en Afrique depuis Vitellius jusqu'à Septime Sévère. . . 225
Meurtre du proconsul Piscn 225
Expéditions romaines chez les Garamantes et les Ethiopiens 225
La cause de la province d'Afrique plaidée par Tacite et Pline le Jeune. 226
Insurrections des Maures 226
DES MATIERES. 271
Observations sur la circonscription des provinces africaines au temps
d'Adrien 226
Nouvelles insurrections des Maures. ...» 227
Empereurs africains 227
Septime-Sévère , Macrin , Élagabal 227
Les trois Gordiens ...... 228
Observations sur la nullité du rôle provincial de la Numidie dans les
troubles de l'Afrique à cette époque 228
Le tyran Celsus 229
6. Administration romaine depuis l'organisation provinciale de Maximien-
Hercide jusqu 'à celle d'Honorius 229
Divers partages de l'empire 229
Maximien-Hercule , maître de l'Afrique , y multiplie le nombre des
provinces 229
Tyrannies d'Alexandre et de Maxence 23o
Sort de l'Afrique dans les divers partages de la famille de Constantin. . 23 1
Incursions des Maures Austurieus; prévarication du comte Romanus. . 232
Guerre contre Firmus 232
Insurrection de Firmus ; le comte Tbéodose est envoyé contre lui.. . . 232
Expédition de Théodose dans le sud de Césarée 233
Fuite de Firmus; sa mort 2 34
État des provinces africaines à cette époque. a35
7 . Organisation provinciale sous Honorais a35
Révolte de Gildon ^ 235
Le comte Gildon, revêtu de tous les pouvoirs militaires en Afrique,
tente de se rendre indépendant 235
Punition de Gildon; suppression de la grande charge militaire dont
il était revêtu 236
Organisation des pouvoirs publics 2 36
Administration centrale 2 36
Gouvernement civil 237
Commandement militaire 237
Finances de l'empire et de l'empereur; offices 238
8. Domination des Vandales 239
Règne de Giséric 2 3g
Invasion de l'Afrique 23g
Une partie de l'Afrique est cédée aux Vandales par un traité 240
Nouveau traité de partage des provinces d'Afrique entre les Vandales
et les Romains 2 40
Les Vandales s'emparent de tout ce qui restait aux Romains en Afrique. 241
Règne du successeur de Giséric 241
Étendue des possessions vandales sous Hunéric 241
Provinces successivement enlevées aux Vandales par les Maures 242
Usurpation de Gélimer ; Bélisaire lui enlève l'Afrique 242
9. Domination byzantine 243
Organisation civile et militaire de l'Afrique sous Justinien 243
Organisation civile 243
Organisation militaire 245
Guerre contre les Maures 248
Première expédition de Salomon 249
Expédition de Germain \ 25o
Seconde expédition de Salomon a5o
Expédition de Sergius et Ariobinde; usurpation de Gontharis déjouée
par Artabau , a5i
272 TABLE DES MATIÈRES.
Expédition de Jean Troglita a5a
Edifices de Justinien eu Afrique 254
Édifices de la Tripolitaine 254
Édifices de l'Afrique propre 2 54
Édifices de la Byzacène , 2 54
• Édifices de la Nuuaidie ...... a55
Edifices en Sardaigne et à Septa . 2 55
Dernière période de la domination byzantine 2 56
Prolongation de la paix 2 56
Nouvelles insurrections des Maures 256
L'Afrique est envahie par les Sarrasins 257
Résumé , - 257
Période d'indépendance primitive 267
Période punique 2 58
Période romaine 2 58
Période vandale 259
Période byzantine , 260
L'UNIVERS,
HISTOIRE ET DESCRIPTION
OU

DE TOUS LES PEUPLES,


DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, INDUSTRIE, COSTUMES, etc.

CARTHAGE.
PAR M. DUREAU DE LA MALLE,
MEMBRE DE L'iNSTlTUT.

C.ARTHAGE eut le triste destin de Utique. Cette princesse demanda ,


ne jeter un grand dit-on , aux naturels du pays qu'ils
de sa ruine, et deéclat
voirqu'au moment
le soin de sa voulussent bien lui vendre, pour l'é-
gloire abandonné à des historiens tablissement qu'elle méditait, autant
étrangers. La mémoire de ses écri- de terrain qu'en pourrait renfermer
vains nationaux s'est perdue depuis une peau de bœuf. On ne crut pas
longtemps; et, parmi les étrangers, devoir lui refuser une grâce si petite
il n'en est aucun qui ait écrit d'une en apparence. Alors Didon divisa sa
manière suivie l'histoire de cette ré- peau de bœuf en lanières fort étroites,
publique. et les étendit à la suite les unes des
Origine et fondation de Car- autres , de manière à former une vaste
thage,878 avant Jésus-Christ. — enceinte, où elle construisit d'abord
Il est certain que Carthage est une une citadelle qui , de là , fut appelée
colonie de Tyr , car la langue puni- Byrsa (*).
que ,comme plusieurs auteurs anciens Que les fondateurs de Carthage soient
l'ont affirmé , et comme l'ont prouvé Zorus et Karchedon , ainsi que le pré-
plusieurs savants modernes , est la tendent Philistus , Appien , Eusèbe et
même que la langue phénicienne. Selon saint Jérôme; que ce soit Élisa ou
la tradition poétique, recueillie par Didon , comme presque tous les au*
Virgile et Trogue-Pompée, cette ville teurs anciens nous l'ont transmis, on
aurait dû sa fondation à Didon , fem- peut admettre , comme un fait histo-
me de Sichée et sœur de Pygmalion ,
roi de Tyr. Ce prince ayant fait mou-
rir injustement Sichée , Didon , que (*) B6oaa , en grec, signifie ^é-tf//. C'est
ce qui a donné lieu à cetle ridicule ctynio-
les Tyriens appelaient aussi Elisa , logie dont les savants versés dans les lan-
s'enfuit avec ses trésors, suivie d'une gues sémitiques oui montré la fausseté en
petite troupe de ses partisans , et vint faisant remarquer que boira , qui, en hébreu
aborder en Afrique, à six lieues de et en syriaque , signifie citadelle, a été changé
par les Grecs en (3<jp<ja.
Tunis, dans le golfe où s'élevait déjà
lre Livraison. (Carthage.) 1
L'UNIVERS.

rique, qu'elle a été fondée par une aussi vraisemblable qu'il est possible
colonie de Tyrieris , et comme une de l'entrevoir à travers les nuages de
opinion vraisemblable , que cette fon- la fable et le long espace des siècles.
dation a eu lieu avant celle de Rome, Formation et accroissements
environ 878 ans avant l'ère vulgaire. de Carthage , de 878 a 543 avant
Ceux qui adoptent cette date ont J. C. — Carthage, qui avait eu de
reproché à Virgile l'anachronisme qu'il très-faibles commencements , s'accrut
a commis en faisant paraître à la cour d'abord peu à peu dans le pays même,
de Didon un prince troyen qui aurait et forma plusieurs établissements de
existé plus de trois cents ans avant commerce à l'est et à l'ouest sur la
cette princesse. Cependant d'habiles côte septentrionale de l'Afrique. Mais
critiques ont cru pouvoir justifier le sa domination ne demeura pas long-
poète latin, en faisant remonter la temps enfermée dans ces bornes étroi-
fondation de Carthage à l'année 1255 tes. Cette ville ambitieuse porta ses
avant J. C. , qui est à peu près celle conquêtes au dehors , envahit la Sar-
de la guerre de Troie. Dans cette der- daigne,
nière hypothèse, Didon et Karchedon tie de s'empara
la Sicile,d'une grande
soumit par-
presque
auraient seulement agrandi l'enceinte toute l'Espagne, et, ayant envoyé de
et augmenté la puissance de Carthage. tous côtés de puissantes colonies, elle
Cette opinion , soutenue par des demeura maîtresse de la mer pendant
savants distingués, s'appuierait encore plus de six cents ans, et se fit un état
sur les autorités d'après lesquelles qui le pouvait disputer aux plus grands
Procope raconte l'origine des Maures empires du monde par son opulence,
et l'établissement des colonies phéni- par son commerce, par ses nombreuses
ciennes en Afrique. L'auteur bysan- armées, par ses flottes redoutables,
tin , invoquant le témoignage unanime et surtout par le courage et le mérite
de tous les historiens anciens de la de ses capitaines. La date et les cir-
Phénicie, assure que, constances de plusieurs de ces con-
sion de la Palestine par lors
Josuéde , l'inva-
fils de quêtes sont peu connues : à partir de
Navé (1590 ans avant J. C), tous les la mort deDidon , il existe une lacune
peuples qui habitaient la région mari- de près toire de de trois cents ans dans l'his-
Carthage.
et qui time, depuis Sidon
étaient soumisjusqu'à l'Egypte,
à un seul roi , Guerre entre Cyrène et Car-
les Gergéséens, les Jébuséens et plu- thage. — C'est entre l'époque de sa
sieurs autres tribus , dont les noms fondation et l'année 509 avant Jésus-
sont inscrits dans les livres histori- Christ , que Carthage s'affranchit du
ques des Hébreux , abandonnèrent tribut qu'elle avait consenti à payer
leur patrie et se portèrent, à tra- aux Libyens, et qu'elle étendit ses
vers l'Egypte, dans l'Afrique. Pro- conquêtes dans l'intérieur de l'Afri-
cope ajoute qu'ils s'étendirent jus- que et sur le littoral de la Méditerra-
née. Le fait historique le plus ancien
qu'aux colonnes d'Hercule, qu'ils occu- que nous connaissions avec quelques
pèrent la région septentrionale tout
détails est une contestation entre
entière, et qu'ils fondèrent dans ce
vaste pays un grand nombre de villes, Carthage et Cyrène au sujet des limites
dans lesquelles, de son temps, la lan- de leur territoire. Cyrène était une
gue phénicienne était encore en usage. ville fort puissante située sur le bord
Ces récits s'accordent assez bien avec de la Méditerranée , vers la grande
ce que les anciens nous ont transmis Syrte, qui avait été bâtie par Battus,
de Lacédémone. «Entre les deux États,
sur lacentfondation
deux ou trois d'Utique
cents , ans
qu'ilsavant
pla- «dit Salluste, se trouvait une plaine
celle de Carthage, et il nous semble « sablonneuse , tout unie , où il n'y
que le rapprochement de ces autori- « avait ni fleuve ni montagne qui pût
« servir à marquer les limites , ce qui
tés présente , de l'établissement et de
la formation de Carthage , un tableau « occasionna entre eux une guerre Ion-
CARTHAGE. 3

« gue et sanglante. Les armées des neurs divins , et depuis ce temps-là ce


« deux nations , tour à tour battues et lieu fut appelé les autels des Phi-
« mises en fuite sur terre et sur mer, lènes, arœ PhUenorum, et servit de
« s'étaient réciproquement affaiblies. borne à l'empire des Carthaginois,
« Dans cet état de choses, ces peuples qui s'étendait depuis cet endroit jus-
« craignirent de voir bientôt un en- qu'aux colonnes d'Hercule.
te nemi commun attaquer tout ensem- L'Art de vérifier les dates place
« ble les vainqueurs et les vaincus , l'histoire des Philènes en fan 460 avant
« également épuisés. Ils convinrent Jésus-Christ, sans s'appuyer sur au-
« d'une trêve , et réglèrent entre eux cune autorité. Comme le premier traité
« que de chaque ville on ferait partir de Rome avec Carthage est de 509 , et
« deux députés ; que le lieu où ils se qu'il peut être rangé au nombre dés
« rencontreraient , serait la borne res- faits les mieux avérés , nous avons
te pective des deux États. cru devoir reporter à une époque an-
« Cartbage choisit deux frères nom- térieure cette légende du dévouement
« mes Philènes. Ceux-ci firent la plus des frères Philènes, qui, de même
« grande diligence. Les députés de Cy- que le combat des Horaces et des Cu-
« rêne allèrent plus lentement , soit riaces, semble appartenir à l'histoire
« que ce fût leur faute, soit qu'ils eus- fabuleuse
tive. plutôt qu'à l'histoire posi-
« sent été contrariés par le temps ;
« car il s'élève souvent dans ces dé- Guerre contre les Phocéens,
« serts , comme en pleine mer , des avant J. C. 543. — La marine de
« tempêtes qui arrêtent les voyageurs : Carthage qui, dans les siècles sui-
« lorsque le vent vient à souffler sur vants, devint si formidable, paraît
« cette vaste surface toute nue , qui s'être montrée avec avantage dans la
« ne lui présente aucun obstacle, il y Méditerranée dès l'époque de Cyrus
«élève des tourbillons de sable, qui, et de Cambyse. Une victoire rempor-
« emporté avec violence, entre dans la tée en ce temps-là par les flottes com-
« bouche et dans les yeux et empêche binées des Étrusques et des Carthagi-
« les voyageurs de marcher. Les Cy- nois sur les Phocéens , qui étaient
« rénéeiïs se voyant un peu en ar- alors une des plus redoutables nations
«rière, et craignant d'être punis à sur la mer, nous présente Carthage
« leur retour du tort que leur retard comme la digne fille de Tyr dans l'art
« aurait causé à leur pays , accusent de la navigation. Les vainqueurs, après
« les Carthaginois d'être partis avant la retraite des vaincus , restèrent maî-
« le temps , et font naître mille diffi- tres de l'île de Cyrne , aujourd'hui la
« cultes. Enfin , ils sont décidés à tout Corse.
« plutôt que de consentir à un partage Entreprise des Carthaginois
« aussi inégal. Les Carthaginois leur sur la Sicile, 536 avant l'ère
« offrant un nouvel arrangement, égal vulgaire. — Bientôt l'ambition fit
« pour les deux partis, les Cyrénéens aspirer les Carthaginois à de nouvelles
«« leur conquêtes. Malclius, qui avait déjà
terrésdonnent
tout vifsl'option
dans le, ou
lieud'être
dont en-
ils remporté des avantages signalés sur
« voulaient faire la limite de Cartbage, les princes africains , voisins de Car-
« ou de les hisser , aux mêmes condi- thage, s'empara de la presque totalité
« tions, aller jusqu'où ils voudraient. de la Sicile. Ce général est le premier
« Les Philènes acceptèrent la proposi- qu'on trouve dans l'histoire avoir oc-
« tion, heureux de faire à leur patrie
« le sacrifice de leurs personnes et de cupé la dignité de sufl'ète. Peut-être
« leurs vies : ils furent enterrés tout est-ce à l'époque où il vivait, ou quel-
« vivants. » que temps auparavant, que la monar-
chie, à Carthage, a fait place à un
Les Cart îaginois élevèrent deux au- gouvernement républicain, composé de
tels en leur nom au lieu de leur sépul- trois pouvoirs.
ture, leur rendirent chez eux les hon- Peste a Carthage et guerre
1.
1/ UNIVERS-
de SARDAIGNE , 530 ANS AVANT J. C. « peu de jours après , Carthalon , ayant
— La joie qu'avait répandue à Car- « obtenu du peuple un congé, retourna
thage le succès de ses armes en Si- « vers son père , et se montra à tous
cilefut
, bientôt troublée par une peste « les regards couvert de la pourpre et
horrible qui désola les Carthaginois. « des bandelettes du sacerdoce. » Mal-
Ceux-ci , voyant dans le fléau dont ils chus le prit à part, lui reprocha de
étaient victimes un signe non équivo- venir insulter, par le luxe de ses orne-
que de la colère des dieux , crurent les ments à, ses malheurs et à ceux de
apaiser en immolant sur leurs autels ses concitoyens, lui rappela son refus
des victimes humaines. Justin, qui outrageant de comparaître devant lui
rapporte ce fait, assure que cette quelques jours auparavant, et, oubliant
atrocité, loin de rendre le ciel favo- qu'il était père pour ne se souvenir
rable àCartbage, lui attira de nou- que de sa qualité de général , il fit at-
veaux malheurs. « La haine des dieux, tacher son malheureux fils , revêtu de
« dit-il , vint punir ces forfaits. Long- ses ornements , à une croix très-éle-
« temps vainqueurs en Sicile , les Car- vée, en vue de la ville.
« thaginois , ayant porté leurs armes Au parebout de quelques jours le, il s'em-,
« en Sardaigne, y perdirent, dans une de Carthage , assemble peuple
« cruelle défaite , ia plupart de leurs se plaint de son injuste exil qui l'a
« soldats. Ce revers fut attribué à Mal- forcé de recourir aux armes, et dé-
« chus , et ce général , injustement ac- clare que, content de sa victoire, il
« cusé , fut banni avec les débris de se borne à punir les auteurs de ces
« son armée vaincue. Indignés de ces désastres , et pardonne à tous les au-
«rigueurs, les soldats envoient des tres de l'avoir injustement banni. Il
« députés à Carthage , d'abord pour fit mettre à mort dix sénateurs et ren-
« solliciter leur retour et le pardon de dit la ville à ses lois. Bientôt, accusé
« leurs revers, et bientôt pour déclarer lui-même d'aspirer au trône, il fut
« qu'ils obtiendraient nar la force des puni du double parricide commis con-
« armes ce que l'on refuserait à leurs tre son fils et contre sa patrie.
« prières. Prières et menaces sont éga- ïbaité entre les carthaginois
« lement dédaignées. Aussitôt ils s'em- et les Romains, 509 ans avant l'ère
« barquent et paraissent en armes de- vulgaire. — Polybe nous apprend
« vant la ville. Là, ils jurent au nom qu'une année après l'expulsion des Tar-
«de Dieu et des hommes, qu'ils ne quins,tion deetXerxès
vingt-huit
dans ans avant l'irrup-
la Grèce, sous le
« viennent point asservir , mais recou-
« vrer leur patrie, et montrer à leurs consulat de J. Brutus et de M. IIo-
«concitoyens que c'est la fortune, et ratius, se fit le premier traité entre
«non le courage, qui leur a manqué les Romains et les Carthaginois. Je
« dans le dernier combat. Les com- rapporterai en entier ce monument si
« munications sont coupées, et la ville curieux de l'antiquité. Polybe l'a tra-
« assiégée est réduite au désespoir. duit en grec sur l'original latin, le plus
« Cependant Carthalon, fils du gé- exactement qu'il lui a été possible;
« néral exilé , à son retour de Tyr , où car, dit-il, la langue latine de ces temps
« les Carthaginois l'avaient envoyé est si différente de celle d'aujourd'hui,
« pour offrir à Hercule le dixième du que les plus habiles ont bien de la
« butin que Malchus avait fait en Si- peine à entendre ce vieux langage
«cile, passe près du camp de son « Entre les Romains et leurs alliés,
«père, et, appelé devant lui, il fait « et entre les Carthaginois et leurs al-
« répondre qu'avant d'obéir au de- « liés , il y aura alliance à ces condi-
« voir particulier de fils, il satisfera « tions : que ni les Romains ni leurs
« au devoir public de la religion. In- « alliés ne navigueront au delà du beau
« digne de ce refus , Malchus ne vou- « promontoire, s'ils n'y sontpousséspar
« lut cependant pas outrager dans son « la tempête , ou contraints par leurs
« lils la majesté même des dieux. Mais « ennemis : qu'en cas qu'ils aient été
CARTHAGE.
«poussés malgré eux, il ne leur sera pouvaient facilement infester les côtes
«permis d'y rien acheter ni d'y rien maritimes de l'Italie. de Carthage
Accroissements
«prendre, sinon ce qui sera précisé-
« ment nécessaire pour le radoube- sous magon, de 509 a 489 avant
« ment de leurs vaisseaux, ou pour le l'ère
succéda chrétienne.
à Malchus comme— Magon,
suffète qui
et
«culte des dieux, et qu'ils en parti-
« ront au bout de cinq jours ; que ceux comme général, accrut, par ses talents,
« qui y viendront faire le commerce sa prudence et son adresse, l'empire et
« ne pourront conclure aucune négo- la gloire de Carthage. C'est lui qui , le
« ciation si ce n'est en présence d'un premier, introduisit la discipline mili-
« crieur et d'un greffier : que tout ce taire parmi les Carthaginois ; il recula
« qui sera vendu devant ces deux té- les frontières de la république, étendit
« moins, la foi publique le garantira au son commerce, et laissa en mourant
deux fils, Asdrubal et Amilcar, qui,
« vendeur ; qu'il en sera ainsi pour tout suivant les traces glorieuses de leur
« ce qui se vendra en Afrique ou dans
« la Sardaigne : que si quelques Ro- père mis, firent
« mains abordent dans ia partie de la son génievoir avecqu'il
sonleur avait trans-
sang.
« Sicile qui est soumise aux Carthagi- Expédition en Sardaigne et en
« nois , ils y jouiront des mêmes droits Sicile; guerres contre les Afri-
« que les Carthaginois : que ceux-ci cains , SOUS LE COMMANDEMENT
« n'inquiéteront en aucune manière d' Asdrubal et d'Amilcar, fils de
« les Antiates, les Ardéates, les Lau- Magon ; de 489 a 460 avant J. C.
«rentins, les Circéens, les Terraci- —Sous les ordres des deux fils de Ma-
« niens (*) et aucun des peuples latins gon, Carthage porta la guerre en Sar-
«qui obéissent aux Romains; que s'il daigne etcombattit les Africains, qui,
«y en a même quelques-uns qui ne depuis longtemps, lui demandaient en
« soient pas sous la domination ro- vain le tribut annuel promis pour prix
« maine, les Carthaginois n'attaque- du sol qu'elle avait occupé. Mais, pour
« ront point leurs villes; que s'ils en cette fois, les Africains virent la jus-
« prennent quelqu'une, ils la rendront tice de leur cause couronnée par le
sort des combats, et Carthage, posant
«« ne
aux bâtiront
Romains aucune dans sonforteresse
entier ; qu'ils
dans les armes, finit Ta guerre en acquittant
« le pays des Latins ; que s'ils y en- sa dette. Asdrubal, grièvement blessé
« trent à main armée, ils n'y passeront en Sardaigne, laissa en mourant le
« pas la nuit. » commandement à son frère Amilcar.
Ce traité, dont la simplicité et la Asdrubal s'était vu onze fois revêtu
précision sont remarquables, montre de la dignité de suffète, et quatre triom-
que, sous le consulat du premier Bru- phes avaient été le prix de ses victoi-
tus, il y avait des Romains qui s'ap- res. Les regrets de ses concitoyens et
pliquaient au commerce; que la ma- le souvenir de ses actions glorieuses
rine ne leur était pas inconnue; que honorèrent ses funérailles ; et , comme
l'usage des vaisseaux marchands était s'il eût emporté dans le tombeau la
commun chez eux, et qu'ils faisaient puissance de sa patrie, les ennemis de
des voyages d'assez long cours , puis- Carthage reprirent coniiance.
qu'ils allaientjusqu'à Carthage. Il nous Quelques années après le traité de
montre aussi quelle était à cette épo- 509, entre Carthage et Rome, les
que la puissance des Carthaginois, les- Carthaginois firent alliance avec Xer-
quels étant maîtres de la mer, de la xès, roi des Perses. Ce prince voulait
Sardaigne et d'une partie de la Sicile, exterminer les Grecs, et les Carthagi-
nois s'emparer du reste de la Sicile.
Ils saisirent avidement l'occasion fa-
ici(*)bordaient
Les peuples ou villes
la côte de dont
la meril est
et parlé
cou-
vorable qui se présentait d'en achever
vraient Rome sur ce point depuis l'embou- la conquête. Le traité fut donc conclu :
chure du Tibre jusqu'à Teiracine. on convint que les Carthaginois atta-
i L'UNIVERS.

pueraient avec toutes leurs forces les droit où ils manquaient de tout, ne
Grecs établis dans la Sicile, pendant purent pas s'y défendre longtemps, et
que Xerxès en personne marcherait se rendirent à discrétion. Ce combat,
contre la Grèce. suivant quelques historiens, se donna
Les préparatifs de cette guerre du- le jour même de la célèbre action des
rèrent trois ans. S'il faut en croire les Thermopyles. Hérodote et Aristote di-
historiens de Sicile, qui ont peut-être, sent au contraire que ce fut le jour de
par un sentiment de vanité nationale, la bataille de Salamine. Le témoignage
exagéré le nombre de leurs ennemis, de ces deux écrivains mérite sans doute
l'armée de terre ne montait pas à la préférence. Le premier de ces deux
moins de trois cent mille hommes, auteurs raconte même d'une autre
et la flotte comptait deux mille vais- manière la mort d'Amilcar : il dit que
seaux et plus de trois mille petits bâ- le bruit commun parmi les Carthagi-
timents de charge. Amilcar, le capi- nois était (me ce général, voyant la
taine de son temps le plus estimé, défaite entière de ses troupes, pour
partit de Carthage avec ce formidable ne pas survivre à sa honte, se préci-
appareil. Il aborde à Palerme, et, après pita lui-même dans le bûcher où il
y avoir fait prendre quelque repo à avait immolé plusieurs victimes hu-
ses troupes, il marche contre la ville maines.
d'Hymère, qui n'en est pas fort éloi- Les Carthaginois, imputant à leur
gnée, et en forme le siège. Théron, général la défaite qu'ils venaient de
gouverneur de la place, ayant vaine- recevoir, bannirent de Carthage Gis-
ment imploré le secours de Léonidas, con, son fils, qui, dans la suite, périt
roi de Lacédémone, députe à Syracuse, de misère à Sélinonte. Quelques siè-
vers Gélon, qui s'en était rendu maî- cles après, ils rendirent à Amilcar
tre. Ce général accourt aussitôt au des honneurs presque divins.
secours de la ville assiégée , avec une La victoire complète que Gélon ve-
armée de cinquante mille hommes de nait de remporter, loin de le rendre
pied et cinq mille chevaux. fier et intraitable,
Gélon était un général fort habile et sa modestie et sanedouceur,
fit qu'augmenter
même à
savait employer à propos la force et la à l'égard de ses ennemis. Il accorda
ruse. On lui amena un courrier chargé la paix aux Carthaginois, exigeant seu-
d'une lettre que les habitants de Séli- lement d'eux qu'ils payassent pour les
nonte adressaient à Amilcar, pour le frais de la guerre deux mille talents
prévenir que la troupe de cavaliers (11 millons de francs), et qu'ils bâtis-
qu'il leur avait demandée arriverait un sent deux temples où l'on exposerait
certain jour. Gélon en choisit dans en publicditions et où l'on garderait les con-
du traité.
ses troupes un pareil nombre, qu'il fit
partir au temps dont on était convenu. Puissance de la famille de Ma-
Ayant été reçus dans le camp des en- gon; création du centumvirat ;
nemis comme venant de Sélinonte, ils DE 460 A 440 AVANT L'ÈRE VULGAIRE.
se — Amilcar, mort dans la guerre de
et mirent lesurfeuAmilcar,
jetèrent qu'ils tuèrent,
aux vaisseaux. Dans Sicile, laissa trois fils : Imilcon, Han-
le moment même de leur arrivée, Gé- non et Giscon. Asdrubal avait un pa-
lon attaqua avec toutes ses troupes les reil nombre d'enfants : Annibal, As-
Carthaginois, qui se défendirent d'a- drubal et Sappho. Toutes les affaires
bord fort vaillamment; mais quand ils de Carthage étaient alors confiées à
apprirent la mort de leur général , et leurs mains. On fit la guerre aux Mau-
qu'ils virent la flotte en feu, le courage res; on combattit les Numides; on
et les forces leur manquèrent, et ils força les Africains à renoncer au tri-
prirent la fuite. but' que leur
Le carnage fut horrible : il y périt, naissante. Cetteavait promis
famille Carthage
de généraux,
dit-on, cent cinquante mille hommes. qui réunissaient dans leurs mains le
Les autres s'étant retirés dans un en- pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire,
CARTHAGE. 7

parut dangereuse à la liberté. On for- que par la peste; mais son chagrin le
ma un tribunal de cent sénateurs, à plus
qui les généraux , au retour de leurs milieuvifdeétait tant dede n'avoir braves, puet mourir au
de se voir
campagnes, devaient rendre compte de réservé, non pour goûter les douceurs
leur conduite, pour que la crainte sa- de la vie, mais pour servir de jouet à
lutaire des lois et l'attente d'un ju- l'adversité; que cependant, après avoir
gement servissent de militaire.
frein à l'arbitraire ramené dans Carthage les tristes dé-
du commandement bris de son armée, il allait à son tour
Continuation de la guerre de
Sicile; maladie contagieuse dans suivre ses compagnons d'armes , et
montrer à sa patrie que s'il avait pro-
l'armée; de 440 a 410 avant l'ère longé jusque-là ses jours, ce n'était
chrétienne. — En Sicile, Imilcon point par amour de la vie, mais par
succéda à Amilcar. Après avoir rem- crainte d'abandonner, en mourant, au
porté plusieurs victoires sur terre et milieu des armées ennemies, ceux qu'a-
sur mer, et pris un grand nombre de vait épargnés le terrible fléau. Déplo-
villes, il perdit tout à coup son armée rant ainsi son malheur, il entre dans
par les ravages d'un mal contagieux. la ville, arrive à sa maison, salue d'un
Apportée à Carthage, cette nouvelle dernier adieu le peuple qui le suivait,
plongea les habitants dans le deuil. et, faisant fermer les portes sans per-
Les maisons et les temples se ferment; mettre àses fils eux-mêmes de pa-
on court au port; on ne voit sortir des raître devant lui, il se donne la mort.
Continuation de la guerre de
vaisseaux qu'un petit nombre de sol- Sicile ; prise de Sélinonte et
dats échappés à ce désastre.
Cependant, dit Justin, qui nous a d'Hvmère par les Carthaginois ;
transmis ce fait, le malheureux Imil- environ 410 avant l'ère vulgaire.
con sort de son vaisseau dans l'aban- — Après la défaite des Athéniens de-
don de la douleur, couvert d'une tu- vant Syracuse, où INicias périt avec
nique d'esclave. A son aspect, les toute sa flotte , les Ségestains, qui s'é-
groupes de citoyens éplorés se rassem- taient déclarés pour eux contre les
blent autour de lui. Il élève les mains Syracusains, craignant le ressentiment
vers le ciel , déplorant tour à tour son de leurs ennemis, et se voyant déjà
triste sort et les désastres de sa patrie. attaqués par Sélinonte, implorèrent le
Il reproche aux dieux de lui ravir ses secours de Carthage, et se mirent, eux
triomphes, ses nombreux trophées qu'il et leur ville, à sa discrétion. Les Car-
devait à leur appui; de détruire par la thaginois, après avoir longtemps ba-
peste et non par le fer cette armée qui lancé às'engager dans cette guerre ,
avait pris tant de vilies, et si souvent
que sesla dernières
de puissance victoires de Syracuse et l'éclat
devaient lui
vaincu sur terre et sur mer. Il appor-
tait du moins, disait-il, à ses conci- faire redouter, y furent poussés par
toyens ce motif de consolation, que les conseils d'Annibal leur suffète,
l'ennemi pouvait bien se réjouir, mais et envoyèrent du secours aux Séges-
non se glorifier de leurs désastres. tains.
Ceux qui étaient morts n'avaient pas Annibal tira de l'Afrique et de l'Es-
succombé sous ses coups; ceux qui pagne un grand nombre de mercenai-
revenaient dans leur patrie n'avaient res; il y joignit un nombre considé-
pas fui devant lui. Le butin que te rable de Carthaginois , et débarqua en
Grec avait enlevé dans un camp aban- Sicile avec une armée qu'Éphore porte
donné n'était pas de ces dépouilles à 200 mille fantassins et 4 mille cava-
que l'orgueil d'un vainqueur se plaît à liers, mais que Timée etXénophon,
étaler, mais de celles que la mort for- historiens plus dignes de foi , rédui-
tuite de leurs maîtres a laissées va- sent en tout à 100 miile combattants.
cantes et livrées aux mains qui s'en Annibal, petit-fils d' Amilcar qui avait
emparent. Vainqueurs de leurs enne- été défait par Gélon et tué devant
mis ,ses soldats n'avaient été vaincus Hymère , et fils de Giscon , qui avait
8 L'UNIVERS.

été condamné à l'exil , était animé nommèrent encore pour général An-
d'un vif désir de venger sa famille et nibal. Comme il s'excusait sur son
sa patrie, et d'effacer la honte de la grand âge, et refusait de se charger
dernière défaite. Sa première entre- de cette guerre, on lui donna pour
prise fut le siège de Sélinonte. L'at- lieutenant Imilcon, fils d'Hannon, qui
taque fut très-vive, et la défense ne était de la même famille. Les prépa-
le fut pas moins : les femmes mêmes, ratifs de la guerre furent proportion-
les enfants et les vieillards montrèrent nés au grand dessein que les Cartha-
un courage au-dessus de leur âge et de ginois avaient conçu. Le nombre des
leurs forces. Après une longue résis- troupes montait , selon Timée , à plus
tance, la ville fut prise d'assaut, et de 120 mille hommes; Éphore les
livrée au pillage. Le vainqueur exerça porte à 300 mille. Les ennemis , de
les dernières cruautés, sans avoir égard leur côté , s'étaient mis en état de les
ni au sexe, ni à Page. Il fit déman- bien recevoir, et lesSyracusains avaient
teler la ville, qu'il rendit aux habi- envoyé chez tous les alliés pour y le-
tants que le fer avait épargnés, à con- ver des troupes , et dans toutes les
dition qu'ils se reconnaîtraient sujets villes de la Sicile , pour les exhorter
de Carthage et lui payeraient un tribut. à défendre courageusement leur li-
berté.
Hymère, qu'il assiégea ensuite, et
qu'il prit aussi d'assaut, après avoir v\grigente s'attendait à essuyer les
été traitée avec encore plus de cruauté, premières
fut entièrement rasée. Il fit souffrir puissammentattaques. riche, C'était une ville
et environnée de
toutes sortes d'ignominies et de sup- bonnes fortifications. Annibal com-
plices àtrois mille prisonniers, et les mence ,en effet , la campagne par le
fit égorger tous dans l'endroit même siège de cette place, située, de même
où son grand-père avait été tué, pour que Sélinonte , sur la côte de Sicile
apaiser et satisfaire ses mânes par qui regarde l'Afrique. Ne la jugeant
le sang de ces malheureuses victi- prenable que par un endroit, il tourne
mes. tous ses efforts de ce côté-!à, fait
Après cette expédition, Annibal re- approcher des murs deux, ordonne
tours d'unela
tourna àCarthage, chargé d'un im- hauteur extraordinaire
mense butin. Toute la ville sortit au- démolition des tombeaux qui envi-
devant de lui, et le reçut au milieu ron aient laville, et fait construire,
des cris de joie et des applaudissements avec leurs décombres, un agger qui
unanimes : car en quelques jours il s'élève jusqu'à la hauteur des mu-
avait plus fait que les généraux qui l'a- railles. Bientôt une peste effroyable
vaient précédé dans le cours de plu- ravage l'armée carthaginoise ; Anni-
sieurs campagnes. bal même périt victime du fléau. Les
Fondation de la. ville de Ther- soldats superstitieux croient voir dans
mes, en Sicile , environ 408 avant les ravages de cette terrible maladie
l'ère chrétienne. — Ces brillants une punition des dieux, qui vengeaient
succès inspirèrent aux Carthaginois
fait à les
ainsi leurmorts dernière de l'outrage
demeure.qu'on avait
On cesse
de désir
le la Sicile et entière.
l'espoir Mais
de s'emparer
avant de de toucher aux tombeaux ; on ordonne
commencer la guerre, ils fondèrent des prières d'après le rit de Carthage ,
sur la côte septentrionale, auprès ôt, suivant la coutume barbare obser-
d'une source d'eau chaude , une ville vée dans cette ville, on immole un
à laquelle sa position fit donner le enfant à Saturne, et l'on jette plu-
nom de Thermes; ils la peuplèrent de sieurs victimes dans la mer en l'hon-
Carthaginois et d'Africains. neur de Neptune.
Expédition d' Annibal et d'Imil- Cependant les Syracusains, avec une
armée de trente mille hommes et de
CON, SIEGE d'AGRICxENTE , 407 ET
406 avant l'ère vulgaire. — Quel- cinq mille chevaux, viennent au se-
que temps après, les Carthaginois cours d'Agrigente. Ils remportent une
CARTHAGE.

grande victoire sur l'armée des Car- quent de pillage. On y trouva un nom-
thaginois; ils les tiennent bloqués bre infini de tableaux , de vases , de
dans leur camp , leur coupent les vi- statues de toute sorte; car les arts
vres, et les réduisent à la plus déplo- d'imitation étaient très-florissants dans
rable extrémité. Effrayés de leur der- Agrigente. Parmi ces monuments pré-
cieux qu'Imilcon envoya à Carthage,
sortir deéchec,
nier leurs les retranchements
assiégeants n'osaient
pour était le fameux taureau de Phalaris,
livrer bataille. Déjà la famine avait qui , 260 ans plus tard , après la ruine
fait périr un grand nombre de sol- de cette ville, fut,rendu aux Agrigen-
dats déjà
, les mercenaires menaçaient tins par Scipion Émilien.
SlECxE ET PBISE DE GELA. PAR
dépasser à l'ennemi, lorsqu'un évé-
nement imprévu vint changer la face Imilcon; traité entre les Car-
des affaires. Imilcon apprend par un thaginois etDenys l'ancien , ty-
transfuge que les Syracusains envoient ran de Syracuse, 404 avant l'ère
par mer à Agrigente un convoi consi- chrétienne.
avait duré huit — Le siègeImilcon
mois. d'Agrigente
avait
dérable devivres. Aussitôt, ce général,
avec quarante trirèmes, leur dresse épargné les maisons particulières pour
une embuscade. Les Syracusains navi- servir de quartier d'hiver à ses trou-
guaient sans ordre , persuadés que les pes. Lorsqu'elles se furent reposées
Carthaginois, tant à cause de leur de leurs fatigues , il en sortit au com-
défaite récente qu'à cause de la saison mencement du printemps et rasa en-
tièrement la ville. Imilcon assiégea
des tempêtes qui approchait , n'ose-
raient pas se mettre en mer. Imilcon ensuite Gela , et la prit malgré le se-
profite de leur négligence , détruit cours qu'y mena Denys le Tyran , qui
toute
voi. leur flotte et s'empare du con- s'était emparé de l'autorité à Syra-
cuse. Ce prince éprouva un échec con-
La famine passa alors du camp des sidérable dans une attaque dirigée
assiégeants dans la ville. Les Agrigen- contre le camp des Carthaginois. Le
tins se trouvèrent tellement pressés, seul résultat qu'il put obtenir , fut de
que, se voyant sans espérances et sans sauver, de la colère du vainqueur, les
habitants de Gela et de Camarine,
ressources", donner leursilsmurailles.
prirent leOnparti d'aban-la
marqua dont il protégea la retraite avec ses
nuit suivante pour le départ. Alors troupestoire,de et qu'il établit sur le terri-
une foule innombrable d'hommes , de Syracuse. Cependant, une
femmes, d'enfants, maladie contagieuse qui se déclara dans
soldats, sortent de laprotégés
ville au par les
milieu le camp des Carthaginois et leur en-
des gémissements et des sanglots, leva la moitié de leur armée , engagea
abandonnant à la merci du vainqueur Imilcon à proposer aux Syracusains
leurs richesses, leurs foyers, leurs des conditions de paix. Denys, qui
dieux domestiques, et, ce qui aug- venait d'éprouver de grands revers,
mentait encore leur douleur , les bles- et dont
sés, les malades et les vieillards. Ces core la puissance
solidement n'était
établie pas en-
à Syracuse,
infortunés se réfugièrent d'abord à accepta avec joie ces propositions.
Gela , et obtinrent ensuite de la pitié Les conditions du traité furent que
des Syracusains la ville des Léontins les Carthaginois, outre leurs anciennes
pour asile. conquêtes dans la Sicile , demeure-
Cependant Imilcon entra dans la raient maîtres du pays des Sicaniens,
ville, et fit égorger tous ceux qui y de Sélinonte, d'Agrigente
étaient restés. On peut se faire une mère , comme aussi de celui etde d'Hy-
Gela
idée de l'immensité du butin dans une et de Camarine, dont les habitants
des cités les plus opulentes de la Si- pourraient demeurer dans leurs villes
cile, peuplée, selon Diodore, de deux démantelées, en payant tribut aux Car-
cent mille habitants, et qui n'avait thaginois; queles Léontins , les Mes-
jamais souffert de siège, ni par consé- séniens et tous les Siciliens vivraient
10 L'UNIVERS.
selon leurs lois et conserveraient leur d'envahir toute la Sicile; que si l'on
liberté et leur indépendance ; qu'enfin n'arrêtait leurs progrès , leur capitale
les Syracusains demeureraient soumis se verrait bientôt elle-même attaquée ;
à Denys. qu'il
Imilcon, après la conclusion du de cesfallait profiter,
barbares , du pour se délivrer
moment où la
traité, retourna à Carthage, où les peste qui ravageait leur pays les met-
débris de son armée apportèrent la tait hors d'état de se défendre. Les
peste , qui fit périr un grand nombre Syracusains applaudissent le discours
de citoyens. et les projets de leur premier magis-
Renouvellement des hostilités trat.
par Denys le Tyran, 399 avant Sans aucun sujet de plainte, sans
l'ère vulgaire. — Denys n'avait déclaration de guerre, il abandonne
conclu la paix avec les Carthaginois au pillage et à la fureur du peuple
que pour se donner le temps d'affer- les biens et les personnes des Cartha-
mir son autorité naissante, et de tra- ginois, qui, sur la foi des traités,
vailler aux préparatifs de la guerre exerçaient le commerce à Syracuse;
qu'il méditait contre eux. Ses prépara- on force leurs maisons , on pille leurs
tifs furent immenses. Syracuse en- effets , on leur fait souffrir toutes
tière était devenue un vaste atelier, sortes d'ignominies et de supplices,
où , de toutes parts , on était occupé à en représailles
fabriquer des armes, des machines de avaient exercées des contrecruautés qu'ils
les habitants
guerre (*) et des vaisseaux. Corinthe du pays , et cet horrible exemple de
avait , la première , construit des vais- perfidie et d'inhumanité fut suivi dans
seaux àtrois rangs de rames; c'est toute l'étendue de la Sicile.
du temps de Denys que Syracuse, Denys, après cette sanglante in-
colonie de Corinthe, perfectionna cette fraction des traités , osa envoyer des
invention en construisant des navires députés aux Carthaginois, pour de-
à quatre et à cinq rangs de rames. mander qu'ils rendissent la liberté à
Denys animait le travail par sa pré- toutes les villes de Sicile , et leur dé-
sence, par des libéralités et des louan-
traités clarer
commequ'en cas ennemis.
de refus , ils y seraient
ges qu'il savait dispenser à propos, et Cette provocation jeta une grande
surtout par des manières populaires
et engageantes, moyens encore plus alarme à Carthage, surtout à cause
efficaces que tout le reste pour réveil- de l'état déplorable où elle se trou-
ler l'industrie et l'ardeur des ouvriers, vait.
et il faisait souvent manger avec lui Siège de Motya par les Syra-
ceux qui excellaient dans leur genre. cusains397
, ANS AVANT L'ÈRE CHRÉ-
Quand tous ces préparatifs furent TIENNE. — Denys ouvrit la campagne
achevés, et qu'il eut levé un grand par le siège de Motya , qui était la
nombre de troupes en différents pays, place d'armes des Carthaginois en Si-
il lit sentir aux Syracusains que les cile, et il poussa vivement ce siège,
Carthaginois n'avaient d'autre but que sans qu'Imilcon, qui commandait la
flotte ennemie , pût s'y opposer. De-
nys avait sous ses ordres quatre-vingt
(*) Parmi les machines de guerre, Diodore mille fantassins, trois mille cavaliers ,
mentionne les catapultes. Élien et Plutarque
deux cents vaisseaux de guerre et cinq
disent qu'elles furent inventées alors en Sicile.
Mais il est sûr que cette arme terrible fut em- cents vaisseaux de charge. Débarque
pruntée parles Grecs aux peuples orientaux; devant la place , il fit avancer- ses
car les livres sacrés en font mention en 810 machines , la fit battre avec le bélier,
avant l'ère vulgaire, sous le règne d'Osias,
approcha des murs des tours à six
roi de Jérusalem. Voy. sur l'époque de cetie étages, qui étaient portées sur des
invention la Poliorcétique des anciens , par roues et qui égalaient la hauteur des
M. Dureau de la Malle, pag. 356 et suiv. maisons. De là, il incommodait fort
Paris, 1819, chez F. Didot. les assiégés par ses catapultes , nia-
CARTHAGE.
11
flotte, sous la conduite de Magon,
chines jusqu'alors inconnues aux Car- côtoyait les bords de la mer.
thaginois, etqui leur inspiraient une
grande terreur par la force et le nom- L'arrivée des Carthaginois jeta un
bre des traits et des pierres qu'elles grand trouble dans la capitale de la
lançaient. La ville lit une longue et Sicile. Magon, à la tête de ses navires
vigoureuse de guerre, chargés des dépouilles de
les habitantsrésistance. L'enceinte
barricadèrent leurs prise,
mai- la flotte ennemie, sur laquelle il venait
sons, et s'y défendirent avec opiniâ- de remporter une victoire signalée ,
treté. Ce nouveau siège coûta plus de entra comme en triomphe dans le grand
monde aux Syracusains que le pre- port, suivi de ses vaisseaux de charge.
On vit en même temps , du côté de la
mier. Enfin, la* ville fut prise , et tous terre, arriver la nombreuse armée que
les habitants passés au fil de l'épée,
excepté ceux qui se réfugièrent dans conduisait Imilcon. Ce général fit dres-
leurs temples. On abandonna le pillage ser sa tente dans le temple même de
aux soldats. Denys, y ayant laissé une Jupiter.
bonne garnison et un gouvernement dans les Leenvirons
reste deà l'armée campa
douze stades,
sûr, retourna à Syracuse. c'est-à-dire , un peu plus d'une demi-
Siège de Syracuse par les car- lieue de la ville. Bientôt il range ses
thaginois, 396 ET 395 AVANT L'ÈRE troupes en bataille sous les murs de
chrétienne. — Pendant que Denys la place, et s'efforce, mais en vain ,
assiégeait Motya , Imilcon , que les d'attirer les Syracusains au combat.
Carthaginois avaient nommé suffète , Non content d'avoir ainsi obtenu des
occupé°en Afrique des apprêts assiégés l'aveu de leur faiblesse sur
de la terre,
guerre , conçut un projet de diversion il veut encore leur montrer que,
qui fut exécuté avec une audace re- . sur la mer, ils ne sont pas moins in-
marquable. Il met un commandant férieurs aux Carthaginois. Du grand
actif à la tête de dix vaisseaux légers , port qu'il occupait, il envoie cent vais-
et lui ordonne de partir secrètement seaux d'élite qui s'emparent des au-
la nuit , de voguer à toutes voiles vers tres ports sans résistance. Pendant
trente jours , il porte le ravage et la
Syracuse, de forcer l'entrée du port
et de détruire les vaisseaux, qu'on y désolation dans tout le territoire de Sy-
avait laissés. L'officier entre la nuit, racuse. Ilse rend maître du faubourg
sans être aperçu, dans le port de Syra- d'Achradine, pille les temples de Cérès
et de Proserpine, et, pour fortifier
cuse, coule à "fond tous les vaisseaux
qui s'y trouvaient, et reprend la route son camp, il abat tous les tombeaux
de Carthage. qui environnaient la ville, et, entre au-
L'année suivante, Imilcon revint en tres, celui de Gélon et de Démarète sa
Sicile avec une armée composée, sui- femme , qui était d'une magnificence
vant Éphore, de trois cent mille hom- extraordinaire.
mes de pied etde quatre mille chevaux; Cette impiété, dit Diodore, attira
sur Imilcon le courroux des dieux. La
mais que Timée, dont l'assertion nous
paraît plus probable, ne fait monter en fortune changea de face, et d'affreux
tout qu'à cent mille combattants. Sa revers suivirent les brillants succès-
flotte était composée de trois cents qui avaient signalé le commencement
vaisseaux de guerre , et de six cents de la campagne. D'abord les Syracu-
vaisseaux de transport pour les vivres sains, ayant repris confiance, avaient
et les munitions. Il aborda -à Païenne, eu l'avantage dans quelques légères
recouvra Éryx par composition, Motya escarmouches. Des terreurs paniques
par la force , prit et rasa Messine , et troublaient chaque nuit le camp des
s'empara de Catane et de quelques au- Africains. Imilcon l'entoura de nou-
tres villes. Animé par ses heureux suc- veaux ouvrages et construisit trois
cès, ilmarche vers Syracuse pour en forts , l'un à Plemmyre , l'autre vers
former le siège , menant ses troupes le milieu du port, et le dernier près du
de pied par terre , pendant que sa temple de Jupiter II les approvisionna
12 L'UNIVERS.
de blé, de vin et de toutes les choses porté toutes leurs forces à la défense
nécessaires à la défense; car il pré- de leurmultecamp, se précipitent en tu-
voyait que cette guerre serait plus vers le port pour tâcher de
longue et plus difficile qu'il ne l'avait sauver leur flotte. Mais la diligence
cru d'abord. des ennemis les a prévenus. Ils n'ont
Peste horrible dans le camp
pas eu le temps de se mettre en dé-
des Carthaginois. — Mais bientôt fense que déjà la plupart de leurs vais-
une maladie contagieuse se déclara seaux sont pris, coulés à fond ou con-
sumés par les flammes. Ces premiers
dans son armée
incroyables. et "y dans
On était fit desle ravages
fort de succès augmentèrent tellement la con-
l'été, et la chaleur, cette année, était liance des Syracusains , que les enfants
excessive. De plus, son camp était et les vieillards se mêlèrent à l'armée
placé dans une vallée basse et maré- et à la flotte, et voulurent aussi avoir
cageuse, circonstances favorables au leur part des périls et de la victoire.
développement de l'épidémie La nuit mit fin au combat, et Denys
le même emplacement, avaitqui, dans
décimé plaça son camp en face du camp en-
les Athéniens lorsqu'ils assiégèrent nemi ,près du temple de Jupiter.
Syracuse. Imilcon , vaincu à la fois sur terre
La contagion commença par les et sur mer, envoya secrètement vers
Africains qui mouraient par centaines. Denys pour lui demander la permis-
D'abord on enterrait les morts, on sion d'emmener avec lui à Carthage le
soignait les malades ; mais tous les re- peu qui lui restait de troupes. Il offrait
mèdes étant inefficaces, le mal se com- pour obtenir cette grâce tout l'argent
muniquanttous
à ceux qui assistaient qu'il possédait encore, et qui ne se
les pestiférés, et le nombre des vic- montait pas à plus de trois cents talents
times s'accroissant tous les jours , les (1650 mille francs). Il ne put obtenir
cadavres demeurèrent sans sépulture cette grâce que pour les Carthaginois
et les malades sans secours. Bientôt ,
avec lesquels il s'échappa pendant la
l'infection causée par la putréfaction nuit, laissant tous les autres soldats
de
du ces
fléau.cadavres augmenta l'intensité à la discrétion de l'ennemi.
Ainsi, dit Diodore, ces conquérants
Cette peste, dit Diodore, indépen- qui s'étaient emparés de toutes les
damment des bubons, des lièvres vio- villes de Sicile, à l'exception de Syra-
lentes etdes engorgements glandulai- cuse que même ils regardaient déjà
res,'signes caractéristiques de cette comme une proie assurée, se voyaient
maladie, était accompagnée de symp- réduits à trembler pour le salut de
tômes extraordinaires, de cruelles dys- leur patrie. Ceux qui avaient détruit les
senteries , de pesanteurs dans les jam- tombeaux des Syracusains laissaient
bes, de douleurs aiguës dans la moelle étendus sur la terre étrangère, et pri-
épinière, de frénésie même et de fu- vés des honneurs de la sépulture, cent
reur telles qu'ils se jetaient sur qui- cinquante mille cadavres de leurs con-
conque se trouvait sur leur passage et citoyens que la peste avait moisson-
les mettaient en pièces. nés. Ceux qui avaient porté le fer et
Denys, connaissant le déplorable le feu dans le territoire de Syracuse
état de l'armée des Carthaginois , les avaient vu, par un juste retour du sort,
attaque de trois côtés à la fois avec leur flotte immense consumée par les
toutes ses forces. Dans la confusion
flammes. Ceux qui avec toute leur ar-
où cette triple attaque jette les Afri- mée étaient entrés orgueilleusement
cains, ilemporte d'assaut deux des dans le port de Syracuse, j>arés des
forteresses qu'i!s avaient construites. dépouilles ennemiesne etprévoyaient
dans tout pas
l'é-
En même temps la flotte syracusaine clat du triomphe,
vient fondre sur leurs vaisseaux. Les
qu'ils seraient forcés de s'échapper
Carthaginois , qui pensaient n'être at- furtivement au milieu de la nuit, aban-
taqués que sur terre et qui avaient donnant leurs alliés, leurs compagnons
13
CARTHAGE.

d'armes aux vengeances d'un ennemi pays


avait :été pourfaitréparer par lel'outrage qui leurs
pillage de leur
justement irrité. Le chef lui-même
d'une armée si nombreuse, ce fier temples, on leur érigea de magnifiques
Imilcon qui avait osé dresser sa tente statues; on leur donna pour prêtres
dans le temple de Jupiter olympien , les citoyens les plus distingués de la
et porter sur les trésors du dieu une ville; on leur offrit des sacrifices et
main sacrilège, est réduit à implorer des victimes selon le rit grec, et l'on
une capitulation honteuse pour rame- n'omit rien de ce qu'on croyait pou-
ner du moins à Carthage quelques voir rendre ces déesses propices à la
restes de ses concitoyens. Les dieux république. Après s'être acquitté en-
lui infligent pour peine de son impiété vers les dieux, on s'occupa activement
une vie misérable, déshonorée, en butte des préparatifs de la guerre. Heureu-
aux reproches, aux outrages, à la ma- sement pour les Carthaginois, la nom-
lédiction universelle. On le voit, con- breuse armée des rebelles était sans
traint d'humilier son orgueil, couvert chefs; nulles provisions, nulles ma-
de misérables haillons, se prosterner chines de guerre, point de discipline
ni de subordination : chacun voulait
dans les temples, faire l'aveu public de commander ou se conduire à son gré.
son impiété, implorer le pardon de
ces mêmes dieux qu'il avait outragés; La division s'étant donc mise parmi ces
enfin, ne pouvant échapper aux re- troupes, et la famine augmentant tous
les jours de plus en plus dans leur
mords de sa conscience, il s'impose camp, ils se retirèrent chacun dans
la faim pour supplice et se laisse ex-
pirer d'une mort
DES lente et douloureuse. son pays , et délivrèrent Carthage d'une
RÉVOLTE AfBICAINS CONTEE grande terreur.
LES CAETHAGINOIS , 395 AVANT l'ÈEE
Expédition deMagon en Sicile;
vulgatbe. — Un nouveau surcroît de teaité entee les caethaginois et
malheurs vint accabler les Carthagi- denys , tyean de sybacuse ; de
nois. Les Africains, qui depuis long- 395 A 383 avant J. C. — Cependant
temps supportaient avec peine la do- les Carthaginois, ayant eu le temps de
mination de Carthage, irrités alors rétablir leurs forces , font passer Ma-
jusqu'à la fureur de ce que le général gon en Sicile, à la tête d'une nouvelle
de cette république avait lâchement armée. Ce général reconquit les an-
abandonné leurs compatriotes, et les ciennes possessions carthaginoises , fit
avait livrés aux vengeances des Sy- révolter plusieurs villes soumises à De-
racusains, se préparèrent à la révolte. nys, et s'avança jusqu'à Agvris (*).
L'état de détresse de leurs domina- Denys s'y était porté de Syracuse, et
teurs leur inspirait l'espoir de recou- les forces des deux partis étant balan-
vrer facilement leur indépendance. Ils cées, les Siciliens et les Carthaginois
se liguent entre eux, arment jusqu'aux s'accordèrent
de paix. Les surconditions les bases d'un "traité
furent les
esclaves , forment en peu de temps
une armée de deux cent mille hommes, mêmes que celles du traité conclu en-
s'emparent de Tunis, et après avoir tre Imilcon et Denys, après la prise
vaincu les Carthaginois en rase cam- d'Agrigente et de Gela, dont nous
pagne, dans plusieurs combats, ils les avons déjà rapporté la substance. II
forcèrent à se renfermer dans leurs n'y eut d'ajouté que ces deux clauses :
murailles. La ville se crut perdue : on que Magon abandonnerait Tauromi-
regarda ce soulèvement imprévu com- nium aux Syracusains, et que les Si-
me un effet et comme une suite de la
cules, jusqu'alors libres et indépen-
colère des dieux, qui poursuivait les Denys. dants, seraient à l'avenir sujets de
coupables jusque dans Carthage même.
Les peuples, dans leurs malheurs, sont Ce traité dura neuf années consécu-
poussés par la crainte à la supersti- tives.
tion. Cérès et Proserpine étaient des (*) Entre Enna et Catane, à ao lieues en-
divinités inconnues jusque-là dans le viron de Syracuse.
14 L'UNIVERS.
Renouvellement de là guerre Magon se montra prudent et modéré
en Sicile; mort de Magon, suf- dans la victoire. Il accorda à Denys
fète et général des carthagi- une paix honorable. Les Carthaginois
NOIS 383
; avant l'ère chrétienne. conservèrent toutes leurs possessions
— Cependant Denys excite à la défec- en Sicile, y acquirent en outre Séli-
tion les villes soumises aux Carthagi- nonte et une partie du territoire d'A-
nois, et les reçoit dans son alliance. grigente , et exigèrent mille talents (*)
Ceux-ci, craignant pour leurs posses- pour les frais de la guerre.
sions, envoient de nouveau Magon en sénatus-consulte qui interdit
Sicile, à la tête de quatre-vingt mille aux Carthaginois d'apprendre et
hommes. Après quelques combats, où de parler les langues étrangè-
les succès furent balancés, une bataille RES. —Ce fut à peu près vers ce temps-
décisive se livra auprès de Cabala. De- là, dit-on, qu'un citoyen de Carthage
nys yfit des prodiges de courage et ayant écrit en grec à Denys pour lui
d'habileté, tua dix mille hommes aux donner avis du départ de l'armée car-
ennemis, et fit cinq mille prisonniers. thaginoise, fut
il défendu par arrêt du
Magon perdit la vie dans cette bataille, sénat aux Carthaginois d'apprendre
et les Carthaginois effrayés demandè- écrire ou à parler la langue grecque,à
rent la paix à Denys. Celui-ci leur ré- pour
pondit qu'il ne poserait les armes que aucun les mettre hors
commerce avec d'état d'avoir
les ennemis,
lorsque les Carthaginois auraient con- soit par lettre, soit de vive voix.
senti àévacuer la Sicile entière , et L'existence de ce décret, dont Justin
à payer les frais de la guerre. seul fait mention , me semble peu pro-
Expédition de Magon II en Si-
cile, 382 AVANT L'ÈRE VULGAIRE. il dut bable. Du moins,
bientôt s'il a en
tomber jamais existé,
désuétude.
— Ces conditions leur semblèrent ex- Les relations de guerre et de com-
trêmement dures , et, pour les éluder, merce que Carthage avait avec la Si-
ils recoururent à leur adresse accou- cile et les provinces voisines rendaient
tumée. Ils feignent d'accepter ce traité son exécution presque impossible. Nous
désavantageux et humiliant; mais, sous savons d'ailleurs qu'Amilcar Barca et
prétexte qu'ils ne peuvent livrer les le fameux Annibal haranguaient leurs
villes sans l'ordre du gouvernement, auxiliaires dans leur propre langue;
ils obtiennent une trêve assez longue que ce dernier, suivant Cornélius
pour envoyer demander la ratification Népos et Plutarque, cultiva la litté-
a Carthage. On y profite de ce répit rature grecque, et composa dans cette
pour lever et exercer de nouvelles trou- langue les mémoires de ses campagnes
pes. On leur donne pour chef Magon, et l'inscription du temple de Junon
fils du général qui avait péri dans la Lacinia qui a été vue et mentionnée
dernière bataille. Il était encore dans la
par Polybe.
première jeunesse ; mais déjà son ha- Peste a Carthage ; nouvelle ré-
volte des Africains et des Sardes;
vaientbileté,faitsondistinguer.
courage, saPendant prudence, l'a-
le court de 379 a 368 avant l'ère vulgaire.
espace de la trêve, ses encourage- — Carthage était affaiblie par une peste
ments et ses leçons établirent la dis- épouvantable qui avait fait de grands
cipline dans son armée, et lui inspi- ravages dans ses murs. Les Africains
rèrent une juste confiance dans ses et les Sardes voulurent profiter de
forces. cette occasion pour secouer le joug ;
mais les uns ec les autres furent
Aussitôt après l'expiration de la
trêve, il livra contre Denys une ba- domptés et forcés de rentrer dans l'o-
béissance.
taille, où Leptine, l'un des plus habiles Renouvellement de la guerre
généraux du tyran, fut tué, et où les
Syracusains, à qui les ennemis ne fai- entre Denys et les Carthaginois ;
saient point de quartier, laissèrent
plus de quatorze mille morts. Le jeune (*) 5,5oo,ooo fr.
CARTHAGE. 15
mesure à tous les excès de la haine et
MORT DE DENYS; 368 AVANT L'ÈRE
vulgaire. — Vers le même temps , de la vengeance. Les Syracusains se
Denys veut encore profiter des em- révoltèrent de nouveau contre lui et
barras des Carthaginois pour renou- appelèrent à leur secours Icétas, ty-
veler la guerre. Une armée de trente ran de Léontium, qui s'empara de
mille Siciliens , de trois mille chevaux toute la ville, excepté de la citadelle
et de trois cents vaisseaux prend Séli- où Denys réussit à se maintenir.
nonte, Entelle et Éryx. Mais elle est La conjoncture de ces troubles parut
obligée de lever le siège de Lilybée. La favorable aux Carthaginois pour réa-
flotte de Denys est surprise par celle liser leur désir obstiné de s'emparer
des Carthaginois qui lui enlèvent trente de la Sicile, et ils envoyèrent dans
vaisseaux. Les deux partis, las de la cette île une nombreuse flotte et une
guerre, font un nouveau traité de armée de soixante mille hommes com-
paix. Peu de temps après, Carthage mandés par Magon. Dans cette extré-
se vit délivrée de son ennemi le plus mité, ceux d'entre les Syracusains qui
formidable. Denys mourut après trente- étaient le mieux intentionnés eurent
huit années de règne , âgé de soixante- recours aux Corinthiens, leurs fonda-
trois ans. Il eut pour successeur teurs, qui les avaient déjà souvent ai-
Denys son fils aîné , qu'on a distingué dés dans leurs périls. Ceux-ci leur en-
par le nom de Denys le Jeune.
habile et unvoyèrent Timoléon. vertueux,
citoyen C'était un qui
général
avait
Second traité "entre les Ro- signalé son zèle pour le bien public en
mains et les Carthaginois, l'an
402 de la fondation de rome , 352 affranchissant sa patrie du joug de la
avant J. C. — Nous avons déjà rap- tyrannie, aux dépens de sa propre
porté un premier traité entre les Ro- famille. Il partit avec dix vaisseaux
mains etles Carthaginois. Il y en eut seulement, et, étant arrivé à Rhége,
un second qu'Orose dit avoir été conclu il éluda par un heureux stratagème la
la quatre cent deuxième année avant vigilance des Carthaginois qui, ayant
la fondation de Rome, et par consé- été avertis de son départ et de son
quent vers le temps dont nous parlons. dessein par Icétas, voulaient l'empê-
Ce second traité contenait à peu près cher de passer en Sicile.
les mêmes conditions que le premier, Timoléon n'avait guère plus de mille
excepté que les habitants de ïyr et soldats avec lui; avec ce faible déta-
chement ilmarche hardiment au se-
d'Utique y étaient nommément com-
pris etjoints aux Carthaginois. cours de Syracuse, écrase auprès d'A-
Guerre des Carthaginois con- driana l'armée d'Icétas qui lui était bien
tre Denys le Jeune; Timoléon supérieure en nombre, et, profitant de
vient au secours de Syracuse; de sa victoire, il réussit à s'emparer d'une
352 a 342 avant l'ère vulgaire. — partie de la capitale de la Sicile. Icétas,
Après la mort du premier Denys, il effrayé de l'audace et des succès de
y eut de grands troubles à Syracuse. Timoléon, livre le grand port aux
Denys, qui, sans avoir aucun des ta- Carthaginois qui y font entrer cent
lents de son père, en avait exagéré cinquante vaisseaux, et débarquent
tous les défauts et tous les vices, se soixante mille hommes dans la partie
plongea dans la mollesse et la débauche, de la ville voisine de la rade. Étrange
et devint pour tous un objet de mépris position des Syracusains, où ils sem-
et de haine. Syracuse lui déclara la blaient avoir perdu même jusqu'à l'es-
guerre et le chassa de ses murs. Il fut pérance! Us voyaient les Carthaginois
accueilli par les Locriens sur lesquels maîtres du port, Denys de la citadelle,
il exerça pendant six ans une horrible Icétas de l'Achradine et de la ville
tyrannie. Chassé encore de Locres par neuve. Heureusement Denys , qui était
les habitants ligués contre lui, il re- sans ressources , remit à Timoléon la
vint en Sicile, et rentra par trahison citadelle avec toutes les troupes, les
dans Syracuse où il s'abandonna sans armes et les vivres qui s'y trouvaient,
16 L'UNIVERS*
et en obtint un sauf-conduit pour se épouvanté de la supériorité des forces
réfugier à Corinthe. Il y eut alors une ennemies, que, dans sa nombreuse
suspension d'hostilités entre les trois garnison, Timoléon eut peine à trou-
armées qui occupaient Syracuse. ver trois mille Syracusains et quatre
La plupart des auxiliaires de Magon mille mercenaires qui osassent le sui-
étaient Grecs. Ils se mêlèrent pendant vre ;encore , parmi ces derniers , il y
la trêve avec les soldats de ïimoléon. en eut mille qui se laissèrent entraîner
Ceux-ci leur représentaient sans cesse par la crainte , et qui désertèrent pen-
qu'il était indigne de leur nom et de dant la marche. Timoléon , loin d'être
leur courage d'employer leurs armes à ému de leur départ, regarda comme
la ruine d'une des plus belles villes un avantage que ces lâches se fussent
fondées par les Grecs, pour la sou- déclarés avant le combat. Il encourage
mettre àla domination barbare des par son air et par ses discours pleins
Carthaginois; que l'appui que ceux-ci de confiance le reste de sa petite ar-
prêtaient à Icétas n'était qu'un prétexte mée, et la mène droit à l'ennemi,
pour déguiser leurs projets ambitieux campé près du fleuve Crimise.
sur Syracuse et sur la Sicile. Ces insi- ' Attaquer avec cinq mille fantassins
nuations se répandent dans le camp et mille cavaliers seulement une armée
des Africains; Magon, d'un caractère de soixante-dix mille hommes, abon-
faible et pusillanime, que les entrepri- damment pourvue de tous les moyens
ses hardies de Timoléon avaient déjà de défense, engager le combat à huit
frappé de terreur, se croit au moment journées de Syracuse , sans nul espoir
d'être trahi et abandonné par ses trou- de secours, sans aucun moyen de re-
pes, et la peur grossissant le péril à traite c'était
, dans Timoléon un excès
ses yeux, il rembarque son armée, s'é- d'audace qui semblait tenir de la folie;
loigne du port, et fait voile vers Car- et cependant la témérité seule pouvait
tilage. Dès que Magon fut arrivé dans donner la victoire. Il se sert habile-
cette ville, on lui fit son procès; mais ment, pour rendre l'espoir à ses sol-
il prévint son supplice par une mort dats, du puissant mobile des présages
volontaire , et son corps fut attaché à et des augures ; il fait passer dans leurs
une croix et exposé en spectacle au âmes l'enthousiasme et la confiance
peuple. Le lendemain du départ de qui l'animent, et tombe à l'improviste
Magon, ïimoléon attaque Syracuse par sur les Carthaginois, au moment où
trois endroits à la fois, renverse et ils passent la rivière. Au même ins-
met en fuite les troupes d'Icétas, et tant, un ouragan épouvantable, ac-
s'empare de
un seul de ses soldats. la ville sans avoir perdu compagné d'éclairs , de tonnerres , et
de grêlons énormes, éclata tout à coup
Nouveaux efforts des Cartha- sur leurs têtes : ce fut pour les Grecs
ginois en Sicile; Amilcar II et un puissant auxiliaire; car l'orage, les
ANNIBAL II SONT BATTUS PAR ÏIMO- frappant par derrière, ne les incom-
LÉON ;340 avant l'ère vulgaire. modait que faiblement , tandis que le
— Les Carthaginois, jaloux de laver vent, la grêle et les éclairs frappaient
la honte de leurs armes, équipent deux en face les Carthaginois. En butte à
cents vaisseaux longs , mille vaisseaux la fureur des éléments, et vigoureuse-
de charge, et les envoient en Sicile, ment pressés par les Grecs, ils ne
chargés de soixante-dix mille combat- ■ peuvent résister et prennent la fuite.
tants et d'un immense appareil de une Dès lors ce n'est plus qu'une déroute,
guerre. Ils abordèrent à Lilybée, sous horrible confusion : les chars, les
la conduite d'Amilcar et d'Annibal , et cavaliers, les fantassins, se précipitent
résolurent d'aller d'abord attaquer les à la foisrassent dansmutuellement
la Crimise, dans etleurs'embar-
fuite;
Corinthiens. Timoléon , sans être ef-
frayé de leur nombre , prit aussitôt le fleuve, grossi par l'orage, les en-
le parti de marcher à leur rencontre ; gloutit dans ses tourbillons. Ceux qui
mais à Syracuse, on fut tellement veulent chercher un refuge sur les
CARTHAGE. 17

collines sont massacrés par les troupes homme si puissant la découverte du


légères. La cohorte sacrée des Car- crime ne fût plus funeste à l'État que
thaginois, composée de deux mille cinq le projet de son exécution. Se bornant
cents citoyens , les plus distingués par donc à prévenir la conspiration, ils
leurs richesses et par leur courage, fixèrent les frais des noces par un
combattit jusqu'au dernier soupir, et décret,
se laissa massacrer tout entière plu- citoyens,qui, s'appliquant
semblait à tous les
moins désigner le
tôt que de se rendre. Les Carthagi- coupable que réformer un abus géné-
nois laissèrent en outre dix mille ral. Hannon, entravé par cette mesure,
morts sur le champ de bataille : Ti- excite les esclaves à la révolte, fixe
moléon leur fit quinze mille prison- une seconde fois le jour des massacres,
niers et s'empara de leur camp, où il et, voyant encore sa trame découverte,
trouva
abandonna des tout richessesentières immenses, qu'il
à ses soldats s'empare d'un château fort avec vingt
mille esclaves armés. Là , tandis qu'il
sans en rien réserver pour lui-même. appelle à son secours les Africains et le
Conspiration d'Hannon contre roi des Maures, il tombe aux mains
le sénat et le peuple de car- des Carthaginois, qui le font battre de
thage; 337 avant l'ère chétienne. verges, lui font crever les yeux, rom-
— Ce fut probablement vers ce même pre les bras et les jambes , et lui don-
temps, tandis que Carthage était af- nent la mort aux yeux du peuple ;
faiblie par les revers qu'elle venait enfin son corps déchiré est mis en
d'éprouver en Sicile, qu'eut lieu la croix. Ses fils et tous ses parents,
conspiration d'Hannon , dont le récit même étrangers à son crime , sont li-
ne nous a été transmis que par le seul vrés au supplice, afin que de cette race
Justin. Hannon, le premier citoyen odieuse ne survécût personne qui pût
de Carthage, dont la richesse excessive imiter son exemple ou venger sa
était formidable pour la république, mort.
employa ses trésors à l'asservir, et Fin de la guerre ; nouveau
voulut, en égorgeant le sénat, se frayer traité de paix entre les Syra-
une route à la tyrannie. Il choisit, cusains et les Carthaginois ; 338
pour exécuter son crime , le jour des avant l'ère chrétienne. — Après
noces de sa fille , afin de cacher plus ai- la victoire remportée près du fleuve
sément, sous Je voile de la religion, Crimise , Timoléon , laissant dans le
l'affreux dessein qu'il méditait. Il fait pays ennemi les troupes étrangères,
dresser sous les portiques publics (*) pour achever de piller et de ravager
des tables pour les citoyens, et, dans
les terrestourna à des Carthaginois,
Syracuse. s'en re-il
En arrivant,
l'intérieur de son palais, un festin
pour le sénat, afin de le faire périr en bannit de Sicile les mille soldats qui
secret et sans témoins par des bois- l'avaient abandonné en chemin, et il
sons empoisonnées, et d'envahir plus les fit sortir de Syracuse avant le
aisément l'empire privé de ses chefs. coucher du soleil, sans en tirer d'au-
Instruits de ce dessein par ses servi- tre vengeance.
teurs, les magistrats le déjouèrent sans Les Carthaginois, aussi prompts à
le punir : ils craignaient qu'avec un se laisser abattre par les revers qu'à
s'enivrer d'espérances exagérées au
moindre succès , demandèrent la paix,
(*) Ces portiques publics étaient la double
colonnade qui entourait le Cothdn, ou le que Timoléon leur accorda, à condi-
port militaire des Carthaginois. Le palais tion que les bornes de leur territoire
seraient les rives du fleuve Halycus,
d'Hannon s'élevait dans l'île qui occupait le
milieu du Cothôn. Ou peut en voir les preu- qu'ils laisseraient à tous les Siciliens
ves dans les Recherches sur la topographie la liberté 'd'aller s'établir à Syracuse
de Carthage, par M. Dureau de la Malle, avec leurs familles et leurs biens, et
p. S S et planche III. Paris, Firmin Didot. qu'ils ne conserveraient avec les ty-
x835.
rans ni alliances ni intelligences. t
2
2e Livraison. (Carthage.)
18 L'UNIVERS.
Renouvellement des hostili- contre les Campaniens, il fit conce-
tés en Sicile; guerres des Car- voir de lui de si hautes espérancss,
thaginois CONTRE AGATHOCLE, TY- qu'il fut nommé général à la place de
RAN de Syracuse; de 319 a 309 Damascon qui venait de mourir , lais-
avant l'ère vulgaire. — Comme sant àsa femme d'immenses richesses.
l'histoire d'Agathocle est intimement Agathocle aussitôt
liée à l'histoire de Carthage, que ce ser la veuve, qui, s'empressa d'épou-
depuis longtemps,
prince osa le premier porter la guerre vivait en adultère avec lui. Ce passage1
en Afrique, et qu'il mit Cartilage à inespéré de la pauvreté à l'opulence
deux doigts de sa ruine, il est né- ne satisfit pas encore son ambition , il
cessaire d'entrer dans quelques détails se fit chef de pirates et exerça ses bri-
sur la naissance, sur les commence- gandages contre sa patrie. Ses com-
ments de cet homme extraordinaire, plices, faits prisonniers et mis à la
et sur les divers obstacles qu'il eut torture, le sauvèrent en ne l'accusant
à surmonter l'exil.
nie. Il naquitpour s'élever àenla Sicile,
à Therma, tyran- pas. Deux
racuse et fois ilfois
, deux tenta
il futd'asservir
condamnéSy-à
d'un potier de terre; son père l'ex-
posa lors de sa naissance, et l'avait Il s'était réfugié chez les Murgan-
condamné à périr : il fut sauvé par tins. Ceux-ci, en haine de Syracuse,
la tendresse de sa mère et élevé chez
le firent d'abord préteur et bientôt
un de ses oncles, qui lui donna le général. Il entre en campagne, s'em-
nom d'Agathocle. Son enfance fut pare de Leontium, et vient assiéger
aussi méprisable que son origine était Syracuse sa patrie. Les Syracusains
basse. Doué d'une rare beauté et d'une implorent la protection d'Amilcar, gé-
grande perfection de formes, il ne néral des Carthaginois, qui, abjurant
ses sentiments de haine nationale,
vécut longtemps qu'en prostituant sa leur envoie des secours. Syracuse vit
pudeur : sitôt qu'il eut franchi l'âge
de la puberté, l'ardeur de ses passions donc à la fois un de ses citoyens l'as-
se dirigea des hommes vers les fem-
mes; bientôt en butte à la haine de et un siéger ennemiavec toutela l'ardeur
défendred'un
avecennemi,
le dé-
l'un et de l'autre sexe , il se vit con- vouement d'un citoyen. Comme la dé-
traint d'embrasser le métier de bri- fense était plus vigoureuse que l'atta-
gand. Dans la suite, s'étant fixé à Sy- que ,Agathocle fait supplier Amilcar
racuse, où son père et lui avaient de lui servir de médiateur auprès des
obtenu le droit de cité , il y vécut long- Syracusains, promettant de reconnaî-
temps dédaigné comme un homme qui tre ses bienfaits par ses services.
n'avait ni honneur ni fortune à per- Amilcar, séduit par cette offre, et crai-
dre; enfin, il servit comme simple gnant d'ailleurs, les forces d'Agathocle,
soldat, et on le vit toujours prêt à fait alliance avec lui , dans l'espoir
tout oser , aussi ardent pour le désor- d'en obtenir, pour étendre sa puis-
dre qu'il l'avait
Il montrait en étéeffetpour
tourlaà débauche.
tour une sance Carthage,
à l'appui qu'il lui four-
nirait contre les Syracusains. Il obtint
grande audace à la guerre , une élo- donc, pour Agathocle , non-seulement
quence impétueuse dans les assem- la paix , mais aussi la dignité de pré-
blées. Aussi fut-il nommé centurion , teur à Syracuse. Agathocle fait alors
et peu de temps après chiliarque , ou le serment solennel d'être fidèle à Car-
commandant de mille hommes. Peut-
être dut-il aussi cet avancement rapide Africainsthage, ,et reçoitpar lesquels d'Amilcar cinq
il fait mille
égorger
à l'amour de Damascoo , qui était les principaux Syracusains. Sous pré-
éperdument épris de sa beauté. Dès texte de procéder à l'organisation des
sa première campagne, il donna aux pouvoirs, il convoque le peuple au
Syracusains des preuves signalées -de théâtre , et rassemble d'abord le sénat
sa valeur dans une guerre contre les dans le gymnase , comme pour régler
habitants d'Etna. Dans la seconde, quelques préliminaires. Après avoir
.1»

CARTHAGE.
pris ces mesures , ii fait marcher les projet de passer en Afrique; 310
soldats , enveloppe le peuple , égorge avant l'ère vulgaire. — Les Car-
le sénat, et se délivre encore, après thaginois vainqueurs mettent le siège
ce massacre , des plébéiens les plus ri- devant Syracuse. Agathocle , alors
ches et les audacieux. pressé par des forces de terre et de
Il lève alors des soldats, et ras- mer supérieures aux siennes, mal pré-
semble une armée avec laquelle il fond paré àsoutenir un siège , délaissé par
brusquement sur les villes voisines, tous ses alliés révoltés de sa cruauté,
qui ne s'attendaient point à ces atta- voyant la Sicile entière, à l'exception
ques. D'accord avecAmilcar, il mal- de Syracuse, au pouvoir des Barbares,
traite et persécute même les alliés de conçut un dessein si hardi et si impos-
Carthage, qui envoient des députés sible à prévoir, que, même après
pour se plaindre aux Carthaginois l'exécution et le succès, il paraît en-
moins d'Agathocle que d'Amilcar. «Le core presque incroyable. En effet, tan-
« premier était un usurpateur et un dis qu'on pensait généralement qu'il
« tyran, le second un traître qui, par n'essayerait pas même de résister aux
«un pacte frauduleux, abandonnait Carthaginois, il laisse dans Syracuse
« ses alliés à leur plus cruel ennemi. une garnison suffisante, et passe en
« Pour prix d'un odieux marché, dont Afrique avec l'élite de ses troupes. Au-
« le premier gage avait été le don dace vraiment extraordinaire, d'aller
« de Syracuse, l'éternelle ennemie de attaquer dans leur capitale ceux contre
« Carthage , la rivale qui lui dispu- lesquels il ne peut défendre la sienne ;
« tait la domination de la Sicile , il d'envahir une terre étrangère, lors-
« cédait maintenant les villes de leurs
« alliés. On verrait bientôt les effets qu'il ne peut protéger sa patrie, et d'o-
ser, vaincu, insulter à ses vainqueurs.
« de cette alliance de deux traîtres Il avait calculé que les citoyens de
« retomber sur Carthage et devenir Carthage, amollis par une longue paix,
« aussi funestes à l'Afrique qu'ils l'a- ne pourraient résister à ses vieux sol-
« vaient été à la Sicile. » Ces plaintes dats, habitués à tous les travaux, à
irritèrent le sénat contre Amilcar; tous les périls de la guerre; que les
mais, comme la force était dans ses Africains, fatigués depuis longtemps
mains, la délibération fut secrète, et du joug oppresseur des Carthaginois,
les votes, avant d'être publiés, furent saisiraient avec joie l'occasion de s'en
renfermés dans une urne qui devait délivrer; qu'en un mot, par cette di-
rester scellée jusqu'au retour d'un au- version hardie, il arracherait l'ennemi
tre Amilcar, fils de Giscon , alors en du cœur de la Sicile , et transporterait
Sicile. La mort naturelle du général la guerre en Afrique. Le profond se-
accusé rendit inutile l'adroite précau- cret qu'il garda n'est pas moins sur-
tion des sénateurs et la sentence se- prenant que l'entreprise même. Il se
crète par laquelle ils l'avaient condamné borna à déclarer au peuple qu'il avait
sans l'entendre. Ce jugement, dont les trouvé la route de la victoire; qu'il ne
dispositions avaient transpiré, servit leur demandait que le courage de sou-
de prétexte à Agathocle pour déclarer tenir lesiège pendant quelques jours;
la guerre aux Carthaginois. Il livra qu'enfin,
sent des ceux
chosesqu'effrayait
étaient libresl'étatdepré-
se
d'abord,
contre Amilcar, près d'Hymère, une bataille
fils de Giscon : il fut retirer. Seize cents citoyens seulement
vaincu , perdit la plus grande partie de quittèrent la ville ; il fournit aux autres
son armée , et se vit contraint de se l'argent et les vivres nécessaires à sa
renfermer dans Syracuse. Bientôt, il défense, et n'emporta que cinquante
leva une armée plus considérable, et talents (*) pour les besoins présents,
tenta une seconde fois, mais sans plus aimant mieux prendre le surplus à ses
de succès, la fortune des armes. ennemis qu'à ses alliés. Il affranchit
Siège de Syracuse par les Car-
thaginois; Agathocle forme le (*) 275,000 fr.
20 L'UNIVERS.
tous les esclaves en état de porter les cuse, dont l'unique ressource est dé-
armes, reçoit leur serment, les em- sormais de faire souffrir a l'ennemi
barque et les incorpore dans ses trou- ce qu'elle souffre aujourd'hui. « La
pes, persuadéde qu'en confondant ainsi guerre, leur dit-il, ne se fait pas
ces hommes différentes conditions, au dedans comme au dehors : au de-
il établirait entre tous une émulation
de courage. Le reste fut laissé pour la dans, c'est à la patrie seule qu'il faut
emprunter toutes ses ressources ,
défense de la patrie. tandis qu'au dehors on peut vaincre
Agathocle trompe la vigilance
l'ennemi par ses propres forces, et
des Carthaginois, et débarque
en Afrique avec son armée; 309 ses alliés rebelles, qui, las d'une
longue servitude, accueillent avec
avant l'ère vulgaire.— Tout était joie des libérateurs étrangers. D'ail- .
prêt pour le départ; soixante vaisseaux
étaient armés, portant le roi et ses leurs, les villes, les châteaux de l'A-
frique, ne sont ni entourés de rem-
deux fils, Archagâthe et Héraclide; parts, ni construits sur des monta-
mais le port était bloqué par une gnes, mais situés dans la plaine, et
flotte ennemie bien supérieure en nom- ouverts de tous côtés : la crainte de
bre. Tout à coup , un grand convoi de leur destruction entraînera facile-
vaisseaux chargés de blé se dirige vers ment les places dans notre parti.
Syracuse; les Carthaginois lèvent le L'Afrique elle-même va devenir pour
blocus, et courent, avec toutes leurs Cartriage une ennemie plus redouta-
voiles, pour s'en emparer. Agathocle ble que la Sicile. Tout va s'unir con-
saisit l'instant propice, débouche du tre une ville qui n'a guère pour appui
port et gagne la pleine mer : la flotte que son nom , et nous tirerons ainsi
punique alors se retourne vers lui, et de cette terre ennemie les forces qui
abandonne les vaisseaux de charge,
qui entrent dans la ville, désormais à nous manquent. De plus, l'épou-
vante soudaine qu'inspirera tant
l'abri de la disette et de la famine. d'audace contribuera puissamment
Agathocle, au moment d'être atteint à la victoire. L'incendie des villages,
par les Carthaginois, est sauvé, d'a- le pillage des villes et des places qui
bord par la nuit, le lendemain par une oseront se défendre, le siège de Car-
éclipse totale de soleil qui leur dérobe tilage elle-même, montreront aux
sa marche. Enfin, après six jours et ennemis que leur pays n'est pas h
six nuits d'une poursuite continue, il l'abri du fléau de la guerre qu'ils ont
arrive aux côtes d'Afrique presque en jusqu'ici toujours porté chez les au-
même temps que les ennemis, et opère tres. La victoire sur les Carthagi-
son débarquement à la vue de la flotte nois sera la délivrance de la Sicile.
punique, qui arrive pour en être té- Poursuivront-ils le siège de Syra-
moin, mais trop tard pour s'y op- cuse, quand ils verront leur patrie
assiégée? Ainsi la guerre la plus
seauxposer.
à sec Agathocle fait carrières
près des tirer ses' où
vais-il facile vous offre la plus riche proie ;
était abordé (*), et les entoure d'un
retranchement. car la Sicile et l'Afrique entière se-
Agathocle révèle ses projets ront le prix de la conquête de Car-
tilage. La gloire d'une si belle entre-
a ses soldats. — C'est alors que, prise , perpétuée d'âge en âge ,
pour la première fois, Agathocle ré- triomphera du temps et de
vèle àses soldats le dessein qu'il avait On dira de vous que, seuls entrel'oubli.
tous
conçu. Il leur rappelle l'état de Syra- les hommes, vous avez porté chez
l'ennemi une guerre que vous ne
(*) Lapidicinas Aarouia;. Ces carrières pouviez soutenir chez vous; que
dont parle Strabon (liv. xvxi, p. 8H)> sont seuls, après une défaite, vous ayez
situées sur le côté oriental du golfe de Tunis, poursuivi vos vainqueurs et assiégé
au sud du cap P>on, à un endroit appelé ceux qui assiégeaient votre patrie
Louaria , l'ancienne Aquilaria. Entreprenez donc, pleins d'espé-
21

CARÏHAGE.
«rance et de joie, une guerre où la « nous serions arrivés en Afrique.
« victoire vous promet d'immenses «Aidez-moi, soldats, à m'acquitter
« richesses, et la défaite même un glo- « de mon vœu ; les déesses sauront
« rieux tombeau. » « bien nous dédommager de ce sacri-
Agathocle rassure ses soldats « fice. Déjà même les victimes que je
effrayés par l'éclipsé et met le « viens de leur immoler nous promet-
FEU A SES VAISSEAUX. — TOUS les « tent un glorieux succès. » Aussitôt
soldats, enivrés d'espérance, applau- il prend en main la torche sacrée ; il
à discours; cependant, lors- en fait distribuer à chacun des capi-
dirent ce
que la première impression fut calmée, tainesil; met le feu à son propre vais-
le souvenir de l'éclipsé qui avait eu seau; chefs et soldats imitent son
lieu pendant leur voyage , agita de vives exemple , et , en un instant , aux ap-
terreurs leurs âmes superstitieuses. plaudis ements etaux cris de joie de
Agathocle les rassura en leur faisant toute l'armée, la flotte entière n'est
entendre que ces variations dans le plus qu'un vaste monceau de cendres.
cours naturel des astres marquaient Les soldats n'avaient pas eu le temps
de réfléchir. Séduits par la ruse habile
toujours un changement dans l'état
présent ; que l'éclipsé , loin d'être .un d'Agathocle, impétueuse les avait tous entraînés.
une ardeur aveugle et
funeste augure, présageait indubita-
blement lafin de leurs revers et le dé- Mais lorsque leur enthousiasme se fut
clin de la prospérité de Carthage. refroidi, lorsque , mesurant dans leur
Alors, voyant ses soldats bien dis- esprit cette vaste étendue de mer qui
Eosés, il exécuta une entreprise aussi les séparait de leur patrie , ils se virent
ardie et plus périlleuse peut-être que en pays ennemi sans aucun moyen
sa diversion même en Afrique; ce fut d'en sortir, une noire tristesse et un
de brûler entièrement la flotte qui l'y morne les cœurs. désespoir s'emparèrent de tous
avait amené. Plusieurs motifs puis-
sants le déterminèrent à prendre un Agathocle , sans laisser à ce décou-
parti si extrême. Il n'avait pas de port hâte de conduire ragement letemps de se propager, se
en Afrique où il pût mettre ses vais- son armée vers une
seaux en sûreté. Les Carthaginois, maî- ville du domaine de Carthage, appelée
tres de la mer, s'empareraient facile- Mégalopolis. Le pays qu'ils eurent à
ment de sa flotte, si elle n'était défendue traverser était orné de jardins , de vi-
que par une faible garnison; s'il laissait gnes, d'oliviers et de plantations de
assez de troupes pour la protéger, il toutes les espèces d'arbres fruitiers,
affaiblissait trop son armée active; entrecoupé de ruisseaux et de canaux
enfin, par la destruction de ses vais- d'eau vive qui arrosaient abondamment
seaux, ilenlevait à ses soldats tout toutes les cultures. On trouvait à cha-
espoir de retraite , et les mettait dans que pas des maisons de campagne,
la nécessité de vaincre en ne leur lais- bâties avec une recherche et une ma-
sant d'autre ressource que la victoire. gnificence quiattestaient l'opulence de
Après avoir fait approuver son projet leurs propriétaires. Les champs étaient
par tous ses officiers qui lui étaient dé- couverts d'immenses troupeaux de
voués, Agathocle offre un sacrifice à bœufs et de brebis, et les prairies
Cérès et à Proserpine, et convoque nourrissaient un grand nombre de su-
l'assemblée des soldats. Alors, vêtu perbes cavales. En un mot , cette belle
d'habits de fête, le front ceint d'une contrée , où les plus nobles et les plus
couronne : « Lorsque nous partîmes riches Carthaginois avaient choisi leur
« de Syracuse , dit - il , au moment demeure, offrait partout des preuves
« d'être atteints par l'ennemi , j'invo- de leur goût pour la vie champêtre,
« quai Proserpine et Cérès, divinités de leur amour pour les arts, et de
« protectrices de la Sicile, et je leur leur habileté dans l'agriculture. L'as-
« promis, si elles nous sauvaient dans pect de ce beau pays ranime le courage
« ce péril extrême , de brûler en leur abattu des soldats, et les entraîne à
« honneur tous nos vaisseaux , dès que . braver tous les périls pour s'emparer
22 L'UNIVERS.

d'une si riche proie. Agathocle profite Il se trompa néanmoins dans ses pré-
de leur ardeur et les mène à l'attaque visions. Bomilcar depuis longtemps
de Mégalopolis qui , assaillie à i'impro- aspirait à la tyrannie. Jusqu'alors il
viste, et n'ayant pour défenseurs que n'avait ni trouvé l'occasion favorable,
des habitants sans expérience dans la ni obtenu le pouvoir nécessaire pour
arriver à son but. Revêtu alors du
guerre, thocleest emportée led'assaut.
en abandonne Aga-
pillage à» ses commandement de l'armée, il jugea
soldats. L'abondance règne dans le l'instant propice à ses desseins et en
camp; la confiance augmente, et aussi- résolut l'exécution.
tôt ils s'emparent d'-une ville que Dio- Bientôt les deux généraux carthagi-
dore appelle Leuco-Tunès (*'), et qu'il nois marchèrent à l'ennemi , et l'ayant
place à deux mille stades de Carthage. atteint, rangèrent leur armée en ba-
défaite d'hannon et de bomil- taille. Les troupes d'Agathocle ne mon-
car par Agathocle; 309 avant taient qu'à treize ou quatorze mille
l'ère vulgaire. — Cependant les hommes, dont plusieurs même n'a-
Carthaginois, instruits par les habi- vaient pas d'armes défensives. Aga-
tants des campagnes du débarquement thocle leur en fabriqua avec les cou-
vertures en cuir des boucliers de ses
d' Agathocle en Afrique, conçurent de
grandes alarmes. Us crurent, d'abord hoplites. Il s'aperçut ensuite que ses
que leur armée et leur flotte de Sicile soldats étaient effrayés de la supério-
avaient été entièrement anéanties. Com- rité du nombre de l'ennemi, et surtout
ment concevoir, en effet, qu'Agatho- de sa cavalerie. L'habile politique em-
cle, à moins d'être vainqueur, eût osé ploie aussitôt un pieux stratagème
laisser Syracuse sans défense , et qu'il pour relever leur courage. Il s'était
se fût hasardé à traverser la mer, si procuré un certain nombre de chouet-
les vaisseaux carthaginois en eussent tes privées. Il fait lâcher à la fois dans
encore été les maîtres ? Le trouble et plusieurs parties de son camp ces
la terreur se répandent dans la ville; oiseaux consacrés à Minerve, qui, se
le peuple court en désordre au forum. posant sur les drapeaux et sur les
Le sénat s'assemble à la hâte et tu- boucliers des soldats, semblent leur
multuairement. On délibère sur les promettre au nom de la déesse une
moyens de sauver la république. On victoire assurée.
n'avait pas sous la main de troupes ré- La batailledess'engage
la cavalerie : les chariots
Carthaginois viennentet
gulières qu'on pût opposer à l'ennemi, se briser contre les rangs serrés de
et l'imminence du danger ne permet-
tait pas d'attendre celles qu'on pourrait l'infanterie sicilienne. Hannon, à la
lever dans les campagnes et chez les tête de la cohorte sacrée, soutient
alliés. Les uns voulaient qu'on deman- longtemps l'effort des Grecs, et les en-
dât lapaix à Agathocle , les autres qu'on fonce même quelquefois; mais bien-
attendît des informations plus précises. tôt iltombe mort aux premiers rangs,
L'arrivée du commandant de la flotte fit accablé d'une grêle de traits et percé
connaître le véritable état des choses. d'innombrables blessures. La mort de
Il fut résolu enfin d'armer les citoyens. leur chef intimide les Carthaginois et
Le nombre des troupes monta à "qua- redouble la confiance des soldats d'A-
gathocle. Bomilcar, dont les forces
chevauxrante mille
et hommes d'infanterie,
deux mille mille
chariots armés étaient encore entières , aurait pu ré-
en guerre. On nomma pour généraux tablir lecombat; mais cet ambitieux
de cette armée Hannon et Bomilcar conspirateur, jugeant que la victoire
qui étaient divisés par des inimitiés d'Agathocle et la défaite des Cartha-
héréditaires. Mais le sénat voyait dans ginois étaient pour lui un moyen sûr
la haine mutuelle de ces citoyens puis- d'arriver à la souveraine puissance,
sants une garantie pour la république. se
une retire
hauteuravecvoisine. son corps Cette d'armée sur
lâche déser-
(*) La position de cette ville est inconnue. tion amène une déroute générale. La
23
CARTHAGE.
cohorte sacrée soutient seule pendant sit :ils avouèrent publiquement leur
mauvaise foi et leur sacrilège avarice,
quelque temps lesdeefforts de l'ennemi ;
mais, entourée tous côtés, elle se et pour expier leur faute , ils envoyè-
laisse massacrer presque tout entière rent, à l'Hercule tyrien une grande
sur le corps de son général. Agathocle, somme d'argent et un nombre consi-
après avoir quelque temps poursuivi dérable de riches présents.
les fuyards, revient sur ses pas et Leur superstition barbare imagina
s'empare du camp des Carthaginois. aussi que Saturne, irrité contre eux,
Les historiens varient sur la perte leur envoyait ces revers pour les punir
qu'éprouvèrent les Carthaginois dans d'avoir négligé l'observation exacte des
cette bataille. Les uns la portent à pratiques de son culte. Anciennement
mille hommes seulement, les autres on immolait à Saturne les enfants des
à six mille, ce qui nous paraît plus meilleures maisons de Carthage. Us se
vraisemblable. Après cette victoire, reprochèrent d'avoir usé de fraude et
Agathocle s'empare des villes , fait un de mauvaise foi envers le dieu en of-
immense butin, égorge des milliers frant, àla place des enfants de leur
d'ennemis. Il vient asseoir son camp à noblesse, d'autres enfants de pauvres
Tunis pour que les habitants de Car- ou d'esclaves qu'on achetait dans cette
thage puissent voir du haut de leurs vue. Pour expier cette transgression
murailles la ruine de ce qu'ils ont de sacrilège, ils immolèrent à leur dieu
plus cher, le ravage de leurs campa- sanguinaire deux cents enfants choisis
gnes l'incendie
, de leurs maisons. Mé- dans les plus illustres familles de la
morable exemple des vicissitudes de la ville, et plus de trois cents personnes
fortune, qui, par un retour inattendu, qui se sentaient coupables de cette
élevait les vaincus au niveau des vain- fraude impie s'offrirent elles-mêmes
queurs !En effet , les Carthaginois , en sacrifice pour éteindre par leur sang
après avoir remporté en Sicile sur les la colère de Saturne.
Syracusains une victoire signalée , as- Progrès d'Agathocle en Afri-
siégeaient Syracuse , tandis qu'Agatho- que ;DÉFECTION DES SUJETS ET DES
cle, vainqueur contre son attente dans alliés de Carthage. — Cependant
un combat décisif, entourait les murs la renommée publie dans l'Afrique en-
de Carthage de ses retranchements; tière que l'armée des Carthaginois est
et, chose étonnante, ce général qui, détruite, qu' Agathocle s'est emparé
dans son propre pays , avec ses forces d'un grand nombre de villes et met le
tout entières , n'avait pu résister aux siège devant Carthage. On s'étonne
barbares , maintenant , sur la terre qu'un si puissant empire ait été si
ennemie, avec une faible portion des brusquement attaqué, et par un en-
débris de son armée vaincue, ébranlait nemi déjà vaincu. A la surprise suc-
la puissance de Carthage. cède insensiblement le mépris pour les
Offrandes et sacrifices des Carthaginois , et Agathocle voit bien-
Carthaginois a Hercule et a Sa- tôt passer dans son parti , non-seule-
turne. — Ces revers réveillèrent dans ment les Africains tributaires, mais
Carthage les idées superstitieuses. Elle encore de puissantes cités alliées, en-
attribua ses malheurs à sa négligence traînées par l'amour du changement ;
envers les dieux. C'était une coutume il en reçoit pour prix de sa victoire des
à Carthage, aussi ancienne que la vivres e't de l'argent.
ville même , d'envoyer tous les ans à DÉFAITE D'AMILCAR EN SlCILE ,
Tyr, d'où elle tirait son origine, la ENVIRON 309 AVANT L'ÈRE CHRÉ-
dîme de tous les revenus de la répu- TIENNE. — Dans cette position cri-
blique, et d'en faire une offrande à tique, les Carthaginois dépêchent un
Hercule, le patron et le protecteur des navire en Sicile pour instruire Amil-
deux viiles. Depuis quelque temps les car de l'état des choses en Afrique,
Carthaginois avaient diminué la va- et le presser d'envoyer du secours.
leur des offrandes. Le scrupule les sai- Employant encore dans cette occa-
24 L'UNIVERS.
sion leurs ruses accoutumées , ils font alliance un chef africain , appelé Élyma.
remettre à Amilcar les éperons de Profitant du départ d'Agathocle, les
vaisseaux grecs qu'ils avaient eu soin Carthaginois dirigent toutes leurs for-
de recueillir après l'incendie de la flotte ces contre Tunis , s'emparent du camp
d'Agathocle. Le général carthaginois retranché, approchent de la ville les
prescrit aux envoyés le plus profond machines de guerre, et redoublent l'ac-
silence sur les victoires des Siciliens , tivité de leurs attaques, pour s'en em-
répand le bruit qu'Agathocle a été Agathocle, parer avant le retour du prince sicilien.
complètement battu, que sa flotte est averti de la prise de son
au pouvoir des Carthaginois , et pour camp et du danger qui menace Tunis,
preuve de son assertion , il montre les laisse devant Adrumète la plus grande
éperons des vaisseaux qu'on lui avait partie de son armée, et, ne prenant
expédiés. Cette nouvelle s'accréditait avec bles lui que sa garde et quelques fai-
détachements, il gravit en silence
dans la ville; le grand nombre son-
geait déjà à se rendre et à capituler ; une montagne d'où il pouvait être
le commandant même de la place,
aperçu et par les habitants d' Adru-
Antandros , frère d'Agathocle , qui était mète'etgeaient
par Tunis.les Là Carthaginois quistrata-
assié-
loin d'avoir son courage et son éner- il invente un
gème qui jette à la fois la terreur chez
gie, parlait déjà de traiter avec l'en- tous ses ennemis. Pendant la nuit, il
nemi, lorsqu'un esquif à trente rames
qu'Agathocle avait fait construire à la fait allumer de grands feux qui cou-
hâte arriva dans le port, et parvint, vrent un vaste espace de terrain. Les
non sans peine et sans danger, jus- Carthaginois occupés au siège de Tu-
qu'aux assiégés.misaitLescourir Syracusains, que
la curiosité en foule vers de lanis ,croyant
place avecqu'il unemarchait
nombreuse au secours
armée,
le port, avaient négligé sur quelques s'enfuient dans leurs murs en aban-
points la garde des murailles. Amilcar donnant leurs machines. Les habitants
profite de l'occasion, et des
fait remparts
attaquer U' Adrumète, persuadés que les assié-
Brusquement cette partie geants reçoivent un renfort considéra-
par une troupe d'élite. ble, sont 'frappés de crainte et se ren-
Mais la nouvelle des victoires d'Aga- dent àdiscrétion. D' Adrumète, il se
thocle s'était répandue dans la ville, dirige vers Thapsus, qu'il emporte d'as-
et avait rendu la confiance et le cou- saut et
; après s'être rendu maître , tant
rage àtous les habitants. par la force que par la persuasion , de
ardeur invincible, ils sePleins d'une près
précipitent de deux cents villes, il entreprend
sur les assaillants, et les repoussent une expédition dans l'intérieur de l'A-
après en avoir fait un grand carnage. frique.
Découragé par cet échec, Amilcar A peine s'est-il éloigné de quelques
leva le siège de Syracuse, et envoya journées de marche que les Carthagi-
cinq mille hommes au secours de sa nois lèvent de nouvelles troupes, les
patrie. joignent à celles qu'ils ont reçues de
Conquêtes d'Agathocle dans la Sicile, et mettent, pour la deuxième
eyzacène ; stratacxème de ce fois, le siège devant Tunis. Agathocle,
peince; 309 avant J. C. — Pendant instruit par un courrier de cette atta-
que ces événements se passaient en que imprévue, revient de suite sur ses
Sicile, Agathocle, maître de la cam- pas , place son camp à deux cents stades
pagne, tourna ses armes contre les de l'ennemi, et, pour cacher son arri-
villes maritimes soumises aux Cartha- vée, ildéfend à ses soldats d'allumer
ginois. Il laisse dans son camp re- des feux. Il se met en marche pendant
tranchéTunis
à , une armée suffisante , la nuit; au point du jour, il surprend
marche contre Néapolis, prend la ville les Carthaginois hors de leur camp,
d'assaut , et traite les vaincus avec in- dispersés dans la campagne, et fourra-
dulgence. De là il va mettre le siège geant sans ordre et sans discipline. Il
devant Adrumète, et attire dans son tombe sur eux comme la foudre, en
CARTHAGE. 25

tue deux mille et fait un grand nombre l'ennemi, se troublent, hésitent, et


de prisonniers. Ce nouveau succès ré- finissent par prendre la fuite» Les uns
tablit lasupériorité d' Agathocle , qu'on tombent dans des précipices, les au-
croyait alors inférieur aux Carthagi- tres sont écrasés par leur propre cava-
nois, depuis que ceux-ci avaient reçu lerie;dansd'autres, par une méprise ordi-
des renforts de Sicile et des secours naire ces rencontres nocturnes,
de leurs alliés d'Afrique. se combattent entre eux. Amilcar,
Nouvelle entreprise d'Amilcar avec sa garde, Soutint d'abord coura-
contre Syracuse ; défaite et mort geusement l'effort de l'ennemi; mais
de ce général; 308 avant l'ère bientôt, abandonné par ses soldats,
vulgaire. — Pendant que ces événe- transis de trouble et d'effroi , il est pris
ments se passaient en Afrique , Amil- vivant par les Syracusains.
Ce fut encore un des événements les
car, qui, à la tête d'une flotte et d'une
armée très-nombreuse, avait soumis la plus inattendus que présenta cette
Sicile presque tout entière, résolut de guerre si féconde en changements de
tenter un nouvel effort contre Syra- fortune. Agathocle, le plus- habile gé-
cuse. Ilse porte du côté du temple de néral de son siècle, à la tête d'une
Jupiter olympien , et prend la résolu- puissante armée , avait été vaincu , près
tion de donner brusquement l'assaut à d'Hymère, par les Carthaginois, et y
la ville; car les devins lui avaient pré- avait perdu l'élite de ses troupes; et
dit qu'il y souperait le lendemain. maintenant un petit nombre de Syra-
Les assiégés, devinant l'intention cusains vaincus , restés pour la défense
de l'ennemi , avaient placé sur les hau- de leurs murailles, venaient de dé-
teurs d'Euryèle trois mille fantassins truire la nombreuse armée punique
et quatre cents cavaliers. Les Cartha- qui les assiégeait, et de prendre vivant
ginois ignoraient ces dispositions et Amilcar, le plus illustre des généraux
croyaient surprendre l'ennemi. La nuit de Carthage. Trois mille hommes dé-
était sombre et pluvieuse. Amilcar terminén'ayant
s, pour eux que l'avan-
marchait en avant à la tête de sa garde , tage de leur position et l'imprévu de
suivi de sa cavalerie et de deux corps leur attaque , avaient suffi pour mettre
d'infanterie, composés d'Africains et en déroute une armée de plus de cent
de Grecs auxiliaires. Attirée par l'es- vingt mille combattants.
poir du pillage, une foule immense Les Carthaginois, dispersés de tous
d'esclaves et de valets désarmés , sans côtés, ne se réunirent qu'avec peine,
ordre et sans discipline, s'était mêlée et se virent désormais hors d'état de
dans les rangs. Cette multitude turbu- rien entreprendre.
lente se pressait, s'entassait confusé- Les Syracusains rentrèrent dans la
ment dans les chemins étroits et embar- ville chargés de riches dépouilles.
rassés qui conduisaient aux remparts. Après avoir fait souffrir à Amilcar
Bientôt des rixes , des querelles , suivies toutes sortes de supplices, ils le firent
de cris discordants, s'élèvent parmi périr d'une mort ignominieuse, et en-
ces masses avides de pillage, qui se voyèrent sa tête à Agathocle. Ce gé-
heurtaient pour arriver aux premiers néral s'approcha aussitôt du camp des
rangs. Leur désordre gagne les trou- Africains , et y jeta le sanglant trophée
Î>es régulières, et l'éveil est donné à qu'il venait de recevoir, pour leur ap-
'ennemi. Alors les Syracusains, qui prendre dans quel état étaient leurs
affaires de Sicile.
s'étaient postés sur l'Euryèle, fondent
brusquement sur les Carthaginois, les Sédition dans l'armée d'Aga-
accablent d'une grêle de traits, et, les thocle; défection d'une partie
attaquant de plusieurs côtés à la fois, de ses troupes. — Les Carthaginois
leur coupent la retraite. Les Cartha- étaient consternés. Agathocle, que la
ginois, assaillis à Pimproviste au mi- victoire avait couronné dans toutes ses
lieu des ténèbres , ignorant la configu- entreprises depuis son débarquement,
ration du terrain et les forces de
voyant qu'en Sicile et en Afrique l'en-
26 L'UNIVERS.
nemi ne pouvait plus résister à ses prolonger sa vie ne l'ont fait souscrire
armes, se croyait au bout de ses tra- à une action indigne de sa gloire, et
vaux et se livrait aux plus ambitieuses pour leur en donner la preuve, il tire
espérances, lorsque, du sein de sa son épée et menace de s'en frapper à
propre armée, s'éleva subitement une leurs yeux. On court vers lui ; on s'em-
tempête qui menaça d'engloutir à la presse d'arrêter son bras. Toutes les
fois sa vie et sa fortune. Lyciscus, l'un voix proclament son innocence et l'in-
de ses plus braves lieutenants, au mi- vitent àreprendre les insignes de la
lieu d'un repas où il était échauffé par royauté. Il cède à leurs instances réi-
le vin, avait lancé des traits mordants térées; illeur exprime sa reconnais-
contre Agathocle et contre son fils sance en versant des larmes de joie et
Archagate. Dans son ivresse, il s'était de tendresse ; tous les cœurs sont émus,
même emporté jusqu'à reprocher et les applaudissements unanimes de
dernier une liaison incestueuse avecà ce
sa l'assemblée célèbrent le rétablissement
belle-mère. Archagate, bouillant de complet du pouvoir de leur général et
colère, saisit un javelot, et frappe de leur roi.
Nouvelles défaites des Car-
Lyciscus d'un coup mortel. La mort
dé cet officier fut le signal d'une ré- thaginois PAR AGATHOCLE ; sup-
volte générale. Chefs et soldats se ras- plice DES TRANSFUGES; 308 AVANT
semblent en tumulte autour de la tente l'ère chrétienne. — Cependant Aga-
du prince; tous demandent à grands thocle, quine négligeait aucun moyen
cris qu'on livre le meurtrier à leur d'affaiblir
vengeance. Si Agathocle persiste à vou- envoya des la puissance
députés de Cartha'ge,
à Ophellas, roi de
loir le sauver, il tombera lui-même la Cyrénaïque , pour l'attirer dans son
sous leurs coups. En même temps, ils alliance. Ce prince, qui avait été l'un des
exigent insolemment le payement de lieutenants d'Alexandre (*) , et avait
leur solde arriérée; ils nomment des épousé une descendante du fameux Mil-
généraux pour les commander, s'em- tiade , nourrissait l'espoir ambitieux de
parent de Tunis, et placent des gardes soumettre l'Afrique à sa domination.
sur tous les points des remparts de Agathocle lui fait représenter que Car-
cette ville. A la nouvelle de cette ré- thage mentestde leur
le seul obstacle , que
à l'agrandisse-
puissance le motif de
volteles
, Carthaginois conçoivent l'es-
pérance d'attirer les séditieux dans leur son invasion en Afrique a été , non l'am-
parti. Ils font proposer aux soldats bition de conquérir, mais la nécessité
une pave plus forte, et aux officiers de de se défendre, et qu'après la destruc-
magnifiques présents. Plusieurs de ces tion de l'ennemi commun, il lui aban-
derniers se laissent corrompre, et s'en- donnerait l'Afrique, et se contenterait
gagent passer
à avec leurs troupes dans de régner sur la Sicile entière. Ophel-
le camp africain. las se laisse séduire par ces offres bril-
Dans cette extrémité Agathocle, re- lantes, etvient joindre Agathocle avec
doutant la mort ignominieuse qu'il une armée composée de dix mille
aurait à subir s'il était livré à l'en- hoplites grecs, et d'un pareil nombre de
nemi, trouve dans l'énergie de son troupes irrégulières. Agathocle l'ac-
désespoir le moyen de ramener ses cueille d'abord avec la plus grande
soldats. Il quitte la pourpre, se cou- bienveillance, le comble de caresses»
vre d'humbles vêtements et s'avance lui prodigue des flatteries,
souvent à sa table, et lui fait l'invite
même
au milieu d'eux. Ce changement inat-
tendu les frappe; tous font silence, adopter un de ses fils. Mais ce prince
Agathocle prend alors la parole. Après n'a\ait jamais reculé devant un crime
leur avoir rappelé tous les succès qu'il
doit à leur courage, il leur déclare (*) Ophellas avait d'abord conquis et gou-
qu'il est prêt à mourir si sa mort peut verné la Cyrénaïque au nom de Pfolémée-
être utile à ses compagnons d'armes ; Lagus, et avait fini par se rendre indépen-
dant.
que jamais la crainte ou le désir de
CARTHAGE. 27

utile à ses intérêts et à sa puissance. velle ville, malgré les pierres et les
Par une perfidie sans exemple, il dé- traits qu'on lance sur eux de toutes
les maisons situées sur leur route ;
bauche une partie des troupes d'O- enfin ils occupent sur une éminence
phellas, le fait périr au milieu de son
camp, et s'attache son armée tout une position avantageuse (*); mais
entière par des présents et de magni- tous les citoyens, ayant pris les ar-
fiques promesses. mes ,viennent camper devant les ré-
Conjuration de Bomilcar; sup- voltés.
plice DE CE GÉNÉRAL; 307 AVANT L'affaire se termina par une amnis-
l'ère chrétienne. — Jamais, depuis tie générale que la foi punique rompit
le commencement de la guerre, Car- envers le seul Bomilcar. On le fit périr
tilage ne s'était trouvée dans un si dans les plus cruelles tortures. Justin
grand péril. Aux ennemis étrangers ajoute que Bomilcar fut mis en croix
dont les forces venaient d'être doublées au milieu du forum , afin que le même
par la réunion de l'armée d'Ophellas , lieu où on lui avait conféré les hon-
se joignait un ennemi domestique, non neurs suprêmes devînt le théâtre de
moins dangereux et non moins redou- son supplice et de son ignominie.
table. Bomilcar, qui depuis longtemps Diodore observe , comme une sin-
aspirait à la tyrannie, jugea le mo- gularité remarquable , que les Cartha-
ment favorable pour exécuter son pro- ginois ignorèrent entièrement les pro-
jet. Il éloigna de Carthage sous diffé- jets d'Agathocle contre Ophellas , et
rents prétextes la plus grande partie qu'à son tour Agathocle n'eut aucune
de la noblesse qui aurait été un obstacle connaissance de la conjuration de Bo-
à ses desseins. Bientôt, ayant fait des milcar. S'il en eût été autrement, ou
levées dans le faubourg nommé la bien les Carthaginois se seraient ligués
Nouvelle ville, qui est un peu en de- avec Ophellas pour chasser Agathocle
hors de l'ancienne Carthage , il licen- de l'Afrique , ou bien ce général aurait
cia tous ceux qu'il croyait attachés profité de la guerre civile allumée
au gouvernement. Il rassembla quatre dans les murs de Carthage, pour s'em-
mille mercenaires et cinq cents de ses parer de cette ville.
concitoyens, complices de ses projets, Prise d'Utique et d'Hippozari-
et se lit déférer par eux le pouvoir tus; Agathocle passe en Sicile;
despotique. Il divise sa troupe en cinq 307 avant l'ère vulgaire. — Ce-
corps et entre dans la ville, massa- pendant Agathocle porte ses armes
crant tous ceux qu'il rencontre dans dans les provinces situées à l'occident
les rues. Une terreur incroyable se de Carthage. Il s'empare, après une
répand dans Carthage. Tous fuient, vive résistance, d^Utique et d'Hippo-
persuadés que la ville a été livrée à l'en- zaritus , qui avaient essayé de se sous-
traire àsa domination. Dans le but
nemi, qu'Agathocle a pénétré dans son
enceinte. Mais sitôt que la vérité est de prévenir désormais de pareilles ten-
connue, les jeunes citoyens courent tativesil
, inflige à ces deux cités un
aux armes, forment leurs rangs et châtiment exemplaire : il en abandonne
marchent contre le tyran. Celui-ci, le piilage à ses soldats , et fait passer
après avoir tué tous ceux qu'il ren- au
leursfil habitants.
de l'épée la plus grande partie de
contre sur sa route, pénètre dans le
forum. Alors les Carthaginois, ayant Après cette sanglante exécution, il
soumit à son pouvoir laplus grande par-
occupé
bordent cette les maisons très - hautes"
place publique qui
, font pleu- tie des villes maritimes et les peuples de
voir une grêle de traits sur les conju- l'intérieur, excepté les Numides, dont les
rés qui, dans cette position, se trou-
vaient àdécouvert de tous les côtés.
(*) Cette position est probablement le
Ceux-ci , trop maltraités , serrent leurs Djebd-khawi près du cap Qamart. Voyez
rangs, et, à travers les rues étroites, la Topographie de Carthage, par M. Du-
se frayent un passage jusqu'à la Nou- reau de la Malle, p. 73 et planche II.
28 L'UNIVERS.
uns entrèrent dans son alliance , les au- provinces de l'intérieur. Hannon, qui
tres restèrent neutres en attendant l'is- lui était opposé , lui dressa une em-
sue de la guerre. C'est alors que, se buscadeoù
, le général syracusain périt
voyant supérieur aux Carthaginois, tant avec quatre mille fantassins , et deux
cents cavaliers.
par ses propres
due de ses forceset ,que,
alliances que jugeant
par l'éten-
sa Imilcon, chargé des opérations de
domination solidement établie en Afri- la guerre sur les frontières méridiona-
que il
, se résolut à passer en Sicile , où les, s'était emparé d'une place forte
le mauvais état des affaires semblait sur la route que devait tenir Euma-
exiger sa présence. Il n'emmena que chus. Celui-ci ayant présenté la ba-
deux mille soldats , et laissa le com- tail e, lerusé Carthaginois laissa dans
mandement dureste de l'armée à son la ville une partie de son armée avec
fils Archagate. l'ordre de fondre sur l'ennemi au
État des affaires en Afrique moment où il feindrait lui-même de
sous le commandement d'archa- prendre la fuite. Au même instant, il
sort de la ville avec la moitié de ses
GATE , 306 AVANT L'ÈRE CHRÉTIENNE.
— La fortune sembla d'abord favoriser troupes, s'avance sous les retranche-
les armes du nouveau général. Il fit, ments de l'ennemi, engage le combat,
par ses lieutenants, quelques expédi- et s'enfuit aussitôt comme frappé d'une
tions heureuses dans la partie méri- terreur soudaine. Les soldats d'Eu-
dionale del'Afrique, et subjugua même, machus , croyant la victoire décidée ,
dit Diodore , quelques tribus de peu- rompent leurs rangs et s'abandonnent
ples nègres. en désordre à la poursuite des fuyards.
i Cependant le sénat de Carthage, se Tout à coup, la portion de l'armée
relevant de l'abattement où l'avaient carthaginoise qui était restée dans la
jeté les succès d'Agathocle, résolut ville, tombe sur eux, rangée en bon
de tenter un dernier effort, et mit sur ordre et poussant de grands cris : les
pied Grecs, surpris par cette attaque im-
chacuntrois
de dixcorpsmille d'armée,
hommes ,composés
qui, sous prévue, s'arrêtent, frappés de terreur,
le commandement d'Adherbal, d'Han- et s'enfuient presque sans résistance.
non et d'Imilcon , devaient agir, Vun Mais l'ennemi leur avait coupé la re-
sur les côtes de la mer , l'autre dans traite du côté de leur camp ; Euma-
les provinces de l'intérieur , le troi- chus fut contraint de se réfugier avec
sième sur les frontières méridionales. ses soldats sur une éminence voisine,
Ils espéraient, par ce plan de campa- position assez forte, mais entièrement
gne, contraindre dépourvue d'eau : les Carthaginois les
ses forces, délivrerl'ennemi à diviser
la ville du blocus y poursuivent, entourent la colline
qui gênait l'importation des vivres, d'un retranchement, et l'armée grec-
et enfin , raffermir la fidélité chance- que périt tout entière, soit par la soif,
lante de leurs alliés, qui, voyant de
nouveau les armées puniques en cam- mille par
soit huitle fer centsde hommes
l'ennemi. dont
De huit
elle
pagne ,pourraient compter sur un se- était composée, il ne se sauva, dit Dio-
cours efficace. dore, que trente fantassins et quarante
Ce plan , bien conçu , obtint le ré- cavaliers.
sultat qu'on en avait espéré. Plusieurs Archagate, consterné par ces revers
des alliés de Carthage, que la crainte inattendus, se retire à Tunis, réunit
seule avait forcés de se réunir aux autour de lui tout ce qui lui restait de
Grecs , s'en détachèrent et renouèrent troupes, et envoya en Sicile porter à
avec la république leurs anciennes liai- son père la nouvelle de ces désastres ,
sons d'amitié. D'un autre côté , Archa- et le supplier de venir aussitôt à son
gate, voyant les troupes carthaginoi- secours. Déjà il était abandonné de
ses répandues dans toute l'Afrique, presque tous ses alliés; il était bloqué
partagea lui-même son armée en trois dans Tunis par les trois généraux car-
corps. Eschrion, à la tête d'une de ces thaginois, et,la mer étant au pouvoir
divisions , était chargé de défendre les de l'ennemi , son armée abattue et dé-
CARTHAGE. 29

couragée était en proie à toutes les ginois, dans la poursuite, eurent soin
horreurs de la disette. d'épargner les Africains auxiliaires
Agathocle repasse en Afrique qu'ils espéraient engager à la défec-
pour secourir son fils archaga- tion ils
; s'acharnèrent à massacrer les
the. — Agathocle, après avoir obtenu Siciliens et les mercenaires, dont trois
d'abord quelques succès en Sicile, avait mille environ restèrent sur la place.
Incendie du camp des Cartha-
vu la plusà sa
soustraire grande partie Néanmoins
domination. de l'île se ginois; TERREUR PANIQUE DANS LES
les nouvelles qu'il reçut d'Afrique lui deux armées. — Pendant la nuit qui
parurent si désastreuses, qu'il résolut suivit la bataille, un événement inat-
de tendu porta la terreur et le désordre
allers'embarquer
au secours sur-le-champ de son armée.pourIl dans les deux armées. Tandis que les
trompe, par un nouveau stratagème, Carthaginois, en réjouissance de leur
la vigilance des Carthaginois qui blo- victoire, immolaient aux dieux l'élite
quaient leport de Syracuse, en sort de leurs laprisonniers, le feu deFavorisé
l'autel
avec dix-sept galères, met en fuite la embrasa tente du sacrifice.
flotte supérieure en nombre qui le par un vent
poursuivait , et débarque en Afrique. consuma en un impétueux, l'incendie
instant le camp tout
Là, retrouvant ses soldats épuisés par entier, qui n'était qu'un assemblage de
la disette et abattus par le désespoir, cabanes grossièrement formées de
il relève leur courage par ses exhorta- paille et de roseaux. Les rapides pro-
tions, leur démontre qu'une victoire grès du feu rendent tout secours inu-
décisive peut seule les sauver, et les tile. Les uns, surpris par les flammes
mène contre l'ennemi. Il lui restait dans les rues étroites du camp où ils
encore en infanterie six mille hommes s'étaient entassés, y trouvent le même
de troupes grecques, un pareil nombre supplice que leur impiété barbare vient
de mercenaires étrusques, celtes et d'infliger à leurs prisonniers ; les au-
samnites, et dix mille Africains, sur tres ,qui , en tumulte et en désordre ,
la fidélité desquels il ne pouvait pas s'étaient jetés hors des retranche-
entièrement compter. Il avait encore ments ,y trouvent une nouvelle cause
quinze cents hommes de cavalerie grec- de trouble et d'épouvante. Cinq mille
que, et six mille chars de guerre mon- Africains de l'armée d'Agathocle dé-
tés par des Africains. Les généraux sertaient en ce moment ses drapeaux,
carthaginois, quoiqu'ils eussent l'a- et se rendaient au camp des Carthagi-
vantage du nombre et de la position, nois. Ceux-ci, les ayant aperçus de
ne voulaient pas s'exposer aux hasards loin,
d'une bataille contre un ennemi au vient supposent
tout entière que les
l'armée des'Grecs
attaquer. Une
désespoir ; persuadés qu'en traînant la terreur incroyable se répand dans l'ar-
guerre en longueur, et en continuant mée; tous prennent la fuite : les uns,
a lui couper les vivres, ils le force- aveuglés par la crainte, se jettent dans
raient se
à rendre. Agathocle, ne pou- des précipices ; les autres
vant attirer l'ennemi dans la plaine, curité de la nuit, croyant, dans l'obs-
combattre
prend le parti d'attaquer les hauteurs l'ennemi, tournent leurs armes contre
sur lesquelles étaient retranchés les leurs camarades, et s'égorgent entre
Carthaginois. La détresse où il se eux. Cinq mille hommes périrent dans
trouvait justifiait à ses yeux la témé- ce tumulte; le reste s'enfuit précipi-
rité de l'entreprise. L'armée punique tamment vers Carthage, dont les ha-
sort de son camp rangée en bataille; bitants, trompés par cette fuite désor-
Agathocle , malgré tous les désavanta- donnée, crurent que leur armée avait
ges de sa position, résiste longtemps été complètement défaite.
aux efforts des Carthaginois. Enfin, Cependant, les déserteurs africains,
les mercenaires et les Africains ayant à l'aspect de l'incendie du camp des
été enfoncés, il est contraint de se
retirer dans son camp. Les Cartha- Carthaginois et du désordre qu'y avait
jeté leur approche, n'avaient osé pour-
30 L'UNIVERS.
suivre leur marche, et étaient retour- l'espoir d'être secourus par Agatho-
nés sur leurs pas. A leur retour, la cle , ne voulurent point souscrire à
même terreur panique qui venait d'ê- cette capitulation. Les Carthaginois
tre si fatale aux troupes carthagi- mirent le siège devant ces villes, et,
noises, se répandit tout à coup dans après s'en être emparés , ils mirent en
le camp d'Agathocle. Les Grecs s'ima- croix les chefs, réduisirent en escla-
ginèrent venait
aussi que l'armée ennemiele vage les soldats , et forcèrent à faire
tout entière les attaquer; refleurir la culture dans leurs campa-
tumulte et l'épouvante causés par cette gnes, ces mêmes mains qui y avaient
erreur produisirent sur eux les mêmes porté le ravage et la désolation.
effets, et coûtèrent la vie à quatre Telle fut la fin de cette guerre mé-
mille hommes.
morable, qui avait duré quatre an-
Agathocle abandonne son ar- nées et qui avait ébranlé dans ses fon-
mée ET REPASSE EN SlCILE ; FIN dements lapuissance de Carthage.
DE LA GUERRE; 306 AVANT L'ÈRE L'année suivante, un traité conclu
vulgaire. — Après ce nouveau dé- entre Agathocle et les Carthaginois
sastre, Agathocle, se voyant aban- rétablit les possessions des deux partis
donné par tous ses alliés, et trop faible en Sicile dans le même état où elles
désormais pour lutter avec les Cartha- étaient avant la guerre. La république
ginois, résolut d'abandonner l'Afri- consentit à payer pour ce traité au
que. Il manquait de vaisseaux pour prince syracusain trois cents talents
et deux cent mille médimnes de blé.
transporter
mer était au ses troupes;
pouvoir d'ailleurs,Cesla
des ennemis. Mort d'Agathocle
expédition ; nouvelle
des carthaginois en
deux motifs le décidèrent à s'embar-
quer seul sur un vaisseau léger, lais- Sicile, de 305 a 278 avant l'ère
sant ses deux fils et son armée exposés vulgaire. — Les vingt-cinq années
à toutes les chances de la guerre. A la qui suivirent le dernier traité avec
nouvelle de son départ, les soldats /Agathocle furent probablement pour
épouvantés, et se croyant déjà dans Carthage une période de calme et de
les mains d'un ennemi implacable, s'é- bonheur. Le silence de l'histoire est
criaient que, pour la seconde fois, leur presque une preuve de la tranquillité
roi les abandonnait au milieu des enne- uniforme dont jouit alors cette répu-
blique. Les époques stériles pour les
mis; que celui qui leur devait jusqu'à historiens sont généralement heureuses
la sépulture renonçait même à dé-
fendre leur vie. Ils veulent poursuivre pour les peuples.
leur roi, mais, arrêtés par les Numi- Agathocle était mort en* 289 avant
des de l'armée carthaginoise, ils sont J. C. , après un règne de vingt-huit
forcés de rentrer dans ieur camp. ans, dans la soixante-douzième, et
Alors, dans leur désespoir, ils égor- suivant quelques historiens, dans la
gent les fils d'Agathocle, et traitent quatre-vingt-quinzième année de son
avec les Carthaginois. Les conditions âge. La démocratie s'était rétablie dans
de cet accommodement furent que les Syracuse ; les dissensions intestines
Grecs, moyennant trois cents ta- qui , pendant neuf ans entiers , déchi-
lents (*), livreraient aux Carthaginois rèrent cette malheureuse ville, réveil-
toutes les villes dont ils étaient en lèrent chez les Carthaginois l'espoir
possession; que ceux qui voudraient de s'en emparer. Ils vinrent l'assiéger
servir dans les armées puniques y re- par terre et par mer, avec cent vais-
cevraient lapaye ordinaire des trou- seaux de guerre et cinquante mille
hommes de troupes de débarquement.
pes ,etportésque les' autres seraient
àSulonte, en Sicile, où on leur trans- Troisième traité des Romains
donnerait les moyens de s'établir. Les Sicile contre Pyrrhus; guerre
et des Carthaginois; en
278 avant
commandants de quelques places, dans
l'ère vulgaire. — Deux ans aupa-
(*) i,65o,ooo francs. ravant, les Carthaginois et les Ko-
CARTHAGÉ. SI

mains, alarmés de l'ambition de Pyr- gociation fut rompue. Dès lors Pyr-
rhus, roi d'Épire, qui menaçait à la rhus résolut d'employer tous les moyens
fois la Sicile et l'Italie, avaient renou- pour s'emparer de Lilybée; mais les
velé leurs anciens traités, en y ajou- Carthaginois, étant maîtres de la mer,
tant la clause d'une alliance offensive avaient fait entrer des vivres et une
et défensive contre ce prince. Leur nombreuse garnison dans cette ville,
prévoyance n'avait pas été vaine : Pyr- qui, située sur un promontoire es-
rhus tourna ses armes contre l'Italie, carpé, de toute part environnée par
et y remporta plusieurs victoires. Les les eaux, ne se joignait à la terre ferme
Carthaginois , en conséquence du der- que par un isthme fort étroit. Us
nier traité, se crurent obligés de se- avaient en outre fortifié avec le plus
courir les Romains, et leur envoyè- grand soin cette partie, qui était la
rent une flotte de cent vingt vaisseaux, seule accessible. Pyrrhus employa vai-
commandés par Magon. Le sénat ro- nement toutes les machines , tous les
main témoigna sa reconnaissance de procédés usités pour l'attaque des pla-
l'empressement de ses alliés, mais ces. Après deux mois de tentatives
inutiles, il fut obligé de lever le siège.
n'accepta pas leurs secours. Ce premier revers fut pour Pyrrhus
Magon, quelques jours après, alla
trouver Pyrrhus, sous prétexte de mé- le présage de revers plus funestes. Il
avait besoin de rameurs et de soldats
prince et nager un"
lesaccommodement
Romains, mais, entre ce
en effet, pour i'exécution de ses projets ambi-
pour le sonder, et pour pressentir ses tieux :la dureté avec laquelle il. en
desseins au sujet de la Sicile, qui, de- exigea des villes de Sicile excita con-
tre lui un mécontentement universel.
cours. puis longtemps , l'appelait à son se- Les Carthaginois, prompts à saisir une
En effet, les Syracusains, vivement occasion si favorable de recouvrer
pressés par les Carthaginois, avaient leurs anciennes possessions, envoyè-
envoyé députés sur députés à Pyrrhus, rent en Sicile une nouvelle armée, qui
se grossit de jour en jour par le con-
pour'le
Ce prince, supplier
ayant deépousé
venir Lanassa,
les délivrer.
fille cours des mécontents. Alors Pyrrhus,
d'Agathocle, regardait en quelque sorte sous prétexte de défendre les villes
la Sicile comme un héritage qui lui contre les troupes puniques, y mit des
était dévolu. Il partit donc de Tarente, garnisons qui lui étaient dévouées , et
passa le détroit, et aborda en Sicile. fit périr, comme coupables de trahison,
Les peuplades grecques de cette île le les citoyens les plus distingués , dans
reçurent avec une joie extraordinaire, l'espoir qu'il lui serait plus aisé de
et 'lui troupes,
offrirent leur
à l'envi leurset villes, contenir la multitude privée de la pro-
leurs argent leurs tection de ses chefs. Ces actes de
vaisseaux. Pyrrhus avait amené avec cruauté décidèrent sa ruine. Dès lors,
lui trente mille fantassins, deux mille il se vit abandonné par le petit nombre
cinq cents cavaliers, et deux cents de villes qui jusque-là lui étaient res-
vaisseaux de guerre. Ses conquêtes tées fidèles ; la Sicile repassa sous la
domination de ses anciens maîtres,
furent d'abord si rapides, qu'il ne resta et il perdit cette belle et riche contrée
dans toute la Sicile aux Carthaginois
que la seule ville de Lilybée, dont il avec autant de rapidité qu'il l'avait
s'apprêtait à faire le siège. Alors les conquise. Plutarque rapporte que lors-
Carthaginois entrèrent en négociation qu'il se fut embarqué pour retourner
avec lui : ils consentaient même à ache- à Tarente, il s'écria, les :yeux
vers les côtes de Sicile « O tournés
le beau
ter la paix au prix d'une flotte et d'une
somme d'argent considérable qu'ils « champ de bataille que nous laissons
livreraient entre ses mains. Pyrrhus « aux Carthaginois et aux Romains ! »
exigeait qu'ils abandonnassent Cette prédiction fut pleinement justi-
tout entière. Cette condition lasemblaSicile fiée par les guerres acharnées que se
trop dure aux Carthaginois, et la né- tirent ces deux peuples, et par les
32 L'UNIVERS.
PREMIERE GUERRE PUNIQUE.
sanglantes
tour à tour. défaites qu'ils essuyèrent
HlÉRON , ÉLEVÉ A LA ROYAUTÉ A
Ici les événements s'agrandissent,
Syracuse, continue la guerre con- et l'histoire prend un caractère plus
tre les Carthaginois , 275 a 268 imposant. Les deux plus puissantes
avant l'ère vulgaire. — Après le républiques du monde, alliées depuis
départ de Pyrrhus, la magistrature su- plus de deux siècles et dont jusqu'alors
prême de Syracuse fut remise aux aucun différend n'avait troublé la
mains d'Hiéron. Gagnées par l'attrait bonne querintelligence, vont forces,
s'entrecho-
de ses vertus, toutes les villes lui dé- avec toutes leurs avec
cernèrent d'un commun accord le com- un acharnement sans exemple. Car-
mandement des troupes contre les thage avait pour marine elle d'immenses ri-
Carthaginois. Fils d'Hiéroclès, homme chesses , une formidable,
une cavalerie auxiliaire excellente ;
d'une naissance distinguée, qui des-
cendait de Gélon, ancien tyran de la Rome, l'union et la force de son gou-
Sicile, son origine maternelle était vernement, l'austérité de ses vertus
obscure et honteuse. Il devait le jour antiques, le courage et la discipline de
à une esclave , et son père le fit expo- ses armées nationales, exercées par
deux cents ans de victoires contre les
ser comme l'opprobre de sa maison.
Bientôt, sur la foi de brillants pré- peuplades
sages, qui annonçaient la grandeur fu- on ne vit guerrières
aux prises dedesl'Italie.
nationsJamais
plus
ture de cet enfant, Hiéroclès le prit belliqueuses, et jamais ces mêmes na-
avec lui et s'appliqua à le rendre digne tions ne déployèrent plus de force et
des destins qui l'attendaient. A peine d'énergie. En effet , ce n'était pas seu-
sorti de l'adolescence, il se distingua lement une médiocre province, c'était
dans plusieurs actions, et reçut de l'empire du monde que ces deux
Pyrrhus plusieurs récompenses" mili- peuplestroiterivaux
arène de sela disputaient
Sicile. dans l'é-
taires. Doué d'une rare beauté, d'une Causes de la première guerre
force plus qu'ordinaire, plein de grâce
dans ses paroles, de justice dans sa PUNIQUE , 268 AVANT J. C — Déjà
conduite, de modération dans le pou- quelques signes de refroidissement
voir, ilse vit déférer d'un consente- s'étaient manifestés entre les Romains
ment unanime le nom et l'autorité de et les Carthaginois pendant la guerre
roi. Il fut chargé de la guerre contre de Pyrrhus et le siège de Tarente :
les Carthaginois, et remporta sur eux mais ce furent les dissensions de Mes-
de grands avantages. Mais bientôt des sine qui amenèrent entre les deux
intérêts communs unirent les Cartha- peuples une rupture déclarée. Sous le
ginois et les Syracusains contre un règne d'Agathocle, tyran de Sicile,
nouvel ennemi, qui menaçait la Sicile, quelques aventuriers campaniens qui
et qui leur donnait aux uns et aux au- étaient à la solde de ce prince s'é-
tres de vives et justes alarmes. Il était taient ouvert par la perfidie
aisé de prévoir que les Romains, qui de la ville de Messine , avaient l'entrée
égorgé
avaient conquis toute l'Italie jusqu'au une partie des habitants, chassé les
détroit de Sicile, ne s'arrêteraient pas autres, épousé leurs femmes, envahi
devant cette faible barrière , et qu'ils leurs biens, et étaient demeurés seuls
porteraient bientôt leurs armes victo- maîtres de cette place importante. Ils
rieuses dans cette île riche et féconde,
avaient pris le nom de Mamertins (*).
qui leur semblait en quelque sorte une A leur exemple, et par leur secours,
annexe de l'Italie. Il ne leur manquait une légion romaine, composée de sol-
pour s'en emparer, dats campaniens, et commandée par
une occasion favorablequ'un
: elle prétexte ou
se présenta Décius Jubellus, citoyen de Capoue, ,
bientôt , et fut cause de la première
guerre punique. (*) Ce nom venait du mot Mamers , qui ,
dans la langue campanienne, signifiait Mars.
CARTHAGE. 33
avait traité de même la ville de Rhége, flotte carthaginoise, et arrive à Mes-
située vis-à-vis de Messine, de l'autre sine. Là, par son éloquence et de bril-
côté du détroit. Les Mamertins, sou- lantes promesses, il détermine les ha-
tenus par ces dignes alliés, accrurent bitants àréunir leurs efforts pour
recouvrer leur liberté. Les Mamertins
rapidement leur' puissance, et devin- emploient tour à tour les menaces, la
rent un sujet de crainte et d'inquié-
tude pour les Carthaginois et les Sy- ruse, la force, et parviennent à chas-
racusains, qui se partageaient l'empire ser de la citadelle l'officier qui y com-
de la Sicile. Mais sitôt que les Ro- mandait au nom des Carthaginois.
mains, délivrés de la guerre contre Ceux-ci font mettre en croix le com-
Pyrrhus, eurent tiré vengeance de la mandant dont la lâcheté ou l'impéritie
perfide légion qui s'était emparée de avait causé la perte de Messine, et
assiègent cette ville par terre et par
Rhége, et' rendu
habitants, la ville à sesdemeurés
les Mamertins, anciens mer. En même temps, Hiéron, jugeant
seuls et sans appui , ne furent plus en l'occasion favorable pour chasser en-
état de résister aux forces de Syra- tièrement lesMamertins de la Sicile,
cuse ,et crurent devoir recourir à une fait alliance avec les Carthaginois, et
protection puissante. Mais la division part de Syracuse pour se joindre à
se mit parmi eux : les uns livrèrent eux.
la citadelle aux Carthaginois, les au- Le consul Appius Claudius qui, pen-
tres envoyèrent à Rome un ambassa- dant cet intervalle, était retourné à
deur pour offrir la possession de leur Rhége, essaye de traverser le détroit
ville au peuple romain, et le presser de avec sa flotte , dans le but de faire
venir à leur secours.
lever le siège de Messine. Ce fut d'a-
L'affaire, mise en délibération dans bord en plein jour qu'il tenta ce pas-
le sénat, fut envisagée sous deux points sage dangereux; mais la supériorité
de vue opposés. D'un côté, il parais- et l'expérience de la flotte carthagi-
sait indigne des vertus romaines de noise,difficile
l'impétuosité des vagueset dans
protéger, en défendant les Mamertins, cette mer et resserrée, une
des brigands semblables à ceux qu'on violente tempête, qui s'éleva tout à
avait punis si sévèrement à Rhége; de coup , furent pour ses matelots peu
exercés des obstacles invincibles. Il
l'autre, il semblait important d'arrêter
les progrès des Carthaginois, qui, perdit quelques vaisseaux, et ne re-
maîtres de Messine, le seraient bien- gagna qu'avec beaucoup de peine le
tôt de Syracuse et de la Sicile entière, port de Rhége, d'où il était sorti.
et qui, ajoutant cette conquête à leurs L'âme ferme et constante du consul
anciennes possessions de Sardaigne et ne se laissa point abattre par ce pre-
d'Afrique, menaçaient de toutes parts mier revers. Persuadé qu'il ne pour-
les côtes de l'Italie. Le sénat n'osa rait passer en Sicile tant que les Car-
prendre aucune décision : il renvoya thaginois occuperaient le détroit , il
l'affaire au peuple , qui , excité par les eut recours à un ingénieux stratagème.
consuls, résolut de secourir les Ma- Il feignit d'abandonner l'entreprise,
mertins.. de retourner à Rome avec sa flotte, et
Passage du détroit de Sicile, fixa publiquement le jour et l'heure
et occupation de messine par
du départ.
donné, les Sur ennemisl'avis qui qui leur en fut
bloquaient
les Romains , 264 avant l'ère
vulgaire. — Aussitôt, le consul Ap- Messine du côté de la mer s'étant
pius Claudius se mit en marche avec retirés comme s'il n'y avait plus rien
son armée , et se rendit à Rhége , où à craindre, le consul, qui avait soi-
il attendit l'occasion favorable de pas- gneusement observé la nature du dé-
ser le détroit de Sicile. Ce général au- troit ,s'empressa
dacieux ose se confier à la mer sur favorable. Aidé dude vent saisiret ledemoment
la ma-
une frêle barque de pêcheur, passe, rée, profitant de l'absence des Cartha-
sans être aperçu , au travers de la ginois et de l'obscurité de la nuit, il
3
3e Livraison. (Carthage.)
34 L'UNIVERS
effectue le passage et aborde à Messine. Alors les Carthaginois, persuadés
L'accomplissement de cette entre- que c'était à leur valeur et non à l'a-
prise immortalisa le nom d'Appius. vantage du terrain qu'ils devaient la
Comme il avait transporté au milieu victoire , sortirent de leurs retranche-
de la nuit, à travers cette mer dange- ments et poursuivirent les Romains.
reuse, la plus grande partie de ses Tout à coup la fortune changea avec
soldats sur des radeaux formés de la position des lieux; il ne resta à cha-
troncs d'arbre et de planches grossiè- cun que son propre courage. Les Car-
rement jointes, on lui donna le surnom thaginois ne purent soutenir le choc
de Caudex, des mots caudices et can- des Romains. Il y en eut un grand
dicariœ naves, par lesquels les Ro- nombre de tués. Les autres se réfu-
gièrent soit dans les villes voisines,
cations. mains désignaient ces sortes d'embar-
soit dans leur camp d'où ils n'osèrent
Appius, plus sortir tant qu'Appius demeura
sine par desse forces v*oyantdepresséterre dans
et de Mes-
mer dans Messine.
supérieures aux siennes, fit offrir la Appius, maître de la campagne, laisse
paix aux Carthaginois et aux Svracu- une forte garnison dans Messine, porte
sains, à condition qu'ils abandonne- le ravage dans le territoire de Syracuse,
raient le siège de cette ville. Ces pro- et met le siège devant cette ville dans
positions furent rejetées. Alors le con- l'espoir de détacher Hiéron de l'alliance
sul, réduit à tenter la fortune des des Carthaginois. La campagne finit
armes, résolut d'attaquer séparément sans qu'il eût pu réussir dans son des-
chacun de ses ennemis. Il fondit d'a- sein ,et il repassa en Italie.
bord sur l'armée d'Hiéron, qui, après Continuation de la guerre ;
une assez vigoureuse résistance, fut traité des Romains avec Hiéron;
vaincue et forcée de se retirer dans 263 avant l'ère vulgaire. — L'an-
son camp. Hiéron, déjà mal disposé née suivante, les Romains, ayant à
envers les Carthaginois, à cause de la cœur de terminer la guerre de Sicile ,
négligence qu'ils avaient mise à garder y envoyèrent les deux nouveaux con-
suls avec quatre légions, et le nombre
le détroit, et , de plus, prévoyant , d'a-
près l'essai qu'il venait de faire des d'auxiliaires qui était attaché à chacun
armes romaines, que l'issue de la de ces corps (*). Avec ces forces impo-
guerre leur serait favorable, s'échappa santes, tantôt unissant leurs troupes,
en silence au milieu de la nuit, et re- tantôt les séparant, les consuls bat-
tourna promptement à Syracuse. tirent en plusieurs occasions les Car-
DÉFAITE DES CARTHAGINOIS DE- thaginois et les Svracusains, et ré-
VANT Messine; les Romains s'a- pandirent partout ïa terreur de leurs
vancent jusqu'à Syracuse. — Le armes. Leurs succès furent si rapides
lendemain, Appius, enhardi par la vic- qu'ils se virent en peu de temps maî-
toire et par la retraite des Syracusains, tres de soixante-sept villes, au nombre
résolut desquelles furent Catane et Taurome-
dans leursd'attaquer les Carthaginois
retranchements. Us étaient nium. Alors Hiéron qui, voyant le dé-
campés dans un lieu que la nature et couragement général des peuples de la
l'art avaient fortifié. D'un côté la mer, Sicile, se déhait de ses forces et de
de l'autre un marais large et profond, celles de ses alliés, envoya des députés
formaient une péninsule qu'ils avaient aux consuls pour traiter de la paix
fermée d'une muraille sur le seul point avec eux. Ceux-ci ne furent pas diffi-
par où elle était accessible. Les Ro- ciles sur les conditions. En détachant
mains tentèrent de forcer cette bar- de l'alliance des Carthaginois Hiéron,
rière mais
; la difficulté des lieux, et la souverain des contrées les plus fécon-
résistance opiniâtre des Carthaginois des de la Sicile , ils se procuraient les
rendirent leurs efforts inutiles. Appius
reconnut bientôt la témérité de son
(*) En tout 32 mille fantassins et 36oo
cavaliers.
entreprise, et ordonna la retraite.
CARTHAGE. 35
ments. En cette occasion comme en
moyens d'approvisionner leur armée , plusieurs autres, les lois rigoureuses
qui ne pouvait que très-difficilement
recevoir des vivres d'Italie , tant que de la discipline militaire sauvèrent
les flottes puniques étaient maîtresses l'armée romaine d'un désastre qui
de la mer. Les clauses du traité furent paraissait inévitable. Ces lois punis-
saient de mort le soldat qui lâchait
qu'on se rendrait de part et d'autre
les prisonniers, qu'Hiéron serait réta- pied dans une bataille ou qui abandon-
bli dans la possession intégrale de son nait son poste. Aussi , quoique infé-
rieurs en nombre aux assaillants , les
royaume, et qu'il payerait cent talents Romains chargés de la défense du
pour les frais de la guerre (*). Annibal,
général des Carthaginois, s'avançait camp soutinrent leur choc avec une
déjà avec sa flotte pour secourir Hié- incroyable fermeté, leur tuèrent plus
ron qu'il croyait assiégé dans Syracuse de monde qu'ils n'en perdirent, et
donnèrent le temps aux cohortes de
f)ar les Romains ; mais lorsqu'il apprit
a conclusion du traité, il jugea pru- s'armer et de venir à leur secours.
dent de retourner sur ses pas. Alors, les Carthaginois, qui s'étaient
ïboisieme année de la ?* guebre vus au moment d'emporter les retran-
punique*, siege et bataille d'a- chements, sont enveloppés de toutes
gbigente; 262 avant l'èbe chbé- parts , taillés en pièces ou mis en dé-
tienne.— Cependant les Carthaginois,
de la routeville.
,et poursuivis
Cet événement jusqu'aux
renditportes
à la
voyant les Romains fortifiés de l'al- fois les Romains plus circonspects,
liance d'Hiéron, jugèrent à propos
d'envoyer en Sicile des forces plus con- et les Carthaginois moins entrepre-
sidérables, tant pour résister à leurs nants.
ennemis que pour conserver leurs an- Ceux-ci n'engageant plus que rare-
ciennes possessions. Ils joignirent à ment de légères escarmouches, les
leurs armées nationales un grand nom- consuls divisèrent leur armée en deux
bre de mercenaires tirés de la Ligurie, corps, dont l'un fut placé devant le
de la Gaule et surtout de l'Espagne. temple d'Esculape, l'autre du côté de
Ils choisirent pour leur place d'armes la ville qui regarde Héraclée. Les deux
Agrigente que sa position naturelle et camps étaient protégés par une double
ses fortifications rendaient presque ligne de retranchements, l'une desti-
imprenable, et y firent entrer des née à empêcher les sorties des assié-
vivres et une nombreuse garnison. gés, l'autre à garantir les derrières du
Les consuls romains, ayant réuni à camp, et àintroduire
intercepter dans
les secours
leurs légions toutes les forces de leurs voudrait la place.qu'on
Des
alliés, viennent camper à mille pas postes fortifiés remplissaient l'espace
d' Agrigente , et forcent intermédiaire entre les deux corps
d'armée.
nois àse renfermer dans les Carthagi-
les murs. Les
moissons étaient alors parvenues à Le blocus durait depuis cinq mois.
leur maturité, et les soldats romains, Les Romains recevaient de leurs alliés
qui prévoyaient *la longueur du siège, de Sicile des vivres en abondance.
s'étaient imprudemment dispersés dans Agrigente au contraire , où cinquante
la campagne pour ramasser des grains. mille hommes se trouvaient entassés ,
Les Carthaginois , profitant de leur né- souffrait déjà toutes les horreurs de la
gligence, fondent à l'improviste sur les disette. Annibal, fils de Giscon, qui
fourrageurs et les mettent aisément en commandait dans la place, envoyait
fuite. De là ils marchent au camp des depuis longtemps à Carthage courriers
Romains, et partagés en deux corps, les sur courriers pour exposer sa détresse,
uns commencent a arracher les palis- et demander des secours en vivres et
sadestandis
, que les autres combattent en soldats. Enfin les Carthaginois firent
les postes qui couvrent les rctranche- passer en Sicile le vieil Hannon avec
cinquante mille hommes d'infanterie ,
(*) 55o,ooo fr. six mille chevaux et soixante éléphants.
3.
36 L'UNIVERS.

A peine ce général était-il débarqué à sollicité par les vives instances d'Anni-
Héraclée avec toutes ses forces qu'on bal qui lui mandait que les assiégés ne
lui livra la ville d'Erbesse , voisine du pouvaient plus résister à la famine et
camp latin, où l'on apportait de tous que plusieurs de ses soldats passaient
les points de la Sicile les vivres desti- à l'ennemi, Hannon résolut de donner
nés à l'approvisionnement de l'armée la bataille sans plus différer, et con-
romaine. Alors les Romains, assié- vint avecAnnibal qu'il ferait en même
geants àla fois et assiégés, se trou- temps une sortie. Les Romains, par
vèrent réduits à la même pénurie qu'ils les pressants motifs que nous avons
faisaient éprouver à la garnison d'A- indiqués , n'étaient pas moins disposés
grigente. La famine fit bientôt de tels à livrer le combat. La bataille s'enga-
progrès qu'ils furent plusieurs fois sur gea dans une plaine située entre les
le point de lever le siège , et ils y au- deux camps. Le succès fut longtemps
raient été forcés si l'adresse et le zèle balancé. Enfin, par un dernier effort, le
d'Hiéron n'eussent réussi à leur faire consul Posthumius enfonce les rangs
passer quelques convois qui soulagèrent des mercenaires qui combattaient en
un peu leur détresse. Hannon , voyant tête de l'armée carthaginoise. Ceux-ci,
les Romains affaiblis par la famine et reculant en désordre sur les éléphants
par les maladies qui en sont la suite or- et sur les troupes de la seconde ligne,
dinaire s'approcha
, portent le trouble et la confusion dans
de leur camp , ré-
solu de livrer une bataille générale. D'a- toute l'armée. Dès lors plus de résis-
bord ileut l'adresse d'attirer dans une tance; presque tous tombent sous le
embuscade leur cavalerie qui éprouva fer; Hannon se sauve à Héraclée avec
une perte considérable. Enhardi par une poignée de soldats. Les Romains
ce premier succès, il porta son camp s'emparent du camp des Carthaginois
sur une colline à quinze cents pas de et de presque tous les éléphants. An-
l'armée romaine. Cependant la bataille nibal ne fut pas plus heureux dans sa
diversion. Il fit une sortie contre le
se donna beaucoup plus tard qu'on ne camp romain , fut repoussé avec une
devait l'attendre de deux armées si
voisines l'une de l'autre, les Romains grande perte, et poursuivi jusqu'aux
et les Carthaginois craignant alterna- portes de la ville.
tivement de confier la décision de la Cependant il sut habilement saisir
le moment favorable pour sauver sa
guerre au hasard d'une seule journée.
Ainsi, tant qu'Hannon témoigna de garnison. Au déclin du jour, il remar-
l'empressement pour en venir aux qua quetrêmelèsconfiance
Romains,
qui suitsoittoujours
par l'ex-la
mains, les consuls se tinrent renfer-
més dans leurs retranchements, ef- victoire, soit à cause des fatigues
frayés dela multitude et de la confiance d'une si rude journée, gardaient leurs
de leurs ennemis, et découragés en lignes avec plus de négligence qu'à l'or-
outre par la défaite récente de leur dinaire. Ilsortit en silence au milieu
cavalerie. Mais quand ils s'aperçurent de la nuit, traversa les fossés des li-
que leurs craintes et leurs délais affai- gnes romaines sur des pontons qu'il
blis aient lezèle et le courage de leurs avait préparés d'avance, et parvint à
alliés, que les Carthaginois en deve- s'échapper avec toutes ses troupes à
naient plus fiers et plus hardis, et que l'insu des ennemis. Les Romains, au
la faim était un ennemi encore plus à point du jour, s'étant aperçus de son
craindre pour eux que les soldats évasion, se contentèrent de harceler
d'Hannon , ils se décidèrent à accepter son arrière-garde et portèrent toutes
la bataille. Alors Hannon , à son tour, leurs forces à l'attaque de la ville.
parut en craindre l'événement et cher- Agrigente, seurs fut
abandonnée de ses défen-
, prise sans résistance et li-
cher les moyens
Deux mois se passèrent dans cette de l'éviter. vrée au pillage ; vingt-cinq mille de ses
alternative de confiance et de crainte habitants furent vendus comme escla-
sans aucun événement décisif. Enfin , ves. La conquête de cette place , dont
GARTHAGE.
37
le siège avait duré sept mois , fut éga- que paisible et tranquille, tandis que
lement utile et glorieuse aux Romains ; l'Italie était infestée par les fréquentes
mais elle leur coûta de grands sacrifi- incursions des flottes puniques, ils
ces. Ils y perdirent plus de trente mille formèrent l'audacieuse et magnanime
hommes , tant de leurs soldats que des résolution de disputer à leurs ennemis
Siciliens leurs alliés. Aussi les consuls, l'empire de la mer. Us n'avaient pas
alors un seul vaisseau de guerre , pas
se voyant
former aucune désormaisentreprise horsimportante
d'état de,
un constructeur habile, pas un rameur
se retirèrent à Messine. expérimenté : une galère carthaginoise
Quatrième année de la guerre à cinq rangs de rames, échouée sur leurs
punique; 261 avant l'ère chré- côtes, leur sert de modèle. Ils se livrent
tienne. — Aucun événement impor- avec une ardeur incroyable à des tra-
tant n'a signalé la quatrième année de vaux, àdes exercices entièrement nou-
la première guerre punique. Les Car- veaux pour eux. Les uns construisent
thaginois, indignés de la perte d'A- les vaisseaux, les autres, imitant sur le
grigente et de la défaite d'Hannon , rivage les mouvements des rameurs ,
destituèrent s'exercent à la manoeuvre. Les con-
nèrent à unece forte généralamende.
et le condam-
Il fut suls animent tout par leur présence et
remplacé en Sicile par un Amilcar, qu'il par leurs exhortations : à peine soixante
ne faut pas confondre avec Amilcar jours s'étaient écoulés , et Rome avait
Barca, père du fameux Annibal. La à l'ancre une flotte de cent vingt ga-
flotte punique, envoyée en Italie pour lères ,qui semblait sortie par miracle
empêcher le passage des consuls, ne tout armée et tout équipée des forêts
put accomplir son dessein ; mais en de l'Italie.
Sicile elle réussit à recouvrer la plu- Le commandement de l'armée de
part des villes maritimes dont les Ro- terre en Sicile était échu à Duilius,
mains s'étaient emparés. Ceux-ci, ce- celui de la flotte à Cornélius. Ce der-
pendant, depuis la prise d'Agrigente nier avait pris les devants avec dix-
qui avait répandu dans toute l'île une sept vaisseaux, le reste de la flotte
consternation générale, s'étaient ren- devait le suivre de près. Arrivé à Mes-
dus maîtres de presque toutes les villes sine, ilse livra avec trop d'imprudence
de l'intérieur, que les Carthaginois à l'espoir qui semblait s'offrir de s'em-
étaient hors d'état de défendre. Ainsi parer de l'île et de la ville de Lipari.
les Romains occupant les villes éloi- Les habitants, de concert avec Annibal,
gnées des côtes aussi facilement que amiral de la flotte carthaginoise, lui
les Carthaginois celles qui étaient si- avaient promis de se rendre. Il part
tuées le long de la mer, et les deux avec ses dix-sept navires; mais à peine
peuples conservant leurs conquêtes, est-il entré dans le port, qu'il y est
il existait entre leurs forces respecti- bloqué par vingt galères que comman-
ves, quoique de nature différente, un dait Boodès, lieutenant d'Annibal.
équilibre qui ne permettait pas de pré- Alors, enveloppé de toutes parts, et
sager quelle serait l'issue ne pouvant résister à deux ennemis à
Cinquième année de delala guerre
guerre.
la fois , il est forcé de se rendre à Boo-
punique construction de la flot- dès qui le conduit en triomphe à Car-
te romaine, prise du consul cor- thage.
NÉLIUS par les Carthaginois ; 260 Invention du corbeau ; bataille
avant J. C. — Cependant les projets navale entre les romains et les
et les espérances des Romains s'agran- Carthaginois. — Peu de jours après,
dissaient avec leurs victoires. La con- le même excès de confiance qui avait
quête de Messine ne suffisait plus à causé la perte de Cornélius devint fu-
leur ambition ; ils méditaient mainte-
nant celle de la Sicile entière. Lassés appris nesteque àl'amiral carthaginois. Il avait
la flotte romaine longeait les
d'un état de choses qui ne décidait côtes de l'Italie pour se rendre' à Mes-
rien , irrités d'ailleurs de veir l'Afri- sine. Plein de mépris pour un ennemi
38 L'UNIVERS.
sans expérience dans la navigation, la prise d'Agrigente, avait fait une re-
et dans les combats maritimes , il traite si hardie, montait une galère
s'avança pour le reconnaître à la tête à sept rangs de rames que les Cartha-
de cinquante galères. Dans sa pré- ginois avaient prise dans leur guerre
somptueuse confiance , il marchait en contre Pyrrhus. Le dernier échec qu'il
désordre et sans précaution, lorsque avait essuyé n'avait pas abattu sa pré-
tout à coup, au détour d'un promon- somptueuse confiance. A l'approche
toire d'Italie, il rencontra la flotte des Romains, il s'avança dédaigneu-
romaine voguant en bon ordre et toute sement contre eux , et , comme s'il ne
prête à combattre. Il fait de vains ef- se fut pas agi de combattre , mais seu-
forts pour réparer son imprudence et lement derecueillir des dépouilles dont
se trouve vaincu avant d'avoir pu même il se croyait déjà maître, il ne prit
disposer sa ligne de bataille. Il perdit pas même la peine de former sa ligne
la plus grande partie de ses vaisseaux de bataille. L'avant-garde des Cartha-
et eut bien de la peine à se sauver avec ginois fut pourtant un peu étonnée de
le peu qui lui en restait. ces machines élevées sur la proue de
La flotte victorieuse ayant appris le chaque vaisseau, et qui étaient nou-
désastre de Cornélius, en donna avis velles pour eux. Mais bientôt se ras-
à Duilius son collègue, qui comman- surant et se moquant même de l'in-
dait les troupes de terre en Sicile, et vention grossière d'un ennemi igno-
lui apprit en même temps son arrivée rant, ils fondent avec impétuosité sur
et l'avantage qu'elle venait de rem- les Romains. Alors les corbeaux, abais-
porter sur l'ennemi. Duilius laissa le sés tout à coup et lancés avec force
commandement de l'arméeaux sur leurs vaisseaux, les accrochent
et se mit à la tête de la flotte.tribuns,
Arrivé malgré eux, et, changeant la forme
à la vue des Carthaginois près des du combat, les obligent à en venir aux
côtes de Mylœ (*), il se prépara au mains, comme si l'on eût été sur terre.
combat. Les uns sont massacrés ; les autres,
Mais s'apercevant aussitôt du dé- frappés
machines deinconnues, stupeur seà rendent
l'aspect prison-
de ces
savantage que ses pesants vaisseaux ,
construits grossièrement et à la bâte, niers. Les trente galères de l'avant-
auraient en combattant ceux des Car- garde , au nombre desquelles était le
thaginois, plus élancés , plus agiles et vaisseau amiral, furent coulées à fond
plus faciles à manier , il suppléa à cet ou prises avec tout leur équipage. An-
inconvénient par une machine qui fut nibal, voyant tout perdu, ne s'échappa
inventée sur-le-champ , et que depuis qu'avec peine dans une chaloupe.
on a appelée Corbeau. Elle se composait Le reste de la flotte des Carthaginois
d'un mât planté sur la proue, auquel voguait avec ardeur pour fondre sur
s'adaptait un pont-îevis, portant à son les Romains. Mais lorsqu'ils virent le
extrémité un cône de fer très-pesant désastrede leuravant-garde, ilss'avan-
et très-aigu, garni de crochets mobi- cèrent avec plus de circonspection, et
les. Cette macnines'abattant avec force cherchèrent a éviter par leurs manœu-
d'une grande hauteur, le cône, par sa vres l'atteinte des redoutables cor-
beaux. Ces habiles marins, se fiant à
forme et par son poids , s'enfonçait
dans le l'agilité de leurs galères et à la promp-
fixait le pont
pont-levis du vaisseau
et donnaitennemi",
ainsi auxy titude de leurs évolutions, espéraient
soldats romains un moyen facile de encore, en attaquant tantôt les flancs,
monter à l'abordage. tantôt la poupe des vaisseaux romains,
La flotte carthaginoise se composait venir à bout de leurs ennemis. Mais
de cent trente vaisseaux. Son comman- comme ils se voyaient environnés de
dant Annibal , le même qui , lors de tous côtés par ces terribles machines,
et comme, pour peu qu'ils s'approchas-
la (*) Meîazzo sur la côte septentrionale de
Sicile. sent, ils ne pouvaient éviter l'abor-
dage, laterreur les saisit, et ils pri-
CARTHAGE

^^- < ^W//^ c-Yc-l-t'e- à cÂ\.,.,.- <■-,! //^.««t-«.,- ,


CARTHAGE.

rent la fuite après avoir perdu cin- sieurs villes rentrèrent sous leur obéis-
sance. Les Romains furent obligés de
quante vaisseaux. C'est ainsi que les
Romains, qui l'emportaient dans les lever le siège de My tistrate après l'avoir
combats de pied ferme par leur cou- continué pendantsept mois et y avoir
rage, l'exercice et la bonté de leurs perdu beaucoup de monde. Quelque
armes, vainquirent aisément des en- temps après, il s'éleva une dissension
nemis moins bien armés, qui comp- dans l'armée romaine entre les légions
taient beaucoup plus sur la légèreté de et les auxiliaires qui prétendaient oc-
leurs vaisseaux que sur leur valeur per- cuper le premier rang dans les batail-
son el e etsur la vigueur de leurs bras. les. Amilcar, qui était alors à Païenne,
Annibal sentait bien ce qu'il avait à ayant été instruit que, par suite de ces
craindre de ses concitoyens après sa divisions, les auxiliaires campaient sé-
défaite. II se hâta d'envoyer un ami à parément entre Parope et Thermes (*) ,
Carthage avant que la nouvelle de son vint fondre tout à coup sur eux et leur
tua plus de quatre mille hommes; peu
désastre
cette rusey pour eût étééviter
portée, et s'avisadont
le supplice de
s'en fallut même
maine ne fut que toute
détruite. l'arméeaprès
Amilcar, ro-
cette république punissait souvent ses
généraux malheureux. Le messager, cette victoire, reprit encore plusieurs
introduit dans la salle des délibérations villes, les unes de force et les autres
du sénat, informe l'assemblée que le parSixième
composition.
année de la première
consul Duilius est arrivé avec une nom-
breuse flotte, et lui demande si elle guerre punique ; expeditions dans
la sardaigne et dans la corse ,
est d'avis qu'Annibal livre la bataille.
Tous s'étant écriés qu'Annibal devait 259 avant l'ère vulgaire. — Après
saisir au plus tôt l'occasion de combat- sa défaite, Annibal reprit la route de
tre. «Eh bien, » reprit l'envoyé, « il Carthage avec ce qui lui restait de
« l'a fait et il a été vaincu. » Par cet vaisseaux. Quelque temps après il
adroit stratagème, Annibal mit les sé- équipa une nouvelle flotte , choisit pour
nateurs dans l'impossibilité de con- commander ses vaisseaux les capitaines
damner une action qu'ils avaient con- les plus expérimentés, et passa dans la
seillée eux-mêmes. Sardaigne. Les Romains lui opposè-
Cettedeur etvictoire signalée des
redoubla l'ar- rent le consul Cornélius Scipio , a qui
la confiance Romains. était échu le commandement de la
Duilius débarqua en Sicile, reprit le flotte. Ce fut là leur première expédi-
commandement de ses légions, fit lever tion contre la Sardaigne et la Corse.
le siège de Ségeste que les Carthaginois Ces deux îles, si voisines qu'on les
avaient réduite à la dernière extrémité, prendrait pour une seule et même île,
et emporta d'assaut Macella, sans qu' A- sont cependant fort différentes pour
milcar, général des troupes carthagi- la nature du terroir et le caractère des
noises osât se présenter devant lui. habitants. La Sardaigne est grande et
Le consul , après avoir, par ses succès, fertile; elle possède de riches trou-
assuré la tranquillité des villes alliées, peaux, des mines d'or et d'argent, et
voyant produit du blé en si grande abondance
à Rome.l'hiver approcher, s'en retourna
qu'elle en a longtemps fourni à Rome
Les Romains lui rendirent des hon- et à l'Italie. La Corse ne saurait lui
neurs extraordinaires. Il fut le premier être comparée ni pour la grandeur ni
à qui le triomphe naval fut accordé. pour la fertilité; elle est montueuse et
On lui érigea une colonne rostrale âpre, inaccessible et inculte en plu-
avec une inscription qui existe encore sieurs endroits. Les habitants partici-
aujourd'hui. pent de la nature sauvage du terroir,
Dissensions dans l'armée ro- et sont d'un caractère dur et féroce.
maine FAVORARLES AUX CARTHAGI- Jaloux à l'excès de leur indépendance,
NOIS. — L'absence de Duilius rétablit
les affaires des Carthaginois, et plu- (*) Thermœ hymerenses.
40 L'UNIVERS.

ils ne se soumettent qu'avec peine à collègue de Cornélius , commandait les


une domination étrangère. légions romaines, Amilcar soutenait
Les Carthaginois avaient longtemps encore la fortune de Carthage. Enna et
fait la guerre aux habitants de ces deux Camarine lui avaient ouvert leurs por-
îles, et ils avaient fini par s'emparer tes. Drépane, situé près de la ville
de tout le pays, à l'exception de cer- d'Éryx, lui offrait un excellent port.
tains points inaccessibles et impratica- Ii s'empara d'Éryx, la détruisit de ond
bles àleurs armées. Mais il était plus en comble , et en fit passer tous les ha-
facile de vaincre ces peuples que de les bitants àDrépane, dont il fit une
dompter. Pour les tenir dans une en- ville considérable, qu'il entoura de
tière dépendance, les Carthaginoiï bonnes fortifications. Enfin , il se serait
avaient arraché leurs blés , détruit leurs en peu de temps rendu maître de la
arbres fruitiers , et leur avaient dé- Sicile entière, si le consul Florus ne
fendu, sous peine de mort, de rien se fût opposé à la rapidité de ses pro-
semer ou planter qui pût leur fournir grès en restant dans l'île malgré la ri-
aucune espèce de nourriture. Par là, gueur de la saison.
ils les obligèrent à venir chercher en Septième année de la guerre;
Afrique toutes les provisions néces- prise de plusieurs villes en si-
saires àleur subsistance, et les accou- cile par les consuls atilius ca-
tumèrent insensiblement au joug pé- LATINUS ET SULPITIUS PàTERCULUS ,
nible de la servitude. 258 avant l'ère vulgaire. — Les
nouveaux consuls arrivés en Sicile con-
Le consul Cornélius débarqua d'a- duisirent toutes leurs forces vers Pa-
bord dans la Corse, et après avoir pris
de force la ville d'Aléria, ïenne, où les Carthaginois avaient
maître aisément de toutes illes
se autres
rendit
leurs quartiers d'hiver, et leur présen-
ialaces de l'île. De là, il fit voile vers
Sardaigne, où Annibal venait d'ar-
tèrent labataille. Ceux-ci l'ayant refu-
sée et fait ainsi l'aveu de leur faiblesse,
les consuls marchent sur Hippane et
river avec ses vaisseaux. L'amiral car-
thaginois, bloqué dans un des ports l'emportent d'assaut. De là, ils vont
mettre le siège devant Mytistrate , place
de l'île par la flotte romaine, perdit la
plus grande partie de ses galères, et très -forte que leurs prédécesseurs
n'échappa point cette fois au ressenti- avaient attaquée à plusieurs reprises,
ment de ses concitoyens. Il fut saisi mais toujours sans succès. La place
par ses propres soldats , irrités de son avait capitulé; mais le soldat, irrité
impérifcie, attaché tout vivant à une de sa résistance opiniâtre, massacra la
croix, ettortures.
ne reçut la mort qu'après de plus grande partie des habitants et livra
cruelles la ville aux flammes.
Cornélius marcha ensuite vers 01- L'armée romaine marcha ensuite
bia, dans le dessein d'en former le sur Camarine. Pendant le trajet, une
siège ; mais se sentant trop faible pour habile manœuvre du général carthagi-
attaquer une ville défendue par sa po- nois la mit à deux doigts de sa perte.
sition naturelle et par une nombreuse Ce général , suppléant par la ruse à l'in-
garnison, il renonça pour le moment fériorité de ses forces, s'était hâté
à son entreprise , et retourna à Rome d'occuper les hauteurs qui dominaient
pour y lever de nouvelles troupes. une vallée où les Romains s'étaient té-
AHannon
sonVetour, avait ilsuccédé reprit leà Annibal
siège d'Olbia.
dans mérairement engagés, et d'en fermer
toutes les issues. Ils se trouvaient pres-
le commandement de la flotte cartha- que dans la même situation qu'aux
ginoise. Le consul battit son nouvel fourches caudines, et n'attendaient
adversaire, qui perdit la vie dans le plus que la mort ou une capitulation
combat, s'empara de la ville d'Olbia, ignominieuse, lorsque le tribun M.Cal-
et soumit en peu de temps toutes les
villes de Sardaigne. purnius
prit et sonFlamma dévouement , par sasublime présence d'es-
, réussit
Dans la Sicile où le consul Florus, à sauver l'armée d'une perte certaine.
CARTHAGE. 41

Il se présente au consul et lui fait sentir reuse sortie , dans laquelle ils blessèrent
l'imminence du danger. « Il faut te ou tuèrent un grand nombre de Ro-
« hâter, dit-il, si tu veux délivrer ton mains.
Huitième année de là guerre,
« armée , d'envoyer quatre cents hom-
257 avant l'ère vulgaire. — Cette
mes d'élite
«« teur. Notre s'emparer diversion attirera hau-
de cettetoutes
année il ne se passa entre les armées et
« les forces des ennemis ; ils ne s'occu- les flottes romaines et carthaginoises
« peront qu'à la repousser. Sans aucun aucune action remarquable. L'his-
« doute nous y périrons tous ; mais en toire ne rapporte que quelques évé-
« vendant cher notre vie, nous te don- nements peu importants , où les suc-
« nerons le temps de sortir du défilé
« avec tes légions. Il ne te reste plus balancés. et d'autre furent également
cès de part
Neuvième année de la première
« d'autre moyen de salut. » Les prévi- guerre punique; bataille navale
sions du tribun ne furent point trom-
pées. Il se porte sur la hauteur; l'in- d'Ecnome; défaite des Cartha-
fanterie etla cavalerie carthaginoises ginois; 256 AVANT L'ÈRE CHRÉ-
enveloppent de toute part sa faible TIENNE. — Cependant les deux peu-
cohorte ; elle se défend avec un courage ples rivaux, jugeant bien que l'issue
invincible; enfin, après d'incroyables de la guerre serait en faveur de ce-
efforts, accablée par le nombre, elle lui qui resterait maître de la mer,
reste tout entière sur le champ de ba- avaient employé toutes leurs ressour-
taille. Mais la résistance avait été assez ces à des préparatifs immenses. Les
opiniâtre et assez longue pour que le Romains, avec une flotte de trois cent
consul eût le temps de dégager son trente galères, abordèrent à Messine,
et de là se rendirent à Ecnome, où
est touteL'issue
armée. merveilleu d'uneseaction héroïque
et en sirelève en- leurs légions étaient campées. En même
core l'éclat. Calpurnius fut trouvé au temps Amilcar, qui commandait la
milieu des cadavres, criblé de blessu- flotte carthaginoise, composée de trois
res, dont, par un hasard qui tient du cent cinquante vaisseaux de guerre,
miracle, aucune n'était mortelle. Il avait abordé à Lilybée , et s'était en-
parvint à s'en guérir, reçut pour ré- suite porté sur Heraclée, où il obser-
compense lacouronne obsidionale, et vait les mouvements des Romains.
rendit encore de grands services à son Ceux-ci avaient conçu le projet auda-
pays. cieux de passer en Afrique , d'en faire
Délivré du danger, Atilius alla met- le théâtre de la guerre, et de réduire
tre le siège devant Camarine. Avec les par là les Carthaginois à combattre
machines de guerre que lui fournit non pour la possession de la Sicile,
Hiéron, il renversa les remparts, s'em- mais pour celle de leur territoire et le
para de la ville, et vendit comme es- salut de leur patrie. Les Carthaginois,
claves la plus grande partie des habi- au contraire, sachant par expérience
tants.Enna, Sittana,Camicum, Erbesse combien l'accès et la conquête de l'A-
et plusieurs autres vilies de la province frique étaient faciles, ne craignaient
carthaginoise tombèrent en son pou- rien tant que cette invasion , et avaient
voir. Enhardi par ces succès, il s'em- résolu , pour l'empêcher, de tenter le
barqua pour aller attaquer Lipari , où sort d'une bataille navale.
il croyait avoir un parti parmi les ha- Les Romains firent leurs disposi-
bitants. Mais Amilcar, ayant pénétré tions pour accepter le combat, si on le
ses desseins , était entré secrètement leur présentait, ou pour faire une ir-
dans la ville, où il épiait l'occasion de ruption dans le pays ennemi, si on n'y
le surprendre. En effet, le consul qui mettait pas obstacle. Us embarquèrent
croyait Amilcar bien éloigné s'avançait l'élite de leur armée de terre, et divi-
sous les murs sèrent toute la flotte en quatre esca-
hardiesse que dede prudence,Lipari avec plus' les
lorsque de dres, distribuant également les légions
Carthaginois firent sur lui une vigou- dans les trois premières, et réunissant
42 L'UNIVERS.

tous les triaires(*) dans la dernière. en l'éloignant du centre , et la compo-


Chaque vaisseau contenait trois cents sèrent des vaisseaux les plus légers et
rameurs et cent vingt combattants, ce les plus propres , par la rapidité de leurs
qui portait les forces romaines à près manœuvres , à envelopper l'ennemi. Ils
de cent quarante mille hommes. Les ajoutèrent sur les derrières de l'aile
Carthaginois étaient supérieurs pour gauche une quatrième escadre qui s'é-
le nombre, et avaient sur leurs vais- tendait obliquement vers la terre. Han-
seaux plus de cent cinquante mille non, le même général qui avait été
hommes, tant rameurs que soldats. vaincu près d'Agrigente, commandait
Ces chiffres suffisent à eux seuls pour l'aile droite; Amilcar, qui avait battu
donner une haute idée de la puissance les Romains à Lipari, s'était réservé
et de l'énergie de ces deux grandes ré- le centre et l'aile gauche. Celui-ci , pen-
publiques. dant la bataille, employa un strata-
Les Romains, calculant que c'était gème qui faillit causer la perte des
surtout en pleine mer, où ils allaient Romains.
s'engager, que les Carthaginois l'em- Comme l'armée carthaginoise était
f>ortaient sur eux par la légèreté de rangée sur une simple ligne, qui, par
eurs vaisseaux , cherchèrent à suppléer cette raison, paraissait facile à être
à ce désavantage par une ordonnance enfoncée, les Romains commencent
compacte et difficile à rompre. Dans ce l'attaque par le centre. Amilcar, pour
but, les deux vaisseaux à six rangs , que rompre leur ordre de bataille, avait
montaient les deux consuls Régulus et ordonné aux siens de prendre la fuite
Manlius, furent placés de front à côté sitôt que l'action serait engagée.à leur
Les
l'un de l'autre. Derrière eux s'allon- Romains, se laissant emporter
geaient, sur deux files obliques, la courage, poursuivirent les fuyards
première et la seconde escadre, figu- avec une ardeur téméraire. Ainsi la
rant les deux escadre
la troisième côtés d'unformait
triangle, dont
la base. première et la seconde escadre s'éloi-
gnèrent dela troisième qui remorquait
Cette troisième escadre remorquait les les vaisseaux de charge, et de la qua-
vaisseaux de charge placés derrière trième où étaient les triaires destinés
elle sur une longue ligne parallèle; à les soutenir. Dès qu'il voit que son
enfin, la quatrième escadre, ou les stratagème a réussi, Amilcar donne le
triaires, venait après, rangée de ma- signal; les fuyards font volte-face, et
nière à déborder des deux côtés la fondent avec impétuosité sur ceux qui
ligne qui la précédait. Cet ordre de ba- les poursuivaient. Alors le combat de-
vint terrible et le succès douteux. Les
taille, jusqu'alors inusité, rendait la
flotte romaine également propre à sou- Carthaginois remportaient sur les Ro-
tenir lechoc des ennemis et à les atta- mains par la légèreté de leurs vais-
quer avec avantage. seaux, l'agilité de leurs évolutions et
Cependant les généraux carthagi- la précision de leurs manœuvres; mais
nois après
, avoir exhorté leurs soldats les Romains compensaient ce désavan-
à combattre courageusement dans une tage par leur vigueur dans les combats
action d'où dépendait le sort de Car- de pied ferme , lorsque leurs corbeaux
tilage, les voyant pleins de confiance avaient accroché les vaisseaux enne-
et d'ardeur, sortirent du port d'Héra- mis ,et par l'ardeur que leur inspirait
clée et allèrent au-devant de l'ennemi. la présence de leurs consuls, sous les
Ils disposèrent leur plan de bataille yeux desquels ils brûlaient de se si-
d'après l'ordonnance des Romains. Ils
partagèrent leur flotte en trois esca- Pendant ce temps-là, Hannon, qui
dres rangées sur une seule ligne. Ils gnaler.
commandait l'aile droite, et qui, au
étendirent en pleine mer l'aile droite commencement du combat, l'avait te-
nue àquelque distance du reste de la
(*) Les triaires , chez les Romains, com- flotte, tourne les vaisseaux des triai-
posaient ladernière ligne de l'armée. res, les attaque brusquement par-der-
43
CARTHAGE.

rière, et v jette le trouble et la confu- Romains, vingt-quatre vaisseaux seu-


sion. D'un autre côté, les Carthaginois lement périrent dans le combat; aucun
de l'aile gauche, qui étaient rangés ne tomba en la puissance des ennemis.
obliquement vers la terre, changeant Descente des Romains en Afri-
leur première disposition, se forment que; PRISE DE CLYPEA ET DE PLU-
en ligne de bataille, et fondent sur la SIEURS autres places. — Bientôt les
troisième escadre, dont les galères Romains, après avoir radoubé leurs
étaient attachées aux vaisseaux de vaisseaux et complété tous les prépa-
charge pour les remorquer. Ainsi cette ratifs nécessaires pour une longue
bataille présentait trois actions diffé- campagne, mirent à la voile pour l'A-
rentes, séparées l'une de l'autre par frique sans
, qu'Amilcar osât faire un
des distances considérables. L'avan- seul mouvement pour s'opposer à leur
tage fut longtemps balancé de part et passage. Les premiers navires abordè-
rent au promontoire Hermœum, qui
d'autre. Mais enfin l'escadre que com-
mandait Amilcar est mise en fuite, et forme l'extrémité orientale du golfe de
Manlius attache à ses vaisseaux ceux Carthage. Ils y attendirent les bâti-
ments qui étaient en retard, et, après
qu'il avait pris. Régulus
cours des triaires vient au se-
et des vaisseaux de avoir réuni toute leur flotte, ils lon-
charge, menant avec lui les galères de gèrent lacôte jusqu'à la ville de Clypea
la deuxième escadre, qui étaient sor- (aujourd'hui Kalibia) ; ils y débarquè-
ties du premier combat sans être en- rent, et, après avoir tiré leurs vais-
seaux àterre , et les avoir environnés
mains avec Hannon, dommagées. Pendantlesqu'il est aux
triaires, qui d'un fossé et d'un retranchement, ils
étaient près de se rendre, reprennent mirent le siège devant la ville.
courage, et retournent à la charge avec La nouvelle de la défaite d'Ecnome
une nouvelle vigueur. Les Carthagi- avait répandu la consternation parmi
nois, assaillis par-devant et par-der- les Carthaginois. Tous s'attendaient à
rière, et ne pouvant résister à cette voir les Romains, enorgueillis d'un si
double attaque, gagnent la pleine mer brillant succès , tourner leurs armes vic-
pour échapper à une destruction iné- torieuses contre Carthage elle-même.
vitable. Mais quand ils apprirent que les con-
Sur ces entrefaites, Manlius revient suls débarqués à Clypea perdaient leur
et aperçoit la troisième escadre acculée temps au siège de cette ville, ils repri-
contre le rivage par les Carthaginois rent courage, et s'occupèrent à ras-
de l'aile gauche. Les vaisseaux de sembler des troupes pour mettre leur
charge et les triaires étant en sûreté, capitale et le pays d'alentour à l'abri
Régulus et lui unissent leurs forces des attaques de f'ennemi.
pour la tirer du péril extrême où elle Les consuls avaient envoyé des cour-
se trouvait; car elle soutenait une es- riers àRome pour informer le sénat
pèce de siège, et elle aurait été im- de ce qu'ils avaient fait jusqu'alors,
manquablement détruite, si les Car- le consulter sur les mesures ultérieureset
thaginois, parla crainte des corbeaux à prendre. En attendant leur retour,
et de l'abordage, ne se fussent con- ils fortifièrent Clypea pour en faire
tentés de la tenir bloquée contre la leur place d'armes ; ils y laissèrent un
terre. Les consuls arrivent, envelop- corps de troupes pour garder la ville et
pent de toutes parts les Carthaginois son territoire , pénétrèrent dans le pays
et leur enlèvent cinquante vaisseaux avec le reste de leur année, et ravagè-
avec tout leur équipage. Quelques-uns rent le plus beau canton de l'Afrique,
s'échappèrent en rasant la côte de Si- qui, vait
depuis le temps lesd'Agathocle,
cile. point éprouvé malheurs den'a-
la
Telletaillefutnavale.l'issue guerre. Ils détruisirent un grand nom-
Trentede vaisseaux
cette grande ba-
cartha- bre de magnifiques maisons de plai-
ginois furent coulés à fond , soixante- sance, enlevèrent une quantité im-
quatre furent pris. Du côté des mense de bestiaux, et firent plus de
44 L'UNIVERS.
vingt mille prisonniers, sans trouver Cependant les Carthaginois, qui
aucune résistance. De plus, ils prirent avaient élu pour généraux Asdrubal,
de force ou reçurent à composition fils d'Hannon, et Bostar, rappelèrent
encore de Sicile Amilcar, qui, avec
plusieurs villes,' dans lesquelles ils
trouvèrent quelques déserteurs et un cinq mille hommes d'infanterie et cinq
bien plus grand nombre de Romains cents cavaliers , se rendit aussitôt d'Hé-
faits prisonniers dans les dernières cam- raclée à Carthage. Ces trois généraux,
pagnes, parmi lesquels était probable- après avoir délibéré entre eux, se dé-
ment Cn. Cornélius Scipio, que nous cidèrent tenir
a la campagne , pour ne
voyons deux ans après élevé à un pas laisser le pays exposé impunément
deuxième consulat.
aux ravages de l'ennemi.
Alors arriva la réponse du sénat. Régulus s'avançait dans la contrée,
Elle prescrivait à Régulus de rester s'emparant de toutes les villes qui se
en Afrique avec quarante vaisseaux, trouvaient sur son passage. Arrivé de-
quinze mille fantassins et cinq cents vant Adis (*), l'une des plus fortes
cavaliers, et à Manlius de retourner à places du pays, il en forma le siège.
Rome avec les prisonniers et le reste Les généraux carthaginois s'empres-
de la flotte. sèrent de venir au secours de la ville.
Dixième année de la guerre; Ils occupèrent une colline qui dominait
bataille d'adis; prise de tunis le camp des Romains et qui paraissait,
par les Romains; 255 avant l'ère au premier coup d'œil, une position
vulgaire. — Les nouveaux consuls avantageuse. Mais l'inégalité et l'apreté
furent Servais Fulvius Paetinus Nobi- du terrain rendaient inutile la princi-
lior et Marcus ^Emilius Paulus. Le pale force de leur armée, qui consistait
sénat, pour ne pas interrompre le en cavalerie et en éléphants. Régulus,
cours des victoires de Régulus, lui con- en habile général, profite de la faute
tinua lecommandement de l'armée en de ses ennemis, et avant qu'ils eussent
Afrique avec le titre de proconsul. Lui le temps de la réparer, en descendant
seul fut affligé d'un décret qui était si dans lagions plaine, il monte avec ses lé-
sur la colline, et les attaque de
glorieux pour lui. Il écrivit au sénat
deux côtés à la fois. La cavalerie et les
que le régisseur des sept juger es (*) de
terre qu'il possédait à Pupinies était éléphants des Carthaginois ne leur ren-
mort, et que Vhomme de journée, pro- dirent aucun service. Les troupes mer-
cenaires combattirent avec une grande
avoir fitant
enlevé de l'occasion
tous ,less'était enfui après
instruments de valeur et mirent d'abord en déroute la
culture; qu'il demandait donc qu'on première légion; mais, ayant rompu
lui envoyât un successeur, puisque, si leurs rangs dans l'ardeur de la pour-
son champ n'était pas cultivé, il n'au- suite, ils furent entourés par les trou-
rait plus de quoi nourrir sa femme et pes romaines qui attaquaient la colline
ses enfants. Le sénat ordonna que le de l'autre côté, et forcés eux-mêmes
champ de Régulus serait de suite af- de prendre la fuite. Leur exemple en-
fermé etcultivé, qu'on rachèterait aux traîna lereste de l'armée. La cavalerie
frais de l'État les instruments dérobés , et les éléphants se sauvèrent dans la
et que la république se chargerait aussi plaine. Les Romains poursuivirent pen-
de la nourriture de sa femme et de ses
enfants. Rare exemple du mépris des dant quelque temps l'infanterie et re-
vinrent piller le camp des Carthagi-
honneurs et de la fortune ! L'éclat dont nois.
brille encore le nom de Régulus , après Après cette victoire, Régulus, maî-
une longue suite de siècles , prouve que tre de la campagne, ravagea impuné-
la gloire est pour la vertu une récom- ment tout le pays, et s'empara même
pense plus durable que la richesse. de la ville de Tunis. Cette position,

(*) Le jttgère valait un demi-arpent : 24 de (*) Aujourd'hui Rhadès, à quelques lieues


Tunis.
ares , 68 centiares.
45
CARTHAGE.
tant par sa force naturelle que par sa Le sénat de Carthage, sur le rapport
proximité de Carthage, lui parut très- de ses envoyés , fut tellement indigné
avantageuse pour l'exécution de ses de la dureté des lois qu'on lui impo-
sait, que, malgré sa détresse, il prit
y établit: un
projets' il encamp fit saretranché.
place d'armes , et la généreuse résolution de tout souffrir
NÉGOCIATIONS INFRUCTUEUSES EN- et de tout tenter plutôt que de subir
TRE les Romains et les Cartha- la plus insupportable et la plus hon-
ginois. — Les Carthaginois avaient teuse de toutes les servitudes.
Arrivée de Xanthippe a Car-
été battus
avaient vu plus par terre
de deuxet' par
centsmer. Ils
places thage; DÉFAITE ET PRISE DE RÉGU-
tomber au pouvoir des vainqueurs. LUS. — Telle était la situation des
Tant de défaites et de pertes réveillè- Carthaginois , lorsque les vaisseaux
rent contre eux la haine des Numides, qu'ils avaient envoyés dans la Grèce
leurs anciens ennemis , qui se répan- pour y lever des troupes, revinrent
dirent dans ieurs campagnes, y mirent avec un renfort assez considérable de
tout à feu et à sang, et y causèrent soldats mercenaires. Dans le nombre
encore plus de terreur et de désola- était Xanthippe de Lacédémone, qui,
tion que n'avaient fait les Romains formé dès son enfance à la discipline
eux-mêmes. Les habitants de la cam- austère de sa patrie , y joignait une
pagne, se réfugiant de tous côtés à Car- expérience
de la guerre.consommée 'dansinstruit
Cet officier, le métier
en
thage avec leurs femmes et leurs en- détail de la dernière défaite des Car-
chercher un abri , aug-
fants ,pourmentaient ylaconsternation, et taisaient thaginois etdes circonstances qui l'a-
craindre la famine en cas de siège. vaient amenée , calculant de plus les
Dans ces extrémités, les Carthagi- ressources qui leur restaient , le nom-
bre de leur cavalerie et de leurs élé-
nois députèrent les principaux séna-
teurs au général romain pour demander phants, pensa en lui-même et dit à ses
la paix. Régulus ne se refusa point àces amis que les Carthaginois n'avaient pas
été vaincus par les Romains , mais par
ouvertures";
de la victoire,mais, il leurabusant
imposa desces droits
dures eux-mêmes et par l'incapacité de leurs
conditions : « Céder aux Romains la Si- généraux. Ce mot se répand dans le
cile et la Sardaigne tout entières; leur public, et arrive bientôt aux oreilles
rendre tous leurs prisonniers sans ran- des sénateurs. Les magistrats font
çon, et racheter les prisonniers cartha- appeler Xanthippe; il vient et justifie
ginoipayer
s; tous les frais de la guerre, clairement ce qu'il avait avancé. Il
et, de plus, se soumettre à un tribut leur démontre que , soit dans les mar-
annuel. » Telles furent d'abord les ches ,soit dans les campements , soit
prétentions du vainqueur. Il y ajouta dans les combats mêmes, on avait
d'autres obligations qui n'étaient pas toujours choisi les positions les moins
moins humiliantes pour les Carthagi- avantageuses. laient suivre Ilsesajoute que s'ils
conseils, vou-
et tenir
nois : qu'ils n'auraient d'autres amis
et d'autres ennemis que ceux des Ro- constamment l'armée dans la plaine,
mains; qu'ils ne pourraient mettre en il leur répondait non-seulement de
leur salut , mais encore de la victoire.
mer qu'un seul vaisseau de guerre, et Tous les chefs de la république , et les
qu'ils fourniraient aux Romains cin-
quante trirèmes toutes les fois qu'ils généraux eux-mêmes , par une généro-
en seraient requis. Les ambassadeurs sité bien rare et bien digne de louange,
supplièrent Régulus de mettre plus de sacrifièrent leur amour-propre au sa-
modération dans ses demandes , et de lut de la patrie, et confièrent à un
leur prescrire des conditions plus sup- étranger le commandement de leurs
portablemais
s; il ne voulut se relâcher armées.
sur aucun point, ajoutant, avec un L'habileté avec laquelle Xanthippe
orgueil avait jugé l'ensemble de la guerre,
vaincre insultant, ou savoir qu'il obéir fallait ou savoir
au vainqueur. avait déjà inspiré aux Carthaginois
46 L'UNIVERS.
une grande confiance dans ses lumières. troupes placés derrière eux , et , pen-
Mais quand on le vit ranger prompte- dant que l'ennemi serait aux prises
ment l'armée en bataille aux portes de avec la phalange carthaginoise, de
la ville, commander des manœuvres sortir de côté et de l'attaquer en
savantes , faire exécuter en bon ordre flanc.
les évolutions les plus compliquées, un Régulus avait d'abord
armée en bataille suivant larangé son
méthode
enthousiasme universel s'empara du
peuple et de l'armée , et tous , déjà sûrs ordinaire. Mais quand il vit la dispo-
de vaincre sous un tel général , de- sition des ennemis , pour se garantir
mandèrent, avec des cris de joie, à du choc des éléphants , il mit tous ses
marcher contre l'ennemi. vélites à la première ligne. Ensuite , il
Xanthippe ne laissa pas refroidir plaça ses conortes , dont il doubla les
cette ardeur, et alla chercher les Ro- files, et distribua sa cavalerie sur les
mains. Son armée était composée de deux ailes , donnant ainsi à son ordre
douze mille hommes d'infanterie, de de bataille moins de front et plus de
quatre mille chevaux et d'environ cent profondeur
Cette ordonnance, qu'il n'avait fait d'abord.
dit Polybe, était
éléphants. Régulus fut d'abord surpris
de voir les Carthaginois , changeant excellente pour résister aux éléphants,
leur méthode ordinaire, diriger leur mais elle exposait les Romains à être
marche et asseoir leur camp dans la entourés par la cavalerie carthagi-
plaine; mais, plein demépris pour des noise, fort supérieure en nombre à la
leur.
troupes qu'il avait vaincues tant de
l'ois, il était résolu de les combattre, Xanthippe alors fait avancer 5 la fois
quel que fût l'avantage de leur position. les éléphants pour enfoncer le centre
Il vint donc camper à mille toises de de l'armée romaine, et la cavalerie de
l'ennemi. ses deux ailes pour charger et envelop-
Alors Xanthippe , par déférence {>er l'ennemi. Les Romains poussent
Îjour les officiers de l'armée punique, eur cri de guerre, et marchent auda-
es réunit en conseil de guerre, et les cieusement sur les Carthaginois. La
consulta sur le parti qu'ils avaient à cavalerie romaine, trop inférieure en
prendre. Mais, pendant cette délibéra- nombre à celle des ennemis, ne put résis-
tionles
, soldats demandaient à grands ter longtemps , et laissa les deux ailes à
cris la bataille , et Xanthippe sup- découvert. L'infanterie de l'aile gauche,
pliant le conseil de ne pas laisser soit pour éviter le choc des éléphants,
échapper une occasion si favorable, soit pour montrer sa supériorité sur les
les chefs ordonnèrent à l'armée de se soldats mercenaires qui formaient l'aile,
tenir prête, et laissèrent à Xanthippe droite des Carthaginois, les attaque
l'entière liberté d'agir comme il le ju- les disperse et les poursuit jusqu'à leurs
gerait convenable. retranchements. Au centre qui était
Ce général rangea ainsi son armée opposé aux éléphants, les premiers
en bataille. Il mit en avant les élé- rangs furent renversés et foulés aux
phants disposés sur une seule ligne. pieds par ces masses énormes. Le reste
Derrière eux, à quelque distance, il du corps de bataille, à cause de sa
plaça la phalange carthaginoise qui profondeur, resta quelque temps iné-
étaitdit lal'élite de son branlable. Mais lorsque les derniers
cavalerie sur infanterie. Il répan-
les deux ailes, avec rangs , enveloppés par la cavalerie et
ceux des soldats auxiliaires qui étaient par les armés à la légère , furent con-
le plus légèrement armés. Le reste des traints de faire volte-face pour leur
mercenaires fut placé à l'aile droite tenir tête, et que ceux qui avaient forcé
entre la phalange et la cavalerie. Xan- le passade au travers des éléphants
thippe avait ordonné à ses soldats ar- rencontrèrent la phalange des Cartha-
lancé mésleursàla légère traits ,,après qu'ils auraient
de se retirer dans les ginois ,qui n'avait pas encore chargé ,
et qui était en bon ordre , la position
intervalles qui séparaient les corps de des Romains fut tout à fait désespérée.
CARTHAGE.
47
Les uns furent écrasés par les élé- d'ailleurs une haine si violente , et pres-
phants; les autres, sans sortir de que toujours si injuste.
leurs rangs , périrent sous les javelots Nouvelle expédition en Afbi-
de la cavalerie et des troupes légères. que; bataille navale entbe les
Romains et les Cabthaginois ;
II n'y en eut leur
cherchèrent qu'unsalut
petit
dansnombre qui; naufbage et destbuction de la
la fuite
mais dans cette plaine rase et unie, ils flotte bomaine. — La nouvelle de
ne purent échapper aux poursuites des la défaite et de la prise de Régulus ne
éléphants et de la cavalerie. Cinq cents découragea point les Romains. Ils
hommes, qui s'étaient ralliés autour s'occupèrent aussitôt à construire une
de Régulus, furent faits prisonniers nouvelle flotte et à sauver ceux de leurs
avec lui. Les Carthaginois perdirent en concitoyens qui avaient échappé à ce
cette occasion huit cents soldats étran- désastre. Les Carthaginois soumirent
gers qui étaient opposés à l'aile gauche d'abord les Numides , et recouvrèrent
des Romains ; et de ceux-ci , il ne se sans peine la plupart des villes qui
sauva que les deux mille qui , en pour- avaient embrassé le parti des Romains.
suivant l'aile droite des ennemis, s'é- Mais ils attaquèrent inutilement Cly-
taient tirés de la mêlée, et qui parvin- péa dont
, la garnison fit une opiniâ-
rent, contre toute espérance, a se ré- tre résistance. Après avoir vainement
fugier dans les murs de Clypéa. L'armée employéduire, ilstous les moyens pour la ré-
furent contraints de lever le
victorieuse rentra en triomphe dans
Carthage, traînant enchaînés le pro- siège. Sur l'avis qu'ils reçurent alors,
consul romain et les cinq cents soldats que les Romains équipaient une flotte,
qui avaient été pris avec lui. et se disposaient à passer de nouveau
L'ivresse des Carthaginois, après dans l'Afrique, ils radoubèrent leurs
anciens vaisseaux, en construisirent
cette victoire , fut d'autant plus grande, de neufs, et se mirent en mer avec
que le succès était inespéré. Us célé-
brèrent leur triomphe par des fêtes deux cents galères complètement équi-
religieuses, des festins publics et des nemi. pées, pour observer l'arrivée de l'en-
réjouissances de toute espèce. Xan-
thippe , qui avait sauvé Carthage d'une Au commencement de l'été, les Ro-
ruine presque certaine, prit le sage mains partirent avec trois cent cin-
parti de se retirer bientôt après dans quante vaisseaux , sous le commande-
ment des deux consuls Marcus ^Emilius
sa patrie. Il eut la prudence de s'éclip- et Servius Fulvius , et se dirigèrent
ser, de peur que sa gloire , jusque-là
pure et entière, après le premier éclat vers l'Afrique. Ils rencontrèrent près
du promontoire Hermseum, la flotte
éblouissant qu'elle avait jeté, ne s'a-
mortît peu à peu et ne soulevât contre carthaginoise , l'attaquèrent sur-le-
lui l'envie et la calomnie, redoutables champ , et l'ayant mise en déroute ,
surtout pour un étranger qui , loin de lui prirent quatorze vaisseaux avec
son pays , n'a ni parents , ni amis , ni cette tout leur équiqage. Néanmoins , après
aucun appui pour se défendre. Appien victoire , ils évacuèrent Clypéa,
et Zonare rapportent que les Carthagi- emmenèrent la garnison et prirent le
nois, bassement jaloux de la gloire de chemin de la Sicile. On a lieu de s'é-
Xanthippe, et humiliés de devoir leur tonner que les Romains, avec une
salut à un étranger, le firent périr par flotte si nombreuse et après une vic-
trahison, en le reconduisant dans la toire si décisive, n'aient songé qu'à
Grèce. Mais ce fait est peu probable; évacuer Clypéa et à en retirer sa garni-
aucun des historiens latins ne le rap- son, au lieu de tenter la conquête de l'A-
porte; etcertes, s'ils l'avaient connu, frique, que Régulus, avec beaucoup
ils n'auraient pas laissé échapper une moins de forces, avait presque achevée.
aussi belle occasion de couvrir d'un Zonare ajoute , il est' vrai , que les
opprobre éternel ces ennemis du nom Romains remportèrent , près de Cly-
romain , envers lesquels ils montrent péa , une grande victoire sur l'armée
48 L'UNIVERS.

de terre des Carthaginois. Mais il s'ac- les Carthaginois les forcèrent de re-
corde avec Polybe sur l'évacuation de noncer au siège de cette ville. Loin de
Clypéa par les Romains. Eutrope en se laisser décourager par cette tenta-
donne pour motif le défaut de subsis- tive infructueuse, ils allèrent mettre
tances.
le siège devant Palerme (*) , capitale de
Une navigation favorable avait ame- toutes les possessions carthaginoises en
né la flotte romaine jusqu'en Sicile. Sicile. Us s'emparèrent du port , et les
Les pilotes avaient conseillé de retour- habitants ayant refusé de se rendre,
ner de suite en Italie pour éviter la ils travaillèrent à environner la ville de
saison des tempêtes qui approchait. fossés et de retranchements. Comme
Mais les consuls, méprisant leurs avis, le pays était couvert d'arbres jusqu'aux
s'obstinèrent à vouloir reprendre quel- portes de la ville, les palissades, les
ques villes maritimes qui tenaient en- agger et les machines avancèrent rapi-
core pour les Carthaginois. Cette im- dement. Uspoussèrent vigoureusement
prudence fut la cause d'un désastre leurs attaques, et renversèrent avec le
épouvantable. Ils furent assaillis tout bélier une tour située sur le bord de
h coup d'une si violente tempête, que la mer. Les soldats montèrent à l'as-
sur trois cent soixante-quatre vais- saut par la brèche, et après avoir fait
seaux ,ils purent à peine en sauver un grand carnage, s'emparèrent de
quatre-vingts. cette partie deVille. la plac$
la Nouvelle Les qu'on appelait
habitants de
L'activité des Carthaginois sut met-
tre àprofit cette faveur de la fortune. la Vieille Ville, manquant de vivres,
Ils envoyèrent une armée en Sicile, offrirent de se rendre, à condition
formèrent le siège d'Agrigente , pri- qu'on leur laisserait la vie et la liberté.
rent en peu de jours cette ville, qui Les consuls n'acceptèrent point cette
ne reçut point de secours , et la rui- proposition, mais fixèrent leur rançon
nèrent entièrement. Il paraissait pro- a deux mines par tête (**). Il y en eut
bable que toutes les autres places des dix mille qui se rachetèrent à ce prix ;
Romains auraient le même sort et se- tous les autres , au nombre de treize
raient obligées de se rendre aux Cartha- mille, dufurent
ginois; mais la nouvelle du puissant reste butin.vendus à l'encan avec le
armement que l'on préparait à Rome La prise de cette ville fut suivie de
donna du courage aux alliés, et les la reddition de plusieurs autres pla-
engagea à tenir ferme contre les enne- ces (***), dont les habitants chassèrent
mis. En effet , dans l'espace de trois la garnison carthaginoise et embrassè-
mois , deux cent vingt galères furent rent le parti des Romains.
mises en état de faire voile. Les consuls laissèrent une garnison
Onzième année de la guerre; dans Palerme et retournèrent à Rome.
tentative inutile des romains Pendant leur traversée, les Cartha-
sur Drépane ; prise de Cepha- ginois leur dressèrent une embuscade
lœdium et de palerme ; 254 avant et leur enlevèrent quelques vaisseaux
l'ère vulgaire. — Les deux nou- chargés d'argent et de butin.
veaux consuls , Cnéius Cornélius Scipio Douzième , treizième et quator-
Asina et Aulus Atilius Calatinus , char- zième ANNÉES DE LAPREMIÈRE GUER-
gés du commandement delà flotte, se RE PUNIQUE , 253 A 250 AVANT L'ÈRE
rendirent d'abord à Messine, où ils chrétienne. — L'année suivante, les
recueillirent les bâtiments qui avaient consuls C. Servilius Cœpio et Caius
échappédente.auDelà,naufrage Sempronius Rlœsus passèrent en Afri-
avec troisdecents
l'année précé-
vaisseaux
de guerre, ils abordèrent à Cephalœ- (*) Anciennement Panormus.
dium, qui leur fut livrée par la trahi- (**) i8-2 fr. o,5 c. La rançon des dix mille
son de quelques habitants. Us essayè- fut donc de 1,829,500 fr.
rent ensuite de s'emparer de Drépane; (***) Jétine , Petrinum , Solunte , Tynda-
mais les secours qu'y introduisirent ris, etc.
49
CARTHAGE.
que avec toute leur flotte. Ils se bornè- forces qu'ils avaient en Sicile. Mais
rent àlonger la côte et à faire de ternes comme leur trésor était épuisé par les
à autre des descentes , dont le seul ré- dépenses énormes d'une si longue
sultat fut le pillage de quelques cam- guerre, ils envoyèrent une ambassade
pagnes tant
, les Carthaginois avaient à Ptolémée
bien pourvu alors à la garde et à la pour le prierPhila'delphe, roi deux
de leur prêter d'Egypte,
mille
sûreté de leur pays. Ils retournèrent talents (*). Celui-ci, qui était allié des
à Rome , en côtoyant les côtes de la deux peuples , après avoir vainement
Sicile et celles de l'Italie. Mais au mo- interposé sa médiation pour les récon-
ment où ils doublaient le cap Palinure, cilier refusa
, le prêt sollicité par les
ii s'éleva une furieuse tempête qui Carthaginois , en disant qu'il ne conve-
submergea cent cinquante vaisseaux nait pas à un ami de fournir des se-
de guerre et un grand nombre de bâ- cours contre ses amis.
timents de charge. Quelle que fût la Alors les Carthaginois épuisèrent
constance des Romains, tant de dé- toutes leurs ressources , et expédièrent
sastres consécutifs abattirent leur cou- en Sicile Asdrubal avec deux cents
vaisseaux, cent quarante éléphants et
rage. Ils renoncèrent à disputer l'em-
pire de la mer, que les vents et les flots vingt mille hommes, tant d'infanterie
semblaient leur refuser. Ils mirent que de cavalerie. Ce général employa
désormais tout leur espoir dans leurs toute l'année suivante à exercer ses
légions, et se bornèrent à équiper troupes et ses éléphants, et les armées
soixante vaisseaux pour transporter en romaines ne firent dans cette campa-
Sicile les vivres et les munitions né- gne aucune action qui mérite d'être
ces aires leurs
à armées.
rapportée.
Quinzième année de la première
Ce découragement des Romains re-
leva la confiance des Carthaginois. Ja- guerre punique ; les carthaginois
mais depuis
, le commencement de la sont eattus par les romains sous
les murs de palerme ; 250 avant
guerre , l'état de leurs affaires n'avait
été plus florissant. Les Romains les l'ère yulgaire. — Le sénat romain,
avaient laissés maîtres de la mer , et voyant s'augmenter de jour en jour
ils commençaient à concevoir une le découragement des légions qui fai-
meilleure opinion de leurs troupes de saient laguerre en Sicile , revint sur
terre. En effet, les Romains , depuis sa première résolution , et se décida
la défaite de Régulus , qui avait été à tenter de nouveau sur mer la fortune
des armes. Les nouveaux consuls
décidée surtout par les éléphants , s'é-
taient fait de ces animaux belliqueux Caius Atilius Régulus et Lucius Man-
une idée si terrible , que pendant les lius Vulso furent chargés de préparer
deux années suivantes, où ils campèrent et
souvent dans les campagnes de Lilybée uned'équiper
nouvelle avec le plus
flotte. Luciusgrand soin
Cœcilius
et de Sélinunte, à cinq ou six stades de Metellus , l'un des consuls de l'année
l'ennemi , ils n'osèrent ni accepter le précédente , fut continué dans le com-
combat , ni descendre dans la plaine. mandement del'armée de Sicile avec le
Privés de cette confiance qui leur fai- titre de proconsul.
sait ordinairement chercher la bataille Asdrubal avait remarqué que , pen-
avec joie, ils se retranchaient soigneu- dant les précédentes campagnes, les
sement sur des montagnes escarpées et Romains avaient tacitement fait l'aveu
dans des positions inaccessibles. Aussi de leur crainte en évitant toujours les
toutes leurs opérations, pendant ces occasions de combattre en bataille
deux années de la guerre , se bornè- rangée. Instruiten que l'unavec
des laconsuls
rent-elles aux sièges presque insigni- était retourné Italie moitié
fiants de Thermes et de Lipari. des troupes , que Metellus était resté
Cependant les Carthaginois, jugeant seul en Sicile avec l'autre moitié; pressé
l'occasion favorable pour reprendre
l'offensive , résolurent d'augmenter les (*) ii millions.
4* Livraison. (Carthage.)
50 L'UNIVERS.

d'ailleurs par les instances de ses sol- envoyant sans cesse de nouveaux se-
dats, qui brûlaient de marcher à l'en- cours àses vélites qui étaient engagés
nemi il
, résolut de profiter de ces cir- avec l'ennemi. Les conducteurs des
constances favorables pour engager éléphants, piqués d'une noble émula-
une action décisive. Il partit donc de tion et voulant avoir l'honneur de la
Lilybée avec toutes ses forces , et vint victoire, chargent tous à la fois les
camper sur la frontière du territoire premiers rangs des Romains , les ren-
de Palerme. Métellus se trouvait alors versent et les poursuivent hardiment
dans cette ville avec son armée.
jusqu'au bord du fossé. Mais alors, les
Celui-ci, ayant appris pardes espions éléphants , accablés d'une grêle de flè-
carthaginois qu'il avait eu l'adresse de ches qu'on faisait pleuvoir du haut des
surprendre qu'Asdrubals'avançaitdans murs , et des traits que leur lançaient
les vélites rangés en avant du mssé,
le
de dessein
montrerde deluila livrer craintebataille', affecta
pour inspirer entrent en fureur , se tournent contre
à son ennemi une plus aveugle confian- les Carthaginois, écrasent tous ceux
ce ,et se tint soigneusement enfermé qui se trouvent sur leur passage et
dans ses murailles. Cette terreur simu- portent le désordre et la confusion
lée accrut en effet la témérité d' Asdru- dans leurs rangs. Métellus, qui n'at-
bal. Il franchit les défilés, s'avance dans tendait que ce moment , sort avec ses
la plaine , mettant tout à feu et à sang , légions rangées en bon ordre , et tombe
et portede lePalerme. ravage jusqu'aux sur le flanc des ennemis , effrayés et
mêmes Métellus portes
ne lit
déjà plus d'à moitié vaincus. Aussi
encore aucun mouvement dans l'espoir n'eut-il pas de peine à achever leur dé-
d'engager les Carthaginois à franchir faite. On en tua un grand nombre sur
le champ de bataille; on en fit un grand
la rivière d'Orethus , qui coule le long carnage dans la fuite, et, pour sur-
de la ville, et ne laissa même pa-
croît de malheur, un accident , qui au-
nombreraîtredesur les remparts
soldats. qu'un donna
Asdrubal petit rait dû leur être favorable , contribua
dans le piège. Il lit passer la rivière à encore à leur désastre. La flotte car-
son infanterie et à ses éléphants, et, thaginoise ayant paru dans ce moment,
plein de mépris pour les Romains , il tous se précipitèrent au-devant d'elle ,
dressa ses tentes presque sous les murs dans l'espoir d'y trouver leur salut.
de la ville, sans daigner même les Mais, avant de pouvoir atteindre les
protéger parchement.
un Métellus
fosséaussitôt
et par unfitretran- galères, ils furent ou écrasés par les
sortir éléphants, ou tués par les Romains qui
quelques troupes légères pour harceler les poursuivaient, ou submergés dans
les Carthaginois et les engager à mettre les flots. Les Carthaginois perdirent
toutes leurs forces en bataille. Alors, dans cette journée vingt mille soldats,
voyant que son stratagème avait com- et tous leurs éléphants tombèrent au
plètement réussi , il place une partie
de ses vélites , armés de javelots, en pouvoir de l'ennemi.
Métellus , outre l'honneur
toire si mémorable, d'une vic-
eut encore la
avant du fossé et des murs de la ville,
avec ordre de lancer tous leurs traits
gloire d'avoir rendu leur ancienne
contre les éléphants dès qu'ils seraient confiance aux légions romaines qui,
à portée, et, s'ils se trouvaient trop dès ce moment, restèrent maîtresses
pressés, de se jeter dans le fossé pour de la campagne. Asdrubal, après sa
en sortir ensuite et revenir à la charge. défaite, se réfugia à Lilybée. Ce seul
Il fait mettre sous leurs mains, au malheur fit oublier aux Carthaginois
pied des murailles, une grande pro- tous les services que cet habile géné-
vision dejavelots , dispose sur les rem- ral leur avait rendus. Il fut condamné
Îiarts ses archers et ses frondeurs , et pendant son absence,
ui-même, avec ses soldats pesamment vint àCarthage , il fut et, lorsqu'il
arrêté et misre-à
armés , se tient derrière la porte op- mort.
posée àl'aile gauche des Carthaginois, Les Carthaginois envoient Ré-
CARTHAGE.
51
gulus à Rome pour négocier la sa femme, ses enfants, sa patrie. Mais
paix ; son opinion dans le senat ; cette âme ferme et constante sacrifia
SON SUPPLICE ET SA MORT. — Ce nOU- toutes ses affections à l'intérêt de son
veau désastre, joint aux pertes consi- pays , et déclara nettement qu'on ne
dérables que les Carthaginois avaient devait point songer à faire l'échange
éprouvées sur terre et sur mer dans des prisonniers; qu'un tel exemple au-
les dernières campagnes, les engagea à rait des suites funestes pour la répu-
ouvrir des négociations de paix. Ils blique que
; des citoyens qui avaient eu
fiensèrent que par l'entremise de Régu- la lâcheté de livrer leurs armes à l'en-
us, ils pourraient obtenir des condi- nemi étaient indignes de compassion
tions plus favorables ou du moins et incapables de servir utilement leur
l'échange de leurs prisonniers, dont patrie; que pour lui-même, en le per-
quelques-uns appartenaient aux pre- dant, ils ne perdraient que les débris
mières familles de Carthage. On lui d'un corps usé par la vieillesse et par
avait fait prêter serment de revenir la guerre, tandis que les généraux
s'il ne réussissait pas dans sa négocia- carthaginois , qu'on
tion. Ilpartit donc pour Rome avec les changer, étaient tous leur
dans proposait
la vigueur d'é-
de
ambassadeurs des Carthaginois ; mais l'âge, et pouvaient rendre longtemps
lorsqu'il fut arrivé, il ne voulut jamais encore de grands services à leur pays.
entrer dans la ville, quelques instances Les sénateurs admiraient , mais n'o-
que lui fît le sénat, alléguant pour mo- saient accepter cedévouement sublime.
tif de son refus que, suivant les cou- Ils ne se rendirent enfin que sur les vives
tumes de leurs ancêtres , un député des instances de Régulus lui-même, qui,
ennemis ne pouvait point y être intro- par une générosité sans exemple , s'im-
duit, mais qu'on devait lui donner au- molait l'intérêt
à de sa patrie.
dience hors de l'enceinte de Rome. L'échange fut donc refusé ; mais la
Les sénateurs s'étant donc assem- famille, les amis, les concitoyens de
blés hors des murs, Régulus leur dit : Régulus employèrent presque la force
« Les Carthaginois , pères conscrits , pour le retenir. Le grand pontife lui-
nous ont envoyés vers vous ( car moi même assurait qu'il pouvait rester à
aussi , par le droit de la guerre , je suis Rome sans être parjure à son ser-
devenu leur esclave), et nous ont ment. Rien ne put ébranler la géné-
chargés de demander la paix à des reuse obstination de cette âme inflexi-
conditions qui puissent être agréées ble. Ilpartit de Rome pour se rendre
des deux peuples, sinon d'insister au à Carthage, sans se laisser attendrir
moins sur l'échange des prisonniers. » ni par la vive douleur de ses amis, ni
Après avoir prononcé ces mots , il se par les larmes de sa femme et de ses
retirait en silence avec les ambassa- enfants. Cependant il n'ignorait pas
deurs. Les consuls le pressaient vive- quels supplices affreux l'attendaient à
ment d'assister à la délibération; mais son retour; mais il redoutait plus le
il n'y consentit qu'après avoir obtenu parjure
mis. que la cruauté de ses enne-
la permission des Carthaginois, qu'il
regardait comme ses maîtres. En effet, lorsque les Carthaginois
Les propositions de paix furent écar- apprirent que c'était sur l'avis même
tées la
; délibération ne roula que sur de Régulus que l'échange des prison-
l'échange des prisonniers. Invité par
les consuls à donner son avis , il répon- souffrirniersles avaitplus
été refusé, "ils lui firent
affreux tourments. Ils
dit qu'il n'était plus sénateur ni même le tenaient longtemps renfermé dans
citoyen romain depuis qu'il était tombé un noir cachot , d'où , après lui avoir
entre les mains de l'ennemi ; mais il coupé les paupières, ils le faisaient
ne refusa pas d'émettre son opinion sortir tout à coup pour l'exposer au
comme simple particulier. Il n'avait soleil le plus vif et le plus ardent. Ils
qu'un mot à prononcer pour recouvrer, l'enfermèrent ensuite dans un coffre
avec sa liberté, ses biens, ses dignités, hérissé de pointes de fer, où il expira,
4.
62 L'UNIVERS.
miné par la douleur et par les fatigues avaient été renversées ; d'autres mena-
d'une insomnie perpétuelle. çaient ruine, et les assiégeants s'avan-
Siège de Lilybée par les Ro-
mains. — Cependant les consuls par- de la çaient
place.de plus Alors en plusla vers l'intérieur
terreur et la
tirent de Rome avec quatre légions et consternation se répandirent dans la
une flotte de deux cents voiles , dans ville, quoique la garnison fût de dix
le dessein de venger la mort de Régu- mille soldats, sans compter les habi-
lus , et de profiter de la victoire de tants, et qu'Imilcon, leur comman-
Palerme pour chasser entièrement les dant, déployât dans la défense de la
Carthaginois de la Sicile. Après avoir place un courage et une habileté re-
réuni à leur armée toutes les forces marquables. En effet, l'infatigable ac-
qui étaient dans cette province , ils ré- tivité de ce général pourvoyait à tous
solurent défaire le siège de Lilybée, es- les besoins, et déjouait tous" les efforts
pérant qu'après la prise de cette ville, des ennemis. S'ils creusaient une mine,
rien ne pourrait plus s'opposer à leur il en ouvrait une autre pour les traver-
passage en Afrique. Les Carthaginois ser ;s'ils parvenaient à faire une brè-
sentaient, aussi bien que les Romains, che, elle était aussitôt réparée; si une
de quelle importance était cette place, portion du mur s'écroulait, un autre
soit pour la défense de l'Afrique, soit mur s'élevait en arrière pour le rem-
f»our la conquête de la Sicile. Aussi placer. Toujours vigilant et attentif,
es deux peuples employèrent-ils tout toujours présent au milieu du danger,
il ne laissait ni ses soldats en repos ,
ce qu'ils avaient de forces pour l'atta- ni ceux des assiégeants en sûreté, op-
quer et pour la défendre.
Lilybée est située sur le promontoire posant ses ouvrages , ses mines et ses
du même nom qui est tourné du côté armes, aux ouvrages, aux mines et
de l'Afrique. Cette ville , que les Car- aux armes des Romains. Il épiait sans
thaginois avaient fortifiée avec le plus cesse l'occasion de mettre le feu aux
machines des assiégeants, et, pour
grand soin, était entourée d'épaisses y parvenir, le jour, la nuit , à tous les
murailles , d'un fossé profond et de
lagunes salées presque impraticables. instants favorables, il faisait de brus-
C'est à travers ces lagunes que s'ou- ques sorties, et livrait des combats
vrait l'entrée du port, dont l'accès était acharnés, plus meurtriers quelquefois
très-difficile pour ceux qui ne connais- que des batailles rangées.
saient pas parfaitement la rade. Les Pendant qu'Imilcon se défendait si
Romains ayant établi leurs camps sur courageusement , quelques officiers des
deux points opposés de la ville qui se soldats étrangers formèrent entre eux le
rapprochaient de la mer, les joignirent complot de livrer la ville aux Romains ,
espérant entraîner dans leur défection
entre eux par des lignes fortifiées d'un
fossé , d'un mur et d'un retranchement. les troupes qu'ils avaient sous leurs
Ils dirigèrent leurs premières attaques ordres. Le général, dont la vigilance
contre la tour la plus proche qui regar- avait pénétré ce projet de révolte, ne
dait l'Afrique, ajoutant toujours de perd pas un instant. Il rassemble sur
nouveaux ouvrages aux premiers, et le forum tous les mercenaires; il ré-
veille dans leurs âmes les sentiments
s'avançant de plus en plus. Enfin, ils
renversèrent six tours contiguës à celle d'affection et de fidélité qu'ils doivent
dont nous avons parlé, et entreprirent à Carthage et à leur général; il leur
d'abattre les autres avec le bélier. Dans fait payer l'arriéré de leur solde; et
ce but, ils commencèrent à combler, enfin, par ses promesses, par son élo-
quence, illes détermine à punir les
pour y établir leurs machines, le fossé traîtres, et à se dévouer entièrement
qui, selon Diodore, avait soixante
coudées de large et quarante de pro- avec lui à une cause qu'ils ont défendue
fondeur, et ils poussèrent avec une jusque-là avec tant de courage et de
constance inébranlable ce long et pé- Annibal passe a travers là
nible travail. Déjà plusieurs tours gloire.
CARTHAGE 53
FLOTTE ROMAINE POUR INTRODUIRE aux habitants, les réunit tous sur la
du secours dans Lilyeée. — Bien- place publique, et les décida à une
tôt de nouveaux secours que reçurent sortie générale
les assiégés relevèrent encore leur con- victoire infaillibleparet l'espérance d'une
des récompenses
fiance. Les Carthaginois qui , sans avoir dont elle serait suivie.
reçu aucun renseignement certain sur Assuré de leurs bonnes dispositions ,
l'état dantdeles dangers
Lilybée, etprévoyaient il assemble les principaux officiers , il
les besoins cepen-
de la leur assigne les postes qu'ils doivent
ville assiégée, équipèrent une flotte de occuper, leur donne le mot d'ordre,
cinquante vaisseaux, y embarquèrent fixe l'instant de la sortie, et, au point
dix mille soldats, et chargèrent Anni- du jour, il attaque sur plusieurs points
bal, fils d'Amilcar, d'introduire des à la fois les ouvrages des Romains.
troupes à Lilybée, avec de l'argent et Ceux-ci, qui avaient pénétré d'avance
des vivres. Il reçut ordre de partir sans les desseins de l'ennemi, ne furent
délai, et de braver tous les dangers point surpris par cette brusque atta-
pour pénétrer dans la place. Annibal que. Us se portent rapidement sur tous
aborde aux îles Éguses, situées près les points menacés et présentent par-
de Lilybée, et y attend un vent favo- tout une vigoureuse résistance. Les
rable pour y exécuter cette difficile en- deux partis avaient déployé toutes leurs
treprise; car les Romains, dès le com- forces. Vingt mille hommes étaient
mencement du siège, avaient obstrué sortis de la ville; les assiégeants leur
l'entrée du port en y coulant à fond en avaient opposé encore un plus grand
quinze vaisseaux chargés de pierres. nombre. La mêlée devint générale et
Sitôt qu'un vent fort et propice à ses le combat sanglant. L'action était d'au-
desseins s'éleva du côté de la mer, tant plus vive que, de partleuret ordre
d'autre,
Annibal déploya toutes ses voiles, et les soldats, abandonnant de
se dirigea vers Lilybée, tenant sur le bataille, se battaient pêle-mêle et ne
pont de ses galères ses soldats rangés suivaient que leur impétuosité. On eut
en bon ordre et tout prêts à combattre. dit que dans cette multitude immense
La flotte romaine, surprise et comme homme contre homme, rang contre
frappée de stupeur par l'imprévu de rang,
combat s'étaient
singulier.défiés l'un l'autre en
cette manœuvre hardie, craignant
Mais c'était surtout autour des ma-
d'ailleurs
poussât dans que la
le violence
port ou dusurvent~ne
les bas-la chines que les efforts étaient plus vio-
fonds qui bordaient le rivage, ne fit lents et la lutte plus acharnée. Les
aucun mouvement pour s'opposer au Carthaginois dansdéfense,
mains dans la l'attaque, les Ro-
rivalisaient
passage des vaisseaux ennemis. Anni-
bal, sans ralentir sa course, évitant d'audace et d'opiniâtreté. Les uns, pour
avec adresse tous les obstacles, entra repousser les défenseurs des machi-
fièrement dans le port et débarqua ses nes ,les autres , pour ne pas céder le
dix mille soldats, aux cris de joie et terrain , prodiguaient leur vie et tom-
aux applaudissements de toute la ville. baient morts sur la place même où ils
Sortie d'Imilcon; combat san- avaient commencé à combattre. Ce qui
glant AUTOUR DES MACHINES. — Les mettait le comble au tumulte et à l'hor-
Romains ductionn'ayant reur de cette affreuse mêlée, c'était
du secourspu dans
empêcher
la villel'intro-
assié- les soldats qui, armés de torches et
gée, présumèrent qu'Imilcon, après d'étoupes enflammées pour aller met-
avoir reçu un renfort si considérable, tre le feu aux machines, se précipi-
entreprendrait bientôt de détruire taient comme des forcenés au milieu
leurs machines. Us ne se trompèrent des périls et du carnage. Les Romains ,
point dans leurs conjectures. Imilcon, effrayés de tant d'audace , furent plu-
voulant profiter de l'ardeur des nou- sieurs fois sur le point de céder et
velles troupes , et du courage que leur d'abandonner leurs ouvrages. Mais
arrivée avait rendu à la garnison et enfin Imilcon, voyant qu'il avait fait
54 L'UNIVERS.
de grandes pertes sans obtenir aucun son vaisseau. — Cependant à Car-
avantage décisif, fit sonner la retraite. thage on ne recevait aucune nouvelle
Les Romains , satisfaits d'avoir pu con- de ce qui se passait à Lilybée, et per-
server leurs machines, ne songèrent sonne ne s'offrait pour aller s'en ins-
point à le poursuivre. Dès la nuit sui- truire. Annibal, surnommé le Rho-
vante, Annibal , choisissant le moment dien, homme brave et entreprenant,
où les Romains fatigués du combat se fit fort de pénétrer dans la ville
gardaient le port avec moins de vigi- assiégée, d'en examiner avec soin
lance, sortit avec ses vaisseaux et re- la situation , et de venir rendre un
joignit Adherbal à Drépane, ville ma- observé. fidèle
compte de tout ce qu'il aurait
ritime située à cent vingt stades (*) de Les Carthaginois applaudirent
Lilybée. Il emmena avec lui la cavalerie à son zèle et à son dévouement, et ac-
qui , n'étant d'aucun usage dans la ville ceptèrent ses offres , bien qu'ils fussent
assiégée, pouvait être utilement em- persuadés qu'il aurait beaucoup de
ployée ailleurs. En effet, ces cavaliers, peine à accomplir sa promesse; car ils
par leurs incursions continuelles, ren- savaient que les vaisseaux romains
dirent aux assiégeants les chemins dan- étaient à l'ancre devant le port et en
gereux et le transport des convois fermaient presque entièrement l'en-
difficile, exercèrent toutes sortes de trée. Mais Annibal, ayant équipé un
ravages dans les campagnes voisines, vaisseau qui lui appartenait en propre,
et donnèrent beaucoup d'embarras et aborde à l'une des îles qui sont vis-
d'inquiétude aux consuls. Adherbal ne à-vis de Lilybée, et le lendemain, pro-
leur en causait pas moins, du côté de fitant d'un vent favorable, il met a la
la mer, par 8e fréquentes et subites voile vers le milieu du jour, passe à
incursions , tantôt sur les côtes de Si- travers la flotte romaine , et entre dans
le port à la vue des ennemis étonnés
cile, tantôt sur celles de l'Italie. Cette de son audace. Le jour suivant, il se
tactique, suivie avec persévérance,
amena dans le camp des Romains une disposait à retourner à Carthage. Mais
si grande disette, que, réduits pour le consul, pendant la nuit, avait choisi
tout aliment à la chair des animaux, dix de ses vaisseaux les plus légers, et
la plupart furent emportés par la fa- les avait placés aux deux côtés de l'en-
mine ou par les maladies qui en sont trée du port, étendant leurs rames
la suite ordinaire. comme des ailes, pour fondre au pre-
Les consuls, ayant perdu près de mier signal sur le navire carthaginois.
Annibal, fort de son audace et de la
dix mille hommes, décidèrent que l'un légèreté de sa galère, part en plein jour
d'eux retournerait à Rome avec la
moitié des légions, afin que celles qui pour braver l'ennemi. Il passe, avec la
resteraient pour continuer le siège rapidité d'un oiseau, à travers les
eussent moins de difficulté pour se masses presque immobiles des vais-
procurer des vivres. Décidés à conver- seaux romains, et, se jouant de leurs
tir le siège en blocus, ils entreprirent pesantes manœuvres, il revient sur ses
de fermer par une digue l'entrée du pas, voltige sur leurs flancs, quelque-
port de Lilybée; mais la profondeur fois s'arrête pour les provoquer au
des eaux et la violence du courant
combat, et ne s'éloigne enfin qu'après
ayant rendu leurs efforts presque en- avoir longtemps, avec un seul vais-
tièrement inutiles, ils se bornèrent à seau, déjoué les efforts de toute la
en garder l'entrée avec plus de vigi- flotte romaine. L'heureuse issue de
lance qu'auparavant. cette entreprise, qu' Annibal réitéra
Audace d' Annibal le Rhodien; plusieurs fois avec le même succès , fit
IL PÉNÈTRE PLUSIEURS FOIS DANS LE connaître aux Carthaginois les besoins
port de Lilybée ; il est pris avec de Lilybée, et leur donna les moyens
d'y pourvoir. Elle accrut en même
(*) 11,340 toises, environ 4 lieues de 20 temps la confiance des assiégés et abat-
au degré. tit le courage des Romains, honteux
CARTHAGE. 55

de voir leurs projets traversés par la sur eux à l'improviste, en tua dix
témérité insultante d'un seul homme. milie et força les autres à prendre la
fuite.
L'audace présomptueuse du Cartha-
ginois et la réussite constante de ses Quelques temps après , une circons-
tentatives tenaient principalement à la tance imprévue fournit aux assiégés
connaissance approfondie qu'il possé- l'occasion de détruire les ouvrages des
dait des écueils, des bas-fonds et des Romains. Il s'éleva tout à coup un ou-
étroits passages de cette rade dange- ragan impétueux qui ébranla leurs ga-
reuse. Déjà son exemple était imité leries et renversa même les tours des-
par d'autres navigateurs, qui allaient tinées àles protéger. Quelques soldats
a Lilybée et en revenaient impuné- mercenaires jugèrent le moment d'au-
ment, lorsque le hasard lit tomber au tant plus favorable pour les incendier,
pouvoir des Romains une quadrirème que le vent les favorisait en soufflant
carthaginoise, remarquable par l'élé- du côté de la ville. Ils communiquèrent
gance de sa coupe et la légèreté de ses leur idée à Imilcon et s'offrirent pour
mouvements. Les Romains, ayant exécuter l'entreprise. Imilcon approuva
choisi pour son équipage de braves sol- ce projet et fit tous les préparatifs né-
dats et d'excellents rameurs, s'en ser- ces aires. Ilssortent partagés en trois
virent pour observer ceux qui tente- corps , et mettent à la fois le feu aux
raient de pénétrer dans le port, et machines sur trois points différents.
surtout Annibal. Celui-ci, qui était Ces machines , construites depuis long-
entré de nuit dans la ville , en repartait temps et formées d'un bois desséché
en plein jour. Serré de près par la qua- par le soleil et les ardeurs de l'été,
drirème qui suivait tous ses mouve- prirent feu aisément, et la violence de
ments, illa reconnut et ne put se dé- l'ouragan, portant deet tous côtés en-
les
débris des mantelets des tours
fendre d'un sentiment de frayeur. Il
chercha d'abord à lui échapper par la flammées, propagea l'incendie avec
rapidité de sa course; mais gagné de une rapidité effrayante. Les Romains
vitesse , et au moment d'être atteint , accoururent pour défendre leurs ou-
il fut contraint de faire volte-face et vrages mais
; leurs secours étaient di-
d'accepter le combat. Alors , trop faible rigés au hasard et leurs efforts impuis-
pour résister au nombre et à la valeur sants car
; le vent qu'ils avaient en face
des soldats romains, il fut pris avec poussait dans leurs yeux et dans leurs
son vaisseau. Les Romains équipèrent visages des tourbillons de cendre, de
ce navire avec le plus grand soin, et flamme et de fumée, et il en périt un
ils employèrent avec tant de succès ces grand nombre avant qu'ils eussent pu
deux belles galères à la garde du port, même laitapprocher des Carthaginois,
endroits qu'il fal-
secourir. Les au
que personne désormais n'osa plus en- contraire , favorisés par la direction du
trer dans Lilybée.
Nouvelle sortie d'Imilcon; in- vent, et éclairés par le feu qui consu-
cendie des machines. — A partir de mait les machines, lançaient leurs traits
ce moment, les assiégeants redoublè- avec certitude, et manquaient rare-
rent leurs assauts avec une nouvelle
ment le but qu'ils voulaient atteindre.
vigueur, et attaquèrent les fortifica- Enfin, les mantelets, les tortues, les
tions voisines de la mer, pour attirer béliers, les balistes, toutes les machi-
de ce côté toute l'attention et toutes nes destinées soit à creuser des mines ,
les forces de la garnison. Ils espéraient soit à battre les murs, furent entière-
que, à la faveur de cette fausse atta- ment consumées.
que, leurs troupes campées du côté de Dès ce moment, les Romains per-
la terre pourraient s'emparer du mur dirent toute espérance de se rendre
extérieur de la ville. Ce projet réussit maîtres de Lilybée par la force. Ils se
d'abord; mais les Romains n'avaient bornèrent à entourer la ville d'un fossé
pas encore eu le temps de s'établir dans et d'un retranchement. Ils fermèrent
leurs positions , lorsqu'Imilcon tomba leur camp par une forte muraille, et
56 L'UNIVERS.
changeant le siège en blocus , ils atten- une attaque imprévue. Il choisit dans
dirent que la famine forçât la place à toute la flotte deux cents vaisseaux, et
se rendre. Lesfortifications
assiégés, "dequi
leuravaient
côté , y embarqua ses meilleurs rameurs et
relevèrent les les plus braves soldats des légions. Il
été renversées, et se ménagèrent tous sortit du port au milieu de la nuit,
les Seizième
moyensd'une vigoureuse sans être aperçu des assiégés , et la
année de la résistance.
guerre;
tête de sa flotte n'était pas loin de
bataille navale de drepane ; Drépane, quand le jour parut et la
victoire complète des cartha- découvrit aux yeux d'Adherbal. Cette
GINOIS249
; avant l'ère vulgaire. apparition inattendue le surprit sans
le déconcerter. Entre les deux seuls
— Quand on eut appris à Rome qu'une
partie des troupes avait péri à Lilybée, partis qu'il avait à prendre, il fallait
soit dans l'incendieopérations
des machines', soit se déterminer promptement. Le pre-
dans les autres du siège, mier était d'aller au-devant des Ro-
cette fâcheuse nouvelle , loin d'abattre mains etde les combattre sur le champ,
les esprits, sembla renouveler l'ardeur l'autre de les attendre et de se laisser
et le courage des citoyens. Chacun se assiéger. Il rejeta ce dernier parti qui
hâtait de porter son nom pour se faire lui parut à la fois lâche etdangereux.il
enrôler, et bientôt dix mille hommes, rassemble sur le rivage les matelots et
et un renfort considérable de matelots les soldats; il leur fait entendre en
passèrent le détroit, et allèrent par peu de mots , mais pleins de force et
terre se joindre aux assiégeants. d'énergie, ce qu'ils ont à espérer en
Le département de la Sicile était sortant du port pour livrer la bataille
échu au consul Publius Claudius Pul- aux
cher. C'était un homme d'un carac- en seRomains
laissant ,investir.
ce qu'ils ont à craindre
tère dur et violent, entêté de sa no- Tous ayant demandé le combat avec
blesse etde son propre mérite , plein de grands cris de joie, il leur ordonne
de confiance dans ses lumières, de mé- de s'embarquer sur-le-champ et de
pris pour celles des autres ; punissant suivre la galère amirale, qu'il allait
les moindres fautes avec une extrême monter lui-même, sans la perdre de
rigueur, tandis que lui-même, dans les vue. Il gagne le premier la haute mer
affaires les plus importantes, ne mon- et fait filer sa flotte derrière les rochers
trait pas moins d'extravagance que qui bordaient le côté du port opposé
d'incapacité. Ainsi, quoiqu'il eût blâmé à celui par lequel entrait l'ennemi.
avec une aigreur excessive les derniers Claudius voyant , contre son attente ,
généraux d'avoir tenté de fermer l'en- que les Carthaginois étaient sortis ,
trée du port au moyen d'une digue, disposés à lui livrer bataille en pleine
il s'obstina à poursuivre l'exécution mer, envoya ordre à ceux de ses vais-
de ce projet impraticable et échoua
devant les mêmes obstacles. seaux qui"étaient déjà dans le port ou
au moment d'y entrer, de revenir sur
Mais, de toutes les fautes qu'il com- leurs pas pour se joindre au gros de
mit, la plus funeste fui l'attaque de la flotte. L'exécution de cette manœu-
Drépane, où il perdit par son impru- vre fut la cause d'un désordre extrême.
dence et par la valeur d'Adherbal la Parmi les vaisseaux romains, les plus
flotte »a plus brillante que les Romains légers avaient déjà pénétré dans le
eussent mise en mer. Il s'était per- port, d'autres les suivaient de près,
suadé qu'il serait facile de surprendre quelques-uns étaient arrêtés à l'entrée
Adherbal à Drépane; que ce général, même. Il en résulta que, dans cet es-
instruit des pertes que la flotte ro- pace étroit, tous faisant à la fois de
maine avait éprouvées au siège de grands efforts pour revirer de bord ,
Lrlybée, et ignorant le nouveau ren- ils s'embarrassaient mutuellement , se
fort qu'elle avait reçu , ne s'attendrait heurtaient les uns les autres et se bri-
pas à ce qu'elle reprit subitement l'of- saient réciproquement leurs rames.
fensive etne serait pas en garde contre Enfin s'étaat dégagés avec beaucoup
CARTHAGE. 57
de peine , ils se rangèrent en bataille La pesanteur de ses vaisseaux et l'in-
le long de la côte, la proue tournée vers expérience de ses rameurs rendaient
l'ennemi. toutes ses manœuvres infructueu-
Le trouble et la confusion causés ses. Rangés trop près du rivage, ses
par cette manœuvre avaient commencé navires n'avaient ni l'espace néces-
a jeter de l'inquiétude et de la frayeur saire pour leurs évolutions, ni les
dansconsul
du l'armée. Une deaction
acheva irréligieuseet
la déconcerter moyens de faire retraite lorsqu'ils
étaient pressés par l'ennemi : aussi la
de lui faire perdre tout courage et plupart échouèrent sur les bancs de
toute espérance. Les Romains , à cette sable ou allèrent se briser contre les
époque, avaient une confiance supersti- rochers de la côte. Il ne s'en échappa
tieuse dans les présages et dans les que trente qui , étant auprès du consul ,
augures. Au moment où la bataille prirent la fuite avec lui en glissant
était près de s'engager, on vint dire entre le rivage et la flotte victorieuse.
à Claudius que les poulets sacrés ne Tout le reste des vaisseaux , au nombre
voulaient ni sortir de leur cage, ni de quatre-vingt-treize, tomba avec l'é-
prendre de nourriture : « Qu'ils boi- quipage en la puissance des Carthagi-
vent donc, puisqu'ils ne veulent point nois, dont la perte dans cette bataille
manger » , dit Claudius avec un ton fut peu considérable. Du côté des Ro-
d'impiété mains, huit mille hommes furent tués
dans la mer.railleuse, et il les fit jeter ou noyés , vingt mille , tant soldats que
Cependant le consul, qui, aupara- matelots, furent pris et conduits à
vant, était placé à l'arrière- garde, Carthage. Claudius , pour regagner plus
se trouva , par le mouvement qui venait sûrement Lilybée, en longeant les
de s'opérer, à la tête de l'aile gauche côtes qui étaient au pouvoir des Car-
et à l'extrémité de la ligne. En même thaginois, orna ses galères de palmes,
temps, Adherbal, ayant gagné la haute de lauriers, de tous les signes de la
mer et tourné la flotte romaine, rangea victoire, et, par ce stratagème, il
ses galères sur une même ligne vis-à- réussit, même en fuyant, à inspirer la
terreur.
vis de celles des Romains qui s'éten-
daient le long du rivage. Au signal Ce brillant succès, qui était dû tout
donné par les amiraux, le combat s'en- entier à la prévoyance et à l'habileté
gagea, et fut d'abord soutenu de part d'Adherbal , lui valut de grands hon-
et d'autre avec la même ardeur et un neurs àCarthage. A Rome, au con-
succès à peu près égal. Mais bientôt traire, on punit par une forte amende
la balance pencha en faveur des Cartha- l'incapacité et l'impiété arrogante de
ginois qui, dans cette bataille, avaient Claudius, qui avaient été si funestes à
sur les Romains plusieurs avantages. la république.
Leurs vaisseaux étaient beaucoup plus Cependant Adherbal profita de sa
légers, leurs rameurs plus habiles et victoire pour enlever aux Romains,
plus expérimentés. Ils avaient habile- près de Palerme, un grand nombre de
ment choisi leur position en mettant barques chargées de vivres ; il parvint
la pleine mer derrière eux. En effet , à les introduire dans Lilybée, et ra-
s'ils étaient trop pressés, ils pouvaient mena ainsi l'abondance dans la ville
reculer sans aucun risque et éluder assiégée.
Cabthalon amène de Carthage
l'attaque de l'ennemi par l'agilité de
leurs vaisseaux. Les Romains se lais- un renfort de soixante-dix vais-
saient-ils emporter trop loin par l'ar- seaux; il surprend la flotte ro-
deur de la poursuite, ils se retour- MAINE devant Lilybée. — La lin de
naient tout à coup, les enveloppaient de cette année amena encore aux Romains
de nouveaux désastres. Ils avaient
toutes
les flancs parts de ,leursbrisaientnaviresavecet l'éperon
les cou-
chargésuls, Lucius
de conduireJunius, l'un des
à Lilybée desvivres
con-
laient fond.
à Claudius, au contraire,
avait toutes les difficultés à vaincre.
et des munitions pour l'armée qui as-
58 L'UNIVERS.
siégeait cette ville. Junius vint aborder ses éclaireurs qu'une armée navale
à Messine, où il trouva une infinité de composée de bâtiments de toute espèce
bâtiments dedetoute espèce se dirigeait vers Lilybée, il saisit l'oc-
rassemblés toutes les qui s'y étaient
parties de la casion avec joie, et, plein de mépris
Sicile. Il en composa une flotte de cent pour les Romains qu'il avait déjà vain-
vingt vaisseaux de guerre et de huit cus, ils'avance à leur rencontre pour
cents navires de transport, avec la- leur livrer bataille. L'escadre com-
quelle ilse rendit à Syracuse. Dès mandée par les questeurs, se jugeant
trop faible pour soutenir le combat,
qu'il yteurs avec
, arrivé,
fut il fitdespartir
la moitié les ques-
vaisseaux de alla aborder à une petite ville alliée,
charge et quelques galères, pour sub- nommée Phintias, qui à la vérité n'a
venir aux besoins pressants des trou- pas de port, mais où des promontoires
pes qui bloquaient Lilybée. Il attendit avancés dans la mer forment, pour les
lui-même à Syracuse les bâtiments vaisseaux, un abri commode et une
qui , partis de Messine avec lui , étaient rade facile à défendre. Us y débarquè-
restés en arrière, et l'arrivée des con- rent, et, après y avoir disposé tout ce
vois de vivres que ses alliés lui en- que la ville put leur fournir de cata-
voyaient des provinces éloignées de la pultes etde balistes, ils y attendirent
mer.
l'attaque des Carthaginois. Ceux-ci
Cependant Adherbal , enhardi par ses pensèrent d'abord que les Romains
premiers succès et par un renfort de effrayés se retireraient dans la ville et
soixante-dix vaisseaux que Carthalon leur abandonneraient leurs vaisseaux.
venait de lui amener de Carthage, ré- Mais trouvant, contre leur attente,
solut de frapper un coup décisif. Il une vigoureuse résistance , et se voyant
confie cent galères à Carthalon, il lui exposés dans cette position difficile à
ordonne de cingler vers Lilybée, et, des périls multipliés, ils se contentè-
par uneoubrusque rent d'emmener quelques vaisseaux de
brûler de coulerattaque, à fond d'enlever, de
les vaisseaux charge qu'ils avaient pris, et se reti-
romains qui étaient à l'ancre devant le rèrent dans le fleuve Halycus pour ob-
port. Carthalon part aussitôt pour server ledépart de la flotte romaine.
exécuter cet ordre. Il arrive avant le Vers le même temps le consul Ju-
jour à Lilybée, fond avec impétuosité nius, après avoir terminé les affaires
sur la flotte romaine, enlève quelques qui le retenaient à Syracuse, doubla le
vaisseaux, en brûle quelques autres, promontoire Pachynum et cingla vers
et répand le trouble et la terreur dans Lilybée, ignorant encore ce quià s'était
le camp des assiégeants: Ceux-ci ac- passé à Phintias. Carthalon, cette
courent àla hâte pour défendre leurs nouvelle, mit sur-le-champ à la voile,
galères; mais Imilcon, gouverneur de dans le dessein de livrer bataille au
la ville assiégée, averti par le tumulte consul avant qu'il eût rejoint la divi-
et les cris des combattants, fait une sion de sa flotte commandée par les
sortie à la tête de ses mercenaires et questeurs. Junius reconnut de loin la
tombe sur les derrières des Romains, flotte nombreuse des Carthaginois;
dont le désordre s'accroît par cette mais trop faible pour soutenir un com-
double attaque. bat, et trop proche de l'ennemi pour
Manoeuvres de Carthalon de- échapper à sa poursuite, il prit le parti
vant LES FLOTTES ROMAINES; NAU- d'aller jeter l'ancre près de Camarine,
FRAGE ET DESTRUCTION ENTIÈRE DE dans une rade entourée de rochers es-
ces deux flottes. — L'approche de carpés etpresque entièrement inabor-
la nouvelle flotte romaine empêcha dable, aimant mieux s'exposer à périr
Carthalon de pousser plus loin ses au milieu des écueils que de tomber
avantages. Il alla se poster à Héraclée avec toute sa flotte au pouvoir des en-
pour observer l'arrivée des questeurs nemis. Carthalon se garda bien de
et leur couper la communication avec donner bataille aux Romains dans des
l'armée de siège. Bientôt, instruit par lieux si difficiles ; il alla mouiller auprès
CARTHAGE.
raison de tous les temples de la Sicile. 59
d'un promontoire , d'où il était à portée
d'observer en même temps les deux Un peu au-dessous du sommet s'éle-
flottes ennemies et de prendre sur elles vait la ville d'Éryx, où l'on ne montait
tous ses avantages. que par un chemin très-long et très-
difficile. Junius avait placé une partie
Bientôt après, avec
rent à souffler les vents commencè-
violence, et les de ses troupes sur le plateau, gardant
pilotes carthaginois , accoutumés à na- avec le plus grand soin les points de la
viguer sur ces mers, conseillèrent à montagne accessibles du côté de Dré-
Carthalon de quitter sa station et de pane; ilfortifia même Égithalle, place
doubler sans délai le promontoire de située sur la mer au pied du mont
Pachynum. Carthalon suivit ce conseil , Éryx, et y laissa huit cents hommes
et parvint , après de grands efforts , à de garnison. Il croyait, par ces dispo-
mettre sa flotte en sûreté. Mais celles sitions, avoir bien assuré sa conquête;
des Romains , surprises l'une et l'autre mais Carthalon, ayant débarqué pen-
par la tempête, au milieu des rochers dant la nuit ses troupes près d'Égi-
et des bas-fonds, éprouvèrent un nau- thalle, emporta cette place d'assaut,
frage siaffreux, que de tant de vais- tua ou prit ceux qui la défendaient, à
seaux ilne se sauva que deux galères, l'exception de quelques-uns qui se ré-
avec lesquelles le consul Junius se ren- fugièrent dans la ville d'Éryx.
dit àLilybée. Dix-septième, dix-huitième, dix-
Junius s'empare par trahison neuvième ET VINGTIÈME ANNEE DE
de la montagne et de la ville la guerre, de 248 a 244 avant
d'Éryx. — Ce dernier désastre acheva l'ère chrétienne ; Amilcar occupe
d'abattre les Romains déjà découragés la forte position d'Ercte. — C'est
et affaiblis par les pertes précédentes. cette année que commence à paraître
Ils renoncèrent de nouveau à disputer sur la scène l'un des plus grands hom-
l'empire de la leursmer aux Carthaginois, mes gc guerre que Carthage ait pro-
et tournèrent efforts du côté de duits. Amilcar, surnommé Barca , père
la terre, résolus d'employer toutes du fameux Annibal, reçoit le com-
leurs ressources pour maintenir la su- mandement général des armées de terre
et de mer en Sicile. Il part avec toute
Ainsi , loin périorité qu'ils y avaient
de renoncer au siègeacquise.
, ils en sa flotte, va porter le ravage sur les
poussèrent les opérations avec une côtes d'Italie, et revient, chargé de
nouvelle vigueur. L'armée ne manquait butin, aborder près de Païenne. Là,
ni de munitions ni de vivres, qui lui son coup d'œil habile lui fit reconnaître
étaient apportés par les peuples de Si- dans Ercté une position admirable
cile, dont la plupart s'étaient ou
soumis pour y retrancher son armée et braver
volontairement aux Romains leur
pendant longtemps les efforts de l'en-
étaient unis par des traités d'alliance. nemi. Ercté est une montagne d'une
Cependant le consul Junius, qui assez grande hauteur, située sur le
était resté à Lilybée, poursuivi par le bord de la mer, entre Éryx et Palerme,
souvenir de ses fautes et de son nau- escarpée de tous les côtés et couronnée
frage, cherchait à les faire oublier par par un plateau de cent stades de cir-
quelque action d'éclat. Il se ménagea conférence (*).Ce plateau est très-fer-
des intelligences secrètes dans Éryx> tile et produit d'abondantes moissons
et se lit livrer la ville et le temple de de toutes sortes de grains. Du côté de
Vénus. L'Éryx , la plus haute montagne la terre et du côté de la mer, les flancs
de la Sicile après l'Etna, est située de la montagne sont presque entière-
près de la mer, entre Drépane et Pa- ment revêtus de rochers à pic, inter-
ïenne, mais bien plus rapprochée de rompus seulement par quelques ravins
Drépane. Au sommet de la montagne faciles à fortifier. Au milieu du pla-
est un vaste plateau sur lequel on avait teau ,s'élève une éminence aue la na-
bâti le temple de Yénus Érycine, le
plus beau et le plus riche sans compa- (*) Environ 9,5oo toises.
60 L'UNIVERS.
ture semble avoir formée à la fois pour poste important à la sûreté de la ville
servir de citadelle et pour observer assiégée. Le consul s'en aperçut trop
tout ce qui se passe dans les campagnes
voisines. Le pied de cette montagne, tard, et, ne pouvant aller au'secours
des
avec siens,
toutesil ses donna l'assaut
forces, à Drépane
espérant, par
où l'on trouve une grande abondance
d'eau douce, s'étend jusqu'à un port cette diversion, ou prendre la ville en
très-commode pour ceux qui, de Dré- l'absence de son commandant, ou for-
pane ou de Lilybée, font voile vers cer ce dernier à revenir sur ses pas.
l'Italie. On n'arrive au sommet du Il obtint l'un de ces avantages. Amil-
mont que par trois chemins, deux du car étant retourné dans la ville pour
côté de la terre et un du côté de la repousser les assaillants, Fabius resta
mer, mais tous également pénibles et maître de l'île, qu'il joignit au conti-
difficiles. C'est dans ce poste qu'Amil- nent par une digue, et dont il se servit
car eut l'audace de s'établir. Il se pla- utilement dans la suite pour y établir
çait au milieu ses machines et presser plus vivement
vironné de tousd'un paysparennemi
côtés , en-
les armes les assiégés.
romaines, loin de ses alliés, loin de Amtlcar se maintient pendant
toute espèce de secours, et cependant, trois ans a ercté contre tous les
par l'avantage de cette position, par efforts des Romains. — Cependant
son courage et son expérience dans le Amilcar conservait toujours sa forte
métier de la guerre, il sut créer aux position d'Ercté. Sans cesse, avec sa
Romains obstacles sur obstacles, et flotte, il infestait les côtes de la Sicile
les jeter dans des périls et des alarmes et de l'Italie, et même lorsque les Ro-
continuelles. mains commandés par Métellus se fu-
Succès d'Hannon en Afrique. — rent établis en avant de Palerme, à
Pendant qu'Amilcar rétablissait en Si- cinq stades de ses retranchements, il
cile l'honneur des armes puniques, sut encore déjouer leurs manœuvres et
Hannon, son rival de gloire, étendait se maintenir pendant trois ans dans
en Afrique la domination de Carthage. cette position formidable.
Ce général, pour exercer ses soldats Pendant ce long espace de temps il
et les nourrir aux dépens de l'ennemi, ne se passa presque point de jour qu'il
avait porté la guerre dans cette partie n'en vînt aux mains avec l'ennemi.
de la Libye qui est aux environs d'Hé- C'étaient des deux côtés des embûches ,
catompyle. Il s'était emparé de cette des surprises habilement préparées,
grande ville; mais jaloux de relever plus habilement déjouées, des attaques
par la clémence l'éclat de sa victoire, imprévues, des retraites simulées, en
il se laissa attendrir par les prières des un mot, des combats de détail si fré-
habitants, se conduisit à leur égard en queuts, si semblables entre eux, que
vainqueur généreux, leur laissa leurs leur description a rebuté même la mi-
biens et leur liberté, et se contenta nutieuse exactitude de Polybe. « Une
d'exiger trois mille otages pour garants « idée générale de cette lutte, où les
de leur fidélité. «succès furent également balancés,
Siège de Drépane par le consul «suffira, dit-il, pour faire juger de
Fabius. — Vers le même temps le con- « l'habileté des deux généraux. En
sul Fabius faisait le siège de Drépane. « effet, tous les stratagèmes que l'ex-
Au midi de cette ville et tout près du « périence peut apprendre, toutes les
rivage est une île ou plutôt un rocher, « inventions que peuvent suggérer l'oc-
« casion et la nécessité pressante,
que les Grecs appelaient
lombes. Le consul y envoyal'île des Co-la
pendant « toutes les manœuvres qui exigent Je
nuit quelques soldats qui s'en emparè- « secours de l'audace et de la témérité,
rent après avoir égorgé la garnison « furent employés de part et d'autre
carthaginoise. Amilcar, qui était ac- « sans amener de résultat important.
couru ala défense de Drépane, sortit « Les forces des deux armées étaient
au point du jour pour reprendre ce « égales ; les deux camps bien fortifiés
Gl

CARTHAGE.

«et inaccessibles; l'intervalle qui les parés de la ville et du mont Éryx .


« séparait fort petit. Toutes ces causes ils avaient établi deux camps retran-
« réunies donnaient lieu chaque jour à chés ,l'un vers le bas de la mon-
« des combats partiels , mais empe- tagne ,l'autre sur le plateau qui
« chaient que faction devînt jamais dé- dominait la ville, en sorte qu'ils sem-
cisive; car, toutes les fois qu'on en blaient n'avoir rien à craindre pour
« venait aux mains, ceux qui avaient cette place défendue par sa situation
« le dessous trouvaient dans la proxi- naturelle et par cette double garnison.
« mité de leurs retranchements un asile Mais ils avaient à faire à un ennemi
« assuré contre la poursuite des enne- dont la vigilance et l'activité auraient
« mis et le moyen de les combattre avec dû les tenir toujours en haleine. L'au-
« avantage. » dace d'Amilcar, à qui rien ne parais-
Les nouveaux consuls (*) ne furent sait impossible, se fit un jeu de ces
pas plus heureux en Sicile que leurs obstacles presque insurmontables. Il
prédécesseurs , ayant toujours à lutter fait avancer ses troupes pendant la
contre les difficultés des lieux, contre nuit, se met à leur tête, gravit la mon-
les entreprises hardies et les ruses tagne dans le plus profond silence, et
habilement concertées d'Amilcar. Ce après deux heures d'une marche aussi
grand général, par son activité, par pénible que dangereuse , il arrive de-
son courage , par sa présence d'esprit, vant Éryx, l'emporte d'assaut, égorge
par son habileté à saisir l'occasion, une partie de la garnison , et fait con-
savait, avec des forces inférieures, con- duire lereste à Drépane.
server toutes les places qu'il avait pri- A partir de ce moment, cette petite
ses, inquiéter celles des ennemis, et montagne fut l'étroite arène où se dé-
balancer en Sicile la fortune et la puis- battirent les destins des deux plus
sance de Rome. Il résolut de secourir grandes républiques du monde. Amil-
Lilybée , qui , bloquée par terre et par car, placé entre deux corps ennemis,
mer , était en proie au découragement était assiégé par celui qu'il dominait,
et à la famine, et il y réussit par cet tandis qu'il assiégeait lui-même le
adroit stratagème. Il ordonna à une camp placé au-dessus de sa tête. Les
partie de sa flotte de se tenir en pleine Romains, retranchés sur le plateau de
mer et de manœuvrer comme si elle la montagne, bravaient tous les périls
avait le dessein de pénétrer dans Lily- et supportaient toutes les privations
bée. Dès que les Romains l'eurent avec une persistance opiniâtre. Les
aperçue, ils sortirent pour aller au- Carthaginois, par une constance qui
devant d'elle. Aussitôt Amilcar, avec tient du prodige, quoiqu'ils fussent de
trente de ses vaisseaux, qu'il avait toutes parts entourés par les ennemis,
tenus soigneusement cachés, se saisit quoiqu'ils ne pussent se procurer de
du port, y fait entrer des vivres et des vivres que par un seul point de la côte
secours, et pourvoit à tous les besoins dont ils étaient maîtres , restaient iné-
de la garnison, dont sa présence relève branlables dans cette position sans
et fortifie encore le courage. exemple. Les deux peuples, par la
Vingt-unième année de la guerre; proximité de leurs camps, exposés à
PRISE DE LA VILLE d'ERYX PAR AMIL- des travaux et à des périls sans cesse
car; il s'y maintient pendant deux renaissants, réduits tous les jours et
ans entre deux armees romaines ; presque tous les instants à craindre ou
244 avant l'ère vulgaire. — L'an- a soutenir le combat, à éviter les piè-
née suivante , Amilcar , toujours infa- ges ou à repousser l'ennemi à ,des
s'étaient
tigable, conçut une entreprise encore volontairement condamnés souf-
plus hardie/ Les Romains, comme frances au-dessus des forces humaines.
nous l'avons rapporté, s'étaient em- Le manque de repos, la privation d'a-
liments épuisaient leur vigueur sans
abattre leur courage. Toujours égaux
nius(*)Blaesus.
A. Manlius Torquatus et C. Senipro-
et toujours invincibles , ils soutinrent
62 L'UNIVERS.
pendant deux ans cette lutte acharnée, Dernière année de la guerre;
sans qu'aucun d'eux se rebutât de ses bataille navale des iles égates ;
défaites ou pût forcer l'autre à lui cé- victoire des romains ; 242 avant
der la victoire. l'ère chrétienne. — Au commence-
Vingt -deuxième année de la ment du printemps, le consul Lutatius,
guerre; défection des mercenai- ayant rassemblé tous les vaisseaux de
res carthaginois ; RÉTABLISSEMENT la république et ceux des particuliers ,
DE LA MARINE BOMAINE ; 243 AVANT passa en Sicile avec trois cents galè-
l'èbe chrétienne. — L'arrivée des res et sept cents bâtiments de trans-
nouveaux consuls (*) ne changea point port. Il s'empara, sans trouver de
la face des affaires. La guerre se résistance, des ports deDrépane et de
continuait sur le même terrain avec Lilybée , parce que les Carthaginois ,
la même opiniâtreté et la même alter- qui étaient loin de s'attendre à l'ar-
native de revers et de succès , lorsque rivée d'une flotte romaine, s'étaient
les Gaulois et quelques autres corps retirés en Afrique avec tous leurs vais-
de troupes mercenaires qui étaient au seaux. Encouragé par cet heureux dé-
service de Carthage , mécontents des but le
, consul fit les approches autour
retards apportés au payement de leur deDrépane, et disposa tout pour le
solde , formèrent le complot de livrer siège. Mais, en même temps* ce géné-
aux Romains la ville d'Éryx, où ils ral dont
, l'activité égalait la prudence,
étaient en garnison. Leur projet ayant prévoyant que la Hotte punique ne
échoué T ils passèrent dans le camp des tarderait pas à paraître, et persuadé
consuls et furent les premiers étran- que l'issue de cette longue guerre dé-
gers admis à porter les armes au ser- pendaitd'une bataille
vice de la république romaine. Cette tous les moyens pournavale,''
prépareremployait
la vic-
défection, qui diminuait toire. 11exerçait sans relâche les mate-
milcar, sembla redoublerles encore
forces d'A-
son lots les
, rameurs et les soldats de ses
courage et son énergie. Ce général, galères , les formait à toutes les évo-
lutions, les accoutumait à toutes les
qu'on ne pouvait ni surprendre par la manœuvres, et enlin, par ces leçons
ruse, ni dompter par la force, sut encore
opposer une si vigoureuse résistance sanstemps
cesse , répétées, il parvint , en'peu
aux Romains, que ceux-ci, désespérant de à leur donner une instruc-
d'achever la conquête de la Sicile avec tion et une expérience presque égales à
leurs seules forces de terre, revinrent celles de leurs ennemis.
au projet de rétablir leur marine. Cependant, les Carthaginois, surpris
Mais la longueur de la guerre avait de -l'audace des Romains, qui venaient
de reprendre la supériorité sur mer,
épuisé le trésor public, et le peu d'ar- songèrent sur-le-champ à ravitailler le
gent qui restait suffisait à peine à
T'entretien des légions. L'amour de la camp d'Éryx. Dans ce but, ils firent
patrie et la générosité des principaux passer en Sicile , sous le commandement
citoyens suppléèrent aux ressources d'Hannon , une flotte de quatre cents
qui manquaientvolontaires
contributions à l'État. de
Grâce
tous aux
les vaisseaux,
et de munitions chargésded'argent, de vivres
toute espèce. Le
ordres de la république, Rome, en dessein d'Hannon était d'aborder près
peu de temps , arma une Hotte de deux d'Éryx à l'insu des ennemis, d'y dé-
cents galères à cinq rangs de rames. charger ses vaisseaux , de renforcer son
Elles furent construites sur le modèle armée navale par les vétérans aguerris
de celle qu'on avait prise à Annibal le qu'Amilcar lui fournirait, et d'aller
Rhodien, et l'on apporta les soins les ensuite , avec ce général , combattre la
plus attentifs à leur fabrication et à flotte romaine. Ces mesures .étaient
leur équipement. bien prises , si la vigilance de Lutatius
ne les eût déconcertées. Le consul,
(*) C. Fundanius Fundulus et C. Sulpi-
tius Gallus. ayant deviné les projets de l'ennemi ,
fit embarquer sur sa flotte l'élite de ses
6a
CARTHAGE.
légions , et fit voile vers Éguse , île si- mis en mer une flotte équipée 5 la hâte,
tuée entre Drépane et Lilybée, d'où il et où tout accusait l'incurie et la pré-
aperçut de loin la flotte ennemie. Il cipitation soldats
: et matelots, tous
avertit les pilotes et les soldats de se mercenaires nouvellement levés , sans
préparer pour combattre le lende- expérience, sans courage, sans zèle
main ,et les exhorta à bien faire leur pour la patrie, comme sans intérêt
devoir. pour la cause commune. Aussi la vic-
Mais, au point du jour, voyant que toire ne fut pas longtemps incertaine.
le vent lui était aussi contraire qu'il Les Carthaginois plièrent de tous côtés
était favorable aux Carthaginois, et dès la première attaque. Ils perdirent
que la mer était extrêmement agitée, cent vingt galères, dont cinquante fu-
il hésita d'abord sur le parti qu'il de- rent coulées à fond , et soixante-dix
vait prendre. Cependant , il calcula que furent prises avec ceux qui les mon-
si, malgré ces désavantages, il enga- taient, au nombre de dix mille hommes.
geait de suite la bataille, il n'aurait à Le reste s'échappa , secondé par le
lutter que contre Hannon lui seul , vent, qui, ayant changé tout à coup,
contre des vaisseaux incomplètement favorisa leur fuite. Lutatius conduisit
armés,mentetconsidérable
embarrassés d'un charge- à Lilybée les vaisseaux et les prison-
de munitions et de niers dont il
Traité de s'était paix emparé.
entée Rome et
vivres , tandis que s'il attendait le cal-
me et laissait Hannon se joindre avec Caethage. — Telle fut la célèbre ba-
le camp d'Éryx, il lui faudrait com- taille des îles Égates. Quand la nouvelle
battre contre des vaisseaux allégés du en fut portée àCarthage, elle y causa
poids de leur cargaison , contre l'élite d'autant plus de surprise qu'on s'y était
de l'armée de terre , et , ce qui était en- moins attendu. Le sénat ne manquait ni
core plus formidable que tout le reste, de volonté ni de constance pour soute-
contre le génie et l'intrépidité d'Amil- nir la guerre; mais il n'entrevoyait
car. Ces motifs l'emportèrent dans son aucun moyen de la continuer. En effet
esprit, et le déterminèrent à saisir l'oc- les Romains, étant maîtres de la mer,
casion présente. on ne
Comme les ennemis approchaient ryx ni pouvait
vivres nienvoyer secours à: l'armée d'É-
abandonner
à pleines voiles, il lève l'ancre et s'a- cette armée à ses propres ressources,
vance àleur rencontre. L'adresse et la c'était la livrer à l'ennemi; et dès lors
vigueur de l'équipage se jouent de la il ne restait plus à Carthage ni géné-
résistance des vagues. La flotte se raux ni soldats. Dans cette extrémité,
range sur une seule ligne, la proue le sénat donna à Amilcar plein pouvoir
tournée vers l'ennemi. Les Carthagi- d'agir comme il le jugerait convenable
nois, voyant que les Romains leur pour l'intérêtde la république. Ce grand
fermaient le chemin d'Éryx, serrent homme, tant qu'il avait entrevu quel-
leurs voiles et se préparent au com- que lueur d'espérance, avait fait tout ce
bat.
qu'on pouvait attendre du courage le
Mais ce n'étaient plus, de part et plus intrépideIl etavait de l'expérience la plus
d'autre, ces mêmes flottes qui avaient consommée. disputé la victoire
combattu à Drépane; aussi le succès avec une constance et une opiniâtreté
devait-il être différent. Les Romains sans exemple. Mais lorsqu'il vit que
avaient fait de grands progrès dans la résistance devenait impossible, que
l'art de construire les vaisseaux. Leurs la paix était le seul moyen de sauver sa
équipages étaient formés d'excellents patrie et les soldats qui avaient partagé
matelots, de rameurs exercés et de ses travaux, il sut, en homme sage,
soldats choisis parmi les plus braves céder à l'impérieuse nécessité , et dé-
de l'armée. Les Carthaginois, au con- ploya autant de prudence et d'habileté
traire, trop confiants dans leur supé- dans les négociations, qu'il avait mon-
riorité avaient
, depuis longtemps né- tré de valeur et d'audace dans le com-
gligé leur marine. Au crémier bruit de mandement des armées. 11 envoya donc
l'armement des Romains , ils avaient au consul Lutatius des députés char-
64 L'UNIVERS.
gés de lui faire des propositions de paix juger des efforts incroyables que firent
et d'alliance. les deux peuples, lorsqu'on les voit , à
Le consul , jaloux d'enlever à son la lin de la guerre , après les pertes
successeur la gloire de terminer une immenses éprouvées de part et d'au-
guerre si importante, accueillit avec tre (*), réunir dans une même bataille
navale sept cents galères à cinq rangs
joie ces ouvertures. Il savait d'ailleurs
que les forces et les finances de la ré- de rames. Une égale passion de domi-
ner animait les deux républiques. De
publique étaient épuisées ; que le peu-
là, même audace dans les entreprises,
ple romain était las d'une lutte si lon-
gue et si difficile. 11 n'avait pas oublié même activité dans l'exécution, même
les funestes suites de la bauteur inexo- constance dans les revers. Les Cartha-
rable etimprudente deRégulus. Aussi, ginois l'emportaient par la science de
il ne se montra point difficile, et con- la marine, par l'habileté dans la cons-
sentit àla paix aux conditions suivan- truction des vaisseaux, par la préci-
tes :que les Carthaginois évacueraient sion et la rapidité des manœuvres , par
entièrement la Sicile ; qu'ils ne feraient l'expérience des pilotes , par la connais-
la guerre ni contre Hiéron et les Sy- sance des côtes , des plages, des rades
racusains , ni contre leurs alliés ; qu'ils et des vents; enfin parieurs riches-
rendraient sans rançon aux Romains ses qu'alimentait un commerce floris-
sant ,et qui leur donnaient les moyens
tous les prisonniers 'et les transfuges;
qu'ils leur payeraient, dans l'espace de de subvenir à tous les frais d'une guerre
vingt ans , deux mille deux cents talents longue et dispendieuse. Les Romains
euboïques d'argent (*). n'avaient aucun de ces avantages ;
Lutatius avait d'abord exigé que les mais le courage , le zèle pour le bien
troupes qui étaient dans Éryx livras- public, l'amour de la patrie, une noble
sent leurs armes. Amilcar déclara qu'il émulation pour la gloire, un vif désir
ne rendrait jamais aux ennemis de son d'étendre leur domination, leur te-
pays des armes que son pays lui avait naient lieu de tout ce qui leur man-
confiées pour le défendre, qu'il péri- quait d'ailleurs.
rait lui-même, qu'il laisserait périr sa Quant aux soldats, l'armée romaine
était bien supérieure à celle de Car-
patrie plutôt que d'y retourner cou- thage pour le courage et la discipline.
vert d'une pareille ignominie. Cette
généreuse résistance força le consul à Quant aux généraux, aucun Romain ne
céder. peut être comparé à cet Amilcar, qui ,
Ce traité, expédié à Rome, ne fut arrivé en Sicile au moment où les af-
faires étaient presque désespérées , les
pas d'abord accepté par le peuple. On
envoya dix commissaires sur les lieux rétablit par les seules ressources de
près l'état des son génie, sut, avec des forces infé-
pour examiner
affaires. Ceux-ci dene pluschangèrent rien à rieures, déjouer pendant cinq années
l'ensemble du traité. Ils ajoutèrent seu- entières tous les efforts delà puissance
lement aux premières conditions, que romaine, etqui même, lorsque Carthage
les Carthaginois payeraient sur-le- succomba , eut la gloire de n'être pas
champ mille talents pour les frais de vaincu. Dans tout le cours de cette
guerre, et deux mille dans les dix an- guerre, il n'a paru chez les Romains
nées et qu'ils abandonne- aucun général dont les talents écla-
raientsuivantes,
toutes les îles situées entre la tants aient pu être regardés comme la
Sicile et l'Italie (**). cause de la victoire, en sorte que c'est
Ainsi fut terminée l'une des plus uniquement par la force de sa consti-
longues guerres dont il soit parlé dans tution et par ses vertus nationales que
l'histoire; elle dura près de vingt-qua- Rome a triomphé de Carthage.
tre ans sans interruption. On peut (*) Dans le cours de cette guerre, les
Romains perdirent, soit parles combats, soit
(*) Environ 1 1 millions. par les naufrages, 700 vaisseaux de guerre,
(**) Excepté la Sardaigue et la Corse. et les Carthaginois 5oo.
CARTHAGE. 65
Guerre de Libye ou contre mettre un terme, entra en négocia-
LES MERCENAIRES de 240 A 237 tion avec leurs officiers. Il fut con-
avant J. C. — A la guerre que les venu que les soldats, après avoir reçu
Carthaginois venaient de terminer chacun une pièce d'or pour les besoins
contre les Romains en succéda im- les plus pressants, se retireraient à
médiatement une autre, moins lon- Sicca, qu'ils y attendraient l'arrivée
gue, mais non moins dangereuse, du reste de leurs camarades , et qu'a-
qui attaqua le cœur de l'État , et qui lors on leur payerait tous les arré-
fut souillée par des actes de barbarie rages qui leur étaient dus.
et de cruauté sans exemple. C'est celle A cette imprudence, on en ajouta
qu'ils eurent à soutenir contre les une autre,
soldats mercenaires qui avaient servi mener avec ceeuxfutleurs
de lesbagages
forcer , d'em-
leurs
en Sicile et contre les Numides et les
Africains qui étaient entrés dans leur femmes daientetàlaisser,
leurs enfants
suivant qu'ils deman-
la coutume,
révolte. Cette guerre où les Carthagi- dans les murs de la capitale, et qui
nois tremblèrent plusieurs fois , non- auraient été des gages certains de
seulement pour la possession de leur leur fidélité.
territoire, mais encore pour leur pro- Lorsqu'ils furent réunis à Sicca ,
pre salut et celui de Carthage, prouve ces hommes qui avaient été si long-
combien il est dangereux pour un temps privés des douceurs du repos
Etat de s'appuyer avec trop de con- s'y livrèrent avec délices, et l'oisi-
fiance sur des troupes étrangères et veté, mère des séditions, si dange-
sur des soldats soudoyés. Voici quelle reuses surtout parmi les troupes étran-
en fut l'occasion. gères, relâcha tous les liens de la
Causes de la guerre. — Aussitôt discipline. Us occupaient leurs loisirs à
après que le traité avec les Romains calculer les sommes que la république
eut été conclu et ratifié, Amilcar leur devait. Us grossissaient leurs
conduisit^ à Lilybée les troupes du créances de toutes
leur avait faites lesdanspromesses qu'on
les occasions
camp d'Éryx, et, s'étant démis du
commandement , laissa à Giscon , périlleuses , et les considérant comme
gouverneur de la place, le soin de les des titres d'une validité incontestable,
faire passer en Afrique. Celui-ci, ils s'encourageaient les uns les autres
par une sage prévoyance, fit partir à en exiger le payement. Enfin leur
ces troupes par corps détachés et à avidité, se livrant à toute l'exagération
des intervalles assez éloignés l'un de de ses espérances, jouissait déjà par
l'autre, pour que les premiers venus avance du bonheur et des avantages
pussent recevoir l'arriéré de leur qui devaient en être le fruit.
solde, et être renvoyés chez eux avant Commencements delà révolte;
les mercenaires vont camper a
l'arrivée des autres. Le gouvernement
de Carthage n'imita pas la prudence Tunis ; 240 ans avant l'ère chré-
de Giscon. Comme le trésor public tienne. — Quand les derniers corps
était épuisé par les dépenses d'une furent
longue guerre, on ne se pressa pas tout entière de
arrivés futSicile et queà l'armée
réunie Sicca ,
de payer les au troupes à mesure qu'elles Hannon, gouverneur de la province,
arrivaient, contraire on attendit leur fut envoyé par le sénat de Car-
qu'elles fussent toutes réunies à Car- thage. Celui-ci , loin de satisfaire i'at-
tente et les prétentions exorbitantes
raientthage,
à dansdimi
une l'espoir qu'elles
n ution sur leconsenti-
montant
des mercenaires
ment des finances , dealléguant l'épuise-
la république, et
de leur solde. Mais ces vieux soldats,
nourris dans le tumulte de la guerre l'énormité des tributs imposés par
et accoutumés à toute la licence des l'ennemi , les supplia
camps, troublaient nuit et jour la paix une réduction sur le de consentir
montant de laà
de la cité par leurs dérèglements et solde qui leur était légitimement due.
leurs violences. Le sénat, pour y A peine a-t-il prononcé ces mots que
5e Livraison. (Carthage.)
L'UNIVERS.
la sédition éclate dans cette soldatesque contraire de ce qu'Hannon avait pro-
avide et indisciplinée. Des groupes , posé. De là, l'inutilité de ses tentatives
des conciliabules se forment. D'abord , partielles
désordre ,etetlapartout méfiance.l'incertitude , le
les soldats de chaque nation s'assem- Outre leurs autres sujets de plainte,
blent séparément; bientôt toutes les
nations réunies ne forment qu'un les mercenaires reprochaient encore
attroupement général. La différence aux Carthaginois d'avoir écarté à des-
de peuples, la diversité de langages, sein les généraux qui avaient partagé
leurs glorieux travaux en Sicile, et
l'impossibilité de s'entendre l'un l'au- leur avaient fait de magnifiques pro-
tre, jettent cohérente dans cette
un trouble multitude
et une in-
confusion messes, pour leur envoyer un homme
inexprimables. qui ne s'était trouvé à aucun des com-
Si les Carthaginois, dit Polybe, bats où ils s'étaient signalés. Enfin ,
dans la composition de leurs armées transportés de colère, pleins de mé-
ont eu pour but de prévenir les asso- pris pour Hannon , de défiance pour
ciations etles révoltes générales, et leurs officiers, ils partent sur-le-champ,
de rendre les soldats moins redou- marchent sur Carthage au nombre de
tables pour leurs chefs, ils ont eu plus de vingt mille, et vont camper
raison de les former constamment de près de Tunis, à 120 stades de la ca-
troupes choisies parmi des nations
différentes. Mais lorsque la haine Consternation des Carthagi-
couve au fond des cœurs, que la pitale. nois; EXIGENCES DES REVOLTES.
colère s'allume, que la sédition éclate; — Alors les Carthaginois reconnurent
lorsqu'il faut apaiser, éclairer, ra- leurs fautes , lorsqu'il était trop tard
mener au devoir les esprits égarés, pour les réparer. Dans la frayeur où
c'est alors qu'on sent tout le vice les jeta le voisinage de cette armée, ils
d'une institution pareille. De sem- se résignèrent à tout céder, à tout souf-
blables armées, lorsque la rébellion frir pour apaiser sa fureur. On en-
les soulève , ne mettent point de bor- voyait en abondance aux mercenaires
nes à leur fureur. Ce ne sont plus des des vivres dont ils taxaient eux-mêmes
hommes; ce sont des bêtes féroces, le prix à leur gré. Chaque jour le sénat
dont la rage forcenée se livre à tous leur députait quelques-uns de ses mem-
les excès d'une barbarie impitoyable. bres pour les assurer qu'ils n'avaient
Les Carthaginois en firent dans cette qu'à demander; qu'on était prêt à
occasion une triste expérience. Il y tout faire pour eux, pourvu que ce
avait dans cette multitude des Espa- qu'ils demanderaient fut possible. Ce-
gnols, des Gaulois, des Liguriens, pendant ils ajoutaient chaque jour à
des Baléares , des Grecs de toutes les l'exigence de leurs prétentions. La
nations , la plupart transfuges ou es- terreur saientetsurla
claves, et surtout un grand nombre Je consternation qu'ils li-
front des Carthaginois
d'Africains. Les assembler dans un augmentaient leur audace et leur in-
même lieu , et leur parler à tous en solence. Ils se persuadaient d'ailleurs
même temps, était chose impossible; qu'aucun peuple du monde, à plus forte
les haranguer séparément et par na- raison les Carthaginois , n'oserait ris-
tion ne l'était pas moins , aucun gé- quer le combat contre des vétérans
néral ne possédant tant de langues di- qui, si longtemps en Sicile, avaient
verses. Ilne restait à Hannon que le rivalisé de gloire et de succès avec les
moyen d'employer les officiers pour légions romaines. A peine fut-on d'ac-
faire entendre ses propositions aux cord sur le montant de la solde qu'ils
soldats. C'est celui qu'il adopta. Mais , demandèrent le prix des chevaux qu'ils
parmi ces officiers , les uns ne com- avaient perdus. Cette proposition ad-
prenaient pas ce qu'il leur disait ; les mise ils
, exigèrent qu'on leur payât en
autres, soit par ignorance, soit par argent le blé qui leur était du depuis
malice, rapportaient aux soldats le
longtemps , au plus haut prix qu'il s'é-
CARTHAGE.
La crainte de tomber entre les mains
tait vendu pendant la guerre. C'étaient
tous les jours de nouvelles exigences des Romains qui, d'après leurs lois,
que les brouillons et les séditieux dont auraient puni sa désertion des plus
cette soldatesque était remplie met- cruels supplices, le porta à tout entre-
taient en avant pour traverser les né-
gociations. Enfin, le sénat se mon- ment. prendre
L'autrepourétait rompre l'accommode-
un Africain nommé
trant disposé à les satisfaire dans tout Mathos , homme de condition libre , et
ce qui n'était pas impossible, obtint, qui avait aussi servi dans l'armée,
par cette condescendance , qu'ils accep- mais qui , ayant été l'un des principaux
teraient pour médiateur l'un des gé- instigateurs de la révolte, s'attendait
néraux qui avaient commandé en Si- à servir d'exemple , et à payer de sa
cile.
GlSCON EST CHOISI POUR ARBITRE ;
tête le crime qu'il avait conseillé. Cette
M ATHOS ET SPENDTUS ROMPENT LES
communauté de craintes unit d'un lien
étroit ces deux hommes pervers. Ma-
NÉGOCIATIONS ; ILS SONT ÉLUS CHEFS thos ,de concert avec Spendius , se
des mercenaires. — Amiicar sem- présente aux Africains. Il leur per-
blait désigné pour cette fonction. Mais suade que sitôt que les troupes étran-
gères auront reçu leur solde et se se-
démis était
il leur suspect, parce
volontairement du que, s'étant
commande- ront retirées chacune dans leur pays ,
ment des armées, et n'ayant pas de- restés seuls et sans défense, ils devien-
mandé àêtre chargé de négocier avec dront les victimes de la colère des Car-
eux, il semblait avoir abandonné leur thaginois, quise vengeront sur eux de
cause. Giscon , au contraire, qui avait la révolte commune. A ces mots les
servi en Sicile , et qui , dans plusieurs esprits s'échauffent et s'irritent; et
circonstances , surtout à l'occasion de comme Giscon n'acquittait que l'arriéré
leur retour, avait pris à cœur leurs in- de la solde , et remettait à une autre
térêts s'était
leur affection. , acquis
Us le leur confiancedoncet époquevaux et du
choisirent le payement du prix des che-
blé, ils saisissent avidement
pour arbitre de leurs différends avec
ce léger prétexte , s'attroupent en tu-
la république. On fournit à Giscon l'ar- multe ,et s'élancent vers la place où
gent nécessaire. Il part de Carthage et se tenait l'assemblée.
débarque à Tunis. Il s'adresse d'abord Là , lorsque Spendius et Mathos se
aux chefs, et fait ensuite rassembler répandaient en invectives contre Gis-
les soldats par nation. Alors , em- con et les Carthaginois, ils accueillaient
ployant des paroles douces et insi- leurs discours avec une bienveillance
nuanteils , leur fait de légers reproches attentive. Mais si quelque autre se pré-
sur leur conduite passée , leur fait sen- sentait la
à tribune pour leur donner
tir tout le danger de leur situation pré- des conseils, ils ne prenaient pas seu-
sente, leur donne de sages conseils
lement letemps de s'instruire s'il était
pour l'avenir, et les exhorte à renouer contraire ou favorable à leurs chefs, et
les liens d'une ancienne affection avec l'accablaient d'une grêle de pierres
un État qu'ils ont servi si longtemps , avant même qu'il eût pu se faire en-
et dont ils ont reçu tant de bien- tendre. Plusieurs particuliers et un
faits.
Enfin , il se disposait à payer toutes ce tumultueux d'officiers
grand nombre périrent
conciliabule où le dans
mot
les dettes arriérées , lorsque deux sé- frappe ï quoique différent dans chaque
ditieurompant
x, l'accord qui commen- langue , était le seul qui fût compris
çait à s'établir, remplirent tout le par toutes ces nations diverses, parce
camp de tumulte et de désordre. L'un qu'il était sans cesse accompagné de
était un certain Spendius, Campanien l'action qui en expliquait le sens. Mais
de nation , d'esclave devenu transfuge, c'est surtout lorsque échauffés par l'i-
homme qui s'était distingué dans l'ar- vresse, ils se réunissaient après le re-
mée par sa force de corps extraordi- pas ,que la fureur des factieux était
naire etpar la témérité de son audace. le plus redoutable. A peine le mot fatal
5.
68 L'UNIVERS.

était-il prononcé, l'imprudent qui avait à lui envoyer des secours. A son insti-
osé se présenter, frappé de mille coups gation presque tous les peuples afri-
à la fois, succombait sans avoir pu ni cains se révoltèrent contre la domina-
échapper, ni se défendre. Ces vio- tion des Carthaginois , et lui fournirent
lences ayant écarté tous les concur- des vivres et des renforts. Alors , ayant
rentsMathos
, et Spendius furent choi- partagé leurs troupes en deux corps ,
Mathos et Spendius allèrent mettre le
sis pour commander
Violation du droit l'armée.des gens
siège devant Utique et Hippone , qui
envers glscon et ses compa- avaient refusé de prendre part à leur
rébellion.
GNONS; SIEGE d'UtIQUE ET d'IÏIP- Position critique des Cartha-
PONE; 239 ANS AVANT L'ÈRE VUL-
GAIRE. — Au milieu de ce tumulte ginois. — Jamais Carthage ne s'était
affreux, Giscon restait inaccessible à vue dans un si grand danger. Jusqu'a-
la crainte. Décidé à se sacrifier aux in- lors les revenus des propriétés parti-
térêts de sa patrie , et prévoyant même culières avaient fourni à l'existence des
que si la rage de ces forcenés se dé- familles; les tributs que payait l'Afri-
que avaient alimenté le trésor public ,
chaînait contre Carthage, l'existence
même de la république était menacée, et les troupes étrangères avaient tou-
il accomplissait sa mission avec une jours composé l'élite de ses armées.
Toutes ces ressources non-seulement
constance inébranlable. S'exposant à
lui manquaient à la fois , mais se tour-
tous les périls , tantôt il s'adressait aux
chefs , tantôt il rassemblait tour à tour naient contre elle et s'unissaient pour
l'accabler. La consternation et le dés-
les soldats de chaque
çait de calmer nation
leurs , et s'effor-
ressentiments. espoir s'augmentaient encore par l'im-
Mais les Africains , qui n'avaient pas prévu d'un tel événement. Lorsque,
épuisés par les longs efforts que leur
encore reçu l'arriéré de leur solde, avait causés la guerre de Sicile, ils
vinrent en demander le payement.
Comme ils l'exigeaient avec hauteur avaient enfin obtenu la paix , ils s'é-
et avec insolence, Giscon, dans un taient flattés de pouvoir respirer un
mouvement de colère, leur répondit moment,
affaires lesetannées d'employer à rétablir
de calme et de leurs
tran-
qu'ils n'avaient qu'à s'adresser à Ma-
thos, leur général. Cette réponse les quillité dont ils se croyaient assurés ;
transporta d'une telle fureur, qu'ils se et voilà qu'il surgissait tout à coup
une nouvelle guerre plus terrible et
jetèrent à l'instant sur l'argent préparé
pour le payement de leur solde, et plus dangereuse encore que la pre-
qu'ils arrachèrent de leur tente Giscon mière. Auparavant ils n'avaient à com-
et les Carthaginois qui l'avaient accom- battre qu'une nation étrangère; il ne
pagné. Mathos et Spendius, persuadés s'agissait que de la possession de la
qu'un attentat public au droit des gens Sicile : maintenant c'était une guerre
civile où leur patrimoine, leur salut,
était un moyen sûr d'allumer la guerre ,
irritaient l'existence même de Carthage étaient
multitude encore l'exaspération
turbulente. de cette
Ils livrent au en péril. Ils se trouvaient sans armes,
sans troupes ni de terre, ni de mer,
pillage l'argent et les bagages des Car-
thaginoischargent
, de fers Giscon et sans approvisionnements pour soute-
ses compagnons, et les jettent dans un nir un siège, sans argent dans le tré-
cachot, après les avoir abreuvés d'ou- sor public , et , ce qui mettait le comble
à leurs malheurs , sans aucune espé-
causes tragesetetd'ignominies. Tels furent
les commencements de les
la rance de secours étrangers de la part
de leurs amis ou de leurs alliés.
guerre contre les mercenaires , qu'on
Du reste, ils ne pouvaient attribuer
a appelée aussi guerre d'Afrique.
Mathos , après cet attentat , envoya ces malheurs qu'à leur conduite passée.
Us avaient traité avec une extrême du-
des députés à toutes les villes d'Afri-
reté les peuples africains pendant le
que pour l'es exhorter à recouvrer leur
liberté, à entrer dans son alliance, et cours de la guerre précédente. Prétex-
CARTHAGE.
69
tant les dépenses qu'elle occasionnait , que jour par de nouveaux renforts,
ils avaient exigé des propriétaires ru- s'élevait déjà à soixante-dix mille hom-
raux la moitié de leurs revenus, et mes , pressaient , sans être inquiétés
des habitants des villes le double de par l'ennemi, le siège d'Utique et
l'impôt qu'ils supportaient auparavant, d'Hippone. En même temps ils forti-
sans accorder aucune grâce ni aucune fiaient avec le plus grand soin leur
remise aux plus pauvres et aux plus camp retranché près de Tunis, et cou-
misérables. Entre les gouverneurs des paient ainsi aux Carthaginois toute
communication avec le continent de
provinces,
les administraient ce n'étaient point ceux
avec douceur qui
et avec l'Afrique. En effet , Carthage est située
humanité auxquels ils prodiguaient sur une péninsule, bordée d'un côté
leur estime, mais ceux qui faisaient par la mer, de l'autre par le lac de
entrer de plus grosses sommes dans le Tunis. L'isthme qui la joint à l'Afrique
trésor public, et auprès desquels, les est large d'environ vingt-cinq stades.
contribuables trouvaient le moins d'ac- Utique et Tunis sont bâties l'une à
cès et d'indulgence. Hannon était du l'ouest , l'autre à l'est de Carthage , et
nombre de ces derniers. Des peuples toutes deux à une petite distance de
ainsi maltraités n'avaient pas besoin cette ville. De ces deux points les mer-
d'instigations pour les pousser à la ré- cenaires harcelaient sans cesse les Car-
volte ;c'était assez qu'on annonçât un thaginois. Le jour, la nuit, à chaque
instant , ils poussaient leurs excursions
soulèvement pour qu'ils fussent' prêts
àavaient
s'y joindre. eu souvent Les femmes mêmes
la douleur qui
de voir jusqu'audaient lepied
trouble des murailles , et répan-
et la consternation
traîner en prison par les collecteurs parmi les habitants.
des impôts leurs maris et leurs pères, Hannon était habile et actif dans
montrèrent pour leurs vengeurs un l'organisation et dans l'administration
dévouement unanime. Elles se dépouil- d'une armée; mais, en présence de
lèrent avec empressement de leurs bi- l'ennemi , c'était un homme tout diffé-
joux et de leurs parures, et en consa- rent. Alors il ne montrait ni sagacité
crèrent leproduit aux frais de la guerre; pour faire naître les occasions , ni éner-
de sorte que Mathos et Spendius, gie pour en profiter, ni vigilance pour
après avoir payé aux soldats ce qu'ils se garantir des surprises. Ce général
leur avaient promis pour les engager s'était avancé au secours d'Utique. Il
à la révolte , se trouvèrent encore en remporta d'abord un avantage qui au-
état de fournir abondamment à toutes rait pu devenir décisif, mais dont il
les dépenses de l'armée. profita si mal , qu'il aurait pu causer la
Hannon, nommé général des perte de ceux mêmesamené qu'il plus
était venu se-
Carthaginois, éprouve, par sa courir. Il avait de cent
faute, un échec consideraele a éléphants, et, s'étant abondamment
Utique. — Cependant les Carthagi- pourvu de catapultes , de balistes , et de
nois ,au milieu de la détresse qui les toutes sortes de traits qu'il trouva dans
accablait, trouvèrent encore des res- Utique, il plaça son camp en avant de
sources dans leur énergie. Ils nom- la ville, et entreprit d'attaquerLesles élé-
re-
ment pour général Hannon , le même tranchements des ennemis.
qui , quelques années auparavant, avait phantspoussés
, avec impétuosité , ren-
soumis Hécatompyle. Ils font venir de versent tous les obstacles. Les mer-
tous côtés des soldats mercenaires; ils cenaires, ne pouvant soutenir leur
enrôlent dans l'infanterie et dans la choc, prennent la fuite et abandon-
cavalerie; ils exercent aux manœuvres nent leurs retranchements. Un grand
tous les citoyens en âge de porter les nombre périt victime de la fureur de
armes ; enfin ils équipent , sans perdre ces animaux redoutables. Ceux qui
de temps , tout ce qui leur restait de parvinrent à s'échapper se retirè-
vaisseaux. De leur côté, Mathos et rent sur une colline escarpée et cou-
Spendius, dont l'armée, grossie cha- verte d'arbres, qui leur parut une posi-
70 L'UNIVERS.
tion avantageuse et facile à défendre. Amilcar Barca, nommé au com-
Hannon , accoutumé à faire la guerre mandement DE L'ARMÉE A LA PLACB
contre des Numides et des Africains, D'HANNON, REMPORTE SUR LES MER-
gui, au premier échec, prenaient ia CENAIRES UNE VICTOIRE SIGNALÉE,
fuite et se dispersaient à deux ou trois FAIT LEVER LE SIÈGE D'UTIQUE ET
journées de distance, crut que la vic- S'EMPARE DE PLUSIEURS VILLES,
toire était complète et qu'il n'avait plus 238 avant l'ère vulgaire. — Les
d'ennemis à combattre. Préoccupé de Carthaginois , ayant enfin reconnu l'in-
cette idée, il ne songea plus à veiller capacité d'Hannon, rendirent à Amil-
ni sur la discipline de son armée ni sur car, surnommé Barca, le commande-
la défense de son camp. Il entra dans ment de l'armée. Ils le chargèrent de
la ville et se livra en pleine sécurité la conduite de la guerre; ils lui don-
au repos et aux plaisirs. nèrent soixante-dix éléphants, tous les
soldats étrangers qu'ils avaient pu ras-
surLesla colline
mercenaires étaientquices
s'étaient
mêmes retirés
vété- sembler, tous les transfuges et les
rans auxquels , dans une longue confra- troupes d'infanterie et de cavalerie
ternité d'armes, Amilcar avait trans- qu'ils avaient levées dans la ville. Cette
mis son audace. Pendant les campagnes petite armée s'élevait à peine à dix mille
de Sicile, ils s'étaient instruits par hommes. Dès sa première action il se
son exemple à soutenir avec fermeté montra digne de son ancienne renom-
toutes les vicissitudes de la guerre. mée, et remplit les espérances que sa
Plusieurs fois, dans le même jour, on nomination avait fait naître parmi ses
les avait vus faire retraite devant l'en- concitoyens. A peine sorti de Carthage,
nemi, changer de front brusquement il tombe à l'improviste sur ses enne-
pour l'attaquer à leurleur
rilleuses manœuvres tour, et cesdeve-
étaient pé- mis ,et les frappe d'une si grande ter-
reur que, perdant toute confiance, ils
nues familières. Alors, ayant appris que abandonnent le siège d'Utique. L'im-
l'ivresse de la victoire avait introduit portance decet événement exige quel-
dans l'armée ennemie la négligence et ques détails.
l'indiscipline, que le général s'était re- Le col étroit de l'isthme qui joint
tiré dans la ville, que les soldats s'écar- Carthage a l'Afrique est entouré de
taient sans précaution de leurs retran- collines escarpées et d'un accès diffi-
chements, ilsse forment en ordre de cile, sur lesquelles l'art a pratiqué des
bataille, viennent fondre sur le camp chemins qui ouvrent des communica-
des Carthaginois, en tuent un grand tions avec le continent. Mathos avait
nombre, et forcent les autres à fuir fortifié avec soin tous les passages de
honteusement jusque sous les murs de ces collines susceptibles de défense.
la ville. Ils s'emparèrent de tous les ba- Indépendamment ae ces fortifications
gages, de toutes les armes et de toutes naturelles, le Baccara(*), fleuve pro-
les machipes de siège qu'Hannon avait traverser fond, qu'ilà est guépresque impossible
dans cette partie de
de
fait sortir d'Utique, et qui, par cette son cours , fermait à ceux qui venaient
imprudence, tombèrent au pouvoir de
ses ennemis. Ce ne fut pas la seule de Carthage le débouché dans l'inté-
circonstance où ce général donna des rieur du pays. Ce mercenaires
fleuve n'avaitavaient
qu'un
preuves d'incapacité. Quelques jours seul pont dont les
plus tard , comme il était campé près fortifié les abords, et au-dessus duquel
de la ville de Gorza, en face des enne- ils avaient même construit une ville,
mis l'occasion
, se présenta de les dé- de sorte que non-seulement une armée ,
faire deux fois en bataille rangée et mais même un homme seul ne pouvait
deux fois par surprise, et cependant, sortir de l'isthme sans être aperçu des
ennemis.
quoiqu'il fût à portée d'observer les Amilcar, toujours attentif à saisir
fautes de ses adversaires et d'en pro-
fiter, illaissa toujours échapper ces
occasions décisives. (*) Ou Bagrada.
71

CARTHAGE.
les occasions que lui présentaient le valerie, rompent leurs rangs et la
temps et la nature des lieux, et voyant poursuivent avec impétuosité. Mais
l'impossibilité de débusquer l'ennemi lorsque les cavaliers, faisant tout à
par la force, imagina cet expédient coup volte-face, se déployèrent sur les
pour ouvrir un passage à son armée. deux ailes de l'infanterie qui s'avançait
Il avait observé que lorsque le vent en ordre de bataille, la terreur se ré-
soufflait d'un pandit parmidelesla Africains. L'ardeur
quelques jours,certain point
le lit du pendant
fleuve était inconsidérée poursuite avait jeté
le désordre dans leurs rangs; aussi
obstrué par le sable et qu'il s'y formait
une espèce de banc qui permettait de n'opposèrent-ils presque aucune résis-
le traverser à gué près de son embou- tance; du premier choc ils furent mis
chure. Il tint son armée prête à se en fuite, culbutés les uns sur les au-
mettre en marche, et sans s'ouvrir de tres, foulés aux pieds des chevaux et
son dessein à personne, il attendit des éléphants, qui les pressaient sans
patiemment la circonstance favorable. leur donner le temps de se rallier. Six
Les vents soufflent; le gué se forme; mille hommes , tant Africains que mer-
il part la nuit avec toutes ses troupes, cenaires, restèrent sur le champ de
et se trouve au point du jour de l'autre bataille. On fit deux mille prisonniers ;
coté du fleuve, sans avoir été aperçu le reste se sauva, les uns dans la ville
de l'ennemi. La réussite de cette au- bâtie au-dessus du pont, les autres
dacieuse entreprise frappa dans le camp d'Utique. Arailcar, pro-
ment et les mercenaires et lesd'étonne-
Cartha- fitant de sa victoire, poursuit les
ginois eux-mêmes qui la croyaient fuyards sans relâche, et s' impare de la
impossible. Amilcar poursuit sa route ville qui défendait le pont du Baccara
à travers une plaine découverte, et se et que les merce: pires avaient aban-
dirige vers le pont qui était occupé par donnée pour se retirer à Tunis. En-
un détachement de l'armée de Spen- suite, savançant dans 1- pays, il se
dius.
rendit
les unesmaître *de plusieurs
se rendirent villes, dont
à composition et
Celui-ci,
milcar, faitinstruit de l'approche
sortir dix d'A-
mille hommes les autres furent prises de vive force.
de la ville bâtie au-dessus du pont, et Par ces heureux succès il releva le cou-
s'avance en rase campagne à la ren- rage et la confiance des Carthaginois,
contre du général carthaginois. En qui naguère désespéraient entièrement
même temps ceux qui assiégeaient Uti- du salut de leur patrie.
que, au nombre de plus de quinze Amilcar est resserré par les
mercenaires dans une position
mille, se hâtent d'arriver au secours
de leurs camarades. Ces deux corps dangereuse ; il en sort par le se-
d'armée réunis s'exhortent, s'encoura- COURS d'un chef de Numides, qui
ARANDONNE LA CAUSE DES REVOLTES
gent à saisir l'occasion favorable et POUR SE JOINDRE AUX CARTHAGI-
tondent sur les Carthaginois.
Jusque-là Amilcar avait conservé NOIS. — Cependant Mathos continuait
son ordre de marche, les éléphants à toujours le siège d'Hippone. Il donna
la tête; derrière eux la cavalerie et les à Spendius et à Autarite, chef des
armés à la légère; l'infanterie, pesam- Gaulois, le sage conseil d'observer de
ment armée, formait l'arrière-garde. près l'ennemi, d'éviter les plaines où
Surpris par la brusque attaque des leurs éléphants et leur cavalerie don-
mercenaires, il change en un moment naient aux Carthaginois l'avantage , de
toute la disposition de son armée. Par suivre le pied des montagnes, de régler
un mouvement de conversion rapide, leur marche sur celle d'Amilcar, et de
il porte à la fois sa cavalerie sur les ne l'attaquer que lorsqu'ils le ver-
derrières , et ramène son infanterie sur raient engagé dans quelque position
le front de bataille pour l'opposer à difficile. En même temps il expédie
l'ennemi. Les Africains, attribuant à la des messages aux JNumides et aux Afri-
crainte la marche rétrograde de la ca- cains pour les engager à envoyer des
72 L'UNIVERS.

renforts, et à ne pas laisser échapper telle hardiesse, l'accueillent avec bien-


l'occasion de recouvrer leur indépen- veil ance etle conduisent à leur gêné-
dance. Spendius alors, ayant joint aux rai. Naravase lui dit qu'il portait une
deux mille Gaulois d'Autarite six mille affection sincère à tous les Carthagi-
hommes choisis parmi les soldats de nois, mais qu'il désirait surtout être
toute nation qui étaient campés à Tu- l'ami de Barca, qu'il n'était venu que
nis, se met à observer la marche des dans le dessein de s'attacher à lui, et
Carthaginois et à suivre tous leurs que désormais il serait le compagnon
mouvements en côtoyant toujours le fidèle de tous ses périls et de tous ses
pied des montagnes. Un jour qu'Amil- travaux. Amilcar, frappé de la noble
car était campe dans une plaine, en- confiance de ce jeune homme et de la
viron ée detous côtés par des hauteurs franchise ingénue avec laquelle il avait
escarpées, les renforts que Spendius exprimé ses sentiments, non-seulement
attendait des Numides et des Africains l'admit dans le conseil à la connais-
lui arrivèrent à la fois par deux points sance de tous ses projets, mais encore
différents. Amilcar, pressé en même s'engagea par serment à lui donner sa
temps par les Africains qui s'étaient fille en mariage, pourvu qu'il restât
retranchés en face de son camp, par les fidèle à l'alliance des Carthaginois.
Numides qui avaient pris position sur Après l'échange de ces promesses,
les derrières, par Spendius qui mena- Naravase conduisit au camp d'Amilcar
çait les flancs de son armée, se trouvait deux mille Numides qu'il commandait.
enveloppé de toutes parts et n'entre- Renforcé par la jonction de ses nou-
voyait que des périls et des difficultés veaux alliés, Barca présente la bataille
insurmontables. aux ennemis. Spendius se réunit aux
Une circonstance imprévue rétablit Africains, descend dans la plaine avec
ses affaires. Les Numides avaient pour toutes ses forces et en vient aux mains
chef Naravase, un des citoyens les plus avec les Carthaginois. Le combat fut
distingués de leur nation par sa nais- long et opiniâtre; mais la victoire de-
sance et par sa bravoure. Ce jeune meura àAmilcar. Les éléphants se si-
guerrier, nourri dans des sentiments gnalèrent dans cette journée, et la
brillante valeur de Naravase contribua
d'affection pour les Carthaginois, avec puissamment au succès. Autarite et
lesquels alliance,
étroite son pèreétait avaitencore
été uni d'une
entraîné Spendius se sauvèrent par la fuite , lais-
par un vif enthousiasme pour le carac- sant dix mille morts sur le champ de
tère et les exploits d'Amilcar. Jugeant bataille et quatre mille prisonniers au
donc le moment favorable pour s'ac- pouvoir de l'ennemi. Après cette vic-
quérir l'estime et l'amitié de ce grand toire, Amilcar admit dans ses rangs
homme, il prend une escorte de cent ceux des prisonniers qui voulurent
cavaliers et se dirige vers le camp des s'enrôler au service de Carthage, et
Carthaginois. Arrivé près des retran- leur distribua les armes qu'il avait
chements, ils'arrête avec une noble prises sur les ennemis. Quant à ceux
assurance, et fait signe avec la main qui refusèrent de prendre ce parti, il
les rassembla tous dans un même lieu
qu'il demande à être introduit. Amil-
car, surpris de cette démarche, lui et leur dit qu'il leur pardonnait leur
envoie un cavalier. Naravase sollicite
conduite passée;
tière liberté de sequ'il leur chacun
retirer laissait dans
l'en-
une entrevue avec le général. Celui-ci,
se défiant de la foi des Numides, hési- leur patrie, à condition qu'ils ne fe-
tait àl'accorder. Alors Naravase remet raient plus la guerre contre Car-
à un des hommes de sa suite son cheval
dans lathage;suite
mais quelesceux qu'onà prendrait
armes la main
et sa lance, et, plein d'une audacieuse
confiance, il entre seul et sans armes devaient s'attendre aux plus cruels
au milieu des retranchements ennemis.
supplices.
Les Carthaginois perdent la
Les Carthaginois, frappés à la fois
d'étonnement et d'admiration pour une Sardaigne. — Vers le même temps
73
CARTHAGE.
les mercenaires qui étaient préposés qu'en leur rendant la liberté il a eu
à la garde de la Sardaigne, entraînés seulement pour but d'attirer à lui par
par l'exemple de Mathos et de Spen- cet appât trompeur ceux qui avaient
dius, se révoltèrent contre les Cartha- encore les armes à la main, et d'exer-
ginois. Ils enfermèrent dans la cita- cer sur eux tous une vengeance écla-
delle Bostar leur commandant, et le tante dès qu'il les aurait en son pou-
firent périr avec tous les Carthaginois voir. Il ajoute encore qu'ils devaient
qui étaient avec lui. Hannon y fut en- bien se garder de relâcher Giscon , s'ils
voyé avec de nouvelles troupes pour ne voulaient
étouffer la sédition; mais ses soldats et de la risée devenir l'objet du mépris
des Carthaginois; que la
ayant passé du côté des rebelles, ceux- ruine totale de leurs affaires suivrait
ci le prirent vivant, l'attachèrent à une infailliblement l'évasion de ce grand
croix, et massacrèrent tous les Car- général, qui deviendrait sans aucun
doute leur ennemi le plus redoutable et
après leur thaginois quise trouvaient
avoir fait souffrirdans
les l'île,
plus le plus acharné.
cruels supplices. Ensuite, ils attaquè- Spendius parlait encore lorsqu'un
rent toutes les places l'une après l'au- autre messager, qui se disait envoyé
tre, et se rendirent en peu de temps de l'armée de Tunis , apporta dans l'as-
maîtres de tout le pays. Mais bientôt semblée une lettre conçue dans les
la division s' étant mise entre eux et les mêmes termes que la première. A la
habitants de l'île, les mercenaires en lecture de cette lettre, Autarite s'écria
furent entièrement chassés et se réfu- que leur cause était perdue s'ils se lais-
gièrent en Italie. C'est ainsi que les saient prendre aux pièges que leur
Carthaginois perdirent la Sardaigne, tendaient leurs ennemis. « Jamais , dit-
île d'une grande importance par son il , je ne regarderai comme un compa-
étendue, par sa fertilité et par le nom- gnon fidèle celui qui aurait la faiblesse
bre de ses habitants. d'attendre son salut de leur humanité.
Cruautés des mercenaires; sup- N'écoutez, ne croyez, ne suivez que
plice DE GlSCON ET DE SES COMPA- ceux qui montrent pour les Carthagi-
GNONS. — Cependant Mathos, Spendius nois la haine la plus franche et la plus
et Autarite, craignant que l'humanité déclarée. Ceux qui professent d'autres
d'Amilcar envers les prisonniers n'en- sentiments , regardez-les comme des
courageât leurs soldats à la défection,
ennemis et des" traîtres. Pour moi,
résolurent de les rendre complices d'un mon avis est qu'il n'y a point de sup-
nouvel attentat qui pût exaspérer la plice assez cruel pour Giscon et pour
fureur des Carthaginois et rendre im- ceux qui ont été pris avec lui; qu'il
possible toute réconciliation avec eux. faut les mettre à mort sur-le-champ;
Pour effectuer ce projet, ils réunirent et que désormais on ne doit plus faire
toute l'armée, et introduisirent dans aucune grâce aux prisonniers qui tom-
beront dans nos mains. » Autarite avait
l'assemblée un courrier chargé d'une
une grande influence dans les assem-
lettre supposée de la part des^révoltés blées, parce que, ayant appris par un
de Sardaigne. Cette lettre portait qu'il
fallait garder avec la plus grande vigi- long usage à parler la langue punique,
lance Giscon et ceux de ses compagnons la plupart de ces étrangers compre-
qui avaient été pris avec lui à Tunis; naient ses discours. Sa harangue obtint
qu'il se tramait secrètement dans l'ar- les laapplaudissements
de multitude. et l'assentiment
mée un complot pour les faire évader.
Spendius, profitant de l'impression Cependant plusieurs soldats de tou-
produite par cette fausse nouvelle, en- tes les nations, mus par un sentiment
gage d'abord ses soldats à ne pas se de reconnaissance pour les bienfaits
^laisser séduire par la feinte douceur qu'ils avaient reçus de Giscon, de-
d'Amilcar. Il leur représente que ce mandèrent que, si sa mort était réso-
n'est point par humanité que ce général lue, on lui épargnât du moins les tortu-
a épargné la vie de ses prisonniers; res. Comme ils parlaient tous ensemble,
74 L'UNIVERS.
et chacun dans leur langue, on ne les L'unique moyen d'en finir était d'ex-
entendit pas d'abord. Mais sitôt que terminer complètement ces barbares.
Aussi dès ce moment ne leur fit-il
l'on eut compris qu'ils demandaient un
adoucissement de peine pour Giscon, plus de quartier. Les prisonniers qui
tombaient entre ses mains étaient ou
et que quelqu'un des assistants eut
prononcé le mot frappe! ces malheu- livrés aux bêtes , ou passés au (il de
reux furent en un instant assommés Tépée.
à coups de pierres. Spendius alors fait Déjà les Carthaginois concevaient
conduire hors des retranchements Gis- sur leur position de meilleures espé-
con et les autres prisonniers carthagi- rances, lorsque plusieurs événements
nois ,au nombre de sept cents Là, en inattendus vinrent changer subitement
face du camp, ces barbares leur cou- la face des affaires. A peine les deux
pent d'abord les mains en commen- généraux furent-ils réunis que la di-
çant par Giscon , cet homme que na- vision éclata parmi eux. Cette mésin-
guère ils proclamaient comme leur telligence non-seulement leur fit perdre
bienfaiteur, et qu'ils avaient préféré plusieurs occasions de battre l'ennemi,
à tous les Carthaginois pour être l'ar- mais encore les exposa souvent à des
bitre de leurs différends. A près les avoir surprises dont leurs adversaires au-
ainsi mutilés, ils leur brisent les bras raient pu tirer un grand avantage.
et les jambes et les jettent encore vi- Dans cette conjoncture, le sénat de
vants dans une fosse.
Carthage décida qu'un seul général
A cette nouvelle , les Carthaginois, serait chargé de la direction de la
pénétrés de douleur et voulant donner guerre , et que l'armée choisirait elle-
a Giscon et à ses compagnons une même celui des deux qu'elle jugerait
honorable sépulture, envoyèrent des digne de la commander. Amilcar fut
députés aux mercenaires pour rede- élu d'une voix unanime.
mander le corps de leurs malheureux En même temps, une nombreuse
concitoyens. Mais ces barbares, ajou- flotte, qui leur arrivait de la Byzacène,
tant l'impiété à leur crime , refusèrent chargée de vivres et de munitions pour
de les rendre, et déclarèrent que si l'armée, périt tout entière submergée
désormais on leur adressait encore des
par une horrible tempête. C'était pres-
députés ou des hérauts, ils seraient que leur unique ressource depuis que
traités comme l'avait été Giscon. Sur- la Sardaigne, dont ils tiraient de
le-champ il fut décrété , d'un consen- leur grands secours, s'était soustraite à
domination.
tement unanime , que tout Carthagi-
nois qu'on prendrait dans la suite Mais ce qui mit le comble à leur
perdrait la vie dans les supplices ; que malheur, ce fut la défection d'Utique
tout allié des Carthaginois leur serait et d'Hippone. Ces deux villes, qui
renvoyé, les mains coupées; et cette seules entre toutes celles de l'Afrique
loi fut toujours observée depuis dans avaient résisté aux armes d'Agathocle
toute sa rigueur. et de Régulus, qui, dans la guerre
Divisions dans l'armée cartha- présente, avaient repoussé avec une
généreuse constance les attaques des
ginoisePERTE
; D'UN CONVOI CONSI-
DERABLE DE VIVRES ET DE MUNITIONS; mercenaires, qui, en un mot, avaient
DÉFECTION d'UtIQUE ET D'HiPPONE. témoigné dans tous les temps un at-
— Amilcar , jugeant par la résolution tachement inviolable à Carthage , tout
désespérée des mercenaires combien à coup, sans le moindre prétexte,
la guerre serait difficile et opiniâtre, embrassèrent la cause de ses ennemis.
réunit à son armée les forces que com- Et ce qui est presque inexplicable, c'est
mandait, sur un autre point, un gé- que, rent
dèsaussi ce fidèles
moment,et elles aussise dévouées
montrè-
néral carthaginois appelé Hannon. Il
pensait que toutes ces troupes, réunies à leurs nouveaux alliés qu'animées
en un seul corps , obtiendraient des d'une haine implacable contre leurs
succès plus prompts et plus décisifs. anciens amis. Les habitants de ces deux
75

CARTHAGE.
cités massacrèrent et précipitèrent du avaient arrêté et conduit dans leurs
haut de leurs murailles environ cinq ports des vaisseaux marchands qui ap-
cents hommes que Carthage avait en- portaient d'Italie des vivres aux rebelles
voyés pour les défendre. Ils ouvrirent d'Afrique. Ils avaient jeté en prison
leurs portes aux Africains, et refusè- ceux qui les montaient, et leur nom-
rent même aux Carthaginois, malgré bre s'élevait déjà à cinq cents lorsque
les Romains commencèrent à mani-
leurs instances, la fa\eur d'ensevelir fester leur mécontentement. Mais à
les corps de leurs concitoyens.
Siège de Carthage parles mer- la première réclamation , ceux-ci ob-
cenaires; les Carthaginois im- tinrent laliberté de leurs concitoyens,
plorent LE SECOURS DE LEURS AL- et, pour ne pas se laisser vaincre en
LIES. — Ces circonstances favorables
à leur cause accrurent tellement la àgénérosité",
Carthage tout ils rendirent
ce qui leursur-le-champ
restait des
confiance de Mathos et de Spendius, prisonniers qu'ils avaient faits dans la
qu'ils osèrent mettre le siège devant guerre de Sicile. A partir de cette
Carthage elle-même. Amiicar alors époque, ils s'empressèrent de préve-
prend avec lui Naravase et Annibal, nir toutes les demandes des Carthagi-
qui avait été choisi pour remplacer nois. Ils permirent aux vaisseaux d'Ita-
Hannon. Il divise ses forces en plu- lie d'approvisionner Carthage de vivres
sieurs corps , ravage le pays , harcèle et de munitions, et leur défendirent
Mathos et Spendius par des escarmou- d'en fournir aux rebelles. Ils résistè-
ches continuelles, et intercepte les vi- rent aux sollicitations des mercenai-
res de Sardaigne, qui les pressaient
armée.etlesDans
vres convois cettequ'on envoyaitcomme
occasion, à leur
de s'emparer
rent même ladereligieuse
cette île , observance
et poussè-
dans beaucoup d'autres, le Numide
Naravase lui rendit les plus utiles ser- des traités jusqu'à refuser de recevoir
vices. pour sujets les habitants dU tique, qui
Cependant les Carthaginois, blo- se soumettaient volontairement à leur
qués de toutes parts, se trouvèrent domination. Carthage trouva ainsi ,
contraints d'implorer le secours de dans les secours fournis par ses al-
leurs alliés. Hiéron siège. liés, des ressources pour soutenir le
œil attentif tous les, qui suivait d'un
événements de
cette guerre, leur avait accordé jus- LES MERCENAIRES, CONTRAINTS DE
LEVER LE SIEGE DE CARTHAGE , SE
qu'alors avec bienveillance
avaient demandé. tout occasion
Dans cette ce qu'ils REMETTENT EN CAMPAGNE; 237 ANS
critique, il redoubla d'empressement avant l'ère chrétienne. — Cepen-
et de zèle. Ce prince, dont la politique dant Mathos et Spendius, tout en as-
était à la fois habile et prudente, jugea siégeant Carthage , étaient eux-mêmes
bien qu'il était de son intérêt d'empê- assiégés. Amiicar leur coupait les vi-
cher la ruine de Carthage. Il sentait vres, et les réduisit bientôt à une si
que, pour conserver sa domination extrême disette, qu'ils furent contraints
en Sicile, et maintenir son alliance de renoncer à leur entreprise.
avec les Romains, il lui importait que Peu de temps après , les deux chefs
la balance fut égale entre les • deux des rebelles, ayant formé avec l'élite de
peuples leurs troupes une armée de cinquante
une foisrivaux , car,il sisel'équilibre
rompu, étaità
trouverait mille hommes, au nombre desquels
la merci du plus fort. étaient ; l'Africain Zarzas et les auxiliai-
Les Romains eux-mêmes, fidèles res qu'il commandait, reprirent leur an-
observateurs du traité qu'ils avaient cienne tactique et se remirent en cam-
conclu avec les Carthaginois, les avaient pagne, serrant de près Amiicar et
aidés de tout leur pouvoir, quoique observant tous ses mouvements. La
dans le commencement de la guerre crainte des éléphants et de la cavale-
une querelle passagère eût altère leurs rie de Naravase les empêchait de se
relations d'amitié. Les Carthaginois hasarder dans les plaines et les forçait
76 L'UNIVERS.
à se maintenir sur les montagnes et ces affreuses extrémités. Mais lors-
dans les défilés. Dans cette campagne, qu'ils eurent mangé tous leurs prison-
les mercenaires , quoiqu'ils ne tussent niers et même leurs esclaves, aucun
inférieurs aux Carthaginois ni pour secours ne venant de Tunis, l'année,
l'activité ni pour le courage, éprou- exaspérée par ses souffrances, éclata
en menaces contre ses chefs. Alors
vèrent souvent des échecs par l'igno-
rance etl'incapacité de leurs chefs. Autarite , Zarzas et Spendius résolu-
Amilcar extermine l'armée rent de capituler avec Amilcar, et,
d'Autarite et de Spendius. — On ayant obtenu un sauf-conduit , se ren-
voit par le détail des faits combien une dirent au camp des Carthaginois. Amil-
tactique habile, fondée sur une pro- car leur imposa ces conditions : Que
fonde connaissance du grand art de dix d'entre les rebelles, au choix des
la guerre , l'emporte sur la valeur in- Carthaginiois , seraient livrés à leur
disciplinée etsur une aveugle routine. discrétion, et que les autres seraient
En effet, lorsqu'ils s'écartaient par pe- renvoyés sans armes et sans aucun
tits détachements , Amilcar leur cou- autre vêtement qu'une simple tunique.
pait la retraite, les enveloppait de Quand le traité fut signé, Amilcar
toutes parts et les détruisait presque déclara sur-le-champ qu'en vertu des
sans combat. Lorsqu'ils marchaient conventions, il choisissait ceux qui
avec toutes leurs forces, Amilcar at- étaient présents. C'est ainsi qu' Auta-
tirait les uns dans des embûches habi- rite, Spendius et les autres chefs les
lement préparées, tombait brusque- plus distingués, tombèrent entre les
ment sur les autres, tantôt le jour, mains des Carthaginois.
tantôt la nuit , paraissait toujours Lorsqu'ils apprirent qu'on avait re-
quand il était le moins attendu , et tenu leurs chefs , les révoltés , igno-
les tenait ainsi dans des transes con- rant la capitulation qui avait été con-
tinuelles. Enfin , il eut l'adresse de les clue et se croyant trahis, coururent
engager dans une position entièrement aux armes. Mais Amilcar fit avancer
désavantageuse à leurs troupes, et fa- contre eux ses éléphants et son armée,
vorable de tous points aux Carthagi- les enveloppa de toutes parts , et les
nois. Ilse saisit de tous les passages, de extermina tous sans accorder ni grâce
tous les défilés , enveloppa le camp des ni pardon. Leur nombre dépassait
rebelles de fossés et de retranchements, quarante mille.
Siège de Tunis par Amilcar;
et les resserra de si près, que, n'osant supplice de Spendius; Anniral
hasarder la chance d'un combat et ne
pouvant échapper par la fuite, ils est surpris par mathos et atta-
éprouvèrent en peu de jours toutes les CHE A une croix. — Après cette san-
horreurs de la disette. Bientôt, privés glante exécution, Amilcar parcourut
de toute espèce d'aliments, pour apai- le pays, accompagné de Naravase et
ser la faim qui les tourmentait, ils d'Annibal. Presque toutes les villes
furent contraints de se dévorer entre
d'Afrique , découragées par ce dernier
eux. Juste punition, dit Polybe, de échec, lui ouvrirent volontairement
leur impiété et de leur barbarie.
Cependant ils ne faisaient aucune leurs portes, et rentrèrent Sans
béissance des Carthaginois. sous per-
l'o-
proposition de paix. La conscience de dre de temps, il marche contre Tunis,
leurs crimes passés , et la certitude des où commandait Mathos, et qui, de-
supplices qui les attendaient s'ils tom- puis le commencement de la guerre,
baient au pouvoir de l'ennemi , leur servait aux révoltés de refuge et de
en ôtaient même la pensée. Pleins place d'armes. Il fait camper Annibal
d'une aveugle confiance dans les pro- en avant de la ville, du côté qui re-
messes de leurs généraux , et bercés garde Carthage ; lui-même établit son
par l'espoir que l'armée de Tunis arri- camp sur le point opposé. Ensuite,
verait pour les délivrer, ils suppor- ayant fait conduire près des murailles
taient avec une incroyable constance Spendius etles autres chefs des rebelles
77
CARTHAGE.
qui avaient été pris avec lui, il les fit teurs, etles charge expressément d'em-
attacher à des croix , à. la vue de toute ployer tous les moyens possibles pour
la ville. Cependant Mathos s'aperçut réconcilier les deux généraux. Ces dé-
qu'Annibal , par l'excès de confiance putés leur représentent la situation
que donnent les succès, était devenu déplorable de la république, les con-
moins attentif, et se gardait avec né- jurent au nom des malheurs de la pa-
gligence. Ilt'ait une vigoureusedes sortie, trie d'oublier leurs
et de sacrifier leurs querelles passées,
ressentiments au
attaque les retranchements enne-
mis, en tue un grand nombre, chasse bien de l'État. Amilcar et Hannon, ne
les autres de leur camp , s'empare de pouvant résister à leurs longues et
tous les bagages et fait prisonnier An- vives instances, abjurèrent avec une
nibal lui-même. Aussitôt on conduit noble générosité leur haine récipro-
ce malheureux général au pied de la que, se réconcilièrent de bonne foi,
croix de Spendius. Là, les rebelles, et, dès ce moment, dirigèrent les opé-
après lui avoir fait souffrir les plus rations de la guerre avec un ensemble
cruels tourments , détachent le cada- et un accord qui en assurèrent le suc-
vre de leur chef, clouent à sa place cès. Us engagèrent Mathos dans une
Annibal encore vivant, et immolent multitude de petits combats, où il eut
sur le corps de Spendius trente des toujours le désavantage. Ce chef de
plus illustres Carthaginois rebelles , voyant que ce genre de guerre
La distance qui séparait les deux consumait inutilement ses forces, ré-
camps était si considérable que Barca solut d'en venir à une bataille géné-
n'apprit que fort tard la sortie dé rale que les Carthaginois, de leur côté,
Mathos et le danger que courait An-
ne désiraient pas^avec moins d'ar-
deur.
nibal. Même lorsqu'il en fut instruit,
la difficulté des chemins l'empêcha de Les deux partis se préparèrent
se porter au secours de son collègue. comme pour une action qui devait à
Alors il leva le siège, et, côtoyant jamais décider de leur sort. Us ré-
le Baccara, il alla camper sur le bord unirent tous leurs alliés, et rappelè-
rent àleur armée les soldats de toutes
de la mer, à l'embouchure de ce
fleuve. Cet échec inattendu répandit les garnisons. Enfin , lorsque tout fut
de nouveau l'alarme et la consterna- prêt de part et d'autre , au jour et à
tion dans Carthage. A peine commen- l'heure convenus, les deax armées
çait-el e se
à relever de ses malheurs descendirent dans l'arène. La victoire
passés et à entrevoir un avenir plus se déclara en faveur des Carthaginois.
heureux , qu'elle voyait s'évanouir en- La plupart des Africains restèrent sur
core toutes ses espérances , tant le le champ de bataille , le reste se sauva
cours de cette guerre offrit une alter- dans une ville qui se rendit quelque
native continuelle de succès et de re- temps après. Mathos tomba rivant au
vers, de confiance et de désespoir. pouvoir des vainqueurs. Le résultat
RÉCONCILIATION d'AmILCAR ET de cette victoire fut la soumission
GUERRE PAR; ILS
D'HANNON LA TERMINENT
DEFAITE DE ENFIN
MATHOS LA complète de toutes les villes de l'A-
frique. Hippone et Utique seules per-
ET LA SOUMISSION DES VILLES RE- sistèrent dans leur rébellion. Les for-
BELLES. — Cependant le sénat de Car- faits dont elles s'étaient souillées dans
thage résolut de tenter un dernier le commencement de leur révolte leur
effort pour empêcher la ruine de la interdisaient tout espoir de miséri-
république. Il rassemble tout ce qui corde et de pardon. Mais Amilcar et
restait de citoyens capables de porter Hannon mirent le siège devant ces
deux villes , et les forcèrent bientôt à
les armes, et' les renvoie à Amilcar subir les lois que Carthage voulut leur
sous les ordres d'Hannon, le même
qui, quelque temps auparavant, avait imposer.
été dépouillé du commandement. Il y Ainsi finit , après trois ans et quatre
joint une députation de trente séna- mois , la guerre des mercenaires qui
78 L'UNIVERS.
avait jeté Carthage dans de si grands L'histoire ne nous a pas transmis la
périls et dont chaque période avait été date précise de l'entrée des Carthagi-
signalée par des actes d'impiété et de nois en I^spagne. On sait seulement
barbarie sans exemple. On punit, dans qu'ils y étaient venus au secours de
les villes d'Afrique, les principaux Cadix , ville , ainsi que Carthage , d'o-
chefs de la révolte. L'armée victorieuse rigine tyrienne , dont les rapides
rentra en triomphe dans Carthage , accroissements avaient excité la ja-
traînant enchaînés Mathos et ses com- lousie des peuples voisins. Cette pre-
pagnons ,auxquels on fit expier , par mière expédition eut un heureux ré-
une mort cruelle et ignominieuse, sultat. Les Carthaginois délivrèrent
une vie souillée par tant de crimes et Cadix de ses ennemis et s'emparèrent
de si noires perfidies. d'une partie de la province, sans que
Abandon de la Sabdaigne par l'on connaisse exactement la limite où
LES CABTHAGINOIS; 237 ANS AVANT s'arrêtèrent leurs conquêtes. Pendant
J. C. — A peine les Carthaginois neuf ans qu'Amilcar commanda les
armées en Espagne, il soumit à la
commençaient- ils à respirer, qu'ils domination carthaginoise un grand
furent menacés d'une nouvelle guerre.
Les mercenaires de Sardaigne , qui , nombre de peuples, les uns subjugués
comme nous l'avons dit, avaient par la force , les autres vaincus par la
d'abord fait d'inutiles instances au- persuasion , et il trouva enfin sur le
près des Romains, pour les engager champ de bataille une mort honorable
et digne de toute sa vie. Ce fut dans
amaîtres,
passer dans les cette île et à s'en enfin
déterminèrent rendreà un combat sanglant et acharné contre
prendre ce parti. Les Carthaginois un ennemi puissant et belliqueux ,
s'offensèrent de ce manque de foi, qu'entraîné par son audace au plus
prétendant, non sans raison, que la fort de la mêlée , il succomba glorieu-
dominai ion de la Sardaigne leur ap- sement les armes à la main.
ASDRUBAL SUCCÈDE A AMILCAR
partenait bien
à plus juste titre qu'aux
Romains. Déjà ils équipaient une SON BEAU -PÈRE DANS LE COMMAN-
flotte pour passer dans cette île et DEMENT DES ARMÉES EN ESPAGNE ;
punir les auteurs de la révolte. Les 227 avant l'ère vulgaire. — Les
Romains saisissent cette occasion et
Carthaginois élurent à la place d'A-
décrètent sur-le-champ la guerre con- milcar, Asdrubal son gendre. Celui-
tre Carthage, sous le frivole prétexte
que ses préparatifs sont dirigés contre ci, plus politique
tachant les que guerrier,
petits princes s'at-
de la contrée
eux et non contre les peuples de Sar- par les liens d'une hospitalité géné-
daigne. Les Carthaginois , affaiblis reuse, et par l'affection des chefe se
par la dernière guerre qui avait tant conciliant celle des peuples, eut l'art
épuisé leurs ressources , et hors d'état, d'accroître ainsi la puissance de Car-
en ce moment, de résister à la puis- thage ,non moins que s'il eût employé
sance du peuple romain, cédèrent à la la guerre et les armes. Les Romains
force des circonstances. Non-seule- redoutant son caractère insinuant , et
ment ils abandonnèrent la Sardaigne , cet art merveilleux qu'il mettait à
mais encore , pour prévenir une lutte gagner les peuples, pour les réunir
inégale, ils consentirent à ajouter sous sa domination , avaient réglé
douze cents talents au tribut imposé avec
par le dernier traité. serait luila ,limite par undestraité
deux , empires,
que l'Èbreet
Expéditions des Cabthaginois que Sagonte , qui se trouvait enclavée
en Espagne. — Lorsque les Cartha- au milieu, conserverait son indépen-
dance. Mais le plus éminent service
ginois eurent terminé la guerre d'A-
frique etréglé leurs différends avec les qu'Asdrubal rendit à sa patrie, fut la
Romains , ils envoyèrent en Espagne fondation de Carthagène. Cette ville ,
une armée sous le commandement par l'avantage de sa situation, la
d'Amilcar (237 ans avant J. C. ). commodité de ses ports , les richesses
CARTHAGE
79
CARTHAGE.
de son commerce, la force de ses béissance aux magistrats, afin de
remparts, devint le plus solide appui s'accoutumer à courber la tête sous
de la domination carthaginoise en le joug de l'égalité. Ses remontrances
Espagne. Après avoir gouverné cette furent vaines ; la faction Barcine l'em-
province pendant huit ans, Asdrubal porta ,et Annibal partit pour l'Es-
fut assassiné en pleine paix et dans sa
propre maison , par un esclave gau- Dès qu'il parut à l'armée , il attira
pagne.
lois qui voulait venger la mort de son sur lui tous les regards. Les vieux
maître.
Annibal est envoyé en Espagne soldats s'imaginaient revoir leur Amil-
car, rendu à sa première jeunesse.
après la mort d'asdrubal; ca- C'était le même feu dans les yeux , le
ractère de ce général , 220 ans même caractère de vigueur empreint
avant J. C. — Trois ans avant sa sur
mort, Asdrubal avait écrit à Carthage air ettoute sa ligure
tous ses traits. :Ilsc'était tout son
ne se lassaient
pour qu'on lui envoyât Annibal qui point de le contempler. Mais bientôt,
était le souvenir du père fut le moindre des
année.alors Cettedans sa Vingt-
demande lut troisième
mise en
titres
Jamais duhomme
lils a ne
l'affection publique.
réunit au même
délibération dans le sénat que divi-
saient alors deux factions contraires. degré deux qualités entièrement oppo-
La faction Barcine qui voulait qu'An- sées la
, subordination et le talent de
nibal commençât à se montrer aux commander; aussi n'eut-il pas été
armées , afin de pouvoir succéder à la facile de décider qui le chérissait le
puissance de son père, appuyait avec plus ou du général ou de l'armée.
chaleur C'était l'officier qu'Asdrubal choisis-
faction la proposition
contraire dontd' Asdrubal. La
le chef était sait de préférence pour les expéditions
Hannon , préférant aux chances d'une qui demandaient de l'activité et de la
guerre incertaine et dangereuse, une vigueur. C'était le chef sous qui le
paix sûre qui conservât à la république soldat se sentait le plus de confiance
toutes leslarmait deconquêtes d'Espagne, s'a-
ce nouvel accroissement de et d'intrépidité. Autant il avait d'au-
dace pour aller affronter le péril,
puissance dans la famille Barca , et autant il avait de sang-froid dans le
redoutait le caractère belliqueux et péril même. Nulle épreuve ne pouvait
entreprenant du jeune Annibal. Han- dompter ni les forces de son corps ,
non rappela aux sénateurs la puissance ni la fermeté de son courage. Il sup-
excessive et la domination absolue portait également le froid et la cha-
d'Amilcar. Il leur représenta combien leur, la soif et la faim, les fatigues
il était imprudent de faire du com- et l'insomnie. Il ne cherchait pas à se
mandement de leurs armées le patri- distinguer des autres par l'éclat de ses
moine d'une seule famille. Il ajouta vêtements, mais par la bonté de ses
chevaux, de ses armes : il était sans
qu'il serait plus utile pour l'État et contredit le meilleur cavalier et le
pour Annibal lui-même que ce jeune
homme restât à Carthage afin d'y meilleur fantassin de toute l'armée.
apprendre l'obéissance aux lois , l'o-

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G ART H AGE.
DEUXIÈME PARTIE.

Par M. JEAN YANOSKI


ANCIEN ÉLÈVE DE l'ÉCOLE NORMALE, AGREGE DE ^UNIVERSITE.
—-.axa^-»,

Causes de la. deuxième guerre


ces écrivains ration. Ilfautsontrechercher tombés dans l'exagé-
la véritable
punique. — Les exploits d'Amilcar,
en Sicile, contre les Romains, en Afri- cause de cette guerre dans l'espoir
que, contre les mercenaires, la con- conçu par les Carthaginois de sortir
quête récente de l'Espagne, les succès de l'état d'abaissement où les avait
d'Asdrubal, gendre d'Amilcar, avaient placés le traité qui avait suivi la ba-
donné dans la république une grande taille des îles Égates. Ils avaient
influence à la famille Barca. Un parti perdu leurs établissements de la Si-
peu nombreux, il est vrai, mais puis- cile, et Rome, au moment même où
sant, leparti aristocratique, essayait ils avaient à se défendre, en Afri-
de contre- balancer cette influence. que , contre les mercenaires , leur
Quand la famille Barca entra en lutte avait enlevé , au mépris de la foi ju-
ouverte avec l'aristocratie qui refusait rée, la Corse et la Sardaigne. Car-
de l'aider dans ses grandes entrepri- thage voulut d'abord se dédommager
ses, elle tourna ses" regards vers les de ces pertes par la conquête de l'Es-
classes inférieures qui, jusqu'à cette pagne. Bientôt les succès d'Amilcar et
époque, n'avaient eu qu'une faible part d'Asdrubal lui firent concevoir la pen-
d'action dans les affaires de l'Etat. Le sée de se rétablir dans ses anciennes
peuple se prononça volontiers pour possessions et de déchirer l'humiliant
ceux qui, au momentdu danger, avaient traité que Rome lui avait imposé. Tou-
sauvé la république, et qui s'étaient tefois, elle ne voulait point s'engager
illustrés par de brillantes victoires. témérairement dans cette entreprise, et
L'appui du. peuple donna bientôt la elle hésitait encore lorsque Annibal, par
supériorité , dans le sénat , à la fac- un coup hardi, mit fin à toutes les irré-
tion Barcine. C'est là un événement solutions. Dès lors la guerre contre
grave dans l'histoire de la constitu- les Romains fut votée et poursuivie
tion de Carthage; car, ce qui n'avait avec un accord presque unanime. Il
été, dans l'origine, existait, il est vrai, dans Carthage,
timent entre Hannon qu'un dissen-et
et Amilcar un parti qui voulait la paix ; mais ce
une querelle de familles , devint une parti, qui avait pour chef Hannon et
lutte plus sérieuse et plus générale qui était un reste de l'ancienne aris-
entre l'aristocratie qui avait eu jus- tocratie,était dominé par le peuple,
qu'alors,dans le gouvernement de et même, dans le sénat, il avait contre
l'Etat, l'autorité suprême, et la dé- lui une forte majorité. Pendant la
mocratie, quis'élevait deuxième guerre punique, Carthage ne
que et acquérait chaquedans jourla de
republi-
nou- s'écarta point du but qu'elle s'était
velles forces. Plusieurs"
sont fondés sur cette lutte des partis, écrivains se proposé, et elle, s'épuisa d'hommes et
pour affirmer que la nécessité où se d'argent, non-seulement pour conser-
trouvait Annibal de séduire la multi- ver l'Espagne, mais encore pour se
rétablir dans la Sicile et la Sardaigne.
tude par des actions d'éclat avait été C'était une faute, assurément, que d'en-
la seule cause de la deuxième guerre voyer des flottes et des armées nom-
punique. En cela, nous Je croyons, breuses dans ces contrées. Là ne de-
81
CARTHAGE.

vait point se porter tout l'effort de la expédition d'Italie ; 219 et 218


guerre, et, comme le pensait Anni- avant notre ère. — Quand An-
bal, ilfallait d'abord, pour posséder la nibal se crut maître de la majorité des
Sicile, votes, dans le sénat de Carthage, il
cre leslaRomains
Sardaigneen etItalie.
l'Espagne,
Ce futvain-
en frappa un coup qui devait rendre la
vain, guerre inévitable. Parmi les villes si-
toutes on le sait, qu'Annibal
les ressources du courage épuisa
et du tuées au midi de l'Èbre , il y en avait
génie pour réparer les fautes du sénat une qui , refusant de se soumettre
de Carthage. Certes, on ne pourrait aux Carthaginois, avait contracté avec
accuser sans injustice la famille Barca la république romaine une étroite al-
de n'avoir agi alors que par des motifs
d'ambition, et seulement pour domi- fit avec liance. Rome, dans avait
Asdrubal, le traité qu'elle
compris les
ner dans l'État par son influence. Les habitants de Sagonte au nombre de
faits, au contraire, semblent attester ses alliés. Au mépris de ce traité, An-
qu'Annibal et ses frères n'eurent en nibal s'avance contre Sagonte; il l'as-
vue, pendant toute la durée de la guer- siège, et, après des combats multipliés
re , que le salut et la gloire de Car- et sanglants où les Sagontins périssent
thage. jusqu'au
Annibal succède a Asdrubal de fond endernier, comble. laDéjàville, au
est moment
détruite
dans le commandement de l'ar- où le siège avait commencé, des am-
mée; guerre en Espagne contre bassadeurs romains s'étaient trans-
les indigènes; les Oclades, les
Vaccéens et les Carpétans sont leur livrâtportés Carthage
à le général pourdemanderqu'on
qui avait violé
vaincus; 221-219 avant notre les traités. Quand on sut, à Rome, la
ère. — Après la mort d'Asdrubal , les nouvelle de la ruine de Sagonte , toute
soldats se réunirent , et , d'une voix la ville fut plongée dans la consterna-
unanime, ils décernèrent à Annibal le tion. Une nouvelle ambassade se diri-
titre de général. L'élection faite par gea aussitôt vers l'Afrique; et, lorsque
l'armée fut bientôt ratifiée par le peu- les Romains furent arrivés à Carthage,
ple de Carthage. Annibal songea dès ils se firent introduire dans le sénat.
lors à renouveler la guerre contre les Là se passa une scène qui est restée
Romains , et à mettre à exécution , célèbre dans l'histoire : un des en-
par une expédition en Italie, les vastes voyés,Fabius, demanda satisfaction
projets de son père : mais avant de au* nom de Rome, et une déclaration
tenter cette périlleuse entreprise, il qui établît que le gouvernement de
voulut tout à la fois essayer ses forces Carthage était resté étranger à l'en-
et affermir en Espagne la domination treprise dAnnibal.
' Enhardis par les
de Carthage. Il fit la guerre aux indi- succès de leur général , les sénateurs
gènes, et il vainquit successivement carthaginois , malgré les efforts de
les Oclades et les Vaccéens. Cependant quelques ennemis de la famille Barca, re-
ces deux peuples ne voulurent point fusèrent d'accéder à la demande des en-
se soumettre; ils soulevèrent les Car- voyés romains. Alors Fabius fit un pli
pétans qui, à sa toge , et dit : « Je porte ici la paix
étrangers à jusqu'alors, étaient
la lutte , et tous restés
ensemble ou la guerre, choisissez. » On s'écrie
ils levèrent une armée de cent mille de toutes parts : « Vous-même , choi-
sissez. »Fabius laissa retomber sa
hommes. Le général carthaginois n'hé-
sita point à les attaquer; il livra ba- toge, et répondit: Je vous laisse la
taille sur les bords du Tage, et rem- guerre. » Tous les sénateurs carthagi-
porta sur les trois peuples réunis une nois répètent alors : « La guerre! nous
victoire signalée. l'acceptons, et nous saurons bien la
Ruine de Sagonte ; déclara- soutenir. » Dans ce jour solennel, le
tion DE GUERRE FAITE PAR LES RO- sénat de Carthage, en déclarant la
MAIN SDANS LE SÉNAT DE CARTHAGE ; guerre avec un si grand enthousiasme,
PRÉPARATIFS D'ANNIBAL POUR SON prenait une sorte d'engagement 6 avec
6e Livraison. (Carthage.)
82 L'UNIVERS

le général qui avait rompu les traités. sages de paix, et, sans plus tarder, il
Dès lors, tous les vœux d'Annibal traversa le pays jusqu'au Rhône, puis
étaient comblés , et il pouvait marcher il franchit le fleuve. Il apprit alors
librement à l'accomplissement de ses • qu'un général romain , Scipion, avait
vastes projets. débarqué près de l'embouchure avec
Après la prise de Sagonte , Annibal une armée. Il y eut une escarmouche
entre un détachement de cavalerie ro-
passe l'hiver à Carthagène, où il fait ses maine et une troupe de Numides; mais
premiers préparatifs. Asdrubal son
frère doit rester en Espagne avec Annibal , pour ne point user ses forces,
quinze mille Carthaginois, vingt-quatre marche. évita un combat général et continua sa
éléphants et soixantegalères ; il gouver- Il entra sur le territoire des
Allobroges , traversa la Durance , enfin
au nedétroitde
les provinces qui s'étendent
Gades. de l'Èbre
Hannon, avec onze il atteignit les Alpes. Annibal touchait
mille Carthaginois , est préposé à la dé- à l'Italie , mais il lui restait encore à
fense du pays qui se trouve compris en- franchir des montagnes couvertes de
tre les Pyrénées et l'Èbre. Les troupes tout neige et de glace , où il fallait lutter
d'Hannon et d'Asdrubal forment aussi à la fois contre les hommes et
une réserve destinée à rejoindre, au contre les éléments. On sait quels
furent les fatigues et les dangers de ce
fnremier appel , l'armée qui marche sur mémorable passage qui coûta plus de
'Italie. Annibal , pour gagner l'affec-
tion des soldats qu'il a choisis pour trente mille hommes à l'armée cartha-
son expédition , leur fait de grandes ginoise. Après avoir surmonté tous les
largesses ; puis il leur accorde, pour se obstacles, Annibal entra en Italie.
Annibal en Italie; combat du
reposer, toute la saison d'hiver. C'est TÉSIN ; DÉFAITE DES CARTHAGINOIS
alors qu'il se rend à Gades au temple
d'Hercule. Le bruit se répand en Espa- adansLilybée; marche d'Annibal
la Cisalpine; bataille de
gne que les dieux ont promis de le pro-
là Trébie;
téger, etqu'un envoyé céleste est venu rie; bataille de ïrasimène; Annibal passe en Étru-
218
lui prédire que les soldats qu'il com- ET 217 AVANT NOTRE ERE. — Les
mandait feraient la conquête de l'Italie.
Quand , au retour de la belle saison , Romains avaient essayé de faire face
l'armée carthaginoise fut rassemblée , des à tous les dangers. Ils avaient envoyé
Annibal , qui avait amassé de grandes armées en Espagne , en Sicile , pour
sommes d'argent, et préparé, pour combattre les Carthaginois, et en Ci-
son expédition,sion ements,d'immenses approvi- salpine pour contenir les Gaulois qui
se mit en marche avec menaçaient de se soulever. Scipion ,
quatre-vingt mille hommes , et bientôt après avoir envoyé son frère Cnéus en
il eut franchi l'Ebre et les Pyrénées (*). Espagne, attendait Annibal à la des-
cente des Alpes. Annibal , de son côté,
Entrée d'Annibal dans les
Gaules; passage des Alpes; 218 commençait à désespérer du succès de
avant notre Ère. — A son entrée son entreprise quand il vit les Gaulois
dans les Gaules, Annibal rencontra cisalpins rester neutres , contre leurs
quelques peuples qui s'étaient armés promesses , et refuser de venir se join-
pour le combattre. Il ne chercha point dre àl'armée carthaginoise. Toutefois,
à les vaincre ; il leur envoya des mes- un premier et brillant succès vint ra-
nimer ses espérances. Il y eut un com-
(*) Le récit qui va suivre ne présentera bat de cavalerie sur les bords du Tésin ,
qu'un résumé succinct des expéditions car- où la victoire demeura aux Carthagi-
thaginoises enItalie , en Espagne, en Sicile
et en Sardaigne. On trouvera ailleurs, dans nois. Le consul Scipion fut blessé dans
les volumes de Y Univers consacrés à ces cette rencontre. Rome se hâta de rap-
différents pays , tous les détails de ces expé- peler de la Sicile Sempronius, qui avait
ditions. Nous ne devons insister ici que sur déjà fait éprouver aux Carthaginois des
les événements qui se rattachent directement pertes considérables. Le préteur JEm\-
à l'histoire de Carthage. lius avait détruit, près de Lilybée,
CARTHAGE. 83

une flotte carthaginoise , et Sempro- ne se recrute qu'avec peine dans les


nius lui-même s'était emparé de l'île provinces centrales de l'Italie, où les
de Malte. C'est alors que Sempronius, populations sont habituées depuis long-
pour obéir au sénat , vint dans la Ci- temps àla domination romaine. Mais
salpine au secours de son collègue enfin Fabius est remplacé, et les con-
Scipion. Annibal ne tarda point à se suls Paul Emile et Varron, qui lui
succèdent dans le commandement des
trouver en présence de l'armée romaine
qui campait sur les bords de la ïrébie. légions, en cessant de temporiser, of-
Malgré les avis de Scipion, Sempro- frent bientôt à Annibal l'occasion d'un
nius attaqua les Carthaginois; mais nouveau triomphe. Il y eut une grande
bientôt il eut à se repentir de son im- bataille près de Cannes , en Apulie , sur
f)rudence. Annibal fut vainqueur, et les bords de l'Aufide, où les Romains
es Romains perdirent dans la bataille perdirent quatre-vingt mille hommes,
trente mille soldats, qui périrent les deux questeurs, vingt et un tribuns
armes à la main ou devinrent prison- des légions, quatre-vingts sénateurs et
niers. Cette éclatante victoire des Car- Paul Emile, l'un des consuls. Jamais,
thaginois fut le signal d'un immense depuis la funeste journée de l'Allia , la
soulèvement dans la Cisalpine. Les puissance ébranlée.de Rome n'avait été aussi
fortement
Gaulois n'hésitèrent plus à se ranger résultats de la bataille de
du côté des ennemis de Rome. Après
la journée de laTrébie, Annibal compta Cannes en Italie; l'Italie cen-
dans son armée quatre-vingt-dix mille trale RESTE FIDÈLE AUX ROMAINS *,
soldats. Il songea alors à pénétrer au la Cisalpine et l'Italie méridio-
centre de l'Italie. Il franchit l'Apennin nale se donnent a Annibal; An-
et gagna l'Étrurie. Ce ne fut point sans nibal poursuit la guerre; 216 et
s'exposer à de grands dangers qu'il tra- 215 avant notre ère. — Lorsqu'on
versa une partie de cette contrée. Enfin reçut à Rome la nouvelle de la bataillle
il rencontra les Romains. Il attira le
de4 Cannes, il y eut dans la ville un
consul Flaminius , non moins pré- deuil public et toutes les manifesta-
somptueux et non moins imprudent tions d'une grande douleur. On se hâta
que son prédécesseur Sempronius, de faire de nouvelles levées, et les ci-
dans une position défavorable. Il le toyens se soumirent volontairement
força à combattre, et une nouvelle ar- aux plus grands sacrifices. La Cisalpine
mée romaine fut exterminée sur les se déclarait alors ouvertement pour les
bords du lac Trasimène.
Annibal pénètre au centre de Carthaginois, offraient
méridionale et les peuples de l'Italieà
leur alliance
l'Italie; sa marche; bataille de Annibal et lui promettaient de nom-
Cannes; 217 et 216 avant notre breux auxiliaires. Parmi les ennemis
ère. — Après la journée de Trasi- des Romains, on comptait les A pu-
mèneAnnibal
, passe en Ombrie et dans liens, les Messapiens, les Lucaniens,
le Picenum, où il ravage les terres les Bruttiens , une partie des Samnites ,
des alliés de Rome; puis il s'avance et même quelques peuples de la Cam-
dans la Sabine et le Samnium, où il
continue ses dévastations pour attirer panie. C'est Magon, le frère d'Anni-
bal, qui va recevoir la soumission de
encore une fois les Romains au com-
bat. Mais dans cette marche, il ren- ces nouveaux alliés de Carthage. H n'y
avait que l'Italie centrale qui restât
contre un général plus prudent et plus fidèle à Rome. Annibal, après avoir
habile que Sempronius et Flaminius; donné une partie de ses troupes à ceux
c'est Fabius, le bouclier de Rome, qui de ses lieutenants qui devaient retenir
observe Annibal, le suit pas à pas, et les peuples de l'Italie méridionale dans
évite néanmoins tout engagement sé- les liens de la fidélité, s'avance vers
rieux. En temporisant, Fabius obtient la Campanie avec vingt-cinq mille hom-
un important résultat; il use les forces mes. Il vient d'abord assiéger fsaples*
de l'armée carthaginoise, qui ne vit et mais il échoue dans son entreprise. De

6.
84 L'UNIVERS.
Naples, il se dirige vers Capoue, qui prévalu , et qui se rapproche le plus de
lui ouvre ses portes. C'est alors qu'il la vérité, est qu'il n'y en avait pas au
envoie Magon à Carthage pour de- delà d'un boisseau. Magon ajouta , pour
faire sentir toute la grandeur des pertes
Magonmander devient
l'argentdemander
et des~troupes.
des se- éprouvées par les Romains, que les
cours a Carthage; délibération chevaliers et seulement les plus distin-
DU SÉNAT CARTHAGINOIS. — Tite-
Live nous donne sur la mission du gués terminant,
dit, en pouvaient porterquel'anneau
plus ond'or.
avaitIl
frère d'Annibal les détails suivants : l'espoir prochain de terminer glorieu-
«Magon, fils d'Amilcar, était venu sement lalutte , plus il fallait prodiguer
porter à Carthage la nouvelle de la vic- à Annibal toute espèce de secours. En
toire de Cannes. Son frère ne l'avait effet, la guerre se faisait loin de Car-
pas envoyé du champ de bataille même , thage, au milieu d'un pays ennemi;et
mais il l'avait retenu quelques jours elle absorbait beaucoup de vivres
pour recevoir la soumission des Brut- d'argent.
tiens et de quelques autres peuples qui ennemies Les avaient batailles où les avaient
été détruites armées
s'étaient séparés des Romains. Intro- aussi causé des pertes au vainqueur.
duit dans le sénat, Magon expose tout Il fallait donc envoyer de nouvelles
ce que son frère a fait en Italie. « Il troupes, de l'argent et du blé pour la
avait combattu en bataille rangée six solde et la nourriture des soldats qui
généraux, dont quatre consuls , un dic- avaient si bien mérité du nom cartha-
tateur et un maître de la cavalerie, ginois. Ces paroles de Magon causèrent
défait six armées consulaires, tué à une grande joie dans le sénat. Alors
l'ennemi plus de deux cent mille hom- Himilcon, de la faction Barcine, crut
mes et fait plus de cinquante mille l'occasion favorable pour humilier Han-
prisonniers. Des quatre consuls, deux non. «Eh bien, dit-il, Hannon, re-
avaient péri, le troisième était blessé, « grettez-vous encore que l'on, ait fait
le dernier avait perdu toute son armée « la guerre aux Romains? Ordonnez
et s'était enfui, a peine avec cinquante « maintenant de livrer Annibal; empê-
soldats. Le maître de la cavalerie, qui « chez qu'au sein de la prospérité nous
était revêtu à l'armée du pouvoir con- « rendions des actions de grâces aux
sulaire, avait été battu et mis en dé- « dieux immortels ! Écoutons ce que
route. Quant au dictateur, il était « va dire ce sénateur romain dans le
regardé comme le modèle des généraux « sénat de Carthage. » Alors Hannon :
f>ar cela seul qu'il n'avait jamais osé « J'aurais aujourd'hui gardé le si-
ivrer une grande bataille. Les Brut-
tiens et les Auuliens, une partie des «« gresse
lence , pour ne paspartroubler
universelle l'allé-
des paroles
Samnites et des Lucaniens, avaient « qui ne respirent point Penthousias-
abandonné le parti de Rome pour se
donner aux Carthaginois. Capoue, la «« demandé
me. Mais si puisqu'un
je regrettesénateur m'a
encore que
capitale, non pas seulement de la Cam- « l'on ait entrepris la guerre contre
panie, mais de l'Italie entière, depuis «Rome, je me hâte de répondre,
que la journée de Cannes avait abattu « parce que mon silence serait inter-
la puissance romaine, s'était livrée à « prétédiversement; les uns pourraient
Annibal. Pour des triomphes si nom- « l'attribuer à mon orgueil, les autres
breux et si grands, il était juste de
rendre aux dieux immortels de solen- «« àa la honte que
commis une l'on éprouve
erreur. Je nequand
suis on
ni
nelles actions de grâces. » En témoi- « orgueilleux ni repentant. Je dirai
gnage de ces heureuses nouvelles, « donc à Himilcon que mes regrets sur
Magon fit verser dans le vestibule du
« la guerre sont aussi grands' que par
sénat une quantité d'anneaux d'or si
prodigieuse, que certains auteurs pré- «« cuser
le passé, et que
votre je ne cesserai
invincible général d'ac-
que
« quand je verrai la lutte terminée à
seaux tendent
etdemi; qu'il y enmais
avaitla bien trois qui
tradition bois-a «des conditions raisonnables, et je
85
CARTHAGE.

« n'excuserai la rupture de l'ancienne « demander la paix? A-t-il été un seul


« paix qu'au moment où l'on aura fait « moment question de paix à Rome,
« une paix nouvelle. J'avoue que tous « d'après les rapports que l'on vous a
« ces brillants succès que Magon vient « faits? — Non, dit encore Magon. —
« de nous raconter avec tant de com- « Eh bien , s'écrie Hannon , nous avons
« plaisance, et qui, dans ce moment, « donc la guerre tout aussi entière que
« font la joie d'Himilcon et des autres « le jour où Annibal a mis le pied en
«partisans d'Annibal, font aussi la « en Italie... Pour moi, si l'on met en
«mienne, parce que ces victoires, si « délibération, ou de proposer la paix
« nous voulons user sagement de la « à l'ennemi ou de la recevoir, je sais
«fortune, nous procureront une paix « quel avis j'ouvrirai. Si vous vous oc-
« plus avantageuse; mais si nous lais- « cupez seulement des demandes de
« sons échapper cet instant, où nous «Magon, je pense que si nos soldats
« pouvons paraître donner la paix « sont victorieux , il ne faut rien leur
« plutôt que la recevoir, je crains fort «envoyer; et s'ils nous abusent par
« que cet éclat éblouissant ne s'éva- « de faux rapports et par de chiméri-
« nouisse promptement. Aujourd'hui « ques espérances, il faut se garder en-
« même que vient-on nous dire? J'ai « core davantage de leur envoyer quel-
«détruit les armées ennemies; en- « que chose. »
« voyez-moi des soldats. Que deman- « Le discours d'Hannon fit peu de
« deriez-vous si vous étiez vaincu? J'ai sensation. Son animosité contre la fa-
« pris les deux camps ennemis remplis mille Barca le rendait suspect de
«sans doute de butin et de vivres; partialité, et les esprits étaient trop
« faites-moi passer du blé et de l'ar- préoccupés des heureuses nouvelles du
« gent. Parleriez-vous autrement si moment pour que l'on pût rien enten-
« l'ennemi vous eût enlevé vos res- dre qui tendît à diminuer l'allégresse
« sources, eût forcé vos retranche- générale. A Carthage, l'opinion com-
« ments? Et pour que je ne sois pas mune était qu'avec le moindre effort
« seul à expliquer ce que tout cela a on pouvait mettre fin à la guerre.
« d'inconcevable (car, puisque j'ai ré- Aussi l'on décréta à une immense ma-
« pondu à Himilcon , j'ai bien le droit jorité, clans le sénat, que l'on enver-
« de l'interroger à mon tour), je vou- rait à Annibal un renfort de quatre
« drais qu'Himilcon lui-même, ou Ma- mille Numides, quarante éléphants et
« gon, me donnât quelque éclaircisse- un grand nombre de talents d'argent.
« ment. Puisque la bataille de Cannes On fit partir aussi un dictateur avec
« entraîne la ruine entière de l'empire Magon pour fantassins l'Espagne, etafin d'y mille
lever
« romain , et qu'il est certain que toute vingt mille quatre
« l'Italie est en pleine défection, qu'on chevaux destinés à compléter les ar-
« me nomme d'abord quelque peuple mées d'Espagne et d'Italie. »
« de la confédération du Latium qui Les nouveaux préparatifs des Car-
« ait embrassé notre parti ; puis quel- thaginois sefirent, comme le remar-
« que citoyen des tribus de Rome qui que Tite-Live, avec négligence et une
« soit passé dans le camp d'Annibal. — extrême lenteur. Au reste , les renforts
«Je ne saurais en nommer, répondit votés par le sénat étaient insuffisants
«Magon. — Ainsi donc, reprit Han- pour achever la guerre. Annibal , trom-
« non , il ne nous reste encore que trop pé dans ses espérances, n'eut plus re-
«d'ennemis. Mais à Rome, quelle est cours alors qu'à sa prudence et à son
«la disposition des esprits? Conser- habileté pour se maintenir en Italie.
« vent-ils encore de l'espoir? C'est un Suite de l'expédition d'Anni-
bal; LUTTE DES CARTHAGINOIS ET
« point que je voudrais éclaircir. —Je
« l'ignore, dit Magon. — Rien pour- des Romains en Italie jusqu'au
« tant n'est plus facile à savoir, ajoute moment ou Syracuse et une par-
« Hannon. Les Romains ont-ils envoyé tie de la Sicile abandonnent l'al-
«des ambassadeurs à Annibal pour liance des Romains; 215 avant
86 L'UNIVERS.
notée ère. — Maître de Capoue, An- Annibal tourna ses regards vers la
nibal se prépara à de nouvelles expé- Grèce. Il s'adressa à Philippe, roi de
ditions. Mais lesRomains lui opposèrent Macédoine, qui, craignant la politique
un général qui, par son activité, l'ar- ambitieuse des Romains, n'hésita point
rêta dans presque toutes ses entrepri- à faire alliance avec le général cartha-
ses ;c'était Marcellus, fépée de Rome. ginois. Polybe nous a conservé le traité
Toutefois, Marcellus ne put empêcher qui fut conclu alors entre Annibal et le
Annibal de mettre le siège devant Ca- roi de Macédoine.
silin. Ce siège traînait en longueur, « Voici le traité qu'ont juré le géné-
lorsque le chef carthaginois le convertit « rai Annibal , Magon , Myrcal et Bar-
en blocus, et revint à Capoue pour y « mocal , tous les sénateurs qui sont
prendre ses quartiers d'biver. Ses sol- « auprès d'eux et tous les Carthagi-
dats ne s'amollirent point alors, comme « nois qui sont dans l'armée, avec
on l'a prétendu, dans une funeste oi- « Xénophane , fils de Cléomaque d'A-
siveté, car, dans les premiers jours du « thènes, envoyé comme ambassadeur
printemps, ils se reportèrent avec une « auprès de nous par Philippe, fils de
nouvelle ardeur devant Casilin, qu'ils « Démétrius, pour lui, les Macédo-
forcèrent à capituler à la vue de deux « niens et leurs alliés.
armées romaines. Mais Annibal, qui « Ce traité a été juré en présence de
ne recevait point de Carthage des se- Jupiter, de Junon et d'Apollon; en
cours suffisants, voyait ses forces dé- présence du génie de Carthage, d'Her-
croître dejour en jour. Les Romains, cule et d'Iolaûs ; en présence de
au contraire, faisaient les plus grands Mars, de Triton , de Neptune et des
sacrifices; ils ordonnaient de nouvelles dieux qui combattent avec nous ; en
levées et augmentaient sans cesse le présence du soleil , de la lune , de la
nombre de leurs soldats. Ils prescri- terre, des fleuves, des prairies et des
vaient en même temps à Marcellus et eaux; en présence de tous les dieux
à leurs autres généraux de n'agir qui protègent Carthage; enfin de
qu'avec une extrême prudence. Anni- tous ceux qui protègent la Macédoine
bal ne pouvant se maintenir dans l'Ita- et le reste de la Grèce, et devant
lie centrale , se dirigea vers le Brutium , tous les dieux qui président à la
où il devint maître de Pétilie, de Co- guerre,
ment. et sont témoins de ce ser-
sentia, de Crotone et de Locres, qui
refusaient de s'allier aux Carthaginois. « Le général Annibal , tous les sé-
Alors il revint dans les provinces qui nateurs de Carthage qui sont auprès
avoisinent Rome, et il mit le siège de lui , et tous les Carthaginois qui
devant Cumes. Repoussé avec perte, sont dans son armée
il s'éloigna de nouveau et entra en ment des nôtres et des, avec l'assenti-
vôtres, nous
Lucanie, où il prit ses quartiers d'hi- nous jurons alliance d'amitié et de
ver. Au printemps, il s'empressa d'ac- paix, comme amis, comme compa-
courir au secours de Capoue, mais il gnons et comme frères aux condi-
éprouva sur tous les points une vive tions suivantes :
résistance; et bientôt la défaite de son «Le roi Philippe, les Macédoniens
lieutenant Hannon, qui, dans un com- et les autres Grecs leurs alliés, prê-
bat contre l'armée de Gracchus , perdit teront assistance et secours au peu-
seize mille hommes, lui enleva pour ple carthaginois, au général Anni-
toujours l'espoir de se maintenir dans bal, àtous ceux qui l'accompagnent,
l'Italie centrale. aux sujets de Carthage qui reconnais-
Annibal fait alliance avec
sent ses lois , aux habitants d'Utique ,
Philippe de Macédoine; traité aux villes et peuples soumis aux
entre le général carthaginois
Carthaginois, à l'armée, aux alliés,
et le roi de m acédoine ; 215 avant à toutes les villes et à tous les peu-
notre ère. — Privé des secours qu'il ples avec lesquels nous sommes liés
attendait de Carthage et de l'Espagne, en Italie, en Gaule et en Ligurie, et
CARTHAGE.
« avec lesquels nous pourrions encore « deContinuation
le faire d'un commun accord (*).en
87»
« contracter dans ces pays des relations de la guerre
« amicales et des alliances. « Italie jusqu'à la bataille du
« Assistance et paix seront aussi ac- Metaure, en 207 avant notre
« cordées au roi Philippe et aux autres ère. — Rejeté dans l'Italie méridio-
«Grecs alliés, par les Carthaginois, nale, Annibal se vit contraint de sou-
«les habitants d'Utique, toutes les tenir sans interruption , dans l'Apulie,
« villes et tous les peuples soumis à la Lucanie et le Rrutium , une lutte
«Carthage, leurs alliés et soldats, acharnée contre les armées romaines.
«et par les villes et peuples qui, en La révolte de plusieurs villes de la Si-
« Italie , en Gaule et en Ligurie, sont cile, et notamment de Syracuse, qui
« ou pourraient devenir nos alliés. s'étaient déclarées pour Carthage, le
« Réciproquement nous ne nous ten- délivra un instant de Marcellus qu'il
comptait parmi ses plus redoutables
«« Vous
drons serez
pas deennemis
pièges des
ou d'embûches.
ennemis de adversaires. Cependant Rome ne ces-
« Carthage ; nous exceptons de ces en- sait point de lui opposer ses meilleures
« nemis les rois , villes et peuples avec légions et ses plus habiles généraux.
« lesquels vous entretenezdes alliances. En 213, il eut à soutenir les efforts
« De même nous serons ennemis des de deux armées consulaires. Celle
« ennemis du roi Philippe, en exeep- de ces armées où se trouvait en qua-
« tant toutefois les rois, villes et peu- lité de lieutenant Fabius, le bouclier de
« pies avec lesquels nous avons con-
« tracté des alliances. Vous serez aussi (*) Tite-Live parle aussi du traité qui fut
« nos alliés dans la guerre contre les fait entre Annibal et Philippe, roi de Ma-
cédoine; ildit : «Le traité fut conclu aux
« Romains , jusqu'à ce que les dieux « conditions suivantes : que le roi Philippe,
« nous donnent ainsi qu'à vous la paix. « avec une flotte Irès-considérable (il pou-
« Vous viendrez à notre secours, quand
« il sera nécessaire, et selon que nous «vait réunir deux cents vaisseaux), passe-
« en conviendrons. Si les dieux vous « rait en Italie et ravagerait les côtes; qu'il
« favorisent, ainsi que nous, dans la « ferait la guerre de son côté sur terre et sur
«guerre contre les Romains, et que « mer; qu'au moment où elle serait termi-
« ceux-ci viennent à demander la paix , « née, toute l'Italie et la ville de Rome ap-
<f partiendraienl à Annibal et aux Cartha-
« nous la ferons de manière que vous « ginois ainsi que la totalité du butin. Mais
« y soyez aussi compris. Il ne leur « une fois la conquête de l'Italie achevée,
« les Carthaginois à leur tour s'engageaient
«« guerre
sera "pascontre
permis
vous.d'entreprendre
Les habitants une
de « à se porter sur la Grèce , et à faire la
« Corcyre, d'Apollonie, d'Épidamne, « guerre aux rois ennemis de Philippe. Les
« dePharos,deDimalle, lesParthiniens « villes de la Grèce et les îles qui avoisi-
« et les Atintanes ne pourront être sous « nent la Macédoine devaient être rattachées
« la domination romaine. Ils rendront « au royaume de Philippe. Telles furent à
« aussi à Démétrius de Pharos tous les « peu près , ajoute Tite-Live , les clauses du
« hommes de sa nation qui sont sur « traité conclu entre le général carthaginois
« leur territoire. Mais si les Romains « et les députés macédoniens » (Tite-
Live , xxiii , 33). La version de Polybe qui
« venaient à nous attaquer l'un ou l'au-
« tre , nous nous assisterions comme a été admise jusqu'ici comme authentique
diffère en plusieurs points de celle de Tite-
« les circonstances l'exigeraient ; il en Live. Pourquoi l'historien latin fait-il inter-
« serait de même si d'autres nous fai- venir, dans les conditions du traité, ce par-
« saient la guerre , en exceptant tou-
« jours du nombre de nos ennemis les tage qui doit donner un jour Rome et l'Italie
aux Carthaginois et la Grèce entière à Phi-
« rois, villes et peuples avec lesquels
« nous vivons en alliance. lippe ?C'est qu'il a cru peut-être qu'en re-
courantl'exagération
à il ferait mieux sentir
« Enfin , si nous jugions à propos à ses contemporains la grandeur du danger
«« de
choseretrancher
a ce traité,ou ild'ajouter
nous sera quelque
loisible qui menaçait Rome et l'Italie à l'époque de
l'expédition d'Annibal.
88 L'UNIVERS.
Rome, obtint sur Annibal quelques descente en Afrique , avait été repoussé
avantages; mais, l'année suivante, le avec perte; et depuis lors, jusqu'à
général carthaginois fit d'importantes l'arrivée de Scipion en 204 , Carthage
conquêtes , et il se rendit maître de n'eut pas besoin de rassembler des sol-
ïarente , de Sybaris et de Métaponte. dats pour défendre ses murailles contre
Il profitait des moindres fautes de ses les attaques des armées romaines. Il
ennemis, et plusieurs généraux ro- est vraidequ'en 213, Syphax, roi d'une
mains expièrent cruellement leur im- partie la Numidie, se déclara pour
prudence. Dans une seule rencontre les R.omains ; mais il en coûta peu aux
il tua quinze mille soldats aux Ro- Carthaginois pour combattre ce nou-
mains qui , sous la conduite de Cente- vel ennemi. Ils reçurent dans leur al-
nius Penula, rairements'étaient engagés
dans la Lucanie. En témé-
211, liance Gula, chef d'une autre partie
de la INumidie, qui les aida puissam-
Ànnibal accourut avec son armée au ment à refouler Syphax et les siens
secours de Capoue. Cette ville, qui jusque dans la Mauritanie Tingitane.
était restée si fidèle à l'alliance cartha- Ainsi, pendant quinze ans, Carthage
ginoise, était alors assiégée par deux put disposer de toutes ses forces pour
armées romaines. Annibal, désespé- lutter contre Rome , en Espagne , en
rant de faire lever le siège , essaya, par Sardaigne, en Sicile et en Italie.
une audacieuse diversion, d'attirer Carthage, en effet, ne songeait point
sur lui tous les efforts des ennemis. Il seulement à combattre les armées ro-
marcha sur Rome, et il déploya ses en- maines qui se trouvaient en Espagne
seignes près de la porte Colline. Mais il et en Italie, elle voulait encore ressai-
ne tarda pas à comprendre qu'avec des sir les provinces que les guerres précé-
troupes peu nombreuses et épuisées par dentes lui avaient enlevées , et relever
de longues fatigues et des combats sans en Sardaigne et en Sicile ses anciens
cesse renouvelés , sa tentative ne devait établissements. Après la bataille de
point avoir de résultats. Alors il rétro- Cannes, au commencement de l'année
grada et regagna le Brutium. Cepen- 215, elle envoya en Sardaigne une ar-
dant les Romains pressent le siège de Ca- mée considérable, sous le commande-
poue et ils entrent enfin dans cette ville ment d'Asdrubal. Mais bientôt ses
où ils exercent de terribles vengeances. espérances fut s'évanouirent;
Pendant les années 210, 209 et 208, la Sardaigne anéantie, etl'armée
Asdrubalde
lutte entre les Carthaginois et les Ro- fut conduit à Rome à la suite du triom-
mains se continue dans les provinces
de l'Italie méridionale. Fabius et Mar- phateur.
Mais c'était principalement sur la
celius reparaissent à la tête des légions. Sicile que s'était portée l'attention des
Fabius, en 209, enlève ïarente aux Carthaginois. Dans les premières an-
nées de la guerre, ils avaient équipé
Carthaginois; mais, l'année suivante, une flotte nombreuse pour faire une
Home éprouve une grande perle. Mar-
cellus , qui a été nommé consul , est descente dans l'île; mais cette flotte,
tué dans un combat où succombent comme nous l'avons dit plus haut,
avec lui Crispinus , son collègue , et les avait été détruite près de Lilvbée, par
le préteur /Emilius. Une perte aussi
principaux officiers de l'armée ro-
maine. considérable fut loin d'enlever tout
Événements de la deuxième espoir aux Carthaginois; ils entretin-
GUERRE PUNIQUE EN AFRIQUE , EN rent dans la Sicile des émissaires , qui
excitaient la population à se révolter
Sicile et en Sardaigne; 219-207 contre les Romains. Puis, ils équi-
avant notre Ère. — Au commence- pèrent encore de nombreux vaisseaux ;
ment de la deuxième guerre punique,
et, peu de temps après la bataille de
Sempronius s'était emparé de l'île de Cannes, le propréteur T. Otacilius écri-
Malte ; mais il n'avait point essayé d'at- vit au sénat : « Les États dHiéron sont
taquer les Carthaginois sur leur propre
territoire. Servilius, qui avait tenté une « dévastés par une flotte carthaginoise.
CARTHAGE.
« Au moment où, sur les instances de geait vers l'Italie. Il avait essayé, comme
« ce roi , je me disposais à lui porter nous l'avons dit, d'engager un combat
«secours, on est venu m'apprendre sur les bords du Rhône; mais son en-
« qu'une autre flotte ennemie se tenait nemi lui avait échappé, et Scipion
« vers les îles Egates , toute prête , n'avait revu Annibal que sur les bords
du ïésin. Toutefois, Cnéus Scipion,
« dès qu'on me saurait parti pour pro- le frère du consul, avait continué sa
« téger la côte de Syracuse, à fondre
« sur Lilybée et sur les autres villes route vers l'Espagne avec une armée
« de la province romaine. Envoyez nombreuse. Il avait à peine opéré son
« donc des vaisseaux , si vous voulez débarquement à Empories
« défendre Hiéron votre allié, et vos quit Hannon , et se rendit qu'il
maîtrevain-
de
« possessions de la Sicile. » Quand toutes les contrées qui se trouvent
Hiéron, qui avait été pendant cinquante comprises entre l'Ëbre et les Pyrénées.
ans le fidèle allié des Romains, mou- L'année suivante (217), Asdrubal lui-
rut et laissa sa royauté de Syracuse a même fut vaincu , et Cnéus Scipion ,
son petit-fils Hieronyme, un grand après avoir traversé l'Èbre, parcourut,
changement se fit en Sicile. La rébel- avec son armée victorieuse, toute la
lion fomentée par les Carthaginois côte jusqu'aux colonnes d'Hercule. Les
éclata , et près de soixante et dix villes Carthaginois éprouvèrent alors en Es-
se soulevèrent contre les Romains. pagne des revers multipliés. Ils avaient
Marcellus fut alors envoyé pour assié- à combattre tout à la fois et l'armée
ger Syracuse. Les Carthaginois, de des Scipions (*) , et les indigènes qui
leur côté, firent les plus grands efforts se déclaraient pour les Romains. As-
pour soutenir les Siciliens qui avaient drubal avait déjà perdu la meilleure
embrassé leur parti. Bomilcar, Himil- partie de ses forces lorsqu'il reçut ordre
con , Hannon et Mutine luttèrent sou- du sénat de Carthage, après la bataille
vent avec succès contre les armées ro- de Cannes , de remettre le gouverne-
maines. La prise de Syracuse, par ment de l'Espagne à Himilcon , et de
Marcellus , ne termina point la guerre : partir avec son armée pour rejoindre
les Carthaginois se maintinrent sur Annibal en Italie. Il se mit en marche;
tous les points; et, pendant plusieurs arrivé au bord de l'Èbre, il rencontra
années, ils obtinrent sur leurs enne- l'armée romaine qui s'opposait à son
mis d'importants avantages. Une trahi- passage. Asdrubal livra bataille, fut
son rendit inutiles ces longs efforts de vaincu et rejeté en Espagne. Quand la
Carthage. Mutine livra Agrigente aux nouvelle en vint à Rome, par une
Romains, qui ne tardèrent point à lettre des Scipions, la joie fut univer-
rentrer en maîtres dans les autres selle. On sentait toute l'importance de
cette victoire qui empêchait Asdrubal
villes. C'était en l'année 210; dès lors, de passer en Italie. Carthage envoya
les Carthaginois abandonnèrent pour
toujours fa Sicile qu'ils disputaient des renforts à ses armées d'Espagne ;
aux Romains depuis si longtemps. mais les deux Scipions/ Publius et
Événements de la deuxième Cnéus , ne cessèrent point de vaincre.
guerre punique en espagne de- Ils livrèrent deux grandes batailles
puis le départ d'annieal jus- sous les murs d'Illiturgi et d'Intibili ,
qu'au moment ou asdbubal pé- où ils firent éprouver aux Carthagi-
NÈTRE en Italie ; 219-207 avant no- nois des pertes considérables. Ces der-
tre ère. — Dans les premiers temps niers succès eurent un immense ré-
de la guerre, Publius Cornélius Scipion sultat, car, suivant la remarque de
avait été envoyé en Espagne pour pré- Ïite-Live, presque tous les peuples de
venir les projets d'Annibal. Il se ren- l'Espagne
Romains. se déclarèrent alors pour les
dait au poste qui lui avait été assigné,
lorsqu'il apprit que le général cartha- et (*) Publiusamené
était trente
venu rejoindre
vaisseaux sonet frère
ginois, après avoir franchi les Pyré- lui avait huit
nées, traversait la Gaule et se diri- mille soldats.
90 L'UNIVERS.
Les Carthaginois ne furent point « un nombre considérable de scorpions
découragés partant de revers, et ils
« grands et petits, d'armes offensives
firent les plus grands efforts pour sou- « et défensives; on prit aussi soixante-
tenir en Espagne les armées que com- « quatorze drapeaux. On porta au gé-
mandaient alors Giseon, Magon et « néral une grande quantité d'or et
Asdrubal. Cependant, chaque année «d'argent, cleux cent soixante-seize
amenait pour eux de nouveaux désas- « coupes d'or, presque toutes du poids
tres :en '214 , ils furent vaincus dans « d'une livre, dix-huit mille trois cents
guatre batailles, à Illiturgi, à Bigerra, « livres d'argent monnayé et ciselé, et
à Munda et à Auringe. « Après cette « beaucoup de vases du même métal.
«brillante campagne, dit Tite-Live, « Tous ces objets furent comptés et
« les Romains éprouvèrent un senti- « pesés devant le questeur Caius Fia-
« ment de honte en songeant que Sa- « minius ; on trouva encore quarante
« gonte était depuis huit ans au pouvoir « mille boisseaux de froment et deux
« de leurs ennemis. Us chassèrent de « cent soixante-dix mille boisseaux d'or-
« la ville la garnison carthaginoise, et « ge. Soixante-trois vaisseaux furent
« y rappelèrent ceux des anciens ha- « pris dans le port; parmi ces vaisseaux
« bitants qui avaient échappé aux mal- « il y en avait plusieurs qui étaient
« heurs de la guerre. » Par un brusque « chargés de blé, d'armes, de cuivre,
changement, la fortune devint bien- «de fer, de voiles, de cordages, et
tôt contraire aux Romains. Les deux
« d'autres agrès nécessaires à l'équipe-
Scipions qui, tant de fois, avaient été « ment d'une flotte. » La prise de Car-
vainqueurs, périrent avec une partie thagène etla politique de Scipion qui,
de leur armée. Rome était sur le point par des actes de clémence et de mo-
de perdre en Espagne le fruit de ses dération, savait gagner aux Romains
nombreux succès, lorsqu'elle envoya les populations indigènes^ portèrent en
dans cette province le fils de Publius, Espagneun coup mortel à ladomination
pour commander les légions. Le jeune carthaginoise. Toutefois, au moment
Scipion galères se dirigea même où Carthage pertesvenait d'éprouver
trente et dixvers l'Espagne
mille hommes.avecIl de si grandes , Asdrubal , par
joignit ces dix mille hommes aux trou- un dernier effort, mit à exécution le
pes que Néron avait amenées l'année projet qu'il avait conçu depuis long-
précédente, et aux débris de l'armée qui temps. Ilpassa l'Èbre,5 entra dansavoir
les
avait combattu si glorieusement sous Gaules par les Pyrénées, et après
les ordres de son père et de son oncle. franchi les Alpes, il pénétra enfin en
Scipion illustra bientôt son comman- Italie.
dement par une action d'éclat : il se Asdrubal en Italie; bataille
porta sur Carthagène , qu'il prit d'as- SUR LES BORDS DU MÉTAURE ; l'AR-
saut après un combat qui n'avait duré mée
Annibal d'asdrubal
concentreest exterminee;
toutes ses
que quelques heures. Dans cette ville
réputée inexpugnable, les Carthaginois forces dans le brutium; 207
avaient déposé l'argent et les appro- avant notre Ère. — - Asdrubal com-
vision ements quiservaient à la solde mit une grande faute en s'arrêtant dans
et à l'entretien de leurs armées. Au la Cisalpine et en mettant le siège de-
reste, pour se faire une idée de l'im- vant Plaisance. Rome eut le temps de
mensité des pertes que firent alors les faire de nouvelles levées et d'organiser
Carthaginois, il suffit de lire dans Tite- deux armées pour résister aux enne-
Live l'énumération suivante : « On mis qui la menaçaient au nord et
« s'empara d'une prodigieuse quantité au faute
sa midi. , Asdrubal
et il essaya 's'aperçut enfin en
de la réparer de
« de machines de guerre : c'étaient cent
« vingt catapultes de la première gran- se hâtant de traverser l'Italie pour re-
« deur , deux cent quatre-vingts de joindre Annibal. Mais arrivé en Om-
« grandeur moyenne , vingt-trois gran- brie, il rencontra le consul Livius sur
n des balistes, cinquante-deux petites, les bords du Métaure. Néron , que Rome
CARTHAGE. 91
avait opposé à Annibal, connaissait Fin de la deuxième guerre puni-
depuis longtemps, par des lettres in- que en Italie, depuis la bataille
terceptées, les plans d'Asdrubal. Il du Métaure jusqu'au
avait confié son armée à un de ses lieu- nibal; 207-203 avant départ
notre d'ère.
An-
tenants, etil était venu dans le camp — Depuis l'instant où la mort de son
de son collègue Livius avec quelques frère Asdrubal avait fait évanouir ses
troupes plus belles espérances, Annibal, comme
fut livréed'élite. sur les Unebordsbataille
du sanglante
Métaure. nous forces
l'avons dans dit, avait concentréA toutes
Asdrubal y perdit la vie, et son armée ses le Brutium. force
tout entière fut exterminée. Alors Né- d'expédients, d'habileté et de courage,
ron revint dans son camp; il portait il se maintenait dans cette position
avec lui la tête d'Asdrubal, qu'il fit contre tous les généraux romains. Ce-
jeter dans les retranchements d'Anni- pendant les armées que Rome lui op-
bal. On dit qu'à la vue de cette tête, posait lui enlevaient chaque jour
Annibal s'écria : « Je reconnais la for- quelques-unes des villes qui avaient
tune de Carthage. » En effet, tout es- embrassé son parti, et le refoulaient
poir de triompher des Romains en Italie peu à peu à l'extrémité de l'Italie. Au
lui était désormais enlevé. C'est pour- moment même où Carthage venait de
quoi ilpartit aussitôt de Canouse, et, perdre l'Espagne, il put espérer un
rassemblant les troupes qui lui res- instant de reprendre l'offensive et de
taient, ilconcentra toutes ses forces reporter la guerre sur un théâtre plus
dans le Brutium, à l'extrémité de digne de lui. Il apprit que Magon, son
l'Italie. frère, avait débarqué en Ligurie avec
Fin de la deuxième guerre pu- une armée, et qu'il se préparait à mar-
nique en Espagne, depuis le dé- cher sur ses traces en traversant l'Ita-
part d'Asdrubal jusqu'à la prise lie; mais cette fois encore Annibal fut
de Gades; 209-205 avant notre ère. déçu dans ses espérances. Magon , après
— La prise de Carthagène et le départ quelques succès, fut vaincu avec les
d'Asdrubal avaient livré aux Romains Gaulois ses alliés. Ce fut alors que
toute Carthage, pressée en Afrique par les
naise. l'Espagne
Magonet citérieure Giscon, avec ou les
Tarrago-
débris Romains, appela à son aide Magon et
des armées carthaginoises, se mainte- Annibal.
naient, iest
l vrai, dans la Bétique ; mais Les Romains portent la guerre
Soi pion vint encore les attaquer dans ce en Afrique; expéditions de Va-
dernier asile. Ce fut en vain que Car- lerius Ljsvinus et de L^lius ; Se i-
thage envoya alors à ses généraux de pion débarque en Afrique avec
nouvelles troupes commandées par une armée romaine; ses premiers
Hannon; elle perdit sa dernière armée succès ; 207 - 204 avant notre
dans une grande bataille livrée sur les ère. — Après la bataille du Mé-
confins de la Bétique, et bientôt elle taure, les Romains avaient essayé de
ne posséda plus, dans la Péninsule, porter la guerre sur le territoire de
que la ville de Gades. Le roi Massi- Carthage. Dès l'année 207, Valérius
nissa, qui jusqu'alors était resté fidèle Lœvinus avait débarqué en Afrique,
aux Carthaginois, et qui les avait puis- et il avait poussé ses ravages jusque
samment aidés dans les guerres d'Es- sous les murs d'Utique. Là se termina
pagne, passa aux Romains avec ses son expédition. A son retour, il ren-
Numides. Scipion, de son côté, se contra une flotte carthaginoise, la
rendit en Afrique auprès de Syphax, battit et lui fit éprouver de grandes
qu'il gagna à l'alliance de Rome, et il pertes. Scipion, dès son arrivée en Si-
réunit ainsi contre Carthage les rois cile, avait envoyé Lselius pour recon-
des deux Numidies. Enfin la prise de naître et piller les côtes de l'Afrique.
Gades, qui suivit de près ces événe- Lui-même, après avoir obtenu l'adhé-
ments, plaça l'Espagne tout entière sion du sénat, ne tarda pas à suivre
sous la domination romaine. son lieutenant. Avant son départ, il
92 L'UNIVERS.
avait fondé de grandes espérances sur ginois, comme dans celui des Numides ,
l'alliance qui unissait Syphax aux Ro- ïes soldats étaient logés dans des ca-
mains; mais il apprit bientôt qu'As- banes faites de planches, de branches
drubal, en donnant sa fille Sophonisbe d'arbres et de joncs. Il conçut alors un
à Syphax, avait entraîné ce roi des hardi projet. Tant que dura l'hiver, il
Numides dans le parti des Carthagi- ne cessa point d'envoyer à Syphax des
nois. D'autre part, Massinissa, qui messagers qui semblaient préparer, par
était resté fidèle à Rome, avait perdu l'intermédiaire du roi des Numides,
ses États. Ces fâcheuses nouvelles ne un traité de paix entre les Romains et
purent arrêter Scipion. Il débarqua les Carthaginois. Ces négociations sans
avec trente mille hommes, et, à son cesse renouvelées donnaient à Asdru-
arrivée, il rencontra Massinissa qui bal et aux autres chefs de son armée
amenait avec lui deux cents cavaliers. une sécurité trompeuse et endormaient
Quand les Romains touchèrent le sol leur vigilance. Au retour du printemps,
de l'Afrique, une terreur profonde se Scipion, par une attaque simulée, sem-
répandit à Carthage et dans toutes les bla porter toutes ses forces vers Uti-
villes voisines. Les Carthaginois, dans que. Asdrubal et Syphax étaient loin
leur imprévoyance, n'avaient point alors de soupçonner les véritables pro-
songé à rassembler une armée. Ils or- jets du général romain. Un soir, Sci-
ganisèrent la
à hâte quelques troupes pion donna ordre à ses tribuns de
de cavaliers qui furent battues par faire prendre les armes aux soldats.
les Romains. Ce ne fut que lorsque Quand ils furent prêts à marcher, il se
les premières craintes se dissipèrent, mit à leur tête, et s'avança vers le
et au moment où Scipion s'arrêta vers camp des Carthaginois, quittait éloi-
Utique, que les Carthaginois firent les gné du sien, dit Polybe, de soixante
préparatifs nécessaires pour arrêter stades. Il arriva aux retranchements
l'invasion. ennemis vers la fin de la troisième
Scipion assiège Utique; il sur- veille. Il avait partagé son armée en
prend ASDRUBAL ET SYPHAX ; IL deux corps. Lœlius et Massinissa se
MET LE FEU AUX CAMPS DES CARTHA- portèrent sur le camp des Numides et
GINOIS et des Numides; quarante ils mirent le feu aux premières cabanes.
MILLE HOMMES PÉRISSENT DANS
L'incendie se propagea avec une ef-
l'incendie; l'armée D'ASDRUR4L frayante rapidité, et bientôt toutes les
EST ANÉANTIE DANS UNE BATAILLE; cabanes des Numides furent la proie
203 avant notre Ère. — Les Car- des flammes. Massinissa gardait les
thaginois avaient enfin levé une armée, issues, et presque tous ceux qui es-
et Syphax avait embrassé sincèrement sayèrentScipion,
d'échapperdeauson
feu côté,
furent porta
mas-
leur sacrés.
avec alliance.
des forces Asdrubal s'avançacontre
considérables alors
l'incendie et le massacre dans le camp
Scipion, qui avait mis le siège devant des Carthaginois. Asdrubal et Syphax
Utique.
non loin L'armée carthaginoiseromains,
des retranchements s'arrêta parvinrent,
mais, dans cette il est nuitvrai,désastreuse,
à s'échapper,
ils
et se partagea en deux camps. Dans avaient fait des pertes considérables.
celui d'Asdrubal, on comptait trente Quarante mille hommes avaient perdu
mille hommes de pied et trois mille la vie et cinq mille étaient tombés au
chevaux, et dans celui des Numides, pouvoir des Romains. A la nouvelle
que commandait Syphax, dix mille de l'incendie des deux camps, les Car-
chevaux et cinquante mille hommes thaginois furent plongés dans la cons-
d'infanterie. Les deux camps étaient ternation. Les sénateurs s'assemblèrent
séparés par un espace de dix stades. pour délibérer. Après de vives discus-
Scipion, qui envoyait fréquemment
des émissaires à Syphax pour le ra- armée sesions,mettrait
ilfut décidé qu'une nouvelle
en campagne sous la
mener à l'alliance romaine, apprit conduite d'Asdrubal. On fit des levées;
bientôt que dans le camp des Cartha- on soudoya quatre mille Celtibériens ,
93

CARTHAGE.
et Syphax ne tarda point à donner au navires qui apportaient de la Sicile les
général carthaginois le secours de ses provisions destinées à l'armée de Sci-
Numides. Asdrubnl avait réuni environ pion. Alors, sans doute, les Carthagi-
trente mille hommes, lorsqu'il fut en- nois fondaient de grandes espérances
core attaqué par les Romains. Au sur l'arrivée d'Annibal (*). Ce général ,
moment où Scipion avait appris que les en effet, avait obéi aux ordres du
Carthaginois rassemblaient de nou- sénat de Carthage, et il était parti
velles forces, il avait abandonné le pour l'Afrique avec son armée. Mais
siège d'Utique pour aller combattre ce ne fut point sans une profonde dou-
Asdrubal. Après cinq jours de marche , leur, et les historiens anciens l'ont
il était arrivé dans un lieu que Polybe attesté, qu'il abandonna cette Italie
appelle les Grandes-Plaines. C'est là dont il n'avait pas cessé de rêver la
que fut livrée une bataille qui enleva à conquête, et où il avait dépensé, pen-
Carthage sa dernière armée et ses der- dant quinze années, tant de courage
nières ressources. et de génie. Annibal aborda à Lep-
délibération du senat cartha- tis; puis il vint à Adrumète, où il prit
ginois après la bataille des quelques jours de repos, et de là il se
rendit à Zama.
Grandes-Plaines; Scipiondirigée
pare de Tunis; attaque s'em- Annibal et Scipion entrent en
contre la flotte romaine qui CONFÉRENCE ; BATA1LLEDEZaMA(**).
assiégeait Utique; les Carthagi- 202 ANS AVANT NOTRE ERE. — C'é-
nois ENVOIENT DES AMBASSADEURS tait sur les instances du sénat car-
a Rome; Annibal débarque a Lep- thaginois qu'Annibal était venu cam-
tis; 203 et 202 avant notre ère.
— Le résultat de la bataille des Gran- per à maine
Zama. se trouvaitCependant
encore assez l'armée ro-
éloignée
des-Plaines portaetla leur
terreur dans l'âme de cette ville, qui est à cinq journées de
des Carthaginois fit perdre toute Carthage du côté du couchant. Bientôt
espérance. Les sénateurs décidèrent Annibal leva son camp , pour se rappro-
alors qu'on fortifierait la ville, qu'on cher encore desRomains.Déjà la bataille
ferait les préparatifs nécessaires pour entre le général carthaginois et Scipion
soutenir un siège, et qu'on rappellerait était inévitable, lorsque ces deux illus-
tres chefs se rendirent à une entrevue.
d'Italie Magon et Annibal. Le danger La conférence, comme il était facile de
était pressant en effet; Scipion, met-
tant àprofit sa victoire, s'avançait sur le prévoir , n'eut aucun résultat , et l'on
Carthage, et déjà il était maître de se prépara au combat. Scipion rangea
Tunis. Les Carthaginois essayèrent ses troupes dans l'ordre suivant : il
alors une diversion; ils envoyèrent des mit les hastaires sur la première ligne,
vaisseaux pour attaquer la flotte ro-
maine qui assiégeait Utique, et ils (*) Magon de son côté avait quitté la Cisal-
forcèrent Scipion à quitter Tunis et à pine et venait au secours de sa patrie lorsqu'il
mourut en mer, à la hauteur delà Sardaigne.
voler au secours d'une partie de son
armée. Après cette entreprise qui ne (**) Les écrivains modernes s'accordent
leur réussit point, les Carthaginois, généralement pour donner à cette bataille
privés des secours de Syphax leur le nom de Zama. Cependant la bataille fut
livrée loin de cette ville, entre Killa et Na-
allié, qui était attaqué dans ses pro-
pres États par Lœlius et Massinissa, ragara (V. Tive- Live et Appien). Le théâ-
demandèrent une trêve à Scipion, et tre de l'action n'est point indiqué d'une
manière précise dans Polybe, mais il est fa-
envoyèrent des ambassadeurs à Rome cile de voir, par le récit de cet historien ,
pour'demander la paix. Mais en cette que les Carthaginois el les Romains n'en
circonstance, comme en bien d'autres, vinrent aux mains qu'à une assez grande
ils se montrèrent peu scrupuleux pour distance de Zama. Il faut ajouter (pie, sui-
remplir les engagements qu'ils avaient vant Appien, il y eut à Zama, quelques
bris; ils s'emparèrent, à la faveur de jours avant la grande bataille, un combat
la trêve, d'un convoi de deux cents entre des cavaliers romains et carthaginois.
94 L'UNIVERS.
et laissa des intervalles entre chaque mirent en déroute. Cependant l'infan-
cohorte ; à la seconde ligne il plaça terie s'était abordée. Les soldats sou-
les princes : les cohortes des princes
étaient posées non vis-à-vis des inter- avec un doyés pargrand
Carthage se battirent
courage; mais d'abord
voyant
valles de la première ligne, comme cela que la seconde ligne restait immobile
se pratique chez les Romains, mais les et ne venait point à leur secours , ils
unes derrière les autres avec des in- lâchèrent pied et se précipitèrent sur
tervalles entre elles, à cause des nom- les Africains et les Carthaginois. La
breux éléphants qui se trouvaient dans seconde ligne d'Annibal , attaquée tout
l'armée ennemie. Les triaires for- à la fois par les mercenaires et les Ro-
maient la réserve. Sur l'aile gauche mainsfut
, taillée en pièces. Le géné-
était Lœlius avec la cavalerie d'Italie, ral carthaginois ne voulut pas que les
et, sur la droite, Massinissa avec ses fuyards vinssent se mêler aux soldats
Numides. Scipionjeta des vélites dans qui lui restaient : il ordonna au pre-
les intervalles de la première ligne, et mier rang de la troisième ligne de leur
leur donna ordre de commencer le présenter la pique, ce qui les obligea
combat, de manière pourtant que s'ils de se retirer le long des ailes dans la
étaient repoussés ou ne pouvaient sou- plaine. Scipion se porta alors avec
tenir lechoc des éléphants, ils se reti- toute son infanterie, hastaires, prin-
rassent, par les intervalles, derrière ces et triaires réunis, sur la troisième
l'armée. Annibal, de son côté, plaça ligne
et acharné,d'Annibal. et la Le combat
victoire étaitfutencore
long
sur le front de son armée plus de qua-
tre-vingts éléphants; les mercenaires, indécise, lorsque Laelius et Massinis-
Liguriens, Gaulois, Baléares et Mau- sa, qui revenaient de la poursuite, se
res, occupaient la première ligne; der- jetèrent, par derrière, sur l'infanterie
rière eux , sur la seconde ligne , se carthaginoise et en firent un grand
trouvaient les Africains et les Cartha- carnage. Ce fut ainsi que se termina
ginois ;enfin à la troisième ligne , qui la bataille. Les Romains perdirent dans
était éloignée de la seconde de plus cette mémorable journée plus de quinze
d'un stade (*), on voyait les troupes cents hommes; mais, du côté des Car-
qui thaginois, vingt mille soldats restèrent
Dansavaient les deux fait armées, les guerres d'Italie.
les Numides sur la place et vingt mille furent faits
commencèrent la bataille par des es- prisonniers. Après cette terrible dé-
carmouches. Ensuite Annibal fit avan- faite, Annibal se sauva en toute hâte
cer les éléphants. L'infanterie romaine à Adrumète (*).
eut beaucoup à souffrir de cette atta-
que , mais les éléphants se retirèrent (*) Folard , dans le commentaire qui ac-
par les intervalles que Scipion avait compagne lerécit de Polybe sur la bataille
ménagés sur sa triple ligne, et, à coups de Zama., a jugé peut-être Annibal avec
de traits, on les chassa hors du champ trop de sévérité. Après avoir essayé de dé-
de bataille. Alors Lœlius et Massinissa
montrer, par une longue série d'arguments,
se précipitèrent sur les corps de cava- que la conduite du général carthaginois ,
lerie qui leur étaient opposés , et les avant et pendant la bataille, ne répondit
point à sa réputation de prudence et d'ha-
bileté, ilajoute : «Polybe, Tite-Live, et un
(*) Tous ces détails sont empruntés à « grand nombre d'auteurs fort éclairés parmi
Polybe. La narration d'Appien est très-cir- « les modernes , ne peuvent s'empêcher
constanciéemais
, elle est remplie d'un foule « d'admirer la merveilli use disposition d'An-
de traditions mensougères. Nous devons « nibal dans cette bataille : passe pour Tite-
dire aussi , qu'en ce qui concerne les der- « Live et pour ces derniers ; ils n'ont pas
niers événements de la deuxième guerre «« cru devoir se morfondre à faire l'analyse
punique, Appien est souvent en contradic- de ces deux ordres de bataille. Ils ont
tion avec Polybe et Tite-Live. Pour le récit « suivi le sentiment général, sans pénélrer
de la bataille de Zama nous avons donc pré- « plus loin ; mais que Polybe , qui était un
féré Polybe à l'historien alexandrin. «homme judicieux, grand historien, et
CARTHAGE. 95

Avant la bataille, dit Polybe, non- mander la paix aux Romains. On en-
seulement l'Italie et l'Afrique, mais voya donc des ambassadeurs à Scipion ,
encore l'Espagne , la Sicile et la Sar- qui leur ordonna de se rendre à Tunis
daigne étaient en suspens et suivaient où il conduisait son armée. Scipion
les événements avec une vive anxiété. songea un instant à faire le siège de
La victoire de Scipion mit fin aux in- Carthage, et à terminer la guerre par
certitudes etrendit les Romains maî- la ruine de cette ville. Mais bientôt,
tres du monde. craignant que, pendant les longueurs
Les Carthaginois envoient des du siège qu'il méditait, un successeur
amr assadeubs a Scipion; réponse ne vînt lui enlever le fruit de ses nom-
de Scipion; délibération du sé- breux succès et toute sa gloire , il ré-
nat carthaginois; le sénat et solut d'accorder la paix aux Carthagi-
le peuple romain approuvent le nois. Voici à quelles conditionsilvoulut
traité de paix conclu par sd- traiter :
pion; fin de la deuxième guerre « D'une part, les Carthaginois gar-
punique; 202 et 20j avant notre deront en Afrique toutes les places
ère.— Annibal s'était enfui d'abord qu'ils avaient avant la dernière guerre,
à Adrumète; puis, rappelé à Carthage, ainsi que les terres , les esclaves et les
il était venu dans cette ville qu'il n'a- autres biens dont ils étaient en posses-
vait point vue depuis trente-six ans. Il sion ;à partir de la conclusion du
conseilla alors aux Carthaginois de de- traité, il ne sera fait contre eux aucun
acte d'hostilité; ils continueront à
« tout ensemble un excellent homme de vivre suivant leurs lois et leurs cou-
« guerre ; que Polybe , tlis-je , soit le pre- tumes, eton ne leur imposera point de
« mier qui ;iit été de ce sentiment, et qu'il
« ait donné le branle à celui de tous les garnisons.
« autres, voilà ce qui me surprend. Serait- « D'autre part , les Carthaginois res-
« ce en vue de relever la gloire de Scipion titueront aux Romains tout ce qu'ils
leur ont injustement enlevé pendant
« qui était son ami, ou prévenu par les les trêves; ils leur remettront tous
« grandes actions d'Annibal , ou faute de les prisonniers de guerre et trans-
«réflexion? Pour peu qu'on ait de
« connaissance de la guerre , on verra qu'An- fuges qu'ils ont pris ou reçus; ils
« nibal ne se surpassa jamais moins que abandonneront tous leurs longs vais-
« dans celte bataille Quoiqu'il soit seaux ,à l'exception de dix galè-
res; ils livreront tous leurs élé-
« toujours dangereux d'être singulier dans
« son opinion , et d'aitaquer, comme j'ai
phantsils
; ne feront aucune guerre ni
« fait , un sentiment généralement reçu , je au dehors , ni au dedans de l'Afrique
« ne puis que je ne dise que cet ordre de sans l'adhésion du peuple romain ; ils
« bataille est très-peu digne d'envie el de rendront à Massinissa les maisons,
« l'éloge de Scipion J'avoue qu'il n'y terres, villes et autres biens qui lui
« a qu'une voix sur l'excellence de l'ordre ont appartenu ainsi qu'à ses ancêtres
« de bataille adopté à Zama par Annibal ; ( les Romains se réservaient de dési-
« mais ce ne doit pas être une raison pour gner les pays où se trouvaient ces
« me soumettre à l'opinion de ces gens-là. biens de Massinissa) ; ils fourniront des
« Ils ont profondément examiné celte mé-
« thode , dira-l-on, fort bien ; cela ne doit vivres à l'armée romaine pendant trois
mois; ils payeront la solde de cette ar-
« pas m'empècher d'examiner à mon tour
mée jusqu'au moment où le sénat et le
« et voir s'ils ne se sont pas trompés. Il est peuple romain auront statué sur les
« aisé de juger si la chose méritait d'être articles du traité; ils donneront dix
«« examinée. Il n'y a rien
cher de reconnaître des qui doivedans
fautes empê-
un mille talents d'argent en cinquante ans ,
«c homme extraordinaire, ainsi que dans un en payant chaque année deux cents ta-
« autre. Personne n'est exempt de fautes, et lents euboïques ; enfin , comme garan-
«c le plus partait est celui qui en a le moins tie du traité, le consul choisira cent
« commis. Annibal peut être mis d-e ce otages dans la jeunesse carthaginoise. »
« nombre. » Quand les ambassadeurs qui avaient
96 L'UNIVERS.
été envoyés à Tunis revinrent à Car- « thaginois une douleur aussi profonde
tilage, etfirent connaître le résultat
de leur négociation , il y eut dans le «« que s'ils avaient
de Carthage. vu l'incendie
» Quand il fallut même
faire
sénat une grande hésitation. Plusieurs le premier payement des contributions,
sénateurs étaient d'avis de rejeter les les sénateurs carthaginois manifes-
conditions proposées; et parmi eux, tèrent une vive affliction , et plusieurs
Giscon essaya par un discours de mo- d'entre eux versèrent des larmes amères.
tiver son opinion. Il commençait à Alors Annibal se prit à rire : sur le
parler lorsque A nnibal s'élança vers lui reproche que lui fit Asdrubal Hœdus
et l'arrachamurmures
violents de son siège. Aussitôtdaus
éclatèrent de d'insulter par sa joie à la douleur
publique, dont il était la première
l'assemblée. « Vous me pardonnerez , cause, il répondit : «Si l'œil qui
dit Annibal , si j'ai commis une faute distingue les mouvements extérieurs
contre les usages. Vous savez que pouvait
sorti de ma patrie à l'âge de neuf facile delirereconnaître
au fond de quel'âmece ,rire
il serait
qui
ans , je n'y suis revenu qu'après vous choque n'est pas l'expression de
trente-six ans d'absence. Veuillez donc la joie, mais plutôt d'un délire causé
me pardonner la faute que j'ai com- par l'excès du malheur. Toutefois, ce
, ne considérer que mes inten- rire est encore moins déplacé que votre
mise et
tions qui sont celles d'un bon citoyen. »
Annibal ajouta que rejeter, dans un douleur. rachait Quoi ! au moment
les dépouilles de où l'on ar-
Carthage,
danger si pressant, la paix accordée quand on la désarmait, vous ne pleu-
par Scipion , c'était vouloir la ruine de riez point; et, dans ce jour où chaque
Carthage. Il termina en disant : « Ne citoyen doit payer sa part du tribut ,
délibérez point sur les articles, mais on dirait que la perte de votre or est
recevez-les avec joie. Offrez des sacri- une véritable calamité publique. Hélas !
fices aux dieux, et priez -les de faire je crains qu'avant peu vous ne vous
en sorte que le peuple romain ratifie aperceviez que ce qui vous coûte au-
le traité que l'on nous propose. » Le jourd'hui des larmes, était de tous vos
sénat se rendit à l'opinion d'Annibal, maux le plus léger ! »
et fit partir des ambassadeurs pour Scipion, avant de quitter l'Afrique,
conclure la paix. Ces ambassadeurs se ajouta aux États que Massinissa tenait
dirigèrent vers Scipion qui campait à de ses ancêtres Cirta et les autres villes
Tunis, et de là ils allèrent à Rome.
Introduits dans le sénat, Asdrubal qui
pouravaient
le récompenserappartenu de à Syphax. C'étaitet
sa fidélité
Hœdus, l'un d'eux , prit la parole et l'attacher de plus en plus au parti des
implora la pitié des Romains. On leur Romains. Ainsi Carthage, épuisée d'ar-
accorda la paix , et le traité conclu par gent par d'onéreuses contributions ,
Scipion fut ratifié par le peuple et les sans armées de terre et sans flotte, se
sénateurs. Alors, les ambassadeurs re- voyait livrée à la discrétion de sa ri-
vinrent en Afrique. vale. Toutefois , Rome craignit encore
«Les Carthaginois, dit Tite-Live, qu'elle ne pût se relever de tant de
« livrèrent leurs vaisseaux de guerre, désastres; et, pour la tenir toujours
« leurs éléphants , les transfuges , les faible et toujours humiliée, elle accrut
« esclaves fugitifs et quatre mille pri- la puissance de Massinissa, Y ennemi
« sonniers , parmi lesquels se trouva éternel du peuple carthaginois. Au
«un sénateur, Q. Terentius Culleo. moment où Scipion partit pour aller
« Scipion fit conduire les vaisseaux en recevoir le triomphe , il était déjà évi-
« pleine mer pour y être brûlés ; ils dent que le traité qui avait mis fin à la
« formaient , suivant quelques histo- deuxième guerre punique ne faisait
« riens , un total de cinq cents bâti- qu'ajourner la ruine de Carthage.
« ments à rames. L'aspect de cet em- Carthage humiliée par les Ro-
«brasement, qui tout à coup vint mains APRÈS LA DEUXIÈME GUERRE
« frapper les regards , causa aux Car- punique; ambassadeurs envoyés
97
CARTHAGE.
aux Carthaginois par les Ro- se hâtèrent encore d'envoyer à Rome
mains; réponse des Carthaginois deux cent mille mesures de blé et au-
aces ambassadeurs; 20 1-195 avant tant àl'armée de Macédoine. Quant à
notre ère. — Après avoir succombe , Amilcar, il perdit la vie dans une ba-
Carthage ne tarda pas à sentir com- taille où les Gaulois furent vaincus (*).
bien étaient rigoureuses et dures les Nous devons ajouter ici que les am-
lois que Romevictorieuse imposait à bassadeurs quiétaient venus à Car-
ses ennemis. Dès lors, en effet, elle thage avaient mission de poursuivre
fut obligée de subir, jusqu'au moment leur route en Afrique, et de se pré-
senter àMassinissa pour lui offrir de
de sa ruine, une longue série d'humi-
liations etd'injustices. Ainsi, les Ro- riches présents, et le féliciter, non-
mains avaient à peine ratifié le traité seulement d'avoir reconquis les États
qui termina la guerre, que les Cartha- de ses pères, mais encore d'avoir dé-
ginois s'empressèrent de remplir leurs pouillé de son royaume Syphax, l'allié
des Carthaginois.
nouveaux engagements et de se sou-
mettre àtoutes les conditions qu'ils Conduite d' Annibal pendant la
avaient acceptées. Ils croyaient sans paix*, les réformes qu'il opere
doute avoir satisfait aux exigences dans le gouvernement de car-
thage soulèvent contre lui le
des vainqueurs, lorsque des ambassa-
deurs se présentèrent à eux , et PARTI aristocratique; Annibal
parlèrent ainsi au nom de Rome : échappe aux Romains par la
« Amilcar, vn de vos concitoyens, est fuite; 195 avant notre ère. —
«resté clans la Gaule; il a levé une Quand la guerre fut terminée, Anni-
« armée de Gaulois et de Liguriens , et bal, chef de la faction Barcine, fut
« il fait la guerre aux Romains contre porté par ses concitoyens aux plus
« la foi des traités. Si vous désirez hautes dignités de la république. Bien-
«conserver la paix, rappelez Amilcar tôt il usa de son pouvoir et de son
« pour le livrer au peuple romain. » influence pour opérer dans le gouver-
Ils ajoutèrent encore : « Tous les trans- nement de Carthage d'importantes ré-
« fuges n'ont point été rendus; il en formes; mais il ne put attaquer cer-
«est resté un grand nombre, qui, tains vices de la constitution sans se
« dit-on, se montrent publiquement à faire, dans le parti aristocratique,
« Carthage. Vous devez en faire une d'implacables ennemis. A cette épo-
« recherche exacte et les arrêter, afin que, l'ordre des juges exerçait dans la
«« de
les les remettre
termes aux Romains
du traité. » d'après ville une domination d'autant plus ab-
solue et tyrannique, que les charges
Amilcar avait agi sans la participation de cet ordre étaient inamovibles. Les
des Carthaginois; ceux-ci ne pouvaient juges disposaient, suivant leurs ca-
donc lui ordonner de suspendre une pricesdes
, biens , de l'honneur et de la
guerre à laquelle ils étaient étrangers. vie même des citoyens. Il suffisait d'a-
Toutefois, à la voix des ambassadeurs voir déplu à l'un d'eux pour être ex-
romains, ils s'humilièrent, et firent cette posé à la haine de tous les autres.
réponse : « Tout ce qui est en notre Annibal essaya d'attaquer les juges qui
« pouvoir, c'est d'exiler Amilcar et de depuis longtemps étaient devenus
« confisquer ses biens. A l'égard des odieux au peuple. Un jour qu'il siégeait
« transfuges, nous avons restitué ceux à son tribunal, il s'éleva fortement
« que des recherches exactes nous ont contre eux, et les accusa d'avoir
« fait découvrir. Nous nous proposons , anéanti, par l'abus qu'ils
«« àsénat
ce sujet, d'envoyer des donner
députés des
au de leur pouvoir et par leur avaient fait
arrogance,
romain pour lui
« explications satisfaisantes. » Les Car- (*) Tite-Live nous apprend que, suivant
thaginois ne se bornèrent point à pro- certains historiens , Amilcar fut pris pen-
tester ainsi, par leurs paroles, contre dant la bataille et qu'on le vit paraître à.
la malveillance de leurs ennemis, ils Rome , dans un triomphe.
7e Livraison. (Carthage.)
98 L'UNIVERS.

l'autorité des lois et des magistrats. équipée. C'est ainsi qu'Annibal quitta
Quand titude Annibal écoutait sons'aperçut que avec
discours la mul-
fa- l'Afrique; et dans sa fuite, dit Tite-
Live, il pensait plus souvent à la triste
veur, ilfit passer une loi qui portait : destinée
malheurs.de Carthage qu'à ses propres
« qu'à l'avenir, on élirait chaque année
de nouveaux juges , et que personne ne La nouvelle de la disparition sou-
pourrait être juge deux ans de suite. » daine d'Annibal se répandit bientôt à
Cette grande mesure fut accueillie avec Carthage. Les bruits les plus divers
joie par le peuple, mais elle ne fit circulaient dansparmi la laplace
foule qui s'était
qu'irriter de plus en plus la faction rassemblée publique. Les
aristocratique. Bientôt une autre loi, uns disaient qu'il avait pris la fuite ;
faite dans un but d'utilité publique, les autres, et c'était le plus grand nom-
acheva d'exaspérer tous les ennemis bre, affirmaient qu'il avait été tué par
d'Annibal. Depuis longtemps, les re- les émissaires des Romains; enfin, on
venus de l'État étaient dilapidés par apprit par des marchands qu'Annibal
ceux-là même à qui la république les s'était montré dans l'Ile de Cercine.
avait confiés , ou enlevés par les grands, Les ambassadeurs romains , trompés
qui se les partageaient comme une dans leur attente, se présentèrent au
proie. Les sommes destinées à payer sénat de Carthage, où ils dirent : « qu'ils
le tribut annuel imposé par les Ro- n'ignoraient pas qu'Annibal entrete-
mains se trouvant ainsi détournées, le nait des relations avec Philippe de Ma-
peuple était soumis à d'onéreuses con- cédoine, Antiochus , lesÉtoliens, et
tributions. Annibal, après avoir pris tous les ennemis de Rome; qu'il ne se
une connaissance exacte de l'étendue donnerait point dansde repos qu'il n'eût
des revenus de l'État, força à une res- lumé la guerre le monde entieral-;
que les Carthaginois ne devaient pas
blics. titution les détenteurs
Dès lors, il fut exposé des'deniers
à toutepu-la laisser ces manœuvres impunies, s'ils
haine de l'aristocratie. Ses ennemis voulaient prouver au peuple romain
écrivirent à Rome pour l'accuser d'en- qu'ils étaient complètement étrangers
tretenir avec le roi de Syrie, Antio- aux projets d'Annibal. » Les Cartha-
chus, de coupables intelligences. ginois répondirent à ces arrogantes pa-
Les Romains, qui craignaient tou- roles,
jours Annibal, prêtèrent une oreille mettrequ'ils étaientchoses
en toutes disposés
aux àvolontés
se sou-
favorable à ses accusateurs, et ils ré- du peuple romain. Mais déjà il était
solurent, malgré l'opposition de Sci- hors de leur pouvoir de combler les
pion l'Africain, de s'emparer de sa vœux de Rome, car Annibal en fuyant
personne. Ils envoyèrent à Carthage s'était mis à l'abri de la haine et de
C. Servilius, M. Claudius Marcellus et la perfidie de tous ses ennemis.
A.XMBAL CHEZ ANTIOCHUS ; SES
Q. Terentius Culléo, qui, d'après les TENTATIVES POUR RALLUMER LA
conseils des ennemis d'Annibal, ca-
chèrent lebut de leur voyage. Quand GUERRE CONTRE LES ROMAINS ; IL
ils furent arrivés , Annibal ne se trompa ESSAIE, PAR UN DE SES EMISSAIRES,
DE SOULEVER LES CARTHAGINOIS.
point sur leurs projets. Il fit ses pré-
paratifset
, le jour même de sa fuite 195-193 avant notre Ère. — An-
on le vit se promener longtemps sur nibal, après une heureuse navigation,
la place publique. Quand le soir fut arriva à Tyr, où il fut reçu comme
venu, il se rendit à une des portes de dans une seconde patrie. Il ne fit pas
la ville, suivi seulement de deux hom- un long séjour dans cette ville , et il
mes qui ignoraient son dessein. Des s'empressa de se rendre à Antioche.
chevaux l'attendaient, et il partit aus- Quand il apprit que le roi de Syrie
sitôt. Le lendemain, il arriva au bord était absent, il se remit en mer et il
de la mer, entre Acholla et Thapsus, se dirigea vers Éphèse, où il rencon-
et là il s'embarqua sur une galère que tra enfin Antiochus. Ce prince était
depuis longtemps il tenait prête et alors dans de grandes incertitudes, et
CARTHAGE.

il ne savait s'il devait entreprendre la sénateurs commencèrent à délibérer;


les Romains. L'arrivée mais bientôt des débats s'élevèrent dans
guerre contre
d'Annibal mit lin à toutes ses irréso- le sénat, les avis furent partagés, et
lutions. On apprit bientôt à Rome on se sépara ce jour-là sans avoir pris
qu'Antioclius faisait de grands prépa- une décision. Quand le soir fut arri-
ratifs. Cette fois encore, les Cartha- vé, Ariston, vraisemblablement d'a-
ginois vinrent dénoncer Annibal au près les conseils des amis d'Annibal,
sénat romain , et l'accuser d'avoir été vint avec des placards dans un des en-
l'instigateur de la guerre qui allait com- droits les plus fréquentés de la ville, et
mencer. En effet, Annibal, qui avait il les suspendit au-dessus du tribunal
gagné la confiance d'Antiocbus, lui où siégeaient chaque jour les magis-
avait inspiré une partie de sa haine trats. Lui-même, vers la troisième
contre les Romains. II ne cessait de
veille , s'embarqua et prit la fuite. Le
lui dire que Rome était l'ennemie de lendemain, lorsque les suffètes se ren-
tous les peuples, que, pour lui résis- dirent àleur tribunal pour rendre la
ter, ilfallait la prévenir et l'attaquer justice , on aperçut les placards ; on les
en Italie. Il s'offrait pour conduire une détacha et on eh fit lecture. Us por-
expédition dans cette contrée, qu'il taient :« que les instructions données
avait abandonnée avec tant de regret , à Ariston, n'étaient point secrètes et
et il disait au roi de Syrie, que si le qu'elles ne s'adressaient à aucun ci-
théâtre de la guerre était porté encore toyen en particulier, mais à tous les
une fois en Italie, Carthage elle-même sénateurs. » Cette déclaration qui com-
ne tarderait point à reprendre les ar- promettait lesfamilles les plus illus-
me?. Après avoir fait goûter ses pro- tres, fut cause qu'on ralentit toutes
jets àAntiochus, il voulut connaître les poursuites; cependant on crut né-
les intentions de ses concitoyens. Il cessaire d'envoyer une ambassade à
envoya à Carthage un émissaire adroit, Rome , pour informer les consuls et
le Tyrien Ariston , auquel il ne confia le sénat de ce qui s'était passé.
point de lettres, mais seulement des Premières attaques de MASSI-
nissa contre les carthaginois
instructions verbales, et il l'adressa à
ceuxsesqu'il
de comptait encore au nombre
amis. qui implorent l'intervention des
Romains; opinion de Polybe et
DE TlTE-LlVE SUR LA CONDUITE DU
Dès qu'Ariston parut à Carthage,
SÉNAT ROMAIN; 193 AVANT NOTRE
l'objet: de
tous alors sa la mission
factionfutaristocrati-
connu de
ère. — Massinissa ne tarda pas à voir
que conçut de grandes craintes. Les que piré
le auxstratagème
sénateurs étaient d'avis de faire com- Romains desd'Ariston avait ins-
craintes sérieuses;
paraître Ariston devant les magis- il profita de cette circonstance, et aussi
trats, de l'envoyer à Rome s'il ne des divisions qui existaient au sein de
pouvait donner sur son voyage des ex- Carthage entre le sénat et le peuple ,
plications satisfaisantes, et ils disaient pour agrandir ses États. Il attaqua les
qu'on devait maintenir la république, Carthaginois, et il exerça de grands
non-seulement à l'abri de tout repro- ravages sur les terres qui leur étaient
che, mais encore de tout soupçon. soumises. Polybe a parlé en peu de
Appelé devant les magistrats, Ariston mots de cette tentative de Massinissa.
fit valoir, comme moyen de défense, Il suffira, nous le croyons, de lire le
l'impossibilité où l'on était de produire court récit de cet historien pour con-
contre lui des preuves écrites. Cepen- naître lesystème de conduite que les
dant ilne put trouver pour son voyage Romains avaient adopté alors à l'égard
un prétexte plausible, et il montra un des Carthaginois. « En Afrique, dit Po-
extrême embarras lorsqu'on lui fit ob- « lybe , Massinissa avait été fortement
server qu'il n'avait eu des entretiens « tenté de s'emparer du territoire qui
qu'avec les membres de la faction Rar- « se trouve aux environs de la petite
cine. Après avoir entendu Ariston, les 7.
« Syrie, et qu'on appelle Emporta. 11
100 L'UNIVERS.
« y avait sur ce territoire un grand Ils envoyèrent en Afrique des com-
nombre etdeon villes (*) ; ledespays était missaires quidevaient terminer la con-
beau, en tirait revenus testation. Voici les curieux renseigne-
très -considérables. Il prit enfin la ments que nous donne Tite-Live sur
c résolution d'envahir cette riche con- la manière dont ces commissaires s'ac-
trée. Il se rendit maître des cam- quittèrent de leur mission : « Publius
pagnes; mais, lorsqu'il voulut at- « Scipion l'Africain, C. Cornélius Cé-
taquer les villes , il rencontra de « thégus et M. Minucius Rufus, après
« grands obstacles. Les Carthaginois « avoir écouté et examiné l'affaire, ne
« les défendirent si bien , qu'il ne put « se prononcèrent pour aucune des
y entrer. Pendant toutes ces hos- « deux parties, et ils laissèrent toutes
tilités, les Carthaginois envoyaient « choses indécises. Onne sait s'ils agi-
des ambassadeurs à Rome pour se « rent ainsi de leur propre mouve-
plaindre du roi de Numidie; et le roi « ment, ou s'ils ne firent que se
y députait aussi de sa part, pour se « conformer aux instructions qu'ils
justifier contre les Carthaginois. « avaient reçues ; mais il est certain
L'équité voulait qu'on se 'prononçât « que les circonstances voulaient qu 'on
pour Cartilage; cependant les îio- « laissât les Carthaginois et le roi de
m a in s fa vorisaien t Massin issa , non « Numidie dans une complète mésin-
que le bon droit fût du côté de ce « telligence ; autrement Scipion, par
prince
r intérêty mais du sénat parce dequ'il était en
décider de « la connaissance exacte qu'il avait
« de toute l'affaire , aurait pu tran-
sa faveur. Voici la cause des hos- « cher la difficulté. »
< tilités : le roi de Numidie ayant Dernières années de la vie
« demandé à traverser le territoire d'Annibal; 193-183 avant notre
voisin de la petite Syrte pour pour- ère. — Annibal , dans son exil , vit
suivre un rebelle appelé Aphtéra- bientôt avecet douleur
te (**), les Carthaginois lui avaient tait inactif mettait qu'Antiochus res-
en oubli ses utiles
refusé le passage. Ce refus leur coûta conseils. Des courtisans, jaloux de la
« cher. Ils furent tellement pressés par faveur dont il jouissait , avaient inspiré
« Massinissa, qu'à la fin ils perdirent au roi de Syrie des doutes sur sa sin-
la campagne et les villes; ils furent cérité. Ily avait déjà , dans les rapports
même obligés de payer cinq cents ta- d'Annibal et d'Antiochus, quelque re-
lents pour les revenus qu'ils avaient froidissement lorsque des ambassa-
perçus depuis le commencement de deurs romains arrivèrent en Asie. L'un
« la contestation. » d'eux, Villius, se rendit à Éphèse, où
Les Carthaginois, pendant toute la il se ménagea , dit-on , de fréquents
durée de la lutte, n'avaient cessé d'in- entretiens avec le chef carthaginois.
voquer le traité par lequel Scipion , A la suite de ces entretiens diversement
après sa victoire , fixant les limites de interprétés, Antiochus craignit une
leurs possessions, avait enclavé dans trahison, et il cessa de confier ses pro-
ces limites la contrée qu'on appelle jets àAnnibal.
Emporia. Les Romains ne pouvaient Ici , la tradition place une anecdote
ouvertement violer le traité, et, d'au- célèbre que nous allons rapporter.
tre part, leur intention n'était pas de P. Scipion l'Africain était au nombre
dépouiller Massinissa de sa nouvelle des ambassadeurs romains qui se ren-
conquête. Pour mettre de leur côté, dirent àÉphèse. Dans une entrevue
au moins, les apparences de la justice, qu'il eut avec Annibal, il lui demanda
ils eurent recours au moyen suivant. quel était celui de tous les géné-
raux qu'il plaçait au premier rang. —
(*) Tite-Live prélend au contraire que Alexandre, répondit Annibal. — Et au
dans tout le pays il n'y avait qu'une seule second rang? — Pyrrhus. — Et au
ville. C'était I.eptis. troisième? — Moi - même. — A quel
(**) Tite-Live l'appelle Jplùr. rang vous ph'ceriez-vous , dit Scipion
CARTHAGE. 101
en riant , si vous m'aviez vaincu ? — Je Antiochus fit , il est vrai , des pré-
me placerais avant Alexandre, avant paratifs; mais il agit avec tant de len-
Pyrrhus , et avant tous les autres gé- teur et tant de négligence , qu'Annibal
néraux, repartit Annibah Scipion , vit s'évanouir alors ses dernières espé-
ajoute la tradition , fut touché de cette rances. Le roi de Syrie passa en Grèce,
louange imprévue, qui le mettait ainsi où, par sa folle conduite, il perdit une
hors de toute comparaison (*). bataille, et donna aux Romains un
Annibal souffrit d'abord, sans profé- prétexte pour entrer en Asie. Au mo-
rer une plainte, les injurieux soupçons ment où il regagnait en fuyant sa ville
d'Antiochus. Mais, d'Ëphèse, Antiochus, dit-on, recon-
résister au désir de enfin, il ne et'put
se justifier de
combattre les perfides insinuations de nut la sagesse des plans d'Annibal.
Mais le repentir venait trop tard et ne
ses ennemis. Il se rendit un jour au- pouvait le sauver, car déjà une armée
près d'Antiochus , et lui dit : « O roi , romaine
« j'étais bien jeune encore lorsque mon ses États.se Les préparait à l'attaquer
événements dans
justifièrent
« père Amilcar quitta Carthage pour les prédictions
« aller en Espagne. Avant son départ , mains passèrent end'Annibal. Les Ro-
Asie , et Antiochus
« il me conduisit à l'autel où il sacri- fut vaincu. Toutefois, pendant la
« fiait aux dieux ; et , là , il me fit pro-
« mettre de vouer une haine éternelle guerre , lebandonna général
point celuicarthaginois
qui lui avait n'a-
ac-
« aux Romains. Ce serment prêté à cordé l'hospitalité. Il aida le roi de
« mon père , devant les dieux , je l'ai Syrie de ses conseils et de sa longue
« gardé religieusement jusqu'à ce jour. expérience,
« C'est pour ne point violer ce solennel fit la paix jusqu'au avec les jour où ce prince
Romains. Alors
« engagement que j'ai abandonné Car- Annibal, cédant encore une fois à la
« thage asservie, et que je suis venu mauvaise fortune , alla chercher un
« dans vos États. Si vous trom- nouvel asile. Il se rendit auprès de
« pez mes espérances , j'irai , fidèle à Prusias , et ce fut en Bithynie qu'il
« mon premier serment, j'irai partout passa les dernières années de sa vie. Il
« où je saurai qu'il y a des soldats et y vivait en repos lorsque des ambassa-
« des armes , afin de susciter des en- deurs romains arrivèrent à la cour de
« nemis aux Romains. Je hais les Ro- Prusias. L'un d'eux, Flamininus, re-
procha au roi de donner asile au plus
«« mains,
Amilcar etet j'en les dieuxsuis sont
haï: témoins
mon père de implacable ennemi des Romains. Pru-
« la vérité de mes paroles. O roi , si sias comprit aisément que les repro-
« vous songez à faire la paix avec les ches de Flamininus étaient des me-
« Romains , vous pouvez m'enlever naces, et il résolut de tuer ou de
« votre confiance ; mais si vous vous livrer celui qui lui était uni par les
« préparez à leur faire la guerre, sa- liens de l'hospitalité. Quand Annibal
« chez qu' Annibal est le meilleur et le vit qu'il ne lui restait aucun moyen de
« plus dévoué de vos conseillers (**). » fuir, il prit du poison; et, avant de
Ces paroles , dit Tite-Live , produi- mourir,
sias et lesil chargea
Romains.d'imprécations
Telle fut la finPru-
de
sirent une telle impression sur l'esprit
du roi qu'il rendit à Annibal toute sa cet homme que s<fn génie , ses bril-
confiance, et qu'il se décida enfin à lantes victoires , ses malheurs sans
déclarer la guerre aux Romains. nombre et sa haine contre Rome ont
rendu à jamais célèbre.
(*) Voy. Tite-Live. — Plutarquc, dans la Lutte entre les Carthaginois
vie de Pyrrhus, raconte aussi cet entretien.
Suivant lui, Annibal mit Pyrrhus au pre-
et Massinissa ; les Carthaginois
mier rang, Scipion au deuxième, et lui portent leurs plaintes a rome ;
même se plaça au troisième. La tradition sur PARTIALITÉ des arbitres romains ;
laquelle Plutarque fondait son récit ne fai- 1S2-152 AVANT NOTRE ÈRE. — Au
sait point mention d'Alexandre. moment même où Annibal expirait
(**) Voy. Tite-Live et Cornélius Nepos. dans une contrée lointaine, Carthage,
102 L'UNIVERS.

vaincue et humiliée, s'était vue forcée en paix avec les alliés du peuple ro-
de céder au roi de Numidie une nou- main. Carthage ne savait que trop
velle portion de son territoire. Plein bien que Rome plaçait Massinissa au
de confiance dans l'amitié des Romains, nombre de ses alliés' les plus fidèles et
et rassuré d'ailleurs par l'approbation les plus dévoués. Un seul moven res-
tacite qu'ils avaient donnée à ses pre- tait aux Carthaginois : c'était de porter
mières usurpations, Massinissa avait leurs plaintes au sénat romain. Les
renouvelé les hostilités, et il avait en- ambassadeurs qu'ils envoyèrent alors
core enlevé une province aux Cartha- demandèrent pour leurs compatriotes
ginois. Ceux-ci envoyèrent des ambas- une de ces trois choses : ou de les au-
sadeurs àRome pour porter plainte toriser àdiscuter avec Massinissa sur
contre Massinissa. Les Romains nom-
leurs droits respectifs au tribunal d'un
mèrent des arbitres qui prirent con- peuple allié; ou de leur permettre
naissance de l'affaire, mais qui ne se d'opposer à une injuste agression une
prononcèrent point. Toutefois, ils lais- défense légitime ; ou bien , enfin , si la
sèrent provisoirement à Massinissa les faveur l'emportait sur le bon droit,
terres qu'il avait conquises. Les Car- de déclarer une fois pour toutes ce
thaginois protestèrent longtemps con- qu'on voulait leur enlever pour le don-
tre cette odieuse partialité. En effet , ner àMassinissa. « Si l'on ne veut ac-
nous savons par Tite-Live que deux « corder aux Carthaginois , ajoutèrent
ans après l'envoi des commissaires, les « les ambassadeurs, aucune de ces trois
Romains , pour apaiser les plaintes de « choses; et si, depuis la paix accordée
Carthage, lui rendirent cent otages « par Scipion , on a quelque tort à leur
et lui garantirent la paix non -seule- « reprocher, il faut agir franchement à
ment avec eux-mêmes, mais encore « leur égard. Ils aiment mieux une ser-
avec Massinissa. Pendant quelques an- « vitude tranquille sous la domination
nées, le roi de Numidie resta fidèle « des Romains qu'une liberté exposée
aux engagements que les Romains « aux violences de Massinissa. » Ce dis-
avaient pris pour lui ; mais enfin il cours achevé, ils se prosternèrent en
ne put résister au désir de renouveler pleurant , et les sénateurs romains ne
contre les Carthaginois une guerre qui purent se défendre d'un mouvement
lui procurait de si grands avantages. de compassion. On jugea convenable
Il réclama, comme sa propriété, une d'interroger le fils du roi de Numidie,
portion de territoire connue sous le Gulussa , qui se trouvait alors à Rome.
nom de Grandes-Plaines , et une pro- Gulussa,qui n'avait aucun moyen de
vince appelée Tysca, où l'on comptait justifier la conduite de son père, ré-
un grand nombre de villes. Tandis que pondit que Massinissa ne lui ayant
les Carthaginois protestaient , au nom transmis aucune instruction, il ne
de la justice, contre cette nouvelle pré- pouvait donner les explications qui lui
et du territoire. tentioMassinissa
n, s'empara des villes étaient demandées. Le sénat, après
avoir délibéré , décida que Gulussa re-
Par le traité qui avait mis fin à tournerait en Numidie pour avertir
la deuxième guérie punique, les Car- son père d'envoyer des ambassadeurs
thaginois se trouvaient tellement en- chargés de répondre aux plaintes des
chaînés qu'ils ne pouvaient repous- Carthaginois. « On a déjà faitbeaucoup,
ser la violence par la violence , et re- disait le sénat , et l'on fera plus encore
courir aux armes pour se défendre pour récompenser Massinissa de son
contra le roi de Numidie. En effet, il attachement sincère; mais on respec-
ne leur était pas permis de faire la tera lajustice et l'on n'accordera rien
guerre au delà de leurs frontières ; et à la faveur. Les Romains désirent que
quand bien même Piome les eût auto- le territoire contesté reste à son pos-
risés àuser de représailles, ils étaient sesseur légitime , et que les anciennes
encore liés par un article du traité qui limites tracées entre les deux États
leur ordonnait formellement de vivre
soient respectées. Ils n'ont pas rendu
CARTHAGE.
aux Carthaginois vaincus leurs villes PARTIS QUI DIVISENT LA. RÉPUBLI-
et leur territoire, pour leur arracher QUECARTH
; AGE, APRÈS LA DEUXIÈME
par violence, durant la paix, ce qu'ils GUERRE PUNIQUE, CONSERVE EN-
n'ont pas voulu leur enlever par le CORE ASSEZ DE PUISSANCE POUR INS-
droit de la guerre. » PIRER DES CRAINTES SÉRIEUSES AUX
On pourrait s'étonner de cette déci- Romains. — Il n'y eut longtemps à
sion impartiale des Romains, si l'on Carthage que les âeux partis qui, à
ne savait qu'au moment même où ils l'époque de la deuxième guerre puni-
paraissaient disposés à écouter les que, avaient eu pour chefs Hannon et
plaintes des Carthaginois , ils couraient Annibal. Le parti d'Hannon, comme
de grands dangers. Le roi de Macé- nous l'avons dit, carthaginoise,
représentait l'an-
doine, Persée, avait envoyé des am- cienne aristocratie et le
bassadeurs aux Carthaginois , et il leur
avait proposé de se liguer avec lui pour parti
sous lecP Annibal,
nom de faction connu dans l'histoire
Rarcine, était
combattre leurs ennemis communs. le parti populaire, et si nous en jugeons
Ce fut alors que, pour prévenir cette par ses actes, le parti vraiment na-
redoutable coalition, le sénat se mon- tional. Après la bataille de Zama, la
tra juste et blâma avec quelque sé- faction Rarcine ne perdit rien de son
vérité les agressions de Massinissa. influence. Annibal était revenu à Car-
Mais quand Persée fut vaincu , les Ro- thageoù
, sa grande renommée lui avait
mains changèrent de langage, et ils ne
acquis la considération de tous et l'avait
montrèrent plus le même empresse- porté aux premières dignités de la ré-
ment pour donner satisfaction aux Car- publique.sans
Toutefois, l'aristocratie ne
thaginois. Ilsenvoyèrent, il est vrai, des subissait point peine la supériorité
commissaires en Afrique (*); mais ces de la faction Rarcine. Quand Annibal
commissaires voulut introduire dans la république
de forcer le roi n'avaient de Numidiepoint mission
à restituer
d'utiles réformes, quand il attaqua les
le territoire qu'il avait injustement juges qui usaient tyranniquement du
usurpé; ils proposèrent seulement à pouvoir qui leur avait été confié , quand
Massinissa et aux Carthaginois de s'en il força à une restitution ceux qui
remettre à leur arbitrage. Massinissa
avaient
les premières dilapidéfamillesles trésors de de l'État,
Carthage,
accepta volontiers , parce qu'il ne pou-
vait que gagner à un jugement pro- parmi lesquelles se trouvaient les ma-
noncé par les Romains; mais les Car- gistrats prévaricateurs, lui vouèrent
thaginois refusèrent. Ils disaient , pour une haine implacable. Comme le parti
raison , que le traité qui avait été donné aristocratique ne pouvait triompher,
par Scipion n'avait pas besoin de com- par la force , de la faction Barcine, il
mentaire, qu'on devait seulement s'en- eut recours à un odieux moyen. Il en-
quérir de ce qui avait été fait contre tretint Rome
à des émissaires qui dé-
ce traité. Cette fois encore , les com- nonçaient comme attentatoires aux
missaires envoyés par Rome quittèrent traites conclus chacune des actions
l'Afrique sans prononcer un jugement. d'Annibal. Les Romains accueillirent,
Mais il était facile de voir que la ques- sans y croire peut-être, les délations
tion avait été tranchée en faveur de
Massinissa. Dès lors , le roi de Numidie de l'aristocratie carthaginoise contre
celui dont le nom seul était pour eux un
ne cessa de susciter aux Carthaginois objet de terreur. Annibal, on le sait,
de nouveaux embarras. Enfin, par ses
attaques sans cesse renouvelées, il les s'expatria
mis. Privéepour de son échapper
chef età obligée
ses enne-
de
entraîna dans une guerre qui devait céder aux circonstances, la faction
amener leur ruine. Rarcine abandonna le pouvoir au parti
ÉTAT INTÉRIEUR DE CARTHAGE; aristocratique, que les historiens de
l'antiquité ont justement flétri en le
(*) Caton était au nombre de ces com-
missaires. qualifiant de parti romain. Bientôt,
par suite des succès de Massinissa et
104 L'UNIVERS.
des relations fréquentes des Numides de la province de Tysca et du territoire
avec Carthage, il se forma dans la ré- des Grandes-Plaines, que les Romains
publique une troisième faction : celle- avaient envoyé des commissaires en
ci favorisait ouvertement les préten- Afrique. Pour pénétrer jusqu'au terri-
tions du roi de Numidie , et se montrait toire qui faisait l'objet du une débat, ces
commissaires traversèrent contrée
non moins hostile que l'aristocratie au
parti vraiment national. qui appartenait aux Carthaginois. Ils
Rassurés par la lutte des factions et virent alors des campagnes fertiles,
par les dissensionsqui éclataient chaque embellies par une savante agriculture,
jour au sein de la ville, se fiant d'ail- et où l'on rencontrait d'immenses ap-
leurs sur la vigilance de Massinissa, provisionnements. Après avoir rempli
leur fidèle allié, les Romains faisaient leur mission, ils entrèrent à Carthage.
la guerre en Espagne, en Illyrie et en Là ils furent frappés d'étonnement. En
Grèce, et ils attendaient patiemment effet, peu d'années s'étaient écoulées
l'occasion de porter le dernier coup à depuis la victoire de Scipion , et cepen-
la puissance carthaginoise. Par son lan- dant Carthage semblait avoir réparé
gage et par ses actes, Carthage sem- toutes ses pertes. Elle brillait par ses
blait encore ôter aux Romains tout richesses, et dans ses rues circulait
sujet de crainte. Elle remplissait ses une innombrable population. Les com-
engagements, payait exactement le missaires revinrent à Rome, où, rap-
tribut qui lui avait été imposé, et quand pelant leurs impressions, ils racon-
les Romains entreprenaient uneguerre, tèrent ce qu'ils avaient vu. « Carthage,
elle leur prêtait une loyale assis- disaient-ils, s'est relevée de ses dé-
tance (*). Il arriva un jour â R.ome des faites et elle a repris toutes ses forces.
ambassadeurs qui annoncèrent que les Dès à présent, les richesses et la puis-
Carthaginois avaient amassé au bord sance de cette ville ennemie doivent
de la mer un million de boisseaux de nous inspirer des craintes sérieuses. »
blé et cinq cent mille boisseaux d'orge, Ce fut alors que Caton laissa tomber
et qu'ils étaient prêts à les faire trans- dans le sénat des figues qu'il portait
porter où il plairait au sénat. Les dans sa toge. Les sénateurs admiraient
ambassadeurs ajoutèrent : « Ce présent la beauté et la grosseur de ces figues,
« et ce service sont loin, sans doute, lorsqu'il leur dit : « La terre qui les
« de répondre à notre bonne volonté et produit n'est qu'à trois journées de
« aux bienfaits du peuple romain ; mais Rome. » Caton ne se bornait pas à faire
« vous savez que dans d'autres temps des allusions, il exprimait ouvertement
« et lorsque la fortune des deux peu- sa pensée, et l'on sait qu'à cette épo-
« pics était également prospère, nous que ilterminait tous ses discours par
« avons maintes fois rempli les devoirs ces mots : « J'opine pour la destruction
« de bons et fidèles alliés. » Ce langage de Carthage. » Il trouva, il est vrai,
abject et une si entière soumission en- quelques contradicteurs dans le sénat,
tretenaient les Romains, à l'égard de mais la majorité de l'assemblée parta-
Carthage, dans une complète sécurité. geait ses opinions. La destruction de
Mais bientôt leurs craintes se réveil- Carthage fut donc résolue, et le sénat
lèrent, etils portèrent toute leur at- romain n'attendit plus qu'une occasion
tention sur cette ville, qu'après la ba- favorable ponr mettre son projet à
taille d? Zama ils croyaient abattue et exécution. Cette occasion ne tarda pas
privée de ses dernières ressources. à se présenter.
Nous avons déjà dit, en parlant de - Les partisans de Massinissa
la contestation qui s'était élevée entre sont expulsés de carthage par
les Carthaginois et Massinissa au sujet le parti démocratique ; guerre
entre les Carthaginois et le roi
(*) Pendant la guerre contre Persée , les de Numidie; 152-149 avant notre
Carthaginois avaient envoyé des vaisseaux ère. — Au moment même où les Ro-
aux Romains. mains préparaient la destruction de
105
CARTHAGE.
Carthage, cette ville était en proie à Enfin , il y eut entre les deux armées
de violentes dissensions. Vers l'année une grande bataille. Pendant cette san-
glante mêlée qui dura un jour entier,
152 le parti démocratique l'emporta,
et fit condamner à l'exil quarante ci- Massinissa, âgé alors de quatre-vingt-
toyens qui appartenaient à la faction huit ans, courait à cheval parmi les
du roi Massinissa. Dans cette circons- siens, remplissant tout à la fois, dit
tance, lepeuple s'engagea par serment Appien, les devoirs du général et du
soldat. Vers le soir, la victoire était
à ne jamais rappeler ceux qu'il venait
d'expulser. Les citoyens bannis se re- encore douteuse lorsque les deux ar-
tirèrent alors en Numidie : là ils pres- mées se séparèrent.
sèrent vivement Massinissa de déclarer Le jeune Scipion se trouvait à cette
la guerre à leurs concitoyens. Le roi, bataille, mais il n'y prit aucune part :
dit un historien ancien , cédant moins il se tenait à distance, sur une colline,
et de là il suivait avec attention les
aux conseils qu'on lui donnait qu'à sa mouvements des deux armées. Plus tard,
propre inclination , n'hésita point à
s'engager dans une nouvelle lutte con- il répéta souvent qu'il avait assisté à
tre les Carthaginois. D'abord il réso- de nombreuses
vait jamais éprouvé batailles, mais qu'il
un plaisir aussi n'a-
vif
lut d'envoyer à Carthage ses deux fils
Gnlussa etMicipsa, pour exiger qu'on quedanscettejournée,oùil avait vu aux
rappelât ceux de ses partisans que le prises plus de cent mille combattants.
peuple avait bannis. Gulussa et Micipsa Il est vraisemblable qu'après cette
touchaient déjà aux portes de Carthage bataille Asdrubal conçut des craintes
lorsqu'ils apprirent que, par ordre des sérieuses sur l'issue de la guerre , car
magistrats, il leur était défendu d'en- il pria tablir
Scipion
lapaix entre de s'employer pour ré-
les Carthaginois
trer dans la ville. On raconte qu'à leur et Massinissa. Il disait que Carthage
retour, les fils du roi de Numidie fu-
rent attaqués par les Carthaginois , et était prête à céder une portion de
qu'après avoir vu périr plusieurs hom- son territoire (*) ; il promettait en
mes de leur escorte ils n'échappèrent outre, au nom de ses concitoyens, de
qu'avec peine à ceux qui les poursui- faire payer à Massinissa mille talents :
vaient. Massinissa profita de ces cir- deux cents immédiatement, et huit
constances pour s'emparer de la ville cents à une certaine époque que l'on
d'Oroscope , qu'il avait respectée jus- fixerait d'un commun accord. Le roi
qu'alors, de Numidie accepta ces propositions,
vertementpourlesne point violer
traités. trop ou-
Une tentative
aussi audacieuse mit fin à toutes les mais il voulut aussi qu'on lui renvoyât
ses transfuges. Sur le refus des Car-
hésitations des Carthaginois. Ils levè- thaginois, lesnégociations furent rom-
rent quarante-cinq mille fantassins et
quatre cents cavaliers, et ils placèrent Alors Massinissa environna d'un
Asdrubal à la tête de cette armée. fort retranchement la colline sur la-
Asdrubal se mit en marche, et il vit pues.
quelle se trouvait l'armée d'Asdrubal.
bientôt ses forces augmentées de six Il intercepta l'arrivée des convois , et
mille cavaliers numides qui avaient il fit si bonne garde que les Carthagi-
abandonné le camp de Massinissa. Dans nois, ne pouvant sortir de leur camp
les premiers combats qui furent livrés, pour se procurer des vivres, furent
les Carthaginois obtinrent l'avantage. bientôt en proie à une horrible famine.
Mais Massinissa usait de ruse, et par Quelques jours encore après la bataille ,
une fuite simulée il attira peu à peu Asdrubal et les siens auraient pu tra-
Asdrubal et son armée sur un terrain verser les rangs de l'armée ennemie
inculte et parsemé, d'un grand nombre et revenir à Carthage ; mais ils avaient
d'éminences. Le roi de Numidie resta appris que des ambassadeurs romains
alors dans la plaine, et les Carthaginois
s'emparèrent des lieux élevés, croyant (*) Suivant Appien , c'était le territoire
se ménager ainsi une forte position. qui se trouvait aux environs des Emportes.
106 L'UNIVERS.

s'étaient rendus auprès de Massinissa , de l'armée , et un petit nombre de sol-


et ils comptaient sur leur intervention. dats, qui revinrent à Carthage, et qui
Us furent trompés dans leurs espéran- survécurent à un si grand désastre.
ces ;car, dit Appien , les ambassadeurs Les Carthaginois envoient des
romains avaient reçu pour mission de ambassadeurs pour prevenir la
mettre fin à la lutte si Massinissa était colère des romains ; reponse du
vaincu , mais d'encourager ce prince sénat romain ;utiqce abandonne
à poursuivre la guerre s'il était vain- l'alliance de Carthage ; 149
queur. Ces premiers moments d'hési- avant notre Ère. — Les Carthagi-
tation perdirent les Carthaginois. nois virent bientôt toute l'étendue du
Massinissa redoubla de vigilance, et
moins le qui
danger roi deles menaçait.
Numidie et son C'était
armée
l'armée assiégée fut réduite aux der-
nières extrémités. Quand les Carthagi- victorieuse qu'ils craignaient alors ,
nois eurent épuisé les vivres qui leur qu'un autre ennemi bien plus redou-
restaient, ils tuèrent les chevaux et les table. Us savaient que les Romains
bêtes de somme. Puis ils employèrent prendraient occasion de la guerre qui
les cuirs pour apaiser la faim qui les avait été faite à Massinissa, leur fidèle
dévorait. Les chaleurs de Tété se fai- allié , pour faire éclater contre Car-
saient sentir alors dans toute leur vio- thage leur vieille inimitié et toute leur
lence. Les mauvais aliments , l'inac- animosité. «En cela, dit Appien, ils
tion , une brûlante atmosphère ne ne furent point trompés. En effet, aus-
tardèrent point à amener la peste dans sitôt que les Romains eurent appris la
l'armée carthaginoise. Les soldats, ren- défaite des Carthaginois, ils firent des
fermés dans un étroit espace, mouraient levées dans toute l'Italie ; et , sans dé-
par milliers; et l'odeur qu'exhalaient voiler leurs projets, ils ordonnèrent à
les cadavres entassés développait et leurs soldats de se tenir prêts à partir. »
accroissait de jour en jour la terrible Les Carthaginois, de leur côté, eu-
maladie. Déjà ia plus grande partie de rent recours à un dernier moyen pour
l'armée carthaginoise avait succombé, prévenir, s'il en était temps encore, les
lorsque Asdrubal tenta encore une fois, attaques des Romains. Ils condamnè-
pour se sauver, la voie des négocia- rent àmort Asdrubal, Carthalon, et
tions. Massinissa consentit à faire la
paix aux conditions suivantes : « Que quelques autres qui
ment prononcés pours'étaient
la guerreouverte-
contre
les Carthaginois lui rendraient ses Massinissa. Puis ils envoyèrent des
transfuges; qu'ils lui payeraient en ambassadeurs à Rome , pour déclarer
cinquante ans cinq cents talents d'ar- que les seuls coupables étaient ceux
gent qu'ils
; s'engageraient par serment que l'on venait de condamner. Dans
à rappeler les citoyens qu'ils avaient le sénat romain, on répondit aux am-
bannis, et que les soldats qui se trou- bas adeurs :«Pourquoi n'avez -vous
vaient encore dans le camp assiégé sor- « point fait cette déclaration au com-
tiraient un à un,ainsi
sanssonarmes, « mencement de la guerre? Pourquoi
traverseraient armée.et »qu'ils
As- « n'avez-vouscondamné Asdrubal etses
drubal accepta ces dures conditions. « complices qu'après la victoire de Mas-
On dit que Gulussa tomba à l'impro- «sinissaetvotrepropredéfaite?»Pleins
viste, avec ses cavaliers numides, sur
les soldats désarmés qui avaient repris de trouble, les Carthaginois s'écrièrent
alors : « Si vous nous croyez coupa-
le chemin de Carthage, et qu'il les «bles, dites -nous au moins comment
massacra. «nous pouvons obtenir notre pardon.»
Dans cette guerre, les Carthaginois Le sénat ne leur dit que ces mots :
perdirent cinquante -huit mille hom- « En donnant satisfaction au peuple
mes (*). Il n'y eut qu'Asdrubal , le chef « romain. » On interpréta diversement,

(*) Asdrubal n'eut d'abord avec lui que la guerre , son armée reçut de nombreux
quarante-cinq mille hommes , mais pendant renforts.
107
CARTHAGE.

à Carthage, la réponse du sénat ro- voirs. Quand les envoyés carthaginois


main. Il s'agissait, suivant les uns, entrèrent à Rome , ils apprirent le dé-
d'ajouter de nouvelles sommes au tri- part de l'armée et des deux consuls.
but imposé par Scipion, et, suivant Ils ne balancèrent point alors, et ils
les autres , de céder à Massinissa le annoncèrent au sénat que leurs conci-
territoire qu'on lui disputait. Enfin, toyens se mettaient , eux et leurs biens,
pour mettre un terme à toutes les in- à la discrétion du peuple romain. On
certitudes, on résolutArrivés d'envoyer une , leur répondit : « Puisque vous avez
seconde ambassade. à Rome « pris cette sage résolution , le sénat
les Carthaginois furent introduits dans « vous laisse votre liberté, vos lois et
le sénat. « Que devons-nous faire , de- « votre territoire. Toutefois, aucune de
mandèrent-ils, pour donner satisfac- « ces choses ne vous sera accordée ,
tion aux Romains ? — Vous le savez , » « si vous n'envoyez à Lilybée, avant
dirent les sénateurs; et ils renvoyèrent « un mois, trois cents otages pris dans
les ambassadeurs avec cette vague ré- « les premières famillesde la république,
ponse. « et si vous refusez de vous soumettre
Une triste nouvelle vint porter au « aux ordres des consuls.» On congédia
comble la frayeur des Carthaginois. ainsi les ambassadeurs, et en même
Utique , qui depuis tant de siècles était temps on fit avertir secrètement Mani-
la fidèle alliée de Carthage, avait en- lius et Censorinus de ne point s'écar-
voyé des ambassadeurs à Rome pour ter des instructions qu'ils avaient re-
déclarer qu'elle était prête à recevoir
la domination romaine. Le sénat ac- La réponse du sénat romain fut loin
cueillit avec joie la soumission volon- de dissiper les craintes des Carthagi-
taire de cette ville, qui avait de bons çues.nois. Ils ne savaient à quoi se résoudre ,
ports et de fortes murailles; et, dès et ils hésitèrent longtemps avant d'en-
lors, il ne cacha plus ses projets de voyer àLilybée les
guerre. Il donna ordre aux deux con- avait demandés. Au otages
moment qu'onoù leur
les
suls Manilius et Censorinus de se diri- jeunes gens choisis parmi les plus no-
ger vers Utique. Les consuls avaient bles familles montèrent sur les vais-
en outre une mission secrète; c'était seaux qui devaient les transporter en
de ne point terminer la guerre avant Sicile, toute la ville fut plongée dans
d'avoir détruit Carthage. Manilius et la tristesse. Ceux qui avaient payé une
Censorinus partirent avec une flotte part du funeste tribut pleuraient et
considérable , et bientôt ils arrivèrent poussaient des cris comme dans un
en Sicile. jour de funérailles , et ce qui redoublait
Les Carthaginois livrent aux
Romains, pour obtenir la paix, la commune affliction, c'est qu'on pré-
voyait bien que des sacrifices si grands
trois cents otages et toutes et si douloureux ne pourraient apaiser
leurs armes; les consuls en Afri- les Romains. Enfin les vaisseaux levè-
que; PERFIDIE DES PiOMAlNS; 149 rent l'ancre et se dirigèrent vers la Si-
avant notre ère. — Les Carthagi- cile. Quand les otages furent livrés,
nois n'étaient point préparés à la les consuls refusèrent encore de dé-
guerre. Ils avaient perdu récemment voiler aux ambassadeurs carthaginois
une armée, et, depuis leur dernière les véritables projets du sénat romain;
défaite, ils n'avaient point encore levé seulement ils leur dirent : « Vous sau-
de nouvelles troupes. Quant à leur rez àUtique ce que vous avez à faire
ville, elle manquait d'approvisionne- pour obtenir la paix. »
Manilius et Censorinus ne tardèrent
ments et n'était point en état de sou-
tenir un long siège. Ils furent donc point à passer en Afrique. Ils laissèrent
forcés de recourir aux négociations. leurs vaisseaux dans le port d Utique,
Ils choisirent pour ambassadeurs Gis- et ils conduisirent leurs soldats non
con, Amilcar,Mides, Gillica etMagon, loin de cette ville, à l'endroit même
et ils leur confièrent des pleins pou- où , vers la fin de la deuxième guerre
108 L'UNIVERS.

punique, Scipion avait campé; c'est là ordonnèrent aux licteurs d'éloigner les
qu'ils reçurent les ambassadeurs car- Carthaginois.
Les ambassadeurs reviennent a
thaginois".
« Livrez-nous vosCensorinus
armes. leurDèsdit aujour-
alors : Carthage; ils font connaître au
d'hui, elles sont devenues inutiles, sénat la réponse des consuls;
« puisque vous désirez sincèrement la tumulte dans la ville; les car-
« paix. » Les Carthaginois se résignè- thaginois se préparent a sou-
rent àce dernier sacrifice ; seulement ils tenir un siege; 149 avant notre
déclarèrent aux Romains qu'Asdrubal ère. — Se fondant sur le récit d'Ap-
avait rassemblé vingt mille hommes, pien, quelques historiens ont pensé,
et qu'ilsdene cette
soldats pouvaient
armée contraindre les avec raison peut-être, qu'il y avait des
à livrer leurs traîtres parmi les ambassadeurs car-
armes. « Laissez-nous ce soin, ajoutè- thaginois. En effet, Appien nous ap-
« rent les consuls, et retournez à Car- prend qu'après avoir connu la volonté
« thage. » On vit bientôt arriver au du peuple romain, les ambassadeurs
camp romain d'innombrables chariots s'approchèrent des consuls et leur di-
tout chargés d'armes et de machines rent :« Si vous nous abandonnez , nous
de guerre. Ils étaient suivis des am- serons massacrés par nos concitoyens
bassadeurs carthaginois et d'une foule avant d'avoir achevé le récit de notre
de citoyens qui tenaient un rang dis- mission. Nous vous prions de diriger
tingué dans la république. « En ce votre flotte vers Carthage, afin que la
jour, ditPolybe, on put apprécier toute vue de vos vaisseaux vienne en aide à
la puissance de Carthage, car elle livra nos paroles, et fasse comprendre au
plus de deux cent mille armures et peuple la nécessité où il se trouve au-
deux mille catapultes. » Se croyant jourd'hui d'obéir à vos ordres. » Cen-
sorinus partit alors avec vingt galères
maîtres pourvu déjà d'un ennemi pris au dé-
et désarmé, les deux consuls à cinq rangs de rames, et il vint croi-
n'hésitèrent plus à faire connaître la ambassadeurs, ser sur la côte de Carthage. Parmi les
volonté du peuple romain. Censorinus il y en eut plusieurs
s'adressa aux Carthaginois, et leur fit qui ne furent point encore assez ras-
entendre ces terribles paroles : « Aban- surés par cette démonstration du con-
« donnez Carthage, et choisissez, sur le sul et qui s'enfuirent par différents
« territoire que Rome vous a laissé, un chemins; les autres ne balancèrent
« emplacement pour y transporter vos point à se diriger vers la ville pour
« demeures. Toutefois, que la ville nou- apporter la fatale nouvelle à leurs con-
« velle soit éloignée de la mer au moins citoyens.
« de trois lieues. Rome nous a en^Jyés A' Carthage, on attendait avec im-
« pour détruire Carthage.» Quand Cen- patience leretour de ceux qu'on avait
sorinus eut achevé, les Carthaginois envoyés au camp des Romains. Une
donnèrent tous les signes de la plus partie des habitants s'était portée sur
vive affliction. Ils pleuraient, déchi- les murailles, l'autre se tenait sur la
raient leurs vêtements, se jetaient à route d'Utique, afin d'épier le moment
genoux, et invoquaient les dieux, de leur arrivée. Ils parurent enfin. Du
qu'ils prenaient à témoin de la per- plus loin qu'on les vit, on courut à
fidie-des Romains. Les consuls, pour leur rencontre. La démarche des am-
échapper à de si justes plaintes , et pour bassadeurs et la tristesse qui était
ne pas voir plus longtemps cette scène peinte sur leurs visages jetèrent bien-
de douleur, dirent aux Carthaginois : tôt la foule qui les environnait dans
« Hâtez-vous d'obéir aux ordres du une inexprimable angoisse. On les
« sénat. Retournez promptement à Car- abordait, on les pressait de questions,
« thage. Vous n'avez rien à redouter, car mais ils avançaient toujours et gar-
« vous n'avez point encore perdu à nos daient lesilence. Quand ils arrivèrent
«yeux l.e caractère sacré qui défend et à la porte de la ville, tout Je peuple
« protège les ambassadeurs. » Puis ils se précipita vers eux. Comme ils res-
109
CARTHAGE.
taient silencieux, on voulut les massa- mes complètement armés, fut choisi
crer. Effrayés par les cris et les me- pour commander, hors des murs de
naces qui les accueillaient de toutes Carthage , les troupes de la république ,
parts, ils dirent alors, pour échapper et un autre Asdrubal, petit-fils de
Massinissa par sa mère, fut chargé de
au danger, qu'ils allaient communi- veiller à la défense de la ville. Cette
quer au sénat les nouvelles qu'ils ap- généreuse résolution, chez un peuple
portaient. Aussitôt le calme sembla
renaître; les flots pressés de la multi- qui depuis un demi-siècle avait montré
tude s'ouvrirent et laissèrent aux am- à l'égard de ses plus cruels ennemis
bassadeurs un libre passage. tant de faiblesse et une si lâche con-
Le lieu où le sénat s'était réuni fut descendance, ne pourrait s'expliquer,
bientôt environné par une foule im- si l'on ne savait que la révolution qui
mense. Quand les ambassadeurs intro- venait d'éclater dans la république
duits dans l'assemblée firent connaître avait remis le pouvoir aux mains de
les ordres des consuls, les sénateurs ceux qui aimaient sincèrement leur pa-
poussèrent un cri auquel répondit, du trie. Quand les projets odieux des
dehors, la voix du peuple; puis, au traîtres vendus à Rome et à Massinissa
moment où les ambassadeurs racontè- furent dévoilés, Carthage, comme au
rent ce qu'ils avaient dit pour fléchir
les Romains , il y eut un morne silence ; temps point àdeconfier la guerre ses d'Annibal,
destinées aun'hésita
parti
enfin, quand on apprit que les consuls démocratique. Dès lors, elle sembla
ne permettaient pas même aux Car- se ranimer avec toutes ses forces pour
thaginois d'envoyer à Rome une am- engager contre ses ennemis un dernier
bassade, les sénateurs firent entendre et glorieux combat.
un nouveau cri. Le peuple en fureur Les Carthaginois avaient envoyé au
força alors l'entrée du sénat et se pré- trente romain camp
jours.
demander une trêve de
Cette trêve ne leur fut
En un cipita au milieu
moment,de ill'assemblée. y eut dans la ville point accordée. Le refus des consuls,
un horrible tumulte/ On massacra les loin de les abattre, né fit que leur ins-
sénateurs qui avaient conseillé de li- pirer une nouvelle audace. Hommes
vrer aux Romains les trois cents otages et femmes se précipitèrent alors dans
et toutes les armes; on poursuivit à les temples et les édifices spacieux pour
coups de pierres les ambassadeurs, et les transformer en ateliers. Là, ils
on se jeta, pour user de représailles, travaillèrent nuit et jour, sans relâche,
sur les Italiens qui se trouvaient alors à la fabrication des armes, et bientôt
à Carthage; puis il y eut un grand' ils eurent en nombre suffisant des pi-
nombre de citoyens qui coururent aux ques, des épées et des boucliers. Il y
portes et aux murailles pour les dé- eut un moment où l'on manqua de
tendre contre l'ennemi que l'on atten- cordages pour les machines de guerre ;
dait àchaque instant. « Toute la ville, « alors, dit Appien, les femmes n'hé-
dit Appien, était pleine de larmes, de sitèrent point à faire, pour la défense
fureur, de crainte et de menaces. » commune, le sacrifice de leurs che-
Dans un danger si pressant, le sénat veux. »
carthaginois se montra ferme et résolu ; Commencement de la. troisième
il ordonna à tous les citoyens de se GUERRE PUNIQUE ; MàNILIUS ET CEN-
tenir prêts à combattre, et par un dé- SORINUS S'APPROCHENT DE CARTHA-
cret, qu'un héraut était chargé de lire GE ;PREMIÈRES OPÉRATIONS DU SIE-
publiquement, il affranchit les escla- GE; 149 AVANT NOTRE ÈRE. — Des
ves. On eut bientôt rassemblé de nom- événements imprévus avaient arrêté
breux soldats. Asdrubal(*), qui avait Manilius et Censorinus. Le vieux roi
déjà sous ses ordres vingt mille hom- de Numidie, Massinissa, n'avait point
vu sans douleur les Romains descendre
(*) C'était le même qui avait été condamné en Afrique pour lui arracher une con-
à mort pour avoir fait la guerre à Massinissa.
quête qu'il poursuivait depuis un demi-
110 L'UNIVERS.

siècle. Une chose surtout l'avait irrité , qu'il y avait au sud de Carthage une
c'est que les Romains l'avaient laissé langue de terre étroite et allongée qui
dans une ignorance complète de leurs séparait le lac de Tunis de la mer.
desseins. Il témoigna, par ses messa- Cette langue de terre s'appelait Taenia.
ges, son mécontentement à Manilius Au point de jonction de la Taenia et de
et à Censorinus : ceux-ci étaient donc
la presqu'île où est bâtie Carthage,
peu rassurés sur les dispositions de s'élevait un mur qui n'était pas très-
leur plus fidèle allié, lorsqu'ils reçurent élevé et qui n'avait qu'une médiocre
des courriers qui annoncèrent que épaisseur. C'était l'endroit le plus
Massinissa enverrait des secours aux faible des fortifications de Carthage^).
Romains, et qu'il leur prêterait, Arrivés sous les murs de la ville,
comme par le passé, une loyale assis- les deux consuls combinèrent les opé-
tance. Les consuls avaient encore un rations du siège. Manilius se plaça sur
autre sujet de crainte; ils ne se procu- le continent, au nord de Carthage, non
raient des vivres qu'avec une extrême loin vraisemblablement de la porte
difficulté, et ils ne recevaient des con- d'Utique. Censorinus avec la flotte se
vois queaud'un
situées bordpetit
de lanombre de villes
mer. Asdrubal porta à l'extrémité de la Tœnia , vers
la partie faible de la muraille. Manilius
tenait toute la campagne, et ii ne et Censorinus s'étaient promis une
cessait d'envoyer à Carthage d'im- victoire aisée : ils croyaient Carthage
menses approvisionnements. Cepen- dépourvue d'armes et de soldats , et
dant, après plusieurs jours passés dans
déjà ils se préparaient à livrer l'assaut,
l'incertitude, Manilius et Censorinus lorsqu'ils virent sur les murailles des
prirent enfin la résolution de venir hommes bien armés et qui faisaient
attaquer Carthage, et ils se dirigè- bonne contenance. Tant de résolution
armée.rent vers' cette ville avec toute leur et d'audace chez les assiégés étonna les
consuls. Ils furent contraints alors ,
Carthage était bâtie sur une pres-
pour ne point s'engager témérairement
qu'île, entre Utique, au nord-ouest, dans une périlleuse entreprise, de pren-
et Tunis, au sud-ouest. Vers le conti- dre de nouvelles dispositions. Enfin,
nent, la ville était défendue par une
après quelques moments d'hésitation ,
triple défense : un fossé bordé d'une ils voulurent tenter l'assaut et ils es-
palissade, un mur d'une hauteur mé- sayèrent une double attaque, mais ils
diocre, et un autre mur d'une éléva- furent repoussés nar les Carthaginois.
tion considérable. Du côté de la mer, Ce premier succès accrut encore le
il n'y avait qu'une simple muraille. courage et l'ardeur des assiégés.
Au nord, se trouvait un faubourg On vit bientôt paraître sur les bords
qu'on appelait la Ville neuve ou Mé~ du lac de Tunis l'armée d' Asdrubal.
gara. Un mur particulier séparait ce
Craignant à leur tour d'être envelop-
faubourg de l'ancienne ville. Au sud pés et assiégés, Manilius et Censorinus
de Carthage se trouvaient deux ports;
fortifièrent leurs camps et s'y tinrent
l'un était destiné aux vaisseaux mar- renfermés ; obligés de se prémunir
chanl'autre
ds , aux vaisseaux de guerre. contre une double attaque, ils furent
Les deux ports communiquaient à la forcés de ralentir les opérations du
mer par une entrée commune. Il fallait siège. Asdrubal, en effet, surveillait
traverser le port marchand pour ar- tous les mouvements -des armées con-
river au port militaire ou Cothôn. La sulaires. Un jour, Censorinus ayant
place où se tenaient les assemblées du traversé le lac de Tunis pour se procu-
peuple était située près du Cothôn; et rer le bois nécessaire à la construc-
non loin de cette place, en se dirigeant tion des machines de guerre, il se vit
vers le nord , on rencontrait la cita-
delle connue sous le nom de Byrsa. (*) Nous renvoyons nos lecteurs à la par-
Nous devons ajouter encore, afin de tie de notre travail que nous avons consa-
rendre plus clair le récit qui va suivre, crée àla topographie de Carthage.
PLAN J>E CARTTi AGI; ET DE LA PENINSULE

d'ehk/ui (JaUne

"ï A. Temple d'Eseulaye .


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PAYS COMPRIS ENTRE C ART HA G E KT Zl NGIIVR. 3,

C. Oanmit
1

/.iei,i-j- i/f 2.i tut flrgi


CARTHAGE. 111
vaient du lac de Tunis, où se trouvait
attaqué à l'improviste par Himilcon, la flotte romaine. Déjà les équipages
surnommé Phamœas , général de la
cavalerie carthaginoise. Le consul per- étaient soumis aux malignes influences
dit cinq cents hommes dans cette ren- de la saison, lorsque Censorinus or-
contre. donna aux commandants des vaisseaux
de quitter le lac pour entrer dans la
desLesmurs Romains s'approchèrent
de la ville et tentèrentalors
un mer. Les Carthaginois protitèrent de
nouvel assaut, mais cette fois encore cette circonstance ; ils observèrent le
ils furent repoussés par les Carthagi- vent et lancèrent un jour des brûlots
nois. Cet échec fit croire à Manilius contre les vaisseaux romains. La flamme
que du côté où il avait établi son camp se communiqua à plusieurs galères, et
Carthage était inexpugnable , et il ne peu s'en fallut alors que toute la flotte
renouvela point ses attaques. Censo- ne fût incendiée. Peu de temps après
rinus ne perdait point courage , et il ce dernier événement , Censorinus fut
conservait toujours l'espoir d'empor- rappelé à Rome pour assister aux co-
ter la ville en donnant l'assaut par la
Tœnia. Pour rendre plus faciles ses consuls.mices où l'on devait élire les nouveaux
manœuvres, il élargit, en comblant une Après le départ de Censori-
nus les Carthaginois redoublent
partie du lac, l'étroit espace où cam-
paient ses soldats ; puis il fit construire d'activité; imprudence du con-
deux énormes béliers pour battre la sul Manilius; l'armée
partie faible des murailles. Mises en est sauvée plusieurs foisromaine
par le
mouvement par d'innombrables mains, jeune Scipion; expédition de Ma-
les deux machines ouvrirent bientôt nilius CONTRE LE CAMP DE NÉPHÉ-
une large brèche. Les Carthaginois ne ris ; 149 avant notre Ère. — Quand
restaient point inactifs et ils relevaient les Carthaginois eurent appris le dé-
pendant la nuit la partie des murailles part de Censorinus, leur audace s'ac-
qui s'était écroulée. Mais ils ne tardè- crut, et ils conçurent le hardi projet
rent point à voir que le travail des d'attaquer
nuits était insuffisant pour réparer ments. IlsManilius
sortirent dans ses retranche-
de nuit , et ils se
toutes les brèches que les machines fai- précipitèrent sur le camp romain. En
saient pendant le jour; alors ils s'é- peu de temps le désordre fut au comble
lancèrent hors des remparts avec des dans l'armée de Manilius. Déjà les
torches, et ils incendièrent les deux Carthaginois avaient arraché une par-
béliers. Les Romains, à leur tour, es- tie des palissades, lorsque Scipion les
sayèrent de pénétrer dans la ville par repoussa avec une troupe de cavaliers,
les brèches qui n'avaient point été ré- et les força à rentrer dans la ville. Au
parées. Ils apercevaient de loin, par milieu du tumulte, le jeune tribun
l'ouverture des murailles, les Cartha- s'était élancé hors du camp ; il avait
ginois rangés en bataille, et cette vue tourné l'armée ennemie, et l'avait at-
les irritait; taquée par derrière. Effrayés alors par
nemi qui lesilsattendait se précipitèrent
de pied surferme,
l'en-
l'arrivée imprévue d'une troupe de ca-
et une lutte terrible s'engagea. Enfin valiers, les Carthaginois avaient pris
les Romains furent repoussés avec la fuite, et s'étaient retirés derrière
perte, et ils couraient déjà le danger leurs murailles. C'était la seconde fois
d'être massacrés jusqu'au dernier, lors- que Scipion sauvait une armée ro-
maine.
que le jeune Scipion , qui servait dans
l'armée en qualité de tribun, s'avança Depuis cette vive alerte, le consul
avec des troupes de réserve, et assura Manilius se montra vigilant et se tint
par ses prudentes dispositions le salut sur ses gardes. Puis, au lieu d'une
et la retraite des soldats qui fuyaient. palissade, il construisit un mur autour
On était en plein été, et la canicule de son camp. Malgré ces précautions,
faisait ressentir toutes ses ardeurs. l'armée romaine courait encore de
Des exhalaisons pestilentielles s'éle- grands dangers. Les vivres lui man-
112 L'UNIVERS.

quaient. Les convois que l'on envoyait , de l'ennemi , c'était montrer plus de
par mer, à Manilius, étaient souvent lâcheté que de prudence. « Au moins,
interceptés par les Carthaginois. Pour ajouta Scipion , restons de ce côté du
protéger les débarquements, le consul fleuve , et attendons qu'A sdrubal vienne
avait fait élever un fort sur la côte ; nous présenter la bataille, v Les tri-
mais, depuis longtemps, les provisions buns repoussèrent encore cet avis. « Si
qu'il recevait
11 réunit alorsnedixpouvaient lui suffire.et
mille fantassins nous devons ici , dit l'un d'eux , obéir
à Scipion , et non point au consul , je
deux mille cavaliers, et il leur ordonna suis prêt à jeter mon épée. » Après
de se répandre dans les campagnes cette vive altercation, Manilius passa
pour enlever les blés et le fourrage. le fleuve. Il y eut bientôt entre les Car-
Ce corps d'armée eut bientôt à redou- thaginois etles Romains une sanglante
ter les attaques de Phamaeas. Le géné- mêlée ; mais il est vraisemblable que
ral de la cavalerie carthaginoise se l'avantage ne resta point aux Romains ,
cachait dans les vallées, et, lorsqu'il car, immédiatement après la bataille,
voyait les fourrageurs romains épars ils se disposèrent à la retraite. Parmi
eux, dit Appien, il y en avait déjà un
çà'et là pitait surdans
eux ,laet campagne,
les massacrait.il se Parmi
préci-
grand nombre qui se repentaient d'avoir
les tribuns qui commandaient à tour donné à Manilius le conseil d'entre-
de rôle les soldats qui sortaient du prendre cette périlleuse expédition.
camp, Scipion était le seul que Pha- Au moment où l'armée , en se retirant ,
mseas n'osât point attaquer. En effet, arriva aux bords du fleuve , l'embarras
le jeune tribun maintenait ses soldats fut extrême , car on ne trouvait qu'un
dans une discipline sévère; il ne leur petit nombre de bateaux pour trans-
permettait point de s'écarter des rangs ; porter les soldats d'une rive à l'autre.
et, lorsqu'il envoyait une troupe pour Les Romains , craignant alors d'être
couper l'herbe et enlever le blé, il fai- attaqués pendant les lenteurs du pas-
sait garder les fourrageurs par de forts sage, rompirent leurs rangs, et bien-
détachements de cavaliers et de fan- tôt ,parmi eux, le désordre fut à son
tassins. Scipion ne tarda point à rendre comble. Asdrubal épiait tous leurs
de nouveaux services à l'armée; d'abord mouvements. Quand il crut l'instant
il repoussa les Carthaginois qui avaient favorable, il se précipita sur eux et en
essayé bâti
avait d'enlever au bordle de fortla que consul lit un grand massacre. Trois tribuns
mer;le ensuite des légions restèrent au nombre des
il sauva Manilius et les soldats romains
morts ; c'étaient les mêmes qui naguère
qui s'étaient imprudemment engagés avaient conseillé à Manilius de persis-
dans une expédition contre Asdrubal. ter dans son dessein, et de livrer ba-
Le général carthaginois avait établi taille aux Carthaginois. L'armée ro-
son camp à ÎSTéphéris. C'était de là maine courait grand risque d'être
qu'il envoyait Phamaeas pour harceler exterminée tout entière, lorsque Sci-
les soldats romains. Le consul, mal- pion ,prenant avec lui un corps de ca-
gré les avis de Scipion, prit un jour valerie, arrêta l'ennemi par ses habiles
la résolution d'attaquer Asdrubal dans manœuvres. Il attira sur lui tout l'ef-
ses retranchements. Il se mit en mar- fort des Carthaginois , et donna le
che et il se dirigea, à travers un pays
tempstre rive. aux Le Romains consul deetpasser sur l'au-
son armée se
qui lui était inconnu , vers l'armée trouvant ainsi hors du péril , Scipion ,
ennemie. Les Romains n'étaient plus
séparés du camp d'Asdrubal que par avec ses cavaliers, se jeta dans le fleuve,
un espace de untrois stades au milieu d'une grêle de traits , et il
rencontrèrent fleuve. En lorsqu'ils
cet ins- parvint, non sans peine, à rejoindre
tant, Scipion conseilla à INJanilius de ceux qu'il avait sauvés.
rétrograder. Alors quelques-uns des Au moment où Asdrubal avait com-
tribuns, qui étaient jaloux de la gloire mencé lecombat, quatre cohortes ro-
de Scipion , s'écrièrent que fuir à la vue maines avaient été séparées du gros
C ART HA G E
CARTHAGE. 113

de l'armée. Pour être en mesure de se de Carthage. Elle livra alors un nou-


défendre, elles s'étaient retranchées veau combat dans lequel elle perdit
sur une éminence. Là elles ne tar- encore plusieurs soldats.
dèrent point à être assiégées par toute Mort de Massinissa; Gulussa
l'armée carthaginoise. Les Romains ne vient au secoues des romains ;
Manilius entreprend une seconde
s'aperçurent qu'après le passage du expédition contee le camp de
fleuve * deLe consul
cohortes. l'absence
et sesdesoldats
ces quatre
furent népheris *, phamœas trahit les
alors en proie à de vives inquiétudes. Carthaginois et passe dans le
Ils ne savaient à quoi se résoudre : camp des Romains; Scipion et
les uns voulaient marcher encore une Phamœas vont a Rome ; 149 et 148
fois à l'ennemi pour délivrer leurs avant notre Ère. — Sur ces entre-
compagnons assiégés; les autres, au faites, on vit arriver en Afrique des
contraire , prétendaient qu'en essayant commissaires envoyés par le sénat ro-
d'arracher à la mort un petit nombre main ils
; devaient, à leur retour, faire
d'hommes, on risquait de compro- un rapport fidèle sur l'état de l'armée
met re lesalut de l'armée tout entière. et sur les événements qui s'étaient
Déjà ce dernier avis semblait préva- accomplis. Les commissaires examinè-
loir, lorsque Scipion dit au consul : rent tout avec soin dans le camp de
« Nos soldats courent le plus grand Manilius. Là, ils remarquèrent le sen-
danger, et nous ne devons point les timent d'admiration qu'inspirait non
laisser périr. C'est maintenant qu'il point seulement aux soldats , mais en-
faut avoir recours à l'audace. Si vous core aux tribuns et au consul , la con-
voulez me confier une partie de votre duite de Scipion. Ils revinrent à Rome,
cavalerie, j'essayerai de les délivrer, où ils firent part au sénat de toutes
ou je mourrai avec eux. » Quand Sci- leurs observations. Il est vraisemblable
pion se mit en marche avec la troupe qu'après ce rapport, les Romains con-
qu'il avait choisie, l'armée le suivit çurent des craintes sérieuses au sujet
des yeux avec tristesse , car on crai- de la guerre d'Afrique,
gnait que lui-même ne revint pas. tèrent du succès de leuret entreprise,
qu'ils dou-
Mais, contre toute espérance, il déli- car ils envoyèrent alors des ambassa-
vra les cohortes assiégées , et les ra- deurs àMassinissa pour lui demander
mena au camp de Manilius. Par sa des secours contre les Carthaginois.
noble conduite, le jeune Scipion s'at- Quand les ambassadeurs arrivèrent en
tira l'admiration des soldats. Ses Numidie, Massinissa avait cessé de
louanges étaient dans toutes les bou- vivre, et ses trois fils, Gulussa, Mi-
ches. On le proclamait le digne héri- cipsa et Manastabal
ses vastes États. , s'étaient partagé
tier de Paul Emile son père, et des
Scipions qui l'avaient adopté. On di- Peu de temps avant sa mort, le
sait même , et c'était l'opinion com- vieux roi avait mandé Scipion, et l'avait
mune dans-1'armée, qu'il avait pour chargé de régler les affaires de sa suc-
conseiller et pour protecteur le dieu
qui jadis avait accompagné le vain- courircession. Celui-ci s'était
pour rendre empresséservice
ce dernier d'ac-
queur d'Annibal , et lui avait dévoilé au compagnon
aïeul. Se conformant et à l'ami
aux deintentions
son illustre
de
les secrets de l'avenir.
Cependant l'armée romaine conti- Massinissa mourant , Scipion avait
nuait sa retraite au milieu des plus réglé les partages au gré de tous les
grands dangers , car Phamœas la sui- héritiers , et après s'être acquitté avec
vait de près avec sa cavalerie, et ne sagesse des fonctions délicates qu'il
cessait de la harceler. Elle croyait avait acceptées, il était revenu avec
enfin toucher au terme de ses longues Gulussa au camp de Manilius. Les Ro-
fatigues, et déjà elle se préparait à mains ne tardèrent point à voir qu'ils
rentrer dans son camp, lorsqu'elle fut avaient dans le jeune roi de Numidie
attaquée inopinément par la garnison un précieux auxiliaire , car, avec ses
8
8e Livraison. (Carthage.)
114 L'UNIVERS.
cavaliers agiles et expérimentés, il pré- dangers , et il redoutait déjà pour son
venait toutes les ruses de Phamœas,
et réprimait ses audacieuses tentatives. armée néralleset lesattaques soldats d'Asdrubal. Le gé-à
étaient en proie
Il arriva un jour , pendant l'hiver , la crainte et à la honte, lorsqu'un des
que Phamœas et Scipion eurent ensem- cavaliers numides de Gulussa apporta
ble un entretien. Ils suivaient l'un et une lettre à Scipion. On l'ouvrit en
l'autre, avec leurs soldats, les bords présence de Manilius, et on y lut ces
d'un torrent, et ils n'étaient séparés mots : « Je me trouverai tel jour à tel
que par le courant profond et rapide, endroit ; je vous attends. Dites à vos
lorsque Scipion, qui redoutait les ruses soldats de se tenir prêts à recevoir
du général
tête de sa troupe carthaginois, en celui qui se présentera à eux pendant
s'avança les
pour reconnaître la nuit. » Quoique la lettre ne fût point
chemins. Phamaeas , de son côté , se signée , Scipion comprit aisément
sépara de ses soldats , et courut en qu'elle lui avait été adressée par Pha-
avant, accompagné d'un seul cavalier. mœas. Au jour convenu, il se dirigea,
Scipion , persuadé que le Carthaginois avec l'assentiment du consul, vers l'en-
ne cherchait que l'occasion de lui par- droit qui lui avait été désigné. Il y
ler, prit avec lui un de ses amis et trouva Phamœas qui l'aborda et lui
marcha jusqu'à un endroit d'où il pou- dit : « Je suis prêt à passer dans votre
vait se faire entendre de Phamœas ; il camp; c'est à vous que je me confie,
lui cria alors : « Puisque vous ne pou- et je remets mon sort entre vos
vez sauver Carthage, pourquoi ne mains. » Après un court entretien, le
point songer à votre propre sûreté? général carthaginois rejoignit les siens.
— Et que dois-je espérer des Romains, Le lendemain , Phamœas mit sa ca-
dit Phamaeas, moi, qui leur ai fait valerie en bataille, puis il ordonna aux
tant de mal? — Vous pouvez tout es- officiers de sortir des rangs. Quand ils
pérer, répondit Scipion, et dès au- furent rassemblés, il leur parla en ces
jourd'hui jem'engage, au nom de mes termes : « Si nous pouvions encore
concitoyens, à vous accorder la vie sauver Carthage, vous me verriez ten-
sauve et une récompense. — Je me fie ter avec vous les plus grands efforts
à vos paroles , répliqua Phamœas. pour écarter de notre malheureuse pa-
Toutefois, je ne veux me décider trie ledanger qui la menace. Mais au-
qu'après mûre réflexion. Je vous ferai jourd'hui que tout espoir est perdu,
connaître plus tard la détermination j'ai dû songer à me sauver moi-même.
que j'aurai prise. » A ces mots , Pha- Je m'empresse d'ajouter que je ne vous
mœas et Scipion rejoignirent leurs sol- ai point oubliés. Les R.omains se sont
dats. engagés à vous accueillir, vous comme
Cependant le consul Manilius voulait moi, si toutefois vous consentez à
effacer, par un éclatant succès, la suivre mon exemple. Réfléchissez à
honte de sa première expédition contre
IVéphéris. Il fit donc ses préparatifs, reste mes paroles
à faire. ,» En et voyez ce qu'il
achevant vous
ces mots,
et après avoir ordonné aux soldats de il se dirigea vers les Romains, suivi de
se pourvoir de vivres pour quinze deux mille cavaliers. Alors Hannon,
jours, il se mit en marche et se dirigea rassemblant les débris de la troupe de
vers le camp d'Asdrubal. Cette fois , Phamœas, ramena au camp d'Asdrubal
Manilius se montra plus circonspect les soldats qui ne s'étaient point laissé
que dans sa première expédition, mais séduire par de honteuses promesses,
il ne fut pas plus heureux. Quand il se
trouva en vue des Carthaginois , il ne point et qui, au jour du danger, n'avaient
désespéré du salut de Carthage.
tarda pas à comprendre que son entre- Quand l'armée romaine vit arriver Sci-
prise devait échouer, et bientôt il son- pion accompagné de Phamœas et des
gea à la retraite. Mais le consul, mal- autres transfuges , elle s'avança à sa
gré ses précautions, ne pouvait rétro- rencontre et l'accueillit comme un
grader sans courir les plus grands triomphateur. La joie du consul était
115
CARTHAGE.
la dernière extrémité que de se rendre.
extrême, car il sentait qu'il pouvait Calpurnius Pison se dirigea alors avec
continuer sa retraite sans crainte d'être son armée vers Hippone. Cette ville
inquiété par les Carthaginois. Il se mit
donc en marche et hâta son retour. avait une forte citadelle, de bonnes
Peu de temps après cette expédition murailles et un excellent port. Située
qui avait duré vingt jours, Manilius non loin de Carthage et d'Utique , elle
apprit que Calpurnius Pison avait été avait pris part à la guerre , et elle in-
choisi pour le remplacer dans le com- terceptait chaque jour les convois des
mandement de l'armée. Ce fut alors Romains. Le consul voulait se venger
que Scipion partit pour Rome avec avec éclat sur les habitants d'Hippone,
Phamaeas. Les soldats accompagnèrent et il espérait en outre recueillir, après
la prise de la ville , un riche butin.
le jeune tribun jusqu'à son vaisseau; Mais ses espérances furent déçues.
ils priaient les dieux de le ramener en
Afrique, car lui seul, disaient-ils, pou- Les assiégés furent vainqueurs clans
vait détruire Carthage. A Rome, Sci- deux sorties , et avec l'aide des Car-
pion reçut les éloges du sénat. Quant à thaginois, ilsincendièrent les machines
Phamaeas, on le combla de présents, et des Romains. Le siège d'Hippone
on lui fit entendre qu'on lui donnerait dura tout l'été. Pison , désespérant
bien plus encore, s'il restait fidèle aux enfin d'emporter la place, se retira à
nouveaux tractés.engagements
Phamaeas fit lesqu'il
plusavait con-
grandes Utique, où il prit
La fortune ses quartiers
semblait d'hiver.
favoriser Car-
promesses, et il ne tarda pas a partir thage. L'armée d'Asdrubal n'avait en-
pour l'Afrique, où il rejoignit le camp core éprouvé aucune perte. Le consul
des Romains. Pison n'avait pas été plus heureux que
Le consul Calpurnius Pison et ses prédécesseurs Manilius et Censo-
L. Mancinus viennent prendre rinus , et au moment même où les Ro-
le commandement de l'armee mains levaient lenumides
cents cavaliers siège d'Hippone , huit
abandonnaient
d'Afrique ; succès des Carthagi-
nois ;LES FRÈRES DE GULUSSA HÉ- Gulussa pour s'enfuir dans le camp des
sitent aenvoyer des secours aux Carthaginois. De plus, ceux que Rome
Romains; trourles a Carthage; comptait au nombre de ses alliés, en
148 avant notre ère. — Au com- Afrique, commençaient à manifester
mencement du printemps, on vit arri- une grande irrésolution. Micipsa et
ver en Afrique le consul Calpurnius Manastabal , frères de Gulussa, n'a-
Pison et L. Mancinus qui avait été vaient point cessé de dire qu'ils étaient
choisi pour commander la flotte ro- disposés à envoyer aux Romains des
maine. L'armée que leur laissa Mani- armes et de l'argent, mais ils ne se
lius était si faible et si découragée, hâtaient point de remplir leurs pro-
qu'ils n'osèrent point attaquer Car- messes ,et ils attendaient l'issue des
événements. Alors, les Carthaginois
thage, et qu'ils se bornèrent à porter
la guerre dans la contrée qui avoisinait sentirent leur courage s'accroître, et
le camp. Ils vinrent d'abord assiéger ils purent espérer un instant d'échapper
par terre et par mer la ville de Clypea; au danger qui les menaçait. D'abord,
mais cette première tentative ne fut ils mirent des troupes clans les pro-
point heureuse, et ils furent repoussés. vinces voisines de Carthage; puis, ils
Peu de temps après, Pison entra dans répandirent dans toutes les parties de
une ville qu'il pilla, malgré la promesse l'Afrique des émissaires qui avaient
formelle qu'il avait faite aux habitants pour mission d'exciter les populations
de respecter toutes leurs propriétés. à faire la guerre aux Romains. Ces
Ce succès lui fut plus funeste qu'utile, émissaires , qui se rendirent aussi au-
car les autres cités de l'Afrique, se près des rois Micipsa et Manastabal,
défiant de la parole de Pison, refusè- disaient que les Romains n'étaient
rent d'écouter ses propositions, et elles point invincibles; que deux fois ils
avaient échoué contre Asdrubal, à
aimèrent mieux se défendre jusqu'à
8.
116 L'UNIVERS.
JYéphéris , et que naguère encore ils les rassurer. A Rome , les citoyens se
avaient été forcés de lever le siège racontaient à l'envi chacun des exploits
d'Hippone. Ils ajoutaient : « Vous êtfes du jeune tribun, et tous disaient que
menacés comme nous, car si Carthage pour terminer promptement la guerre,
succombe, les Romains ne tarderont il fallait élever Scipion au consulat, et
point à porter leurs armes victorieuses l'envoyer en Afrique. Lorsque le jour
jusque sur votre propre territoire. » des comices fut arrivé, Scipion brigua
Les Carthaginois firent plus encore: l'édilité, mais le peuple,
unanime, le nomma consul.d'une voix
Ce choix
iJs envoyèrent, s'il faut en croire Ap- du peuple était une infraction aux lois,
pien, des ambassadeurs en Macédoine
à celui qui se disait le fils du roi Per- car le nouvel élu n'avait point encore
sée. Ils l'exhortèrent à poursuivre avec atteint l'âge où l'on pouvait parvenir,
ardeur la guerre contre les Romains , dans la republique , à la première des
et ils s'engagèrent à lui fournir de dignités. Toutefois, après quelque hé-
l'argent et des vaisseaux. sitation, lesénat ratifia ce qui avait été
Au moment même où les Carthagi- fait dans les comices. Scipion reçut le
nois déployaient une si grande activité commandement de l'armée d'Afrique,
et manifestaient hautement leurs espé- et , avant son départ, il fut autorisé à
rances, des querelles intestines agitaient lever en Italie et ailleurs de nombreux
la république. Asdrubal, qui deux fois, soldats.
àNéphéris, avait vu échouer l'armée de Cependant, le chef de la flotte ro-
Manilius, voulait alors devenir le ma- maineL.
, Mancinus, s'était approché
gistrat suprême de l'Etat et commander de Carthage et il avait essayé de s'em-
dans Carthage. Pour réussir, il accusa
le chef de la république, qui, comme porté parersurde launvillepoint par des
surprise. Il s'était
murailles que
nous l'avons dit plus haut, s'appelait les Carthaginois négligeaient de gar-
aussi Asdrubal, et se trouvait lié par der,
les liens de la parenté à la famille de ceinteparce que cette par
était défendue partie
une dechaîne
l'en-
Massinissa, d'entretenir avec Gulussa de rochers très-escarpés et par une mer
de coupables intelligences. Quoique semée d'écueils et de bas-fonds. A la
cette accusation fut calomnieuse, dit vue de quelques-uns de leurs compa-
un historien ancien, le premier magis- gnons qui pénétraient dans la ville,
trat de Carthage subit le châtiment tous les soldats de la flotte de Manci-
réservé aux traîtres , et fut mis à nus s'élancèrent impétueusement, la
mort (*). plupart sans armes , vers l'endroit des
élection des consuls a rome ; fortifications qui avait été forcé. Là
scipion est porté au consulat ils se crurent dans une forte position
par les suffrages unanimes du et ils y passèrent la nuit; mais bientôt
peuple; Mancinus se présente ils s'aperçurent qu'ils couraient de
devant les murs de carthage et grands daîigers : ils manquaient de
donne un assaut ; scipion , en vivres , et ils pensaient avec effroi que
Afrique , sauve d'une perte cer- les Carthaginois , supérieurs en nom-
taine Mancinus et ses troupes; 147 bre, pouvaient facilement les repous-
avant notre ère. — La nouvelle des ser et les précipiter dans la mer du
échecs reçus par le consul Calpurnius haut des rochers. Mancinus se hâta
Pison jeta'la crainte dans l'âme des Ro- d'envoyer quelques hommes à Utique,
mains. Us commençaient à croire que pour demander à Pison de prompts se-
Carthage ne pouvait être détruite, lors- cours. Les craintes des Romains étaient
que tout à coup le souvenir des actions fondées, car le lendemain, au lever de
glorieuses accomplies par Scipion vint l'aurore, ils furent attaqués de tous
côtés par les Carthaginois. Mancinus
(*) Nous dirons plus bas ce qu'il faut comptait à peine cinq cents hommes
penser du témoignage d'Appien , lorsque cet armés parmi ceux qui s'étaient élancés
historien nous parle d'Asdrubal. avec lui pour surprendre la ville. Il
CARTHAGE. 117
soutint longtemps le choc des assail- tous les objets qui n'étaient propres
lants; mais enfin il céda du terrain, et qu'à les corrompre et à les amollir.
déjà il allait succomber avec les siens Après avoir rétabli dans son armée
lorsqu'on aperçut au loin sur la mer l'ordre et la discipline , Scipion réso-
de nombreux vaisseaux. C'était Scipion lut enfin de diriger une attaque contre
qui arrivait. Il avait reçu à Utique les murs de Carthage.
les lettres de Mancinus/et il s'était Scipion peend le faubourg de
hâté de mettre à la voile et de se di- Mégara; les soldats carthagi-
riger vers Carthage. Quand les Cartha- nois SE EÉFUG1ENT DANS LE QUAB-
ginois virent approcher cette nouvelle TIEE DE LA CITADELLE; 147 AVANT
flotte romaine, ils revinrent se placer notée èee. — « Pendant la nuit, dit
derrière leurs murailles, et Scipion put
recueillir sur ses vaisseaux Mancinus quand dirigea
tendait pas,etScipion
Appien (*), s'y at-
l'ennemiunene double
et les soldats qui l'avaient suivi. Man- attaque contre la partie de Carthage
cinus fut renvoyé en Italie, et Serranus
lui succéda dans le commandement de qu'on appelait Mégara. C'est unquartier
très-grand qui est contigu aux murs
la flotte romaine. Alors Scipion réu- extérieurs. Ayant envoyé des troupes
nit ses troupes , et il songea à conti- pour attaquer sur un point, il se porta
nuer d'une manière suivie et régulière lui-même à vingt stades de distance,
le siège de Carthage. Pour mettre à
avec desviers ,enhaches
gardant,"desleéchelles et des le-
plus profond si-
exécution le projet qu'il avait conçu ,
il vint camper non loin de cette ville lence. Les sentinelles carthaginoises
avec toute son armée. Les Carthagi- placées sur les murs de Mégara , aver-
nois, de leur côté, s'avancèrent hors ties de son approche, ayant poussé le
des murs pour prendre position en face cri d'alarme, son corpsd'armée et ce-
du camp romain , et ils ne tardèrent lui qui faisait la fausse attaque y ré-
point à voir arriver dans leurs retran-
chements Asdrubal, le premier de leurs Carthaginoispondirentfurent
par un cri terrible.
effrayés * Les
de voir,
généraux, et Bithya, transfuge numi- la nuit, tant d'ennemis les assaillir de
de, qu'ils avaient mis à la tête de leur deux côtés à la fois. Cependant il ne put
cavalerie. Asdrubal et Bithya ame- s'emparer des murs , malgré tous ses
naient avec eux six mille fantassins efforts. Heureusement une tour déserte,
et mille cavaliers d'élite. située hors des murs qu'elle égalait
Scipion bétablit la discipline
en hauteur, s'élevait à peu de distance
DANS l'aEMÉEEOMAINE; 147 AVANT de leur enceinte. Scipion y fait monter
notée èee. — Scipion, à son retour en de jeunes soldats intrépides qui , avec
Afrique , avait remarqué dans la disci- des solives et des planches appuyées
{)Iine de l'armée romaine un funeste re- sur la tour et le mur, forment un
achement. Sous le commandement de
pont, renversent l'ennemi qui défen-
Pison , les soldats s'étaient habitués à dait la muraille, s'en emparent, sau-
vivre dans le désordre ; chaque jour tent dans Mégara, et après avoir brisé
ils sortaient du camp, contre les lois une des portes y introduisent Sci-
militaires, pour se livrer au pillage et
à la rapine, et chaque jour aussi une
(*) Pour certains détails du siège nous
multitude d'étrangers s'introduisaient
dans les retranchements pour vendre reproduirons fidèlement le récit d'Appien.
Comme les passages de ce récit qui servent
ou pour acheter. Puis, il y avait sans à déterminer la position des différents quar-
cesse entre les soldats des querelles , tiers de la ville assiégée et des lieux qui
des rixes et de sanglants combats. Sci-
pion porta remède au mal, en décla- l'avoisinent , ont été rendus avec une scru-
puleuse exactitude par M. Dureau de ia
rant que les moindres fautes seraient Malle , nous nous proposons de citer quel-
punies par des châtiments sévères. Il quefois les excellentes traductions que Ton
chassa alors du camp ceux qui n'étaient rencontre dans les Recherches sur ia topo-
point enrôlés, et il enleva aux soldats graphie de Carthage,
118 L'UNIVERS.
pion. Il y entre avec quatre mille hom- « Cependant, ajoute Appien , après
mes ,et , par une prompte fuite , les la prise de Mégara, Scipion fit brûler
Carthaginois, comme si le reste de la le camp retranché que les Carthaginois
ville était pris, se sauvent dans Byrsa.
Les cris des prisonniers , le tumulte avaient abandonné la veille, lorsqu'ils
s'enfuirent dans la ville , et maître de
qu'ils entendaient derrière eux, ef- tout l'isthme (*) , il le coupa par un
frayèrent tellement les Carthaginois qui fossé prolongé d'une mer à l'autre, qui
étaient dans le camp retranché , hors ne s'éloignait pas des murs ennemis
des murs, qu'ils abandonnèrent aussi de plus d'une portée de trait. Les as-
cette position et se réfugièrent avec siégés l'inquiétaient toujours dans cette
les autres dans la citadelle. Mais comme opération où le soldat, sur un dévelop-
le faubourg de Mégara était rempli de pement de vingt-cinq stades, devait
tour à tour travailler et combattre. Ce
jardins plantés d'arbres fruitiers, sé-
parés par des clôtures en pierres sè- fossé achevé (qui était la circonvalla-
ches, des haies vives d'arbustes épi- tion), il en fit un autre de même
neux, ctcoupés par de nombreux canaux grandeur à une faible distance (la con-
profonds et tortueux , Scipion , crai- trevallatioîi), qui regardait le continent
difficile gnantdont
de s'engager
les voiesdans ce terrain
étaient incon- de l'Afrique; il y ajouta deux fossés
transversaux qui donnèrent à l'ouvrage
nues aux Romains, et où l'ennemi, à total la forme d'un parallélogramme, et
la faveur de la nuit, pouvait lui dres- les hérissa tous de palissades. Derrière
ser unelaembuscade
sonner retraite. » , s'arrêta et lit les palissades s'élevait Vagger. Du côté
qui regardait Carthage, il construisit
ASDEUBAL MASSACRE LES PRISON- un mur dans toute la longueur des
NIERS romains; MOYENS EMPLOYÉS vingt-cinq stades, de douze pieds de
PAR ASDRUBAL POUR DOMINER DANS haut, sans les parapets et les tours
LA VILLE ; SCIPION ENLEVE AUX CAR- qui flanquaient la courtine par inter-
THAGINOIS TOUTE COMMUNICATION valle. La largeur du mur était moitié
AVEC LE CONTINENT; FAMINE A CAR- de la hauteur. Au milieu , était une
THAGE; Î47 AVANT NOTRE ERE. — tour en pierre très-haute, surmontée
Le lendemain, quand le jour parut, d'une tour de bois à quatre étages,
Asdrubal, à la vue des ennemis qui d'où la vue plongeait dans la ville. Il
campaient dans Mégara , fut en proie acheva cet ouvrage en vingt jours et
à la douleur et à la colère. Il rassembla vingt nuits. Toutes les troupes y fu-
alors les soldats romains qui avaient rent employées, les soldats se relayant
été pris pendant la guerre, et après les tour à tour pour travailler et se battre,
avoir livrés à d'horribles mutilations , pour manger et pour dormir. »
il les fit précipiter du haut des mu- Dans ces lignes, l'armée romaine
rail es. Ilcroyait sans doute, dit l'his- trouva une forte position contre l'en-
torien du siège, enlever ainsi à ses
concitoyens tout espoir de traiter avec dans toute nemi. De plus, en coupant
sa longueur, Scipionl'isthme
obtint
les Romains ; mais cette horrible exé-
un important
rivée des convois qui , par la route l'ar-
résultat; il empêcha du
cution n'eut point le résultat qu'il at-
tendait. Asdrubal s'aperçut bientôt continent, avaient fourni jusqu'alors
qu'il avait soulevé contre lui demême,
vio- d'abondantes provisions aux Carthagi-
lentes haines. On lui reprocha nois assiégés. Une grande famine ne
en plein sénat, d'avoir montré, en tarda pas à se faire sentir à Carthage.
égorgeant ses prisonniers, plus de Les habitants, qui ne pouvaient percer
cruauté que de prudence. Pour étouf- les lignes de Scipion pour rétablir leurs
fer les plaintes des mécontents, il fit communications avec le continent , ne
tuer ceux qui, parmi les sénateurs, se
déclaraient ses adversaires et blâmaient se procuraient des vivres qu'avec une
sa conduite. Dès lors, il régna dans la (y) Voyez plus bas la Topographie de
ville par la terreur. Carthage.
119
CARTHAGE.
extrême difficulté. Ils étaient forcés de tance, et qui, en toutes circonstances,
sortir avec leurs vaisseaux, et de faire se montrait dépourvu des qualités que
un long détour pour prendre au loin , possèdent ordinairement ceux qui
sur le rivage , les provisions que leur veulent commander et dominer dans
amenait h grand'peine Bithya, le géné- une république. Voici , entre plusieurs
ral de leur cavalerie. Encore ces cour- autres, un exemple de sa vanité. Quand
ses ne se faisaient point sans danger, il arriva au lieu désigné à Gulussa
car il fallait que les vaisseaux, à leur pour l'entrevue, il parut armé complè-
départ et à leur arrivée, évitassent la tement et couvert d'un riche manteau
flotte romaine qui croisait devant la de pourpre. 11 s'était fait accompagner
ville. D'un autre côté, Carthage ne par dix soldats. Cependant il laissa ses
pouvait tirer aucun secours des pays gardes derrière lui , à vingt pas envi-
étrangers. Depuis le commencement de ron, et du bord du fossé qui le proté-
la guerre, son commerce avait été
geait ,parqueun donner,
attendre signe qu'il
il fitdevait plutôt
comprendre
anéanti , et les marchands n'osaient
plus pénétrer dans ses ports. Les con- au roi de
vois qui arrivaient par mer ne pou- cher.Numidie
Gulussa, auqu'il pouvait appro-
contraire, vint à
vaient subvenir à tous les besoins, et l'entrevue sans escorte, et vêtu, suivant
Asdrubal se vit bientôt forcé de ne l'usage des Numides , avec la plus
distribuer des vivres qu'aux trente grande simplicité. Lorsqu'ilpourquoi
fut prèsil
mille soldats qu'il avait choisis pour d Asdrubal, il lui demanda
combattre. Alors la population de s'était couvert d'une cuirasse et muni
Carthage accrue qui, pendant la guerre, de
s'étaitla de toutes ses armes : « Qui done crai-
encore des habitants gnez-vous? lui dit-il. — Je crains les
campagne
souffrances., fut en proie à d'effroyables Romains, reprit le Carthaginois. —
Je le vois bien, repartit Gulussa, car,
Asdrubal essaie de traiter
s'il en était autrement , vous ne reste-
avec les Romains; son entrevue riez pas , sans cause , enfermé dans
avec Gulussa; réponse de Sci- votre ville. Mais enfin, que souhaitez -
pion; 147 ayant notre ere. — vous de moi? — Je vous prie, dit As-
Pressé de tous côtés par l'ennemi , en- drubal, d'être notre intercesseur au-
vironné d'une foule immense dont les près du général romain. Vous pouvez
maux déjà si grands et si profonds lui promettre , au nom de tous mes
s'aggravaient sans cesse , Asdrubal concitoyens,
et la laisse subsister, que s'il épargne Carthage
il trouvera en
perdit courage. Ce fut alors que, sans
espoir de réussir, il eut recours aux nous une entière soumission. » Gu-
négociations. Il s'adressa, non point lussa se prit à rire, et s'adressant au
directement àSeipion^ mais au roi de chef carthaginois : « Vos paroles sont
Numidie, Gulussa, et il lui demanda
une entrevue. Appien ne parle point des paroles où
déplorable d'enfant. vous êtes, Quoi!assiégés
dans l'état
par
de ces négociations; mais Polybe, qui mer et parsources etterre , n'ayant plus
se trouvait dans le camp romain à ne conservant pas demême
res-
l'époque du siège de Carthage , les ra- des espérances , vousà faire
n'avez que
pas celles
d'au-
conte avec assez d'étendue. Nous don- tres propositions
nons ici la curieuse narration de ce
qu'on a rejetées à Utique , avant le
dernier historien (*). siège? — Nos affaires ne sont point
« Asdrubal, le chef des Carthaginois, aussi mauvaises que vous le pensez ,
était un homme vain, rempli de jac- répondit Asdrubal. Nos alliés arment
au dehors pour notre défense (*) , et
(*) Fragments du livre xxxix. — Comme
Appien, clans ses Puniques, n'a fait que re- (*) Polybe ajoute : il ne savait pas ce qui
produire lerécit de Polybe, il y a lieu de s' était passé dans la Mauritanie. INous igno-
s'étonner qu'il n'ait pas même mentionné rons aussi les événements qui s'étaient ac-
l'entrevue d' Asdrubal et de Gulussa. complis alors dans cette partie de l'Afrique.
120 L'UNIVERS.
les troupes que nous avons placées sur encore ses armes et son manteau de
différents points de notre territoire , pourpre. A sa démarche lente et grave
n'ont point encore été attaquées. Mais on eut dit qu'il jouait, dans une tra-
c'est surtout dans les dieux que nous carthaginois gédie, le rôle du tyran. Le général
mettons notre confiance. Ils sont trop était gras de sa nature,
justes pour ne point nous venger de la mais ce jour-là son embonpoint parut
perfidie des Romains. Dites au consul, plus grand qu'à l'ordinaire. Par sa
je vous prie, que même après ses bril- grosseur et son teint enluminé, cet
lants succès, les dieux et la fortune homme ressemblait bien plus aux bœufs
peuvent faire triompher notre cause. que l'on engraisse dans les marchés,
Enfin, dites-lui que les Carthaginois qu'au chef d'une ville assiégée qui souf-
ont pris la résolution de se faire mas- frait des maux inexprimables. Après
avoir connu , par Gulussa , les offres
sacrer jusqu'au dernier plutôt que de
se rendre. » Ici finit l'entrevue, mais du consul, il s'écria, en se frappant
avant de se séparer , Asdrubal et le roi la cuisse à coups redoublés : k Je
prends les dieux et la fortune à témoin
de Numidie s'engagèrent à revenir au
même endroit trois jours après. que le soleil ne verra jamais Carthage
« Rentré au camp, Gulussa rendit détruite et Asdrubal vivant. Un hom-
compte me de cœur n'est nulle part plus no-
avait eu àavec Scipion de l'entretien
Asdrubal. Scipion se qu'il
mit blement enseveli que sous les ruines de
à rire, et dit : « En vérité, je ne con- sa patrie, quand il n'a pu la sauver. »
çois pas qu'après avoir massacré cruel- Résolution généreuse, magnifiques pa-
lement nos captifs, cet homme ose roles qu'on ne peut trop admirer! mais
encore nous reprocher d'avoir violé les plus tard, au jour du danger, on vit
lois divines et humaines. » Mais le roi bien qu'Asdrubal n'était qu'un lâche
de Numidie fit alors remarquer à Sci- et un fanfaron. D'abord, on peut lui
pion qu'il était de son intérêt de finir reprocher d'avoir fait, au milieu de
au plus tôt la guerre; que, sans parler gens affamés, de somptueux repas et
d'avoir insulté, en quelque sorte,
des cas imprévus
rait à Rome , le jour où
de nouveaux l'on fe-
consuls ne son embonpoint aux souffrances de par ses
concitoyens. Alors, en effet, le nombre
tarderait pas à arriver, et qu'il était à de ceux qui échappaient à la famine
craindre, si l'hiver se passait en d'inu- par la mort ou la fuite était immense.
tiles attaques , qu'un autre ne vînt lui Asdrubal se montrait impitoyable ; il
ravir, sans l'avoir mérité, les hon- raillait les uns, accablait les autres
neurs du triomphe. Scipion sentit ai-
sément la justesse de ces réflexions, d'outrages , et souvent même il tuait
ceux qui lui faisaient ombrage. A force
et il chargea Gulussa d'annoncer au de sang répandu , il intimida tellement
général carthaginois, de sa part, qu'il
lui accordait à lui, à sa femme, à ses la multitude , qu'il conserva jusqu'au
enfants et à dix familles parentes ou bout , dans Carthage assiégée , une
amies, la vie et la liberté, et qu'il lui puissance aussi absolue que le pour-
permettait en outre d'emporter de ville rait être celle d'un roi juste dans une
heureuse. »
Carthage dix talents de son bien , et
d'emmener avec lui ceux qu'il voudrait Examen du jugement que Po-
choisir parmi ses esclaves. Gulussa , lybe ET QUELQUES AUTRES HISTO-
avec des offres qui devaient , ce sem- KIENS ONT PORTÉ SUR ASDRUBAL. —
ble, être agréables à Asdrubal, s*e ren- Il ne faudrait peut-être point admettre
dit le troisième jour à l'endroit fixé sans restriction le témoignage de Po-
lybe et de quelques autres écrivains
pour l'entrevue.
« Asdrubal y vint aussi. Il portait amis de Rome, lorsqu'ils font le por-
trait d'Asdrubal et qu'ils essayent
Il est vraisemblable que Polybe avait raconté d'apprécier son caractère et ses actes.
Pendant les six années qui précédèrent
ces événements, mais son récit n'est point
parvenu jusqu'à nous. la ruine de Carthage, Asdrubal ma-
121
CARTHAGE.
nifesta contre les ennemis de son pays de Zama) , et ils livrèrent aux consuls
Manilius et Censorinus toutes leurs
une haine trop vive pour que les Ro- armes. Au moment même où les traî-
mains et tous ceux qui s'étaient atta- tres, en désarmant Carthage, prépa-
chés àleur fortune aient pu le juger
sans prévention et avec impartialité. raient le triomphe des ennemis, le
Nous avons rapporté fidèlement l'o- chef du parti populaire rassemblait
vingt mille soldats. Il prévoyait sans
pinion de Polybe et celle d'Appien qui doute que ses concitoyens désabusés
a suivi avec tant d'exactitude le récit
de l'illustre Mégapolitain , et on a vu ne tarderaient point à le rappeler. En
que cette opinion était sévère. 11 est effet , au retour des ambassadeurs qui
vraisemblable encore que Ïite-Live, étaient allés recevoir à Utique la ré-
dans la partie de son histoire qui n'est ponse des consuls, il y eut dans la ville
point arrivée jusqu'à nous, n'avait pas une sanglante réaction. Le parti vrai-
épargné le blâme au dernier chef des ment national se releva plein de force
Carthaginois. Voilà sans doute de gra-
Romains une, dernière
et d'énergie pour engager contrelutte.
et terrible Jes
vesfois,d'imposantes
,en nous servant autorités.
du récit Toute-
même Au jour du danger , Asdrubal oublia
les vieilles injures, et proclamé général
de Polybe
sinon et d'Appien,
transformer nous pouvons,
Asdrubal en un
par la voix du peuple, il se hâta d'offrir
grand capitaine et le montrer comme à ses concitoyens les soldats qu'avec
un homme exempt de fautes, au moins tant de sagesse il avait réservés pour
la défense de la patrie. Tandis que les
prouver qu'il aima sincèrement sa pa-
trie ,et que toutes ses actions ne fu- Carthaginois assiégés repoussaient glo-
rieusement les premiers assauts de
rent pas, comme l'ont prétendu des
écrivains ennemis, contraires à la pru- l'armée romaine, il se maintint dans
dence et à la justice. son camp de Néphéris, devant lequel
Au moment même où pour la pre- vinrent échouer deux fois les légions
mière fois, l'histoire fait mention de Manilius. Enfin, lorsque Scipion
d'Asdrubal, nous le voyons figurer à étant consul, Carthage eut à soutenir
Cartilage dans le parti populaire, c'est- des attaques sérieuses et multipliées, il
à-dire dans les rangs des ennemis im- se jeta dans la ville et la défendit jus-
placables du nom romain. Bientôt il qu'au moment où il ne vit plus autour
acquiert assez d'influence parmi ses de lui qu'un monceau de ruines.
concitoyens, pour accomplir avec eux Les cusé historiens de l'antiquité ontnous
ac-
et par eux une importante révolution. Asdrubal de cruauté, et
Il fait bannir de la ville les partisans de avons rapporté précédemment les faits
Massinissa. Puis , il entreprend une qu'ils ont donnés à l'appui de leur as-
guerre utile et juste contre le roi de sertion. Mais nous devons remarquer
Numidie, qui, fidèle allié de Rome, que ceux-là même qui , après l'arrivée
n'avait cessé , depuis un demi-siècle , des Romains en Afrique, furent victi-
d'attaquer les Carthaginois et de leur mes de la réaction populaire, étaient
porter de continuels dommages. As- soupçonnés, nous pourrions dire con-
drubal, nous l'avons dit, échoua dans vaincus de s'être vendus à l'ennemi et
son expédition contre Massinissa. de trahir leur patrie. Ainsi le magistat
Alors, mettant à profit les malheurs suprême que fit mourir Asdrubal, était
publics , les amis des Romains repri- le petit-fils de Massinissa, l'ami des
rent assez d'audace à Cartilage pour Numides, et, de l'aveu d'Appien, il ne
proscrire le chef du parti populaire. perdit la vie que pour avoir été accusé
Non contents de condamner à mort d'avoir entretenu avec Gulussa de cou-
Asdrubal et ses adhérents, ils vendirent pables intelligences. Ailleurs, l'histo-
leur patrie aux Romains; ils envoyè- rien alexandrin nous apprend qu'après
rent àLibybée trois cents otages (les le massacre des prisonniers romains,
Carthaginois n'en avaient remis que quelques-uns des sénateurs reprochè-
cent aux vainqueurs après la bataille rent àAsdrubal d'avoir agi avec plus
122 L'UNIVERS.
de cruauté que de prudence, et de s'enfermer dans une ville assiégée qui
leur avoir enlevé tout espoir de trai- souffrait toutes les horreurs de la fa-
ter avec V ennemi; il ajoute que pour mine.
étouffer leurs plaintes, Asdrubal les On peut reprocher à Asdrubal de
fit tuer. Certes, quand on a suivi avec s'être écrié un jour en présence de
attention l'histoire des six années qui Gulussa : « Le soleil qui éclairera la
précèdent la ruine de Cartbage, on est destruction de Carthage ne me verra
tenté de croire que ceux qui , au mo- point vivant. » Comme il survécut à la
ment même où l'ennemi s'était rendu ruine de sa patrie, Polybe a pu dire:
maître d'une partie de la ville , pro- « On vit bien au jour du danger que ces
clamaient hautement que l'on pourrait grandes et belles paroles étaient sorties
encore réussir par la voie des négocia- de la bouche d'un fanfaron. »
tions, étaient des traîtres et les amis Ajoutons encore, avant de terminer,
des Romains. Nous ne voulons point qu'entre tous les torts d'Asdrubal, le
ici excuser les crimes ou les fautes
plus grand peut-être a été celui d'avoir
qu'Asdrubal a commis ; nous essayons succombé et d'avoir abandonné, comme
seulement de montrer qu'il a pu se sa malheureuse patrie , le soin de sa
faire que le dernier général carthagi- gloire à des historiens étrangers.
nois ait été calomnié par les ennemis Suite du récit; Scipion ferme
de Carthage. l'entrée des ports par une jetée;
« Asdrubal , disent Polybe et Ap- les Carthaginois s'ouvrent une
pien, régnait sur le peuple par la nouvelle issue et mettent une
terreur, et il conserva flotte a la mer; combat naval;
sur la multitude, une jusqu'à
autoritéla sans
Jin,
147 avant notre Ère. — Pour priver
bornes. » On peut croire aussi qu'As- les Carthaginois des vivres qu'ils rece-
drubal régna sur la multitude, moins vaient par mer, et leur enlever leurs
par la terreur que parce qu'il était dernières ressources , Scipion résolut
l'élu de cette multitude et le chef du de fermer l'entrée du port. « A partir
parti populaire. de la bande de terre qui était entre le
Enfin, il n'est pas vraisemblable lac et la mer, dit Appien, il fit jeter
qu'au moment où les Carthaginois as- une digue qui s'avançait presque en
siégés subissaient de cruelles priva- droite ligne vers l'embouchure du
tions et souffraient de la famine, As- port, peu distante du rivage. Cette
drubal se soit fait un jeu de la misère jetée avait vingt-quatre pieds de large
publique, et qu'il ait insulté à ses au sommet et quatre-vingt-seize à la
concitoyens malheureux, en donnant
à quelques-uns de ses amis de somp- base (*). Scipion disposait d'une nom-
tueux banquets. « Scipion, dit Polybe, breuse armée qu'il faisait travailler
jour et nuit, et les Carthaginois, qui
fit annoncer au général carthaginois d'abord avaient ri de ce projet gigan-
qu'il lui accordait à lui, à sa femme, tesque, allaient se trouver entièrement
à ses enfants , et à dix familles pa- bloqués, car, ne pouvant recevoir de
rentes ou amies, la vie et la liberté, vivres par terre, et la mer leur étant
et qu'il lui permettait, en outre, d'em- fermée , la faim les eût contraints de
porter de Carthage dix talents de se rendre à discrétion. C'est alors
son bien, et d'emmener avec lui ceux qu'ils velle
entreprirent
qu'il voudrait choisir parmi ses es- issue dans uned'ouvrirautre une
partienou-
de
claves. »Pourquoi Asdrubal repoussa-
t-il alors les propositions de Scipion?
(*) « Cette jetée fut construite comme
Pourquoi préféra-t-il à une retraite celles des rades de Cherbourg et de Plymouth
tranquille où il aurait trouvé le repos l'ont été depuis, en lançant à flot perdu
et le bien-être, le séjour de Carthage? d'énormes qtiariiers de roches qai , par
Assurément, pour se livrer à la bonne leur cohésion et l'inclinaison de leur plan ,
chère et pour donner de splendides fes- pussentde résister à l'action de la mer. » M. Du-
reau la Malle.
tins, c'était mal choisir son lieu que de
123
CARTHAGE.
leur port qui regardait la pleine mer. qui était fort étroite, les vaisseaux ne
Ils choisirent ce point parce que la
pouvaient pénétrer qu'en petit nombre
profondeur de l'eau et la violence des a la fois et qu'avec une extrême diffi-
vagues qui s'y brisent rendaient im- culté. Alors, pour ne point être atta-
possible aux Romains de le fermer quées par les Romains , pendant les
avec une digue. Hommes, femmes et lenteurs de la retraite, les trirèmes
enfants y travaillèrent jour et nuit, en carthaginoises remontèrent le long de
commençant par la partie intérieure , la côte et jetèrent l'ancre vers un quai
et avec tant de secret que Scipion ne qui avait servi autrefois au débarque-
put rien savoir des prisonniers qu'il fit ment des marchandises (*). Au mo-
alors, sinon qu'on entendait un grand ment même où les bâtiments légers
bruit dans les ports , mais qu'on en venaient de se mettre à l'abri dans le
ignorait la cause et l'objet. En même port et où les gros navires s'arrêtaient
temps, les assiégés construisaient avec non loin des murailles, la proue tour-
d'anciens matériaux des trirèmes et née vers la mer, on vit arriver la flotte
desquinquérèmes avec une adresse et ennemie. Il fallut encore soutenir une
une activité singulières. Enfin, lorsque nouvelle attaque. Quoique les Romains
tout fut prêt, les Carthaginois, au eussent à se défendre et contre les
point du jour, ouvrirent la communica- équipages des vaisseaux et contre les
tion avec la mer, et sortirent avec cin- troupes de terre qui étaient placées
quante trirèmes et un grand nombre sur le quai, ils firent cependant éprou-
d'autres navires qui avaient été appa- ver àla flotte des assiégés des pertes
reillés avec le plus grand soin, et de considérables. La nuit mit fin au com-
manière à jeter la terreur parmi les bat. Alors seulement les gros navires
Romains. » des Carthaginois parvinrent à se ré-
Ceux-ci, en effet, à la vue de la fugier dans le port.
flotte carthaginoise, furent frappés de Les Carthaginois attaquentles
crainte. Les lourds et pesants vais- Romains pendant la nuit et bru-
seaux de la station romaine n'avaient lent LEURS MACHINES DE GUERRE ;
ni rameurs ni soldats, car les équipa- du côté de la mer, scipion reste
ges étaient descendus à terre pour ai- maître des ouvrages avancés des
der Scipion dans ses travaux. Si les Carthaginois; 147 avant notre
Carthaginois, par une attaque sou- ère. — Le lendemain matin, Scipion
daine, s'étaient portés
ainsi désarmés, sur lesobtenu
ils auraient vaisseaux
une s'empara du quai à l'abri duquel s'é-
tait placée la flotte carthaginoise. « Cet
victoire aisée, et ils auraient anéanti ouvrage, dit Appien, devenait un
d'un coup toutes les forces navales de point d'attaque très-avantageux pour
l'ennemi ; mais ils se contentèrent de entamer le port ( le Cothôn ). Alors
se montrer et d'insulter les Romains ayant amené beaucoup de machines et
par de vaines démonstrations. Quand battu avec des béliers la fortification
trois jours après ils vinrent présenter intermédiaire ( le rempart élevé dans
le combat, l'occasion favorable était la longueur du quai par les Carthagi-
perdue etde ilssuccès n'avaient nois ,) il en renversa une partie. Les
chances : les plus les mêmes
rameurs et les assiégés firent une sortie la nuit et
soldats avaient regagné leurs vais- se portèrent contre les machines des
seaux ,et les Carthaginois trouvèrent
une flotte toute préparée à recevoir Romains,
impraticable, non niparavecterre, car c'était
des vaisseaux,
leurs attaques. Ils n'hésitèrent point car la mer sur ce point est pleine de
cependant , et une lutte terrible s'en-
gagea. On se battit pendant une jour-
née entière, et ce ne fut que vers le (*) Ce quai était très-large. De peur qu'il
soir que les Carthaginois, fatigués et ne servît d'esplanade à l'ennemi pour l'at-
taque des murailles, les Carthaginois l'avaient
coupé dans sa longueur par un fossé et un
non vaincus,
velle entrée duse port.
dirigèrent vers entrée,
Par cette "la nou- rempart.
124 L'UNIVERS.

bas-fonds : ils y marchèrent tout nus, thaginoisc'était


: la présence à Néphé-
portant des torches non allumées pour ris d'une armée nombreuse fortement
n'être pas aperçus de loin. Ils entrent retranchée, et qui paraissait surveil-
dans la mer sans être vus , et s'avan- ler, malgré l'éloignement, toutes les
cent les uns à la nage, les autres ayant opérations des Romains. Scipion avait
de l'eau jusqu'àprès la poitrine. Lorsqu'ils toujours à redouter une double atta-
sont arrivés des machines , ils que; et lorsque parfois il songeait aux
allument leurs torches, et alors le feu expéditions malheureuses du consul
les ayant découverts, ils reçurent sur Manitius , il n'était point sans inquié-
leurs corps nus de terribles blessures. tudevIl crut, non sans raison, que la
Mais telle fut leur audace et la force
destruction de l'armée delXéphéris pou-
de leur désespoir, que, malgré ce dé- vait seule hâter les travaux du siège
savantage ils
, enfoncèrent les Ro- et consommer la ruine de Carthage. Il
mains etbrûlèrent leurs machines. La se mit donc en marche avec une par-
terreur même fut si grande, que Sci- tie de ses troupes, et il se dirigea,
pion fut contraint de faire tuer quel- avec Laclius et Gulussa, vers le camp
ques-uns des fuyards pour forcer les carthaginois. Diogène y commandait
autres
passèrent tout le dans
à rentrer reste ledecamp,
la nuit oùj'Is
sous depuis le jour où Asdrubal s'était jeté
dans la ville assiégée. Scipion prit po-
les armes. Les Carthaginois , après sition non loin de Néphéris. Il s'aper-
avoir brûlé les machines, retournèrent
à la nage dans la ville. » çut bientôt qu'en deux endroits les
retranchements carthaginois s'étaient
Les Carthaginois se hâtèrent de ré- écroulés. Il prit alors la résolution de
parer la partie de leurs fortifications recourir à un expédient qui lui avait
qui était tombée sous les coups du déjà réussi plusieurs fois : il se porta
bélier, et ils y élevèrent des tours en avec ses troupes vers une des brèches,
bois de distance en distance. Mais les
et là, tandis qu'il occupait Diogène par
Romains, après avoir construit d'au- une attaque simulée, mille hommes
tres machines , renouvelèrent bientôt qu'il avait cachés s'élancèrent dans le
leurs attaques : ils incendièrent quel- camp par l'autre brèche. Tandis que
ques-unes des tours , en lançant contre les soldats romains faisaient dans l'in-
elles des vases remplis de poix et de térieur des retranchements un horri-
soufre enflammés. Enfin Scipion se ble massacre, Gulussa et ses cavaliers
rendit maître des ouvrages avancés des numides poursuivaient et tuaient dans
Carthaginois. Il éleva alors un mur en la campagne tous ceux qui avaient pris
brique , égal en hauteur aux remparts la fuite. « Dans cette journée, dit Ap-
de la ville et à peu de distance de ces pien, soixante-dix mille hommes per-
remparts; puis il plaça sur ce mur, dirent lavie, dix mille furent pris, et
qui était protégé par un fossé, quatre quatre mille seulement parvinrent à
mille hommes de trait. Il pensait que s'échapper. »
ce corps d'armée , dans une position L'armée carthaginoise ayant été
inexpugnable, suffisait pour contenir anéantie d'un seul coup, les Romains
les assiégés pendant toute la durée de se présentèrent devant les murs de Né-
la grande expédition qu'il allait entre- phéris. Après un siège de vingt-deux
prendre. jours, Scipion se rendit maître de la
Expédition de Scipion contée place. Ce rouveau succès eut un grand
l'abmée qui se tient a Nephéris; résultat. Quand Néphéris eut succom-
le camp des carthaginois est bé, toutes ks villes avoisinantes se sou-
pris; siege de néphjéius; plusieurs mirent aux Romains. Toutefois, au mo-
villes se rendent aux romains ; ment même où s'évanouissaient leurs
147 AVANT NOTRE ERE. — Jusqu'aux dernières espérances, les Carthaginois
derniers événements que nous venons assiégés n'en persistèrent pas moins
de raconter, une chose avait entretenu dans l'héroïque résolution de se dé-
le courage et les espérances des Car- fendre jusqu'à la dernière extrémité.
CARTHAGE. 125
SCIPION ATTAQUE LE PORT DE avec ses soldats sur la place publique.
CARTHAGE ; PRISE DU Cothôn ; LES Le lendemain, au point du jour, il
Romains dans Carthage; combat appela à son aide quatre mille hommes
acharné dans les rues qui con- de troupes fraîches. Au moment où
duisaient de la place puelique a ceux-ci entrèrent à Carthage , ils se
la citadelle ; 146 ayant notre précipitèrent dans le temple d'Apol-
ère. — Scipion avait passé une année lon ,et , sans tenir compte des mena-
presque entière à préparer par de sû- ces de leurs officiers, ils enlevèrent
res opérations la ruine de Carthage (*). les lames d'or qui couvraient la statue
Après avoir détruit pendant l'hiver de la divinité. Ils n'obéirent aux ordres
l'armée de Diogène, pris Néphéris, de Scipion que lorsqu'ils eurent par-
reçu la soumission des villes d'Afrique tagé entre eux ces dépouilles sacrilè-
qui tenaient encore pour les Cartha- ges, qui valaient bien, dit un historien
ginois, ilrésolut, aux approches de la de l'antiquité, une somme de mille
belle saison, de tenter de vigoureuses talents.
attaques et de frapper les derniers Quand Scipion eut fait tous ses pré-
coups. Il se dirigea d'abord vers le paratifs pour attaquer Ryrsa, il se mit
port qui était appelé Cothôn; Asdru- en marche avec ses troupes. Mais bien-
bal, qui croyait avoir découvert les tôt il s'aperçut qu'il ne parviendrait
projets du général romain, fit mettre point sansTrois peinerues
jusqu'au piedbordées
de la
le feu, pendant la nuit, à la partie citadelle. étroites,
quadrangulaire de ce port. Tandis qu'il de chaque côté de maisons à six étages,
fixait sur ce point toute son attention, montaient de la place publique à
Lœlius escalada la partie ronde du Ryrsa. Les soldats de Scipion étaient à
Cothôn qui était opposée à la partie peine entrés dans ces rues qu'une
quadrangulaire, et il ouvrit ainsi l'en- bataille terrible s'engagea. Les Ro-
trée de Carthage à l'armée romaine. mains furent alors accablés par une
Rientôt le port et les fortifications grêle de traits et de pierres. Il fallait
qui l'entouraient furent au pouvoir de pénétrer et se battre dans chaque mai-
l'ennemi. Scipion alors pénétra dans son, et à chaque étage. Les Carthagi-
la ville, et il s'établit, pour la nuit, nois étaient partout, dans la rue, sur
(*) « Si l'on examine attentivement l'en- les toits, et l'armée romaine ne pouvait
avancer que lentement et pas à pas.
semble du récit d'Appien et l'histoire du
siège de Carthage pendant les trois ans de La ville présentait en ce moment un
sa durée, on sera convaincu que, malgré spectacle horrible; les uns périssaient
les forces immenses en troupes de terre et par l'épée, les autres par les traits qui
de mer employées par les Romains, il était étaient lancés; d'autres enfin, en tom-
nécessaire de procéder de cette manière bant du haut des maisons , étaient
lente et circonspecte pour obtenir la vic- reçus sur les piques des soldats. On
toire. La position admirable de Carthage entendait aussi le bruit des armes qui
défendue par plusieurs enceintes séparées , se choquaient, les plaintes, les gémis-
indépendamment du Cothôn, l'égalité des sements etles cris de douleur des bles-
forces entre l'assaillant et l'assiégé, con- sés et des mourants. Enfin , après une
traignirent Scipion à exécuter ses travaux lutte prolongée et des efforts inouïs ,
gigantesques de circonvallation. Il lui fallut Scipion arriva devant Byrsa. Ce fut
marcher pas à pas dans celte lutte difficile.
alors que voulant se ménager un vaste
Il est même probable que , si les Romains,
emplacement pour les manœuvres de
par une perfidie plus que purique, n'eussent ses troupes, il fit mettre le feu au
enlevé d'abord aux Carthaginois , déçus par
l'espoir de conserver la paix , leurs armes , quartier de la ville qu'il venait de tra-
verser.
leurs machines et leurs vaisseaux, celte troi-
sième guerre se serait encore terminée par Incendie de Carthage ; cin-
quante mille Carthaginois de-
un traité et n'aurait pas eu pour résultat la mandent LA YIE ET SORTENT DE LA
ruine et la destruction de Carthage.» lil. Du-
reau de la Malle. citadelle ; Asdrubal et les
126 L'UNIVERS.
TRANSFUGES ROMAINS SE DEFENDENT veillait les soldats, les pressait et se
ENCORE DANS LE TEMPLE D'ESCULAPE; portait sur tous les points : c'était Sci-
146 avant notre Ère. — Pour avan- pion. Enfin le septième jour, se trou-
cer plus rapidement dans leur œuvre vant accablé de lassitude, il monta sur
de destruction, les. Romains ne se une éminence et s'assit dans un lieu
contentèrent pas de mettre le feu aux d'où il pouvait encore examiner
édifices et de les démolir par portions, se faisait dans son armée. En cetce ins-
qui
ils les sapèrent par la base afin de faire tant, on lui amena plusieurs Carthagi-
écrouler la masse entière. On vit alors nois. Ils venaient lui dire que tous ceux
une chose hideuse : des corps humains qui s'étaient enfermés dans l'enceinte
tombaient avec les décombres; c'étaient de la citadelle étaient prêts à se rendre,
les vieillards, les femmes et les enfants s'il promettait de ne pas les égorger.
qui jusqu'à ce moment étaient parvenus « Je vous le promets, dit Scipion;" les
à se dérober aux regards des vain- transfuges seuls n'obtiendront point de
queurs, en se cachant dans les réduits grâce. » Cinquante mille individus,
obscurs et dans les endroits secrets des hommes et femmes (*) , sortirent alors
maisons. Ces corps étaient broyés sous de Byrsa et furent mis sous bonne
les pieds des chevaux qui passaient et garde. Il ne restait plus dans la cita-
repassaient; puis , arrivaient avec des delle que neuf cents transfuges ,
haches, des crocs et des fourches, ceux Asdrubal , sa femme et ses deux en-
qui étaient chargés de déblayer le ter- fants.
rain. Ils enlevaient les monceaux de ASDRURAL ET LES TRANSFUGES SE
ruines et jetaient dans un même fossé, jettent dans le temple d'escu-
les poutres, les pierres, les cadavres et lape; Asdrubal se rend; incendie
les corps de ceux qui respiraient en- du temple; mort de la femme
core. «Ce n'était point par cruauté ni d'Asdrural ; conversation de
à dessein, dit un historien de l'anti- Scipion et de Polybe; 146 avant
quité , que les Romains agissaient notrebâtière.
ainsi. D'abord, ils étaient animés par était sur —un Le
roc temple
élevé , aud'Esculape
sommet
l'espoir d'une victoire prochaine; en- duquel on ne pouvait parvenir qu'en
suite le
, mouvement et l'agitation , la montant soixante degrés. C'est dans ce
voix des hérauts , les sons éclatants de temple que se jetèrent Asdrubal et les
la trompette , les commandements des transfuges. De ce lieu, ils pouvaient
tribuns et des centurions qui dirigeaient facilement repousser les assaillants et
soutenir longtemps encore les efforts
le travail des cohortes, tous ces'bruits de l'armée romaine. Ils se défendirent
enfin d'une ville prise et saccagée ins-
piraient aux soldats une sorte d'enivre- d'abord avec tout le courage qu'inspjre
ment et de fureur qui les empêchaient le désespoir; mais enfin, épuisés par les
de voir ce qu'il y avait d'horrible dans veilles, par la faim et par des combats
un pareil spectacle. » Dans ces dures sans cesse renouvelés, ils abandonnè-
paroles d'Appien, il est facile de saisir rent les alentours du temple et se ré-
les impressions de Polybe qui assista fugièrent dans les parties élevées de
à la ruine et à la destruction de Car- l'édifice. Ce fut alors qu'Asdrubal sup-
tilage, et qui ressentit, dans le camp pliant vint se rendre à Scipion. Le gé-
romain, à côté de Scipion, son élève et néral romain le fit asseoir à ses pieds ,
son ami , tout l'enthousiasme de la
victoire. et l'exposa ainsi prosterné et humilié ,
aux regards des transfuges. Ceux-ci ac-
L'armée romaine passa six jours et cablèrent d'abord leur ancien chef des
six nuits à déblayer le terrain qui était plus cruelles injures, ensuite ils mirent
couvert de ruines. Les soldats se suc- le feu au temple et tombèrent ensevelis
cédaient dans le travail, pour ne point
succomber aux veilles et à la fatigue. (*) Quarante mille hommes, suivant Flo-
Il y avait un homme cependant qui ne rus ; trente mille hommes et vingt-cinq mille
prenait ni sommeil, ni repos, qui sur- femmes, suivant Orose.
127
CARTHAGE.

sous ses ruines. Au moment où l'in- VINCE ROMAINE; 146 AVANT NOTRE
ère. — Scipion permit à son armée
cendie commençait à dévorer l'édifice, de piller les ruines de Carthage; tou-
la femme d'Asârubal , revêtue de ses
plus beaux vêtements, se présenta avec tefois, ilfit mettre en réserve l'or,
ses deux enfants, à la vue de Scipion; l'argent et les objets qui avaient été
elle lui cria avec force : « Romain, les consacrés aux dieux dans les temples.
dieux te sont favorables, puisqu'ils Puis, il donna une gratification à ses
t'accordent la victoire. Souviens-toi de soldats. ïl envoya alors à Rome un
punir Asdrubal qui a trahi sa patrie, vaisseau chargé de riches dépouilles,
ses dieux, sa femme et ses enfants. pour annoncer sa victoire. En même
Les génies qui protégeaient Carthage temps , il fit savoir aux peuples de la
s'uniront à toi pour cette œuvre de Sicile qu'il était prêt à leur restituer
vengeance. » Puis, se tournant vers tout ce qui leur avait été pris pendant
Asdrubal : « O le plus lâche et le plus leurs guerres avec les Carthaginois (*).
infâme des hommes! tu me verras
Ce fut un soir que l'on vit arriver
mourir ici avec mes deux enfants; mais à Rome le vaisseau envoyé par Sci-
bientôt tu sauras que mon sort est en- pion et quede l'on apprit laLanouvelle de
core moins à plaindre que le tien. Il- la ruine Carthage. joie fut
lustre chef de la puissante Carthage, grande dans la ville. Pendant la nuit,
tu orneras le triomphe de celui dont tu les citoyens s'abordaient, s'interro-
baise les pieds, et après ce triomphe, geaient et s'adressaient de mutuelles
tu recevras le châtiment que tu mé- félicitations. On racontait aussi les
rites. » En achevant ces mots, elle
guerres passées,
lait les divers et lorsqu'on
incidents rappe-
de la dernière
égorgea ses deux enfants et se précipita
avec eux au milieu des flammes. « Ce lutte, on trouvait qu'aucune victoire
n'était point la femme d'Asdrubal, dit n'était comparable à celle que venaient
Appien, qui devait terminer sa vie par de remporter Scipion et son armée.
cette mort héroïque , mais Asdrubal Le succès même était si grand, que
lui-même. » parfois on était tenté de n'y point
On raconte que Scipion , en voyant croire, et l'on entendait des gens qui
autour de lui tant de ruines accumu- disaient : « Mais est-il bien vrai que
lées, versa des larmes. Il pensait à la Carthage ait été détruite ? » Toute la
triste destinée de Carthage qui avait nuit se passa ainsi en joyeux propos et
été si longtemps riche et puissante. Il en manifestations de la plus vive allé-
lui arriva, au milieu de ses réflexions , gresse. Le lendemain , à la pointe du
de s'écrier avec Homère : jour , on se rendit aux temples pour
« Viendra un jour où périra Troie , faire des prières et des sacrifices. Après
la ville sacrée, et où périront avec elle avoir rendu aux dieux de solennelles
Priam et le peuple de Priam (*). » actions de grâces, on donna des jeux
Polybe, qui se trouvait à côté de au peuple, et les fêtes commencèrent.
Scipion, lui dit alors : « Quel sens at-
tachez-vous àces paroles? — C'est (*) « C'étaient,ditDiodore, des portraits
Rome qui occupe ma pensée, répondit peints de leurs hommes illustres , des sta-
tues exécutées avec un talent remarquable,
Scipion; je crains pour elle l'instabi- et des offrandes en or et en argenl qu'on
lité des choses humaines. Ne pourrait- avait faites à leurs dieux. Himère y retrouva
il point se faire qu'elle éprouvât un
jour les malheurs de Carthage? » sa statueet personnifiée
femme celle du poète sous les traitsSegeste,
Stésichore; d'une
Carthage ruinée; Scipion par-
tage LE BUTIN ENTRE SES SOLDATS ; sa Diane; Gela, plusieurs objets d'art; Agri-
joie a Rome a la nouvelle de la gente , le fameux taureau de Phalaris. Plu-
prise de Carthage; le territoire sieurs villes d'Italie et d'Afrique recouvrè-
rent alors , par la libéralité de Scipion , les
CARTHAGINOIS EST RÉDUIT EN PRO- objets précieux dont elles avaient été dé-
de la Malle. pouillées parles Carthaginois. » M. Dureau
(*) Iliade iv, v. 164 et i65.
128 L'UNIVERS.

Cependant, le sénat envoya en Afri- Pour connaître à fond Carthage et son


que dix commissaires choisis dans histoire , il faut aller plus avant et pé-
l'ordre des patriciens. Us devaient se nétrer, sinous pouvons nous exprimer
concerter avec Scipion pour régler le ainsi, dans les secrets de son organi-
sort de la province carthaginoise. A leur sation intérieure. Dès l'antiquité, ceux
arrivée, ils ordonnèrent de détruire qui ont écrit sur cette puissante répu-
ce qui restait encore de Carthage. Us blique ne se sont point bornés à con-
déclarèrent que nul, à l'avenir, ne se- signer, dans leurs livres, les guerres et
rait autorisé à bâtir sur l'emplacement les traités de paix ou d'alliance ; ils
de la ville ruinée , et surtout à l'en- ont encore étudié sa constitution poli-
droit où s'élevaient jadis les quartiers tique; son système d'administration;
de Byrsa et de Mégara. Puis, comme l'étendue de ses possessions , de son
s'ils avaient craint de voir les Cartha- commerce , de ses richesses et de ses
ginois sortir de leurs tombeaux , ils forces militaires; sa religion, etc. Nous
accompagnèrent cette défense de tout nous derproposons, à notre detour,
séparément chacun ces d'abor-
points,
l'appareil des cérémonies religieuses,
et ils prononcèrent au nom des dieux, et d'exposer, dans un court sommaire ,
contre celui qui viendrait habiter ces en nous appuyant sur l'autorité des
lieux maudits, de terribles impréca- écrivains de l'antiquité, tous les ren-
tions. Après avoir récompensé les peu- seignements quinous ont été trans-
ples et les villes qui avaient prêté aide mis sur cet important sujet (*).
et appui aux Romains , dans la der- Constitution. — A Carthage, le
nière guerre, et après avoir puni ceux pouvoir
qui étaient restés fidèles à Carthage, sante était aux Toutefois,
aristocratie. mains d'une
il nepuis-
fau-
les commissaires délégués par le sé- drait pas croire qu'entre cette aristo-
nat revinrent en Italie. Avant leur dé- cratie et celle que l'on rencontre à
part, ils avaient réduit en province Sparte ou à Rome, il existât une par-
faite ressemblance. En effet , à Car-
romaine toute la partie de l'Afrique
qui avait appartenu aux Carthagi- thage, iln'y avait point de noblesse
nois. fondée sur des souvenirs de conquête
Dans la même année ( 140 avant ou sur une gloire héréditaire, mais
notre ère ), on vit à Rome deux triom- une noblesse qui tirait en général tout
phes; Scipion et Mummius montèrent son éclat de l'étendue de ses richesses.
au Capitole, en étalant aux yeux d'un Il est vrai qu'à certaines époques , on
peuple immense les dépouilles des vil- vit s'élever dans la république des
les qu'ils avaient vaincues. Certes, les hommes qui acquirent une grande re-
deux triomphateurs étaient loin de nommée, et qui transmirent à leurs
familles, pour un temps plus ou moins
prévoir
victoire,qu'un Romesiècle à peine après
elle-même leur
essaierait long, toute leur illustration. Mais
de réparer ses propres injustices, et nous devons ajouter que ce fait ne se
que César, en léguant aux héritiers produisit que rarement dans l'histoire
de sa puissance le soin de relever Co- de Carthage ; et si les Magon , les Han-
rinthe et Carthage, croirait faire sa- non et les Rarca se virent en possession,
pendant de nombreuses années, des
tisfactionl'humanité
à outragée.
CONSTITUTION POLITIQUE ,
dignités de l'État et de la considéra-
tion publique , c'est que
milles, les richesses se ,perpétuaient
dans ces fa-
COLONIES ET AUTRES POSSESSIONS, AGRICUL-
TURE , COMMERCE, INDUSTRIE, ARMEES,
RELIGION ET LITTERATURE DES CARTHA-
GINOIS.
(*) Nous nous sommes aidé aussi des
travaux de la critique moderne, et nous
avons consulté fréquemment les chapitres
L'histoire du peuple carthaginois que Hecren a consacrés à Carthage, dans
n'est pas tout entière dans la série des son grand ouvrage sur la politique et le
événements que nous avons racontés.
commerce des peuples de l'antiquité
t29
CARTHAGE.
aussi bien que les vertus. Trois siècles semblée («ChraXvroç) paraît avoir été un
avant notre ère , Aristote avait saisi la corps délibérant ; c'était à Carthage ,
différence qui existait entre l'aristocra- f>our employer une expression moderne,
tie carthaginoise et l'aristocratie qui e pouvoir législatif, comme la petite
gouvernait Sparte. Il a insisté sur cette assemblée ftepouota) qu' Aristote appelle
distinction; et les faits qu'il a rassem- le conseil suprême, était le pouvoir
blés, à ce sujet, dans sa Politique, exécutif. Le conseil suprême , qui re-
nous fournissent sur la constitution çut la dénomination particulière de
de Carthage de précieux renseigne- •ytp&uffia, se composait de cent mem-
ments. Aristote nous a encore appris bres. Dans le principe, il n'avait été
que, dans la république, les riches qu'un démembrement de la grande as-
étaient les seuls qui parvinssent aux semblée un
, comité chargé spéciale-
magistratures. Il s'exprime formelle- ment de faire la police de l'État , et de
ment àcet égard : « On pense à Car- juger les magistrats et les généraux
thage, dit-il , que celui qui veut exer- prévaricateurs. Le conseil des Cent ne
cer une fonction publique doit avoir cessa point de se recruter parmi les
non-seulement de grandes qualités, notables de la république : mais peu a
mais encore de grandes richesses. » peu il se fit conférer des pouvoirs
Pouvoirs djï l'État; grande extraordinaires, et il finit par se ré-
ASSEMBLÉE (oÛfJW.YiTOç) ; CONSEIL SU- server laconnaissance des affaires les
PREME ou des Cent (-yepeiwa) ; as- plus importantes, et par s'arrogercir-le
semblées du peuple; suffètes; droit de décider dans les grandes
généraux: censeur des mœurs; constances. Ajoutons ici que plusieurs
attributions des differents pou- écrivains de l'antiquité ont compris
les deux assemblées sous le nom com-
VOIRS de l'État. — La grande as-
semblée (cu^)cXr(T0î) était un corps per- mun de synédrin (cwtëpwv).
manent qui se composait de l'élite des « La sphère du sénat à Cartha-
Carthaginois, c'est-à-dire , des hommes « ge , dit fieeren, en y réunissant
qui avaient acquis par leurs richesses « le grand conseil ( aû-yxXviT&ç ) et le
une, grande influence. Dans un État «conseil des Cent (^epouata), paraît
où les citoyens les plus notables sont « avoir été en général la même que
les citoyens les plus riches , les fonc- « celle (\u sénat romain. Toutes les
tions publiques ne sont point hérédi- « transactions avec l'étranger lui sont
taires. Comme nous l'avons dit, par « confiées. Les rois ou suffètes qui le
suite de l'instabilité des grandes for- « présidaient y font des rapports ; il
tunes, l'aristocratie carthaginoise de- «reçoit les ambassadeurs, il délibère
vait non point changer dans son es- « sur toutes les affaires d'État, et son
sence, mais se renouveler sans cesse.
« autorité était si grande qu'il décidait
La grande assemblée était soumise à « même de la guerre et de la paix ,
cette loi ; et vraisemblablement les «quoique, pour la forme, la ratifica-
places vacantes furent souvent rem- « tion allât quelquefois au peuple (*). »
plies par des hommes qui n'avaient Nous savons, en effet, qu'il existait à
reçu aucune illustration de leurs aïeux , Carthage des assemblées du peuple.
mais qui , à force de travail et de peine , Mais, comme l'a remarqué le savant
par le commerce ou par l'industrie, historien que nous venons de citer, ces
étaient parvenus à acquérir des richesses assemblées n'exerçaient point une in-
considérables. Les écrivains anciens
fluence réelle sur 'les affaires de PÊ-
ne nous ont point donné de renseigne- tat(**) .II arrivait toutefois qu'en certai-
ments sur l'organisation intérieure du
sénat carthaginois. Toutefois, d'après (*) Heereu , De la politique et du com-
quelques indications empruntées aux
merce, des peuples de l'antiquité, t. IV, ue
historiens, il nous est permis de croire la traduction française,]!. 140.
que les membres qui le composaient (**) En parlant ici de la constitution car-
étaient fort nombreux. La grande as- thaginoisenous
, n'avons en vue que l'épo-
9e Livraison. (Carthage.)
130 L'UNIVERS.

nés circonstances l'intervention du peu- rite était loin d'être illimitée , et ils ne
ple était jugée nécessaire. Quand les pouvaient , à eux seuls, contre-balancer
pouvoirs supérieurs, qui secomposnient la puissance du conseil des Cent et de
des deux assemblées et des suffètes , la grande assemblée. Il fallait, il est
n'étaient point d'accord, c'était le vrai, que, pour l'adoption des
peuple qui décidait. Les deux suffètes sures jugées indispensables par me-
les
ou rois étaient placés à la tête du gou- assemblées , ils donnassent leur ad-
vernement (*). Cependant leur auto- hésion. Quand celte adhésion man-
quaitle, sénat avait encore un moyen
que où la république par ses conquêtes, par
la grandeur et la nature de ses entreprises, de l'emporter. Il s'adressait au peuple,
qui décidait. Ce qui relevait la dignité
parle nombre des peuples tributaires, était
florissante et se trouvait à l'apogée de sa
des suffètes à Carthage, c'était moins
puissance et de sa splendeur. A celte époque, l'importance des fonctions que les
distinctions honorifiques. Ainsi, ils
le gouvernement , à Cartilage, était pure-
ment aristocratique et, comme nous l'avons
avaient la préséance dans les assem-
blées. Us étaient choisis parmi les
dit , le peuple n'avait dans les affaires de
l'Étal qu'une faible part d'action C'est le membres les plus influents du sé-
jeu des institutions qui étaient en vigueur, nat, mais leur élection était ratifiée
pendant cette période que nous venons d'ex- par le peuple. Leur pouvoir était
pliquer.^Tlus tard , au moment où Carlhà&e
à vie, et par conséquent soumis à
se trouva en contact avec Rome, et après l'élection. Nous voyons quelquefois les
de longue» guerres et de*; désastres multi- suffètes prendre en main le comman-
plies, il se lit dans la constitution de gra- dement des armées de terre et des
ves changements. Le peuple à son tour voulut
interwnir dans le gouvernement et se mé- flottes,inhérent
point mais se àcommandement leurs fonctions. n'était
Tout
nager dans les affaires de l'État une grande nous porte à croire, au contraire, que
influence. L'aristocratie soutint une lutte
opiniâtre contre cette prétention nouvelle l'on abandonnait plus volontiers aux
et elle accabla de toute sa haine la famille suffètes tration ce civile. quiLaconcernait
république l'adminis-
apportait
fiarca qui appuyait les réclamations de la
démocratie! Cependaùt,au temps des guerres le plus grand soin dans le choix de
puniques, les circonstances étaient changées, ses généraux : on prenait pour com-
et des événements imprévus nécessitaient, mander les armées, ceux qui, dans
peut-être, dans la constitution des réfor- les guerres, s'étaient distingues pat-
mes extraordinaires. Si l'aristocratie s'était leur courage ou leurs talents.D'abord
prêtée de son plein gré aux rélorn.i s deman- c'était le conseil supérieur oit des Cent
dées par le peuple, Carthage eût peut-être qui nommait; ensuite la grande as-
échappé aux humiliations et aux malheurs semblée etle peuple sanctionnaient la
sans nombre qui vinrent fondre sur elle pen- nomination. En plusieurs circonstan-
dant un demi siècle (202-146 avant notre ère);
ces, lechoix fut laissé à l'armée elle-
peut-être aussi eût-elle évité une entière des- même; ainsi, pendant la guerre des
truction. C'est l'opinion de Montesquieu : Mercenaires, au moment où un funeste
«Carthage, dit-il, périt parce que, lorsqu'il dissentiment éclata entre Lannon et
fallut retrancher les abus, elle ne put souf- Amilcar, les soldats reçurent pouvoir
frir lamain de son Annibal mèmv.»(Grandeur
et décadence des Romains, ch. viii.) Anni- d'élire un chef unique : "ils se pronon-
bal, on le sait, fut, après Amilcar son père, cèrent, on Je sait , en faveur d'Amilcar.
le chef du parti démocratique. Au reste, Enfin , pour terminer cette no-
nous avons raconté plus haut, avec quelque menclature ,nous dirons que Cor-
étendue, les changements survenus dans la nélius I\epos parle d'un magistrat qui ,
constitution de Carthage et la lutte de la
démocratie contre l'aristocratie. Voyez prin- le gouvernement républicain. Malchus, qui
cipalement p.80, 97 et suiv. , io3, 108, commanda en Sicile et en Sardaigne (536-5 3o
109, 121 et suiv. avant notre ère) , est le premier Carthagi-
(*) Suivant les traditions , le gouverne- nois qui, dans l'histoire, porte le titre de
ment monarchique avait précédé, à Carthage, suffète. Voy. plus haut, p. 3.
CAR.THAGE. 131

à Carthage , aurait été revêtu des fonc- par ce monopole, qui était loin de
tions de censeur des mœurs. contribuer à la prospérité des colonies ,
Nous ne pouvons nous arrêter sur la république gagnait d'incalculables
les institutions judiciaires des Cartha- richesses. La métropole avait soin de
ginois, car nous n'avons sur ces insti- transporter, là où elle établissait des
tutions que des données incomplètes. colons, ses dieux et son culte. La con-
Nous savons cependant qu'il existait formité des croyances religieuses était
des magistrats spéciaux pour juger les assurément un lien puissant; mais Car-
affaires civiles et criminelles.
Système de gouvernement a moyens thagepour
eut encoreretenirrecours à d'autres
les colonies sous
l'égard des peuples tributaires sa dépendance. Elle plaçait dans cha-
sur le continent africain et des cune d'elles des magistrats carthaginois
colonies. — Carthage tenait dans une chargés de l'administration civile et mili-
étroite dépendance toutes les villes qui taire, etsouvent elle adjoignait aces ma-
lui étaient soumises sur le continent gistrats une garnison de mercenaires.
africain. Loin de leur conférer des Étendue de la puissance car-
privilèges étendus, elle les traitait en thaginoipeuples
se ; soumis a Car-
villes conquises, et elle montra parfois thage SUR LE CONTINENT AFRICAIN ;
à leur égard une extrême dureté. Elle colonies. — Carthage, après sa fon-
leur faisait payer de lourds impôts, dation, setrouva en lutte avec les peu-
et, lorsqu'il s'agissait de percevoir, ples qui l'avoisinaient. Elle triompha
fisc de la république procédait avec unele cependant, et elle compta enfin au
inflexible rigueur. Les gouverneurs nombre de ses tributaires tous les enne-
délégués pour administrer les villes mis qui l'avaient attaquée. Par un long
avaient mission, avant tout, de faire contact, les hommes qui habitaient
entrer de grosses sommes dans le tré- autour de Carthage et de quelques au-
sor public , et les percepteurs em tres établissements phéniciens se mê-
ployaient souvent d'énergiques moyens lèrent peu à peu aux colons venus de ïyr
pour extorquer l'argent des tributaires. ou de Sidon,et, par suite de la fusion
Les habitants des campagnes n'étaient qui s'était opérée, ils reçurent le nom
pas traités avec plus de modération, de Liby-Phéniciens. Dans les provinces
et, en plusieurs circonstances, on en- voisines de Carthage s'élevèrent
leva aux cultivateurs propriétaires la tôt des villes nombreuses, et le solbien-
fut
moitié de leurs revenus. Les habitants embelli et fertilisé par une savante
des villes et des campagnes qui res- agriculture. Indépendamment des peu-
taient soumis par la force gardaient le ples sédentaires qui s'étaient presque
souvenir de ces odieuses exactions, et assimilés aux Phéniciens, il y avait
lorsqu'un ennemi mettait le pied sur encore des nomades qui s'étaient sou-
le sol de Carthage, ils se rangeaient de mis à la puissance carthaginoise. A
son côté et lui prêtaient aide et appui. l'ouest, quelques-unes des peuplades
Cette haine des peuples tributaires de la Numidie payaient un tribut. Au
contre la république se manifesta sur- midi, jusqu'au lac Triton, et à l'est,
tout avec violence à l'époque de la jusqu'à la gronde Syrte, on distinguait
guerre des Mercenaires (*). parmi les tributaires de Carthage les
Carthage suivit la même règle de Ausenses, les Maxyes, les Machlyes,
conduite à l'égard de ses colonies. Elle les Lotophages et 'les Nasamons. La
leur lit sentir quelquefois sa préémi- soumission ou l'alliance de toutes ces
nence d'une manière tyrannique. Ainsi, tribus était précieuse à la république;
elle les obligeait à fermer leurs ports les unes lui servaient de barrière contre
aux marchands étrangers. C'était à les invasions, et les autres, en trans-
Carthage seulement qu'on achetait les portant ses denrées jusqu'aux rives du
produits des contrées lointaines, et Niger, facilitaient son commerce dans
l'intérieur de l'Afrique. ■»
(*) Voyez plus haut, p. 68 et 69. Colonies. — Il ne faut pas ranger
9.
132 L'UNIVERS*
au nombre des colonies carthaginoises dans mille entreprises diverses qui
certaines villes qui peut-être, bien toutes eurent
moment un plein
où elle succèsen, jusqu'au
se trouva contact
avant Carthage elle-même, avaient été
fondées par des Phéniciens sur les côtes avec les Romains.
de l'Afrique. Salluste nous apprend Sardaigne. — Justin parle d'une
que la plupart des villes du littoral, expédition des Carthaginois contre la
aux environs de Carthage, telles qu'A- Sardaigne. Cette expédition, qui eut
drumète,Hippo-Zarytes,la petite Lep- lieu vraisemblablement entre 600 et
tis, devaient leur origine à des émigra- 550 , est une des premières que Car-
tions phéniciennes. Il en était de même thage ait dirigées contre cette île. La
pour Utique et la grande Leptis. La Sardaigne était, sans contredit, une
ville d'Utique formait un Etat indé- des possessions les plus importantes
pendant et n'était point soumise à des Carthaginois dans la Méditerranée.
Carthage. Dans deux traités que Po- Tous les peuples de l'île furent soumis ,
lybe nous a conservés et qui furent à l'exception de quelques indigènes qui
faits avec les Romains (509 et 348 se retirèrent dans les montagnes. Les
avant notre ère), et encore dans un Carthaginois, pour assurer leurs éta-
autre traité qui fut conclu avec Phi- blissements dans ce pays qui leur
lippe, roi de Macédoine, à l'époque de offrait de précieuses ressources, fon-
la seconde guerre punique, les Cartha- dèrent deux villes, Caralis et Sulchi.
ginois mentionnèrent Utique comme La Sardaigne est mentionnée expres-
ville alliée et non point comme ville sément dans les deux premiers traités
tributaire. Il semble même , d'après ces que Carthage
traités , qu'ils la placèrent sur le même de ces traités,fit les
avecRomains
Rome. Par l'un
peuvent
rang que Carthage. entretenir des relations commerciales
Après avoir donné une nomencla- avec la Libye, c'est-à-dire, avec les
ture des villes et des ports qui se trou- habitants du territoire carthaginois en
vent sur la côte septentrionale de Afrique, et avecleur la Sardaigne; par l'au-
l'Afrique jusqu'aux colonnes d'Her- tre, Carthage défend de naviguer
cule, Scylax ajoute: «Les villes et vers ces deux pays. La Sardaigne, nous
places commerçantes, depuis les Hes- le répétons , était pour les Carthaginois
pérides (la grande Syrte) jusqu'aux co- une précieuse acquisition , car elle leur
fournissait du blé en abondance, et,
lonnes d'Hercule , appartiennent toutes
aux Carthaginois. » Carthage en effet, dans les temps de guerre, elle fut plus
dans un but commercial, avait fondé d'une fois le grenier de Carthage.
des établissements nombreux sur le Corse. — La possession de la Corse
littoral africain, ou bien encore elle n'offrait pas les mêmes avantages.
avait placé des comptoirs dans les villes Toutefois, les Carthaginois, sans trop
qui ne lui devaient point leur origine. se soucier d'une contrée qui ne devait
Carthage, par sa position et par la pas leur rapporter de grands profits,
nature de ses entreprises, était animée ne se montrèrent point indifférents
de l'esprit de conquête. Il fallait pour lorsqu'il s'agit de savoir à qui appar-
les intérêts de son commerce, qui re- tiendraient lescôtes de la Corse. Ainsi ,
cevait chaque jour de nouveaux déve- quand les Phocéens, fuyant la domi-
loppements ,qu'elle accrût et multipliât nation des Perses, vinrent chercher
ses possessions dans l'intérieur des dans l'île une nouvelle patrie et y fon-
terres et au delà des mers. Elle com-
battait sans cesse pour acquérir, dans rent dèrent Alalia, les Carthaginois
aux Etrusques s'uni-
pour les expulser.
les provinces qui l'a et voisinaient, de Les Phocéens cédèrent à une coalition
nouveaux territoires de nouveaux si puissante, et ils se dirigèrent vers
alliés, et pour placer, dans les contrées un autre pays pour trouver enfin un
lointaines explorées par ses naviga- asile et un durable établissement. La
teursdes
, colonies ou des comptoirs. Sardaigne et la Corse appartenaient à
Cette nécessité de s'agrandir la jeta Carthage, lorsque les Romains se rea-
CARTHAGE. 133

dirent maîtres de ces deux îles en 237, Romains n'avaient franchi le détroit de
au moment où finissait la guerre des Messine pour descendre à leur tour'
Mercenaires. dans cette sanglante arène. Il résulta
Sicile. — On connaît assez la po- de cette guerre, dont les succès étaient
sition et l'état florissant de la Sicile partagés, que en l'étendue
dans l'antiquité, pour savoir combien carthaginois, Sicile,duvaria
territoir-
sane
sa possession devait être utile à Car- cesse. Tantôt les Syracusains étaiens
tilage. Mais jamais la commerçante réduits à défendre leurs propres mut
railles, tantôt Carthage ne conservait
cité, malgré
parvint ses efforts
à la posséder dans réitérés*, ne
son entier. en Sicile que Motya ou Lilybée. Ce-
Elle rencontra sans cesse des obstacles , pendant, depuis l'année 383, le petit
et le plus grand fut assurément la ri- fleuve Halykus était regardé comme
valité 4es Syracusains, qui, eux aussi, une ligne de démarcation entre les deux-
voulaient dominer en maîtres absolus parties belligérantes. On sait, par le
dans toute l'étendue de la Sicile. Ce qui récit qui précède, comment, après une
ouvrit à Carthage l'entrée de l'île, ce guerre qui avait duré plus de vingt
fut d'abord sa parenté avec Eryx,Panor- ans, les Carthaginois, vaincus par les
me , Motya, Soloes, Lilybée, et quelques Romains, furent obligés de renoncer
autres villes qui étaient d'origine phé- a la conquête de la Sicile.
nicienne; ensuite les rivalités qui exis- Iles Baléares. — S'il faut en croire
taient entre les différentes colonies grec- Diodore, Carthage eut des relations
ques. Après avoir fondé leurs premiers avec les îles Baléares deux siècles seu-
établissements sur la côte qui avoisine lement après sa fondation. Les Cartha-
Lilybée, les Carthaginois ne tardèrent ginois surent apprécier de bonne heure
point à s'étendre, et à pousser leurs toute l'importance de ces îles. Ils y
conquêtes jusque dans la partie orien- fondèrent une ville, Éréstis, qui offrait
tale de la contrée. Nous devons remar- aux navigateurs un excellent port, et
quer ici que, par suite du système de qui brillait par la beauté de ses édifices.
gouvernement adopté par la métropole Les îles Baléares servaient d'entrepôt
a l'égard de ses colonies, les villes aux marchands qui allaient en Espa-
carthaginoises de la Sicile ne furent gne, et elles fournissaient aux ar-
jamais bien florissantes. Carthage les mées de Carthage des soldats renom-
maintenait dans un rang très-inférieur més [tour leur habileté à lancer au loin
au sien, et ces villes, gênées dans leur des projectiles , et surtout à se servir
développement, ne pouvaient rivaliser de la fronde.
avec les colonies grecques ni par leur Petites îles de la Méditerra-
splendeur ni par leur population. Ce- née. — Entre l'Afrique et la Sicile on
pendant Carthage connaissait toute voyait les deux îles de Gaulos et de
l'importance d'une bonne position en Mélita, qui , à une époque fort recu-
Sicile. A partir du jour ou elle eut dans lée, avaient appartenu aux Phéniciens.
la partie occidentale de l'île de solides Carthage s'en empara, et elles lui ser-
établissements, elle devint conqué- virent de stations pour son commerce.
rante, et, comme nous l'avons dit, A Mélita ( Malte ) se trouvaient de
elle essaya de s'agrandir. Ce fut alors nombreuses manufactures pour la fa-
qu'une guerre terrible éclata entre elle brication des tissus. Dans ces îles, com-
et les Syracusains ses rivaux. Dans me dans toutes les autres possessions
cette guerre qui dura plusieurs siècles de la république, il y avait une garni-
(de l'an 41 0 à l'an 264 avant notre ère) , son de mercenaires à laquelle était
les Carthaginois prodiguèrent leurs préposé un officier carthaginois.
trésors et leurs soldats; ils ne se lais- Espagne. — Il serait difficile de pré-
sèrent point abattre par les succès de ciser letemps où Carthage mit le pied
Gélon , de Denys l'Ancien et d'Agatho- pour la première fois sur le sol de
cle, et l'on ne saurait dire quelle au- l'Espagne. Toutefois, il est avéré que
rait été l'issue de la lutte, si les déjà, à une époque fort ancienne, les
134 L'UNIVERS.
Carthaginois envoyèrent des colons sur Himilcon explorait la côte occidentale
les côtes de Vlbérie. Nous savons , au de l'Europe. Les fragments de Festus
reste, que les Phéniciens les avaient Avienus, qui parle de ce périple, ne
devancés en fondant des établissements nous apprennent rien de certain sur
célèbres, Gadès entre autres, sur la le but et le résultat du voyage d'Hi-
milcon.
côte méridionale de l'Espagne. Les
rapports de Carthage florissante avec Trésor public; ses revenus. —
la péninsule ibérique furent tout paci- Le trésor public, à Carthage, se rem-
fiques. Plus tard seulement, quand la plissait facilement, soit par la rentrée
république, épuisée par de longues guer- des impôts et des tributs , soit par la
res ,se vit enlever par les Romains la part considérable que l'État se réser-
Sicile . la Corse et la Sardaigne, elle vait dans les découvertes importantes
changeapagne :de que faisaient chaque jour ses colons
ellesystème à l'égard plus
ne se contenta de l'Es-
des ou ses navigateurs. En ce qui concerne
établissements fondés sur les cotes par cette dernière branche de revenus,
les Phéniciens ou par elle-même; elle Carthage, comme nous l'avons dit pré-
essaya de pénétrer dans l'intérieur du cédemment, trouva dans l'exploitation
pays, de conquérir de grandes provin- des mines de l'Espagne d'inépuisables
ces et de compenser ainsi les pertes richesses. Les revenus fixes et régu-
considérables qu'elle avait faites. Là , liers consistaient dans les tributs que
en effet, les produits de la terre et les payaient les peuples soumis. Les villes,
mines à peine explorées étaient encore dans toute l'étendue des possessions
pour elle une source abondante de ri- carthaginoises, donnaient de l'argent ;
chesses. Nous ne rappellerons point les cultivateurs, et en général ceux qui
ici la lutte qu'elle soutint dans la pé- n'habitaient pointenvers
taient en nature la côte, s'acquit-
le fisc et ses
ninsule ibérique pour consolider ses
établissements et assurer ses conquê- agents. La Sardaigne et la Sicile en-
tes, car nous avons résumé plus haut voyaient leblé qui servait aux appro-
l'histoire de la domination carthagi- visionnements publics. Carthage s'en-
noise en Espagne. richissait aussi par les droits qu'elle
Carthage n'avait point de colonies en percevait à l'entrée de> ports de la ca-
Gaule et en Italie. Dans la première pitale etdes colonies. Bien souvent elle
de ces deux contrées, Massilia, fon- se procura de l'argent par la pirate-
dée par les Phocéens ses ennemis, rie. Parfois elle confisqua la charge des
dans la seconde, Rome et les villes vaisseaux qui stationnaient dans son
de la Campanie, lui faisaient une trop port; mais elle n'avait recours à ces
redoutable concurrence. Il paraît ce- moyens violents que dans les moments
pendant qu'elle eut de fréquents rap- de détresse et lorsque de grands dan-
ports avec la Gaule, car on voit des gers la menaçaient, comme à l'époque
légions entières de Gaulois dans ses
armées de mercenaires. de la fois,guerre hâtons-nous "des Mercenaires.
de le dire, quand Toute-le
côtes occidentales de l'afri- péril s'était éloigné, quand le calme
que et de l'Europe ; Périples renaissait,
tuer, et elle elle s'empressait
indemnisait de resti-
les marchands
d'Hannon et d'Himilcon. — Les
Carthaginois franchirent le détroit de qui avaient eu à souffrir de ses injus-
Gadès et ils explorèrent une partie des tes saisies. Ce qui contribua principa-
côtes occidentales de l'Afrique et de lement àrendre Carthage riche et flo-
l'Europe. Nous savons que le roi Han- ris ante, cefut la prospérité de chacun
non fut chargé de passer le détroit et des individus soumis à ses lois. En
de fonder des colonies sur différents effet, par lagriculture, le commerce
points de la côte africaine. I! condui- et l'industrie, presque tous étaient
sait avec lui trente mille Liby-Phéni- parvenus
ciens qui devaient peupler les nouveaux bien-être. à se procurer l'aisance et le
établissements. A la même époque, Agriculture. — Les Carthaginois
135
CARTHAGE.
habituèrent de bonne heure à la vie n'était pas seulement pratiquée dans
rurale les populations indigènes qui les toutes ses branches, mais encore trai-
avoisinaieni. Eux-mêmes ne se portè- tée dans des écrits que les Romains
rent point exclusivement vers le com- ne dédaignèrent pas de faire traduire
merce ou l'industrie ; ils s'adonnèrent dans
aussi aux travaux de la campagne. avons leur langue à (voy.
consacré l'alinéa que
la littérature des nous
Car-
L'agriculture, dans les terres de la thaginois). Le savant historien ajoute :
domination carthaginoise, était parve- «« AtureCarthage
nue àun haut degré de perfectionne- semble , même l'amouravoir
de Pagricul-
surpassé
ment. Les étrangers qui parcouraient «■ l'amour pour le commerce. Dans
les environs de Carthage, traversaient, « l'antiquité, l'état de commerçant
non sans admiration, les campagnes, « n'était pas le plus estimé, et iT est
que de savants procédés avaient trans- « vraisemblable que les Carthaginois
formées en de véritables jardins. «La « eurent à cet égard une opinion con-
« contrée qu'Agathocle, après son dé- « forme à celle des autres peuples.
« barquement en Afrique, traversa à « Nous savons que les grandes familles
« la tête de son armée, était, suivant « de la république possédaientdes biens-
« Diodore , couverte de jardins , de ft fonds et vivaient de leurs revenus,
« plantations, et coupée de canaux qui « mais nous ne trouvons aucun fait
« servaient à les arroser. De superbes « qui prouve qu'elles aient fait quelque
« maisons de campagne décelaient les « négoce. » Ici, nous le croyons, Hee-
« richesses des propriétaires. Ces de- ren s'est exprimé avec quelque exagé-
« meures offraient toutes les commo- ration ,mais il n'en reste pas moins
« dites de la vie, car, dans l'intervalle démontré jusqu'à l'évidence, par le té-
« d'une longue paix , les habitants y moignage des écrivains de l'antiquité,
« avaient entassé tout ce qui peut flat- que les Carthaginois , tout en se livrant
te ter la sensualité. Le sol était planté au commerce et à l'industrie, donnè-
« de vignes, d'oliviers et d'autres ar- rent les plus grands soins aux travaux
« bres fruitiers. D'un côté s'étendaient de l'agriculture.
« des prairies où paissaient des trou- Commerce et industrie. — Car-
« peaux de bœufs et de brebis; de l'au- thagetrepôtfutdetoutes
pendantlesplusieurs
« tre, dans les contrées basses, se trou- richesses siècles l'en-
du monde
ancien. Ses vaisseaux lui amenaient
« vaient d'immenses haras. On voyait
« partout l'aisance, car les Carthàgi- chaque jour les produits des contrées
« nois les plus distingués y avaient des les plus lointaines, et ses caravanes,
« possessions et rivalisaient de luxe. » qui traversaient les déserts, appor-
Polybe nous apprend que la campagne taient les trésors de l'intérieur de l'A-
de Carthage offrait encore le même frique H même de l'Orient (*).
aspect au moment où l'armée de Re- Commerce par mer. — On peut
gulus descendit en Afrique, c'est-à- juger de retendue du commerce mari-
dire cinquante ans après l'expédition time de Carthage par le nombre de ses
d'Agathocle. Entre toutes les pro- colonies. Nous avons énuméré précé-
vinces que les Carthaginois possédaient demment les villes et les provinces qui
sur le sol de l'Afrique, la By/acène avaient reçu ses colons ou qui étaient
i-enait le premier rang par son extrême soumises a"sa domination. De tous ces
fécondité. « Cette contrée habitée par points divers arrivaient dans ses ports
« des Libyens, dit Scylax , est très-ter- des vaisseaux chargés de précieuses
ri tile et elle offre un magnifique aspect. marchandises. Carthage, nous l'avons
« Elle abonde en troupeaux, et ses dit , recevait de la Sicile et de la Sar-
« habitants sont très-riches. » daigne de grandes provisions de blé ,
Heeren a fait une remarque impor-
tante que nous devons rappeler ici , (*) Voyez sur le commerce de Carthage
c'est que , dans les provinces de l'Afri- Wilhelm Bôtticher {Geschichte der Cartha-
que soumises à Carthage, l'agriculture ger), p, 66 et suiv. Berlin, 1827.
136 L'UNIVERS.
mais elle prenait encore dans ces deux stations du désert , depuis l'Egypte jus-
îles , ainsi que dans la Corse , du miel qu'à Ammonium, et depuis Ammonium
et de la cire. Il est vraisemblable que jusqu'à la grande Leptis, ou jusqu'aux
les Carthaginois exploitèrent les mines tentes des premières tribus nomades
de métaux qui sont en Sardaigne , et soumises à Carthage, elles transmet-
que, pour leur commerce de pierres taient les trésors de l'Orient. D'un
fines, ils surent tirer profit des sar- autre côté , le commerce par terre
doines que l'on rencontre fréquemment s'étendait jusqu'au Niger, ou les Car-
dans ce pays. Ils trouvaient à Lipara thaginois envoyaient du sel et d'autres
et dans les petites îles qui l'entourent, produits, et recevaient des grains d'or
du bitume, et à Ilva (l'île d'Elbe) en échange. Outre les grains d'or, les
du minerai de fer. Les îles Baléares,
où ils achetaient de nombreux escla- Carthaginois tiraient de l'intérieur de
ves, leur fournissaient en outre du l'Afrique des esclaves noirs, des dattes
et des pierres précieuses, que Pline
vin , de l'huile et une laine très-fine et appelle Carbunculi carchedonii. Les
tres-recherchée. Les mulets des îles peuples nomades étaient, si nous pou-
Baléares étaient aussi fort estimés. vons nous exprimer ainsi, les inter-
Les produits naturels de l'Espagne médiaires de ce grand commerce. Ils
formaient une branche très-importante se chargeaient de porter les marchan-
du commerce de Carthage. Mais ce dises à leur destination. Cependant
qui attira principalement l'attention les Carthaginois eux - mêmes se joi-
de la république vers l'Espagne, ce fut gnaient quelquefois aux caravanes, et
l'exploitation des mines, qui produi- nous savons qu'un certain Magon ,
saient alors abondamment et qui marchand de Carthage, fit trois fois
étaient pour elle la source d'immenses le voyage du désert.
richesses. Tout nous porte à croire Industrie. — A Carthage , il y avait
que les Carthaginois comme les Phé- plus de commerce que d'industrie. Les
niciens firent un grand commerce avec Carthaginois échangeaient souvent ,
les côtes occidentales de l'Afrique et sans les livrer à la fabrication , les
de l'Europe. Les vaisseaux de Car- produits
les contrées qu'ilslointaines. allaient recueillir
Toutefois,dansla
thage, après avoir franchi le détroit
de Gaclès, montaient au nord jusqu'aux magnificence et le luxe qui éclataient
îles Cassitérides, d'où ils revenaient à Carthage attestent que , dans cette
chargés d'étain ; on prétend même ville florissante, les arts manuels
qu'ils allaient chercher l'ambre jusque étaient pratiqués et cultivés avec soin.
sur les côtes de la mer Baltique. Car- Certaines branches de l'industrie re-
thage entretint aussi des relations avec çurent chez les Carthaginois de grands
la Gaule, malgré la concurrence de âéveloppements; nous citerons , entre
Massilia. autres , la fabrication des tissus. Dans
Dans la partie orientale de la Mé- l'antiquité, les étoffes qui sortaient
diter anée, lecommerce des Cartha- des fabriques carthaginoises étaient
ginois était beaucoup moins étendu fort recherchées. Athénée nous ap-
?[ue dans la partie occidentale. Toute- prend qu'un Grec, nommé Polémon ,
ois, ils avaient encore, pour les pro- avait fait un traité spécial sur la fa-
duits de leur industrie, de nombreux brication de ces étoffes (*). Carthage
débouchés en Grèce et en Italie. C'é- possédaitbreuses
, dans l'île de qui
Malte , de nom-
tait là principalement que, outre les manufactures produisaient
pierres fines et les esclaves noirs, ils des tissus renommés pour leur finesse
vendaient les objets sortis de leurs ma- et leur beauté.
nufactures.
Monnaies. — Frappait-on , à Car-
Commerce par terre. —Le com-
thage, des monnaies d'or et d'argent?
merce par terre était très-actif et très-
étendu. Des caravanes arrivaient du
(*) L'ouvrage de Polémon était iniitulé ;
fond de l'Arabie , et , passant par les
CARTHAGE

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CARTHAGE.
13?
divers commandements des armées,
C'est là une question que les numis-
mates n'ont point encore résolue. Il La légion composée de Carthaginois
existe des monnaies qui ont été frap- était peu nombreuse. Si l'on en croit
pées par les Carthaginois dans les villes Diodore , il arriva une fois que , dans
de la Sicile , et qui portent une inscrip- une armée de soixante et dix mille
tion punique. Il est vraisemblable que hommes, on ne compta que deux
la métropole n'attendit point l'exemple mille cinq cents Carthaginois. « Le
de ses colonies pour avoir une mon- « nombre des citoyens carthaginois
naie. Toutefois, il est à peu près cer- « qui servaient dans les armées , dit
tain que les Carthaginois apprirent « Heeren , n'était jamais considérable.
dans les villes grecques de la Sicile les « Les peuples tributaires de l'Afrique ,
éléments de l'art numismatique. Si, « que Polybe appelle toujours Libyens,
dans les premiers siècles qui suivirent « formaient l'élite des troupes. Ils
sa fondation , Carthage n'eut point de « combattaient à cheval ou à pied, et
monnaies , c'est que dans les pays où « ils étaient le noyau de la grosse ca-
elle pénétrait le commerce se faisait « valerie et de la grosse infanterie. Ils
par échange.
Forces militaires de Car- ««. nibal
portaient de longues
changea , après piques qu'An-
la bataille de
thage ;ARMÉES NAVALES. — NOUS « Trasimène , contre des armes ro-
croyons indispensable de donner ici « maines. A côté de ces troupes se
quelques détails sur les forces militaires « rangeaient les Espagnols et les Gau-
de Carthage , sur ses armées de terre « lois. Les soldats espagnols étaient
et de mer. Au rapport des historiens, « les plus disci plinés des armées de la ré-
il y avait deux aux
portsvaissaux
à Carthage; l'un « publique ; ils faisaient ordinairement
était destiné du com- « le service de la grosse infanterie. Ils
merce, l'autrecontenaitaux vaisseaux de guerre. «■ portaient des habits blancs de lin
Ce dernier ordinairement «avec des ornements rouges; une
cent cinquante et deux cents galères. « grande épée, qui pouvait tout à la fois
Dans les premiers temps de la répu- « frapper et percer , était la principale
blique, les vaisseaux étaient tous à « de leurs armes. Les Gaulois com-
trois rangs de rames. Mais les forces « battirent de bonne heure dans les
navales de Carthage s'accrurent consi- « rangs carthaginois. Dans la bataille
en lutte avec dles érablement l'époque
à Romains.oùAlors
elle entra
aussi '< ils étaient nus jusqu'à la ceinture, et
« n'avaient qu'un sabre pour frapper
les Carthaginois firent de grands pro- « l'ennemi. L'Italie grossissait le nom-
grès dans l'art de construire les vais- « bre des mercenaires de Carthage.
seaux. En effet, nous voyons que, « Les Liguriens paraissent dans ses
dans un combat livré à Régulus, la « armées au commencement de la lutte
flotte carthaginoise se composait de « contre Rome , et les Campaniens
trois cent cinquante galères , à cinq « déjà à l'époque des guerres contre
rangs de rames. Chaque galère portait « Syracuse. La république avait aussi
cent vingt combattants et trois cents « des Grecs à son service. Les îles Ea-
hommes pour la manoeuvre. « léares fournissaient à Carthage jus-
Armées de terre. — Les armées «'qu'à mille soldats. Us portaient une
de terre entretenues par la république « fronde qui avait presque l'effet de
étaient considérables. Elles se com- « nos petites armes à feu , car les
posaient de soldats mercenaires que «« pierres qu'elles lançaient brisaient
Carthage avait levés en différents pays. les boucliers et les cuirasses. Dans
Cependant, dans chaque corps d'ar- « une bataille contre les habitants de
mée, ily avait une troupe où les Car- « Syracuse , ils assurèrent , par leur
thaginois seuls étaient admis. C'étaient « adresse , la victoire aux-Carthaginois.
les fils des grandes familles qui ve- « Mais la force principale des armées
naient s'exercer au métier des armes a de Carthage consistait en cavalerie
et se préparer, dans les combats, aux , « légère, que la république tirait des
138 L'UNIVERS.
« tribus nomades placées sur les deux pour trois cents éléphants et quatre
« côtés de son territoire. Toutes ces mille chevaux. Il y avait des logements
«(tribus, depuis les Massyliens liini- pour vingt mille fantassins, et des ma-
« trophes jusqu'aux Maurusiens de- gasins remplis de ce qui était néces-
« meurant dans le Fez et le Maroc saire àla subsistance des hommes et
« modernes, avaient l'habitude de se des animaux employés à la guerre (voy.
« battre dans les armées des Carthagi- plus bas la Topographie de Car thagè).
« nois, et d'être à la solde de cette na- Le récit de la lutte terrible et dan-
« tion. La levée des troupes était faite , gereuse que les Carthaginois eurent à
« dans les provinces de l'Afrique .aussi soutenir contre leurs propres soldats
«bien qu'en Europe, par des séna- après la première guerre punique (*) ,
« teurs députés qui pénétraient jus- nous dispense d'entrer ici dans de lon-
«« qu'aux contrées les plus lointaines. gues considérations sur les avantages
Les cavaliers numides couraient sur ou les périls réservés aux États qui en-
«de petits chevaux non sellés, qui tretiennent des armées composées
« él aient dressés à des évolutions ra- tout entières de mercenaires. En ter-
« pides, et qu'ils dirigeaient sans frein. minant ce que nous avions à dire du
«« fournissait
La [H'.'ui d'unà lalion ou d'un tigre leur système militaire des Carthaginois,
fois un vêtement et nous devons encore faire une remar-
« une couche pendant la nuit; et, lors- que ,c'est que les Romains essayèrent
« qu'ils combattaient à pied , un mor- constamment , depuis le jour où pour
« ceau de peau d'éléphant leur servait la première fois ils franchirent le dé-
« de bouclier. Leur attaque était ter- troit de Messine, de détacher de Car-
« rible à cause de l'agilité de leurs thage toutes les provinces où elle en-
« chevaux ; et la fuite n'avait rien de rôlait des mercenaires. Ils lui enlevèrent
« honteux pour eux, puisqu'ils fuyaient la Sicile, la Corse et la Sardaigne; ils
« seulement pour faire une nouvelle at- s'allièrent aux Phocéens de Marseille
« taque. La grosse cavalerie se compo- et à quelques-unes des nations qui ha-
« sait , suivant Polybe, de Carthagi- bitaient le midi de la Gaule; en Es-
«« Gaulois.
nois, de »Libyens, d'Espagnols et de pagne, par des actes de clémence et de
Dans les armées de Car- générosité , ils se concilièrent un grand
tilage, on voyait aussi des éléphants nombre de peuples; enfin, en Mauri-
qui étaient guidés par des Éthiopiens. tanie et en ISumidie , à force d'adresse,
Heeren suppose que ce ne fut qu'après ils se firent des amis nombreux et dé-
les guerres de Pyrrhus, en Sicile, que voués. Cette politique réussit aux Ro-
mains, qui anéantirent ainsi peu à peu,
les Carthaginois'
maux dans les batailles. employèrent ees ani-
mieux qu'ils ne l'auraient fait par de
Pour une partie de l'armée soudoyée grandes batailles, toutes les forces des
par Carthage , le service militaire était Carthaginois.
permanent. Ainsi , comme nous l'avons Religion des Carthaginois. —
déjà remarqué, il y avait des garni- Les émigrés qui fondèrent Carthage
sons de mercenaires fixées dans les îles
et les provinces soumises à la républi- apportèrent avec eux , sur la côte d'A-
frique, lareligion de la Phénicie. Ce-
que. Les flottes et les armées de terre pendant, nous devons ajouter que, dans
avaient des chefs distincts. Toutefois,
les commandants des flottes étaient cette tactreligion, par suite du long con-
des Carthaginois avec les Libyens
subordonnés aux généraux des armées et les Grecs de la Sicile, il s'introdui-
de terre tement. lorsqu'ils
Dans les autres agissaient conjoin-
circonstances, sit un grand nombre d'éléments étran-
gers. INous donnerons ici les noms des
le commandant de la flotte recevait di-
rectement les ordres du sénat. Enfin , principales divinités adorées à Car-
thage. Le premier de tous les dieux
nous savons qu'il existait des casernes était Baal ou Moloch, le seigneur, le
à Carthage. Dans les murs de la cita-
delle, on avait pratiqué des écuries (*) Voyez plus haut p. 65 et suiv.
(
CARTHAGE. 139

roi du ciel. C'était le dieu suprême sait silence aux sentiments les plus
dans lequel les Grecs crurent voir Kro- sacrés de la nature, elle dégradait
nos, et les Romains Saturne. A ce dieu les aines par des superstitions tour
Baal, les Carthaginois associèrent la à tour atroces et dissolues , et l'on
puissante déesse Astarté. La déesse est réduit à se demander quelle in-
Astarté ou Astaroth (ce mot répond fluence vraiment morale elle put exer-
à l'idée de souveraine du ciel et des cer sur les mœurs du peuple. Aussi
astres) fut appelée par les Grecs Ura- le portrait que l'antiquité nous a
nie, et par les Romains la Déesse ce- laissé des Carthaginois est- il loin
l'esté ou Junon. A près Baal et Astarté, d'être flatteur: à la fois durs et ser-
nous devons mentionner le dieu Mel- vîtes, tristes et cruels, égoïstes et
carth. Chaque année, Cartilage, par cupides, inexorables et sans foi, il
un pieux respect et en souvenir de sa semble que l'esprit de leur culte ait
parenté, envoyait dans sa vieille mé- conspiré avec la jalouse aristocratie
tropole un vaisseau chargé de riches qui pesait sur eux, avec leur existence
offrandes pour le dieu Melcarth, qui toute commerciale et industrielle, à
était le génie tutélaire de la ville de fermer leurs cœurs aux émotions
Tyr. Les Carthaginois transportèrent généreuses, aux besoins d'un ordre
dans toutes leurs colonies le culte de élevé. Ils pouvaient avoir quelques
Melcarth (Hercule tyrien), aussi bien nobles croyances, mais dont la pra-
que celui de Baal et $ Astarté. Plu- tique se ressentait peu. Une déesse
sieurs écrivains de l'antiquité ont rangé présidait à leurs conseils publics ,
aussi au nombre des dieux puniques mais ces conseils, ces assemblées se
Ësmun-Esculape, qui avait son tem- tenaient la nuit, et l'histoire dépose
ple sur la colline de Byrsa. Comme des terribles
taient. Le dieumesures qui s'y
de la clarté agi-
solaire,
nous l'avons dit, les Carthaginois adop- Hercule , fut le patron de Carthage
tèrent quelques-unes des divinités
étrangères. Ils empruntèrent aux Grecs comme celui de Tyr ; il y donna
le culte de Cérès et de Proserpine, l'exemple des grandes entreprises et
des hardis travaux ; mais le sang y
peut-être même celui d'Apollon; et, souillait sa lumière , et tous les
s'il faut en croire Diodore de Sicile,
ils envoyèrent une fois des ambassa- ans, des victimes humaines tom-
deurs au temple de Delphes. Les fonc- baient au pied de ses autels aussi
tions du sacerdoce étaient recherchées
bien
Baal. Partoutfêtes
qu'aux où de
les l'impitoyable
Phéniciens ,
par les familles les plus illustres delà ré-
publiquecependant
; il n'y avait point où les Carthaginois après eux portè-
à Carthage de caste sacerdotale (*). rent leur commerce et leurs armes,
« Le caractère de la religion cartha- non-seulement à certaines époques ,
« ginoise fut comme celui de la nation mais dans toutes les conjonctures
«qui la professa, mélancolique jus- critiques^ leur fanatisme exalté re-
« qu'à la cruauté. La terreur était le nouvela ces immolations sanguinai-
« mobile de cette religion, qui avait res. En vain Gélon de Syracuse, avec
« soif de sang et s'environnait des plus l'autorité de la victoire; en vain, par
« noires images. A voir les abstinen- une pacifique influence, les Grecs eux-
« ces, les tortures volontaires, et sur- mêmes tixés à Carthage tentèrent
et tout les horribles sacrifices dont elle d'y mettre un terme, l'antique bar-
« faisait un devoir aux vivants, on s'é- barie reparut sans cesse et se main-
« tonne peu que les morts aient dû leur tint dans la Carthage romaine. Au
commencement du troisième siècle
« sembler dignes d'envie. Elle impo-
de notre ère, on découvre encore des
(*) Voyez sur la religon des Carthaginois
vestiges de ce culte affreux , tout au
le savant ouvrage de Muater {Religion der moins alors pratiqué en secret. Dès
Carthager) ; voyez aussi Wilhelm Bôtticher l'an 655 de Rome, tous les sacrifices
{Geschiclite der Carthager), p. 77 et suiv. humains avaient été prohibés; mais
140 L'UNIVERS.
et ils en ont extrait de nombreuses ci-
« plus d'une fois les empereurs se trou- tations. Heeren dit, à propos du livre
« vèrent dans la nécessité de répéter
« cette défense, et nous devons ajouter de Magon : « On ne saurait douter
« que, pendant longtemps, la sévérité qu'il n'y eût une littérature carthagi-
« des lois romaines ne put mettre un noise Un ouvrage aussi étendu que
«terme à ces hideuses immolations(*).» celui de Magon ne pouvait être, à Car-
LITTERATURE DES CARTHAGINOIS. thage, ni la première ni la dernière
— Y avait -il une littérature à Car- production littéraire. » Les Carthagi-
tilage? Des documents assez nombreux nois durent se perfectionner dans la
et assez authentiques nous permettent littérature
de résoudre affirmativement cette ques- vre que le par géniel'étude
grec des
avaitchefs-d'œu-
entantes ;
tion. Cependant dix vers en langue pu- et cette étude leur fut rendue facile par
nique qui se trouvent dans lePœnvlus les voyages qu'ils faisaient dans la
de Plaute , dix vers que personne jus- Grèce elle-même, et parleurs relations
qu'ici n'a pu traduire même approxi- suivies avec les peuples de la Sicile.
mativement, quoiqu'en remontant aux Enfin nous savons qu'il y eut dans
sources primitives, c'est-à-dire, à la l'école grecque un philosophe cartha-
langue hébraïque, qui ne devait pas ginois. Clitomaque était le nom qu'il
différer beaucoup de la langue phéni- portait à l'étranger ; dans sa patrie on
cienne, sont les seuls vestiges de la l'appelait Asdrubal (*).
littérature carthaginoise qui soient
parvenus jusqu'à nous. Mais nous avons (*) « Winkelmann (Kunst geschichte),
en revanche le témoignage des écri- nie que les beaux-arts aient lleuri à Car-
vains grecs et romains qui attestent thage; mais l'architecture de son Cothôn et
de ses doubles portiques , le temple et la
que les lettres furent cultivées à Car-
châsse d'Apollon, décrits parAppien,la
tilage. Pline l'ancien rapporte qu'après mention laite par Polybe des monuments
la prise et la destruction de la ville, élevés à Carthage et dans ton (es ses colonies,
les Romains donnèrent les bibliothè-
en l'honneur d'Amilcar, fils d'Hannon; le
leurs ques
alliés.publiquesSalluste, aux princes de d'Afrique,
son côté, bouclier d'argent cité par Tite-Live (xxv ,
quand il parle des premiers peuples 39) , qui était décoré du portrait d'Asdrubal
et pesait i38 livres; les statues érigées dans
qui ont habité l'Afrique, invoque, à Carthage, à Cérès el à Proserpine; enfin
l'appui de ses assertions, les livres pu- le goût des Carthaginois pour les chefs-
niques {libri jnmici) qui avaient ap- d'œuvre de la Grèce, semblent prouver que
partenu au roi Hiempsal. Les livres celte assertion tranchée d'un aussi hahile
puniques, livres d'histoire vraisembla- antiquaire doit être modifiée. Le style d'ar-
blement, étaient ceux qu'après la chitecture des stèles votives chargées d'in-
destruction de Carthage les Romains scriptions puniques, des médailles phéni-
avaient donnés à leurs alliés d'Afrique. cien essurtout
, du médaillon maxime d'ar-
Au reste , Polybe nous apprend aussi gent de la Bibliothèque royale , est tout à
(jue Carthage avait eu des historiens, fait grec, et nous induit à penser que le
fintre les ouvrages de la littérature car- voisinage de la Sicile, que les relations fré-
quentes entre cette île el Carthage ont dû
thaginoile
se , plus estimé par les étran- porterie goût et la cultuie des arls dans celte
gers fut culture.
un D.Silanus traité dele Magon traduisitsuren l'agri-
latin. république riche et commerçante; qu'enfiu,
s'ils n'ont pas eu de bons artistes nationaux,
Nous savons qu'il était divisé en vingt-
huit livres. Tous les auteurs qui ont ce qui n'est pas prouvé, ils se sont servis
des artistes grecs , comme l'ont fait depuis
écrit sur l'économie rurale, Caton, les Romains, pour la décoration de leurs
Pline, et Columelle, entre autres , ont maisons privés, de leurs édifices publics et
fait de cet ouvrage le plus grand éloge, l'embellissement de leur capitale. Il existe
à Leyde un grand nombre de monuments
(*) Religions de l'antiquité , ouvrage de funéraires en terre cuite, couverts d'inscrip-
Creuzer, refondu, complété et développé tions phéniciennes, et décorés de bustes
par M. Gnigniaut. d'individus des deux sexes , remarquables
lettres

1
CARTHAG-E
lettres PumqTies lettres Française;
Hébraïques

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CARTHAGE. 141
Nous avons essayé de réunir ici les se trouvent le bourg moderne de Mersa
principaux renseignements que les et les hameaux de Malqa et de Douar-
écrivains el-Schat.
leursCette position
avec s'accorde d'ail-
sés sur lade constitution
l'antiquité nous ont lais-
intérieure de exactement les indications
Carthage ; sur son système de gouver- que l'on trouve dans Polybe. « Car-
nement àl'égardet des « thage , dit cet historien , est située
étaient soumis, de sespeuples
coloniesqui; sur
lui «dans un golfe, sur une espèce de
l'étendue de ses possessions, de son « chersonèse , et elle est entourée dans
commerce, de ses ricchesses, de ses « la plus grande partie de son enceinte,
forces militaires; enfin sur sa religion « d'un côté parla mer, de l'autre, par
et sa littérature. Si nous avons prié « le lac. L'isthme qui l'attache à la
éle toutes ces choses avec quelque éten- « Libye a de largeur environ vingt-
due ,c'est qu'elles se rapportaient in- « cinq stades (*). Du côté où cet isthme
timement l'histoire
à d'une ville qui a « se tourne vers la mer est placée la
joué , comme on l'a vu , un grand rôle «ville d'Utique ; lautre côte, bordé
dansrelations
l'histoirecommercialesdu monde , etet qui « par le lac, regarde la ville de Tunis. »
ses ses ,loin-
par
Tite-Live évalue à douze milles (**) la
tains voyages , a exercé sur la civilisa- distance qui séparait cette dernière ville
tion de presque tous les peuples de de Carthage; et aujourd'hui cetteTunis
dis-
tance est encore la même entre
l'antiquité une notable influence.
et l'extrémité méridionale du lac, où
TOPOGRAPHIE DE CARTHAGE. se trouvent les premières traces de
l'enceinte de la ville ruinée.
Position de Carthage. — Au Après avoir fixé la position de Car-
fond du golfe de Tunis, entre le lac à thage, nous allons essayer de décrire
l'extrémité chacune des parties de la ville, et d'énu-
ville, et les duquel est situéeformés
marais saumâtres cette
mérer les principaux édifices que Ton
par l'ancienne embouchure et les aliu- y rencontrait
Situation (***).
des ports. — Le lac
vions du lleuve Medjerdah , s'avance de Tunis est séparé de la mer par une
une haute péninsule, presque entière-
ment couverte de grandes masses de langue de terre, au milieu de laquelle
se trouve le fort moderne de la Gou-
décombres. C'est la que tous les sa- lette. Cette langue de terre est désignée
vants qui, jusqu'ici, se sont occupés par les auteurs anciens sous les noms
de Carthage, s'accordent à placer les
ruines de cette antique cité. Cependant de Tœnia et de Ligula. Au point de
les uns mettaient la ville et le port au jonction de la péninsule sur laquelle
nord-ouest de la presqu'île, près du
cap Qamart, vis-à-vis l'ancienne Uti- (*) Le stade valait 180 mètres.
que; les autres, au sud-est, sur le (**) Le mille romain valait 1472 mètres.
lac de Tunis, et en regard de cette (***) Pour celle partie de notre travail ,
ville. De nouvelles observations, et nous avons constamment, suivi, comme gui-
surtout les savantes recherches de de M.
, Dureau de la Malle, dans ses savantes
M. Dureau de la Malle, semblent avoir Recherches sur la topographie de. Carthage.
démontré maintenant que ces deux M. Dureau de la Malle, qui a rassemblé
opinions sont également erronées, et avec tant d'érudition et discuté avec tant
de sagacité tous les témoignages des auteurs
qu'il faut chercher désormais l'empla- anciens et modernes, est arrivé à des résul-
cement de Carthage entre ces deux
tats que la science,
Nous aujourd'hui
nous sommes, tient pourà
positions extrêmes, c'est-à-dire, à l'ex- incontestables. bornés
trémité de la péninsule, à l'endroit où ne présenter que les résultats, parce que,
renfermés dans d'étroites limites , nous ne
par leurs traits africains et leurs cheveux, pouvions énumérer ici tous les arguments
nattés comme ceux des portraits monétaires et toutes les preuves (\ue M. Dureau de la
de Juha. » Dureau de la Malle, Recherches Malle a donnés à l'appui de chacune de ses
sur la topographie de Carthage. assertions.
142 L'UNIVERS.
est bâtie Carthage, et de la Tsenia, «effet, cette île était située près de
on rencontre une petite anse formée , « l'entrée qui communiquait avec le
d'un côté, par la Txnia elle-même, « port extérieur, et assez élevée pour
de l'autre , par un môle construit de « que l'amiral pût voir tout ce qui ar-
main d'homme. C'est là que se trou- « rivait par la mer, sans rjue les navi-
vait l'entrée du port marchand. A l'épo- « gateurs vissent ce qui était dans le
?|ue du siège de Carthage, Scipion * Cothôn. Les marchands , même en
erma cette anse par une jetée dont on « entrant dans leur port, ne pouvaient
distingue encore les débris. «apercevoir l'intérieur de l'arsenal,
Pour marchand. — Le port mar- « car il était entouré d'un double mur,
chand communiquait à la mer par une « et il y avait des portes qui introdui-
entrée ou goulet de soixante-dix pieds « saient les commerçants du premier
romains de largeur (*) , quedel'on « port dans la ville, sans passer pfr
niait au moyen de chaînes fer feri
: il « le Cothôn.» Le même historien nous
formait une ellipse allongée de cinq apprend quele second port n'était pas
cents pieds sur trois cents. Dans toute comme le premier, de forme ellipti-
l'étendue de sa circonférence étaient que,culairemaisdu côté
qu'ilde avait uneet, partie cir-
disposés de nombreux points d'attache la ville une partie
pour amarrer les navires. rectangulaire du côté de la mer. C'est
PORT MILITAIRE OU COTHON. — par ce dernier côté que les Carthagi-
Le port militaire, connu sous le nom nois ouvrirent une nouvelle entrée,
de Colliôn (**), n'avait pas d'autre en- lorsque Scipion eut fermé celle du port
trée que celle du port marchand : il marchand. Ils choisirent cet endroit,
communiquait avec lui par un canal dit Appien , parce que la profondeur
voûté, semblable à celui qui unissait de l'eau et la violence des vagues qui
l'un a l'autre les deux ports d'Alexan- s'y brisent n'auraient pas permis aux
drie. Le Cothôn était moins étendu que Romains d'y construire une seconde
le port digue. Cette nouvelle entrée subsista
tre centsmarchand
mètres de: illongueur
n'avait que qua-
sur trois après la destruction de Carthage, et
cents de largeur, et- une île de cent lorsque cette ville se releva de ses rui-
cinquante mètres de diamètre en rétré- nes et devint une colonie romaine ,
cissait encore la surface. Voici , au elle n'eut plus d'autre port que le Co-
reste, la description qu'en a donnée thôn ,qui reçut plus tard le nom de
Mandracuan.
Appien : « Au milieu du port intérieur
« s'élève une île; l'île et le port sont Forum.— La placeoù se tenaient les
« bordés de vaste» quais, sur lesquels assemblées du peuple était située près
« sont bâties des loges ou cales qui de Cothôn relie étaitde forme rectangu-
« contiennent deux cent vingt vaisseaux laire et entourée de maisons très-hau-
« et des magasins de bois et d'agrès. tes. C'est Diodore qui nous a fourni ce
« En avant de chaque loge s'élèvent détail, en racontant la conjuration de
o deux colonnes ioniques; ainsi le port Bomilcar. Sur l'une des faces du Fo-
« et l'île présentent l'apparence de deux rum s'élevait le temple d'Apollon.
« portiques. C'est dans cette île qu'é- Curie. — Le lieu ordinaire des as-
« tait placé le palais de l'amiral, qui, semblées du sénat était voisin du Fo-
« de ce point, pouvait tout voir dans rum ; et peut-être était-ce une des
« l'arsenal. C'est de la qu'il faisait don- salles du temple d'Apollon. Dans les
« ner le signal par la trompette , ou circonstances importantes, le sénat se
« ses ordres par la voix du héraut. En réunissait à Byrsa , dans le temple
d'Esculape.
Principales rues de Carthage;
(*) 20 mètres 6 décimètres. Le pied ro-
main valait o'",2945. noms de quatre de ces rues. — le
(**) Servius , qui donne l'étymologie de Forum communiquait à la citadelle
ce mot , dit qu'il signifie un port creusé de par trois rues de quatre ou cincj cents
main d'homme. mètres de longueur. Ces rues étaient
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-4L xvç -^ ^
143
CARTHAGE.
bordées de maisons à six étages ; elles basse et de Mégara ; son enceinte , du
étaient assez étroites pour que, lors côté de l'ouest, se confondait avec
de la prise de ce quartier, les soldats l'enceinte générale de la ville. Le point
romains pussent communiquer d'un le plus élevé de la colline était occupé
et desà solives
côté l'autre ,suren les plaçant des planches
terrasses des mai- parle temple d'Esmun-Esculape, le
plus célèbre et le plus riche de Car-
sons. thage. A côté se trouvait le palais dont
Lorsque Scipion fut maître de ces la tradition attribuait la construction
trois rues, il y fit mettre le feu ; puis, à Didon, et lad'où,
afin de se ménager une esplanade pour découvrait mer suivant Servius,
et toute on
la ville.
attaquer la citadelle , il entreprit de C'est dans l'enceinte de la citadelle
faire enlever tous les débris qui cou- qu'étaient situés le temple d'Astarté et
vraient leterrain. L'armée romaine , celuisacrifices
de Baal-Moloch
composée de cent vingt mille hommes , des humains., où l'on offrait
y travailla jour et nuit; et le septième Mégaba. — La nouvelle ville, ou
jour, lorsque les Carthaginois retran- Mégara (*), s'étendait au nord delà
chés dans Byrsa demandèrent à capitu- citadelle, jusqu'à la mer et aux pre-
ler, elle n'avait encore enlevé qu'une mières pentes du cap Qamart. Ce quar-
partie des décombres. Ce fait , rap- tier, le plus étendu de Carthage , était
porté par Appien, suffit pour don- cependant le moins populeux. Il était
ner une idée du nombre et de la gran- rempli tiers,deet séparés
jardins plantés
deur des édifices qui se trouvaient dans par des d'arbres
clôturesfrui-en
ce quartier. Les rues de Carthage pierres sèches et par des haies vives.
étaient dallées. Servius, dans son com- Un grand nombre de canaux profonds
mentaire, àpropos de ce vers de
Y Enéide, le coupaient dans tous
vaient sans doute les sens.queIls pour
été creusés n'a-
«Miralur portas, strepitumque et slrata viarum,» servir à l'irrigation des jardins et à la
défense de la ville; car les eaux qui
f>rétend que les Carthaginois furent coulent sur le territoire de Carthage
es premiers qui imaginèrent de paver et dans toute cette partie du littoral
les rues.
On connaît les noms et la direction de l'Afrique sont généralement sau-
matres et ne peuvent servir aux usages
de quatre rues ; mais comme elles ap- alimentaires. Le faubourg de Mégara
partien ent àCarthage colonie ro-
maine, et que rien ne était protégé, du côté de l'isthme, par
aient existé avant la prouve qu'elles
destruction de l'enceinte générale de la ville , qui ,
comme nous le dirons, se prolongeait
l'ancienne tenterons Carthage, nous Cenous
de les nommer. sontcon-
les jusqu'à la mer. Ilduétait
simple muraille côté entouré d'uneet
de la mer
rues à\Esmun ou Salus {via salutaria)', du cap Qamart ; un mur particulier le
iïAstartê ou Cœlestis {via cœlestis);
des Mappales {via mappaliensis); et séparait de Byrsa et de l'ancienne
ville.
enfin, la voie des tombeaux.
Nécbopoles de Cabthage. — Le
Position de la citadelle, ou
Bybsa. — La citadelle, connue sous nord et l'est du faubourg de Mégara
étaient consacrés à la sépulture des
le nom de Byrsa, était située au nord morts. On trouve encore, en cet en-
du Forum et des ports , sur une col-
line de deux cents pieds de hauteur. droit, de nombreux vestiges de tom-
beaux. Les Carthaginois ne brûlaient
Elle avait vingt-deux stades de tour (*) , point leurs morts; ils les enterraient,
suivant Servius, et seulement deux
suivant l'usage de tous les peuples de
race sémitique.
milles romains (**) , s'il faut s'en rap-
porter au témoignage de Paul Orose.
Un double mur la séparait de la ville
(*) Ce nom, suivant Isidore de Séville,
(*) 3960 mètres. vient du mot punique Ma.oar , qui signifie
(**) ^5 mètres. nouvelle ville.
144 L'UNIVERS.
Circonférence; population de continent , la famine commença à Se
Carthage. — Les murs de Carthage, faire sentir parmi eux, et Asclrubal
suivant Strabon , présentaient un dé- ne distribua plus de vivres qu'aux seuls
veloppement de trois cent soixante combattants, qui étaient au nombre de
stades (*) dans toute leur étendue , et trente mille. En évaluant à vingt mille
de soixante stades (**) dans la partie le nombre de ceux qui avaient péri de-
qui traverse l'isthme,anciens du côtésont
du con- puis le commencement de la guerre,
tinent. Les auteurs loin et en supposant que les hommes en
d'être d'accord avec Strabon. Appien état de porter les armes formassent le
ne donne à l'isthme que vingt -cinq cinquième de la population , on voit
stades (***) de largeur , et Tite-Live , à que celle de Carthage devait s'élever
Ja ville entière, seulement vingt -cinq environ à deux cent cinquante mille
âmes.
milles romains (****) de circonférence.
Elle n'en avait que vingt (*****) suivant On peut supposer encore, avec beau-
Paul Orose. On a cherché à expliquer coup de vraisemblance, que, dès le
ces contradictions en supposant que commencement de la guerre , et lors-
Strabon avait mesuré le développe- que la ville se vit menacée d'un siège ,
ment des murailles , en ayant égard à un grand
toutes leurs sinuosités. Quoi qu'il en tèrent pournombre d'habitants
aller chercher la quit-
de nouvelles
soit, en supposant môme que telle ait demeures.
été Triple défense.-— Carthage, maî-
nous l'idée
donnede deStrabon , la mesurede qu'il
la circonférence Car- tresse dela Méditerranée parses flottes,
thage est évidemment exagérée, et protégée d'ailleurs du coté de la mer
l'état des lieux démontre qu'il faut s'en par la violence des vagues qui se bri-
tenir à celles que nous trouvons dans sent avec fureur contre les rochers, et
Tite-Live et Appien. Strabon n'exagère rendent impossible toute tentative d'a-
pas moins la population de Carthage. bordagen'avait
, à craindre une attaque
Elle était, suivant lui, de sept cent sérieuse que du côté de la terre. C'est
mille âmes au commencement de la
aussi de ce côté qu'elle avait élevé ses
troisième guerre punique. Cependant meilleures fortifications. De l'extré-
Appien nous apprend qu'après la prise mité septentrionale du lac de Tunis
de JMégara et du Cothôn , par Scipion jusqu'au bord de la Sebka(*), s'éten-
Émilien , tous les habitants se retirè- dait une triple défense. On voyait d'a-
rent à Byrsa , et que , lors de la capi- bord un fossé bordé d'une palissade,
tulation de la citadelle, il n'en sortit puis un premier mur eten enfin
pierres,un d'une
que cinquante mille individus, hommes élévation médiocre, mur
et femmes. Ce nombre toutefois nous d'une hauteur considérable, protégé
paraît beaucoup trop faible, et il ne par un grand nombre de tours. Tous
faut peut-être pas prendre à la lettre ces ouvrages suivaient les sinuosités
l'assertion d'Appien, quand il nous dit des collines sur lesquelles la ville était
que tous les habitants s'étaient réfu- assise , et faisaient de nombreux an-
giés dans la citadelle. Un autre passage gles rentrants. Appien nous a laissé
de cet auteur a fourni à M. Dureau de une description des hautes murailles
la Malle un moyen de calculer plus qui formaient la partie principale de
exactement la population de Carthage. l'enceinte de Carthage. Voici cette
Lorsque Scipion , par ses lignes de cir- description : « A partir du midi , vers
convallation , eut intercepte toutes les «le continent, du côté de l'isthme,
communications des assiégés avec le « où était placée Byrsa , régnait une
(*) La Scbka formait autrefois un golfe
(*) (H 800 mètres.
qui s'étendait jusqu'aux dernières pentes du
(**) 10800 mètres.
cap Qamart. Comblée pou à peu par les al-
(***) 45oo mètres. luvions de la Medjerclah , elle ne présente
(****) 368 1 1 mètres. plus aujourd'hui
d'eau salée. qu'âne suite de laguues
(*****) 39450 mètres.
CARTHAGE

Y, Y^^*^?
CARTHAGE. 145
« triple défense. La hauteur des murs Portes. — Parmi les portes de Car-
« était de trente coudées (*) , sans les thage, nous en connaissons cinq, dont
'< créneaux et les tours, qui étaient dis- la position nous est indiquée par des
« tantesentreellesdedeuxplèthres(**), textes formels ; ce sont celle de Mê-
« et avaient chacune quatre étages, et gara, dont s'empara Scipion, lors de
« trente pieds (***) , depuis le sol jus- la prise de ce faubourg; celle qui est
« qu'au fond du fossé. Les murs avaient désignée par Appien sous le nom de
«aussi deux étages; et, comme ils porte à'Utique; celle de Theveste ,
« étaient creux et couverts, le rez-de- qu'une inscription nous fait con-
« chaussée servait d'écurie pour trois naître; celle de Furnos, dont parle
« cents éléphants , et de magasin pour Victor de Vite ; et enfin celle qui con-
« tout ce qui était destiné à leur nour- duisait à Thapsus , et par laquelle
« riture. Le premier étage contenait Annibal s'enfuit, lorsque des envoyés
« quatre mille chevaux, avec le four- romains vinrent à Carthage pour de-
"- rage et l'orge suffisants pour les mander qu'il leur fiit livré. Cette der-
«nourrir; et, de plus, des casernes nière porte devait se trouver près de
« pour vingt-quatre mille soldats. Telles la Taenia et de la partie faible des murs.
« étaient les ressources pour la guerre, Places publiques. — Nous avons
« que les murs seuls contenaient dans parlé du Forum et de son emplace-
« leur intérieur. » Toutes ces cons- ment entre les ports et la citadelle.
tructionssuivant
, Paul Orose, étaient Dans le récit de l'attaque dirigée par
formées de pierres détaille. Les ruines le consul Censorinus contre la partie
n'ont pas tellement disparu, qu'on ne faible des murailles, Appien nous ap-
puisse encore suivre la trace des murs prend que , près de là , au point de
dans la plus grande partie de leur jonction de laune Taeniaseconde et de la place.
presqu'île
étendue. se trouvait Elle,
Quais. — Le rivage de la mer, près était, comme le Forum, environnée
du Cothôn, était horde de larges quais de hautes maisons. Victor de Vite nous
où les marchands déposaient leurs den- fait connaître une troisième place, à
rées. Ces quais étaient en dehors de laquelle il donne le nom de place neuve ,
l'enceinte de la ville. Les Carthagi- Platea nova; celle-ci était ornée de
nois, pendant le siège, y construi- gradins, et située au centre de la
sirent un ouvrage avancé, à égale dis- ville.
tance du rempart et de la mer, afin Temple d'Astarté. — Nous avons
que, si l'ennemi venait à s'emparer de dit que le temple d'Astarté était com-
ce quai , il ne pût lui servir d'esplanade pris dans l'enceinte de la citadelle. Cet
édifice était situé sur une colline, au
ou de place d'armes pour attaquer la
ville. Cette précaution fut inutile; on nord de celle où s'élevait le temple
sait , en effet , que c'est précisément d'Esmun-Esculape. Un immense liié-
de ce côté que Scipion dirigea sa der- ron lui servait d'avenue. Cette cour,
nière attaquer, dont le résultat fut la qui n'avait pas moins de deux milles
prise du Cothôn et de toute la ville romains (*) de longueur, était revêtue
basse. de larges dalles en pierre , ornée de mo-
Les autres parties de la presqu'île saïques, debelles colonnes, et environ-
n'étaientinabordables
point garnies de quais. Elles née de tous les temples des divinités
étaient à cause des écueils inférieures. Parmi ces temples secon-
et des bas-fonds qui en défendaient daires, on distinguait celui d'Élisa ou
l'approche. Didon. Le temple d'Astarté, relevé
par les Romains avec une grande ma-
(*) 1 3 mètres 5 décimètres, la coudée gnificence, reçut sous les premiers
valant om,45.
empereurs Son
offrandes. de principal
'nombreuses et riches
ornement était
(**) 6o mètres. Leplèthre valait roo pieds
grecs.
(***) 9 mètres. Le pied grec valait om,3o. (*) 2945 mètres.
10e Livraison. (Carthage.) 10
14C L'UMVERS.

un voile ou péplos d'une grande avait à Carthage un tempie élevé en


beauté. l'honneur de Melcarth, quoique les
Temple de Baal-Moloch ou Sa- auteurs tionnéanciens
turne. — Ce temple était situé entre cet édifice.n'aient jamais men-
ceux d'Astarté et d'Esmun-Esculape , Les Carthaginois empruntèrent aux
et donnait son nom à un quartier de Grecs le culte de Cérès et de Proser-
la ville (viens sente). Saint Augustin pine. Diodore de Sicile , qui parle lon-
nous apprend que le dieu Baal-Moloch guement des statues et des prêtres de
inspirait aux Carthaginois une terreur ces deux déesses, ne nous donne aucun
religieuse si profonde , qu'osant à renseignement sur l'emplacement des
peine prononcer son nom , ils se con- temples vinités
qui étrangères.
furent consacrés à ces di-
tentaient dele désigner par l'épithète
d'ancien (senex). «La statue de ce Il nous est impossible aussi de dé-
« dieu , suivant Diodore , était d'airain ; terminer l'endroit où se trouvaient les
<i elle avait les bras pendants ; ses deux temples que, suivant le même
« mains, dont la paume était en dessus, historien , les Carthaginois s'obligèrent
« étaient inclinées vers la terre, afin à élever la première année de la quatre-
« que les enfants qu'on y plaçait vingt-cinquième olympiade, pour y dé-
« tombassent immédiatement dans'un
« gouffre plein de feu. » Gélon.poser letraité-qu'ils avaient conclu avec
Citernes purliques; gymnase;
les"Learchives
temple de de Baal-Moloch
la république.contenait
Le roi théâtre. — Outre les citernes parti-
Hannon y avait déposé la relation de culières, dont chaque maison devait
son voyage. être pourvue, dans un pays où les puits
Temple d'Apollon; statue co- ne fournissent que de l'eau saumàtre,
lossale de ce dieu. — Nous avons Carthage possédait encore plusieurs
déjà dit que sur l'une des faces du citernes publiques, dont les ruines,
Forum s'élevait le temple d'Apollon. grâce à leur situation souterraine et à
Cet édifice, qui, selon M. Bureau la solidité des constructions, sont à
de la Malle, échappa à la ruine de peu près tout ce qui a survécu de la
Carthage, et, plus tard, fut consa- ville phénicienne. La plus considéra-
cré au culte chrétien , sous le nom de ble de ces citernes était située au
Basilica perpétua restituta, était or- nord-ouest «le Byrsa , à l'extrémité et
né, lors de la prise de la ville par Sci- dans l'enceinte même de la citadelle.
pion Émilien , d'une statue colossale Le village moderne de Malqa est cons-
revêtue de lames d'or. Le lendemain truit sur ses ruines. « On y voit en-
de la prise du Cothôn, des soldats pé- core, dit le voyageur Shaw, un en-
nétrèrent dans le temple, s'emparèrent semble de vingt réservoirs contigus,
de ces lames d'or, et se les partagè- dont chacun avait cent pieds de long
rent. La statue fût emportée à Rome, sur trente de large. » Le P. Caroni,
où elle fut placée près du grand cir- qui a fait à Tunis un long séjour, donne
que, àcôté de la statue en bronze de à ces réservoirs les mêmes dimensions.
Titus Quinctius Flamininus. Elle por- Au treizième siècle, ce monument
tait le nom de grand Apollon de Car- était encore presque intact; voici la
thage, et subsistait encore au temps description qu'en a faite Édrisi , géo-
de Plutarque. graphe arabe de cette époque , qui était
Temples de Melcaeth- Héra-
clès, DE CÉRÈS ET DE PrOSERPINE. né en Afriqne , et dont on s'accorde à
reconnaître la véracité et l'exactitude.
— Comme nous l'avons dit plus haut, «Parmi les curiosités de Carthage,
les Carthaginois transportèrent dans «dit -il, sont les citernes, dont le
leurs colonies le culte de Melcarth, qui « nombre s'élève à vingt-quatre , sur
était le génie tutélaire de toutes les « une seule ligne. La longueur de cha-
villes d'origine phénicienne. Nous « cune d'elles est de cent trente pas ,
nout croyons fondés à penser qu'il y « et la largeur de vingt-six. Elles sont
CARTHAGE. 147
« surmontées de coupoles ; et , dans les « commencent de vastes réservoirs ap-
« intervalles qui les séparent les unes « pelés citernes des diables, encore
« des autres , sont des ouvertures et « remplis d'une eau fort ancienne, qui
« des conduits pratiqués pour le pas- « existe là depuis une époque inccfn-
« sage des eaux. Le tout est dis- « nue. » M. Dureau de la Malle pense
« posé géométriquement avec beaucoup que les citernes des diables et l'édi-
« d'art. » Lorsque l'empereur Adrien fice appelé Moallakah par Bekri sont
voulut conduire dans l'intérieur de le même monument, et qu'ils ne dif-
Carthage les eaux de la source deSchou- fèrent pas de celui dont les ruines ont
kar, pour mettre cette ville à l'abri été mesurées par le père Caroni.
des longues sécheresses, la citerne de Les deux grandes citernes dont nous
Malqa changea de destination; elle venons de parler sont évidemment de
devint le réservoir du grand aqueduc construction punique; tout le prouve:
dont nous allons parler. Sa position la nature des matériaux qui y sont em-
au centre de la ville la rendait propre ployés, les détails de leur architec-
à cet usage. ture, et l'usage généralement répandu
Les autres grandes citernes publi- chez les peuples de race sémitique, de
ques étaient situées près de la mer, à n'employer que l'eau des pluies aux
l'est de Byrsa. Leurs Ellesruinesor t,
sont par- usages alimentaires. En effet, il exis-
faitement conservées. suivant tait de grandes citernes à Utique, qui
le père Caroni, plus de cent quarante était, comme Carthage, une colonie
pieds de longueur, sur cinquante de phénicienne. Tyr et Jérusalem qui, par
largeur et trente de hauteur. Les murs leur position au pied des montagnes,
oni cinq pouvaient se procurer avec tant de fa-
ques de pieds
six tours d'épaisseur et sontetflan-
, aux angles au cilité des eaux de source , n'employè-
milieu. Nous empruntons à un écrivain rent cependant pour leurs usages que
du onzième siècle, Abou-Obaïd-Bekri , des eaux de pluie. Au moins pouvons-
un passage, où l'on trouve, avec la nous dire qu'il en fut ainsi jusqu'à
description de ces citernes, celle de deux l'époque où pénétrèrent en Syrie les
autres édifices qui méritent aussi de mœurs grecques et romaines.
fixer l'attention ; nous voulons parler Virgile attribue à Didon la cons-
du gymnase et du théâtre. «. On voit truction du théâtre de Carthage. Tou-
« à Carthage, dit l'auteur arabe, un tefois, nous ne pensons pas que la
« palais appelé Moallakah, qui se dis- fondation de cet édifice remonte à une
« tingue par une étendue et une élé- époque aussi ancienne (*). Tout nous
« vation prodigieuses. Il est composé porte à croire que le théâtre, comme
« de galeries voûtées qui forment plu- Je gymnase, n'appartinrent pas à la
« sieurs étages, et il domine la mer. ville punique, mais bien à la colonie
« Du côté de l'occident s'élève un autre romaine. Suivant la conjecture de
« monument appelé le Théâtre. Il est M. Dureau de la Malle, Carthage, re-
« percé d'un grand nombre de portes construite etembellie par Auguste,
« et de fenêtres, et s'élève également devait ces deux édifices à la munifi-
« par étages; sur chacune des portes cence de cet empereur.
« s'élèvent des figures d'animaux et Amphithéâtre. — Nous ne pou-
« des représentations de toute espèce vons nous dispenser de faire ici men-
« de professions. L'édifice appelé Hou-
« mas ( lisez Djoumnas ) se compose (*) Nous citons ici les vers de Virgile.
« également de plusieurs étages; il est Ces vers ne prouvent pas assurément l'ori-
« orné de piliers de marbre de forme gine phénicienne du théâtre, mais ils don-
« carrée, dont la grosseur et la hau- nent du moins une haute idée de la gran-
deur de ce monument
« teur présentent des dimensions pro- Hic alta Theatri
«« ces
digieuses.
colonnesSuron levoit chapiteau
douze d'une
hommesde Fundamenta locant alii, iminanesque columnai
Bupibus excidunt, scenis deeora alta futuris.
iEneid. I, 43i.
« assis autour d'une table. Près de là
10.
148 L'UNIVERS.
tion de cet édifice, qui, selon toute gnement que nous possédions sur les
apparence, appartient, comme les deux bains de la ville punique. En ce qui
précédents , à l'époque romaine, concerne Carthage romaine, les docu-
dont les ruines sont au nombre mais
des ments abondent. Sous les empereurs,
plus importantes de Carthage. Voici la il y eut dans cette ville un grand
description qu'en a donnée le géogra- nombre de thermes. Nous citerons,
phe arabe dont nous avons déjà invo- parmi les principaux établissements de
qué letémoignage à propos des citernes ce genre, les thermes de Maximien
de Malqa : « Cet édifice est de forme (Maximianœ) , ceux de Gargiïius {Gar-
« circulaire et se compose d'environ gilianae), où se tint, en 41 1 , le synode
« cinquante arcades subsistantes. Cha- qui condamna le schisme des donatis-
'< cune d'elles embrasse un espace d'en- tes; enfin ceux de Théodora (Theoclo-
« viron vingt-trois pieds, ce qui fait rianœ), que les habitants de Carthage
« onze cent cinquante pieds pour la durent à la munificence de Justinien.
« circonférence totale. Au-dessus de Aqueduc d'Adrien. — En parlant
«des arcades, s'élèvent cinq autres des citernes publiques, nous avons dit
«« rangs que celle de Malqa devint, sous la
même d'arcades dimension. de même forme et de
Au sommet de domination romaine, le réservoir ou le
« chaque arcade est un cintre où se château d'eau d'un immense aqueduc.
« voient diverses figures et représen- Ce monument, bien que d'une époque
tations curieuses d'hommes, d'ani- postérieure à la prise de Carthage,
« maux et de navires sculptés avec un doit cependant obtenir ici une courte
« art infini. En général, on peut dire mention , parce que d'abord il explique
" que les autres et les plus beaux édi- la conservation d'un important ouvrage
« fices en ce genre ne sont rien en punique, qui ne fit que changer de
« comparaison de celui-ci. » Tel était destination, et aussi parce que ses
encore, au treizième siècle de notre ruines sont les plus belles et les plus
ère, l'état de conservation de l'amphi- imposantes que l'on voie à Carthage.
théâtre de Carthage. « Il ne se recon- On en jugera par cette description
« naît maintenant, dit M. Falbe, que qui est empruntée à l'ouvrage de
« par l'excavation intérieure, qui a en- Shaw : « On voit jusqu'à Zow-Wann
« viron deux cent quarante pieds dans « etZung-Gar, à cinquante milles pour
« le moins dans les terres, des vesti-
« la plus grande longueur de l'el- « ges du grand aqueduc qui fournissait
« lipse. La profondeur, qui n'est pas
« moindre de quinze pieds, au-dessous « l'eau à Carthage. Cet ouvrage avait
« du chemin , montre jusqu'à quel point « coûté beaucoup de peine et d'argent,
« sont accumulées les ruines de Car- « et la partie qui allait le long de la
« thage. » « péninsule était fort belle et revêtue
Cirque. — M. Falbe a reconnu au « de pierres de taille. On voit encore à
sud-ouest de la colline de Byrsa, à peu «Ariana, petit village à deux lieues
de distance de la triple défense, les « au nord de Tunis, plusieurs arches
ruines d'un cirque, avec sa spina et «« vées
qui sont
, en lesentières, et que
mesurant, avoirj'ai trou-
soixante
ses carceres. Nous savons, en effet,
f>ar saint Augustin , que , de son temps , « et dix pieds de haut. Les pilastres
es Carthaginois étaient passionnés « qui les soutenaient avaient seize pieds
pour les jeux du cirque. En outre, « en carré. Au-dessus de ces arcades,
nous lisons dans Procope, que sous le « est le canal par lequel les eaux pas-
règne de Justinien, il y eut une révolte « saient. 11 est voûté par-dessus et re-
de soldats dans le cirque de Carthage. « vêtu d'un bon ciment. Une personne
Thermes. — Nous savons par Va- a de taille médiocre pourrait y marcher
lère Maximeréservés qu'il existait à Carthageet « sans se courber. L'eau y montait, à
des bains aux sénateurs, «ce qu'il paraît, par les marques
où les hommes du peuple n'étaient « qu'elle a laissées , à près de trois
point admis. C'est là l'unique rensei- « pieds. Il y avait des temples à Zow-
CARTHAGE. 149
« Wann et à Zung-Gar, au-dessus des à moitié ruinés, qui pouvaient donner
asile aux derniers et faibles débris du
« sources qui fournissaient d'eau l'a- peuple carthaginois. Les commissaires
« queduc. »
Prisons; palais proconsulaire. envoyés par le sénat romain pour as-
— Lorsque Cartilage romaine fut de- sister à la destruction de Carthage
venue lacapitale de Ja province d'Afri- avaient expressément indiqué les quar-
que, les proconsuls établirent leur tiers de Byrsa et de Mégara, dans la
demeure sur la colline de Byrsa. Les défense qu'ils avaient faite d'habiter
rois vandales, maîtres de Carthage, dorénavant l'emplacement de la ville
choisirent pour habitation le palais pro- vaincue. On peut induire de cette men-
consulaire. L'historien Procope nous tion toute spéciale, que Rome, dans
apprend que les prisons étaient situées les premières années qui suivirent la
au-dessous de ce palais, et que, de victoire de Scipion, tolérait au moins,
leurs soupiraux, on pouvait apercevoir si elle n'autorisait pas ,enlesdehors
nouveaux
établissements fondés des
la mer et les vaisseaux qui s'avançaient
vers le port. M. Falbe a reconnu, sur quartiers de Byrsa et de Mégara. Il pa-
la colline où était située Byrsa, à une raît même que le Cothôn , ancien port
hauteur de cent quatre-vingt-huit pieds militaire des Carthaginois, fut trans-
au-dessus de la mer, des voûtes de formé par les Romains eux-mêmes en
vingt à trente pieds de largeur, dont la port marchand (*). On comprend ai-
construction lui a paru plus ancienne sément que les vainqueurs n'aient point
que celle des édifices dont les débris voulu perdre tous les avantages que
se voient encore au-dessus. Ces voûtes l'admirable position de ce port pou-
sont, à n'en pas douter, de construc- vait procurer, par le commerce, à la
tion nation
punique.romaine,
A l'époque de la domi-
elles devinrent les province qu'ils venaient de conquérir.
Les historiens racontent que les
prisons que l'on remarquait au-dessous Romains prononcèrent, au nom des
du palais proconsulaire. dieux, de terribles imprécations con-
Nous avons essayé de donner ici , tre ceux qui essayeraient de relever et
d'après les auteurs anciens et moder- d'habiter Carthage. Mais on ne saurait
nes, la description de l'ancienne Car*» établir, à l'aide de ce fait, que la ville
thage. Cette description demandait resta pendant quelques années entiè-
peut-être déplus longs développements. rement déserte; car, il est trop évi-
Toutefois, nous croyons avoir pré- dent que les Carthaginois, qui avaient
senté, dans le court résumé qui pré- échappé à avoir la mort ou à crainte
l'esclavage, ne
cède, les principaux renseignements devaient aucune de vio-
qui ont été rassemblés jusqu'à ce jour ler les prescriptions d'une religion
sur la topographie et les édifices de étrangère et de braver les menaces des
cette ville célèbre.
dieux romains qui n'étaient point leurs
CONCLUSION. dieux. D'ailleurs , les Romains eux-
mêmes ne se montrèrent point scrupu-
carthage sous la domination romaine. leux, et , comme le remarque Appien ,
Caïus Gracchus , sans tenir compte
Caïus Gracchus conduit une des imprécations prononcées par les
colonie romaine sur l'emplace- vainqueurs sur les débris encore fu-
ment de Carthage punique. — Au mants de la ville prise et saccagée,
moment où l'armée de Scipion quitta vint établir une colonie à l'endroit
l'Afrique, Carthage n'offrait plus aux même où s'élevait, vingt années aupa-
regards qu'un amas de ruines. Toute- ravant, lacité punique. Voici comment
fois ,le temps manqua aux Romains Plutarque raconte cet événement :
pour tout détruire , et, comme l'a dé- « Rubrius, un des tribuns du peuple,
montré de nos jours un savant criti-
que, ilrestait encore, au milieu des (*) Voyez M. Durean de la Maile , Re-
décombres, quelques édifices intacts ou cherches sur la topographie de Carthage.
150 L'UNIVERS.

ayant proposé par une loi le rétablis- préteur Sextilius te défend, ô Marius,
sement de Carthage ruinée par Sci- d'entrer en Afrique. Si tu n'obéis point
pion , et cette commission étant échue à ses ordres , il mettra à exécution ,
Ear le sort à Caïus Gracchus, il s'em- contre toi , le décret du sénat qui te
arqua pour conduire cette nouvelle condamne comme ennemi du peuple
colonie en Afrique.... Caïus était oc- romain. — Dis au préteur, répond l'il-
cupé du rétablissement de Carthage lustre proscrit , que tu as vu Marius
qu'il avait nommée Junonia, lorsque assis sur les ruines de Carthage. »
les dieux lui envoyèrent plusieurs si- Ce récit prouve évidemment que le
gnes funestes pour le détourner de cette préteur Sextilius avait sa résidence
entreprise. La pique de la première dans la colonie romaine, puisque, au
moment même où Marius descendait
enseigne fut brisée par l'effort d'un
vent impétueux, et par la résistance en Afrique, il fut informé de son arri-
même que fit celui qui la portait pour vée et lui envoya un licteur. Marius
la retenir. Cet ouragan dispersa les s'était probablement réfugié dans une
entrailles des victimes qu'on avait déjà des parties de la ville punique qui
posées sur l'autel, et les transporta n'avaient point été relevées. Depuis
hors desceintepalissades l'arrivée de Caïus Gracchus, la colo-
de la nouvellequi ville.
formaient l'en-
Des loups nie n'avait pas encore pris des accrois-
vinrent arracher ces palissades et les sements assez considérables pour cou-
emportèrent fort loin. Malgré ces pré-
sages ,Caïus eut ordonné et réglé en Carthage. l'emplacement de l'ancienne
vrir tout
soixante-dix jours tout ce qui con- A'son retour d'Egypte, César pour-
cernait l'établissement de cette colo- suivit dans l'Afrique carthaginoise les
nie ; après quoi il s'embarqua pour partisans de Pompée. Suivant une an-
revenir à Rome (*). » cienne tradition, il campait non loin
Histoire de Carthage romaine
de Carthage, lorsqu'une nuit, pendant
depuis l'établissement des co- un sommeil agité, il vit en songe une
lons amenés en afrique par caïus grandesant et armée qui l'appelait en gémis-à
Gracchus, jusqu'à Tibère. — Ma- en pleurant. Le lendemain,
rius proscrit par Sylla , se sauva en son réveil , César écrivit sur ses ta-
Afrique et descendit à Carthage. A blettes lenom de Carthage. Lorsqu'il
peine avait-il pris terre, qu'un licteur revint à Rome, les citoyens pauvres
vint à sa rencontre, et lui dit : « Le lui demandèrent des terres : ce fut
alors qu'il envoya des colons à Corin-
the et à Carthage. Dion Cassius , en
(*) Les patriciens n'avaient qu'au moyen
d'accréditer ce récit fabuleux auprès de la parlant de César , s'écrie avec une
multitude, c'était de montrer que les sinis- sorte d'enthousiasme : « Relever deux
villes illustres, sans tenir compte de
tres présages blis ement dqui avaient accompagné
ela nouvelle colonie étaientl'éta-
un leur ancienne inimitié contre Rome,
effet de la colère des dieux conlre celui qui et cela seulement en souvenir de leur
s'était fait un jeu des imprécations pronon- puissance et de leur splendeur pas-
cées sur les ruines de Carthage. Ne pour-
rait-on point dire que le passage de Plutarque sées ,c'est une gloire qui n'appartient
qu'à César. » Dion ajoute : « Ce fut
prouve d'une manière indirecte que Caïus ainsi que ces deux cités célèbres , qui
Gracchusment mêmeétablit de la ville ses colons
détruitesur? Mais,
l'emplace-
nous jadis avaient été détruites à la même
époque, commencèrent à reprendre
ne sommes point réduits
montré M. Dureau de la ,Malle
comme l'a une
, dans dé- simultanément une nouvelle vie et re-
savante discussion, à ce genre de preuves. devinrent une seconde fois très-floris-
Pline et Paul Orose nous apprennent d'une santes. »On pourrait croire, d'après
manière positive que Carthage romaine était ces paroles d'unvéritable
grave historien
César fut le fondateur, que
de
placée là où s'élevait jadis Carthage puni-
que. Nous pourrions citer encore YEpitome Carthage romaine. Il n'en est rien tou-
du livre 60 de Tite-Live. tefois. César n'envoya en Afrique que
'v

M
5
CARTHAGE. 151
trois mille colons. Un passage de Solin les commotions violentes qui agitaient
nous explique les apparentes contra- plusieurs provinces de l'empire, lors-
dictions qui existent pour cette époque qu'un événement subit vint lui enle-
entre plusieurs historiens. Suivant cet ver pour quelques instants le repos et
auteur, la colonie de Caïus Gracchus la sécurité. Nous reproduirons ici dans
eut des commencements faibles et sans son entier le récit de Tacite.
gloire. Elle n'avait point encore pris « Rome était en alarmes. L'Afri-
de grands développements lorsque , que, disait-on, était soulevée; la ré-
sous le consulat de Dolabella et de volte avait pour chef Pison, proconsul
Marc-Antoine , elle brilla d'un vif et gouverneur de la province. Ces
éclat, et fut vraiment en Afrique une bruits étaient faux ; mais comme des
seconde Carthage. vents contraires [retardaient l'arrivée
Dion Cassius nous apprend qu'Au- de la flotte d'Afrique qui portait des
guste envoya de nouveaux colons en blés à Rome, on croyait que Pison
Afrique, parce que Lépidus, non con- avait fermé le port de Carthage et vou-
tent de priver Carthage de ses privi- lait affamer la capitale. D'ailleurs, la
lèges de colonie romaine , lui avait province et les troupes regrettaient
encore enlevé une partie de ses habi- Vitellius et n'aimaient nullement Vcs-
tants. Quelle était la cause des sévéri- pasien. Tous deux avaient été procon-
tés de Lépidus? On l'ignore, L'ancien suls d'Afrique, et, chose étonnante,
triumvir avait vraisemblablement en- Vitellius avait emporté l'estime etVes-
rôlé les colons romains dans ses lé- pasiensuscite
la haine de cette
gions ,et lorsqu'il avait privé de ses cien contre Pisonprovince. Mu- *
deux agents
privilèges une ville fondée par Caïus provocateurs,
Gracchus et restaurée par Jules César, de cavalerie, etSagitta, préfet d'uncorps
un centurion. Le lieu-
il avait cru peut-être, lui qui était un tenant de la 4e légion , Valérius Fes-
des chefs de l'aristocratie , porter un tus, se joint à eux pour l'entraîner à
coup à la démocratie, qui était sur le la révolte. Pison repousse les sollici-
point de triompher dans la personne tations du lieutenant et du préfet. Le
des empereurs. centurion de Mucien arrive : à peine
Histoire de Carthage romaine entré au port de Carthage, il proclame
depuis Tibère jusqu'à l'arrivée Pison empereur; le peuple se précipite
des Vandales en Afrique. — Pom- au Forum , et demande que Pison y
ponius Mêla, qui fut le contemporain paraisse. Celui-ci refuse, fait punir le
de Tibère , de Caligula et de Claude, centurion, réprimande les Carthagi-
disait en parlant de Carthage : « Cette nois par un édit sévère, et se tient
colonie du peuple romain est déjà bril- renfermé dans son palais, sans même
lante et riche pour la seconde fois. » exercer les fonctions publiques de sa
En effet , Carthage prenait chaque
jour de nouveaux accroissements et charge. Festus, sitôt etqu'il
gitation du peuple le apprend
supplice l'a-
du
s'embellissait par les somptueux édi- centurion , pense à gagner par un crime
fices qui s'élevaient dans son enceinte. la faveur de Mucien et envoie des ca-
Elle s'enrichissait par le commerce, valiers pour tuer Pison. Ceux-ci font,
et, comme autrefois, les vaisseaux pendant la nuit, une marche forcée,
qui sortaient de son port allaient tra- arrivent au point du jour, se précipi-
(iquer dans presque toutes les parties tent, l'épée nue, dans le palais du
du monde ancien. Une chose encore
servait à sa prospérité et lui donnait proconsul,
La sédition et l'égorgent
populaire (*). fut »bientôt
une grande importance, c'est qu'elle apaisée à Carthage , et pendant un
était devenue le véritable grenier de siècle, sous le gouvernement des Fia-
l'Italie , et qu'elle pouvait en quelque viens et des Antonins, cette ville ne
sorte remplacer, pour le peuple de Ro- cessa de jouir du calme heureux qui
me, l'Egypte et Alexandrie. Elle vivait
dans une heureuse paix sans éprouver (*) Tacil* , liv. iv des Histoire*.
153 L'UNIVERS.

jusqu'alors avait tant contribué à la vait plus d'espoir, mit fin à ses jours
rendre riche et florissante (*). en s'étranglant avec sa ceinture. Peu
Sous Commode, qui voulait que Car- de temps après, on vit à Rome un
tilage portât son nom et s'appelât jeune enfant de la famille des Gordien
Alexandria Commoda Togata, -il y revêtu de la pourpre des Césars : il
eut quelques mouvements en Afrique. était âgé de douze ans à peine. Après
un règne qui fut bien court, il périt,
Nous savons quedans
alors proconsul Pertinax, qui 'était
cette province, comme son père et son aïeul, par une
mort violente.
réprima plusieurs séditions. Le peu-
ple était agité par les prophéties qui Après la révolte que nous venons
émanaient, à Cartilage, du temple de de raconter, l'histoire ne nous dit pas
Juno Cœlestis. Mais ces troubles ne que Carthage ait été le théâtre de
furent pas de longue durée, et pendant quelque grand événement politique.
un demi-siècle encore la ville vécut Nous savons seulement que l'empereur
dans une paix profonde (**). Probus, dans ses courses rapides, vi-
En 235, Maximin devint le chef de sita cette ville et qu'il y comprima
l'empire. Cet ancien pâtre de la Thra- des séditions (*). Un auteur chrétien,
ce, qui était Goth d'origine, se rendit saint Prosper, nous apprend encore
bientôt odieux par son avarice et sa qu'en l'année 424, Carthage fut en-
cruauté. L'Afrique carthaginoise fut la close de murailles
était restée ouverte : etjusqu'alors clic
non fortifiée.
première province qui se révolta con-
tre lui. Quelques ennemis de Maximin Quel danger, en effet, menaçait la
forcèrent le proconsul Gordien à re- province carthaginoise et sa capitale ?
cevoir le titre d'empereur. Ce fut à Pendant longtemps les intérêts de Ho-
Carthage que ce vieillard , qui était me et «de l'Afrique avaient été si bien
alors âgé de quatre-vingts ans , prit liés , qu'une seule légion avait sufli
les marques de la dignité impériale. 11 pour garder tout le pays depuis Tan-
associa à son nouveau pouvoir son fils, ger jusqu'à Cyrène. Dès l'établisse-
qui portait comme lui le nom de Gor- ment de l'empire, la province cartha-
dien. L'élection des nouveaux empe- ginoise n'inspirait aucune crainte aux
reurs fut approuvée à Rome, en haine Romains; Auguste l'avait abandonnée
de Maximin. Mais Capellien, qui com- à l'administration du sénat, et l'on
mandait en Numidie, rassembla des sait que le prévoyant empereur avait
troupes et marcha contre Gordien. Les eu soin de se réserver les provinces des
habitants de Carthage prirent les ar- frontières qui étaient sans cesse me-
mes pour défendre celui qui avait été nacées et où campaient de nombreuses
élu et proclamé empereur au milieu légions (**). Pourquoi donc, en 424,
d'eux. Les Carthaginois furent vain- Théodose le jeune lit-il entourer Car-
cus. Le jeune Gordien fut tué dans la thage de fortes murailles? On ne le
bataille, et son père, qui ne conser- sait. C'était peut-être par un vague
pressentiment des maux qui allaient
(*) Les événements les plus importants
fondre sur l'Afrique. Mais, certes, on
qui signalent, à Carthage, le commencement était loin de prévoir que les ennemis
et le milieu du deuxième siècle de notre ère, qui devaient envahir cette province du
sont la construction du grand aqueduc par vieil empire romain étaient des barba-
res venus des bords de la Baltique.
Adrien et l'incendie du Forum sous le règne Pebsistance de la race punique
d'Antonin le Pieux.
(**) Septime Sévère, s'il faut en croire
Tzeizès, lit élever un tombeau de marbre (*) Sous le sixième consulat de Dioclétien
blanc au plus illustre des Carthaginois, à et le cinquième de Maximien, on éleva des
Annibal , qui était Africain comme lui. Si thermes à Carthage. On les appela Thermes
Tzeizès dit vrai, ce tombeau de marbre de Maximien.
blanc fut vraisemblablement placé à Car- (**) Tillernont, Histoire des empereurs,
thage, qui était la patrie d' Annibal. t. I, p. 8 de l'édition in-i^ ; Bruxelles, 1707.
153
CARTHAGE.

dans Carthage romaine. — Il n'est nalogue dans les rits italiques, mais
point inutile de constater ici la per- qui se rapprochaient beaucoup des pra-
sistance de la race punique au sein tiques en usage
même de Carthage devenue colonie pereur Héliogabaledans l'Orient.
comprit L'em-la
aisément
romaine. transformation qui s'était opérée; sous
La victoire de Scipion Emilien n'a- le nom romain il distingua i'Astarté
vait pu anéantir d'un seul coup tous phénicienne , et lorsque , par un ca-
les descendants des Phéniciens. D'a- price bizarre, il voulut unir par ma-
bord ,au commencement du siège que riage ledieu Baal et la Juno Cœlestis,
nous avons précédemment raconté, il n'ignorait pas qu'il rapprochait ainsi
plusieurs familles avaient dû quitter deux divinités asiatiques qui apparte-
Carthage pour se réfugier dans les vil- naient àune seule et même religion.
les voisines. Ensuite, on peut croire Ce n'était point seulement par le
qu'après le siège, au moment même genre des hommages qu'ils rendaient
de la destruction de la cité punique , à Junon Céleste que plusieurs habi-
plusieurs de ceux qui avaient défendu tants de Carthage décelaient leur ori-
gine phénicienne, mais encore par les
leurs foyers jusqu'à la dernière extré-
mité échappèrent à la mort et à l'es- sacrifices
leurs anciens humains dieux. qu'ils
Dans faisaient
la colonieà
clavage.
« TJn fait très-curieux pour l'histoire romaine, le sang des hommes coula
de Carthage romaine, dit M. Dureau plus d'une fois en l'honneur de Baal
de la Malle , se trouve égaré dans le et de Melcarth, et nous avons dit pré-
vaste recueil d'Athénée où personne cédemment que, sous les empereurs ,
ne s'est avisé d'aller le chercher. Cet on fut obligé de faire des lois sévères
auteur rapporte un discours du péripa- pour arrêter ces terribles et sanglantes
immolations.
téticien Athénion, devant l'assemblée
du peuple d'Athènes , dans lequel ce A Carthage et dans le pays qui avoi-
philosophe affirme que non-seulement sinait cetteville, la langue punique
les peuples italiques, mais que les Car- ne cessa point d'être en usage, même
thaginois même ont envoyé des ambas- à l'époque de la domination romaine.
sadeurs àMithridate, pour conclure Nous pourrions peut-être donner ce
avec lui une alliance offensive dans le fait comme une preuve de la persis-
but de détruire la puissance de Ro- tance de la race vaincue. Apulée nous
me. Ce document curieux prouve qu'à apprend que, sous le règneà Carthage
d'Anto-
cette époque beaucoup de Carthaginois nin , on parlait également
étaient encore mêlés à la colonie ro- le punique et le latin; et longtemps
maine, qui, formée d'Italiens, parta- encore après le siècle où vécurent An -
geait la haine des vaincus contre le tonin et Apulée, on se servait, en
sénat obstiné à lui refuser le droit de Afrique, de la vieille langue des Phé-
cité. » niciens, sil'on en juge par le passage
Mais il est une chose qui prouve suivant que nous empruntons à l'un
mieux encore la persistance de la race de nos plus savants et de nos plus il-
punique au milieu de la colonie ro- lustres historiens. « Le premier ou-
maine, c'est la transmission non in- vrage de saint Augustin contre les
terrompue des idées religieuses venues donatistes fut un cantique en rimes
de l'Orient. La religion des Carthagi- acrostiches, suivant l'ordre de l'alpha-
nois se releva pour ainsi dire avec leur bet, pour aider la mémoire. Saint Au-
ville. Parmi les anciens temples que les gustin lelit d'un style très-simple, et
Romains consacrèrent à leurs dieux, n'y observa point la mesure des La-
il y en eut un qui acquit bientôt un tins de
, peur d'être obligé d'y mettre
grand renom : ce fut le temple de Juno quelque mot hors de l'usage vulgaire,
Cœlestis. La déesse Céleste, comme
car il composa truction du basce peuple
cantique
; cepour
gai l'ins-
fait
on l'appelait alors, fut honorée par
des cérémonies qui n'avaient rien d'a- voir qu'encore que la langue punique
154 L'UNIVERS.
fût encore en usage dans cette partie tait un homme nourri dans les lettres
de l'Afrique, il y avait peu de gens et la philosophie, et qui lisait assidû-
qui n'entendissent le latin (*): » ment les ouvrages de Tertullien. Il
Carthage chrétienne. — On ne consuma sa vie à ranimer par ses écrits
saurait fixer d'une manière précise le le zèle de ceux qui partageaient ses
temps où le christianisme pénétra pour croyances, et à combattre les ennemis
la première fois dans l'Afrique cartha- de la religion chrétienne. Il avait
échappé bien des fois aux ruses des
la fin du ginoise.
deuxième Nous savons
siècleseulement
de notre qu'à
ère persécuteurs et à la fureur du peuple
on comptait déjà dans cette province qui ne cessait de crier : Cyprien aux
un grand nombre de chrétiens. C'était lions ! lorsqu'il souffrit le martyre sous
l'époque où vivait à Carthage un des l'empereur Valérien.
plus illustres écrivains de l'Église, Ter- Après les sanglantes persécutions de
tullien. Cet homme qui, suivant l'ex- Dioclétien et de Galérius , la religion
pression deFleury, avait un génie dur, chrétienne triompha enfin dans toutes
sévère et violent, une grande chaleur les parties de l'empire. Mais la lutte
d'imagination , composait dans cette contre le polythéisme était à peine
ville , pour l'instruction ou la défense terminée, que l'Église fut agitée par
de ses frères en religion, les éloquents des dissensions intestines et de gran-
traités qui l'ont rendu à jamais cé-
lèbre. des discordes. A Carthage, l'élection
contestée de l'évêque Cécilien devint
Les édits de persécution atteigni- la cause d'un schisme. Les dissidents
rent bientôt en Afrique les sectateurs donatistes se multiplièrent bientôt dans
des idées nouvelles. L'an 200 de notre toutes les parties de l'Afrique. Ce fut
ère, sous le règne de Septime Sévère, à l'occasion de ce schisme qu'on vit à
on amena douze chrétiens à Saturnin, alors à Carthage de nombreux conci-
proconsul de la province carthaginoi- les, et qu'un des Pères les plus illustres
se. Nous citerons ici les noms glorieux de l'Église, Augustin, évêque d'Hip-
de ces douze premiers confesseurs de pone, soutint dans ses écrits de lon-
l'Église d'Afriquc.Sept hommes : Spe- gues et célèbres controverses (*). La
ratus, Narzal, Cittin , Veturius, Fé- querelle entre les orthodoxes et les
lix, Acyllin, Letantius; cinq femmes : donatistes n'était point encore apai-
Januaria, Generosa, Vestina, Donata sée lorsque les Vandales passèrent en
et Secunda, aimèrent mieux , par un Afrique.
sublime dévouement, perdre la vie que État florissant et splendeur
renoncer à leurs croyances. Ce fut de Carthage sous la domination
vraisemblablement à l'occasion de ce romaine; arrivée des Vandales
martyre que Tertullien écrivit le plus en Afrique. —Au commencement d*
célèbre de ses ouvrages, Y Apologéti- l'empire, Strabon disait déjà de Car-
que. Mais le hardi défenseur des chré- thage :« Maintenant il n'existe point
tiens ne put se faire entendre, et, au de ville en Libye qui soit plus peuplée; »
moment où circulait dans toutes les et Pomponius Mêla, peu de temps
mains son éloquent plaidoyer, il vit, après, la représentait comme une cité
à Carthage, le supplice de Perpétue et riche et florissante. Sous le règne d'An-
de Félicité (**). tonin, Apulée, en faisant une pom-
Au milieu du troisième siècle, Cy- peuse description de Carthage , nous
parle de sa nombreuse population, de
prien illustra l'Église de Carthage. C'é- la beauté de ses édifices , du luxe qui
t
(*) Yoyez Fleury, Histoire ecclésiastique,
liv. xix.
(*)schisme
et le En ce quidesconcerne l'Église
donatistes, nous derenvoyons,
Carthage
(**) Nulle légende chrétienne n'égale en
beauté le récit des longues souffrances de pour de plus amples détails, à la partie de
Perpétue et de Félicité. Voyez les Acta cet ouvrage qui est consacrée à Y Afrique
chrétienne.
martyr um sincera.
I
fa
h

S
CARTHAGE. 155

éclatait de toutes parts dans son en- cette ville qu'écrivirent et parlèrent
ceinte, etde la richesse de ses habi- Tertullien et Cyprien , et que saint
tants. Hérodien prétend qu'à l'époque Augustin enseigna la rhétorique.
de Gordien elle ne cédait qu'à Rome Pour compléter ce tableau, il nous
seule, et qu'elle disputait le second suffira de donner ici une description
rang à Alexandrie. Solin, qui écrivit, de Carthage faite par Salvien, au mo-
comme l'a démontré Saumaise, avant ment même où l'empire était envahi
la translation de l'empire à Constante de tous côtés par les nations barbares.
nople, nous dit : « Carthage est main- «Je prendrai, dit-il, pour exemple Car-
tenant après Rome la seconde ville du thage, lapremière et presque la mère
monde. » Un géographe qui vécut sous de toutes les villes d'Afrique, toujours
l'empereur Constance vante la beauté la rivale de Rome, autrefois par ses
de ses rues et de ses places , la sûreté armes et son courage, depuis, par sa
de son port, et la magnificence du grandeur et par sa magnificence; Car-
Forum décoré par le superbe portique thage ,la plus cruelle ennemie de
des banquiers (*). A l'époque de Valen- Rome, et qui est pour ainsi dire la
tinien et de Gratien , Ausone ne met Rome de l'Afrique. Là se trouvent des
au-dessus d'elle que Rome et Cons- établissements pour toutes les fonc-
tantinople. tions publiques, des écoles pour les
Les nombreux témoignages que nous arts libéraux , des académies pour les
venons de citer, peuvent nous don- philosophes, enfin des gymnases de
ner une haute idée de la splendeur toute espèce pour l'éducation physique
de Carthage romaine. Cette ville , en et intellectuelle; là se trouvent aussi
effet, voyait circuler dans son enceinte les forces militaires et les chefs qui diri-
une innombrable population. Elle était gent ces forces; là s'honore de résider
ornée de superbes édifices. Elle avait le proconsul qui, tous les jours, rend
un cirque, un théâtre, un amphithéâ- la justice et dirige l'administration ,
tre, un gymnase, un prétoire, de beaux proconsul quant au nom seulement ,
temples (**), des rues et des places mais consul quant à la puissance; la
bien alignées et un immense aqueduc. résident enfin des administrateurs de
Elle s'enrichissait par le commerce et toute espèce, dont les emplois diffèrent
autant que les noms, qui surveillent,
l'industrie.
teurs et des Elle possédait
fondeurs des et
habiles, sculp-
ses en quelque sorte, toutes les places et
œuvres d'art étaient recherchées. Elle tous les carrefours , qui tiennent sous
brillait aussi dans les sciences et dans leurs mains presque toutes les parties
de la ville et tous les membres de la
les lettres; Apulée, sous le règne d'An-
tonin, se faisait gloire d'être sorti des population. »
écoles de Carthage ; et ce fut dans Quand Salvien écrivait ces mots ,
dans tait
un pasouvrage célèbre, l'instant n'é-le
éloigné où , franchissant
(*) Voyez
ehlercnes M. topographie
sur la Dureau de la
de Malle", Re-
Carthage. détroit de Gadès, les Vandales allaient
(**) A partir de l'établissement du chris- se répandre en Afrique et faire de
tianisme dans l'empire , on vit s'élever à Carthage la capitale de leur empire.
Carthage plus de vingt églises ou monastères.

FIN.
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS CARTHAGE.

une sédition dans son armée; augmente ses


Adherbal inquiète par ses incursions les forces d'une partie de l'armée d'Ophellas
Romains qui assiègent Lilybée, 54 a ; rem- qu'il fait mourir par trahison; s'empare
porte une victoire signalée sur la flotte du d'Utique et d'Hippo/.aritus ; soumet à son
consul Claudius, et introduit des vivres dans pouvoir plusieurs villes maritimes et peu-
Lilybée, 56 a, 57 b; confie cent galères à ples de l'Afrique; laisse le commandement
Carthalon et lui ordonne d'attaquer la flotte à Arcbagatbe, l'un de ses fils, et retourne
romaine, 58 a. en Sicile, 24 a, 29 a; repasse en Afrique, y
Adrumèle prise par Agatbocle, 24 a, b. essuie plusieurs revers ; s'embarque seul
Africains , obtiennent par les armes le pour la Sicile, laissant ses deux fils, qui sont
payement du tribu imposé à Cartbage pour
égorgés par leurs
fait un traité avec les soldats ; l'année ; suivante
Carthaginois sa mort
pri\ de son territoire, 5 b ; sont forcés plus
lard de renoncerai! payement de ce tribut, vingt-cinq ans après ce traité ; pendant ce
temps aucun événement remarquable, 29 a,
6 b; un grand nombre d'entre eux servent
comme mercenaires sous Annibal , fils de 3o b; avait donné sa fille en mariage à
Giscon , 7 b; abandonnés par Imilcon de- Pyrrhus, 3i a.
vant Syracuse, ils se révoltent, forment en Agrigente, assiégée par Annibal, fils de
Afrique une armée nombreuse, menacent Giscon, et Imilcon, fils d'Hannon, est aban-
Cartbage et se retirent sans aucun autre donnée par ses habitants; les Syracusains
avantage, i3 a, b; se révoltent de nouveau leur assignent une ville pour asile, 8 b, 9 a;
sans succès, 14 b; cinq mille Africains ser- elle est rasée par Imilcon, 9 b; prise par
vent la cruauté d'Agaibocle, 18 b; les Afri- les Romains, 36 b ; assiégée et ruinée en-
cains tributaires de Cartbage passent dans tièrement parles Cartbaginois, 48 a.
son parti, 23 b; cinq mille Africains vou- Alalia, fondée dans la Corse par les Pho-
lant quitter Agatbocle, répandent, par leur céens, i32 b.
apparition, la terreur parmi les Carthagi- Aléria, en Corse, prise par les Romains,
nois, et par leur rentrée dans le camp d'A-
gathocle y causent une égale frayeur, 29 b, 40 Amilcar
a. Barca, Carthaginois, général des
3o a; se joignent aux mercenaires dans armées de terre et de mer en Sicile, se re-
leur révolte contre Cartbage, 65 a. tranche sur la montagne d'F.rcté, s'y main-
tient trois ans, 59 b, 61 a ; fait entrer des
Afrique. Quels peuples, d'après les livres
des Hébreux, en ont occupé la région sep- vivres et des secours dans Lilybée, 61 a;
tentrionale, 2a.
s'empare de la ville d'Eryx et s'y maintient
Agatbocle , sa naissance ; simple soldat deux ans, 61 a, b; après la conclusion du
dans les troupes svracusaines, se distingue traité de paix, se démet du commandement,
par sa valeur; se fait chef de pirates, est 65 a ; était suspect aux mercenaires révol-
deux fois exilé de Syracuse : il en fait le tés, 67 a; est chargé de mettre fin à la
siège; par l'appui d'Amilcar il y est nommé guerre de Libye, et remporte plusieurs vic-
préteur; sous quel prétexte il déclare la toires, 70b, 72 b; il réunit à son armée les
guerre aux Carthaginois; vaincu deux fois, troupes d'Hannon; la division éclate entre
il rentre dans Syracuse, 18 a, 19 a; assiégé, les deux généraux , Amilcar reste seul à la
il éebappe aux Carthaginois et débarque en tète de l'armée, 74 a, b; il marche contre
Afrique, brûle sa flotte, défait Hannon et les rebelles qui assiégeaient Carthage; il se
Bomilcar, reçoit des vivres et de l'argent joint de nouveau à Hannon, et remporte
des Africains et de plusieurs cités puissan- avec lui une victoire qui met fin à cette
tes, 19 a, 23 b ; assiège et prend Adrumète; guerre, 74 b, 77 b; il passe en Espagne,
bat les Carthaginois devant Tunis ; reçoit délivre Cadix de ses ennemis et s'empare
des Syracusains la tète d'Amilcar; apaise d'une partie de la province; il y commande
138 TABLE DES MATIÈRES
les armées avec succès pendant neuf ans, et ment de l'armée, soumet plusieurs peuples
meurt sur le champ de bataille, 78 a, b. en Espagne, 81 a, ruine Sagonte , allume
Amilear remplace en Sicile le vieil Han- ainsi la guerre entre Carthage et Rome
nou, 37 a; fond sur les auxiliaires des Ro- (voyez deuxième guerre punique); la guerre
mains, et bat aussi l'autre partie de leur étant terminée, il fait d'importantes réfor-
armée, 3g b. mes dans l'administration de la justice et
Amilear, général carthaginois, est de- des revenus de Carthage, 97 b, 98 a ; pour-
mandé par des ambassadeurs romains après suivi par les Romains , il se rend auprès
la fin de la deuxième guerre punique , d'Antiochus, roi de Syrie; Antiochus se
comme continuant la guerre dans la Gaule; décide à faire la guerre aux Romains, il est
il perd la vie dans une bataille, 97 a, b. vaincu ; Annibal se rend auprès de Prusias,
Amilear, fils de Magon , aborde à Palerme roi de Bithynie ; celui-ci ayant résolu de
avec un armement considérable, fait le siège le livrer aux Romains , Annibal met fin à
d'Hymère, périt dans cette expédition ; deux ses jours par le poison , 98 a , 101 b.
traditions sur sa mort, 6 a, b. Annibal (le Rhodien), parti de Carthage ,
Amilear II, fils de Giscon, aborde à Li- entre dans le port de Lilybée et en sort en
lybée, est entièrement défait par Timoléon, présence de la flotte romaine ; il réussit
16 a, 17 a; remporte une victoire sur Aga- ainsi plusieurs fois à faire connaître aux
tocle, 19 a; assiège Syracuse, 19 b; repoussé Carthaginois les besoins de cette place ; il
avec perte, il lève le siège, 24a; l'attaque de est pris avec son vaisseau , 54 a , 55 a.
nouveau , et Tombe au pouvoir des Syracu- Apollon, son temple, à quel culte il fut
sains qui le font mourir, a5 a , b. depuis consacré; à quelle époque subsistait
Annibal , joint à Amilear, fait le siège encore sa statue colossale, 146 a.
de Tunis dans la guerre de Libye; Mathos, Appien, cité sur les fondateurs présumés
dans une sortie, le fait prisonnier et le cloue de Carthage, 1 b; sur la partie de Car-
encore vivant sur la croix de Spendius, thage que Scipion fit écrouler par la sape ,
126 a.
70 b, 77 a.
Annibal , fils d'Asdrubal. Appius Claudius, surnommé Caudex; se
Annibal suffète, fils de Giscon, engage rend à Rhége, perd quelques vaisseaux dans
les Carthaginois à secourir Ségeste contre sa première tentative de faire lever le siège
de Messine , réussit ensuite à y aborder ;
Syracuse ; il prend d'assaut Sélinonte et
Hymère, 7 b, 8 a; dans une seconde expé- défait d'abord Hiéron , puis les Carthagi-
dition, ilfait le siège d'Agrigente et meurt nois; met le siège devant Syracuse, repasse
de la peste devant cette place, 8 b. en Italie, 33 a, 34 b.
Annibal II , joint à Amilear II, aborde à Apulée , fait une pompeuse description
Lilybée, est entièrement défait par Timo- de Carthage, i54 a.
léon, 16 a, 17 a.
Annibal, fils de Giscon, enfermé dans Archagathe , un des fils d'Agathocle ,
reçoit le commandement des forces syracu-
Agrigente par les Romains, demande vive-
ment des secours à Carthage, 35 b; après sai'nes en Afrique, de son père qui retourne
en Sicile ; il essuie plusieurs revers ; Aga-
la défaite d'Hannon s'échappe de la ville tbocle revient en Afrique ; mais bientôt
avec toutes ses troupes, 36 b; par une ruse
ourdie avec les habitants de Lipari , il fait après, s'élant embarqué de nouveau , seul ,
pour la Sicile , ses soldats dans leur déses-
tomber Cornélius , avec une partie de la
3o a.poir tuent Archagathe et son frère, 28 a ,
flotte romaine, au pouvoir de Boodès, son
lieutenant; vaincu par Duilius, il envoie à Ardéates , nommés dans le premier traité
Carthage un ami qui, par une demande entre les Romains et les Carthaginois ,
adroite dans le sénat, prévient la punition 5 a.
probable de sa défaite, 37 b , 39 a; est Ariston , Tyrien , est envoyé à Carthage
mis à la tête d'une expédition contre la par Annibal réfugié chez Antiochus, dans
Sardaigne; bloqué dans un des ports par la quelles vues , 99 a , b.
flotte romaine, il est mis en croix par ses Aristote donne une époque remarquable
propres soldats, 3g b, 40 a. à la victoire de Gélon sur les Carthaginois
Annibal, fils d'Amilcar Barca. Son père en Sicile, 6 b.
le demande auprès de lui en Espagne, âgé Asdrubal , fils de Magon , onze fois suf-
de vingt-trois ans; son caractère, 79 a, b; fète; après avoir eu quatre fois les hon-
il succède à Asdrubal dans le commande- neurs du triomphe, il meurt en Sardaigne
1S9
CONTENUES DANS CARTHAGE.
des suites de ses blessures ,5b; noms de qui la commandait; il le conduit à Car-
ses trois fils, 6 b. thage, 37 b.
Asdrubal débarque en Sicile , attaqué Bostar, commandant des mercenaires à
Métellus près des murs de Paterme; est la solde de Carthage en Sardaigne, est tué
vaincu et se réfugie à Lilybée; il retourne par eux dans leur révolte, 73 a.
à Cartbage , y est mis à mort, 49 b, 5o b. Byrsa, citadelle de Carthage, 1 b. Sa po-
sition, i43 a, b.
Asdrubal, gendre d'Amilcar Barca, est
élu pour lui succéder en Espagne; il accroît, Byzacène (la), une des provinces cartha-
en se conciliant l'affection des peuples , la
puissance de Carthage ; il fonde Cartha- dité, i35ginoisesa.en Afrique, d'une extrême fécon-
gène et gouverne cette province pendant
huit ans ; il est assassiné dans sa propre C.
maison par un Gaulois, 78 b, 79 a. Cabala, ville près de laquelle Denys le
Asdrubal Hœdus, un des députés cartha- Tyran remporte sur les Carthaginois une
ginoisdans
, la deuxième guerre punique , victoire éclatante, 14 a.
prend la parole dans le sénat et implore la Caius Atilius Régulus, un des consuls
pitié des Romains , 96 a. sous lesquels les Romains remportent une
Asdrubal , général carthaginois , est en- victoire navale près du mont Eenome,
voyé en Sardaigne pendant la deuxième aborde en Afrique, y remporte de grands
guerre punique , son armée y est détruite , avantages; fait prisonnier, il est envoyé à
il'est conduitnomme à Rome prisonnier, Rome pour des négociations; à son retour
Athénée le Grec Palémon 88comme
b.
à Carthage, il y est mis à mort, 42 a, 52 b.
ayant écrit un traité sur la fabrication des C. Fundanius Fundulus.
étoffes tissues par les Carthaginois, i36 b; C. Graechus, conduit une colonie romaine
rapporte un discours prononcé à Athènes sur l'emplacement de l'ancienne Carlhage;
par Athénion, qui y affirme que les Car- signes
i5o a. funestes qui y apparurent, 149 b,
thaginois ont sollicité l'alliance de Milhri-
date contre les Romains, i53 a. C. Sempronius Blsésus et C. Servilius
Atilius Calatinus, consul, s'empare d'Hip- Cœpio, consuls, passent en Afrique avec
pane ; est délivré d'un danger imminent par une flotte ; à leur retour en Italie ils per-
le tribun Calpurnius Flamma ; prend Ca- dent dans une violente tempête un grand
marine; reçoit d'Amilcar un échec près de nombre de vaisseaux et d'autres bâtiments,
Lipari, 40 b, 41 b. 48 b, 49 a.
Aulus Atilius Calatinus, consul dans la Camarine, en Sicile; ses habitants, après
première guerre punique, avec Cn. Corn. l'entrée d'Imilcon dans Gela, reçoivent de
Scipio, s'empare de Palerme, 48 a, b. Denys le Tyran un asile sur le territoire de
Autarite, chef des Gaulois dans la guerre Syracuse, 9 b; un traité, qui les rend tri-
de Libye, 71 a. butaires de Carthage, leur permet de ren-
B. trer dans leur ville, dnd.; elle ouvre ses
portes à Amilcar, 40 b; est prise par les
Baal-Moloch. Voyez Saturne. Romains, 41 a.
Baccara, fleuve profond dans l'isthme Camicum, en Sicile, prise par les Ro-
mains, 41 a.
qui sépare Carthage de l'intérieur du pays,
70 b. Carthage : son origine, date de sa fonda-
tion, discussion sur ses fondateurs, 1, 2;
Baléares (îles), ce qu'elles fournissaient
aux Carthaginois, i36 a. ses accroissements jusqu'à l'an 543 avant
Battus, fondateur de Cyrène, 2 b. J.-C. ; ses guerres contre Cyrène, cou Ire
Bomilcar, envoyé avec Hannon contre les Phocéens, 2 b, 3 b ; détails sur ses ports,
Agathocle, se retire sur une hauteur voi- ses places et ses fortifications lors de la
troisième guerre punique, no a, b; sa
sine après la déroute et la mort d'Hannon,
par quels motifs, 22 a, 23 a; il tente de constitution au temps de sa splendeur, les
deux suffèles, les généraux, 128 a, i3i a;
s'emparer à force ouverte de la souveraine
puissance; il périt dans les tortures, 27 sa rigueur envers les peuples tributaires,
a, b. étendue de sa puissance en Afrique, ses
colonies, i3r a, i32 b; ses revenus, i34 b;
Boodès, lieuienanl d'Annibal, prend, par état florissant de son agriculture, i34 b,
un stratagème, dans le port de Lipari, une
partie de la flotte romaino, et Cornélius i35 b; industrie, commerce par mer et par
160 TABLE DES MATIÈRES
terre, i35 b, i36 b; monnaies, i36 b, 137 nois pour obtenir la paix des Romains,
a ; forces militaires, armées navales, armées 106 b, 107 a; les consuls se font remettre
de terre, 137 a, i38 b; religion, divinités, toutes les armes; les Carthaginois se prépa-
sacrifices, i38 b, 140 a, i53 a, b (voyez rent à soutenir un siège, se fabriquent des
Victimes humaines); littérature, 140 a, b; armes, remportent de fréquents avantages;
position de Carthage, situation des ports, les Romains s'emparent d'une partie de la
141 a, 142 b; forum, curie, rues princi- ville; les habitants sont en proie à la famine;
pales, 142 b, 143 a; Mégara ou la nouvelle après diverses attaques et uu affreux boule-
ville, 143 b; nécropoles, ilnd.; circonfé- versement, Carthage est anéantie, et tout le
rence, population présumée, 144 a> b; tri- territoire qui lui a appartenu est réduit en
ple défense, quais, 144 b, i45 a; portes, province romaine, 108 a, 128 a.
places publiques, temples, i45 b, 146 b; Carthalon, fils du général carthaginois
citernes publiques, gymnase, théâtre, am- Malchns, est mis en croix par son père,
phithéâtre, cirque, 146 b, 148 a; cirque, 4 a, b.
Carthalon amène de Carthage un renfort
thermes, aqueduc d'Adrien, prisons, palais
proconsulaire, 148 a, 149 a. — Carthage pour Lilybée ; il surprend la flotte romaine;
sous i.\ domination romaine. Une colonie
garantit sa flotte d'une tempête qui détruit
romaine y est établie malgré les impréca- les deux flottes des Romains, 57 b, 5g b.
tions antérieures et quelques signes funes- Casilin. Annihal, en présence de deux
tes, 149 a, i5o a; César y envoie des co- années romaines, force cette ville à capitu-
lons , mais elle ne prospère que sous le ler, 86 a.
consulat de Dolabella et de Marc-Anloine, Catane, prise par les Romains, 34 b.
i5o b; Auguste y envoie de nouveaux co- Catapultes. Voyez la note page 10.
lons, i5i a; est déjà florissante sous Tibère; Centénius Pénula, général romain, s'en-
gage témérairement dans la Lucanie; Anni-
quelques troubles s'y élèvent du temps de
Vespasien et de Commode; elle se révolte hal lui fait essuyer une perte de quinze
contre Maximin ; le proconsul Cordien mille hommes, 88 a.
prend à Carthage les marques de la dignité Centumvirat : but de son institution, 7 a.
impériale; mort de son fils et de son petit- Cephalœdium, port de Sicile, est livré
fils, i5i a, i5a b; la ville est entourée de aux Romains, 48 a.
murailles, i5?. b; faits divers attestant la César envoie des colons à Corinthe et à
persistance de la race punique dans cette Carthage, i5o b, i5r a.
colonie, i5a b, i54 a; la religion chrétienne
Clypéa, ville d'Afrique, la première qui
y compte des défenseurs et des martyrs, y fut prise par les Romains, 43 b; ils ['éva-
i54 a, b; quels auteurs ont décrit Car.- cuent et en ramènent la garnison en Sicile,
thage comme riche et florissante, jusqu'au Cneius Cornélius Scipion Asina, consul
temps où les Vandales en ont fait la capi-
tale de leur empire, i54 b, i35 b. dans
47 !>• la première guerre punique avec Aul.
Carlhagène, fondée par Asdrubal, gendre Attil. Calalinus, s'empare de Palerme,
d'Amilear, 78 b, 79 a. 48 a, b.
Carthaginois : leur entreprise sur la Si- Cueus Scipio > frère de Publius Corné-
cile, 3h; leur premier, deuxième, troisième lius.
traité avec les Romains, 4 b, i5 a, 3o b; Colonne rostrale. Voyez Duilius.
font alliance avec Xercès, 5 b; sont repous- Corbeau, machine destinée à faciliter
sés en Sicile par Oélon, 6a; forcés d'abord l'abordage dans les combats sur mer, 38 a.
de payer un tribut aux Africains pour prix Corinthiens, fondateurs de Syracuse; ils
du territoire de Carthage, 5 b, ils s'en af- y envoient Timoléon pour repousser l'atta-
franchis ent,b;
6 leurs expéditions souvent que des Carthaginois et rétablir le calme
renouvelées contre la Sicile, 3 b, 3a a; Pyr- dans la ville, i5 b.
rhus s'empare de toutes leurs possessions Cornélius, commandant de la flotte ro-
maine dans la première guerre punique,
en Sicile, à l'exception
voient en Sicile de Lilybée;
une nouvelle armée ilset en-
les est pris avec une partie de sa flotte dans le
recouvrent, 3i b; perdent leur allié Massi- port de Lipari par Boodès, et conduit à
Carthage, 37 b.
nissa, qui devient l'allié des Romains ; dis-
sensions non apaisées par les Romains; Cornélius Scipio, consul, commande la
guerre funeste aux Carthaginois (voyez Mas- flotte dans l'expédition contre la Sardaigne
sinissa) ; sacrifices continuels des Carthagi- et la Corse, est vainqueur d'Annibal et
CONTENUES DANS CARTHAGE. 161

d'Hannon, el soumet toutes les villes de Dion Cassius , sur les colons envoyés par
Sardaigne, 3g a, 40 a. César à Corinthe et à Carthage, i5o b.
Corse. Voyez Cyrne. Duilius , commande l'année romaine en
Coudée, son évaluation, i45 a. Sicile, dans la première guerre punique;
se met à la tète de la flotte; invente la ma-
Cyrne, aujourd'hui la Corse, conquise
par les Carthaginois, 3 b ; ils s'unissent aux chine appelée corbeau; défait la flotte car-
Étrusques pour en expulser les Phocéens ; thaginoise, puis reprenant le commande-
les Romains s'en rendent maîtres vers la fin ment de ses légions , fait lever le siège de
de la guerre de Libye, i32 b, i33 a. Ségeste et s'empare de Macella ; obtient le
premier le triomphe naval , 37 b, 39 a ;
colonne roslrale érigée en son honneur,
Denys l'Ancien ou le Tyran , marche au 39, a.
secours de Gela assiégée par Imilcon. Il y
essuie un échec considérable ; mais, favorisé Èbre, devait êtreE. pour les Romains el
par la peste, il obtient des Carthaginois un les Carthaginois la limite des deux em-
traité de paix qui confirme sa dominai ion pires, 78 b.
dans Syracuse, 9 b, 10 a; fait de grands Éclipse de soleil , favorise le débarque-
préparatifs de guerre ; livre à la fureur du ment d'Agathocle en Afrique, 20 a.
peuple de Syracuse les biens et les personnes Ecnome; les Carthaginois sont vaincus
des Carthaginois; assiège Molya et s'en em- par les Romains près de ce mont, et per-
pare, 10 b, 11 a. La peste ravageant l'ar- dent la plus grande partie de leur flotte,
mée des Carthaginois qui assiégeait Syra- 41 b, 43 a.
use, Denys les accable de toutes parts, Égates (les îles). Près de ces îles , le con-
jais facilite à Imilcon sa retraite avec les sul Lutatius remporte sur la flotte cartha-
Carthaginois seulement, 12 a, b; perd les ginoise une victoire qui met fin à la pre-
^sessions carthaginoises, dont il s'était mière guerre punique, 63 a, b.
gjjparé, et conclut un nouveau traité de Égithalle, pn Sicile, prise d'abord par le
D^x avec Magon , i3 b ; excite par de nou- consul Junius, est reprise par le général
carthaginois Carthalon, 59 b.
rèséesde
hostilités
Cabala les ,Carthaginois,
14 , a ; fait la qu'il
paix défait
après Église d'Afrique, quels hommes et
av^j-, été vaincu par Magon II ; recommence quelles femmes l'ont illustrée, i54 a, b.
ja alerre , et meurt peu de temps après avoir Éléphants; soixante sont amenés en
l'ait i11 nouveau traité de paix, 14 a, i5 a. Sicile par Hannon, presque tous pris par
Tje>ys le Jeune, succède à Denys le Ty- les Romains, 35 a, 36 b; employés pat
les Carthaginois devant Adis, 44 b; par
ran 'on père ; chassé de Syracuse , puis Xanlhippe, 46 b; par Asdrubal , 49 b,
de Lores' rentre Par trahison dans Syra-
cuse )ù il ne possède plus que la citadelle; 5o a, b; par Hannon dans la guerre de
jj ia '^met à Timoléon; se réfugie à Co- Libye, 69 a; par Amilcar dans la même
guerre, 71 a, b, 73 b; par Annibal à
rinthe l5 a' l6 a' Zama, 94 a.
jjjjqI ou Elysa , fondatrice de Carthage
suivant ^a tradition poétique, 1, 2 a; selon Elyma, chef africain, fait alliance avec
Virale * ^a'1 construire le théâtre de Car- Agathocle, 24 a, b.
thage l4?b- Éphore. Son évaluation de l'armée dé-
barquée en Sicile par Annibal , fils de
DioVore' C1^ sur 'a P0Pulat»on d'Agi i-
gente 3 a ' SUr ^a Peste qui désola l'armée 8 b.
Giscon ,7b; it. pour le siège d'Agrigente
d'Imil'c?n devant Syracuse, 12 a; nomme par Annibal et Imilcon, tils d'Hannon,
Leupo.funès une ville située non loin de
Erésus, ville fondée dans une des îles
Cartha?e» 22 a' sur ^a Srandeur du fossé
qui dé*eil(^alt Lilybée, 52 a; cité sur Ophel- Baléares par les Carthaginois; utilité de
ces îles pour Carthage, i33 b.
las et sur Bomilcar, 27 b; sur l'époque à
]i le Carthage commença à avoir des Eryx, ville située sur la montagne de ce
relalK)ns av^c les îles F>aléares, i33 b; sur nom, d'origine phénicienne, i33 a; prise
l'état de l'agriculture chez les Carthaginois, par Amilcar, 40 b; le consul Junius s'y
i35 a> sur la statue de Saturne, 146 a. ménage des intelligences et s'en rend ainsi
Difigène, général carthaginois, est vain- maître, 59 b; Amilcar Rarca l'emporte
cu par Scipion qui l'attaque dans son camp d'assaut ; cette montagne est, pendant deux
de Néphéris, 124 a, b. ans, le théâtre de la guerre ; quelques corps

11e Livraison. (Carthage.)-


162 TABLE DES MATIÈRES
de l'armée d'Amilcar tentent de la livrer sont établis par Denys le Tyran sur le ter-
aux Romains, 61 a, 62 a; tombe au pou- ritoire de Syracuse, 9 b.
voir des Romains après la victoire rem- Gélon, maître de Syracuse, remporte une
portée par Lutatius, 64 b. victoire signalée sur Amilcar qui assiégeait
Eschrion , un des lieutenants d'Archa- Hymère, 6 a, b; tente en vain de mettre un
gathe, est chargé par lui de défendre les terme à l'immolation des victimes humaines,
provinces de l'intérieur de lAfrique; il 139 b; le traité qu'il fit avec Carthage de-
périt dans une embuscade dressée par Han- vait yêtre déposé dans un temple, 146 b.
non, 28 a, b. Giscon, fils d'Amilcar, est banni de Car-
Espagne. Les Phéniciens y fondèrent les thage, et périt de misère à Sélinonte, 6 b.
premiers des établissements, entre autres Giscon, gouverneur de Lilybée, la pre-
Gadès; Carthage ne pénètre dans l'intérieur mière guerre punique étant terminée, fait
qu'après qu'elle a perdu la Sicile, la Corse partir séparément pour l'Afrique les divers
et la Sardaigne; quels avantages elle en corps de l'armée de Sicile, 65 a.
retire, i33 b, i34a; Amilcar y délivre Gordien, proconsul à Carthage, y reçoit
Cadix de ses ennemis, et y commande les le titre d'empereur ; il est vaincu par Capel-
armées carthaginoises pendant neuf ans , lien et met fin à ses jours, i5a a, b; son
78 a, b. (Voyez Amilcar Barea ; Annibal , fils est tué dans le combat; son petit-fils,
son fils; deuxième guerre punique.) après un ibid.
règne bien court, périt d'une mort
Espaguols , servent comme mercenaires violente,
sous Annibal fils de Giscon , 7 b ; de même Gracchus , défait Hannon, lieutenant
dans les rangs des Carthaginois pour la d'Annibal, 86 a.
Grecs, fournissent des mercenaires aux
défense d'Agrigente assiégée par les Ro-
mains 35
, b. Carthaginois, 45 b; tentent en vain de met-
Étrusques joints aux Carthaginois, rem- tre un terme à l'immolation des victime
humaines, 139 b.
portent une victoire navale sur les Pho-
céens, etles expulsent de l'île de Cyrne (la Guerre de Libye ou contre les mer-
Corse), 3 b. naires. Causes de cette guerre, 65 a, b; )„
Eumachus, un des lieutenants d'Archa- marchent sur Carthage et campent à T^
gathe, est vaincu par Imilcon, 28 b. nis, 65 b, 66 b; excités par deux séditiei"
Eusèbe, cité sur les fondateurs présumés
Spendius et Mathos, ils chargent de TS'
de Carthage, 1 b. Giscon et ses compagnons, et mette^ 1
siège devant Utique et Hippone, 67 a, g j} .
Eutrope, cité sur le motif de l'évacua-
tion de Clypéa par les Romains, 48 a. sont vaincus par Hannon, profitent . ^
négligence et le battent à leur tour , ^
70 a; sont défaits par Amilcar, 70 a, ' j}!
il les bat de nouveau et tente de tâ \\ner
Fabius, consul, s'empare d'une île dans
laquelle il établit ses machines pour le siège la guerre, 71 b, 72 b; Spendius et' at|10s
de Drépane, 60 a, b. la rallument en faisant mourir Gised- et jes
Femmes, travaillent dans les temples, à
prisonniers
siègent Carthage,carthaginois, 73 toutes
éprouvent a, 74 b''-|s as_
I jK))._
Carthage, pour la fabrication des armes, sa-
crifient leurs cheveux pour faire des cor- reurs de la famine; leurs chefs, d'a(^s (m
dages, 109 b; fin désespérée de la femme traité, sont retenus par Amilcar, les révol-
d'Asdrubal, 127 a. tés courent aux armes, Amilcar leayexter-
Festus Aviénus. On a de lui des frag- mine, 75 a, 76 b; il fait le siège de r;unis-
Annibal son lieutenant y est pris et ^s ei]
ments où il parle du périple d'Imilcon sur croix par les rebelles, 76 b, 77 a; Hinnon
la côte occidentale de l'Afrique, i34 a, b.
Florus, consul romain, s'oppose en Sicile est adjoint à Amilcar ; ils oublient leur, „ue.
relies et remportent une victoire dée.sjve
aux progrès d'Amilcar.
assiègent et soumettent Utique et Hipi„ne

Gaulois, servent comme mercenaires dans 77 Guerres


a» b. puniques. Causes de la p ,5 ]e '
jiert,
les rangs des Carthaginois, 35 a.
32 b, 33 a; défaite des Carthagi ;s et'
Gaulos, petite île de la Méditerranée, ser- prise de Messine : Syracuse est assiéf p9]
vait aux Carthaginois de station pour leur les Romains, 33 a, 34 a; rapidité de ^urs
commerce, i33 b.
Gela, prise par Imilcon ; les habitants en progrès, font un traité d'alliance avec 111e-
ron, 34 b, 35 a; assiègent A grigente, rem-
CONTENUES DANS CÀRTHAGE. 163
portent la victoire sur Annibal qui élait sieurs corps de mercenaires, 61 a, 6a a; les
dans la place, et sur Hannon qui venait la Romains équipent une nouvelle flotte, sont
vainqueurs près des îles Égales; un traité
secourir; ils s'emparent de la ville, 35, a,
37 a; les Carthaginois recouvrent un grand de paix termine la guerre, 6?. a, 64 b.
nombre de villes maritimes; les Romains Deuxième guerre punique. Causes de cette
construisent une flolle ; Cornélius est fait guerre, 80 a, b, 81 a ; ruine de Saeonte par
prisonnier et conduit à Carthage, 37 a, b; Annibal; Fabius, dans le sénat de Carthage,
victoire navale de Duilius , ses succès en offre la paix ou la guerre, 81 a, b ; Annibal
Sicile, 37 b, 39 a ; suites fâcheuses de la dis- entre dans les Gaules, franchit les Alpes,
sension entre les légions et les auxiliaires, entre en Italie, 8?. a, b; remporte un avan-
39 a, b; Annibal, à la tète d'une nouvelle tage sur les bords du Tésin; le consul Sci-
flotte, passe dans la Sardaigne; Cornélius
pion y est blessé; Sempronius, qui s'était
Scipio s'empare d'abord de la Corse, puis emparé de Malte, vient au secours de son
détruit dans un des ports de la Sardaigne la collègue, il essuie une défaite sur les bords
de la Trébie; les Gaulois dans la Cisalpine
plus
défaitgrande
ensuitepartie de laetflotte
Hannon d'An toutes
soumet ni bal; lesil
villes de cette île ; le consul Florus arrête prennent
trurie et parti
bat lepour Annibal
consul ; il gagne
Flaminius sur l'E-
les
bords du lac Trasimène; le consul Fabius
les progrès d'Amilcar, 39 b, 40 b; les Ro-
mains marchent sur Camarine, s'engagent l'arrête; mais bientôt les consuls Paul Émde
témérairement dans des défdés, sont sauvés et Varron essuient près de Cannes une
par le dévouement de quatre cents hommes cruelle défaite, 82 b, 83 b; cependant An-
nibal échoue devant Naples , mais Capoue
d'élite et du tribun M. Calpurnius Flamma;
ils s'emparent de Camarine et de plusieurs lui ouvre ses portes; Magon son frère, se
autres villes, essuient un échec sous les murs rend à Carthage et demande des secours,
de Lipari, 40 b, 41 b; remportent une on lui en accorde d'insuffisants, 84 a, 85 b;
grande victoire navale près du mont Ec- Rome lui oppose le consul Marcellus; il se
noine, 41 b, 43 b; abordent en Afrique et rend maître de plusieurs villes; mais son
lieutenant Hannon ayant perdu seize mille
y assiègent Clypéa, s'en emparent et la for-
tifient, 43 b; assiègent Adis, et défont les hommes, il n'espère plus se maintenir dans
Carthaginois devant cette place, prennent l'Italie centrale, 86 a; fait alliance avec
Tunis et y établissent un camp, 44 b, 45 a; Philippe, roi de Macédoine, 86 a, 87 b; va
n« ociations infructueuses, ibid.; Xanthippe jusque sous une des portes de Rome, ré-
dt Lacédémone reçoit le commandement trograde ,mais ne peut empêcher la prise
de Capoue par les Romains, 87 b, 88 a ; les
de l'année des Carthaginois, et remporte
sr les Romains une victoire signalée; Ré- Carthaginois font de nouveaux efforts pour
gi is est fait prisonnier, 45 b, 47 a ; la recouvrer la Sicile, la perdent sans retour,
flot *. romaine est détruite, en grande par- 88 b, 89 a; ils éprouvent en Espagne des
tie, r une tempête, 48 a; les Carthaginois revers continuels; ils perdent Carthagène,
«t'en arent d'Agrigente et la ruinent entiè- leur trésor et leur arsenal; cependant As-
rem. it, ibid. ; prise de Palerme par les Ro- drubal pénètre en Italie, 89 a, 90 b; son
mai s, 48 b; ils perdent dans une tempête, armée y est exterminée, il périt dans le com-
prè.c Je Palinure, un grand nombre de vais- bat ;l'Espagne entière, après la prise de
seaux, 49 a; les Carthaginois envoient de Gadès, est sous la domination romaine,
non elles forces en Sicile, 49 b; essuient 90 b, 91 a; Annibal et Magon sont rappe-
une ;anglante défaite devant Palerme, 5o a, lés en Afrique; Scipion assiège Utique, il
b; ik envoient Régulus à Rome pour né- surprend Asdrubal et Syphax , détruit la
gocier lapaix; son opinion prononcée dans dernière armée de Carthage, 91 b, 92 b ;
le sénat, son retour à Carthage, où il subit Annibal esl vaincu à Zama, conseille à ses
une mort cruelle, 5o b, 5i a; les Romains concitoyens de demander la paix , Scipion
assiépen» T bée, longue résistance de celte en dicte les conditions, accroît la puissance * 11.
, 09 a; les Romains perdent leurs de Massinissa, 93 b, 96 b.
■■■ ites par la tempête, 59 a; le consul Troisième guerre punique. Les consuls
Manilius et Censorinus assiègent Carthage;
Ju ,3 s'empare de la ville d'Eryx, ibid.;
Ai icar Rarca s'empare d'Ercté et s'y main- Manilius est attaqué dans ses retranche-
ti< it trois ans, 5g b, 61 a; il fait entrer des ments et sauvé par le jeune Scipion, fils de
secours dans Lilybée, s'empare d'Eryx, n'est Paul Emile, 109 b, ni b; il attaque le
point découragé par la défection de plu- camp d'Asdrubal à Néphéris, est encore
164 TABLE DES MATIÈRES
sauvé par Scipion, 112 a, n3 a; après la ne peut apaiser la révolte des mercenaires
mort de Massinissa, Gulussa, un de ses fils, contre Carthage, 65 b, 66 b.
se joint aux Romains; Phamaeas, général de Hannon , envoyé contre Agathocle en
la cavalerie carthaginoise, passe aussi de leur Afrique , est vaincu et tué dans la première
côté, 112 a, n5, a; Calpurnius Pison et bataille qu'il lui livre ; Bomilcar son col-
L. Mancinus prennent le commandement en lègue , par inimitié contre lui et voulant
Afrique; au siège d'Hippone par Pison, les usurper le pouvoir , abandonne le champ
Carthaginois incendient les machines des de bataille, 22 a, 23 a.
Romains ; Carthage est agitée par des divi- Hannon, riche citoyen de Carthage, veut
sions intestines n5, a, 116 a; Scipion par la force s'emparer du pouvoir; il péril
nommé consul, sauve les soldats de Manci- avec ses fils et tous ses parents au milieu
nus, prend le faubourg de Mégara, 117 b, des supplices , 17 a, b.
118 a; Asdrubal massacre les prisonniers Hécaiompyle, dans la Libye, est prise
romains, exerce des cruaulés dans Carthage par Hannon , 60 a.
qui est en proie à la famine, essaye de trai- Héliogabale veut unir le dieu Raal et la
ter avec les Romains , ses deux, entrevues Juno Cœlestis, i53 b.
avec Gulussa, réponse de Scipon, 118 a, Héraclide, tin des deux fils d'Agathocle,
20 a. V. Agathocle.
120 b; Scipion ayant presque fermé l'en-
trée des ports, les assiégés ouvrent une nou- Hercule Tyrien , ou Melcarth-Héraclès ,
velle issue, et engagent un combat naval ; protecteur de Tyr et de Carthage ; Cartha-
ils brûlent les machines de guerre des Ro- lon , fils de Malchus, lui porte le dixième
mains; Scipion reste maître de leurs ouvra- du butin fait en Sicile, 4 a ; dans un temps
ges avancés, 123 b, 124 a; défait entière- de revers les Carthaginois lui envoient de
ment l'armée campée devant Néphéris et riches présents, 23 a, b; ils transportèrent
prend cette ville, 124 a, b ; prise et incen- son culte dans leurs colonies , 146 a.
die de Carthage ; toute la partie de l'Afrique Hermanim, promontoire en Afrique, où
soumise aux Carthaginois est réduite en abordèrent les premiers navires romains
province romaine, ii5 a, 128 a. dirigés sur cette côte, 43 b.
Gula, chef numide, se joint aux Cartha- Hérodote : à quel jour il fixe la victoire
ginois dans la deuxième guerre punique , de Gélon sur les Carthaginois qui assié-
88 b. geaient Hymère , 6b; quelle fut , selon
Gulussa , fils de Massinissa, est interrogé lui,
ibid. la mort d'Amilcar , fils de Magon ,
à Rome sur la conduite de son père contre
les Carthaginois, 102 b ; est envoyé par son Hiéron , roi de Syracuse , fait d'abord
avec succès la guerre aux Carthaginois ,
père à Carthage avec une mission, il n'est
point admis dans la ville, 104 a; après la s'unit ensuite à eux contre les Romains
mort de son père, il est amené par Scipion pour recouvrer Messine, 32 a, 33 b ; vaincu
dans le camp des Romains, 11 3 b. par les Romains il retourne à Syracuse , y
H. est assiégé par eux ; il se sépare des Car-
thaginois etfait alliance avec les Romains,
Halycus , fleuve qui fut longtemps la 3i a, b; leur fait parvenir des vivres pen-
limite entre les possessions des Carthagi- dant qu'ils assiègent Agrigente, 36 a; leur
nois et celles des Svracusains en Sicile , fournit des machines pour le siège de Ca-
i33 b.
marine, 41 a ; d'après le traité fait par les
Hannon (le vieil) est envoyé en Sicile avec Romains avec les Carthaginois , ceux-ci ne
un renfort pour Agiigente , 35 a; il est feront la guerre ni contre Hiéron ni contre
vaincu par le consul Postumius 36 b; des- les Svracusains , 64 a ; il est bienveillant
titué et condamné à une forte amende, 37 a. envers les Carthaginois , surtout dans la
Hannon succède à Annibal dans le com- guerre de Libye, 75 a ; ses Étals sont dévas-
mandement de la flotte qui défendait la tés par une flotte carthaginoise, 88 b ; meurt
Sardaigne , est vaincu et perd la vie dans allié des Romains, 8g a.
un combat, 40 a. Hiéronyme, petit-fils du roi Hiéron , lui
Hannon s'empare d'Hécatompyle en Li- succède à Syracuse, 89 a.
bye, traite les vaincus avec humanité, 60a; Himilcon , général carthaginois , lutte
passe en Sicile pour se joindre à Amilcar, souvent avec succès contre les Romains en
est prévenu par le consul Lutatius qui l'at- Sicile, 89 a; succède à Asdrubal dans le
taque et remporte la victoire, 62 b, 63 b; gouvernement de l'Espagne, 89 b.
165
CONTENUES DANS CARTHAGE.
Hippane, en Sicile, prise par les Romains, d'un mal contagieux dans l'armée d'Imilcou
40 b. en Sicile, 7 a, b; est le seul qui fasse men-
Hippone , assiégée par les mercenaires tion d'un arrêt du sénat de Carthage qui
dans la guerre de Libye, 686 ; prend tout aurait interdit aux Carthaginois l'étude et
à coup parti pour eux, 74 b ; soumise enfin l'usage de la langue grecque, 14 b. Lui seul
par Amilcar et Hannon, 77 b; résiste aux aussi a.transmis le récit de ia conspiration
Romains, n5 a; saint Augustin en l'ut d'Hannon, 17 a, b; cité sur le supplice de
évêque , i54 b. Komiloar , 27 b; sur une expédition des
Hippo/.aritus , prise par Agathocle, 27 b; Carthaginois contre laK. Sardaigne, i32 b.
avait été fondée par les Phéniciens , i32 a.
Hymère , assiégée par Amilcar et secou- Karchedon, un des fondateurs de Car-
rue par Gélon ,6a; prise d'assaut et trai- thage, 1b.
tée cruellement par Annibal , petit-fils d'A- L.
milcar, 8 b. I.
Langue grecque , interdite , selon Justin ,
aux Carthaginois, 14 b.
Icétas, tyran de Léontium , s'empare de Léonidas , roi de Lacédémone, refuse son
Syracuse, mais non de la citadelle; est secours à Amilcar en Sicile, 6 a.
vaincu deux fois et repoussé par Timoléon, Lepline , un des généraux de Denys le
i5 b, 16 a.
Tyran , est tué dans une bataille gagnée
Imilcon , général carthaginois , défend
par Magon ,11, 14 a.
courageusement Lilybée , 52 b; attaque
vivement les machines des Romains ; leur Leuco-Tunès, ville prise par Agathocle,
non loin de Carthage, 22 a.
fait perdre beaucoup de monde par une
sortie; favorisé par un ouragan, il détruit Lilybée, d'origine phénicienne; les Car-
thaginois fondèrent sur cette côte leurs
leurs machines par le feu, 55 a, b. premiers établissements en Sicile, i33 a.
Imilcon, fils d'Amilcar; après plusieurs Asdrubal en part pour attaquer Métellus;
victoires en Sicile , son armée y est désolée
par une maladie contagieuse, il en ramène vaincu, il s'y réfugie, 49 b, 5o b; est assié-
gée par les Romains; courageusement dé-
les débris à Carlhage et s'y donne la mort , fendue par Imilcon, reçoit un renfort amené
7 a , b. par Annibal, des vivres par Adhei>bal, des
Imilcon, fils d'Hannon, est donné pour secours et des vivres par Amilcar, 52 a, 61
lieutenant à Annibal ; il assiège Agrigente
a; Lutatius s'empare du port; il y amène
et s'en rend maître par la famine , 8 b, 9 ; ses prisonniers et les vaisseaux qu'il a pris
ne peut empêcher la prise de Motya par près des îles Ëgates, 62 b, 63 b.
Denys le Tyran, 10 b; étant nommé suf- Lucius Junius , consul dans la première
fète, il envoie secrètement à la tête de dix
vaisseaux légers un commandant qui coule guerre punique, est chargé d'amener des vi-
à fond tous les vaisseaux qui se trouvaient vres et des munitions à l'armée qui assiège
dans le port de Syracuse ; son retour en Si- Lilybée; jette l'ancre près de Camarine,
plage dangereuse ; les deux flottes romaines
cile où il reprend Moty-a et plusieurs autres y sont presque entièrement détruites par la
villes, forme le siège de Syracuse, commet
tempête, 57 b, 59 a; il s'empare de la mon-
des actes d'impiété, 11 a, b; une maladie
contagieuse accable son armée ; il est vaincu tagne etde la ville d'Éryx; la place d'Égi-
thalle lui est enlevée par Carthalon, 59 a, b.
par Denys sur terre et sur mer, 12 a, b; Lucius Manlius Vulso , consul , chargé
à quel prix il se retire avec les seuls Car- avec C. Atilius Régulus de préparer une
thaginoifinit
s; misérablement à Carthage, nouvelle flotte, 49 b.
12 b, i3 a. J.
Lutatius, consul, passe en Sicile à la tète
d'une flotte nombreuse ; remporte, près des
Jérôme (saint) , cité sur les fondateurs îles Égates, une victoire qui met fin à la
présumés de Carthage , 1 b. première guerre punique, 62 b, 64 a.
Junius. V. Lucius Junius.
Lyciscus, un des lieutenants d' Agathocle,
Junonia , nom donné à la ville qui fut est tué par Archagalhe au milieu d'un re-
fondée par la colonie romaine établie sur pas, 26 a. M.
le sol de Carlhage, i5o a.
Justin , cité sur les victimes humaines
Macella, ville 39
saut par Duilius, de a.Sicile, emportée d'as-
immolées à Carthage ,4a; sur les ravages
166 TABLE DES MATIÈRES
Magon, suffète et général carthaginois,
vient avec une flotte au secours des Romains, dans un combat, 88 a; Syracuse s'étant dé-
clarée pour les Carthaginois, il en avait fait
après leurs défaites par Pyrrhus, 3i a ; dans le siège et s'en était emparé, 89 a.
quel but il a une entrevue avec lui, ibid. Marcus iEmilius Paulus, consul pendant
Magon, suffète et général carthaginois, la première guerre punique, 44 a.
établit le premier la discipline militaire, Massinissa, roi d'une partie de la Numi-
augmente la puissance de sa patrie et laisse die, allié de Carthage, passe du côté des
deux fils illustres, 5 b ; pouvoir de cette
Romains, 91 a; agit avec eux lors de l'in-
famille , institution d'un tribunal destiné à cendie du camp des Carthaginois par Sci-
le tempérer; 6 b, 7 a. pion, 92 b; combat avec les Romains à la
Magon, à la tète de la flotte jointe à l'ar- journée de Zama, 94 a; reçoit de riches
présents des ambassadeurs romains, 97 b;
mée d'imilcon, remporte une victoire signa-
lée sur la flotte syraeusaine, n b. attaque les Carthaginois, 99 b, 100 b; ses
Magon, suffète et général carthaginois, envahissements ne sont point franchement
est envoyé contre Denis le Tyran; reprend réprimés par les Romains, 101 b, io3 a;
les anciennes possessions carthaginoises, et quarante citoyens de Carthage, partisans de
conclut un nouveau traité de paix avec De- Massinissa, sont bannis de cette ville, ils
nys, i3 b; est de nouveau envoyé contre excitent à la guerre Massinissa, qui s'empare
Denys; bataille décisive auprès de Cabala; d'Oroscope, io5 a; une première bataille
Magon vaincu y perd la vie, 14 a. livrée par Asdrubal laisse la victoire dou-
Magon II, fils du précédent , remporte
teuse la
; peste ravage l'armée des Cartha-
sur Denys de grands avantages, 14 a, b; en- ginois; Massinissa accorde la paix à de dures
voyé à la tète d'une forte année et d'une conditions, io5 a, 106 a; promet aux Ro-
flotte nombreuse pour s'emparer de Syra- mains une loyale assistance dans leurs nou-
cuse assiégée par Timoléon, ilbse croit trahi velles entreprises contre Carthage, ko a;
par ses troupes et les ramène à Carthage; charge Seipion de régler les affaires de sa
il prévient par une mort volontaire le sup- succession, 1 1 3 b.
plice auquel il est condamné, i5 b, 16 a. Malhos, chef des mercenaires dans la
Malchus s'empare de la plus grande par- guerre de Libve. Voyez Guerre de Libye.
tie de la Sicile, 3 b; banni de Carthage, Mauritanie Tingitane. Syphax et les siens
comme l'auteur des revers essuyés en Sar- sont repoussés jusque dans cette contrée par
daigne, il y l'entre par la force des armes les Carthaginois dans la deuxième guerre
après avoir fait mourir son fils; fait mettre
punique, 88 b.
à mort dix des sénateurs; bientôt après il
Mégalopolis,
thocle, 22 a. emportée d'assaut par Aga-
périt lui-même accusé d'aspirer au trône,
4 a, b. Mégara, ou la nouvelle ville, partie la
Malga, village moderne; sur quelles rui- moins peuplée dans Carthage, 143 b.
nes ilest bâti, 146 b.
Mercenaires, tirés de l'Afrique et de l'Es-
Malte ou Mèlita, avait appartenu aux pagne par Annibal, fils de Giscon, 7 b;
Phéniciens, Carthage s'en était emparée; Étrusques, Celtes et Samnites sous Agatho-
était renommée pour ses tissus, i33 b; cle, 29 a; levés par les Carthaginois, dans la
Sempronius s'en rend maître, 88 a. première guerre punique, dans la Ligurie,
Mamerlins (les) se rendent maîtres de Mes- la Gaule et surtout dans l'Espagne, 35 a;
sine, s'unissent à une légion romaine, qui, chez les Grecs pour résister aux Romains,
avec leur secours, s'empare de Rhége, 32 b, 45 b; quatre mille d'entre eux soutiennent
33 a; bientôt après, les uns livrent la cita- Bomilcar qui aspirait à la tyrannie, 27 a;
delle de Messine aux Carthaginois ; les au- les Carthaginois, dans un avantage qu'ils ont
tres offrent cette ville aux Romains qui sur AgalhocK', accablent les mercenaires et
leur promettent de les secourir, 33 a. en tuent environ trois mille, 28 a, b; les
Manlius, consul, remporte avec Régulus mercenaires des Carthaginois, revenus de
une victoire navale sur les Carthaginois, Sicile en Afrique après la première guerre
près du mont Ecnome, 42 a, 43 a; reçoit punique, se révoltent contre Carthage: voy.
l'ordre de retourner à Rome avec les pri- Guerre de Libye; se révoltent aussi en Sar-
sonniers romains retrouvés en Afrique, et
daigne; les soldats d'Hannon se joignent à
une partie de la flotte, 44 a. eux, massacrent Hannon et tous les Cartha-
Marcellus, consul, arrête Annibal dans
ginois quiétaient dans l'île; ils sont ensuite
presque toutes ses entreprises, 86 a; est tué expulsés par les habitants de la Sardaigne,
CONTENUES DANS CARTHAGE.
167
qui est ainsi perdue pour les Carthaginois, Peste : désole Carthage après sa conquête
72 b, 73 a. d'une grande partie de la Sicile, 3 b; ra-
Messine est occupée par les Mamertins, vage en Sicile l'armée d'Imilcon, 7 a; dé-
32 b ; devient le sujet de la première guerre sole l'armée carthaginoise , et fait mourir
punique; les habitants, excités par les pro- Annibal, fils de Giscon , au siège d'Agri-
gente, 8 b; Imilcon, maître de Gela, mais
messes du consul romain qui s'est introduit
dans la place, chassent de la citadelle le forcé par une maladie contagieuse de faire
commandant qui la tenait pour les Cartha- la paix avec Denys le Tyran, ramène la
ginois ceux-ci
: assiègent la ville; elle tombe peste à Carihage, 10 b; au siège de Syra-
au pouvoir des Romains, 32 b, 34 b. cuse il
, voit de nouveau son armée en proie
à ce fléau, 12 a; il affaiblit de nouveau
Métaure, fleuve de l'Ombrie, sur les
bords duquel Asdrubal est vaincu par les Carthage, 14 b; ravage l'armée carthagi-
Romains, 90 b, 91 a. noise dans la guerre contre Massinissa ,
106 a.
Micipsa, fils de Massinissa.
Mille romain : sou évaluation, 14.1 b. Phamaïas , général de la cavalerie cartha-
Motya, en Sicile, ville d'origine phéni- ginoise, combat souvent contre les Ro-
cienne, i83 a; prise par Denys le Tyran, mains avec avantage, puis passe de leur
10 b, 11 a; reprise par Imilcon, 11 a. côté, 112 a, n5 b.
Mutine, général carthaginois, livre Agri- Philènes (les frères) : leur dévouement
genleaux Romains, 89 a. pour Carthage leur patrie, 26 , 3 b.
Mylae, en Sicile. Près de cette ville , Dui- Philippe, roi de Macédoine, fait un
lius remporte une victoire navale sur les traité avec Annibal , 86 a, 87 b.
Carthaginois, 38 a. Philistus, cité sur les fondateurs pré-
Mytistrate. Les Romains sont obligés sumés de Carthage , 1 b.
d'en lever le siège , 3q b ; elle capitule , est Phocéens , sont vaincus sur mer par les
néanmoins livrée aux flammes , 40 b. Étrusques et les Carthaginois réunis, 3 b.
Pied grec, son évaluation, 1 45 a.
Plèthre, son évaluation , 145 a.
Naravase, un des chefs des Numides,
Plutarque, rapporte l'exclamation de
dans la guerre de Libye, passe du côté d'A- Pyrrhus s'éloignant de la Sicile, 3i b.
milcar , et contribue puissamment à ses vic- Polybe. Texte donné par lui du premier
toires, 72 a, b, 75 a, b. traité entre les Romains et les Carthagi-
Neptune. Les Carthaginois lui sacrifient nois, 4b, 5 a; cité sur la longue lutte entre
plusieurs victimes humaines, 8 b. Amilcar Rarca et les généraux romains,
Numides, se joignent aux mercenaires 60 b; sur la guerre conlre les mercenaires,
dans leur révolte contre Carthage, 65 a. 66 a; rendus furieux par la faim, dit-il,
les mercenaires se dévorent entre eux,
66 a; rapporte le traité fait entre Philippe,
Olbia , en Sardaigne , est prise par les roi de Macédoine, et Annibal, 86 a, 87 b;
Romains, 40 a. raconte deux entrevues d'Asdi ubal et de
Olcades , peuples d'Espagne vaincus par Gulussa, 119 a, 120 b; son jugement sur
Annibal, 81 a. Asdrubal , examen de ce jugement , 1 20 b,
Ophellas, roi de la Cyrénaïque, périt vic- 122 b; cité sur l'aspect florissant de la cam-
time de la perfidie d'Agathocle, 26 b , 27 a. pagne de Carthage lors de la première
Orethus, rivière qui coule près de Pa- guerre punique, i35a.
ïenne, 5o a.
Procope, cité sur l'origine des Maures et
Orose , donne la date d'un second traité l'établissemeut des colonies phéniciennes
entre les Romains et les Carthaginois, i5 a. en Afrique, 2 a.
Proserpine, dut avoir un temple et des
prêtres à Carihage, 146 a, b.
Palerme ou Panorme. Amilcar y aborde Piolémée Philadelphe, refuse aux Car-
avec une llotie redoutable, 6 a; prise par thaginois de leur prêter une somme dont
ils lui faisaient la demande, 49 b.
les Romains, 48 b; était d'origine phéni-
cienne, i33 a. Publius Claudius Pulcher, consul dans
Palmure, cap sur la côte d'Italie; en le la première guerre punique; son impru-
doublant, une flotte romaine a beaucoup dence cause la perte de la flotte romaine;
à souffrir d'une violente tempête, 49 a. ses paroles et son action irréligieuses au
168 TABLE DES MATIÈRES

moment où l'action allait s'engager; il est terroir et caractère des habitants , 39 b ;


puni par une forte amende, 56 a, 37 b. soumise par les Romains, 40 a; retombeau
• Pyrrhus, remporte en Italie plusieurs pouvoir des habitants dans la guerre de
victoires sur les Romains; gendre d'Aga- Libye, 72 b, 73 a; les Carthaginois équi-
thocle, il pouvait se faire de celte alliance pent une flotte pour la reconquérir; les
un titre pour posséder la Sicile; il y aborde, Romains leur déclarent la guerre; les Car-
enlevé aux Carthaginois tout ce qu'ils y thaginois abandonnent la Sardaigne, 78 a;
possédaient, excepté Lilybée; il en fait le ils y avaient fondé deux villes , mais n'a-
siège sans succès ; excite le mécontente- vaient pu en soumettre tous les habitants ;
ment des Siciliens par sa dureté ; perd importance de celte île pour Carthage ,
132 b.
toutes ses conquêtes et retourne à Tarente,
3o b , 3 1 b. Saturne. Un enfant lui est immolé dans
la pesle qui ravage l'armée des Carthagi-
Régulus , un des consuls sous lesquels nois au siège d'Agrigente ,8b; était aussi
nommé Baal Moloch; ce que contenait son
la flotte romaine fut vaincue près du mont
Ecnome en Sicile, 4a a, 43 a. temple, 146 a; à quel affreux usage ser-
vait sa statue, ibid.
Régulus, prisonnier à Carthage. Voyez
Caius Atilius Régulus. Scylax , cité sur l'étendue du territoire
carthaginois, en Afrique, i32a; sur la
Rhége. Une légion romaine s'empare de fécondité de la Byzacène, i35, a.
celle ville et s'allie aux Mamerlins, maîtres Ségeste. Ses habitants implorent l'appui
de Messine ; les Romains rendent la ville de Carthage et se mettent à sa discrétion,
à ses anciens habitants, 3?. b, 33 a.
Romains. Premier traité entre eux et les 7 b ; assiégée et réduite à la dernière ex-
trémité par les Carthaginois ; Duilius en
Carthaginois, 46; second traité, i5a; troi- fait lever le siège, 39 a.
sième traité, d'après quels motifs, 3o b, 3i Sél monte devait envoyer à Amilcar, en
a ; n'acceptent point les secours que leur Sicile, un renfort de cavaliers, 6 a.
envoient les Carthaginois d'après ce traité, 88 Sempronius
a. s'empare de l'île de Malte,
3i a; un traité de paix termine la première
guerre punique, 63 b, 64 a; les traités sont Serranus remplace Mancinus dans son
fidèlement observés par les Romains pen- commandement en Afrique, 117 a.
dant la guerre de Libye, 75 a, b; ils éta- Seivilius tente une descente en Afrique;
blissent en Espagne, par un traité avec As- est repoussé avec perte, 88 a, b.
diubal, que l'Èbre sera la limite des deux Servius Fui vins , consul avec Mardis
empires, 78 b; par quels moyens ils ren- /Lmilius, met en déroute la flotte carthagi-
dirent de plus en plus difficiles aux Car- noise près du promontoire Hermaeum, 47 b-
thaginois les levées de mercenaires, 128 b. Servius Paetinus Nobilio, consul pendant
S.
la première guerre punique, 44 a.
Sicca, ville de Numidie : la révolte des
Sagonte, enclavée entre les limites des mercenaires contre Carthage y éclate, 65 b.
Romains et celles des Carthaginois en Es-, Sicile, est presque en entier conquise par
pagne, devait conserver son indépendance, les Carthaginois, commandés par Malchus,
78 b; est ruinée par Annibal ; devient
3 a; renfermait plusieurs villes d'origine
ainsi la cause de la deuxième guerre puni- phénicienne ; établis d'abord sur la côte de
que, 81 a; rétablie huit ans après par les Lilvbée, les Carthaginois, en y étendant
Romains, 90 a. leurs conquêtes, y soutiennent des guerres
Saint Augustin. Sur la terreur inspirée fréquentes jusqu'au temps de leur expulsion
par le dieu Baal-Moloch, 146 a; quel fut par les Romains, i33 a (voyez Agathocle,
son premier ouvrage contre les donatistes , Denys l'Ancien, Denys le Jeune, Gélon, Ti-
i53 b; ses longues controverses, i54 b. moléon, Pyrrhus, première guerre punique);
Sallusie : son récit sur la guerre entre est abandonnée pour jamais par les Cartha-
Carthage et Cyrène , et sur le dévouement ginois, 89a.
des frères Philènes, 2 b, 3 b. Silanus, a traduit en latin un traité de
Sardaigne , envahie par les Carthaginois, Magon sur l'agricuiture, 140 a.
2 b; dans quels cas, à quelles conditions Soloès, en Siciie, ville d'origine phéni-
ils permettent aux Romains d'y aborder, cienne, i33 a.
d'y faire le commerce, 4 b, 5 a ; nature du Stade; son évaluation, 141 b, 144 a.
169
CONTENUES DANS CARTHAGE.
Spendius , chef des mercenaires dans la Tertullien, nature de son génie, i54 a.
guerre. Thermes, fondés par les Carthaginois.
8 a.
Suffètes. Malchus est le premier nommé
par l'histoire, 3 b, i3o; Asdrubal revêtu Timée. Son évaluation de l'armée débar-
onze fois de celte dignité, 5 b. quée en Sicile par Anuibal, fils de Giscon,
Syphax, roi d'une partie de la Numidie, 7 b ; it. pour le siège d'Agrigente par An-
se déclare pour les Romains ; les Carthagi- nibal et Imilcon, fils d'Hannon, 8 b.
nois le repoussent, 8 S b. Timoléon, envoyé par les Corinthiens au
Syracusains , secourent d'abord avec suc- secours de Syracuse, défait Icétas, entre
cès Agrigente assiégée, mais ne peuvent en dans Syracuse, reçoit de Denys le Jeune la
empêcher la prise par la famine, 8 b, 9 a; citadelle et toutes les troupes qui s'y trou-
donnent à ses habitants la ville des Léontins vaient; Magon II, effrayé, retourne à Car-
pour asile, 9 a; d'après un traité conclu thage qui envoie dé nouveau une armée
avec les Carthaginois demeurent soumis à nombreuse; Timoléon, favorisé par un
Denys le Tyran, 10 a; suite de leurs guer- orage, la défait entièrement; il accorde la
res contre les Carthaginois, 10 a, 3o b.Voy. paix aux Carthaginois, i5 b, 17 b.
Denys le Tyran. Tite-Live rapporte la mission à Carthage
Syracuse donne une idée de sa puissance de Magon, frère d'Annibal, 84 faii
a, 85entre
b;
par la défaite des Athéniens sous Nicias, énonce les conditions du traité
7 b; devient, sous Denys le Tyran, un Annibal et Philippe, roi de Macédoine, 87
vaste atelier de vaisseaux , d'armes et de b (voy. la note); rapporte, d'après certains
machines contre Carthage, 10 a; troubles historiens, qu' Amilcar, vaincu dans la Gau-
après la mort de Denys le Tyran ; Cartha- le ,fut pris et mené à Rome , où il parut
ge, Icétas et Timoléon, envoyés par les Co- dans un Iriomphe, 97 b (voy. la note).
rinthiens, sedisputent cette ville; Denys le Tyr. Carthage en est une colonie, 1 a;
Jeune en sort et se réfugie à Corinthe; Ti- chaque année elle y envoyait la dime de
tous ses revenus, 23 a.
moléon s'en "rend maître , i5 a, 16 a; sous
Agathocle reste la seule ville en Sicile non
soumise aux barbares, 19 b; est assiégée
par les Carthaginois; Agathocle en sort Utique, sa position, 1 a; fondée avant
Carthage, 2 a; mentionnée comme alliée de
pour les attaquer dans l'Afrique même, 19 Carthage dans le second traité entre les
b, 20 a; Amilcar en lève le siège, 21 b; il
Carthaginois et les Romains, i5 a, 182 a;
l'attaque de nouveau, est défait et y est mis est prise par Agathocle, 27 b; est assiégée
à mort, 25 a, b; après la mort d'Agatho- par les mercenaires dans la guerre de Libye,
cle, la démocratie ramène les dissensions
68 b; prend tout à coup parti pour eux,
dans Syracuse ; les Carthaginois l'assiègent 74 b; soumise enfin par Hamilcar et Han
par terre et par mer, 3o b; les Syracusains V.
députent vers Pyrrhus pour implorer son non, 77 b.
secours ; ce roi est bientôt forcé d'abandon-
ner la Sicile, 3i a, b; Hiéron est nommé
Vaccéens, peuples d'Espagne, vaincus par
roi par les Syracusains, 32 a; dans la deuxiè- Annibal, 8 1 a.
me guerre punique, embrasse le parti des Ténus Érycine avait, sur le mont Éryx,
Carthaginois; est prise par Marcellus, 89 a. le plus beau de tous les temples de la Si-
cile, 59 a; il tombe au pouvoir du consul
T.
J uni us, ibid.
Tage : près de ce fleuve, Annibal défait Victimes humaines immolées à Carthage
les Olcades, les Vaccéens et les Carpétans dans un temps de peste, 4 a; immolées,
réunis, 8t a. suivant Hérodote, par Amilcar sur un bû-
Talent. Son estimation. cher dans lequel il se précipite lui-même,
Taureau de Phalaris, transporté à Car- 6 b; immolées à Saturne et à Neptune pour
thage, est rendu aux Agrigentins par Scipion obtenir la fin de la peste lors du siège d'A-
Ëmilien, 9 b. grigente, b8 ; immolées en très-grand nom-
Tauromenium , prise par les Romains, bre à Saturne par les Carthaginois, après
34 b. leurs revers dans la guerre contre Agatho-
Terraciniens , nommés dans le premier cle, 23 b; immolent aussi aux dieux l'élite
traité entre les Romains et les Carthaginois, de leurs prisonniers, 29 a; combien de
5 a. siècles durèrent ces immolations, i3q b,
170 TABLE DES MATIÈRES, etc
1 40 a ; dans quel lieu elles se faisaient , Xénophon. Son évaluation de l'armée
i43 b. débarquée en Sicile par Annibal, fils de
Giscon, 7 b.
Virgile. Quelques critiques ont cru pou-
voir justifier son anachronisme, 2 a ; attri- Xercès fait alliance avec les Carthagi-
bue à Didon la construction du théâtre de nois, dans quelles vues, 5 b, 6 a.
Carthage, 147 b.
X.

Xanthippe, de Lacédémone, un des offi- Zarzas, Africain, un des chefs des merce-
ciers amenés de la Grèce avec une levée de naires dans la guerre de Libye, 75 b, 76 b.
mercenaires, par les Carthaginois; ils le Zonare. Son opinion sur la mort de Xan-
mettent à la tète de leur armée; il remporte thippe, 47 a; est cité sur la vicioire rem-
sur Régulus une victoire complète et se portée par les Romains près de Clypéa ,
retire dans sa patrie : discussion sur ce que cependant ils évacuèrent, 47 b, 48 a.
Zorus, un des fondateurs de Carthage,
qu'Appien et Zonare rapportent sur sa
mort, 45 b, 47 b. d'après plusieurs auteurs anciens, 1 b.

AVIS POUR LE PLACEMENT DES GRAVURES.

Numéros. Pages. Numéros. Pages.


1. Plan de Carthage et de la Péninsule 9. Colonne rostrale élevée à Rome en
(no) 141-149 l'honneur de Duilius 3g a.
2. Cnriliage punique et romaine ibid. 10. Annibal 79
3. Pays compris entre Cannage et Zunghar.ihid. n. Scipion m b.
4- Ruines de Carthage. ibid. ia. Médailles représentant des vaisseaux an-
5. Alphabet. Lettres hébraïques, puniques, ciens 54-55, 137
françaises . i4o
x3. Temple d'Ugga i45
6. Tombeaux puniques i43 i4- Ruines d'un aqueduc antique 148
7. Médailles »36-i37 i5. Thermes de Kawan ibid.
8. Médailles , , ibid.
L'UNIVERS.••««»»*>te««i*

HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES.
■■e-eo<i

AFRIQUE.
CARTHAGE.
NUMIDIE ET MAURITANIE.

AFRIQUE CHRÉTIENNE.
PARIS.
TYPOGRAPHIE 1)K FlRMÏfv DIDOT FRÈRES,
UUB IACOR, in" 56,
AFRIQUE.
ESQUISSE GÉNÉRALE DE L'AFRIQUE
ET AFRJQUE ANCIENNE,
PAR M. D'AVEZAC,
ii.» «ocisris aÉooaAPHiQnes de paris, Londres et Francfort, de la société africaine de lowdae;
VICE-PRESIDENT DE LA SOCIÉTÉ ETHNOLOGIQUE DE PAMS, ETC.

CARTHAGE,
PARjM. BUREAU DE LA MALLE,
MEMBRE DE L'ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES,

ET PAR M. .!. YANOSKI,


B.OVESSEUR SUPPLÉANT AU COLLÈGE DE FRANCE, AGREGE DE L'u N 1VKRSITÉ , ETC.

NUM1DIE ET MAURITANIE,
PAR M. LOUIS LACROIX, s/
PROFESSEUR D HISTOIRE AU COLLEGE ROLLll

L'AFRIQUE CHRÉTIENNE
ET DOMINATION DES VANDALES EN AI R1QUE v
PAR M. J. YANOSKI.

PARIS,
ETRMIN DIDOT FRÈRES, ÉDITEURS,
IMPRIMEURS-LIBRAIRES DE i/lNSTITUT DE FRANCE,
R IIB J ACO e , B° 50.

M DCCC XLIV.
PRÉFACE
T)E L'ÉDITEUR

Nous remplissons aujourd'hui l'engagement que nous avions contracte,


il y a quelques mois , avec nos souscripteurs , en leur promettant d'ache-
ver, dans un bref délai, le volume consacré à l'Afrique ancienne.
Nul, assurément , en lisant ce volume, ne sera tenté de blâmer notre
lenteur et nos retards.
Jusqu'à présent, on n'avait pas encore fait en France , ni à l'étranger,
une histoire suivie et complète de l'Afrique ancienne. Il fallait multiplier
les recherches pour rassembler les éléments épars de cette vaste et curieuse
histoire. Il fallait remuer, compulser, longuement étudier les livres des
anciens et les meilleurs travaux de la critique moderne.
Les auteurs de l'ouvrage que nous offrons à nos souscripteurs se sont
acquittés de cette tâche avec un soin et un zèle dont nous ne saurions trop
les remercier, et nous demeurons convaincus que leur œuvre, complète-
ment neuve par le plau qu'ils ont adopté, et par la masse des faits qu'eux,
les premiers, ont mis en lumière, obtiendra un plein succès , non point
seulement auprès des gens du monde, mais encore auprès des hommes les
plus versés dans les matières d'érudition.
Les diverses parties dont se compose notre Histoire de V Afrique an-
cienne ne sont pas simplement juxtaposées; elles ont été composées d'après
un même plan et dans une même idée. Tout avait été réglé et déterminé à
l'avance par les auteurs; et il est aisé, suivant nous, de remarquer que,
dans ce volume , depuis la première page jusqu'à la dernière , il existe le
plus rigoureux enchaînement.
Nous devons donner ici, en quelques mots, le plan de cette histoire.
Ce volume est le premier de la série consacrée à l'histoire et à la des-
cription complète de toute l'Afrique. C'est pourquoi il s'ouvre par une
Esquisse générale , où l'on considère l'Afrique sous ses divers rapports
11 PRÉFACE

d'aspect et de constitution physiques, d'histoire naturelle, d'ethnologie,


de linguistique, d'état social, d'histoire politique, d'explorations et de géo-
graphie.
Si l'on excepte cette esquisse générale , qui se compose d'environ cin-
quante pages, tout le volume est consacré à la description et à l'histoire
de l'Afrique ancienne, depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'invasion
arabe. Après une introduction destinée à fixer la place, l'étendue et les
grandes divisions de l'Afrique dans le monde connu des anciens, une pre-
mière partie traite de la Libye propre , comprenant la Cyrénaïque et la
Marmarique, tour à tour royaume des Battiades, république turbulente,
conquête des Ptolémées, province dans l'empire de Rome et de Constanti-
nople, et dans l'Église d'Alexandrie.
La seconde partie, consacrée à la région d'Afrique, comprenant l'Afri-
que propre, où était Carthage, la Numidieet les Mauritanies, est précédée
d'une nouvelle introduction ayant pour objet la description de cette région
au point de vue de l'antiquité classique , la distribution générale des popu-
lations qui y étaient répandues, et la question , très-difficile, des délimita-
tions successives de ses diverses parties.
C'est M. d'Avezac qui a rédigé ce commencement du volume avec ces
connaissances spéciales et cette savante critique qui lui ont assigné un
rang distingué parmi nos meilleurs géographes.
En tête de la deuxième partie se trouve Y histoire de Carthage , par
MM. Dureau de la Malle et Jean Yanoski. C'est le morceau le plus com-
plet qui ait été écrit sur cette ville célèbre. On y rencontre tous les faits et
tous les résultats critiques contenus dans les travaux des érudits français,
et aussi dans les ouvrages composés à l'étranger par Campomanes, Mtin-
ter, Heeren, Bôttiger, etc. Elle renferme, sur la troisième guerre punique,
des détails pleins d'intérêt et très-dramatiques , que l'on ne trouve dans
nul autre livre.
Vient ensuite l'histoire de la Numidie et de ta Mauritanie. Les faits qui
se rapportent à cette histoire étaient disséminés dans mille ouvrages divers.
L'auteur les a tous recueillis avec soin et classés. Il a divisé son travail eu
trois parties : 1° la Numidie, jusqu'aux Romains; 2° la Mauritanie, jus-
qu'aux Romains; 3° la Numidie et la Mauritanie sous les Romains, jus-
qu'à la conquête de l'Afrique par les Vandales. Cette division répand sur
l'ensemble des faits une vive lumière. L'auteur de ce travail est M. L. La-
croix, ancien élève de l'École normale, professeur d'histoire au collège
Rollin.
DE L'ÉDITEUR. m
M. Jean Yanoski a repris alors, dans leur ensemble, toutes les provin-
ces, depuis les limites les plus orientales de la Tripolitaine jusqu'à l'Atlan-
tique, pour raconter les origines, les développements successifs, la gran-
deur, la décadence et la chute de l'Église d'Afrique. Rien d'important, en
ce qui concerne les hommes et les doctrines, n'a été omis dans ce fragment
d'histoire ecclésiastique, qui a pour titre Y Afrique chrétienne.
Enfin, M. Jean Yanoski a terminé le volume par une histoire de V Afri-
que sous la domination vandale et sous la domination byzantine. L'au-
teur ne s'est point borné à donner ses propres recherches ; il a eu soin de
reproduire tout ce qu'avaient écrit, avant lui, à diverses époques, Lebeau,
Gibbon , Mannert , Saint-Martin , l'Académie des inscriptions et belles-
lettres, etc., et tout récemment MM. Louis Marcus et Papencordt. Nous
signalerons à nos souscripteurs , dans ce travail, le récit de l'expédition
de Bélisaire.
Rien n'a été négligé pour rendre facile l'usage des diverses parties de
ce volume. Chaque morceau, chaque histoire est suivie d'une table alpha-
bétique rédigée avec le plus grand soin. Nous croyons donc avoir mené à
bonne fin, malgré de grandes difficultés, une des parties les plus impor-
tantes de notre vaste collection.
En France, nous l'espérons, on accueillera ce volume avec quelque bien-
veillance. Un grand nombre des pages qu'il contient se rapportent à la
portion de l'Afrique que nous avons récemment- acquise par des sacri-
fices sans nombre et au prix de notre sang. Nul, parmi nous, c'est notre
opinion, ne peut désormais rester indifférent en lisant les faits qui rap-
pellent l'antique splendeur de cette Algérie , où nous avons recommencé,
au profit de la civilisation et de l'humanité, et avec d'héroïques efforts,
l'œuvre des Romains, et où il n'est pas aujourd'hui un seul coin déterre
qui ne puisse attester la gloire et la puissance de nos armes.

Mai 1844. FTRMIN D1DOT FRÈRES.


L'UNIVERS, OU

HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, etc.

HISTOIRE DE LA 1XUMÎDIE ET DE
LA MAURITANIE,
DEPUIS LES TEMPS LES PLUS ANCIENS JUSQU'A l'aRRIVEE DES VANDALES
EN AFRIQUE;

PAR M. L. LACROIX,
ANCIEN ELEVE TiZ l'ÉCOLE NORMALE , AGREGE DE l'uNIVERSITK , PROFESSEUR u'HISTOrRE
AU COLLEGE ROr.LIN.

PREMIÈRE PARTIE.
aussi injuste , ni aussi fâcheux qu'on
NUMIDIE JUSQU'A LA REDUCTION EN
pourrait le croire. On n'a point à re-
PROVINCE ROMAINE. gretter ici la perte des annales d'un
grand peuple : l'histoire ne commence
introduction. — Les Numides, ordinairement qu'avec la civilisation.
comme la plupart des peuples barba- Liés Numides , ainsi que les Maures-
res de l'antiquité, n'ont point eu d'his- leurs voisins, restèrent dans la mono-
toire nationale : tout ce que nous sa- tonie insignifiante de la vie barbare,
vons sur leur compte nous a été jusqu'au temps où leurs rapports avec
transmis par les écrivains de la Grèce Carthage et Rome les firent entrer
et de Rome: encore l'attention de ces dans une voie nouvelle. Alors seule-
derniers ne se porta sur ces tribus in- ment ils commencèrent à devenir une
digènes de l'Afrique septentrionale nation, vaientunété que
royaume ; jusque-là ils n'a-
qu'au temps où le commerce et la des tribus nomades, et
guerre eurent établi avec elles de fré- l'ignorance de tout ce passé n'est
quentes relations, et elle se concentra presque rien pour nous, tandis que la
principalement sur les moments mêmes science déplorera toujours la nuit pro-
où s'accomplirent les événements de la fonde qui enveloppe les premiers siè-
conquête ; en sorte que tout ce qui pré- cles de la grande république de Car-
cède l'époque où les armes romaines pé- thage. Les critiques et savants moder-
nétrèrent enAfrique, tout ce qui ne se nes'ont montré le même dédain pour
rapporte point au fait de l'invasion est l'histoire ancienne des Numides et des
vaguement indiqué , ou entièrement Maures, qui n'a été traitée spécialement
omis. Après tout , ce silence n'est ni par personne, si ce n'est par les auteurs
Ve Livraison. (Numidie et Mauritanie.)
L'UNIVERS.

de la grande Histoire universelle, com- kenaer , Hase et Bureau de la Malle,


posée en anglais par une société cre fut chargée de s'occuper spécialement
gens de lettres (*). L'histoire des Nu- de la géographie ancienne de la ré-
mides se trouve au tome XIIe de la gence
traduction française publiée à Ams- maine d'Alger, et de
dans cette la colonisation
contrée. ro-
La commis-
terdam et à Leipzig en 1751. Elle sion se mit contenant
à l'œuvre une
, etintroduction
fit paraître
un volume
n'est recommandable ni pour la dis-
cussion des faits, ni pour l'exactitude historique et des études géographi-
géographique, ni pour l'intérêt de la ques sur les Mauritanies et la Numi-
narration. Mais c'est un utile travail die, travail digne de l'Académie et
préparatoire par l'abondance des ci- des savants à qui elle l'avait confié .
tationset
, le soin avec lequel les au- Malheureusement, rien n'a été pu-
teurs ont tiré des sources ce qu'elles blié depuis 1835. Cependant, l'un des
membres de la commission , et notre
pouvaient fournir. C'est là le princi-
pal et peut-être le seul ouvrage où collaborateur à cette histoire de l'Afri-
l'histoire ancienne de la Numidie ait que ancienne, M. Dureau de la Malle,
été particulièrement étudiée et repro- a fait paraître un travail complet sur
duite, tous les autres historiens l'ayant la province de Constantine, sous le ti-
toujours confondue avec celle de Rome tre suivant : Recueil de renseigne-
et de Carthage. Pour la géographie, ments pour V expédition ou l'établis-
les recherches les plus complètes et sement des Français dans cette par-
les plus consciencieuses sur cette par- tie de l'Afrique septentrionale. Ce
tie de l'Afrique avaient été faites par traité est plein d'utiles recherches et
Christophore Cellarius, qui publia, en d'ingénieux rapprochements qui attes-
1701 , sa Notifia orbis antiqui , dont tent la science et la sagacité de l'au-
Conrad Sehwartz a donné une se- teur. Enfin , on a publié récemment,
conde édition en 1773. en 1842, sous les auspices et par or-
Mais ces contrées , depuis que le dre du ministère de la guerre, le Ta-
drapeau français y a été arboré par la bleau de la géographie ancienne des
conquête , sont devenues pour nous États mand barbaresques
de Mannert. M., d'après l'alle-
Louis Marcus,
du plustudesgrand intérêt, et l'objet
toutes particulières. d'é-
Non-seule- qui a donné fait
seulement ce une
livre utile
au public, n'a pasil
traduction,
ment on a dû s'enquérir de la statis- a encore intercalé, dans sa version, des
tique des
, mœurs , du caractère des
tribus, des ressources actuelles, en un passages complétant le texte de Man-
mot de l'état présent du pays , mais nert ,et il a ajouté , à la fin de l'ou-
on a été ramené à l'examen des docu- vrage, des notes où se trouvent éclair-
ments anciens, pour trouver dans le cis, d'après les découvertes récentes,
passé des leçons applicables et utiles. plusieurs points jusque-là controver-
Ce qu'il importait de bien connaître, sés. Ainsi , grâce à la conquête de
c'était la colonisation de l'Afrique sep- l'Algérie , la connaissance historique
tentrionale parles Romains ; c'était et géographique de ce pays , tel qu'il
aussi, comme nous l'avons déjà dit, était autrefois , a fait de grands pro-
le fait que l'histoire ancienne a le grès ,et les savants se sont engagés
mieux conservé. En 1833, le ministre avec empressement dans la voie que
de la guerre écrivit au secrétaire per- les soldats avaient frayée. On a fait de
pétuel de l'Académie des inscriptions l'étude des anciens documents une
et belles-lettres , pour attirer son at- chose éminemment pratique; on y a
tention sur ce point; et en 1834, une cherché des applications immédiates,
commission, composée de MM.Walc- et l'histoire n'est pas restée ici une
vaine spéculation. Les travaux que
(*) L'Art de vérifier les dates ne donne nous avons indiqués nous seront
que deux notices très-courtes sur la Numidie d'un grand secours dans le résumé
et la Mauritanie, historique qui va suivre ? ils nous ai-
NUMIDIE ET MAURITANIE.
deront à donner à notre récit un in- pas que ces indications ne s'appliquent
térêt actuel en y multipliant les rappro- qu'à un temps donné de l'histoire de
chements etles analogies, à empêcher la Numidie, qu'à une autre époque on
en réunit toute la partie occidentale à
qu'il soit absolument indifférent àceux la Mauritanie, avec des dénominations
qui ont vucetteterreafricaine,où nous
recommençons le rôle des Romains, et nouvelles , et que cette incertitude
que ce ne soit pas une lettre morte, rend difficile la séparation de l'his-
sans instruction et sans utilité. Tou- toire des Numides de celle des Mau-
tefois ,ces excellents intermédiaires res. Aussi , après avoir posé la géo-
ne nous sépareront pas des anciens graphie générale de la Numidie, nous
auteurs que nous avons constamment indiquerons toutes les variations suc-
consultés, et sans la connaissance im- cessives dans les détails du récit.
médiate desquels on ne doit ni on ne La Numidie est une contrée mon-
f>eut faire un pas dans la science de tagneuse, traversée de l'est à l'ouest
'antiquité. par les deux lignes
tachent de leurs flancsde l'Atlas, qui des
vers la mer dé-
ASPECT GÉOGRAPHIQUE DE LA NU-
MIDIE; DIVISIONS NATURELLES ET chaînes secondaires , courant du sud
politiques; fleuves , MONTAGNES, au nord, formant les bassins des fleu-
villes. — Une contrée sans limites ves, et découpant le pays en vallées
naturelles, habitée par un peuple va- profondément séparées, où les tribus
gabond, dut fréquemment changer de vivaient et vivent encore, isolées ou
divisions et de frontières. Il en fut ennemies les unes des autres (*). Les
ainsi de la région connue des anciens
sous le nom de Numidie. Elle a varié (*) Comme la géographie physique ne
selon les différentes époques: aussi les change pas, nous pouvons donner une idée
exacte de l'aspect général de la Numidie, en
géographes et les historiens n'en par-
lent pas tous de la même manière. citant le passage suivant d'un écrivain dont
la perte récente afflige encore la philoso-
L'étendue de cette contrée était tout
autre au temps des guerres puniques, phie et l'université. « En jetant les yeux
et sous les premiers Césars. Pline ne sur la carte de l'Algérie , on voit que cette
contrée, qui s'étend entre le grand Atlas et
donne le nomles dedeux
situé entre Numidie
rivièresqu'au pays
de Tusca
la mer sur une longueur de deux cent cin-
quante lieues et une profondeur moyenne
(aujourd'hui Zaine ou El-Berber) et de soixante, est partagée d'un bout à l'autre
d'Ampsaga (aujourd'hui Oued-el-Ké- par la chaîne du petit Atlas en deux régions
bir). Ptolémée la restreint encore, distinctes , la région supérieure, entre le
puisqu'il en sépare le district des Cir- grand Atlas et le petit, la région maritime,
tésiens ou le pays de Cirta. Pomponius entre le petit Atlas et la côte. Si l'on cher-
che les voies de communication ménagées
Mêla prétend qu'elle s'étendait depuis
le fleuve de Mulucha ou Malva, jus- par la nature entre ces deux régions, on
ne trouve que quelques sombres défilés, par
qu'aux limites de l'Afrique propre- lesquels, sur trois ou quatre points, les eaux
la villementdedite,Cirta.
qu'il place aux est,
Strabon environs de
de tous de la première se font jour pour arriver à
la mer. Ces issues ouvertes par la force du
les géographes anciens, celui qui en a
le mieux déterminé les bornes, en les courant, le courant les remplit; l'homme
ose à peine s'y engager, et elles laissent isolées
indiquant à l'époque de leur plus
grande étendue; il comprend, dans la les deux régions qu'elles devraient unir. La
division ne s'arrête pas là. De la chaîne
Numidie, les deux royaumes des Mas- intermédiaire du petit Atlas partent, au nord
syliens et desMassésyliens, et termine
et au sud, de nombreux rameaux qui l'unis-
le premier à la Tusca, à l'est, et le sent au grand Atlas d'uue part, et au rivage
second à la rivière Mulucha, à l'ouest ; de l'autre , et qui découpent ces deux ré-
au nord la Méditerranée, au sud la
gions en une multitude de vallées qui n'ont
Gétulie, les derniers sommets de l'At- entre elles aucune communication commo-
las, et la région des sables, en complè- de; de telle sorte que le pays, divisé en
tent les limites. Toutefois, n'oublions deux longues moitiés par le petit Atlas et
1.
L'UNIVERS.
firincipales montagnes nommées par * Tusca, l'Àrmoniacus ou Armua (Ma-
es anciens étaient , en allant de Test frag), qui sortent du mont Tham-
bès ;le Rubricatus ( Seibouse ) , à
à l'ouest : le mont Thambès, qui s'é-
tendait jusqu'à Tabraca ( aujourd'hui l'embouchure duquel est Bone (Hip-
Tabarca) ; le mont Audus , d'où sor- po-Regius); le Muthul (Hamise),
tait le fleuve de ce nom (au moyen âge l'Ampsaga, sur les bords duquel s'éle-
vait la ville de Cirta (Constantine) ;
mons Aurasius , aujourd'hui Djebel-
Erress); le Mampsarus, qui n'était ]v Audus (Oued-Mansouriah), qui se je-
tait dans le Sinus Numidicus (golfe de
que le prolongement du mont Audus,
et qui enveloppait la province de Si- Bougie) ; le Serbes ou Aves ( aujour-
tifi (aujourd'hui le Jurjurah) ; le mont d'hui Ouedjer), à l'ouest de Saldae(*) ;
Ferratus, qui longeait la côte depuis le Savus (aujourd'hui Jimmil), qui se
Tubusuptum jusqu'à Russucurrum perdait dans la mer , à l'est d'Icosfum
(près de Coléan) ; le mont Zalacon, (Cherchell). La plus grande rivière du
nommé par Ptolémée , et longeant au pays était, à l'ouest, dans l'ancien ter-
midi le Chinalaph ; le Malethubalon ritoire des Massésyliens , plus tard
et le Kennaba (Louat-el-Merjeja) au Mauritanie césarienne , le Chinalaph
sud ; la chaîne des monts Garapha de Ptolémée (Chéliff), qui se jetait au
(Zackar), où le Chinalaph prend sa sud du cap d'Apollon (aujourd'hui
source. La dernière chaîne à l'ouest Mostaganem), et tout près de Césarée.
est celle des monts Dourdos (Djebel- Les eaux de ce fleuve sont abondan-
Ammer), qui donnent naissance à la tes ;les Arabes ont appelé le lieu où
Mal va, et dont une ramification for- il prend sa source , les Soixante-dix
mait les monts Chalcorychia, dont les fontaines; au delà, à l'ouest, le petit
mines de cuivre , mentionnées par fleuve appelé Salsum Flumen , que
Ptolémée, n'ont pas été retrouvées. Shaw nomme Oued-el-Mailah; puis la
Les fleuves sont nombreux et peu con- Siga (Tafna), et enfin, à l'extrémité du
, ce n'est dans certain pays des Massésyliens , la Malva ou
sidérables si
temps de l'année, où leurs eaux gon- Mulucha ou Molochath, qui fut la li-
flées en font de rapides torrents. mite des possessions des plus puis-
Ces fleuves sont , de l'est à l'ouest : la sants rois numides , Massinissa et Ju-
gurtha , et qui fut plus tard la ligne
subdivisé en nombreuses fractions par les de séparation des deux Mauritanies.
Au temps de son indépendance , la
rameaux qui s'en échappent, ressemble à Numidie ne renfermait pas un grand
un échiquier dessiné par des montagnes,
et n'offre que des barrières aux populations
nombre de villes; mais elles se multi-
qui l'habitent. Vous chercheriez en vain un plièrent beaucoup, dès que la domina-
centre naturel à ce pays découpé; la nature tion romaine y eut pénétré. La capi-
le lui a refusé. Les centres secondaires tale du pays des Massyliens était Cirta,
n'existent pas davantage. Toute la région dont le vrai nom, Kirta, est d'origine
maritime est composée d'étroites vallées per- phénicienne ou carthaginoise. Selon
pendiculairesla
à mer, et qui, rangées côte Strabon, ce fut Massinissa qui contri-
à côte , ressemblent aux crèches d'une éta- bua le plus à l'agrandissement et à
ble. Chacune a son fleuve ou plutôt son
torrent qui prend sa source au fond et venir l'embellissement de cette ville, où il fit
coule en droite ligne au rivage. Les vallées
des colons grecs. Voici comment
de la région supérieure sont plus grandes, Mannert en décrit la position : « L'em-
parce que les eaux, longtemps retenues par placementdeCirta offre les plus grands
la barrière du petit Atlas, y ont formé de avantages : il est à l'abri des attaques
plus vastes bassins. Mais elles ne sont point des hordes nomades , et propre à sou-
tenir un siège régulier ; les environs
liées Tune à l'autre , et chacune d'elles est sont bien arrosés , et la végétation en
un monde. Pour en dominer deux, il faudrait
s'établir sur la chaîne qui les sépare »»
Article de Th. Jouffroy , inséré dans la (*) Saldrc répond àTedeles, selon M. Mar-
Revue des deux mondes. Juin i838. dis ;selon M. Dureau de la Malle, à Bougie.
NUMIDIE ET MAURITANIE.
est riche et variée. Un affluent consi- lui donna le nom de Césarée; Jom-
nium, municipe romain, dont la posi-
auteurs dérable de l'Ampsaga,
anciens ne nousà l'est,
disentdont
pas les
le tion correspond à peu près à l'empla-
nom , après avoir coulé du sud-ouest cement actuel d'Alger ;Choba, aujour-
au nord-est par un grand espace de d'hui Bougie, selon Mannert , tandis
terrain, se réunit au nord de Mi- que, selon M. Dureau de la Malle,
lan (autrefois Mileum), à l'affluent oc- Bougie serait l'ancienne Saldae , que
cidental du même fleuve. Les sinuo- Mannertrieur, appelle Tedèles. Dans Media-
l'inté-
sités de ce bras oriental de l'Ampsaga Sitifis (Sétif), Castellum
sont flanquées de plusieurs hautes num (Médéah), Castra Nova (Mas-
rangées de coteaux , et forment une cara), Quiza Castellum (Oran). Pto-
presqu'île élevée, qui n'est jointe au lémée ,Strabon , Mêla , l'Itinéraire,
reste du pays que vers le sud-ouest; citent un grand nombre d'autres vil-
d'où une plaine fertile, dont Salluste a les, et nous pourrions multiplier les
déjà signalé l'existence , s'étend d'un rapprochements de la géographie an-
cienne et moderne; mais notre but
côté jusqu'à Milah , et de l'autre jus-
qu'aux sources de la rivière d'Or n'est point de faire
taillée des lieux : nous laavons
description
seulementdé-
(Oued-el-Dzahab), qui forme, avec le
Jimmilah, l'affluent occidental de voulu gencepréparer le lecteur età enl'intelli-
l'Ampsaga. C'est dans cette presqu'île des faits historiques, même
que se trouve la ville de Cirta (*). » temps reporter , par de fréquentes
Cette ville est aujourd'hui Constan- comparaisons , son esprit du passé au
tine, qui est encore la plus forte place présent, pour l'aidera
faits nouveaux dont cescomprendre
contrées sont les
de l'Algérie orientale. Parmi les au-
tres villes du pays des Massyliens, le théâtre. Ajoutons seulement que les
nous indiquerons celles qui ont con- deux régions occupées par les Massy-
liens et les Massésyliens correspon-
sur laservé
côteaujourd'hui Rusicadaquelque
(de importance
Ptolémée), : dent àpeu près, dans les limites que
connue présentement sous le nom de nous avons indiquées, aux quatre pro-
Stora, près de laquelle est le nouveau vinces que comprenait la régence d'Al-
port de Philippeville, Hippo-Regius, ger savoir : province d'Oran , pro-
que les Arabes appelaient la ville des vince d'Alger , province de Tittery,
Jujubes (Blaid-el-Aneb) , aujourd'hui province de Constantine.
Bone ; Collops Magnus (Collo). La ca- ORIGINE DES PEUPLES QUI ONT OC-
pitale du pays des Massésyliens, au CUPÉ LES CÔTES OCCIDENTALES DE
temps de Syphax, était la ville de Siga, l'afrïque du nord. — II est impos-
à quelque distance du port du même sible, en traitant cette question, de
nom, et non loin de la rivière qui est s'occuper seulement des Numides ; car
la Tafna de nos jours : c'était une des ce nom ne désigne pas une race parti-
anciennes colonies tyriennes ou villes culière, mais quelques tribus de cette
mêtagonitiques , alliées ou tributai- grande famille qui peupla le littoral
res de Carthage. Florissante au temps septentrional de l'Afrique , depuis le
des guerres puniques , elle était en lac Tritonlantique.jusqu'aux rivages constaté
de l'At-
pleine décadence à l'époque d'Auguste. Les anciens avaient
Strabon dit même qu'elle fut ruinée les rapports de ressemblance qui exis-
par les Romains. Mais Pomponius taient entre toutes ces tribus. « Les
Mêla, ttolémée , et l'Itinéraire d'An- Maurusiens, et les Massésyliens qui les
tonin, avoisinent, dit Strabon, et les Libyens
Icosiumattestent qu'elle .Toi
(Cherchell), existait encore;
ou Caesarea
(Tennès), la résidence du jeune Juba, pour la plupart,
manière , et se s'habillent
ressemblentde la
en même
tous
qui, par reconnaissance pour Auguste, les autres points (*). » Saint Augustin
atteste la similitude du langage. On
(*) Traduct. de MM. Marcus et Duesberg,
p. 368. (*) Strabon, liv. xvn, p. 1184.
6 L'UNIVERS.
Î>eut admettre comme un fait certain ne tiennent guère devant la critique.
a communauté d'origine de ces tri- Le changement du nom de Mède en
bus ; mais il est plus difficile de se celui de "Maure n'a rien de conforme
prononcer sur cette origine même. à l'analogie, et nous indiquerons dans
Saliuste , qui gouverna la Numidie , l'histoire de la Mauritanie une explica-
rapporte les traditions africaines rela-
tives àcette question : «Après la mort cette tion plus probable sur
dénomination. l'origine
De plus, de
la vie
d'Hercule , qui , selon les Africains , nomade devait être antérieure à l'arri-
finit ses jours en Espagne, son armée, vée de ces Perses errants, qui ont plu-
composée de toutes sortes de nntions, tôt subi eux-mêmes V influence locale,
se divisa par l'ambition des chefs, qui qu'ils n'ont pu
aux anciens imposerde leurs
habitants mœurs
la contrée.
aspiraient tous au commandement.
Entre autres peuples qui la compo- Procope a conservé une autre tradi-
saient les
, Perses , les Mèdes et les tion qui a plus de vraisemblance. Il
Arméniens passèrent en Afrique sur assure qu'à l'époque de l'invasion de
des vaisseaux, et vinrent s'établir sur la Palestine par Jésus (Josué), fils de
les côtes de la Méditerranée. Les Per- Navé, tous les peuples qui habitaient
ses s'étendirent du coté de l'Océan, et la région maritime, depuis Sidon jus-
renversèrent leurs barques pour s'en qu'à l'Egypte, et qui obéissaient à un
servir comme de logement ; car il n'y seul roi, les Gergéséens, les Jébuséens,
avait dans le pays ni matériaux pro- et les autres tribus nommées dans les
livres hébreux , abandonnèrent leur
pres aux bâtiments, ni facilité d'en ti-
rer d'Espagne, la mer et l'ignorance patrie pour échapper au glaive exter-
des langues mettant obstacle au com- minateur des Israélites , et se portè-
merce. Peu à peu ils se mêlèrent aux rent, àtravers l'Egypte, dans l'Afri-
Gétules par des alliances; et parce que. Ildit qu'ils s'étendirent jusqu'aux
qu'ils allaient sans cesse ça et là cher- colonnes d'Hercule, qu'ils occupèrent
chant les meilleurs pâturages, on les la région septentrionale tout entière,
appela Numides, c'est-à-dire pasteurs. et qu'ils fondèrent dans ce pays d'a-
De même que les Perses s'étaient al- doption un grand nombre de villes
liés aux Gétules , les Mèdes et les Ar- dans lesquelles la langue phénicienne
méniens se mêlèrent aux Libyens. était encore en usage de son temps ,
Ceux-ci étaient plus voisins de la mer c'est-à-dire, au sixième siècle de l'ère
Méditerranée que les Gétules, qui s'é- chrétienne (*). Procope ajoute encore
tendent davantage au midi. Ils bâti-
rent aussi plus tôt des villes, au moyen (*) Procop. Vandal. , II, 10. Il est bien
certain que la question des origines des
du commerce avec l'Espagne, dont ils
ne sont séparés que par un bras de peuples n'est au fond qu'une question de
mer. La prononciation barbare chan- langue et de philologie comparée. Les déno-
gea leur nom de Mèdes en celui de minations géographiques d'un grand nom-
bre de villes et autres points de l'Afrique
Maures (*). » Saliuste ajoute que les septentrionale prouvent suffisamment que
Numides s'agrandirent par la force des la race qui l'a peuplée était d'origine
armes , et que toute la basse Afrique araméenne ou sémitique. Nous emprun-
devint Numidie, les peuples vaincus tons au président de Brosses les explications
ayant pris le nom et les mœurs des suivantes de certains noms par la langue
vainqueurs. Du reste, Saliuste n'ac- phénicienne.
cepte pas la responsabilité de ces tra- Tangtr, le marché, la foire.
Clrtha, la ville.
ditions ,qu'il avait trouvées dans les
livres du roi Hiempsal ; et il faut lui Vacca, la vacherie.
Capsa, la ville serrée entre les rochers.
savoir gré de sa réserve , car de telles Tabraea, la feuillée.
Suthul, la ville des aigles.
assertions ont peu d'authenticité, et Catama, la colline.
Sicca, les tentes.
Zama, la fontaine du chant.
(*) Saliuste, Bell. Jugurth., ch. 2i;tra-
duct. de de Brosses, t. I, p. 39. Bar-Barca, le désert.
NUMIDIE ET MAURITANIE.
ce fait précis et positif : « Ces émigrés et belles-lettres, dont nous avons cité
ont construit un château fort dans plus haut l'ouvrage, pensait bien dif-
une ville de Numidie, au lieu où est la férem ent,et avec plus de sagesse,
ville maintenant appelée Tigisis. Là, quand elle disait : « Certes,
retrouver des stèles aussi l'espoir de
curieuses
près d'une source très - abondante ,
sont deux stèles de marbre blanc por- pour l'histoire , et qui sont
tant une inscription en lettres phéni- avec tant de précision par unindiquées
auteur
ciennes gravées , et qui , dans cette véridique, par un témoin oculaire, mé-
langue , exprime ces mots : « Nous rite qu'on dirige des explorations et
sommes ceux qui ont fui loin de la des fouilles entre Lambasa (Tezzoute)
face du brigand Jésus, fils de Navé...» et Tamugadis, où était placée Tigi-
Suidas atteste aussi l'existence de ces sis (*); » et quand elle reproduit le
monuments. Certes , voilà de graves passage
témoignages qu'il est difficile de récu- gine desentier
divers depeuples
Procopequi sur l'ori-
habitent
ser. Ils ont pourtant trouvé des in- l'Afrique, parce qu'il lui a semblé un
crédules. Gibbon croit aux colonnes, modèle de raison , de jugement et de
mais il doute des inscriptions. Man- saine critique. Pour nous, nous ne
nert (*) réfute le passage entier de pensons pas peuplée
que l'Afrique
Procope. Il ne veut nullement des émi- nale ait été en une septentrio-
seule fois,
grations chananéennes, qui lui parais- et définitivement, par l'arrivée des
sent impossibles: comme si ce voyage fugitifs de la Palestine ; mais, en con-
d'un peuple fugitif sidérant latendance des races phéni-
Méditerranée à un d'un autrerivage
était deunela ciennes et arabes à se répandre sur le
chose invraisemblable, et sans exem- rivage africain, la facilité avec laquelle
ple. II dit que parmi les anciens au- elles s'y établissent , les nombreuses
teurs, iln'en est pas un seul à qui il affinités que l'on découvre entre elles
► soit venu dans l'idée de donner les et les tribus dont nous faisons l'his-
Phéniciens pour aïeux aux Numides toire, nous croyons non-seulement à
indigènes , et que cette belle décou- l'émigration qu'atteste Procope, mais
verte était réservée au sixième siècle, encore à beaucoup d'autres des mê-
tandis que Procope s'appuie formelle- mes peuples dans les mêmes contrées,
ment sur le témoignage unanime des en sorte que pour nous le fond de la
plus anciens écrivains de la Phénicie. population numide et mauritanienne
Enfin tenceildesraille agréablement doit être rattaché à la race sémitique.
deux colonnes, dont sur l'exis-
il souhaite ANTIQUITÉS DE LA NUMIDIE. TEMPS
la découverte aux voyageurs futurs , fabuleux. — L'histoire de la Numi-
ce qui est faire grand tort à Procope; die est, pendant plusieurs siècles, en-
si exact et si judicieux, et cela sans vironnée de la nuit la plus obscure.
convaincre personne. La savante com- Les premiers faits dont cette contrée
a été le théâtre sont du domaine de la
mission del'Académie des inscriptions
mythologie, autant et encore plus que
u4mpsaga, la rivière large. de celui de l'histoire. Eusèbe affirme
Sisara, la rivière rouge.
Cyniph, la rivière «les hérissons. qu'Hercule se couvrit de gloire en
Bagrada, la rivière lente.
Mulucha, le fleuve royal. Afrique,
Antée dansaprès la partieavoir lavaincu" le géant
plus reculée de
Tana, la rivière.
Muthul, la rivière de la mort, etc.
la Mauritanie, environ 50 ans avant Ja
Il faut bien que les peuples qui ont nommé fondation d'Utique, qui elle-même, au
ces lieux aient parlé la langue par laquelle ces rapport des historiens phéniciens, pré-
céda de 287 ans celle de Carthage.
noms s'expliquent. De tels rapprochements Salluste , Florus et Orose nous ap-
sont plus que des présomptions en faveur
de l'opinion qui donne aux peuples de
prennent que cet Hercule , qui est le
l'Afrique septentrionale une origine sémi-
tique. (*) Recherches sur l'histoire de la ré-
(*) Géogr. anc. des États barb. , p. 244. gence d'Alger, t. I , p. 116.
3 L'UNIVERS,
héros phénicien , fonda la ville de mées ,secours qui lui fut souvent fu-
Capsa ,dans ce qui neste. Au temps de ses guerres contre
armes la prouve
Numidiequ'il portaavoir
après ses
Denys , les mercenaires africains se
soumis la Mauritanie où régnait An- révoltent;
tée , ou bien que le royaume de ce leur désunionils'prennent Tunis,
et le manque mais
de vivres
prince comprenait aussi le pays appelé les empêchent d'emporter Carthage.
Numidie plus tard. Nous reviendrons Ces révoltes se renouvelèrent fréquem-
ment dans le cours de ces luttes de
sur ces deux personnages d'Antée et
d'Hercule à propos Carthage avec les Grecs de Sicile; et
à laquelle ces faits sede rattachent
la Mauritanieplus, Agathocle, qui connaissait bien les
particulièrement. dispositions des Numides, en profita
dation de Carthage,A l'époque de la fon-
Iarbas régnait sur dans son invasion en Afrique , et en
les Libyens nomades ou Numides. On fit le fonds principal de ses espéran-
sait les démêlés de ce prince avec Di- ces. Il prit le titre de roi d'Afrique,
don ; nous ne reviendrons pas sur ces et Diodore nous apprend que plusieurs
des chefs de tribus nomades firent
faits peu constatés , qui d'ailleurs ont
trouvé leur place dans l'histoire de avec lui des traités par lesquels ils re-
Carthage. Remarquons seulement que con ais aient sa souveraineté. Euma-
les députés carthaginois envoyés par que, un de ses généraux, soumit plu-
Didon à Iarbas , n'osant rapporter à sieurs peuples qui refusaient son
la reine que le roi barbare la deman- alliance , et pénétra même chez des
dait pour épouse, lui dirent qu'il nations plus méridionales et entière-
souhaitait qu'on lui envoyât quelqu'un ment noires, selon Diodore de Sicile.
capable de le civiliser lui et ses su- Nul doute que les expéditions d'Agatho-
venus jets,
avecmaisDidonqu'aucun des Phéniciens
ne consentit à aller cle en Afrique n'aient rendu la liberté
à plusieurs peuplades assujetties par
vivre parmi les barbares. Ce fait, rap- Carthage, en sorte qu'après lui le
porté par Justin, fait entrevoir (ce qui pouvoir resta entre les mains des na-
arriva plus tard) que le nouvel établis- turels du pays. C'est alors que se for-
sement des Tyriens en Afrique devait ment les royaumes des Massyliens et
y introduire "des germesla barbarie,
tion qui en modifièrent de civilisa-
et des Massésyliens, et que s'affermissent
les dynasties barbares d'où sortirent
qui préparèrent le florissant état so- Syphax et Massinissa.
FORMATION DES ROYAUMES ET DES
cial que l'on
Romains. y trouve
En effet, au tempsne des
les Numides se DYNASTIES NUMIDES. — C'est alors
civilisèrent pas par eux-mêmes, ils fu- aussi que la Numidie se divise bien
rent toujours dominés par la supério- nettement en massylienne et en mas-
rité des peuples qui leur firent la guerre sésylienne. Les rois des Massésyliens
pour les asservir, et la suite démon- résidaient à Siga, vers l'occident, près
trera suffisamment cette assertion. du fleuve de ce nom ; les autres à Za-
Si l'histoire de Carthage n'avait pas ma , beaucoup plus voisine de Car-
elle-même disparu, nous aurions sur thage. Le plus ancien de ces princes
ces temps reculés de la Numidie de est celui que Polybe appelle Narva ou
précieux détails ; car il y eut de fré- Naravase, qui , entraîné par son ad-
quentes guerres entre les Carthaginois miration pour le grand Amilcar, mit
et les Numides. Justin nous apprend toutes ses forces au service de Car-
que Carthage dissipa toutes les ligues thage pendant la guerre des mercenai-
formées par les tribus maures et nu- res, et contribua puissamment à la sau-
mides contre sa puissance, et qu'après ver. Ilfut père deGalaouGula, qui eut
s'être affranchie de tout tribut, elle pour fils Massinissa. Avant de racon-
étendit peucident. Elleà sut
peu sa domination
même se servirà l'oc-
des ter l'histoire des princes de cette fa-
mille, nous en présenterons le tableau
barbares africains au profit de sa généalogique.
grandeur, et elle en composa ses ar-
NUMIDIE ET MAURITANIE.
Tableau généalogique des rois de Numidie.
Naravase , roi des Numides massyliens,
épouse une sœur d'Annibal , fille d'Amilcar Barca.
Gula, roi de Numidie. OE.salcès, roi de Numidie,
ép. une nièce d'Annibal.
Massinissa, roi de Numidie, Une fille mariée Lucumacès, roi de Numidie,
Capusa, tué
Numidie, roi par
de sous la tutelle et le gouvernement
ép. Sophonisba.filled'Asdrubal, à un mide.
prince nu* Mésetul. de Mésetul.
plusieurs autres femmes et con-
cubines.
Massiva.
. A
Micipsa , Manastabal, Gulussa, roi. Une fille, Masgaba. Methymnat. Stemba. Misagèncs.
mariée à en tout 44 enfants de Massinissa.
roi de I*
roi.
Numidie. I Asdrubal.

Adherbal- Massiva, tué par


Gauda.
Hiempsal,
roi d'une A.
Jogurtha, ép.
une fille
ipsal, roi de Numidie, chez qui le
jeune Marius se réfugia.
Bomilcar.
partie de la de Bocchus.
Numidie.
Hiarbas, détrôné
par Pompée.
Masintba ou Oxintha, pris Hiouba ou Juba, roi de Numidie et de Mau-
avec son père et captif à Rome. ritanie, tué après la bataille de Tapsus.

Juba, roi de Numidie, de Mauritanie, de Gétulie, ép. Cléopàtre, fille d'An»


toine et de Cléopàtre, et Glaphyre, fille d'Arcbélaùs, roi de Cappadoce.
Ptolémée, roi de Mauritanie. Drusilla.

Quant à Syphax , les historiens ne qu'ils avaient


parlent pas de ses ancêtres, et ne men- résolurent de remportés en Espagne',
susciter des embarras
tionnent que son fils Vermina et son à Carthage dans l'Afrique même, pour
petit-fils Arc-Bar-Zan ou Archobar- soulager autant que possible Rome et
zane; en sorte qu'il apparaît presque l'Italie,
bal. gémissant
Attentifs encore
à tous sous Anni-
les événements
isolé dans l'histoire, et que nous n'a-
vons pas à dresser la liste de ses aïeux, qui pouvaient survenir , ils saisirent
ni de sa postérité. la première occasion favorable qui se
PREMIÈRES RELATIONS DES RO- présenta. Ils surent que Syphax , roi
MAINS AVEC LES NUMIDES ; LEUR des Numides occidentaux, avec cette mo-
ALLIANCE AVEC SYPHAX (213 ans av. bilité qui caractérise ce peuple, était
notre ère). La seconde guerre puni- tout à coup devenu ennemi de Car-
que , qui avait commencé l'an 219 thage. Us lui envoyèrent comme dé-
avant Jésus-Christ , ne s'était pas, putés trois centurions qui firent al-
comme la première, concentrée dans liance et amitié avec lui. Dans les
la Sicile ron eetnt ,maisdansellelesavait
mers embrasé
qui l'envi-
en entrevues qu'ils eurent avec le roi bar-
un instant toutes les contrées qui bor- à bare, les aux
rent faire députés romains unel'engagè-
Carthaginois guerre
dent la Méditerranée occidentale. Les pressante, lui promettant que la répu-
rois des Numides massyliens et mas- blique, qui
à il rendrait un service si-
sésyliens étaient des alliés trop im- gnalé, ne négligerait rien pour lui en
portants pour que Rome et Carthage témoigner une entière reconnaissance.
ne songeassent pas à se les attacher. Syphax reçut cette ambassade avec
Ce fut l'an 213, sous le consulat de satisfaction'. Dans les entretiens qu'il
Fabius Maximus, fils de Fabius Cunc- eut avec ces centurions , qui connais-
tator, et de Sempronius Gracchus, que saient parfaitement la guerre, il apprit
les deux Scipions Publius et Cnéus , d'eux des choses qui f étonnèrent sur
animés par les succès considérables l'art militaire, et il vit, par fa compa-
10 L'UNIVERS.

raison de la tactique romaine avec la nois, illes vainquit en bataille rangée.


méthode barbare, combien il avait en- LES CARTHAGINOIS TRAITENT AVEC
core a apprendre dans ce métier. gula. — Carthage , inquiétée par cet
SYPHAX VEUT DISCIPLINER SES ennemi, devenu en peu de temps re-
numides. — • Syphax conçut à l'instant doutable par les leçons des Romains,
le projet de profiter de ses nouveaux chercha à lui opposer l'autre roi de la
alliés pour rendre son armée plus ca- Numidie, Gula, dont le père, Na-
pable de lutter contre Cartilage. Il de- ravase, avait été pour eux un auxi-
manda aux députés , comme premier liaire sidévoué. Ils lui représentèrent
gage de l'amitié et de l'alliance qu'ils que Syphax ne s'était joint aux Ro-
venaient de contracter , que deux seu-
lement retournassent auprès de leurs secoursmainsqu'afin
' contre delesseautres
fortifier
roisdeetleur
les
généraux pour leur rendre compte de autrestait peuples
leur commission, mais que le troisième donc a Gulade etl'Afrique. Il impor-
aux Carthaginois
restât auprès de lui pour former les d'unir leurs forces au plus tôt , avant
Numides dans l'art de combattre à que Syphax passât en Espagne ou les
pied , auquel ils n'entendaient rien. Il Romains en Afrique , et d'accabler le
ajouta que, dès la première origine de premier, qui n'avait encore que le ti-
leur nation, les Numides n'avaient ja- tre d'allié des Romains , sans avoir
cheval mais
; luifait laet guerre
les siensautrement qu'à
avaient appris reçu d'eux des
SYPHAX EST secours
VAINCUréels.PAR massi-
cet nis a ,fils de gula. — Ainsi Car-
en exercice
tête desdèsadversaires
l'enfance ; redoutables
mais ayant
thage et Rome faisaient servir à leurs
par leur infanterie, il voulait leur op- intérêts l'inimitié naturelle qui divi-
poser des forces égales, et avoir comme sait les deux royaumes barbares , et
eux des fantassins. Ce n'était pas des les enveloppèrent dans leur grande
soldats qui lui manquaient, mais des querelle. Gula avait un fils âgé de 17
hommes capables de les former à la ans, dont TiteLive dit, la première
tactique et à la discipline , pour leur fois qu'il en fait mention dans son his-
apprendre à renoncer à leur coutume toire, que les vertus de sa jeunesse
de se ranger et de combattre au ha- faisaient espérer qu'il laisserait à ses
sard. Les centurions consentirent à descendants un royaume plus floris-
cette demande, et laissèrent auprès de sant et plus étendu
Syphax l'un d'eux, qui se nommait Q. de ses pères. Ce qu'il
jeuneneprince
l'avait était
reçu
Statorius. Les deux autres partirent, Massinissa , qui d'abord, comme son
accompagnés des députés que Syphax père, allié des Carthaginois , mérita ,
envoyait à sou tour aux Scipions, et par son changement de politique, d'ê-
à quiner à la
il avait donnétous
défection l'ordre d'entraî-
les Numides tre flatté sans réserve par l'historien
romain. L'ardeur du jeune Massinissa
auxiliaires des Carthaginois en Espa- détermina facilement son père à se dé-
gne. Cette recommandation eut un ré- clarer contre Syphax. Massinissa unit
sultat très-avantageux pour les Ro- ses guerriers aux troupes carthaginoi-
mains, etle parti carthaginois fut af- ses, et fit changer la fortune. Syphax
faibli par de nombreuses désertions. fut vaincu dans un grand combat où
Cependant Statorius enrôlait une on dit qu'il perdit 30,000 hommes. Es-
nombreuse jeunesse parmi les sujets corté seulement d'un petit nombre de
de Syphax, l'exerçait à toutes les évo- cavaliers, il abandonna Siga (Ned-Ro-
à garderlutions les militaires,"
rangs ,à suivre
à obéirle àdrapeau,
la voix ma), sales capitale,
chez et s'enfuit
tribus voisines des àMaures,
l'ouest,
qui commande. Les barbares se fa- qui peut-être reconnaissaient déjà sa
çonnèrent promptement , et bientôt domination; car le bruit de l'arrivée de
Syphax compta sur son infante- ce chef puissant attira autour de lui
rie autant que sur sa cavalerie ; et une grande multitude , et il reforma
ayant marché contre les Carthagi- bientôt une armée avec laquelle il vou-
NUMIDIE ET MAURITANIE.
11
lait passer le détroit de Gadès pour re- niers qu'il avait faits dans cette expé-
joindre les Romains en Espagne; mais dition, ilapprit d'eux, entre autres
Massinissa survint avec son armée choses, que Massinissa se trouvait à
victorieuse, et, sans le secours des Carthage avec 5,000 Numides; qu'onla
faisait de grandes levées dans toute
Carthaginois,
de nouveaux avantages. il remporta sur l'ennemi
Numidie pour fortifier l'armée d'Es-
MASSINISSA, EN ESPAGNE, PREND pagne que commandait Asdrubal, dont
PART A LA DÉFAITE DES SCIPIONS le projet de passer en Italie était déjà
(212 ans avant notre ère). — Après bien arrêté. Peut-être Massinissa de-
avoir humilié et dépouillé Syphax , vait-il conduire toutes ses recrues
Massinissa franchit le détroit et passa africaines , et accompagner le frère
en Espagne, où il rejoignit les deux d'Annibal sur le sol de l'Italie, où il
Asdrubal et Magon , qu'il servit avec aurait partagé son funeste sort. Mais
zèle. La situation des deux Scipion la fortune en décida autrement.
était alors très-périlleuse; la tentative SYPHAX SE RELÈVE ; IL CONTINUE
qu'ils avaient faite en Afrique compro- SES RELATIONS AVEC ROME (510 avant
mit et ruina entièrement leurs affai- notre ère). — Nous avons laissé Sy-
res eu Espagne; car les Carthaginois phax repoussé par Massinissa dans la
furent fortifiés par la déroute de Sy- partie la plusdeoccidentale
phax ,et disposèrent de tous les Nu- et dépouillé ses États. de
Ce l'Afrique,
prince ne
mides. Publius et Cnéus s'étaient sé- tarda pas à rétablir ses affaires : Mas-
parés, pour faire face à tous leurs sinissa guerroyait en Espagne; Syphax
ennemis. Massinissa , qui combattit
facile deplusse cerelever
n'avait rival endans
tête;la il lui était
Numidie.
d'abord dans l'armée opposée à Pu- Les circonstances du retour de Syphax
blius ,le harcela sans relâche. Il in-
quiétait les Romains jour et nuit: dans son royaume ne sont pas con-
non - seulement il tombait sur eux nues ; mais on sait le résultat de
quand ils allaient chercher du bois et ses tentatives et le temps où il faut les
du fourrage, mais il les attaquait au- placer, par Tite-Live, qui, sans entrer
dacieusement jusque dans leur camp, dans aucun détail , mentionne l'arrivée
portant soudainement l'alarme et l'ef- des ambassadeurs de ce prince sous le
froi au milieu des postes qui veillaient consulat de Valérius Lévinus et de
à la garde des retranchements. Sci- Marcellus, en 210. Les envoyés de
pion et les siens étaient comme assié- Syphax venaient informer le sénat des
gés, et ils manquaient de toutes cho- victoires de leur maître su% les Car-
ses. Dans le combat, les Numides firent thaginois, etde la situation prospère
des prodiges; et Massinissa, plus tard de ses affaires. Ils renouvelèrent en
Pami de Scipion l'Africain, dut comp- son nom l'assurance de son amitié
ter au nombre de ses premiers exploits pour Rome et de sa haine contre Car-
cette bataille où périt Publius. thage. Ce n'était plus seulement avec
Pendant plusieurs années, Massi- les représentants de la république en
nissa employa son ardente jeunesse Espagne qu'illui-même. voulait traiter,
au service des Carthaginois. L'histoire avec le sénat Le sénatmais
ré-
n'a pas fait mention de tout ce qu'il pondit avec bienveillance aux envoyés
fit dans cette période de son active numides, et fit partir trois députés qui
existence; mais elle laisse conjecturer offrirent au roi barbare des présents
qu'il fut dévoué, pour cette république un consistant en une toge et une tunique
auxiliaire comme il le devint de pourpre, un siège d'ivoire, et une
plus tard pour les Romains. En 210, coupe d'or du poids de cinq talents.
M. Valérius Messala, commandant la La députation visita aussi d'autres
station navale des côtes de la Sicile, petits rois (reguli) numides à qui elle
fit une incursion sur le territoire d'U- offrit des présents de moindre valeur,
ticpie, et revint treize jours après en savoir, des robes prétextes et des
Liiybée. Ayant interrogé les prison- coupes du poids de trois talents. Ainsi
12 L'UNIVERS.

Rome ne négligeait rien pour soulever voudrais-tu bien retourner auprès de


l'Afrique contre Carthage et multiplier ton oncle? » A cette question, l'enfant
les ennemis à ses portes, et c'était par pleura, et répondit qu'il le désirait
ce mélange heureux de la politique et vivement. Alors Scipion lui fit donner
des armes qu'elle résistait au génie un anneau d'or, une tunique laticlave,
puissant d'Annibal. une saie espagnole, une agrafe d'or, et
CONDUITE DE PUBLIUS SCIPION A un cheval tout équipé; puis, ayant or-
l'égard de massiva. — Il restait donné àdes cavaliers d'escorter le
encore une chose à faire, c'était de prince aussi loin qu'il voudrait, il le
détacher Massinissa du parti cartha- congédia. Que dut penser Massinissa
ginois. Le jeune Scipion , qui seul avait d'un tel ennemi, quand il vit son neveu
de retour, ainsi honoré par le général
après la mort de
osé se charger de lasonguerre
père d'Espagne
et de son romain? Cette générosité, que rien
oncle (211), ne négligea rien pour at- n'avait provoquée, devait être d'un
teindre ce but. On en voit la preuve effet infaillible. Nul doute que Massi-
dans la manière généreuse dont il se nissa n'en ait été vivement pénétré, et
conduisit à l'égard d'un jeune prince qu'il n'ait commencé à ressentir pour
de la famille des rois massyliens. Après Scipion l'Africain cette profonde ad-
la bataille de Bascula, gagnée sur Mas- miration dont il donna dans la suite
sinissa et Asdrubal , le questeur de tant de preuves.
ENTEEVUE DE MASSINISSA AVEC
l'armée romaine procédait à la vente SILANUS; IL SE DONNE AUX R0-
des captifs, lorsqu'on lui signala parmi
les Africains un jeune homme que son MAINS ; RAISONS DE CE CHANGEMENT
noble extérieur faisait distinguer de (207 avant notre ère). — Cependant il
tous les autres. Ayant appris qu'il resta encore quelque temps au service
était de race royale, il l'envoya à Sci- de Carthage, combattit une dernière
pion, qui lui demanda qui il était, de fois pour elle avec Magon et Hannon,
quel pays, et comment, si jeune en- lieutenants d'Annibai , et partagea
core, ils'était trouvé à la bataille. encore leur défaite. Mais il n'atten-
L'enfant répondit, les larmes aux yeux, dit pas davantage, et sa foi chance-
lante succomba enfin (207). Scipion
«qu'il était Numide, qu'il s'appelait était retourné à Tarragone. Massinissa
Massiva ; que la mort de son père
l'ayant laissé orphelin , il avait été eut, on Bétique, une entrevue secrète
élevé par Gala, qui était son aïeul avecSilanus,lieutenantdeScipion,etse
maternel; aue son oncle Massinissa, livra franchement à l'alliance romaine.
qui venait d'arriver avec des renforts Toutefois, sans rompre ouvertement
de cavalerie, l'avait mené avec lui en avec Carthage, il partit accompagné
Espagne; mais que, jusque-là, il ne d'un petit nombre des siens, et passa en
lui avait pas permis, à cause de sa Afrique pour attirer au parti des Ro-
jeunesse , d'assister à aucun combat ; mains toute sa nation. Tite-Live n'in-
que cependant, le jour de la dernière dique aucun des motifs qui décidèrent
bataille, Massinissa à ce brusque changement;
son oncle,il un s'était procuré,
cheval et des àarmes,
l'insu de
et il se contente de faire remarquer que
qu'il s'était secrètement jeté dans la la constance avec laquelle il persévéra
mêlée; enfin, que pendant l'action son jusqu'à l'extrême vieillesse dans son
cheval s'était abattu, qu'il avait été amitié pour Rome ne permet pas de
renversé par terre et pris par les Ro- croire qu'il ait embrassé ce parti sans
mains (*). » Scipion l'entendit, chargea de bonnes raisons. Il n'est point diffi-
quelqu'un de le garder, et, après avoir cile d'assigner à cette détermination
réglé toutes les affaires portées à son ses causes primitives. Massinissa su-
tribunal, il fit venir dans sa tente le bissait l'influence de ces nobles séduc-
jeune Numide. «Massiva, lui dit-il, tions que Scipion exerça sur tant d'au-
(*) Tite-Live, liv. xxvir. lui untres penchant
chefs barbaresdécidé. : il'se Les
sentait pour
procédés
13
NUMIDIE ET MAURITANIE.
de Carthage envers lui étaient tout procha plus tard la témérité. Il partit
différents; et il est évident que cette de Carthagène avec deux vaisseaux, et
république, qui cherchait alors à rega- suivi de Lélius. Dans le même temps,
gner Syphax à sa cause, froissait par Asdrubal, fils de Giscon, quittait l'Es-
là l'amour-propre de îUassinissa, si pagne avec sept navires; il poursuivit
longtemps son principal allié. Enfin, les deux galères romaines, et les aurait
une raison bien puissante prises sans un vent favorable qui les
tait la décadence de la encore,
fortune c'é-
de sauva. Asdrubal, renonçant à leur
Carthage,
revers pourquisesn'avait
alliés plus que elle.
et pour des donner auprès
rendre la chasse, résolut'etaussi
de Syphax, de se
y devança
Massinissa, qui était aussi politique l'arrivée de Scipion, qui ne se fit pas
que brave, considérait les événements, longtemps attendre.
et le spectacle des choses présentes phax se sentit flatté deL'orgueilleux Sy-
cette recherche
lui donnait un secret et infaillible
opiniâtre
des deux dont plus ilpuissantes
était l'objet,républiques
de la part
pressentiment du triomphe futur de
Rome; il aima mieux vaincre avec elle de l'univers. Il voulut d'abord engager
que de périr avec sa rivale. Ce dernier Scipion et Asdrubal à terminer leurs
rôle, il l'abandonna à l'imprudent Sy- différends par un accord, et remplir
phax. le personnage de médiateur. Mais Sci-
VARIATIONS DE SYPHAX. SCIPION
LE VISITE DANS SES ÉTATS; IL Y
pion lui rappela que ce n'était point là
l'objet tefoisdeàconverser
sa venue avec : il Asdrubal,
consentit tou-
et,
rencontre asdrubal. — Il était ce-
pendant facile à Syphax de se main- pour plaire au roi , il mangea à la
tenir dans l'alliance des Romains qu'il même table et s'assit au même lit à
avait déjà possédée, et de partager côté du Carthaginois qu'il avait vaincu.
aussi les dépouilles de Carthage. Mais Scipion déploya dans ces entrevues
son ambition et son inconstance le toutes les grâces de son esprit et tous
précipitèrent dans le plus mauvais les charmes de ses manières; il sédui-
parti. Malgré ses traités avec Rome, sit Asdrubal lui-même, et lui arracha
il s'était depuis peu rapproché de Car- cet aveu, que l'entretien de Scipion
thage. Étant alors le plus puissant roi lui avait inspiré de son ennemi une
de l'Afrique, il était sollicité par les plus haute idée que ses victoires et ses
deux républiques, et se plaisait à flotter conquêtes mêmes. Asdrubal, qui avait
de l'une à l'autre, et à les laisser toutes pénétré l'intention du Romain, était
deux dans l'incertitude. Il avait ré- dévoré d'inquiétudes sur les effets du
cemment traité avec Carthage; mais rapprochement de Rome et de Syphax.
les derniers revers qu'elle avait éprou- Il ne put l'empêcher, malgré ses ef-
vés en Espagne forts; et Scipion, après avoir fait une
de nouveau vers etlesenRomains.
Italie l'attiraient
Scipion, ligue offensive et défensive avec Sy-
?|ui méditait déjà son expédition d'A- phax contre Carthage, revint à Cartha-
rique, résolut de fixer enfin la mobile gène. Son absence n'avait duré que
politique de ce prince. Il lui envoya quatre jours. de massinissa et de
Lélius, son ami, avec des présents entrevue
considérables; et Syphax se laissa re- scipionsinissa(206).
gagner par ces avances flatteuses du avec les —Romains
L'alliance
étaitdeencore
Mas-
vainqueur. Cependant, il déclara qu'il secrète, et le prince numide avait
ne voulait rien conclure qu'avec Sci- sauvé les apparences en rejoignant
pion en personne. Lélius obtint des Magon à Cadix , la seule place que Car-
garanties pour la sûreté de Scipion, thage possédât encore en Espagne. 11
et lui rapporta la réponse du roi. Le désirait ardemment une entrevue avec
général romain était si pénétré de Scipion pour traiter avec lui d'une
l'importance de cette négociation, qu'il manière définitive. Celui-ci y consen-
n'hésita pas à entreprendre une péril- tit, et, ayant quitté Tarragone, se
leuse démarche, dont Fabius lui re- rapprocha de la Bétique. Massinissa,
14 L'UNIVERS.
prétendant que sa cavalerie dépérissait (Bone), l'avertit de se garantir de la
dans l'enceinte étroite de l'île où elle flotte carthaginoise, et se plaignit des
était renfermée, passa sur le continent lenteurs de Scipion.
comme pour ravager les terres voi- SYPHAX ÉPOUSE SOPHONISBE ET
sines. Trois chefs numides allèrent TRAITE AVEC CARTHAGE. — De SOll
trouver Scipion pour convenir avec lui côté, Syphax, oubliant la visite de
du temps et du lieu de l'entrevue : Scipion et la foi jurée, se laissa rega-
deux d'entre eux restèrent comme gner par les Carthaginois. Asdrubal,
otages, et le troisième amena Massi- fils de Giscon, qui avait été l'hôte de
nissa au lieu indiqué. Le Numide ne Syphax en même temps que Scipion,
était père de la célèbre Sophonisbe,
put dissimuler la joie et l'étonnement
qu'il éprouva à la vue du héros dont dont denttous
àvanterles laauteurs
beauté anciens s'accor-
extraordinaire.
il avait déjà une si haute idée. Il pro-
testa du désir qu'il avait de servir la Dans le temps où Massinissa avait
république romaine ; il engagea Scipion commencé à combattre pour Carthage,
à éprouver son zèle en passant en Sophonisbe lui avait été fiancée; mais
comme elle était encore trop jeune, le
Afrique à la tête d'une armée, l'assu- mariage avait été remis à un autre
rant que s'il exécutait ce dessein, on
verrait bientôt la fin de l'empire de temps. Quelques années plus tard,
Carthage. Ainsi Massinissa se donnait Sophonisbe était dans tout l'éclat de
aux Romains avec une ardeur qui allait sa beauté. Asdrubal, qui connaissait
le défaut naturel du peuple numide,
presque, selon Tite-Live, jusqu'à l'en- résolut de subjuguer Syphax par les
thousiasme; etScipion dut compren-
dre qu'il venait de s'assurer un allié charmes de sa fille; il réussit sans
plus fidèle et plus sincère que Syphax peine : Syphax épousa Sophonisbe; et,
(206 avant J. C). non content de cette alliance domes-
MASSINISSA PRESSE LES ROMAINS
tique qui l'unissait à un des principaux
de passer en Afrique. — Cette dé- citovens de Carthage, il conclut un
fection générale des princes numides traité avec la république, et s'engagea
par serment à reconnaître les mêmes
répandit l'épouvante à Carthage : le amis et les mêmes ennemis que les
moment était venu de l'attaquer sur
son propre territoire; mais, soit jalou- Carthaginois.
DERNIÈRE AMBASSADE DE SYPHAX
sie, soit prudence, Fabius arrêta l'ar-
retardée deur de Scipion
de deux, et ans.l'expédition
Pendant fut
cet
A SCIPION*, RÉPONSE
Le rusé Asdrubal avait rendu à sa
DE SCIPION. —

intervalle, la Numidie fut troublée par patrie un service important, en com-


des événements qui y modifièrent gran- promettant Syphax auprès des Ro-
dement laface des choses. Massinissa
mains. Mais il n'avait pas oublié que
fut dépouillé de son royaume par une ce prince avait récemment donné sa
suite de circonstances que nous rap- parole à Scipion;
porterons tout à l'heure; Syphax chan- inconstant du roi ilbarbare,connaissait
et ill'esprit
dési-
gea encore une fois de parti, et devint rait l'amener à une rupture définitive
avec Rome. Il détermina donc Syphax,
plus puissant que jamais. Il n'y eut
que la fidélité de Massinissa pour ses tant par ses discours que par les ca-
nouveaux amis qui ne se démentit pas. resses de Sophonisbe, à envoyer en
Malgré le désastre de ses affaires, il Sicile des ambassadeurs, qui déclarè-
avait encore une troupe considérable rent à Scipion que les promesses de
de cavaliers et de fantassins qu'il met- leur maître n'étaient plus un motif
tait la
à disposition du général romain, suffisant pour qu'il passât en Afrique.
s'il voulait se hâter. Lélius ayant fait Ils lui apprirent que Syphax avait
une incursion sur les côtes d'Afrique épousé la fille d'Asdrubal, et qu'en
pendant le séjour de Scipion en Sicile, conséquence de ce mariage, qui le ré-
Massinissa , alors dépouillé de ses conciliait avec les Carthaginois, il dé-
États , vint le trouver près d'Hippone sirait que la guerre entre les deux
NUMIDIE ET MAURITANIE. 15
républiques se fit toujours loin de Massinissa à l'écrivain romain , nous
l'Afrique, pour qu'il ne fût pas dans a valu un des fragments les plus
la triste nécessité de se prononcer pour considérables que nous ayons sur
l'un ou l'autre peuple. Ils terminèrent l'histoire intérieure de la Numidie.
en déclarant que si les Romains ve- Pendant que Massinissa combattait
naient attaquer Carthage, Syphax ne encore en Espagne pour les Cartha-
pourrait se dispenser de combattre ginoile
s , roi Gala, son père, mourut.
pour la contrée qui lui avait donné Selon la coutume qui régissait la suc-
naissance, et pour la patrie de son cession royale , Désalcès , frère de
épouse et de son beau-père. Un tel Gala, monta sur le trône à sa place.
langage équivalait à une déclaration Désalcès était déjà d'un âge très-
de guerre. Scipion avait beaucoup avancé ; il mourut aussi peu de temps
compté sur Syphax pour la réussite de après , et l'héritage paternel passa en-
son projet; mais les menaces d'un Nu- tre les mains de Capusa, l'aîné de ses
mide ne pouvaient faire reculer un deux fils , dont le plus jeune était en-
Romain. Scipion répondit à Syphax core enfant. Mais Capusa ne sut pas
pour l'exhorter à ne point violer les s'affermir sur un trône qu'il ne devait
lois qu'au droit de la naissance, et nulle-
nom de de l'hospitalité;
sa foi, de sa ilconscience; lui parla auil
ment à son propre mérite. Il y avait
invoqua le respect du aux dieux, té- alors chez les Numides Massyliens un
moins et vengeurs des traités. Tous homme appelé Mezétule, qui n'était
ces motifs n'étaient guère propres à pas étranger par son origine à la race
toucher le barbare; mais, en répondant
ainsi, Scipion mettait la modération royale,
ennemie mais qui sortait
et toujours en d'une
rivalitéfamille
avec
et la justice de son côté. Il se hâta de celle qui possédait alors le pouvoir.
renvoyer les ambassadeurs numides; Mezétule, affectant une haine violente
et quand ils furent partis, il lit croire contre la royauté, acquit un grand
à ses soldats qu'ils étaient venus pour crédit dans la nation , et l'excita à la
l'exhorter à presser son départ, et il révolte. Quand il fut assez fort, il mar-
représenta Syphax comme faisant des
vœux pour son entreprise, aussi bien venirchaauxcontre mains Capusa, avecquile fut forcé Dans
rebelle. d'en
que Massinissa. Telles furent les né- ce combat, où il s'agissait de sa cou-
gociations de Rome et de Carthage ronne ,Capusa fut vaincu , et resta
avec les souverains de la Numidie avant avec ses principaux partisans sur le
la fin de la seconde guerre punique. champ de bataille. Alors les tribus qui
Elles nous font comprendre toute l'im- formaient son royaume reconnurent
portance que les deux rivales atta- pour chef Mezétule, qui prit l'autorité,
en refusant habilement le titre de roi.
chaient àl'assistance de ces princes;
et les détails dans lesquels nous som- Il couronna même un enfant, Lucu-
macès, le seul qui eut survécu de la
mes entrés à ce sujet forment le coin-* postérité de Capusa , et gouverna
plément de l'histoire de cette seconde
guerre punique dont l'ensemble a été comme tuteur de ce jeune prince. Me-
présenté plus haut, dans la partie de zétule rechercha l'amitié de Carthage;
ce volume qui traite de Carthage. il épousacipalesune
AFFAIRES INTÉRIEURES DE LA NU- famillesfemme
de cetted'une
ville, des
qui prin-
était
MIDIE; MORT DE GALA; DÉSALCÈS; nièce d'Annibal , et qui avait déjà été
CAPUSA ; LUCUMACÈS ; USURPATION donnée en mariage à Désalcès. Il re-
de mezétule. — La fidélité de Mas- nouacienne
avec hospitalité.
Syphax Illesprenait
liens toutes
d'une an-
sinissa au parti romain a déterminé ces
Tite-Live à insérer dans son histoire précautions contre Massinissa , dont
un long épisode sur les variations de il craignait le retour et les tentatives.
fortune que ce prince eut à subir alors MASSINISSA REVIENT EN NUMIDIE ;
en perdant et en recouvrant son IL EST VAINQUEUR DE MEZÉTULE ET
royaume; et cet intérêt, inspiré par DE LUCUMACÈS ; IL PACIFIE LA NU-
16 L'UNIVERS.

midie ( 206 avant notre ère ). -~ En ils avaient encore reçu de Syphax un
apprenant la mort de son père et le corps de 15,000 fantassins; leur ca-
meurtre de Capusa , Massinissa quitta valerie s'élevait à 10,000 hommes.
l'Espagne et passa en Mauritanie (206). Malgré l'infériorité de ses forces, Mas-
Depuis longtemps il ne cherchait sinissa eut l'avantage. Il dut la victoire
qu'un prétexte pour abandonner les au courage des vieux soldats de son
Carthaginois , qui , de leur côté , se dé- père et à sa propre expérience de la
fiaient de ses dispositions. Aussi , au guerre,tant enqu'il avait Le
acquise
Espagne. jeune enroicombat-
et son
rapport d' Appien,
les résultats de son Asdrubal,
retour en craignant
Numidie, tuteur se réfugièrent , avec une petite
essaya-t-il de le faire assassiner. Mas- troupe de cavaliers , sur le territoire
carthaginois. Massinissa avait recouvré
de Bocchar, sinissa échappa,roi des et" seMaures.
présentaIl auprès
obtint son royaume; mais comme il pré-
de lui , par les plus humbles et les voyait qu'il aurait bientôt à soutenir
plus pressantes prières , un corps de une guerre plus dangereuse avec Sy-
4,000 hommes, qui devaient seulement phax il
, jugea à propos de se réconci-
lier avec son parent. Il fit proposer à
lui servir d'escorte pour le voya- Lucumacès de revenir en Numidie ,
ge, Bocchar refusant de lui donner
du secours pour la guerre qu'il al- l'assurant qu'il occuperait auprès de
lait entreprendre. A peine arrivé sur lui le même rang, et qu'il jouirait des
mêmes honneurs que Désalcès auprès
les frontières de l'ancien royaume de
Gula , Massinissa fait un appel à ses de Gula. Quant à Mézétule, il lui pro-
amis et à ceux de son père. Environ mettait lepardon, et la restitution de
500 Numides vinrent le trouver. Il tous ses biens. L'un et l'autre accepta,
renvoie les cavaliers maures avec les- revint dans la Numidie, qui aurait pu
quels il avait traversé les États de être tranquille sans les ennemis du
dehors.
Syphax, et, réduit à d'aussi faibles ASDRUBAL DÉTERMINE SYPHAX A
ressources , mais plein d'ardeur et
d'espérance, il entreprend la conquête ATTAQUER MASSINISSA; CELUI-CI EST
vaincu et mis en fuite (205 avant
de l'héritage paternel. Le hasard lui
procura une heureuse rencontre. Lu- J. C. ) — En effet, Asdrubal était tou-
cumacès , épouvanté à son approche , jours auprès de Syphax, à qui il im-
se rendait chez Syphax pour demander portait beaucoup que le royaume fût
du secours. Massinissa le surprit en entre les mains de Lucumacès plutôt
chemin , le vainquit , et le força à se qu'au pouvoir de Massinissa. Asdru-
réfugier dans Thapsa, près de laquelle bal ne négligea rien pour augmenter
s'était livré le combat. Ensuite, ayant les craintes que cette révolution ins-
investi la ville, il l'emporta presque pirait au roi son gendre. Il lui repré-
aussitôt : de ceux qui entouraient Lu- senta que c'était une grande erreur de
cumacès, une partie se rendit au vain- croire que Massinissa se contenterait
queur ,une autre fut massacrée, et le des États qu'avaient possédés Gula et
reste parvint, avec le roi, à gagner le Désalcès; qu'il y avait en lui plus
royaume de Syphax. Le bruit de cet d'ambition et de courage que dans au-
heureux commencement s'étant ré- cun autre prince de sa race ; qu'en Es-
pandu partout, les Numides accouru- pagne ilavait donné, aux yeux de ses
rent en foule auprès de Massinissa, et alliés et des ennemis, des prends d'un
parmi eux se trouvaient des vétérans grand caractère ; que si les Carthagi-
de Gula , qui avaient à cœur le réta- nois et Syphax ne s'entendaient pas
blissement deson iîls , et qui se dé- pour détruire cette flamme naissante,
vouèrent àlui. De part et d'autre on ils seraient bientôt dévorés eux-mêmes
se prépara à une action décisive. Mé- par unfiter duvaste incendie; qu'il fallait
zétule et Lucumacès avaient une ar- momentoù Massinissa étaitpro-
en-
mée plus considérable que celle de core assez mal affermi sur son trône.
Massinissa; car, outre leurs partisans, Ces raisons persuadèrent Syphax , qui
N □ M ID IE

,,/■,,
c Zu, /,
17
kumidie et Mauritanie.
Se présenta avec une armée sur les fron- pays des Numides. Ces brigandages de
tières des Massyliens, réclamant un ter- Massinissa firent plus de tort aux Car-
ritoire conteste depuis longtemps , et thaginois, etleur coûtèrent beaucoup
pour la possession duquel il avait lui- plus d'hommes vendus ou massacrés,
même souvent combattu avec Gula.
que ne l'aurait fait une guerre régu-
Si Massinissa cédait la province en lière. Les compagnons du roi fugitif
question , Syphax devait , profitant de étaient devenus si hardis, qu'ils al-
sa faiblesse, pénétrer jusqu'au cœur laient sur le rivage vendre les dépouil-
de son royaume; s'il le défendait les les à des marchands attirés par les
armes à la main , l'infériorité de ses profits de ce singulier commerce.
BOCCHAR , LIEUTENANT DE SY-
forces donnait à ses ennemis l'espoir
de sa défaite. Cette dernière prévision PHAX, FORCE MASSINISSA A QUITTER
se réalisa. Massinissa, voulant repous- cette retraite. — Les Carthagi-
ser l'invasion, fut totalement vaincu, nois, qui souffraient considérablement
et contraint de prendre la fuite avec de ces ravages, s'adressèrent à Sy-
quelques cavaliers. phax, afin qu'il exterminât ces débris
MASSINISSA SE REFUGIE SUR LE dangereux du parti vaincu. Mais ce
MONT BALBÏIS ; SES COURSES SUR LES prince, jugeant indigne de lui de pour-
TERRES DE CARTHAGE. — Massinissa suivre dans les montagnes une troupe
supporta héroïquement ce nouveau re- vagabonde de brigands, chargea Boc-
vers de fortune. Pendant que tout son char, un de ses lieutenants, homme ac-
royaume subissait la loi du vainqueur, tif et courageux, du soin de cette ex-
il se retrancha sur le mont Balbus(*), pédition. Illui donna 4,000 fantassins
avee quelques familles qui lui restèrent et 2,000 chevaux , et l'exalta par l'es-
IL les. Elles s'établirent sur la mon- poir des plus grandes récompenses, s'il
tagne avec leurs tentes et leurs trou- lui rapportait la tête de Massinissa ,
peaux ,qui formaient toute leur ri- ou, ce qui aurait été un bonheur inap-
chesse. Cette montagne renfermait préciable, s'il le lui amenait vivant.
plusieurs sources d'eau, et était cou- Profitant de la sécurité et de la négli-
verte de pâturages. Les réfugiés nu- gence de Massinissa et des siens, Boc-
mides pouvaient donc y faire paître char les assaillit à Pimproviste ; il lit
leurs troupeaux, dont le lait et la chair main basse sur les troupeaux et la
servaient à leur subsistance. D'abord multitude de ceux qui étaient sans dé-
ils firent furtivement des incursions fense ,et cerna le chef lui - même et
nocturnes dans les campagnes envi- ses guerriers sur le sommet du mont
ron antespuis
; , enhardis par leurs Balbus. Bocchar, regardant l'expédition
premiers succès, ils étendirent leurs comme presque terminée, envoya à
ravages et ne se cachèrent plus. Ils Syphax
pillaient de préférence les terres des avec unetoutpartie le butin qu'iltroupes,
de ses avait fait,
ne
Carthaginois, où le butin était plus gardant avec lui que 500 fantassins et
abondant et plus facile que dans le 200 cavaliers, qui lui suffisaient pour
achever la guerre. Il contraignit Mas-
(*) Le mont Balbus est aujourd'hui le sinissa àquitter les hauteurs, et l'en-
« >jebel-el-Resas entre Nabal (Neapolis) et ferma dans une vallée étroite , où il
Rhades (Maxula). Sur le flanc de la mon-
extermina presque toute sa bande , à
tagne est un lieu appelé El-Arbaim les Qua-
rante, àcause d'un groupe de quarante l'exception de 50 cavaliers, qui échap-
tombeaux que les gens du pays regardent pèrent avec leur chef par des passages-
comme les monuments funèbres de pieux inconnus. Cependant Bocchar retrouva
musulmans morts en défendant leur patrie leurs traces; il les atteignit de nou-
adoptive. D'autres voudraient y voir les
veau sur le territoire de Clypea (Ciy-
tombeaux des compagnons d'armes de Mas- bea auj.), non loin de la mer, et leur
sinissa, qui furent massacrés pour la plu- livra un dernier combat , dont il n'é-
part par les soldats de Bocchar. Voir Man- chappa que quatre hommes avec Mas-
nert, traduct. de Marcus, p. 700. sinissa, qui, dangereusement blessé,
2e Livraison. (Numidie et Mauritanie.)
Î8 L'UNIVERS.
faillit tomber au pouvoir du vainqueur. te Cirta et îlippone. Cette fois , Sy-
Bocchar répandit ses cavaliers dans la phax, voulant en finir avec cet ennemi
campagne, pour atteindre ces derniers indomptable, marcha lui-même contre
fuyards. Ceux-ci , serrés de près , ar- Massinissa, accompagné de son fils
rivèrent sur les bords d'une large ri- Vermina. Bientôt les deux armées fu-
vière ,où ils se jetèrent sans hésita- rent en présence. Syphax ordonna à
tion, préférant le moindre des deux son fils d'attaquer secrètement et par
dangers. La force du courant entraîna derrière, tandis qu'il mettait ses trou-
les plus faibles pes en bataille pour en venir ouverte-
le gouffre sous , qui s'abîmèrent
les yeux même ,duns
des ment aux mains. Massinissa comptait
ennemis. Ils crurent que Massinissa sur l'avantage de sa position , et il ac-
avait subi le même sort; mais il eut
cepta bravement le combat. L'action
le bonheur d'échapper avec deux des fut sanglante et longtemps douteuse :
cavaliers qui lui restaient , et il par- l'ardeur des Numides de Massinissa
vint à gagner l'autre rive, où il se compensait la supériorité numérique
cacha dans un taillis. Bocchar n'osa de l'ennemi. Mais quand le corps d'ar-
franchir le fleuve; il arrêta sa pour- mée de Vermina eut donné sur l.'ar-
suite , qu'il considérait désormais rière-garde , Massinissa et les siens ,
comme inutile, et il revint auprès de enveloppés de tous côtés , ne purent
Syphax, affirmant que Massinissa avait tenir plus longtemps , et la victoire
succombé. Des envoyés annoncèrent cessa d'être douteuse. Le carnage
cette heureuse nouvelle à Carthage, commença, les Massyliens périrent ou
où elle excita la joie la plus vive. furent fafts prisonniers; il n'en restait
massinissa. se cache dans une plus que 200, qui, groupés autour de
caverne; il rentre dans son leur chef, résistaient en désespérés. Ces
royaume, perd une grande ba- braves n'avaient plus qu'à succomber
taille contre syphax et se joint en combattant, ou à se faire jour a tra-
aux romains ( 204 avant J. C. ). — vers l'ennemi le fer à la main. Massi-
Pendant que Syphax et les Carthagi- nissa prend ce dernier parti : il divise
nois célébraient par de grandes ré- ses gens en deux troupes , et leur or-
jouis ances lamort de Massinissa, ce donne de percer comme ils pourraient
prince avait trouvé un asile sûr dans les bataillons de Syphax, en leur indi-
une caverne ignorée, où ses deux com- quant un lieu de ralliement. Deux de
pagnons lui apportèrent des herbes ces pelotons ne purent échapper ; car
pour panser ses blessures. Il y resta l'un ayant perdu courage mit bas les
plusieurs jours en repos , nourri par armes , et l'autre fut écrasé par le
les vols de ses fidèles cavaliers, jus- nombre; le troisième, commandé par
qu'au moment où, ses plaies étant ci- le roi lui-même, et qui se composait de
catrisées il
, reparut de nouveau au 70 cavaliers , parvint à se dégager.
grand jour , et étonna ses adversaires Puis , se répandant dans la campagne,
par un nouveau trait d'audace. Il ren- il parvint, à force de courses et de dé-
tra subitement dans son royaume, où
tours, àlasser Vermina, qui s'était at-
la joie inespérée qu'on eut de le revoir, taché àle poursuivre. Toujours infati-
après l'avoir cru mort, rassembla en gable et audacieux maigre ses revers,
peu de temps autour de lui 10,000 Massinissa parcourut en pillant la
hommes de pied et 4,000 cavaliers. En côte et les villes carthaginoises ; et ,
un instant il se retrouva maître de
s'avançant
retira chez jusqu'à la petite syrte
les Garamantes. Peu , de
se
toute la contrée , et recommença ses
ravages sur les terres des Carthagi- temps après, Lélius arriva en Afrique
nois et sur les frontières de Syphax. avec la flotte romaine, et Scipion ne
Comme il prévoyait bien que ce der- tarda pas à le suivre. Massinissa vint
nier répondrait a ces provocations , il se joindre à ses alliés, selon quelques-
posa son camp sur une montagne,
dans un terrain très-avantageux, en- uns, avec 2,000 chevaux , selon d'au-
tres ,avec 200 seulement ; d'après cg
NUMIDIE ET MAURITANIE. 19

que nous venons de dire du fâcheux son rival avec la plus grande activité.
état de ses affaires , on peut conclure Conseillé par sa passion et par sa
que cette dernière évaluation est la haine, il était le véritable chef des opé-
plus vraisemblable. rations, etimposait ses plans à Lélius.
l'arrivée de scipion relève Il avait à cœur d'occuper à l'instant
massinissa et ruine syphax. — Cirta, où Syphax avait résidé depuis
Jusque-là la fortune s'était acharnée que son royaume s'était agrandi vers
à poursuivre Massinissa ; mais dès que l'orient, et il persuada à Lélius de le
les Romains eurent mis le pied en suivre avec l'infanterie, tandis qu'il
Afrique, les choses changèrent de face. courrait en avant avec les cavaliers
Ici l'histoire des deux rois numides pour investir la place. Ce n'était pas
se confond entièrement avec ceile de seulement pour se rapprocher de Car-
la seconde guerre punique , qu'il thage que Syphax avait choisi ce sé-
n'entre pas dans notre sujet de ra- jour. Cirta était la place la plus forte
conter. Cependant il importe de sui- de toute la Numidie, comme aujour-
vre la destinée de Massinissa et de Sy- d'hui encore la ville moderne q'ui la
phax, devenus les seconds de Rome et remplace (*). Massinissa arriva devan-
de Carthage dans cette grande lutte, les murs de Cirta avant que la nou-
où ils terminèrent aussi leurs longs velle de la captivité de Syphax y fût
démêlés (*). Syphax apportait à ses al- parvenue. Il demanda une entrevue
liés une armée , un trésor , de vastes aux principaux de la ville; mais ni les
ressources ; Massinissa fut beaucoup promesses ni les menaces ne pouvaient
plus utile aux siens en leur consacrant les déterminer à se rendre ; alors on
sa valeur, son expérience et sa fidélité. leur montra Syphax enchaîné. A ce
Il prit une part glorieuse à tous les triste spectacle, un cri de douleur
exploits de Scipion et de Lélius, à échappa de leur poitrine, et toute la
la ruine de l'armée d'Hannon , à l'in- ville fut bientôt dans la consternation.
cendie des camps d'Asdrubal et de On ne songea plus à se défendre ; les
Syphax, à la victoire des grandes plai- uns , par crainte , abandonnèrent les
nes, qui laissa Carthage sans défense, murailles; les autres , pour obtenir le
et la contraignit à rappeler Annibal ; pardon du vainqueur, ouvrirent les
enfin, à la défaite de ce dernier à portes et se rendirent. Massinissa
Zama. En récompense de tant de ser- plaça des gardes aux portes et autour
vicesles
, Romains l'aidèrent à ruiner des'muraiiles pour empêcher la déser-
la puissance de Syphax. Lélius ra- tion des habitants, et il courut de
mena Massinissa dans son royaume. toute la vitesse de son cheval au palais
Syphax,
tenta encore qui s'étaitune enfui
fois ledans
sortsesdesÉtats,
ba- de DISCOURS
Syphax pourDE s'en rendre maître.
SOPHONISBE A MAS-
tailles, etil succomba devant les lé- SINISSA.— Au moment où il entrait
gions de Lélius. Il combattit brave-
ment; mais son cheval s'étant abattu, (*) Constantine.
cement de cette villeOnde trouve sur l'empla-
nombreuses ruines
il se blessa dans la chute, fut fait pri-
sonnier, et conduit d'abord à Massi- antiques, un arc de triomphe tel qu'on en
voit à Rome, un édifice de marbre construit
nissa, qui goûta toutefois le plaisir de
près d'une fontaine d'une eau très-froide.
la vengeance en voyant l'abaissement Hors de l'enceinte de Constantine , Shaw
de celui qui l'avait proscrit autrefois a vu plusieurs cippes couverts d'inscriptions
(202). Ensuite Syphax fut livré à Lé-
lius. funéraires. Au dedans de la ville sont plu-
sieurs débris de constructions romaines, un
CIRTA , CAPITALE DE SYPHAX ,
palais, un amphithéâtre; enfin le pont du
TOMRE AU POUVOIR DE MASSINISSA.
Pvummel , ouvrage romain d'une architec-
— Massinissa poursuivit la perte de ture remarquable. Les voyageurs Shaw et
Poiret ont pensé que la ville moderne n'est
(*) Voyez dans ce volume YHistoire de pas
Carthage, deuxième partie, p. 91. Cirta.aussi étendue que le fut l'ancienne
20 L'UNIVERS.
sous le vestibule du palais, Sopho- tilage. Mais V ancien amour de Mas-
nisbe, fille d'Asdrubal, épouse de Sy- sinis a, tesfeux mal éteints, la joie
phax, se présente à lui. Elle, distingua de retrouver sa maîtresse, sont des in-
facilement le roi ventions romanesques de nos histo-
ses armes et à lade richesse
sa suite, deà tout
l'éclatson
de
riens (*). Sophonisbe était alors dans
vêtement militaire, et, s'étant pros- toutl'éclat de sa jeunesseetdesa beauté.
ternée ses
à pieds, elle lui parla ainsi : Massinissa, qui la voyait pour la pre-
Les dieux, votre courage et votre mière fois , fut à l'instant enflammé
fortune vous ont rendu maître ab- d'un ardent désir de la posséder, et il
solu de mon sort. Mais s'il est per- conçut l'imprudent dessein de l'épou-
mis àune captive d'implorer en sup- ser,* pour ôter à Lélius et à Sci-
pliant celui qui est l'arbitre de sa pion la possibilité de disposer d'une
vie et de sa mort , si vous m'accor- femme qu'il aurait prise pour épouse.
dez la faveur d'embrasser vos ge- Ainsi, la séduisante Sophonisbe faillit
noux et cette main victorieuse , je être aussi dangereuse pour Massinissa
vous conjure, par la majesté royale que pour Syphax.
dont nous étions encore tout à l'heure ENTREVUE DE SYPHAX ET DE SCI-
environnés, par le nom de Numide pion. — Syphax avait été conduit de-
qui vous est commun avec Syphax , vant Scipion, et son entretien fit com-
prendre àcelui-ci tout le danger du
par les
prie de divinités regarder de ce palais"
votre arrivéequeplus
je nouveau mariage de Massinissa : « Quel
favorablement qu'elles n'ont vu son «démon t'a poussé, dit Scipion au
triste départ; je vous conjure de « prisonnier, à renoncer à l'alliance
m'accorder cette grâce, que vous dé- «. romaine, et à préférer celle de Car-
cidiez vous-même de mon sort, « thage, qui t'avait toujours combat-
quelles que soient vos dispositions « tu? » Syphax répondit : « C'est So-
à l'égard de votre prisonnière, et de «phonisbe, fille d'Asdrubal. Je l'ai
ne point souffrir que je tombe sous « aimée, pour mon malheur. Elle aime
la superbe et cruelle domination « ardemment sa patrie, et est habile à
d'aucun Romain. Quand je n'aurais « persuader ce qu'elle veut. C'est elle
été que la femme de Svphax, j'aurais « qui m'a fait l'allié de Carthage, et
toujours préféré la foi d'un prince « qui m'a précipité dans cet abîme de
numide, né dans l'Afrique comme « maux. Prenez garde qu'elle ne sé-
moi, à celle d'un étranger. Mais « duise aussi Massinissa, et qu'elle ne
vous comprenez ce qu'une Cartha- « l'entraîne à son parti.» Il parlait ain-
ginoise, ce que la fille d'Asdrubal si, autant par dépit de l'infidélité de So-
doit redouter des Romains. S'il n'y phonisbe, que par jalousie et par haine
a que la mort qui puisse me sous- contre Massinissa. Ces paroles furent
traire àleur puissance, je vous prie bien accueillies de Scipion, qui garda
et je vous conjure de me la don- Syphax auprès de lui , et le consulta
ner. » fréquemment, dit Appien, comme, au-
MASSINISSA ÉPOUSE SOPHONISBE. trefois Cyrus, le roi de Lydie Crésus,
— Ïite-Live , qui raconte au long la qui était aussi son captif. Peut-être
dramatique histoire de Sophonisbe, ne Scipion se ménageait -il les moyens
parle nullement des engagements qui, d'inquiéter Massinissa, si les prévisions
selon Appien, avaient été contractés de Syphax se réalisaient.
déjà entre elle et Massinissa avant SCIPION BECLAME SOPHONISBE;
son mariage avec Syphax. Cepen-
dant ce silence sur ce point ne dé- (*) Rollin, le président de Brosses em-
ploient ces expressions à propos de cette
truit pas entièrement le témoignage entrevue de Massinissa et de Sophonisbe.
d'Appien ; et Asdrubal, par les mêmes Le sujet de Sophonisbe a été traité trois
motifs qui le déterminèrent à donner fois par trois poètes tragiques d'une valeur
sa fille à Syphax, avait pu auparavant bien différente, Mairet , Corneille, Voltaire.
la fiancer à son rival, allié de Car- Aucun n'y a réussi.
21
NUMIDIE ET MAURITANIE.
MASSINISSA LUI ENVOIE DU POISON. plainte pour mourir avec dignité ,
— Lélius avait fortement blâmé Mas- avala le funeste breuvage. Alors les
sinissa de ce qu'il avait fait, et avait Romains survinrent; Massinissa n'eut
été sur le point d'enlever Sophonisbe, qu'un cadavre à leur montrer. Il fit à
pour la réunir aux autres prisonniers. Sophonisbe de royales funérailles, et
Massinissa le supplia de la lui laisser, retourna près de Scipion. Telle était
et Lélius consentit à s'en rapporter l'humiliation d'un roi puissant et dé-
au jugement de Scipion. Celui-ci or- voué en présence de ces fiers républi-
donna hautement que Sophonisbe, cains.
femme de Syphax, lui fût remise. ANNIBAL VAINCU A ZAMA; SCIPION
Rien ne fait mieux comprendre la hau- DONNE A MASSINISSA L'INVESTITURE
teur romaine à l'égard de quiconque de toute la numidie (202 avant notre
prétendait avoir une volonté contraire ère). — Annibal n'avait pas encore été
à celle de Rome, que la manière dont vaincu, et les espérances que Carthage
Scipion contraignit Massinissa à sa- conservait encore de ce côté avaient fait
crifier cette femme qu'il voulait sau- à Scipion la nécessité d'être inflexible
ver. Tite-Live, qui dans ses admirables envers Sophonisbe, qui pouvait chan-
narrations n'a pas toujours exacte- ger Massinissa. Annibal trouva encore
ment représenté le caractère des faits des alliés parmi les Numides : le prince
ni des personnages, représente Scipion des Aréacides, tribu dont le pays n'é-
inquiet des dispositions de Massinissa,
et tâchant de le ramener par des pa- mina,taitfils
guère aîné éloigné d'Adrumète;
de Syphax; Ver-
Mésétule,
roles pleines de douceur et de ména- l'ancien tuteur de Lucumacès; Tychée,
gements, où il mêle à des raisons po- prince numide, ancien allié de Sy-
litiques des conseils relatifs au mépris phax, sejoignirent à lui. Mais Massi-
des passions et à l'empire sur soi- nissa était à lui seul préférable à tous
même. C'est une leçon de morale qu'il ces vaincus, qui n'empêchèrent pas le
invente, et non un fait qu'il rapporte. désastre de Zama (201). Avant de quit-
Scipion pouvait parler en maître , et ter l'Afrique, Scipion récompensa di-
il ne manque pas de le faire. Appien, gnement son allié. Massinissa fut re-
moins élégant et moins habile que connu roi au nom du peuple romain.
Tite-Live, est beaucoup plus près de Il reçut en présent, de Scipion, une
la vérité, et son récit est plus frap- couronne et une coupe d'or, une chaise
pant. Ildit que Massinissa ayant en- curule, un sceptre d'ivoire, une robe
trepris de toucher Scipion à l'égard de pourpre brodée , et tous les orne-
de Sophonisbe, commençait à lui ra- ments dont se paraient les triompha-
conter toute l'infortune de cette femme, teurs. Après avoir imposé à Carthage
lorsque Scipion l'interrompit dure- le traité qui termina la seconde guerre
ment par ces mots : « Vous ne devez punique, Scipion déclara publiquement
« pas priver Rome de ses dépouilles : qu'il ajoutait aux États que Massinissa
« il faut tout mettre en commun. tenait de ses pères la ville de Cirta
« Vous demanderez ensuite , et on et les autres places que les Romains
« vous accordera si vous savez obte- avaient enlevées à Syphax, établissant
nir. »Massinissa se tut, et parut se ainsi nemi
aux acharné
portesquide"devait
Carthage un en-
résigner. Accompagné de quelques sol- préparer sa
dats romains, il partit comme pour li- ruine par de continuelles agressions.
vrer Sophonisbe. Mais ayant pris les FIN DE SYPHAX ; VERMINA SE MAIN-
devants, il la vit en secret et lui donna TIENT DANS UNE PARTIE DES ÉTATS
du poison , en lui disant : « Prenez de son père (200 avant notre ère).
« ceci , ou devenez l'esclave des Ro- — Lélius avait été chargé par Sci-
« mains. »surIl n'ajouta rienledecœur
plus, dé-
et pion de conduire à Rome Syphax et
remonta son cheval les prisonniers numides lesplus im-
chiré. Sophonisbe montra la coupe à portantsla
: vue de tous ces captifs
sa nourrice, et, s'abstenant de toute causa parmi le peuple une grande allé-
22 L'UNIVERS.

gresse. Le sénat délibéra sur le sort punique, toute la Numidie était tom-
de Syphax, et on bée sous l'ascendant des Romains :
enfermé à Albe, qui décida
devint qu'il seraitla
dès lors ceux - ci ne possédaient pas encore
prison ordinaire des rois vaincus. Sy- un pouce de terre en Afrique , mais
phax ne tarda pas à y mourir de tris- déjà tout y dépendait de leur volon-
tesse etd'ennui (*). Vermina, après avoir té. Cependant la famille de Syphax
partagé la défaite d'Annibal à Zama, n'oublia jamais que Rome était la
leva encore une armée pour la con- cause de son abaissement, et eut tou-
duire àCarthage, que Scipion mena- jours plus d'inclination pour Carthage.
çait d'un siège. La cavalerie romaine Lorsque Caton le Censeur voulut prou-
f'ayant enveloppé, lui prit et lui tua ver au sénat qu'il fallait détruire Car-
plus de quinze mille hommes. Ver- thage, ildonna, comme une des preu-
mina s'échappa au milieu du tumulte, ves qu'elle redevenait à craindre, les
avec un petit nombre des siens, et se secours considérables qu'Archobarza-
retira dans les provinces les plus recu- ne, petit-fils de Syphax, avait armés
lées et les plus barbares du royaume pour la soutenir contre Massinissa.
de son père. Mais il n'y avait pas de CONDUITE DE MASSINISSA A l'É-
G ARD DE CARTHAGE ET DE ROME, DE-
sûreté pour lui s'il ne désarmait le PUIS LA FIN DE LA SECONDE GUERRE
courroux des Romains. Il envoya une
ambassade à Rome, pour rejeter sur PUNIQUE JUSQU'A SA MORT (de 200 à
les Carthaginois tout le tort de sa 148 avant notre ère).— Le plus grand
conduite a l'égard de la république. Il malheur de Carthage, après celui d'a-
promettait d'imiter Massinissa dans voir eu Rome pour rivale, fut d'être
son zèle et son attachement au peuple inquiétée continuellement pendant un
romain, si, comme lui, il parvenait demi-siècle par l'ambition
à être traité en allié et en ami. Le sé- nissa. Les Romains laissèrent deà saMassi-
haine
nat répondit que le titre d'allié était le soin d'empêcher Carthage de se re-
un honneur qu'il n'accordait qu'à ceux leverils
; lui permirent de lui enlever
.qui avaient rendu de grands services; ses jiieilleures provinces, de la dégarnir
qu'avant de demander de tous côtés, d'anéantir ses dernières
ami , Vermina devaitd'être traité en
se contenter ressources; et quand ils le jugèrent
d'obtenir la paix; que les envoyés de a propos, ils lai arrachèrent sa proie,
la république allaient passer en Afri- et ruinèrent cette malheureuse ville
que, et qu'ils lui signifieraient les con- de fond en comble. Pour tous les évé-
ditions auxquelles on consentait à trai- nements de cette lutte de Massinissa
ter avec lui. Quand Vermina sut que avec la république phénicienne, nous
l'ambassade romaine se dirigeait vers renvoyons à l'histoire même de Car-
ses États, il s'empressa d'aller au de- thage, où les envahissements du roi
numide et l'inique intervention des
soumitvant sansd'elle jusqu'à
réclamer ses àfrontières.
toutes les Il
con-se Romains sont complètement racon-
ditions qu'on voulut bien lui pres- tés {*). Ainsi , nous n'ajouterons rien
crire, disant que toute paix avec les à ce qui a été dit déjà sur les agres-
Romains lui paraîtrait juste et avan» sions successives par lesquelles Massi-
tageuse. La paix lui fut donc accor- nissa se rendit maître de la province
dée et imposée d'autorité, et il reçut appelée Emporta, du territoire des
l'ordre d'envoyer des députés à Rome grandes plaines , de la province de
pour en recevoir la ratification (200). Tysca, enfin de la ville d'Oroscope; ni
Ainsi, à la fin de la seconde guerre sur la guerre provoquée par cette der-
nière usurpation , dans laquelle Mas-
(*) Syphax mourut au moment où il quit- sinissa, combattant avec toute l'ar-
tait Albe pour paraître au triomphe de deur de la jeunesse, extermina l'armée
Scipion l'Africain. Les Romains lui firent carthaginoise. Rome n'avait rien à
des funérailles convenables. Tous les pri-
sonniers numides obtinrent leur liberté. (*) Carthage, deuxième partie, p. 101.
23

NUMIDÏE ET MAURITANIE.
craindre en Italie, tandis que Carthage les consuls Censorinuset Manilius vin-
avait en Afrique, tout autour de ses rent lui demander des secours, il ré-
frontières, un ennemi puissant et ha- pondit sèchement qu'il leur fournirait
bile qui la détestait. Sa ruine était des troupes dès qu'ils en auraient be-
inévitable. Dans le reste de sa longue soin. Mais s'il avait persévéré, les Ro-
carrière, le roi numide conserva tou- mains n'auraient-ils pas eu le droit de
jours l'amitié des Romains par son l'accuser d'ingratitude? Rome avait
empressement à les servir. Quand fait sa grandeur, à condition
ceux-ci firent la guerre à la Macé- consacrerait tout entier à son qu'il
service.se
- doine, il leur fournit un corps de mille Et qui pouvait songer à se pourvoir
cavaliers , autant de fantassins et en présence de ce peuple envahisseur
trente-deux éléphants, et nomma son qui, depuis longtemps, se sentait ap-
fils Misagènes pour commander ces pelée tout asservir? Aussi, cette irri-
renforts. Il leur envoya, à différentes tation de Massinissa ne fut qu'un mo-
reprises, des quantités considérables de ment d'erreur dont il revint bientôt.
grains; et, comme Carthage en faisait D'ailleurs, quels que fussent les désirs
autant pour désarmer le sénat, il en et les projets de Massinissa, il ne sen-
résulta que l'Afrique commença dès tait plus en lui la force nécessaire
lors à suppléer à l'insuffisance4 pour rien entreprendre et rien réali-
production agricole en Italie, deet laà ser davantage. Si son âme conservait
nourrir le peuple-roi. La conduite de son énergie et son ambition , son
Massinissa à l'égard des deux républi- corps, si longtemps robuste et infati-
ques était habilement calculée dans gable, était enfin brisé par l'âge, et la
l'intérêt de sa grandeur. Si Rome con- vie allait l'abandonner.
servait sa puissance, Massinissa jouis- DERNIÈRES DISPOSITIONS DE MAS-
sait toujours du bénéfice de son al- SINIS ASA
. ; MORT ; SCIPION ÉMILIEN,
liance; siquelque roi de l'Orient avait MANDÉ PAR LUI, VIENT REGLER LES
fini par l'abaisser, le Numide n'avait AFFAIRES DE LA NUMIDIE (148 avant
plus qu'à mettre la main sur Carthage, notre ère). — Alors, renonçant à tous
qu'il affaiblissait tous les jours, et à les plans qu'il avait formés, 'il ne son-
se proclamer souverain de toute l'A- gea plus qu'à préparer un avenir pai-
frique. Ilparaissait bien, à l'acharne- sible àses enfants. Sentant sa fin pro-
ment de Massinissa à poursuivre Car- chaine, ilfit prier Scipion Émilien,
thage, que ce prince travaillait pour qui n'était alorsde que tribun auprès
dans l'ar-
lui-même; et c'était la seule crainte du mée romaine, se rendre de
sénat qu'il n'en finît que trop tôt avec lui. Ses anciennes relations d'amitié
elle, etqu'il ne lui portât le dernier coup. avec la famille des Scipions, la haute
Aussi cette défiance, que les Romains réputation que le jeune Émilien avait
avaient conçue de leur allié, devint déjà acquise, le déterminèrent à lui
presque la seule défense de Carthage, confier le soin de partager ses États
et prolongea quelque temps son exis- entre ses fils, pour les placer sous un
tence. Car si le sénat lâchait Massi- patronage puissant. Il voulait leur as-
nissa contré elle , il le retenait aussi. surer un appui à Rome, et un média-
Massinissa sentait sa dépendance, et* teur qui préviendrait leurs propres
à mesure qu'il devenait plus puissant, dissensions. Mais, prévoyant qu'il al-
il en souffrait davantage. Quand les lait mourir avant l'arrivée d'Émilien,
Romains se décidèrent à achever Car- il fit venir sa femme et ses enfants, et
thage etdéclarèrent la troisième guerre leur dit « qu'il laissait à Scipion le
punique, le roi deNumidie ne put dissi- pouvoir suprême de disposer de ses
muler lemécontentement que lui causa biens et de partager son royaume entre
le procédé de Rome. Il vit avec dou- ses fils; qu'il voulait que tout ce qu'il
leur qu'il n'avait été que l'instrument aurait décidé fût exécuté rigoureuse-
du sénat; que le résultat de ses efforts ment comme si lui-même l'avait ar-
n'était pas pour lui. Aussi, lorsque rêté par son testament. » Il termina en
24 L'UNIVERS.
conseillant à ses fils de cultiver cons-
occupent dans l'histoire romaine une
tamment l'amitié des Romains, de place aussi considérable que Massi-
ne point contracter de nouvelles al- nissa. La longue durée de son règne
liances, de placer toute leur confiance contribua
et toute leur force dans la protection social de labeaucoup Numidie. à Dans
changer l'état
plusieurs
du sénat. Quelques instants après, il contrées de son vaste empire, ce prince
expira , âgé de quatre-vingt-dix-sept s'attacha à fixer les habitants au sol ,
ans, l'an 148 avant l'ère chrétienne. à leur faire abandonner les habitudes
II avait confié son anneau à l'aîné de de la vie errante , en leur enseignant
ses fils , Micipsa. Il laissa quarante- à tirer parti de la fertilité de leur ter-
quatre enfants de diverses femmes; ritoire, età se livrer à l'agriculture. Il
mais trois seulement furent considé-
s'efforça surtout de discipliner ses sol-
rés comme ses héritiers légitimes, sa- dats, cle les façonner à la tactique
voirMicipsa,
: Gulussa et Manastabal. romaine, de réprimer en eux l'instinct
A peine Massinissa avait-il rendu l'es- du brigandage. Lui-même donna plus
prit, que Scipion Émilien arriva à d'une fois l'exemple du respect dû à
Cirta. Il fit le partage du gouverne-
ment et des États de la Numidie entre la propriété,
des dieux. Valere principalement
Maxime nous àapprend
l'égard
les trois fils légitimes , en assurant que ses vaisseaux ayant fait une des-
aussi le sort de leurs frères. Micipsa cente dans l'île de Malte, les soldats
eut Cirta, la capitale, et l'autorité qui les montaient pillèrent un temple
principale. Gulussa , prince habile et consacré à Junon , et y enlevèrent une
belliqueux, eut le commandement de grande quantité d'ivoire, que le chef
l'armée et la direction de tout ce qui de l'expédition vint offrir au roi. Mas-
avait rapport à la guerre. Manastabal, sinissa, regardant ce présent comme
le plus jeune des trois, fut chargé de sacrilège , rendit tout cet ivoire aux
présider aux jugements, à tout ce qui prêtres du temple, et fit graver en ca-
était de la justice. Les immenses tré- ractères numides, sur quelques-unes des
sors de leur père leur furent laissés en
commun, et ils eurent tous trois le avait restitué ces par
pièces renvoyées son ordre
objets , qu'il
par respect
titre de roi. Quand touf fut réglé, pour la déesse à laquelle on les avait
Scipion repartit de Cirta , emmenant consacrés. Ce fait nous atteste de plus
avec lui un corps de troupes numides, que les Numides avaient un alphabet
sous la conduite de Gulussa, pour ren- qui leur était particulier. Les rela-
forcer l'armée romaine, occupée alors tions de ce prince avec les Scipions ,
au siège de Carthage. On peut remar- les Romains les plus élégants et les
quer avec quelle adresse Scipion s'ac- plus policés de leur temps , lui firent
quitta de la tache difficile que Mas- connaître les raffinements de la civi-
sinissa lui avait léguée : en disséminant lisation grecque; et Athénée nous ap-
l'autorité entre les trois frères, il les prend qu'il avait des musiciens grecs
rendait plus dépendants de Rome, et a ses repas. Le second de ses fils, Ma-
établissait un équilibre par lequel ces nastabal ,connaissait parfaitement la
trois rois se retenaient les uns les au-
tres. Ainsi la mort de Massinissa était, plus remarquableMais
langue grecque. dansce qu'il y a de,
Massinissa
comme sa vie tout entière , un événe- c'est que tout en comprenant les avan-
ment favorable à la fortune des Ro-
mains. Carthage allait périr, et la tages de la civilisation , et en s'effor-
çant de la répandre autour de lui et
Numidie, loin d'inspirer des craintes, parmi ses sujets , il ne changea rien
était plus dépendante que jamais. pour lui-même aux coutumes de ses
QUELQUES PARTICULARITÉS SUR
pères et
rude , niforte aux qui
habitudes
avait étéde celle
l'éducation
de son
MASSINISSA ; SES EFFORTS POUR CI-
VILISER SON PEUPLE ; SES HABITU- enfance. Pendant que les étrangers
DES DE Y1E ; SA TEMPÉRANCE ; SA
qu'il admettait à sa table étaient ser-
vigueur , etc. — Peu de rois barbares vis dans de la vaisselle d'or, et qu'on
.NUMIDIE ET MAURITANIE.
25
étalait à leurs yeux des vases précieux ses vastes Etats, que, deux années plus
par la matière et le travail, le roi man- tard , la prise de Carthage devait en-
geait dans de la vaisselle de terre. Il core agrandir. Scipion Emilien , à la
se contentait des aliments les plus fin du long siège qui allait avoir pour
simples. Plutarque, d'après Polybe , issue l'entière destruction de la rivale
raconte que, le lendemain d'une grande de Rome , trouva dans les fils du vieux
victoire sur devant
les Carthaginois , on son
l'a- roi , et surtout en la personne de Gu-
vait trouvé, sa tente, faisant
lussa , d'utiles et dévoués auxiliai-
repas d'un morceau de pain bis. Pen- res (*). Après l'anéantissement de
dant toute sa vie il s'exerça au travail Carthage, les vainqueurs, distraits à
et à la fatigue : selon Polybe, il se te- l'orient et à l'occident par des guer-
nait souvent debout au même endroit res importantes, ne songèrent point à
depuis le matin jusqu'au soir , sanset étendre leurs conquêtes en Afrique.
se donner le moindre mouvement; Se bornant à occuper et à placer
d'autres fois il demeurait assis durant sous leur surveillance immédiate la
le même espace de temps. Sa force et province qui avoisinait la ville détruite,
son agilité, entretenues par ce genre de ils laissèrent en Afrique les vastes ré-
vie, étaient extrêmes. Il était le meil- gions de l'ouest et du sud aux rois
leur cavalier de toute la Numidie, et numides dont ils connaissaient les ami-
restait à cheval plusieurs jours et plu- cales dispositions.
sieurs nuits de suite. Il conserva cette Massinissa avait eu trois fils, Ma-
vigueur jusque dans sa vieillesse la nastabal , Gulussa et Micipsa. Après
plus avancée, et à l'âge de quatre- la mort de ses deux frères, Micipsa
vingt-dix ans on le voyait encore, tête se trouva seul héritier et souverain du
nue, monter seul surdon cheval sans royaume de Numidie. Ce royaume
selle, et s'y tenirse un jour tout entier. comprenait tous les pays situés entre
Sa constitution conserva si robuste le Mulucha et l'extrémité sud-ouest de
jusqu'à la fin , que le dernier de ses la petite Syrte; il fallait en retrancher
fils, nomméStembal, n'avaitquequatre toutefois la nouvelle province romaine.
ans quand il mourut. Il dirigea lui- Micipsa gouverna en paix les nombreu-
même la guerre qu'il fit aux Cartha- ses tribus disséminées dans ses États ,
ginois deux ans avant sa mort, et s'y et pendant le cours de son long règne
montra aussi actif, aussi infatigable il sut, comme ses frères et son père, se
que soixante-dix ans auparavant quand maintenir non point seulement dans
il commença à lutter contre Syphax l'alliance , maisPendant
encore trente
dans l'amitié
et à combattre les Romains en Espagne. des Romains. années
Tel fut Massinissa , habile guerrier , environ, le niroiennemisnumide aun'eut donc nià
bon politique, attaché aux Romains combattre dehors,
sans bassesse, d'un caractère fier et révoltes au dedans ; néanmoins il ne
généreux , exempt de ces crimes odieux fut pas heureux, et dans les derniers
si communs dans la vie des rois bar- jours de sa vie surtout il fut en proie
bares, et par là même placé au-dessus à de vives alarmes et à une profonde
tristesse.
de Jugurtha, le seul de sa race qui
puisse lui être opposé. Il fut le héros Il avait élevé près de lui , avec ses
de la Numidie. deux enfants Adherbal et Hiemp-
REGNE DE MICIPSA; LA FAMILLE sal , un neveu , Jugurtha, qui était fils
DU ROI ; JEUNESSE DE JUGURTHA ( 148 naturel de Manastabal. Jugurtha avait
à 119 avant notre ère) (*).— Massinissa l'esprit étendu , vif, délié, pénétrant;
en mourant (148) avait légué à ses fils il était beau de visage, et d'une force
l'amitié si précieuse des Romains, et qui nesirs ets'amoindrit
les excès. Iljamais dans les
était sobre plai-
comme
(*) M. Yanoski nous a communiqué des
notes qui nous ont considérablement aidé (*) Voy. ci-dessus Histoire de Carthage ,
pour toute l'Histoire de Jugurtha. deuxième partie, p. n3.
L'UNIVERS.
tous les hommes de sa race. Dès son dres duquel il avait été placé, et de
adolescence il s'adonna avec passion tous les officiers qui l'environnaient.
aux exercices du corps ; il montait, à Là, dans les travaux de la guerre , les
la manière des Numides, un cheval qui repos et les veilles du camp, Jugurtha
n'avait ni selle ni frein , le lançait au étudia , avec sa vive pénétration , le
galop, et accomplissait tout armé, pen- caractère de ses compagnons d'armes.
dant les courses les plus rapides , ces Il se lia d'amitié avec certains hom-
brusques évolutions que les anciens mes très-influents , mais qui, en gé-
admiraient et que nous admirons en- néral ,suivant l'expression d'un his-
core aujourd'hui chez les cavaliers torien de l'antiquité, étaient plus amis
africains. Jugurlha était brave aussi ; des richesses que de la vertu et de la
dans les grandes chasses , il se préci- probité. Il rechercha de préférence les
pitait hardiment, avec seulement un plus corrompus , comptant sur eux
javelot, à la poursuite du lion et des pour réussir un jour dans ses projets
autres animaux féroces qui habitent le ambitieux. Ce fut de ces hommes dé-
désert. Les Numides admiraient et ai- criés que le jeune Numide apprit , dit
maient Jugurtha. Micipsa ne se lit Salluste, « qu'à Rome on obtenait
point illusion sur les dangers qui me- tout à prix d'argent. » Enfin , Scipion
naçaient ses deux fils; il comprit que, prit et renversa Numance. Après le
parmi ces tribus africaines qui accep- succès il renvoya ses auxiliaires. Tou-
tent volontiers pour chef le guerrier tefoisil
, ne se sépara point du corps
le plus brave et le cavalier le plus ha- des Numides sans lui avoir témoigné
bile, son neveu avait acquis des droits hautement sa satisfaction , et il donna
plus réels que ceux de la naissance, et à leur chef, pour Micipsa, une lettre
qui devaient l'emporter un jour sur ainsi conçue : « Jugurtha , ton neveu,
ceux d'Adherbal et de Hiempsal. Il « a montré la plus grande valeur dans
songea plus d'une fois, comme l'at- « la guerre de Numance. Réjouis-toi :
teste Salluste, à faire périr Jugurtha ; « les services qu'il a rendus à l'armée
mais la crainte d'exciter un soulève- « romaine lui ont acquis mon affec-
ment parmi les tribus soumises à son « tion ; je ferai tout pour lui assurer
commandement l'arrêta. A l'époque « celle du sénat et du peuple romain.
du siège de Numance, il crut enfin « Pour toi , je te félicite à cause de
avoir trouvé une occasion favorable « l'amitié qui nous unit ; car tu as
de se défaire de celui qui lui inspirait « dans ce neveu un homme digne de
« toi et de son aïeul Massinissa. » Cette
pour l'avenir de
Les Romains si vives
avaient inquiétudes.
demandé au roi
lettre, loin de porter la joie dans l'âme
,de Numidie , leur allié, un corps de de Micipsa, ne fit sans doute que ra-
troupes. Micipsa se bâta de leur en- viver ses craintes et sa tristesse. Mais
voyer en Espagne des cavaliers et des il n'y avait plus à hésiter; il fallait jus-
fantassins qu'il avait placés sous les qu'au bout conserver des ménage-
ordres de Jugurtha ; il pensait que le ments et des dehors d'affection pour
jeune prince, emporté par son bouil- celui qui, par ses qualités personnelles
lant courage et sa témérité, trouve- et sa conduite habile, s'était rendu
rait la mort dans les rangs ennemis, également cher aux Numides et aux
et le dispenserait ainsi de recourir à Romains.
MORT DE MICIPSA; SES DERNIÈRES
un crime dont l'exécution jusqu'alors
lui avait paru si périlleuse. Mais ar- paroles. — Depuis la guerre de Nu-
rivé au camp des Romains, Jugur- mance ,le roi de Numidie traita Ju-
tha sut contenir son ardeur (133). gurtha comme l'égal de ses propres
Chargé souvent par Scipion de mis- enfants; et plus tard, quand il sentit
sions difficiles, il les remplit avec au- approcher sa fin , il résolut de lui don-
tant de prudence que de courage; en ner une part dans son héritage , afin
peu de temps il sut acquérir l'affec- qu'il ne fût pas tenté de prendre le
tion de l'illustre général sous les or- tout. Couché sur son lit de mort , il
27
NUMIDIE ET MAURITANIE.
fit appeler Adherbal , Hiempsal , et ce- Ce fut à l'occasion du partage que
lui qu'il appelait son fils d'adoption , la discorde éclata entre les trois prin-
et adressa aux trois jeunes princes ces. Jugurtha aurait hésité longtemps
une touchante allocution. Il leur re- peut-être à mettre à exécution ses pro-
commanda de vivre en paix et de se jetsmentambitieux
fjrêter, dans les circonstances diffici- excité et ,entraîné
s'il n'avait été violem-
malgré lui par
es, un mutuel secours. Il termina en le caractère fougueux et hautain de
disant : « Je vous laisse un royaume Hiempsal. Un jour, dans une réunion
solidement affermi , si dans vos rap- des trois princes , Hiempsal , le plus
ports vous êtes loyaux et gens de bien; jeune , s'assit à la droite d'Adherbal ,
mais aisé à détruire, si vous ne l'êtes afin que Jugurtha n'eût pas la place
pas : car l'union augmente les forces du milieu, que les Numides regardent
des plus petites choses ; la désunion comme la plus honorable ; cependant,
ruine insensiblement les plus grandes. à la fin, pour se débarrasser des ins-
C'est à toi , Jugurtha, plutôt qu'à tes tances de sori frère, il consentit, quoi-
frères, puisque tu es le plus âgé et le plus
sage, à prévenir les événements qui côté. Ce futpeine
que avec dans , la.à même
siéger réunion
d'un autre
que
amènent la discorde et les ruptures ; Jugurtha ayant insinué qu'il convenait
parce que, dans tout démêlé, le plus d'annuler les mesures prises par Mi-
fort, quoique attaqué le premier, ne cipsa dans les cinq dernières années
laisse pas, à raison même de sa supério- de sa vie , parce que le roi ne jouissait
rité, dépasser pour l'agresseur. Pour plus alors de toute sa raison , Hiemp-
vous, Adherbal et Hiempsal, respectez sal repartit vivement : « .l'y consens ;
et honorez Jugurtha. Soyez comme lui vous cessez donc d'être roi, puisque
braves et habiles , et faites en sorte vous n'avez été appelé à partager le
qu'à l'égard de mes enfants je ne pa- royaume que depuis trois ans. » Cette
raisse pas avoir été plus heureux par réponse fit sur l'âme de Jugurtha une
l'adoption que par la nature. » Jugur- vive impression , et il résolut de ne
tha témoigna sa reconnaissance au roi pas tarder à tirer vengeance de celui
mourant par les plus vives protesta- qui l'avait outragé.
tions. Mais Micipsa avait à peine fermé JUGURTHA ASSASSINE HIEMPSAL;
les yeux, que sa famille fut accablée ADHERBAL IMPLORE L'ASSISTANCE
de tous les maux qu'il avait prévus DES ROMAINS*, PARTIALITÉ DU SÉ-
(119). NAT; DES COMMISSAIRES SONT EN-
PARTAGE DU ROYAUME ; LA DIS- VOYÉS en Afrique (de 118 à 114 de
CORDE ÉCLATÉ ENTRE LES PBINCES. notre ère). — Après avoir accompli le
— Les trois princes songèrent d'abord partage d'un commun accord , les
à se partager les provinces que Mi- princes s'étaient séparés. Hiempsal se
cipsa leur avait léguées. Après des ar- rendit à Thermida (*). Jugurtha, qui
rangements priset acceptés d'un com-
mun accord , Adherbal reçut pour sa vail , qui a pour titre : Parallèle entre les
part les terres confinées entre YAmp- opérations militaires de Métellus et de Ma-
sa<7a(Oued-el-Kebir), la Tucca (Zaïne), rius contre Jugurtha , les premières inva-
sions des Arabes et les exploits des Fran-
et'le Muthul
appelé (Hamise)
à régner ; Jugurtha
des rives fut
de la Mulu- çais dans l'Algérie. C'est à la suite de la tra-
cha jusqu'à celles de YAmpsaga;
le reste des États de Micipsa tombaittout commun
duction de l'ouvrage de Mannert , faite en
avec M. Duesberg, que M. Marcus
en partage à Hiempsal (*). a rejeté, sous forme d'appendice , le travail
très-remarquable dont nous parlons.
(*) Nous empruntons ces délimitations si (*) « Thermida ou Tlùrmida paraît être
précises à un excellent travail deM. L. Mar- la même ville que Timida de la Proconsu-
cus. Nous devons déclarer ici que nous nous laire, ou province de Carthage. Cette ville
conformerons en général, dans le récit qui porte souvent le nom de Regia dans les
va suivre, aux opinions émises dans ce tra- Actes de l'Église ; son emplacement coïncide,
28 L'UNIVERS.
avait introduit ses soldats dans la aux sénateurs furent touchantes. Après
ville, par trahison, l'y fît assassiner. avoir exposé ses malheurs , il dévoila
La nouvelle de ce meurtre se répandit indirectement les manoeuvres des émis-
bientôt; mais Jugurtha, sans tarder, saires de Jugurtha, et laissa entendre
appelle autour de lui ses partisans , que plusieurs parmi ses juges avaient
qui étaient nombreux et dévoués , et été gagnés à l'avance. « Pères cons-
se met en mesure de s'emparer de crits, dit-il, Massinissa nous a for-
toute la Numidie. Adherbal épouvanté més ,par sa conduite et par ses paro-
s'était hâté d'envoyer des ambassa- les à, ne nous attacher qu'au peuple
deurstanceàRome, romain, à ne faire ni alliances ni con-
du sénat.pour implorersans
Toutefois, l'assis-
at- fédérations nouvelles, à nous croire
tendre leur retour, il s'avance contre très-puissants par votre amitié seule ;
les meurtriers de son frère, à la tête et si la fortune de votre empire venait
des Numides qui se sont dévoués à sa à changer, à nous ensevelir en même
fortune. Mais les soldats de Jugurtha temps sous ses ruines. Votre valeur
étaient plus braves et mieux exercés et la faveur des dieux ont assuré votre
que les siens ; dès le premier combat grandeur et votre puissance ; tout se-
il fut vaincu , et forcé de se réfugier conde vos vues et obéit à vos lois;
dans la partie de l'Afrique qui avait rien donc de plus aisé pour vous que
été réduite en province romaine. De de venger les injures faites à vos al-
là il gagna l'Italie et Rome. Le vain- liés. La seule chose que je craigne,
queur ne fut pas complètement ras- c'est que quelques-uns de vos citoyens,
suré par la fuite d'Adherbal ; il crai- séduits par des liaisons peu éclairées
gnait les Romains, et, pour diminuer avec Jugurtha , ne traversent vos in-
l'effet que devaient produire sur le sé- tentions; ej'apprends,
t en effet, qu'ils
nat les plaintes de celui qu'il avait dé- n'épargnent ni efforts, ni brigues, ni im-
pouil éil, envoya , de son côté, avec portunités auprès de chacun de vous,
des sommes considérables en or et en pour vous engager à ne rien décider
argent , des émissaires qui devaient en son absence, et sans avoir examiné
gagner à sa cause les plus notables pa- le fond de l'affaire; qu'ils m'accusent
triciens. Ces émissaires s'adressèrent d'exagérer et de feindre que j'ai été
d'abord aux nobles romains que Ju- forcé de fuir, quoique je sois libre de
gurtha avait connus au siège de Nu- rester dans mon royaume. Puissé-je le
mance; puis, à l'aide de ces anciens voir , le parricide auteur de mes maux,
amis, ils en gagnèrent de nouveaux. réduit à feindre comme moi ! Puissiez -
L'or et les promesses firent alors dans vous un jour, vous ou les dieux im-
les esprits un si grand changement , mortels ,prendre connaissance des
qu'après avoir été l'objetsuivant
de "la haine affaires des hommes , afin que le mal-
la plus vive , Jugurtha, le té- heureux qui aujourd'hui
moignage de Salluste, jouit tout à et se prévaut de ses crimess'enorgueillit
, livré alors
coup des bonnes grâces et de la faveur à tous les supplices imaginables, soit
de la noblesse. Quand on assigna un rigoureusement puni de son ingrati-
jour à Adherbal pour entendre ses
plaintes , sa cause, dans le sénat, était nattude
de mon envers frère notre , père et de, mesde l'assassi-
propres
déjà perdue. malheurs. » Après avoir écouté Adher-
Les paroles adressées par Adherbal bal les
, sénateurs donnèrent la parole
aux ambassadeurs de Jugurtha. Us
selon toutes les apparences avec celui de la dirent que les Numides avaient tué
moderne Jama , prise à tort par plusieurs Hiempsal à cause de sa cruauté; qu'A-
géographes de notre époque, pour l'ancienne dherbal, ayant été l'agresseur, se plai-
Zama Regia, dont le nom actuel est Zoua- gnait, aprèsdans
avoir son
été vaincu, de n'avoir
rin.n M. Marcus; voy. les notes qui suivent pu réussir entreprise; que
sa traduction de la Géographie de l'Afri- Jugurtha conjurait le sénat de ne le
que ancienne, par Mannert , p. 702.
point croire autre qu'on ne l'avait
NUMIDIÊ Et MAURITANIE. 2&

Connu à Numance , et de ne pas s'en tant d'ailleurs , pour ses entreprises


rapporter aux invectives de son en- futures , sur la puissance de son or,
nemi plutôt qu'à ses actions. Les dis- n'hésita point à reprendre les armes
cours étant terminés , les deux parties et à faire une guerre injuste au mal-
quittèrent l'assemblée. Le
alors en délibération. Le sénat
nombreentra
de heureux Adherbal. Ce n'était point
seulement une large part de la Numi-
ceux qui avaient été gagnés par l'or de die qu'il convoitait, il voulait encore
Jugurtha était plus grand qu'Adherbal régner seul sur les vastes contrées qui
lui-même, dans ses craintes, ne l'a- avaient appartenu jadis àMassinissa et
vait pensé. Quelques hommes austè- à Micipsa. II se jeta donc avec des
res se levèrent, il est vrai , pour pren- corps armés sur les frontières d'Ad-
dre la défense herbal , porta le ravage dans les cam-
paroles furentde étouffées
l'opprimé;parmaisceuxleurs
qui pagnes et dans les villes, et fit un
voulaient justifier Jugurtha. « Le parti grandsait labutin. Adherbal , qui connais-
victorieux dans le sénat, dit Salluste, force et les ressources de son
fut celui qui préférait la richesse ou rival , n'essaya point de se venger : il
la faveur à la justice. Il fut arrêté que tenta encore la voie des négociations.
dix commissaires régleraient, entre Ce ne fut qu'après le retour de ses
Jugurtha et Adherbal, le partage des ambassadeurs , qui avaient été reçus
États de Micipsa. On mit à la tête de avec mépris et insulte, et lorsque son
cette commission Lucius Opimius , ennemi pénétra de nouveau dans son
personnage fameux, et qui avait alors royaume avec une puissante armée,
un grand crédit dans le sénat, pour qu'il se décida à lever des troupes. Ju-
avoir, pendant son consulat, fait pé- gurtha n'avait rien tant désiré que de
rir Caïus Gracchus avec M. Fulvius, l'amener à cette extrémité. Les deux
et poussé jusqu'à la barbarie la vic- armées se rencontrèrent un soir, aux
toire de la noblesse sur le peuple. Il environs de Cirta. Pendant la nuit
s'était déclaré à Rome pour Jugurtha, qui suivit cette rencontre, les soldats
et ce prince le reçut avec une distinc- d' Adherbal se livrèrent au repos, en
attendant le jour qui devait éclairer la
tion particulière ;*à force de présents bataille; mais Jugurtha, profitant de
et de promesses , il l'amena au point
d'en obtenir le sacrifice de sa réputa- l'obscurité, se jeta à l'improviste sur
tion,de son devoir, en un mot, de le camp de ses ennemis, plongés dans
ses plus chers intérêts : il tenta les le sommeil ; il remporta une facile
autres commissaires par les mêmes victoire , et extermina tous ceux qui
voies, et la plupart se laissèrent ga- lui opposèrent de la résistance. Adher-
gner; bien peu préférèrent leur de- bal, escorté d'un enpetit
valiers, se sauva toutenombre
hâte à de ca-
Cirta.
voir à l'argent. Dans le partage, la
partie de la Numidie, voisine de la Il était suivi de près par les vain-
Mauritanie, qui est la plus fertile et
la plus peuplée , fut assignée à Jugur- portes de queurs ,qui ne s'arrêtèrent
la ville, défendues par qu'aux
des
tha ;l'autre partie, qui a plus d'appa- soldats italiens. Jugurtha voulant finir
la
un guerre
facile d'un succèscoup,
, vintet investir
comptantCirta.
sur
mieux rencepourvue que d'avantages réels de
en ports , et mer
qui est
et
en édifices, devint la portion d' Ad- Mais la ville, par sa position et par la
herbal. » bravoure des soldats italiens , était
LA GUERRE RECOMMENCE ENTRE bien défendue. Jugurtha fut donc forcé
JUGURTHA ET ADHERBAL ; CELUI-CI de commencer un siège en règle. Il
EST VAINCU; SIEGE DE CIRTA; PRISE employa de nombreuses machines , et
DE LA VILLE; MORT D' ADHEREAL donna de fréquents assauts pour em-
(112 et 113 avant notre ère). — Après porter laplace. Cependant le bruit des
le départ des commissaires, Jugurtha, événements qui s'accomplissaient alors
enhardi par le succès que ses envoyés
avaient obtenu dans le sénat, et comp- en Afrique
Le sénat envoya était venu
troisjusqu'à
députésRome.
aux
30 L'UNIVERS.

deux rois, pourtous arranger, s'il étaità avaient combattu si bravement, perdi-
temps encore, leurs différends rent courage, et prirent la résolution
l'amiable. Jugurtha trompa les Ro- de se sauver à tout prix. Us conseil-
mains par des paroles pleines de sou- lèrent àAdherbal de remettre sa per-
mission, et en protestant de son bon sonne et la ville entre les mains de
droit. Les députés revinrent en Italie Jugurtha, en stipulant toutefois qu'il
sans avoir délivré Adherbal , et lais- aurait la vie sauve; et jls lui firent en-
sant toutes choses indécises.
Jugurtha redoubla alors de surveil- sénat.coreCeespérer, pour l'avenir,
conseil était vn l'appui
ordre, du et
lance, etpressa de plus en plus le siège le malheureux roi, abandonna sa per-
de Cirta. Adherbal , prévoyant les sonne et la ville à son implacable
maux quidresser l'attendaient, ennemi. Oubliant ses serments, Jugur-
encore une fois résolût
au sénatde s'a-
ro- tha livra Adherbal aux plus affreux
main. Ilchoisit , parmi ceux qui l'a- tourments ; puis il fit massacrer toute
vaient accompagné dans sa fuite, deux la garnison, sans épargner les Ita-
hommes dévoués , et prêts à braver liens, qui invoquèrent en vain, comme
pour lui tous les périls. Il les encou- leur sauvegarde, la majesté du peuple
ragea par des promesses, et les pressa romain.
de traverser le camp ennemi et de ga- GUERRE DES ROMAINS ; CALPUR-
gner le rivage. Ils devaient se rendre NIUS BESTIA ET SCAURUS; JUGUR-
en Italie, etdemander au sénat romain THA CORROMPT LES GENERAUX RO-
une prompte assistance. Les deux Nu- MAINS (112 avant notre ère).— Quand
mides réussirent à échapper à l'en- ces nouvelles vinrent à Rome, l'indi-
nemi, et en peu de jours ils portèrent gnation du peuple fut portée à son
à Rome la lettre d' Adherbal. Touchés comble, et le sénat se vit contraint
des prières du roi assiégé et de ses d'adopter contre Jugurtha des mesu-
pressantes instances , les sénateurs res énergiques. L. Calpurnius Bestia,
décidèrent que de nouveaux députes l'un des consuls, fut désigné pour por-
partiraient sans retard pour l'Afrique. ter la guerre en Numidie. Ce fut en
On les choisit parmi les personnages vain que le roi numide envoya en Ita-
qui jouissaient dans la république, par lie son fils, et deux de ses plus intimes
leur âge et les charges qu'ils avaient confidents. On leur refusa l'entrée de
remplies, d'une grande illustration. Rome, et Calpurnius, réunissant ses
Arrivés àUtique, ils signifièrent à Ju- légions, passa de Rhegium en Sicile,
gurtha que, dans un bref délai, il eut et de là en Afrique. Le consul com-
à se rendre auprès d'eux dans la pro-Il mença la guerre avec vigueur; il ra-
vince romaine. Jugurtha hésitait. vagea la Numidie , et s'empara de
voulut tenter encore , avant d'obéir quelques
en croire villes. SallusteCalpurnius
, était un, s'ilhommefaut
aux ordres des députés , de prendre
Cirta par la force. Il donna un assaut brave et habile; mais ces qualités
général, mais il échoua. Il se décida étaient gâtées par une insatiable ava-
alors à se rendre dans la province ro- rice. Quand Jugurtha connut le carac-
maine. Accompagné d'un petit nom- tère du général qui lui était opposé,
bre de cavaliers, il se présenta devant il se mit à l'œuvre pour le corrompre.
les envoyés du sénat, qui lui firent de 11 tenta également, par son or, le lieu-
tenant Scaurus , qui , par prudence
terribles" menaces. Il ne se laissa point
déconcerter; il eut recours à l'astuce, plutôt que par vertu, luine avait
et été opposé. Calpurnius résistad'abord
point
despeut-être à l'argent;
conférences inutiles,et les
, après bien
Romains aux offres , sans doute considérables ,
quittèrent l'Afrique sans avoir l'ait le- qu'on lui fit. Après avoir reçu l'or du
ver le siège de Cirta. A cette nou- Numide, ce cœur malade (l'avarice,
dit Salluste, changea aisément de vues.
velle, ledésespoir s'empara d' Adher-
bal et de la garnison de la ville assié- Cependant , il fallait traiter secrète-
ment avec Jugurtha. Celui-ci , comme
gée. Les Italiens , qui jusqu'alors
NUMIDIE ET MAURITANIE.
par soumission, se rendit au camp ro conjoncture, devait être plus efficace
main, où il essaya, en présence de tous pour lui que celle de ses anciens amis
les officiers, de se disculper des crimes les sénateurs. C'était le tribun du peu-
ple C. Bébius. Quand Jugurtha parut
et des manquements de foi qu'on lui
reprochait. En public, il ne cessa de devant l'assemblée, on l'accabla de tou-
protester de ses bonnes intentions; tes parts , malgré son humble conte- Il
mais en secret il s'arrangea avec Cal- nance ,d'injures et de menaces. Le
purnius et Seaurus , et avec eux il se tribun Memmius contint le peuple, et
débarrassa de la guerre aux conditions lui rappela que le roi avait reçu un
suivantes : il livra au questeur deCal- sauf-conduit. Puis il interrogea Jugur-
purnius trente éléphants , du bétail, tha sur ses crimes, et sur ses rapports
un grand nombre de chevaux , et une avec les nobles romains. On attendait
somme d'argent peu considérable. A une réponse, lorsque C. Bébius, usant
ce prix, comme le consul le lui avait du privilège de sa charge, se tourna
promis, il devait rentrer en grâce au- vers le roi , et lui défendit de parler.
près du peuple romain. A près ce traité, L'indignation du peuple fut portée à
Calpurnius, enrichi mais déshonoré, son comble; et Bébius, malgré les cla-
meurs et les menaces de ceux qui
revint à Rome pour l'élection des ma-
gistrats. l'environnaient , persistant à imposer
JUGURTHA A ROME ; LES TRIBUNS silence à Jugurtha , l'assemblée , à la
MEMMIUS ET BÉBIUS *, MASS1VA EST fin , se sépara. Dès lors le roi numide,
ASSASSINÉ ; JUGURTHA SORT DE et ceux que l'enquête proposée par
rome (111 av. notre ère). — « Quand Memmius avait menacés , reprirent
on eut, dit Salluste , la nouvelle de ce courage.
qui s'était passé en Afrique, et de la Jugurtha , débarrassé d'Adherbal ,
manière dont les choses s'y étaient et arrivé
vait seulà maître ses fins,
de puisqu'il se trou-
la Numidie, eût
faites, il n'y eut à Rome ni lieu , ni
assemblée où l'on ne s'entretînt de la évité peut-être la guerre avec Rome ,
conduite du consul. Le peuple en avait si, par un excès d'audace, il ne se fût
un vif ressentiment ; les sénateurs porté, sous les yeux mêmes de ses en-
étaient fort embarrassés , et ils ne sa- nemis et de ses accusateurs, à un nou-
vaient s'ils devaient ratifier une préva- veau crime. Il y avait alors dans la
rication simarquée, ou casser ce qui ville un fils de Gulussa; on l'appelait
Massiva. Le successeur de Calpurnius
avait été réglé par le consul. C'était dans le consulat, Spurius Albinus, lui
surtout Te crédit de Seaurus , le con-
seiller etl'associé de Bestia dans cette fit espérer une part de la Numidie, et
affaire , qui les empêchait le plus de l'engagea, dans ce but, à présenter une
se déclarer pour la raison et la jus- requête au sénat. Albinus désirait
tice. »Cependant le peuple, excité par moins citer soutenir le fils une
de G guerre
ulussa qu'ex-
les tribuns, surtout par l'éloquence de en Numidie qui ,
C. Memmius, se décida à mander Ju- comme il le prévoyait, nécessiterait
gurtha à Rome. Il voulait vérifier, par l'envoi d'une armée consulaire. Mas-
les dépositions du roi numide, le crime siva se laissa tenter; mais ses démar-
de ches lui coûtèrent la vie. Jugurtha fit
au prévarication
consul et à Seaurus. que l'on On
reprochait
envoya aposter, par Bomilcar, son parent,
donc en Afrique le préteur L. Cassius, des assassins qui tuèrent le nouveau
qui donna à Jugurtha un sauf-con- prétendant. Cet attentat porta le der-
duit. Le roi n'était pas encore décidé nier coup au crédit de Jugurtha. Il eut
ou préparé à lutter ouvertement contre beau protester de son innocence, ré-
Rome ; il résolut d'obéir , comptant pandre son argent à pleines mains, il
cette fois encore, non sans raison, sur ne put se soustraire à l'indignation
la puissance de son or et de ses pré-
sents. Ilgagna en effet à sa cause un publique.
ver et à regagner Bomilcarla parvint à "se6t sau-
Numidie; Ju-
homme dont l'assistance , dans cette gurtha lui-même , sur l'ordre du se*
32 t UNIVERS.

nat, fut obligé de quitter l'Italie. On dit Salluste, et la situation avanta-


dit qu'au moment où il sortit de geuse de la place, en rendaient la prise
Rome , il tourna ses regards vers la et même le siège impossibles ; car, si-
ville , et s'écria , après quelques ins- tuée au sommet d'une montagne es-
tants d'une profonde méditation : « O carpée, les murailles en étaient envi-
« ville vénale, tu périras bientôt, si tu ronnées d'une plaine limoneuse , dont
« trouves un acheteur ! »
les pluies d'hiver avaient fait un ma-
GUERRE CONTRE JUGURTHA ; CON- rais. Cependant , soit par feinte , afin
DUITE DE SPURIUS ALBINUS ET DE
d'intimider le roi, soit par un désir-
SON FRÈRE AULUS ; L'ARMEE RO-
MAINE PASSE SOUS LE JOUG (110 av.
aveugle de s'emparer de ce poste , à
cause des trésors qu'il renfermait,
notre ère). — La guerre était donc dé- Aulus lit avancer les galeries , élever
cidée. En conséquence, le consul Spu- des terrasses , et préparer toutes les
rius Albinus passa en Afrique avec
choses nécessaires au succès de l'en-
d'abondantes provisions et des renforts treprise. »Néanmoins Jugurtha, pour
considérables. Il commença la cam- dégager la place, employa une ruse qui
pagne avec vigueur, comptant sur un lui réussit. Il se montra disposé à se
prompt et heureux succès. Mais il avait soumettre -, puis, pour inspirer à Au-
affaire à un ennemi habile, plein d'ex- lus une confiance encore plus grande,
pédients etde ruses , qui l'amusa par il feignit de se sauver avec les troupes
de feintes soumissions , lui lit perdre
en délais un temps précieux , et ren- qui jusqu'alors avaient surveillé les
dit vaines toutes ses opérations. Quand opérations de l'armée romaine. Le
le consul retourna à Rome pour les propréteur n'hésita pas un instant à
poursuivre l'ennemi , qu'il croyait ré-
comices, les légions romaines n'avaient duit à la dernière extrémité. C'est
fait en Numidie aucun progrès. Spu- ainsi que le roi numide l'attira peu à
rius Albinus avait laissé en partant le
commandement des troupes à son peu dans des lieux d'un difficile accès,
et se prépara à frapper un grand coup.
frère Aulus, qui avait été propréteur.
Une nuit, pendant qu'Aulus et ses
Aulus voulut mettre à profit l'autorité soldats, pleins de sécurité, se livraient
dont il jouissait, pour s'illustrer par au repos , Jugurtha , favorisé par les
une action d'éclat, ou pour forcer Ju- ténèbres et aussi par la trahison , se
gurtha à lui payer de grosses sommes jeta sur le camp romain. Il y pénétra
d'argent. C'est pourquoi il ordonna aisément. Si les Numides , au lieu de
aux troupes de sortir de leurs quar-
tiers d'hiver, et au mois de janvier il la première fois par M. Dureau de la Malle,
s'avança à marches forcées sur la place dans un article publié dans le Journal des
de Suthul , où le roi avait déposé ses Débats, sur les routes qui mènent de la
trésors (*). « La rigueur de la saison, côte à Constantiue, et plus tard dans sa
description de la province de ce nom (p. 20).
(*) « Salluste dit, en parlant de Suthul , On a depuis copié à Guelma plusieurs ins-
que le propréteur Aulus Posthumius marcha criptions latines, dont quelques-unes ont
sur celte ville avec quarante mille hommes, été publiées, par les soins de M. Hase, dans
le Journal des savants, de 1837. Il serait
dans l'espoir de s'emparer des. trésors que
Jugurtha y avait entassés; mais le prince
numide le surprit, et le força de capituler bien plus intéressant d'éditer les légendes
en caractères inconnus qui couvrent, à ce
avec tout son monde. Orose (v. i5) raconte
qu'on dit, plusieurs ruines de Guelma, parmi
que cet événement a eu lieu près de Ca- lesquelles on distingue surtout treize tou-
lama ; or, la position de celte place, qu'Edrisi relles et un cirque d'une étendue considé-
nomme Calema, est connue; c'est la ville rable. Ilne faut pas confondre Calama avec
moderne de Guelma, où les troupes fran- Cala, dont Possidius, l'auteur de la Vie de
çaises avaient établi un camp foitifié lors
saint Augustin, était évêque à l'arrivée des
de la première expédition contre Constan- Yandales en Afrique. » Marcus; voyez les
tine; donc Suthul correspond également à notes qui suivent sa traduction de Man-
Guelma. Cette synonymie a été établie pour nert, p. 702.
33
NUMIDIE ET MAURITANIE.

mettre leur victoire à profit , ne s'é- sion ements ede


t fortes levées ; puis
taient livrés au pillage , l'armée d'Au- il s'embarqua pour l'Afrique. Là , à la
lus périssait tout entière. Mais ils don- vue des désordres qui régnaient parmi
nèrent letemps aux Romains, sinon les troupes, il comprit aisément que la
de s'armer pour combattre , au moins négligence de Spurius Albinus et de
de fuir par toutes les issues , et de se son frère Aulus était l'unique cause
rassembler sur une hauteur voisine. du désastre éprouvé par les armes ro-
Le résultat de cette nuit fut pour Rome maines. Il résolut de porter au mal
une humiliation non moins grande un remède prompt et énergique. Avant
que celle des Fourches Caudines. En de se mettre en campagne et de com-
effet, dès le matin, Jugurtha fit inves- mencer une guerre décisive, il rétablit
tir de toutes parts la hauteur où les la discipline dans le camp. 11 endurcit
Romains s'étaient les soldats aux fatigues par de rudes
avaient laissé leursréfugiés. Ceux-cile
armes dans exercices , et leur enleva tout ce qui
camp, ils ne pouvaient donc résister. pouvait les porter à la mollesse et à la
Ils avaient, pour sortir du danger où lâcheté. Il décampait chaque jour ,
les avait jetés leur imprudent général, faisait de longues marches, puis s'ar-
à choisir entre la mort et la honte. Ils rêtait pour élever de forts retranche-
préférèrent la honte. Voici à quelles ments qu'il abandonnait bientôt. En
conditions Aulus traita pour lui et les peu de temps son armée se trouva
siens avec Jugurtha : son armée de- aguerrie , vigilante et pleine de vi-
vait passer sous le joug , et sortir en gueur :alors commença la guerre. Ju-
dix jours de la Numidie. gurtha connaissait Métellus. Il ne lui
Dès qu'on sut à Rome la nouvelle restait, pour éloigner de sa personne et
de ce traité, l'indignation fut extrême. de ses États un ennemi si dangereux,
Le sénat, se rendant alors l'interprète qu'un dernier moyen, la ruse ; et il
de tous les bons citoyens, déclara que, l'employa. Il fit porter au consul, par
sans son ordre et celui du peuple , on des ambassadeurs, des paroles de sou-
n'avait pu faire aucun traité. D'autre mis iondéclarant
, que si on accordait
part, le consul Albinus se hâta de lever à lui et à ses enfants la vie sauve, il
des recrues pour l'armée , et de de- était prêt à abandonner son royaume
mander des troupes auxiliaires, comp- et ses richesses à la discrétion du
tant que par sa promptitude, et à peuple romain. Métellus ne se fia
l'aide de forces supérieures , il par- point, avec raison , à ces trompeuses
viendrait àbattre Jugurtha , et à ré- avances, et rejeta les prières du roi
parer ainsi le honteux échec subi par numide; il fit plus, il essaya de gagner
son frère. Il revint donc en Afrique ; les ambassadeurs de Jugurtha , les
mais il n'y trouva que des soldats dé- excitant par de grandes promesses à
moralisés, quivivaient dans la licence trahir et à livrer leur maître ; puis ,
et l'indiscipline, et il se vit contraint sans tarder, il entra en Numidie.
de renoncer à ses entreprises et de PREMIÈRES OPÉRATIONS DE MÉ-
rester en repos. TELLUS. — D'abord il ne rencontra
MÉTELLUS ; IL RETABLIT LA DIS- point l'ennemi. « Les maisons, dit Sal-
CIPLINE DANS l'abmée ROMAINE ; luste , comme s'il n'eût pas été ques-
CRAINTES DE JUGURTHA ( 109 avant tion de guerre, étaient habitées, et les
da. campagnes couvertes de bestiaux et
t notre ère ). — Métellus lui succé
C'était un homme habile et courageux, de laboureurs; les officiers du roi ve-
qui, malgré son opposition au peuple, naient des villes et des hameaux au
était estimé de tous les citoyens pour devant de l'armée , et offraient de
ses bonnes qualités. On avait foi , à fournir du blé, déporter les provisions,
l'ava nce, en ses succès, parce qu'on de faire enfin tout ce qui leur serait
le savait incorruptible. Métellus, avant ordonné. » Métellus néanmoins, mal-
de se rendre en Numidie, fit à Rome gré ces apparences, marchait en ordre
et chez les alliés de grands approvi- de bataille et avec les plus grandes
3e Livraison. (Numidie et Mauritanie.)
34 L'UNIVERS.

précautions ; il se tenait à la tête des tachement, comme le montre les évé-


troupes, et Caïus Marius, son lieute- nements quisuivirent, devait attaquer
nant ,formait l'arrière-garde avec la les Romains en tête, au moment où
cavalerie. L'armée romaine s'avança Jugurtha se jetterait tout à la fois, avec
ainsi, sans être inquiétée, jusqu'aux en- les troupes qui lui restaient, sur leur
virons deVacca, l'une des villes les plus arrière-garde et sur leurs flancs. Dans
florissantes de la Numidie (*). INlétel- ce but, le roi numide prit position sur
lus envoya garnison dans cette place , le penchant de la colline, non loin de
qui lui offrait pour ses opérations de l'étroite plaine où devait passer Mé-
grands avantages. Alors Jugurtha es- tellus. Celui-ci, en effet, parut bientôt
saya encore une fois d'obtenir la paix. au sommet de la montagne. En des-
Ce fut en vain; le consul poussa les cendant vers la plaine, il examina la
ambassadeurs à la trahison, et les colline qui était placée devant lui, et
renvoya. Trompé dans ses espérances, il ne tarda pasà àcause reconnaître l'ennemi.et
Jugurtha n'hésita plus , et rassembla Cependant, des bruyères
des troupes pour tenter la fortune des des arbrisseaux qui cachaient en partie
armes. Il fit d'abord observer par ses les hommes et les chevaux, il ne put
cavaliers la marche de Métellus; et ni connaître les forces, ni se rendre
quand il put se rendre compte de la compte des projets de Jugurtha. Pour
direction que prenait l'ennemi, il par- ne point s'avancer témérairement, il
tit en toute hâte pour occuper, sur la fit faire halte à ses troupes, puis il
route que devaient parcourir les Ro- changea ses dispositions. Il plaça trois
mains, une forte position. corps de réserve à sa droite, qui était
BATAILLE DU MÏJTHUL. — Dans la proche de l'ennemi; entre les batail-
partie de la JNumidie où se trouvait lons iljeta les frondeurs et les archers,
alors l'armée de Métellus, était un et mit toute sa cavalerie sur les ailes.
fleuve nommé Muthul, qui avait sa Après avoir pris toutes ses mesures et
source au midi (**). A vingt milles de rangé son armée en bataille, il des-
ce fleuve, et parallèlement à son cours, cendit dans la plaine. Les Numides ne
s'élevait une montagne stérile et in- firent aucun mouvement. Métellus,
culte, vers le milieu de laquelle venait que cette inaction rendait de plus en
aboutir une longue colline couverte
plus
arrêtédéfiant,trop longtemps et qui craignait
dans un d'être
pays
de myrtes
avait entreet lad'oliviers sauvages.
colline et Il n'y
la montagne sans eau, voulut, sans plus tarder, se
qu'une plaine, ou plutôt une gorge diriger vers le Muthul. Il détacha donc
étroite entièrement privée d'eau. Ce Rutilius, un de ses lieutenants, avec
fut sur la colline que se posta Jugur- les cohortes armées à la légère et une
tha. Il détacha d'abord Bomilcar avec partie de la cavalerie, pour s'assurer,
une partie de son infanterie et ses non loin du fleuve, d'une forte posi-
éléphants, et lui ordonna de continuer tion. Rutilius se mit en marche et prit
sa marche en suivant le défilé. Ce dé- l'avance. Quant au consul, il s'avança
au petit pas, en colonne serrée. Son
arrière-garde avait à peine dépassé les
(*) Vacca répond à Bedja. M. Marcus,
dans ses notes sur Mannert, réfute avec rai- Numides, que ceux-ci, par une con-
son le géographe allemand, qui voit dans version rapide, se jetèrent sur elle à
Pimproviste; puis, la débordant des
Jiedja l'ancienne ville de Bulla regia, pag.
yo3 ; voy. aussi p. 679. deux côtés, ils attaquèrent les Ro-
mains tout à la fois sur les derrières
(**) Mannert (trad. par MM. Duesberg et et sur les flancs. Jugurtha avait eu
Marcus , p. 442) , confondant le Mut/mi de
Salluste avec le Rubricatus de Ptolémée , soin d'abord de faire occuper par
voit dans ce fleuve la Seybouse. M. Marcus, 2,000 fantassins la partie de la mon-
dans ses noies (p. 703), prétend avec rai- tagne d'où le consul était descendu
son suivant
, nous , que le Muthul n'est point
la Seybouse, mais YHamise.
en plaine. L'apparition subite des Nu-
mides jeta la confusion dans l'armée
35

NUMIDIE ET MAURITANIE.
romaine. Au premier choc, les rangs en cela les lois de la guerre. Telle est
furent rompus; mais Mételius parvint la coutume du pays (*). »
peu à peu à rallier ses soldats. La
mêlée dura jusqu'à la nuit. A la fin, (*) Voici comment M. L. Marcus déter-
les Romains voyant qu'ils ne pou- mine les lieux où s'accomplirent les événe-
vaient battre en retraite, qu'ils per- ments que nous venons de raconter : «Mé-
daient une partie de leurs avantages telius prit au printemps de l'an 109 le com-
dans cette action où la tactique était mandement des troupes romaines destinées
à combattre contre le roi de Numidie. Il
inutile, s'apercevant d'ailleurs que le
jour était à son déclin, gagnèrent, sur employa les premiers mois de son séjour
en Afrique à rétablir la discipline dans les
les ordres Les
la colline. de Mételius,'
Numides lene sommet de
pouvaient rangs dedurcirl'armée,
aux travauxet àet laisser le soldat des'en-
aux fatigues la
songer à les forcer dans cette position,
et ils prirent la fuite. guerre par des exercices de tout genre. En-
suite ,il pénétra dans la Numidie du côté
Romilcar ne fut pas plus heureux
de la Tucca. La première grande ville qu'il
que Jugurtha. Il laissa d'abord passer rencontra sur sa route dans le royaume de
Rutilius; puis, quand il sut que le Jugurtha portait le nom de Vacca (Bedja)\
lieutenant du consul avait assis son elle était située, suivant Salluste, à une
camp et se tenait au repos, il disposa journée de marche des lieux où les troupes
ses fantassins et ses éléphants, et s'ap- romaines passèrent l'hiver de 109 à 108.
prêta àl'attaquer. Rutilius fut averti De Vacca, Mételius s'avança sur les rives de
de l'approche de l'ennemi par les tour- YHamisc, que Salluste appelle Muthul
billons de poussière que soulevait, en La vaste chaîne de montagnes qui courait
marchant sur un sol aride, la troupe dans la même direction que le Muthul est
de Bomilcar. Il se hâta de sortir de figurée, dans le quatrième segment de la
ses retranchements et de se mettre en Table de Peutinger, sur la rive droite de
bataille. On se chargea bientôt de part l'Hamise ; elle s'étend sur cette carte de la
et d'autre avec un grand acharnement. source de cette rivière jusqu'auprès de son
embouchure, et forme la partie nord-est du
Les Numides tinrent bon jusqu'au mo- dos montueux que Ptolémée nomme Buzara.
ment où les Romains eurent pris qua- La colline transversale dont Salluste fait
tre éléphants et tué tous les autres,
mention paraît être identique avec la hau-
au nombre de quarante. Ils se sauvè-
teur dont Abou-Obaïd signale l'existence à
rent ensuite, et n'échappèrent à la l'ouest de Tamedith, qui correspond à l'an-
mort qu'à la faveur de la nuit. Ruti- cienne Zama, où Annihal fut vaincu par
lius, après sa victoire, abandonna son Scipion. Cette place était située dans le voi-
camp, et rejoignit le gros de l'armée sinage de Naragarra, au midi de la roule
sur la colline où Mételius avait pris qui menait dudit endroit à Sicca Veneria.
position. Le consul demeura quatre Les itinéraires marquent trente milles ro-
jours dans ses retranchements sans mains (dix lieues) d'intervalle entre ces deux
faire un mouvement. « Quant à Jugur- places; Sicca était voisine du point de jonc-
tha, dit Salluste,
des lieux couverts ildes'était
bois retiré dans
et fortifiés
tion de YHamise avec la Medjerdah ; il n'est
donc pas surprenant que ce soit la première
par la nature; il y formait une nou- ville de la Numidie qui ait pris volontai-
velle armée plus nombreuse, mais sans rement parti pour les Romains , immédia-
tement après leur victoire sur Jugurtha. La
expérience et sans force réelle, com- bataille du Muthul a eu lieu quelques jours
posée de gens plus propres à faire va-
après l'entrée de Mételius dans la ISumidie;
loir les terres et les troupeaux qu'aux elle fut donc livrée à quelques lieues de
expéditions militaires. Cela vient de ce
dislance , vers le couchant de l'embouchure
que chez les Numides il n'y a que la de YHamise, qui est éloignée de Vacca d'en-
cavalerie de la garde du roi qui le viron dix-huit lieues en ligne droite. L'em-
suive dans une déroute; les autres placement des lieux couverts de bois et
soldats se dispersent, et chacun se re- d'un accès difficile , où Jugurtha se retira
tire où bon lui semble, sans enfreindre après sa défaite, doit être cherché dans

3.
86 L'UNIVERS.
MÉTELLUS RAVAGE LÀ NUMÎDIE; Romains de colline en colline; il cher*
IL EST HARCELÉ PAR JUGURTHA. — chait à s'assurer d'une occasion ou
Enfin Métellus, après avoir pris soin d'un poste favorable pour attaquer; il
des blessés et donné des récompenses brûlait les fourrages, empoisonnait les
aux soldats sources là où l'ennemi devait passer;
dans les deux qui s'étaientabandonna
batailles, distinguésla il se montrait tantôt à Métellus, tantôt
colline où il était campé. Il comprit à Marius; il attaquait l'arrière-garde
alors qu'en poursuivant pendant la marche; et quand les Ro-
le poussant à une actionl'ennemi et enil
générale, mains étaient prêts à le repousser, il
n'arriverait point à son but, qui était regagnait les hauteurs au galop; puis
d'abattre Jugurtha et de terminer il revenait donner l'alarme aux uns,
promptement la guerre. Il perdait plus aux autres, sans jamais engager une
par sa récente victoire que les vaincus action. C'est ainsi qu'il ne laissait
mêmes. Il se jeta donc sur la plus aucun repos à Métellus et à ses sol-
riche partie de la Numidie, et la ra- dats.
vagea par
, le fer et le feu , dans tous MÉTELLUS ASSIEGE ZAMA; IL NE
les sens. Ce nouveau système de guerre, PEUT EMPORTER LA PLACE; IL DÉ-
comme le remarque Salluste, inquiéta CAMPE. — Le consul , sans cesse pour-
plus le roi que la défaite de ses trou- suivi et harcelé par Jugurtha, se lassa
pes. Comme il n'osait s'opposer en àrésolut la fin de parcourir la iNumidie. 11
alors de mettre le siège devant
plaine à Métellus, il tint le gros de son
armée dans des lieux couverts, et sur- Zama (*). En attaquant cette place
veilla, avec sa cavalerie seulement, la importante, il comptait forcer Jugur-
marche des Romains. Il gênait ainsi tha àse montrer en plaine, et à engager
leurs mouvements, et, profitant des une action décisive dans un lieu où il
occasions qui lui étaient offertes, il ne pourrait fuir sans éprouver une
leur fit essuyer plus d'une fois, par perte considérable. Mais le roi avait
ses attaques imprévues, des pertes été averti par des transfuges des pro-
considérables. Métellus redoubla de jets du général romain. Il le devance,
surveillance pour ne donner aucune jette des renforts dans Zama, engage
prise à l'ennemi. Quand il fallait du les habitants à faire bonne résistance,
blé ou du fourrage, les cohortes, avec leur promet de ne point les abandon-
toute la cavalerie, escortaient les four- ner, et se retire avec ses troupes à
rageurs. Le consul avait divisé son quelque distance. De la position qu'il
armée; il en commandait une partie, avait choisie, il épiait tous les mouve-
ments de ses ennemis. Au moment où
et Marius l'autre. Ils campaient sépa- Métellus approchait de la place, il
rément, ilest vrai; mais ils se te-
naient àpeu de distance l'un de l'au- faillit surprendre Marins, qui avait été
tre, et quand il s'agissait de se mettre détaché avec quelques cohortes pour
en force, ils se réunissaient prompte- faire provision de blé à Sicca. Ce ne
ment. Le but des dispositions de Mé- fut point là le plus grand danger que
tellus était, suivant le grand histo- courut l'armée romaine. Un jour que
rien de cette guerre, de répandre plus Métellus livrait un assaut à Zama, le
au loin la désolation et l'effroi. Cepen- roi numide se jeta à l'improviste sur
dant Jugurtha suivait toujours les son camp, qui était gardé avec négli-
gence, et s'en empara. Ce ne fut pas
les derniers mamelons du Djebel Mahoma, sans de grands efforts et de grandes
à l'ouest de Ripasa et sur la route de Guelma pertes que les assiégeants parvinrent
à Medjaz Hammar, où l'on rencontre beau- a rentrer dans leurs lignes. D'autre
coup de forêts coupées en parcs naturels. » part, la garnison de la ville, qui se
Voyez l'Appendice à Mannert déjà cité; composait en grande partie de trans-
M. Marcus cite à l'appui de ses dernières fuges, se battait avec bravoure, et re-
assertions l'ouvrage de M. Évariste Bavoux
Jlgcr, t. II, p. 94, 1841. (*) Aujourd'hui Zouarin.
MJMIDIE.ET MAURITANIE.
37
poussait toutes les attaques. Le consul ordres. Cette fois, le roi de Numidie
se vit enfin forcé, après plusieurs as- refusa brusquement d'obéir au consul.
sauts meurtriers, de lever le siège de
Zama. Comme la mauvaise saison ap-
Il
et, aperçut
se prenant le piège qu'on auluichâtiment
à réfléchir tendait;
prochait, ilmit des garnisons dans que lui préparaient sans doute les Ro-
toutes les villes qui s'étaient rendues mains humiliés, il résolut, quoique
à lui , et se retira avec ses troupes dans privé de la meilleure partie de ses
la province romaine qui confine à la forces, de recommencer la guerre.
Numidie. Ce fut vers ce temps que le sénat
MÉTELLUS ESSAYE DE SE RENDRE
romain, après avoir mis en délibéra-
MAÎTRE DE JUGURTHA PAR TRAHI- tion le partage des provinces, décréta
SON; BOMILCAR; JUGURTHA SE DÉ- que Métellus serait maintenu dans le
CIDE A FAIRE LA PAIX AVEC LES
ROMAINS, ET A SE RENDRE (109 avant
commandement de l'armée d'Afrique.
LA GUERRE RECOMMENCE ; RÉVOLTE
notre ère). — Métellus ne resta pas de vacca (108 av. notre ère). —Une
oisif dans ses quartiers d'hiver. Il chose pouvait favoriser Jugurtha , c'é-
chercha, suivant l'expression de Sal- tait ladésunion qui existait entre Mé-
luste, à substituer les ruses et la per- tellus etses principaux officiers. Marius,
fidie à la force des armes, qui jus- fatiguédeservir en second dans l'armée,
qu'alors, malgré son habileté et sa aspirait alors au premier rang. Suivant
prudence, lui avait peu réussi. Il es- une vieille tradition, un aruspice lui
saya donc de corrompre les confidents
dit un jour, pendant un sacrifice, qu'il
mêmes du roi. Il s'adressa à Bomilcar, était réservé à de grandes et merveil-
que l'assassinat de Massiva, à Rome, leuses destinées. Marius prit les secrets
avait gravement compromis. Il lui fit mouvements de son ambition pour la
espérer, dans le cas où il livrerait Ju- voix du ciel; et, après le siège de
gurtha mort ou vif, sa grâce et la pos- Zama, il déclara à Métellus qu'il était
session libre de tous ses biens. Bomil-
décidé à quitter l'Afrique pour briguer
car se laissa gagner. leconsulat. Celui-ci, orgueilleux comme
Jugurtha était en proie, depuis l'ar- tous les patriciens, se moqua des pro-
rivée de Métellus en Afrique, à de jets de son lieutenant, plébéien sans
vives inquiétudes. Bomilcar ne l'igno- naissance, sans richesses et sans cré-
rait pas. Il profita d'un instant où le dit. Marius ne pardonna point à Mé-
roi était plongé dans la tristesse et tellus ses dédains et ses paroles pleines
le découragement pour l'engager à faire d'ironie. Il fomenta le mécontentement
la paix, même aux conditions les plus parmi les troupes, et fit si bien, que
dures, avec les Romains. Jugurtha bientôt officiers et soldats écrivirent à
suivit ses conseils. Il envoya des am- Rome pour se plaindre de Métellus et
bas adeurs au consul, pour lui déclarer demander son rappel. Dans toutes les
lettres Marius était loué sans mesure ,
qu'il abandonnait sans réserve sa per-
sonne et son royaume à sa discrétion. et représenté comme le seul homme
Alors Métellus, de l'avis de ses offi- capable de mener à bonne fin la guerre
d'Afrique.
ciers, lui ordonna de livrer sans retard
200,000 pesant d'argent, tous ses élé- Ce fut sur ces entrefaites que Ju-
phants, et une certaine quantité de gurtha recommença la guerre. Son
chevaux et d'armes. Ces premières premier soin fut de reprendre Vacca ,
conditions furent acceptées; puis Mé- où Métellus avait mis garnison. Il ga-
tellus exigea encore les transfuges. Ils gna les habitants , qui , à un jour
furent amenés au camp romain pieds donné , se jetèrent sur les soldats ro-
et poings liés. Enfin Jugurtha fut mains et les massacrèrent. Titius ïur-
mandé à Tisidium (*) pour recevoir des piiius Silanus , leur commandant , fut

(*) La ville numide de Tisidium, queStra- de Vacca (Bedja), aux confins du territoire
bon appelle Tioiaov;, était située non loin romain et du royaume de Numidie.
L'UINIVERS.

le seul qui échappa; il parvint à se quartiers où étaient les Romains, pour


sauver et à rejoindre le consul. A la les empêcher de ravager impunément
nouvelle du massacre de Vacca, Mé- la campagne; mais, frappé de la gran-
tellus part en toute hâte avec une lé- deur du crime qu'il allait commettre,
gion et un détachement de cavalerie. il resta dans l'inaction au jour mar-
Il se jette sur la ville , qui ne s'atten- qué. Bomilcar, impatient d'exécuter
dait point à une attaque aussi prompte;
et quand il est maître des portes et son projet, et craignant d'ailleurs que
des murs, il tire du massacre de ses l'épouvante ne fit changer de des-
sein àson complice , lui écrivit par
soldats une affreuse vengeance. Les des gens affidés , pour lui reprocher
habitants de la grande et opulente son hésitation et sa pusillanimité.
Vacca sont égorgés , et leurs biens li- « C'est à vous d'opter lui disait-il en
vrés au pillage. terminant, entre les récompenses et
TRAHISON DE BOMILCAR. — Métel- les supplices. » Au moment même où
lus s'était vengé, mais il n'avait pas arriva cette lettre, Nabdalsa , fatigué
vaincu Jugurtha. Le roi numide avait d'un exercice violent , se reposait sur
fait de grands préparatifs , rassemblé son lit. Il lut d'abord la lettre de Bo-
des troupes, et il pouvait résister long- milcar puis
, il médita longuement sur
temps encore aux Romains. Pour abat- son contenu ; enfin , il s'abandonna au
tre enfin cet ennemi redoutable, le sommeil. Il avait pour confident un
consul , suivant en cela les traditions Numide qui le servait, et auquel il
invariables de la politique du sénat, avait fait part de tous ses projets , ex-
eut recours aux plus odieux moyens ;
il entretint des traîtres aux côtés mê- qu'il a cepté du dernier. Celui-ci , sur l'avis
de l'arrivée d'un message, pen-
mes de Jugurtha. Parmi eux se trou- sant que, suivant sa coutume, on
vait Bomilcar, dont nous avons déjà peut avoir besoin de son ministère ou
parlé. Cet homme se mit à la tête d'un de son talent, entre dans la tente de
vaste complot, qui échoua par un con- son maître , prend , tandis qu'il dort ,
cours de circonstances que Salluste la lettre de Bomilcar , et la lit avec at-
nous a fait connaître, et que nous de- tention. Quand il a connaissance de
vons rappeler, à notre tour , dans ce
la conspiration , il se hâte d'aller trou-
récit. Bomilcar, à l'instigation ver le roi. Nabsalda s'éveille peu de
Jugurtha avait entamé le traité dede sou-
qui
temps après, ne trouve plus sa lettre,
mission qu'il abandonna ensuite par et apprend de ses esclaves tout ce qui
crainte , se voyant suspect au roi et se s'est passé : il fait d'abord poursuivre
défiant de lui , aspirait à un change- le dénonciateur; mais voyant qu'il ne
ment; ilcherchait une ruse pour le pouvait l'atteindre, il va lui-même im-
perdre, et travaillait nuit et jour pour plorer laclémence de Jugurtha, et le
mettre à exécution son criminel des- conjure avec larmes de ne point le
sein. A force de tentatives, il engagea soupçonner de complicité dans la tra-
enfin dans son complot Nabdalsa , hison qu'on lui avait dévoilée. Le roi
homme considérable parmi les Numi- lui pardonna en effet; mais il fit
des ,par sa naissance , ses biens et ses mourir Bomilcar et plusieurs de ses
qualités. Nabdalsa jouissait de toute la complices. Depuis cette conspira-
laveur du roi , qui lui confiait volon- tion, Jugurtha ne goûta plus un seul
tiersdans
, ses expéditions , des corps instant de repos. En proie, de jour et
de troupes
secret de toutes nombreux, et l'initiait
ses affaires. Bomilcar au de nuit, aux plus vives inquiétudes,
le moindre mouvement, le bruit le
et son complice fixèrent ensemble le plus léger l'épouvantaient. Quelque-
jour où ils dresseraient un piège à Ju- fois dans
, les circonstances où il n'y
gurtha, etconvinrent , pour le reste, avait pas même l'apparence du dan-
de régler leurs démarches suivant l'oc- ger, ils'éveillait en sursaut , se jetait
currence. Nabdalsa alla joindre l'armée sur ses armes , et donnait l'alarme à
qu'il avait ordre de tenir autour des ses troupes. Les accès de sa frayeur
3fr

NUMIDIE ET MAURITANIE.

ressemblaient, s'il faut en croire les des troupes romaines sous les murs du
historiens romains, aux accès de la fort, leur fait bien augurer de leur en-
folie. treprise. Effectivement, Thala se rend
DERNIÈRE CAMPAGNE DE MÉTEL- au bout d'un siège de quarante jours ;
LUS CONTRE JUGURTHA (108 avant mais Jugurtha s'était enfui nuitam-
notre ère). — « Les mouvements des ment du fort à l'approche de l'ennemi.
troupes numides , dit M. Marcus (*) , Il s'en alla, suivi de peu de gens, dans
vont bientôt se ressentir de la per- le pays des Gélules, peuple farouche
plexité d'esprit où se trouve leur chef. et barbare qui ne connaissait point le
Métellus en profite pour fondre sur nom romain. Il les assemble , les ac-
elles à l'improviste, et les met en dé- coutume peu à peu à garder les rangs,
route. Sa victoire lui vaut la conquête à suivre les enseignes, à exécuter les
de Cirta (Constantine) , qui le reçoit ordres du commandant , en un mot
dans ses murs , pendant que son ad- à s'acquitter de toutes les fonctions de
versaire va gagner la forteresse de la guerre. En même temps il amène
Thala (**) par des voies détournées , Bocchus, son beau -père, qui régnait
en traversant des lieux déserts , avec dans la Mauritanie Tingitane, a lui
les transfuges et une partie de sa ca- prêter main forte contre les Romains.
valerie. Thala était une ville grande Les deux rois marchent sur Cirta, où
et opulente ; Jugurtha y faisait élever Métellus avait déposé le butin fait à
ses enfants d'une manière digne de Thala et le gros bagage de ses trou-
leur rang, et il y avait mis beaucoup pes. Le général romain fait dresser
d'or en réserve. La place avait deux un camp bien retranché dans le voisi-
fontaines devant ses portes; mais il nage de Cirta, pour v attendre le choc
fallait franchir un espace de cinquante de l'ennemi; mais celui-ci n'ose point
milles romains (16 lieues deux tiers) l'y attaquer. Sur ces entrefaites, Mé-
pour trouver de nouveau de l'eau dans tellus apprend que le peuple avait an-
la direction de la route que l'armée nulé le choix que le sénat avait fait de
romaine avait à suivre pour marcher lui pour la direction de la guerre con-
contre Thala. Cependant Métellus ne tre Jugurtha pour l'année à venir, et
recule point devant cette difficulté; qu'il l'avait conféré à Marius , revêtu
on charge des bêtes de somme des vi- de la dignité consulaire pour cet es-
vres nécessaires pour faire subsister pace de temps. Cette nouvelle le for-
tifie dans la résolution de ne pas sortir
l'armée expéditionnaire pendant dix
jours, ainsi que d'outrés de cuir et de de son Gamp; toutefois, les jours qu'il
vases de bois qu'on remplit d'eau pui- y passa ne furent [joint perdus : il les
sée dans la rivière qui se trouvait à employa à détacher Bocchus de l'al-
cinquante milles de distance de ladite liance avec Jugurtha, et il eut la satis-
place (***). Une pluie abondante qui faction de voir qu'il n'entreprit rien
tombe du ciel, la veille de l'arrivée contre les Romains tant qu'il resta en
Afrique. »
DÉPART DE MÉTELLUS; RETOUR
(*) Voy. l'Appendice à Mannert déjà cité, DE MARIUS EN AFRIQUE; SES PRE-
p. 761.
MIERS SUCCÈS ; PRISE DE CAPSA
(**) Il ne faut pas confondre, comme l'ont ( 107 avant notre ère). — Marius avait
fait quelques savants, Thala avec Thelepte.
Ce sont deux villes différentes. La ville de enfin obtenu de Métellus , après de
Thala, dont parle Salluste, était située non vives instances, de retourner en Italie.
loin de l'endroit où le Bousellam et le Arrivé à Rome, il s'était ligué avec
Oued-Zianin se réunissent pour former les tribuns, et s'était montré l'un des
YJjebbi. ennemis les plus acharnés des patri-
(***) Cette rivière est le Oued-elDzahab, ciens. Ses violents discours plus que
qui se jette dans la rivière de Constantine ses glorieux services lui avaient con-
(ancienne
Tucca Finis.Cirta), aux environs de l'ancienne cilié l'affection du peuple. Aussi ,
quand le temps des comices arriva ,
40 L'UNIVERS.
Marius, au grand regret des sénateurs Jugurtha d'un grand avantage, et pour
et des nobles, fut élevé au consulat. nous d'un difficile accès ; d'ailleurs, on
Il se fit donner alors le commande- avait affaire à une nation inconstante,
ment de l'armée d'Afrique. Il disposa perfide,tenue niqui
tout pour réussir; il leva des soldats par jusque-là n'avait
les bienfaits , ni été
par re-la
dans les classes qui lui étaient dé- crainte. » La prise de Capsa donna à
vouées et auxquelles il devait son élé- Marius, dans l'armée et à Rome,
vation ,se pourvut abondamment de beaucoup de crédit et de considération.
vivres, d'argent et d'armes, et s'em- MARIUS S'EMPARE DE LA FORTE-
RESSE OU ÉTAIENT DÉPOSÉS LES
barqua enfin pour l'Afrique. Il aborda TRÉSORS DE JUGURTHA; ARRIVÉE
en peu de jours à Utique. Le com-
mandement de l'armée lui fut remis DE SYLLA EN AFRIQUE. — Le SUCCès
par le lieutenant Publius Rutilius; rendit le consul de plus en plus auda-
car Métellus , évitant la présence de cieux. Non loin du Mulucha (*) , qui
Marius séparait la Numidie de la Mauritanie ,
Rome. , s'était hâté de retourner à
où régnait Bocchus, s'élevait, au mi-
Arrivé à ses quartiers , le nouveau lieu d'une plaine, un rocher d'une
consul y maintint la discipline sévère étendue considérable et d'une immense
hauteur. Au sommet de ce rocher
qu'avait établie son habile prédéces-
seur; puis il mit son armée en mou- était une forteresse, où Tonne pouvait
vement. Ill'habitua aux marches , aux arriver que par des sentiers étroits, et
fatigues, et, par des combats partiels, bordés de toutes parts de précipi-
il entretint son ardeur. Il battit plus ces **).
( C'était dans cette forteresse
d'une fois les tribus qui prêtaient aide que Jugurtha avait déposé ses trésors.
et appui à Jugurtha , et obtint sur le Marius voulut s'en emparer , et, sans
roi lui-même un avantage considéra- se rendre compte des difficultés de
ble aux portes de Cirta. Mais ce que l'entreprise, il vint établir son camp
Marius recherchait avant tout, c'était au pied du rocher. II eût échoué peut-
une de ces actions d'éclat qui, comme être, sans l'audace d'un soldat ligurien.
la prise de Thala, pouvait illustrer Celui-ci découvrit sur le flanc de la
d'un coup toute une campagne. Il montagne, à distance du camp romain,
voulut donc, comme Métellus, s'em- un sentier qui n'était pas gardé par
parer ainsi
lever d'une àplaceson considérable,
ennemi une deet ses
en- l'ennemi; il fit part au consul de sa
découverte. Marius envoya des trou-
principales ressources. Il jeta les yeux pes légères vers le point qui lui était
sur Capsa (*). Cette ville était située désigné, et, pour cacher son dessein ,
au milieu d'un désert inculte, et entiè- il se porta d'un autre côté, et feignit de
rement privé d'eau. Marius fit ses pré- vouloir emporter la place. Tandis qu'il
paratifs avec prudence; et quand il occupe les soldats de Jugurtha, le Li-
eut pourvu pour plusieurs jours aux gurien et ses compagnons gravissent
besoins de son armée , il se mit en
marche. Il surprit Capsa un matin, et le rocher, et pénètrent dans l'intérieur
de la forteresse en escaladant la par-
s'y jeta avec ses troupes. Il brûla la tie des murs qui n'était point gardée.
ville, massacra ou vendit les habitants ; Ce fut ainsi que Marius se rendit maî-
il se montra si cruel, que sa conduite tre des trésors de Jugurtha. Sur ces
parut odieuse à ceux-là même qui , entrefaites, Sylla, qui avait été nommé
comme Salluste, essayèrent de le jus- questeur
tifier. Cette
« rigueur, contraire aux au camp de avecl'armée d'Afrique,
un puissant arriva
renfort de
cavalerie.
lois de la guerre , dit l'historien , ne
vint ni de l'avarice , ni de la cruauté (*) La Molouya.
du consul ; mais la place était pour (**) L'emplacement de cette forteresse cor-
respond, suivant M. Marcus, à celui du
(*) Capsa (Gafsa) était la ville principale château fortifié appelé par les Arabes Ka-
de la partie orieutale de la Gétulie Numide. laat-el-Ouecl , ou le château de la rivière.
41

NUMIDIE ET MAURITANIE.
BOCCHUS SE JOINT A JUGURTHA ;
de Rome, et promit d'abandonner Ju-
MARIUS REMPORTE DEUX VICTOIRES gurtha. Mais, après le départ de Sylla
SUR LES ROIS ALLIÉS ; IL PREND SES et de Manlius, il changea brusquement
quartiers d'hiver. — Après tant de résolution. Ce ne fut qu'au moment
d'heureux succès, Marius voulut don- où le consul prépara une nouvelle ex-
ner du repos à ses troupes, et ii se
pécdhietmioenntqu'il
,faire
à parut
la paix.se Ildécider
envoyafran-
des
mit en marche vers la côte pour pren-
dre ses quartiers d'hiver. Jugurtha, ambassadeurs au camp de Marius ,
malgré puis à Rome. Là, on répondit en ces
Il avait ses entraîné pertes,dans n'était
son point
allianceabattu.
Boc- termes à ses propositions : « Le sénat
chus, roi de la Mauritanie. Les deux et le peuple romain ne perdent jamais
rois avaient sous leurs ordres une ca- le souvenir des bons et des mauvais
valerie considérable , avec laquelle ils offices qu'on leur rend. Néanmoins,
surveillaient la retraite de l'armée ro- puisque Bocchus se repentde sa faute,
maine. Un soir , ils se jetèrent à l'im- ils la lui pardonnent : pour ce qui est
proviste sur Marius, non en corps ni de leur alliance et de leur amitié, on
en ordre de bataille, mais en foule et
les lui accordera lorsqu'il les aura mé-
par pelotons formés au hasard. Cette ritées. »Bocchus ne pouvait se mé-
attaque inattendue jeta d'abord le dé- prendre sur le sens de ces dernières
sordre parmi les Romains. Ils se dé- paroles , et dès lors il chercha , non
fendirent avec peine jusqu'au moment sans hésiter souvent encore , à rem-
où Marius, après avoir rallié ses sol- plir les intentions du sénat. Voici les
dats , occupa deux éminences. Les curieux détails que Salluste nous a
Numides n'osèrent point le forcer transmis sur l'odieuse trahison qui
dans cette position; ils se contentè- mit fin d'un coup à la guerre d'Afri-
rent d'environner les collines. Pendant
la nuit, au moment où ils se livraient « Bocchus écrivit à Marius de lui
au repos, le consul les surprit à son envoyer
que : Sylla, afin de remettre à son
tour, leur fit éprouver de grandes per- arbitrage la décision de leurs intérêts
tes, et continua sa marche. Pendant communs. Le consul l'y envoya avec
quatre jours l'ennemi ne reparut pas; une escorte de cavalerie, d'infanterie,
mais aux environs de Cirta, les cava- et de frondeurs des îles Baléares ; il y
liers de Jugurtha et de Bocchus atta- avait en outre des archers et une co-
quèrent les Romains par quatre côtés. horte pélignoise , tous armés légère-
Cette nouvelle apparition des Numi- ment, afin d'aller plus vite, mais aussi
des était aussi imprévue que la pre- en sûreté
toute autre avec contrecette armure traits
les faibles qu'avec
des
mière; aussi ellejetaf"abord le désor-
dre dans l'armée consulaire. Cepen- ennemis. Cependant , le cinquième
dant, grâce à l'activité et au courage jour de la marche, Volux, fils de Boc-
de Marius et de Sylla son questeur , chus, parut tout à coup dans la plaine
l'ennemi
Les Romains est forcé de prendre
entrèrent enfin la fuite.
à Cirta. avec un corps de cavalerie qui n'était
que de mille hommes, mais qui, mar-
IRRÉSOLUTION DE BOCCHUS; IL chant écartés et sans ordre , firent
TRAITE AVEC LES ROMAINS*, IL TRA- craindre à Sylla et aux autres que le
HIT et livre jugurtha (106 avant nombre n'en fût plus grand, et que ce
notre ère). — Découragé par sa der- ne fût un corps d'ennemis. Chacun se
nière défaite , Bocchus songea à trai- prépare donc au combat , essaye ses
ter avec les Romains. Quand le consul armes et ses traits, et se tient sur ses
connut ses dispositions, il lui envoya gardes : on a quelque crainte ; mais la
Sylla et Aulus Manlius, son lieutenant, confiance l'emporte, comme il est na-
qui lui avait déjà rendu de grands ser- turel àdes vainqueurs qui rencontrent
vices pendant la guerre. Ces deux of- des gens qu'ils ont vaincus plusieurs
ficiers eurent une entrevue avec le roi fois. Cependant, les cavaliers envoyés
de Mauritanie, qui demanda l'alliance à 1q découverte rapportèrent , comme
42 L'UNIVERS.

il était vrai , qu'il n'y avait rien à « Celui-ci le prie avec larmes de se
craindre.
désabuser; il l'assure qu'il n'y a de sa
« Volux, en arrivant, s'adresse au part aucune connivence, et que c'est
questeur, et lui dit que son père l'en- simplement un effet de l'adresse de
voie pour recevoir les Romains et Jugurtha, qui a eu connaissance de sa
pour les escorter. Ils marchent ensem- marche par le moyen des espions;
ble ce jour-là et le suivant sans au- qu'au reste, ce prince ayant peu de
cune alarme; mais le soir, après que monde, et n'ayant d'espérance et de
le camp est posé, le prince maure ac- ressource que dans la protection de
court précipitamment vers Sylla, d'un Bocchus,
rien entreprendre il est probable qu'il n'osera
ouvertement sous
air inquiet et effrayé; il lui dit qu'il
vient d'apprendre par ses espions que les yeux du fils de son protecteur ; que
Jugurtha le parti donc qui lui paraît le meilleur
vivement n'est de sepasdérober loin, etsecrètement
il le presse
est de traverser son camp en plein
avec lui pendant la nuit. Sylla lui ré- jour; et que
pond avec fierté qu'il ne craint point envoyer les pourMaures lui, en
soit avant
qu'on veuille
ou les
un Numide battu tant de fois ; qu'il est laisser au lieu même où l'on est, il
assez rassuré par la confiance qu'il a ira seul avec Sylla. Cet expédient, vu
dans la valeur de ses troupes; mais la conjoncture, est approuvé; on part
que quand sa perte serait infaillible, aussitôt, et l'on passe sans accident,
il resterait, plutôt que de trahir ceux
qui ont été confiés à sa garde. Le parce que Jugurtha, surpris d'un abord
si imprévu, ne sait à quoi se détermi-
prince, là-dessus, lui conseillant de ner. Peu de jours après, on arrive au
décamper, du moins pendant la nuit, rendez-vous.
il approuve cet avis , et sur-le-champ « Il y avait auprès de Bocchus un
il ordonne aux soldats de prendre de Numide, nommé Aspar, faisant sa cour
la nourriture, d'allumer beaucoup de assidûment et avec succès; Jugurtha
feux dans le camp , et d'en sortir ayant su que Sylla avait été mandé ,
en silence à la première veille. Après l'avait envoyé d'avance à titre d'agent,
cette marche nocturne, qui avait fati- et pour pénétrer adroitement les des-
gué tout le monde, Sylla, au lever du seins de Bocchus. Il y avait encore
soleil, traçait un camp, lorsque des Dabar, fils de Massugrada, de la mai-
cavaliers maures viennent annoncer son de Massinissa ; mille excellentes
que Jugurtha est campé en avant, à qualités lui avaient gagné les bonnes
quelque deux milles de distance. Cette grâces et la faveur du roi maure. Boc-
nouvelle jette l'épouvante parmi nos chus ayant déjà éprouvé, en plusieurs
gens ; ils se croient trahis, et engagés occasions , qu'il était affectionné aux
par Volux dans une embuscade ; quel- Romains, se hâta de le députer vers
ques-uns même sont d'avis qu'il faut Sylla , pour lui dire de sa part qu'il
s'en venger
laisser impunisur unsa crime personne, et ne pas
si atroce. est prêt à se soumettre; qu'il ait à
choisir lui-même le jour, le lieu et le
« Mais Sylla, quoiqu'il ait les mêmes moment de la conférence; qu'aucun
pensées, s'oppose à cette violence; il engagement n'a prévenu leur délibé-
exhorte les siens à avoir bon courage ; ration commune; queaucun
l'envoyé de Ju-;
il leur représente qu'il est souvent ar- gurtha ne doit faire ombrage
rivé àune poignée de braves de l'em- qu'on ne l'a appelé que pour traiter
porter sur le grand nombre; que,
plus vait
librement,
autrement separce que aux
dérober l'on artifices
ne pou-
moins ils se ménageront dans l'action,
plus ils seront de ce prince. Pour moi , ajoute Sal-
honteux, quand en on sûreté; qu'il est
a les armes en luste, j'ai des preuves que Bocchus,
main, de ne compter que sur la fuite. par une insigne mauvaise foi plutôt
Ensuite, ayant pris les dieux à témoin que dans aucune des vues qu'il pré-
de la perfidie de Bocchus , il ordonne textait, amusait tout à la fois les Ro-
à Volux de sortir du camp. mains et le roi numide par des espé-
NUMIDIE ET MAURITANIE.

rances de paix; qu'il avait souvent « tière. Quant à mes dispositions à l'é-
balancé s'il livrerait Jugurtha aux Ro- « gard de votre république, apprenez-
mains, ou Sylla à ce prince; et que « les en deux mots. Je n'ai jamais fait
son penchant le décidait contre nous, «ni voulu faire la guerre au peuple
mais que la crainte le détermina en «romain; mes frontières ont été atta-
notre faveur.
«quées, j'ai pris les armes pour les
« Sylla répondit qu'il dirait peu de « défendre : j'y renonce, puisque vous
chose en présence d'Aspar; qu'il s'ex- «le voulez. Faites, à votre gré, la
pliquerait sur le reste sans témoin, « guerre à Jugurtha ; le fleuve Mulu-
ou du moins devant peu de person- «cha, qui bornait mes États et ceux
nes :il régla en même temps ce qui «de Micipsa, est une barrière que je
lui serait répondu. Quand ils furent « ne passerai point, et je ne la laisserai
assemblés comme ils en étaient conve- «point passer à Jugurtha; si vous
nus, Sylla dit qu'il était venu de la «exigez quelque autre chose qui soit
part du consul pour savoir si Rocchus « digne de vous et de moi , je ne vous
entendait prendre le parti de la guerre « la refuserai point. »
ou celui de la paix. Le roi , confor- «Sur ce qui lui était personnel,
mément aux instructions qu'il avait Sylla répondit en peu de mots et avec
reçues, lui dit de revenir dans dix modestie; sur ce qui concernait la
jours; qu'il n'était pas encore décidé, paix et les intérêts communs, il s'é-
mais qu'il lui donnerait ce jour-là une tendit davantage. Il finit par faire en-
réponse précise. Là-dessus, chacun se tendre au roi que le sénat et le peuple
retira dans son camp. Mais quand la romain, ayant eu la supériorité des ar-
nuit fut bien avancée, Bocchus fit ve- mes, ne regarderaient point ses pro-
nir Sylla secrètement; ils ne prirent messes comme une faveur, et qu'il
tous deux que des interprètes sûrs; faudrait y ajouter quelque action qui
mais ils y ajoutèrent Dabar, homme de pût leur plaire; qu'il avait pour cela
probité, qui, en qualité de tiers, leur une belle occasion , puisqu'il pouvait
prêta le serment qu'ils jugèrent à pro- disposervrait auxdeRomains,
Jugurtha; queen s'il
ils lui le li-
auraient
pos d'exiger;
le premier en ces et aussitôt
termes : le roi parla la plus grande obligation; que leur
« Je n'ai jamais pensé qu'étant le amitié, leur alliance, et la partie de la
« plus grand roi de cette contrée , et
«maître d'un des plus puissants États aisément qu'il
Numidie réclamait, en seraient
le prix.
«que je connaisse, je puisse avoir des « Le roi fit d'abord beaucoup de ré-
«obligations à un simple particulier; sistanceil
: observa qu'il tenait à ce
«et véritablement, Sylla, avant que je prince parle sang, par une alliance,
« vous connusse , plusieurs ont im- par un traité;
« ploré mon secours avec succès ; j'ai craindre que ce qu'il manqueavaitded'ailleurs
fidélité neà
« même prévenu les prières de quel- révoltât ses sujets , à qui Jugurtha
était cher et les Romains odieux. A la
« ques autres, et jamais je n'ai eu be-
«soin de personne. Cette diminution fin , fatigué des instances reitérées de
« de puissance, si affligeante pour d'au- Sylla, il promit
« très, est pour moi un sujet de joie. demandait. Puis, de
aprèsfaire
avoirce pris
qu'onleurs
lui
«J'ai à me féliciter d'avoir besoin de mesures, ils se séparèrent.
« votre amitié, qui est pour mon cœur « Dès le lendemain, Bocchus manda
« le plus précieux des biens. Vous pou- Aspar, envoyé de Jugurtha; il lui dit
« vez là-dessus me mettre à l'épreuve : que, par l'entremise de Dabar, il sait,
« armes , soldats , argent , enfin tout de Sylla même, qu'il y a des moyens
« ce que vous jugerez à propos, pre- de terminer la guerre ; qu'il s'informe
«nez-le, disposez-en à votre gré; et doncàcesujetdesintentionsduroison
« tant que vous vivrez, ne me regardez maître. Celui-ci , bien joyeux, se rend
«jamais comme quitte envers vous :
« ma reconnaissance sera toujours en- au camp de Jugurtha. Pourvu d'am-
ples instructions, il revient en dili-
44 L'UNIVERS.

gence à celui de Bocchus, après un ceux qui sont apostés l'enveloppent de


voyage de huit jours ; il lui déclare toutes parts. On fait main basse sur
que Jugurtha est disposé à tout ce ceux qui l'accompagnent ; pour lui, on
qu'on voudra; mais qu'il se lie peu à le livre pieds et poings liés à Sylla,
Marius ; que l'on a déjà traité plu- qui le mène à Marius. »
sieurs fois de la paix avec les géné- FIN DE LA. GUERRE (106); TRIOM-
raux romains sans aucun effet; qu'au PHE DE MARIUS ; MORT DE JUGUR-
reste Bocchus, pour la sûreté des deux THA (104). — Quand on sut à Rome
rois et pour hâter la paix , devrait , que Jugurtha était tombé au pouvoir
sous prétexte d'en conférer, ménager de Marius, la joie fut extrême. Jus-
un congrès général, où il lui livrerait qu'alors les courages avaient été abat-
Sylla ; que quand il aurait entre les tus par les désastres répétés qu'a-
mains un homme de cette importance, vaient éprouvés en Gaule les armes
le sénat et le peuple romain ne man- romaines. Les flots de barbares qui
queraient pasd'ordonner la conclusion inondaient cette belle contrée se rap-
du traité, et qu'on ne laisserait pas
au pouvoir des ennemis un homme La prise de pJugurtha rochaient deplus en soulagea
plus de pour
l'Italie.
un
du premier rang, qui serait prisonnier instant, de leurs inquiétudes et de leurs
non par une lâcheté, mais par son zèle craintes, le peuple et le sénat. Marius
pour la république. parut grand à tous les yeux; et, comme
«Le roi maure, après de longues le dit Salluste, on le regarda dès ce
réflexions, promit enfin de le faire. moment comme l'espérance et l'ap-
S'engageait-il avec Jugurtha par feinte pui de la république. On le fit consul
ou avec vérité? Je l'ignore. Toutefois, pour la seconde fois, et on lui décerna,
après qu'on eut réglé le temps et le d'une voix unanime, le commandement
lieu du congrès pour traiter de la paix, des troupes qui devaient combattre en
Bocchus faisait venir tantôt Sylla , Gaule. Mais avant de partir pour une
tantôt l'agent de Jugurtha; il les re- guerre nouvelle, il triompha, au mi-
cevait avec honnêteté, et leur faisait lieu des acclamations générales, pour
à tous deux les mêmes promesses : les victoires qu'il avait remportées en
tous deux, également satisfaits, étaient Afrique. Quanta Jugurtha, il suivit en-
pleins de confiance. Mais on dit que, la chaîné le char du vainqueur. On dit
nuit qui précéda le jour marqué pour
la conférence, le roi maure, après que,
malheur et de lelatriomphe,
pendant honte lui l'excès
enleva dula
avoir mandé ses confidents, prit tout raison. Jeté dans un cachot, il fut livré
à coup un autre parti, et les congédia; aux outrages des geôliers, qui lui ar-
et que, livré à une foule de réflexions, rachèrent ses riches vêtements, et lui
et changeant plusieurs fois d'air, de déchirèrent les oreilles pour avoir ses
couleur, de maintien, comme de pen- anneaux d'or. Ce fut en pénétrant
sées, son extérieur, malgré son silence, dans l'humide prison qu'il se prit à
fitassez connaître l'état intérieurdeson rire, et s'écria : « Par Hercule! les
âme. A la fin pourtant, il fit venir étuves des Romains sont bien froi-
Sylla, et concerta avec lui les mesures des! »On le laissa sans nourriture, et,
pour surprendre le roi numide. Lors- avant de mourir, il fut en proie, pen-
qu'au jour marqué l'on annonça que dant six jours entiers , aux affreux
tourments de la faim (104).
Jugurtha approchait, Bocchus,* suivi ÉTAT DE LA NUMIDIE APRES LA
d'un petit nombre des siens, s'avança
avec notre questeur, comme par civi- DÉFAITE DE JUGURTHA; GAUDA;
lité, jusque sur une éminence à portée oxyntas. — Après la défaite de Ju-
de la vue de ceux qui étaient en em- gurtha, les Romains disposèrent de la
buscade. Le prince numide, avec la ÎNumidie à leur gré. Bocchus obtint,
plupart de ses amis , s'y rend aussi comme récompense de ses services, le
sans armes, comme on en était con- pays des Massésyliens , contigu à la
venu ;aussitôt on donne le signal , et Mauritanie. Cette province lui avait
45

NUMIDIE ET MAURITANIE.

été senti à servir l'inimitié de Marius


jes promise
Pvomainspar; jugurtha, il aima mieuxs'il trahissait
la tenir contre Métellus; et ce fut en récompense
de ces derniers, qui la lui avaient éga- des complaisances de son père pour
lement promise. La Numidie propre- le vainqueur de Jugurtha , qu'Hiar*
ment dite, ou le pays des Massyliens, bas reçut une part dans la dépouille du
fut divisée en trois parties : l'une vaincu. Indépendamment des liaisons
d'elles fut annexée à la province d'A- de Gauda avec Marius , la concession
frique, formée après la troisième guerre faite à Hiarbas d'une partie de la Nu-
punique du territoire de Carthage. Les midie s'explique encore par l'esprit de
deux autres furent données a deux la politique romaine, qui, ne voulant
princes de la famille royale de Numi- point effectuer la réunion définitive de
die. L'un de ces princes était Hiempsal cette vaste et embarrassante contrée, \
II, nommé par Appien Mandrestal ; il préférait la diviser et la confier aux
était fils de Gulussa et petit-fils de princes restants de la famille royale.
Massinissa : l'autre était Hiarbas ou Le sénat était sûr de leur docilité, ou
Hierta, fils de Gauda, frère de Jugur- du moins il ne craignait plus de résis-
tha. Il paraît que Jugurtha avait forcé tance sérieuse de ces petits rois, que
Gauda, son frère, à se jeter dans le la chute récente de Jugurtha devait
parti des Romains. Voici la mention faire trembler, et que leur faiblesse
que Salluste fait de ce prince : « Il y contraignait au repos et à la soumis-
« avait dans notre armée un prince sion (*). Quant aux deux fils de Ju-
« numide appelé Gauda , fils de Ma- gurtha, ils survécurent à leur père;
« nastabal et petit-fils de Massinissa. mais ils terminèrent leurs jours dans
« Ce prince était si accablé d'infirmités, la captivité. Ils étaient détenus à Ve-
« que son esprit s'en ressentait un nouse, en Apulie. Cependant l'un
« peu. Il avait demandé à Métellus une
« compagnie de cavalerie romaine pour d'eux,
de jouer nommé un rôle Oxyntas,
tout eut l'occasion
passif, il est
«« sa vrai, dans la guerre sociale. Aponius,
côtegarde,de luiet, le droitla de
selon s'asseoirdesà
coutume l'un des chefs des alliés, assiégeant la
« rois. Métellus lui avait refusé l'un et ville d'Acerres, avait pour adversaire
« l'autre : la prérogative, parce qu'elle Sext. Jul. César, dont l'armée était en
« ne s'accorde qu'à ceux que la répu- partie composée de Numides. Connais-
« blique reconnaît pour rois; la garde, sant le respect de ceux-ci pou« le sang
«« parce qu'il luiromainssemblait fussent
honteuxsatel-
que de leurs rois, il fit venir Oxyntas de
des cavaliers Venouse, le revêtit de la pourpre, le
« lites d'un barbare. Marius profita traita avec honneur, et le montra aux
« du chagrin de Gauda pour lui offrir Numides de l'armée opposée. Ceux-ci ,
« ses services contre l'injustice du gé- voyant le fils de leur ancien roi dans
«« néral. Il n'eut pas de enpeine à ren- le camp des alliés, commencèrent à
verser cette tête faible, la traitant déserter en foule; et César, se défiant
« de roi, d'homme respectable, de pe- du reste, renvoya toute cette cavale-
« tit-fils de Massinissa, à qui leroyau- rie en Afrique (90 avant l'ère chré-
« me appartiendrait sans contestation
« si Jugurtha était pris ou tué. C'est (*) Il n'est pas certain qu'Hiempsal était
« ce qui arriverait, ajouta-t-il, bientôt, fils de Gulussa. Le président de Brosses in-
cline àcroire qu'il était de la race des rois
«si, comme consul, j'avais le com- maures plutôt que de celle des rois numides,
« mandement de l'armée. Par de tels
« propos, il engagea ce prince à et peut-être l'un des fils de Kocchus , l'ami
de Sylla. Il paraît , ajoute-t-il , que la race
« écrire à Rome d'une manière désa- numide avait pris parti pour Marius, el la
« vantageuse sur le compte de Métel- race maure pour Sylla. (Hist. de la répub.
« lus, et à demander Marius pour gé- romaine, 1. 1, p. 33a). Cette opinion est
« néral (*). » Ainsi , Gauda avait con- confirmée en effet par la conduite que tin-
(*) Nous empruntons la traduction du rent Hiarbas et Hiempsal dans les guerres *
président de Brosses. civiles de Marius et de Sylla.
48 L'UNIVERS.

tienne). L'autre fils de Jugurtha est point y entendre, et la rebutoit : tou-


resté entièrement inconnu.
tefois àla fin, voyant qu'il n'avoit
conduite d'hiarbas et d'hiemp- point d'autre moyen de s'échapper de
sal pendant la rivalité de m arius
là, et considérant qu'elle faisoit toutes
et de sylla ; perfidie d'hiempsal choses à leur avantage plus diligem-
a l'égard du jeune marius; hiar- ment et plus affectueusement qu'elle
bas se joint a domit1us et dé- n'eût fait si elle n'eût tendu à autre
trône hiempsal ; il est vaincu par fin qu'à jouir seulement de son plaisir,
pompée, qui donne son royaume il commença à la fin à accepter ses
A hiempsal (de 88 à 81 de notre ère). caresses, tant que finalement elle lui
— La maxime du sénat romain, de di- donna moyen de s'enfuir et de se sau-
ver, lui et ses amis. Il se retira vers
viser pour
mentie.dominer, ne s'est
En distribuant jamais
à deux rois dé-
les
son père; et
embrassés et,salués,
après en
qu'ils se furentle
cheminant
restes de la Numidie mutilée, il savait
long de la marine ils rencontrèrent
bien qu'il y établissait deux rivaux.
Hiarbas et Hiempsal , empressés à se deux scorpions qui se combattoient
nuire, embrassèrent chacun, dans les l'un contre l'autre. Cela sembla un
guerres civiles de Sylla et de Marius, mauvais présage à Marius ; à l'occasion
un parti opposé. Par un étonnant re- de quoi ils montèrent vitement sur un
vers de fortune, Marius, chassé de
bateau de pêcheur, et passèrent en l'île
Rome, s'était enfui vers les côtes d'A- de Cercina, qui n'est guère distante
frique, et se voyait réduit à mendier, de la côte de terre ferme. Ils n'eurent
pour lui et sa famille, les secours de
pas plutôt levé l'ancre qu'ils aperçu-
ces mêmes Numides qu'il avait vain- rent des gens de cheval que le foi
cus. Déjà son fils , Céthégus et plu- Hiempsal avoit envoyés au lieu dont
sieurs autres, étaient arrivés à la cour ils étoient partis, et ce fut l'un des
d'Hiempsal, dont ils attendaient du plus grands dangers auxquels il eût
secours et une bonne réception. Ma- échappé (*).» Pendant que Hiempsal se
rius , après avoir erré sur les ruines jetait dans le parti de Sylla; Hiarbas
se déclarait pour Marius, et ce fut
de Cartnage, s'apprêtait à les rejoin-
probablement dans les États de ce
dre, lorsqu'il apprit à temps que son
parti ne pouvait pas compter sur ce dernier que Marius et son fils, avec
roi. Vofci comment Plutarque raconte Céthégus, Granius, Albinovanus, Lœ-
la réception perfide que Hiempsal fît torius et d'autres encore, passèrent
à Marius et à ses amis : « Cependant l'hiver de l'année 88, qui avait com-
Hiempsal, roi des Numides, ne sa- mencé simisérablement pour eux.
chant àquoi se résoudre, faisoit bon Après leur départ, les deux rois nu-
honneur et bon traitement au jeune mides se firent la guerre, vidant leurs
Marius et à ceux de sa compagnie; différends particuliers au nom des
mais quand ils s'en vouloient aller, il partis qui divisaient Rome. Partout
controuvoit toujours quelque nouvelle ceux qui s'étaient attachés à la for-
occasion pour les retenir, et il étoit
tune de Marius succombèrent. Il n'y
aisé de voir qu'il ne reculoit point eut qu'en Afrique où l'un des siens l'em-
ainsi pour occasion quelconque qui fût porta; car Hiarbas dépouilla Hiempsal
bonne; toutefois, il advint à une chose de son royaume. Aussi Domitius
qui servit à les sauver. C'est que le jEnobarbus', fuyant l'Italiese oùréfugia
Sylla
jeune Marius, étant beau de visage était revenu triomphant,
(on le surnommoit fils de Mars et de chez Hiarbas, qui se joignit à lui avec
Vénus, à cause de sa beauté), fit pitié les forces dont il s'était servi pour dé-
à l'une des concubines le voyant en tel trôner Hiempsal. SyJIa chargea Pom-
état. Cette pitié fut un commencement pée de poursuivre Domitius et de paci-
et une couverture de l'amour qu'elle
lui portoit : mais le jeune homme, à d'Amyot.
(*) Plutarque, Vie de Marius, traduction
ses premières approches, ne vouloit
47
NUMIDIE ET MAURITANIE.

fier l'Afrique. Pompée partit donc de Quant à Hiarbas , il fut assiégé dans
Sicile avec six légions, 120 vaisseaux Bulla, pris et mis à mort. Pompée re-
de guerre et 800 bâtiments de charge, vint àUtique, après une campagne qui
qui portaient des munitions de toute n'avait duré que quarante jours (81).
espèce. Il vint prendre terre à Curubis, JUBA Ier SUCCÈDE A SON PERE
petit port voisin de Carthage, non HIEMPSAL II; IL DEVIENT L'ENNEMI
loin du promontoire de Mercure, et PERSONNEL DE CESAR. — Lorsque
marcha vers Utique , où Domitius et Sylla etMarius eurent disparu, de nou-
Hiarbas étaient campés avec des forces veaux ambitieux prirent leur place, et se
nombreuses. Les deux armées se trou- firent les chefs des partis qui existaient
vaient en présence; mais elles étaient dans l'État. César et Pompée se dispu-
séparées par un ravin dont la descente tèrent àleur tour l'empire du monde,
était rude et le sol raboteux. Domitius
en s'appuyant, l'un sur la démocratie,
jugea l'attaque impossible , d'autant l'autre sur l'aristocratie. La Numidie
plus qu'il tomba pendant presque tout prit à leurs démêlés une part plus im-
le jour une grosse pluie, accompagnée portante qu'aux troubles précédents,
d'un vent violent. Il se retira vers son et fut d'un grand poids dans les évé-
camp. Alors Pompée jugea que le mo- nements de cette lutte. Le royaume
ment favorable était venu ; il passa le de Hiempsal avait été agrandi par
ravin, et fondit à l'improviste sur l'ar- Pompée ; la mort de Hiarbas avait dé-
mée qui se retirait. Le désordre se mit barrassé ce prince d'une rivalité qui
bientôt dans les rangs de Domitius et l'affaiblissait, et il avait transmis à
de Hiarbas. Ajoutez qu'ils avaient en son fils Juba Ier un royaume étendu et
florissant. Outre la reconnaissance qui
face la pluie et le vent. Aussi éprouvè-
rent-ils une entière défaite. Les sol- attachait Juba à la cause de Pompée,
dats de Pompée voulaient le proclamer ce prince avait contre César des mo-
imperator sur le champ de bataille ; tifs de mécontentement personnel.
mais leur chef leur ayant déclaré qu'il Suétone raconte qu'un différend s'é-
n'accepterait cet honneur qu'après la tant élevé entre Hiempsal et un noble
prise du camp ennemi, ilsy marchèrent numide appelé Masintha, celui-ci im-
à l'instant, et le forcèrent. Il était déjà plora la protection de César, qui com-
nuit; Pompée combattit tête nue, pour mençait alors sa carrière politique.
être reconnu par ses soldats et éviter César embrassa avec tant de chaleur
toute méprise funeste. Le camp fut la cause de Masintha, que, dans une
emporté , et Domitius resta sur la violente altercation avec Juba , fils de
place. Le carnage fut grand , et de Hiempsal, il s'emporta jusqu'à le pren-
20,000 hommes il n'en échappa que dre par la barbe. C'était le plus san-
3,000. Hiarbas prit la fuite, abandon- glant outrage que l'on pût faire à un
nant ses éléphants , que Pompée vou- Numide. Juba ne l'oublia jamais, et
lut plus tard atteler à son char de nous allons le voir dévoué à la cause de
triomphe. Ce prince essaya de rentrer Pompée , non-seulement par recon-
dans son royaume; mais il en fut em- nais ance etpar dévouement pour lui,
pêché par les Maures auxiliaires que mais aussi par haine pour son adver-
Gauda, fils de Bocchus, avait conduits saire.
à l'armée de Pompée. Il fut donc obligé EXPÉDITION DE CURION EN AFRI-
de se renfermer dans Bulla. Cependant QUE. JUBA MARCHE AU SECOURS DE
Pompée avait pénétré dans le pays VARUS. IMPRUDENCE DE CURION.
pour rétablir Hiempsal ; les Numides RUSE DE JUBA ; SA CRUAUTÉ APRÈS
effrayés prenaient tumultueusement la victoire (49 avant notre ère). —
les armes pour résister à cette inva- Au début de la guerre civile , César
sion; mais Gauda, parcourant la con- avait rapidement enlevé l'Italie à Pom-
trée , vainquit toutes les bandes qu'il
trouva formées , et Pompée rétablit tius péeVarus, et à ses partisans. L'un d'eux, At-
chassé d'Auximum, se ré-
sans peine Hiempsal sur son trône. fugia dans la province d'Afrique, en
4S L'UNIVERS.

expulsa Tubéroîi , et s'y rendit indé- Juba osâtavantages


venir l'attaquer
pendant de l'autorité premiers , et ceux, de
tantCésar
ses"
il tenait pour Pompée, duJuba
sénat.fit Comme
alliance en Espagne, lui avaient inspiré de con-»
avec lui , et César dépêcha à sa pour- fiance. Mais quand il fut certain que
suite Curion, cet ancien tribun qui de- Juba n'était plus qu'à 25 milles d'Uti-
puis peu se montrait si zélé pour sa que, ilprit sagement le parti de se re-
cause. Ainsi Curion devait enlever tirer dans le camp Cornélien, position
l'Afrique à Varus et à Juba, comme avantageuse où le premier Scipion
autrefois Pompée à Domitius et à avait campé autrefois. Dans ce poste
Hiempsal. Mais le lieutenant de Sylla il n'était pas seulement en lieu sûr ,
avait remporté une victoire là où le mais rien ne lui manquait : bois, blé,
lieutenant de César ne trouva qu'une eau , sel , tout était sous sa main. Il
défaite et la mort. Curion, imprudent pouvait communiquer avec la mer, et
et plein d'ardeur, n'avait pris que la il envoya des ordres pour hâter l'arri-
moitié des forces que César avait mi- vée des deux légions qu'il avait laissées
ses à sa disposition. Il vint camper
avec deux légions et 500 cavaliers sur en Sicile. Il pouvait donc se tirer d'af-
faire en temporisant.
les bords du Bagrada. Juba se hâta Mais il ne persévéra pas dans ces
d'envoyer des renforts à Utique ; car, prudentes résolutions, et sa précipita-
indépendamment de son antipathie tion naturelle le fit tomber dans un
pour César , il détestait Curion pour piège que lui dressa le rusé Juba.
un motif tout particulier. En effet ,
Curion, étant tribun du peuple, avait Quelquesnèrent ledéserteurs d'Utique
faux avis que Juba , lui don-
rappelé
proposé une loi pour confisquer le par une guerre contre des peuples voi-
royaume de Juba et en faire une pro- sins, était retourné sur ses pas, en-
vince romaine. Dans une première voyant àsa place Sabura, son géné-
rencontre, 600 auxiliaires numides fu- ral , pour délivrer Utique. Curion ac-
rent battus par la cavalerie de Curion, cueillit avec une confiance précipitée
et se retirèrent après une perte de cette fausse nouvelle , et résolut d'ac-
J20 hommes. Au commencement de cabler Sabura. Ce qui donnait une ap-
cette campagne, Curion et Varus fu- parence de vérité au faux bruit dont il
rent seuls aux prises, et le lieutenant était la dupe, c'est que Sabura avait
de Césarfermit laeut toujours l'avantage. été envoyé en avant avec un corps peu
fidélité chancelante de sesIl af-
lé- considérable, et qu'il se trouvait près
gions, formées de déserteurs pom- du camp, non loin du Bagrada ; mais
péiens ,et que Varus essaya de lui dé- Juba le suivait avec toutes ses forces,
baucher. Ilremporta sur Varus la vic- préparé à leà soutenir.
toire d'Utique , où il ne perdit qu'un en arrière, la distanceIl de
s'était
6,000arrêté
pas.
seul homme , au rapport de César Tout ce que Juba avait prévu se réa-
dans ses Commentaires. Enfin il con- lisa. Curion fit partir sur le soir sa
traignit l'ennemi à se renfermer dans cavalerie ,sur quilestomba de nuit et à l'im-
Utique, et il en vint faire le siège. La proviste Numides commandés
population d'Utique, peu belliqueuse par Sabura. Plusieurs furent tués;
et toute commerçante, et d'ailleurs quelques-uns , faits prisonniers , fu-
bien disposée pour César, dont elle rent conduits à Curion, qui s'était mis
avait reçu quelques services, voulait se en marche et qui était déjà loin de son
camp. Il interroge les prisonniers, et
portes. ,'et
rendre Maispressait Varus de
les courriers d'ouvrir les
Juba ar- leur demande le nom de celui qui les
rivèrent, annonçant que le roi appro- commande. Quand ils eurent nommé
chait avec des forces considérables, et Sabura, Curion n'en demanda pas da-
exhortant la ville à tenir bon quelque vantage; etrapprochant le témoignage
temps. Ces nouvelles changèrent l'état de ces captifs avec celui des transfu-
des esprits. Curion, qui en fut égale- ges de la ville , il demeura plus con-
ment averti , ne pouvait croire que vaincu que jamais que Juba était bien
NUMIDIE ET MAURITANIE. 49
loin. Ses troupes partageaient sa con- tite armée fit des prodiges. César, qui
fianceil; les enflamma encore par une raconte cette défaite au second livre
allocution animée, où il les exhortait à de ses Commentaires sur la guerre ci-
aller non au combat , mais à la vic- vile, se plaît à rendre cette justice aux
toire. Puis il ordonne de se remettre en soldats et à leur général. Malgré leur
route ; mais sa cavalerie, fatiguée par f»etit nombre et leur fatigue, les cava-
une double marche, ne put suivre les iers romains faisaient merveille par-
fantassins : un grand nombre resta en tout où ils donnaient, et forçaient tou-
chemin , s'arrêtant de distance en dis- jours l'ennemi à fuir devant eux ; mais
tance, làoù leur fatigue devenait ex- il leur était impossible de les poursui-
trême, etil n'y en eut que 200 qui pu- vre, dans la nécessité où ils étaient de
rent accompagner l'infanterie. Mais ménager leurs chevaux. Tous leurs ef-
Curion regardait le succès comme forts ne pouvaient empêcher la cava-
trop certain , pour être arrêté par cet lerie numide d'exécuter la manœuvre
inconvénient. De son côté , Sabura que Sabura avait prescrite. Peu à peu
avait informé Juba du combat noc- les soldats romains furent entourés ;
turne qu'il avait soutenu. Le roi , quelques cohortes se détachèrent pour
comprenant aue tout dépendait de briser mée; le maiscercle qui enveloppait l'ar-
l'action qui allait s'engager , envoya à les Numides, sans attendre
son général 2,000 chevaux espagnols leur choc, se retiraient avec vitesse
et gaulois de sa garde, et ses meilleurs avant d'avoir perdu un seul homme ;
fantassins. Lui-même se mit en mar- puis ils se réunissaient à une certaine
che, mais plus lentement, avec le reste distance, et ils revenaient attaquer en
de ses forces et 40 éléphants. Sabura foule ceux qui les avaient poursuivis,
montra autant de prudence et de vraie et qui s'étaient ainsi séparés du gros
habileté que Curion de présomption et de l'armée. Dans une telle position ,
d'ineptie. Après ilavoir rangé vers tout était danger pour les Romains :
son ar-
mée en bataille, fit avancer les
rester en place , conserver les rangs ,
Romains un détachement, comme pour courir à l'ennemi , rien ne pouvait s'o-
engager l'action ; mais avec ordre de pérer sans les plus grands risques.
reculer peu à peu, et de prendre la fuite La troupe de Sabura ne faisait
en donnant tous les signes de terreur
qu'augmenter par les nombreux se-
et d'épouvante. Cet ordre fut parfaite- cours que Juba lui dépêchait en avan-
ment exécuté. Curion, déjà plein d'es- çant lui-même en bon ordre. Les for-
pérance, fut encore aveuglé davantage ces des soldats romains commençaient
par la vue des ennemis fuyant précipi- à s'épuiser. Ceux qui avaient reçu des
tamment devant lui, et, quittant les
blessures ne pouvaient ni s'éloigner du
hauteurs où il était toujours en sûreté, champ de bataille , ni se retirer en
il descendit avec tous les siens dans lieu sûr , car toute la plaine était fer-
la plaine. Ainsi , sans cavalerie, avec mée par la cavalerie numide. Alors les
une infanterie harassée par une mar- Romains commencèrent à désespérer
che rapide de 16 milles, il descendit en de leur salut, et, comme il arrive or-
rase campagne , en présence de forces dinairementdes
à hommes qui voient
» supérieures. C'était se livrer soi-même leur dernière heure approcher, ils dé-
à l'ennemi. Sabura, après avoir par- ploraient leur malheureux sort, ou ils
couru ses rançs, exhorté ses soldats, se recommandaient leurs proches les
donne le signal resta de l'action uns aux autres, dans le cas où la for-
; toutefois,
son infanterie immobile en ar- tune en sauverait quelques-uns de ce
rière, car il ne voulait point la com- commun danger. Tous étaient cons-
promettre avec les légionnaires : ce ternés par la crainte et la douleur.
fut sa nombreuse cavalerie qui se dé- Curion , voyant les siens épouvantés,
ploya rapidement pour envelopper les et ne pouvant plus rien sur eux , ni
ennemis. Curion se comporta brave- par les exhortations , ni par les priè-
ment dans ce dernier combat. Sa pe- res, reconnut la faute qu'il avait faite,
4" Livraison. (Nlimidie et Mauritanie.)
50 L'UNIVERS.
et voulut regagner les hauteurs. Il ce fut en vain, tous demandaient a
réunit ce qui lui restait, et ordonna grands cris d'être ramenés en Sicile.
d'aller replacer les étendards sur les Mais dès que la défaite de Curion eut
collines; mais Sabura le prévint, et fit été connue à Utique, Flamma, com-
occuper ces collines par sa cavalerie. mandant de la flotte, s'était hâté, au
Ainsi plus de ressource : la situa- rapport d'Appien , de lever l'ancre,
tion de l'armée romaine était entière- sans songer à secourir les malheureux
ment désespérée. Les uns prennent la restes de l'armée vaincue. Il fallut
fuite , et sont tués par les Numides ; donc traiter avec des négociants qui
les autres sont massacrés en combat- étaient en rade avec leurs navires ,
tant àleur rang. Cn. Domitius, qui pour obtenir d'eux le passage. Au mo-
commandait la cavalerie romaine, vou- ment de l'embarquement , le bruit se
lut au moins sauver le général. Il lui répandit que les troupes de Juba ap-
proposa de l'accompagner jusqu'au prochaient avec les légions de Varus.
camp avec les cavaliers qui pouvaient Quelques-uns crièrent qu'ils aperce-
encore combattre. Cinq cohortes vaient la poussière soulevée par cette
avaient été laissées à la garde du multitude. Alors une terreur panique
camp, et il était possible de s'y défen- se s'emparant de tous les Romains , ils
dre. Domitius promettait à Curion de ruèrent sur les barques avec tant
ne point l'abandonner qu'il ne l'eût de précipitation, qu'elles furent pres-
mis en sûreté. « Non , répondit Cu- que toutes submergées. Quelques-uns
« rion, je ne paraîtrai jamais aux yeux parvinrent cependant à gagner la pleine
« de César, après avoir perdu l'armée mer. Mais les marchands qui les trans-
« qu'il avait confiée à ma conduite. » portaient les jetèrent dans les flots
Il continua de combattre jusqu'à ce ,pour s'emparer de leur argent. Un
qu'il fût tué par l'ennemi. Sa tète, sé- très-petit nombre seulement arriva en
parée de son corps , fut apportée à Sicile. Une partie des cohortes n'avait
Juba. Toute l'infanterie fut taillée en point voulu fuir, et s'était rendue à
Kièces, et il n'en resta pas un seul Juba, sur la promesse qu'on leur con-
omme. Quelques cavaliers échappè- serverait lavie sauve. Mais Juba pré-
rent ;ceux qui étaient restés en che- tendit que ces prisonniers lui apparte-
min retournèrent au camp. Cette dé- naient, et, au mépris de la capitula-
faite eut lieu près du Bagrada, non tion, illes fit égorger sous les remparts
loin du camp Cornélien que Curion d'Utique, excepté quelques-uns qu'il
avait quitté la nuit même (*). emmena dans ses Ëtats. Varus n'osa
Les troupes du camp étaient com- pas réclamer contre une action si per-
mandées par le questeur M. Rufus, fide et si outrageante ; car Juba , fier
qui fit tous ses efforts pour rendre de ses forces et de ses services, impo-
quelque courage à ses soldats abattus ; sait ses volontés au chef pompéien ,
et parlait plutôt en maître qu'en auxi-
(*) «Le camp Cornélien, ditMannert, était liaire du parti qu'il soutenait. Il donna
« silué au nord du Bagrada.. . . C'était non encore d'autres preuves d'arrogance :
« pas une ville , mais un port vaste et sûr ; il fit son entrée à Utique, à cheval, es-
- les hauteurs qui le dominent offraient un corté par plusieurs sénateurs, entre
« emplacement favorable pour la construction autres par Serv. Sulpicius et Licinius
« d'un camp, ce qui donnait à cette position Damasippus ; et quoique cette ville dé-
« une grande importance stratégique. Aussi
« est-ce sur ce point que les Romains diri- pendît de l'empire romain, il y fit tout
« gèrent continuellement leurs attaques en ce qu'il lui plut tant qu'il y demeura,
après quoi il retourna dans son
« débarquant sur la côte d'Afrique. » Ce
port servait au commerce d'Utiqne, qui royaume.
APRÈS LA BATAILLE DE PHARSÀLE,
n'avait qu'une rade. Aujourd'hui, sur l'em-
placement des Castra Cornelia , se trouve LES PARTISANS DE POMPÉE SE RÉ-
Porto Farina, qui sert de gare à la plus FUGIENT EN AFRIQUE AUPRÈS DB
grande partie de la flotte de Tunis. juba (48 avant notre ère). — La dé-
NUMIDIE ET MAURITANIE. M
faite et la mort de Curion assurait au Juba , le prince numide avait pris la
parti pompéien la supériorité en Afri- place d'honneur entre lui et Scipion ;
que ;mais partout ailleurs César avait Caton, choqué de la prétention du roi
triomphé. Pompée, vaincu à Pharsale, barbare , transporta lui - même son
périt sur la côte d'Egypte d'une mort siège pour mettre Scipion au milieu ,
déplorable. César, après avoir vaincu entre le roi et lui. Quant à la querelle
la résistance des Alexandrins *et la entre Scipion et Varus au sujet du
vaine tentative de Pharnace, roi de commandement, Caton la fit cesser en
Pont , se prépara à poursuivre les se déclarant pour Scipion. On avait
vaincus , qui s'étaient réunis en Afri- offert à Caton lui-même l'autorité su-
que auprès de Juba , leur dernier ap- prême ;mais il la refusa par un vain
pui. Ce prince avait été comblé d'hon- scrupule de légalité dont il se repentit
neurs par les amis de Pompée, qui lui amèrement plus tard. Il prétendit
avaient conféré le titre de roi de toute
qu'il ne convenait pas à un homme qui
la Numidie. De son côté, César l'avait n'avait été que préteur , de comman-
déclaréennemi de larépublique, etavait der là où il y avait un personnage con-
adjugé la souveraineté de ses États sulaire ,et il fit déférer le pouvoir à
à Bocchus et à Bogud, deux rois mau- Scipion, qui avait été consul. Varus,
res qui alors étaient entièrement dans Afranius, Pétréius et Labiénus suivi-
ses intérêts. Mais cette décision resta rent son exemple , et la concorde fut
nulle tant que César fut occupé par les rétablie dans le parti romain. Aucun
soins de la guerre d'Orient. La puis- choix ne pouvait être plus agréable à
sance de Juba ne faisait que s'accroî- Juba, qui avait pris sur l'esprit de Sci-
tre ainsi que son orgueil ; et les vain- pion un grand ascendant.
cus de Pharsale , groupés autour de JUBA PBOPOSE DE DÉTRUIRE UTI-
lui , ne paraissaient être que ses lieu- QUE. CATON SAUVE CETTE PLACE, LA
tenants. Varus , qu'il avait maintenu FORTIFIE ET S'Y RENFERME (47 avant
dans sa province d'Afrique par la mort notre ère). — Il était important pour
de Curion , subissait continuellement les chefs pompéiens et pour Juba de
ses caprices et ses hauteurs. Métellus s'assurer des dispositions de la puis-
Scipion , beau-père de Pompée , était sante cité d'Utique. Depuis la chute
un personnage plus considérable; de Carthage , cette ville était devenue
mais son arrivée en Afrique , où il la capitale de la province d'Afrique ;
vint retrouver Juba , ne servit qu'à elle était le siège du proconsul romain,
faire ressortir davantage l'humiliation d'un grand nombre de marchands ita-
du parti pompéien. Labiénus, Pétréius liens ,et même de chevaliers que le
et Afranius n'avaient pas non plus as- commerce y attirait. Nous avons déjà
sez d'importance ni assez d'élévation dit que les habitants d'Utique étaient
dans le caractère pour reprendre la favorablement disposés pour César.
supériorité qui convenait à des Ro- Juba les avait traités avec sa violence
mains. D'ailleurs la mésintelligence ordinaire, lorsqu'il avait séjourné dans
s'était glissée entre les principaux leur ville après la défaite de Curion.
chefs fugitifs : Scipion et Varus se Les chefs réunis ayant délibéré sur le
disputaient le commandement, dont parti qu'il y avait à prendre à l'égard
l'un et l'autre étaient également indi- de cette cité , Juba proposa de la dé-
gnes; et Juba, à la faveur de ces dis- truire et d'en exterminer les habi-
sensionsles
, écrasait par son orgueil tants. Scipion, fidèle à son système de
et sqn faste barbare. Il n'y eut que basse et timide adulation , se pronon-
Caton qui sut se conduire envers Juba
avec énergie et dignité. 11 était arrivé çait ,quoique
du roi. faiblement
Mais Caton parla, avec
pour force
l'avis
le dernier de tous les vaincus de Phar- contre un tel dessein ; il reprocha à
sale, après avoir parcouru les côtes de Juba sa cruauté, et, par la véhémence
la Libye et fortifié Cyrène. Dans sa de ses reproches et de son indignation,
première entrevue avec Scipion et il fit repousser ce projet inhumain. Il
52 L'UNIVERS.

fit plus encore, il se chargea de défen- n'omettant rien de ce qui a rapport à


dre cette place , et de Ta soustraire l'intervention de Juba dans cette lutte
aux armes de César. Dès lors il ne où les plus grands intérêts étaient agi-
quitta plus Utique, et il renonça à tés, et dont les résultats furent si con-
agir avec des hommes qui, pour échap- sidérables pour la Numidie et l'Afri-
per àla domination de César, s'abais- que tout entière.
CÉSAR POSE SON CAMP PRES DE
de Juba. saient tous
Tout les jours devantdans
son rôle l'orgueil
cette RUSPINA *, IL DÉFAIT LABlÉNUS ; SCI-
PION ARRIVE AVEC SON ARMÉE (46 av.
grande guerre d'Afrique se borna donc
à la défense d'Utique , où il se donna notre ère).— La villed'Adrumète, près
la mort quand la situation fut entière- de laquelle César avait mis pied à terre,
ment désespérée. était au pouvoir de l'ennemi : il tenta
GUERRE D'AFRIQUE ; DEPART PRÉ- de s'en emparer ; mais n'ayant pu gagner
CIPITÉ DE CÉSAR ; IL SE TROUVE D'A- le gouverneur, il s'éloigna et fut in-
BORD DANS UNE SITUATION CRITI- quiété dans sa marche par la garnison,
QUE (47 avant notre ère). — Pendant qu'il mit en fuite. Il vint camper à
que Juba et les pompéiens faisaient à Ruspina, autre ville de la Byzacène ,
grand bruit leurs préparatifs de guerre, située au sud d'Adrumète. Il y arriva
César, avec sa célérité ordinaire, par- le 1er janvier de l'an 46, et il y prit
tait de Rome vers la fin de décembre possession de son troisième consulat
de l'année 47, et, après une traversée et de sa troisième dictature. En peu
périlleuse, il débarquait près d'Adru- de temps César s'assura d'importantes
mète avant le 1er janvier de l'an 46, Positions sur cette côte qui regarde
avec 3,000 hommes de pied seulement orient , et où se trouvaient tous ces
et 150 chevaux; le reste avait été dis- ports qui l'avaient fait appeler Empo-
persé, par la tempête et ne put le re- rta. Ruspina , Leptis Minor , et d'au-
joindre que plus tard. Pour tout autre
que César, il eût été imprudent de se tres places , se rendirent. César s'oc-
présenter avec si peu de forces sur cupait en même temps d'amasser des
vivres, de réunir tous ses navires dis-
une côte bordée d ennemis, et d'af- persés sur les côtes d'Afrique, et de
fronter avec
, une poignée faire venir de Sicile et de Sardaigne
les puissantes armées de d'hommes
Juba et de, de nouveaux renforts. Mais avant d'a-
Scipion. Curion, qui avait tenté la voir rassemblé toutes ses forces, il eut
fortune avec autant de précipitation , sur les bras l'armée de Labiénus, qui
avait été puni de sa témérité. Mais ce
qui était une faute dans un homme or- était composée
fricainsparmi
, enlesquels
grande onpartie d'A-
comptait
dinaire devenait, entre les mains de Cé- 8,000 cavaliers numides. César, qui
sar, un moyen de succès. Par l'impé- était sorti de son camp pour aller aux
tuosité de son attaque et son audace fourrages, fut assailli par cette armée
même, il déconcertait l'ennemi et se de beaucoup supérieure à la sienne;
préparait la victoire. Toutefois , les et, après avoir été enveloppé, il ne se
commencements de cette guerre fu- dégagea que par un combat qui dura
rent pénibles pourlevainqueurdePhar- sept heures. Peu de temps après, Sci-
sale : il fut quelque temps dans une pion parut avec huit légions et 4,000
position critique, dont il ne sortit qu'à chevaux, et César, déjà embarrassé
force d'habileté et d'énergie. Nous ne par l'arrivée de Labiénus , se trouvait
voulons pas entrer dans tous les dé- alors dans une position réellement pé-
tails rapportés dans les Commentaires
point encore rilleuse. Les transportées
vieilles troupes n'éfaient
en Afrique;
de César, ou, si l'on veut, dans le
livre d'Hirtius de Bello africano , les vivres étaient très-rares, tandis que
sur cette guerre importante , dont le l'ennemi avait tout en abondance. Cé-
récit complet appartient plutôt à l'his- sar était resserré contre la mer, en-
toire romaine. Cependant nous don- fermé dans un espace de six milles
nerons un résumé général des faits, en seulement d'étendue, et n'ayant pour
58
NUMIDIE ET MAURITANIE.

nourrir ses chevaux que de l'algue ma- et d'autres munitions de guerre. De


rine lavée dans de l'eau douce. cette forte position , Sittius se répan-
JUBA SE MET EN MARCHE POUR dait dans les campagnes et menaçait
REJOINDRE SCIPION ; CESAR FAIT AT- les cités de la Numidie. Juba, rappelé
TAQUER LA NUMIDIE PAR SITTIUS. — par le danger de ses propres États .
Juba, instruit de la détresse de l'en- fut contraint de rétrograder , et il se
nemi ,partit de son royaume avec des contenta d'envoyer à Scipion trente
forces considérables d'infanterie et de éléphants, qui et
core instruits même n'étaient pas en-
dressés.
cavalerie. C'en était fait de César, si
la jonction de Juba avec Scipion et CÉSAR SUSCITE A JUBA DE NOM-
Labiénus s'opérait dans ce moment BREUSES difficultés; il reçoït
où il était encore si faible et si au dé- DES RENFORTS ; IL DÉFAIT L'ARMÉE
pourvu; mais une diversion heureuse de scipion. — Cette diversion , tout
le sauva. Il y avait en Afrique un Ro- en dissipant les graves inquiétudes de
César , ne le délivrait pas des deux ar-
main appelé'Sittius , qui avait été mis
en accusation autrefois, et qui s'était mées qu'il avait sur les bras. Recon-
sauvé de Rome pour échapper à sa naissant qu'il était trop faible pour
condamnation. Cet homme actif, en- livrer bataille, il se résigna à attendre
treprenant ,audacieux , avait réuni dans son camp, qu'il avait rendu inex-
autour de lui une bande considérable pugnable. En même temps il envoyait
d'aventuriers ramassés en Italie, en des députés aux villes et aux tribus de
Espagne, et s'était mêlé à toutes les l'Afrique, pour les détacher de Sci-
guerres qui avaient eu lieu entre les pion et de Juba , contre lesquels il y
petits princes, auxquels il vendait chè- avait partout de graves sujets de mé-
rement ses services. On avait remar- contentement. Iréussit
l auprès de plu-
qué que le parti pour lequel il com- sieurset
, il parvint même à entretenir
battait avait toujours été victorieux , des intelligences dans le camp ennemi.
et le bonheur qui accompagnait tou- Les Gétules et les Numides avaient
tes ses entreprises lui avait donné une conservé un souvenir ineffaçable du
grande réputation. Aussi recherchait-
on avec le plus grand empressement grand nom de Marius. Quan'd ils su-
rent que César était l'allié du chef
l'appui de Sittius. Il avait entretenu qu'ils avaient tant appris à redouter,
des relations avec Catilina , qui comp- et qu'il continuait son parti , ils com-
tait sur sa coopération pour renverser mencèrent àse refroidir pour leurs
la république ; maisde l'éloignement des généraux et à les abandonner. Les
lieux et la chute Catilina avaient tribus gétuliennes , qui bordaient le
sans doute empêché Sittius de se dé- royaume de Juba , montraient toutes
clarer. Lorsque César vint en Afrique, les dispositions les plus favorables
il entama des négociations avec un pour César; et leur attitude devint
auxiliaire si utile; et les anciennes telle, que Juba fut encore obligé de dé-
liaisons de Sittius avec Catilina le dé- tacher de son armée quelques troupes
terminèrent sans doute à se déclarer pour les surveiller. Enfin , les secours
et les vivres arrivèrent. César affronta
pour un homme qui avait été l'ami de
ce conspirateur contre les chefs d'un l'ennemi, et remporta la victoire dans
parti par lequel Catilina avait suc- une action de cavalerie. Scipion , dé-
combé. Ce fut au moment où Juha sespérant de vaincre seul , pressait
sortait de son royaume pour rejoindre Juba de le rejoindre à tout prix pour
Scipion, que Sittius rendit à César un terminer la guerre par une bataille dé-
service éminent. Ayant réuni sa troupe cisive rejetant
, les conseils de Caton,
à l'armée de Bogud, il envahit les qui l'engageait à temporiser.
frontières de la Numidie, surprit. Cirta, arrivée de juba; stratagème
employé par césar pour rassurer
et s'empara d'une forteresse située sur
une montagne, dans laquelle Juba avait ses soldats. — Le roi de Numidie
mis en sûreté des vivres , des armes , ayant appris la nouvelle du combat où
54 L'UNIVERS.

Scipion avait eu le dessous , et rece- mains de tous les partis ; on voit qu'il
vant les lettres par lesquelles celui-ci avait conçu le dessein de faire cesser
implorait son secours, se remit en leur domination en Afrique, puisque,
marche après avoir confié à Sabura , selon Dion, il ne se rendit aux ins-
dont l'habileté lui était bien connue, tances de Scipion que lorsqu'il en eut
le soin de combattre Sittius. Quand obtenu l'assurance d'être mis en pos-
le bruit se répandit que Juba était sur session de tout ce que les Romains
le point d'arriver, les césariens , qui possédaient dans cette contrée, dès que
avaient déjà fort à faire avec Scipion César en aurait été chassé. Et cepen-
et les autres pompéiens , se laissèrent dant ildissimulait ses projets, sa haine
aller 5 la crainte et au découragement. personnelle contre César, en se pro-
La renommée publiait des choses ef- clamant le défenseur du sénat et du
frayantes touchant les forces du roi peuple romain. Ainsi , son but était
barbare , et César avait tout à redou- de détruire César et de dominer les
ter de la consternation où il voyait ses pompéiens , ou du moins de les reje-
soldats. Pour dissiper ces terreurs, il ter tout à fait de l'Afrique. Cette con-
imagina un expédient singulier qui lui ception était grande et audacieuse ;
réussit pleinement. Il résolut d'en- mais Juba n'avait ni dans l'esprit , ni
chérir encore sur les bruits qui alar- dans le caractère , les ressources né-
maient tant ses légions, et les ayant cessaires pour la réaliser; il n'y avait
rassemblées, il leur dit : « Je sais que que la faiblesse et la pusillanimité de
« Juba arrive avec dix légions, 30,000 Métellus Scipion en sa présence, qui
« chevaux, 100,000 soldats armés à la pussent lui inspirerdesi hauts desseins
« légère, et 300 éléphants. Que les cu- et lui en faire croire l'exécution pos-
« rieux de nouvelles cessent donc de sible. Hirtius rapporte deux faits qui
« faire des recherches inquiètes et de montrent jusqu'où allaient la hauteur
« bâtir des systèmes , et qu'ils s'en du Numide et l'humiliation du chef
« rapportent à ce que je leur annonce romain. On a vu que les désertions
« sur des avis certains ; ou bien je les étaient fréquentes dans l'armée de Sci-
« embarquerai sur le plus vieux de mes pion , par l'influence qu'exerçaient ,
« navires , et je les abandonnerai au sur l'esprit des barbares , les noms de
« gré des vents, pour être portés en César et de Marius. Scipion surveil-
« quelque terre que ce puisse être. » lait les démarches des siens , pour
Cette
toutes exagération
les terreurs, confirma d'abordà
mais elle servit empêcher toute relation avec l'ennemi.
Un jour , ayant aperçu un sénateur
les dissiper entièrement quand la vé- de son partie M. Aquinius, conver-
rité fut connue. En effet, Juba ayant sant avec un officier de César appelé
établi son camp auprès de Scipion , Saserna , il lui fit dire qu'il ne devait
mais à part , on reconnut bien que ses point s'entretenir avec les ennemis, et
forces n'étaient pas si considérables qu'il ferait bien d'en rester là. Aqui-
qu'on l'avait craint jusque-là. Enfin , nius ne tint pas compte de cette invi-
on sut qu'en outre de sa cavalerie nu- tation , et renvoya le messager de
mide et de son infanterie légère , qui Scipion. Alors Juba lui dépêcha un
étaient très-nombreuses, il n'avait que viateur qui lui dit , en présence de Sa-
trois légions , 800 chevaux , et 30 élé- serna :« Le roi vous défend de conti-
phants. Alors toute cette crainte ima- nuer cet entretien. » Aquinius eut
ginaire
sar en vinrent s'évanouit
à ne, etfaire
les soldats
aucun de
cas Cé-
de peur, et il se retira. Ce n'est pas seu-
lement àl'égard d'Aquinius , homme
la jonction de Juba avec leurs en- nouveau et simple sénateur, que Juba
nemis. montra tant de hauteur; mais il ne
NOUVEAUX TRAITS D'ARROGANCE ménagea pas plus Scipion , un homme
de juba. — Juba fit payer bien cher d'un nom si recommandable par ses
les secours qu'il amenait à Scipion. ancêtres , et qui avait lui-même exercé
Au fond , ce prince détestait les Ro- les plus hautes dignités. En effet, Sci-
55
NUMIDIE ET MAURITANIE.
pion portait, ainsi que le roi , la cotte tes continuelles qu'ils avaient éprou-
d'armes couleur de pourpre ; Juba fut vées dans ces rencontres, Juba et Sci-
choqué de voir Scipion porter le même pion reculaient maintenant devant une
vêtement que lui , et lui dit que cela action générale. Ils s'étaient postés
ne convenait pas : alors Scipion re- d'une manière avantageuse dans un
nonça àse parer de la pourpre, et prit camp fortement retranché , où César
une cotte d'armes blanche. Ce der- ne pouvait les contraindre à combat-
nier trait est si fort de part et d'au- tre. Ilrésolut de les tirer de là en al-
tre, qu'il est presque incroyable. Hir- lant faire le siège de Thapsus , ville
tius lui-même ne le donne pas comme importante , située au sud de Leptis-
un fait certain , et il peut avoir été Minor, que les ennemis ne pouvaient
inventé par la haine et le mépris des sans honte se dispenser de secourir.
césariens contre Juba et Scipion. Ce qu'il avait prévu arriva ; Scipion et
combats divers; batatlle de Juba le suivirent pour défendre la
thapsus ; défaite de juba et des f)lace, et Virgilius qui en commandait
pompéiens ( 46 avant notre ère ). — a garnison; ils vinrent se poster dans
Vers le même temps, César reçut le deux camps différents, à huit mille pas
reste de ses légions , entre autres la de Thapsus. Cette ville était sur le bord
dixième , sur laquelle il comptait le de la mer, et couverte, du côté de la
plus; en sorte que les deux partis terre, par un marais salant , entre le-
ayant réuni toutes leurs forces, la que- quel et la mer restait un espace de
relle dut bientôt se décider. César pro- quinze cents pas. Scipion avait compté
fita du temps qui lui fut encore laissé sur ce passage pour jeter du secours
pour châtier quelques désordres restés dans la place; mais César, qui s'en
impunis, resserrer la discipline, et doutait, avait posté en cet endroit un
exercer ses soldats à combattre contre bon corps de troupes; Scipion, trou-
les éléphants et les Numides. Plu- vant la voie interceptée , renonça à
sieurs rencontres eurent lieu avant la son premier projet , et commença à
bataille de Thapsus, et sa présence
décida toujours de la victoire. Une fortifier son camp. De son côté, "Cé-
fois entre autres, il vainquit Varus en sar
tionil; préparait
laissaittout,
deuxpour engager
légions l'ac-
à la garde
pleine mer, le poursuivit jusque dans de son camp devant Thapsus , faisait
la rade d'Adrumète, où il lui offrit un approcher ses vaisseaux le plus près
nouveau combat que l'ennemi n'osa possible du rivage , et marchait lui-
pas accepter. Une autre fois , César même avec le reste de ses forces con-
étant sorti pour piller les souterrains tre les retranchements ennemis. Sci-
où les habitants du pays gardaient pion
leurs grains, Labiénus le rencontra que; s'était préparérangée
son armée, à soutenir l'atta-
en bataille,
et en vint aux mains avec lui. Mais couvrait les travailleurs qui conti-
ses Numides prirent la fuite à l'ins- nuaient l'ouvrage commencé , et les
tant. Le lendemain, Juba fit saisir éléphants étaient distribués à droite et
tous ces fuyards , et les fit mettre en à gauche sur les ailes. Ici les relations
croix. Toutes les actions de Juba sont des historiens anciens nous présentent
empreintes du même caractère de des circonstances singulières, et diffi-
cruauté et d'orgueil. Les habitants de ciles àconcilier. L'auteur des mémoi-
Vacca avaient fait demander à César
res sur la guerre d'Afrique assure que
des secours, en promettant de se don- César voulut retenir l'ardeur de ses
ner à lui et de lui fournir des muni- soldats au moment où l'action allait
tions de guerre : Juba , informé de s'engager, mais que ceux-ci, entraînés
leur démarche , prévint le secours de par une impétuosité irrésistible , con-
César; il courut lui-même sur Vacca, tinuèrent leur course après avoir fait
s'en empara , et, aprèsil fit
en détruire
avoir ex-la sonner la charge, sans que leur géné-
terminé les habitants,
ral en eût donné l'ordre , et qu'alors
ville de fond en comble. Cependant, César, ne pouvant arrêter le torrent ,
rendus plus circonspects par les défai- donna enfin le signal , et pour mot la
56 L'UNIVERS.

félicité. On peut conjecturer que Cé- forts de César pour les sauver. Dix
sar n'opposa ce dernier retard que mille restèrent sur la place, les camps
pour donner encore plus d'élan et de furent pris ; il ne restait plus rien de
vigueur au courage de ses soldats; cette formidable coalition. César laissa
maisHirtius ne paraît pas soupçonner trois légions pour réduire Thapsus, fit
cette intention dans l'esprit du géné- investir Tysdrus, et marcha pour em-
ral, et présente la résistance de César
porter Utique , où l'intrépide Caton
comme le résultat d'une hésitation sé- pouvait encore
FIN DE JUBA l'arrêter
ET DES longtemps.
CHEFS DU
rieuse. D'un autre côté , que penser
de cette circonstance dont Plutarque parti pompéien. — Mais les habi-
fait mention, et qui ne se trouve dans
aucun autre auteur, à savoir, hauteurtantsded'Utique, qui n'étaient
son héroïsme pas à la
, refusèrent
commencement du combat Césarqu'au
fut de le seconder, et Caton échappa à
surpris d'un accès d'épilepsie , mal César par une mort volontaire. Tous
auquel il était sujet, et qu a l'appro- les autres ennemis de César succom-
che des premières convulsions, avant bèrent aussi d'une manière misérable.
que d'y succomber entièrement, il se Sittius ayant vaincu et tué Sabura, le
lit porter dans une tour voisine, où il royaume de Juba ne pouvait plus of-
demeura pendant toute la durée de la frir un asile sûr aux fugitifs : Faus-
bataille ? Comprend - on qu'Hirtius tus Sylla et Afranius furent pris par
n'ait rien dit de ce fait étrange? Com- Sittius, au moment où ils fuyaient en
prend-on que la victoire de ïhapsus
Espagne avec quinze cents chevaux.
ait pu être remportée, César absent? Scipion, qui était parvenu à gagner la
]\ous nous contenterons d'indiquer mer, fut arrêté par le mauvais temps,
ces difficultés , sans grossir notre ré- et surpris par la flotte de Sittius à
cit des interprétations oue nous pour- Hippone , où il relâcha. Il se tua sur
rions en faire ; ce qui est certain, c'est son vaisseau. Juba ne fut pas plus heu-
que les soldats de César combattirent reux ;après la bataille de Thapsus, il
en cette journée comme ils l'avaient s'était enfui avec Pétréius, et il était
toujours parvenu, en se cachant le jour dans
chef. La fait déroute sous des les ennemis
yeux d'uncom- tel
les métairies et marchant la nuit seu-
mença p;ir les éléphants; ces animaux, lement, àrentrer dans son royaume.
effarouchés par les traits et les flèches La défaite et la mort de Sabura, la
dont on les accabla , se retournèrent présence de Sittius avaient provoqué
vers les rangs de leur propre armée, une défection presque universelle. Juba
et, dans leur fuite précipitée et fu- se présenta d'abord devant Zama (*),
rieuse, ils écrasèrent tout sur leur qui était sa capitale, et où se trouvaient
passage. Ils renversèrent même les sa femme et ses enfants. Il y avait mis
portes
encore duconsolidées. camp, qui Lan'étaient en sûreté ses trésors et tout ce qu'il
cavaleriepoint
de
possédait de plus précieux. Les habi-
Juba, déconcertée par ce désordre, se tants de Zama étaient violemment ir-
débanda sans résistance, et les sol- rités contre lui. Avant de partir pour
dats de César entrèrent dans le pre- marcher contre César, Juba, ayant
mier camp en même temps que les quelques
fuyards : Scipion, Pétréius, Labiénus, avait prisdoutes sur l'issue
ses mesures pourde entourer
la lutte,
Afranius, tous les chefs avaient pris sa mort volontaire , supposé qu'il fût
la fuite. Les débris de J'armée vaincue vaincu, d'une pompe sanguinaire, digne
ne pouvant se rallier ni se défendre, de son orgueil et de sa cruauté. Il
quittèrent le camp de Scipion pour avait fait dresser sur la place publique
chercher un asile dans celui de Juba ; de la ville un vaste bûcher sur lequel
mais les césariens l'avaient déjà oc- il déclara qu'il jetterait les habitants
cupé, et tous ces malheureux, tombant
au milieu des vainqueurs , que le feu (*) Cette ville de Zama-Regia (Zoouario),
du combat avait animés , furent mas- n'est pas le bourg de Zama près duquel
sacrés impitoyablement, malgré les ef- Aiiuibal fut vaincu.
57
NUMIDIE ET MAURITANIE.
de la ville, après les avoir égorgés, et vendre à Zama tous les domaines de ce
qu'il s'y brûlerait ensuite lui-même roi, et les biens des citoyens romains
avec sa femme, ses enfants , et toutes
ses richesses. Les habitants de Zama, établis
soutenu dans cette deville"
la cause qui Ainsi
Juba. avaientse
que cette résolution avait remplis d'é- termina cette guerre d'Afrique , à la-
pouvante, apprirent avec joie la vic-
toire de César et les succès de Sittius. et demi.quelleLeCésarrésultat n'employa que immense
en était cinq mois :
Quand ils surent que Juba approchait, l'Afrique , qui appartenait au parti
ils fermèrent leurs portes et refusèrent aristocratique, venait de passer, comme
de le recevoir. Ni les menaces qu'il les autres provinces, entre les mains
proféra d'abord , ni les prières aux- du parti contraire; et la Numidie, qui
quel es ils'abaissa ensuite, ne purentà avait soutenu la cause des grandes fa-
les fléchir. Enfin Juba se réduisit milles patriciennes , espérant dans ce
demander qu'on lui rendît sa femme conflit se soustraire à toute espèce de
et ses enfants, et on lui refusa encore sujétion , cessait d'être un royaume,
cette satisfaction. Alors il prit le et tombait dans la condition de pro-
parti de se retirer dans sa maison de vince romaine. Toutefois, la partie
campagne avec Pétréius et quelques occidentale de la Numidie et la Mau-
cavaliers. Les habitants avaient prié ritanie étaient libres encore; mais leur
César de venir les protéger, et celui- asservissement ne devait pas tarder.
ci avait quitté Utique et marchait ra- RENSEIGNEMENTS SUR LE GOUVER-
pidement vers Zama ; tout se portait NEMENT LA
, RELIGION, LA LANGUE,
sur ses pas et se rendait à lui. Juba LA MANIÈRE DE COMEATTRE, LES
vit que le moment de mourir était MOEURS ET LES COUTUMES DES NU-
venu. Il fit préparer un grand festin, MIDES.—La victoire de César à Thap-
et après le repas que Pétréius avait sus termina pour toujours les desti-
partagé avec lui , ils se précipitèrent nées politiques de la Numidie. Ce
l'un sur l'autre, espérant se tuer mu- royaume est devenu province romaine,
tuellement; mais Juba, qui était plus et l'opposition aux envahissements de
fort, immola Pétréius, et lui survécut. Rome, tentée par son dernier roi, ne
Il essaya de se percer lui-même , et, pourra plus se reproduire. Le nom
n'ayant
un esclave. pas réussi, il se fit égorger par même de la Numidie, sans disparaître
entièrement, se restreint dans de plus
LA. NUMIDIE RÉDUITE EN PRO- étroites limites ; celui de Mauritanie
VINCE romaine (46 avant notre ère). va bientôt en désigner toute la partie
— César étant venu à Zama , réduisit orientale. La Numidie ne sera plus
la Numidie en province romaine. Il qu'une partie de la domination ro-
en donna le gouvernement à Salluste, maine en Afrique; et si nous la voyons
qu'il décora du titre de proconsul. On encore reparaître pour quelques ins-
sait que Salluste commit de grandes tants àtitre de royaume , cette appa-
exactions dans sa province. Dion rente résurrection ne sera qu'une me-
pense qu'il reçut de César des instruc- sure administrative ordonnée par Au-
tions secrètes 1 sans lesquelles il n'au- g uste et
, dans laquelle il faudra bien
rait osé prévariquer si ouvertement. se garder de voir un véritable affran-
Les habitants de Zama, qui avaient les chissement. Aussi , au moment où
premiers résisté à Juba, furent récom- cette nation est effacée de l'histoire
pensés par l'exemption de toute espèce pour se confondre dans la vaste unité
d'impôts. Sittius, qui avait rendu de si de l'empire romain , il importe de re-
grands services à César, fut mis en pos- cueillir quelques indications éparses
session du territoire voisin de Cirta , dans les écrivains de l'antiquité sur
dont il s'était emparé, et qui s'appela les coutumes , les mœurs, la manière
aussi, depuis ce temps, colonie des SU- d'être des Numides. Ces renseigne-
tiens. Le fils de Juba , encore enfant, ments n'ont pu trouver leur place dans
fut épargné par le vainqueur, qui fit le récit qui vient d'être présenté j
58 L'UNIVERS.

mais, pour traiter complètement ce des deux Syrtes. Il décrit aussi quel-
sujet , il est à propos de les réunir Î[ucs-unes clés tribus qui occupaient
dans un chapitre séparé. Tout ce que a Bysacène et les environs de ce qu'il
nous avons pu recueillir sur ce peuple appelle le fleuve Triton ; mais il ne va
se réduit à peu de chose , car aucun pas au delà , et ses recherches , si cu-
historien ancien n'a été curieux de rieuses sur les nations de l'Afrique
décrire les mœurs des Numides ; septentrionale, s'arrêtent à peu près au
voilà pourquoi nous voulons faire un point où commence la Numidie pro-
tout de ces détails, qui ne peuvent prement dite. Cependant on y voit
avoir quelque importance que par leur que tous les peuples qui s'étendaient
réunion. dans l'Afrique occidentale avaient
L'autorité des rois numides, comme aussi le nom général de Libyens ; et
Syphax, Massinissa, Juba, paraît avoir ce qu'il rodote y a applique de singulier
été absolue. Cependant elle devaittrou- le nom ,de
c'estNomades
qu'Hé-
ver des limites dans le pou voir des petits ou Numides à ceux qui habitaient
chefs de tribus qui les reconnaissaient entre les frontières de l'Egypte et le
pour leurs maîtres. Ces chefs , assez fleuve Triton, et qu'il les oppose aux
semblables aux émirs chez les Arabes, Libyens de l'ouest à l'océan Atlanti-
étaient souvent en révolte, tantôt iso- que ,auxquels il refuse cette dénomi-
lés, tantôt réunis ; et ce n'était que par nation, quileur fut plus tard exclusi-
la force et le despotisme que les sou- vement réservée. Cette distinction im-
verains venaient à bout de les con- portante ,qui n'est faite par aucun
tenir. Jamais il n'y eut complète autre auteur, prouve que le nom de
unité politique dans la Numidie. On Numidie ne fut donné par les Grecs
voit à toutes les époques de son his- aux provinces situées au delà des Syr-
toire des chefs non soumis au prince tes que dans les temps postérieurs à
Hérodote. Pline, Solin et Strabon, en
qui s'était rendu dominant, et combat- indiquant que les Numides de leur
tant dans le parti opposé. Carthage
s'attacha toujours à conclure avec les temps observaient les mêmes coutu-
différents chefs numides des traités mes dote,
que les
par lesquels elle en obtenait des trou- nous Libyens
autorisentnomades d'Héro-
à extraire du
passage de cet écrivain quelques
Aucun écrivain n'a
parlé pesdu mercenaires.
gouvernement intérieur de la traits généraux sur la religion de ces
Numidie : on ignore de même si quel- barbares, dont on ne sait rien d'ail-
ques-uns des princes numides ont été leurs. Pour
« les serments et la divi-
législateurs, et quelles lois ils peuvent nationdit-il
, (*) , ils observent les
avoir portées. Nul doute que des prin- pratiques suivantes : ils jurent par les
ces comme Massinista , Micipsa , Ju- hommes qui passent parmi eux pour
avoir été les plus justes et les plus
gurtha lui-même , n'aient établi sou- braves, et ils placent la main sur leurs
vent des dispositions législatives ;
mais on sera toujours dans une igno- tombeaux. Pour deviner, ils vont dans
rance complète sur ce point. Isi- les sépulcres de leurs ancêtres, font
dore de Séville, dans ses Origines, leur prière et s'y endorment, et le
dit que quelques lois des Mèdes et des songe qu'ils ont alors leur tient lieu
Perses s'observaient dans plusieurs d'oracle. Pour gage de foi, ils se don-
districts de la Numidie; et il adopte nent réciproquement à boire dans le
l'opinion de Salluste, que ce pays avait creux de la main : et, s'ils n'ont aucun
été peuplé par une colonie de Mèdes et liquide, ils prennent de la poussière à
de Perses. On ne peut faire aucun cas terre et la lèchent.» Plus loin, Hérodote
de cette assertion. parle des Machlyes et des Ausiens,
Hérodote a parlé longuement , au tribus qui habitaient aux environs du
quatrième livre de son histoire, des lac Triton ide , séparées par le fleuve
peuples de la Libye , mais particuliè-
rement de ceux qui habitaient le long (*) Hérodote, liv. iv.
NUMIDIE ET MAURITANIE. 59

Triton, et que l'on peut considérer d'origine araméenne. Le nom même


comme appartenant à la vraie Numi- de Numidie, revendiqué par les Grecs,
die. «Ces peuples, dit-il, célèbrent peut être rapporté aux langues de l'E-
chaque année , en l'honneur de Mi- gypte et de la Phénicie. Le mot nome
nerve ,une fête dans laquelle leurs signifiant partie, portion, division, est
jeunes filles, divisées en deux bandes, égyptien ou syriaque, et le mot ida
luttent ensemble à coups de pierres et ou yeda, dans les mêmes idiomes,
de bâtons. Elles prétendent par là ho- signifie places, limites , contrée. Par
norer àla manière de leur père la la réunion de ces deux mots , le nom
déesse indigène, celle que nous appe- de laNumidie
lons Minerve... Ils disent encore que aussi naturelle s'explique d'une
que par une manière
étymologie
Minerve est fille de Neptune et du lac
grecque.
Les Numides étaient divisés en tri-
Tritonide; mais qu'ayant eu envers bus. Strabon compare leur manière de
son père quelque sujet de méconten-
tement, elle se donna elle-même à Ju- vivre à celle des Arabes Scénites. Com-
piter ,
qui l'adoptaleurpour sa fille me eux , ils parcouraient avec leurs
Voici maintenant manière de sa-
crifier. Ils coupent comme prémices troupeaux
occupaient, lesdressant
vastes leurs
contrées qu'ilslà
tentes
l'oreille de l'animal , et la jettent par- où ils trouvaient de l'eau et des pâtu-
dessus lamaison. Cela fait, ils lui ti- rages, etles abattant lorsqu'ils avaient
rent lecou en arrière. Ils ne sacrifient
tout épuisé. Leurs tentes, qu'ils appe-
qu'au soleil et à la lune. Tous les Li- laient mapalia ou magaria, étaient
byens sacrifient à ces divinités; mais de forme oblongue, et ressemblaient ,
ceux des environs du lac Tritonide sa- dit Salluste, à un vaisseau renversé.
crifient principalement à Minerve, et, D'autres tribus plus sédentaires ha-
après elle , à Triton et à Neptune... Je bitaient dans des villages formés de
crois que le cri des fêtes vient de ce cabanes , et s'adonnaient à la culture
pays, car il est fort en usage chez les du sol
Libyennes , et dans leur bouche il est tion du en
bétail. même temps qu'à
Ces mœurs l'éduca-
se retrouvent
beau. Les Nomades ensevelissent leurs encore dans les mêmes contrées chez
morts à la manière des Grecs, à part les les Berbers ou Kabayles, descendants
Nasamons , qui les enterrent assis , des indigènes de l'Afrique, et chezrace
les
Bédouins ou Arabes du désert,
ayant grand soin, au moment où l'âme
s'en va, de tenir l'homme sur son qui n'habita ce pays que
rition de Mahomet. Les depuis
Numidesl'appa-
des
séant, de crainte qu'il ne meurecouché
à la renverse. » Nulle part Hérodote ne villes n'étaient que les imitateurs de la
parle de statues , de temples , de prê- civilisation carthaginoise ou romaine,
tres, chez les Nomades. On peut pré- et n'ont plus la même originalité que
sumer que les Numides, voisins des ceux qui restaient errants.
Carthaginois , adoptèrent quelques- Les Numides furent les meilleurs
unes des divinités phéniciennes , sur- cavaliers de l'antiquité; leurs chevaux
tout sil'on de admet qu'ils étaient venus étaient excellents. « Oppien place la
eux-mêmes la Phénicie. race des chevaux mauresques parmi
Les Numides parlaient une langue celles qu'on estimait le plus de son
qui leur était propre , avaient un al- temps; et Némésien, poète carthagi-
phabet particulier; mais leur langue nois du troisième siècle, nous a laissé
n'était point éloignée de ressemblaient
la langue phé- un portrait frappant des individus de
nicien e, etleurs lettres cette race, qui ressemblent en tout point
assez à celles de l'alphabet punique (*). aux chevaux de l'Algérie. Suivant cet
Nous avons établi , par des analogies auteur, le cheval maure de pure race,
tirées du langage,queces peuples étaient né dans le Jurjura , n'a pas de formes
élégantes : sa tête est peu gracieuse ,
(*) Voyez plus haut les étymologies des son ventre difforme , sa crinière lon-
principaux noms de localités delà Numidie. gue et rude ; mais il est facile à ma-
60 L'UNIVERS.

nier, il n'a pas besoin de frein, et on mot Metago?iium, nom propre d'un
le gouverne avec une verge. Rien n'é- promontoire, ainsi que du pays des
gale sa rapidité ; à mesure que la course Massyliens , appelé souvent terre mé-
échauffe son sang , il acquiert de nou- tagonite. «Ce mot, disent-ils , est in-
velles forces et une plus grande vi- contestablement équivalent à ceux de
tesse; enfin même, dans un âge avan- meteg jonihh ou metegjoniahh, quel-
cé ,il conserve toute la vigueur de ses qu'un qui met à part, ou qui a mis
jeunes années : aussi les anciens atta- à part sa bride. Cette étymologie est
chaient-ils un grand prix à ces précieux bien plus naturelle que celle qu'on
animaux. Chacun avait son nom , sa peut dériver de la langue grecque.» On
généalogie; venaient-ils à mourir, on a remarqué aussi que les Massyliens ,
leur dressait un tombeau et on leur quand ils étaient en guerre, tâchaient
consacrait une épitaphe. Voici la tra- ordinairement d'en venir à une action
duction d'un de ces curieux monu- générale pendant la nuit. La déser-
ments, dont le texte se trouve dans le tion n'était pas un crime aux yeux des
recueil d'inscriptions d'Orelli : Numides; après une déroute, ils pou-
« Fille de la Gétule Harina, vaient s'en retourner chez eux , s'ils
« Fille du Gétule Equinus , n'aimaient mieux rester à l'armée :
o
«
Rapide à la course comme les vents ,
Ayant toujours vécu vierge,
aussi les voit-on fréquemment aban-
« Sjieutima , tu habiles les rives du Léthé. donner leparti pour lequel ils s'étaient
engagés
Outre d'abord.la guerre, la chasse était une
« C'est surtout dans les montagnes,
suivant Solin, que les Numides éle- des principales occupations des Nu-
vaient des chevaux (*). » Les Numides, mides. Leur pays abondait en bêtes
particulièrement les Massyliens, mon- féroces ou sauvages, ânes, lions, élé-
taient ces excellents chevaux à cru,
sans selles ni brides ; et ce que dit le phants,
battaientpanthères, etc., autant
continuellement, qu'ils com-
pour
poète Némésien est confirmé par les le profit qu'ils tiraient de leur capture
récits des historiens , qui nous repré- et de leurs dépouilles, que pour assu-
sentent Massinissa, le meilleur et le rer leur tranquillité. Salluste nous in-
plus infatigable cavalier de son temps, dique qu'un grand nombre de guerriers
courant et combattant à cheval jusque périssaient dans ces expéditions ; car
dans sa vieillesse la plus reculée, sans il dit que lessiNumides
aucun harnais. Les cavaliers numides constitution saine et étaient d'une ,
si robuste
furent très-recherchés comme auxi- qu'ils parvenaient presque tous à un
liaires par les Carthaginois d'abord, et âge avancé , excepté ceux qui étaient
ensuite par les Romains. Libres de tués dans la guerre ou dévorés par les
leurs deux mains, ils combattaient avec bêtes féroces.
Les Numides étaient sobres : ils
beaucoupbiles àlancer d'adresse et étaient
des dards. très-ha-
Ils avaient un se nourrissaient ordinairement de
soin extrême de leurs chevaux : ainsi
grains, de légumes , mangeaient rare-
les Numides d'Annibal , après la ba- ment de la viande, et buvaient très-
taille de ïrasimène, lavèrent les mem- peu de vin. Ce régime explique leur
bres de leurs coursiers, épuisés par le longévité et leur vigueur. Appien ajou-
voyage et la guerre, avec des vins te encore, comme une autre cause des
vieux que leur avait procurés le pillage mêmes effets, que leur climat était fort
de l'Ombrie et du Picénum. Virgile don- tempéré, la chaleur en été n'appro-
Les neauteurs
aux Numides l'épithète universelle
de V Histoire dHnfreni.
faisait chantdans
pas à beaucoup
les Indesprèset deen celle qu'il
Ethiopie
tirent de cet usage l'explication du dans la même saison. Leur passion
dominante était l'amour : Tite-Live
(*) Nous empruntons cette citation à l'ou- insiste , dans l'histoire de Syphax et
vrage de M. Dureau de la Malle sur la pro- de Massinissa , sur le penchant des
vince de Constantine, p. 91, Numides pour ce genre de plaisir ;
NUMIDIE ET BE LA MAURITANIE.
aussi la polygamie était-elle autorisée i et des géographes. « C'est Polybe le
chez eux. Salluste dit que chez les ; premier, dit Mannert , qui fixa pour Gl
Maures et les Numides les mariages
ne forment pas une chaîne fort étroite, toujours la position errante
las :dans le cours de son voyage il vit de l'At-
parce qu'en proportion de sa fortune une énorme chaîne de montagnes dres-
on y prend beaucoup de femmes, les ser ses flancs escarpés du sein de l'O-
uns dix, d'autres davantage, et les céan, et il comprit que ce devait être
rois beaucoup plus encore. Les Numi- là ce mont fabuleux cherché inutile-
des de la basse classe étaient presque ment pendant tant de siècles. Avant
nus, ou ne portaient que des vêtements Polybe, nul écrivain ne l'avait cherché
misérables ; les Numides d'un rang de ce côté; désormais tous les géogra-
supérieur portaient des habits longs f)hes lui assignent la position que Po-
et sans ceintures. Selon un fragment ybe lui avait donnée (*). » Juba II, le
de Nicolas Damascène, ils comptaient plus savant des rois africains , con-
le temps par nuits, et non par jours. firme letémoignage de Polybe; et les
Tacite dit la même chose des Ger- renseignements qu'il donne sur ces
mains. montagnes de son royaume sont con-
sultés par Pline, et servent à attester
DEUXIÈME PARTIE.
l'exactitude de l'historien grec. Pline,
ainsi que Strabon , donnent le nom
MAURITANIE JUSQU'A LA RÉDUCTION
EN PROVINCE ROMAINE. par lequel les indigènes désignaient
l'Atlas : ils l'appelaient Dyris. Ainsi ,
DESCRIPTION DE LA MAURITANIE; au temps des empereurs , la position
ses limites; l'atlas; nature do du grand Atlas était bien constatée, et
sol; principales productions du la limite méridionale de la Mauritanie
pays ; fleuves. — La Mauritanie était fixée à l'endroit où la ligne prin-
était la contrée la plus occidentale de cipale de cette chaîne vient aboutir à
l'Afrique du nord.Strabon l'appelle la l'Océan, auprès du cap appelé aujour-
Maurusie. Plusieurs médailles et mon- d'hui cap de Ger ou d'Jguer.
naies ,frappées à Rome au temps « Nous allons pénétrer actuellement
d'Adrien , et reproduites dans les re- dans l'intérieur de la Mauritanie, où
cueils de Gruter et d'Eckhel , la dési- nous suivrons d'abord l'Atlas. D'après
gnent par le nom de Mauritanie ; il les rapports des gouverneurs romains
et du roi Juba, Pline nous le décrit
n'y en a qu'un petit nombre qui por-
tent le mot de Mauritanie , et cepen- comme une chaîne élevée, avec des pen-
dant ilest resté le plus en usage. Les tes rapides; les sommets en portaient
peuples qui habitaient cette contrée des neiges éternelles. Dans les régions
étaient les Mauri, Maures, dénomi- inférieures, les flancs des montagnes
nation qui s'étendit de plus en plus à étaient revêtus d'immenses forêts; de
l'orient, et qui finit par envahir presque nombreux cours d'eau se précipitaient
toute la Numidie.LaMauritaniepropre- des hauteurs, et portaient la fécondité
ment dite est celle que l'on appela plus au sein des contrées voisines. Des gé-
tard Tingitane, du nom de Tingis (Tan- néraux romains étaient parvenus jus-
ger), sa capitale. Elle était séparée du qu'au nied des nombreux rameaux de
pays des Massésyliens par le fleuve l'Atlas, qui se répandent dans le pays
Malva ou Mulucha; la mer Méditerra- en tout sens , et prétendaient y avoir
née et l'océan Atlantique l'entouraient vu des choses merveilleuses; Pline ne
au nord et à l'ouest ; mais sa limite au nous a pas transmis leurs récits, qu'il
sud était plus incertaine, et fut long- traite de fables. Un seul de ces géné-
temps inconnue. On s'accordait à lui raux, Suétone Paulin, s'aventura dans
donner l'Atlas pour bornes de ce coté; l'intérieur de ces montagnes. Après dix
mais personne n'avait vu cette vaste jours de marche il atteignit l'Atlas ;
chaîne , et sa position était toujours
livrée aux conjectures des historiens (*) Trad. de Marcus, p. 56t.
62 L'UNIVERS.

après l'avoir franchi , il trouva de l'au- n'était nationpas immédiate


encore depassé sousleslaanciens
domi-
tre côté des plaines couvertes d'un Rome,
sable noir, où coulait une rivière nom- donnent des détails à peine croyables
mée Ger. sur la fertilité du sol. « La récolte,
« Vers l'est, les ramifications de « dit Strabon au livre xvn , se fait
l'Atlas atteignent une hauteur consi- «deux fois par an, au printemps et
dérable. En se dirigeant vers le nord , « en automne. Les épis atteignent une
il envoie quelques branches latérales
«« hauteur
paisseur dedu cinq petitcoudées
doigt; la: ils ont rend
terre l'é-
dans la Césarienne, et s'abaisse insen-
siblement àmesure qu'il se rapproche « deux cent quarante grains pour un.
de la Méditerranée, où il vient se ter- « A vrai dire, les habitants ne sèment
miner àl'ouest de la rivière de Malva « pas. Sur les grains qui se sont épar-
( Malouïa ). A partir de ce point, les « pillés sur le sol à la moisson, ils
montagnes suivent de fort près la côte « passent des buissons épineux pour les
septentrionale de la province ; près des « enfoncer sous terre , et bientôt sur-
colonnes d'Hercule ( détroit de Gi-
braltar ),elles s'avancent d'Abylé (cap « etLesgit l'espoir
Maures d'unefont durécolte
vin avec nouvelle.
le suc
de Ceuta, appelé Djebel-Zatouta, mont « d'un arbre qu'ils appellent melilo-
aux Singes , par les indigènes ) , qui « tum. La vigne y acquiert une gros-
portait l'une des deux colonnes, vers « seur prodigieuse; deux hommes suf-
les Sept-Frères ( Ceuta ) , et se termi- « fisent à peine pour l'embrasser ; les
nent au nord par le promontorium « raisins ont jusqu'à une coudée de
Cotes ( cap Spartel ). On voit que le « long. Par contre , le pays fourmille
pays n'est pas sillonné de montagnes « de lions , de panthères , d'éléphants,
à l'intérieur, comme l'est la Césarien- « de buffles et de singes; dans les gran-
ne ;il est encaissé sur trois côtés par « des rivières il y a des crocodiles ; on
des chaînes plus ou moins hautes, au « trouve aussi des serpents , des dra-
pied desquelles s'étend une vaste plaine «gons, des scorpions ailés ou sans
entrecoupée par quelques coteaux. Le « ailes. Pour éviter les morsures de
versant s'incline tout entier du côté « ces animaux venimeux , les Maures
de « portent des bottes , frottent les pieds
sontl'ouest
unies. vers l'Océan, dont les rives
« du lit avec des gousses d'ail , et les
« Le pays n'est guère fertile du côté « enveloppent de touffes d'épines. Les
de l'est, où les steppes de la Gétulie a montagnes renferment des mines de
avoisinent les montagnes et la rivière « cuivre , des plantes marines pétri-
de Malva , ni vers le nord et aux en- « fiées, et des escarboucles. »
virons du détroit, où des chaînes peu «Il nous reste à parler de deux pro-
élevées bordent les côtes. Le petit ductions que la Mauritanie fournissait
nombre de villes que toutes
l'on trouvait exclusivement au luxe des Romains.
ces contrées étaient situées dans
sur
Le versant de l'Atlas était partout
la mer Atlantique; on avait abandon- couvert de forêts immenses, riches en
né les montagnes aux singes et aux arbres de toute espèce , dont les Ro-
bêtes féroces ; les éléphants y avaient mains essayaient de faire la descrip-
établi leur demeure; nul établissement
romain dans ces pays si rapprochés de tion
trouvé des avant noms.
même Parmi qu'ils ces
leurarbres,
eussentil
l'Espagne ; ils étaient habités par les y en avait dont le tronc était si épasi
tribus nomades indigènes, mêlées aux
anciens colons phéniciens des côtes. qu'on pouvait, en le coupant horizon-
talement, enfabriquer de grandes ta-
« Les régions qui avoisinent l'Océan bles rondes faites d'une seule pièce.
vers l'ouest sont d'une grande fécon- Les Romains estimaient beaucoup ces
dité, ainsi que l'intérieur des terres tables,
aux environs de Méquinez, où les Ro- un seul qu'ils
bois). appelaientOn attachaitmonoxyli (à
encore plus
mains avaient fondé de grands établis- de prix à certaines espèces de lima-
sements. . Aune époque où ce pays çons qui fournissaient une pourpre
NUMIDIE Et MAURITANIE. 63
très-luisante; on allait les chercher comme les Numides, menèrent d'abord
dans les montagnes , situées près des la vie nomade , occupés de chasse et
côtes et sur la lisière du grand dé- de guerre, ardents au pillage, et habi-
sert (*). » les àdompter et à diriger des chevaux
La Mauritanie était traversée par semblables à ceux de la Numidie. Mille
un assez grand nombre de fleuves, conjectures ont été faites pour expli-
dont plusieurs étaient navigables. Le quer l'origine du nom de Maure. Le
plus oriental était le Mulucha ou docteur Hyde croit qu'il dérive de
Malva, qui appartenait aussi à la Nu- Mahri ou Mavri , quelqu'un qui gît
midie, et qui, plus tard , sépara la
Mauritanie tingitane de la césarienne. le long du passage , et qu'il vient de
ce qu'ils habitaient près du détroit des
Au delà, vers l'ouest, était la Thaluda colonnes d'Hercule. Manilius et Isi-
ou Tamida (Tétouan), que les géogra- dore de Séville disent que les Maures
phes désignent par différents noms : ont été appelés ainsi, par allusion à la
comme le Mulucha , il se jette dans la couleur de leur peau. Salluste prétend
Méditerranée; la Zilis ou Zilia, près que ce nom est une corruption de celui
d'une ville du même nom : elle a son de Mèdes. De Brosses, en rejetant cette
embouchure dans l'Atlantique ; le étymologie, fait dériver ce nom du
Lixus, mot oriental mer, qui signifie changer,
colonie à phénicienne
l'embouchure duduquel mêmeétait
nomla trafiquer, passer. Nos termes français,
(aujourd'hui commerce et marchand, dit-il, déri-
la rivière de Larache);au
Subur (Subu). sud du
Au Lixus,
nord vés immédiatement du latin merx et
de ces deux rivières était le sinus em- mercator , viennent originairement
poricus, le golfe du commerce, que les de la même racine. Les peuples de
Carthaginois avaient couvert d'éta- Mauritanie sont aujourd'hui et ont
blissements après le périple d'Hannon ; de tout temps été grands commer-
la Sala (Beni-Tamer), qui côtoyait les çants. Les Arabes et les Turcs appel-
frontières du pays de Sahara. Ptolé- lent Mores, Moures , ceux qui habi-
mée, Pline, etc., font mention d'au- tent les villes et s'adonnent au trafic.
tres fleuves dont on ne peut détermi- Cependant de Brosses lui-même sem-
ner les positions. La Mauritanie était ble préférer l'explication de Bochart,
située sur les confins du monde connu et nous sommes de son avis. Bochart
de l'antiquité, et c'était à l'ouest de établit que Maure est équivalent du
ses côtes que les anciens plaçaient les terme Mahur, ou, comme rien n'est
îles Fortunées , séjour mystérieux du plus commun dans les langues orien-
bonheur, que l'imagination des poètes tales que l'élision des gutturales, Maur,
avait inventé , et que la science ne c'est-à-dire qui est à l'occident. Les
pourra certainement jamais décou- auteurs anglais de YHistoire univer~
vrir (**). selle donnent une explication équiva-
DES MAURES ; ÉTYMOLOGIES DE CE lente, en traduisant Maure par celui
MOT ; DIVISIONS EN TEIBUS. — La qui vient de l'extrémité. La position
nation des Maures ne se distinguait en
de ce peuple autorise l'une et l'autre
rien des Numides, qui furent confon- interprétation. Les Maures étaient par-
dus plus tard avec elle. Les Maures, tagés en plusieurs cantons ou tribus,
dont Pline et Ptolémée indiquent les
principales. Les Metago?iitœ habitaient
(*) Mannert, trad. de Marcus, p. 477-
aux environs des colonnes d'Hercule.
(**) La Tingitane correspondait non-seu- Sur cette côte se trouvait aussi un
lement au royaume de Fez, mais encore à
l'empire de Maroc, dont Fez n'est plus cap Metagonium
confondre , qu'il
avec celui du ne faut nom
même pas
qu'une province. Toutefois la domination
des Romains ne s'exerça réellement que dans dans le pays des Massyliens ; les Suc-
le nord-ouest de celte contrée, c'est-à-dire cosii ou Cocosii occupaient la côte de
dans la partie qui fut plus tard le royaume la mer dTbérie; les Masices, les Fé-
de Fez.
rues et les Ferbicœ, s'établirent parmi
64 L'UNIVERS.

ces deux peuples ; les Salisse se fixè- tous deux fils de Neptune; tous deux
rent plus à vers
l'ouest vers; l'Océan, et les dominent dans une grande partie de
Volubiani le sud les Maurensii l'Afrique, et particulièrement dans la
et les Herpeditani possédaient la par- Tingitane. Hercule défit et tua Antée
tie orientale qui confine à la Mulucha; dans la même guerre où il enleva le
les Angaucani, les Nectibères , les monde libyen à Atlas. Il les repousse
Zagrensiiy les Baniubx, qui sont de l'Egypte,
probablement ceux que Pline appelle sembleil; lesqu'ils avaient
combat dansenvahie en-
la guerre
Baniurœ, s'étendaient depuis les pen- des dieux. C'est pour l'un et l'autre la
tes méridionales de l'Atlas minor de même histoire , les mêmes attribu-
Ptolémée, jusqu'au pied de son Atlas tionsil: est impossible de ne pas les
major. Mêla nomme encore les Atlan- identifier. Antée ou Atlas résista cou-
tes, qu'ildentalesplace dans les parties
dela Mauritanie. Au delàocci-
du rageusemenHercule,
tà qui l'attaquait
avec des troupes égyptiennes et éthio-
cours de la Sala commençaient les tri- piennes. La Libye lui fournissait de
bus gétules, qui restèrent toujours in- nombreux renforts. Mais Hercule ayant
domptées. Les Gétules formèrent sur intercepté une troupe de Maures qui
les frontières des provinces romaines, venaient rejoindre Antée, marcha une
en Afrique, une ligne de tribus barba- dernière fois contre lui , et lui fit
res, toujours prêtes à envahir les pays éprouver une défaite complète. Alors
vaincus et civilisés par Rome. Ils pa- il occupa tout le pays, et y fit un riche
raîtront fréquemment dans les temps butin. Bochart trouve dans ces faits
de l'empire. l'explication de toutes les fables fa-
TEMPS ANCIENS DE LA MAURITA- briquées sur Hercule et Antée. Her-
NIE ; TRADITIONS FABULEUSES ET cule prive Antée des forces renais-
HYPOTHÈSES SUR SA PRIMITIVE HIS-
TOIRE.— Les premiers temps histori- tale ,ensantesinterceptant
qu'il puisait dans les sasecours
terre qui
na-
ques de la Mauritanie sont aussi obs- lui arrivent ; ou bien il l'enlève du sol
curs que ceux de la Numidie; seule- africain , en le forçant à combattre
ment, ils'y rattache un plus grand sur mer, où il le défait. Bochart pense
nombre de faits ; mais tous sont res- même que la stature gigantesque
tés fabuleux, car les noms de Neptune, d'Antée signifiait la grandeur des vais-
d'Atlas, d'Antée , d'Hercule , sont les seaux qui composaient ses flottes:
premiers qu'on y rencontre. Les poè-
tes ,les mythologues , les historiens Hercule ces
quant à aprèspommes d'orduenlevées
la défaite dragon par
qui
même, ont parlé longuement de tous les gardait , c'était le prix de la vic-
ces événements incertains. Les criti- toire, laconquête même de la Mauri-
ques modernes en ont disserté plus tanie etdes trésors d'Antée.
longuement encore; efforts inutiles Plus on recueille de témoignages
des uns pour inventer des faits sur sur des points si douteux, plus l'em-
une époque dont rien n'était parvenu, nous avons barras ne fait
ditqu'augmenter.
sur Atlas et CeAntée
que
et des autres pour éclaircir des inven-
tions sans fond et sans réalité. Voici
les principaux résultats de tout ce pourrait
textes bien suffire; mais :voici
différents d'autres
Diodore fait
travail des anciens et des modernes : d'Atlas un fils d'Ouranos; l'évêque
leur exposé démontrera suffisamment Cumberland , dans ses notes sur les
que notre jugement n'est pas trop dé- fragments de Sanchoniaton, prétend
daigneux. Selon les uns, le roi ou dieu que cet Ouranos est Noé. Eusèbe dit
Neptune régna le premier sur la Mau- qu'Antée est fils d'Atlas. Apollodore
ritanie, sur la Nubie, etsur une grande prétend qu'Atlas était fils de Japhet ;
partie de la Libye. Après lui viennent et par conséquent petit-fils de Noé,
deux princes , Atlas et Antée , qui ne ajoute l'évêque Cumberland, qui veut
sont vraisemblablement qu'un seul et absolument faire remonter cette his-
même personnage. En eifet , ils sont toire àl'époque du déluge. Toute la
es
NUMIDIE ET MAURITANIE.
généalogie atlantique ne vaut guère la gneurs d'Égynte, s'opposa à ses suc-
peine qu'on la discute ; mais on ne cès. Ily perdit beaucoup de monde ;
peut s'empêcher de sourire de cette mais à la fin Hercule ayant intercepté
étrange préoccupation de l'évêque de un corps de Maures qui marchait au
Péterborough , qui confond tous ces secours d'Antée, remporta une grande
mythes grecs avec l'antiquité bibli- victoire sur eux, subjugua tout le con-
que, et qui arrive par là à faire Her- tinent de la Libye, et tua Antée lui-
cule contemporain deMizraïm.
même, près d'une ville de la Thébaïde,
SYSTÈME DE NEWTON. — Enfin , qui reçut à cette occasion le nom
pour en finir avec toutes ces incerti- d'Antœa, ou d'Antaeopolis(*). »
tudes, nous produirons l'autorité d'un De leur côté, les auteurs anglais de
grand nom , auquel les annalistes de YHistoire universelle emploient tou-
l'histoire ancienne ont pris l'habitude tes sortes de raisons, bonnes ou mau-
de s'en rapporter sur cette matière. vaises ,pour confirmer les résultats
Le même homme qui a découvert la obtenus par Newton, à qui ils donnent
loi de la gravitation a aussi appliqué si justement la qualification ^incom-
la pénétration de son sublime génie parable. Ily a donc , chez les histo-
aux questions épineuses de la chrono- riens, unanimité pour proclamer l'ex-
logie, et, dans ce genre de travail , il cellence des combinaisons chronologi-
a surpassé les plus habiles (*). UArt ques de ce grand génie , et nous ac-
de vérifier les dates s'est contenté de ceptons aussi sur ce point le jugement
résumer son système, et voici l'exposé de ceux qui nous ont précédé, malgré
qu'il en donne : les nombreuses objections que ce sys-
« Ammon , père de Sésac , roi d'E- tème peut soulever , malgré tous les
gypte, aété , selon Newton , le pre- doutes qu'il laisse à l'esprit, toutes les
mier roi de Libye , ou de cette vaste contradictions qu'il présente. Mais il
étendue de pays qui sépare les fron- est la seule lumière que l'on rencontre
tières de l'Egypte des bords de l'océan dans ces ténèbres, et il faut s'en con-
Atlantique , c'est-à-dire, de la Mauri- tenter. On n'en trouverait pas de plus
tanie. La conquête en fut faite envi- satisfaisante, et on ne gagnerait rien
ron 1000 ans avant Jésus-Christ, par à pénétrer davantage dans ces temps
Sésac, du vivant de son père. et ces contrées, dont l'histoire a com-
« Sésac eut à défendre la Maurita-
nie contre les Libyens, qui , ayant à lapris mauritanie
qu'elle devait désespérer. au cinquieme
leur tête Neptune, se révoltèrent con- siècle; au temps de la deuxième
tre lui et le tuèrent (973). guerre punique ; au temps de
«Neptune, frère et amiral de Sé« jugurtha; bocchus trahit ju-
sac, après avoir envahi la Mauritanie, gurtha ; son expédition dans
étendit encore sa domination sur la l'atlas ; ses deux fils. — On ne
Nubie et une grande partie de la Li- rapporte rien de remarquable sur la
bye. Mauritanie, depuis la lutte d'Hercule
« Atlas ou Antée, fils de Neptune, et d'Antée jusqu'au temps où les Ro-
portait ses vues encore plus loin que mains commencèrent à pénétrer en
son père. Son projet était d'envahir Afrique. Justin et Diodore de Sicile
l'Egypte même. Il avait la fermeté et ne font mention des Maures que pour
la valeur nécessaires à une pareille en- dire qu'ils servaient
treprise. Des renforts nombreux, que naires dans les armées comme merce-et
de Carthage,
lui fournissait la Libye, le mettaient qu'ils eurent, de même que les Numi-
en état de la soutenir longtemps". Her- des, plusieurs démêlés avec cette ré-
cule, général de la Thébaïde et de l'E- publique. Au cinquième siècle , le
thiopie pour les dieux ou grands sei- royaume de Mauritanie existait, puis-

(*) Newtons chronol. of the empire of (*) Art de vérifier les dates, t. II , p. 458,
Egypt. and ofthe Greeks, p. 99. édit. de 1819.
5e Livraison. (Numidie et Mauritanie.) 5
G6 L'UNIVERS.

que le Carthaginois Hannon fait al- Mauritanie tingitane, et il légua ses


liance avec le roi de ce pays avant nouvelles acquisitions à Bocchus, son
d'exécuter la révolution qu'il médite. second fils; par conséquent, celui-ci
Au temps de la seconde guerre punique, devint roi du pays qui formait plus
le royaume de Mauritanie reparaît dans tard la Mauritanie césarienne. Depuis
Tite-Live. Il bornait les États de Sy- ce partage des États de Bocchus en-
phax à l'ouest, et l'histoire romaine en tre ses deux enfants, dit M. Marcus,
nomme le roi Bocchar, qui donna une la Mauritanie tingitane, si on ne l'ap-
escorte à Massinissa pour le conduire pelait pas Terre des Maures ou Mau-
dans ses États, niais qui lui refusa ses ritanie, fut surnommée Dogudianaf
secours pour la guerre. Les Romains et la Césarienne, si on ne la désignait
commencèrent à connaître la Mauri- pas par son ancien nom , qui était
tanie d'une manière plus certaine, à Terre dedesMauritanie
thète Massésyliensde ,Bocchus.
reçut l'épi-
Le
partir de la guerre contre Jugurtha.
Bocchus y régnait alors : on a vu, dans partage eut lieu entre les années 91 et
l'histoire de Jugurtha, comment Boc- 81EXPÉDITIONS
avant J. C. (*).
DESERTOR1USSURLES
chus, après avoir quelque temps sou-
tenu son gendre , se déshonora en le CÔTES DE LA MAURITANIE ; A8CALIS,
livrant aux Romains par une indigne fils d'iphtha (82 avant l'ère chré-
trahison. En récompense de cet odieux tienne). — Un passage de la vie de
service, il reçut du sénat tout le terri- Sertorius par Plutarque fait entrevoir
toire qui s'étendait depuis le fleuve qu'il n'y avait pas dans le royaume de
Mulucha jusqu'à la ville de Saldœ, et Mauritanie qu'un seul monarque, car
qui devint la seconde Mauritanie. Loin il désigne
de rougir de sa lâcheté , il s'en fit la famille d'autres de Bocchus princes
, et que
dont ceux de
aucun
gloire aux yeux des Romains , et il écrivain n'a fait mention. Sertorius,
consacra dans le Capitole, à Rome, attaqué en Espagne par Annius, lieute-
plusieurs trophées représentant les nant de Sylla, s'était embarqué à Car-
événements les plus importants de son
thagène, et avait navigué vers l'Afri-
règne, et entre autres l'extradition de que. Étant arrivé sur la côte de Mau-
Jugurtha. Strabon ajoute quelques dé- ritanie, iprit
l terre, et envoya ses gens
tails sur ce prince. Avant de livrer pour renouveler les provisions des
Jugurtha, il renforça son armée, sous
équipages; chaient sansmais défiance pendant qu'ilsdumar-
le long ri-
prétexte d'en expédier une partie con-
tre les Éthiopiens occidentaux, dont il
avait à se plaindre. Il dirigea un corps vage,les barbares fondirent à ['im-
proviste sur les compagnons de Ser-
de troupes vers les tribus qui habitent torius, et en tuèrent un grand nombre.
l'Atlas. Jugurtha , au sujet de cette Cette réception inhospitalière força le
expédition , rapporte que les Maures fugitif à se confier de nouveau au ha-
y virent des camélopardalis (girafes); sard des mers. Il croisa sur les côtes
des serpents, appelés par les naturels d'Afrique et d'Espagne, en compagnie
tJiises, gros comme des éléphants (boa de pirates ciliciens, qui espéraient faire
constrictor); des roseaux si gros (bam- de bonnes prises sous un si grand chef.
bous), qu'un seul de leurs nœuds con- Mais quand ils apprirent que Serto-
tenait huit chénices d'eau ; et une es- rius fatigué
, de cette vie errante et
pèce d'asperge ou une liliacée incon- des agitations politiques sans cesse re-
nue, qui n'était pas moins grande, naissantes, avait résolu d'achever dou-
et dont Bocchus fit présent à sa cement ses jours dans les îles Fortu-
femme (*). A sa mort, Bocchus plaça nées, ils l'abandonnèrent
de nouvelles aventures. Ilspour firenttenter
voile
son fils aîné Bogud sur le trône de la
vers l'Afrique, et s'engagèrent au ser-
(*) Recherches sur l'Afrique septentrio-
nale, par r Académie des inscriptions, p. 92, (*) Addition au texte de Mannert, insérée
note 3, par M. Marcus au chap. 1 du liv.iu, p. 453.
NUMIDIE ET MAURITANIE.

vice d'Ascalis, fils d'Iphtha, qu'ils de- et ses rois, comme ceux de la Numi- 67
vaient replacer sur le trône de Mauri- die, se partagèrent entre les factions
tanie. Quel était ce prétendant? l'his- selon leurs intérêts ou leurs sympa-
toire n'en sait pas davantage sur ce thies. L'an 46 avant notre ère , les
prince.
des fils C'était
de Bocchus. probablement
Sertorius,unautant
rival deux rois de Mauritanie s'appelaient
encore, au rapport de Dion Cassius,
pour occuper ses soldats que pour se Bocchus et Bogud. Étaient-ce les fils
venger des corsaires qui l'avaient dé- de Bocchus Ier, ou de nouveaux prin-
laissé, se déclara pour le parti con- ces du même nom ? C'est une question
traire, vainquit Ascalis, et l'assiégea qu'on riensne anciens
peutserésoudre, car les histo-
taisent absolument sur
dans la ville de Tingis, où il s'était re-
tiré. A cette nouvelle , Sylla envoya la Mauritanie pendant près de qua-
Paccianus au secours d'Ascalis : Ser- rante ans. Dion ne dit pas dans quelle
torius fut de nouveau vainqueur, tua portion de ce pays régnait chacun de
Paccianus, et obligea son armée à se ces deux princes, mais on peut inférer
réunir à lui. Puis il marcha contre des faits qui suivent que Bocchus était
Tingis , sonniers la prit d'assaut , et yUne
fit pri- roi de la Tingitane et Bogud de la Cé-
Ascalis et ses frères. an- sarienne. De là encore on peut con-
tique tradition, répandue chez les Mau- clure qu'ils n'étaient point les fils du
res, plaçait près de cette ville le tom- beau-père deJugurtha, puisque celui-
ci avait légué la Tingitane, a Bogud,
de la beau
véritéd'Antée.desSertorius, pour s'assurer
bruits extraordinaires et la Césarienne à Bocchus. Des deux
accrédités sur la grandeur de ce héros, princes qui régnaient
fit ouvrir son sépulcre, et y trouva , à que où César passa enenAfrique
46, à l'épo-
pour
ce qu'on dit, un corps de soixante cou- combattre Scipion et Juba, l'un se dé-
dées de haut. Frappé d'une terreur re- clara pour le vainqueur de Pharsale,
ligieuse ,ajoute Plutarque, il immola l'autre resta fidèle aux pompéiens.Tite-
des victimes, fit respectueusement re- Live etHirtius appellent Bogud l'allié
fermer letombeau , et par là il aug- de César, mais Appien désigne Boc-
menta beaucoup le respect et la véné- chus :l'accord des deux premiers au-
teurs est une raison suffisante pour
toute laration contrée, qu'on avaitet pour ce géant
confirma dans
les récits préférer leur témoignage. Donc Bogud
qu'on en faisait. combattit pour César; il se ligua avec
Vers le même temps (81 ) , Pompée, Sittius pour envahir les États de Juba.
après avoir vaincu Domitius jEnobar- Ils attaquèrent à l'improviste Cirta,
bus , dépouillait Hiertas ou Hiarbas, s'en emparèrent ainsi que de deux au-
roi d'une partieguerre
de la Numidie. tres places, et furent très-utiles à Cé-
aidé dans cette par BocchusIl fut
ou sar par cette diversion. Quelque temps
Bogud, l'un son
des fils
fils deGauda,
Bocchus Ier, qui après, Bogud fut attaqué dans son
fit marcher et envahit royaume par le jeune Cnéus Pompée,
lesINTERVENTION
États d'Hiertas DES(*). EOIS MAURES qui s'avança avec trente vaisseaux et
une petite armée sur les côtes de la
DANS LES TROUBLES CIVILS DEBOME, Mauritanie. Il crut surprendre la ville
AU TEMPS DE CESAB ET APRES SA
mort; ROIS DES MAURITANIES A
d'Ascurus (*) , où Bogud entretenait
une garnison. Les gens d'Ascurus
cette époque. — L'Afrique étant de-
venue un des principaux théâtres des (*) Les savants académiciens auteurs des
luttes acharnées engagées entre les Recherches sur l'Afrique septentrionale re-
trouvent Ascurus dans Askoure, petite ville
ambitieux qui se disputaient l'autorité située à dix lieues sud-ouest de Bone, entre
dans Rome, la Mauritanie fut entraî- ce port et Constantine, et qui , selon Shaw,
née àjouer un rôle dans ces guerres, est assise sur un monceau de ruines romai-
nes, p. 71. Ils appellent Bocchus le roi allié
(*) Voyez p.plus de César. Nous ne sommes pas en cela do
la Numidie, 47. haut, dans l'Hisloire de leur avis. Au reste, ce point est insoluble.

5.
68 L'UNIVERS.

laissèrent la troupe de Pompée appro- Bocchus fut contraint de céder à Ara-


cher des murailles. Rien ne bougea bion le pays qu'il revendiquait. Ara-
jusqu'à ce que l'ennemi fût près des bionturier
réussit
Sittiusmême , dont à lafaire périr l'aven-
munificence de
portes ; mais alors la garnison fit une
vive sortie, dispersa les pompéiens, et César avait fait un puissant person-
en fit un grand carnage. Cnéus , dé- nage en Afrique. Mais les possessions
concerté par cet échec, quitta la côte, de Sittius restèrent au pouvoir de ses
et se retira vers les îles Baléares.
Les services de Bogud. méritaient parents
Arabion et réussit de ses compagnons à prendre rang d'armes.
en
une récompense. D'ailleurs, ce n'était Afrique tant qu'il fut soutenu par Ses-
pas la première tius , neurpartisan d'Antoine,
mais etson gouver-
attachement à lafois qu'ilde signalait
cause son
César. Déjà, de la Numidie; perfide
en 48, ce prince avait passé en Espa- allié l'assassina, et réunit ses Etats à
avait gne,aidé sur l'invitation
le lieutenant de Cassius,
de César et ilà la province romaine. Us ne furent pas
rendus à Bocchus, fils de Bogud.
vaincre Marcel lus , qui défendait la EXPÉDITION DU DERNIER EOGTJD
province au nom de Pompée. Après la EN ESPAGNE ; IL EST DÉTRÔNÉ ; BOC-
victoire dé Thapsus , César donna à CHUS RÉUNIT LES DEUX MAURITA-
Bogud une partie des États de Marias- nies (31 avant notre ère). —Les efforts
ses, chef numide , qui avait combattu des rois de la Tingitane se dirigeaient
avec Juba : cette donation ajouta au de préférence du côté de l'Espagne,
royaume de Bogud tout le territoire avec laquelle la pointe occidentale de
compris entre le méridien de Saldae à l'Afrique a une si grande communauté
l'ouest , et le cours de l'Ampsaga à d'intérêts. Après Bocchus , qui était
l'est. Voilà ce que raconte Hirtius mort vers l'an 40 , c'était son fils Bo-
touchant Bogud ; mais Suétone ajoute gud qui régnait à Tingis. En 38 , ce
que César aima Eunoé , femme de ce prince, fidèlement attaché au parti que
prince, et il semble expliquer par là sa son père avait préféré, fit de nouveaux
générosité envers Bogud. efforts pour enlever l'Espagne à Oc-
L'année suivante, en 45, Bogud re- tave.Lucius Antonius, après ia ridicule
paraît en Espagne pour aider César à guerre de Pérouse, avait été envoyé en
écraser les restes du parti aristocrati- Espagne en qualité de proconsul. Mais
que , groupés autour de Sextus et de Octave s'était bien gardé de lui con-
Cnéus Pompée. Les fils de Bocchus, férer toute la puissance attachée à ce
roi de la Tingitane, combattirent pour titre : l'autorité restait entre les mains
ces derniers à Munda. de ses légats. Lucius, irrité de la nul-
Ces deux princes persistèrent jus- lité à laquelle il était réduit , déter-
qu'à la fin dans le parti qu'ils avaient mina Bogud à faire une invasion en
adopté. Après le meurtre de César, le Espagne pour déposséder les lieute-
roi de la Tingitane montra le même nants d'Octave. L'issue de cette ten-
éloignement pour son fils adoptif Oc- tative fut désastreuse pour le roi de la
tave , et il essaya , en 40 , d'enlever Tingitane. Le roi de la Césarienne,
l'Espagne à Carinas , qui la gouver- Bocchus , fit une invasion dans ses
nait pour le jeune triumvir. États ; les habitants de Tingis se ré-
De son côté, le fils de Bogud souf- voltèrent, etse constituèrent en répu-
frait pour la cause que son père avait blique. Bogud ne put rentrer dans son
si vivement soutenue. Ce prince, qui
était encore un Bocchus, fut attaqué royaume , et il s'enfuit
toine àAlexandrie. Antoine auprès d'An-
lui aonna
par Arabion, fils de Manassès, qui ré- un commandement dans son armée
clama l'héritage paternel dont César quand il concentra toutes ses forces
l'avait dépouillé en faveur de Bogud. sur la Grèce, après sa dernière rup-
ture avec Octave. Mais au moment
César n'était plus ; Octave avait sur
les bras bien d'autres affaires que le où il débarquait à Méthone , ville de
soin de soutenir son allié en Afrique. Messénie, il fut surpris par Agrippa,
3NUMIDIE ET MAURITANIE.
obtint la main de CléopâtreSélène, fille
qui s'empara de sa personne, et lui fit
trancher la tête (31 avant J. C.). d'Antoine et de la fameuse Cléopâtre,
Après la fuite de Bogud , Bocchus et reçut un établissement conforme à
reçut d'Octave l'investiture de la Tin- États cette* alliance.
de son père. Auguste lui rendit sur
Il comptait les
gitane , et régna pendant cinq ans sur
les deux Mauritanies; seulement Tin- l'influence d'un prince descendant de
gis fut séparée de son royaume et dé- Massinissa, habitué à l'obéissance, im-
clarée cité libre. Bocchus établit sa bu des mœurs romaines, pour conte-
résidence à Jol, appelée plus tard Cé- nir les barbares, toujours rebelles à
sarée et aujourd'hui Tennès. Il y mou- l'action immédiate des agents de Rome.
rut en l'an 33. Voici comment la politique d'Auguste
« Après sa mort , Octave jugea à est appréciée dans un ouvrage souvent
propos de ne pas lui donner de succes- cité dans cette histoire : « Juba est le
seur. Par ses ordres, des colonies fu- modèle de ces reges insermentés , ces
rent établies dans les régions des deux rois esclaves , si bien peints par Ta-
royaumes voisines de la côte. Du res- cite. Juba est chargé de façonner son
te, le pays ne fut pas entièrement peuple à la crainte de Rome et à la
transformé en province romaine, bien soumission. Quand Bocchus et Bogud
qu'on datât les années depuis le décès sont morts, laissant leurs États au
de Bocchus d'après l'ère de la pro-
vince, sur les monnaies et dans les Auguste peuple, ou plutôt à l'empire romain ,
reprend à son élève la Numi-
actes publics et privés, témoin plu- die romanisée , si l'on peut hasarder
sieurs inscriptions qu'on a découver- ce mot, par ses soins et par son exem-
tes dans les provinces occidentales de ple; illa réduit en province, et donne
l'Algérie (*). » a Juba les Maures farouches, les Gé-
RÈGNE DE JURA II; GUERRE CONTRE tules indomptés, pour apprivoiser len-
LES GÉTULES ; TRAVAUX LITTERAI- tement ces bêtes sauvages des déserts
RES de ce prince ( de l'an 25 avant africains. Ce n'est enfin que lorsque
J. C. à l'an 23 de l'ère chrétienne ). — ces rois esclaves ont rempli leur mis-
Pendant plusieurs années , l'Afrique sion, lorsque deux règnes successifs de
occidentale fut administrée pardes gou- princes mariés à des Romaines, lors-
verneurs romains ; mais la difficulté que des colonies civiles ou militaires,
de régir ces contrées , encore à demi formées de Romains , de Latins , d'I-
barbares, détermina Auguste à leur taliens, ont infiltré de plus en plus
rendre un roi national. Il y avait alors dans le pays l'usage de la langue , le
à Rome un jeune prince numide ap- désir des lois, le goût des mœurs, des
pelé Juba, iils de celui que César avait habitudes , des vertus , et même des
vaincu à Thapsus. Après avoir orné le vices du peuple conquérant ; ce n'est
triomphe du dictateur, et avoir été qu'après avoir si bien préparé les voies,
frappé de verges, selon le rapport dou- que le sénat décrète la réunion à l'em-
teux de Suidas, le jeune Juba avait été pire, que les deux Mauritanies sont à
mis en liberté par César. On lui donna jamais réduites en provinces sujettes
une éducation distinguée; et ce prince, et tributaires (*). »
doué d'un heureux naturel et d'une Ce fut l'an 17av. J.C. qu'Auguste ju-
intelligence peu commune, acquit de gea àpropos de déplacer le trône de Ju-
vastes connaissances qui le rendirent ba, etde lui donner, au lieu de l'héritage
bientôt l'égal des savants les plus cé- paternel , la souveraineté des deux
lèbres de la Grèce et de l'Italie. Il plut Mauritanies et du pays des Gétules.
à Auguste, qui l'attacha à sa personne, Ce nouveau royaume comprenait tout
et qui apprécia sa valeur dans les guer- ce qui s'étendait à l'occident du port de
res où il l'employa. En l'an 25, Juba
(*) Recherches sur l'histoire de l'Afrique
(*) Addition au texte de Manuert, par septentrionale
tions ,p. 6. , par l'Académie des inscrip-
M. Marcus, p. 46 r.
*0 L'UNIVERS.

Salda.inquiété
Dans les'commencements, une Histoire d'Assyrie, où, selon Ta-
fut par les incursions Juba des tien et Clément d'Alexandrie, il avait
Gétules. Ces turbulents sujets, ne vou- pris Bérose pour guide ; 3° des Anti-
lant pas d'un maître dont les qualités quités romaines, dont Etienne de By-
étaient des défauts à leurs yeux , pri- zance cite le premier et le deuxième
rent les armes, et envahirent les pro- volume ; 4° une Histoire des théâtres.
vinces soumises à Juba. En vain ce On en trouve des fragments dans Athé-
prince fit marcher ses troupes et ses née et Hésychius, ou il traite des dan-
généraux ; il éprouva de grandes pertes, ses, des instruments de musique et de
et Auguste fut contraint d'envoyer à leurs inventeurs ; 5° une Histoire de
son secours des légions romaines! Cor- la peinture et des peintres ; 6° des ou-
nélius Cossus, qui les commandait, fut vrages de grammaire et de botanique,
vainqueur, et prit le surnom de Gé- savoir, un Traité de la corruption de
tulicus (an 6 de notre ère). Du reste, la diction , un Traité des mètres , et
Juba eut un règne très -paisible. Il une description de la plante appelée
établit sa résidence à Jol , où le der- euphorbia ; 7° enfin un Traité sur les
nier Bocchus avait aussi demeuré ; il sources du Nil, et d'autres écrits dont
embellitcette ville de magnifiques cons- les titres même ne sont pas connus. Il
tructions, etpour complaire à Auguste est probable que ce prince avait plus
lui donna le nom de Cœsarea , qui de science que de critique, car dans un
de ses livres il raconte sérieusement
lui estjvsté. Les peuples qu'il rendit
heureux par ses soins et son amour de qu'un homme mort fut ressuscité par
la paix conçurent pour leur roi une la vertu de certaines
vive affection , et à sa mort ils le pla- et dans son Traité surplantes d'Arabie;
les sources du
cèrent au nombre de leurs dieux , NU, il faisait sortir ce fleuve d'une
comme le témoignent Lactance et Mi- montagne de Mauritanie voisine de
nutius Félix. Les étrangers même l'Océan , se fondant, dit AmmienMar-
partagèrent cette espèce de vénération cellin, sur ce que les poissons, les her-
pour Juba. Les habitants de Cartha- bes et les animaux de cet endroit res-
gène lui élevèrent un monument avec semblent àceux qu'on voit sur les
une inscription où ils s'exprimèrent bords du Nil (*). Juba mourut vers
en termes très -honorables pour ce l'anPTOLÉMÉE
23 de l'èreSUCCÈDE chrétienneA (**).
JUBA SON
prince;
vir; Athènes la villeluidedressa Cadix une
l'élutstatue.
duum-Il PÈRE ; IL EST ASSASSINÉ PAR CALI-
fut
et onroia pendant
retrouvé prèsdes d'un demi-siècle,
médailles datant gula (de 23 à l'an 40 de l'ère chré-
tienne). — Tibère, qui n'aimait pas à
de la quarante-cinquième année de son changer le gouvernement des provin-
règne. Après la mort de Cléopâtre il ces, laissa Ptolémée, (ils de Juba, sur
le trône de son père. Ptolémée aida les
épousa Glaphyre, veuve d'Alexandre, Romains à vaincre Tacfarinas. Alors,
fils d'Hérode. Josèphe est le seul his- dit Tacite, on renouvela un usage des
torien qui mentionne ce fait.
Juba fut surtout célèbre par son im- premiers temps : un sénateur fut dé-
mense savoir. Il composa un grand puté àPtolémée pour lui offrir le scep-
nombre d'ouvrages cités souvent dans tre d'ivoire, la toge brodée, ainsi que
l'antiquité, et dont il reste quelques (*) Voir la Dissertation de l'abbé Sévin ,
fragments épars çà et là dans les au- Académie des inser. et belles-lettres , t. IV,
teurs qui nous sont parvenus. L'abbé
Sévin a consacré à ce prince une no-
tice historique et littéraire où il dresse p. (**)
457.L'Art de vérifier les dates se trompe
en le faisant mourir l'an 17. En effet, Stra-
le catalogue de ses ouvrages. Juba bon composa le sixième livre de sa Géogra-
avait composé : 1° une Histoire d'Ara- phie la cinquième année du règne de Ti-
bie, destinée à instruire le jeune Caïus bère, c'est-à-dire l'an 19; et dans le dix-
César de l'état de cette contrée. Pline septième livre, qu'il écrivit plus tard, il dit
que le roi Juba venait de mourir.
en reproduit quelques passages ; 2°
71

NUMIDIE ET MAURITANIE.
des présents du sénat, et le saluer des Numides, il ne nous est parvenu qu'un
noms de roi , d'allié et d'ami. Ptolé- petit nombre de détails sur tous ces
mée régna paisiblement tant que Ti- pointspeuple.
d'un si intéressants dans l'histoire
bère vécut ; mais il fut victime des
fureurs de Caligula , dont sa circons- Que peut-on dire du pouvoir des rois
pection ne put le préserver. Caligula de la Mauritanie , de leur manière de
l'ayant fait venir à Rome, conçut con- gouverner, des lois, de la constitution
tre lui une jalousie violente. Un jour intérieure de leurs États? Sans doute
les Romains avaient reçu avec hon- les Bocchus, les Bogud, les Bocchar,
neur le fils de Juba, lorsque, revêtu devaient exercer un pouvoir à peu près
absolu , et régner , comme les souve-
théâtre.pourpre,
de la Caligula illes'était présenté au
fit assassiner. rains de la Numidie, en despotes sur
RÉVOLTE D'ÉDEMON. CAMPAGNES les tribus et les chefs qui les avaient
DE SUÉTONIUS PAULINUS ET DE SI- reconnus. Il paraît évident , d'après
DIUS GÉTA. REDUCTION DE LA MAU- quelques passages des anciens auteurs,
RITANIE EN PROVINCE ROMAINE ( 42 que beaucoup de tribus maures res-
de notre ère). — La famille de Massi- taient libres. Appien parle de Maures
nissa était éteinte ; le temps était venu autonomes, qui n'obéissaient point aux
d'effectuer définitivement la réunion rois qui résidaient à Tingis. Il y a tou-
du reste de l'Afrique à l'empire. Il ne jours eu , et il y a encore en Afrique ,
de ces tribus restées indépendantes
fallut que peu d'efforts pour obtenir et en dehors des empires constitués ,
ce résultat, que la politique avait pré-
paré depuis si longtemps. Ëdémon , af- pour lesquels ils sont un objet d'in-
franchi de Ptolémée , avait pris les ar- quiétudes continuelles. Les rois mau-
mes en Mauritanie pour venger son res faisaient souvent des excursions
maître; Claude, successeur de Cali- pour les réduire ou les tenir en res-
gula, envoya une armée qui dispersa pect. Malgré le goût de ces barbares
les troupes rassemblées par Édémon. africains pour une liberté absolue, le
L'empereur triompha des exploits de système monarchique prévalut tou-
ses lieutenants. L'année suivante, 41, jours ,en Mauritanie comme en Nu-
Suétonius Paulinus fit une campagne midie ;et il faut bien que le pouvoir
plus glorieuse, défit l'ennemi, ravagea de ces
voit dont roislesaitnoms été grand, puisqu'on
sont donnés en
à leurs
tout le pays jusqu'à l'Atlas, et pénétra
dans la Gétulie(*). Sidius Géta , qui royaumes ; « car pendant longtemps ,
prit le commandement après Paulinus, dit Pline, la Tingitane s'appela Bogu-
battit deux fois le Maure Salabus, et le diana, et la Césarienne, Mauritanie de
poursuivit jusque sur les confins du Bocchus. »
grand désert. La grande divinité de ces peuples
(42). A partir de cette époque , la était la mer ou le dieu de la mer. Us
Mauritanie fut réduite en province ro- rendaient donc un culte à Neptune et
maine. La division en Tingitane et a sa femme Neptys, et les noms de ces
en Césarienne fut fixée d'une manière deux divinités signifiaient roi et reine.
certaine ; et Claude , après avoir fait Plusieurs savants ont rapproché le
pacifier le pays , en donna le gouver- nom de Neptune de celui de Nephthu-
nement àdeux chevaliers romains. him, qui désigne dans la Genèse une
PARTICULARITÉS SUR LES MAURES. partie des descendants de Mizraïm, fils
GOUVERNEMENT, RELIGION, LANGUE, de Cham , et qui signifie le peuple de
MOEURS, COUTUMES, ARTS, SCIENCES. la côte maritime. Chez les Egyptiens,
— Pour les Maures , comme pour les la mer s'appelle Nephthys. Ainsi les
Maures, comme tous les Libyens, ado-
(*) Suétonius Paulinus avait écrit l'his-
rèrent la vaste mer qui bordait leurs
toire de ses expéditions en Mauritanie. Il rivages , et du sein de laquelle ils pa-
ne reste rien de cet ouvrage, dont la perte raissaient sortir. Ils donnèrent aussi
est si regrettable. les attributs de la divinité aux héros
72 L'UNIVERS.

de leur nation ; ainsi Neptune fut di- Su'ils portaient constamment leurs
vinisé, etAntée et Juba, dans une épo- èches avec eux, pour se défendre des
que bien éloignée des temps fabuleux. attaques des bêtes féroces dont ils
Sénèque affirme qu'à l'imitation des étaient toujours menacés. Horace parle
Phéniciens et des Carthaginois , les quelque part de leurs traits empoison-
Maures offraient à leurs dieux des sa- nés ils
: s'en servaient plutôt contre les
crifices humains. L'auteur des Diony- bats. monstres du désert que dans les com-
siaquesNonnus,
, prétend qu'ils ado- Les Maures de distinction déployaient
raient Bacchus. Enfin Pomponius Mêla
parle de la vénération particulière un grand luxe dans leurs vêtements ,
qu'ils avaient pour le bouclier d'Antée. qu'ils ornaient d'or et d'argent. Ils
On ne nous dit pas si le langage des poussaient à un degré extrême le soin
Maures différait de celui des Numides. de leur personne. Us entretenaientavec
Ces deux peuples devaient parler deux coquetterie la blancheur de leurs dents,
dialectes dérivés d'une même origine. la propreté de leurs ongles ; leur barbe
Us avaient un alphabet semblable. Si était longue et bien peignée. Quand
la langue actuelle des Kabyles est dé- ils se rencontraient, ils prenaient garde
rivée de l'ancien idiome des Numides de s'approcher de trop près , de peur
et des Maures , on pourrait remonter de déranger les boucles de leurs che-
à l'origine probable de ces langues de veux. Les figures des médailles afri-
l'Afrique du nord , et l'on serait vrai- la beauté caines sont en effet remarquables par
semblablement amené à placer leur de la barbe et de la cheve-
lure. Les Maures de la classe inférieure
berceau en Orient. Mais il n'appar-
tient qu'aux orientalistes de traiter n'avaient qu'un vêtement, qu'ils por-
ces questions (*). taienthivercommeété. La plupartd'en-
On peut appliquer aux Maures tout tre eux couchaient la nuit par terre, ga-
ce qui a été dit touchant les chevaux rantis seulement par leurs habits. Le
et les cavaliers numides. C'était, de voyageur Shaw dit la même chose des
part et d'autre, même manière de Kabyles et des Arabes , qui se servent
monter à cheval , même vigueur et de leurs manteaux comme de lit et de
couverture. Les Maures , en général ,
même agilité chez l'homme et le cour-
sier. L'infanterie maure, dans les com- n'aimaient point le travail , s'adon-
bats , se servait de boucliers faits de naient peu à l'agriculture , excepté
cuir d'éléphant, et était vêtue de dans nitquelques cantons. Strabon four-
à ce sujet des détails que nous
peaux de lion, de léopard et d'ours,
qu'elle portait jour et nuit. Les cava- avonstion cités plus haut, dans la descrip-
de la Mauritanie. Comme les Nu-
liers étaient armés de lances courtes ,
et avaient des boucliers faits aussi de mides, ils étaient très-sobres, vivaient
peaux de bêtes sauvages. Leur vête- degrains, de légumes, qu'ils mangeaient
ment ressemblait à celui du fantassin. souvent verts , sans aucune prépara-
Tous étaient fort habiles à se servir de tion. Us n'avaient, pour la plupart, ni
leurs boucliers. Hyginus rapporte que huile ni vin , ne sachant ni cultiver
les Maures , ainsi que tous les autres l'olivier et la vigne, ni en préparer les
Africains, combattaient avec des mas- produits. Leurs demeures étaient des
tentes ou mapalia. Ainsi le genre de
sues, jusqu'à ce que Bélus, fils de Nep-
tune, leur eût enseigné à se servir de vie de la plus grande partie de la na-
tion ne différait en rien de celui des
l'épée.
bons archers. Les Maures Hérodienétaient et Éliende disent
très- nomades.
La polygamie était usitée chez eux
comme chez les Numides , et cela bien
(*) Le docteur Shaw a donné plusieurs
mots du vocabulaire africain , et plusieurs longtemps après la conquête romaine.
d'entre eux trouvent leur équivalent dans On lit dans Procope le passage sui-
des mots arabes ou hébreux, presque sem- vant : « Vous nous menacez , disaient
blables et ayant la même signification. les Maures à Salomon, de tuer nos en-
73

NUMIDIE ET MAURITANIE.

fants, livrés par nous en otages. Ro- est certain qu'une partie des Maures
mains, vous tenez à votre progéniture, fut initiée , dès les temps les plus an-
parce que , dans vos mœurs , dans vo- ciens ,au commerce , à la navigation,
tre religion , vous ne pouvez avoir et à toutes les connaissances qui les
qu'une femme : nos lois nous en per- accompagnent. Si Pomponius Mêla re-
mettent cinquante, nous ne craignons présente laMauritanie comme un pays
pas de voir notre race s'éteindre. » Ce pauvre et sans importance, Strabon en
langage exprime parfaitement les con- parle comme d'un royaume riche et
séquences sociales de la polygamie : opulent. Cela prouve que ces écrivains
un tel usage empêche la formation de ne l'ont envisagé que partiellement, et
la vie de famille, et le développement qu'il y avait dans cette terre un grand
des affections qui la constituent. contraste de barbarie et de civilisa-
Tous les Maures n'étaient pas étran- tion, de misère et de richesse. Toute-
gers aux arts et aux connaissances de fois, Strabon est plus près de la vérité.
la civilisation. Les villes étaient plei- Les anciennes fables sur les pommes
nes d'une population industrieuse et d'or destains Hespérides,
sur le commerce les rapports cer- ,
des Maures
commerçante qui dut être formée de
bonne heure par le contact des peuples l'importance acquise par les derniers
navigateurs, et surtout des Phéniciens. rois de la Mauritanie, Bocchus, Bogud,
Cette partie de la nation mauritanienne Juba, montrent assez que ce royaume
s'enrichit par le commerce. Elle le possédait de grandes ressources, et
faisait par mer avec l'Espagne, l'Ita- que cette nouvelle et dernière acquisi-
lie ,la Grèce , et même l'Orient ; par tion des Romains n'était pas une des
terre, avec les tribus de l'intérieur de moindres provinces de leur vaste em-
l'Afrique (*). Onomacrite, l'auteur des
Argonautiques, attribuées aussi à Or- TROISIÈME PARTIE.
phée, assure qu'ils formèrent un éta- pire.
blis ement l'entrée
à de la Colchide. NUMIDIE ET MAURITANIE SOUS L'AD-
C'est à Neptune et à sa race que les MINISTRATION IMPÉRIALE.
traditions
la civilisation rapportent dans les l'introduction de
villes de la Mau- Les deux premières parties de cette
ritanie, et le développement primitif histoire ont été consacrées au récit de
des sciences. Pline , Cicéron , dans ses tout ce qui a rapport à la Numidie et
Tusculanes , disent qu'Atlas inventa à la Mauritanie, tant qu'elles restèrent
l'astrologie et la doctrine de la sphère. indépendantes. La troisième partie
Diodore explique par cette tradition la traitera de l'état de ces contrées sous
fable qui place les cieux sur les épaules l'administration impériale; des chan-
d'Atlas. Il rapporte aussi qu'Atlas en- gements quiy furent introduits alors;
seigna toutes ces choses à Hercule, et des soulèvements dont elles furent le
que ce héros rapporta ces connaissan- théâtre, et de la part qu'elles prirent
ces dans la Grèce. Singulière asser- aux affaires générales du monde ro-
tion ,qui fait des Grecs les disciples main.
des barbares africains, et qui retourne LA NUMIDIE SOUS SALLUSTE , SEX-
d'Occident en Orient la marche de la TIUS, LÉPIDUS; AUGUSTE PARTAGE
civilisation humaine ! Mais les Grecs LES PROVINCES AVEC LE SÉNAT ;
ont tant erré sur ces anciennes choses! JUBA II : LA NUMIDIE , PROVINCE
Selon quelques auteurs ce fut Nep- sénatoriale. — César, après la vic-
tune, suivant d'autres ce fut Atlas qui, toire de Tapsus, ne réduisit en pro-
le premier , appliqua des voiles aux vince qu'une partie de la Numidie,
grands navires , et qui mit en mer la le reste ayant été partagé entre Bo-
première flotte. Quoi qu'il en soit , il gud et Sittius (46 av. Jésus-Christ).
Crispus Sallustius , l'historien , fut le
premier gouverneur de cette province
t. (*)
IV. Heeren, Idées sur le commerce , etc., de la Numidie proprement dite, à la-
74 L'UNIVERS.
quelle était jointe la Byzacène que ché d'Octave le sacrifia; et toute l'A-
Juba avait possédée ; on l'appelait aussi frique romaine, réunie et étendue par
Afrique nouvelle, par opposition à ses soins, fut donnée en gouverne-
Y Afrique ancienne ou Zeugitane , for- mentnistraauen triumvir Lépidus, qui l'admi-
mée du territoire de Carthage. Sal- maître absolu pendant quatre
luste traita la Numidie comme un pays ans. En 36 (avant l'ère chrétienne),
de conquête : il y laissa un nom odieux, Lépidus, après avoir contribué à la
et il s'y déshonora. Sa tâche était dif- défaite de Sextus Pompée , fut dé-
ficile, ilest vrai: il fallait des rigueurs pouillé par Octave de son gouverne-
pour contenir une terre récemment ment, de ses dignités , de son armée
soumise, où Rome n'avait ni colonies, et de sa flotte. Cette chute de Lépidus
ni établissements, où la civilisation était le résultat de sa nullité person-
avait à peine pénétré. César ferma les nel e ;elle n'était pas causée par la
yeux sur la conduite de Salluste; peut- faiblesse de ses ressources, car il avait
être même l'avait- il autorisé à tout autant de légions qu'Octave, et autant
faire. Salluste fut remplacé par Sex- de vaisseaux. Sans doute l'Afrique, où
tius, qui administra le pays de l'an 44 on l'avait relégué, le plaçait dans une
à J'an 40 avant notre ère. La Numidie grande
de ses collègues; infériorité politique mais il y àtrouvait
l'égard
n'ayant plus ses rois était plus que ja-
mais engagée dans les dissensions ci- tout autant de moyens matériels d'ac-
viles de Rome : aussi fut-elle violem- tion que ceux-ci dans leurs provinces,
ment agitée par tous les événements et un autre homme aurait su en pro-
qui éclatèrent à la mort de César. Sex- fiter.
tius, partisan de ce dernier, prétendit Octave disposa du gouvernement
dépouiller Cornificius, gouverneur de des provinces d'Afrique après les avoir
l'Afrique ancienne. Cornificius prévint enlevées à Lépidus ; il les confia à Sta-
son attaque, et vint assiéger Cirta, ca- tilius Taurus, avec le titre de procon-
pitale de la nouvelle province. Mais, sul ;et, en 35 , Taurus obtint les hon-
soutenu par le Numide Arabion , dont neurs du triomphe pour quelques
il a été fait mention plus haut, et par exploits contre les tribus insoumises.
les partisans de Sittius, Sextius déli- L'an 27, Auguste, devenu définiti-
vra Cirta , et, après avoir vaincu Cor- vement maître de l'empire, partagea
nificius, leréduisit à se donner la l'administration des provinces avec le
mort. Quelque temps après, il eut à sénat, se réservant pour lui les postes
défendre sa province contre un nou- les plus périlleux, mais où étaient con-
veau gouverneur, Phangon, qui , par centrées toutes les forces militaires.
le crédit d'Octave, venait d'être nommé L'Afrique fut donnée au sénat. Pen-
à la place de Sextius. Phangon eut le dant quelque temps , la Numidie fut
même sort que Cornificius: vaincu, reconstituée en royaume en faveur de
abandonné de tous les siens, il se tua Juba; mais quand celui-ci eut été placé
de sa propre main. Sextius, irrité sur le trône des Mauritanies , la Nu-
contre Octave, se déclara dès lors par- midie fut ajoutée aux provinces séna-
tisan d'Antoine. Il possédait les deux toriales. Alors cette province, com-
provinces romaines en Afrique. Par prise entre l'Ampsaga et la Tusca ,
une noire ingratitude envers Arabion, commençait à se façonner au joug;
qui l'avait encore puissamment aidé des Romains
établis en grand et des Italiens
nombre ; less'ycolonies
étaient
clans la guerre contre Phangon , Sex-
tius l'attira dans un piège, et le fit s'y multiplièrent, la transformation
assassiner. Le territoire d'Arabion , de ce pays barbare commençait. En
qui comprenait presque tout l'ancien peu de temps , l'Afrique devint sem-
pays des Massésyliens , fut ajouté aux blable àl'Italie, et le séjour en était
deux provinces romaines. Mais Sex- également interdit aux criminels d'État
tius ne jouit pas longtemps du fruit que multirjlia bientôt la sombre tyran-
nie de Tibère.
de son crime. Antoine s'étant rappro-
75
NUMIDIE ET MAURITANIE.
SOULEVEMENT DE TACFARINAS ; IL mes, eu égard à la multitude des Nu-
SE LIGUE AVEC MAZIPPA ; IL EST mides et des Maures; mais on évitait
BATTU PAR FURIUS CAMILLUS (17 de surtout d'inspirer à ces barbares une
notre ère). — Dès la troisième année crainte qui leur eût fait éluder nos at-
du règnela Numidie
de ce prince taques; en leur laissant espérer la
surtout furent, l'Afrique
agitées paret victoire, on réussit à les vaincre. La
la révolte d'un audacieux aventurier, légion fut placée au centre, les co-
qui, pendant longtemps, tint en échec hortes légères et deux ailes de cavale-
toutes les forces que Rome entrete- rie sur les flancs. Tacfarinas ne refusa
nait dans cette province. Il s'appelait pas le combat. Les Numides furent
Tacfarinas. Tacite a raconté cette défaits ; et la gloire des armes , après
guerre dans ses Annales. Il n'y a rien de longues années, rentra dans la mai-
à ajouter, rien à retrancher dans son- son des Furius;... encore ce Furius
récit : nous le reproduirons ici tout dont nous parlons n'était-il pas re-
entier. « Tacfarinas était un Numide gardé comme un grand capitaine. Ti-
déserteur des armées romaines , où il bère en fit plus volontiers , devant le
avait servi comme auxiliaire (*). II sénat, l'éloge
conscrits luidedécernèrent
ses exploits. les
Les orne-
pères
réunit d'abord , pour le vol et le bu- ments du triomphe ; distinction qui ,
tin, des bandes vagabondes, accoutu-
mées au brigandage; bientôt il sut les grâce au peu d'éclat de sa vie , ne lui
discipliner, ïes ranger sous le drapeau, devint pas funeste. »
les distribuer en compagnies; enfin, TACFARINAS ASSIEGEUNE COHORTE

de chef d'aventuriers , il devint géné- ROMAINE. MORT DE DECRIUS. DE-


FAITE DU NUMIDE A THALA ; IL EST
ral des Musulans (**). Ce peuple puis-
REPOUSSÉ DANS LE DESERT (de 18 à 20
sant, qui confine aux déserts de l'A-
frique, et qui alors n'avait point de notre ère). — Peu de temps après,
encore de villes, prit les armes, et en- Tacfarinas recommença la guerre.
traîna dans la guerre les Maures , ses
« Ce furent d'abord de" simples cour-
voisins: ceux-ci avaient pour chef ses (*), dont la vitesse le dérobait à
Mazippa. Les forces furent partagées; toutes les poursuites. Bientôt il sac-
Tacfarinas se chargea de tenir dans cage les bourgades, entraîne après lui
des camps et d'habituer à l'obéissance d'immenses butins, et finit par assié-
des hommes d'élite , armés à la ro- ger, près du fleuve Pagida(**), une
maine, tandis que Mazippa, avec les cohorte romaine. Le poste avait pour
troupes légères, porterait partout l'in- commandant Décrius, intrépide sol-
cendie, lecarnage et la terreur. Déjà dat, capitaine expérimenté, qui tint ce
ils avaient forcé les Cinithiens (***), siège pour un affront. Après avoir
nation considérable, de se joindre à exhorté sa troupe à présenter le com-
eux , lorsque Furius Camillus, procon- bat en rase campagne, il la range
sul d'Afrique, après avoir réuni sa lé- devant les retranchements. Elle est re-
gion, et ce qu'il y avait d'auxiliaires poussée au premier choc. Décrius,
sous les étendards, marcha droit à sous une grêle de traits, se jette à tra-
l'ennemi. C'était une poignée d'hom- (*) Tacit., Ann., liv. ir, c. 20. Nous conti-
nuons ànous servir de l'excellente traduc-
(*) Tacit., Ann., 1. n , c. 5a , trad. de M. tion de M. Burnouf.
Burnouf.
(**) M. Marcus pense que le Pagida était
(**) Les Musulans, Mussini de Pline, situé sur la route de Cirta à Igilgilis (Gigeri).
Musuni de Ptolémée , habitaient près du (Notes sur Mannert, p. 709). « Le siège
confluent du Muthui (Hamise) et du Ea- principal des guerres contre Tacfarinas est
gratla (Medjerdah). ,
dans le Jurgura et à l'entour d'Auzia, le
(***) Les Cinithiens, appelés Sintœ par fort Hamza, nommé par les Arabes sour
Strabon, demeuraient , selon Ptolémée, sur Ghazlan, Or, ces cantons ne sont pas éloi-
le fleuve Triton, du côté où il forme le lac
gnés d'Alger de plus de vingt lieues. » (Re-
Libya. cherches sur l'Afrique sept. , p. 66.)
7G L'UNIVERS.

vers les fuyards, les arrête, crie aux maux qu'elle cause, mais pour la gloire
porte-enseignes
« le soldat romain« qu'il tourneest honteux
le dos à que
une que d'autres pouvaient y acquérir. La
« bande de brigands et de déserteurs. » Numidie appartenait au'sénat : la gra-
vité des événements qui s'y passaient,
Couvert de blessures, ayant un œil l'importance de toute la province, dé-
crevé, il n'en fait pas moins face à terminèrent l'empereur à en disposer
l'ennemi, et combat jusqu'à ce qu'il lui-même. Il opéra ce changement à
tombe mort, abandonné des siens. sa manière ordinaire, par la ruse et la
« A la nouvelle de cet échec, L. dissimulation. Dans une séance du
A pronius, successeur de Camillus, plus sénat, il lut des lettres d'Afrique qui
indigné de la honte des Romains qu'a- annonçaient une nouvelle apparition
larmé du succès de l'ennemi, fit un de Tacfarinas, et il ajouta qu'il impor-
exemple rare dans ces temps-là, et tait que le sénat choisît un proconsul
d'une sévérité antique : il décima la habile et brave, capable de terminer
cohorte infâme, et tous ceux que dé- une telle guerre. Un flatteur, préve-
signa lesort expirèrent sous la verge. nant les pensées de Tibère, s'écria
Cet acte de rigueur fut si efficace, qu'il fallait se garder de choisir Lépi-
qu'un corps de cinq cents vétérans dus. Tibère le craignait, précisément
défit seul les mêmes troupes de Tac- parce qu'il avait toutes ces vertus qui
farinas devant le fort de Thala (*), désespèrent un tyran. Le sénat, péné-
qu'elles venaient attaquer. Dans cette trant et lâche, comprit le vœu de
action, Helvius Rufus, simple soldat, Tibère. On décida que César choisirait
eut la gloire de sauver un citoyen. lui-même le gouverneur d'Afrique. Ti-
A pronius lui donna la pique et le col- bère, qui ne se démasquait jamais,
lier. Comme proconsul , il pouvait désigna deux candidats, Lépidus et
ajouter la couronne civique : il laissa Junius Blésus. Lépidus devait refuser,
ce mérite au prince, qui s'en plaignit son salut en dépendait : il s'excusa sur
plus qu'il n'en fut offensé. ïacfarinas sa santé. Blésus, qui était oncle de
voyant ses Numides découragés et re- Séjan, fut donc nommé au proconsulat
d'Afrique.
butés des sièges, court de nouveau la
TACFARINAS DEMANDE DES TER-
campagne,
et bientôt revenant fuyant dèsà la
qu'on le presse,
charge. Tant RES A L'EMPEREUR. GLORIEUSE CAM-
PAGNE DE BLÉSUS, QUI NEGLIGE DE
qu'il suivit ce plan, il se joua des ef-
forts de l'armée romaine, qui se fati- l'accabler tout a fait (20 à 22 de
guait vainement à le poursuivre. Lors- notre ère). — Au reste, Blésus n'était
qu'il eut tourné sa course devers pas indigne de ce choix. « Tacfarinas,
maritimes, embarrassé son lesbutin,
pays
souvent chassé par nos troupes, dit
il lui fallut s'assujettir à des campe- Tacite (*), et toujours revenu du fond
ments fixes. Alors Apronius Césianus, de l'Afrique avec de nouvelles forces ,
envoyé par son père avec de la cava- avait
lerie et des cohortes auxiliaires, ren- envoyerenfin pousséunel'insolence
à César jusqu'à
ambassade, qui
forcées des légionnaires les plus agiles, demandait un établissement pour lui
battit les Numides, et les rechassa
dans leurs déserts (18 à 20). » et pour interminable.
guerre son armée, ou Onmenaçait
rapported'une
que
TIBÈRE DISPOSE DU PROCONSULAT
jamais insulte à l'empereur et au peu-
d'afrique. — Tacfarinas ne tarda pas ple romain n'indigna Tibère comme
à recommencer ses incursions. Déjà de voir un déserteur et un brigand
Tibère ressentait une inquiétude sé- s'ériger en puissance ennemie. « Il n'a-
rieuse de la prolongation de cette lutte. « vait pas été donné à Spartacus lui-
Il redoutait la guerre, non pour les « même, lorsqu'après la défaite de tant
« d'armées consulaires il saccageait
(*) Thala, souvent confondu avec Telepte, o impunément l'Italie, lorsque les gran-
ne correspond pas à cette ville, puisqu'elle
(*) Tacit., Ann., liv. nr, c. 73.
NUMIDIE ET MAURITANIE. 77

« des guerres de Sertorius et de Mithri- rière lui des ennemis prêts à recom-
mencer la lutte. Tibère la considéra
« date ébranlaient la république, d'ob-
« tenir un traité qui lui garantît le cependant comme terminée, et permit
«pardon; et l'empire, au faîte de la que Blésus fût salué par ses légions
« puissance, se rachèterait par la paix, du nom d'imperator. Nul n'obtint plus
« et par des concessions de territoire, ce titre après lui (22). »
« des brigandages de Tacfarinas! » Il NOUVELLES COURSES DE TACFART-
chargea
ceux qui Blésus d'offrir
mettraient bas l'impunité
les armes,à
NAS; IL ASSIEGE THUBUSQUE*, IL EST
SURPRIS PAR DOLABELLA, ET SE
mais de s'emparer du chef à quelque donne la mort (24 de notre ère). —
prix que ce fut. Ce ne fut que deux ans après que
« Beaucoup de rebelles profitèrent l'Afrique romaine fut délivrée de Tac-
de l'amnistie. Bientôt, aux ruses du farinas. «Jusqu'alors nos généraux,
Numide on opposa le genre de guerre contents d'obtenir les ornements du
dont il donnait l'exemple. Comme ses triomphe, laissaient reposer l'ennemi
troupes, moins fortes que les nôtres, dès qu'ils croyaient les avoir méri-
et meilleures pour les surprises que tés (*). Déjà trois statues couronnées
pour le combat, couraient par bandes de lauriers s'élevaient dans Rome, et
détachées, attaquant tour à tour ou Tacfarinas mettait encore l'Afrique au
éludant les attaques et dressant des pillage. Il s'était accru du secours des
embuscades,
en marche dansl'armée romaine seet mit
trois directions sur Maures, qui, abandonnés par la jeu-
nesse insouciante de Ptolémée, fils de
trois colonnes. Le lieutenant Corné- Juba, au gouvernement de ses affran-
lius Scipion ferma les passages par où chis, s'étaient soustraits par la guerre
l'ennemi venait piller le pays de Lep- à la honte d'avoir des esclaves pour
tis, et se sauvait ensuite chez les Ga- maîtres. Receleur de son butin et com-
ramantes. Du côté opposé, le fils de pagnon de ses ravages, le roi des Ga-
Blésus alla couvrir les bourgades dé- ramantes, sans marcher avec une ar-
pendantes deCirta. Au milieu, le gé- mée, envoyait des troupes légères, que
néral lui-même, aveclieux
un corps d'élite, la renommée grossissait en proportion
établissait dans les convenables
de l'éloignement. Du sein même de la
des postes fortifiés; de sorte que les province, tous les indigents, tous les
barbares, serrés, enveloppés de toutes hommes d'une humeur turbulente,
parts, ne faisaient pas un mouvement couraient sans obstacle sous les dra-
sans trouver des Romains en face, sur peaux du Numide. En effet, Tibère,
leurs flancs, souvent même sur leurs
derrières. Beaucoup furent tués ainsi, croyant l'Afrique purgée d'ennemis
parles victoires de Blésus, en avait rap-
ou faits prisonniers. Alors Blésus sub- pelé la neuvième légion; et le procon-
divisa ses trois corps en plusieurs sul de cette année, P. Dolabella, n'a-
détachements, dont il donna la con- vait osé la retenir : il regrettait les
duite àdes centurions d'une valeur ordres de César encore plus que les
éprouvée; et, l'été fini, au lieu de re- périls de la guerre.
tirer ses troupes, suivant la coutume, « Cependant Tacfarinas ayant semé
et de les mettre en quartiers d'hiver le bruit que la puissance romaine, en-
dans notre ancienne province, il les tamée déjà par d'autres nations, se
distribua dans des forts qui cernaient retirait peu à peu de l'Afrique, et
pour ainsi dire le théâtre de la guerre. qu'on envelopperait facilement le reste
De là , envoyant à la poursuite de Tac- des nôtres, si tous ceux qui préféraient
farinas des coureurs qui connaissaient la liberté à l'esclavage voulaient fon-
les routes de ces déserts, il le chassait dre sur eux , augmente ses forces,
de retraite en retraite. Il ne revint
campe devant Thubusque(**),et inves-
qu'après s'être emparé du frère de ce
chef; et ce fut encore trop tôt pour (*)Tacit., Ann., 1. iv, c. a3.
le bien des alliés, puisqu'il laissait der- (**) Thubusque est, selon Mannert (page
78 L'UNIVERS
tit cette place. Aussitôt Dolabella nul ordre, nul mouvement calculé ; ils
rassemble ce qu'il a de soldats; et, se laissent entraîner, égorger, pren-
grâce à la terreur du nom romain, dre comme des troupeaux. Irrité par
jointe à la faiblesse des Numides en le souvenir de ses fatigues, et joyeux
présence de l'infanterie , il chasse les d'une rencontre désirée tant de fois
assiégeants par sa seule approche, for- et tant de fois éludée , le soldat s'eni-
tifie les postes avantageux, et fait tran- vrait dé vengeance et de sang. On fit
cher la tête à quelques chefs musa* dire dans, connu les rangs
lans qui préparaient une défection ; farinas de de touss'attacher
après tantà Tac-
de
puis, convaincu, par l'expérience de combats ; car si le chef ne périssait,
plusieurs la guerre n'aurait jamais de fin; mais
pesante etcampagnes marchant ,en qu'une
un seul armée
corps le Numide, voyant ses gardes renver-
n'atteindrait jamais des bandes vaga- sés, son fils prisonnier, les Romains
bondes, ilappelle le roi Ptolémée avec débordant de toutes parts , se préci-
ses partisans, et forme quatre divi- pite au milieu des traits, et se dérobe
à des sions,tribuns. qu'il donneDesà desofliciers
lieutenants ou
maures à la captivité par une mort qu'il fit
payer cher. La guerre finit avec lui. »
choisis conduisaient au butin des trou- Ainsi périt Tacfarinas, aussi héroï-
pes légères; lui-même dirigeait tous quement que Spartacus , et après une
les mouvements. lutte glorieuse contre Rome. Le roi
« Bientôt on apprit que les Numi- des Garamantes fit sa soumission , et
des, réunis près des ruines d'un fort Ptolémée fut récompensé par le sénat.
nommé Auzéa , qu'ils avaient brûlé L'histoire de Tacfarinas méritait d'au-
autrefois , venaient d'y dresser leurs tant plus d'être rapportée entièrement,
huttes et de s'y établir, se fiant sur la que ce chef semble revivre de nos
bonté de cette position, tout entourée jours dans le prince africain qui op-
de vastes forêts. A l'instant des es- pose en ce moment aux armes de la
cadrons et des cohortes, libres de France une résistance si acharnée. L'a-
tout bagage, et sans savoir où on les nalogie est frappante : la tactique et
mène , courent à pas précipités. Au les ruses du chef actuel des tribus
jour naissant, le son des trompettes et africaines sont les mêmes que celles du
un cri effroyable les annonçaient aux Numide. Or, si les Romains, après
barbares à moitié endormis' Les che- une occupation déjà longue , employè-
vaux des Numides étaient attachés, ou rent sept années à réduire ce rebelle,
erraient dans les pâturages. Du côté faut-il s'étonner si nous n'avons pu
des Romains , tout était prêt pour le encore, aux débuts de notre établisse-
combat , les rangs de l'infanterie ser- ment dans ce pays, dompter un ennemi
rés, la cavalerie à son poste. Chez les dont les ressources sont, sans contre-
ennemis, rien de prévu : point d'armes, dit, plus considérables que celles de
Tacfarinas , et qui , de plus , agit sur
5ig), la même ville queTubusuptus, placée des populations encore fanatiques,
par l'itinéraire d'Antonin à 28 milles de non - seulement par l'autorité mili-
Saldae, entre ce port et Silifis. C'était une taire, mais par l'influence plus grande
des principales villes de l'intérieur. La carte de la religion?
de Shaw nomme cet endroit Burgh. On CALIGULA SÉPARE EN AFRIQUE
voit, comme le remarquent les auteurs des
L'ADMINISTRATION CIVILE DE l'ad-
Recherches sur l'Afrique septentrionale, ministration militaire. — Quoique
que le théâtre de cette guerre était la partie
maritime de la province de Sitifis; Tacfa- Tacfarinas fût abattu , l'Afrique con-
rinas porta toujours ses efforts sur ce point. tinuait toujours à donner du souci
Mais sa retraite était au sud ; et quand on aux empereurs. Les nomades ne se
parvenait à le chasser, il fallait guerroyer fixaient pas encore , et l'intérieur du
vers le désert, et loin à l'est vers la Tripo- pays était éternellement agité. On
litaine, puisque les Garamantes ses alliés avait tout à craindre d'une province si
habitaient la région actuelle du Fezzan. turbulente, où , comme en Egypte, la
79

NUMIDIE ET MAURITANIE.
rébellion séjournait dans le peuple, changement est rapporté aux temps de
et pouvait facilement entraîner les Dioclétien ; mais il n'en est fait men-
gouverneurs. Et cependant il impor- tion la première fois que dans la no-
tait de maintenir ce pays riche et po-
ÉTATde l'empire
tice DE LA d'Occident.
NUMIDIE ET DE LA
puleux, qui nourrissait Rome et l'Ita- MAURITANIE SOUS LES ANTONINS ;
lie. AussitrationCaligula sépara
militaire dans les l'adminis-
provinces INCURSIONS DES GETULES ET DES
d'Afrique.
commandement des armées , et plus
Le proconsul n'eut , là oùle MAURES ; CHANGEMENTS DANS L'AD-
MINISTRATION.—L'histoire de la Nu-
il y avait deux pouvoirs et deux hom- midie et de la Mauritanie, dans les
mes, l'union pour la révolte devenait deux premiers
résume siècles
en deux faitsde : l'empire, efforts desse
plus difficile. Bien plus, les dissensions
des deux chefs, toujours en désaccord princes pour acclimater sur le sol
sur les limites de leurs attributions, africain la civilisation romaine; dé-
fense des frontières contre les barba-
étaient pour l'empereur une nouvelle
cause de sécurité. Caligula avait pris res du sud, qui les franchissaient fré-
cette mesure au moment où il confiait quemment. Déjà, au temps de Pline,
le proconsulat d'Afrique à M. Silanus, l'état social des anciens royaumes
dont le rang et l'illustration étaient de Juba et de Bocchus était grande-
bien propres à lui inspirer des défian- ment modifié. La Mauritanie césa-
ces. Cette disposition fut maintenue, rienne renfermait au moins treize co-
et appliquée plus tard à toutes les au- lonies romaines , trois municipes li-
tres provinces. Ce fut une des grandes bres deux
, colonies en possession du
modifications introduites par l'empire droit latin, et une jouissant du droit
dans l'ancienne administration répu- italique. Toutes les autres villes étaient
blicaine. ^ des villes libres ou tributaires. La Nu-
LA MAURITANIE DEVIENT PRO- midie avait douze colonies romaines
VINCE romaine (42 de notre ère). — ou italiques, cinq municipes, et trente
Le règne de Claude complète la con- et une villes libres : les autres étaient
quête de l'Afrique
effectuant la réunion septentrionale
de la Mauritanie. , en soumises au tribut (*).
Les incursions des Musulans, des
Les deux nouvelles provinces formées Gétules et des autres tribus du désert,
alors , la Tingitane et la Césarienne, avaient commencé dès le principat
furent au nombre de celles qui dé- d'Auguste , et rarement les posses-
sions romaines furent en repos par le
entretenir pendaiedes
nt del'empereur, car il y fallait
forces considérables. voisinage de ces barbares. On manque
Chacune était gouvernée par un pro- de documents sur les actes d'hostili-
curateur. Elles étaient séparées l'une tés qui avaient lieu continuellement
de l'autre par le fleuve Mulucha. Plus de part et d'autre. Seulement, on ren-
tard, à une époque où les empereurs contre par intervalles, dans les histo-
adoptèrent le système de subdiviser riens, de rares et courtes indications.
les provinces, la Mauritanie césarienne
fut partagée en deux régions. Tout ce Ainsi on sait, par le biographe d'A-
sius Quiétus drien, Spartianusayant, qu'un soulevécertain Lu-
plusieurs
qui était à l'ouest du port de Saldae
jusqu'au Mulucha, conserva le nom de tribus de la Mauritanie, dont il avait
Cxsariensis : depuis Saldae jusqu'à le commandement, l'empereur chargea
l'Ampsaga , on créa la province de Martius Turbo de pacifier la province.
Mauritania Sitifensis, ainsi appelée Ce général, formé àoùl'école
de Sitifis (Sétif), sa capitale (*). Ce quitta la Palestine, il avaitdeTrajan,
réprimé
la turbulence des Juifs, et calma l'agi-
(*) Sitifis (Sétif) n'avait point eu d'im- \int très-prospère; des routes y aboutis-
portance sous les rois numides ; c'était une saient de toutes les directions.
ville de l'intérieur. Les empereurs en firent
un centre considérable , l'agriculture y de- (*) Recherches sur l'Afrique sept., p. 14,
80 L'UMVERS.
tation de la Mauritanie. Une statue que et dans la Bétique. En effet, dans
fut élevée en son honneur. cette province sénatoriale, nous voyons
Antonin força aussi les Maures rebel- un P. Tullius Varro procurateur de la
les àdemander la paix. Voici comment Bétique, c'est-à-dire gouverneur de la
Pausanias parle de cette guerre : « L'em- Bétique au nom de l'empereur. Dans
pire, dit-il, fut attaqué parles Maures, ces inscriptions, où l'ordre de préémi-
peuplade la plus considérable des Li- nence des titres est très-régulier, le
byens indépendants. Ces Maures, noma- mot procurateur succède à celui de
des comme les Scythes, sont bien plus légat propréteur, et précède celui de
difficiles à vaincre que ces peuples, préteur. Or, Capitolin nous apprend
puisqu'ils voyagent a cheval , eux et que Marc-Aurèle fut contraint, par
leurs femmes , et non sur des cha- les nécessités de la guerre, de changer
riots. Antonin les ayant chassés de la hiérarchie établie pour les provin-
toute la partie del'Afrique soumise aux ces.
Romains, les repoussa aux extrémités « De même l'Afrique, provinceavait
sé-
de la Libye, dans le mont Atlas, et natoriale dont ce même Varron
sur les peuples voisins de cette chaîne.» été proconsul, s'était révoltée plus
Sous le règne de Marc-Aurèle, les tard, ou avait été attaquée par les
dangers de l'empire devinrent plus Maures, puisque Marc-Aurèle y envoya
graves. Les barbares, comprenant que des troupes et la rendit province im-
ce grand corps s'affaiblissait enfin, l'at-
taquèrent avec un acharnement in- plus dèspérialelelors
: gouverneur que le titreDasumius n'eut
seul de légat,
croyable. Depuis ce temps, Rome ne ou celui de légat propréteur.» Ainsi,
songea plus à envahir, s'estimant heu- le danger de l'empire et l'intérêt public
reuse de pouvoir préserver ses fron- forcèrent Marc-Aurèle à compléter ces
tières. Les Maures (et par ce mot il usurpation^sur les droits du sénat, que
faut entendre les peuples indomptés les premiers empereurs avaient com-
voisins de l'Atlas) ne furent pas les mencées par défiance et par tyrannie.
moins ardents ni les moins dangereux. L'AFRIQUE SOUS LES SÉVÈRES ; PRO-
Julius Capitolinus, dans la vie de GRÈS DE LA civilisation; ÉDIT DE
Marc-Aurèle, nous révèle sur leurs caracalla. — Cependant, à mesure
tentatives un fait important et cu- que la civilisation romaine se répan-
rieux :« Ni les garnisons romaines, ni dait dans l'Afrique occidentale, cette
le détroit de Gadès, n'empêchèrent les contrée exerçait une influence de plus
hordes de l'Atlas de prendre l'offen- en plus grande sur les destinées généra-
sive, de pénétrer en Europe, et de ra- les de l'empire. Au commencement du
troisième siècle de notre ère, l'homme
Tel estvagerdu une grande
moins partie le sensde qui
l'Espagne.
semble qui gouvernait le monde romain était
ressortir des paroles un peu vagues de né en Afrique. C'était Septime Sévère.
Jules Capitolin(*), à moins qu'on ne Il est vrai qu'il était de Leptis, dans la
veuille supposer que ces hostilités, ré- province proconsulaire; mais il regar-
primées enfin par les lieutenants de dait l'Afrique tout entière comme sa
l'empereur, s'exerçaient par mer, et patrie, etellefut toujours pour ce prin-
qu'il y avait déjà alors sur les côtes
d'Afrique des corsaires ou des pirates, plusce unRome
pays seulement
de prédilection. Ce n'était
qui agissait sur
comme de nos jours nous en avons vu les provinces : celles-ci devaient domi-
sortir des ports d'Alger. ner tour à tour dans la cité qui les avait
« Les inscriptions découvertes en conquises. La Gaule et l'Espagne
avaient placé sur le trône impérial les
eut desà mouvements
1829, Tarquinies, prouvent sérieux enqu'il
Afri-y
premiers empereurs étrangers à l'Ita-
lie :l'Afrique et la Syrie donnèrent la
(*) Jul. Capit., Ant. Philos., xxi : « Cum dynastie fricains,
des venus
Sévères.
Mauri Hispauias prope omnes vastarent, à RomeUnesousfoule d'A-
ces prin-
res per legatos bene geslœ sunt. » ces, ybrillèrent au premier rang,
NUMIDIE ET MAURITANIE.
81
à l'armée, au barreau, dans la littéra- traversait à désavouer Gordien. Ce-
ture. La Numidie, la Mauritanie elle- lui-ci opposa son fils à cette attaque
même présentaient partout l'aspect imprévue. Mais Capelien avait la répu-
d'une terre civilisée. Des routes nom- tation d'un vieux soldat
breuses et sûres sillonnaient ces con- rience etde bravoure ; sonplein d'expé-
adversaire
trées en tous sens, en longeant les était plutôt connu par son luxe et ses
côtes, ou en pénétrant dans les villes débauches que par ses talents militai-
importantes de l'intérieur. Bientôt l'é- res. Dans la bataille qui se livra, le
dit de Caracalla éleva tous les habi- jeune Gordien fut vaincu et tué; son
tants libres de l'empire au rang de ci- corps , enseveli sous un monceau de
toyens (216), et il n'y eut plus entre cadavres, ne fut retrouvé que plusieurs
les hommes d'autre distinction que jours après. A cette triste nouvelle,
cellede Romains etd'esclaves. Cette me- le vieuxrioritéGordien , considérant l'infé-
sure n'avait pas seulement pour objet deses forces, les ressources de
d'augmenter le nombre des contribua- Capelien, l'instabilité de la la
foi mort.
afri-
bles ,elle, tendait encore à multiplier caine, résolut de se donner
les ressources militaires de l'État et à Il se pendit. Le vainqueur usa cruel-
faciliter sa défense, en donnant à tous lement de son triomphe; il dressa des
le droit d'être enrôlés dans les légions. échafauds, prononça des confiscations,
Du reste, on ne trouve aucune indica- et n'épargna aucun des ennemis de.
tion particulière sur la Numidie ou la Maximin : même les villes et les tem-
Mauritanie à cette époque, excepté ces ples furent livrés au pillage, et le bu-
mots de Lampride tin abandonné aux soldats. Capelien
lexandre Sévère : dans la vieCelsus
« Furius d'A-
changea l'administration municipale
remporta des avantages dans la Mau- des villes , et se rendit cher aux trou-
ritanie Tingitane(*).»> pes et à la populace. Cet ancien inten-
TROUBLES EN AFRIQUE A LA MORT dant de la Mauritanie aspirait a la
D'ALEXANDRE SÉVÈRE ; LES DEUX pourpre impériale , et préparait les
GORDTENS; ILS SONT VAINCUS PAR voies pour succéder à Maximin. On
capelien (237 et 238 de notre ère). ne sait rien sur la fin de sa carrière
— Alexandre Sévère ayant été assas- (238).
siné par le Goth Maximin, toutes les gallien; incursions des francs
provinces virent avec effroi ce barbare en mauritanie; tremblement de
maître de l'empire. L'Afrique donna terre; l'usurpateur celsus (de
l'exemple du soulèvement; le vieux 260 à 268 de notre ère). — Le règne
Gordien, qui la gouvernait, fut pro- de Gallien fut signalé par des calamités
clamé àTysdrus ; il prit son fils pouret des hontes de toute espèce. Pendant
collègue, et le sénat les reconnut. Mais que l'anarchie intérieure semblait près
les deux Gordiens, proclamés en Afri- de dissoudre l'empire, les barbares en
que, y trouvèrent aussi la ruine de ravageaient impunément les provinces.
leurs espérances et leur fin. La Mau- Les Francs , après avoir franchi ie
Rhin, se répandirent dans la Gaule et
ritanie avait pour gouverneur un cer-
tain Capelianus, ennemi personnel de dans l'Espagne. Lorsque le pays, épuisé
Gordien , et dévoué à Maximin. A après douze ans de ravages, ne leur
peine empereur, Gordien destitua Ca- offrit plus de butin , ils s'emparèrent
pelien, et lui donna un successeur.
de quelques vaisseaux dans les ports
Mais Capelien ayant réuni une armée d'Espagne, et passèrent en Mauritanie.
composée de Maures d'élite et d'autres « Quel dut être, dit Gibbon , à la vue
troupes rassemblées à la hâte, marcha de ces peuples féroces, l'étonnement
sur Carthage , forçant les pays qu'il d'une région si éloignée? Lorsqu'ils
abordèrent sur la côte d'Afrique , cù
(*) Actre sunt res féliciter et in Maurila- l'on ne connaissait ni leur nom , ni
nia Tingitana per Furium Celsum (c. lviii). leurs mœurs, ni leurs traits, ils pa-
6
6e Livraison. (Numidie et Mauritanie.)
82 L'UNIVERS.
rurent sans doute tomber tout à coup ment l'Afrique.» Ces Quinquégentiens,
d'un nouveau monde (*). » Cette inva- que plusieurs ont placés dans la Pen-
sion passa sans laisser de traces; tapole , étaient des tribus voisines de
mais les Francs avaient indiqué la la Mauritanie (*) romaine, des Mau-
route que les Vandales devaient sui- res indépendants. Ces peuples étaient
vre deux siècles plus tard. Trébellius presque toujours armés les uns contre
Pollion mentionne aussi à cette épo- les autres, comme le fait comprendre
que un terrible tremblement de terre Claudius Mamertinus, à travers l'em-
qui bouleversa toute la Libye. La phase de son style de rhéteur. « Là où
terre s'entr'ouvrit en plusieurs en- se perd la lumière, dit-il, à l'endroit
droits, etla mer reflua sur les rivages où le mont Calpé se tourne vers le ri-
et engloutit plusieurs villes. Toute- vage ledesein
la Tingitane , et ouvre à l'O-
fois, la Mauritanie et la Numidie fu- céan de la Méditerranée, les
rent àpeine agitées par les désordres nations s'acharnent contre leur pro-
qui éclatèrent à cette époque où paru- pre sang. Privées du bonheur d'ap-
rent les trente tyrans. Celsus , le seul partenir aux Romains, elles portent la
usurpateur qui parut en Afrique , ne peine de leur indomptable férocité.
fut reconnu que par la Libye et la La nation des Maures se déchire les
proconsulaire, et encore son règne ne entrailles avec fureur, etc.. » Cepen-
dant cette invasion des Maures indé-
dura que sept
occidentale restajours.
fidèleAinsi, l'Afrique
à Gallien. pendants dans la province romaine
EXPLOITS DE PROBUS EN AFRTQUE ; semble prouver qu'ils avaient fait trêve
GUERRE DE MAXIMIEN CONTRE LES à leurs hostilités, pour piller ensem-
quinquégentiens (297 de notre ère). ble les terres de l'empire. Maximien
— Probus , avant d'être empereur , lit dompta les Quinquégentiens. « Tu as
glorieusement la guerre en Afrique. vaincu, dit Mamertinus dans le pané-
« Il combattit avec courage les Mar- gyrique tuqu'il adresse à celesprince, tu
marides, dit Flavius Vopiscus, et les as soumis, as déporté sauvages
vainquit. Étant passé de la Libye à tribus des Maures, malgré les monta-
Carthage , il y réprima les rébellions. gnes inaccessibles et les remparts na-
Il provoqua et tua en combat singulier turels qui les protégeaient. » Quant à
un chef de tribus africaines , nommé Julianus, il fut réduit à se donner la
Aradion ; et comme il avait reconnu mort.
en lui de la fermeté et de la bravoure, Ce fut après avoir terminé cette
il fit élever en son honneur un grand guerre que Maximien opéra quelques
sépulcre : ce monument a 200 pieds changements
de largeur, et il subsiste encore. Il le la Numidie etdans de l'administration de
la Mauritanie. La
fit élever par ses soldats , qu'il ne lais- Numidie devint province consulaire.
sait jamais dans l'oisiveté .(**). » La Mauritanie Sitifensis fut détachée
Sous Dioclétien, les Mauritanies et de la Césarienne, et la Tingitane fut
l'Afrique furent désolées par une réunie a l'Espagne, et en forma la sep-
guerre sérieuse qui nécessita la pré- tième province.
sence de Maximien. Cet événement USURPATION d'alexandre; maxen-
n'est qu'indiqué dans Aurélius Victor, ce le renverse ; il opprime l'a-
Eutrope et les panégyristes. Point frique; gouvernement de Cons-
d'explications ni de détails ; car, à cette tantin. — Dioclétien avait rétabli la
époque de décadence littéraire, l'his- grandeur et la tranquillité de l'empire.
toire dégénère tout à fait en chroni- La tétrarchie, en divisant le pouvoir,
que. «Julianus et les Quinquégentiens, rendait la défense des frontières plus
dit Aurélius Victor, agitaient violem- facile ; mais quand Dioclétien se fut
retiré à Salone, les Augustes et les Cé-
(*) Gibbon, Décad. de l'emp. romain,
t. II, p. i33. (*) Voyez la note de M. Marcus, p. 7x7
de la traduction de Mannert.
(**) Flav. Vopisc. , Vie de Prob., ch. ix.
83

NtJMIDIE ET MAURITANIE.

sars
tous qu'ilrivaux.laissait après lui
A la faveur devinrent
de leurs dis- rement modifié l'état des esprits ; d'ail-
leurs Constantin la combla de bienfaits,
sensions ,un usurpateur s'éleva en et, depuis trois siècles, la reconnais-
Afrique. C'était un Pannonien appelé sance envers les empereurs se manifes-
Alexandre, de la plus basse origine,, tait par leur apothéose. En 322, Cons-
qui se maintint pendant trois ans dans tantin rendit un édit destiné à soulager
la contrée ( 308-311 ). Maxence , in- l'Afrique de la profonde misère où la
quiété par Constantin , fut contraint tyrannie de Maxence l'avait plongée. Il
de le laisser jouir quelque temps de dit dans ce décret qu'il a appris que des
son usurpation. Mais, avant de lutter parents, pressés par le dénûment, ven-
contre le fils de Constance Chlore, il daient leurs enfants, qu'ils ne pouvaient
renversa ce faible et méprisable ad- plus nourrir; il indique les secours à
versaire. Ilenvoya Volusianus, préfet donner à ces malheureux, et la source
du prétoire, avec quelques cohortes, où il faut les puiser; il accorda aussi une
et il suffit d'un combat pour dépouil- diminution d'impôts, et affranchit les
ler Alexandre. Maxence désola Car- provinces agricoles d'Afrique des tri-
thage et toutes les plus belles parties buts de blé et d'huile qu'elles avaient
de l'Afrique par ses cruelles vengean- d'abord offerts volontairement à Sep-
ces, et s'y rendit aussi odieux qu'en time Sévère, et qui s'étaient changés
Italie. « Il paraît certain que la Numi- depuis en contributions régulières et
die avait aussi accepté la domination forcées.
d'Alexandre , et morne que ce timide ÉTAT RELIGIEUX DE L'AFRIQUE AU
usurpateur, après avoir perdu Car- QUATRIÈME SIECLE ; SCHISME DES
thage presque sans combat , s'était, donatistes.— Mais un mal auquel
comme Adherbal, réfugié sous l'abri Constantin ne put remédier, ce furent
de la position forte de Cirta. Telle est, les dissensions religieuses qui éclatè-
du moins, l'induction très - probable rent en Afrique quelques années après
la défaite de Maxence. Aux rivalités
qu'on peut tirer de la phrase d'Auré-
lius Victor , qui nous dit , avec sa con- des ambitieux qui se disputaient le
cision ordinaire, que Constantin, vain- siège primatial de Carthage se joigni-
queur de Maxence , fit relever, embel- rent les ardentes controverses d'héré-
lir la ville de Cirta, qui avait beaucoup tiques opiniâtres, et le schisme des
souffert dans le siège d'Alexandre , et donatistes prit naissance. Il dura trois
qu'il lui donna le nom de Constan- siècles, et ne disparut de l'Afrique
tine (*). » qu'avec le christianisme même. Il y
La chute de Maxence excita dans tou- eut deux évêques hérétiques du nom
tes les provinces qu'il avait opprimées de Donat : le premier, qui occupait le
la joie la plus vive. Constantin fut sa- siège de Cases noires en Numidie ,
lué comme un libérateur. Par une con- commença le schisme vers 305, en re-
tradiction singulière, le premier empe- fusant d'admettre à la communion les
reur chrétien toléra et encouragea en traditeurs, c'est-à-dire ceux qui avaient
Afrique le culte idolâtrique de sa per- livré les saintes Écritures pendant la
sonneil; fit ériger un temple et institua persécution de Dioclétien. Il fit dépo-
un collège de prêtres en l'honneur de la ser Cécilien, évêque de Carthage, qui
famille ilavienne, dont il se disait des- usait d'indulgence envers les tradi-
cendu. Une inscription prouve que ce teurs; mais il fut lui-même excommu-
culte existait encore au temps de Cons- nié par le pape Melchiade (313) et par
tance. Telle était la force des habitudes plusieurs conciles. Cependant Céci-
et des préjugés du paganisme; l'Afri- lien fut réélu primat d'Afrique ; mais
que se prêtait volontiers à cette ado- les évêques de Numidie , qui n'avaient
ration de la créature humaine, car la foi point pris part à cette décision , se dé-
chrétienne n'y avait pas encore entiè- clarèrent, au nombre de soixante-dix,
pour un second Donat, homme 6. deha-la
(*) Recherches sur l'Afrique sept. , p. 26. bile, et qui affectait les dehors
84 L'UNIVERS.

vertu la plus austère (316). Pour em- contentement plus légitime. Vers la
pêcher ces déchirements de l'Église fin du règne de Valentinien Ier, l'Afri-
d'Afrique, le que était gouvernée par le comte Ro-
tervinrent; etpape et l'empereur
les décrets des concilesin-
manus ; plusieurs villes, opprimées
d'Arles et de Rome , le jugement su- par son odieuse tyrannie, demandè-
prême de Constantin, dans son sacré rent justice à l'empereur. Romanus
consistoire , reconnurent les droits de éluda , à force de ruses et d'intrigues,
Cécilien. L'exil fut prononcé contre une condamnation méritée, et les ré-
les chefs du parti opposé; néanmoins, clamations deces malheureuses cités
les donatistes se maintinrent dans plu- ne servirent qu'à aggraver leur sort
sieurs provinces , particulièrement (371). Cette iniquité déposa dans tous
en Numidie, et quatre cents évêques les cœurs les germes d'une irrita-
reconnurent l'autorité de leur primat. tionmentprofonde
« Mais l'invincible esprit de secte de, dit terrible., présages Enlin, lesd'un soulève-
tribus bar-
Gibbon, dévorait les entrailles la
bares ,châtiées par Maximien
tendaient aussi que le moment de se, n'at-
secte même , et l'Église schismatique
était déchirée par des dissensions in- venger de ses rigueurs. Tout était fa-
testines. Le quart des évêques donatis- vorable àla révolte, et il ne fallait
tes suivaient la doctrine indépendante
des maximianistes. Le sentier étroit et qu'un chef
diriger les pour
forcescommencer l'attaque,et
des mécontents,
solitaire que leur avaient marqué leurs
premiers conducteurs les éloignait de opérermes la séparation
regardaient commequele tant d'hom-
seul remède
plus en plus du genre humain; et la à leurs maux.
petite secte , à peine connue sous le RÉVOLTE DE FIRMUS *, SA NAIS-
nom de rogatiens , affirmait avec as- SANCE CAUSE
; DE SA REBELLION ; IL
surance que si le Christ descendait du pille césarée (371 de notre ère).—
ciel pour juger les humains, il ne re- Ce chef tant désiré ne tarda pas à
con aîtrait lapureté de sa doctrine paraître : ce fut le Maure Firmus,
que dans quelques villages obscurs homme influent, actif et habile, réu-
de la Mauritanie Césarienne (*). » Irri- nissant toutes les conditions nécessai-
tés par la persécution , les donatistes res àson rôle, et qui , dans l'histoire
prirent les armes : un grand nombre des résistances de l'Afrique contre
d'habitants des campagnes , enrôlés Rome , se place , par son esprit de
dans la secte des circoncellions, por- ruse et sa bravoure , au-dessus de Tac-
tèrent de tous côtés le ravage et l'in- farinas et à côté de Jugurtha. Le
cendie. Constantin fut obligé de les même intérêt que nous avons trouvé
combattre, et on en fit un grand car- dans les autres guerres soutenues
nage. Ces troubles funestes nuisirent pour l'indépendance
à îa prospérité du pays , affaiblirent trouve encore dans cetteafricaine
dernière selutte,
re-
l'autorité impériale , et encouragèrent qui nous offre aussi des rapproche-
les révoltes des tribus indigènes. ments curieux et des leçons profita-
MÉCONTENTEMENT GENERAL . DES
bles. Malheureusement nous n'avons
provinces africaines. — Ainsi , le plus pour guides des historiens comme
schisme des donatistes cessa d'être Tacite ou Salluste; la tentative de
une simple révolte contre l'unité de Firmus ne nous est racontée que dans
l'Église. Ces fanatiques , proscrits par un des chapitres les plus mutilés d'Am-
lesdnpereurs , aspirèrent à se sépa- mien Marcellin (*). Cependant il faut
rer de l'empire, et conspirèrent à la fois rendre à cet écrivain cette justice, qu'il
contre la société politique et contre la était habile homme de guerre , ins-
communion chrétienne. Il existait en-
truit en géographie , et ami de l'exac-
core en Afrique des causes d'un mé- titude etde la vérité. D'ailleurs , Til-
(*) Gibbon, Dccad. de l'empire romain, (*) Amra. Marcel., liv. xxix, ch. aa et
t. IV, p. i65 , ch. xxr. suiv.
85

NUMIDIE ET MAURITANIE.
lemont a éclairci toutes les difficultés la ville d'Arles avec une petite flotte r
et vient aborder sur la côte de la Mau-
chronologiques ; les savants acadé-
miciens cités plus haut ont discuté ritanie Sitifensis, que les habitants ap-
tous les points de géographie avec une pellent Igilgitaine(*). Romanus se trou-
grande netteté; et, au moyen de tels vait alors par hasard sur le même ri-
l'in- vage :Théodose eut une entrevue avec
ce etdes venir
secours, onsuf isanpeut à bout dude texte
obscurités lui, et, après quelques légers reproches
de l'auteur ancien. sur ce qui s'était passé , il le chargea
Firmus était fils de Nubel, puissant de surveiller les avant-postes et les
chef de tribus mauritaniennes. A sa frontières de la Césarienne. Il dépêcha
mort, Nubel laissa une nombreuse pos- vers Carthage Gildon , un des frères
térité, qui se disputa sa riche succes- de Firmus, et Maximin, pour obser-
sion; et dans ces querelles, Zamma , ver la conduite de Vincentjus, le com-
l'un de ses fils, fut tué par son frère plice des exactions de Romanus , qui
Firmus. Romanus, dont Zamma avait l'avait laissé dans cette ville en qualité
su se concilier la faveur, poursuivit la de vice -gouverneur. Ainsi Théodose
vengeance de ce meurtre plutôt par concentrait toute l'autorité entre ses
des motifs d'avarice ou de haine per- mains avant de commencer cette lutte,
sonnelle que par amour de la justice, dont il ne voulait être distrait par au-
qui cette fois cependant était de son cun embarras. Après avoir reçu des
côté. Il ne négligea rien pour perdre renforts, il pénétra dans l'intérieur du
Firmus, suscita contre lui des déla- pays, et s'assura de Sitifis, qui était
teurs, qui aggravaient son crime en le restée fidèle , et qui fut le centre de
calomniant auprès du prince. Il enleva ses opérations. Il ne se dissimulait pas
toutes les difficultés de cette guerre ,
à l'accusé tout moyen de justification.
Firmus comprit que sa perte allait se et nous le voyons dans Ammien médi-
décider dans le consistoire impérial; ter soucieusement son plan de campa-
et, pour échapper à une condamnation gne. «L'esprit rempli d'incertitudes ,
que le crédit de son adversaire ren- il s'efforçait de trouver par quels
dait certaine, il prit les armes, et ap- moyens il pourrait manœuvrer sur
pela les Africains à la révolte. De tou- cette terre que l'ardeur du soleil avait
tes parts on accourt à sa voix , et sa brûlée , avec des soldats habitués aux
première tentative est de marcher sur frimas du Nord ; comment il parvien-
Césarée et o> la livrer au pillage ; puis drait àsurprendre un ennemi agile et
insaisissable, et combattant plutôt par
il setiefait
de la reconnaître
Numidie et d'une de la grande par-
Mauritanie
surprises qu'en batailles rangées. » Les
obstacles du terrain semblaient insur-
césarienne. Malgré le silence d'Am-
mien Marcellin , un passage de saint montables.C'était
« dans la région la
Augustin , confirmé par les textes
plus âpre et la plus escarpée de l'Afri-
d'Aurélius Victor , d'Orose , et par que qu'existait le foyer le plus ardent de
l'exergue d'une monnaie , font soup- l'insurrection. C'est ce réseau de mon-
çonner que Firmus prit la pourpre et tagnes abruptes , c'est cet amas de
se fit proclamer empereur. gorges, de défilés, de pics, de lacs et
LE COMTE THÉODOSE EST CHARGÉ de torrents qui se croisent sans inter -
DE LA CxlIERRE CONTRE FIRMUS. SES ruption de Sétif à Cherchel, entre les
PREMIÈRES OPÉRATIONS. IL SE PORTE
deux chaînes de l'Atlas; c'est cette
A sitifis (372 de notre ère). — Ces contrée presque inviable que Firmus
hardis commencements inspirèrent à avait habilement choisie pour y ame-
Valentinien une vive inquiétude, et il ner les Romains et en faire le théâtre
envoya , pour
meilleur châtier
de ses l'usurpateur
généraux , le
, le comte de la guerre (**). »
(*) Il dut prendre terre au port de Gi-
Théodose, qu'Ammien compare à Cor- gelli , que Shaw appelle Jigel , et qui se
bulon et aux plus habiles lieutenants trouve entre Bougie et le cap ftougiarone.
de Trajan. Théodose part sans bruit de (**) Recherches sur l'Airiq. sept. , p. 32.
86 L'UNIVERS.
FIRMUS ESSAYE DE TROMPER THÉO-
dus resPetrensis
de Firmus (*) , que l'un
, Salmacès des frè-
, venait de
DOSE. — Firmus, outre les avantages
d'un caractère persévérant, possédait faire construire avec une somptueuse
encore les ressources d'un esprit rusé magnificence. Non loin du théâtre de
et perfide. Pour inspirer à Théodose cette première bataille était la ville de
une fausse confiance, il affecta, comme
Lamfocta , dont Théodose s'empara à
Jugurtha à l'égard deMétellus, de dé- l'instant même. Avant de pousser plus
sirer vivement la paix, et députa au chef avant , il fit amasser dans cette ville
romain quelques-uns des siens, chargés une grande quantité de vivres et de
de lui exprimer son repentir, et de reje- munitions, afin d'avoir un magasina
ter, sur ceux qui l'avaient poussé à bout sa portée, si la disette se faisait sentir.
à force d'injustices, le tort de tout ce qui Au milieu de ces préparatifs, Mascézil,
s'était passé. Théodose promit la paix, qui avait réparé ses pertes par de nou-
si Firmus donnait des otages ; mais il velles recrues , affronte de nouveau
ne se laissa pas prendre à ces manifes- l'armée romaine; mais il est vaincu
tations suspectes, et il courut vers la une seconde fois, et ne dut qu'à la
station Panchariana (*) , pour y faire rapidité de son cheval de ne pas tom-
ber aux mains des ennemis.
la revue des légions d'Afrique qu'il y FEINTE SOUMISSION DE FIRMUS.
avait réunies. Sa présence et ses paro-
THÉODOSE LUI ACCORDE LA PAIX. IL
les excitèrent au plus haut point l'ar-
deur des troupes. Il était également va A césarée. — Firmus, découragé
cher aux habitants de la province, dont par le mauvais résultat de ces opéra-
il respectait les propriétés et qu'il ga- tions qu'il avait dirigées, en revint à
rantis ait detout pillage. Après avoir sa première ruse, et demanda la paix
opéré la jonction des légionnaires et avec une grande apparence de sincé-
des troupes indigènes, il marcha vers rité. Il se servit de l'intermédiaire de
Tubusuptus, ville voisine des monta- prêtres du rit chrétien, dit Marcel-
gnes de Fer. Là, il rencontra une nou- lin, pour entamer les négociations.
velle ambassade de Firmus ; mais Ceux-ci vinrent avec des otages, et dé-
comme elle n'amenait pas les otages, sarmèrent leressentiment de Théo-
il la renvoya. dose, qui consentit à une entrevue avec
Théodose avait pénétré les intentions Firmus. Le Maure se présenta plein
de défiance, et monté sur un cheval
de Firmus , et le temps d'agir était
venu. Après une course rapide, l'ar- dont la vitesse pouvait le préserver en
mée de Théodose fut aux prises avec cas de surprise. Mais arrivé en pré-
les tribus des Tyndenses et des Mas- sence de Théodose, il se rassura à la
sissenses, que commandaient Mascézil vue de la majesté loyale et imposante
et Dius, deux autres frères de Firmus. de ce chef redoutable; et, mettant
On combattit d'abord de loin avec des pied à terre, il courba la tête, et, dans
flèches, puis une mêlée furieuse s'en- une humble attitude, fit l'aveu de sa
gagea ,et l'horreur de ce combat était faute et en implora le pardon. Théo-
augmentée par les hurlements plain- dose lui donna le baiser de paix; et
tifs des barbares blessés ou faits pri- deux jours après, conformément au
sonniers. Les Romains vainqueurs se traité, Firmus restitua les prisonniers,
répandirent dans la campagne, et mi- les drapeaux, son butin et ses trésors.
rent tout à feu et à sang. Ce fut dans Tout fut remis à Icosium (**). A ce
ce pillage qu'ils détruisirent de fond en prix, Firmus arrêta Théodose, obtint
comble la superbe résidence du fun-
(*) Tout ceci se passe dans le Séboue ,
(*) Lieu inconnu , à moins qu'on ne district plat et fertile , entouré de monta-
veuille y voir la même chose que la station gnes ,au sud de Dellys.
Paratianis, aujourd'hui Pacdana, située près (**) Selon Shaw, Alger serait sur rempla-
de la mer, sur la voie romaine de Saldee à d'Iomnium.
cement d'Icosium ; selon d'autres, sur celui
Hippone.
NUMIDIE ET MAURITANIE. 87

du temps, et put préparer de nouvelles avec eux deux chefs de la nation des
perfidies. Mazices, Bellen et Féricius, dont ils
Cette soumission du chef n'avait s'étaient rendus maîtres. Théodose or-
pas entièrement pacifié le pays. Théo- donna leur supplice. Après la prise du
dose le parcourut en tous sens, et, fort de Gallonas et du fortTingitanus,
après de longues marches, il entra à Théodose envahit le pays des Mazices
Tipasa (*), où il reçut les envoyés des en franchissant la chaîne de l'Ancora-
Mazices (**), peuple maure qui avait sou- rius(*); il les défait complètement, et,
tenu Firmus, et qui voulait détourner poursuivant sans relâche la résolution
la colère des Romains. Loin de les de terminer la guerre par le châtiment
de toutes les tribus, il entre dans la
entendre, Théodose répondit qu'il ne
tarderait pas à les châtier, et se remit contrée des Musones, et s'avance jus-
en marche. Il visita sur son chemin la qu'au municipe d'Auzia, oùTacfarïnas
ville de Césarée, que Firmus avait s'était autrefois retranché. Dans cette
région étaient une foule de tribus
pillée, et qui n'était plus qu'un mon-
ceau de ruines. Mais pendant qu'il son- différentes de mœurs et de langage,
geait àréparer les désastres de cette mais toutes animées de la même haine,
malheureuse cité et à y établir deux contre le nom romain. Cyria, sœur de
légions, il apprend que Firmus, trahis- Firmus, femme déterminée, était au
sant sa foi, se dispose à le surprendre. milieu de ces peuples, leur communi-
FIRMUS REPREND LES ARMES. quant son ardeur et leur prodiguant
THÉODOSE EST CONTRAINT DE RECU- ses immenses richesses. Si Théodose
LER devant lui (373 de notre ère). s'engageait avec sa faible armée sur le
— A cette nouvelle, Théodose change territoire occupé par ces nombreuses
ses dispositions, et, avant de marcher tribus, sa perte était assurée. Firmus
contre les Mazices, il se porte, vers espérait que son ennemi commettrait
l'occident, à Succabar, municipe adossé la magnanime imprudence d'avancer
aux pentes du mont iranscellensis, et toujours, et c'était là qu'il comptait
il place un corps de troupes à Ti- l'envelopper et l'anéantir. En effet,
gava (***). Par ces manœuvres , il occu- Théodose sentit son courage se ré-
pait tous les passages, et éloignait le volter àl'idée de reculer devant ces
danger d'une attaque soudaine. Des àadversaires méprisables, et il hésitait
donner le signal de la retraite. Déjà
conspirations, excitées parmi les trou-
pes par les intrigues de Firmus, ne des multitudes d'ennemis serraient de
servirent près les flancs de sa petite armée, qui
lance et laqu'àfermeté
faire ressortir la vigi-
de Théodose. Il ne comptait que 3,500 hommes; ils
livra une partie des coupables à la fu- apparaissaient à tous les défilés, sur
reur des soldats; d'autres, en plus toutes les hauteurs. Alors, craignant
grand nombre, eurent les deux mains que ces hordes ne lui barrassent le
coupées, et vécurent pour servir cnemin vers la mer, il se décida enfin
à faire ce qui lui avait tant répugné
d'exemple par le Alors
rible châtiment. spectacle de ce ter-
arrivèrent au
d'abord, et il revint sur ses pas, au
camp Gildon et Maximus, amenant milieu de dangers de toute espèce.
Après s'être arrêté quelque temps au
(*) Tipasa est, selon Mannert , la même
domaine de Mazuca , fundum nomine
que le port de Thapsus* Celte ville était à Mazucanwn (**) , il revint en février
l'orient de Césarée.
(*) Mont Ouannaséris.
(**) Les Mazices habitaient à l'occident (**) « La villa Mazucana, dont le nom res-
de Césarée, comme on le voit par la di- semble àcelui de Mazices, est à chercher
rection de la marche de Théodose. entre Tipasa et Auzia. Mazuca est un des
(***)Jil>els-Doui,montagneausudd'Herba frères de Firmus. Il est probable que le
et du Shéliff , doit être le mont Transcel- fundus Mazucan us, à présent Mazuha, était
lensis. — Sur l'emplacement deTigava sont une propriété de ce Mazuca. » (Recherches
des ruines appelées aujourd'hui Herba. sur l'Afrique sept., p. 5g.)
83 L'UNIVERS.
373 sur la cote, dans la ville de Tipasa les armes en faveur de Firmus. Ils
(Dahmouse), où il fit reposer ses étaient postés sur les hauteurs, et il
troupes. paraissait impossible de les forcer dans
THÉODOSE CORROMPT PLUSIEURS leurs positions. Pendant que Théodose
TRIBUS BARBARES ; IL POURSUIT FIR- étudie les lieux et médite son plan
MUS CHEZ LES ABANI ; IL EST EN- d'attaque, des tribus d'Éthiopiens ou
CORE CONTRAINT DE RETROGRADER. de nègres viennent renforcer les Abani
— Théodose séjourna assez longtemps et accroître leur audace. Toutes ces
dans cette cité : toutefois, son repos hordes, se précipitant des montagnes,
n'était pas de l'inaction. Il répandit fondent avec impétuosité, et en pous-
parmi les tribus attachées à Firmus sant des cris affreux , sur les bataillons
de nombreux agents, qui, parlant au romains,tamer. qu'ils
nom de la puissance romaine, et agis- Théodosesont
fut sur le point
encore d'en-
contraint
sant sur les uns par des menaces de de rétrograder devant les Maures;
vengeance, sur les autres par des pro- mais, comme la première fois, il fit sa
messes de récompenses magnifiques, retraite en bon ordre et d'une manière
parvinrent à ébranler la fidélité de ces menaçante, ayant ordonné aux siens
hordes, et à en ramener plusieurs à de serrer leurs rangs, et d'opposer aux
l'obéissance. etLa qui ligueétait
qui formée
avait arrêté barbares un mur impénétrable de pi-
Théodose, des ques et de boucliers. Il parvint ainsi,
Baiures, des Cantauriens, des A vas- sans éprouver de perte, à la ville ap-
tomates, des Casaves, des Dovaresf*), pelée Conteuse, où il découvrit et
fut peu à peu dissoute par cette poli- châtia exemplairement, selon sa cou-
tique rusée et habile, qui fut plus ef- tume, de nouveaux traîtres.
ficace que les opérations militaires. PREMIÈRE CAMPAGNE DE THÉO-
Firmus, craignant pour ses jours, prit DOSE CONTRE LES ISAFLIENS. IL VA
JUSQUE CHEZ LES JUBALENES. SON
le partidesde forces
encore fuir, assez
quoiqu'il lui restât
considérables. retour A auzia ( 374 de notre
A la faveur des ténèbres de la nuit, il ère ). — Théodose était encore à Con-
disparaît, abandonnant à la merci du tense , quand on vint lui appren-
Romain tous ceux qu'il a compromis; dre que Firmus
les Isafliens. s'était retiré
Il ordonne au chefchez
de
et il va se cacher, accompagné de sa
femme, dans les monts Caprariens, cette tribu de lui livrer le fugitif, ainsi
dans des rochers solitaires et inacces- que son frère Mazuca; et, sur son
sibles. Les siens, ne retrouvant plus refus, il envahit ses domaines. Une
leur chef, s'enfuirent précipitamment grande bataille fut livrée, où les bar-
bares montrèrent leur acharnement
de leur camp, qui fut à l'instant oc- accoutumé, et où la supériorité de la
cupé par les soldats de Théodose.
Celui-ci poursuivait son ennemi sans tactique assura l'avantage aux Ro-
relâche, domptant, exterminant tout mains. Un grand nombre d'Isafliens
sur son passage, et imposant aux fut immolé; Firmus combattit avec
tribus consternées des chefs dont il
était sur. Enfin, il arriva aux monts valeur,
mort auet milieu
cherchadesplus d'une
rangs fois la
ennemis;
Caprariens, et dans le pays des Abani mais, à la fin, son cheval l'emporta en
ou Abennae (**), qui tous avaient pris galopant à travers les rochers. Mazuca
ne fut pas si heureux : ayant été blessé
(*) « Ces tribus doivent être placées entre mortellement, il tomba au pouvoir des
Tipasa et Auzia , probablement dans les Romains, fut conduit à Césarée, et y
chaînes du Jibel-Zickar et du petit Atlas mourut de sa blessure. Après sa mort,
au sud d'Alger. » (Rech. sur l'Atriq. sept.,
P- 6o') etc L'emplacement des Mazices étant
connu, fixe celui des Abennae. Celui de
(**) « Les Abennae sont désignés par l'ora-
teur Julius Honorais, auteur d'une Cosmo- l'oppidum Contense est bien incertain; on
graphie mentionnée par Cassiodore, comme peut néanmoins lui assigner sa place entre
voisins des Quinqviégentiens , des Mazices , le grand et le petit Allas. » (Ibid. , p. 6i.)
NUMIDIE ET MAURITANIE.
sa tête fut séparée de son corps , et pour poursuivre et punir un brigand
exposée en public, à la satisfaction de sans ressources. Remets-le à l'instant
tous les habitants de Césarée, que ce entre mes mains , et sois assuré que
spectacle vengeait de la ruine de leur si tu n'obéis pas au commandement
cité. Cette défaite coûta cher aux Isa- de mon invincible souverain, toi et ton
fliens; Théodose parcourut leur pays, peuple vous serez entièrement exter-
pillant et dévastant tout sur son pas- minés. »Igmazen ne répondit que par
sage. des injures, et se retira furieux. Le
S'étant avancé plus loin encore, lendemain, à la pointe du jour, les
Théodose rencontra la nation des Ju- deux armées étaient rangées en ba-
balènes(*), où était né Nubel , père taille, n'attendant plus que le signal
de Firmus. Il dissipa du premier choc de l'action. L'avant-garde de l'armée
les guerriers de cette tribu ; mais, re- barbare était composée de vingt mille
buté par l'âpreté du pays, la hauteur guerriers, et derrière se pressaient des
des montagnes , craignant d'être sur- bataillons plus nombreux encore. C'é-
pris dans ces gorges et ces défilés, tait lahorde des Jesalenses, qui avaient
il revient tranquillement à Auzia. Il y oublié leurs engagements avec Théo-
reçut la soumission des Jesalenses (**), dose, et que Firmus avait regagnés à
qui offrirent d'eux-mêmes des secours sa cause. Se voyant en si grand nom-
et des vivres. Tout autre chef que Théo- bre, les barbares ne doutaient pas
dose eût regardé cette guerre comme qu'ils viendraient à bout d'envelopper
terminée, et fût revenu à la cour jouir les Romains. Le danger était grand
de sa gloire et se reposer de ses fati- en effet; mais les Romains étaient
gues. Ainsi avaient fait autrefois les pleins de confiance dans leurs succès
généraux opposés à Tacfarinas , qu'ils passésral.etThéodose dans l'habileté
recourut àde saleurtactique
géné-
croyaient dompté dès qu'il avait dis- ordinaire : les hommes se rapprochè-
paru. Mais la persévérance de Théo-
dose ne se démentit pas un seul ins- rent, les rangs se serrèrent, et, ap-
tant. Après son séjour à Auzia et à puyés les uns contre les autres, -cou-
Castellum Medianum, il se remit en verts de leurs longs boucliers, ils ne
campagne, et envahit de nouveau le purent être entamés par les Maures.
pays des Isafliens. Le combat dura tout le jour : vers le
SECONDE CAMPAGNE DE THÉO- soir, avant que le soleil eût disparu,
DOSE CONTRE LES ISAFLIENS. GRANDE Firmus se montra aux deux armées ,
BATAILLE. RAVAGE DU PAYS DES JE- monté sur un puissant cheval, revêtu
SALENSES. — LorsquTgmazen , roi d'un éclatant manteau de pourpre; et
des Isafliens, apprit que Théodose en- on l'entendit appeler à grands cris les
trait une seconde fois dans ses États, soldats à la défection, et accabler
il vint h sa rencontre, et lui demanda Théodose d'outrages, lui reprochant
d'unsa air insultant son lui
nomdit etle comte
l'objet sa cruauté envers les siens, et les sup-
de venue. « Je suis, plices qu'il inventait pour les punir.
d'un ton imposant et dédaigneux , je Ces paroles ne furent pas sans effet :
suis le général de Valentinien , mo- si la plupart des soldats de Théodose
narque de l'univers ; il m'envoie ici en furent indignés, quelques-uns se
laissèrent persuader par l'usurpateur,
(*) Les Jubaleni habitaient la chaîne du et quittèrent les rangs. Quand la nuit
grand Atlas au-dessus de Titteri; les Isa- fut venue, le comte romain opéra sa
flenses, les vallées situées entre cette chaîne retraite, et se dirigea vers la forte-
et le Jurjurah. M. Dtireau de la Malle assi- resse Duodiënse (*). Là, l'inflexible
mile les Isafliens aux Inschlowa de la plaine
de Castoula.
(*) Castellum Duodiënse ou Vodiense.Sa
(**) Les Jesalenses sont peut-être, selon position est inconnue, mais il devait être
le même savant, les Welled-Eisa vers le Tit- situé à l'ouest d'Auzia. Mannert, p. 3§3 de,
teri-Dosh. la trad. de M. Marcus.
90 L'UNIVERS.
général mit en jugement ceux de ses manœuvres eurent un plein succès :
soldats qui s'étaient montrés lâches Firmus , ne comptant plus sur ces tri-
ou traîtres; les uns eurent les mains bus découragées , se préparait à cher-
coupées, les autres furent brûlés vifs. cher un asile dans des solitudes, ou
Ammien Marcellin exalte cette barbare chez des peuples plus reculés , lors-
justice de son héros. qu'il s'aperçut qu'il n'avait plus la li-
Les Isafliens avaient poursuivi Théo- bertélaient
de s'enfuir
dose dans sa retraite; mais, repoussés toutes ses :démarches.
des gardes Alors
surveil-il
dans une tentative nocturne sur son prit son parti , et, profitant du som-
camp, ils rentrèrent chez eux. Alors meil de ses gardiens, il s'éloigna avec
Théodose se porta à marches forcées précaution , rampant plutôt qu'il ne
par des chemins de traverse chez les marchait; et quand il fut arrivé dans
Jesalenses, ravagea leur canton, et re- un lieu retiré , il se pendit. Igmazen
vint àSitifi, en passant par les villes fut au davre
désespoir de n'avoir qu'unilca-
de la Césarienne. à présentera Théodose; fit
TROISIÈME CAMPAGNE CONTRE des excuses, et envoya le corps de Fir-
LES ISAFLIENS; IGMAZEN TRAHIT mus, jeté négligemment sur un cha-
FIRMUS; FIN DE CE DERNIER (375 de meau. Toutefois, ce présent ne laissa
notre ère). — Quelque temps après, pas que d'être trés-agréable à Théodose,
Théodose recommença la guerre con- qui campait alors près du fort Rusub-
tre la tribu des Isaîliens. Après de bicari. Il fit exposer publiquement le
nouvelles défaites, le roi Igmazen, qui corps de Firmus ; et quand il eut été
jusque-là avait la réputation d'invinci- reconnu de tous, il ramena ses trou-
ble aux yeux des Maures, craignant pes victorieuses à Sitifi, où il rentra
pour son trône et pour sa vie , résolut avecRÉVOLTE
tout l'appareil d'un triomphateur.
de se débarrasser du fugitif dont la DE GÏLDON ; ELLE EST
cause était désespérée. Comme il con- RÉPRIMÉE PAR MASCÉZÏL (397-398 de
naissait les dispositions des siens en notre ère). — L'Afrique , rattachée de
faveur de Firmus, il fut obligé de nouveau à l'empire, resta en repos
prendre les plus grandes précautions. sous reur
la ferme
Il partit seul de son camp, et eut avec Théodose,domination de l'empe-
fils du vainqueur de
Théodose une entrevue secrète, où il Firmus. Mais les liens de cette réu-
convint de livrer Firmus comme au- nion se relâchèrent à la mort de ce
trefois Bocchus avait livré Jugurtha. grand prince, leetMaure ce fut Gildon,
l'un des qui
frères
N'osant pas le revoir une seconde fois, de Firmus, se
fit le chef de cette dernière tentative
dans la crainte
de Firmus d'éveiller
et des les soupçons
Maures, Igmazen d'indépendance. En récompense des
engagea Théodose à lui envoyer Ma- services qu'il avait rendus au comte
zilla, un des principaux chefs des Ma- Théodose , Gildon avait été investi de
zices , homme sûr à qui l'on pouvait tous les immenses domaines qui ap-
tout confier, et qui leur servirait d'in- suite àla dignité partenaientsa
à famille.
de comteOn l'éleva en-
militaire,
termédiaire. L'entremise de Mazilla
leur fut d'un grand secours ; mais et il fut chargé du gouvernement de
comme les Maures montraient tou- l'Afrique entière , qu'il administra
jours le plus grand attachement pour pendant douze ans avec une autorité
Firmus, Igmazen n'osait exécuter son presque absolue. La faiblesse des fils
projet de trahison. Il engagea à des- de Théodose lui fit concevoir le projet
sein plusieurs combats avec Théodose, de s'emparer de la souveraineté de l'A-
dans lesquels il avait soin de préparer
sa défaite et le carnage des siens ; en frique, et, refusant à Honorius l'hom-
mage qu'il lui devait comme gouver-
sorte que les Isafliens , accablés par neur d'une province de son empire, il
tant de pertes, commencèrent à se re- reconnut en apparence l'autorité
froidir pour Firmus, et à trouver cadius, plus éloigné et plus faible,d'^r-
afin
qu'il leur était à charge. Toutes ces de n'obéir en réalité à personne (397).
NUMIDIE ET MAURITANIE.
91
nie. Mascézil méprisait la multitude
Le conseil de l'empereur d'Occident , des ennemis et les bravades de leur
après l'avoir déclaré rebelle , prit les chef. Après avoir laissé reposer ses
mesures nécessaires pour assurer son
châtiment. Stilichon ne passa pas lui- soldats pendant trois jours , il donna
même en Afrique, mais il confia le le signal d'une bataille générale. Il n'y
soin de cette guerre à un général ac- eut presque pas de combat : en pré-
tif, et animé du désir de venger sur le sence des vétérans de l'empereur, les
rebelles et les barbares qui soutenaient
encore des
tyran un injures frère depersonnelles. C'était
Firmus, un des fils Gildon se sentirent intimidés. Un
de ce Nubel , dont la postérité était porte-étendard ayant par hasard baissé
depuis longtemps si activement mêlée son drapeau , tous l'imitèrent et se
à tous les troubles de l'Afrique. Cet rendirent, les autres se dispersèrent,
homme, appelé Mascézil, avait été très- et cette multitude s'évanouit. Gildon
attaché au parti de Firmus, comme on gagna la mer pour se réfugier en
l'a vu plus haut ; mais les indignes Orient. Rejeté par les vents contraires
procédés de Gildon a son égard, le sur la côte , il entra dans le port de
meurtre de ses deux enfants que ce Tabraca, qui est sur la limite de la
tyran avait massacrés , assuraient Sti- Numidie et de l'Afrique propre. Les
lichon qu'il trouverait en Mascézil habitants le saisirent et le jetèrent
l'homme le mieux disposé à servir les dans un cachot, où il termina ses jours
intérêts de Rome contre de
l'usurpateur. par une mort volontaire. Ses complices
Il lui donna une armée vétérans , furent poursuivis et rigoureusement
composée des légions jovienne, her- châtiés; la crainte fit rentrer tout le
culienne, augustienne, des auxiliaires, reste dans le devoir , et l'Afrique re-
des soldats qui marchaient sous l'é- devint une dépendance de l'empire,
tendard du lion, et des corps des fortu- jusqu'au
nés et des invincibles. Les soldats qui rée par lesmomentVandalesoù (398).
elle en fut sépa-
remplissaient ces cadres magnifiques CONSIDÉRATIONS SUR L'ÉTAT DE
ne s'élevaient pas au delà de 5,000; L'AFRIQUE AU MOMENT DE L'iNVA-
car, dans l'empire romain, toute force sion des vandales. — Avant de ter-
réelle avait fait place alors à une vaine miner cette histoire, nous emprunte-
ostentation de mots. La flotte qui rons à l'introduction des Recherches
portait cette petite armée partit de sur l'Afrique septentrionale le passage
Pise en Toscane ( 398 ) , évita les ro- suivant, où les causes de ces derniers
chers de la Corse, relâcha dans le port troubles sont si nettement exposées ,
de Caralis (Cagliari) en Sardaigne , et et qui fait parfaitement comprendre
aborda enfin sur la côte d'Afrique, en la situation politique de ce pays au
un lieu que les auteurs du temps ne commencement du cinquième siècle de
l'ère chrétienne.
désignent pas (*).
Gildon était parvenu à réunir sous « Ces deux ordres de faits, l'acces-
ses ordres une armée de 70,000 hom- sion si prompte de l'Afrique entière
mes. Ilavait cherché des combattants à l'usurpation de Gildon, sa soumis-
jusque parmi les Gétules et les Éthio- sion plus prompte
du faible Honorius,encore à l'empire
ces deux faits
nombreuse piens, et il secavalerie
vantait d'avance
fouleraitqueaux
sa
ont une cause générale qu'on a jus-
pieds la petite troupe de Mascézil , et qu'ici négligé de rechercher, et qui
ensevelirait dans un nuage de sable nous semble évidente et palpable.
brûlant ces soldats, tirés des froides « Gildon était Maure et païen, mais
régions de la Gaule et de la Germa- protecteur zélé des circoncellions et
des donatistes ; il était frère de Firmus,
(*) Claudien a composé un poëme sur la
qui était mort en combattant pour
la liberté du pays : il représentait donc
guerre de Gildon. 11 n'en reste que le pre-
mier livre , qui s'arrête au moment où la deux intérêts généraux très-puissants,
flotte de Mascézil est en Sardaigne. celui de l'indépendance africaine et
92 L'UNIVERS.

celui d'une secte religieuse fort active du monde ne fut déchirée par aucune
et fort étendue : l'accession du pays guerre civile ou étrangère (*). »
fut prompte et volontaire. conclusion. — L'établissement des
« Mais la famille de Gildon était Vandales en Afrique , le sort de la Nu-
chrétienne et orthodoxe; sa femme, midie et de la Mauritanie sous ces con-
sa sœur et sa fille furent des saintes. quérantla
s , restauration momentanée
Son règne dégénéra en tyrannie. Sa du gouvernement impérial dans ces
cruauté, sa lâcheté, son avarice et ses contrées jusqu'à l'invasion des Arabes,
débauches, plus offensantes dans un qui les en sépara pour toujours, sont
vieillard, lui aliénèrent le cœur de ses racontés dans une autre partie de
partisans. Mascézil arrive avec une poi- cette histoire (**). La succession de
gnée de soldats ; il représente, aux yeux tous ces faits , ces alternatives de con-
des Maures, le sang des rois indigènes, quêtes étrangères et de retour à l'in-
fils de Nubel ; aux yeux des chrétiens, dépendance età la barbarie, cette in-
fériorité constante de la terre et de
la religion orthodoxe, qui, depuis l'é-
piscopat de saint Cvprien , avait jeté la race africaine, à l'égard de l'Asie
en Afrique de profondes racines. Mas- et de l'Europe , sont bien de nature à
cézil trouve des auxiliaires dans la fa- inspirer, pour ce sol et pour ce peu-
mille même du tyran : il s'appuie à son ple si peu privilégiés et vraiment mau-
tour sur des intérêts généraux tout- dits ,une compassion profonde. Dans
puissants;
sans résistance. l'Afrique entière se soumet l'histoire du développement de la ci-
vilisation humaine, l'Afrique n'a pas
« Aussi, la conquête achevée, Sti- de place; elle ne contribue en rien à
lichon, politique à la vue perçante, l'œuvre que poursuivent les autres
mais peu délicat sur les moyens , se peuples : ses sables sont trop stériles
débarrassa de Mascézil par un crime, pour produire, trop mouvants pour
qu'il déguise sous les apparences d'un conserver ; elle se complaît dans
accident fortuit. Stilichon, trop ins- son isolement et son ignorance , et
truit des secrets de la faiblesse de se fait hostile et inhospitalière pour
l'empire, eut évidemment pour but, tous les autres peuples. Sa haine con-
en sacrifiant Mascézil, d'ôter un chef tre Carthage fut affreuse ; la guerre
redoutable à l'indépendance africaine. inexpiable des mercenaires le prouve
« Un seul chiffre démontre quel ap- assez. Cette haine aveugle la rap-
pui la rébellion pouvait trouver en proche de Rome , qu'elle détesta
Afrique. On compta , en 411 , au con- tout autant quand il fallut subir son
cile de Carthage , composé de 576 joug. Rome pourtant la domina , la
membres, 279 évêques donatistes; et transforma même , par l'action du
cette secte , depuis quarante ans , ap- temps et de sa persévérance. Mais l'A-
puyait toutes les tentatives formées frique frémissait toujours sous la
main vigoureuse qui la pressait , et
pour
tous les séparer
se efforts de du l'empire. Aussi ,,
gouvernement cependant Rome réussit à la rendre
toute l'énergie des Pères de l'Église, brillante et prospère, et à la faire comp-
ter parmi les nations. Occupée, après
dirigée par saint Augustin, s'appli-
quèrent àextirper cette hérésie , qui la chuterantsdemoinsl'empire,
civilisés par des conqué-
et moins forts ,
menaçait à la fois la religion et l'État.
« L'Afrique même profita pendant l'Afrique retourne à ses penchants na-
turels; et après les Vandales, après
quelque temps des malheurs de l'Italie les Arabes, elle retombe dans une
et du démembrement de l'empire; un
grand nombre de fidèles s'y réfugia
pourres ,échapper à l'invasion
et vint accroître les des barba-
forces du (*) Recherches sur l'Afrique sept., introd.,
parti catholique et impérial. Enfin, p. (**)
34. Voy« l'Histoire de la domination des
depuis la révolte de Gildon jusqu'à Vandales en Afrique , et l'appendice sur la
l'arrivée des Vandales, cette partie domination byzantine, par M. J. Yanoski.
NUMIDIE ET MAURITANIE. 93
barbarie aussi grande et plus invétérée resséela, plus généreuse de l'Europe.
que la première, car une religion mau- Qu'elle persévère , cette nation , dans
vaise laconsacre. Toutefois^ ne peut- la noble et difficile tentative si glorieu-
on pas espérer pour elle un avenir dif- sement commencée, et qui deviendra
férent et des jours meilleurs ? Voilà
la plus àgrande
rende la société, de notre
à lasiècle ! Qu'elle
civilisation,
que , de l'autre côté de la Méditerra-
née, de braves soldats s'élancent sur ce rivage de la Méditerranée appelé si
cette antique patrie des Numides et longtemps terre de barbarie! En con-
des Maures, et en recommencent la sidérant larapidité de ses progrès de-
conquête. Ils luttent avec une ardeur
et une constance invincibles contre ces et lapuislente
treize années seulement
opiniâtreté des d'efforts,
Romains
mêmes obstacles devant lesquels Car- dans la même entreprise, elle ne dou-
tilage échoua, et qui arrêtèrent les tera plus du succès , elle achèvera une
Romains pendant deux siècles. Par oeuvre qui importe à sa gloire et à sa
une disposition toute providentielle, puissance , et elle réalisera une espé-
cette œuvre de conquête et de régé- rance et un vœu qu'inspirent le senti-
nération d'un peuple impuissant à manité.ment patriotique et l'amour de l'hu-
se former lui-même, est confiée à la
nation la plus forte, la plus désinté-

TABLE DES MATIERES


CONTENUES

DANS L'HISTOIRE DE LA NUMIDIE ET DE LA MAURITANIE.

Adherdal , fils de Micipsa , roi de Numi- Antiquités de la Numidie , 7 b ; et de la


dié, 27 a; sa rupture avec Jugurtha; il im- Mauritanie , 64 a.
plore les secours de Rome, 28; assiégé dans Antonin , force les Maures rebelles à de-
Cirta ; sa mort , 29 et suiv. mander lapaix , 80 a.
Afrique , division en Afrique ancienne et Antonius ( Lucius ) , frère de Marc-An-
en Afrique nouvelle ,74a; considérations toine; relégué en Espagne par Octave, il y
sur la destinée du sol et des peuples de appelle Bogud pour dépouiller les lieute-
l'Afrique, 92 b. nants dOctave , 68 b.
Agathocles, ses relations avec les Nu- Appien , historien grec ; son récit de la
mides 8, b. mort de Sophonisbe, préféré à celui de Tile-
Albinus (Spurius) , consul romain envoyé Live , 21 a.
contre Jugurtha, 32 a.
Apronius , gouverneur d'Afrique , défait
Alexandre , usurpateur en Afrique , battu Tacfarinas , décime une cohorte ; son fds
par Volusianus , 83 a. poursuit les Numides dans le désert, 76 a.
Ammien Marcellin , historien latin , a Arabion , prince numide , fils de Manas-
raconté la guerre de- Théodose contre Fir- sès, reprend sur Bocchus son héritage,
mus ,84 b. 68 a ; IJ soutient Sextius contre Cornificius,
Ampsaga, fleuve de la Numidie, 3 a. et contre Phangon ; il est mis à mort par
Antée , roi de Mauritanie ,8a; lutte Sextius, 74 a.
contre Hercule , 64 a ; confondu avec At- 82 Aiadion
a. , chef africain , lue par Probus,
las ,64 b.
04 TABLE DES MATIÈRES
Archobarzane, petit-fils de Syphax , 22 b. Constantin , délivre l'Afrique de la tyran-
Aspar, Numide, envoyé par Jugurtha nie de Maxence, 83 a.
près de Bocchus, 42 b. Constantine , nom donné par Constantin
Atlas, montagne de Mauritanie , 61 !}• à l'ancienne Cirta , 83 a.
Auguste donne la Numidie à Juba II ,
Cornificius
cien e vaincu
, , gouverneur
par Sextius ,de74 l'Afrique
a. an-
puis la Mauritanie, 69 a.
Augustin (saint) , son opinion sur le lan- Cumberland, ses hypothèses bizarres sur
gage des Libyens ,5b; ses efforts contre les antiquités de la Mauritanie, 64 b.
les Donatistes , 92 a. Curion , lieutenant de César, vainqueur
Aurèle (Marc) , troubles en Afrique sous de Varus, battu et tué par Juba sur les
oe prince ; incursions des Maures en Espa- bords du Bagrada , 47 et suiv.
gne ,80 a.
Dabar, fils de Massugrada , son rôle dans
Ealbus (mont), où Massinissa vaincu cher- la trahison de Bocchus, 43 a.
cha un asile, 17 a. Décrius , chef d'une cohorte , périt héroï-
Blésus (J.) , oncle de Séjan, proconsul quement en combattant Tacfarinas ,75 b.
d'Afrique ; il bat Tacfarinas et néglige de Désalcès, frère de Gala, roi de Numi-
l'accabJer tout à fait. die, i5 b.
Bocchar, lieutenant de Syphax, force 83 Donatistes
b. , origine de leur schisme ,
Massinissa à quitter le mont Balbus et le
poursuit, 17 b.
Bocchus , nom de trois rois de Mauritanie, Ëdémon, affranchi dePtolémée, prend
65 b et suiv. ; trahison de Bocchus , beau- les armes pour venger son maître, 71 a.
père de Juguriha, 41 et suiv. Édit de Caracalla , qui étend le droit de
Bogud , nom de plusieurs rois de Mauri- 81 a.à tous les habitants libres de l'empire,
cité
tanie66
, et suiv.
Bomilcar, chef numide ; il trahit Jugur-
tha, qui le met à mort, 38 b. Firmus , chef maure , fils de Nubel , se
révolte et est vaincu par Théodose , après
Caligula; il fait assassiner Ptolémée, 70 b; plusieurs campagnes , 84 b et suiv.
il sépare en Afrique l'administration civile Furius Celsus , réprime des troubles dans
de l'administration militaire , 78 b. la Tingitane, 81 a.
Calpurnius Bestia , consul , fait la guerre
contre Jugurtha, 3o b ; se laisse corrom- Gala ou Gula , père de Massinissa , roi de
pre, 3r a. Numidie, 8 b.
Cam ill us (F.) , proconsul d'Afrique, bat Gauda, fils de Manastabal et frère de
Tacfarinas, 75 a.
Jugurtha , s'attache à Marius qui s'en sert
Capelianus , partisan de Maximin , ren- pour renverser Métellus , 45 a.
verse les Gordiens en Afrique, 8i a. Géographie de la Numidie , 3 a et suiv. ;
Capusa , fils de Désalcès , roi de Numidie , de la Mauritanie , 61 a et suiv.
renversé par Mézétule , i5 b. Gildon , frère de Firmus ; il se révolte et
Caton (d'Utique) , fait donner le comman- est vaincu par Mascézil, 90 b.
dement àMétellus Scipion ; il rabaisse l'or- Gulussa , fils de Massinissa , obtient de
gueil de Juba , 5i ; il sauve Utique , la for- Scipion Émilien la direction des forces mi-
tifie et y meurt , 5i et 56 b. litaires de la Numidie , 24 a.
César, vainqueur à Tapsus , de Juba et
des chefs pompéiens, réduit la Numidie en Hercule , enlève la Libye à Antée , 65 b.
province romaine , 55 et suiv. Hiarbas , roi numide, vaincu par Pom-
Césarienne (Mauritanie) , province d'Afri-
que, 79 a. pée, 47 a. , fils de Micipsa , tué par Ju-
Hiempsal
Chevaux numides , leur agilité , 5g a. gurtha, 27h; autre roi numide, sa per-
Cirta , capitale de la Numidie, son empla- fidie àl'égard du fils de Marius , 46 a.
cement4, a. Hirtius , auteur présumé de \ Histoire d,e
Claude , réduit la Mauritanie en pro-
vince romaine ,71a. la Histoire
guerre d'Afrique, 5i a. et des Maures
des Numides
Cléopâtre (Selène), première femme de
Juba II , 69 b. (introduction à 1') , 1 a.
CONTENUES DANS L'HISTOIRE DE LA NUMIDIE, ETC. 95
entrevue de Massinissa et de Scipion , i3 b;
Igmazen , roi maure , s'oppose à Théo-
dose, et accueille Firmus dans ses États, il presse les Romains de passer en Afrique,
89 a ; il trahit Firmus et le livre au comte 14 a; il revient en Numidie; il est vain-
Théodose, 90 a. queur de Mézétule et de Lucumacès, il pa-
loi , ville de Mauritanie , capitale de cifie la Numidie, 16 a; il est attaqué et
Juba II, 70 a. mis en fuite par Syphax , 16 b ; il se réfu-
Isafliens , peuple d'Afrique , qui soutint gie sur le mont Balbus, d'où il est chassé par
Firmus et fut battu par Théodose, 89 b. Bocchar, 17 a; U se cache dans une ca-
verne ,rentre dans son royaume, perd une
Juba, fils d'Hiempsal II, roi de Numi- grande bataille contre Syphax et se joint
aux Romains, 18 a; il prend Cirta, 19 a;
die, 47 b ; il devient l'ennemi personnel de
César, ibid. ; il marche au secours de Varus, il épouse Sophonisbe et lui envoie du poi-
bat Curion, sa cruauté après la victoire,
son, 20 a; il reçoit l'investiture de toute la
48 et suiv. ; il accueille les chefs pompéiens' , Numidie , 2 1 6 ; sa conduite à l'égard de
5o b; défait par César, il se donne la mort Carlhage et de Rome depuis la fin de la se-
après un festin, 57 a.
conde guerre punique jusqu'à sa mort, 22 b ;
Juba II , fils du précédent , replacé sur quelques particularités sur Massinissa, ses
le trône par Auguste, 69 a; ses travaux efforts pour civiliser son peuple, etc. , 24 a.
littéraires , 70 a. Massiva, neveu de Massinissa; généro-
Jugurtha , fils de Manastabal , neveu de sité de Scipion à son égard, 12 a.
Micipsa, sa jeunesse, i5 3; il assassine 8 b.
Massy liens, nom des Numides orientaux,
Hiempsal, il poursuit Adherbal , 27 b;
Mauritanie (description de la), 6r a.
s'empare de Cirta , 29 a ; il corrompt les
généraux romains , 3o b ; vient à Rome où Mazilla, chef des Mazices, contribue à
il assassine Massiva, 3r a; il résiste à Mé- trahir Firmus , 90 a.
tellus , 33 et suiv. ; à Marius , 39 b et suiv. ; Mazuca , frère de Firmus , battu par Théo-
il s'enfuit chez Bocchus, qui le livre aux dose 88
, b; il est pris et meurt à Césarée ,
Romains, 41 et suiv.
89 a.
Memmius , tribun du peuple , ses in-
Lélius , ami de Publius Scipion , l'accom- vectives contre ceux qui s'étaient laissé
pagne en Afrique ; son rôle dans la seconde corrompre par Jugurtha; il cite celui-ci à
guerre punique, 21 b. Rome , 3i a.
Lépidus, triumvir, gouverne l'Afrique Mélellus Numidicus , fait la guerre contre
de 40 à 36 av. J. G, 74 b. Jugurtha, de 109 à 107 av. J. C. , 33 a
Lucumacès , fils de Capusa , placé sur le et suiv.
Irône par Mézétule, i5 b. Mœurs des Maures , 71 et suiv. ; des Nu-
mides, 57 et suiv.
Manassès, chef numide, allié de Juba, Montagnes de Numidie, 3 b; de Mauri-
dépouillé par César, 68 a. tanie 62
, a.
Manastabal , fils de Massinissa, 24 a.
Musulans ,75peuple
Tacfarinas, a. de l'Afrique , allies de
Marius , il piend le commandement con-
tre Jugurtha en 107, 3y b. ; ses camnspnp»,
ibid. et suiv. ; il triomphe de Jugurtha , Nabdalsa , chef numide , complote contre
44 b. Jugurtha, 33 b.
Mascézil , père de Firmus , vaincu par Naravase ou Narva , père de Gala , 8 b.
Théodose, 86 b. ; chargé de la guerre contre Newton (système chronologique de), 65 a.
Gildon , 90 b. Nubel, roi maure, père de Firmus , 85 a.
Masintha, noble numide que César pro- Numidie (description de la) , 3 a.
tège contre Juba , 47 b.
Massessyliens , nom des Numides occi- Octave , il réprime les rois de Mauri-
dentau8x , b. tanie déclarés contre lui, 68 a.
Massinissa, fils de Gala; il s'attache d'a- Ouvrages du roi Juba , 70 a.
bord aux Carthaginois , il bat Syphax , Oxyntas, fils de Jugurtha, reparaît au
10 b; il passe en Espagne et prend part à siège d'Acerres , 45 b.
la défaite des Scipions , n a; entrevue de
Massinissa avec Silanus, il se donne aux Phangon , gouverneur substitué à Sextius
Romains, raisons de ce changement , 12 b; en Afrique, puis vaincu par lui, 74 a.
96 TABLE DES MATIÈRES.
Polygamie, en usage cher les Numides, Sévère (Septime), né à Leptis, protège
61 a , et chez les Maures, 73 a. les Africains , 80 a.
Pompée, poursuit en Afrique Domitius Sitifensis , division de la Mauritanie ,
et le hat avec Hiarbas ,46 a.
Probus, exploits de cet empereur en Sittius, aventurier, chef débande, se dé-
Afrique, 82 a. clare pour César contre Juba , 53 a.
Procope , son opinion sur l'origine des 79 a-
Sophonisbe, fille d'Asdrubal, épouse de
peuples qui ont habité l'Afrique septen- Syphax, sa mort, 21 b.
trionale6, b. Sylla, lieutenant de Marius, se fait livrer
Ptolémée , fils de Juba II, roi de Mau- Jugurtha par Bocchus, 41 a.
ritanie, assassiné par Caligula, 70 b. Syphax, roi de Numidie , allié des Car-
thaginois, fait prisonnier par Lélius, con-
duit àRome; il meurt à Albe, 22 a.
'. Religion des Numides ,58a; des Maures ,
71b.
Romanus , gouverneur d'Afrique sous Tableau généalogique des rois numides
de la famille de Naravase , 9.
Yalentinien Ier, provoque par ses exactions
la révolte de Firmus, 84 b. Tacfarinas, récit de ses guerres contre
les Romains, 75 a et suiv.
Sabura, lieutenant de Juba, défait Cu- Théodose (le comte), ses exploits contre
rion , 49 a; vaincu par Sittius, 56 b. Firmus , 85 a et suiv.
Salluste, gouverneur de Numidie, his- Tingitane (Mauritanie), 61 a.
torien de la guerre contre Jugurtha , 57 a.
Salmacès , frère de Firmus , possesseur TJtique , ville d'Afrique défendue par
du Fundus Petrensis, 86 b. Caton, 56 b.
Scipions (les) ; Cneus et Publius défaits
en Espagne, 11 a; Publius Scipion Afri- Termina, fils de Syphax, obtient la paix
canus gagne Massinissa, i3 b; termine la des Romains, 22 a.
seconde guerre punique, 21 b; Scipion Yincenlius, lieutenant de Romanus ,85 b.
Volux , fils de Bocchus, conduit Sylla
Emilien l'ait le partage du royaume de Mas- chez son père , 42 a.
sinissa ,2 a; Scipion Métellus, chef des Ro-
mains réfugiés chez Juba, vaincu à ïhap-
sus par César, 55 a. Zamma , fils de Nubel , tué par son frère
Sertorius, ses guerres en Mauritanie, 66 b. Firmus, 85 a.
HISTOIRE DE LA DOMINATION DES VANDALES
EN AFRIQUE,
PAR M. JEAN YANOSKI,
AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITE , PROFESSEUR d'hiSTOIRE AU COLLEGE STANISLAS, ETC.

Avant-propos. Parmi les peuples point alors suffisamment préparé pour


barbares qui, à partir des dernières an- unsujetsigraveet si difficile. M. Louis
nées du quatrième siècle de notre ère,
se jetèrent, pour des causes que nous Marcus a faitdes
de Mannert, , plus tard , sur l'ouvrage
observations critiques
ne devons point rechercher ici , sur les très-fondées. Il a reproché, par exem-
provinces de l'empire romain , il n'en ple ,à l'auteur de n'avoir pas connu
est pas un qui ait eu des destinées, nous tous les documents anciens qui se rap-
ne dirons pas plus brillantes et plus
heureuses , mais plus variées et plus interprété portsouvent
aient son
à sujetles, etauteurs
d'avoir grecs
mal
extraordinaires que les Vandales. Il y et latins qu'il a consultés. Mais on doit
a , en effet, quelque chose de singulier
tenir compte à Mannert d'avoir ou-
dans l'histoire de cette nation qui, vert ,par son livre , la série des tra-
partie des bords de la Baltique, erre,
vauxdes Vandales.
toire spécialement consacrés
Ce premierà l'his-
essai
pendant plusieurs centaines d'années,
à l'orient et au centre de la Germa- était assurément bien imparfait; ce-
nie; se précipite tout à coup sur la pendantmalgré
, ses inexactitudes, ses
Gaule, la traverse, pénètre en Es- omissions et tous ses défauts , il a
rendu des services incontestables aux
pagne, où elle n'échappe qu'avec peine
à une complète extermination ; fran- érudits de notre temps, et notamment
chit la mer, et fonde enfin , sur la côte à M. Marcus.
septentrionalenation vaste etde forte
l'Afrique,
commeunecelle
domi-
de La conquête récente de l'Algérie a
reporté l'attention des savants sur
Rome et de l'ancienne Carthage. Aussi, l'ancienne histoire de l'Afrique. L'Aca-
depuis longtemps, les courses et les démie des inscriptions et belles-lettres
guerres des Vandales ont fixé l'atten- a dirigé, à plusieurs reprises, ses re-
tion des historiens. Elles occupent une cherches vers ce point important ; et ,
large place dans les récits de ceux qui , pour faire participer en quelque sorte
comme Lebeau et Gibbon, ont voulu à ses propres travaux les hommes ins-
montrer la décadence et la chute de
nombre truits de qu'elle ses ne comptait
membres, elle point
a mis au
au
l'empire romain ; et de plus, elles ont
frappé si vivement certains hommes , concours, pour l'année 1836, la ques-
qu'en les racontant dans avec
des ouvrages tion suivante : « Tracer l'histoire de
spéciaux, ils ont cru, raison, l'établissement des Vandales en Afri-
faire une œuvre tout à la fois utile à que, et de leur administration depuis
la science et pleine d'intérêt. Genséric jusqu'à la destruction de leur
A la fin du siècle dernier, en 1785, empire par Bélisaire; s'efforcer de
le savant Conrad Mannert publia, dans montrer quel fut l'état de l'Afrique ro-
sa jeunesse et pour son début, une maine sous leur domination , et jus-
Histoire des Vandales (*). Il n'était qu'où s'étendaient leur pouvoir et leur
influence dans l'intérieur de ce conti-
(*) Leipzig, i785, in-8°, en allemand. nentrechercher
; quel fut l'idiome dont
lro Livraison. (Hist. des Vandales.;
2 L'UNIVERS.
ils faisaient haoïtuellement usage, et M. Papencordt a publié, en 1837-,
quels rapports s'établirent entre ce le mémoire couronné par l'Institut. Il
peuple conquérant et les indigènes; l'a intitulé : Histoire de la domination
enfin essayer de déterminer quels ves- des Vandales en Afrique (*). Son ou-
tiges de leur langue et de leurs cou- vrage est supérieur, en tous points, à
tumes les Vandales ont laissés en celui de M. Marcus. Il a lu et consulté
Afrique jusqu'à l'invasion des Arabes. » tous les livres qui se rapportent à son
La savante compagnie a décerné le sujet. D'ailleurs, il l'emporte encore ,
prix à un professeur allemand , M. Pa- parla méthode, sur ses devanciers.
pencordt. La première partie de son ouvrage
Ici , avant de signaler le mémoire est consacrée tout entière au récit ; la
couronné , je dois parler en deux mots seconde, aux dissertations. Ainsi, d'une
de l'ouvrage de M. Louis Marcus. part, l'histoire des mouvements et des
Déjà, en 1820, M. Marcus (c'est lui guerres des Vandales, depuis leur pre-
qui nous l'apprend) avait amassé de mière apparition jusqu'à la chute du
nombreux matériaux relatifs à l'his- trône de Gélimer; et, de l'autre, le
toire des Vandales. Mais il avait vrai- tableau des mœurs et des institutions.
semblablement interrompu ses recher- Ce qui dépare le livre de M. Papen-
ches, car il ne put achever son travail cordt, ce sont certaines idées trop sys-
assez tôt pour le soumettre, dans le tématiques quise manifestent surtout
délai prescrit, au jugement de l'Aca- dans la seconde partie. L'auteur, en
née démie.
1836,Ilpublia néanmoins
le résultat de ses l'an- vertu d'une opinion commune à tous
, dèsétudes
les Allemands qui ont écrit sur les in-
sous ce titre : Histoire des Vandales, vasions barbares, est toujours porté à
depuis leur première apparition sur découvrir, dans les moindres accidents
la scène historique jusqu'à la des- de l'existence politique des Vandales ,
truction de leur empire en Afrique, dans ceux-là même qui ont été unique-
Cette histoire est très-estimable; elle ment le résultat des circonstances for-
se distingue par une connaissance suf- tuites et extraordinaires au milieu des-
lisante des sources, souvent par la par- quelles ce peuple a vécu, ce que l'on
faite intelligence des textes anciens ,
acompréhensif
appelé , de nos jours, d'un Xinfluence
et très-vague, nom très-
et aussi par une critique fine et quel-
quefois profonde. Ce sont là des qua- germanique. M. Papencordt déclare,
lités incontestables queM. Papencordt, en un endroit ( p. 428 ) , qu'une partie
avant nous, a signalées et louées. Mais de son manuscrit était déjà livrée à
on doit
point donné ajouter à toutes que lesM.parties Marcus n'a l'impression
de son sance du livrelorsqu'il de M. Louisprit connais-
Marcus.
ouvrage de justes proportions ; qu'il Il se borne à énoncer ce fait, sans in-
a sacrifié, diquer les services importants que,
la dominationpardesexemple, Vandales l'histoireen Afrique de
pour sa seconde partie au moins, lui a
à la discussion des origines de cette rendus son devancier. C'est un tort :
grande tribu,
prolongée de seset établissements
à l'exposition ettrop de un aveu plus complet n'eût rien ôté ,
assurément , au mérite très-réel de
ses courses en Germanie , en Gaule et l'ouvrage de M. Papencordt.
en Espagne. On peut lui reprocher Telle est la nomenclature des ou-
aussi de ne s'être jamais écarté de vrages que nous devions , avant tout ,
cette vicieuse méthode, qui , scindant, lire et étudier (**). Mais nous ne nous
à chaque page, le récit par des disser-
tations, enlève à une œuvre historique et non le style, de M. Marcus que nous
la meilleure part de son intérêt et de louons.
sa clarté (*). (*) Geschichte der a>andalischen Herr-
schaft in Africa, Berlin, 1837.
(*) Nos appréciations ne portent ici que (**) Nous avons consulté avec fruit les
$ur le fond de l'ouvrage. C'est l'érudition, Recherches sur l'histoire de la partie de
AFRIQUE.
sommes point bornés, dans nos re- parenté avec les Slaves qu'avec les
cherches aux
, travaux de la critique Germains. Nous adoptons l'explication
moderne. Nous avons toujours eu d'un savant moderne, qui concilie les
sous les yeux les auteurs anciens ; et, deux opinions. Les Vandales, suivant
grâce à eux , nous avons pu quelque- lui , étaient probablement mêlés de
fois corriger des erreurs, et réparer Germains et de Slaves (*). Le plus
des omissions dans les livres que nous ancien document que l'on possède sur
avons précédemment signalés. Nous les Vandales atteste qu'au premier
dirons enfin que nous avons beau- siècle de notre ère, leur population
coup emprunté aux récits de Victor flottait, si l'on peut se servir de cette
de Vita et de Procope , et que , plus expression, dans le pays compris entre
d'une fois , nous avons essayé de re- l'embouchure de l'Elbe et celle de la
produirepar
, une simple traduction, Vistule. Ce fut là, sans doute, que
ce qu'il y avait de vif et de drama- s'opéra le mélange des Slaves et des
tique dans les pages que ce dernier Germains. Plus tard, à une époque
historien a consacrées aux victoires de que nous ne saurions préciser, une in-
Bélisaire en Afrique, à la chute de la vasion de Scandinaves dans la partie
puissance des Vandales, et aux mal- la plus septentrionale de la Germanie
heurs de Gélimer.
refoula les Vandales, au sud, jusqu'aux
ORIGINES DES VANDALES; LEURS montagnes du Géant. Us habitaient
DIVERS ÉTARLISSEMENTS EN GER- encore dans ces montagnes, et aux en-
MANIE ; LEUR PASSAGE ET LEUR virons, lorsque éclata la guerre des
séjour dans la gaule. — On a dis- Marcomans. Cette guerre, que les peu-
cuté longuement et savamment sur les ples barbares engagèrent, vers 167,
origines des Vandales ; on a recherché contre l'Empire, et dont nous ne rap-
avec soin , et signalé avec plus ou porterons icini les causes, ni les inci-
moins de vérité les premiers signes de dents, fut longue et terrible. Elle eut
vie de cette grande tribu au sein de son retentissement sur toutes les fron-
la Germanie. Pour nous, nous ne vou- tières de la Germanie, sur le Rhin
lons point nous arrêter sur cette pé- comme sur le Danube ; et elle coûta à
riode historique que tout le savoir des Marc-Aurèle menses efforts.bien du sang
Un des et d'im-
résultats de la
érudits n'a pu encore dégager des
épaisses ténèbres qui l'environnaient. lutte fut le déplacement de la popula-
Nous abrégerons également le récit tion vandale, qui, au moment où Rome
des courses et des guerres en Gaule et fit la paix avec les barbares confédérés,
en Espagne. Nous avons hâte d'arriver se porta plus à l'est, vers la Dacie.
à la conquête de l'Afrique par les Van- Malgré les tentatives de Caracalla ,
dales, etde présenter les résultats de en 215, pour jeter la discorde entre
ce grand événement.
les peuplades
taient engagéesgermaniques qui s'é-
dans la guerre des
A quelle race appartenaient les Van-
dales ?A l'aide des auteurs anciens, on Marcomans, les Vandales vécurent en
pourrait tout aussi bien établir leur paix dans leurs nouvelles demeures, et
ils ne reprirent les armes qu'en 270 ,
l'Afrique septentrionale connue sous le nom sous le règne d'Aurélien. Il y eut alors
de Régence d? Alger , et sur i administration
un mouvement général parmi les na-
et la colonisation de ce pays à l'époque de
la domination romaine , publiées par une
tions barbares qui habitaient la rive
gauche du Danube. Aurélien arrêta ce
commission de l'Académie des inscriptions
et belles-lettres, in-8°.
mouvement et battit les Vandales, qui
lui livrèrent des otages et lui four-
D'autre part , nous avons dû accepter et
suivre , en plusieurs endroits , l'ordre par-
fois systématique mais très-clair que M. Fau- (*) M. Amédée Thierry; Hist. de la Gaule
riel a introduit dans son récit des invasions
sous l'administration romaine, t. II,1.p. 46,
barbares. Voyez le premier volume de Y His- 5i et 53. Voyez le texte et principalement
toire de la Gaule méridionale. les notes.
L'UNIVERS.
nirent, comme troupes auxiliaires, un entre le Mein et la Lippe, ils rencon-
certain nombre de cavaliers. La paix trèrent les Francs. Ceux-ci furent les
ne fut pas de longue durée. En 277, seuls qui , en l'absence des légions que
Probus fut obligé d'opposer une armée Stilicon avait appelées en Italie , es-
aux Vandales qui s'étaient unis aux sayèrent dedéfendre les terres de l'Em-
Burgondes.desL'empereur pire. Ils livrèrentbataille aux Vandales;
rencontre alliés, sur selesporta
bords à dula et, s'il faut en croire Grégoire de
Danube, et leur fit subir deux san- Tours, ils leur tuèrent vingt mille
glantes défaites. Mais, à cette époque , hommes. La foule entière des envahis-
les Vandales n'avaient seurs eût étéLesanéantie sans l'arrivée
à combattre les Romainspas, ils
seulement
avaient des Alains. Francs furent écrasés
aussi à se défendre contre les attaques à leur tour. Alors les Vandales, les
des peuples, barbares comme eux, qui Alains, et les Suèves qui les suivaient
les avoisinaient. Ce fut ainsi que vers de près, ne trouvant plus de résistance,
290, à la suite d'une lutte contre la passèrent le Rhin causa
en 406.à la
L'arrivée de
puissante nation des Goths, ils furent ces trois peuples Gaule des
obligés de quitter encore une fois leurs maux effroyables. Les barbares livrè-
rent à la ruine ou à la dévastation
demeures pour aller s'établir, entre la
Theiss et le Marosch , dans le pays qui Mayence , Worms, Strasbourg, Spire,
forme aujourd'hui une partie de la Reims , Tournai , Arras et Amiens.
Hongrie et de la Transylvanie. Ils ne Puis, ils étendirent leurs ravages au
devaient pas jouir longtemps en paix centre et au midi de la contrée; ils
de ce nouvel établissement. Avant la passèrent de la Belgique dans la Lyon-
mort de Constantin , peut-être en 335, naise première; de celle-ci dans l'Aqui-
les Goths se précipitèrent de nouveau taine, d'où, en traversant la Novem-
sur les Vandales, et les forcèrent, après populanie, ils atteignirent enfin les
une grande bataille, à se rapprocher Pyrénées(407). Les Vandales, les Alains
du Danube. Les vaincus, après tant de et les Suèves réunis se disposaient à
revers, implorèrent la protection de
passer en Espagne, lorsqu'ils rencon-
l'Empire, et demandèrent des terres trèrent,l'entrée
à des montagnes, des
aux Romains. On leur permit alors de soldats intrépides qui les repoussèrent
se fixer en Pannonie. sur tous les points. Ces défenseurs de
Ils vivaient en repos, dans cette pro- l'Empire , Espagnols pour la plupart ,
vince, depuis étaient commandés par deux membres
la marche de près d'un siècle,
la nation lorsque
des Huns , de de la famille de Théodose , Didyme et
Véranien.
l'est à l'ouest, détermina un grand
mouvement parmi les populations ger- PASSAGE DES PYRENEES ; PRE-
maniques. Tous les historiens ont ra- MIERS ÉTABLISSEMENTS DES VAN-
conté la grande invasion de l'année DALES en Espagne. — Les barbares
406. Pressés et refoulés par les Goths repoussés se rejetèrent sur la Gaule,
et les Alains, et, peut-être aussi, frap- et allèrent porter leurs ravages dans
pés d'épouvante à l'approche
ils abandonnèrent des Huns,
leur établissement la Septimanie. Des circonstances inat-
tendues ne devaient pas tarder à leur
de la Pannonie, et marchèrent vers ouvrir les chemins de cette Espagne
l'Occident. Les Vandales n'étaient pas qu'ils convoitaient.
les seuls que les hordes asiatiques eus- Pendant que l'indigne fils de Théo-
sent déplacés. Au moment même où dose, Honorius, se tenait renfermé
ils se préparaient à passer en Gaule, dans son palais pour se dérober aux
d'autres nations barbares se précipi- dangers qui menaçaient son empire,
taient par
, grandes masses , sur l'Ita- les légions de la Grande-Bretagne re-
lie. Pour eux , ils s'acheminèrent en vêtirent de la pourpre un simple sol-
même temps que les Alains, mais par dat, appelé Constantin. Celui-ci passa
des routes diverses, vers le Rhin. Près dans la Gaule, qui , presque tout en-
de ce fleuve, dans le pays compris tière, grâce aux barbares, reconnut
AFRIQUE.

son autorité. Quand l'usurpateur eut rieux par l'habitude du sang et par la
autour de lui des forces assez considé- faim , poursuivirent les hommes pour
les dévorer. La peste, suite inévitable
rables, ilvoulut joindre l'Espagne à ce de la famine , vint bientôt mettre le
qu'il possédait déjà , et il envoya dans comble à la désolation; la plus grande
la Péninsule son fils Constant et Gé-
rontius. Ces deux chefs entraînèrent partie des habitants en fut la victime,
à leur suite quelques-unes des bandes et la vue des mourants n'excitait que
de barbares que l'Empire avait enrôlés, l'envie de ceux qui leur survivaient.
et qu'on appelait les Honoriens. Ils en- Enfin les barbares, rassasiés de meur-
trèrent en Espagne ; et , malgré l'hé- mêmestres et de brigandages, et atteints eux-
de la maladie contagieuse dont
roïsme de quatre frères, liés par le
sang à la famille de Théodose, et ils étaient les funestes auteurs, se ren-
parmi lesquels on distinguait encore fermèrent dans le pays qu'ils avaient
Didyme et Véranien , ils forcèrent les dépeuplé. Les Suèves et les Vandales
habitants de la province à reconnaître se partagèrent l'ancienne Gallécie , où
Constantin. Après cette expédition, le le royaume de la Vieille-Castille se
vainqueur, comptant sur la fidélité des trouvait enclavé. Les Alains se répan-
Honoriens, les chargea de défendre les dirent dans les provinces de Cartha-
gorges des Pyrénées. Mais bientôt Gé- gène et de Lusitanie, depuis la Médi-
rontius abandonna l'empereur que, terranée jusqu'à l'océan Atlantique.
jusqu'alors, il avait servi avec dévoue- Les Silinges, branche de la nation des
ment, et il prit les armes pour le ren- Vandales, s'emparèrent du territoire
verser. Au moment où Constantin se
fertile de la Bétique (*). »
défendait avec peine, au midi de la
Gaule, contre son lieutenant révolté, (*) Voici un passage que nous emprun-
les Vandales, les Alains et les Suèves tons à M. Marcus, sur le partage de l'Es-
se dirigèrent de nouveau vers les Py- Alains pagneetpar les barbares : « Les Vandales, les
les Suèves , voulant éviter tout
rénées. Mais , cette fois , ils ne trou- sujet de discorde entre eux , se partagèrent
vèrent plus aux défilés de la montagne
ces braves soldats qui , sous la con- au sort les provinces de l'Espagne. Des cinq
duite de Didyme et de Véranien , les provinces formant la division établie par
Constantin le Grand , les Vandales et les
avaient si vigoureusement repoussés.
Suèves obtinrent la Gallécie , c'est-à-dire la
Ils ne rencontrèrent que les Hono- Galicie actuelle, Tras-os-Montes , Entre-
riens, riches déjà des dépouilles qu'ils Duero-e-Minho , les parties septentrionales
avaient amassées à la suite de Géron- des royaumes de Léon et de la Vieille-Cas-
tius, et qui, avides de piller encore, tille, les Asturies et la Biscaye, en d'autres
livrèrent tous les passages dans l'es- termes , tout le pays compris entre le cou-
pérance, sans doute, de se mêler aux rant du Duero, la mer et la Sierra d'Oca ;
envahisseurs. Après avoir franchi les les Alains , la Lusitanie et la Carthaginoise,
Pyrénées (409) , les barbares se répan- c'est-à-dire la partie du Portugal qui est con-
dirent comme un torrent dans toutes tenue entre le Duero au nord et le Gua-
diana au midi , l'Estramadure et le district
les parties de l'Espagne. Un grand his- de la Nouvelle-Castille, qui est situé entre
torien Mariana
, , a tracé en quelques
lignes le tableau de cette terrible inva- la Guadiana et le Tage, à l'ouest de Tolède,
puis Murcie et Valence ; les Silingi , un des
sion :« L'irruption de ces peuples fut
suivie des plus affreuses calamités. Les deux peuples vandales , la Bétique , c'est-
à-dire le pays arrosé au sud par la mer, et
barbares pillaient et massacraient in-
dif érem ent lesRomains et les Es- au nord et à l'ouest par la Guadiana. Le
pagnolset
, ravageaient avec la même reste de l'Espagne
tarraconaise , fut ,laissé
c'est-à-dire la province
aux Romains ou
fureur les villes et les campagnes. La
famine réduisit les malheureux habi- plutôt à Géronce , l'ancien allié des barba-
res, et qui les avait favorisés dans leurs
tants àse nourrir de chair humaine; conquêtes.» Hisl. des Vandales, etc., p. 84.
et les animaux sauvages, qui se multi- Après avoir cité ce passage, nous devons
pliaient sans obstacle, rendus plus fu- ajouter que les auteurs anciens, dans cette
6 L'UNIVERS.
On a prétendu que les peuples bar- classe des travailleurs libres; quand on
bares qui avaient envahi l'Espagne ré- connaît enfin les innombrables vexa-
glèrent, par le sort, le partage du tions auxquelles étaient soumis tous
pays conquis. Mais il est plus vraisem- ceux qui vivaient sous la loi de Rome,
blable, suivant la remarque d'un his- on ne regarde plus comme vaines ou
torien moderne, que les lots furent exagérées les paroles de Salvien et
plus ou moins exactement proportion- d'Orose , qui attestent que les provin-
nés à la force relative des parta- ciaux regardèrent plus d'une fois les
geants. barbares comme des libérateurs. L'Es-
Les paroles de Mariana nous ont pagne, il n'en faut pas douter, se
fait connaître les premiers résultats de trouva mentplus heureuse, des
après l'établisse-
des Vandales Alains et des
l'invasion. Il faut ajouter, toutefois,
que le pillage, la dévastation, les meur- Suèves , qu'au temps où elle obéissait
tres ,les désordres de toute espèce à Honorius. Mais le repos et cette sorte
cessèrent au moment où les barbares de bien-être qui suivirent la première in-
purent croire qu'ils avaient trouvé vasion ne furent pas de longue durée.
enfin, après leurs longues courses, des Les Goths s'approchaient, qui devaient
établissements assures. Des rapports, encore apporter, dans la Péninsule , la
que le besoin de la paix devait rendre guerre, les désordres et la dévasta-
de plus en plus faciles, s'établirent tion.
bientôt entre les vainqueurs et les vain- SECONDE CONQUÊTE DE L'ESPAGNE
cus. Forcés de vivre avec les Romains par les vandales. — Chassés de la
dans un perpétuel contact, les Van- Gaule par Constance, l'un des plus
dales, les Alains et les Suèves cher- habiles généraux de l'Empire, les
chèrent, par nécessité, à se concilier Goths, commandés par Ataulfe, fran-
les populations au milieu desquelles chirent les Pyrénées, et envahirent la
le hasard, autant que leur volonté, les portion de l'Espagne qui était restée
avait jetés et disséminés. Ils laissèrent au pouvoir des Romains. Peu de temps
aux Espagnols une portion de leurs après , Ataulfe fut assassiné dans son
terres , les biens meubles qui avaient palais de Barcelone. Mais celui qui
échappé aux premiers désordres de la profita du crime fut tué, à son tour,
conquête, et ils s'efforcèrent moins après un règne de sept jours (415). La
d'anéantir la civilisation romaine, que nation reconnut alors, pour roi, Wal-
de s'y conformer et de se modifier. lia, frère d'Ataulfe. Sous ce nouveau
Les barbares, suivant l'expression d'un chef, les Goths se firent, en Espagne,
ancien historien, quittèrent alors l'épée les auxiliaires des Romains et ils com-
pour la charrue; et il semblait qu'ils mencèrentcontre
, les barbares qui les
voulussentculture, , par les travaux dude sol
l'agri- avaient devancés dans la Péninsule,
faire disparaître de une guerre qui dura deux ans (416-
l'Espagne les vestiges de leur invasion. 418). Ils exterminèrent d'abord les
Quand on se reporte, par la pensée, Vandales - Silingi qui s'étaient établis
aux cinq premiers siècles de notre dans la Bétique , puis ils battirent les
ère; quand on songe à ce qu'il y avait Alains. Ceux qui purent échapper au
alors de dur, de violent, d'oppressif fer des vainqueurs se réfugièrent en
dans l'administration romaine;résultats
quand Galice, auprès de Gundéric, chef de
on énumère les désastreux
l'autre portion de la nation vandale.
de cette fiscalité aussi préjudiciable Les historiens anciens nous ont appris
aux campagnes qu'aux villes, qui anéan- que Wallia ne songea pas toujours à
tissait lapetite propriété, arrêtait les faire la guerre au profit des Romains.
développements du commerce et de Ainsi , il voulut, comme autrefois Ala-
l'industrie, diminuait incessamment la ric, conduire les Goths en Afrique.
Mais une tempête ayant englouti, dans
question du partage , sont loin d'être aussi le détroit de Gadès , une partie de la
rigoureux et aussi précis que M. Mardis. flotte qui portait ses trésors et son
AFRIQUE.
armée, il renonça à son expédition. de foi disent des choses singulières de
Trop faible, dès lors, pour songer aux leur conduite en ce moment de dé-
vastes entreprises, il accepta la pro- tresse. Ils se présentèrent sur le champ
de bataille, faisant porter en cérémo-
blir, avecpositionsaque lui fit l'Empire,
nation, au midide de
s'éta-la nie ,devant eux , je ne sais lequel des
Gaule, où on lui céda la seconde Aqui- livres sacrés des chrétiens, la Bible
taine et la Novempopulanie(419). ou l'Évangile. Sans prendre garde à
Quand les barbares Vandales, Alains cet acte de piétésur
des eux
Vandales,
et Suèves, que Wallia avait refoulés romaine fondit , commel'armée
sûre
dans les montagnes du nord-ouest de de la victoire. Ce fut elle qui fut plei-
nement défaite, mise en fuite, et ne
l'Espagne,
avaient apprirentla que
abandonné les Goths
Péninsule, ils s'arrêta qu'à ïarracone, après avoir
reprirent les armes pour conquérir de perdu près de vingt mille hommes
nouveau les riches provinces du Midi, (422) (*). » Un officier, renommé déjà
d'où la force les avait
recommencèrent expulsés. Alors
les désordres de la dans l'Empire pour ses actions d'éclat
et son habileté dans la guerre , Boni-
première invasion. face , avait accompagné Castinus dans
La mésintelligence éclata bientôt son expédition. Mais voyant avec peine
entre les Suèves et les Vandales. Les l'inexpérience de celui qui dirigeait
Romains crurent sans doute que, grâce les opérations, blessé par ses hau-
à cette désunion, ils pourraient enfin
teurs, et prévoyant d'ailleurs le mau-
arracher l'Espagne aux barbares. Mais vais résultat de l'entreprise , il quitta
ils furent trompés dans leur attente; l'armée avant la bataille. On raconte
et, au moment même où Astérius ve- aussi que les Goths abandonnèrent, au
nait prêter aux Suèves les secours de moment décisif, le général romain.
l'Empire, les Vandales, par un brusque Après cette trahison, tous ne revinrent
mouvement, se jetèrent sur la Beti- point en Gaule, et Théodéric vit sans
doute un grand nombre des siens se
gue
frèresqu'avaient
les Silingioccupée (420). autrefois leurs
Ils achevèrent
en peu de temps la conquête de toute mêler aux futurs conquérants de l'A-
frique.
la partie méridionale de la Péninsule. Aprèsriale, leslaVandales
défaite de l'armée impé-
C'est depuis cette double occupation se trouvèrent les
par les Vandales que la Bétique prit le seuls maîtres du pays. Us parcou-
nom d'Andalousie (Fandalousia) que rurent alors, en ravageant et en pillant,
nous lui donnons encore aujourd'hui. l'Espagne dans tous les sens, et rui-
Cependant les Romains ne pouvaient nèrentSéville et Carthagène. Les maux
se résigner à laisser au pouvoir des de la Péninsule furent portés au com-
barbares la plus belle et la plus riche ble, quand les barbares, joignant le
des provinces semblèrentde l'Espagne.
donc une Ils ras-
armée considé- fanatisme et l'intolérance
sions ordinaires, exercèrentà leurs
contre pas-
les
rableà, la tête de laquelle on plaça catholiques, par esprit de secte, de
un général plus présomptueux qu'ha- violentes persécutions. L'Espagne fut
bile Castinus.
, L'armée romaine , qui ainsi soumise, pendant six ans, à la
comptait dans ses rangs un grand nom-
bre d'auxiliaires goths commandés par (*) M.Fauriel ; Histoire de la Gaule mé-
ridionale, t.I , p. i53. Nous ne partageons
Théodéric, entra dans l'Andalousie,
où elle ne tarda pas à rencontrer les pas l'opinion de M. Fauriel, qui croit qu'en
Vandales. « Attaqués par une armée l'année 422 les Vandales étaient encore
très-supérieure à la leur, les Vandales païens. Nous pensons , comme nous l'avons
semblaient devoir être exterminés; ils dit précédemment, qu'en Pannonie, déjà ,
le chrislianisme avait fait' de grands pro-
furent en effet très -vivement poussés grès parmi eux. Nous ajouterons même que
et réduits à une position désespérée , ce fut, suivant nous, dans les contrées
dans laquelle il leur fallut accepter une voisines du Danube qu'une partie de la na-
bataille décisive. Des écrivains dignes tion adopta rarianisme.
8 L'UNIVERS.
plus intolérable des dominations. Puis, naître un officier du palais, appelé
quand les Vandales eurent enlevé au Jean , qui s'était fait proclamer empe-
pays ses dernières ressources, ils firent reur en Italie; et il aida de ses armes
des courses au dehors; montés sur les et de ses conseils Placidie, et son jeune
vaisseaux qu'ils avaient trouvés à Car- fils Valentinien. Les efforts du gou-
thagène, ils se livrèrent à la piraterie, verneur del'Afrique, dans ces moments
et , s'il faut en croire d'anciens récits, de troubles , furent plus efficaces que
ils visitèrent plus d'une fois , pour les tous les secours venus de l'Orient
piller, les îles Baléares et les côtes de pour doncrenverser l'usurpateur. Placidie
la Mauritanie (425-428). Les barbares était redevable à Boniface du
étaient à peine entrés dans les provin- pouvoir qu'elle allait exercer
ces méridionales de l'Espagne, qu'ils de son fils Valentinien. Aussiau, dans
nom
portèrent leurs regards vers l'Afrique; les premiers moments de sa joie et de
et dès lors, comme les Goths, au temps son triomphe, elle se montra recon-
d'Alaric et de Wallia , ils aspirèrent à naissante pour celui qu'elle regardait
la possession de cette chaude et riche comme le plus habile et le plus loyal
contrée. Toutefois , ils hésitaient en- défenseur de l'Empire. Mais bientôt
core àfranchir la mer étroite qui les les vues coupables d'un ambitieux en-
séparait de la Mauritanie, lorsque le levèrent àValentinien son meilleur
comte Boniface mit fin à leurs irréso- général et sa plusricheprovince. Aétius
lutions, et leur fournit l'occasion et voulait faire oublier, par des excès de
les moyens d'accomplir la conquête zèle, son ancien attachement pour
qu'ils avaient rêvée. l'usurpateur et ses rapports avec les
LE COMTE BONIFACE. — TOUS les
barbares. D'autre part, il songeait à
écrivains du cinquième siècle s'accor- perdre Boniface, dont la gloire et la
dent àvoir, dans Boniface, un grand loyauté l'importunaient. Il fit croire à
homme de guerre et un habile admi- Placidie que le gouverneur de l'Afrique
nistrateur. Cependant, il est vraisem- trahissait l'Empire. Il ajoutait , pour
blable qu'ils ne nous ont transmis que donner plus de poids à ses paroles,
la moindre partie des actions glorieu- qu'assurément Boniface refuserait d'o-
ses de celui qu'ils ont tant loué. On béir, sion le rappelait en Italie. Pla-
sait que déjà , en l'année 4 1 3, Boniface cidie recourutEllea rappela
l'expédient qu'on;
s'illustra en défendant Marseille contre lui indiquait. Boniface
les Goths. Nous avons dit que plus mais celui-ci, averti par Aétius que
tard, en 422, il avait pris part à l'ex- de grands dangers le menaçaient
pédition deCastinus, mais qu'il s'était s'il venait pour se justifier, ne tint
retiré assez tôt pour qu'on ne pût lui compte des lettres impériales, et il re-
reprocher d'avoir contribué au mau-
vais succès de l'entreprise. Honorius avait fusa
donc de quitter
réussi l'Afrique. L'intrigue
: on croyait, dans le
aurait pu , sans doute , accuser Boni- palais, à la trahison de Boniface; et
face d'avoir abandonné l'armée ro- Boniface, de son côté, accusait l'em-
maine au moment du danger; mais il
préféra, dans ces temps désastreux, pereur et sa mère d'ingratitude. Placi-
die résolut
contre le rebelle. alors d'envoyer des troupes
Elle les confia à trois
ménager un homme qui pouvait servir
utilement l'Empire, et il le fit partir chefs, Mavors , Galbion et Sinox, que
pour l'Afrique , dont il lui avait con- Boniface défit successivement. Les
fié le gouvernement. Boniface, dans conseillers de Placidie et de l'empereur
sa province, mit tous ses soins à com- ne perdirent point courage après cet
primer les soulèvements des Maures échec; ils rassemblèrent une armée
ou des Romains séditieux ; il adminis- considérable, qu'ils placèrent sous les
tra sagement, et se montra juge sé- ordres de Sigiswulde. Dans ce pres-
vère ,mais équitable et éclairé.
sant danger, et parce qu'il sentait qu'il
La mort d'Honorius n'ébranla point ne pouvait lutter seul avec succès con-
sa fidélité. Il ne voulut pas recon- tre toutes les forces de l'Empire, Bo-
AFRIQUE. 9

niface s'adressa aux Vandales. Il fit captivité. Enfin, on a énuméré, parmi


les motifs qui ont pu déterminer les
savoir au chef* de la nation qu'il était
prêt à partager l'Afrique avec lui , s'il Vandales à passer en Afrique , l'espé-
prenait l'engagement rance bien fondée qu'ils avaient de
le défendre contre leursde communs
l'aider et en-
de
voir accourir auprès d'eux , pour les
nemis. Les Vandales acceptèrent avec aider, les Maures, tous les sectaires
joie cette alliance qui leur ouvrait le persécutés , les Romains mécontents ,
chemin d'un pays qu'ils convoitaient et le comte Boniface.
depuis longtemps, et qui leur donnait, Nous croyons qu'on ne peut faire
pour auxiliaire , le plus redoutable des un choix parmi ces causes diverses, et
Romains.
que, pour être vrai, on doit les accep-
CAUSES DE L'INVASION DES VAN- ter toutes. Cependant, à tant de rai-
DALES en Afrique. — Par quels mo-
tifs les barbares, qui se trouvaient en sonsriens, ialléguées
lfaut ajouter,jusqu'icisuivant
par lesnous,
histo-le
possession de l'Andalousie, ont -ils vague instinct qui poussait chaque jour
quitté, pour une lointaine expédition, les barbares à se mouvoir et à se dé-
pour un établissement incertain sur
des voies placer.inconnues,
Quand ils s'engageaient dans
ils marchaient
une terre qu'ils ne connaissaient pas,
cette riche et belle contrée qui les in- hardiment, car ils croyaient obéir à
vitait à un long séjour? Plus d'un une mystérieuse et fatale impulsion.
historien a essayé de résoudre cette «La main de Dieu, dit Salvien, qui
question. On a dit une que l'Espagne of- avait jeté les Vandales au delà des Py-
frait aux Vandales position trop rénées pour châtier l'Espagne , les con-
défavorable. Là , en effet , ils avaient
duisait àla dévastation de l'Afrique.
à redouter non point seulement les Ro- Ils n'agissaient point en vertu de leurs
mains, mais encore les Goths, ces an- propres déterminations; c'était, de
ciens et terribles ennemis qui avaient leur aveu, une force irrésistible, di-
déjà souvenir
Le visité plusdes d'une fois la Péninsule.
victoires de Wallia vine, qui les entraînait. »
entrée des vandales en afri-
était présent à tous les esprits. Puis, que; forces et ressources des
pour ces hordes qui voulaient encore envahisseurs; conquête des trois
piller et s'enrichir, l'Espagne était un mauritanies. — Au moment où les
pays épuisé. D'autre part , pour les Vandales,
courses au dehors et la piraterie , la saient leursà préparatifs
l'appel de pour Boniface,
passer fai-
en
contrée était mal choisie; il fallait une Afrique , le roi Gundéric fut assassiné.
position plus centrale, sur les côtes Les récits opposés des contemporains
d'Afrique, par exemple, et sur ces n'ont pument.jeter un historiens
Tous les voile sur cet événe-
modernes
côtes, une ville comme Carthage , qui
eût également à sa portée l'Orient et s'accordent à dire que Genséric, fils
l'Occident. D'ailleurs , occuper l'Afri- illégitime de Godigiscle, et frère de
que, c'était enlever à l'Empire la meil- Gundéric , fut l'auteur du crime. Nous
leure partie de ses forces; c'était tarir, devons ajouter que les Vandales ne pa-
pour lui , les sources de la vie , que de raissent point avoir hésité à prendre
lui prendre cette province qui était, pour chef le meurtrier qui , plus d'une
depuis plusieurs siècles, le grenier du fois, sans doute, leur avait donné lieu
monde. On a dit aussi que Genséric, d'admirer son habileté et ses auda-
en conduisant les Vandales en Afri- cieuses résolutions.
que ,n'avait d'autre but que de légiti- La mort de Gundéric n'ajourna pas
mer, àleurs yeux , son élévation nou- la conquête de l'Afrique. D'un côté, les
velle. Ilvoulait faire oublier, par une Espagnols , qui désiraient ardemment
expédition glorieuse , que lui , fils illé- débarrasser la Péninsule de ses barba-
gitime, avait tué son frère Gundéric, res envahisseurs, et, de l'autre, les émis-
le vrai roi , et qu'il retenait ses dix ne- saires deBoniface envoyaientde toutes
veux ,avec leur mère, dans une dure parts, au détroit de Gadès , les vais-
10 L'UNIVERS.

seaux qui devaient transporter en Mau- des armes romaines. Les Maures er-
ritanie, Genséric et sa nation. La
rants hasardèrent peu à peu de s'ap-
foule s'apprêtait au départ , lorsqu'on procher du camp des Vandales; ils
apprit que les Suèves ravageaient les considéraient avec surprise les armes,
terres que les émigrants avaient aban- les vêtements, l'air martial et la disci-
données. Pour préserver, sans doute, pline de ces étrangers. La figure blan-
de futures incursions ceux des siens che et les yeux bleus des guerriers
qui, pour des causes diverses, res- germains devaient, à la vérité, former
taient en Andalousie, Genséric ras- un contraste bien frappant avec la
sembla son armée , et se mit à la pour- couleur olivâtre et les yeux noirs des
suite des Suèves. Il les atteignit près voisins de la zone torride. Lorsque les
de Mérida , et les précipita , avec leur Vandales eurent vaincu les premières
chef Hermigar, dans la Guadiana. difficultés qui naissent de l'ignorance
Après cette victoire, il rejoignit sa mutuelle d'un langage inconnu , les
flotte, et s'embarqua pour l'Afrique Maures embrassèrent sans hésiter l'al-
au mois de mai de l'année 429. « Notre liance des ennemis de Rome; une
imagination, accoutumée à exagérer et foule de sauvages nus sortirent de
à multiplier les essaims de barbares leurs forêts et des vallées du mont
qui semblaient tous sortir du Nord, Atlas, pour rassasier leur vengeance
sera étonnée sans doute du petit nom- sur les tyrans civilisés qui les avaient
bre de combattants que Genséric dé- chassés de leur pays natal (*). »
barqua sur les côtes de la Mauritanie. i Mais ces Maures, ennemis de la ci-
Les Vandales, qui , dans le cours de vilisation etdes Romains, ne furent
vingt ans, avaient pénétré depuis l'Elbe pas les seuls auxiliaires que rencon-
jusqu'au trèrent les Vandales en débarquant sur
réunis sousmont Atlas, se trouvaient
le commandement de leur
les côtes de l'Afrique. Les Romains
roi. Son autorité s'étendait sur les eux-mêmes, suivant la remarque de
Alains, dont la génération existante Gibbon, devaient leur prêter aide et
était passée des régions glacées de la appui. Nous avons dit, en parlant du
Scythie sous le climat brûlant de l'A- séjour des Vandales en Espagne, com-
frique. Des aventuriers goths, attirés ment ilse pouvait faire que les hom-
par l'espoir du pillage , accouraient mes vivant sous la loi de Rome préfé-
sous ses drapeaux ; et des provinciaux, rassent parfois les troubles et les
ruinés et poussés au désespoir, s'enrô- violences de la domination barbare
laient, dans l'intention de réparer leur aux rigueurs de l'administration im-
fortune par les mêmes moyens qui la périale. En Afrique , comme en Eu-
leur avaient enlevée. Cependant l'ar- rope, on trouvait cette odieuse et im-
mée de Genséric ne montait qu'à cin- pitoyable fiscalité qui ruinait les villes
quante mille hommes effectifs ; et , et les campagnes (**). Il est donc vrai-
quoiqu'il tâchât d'en augmenter l'ap- semblable quela masse des proprié-
parence, en nommant quatre-vingts taires urbains ou ruraux que le fisc
chiliarques ou commandants de mille avait dépouillés, jetés dans la plus dé-
soldats , le supplément illusoire des
vieillards , des enfants et des esclaves plorableencore
suivait des conditions,
, se rangeaet du
qu'ilcôté
pour-
de
n'aurait pas suffi pour porter la tota- Genséric. Mais, de tous ceux qui don-
lité àquatre-vingt mille hommes. Mais nèrent assistance aux Vandales, les
l'adresse du général et les troubles de
l'Afrique lui procurèrent bientôt une (*) Gibbon; Histoire de la décadence et
multitude d'alliés. Les cantons de la de la chute de l'empire romain , ch. 33.
Mauritanie qui bordent le grand dé- (**) Je renvoie ici au chapitre intéressant
sert et l'océan Atlantique, fourmil- où M. Papencordt parle de l'état de l'Afrique
laient d'une race d'hommes hardis, avant l'arrivée des Vandales; Geschicthtedet
dont le caractère sauvage avait été vandalischen Herrschaft in Africa. Voy. liv.
plus aigri que corrigé par la terreur i, ch. 2, p. ai et suiv.

AFRIQUE.
plus empressés, les plus ardents furent Dès leur entrée en Afrique, les Van-
les sectaires dales portèrent, dans tous les lieux ha-
sous le nom deconnus, dans Ils
donatistes. l'histoire,
avaient bités qu'ils rencontrèrent sur leur
hâte de se venger, sur les catholiques, passage , le fer et la flamme. Les riches
de toutes les persécutions que l'into- et populeux établissements fondés sur
, lérance des empereurs leur avait fait la côte par les Carthaginois ou les
subir. On les avait traités jusqu'alors Romains furent anéantis. Pour expli-
quer les effroyables excès auxquels se
avec une excessive rigueur. Us étaient
assimilés aux criminels d'État. Leurs livrèrent alors les barbares , on est
évêques, leurs prêtres étaient privés de obligé de supposer qu'ils furent ani-
leurs biens, soumis à une rigoureuse més, dans leur œuvre de destruction,
surveillance, et souvent envoyés dans par la rage aveugle des Maures et l'es-
un lointain exil. Us ne pouvaient invo- prit de vengeance des donatistes per-
quer leurs droits de citoyen. Les lois sécutés. Cefut ainsi que les Vandales
n'étaient pas moins sévères contre les parcoururent, massacrant et rava-
laïques. Nul ne se montra plus intolé- geantles
, trois Mauritanies, et qu'ils
rant et plus impitoyable, contre les arrivèrent au fleuve Ampsaga, qui de-
vait être, aux termes du traité conclu
partisans
Honorius. deLal'hérésie crainte , que l'empereur avec Boniface, la limite de leur em-
des châtiments
arrêta seule les plaintes et les protes-
tations des donatistes. Seulement, ils REPENTIR
pire (*). DE BONIFACE; IL REN-
cherchèrent à se rapprocherdes ariens ,
et à confondre les intérêts des deux SANCETRE AVEC LES SIENS SOUS L'OBÉIS-
DE VALENTINIEN; IL PERD
hérésies. Ainsi , quand on envoya une UNE BATAILLE CONTRE GENSERIC ;
armée contre Boniface révolté, ils es- siég-e d'hippone. — A la première
nouvelle de la marche rapide des Van-
sayèrent de mettre da'ns leur parti les dales etde leurs dévastations, Boniface
Goths , que l'empereur avait engagés dut regretter amèrement, sans doute,
pour l'expédition d'Afrique. Ce fait a
été signalé dans ces lignes de saint Au- d'avoir tiré de l'Espagne ces terribles
gustin :« Plusieurs donatistes voulant auxiliaires. Il est vraisemblable que
se concilier les Goths, parce qu'ils les déjà il avait songé , dans son intérêt
croient
sont ariens puissants,comme eux. prétendent
Mais , en qu'ils
cela , propre,séric,à qui, s'opposer en armes à Gen-
chaque jour, se rappro-
ils sont condamnés par l'autorité des chait davantage de la Numidie, lors-
traditions qu'ils invoquent, car il est
toire de Carthage , deuxième partie, p. i53.
avéré que Donat, qu'ils reconnaissent
et qu'ils honorent comme leur chef, Nous renvoyons , en outre , pour ce point
n'a jamais partagé les croyances d'A- historique très-important , à quelques pas-
rius (ep. 185 , ad Bonifac). » Enfin , sages curieux que l'on trouve dans les ou-
pour compléter cette nomenclature vrages suivants de saint Augustin : Sermo
des ennemis naturels de la puissance xxv, de Vcrbo apostol. — Tractatus n, in
romaine, ajoutons que Genséric devait epistol. Joliannis. — Expositio ephtol. ad
encore trouver des auxiliaires, moins, Roman. — Epist. cvm , § 14.
(*) Au temps de Constantin , dans la di-
il est vrai, en Mauritanie qu'aux en- vision administrative des provinces, la Mau-
virons de Carthage , dans les restes de
ritanie Tingitane , la plus occidentale des
la race punique. Cette race , qui avait trois Mauritanies , avait été placée dans la
survécu à tant de catastrophes, n'avait préfecture des Gaules, et dans le diocèse
perdu alors, malgré son long contact
avec les étrangers, ni son caractère d'Espagne. Les deux autres Mauritanies re-
propre, ni sa langue, ni sa vieille levaient de la préfecture d'Italie, et du dio-
cèse d'Afrique. La Mauritanie Tingitane
naine contre les Romains (*). s'étendait de l'Atlantique au Malva; la Mau-
ritanie Césarienne , du Malva au Serbèle ; la
(*) Voyez, dans ce volume, sur la persis- Mauritanie Sitifienne, du Serbèle à l'Amp-
tance de la race punique en Afrique, YHis- saga ,qui la séparait de la Numidie.
n L'UNIVERS.

qu'il se réconcilia avec Placidie et vainqueurs ne tardèrent point à as-


Valentinien. On s'étonnait, et non sans siéger.
cause, dans l'Empire, que l'officier loyal La place où Boniface avait cherché
qui avait servi avec tant de zèle l'em- refuge était forte, et , sans doute, bien
pereur et sa mère , au temps de leurs pourvueleurs, d'armes et de vivres. D'ail-
infortunes, eût attendu, pour les aban- elle communiquait librement,
donner etles trahir, qu'ils fussent heu- par la mer, avec le dehors ; et elle pou-
reux et tout-puissants. Placidie , de vait espérer ainsi , en cas de siège, de
son côté, avait cherché en vain les ne manquer jamais de soldats et de
causes de cette brusque rébellion. Ce- munitions. Les Vandales arrivèrent
sous les murs d'Hippone, en 430, dans
tius, aprèspendant,mûre soit queréflexion,
les accusations d'Aé-
inspirassent l'été. Les historiens modernes hési-
de la défiance , soit que les plaintes ou tent àcroire que, pour réduire la place
les confidences de Boniface eussent
seules éveillé les soupçons, la cour de assiégée,
moyen qui ils nousaient employé
a été signalé l'affreux
par les
Ravenne se décida à pénétrer ce mys- auteurs contemporains (*). Ils rassem-
tère. Un officier du palais, Darius, se blaient, suivant Victor de Vita, leurs
rendit en Afrique; et là, dans ses en- prisonniers autour des villes, et les
tretiens, ilchercha à saisir le motif égorgeaient. Puis, ils laissaient les ca-
secret d'une rébellion qui avait déjà davres àl'air , dans l'espoir que leur
causé de si grands dommages à l'Em- décomposition prochaine porterait au
pire. Les entretiens qu'il eut bientôt
alors avec milieu des assiégés les maladies et la
Boniface ne lui laissèrent au- mort. Les Vandales, comme les autres
cun doute sur la double trahison d'Aé- peuples de race germanique, se sont
tius. Il fit connaître à Placidie les ré- montrés, dans le cours de leurs inva-
sultats de sa mission. La mère de sions ,assez violents et assez féroces
Valentinien n'osa punir le coupable pour qu'on puisse adopter, sans crainte
qui aurait pu tourner contre l'Empire d'erreur, le témoignage de Victor de
les troupes qu'elle lui avait confiées ; Vita. Au reste, quels qu'aient été les
mais elle fit part à Boniface de ses moyens employés alors pour obtenir
vifs regrets, et lui rendit , avec ses an-
ciens titres, toute sa confiance. Cepen- milles de distance environ de l'emplacement
d'Hippone.
dant laréconciliation venait trop tard.
Déjà les Vandales, qui ne comptaient
(*") M. Marcus, l'apologiste passionné de
plus sur l'alliance et la coopération de toutes les actions des Vandales et de Gen-
Boniface, étaient entrés en Numidie.
séric , torité
essaye,
de Victorsurdece Vita.
point,On d'infirmer l'au-
verra , par le
Le général romain voulut d'abord né-
gocier avec ses anciens alliés, et il es- passage suivant, que M. Marcus n'a pas
saya, mais en vain, à l'aide de grandes toujours autant d'habileté que de bonne
promesses , de les renvoyer en Es- volonté : « Pour ma part, dit-il avec une
pagne. DèsBoniface
siter. lors, rassembla
il n'y avait àplusla àhâte
hé- sorte d'indignation, je pense que Victor de
Vita calomnie les Vandales dans ce cas ,
toutes les troupes dont il pouvait dis- comme dans beaucoup d'autres, ou qu'il
poser, et il vint pour arrêter par la exagère du moins les faits qui se sont passés.
force, la marche et les progrès des Que les Vandales aient ramassé , dans les
envahisseurs. Il rencontra les Vandales plaines, les cadavres des hommes et des
animaux morts dans les combats, ou de
non loin de l'Ampsaga , et leur livra
bataille. Mais il fut vaincu, et il per- toute autre manière , qu'ils les aient jetés
dans les fossés des forteresses et devant les
dit dans l'action ses meilleurs soldats.
Après cette défaite , il courut se jeter murs et les portes, pour empester Pair; c'est
très-probable mais qu'ils aient égorgé
dans la ville d'Hippone (*), que les les prisonniers pour augmenter le nombre
des cadavres c'est Victor seul qui le
(*) Hippo-Regius. La ville connue aujour- prétend. » Histoire des Vandales , etc. , p.
d'hui sous le nom de Bone, esl bâtie à deux 146. -,
13
AFRIQUE.

la reddition d'Hippone, il est avéré barbares triomphèrent. Aspar aban-


que les assiégeants ne furent pas heu- donna bientôt
reux dans leurs premières opérations. remontant sur ses
ses alliés et l'Afrique
vaisseaux , avec les;
Saint Augustin se trouvait dans la débris de ses troupes, il reprit le che-
ville assiégée. Les Vandales avaient à min de Constantinople. Ce fut après
peine franchi le détroit de Gadès'que, la victoire des Vandales que la ville
déjà , il avait prévu les désastreux ré- d'Hippone capitula (août 431).
sultats del'invasion. Plus tard, quand Vaincu et ne pouvant désormais ré-
il apprit les souffrances de la Maurita- sister àGenséric, Boniface revint en
nie, et aussi , peut-être, quand il con- Italie. Il se présenta hardiment, dans
nut l'alliance des donatistes, ses enne- le palais de Ravenne, à l'empereur et
mis, avec les envahisseurs , sa frayeur à sa mère , qui , malgré sa trahison
fut telle, qu'il songea, dit-on, à pren- passée
avec distinction et ses défaites, , et lui l'accueillirent
donnèrent le
dre la fuite. Mais cette frayeur fut de
courte durée, et elle fit place, dans son titre de patrice. Placidie et Boniface
âme, à de généreuses résolutions. Il ne cessaient de déplorer leur fatale er-
voulut rester et mourir au sein de reur, et ils songeaient sans doute aux
cette Église catholique d'Afrique , dont moyens de punir le premier auteur des
il était le plus ferme et le plus illustre maux qui pesaient alors sur l'Afrique,
défenseur. II ne sortit point d'Hip- lorsqu'ils apprirent qu'Aétius, par un
pone à l'approche des barbares; et, excès d'audace , avait franchi les Alpes
quand la ville fut assiégée, il prodi- avec une armée de barbares. Il venait
gua comme
, évêque et comme citoyen , pour se débarrasser de son rival par
aux habitants etàBoniface, les encou- la force. Boniface, de son côté, ras-
ragements et les consolations. Saint sembla des troupes ; et, pour ne point
Augustin mourut pendant le siège, le s'éloigner de l'empereur et de Placi-
28 du moisd'aofitde l'année 430. Mais, diedit,c'est
avant d'expirer, il eut la douleur d'ap- Aétius.à Ravenne mêmela bataille
Enfin arriva qu'il atten-
qui
prendre que les Vandales, se livrant à pouvait seule terminer la querelle des
des expéditions partielles , avaient deux plus illustres généraux de l'Em-
étendu leurs ravages dans les provinces pire. Boniface triompha; mais il ne de-
avoisinantes. « Il voyait, dit l'agiogra- vait point recueillir les fruits de sa
phe Possidius, que, parmi les innom- victoire; il avait été mortellement
brables églises qui couvraient autre- blessé , dans l'action , par le fer d'Aé-
tius.
fois le pays, trois seulement , celle de
PREMIERS TRAITÉS DE GENSÉRIC
Carthage, celle d'Hippone et celle de
Cirta , avaient échappé à la destruc- AVEC L'EMPIRE; LE ROI DES VAN-
tion. » DALES SEMELE HÉSITER , PENDANT
Le siège dura quatorze mois. Les HUIT ANS, A POURSUIVRE SES CON-
Vandales seraient restés plus long- QUETES. — Après la défaite de Boni-
temps encore devant les murs d'Hip- face et la reddition d'Hippone, il y eut
pone ,sans l'événement que nous al- sans doute, entre les vainqueurs et
lons raconter. A la nouvelle des dangers l'Empire, un premier traité (431 ou
qui menaçaient l'Afrique, l'empereur 432). La cour de Ravenne, alarmée
d'Orient, Théodose, envoya à Placidie des progrès de Genséric, essaya de
des secours et Aspar, l'un de ses meil- l'arrêter, dans ses conquêtes, en parais-
leurs généraux. Placidie, à son tour, sant accorder de son plein gré les por-
fit partir pour Hippone les troupes tions de territoire qui lui avaient été
qu'elle avait reçues. L'arrivéeassez
de ces arrachées par la force des armes. II
renforts donna à Boniface de
est probable qu'aux termes de ce traité,
confiance contre
et d'audace pour qu'ilune
voulût les Vandales se trouvèrent non-seule-
hasarder les Vandales se- ment en possession des trois Maurita-
conde bataille. Mais, cette fois encore, nies, qu'ils avaient épuisées et ruinées
il fut trompé dans ses espérances. Les dans leurs courses, et où ils ne dési-
14 L'UISIVERS.
raient point se fixer, mais encore de la Genséric,
partie la plus occidentale de la Numi- lieu de ses ensuccès; effet, et s'arrêta au mi-
son inaction
die. Procope nous apprend que Gen- apparente, pendant huit années, frappa
séric, après sa double victoire et la les hommes de son temps, comme, de
prise d'Hippone, montra une grande nos jours encore, elle étonne les histo-
modération dans ses négociations avec riens. Comment expliquer cette mo-
l'Empire; qu'il s'engagea à payer à dération Pourquoi
? ces longs ména-
Valentinien un tribut annuel pour les gements avec l'Empire? C'est que
terres qu'il avait acquises, et qu'il li- Genséric n'avait point oublié que, pour
vra même en otage son fils Hunéric , prendre une seule ville, Hippone, il
en témoignage de ses intentions paci- avait fallu quatorze mois et deux ba-
fiques et de sa bonne foi. L'historien tail es. Ilavait parcouru, il est vrai,
byzantin ajoute que l'empereur, ras- dans une course rapide , les côtes de
suré par ces protestations , renvoya la Mauritanie; mais, là, les villes n'ap-
Hunéric à son père. paraissaient que de loin en loin , et
Cependant, on est tenté de croire alors la coopération de Boniface faisait
que les Vandales, se trouvant à l'étroit disparaître à l'avance toutes les résis-
dans le pays où ils avaient concentré tances. Quand il eut franchi l'Ampsaga,
leurs forces, firent plus d'une fois des quand l'auxiliaire sur lequel il comp-
incursions dans la province qui les tait devint son ennemi , tout changea
avoisinait à l'est, et qui les attirait par de face. La contrée sur laquelle il por-
ses richesses et sa fertilité. La paix qui tait ses regards était couverte d'une
fut conclue entre les Vandales et les population nombreuse et dévouée à
Romains, à Hippone, le 11 février l'Empire; et, d'ailleurs, elle était pro-
435, doit avoir eu pour but de mettre tégée par des villes bien approvision-
fin aux entreprises des barbares. Va- nées et environnées de fortes mu-
lentinien etGenséricconfirmèrent alors railles. Entreprendre lesiége de chacune
les clauses du premier traité. Nous de ces villes, c'était commencer une
connaissons la cause de l'empresse- lutte qui aurait eu pour unique résul-
ment que l'empereur d'Occident met- tat l'épuisement de ses forces et sa
tait à, cette époque, à lier son ennemi ruine. Puis, il avait encore à redouter
par des engagements de toute espèce que l'Orient et l'Occident, qui déjà
et par des serments ; « il craignait , dit s'étaient alliés pour sa perte, ne vou-
Isidore de Séville, que Genséric ne lussent frapper sur lui de nouveaux
poussât plus loin ses conquêtes (*). » coups. Il ne craignait pas d'être vaincu;
(*) M. Papencordt ne parle, dans son mais il comprenait que, dans la posi-
Histoire, que du traité de 435. Nous par- tion où son audace l'avait jeté , des vic-
tageons l'opinion de M. Marcus qui établit , toires multipliées, en le privant de
par de bonnes preuves, que l'Empire négo- l'élite de ses guerriers, eussent été
cia deux fuis avec les Vandales. M. Papen- pour lui , à la fin , aussi nuisibles que
cordt faisant allusion au passage de Procope des défaites. Il ajourna donc sa con-
que nous avons cité, et qu'il rapporte à
l'année 435, se refuse à croire que Genséric traita avec quête aprèsValentinien.
le siège d'Hippone, et il
ait livré comme otage à Valentinien, son
fils Hunéric. Suivant lui, le fait rapporté Ajoutons
ric avait aussi qu'àà cette
lutter époque, Gensé-
contre des en-
par l'historien byzantin ne peut s'accorder nemis bien plus terribles pour lui que
avec les succès des Vandales. Ce n'est pas ,
dit-il, le vainqueur qui donne des otages» les derniers défenseurs de l'Empire.
Dans son camp, auprès de sa personne,
On peut cependant expliquer ce fait d'une
manière plausible, en disant que Genséric parmi ses compagnons d'armes , il y
livra son fils pour les raisons qui, de 43 1 à avait
encore desoublié hommes la mortqui den'avaient
Gundéric.point
Ils
439 , l'empêchèrent de poursuivre ses con-
quêtes en Afrique. Voy. Geschichte der haïssaient le meurtrier; et les histo-
vandalischen Herrschaft in Africa , p. 71 riens anciens nous apprennent que,
et suiv.
plus d'une fois, ils conspirèrent contrq
AFRIQUE. 15
lui. Gensérïc étouffa dans le sang PRISE DE CAETHAGE. — En 439 ,
toutes les révoltes. Il avait entraîné à l'Empire était attaqué, envahi de toutes
sa suite, parts. La présence d'Aétius dans les
la veuve depuis de Gundéric la sortie
et d'Espagne,
ses fils. La Gaules ne pouvait contenir les barba-
présence de ces infortunés , au milieu res. Les Wisigoths avaient été plus
des Vandales, était en quelque sorte d'une fois victorieux dans leurs luttes
une perpétuelle protestation contre avec les Romains. En Espagne, les
son attentat et son usurpation. Pour Suèves faisaient chaque jour , et sans
s'affranchir de cette présence qui lui rencontrer d'obstacles, de nouvelles
était odieuse , et , aussi , pour enlever conquêtes. L'empire d'Orient n'était
aux siens tout prétexte de rébellion , pas moins exposé que celui d'Occident
il compléta son crime, et fit périr la au danger des invasions. Les Huns
mère avec ses dix enfants. étaient campés à ses frontières, et la
La paix était peut-être plus néces- cour de Constantinople tremblait au
saire aGenséric qu'à l'Empire. Il la moindre mouvement d'Attila. Gensé-
mit à profit pour préparer, par des ric profita de l'instant où les deux em-
moyens lents, mais sûrs, la conquête pires se trouvaient jetés dans de si
qu'il rêvait, mais qu'il ne pouvait alors et se dirigea graves embarras ; il marcha en avant,
accomplir par la seule force de ses ar- vers Carthage.
mes. Il étudia, à loisir, l'état des pro- Sur les ruines de la ville détruite par
vinces qu'il voulait envahir. Il vit Scipion , une ville nouvelle s'était éle-
vée; la faible colonie de Caïus Grac-
qu'elles renfermaient bien des hommes
qui souhaitaient ardemment son arri- chus n'avait pas tardé à devenir une
vée. C'étaient les donatistes et les au- grande cité. César et Auguste avaient
tres hérésiarques qui étaient soumis , favorisé son développement. Sous Ti-
en vertu des édits impériaux , à d'in- bère, déjà, elle n'avait pas d'égale en
justes persécutions. Genséric se fit Afrique. Dès lors elle ne cessa plus de
l'ami de tous les ennemis de l'Empire. s'accroître et de s'embellir. Strabon ,
Pour leur donner en quelque sorte Pomponius Mêla, Apulée, Hérodien ,
des gages de sa sympathie, il persécuta Solin , Ausone et Salvien ont vanté
tour à tour cette ville riche par son
les catholiques
terres que Valentinien "qui vivaient
lui avaitsuraban-
les commerce et son industrie, somptueuse
données (437); il chassa les évêques de par ses édifices , renommée par ses
leurs sièges, et même il condamna à écoles, qui avait effacé Alexandrie, et
mort les fonctionnaires publics qui qui , dans les premières années du cin-
n'avaient pas voulu embrasser l'aria- quième siècle, n'avait plus au-dessus
nisme (*). Enfin, quand il compta un d'elle que Rome des
Les invasions et Constantinople (*).
barbares avaient
nombre suffisant d'alliés dans le pays
qui avoisinait Carthage , et à Carthage même augmenté sa prospérité et sa
même; d'autre part, quand il eut af- population ; tous ceux qui , craignant
fermi son autorité sur ses propres sol- pour leur vie et pour leurs biens,
dats par des actes rigoureux et des avaient quitté l'Italie à l'approche d'A-
supplices, il se tint prêt à frapper sur laric, s'étaient précipités dans son en-
l'Empire un coup décisif. Les événe- le plus inviolable ceinte, comme dans le plus assuré et
ments qui s'accomplissaient alors en des asiles. Telle était
Europe devaient bientôt lui offrir l'oc- la grande cité que Genséric convoitait
casion d'exécuter ses projets. moins pour ses richesses que pour sa
position
le centre , de et où
sa ildomination.
avait résolu d'établir
(*) Parmi les évêques persécutés, on
compte celui de Sitifi. De là , on peut tirer (*) Nous avons cité ailleurs les passages
cette conclusion , que , par ses traités , Va- de ces divers auteurs. Voyez , dans ce vo-
lentinien avait laissé aux Vandales les Mau- lume, pour les détails, V Histoire de Car-
ritanies, ou au moins la Mauritanie sili- thage ,deuxième partie, p. 149 et suiv, ,
fienne. et principalement les pages i54 et i65.
16 L'UNIVERS.

« Au moment où Aétius, dit Pros- expression, à organiser sa conquête.


per, était livré tout entier aux affaires
Il partagea avec ses compagnons d'ar-
de la Gaule, Genséric, sur l'alliance mes, Vandales , Alains et autres bar-
duquel on comptait, et gui n'inspirait bares qui l'avaient suivi , les terres
nulle défiance, se jeta à l'improviste conquises, et il régularisa ses rapports
sur Carthage , en temps de paix ,
avec la population
et de Romains, que la, mêlée d'Africains
force et sa bonne
et s'en empara (19 octobre 439). »
Le roi des Vandales , au témoignage fortune avaient placée sous sa domina-
de Victor de Cartenne, traita avec tion. Ce furent là, on peut le suppo-
rigueur la ville qu'il avait surprise. ser, ses premiers soins. Nous parlerons
« Les vases sacrés de l'église de Car- ailleurs, et d'une manière spéciale, de
thage ,dit-il , et les objets précieux l'organisation politique des Vandales
qui se trouvaient dans les autres édi- établis en Afrique. Nous ne voulons
fices publics furent portés par les Van- ici que signaler en passant les graves
dales, lorsqu'ils entrèrent dans la ville, préoccupations qui durent empêcher
au palais du roi. Celui-ci fit déclarer Genséric, de 439 à 441 , de se porter
aux habitants de la capitale de l'Afri- au dehors, et qui, pendant ces deux
que romaine qu'ils eussent à lui li- années , le maintinrent dans un repos
vrer leur or, leurs argent, leur bijoux,
leurs vêtements de prix et leurs ar- complet
Il a étéà dans l'égardla de l'Empire.
destinée de tous les
mes. On rendit une partie de ces cho- États indépendants qui ont existé en
ses à ceux qui se dépouillèrent sans Afrique , sur la côte de la Méditerra-
hésitation et avec bonne foi. Ceux née, de se tourner vers la mer, et
qui furent soupçonnés
servé une partie d'avoir
de leurs con-
richesses d'agir, par le commerce ou par la
guerre , sur la partie méridionale de
furent battus de verges et mis à la l'Europe. Les Carthaginois, les Van-
torture. On voulait , par ces moyens, dales, les maîtres de Tunis, au moyen
leur arracher un aveu et l'indication âge, les fondateurs de la puissance
des lieux où ils avaient caché ce qu'ils d'Alger, au seizième siècle, et leurs
avaient de précieux. A ces derniers on successeurs, ont tous obéi à la même
ne fit point de restitution. Les riches- impulsion , ou , plutôt, à la même né-
ses ainsi amassées servirent à prendre cessité. C'est par force, en quelque
les mesures nécessaires pour repous- sorte, qu'ils ont construit des vais-
ser les Romains des provinces où les seaux et
, qu'ils ont été pirates. Comme
Vandales avaient fixé leurs demeures.»
PREMIERS RÉSULTATS DE LA PRISE il n'y avait pour eux ni occasions ni
motifs de déployer leur activité dans
DE carthage; PROJETS DE GENSÉ- l'intérieur des terres, ils se sont livres
RIC ; IL SE PRÉPARE A ATTAQUER tout entiers aux courses maritimes.
l'empire. — Après la prise de Car- L'activité sur mer et la piraterie n'ont
thage, Genséric pouvait, sans crainte, cessé d'exister, sur les côtes septentrio-
poursuivre et achever la conquête des nales de l'Afrique , qu'à deux reprises :
plus riches provinces de l'Afrique. au temps des Romains, et, de nos
Aussi , il ne tarda pas à s'emparer de jours, quand les peuples et les villes
toute la Proconsulaire et de la Byza- de ces côtes ont été rattachés violem-
cène. Bientôt , sur cette vaste côte qui ment, àla suite d'une conquête, au
s'étend du détroit de Gadès à la Cyré- système politique
naïque , il ne resta plus à Valentinien dionale. La prise de de l'Europe
Carthage,méri-
en
que la Tripolitaine. 439, eut précisément pour résultat
Quand Genséric se mit en posses- d'opérer une séparation entre l'Afri-
sion d'un établissement définitif, quand que et l'Europe, qui , pendant six cents
il eut pris avant tout les mesures qui ans, environ, avaient eu même gou-
pouvaient le protéger contre les atta- vernement et mêmes intérêts. Le rôle
ques soudaines des deux empires, il
de Genséric était donc marqué à l'a-
songea , si l'on peut se servir de cette vanceil; devait nécessairement porter,
AFRIQUE 17
vers la Méditerranée ses regards et général de Valentinien , qui s'appelait
son activité.
Jean, et qui était Vandale d'origine;
En effet , il avait à peine affermi , d'autre part , en se déclarant le défen-
dans les terres conquises, la domina- seur des ariens contre les catholiques,
tion de son peuple et sa propre auto- il s'était ménagé, dans les provinces
rité, qu'il songea à se mettre en mer. qu'il voulait envahir,
de nombreux en Sicile surtout,
auxiliaires.
En apprenant alors les projets du
maître de l'Afrique, les deux empires L'empereur d'Orient qui se croyait,
ne s'abusèrent point sur la grandeur et non sans cause, intéressé à repous-
du danger qui les menaçait. A Cons- ser les attaques de Genséric, avait en-
tantinople comme à Rome, la frayeur voyé contre lui une flotte considérable.
fut extrême. Tandis que Valentinien Onze cents vaisseaux, commandés par
rappelait Aétius de laGaule, Théodose, Aréobind , Innobind , Asyla, Arinthée
qui comprenait sans doute que les et Germain , se dirigèrent vers la Si-
cile. A la nouvelle de ce formidable
coups portés à l'empereur d'Occident
ne tarderaient pas à l'atteindre , se armement, le roi des Vandales réso-
hâta d'envoyer Cyrus, un de ses meil- lut d'employer non la force, mais la
leurs généraux, pour
Les armements défendre l'Italie.
de Genséric avaient ruse pour écarter le danger qui le me-
naçait. Ilfeignit de désirer sincère-
jeté le trouble parmi les populations. ment la paix; et, pour prévenir une
En Italie et en Sicile, les hubitants des attaque, il annonça aux commandants
côtes se levèrent en armes sans atten- de la flotte impériale qu'il avait envoyé
dre les ordres et les secours de l'Em- des ambassadeurs à Constantinople. Il
pire. Valentinien profita de l'effroi négocia , il est vrai , mais seulement
général ; dans ses édits, qui se succé- pour arrêter l'ennemi, et pour donner
daient avec rapidité, il encouragea les le temps aux émissaires secrets qu'il
efforts des villes; il demanda des im- avait envoyés au camp des Huns de
pôts extraordinaires, et pressa la levée
de nombreux soldats. pousser
PAIX Attila AVEC sur LES l'empire
DEUX d'Orient.
EMPIRES;
PREMIÈRES COURSES DES VAN- TRAITÉ DE GENSÉRIC AVEC VALEN-
DALES; GENSÉRIC ATTAQUE L'ITALIE TINIEN. — Au premier mouvement
et la Sicile. — Tant de préparatifs d'Attila, Théodose, effrayé, rassembla
ne furent point faits en vain. En 441 , autour de lui toutes ses forces, et rap-
une flotte considérable sortit du port peladelaflotte
de Carthage, et se dirigea vers la Si- mer Sicile.qu'il Il seavait
hâtaenvoyée
alors dedans
fairela
cile et le midi de l'Italie. Genséric es- la paix avec Genséric. Abandonné par
pérait faire un riche butin dans ces l'Orient, Valentinien ne pouvait , seul
deux contrées qui renfermaient la meil- et sans vaisseaux, porter tout le poids
leure part des domaines impériaux, et de la guerre. Il fut donc forcé de suivre
qui , jusqu'alors,
désordres et aux ravages avaient deséchappé aux l'exemple
invasions.
de Théodose, et il fit un
traité avec le roi des Vandales (442).
Mais il ne fut pas heureux dans cette Ce traité eut cela de singulier, qu'il
première entreprise. Cassiodore, aïeul mit Genséric en possession des pro-
de l'historien du même nom, le chassa vinces qui, jusqu'en 439, n'avaient
de l'ancien Bruttium. En Sicile, il s'em- point cessé d'appartenir aux Romains,
para, ilest vrai, de Lilybée; mais il et qu'il donna à Valentinien, par une
échoua devant Panorme. Ces résistan- espèce de compensation , la portion de
ces imprévues l'arrêtèrent, et il revint l'Afrique d'abord
dales. Ainsi occupéedes par
, en vertu les Van-
conditions
à Carthage. Genséric n'avait cependant
négligé aucun des moyens qui pou- acceptées des deux côtés , Genséric eut
vaient assurer le succès de son entre- pour lui la Byzacène, la Zeugitane ou
prise. Si l'on en croit des documents Proconsulaire, et une faible partie de
contemporains, il avait déjà gagné à sa la Numidie; et Valentinien, l'autre
cause, avant de se mettre en mer, un partie de la Numidie et les trois Mau-
2e Livraison. (Hist. des Vandales.) 2
18 L'UNIVERS
ritanies. Il faut encore ajouter que la ques années, l'alliance qui unissait les
petite Syrte bornait , à l'est , les pro- conquérants sesseurs de lade Gaule l'Afrique aux pos-Il
méridionale.
vinces deGenséric, et que Valentinien
restait maître de la Tripolitaine (*). arriva même, à la suite de cette rup-
RAPPORTS ET ALLIANCES DES VAN- ture, un moment où les Vandales eurent
DALES, SOUS GENSÉRIC, AVEC LES contre eux, à la fois, les Romains, les
AUTRES PEUPLES EARBARES. — Ce Goths et les Suèves. Pour se débarras-
qui fit la force de Genséric pendant ser, d'un coup, de tous ces ennemis
son long règne , c'est qu'il ne s'isola coalisés, Genséric poussa Attila sur la
point dans son Afrique, et qu'il en- Gaule. Les Huns, il est vrai, furent
tretint, en Europe, des rapports sui- vaincus à Châlons ; mais Théodéric
vis et constants avec les peuples bar- perdit la vie dans la bataille; et les al-
bares qui, de son temps, attaquèrent liés, épuisés par leur victoire même,
l'empire romain. Ses relations avec ne songèrent plus dès lors à tourner
Attila sont attestées par Priscus et leurs armes contre l'Afrique. Puis,
Jornandès ; et nous avons déjà dit com- Genséric ne tarda pas à voir la mé-
ment, en 442, il se servit des Huns sintelligence éclater entre ceux-là
pour effrayer Théodose, et pour écar- même qui s'étaient réunis autrefois
ter les dangers qui menaçaient sa nou- pour l'attaquer. Enfin, il se rapprocha
velle conquête. Il s'allia même aux des Wisigoths; et ce fut lui, dit-on,
Goths , jusqu'à lui ennemis irréconci- qui conseilla à Euric , devenu son
liables des Vandales , qu'ils avaient allié, de s'agrandir dans la Gaule, et
frappés et déplacés tant de fois dans de prendre Marseille et Arles aux Ro-
la Germanie , battus et dépossédés en- mains. Après la mort d'Attila, il re-
core en Espagne, et qu'ils avaient chercha l'amitié des principales tribus
poursuivis même en Afrique, en se
mettant au service du comte Boni- qui s'étaient séparées des Huns. C'est
ainsi qu'il se lia avec les Gépides et les
face (**). Le traitement ignominieux et Ostrogoths. Quand le chef de ces der-
barbare que subit, par ordre de Gen- niers, Théodéric, devint, en vertu d'un
séric, la fille de Théodéric, roi des
traité auxiliaire de l'Empire d'Orient,
Wisigoths (***), rompit, pendant quel- il stipula que ses soldats serviraient
(*) Voyez , sur ce traite de 4.42 , indé-
contre tous les ennemis de cet empire,
pendamment des auteurs anciens Prôsper et excepté contre les Vandales. Tels fu-
Victor de Vita, l'ouvrage de Papencordt, rent les rapports de Genséric avec les
■Gesclùchte der vandaliscfien Herrschaft in peuples barbares qui, fixés en Europe,
Africa , p. 76 et suiv. , et celui de M. Mar- menaçaient Rome ou Constantinople.
cus, Histoire des Vandales, etc., p. 166 et
suiv. Il y a au moins l'apparence d'une
Grâce' aux puissantes diversions qu'il
grande précision dans les délimitations géo- opérait à l'aide de ses alliances, il par-
graphiques données par M. Marcus, à propos vint, comme nous le verrons, à re-
de ce traité de 442. M. Papencordt est plus
pousser avec succès les attaques de
vague ; il se borne à dire : « Les deux Mau- l'Orient et de l'Occident , et à affer-
ritanies, avec la partie occidentale de la mir sa domination sur le vaste ter-
Numidie, dont Cirta est la capitale, demeu- ritoire qu'il avait conquis en Afrique.
rèrent au pouvoir des Romains. Les Van- RÉVOLUTIONS DANS L'EMPIRE d'OC-
CIDENT ; MORT DE VALENTINIEN ; LE
dales prirent l'autre partie de la Numidie,
qui a pour capitale Hippone, la Byzacène SÉNATEUR PÉTRONIUS MAXIMUS. —
et la Proconsulaire. Nous ne savons pas Pendant les années qui s'écoulèrent de
précisément ce qui fut statué à l'égard de 442 à 455, Genséric vécut en paix avec
la Tripolitaine. »
(**) Les meilleurs soldats de l'armée de le fils aîné de Genséric. Le roi des Van-
Eoniface , avant et pendant le siège d'Hip- dales ,qui l'accusait d'avoir voulu l'empoi-
pane, furent des Goths qui étaient venus sonner, lui fit couper le nez et les oreilles,
en Afrique comme auxiliaires de l'Empire. et la
lation.renvoya à son père après cette muti-
(***) La fille de Théodéric avait épousé
AFRIQUE.
les deux empires. Il est vraisemblable, PIRE; L IMPERATRICE EUDOXIE AP-
PELLE GENSÉRIC EN ITALIE ; PRISE
toutefois, que les Vandales, dont l'ac- ET PILLAGE DE ROME PAR LES VAN-
tivité s'était portée tout entière vers
les entreprises maritimes, firent plus DALES ET PAR LES MAURES. — Pé-
d'une course avec leurs vaisseaux dans tronius Maximus, qui appartenait à l'il-
la Méditerranée et même dans l'O- lustre famille Anicienne, fut proclamé
céan (*). Genséric employa ce long re- empereur; mais il ne devait pas jouir
pos à négocier avec les barbares de longtemps du haut rang où la volonté
l'Europe, ennemis de Valentinien ou d'un peuple et d'un sénat avilis l'avait
de Théodose ; à contenir les Maures ,
ses voisins , qui étaient devenus pour placé.reur Eudoxie
lemeurtrierne devoyait qu'avecépoux.
son ancien hor-
lui d'incommodes alliés , et à établir, Pour se soustraire à une insupportable
dans les terres qu'il avait acquises en tyrannie, et pour briser les liens d'un
vertu des traités, un gouvernement mariage qu'elle n'avait contracté que
fort et régulier. Vers 454 , il fut dis- par la force, elle appela secrètement à
trait de ces soins importants par les ré- son aide le roi des Vandales.
volutions quiéclatèrent au sein même Genséric saisit avidement l'occasion
du palais des empereurs d'Occident. qui lui était offerte de grossir ses tré-
Aétius était, à cette époque, l'homme sors ,et en même temps de frapper
le plus illustre de l'Empire. Sans cesse mortellement, par Rome et l'Italie,
occupé à repousse* les barbares, il avait l'empire d'Occident. Il équipa de nom-
expié, par d'éclatants services, la trahi- datsbreux vaisseaux
vandales et qu'il remplit
maures, et il dese sol-
mit
son dont il s'était rendu coupable au
temps de Boniface. C'était lui enfin qui en mer. « Lorsque Genséric débarqua
avait vaincu Attila dans les plaines de sur les bords du Tibre, dit Gibbon,
Châlons. Valentinien, jaloux, dit-on, de auquel nous empruntons le beau récit
la gloire de celui qui avait tant fait pour qui va suivre , les clameurs d'un peu-
lui et pour Les son empire, ple épouvanté et furieux tirèrent Maxi-
assassin. barbaresle livra
seulsau devaient
fer d'un mus de sa honteuse léthargie. La seule
se réjouir de cette mort. On connaît la ressource qui se présenta à son esprit
réponse que fit à l'empereur un de abattu fut une fuite précipitée, et il
ceux dont il sollicitait l'approbation : engagea les sénateurs
« J'ignore , lui dit-il , quels ont été vos ple de leur souverain. àMais
imiterMaximus
l'exem-
griefs ; mais je sais que vous avez agi n'eut pas plutôt paru dans la rue, qu'il
comme un homme qui se sert de sa fut assailli d'une grêle de pierres. Un
main gaucbe pour couper sa main soldat romain ou bourguignon préten-
droite. » Valentinien ne survécut pas dit àl'honneur de le frapper le pre-
longtemps à Aétius. Se livrant, sans mier. Son corps déchiré fut jeté
mesure et sans prudence, à tous les dans le Tibre. Le peuple romain se
excès, il essaya de déshonorer, en em- félicita d'avoir puni l'auteur des cala-
ployant dehonteux moyens et la force, mités publiques; et les serviteurs
la femme du sénateur Pétronius Maxi- d'Eudoxie signalèrent leur zèle à la
mus. Cet odieux attentat ne resta pas venger. Trois jours après ce tumulte,
impuni. Pétronius Maximus le fit assas- Genséric , suivi de ses Vandales ,
siner. Pour compléter sa vengeance, il s'avança d'Ostie aux portes de Rome ;
força la veuve de Valentinien, Eu- et, au lieu d'une
doxie , à l'épouser et à prendre la place mains armés pourfoule de jeunesonRo-
la défendre, en
de sa femme qu'il avait perdue. vit sortir processionnellement le véné-
ÉLÉVATION DE MAXIMUS A L'EM- rable Léon, à la tête de son clergé. La
fermeté du prélat , son éloquence et
(*) Les historiens contemporains parlent son autorité adoucirent , pour la se-
d'une course que les Vandales auraient faite conde fois, la férocité d'un conquérant
sur les côtes occidentales de l'Espagne , vers barbare. Le roi des Vandales promit
445.
d'épargner les citoyens désarmés,
2.
d'in-
20 L'UNIVERS.

terdire les incendies, et d'exempter les capitale , et des vaisseaux pour les
captifs de la torture ; et, quoique ces transporter. Les ornements du palais
ordres n'aient été ni sévèrement don- impérial , les meubles, les vêtements,
nés, nistrictement exécutés, la média- la vaisselle, tout fut entassé sans dis-
tion de Léon fut glorieuse pour lui et tinction. L'or et l'argent s'élevèrent à
utile à son pays. Mais Rome, avec ses plusieurs milliers de talents, et les
habitants, barbares ne négligèrent cependant ni
des Mauresn'enet fut des pas moins ;laetproie
Vandales les le cuivre, ni l'airain. Eudoxie elle-
nouveaux habitants de Carthage ven- même paya chèrement son imprudence.
gèrent les anciennes injures de la race On la dépouilla de ses bijoux au mo-
ment où elle venait au-devant de son
punique qu'ils avaient remplacée. Le
pillage continua durant quatorze jours libérateur et de son allié. L'impéra-
et quatorze nuits; et Genséric fit soi- trice et ses deux filles, seuls restes de
gneusement transporter sur ses vais- la famille du grand Théodose, furent
seaux les richesses publiques, celles des forcées de suivre comme captives le
particuliers, et tous les trésors sacrés. sauvage Vandale, qui mit aussitôt à
Parmi les dépouilles, les ornements la voile , et rentra dans le port de Car-
précieux de deux temples, ou plutôt thage après une heureuse navigation.
de deux religions, offrirent un exem- Les barbares entraînèrent sur leurs
ple mémorable de la vicissitude des vaisseaux des milliers de Romains des
choses humaines et divines. Depuis deux sexes, dont la figure ou les ta-
l'abolition du paganisme, on avait lents pouvaient contribuer aux plai-
abandonné le Capitole ; mais on res- sirs de leurs maîtres ; et , dans le par-
pectait encore les statues des dieux et tage des captifs , les maris furent
des héros; et la magnifique voûte de impitoyablement séparés de leurs fem-
bronze doré était comme réservée aux mes, et les pères de leurs enfants. Ils
mains avides de Genséric. Les objets ne trouvèrent de secours et de conso-
sacrés du culte des Juifs, la table d'or, lation que dans la charité de Déogra-
le chandeiier à sept branches , origi- tias, évêque de Carthage. Il vendit gé-
nairement construit d'après les ins- néreusement lesvases d'or et d'argent
tructions deDieu lui-même, qui étaient de son église; racheta les uns, adoucit
placés dans le sanctuaire de Jérusa- l'esclavage des autres, soigna les ma-
lem, avaient été offerts avec ostenta- lades, etfournit aux différents besoins
tion en spectacle aux Romains dans le d'une multitude dont la santé avait
triomphe de Titus , et déposés ensuite beaucoup souffert dans le passage
dans le temple de la Paix. Après quatre d'Italie en Afrique. Le digne prélat
siècles, ces dépouilles fnrent transpor- convertit deux vastes églises en hôpi-
tées de Rome à Carthage par un bar- taux, yplaça commodément tous les
bare qui tirait son origine des côtes de
la Baltique. Les églises chrétiennes, malades,
rer tous les et'semédicaments chargea de leur procu-
nécessaires
ornées et enrichies par la dévotion de à leur état. Deogratias , quoique d'un
ces temps, offrirent une proie abon- âge très-avancé, les visitait exactement
dante aux mains sacrilèges; et la pieuse le jour et la nuit. Son courage lui prê-
libéralité du pape Léon, qui fondit six tait des forces, et sa tendre compas-
vases d'argent donnés par îe grand sion ajoutait un prix inestimable à ses
Constantin, chacun du poids de cent services. Comparons cette scène avec
livres, est une preuve de la perte qu'il celle qui suivit la bataille de Cannes,
tâchait de réparer. Dans les quarante- et jugeons entre Annibal et le succes-
cinq ans qui s'étaient écoulés depuis seur de saint Cyprien (*). »
l'invasion des Goths, Rome avait pres- PARTAGE DES DEPOUILLES', NOU-
que repris sa première magnificence. Il VELLES COURSES DES VANDALES; RI-
était difficile de tromper ou de rassa-
sier l'avarice d'un conquérant qui avait (*) Gibbon ; Histoire de la décadence et
le loisir d'enlever les richesses de la de la chute de l'emvire romain, ch. 36.
21

AFRIQUE
cimer. — A son retour à Carthage , domination sans rivale, et qu'elle leur
le roi Genséric, qui n'avait perdu, eût préparé d'ailleurs, contre les dan-
dit-on , dans la traversée qu'un seul gers de toute espèce dont ils étaient
vaisseau, celui qui portait les orne- assaillis dans leurs courses, des points
de relâche et de sûrs abris. Ils firent
jnents et les statues du Capitole, s'em-
pressa de distribuer les dépouilles de de longs efforts pour compléter ainsi
Rome aux guerriers de sa nation et leurs conquêtes. De 455 à 459, ils
aux Maures qui lui avaient servi d'auxi- s'emparèrent de Malte, et de toutes
liaires. Or, argent, meubles et vête- les petites îles qui se trouvent placées
ments précieux, objets d'art et pri- non loin des côtes de l'Afrique. Mais
son iers tout
, fut partagé. Suivant ils ne furent pas si heureux dans leurs
d'anciens récits, le roi se réserva, tentatives sur la Sicile, la Corse et la
comme part du butin, les ornements Sardaigne. L'empire d'Occident avait
du temple de Jérusalem, que Titus alors un général qui, par son activité
avait transportés à Rome; et, parmi et ses succès, les arrêta dans leurs en-
les prisonniers, Gaudentius, fils d'Aé- treprises. Ricimer détruisit une de
tius, et Eudoxie avec ses deux filles. leurs flottes en vue de la Sicile, près
Plus tard, en 457, Genséric renvoya à d'Agrigente; et, la même année 456,
Constantinople la veuve de Valenti- il les expulsa de la Corse, où ils avaient
nien et de Maximus , avec Placidie ,
qui épousa Olybrius, destiné à devenir essayé de s'établir.
Ricimer était barbare d'origine. Il
un jour empereur d'Occident. Quant à avait eu pour père un Suève. et pour
l'autre fille d'Eudoxie(*), elle demeura mère la fille de Wallia, roi des Wisi-
à Carthage, où elle devint, de gré ou goths. Il avait servi avec distinction
de force, la femme de Hunéric, fils sous Aétius, et s'était élevé rapide-
aîné du roi des Vandales. ment dans l'armée roma-ne, par sa
La révolution qui avait livré Rome bravoure et par ses talents. Après la
à Genséric lui avait donné en même double révolution qui priva du trône
et de la vie Valentinien et Maximus, il
temps dules traité
vertu provinces de 442, d'Afrique
étaient qui , en
restées devint l'homme le plus puissant de
au pouvoir de Valentinien. En 455, les l'Empire. Il hérita en quelque sorte,
Vandales joignirent au territoire qu'ils par illustre
cet la mort chefd'Aétius,
avait deexercée
l'influence que
pendant
possédaient déjà la Tripolitaine et les
trois Mauritanies; et ils étendirent tant d'années sur les soldats barbares.
ainsi leur domination sur toute la côte Ses victoires sur les Vandales accru-
de la Méditerranée, depuis Gadès jus- rent encore sa puissance. Ricimer,
qu'à la Cyrénaïque. Mais cette vaste comme barbare, n'osait aspirer au
étendue de pays ne leur suffit point en- rang suprême; mais il voulait au
core; ils remontèrent sur leurs vais- moins, à défaut du titre, se réserver
seaux et
, parcoururent la mer comme le pouvoir absolu des empereurs. Il
autrefois, pour attaquer et piller les exerça ce pouvoir, et le fit sentir sur-
provinces d'Europe qui étaient sou- tout °à ceux qui étaient revêtus de la
mises àl'Empire. Ils voulaient aussi pourpre, et qui semblaient placés au-
s'établir dans toutes les îles de la Mé- dessus de lui. Ce fut, en 456, au re-
diterranée. Ils avaient bien compris tour de la Corse, qu'en déposant Avi-
que la possession de ces îles leur eût tus, Ricimer fit le premier essai de ses
donné sur mer, et pour longtemps, une forces. L'empereur déchu n'essaya
(*) Nous suivrons, à cause de l'usage, point de
avait reprendre
enlevé; le titresans
il comprit qu'ondoute
lui
l'exemple de Gibbon et de quelques autres
historiens modernes qui l'appellent Eudoxie que, même avec l'appui du roi des
comme sa mère. Cependant Procope donne Wisigoths, son protecteur, toute ré-
des noms différents a la veuve de Valenti-
et revint sistance
dansserait lavaine.
GauleIl ,quitta l'Italie,
sa patrie , où
nien et à sa fille, l'épouse de Hunéric. Il
appelle la première Eûôoijia , et la seconde il mourut (456). Après la déposition
EOSoxta.
d'Avitus et un interrègne de plusieurs
22 L'UNIVERS.
mois, Ricimer donna son assentiment roi , fut battue sur la côte de Sinuessa,
à l'élévation de Majorien, que les vœux non loin de l'embouchure du Liris.
des Romains avaient appelé au trône Genséric , après cet échec , se crut en
impérial (avril 457). péril; et, suivant son usage, il alla
l'empereur majorien ; ses pré- chercher, parmi ses alliés naturels, les
paratifs POUR attaquer les van- peuples germaniques, des ennemis aux
dales EN AFRIQUE ; DESTRUCTION Romains. Il s'empressa de renouer
DE LA FLOTTE ROMAINE A CARTHA- avec les Wisigoths; et, pour accroître
GÈNE ; MORT DE MAJORIEN. — Le le nombremédiateur de ses auxiliaires, il s'offrit
caractère du nouvel empereur était, comme dans la guerre que
suivant l'expression de Gibbon , grand ce peuple soutenait alors contre les
et héroïque. Dans sa jeunesse , il s'é- Suèves. Mais Majorien, sans s'inquié-
tait illustré à la guerre par des actions ter des ennemis que lui suscitait le roi
d'éclat. Il arriva même, à la fin, que des Vandales , faisait , pour attaquer
sa gloire fit ombrage à Aétius. Il avait l'Afrique, d'immenses préparatifs. Il
trop de prudence pour engager la lutte ne les ralentit point quand le roi des
contre celui dont la puissance, en Oc- Wisigoths manifesta des dispositions
hostiles ; seulement il entra en Gaule,
abandonnacident,doncn'avait point de bornes.
les armées, et rentraIl le prévint et le battit. Par son ordre,
dans la vie privée. Après la mort d' Aé- on avait préparé ou rétabli les arse-
tius, ilreparut à la tête des troupes naux de l'Empire. On construisait une
impériales. Au moment même où l'es- grande flotte sur les côtes de la Ligu-
time de tous lui décernait le pouvoir rie. Cette flotte nouvelle devait se join-
souverain , il venait d'arrêter, au pied dre aux anciens vaisseaux qui station-
des Alpes, une nouvelle invasion des naient dans l'Adriatique, et se rendre,
peuples germaniques. Maître de l'Em- avec eux, à Carthagène, où l'empereur
pire, Majorien n'avait plus rien à dé- se proposait d'embarquer son armée.
sirer; et, comme tant d'autres, il au- Vers ce temps, suivant une vieille
rait pu , en se cachant dans son palais, tradition byzantine, Majorien, voulant
se livrer tout entier à de faciles plai- connaître les ressources de son en-
sirs, et se dérober désormais aux tra- nemi ,se rendit à Carthage. Il se pré-
vaux et aux dangers. Son élévation senta àGenséric sous un faux nom ,
et comme ambassadeur.il avait noirci
cependant n'amollit point son âme , et
il porta en temps de paix , dans l'ad- sa chevelure , qui naturellement était
ministratila
on , vigilance et l'énergie blonde, et ressemblait à l'or. Genséric
qui l'avaient illustré au milieu des l'accueillit avec distinction; et, pour
camps. Vivement préoccupé par les lui donner une haute idée de ses forces
maux de l'Empire, il déploya une acti- et de sa puissance, il le conduisit à
vité extraordinaire pour le guérir au son arsenal. On dit qu'à l'approche de
dedans, et pour écarter les dangers ces deux illustres guerriers, les ar-
qui , du dehors, le menaçaient de toutes mes entassées
un son. Le rois'agitèrent et rendirent
des Vandales chercha
parts. C'était portait
que Majorien surtoutses* vers l'Afrique
regards et sa alors, mais en vain , l'explication de ce
pensée. prodige. Il n'apprit
Les Vandales, en effet, poursuivaient avait accueilli dans que plus tard, etqu'il
sa capitale au
le cours de leurs pirateries et de leurs sein même de son palais , le plus re-
dévastations. Leur puissance maritime doutable de ses ennemis. « La tradi-
et leurs entreprises audacieuses met- tion, dit un grand historien, du voyage
taient Rome et l'Italie dans un conti- de Majorien à Carthage , doit être re-
nuel danger. Majorien ranima le cou- jetée comme improbable ; mais c'est
rage des Romains, rassembla des vais- une tradition qui n'a pu être imaginée
seaux; etles mesures qu'il prit alors que pour un héros. »
furent si sages et si promptes, que Quand Majorien eut achevé ses pré-
déjà, en l'année 458, une flotte van- paratifsil
, partit avec ses troupes
dale, commandée par un parent du
pour rejoindre la flotte qu'il avait ras-
AFRIQUE. 23

semblée à Carthagène. Jadis, les Car- d'obstacles dans la partie de la Médi-


thaginois avaient traversé l'Espagne terranée qui s'étend de l'Espagne à
et ïa'Gaule pour attaquer l'Italie et à la Sicile. Chaque année, au
460, un empereur romain Rome*,
, par uneen retour de la belle saison , Vandales et
marche inverse, passa par la Gaule et Maures montaient sur des vaisseaux
l'Espagne pour attaquer Carthage. La et allaient, dans les îles et sur le con-
frayeur du roi des Vandales, à l'appro- tinent pour
, piller et brûler, et aussi
che de Majorien, fut égale à celle qu'a- pour amener comme esclaves , à Car-
vait éprouvée autrefois le sénat de thage les
, habitants de la côte qui ne
Rome, au temps d'Annibal. Genséric s'étaient pas enfuis à leur approche»
demanda la paix ; mais l'empereur re- Le roi prenait part à ces expéditions.
jeta ses propositions. Majorien était Lorsqu'il se mettait en mer, et que le
arrivé à Carthagène , et là il prenait pilote, s'adressant à lui , demandait :
ses dernières mesures pour opérer sa «Où irai-je? —Le vent, répondait-il,
descente en Afrique. Le roi des Van- «te conduira où nous appelle la co-
dales, pour ralentir au moins la course « 1ère de Dieu. » Genséric disait aux
de son ennemi, et pour compromettre ambassadeurs romains qui venaient le
sa marche dans le cas où il pénétrerait prier de mettre un terme aux pirate-
dans ses États , livra les Maurita-
nies Tingitane et Césarienne à une ries, que facilement
pouvaient les empereurs d'Occident
obtenir la paix
complète dévastation. Il lit combler en lui restituant le patrimoine d'Eu-
les sources et les fontaines ou les doxie, épouse de son fils Hunéric, et
empoisonna. Mais bientôt ses craintes celui de Gaudentius , son prisonnier
s'évanouirent. Il avait des émissaires de guerre.
dans le camp de Majorien qui fomen- Ce fut vers 463 que les Vandales se
taient les naines et les divisions et rendirent maîtres de la Corse et de la
poussaient les troupes à la trahison. Sardaigne. Ils firent aussi, pour s'em-
Des Goths, auxiliaires de l'Empire, li- parer de la Sicile, des efforts multi-
vrèrent aux Vandales la flotte romaine, pliés ;mais, sur ce point, ils échouè-
qui fut anéantie. rent dans toutes leurs tentatives. En
Majorien accepta alors la paix que 458 ,desMajorien
lui proposait Genséric. En proie à une avec troupes avait placé, un
choisies dansde l'île,
ses
vive douleur, mais non découragé, il meilleurs officiers. C'était Marcellia-
revint en Italie. Là, il rêvait sans doute nus, qui défendit pendant six ans, avec
une nouvelle expédition , lorsque Ri- bravoure et succès, la province que les
cimer excita dans le camp de Tortone, chefs de l'empire lui avaient confiée.
au pied des Alpes, un soulèvement à Il n'abandonna son poste qu'en 463 ;
la suite duquel l'empereur fut déposé. il voulait alors se soustraire, non point
Le barbare avait compris que sous ce aux attaques des Vandales , mais à la
règne il resterait toujours au second perfidie et aux mauvais desseins de
rang , et que Majorien , revêtu de la Ricimer. Trois ans plus tard, en 466,
pourpre, n'aurait jamais un maître, ni la mort de Livius Sévérus, qui avait
même un égal. Cinq jours après sa
porté,reur ,vint
en Occident , lebontitre
rompre le d'empe-
accord qui
déposition,
mort violente. l'empereur
Telle fut déchu péritMa-
la fin de de existait entre Genséric et la cour de
jorien, le
« plus illustre, dit Procope, Byzance. Ricimer voulait alors laisser
de tous ceux qui ont régné sur les Ro- vacant le trône impérial. Mais cette
mains. » nouveauté et l'audace du barbare ex-
LES VANDALES POURSUIVENT EN citèrent,dans tous les esprits, une
OCCIDENT LE COURS DE LEURS DE- vive indignation. Ricimer céda devant
VASTATIONGENSÉRIC
S; VEUT FAIRE les protestations énergiques des Ro
UN EMPEREUR ; RUPTURE AVEC L'O- mains. Il donna même son assenti-
rient.— Dès lors , les pirates de l'A- ment aux volontés du sénat, qui avait
frique ne devaient plus rencontrer choisi, pour succéder à Sévérus , An-
24 L'UNIVERS

thémius, l'un des plus illustres géné- core cet empire d'Occident, qu'autre-
raux de l'Orient. L'empereur de Cons- fois ilavait si glorieusement défendu.
tantinople, Léon, accueillit favorable- On accueillit sans doute avec joie les
ment lademande qui lui était adressée propositions de Marcellianus. On lui
de Rome. Il savait bien qu'en permet-la confia des troupes, et, à leur tête, il
tant àun de ses officiers de revêtir
partit pulsapour les Vandales la Sardaigne,
(469). d'où il ex-
pourpre, il se réservait une espèce de
suprématie sur l'Occident. Tout s'ar- A la même époque, les généraux de
rangeait donc au gré de Rome et de l'empire d'Orient obtenaient sur terre
Constantinople, lorsque Genséric in- et sur mer de brillants succès. L'un
tervint etdemanda qu'à la placed'An- d'eux , Héraclius , s'empara , avec les
thémius on prît pour empereur Oly- trouves de l'Egypte, de toute la Tri-
brius. Le mérite de l'un lui inspirait politaine, etse prépara à marcher sur
des craintes, tandis que, en raison de Carthage. L'empereur Léon cependant
la parenté, il pouvait espérer de trou- ne voulait point se borner à des atta-
ver chez l'autre un entier dévoue- ques partielles; il avait résolu de frap-
ment (*). Léon et les Romains ne tin- per sur les Vandales un cou|j décisif, et
rent compte ni des demandes, ni des il faisait alors d'immenses préparatifs.
menaces de Genséric. Le roi des Van- Avec les sommes qu'il tirait de Cons-
dales, pour se venger, dirigea alors ses tantinople etdes provinces, il équipa
une flotte de onze cent trente vais-
vaisseaux vers l'Orient , et les pirates
de Carthage allèrent porter sur les cô- seaux, et leva plus de cent mille sol-
dats ou matelots. Quand il eut ras-
pire,tes de
de latoute Dalmatie, de PIllyrie,
la Grèce , des îlesdedel'É-
la semblé toutes ces forces, il les confia
mer Egée, et même de l'Asie, les ra- à Basiliscus, frère de sa femme, l'im-
vages qui n'avaient atteintjusqu'alors pératrice Vérine, et. lui ordonna de se
que les provinces de l'Occident. La diriger vers la capitale du royaume de
cour de Byzance négocia d'abord pour Genséric (470). « La (lotte formidable
arrêter ce fléau; mais voyant que ses de Basiliscus atteignit sans accident la
démarches n'amenaient aucun résul- côte d'Afrique. Il débarqua ses trou-
tat , elle résolut d'opposer la force à pes au cap Bon, ou sur le promontoire
la force, et de soutenir vigoureusement de Mercure, à environ quarante milles
la guerre. de Carthage. L'armée d'Héraclius et
GUERRE ENTRE L'EMPIRE d'ORTENT la flotte de Marcellianus joignirent ou
ET les vandales; basiliscus ; secondèrent le général de l'empereur,
COMBAT NAVAL; RUSES ET VICTOIRE et les Vandales furent vaincus par terre
DE GESSÉRIC ; LES FORCES DE LEM- et par mer , partout où ils voulurent
PIRE D'ORIENT SONT ANÉANTIES. — s'opposer à eux. Si Basiliscus eût saisi
Parmi les guerriers qui suivirent An- le moment de la consternation pour
thémius en Italie, se trouvait Marcel- marcher sur la capitale , Carthage se
lianus. Après son départ de la Sicile, serait nécessairement rendue , et le
il s'était retiré en Dalmatie, et !à , à royaume des Vandales était anéanti.
Genséiicconsidéra le danger en homme
l'aide des soldats qui s'étaient dévoués
à sa fortune, il se maintint à l'égard décourage, et l'éluda avec sa vieille
de Rome et de Constantinople dans habileté. Il offrit respectueusement de
une complète indépendance. Cepen- soumettre sa personne et ses États à
dant ,à l'avènement d'Anthémius, il la discrétion de l'empereur; mais il
demanda une trêve de cinq jours pour
s'imagina peut-être que l'influence de stipuler les articles de sa soumission ;
Ricimer, son ennemi , était à jamais
détruite, et il s'offrit pour servir en- et sa libéralité , si l'on peut en croire
l'opinion
fit aisémentuniverselle obtenir ledesuccès ce siècle, lui
de cette
(*) Plaeidie, femme d'Olybrius , était
sœur d'Eudoxie , quiVandales.
avait épousé Huilerie,
demande insidieuse. Au lieu de se re-
lils aîné du roi des fuser avec fermeté aux sollicitations de
AFRIQUE. 25
son ennemi , le coupable ou crédule ses
Basiliscus consentit à cette trêve fu- sans propres
doute deofficiers Ricimer, à, et
l'instigation
le roi des
neste ,et se conduisit avec aussi peu Vandales apprit avec surprise et sa-
de précaution que s'il eût été déjà le saienttisfaction que les de
eux-mêmes Romains s'empres-
le débarrasser de
maître detervalle,l'Afrique. Dans cefavorables
les vents devinrent court in-
ses plus formidables adversaires. Après
aux desseins de Genséric. II lit monter le mauvais succès de cette grande ex-
sur ses plus grands vaisseaux de guerre
les plus déterminés de ses soldats ; ils pédition, Genséric reprit l'empire des
mers , et les côtes de l'Italie, de la
traînèrent après eux de grandes bar- Grèce et de l'Asie, éprouvèrent tour
ques remplies de matières combusti- à tour les fureurs de sa vengeance et
bles, et, après y avoir mis le feu , ils de son avidité. La Sardaigne et Tripoli
les dirigèrent pendant la nuit au milieu rentrèrent sous son obéissance , et il
de la flotte ennemie, sur laquelle le vent joignit enfin la Sicile aux provinces
les portait. Les Romains furent éveillés déjàGENSÉRIC
soumises CONTINUE à sa domination (*). »
par la vue des flammes qui consumaient LA GUERRE ;
leurs vaisseaux. L'obscurité, le bruit SES RAPPORTS AVEC LES OSTRO-
des vents, le craquement des bois , les GOTHS ; SES DERNIÈRES ENTREPRI-
cris des matelots et des soldats qui ne SES ; IL TRAITE AVEC L'EMPEREUR
savaient ni obéir, ni commander, aug- zénon ; sa mort. — Les historiens
mentaient ledésordre et la terreur des
anciens ont pensé que l'empereur Léon
Romains. Tandis qu'ils tâchaient de perdit sa flotte par trahison. Ils ont
s'élo'gner des brûlots et de sauver une accusé tout à la fois Basiliscus le
partie de la flotte , les galères de Gen- commandant, et Aspar , Goth d'ori-
séric les assaillirent de tous côtés, et gine, qui cherchait, avec son fils Ar-
une partie des vaisseaux sauvés des daburius, à se créer à Constantinople
flammes devinrent la proie des Van- une puissance égale à celle que Rici-
dales. Au milieu des événements de mer exerçait en Italie. En ce qui con-
cette nuit désastreuse, Jean , un des
principaux officiers de Basiliscus, a su cerne Aspar, l'opinion des contempo-
rains ne paraît pas dénuée de vraisem-
par son courage héroïque , ou plutôt blance; mais il est difficile d'admettre
désespéré, arracher son nom à l'ou- la complicité de Basiliscus. Si Léon
bli. Lorsque le vaisseau qu'il avait eût soupçonné seulement ce dernier
bravement défendu fut presque con- d'aspirer,' commeil neon luil'aeûtprétendu, au
sumé par les flammes , il refusa la pi- trône impérial, certes pas
tié et l'estime de Genzon, fils de Gen- accordé un entier pardon. Basiliscus,
séric et,
; se précipitant tout armé dans suivant un ancien historien , était un
la mer, il s'écria, en disparaissant sous brave soldat ; mais son esprit était
les vagues , « qu'il ne voulait point borné et on le trompait aisément.
«tombervivantau pouvoirdeschiens.» Léon était bien loin sans doute de lui
Mais le méprisable Basiliscus, étranger attribuer le désastre qui l'avait frappé,
à ce noble courage et placé au poste le puisqu'il lui rendit sa confiance et le
plus éloigné de tout danger, prit hon- replaça à la tête de ses troupes. Ce fut
teusement lafuite dès le commence- avec les débris de la flotte d'Orient
ment du combat , retourna précipi- que Basiliscus battit, en 471, les Van-
tam entConstantinople,
à après avoir
perdu moitié de sa flotte et de son ar- (*) Ce récit est emprunté à Prooope. O-ib-
bon (Hist. de la décadence, etc., ch. 36) a
mée, et se réfugia dans le sanctuaire
seulement cherché , à l'aide des documents
de Sainte-Sophie, où il attendit que sa contemporains , à rendre plus clair et plus
sœur eût arraché par ses prières et ses
précis l'historien byzantin, en ce qui con-
larmes un pardon à l'empereur indi- cerne lamort de Marcellianus. Voy. Procop.
gné. Héraclius fit sa retraite à travers de Bello Vandal., I, 6; éd. Dindorf. Cor-
le désert; Marcellianus se retira en
i833.pus script, hist. byzant. , etc. ; Bonnce ,
Sicile , où il fut assassiné par l'un de
26 L'UNIVERS.

dales sur les cotes de l'Italie , et les l'ambassadeur. Il se fit reconnaître par
repoussa jusque dans le port de Car- Zenon comme légitime possesseur de
ihage. toute la côte septentrionale de l'Afri-
Aspar, il faut le croire, était le traî- que, depuis Ja ,Cyrénaïque jusqu'à, dela
tre qui , par ses intrigues et ses mau- mer Atlantique des îles Baléares
vais conseils , avait livré vaisseaux et la Corse, de la Sardaigne et de la Si-
soldats au roi des Vandales. Léon lui cile. En retour, il promit de traiter à
fit expier, en le tuant , sa trahison et l'amiable pour la dot si longtemps ré-
les craintes que, depuis si longtemps, clamée de .l'épouse de son fils Huné-
il avait inspirées aux maîtres de l'O- ric, et aussi pour des contestations
rient par ses hauteurs et son immense qui s'étaient récemment élevées entre
crédit. La mort d'Aspar fut encore les marchands grecs et ceux de Car-
pour Genséric un événement beureux, thage. Il fit plus : par estime pour Ze-
car elle fit naître une guerre et amena, non et pour Sévérus, l'ambassadeur, il
jusque sous les murs de Constantino- cessa de persécuter les catholiques, et
ple , de redoutables ennemis (472). leur permit d'ouvrir leurs églises et
Parmi eux se trouvait le puissant roi de rappeler leurs évêques exilés. Enfin,
des Ostrogoths , Théodéric. La capi- il rendit la liberté à tous les sujets de
tale fut sauvée; mais les barbares ne Zenon, qui, par la piraterie ou la
voulurent point encore poser les ar- guerre, étaient tombés aux mains des
mes. Tandis que le roi des Vandales, Vandales , et qui , lui étant échus en
qui avait contracté alliance avec les partage , vivaient comme esclaves dans
Ostrogoths , pressait Théodéric de ses domaines. Après ce traité, qui lé-
renverser Léon , il faisait ses courses gitimait ses anciennes et ses nouvelles
accoutumées, et dévastait au midi les conquêtes aux veux du seul monarque
qui eût le droit de les lui contester, il
provinces de l'empire. Il essaya même
d'attaquer n'avait plus rien à désirer. Ce fut le
Alexandrie. l'Egypte Cette fois,etil échoua
de prendre
dans dernier succès d'un règne qui , depuis
son entreprise (473). La mort de Léon cinquante ans, n'avait pas cessé d'être
en 474, suspendit, pour un instant heureux. Au mois de janvier de l'année
les hostilités(*). Genséric vit enfin tom 477, Genséric atteignit le terme de sa
ber l'empire d'Occident. Il l'avait corn glorieuse vie.
battu , épuisé , amoindri , sans relâche fxOUVERNEMENT DE GENSERIC. —
pendant un demi -siècle; et, en 476 Pendant la longue période de l'histoire
il put se glorifier de ce que nul , parmi des Vandales que nous venons de par-
les chefs barbares, sans excepter Ala- courir, les pirateries et les guerres
ric et Attila , n'avait fait autant que n'avaient point absorbé toute l'activité
lui pour effacer du monde le nom et de Genséric. Ce chef, qui eut toujours
les armes à la main, porta souvent,
la puissance de Rome. Restait l'empire néanmoins, son attention et ses soins
d'Orient, contre lequel il se tourna. vers les provinces qui étaient tombées
L'année même où la royauté d'Odoacre
succédait, en Italie, à l'ancien gouver- en sa possession. Il s'appliqua cons-
nement romain, Genséric dirigea ses tamment, en régularisant, si je puis
pirates vers les côtes de l'Épi re. L'em- me servir de cette expression , sa con-
pereur de Constantinople, Zenon, lui quête, àrendre forte et permanente
envoya alors un de ses officiers, Sévé- sa domination, qui , dans le principe,
rus, pour demander la paix. Le vieux avait été uniquement
roi ne rejeta point les propositions de force. Il réussit. Nous nel'œuvre de la
connaissons
pas tous les moyens qu'il employa
pour arriver à son but; mais, au moins,
(*) Nous avons déjà dit plus haut qu'au les résultats de son long règne attestent
moment où Théodéric , roi des Ostrogoths,
traita avec les empereurs de Constantino- son extrême vigilance et sa grande sa-
ple ,il s'engagea à combattre tous les en- gesse. Nous parlerons ailleurs et lon-
nemis de l'empire , les Vandales exceptés. guement de la forme du gouverne-
AFRIQUE.
ment chez les Vandales, des institutions au gré deconquise. ses compagnons d'armes,
politiques, des rapports des vainqueurs la terre Puis, ch«se bien
avec les vaincus, des alliances avec plus difficile encore, il mit les vain-
les Maures, etc ; ici , nous nous bor- queurs et les anciens possesseurs du
nerons àrappeler, en peu de mots, les sol de la Proconsulaire, qui, pour la
faits qui concernent l'histoire inté- plupart, comme nous le dirons ail-
leurs, étaient devenus de simples fer-
séric. rieure de l'Afrique , au temps de Gen- miers, dans des relations telles, que les
Depuis la sortie de l'Espagne jus- Vandales eurent intérêt à effacer peu
qu'à la prise de Carthage, la nation à peu tous les souvenirs de leur con-
vandale n'est qu'une horde inquiète, quête et
, à faire oublier aux Romains,
errante , qui n'a point d'autre patrie par des ménagements de toute espèce,
que la terre enclose par des fossés où les rigueurs de l'expropriation. Gensé-
elle place son camp; d'autres mœurs ric n'étendit point seulement ses soins
que celles que font la guerre et des à la province qu'il avait divisée entre
combats sans cesse renouvelés; d'au- ses guerriers, mais encore aux autres
tre gouvernement que la discipline des parties de l'Afrique où la terre n'avait
armées. Il suffisait alors, à celui qui point cessé d'appartenir aux Romains.
dirigeait les mouvements de cette En dehors de la Proconsulaire ou Zeu-
horde, d'avoir assez de bravoure et gitane, jusqu'à l'extrême frontière de
d'énergie pour la sauver des attaques son empire, des garnisons maintenaient
de l'ennemi, et pour maintenir, dans les habitants dans l'obéissance, et as-
cette foule composée , comme nous suraient larentrée des impôts. Pour
l'avons dit, de tant d'éléments divers, s'étendre si loin , la surveillance de
l'obéissance et l'apparence de l'unité. Genséric ne fut pas moins active que
Après la prise de Carthage, les Van- par le passé. Ce fut ainsi qu'il contint
dales, les Alains et les autres barbares barbares et Romains, d'une main ferme
gui et sûre,
, sur seset anciens qu'il conserva jusqu'à
sujets,la
furents'étaient
mis en associés à leur
possession fortune et,
de terres fin et nouveaux
de demeures qu'ils ne devaient plus un pouvoir absolu. Des récits contem-
quitter. La vie du camp et des aven- porains nous apprennent que plus
tures cessa pour eux. Ils se dissémi- d'une fois , avant et après la prise de
nèrent dans une vaste et fertile pro- Carthage, les soldats barbares conspi-
vince ,la Proconsulaire , qu'ils ne rèrent contre l'autorité et la vie de
pillèrent point comme les lieux où ils leur chef; maislesnous savons aussiparqu'il
ne faisaient que passer, mais qu'ils ex- arrêta toutes conspirations de
ploitèrent dans des vues d'avenir, sans sanglantes exécutions. Nul en Afrique,
l'épuiser. Leurs mœurs changèrent. pendant son règne d'un demi - siècle ,
La nation , ainsi transformée , ne pou- ne se révolta impunément.
vait plus être régie seulement à l'aide Genséric, on le voit, eut à surmon-
de ces mesures simples et énergiques ter de graves et d'innombrables diffi-
qui assurent l'ordre dans les armées; cultés. Toutefois, il faut dire qu'il fut
il lui fallait un gouvernement plus sa- secondé dans son gouvernement par
vant et plus compliqué , et un chef qui deux choses : d'une part , par les hé-
ne fût pas exclusivement un homme résies qui avaient pris racine en Afri-
de guerre. Tous les faits que nous que ,et, d'autre part, par les odieux
avons déjà signalés semblent attester souvenirs qu'avaient laissés dans tous
que les vues et les talents de Genséric les esprits les excès de l'administration
s'étendirent avec ses succès. Il se impériale. D'abord les donatistes et les
montra aussi habile à gouverner un ariens, jadis persécutés, devinrent pour
peuple sédentaire qu'à diriger les mou- lui, en haine des empereurs, leurs
vements irréguliers d'une tribu no- ennemis, de fidèles et puissants auxi-
made. liaires; ensuite il rencontra , même au
D'abord» il partagea, il faut le croire, sein de la population catholique , des
28 L'UNIVERS.
taine. Zenon sanctionna, par son traité
hommes qui l'acceptèrent avec joie, avec le roi des Vandales (476), ces
préférant , comme on l'avait déjà vu
tant de fois, dans ce siècle de calami- usurpations successives des provinces
tés, la domination des barbares à l'ad- qui avaient appartenu autrefois aux
ministration oppressive des Romains. empereurs romains. Il reconnut en
Le fisc impérial avait exercé sur l'A- outre Genséric comme légitime pos-
frique sadésastreuse influence. Il l'avait sesseur des Baléares, de la Corse, de
ruinée, épuisée. Les habitants, en proie la Sardaigne, de Malte et des petites
depuis si longtemps à d'intolérables îles avoisinantes, et, enfin, de la
souffrances, virent dans les Vandales Sicile.
des libérateurs; et, en réalité, ils trou- Quand Genséric mourut, son auto-
vèrent, sous le gouvernement de Gen- rité était reconnue en Afrique , depuis
séric, un soulagement à leurs maux. l'Atlantique et Ceuta jusqu'à l'embou-
Enfin , le roi des Vandales se mon- chure du Cinyps, et peut-être même,
tra fort et habile dans ses relations
avec les Maures. Pour tourner à son à l'est de ce fleuve, jusqu'à la fron-
tière de l'ancien empire carthaginois ,
profit et à l'avantage de ses États l'ar- c'est-à-dire, jusqu'aux autels des Phi-
deur de cette nation avide et remuante, lènes. Sans doute, en certains lieux,
il l'associa à toutes ses entreprises. Il dans les trois Mauritanies, par exem-
plaça des Maures dans les rangs de ple, et dans la Tripolitaine, la domi-
ses nation des Vandales ne s'étendit pas
ses 'soldats,
garnisons.surIl ses vaisseaux
payait et dans
leurs services, au loin dans les terres; souvent même
et, de plus, il les excitait aux pirate- elle neToutefois,
se fit sentir qu'aux
ries ,en leur faisant , au retour de côte. il faut direvilles
que, deparla
chaque expédition, une part dans le la nature de ses relations avec les
Maures, Genséric mit ses frontières
butin. Ce fut ainsi qu'il préserva la
partie méridionale de son royaume de du sud à l'abri des attaques et des in-
continuelles invasions, et qu'il s'aida vasions; et, sous ce rapport, sa puis-
pour seins l'accomplissement de ses des-, sance en Afrique fut plus forte et plus
et pour ses agrandissements étendue que celle des empereurs ro-
même de ceux que des circonstances mains qu'il avait remplacés (*).
fortuites et une haine commune contre
PORTRAIT DE GENSERIC — L'en-
les Romains avaient rendus momen- semble des événements que nous avons
tanément ses alliés, mais qui, par leur racontés jette une vive lumière sur le
position, leurs mœurs et leurs besoins, caractère et les grandes qualités du roi
devaient être ses plus implacables en- Genséric. Toutefois , nous n'aurions
nemis.
ÉTENDUE DES POSSESSIONS DES encore de ce chef, l'un des plus il-
lustres parmi les barbares (**), qu'une
VANDALES SOUS LE RÈGNE DE GEN- idée bien incomplète, si nous ne rap-
séric — Le territoire sur lequel Gen- prochions de nos jugements le témoi-
séric régnait, et qu'il maintint pendant gnage et les impressions des siècles
tant d'années dans une complète dé- Suivant Orose, les Vandales étaient
pendance occupait
, presque toute la passés.
côte septentrionale de l'Afrique. Nous de leur nature « avides de gain , sans
avons dit qu'en Tannée 442, après son foi , et amis de la ruse (***). » On a vu ,
établissement définitif, le roi des Van- dans les pages qui précèdent, que
dales avait consenti à ne garder de ses Genséric ne démentait point son ori-
conquêtes que la ProeonsulaiVe ou gine. Il avait aussi la bravoure com-
Zeugitaue, la Byzacène, et une faible mune àtous les barbares; et, de plus,
portion de la Numidie. Après la mort
de Valentinien et la prise de Rome (*) Voyez Papencordt , 1. nr , chap. i ,
(455), il occupa,
dessaisir, pour ne plus toute
les trois Mauritanies, s'en p. 174 et suiv. ; et Marcus, p. iS5 et suiv.
(**) Procop. ; de Be.llo goth.t m, 1.
(***) Oros., VII, 38.
la Numidie, et, à l'orient, la Tripoli-
AFRIQUE.
29
il se distinguait par la promptitude qualités pouvait accomplir et affermir,
avec laquelle il prenait et exécutait avec cinquante mille soldats au plus ,
ses résolutions. Les Byzantins, tant de appartenant à plusieurs races et à plu-
fois trompés et vaincus, disaient de sieurs nations, la conquête de toute
lui « que ses ennemis n'avaient pas en- l'Afrique septentrionale. La grandeur
core eu le temps de réfléchir et de des Vandales fut donc exclusivement
prendre leurs mesures, que déjà il les l'œuvre de Genséric. Elle avait com-
avait frappés (*). » Il s'affranchit, et mencé avec lui ; mais aussi elle ne de-
c'est là vait point lui survivre. Dès les pre-
lière sans
chez un doute barbare une victorieux
chose singu-
, de miers jours d'un nouveau règne devait
toutes les passions qui auraient pu se manifester la décadence de la nation.
gêner ses desseins et arrêter ses en- AVENEMENT DE HUNERÏC ; SES
treprises. Ilne s'amollit point au sein RAPPORTS AVEC L'EMPIRE D'ORIENT;
du luxe et des plaisirs qu'offrait, à PREMIERS SYMPTÔMES DE DÉCA-
Carthage, la vieille civilisation ro- DENCE CHEZ LES VANDALES (*). —
maine. Il subordonna, ce qui était Après la mort de Genséric (477) , Hu-
bien rare de son temps, ses croyances néric, son fils aîné, lui succéda. Il
religieuses à ce que nous appellerions était à peine en possession du trône
aujourd'hui ses vues et ses intérêts po- que de graves dissentiments éclatèreut
litiques. Genséric, s'il faut en croire entre lui et l'empereur
réclamations relatives àd'Orient.
des actesDes
de
d'anciennes traditions , avait été ca-
tholique dans sa jeunesse (**). Plus piraterie avaient fait naître des diffi-
tard , par ambition et pour régner plus cultés que rendait plus grandes en-
sûrement sur une nation qui avait core l'ancienne obstination de la cour
adopté presque toutentièrel'arianisme, de Bvzance à ne point payer la dot de
il changea de croyances. On sait qu'en la reine Eudoxie, L'empereur, en effet,
Afrique, il se fit le persécuteur de retenait toujours les biens de l'épouse
ceux qui avaient été autrefois ses co- de Hunéric. Le roi Genséric n'avait
religionnaires. Mais il cessa de se pu les obtenir malgré ses vives ins-
montrer sévère à leur égard, le jour
où il ne vit plus en eux des ennemis tances ,et son successeur n'avait pas
été plus heureux que lui dans ses pre-
mières demandes. Cependant, Zenon
politiques. Après la chute de l'empire consentit enfin à négocier. Il envoya
d'Occident et la ruine de la puissance
maritime des Byzantins, les catholi- pour terminer cette affaire , et peut-
ques ayant perdu tout espoir de se- être par esprit de conciliation , un
cours, et ne lui inspirant dès lors au- homme dont le choix devait plaire au
cune crainte, il leur permit d'ouvrir roi des Vandales (478). C'était Alexan-
leurs églises, et les toléra. Jornandès dre, principal officier de la maison de
a tracé en quelques mots le portrait Placidie, sœur d'Eudoxie.
de Genséric. «Il était, dit -il, d'une teur se conduisit sans douteLe avec
négocia-
une
taille moyenne, grande habileté, car Hunéric le fît
chute de cheval, ilet,boitait. par suite d'une
Il méditait suivre à Constantinople par des am-
beaucoup, parlait peu, et ne s'aban- bassadeurs chargés de porter à Zenon
donnait point aux plaisirs. 11 était des paroles de paix et d'amitié (479).
irascible et avide de richesses. Il se Le roi des Vandales leva lui - même
montra prévoyant dans ses alliances,
et toujours habile à exciter entre les (*) Pour toute la période de l'histoire des
différents peuples la discorde et les Vandales qui s'étend de la mort de Gensé-
ric à la déposition de Hildéric, nous avons
haines (***). » fait souvent usage de l'ouvrage de M. Papen-
Celui-là seul qui possédait tant de cordt [Geschiclde der 'vandalischen Herrs-
chafl in Jfrica, p. 109 et suiv.) et aussi
(*) Ma\ch\ Histor., p. g5, éd. Paris. d'un excellent travail qui nous a été com-
(**) Idatii Chron., p. 22. muniqué par un jeune savant, M. Maximi-
lien Veydt.
(***) Jornand.; De reb. get. 53.
80 L'UNIVERS.

tous les obstacles qui s'opposaient à les Vandales, pour jouir plus complè-
une sincère réconciliation : il renonça tement de la paix, renoncèrent à leurs
à la dot cTEudoxie; il cessa de récla- courses maritimes. Ils se jetèrent, avec
mer une indemnité pour les marchands une espèce d'ivresse, dans tous les
de Carthage, qui avaient été pillés; il plaisirs et dans toutes les débauches
abandonna enfin toutes les prétentions qui avaient tant affaibli ces Romains
que Genséric, son père , avait fait va- qu'ils méprisaient et qu'ils avaient dé-
loirrentsur l'Empire.
aisément dansLeslesGrecs motifspénétrè-
de ces possédés. L'esprit militaire s'éteignit
chez eux , et les forces de la nation dé-
larges concessions; ils surent que Hu- clinèrent rapidement. Mais ce change-
ment dans les habitudes et les mœurs
néric n'était pas moins avide qu'eux-
mêmes d'éviter une rupture et la guerre. devait avoir de prompts résultats. Les
Voici quelles furent alors leurs im- Maures, que la main puissante de Gen-
pres ions : séric avait à peine contenus, se levèrent
«Les ambassadeurs qui revinrent en armes sous Hunéric, et ils com-
avec Alexandre, dit le Byzantin Mal- mencèrent dès lors une guerre sans
chus déclarèrent
, que leur roi Hunéric fin contre les Vandales dégénérés.
désirait, sans feinte, devenir l'ami de guerres entre les vandales
l'empereur Zenon; qu'il aimait les et les maures; caractère de ces
Romains, etclamationsqu'il derentesrenonçait à sesbiens
et des autres ré- guerres. — Nous n'essayerons point
ici de raconter, dans les moindres dé-
que Léon avait retenus à sa femme ; tails, tous les incidents de ces longues
qu'il ne serait même plus question des guerres. Nous nous bornerons à repro-
biens qu'on avait enlevés, dans la der- duire une page où, suivant nous,
nière guerre, à des marchands de Car- M. MarCus a parfaitement saisi et rendu
thage ,ni de tout ce qui avait fait éle- le caractère général de la lutte que
ver à son père des plaintes contre les les Vandales eurent à soutenir contre
Romains; que Hunéric voulait conclure les Maures, leurs agresseurs. «Les
une paix durable avec eux , et ne pas événements auxquels ce combat des
même laisser subsister dans leur esprit deux nations donna lieu, dit-il, ne
le soupçon qu'il pourrait un jour ne nous sont guère connus ; il est néan-
pas observer fidèlement les traités à moins facile d'en déterminer le carac-
intervenir et les arrangements déjà tère, et de dire quel en fut le résul-
faits; qu'il avait de grandes obliga- tat. C'était une suite continuelle de
tions àl'empereur de ce qu'il témoi- petites guerres de partisans dont les
gnait tant de respect à Placidie, femme côtes de la Tripolitaine, les parties
d'Olybrius ; qu'aussi était-il prêt à con- basses de la Byzacène, les montagnes
sentir àtout ce que Zenon lui deman- d'Aurès, et le haut plateau bordé , au
derait. Ce n'était pourtant que l'exorde sud, par ces dernières; au nord, par
d'une harangue décente, que tout cela ; le petit Atlas; à l'est, par le Bagradas
la vérité est que les Vandales furent
ou Megerda, et, à l'ouest, par le lac
alors fortement soupçonnés d'avoir Chott et par lele cours supérieur de l'A-
voulu faire la guerre à l'Empire ; mais jebbi, furent principal théâtre. Les
ils s'étaient tellement amollis depuis Maures étaient d'ordinaire les agres-
la mort de Genséric, qu'ils ne por- seurs dans ces guerres; et ils les en-
taient plus la même vigueur que jadis treprirent dans les premiers temps
aux affaires. Ils n'entretenaient même pour devenir maîtres absolus des
plus ces armées et ces flottes que Gen- chaînes de montagnes et des plateaux
séric avait toujours prêtes dans les ou vallées qu'elles renferment; et, plus
ports de mer, et avec lesquelles il dé- tard, pourhabitants
s'enrichirromains par le pillage aux
jouait les projets de ses ennemis , frais des de la côte
avant ment même arrêtés. qu'ils » fussent définitive- et des térieurparties peu Vandales
élevées devaient
de l'in-
du pays. Les
En effet , à partir de cette époque ,
s'opposer aux projets des Maures*
31
AFRIQUE.
sinon, ils risquaient de voir bientôt de Césarée et de quelques autres villes
leur empire réduit aux limites de la maritimes, mais à expulser en outre
Proconsulaire, où ils demeuraient les Vandales de toute la partie de la
presque tous. Mais, dans leur lutte Numidie qui est située au sud du petit
contre les Maures, tous les avantages Atlas. Plus à l'est, les Maures de la
étaient du côté de ces derniers. Agres- Tripolitaine et de la Byzacène étendi-
seurs, ils purent faire porter leurs at- rent leurs ravages, déjà sous le règne
taques sur plusieurs points de l'em- de Trasamund, jusqu'à Ruspe et au
pire vandale à la fois, ou sur ceux qui delà. Du temps de Hunéric, les Maures
leur offraient pour le moment le plus
de chances de succès. Les Vandales ne purent détacher de l'empire vandale
avaient peu de troupes stationnaires que les montagnes
districts situés surd'Aurès la routeet de
quelques
Lam-
dans les provinces du prince; mais bèse à Sitifis. Mais sous les rois pos-
c'est là précisément que se vidait la térieurs, leurs conquêtes s'agrandirent
querelle des deux nations; et les con- d'autant plus rapidement que les Van-
quérants germains de l'Afrique n'au- dales s'amollirent davantage; et, dans
raient pas voulu que les habitants ro- les dernières années de la domination
mains de ces provinces se chargeassent de ce peuple germain en Afrique, les
de leur défense. Si les Vandales appro- habitants d'Adrumète, ville située non
chaient avec des forces trop grandes, loin de la Proconsulaire, se virent obli-
les Maures se retiraient dans des lieux gés de fermer les ouvertures qui étaient
déserts ou défendus par de hautes à leurs maisons, et de les joindre les
montagnes , sauf à revenir dès que unes aux autres, pour se défendre tant
l'ennemi serait parti , ou à envahir le bien que mal contre les irruptions su-
territoire vandale à une longue dis- bites des Maures de (*). Hunéric
»
Tentatives . pour
tance de l'endroit où le parti adverse
avait momentanément pour lui la su- changer l'ordre de succession
périorité du nombre. Mais les Maures au trône; ses persécutions con-
tre SA PROPRE FAMILLE ET CONTRE
étaient d'ordinaire plus nombreux que
les Vandales, et la tactique militaire LES GRANDS DU ROYAUME. — Il Sem-
de ceux de l'Est les lit sortir victorieux ble que pendant la durée de son règne,
de tous les combats qu'ils livrèrent aux Hunéric n'ait voulu manifester son
guerriers tudesques. Quant aux Maures autorité et sa puissance que contre ses
de l'Ouest, ils se battaient aussi bien à parents et contre ses propres sujets.
cheval que les Vandales, et leurs fan- Sans tenir compte des nombreux dan-
tassins valaient probablement mieux gers qui du dehors menaçaient les
que l'infanterie de ces derniers. La Vandales, il se plut à porter le désordre
flèche et le dard des Numides et des dans Tintérieur de son royaume, et à
Mauritains les mettaient à même de diminuer ses propres forces par un
faire plus de mal aux Vandales, que gouvernement tyrannique et par de
ceux-ci ne purent leur en faire avec sanglantes persécutions. Une chose le
leurs larges épées et leurs longues lan- préoccupa avant tout, ce fut de chan-
ces, les Maures occidentaux ayant ger l'ordre que Genséric avait établi
l'habitude de disparaître comme l'é- pour la succession au trône. Le con-
clair du champ de bataille quand ils quérant de l'Afrique avait voulu que
voyaient de loin l'ennemi fondre sur la royauté appartînt, en cas de mort,
eux, et de se jeter sur lui à leur tour non point suivant les lois ordinaires
au moment où il s'y attendait le moins. au fils du roi défunt, mais au membre
Il n'est donc pas étonnant que dans le plus -âgé de la famille royale. Il faut
les parties occidentales de l'empire ajouter, toutefois, que les fils du roi
vandale, les Maures soient parvenus défunt étaient appelés aussi à succéder,
peu à peu, non-seulement à se rendre
maîtres de toute là Mauritanie césa- (*) M. Marcus; Histoire des Vandales (
rienne etdecellede Sitifis, à l'exception etc. , p. 3 1 1 et suiv.
32 L'UNIVERS.
à la terre comme esclave. La colère
pourvu qu'ils remplissent cette condi-
tion d'âge que Genséric, par crainte du roi ne fut pas encore apaisée par
des minorités et aussi peut-être pour tant de rigoureux châtiments : chaque
légitimer sa propre élévation , avait mois, Camut était frappé de verges;
posée dans son testament- Hunéric, on mesurait l'eau qu'il buvait, et le
pour favoriser ses enfants, voulut pain qu'on lui donnait était à peine
violer Tordre établi. Pour parvenir à suffisant pour prolonger son exis-
son but, il se fit le persécuteur des tence.
autres membres de sa famille. Parmi
Dès arien
vêque les premières exécutions,
de Carthage, l'é-
Jocundus,
ceux-ci, il craignait surtout la femme
rusée et habile qu'avait épousée son -avait essayé de porter au roi des pa-
frère Théodéric. Il l'accusa d'un crime roles de pitié et de clémence. La pa-
imaginaire et la fit décapiter. Le fils cifique et généreuse intervention du
aîné de Théodéric, jeune prince versé prélat fut mal récompensée : Hunéric
dans les belles-lettres, partagea le sort irrité fit brûler Jocundus en présence
de sa mère; puis un autre fils encore de tout le peuple assemblé. Les catho-
en bas âge et deux filles furent aban- liques virent peut-être avec joie cette
donnés àla fureur des animaux sau- fin tragique d'un évêque arien , mais
vages ; enfin Théodéric et Genzon , le temps n'était pas éloigné où devait
frères du roi, et Godagis, un de ses fondre sur eux une terrible persécu-
tion.
neveux, furent condamnés à l'exil. On INTERVENTION DE HUNERIC DANS
ne laissa auprès d'eux aucun de ceux
qui auraient pu les aider ou les con- LES AFFAIRES RELIGIEUSES; LES MA-
soler; on leur enleva même leurs ser- NICHÉENS ET LES CATHOLIQUES. —
viteurs et leurs esclaves. Les comtes Dans les premiers temps qui suivirent
son avènement, Hunéric se montra
et les autres nobles soupçonnés d'être
les partisans des opprimés lurent étran- plus tolérant que son père envers les
glés. catholiques de son royaume. Il acca-
Hunéric, qui frappait avec tant de bla d'abord de ses rigueurs les mani-
rigueur ses frères et ses neveux, ne chéens. Il ménageait alors les catho-
devait point, sans doute, se montrer liques pour les lier en quelque sorte
scrupuleux et modéré à l'égard de ceux à ses projets. Il espérait sans doute
qui ne lui étaient pas unis par les liens qu'à l'aide de cette modération affec-
du sang. Sans mémoire pour les ser- tée ,il les gagnerait à sa cause et à
vices passés, sans respect pour les celle du fils qu'au mépris des lois il
choses les plus saintes, il enveloppa voulait placer sur le trône. Quand il
également dans ses sanglantes persé- s'aperçut qu'il ne pouvait réussir par
cutions et les vieux compagnons de la douceur, il eut recours à la sévé-
son père , et les ministres de sa reli- rité et aux violences : il priva tous les
gion. D'abord il fit trancher la tête à catholiques de leurs emplois ; il pour-
Heldie , que Genséric avait nommé suivit même les officiers de sa cour
chancelier du royaume. Il fit saisir qui refusèrent d'embrasser l'arianisme;
aussi la femme de Heldie, Teucarie , et, après les avoir dépouillés de leurs
et la condamna au feu. Après l'exécu- biens , il les fit déporter en Sardaigoe.
tion les
, restes des deux époux furent Il était naturel que la persécution
traînés, durant un jour entier, sur frappât surtout les prêtres et les évê-
toutes les places et dans les rues de ques. Hunéric ne se contenta point
Carthage. Le frère de ces infortunés , de leur ôter leurs biens ; dans la pre-
Camut , parvint à se soustraire au der- mière moitié de l'année 483 , il en jeta
nier supplice en se réfugiant dans un près de cinq mille dans les déserts de
temple. Il fut arrêté néanmoins, et il l'Afrique , et les livra ainsi , sans dé-
ne put échapper à la torture ; on le fense , aux attaques et aux mauvais
jeta d'abord dans une fosse immonde, traitements des Maures. Néanmoins,
d'où il ne fut tiré que pour travailler malgré sa toute-puissance , le roi sen-
AFRIQUE. 3$
tit le besoin de donner à ces actes, jesté royale de faire retomber le mal
d'une odieuse tyrannie, les apparences sur ceux qui ont voulu le mal. Le
de la légalité. A cet effet , le 19 mai méchantsi nele doit s'en prendre
même châtiment est le qu'à lui-
résultat
483 , il publia un édit qu'il fit lire, le de ses mauvaises intentions. En cela,
jour de l'Ascension , dans toutes les notre clémence suit la marche de la
églises de son royaume. Par cet édit ,
il ordonnait aux évêques ariens et ca- justice divine, qui répand, par une
tholiques de se réunir à Carthage le équitable compensation , le bien et le
premier jour de février de l'année sui- mal sur chaque homme, suivant qu'il
vante 484 , pour discuter librement , a mérité ou démérité. C'est pourquoi
disait-il, sur les points qui séparaient nous
les deux églises. sévèresprenonscontreaujourd'hui des mesures
les provocateurs qui
CONCILE DE CARTHAGE; ÉDIT DU ont cru pouvoir enfreindre les édits
ROI HUNÉRIC CONTRE LES CATHOLI- de notre père de glorieuse mémoire et
QUES.— Tous les évêques de l'Afri- nos propres édits. Nous avons déjà
que s'étant rendus à Carthage , au fait savoir par nos ordonnances, à tous
temps indiqué , les conférences com- les peuples qui nous obéissent, que
mencèrent ;mais la discussion fut nous nous opposions aux assemblées
loin d'amener entre les deux partis un convoquées par les prêtres catholiques
rapprochement et des concessions ; les dans les terres échues en partage aux
catholiques demeurèrent inébranlables Vandales, et à la célébration de leurs
dans leur foi. Les ariens qui avaient mystères impies. Voyant que les ca-
prévu, sans doute, ce résultat, sai- tholiques ne tenaient point compte de
sirent avidement l'occasion qui leur nos injonctions, et ayant été informés
était offerte de frapper leurs ennemis, d'ailleurs que plusieurs se vantaient
et Hunéric publia l'édit suivant (*) : d'être seuls en possession de la vraie
« Nous , Hunéric, roi des Vandales doctrine, nous leur avons mandé, en
et des Alains , mandons les choses leur fixant un délai de neuf mois, de
qui suivent à tous les peuples soumis venir sans crainte à Carthage pour une
à notre domination. assemblée qui devait avoir lieu aux
« C'est un des attributs de la ma- calendes de février de la huitième
année de notre règne. Notre intention
(*) Nous ne devons point faire un récit était d'examiner, dans cette nouvelle
détaillé des persécutions auxquelles furent conférence, si l'on pouvait se rappro-
exposés les catholiques sous la domination cher de leurs doctrines. Lorsqu'ils se
des Vandales. Tout ce qui tient à l'origine, furent rendus de toutes parts à Car-
aux progrès et aux luttes du christianisme thage pour l'époque désignée,
en Afrique , trouvera place dans une autre leur accordâmes encore un délainous de
partie de ce volume. Toutefois, nous som- quelques jours. Au moment où les ca-
mes forcés de donner ici , dans son entier, tholiques se montrèrent disposés à
l'édit promulgué par le roi Hunéric, en conférer, nos vénérables évêques les
l'année 484. D'abord, cet édit contient plu- invitèrent à prouver nettement, à l'aide
sieurs faits importants que nous ne pouvions des divines Écritures, ainsi que cela
passer sous silence , le concile de Carthage,
avait été réglé à l'avance, leur dog-
par exemple; ensuite, il offre, quoiqu'en me de la consubstantialité du Père,
abrégé , un tableau complet des triomphes
et des revers qui ont marqué les diverses du Fils et du Saint-Esprit, ou bien à
périodes de la guerre que le catholicisme rejeter ce que les innombrables prélats,
eut à soutenir en Afrique contre les héré- rassemblés de toutes les parties du
sies. Nous nous dispensons, en outre, par monde, dans les deux conciles de Ri-
la simple traduction de ce document , d'en, mini et de Séleucie, avaient précé-
trer dans de longs développements. Il suffira demment condamné. Mais loin de se
de lire ledit de 484 pour connaître la cause prêter à ce qu'on leur demandait, ils
et la nature de la grande persécution qui a poussèrent le peuple à la sédition. Us
signalé le règne de Hunéric. firent plus : lorsque nous leur enjoi-
38 Livraison. CHist. des Vandales.)
34 L'UNIVERS.

gnîmes, le second jour, de nous éclai- du droit de donner, de tester, et aussi


rer, suivant l'engagement pris, sur de recueillir une donation ou une suc-
leurs croyances, ils eurent recours, cession, soit à titre de fidéi-commis,
avec leur audace accoutumée, à une de legs ou de donation, et cela quand
nouvelle sédition et aux clameurs, et bien même ils eussent été héritiers lé-
les débats ne purent commencer. Sur gitimes, ou simplement héritiers dé-
leurs provocations, nous ordonnâmes signés par codicille et autres actes de ce
que leurs églises restassent fermées genre. La persécution en était venue à
tant qu'ils ne voudraient pas se pré- ce point que les officiers même du palais
senter àla conférence indiquée. Avec étaient soumis, pour le seul fait de
une mauvaise volonté bien arrêtée, ils dissidence, aux peines les plus sévères.
persistèrent dans leur résolution. Nous Ainsi privés de leurs dignités et des
avons donc cru nécessaire et juste de privilèges de leurs charges, ils se
tourner contre eux les mesures pres-
voyaient
tat. Lesassimilés
employésauxsubalternes criminels d'É-
des
crites dans les lois qu'ils ont fait pro-
mulguer àdifférentes époques par les divers fonctionnaires civils étaient pas-
empereurs qui partageaient leurs er- sibles, pour le même fait, d'une amende
reurs. Voici quelques dispositions de
de
encouraientlivres
trente une pesant sixièmed'argent. S'ils
fois la con-
ces lois : « Il n'y aura point d'autres
églises que celles qui sont desservies damnation, on ajoutait au châtiment
par des prêtres catholiques; il ne sera
pas permis aux dissidents de se réunir prescrit les verges et l'exil. En outre,
les empereurs avaient ordonné de
pour vivre sous une règle commune, brûMertous les livres des prêtres qu'ils
de convoquer des assemblées, de se poursuivaient pour hérésie. Sembla -
faire donner ou dans
d'élever blement, nous ordonnons de brûler
dans les villes ou tout des
autreéglises
lieu , les livres qui contiennent les doctrines
quelquequipetit qu'ilservi
soit.auToutes les impies des catholiques. Voici, en
choses auront culte non outre, quelles étaient les mesures pri-
autorisé seront la propriété du fisc. ses, au temps des empereurs catholi-
Les biens de l'église condamnée re- ques, contre les individus de chacune
viendront aux prêtres catholiques. Les des classes dont se compose la popu-
dissidents ne pourront se déplacer; tion de l'empire : les illustres payaient
s'ils essayent de changer de pays, ils pour le fait de dissidence, cinquante
seront livrés par les villes et localités livres pesant d'or; les spectabiles,
où ils auront cherché refuge; ils ne quarante; les sénateurs, trente; les
pourront ni baptiser, ni se livrer à la décurions, cinq ; les marchands, cinq ;
controverse sur des' matières reli- chaque homme du peuple ^ cinq; enfin
gieusesdéfense
; leur est faite de sa- les circumcelliones, c'est-a-dire les in-
crer les évêques, de conférer les ordres dividus n'ayant point de domicile
aux prêtres et aux membres du clergé.
Les délinquants, à savoir, celui qui fixe(*), payaient dix livres pesant d'ar-
conférera les ordres et celui qui les
recevra, seront condamnés, chacun les(*) Dans l'opinionétaient
circumcelliones de M. les
Louis Marcus de,
habitants
séparément, à une amende de dix li- la campagne et des places oh il n'y avait
vres d'or: en sus, ils ne pourront ap- point de curie ou sénat. Suivant nous , c'est
peler de la sentence. On ne tiendra une grave erreur. Les circumcelliones dési-
aucun compte aux condamnés des ti- gnés dans l'édit que nous reproduisons ici ,
étaient des individus.qui tenaient en quelque
tres particuliers qu'ils pourraient faire sorte le milieu entre les membres du clergé
valoir. Enfin , dans le cas où il y aurait
et les laïques , et qui, sous un costume par-
récidive, les coupables seront enlevés ticulier et comme moines, erraient çà et là,
de leurs demeures, conduits en exil et sans avoir un domicile fixe. Les nombreux
soumis à la surveillance. » Les mêmes exemples empruntés par du Cange à saint
empereurs ont également sévi contre Augustin, à Isidore, au Moine de Saint-
les dissidents laïques, en les privant Gall et a bien d'autres encore, ne nous lais-
AFRIQUE. 35

gent; et de plus, ceux qui persévé- toutes les choses condamnées ci-des-
raient dans ce qu'on appelait leurs sus. Qu'ils sachent bien qu'il sera pro-
erreurs, perdaient leurs biens et étaient cédé àleur égard sans nulle tolérance.
condamnés à l'exil. Si les habitants de Les châtiments atteindront indistinc-
tout rang, dans les villes, si les régis- tement tous ceux qui , aux calendes de
seurs et fermiers des biens d'autrui juin de la huitième année de notre règne,
essayaient de cacher un délinquant, ne se seront point convertis à la vraie
ne le dénonçaient pas, ou tentaient de religion, celle que nous pratiquons et
soustraire un prévenu au jugement, vénérons. Notre piété a fixé ce délai
ils encouraient les mêmes peines que> pour ouvrir la voie de l'indulgence à
les coupables. Les fermiers des do- ceux qui se rétracteront, et, d'autre
maines royaux donnaient au fisc, à part, pour enlever tout prétexte de
titre d'amende, une somme égale à plaintes à ceux qui ne se rétracteront
celle qu'ils payaient pour la ferme. point. Les individus qui persévéreront
C'était la mesure qui était générale- dans leur erreur,
du palais qu'ils soient officiers
ou fonctionnaires publics,
ment adoptée à l'égard des régisseurs
de biens particuliers, ou des posses- seront passibles d'une amende, cha-
seurs d'immeubles, quand ils refusaient cun en raison de son rang, et d'après
d'abandonner leurs croyances. Les le tableau qui a été dressé précédem-
ment. Nous voulons en outre, par cet
gouverneurs civils des provinces qui
ne tenaient pas la main à l'exécution édit, que pour la punition des délits,
de ces lois encouraient la peine de on consulte avec soin le texte des lois
mort; il en était de même des trois
que nous avons citées, afin qu'on ne
employés supérieurs des bureaux du puisse commettre d'erreurs dans l'ap-
gouverneur civil; quant aux employés plication des peines. Quant aux gou-
inférieurs, ils étaient passibles chacun verneurs des provinces, nous ordon-
d'une amende de vingt livres d'or. nons qu'on leur inflige les châtiments
C'est pourquoi nous croyons néces- prononcés contre eux quand ils né-
saire d'appliquer à notre tour toutes gligeront d'obéir à nos commande-
les mesures précédemment indiquées ments. Que les vénérables serviteurs de
à ceux qui sont convaincus d'avoir été la Majesté divine, à savoir nos prêtres,
et soient mis en possession de toutes les
leurd'être
ordonnons encorede catholiques.
renoncer à Nous
leurs églises des catholiques et de leurs
anciennes erreurs. S'ils résistent, on dépendances, en quelques lieux et con-
trées de notre royaume que ces églises
}es poursuivra devant les tribunaux de
toutes les villes, et on poursuivra aussi se trouvent situées. C'est là notre vo-
les juges qui, sans tenir compte de lonté. Les pauvres profiteront, nous
nos volontés, auront négligé d'infliger n'en doutons pas , de ce que nous don-
aux coupables de rigoureux châti- nons si légitimement aux ministres
ments. Nous voulons donc que les sacrés de notre religion. Nous ordon-
partisans delà doctrine delà consubs- nons que cette loi, fondée sur l'équité
tantialitédu Père, du Fils et du Saint- naturelle, soit portée à la connais-
Esprit, doctrine déclarée fausse dans sance de tous, afin que nul désormais
une assemblée où ont figuré tant et de ne puisse se prévaloir d'avoir ignoré
si grands prélats, s'abstiennent de ses dispositions.
« A tous les peuples soumis à notre
domination, salut.
sent aucun doute à cet égard. En général, ils
appartenaient à la secte des donalistes. Il « Donné à Carthage, le sixième jour
nous semble que le dernier et très-savant des calendes de mars(*). »
éditeur du Glossarium aurait pu rappro- CARACTÈRE DE LA PERSECUTION;
cher ces circumcelliones des presbyteri va-
gantes , dont il est fait mention dans les (*) Cet édit du roi Hunéric nous a été
Capitulaires. Voy. du Cange, s. v. Cir- transmis
cumcelliones, Vandale parlib. Victor
3. de "Vita. De persëcut%
L'UNIVERS*
INTERVENTION DE 1/ EMPEREUR DO-
abjuration. Dans l'histoire de cette
rient; mort du roi hunéric. — persécution, racontée par Victor de
La persécution suivit de près cet édit, Vita avec trop de passion peut-être,
promulgué au mois de février de nous choisirons seulement un fait qui
l'année 484. On prit contre les catho- montrera, tout ensemble, les violences
liques des mesures sévères, et bientôt et la mauvaise foi du roi Hunéric et
même on eut recours aux supplices. des hérésiarques ses conseillers.
L'empereur d'Orient , Zenon , sollicité Après avoir promulgué son édit, le
par le pape Félix, essaya alors, mais roi fit chasser de Carthage les évêques
en vain, de faire sentir son interven- catholiques qui, obéissant aux lettres
tion. S'il faut en croire d'anciens ré- de convocation, s'étaient réunis pour
cits, leroi des Vandales, pour mon- le concile. Il avait eu soin, au préala-
trer qu'on ne devait trouver en lui ni ble, de les dépouiller de tous leurs
miséricorde, ni pitié, fit parcourir à biens; puis, il fit savoir que celui qui,
l'ambassadeur, venu de Constantinople par pitié ou autrement, donnerait aux
à Carthage, des rues remplies par les proscrits un asile ou du pain, serait
instruments qui servaient aux sup- brillé avec sa maison. Les évêques
plices des catholiques. ainsi chassés prirent la sage résolution
Hunéric était encoreanimé par lescon- de rester aux environs de la ville. Ils
seils des évêques qui l'environnaient, n'ignoraient pas que s'ils tentaient de
et qui étaient les chefs des hérésiar- s'éloigner, on les forcerait à revenir,
ques. C'étaient ces évêques, et non les et qu'usant du mensonge, leurs enne-
catholiques, comme disait l'édit, qui mis les accuseraient de s'être dérobés
aux conférences et aux luttes de la
s'étaient opposés à une conférence pa-
cifique età la libre discussion. Avant discussion. D'ailleurs, qu'eussent-ils
la réunion, ceux qui suivaient les doc- gagné à revoir leurs maisons et leurs
trines de l'orthodoxie avaient bien églises déjà envahies par les persécu-
prévu ce résultat. Ils redoutaient ce teurs? Ils restèrent donc auprès des
concile, où, comme ils le savaient, on murs de la ville. Là, ils gémissaient
devait les condamner sans les enten- sur leur malheureux sort , lorsque , par
dre. Aussi ils avaient essayé, pour hasard, ils rencontrèrent le roi qui
détourner le coup qui les menaçait et était sorti avec une escorte. Ils se je-
pour se créer des auxiliaires, de changer tèrent sur son passage, et lui dirent :
la nature de l'assemblée où on les « Que t'avons-nous fait? quelles sont
appelait. L'un d'eux, le métropolitain nos fautes ou nos crimes? Nous som-
Eugène, avait dit au roi qu'il ne lui mes venus, à ton appel, pour discuter
semblait pas juste de faire discuter et et soutenir nos doctrines; pourquoi
résoudre par les évêques d'une seule donc nous dépouiller de nos biens,
province les questions qui intéressaient nous chasser de Carthage, et nous li-
toute la chrétienté. Hunéric lui avait vrer en proie à la faim et à toutes les
répondu avec dérision : « Eugène, sou- misères? » Hunéric les regardait avec
mets l'univers à ma puissance, et je colère, et ils n'avaient point encore
réunirai en concile, comme tu le veux,
achevé, qu'il ordonna à ses cavaliers
les évêques du monde entier. » Cepen- de les disperser. On lui obéit avec tant
dant les catholiques, pour tenter sans de promptitude, que plusieurs parmi
doute la voie des conciliations, vinrent les évêques ne purent échapper à ceux
à Carthage; mais, nous le répétons, qu'on vieillards
avait lancés
ils étaient condamnés à l'avance, et Les et lesà leur poursuite.
malades furent
leurs ennemis avaient déjà tout dis- renversés et broyés sous les pieds des
posé pour la persécution. chevaux.
Nous ne voulons point énumérer Peu de temps après, Hunéric indi-
ici les odieux moyens, exils et sup- qua aux évêques un lieu où ils devaient
plices que
, l'on employa pour vaincre se rassembler. Ils étaient à peine ar-
les catholiques et leur arracher une rivés, qu'ils furent abordés par des
AFRIQUE. 37

officiers du roi. Ceux-ci leur montrè- faite de chanter, de prier, de lire, de


rent une feuille roulée, et leur dirent : baptiser, de conférer les ordres sacrés
« Hunéric, notre seigneur, malgré vo- et de remettre les péchés. » Ensuite,
tre obstination et quoique vous refu- on dit aux autres : « Vous avez refusé
siez d'embrasser ses croyances, veut de jurer, parce que vous ne voulez
encore vous offrir un moyen de ren- point avoir pour roi le fils de Hunéric,
trer en grâce. Si vous jurez d'observer notre seigneur : c'est pourquoi vous
ce qui est écrit sur cette feuille, il serez transportés en Corse. Là, vous
vous rendra vos maisons et vos égli- couperez le bois qui doit servir aux
ses. »Tous s'écrièrent alors : « Nous constructions de la flotte royale; »
sommes cbrétiens; nous sommes évê- A la fin de l'année 484, le roi Hu-
ques; notre doctrine est celle des apô- néric, s'il faut en croire les écrivains
tres; c'est la vraie doctrine, et nous catholiques, mourut rongé par les vers.
ne voulons point y renoncer. » Comme Dix mois environ s'étaient écoulés de-
les officiers du roi les pressaient de
puis la promulgation de l'édit de per-
sécution.
jurer, Hortulanus et Florentianus ré-
pondirent :« Sommes-nous donc des GUNTHAMUND SUCCEDE A HUNÉ-
êtres assez dépourvus de raison pour RIC; sa tolérance; ses guerres
CONTRE LES MAURES ; SES RELATIONS
promettre d'exécuter les clauses d'un
écrit que nous ne connaissons point? » AVEC LES OSTROGOTHS; SA MORT. —
On apprit alors aux évêques quel était Suivant la loi établie par Genséric,
le serment qu'on leur demandait. Il Gunthamund, fils de Genzon, succéda,
s'agissait de reconnaître, comme le plus âgé des princes van-
du roi, son fils Hildéric après la mort
comme son dales, àson oncle Hunéric. Le nou-
légitime successeur. Après cette décla- veau roi se montra favorable aux ca-
ration, les avis des évêques furent tholiques. La persécution, il est vrai,
partagés; les uns se montrèrent prêts continua au commencement de son
a obéir, mais les autres restèrent iné- règne, mais les violences cessèrent peu
branlables, voulant observer dans toute à peu, et, en 487, Eugène, rappelé de
sa rigueur cette parole de l'Évangile : l'exil, put reprendre possession de son
« Vous ne jurerez point. » Après avoir siège de Carthage. Les autres évêques
constaté cette scission, les officiers catholiques, qui avaient été forcés de
royaux dirent : « Que ceux qui consen- fuir ou de se cacher, ne tardèrent
tent àprêter le serment exigé se sé- point à reparaître, et, comme leur
parent de ceux qui persévèrent dans métropolitain , ils rouvrirent leurs
leur obstination. » Quand ils furent églises, que la persécution avait fer-
séparés, des greffiers recueillirent leurs mées.
paroles, et le nom de la cité à laquelle Gunthamund ne fut pas toujours
chacun d'eux appartenait. On procéda heureuxtenirdans la lutte
contre les qu'il Ils
Maures. eutavaient
à sou-
de même à l'égard de ceux qui n'avaient
point voulu jurer. Mais les uns et les envahi, sous son règne, toute la partie
autres ne devaient pas tarder à s'aper- orientale de la Byzacène, et leurs at-
cevoir de la perfidie du roi Hunéric. taques devenaient chaque jour plus
Tous indistinctement furent arrêtés fréquentes et plus hardies. Ce fut sans
et soumis à une dure surveillance; doute pour ne point être distrait de
puis on prononça contre eux une dou- cette guerre d'Afrique, et par crainte
ble sentence. On s'adressa d'abord à d'une diversion, que Gunthamund fit
ceux qui avaient prêté le serment : un traité avec Théodéric, le nouveau
« Puisque vous avez violé les préceptes maître de l'Italie. Il s'engageait à ne
de l'Évangile en consentant à jurer, le plus piller les côtes de la Sicile; il
roi vous enlève pour toujours à vos abandonnait, en outre, la portion de
cités et à vos églises; on vous relé- l'île qui était restée aux Vandales, en
guera dans des terres que vous culti- vertu des traités conclus avec Odoacre ,
verez comme colons. Défense vous est
et, de plus, il se soumettait volontaire-
L'UNIVERS

ment à payer au roi des Ostrogoths guerre contre les Maures. Cabnon ,
un tribut annuel. Gunthamund mourut chef des tribus de la Tripolitaine, fut
au mois de septembre de l'année 496. le plus redoutable ennemi des Van-
regne de thrasamund *, son dales. Ilne se borna point à faire sur
amour pour la controverse; ses leur territoire de passagères incur-
alliances; ses guerres; sa mort.
— Thrasamund était frère du dernier contre sions.
lesIl s'y établit, de
habitudes et sa
osa nation,
attendre,
les
roi. Il était beau, doué d'un esprit forces considérables qu'on lui oppo-
pénétrant, mais subtil, et il avait cul- sait. Ala lin du règne de Thrasamund,
tivé les lettres. Il comprit que c'était il fit subir aux Vandales un grand dé-
mal servir l'arianisme que de persé- sastre. On avait envoyé contre lui une
cuter ouvertement les catholiques. Il
puissante mund armée
mourut en; il523.
l'anéantit. Thrasa-
A ses derniers
imita l'empereur Juiien. Il combat-
tit les ennemis de sa croyance, non instants, il avait fait appeler Hildénc,
plus comme Hunéric, par des sup- que la loi lui donnait pour successeur.
plices, mais en les privant, à sa cour Il lui recommanda de ne point suivre
et dans son royaume, de biens, d'hon- son exemple, d'user de et
tolérance à l'é-
neurs et de considération, et en les gard des catholiques, de réparer,
accablant en tous lieux de mépris et autant qu'il le pourrait, les maux de
d'outrages.Il Ildiscutait voulait paraître douxavecet la persécution.
tolérant. volontiers HILDÉR1C ; IL FAIT PERIR AMALA-
Jes catholiques. Avant tout, disait-il, FRID ET ROMPT AVEC LES OSTRO-
il cherchait à s'éclairer. Mais, en vé- GOTHS; SA DOUCEUR POUR LES CA-
rité, ilne provoquait les discussions THOLIQUES ET SES RAPPORTS AVEC
?[ue pour montrer son savoir, et pour L'EMPIRE D'ORIENT LUI ALIENENT
aire sentir à ses .adversaires ses rail- L'AFFECTION DES VANDALES. — Hil-
leries et ses dédains. Cependant il ne déric, à son avènement, s'empressa
put toujours se contenir, et il eut re- de suivre volontésles conseils et d'exécuter les
cours parfois à la force et aux violen- dernières du roi Thrasamund.
ces. Ainsi, en 507, les évêques de la Il cessa de persécuter les catholiques ,
Byzacène ayant voulu remplir les vides les rappela de l'exil, leur rendit leurs
que la persécution et la mort avaient églises , et leur permit de faire de nou-
laissés dans leurs rangs, le roi fit saisir veaux évéques. Des synodes furent te-
les nouveaux élus et ceux qui les nus alors dans chaque province; et
avaient sacrés, et les exila tous en Sar- bientôt même ceux que Hunéric et
daigne. Thrasamund avaient proscrits purent
Le mariage de Thrasamund avec se rassembler dans un concile général
Amalafrid , sœur de Théodéric , ren- à Carthage (524), pour discuter, libre-
dit plus forte que par le passé l'alliance ment et sans crainte, sur les points qui
qui existait déjà entre les conquérants intéressaient leurs croyances et leur
de l'Afrique et ceux de l'Italie. La culte. Le roi agissait ainsi dans des
nouvelle reine apportait en dot à son vues de conciliation ; il voulait changer
époux le promontoire de Lilybée, c'est- les rapports qui avaient existé jus-
à-dire, la partie la plus occidentale de qu'alors entre les ariens et les catho-
la Sicile. Toutefois, Théodéric et Thra- liques, rapprocher les églises rivales ,
samund ne furent pas toujours unis ; et mettre un terme à leur longue désu-
et l'on sait qu'en l'année 510, le roi nion. Mais il ne réussit pas dans son
des Vandales , en soutenant Gésalic , entreprise. Si la lutte cessa pendant un
prêta aide et appui aux ennemis des instant, les haines ne s'éteignirent
Ostrogoths.
Si les maîtres de l'Afrique étaient Dès les premiers jours de son règne,
alors en paix avec l'empereur d'Orient, Hildéric
point. avait eu à se défendre contre
Anastase, ils avaient toujours à soute- Amalafrid, veuve de Thrasamund.
nir sur leur propre territoire une rude Elle avait excité une révolte qui fut
AFRIQUE.
39
promptement étouffée. Après avoir tout à la fois la déchéance de Hildéric,
échoué, Amalafrid se sauva chez les et l'avènement à la royauté de leur
Maures, avec les Goths qui l'avaient chef victorieux. Gélimer, parGenzon,
accompagnée à l'époque de son ma- descendait de Genséric. Il est vraisem-
riage; mais elle fut arrêtée dans sa blable qu'avant la brusque révolution
fuite. On massacra ceux qui la suivaient;
et, pour elle, on la jeta dans une dure qui le porta au trône , il s'était déjà
prison. Après la mort de Théodéric, fait un nombreux parti. Il n'hésita
point à accepter le titre que lui avaient
son frère, elle fut mise à mort. Par là décerné les soldats. Il marcha sur Car-
l'alliance qui existait entre les Vandales thage, et s'en empara. Là , il fit jeter
et les Ostrogoths fut rompue. Hildéric en prison l'ancien roi avec Oamer et
ne s'inquiéta point des protestations Euagis, ses deux neveux (531).
et des menaces qui lui venaient d'Ita- Quand Justinien apprit ces événe-
lie. Il savait trop bien que, depuis la ments, ilenvoya des ambassadeurs a
mort de Théodéric, le plus illustre de Gélimer, pour rengager à rendre à Hil-
leurs rois, les Ostrogoths se trouvaient déric laliberté et le trône. Mais le nou-
dans des embarras tels, qu'ils ne pou- veau roi ne tint compte des lettres de
vaient se venger. D'ailleurs, il était li-l'empereur d'Orient. Il fit même cre-
vré tout entier à ses relations avec l'O- ver les yeux à Oamer, et rendit plus
rient. Il entretenait un commerce
dure la trôné. captivité Justinien deluicelui qu'ilalors
envoya avait une
dé-
assidu d'ambassades et de lettres avec
la courdeConstantinople, où il avait nouvelle lettre. Elle était ainsi conçue :
longtemps vécu. Il regardait Justinien «Nous t'avons déjà écrit, parce que
comme son protecteur, et comptait sur nous pensions que tu suivrais volon-
son appui ; et, pour lui témoigner son tiers nos conseils. Maintenant, nous ne
affection et son respect, il voulut que t'exhortons plus à céder ta royauté;
ses propres monnaies portassent l'ef- garde ce que la fortune t'a donné. Seu-
figie de l'empereur de Byzance. C'était lement, laisse venir vers nous Hildé-
placer en quelque sorte les conquérants ric, Oamer et son frère Euagis, afin
de l'Afrique dans la dépendance de que nous puissions leur prodiguer les
ceux qu'autrefois ils avaient vaincus, consolations qui conviennent à ceux
et reconnaître que les Vandales avaient qui ont perdu une couronne ou la lu-
un autre souverain que l'héritier légi- mière des yeux. Dans le cas où tu re-
time de Genséric. jetterais notre demande , nous avons
Le mécontentement de la nation pris la résolution de recourir à la force.
croissait de jour en jour. Elle repro- En cela, nous ne violerons point la
chait àHildéric ses liaisons avec Cons- paix faite avec Genséric. Te poursuivre
tantinople, sa rupture avec les Ostro- par les armes, ce n'est point attaquer
goths, et aussi les ménagements qu'il son successeur légitime ; c'est le ven-
gardait avec les catholiques. Le mau- ger. » Après avoir pris connaissance
vais succès de la guerre contre les de cette lettre hautaine , Gélimer ré-
Maures aigrissait encore les esprits. pondit :« Je ne dois point ma royauté
Oamer , qu'on appelait l'Achille des àenvers
la violence.
ceux deJeman'airace. point été injuste
Hildéric com-
Vandales, avait éprouvé une défaite qui
avait livré aux tribus victorieuses toute plotait contre sa propre famille, contre
la Byzacène, et ce désastre avait beau- la famille de Genséric; c'est la haine
au roi.coup ajouté à la haine que l'on portait de tous les Vandales qui l'a renversé.
HILDÉRIC EST DÉPOSÉ; GÉLIMER Le trône étant vacant, je m'y suis as-
sis en vertu de mon âge et de la loi de
LE REMPLACE ; LETTRES DE JUSTI- succession. Celui-là agit sagement,
NIEN.— Ce fut alors que Gélimer fut comme prince, qui, livré tout entier
placé à la tête de l'armée. Il battit les à l'administration de son royaume, ne
Maures ; et ses soldats , dans un mo- porte point ses regards au dehors , et
ment d'enthousiasme, proclamèrent ne cherche point à s'immiscer dans les
40 L'UNIVERS.
affaires des autres États. Si tu romps et les barbares. Justinien sembla ré-
les traités qui nous unissent, j'oppose- servé àfaire valoir, avec plus de force
rai la force à la force , et je ne cesserai et sur un plus vaste plan que ses pré-
d'invoquer, à l'appui de mon bon droit, déces eurs, lesprétentions des empe-
les serments de l'empereur Zenon , reurs d'Orient. Les cinq premières
dont tu tiens aujourd'hui la place. » années de son règne, il soutint, mal-
Cette réponse, dit Procope, excita la gré lui, une guerre dispendieuse et
colère de Justinien , et redoubla sa inutile contre les Perses; à la fin, son
haine pour Gélimer; elle ne fit que ambition triompha de son orgueil , et
l'exciter davantage à porter la guerre il paya près de onze millions une trêve
en Afrique , et à se venger. passagère que les deux nations quali-
CAUSES DE L'EXPÉDITION d'AFRI- fièrent du nom de paix éternelle. La
que sous justinien. — « Lorsque sûreté de l'Orient lui permit d'em-
Justinien, dit Gibbon, monta sur le ployer ses forces contre les Vandales ,
trône, environ cinquante années après et l'état intérieur de l'Afrique offrait
la chute de l'empire d'Occident (*) , les un prétexte honorable, et promettait
royaumes des Goths et des Vandales de puissants secours aux armes ro-
semblaient s'être établis en Europe et maines (*). »
en Afrique d'une manière solide, et, On peut saisir, dans ces paroles, la
pour ainsi dire , légale. Les titres con- véritable cause de l'expédition que fit
férés aux Romains par leurs victoires en Afrique l'armée de Justinien. Les
se trouvaient effacés, à leur tour, avec maîtres de Byzance se regardaient com-
la même justice par l'épée des bar- me les héritiers légitimes des anciens
bares; et le temps, les traités et des empereurs d'Occident; ils se croyaient
serments de fidélité, qu'une seconde encore par le droit, sinon par le fait,
et une troisième génération avaient les souverains de la Gaule, de l'Italie,
déjà renouvelés, consacraient les heu- de l'Espagne et de l'Afrique. Il y avait
reuses usurpations des derniers con- longtemps, il est vrai, que l'orgueil
quérants. L'expérience et le christia- des Césars ne dissimulait plus leur im-
nisme réfutaient assez la superstitieuse puissance. Cependant les barbares, par
espérance que les dieux avaient des- un vague sentiment de respect pour
tiné Rome à régner sur toutes les na- cet empire romain qui avait inspiré
tions de la terre; mais, si des soldats jadis tant de frayeur à leurs ancêtres,
ne pouvaient plus maintenir cette or- semblèrent plus d'une fois avouer eux-
gueilleuse prétention d'une domination mêmes la suprématie de ceux qu'ils
éternelle et inattaquable, les hommes avaient si souvent vaincus et dépouil-
d'État et les hommes de loi , dont les lés.
opinions se sont quelquefois propagées On a vu, dans le récit qui précède,
dans les modernes écoles de jurispru- que le roi des Vandales Hildéric s'étai t
dence cherchaient
, à faire valoir à leur mis volontairement dans une sorte de
tour, par l'intelligence,
avait abandonné. E)u moment ce queoùlaRome
force dépendance à l'égard de l'empire d'O-
rient. Il avait restitué, autant qu'il
fut dépouillée de la pourpre impériale, l'avait pu , à ceux qui se disaient les
les princes de Constantinople prirent successeurs des Romains , cette Afri-
seuls le sceptre de la monarchie; ils que qui avait coûté tant de ruses, de
demandèrent, comme un héritage qui fatigues et de sang à Genséric, le plus
leur appartenait, ces provinces subju- illustre de ses aïeux. Il avait rendu les
guées par les consuls ou possédées par Vandales, sauf le tribut, sujets du
les césars. Cependant, ils n'agirent monarque qui régnait à Byzance. Or
que faiblement pour garantir leurs su- déposer Hildéric , si dévoué à l'empire,
jets de l'Occident contre les hérétiques c'était attaquer Justinien lui-même;
(*)reurJustinien succéda enen565.
Justin ; il mourut 527 à l'empe- (*) Gibbon ; Histoire de la décadence
et de la chute de V empire romain, ch. &1*
AFRIQUE. 41
aussi , à la nouvelle de la révolte qui plein conseil , aux désirs de son maî-
avait donné aux Vandales un nouveau
tre. Il avoua qu'on ne pouvait trop
roi, payer une victoire si importante; mais
commela cour si onde lui Constantinople s'émut
eût arraché une de il montra des difficultés certaines et
ses provinces. On conçoit donc que une issue incertaine. « Voulez-vous
assiéger Carthage ? dit le préfet ; par
Justinien n'ait point hés'ité à embras-
ser la cause de celui qu'il regardait terre, ce royaume est éloigné de cent
comme son représentant en Afrique , quarante jours de voyage : par mer ,
et qu'ilet ait
haine de sespoursuivi menaces. Gélimer de sa une année entière doit s'écouler avant
En défendant de recevoir des nouvelles de votre flot-
Hildéric , il croyait défendre les inté- te. Quand l'Afrique serait vaincue ,
rêts de l'empire. pour la garder il faudrait conquérir la
PROJETS DE GUERRE; DISCOURS DE Sicile et l'Italie. Le succès vous impo-
JEAN DE CAPPADOCE; EVENEMENTS serait de nouveaux travaux, et un seul
QUI METTENT FIN AUX IRRESOLU- revers attirerait les barbares au sein
TIONS de justinien. — Les projets de votre empire épuisé. » Le prince
de Justinien causèrent àConstantinople sentit la justesse de cet avis. La har-
et dans tout l'empire de grandes émo- diesse d'un sujet qui s'était toujours
tions ;mais , en général , les esprits montré soumis l'étonna d'ailleurs ; et
étaient agités plutôt par la crainte que il aurait peut-être renoncé à la guerre
par les espérances. Procope nous a d'Afrique, si une voix qui fit taire les
conservé dans un récit animé les im-
pressions deses contemporains. Voici doutesniméde la profane
son courage. Un raison
évêque n'eût
venu ra-
de
comment Gibbon , à son tour , a re- l'Orient s'introduisit dans le palais ,
produit les passages les plus vifs et et quand il fut en présence de Justi-
les plus saillants de l'historien byzan- nien ,il s'écria avec une certaine
tin (*) : « Le bruit d'une guerre d'A- exaltation : « Empereur, le ciel veut
frique ne satisfit que l'oisive populace que tu n'abandonnes pas ta sainte
de Constantinople, si pauvre qu'elle entreprise pour la délivrance de l'É-
se trouvait affranchie des tributs, si glise. Le Seigneur m'a dit : Je marche-
lâche qu'on l'employait peu au service rai àses côtés s'il fait la guerre, et je
militaire. Mais les citoyens sages, qui soumettrai l'Afrique à sa domination. »
jugeaient de l'avenir par le passé, se Justinien put croire une révélation qui
souvenaient de l'immense perte d'hom- arrivait si à propos , et la raison de
mes et d'argent qu'avait supportée ses ministres se trouva réduite au si-
l'empire dans l'expédition de Basilis- lence ;d'ailleurs , les événements qui
cus. Les troupes, rappelées des fron- s'accomplissaient alorsranimèrent
dans les pays
tières de Perse , après cinq campagnes soumis aux Vandales tous
laborieuses , craignaient la mer , le les courages. L'Africain
avait secrètement instruit laPudentius
cour de
climatministres
Les et les armes d'un payscalculaient,
des finances inconnu.
Constantinople de ses intentions loya-
autant qu'ils pouvaient calculer, les les, etquelques troupes qu'on lui envoya
frais d'une guerre d'Afrique, les taxes suffirent pour remettre la ïripolitaine
qu'il faudrait imaginer et percevoir, et sous la domination des Romains. Go-
ils redoutaient de perdre la vie, ou du das ,barbare valeureux qui comman-
moins leur emploi , si l'on manquait dait en Sardaigne,suspendit le payement
de quelque chose. Jean de Cappadoce, du tribut qu'il devait aux Vandales,
inspiré par ces motifs personnels, car après avoir déclaré qu'il n'obéirait plus
on ne peut lui supposer du zèle pour à l'usurpateur. Il donna audience aux
le bien public (**), osa s'opposer , en émissaires de Justinien, qui le trou-
(*) Procop. De bello VandaL, I, 10. vèrent maître de cette île fertile , en-
Gibbon (ch. 41) n'a fait qu'améliorer, en
l'abrégeant , le récit de Procope. Cappadoce , voy. Histoire de la décadence,
(**) Gibbon a parlé ailleurs de Jean de etc., ch. 40.
42 L'UNIVERS.

vironné d'une garde nombreuse, et connue dans l'histoire sous le nom de


revêtu des ornements de la royauté. La Nika. On conçoit aisément qu'après
discorde et Ja défiance diminuaient les
forces des Vandales, tandis que le tant de belles 'actions Justinien l'ait
choisi pour commander les troupes
courage de Bélisaire, nom héroïque qu'il envoyait en Afrique. D'ailleurs
devenu familier chez toutes les nations, Bélisaire, sans sa gloire, l'eût peut-
animait les armées de l'empire. » Pro- être encore emporté sur les autres gé-
cope ajoute , à propos de la Sardai- néraux, l'aide
à seulement de sa femme
gne, un fait important. Il prétend que Antonina , qui jouissait d'un grand
Justinien envoya à Godas un certain crédit auprès de l'impératrice Théodo-
Euloge, pour lui promettre des sol- ra. Antonina, malgré le scandale de sa
dats et un général. Le chef barbare vie privée et ses honteuses débauches,
répondit : J'accepterai volontiers les portait à son époux un attachement
sincère : elle le soutenait à la cour
soldats, néral.Sans maisdouteje n'aiGodas
pas besoin du gé-
fit cette ré- contre les envieux , et lorsqu'il monta
ponse, moins par arrogance que par sur le vaisseau qui devait le conduire
crainte de trouver un jour dans l'offi- en Afrique, elle voulut partir avec lui,
cier byzantin chargé du commande- et le suivit en effet au milieu de tous
ment des troupes, un rival ou un les dangers de l'expédition. Au reste,
maître.
l'armée applaudit au choix de Justi-
bélisaire. — Le général qui devait nien ;les vétérans qui avaient fait les
commander, en Afrique, les troupes dernières et glorieuses campagnes de
impériales, était Bélisaire. Justinien, Perse reprirent volontiers les armes ,
après avoir terminé la guerre contre pour servir encore sous un général qui
les Perses , par un traité de paix , s'é- maintenait sévèrement la discipline,
tait hâté de le rappeler à Constanti- maisblequi
nople. Bélisaire était né, suivant Pro- dans s'était toujours montré; etaffa-
son commandement au
cope, à Germania, sur les confins de nom seul de Bélisaire on vit les barba-
la Thrace et de l'Illyrie. Dans sa jeu- res accourir pour offrir leurs services
nes e, ilquitta ses foyers et vint, sans à l'empereur. Justinien, les soldats et
doute, comme tant d'autres paysans, le peuple avaient même confiance dans
comme Justin , par exemple , auquel le chef de l'expédition. Ils déclaraient
la fortune avait réservé la pourpre d'une commune voix que , dans tout
impériale, pour chercher fortune à l'empire, Bélisaire seul, par sabravoure
Constantinople. Il s'éleva aux grades et son habileté, pouvait mènera bonne
militaires par son courage et son ta- fin cette guerre d'Afrique, qui, à cause
lent. Justinien, à son avènement, le
de l'éloignement
présumées des lieux etparaissait
des Vandales, des forcesà
remarqua parmi
commander en ses gardes etPuis
Arménie. l'envoya
Béli- l'avance pleine d'obstacles et de dan-
saire partit pour surveiller et défendre
l'importante station de Dara : c'est là L'ABMÉED'eXPÉDITION, SES CHEFS.
qu'il défit une armée de quarante mille —gers.Les soldats avaient reçu l'ordre de
Perses. Ce succès l'enhardit, et, l'an- se réunir à Constantinople. Là on vit
née suivante, il se mit en marche pour accourir des Égyptiens, des Ciliciens,
protéger les frontières de la Syrie. Il les habitants de toutes les parties de
fut obligé de terminer cette expédition l'Asie Mineure et de la Grèce, mais
par une prompte retraite ; cependant principalement, il faut le supposer, les
son courage et son habileté tirèrent enfants belliqueux de la Thrace. Les
ses soldats de tous les périls , et il fit barbares- vinrent aussi. On comptait
encore éprouver aux Perses des pertes parmi eux un corps de quatre cents
considérables. Après le traité de paix, Hérules, aussi cruels que braves , et six
il revint à Constantinople, où il ren- cents cavaliers huns, renommés pour
dit àl'empereur leur habileté à lancer des flèches.
moment où éclatade lagrands services
terrible au
sédition
L'armée , dans son ensemble, s'élevait
AFRIQUE
43
à quinze mille hommes : elle se com- le départ (*). — Ce fut en 533 ,
posait de dix mille fantassins et de vers le solstice d'été, que les troupes
cinq mille cavaliers. On distinguait rassemblées à Constantinople reçurent
parmi les chefs des différents corps , l'ordre de s'embarquer. Au jour du
Dorothée, Salomon, Cyprien, Valé- départ, Justinien fit approcher de la
rien, Martin, Althias, Jean, Marcel- partie du rivage où se trouvait bâti
lus , Cyrille, Rufm, Aigan, Barbatus, le palais impérial , le vaisseau qui de-
Pappus, Théodore, surnommé Ctena- vait porter le chef de la flotte et de
tus, Térentius, Zaidus, Marcien et l'armée. L'archevêque Rpiphanius s'a-
Sarapis. Jean était né à Dyrrachium , vança alors au bord de la mer. Là, à
Salomon à Dara, sur la frontière orien- la vue d'un peuple immense, il se
tale de l'empire, et Aigan appartenait mit en prière et bénit le général et les
à la race des Huns. Presque tous les soldats. Quand Épiphanius eut ache-
filtres généraux étaient originaires de vé, on entendit les sons éclatants de la
la Thrace. Sinnion et Bala, braves trompette qui réglait les manœuvres,
guerriers, commandaient la troupe des et le vaisseau de Bélisaire se mit à
thins', et Fara celle des Hérules. Le voguer.
patrice Archelaùs, qui avait été suc- le suivre,La etflotte entière
bientôt elle s'ébranla
disparut pour
aux
cessivement préfet à Constant] nople yeux de la foule qui était venue saluer
et en Illyrie, devait accompagner son départ. Bélisaire avait à ses côtés
l'armée en qualité de questeur ou Antonina, sa femme, et Procope qui,
de trésorier. Cinq cents vaisseaux , au retour de l'Afrique , devait écrire
grands et petits, avaient été rassem- dans ses moments de loisir, l'histoire
blés pour conduire les troupes en de l'expédition.
Afrique (*). Ils portaient vingt mille le voyage; réraclée; abydos ;
matelots recrutés en Egypte, en Cili- SÉVÉRITÉ de bélisaire; sigée; ma-
cie ou en Ionie. Les mouvements et
toutes les manœuvres de cette flotte léb et ténare; l'armée s'arrête
a méthone. — Après une courte na-
étaient dirigés par Calonyme d'Alexan- vigation, laflotte jeta l'ancre devant
drie. On voyait aussi , à côté des l'ancienne ville de Périnthe, qui , au
vaisseaux de transport , quatre-vingt- temps
douze bâtiments d'une forme allon- clée. Là,de leJustinien,
général attendit,s'appelaitpendant
Héra-"
gée, à un seul rang de rames, qui cinq jours, les chevaux de prix que
devaient servir, en cas de besoin, à l'empereur lui envoyait de ses haras
soutenir un combat sur mer. Les bancs de la Thrace; puis il se remit en mer,
des rameurs étaient couverts et à l'a- sortit de la Propontide et s'engagea
bri des traits de l'ennemi. Deux mille
Byzantins montaient ces bâtiments (*) On peut comparer ici le récit de Pro-
qu'on appelait coureurs, à cause de cope avec les admirables pages où Thucy-
leur grande légèreté. Enfin Bélisaire, dide décrit, en nous initiant en quelque
le vainqueur des Perses, le chef il- sorte à toutes les émotions de ses contem-
lustre entre tous, avait été investi par porains, ledépart de la flotte athénienne
Justinien du commandement suprême. pour l'expédition de Sicile (Voy. Thucydide,
L'empereur, dans ses lettres, l'avait liv. vi , ch. 3o et suiv.). Il suffit d'une com-
reconnu comme son représentant , et paraison de ce genre pour comprendre ce
dans sa confiance il lui avait laissé que le génie grec a perdu dans les siècles
une autorité sans bornes sur la flotte qui se sont écoulés de Périclès à Justinien.
Cependant il faut rendre justice à Procope.
et sur l'armée. Son Histoire de la guerre contre les Van-
(*) Le plus petit de ces bâtiments , sui- dales est une des productions les plus re-
vant Gibbon, était de trente tonneaux, et marquables du sixième siècle. Son récit est
le plus considérable de cinq cents. Suivant
Marcus, les plus grands vaisseaux étaient vif, animé et ne manque point d'art. Gibbon
a dit : « Procope a raconté avec ordre et
de sept cent cinquante tonneaux; les plus d'une manière élégante toute la guerre des
petits de cent vingt-six tonneaux. Vandales. »
44 L'UNIVERS^

dans PHellespont. Il s'arrêta quatre bâtiments qui portaient les officiers at-
jours à Abydos. Ce fut devant cette tachés àsa personne, et il ordonna que
ville que Bélisaire donna une preuve pendant la nuit on remplaçât ces voiles
de sa sévérité et de sa fermeté. Deux par des fanaux mis aux grands mâts.
soldats qui appartenaient au corps des Après une fausse manœuvre ou une
Huns avaient tué un de leurs compa- tempête,
gnons, dans un moment d'ivresse. Bé- avait ainsile unvaisseau signe dequiralliement,
s'était éloigné
et il
lisaire fit saisir les coupables, et il pouvait facilement, le jour ou la nuit,
ordonna qu'on les pendît sur la col- rejoindre la flotte et reprendre son
line qui domine Abydos. Il y eut alors rang. Dans le trajet d'Abydos au pro-
une grande rumeur dans le camp. Les montoire deSigée, il s'éleva un grand
Huns se plaignaient vivement : « Nous vent qui tomba au moment où le cap
nous sommes mis, disaient-ils, au fut doublé. La flotte traversa heureu-
service de l'empire, mais nous ne nous sement toute la mer Egée. Quand elle
sommes point engagés à suivre les arriva en vue de Malée et qu'elle s'en-
lois qui régissent les Romains. D'après gagea dans l'étroit canal qui sépare,
nos coutumes, on ne tue point celui en cet endroit, le Péloponèse de l'île
qui a tué. » Les soldats romains eux- de Cythère , le désordre se mit dans
mêmes, qui désiraient le relâchement les rangs. Les vaisseaux se touchaient,
dans la discipline et l'impunité pour se heurtaient, et ce ne fut que par des
leurs désordres, prenaient parti pour
prodiges de force et d'habileté que ra-
les Huns. Bélisaire ne s'effraya point meurs et pilotes sortirent de ce dan-
de gereux passage. Au moment du désor-
et ces
leur clameurs,
dit : « La il réunit
justiceles veut
"troupes,
que dre, le moindre coup de vent eût
l'assassin soit puni du dernier suppli- anéanti l'armée entière. La flotte tou-
ce. Je n'admets point l'excuse de l'i- cha ensuite à l'ancienne ville de Té-
vresse. C'est un crime , dans une ar-
mée ,de se livrer , en buvant , à de de là ,elle
nare qu'on appelaità Méthone,
se rendit alors Cœnopolis
dans la;
tels excès que l'on puisse perdre la Messénie , où elle s'arrêta.
raison , et tuer, sans hésitation , ses LES FOURNISSEURS DES VIVRES;
meilleurs amis. Vos protestations et leurs fraudes; maladies. — Le
vos plaintes
et vous connaissez ne peuvent m'émouvoir,
maintenant le châ- vent avait cessé de souffler, et l'armée
ne pouvait continuer son voyage. Bé-
timent que je réserve aux coupables. lisaire fit mettre ses troupes à terre.
Je ne reconnaîtrai jamais comme mon Là, sur le rivage, officiers et soldats
compagnon d'armes , quelque brave attendaient un temps favorable , lors-
qu'il soit, un soldat assassin. J'estime qu'ils furent atteints d'une maladie qui
le courage ; mais , à mon sens , il ne enleva en peu de jours cinq cents hom-
mes. On connut bientôt la cause de
profitera jamais à l'homme injuste et
pervers. » Après ce discours prononcé cette maladie. Le préfet du prétoire,
en vue de la colline où l'on avait Jean , employait souvent des moyens
dressé les potences qui portaient en-
core les cadavres des soldats huns, les odieux pour faire entrer de l'argent
dans les coffres de l'empereur et aussi
murmures cessèrent et l'armée ren- dans les siens. C'était lui qui s'était
tra dans le devoir.
chargé de fournir les vivres à l'armée
Avant de s'éloigner d' Abydos , Béli- qui partaitde pour
coutume mettrel'Afrique.
deux foisOnau avait
four
saire essaya de prévenir , par de sages
mesures, les dangers qui menacent,
le pain que l'on donnait aux soldats en
pendant une longue traversée, et sur- campagne, et on le cuisait de telle
tout dans les mauvais temps, une sorte que de longtemps il ne pouvait
flotte de six cents vaisseaux. Pour di- se gâter. Ce pain était très-léger , et
riger les pilotes, et pour que nul d'en- l'État eût fait une perte considérable
tre eux ne pût s'écarter ou se perdre, il sur le poids , si les soldats n'eussent
fit teindre en rouge les voiles des trois consenti, au moment des distribu-
AFRIQUE. 45
tions, à faire remise aux fournisseurs teilles dans une partie du vaisseau où
du quart de la portion qui leur était ne pouvaient pénétrer les rayons du
accordée. Jean , le préfet , crut réali- soleil, et on les couvrit de sable. Après
ser de grands bénéfices sur les vivres une traversée de seize jours , la flotte
toucha la Sicile sur un point désert
de l'armée d'Afrique, en recourant
aux moyens suivants : il fit à peine qui n'était pas éloigné du mont Etna.
cuire la pâte , et la retira lorsqu'elle Bélisaire commença dès lors à être
eut pris seulement l'apparence du pain. en proie à de yives inquiétudes. La dé-
Cela formait une masse molle, hu- faite de Basiliscus qui avait perdu la
mide; mais rien ne manquait au poids. flotte de l'empereur Léon , et les an-
Jean avait ainsi gagné tout à la fois , ciens succès des Vandales , lui reve-
sur le bois, la farine et le salaire des naient sans doute en mémoire, et il se
boulangers ; puis on porta les pains à demanda plus d'une fois , s'il faut en
demi cuits sur la flotte. Ce fut à Mé- croire Procope qui fut souvent leconfi-
thone que l'on ouvrit pour la première dentdeses plus secrètes pensées: Quels
fois les sacs qui les contenaient. On ne sont donc ces Vandales que je vais com-
trouva qu'une pâte mal battue et qui bat reSont-ils,
? comme on le dit, forts
tombait par morceaux. C'était une fa- et braves ? Sur quel point dois-je por-
rine mouillée qui ne paraissait point ter mes attaques? La résolution ne lui
avoir été soumise à l'action du feu, et manquait pas ; mais il s'effrayait de
qui, pendant la traversée, s'était en- l'esprit qui régnait dans son armée.
tièrement corrompue. On fit néan- Les soldats disaient hautement que
moins ladistribution; mais cette mau- s'ils rencontraient l'ennemi sur terre ,
vaise nourriture ne tarda pas à faire ils l'attaqueraient vaillamment; mais
naître et à développer au sein de l'ar- que s'il fallait soutenir un combat sur
mée les germes d'une violente épidé- mer, ils étaient décidés à prendre la
mie. Le mal eût été plus grand encore fuite ,tumeparce
si on ne se fût hâté de faire cuire à de lutterqu'ils
tout n'avaient
à la fois point
contrecou-
les
Méthone de nouveaux pains. Alors Bé- hommes et contre les flots. Bélisaire,
lisaire écrivit à l'empereur, et se plai- au milieu des craintes qui l'agitaient,
gnit vivement du préfet du prétoire. prit la résolution d'envoyer Procope à
Justinien lui répondit, et donna de Syracuse. Il le chargea de s'informer,
grands éloges à son zèle; mais il ne par d'adroites questions , des projets
punit point Jean, qui probablement de l'ennemi. Les Vandales avaient-ils
lui avait fait une large part dans ses fait, en Sicile ou sur le continent, de
gains. secrets préparatifs pour repousser l'in-
SUITE DU VOYAGE ; ZACYNTHE ; LA vasion Sur
? quel point de la côte d'A-
SICILE; TERREUR DES SOLDATS; MIS- frique les troupes impériales pou-
SION DE procope. — Enfin, l'armée vaient-elles opérer sans danger leur
remonta sur les vaisseaux, et la flotte descente ? Après avoir recueilli les
se porta de Méthone a Zacynthe. Après renseignements qu'on lui deman-
avoir refait dans cette île ses provi- dait, Procope devait revenir à Cau-
sions d'eau , elle remit à la voile pour cane , ville située à deux cents stades
traverser l'Adriatique. Sa marche fut de Syracuse (*). C'était vers cette ville
lente, parce que le vent se faisait à que Bélisaire se proposait de diriger
peine sentir. L'armée eut alors beau- ses vaisseaux. Procope avait aussi à
coup àsouffrir. On était dans les plus remplir une autre mission ; mais alors,
fortes chaleurs de l'été, et l'eau que pour le général, condaire. En vertu celle-ci n'étaitfaitqueentre
du traité se-
buvaient les soldats s'était corrompue.
Antonina, par ses soins et un procédé Justinien et Amalasuntha, qui régnait
ingénieux , préserva du mal commun
Bélisaire et ceux qui mangeaient à sa (*) Suivant Cluvier (Sicilia an tiqua) , la
table. Elle mit l'eau dans des bou- distance entre Syracuse et Caucane était de
trois cents stades.
teilles deverre ; puis on porta ces bou-
L'UNIVERS.
en Italie et en Sicile, au nom de son s'éloignait,
fils Atalaric, les Ostrogoths devaient son ami et luiProcope
cria : « sePoint
tourna vers
de colère
vendre, en cas de besoin, des vivres et de chagrin, je t'en prie. Il faut que
aux troupes impériales. L'envoyé de le général interroge ton serviteur. Je
Bélisaire venait donc passer un mar- le renverrai à Syracuse avec une bonne
ché pour les approvisionnements de la
récompense, quand l'armée aura tou-
flotte.
il obtintSurun ceentier point succès.
comme sur l'autre ché les côtes de l'Afrique. »
DÉPART DE LA SICILE; LES ILES
Procope marchait un jour dans les DE GAULOS ET DE MELITA; LA
rues de Syracuse lorsqu'il se trouva FLOTTE EN VUE DE L'AFRIQUE ;
face à face , par le plus singulier des conseil de guerre. — Quand Pro-
hasards , avec un de ses amis d'en- copeplongée
arriva à dans
Caucane, il trouva l'ar-
fance. C'était un homme qui, pour des mée le deuil. Dorothée,
affaires de commerce, avait quitté le duc de l'Arménie, était mort. Chefs
Constantinople et s'était fixé en Sicile. et soldats le regrettaient sincère-
Le marchand fournit à l'envoyé de Bé- ment. La présence de Procope rendit
lisaire de précieux renseignements. Il la joie à Bélisaire. Il interrogea son
fit appeler un de ses serviteurs qui, envoyé, le félicita sur les résultats
depuis trois jours seulement, était re- de sa mission, et sans perdre de temps
venu de Carthage, et lui ordonna de il fit sonner la trompette pour annon-
parler. Celui-ci dit alors : « La (lotte cer le départ. La (lotte mit à la voile,
impériale n'a point à redouter les atta- et elle ne tarda point à gagner les lies
ques des Vandales. Ils ne savent pas de Gnulos et de Melita (*). A la hau-
qu'une armée s'avance contre eux. De teur de ces îles il s'éleva un vent qui
plus , ils ont dirigé toutes leurs forces poussa rapidement les vaisseaux vers
sur la Sardaigne pour soumettre Go- un endroit de la côte d'Afrique que
das. Gélimer se croit tellement à l'abri les Romains appelaient Caputvada(**),
du danger du coté de l'Orient, que, De cet endroit à Carthage, il n'y avait,
sans prendre soin de surveiller Car- par terre, que cinq journées de mar-
thage et les autres places maritimes , che.
il s'est retiré dans la Byzaeène , à Alors Bélisaire ordonna à chaque
Hermione, ville située à quatre jours de navire de plier ses voiles et de jeter
marche de la cote. La flotte ne ren- l'ancre. Puis, il fit appeler à son bord
contrera donc point l'ennemi dans la les principaux chefs de l'armée, ri il
traversée, et l'armée pourra débar- leur bledemanda
de mettre s'ils jugeaient
un terme convena-
à leur navi-
quer, sans crainte d'être attaquée, sur
le point de la terre d'Afrique où le gation et d'opérer enfin la descente.
vent l'aura poussée. » Ces paroles, il Une longue de discussion
faut le croire, causèrent à Procope ce conseil guerre,s'engagea.
Archélaùs,Dansle
une grande joie. Il entraîna vers le questeur, prit la parole et dit : « Vous
port d'Aréthuse, où l'attendait son voulez descendre à terre; mais avez-
vaisseau, le marchand et son servi- vous un port où votre (lotte puisse
teur. Iltenait celui-ci par la main et le trouver un abri contre les attaques de
pressait de questions ; puis , il le fit l'ennemi
monter sur son navire. Quand ils fu- vous une ou ville contreenvironnée
les tempêtes? Avez-
de fortes
rent à bord , on mit les voiles au
(*) Gozzo et Malte.
vent , et le pilote reçut l'ordre de na- (**) Le Caputvada de Procope, dit Gibbon,
viguer en toute hâte vers la ville de où Justinien fonda ensuite une ville (de
Caucane. Le marchand était resté sur iEdif. VI, 6) , est le promontoire ft Ammon.
le rivage ; là , il se tenait ébahi et sui- de Strabon, le Brachodes de Ptolémée, le
vait avec étonnement tous les mouve- Capodia des modernes , et il forme une
ments de celui qui lui avait enlevé son bande longue et étroite qui se prolonge dans
serviteur avec tant de promptitude et la mer (Skaw's travels, p. 1 1 1). — Voy. aussi
d'audace. Au moment où le vaisseau Marcus; Hist, des Vandales, etc., p. 366,
AFRIQUE.
47
murailles, et disposée à recevoir et à d'avis divers, nous choisirons le meil-
défendre, en cas de besoin, vous et leur et nous agirons. Et d'abord, ne
vos soldats ? On vous a dit que la côte vous souvient-il plus des récentes dis-
où nous sommes était exposée à tou-
entendu lespositionssoldats
del'armée? N'avez-vous
déclarer pas
hautement
tes les violences du vent, qu'elle n'of-
frait au navigateur ni port, ni lieu de qu'ils redoutaient les combats de mer,
relâche; on vous a dit aussi qu'il n'y et que ennemie
flotte s'il arrivait,
vînt par hasard, qu'une
les attaquer, ils ne
avait, en Afrique, qu'un point fortifié, se défendraient point et prendraient
Carthage, et que Genséric avait fait
renverser les murailles des autres la fuite? Vous tous, mes collègues,
villes : ne tiendrez-vous point compte vous vous unissiez alors à Bélisaire
de ces renseignements? J'ajoute que pour prier Dieu de nous mener promp-
tement et sans mauvaise rencontre sur
vous manquerez d'eau dans cette con-
trée. Voyons maintenant les dangers la côte d'Afrique. Aujourd'hui Dieu
qui nous menacent. Je suppose qu'a- nous a exaucés, et vous voyez l'Afri-
près le débarquement il s'élève une que; ne serait-ce point une folie de
tempête, que deviendra la flotte ? Les renoncer ici à une descente facile que
vaisseaux seront dispersés au loin, nous avons si vivement désirée? Si
ou bien ils se briseront sur la côte. nous nous portons directement sur
Où prendrons-nous alors des muni- Carthage, et que dans notre trajet
tions? Il ne faudrait pas, après un nous rencontrions la flotte des Van-
dales, on nous accusera avec raison de
pareil désastre, s'adresser au ques- la perte de nos vaisseaux et de la dé-
teur Archélaùs. Celui-là seul est ques-
teur qui possède les moyens d'exercer faite de l'armée. On nous reprochera
sa charge, qui tient à sa disposition, d'avoir négligé les avertissements, que,
dans leur ignorance et leurs craintes
Voicil'argent,
de mon avis des envivres
deux et des : armes.
mots il faut exagérées, nos soldats nous ont si
mettre à la voile et nous porter direc- souvent donnés. On a dit, pour nous
tement sur Carthage. Près de la ville, effrayer, que si l'armée
à quarante stades environ, nous trou- flotte et descendait à terre, quittait
elle seraitla
exposée à d'innombrables dangers;
et qui verons un port qu'onfacilement
contiendra appelle l'ÉtangO,
la flotte qu'une tempête, en dispersant ou en
tout entière. Il peut se faire qu'à une brisant les vaisseaux, pouvait lui en-
première attaque nous nous rendions lever ses communications avec l'em-
maîtres de Carthage; nous devons pire, et lui ôter jusqu'à l'espérance du
même l'espérer, puisque l'ennemi a retour. Quoi ! vaut-il donc mieux que
porté sur un autre point la meilleure cette tempête, dont on nous menace,
partie de ses forces. Quand la capitale engloutisse non point seulement les
de l'Afrique sera prise, la guerre sera vaisseaux, mais encore, avec eux, l'ar-
achevée. Tel est mon avis, que, sui- mée tout entière? Pour moi, je pense
vant votre bon plaisir, vous pouvez qu'il faut descendre à terre sans plus
suivre ou rejeter. » Bélisaire ne pensait tarder et attaquer brusquement l'en-
point comme Archélaùs; il répondit nemi. Les promptes résolutions et la
en ces termes à ceux qui s'opposaient hardiesse sont pour beaucoup dans les
à une prompte descente : « Ne croyez succès de la guerre. La moindre hési-
tation peut donner aux Vandales le
pas
vous qu'ici
imposer je veuille, comme Je
mes volontés. général,
cher- temps de se mettre en défense, et
che àm'éclairer. J'ai écouté avec at- alors nous perdons nos avantages. Si
tention et pesé, dans mon esprit, les nous nous dirigeons vers un autre
raisons que chacun de vous a fait va- point de la côte, peut-être serons-
loir. Je vais, à mon tour, vous dire nous obligés d'avoir recours aux ar-
toute ma pensée. Ensuite, parmi tant mes pour opérer une descente; tandis
que nous pouvons débarquer ici sans
(*) Le lac de Tunis. rencontrer d'obstacles et sans combat.
4& L'UNIVERS.

Oui, la
tout je flotte
crois ennemie
qu'il faut etredouter avant
les tempêtes. ges qu'aux anciens Carthaginois. Ce
fut peut-être sur leurs réclamations,
et pour ne point mécontenter la par-
àC'est
terrepourquoi
nos soldats,hâtons-nous
et avec deeux
mettre
nos tie la plus active de la population qui
chevaux, nos armes et nos provisions. l'avait accepté pour roi , que Gélimer
Nous choisirons alors un camp qui fit les préparatifs d'une grande expé-
sera entouré par un fossé profond et dition. D'ailleurs, il était encore animé
défendu par de fortes palissades. Ce par la haine personnelle qu'il portait
camp sera pour nous une ville où à celui qui avait soustrait l'île à son
nous serons à l'abri contre les atta- obéissance. Jadis il avait compté Go-
ques imprévues de l'ennemi. Ne crai- das parmi ses serviteurs les plus dé-
gnons point que les vivres ou les voués. C'était même pour le récom-
munitions nous manquent. Si nous penser de son zèle qu'il lui avait confié
triomphons, nous aurons tout en le gouvernement de la Sardaigne. Il
abondance. Une armée victorieuse
n'avait point limité le pouvoir qu'il lui
n'est jamais en proie à la disette ou avait délégué ; seulement il avait voulu
aux privations (*). » que chaque année il lui payât un léger
Ces paroles de Bélisaire entraînè- tribut. Godas , que le roi des Vanda-
rent tous les chefs. Chacun d'eux, les avait ainsi choisi pour son lieute-
après le conseil, regagna son bord, et nant, était Goth d'origine. C'était un
ordonna à ses soldats de se tenir prêts homme, s'il faut en croire Procope,
à descendre dans le pays ennemi. d'une force prodigieuse et d'une bra-
IMPRÉVOYANCE DE GELIMER; GO- voure sans égale. Il resta fidèle à son
DAS ;EXPÉDITION DES VANDALES EN
maître
se déclara jusqu'au moment où
ouvertement Justinien
le défenseur
sardaigne. — Les renseignements
que Procope avait recueillis en Si- de Hildéric, et se disposa à porter la
cile étaient exacts, et Gélimer, comme
guerre en Afrique. Ce fut alors qu'il
l'avait dit le serviteur du marchand écrivit à l'empereur la lettre suivante :
de Syracuse , était loin de se croire « Je me suis séparé de celui qui était
menacé par les troupes de Justinien. mon souverain , non pour des motifs
Le roi des Vandales portait alors toute
son attention vers la Sardaigne. Cette personnels,
tré cruel envers mais saparcepropre
qu'il famille.
s'est mon-
Je
île et la Tripolitaine, comme on l'a vu n'ai pas voulu, en lui restant soumis,
précédemment , avaient échappé , par devenir le complice de sa cruauté.
une révolte, à sa domination. Gélimer J'aime mieux obéir à un empereur re-
n'essaya point de reconquérir la Tri- nommé pour sa justice qu'à un tyran
politaine, oùl'empereur avait envoyé qui viole toutes les lois. Viens à mon
des troupes. Il avait hâte de soumet- aide, et envoie-moi des troupes avec
tre la Sardaigne. Les pirates et les lesquelles je puisse repousser les atta-
marchands d'Afrique ressentaient vi- ques de celui que j'ai cessé de reconnaî-
vement laperte de cette île, qui leur tre pour mon roi.» Ce fut alors, comme
offrait pour leurs courses ou leurs af- nous l'avons dit, que Justinien en-
faires decommerce les mêmes avanta- voya Euloge, un de ses officiers, pour
annoncer à Godas qu'il était prêt à
(*) Nous avons cru devoir insérer , dans l'aider dans sa rébellion.
celte histoire, plusieurs des discours que
Procope met dans la bouche de Bélisaire Pour prévenir l'arrivée des secours
et des autres chefs de l'armée. Ces discours, promis
de rassembler par l'empire, Gélimer
une flotte et dese lever
hâta
suivant nous, ont été réellement prononcés.
L'historien byzantin a pu changer la forme,
une armée. Il réunit cent vingt vais-
seaux sur lesquels il plaça cinq mille
mais il n'a pas altéré le sens. Procope fut
témoin oculaire de la plupart des événe- soldats. Il donna le commandement de
ments qu'il raconte, et il est vraisemblable la flotte et de l'armée à Tzazon, un de
qu'il assista au conseil où l'on agita la ques-
ses frères, et lui ordonna de faire voi
tion du débarquement. le, sans retard, pour la Sardaigne.
AFRIQUE.
4!)
Ce fut ainsi que , par une fatale im- avait lieu, les attaques de l'ennemi.
prévoyance, Gélimer se sépara de la Le lendemain, quelques soldats sor-
meilleure partie de ses forces au mo- tirent des retranchements et se disper-
ment même où l'empire faisait pour sèrent dans la campagne pour enlever
l'attaquer un formidable armement. des fruits. A leur retour, Bélisaire les
Quand Bélisaire toucha l'Afrique, le fit châtier sévèrement. Puis il ras-
roi des Vandales n'avait à sa dispo- sembla les troupes, et leur adressa
sition nivaisseaux, ni soldats pour re- la proclamation suivante : « Soldats,
pousser les envahisseurs. le vol à main armée, même en temps
l'armée impériale en Afrique; de guerre, est un crime. Ce crime ac-
premier campement ; pillage ; quiert aujourd'hui une nouvelle gra-
proclamation de bélisaire. —
vité, parce qu'il compromet le salut
Après trois mois de navigation , l'ar- de l'armée entière. J'espérais, au mo-
mée partie de Constantinople était en- ment où vous touchiez cette terre, que
fin arrivée sur les côtes de l'Afrique. nous allions trouver parmi les Afri-
A l'ordre de ses chefs, elle descendit cains ,soumis autrefois à la domina-
à terre avec armes et provisions. Quand tion de Rome , d'utiles et puissants
elle fut sur Je rivage, elle se mit en auxiliaires. Je me disais que les vivres
mesure ment.deLes matelots s'assurer seunmêlèrent bon campe- ne vous manqueraient point, que nos
alors convois seraient assurés, et que nous
aux soldats, et, tous ensemble, ils n'aurions point d'autres ennemis à
creusèrent un fossé large et profond , craindre que les Vandales. Vos désor-
et élevèrent une forte palissade. L'é- dres ont déjà changé la face des cho-
mulation, lacrainte d'une surprise, et de vos ses. Les Africains qui ont eu à souffrir
aussi les paroles de Bélisaire, ani- violences se rattacheront aux
maient les travailleurs. Tout fut ache- Vandales et nous poursuivront de leur
vé dans une journée. Pendant le tra- haine. Pour conserver quelques pièces
vail ,une chose excita l'étonnement d'argent, vous avez sacrifié la sécurité
et la joie de l'armée; une source abon- de nos opérations et la facilité de nos
dante jaillit du sol que l'on creusait. approvisionnements. Il eût été plus
Ce phénomène, si commun en Afri- sage assurément de faire un marché
que, parut d'autant plus merveilleux avec ceux que vous avez dépouillés ,
aux soldats que le lieu où ils se pro- de traiter de gré à gré avec eux, et de
posaient de camper était sec et aride. donner votre argent en échange des vi-
Procope partagea l'étonnement géné- vres. Vous ne vous seriez point rendus
ral, et il crut que la découverte de coupables d'une odieuse violence, et
cette source tenait du prodige. 11 s'ap- vous auriez gagné par là l'affection
procha de Bélisaire pour le féliciter. des peuples que vous voulez arracher
« C'est un heureux présage, lui dit-il; au joug et à l'oppression d'une race
Dieu a voulu montrer par là que vous étrangère. Dorénavant, vous aurez à
obtiendriez, sur vos ennemis, une fa- combattre, tout à la fois, les Vanda-
cile victoire. » Quand le travail fut les et les Africains. Que dis-je! vous
achevé , l'armée se renferma dans le aurez pour ennemi Dieu lui-même,
camp. Elle y passa la nuit. Les senti- qui retire son appui à quiconque em-
nelles furent disposées , suivant l'u- ploie, àl'égard d'autrui, l'injustice et
sage, de distance en distance, et l'on la violence. Soldats, il est encore temps
fit bonne garde sur tous les points. peut-être de réparer le mal que vous
Par ordre de Bélisaire, cinq archers avez fait. Montrez aux populations que
devaient veiller sur chacun des bâti- vous allez rencontrer, que vous êtes
ments de transport. Quant aux vais- justes et modérés. Quand vous aurez
seaux plus légers qui étaient destinés mérité de nouveau que Dieu vous pro-
aux combats de mer, ils étaient ran- tège et que les Africains vous aident,
gés en demi-cercle, devant les autres, vous aurez accompli votre oeuvre, et
se tenant prêts à repousser, s'il y les Vandales seront vaincus. » Après
4° Livraison. (Hist. des Vandales.]
50 L'UNIVERS.
cette proclamation, Bélisaire ordonna chariots. Il y entra avec eux. Ce fut
aux soldats de rompre les rangs. ainsi que la place fut occupée sans
l'armée se met en marche ; pro- combat. Quand il fit grand jour, Mo-
jets de bélisaibe; manifeste de
raïde fit appeler, sans bruit, l'évêque
l'empereur justinien ; passage et les citoyens les plus notables , et il
des troupes grecques a syllec- leur exposa les projets de Bélisaire.
tum.— On avait appris au général qu'à Nul ne songea à lui résister, et on lui
une journée de marche environ de son remit, pour son général, les clefs qui
camp, sur la route qui conduit à Car- ouvraient les diverses issues de la ville.
thage, et au bord de la mer, se trou- Le même jour, le directeur des pos-
tes livra aux Grecs tous les chevaux
vait une ville appelée Syllectum (*).
Cette ville avait perdu ses anciens qui appartenaient à l'État. On arrêta
remparts; mais comme les habitants, aussi un de ces courriers appelés Ve-
pour se défendre contre les irruptions redarii, qui portait les ordres et les
subites des Maures, avaient joint leurs lettres du roi , et on le conduisit à Bé-
maisons entre elles par d'épaisses mu- lisaire. Le général lui fit bon accueil,
railles, elle présentait encore l'aspect et lui compta
d'une place fortifiée. Bélisaire résolut gent. Illui fitune grosse
jurer somme d'ar-
de remettre aux
de s'en emparer. Il confia un détache- chefs et aux hommes les plus illustres
ment àMoraïde, l'un des officiers de de la nation vandale plusieurs exem-
sa garde, et lui donna ordre de mar- plairesleurdes lettres que l'empereur Jus-
cher en avant. « Il faut essayer, dit-il, tinien avait adressées. Ces lettres
en s'adressant aux soldats qui par- contenaient un manifeste qui était
taient, d'entrer dans la ville par sur- ainsi conçu : « Je ne déclare point la
prise. Si vous obtenez un plein suc- guerre aux Vandales. Je ne viole point
cès, gardez -vous de piller. Que les les serments de paix qui ont été prê-
habitants
de vos désordres. n'aient Déclarez
point à sehautement
plaindre tés par mon prédécesseur Zenon. J'at-
taque letyran qui, au mépris du tes-
et montrez que vous êtes les libéra- tament de Genséric, a jeté votre roi
teurs de l'Afrique. Enfin, préparez les légitime dans les fers, a tué ses pro-
ches ou leur a fait arracher les yeux.
habitants à recevoir l'armée.» Le dé-
tachement arriva vers le soir dans un Venez à mon aide, et unissons nos ef-
vallon (jui n'est pas éloigné delà ville. forts pour renverser l'odieuse tyran-
Il fit halte en cet endroit pour y pas- nie qui pèse
ser la nuit. Le lendemain, au moment de Dieu que sur vous. promets
je vous C'est aula nompaix
et la liberté. » Celui à qui on avait
où l'aurore commençait à poindre , il
se confié ces lettres n'osa point les ré-
le remit
plus grand en marche,ordre, "et et enil silence,
suivit dans
les pandre. Illes fit lire seulement à un
paysans des campagnes avoisinantes petit nombre d'amis, ce qui ne pro-
qui se rendaient à Syllectum avec leurs duisit aucun effet sur l'esprit public,
et n'amena point les résultats sur les-
(*) Syllectum est peut-être la Turris An-
nibalis. Il reste de cette ville un vieil édifice
quels avaient compté Justinien et le
chef de l'expédition. Enfin, Bélisaire
qui est encore aujourd'hui aussi grand que
la tour de Londres. La campagne de César
se porta avec son armée sur Syllectum.
Quand il fut entré dans la ville, il
(Hirtius; de Bello africano), avec l'analyse
de Guichard et les voyages de Shaw dans maintint parmi ses soldats une disci-
le même pays (p. 109-110, etc.), jettent du pline sévère, et il n'eut à réprimer ni
jour sur la marche de Bélisaire vers Leptis excès, ni violences. La douceur du gé-
minor, Adrumetum, etc. (Noie de Gibbon.) néral la
, modération des troupes ga-
— L'Académie des inscriptions adopte
mée marcha gnèrent tousen les Afrique
cœurs. comme
Dès lorssi l'ar-
elle
sans hésiter pour Syllectum ( Sullecto ) la
conjecture de Gibbon. Voy. Recherches sur eût été au sein de l'empire. Nul ne
l'histoire de r Afrique septentrionale , etc. , prenait la fuite à son approche, Tous,
t.I,p. 98. au contraire , venaient à sa rencontre
AFRIQUE. 51

et s'empressaient de lui donner des On y rencontrait de claires fontaines


renseignements ou de renouveler ses et une foule d'arbres qui portaient des
provisions. fruits exquis. Les soldats dressèrent
MARCHE DE SYLLECTUM A GRAS- leurs tentes dans ces jardins; ils cueil-
SE*, PRUDENCE DE BÉLISAIRE; SES lirent les fruits mûrs et s'en rassa-
dispositions. — En sortant de Syl- sièrent. Cependant,
mée, les arbres étaient auencore
départtellement
de l'ar-
lectum, l'armée grecque se mit en ba-
taille, et prit la route de Carthage. chargés, dit Procope, que l'on eût été
Bélisaire forma deux avant- gardes. loin de s'imaginer que d'innombrables
Dans la première , qui était comman- mains les avaient dépouillés.
dée par un officier renommé pour son gélimer apprend l'arrivée des
habileté et sa bravoure , Jean l'Armé- troupes impériales; ses mesu-
nien ,on comptait trois cents soldats res; IL FAIT TUER HILDÉRIC ET
d'élite. La seconde se composait des ses partisans; l'armée grecque
cavaliers huns , qui s'étaient mis continue sa marche. — Quand
au service de l'empire. Celle-ci mar- Gélimer apprit, dans sa résidence
chait sur la gauche. L'une et l'autre d'Hermione , l'arrivée des troupes
avaient ordre de garder, entre elles et impériales , il essaya de détourner ,
l'armée, une distance de vingt stades par de promptes et vigoureuses me-
environ. Bélisaire s'avançait avec le écrivit àsures, son ledanger qui le menaçait. Il
frère Ammatas, qui se
corps principal. Il surveillait ses der-
trouvait à Carthage, une lettre dans
rières avec soin, parce qu'il supposait laquelle
que Gélimer l'attaquerait en revenant il lui ordonnait de faire périr,
sans retard, Hildéric et ses partisans,
d'Hermione. La droite de l'armée s'ap- et de rassembler tous les Vandales qui
puyait àla mer, et, de ce côté, il n y
avait pas même l'apparence du danger. étaient en âge de porter les armes.
Le général ordonna aux commandants Ammatas obéit à Gélimer. Il fit tuer
de sa flotte de suivre tous les mouve- Hildéric, Euagis et tous leurs amis.
ments des troupes, et de ne jamais Oamer était déjà mort. Puis il se dis-
perdre de vue le rivage. Quand le posa, avec les troupes qu'il avait ras-
vent soufflait avec force, ils devaient semblées,se
à porter à la rencontre de
plier les grandes voiles et ne se servir l'armée grecque. Il devait l'attendre, à
que des petites, et, dans les temps de soixante et dix stades de Carthage,
calme, employer les bras des rameurs. dans les gorges de Décimum(*). Géli-
C'est ainsi que l'armée s'avançait en
bel
dans ordre
sa marche, , parcourant jour, de l'Afrique
chaque*stades.
quatre-vingts
ont toujours excité l'admira-
tion des voyageurs par leur merveilleuse
fécondité. Jadis à la vue des riants et fer-
A l'approche de la nuit, elle s'arrêtait.
Alors, suivant la disposition des lieux, tiles jardins qui avoisinaient Carthage , les
elle se livrait au repos , soit dans les impressions des mercenaires d'Agalhocle
villes, soit dans un camp retranché. avaient été aussi vives que celles des soldats
de Juslinien. Nous avons cité, à ce propos,
Apres avoir traversé Leptis- la-Pe-
dans une autre partie de ce volume {His-
tite et Adrumetum, l'armée impériale toire de Carthage , p. i35), un passage de
arriva enfin à Grasse, ville qui n'était
éloignée de Carthage que de trois cent Diodore que l'on peut rapprocher des
cinquante stades. Là se trouvait un phrases que nous avons empruntées à Pro-
cope. (Voy. de Bel. VandaL, I, 17.)
palais qui appartenait au roi des Van- (*) « Décimum était situé à soixante-dix
dales. Ilétait environné par des jardins stades de Carthage au milieu des collines
les plus beaux et les plus agréables que d'Arriana , hautes de cinq cents pieds et
les soldats grecs eussent jamais vus (*). éloignées de quarante stades des plaines
salées de la Sebka de Soukara. » M. Marcus
(*) Gibbon en rappelant les impressions a reproduit, dans cette phrase, l'opinion
de Procope, accuse l'historien byzantin de l'Académie des inscriptions; voy. Recher-
ches, etc. , t. I, p. io 1.
d'exagération. Il a tort. Certaines provinces
52 L'UNIVERS.

mer s'avançait de son côté, à l'insu de Il avait laissé à Carthage la meilleure


Bélisaire. Seulement, l'armée impériale partie de ses forces, se bornant à don-
fut avertie à Grasse, pendant la nuit, ner ordre aux troupes qui restaient de
de l'approche des Vandales. Ses éclai- le rejoindre dans un bref délai. Quand
reurs avaient rencontré ceux de l'en- il arriva à Décimum, il rencontra l'a-
nemi ,et il y avait eu entre eux un en-
gagement. Bélisaire ne se troubla point ménien. vant-garde commandée et
Alors les Grecs parlesJean l'Ar-
Vandales
à cette nouvelle; il redoubla de sur- se chargèrent. Ammatas déploya dans
veil ance, etle lendemain il se remit le combat un courage héroïque, et tua
en marche. A partir de Grasse, la douze hommes de sa main ; mais enfin
flotte fut obligée de s'éloigner de la il tomba percé d'un coup mortel. Après
côte, et dès lors on la perdit de vue. avoir perdu leur chef, les Vandales se
Elle tint la pleine mer à cause des ré- sauvèrent, et Jean se mit à leur pour-
suite. Les Grecs rencontrèrent dans
cifs, et d'ailleurs elle se trouva dans la
nécessité d'accélérer sa marche pour leur course les soldats qui, obéissant
doubler le cap de Mercure. Archelaiis aux ordres d'Ammatas, se rendaient
la dirigeait. Avant de s'éloigner, le de Carthage à Décimum. Ils ne savaient
questeur prit les ordres de Bélisaire, point qu'un combat eût étépar livré, et ils
qui lui recommanda de ne point se marchaient en désordre, troupes
porter directement sur Carthage, mais de vingt ou trente hommes seulement.
de s'arrêter à vingt stades de la ville, Les vaincus, en se sauvant, jetèrent le
et d'attendre, pour agir, de nouvelles trouble parmi eux et les entraînèrent
instructions. L'armée mit quatre jours dans leur fuite. Ils ne songèrent point
pour aller de Grasse à Décimum. à compter le petit nombre de leurs
plan de gélimer; imprudence vainqueurs. Aussi Jean les poursuivit
d'ammatas; les vandales éprou- jusqu'aux portes de Carthage, et, dans
vent un premier échec. — Le plan un espace de soixante et dix stades,
de Gélimer était sagement conçu. il tua tant d'ennemis, dit Procope avec
Ammatas, qui venait de Carthage, de- une certaine exagération, qu'à voir le
vait marcher à la rencontre de l'armée champ du carnage, on eût dit que
grecque et la prendre en tête; Gélimer, vingt mille combattants l'avaient par-
de son côté, se proposait de se jeter couru.
SECONDE DÉFAITE DES VANDALES;
sur elle au moment de l'engagement et GIBAMUND ET LE CHEF DES HUNS.
de l'attaquer par derrière; enfin Giba-
mund, neveu du roi , avait été détaché, — Dans le même temps, Gibamund et
avec deux mille Vandales, pour se pré- les deux mille hommes qu'il comman-
dait arrivèrent à des salines situées à
cipiter en temps opportun sur l'aile
gauche.prète Procope, quarante stades de Décimum (*). Là se
des pensées qui se fait ici déclare
de Bélisaire, l'inter- trouvait une plaine immense, déserte
que si les ordres de Gélimer avaient et sans végétation. Les Vandales ren-
été parfaitement exécutés, et les mou- contrèrent en cet endroit le détache-
vements de ses troupes bien concertés, ment des Huns que Bélisaire, pour
l'armée grecque eût éprouvé un grand assurer les opérations de sa gauche,
désastre. avait envoyé à la découverte. Il fallut
du roi, et Mais aussi,l'imprudence du frère
il faut le dire, des dès lors se préparer au combat.
circonstances imprévues, amenèrent Il y avait dans la troupe des Huns
la ruine des Vandales. un chef qui se distinguait entre tous
Ammatas s'était porté, vers midi, par sa force et sa bravoure. Il tenait
à Décimum; il avait ainsi devancé de de sa famille le glorieux privilège de
beaucoup l'arrivée de l'armée impé- frapper sur l'ennemi le premier coup.
riale. Ilavait agi avec tant de précipi- Nul, parmi les Huns, n'avait le droit
tation, que, lorsqu'il se rendit à son
poste, il ne put emmener avec lui (*) Les plaines salées de la Sebka de Sou-
qu'un petit nombre de mauvais soldats. kara (voy. Fa /6e).
AFRIQUE.

de commencer l'attaque avant lui. sûrs garants de la victoire : notre bon 53


Quand les deux troupes furent en pré- droit et la haine que les Vandales por-
tent àleur tyran. Vous avez, en outre,
sence ce
, chef s'élança à cheval , sans sur votre ennemi un immense avan-
être accompagné, et, parcourant le
front de la cavalerie des Vandales, il
tage jusqu'ici,
: vous n'avez point lan-
provoqua l'ennemi au combat. Une si gui dans le repos; vous maniez les
grande audace étonna les soldats de armes depuis longtemps, et vous avez
Gibamund, été éprouvés par de nombreuses
contre ba-
tomber danset,une craignant d'ailleurs
embuscade, de
ils ne tailles. Vous avez soutenu les
firent aucun mouvement et ne lancè- Scythes et les Perses de rudes guerres,
rent pas même un trait; peut-être aussi tandis que les Vandales
furent-ils saisis de crainte à la vue des eu à combattre dans les n'ont
Mauresjamais
que
armes et surtout des visages de ces des ennemis sans discipline et à demi
Jiuns, qui depuis un siècle avaient fait nus. Si vous m'en croyez, nous ferons
tant de bruit dans le monde. Les Van- une place forte du camp où nous som-
dales ayant refusé d'engager la mêlée, mes. Nous y laisserons, sous bonne
le chef qui les avait provoqués revint garde, nos bagages et tout ce qui pour-
auprès des guerriers de sa race, et leur rait gêner nos mouvements ; puis nous
dit : « Dieu a fait les apprêts du fes- marcherons à l'ennemi. Si nous som-
mes victorieux, nous trouverons ici, à
tin; nous n'avons qu'à tendre la main. notre retour, des vivres en abondance.
Manchons! » Tous s'élancèrent alors.
Les Vandales ne purent soutenir le Soldats, en allant au combat, songez
choc des cavaliers huns; ils rompirent à vos anciens exploits, et vous serez
leurs rangs, et, sans opposer de résis- braves, et, je vous le jure, vous vain-
dernier.tance, ilsse laissèrent égorger jusqu'au crez. »
INCERTITUDES DE BÉLISAIRE; LES
SITUATION DE L'ARMEE GRECQUE; CAVALIERS COUVERTE
QU'IL SONT MISENVOIE A LA PAR
EN FUITE DÉ-
discours de BÉLiSAiRE. — L'armée
grecque ignorait les événements, si LES vandales; FAUTE DE gélimer;
heureux pour elle, qui venaient de il est vaincu. — Après avoir encou-
s'accomplir, et continuait sa marche ragé ses soldats et donné ses derniers
sur Décimum. Cependant, à trente- ordres, Bélisaire sortit des retranche-
cinq stades de là, Bélisaire ayant ren- ments. Ilne cherchait point l'occasion
contré une excellente position, fit faire de livrer bataille, mais, avec son ex-
halte, et ordonna de préparer un camp. trême prudence , il voulait étudier le
Quand les retranchements furent éle- terrain, et reconnaître par lui-même
vés, le général fit rassembler les trou- les forces et la position de l'ennemi :
pes, et, s'étant c'est pourquoi il n'emmena avec lui
il leur tint ce placé au milieu
discours d'elles,,
: « Soldats que sa cavalerie, et il laissa à la garde
l'ennemi approche et l'heure du camp, où se trouvait Antonina, sa
est arrivée. La flotte, vous dulecombat
savez, femme, toute son infanterie. Il marcha
est éloignée de vous, et vous ne devez avec lenteur; seulement il eut soin
pointcompter aujourd'hui sur sa coopé- d'envoyer à la découverte les cavaliers
ration. Vous n'avez point de ville auxiliaires.
Décimum. Là, Ceux-ci poussèrent
ils virent jusqu'à
couchés sur
amie qui puisse, au besoin, vous ou-
vrir ses portes et vous offrir un abri la terre des cadavres de soldats grecs
derrière ses murailles. Notre salut et vandales, parmi lesquels se trouvait
commun est tout entier dans votre celui d'Ammatas. Les habitants du
courage. Si vous vous comportez avec lieu apprirent à la troupe qui arrivait
bravoure, l'ennemi, n'en doutez pas, la victoire de Jean l'Arménien. A cette
sera vaincu ; si vous vous battez mol- nouvelle, les auxiliaires furent jetés
lement, les Vandales l'emporteront, et dans un grand trouble. Us ne savaient
vous n'échapperez point à la mort. où se diriger, et ils parcouraient toutes
Soldats nous avons pour nous deux les éminences pour découvrir au loin
64 L'UNIVERS.
leurs compagnons victorieux. Tout à
fendue, ayant
dantes à sa disposition
ressources, d'abon-
le roi aurait pu
coup, ils voient s'élever du côté du
midi un nuage de poussière, et peu de repousser toutes les attaques, et même
temps après îa cavalerie des Vandales se rendre maître de la flotte qui arri-
se déploya devant eux. Ils font savoir vait. Il eût ainsi enlevé, d'un coup, à
aussitôt à Bélisaire que l'ennemi ap- l'armée impériale les moyens de taire
proche, etlui demandent un renfort. retraite et de vaincre (*). Mais Gélimer
Les avis des chefs étaient partagés; les perdit à Décimum un temps précieux :
uns voulaient que Ton attaquât sans il ne quitta la position que la valeur
hésiter; les autres prétendaient que de ses troupes lui avait assurée que
leurs forces n'étant point égales à cel- pour descendre lentement dans la
les de l'ennemi , il valait mieux faire plaine où Ammatas avait été tué. A la
retraite. Pendant la discussion, les vue du cadavre de son frère, le roi
Vandales, conduits par Gélimer, avan-
çaient toujours. Dans leur marche, ils (*) C'était là probablement l'opinion
de Bélisaire. M. Marcus fait suivre les pa-
s'étaient placés, à leur insu, entre le roles de Procope de quelques observations
corps des Huns qui avaient défait la qui nous ont paru plausibles. «Un généra),
troupe de Gibamnnd, et le camp de Bé- dit-il, plus habile que Gélimer, aurait pour-
lisaire. Quand iis furent arrivés auprès suivi la pointe de sa victoire , sauf à changer
de Décimum, ils s'élancèrent au galop son premier plan de campagne ; mais il
pour occuper une colline. Alors la ca- n'est pas dit pour cela qu'il eût battUgCom-
valerie impériale s'ébranla à son tour plétement Bélisaire. Celui-ci aurait pu être
f)our leur disputer cette position. Mais obligé de se replier sur son camp avec sa
es Vandales l'avaient devancée, et, cavalerie, mais il n'y serait enlré que pour
quand elle vint pour les attaquer, ils en sortir de nouveau avec elle et avec l'in-
la repoussèrent avec perte et la mirent fanterie ,et engager la bataille avec toutes
ses forces. Gélimer ne se sentit pas assez de
en fuite. Elle courait encore, lors-
cœur pour hasarder un combat en due forme
qu'elle rencontra, à sept stades de Dé-
cimum, Uliaris, officier des gardes, avant qu'il eût appris les causes du retard
qu'Ammatas et Gibamund mettaient à ve-
qui s'avançait pour la soutenir avec un nir. Voilà la raison pour laquelle il descen-
corps de huit cents hommes. Le devoir
dit dans la plaine. Peut-être aussi eut-il
d'Ulinris était de rallier la troupe dé- peur que les partisans de l'ancienne famille
faite etde tenter une nouvelle attaque ; royale ne se fussent révoltés à Carthage
mais il se laissa entraîner par les contre Ammatas. Quand il eut une fois
fuyards, et il revint avec eux, au galop, trouvé le corps de ce dernier, il ne pouvait
auprès de Bélisaire. se porter sur Carthage avant de connaître
Gélimer commit alors une grande les forces de Jean : autrement il se serait
faute : il resta dans l'inaction après sa exposé à êlre attaqué par l'ennemi par devant
et sur ses derrières. Tout ce qui lui restait
victoire , et par là il se perdit. Si , d'une
part, et ce sont là les réflexions d'un à faire, c'était donc de ne pas perdre de
compagnon de Bélisaire, il eût pour- temps à l'inhumation de son frère , mais de
se retirer en bon ordre avec ses troupes en
suivi vivement les cavaliers qu'il avait
mis en déroute, l'armée impériale eût arrière de Décimum, et d'y attendre ou
éprouvé certainement un échec irrépa- que l'ennemi vînt à lui, ou qu'il eût reçu
rable, tant les Vandales étaient nom- des renseignements exacts sur l'état de ses
propres affaires et sur celles des Grecs. Mais
breux et animés , et tant la frayeur des
la principale cause de la perte des Vanda-
Grecs était grande. D'autre part, si
Gélimer se fût porté sur Carthage, il les, fut que l'ordre magnifique et l'assurance
avec lesquels les troupes de Bélisaire mar-
eût facilement anéanti le corps placé chèrent sur Carthage les déroutèrent tout
sous les ordres de Jean l'Arménien. à fait, eux qui depuis un siècle n'avaient
Les vainqueurs d'Ammatas s'étaient combattu que contre les Maures, et avaient
dispersés çà et là dans la campagne perdu leur ancienne énergie au sein des
pour dépouiller ceux qu'ils avaient plaisirs
des et de l'inaction.»
Vandales, (Marcus; Histoire
etc., p. 378.)
tués. Puis, dans sa capitale bien dé-
55
AFRIQUE.
fondit en larmes, et se montra en proie désordres auxquels se livreraient dans
à la plus vive douleur. Il voulut alors les ténèbres ses soldats victorieux.
qu'on donnât à Ammatas la sépulture,
et qu'onneurs. Illui de LeDécimum
jour mêmesur oùCarthage, l'armée sela portait
flotte,
étaitrendît
livré les
toutderniers
entier àhon-
ces poussée par un vent favorable, dou-
soins pieux, lorsque les Vandales vi- blait le cap de Mercure. Quand les
rent arriver à toute bride les cavaliers habitants aperçurent au loin les vais-
de Bélisaire.
Le général avait rallié les fuyards, seaux grecs, ils'se hâtèrent de lever les
chaînes qui fermaient l'entrée du port
et leur avait reproché en termes sé- qu'ils appelaient Mandracium (*). Dès
vères et durs leur lâcheté; puis, après ce moment, ceux qui haïssaient la do-
s'être informé de l'état des lieux, après mination des Vandales s'enhardirent,
avoir appris la victoire de Jean et la et ils s'efforcèrent de mériter les égards
mort d'Ammatas, il s'ébranla avec des vainqueurs par de grandes démons-
toute sa cavalerie pour attaquer Géli- trations dezèle, et par des actes qu'ils
mer et les Vandales. Ceux-ci, surpris se proposaient de rappeler en témoi-
par cette charge imprévue, ne purent gnage de leurs bonnes dispositions.
soutenir le choc des Grecs, et, après Il y avait dans le palais même une
avoir laissésur la place un grand nombre obscure prison où Gélimer faisait jeter
de morts, ils furent mis en fuite. Ils tous les individus, Vandales ou Ro-
ne se dirigèrent point vers Carthage, mains, qui lui portaient ombrage.
ni fers la Byzacène, d'où ils venaient, Cette prison regorgeait alors de mar-
mais vers la plaine de Bulla, par la chands venus de l'Orient, que le roi
route qui conduit en Numidie. Sur le accusait d'avoir appelé en Afrique les
soir, à l'heure où l'on allume les flam- troupes de Justinien. Les malheureux,
beaux, Jean l'Arménien et les Huns ainsi renfermés sur de faux soupçons,
rejoignirent Bélisaire , et lui firent craignaient à chaque instant qu'on ne
connaître leur double victoire. Toute les fît périr. Us coururent, en effet, un
la cavalerie campa cette nuit à Dé- grand danger. Le four même où Am-
cimum. matas sortit de Carthage, Gélimer
l'armée
portes de grecque carthage; campe aux
interieur ordonna qu'on les mît à mort; mais le
coup imprévu qui frappa le frère du
de la ville; les prisons du roi. roi et les événements qui suivirent
— Le lendemain, l'infanterie que Bé- suspendirent l'exécution. Quand le
lisaire avait laissée au camp avec geôlier connut le résultat des diffé-
Antonina, sa femme, arriva à Déci- rents combats livrés près de Décimum,
mum. Quand toute l'armée fut réunie, et, plus tard, quand il vit paraître au
Bélisaire n'hésita plus à marcher droit loin la flotte impériale, il fut saisi
à Carthage. Il arriva vers le soir sous d'une vive frayeur; il entra dans la
les murs (le la ville. Nul ennemi ne prison. Enchaînés et plongés dans
paraissait pour lui résister; les portes d'épaisses ténèbres, ceux qui s'y trou-
étaient ouvertes, et les Carthaginois
avaient placé dans toutes les rues des toire vaient
de Bélisaire, ignoraient l'arrivée et lacroire
et ils purent vic-
torches qui répandirent pendant la nuit un instant que leur dernière heure
une vive clarté. Les Vandales, qui n'a- était venue. Alors le geôlier, élevant
vaient pas pris la fuite à l'approche de la voix, leur dit : « Que me donnerez-
l'armée grecque, effrayes par les dis- vous si je pressèrent vous
positions de la population d'origine delui sauve?» Tous s'em-
faire de magnifiques
romaine, avaient cherché un asile dans
les églises. Cependant la tranquillité (*) C'était le Cothon ou port militaire des
anciens Carthaginois. Voy. dans ce volume :
apparente de la ville inquiétait Béli- Histoire de Carthage ; topographie, p. 142.
saire ,et il résolut de camper en de- Nous renvoyons , au reste , à cette topo-
hors des murs. Il craignait deux cho- graphie pour tout ce qui concerne la ville
ses : une ruse de l'ennemi, et les de Carthage dans le présent récit.
56 L'UNIVERS.
promesses et de lui proposer de grosses seaux. On fit voile vers le lac qui
sommes. «Gardez votre argent, ré- avoisine la ville. La flotte entière y
pondit-il; jne
e vous demande qu'une entra aux approches de la nuit, et
chose. Jurez-moi, si je vous délivre, après avoir allumé ses fanaux. Un seul
de m'accorder, auprès du général de vaisseau s'était écarté; c'était celui
Justinien, assistance et protection. >» qui portait Calonyme. Ce chef, bra-
Quand ils eurent juré, il leur raconta vant les ordres de Bélisaire, et ne te-
les événements qui venaient de s'ac- nant aucun compte des intérêts de
complir, et, ouvrant un soupirail, il l'armée, était entré furtivement dans
leur montra la flotte grecque dans les le Mandracium. Comme il ne rencontra
eaux de Carthage; puis il rendit la li- point de hommes
résistance,de ilson
s'élança à terre
berté aux prisonniers, et se sauva avec avec les équipage, et
eux.
enleva de force l'argent des marchands,
ARRIVÉE DE LA FLOTTE *, ELLE S'AR- étrangers ou carthaginois, qui habi-
RKJE DANS LE LAC DE TUNIS; CALO- taient aux environs du port.
nyme; ENTRÉE DE BÉLISAIRE A Le lendemain, Bélisaire, averti de
carthage; modération du géné- l'arrivée de la flotte, ordonna aux sol-
ral; BONNE DISCIPLINE DES TROU-
PES. — Quand la flotte eut doublé le bord, dats,
dequi jusqu'alors
se rendre auétaient
camp. restés
Quandà
cap de Mercure, elle ralentit son mou- toutes les troupes furent réunies- le
vement. Officiers, soldats et matelots général les disposa comme pour une
étaient dans une grande anxiété; ils bataille, et il se prépara à faire son
n'avaient point de nouvelles de l'ar- entrée dans Carthage. L'ennemi ne lui
mée, et ils ne savaient où s'arrêter. avait pas dressé d'embûches, comme
Enfin, ils résolurent d'envoyer un vais- il le craignait; tous, au contraire, de-
seau à la ville la plus voisine pour vaient accourir auprès de lui et l'ac-
recueillir des renseignements. Ils ap- cueillir avec joie. Bélisaire comprit
prirent, par ce moyen, tout ce qui alors que sa modération, bien plus que
la valeur des soldats, avait contribué
s'était passé. Alors, pleins de confiance
et de joie, ils n'hésitèrent plus à avan- à ses rapides succès. Avant de péné-
cer. Ils étaient encore éloignés de trer dans la ville, il s'adressa encore
Carthage de cent cinquante stades en- une fois à son armée pour lui recom-
viron, lorsque le questeur Archelaùs mander de se maintenir jusqu'au bout
et les soldats qui étaient restés sur les dans sa bonne discipline. « Les Afri-
vaisseaux, voulant observer rigoureu- cains, dit-il, soumis autrefois à la do-
sement les ordres de Bélisaire, deman- mination des Romains, et Romains
dèrent que la flotte gagnât le rivage eux-mêmes, n'ont obéi que par force
le plus rapproché et s'y arrêtât. Les aux Vandales qui les opprimaient.
matelots s'y opposaient. Ils voyaient C'est pour les aider à secouer un joug
dans l'air, disaient-ils, les signes pré- odieux que notre empereur fait la
curseurs d'une grande tempête, et ils guerre. Point de désordres et point
avaient appris que la côte indiquée d'excès. Montrons ici que nous ne
n'offrait ni ports ni points de relâche. sommes point venus en Afrique comme
Ils déclarèrent donc que si l'on suivait des conquérants, mais comme des li-
l'avis d'Archelaùs et des soldats, la bérateurs. »
flotte entière serait anéantie. On sut L'armée entra donc à Carthage (*).
Bélisaire monta au palais des rois. Il
plus tard que les matelots ne s'étaient était bâti sur la colline de Byrsa, là
Ï>as trompés. Le questeur se rendit, et
a flotte continua sa marche; seule- où s'élevait jadis la citadelle des an-
ment ilfut décidé qu'on ne tenterait ciens Carthaginois et la demeure des
pas d'entrer dans le Mandracium. On proconsuls romains. Comme représen-
supposait que le port de Carthage était tant de Justinien , Bélisaire s'assit sur
fermé, et, d'ailleurs, on ne croyait
pas qu'il pût contenir tous les vais- (*) Vers le i5 septembre.
AFRIQUE. 57

le trône de Gélimer. C'est là qu'il reçut chargés de préparer les logements de


les pîaintes des marchands du port qui l'armée eurent dressé leurslistes, cha-
que soldat se retira, sans tumulte,
avaient été pillés la veille par l'équi- pour se reposer, dans la maison qui
page d'un vaisseau grec. Le général lui avait été désignée.
fît droit à leurs réclamations. Il ap-
pela Calonyme, et lui ordonna de Un des premiers soins de Bélisaire
rendre tout ce qu'il avait enlevé. fut de taient
rassurer les Vandales
réfugiés dans les églises;qui s'é-
il jura
«Jurez, lui dit-il, que vous n'avez
rien gardé. » Calonyme jura, et cepen- qu'il ne leur serait fait aucun mal.
dant ilavait mis en réserve de grosses Ensuite, il songea à réparer les forti-
sommes d'argent. Mais il ne devait pas fications de Carthage. Le mur d'en-
jouir du fruit de ses violences et de ceinte, mal entretenu, s'était écroulé
son mensonge; peu de temps après en plusieurs endroits, et, par ses brè-
son retour à Constantinople, une af- ches, il offrait à l'ennemi un facile
repasfreusedonné
maladie l'emporta.
aux officiers par passage.
tait à cause Suivant les Carthaginois,
du mauvais c'é-
état des for-
bélisaire; admirarle discipline tifications queGélimer ne s'était pas
de l'armée; clémence du vain- jeté dans leur ville. Il savait bien, di-
queur ;LES MURS DE CARTHAGE. — saient-ils, quederrière nos faibles mu-
A l'heure du repas, Bélisaire se rendit railles ilne pourrait repousser long-
avec ses officiers dans la salle où Gé- temps les attaques de ses ennemis.
limer recevait à sa table les person- Bélisaire voulut se montrer plus pré-
nages les plus illustres de sa nation. voyant que Gélimer, et il se hâta de
mettre la ville en état de soutenir un
Les mets que l'on etservit
néral de Justinien alors au gé-
à ses compagnons long siège.
LEGENDES ETVIEILLES TRADITIONS
d'armes avaient été préparés la veille
pour le roi des Vandales. Ce furent rapportées par procope. — L'ap-
les serviteurs de Gélimer qui appor- parition subite, sur les côtes d'Afri-
tèrent àces hôtes inattendus le pain que, de l'armée impériale, la marche
et les viandes, et qui versèrent le vin heureuse et rapide de Bélisaire, cette
dans les coupes. Ce spectacle frappa révolution enfin qui avait enlevé, en
vivement les convives, et tous, comme quelques jours, un trône à Gélimer,
et aux Vandales une conquête achetée
Procope, durent songer plus d'une
fois,choses
pendant le repas, à l'instabilité par un demi-siècle de fatigues et de
des humaines. combats, firent sur les masses une
Dans ce jour, au milieu même de vive et profonde impression. L'imagi-
l'enivrement du triomphe, nulle vio- nation était frappée de ces caprices
lence ne ternit la gloire du vainqueur. inattendus et mystérieux de la fortune,
Un ordre parfait régna parmi les trou- et, par un penchant naturel, vain-
pes. Quand les soldats romains se queurs et vaincus cherchèrent à re-
rendaient maîtres d'une ville, ils avaient trouver, dans le passé, les signes qui
coutume, suivant leur propre témoi- avaient annoncé les événements qui
gnage, de piller et de se livrer à de venaient de s'accomplir.
grands excès. Cette fois, ils se contin- Depuis longtemps, à Carthage, les
rent. Le général, par son caractère, enfants avaient coutume de répéter
avait pris sur ses troupes un tel ascen- dans leurs jeux : « Le G chassera le B,
dant, que nul n'osa enfreindre ses et, à son tour, le B chassera le G. »
ordres. Il n'y eut pas à Carthage une Ces mots, qui n'avaient aucun sens en
seule violence; on n'entendit pas même apparence, dirent les Grecs après leur
proférer une menace. Les affaires du victoire, renfermaient pourtant une
commerce ne furent pas interrompues, prophétie; car ils indiquaient claire-
et les boutiques restèrent ouvertes. ment que Genséric avait chassé Boni-
Tous les vivres fournis aux troupes face, et que, plus tard, Bélisaire de-
furent payés. Puis, quand les officiers vait chasser Gélimer.
58 L'UNIVERS.
Les catholiques, à leur tour, trou- Godigiscle , trouvèrent aisément, après
vèrent, dans le triomphe des troupes le départ de leurs frères, de quoi se
nourrir sur leurs propres terres et sur
de Justinien, l'explication d'une mer- celles qui avaient été abandonnées.
veilleuse vision qui les préoccupait
depuis longtemps. Jadis, ils avaient Plus tard, Genséric fit la conquête de
élevé, sur le rivage, une magnifique l'Afrique. Les Vandales de la Germanie
église à Cyprien, le plus illustre des éprouvèrent alors une grande joie.
évêques de Carthage. Là, ils célé- Cependant il leur vint en pensée que
braient, chaque année, en grande les victoires des compagnons de Gen-
pompe , une fête que , du nom du saint, séric pourraient être suivies de revers,
on appelait Cyprienne. Au temps du et que peut-être un jour les émigrants
roi Hunéric, cette église fut enlevée reviendraient dans leurs anciens éta-
aux vrais croyants et donnée aux blissements. Or,ils savaient bien que
ariens. La tristesse des catholiques les cantons qu'ils occupaient n'étaient
fut grande. Cependant une vision cé- pas assez vastes ni assez fertiles pour
leste vint les consoler. Cyprien apparut nourrir ce surcroît de population, et
en songe à plusieurs fidèles, et leur qu'ils auraient à souffrir, comme au-
dit : «■ ï^renez courage ; viendra un jour trefois, leshorreurs de la famine. Pour
où je me vengerai. » Les paroles du saint se mettre en mesure, en quelque sorte,
se répandirent rapidement en Afrique. contre l'avenir, ils envoyèrent des dé-
Les catholiques, pendant un demi- putés à Genséric. Ils ne s'étaient
siècle, ne cessèrent d'espérer; seule- considérés jusque-là que comme les
ment ils se demandaient : « Quand fermiers des terres abandonnées par
verrons-nous donc luire ce jour de la les conquérants de l'Afrique, et ils
vengeance?» Enfin Bélisaire parut. voulaient dorénavant les posséder à
On était arrivé à la veille de la fête de titre définitif. Arrivés à Carthage et
saint Cyprien, lorsque les Vandales et admis en présence du roi, les députés
Ammatas se rendirent à Décimum. félicitèrent Genséric sur ses glorieux
Les prêtres ariens faisaient alors pour succès; puis ils lui dirent : «Puisque
la solennité annuelle de grands apprêts. tu possèdes en Afrique une grande et
Ils avaient suspendu aux murs de l'é- fertile contrée, les terres que tu as lais-
glise festons et guirlandes, placé leurs sées en Europe te sont inutiles. Donne-
plus beaux lustres, et tiré enfin de les en toute propriété aux hommes de
leur trésor leurs plus riches ornements. ta race qui vivent en Germanie. Si tu
Tout à coup, on vint leur apprendre accueilles notre demande, nous se-
que le frère du roi était tue, et que les rons, plus qu'autrefois, intéressés à
Grecs étaient vainqueurs. Ils se sau- défendre jusqu'à la mort notre pays,
vèrent cette
à nouvelle, et les catholi- ton ancienne patrie. » Genséric et les
ques se mirent en possession de l'église chefs vandales qui l'entouraient écou-
de Saint-Cyprien. Ce furent eux, cette tèrent les députés avec faveur. Déjà le
année, qui, allumant dans le sanc- roi allait prendre un solennel engage-
tuaire d'innombrables lumières, célé- ment, lorsqu'un vieillard illustre dans
brèrent, suivant leur rite, la fête de la nation , par la noblesse de sa race
celui qui depuis si longtemps avait et par sa prudence, se leva, et dit :
promis de les secourir et de les venger. « Les choses humaines sont de leur
Les Vandales, enfin, se souvinrent, nature incertaines et périssables; ce
au moment de leurs désastres, des pa- qui nous paraît improbable peut ar-
roles qui avaient été prononcées, dans river un jour. Qui oserait nous assurer
une circonstance solennelle, par un que nous serons toujours maîtres de
vieillard de leur nation. Il y avait un l'Afrique, et que nous ne serons point
siècle et plus, qu'au temps de leur forcés, dans un avenir que nul ne peut
émigration, ils avaient laissé une partie déterminer, d'abandonner notre con-
des leurs dans la Germanie. Ceux qui quête et de retourner dans nos an-
n'avaient point voulu s'associer au roi ciennes demeures de la Germanie?»
59
AFRIQUE.

Frappé par ces paroles, Genséric chan- pensèrent qu'il était plus sage d'avertir
gea d'avis, et n'accueillit point la de- Gélimer. Le roi se réjouit fort de l'oc-
mande des députés. On se moqua alors casion qui lui était offerte de prendre
du roi et de celui qui l'avait conseillé. ainsi, d'un seul coup, un officier des
Mais, plus tard, au temps de Béli- gardes et vingt-deux soldats d'élite. Il
saire, la nouvelle génération des Van- fit partir au galop trois cents cavaliers
dales se souvint, au moment de ses vandales, leur recommandant, avant
revers, des paroles du vieillard, et les tout, de lui amener vivants Diogène
trouva pleines de sagesse. et ses compagnons. Ceux-ci étaient
GELIMER SURVEILLE A DISTANCE
loin de nemi.
soupçonner
Ils avaient l'approche
fait choix,de pour
l'en-
l'armée grecque ; ACTION glo-
rieuse DE DIOGENE ET DE VINGT- passer la nuit, d'une vaste maison.
DEUX cavaliers. — Gélimer se te- Après avoir laissé leurs chevaux dans
nait à une assez grande distance de la cour, ils étaient montés à l'étage
Carthage; cependant il surveillait avec supérieur pour se livrer au repos. Les
soin son ennemi. Il avait envoyé dans Vandales arrivèrent enfin. La nuit était
toutes les campagnes des émissaires profonde, et tout semblait les favori-
qui devaient exciter la population afri- ser; mais au moment décisif la réso-
lution leur manqua. Ils ne voulurent
en armes, caine, par l'appât du gain, contre
et à défendre, à se lever
les point briser les portes et pénétrer dans
troupes impériales, la domination des la maison avant le jour; ils craignaient
Vandales. Il fît promettre une somme de s'entre-tuer dans un engagement
nocturne, ou au moins de fournir aux
d'argent à quiconque apporterait à son
camp la tête d'un soldat grec. Les Grecs les moyens de s'échapper. C'é-
Africains n'hésitèrent point : ils se mi- tait la peur, dit Procope, qui leur dic-
rent en embuscade, et s'emparèrent de tait ces penséps; car rien n'eût été
tous ceux qui sortaient de Carthage simple et facile comme de se rendre
pour piller dans les campagnes avoi- maître de Diogène et de ses compa-
sinantes. Parmi les prisonniers, les gnons, en pénétrant dans la maison
esclaves et les valets étaient plus nom- avec des flambeaux, et même sans
breux que les soldats. Les paysans ne
flambeaux, puisque ceux que l'on vou-
mettaient pas entre eux de différence; lait surprendre s'étaient couchés après
ils les tuaient indistinctement, et se avoir quitté leurs armes et leurs vê-
hâtaient de porter les têtes à Gélimer. tements. Les Vandales ne montrèrent
Le roi les payait largement, et se ré- pas tant de hardiesse; ils se bornè-
jouissait dese défaire ainsi, sans dan- rent, en attendant le jour, à placer des
ger pour lui et pour les Vandales qui sentinelles autour de la maison, et un
l'accompagnaient, des soldats de Bé- gros de cavaliers devant chaque porte.
lisaire.
Il arriva, par hasard, qu'un soldat grec
Ces meurtres répétés et les dispo- se réveilla pendant la nuit. Le mouve-
sitions hostiles des Africains durent ment qui se faisait au dehors le
frapper et inquiéter le chef de l'armée frappa; il se leva et prêta une oreille
impériale. Il envoya un jour à ia dé- attentive. Des armes qui se choquèrent
couverte Diogène, officier de sa garde, et des mots prononcés à voix basse ne
avec vingt-deux cavaliers. La petite lui laissèrent bientôt aucun doute sur
troupe s'avança dans le pays, et ne les projets des Vandales. Alors il ré-
veille prudemment et sans bruit ses
s'arrêta que dans un village qui était
situé à deux journées de marche de compagnons, et leur fait connaître le
Carthage. Les habitants auraient bien
danger qui les menace. De l'avis de
voulu tuer les Grecs; mais ils n'osaient Diogène,
couvrir de tous leurs s'empressèrent
vêtements et de deleurs
se
attaquer vingt-deux soldats armés de
toutes pièces, qui auraient fait, sans armures, et d'abandonner la partie de
doute, bonne résistance, et les auraient
la maison qu'ils occupaient. Quand ils
peut-être exterminés eux-mêmes. Ils furent dans la cour, ils s'élancèrent sur
60 L'UNIVERS.

leurs chevaux. Jusqu'alors, nul ne s'é- Godas ne put résister et fut tué. On
tait présenté pour les combattre. Ils vint alors apprendre au vainqueur,
restèrent quelque temps immobiles ; mais sans rien ajouter à cette nouvelle,
puis, tout à coup, ils ouvrirent la porte qu'une flotte impériale avait touché
et se précipitèrent au dehors. Les les côtes de l'Afrique. Tzazon ne s'in-
Vandales, qui se tenaient sur leurs quiéta point ; il croyait que Gélimer
gardes, voulurent les repousser; mais repousserait facilement les agresseurs
les Grecs, protégés par leurs boucliers et , dans cette pensée , il lui écrivit la
et frappant à coups de lance tous ceux lettre suivante : « Roi des Vandales
qu'ils rencontraient, traversèrent les et des Alains , j'ai pris Godas et je l'ai
rangs ennemis, et coururent vers Car- tué ; j'ai replacé la Sardaigne sous ton
tilage de toute la vitesse de leurs che- obéissance ; célèbre ma victoire par
vaux. Ce fut ainsi que Diogène sauva des fêtes. On m'a dit que les Grecs,
nos ennemis, avaient osé mettre le
d'une perte certaine, à l'exception de
deux, les soldats qui lui avaient été pied sur notre territoire. Crois-moi ,
confiés. Cependant il faillit payer de ils éprouveront le même sort que ceux
sa vie son audace et sa généreuse ré- qui jadis ont attaqué nos pères. » Les
solution. Ilavait eu un doigt coupé messagers qui devaient remettre au
dans l'action, et, de plus, il avait reçu roi la lettre de Tzazon s'embarquè-
au cou et au visage trois graves bles- rent et vinrent , sans défiance , abor-
sures. der au port de Carthage. Ils furent
BÉLISAIRE RÉPARE LES FOBTIFI- saisis, à leur arrivée, et conduits à
cattons de carthage. — Les dis- Bélisaire : ils livrèrent la lettre qu'ils
positions chancelantes ou hostiles des portaient et donnèrent tous les rensei-
habitants de la campagne, et la der- gnements qu'on leur demanda. Quand
nière tentative des Vandales pour s'em- on les arrêta leur frayeur fut extrême.
parer de Diogène et de ses cavaliers, A la vue des Grecs , ils demeurèrent
inspirèrent à Bélisaire des craintes sé- frappés d'étonnement et ils cherchè-
rieuses. Il pensa que l'inaction de rent ,en vain , à se rendre compte de
Gélimer n'était qu'apparente, et il se la brusque révolution qui venait de
hâta de prendre, à.Carthage, toutes les s'accomplir. Le général , par ses pa-
mesures qui pouvaient le garantir d'un roles et ses bons traitements, ne tarda
coup de main. Il rassembla de nom- pas à les rassurer.
breux ouvriers auxquels il promit une LES AMBASSADEURS DE GELIMER
bonne paye, fit creuser autour de la EN ESPAGNE; LEUR ENTREVUE AVEC
ville des fossés larges et profonds, re- LE ROI THEUDIS ; LEUR MÉPRISE ; ILS
leva la partie des murailles qui était TOMBENT AU P0UV0IBDE BÉLISAIRE;
tombée, et raffermit celle qui mena- COURRIER ENVOYÉ A JUSTINIEN. —
çait ruine. Les travaux furent conduits Une circonstance imprévue vint en-
et achevés avec une merveilleuse rapi- core fournir à Bélisaire , sur la situa-
dité, et, en peu de jours, Bélisaire se tion des Vandales, de nouveaux ren-
trouva à l'abri de toutes les attaques. seignements. Gélimer avait bien com-
LES VANDALES EN SARDAIGNE ; RÉ- pris, après la déposition de Hildéric ,
SULTAT DE LEUR EXPÉDITION.— AU
moment même où Gélimer , abandon- que son ment assispouvoir
, et que n'était pendantpoint solide-
longtemps
nant aux Grecs sa capitale, fuyait dans il aurait à défendre sa couronne con-
le désert , Tzazon triomphait en Sar- tre de nombreux ennemis. Il voulut
daigne ; il était parti, comme on l'a vu, alors.se ménager des auxiliaires pour
avec cinq mille soldats , l'élite de l'ar- l'avenir et , dans ce but , comme il ne
mée vandale. Après une heureuse tra- pouvait se tourner ni vers l'Orient , ni
versée, laflotte envoyée par Gélimer vers l'Italie , il rechercha l'alliance des
arriva en vue de Caralis , la place la maîtres de l'Espagne. Il s'adressa donc
plus importante de l'île. Tzazon l'at- à Theudis, roi des Wisigoths. Les am-
taqua brusquement et s'en empara. bassadeurs envoyés par Gélimer se
AFRIQUE. 61
mirent en marche, traversèrent le Cependant ils étaient loin de supposer
détroit de Gadès, et touchèrent les que Carthage Ils
eût suivirent
cessé d'appartenir
aux Vandales. le conseil
côtes de l'Espagne sans avoir appris
l'arrivée de Bélisaire en Afrique et les qu'on leur avait donné, et ils se diri-
succès de l'armée de Justinien. Ils s'a- gèrent vers la côte. Là, ils s'embar-
vancèrentà, petites journées , dans quèrent pour rapporter à Gélimer les
l'intérieur des terres, pour voir Theu- paroles du roi des Wisigoths. Au mo-
dis et pour s'acquitter, auprès de lui, ment où ils mettaient le pied sur le
de leur mission. Le roi des Wisigoths rivage deronnés l'Afrique , ils grecs
furentquienvi-
savait déjà , quand ils se présentèrent, par des soldats les
conduisirent à Bélisaire. Le général
que Carthage n'était plus au pouvoir se plut à leur faire raconter au long
de Gélimer. Le jour même où la ville
avait été occupée par les Grecs, un leur voyage et leur entrevue avec Theu-
vaisseau chargé de marchandises avait dis, et, lorsqu'ils eurent achevé, il or-
quitté le Mandracium et , favorisé par donna qu'on les mît en liberté.
le vent , était arrivé en peu de temps Vers ce temps on vit entrer dans le
en Espagne. Ce furent les passagers port de Carthage Cyrille et les soldats
qui apportèrent la nouvelle des succès qu'il commandait. Il avait été envoyé
obtenus par les troupes impériales. par Justinien au secours de Godas ;
Theudis recommanda aux gens de l'é- mais, au moment où il approchait de
quipage et
, à tous les marchands, de la Sardaigne, il apprit la victoire de
garder le silence sur les événements Tzazon : dès lors il renonça à se diri-
qui s'étaient accomplis en Afrique; ger sur l'île etCeil fut
de Bélisaire. se mit
dansà Ta
lesrecherche
murs de
Euis , il se disposa à recevoir les am-
assadeurs de Gélimer. Quand ils fu- Carthage qu'il le rencontra. Le géné-
rent en sa présence, il leur fit bon ral, après tant d'événements heureux,
accueil et les invita même à un grand résolut d'envoyer un de ses officiers à
banquet. Pendant leTepas, au milieu Constantinople, et il choisit Salomon
des joyeuxeurs propos, le roidits'adressa aux pour porter à Justinien la nouvelle de
ambassad , et leur : « Que font ses premiers succès.
maintenant Gélimer et les Vandales? les maures; leurs dispositions.
Votre royaume est-il toujours floris- — La plaine de Bulla où se tenait
sant? — Tout va pour le mieux, ré- Gélimer était située à quatre journées
pondit alors Gotthée, l'un des ambas- de marche de Carthage , non loin des
sadeurs. — Mais enfin , reprit Theu- frontières de la Numidie. Là étaient
dis, que venez-vous me proposer? — accourus auprès du roi et de ses guer-
Gélimer, repartirent les Vandales , riers un certain nombre de Maures
t'offre son amitié , et il désire con- attirés par l'appât du gain et des aven-
tracter avec toi une sincère alliance. » tures. C'étaient des nommes qui ap-
Le roi se prit à rire : « Retournez à partenaientplusieurs
à tribus , et qui
la côte, dit-il aux ambassadeurs , et là s'étaient rendus de différents lieux et
vous apprendrez ce qui se fait en Afri- sans chefs au camp des Vandales. En
que. »Les Vandales se levèrent de ta- effet, la masse de la nation restait in-
ble sans trop se soucier des paroles décise etflottante; cependant, comme
qu'ils avaient entendues. Theudis, sans elle prévoyait la ruine de Gélimer, elle
doute , avait beaucoup bu pendant le penchait déjà du côté des Grecs. Les
, et ilst pensèren t étaitn ivre. chefs des tribus qui habitaient la Mau-
repasrevinren
Ils donc le qu'illendemai au- ritanie, la Numidie et la Byzacène,
près du roi; mais, comme la veille, s'étaient même avancés jusqu'à faire
il répondit à leurs propositions par des promesses à Bélisaire ; ils lui avaient
des railleries. Dès lors l'inquiétude se envoyé des ambassadeurs pour lui dire
glissa dans leur esprit et ils commen- qu'ils étaient prêts à reconnaître la
à
cèrent croire qu'une révolution avait suprématie de l'empereur, et plusieurs,
éclaté en Afrique après leur départ. s'il faut en croire Procope, avaient
62 L'UNIVERS.
livré, en témoignage de leur sincérité, Sardaigne, mais pour donner à Justi-
leurs enfants comme otages. Seulement nien letemps de conquérir l'Afrique.
ils demandaient qu'à son tour le re- Les événements qui à viennent de s'ac-
présentant de Justinien voulût bien complir ont dévoilé tous les yeux les
reconnaître leurs titres et leur donner desseins de la fortune. Bélisaire n'est
l'investiture suivant la forme accou- arrivé sur nos terres qu'avec des trou-
tumée. Au temps de la domination ro- pes peu nombreuses, et cependant il
maine nul
, ne se déclarait chef de tribu nous a vaincus. Les Vandales ont
qu'il n'eût reçu de l'empereur les in- perdu tout courage, et désormais ils
signes du commandement. Les rois ne peuvent compter sur le succès.
vandales s'étaient conformés à l'ancien AmmatasetGibamund sont morts par
usage; mais les Maures ne regardaient la lâcheté de leurs soldats. L'ennemi
point comme légitime l'investiture con- est maître de nos ports, de nos arse-
férée par les usurpateurs de la puis- naux de
, nos agrès , de nos chevaux ,
sance impériale. Bélisaire s'empressa de Carthage,
tière. Rien ne enfin de l'Afrique
peut tirer en-
les Vandales
d'accueillir la demande qui lui était
adressée. Il envoya à chacun des chefs de l'engourdissement et de la stupeur
des tribus maures une baguette d'ar- où ils sont plongés ; ils semblent igno-
rer qu'ils compromettent ainsi, par
formegentdedoré couronne
, un bonnet , un d'argent
manteau fait en
blanc leur nonteuse conduite , leurs biens et
la liberté de leurs femmes et de leurs
qu'une agrafe d'or attachait sur l'é-
paule droite , une tunique qui, sur un enfants. JNous n'avons plus rien en
fond blanc, offrait des dessins variés, notre puissance que la plaine de
enfin des chaussures travaillées avec
Bulla. C'est là que nous nous mainte-
un tissu d'or. Il joignit à ces orne- nons ,dans l'espérance que toi et les
ments qui étaient le signe matériel du tiens vous ne tarderez pas à venir à
pouvoir suprême, de grosses sommes notre secours. Hâte-toi ; vole sur les
eaux avec toute ta flotte; ne songe
d'argent. Cependant les tribus ne se
déclarèrent poiut encore. Elles n'en- plus désormais à renverser le tyran et
voyèrent point aux Grecs des troupes a replacer la Sardaigne sous nos lois.
auxiliaires ; mais d'un autre côté, elles Ce n'est plus contre cette île, mais
n'aidèrent pas les Vandales. Elles at- contre Bélisaire, qu'il faut diriger nos
tendaient, au repos et en observant, coups. Unissons nos forces et mar-
qu'entre Justinien et Gélimer la for- chons àl'ennemi : désormais nous de-
tune se fut prononcée d'une manière vons vaincre ou supporter, en com-
irrévocable. mun ,le poids de nos désastres. »
TRISTESSE ET DECOURAGEMENT DE TZAZON QUITTE LA SARDAIGNE; IL
GÉLIMER; SA LETTRE A TZAZON. — ARRIVE AU CAMP DE BULLA; SON
Gelimer ne se faisait point illusion ENTREVUE AVEC GELIMER. — Après
sur les dangers de sa position. L'es- avoir reçu, au port de Caralis, la
pérance même du succès semblait l'a- lettre de 'Gélimer, Tzazon réunit les
voir abandonné. Il fit porter en Sar- Vandales et leur apprit les nouvelles
daigne, à son frère Tzazon, une lettre qu'on lui avait apportées. Toute l'ar-
qui trahissait ses impressions : « Ce mée fut alors en proie à une vive dou-
n'est point Godas , disait-il , mais une leur. Les soldats n'osaient montrer
maligne influence qui nous a arraché en public leur tristesse et leurs larmes.
la Sardaigne. L'inspiration qui t'a en- Ils cherchaient à dérober leurs impres-
levé à l'Afrique avec l'élite de nos sions aux habitants de l'île , et ce n'é-
guerriers venait d'une puissance cé- tait qu'entre eux, et à l'écart, qu'ils
leste, mais qui nous est ennemie, s'interrogeaient sur le coup terrible
puisque, en nous privant ainsi de qui les avait frappés et qu'ils gémis-
toutes nos ressources , elle a presque saient sur leurs infortunes. Après
anéanti la maison de Genséric. Tu avoir pris à la hâte quelques mesures
n'es point parti pour soumettre la qui pouvaient assurer la tranquillité
AFRIQUE.
nication et de toutes ressources. Soit 63
et la soumission de l'île , Tzazon or-
donna aux troupes de monter sur la pour ménager et gagner à sa cause les
flotte et il fit voile pour l'Afrique. Il habitants de la campagne , soit qu'il
arriva , le troisième jour, sur le point persistât à regarder le territoire où il
de la côte où l'on rencontre les fron- s'était arrêté comme son bien et celui
tières de la Numidie et de la Maurita- de sa nation , il le préserva avec grand
nie. C'est de là qu'il s'avança à mar- soin du pillage et de la dévastation.
che forcée vers la plaine de Bulla. D'ailleurs, l'espérance commençait à
Quand le roi et son frère furent en renaître en lui ; il entretenait des in-
présence, ils se précipitèrent l'un vers tel igencesCarthage,
à et il supposait
l'autre, s'embrassèrent et confondi- que non-seulement les Carthaginois ,
rent sans prononcer une seule parole, mais encore les soldats ariens qui ser-
leurs larmes et leurs sanglots. Les sol- vaient dans l'armée grecque, lui livre-
dats qui revenaient de la Sardaigne et raient la place par trahison. Puis il
ceux qui étaient restés en Afrique se avait étudié, par ses émissaires, les
mêlèrent et, eux aussi, en se retrou- dispositions de la troupe des Huns, et
vant, donnèrent les marques de la il avait excité les barbares, par des
plus violente affliction. On ne parlait promesses et sans doute aussi par de
dans le camp, ni de Godas, ni de l'argent, à s'unir avec lui et à venir
Bélisaire. On ne cherchait point à s'é- dans son camp. Les Huns, en effet, ne
clairer par de mutuelles questions, car servaient l'empereur qu'à regret, et
chaque soldat craignait que ses mal- ils se plaignaient hautement d'un offi-
heurs ne fussent encore plus grands cier nommé Pierre , qui avait employé
qu'il ne l'avait imaginé. Cette scène un honteux mensonge pour les tirer de
fut déchirante et elle fit éprouver Constantinople et pour les amener en
pendant longtemps à ceux qui la vi- Afrique. Ils écoutèrent donc les pro-
rent ,et même aux ennemis des Van- positions de Gélimer, et ils allèrent
dales qui l'entendirent raconter, une jusqu'à promettre qu'au jour de la ba-
vive et profonde émotion. taille ilspasseraient dans les rangs des
GÉLIMEB ET TZAZON SE PORTENT Vandales. Ce furent des transfuges qui
SUR carthage; ON CONSPIRE DANS dévoilèrent à Bélisaire les projets des
LA VILLE CONTRE LES GRECS ; MAU- Huns. Dès lors il résolut de ne point mar-
VAISES DISPOSITIONS DES SOLDATS cher àla rencontre de l'ennemi avant
huns. — Quand Gélimer se vit entou- d'avoir pris toutes les mesures qui
ré de Tzazon et de tous les guerriers pouvaient lui conserver, même pendant
de sa nation , il quitta la plaine de une longue expédition, la possession
Bulla et marcha sur Carthage. Il plaça de Carthage. D'autre part, quelques
son camp non loin de la ville , pour
attirer Bélisaire au combat. Il avait citoyens s'étaient aussi mis en rapport
avec Gélimer. L'un d'entre eux, Lau-
aussi coupé l'immense et bel aqueduc rus , fut dénoncé par son secrétaire. Sa
qui de l'intérieur des terres condui- trahison était manifeste, et Bélisaire
sait à Carthage l'eau qui servait aux le fit pendre au sommet d'une colline
besoins de la population (*); mais Bé- qui avoisinait la ville. Cette exécution
lisaire resta dans l'inaction et n'es- effraya tous les autres , et nul désor-
saya point de repousser Gélimer. Alors mais ne songea à conspirer.
le roi des Vandales leva son camp Mais il importait surtout au géné-
et divisa son armée : il envoya une ral de ramener les Huns. Il les accabla
troupe sur chacune des routes qui con- de présents , les admit à sa table , et,
duisaient àCarthage, et il crut dès à force de prévenances, il parvint à
lors qu'il avait assez fait pour priver leurs tirer d'eux-mêmes le secret de toutes
son ennemi assiégé de toute commu- relations avec Gélimer. « Nous
ne te cacherons point, lui dirent les
(*) Voy. dans ce volume : Histoire de Car- barbares , que nous sommes mal dis-
thage; topographie; p. 148. posés au combat. .Nous craignons que
64 L'UNIVERS,

les Romains, après leur victoire, re- mation, Bélisaire fît partir toute la
fusent de nous ramener à Constanti- cavalerie, à l'exception de cinq cents
nople, et qu'ils nous laissent vieillir et hommes qu'il retint auprès de lui. Il
mourir sur la terre d'Afrique. Qui, avait confié le corps d'élite et le dra-
d'ailleurs, nous garantit que l'on ne peau àJean l'Arménien, en lui recom-
nous enlèvera pas le butin que nous mandant de ne point reculer devant les
avons fait ? — Moi , répondit Bélisaire, combatsd'escarmouche; puis lui-même
et je vous jure que si vous nous aidez se mit en marche, le lendemain, avec
a vaincre les Vandales , je vous ren- les cinq cents cavaliers qui étaient res-
verrai àvos demeures avec une large tés àCarthage et toute son infanterie.
part des dépouilles de l'ennemi. » Les Les Huns accompagnaient aussi les
Huns s'engagèrent une seconde fois à Grecs; mais ils avaient tenu conseil
servir dans l'armée avec zèle et cou- entre eux, et, après avoir pesé les pro-
rage. messes de Gélimer et celles de Béli-
BÉLISAIRE SE DISPOSE A QUITTER saire, ils avaient pris la résolution de
carthage; il adresse aux trou- rester neutres au commencement de la
pes une proclamation. — Au mo- bataille, pour se tourner ensuite, quand
ment où Bélisaire cessa de craindre les la fortune aurait prononcé, du coté de
trahisons, et quand il eut achevé de l'armée victorieuse.
fortifier Carthage, il se décida à sortir Les Romains rencontrèrent les Van-
pour marcher à l'ennemi. Avant le dales campés à cent quarante stades de
départ, il fit lire aux soldats rassem- Carthage, à Tricamara (*). Comme on
blés la proclamation suivante : « Vous était à la fin du jour, ils s'arrêtèrent,
avez gagné par une récente victoire à une certaine distance de l'ennemi,
Carthage et toute l'Afrique. Désormais pour passer la nuit. Là, dans leurs
mes paroles seront moins puissantes retranchements, au milieu des ténè-
pour exciter votre, courage que le sou- bres, une chose vint frapper leurs re-
venir de vos succès passés. Aujour- gards :le fer des lances brillait d'un
d'hui, jene vous dirai qu'une chose : vif
une éclat,
flamme. et Ton Les eût dit qu'il
soldats portait
cherchèrent
c'est que du même coup, si vous êtes
braves, vous enlèverez tout espoir aux en vain à se rendre compte de ce pro-
Vandales, et vous mettrez fin à la dige; seulement, après la bataille, ils
guerre. Vous trouverez pendant l'ac- n'hésitèrent point a prononcer que ce
tion un secours que vous n'avez point feu qu'ils avaient aperçu pendant la
rencontré dans vos premiers comhats.
nuit, et frayeur,
quelque qui leurétait avait'un inspiré alors
sûr présage
La cavalerie seule jusqu'ici a lutté de la victoire.
contre l'ennemi : cette fois, l'infanterie
prendra part à la bataille, et les défen- ' GÉLIMER ET TZAZON ESSAIENT DE
seurs de Gélimer auront à soutenir le RANIMER LE COURAGE DES VANDA-
choc et les efforts de l'armée entière. LES; PRÉPARATIFS DANS LES DEUX
On vous a dit que les Vandales, à la armées; ordre de bataille. — Le
seule idée que vous étiez maîtres de lendemain du jour où avait paru la
leurs femmes, de leurs enfants et de cavalerie romaine, Gélimer prit ses
leurs biens les plus précieux, sentiraient dernières mesures. Il voulut que, pen-
doubler leur courage. INe vous laissez dant le combat, on laissât dans le
point tromper: leur rage sera grande, camp les femmes, les enfants, avec l'or
peut-être; mais elle les aveuglera. Sou- et l'argent que les Vandales avaient pu
venez-vous demes paroles. Ayons bon
espoir, nemi. » et marchons hardiment à l'en- (*) « Tricamara devait être à 8 lieues
au sud - ouest de Carthage. » RecJierches
DÉPART DE L'ARMÉE; DISPOSI- sur l'histoire de l'Afrique septentrionale ,
TIONS de bélisaire; les huns;
LES ROMAINS ET LES VANDALES SONT etc. , par une commission de l'Académie
des inscriptions et belles-lettres, tome I,
en présence. — Après cette procla-
p. 104.
AFRIQUE. 65
sauver; puis il rassembla ses soldats et de ne frapper l'ennemi qu'avec l'épée.
les exhorta à bien combattre. Tzazon, la bataille; mort de tzazon.
qui exerçait sur les troupes revenues — Les deux armées s'observèrent pen-
de la Sardaigne un grand ascendant, dant quelques instants sans faire un
joignit ses prières à celles de son frère, mouvement; enfin Jean l'Arménien
et il adressa à ses compagnons d'armes passa le ruisseau avec un petit nombre
de cavaliers, et se présenta sur le
une pressante allocution. Puis, l'armée
entière s'ébranla, et se dirigea, en ba- front de l'ennemi. Tzazon se détacha
taille, vers les Romains, qui se dispo- alors avec un corps de Vandales, et se
saient alors à prendre leur repas. mit en devoir de repousser les Grecs;
L'alerte fut vive parmi les troupes im- mais ceux-ci battirent en retraite et
fiériales; elles saisirent rapidement repassèrent le ruisseau. Les Vandales
eurs armes, et se disposèrent, en un n'osèrent le traverser, et, arrivés sur
instant, àcoulait
ruisseau recevoir entre l'ennemi. faible le bord , ils cessèrent la poursuite.
les deux Unarmées. Les cavaliers grecs revinrent à la
Les Vandales ne le traversèrent point, charge avec un renfort; mais cette fois
et s'arrêtèrent à quelque distance de sa encore ils furent obligés de se retirer
rive. Les Romains, de leur côté, arri- et de se replier sur l'armée. Enfin
vèrent sur l'autre bord, et, a leur Jean, bien décidé à ne plus reculer,
tour, ils firent halte. Les deux armées marcha à l'ennemi pour la troisième
étaient rangées en bataille dans l'ordre fois avec toute la garde de Bélisaire
suivant : la gauche des troupes impé- et le drapeau. La troupe, en s'élan-
riales était commandée par Martin, çant, poussa de grands cris. Les Van-
Valérien, Jean, Cyprien, Althias et dales soutinrent le choc et reçurent
Marcellus; la droite, par Pappus, Bar- les assaillants à coups d'épée. On se
batus et Aigan; Jean l'Arménien s'é- battit avec courage, et bientôt on vit
tait placé au centre avec la cavalerie tomber les plus braves guerriers des
d'élite, les gardes de Bélisaire et le frère deux troupes, et parmi eux Tzazon, le
drapeau. Le général en chef lui-même du roi. Cette mort décida du
arriva, en temps opportun, avec cinq sort des Vandales. Ceux qui avaient
cents cavaliers; il avait devancé, pour lutté avec tant de valeur contre les
diriger le combat, son infanterie, qui, meilleurs cavaliers de l'armée impé-
à son gré, marchait avec trop de len- riale étaient sans doute les soldats re-
teur. Les Huns se tenaient à l'écart, venus de Sardaigne, les vainqueurs de
de manière cependant à tout observer. Godas. Quand ils eurent perdu le chef
Ils avaient refusé de prendre place à qui les animait par son exemple, le
côté des autres troupes, alléguant, désespoir les gagna, et le désordre se
pour ne point éveiller les soupçons, mit dans leurs rangs. Ce mouvement
que c'était la coutume des guerriers de n'échappa point à Bélisaire, qui fit
leur nation de se porter pendant l'ac- sonner la charge et lança toute sa ca-
tion où bon leur semblait, sans se valerie au delà du ruisseau. C'était au
conformer aux mouvements des corps centre que se trouvait la principale
réguliers. Du côté des Vandales, la force de Gélimer. Au moment où les
gauche et la droite étaient confiées à troupes commandées par Tzazon com-
des chiliarques; Tzazon, le frère du mencèrent àplier, les soldats placés
roi, se tenait au centre; les Maures, aux deux ailes abandonnèrent leurs
dont les dispositions étaient chance- rangs et prirent la fuite. La bataille
lantes formaient
, une espèce d'ar- était gagnée. Ce fut alors que les Huns,
rière-garde. Quant à Gélimer, il par- qui pendant l'action s'étaient tenus au
courait les rangs à cheval, et ex- repos, s'ébranlèrent, et se mirent à la
hortait ses soldats à se comporter poursuite des fuyards. Le succès les
avec bravoure; il leur recommanda avait tirés d'incertitude, et après la
expressément de ne point user pen- victoire ils n'hésitèrent plus à se rat-
dant le combat des armes de trait, et tacher àBélisaire. Les Vandales rega-
5e Livraison. (Hist. des Vandales.)
66 L'UNIVERS.
gnèrent leur camp, et là ils purent se la mort que pour servir, comme es-
reposer quelques instants sans être claves, aux caprices et à la brutalité
inquiétés. La cavalerie impériale, qui des vainqueurs.
n'était point en mesure de les forcer Au témoignage des Byzantins, rien
dans leurs retranchements, se répandit ne pouvait donner une idée des ri-
dans la campagne pour dépouiller les chesses accumulées dans le camp des
morts. Huit cents Vandales environ Vandales. Là, en effet, se trouvait
étaient tombés sous le fer ennemi ; les déposé le fruit d'un brigandage qui
Romains n'avaient perdu que cinquante avait duré un siècle sans interruption ;
hommes, qui tous, il faut le supposer, on y voyait les dépouilles de tous les
avaient été frappés sur les bords du ruis- pays. L'Espagne,
seau au
, moment où Tzazon soutenait la Grèce, les îles delalaGaule, l'Italie,,
Méditerranée
encore les efforts de Jean l'Arménien. et même l'Asie , avaient été visitées ,
FUITE HONTEUSE DE GÉLIMER", DE- pillées et ravagées tour à tour par les
ROUTE; BÉLISAIRE ENTRE DANS LE flottes qui sortaient des ports de Car-
CAMP DES VANDALES; L'ARMÉE IM- tilage. On eût dit , depuis les premiers
PÉRIALE FAIT UN RICHE BUTIN. — succès des Vandales , que l'Afrique
Quand, vers le soir, Bélisaire eut été était destinée à recevoir, pour ne plus
rejoint par son infanterie, il marcha, les rendre, les trésors du monde en-
sans plus tarder, sur le camp des Van- tier. Contre toutes les prévisions de
dales. Gélimer ne l'attendit point; il la sagesse humaine , une seule bataille,
prit avec lui quelques serviteurs fidè- qui ne coûta pas au vainqueur cin-
les, sauta à cheval, et se sauva, à quante soldats , fit passer de Carthage
l'insu de ses troupes et sans laisser à Constantinople les monceaux d'or et
d'ordre, vers la Numidie. Sa fuite de- d'argent que la fortune elle - même
meura cachée jusqu'au moment où toujours semblait avoir pris soindesd'assurer
aux héritiers pour
compagnons
chefs et soldats l'appelèrent pour lui de Genséric.
montrer l'ennemi qui approchait, et DÉSORDRE APRÈS LA VICTOIRE ;
pour lui demander ses conseils et ses
ordres; puis, quand les Vandales se CRAINTES DE BELISAIRE; SES SOL-
virent abandonnés, leur désespoir fut DATS LE REJOIGNENT ET REPREN-
sans bornes, et ils poursuivirent de NENT leurs rangs. — Bélisaire
leurs imprécations le lâche qui , après passa la nuit qui suivit sa victoire
avoir attiré sur l'Afrique l'invasion clans d'inexprimables angoisses. Son
étrangère et tous les maux de la guerre, armée, si longtemps contenue dans
sacrifiait à sa sûreté personnelle la vie l'ordre et la plus sévère discipline ,
d'un peuple entier qui s'était armé pour venait de lui échapper et de s'expo-
sa défense. Les femmes et les enfants, ser , par son aveugle emportement ,
rassemblés dans le camp, poussaient à périr tout entière. Dans l'enivre-
des cris qui venaient encore amollir ment du succès, les soldats mettant
l'âme des Bientôt guerriersuneet foule
augmenter en oubli les conseils de la prudence,
confusion. immensela et n'obéissant plus à la voix de leur
s'échappa de l'enceinte retranchée par
toutes les issues, et se dispersa dans chef, avaient rompu les rangs et s'é-
taient précipités, cavaliers et fantas-
toutes les directions. Mais déjà il était sins mêlés, à la poursuite des ennemis;
trop tard, et les Romains étaient ar- bientôt ils s'étaient disséminés sur une
rives. Après avoir pris possession du vaste étendue de pays. Chacun d'eux ,
camp, et des richesses que Gélimer et sans se soucier de la présence des au-
les siens y avaient entassées, ils s'élan- tres ,s'engageait résolument dans les
cèrent àla poursuite des fuyards et bois, et pénétrait dans les cavernes
les massacrèrent sans pitié. Les scènes où les Vandales avaient pu cacher
de violence et de carnage se prolon- leurs femmes et leurs trésors. Si le
gèrent pendant toute une nuit. Les cœur n'eût point manqué à ceux qui
femmes et les enfants n'échappèrent à fuyaient, s'ils avaient songé à se re-
67
AFRIQUE.
tourner brusquement , les troupes im- mouvement et de lui nuire , il songea
périales eussent été anéanties. Béli- enfin à se rendre maître de la per-
saire qui seul , après la victoire , avait sonne de Gélimer.
conservé du calme, se porta sur tous Déjà deux cents cavaliers, comman-
les points, et pendant cette nuit, qui
lui parut bien longue, il chercha, par lancésdés parsur Jeanlesl'Arménien
traces du , roi
s'étaient
, qui
les prières ou par les menaces, à rallier fuyait rapidement vers la Numidie; ils
ses soldats; mais nul ne répondit à avaient ordre de courir jour et nuit,
son appel. Au point du jour il se re- et de ne s'arrêter qu'au moment où
tira sur une éminence. Ce fut alors ils auraient en leur pouvoir, vivant
seulement que les troupes commencè- ou mort, celui qu'ils poursuivaient.
rent àle rejoindre et à se ranger au- Bélisaire s'avançait, de son côté, avec
tour de lui ; mais avant de se remet- toute son armée pour seconder Jean
tre en mouvement elles envoyèrent, l'Arménien. Les cavaliers grecs mi-
sous bonne escorte , leur butin à Car- rent tant d'ardeur dans la poursuite ,
thage. Gélimer perdit ainsi, par sa qu'après cinq, jours d'une course non
lâcheté, ses dernières espérances avec interrompue ils atteignirent presque
sa dernière armée. Il avait livré bataille
la troupe qui fuyait, et purent calcu-
vers le quinzième jour de décembre de
ler les heures qui devaient s'écouler
l'année 533. Trois mois, suivant Pro- jusqu'à l'instant où Gélimer serait leur
cope, s'étaient écoulés depuis l'instant prisonnier; mais un événement im-
où Bélisaire avait pris possession de prévu les arrêta et sauva le roi des
Carthage (*). Vandales.
DOUCEUR DE BELISAIRE A L'ÉGARD MORT DE JEAN L'ARMÉNIEN ; GÉ-
DES VAINCUS ; SES MESURES ; GÉLI- LIMER ÉCHAPPE AUX VAINQUEUES.
MER est poursuivi. —Tous les sol-
dats ne revinrent pas au camp avec le — Parmi les compagnons de Jean l'Ar-
ménien se trouvait un officier des gar-
jour ; pendant longtemps Bélisaire fut des, Uliaris, dont il a déjà été fait
obligé de parcourir à cheval les lieux mention dans ce récit (*). C'était un
qui avoisinaient le point du ralliement homme d'une force prodigieuse , d'une
pour ramener les traînards. Quand, grande bravoure , mais peu réglé dans
au milieu de ses courses, il rencon- ses mœurs et trop ami des plaisirs et
trait des Vandales , il les rassurait et du vin. Dans la nuit qui précéda le
leur jurait qu'il ne leuril serait fait au- sixième jour de la poursuite , il pro-
cun mal , seulement les désarmait fita ,sans doute pour boire largement,
et les envoyait à Carthage. Il avait de l'un des rares et courts repos que
donné ordre de les recevoir et de les prenaient les chevaux et les cavaliers,
bien traiter à ceux qui gardaient la ville car , au lever du soleil , il était com-
pendant son absence. Il prit soin éga- plètement ivre. Il aperçut alors un oi-
lement de faire sortir des églises les
vaincuscomme qui s'y pour ie tuer;suril un
seau perché arbreson; ilarc,
banda s'arrêta
mit
foule dansétaient précipités
un asile en
inviolable. une flèche sur la corde , et lança son
Il promit la vie sauve à ceux qui dé- trait. Mais sa main tremblait* et sa
poseraient lesarmes et qui se soumet- vue était troublée; la flèche, mal diri-
traient àla surveillance des officiers
gée ,s'écarta de l'arbre et de l'oiseau
impériaux. Quand , par ces sages me- et vint nien.frapper
sures, ileut mis les Vandales dans Ce brave àofficier la tête était
Jean blessé
l'Armé-à
l'impuissance de tenter un nouveau mort. Les soldats se précipitèrent pour
le recevoir dans leurs bras, et, jus-
(*) Procop. de Bel. Vandal, II, 3. Le qu'à son dernier soupir, ils lui prodi-
passage que nous signalons ici établit clai- guèrent leurs consolations et leurs
rement que les Grecs entrèrent à Carthage, soins au milieu des manifestations de
comme nous l'avons dit plus haut, vers le
milieu du mois de septembre. (*) Voy. plus haut , p. 54-
G8 L'UNIVERS.

la plus vive douleur. Jean ne s'était BÉLISAIRE SE REND MAITRE D HIP-


point seulement fait admirer dans PONE ; GÉLIMER SE RÉFUGIE SUR LE
l'armée par son brillant courage, mais MONT PAPPUA ; IL EST ASSIÉGÉ PAR
encore il avait gagné l'affection de FARAET LE CORPS DES HÉRULES. —
tous
douceur ses compagnons d'armesSa par
et son affabilité. mortsa Dès lors l'armée grecque ne pouvait
espérer d'atteindre à la course et de
causa de profonds regrets à Bélisaire, prendre Gélimer; cependant Bélisaire
à Justinien, et même aux habitants ne renonça pas à le suivre, et il arriva
de l'Afrique , qui , depuis son arrivée, bientôt à Hippone(*), qui était située
avaient pu apprécier son amour de la à dix journées démarche de Carthage.
justice et sa modération. Là , il apprit que le roi des Vandales
Les cavaliers avaient donc cessé de s'était mis en sûreté en se retirant sur
poursuivre Gélimer, et ils s'étaient le Pappua , montagne élevée et d'un
rassemblés autour de leur chef expi- difficile accès. Les Maures qui habi-
rant ,puis ils lui avaient rendu les taient lepays étaient alliés de Géli-
derniers honneurs. Ils ne voulurent
mer, et ils s'étaient empressés de lui
point alors se porter en avant ou re- ouvrir , ainsi qu'aux hommes de son
venir sur leurs pas , sans avoir reçu escorte, leur ville de Midenos (**). On
d'ordres, et ils firent connaître à Bé- était en plein hiver, et Bélisaire ne
lisaire lamort de Jean l'Arménien. A voulait point , pendant la mauvaise
cette triste nouvelle , le général con- saison, s'engager dans les montagnes
fia l'armée à ses lieutenants et se diri- avec
gea en toute haie vers le lieu où était il ne toute
pouvait son rester
armée.plus
D'autre part,
longtemps
tombé le plus brave de ses officiers. éloigné de Carthage , le centre de sa
Il retrouva ses cavaliers plongés dans nouvelle conquête. Il choisit donc un
certain nombre de soldats armés à la
la tristesse; lui-même, après s'être
approché du tertre qui recouvrait la
dépouille de Jean , ne put retenir ses légère et habitués aux ordonna
carmouche, etil leur combats ded'es-
se
sanglots et ses larmes; il voulut alors placer sur tous les chemins qui con-
qu'en cet endroit on élevât un riche duisaientMidenos.
à Campés au pied
tombeau. Après avoir donné cours à de la montagne, ils devaient surveiller
sa douleur, il songea à punir le meur-
trier. Le malheureux Uliaris n'avait (*) Hlppo-Regius. Voy. plus haut, p. 12.
pas tardé à recouvrer sa raison. Il (**) Midenos est le nom adopté par l'Aca-
démie des inscriptions qui constate néan-
avait à peine lancé le trait que le mou- moins, àl'aide des variantes contenues dans
vementles
, injures , les menaces et
l'édition de Procope , publiée par Dindorf,
les cris de ses compagnons l'avaient que les manuscrits offrent encore les deux
tiré de son ivresse. Quand il put formes de Mideos et de Medeos. Midenos
était sans doute la dernière ville numide
connaître l'étendue et la gravité de sa
faute , il prit la fuite et se réfugia du côlé de la Mauritanie. Elle était placée
dans l'église la plus voisine. Bélisaire à l'extrémité occidentale de la chaîne du
s'apprêtait à tirer vengeance du meur- Pappua , l'Edough
discussion actuel. de
de M. Dureau Voy. la savante
la Malle dans
tre ,lorsque les cavaliers l'environnè-
rent et lui dirent : « Notre chef, en les Recherches sur l'histoire de la partie de
mourant, nous a fait promettre par l'Afrique septentrionale connue sous le nom
serment de ne point châtier Uliaris, de régence d'Alger, etc., par une commis-
sion de l'Académie des inscriptions et bel-
qui n'a été coupable que par impru- les-let re1.s , 1 , p. 106 et suiv. MM. Marcus
dence; pardonne-lui comme nous lui et Papencordt ont adopté, en général , sans
avons pardonné. » Bélisaire qui , pour les discuter, tous les résultats contenus dans
des fautes moindres , s'était toujours les excellentes Recherches que nous venons
montré inexorable , ne dut céder qu'à de citer. Voy. enfin Mannert ; Géographie
regret à la prière des cavaliers ; mais
ancienne de l'Afrique septent., traduite par
enfin il fit grâce à Uliaris, en souvenir MM. L. Marcus et Duesberg; p. 448, et
de Jean l'Arménien. principalement p. 439. Paris, 1842.
AFRIQUE.
69
les mouvements de Gélimer, l'empê- côte et à jeter l'ancre dans le port
cher de fuir , et arrêter tous les con- d'Hippone. Dès lors, il ne pouvait es-
vois. C'était Fara , Hérule d'origine, pérer d'échapper au vainqueur. Il vou-
qui était chargé, avec les guerriers de lut au moins racheter sa vie au prix
sa race , de cette importante mission. des richesses que portait son vaisseau.
LES TRESORS DE GÉLIMER. — Au Il envoya dans la ville quelques hom-
moment où l'armée grecque s'approcha mes qui , à peine descendus à terre,
d'Hippone, les Vandales se précipitè- cherchèrent refuge dans une église.
rent en foule dans les églises. C'est là Ce fut de là qu'ils firent savoir à Béli-
qu'ils attendirent l'arrêt du vainqueur. saire qu'ils étaient prêts à lui indiquer
Bélisaire les rassura ; il les envoya l'endroit où se trouvaient les trésors
sous bonne escorte à Carthage, où ils de Gélimer, s'il promettait
devaient être réunis aux autres pri- la vie et la liberté à Bonifaced'accorder
et à ses
sonniers. Cefut à Hippone que le ha- compagnons. Le général accueillit avec
sard mit au pouvoir des Grecs les tré- joie cette proposition, et s'empressa
sors de Gélimer.
Parmi les serviteurs du roi des Van- de prêter le serment qu'on lui avait
dales se trouvait un certain Boniface. demandé. Puis, ses officiers s'étant
rendus à bord du vaisseau qui avait
Il était né en Afrique , dans la By- été signalé, Boniface remit aux mains
zacène. Gélimer, qui le savait dévoué des Grecs les trésors de Gélimer.
à sa personne et aux intérêts de sa fa- BÉLISAIRE COMPLÈTE ET ACHEVE
mille, lui avait confié, au commence- SA CONQUÊTE ; SES SUCCÈS ; IL
ment de la guerre, tous ses trésors. échoue en sicile. — De retour à
Boniface les transporta sur un vais- Carthage , dès les premiers jours de
seau ,puis il fit voile vers Hippone. l'année 534, Bélisaire se hâta de pren-
De cette ville, il suivait tous les évé- dre les mesures qui pouvaient com-
nements de la guerre, se tenant prêt, pléter et rendre durable la conquête
en cas de désastre, à fuir en Espagne qu'il avait accomplie au nom de l'em-
auprès du roi des Wisigoths. C'était pereur. D'abord , il retint dans la ca-
en effet chez Theudis que Gélimer pitale de l'Afrique , sous ses yeux,
comptait se réfugier. Après le combat tous les Vandales qui étaient tombés
de Tricamara , quand tout espoir de en son pouvoir, et il se prépara à les
vaincre fut enlevé aux Vandales, Bo- envoyer à Constantinople aux appro-
niface, pour se conformer aux ordres ches de la belle saison. Ensuite, il
de son maître, leva l'ancre, et se diri- voulut que l'autorité de Justinien fût
gea vers l'Espagne. Mais il avait à reconnue dans toutes les terres que
peine atteint la pleine mer, que le vent, Genséric avait enlevées aux empereurs
soufflant avec violence, le rejeta dans romains. Il envoya Cyrille en Sardai-
gne avec un corps nombreux, et, afin
le port d'Hippone. Là, il apprit , par que les habitants ne pussent révoquer
les hommes de l'équipage qu'il avait
envoyés à terre , que l'ennemi parais- en doute les succès de l'armée grecque
sait. Son désespoir fut grand à cette et la victoire de Tricamara, le ehef de
nouvelle. Il fit aux matelots de magni- l'expédition emportait avec lui la tête
fiques promesses; il les pria et supplia de Tzazon. Cyrille devait aussi faire
d'éloigner le vaisseau des côtes d'Afri- passer en Corse une partie de ses
que et de continuer le voyage malgré troupes pour arracher cette île aux
la tempête. On lui obéit. Mais l'équi- Vandales et la replacer sous la domi-
page s'épuisa en vains efforts. Le vent nation romaine. Bélisaire obtint, par
avait redoublé de violence; la mer son lieutenant, un plein succès dans
était bouleversée, et les vagues s'éle- ces deux entreprises. En même temps,
vaient àune hauteur prodigieuse. Bo- un officier appelé Jean occupait avec
niface céda enfin ; il se dirigea de nou- un détachement d'infanterie Césa-
veau vers l'Afrique, et ce ne fut pas rée (*), en Mauritanie. C'était alors
sans peine qu'il parvint à regagner la . (*) Aujourd'hui Cherchel. Voy. sur ce
70 L'UNIVERS.
une place très-importante; elle était nous unissent, et ne rappelle à notre
vaste, bien peuplée, et faisait par mer empereur vos anciennes usurpations.
un grand commerce. Les Grecs s'éten- Je déclare que si la ville de Lilybée ne
dirent plus loin encore, et un garde de nous est pas livrée dans un bref délai,
Bélisaire s'empara delà villedeCeuta. j'irai vous faire la guerre en Sicile,
Cette dernière expédition coïncida sans et peut-être plus loin encore. » On
doute avec celle d'Apollinarius, qui porta à Amalasuntha, qui gouvernait
soumit les îles Baléares. Apollinarius au nom de son fils Atalaric, la lettre
était né en Italie. Dans sa ieunesse, il de Bélisaire. Elle répondit au général
était venu en Afrique, où il s'était at- de Justinien que la Sicile entière ap-
taché au roi Hildéric. Quand les Van- partenait aux Goths, et que, dans cette
dales mirent Gélimer sur le trône , il île, l'empire n'avait à faire valoir aucun
se sauva à Constantinople auprès de droit. «Au reste, disait la reine, je
Justinien. Il revint en Afrique avec suis disposée à trancher le débat par
la voie des négociations, et à invoquer
l'armée impériale, et se fit remarquer en notre faveur le témoignage même
par sa bravoure à la bataille de Trica-
mara. Le général avait en lui une de Justinien. Ne te hâte donc point
grande confiance. Apollinarius la jus- d'agir avant d'avoir connu la volonté
tifia en prenant possession , au nom de ton maître. » Bélisaire, en effet,
de l'empereur, des îles Baléares. Enfin, ajourna son expédition. Il avait écrit,
d'un autre côté, à l'Orient, une armée de son côté, à l'empereur, et il attendit,
envoyée par Bélisaire et partie de pour partir, les ordres qui devaient
Carthage, porta secours, dans la Tri- venir de Constantinople.
politaine, à Pudentius et à Tattimouth, FARA ET SA TROUPE ESSAYENT DE
GRAVIR LE PAPPUA; ILS ÉCHOUENT;
qui étaient attaqués et vivement pres- SITUATION DE GELIMER A MIDENOS.
sés par les Maures.
Mais les Grecs échouèrent en Sicile. — Fara, comme nous l'avons dit, était
resté au pied du Pappua pour faire le
Les soldats qui devaient s'emparer de
Lilybée furent repoussés par les Goths. blocus de Midenos. Forcé d'exercer,
Bélisaire adressa aux officiers qui com- nuit et jour, sur toutes les routes qui
conduisaient à la ville une rigoureuse
mandaient dans l'île pour Atalaric une
lettre pleine de reproches et de mena- surveillance et d'être sans cesse en
ces. «La place, disait-il, qui défend alerte, attristé aussi par l'hiver, il ne
le promontoire de Lilybée appartenait sut point résister à l'ennui, et il ré-
jadis aux Vandales, et aujourd'hui, en solut de terminer la guerre, s'il le
vertu de notre conquête, elle est de- pouvait, une par fois
un coup d'audace.
prendre les armes à touteIl fit
sa
venue la propriété de l'empire. Vous
ne niez point qu'elle ait été au pouvoir troupe, et il commença à gravir *le
de Gélimer; pourquoi refuser mainte- Pappua pour emporter Midenos. Mais
nant de la remettre à celui qui est le les Maures s'étaient aperçus de ses
vainqueur et le maître de Gélimer? mouvements; ils se postèrent sur les
hauteurs, et quand Fara parut, ils
Jusqu'ici, il y a eu entre nous paix et
alliance ; mais craignez que votre ré- l'accablèrent d'une grêle de pierres et
cente agression ne rompe les liens qui de traits.
tage du lieuIls; etavaient pour eux
les Hérules, aprèsl'avan-
avoir
point une savante discussion de la commis- perdu cent dix hommes, furent obligés
sion de l'Académie des inscriptions et belles- de regagner leurs campements. Dès
lettres, dans les Recherches sur C Afrique sep-
tentrion., etc., 1. 1, p. 109 et suiv. — Mannert
lors, Fara ne songea plus à gravir la
(trad. par MM. Marcus et Duesberg, p. 494) montagne; seulement il redoubla de
surveillance, et prit toutes les mesures
pense que Tennis occupe aujourd'hui la qui pouvaient amener promptement
place de l'ancienne Césarée. L'Académie ne la famine dans la ville assiégée.
parait point avoir connu l'opinion de Man-
nert ;mais en réfutant le colonel Lapie, elle Déjà la situation de Gélimer était dé-
a réfuté le géographe allemand. plorable; iétait
l entré à Midenos sans
AFRIQUE.
provisions, traînant à sa suite les mal- ou bien encore parmi les Vandales
heureux débris de sa famille, et un plusieurs, épuisés par la faim et les
nombre assez considérable de guerriers privations, étaient venus se rendre aux 71
qui appartenaient aux plus illustres assiégeants, puisque Fara connut bien-
familles de la nation vandale. Tous tôt dans toute son étendue la détresse
ces hommes avaient pris à la civilisa- du roi Pourfugitifmettre
et de un
ceuxterme
qui àl'avaient
tion ce qu'elle avait de plus énervant, suivi. ce blo-
et n'avaient point été endurcis, comme cus, qui lui avait déjà causé tant de
leurs aïeux, par les fatigues de la guerre fatigue et d'ennui , et aussi , peut-être,
et par les longues privations. La nou- par un sentiment de généreuse pitié,
le lieutenant de Bélisaire écrivit à
amollievelleau génération
sein du des luxeVandales s'était
et des plaisirs; Gélimer la lettre suivante : « Je suis
elle ne quittait les bains ou ses jardins un barbare; je ne connais ni les arti-
de plaisance que pour s'asseoir à des fices du langage ni les ornements du
tables chargées de mets rares et ex- style; je
quis. Si elle se livrait avec une sorte ment, t'exprimerai
comme un homme doncignorant,
simple-
de passion à l'exercice de la chasse, on mais qui sent vivement, toute ma pen-
la voyait souvent aussi prendre place, sée. Pourquoi , mon cher Gélimer, t'es-
en robes tissues d'or et de soie, dans tu précipité avec les tiens dans cet
les jeux publics, au milieu des femmes, abîme de misères? Tu ne veux point
des danseurs et des musiciens. Pour subir le joug du vainqueur, et, sans
cette génération habituée aux plaisirs doute, tu diras que la liberté est par
faciles, à l'abondance, à toutes les elle-même
lui sacrifie assez tous les précieuse pour qu'on
autres biens. Mais
jouissances d'un luxe effréné, le sé-
jour de Midenos était affreux , intolé- ne vois-tu pas que pour nous échapper
rable. La ville, en effet, était exclusi- tu te rends l'esclave des Maures, les
vement peuplée par des Maures, les plus misérables des hommes ? Ne vaut-
plus sobres des hommes. Les cabanes il pas mieux vivre esclave dans l'em-
qu'ils offrirent au roi ne garantissaient pire, que d'être le roi du Pappua et
ni du froid, ni des suffocantes cha- des Maures? Regarderais-tu comme
leurs de l'été. On ne trouvait point de chose honteuse d'être soumis au maître
lits dans ces cabanes; seulement les de Bélisaire? Repousse loin de toi
plus riches parmi les habitants éten- cette pensée d'orgueil, illustre Géli-
daient une fourrure sur le sol pour se mer. Nous-mêmes, qui sortons d'une
coucher. Toutes les provisions amas- race illustre, nous nous faisons gloire
sées consistaient uniquement en orge de servir l'empereur. On dit que Jus-
et en blé. Les Maures, dans leurs tinien veut t'accorder avec la dignité
repas, employaient souvent le grain de patrice une place au sénat, et te
sans le cuire et même sans le broyer. donner de grosses sommes d'argent
Ils ne buvaient jamais de vin. La dure avec de grandes propriétés; on dit
nécessité contraignit Gélimer et les aussi que Bélisaire doit se rendre ga-
compagnons de sa fuite à embrasser rant des promesses de celui qui l'en-
le genre de vie de ceux qui leur avaient voie. En cela, n'y a-t-il donc rien qui
donné asile; mais ce brusque change- puisse te tenter? Tu te roidis sans
ment dans leurs habitudes les affligea doute contre la mauvaise fortune dans
et les abattit. S'il faut ajouter foi aux la pensée que tu ne saurais, comme
paroles de Procope, il leur vint plus homme, échapper à ses coups. Mais
d'une fois en pensée qu'après tout va- aujourd'hui , pourquoi rejeter le sou-
lait mieux mourir ou être esclave, lagement qui est offert à tes maux?
que de vivre ainsi misérablement. N'est-ce pas la même fortune qui ap-
LETTRE DE FARA A GELIMER; RÉ- porte lebien et le mal, que nous de-
PONSE de gélimer. — Les Maures vons accepter forcément ? Suivant moi ,
de Midenos, il faut le croire, entrete- la tristesse, la misère et une profonde
naient des relations avec les Hérules, douleur, ont troublé ton esprit. Hâte-
72 L'UNIVERS.

toi de changer d'avis ; n'essaye point GELIMER SE DECIDE A SE RENDRE *,


de lutter contre les arrêts du sort, et SA. LETTRE A FARA. — L'hiver tOU-
bientôt l'heure de la délivrance arrivera chait à sa fin et le blocus de Midenos
pour toi, et tu pourras enfin échapper durait déjà depuis trois mois , lorsque
a tous les maux qui t'accablent. » Gélimer, craignant que Fara n'em-
Gélimer lut, non sans une vive portât la place
émotion, la lettre de Fara. Il lui ré- à d'assaut,
rieusement se songea
livrer lui et sé-
les siens
pondit :« Je suis reconnaissant de tes à Bélisaire. Il hésitait encore lorsqu'un
bons avis, mais je ne puis les suivre. fait, qui s'était reproduit souvent sans
Me soumettre à un ennemi injuste me doute dans la ville assiégée, mais qui ,
paraît intolérable. Si Dieu exauçait celte fois , le frappa vivement , vint
mes vœux, je tirerais une vengeance mettre un terme à ses irrésolutions.
éclatante de celui qui, sans cause légi- Une femme maure avait composé, avec
time, sans avoir été offensé par moi, un peu de blé à peine écrasé , une pâte
en paroles ou en actions, a envoyé qu'elle avait placée dans l'âtre sous la
Bélisaire en Afrique, et m'a précipité cendre brûlante ; deux enfants se te-
du faîte de la grandeur dans la plus naient auprès de cette femme, son fils,
déplorable des conditions. Que Justi- et un neveu de Gélimer. Pressés par la
nien apprenne qu'un jour viendra faim , ils regardaient avidement le pe-
peut-être où il sera en proie, comme tit pain , s'apprêtant à l'enlever lors-
homme et comme empereur, aux maux qu'il serait cuit; enfin, le jeune Van-
qui m'oppressent, et qui maintenant, dale ne pouvant se contenir, se pré-
au moins en apparence, sont loin de cipita vers le feu, saisit la pâte qui était
l'atteindre. Je ne puis plus écrire; la bouillante et, sans rejeter les cendres
douleur m'enlève la force de penser. qui la couvraient, la porta à sa bou-
Adieu, ami Fara. Envoie-moi, par che, et commença à la manger. Mais
grâce, une harpe, un pain et une le jeune Maure ne le laissa pas achever
éponge. » Le barbare lut et relut cette ce détestable repas : pour avoir sa part,
lettre; la dernière
il cherchait en vainphrase
à saisirl'arrêtait, et
le sens des il s'élança sur le neveu de Gélimer, le
paroles de Gélimer. Un homme qui se prit aux'
sage àcoups cheveux
redoublés, , le frappa sur leainsi
et parvint vi-
trouvait à ses côtés lui donna alors à lui arracher quelques morceaux de la
bouche. Le roi des Vandales était là
l'explication suivante : Gélimer de-
mande un pain , parce que depuis long- qui contemplait en silence la lutte des
temps iln'a pu goûter d'une pâte faite deux enfants. Ce spectacle lui brisa le
de bonne farine et cuite d'une manière cœur et , sans plus tarder , il fit porter
convenable; l'éponge doit servir à es- à Fara une lettre qui contenait ces
suyer ses yeux sans cesse gonflés par mots : « Je veux suivre tes conseils,
les larmes ; avec la harpe , il veut chan- Fara ; j'ai assez lutté contre ma des-
ter sa malheureuse histoire, et il es- tinée. SiBélisaire veut s'engager , par
père soulager ainsi sa douleur. Cette un serment solennel, à obtenir de l'em-
explication lit sur l'âme du chef bar- pereur ce que tu me promettais na-
bare une profonde impression; il céda guère je
, me rendrai à lui avec ma
à la pitié, et, se relâchant un instant famille et tous les Vandales qui m'ac-
de sa rigueur, il envoya à Midenos compagne t. »
l'éponge, le pain et la harpe queToute-
le roi JOIE DE BÉLISAIRE; GÉLIMER ABAN-
des Vandales avait demandés. DONNE MIDENOS ET SE REND; IL VIENT
fois, ilcontinua à faire bonne garde, a carthage. — Fara envoya en toute
et il attendit patiemment, au pied de hâte à Bélisaire la lettre qu'il avait
la montagne, qu'abattu par la misère, écrite au roi des Vandales avec les ré-
brisé par la douleur, Gélimer, dans
son désespoir, descendît de sa retraite ponses qu'il avait, après
nant de Justinien reçues. Le lieute-
les avoir lues,
pour se rendre à la merci de son vain- fut au comble de la joie ; il avait ar-
queur. demment souhaité jusqu'alors de con-
AFRIQUE. 73

duire Gélimer vivant à l'empereur, et nier ; puis , comme il prévoyait la


la fortune semblait avoir pris plaisir à réponse de l'empereur, il se disposa
combler tous ses vœux. Il envoya donc au départ, et il eut soin qu'au pre-
au mont Pappua, Cyprien et quelques mier signal la flotte fût prête à tenir
officiers qui devaient promettre à Gé- la mer.
limer, sous la foi du serment, qu'on BÉLISAIRE ACCUSÉ PAR SES OFFI-
n'attenterait point à sa vie , que l'em- CIERS AUPRÈS DE L'EMPEREUR; IL
pereur lerecevrait d'une manière con- QUITTE L'AFRIQUE ET ARRIVE A CONS-
forme àson rang et le traiterait avec TANTINOPLE. — Bélisaire avait hâte
distinction. Arrivés au camp des Hé- de quitter l'Afrique parce qu'il savait
rules , les envoyés de Bélisaire se con- que l'empereur était, par sa nature,
certèrent avec Fara; puis, tous en- enclinrait pasaux, ensoupçons et qu'ildesne succès
tarde-
sembleils
, se rendirent au pied de la raison même
montagne où ils firent appeler Géli- qu'il avait obtenus , à lui supposer des
mer. Le roi des Vandales n'hésita idées d'ambition; d'ailleurs, il n'igno-
point : il quitta Midenos et, après avoir rait pas que, parmi ses officiers, il
reçu les serments des officiers grecs , avait des envieux de sa gloire , et que
il se mit en marche avec les siens vers
plusieurs l'avaient dénoncé comme
la capitale de son ancien royaume. On traître à la cour de Byzance. Il avait
dit qu'avant d'entrer à Carthage, lors- saisi , sur un vaisseau qui était prêt
à mettre à la voile, une lettre où on
qu'il aperçut les travaux exécutés par
les Grecs', les fossés l'accusait de nourrir le projet de
avaient été creusés, les mursprofonds qui
qui avaient se rendre indépendant en Atrique,
été rehaussés ou réparés, il demeura et de se substituer à Gélimer , le
frappé d'étonnement roi détrôné , et à Justinien qui , par
rement la négligence et qui déplora
lui avaitamè-
fait ses troupes , venait de triompher.
perdre un trône et causé tous ses mal- L'empereur reçut à Constantinople
heurs (*). Lorsque Bélisaire s'avança plusieurs dénonciations ; elles l'agi-
dans un faubourg de la ville, pour re- tèrent vivement, mais il sut dissi-
cevoir le prisonnier, Gélimer s'aban- muler ses inquiétudes et ses craintes,
donna àde grands éclats de rire. Les et il envoya à Bélisaire une lettre où,
uns le crurent fou ; mais les autres , sans lui parler des accusations portées
avec plus de raison peut-être, virent, contre lui , il lui proposait de rester
dans les accès de cette étrange gaieté, en Afrique comme chef suprême de la
une ironie , et ils déclarèrent que l'in- province, en lui prescrivant toutefois
tention de ce roi qui , du faîte de la de lesfaire partir
grandeur, était tombé dans la plus ,ou bien de Gélimer
revenir à etsa les
courVanda-
avec
affreuse misère , avait été de montrer les prisonniers. Bélisaire n'hésita point,
qu'on et il embrassa avec joie le dernier parti
destinéedevait et tous accepter les arrêts deheu-la
les événements qui lui permettait de confondre ses
reux ou malheureux , avec le plus pro- ennemis, d'enlever tout soupçon à Jus-
fond dédain. tinien, etde prouver sa loyauté. Il re-
Quand Bélisaire se vit maître de la mit le commandement des troupes et
personne de Gélimer, il envoya à Jus- de l'Afrique à Salomon qui , de retour
tinien un exprès pour lui annoncer de Constantinople , lui avait apporté
cette bonne nouvelle et pour lui de- les ordres de l'empereur ; il lui laissa
mander l'autorisation d'amener lui- même une partie de ses vétérans et de
même, à Constantinople , son prison- ses gardes, parce quitter
qu'il apprit, au mo-
ment où il allait Carthage, que
les tribus maures se levaient en armes
(*) Cette anecdote est rapportée par Pro-
cope dans la partie de son histoire où il et attaquaient les postes qu'il avait éta-
parle des premiers soins qui occupèrent blis dans la Byzacène et dans la Nu-
Bélisaire, après son entrée à Carthage {De midie. Puis, il fit voile vers Byzance,
Bel Vandal, I, a3.) et il arriva en vue de la ville dans un
74 L'UNIVERS.

instant, peut-être, où Justinien son- pantemaines.


de l'instabilité
geait àarracher de l'Afrique , par la A une époque des choses était
où Rome hu-
ruse ou par la force , le général que , encore dans sa toute-puissance , Titus
sur de faux rapports , il croyait par- avait rapporté de Judée en Italie ces
jure et prêt à se révolter. ornements qui devaient servir à son
LE TRIOMPHE DE BELISATBE. — triomphe. Quatre siècles plus tard , un
barbare les avait enlevés à Rome et
Le jour des fêtes et de l'allégresse ne les avait placés , comme un trophée de
fut point celui où Bélisaire , après sa
rapide traversée , jeta l'ancre dans le ses pirateries et de ses brigandages ,
dans son palais de Carthage; puis, un
port de Constantinople. L'empereur et soldat heureux, né enThrace, les avait
le peuple ne l'attendaient point, et il
gagna silencieusement sa demeure où conquis sur l'Afrique , et il venait les
il déposa ses trésors et ses prison- déposer dans l'hippodrome de Cons-
niers. La joie de Justinien fut à son tantinople ,aux pieds de Justinien.
comble quand il sut qu'auprès de lui L'empereur byzantin ne vit point ces
se tenaient Bélisaire, toujours soumis objets, consacrés à Dieu par les juifs,
et loyal , et Gélimer , le roi des Van- sans une secrète terreur, et, dans la
dales. Dans sa reconnaissance, il ac- pensée qu'ils portaient malheur à ce-
corda au vainqueur de l'Afrique un lui qui les retenait, il se hâta d'en
honneur que nul général, sauf les em- faire don à l'église chrétienne de Jéru-
pereurs ,n'avait obtenu depuis cinq salem (*).
cents ans; il lui décerna un triomphe. Mais c'étaient moins les riches dé-
Au jour fixé pour la fête, l'empereur f>ouilles des Vandales qui attiraient
et le peuple se rendirent à l'hippo- es regards de la foule que Gélimer et
drome qui devait- remplacer, dans ses compagnons d'infortune. Le roi
cette circonstance mémorable, le Ca- vaincu était revêtu d'un manteau de
pitule de l'ancienne Rome. Justinien pourpre; sa démarche était ferme et
s'était placé au centre des spectateurs assurée, et ses traits, comme ceux des
sur un trône élevé et , à côté de lui , nobles vandales qui le suivaient , por-
paraissait taient l'empreinte d'une dédaigneuse
lisairel'impératrice
sortit à pied de Théodora.
sa maison Bé-et fierté. Quand il entra
drome, ilparcourut des dans
regardsl'hippo-
cette
s'avança , avec son cortège , vers l'hip-
podrome. Quand il dépassa les barriè- vaste enceinte où s'élevait le trône de
res, ilfut accueilli par les applaudis- l'empereur et où s'agitaient les flots
sements etles transports de ce peuple accumulés d'un peuple impatient. De-
immense qui était accouru sur le ri- vant ce spectacle il fut troublé sans
vage, ily avait un an, pour saluer doute, mais il eut assez de force pour
son départ et pour mêler ses prières cacher à tous les yeux ses émotions;
à celles de l'archevêque Epiphanius. il ne versa pas une larme ; pas une
On portait, à côté du général , les plainterésolution,
ne lui fut arrachée. Il s'avança
splendides dépouilles de la nation vain- avec et, repassant dans
cue ; on voyait des trônes d'or et les son esprit l'histoire de ses malheurs,
chars qui traînaient la reine des Van- il dit , et ne cessa de répéter pendant
dalesdes
; pierres précieuses sans nom-
(*) Un juif, dit Procope, s'approcha de
bre ;des vases et des coupes d'or ; Justinien et lui dit : « Ne fais point trans-
toute la riche vaisselle que l'on plaçait porter cet or dans ton palais; il ne peut
sur la table royale ; enfin, des sommes
reposer que là où Salomon l'a placé. C'est
incalculables en pièces d'or et d'ar- pourquoi Genséric l'a enlevé à Rome, et
Genséric gent. C'était avaitleexercées fruit dessurrapines que
le monde Bélisaire, à son tour, l'a pris aux Vanda-
les. » Ces paroles jetèrent la crainte dans
entier. Parmi tant de richesses accu- l'âme
mulées on
, distinguait les ornements 11,9)de l'empereur qui envoya les dépouil-
les de l'ancien temple à l'église chrétienne
de l'ancien temple de Jérusalem. C'é- de Jérusalem. (Procop. , de Bel. Vandal.,
tait làune image matérielle mais frap-
75
AFRIQUE.

le triomphe, ces paroles de l'Écriture : illustres familles. Transplantés à Cons-


« Vanité des vanités, tout est vanité. » tantinople, les plus jeunes et les plus
Quand il fut arrivé au trône de Justi- nobles parmi les descendants des an-
nien, on lui enleva le manteau de pour- ciens conquérants de l'Afrique, se mi-
pre, symbole de la royauté, et on lui rent au service de l'empire et formè-
ordonna de se prosterner et d'adorer rent un corps de cavaliers qui se
l'empereur. Les contemporains assu- distingua plus d'une fois , par sa va-
rent qu'on fut obligé de recourir à la leur, dans les batailles(*). Mais que de-
violence pour le forcer à prendre une vint, en Afrique, la masse de cette
humble posture devant celui qui était puissante nation? « Il est vraisembla-
devenu son maître. Il se résigna en- ble dit
, Gibbon , qu'après l'exil de son
lin , et portant ses regards sur Béli- roi et de sa noblesse, le peuple van-
saire, qui s'était agenouillé, il imita dale paya
son vainqueur/ perdant sonlacaractère,
sécurité qu'il
et en obtint en
sacrifiant
Peu de jours après , Justinien ac- sa religion et sa langue, et que sa
corda àBélisaire le titre de consul. Ce
postérité dégénérée se mêla insensi-
fut l'occasion d'un nouveau triomphe blement avec la foule des sujets de
où la joie du peuple, n'étant plus com- l'Afrique. Plusieurs cependant essayè-
primée par un sévère cérémonial , se rent d'échapper à la domination étran-
manifesta sans contrainte. Des captifs gère ;un voyageur de nos jours a
portaient la chaire curule du général, trouvé, au centre des peuplades mau-
et autour, la multitude, à laquelle on res, le teint blanc et la longue cheve-
distribuait largement une part du bu- lure d'une race du Nord ; et l'on disait
tin pris aux Vandales , faisait éclater aussi autrefois que les plus audacieux,
ses transports. Bélisaire compta , il cherchant à se soustraire au pouvoir,
n'en faut pas douter , ces deux jour- ou même à la connaissance des Ro-
nées au nombre des plus heureuses de
sa vie; mais sa grande âme dut moins mains ,trouvèrent la liberté et l'iso-
lement sur les côtes de l'Océan Atlan-
se réjouir des témoignages d'admira- tique. La terre où ils avaient régné
tion que ses succès arrachaient au devint leur prison; ils ne pouvaient ni
peuple , et des honneurs qui lui étaient espérer, ni désirer de retourner sur
décernés , que de la loyauté avec la- les bords de l'Elbe, où une partie de
quelle l'empereur au
remplit les Pappua.
engage- leurs frères , moins aventureux , er-
ments contractés pied du raient encore au milieu des forêts. Il
Les prisonniers furent traités avec de
grands égards. Justinien et Théodora étaitmers
les impossibleinconnues aux etlâches d'affronter
les barbares qui
se montrèrent surtout généreux pour se présentaient devant eux : ceux qui
les filles de Hildéric , que Bélisaire avaient du cœur ne pouvaient se ré-
avait amenées d'Afrique , et pour tous soudre àporter dans leur patrie leur
les enfants issus, par Eudoxie, du misère et leur honte, et, après avoir
sang de Valentinien. Quant à Gélimer décrit la richesse de ces royaumes
on ne lui donna pas le titre de pa- qu'ils avaient perdus , à se voir forcés
trice , parce qu'il ne voulut point re- de réclamer une portion du modeste
noncer aux erreurs d'Arius. On lui héritage auquel ils avaient renoncé pres-
assigna, dans la Galatie , un riche do- que tous dans des temps plus heu-
maine où il se retira avec sa famille.
reux (**). »
C'était là, au centre de l'Asie Mi- (*) Gibbon ; Hist. de la décadence, elc. ,
neure loin
, des troubles et des révo- ch. 41. — Lebeau; Hist. du Bas-Empire;
lutions qui menacent les empires, que édit. Saint-Martin; t. VIII, p. 161.— Pa-
devait mourir en paix le dernier roi pencordt ; Geschichte der vandalischen
des Vandales. Herrschaft in Afrika, p. 3 14.
Avec le triomphe de Bélisaire se
(**) v°y- Plus haut , p. 58. On ne lira
termine l'histoire des Vandales ; la na- peut-être pas sans intérêt ce qui concerne
tion avait perdu son roi et ses plus les destinées de cette partie de la nation
76 L'UNIVERS.

CAUSES DE LÀ CHUTE DE L'EM- « Dans l'histoire de l'humanité , dit


PIRE vandale; FIN DU BÉCIT. — Procope, il n'est pas un siècle qui
vandale qui n'avait point voulu suivre le roi n'offreleux.quelque Toutefois, événement
quand je songe merveil-
que
Godigiscle et émigrer au temps des grandes
invasions. Le passage que nous citons ici a cinq mille cavaliers (car, pendant
été signalé par Gibbon. Nous donnons dans
son entier ce curieux document : «Voici le le cours de la guerre , l'infanterie
portrait des Vandales modernes tel que le
n'eut point l'occasion de prendre part
lit Frédéric-Guillaume, électeur de Bran- aux batailles),en qui
en arrivant n'avaient
Afrique , un pas
portmême,
où ils
debourg, et grand-père du roi de Prusse, pussent débarquer, ont renversé de
aujourd'hui régnant, en s'entretenant avec son trône le successeur de Genséric
M. Tollius, personne connue dans la répu- et , en quelques mois , ont effacé cet
blique des lettres, et qui traversait lesÉlats
empire vandale si puissant par ses ri-
de ce prince. « C'est un peuple léger, sédi-
« tieux et perfide, qui n'habite que dans chesses et ses guerriers , je n'oserais
«des bourgades, dont véritablement il y affirmer qu'il y eût , dans Je passé, un
« en a de cinq ou six cents feux. Ces Van- fait plus étonnant que la rapide expé-
« dales reconnaissent en secret un roi de dition de Bélisaire. » Sans rien dimi-
« leur nation ; mais ce roi ne se donue à nuertache
de laencore
juste, après considération
tant de qui s'at-,
siècles
« connaître qu'à ses sujets, qui lui payent au nom de Bélisaire, on peut dire, et
« chaque année une redevance d'unécu par
« tête; on sait même qu'il garde dans sa l'historien byzantin lui-même semble
» maison un sceptre et une couronne. Le
le reconnaître, que les succès de l'ar-
« hasard, ajoutait l'électeur, me fit voir une mée grecque en Afrique ont été plutôt
« fois le roi des Vandales. C'était un jeune l'œuvre de la fortune que du génie et
« homme qui avait l'air robuste et la mine du courage. Il y eut, en effet, quelque
« haute. Un des plus considérables de la chose de merveilleux dans certains évé-
« nation s'étant aperçu que je regardais fixe- nements de cette guerre pour laquelle
« ment ce jeune homme, il le fit retirer à
le hasard fit plus que les hommes. Ce-
« coups de bâton, comptant bien qu'il me
« donnerait le change par là et que je ne
pendant, en recherchant avec soin les
causes qui , depuis longtemps, avaient
« pourrais jamais penser qu'un homme qu'il amené la décadence et préparé la chute
« traitait ainsi fût son roi. J'ai fait traduire
« en leur langue la Bible et le catéchisme de la nation vandale, on peut expli-
« de Heidelberg ; mais je n'ai point encore
quer aisément et comprendre la rapi-
dité de la révolution que nous venons
« érigé d'écoles publiques dans la contrée de raconter. Gélimer était, il est vrai,
« qu'ils occupent. J'ai craint le caractère de
« de ce peuple , qui d'ailleurs habite un l'héritier de Genséric et le chef d'un
« pays où il est facile de se cantonner. Ces grand peuple, mais, par ses qualités,
« Vandales, qui ne manquent pas de vue, ont il était loin de ressembler au plus il-
« même déjà trouvé moyen d'avoir quelques lustre de ses aïeux, et ses guerriers
« pièces d'artillerie qu'ils cachent avec soin. n'avaient point conservé le courage et
« Un jour que je traversais leur pays, ils les mâles habitudes de la forte généra-
« s'attroupèrent jusqu'au nombre de cinq
« à six mille, dans le dessein de m'enlever, tion quifrique.
avaitLes générations
fait la conquête de l'A-,
nouvelles
« et quoique j'eusse une escorte de huit
« cenis grenadiers, ce ne fut pas sans peine comme prend,
Procope lui-mêmecorrompues,
étaient amollies, nous l'ap-
« que je sortis d'embarras. » Dubos ; His- et elles ne se distinguaient plus que
toire critique de l'établissement de la mo-
narclùe française dans les Gaules, t. I, par les privilèges de la population ro-
p. 2ii. Paris, 1734 ,in-4°. Gibbon dit dans maine. Après tout , le nombre, peut-
une note : « On peut suspecter avec raison être , l'eut encore emporté si la for-
la véracité, non pas du grand électeur, mais tune n'eût pris soin , au moment
de Tollius; »et cependant il paraît adopter,
dans son récit, les faits les plus importants
même de moindrirlalesforces
lutte,desde Vandales
diviser et, etd'a-
de
conlenus dans le passage que nous venons mettre en quelque sorte entre les mains
de citer. de Justinien les armes qui avaient
AFRIQUE.
77
servi à Genséric pour frapper l'em- quand ils touchèrent la Sicile, et Theu-
pire. uis renvoya avec ignominie les ambas-
Gélimer s'aliéna d'abord une partie sadeurs vandales qui étaient venus
des hommes de sa race par son usur- solliciter son alliance. Abandonné par
pation, et aussi par le barbare traite- une partie des siens, haï par les catho-
ment qu'il fit subir au roi dont il tenait liques, connaissant les dispositions
la place. Il n'y eut plus dès lors, dans hostiles des Maures, Gélimer, au sein
la nation, cet accord qui seul pouvait même de ses Etats, était réduit à l'im-
lui donner la force de résister aux en- puis ance; etau dehors il ne comptait
nemis du dehors et de repousser les pas un seul peuple qui, dans les fâ-
agresseurs; puis, quand Bélisaire pa- cheuses conjonctures où le mauvais
rut, les catholiques se tournèrent con- gouvernement de ses prédécesseurs et
tre les Vandales, comme les donatistes,
autrefois, au moment de la conquête, sa propre usurpation l'avaient placé,
voulût lui prêter assistance. Des acci-
avaient pris parti contre l'empire. dents imprévus, la fatale imprudence
Enfin les Maures, que Genséric avait d'Ammatas, la mort de Tzazon, hâtè-
su maintenir dans le repos et dans son
alliance, plus encore en les associant de la rent,domination
iln'en faut point douter,mais
vandale, la chute
elles
aux périls et aux gains de ses entrepri- ne la décidèrent pas : elle fut préparée,
ses qu'en les comprimant par la force, amenée par les causes diverses que
avaient harcelé sans relâche, depuis nous venons d'énumérer. Celui qui
cinquante ans et sur toutes les fron- tiendra compte de ces causes ne sera
tières, les conquérants germains; et point surpris que cinq mille cavaliers
lorsque l'armée grecque arriva, ils ne d'élite, soutenus par une réserve de
voulurent point le défendre, et virent dix mille fantassins, et dirigés dans
tomber sans regret un peuple qui , re- leurs mouvements par un général ha-
nonçant àses habitudes de guerre et bile, aient vaincu un roi mal affermi
aux grandes pirateries, avait cessé de sur son trône, et arraché l'Afrique,
lui fournir de l'or, et que, pour sa fai- même en six mois, à une nation qu'un
blesse, ils méprisaient depuis long- grave dissentiment avait partagée et
temps. La force de Genséric était affaiblie, et que l'habitude du repos,
presque tout entière dans ses alliances. du luxe et des plaisirs, avait amollie et
C'était en s'unissant aux Goths, aux dégradée.
On conçoit aussi que la facile con-
àSuèves,
consolider aux sa Huns, qu'il était
domination parvenu
en Afrique, quête accomplie par Bélisaire ait ex-
et à lutter avec avantage contre ses cité des transports de joie dans les
ennemis de l'Orient et de l'Occident. provinces soumises au monarque qui
Quand il était menacé par l'Italie ou se disait l'héritier des Césars. Frappé,
par Byzance, il poussait, suivant les envahi, amoindri depuis deux siècles
circonstances, les barbares de l'Europe par les barbares, le vieil empire tres-
saillit àla nouvelle de la chute des
sur l'un ou sur l'autre empire, et éloi-
gnait ainsi le danger de sa capitale et Vandales, et il crut sans doute que le
de ses côtes. Gélimer, en imitant son temps des rudes épreuves était passé
aïeul, en s'alliant, par exemple, aux pour lui et dans
et revivre qu'il toute allait se
sa reconstituer,
force et son
Ostrogoths en Italie et aux Visigoths
en Espagne, aurait pu au moment du ancienne splendeur. Justinien se fit
danger écarter de l'Afrique l'armée de alors l'organe des sentiments et de l'o-
Justinien. Mais il ne sut point entre- pinion de ceux qui n'avaient point cessé
tenir avec les peuples qui devaient être de croire à l'éternité de la puissance
ses auxiliaires naturels des rapports romaine. Les premiers messagers de
d'amitié, ou bien quand il songea à Bélisaire avaient paru à peine à sa
leur demander aide et appui, il était cour, que déjà, sans attendre que Gé-
déjà vaincu. Aussi Amalasunlha four- limer eût risqué sa dernière bataille et
nit des vivres aux vaisseaux grecs fût devenu son prisonnier, il se décora,
78 L'UNIVERS.
dans les actes émanés de sa chancel- dales dans la Germanie. Nous renvoyons
lerie, des titres à' Africain, et de vain- sur ce point à tous les auteurs qui, de-
queur des Alains et des Vandales. Il puis Tacite, ont parlé des sociétés bar-
alla plus loin encore, car, prenant ses bares. Quelle fut , plus tard , l'organi-
espérances et celles des Byzantins pour sation adoptée par les Vandales au
des réalités, il se fit appeler aussi sou- temps où, sans demeures fixes, ils er-
verain des Francs, des Goths, des raient en Gaule , en Espagne et en
Alamans et des Germains, comme Afrique? C'est une question que nous
s'il eût possédé la Gaule, l'Espagne, avons déjà essayé de résoudre en quel-
l'Italie et les portions de la Germanie ques mots. Nous avons dit (pag. 27) :
enclavées dans l'ancien empire (*). La « Depuis le passage du Rhin jusqu'à la
fortune, on le sait, ne devait point prise de Carthage , la nation vandale
tarder à faire justice de ces vastes n'est qu'une horde inquiète, errante,
prétentions, et à donner un démenti qui n'a point d'autre patrie que la terre
aux paroles de Justinien. Toutefois, enclose par des fossés où elle place son
nous le répétons, quand on songe que camp ; d'autres mœurs que celles que
depuis les grandes invasions des bar- font la guerre et des combats sans
bares l'empire avait toujours été vaincu cesse renouvelés ; d'autre gouverne-
et malheureux, on rencontre sans éton- ment que la discipline des armées. Il
nement, dans les récits et les actes du suffisait alors à celui qui dirigeait les
sixième siècle, les lignes que nous avons mouvements de cette horde, d'avoir
citées, et l'on conçoit aisément que les assez de bravoure et d'énergie pour la
victoires de Bélisaire et ses rapides sauver des attaques de l'ennemi , et
succès en Afrique aient inspiré des pour maintenir dans cette foule com-
sentiments d'orgueil et quelque en- posée de tant d'éléments divers l'obéis-
thousiasme aux Romains dégénérés. sance et l'apparence de l'unité. »
Après la prise de Carthage et le par-
ORGANISATION POLITIQUE DES VANDALES EN tage des terres de la Zeugitane , les
AFRIQUE ; EFFETS DE LA CONQUETE ; RAP- Vandales passèrent de la vie nomade
PORTS DES VAINQUEURS AVEC LES VAINCUS; à la vie sédentaire. Alors il se fit dans
RELIGION , COMMERCE , INDUSTRIE , LIT- leurs habitudes , leurs mœurs , dans
VANDALE.
TERATURE MOEURS,
, ETC., DE L'AFRIQUE leur vie, en un mot, une complète
transformation. D'un autre côté, par
Nous ne chercherons pas ici à dé- le fait de l'invasion , la condition des
crire l'état politique et moral des Van- Romains de l'Afrique dut changer.
Comment les Vandales , après la
sur ladeterre
prise Carthage, s'organisèrent-ils
(*) Yoici les titres qui sont accumulés
dans les actes de confirmation placés en tête conquise? Quelle fut la
des Instituts et des Pandectes : Imperator forme de leur gouvernement ? Dans
Cœsar, Flavius Justinianus , Alamanicus , quels rapports vivaient les vainqueurs
Gothicus, Francicus , Germanicus , Asiati- et les vaincus ? Quels changements ap-
cus, Alanicus, Vandalicus,Âfricanus, Pius,
Félix, incljtus, Victor ac Triumphator, sem- porta laconquête dans l'état des per-
per Augustus. Dans le préambule de chacun sonnes le
, commerce et l'industrie ?
de ces actes, Justinien rappelle avec osten- D'autre part, quelle fut l'action de la
tation ladéfaite des Vandales, la prise de civilisation romaine sur les conqué-
rants barbares? Ce sont là les diver-
Carthage et la conquête de l'Afrique. Jus- ses et importantes questions que nous
tinien agissait avec quelque témérité en se
glorifiant ainsi. Les actes que nous signalons nous proposons d'examiner.
ici ont élé promulgués , comme le porte la le eoi. — Avant d'avoir pris Car-
date , bien avant que
de l'empereur pûtTrica-
con- thage et forcé l'empire à reconnaître
naître les résultats la bataille de ses conquêtes , au temps où il était
mara, et trois mois environ avant la soumis-
campé plutôt qu'établi en Afrique, Gen-
sion de Midenos et la captivité de Gélimer. séric exerçait sur les Vandales , les
Yoy. le Corpus juris civilis. Alains , et tous les hommes de races
AFRIQUE. 79

diverses qui l'accompagnaient, un pou- plus haut dans notre récit (pag. 58) ,
voir absolu. C'était le pouvoir dont, le roi , dans les circonstances solen-
par nécessité, ont été investis dans nelles ,appelait autour de lui , pour
tous les temps les généraux d'une ar- prendre conseil , les hommes les plus
mée en campagne. Quand Genséric illustres de sa nation. Cette réunion
eut distribué à ses compagnons les n'était point sans analogie avec le
terres de la Zeugitane, quand il eut fVittena-ghemote , ou assemblée des
sages des anciens Saxons. Seulement
pris tive
possession
de la meilleure d'unepartie
manière
des défini-
vastes il fout remarquer que la voix du roi
et fertiles provinces d'Afrique qui , dans le conseil était prépondérante ,
avant sa conquête , relevaient de l'em- décisive; qu'elle valait, en un mot, à
pire ,sa sphère d'action s'agrandit. Il elle seule, toutes les voix. Ainsi Pro-
cessa d'être exclusivement le chef d'une cope raconte que les députés envoyés
foule armée, pour devenir roi. Mais à Carthage par les Vandales d'Europe
alors son pouvoir, pour s'étendre plus qui , au temps du roi Godigiscle , n'a-
loin qu'autrefois, ne perdit ni sa force, vaient point voulu émigrer , ayant de-
ni le caractère de violence que lui avait mandé àGenséric l'entier abandon des
imprimé l'état de guerre. Les compa- terres que lui et les siens avaient lais-
gnons de Genséric , la conquête une sées en Germanie, le roi , de l'avis de
fois accomplie et le partage des terres son conseil, fit d'abord une réponse fa-
étant achevé, ne cessèrent pas de se vorable. L'historien byzantin ajoute
considérer comme les membres d'une qu'un vieillard s'étant levé, ramena le
armée , et ils ne cherchèrent pas à ra- roi par un discours à un avis contraire.
vir une part de l'autorité de celui qui, Genséric hésion, sans
avant leur établissement, les dirigeait expriméetenir
par compte de l'ad-
la majorité de
dans les courses lointaines et les com- ceux qu'il avait rassemblés, trouva
bats. Nous renvoyons au récit qui sages les paroles du vieillard , et ren-
précède. voya les députés sans accueillir leur
ques de On verra qu'aux des
la domination diverses épo-
Vandales demande. Cette seule anecdote peut
en Afrique , la puissance absolue de nous faire connaître la nature et les
l'ancien chef de guerre qui était de- attributions du conseil convoqué dans
venu roi , pour employer ce mot dans les graves circonstances par les rois
son acception moderne , fut toujours vandales.
incontestée. Genséric et ses succes- ROYAUTÉ HÉRÉDITAIRE ; LOI DE
seurs eurent tout pouvoir sur la vie succession. — La famille qui , chez
et la liberté non point seulement des les conquérants de l'Afrique, possédait
Romains, mais encore des hommes les la royauté, était sans doute illustre
plus illustres de leur race. En ce qui entre' toutes les familles vandales. A
concerne les Vandales , l'autorité du quelle époque et à quelles conditions
roi n'était limitée qu'en un sens : il le pouvoir snprême fut-il confié aux
aïeux de Genséric ? Nul document ne
n'osait porter atteinte à la propriété
concédée à perpétuité à ceux qui avaient saurait nous l'apprendre. Nous devons
fait la conquête. Une seule infraction nous borner à constater qu'à partir de
aux arrangements voulus et acceptés la grande invasion jusqu'au règne de
par Genséric et ses compagnons eût Justinien , les rois vandales , et nous
inspiré à tous les barbares, devenus n'exceptons point Gélimer(*), ne fu-
propriétaires , des craintes sérieuses , rent jamais soumis à l'élection. Gen-
et amené une révolution qui aurait eu séric régla après la conquête l'ordre
pour premier résultat une diminution
du pouvoir royal, et peut-être la chute (*) Dans sa lettre à Justinien , Gélimer
de la famille investie de la royauté. établit la légitimité de son pouvoir moins
le conseil du roi. — Si l'on en sur le vœu exprimé par les guerriers de sa
croit une tradition rapportée par Pro- nation que sur le testament de Genséric et
cope, et que nous avons reproduite les droits de sa famille.
80 L'UNIVERS.
de succession au trône. Il lit, suivant zacène, et sur la côte, près de Grasse,
Procope {De Bel. Vandal. , 1,7), un
de magnifiques jardins
ration des soldats qui firent Les
de Bélisaire. l'admi-
rois
testament dans lequel on lisait cet ar-
ticle :Que la royauté reviendrait au vandales ne tiraient point seulement
plus royal,
âgé desans tous"suivre
les princes leurs revenus de leurs domaines. L'im-
sang la ligne issus du
directe. pôt payé autrefois par les Romains
Ainsi le fils d'un roi voyait la cou- aux empereurs fut versé, après la con-
ronne de son père passer à un oncle quête dans
, les coffres de Genséric et
ou à un cousin. Toutefois , il ne per- de ses successeurs. On doit remarquer,
dait point l'espoir de devenir roi à son toutefois, que cet impôt fut moins
tour. L'âge pouvait lui conférer un lourd sous les Vandales qu'au temps
jour la royauté. Genséric, par son tes- de la domination romaine, et que les
tament, ne se proposait point seule- percepteurs et receveurs de Genséric
ment d'effacer le souvenir de son usur- {procuratores seu exactores) se mon-
trèrent moins durs et moins cruels
pation, etde faire oublier qu'il s'était
emparé de la souveraine puissance au que les agents du fisc impérial. Il faut
détriment des jeunes enfants de son encore ajouter à ces sources de reve-
frère Gundéric , il voulait encore as- nus les amendes en argent ou en na-
surer letrône à sa famille , et écarter ture payées par ceux qui avaient en-
de sa nation îes troubles et les dan- couru une condamnation.
gers inséparables d'une minorité (*). Voici, d'après les indications re-
Nous ajouterons ici une remarque, cueillies chez les auteurs contempo-
c'est que l'histoire des Vandales et rains quel
, était l'emploi des sommes
leur loi de succession ne font pas men- amassées par les rois vandales. Ils sou-
tion de cette règle des partages suivie doyaient, pour le service de la flotte,
de la garnison de Carthage, et des
par les Franks, dans l'ordre politique,
règle que d'éminents historiens ont camps fortifiés que Genséric avait éta-
regardée, à tort peut-être, comme in- blis vers le désert, sur plusieurs points
hérente aux coutumes et aux mœurs de la frontière, un corps nombreux
des peuples de la Germanie. d'archers maures. Ils payaient les in-
LES DOMAINES DU ROI ; SON TRÉ- dividus qu'ils appelaient d'Espagne
SOR ;EMPLOI DES DENIERS ROYAUX. pour frapper les monnaies, et les ou-
— Le roi , on le conçoit aisément , se vriers employés à la fabrication des
fit une large part dans les terres con- armes, à leur entretien et à la cons-
truction des vaisseaux. Ils élevaient et
quises. Ilest vraisemblable qu'il avait,
non loin de Carthage, dans la province remplissaient d'armes ou d'agrès de
même qui était devenue la propriété vastes arsenaux. Les sommes que les
de ses compagnons d'armes, de vastes violences de la conquête avaient mises
domaines. Puis, dans les parties de son entre les mains du roi furent quelque-
empire où les Romains étaient restés fois réservées, comme nous dirions
propriétaires, il choisit encore d'autres aujourd'hui , pouravons
lut public. Nous des mesures
cité plusdehaut
sa-
terres pour ses plaisirs ou pour accroî-
tre ses revenus. Ainsi, nous savons, par (pag. 16) un passage où Victor de
le récit de Procope, que Gélimer avait Cartenne raconte que toutes les ri-
une résidence à Hermione, dans la By- chesses enlevées aux habitants de Car-
thage, après la prise de la ville, furent
portées à Genséric. « Elles devaient
(*) Voyez sur le testament de Genséric :
Marcus; Histoire des Vandales, etc., p. 2g5 servir, ajoute l'historien, à prendre
et suiv. — Papencordt; Gesc/iichte dervan-
les mesures nécessaires pour repousser
dalischen Herrschaft in Afrika, p. 217 et les Romains des provinces où les Van-
suiv. — Voy. aussi une note curieuse de dales avaient fixé leurs demeures. »
Saint-Martin, dans son édition deYffist. DES DIFFÉRENTES CLASSES DE LÀ

du Bas -Empire, par Lebeau; t. "VIII, nation vandale. — Il y avait chez


p. 201. les Vandales , comme chez les autres
81
AFRIQUE.
nations barbares, certains hommes son conseil, et les principaux officiers
qui jouissaient, parmi leurs compa- de son palais. Il y avait à Carthage
gnons d'armes, d'une grande considé- un fonctionnaire du plus haut rang,
ration. Dans la Germanie, et pendant que les écrivains romains appellent
les premiers désordres de l'invasion, prœpositus regni. Il était chargé
c'est-à-dire, quand la tribu errait en- de l'inspection des manufactures , des
core avant
sementd'avoir fixe, ces conquis établis- arsenaux , et de tous les établisse-
hommes un tenaient ments royaux. Il devait répondre
cette considération, leur noblesse, aussi aux pétitions, demandes ou ré-
comme nous dirions, non point de clamations quiétaient envoyées dans
leurs aïeux, mais de leurs qualités et la capitale par les habitants des diver-
de leur bravoure personnelles. Ils en-
traînaient leur
à suite, en raison seu- fetsesilentretenait
provinces de l'Afrique, et àdecetnom-
à côté de lui ef-
lement de la réputation qu'ils avaient breux employés, notarii. Ce ministre,
acquise dans les combats , un certain Vandale par sa naissance , que ses
nombre de guerriers qui se dévouaient fonctions rendaient le personnage le
à eux et à leur fortune. Ces hommes
illustres, parmi les barbares, étaient roi plus important de l'empire après le
, sortait , il n'en faut pas douter,
les chefs de bandes. Quand ils mou- des rangs de la noblesse.
raient, ils ne transmettaient à leurs Le roi (les faits l'attestent) avait le
fils ni leur illustration, ni leur in- droit d'infliger à un noble des peines
fluence, etla bande se dissipait. Cha- infamantes et de le dégrader, mais il
que guerrier cherchait un nouveau pouvait aussi élever à la noblesse des
chef. Tout changea chez les Vandales, nommes d'un rang obscur. C'est ainsi,
comme chez les autres peuples germa- qu'au témoignage de Victor de Carten-
ne, Genséric conféra le titre de comte à
manière niques, définitive quand ils s'établirent
sur les terres d'une
de
un ouvrier vandale qui s'était distingué
l'empire. La noblesse , pour des rai- entre tous les autres par son habileté
sons que nous ne devons point énumé- dans la fabrication des armes (*).
rer ici , devint héréditaire (*). Au-dessous des nobles se trouvait la
Quels furent en Afrique les avanta- masse des guerriers. Chacun de ceux
ges et les privilèges de la noblesse van- qui avaient suivi Genséric, qu'il fût
dale ?Elle eut d'abord une large part Vandale, Alain, Goth ou Suève, avait
dans les terres conquises, puis elle reçu en récompense une portion de
resta en possession des principaux gra- terre plus ou moins grande. Toute-
des de l'armée. C'était dans son sein , fois,le barbare, devenu propriétaire,
par exemple, que l'on prenait les chefs ne cessa point, malgré ce changement,
appelés en langue germanique taihun- d'être considéré comme soldat. Il de-
hundafath , en latin millenarii, qui vait toujours au roi le service mili-
commandaient à mille guerriers. La taire ;seulement, il était affranchi de
noblesse fournissait encore au roi les
l'impôt que les Romains payaient pour
hommes dont il s'environnait dans leurs propriétés. Si les Vandales ame-
nèrent avec eux des esclaves, ils durent
(*) Voy. Naudet ; De l'état des personnes
en France sous les rois de la première race; les joindre à ceux qu'ils trouvèrent
dans la Zeugitane pour les employer à
ap. Mémoires de l'Académie des inscript. , la culture des terres qui leur avaient
t. VIII , p. 401 et suiv. Nous renvoyons aux été concédées.
premières pages de ce mémoire, où , suivant
nous , M. Naudet a montré le véritable ca- ORGANISATION JUDICIAIRE DES
ractère de la noblesse chez les barbares, et
(*) Voy. sur la noblesse vandale : Marcus;
réfuté avec une grande sagacité les exagé- Histoire des Vandales, etc., p. 191 , 198,
rations ou les erreurs de Boulainvilliers, de et, dans les notes, p. 37. — Papencordt ;
Dubos, de Montesquieu, de Mably et de Geschichte der vandalischen Herrschaft in
Gourcy. Afrika, p. 220, 227 et suiv.
6
6e Livraison. (Hist. des Vandales.)
82 L'UNIVERS.
vandales. — Genséric et ses succes- que toutes les bonnes terres, et les
seurs ,comme nous le dirons , laissè- distribua entre les Vandales. Aussi on
rent par nécessité aux vaincus leurs appelle encore aujourd'hui ces terres ,
lois et leur organisation judiciaire ; lots (xXrjpoi) des Vandales. Quant aux
mais pour cela ils n'essayèrent point anciens propriétaires, ils devinrent
d'imposer à leurs compagnons d'ar- tous très-pauvres ; mais ils restèrent
mes les usages des Romains. Quelle libres et purent aller où bon leur sem-
était donc l'organisation judiciaire des blait. Les terres que Genséric aban-
Vandales? MM. L. Mnrcus et Papen- donna àses fils et aux Vandales étaient
cordt ont tranché cette question avec exemptes d'impôts ; mais les terres
raison, suivant nous, en disant que les qu'on laissa aux anciens propriétaires,
Vandales trouvaient au besoin des ju- parce qu'on ne les trouva pas assez
ges civils dans leurs chefs militaires. bonnes, furent chargées de tant de re-
Ainsi, il y avait des tribunaux présidés devances, que, tout en restant posses-
par les taihunhundafatli ou mlilena- seurs de leurs immeubles, les Africains
rii , d'autres par les hundafath ou n'en retirèrent rien pour eux-mêmes. »
centenarii, d'autres enfin par les tai- Chaque barbare eut , dans la distribu-
hunfath ou decani. Au-dessus de ces tion des terres , une part proportion-
juges se trouvait établi , sans doute née ,si nous pouvons nous servir de
pour statuer «n dernier ressort, dans cette expression, à sa bravoure et à la
les cas les plus graves, le fonctionnaire considération dont il jouissait dans la
supérieur (prœpositus regni) dont nation. Cette part lui était concédée ,
nous avons déjà parlé (*). à lui et à ses héritiers, en toute pro-
PARTAGE DES TERRES. — Ce fut priété. C'était Yalode germanique. Les
seulement après la prise de Carthage rois vandales, par prudence, n'essayè-
que la nation vandale s'organisa et rent jamais d'enlever à leurs compa-
s'établit en Afrique d'une manière dé- gnons d'armes les terres ou le butin
finitive. Genséric distribua à ses guer- gagnés par le fait de la conquête ou
riers les terres de la province procon- par les pirateries. Genséric dit un jour
sulaire ou Zeugitane. Il se réserva, pour à un ambassadeur byzantin : « tous
employer les dénominations géographi- les prisonniers que nous avons obte-
ques de Victor de Vita , la Byzacène , nus par le sort, mon fils et moi, je te
l'Abaritane, la Gétulie et une portion les abandonne ; quant à ceux qui sont
de la Numidie. Toutes les acquisitions tombés en partage à mes soldats, je te
faites par les Vandales, postérieure- permets de les racheter comme tu pour-
ment au traité de 442, entrèrent dans ras de leurs maîtres , s'ils veulent les
le lot du roi. Nous avons énuméré
vendre. Je n'ai pas le pouvoir de les
plus haut les biens , domaines, reve- contraindre (*). »
nus, etc., que Genséric garda pour lui Nous croirions volontiers que tous
et pour ses successeurs après la con- les guerriers qui suivirent Genséric ne
quête (**). Nous devons dire mainte- reçurent point des terres dans la Zeu-
nant quelle fut la part de ses compa- gitane. Ily en eut parmi eux un grand
gnons d'armes. On leur distribua donc nombre qui , préférant au repos Ta vie
les terres de la Zeugitane. « Genséric, agitée du guerrier et les courses sur
dit Procope , donna les plus nobles et mer, s'enrôlèrent, moyennant une forte
les plus riches Africains , eux , leurs solde, dans le corps permanent qui
propriétés foncières et ce qui en dépen- servait à Carthage ou sur les vaisseaux
dait, àses fils Hunéric et Genzon. Il du roi qui parcouraient sans cesse la
dépouilla les autres Africains de pres- Méditerranée, et portaient le ravage
(*) Marcus; p.190. — Papencordt ; p. 249. sur toutes les côtes de l'empire.
— "Voy. aussi Grimm ; Deutsche Rechtsal- Ajoutons encore que les Vandales
terthùmer, 755.
(**) Voyez encore sur ce point : Papen- (*) Malrhus; In excerptis e legationibus,
cordt; p. 181 et suiv. p. 87. —Voy. aussi Marcus; p. 193.
83
AFRIQUE.
se concentrèrent aux environs de Car- duisaient cent hommes (centuriones ,
tilage, dans une seule province. Ainsi cente?iarii), et ceux qui conduisaient
placés, ils pouvaient se réunir facile- dix hommes seulement {decurlones ,
ment en temps de guerre, et porter ra- decani). Dans la langue des Vandales,
pidement secours à leur roi, quand les les premiers étaient appelés hunda-
ennemis du dehors essayaient de lui fath, et les seconds taihunfath. Au-
disputer sa conquête. dessus de tous les chefs se trouvait
ORGANISATION MILITAIRE ; i/AR- d'abord le roi, puis les membres de la
mée ; ses chefs. — C'était le roi qui, famille du roi, fils ou autres , qui di-
depuis les temps les plus anciens , di- rigeaient plusieurs cohortes, ou, com-
rigeait les guerriers dans toutes les me nous dirions aujourd'hui , des di-
expéditions et dans les combats. Il con- visions. Ainsi , à la bataille de Trica-
duisait la tribu dans son ensemble;
mais la tribu armée était subdivisée en mara, Gélimer
mouvements, etïzazon,frèredu surveille l'ensemble roi,
des
une foule de bandes. Chacune d'elles, commande le centre. Si, dans cette
à son tour, avait un chef qui, comme journée, les ailes furent confiées à
nous l'avons dit , ne devait son auto- des taihunhundafath, c'est que dans
rité et son influence sur ses compa- les combats qui avaient précédé, Am-
gnons qu'à son illustration personnelle, matas, l'autre frère du roi, et son
c'est-à-dire, à la bravoure, qui, dans neveu Gibamund , placés tous deux à
les commencements d'une société, est la tête de corps importants, avaient
l'unique source de l'illustration. Cette été tués par les Grecs. Quand le roi
organisation naturelle et simple des na- n'allait pas à la guerre , l'armée était
tions barbares ne subsista point tou- confiée aux princes de sa famille.
jours chez les Vandales. Quand Gen- C'est en vertu de leur naissance que
séric eut touché le sol de l'Afrique , l'Achille des Vandales , Oamer , et
quand il se vit entouré , non point avant son avènement au trône , Géli-
seulement des hommes de sa race, mer, furent successivement investis
mais encore d'Alains en grand nom- du commandement en chef dans les ex-
bre, de Suèves, deGoths, de Maures, péditions contre les Maures. Plus tard,
et même de Romains, il crut avec rai- Tzazon fut désigné, parce qu'il était
son qu'une masse aussi considérable, frère du roi, pour conduire la flotte et
et qui se composait de tant d'éléments l'armée qui devaient réduire en Sar-
divers, ne pouvait être gouvernée et daigne le rebelle Godas.
se mouvoir comme une tribu errante Quand les guerriers vandales eurent
dans les forêts de la Germanie. Il es- partagé entre eux les terres de la Zeu-
saya donc d'organiser son armée sur gitane, ils ne cessèrent point d'être di-
un plan nouveau qui pût convenir en visés et organisés militairement, com-
quelque sorte au temps et aux circons- me au temps où ils erraient en Afri-
tances au milieu desquelles il se trou- que au gré des événements, et où ils
vait placé. n'avaient d'autres demeures que les
Il divisa la foule qui le suivait en tentes de leur camp. Les cadres tra-
quatre-vingts cohortes. Chaque cohorte cés par Genséric, si nous pouvons em-
se composait de mille hommes , et ployer cette locution moderne, ne fu-
avait un chef qui , suivant Victor de rent pas détruits. Ajoutons encore
Cartenne, était appelé, dans l'idiome que dans sa capitale, et près de lui, le
germanique , taihunhundafath (*). roi des Vandales entretenait , même
C'est ce chef qui reçoit de Victor de pendant la paix, un corps de troupes
Vita le nom de millenarius, et de Pro- nombreux , et qui ne quittait pas les
cope celui de ^«px0?- Au-dessous armes. D'autres corps permanents
du commandant de la cohorte, se trou- étaient placés sur plusieurs points des
vaient les officiers inférieurs qui con- frontières , pour protéger les terres
(*) Taihun, dix ; hunda, cent; fath, chef. conquises contre les courses 6.et les in-
On retrouve ce mot dans Ulphilas (Marcus). vasions subites des Maures.
84 L'UNIVERS.
Les Vandales ne servaient pas à diterranée, il nous suffira de rappeler
pied; ils combattaient tous à cheval, que Gélimer trouva sans peine , pour
et ne faisaient usage, pour l'attaque envoyer des troupes en Sardaigne ,
et la défense, que de la lance et cent vingt vaisseaux. Le roi , ou , en
de l'épée (*). Les archers qui parais- son absence, les membres de sa famille,
saient crans leurs rangs et sur leurs exerçaient sur l'armée navale comme
vaisseaux étaient des mercenaires. Ils sur l'armée de terre le commandement
étaient choisis parmi les Maures. suprême. Genséric dirigea en personne
plus d'une expédition ; Genzon , son
où SiGenséric
l'on excepte avait Cartilage
placé des etgarnisons,
les lieux fils, parut dans la bataille où Basilis-
on ne trouvait pas en Afrique, sous les cus perdit tant de vaisseaux ; et la der-
Vandales, de points fortifiés. Les bar- nière flotte mise en mer par les Van-
bares ,à leur arrivée (et ce fait se re- dales eut pour chef un frère de Gélimer,
produisit dans plusieurs contrées de Tzazon.
l'Europe envahies par les populations Il y avait à Carthage, pour l'équipe-
germaniques) , renversèrent les murs ment de l'armée de terre et pour l'en-
de toutes les villes (**). Ils craignaient tretien des flottes, de vastes arsenaux.
que les Romains, en s'emparant d'une Là , se trouvaient déposés en nombre
place, ne les missent dans la nécessité considérable des armes et tous les
de recommencer un siège aussi long agrès des vaisseaux. C'étaient ces ar-
et aussi désastreux que celui d'Hip- senaux que Genséric, suivant la tradi-
pone. Après la mort de Genséric , les tion, avait montrés avec tant d'orgueil
murailles de Carthage , mal entrete- au plus redoutable de ses ennemis ,
nues, croulèrent en plusieurs endroits, l'empereur Majorien.
et les postes des frontières furent religion. — Nous avons admis sans
abandonnés. Gélimer, amené comme hésiter, comme on l'a vu plus haut
prisonnier dans la capitale de son an- (note de la pag. 7), que dès leur passage
cien royaume , gémit, mais trop tard, dans les provinces qui avoisinaient le
de l'erreur de ses aïeux et de sa pro- Danube , les Vandales se trouvant en
pre négligence. contact, soit avec les Goths, soit avec
MARINE , ARSENAUX. — NOUS avons les habitants de l'empire, avaient aban-
dit ailleurs (pag. 16) que par nécessité donné les croyances de leurs aïeux de
Jes Vandales durent se livrer aux ex- la Germanie pour embrasser le chris-
péditions maritimes. Ils eurent en ef- tianisme. Nous avons dit aussi que ce
fet de nombreux vaisseaux avec lesquels fut vraisemblablement dans la Panno-
ils purent résister aux flottes combi- nie qu'une partie de la nation avait
nées des deux empires , et porter , de adopté la doctrine d'Arius. Toutefois,
439 à 476, la dévastation sur les côtes en Germanie, parmi les Vandales et les
de l'Espagne, de la Gaule, de l'Italie, barbares qui les suivaient dans leurs
de la Grèce et de l'Asie Mineure. courses, beaucoupne renoncèrent point
Après la mort de Genséric, l'ardeur au paganisme. Mais après le passage
des Vandales pour les expéditions ma- du Rhin, et après avoir séjourné, soit
ritimes se ralentit, mais elle ne s'étei- dans la Gaule, soit dans l'Espagne,
gnit pas. Les courses, sans se faire pendant vingt années , la masse des
pourtant , comme autrefois , avec des guerriers (et ici nous comprenons
flottes entières, continuèrent. Au reste, parmi eux les Alains et les Suèves) se
pour prouver que les Vandales , même trouva chrétienne. Les ariens étaient-
à l'époque de leur décadence, n'avaient ils plus nombreux que les catholiques
pas renoncé à dominer sur la Médi- parmi ceux qui, en 429, franchirent le
(*) Voyez notre récit de l'expédition de détroit de Gadès pour conquérir l'A-
Bélisaire , l'ouvrage de Marcus , passïm, et frique? Nous l'ignorons. Cependant,
celui de Papencordt; p. 233. s'il est vrai , comme le dit une vieille
(**) Marcus ; p. 200 et suiv. — Papen- tradition rapportée par Idace, que Gen-
cordt; p. 234. séric cessa d'être catholique pour em-
Si

AFRIQUE.
brasser l'hérésie d'Arius , il faut ad- haine, d'une animosité, d'une cruauté
mettre qu'avant la sortie d'Espagne, qui appartiennent moins , si nous pou-
les ariens étaient en majorité parmi les vons nous servir de cette expression ,
Vandales. Ce ne fut sans doute qu'au aux exigences de la raison d'État et
prix d'une abjuration , que Genséric aux querelles politiques qu'aux pas-
sions religieuses.
put se faire accepter comme chef et
régner. EFFETS DE LÀ CONQUÊTE*, ETAT
En Afrique, la totalité des conqué- des romains. — C'est en vain que
rants, plutôt par le fait des circonstan- certains historiens ont essayé de prou-
ces et par nécessité que par convic- ver que les nations barbares , en s'é-
tion, adopta l'arianisme. Les donatistes tablissant sur les terres de l'empire,
et tous les hérésiarques que les empe- avaient gardé, au moins par calcul et
reurs orthodoxes d'Occident avaient prudence , des règles et de grands mé-
persécutés, se précipitèrent au-devant nagements, etque , par exemple, elles
de Genséric et des siens , et lui prêtè- avaient tenu compte souvent, dans
rent assistance. Ils assurèrent les suc- l'occupation et le partage des terres
cès et la conquête des Vandales. Ceux- conquises , des droits et des intérêts
ci durent nécessairement, nous le ré- de la population vaincue (*). M. Mar-
pétons ,pour prendre racine sur la cus n'est pas éloigné de croire que les
terre d'Afrique, devenir tous hérésiar- Vandales accomplirent leur conquête
ques et se déclarer ennemis des catho- et le partage des terres avec la plus
liques. Ce furent donc moins des grande modération. Mais cette con-
considérations religieuses que des vues quête et ce partage se firent , comme
politiques qui jetèrent , en définitive , le témoignent les contemporains, avec
les Vandales dans l'arianisme. violence. Nous renvoyons ici au pas-
Nous ne montrerons point ici (parce sage de Victor de Cartenne, que nous
que nous l'avons fait) le véritable ca- avons cité plus haut (p. 16), et nous
ractère des persécutions qui signalè- nous bornerons à rappeler ces paroles
rent le règne de Genséric. On sait , et de Procope, qui se rapportent aux
nous l'avons dit plus haut, que ce roi premiers temps de la conquête : « Les
se montra plus ou moins tolérant sui- Vandales envoyèrent plusieurs Ro-
vant que les attaques dirigées contre mains en exil /et ils en tuèrent un
lui par l'empire furent plus ou consta-
moins grand nombre. Cacher ses richesses
vives. Seulement nous voulons était, aux yeux des vainqueurs, le plus
ter que, dans les deux plus récentes grand des crimes (**). » Au reste,
publications sur la domination des
Vandales en Afrique, MM. L. Marcus quand nous n'aurions pas le témoi-
gnage formel des historiens, nous
et Papencordt ont parfaitement saisi serions encore en droit de conclure,
les raisons politiques qui ont amené à l'aide seulement du bon sens,
la plupart des mesures adoptées, dans que , dansblirent,tous les lieux où ils s'éta-
les affaires religieuses, par Genséric les barbares portèrent, par
et ses successeurs (*). Il faut encore leurs violences, au sein de la société,
ajouter que les conquérants germains la plus grave perturbation.
devenus ariens montrèrent parfois , Les Romains furent donc expro-
dans leurs actes , un fanatisme qui de- priés dans toute
vait être le résultat d'une profonde et ensuite dans lacertaines Zeugitaneparties
d'abord,
des
conviction. Les persécutions dirigées autres provinces , là où Genséric avait
par le roi Hunéric contre les catholi- choisi à sa convenance des domaines
ques sont empreintes souvent d'une et des maisons de plaisance. Que de-
(*) Papencordt; p. ig3. Voyez tout le (*) C'est une opinion qui a encore été
cliap. 6 du liv. III, p. 270 et suiv. et prin- récemment exprimée , pour la conquête des
ci paiement p. 27 9 et suiv. — Marcus ; liv. III, Franks, par M. Pardessus, dans son savant
ch. 5 , p. 238 et suiv., et ch. 10 du même ouvrage sur la Loi salique ; dissert. 8 , p. 534.
livre, p. 307, 319 et suiv. (**) Procope; De Bel. Fand.yl, 5.
L'UNIVERS.
vinrent les individus expropriés ? Ils Disons enfin que, par nécessité, les
descendirent d'un degré dans l'échelle rois vandales s'environnèrent de Ro-
mains. Dans le palais de Carthage, on
sociale. De propriétaires qu'ils étaient
ils devinrent colons. Les guerriers
vandales, et tous les autres barbares comptait plus d'un de ces officiers,
appelés ailleurs Romani in truste et
qui les avaient suivis, ne firent point convivx régis t qui étaient admis au
valoir leurs terres par eux-mêmes , ils service ou dans la familiarité du sou-
les confièrent, moyennant redevance, verain. C'était aussi parmi les Romains
aux Romains. On serait porté à croire, que l'on prenait les percepteurs de
par certaines indications, que les vain- l'impôt (procuratores, exactores) et
queurs laissèrent aux vaincus expro- les régisseurs des domaines royaux.
priés lechoix de rester colons en Afri- Tous les officiers d'origine romaine,
que ou de se retirer dans les provinces employés par Genséric ou ses succes-
qui relevaient encore de l'empire; mais seurs, recevaient en traitement des
d'autres faits semblent vivres et une solde. Ils étaient obligés
ne se montrèrent point attester qu'ils
si modérés. de porter l'habillement des Vanda-
Plus d'une fois ils reléguèrent les Ro- les (*).
mains qui ne voulaient pas reconnaître PERSISTANCE DE L'ADMINISTRA-
leur domination dans les îles de la Mé- TION ET DES LOIS ROMAINES SOUS

diterranée qu'ils avaient soumises à LA DOMINATION DES VANDALES. —


leur empire, et même chez les Maures, Après la conquête, les fonctionnaires
dans le désert. Il arriva cependant que dans l'ordre civil ne perdirent rien de
par calcul, et pour rallier à sa per- leurs attributions, et ne cessèrent point
sonne les plus illustres familles ro- d'être choisis parmi les Romains.
maines Genséric
, essaya quelquefois Nous n'insisterons point ici sur ce fait
de faire oublier aux vaineus les excès très-important de la persistance de
de la conquête. On lit dans un ancien l'administration et des lois romaines,
document (*) que les fils d'un riche parce qu'il est mis dans tout son jour
Romain, qui s'était sauvé de l'Afrique par l'édit du roi Hunéric, que nous
au temps de la prise de Carthage, ré- avons inséré plus haut dans notre récit
solurent un jour de revenir dans leur (p. 33). Des historiens contemporains
pays. Ils apprirent, à leur retour, que nous ont appris que les rois vandales
les biens de leur père avaient été con- choisirent parmi les Romains, et éta-
fisqués etdonnés à des prêtres ariens. blirent àCarthage un magistrat qui
Ils s'adressèrent au roi , qui força les jugeait en appel dans toutes les causes,
prêtres à rendre une partie de ces et prononçait en dernier ressort (**).
biens aux fils de celui qui s'était expa- Ce magistrat est appelé par Victor de
trié. Cartenne prœpositusjudiciis romanis
Les Romains des Mauritanies, de la in regno Africx Vandalorum. Faut-
Numidie , de la Byzacène et de la Tri- il voir, dans la création de ce juge su-
politaine, qui n'avaient pas été expro- une innovation périeur àtous les juges des localités,
priés ,payaient un impôt au roi des due à la conquête?
Vandales. Cet impôt fut moins lourd Nous ne le pensons pas. Jadis, les ha-
sous la domination barbarequ'au temps bitants d'une partie de la Mauritanie,
du gouvernement impérial. A l'appui de la Numidie, de la Proconsulaire
de notre assertion, il suffirait de rap- et de la Byzacène, avaient trouvé à
peler que Justinien, pourvoir essayé, Carthage un tribunal d'appel : c'était
après les victoires de Bé.lisaire, de ré- celui que présidait le gouverneur de
tablir les rôles de contributions qui l'Afrique impériale. Il avait été aboli
étaient en usage sous le règne de Va- par le fait de l'invasion, et les rois
lentinien III , excita, dans toute l'A- (*) Marcus; p. i85 et suiv. — Papen-
frique, un grave mécontentement. cordt ; p. 188.
(**) Marcus ; p. 188. — Papencordt ;
(*) La vie de saint Fulgence.
p. 194.
AFRIQUE. 87

vandales essayèrent de le reconstituer. cesseurs, non à des comtes d'origine


C'est à cette fin qu'ils instituèrent la barbare, mais à des Romains, les villes
magistrature suprême dont nous ve- de l'Afrique se trouvèrent moins ex-
nons de parler. posées que celles de la Gaule à la vio-
LES VILLES D'AFRIQUE SOUS LES lence et à d'iniques extorsions. Quant
VANDALES ; REGIME MUNICIPAL. — au pouvoir de l'évêque dans chaque
Nous avons dit plus d'une fois, dans localité, la conquête des Vandales
le récit qui précède, que l'arrivée et amena les mêmes résultats que celle
l'établissement des barbares dans cer- des Franks. Au moment où les Grecs
taines provinces de l'empire, en Afri- viennent attaquer et poursuivre Géli-
que, par exemple, fut, sous certains mer au sein de ses États, les évêques
rapports, pour la population des villes paraissent , dans les récits contempo-
et des campagnes, un événement heu- rains, comme les personnages les plus
reux. Les villes surtout, qui avaient influents des villes. Nous renvoyons
tant souffert des exigences du fisc im- ici, pour la preuve, au passage (p. 50)
périal ,purent considérer les barbares où nous avons raconté l'entrée d'un
comme des libérateurs. M. Augustin lieutenant de Bélisaire à Syllectum.
Thierry signale en ces termes la révo- Sous la domination romaine, les
lution produite dans les villes de la magistrats des curies avaient, comme
Gaule par l'arrivée des Franks : « Les l'a dit Savigny, trois sortes d'attribu-
traits les plus généraux de la transfor- tions :1° l'administration intérieure et
mation du régime municipal, ceux que locale de la cité : ils remplissaient les
des témoignages plus ou moins précis, fonctions des maires et des conseils
plus ou moins complets, font retrouver municipaux dans notre organisation
à peu près au même degré dans toutes moderne; T la juridiction volontaire :
les grandes villes, sont les suivants: ils remplissaient les fonctions des no-
la curie, le corps des décurions, cessa taires, et quelques-unes de celles des
d'être responsable de la levée des im- juges de paix; 3° la juridiction con-
f)ôts dus au fisc; l'impôt fut levé par tentieuse jusqu'à un certain taux de
es soins rôle du comte seul, et d'après ressort (*). Au temps des Vandales,
dernier de contributions dresséle les magistrats municipaux ne perdirent
rien de leurs attributions; et même,
dans la cité. Il n'y eut plus d'autre
garantie de l'exactitude des contribua- comme il n'y avait en Afrique rien
bles, que le plus ou moins de savoir- qui ressemblât à ces mais de la Gaule,
faire, d'activité ou de violence du comte présidés par un comte barbare, il est
et de ses agents. Ainsi , les fonctions probable, en ce qui concerne la juri-
municipales cessèrent d'être une charge diction contentieuse , que le cercle
ruineuse; personne ne tint plus à en de leurs attributions s'agrandit. Ils
être exempt; le clergé y entra les jugèrent toutes les causes civiles et
anciennes conditions de propriété né- criminelles. Toutefois, dans les cas
cessaires pour y être admis ne furent douteux et très-graves, on pouvait ap-
plus maintenues l'évêque joua un peler de leurs sentences. On s'adres-
rôle de plus en plus actif, soit dans la sait alors au grand magistrat que
gestion des affaires locales, soit dans Genséric avait établi à Carthage. Ce
l'administration de la justice (*) » magistrat, nous le répétons, était Ro-
Ces considérations de M. Augustin main.
Thierry relatives à la Gaule sont ap- Les Vandales entretenaient, il faut
plicables l'Afrique
à sous la domina- le constater, dans les villes des agents
tion des Vandales. Il y a cette diffé- chargés, comme nous dirions aujour-
rence, toutefois, que la levée de l'impôt (*) Savigny; Hist. du droit romain au
étant confiée par Gcnséric et ses suc- moyen âge ; ch. 4. — Voy. aussi le récent
(*) M. Aug. Thierry; Considérations sur ouvrage de M. Pardessus sur la Loi salique
ldeuxième
'histoire deédit.
France, ch. v,p. 285 et suiv., (i843, in-40); disserlation 6e, p. 5i4 et
suiv.
88 L'UNIVERS.
d'hui, de surveiller l'esprit dans
public, moment où Bélisaire prit possession
de maintenir les habitants la su-et
de la capitale de l'Afrique, un vais-
bordinationl'égard
à des vainqueurs. seau qui était à l'ancre dans le Man-
C'est un fait qui semble prouvé par dracium mit à la voile lorsqu'il fut
l'ordonnance suivante, promulguée à chargé de marchandises, et se rendit
l'époque de la domination vandale : en Espagne. Les marchands qui le
« Les villes
troublé troisoù fois l'ordre
de public
suite, aura
dans été le montaient n'étaient pas assurément
les seuls Espagnols qui vinssent à
courant de la même année , à l'occasion Carthage, par exemple, ou à Césarée.
des divertissements publics, seront Nous savons aussi que les hommes
privées à tout jamais du droit d'avoir renfermés dans les prisons de Géli-
des cirques et des théâtres. Le direc- mer, et que le geôlier délivra à l'ap-
teur des fêtes publiques sera cité de- proche de l'armée grecque, étaient
vant les tribunaux pour répondre de venus de l'Orient pour desde affaires de
sa conduite pendant les troubles; et commerce. Enfin Victor Cartenne
s'il était convaincu soit de négligence, nous
metumapprend déroba, qu'un
dansmarchand d'Adru-
un voyage, un
soit de manque de prévoyance ou de
vigueur dans l'exercice de ses fonc- secret précieux aux teinturiers de
tions, ilpourra être condamné à tra- Coptos. Les Africains, sous la domi-
vailler pendant toute sa vie dans les nation des Vandales, entretenaient
mines de l'État, à avoir les oreilles aussi, par l'intermédiaire des Gaules
coupées ou à être brûlé (*). » et de l'Italie, des relations commer-
Au reste, quelle qu'ait été la dé- ciales avec les parties les plus septen-
fiance des Vandales à l'égard des Ro- trionales de la Germanie, qui leur
mains, et malgré les mesures rigou- fournissaient du succin. Ce n'était
reuses qu'ils prirent dans certaines point seulement par mer que les Ro-
localités afin de prévenir les révoltes, mains des Mauritanies, de la Numidie,
on peut admettre comme vraie pour de la Zeugitane, de la Byzacène et de
l'Afrique, même pour la Zeugitane, la Tripolitaine, faisaient un commerce
l'opinion des historiens modernes, qui actif et étendu, mais encore parterre,
ont prétendu qu'en général les villes sur les voies du désert parcourues par
soustraites par le fait des invasions les caravanes dès le temps des anciens
barbares au fisc et à l'administration Carthaginois. C'était par cette route
de l'empire, virent leur bien-être et qui venait de l'Egypte jusqu'aux autels
leur indépendance s'accroître, et leur des Philènes, en passant par l'oasis
sphère d'action s'agrandir (**). d' A mmon , autant peut-être que par les
Commerce. — Il nous suffirait pres- vaisseaux d'Alexandrie, que les mar-
que de rappeler certains faits que nous chands d'Afrique recevaient la gomme
avons signales dans notre récit, pour et les parfums d'Arabie et les étoffes
montrertenait desque relations l'Afrique vandale entre-
de commerce très- précieuses de l'Inde; puis, comme les
Carthaginois (voyez plus haut, His-
suivies avec les différents paysde l'Eu- toire de Carthage, p. 136), ils tiraient
rope, de l'Asie et avec l'Egypte. Ainsi de l'intérieur du pays des grains d'or,
le marchand que Procope rencontra à
des esclaves
des pierres précieuses, noirs. de l'ivoire et
Syracuse faisaitparlui-mêmeouparses
agents de nombreuses affaires à Car- Des témoignages anciens et précis
tilage. D'autre part, nous savons qu'au nous apprennent que les vaisseaux
marchands exportaient habituellement
(*) Marcus; p. 197.
(**) Je renvoie spécialement , sur ce de l'Afrique vandale du blé, du lin, le
point, aux idées émises par M. de Sismondi duvet qu'on tirait du fruit d'une mauve
dans le premier volume de son Histoire des arborescente qui croissait sans cul-
Français , et par M. Aug. Thierry, dans le ture près des sources du Molocha ou
cl). 5e de ses Considérations sur l'histoire
de France. Malva,lun dedes bois la garance, du sel , de l'a-
précieux destinés aux
AFRIQUE. 89
ameublements de luxe, une qualité de monde furent rétablies sous le règne
marbre très-tacheté , des pierres pré- de Hunéric. L'industrie dut se relever
en même temps.
cieuses, plusieurs espèces d'argile bo-
laire, des éléphants, des lions^des ti- Nous savons que les Vandales s'a-
gres, des léopards, des singes, des mollirent rapidement après la mort de
autruches, etc. Ils exportaient encore Genséric, et qu'ils s'abandonnèrent à
des esclaves noirs ; mais il est probable un luxe effréné. Tout nous porterait à
que le commerce, sous ce dernier rap- croire déjà que les objets qui témoi-
port, était moins étendu qu'au temps gnaient de ce luxe, vêtements et ameu-
des anciens Carthaginois et de la do- blements, étaient le produit de l'indus-
mination romaine. Enfin les Africains, trie africaine. Les tissus d'or et même
sous les Vandales, vendaient soit chez la soie qui brillaient sur leurs robes
eux , soit sur les marchés des princi- étaient mis en œuvre, nous le croyons,
pales villes d'Egypte, d'Asie et d'Eu- dans les ateliers de l'Afrique. Parmi
les dépouilles splendides qui ornèrent
rope,, les produits de leurs manufac-
tures ainsi,
; leurs tissus, les vêtements le triomphe de Bélisaire, il y eut sans
et les tapis teints en pourpre, et aussi doute plus d'un vase élégant et bien
les armes que l'on fabriquait à Car- ciselé qui sortait des mains des ou-
tilage (*). vriers de Carthage. Tout , dans le ri-
C'était, comme on le voit, un com- che butin apportée Constantinople,
merce qui consistait presque entière- n'était point le fruit des pirateries et
ment dans les exportations. Les Van- des rapines de Genséric et de ses com-
dales et les habitants des provinces pagnons. Ilsuffirait de citer, par exem-
soumises à leur domination prenaient ple, ces chars légers qu'admirèrent les
aussi des denrées au dehors, mais en Byzantins, et qui servaient à transpor-
petit nombre. Un contemporain, Pro- ter dans leurs promenades les reines
cope {de Bel. I and., II, 3), nous dit vandales. Mais pour le point que nous
voulons établir ici , nous ne sommes
d'une manière positive que les impor- point réduits au témoignage indirect
tations en Afrique étaient très-res-
treintes. Le sol, par sa richesse et sa des historiens. Nous nous bornerons
fertilité, et l'industrie, par son acti- à citer trois faits qui prouvent claire-
vité relative, pourvoyaient largement, ment que l'industrie fleurit en Afrique,
dans les campagnes et dans les villes, même dans les plus mauvais temps de
aux besoins de ceux qui vivaient dans la domination des barbares.
l'empire vandale (**). « Nous étions encore affligés de la
industrie. — L'industrie prit en prise et du pillage de Rome, dit Victor
Afrique, sous la domination romaine, de Cartenne , lorsque nous eûmes la
un développement qu'elle n'avait ja- drumetum consolation de voir un marchand d'A-
mais eu au temps des anciens Cartha- surprendre aux teinturiers
ginois (***). L'établissement des Van- de Coptos un secret précieux. Quand
dales et les pirateries de Genséric on possédait ce secret, on pouvait
l'entravèrent sans doute, et lui enle- donner aux toiles et aux draps telle
vèrent pour un instant ses débouchés couleur qu'on voulait. Il suffisait pour
en Egypte et dans toutes les provinces cela de les tremper dans certains in-
d'Europe et d'Asie qui relevaient des grédients, etpuis dans du sang chaud.»
deux empires, mais ils ne l'anéantirent Nous savons encore qu'au temps des
pas. Les relations commerciales entre Vandales , on cherchait avec soin sur
l'Afrique et les autres' parties du l'Atlas une espèce de limaçons qui ,
écrasés, servaient à teindre en rouge.
(*) Marcus , p. 212 et suiv.
(**) Voy. aussi, sur le commerce de l'Afri- Les étoffes qui recevaient cette tein-
que au temps des Vandales : Papeucordt ; ture acquéraient une grande valeur.
p. i5g et suiv. Des deux faits que nous venons de si-
(***) Voy. dans ce vol. Histoire de Car- gnaler, on peut tirer cette conclusion:
tilage; ae partie, p. i36 et i55. que dans les principales villes de l'em-
90 L'UNIVERS.
pire vandale , à Carthage , par exem- nous le savons , se plaisaient aussi à
ple, àAdrumetum, à Hippone, à Cé- entretenir auprès d'eux des Romains
sarée, on se livrait avec ardeur à la beaux esprits et poètes. C'étaient des
fabrication de diverses étoffes et à leur versificateurs qui, comme Fortunat
teinture. Enfin les auteurs contempo- dans les Gaules , célébraient en latin
rains de la conquête ont attesté qu'il les mariages, les naissances, tous les
y avait en Afrique des manufactures événements heureux, enfin, qui se rat-
d'armes. Genséric conféra le titre de tachaientla
à vie de celui qui leur don-
comte à un ouvrier armurier qui se nait place dans ses banquets et leur
distinguait dans sa profession par une faisait de riches présents.
rare habileté. Une chose qu'il faut Cependant, nous le croyons, en su-
constater ici comme digne de remar- bissant ainsi l'influence de la civilisa-
que ,c'est que cet ouvrier appartenait tion romaine , les barbares ne renon-
par son origine à la race des conqué- cèrent point à leur langue nationale.
rants.
Il
Genséric etplus
y avait ses d'un demi -siècle
compagnons que
avaient
LANGUE, LITTÉRATURE. — Des évê-
ques s'approchèrent un jour de Gensé- touché le sol de l'Afrique , lorsqu'un
ric pour se plaindre d'être persécutés. évêque vandale répondit à des éveques
Le roi , au témoignage de Victor de romains qui l'interrogeaient : « Je ne
Vita,' appela auprès de lui un inter- puis discuter avec vous \je ne sais pas
prète, parce que les évêques s'expri- le latin. » Les prêtres vandales, qui
maient en latin, en grec ou en punique. étaient ariens, se servaient de la bible
Ce fait semble prouver qu'en Gaule et d'Ulphilas; et c'était probablement
en Espagne, les anciennes
Vandales s'étaient peu dans l'idiome de leur ancienne patrie
mêlés avec les populations qu'ils enseignaient et officiaient dans
de l'empire, et qu'ils n'avaient point les églises (*). On pourrait même
cessé , jusqu'à la conquête de l'Afri- supposer que les conquérants essayè-
que, de se servir exclusivement de la
langue qu'ils parlaient d;ins la Germa- de lerentrendre
parfois d'assouplir
propre à cet idiome,'des
recevoir et
nie. Quand ils se furent établis dans formes littéraires ; et nous admettrions
la Zeugitane et à Carthage, et qu'ils se volontiers la conjecture de M. Marcus
trouvèrent avec les Romains , par la (p. 410), qui croit que Gélimer, dans
force des circonstances, en un perpétuel sa retraite sur le Pappua, chantait
contact, ils furent forcés d'apprendre l'histoire de ses malheurs dans la lan-
l'idiome des vaincus. Le latin, et cela gue de ses aïeux de la Germanie (**).
était nécessaire, devint pour les Vanda- MŒURS DES VANDALES. — Les
les, si nous pouvons nous servir de ce
mot, la langue officielle, la langue du mœurs
leur des Vandales,
émigration , étaient àcelles
l'époque de
de tous
gouvernement et de l'administration. les peuples qui ne sont point sortis de
C'était en latin que l'on rédigeait et l'état barbare. Cependant, en songeant
les lettres et les actes qui émanaient à la profonde impression de terreur et
x de la chancellerie des rois vandales (*). de haine que les Vandales ont laissée
Puis, après la mort de Genséric, dans
les temps de paix , plusieurs , parmi après eux, aux
traversés dans
idéeslesdepays qu'ils ont
dévastation et
les conquérants germains, étudièrent, de ravages que leur nom réveille en-
non plus seulement par nécessité, mais core après tant de siècles, on est porté
pour charmer leurs loisirs, et peut-être à croire que, par leurs excès et leur
par amour de l'art cruauté, ils ont surpassé lesGoths,
raires de la Grèce et ,delesRome.
œuvresIl nous
litté-
les Suèves, les Burgondes, les Franks,
suffira de rappeler ici le nom de Thra- et même les Huns, qui , comme eux
samund. Les derniers rois vandales , (*) Papencordt; p. 293.
(**) Voy. encore, sur la langue des Van-
(*) "Voy. Papencordt; p. 296,297, 298 dales :Marcus; p. 4" et suiv. — Papen-
et suiv. — Marcus; p. 198. cordt; p.287, 289 et suiv.
AFRIQUE. 91
et dans le même temps, ont en- et les tissus grossiers qui couvraient,
vahi l'empire romain. Leur établisse- à leur entrée sur les terres de l'em-
ment en Afrique , et un long contact pire les
, guerriers germains , avaient
avec les populations vaincues, chan- fait place à de riches fourrures et aux
gèrent leurs habitudes et adoucirent étoffes entremêlées d'or et de soie.
leurs mœurs. Il se fit, sous ce rap- La
port, chez les Vandales, une vive et limercorruption
devint plus des mœurs
grande jusqu'à
de jourGé-
en
rapide réaction. Ils cédèrent si facile- jour. Il suffît de renvoyer ici , sans le
ment aux attraits de la civilisation reproduire encore une fois, au passage
romaine, que déjà, sous le règne de où Procope, en parlant du luxe ef-
Hunéric, comme le témoignent les fréné, de la vie voluptueuse et de la
historiens que nous avons cités, ils dégradation morale des conquérants
étaient complètement énervés. Ils ne de l'Afrique, a constaté la plus effi-
àressemblaient
leurs ancêtresplusdequela par l'extérieur
Germanie. Ils cace, peut-être, de toutes les causes
qui ont amené la chute de la domina-
portaient encore, comme eux , le vête- tion vandale.
ment qui distinguait les barbares, et de
longs cheveux; mais, en cela même, vives ou officiers dans le palais des rois
ils étaient loin de l'ancienne simpli- vandales, étaient obligés de se vêtir à
cité (*). Les peaux à peine préparées , la manière des conquérants. Voyez, sur
les mœurs et les vêtements des Vandales :
(*) Les Romains suivant Victor de Vita, Marcus ; p. 407 et les notes du liv. IV de
son histoire , p. 89.
(II, 3 et 4), qui étaient admis comme con-

FIN DE LHISTOIRE DH LA DOMINATIO* DES VANDALES EN AFRIQUE.

V». <V* *%*.% * ■»* V% •*% V» V *. -M, VW» V*

PRECIS DE L'HISTOIRE
D'AFRIQUE
SOUS LA DOMINATION BYZANTINE.

HISTOIRE DE L'AFRIQUE, DEPUIS nien avait approuvé toutes les dispo-


LE DÉPART DE EELISA1RE JUSQU'A sitions prises par son lieutenant , et il
LA MORT DE JUSTINIEN (*). — Béli- avait envoyé en Afrique des lettres où
saire, après la victoire de Tricamara, on lisait ces mots : « Que nos officiers
s'était hâté de prendre possession, au s'efforcent avant tout de préserver nos
nom de Justinien, de toutes les pro- sujets des incursions de l'ennemi etd'é-
vinces qui avaient appartenu jadis à tendrenos provinces jusqu'au point où
l'empire romain (v. p. 69). Il avait la république romaine, avant les inva-
sions des Maures et des Vandales, avait
aussi placé des garnisons
rieur des terres dans l'inté-
, sur les frontières de fixé ses frontières ; qu'ils se hâtent éga-
la Byzacène et de la Numidie. Justi- lement de se rendre maîtres et de répa-
(*) Voyez, sur l'histoire de l'Afrique sous rer les fortifications des places où l'on
la domination byzantine : Papencordl (Ge- tenait garnison au temps de l'empire
schichte der vandalischen Herrschaft in romain. » Les ordres de Justinien fu-
Afrika) , liv. III , ch. 9 , p. 3og-334. rent promptement exécutés. Cepen-
92 L'UNIVERS.
dant le vaisseau qui devait ramener retraites. Il gravit donc avec son ar-
à Constantinople le vainqueur de Gé- mée le mont Aurasius; mais son ex-
limer n'avait point encore quitté le pédition n'eut aucun résultat (*).
Mandracium , que déjà les Maures Rentré à Carthage, il s'apprêtait à
s'étaient réprimer les désordres qui avaient lieu
saient surlevés en armes,de etla apparais-
les frontières INumidie
en Sardaigne, lorsqu'il eut à se défen-
et de la Byzacène. Les soldats grecs dre contre ses propres soldats. Ceux-
étaient peu nombreux en Afrique, et ci, excités par les femmes* vandales
Bélisaire se vit contraint de laisser une
qu'ils avaient épousées, et aussi par
partie de ses gardes à Salomon, qui le les exhortations secrètes des prêtres
remplaçait comme chef militaire. Ar- ariens, réclamèrent comme leurs pro-
chelaùs*, le questeur, priétés les terres conquises qu'ils ex-
sous le titre de préfet avait été déclaré,
du prétoire, chef ploitaient seulement comme fermiers.
civil des provinces nouvellement con- Salomon n'échappa qu'avec peine à la
quises. Bientôt Justinien fit passer à mort, et il se sauva, accompagné, de
Salomon de nouveaux renforts sous les
l'historien Procope , auprès de Biéli-
ordres de Théodore et d'Ildiger. Les saire, qui se trouvait alors en Sicile.
Maures faisaient chaque jour de nou- Les insurgés prirent pour chef un sol-
veaux progrès : ils portaient en tous dat audacieux appelé Stozas, qui donna
lieux le pillage et la dévastation , et ils a>s armes aux esclaves et aux Vandales
avaient massacré, en Byzacène, Aigan qui étaient restés en Afrique. Puis,
et Rufin, officiers renommés par leur tous ensemble , ils quittèrent la plaine
habileté et leur bravoure. Il fallait se
de Bulla, où ils s'étaient réunis , pour
hâter, et Salomon marcha vers la By- s'emparer de Carthage. Bélisaire arriva
zacène. Ilrencontra les Maures dans à temps pour sauver la ville. Avec le
la plaine de Mamma. Ils étaient au petit nombre de guerriers qui l'avaient
nombre de 50,000 , sous les ordres de accompagné, et avec ceux qui, à Car-
Cuzinas et de trois autres chefs. Sa-
thage, étaient restés fidèles à l'empe-
lomon remporta s*ur eux une victoire reur, ils'avança contre les rebelles,
complète (536). Les Grecs célébraient qu'il atteignit et battit près de Mem-
encore à Carthage, par des fêtes pu- bresa. Il crut alors avoir donné le re-
bliques, l'heureux succès de la campa- pos àl'Afrique, et il revint en Sicile;
gne ,lorsqu'on apprit que les Maures, mais il se trompait. Stozas réorganisa
irrités plutôt qu'abattus par leur dé- son armée, attira de nouveaux soldats
faite, avaient repris les armes et ra- dans son parti , et massacra par trahi-
vageaient denouveau, avec une espèce son, en INumidie, Marcellus , Cyrille,
de rage, tous les cantons de la Byzacène. Barbatus , Térentius et Sarapis , qui
Salomon se remit en marche "et battit étaient comptés parmi les meilleurs
encore l'ennemi au pied du Burgaon. officiers de l'empereur (536).
S'il faut en croire un contemporain, A cette nouvelle, Justinien envoya en
les Maures perdirent cette fois 50,000 Afrique son neveu Germain pour rem-
hommes; ceux qui échappèrent au fer placer dans le commandement suprême
du vainqueur se réfugièrent auprès Théodore et Ildiger , qui étaient restés
d'Yabdas , qui était maître du mont comme chefs à Carthage après le dé-
Aurasius. part de Salomon. Germain était un
La Numidie était aussi en proie au général brave et habile. Dès son arri
ravage des Maures. Yabdas descendit vée (537), il rétablit la discipline parmi
plus d'une fois, pour la piller et la dé- les troupes restées fidèles à l'empire
vasterde
, sa montagne , où la nature et, par ses promesses et sa douceur
lui offrait des positions inexpugnables. il attira dans ses rangs un grand nom
Mais il fut arrêté par la brillante va- (*) Voyez, sur les diverses expéditions de
leur d'Althias , qui commandait la Salomon : Recherches sur l'hist. de l'Afri-
troupe des Huns. Salomon, cependant,
voulut forcer les Maures dans leurs que septentrionale, etc., par l'Académie des
inscript., 1. 1, p. 113-149.
93
AFRIQUE.
bre de ceux qui , sous les ordres de Il leur livra bataille; mais, mal secondé
Stozas , avaient combattu jusqu'alors par ses troupes, il fut vaincu et tué.
Justinien donna pour successeur à cet
pour l'indépendance de l'Afrique. habile et brave officier, Sergius son
Quand il se crut assez fort, il s'avança
contre l'ennemi. Il l'atteignit en Nu- neveu, qui avait allumé la guerre. Ce
midie, dans la plaine appelée Scalx choix excita un vif mécontentement
Feteres, et là , il lui livra un sanglant dans toute l'Afrique. Stozas sortit de
combat. Stozas fut vaincu, et les Mau- sa retraite, et se joignit à Antalas, le
res , commandés par Yabdas , qui chef des Maures de la Byzacène. La
étaient accourus pour l'aider , en se valeur de Jean, fils de Sisinniolus, ne
tournant subitement du côté de Ger-
main, achevèrent sa défaite. Stozas se put arrêter les progrès de l'ennemi.
Dans cette extrémité, Justinien en-
sauva en Mauritanie. Un certain Maxi- voya pour collègue à Sergius le séna-
min voulut le remplacer comme chef teur Aréobinde. Mais la mésintelli-
de parti.vaincuGermain, gence avant éclaté entre les deux
de trahison, après
le fitl'avoir
pendre con-
aux gouverneurs, les désastres se multi-
portes de Carthage. Germain gouverna plièrent pour l'armée impériale. Gon-
l'Afrique pendant deux ans avec une tharis, qui commandait en Numidie,
grande douceur. En 539. il fut rem- essaya alors de se faire roi. Sergius
placé par Salomon, qui, débarrassé avait été rappelé, et Aréobinde était
cette fois des complots et des séditions, resté chef unique des provinces afri-
songea à enlever aux Maures leurs po- caines. Gontharis, aidé secrètement
sitions de l'Aurasius. Il se mit donc par les Maures, se rendit maître de
en marche, et, plus heureux que dans Carthage. Il excita une sédition parmi
sa première tentative, il prit à Yabdas les troupes, et fit massacrer Aréo-
ses places de Zerbulle et de Tumar, et binde. Mais il ne jouit pas longtemps
la tour de Géminianus, où le chef du pouvoir qu'il avait usurpé; il fut
maure avait enfermé ses femmes et lue à son tour par Artaban, officier
ses trésors. Salomon plaça des garni- arménien, que Justinien nomma gou-
verneur de l'Afrique (546). Rappelé sur
siussons,etsur, plusieurs
maître de points de l'Aura-
la Numidie, il se sa demande, Artaban remit son com-
dirigea vers la Mauritanie sitifienne , mandement Jean
à Troglita.
qui se soumit à l'empereur. Un chef Jean Troglita, qui avait servi avec
indigène possédait la Mauritanie césa- distinction dans les guerres contre les
rienne, àl'exception de la capitale, Perses, était destiné à réparer en Afri-
Césarée , où Bélisaire , après sa der- que, par d'éclatants succès, les échecs
nière victoire sur les Vandales, avait
subis jusqu'alors par les armées ro-
envoyé une garnison. maines (*). Dès son arrivée, il eut à
combattre une confédération de toutes
Depuis quatre ans, l'Afrique jouis-
sait d'un grand repos, lorsque la mau- les tribus maures qui s'étaient réunies
vaise conduite et la perfidie des ne- dans la Byaacène. Antalas, le chef
veux de Salomon la replongèrent dans suprême, avait sous ses ordres toutes
une nouvelle série de calamités. Ser- les hordes du désert, parmi lesquelles
gius, gouverneur de la Tripolitaine,
ayant fait assassiner par trahison (*) Les détails des guerres que Jean Tro-
glita eut à soutenir contre les Maures nous
quatre-vingts Maures qui s'étaient ren- ont été conservés dans un poëme de Flavius
dus àLeptis sur sa parole, toutes les
tribus prirent les armes (543). Trop Cresconius Corippus. C'est à l'aide de ce
faibles pour résister, Sergius, et son poëme, publié à Milan, en 1820, par Maz-
zucchelli, que Saint -Martin a composé le
frère Cyrus qui commandait dans la curieux récit qui se trouve dans son édi-
Pentapole, se retirèrent à Carthage tion de Y Histoire du Bas-Empire de Lebeau
auprès de Salomon. Celui-ci, accom- (t. IX, p. 92-119). Saint-Martin a donné
pagné de ses neveux, marcha contre dans ses notes de nombreux fragments de
Corippus.
les Maures, qu'il rencontra à Theveste.
94 L'UNIVERS.
se distinguait celle des Ilasguas, qui échoua dans cette entreprise; mais
était venue avec son chef Ierna et l'i- cette expédition lointaine atteste sa
mage de son dieu Gurzil (Jupiter) de puissance; et ce fait curieux pour
l'oasis d'Ammon. Jean remporta sur l'histoire du Bas-Empire, pour l'his-
les tribus réunies une victoire signalée toire de l'Afrique et celle de notre
et les mit en fuite. Mais les Maures ne
pays, méritait d'être recueilli par deux
tardèrent point à se rallier sous les écrivains français très-érudits, Lebeau
ordres de Carcasan. Jean entreprit et Saint-Martin , qui l'ont entièrement
contre eux une nouvelle expédition. laissé dans l'oubli. Tibère succède au
Cette fois, entraîné trop loin dans les faible Justin tombé en démence; il
déserts qui se trouvent au midi de la choisit pour vice-roi de l'Afrique Gen-
Byzacène, il se vit obligé de revenir nadius, habile général et soldat intré-
sur ses pas sans avoir vaincu l'ennemi pide. Ce guerrier reproduit dans cette
qu'il poursuivait. Encouragés par la contrée
mes del'exemple
Probus. Il des défie
hauts enfaits d'ar-
combat
retraite des Romains, les Maures d'An-
talas et ceux de Carcasan se réunirent, singulier Gasmul, roi des Maures, re-
et ils portèrent leurs ravages jus- marquable par sa force, son courage
qu'aux bords de la mer. Ils rencontrè- et son expérience dans les armes; il le
rent Jean Troglita dans les champs tue de sa propre main, remporte une
de Caton. Là , ils éprouvèrent une san- victoire complète sur les Maures, ex-
glante défaite. Carcasan fut tué, An- termine leur race, et leur reprend
talas se soumit, et l'Afrique entière toutes
fut pacifiée (550). tes surles
les conquêtes
Romains. qu'ils avaient
A partir fai-
de cette
En 564, les Maures des frontières époque, pendant les règnes de Tibère,
de la Numidie se soulevèrent pour de Maurice et de Phocas, l'histoire se
venger un de leurs chefs, Cuzinas, qui
avait été assassiné à Carthage, par les tait sur
que unel'Afrique.
preuve du Ce silence
calme et est de
pres-
la
ordres du gouverneur, Jean Rogathi- tranquillité uniforme dont jouit alors
nus. Marcien, neveu de l'empereur, cette contrée. Les époques stériles
s'avança contreréprimée.
eux, et la révolte fut Eour les historiens sont généralement
promptement eureuses pour les peuples. Sous l'em-
HISTOIRE DE L'AFRIQUE , DEPUIS pire d'Héraclius, l'Afrique septentrio-
LA. MORT DE JUSTINIEN JUSQU'A LA nale tout entière, depuis l'océan At-
PRISE DE CARTHAGE PAR LES ARA- lantique jusqu'à l'Egypte, était soumise
BES. — «Après la mort de Justi- au trône de Byzance (*), car ce prince
nien (565), dit l'Académie des ins- en tire de grandes forces pour sa
criptions (*), il y eut quelques sou- guerre contre les Perses. Suinthilas,
lèvements des Maures, quoique ces roi des Goths espagnols, profite du
peuples eussent alors embrassé volon- momentsituées pour sur s'emparer
tairement lechristianisme. Deux exar- villes le détroitde deplusieurs
Cadix,
ques d'Afrique furent vaincus et massa- qui faisaient partie de l'empire romain.
crés par leur roi Gasmul, qui, devenu Ce fait, qui nous a été conservé par
tout-puissant par ses victoires, donna Isidore, a encore été négligé par Le-
à ses tribus errantes des établissements beau, Gibbon et Saint-Martin. Il mé-
fixes, et s'empara peut-être de Césarée, ritait, àce qu'il nous semble, d'être
soumise aux Romains depuis la con- consigné dans leurs écrits, puisqu'il
quête de Bélisaire. Ce roi maure sem- nous montre l'étendue des limites oc-
ble même avoir été un conquérant
ambitieux et assez entreprenant, car, (*) Nous devons dire ici, pour compléter
Tannée suivante , nous le voyons mar- le résumé que nous empruntons à l'Acadé-
mie des inscriptions , que ce fut de l'Afrique,
cher contre les Francs et tenter l'in- où son père commandait en qualité d'exar-
vasion de la Gaule. A la vérité, il que, que partit Héraclius pour renverser
l (*) Recherches sur l'histoire de l'Afrique Phoca.s qu'il devait remplacer sur le trône
septentrionale, etc., 1. 1, p. 43 et suiv. impérial.
05

AFRIQUE
difications amenées par les circonstan-
cidentales de l'empire à une époque ces et le temps, les anciennes formes
fameuse misme,par la fondation de l'isla- de son administration et le gouverne-
qui devait bientôt ébranler le
trône de Byzance, et lui arracher ses ment romain. adressées
Dès l'annéeà 534, par des
ordonnances Bélisaire et
plus belles provinces. En 647, les Ara-
bes s'emparent de la Cyrénaïque et de au questeur de son armée , Archelaùs,
la Tripolitaine (*). En 658, un traité Justinien organisa le pays conquis de
partage l'Afrique entre Constant et la manière suivante. Il divisa l'Afri-
Moawiah, qui se soumet, disent les que en sept provinces : 1° celle de
Grecs, à payer un faible tribut. En Tingi; 2° celle de Carthage (l'ancienne
666 ou 670, ce même Moawiah fonde proconsulaire) ; 3° celle de Byzacium;
la ville de Kairouan, qui devient le 4° celle de ïripolis ; 5° la Numidie ;
siège de la domination musulmane en 6° la Mauritanie; 7° la Sardaigne.
Afrique. Enfin, en 697 (**), Carthage Les quatre premières devaient avoir
est prise et détruite par Hassan , et le pour gouverneurs des personnages con-
nom grec et romain effacé de l'Afri- sulaireles
s ; trois dernières des prési-
que. dents. Depuis Constantin jusqu'à l'in-
l'administration byzantine en vasion des barbares, l'Afrique avait
Afrique; ses résultats (***). — De- été placée dans la préfecture d'Italie.
Justinien créa, pour sa nouvelle con-
venu maître, par les victoires de Bé-
lisaire, des provinces soumises aux quête ,une préfecture spéciale dont le
Vandales, Justinien voulut d'abord, chef-lieu fut Carthage. Archelaùs fut
comme nous l'avons dit, que les fron- nommé préfet du prétoire. Après avoir
tières de ses nouvelles possessions fus- organisé le gouvernement de l'Afrique
sent celles que Rome avait fixées dans et pourvu aux grandes charges , l'em-
les derniers jours de la république et pereur régla les attributions et les ap-
sous l'empire. Puis, comme l'attestent pointements detous ceux qu'il mit en
des actes nombreux, il s'occupa de exercice, non point seulement des plus
rendre à l'Afrique , sauf quelques mo- haut placés , mais encore des 396 se-
crétaires ou employés qui servaient,
(*) Nous devons ajouter aussi que le
patrice Grégoire qui lutta, en 647 contre les
à Carthage, dans les bureaux du pré-
Arabes , est le dernier qui ait été revêtu
fet du prétoire et de ceux qui étaient
attachés à chacun des gouverneurs des
en Afrique de la dignité de préfet du pré- sept provinces. Pour mieux assimiler
toire. Voy. Morcelli; Africa christiana;
t. I , p. 29. encore l'Afrique aux provinces qu'il
(**) lllud certe constat anno 691 , ab
possédait en Europe et en Asie et pour
Hasano Saracenorum duce qui Occidentem effacer les distinctions qu'avait pu lais-
occuparant, Cartliaginem ipsam eversam esse, ser ,même après la chute de Gélimer,
dit Morcelli {Africa christiana ; t. III , p. la conquête des Vandales, Justinien
3q3). L'Académie des inscriptions place en imposa à tous ceux qui habitaient dans
697 , comme Y Art de vérifier les dates , la les limites de sa nouvelle préfecture, les
prise et la destruction de Carthage. lois romaines que ses jurisconsultes
(***) Voyez sur ce point : Cad. lib. I, tit. compilaient à Byzance.
27 et Novel. 36, 37, i3i. — Ludwig; Vit.
Justinian., p. 349-377. — Gibbon; His-
L'Afrique dut se réjouir d'abord
toire de la décadence , etc., ch. 41 et 43. de la brusque révolution qui l'avait
placée sous la domination des em-
— Lebeau ; Histoire du Bas-Empire; t. VIII, pereurs de Constantinople. Pour at-
p. 264 et suiv., éd. Saint-Martin. — Recher- tacher les Africains à son empire par
ches sur l'hist. de l'Afrique septentrionale , de forts liens, Justinien les autorisa
etc., par une commission de l'Académie des à reprendre les propriétés qui avaient
inscriptions, 1. 1, p. 43. — Papencordt (Ges-
chichte dervandalischen Herrschaft in Afri- été enlevées à leurs aïeux , il y avait
ka); liv. III, ch. 9, p. 309-334. — V Africa un siècle , par Genséric et ses compa-
christiana de Morcelli (t. I, p. 27, 28 et gnons. Illeur accorda , pour les récla-
29 ) contient aussi sur ce sujet un excellent mations, un délai de cinq ans. L'ex-
résumé.
propriation s'accomplit. Cette mesure
L'UNIVERS,
96
violente enleva aux Vandales, qui frontières aux dévastations des Mau-
étaient restés en Zeugitane, leurs der- res et théâtre de nombreuses séditions
nières ressources et tous les moyens se trouva bientôt appauvri, ruiné, et
de rébellion; et, d'autre part, comme complètement épuisé. « Justinien , dit
l'empereur l'avait prévu, elle mit en Procope {Hist. arcan. , 18) , a ravagé
quelque sorte les nouveaux possesseurs l'Afrique de telle sorte que l'on par-
de terres dans la nécessité de défendre
court aujourd'hui cette contrée , pen-
et de maintenir la domination byzan- dant plusieurs jours , sans rencontrer
tine. D'ailleurs , après les premières un seul homme. Les Vandales, dans
victoires de Bélisaire, l'Afrique put les derniers temps de leur puissance ,
croire un instant que Justinien avait comptaient 160,000 guerriers. Qui
le désir sincère de porter remède à ses pourrait dire le nombre de leurs fem-
maux et de la rendre florissante. Il s'é- mes ,de leurs enfants et de leurs ser-
tait empressé , en effet , de relever les viteurs ?Qui pourrait énumérer aussi
murailles des villes, de réparer et d'a- les Africains qui , à l'arrivée de Béli-
grandir les ports et d'embellir chaque saireétaient
, répandus en foule dans
localité, Carthage surtout, qu'il appe- les villes et dans les campagnes? J'ai
laittueux
Justiniana, vu de mes yeux cette forte et nom-
édifices. par d'utiles et somp- breuse population; maintenant elle a
Mais c'étaient là de trompeuses ap- disparu. Si l'on joint aux Vandales et
parences, et l'Afrique romaine ne aux indigènes qui habitaient les côtes,
tarda pas à sentir que le gouvernement des familles maures sans nombre et
des Byzantins était plus oppressif que tous les soldats qui ont perdu la vie sous
celui des Vandales. D'abord elle ne les drapeaux de l'empire, on ne saurait
trouva pas, dans les affaires religieu- être accusé d'exagération en disant que
ses, cette tolérance qui, après ses longs l'Afrique, sous le règne de Justinien,
désastres et ses agitations , devait sur- a perdu cinq millions d'hommes. »
tout contribuer à lui rendre la paix L'Afrique resta soumise un siècle
intérieure dont elle avait tant besoin. et plus au gouvernement byzantin.
Les catholiques , qui avaient changé de Cependant
rôle avec les ariens, étaient devenus per- fin elle eût ilsecoué est vraisemblable
le joug qui qu'à la
pesait
sécuteursleur
à tour. Puis, elle fut li- sur elle et se fût constituée , à l'égard
vrée de nouveau, comme une proie, à de l'empire qui s'amoindrissait chaque
cette effrayante fiscalité qui jadis, au jour et penchait vers sa ruine, dans
temps de Genséric, lui avait rendu sup- un état de complète indépendance.
portable l'invasion barbare. Les Vanda- Alors, peut-être, en demeurant en
les étaient vaincus à peine que déjà Jus- possession de toutes les traditions de
tinien songea àexploiter, par sesagents, l'antiquité, elle eût contribué, par
sa nouvelle conquête. « On ne savait des relations fréquentes , au dévelop-
plus, dit un contemporain, ce que l'A- pement moral et intellectuel de l'Eu-
frique payait à l'ancien empire romain, rope et abrégé, pour notre continent,
parce que Genséric, au commence- la durée du moyen
ment de son règne , avait anéanti les des Arabes vint luiâge.porter
Mais lel'invasion
dernier
rôles des contributions. C'est pour- coup. Dans la seconde moitié du sep-
quoi Justinien envoya en Afrique Try- tième siècle, l'Afrique perdit une nou-
phon et Eustratius pour faire un ca- velle part de sa population, ses villes
dastre et dresser de nouveaux rôles.
tombèrent, ses déserts s'agrandirent,
Cette mesure parut odieuse et intolé- et elle vit disparaître jusqu'au dernier
rable aux Africains (Procop. , de Bel.
Vand. , II, 8). » Les agents du fisc vestige
apportéedetour cette à civilisation
tour, sur qu'avaient
ses côtes,
impérial ne tardèrent pas à se mettre depuis l'Egypte jusqu'à l'Atlantique,
à l'œuvre. Ils se montrèrent impitoya- les Phéniciens , les Grecs , et les Ro-
bles ,et le pays en proie sur toutes les mains.

FIN.
L'UNIVERS, -
HISTOIRE ET DESCRIPTION OU ■

DE TOUS LES PEUPLES,


DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, INDUSTRIE, COUTUMES, etc.

L'AFRIQUE CïiRÉTIEIVIVE,
Pak M. JEAN YANOSRI,
^CRltatf Dr 1,'rNIVF.RSITll, PROFESSEUR D'HISTOIRE AU COLLÈGE STAN1SL\S , etc.

AVANT- PROPOS ; PREMIERS SUCCES qui attestaient l'héroïsme de ses martyrs,


DU CHRISTIANISME EN AFRIQUE ; ETA- la multitude de ses membres, la vio-
BLISSEMENT DESÉVÈCHÉS; PREMIERS lence de ses schismes, et la science de
conciles; AGRIPPINUS ET OPTAT, ses docteurs.
ÉVÉQUES DE CARTHAGE. — Et) nulle C'est l'histoire de cette illustre Église
contrée de l'ancien monde le christia- que nous voulons raconter. Pour arri-
nisme n'a été plus florissant qu'en Afri- ver ànotre but il suffira donc de consul-
que. Sur la vaste étendue de côtes que ter tous les titres, anciens et vénérables,
baigne la Méditerranée, depuis les li- qu'elle nous a transmis; de mettre en
mites les plus orientales de la régence
œuvre, enauuntemps
même, mot, les
de matériaux qu'elle-
sa puissance et
de Tripoli jusqu'à Tanger, s'élevaient
jadis dans les villes, à la place occu- de sa grandeur,
sembler (l). avait pris soin de ras-
f')ée aujourd'hui
à même où Ton ne parles mosquées,
rencontre plus queet (I) Nous avons donc beaucoup emprunté aux
le désert, d'innombrables églises. Sur anciennes légendes, aux canons des conciles et
cette terre où , pendant mille ans et aux livres des Pères. Toutefois , nous devons
plus, Mahomet a régné sans partage, dire que souvent aussi nous avons eu recours
aux ouvrages modernes et que nous y avons
on ne trouvait, du quatrième siècle au pris ( comme le témoignent nos citations ) des
sixième , que des chrétiens. opinions , des vues et de savantes explications.
Parmi ces ouvrages , it en est un dont nous
L'islamisme, il est vrai, a changé l'as- parlerons ici en quelques mots.
pect de l'Afrique. deIl la
la Tripolitaine, a fait disparaître
Byzacene , de de
la
L' Afrique chrétienne de Morcelli ( Stephnni
Antonii Morcelli^ e S. J.t prœpnsiti ecclesiœ
province carthaginoise, de la Numidie clarensis, Africa Christiana, in 1res partes tri-
butn. Brixiœ, 1816; in-4°) est Uiï chef-d'œuvre
et des trois Mauritaniesjusqu'au dernier d'érudition. L'auteur dans ses trois volumes
vestige de la civilisation romaine et du n'a omis aucun des faits qui se rapportent à
l'histoire du christianisme en Afrique. Mais
christianisme. Cependant il n'a pu effa- d'un autre côté, il n'y a pas une idée générale
cer tous les souvenirs qui se rattachent dans cette prodigieuse compilation. Morcelli
semble se délier de sa raison. En général, it
à l'ancien état social et religieux de s'abstient d'apprécier et de juger les hommes
ces contrées. L'Église d'Afrique avait et les événements. 11 laisse à d'autres le soin de
légué avant l'invasion arabe, à l'Asie et tirer la conclusion des faits qu'il a si soigneu-
à l'Europe, des documents sans nombre sement enregistrés. Si Morcelli a voulu prou-
AFR. CTÏRFT.
L'UNIVERS.

A quelle époque et par quels mis- seraient de jurer par le génie des em-
sion aires lechristianisme fut-il in- pereurs et de sacrifier aux dieux.
Bientôt douze chrétiens de la ville de
troduit en Afrique? On l'ignore. Sans
doute, dès la fin du premier siècle, Scilla (1) furent saisis et amenés à
quelques disciples des apôtres vinrent Carthage, devant le tribunal jrocon-
d'Asie ou d'Europe, sur des vaisseaux sulaire. Saturnin leur promit le pardon
marchands, pour apporter l'Evangile des empereurs s'ils voulaient renoncer
dans les populeuses et riches cités du aux croyances qu'ils avaient embras-
littoral africain. Carthage dut être le sées. Mais tous d'une voix unanime
point de départ de la prédication. Il s'écrièrent : Nous sommes chrétiens et
est vraisemblable que ce fut aussi dans nous voulons rester chrétiens. Spérat
la capitale de l'Afrique que fut élevé le était le plus ardent des accusés; il sti-
premier siège épiscopal. La doctrine mulait le courage des autres par sa
nouvelle se répandit avec rapidité dans fermeté et la véhémence de ses réponses.
l'intérieur des terres. Là , comme ail- Enfin le proconsul cessa de promettre
leurs, elle gagna, ainsi que l'attestent et menaça. Les chrétiens restèrent in-
d'anciens documents, les actes des ébranlables. Alors Saturnin prononça
martyrs par exemple, des hommes de contre Spérat, Narzal , Cittin, Vetu-
toutes les classes, depuis les esclaves rius , Félix , Acyllin , Letantius, et cinq
femmes, Januaria, Generosa, Vestina,
jusqu'à
rang dansceux la société qui occupaient
romaine. le premier Donata et Secunda , une sentence de
Saint Cyprien nous apprend que dès condamnation. Ces premiers martyrs
la fin du second siècle il y avait dans de l'Église d'Afrique se rendirent au
la Proconsulaire et dans la JNumidie lieu du supplice sans proférer une plainte
un grand nombre d'évéchés (1). Agrip- et sans rien perdre de leur résolution.
pinns, le premier évêque connu de Ils eurent la tête tranchée. Cette san-
Carthage, convoqua à cette époque un glante exécution, loin de ralentir le zèle
concile où il lit statuer que les héréti- des chrétiens, ne lit cjue l'enflammer.
ques qui voudraient rentrer dans le Le nom des douze victimes était répété,
sein de l'Église, seraient soumis à un dans leurs réunions secrètes, avec vé-
second baptême. L'opinion qui fut nération plusieurs,
; parmi les païens,
émise dans ce concile, et qu'approuva se laissèrent gagner aux doctrines qui
plus tard saint Cyprien, a été con- inspiraient tant de dévouement et d'hé-
damnée par l'Église. roïsme, et ceux-là mêmes qui ne re-
noncèrent point aux croyances et à la
Optât,le après
occupa la mort d'Agrippinus
siège épiscopal de Carthage. ,
PROPAGATION DES IDEES CHRÉ-
pratique de l'ancienne religion ne pu-
rent s'empêcher d'admirer les martyrs
TIENNES; LA PERSÉCUTION EN AFRI- si fameux dans l'Église sous le nom
QUE; LES MARTYRS SCILL1TAINS. — de martyrs scillitains.
Les idées chrétiennes se répandirent ENTHOUSIASME DES CHRÉTIENS,
avec rapidité
doctrine dans toute
nouvelle obtintl'Afrique. La
dans cette L'APOLOGÉTIQUE DE TERTULLIEN. —
La mort de Spérat etdeses compagnons
province un tel succès que bientôt le et toutes les rigueurs de la persécution
gouvernement impérial en conçut de n'avaientdoncpointabattuleschrétiens.
vives alarmes. Septime Sévère ordonna Loin de là, elles avaient excité parmi
au proconsul Vigellius Saturnin de
eux un redoublement d'énergie et d'ar-
faire d'activés recherches et de punir deur qui allait jusqu'à l'enthousiasme.
par le dernier supplice ceux qui refu- « Tel fut le progrès de cet enthousiasme
ver, non qu'il savait penser, mais seulement que là , comme ailleurs , la cruauté
qu'il savait lire et compiler, il a complètement des gouverneurs romains fut vaincue
réussi. Il a montré dans son travail ( et c'est par la foule des victimes. Toute la pro-
là sanschée)doute la seule louange En
qu'ilrésumé,
ait recher-
une palience admirable. pour vince d'Afrique se remplit d'églises,
les dates et l'exactitude des faits, Morcelli est d'évéchés. Le nombre, la richesse des
un guide très-sùr que nous n'avons jamais
abandonné. chrétiens s'accroissaient dans les épo-
(I) Cypriani epist. 71 ad Quint. — V. aussi (i) Cette ville était située dans la Proconsu-
laire.
Morcelli ( AJrica christiana )\i.ït p. 30.
AFRIQUE CHRÉTIENNE. 3

ques de tolérance. Le zèle et la foi leurs idées , un prochain triomphe. V A-


s'exaltaient dans alternative
les jours de persé- po/ogétu/ue disculpe, il est vrai, les
cution, et cette favorisait chrétiens; elle montre la fausseté des
ainsi doublement l'essor du culte nou- accusations portées contre eux ; elle
veau (1). > réduit à néant les calomnies que les
La persécution suivit son cours. partisans habiles du polythéisme répan-
Tous les chrétiens qui furent ame- daient àdessein parmi le peuple; mais
nés devant les magistrats imitèrent le but de Fauteur est moins de prou-
l'exemple des Scillltains, leurs illus- ver l'innocence des chrétiens que d'ins-
tres devanciers; ils répondaient avec truire ceux auxquels il s'adresse; en un
fermeté à leurs juges , demeuraient mot, Y apologétique est moins une jus-
inébranlables dans leur conviction et
tification qu'une prédication. C'est aussi,
marchaient au supplice tranquilles et contre l'ancienne religion, une violente
résignés Cependant, à la vue du sang satire. En expliquant le christianisme
versé, il y eut des voix qui s'élevèrent Tertullien l'oppose nécessairement au
pour demander compte aux bourreaux polythéisme, qu'il attaque avec une logi-
de leurs inutiles fureurs. « Que ferez-
fois que
danspressante et en s'aidant
la discussion de plus d'une
mordantes
vous, disait un chrétien d'Afrique,
de ces milliers d'hommes, de femmes et amères railleries. Çà et là on rencon-
de tout âge, de tout rang, qui présen- tre, dans son œuvré, à côté de l'exa-
tent leurs bras à vos chaînes? de com- gération etde l'emphase africaines, des
bien de feux, de combien de glaives traits d'une haute éloquence. A ceux qui
n'aurez-vous pas besoin? Décimerez- s'étonnaient des réclamations des chré-
vous Carthage? » Le plus éloquent in- tiens et qui disaient : 13e quoi vous
terprète de l'Église persécutée fut plaignez-vous, puisque vous voulez
alors un homme originaire de Car- souffrir? il répond : « Nous aimons
thage, Tertullien, qui, après une vie les souffrances comme on aime la
agitée, avait adopté les croyances du guerre;
christianisme et était, entré , suivant à on nedes s'y
tiers cause engageet pas
alarmes des volon-
périls;
d'anciens témoignages, dans les ordres mais on y combat de toutes ses forces
sacrés. Il écrivit, pour la défense dé et on se réjouit de la victoire. Notre
ses frères, un livre célèbre, YJpologê- combat consiste à être traînés devant
tique. Dans les pages véhémentes de les tribunaux pour y défendre la vé-
ce plaidoyer rité aux dépens de notre vie. Vous
blement pourillesn'implore
chrétiens point
la pitiéhum-
des avez beau nous montrer, comme chose
bourreaux, « La vraie doctrine, dit-il, infamante, les pieux auxquels vous
ne demande point de grâce, parce nous attachez , le sarment sur lequel
vous nous brûlez. Ce sont là nos ro-
qu'elle n'est point étonnée de son sort.
Elle sait qu'elle est nouvelle et étrangère bes de fêtes, nos chars de triomphe,
en ce monde et que parmi des étran- les éclatants témoignages de notre
gers on trouve aisément des ennemis. victoire. Nous sommes , dites-vous ,
Son origine, sa demeure, son espérance, des furieux et des fous à cause de
sa puissance, sa gloire, tout est dans ce mépris de la mort qui a pourtant
le ciel. Pour le présent elle ne veut rendu à jamais illustres Scévola, Ré-
qu'une chose, c'est qu'on ne la con- gulus, Empédocle, Anaxarque et tant
damne pas avant de la connaître. Les d'autres; eh quoi ! faut-il donc souffrir
lois humaines seront-elles affaiblies si toutes sortes de maux pour la patrie,
vous l'écoutez? » Il y a au contraire, pour l'empire, pour l'amitié, et rien
dans les paroles deTertullien, cette au- pour Dieu? » Ailleurs on trouve le
dace et nous dirions presque cet or- passage tant de fois cité: « Puisque,
gueil que ressentent les partisans d'une comme nous l'avons dit, il nous est
doctrine qui fait chaque jour de nou- ordonné d'aimer nos ennemis, qui
veaux progrès et qui prévoient, pour pourrions-nous haïr? De même, s'il
(I) M. Villemain; de Céloquence chrétienne
nous est défendu de nous venger de
dans le quatrième siècle; voy. Les Nouveaux ceux qui nous offensent pour ne pas leur
Mélanges, p. 454. ressembler, qui pourrions-nous 1. offenser?
L'UNIVERS.

Vous-mêmes, je vous en fais juges, immolez des chrétiens, condamnez*


combien de fois vous êtes- vous déchaînés nous, tourmentez-nous , déchirez-nous
contre les chrétiens, autant pour sa- écrasez nous! Notre sang est une se-
tisfaire àvos préventions que pour meuse féconde. Nous multiplions quand
obéir à vos lois! Combien de fois, sans vous nous moissonnez. »
même attendre vos ordres , la populace, TERTULLIEN ET SES OEUVRES. —
de son seul mouvement, ne nous a-t-elle Tertullien avait déjà parlé eu faveur
pas poursuivis , les pierres ou les tor- des chrétiens,
ches àla main! Dans les fureurs des loquence, dansmais
son avec moins
ouvrage d'é-
adressé
bacchanales , on n'épargne pas même aux Nations. Dans ce dernier ouvrage,
les chrétiens morts , déligurés , demi- comme dans V Apologétique, ses dé-
consumés; on les arrache, pour dis- monstrations sont nécessairement, à
perser leurs restes, de l'asile de la mort, cause du cadre étroit où il se renferme ,
du repos des sépulcres. Cependant nous succinctes et tronquées. Il les com-
a-t-on jamais vus chercher à nous ven- pléta par son traité du Témoignage de
ger ,nous que l'on pousse avec tant d'a- Came. Sa polémique contre le poly-
charnement, nous que l'on n'épargne théisme ne l'absorba pas tout entier;
pas même dans la mort? Pourtant, il lit encore une. rude guerre aux juifs
il nous suffirait d'une seule nuit et et principalement aux chrétiens qui
de quelques torches, s'il nous était s'étaient écartés de la tradition et de
permis de repousser le mal par le la vraie doctrine. C'est là qu'il excelle
mal , pour tirer des maux dont on par la logique. Les marcionites sont
nous accable, une terrible vengeance. rudement attaqués par Tertullien. Mar-
cion reconnaissait deux essences divines
Mais loin de nous l'idée qu'on puisse
venger une société divine par le feu supérieures à toutes les autres: Tune
humain, ou que cette société puisse active, l'autre inactive ; un dieu qui se
s'affliger des épreuves qui la font manifestait par des actes, un autre
connaître! Que si , au lieu d'agir sour- qui restait immobile. Ces deux dieux
dement nous
, en venions à des repré- étaient égaux en puissance et coéter-
sailles ouvertes, manquerions-nous de nels. Il y avait dans le système de Mar-
forces et de troupes? Les Maures, les cion une vague tendance vers la doc-
Marcomans, les Parthes même, quel- trine orientale des deux principes du
que nation que ce soit renfermée dans bien et du mal , en ce sens que , pour
ses frontières, est-elle plus nombreuse lui, le dieu qui agit est l'auteur du
que nous , c'est-à-dire qu'une nation mal, tandis que le dieu inactif est es-
sentiellement bon. Tertullien nediscuta
qui n'a d'autres limites que l'univers ?
Nous ne sommes que d'hier, et nous point seulement contre Marcion , mais
remplissons tout ce qui est à vous, aussi contre Hermogène, qui ne recon-
vos villes, vos places fortifiées, vos nais ait, iest
l vrai, qu'une seule essence
colonies, vos bourgades, vos assem- divine, laquelle est le principe du bien ,
blées, vos camps, vos tribus, vos mais qui faisait la matière coéternelle
décuries , le palais , le sénat , le forum ; à Dieu et cause première du mal. Puis,
nous ne vous laissons que vos tem- il attaqua Praxéas qui, par une vive
ples! »Ce livre, si plein de raison, de réaction contre la doctrine du dualisme
chaleur et d'éloquence , dut avoir un divin, alla jusqu'à nier la Trinité pour
immense retentissement. Il gagna, on mieux établir l'unité de son dieu. Ter-
peut le croire, bien des âmes à la tullien, on le conçoit , défendit la Tri-
nouvelle religion et, d'autre part, il nité et conséquemment le dogme de
raffermit ceux que la persécution avait l'Incarnation. Il combattit encoreà plu-
ébranlés. Plus d'un chrétien, sans sieurs reprises les hérésiarques dans
doute, en lisant l'œuvre de Tertullien, divers ouvrages et notamment dans son
traité de la Chair du Christ {de Came
dut répéter, dans un élan d'irrésistible Christi), dans le Scorpiaque , et dans
enthousiasme, quelques-uns des mots
qui terminent Y Apologétique : « Cou- la discussion générale qui est connue
rage, magistrats! puisque le peuple sous le nom de Prescriptions.
vous trouve meilleurs quand vous lui Tertullien s'élève avec une grande
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
violence contre l'ancienne philosophie. jours été croissant, depuis le jour où
Il abhorre les gnostiques et tous ces il avait engagé le combat contre le po-
savants, parmi les chrétiens, qui, de lythéisme, et qu'à la vue des périls
son temps déjà, enfantaient sur Dieu
et la création , des systèmes empreints qui, de , toutes
glise son indulgence parts, menaçaient l'É-
pour ies faibles
de l'esprit grec et de l'esprit oriental. et les hérésiarques s'était progressive-
C'est dans cette haine contre la tradi- ment affaiblie, il approuva sans hésiter
tion philosophique, si nous pouvons une morale qui n'avait point de par-
nous exprimer ainsi, que se trouve une don pour les fautes les plus légères.
grande part de son originalité. A Ce changement dans ses convictions
défaut de la science qu'il repousse et lui dicta sur le jeûne, la pénitence,
à laquelle, cependant , i! n'est pas étran- le martyre , des pages remplies de so-
ger, Tertullifm s'appuie sur le bon phismes, et tout empreintes du rigorisme
sens, et plus souvent encore il appelle à le plus exagéré. Plus tard, son esprit
son aide un auxiliaire plus puissant, à indépendant le détacha des montanistes.
savoir, la vivacité de sa foi. Il se fit le chef d'une nouvelle secte
Dans les œuvres consacrées exclu-
dont les membres s'appelaient, de son
sivement la
à polémique, comme dans nom , TertuUianistes. Ils étaient nom-
les traités sur le baptême, la péni- breux en Afrique. Ce fut saint Augustin
tence, la prière, l'idolâtrie, les spec- qui les ramena
tacles, lepatlium, la chasteté, la pa- catholique. Nous dans le sein
serions portéde àl'Église
croire
tience, etc., on trouve les qualités et
les défauts de V Apologétique : une lo- que ces chrétiens austères jusqu'à l'ex-
cès favorisèrent au moins , s'ils ne le
gique puissante, une chaleur qui se provoquèrent pas en partie, le schisme
des donatistes.
manifeste souvent par des traits d'une
sublime éloquence. Ajoutez à cela une Toutefois, malgré les écarts qu'ils
fine raillerie, une grande vivacité et reprochent à l'auteur de l' apologéti-
parfois aussi de la grâce. On rencon- que ,les docteurs les plus illustres du
tre, il est vrai, dans tous ces livres, christianisme lui ont tenu compte des
les vices de l'esprit africain , un goût efforts qu'il avait faits pour préciser et
prononcé pour les images hardies, de coordonner leurs dogmes aux yeux des
l'exagération et de païens; ils nont pas oublié, nonobstant
là, de la gêne, desl'emphase,
obscurités etetçà de
et sa chute, que sa controverse avait été,
la confusion. Mais les beautés plus pour ainsi dire, le point de départ de
nombreuses et plus saillantes que les tous leurs écrits ; à toutes les époques,
défauts ont acquis à Tertullien une ils ont prodigué à cet héroïque, lutteur
gloire que le temps n'a point encore les louanges et les témoignages de la
affaiblie. plus vive admiration; et parmi eux, il
Tertullien, suivant d'anciens récits, s'est trouvé un saint, qui, faisant allusion
vécut non point seulement au temps où Tertul-
dans laséparé
secondede moitié l'Églisede catholique,
sa vie, et lien avait vécu, mais encore à son mé-
partagea l'erreur des montanistes. Ce rite, n'a pas craint de l'appeler le pre-
changement mier des Pèi-es de l'Église (1).
même de son s'explique
esprit. Monpartan,la le
nature
chef
([) Voy. sur Tertullien et ses écrits : August
de la doctrine qu'il avait embrassée, Neander; anlignostikus Geisldes Tcrtullianus
prétendait déjà de son temps que vnd Einleitung in dessen Schrijten ; Berlin,
les chrétiens vivaient dans un funeste
1825.— M. J.' P.sur
Charpentier;
Tertullien; Elude
Paris, histo-
relâchement; il voulait donc changer rique et littéraire 1839.
— Henri Ritter; Histoire de la philosophie
leurs mœurs, les régénérer. D'nutre chrétienne, traduite de l'allemand par Trul-
part, il croyait au don de prophétie. lard; t. I, p. 325 — 376; Paris, 1843. Ritter
Tertullien se laissa entraîner volon- s'est servi plus d'une fois du livre de Neander.
— Fleury; Histoire ecclésiastique, t. It, p. 5 et
tiers, par saIl foi
de Montan. crutvive, dans femmes
en deux l'erreur suiv.;in-40. — Berault-Bercastel; ///'s/o/>ecter£-
glise; t. I, p. 368 et suiy. — Rohrbacher; His-
exaltées, Maximille et Priscille, qui se toire universelle de l'Église catholique , t. V,
p- 243 et suiv.; Paris, 1842. — Voy. aussi:
disaient animées de l'esprit de Dieu. Ludw. Gieseler; Lehrhuch der Kirchengeschi-
Puis, comme son rigorisme avait tou- chte; t. 1 , p. 232 et suiv. ; Bonn ,1831.
L'UNIVERS.
Tertuîlien était né dans la dernière mis assurément au nombre des plus
moitié du second siècle; il parvint, belles légendes du christianisme (i).
suivant d'anciens « On arrêta , à Carthage ( 202 ou 203) ,
extrême vieillesse. témoignages, à une Révocatus et Félicité, esclaves du même
SUITE DE LA PERSÉCUTION; MAR- maître, Saturnin et Secundulus, et avec
TYRE DE PERPÉTUE, DE FÉLICITÉ, euxVivia Perpétua, issue d'une .famille
DE RÉVOCATUS, DE SATURNIN, DE riche et puissante. Elle avait été élevée
SECUNDULIJS ET DE SATUK. — Mal- avec soin et bien mariée. Elle avait
gré V.apologétique de Tertuîlien et les son père et sa mère, deux frères, l'un
nombreuses réclamations, en faveur desquels était catéchumène, et un enfant
des chrétiens, qui arrivaientsans doute à la mamelle qu'elle nourrissait de son
de toutes les provinces, Septime Sévère lait. Son âge étaita d'environ vingt-deux
et ses jurisconsultes ne cherchèrent ans. Elle-même écrit de sa main et
point à se rendre compte des dogmes raconté, ainsi qu'il suit, l'histoire de
et des enseignements de la religion per- son martyre:
« Comme nous étions encore avec
sécutée. Cequ'ils voyaient surtout dans
le christianisme, c'était une doctrine les persécuteurs , et que mon père con-
tinuait àvouloir me faire tomber par
qui chrétiens
Les conduisait refusaient à l'infraction
avec des
une lois.
obs- l'affection qu'il me portait, je lui dis :
tination invincible de jurer par le gé- Mon père , voyez-vous ce vase qui est
nie des empereurs.
de Sévère C'était, unauxacte
et de ses légistes, yeux
de par terre?
on lui donner Oui, dit-il.
un autreJ'ajoutai:
nom quePeut-le
rébellion, un crime de lèse-majesté. sien? Non, répondit-il. Je ne puis pas
Aussi, ils se montrèrent impitoyables, non plus, moi, me dire autre chose
et ils prescrivirent des rigueurs que de- que
vait encore aggraver le zèle religieux Mon jepère,
ne suis, c'est-à-dire
touché chrétienne.
de ce mot, se jeta
des juges qui étaient restés partisans sur moi pour m'arracher les yeux;
sincères du polythéisme. Mais, nous mais il ne fit que me maltraiter et
l'avons dit, les chrétiens ne se laissè- s'en alla vaincu avec les inventions du
rent point effrayer; inébranlables dans démon. Ayant été quelques jours sans
leur foi, animes en outre du plus vif voir mon père, j'en rendis grâces au
enthousiasme, ils se présentaient avec Seigneur , et son absence- me soulagea.
résolution devant les tribunaux , répon- Ce fut dans l'intervalle de ce peu de
daient avec assurance, et ne perdaient jours que nous fumes baptisés; or,
rien de leur fermeté au milieu des plus
horribles tortures. Ils se réjouissaient je ne songeai,
demander la patience au sortirdans
de l'eau, qu'à
les peines
en vue de ce qu'ils appelaient leur triom- corporelles. Peu de jours après, on
phe prochain; parfois, ils se plaisaient nous mit en prison; j'en fus effrayée,
a raconter eux-mêmes, par écrit, la car je bres.
n'avais
longue série de leurs souffrances, et, Oh! que jamais ce jourvumede dura!
telles quelle
ténè-
quand le fer du bourreau arrêtait leur chaleur! on étouffait à cause de la
main, ils confiaient a un de leurs frères foule; puis des soldats nous poussaient
le soin de dire aux Églises comment ils avec brutalité ; enfin je séchais d'in-
étaient morts, et de terminer ainsi !e quiétude pour mon enfant. Alors les
bénis diacres Tertius et Pompone, qui
récit qu'ils avaient commencé. Nous nous assistaient, obtinrent, à prix
avons déjà parlé des SciUitains. Nous
devons raconter maintenant un autre
d'argent, que pour nous rafraîchir nous
martyre, qui commença dans les pri- pussions passer en un lieu plus com-
sons et se termina dans l'amphithéâtre mode de la prison. Nous sortîmes ; cha-
de Carthage. Nous reproduirons ici cun pensait à soi : je donnais à téter
textuellement, dans ses parties les à mon enfant qui mourait de faim.
plus importantes, un ancien document (I) Voy. le recueil de Ruinart : Ac.tn pri-
morum vinrli/rinn sinecra et selecta (Paris,
qui , si l'on
contient, les considère les faits
circonstances qu'il
au milieu 1689, in-/»° ) , p. 85. Nous empruntons la tra-
duction (le Fleurv, re\ueel modifiée quelquefois
desquelles il a été écrit, et l'admira- par
notrePabbé Rohr'bacher.
corriger cetteNous avonstraduction.
essayé, à
ble simplicité de sa forme, doit être tour, de dernière
AFRIQUE CHRÉTIENNE.

Inquiète pour lui, j'en parlais à ma mère ; fortifier, en disant : Sur l'échafaud , il
je fortifiais mon frère et lui recomman- arrivera ce qu'il plaira à Dieu; car sa-
dais mon fils. Je séchais de douleur, chez bien que nous sommes en la puis-
parce que je les voyais eux-mêmes sé- sance de Dieu , non pas en la nôtre. Et
chant de douleur pour l'amour de moi ; il s'en alla tout triste. Le lendemain,
je passai plusieurs jours dans ces in- comme nous dînions, on vint tout d'un
quiétudes. M'étant accoutumée à garder coup nous enlever pour être interrogés ,
mon enfant dans la prison , je me trou- et nous arrivâmes à la place. Le bruit
vai aussitôt fortifiée, et la prison me de- s'en répandit aussitôt dans les quartiers
voisins, et Ton vit accourir une foule
vint un palais; en sorte que j'aimais
mieux y être qu'ailleurs. Mon frère me immense. Nous montâmes sur l'écha-
dit alors : Madame et sœur, déjà vous faud. Mes compagnons furent interrogés
êtes en grande faveur auprès de Dieu; et confessèrent. Quand mon tour vint,
demandez-lui donc qu'il vous fasse con- mon père se présenta tout à coup avec
naître par quelque vision si vous mon fils; il me lit descendre les degrés,
devez finir par le martyre ou par être et me dit d'une voix suppliante : Ayez
rendue à la liberté. » pitié de votre enfant! Le procurateur
Perpétue, en effet, eut une vision Hilarien, qui remplaçait alors Minucius
pendant son sommeil. Elle comprit Timinien, qui venait de mourir, me
qu'elle était destinée au martyre. Elle disait de son côté : Épargnez les che-
veux blancs de votre père! Épargnez
le dit à son frère; et tous deux", suivant
l'expression de la sainte, commencè- l'enfance de votre fils! Sacrifiez pour
rent à n'avoir plus aucune espérance la prospérité des empereurs! Je n'en
dans le siècle. Perpétue reprend le ré- ferai rien, répondis-je. Êtes-vous chré-
cit en ces termes : « Peu de jours après , tienne? me dit-il. Et je lui répondis :
le bruit se répandit que nous devions Je suis chrétienne. Cependant, mon
être interrogés. Mon père vint de la père se tenait toujours la pour me faire
ville, consumé de tristesse; il monta tomber. Hilarien commanda de le chas-
vers moi (t) pour me faire tomber dans ser ;etton. Jeilressentis
fut frappé d'un coup
!e coup de monde père
bâ-
l'apostasie,
de mes cheveux disant blancs! : Ma fille,
ayezayez
pitiépitié
de comme s> j'eusse été frappée moi-même,
tant je compatissais à son infortunée
votre père, si du moins je" suis digne vieillesse! Hilarien prononça la sentence,
que vous m'appeliez votre père! Si moi- et nous condamna tous aux bëtes. Et
même, de mes mains que voilà, je vous
ai élevée jusqu'à cette fleur de l'âge; si nous descendîmes joyeux à la prison.
je vous ai préférée à tous vos frères , Comme mon enfant était accoutumé à
recevoir de moi le sein et à demeurer
ne memes Regardez
. rendez pas l'opprobre
vos frères, des hom-
regardez votre avec moi dans la prison , j'envoyai aus-
mère et votre tante; regardez votre fils sitôt lediacre Pompone pour le deman-
qui ne pourra vivre après vous. Quittez der à mon père; mais mon père ne
cette fierté, de peur de nous perdre voulut pas le donner. Et il plut à Dieu
tous; car aucun de nous n'osera plus que l'enfant ne demanda plus à téter,
parler , s'il vous arrive quelque malheur. et que je ne fusse pas incommodée de
Ainsi me parlait mon père dans sa ten- mon lait; de sorte que je restai sans
dresse, me baisant les mains, se jetant inquiétude et sans souffrance. »
à mes pieds et m'appelant avec larmes La sainte, après avoir raconté une
non plus sa fille, mais sa dame. Et seconde vision, ajoute : « L'inspecteur
moi , je pleurais sur les cheveux blancs Pudens, qui était gardien de la prison,
de mon père, je gémissais de ce que, seul conçut une grande estime pour nous,
de toute ma famille, il ne se réjouissait parce
couragequ'il voyait
venait de sans
Dieu. doute que notre
Il laissait donc
pas de mon martyre; et j'essayais de le entrer beaucoup de frères , afin que nous
i (I) Au temps de la domination romaine, les
firisons de Carlliage étaient situées sous le pa- pussions nous consoler et nous encou-
ais proconsulaire, et le palais lui-même se rager mutuellement. Quand le jour du
trouvait sur la colline où s'élevait jadis la ci- spectacle approcha , mon père vint me
tadelle de Byrsa Voy. dans ce volume la topo-
graphie de Carlliage. trouver. 11 était accablé de tristesse;
s L'UNIVERS.

il commença mes doigts les uns dans les autres, et ,


puis il se jeta à àterre, s'arracher
et la facela tournée
barbe;
le pressant, je le fis choir, et avec mes
vers le sol, il se mit à maudire ses an- pieds je foulai sa tête Le peuple se
nées et à se plaindre en des termes qui mit à crier, et mes auxiliaires à chanter.
eussent ému la créature la plus insensi- Je
ble. Et moi, je gémissais sur sa malheu- le m'approchaidu
rameau avec unmaître,
baiser,qui enme disant
donna :
reuse vieillesse. La paix soit avec vous, ma fille. Je
« La veille de notre combat, j'eus cette commençai à marcher avec gloire vers
vision : le diacre Pompone était venu la porte Sana-Vivaria de l'amphithéâtre.
à la porte de la prison, et frappait bien Je m'éveillai; et je compris que je ne
fort; je sortis et lui ouvris. Il était vêtu combattrais pas contre les bêtes, mais
d'une robe blanche, bordée d'une infinité contre le démon; et je me tins assurée
de petites grenades d'or. 11 me dit : Per- de la victoire. Voilà ce que j'ai fait et
pétue, nous vous attendons; venez. Il me vu jusqu'à la veille du spectacle; qu'un
prit par la main, et nous commençâmes autre écrive, s'il veut, ce qui s'y pas-
a marcher par des lieux rudes et tor- sera. »
Ici , en effet, la narration de la sainte
tueux. Enfin nous arrivâmes à l'amphi-
théâtre à grand'peine et tout hors est interrompue; mais, comme Perpé-
d'haleine. Il me conduisit au milieu de tue l'avait désiré , il se trouva un chré-
l'arène et médit: Ne craignez point, tien qui raconta les derniers instants
je suis ici avec vous et je prends part à des martyrs. 11 les visita dans la prison
vos travaux, Il se retira, et j'aperçus et ne les quitta, comme on le voit par
un grand peuple qui regardait ébani. le document que nous avons sous les
Comme je savais que jetais destinée yeux,vivre. qu'auCe moment
aux bêtes , point. je m'étonnais de fut lui où
sansils doute
cessèrent
qui
les lâchait Il sortit ,alors car contre
on ne
plaça , entre les derniers mots tracés par
moi un Égyptien fort laid qui vint me Perpétue et son propre récit, une vision
combattre avec ses auxiliaires. Mais il écrite par un chrétien condamné au
vint aussi vers moi des jeunes hommes
bien faits , pour me secourir. Je fus dernier supplice. Ce chrétien s'appelait
Satur. Il était venu se livrer aux magis-
dépouillée de mes vêtements, et me trats et
, on l'avait joint, dans l'arrêt de
trouvai changée en homme ; on me frotta mort, aux martyrs que nous avons
d'huile pour le combat, et je vis de l'au- déjà nommés. Après avoir transcrit la
tre côté l'Égyptien se rouler dans la vision de Satur , le nouveau narrateur
poussière. Alors parut un homme mer- s'exprime en ces termes : « Secundulus
veilleusement grand , en sorte qu'il était mourut dans la prison. Félicité était
plus hautque l'amphithéâtre, vêtubandes
d'une enceinte de huit mois, et, voyant le
tunique sans ceinture avec deux jour du spectacle si proche, elle était
de pourpre par devant et semée de petits fort affligée, craignant que son martyre
ronds d'or et d'argent. Il tenait une ba- ne fût différé, parce qu'il n'était pas
guette, comme les maîtres des gladia- permis d'exécuter les femmes encein-
teurs ,et un rameau vert où se trou- tes. Elle craignait de répandre ensuite
vaient suspendues des pommes d'or. son sang innocent avec quelques scélé-
Ayant commandé le silence, il dit: Si rats. Les compagnons de son martyre
l'Égyptien remporte la victoire sur la étaient sensiblement affligés, de leur
femme, il la tuera par le glaive; mais côté, de la laisser seule, elle, une si bonne
si elle vient à le vaincre, elle aura ce compagne, dans le chemin de leur com-
rameau; et il se retira. Nous nous ap- mune espérance. Ils se mirent donc tous
prochâmes, et nous commençâmes à ensemble à gémir et à prier. Cela se
nous donner des coups de poing. Il passait trois jours avant le spectacle.
voulait me prendre par les pieds, mais Aussitôt après leur prière, les douleurs
je lui en donnais des coups dans le vi- prirentmentFélicité, et comme, plus
l'accouche-
sage. Je fus élevée en l'air et commençai étant naturellement difficile
dans le huitième mois, elle se plaignait,
à lé battre
terre. Voyant comme que sicela j'eusse
duraitfrappé'la
trop, un des guichetiers lui dit : Tu te plains
je joignis mes deux mains, passant maintenant! Eh! que feras-tu donc quand
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
tu seras exposée à ces bêtes que tu as de sa couche pour combattre les bêtes
méprisées , lorsque tu refusas de sacri- et se purifier ainsi , comme par un se-
fier? Elle répondit : C'est moi qui souf- cond baptême, dans son propre sang.
fre maintenant ce que je souffre; mais Lorsqu'ils furent arrivés à la porte de
là, il y en aura un autre en moi qui l'amphithéâtre, on voulut forcer les
souffrira pour moi, parce que je souf- hommes à revêtir le costume des prê-
tres de; Saturne , et les femmes celui
frirai pour lui. Elle accoucha d'une
petite
son enfant fille, qu'une sœur éleva comme des prêtresses
avec une fermeté de Cérès . Ils s'y refusèrent
invincible, disant :
« Comme le tribun traitait les mar- Nous ne sommes venus ici volontaire-
tyrs très -rudement, parce que, sur ment que pour conserver notre liberté;
Fa vis de gens sottement crédules, il nous avons sacrifié notre vie pour ne
craignait qu'ils ne se tirassent de la pri- rien faire de semblable; cela a été ar-
son par quelque sortilège, Perpétue lui rêté entre vous et nous. L'injustice re-
Pdit en face : Pourquoi ne nous donnes- connut lajustice; le tribun consentit à
tu pas du soulagement , puisque nous ce qu'ils entrassent avec les vêtements
sommes les condamnés du très-noble
César, et que nous devons combattre à ?[u'ils portaient. Perpétue chantait,
ôulant déjà aux pieds la tête de l'Égyp-
sa fête? N'est-il pas de ton honneur que tien. Pvévocatus, Saturnin et Satur sem-
nous y paraissions en bon état? Le tri- blaient dédaigner le peuple qui regar-
bun eut peur et rougit : il commanda dait. Étant arrivés à la vue d'Hilarien,
donc qu'on les traitât plus humaine- ils lui disaient par signe de la main et
ment; qu'on accordât aux frères et aux de la tête : Tu nous juges, mais Dieu
autres la liberté d'entrer dans la prison, te jugera. Le peuple en fut irrité, et de-
afin manda qu'ils fussent fouettés en passant
des quesoulagements.des deux parts Le on pût s'apporter
surveillant de la devant les veneurs. Les martyrs se ré-
prison était déjà croyant. La veille des jouirent departiciper en quelque chose
jeux, on leur donna, suivant la cou- a la passion du Seigneur Celui qui a
dit : Demandez et vous recevrez, leur
tume, ledernier
lait le repas libre,repas,
et quiquese l'on appe-
faisait en accorda la mort que chacun d'eux avait
public ; mais les martyrs le convertirent souhaitée; ducar martyre, lorsqu'ils s'entretenaient
ensemble Saturnin avait
en
étaitune en agape eux. Ilsmodeste, parlaientautant qu'il
au peuple manifesté le désir d'être exposé à toutes
avec leur fermeté ordinaire, le menaçant sortes de bêtes, afin de remporter une
du jugement de Dieu, attestant les dé- couronne plus glorieuse. Ainsi, dans le
lices qui se trouvaient dans leurs souf- spectacle , lui et Révocatus, après avoir
frances, etraillant la maligne curiosité été attaqués par un léopard , furent en-
de ceux qui accouraient auprès d'eux, core maltraités par un ours. Satur ne
Satur leur disait : Le jour de demain ne craignaitrien tant que l'ours, et souhai-
vous suffit pas pour voir à votre aise tait qu'un léopard le tuât d'un seul coup
ceux que vous haïssez. Aujourd'hui de dent. Il fut d'abord exposé à un san-
amis, demain ennemis. Après tout, re- glier; mais le veneur qui avait lâché la
marquez bien nos visages, afin de nous bête, en reçut un coup dont il mourut
reconnaître au jour solennel. En sorte après les fêtes. Satur fut seulement
que tous se retirèrent interdits. Plu- traîné. P-uis on lâcha un ours; mais
sieursdans
, cette foule , adoptèrent les l'ours ne sortit point de sa loge. Ainsi
nouvelles croyances. Satur, étant sain et entier, fut rappelé
« Enfin parut le jour de leur victoire. pour la seconde fois. Les jeunes fem-
Ils sortirent de la prison pour l'amphi- mes furent dépouillées et mises dans des
théâtre, comme pour le ciel : leurs vi- filets pour être exposées à une vache
sages était rayonnants; ils étaient émus, furieuse. Le peuple en eut horreur,
non de crainte, mais de joie. Perpétue voyant
suivait , calme dans ses traits et dans core l'une
malade desi sadélicate couche etavecl'autre en-
des ma-
sa démarche, comme l'épouse chérie melles dégouttantes de lait. On les retira
du Christ; elle tenait les yeux baissés, donc et on les couvrit d'habits flottants.
pour en dérober la vivacité. Félicité se Exposée la première, Perpétue fut jetée
réjouissait de s'être assez bien relevée en l'air et retomba sur les reins. Elle se
L'UNIVERS.
10
mit sur son séant, et voyant sa robe dé- menât les chrétiens au milieu de l'am-
chirée sur le côté, elle la rejoignit pour phithéâtre, pour les voir frapper et
cacher ses cuisses, plus occupée oe la s'associer ainsi, par les regards, à l'ho-
pudeur que de la douleur. On la reprit, micide. Les martyrs se levèrent, y allè-
et elle renoua ses cheveux qui s'étaient rent d'eux-mêmes, après s'être donné
détachés, car il ne les
convenait le baiser, afin de consommer le martyre
martyr souffrît cheveux point qu'un
épars, de par un acte solennel de paix. Ils reçu-
peur de paraître affligé de sa gloire. Elle rent ledernier coup, immobiles et en si-
se leva, et voyant Félicité toute frois- lence; quant à Perpétue, elle tomba
sée par terre, elle lui donna la main et entre les mains d'un gladiateurinexpéri-
l'aida à se relever. Elles se tenaient de- menté, qui la piqua entre les os et la
bout toutes les deux; mais le peuple, fit crier; elle fut obligée de conduire
dont la dureté avaitété vaincue, ne vou- elle-même la main tremblante de son
bourreau. »
lut pas qu'on les exposât de nouveau, Si ces pages , après tant de siècles ,
et on les reconduisit à la porte Sana-
nous paraissent encore si belles et nous
V'waria. Perpétue
catéchumène nomme y Rustique,
fut reçue par un
qui lui émeuvent fortement, qu'on juge de l'ef-
était attaché. Alors elle s'éveilla comme fet qu'elles ont
d'un profond sommeil, tant elle avait été persécutions. On produit au temps
en fit sans doute des
de
ravie en esprit et en extase, etcommença nombreuses copies, que de pieux mes-
sagers transportaient, suivant un vieil
à regarder autour d'elle, en disant,
au grand étonnement de tout le monde : usage
Quand donc nous exposera-t-on à cette seulement d'Eglise
(i), en Afrique, en Église, non encore
mais point
vache? On lui dit ce qui s'était passé; en Europe et en Asie, dans les pays les
elle ne le crut que lorsqu'elle vit sur plus lointains.
tiens de contrées C'estdiverses
ainsi que les "chré-
se transmet-
son corps et sur son vêtement les mar-
taient, pour ainsi dire, le courage et le
ques de ce qu'elle avait souffert, et
qu'elle reconnut le catéchumène. Puis dévouement, et s'aidaient, malgré les
elle lit appeler son frère, et lui dit, ainsi distances, à l'aide d'un simple récit,
qu'à Rustique: Demeurez fermes dans à ne rien perdre, au milieu des tor-
la foi; aimez-vous les uns les autres, tures, de leur enthousiasme et de leur
et ne soyez pas scandalisés de nos foi.
souffrances. Satur, à une autre porte , LA. PERSÉCUTION SE FAIT SENTIR
suivait le soldat Pudens, et lui disait: DANS TOUTES LES PARTIES DE l'aFRI-
Me voici enfin comme je vous l'avais pré- que;elle se ralentit; trourles
dit ;aucune bête ne m'a encore touché. interieurs del'égltse pendant la.
Croyez donc de tout votre cœur; je paix. — Ce ne fut point seulement à
m'en vais là , et je finirai par une seule Carthage
morsure d'un léopard. Aussitôt (on était fut mis à que l'édit deNous
exécution. Septime Sévère
savons par
à la fin du spectacle) il fut présenté à Tertullien (2) que la persécution s'étendit
un léopard, qui, d'un seul coup dent, sur toutes les villes de l'Afrique. Parmi
le les magistrats impériaux, il yen eut qui se
Le couvrit
voilà de biensang. Le le
lavé, peuple
voilà s'écria
sauvé! : montrèrent, à l'égard des chrétiens, doux
faisant uneallusionironiqueau baptême. et modérés et qui essayèrent d'atténuer
Mais lui, se tournant vers Pudens :
les rigueurs de la loi ; mais d'autres, au
Adieu , lui dit-il , souvenez-vous de ma contraire, soitdans des vues d'ambition,
foi! Que ceci ne vous trouble point, soit par un sincère | attachement aux
mais, au contraire, vous confirme! doctrines du polythéisme, usèrent sans
Puis,
avait auildoist, lui demanda
le mit surl'anneau qu'il
sa blessure, pitié, pour anéantir ceux qu'ils appe-
et le lui rendit comme un gage de son
amitié et un souvenir de son sang.
de(i)Smyrne
Voy. comme exempleéglises
aux autres , la lettre de l'église
concernant le
martyre de saint Polycarpe (ap. Ruinart, p.
Après quoi on l'exécuta au lieu où l'on 28). Le recueil de Ruinart ( Arta primorum
avait coutume d'égorger ceux que les
bêtes n'avaient pas achevés. On nommait marlyrum
document de sincera etsdecta ) conllentplus d'un
ce genre.
ce lieu SpoUarium. (2) Voy. la lettre adressée par Tertullien
« Le peuple demanda alors qu'on ra- au proconsul Scapula.
AFRIQUE CHRÉTIENNE.

laient les ennemis de l'empire, des tor- Cyprien mit bientôt sa science et son
tures et des plus affreux supplices. Au zèle au service Ildese lalivra croyance qu'il
nombre de ces derniers se trouvaient avait embrassée. avec ardeur
le proconsul Scapula et le gouverneur à l'étude des saintes Écritures et des
de la Mauritanie. ouvrages de Tertullien, pour lequel il
La persécution se ralentit enfin. Tou- avait une admiration sans bornes ; puis ,
tefois, ilfaut croire qu'il n'y eut de lorsqu'il se sentit suffisamment fortifié
paix véritable pour leschrétiensque sous par ses nouvelles lectures, il essaya, à
son tour, par de nombreux écrits, de
le règne d'Alexandre Sévère. L'Église défendre le christianisme. Ses premiers
d'Afrique avait à peine joui de quel-
essais, on le comprend , sont empreints
ques instants de repos qu'elle fut agi-
tée par des querelles. Elle était déjà de la vive réaction qui s'est opérée dans
tourmentée et déchirée par les schis- son esprit. D'abord, il adresse à un de
mes et les hérésies. Ce fut probablement ses amis, Donat, une lettre sur le mé-
au temps d'Alexandreen Numidie,
Sévère qu'un pris du monde; ensuite, comme fit Ar-
concile se rassembla, dans nobe plus tard, pour donner en quel-
la colonie de Lambèse, pour condam- que sorte à ses nouveaux frères un gage
ner l'hérétique Privât. Suivant le té- de sa foi , et peut-être pour se raffer-
moignage de saint Cyprien (1), quatre- mir lui-même, il attaque violemment
vingt-dix évêques (et ce seul fait prouve le polythéisme dans son traité de la Va-
les immenses progrès du christianisme nité des idoles. Dans ce dernier ou-
en Afrique) prirent placedans ce concile. vrage, Cyprien procède avec une exces-
Après la persécution et la mort d'A- sive réserve; il n'a point encore assez
de confiance dans ses propres forces
grippinusement,
successiv et d'Optat, on vit
sur le siège paraître
épiscopal de
Carthage, Cyrus, Donat et Cyprien (2). pour s'écarter des opinions déjà émises
par les docteurs de pour
déces eurs, etil suit, l'Église, ses pré-
ainsi dire, pas
Ce dernier s'éleva au moment où Ter-
tullien achevait sa longue carrière. àmodèle.
pas, Tertullien qu'il avait choisi pour
CONVERSION DE SAINT CYPRIEN; Sa manière est plus originale,
SES PREMIERS OUVRAGES', IL DEVIENT ses allures sont plus libres dans ses
évêque de carthage. — Cyprien ap- trois livres des Témoignages. Le pre-
Î>artenait à une des familles les plus il- mier livre contient une discussion con-
ustres et Il
les avait
plus riches de l'Afrique tre les juifs; Cyprien y établit que la
romaine. été élevé, dans sa
loi ancienne a tait son temps, et qu'il
jeunesse , avec beaucoup de soin. Dirigé faut nécessairement adopter et suivre
par des maîtres savants et habiles, il la loi du Christ, la loi nouvelle. Le
avait pris le goilt des lettres et les avait second est consacré à l'exposition du
étudiées avec fruit. Il parut bientôt avec
dogme de l'incarnation. Le troisième
éclat dans les écoles justement renom- est, suivant l'expression
mées de Carthage. C'est là qu'il don- ecclésiastique, un traité d'un écrivain
de théologie
nait avec grand succès des leçons pu- morale. Dans ces trois livres, on voit que
âge déjà bliques
assez d'éloquence,
avancé, lorsque, 'dans un
il se fit chrétien. Cyprien
approfondie a déjà étudié Écritures.
les saintes d'une manière
Il fit
Les écrivains ecclésiastiques nous ap- suivre ses Témoignages d'un traité
prennent que cette conversion fut l'œu- sur la Conduite des vierges. Il est évi-
vre d'un prêtre nommé Cecilius. dent que , dans ce dernier ouvrage , l'au-
teur s'est encore inspiré de Tertullien.
(1) Saint Cyprien, au moment où finissait la Il y avait un an à peine que Cy-
persécution ordonnée par l'empereur Deciuset
aCarthage,
propos d'un concile qu'il àavait
prien était prêtre, lorsque mourut Do-
écrivait chs mots saint convoqué
Corneille:à nat, l'évêque de Carthage. Plusieurs se
Per Feliciaitum autem signr/icavi tibi , fral^r, présentèrent alors pour occuper le siège
venisse Carlhaginem PrivaUtm velerem hœre- vacant. Mais le clergé et le peuple appe-
ticinn in Lomliesitana cnlonia , fin te mu Uns fère
annns, ob multa et, y m via delictn , nonaginta
episcoporum sentenùacondemnatum. Cypriani lèrent Cyprien, qui se tenait à l'écart, et
ad Cornet, epist. 45. tous, d'un commun accord, le procla-
(2) Morcelli {Africa christiana ) ; t. I, p. mèrent évêque en l'an 248 (1).
6let52. (I) C'est la date adoptée par Morcelli. Il ne
12 L'UNIVERS.
nouvelle persecution; retraite persécution, et qui avaient confessé
de saint cyprien; nombreuses sans crainte le nom du Christ au
apostasies; troubles et divisions milieu des plus horrib'es tourments.
dans l église de carthage. — cy- Les évêques et les prêtres avaient égard
prien était à peine monté sur son siège aux recommandations des martyrs, et,
que l'empereur Decius promulgua un en leur considération, ils se montraient
édit de persécution (249). Les païens , volontiers indulgents et abrégeaient,
qui étaient encore nombreux à Car- pour les faibles et les lâches, le temps
tilage, se mirent à poursuivre les chré- de la pénitence. En Afrique donc, et
tiens avec un acharnement qui tenait surtout à Carthage, les apostats s'adres-
de la fureur. C'était l'évéque surtout sèrent aux martyrs qui étaient en pri-
qui était féraient l'objet de leur son ou qui avaient échappé tout à fait au
hautement contrehaine; ils pro-
lui des me- fer des bourreaux , et leur demandèrent
nac s de mort; et quand ils étaient des billets d'indulgence. Parmi ces mar-
réunis dans l'amphithéâtre ils criaient : tyrs ,il y en eut qui n'en donnèrent
Cyprien au* lions! 11 fallait se cacher ou qu'avec uneextrême réserve; mais d'au-
périr. Cyprien crut sans doute que sa tres, trop 4iers du courage qu'ils avaient
vie serait plus utile un jour à ses frères montré et de leur victoire, s'imaginè-
que l'exemple de son martyre, et il se rent que, par leurs seuls mérites, ils
déroba, par une prompte retraite, au avaient le droit de réconcilier avec l'É-
fer des persécuteurs. On le frappa, glise tous ceux qui étaient tombés. Un
quoique absent, par une sentence de certain Lucien fut de ce nombre, et il dis-
proscription et par la confiscation de tribua indistinctement des billets d'in-
ses biens. dulgence atous ceux qui lui en deman-
Depuis Septime Sévère, un funeste dèrent. Ien vint à ce point d'arrogance ,
relâchement s'était opéré dans les mœurs qu'il adressa
la lettre suivante: à Cyprien,
« Tous dans sa retraite,
les confesseurs
des chrétiens. On le vit bien au jour
de la persécution. Si Mappalicus, Paul, ànous
l'évéque
Fortunion, Bassus et quelques autres avons Cyprien donné la , salut.
paix àSachez que
tous ceux
qui périrent soit au milieu des tortures, qui se sont bien conduits depuis leur
soit de la faim, dans les prisons de Car- péché, et nous voulons que vous le fas-
siez savoir aux autres évêques. Nous
tilage, s'illustrèrent par leur courage et souhaitons que vous ayez la paix avec
leur dévouement, l'ancienne gloire de
l'Église d'Afrique, comme on l'ap- les saints martyrs. En présence d'un
prend de Cyprien lui-même, fut ternie exorciste et d'un lecteur : écrit par
par des apostasies sans nombre. L'évé- Lucien.
semblable» L'évéque réclamation. ne tint compte d'une
Il recommanda,
que, de sa retraite, encourageait en
vain ses frères à la constance; quel- par lettres, à son clergé, de ne point ad-
ques-uns, comme Rogatien, suivaient mettre les apostats à la communion,
ses conseils; mais les autres cédaient avant le jour où il serait permis de dis-
lâchement et sacrifiaient en foule aux cuter librement sur les affaires de l'É-
idoles.
glise. D'autre part, comme il sentait que
L'esprit de Cyprien n'était point seu- depuis sa retraite l'autorité de sa parole
lement
plorablepréoccupé
apostasie de
; ilces actesencore
voyait d'une avec
dé- pouvait être diminuée, il s'adressa à
l'Eglise de Rome, qui s'était illustrée
douleur que, dans ces moments de par sa fermetédans la persécution. Celle-
péril, un schisme menaçait son Église. ci approuva et loua la conduite de Cy-
Parmi les chrétiens qui avaient renié prien, blâma l'insistance des apostats,
leur foi et leur Dieu, plusieurs se re- et condamna les abus qu'avait
pentirent, etils eurent hâte de rentrer nés une trop large concession des entraî-
billets
en grâce auprès de l'Église. d'indulgence. L'opinion de l'Église ro-
ver plus promptement à leursPour
lins,arri-
ils maine donna une grande force aux re-
s'adressèrent, suivant un vieil usage, à montrances deCyprien.
ceux qui étaient restés fermes pendant la Enfin, la persécution avait cessé, et
croit pas qu'on puisse reporter en deçà de 248 déjà l'évéque se préparait àr sortir de sa
ou au delà de 249 l'élection de saint Cyprien. retraite pour célébrer les fêtes de Pâques
AFRTQtîE CHRÉTIENNE. n
dans son église ( 251 ) , lorsqu'il apprit tien voulait donc se faire élire évêque
de Rome; mais ses espérances furent
qu'un schisme violent venait d'éclater
a Carthage. trompées. Corneille fut choisi par une
schisme acarthage; les ennemis forte majorité. Novatien, dans son dé-
de saint cyprien; deux conciles; pit, n'hésita pas à exciter un schisme ;
rapports de l'église de carthage il se fit, à son tour, nommer et sacrer
avec l'église de rome; celle-ci par ses partisans. Il écrivit alors à
condamne les schtsmat1ques afri- toutes les Églises pour leur apprendre
cains ;deux traités de saint cy- son élection; mais de toutes parts on
PRIEN. — Il y avait alors dans la ville reconnut Corneille, et l'évêque de Car-
un homme puissant qui s'appelait Féli- thage ne fut pas le dernier à condamner
cissime. Par ses richesses et surtout par Novatien.
ses intrigues il avait réussi à se faire Cyprien était rentré à Carthage. C'est
un parti. Les apostats, qui réclamaient là qu'en 251 se tint un concile où se
pour leur faute un prompt et entier par- rassemblèrent soixante-dix évêques. On
don, l'avaient choisi pour chef, et ils y délibéra longtemps sur les affaires de
l'excitèrent , sans doute , à lutter ouver- l'Église, et on y traita surtout les ques-
tement contre Cyprien. L'évêque avait tions qui se rattachaient au fait de
envoyé , de sa retraite deux évêques et l'apostasie et du schisme. Les schisma-
deux prêtres pour faire une enquête sur tiques furent excommuniés, et quant
la conduite de tous ceux qui apparte- aux apostats qui se repentaient sincè-
naient à son Église. Félicissime ne rement de leur chute, on décida qu'ils
voulut point qu'ils remplissent leur seraient admis à la communion après
mission et les repoussa avec menace. À trois ans. Au reste, les évêques pro-
cette nouvelle, Cyprien prononça une portion èrent àla gravité des délits
sentence d'excommunication. Cette sen- les rigueurs de la pénitence. L'Église
tence atteignait Félicissime et un cer- d'Afrique, pour donner plus de poids à
tain Augendus, qui lui avait prêté aide ses décisions, envoya les règlements du
et appui. Parmi ceux qui provoquèrent concile à Corneille, évêque de Rome.
le schisme on comptait aussi cinq prê- Celui-ci les approuva dans uneassemblée
tres, qui avaient ambitionné le siège qui, sans compter les prêtres et les dia-
épiscopal et qui avaient vu avec chagrin cres, se composait de soixante évêques.
l'élection de Cyprien. Le plus célèbre L'année suivante, 252, Cyprien con-
de ces cinq prêtres est Novat. voqua un autre concileàCarthage. Cette
C'était à Home, surtout, que ce der- fois, et à cause de l'approche d'une
nier devait se signaler. Il se rendit en nouvelle persécution , les quarante-
Italie au moment où l'Église romaine deux évêques qui s'étaient réunis, usè-
se disposait à élire un nouvel évêque. rent d'indulgence à l'égard des apostats
Novat se lança, comme à Carthage, et les admirent sans plus tarder à la
dans les intrigues. Il s'opposa, autant communion. Mais ce concile fut l'oc-
qu'il casion d'un nouveau schisme. Privât
leur Je put, sur
choix à ceux qui voulaient
Corneille, porter
et il favorisa
de
vu, avait été qui
Lambèse, , commeparnous
condamné l'avons
les évêques
les prétentions de Novatien. Celui-ci,
qui était admirateur de la philosophie de la Numidie, se présenta pour siéger
des stoïciens, affichait des principes dans l'assemblée que présidait Cyprien.
d'une extrême rigidité. En ce qui con- Il fut rejeté. Dans sa colère, il s'envi-
cernait les apostats, par exemple, il ronna de quelques excommuniés, et choi-
soutenait que l'Église ne pouvait ac- sit un certain Fortunat, qu'il consacra
corder le pardon, quelque pénitence et proclama évêque de Carthage. Les
qu'ils lissent, à ceux qui étaient tombés schismatiques, pour assurer le succès de
dans la persécution. Il devint le chef leur entreprise, écrivirent à Corneille
d'une secte qui se répandit hors de une lettre remplie des plus odieuses ca-
l'Italie. Les membres de cette secte lomnies. Ce fut Félicissime qui porta
cette lettre à Rome. Mais Corneille,
s'appelaient eux-mêmes, d'un mot grec,
cathares, c'est-à-dire les purs, et ils qui connaissait Cyprien, repoussa ses
portaient des vêtements blancs. Nova- accusateurs.
14 L'UNIVERS.

La vie de l'évêque de Cartilage , depuis de leur rendre courage , Cyprien écri-


la fin de la persécution , était singuliè- vit un traité où il envisageait les peines
rement agitée et laborieuse. Il écrivait terrestres suivant les croyances chré-
lettre sur lettre, soità l'ÉglisedeRome, tien es; ily montrait que ces peines
soit à ceux qui en Afrique, comme An- ne sont que passagères et qu'elles doi-
tonien de Numidie, lui demandaient ventêtre supportées patiemment en vue
des conseils. Puis , il avait à se défendre de Dieu et de l'éternité Ce fut le traité
contre lesschismatiques qui troublaient de ta Mortalité. A la même époque, il
Carthage. Malgré ses occupations nom- adressa à Démétrien , magistrat impé-
breuses etdiverses , et le bruit des que- rial qui résidait à Cartilage , une lettre
relles qui retentissait à ses oreilles, il sur un sujet qui fut longtemps débattu
écrivit encore son Traité des Laps et avec plus ou moins d'éloquence , entre
celui de Y Unité de f Église. C'est dans les païens et les chrétiens, jusqu'au
ce dernier qu'iltenir
disaitfermement
: « Ceux qui doi- temps où vécurent Symmaque, saint Am-
vent surtout à cette broise, Libanius, saint Augustin et Sal-
unité et la défendre, c'est nous évoques vien. L'antagoniste de l'évêque de Car-
qui présidons dans l'Église, afin de thage attribuait aux chrétiens tous les
prouver que l'épiscopat lui-même est maux qui désolaient
cette accusation l'empire.Cyprien
que répondit C'est à,
un et indivis. Oui, l'épiscopat est un,
et chaque évêque, sans toutefois pou- dans la lettre dont nous parlons.
voirie diviser, en possède une portion. Déjà la réputation de l'évêque de Car-
L'Église de même est une et se répand , thage s'étendait au loin. On le consultait
par sa fécondité , en une multitude tou- de toutes les parties de l'Afrique. Les
jours croissante. C'est un soleil dont les Églises,mense crédit,parceimploraient
qu'il jouissait d'un im-
rayons sont innombrables, mais qui n'a son assistance
qu'un seul foyer.mais C'esttous
un arbre couvert dans leurs besoins Une fois, huit évê-
de rameaux, ces rameaux ques de Numidie lui annoncèrent que
tiennent à un seul et même tronc. »Ces
les tribus du désert s'étaient jetées sur
deux traités de Cyprien sont l'œuvre des leurs terres, et avaient enlevé un grand
circonstances. Dans l'un , il donne de sa- nombre de chrétiens de l'un et de l'autre
lutaires conseils aux apostats; dans sexe. Ils demandaient un secours en ar-
l'autre, il s'élèvecontreleschisme. gent pour racheter les captifs. Le saint,
BELATIONS FRÉQUENTES DE CVPBIEN à cette nouvelle, versa des larmes. 11
AVEC DIVERSES EGLISES; QUELQUES- s'empressa de s'adresser à son Église
UNS de ses écrits; sa polémique qui, dans un élan de généreuse compas-
CONTRE L'ÉGLISE ROMAINE ETLEPAPE sion , donna cent mille sesterces. Cy-
saint Etienne. — En 252, la persé- prien envoya cette somme aux évêques
cution recommença; toutefois, il ne de Numidie avec une lettre où on lisait
ces mots : « Si pour éprouver notre cha-
paraît pas qu'elle a'it étendu ses ravages rité ilarrivait encore un pareil mal-
en Afrique. Ce fut Rome surtoutqu'elle
frappa. neille, Là,qui futelle une
atteignit l'évêque
de ses Cor-
premières heur, necraignezpointdenous l'écrire;
et bien que notre Église demande qu'il
victimes. A cette occasion, Cyprien écri- n'arrive plus rien de semblable, soyez
vit au clergé romain et au nouveau pape assurés qu'au jour du besoin, elle vous
Lucius, pour les féliciter de la gloire donnera, s'il le faut, de prompts et abon-
que venait d'acquérir leur Église et dants secours. Et afin que vous fassiez
pour les encourager à la constance. des prières à l'intention de nos frères et
Mait à défaut de la persécution, une de nos sœurs qui ont contribué de bonne
peste terrible vint bientôt désoler et dé- grâce à cette œuvre, j'ai mis ici les
peupler l'Afrique.
bre des morts A Carthage Pendant
fut immense. le nom- noms de chacun d'eux. » L'évêque de
Carthage ne se contenta pas de donner;
la durée du fléau, les chrétiens , animés il voulut encore, par ses écrits, déve-
par leur évêque , montrèrent une cha- lopper dans les âmes chrétiennes le
rité et un dévouement sans bornes. Tou- sentiment de la charité, et il fit son livre
tefois, parmi eux, il s'en rencontra qui des Bomies œuvres et de l'Aumône.
se laissèrent gagner par la crainte. Afin Ce fut vers ce temps que Cyprien ,
15

AFRIQUE CHRÉTIENNE.
PEREUR TALER1EN; MARTYRE DE
pour répondre à ceux qui l'interrogeaient
de toutes parts, écrivit un grand nombre saint cyprien. — Dans les premiers
de lettres sur des sujets de discipline. temps de son règne, l'empereur Valérien
Ce n'étaient point seulement, comme s'était montré favorable aux chrétiens.
nous le voyons dans ses œuvres, lesévê- En 257, il changea brusquement et il
quesdela Proconsulaire, de la Numidie ordonna de les poursuivre. La persécu-
et de la Mauritanie qui s'adressaient à tion s'étendit bientôt dans tout l'em-
lui , mais encore ceux de l'Espagne et pire. Ce fut alors que Cyprien, sous forme
de la Gaule. Quand il n'osait, en cer- d'une lettre qu'il adressait à un certain
tains cas, s'en rapportera son propre Fortunat, composa pour les fidè.esune
jugement, il appelait autour de lui les exhortation au martyre. Il devait bientôt
éveques des provinces voisines, et leur lui-même encourager par son exemple,
soumettait
embarrassé. les questions qui l'avaient ceux qu'il avait tant de fois animés par
ses écrits. Au mois d'août 257, il fut
Au reste, Cyprien, pendant son épis- traduitdevant Paternus, proconsul d'A-
copat, convoqua souvent des conciles. frique. Il répondit avec fermeté aux
Les deux derniers furent remarquables questions qui lui furent adressées : il
par la lutte qu'il soutint contre l'Église déclara qu'il était chrétien et évêque, et
de Rome. Certaines Églises d'Asie refusa , avec unegéuéreuse indignation,
avaient pour coutume de rebaptiser les de dénoncer les prêtres de son Église.
hérétiques qui abjuraient leurs erreurs. Paternus se contenta de l'exiler. Il ne
L'Église de Rome et Etienne, son évê- resta point oisif dans son exil. De là, il
que, condamnaient cette coutume ; Cy- écrivait à Carthage, aux martyrs des
prien l'approuvait. L'opinion de I'évê- diverses Églises de l'Afrique, et notam-
que de Carthage était celle d'Agrippinus, ment, neuf
à évèques qui avaient étécon-
son plus ancien prédécesseur. Cyprien damnés avec un grand nombre de < h ré-
combattit donc Etienne. Il mit beaucoup tiens àtravailler aux mines de cuivre de
la Numidie et de la Mauritanie.
d'ardeur dans ladiscussion, et quelque-
fois de l'amertume. Puis, pour donner En 258 ,torisation
il obtintderevenirde à l'empereur l'au-
Carthage. Mais
plus de poids à ses paroles et à ses
écrits , il fit approuver son opinion il ne devait pas y demeurer longtemps
par deux conciles. Dans le premier, il en paix.On Laconseillait
persécution n'avait point
réunit, à Carthage, soixante et onze cessé. à Pévêque, dans
éyéques ; dans le second, quatre-vingt- l'intérêt de l'Église, de fuir et de se ca-
cinq , qui étaient venus de la Procon- cher. Ilrésista aux pressantes sollicita-
sulairde
e , la Numidie et de la Maurita- tions de ses amis. Enfin, il fut arrêté
nie. Ce dernier concile s'ouvrit au mois par ordre de Galérius Maxime, qui
de septembre de l'année 256. Ce fut au avait succédé à Paternus. Quand on
temps de cette vive polémique que Cy- sut dans la ville que Cyprien devait
prien écrivit deux traités, l'un sur VU- paraître devant le proconsul, il y eut
une immense émotion. La foule se
tilitê de la patience, l'autre sur X Envie
et la Jalousie. .Nous devons dire, en finis- précipita autour de la maison où l'on
sant ,que l'Église condamne saint Cy- gardait i'évêque, et sur tous les visages
prien et approuve on voyait l'empreinte de la tristesse.
saint Etienne (1). l'opinion du pape Cyprien avait compris que le temps du
PERSÉCUTION ORDONNÉE PAR i/EM- martyre était proche. Cependant quand
il comparut devant le proconsul, il ne
(I) Schelslrate (Ecclesia af ricana; dissert.
in, c. 2, p. !2o , Paris, 1680) blâme S. Cyprien perdit rien de sa fermeté. Voici l'in-
et passe rapidement sur se.« démêlés avec
S- Etienne. Leydecker, au contraire (Historia servé dans unter ogatoireancien
tel qu'il nous a été (1)
document con- :
ecclesiœ africanœ illustrata ; Utrecht, 1090 — « Le proconsul Galérius Maxime dit à
dissert, de statu eccl. afr. sect. 9 et 1 1 : hist.
afric. et donatistica, p. 108), approuve I'évê- I'évêque Cyprien : N'es-tu pasThascius
que de Carlhage et revient plus d'une fois avec Cyprien? L'évêque Cyprien répondit :
étendue sur cette célèbre controverse. On le
conçoit aisément : Schelstrale était bibliothé- (I) Voy. Acta proconsularia S. Cypriani
caire du Vatican, et Leydecker protestant episcoji ctmartyris; ap. Ruiuart , p. 217 et
exalté.
218.
16 L'UNIVERS.

Oui, c'est moi. Le proconsul Galérius torches et des cierges , dans une pro-
Maxime dit : N'es-tu pas le pape d'une priété du procurateur Macrobe Can*
secte sacrilège? L'évêque Cyprien ré- dide, située dans la rue des Mappaïes
pondit Oui.
: Le proconsul Galérius non loin des Piscines. Peu de jours
Maxime dit : Les très-sacrés empereurs après mourut le proconsul Gaiérius
t'ordonnent de sacrifier. L'évêque Çy- Maxime. »
prien répondit : Je ne le ferai point. Telle fut la fin du plus illustre évêque
Galérius Maxime dit : Réfléchis. L'é- de Carthage. Quand il souffrit Iç mar-
vêque CyprienEnrépondit: tyre (14 septembre 258), il y avait dix
commandé. une choseFaisévidemment
ce qui t'est ans que, par le choix de ses frères, il
juste la réflexion est inutile. — Galé- avait été appelé aux fonctions épiscopa-
rius Maxime (ici, nous reproduisons en- Jes. Ce fut dans le court intervalle qui
core le document dont nous parlons,) sépare son exaltation de sa mort que
après avoir pris l'avis de ses assesseurs, Cyprien, génie facile, abondant, agréa
s'adressa à Cyprien , en ces termes : ble, comme dit Tillemont, mais non
« Tu as vécu longtemps avec un esprit sans vigueur, composa, à l'exception de
sacrilège-, tu as rassemblé un grand trois , dans un style qui rappelle trop
nombre d'hommes pour les associer à souvent peut-être les exercices de l'école,
ton abominable conspiration ; tu t'es les nombreux écrits que nous avons si-
déclaré l'ennemi des dieux romains et gnalés (1).
de la sainteté des lois; les pieux et SUITE DES PERSÉCUTIONS EN AFRI-
très-sacrés princes Valérien etGallien, QUE; NOMBREUX MARTYRS; NOMS
augustes, et Valérien, le très-noble cé- DES EVEQUES DE CARTHAGE QUI SUC-
sar, n'ont pu te ramener au culte de CEDENT acyprien. — La persécution
l'empire: qui avait frappé saint Cyprien fit, en
des crimesc'est pourquoi,
les plus odieux,toi,
tu l'auteur
serviras Afrique, de grands ravages. L'évêque
d'exemple à ceux que tu as choisis pour d'Hippone, Théogène, fut mis à mort.
tes complices et tu sanctionneras la loi À Utique, on jeta dans un four à chaux
par ton sang. » Après cette allocution
le proconsul lut sur une tablette un ar- cents cinquante,
cent chrétiens. Les d'autres
fidèlesdisent trois
rassemblè-
rêt ainsi conçu : « Je condamne au rent avec respect les ossements consu-
més, et comme ils adhéraient les uns
glaive Thascius Cyprien.» A quoi l'évê- aux autres, ils appelèrent ces reliques,
que Cyprien répondit : « Grâces soient
rendues à Dieu. » Dès que les chré- à cause delà couleur, la masse blanche.
tiens eurent entendu la sentence, ils se A Carthage, les martyrs Lucius, Mon-
dirent les uns aux autres : Allons et tanus, Flavien, Julien, Victoriens,
qu'on nous fasse mourir avec lui. Il s'é- Primolus, Renus et Donatien, suivirent
leva donc parmi eux une espèce de tu- de près saint Cyprien. En Numidie, à
multe et ils se précipitèrent enfouie, Cirta et à Lambèse, le glaive des per-
sécuteurs immola de nombreuses vic-
en suivant cution.l'évêque, vers le lieu
Cyprien en arrivant de l'exé-
se dépouilla times, parmi lesquelles il faut compter
de son manteau, se mit à genoux et Émilien, Agapius, Secundinus, Ma-
pria. Puis, il ôta encore sa dalmatique, rien, Jacques, Antonia et Tertulla. La
qu'il donna aux diacres, ne conservant persécution ne cessa qu'au moment où
sur lui qu'une tunique de lin. Quand l'empereur
des Perses. Valérien Mais elletomba devait aux mainsse
encore
le bourreau arriva, l'évêque ordonna aux rallumer deux fois avant le sangjant
siens de lui compter vingt-cinq pièces
d'or. Cependant les frères jetaient des édit de Nicomédie; d'abord sous Aure-
linges autour du martyr afin de recueil- (I) Voy. sur saint Cyprien, indépendamment
lir son sang. Deux d'entre eux, sur ses de ses œuvres : Tilleinont : Mémoires pour ser-
ordres, Julien prêtre et Julien sous- vir à l'histoire ecclésiastique des six premiers
siècles; t. IV, p. 45 et suiv. (Paris, 1704.)
diacre, lui attachèrent les mains. Ce Fieury; Histoire eeclésiastique ; t. Il, p. 152
fut alors que le bienheureux Cyprien — 314. —L'abbé Robrbacher; Hisl. univers.
eut la tête tranchée. Les chrétiens de V Église catholique; t. V, p. 389— 48G.
— Aug. Neander; allgemeine Geschichle der
s'emparèrent de son corps, qu'ils trans- christlichen lieliyion und Kirche (Hambourg,
portèrent en grande pompe, avec des 1842 ); t. I, p. 380 et suiv.
AFRIQUE CHRÉTIENNE. 17
lien, ensuite sôus Dioclétien, en 296. chrétiens par le fer et la flamme , c'é-
Ce fut vers ces temps que la secte des tait porter, par une tentative vaine,
manichéens se répandit en Afrique. au sein des populations entièrement
Cyprien eut pour successeurs , sur le envahies par le christianisme, la plus
siège épiscopal de Carthage, Carpo- grave perturbation, et anéantir d'un
phore (1), Lucien et Mensurius. coup le bon ordre que pendant vingt
EDIT DE NICOMÉDIE; SES SUITES; années il avait maintenu avec tant de
SANGLANTE PERSECUTION. — Au peine dans le monde romain. Dioclé-
commencement du quatrième siècle, le tien tolérant
, moins par nature peut-
christianisme avait envahi tout l'em- être que par habileté, résista long-
pire. Les partisans du polythéisme firent temps àGalérius. Il discuta avec lui
alors les derniers efforts pour anéantir pendant tout un hiver; mais enfin,
cette vaste communauté chrétienne qui soit que l'âge eût affaibli son esprit
contenaitdans son sein toutes les classes
jusqu'alors si ferme, soit qu'il voulût
de la vieille société et qui les resserrait donner un contentement à l'ambition
eux-mêmes dans un cercle qui chaque de son César qui laissait percer son
jour devenait plus étroit. Ils avaient dépit
reconnu l'impuissance des édits impé- dans dela n'occuper
tétrarchie, qu'un rang secondaire
il céda, et de son
riaux promulgués à diverses époques palais de Nicomédie (303) il promul-
contre les chrétiens; ils voyaient ap- gua l'édit de persécution (1).
procher ltemps
e où ces édits cesseraient En vertu de cet édit, les églises de-
vaient être détruites et les livres de la
d'être applicables; ils se hâtèrent donc
de s'armer en quelque sorte de la lé- religion :proscrite consumés par les
galité qui leur échappait et qui allait flammes. Les chrétiens étaient mis
passer en d'autres mains. Us organisè- hors la loi; les juges impériaux pou-
vaient, suivant des cas déterminés, les
vaste rent, dans leurs conseils,
extermination. le plan esprit
Galérius, d'une
exproprier, les priver de la liberté, les
violent et résolu, se fit l'instrument do- tuer. Le zèle excessif, comme dit
cile des philosophes , derniers sectateurs Fleury, de certains chrétiens vint
du polythéisme. Il mit à leur disposition encore aggraver les maux de l'Église.
ce qu'il possédait déjà d'autorité et son Les persécuteurs s'organisèrent et ils
immense crédit auprès de Dioclétien. se mirent à l'œuvre avec une violence
Celui-ci, politique habile, qui avait ré- sans égale dans les provinces admi-
généré l'empire par une savante et sage nistrées par Dioclétien , Galérius et
administration, vit d'abord tout le dan- par Maximien, Yauguste d'Occident.
ger d'une persécution, et il opposa les Il n'y eut que le césar Constance
raisons qu'il trouvait dans sa vieille Chlore, qui, dans l'Espagne, la Gaule
expérience à la fougue de Galérius. Il et la Bretagne, pays dont le gouver-
montra au César que poursuivre les nement et la défense lui avaient été
confiés, tempéra, par sa tolérance et
( I) Fleury (Hisl. ecclés. t. II, p. 314 ), l'abbé sa noble modération, les rigueurs de
Robrbacher (t. V , p. 485 ) et les autres écri-
vains ecclésiastiques ne font pas mention de l'ordonnance de Nicomédie.
Catponhore. Suivant eux, ce fut Lucien qui LA PERSÉCUTION EN AFRIQUE ;
succéda immédiatement a saint Cyprien. C'est
Morcelli, dans son Africa christiana, qui nous nombreux martyrs. — Quand l'é-
a fourni le nom de Carpophore ; les raisons sur dit de persécution fut apporté en Afri-
lesquelles
que et notifié aux magistrats impé-
liste connueil s'appuie
des évèques pourde ajouter
Carthagece nom
nous àont
la riaux, les hommes avides de faveurs et
paru décisives. Il dit : Nomen hujus servavit
nobis Optati codex sangermaneusis. In eo les partisans du polythéisme se mon-
enim, ubi Optatus agit de schismate Majorini trèrent impitoyables pour les chré-
adversus Cœcilianum legitimum episcopum,
plena erat, inquit, cathedra episcopalis , erat tiens.
considérables de A Cirta, l'une
la des villes lesce plus
Numidie, fut
altare loco suo , in quo pacilici episcopi rétro
temporis obtulerant, Cyprianus, Carpophorus,
Lucianus et ceteri ( de Schism. Don. i , 19 ). (I) Tillemont; Mémoires pour servir à Vhist.
eccles. des six premiers siècles ; t. V, p. 20 et suiv.
C'ongri/um
inter guoqueest,
Cyprianum binos saltem
et M ensurium episcopos
fuisse ; nam — Fleury; Hist. ecclésiast.; t. H, p. 415 et
inter utrumque fluxere anni plus minus qua- suiv. — Dumont; Histoire romaine ; t. III, p.
draginla. Voy. t. I, p. 52. 497 et suiv.; in-12.
AFR. CHRÉT.
18 L'UNIVERS

un prêtre de la vieille religion, Mu- brer les saints mystères. Les magis-
natius Félix, flamine perpétuel, qui se trats les y surprirent une fois et les
chargea de mettre à exécution l'ordon- firent arrêter par leurs soldats. On les
nance des empereurs. Il fit démolir les conduisit à Carthage au nombre de
églises et procéda avec un zèle infati- quarante-neuf.
gable àla recherche des livres sacrés. Le danger qui les menaçait ne les
Il s'empara non-seulement des vases, effraya point et, saisis d'enthousiasme ,
chandeliers, lampes et de tous les orne- ils ne cessèrent pendant toute la durée
ments qui servaient au culte proscrit, du voyage , de répéter des hymnes et
mais encore de certains objets que la des cantiques. A Carthage, ils ne se
charité des chrétiens destinait au sou- laissèrent gagner ni par les menaces ,
lagement des pauvres. Ce fut ainsi que ni par les promesses du proconsul. Ils
sur l'inventaire de la saisie, on inscri- confessèrent hardiment le nom du
vit quatre-vingt-deux tuniques de fem- Christ et, sans crainte des châtiments
mes, trente-huit voiles, seize tuni- infligés à ceux qui violaient les édits
ques d'hommes et soixante paires de impériaux, ils avouèrent sans hésiter
chausses. L'Église de Cirta se montra qu'ils s'étaient réunis librement pour
faible en ces jours de persécution; célébrer les saints mystères. Ils furent
ses prêtres et ses lecteurs se soumirent condamnés à souffrir et à périr. Parmi
sans opposition aux ordres du flamine ces
Félix et lui livrèrent les ornements du mis chrétiens
au nombrequedel'Église d'Afrique
ses plus illustresa
culte et tous leurs livres. martyrs , on comptait le prêtre Satur-
L'évêque de Tibiure (1), Félix, nin et ses fils, Dativus, Thelica,
n'imita point la conduite des prêtres Emeritus, Félix, et la vierge Victoria.
de Cirta. Quand le magistrat de la l'évêque de cabthage mensu-
ville, Magniïien, lui dit : Évêque Félix,
donnez-nous les livres et les parche- faut en rius; sa mort.
croire — A Carthage
les documents , s'il
contem-
mins de votre Église, il répondit : Je porains, lapersécution ne sévit point
les ai, mais je ne les donnerai pas. avec autant de violence que dans les
Pour ébranler sa résolution et l'ef- autres villes de l'Afrique. Soit par
frayer, on le conduisit, chargé de crainte d'une sédition dans cette popu-
chaînes, au tribunal du proconsul. leuse cité, soit que ces ménagements
Là, il ne se démentit point et resta lui fussent imposés par la conduite
inébranlable. Le proconsul envoya
Félix au préfet du prétoire et le fit pleinequedeMensurius,
mesure etle deproconsul
sagesse deatténua
l'évê-
passer en Italie. L'évêque devait com- la rigueur des édits impériaux. Mensu-
paraître devant les empereurs. Mais rius avait caché les livres de son Église;
la ville de Venusia, en Apulie, fut le
on
ses pressait
officiers ledeproconsul
faire une d'ordonner
perquisitionà
terme de son voyage. Il y fut déca-
pité. Jusqu'au dernier moment il ré- dans la maison de l'évêque; il s'y refusa.
pondit aux juges et aux bourreaux qui Mensurius, de son côté, était un homme
lui demandaient les livres de son Église :
« Je les ai, mais je ne les donnerai pas. » modération
pleinritédemorale que lui donnait de l'auto-
; il usa' sa haute
L'évêque d'Abitine (2), Fundanus , position dans l'Église d'Afrique pour
pour se soustraire au dernier supplice, conseiller, par lettres, aux évêques
se hâta, sur les injonctions des magis- ses frères , aux prêtres , à tous les
trats, de livrer les Écritures. Cet acte chrétiens, de ne point irriter par un
de faiblesse attrista sans doute les zèle inconsidéré les magistrats des
chrétiens de la ville, mais il ne les dé- villes et des provinces. Il blâmait,
couragea pas. Quand ils eurent perdu
leurs églises, ils se rassemblèrent dans avec raison, ceux qui n'étant point re-
cherchés venaient d'eux-mêmes s'offrir
des maisons particulières pour célé- aux juges et aux bourreaux. Mensurius
(1) Tibiure, en latin Tibiura,civitas Tibitt- cependant
mide, et il n'était
se dévouait pas volontiers
un homme pourti-
rensium, Tibitrsicensium Burensîum, était une
petite ville de la Proconsulaire. ses frères. C'est ainsi qu'il sauva Félix ,
(2) C'était encore une ville de la Proconsulaire. un des diacres de son Église. Celui-ci
AFRIQUE CHRÉTIENNE. 19
était poursuivi pour avoir écrit un libelle bourreaux, du dépôt sacré qui leur avait
été confié. Ils leur appliquèrent, comme
contre l'empereur. L'évêque, au péril
de ses jours , l'accueillit dans sa mai- une note d'infamie, le nom de tradi-
son, et le cacha. Puis, quand on vint teurs. Cette qualification injurieuse,
auprès de lui réclamer le coupable, il employée par des hommes violents et
refusa de découvrir le lieu où il était passionnés, ne devait pas tarder à sou-
caché. Mensurius, à cause de la gravité lever dans les Églises chrétiennes de
du cas, et pour sa résistance obstinée, nombreux orages. Elle servit, pour
ainsi dire , de mot de ralliement à ceux
fut mandé a la cour impériale. Il s'y
rendit après avoir réglé les affaires de qui opérèrent , au moment même où
son Église ; là , il plaida si bien sa cause cessait la persécution , un schisme qui
qu'il fut absous et renvoyé. Mais ce devait être pour l'Afrique la cause et
sage et courageux évêque ne devait l'origine des plus grandes calamités.
point revoir Carthage; il mourut avant cécilien succède a mensubius;
d'y arriver. donat des cases-noires ; troubles
arnobe. — Ce fut au temps de la dans l'église de carthage; ori-
gine DU SCHISME DES DONATISTES. —
persécution qu'un auteur célèbre, Ar- Après la mort de Mensurius (311) , les
nobe, qui avait enseigné la rhétorique
dans la ville de Sicca, écrivit un ouvrage chrétiens de Carthage procédèrent à
pour défendre les chrétiens. C'était, l'élection d'un nouvel évêque. Ils se
dans ces jours de péril , un acte de réunirent, prêtres et peuple, et tous,
courage. Arnobe avait été païen, et d'un commun accord, ils proclamè-
rent le diacre Cécilien. Ce fut Félix,
l'on voit que, dans son ouvrage, il a
voulu prouver à ses nouveaux frères que évêque d'Aptonge, qui lui imposa les
sa conversion avait été sincère. Il se fit mains. Mais bientôt une vive opposi-
dans ses idées une vive réaction. Après tion se manifesta contre cette élec-
avoir longtemps expliqué et commenté tion. Mensurius, avantson départ , avait
avec amour les chefs- d'oeuvre littérai- remis, par prudence, aux anciens de
res de la vieille civilisation, il se laissa Carthage, les vases d'or et d'argent de
emporter par son ardeur de néophyte; sou Église. Cécilien, à peine assis sur
il demanda la destruction des théâtres, le siège épiscopal,
et voua aux flammes les œuvres des sitaires choisis par s'adressa aux dépo-et
son prédécesseur
poëtesjadisl'objetdeson admiration (1). réclama les richesses qui leur avaient
lestràditeurs. — Les spoliations été confiées. Ils s'irritèrent de cette de-
injustes, les tortures, les supplices ne mande et se refusèrent à une restitu-
furent point les plus grands des maux tion. Ils se joignirent, dans leur dépit,
qu'entraîna à sa suite, pour l'Église à Botrus et à Celeusius, qui se plai-
d'Afrique, l'édit de Nicomédie. Parmi gnaient vivement de ne l'avoir point
les chrétiens persécutés, il y en avait emporté sur Cécilien. Puis, se liguant
plusieurs qui, comme nous l'avons dit, encore avec Lucilla , femme riche . et
s'étaient signalés par leur héroïsme. puissante, ennemie de l'évêque qui,
Mais d'autres s'étaient laissé entraî- simple diacre, l'a\ aitremontrances,
jadis offensée par
ner, par surprise peut-être, à des actes de justes et sévères ils
d'une déplorable faiblesse. On avait vu formèrent un parti qui s'enhardit enfin
des évêqueset des prêtres se soumettre jusqu'à protester hautement contre la
sans résistance à la loi de César, et récente élection. L'âme et le chef de ce
livrer à ses exécuteurs les biens de leurs parti était Donatdes Cases-Noires.
Églises et leurs livres sacrés. Quand la Pour arriver à leurs fins, ils s'adres-
sèrent aux évêques de la Numidie, qui,
persécution se ralentit, ceux qui s'étaient
montrés forts dans le danger s'exaltè- vivement blessés de n'avoir point été
rent et poursuivirent de leur mépris et appelés à l'ordination de Cécilien , se
de leurhaine les hommes qui par crainte rendirent en toute hâte à Carthiga
s'étaient dessaisis , dans les mains des pour prêter aide et appui aux ennemse
du nouvel élu. A leur tête se trouvait
(i) Voy. sur Arnobe, l'Histoire universelle de Secundus de Tigisi, le premier évêque
l'Eglise
VI, p. 55catholique
et suiv. , par l'abbé Rohrbacher, t. de la Numidie. ILs étaient au 2. nombre
20 L'UNIVERS.

de soixante-dix. Parmi eux on voyait Églises à Cartnàge. « Telle fut, disent


les douze évêques qui , réunis à Cirta , les historiens ecclésiastiques , l'origine
en 305 ,des'étaient du schisme des Donatistes ; car on
la suite vives etavoués traditeurs
mutuelles , à
récrimina- leur donna ce nom, à cause de Donat
tions. Les ennemis deCécilien n'osèrent des Cases-Noires, et d'un autre Donat,
point , à cause des manifestations du plus fameux, qui succéda à Majorin
peuple, se rendre dans la basilique qu'a- dans le titre d'évêque de Carthage. »
vait illustrée Cyprien et où se trouvait Cette dissidence devait bientôt avoir,
la chaire épiscopale. Ils se réunirent non point seulement dans la capitale
probablement dans une autre basilique de l'Afrique, mais encore dans toutes
et s'organisèrent en concile. Us citèrent les provinces, de graves résultats. Elle
d'abord Cécilien à comparaître devant engendra des désordres sans] nombre,
eux. Mais il fit bonne contenance et ré- qui ne tardèrent pointa attirer l'atten-
pondit J'attends
: mon accusateur. Ce tion de l'empereur.
n'est
dirent point ensuite par les
les évêques
fautes de Cécilien, ,
rassemblés REQUÊTE DES DONATISTES A L'eM-
PEReÙr ; concile de rome. — « Cons-
3ue l'élection est nulle, mais par celles tantin, dit Fleury, avait donné ordre
es évêques qui l'ont sacré. Félix d'Ap- à Anulin,
tonge est un traditeur. — Que ceux-là , proconsul
trice vicaire d'Afrique,
du préfet et à Pa-
du prétoire, de
donc, repartit Cécilien , qui n'ont rien s'informer de ceux qui troublaient la
à se reprocher, viennent de nouveau paix de l'Église catholique,le peuple
et qui s'ef-
m'imposer les mains. Cette fermeté forçaient de corrompre par
irrita les évêques , et l'un d'eux , Marcien , leurs erreurs : c'étaient les donatistes;
proposa et écrivant à Cécilien , évêque de Car-
tion. Unde recourir
autre, à l'excommunica-
Purpurius , de Limate , thage, illuiimpériaux
marquait pour
de s'adresser aux
s'écria dans sa fureur homicide : « Qu'il magistrats avoir justice
vienne recevoir l'imposition des mains, de ces insensés. En exécution de cet or-
et on lui cassera la tête pour péni- dre Anulin
, exhorta les dissidents à la
tence. »C'était le même évêqne qui , paix : mais peu de jours après , quel-
dans la réunion de Cirta, avait ré- ques-uns du parti contraire à Cécilien,
pondu àceux qui l'accusaient d'avoir ayant assemblé du peuple avec eux , vin-
fait périr ses neveux : « J'ai tué et je rent présenter au proconsul un paquet
tue ceux qui sont contre moi. » cacheté et un mémoire ouvert, le priant
Enfin les évêques prononcèrent une instamment de les envoyer à la cour.
sentence de condamnation en se fon- Le paquet portait pour titre : Mémoire
dant sur les trois chefs suivants : Céci- de l'Église catholique touchant les cri-
lien n'avait point voulu se rendre dans mes de Cécilien, présenté par le parti
leur réunion ; il avait été sacré par de Majorin. Le mémoire ouvert et atta-
des traditeurs; enfin (ce qui ne fut ché à ce paquet contenait ces mots :
jamais prouvé), il avait empêché les « Nous vous prions, Constantin , très-
iWèles, au temps de la persécution, « puissant empereur, vous qui êtes
de porter secours aux martyrs qui « d'une race juste , dont le père a été le
avaient été jetés dans les prisons. « seul entre les empereurs qui n'ait
Ayant donc déclaré que le siège épis- « point exercé la persécution , que ,
copal de Carthage était vacant, les «< puisque la Gaule est exempte de ce
membres du concile procédèrent à une « crime, vous nous fassiez donner des
nouvelle élection. Il choisirent pour « juges de Gaule, pour les différends
évêque Majorin , attaché à la maison « que nous avons en Afrique avec les
deLucilla, et qui n'avait jamais rempli «autres évêques. Donné par Lucien,
dans l'Église que les fonctions de lecteur. « Digne, Nassutius, Capiton, Fiden-
Pour favoriser cette élection, Lucilla « tius et les autres évêques du parti Ma-
distribua de grosses sommes d'argent, « jorin. » L'empereur ayant reçu ces mé-
qui ne furent point données aux pau- moires avec la relation d'Anulin, lui
vres, commeon le prétendit alors, mais écrivit d'envoyer Cécilien et ses adver-
à tous les ennemis de Cécilien. A par- saires, chacun avec dix clercs de sou
tir de cet instant, il y eut donc deux parti , pour se trouver à Rome dans le
21
AFRIQUE CHRETIENNE.

second jour d'octobre, et y être cet


jugés par sentèrent un mémoire d'accusations
des évéques. Anulin exécuta ordre, donné contre lui par ceux de son parti ;
et en rendit compte à l'empereur, qui sous ce prétexte , ils prétendaient que
écrivit aussi au pape Miltiade et aux tout le peuple de Carthage l'avait ac-
évéques de Gaule et d'Italie, pour cusé. Mais les juges n'eurent point d'é-
s'assembler à Rome le même jour, et gard àce mémoire, parce qu'il ne con-
leur envoya tous les mémoires et les tenaitsans
que des cris confus d'une Ils
multi-
papiers qu'Anulin lui avait envoyés tude, accusateur certain. de-
sur ce sujet. La lettre au pape est aussi mandaient des témoins et des personnes
adressée à Marc , que l'on croit être ce- qui voulussent
leurs noms ; mais soutenir l'accusation
ceux que en
Donat et les
lui qui fut pape après saint Silvestre.
autres évéques du parti de Majorin
Cécillien ailley dit
L'empereur : J'ai jugé
à Rome avec àdix
propos que
évéques produisirent comme accusateurs et
de ceux qui l'accusent, et dix autres comme vaient témoins,
rien à dire déclarèrent qu'ils n'a-
contre Cécilien.
qu'il croira nécessaires pour sa cause;
afin qu'en présence de vous, de RétL- « Ensuite Cécilien accusa Donat d'a-
cius, de Materne et de Marin , vos col- voir commencé le schisme à Carthage
lègues, àqui j'ai donné ordre de se du vivant de Mensurius, d'avoir rebap-
rendre en diligence à Rome pour ce tisé ,d'avoir imposé de nouveau les
sujet, il puisse être entendu comme mains à des évéques tombés dans la per-
vous sécution.* Enfin , dit-il, Donat et ses
sainte savez
loi. Réticius qu'il convient
et les deuxà laautres
très-
collègues ont soustrait les accusateurs
étaient les évéques de Gaule. et les témoins, qu'eux-mêmes avaient
« Cécilien avec les dix évéques ca- amenés
calomnie d'Afrique était évidente. contreDonat
moi, tanl leur
confessa
avaient à tholiqueet
sleur
, les tête
dix deDonat
l'autre des
parti, qui
Cases- qu'il avait rebaptisé et imposé les mains
Noires , se trouvèrent à Rome au jour aux évéques tombés, et promit de re-
nommé; et le concile s'assembla dans présenter les personnes nécessaires à
le palais
nommé la maison de l'impératrice
de Latran, ceFausta,
même cette cause, qu'on l'accusait d'avoir
soustraites. Mais après l'avoir promis
jour, second d'octobre 313, qui était deux fois, il se retira, et n'osa plus
un vendredi. Le pape Miltiade prési- lui-même se présenter au concile, crai-
dait; ensuite étaient assis les trois
gnantfissent
sés ne le que les crimes qu'il avait
condamner confes-
présent , lui
évéques gaulois : Réticius d'Autun,
Materne de Cologne, Marin d'Arles; qui était venu de si loin pour faire con-
puis quinze évéques Italiens : Mérocles damner Cécilien. Le second jour, quel-
de Milan, Stemnius de Rimini, Félix ques-uns donnèrent un libelle dedénon-
de Florence, Gaudence de Pise, Pro- ciation contre Cécilien. On examina
terius de Capoue , Théophile de Béné- les personnes qui l'avaient donné, et les
vent, Savin de Terracine, Second de chefs d'accusation qu'il contenait ; mais
Preneste , Maxime d'Ostie, et quelques il ne se trouva rien de prouvé. Le troi-
autres, faisant en tout dix-neuf évé- sième jour, on examina le concile tenu
ques le
, pape compris. L'ordre de cette à Carthage par soixante-dix évéques
séance est remarquable, particulière- qui avaient condamné Cécilien et ses
ment en ce que les trois évéques gau- ordinateurs. :C'était le grandsonner
fort debien
ses
lois y tiennent Le premier rang, et adversaires ils faisaient
que, entre les Italiens, les évéques haut ce grand nombre d'évêques; et
d'Ostie et de Preneste , quoique suf- qu'étant
avec tous du
grande pays, ils avaient
connaissance jugé
de cause.
fragantsdu pape, n'ont point de rang
particulier. On travailla trois jours du- Mais Miltiade et les autres évéques du
rant avec des notaires qui rédigeaient concile de Rome n'eurent aucun égard
en même temps les actes, c'est-à-dire le au concile de Carthage, parce que Céci-
procès-verbal. Le premier jour, les ju- lien yavait été condamné absent et sans
ges informèrent qui étaient les accusa- être entendu. Or, il rendait de bonnes
teurs et les témoins contre Cécilien.
raisons pour ne s'y être pas présenté. Il
Les évéques du parti de Majorin pré- savait que ces évéques avaient été appe-
22 L'UNIVERS.

lés à Carthage par ses adversaires, qu'ils son avis , selon la coutume, et le pape
logeaient chez eux , et concertaient tout Miltiade conclut l'action, disant le sien
avec eux. IJ savait les menaces de Pur-
en ces termes : Puisqu'il est constant
purius , évêque de Limate, dont la vio- que Cécilien n'a point été accusé par
lence était connue. Les évêques du con- ceux qui étaient venus avec Donat,
cile de Rome jugèrent donc que tout ce comme ils l'avaient promis, et qu'il n'a
qui avait été traité en ce concile de été convaincu par Donat sur aucun
Carthage était encore en son entier :
savoir, si Félix d'Aptonge était tradi- en tousje ses
chef, suisdroits,
d'avis dans
qu'il lasoit conservé
communion
teur, ou quelque autre de ceux qui ecclésiastique. Nous
avaient ordonné Cécilien. Mais ils trou- reste de la sentence sur n'avons
les autres pas
chefs.le
vèrent cette question difficile et inutile. Le pape et les autres évêques rendirent
Elle était difficile, parce qu'il y avait compte à l'empereur Constantin de ce
des témoins à interroger, des actes à jugement, lui envoyant les actes du
examiner, et que Cécilien accusait ses concile, et lui mandèrent que les accu-
accusateurs du même crime, d'avoir sateurs deCécilien étaient aussitôt re-
livré les saintes Écritures , à cause du tournés en Afrique. Le pape Miltiade
concile de Cirta où ils l'avaient con- ou Melchiade mourut trois mois après,
fessé. D'ailleurs, il était inutile d'exa- le dixième
miner siFélix était traditeur, puisque, RETOUR deDE janvier, DONAT l'an
ET DE314(1). »
CÉCILIEN
quand il l'eut été, il ne s'ensuivait pas EN AFRIQUE ; s'uiTE DES TROUBLES;
que l'ordination de Cécilien fût nulle : LES DONAT1STES DEMANDENT LA RE-
car la maxime était constante, qu'un VISION DU JUGEMENT QUI LES A CON-
évêque, tant qu'il était en place sans DAMNES A ROME; DÉCISION DE CONS-
être condamné ni déposé par un juge- TANTIN; concile d'arles. — Après
ment ecclésiastique, pouvait légitime- sa condamnation, Donat des Cases-Noi-
ment faire des ordinations et toutes les
res demanda l'autorisation de retourner
autres fonctions épiscopales. Les évê- en Afrique; il s'engageait à ne point
ques du concile de Rome crurent donc
ne devoir point toucher à cette ques- rentrer dans Carthage. D'autre part,
en vue de la paix, Cécilien reçut ordre
tion, de peur d'exciter de nouveaux de ne point quitter l'Italie et de séjour-
troubles dans l'figlfeé d'Afrique, au lieu ner àBrescia. Deux évêques furent en-
de la pacifier. Ils déclarèrent Cécilien voyés alors comme commissaires à
innocent et approuvèrent son ordina- Carthage, pour notifier au clergé et au
tion; mais ils ne séparèrent pas de leur peuple la sentence que le concile de
communion les évêques qui avaient Rome avait promulguée. Ils étaient
condamné Cécilien , ni ceux qui avaient chargés en outre de faire une enquête
été envoyés pour l'accuser. J)onat des et detat detransmettre à l'empereur
Cases-Noires fut le seul qu'ils condanr- leurs observations. Optât, leévêque
résul-
nèrent, comme auteur de tout le mal,
convaincu de grands crimes , par sa catholique, qui des
toire du schisme écrivit plus tardassure
donatistes, l'his-
'propre confession. On laissa le choix
aux autres de demeurer dans leurs siè- qu'après un long
commissaires et mûr etexamen
Eunomius Olympius les
ges, quoique ordonnés par Majorin hors donnèren tencore une fois gain de cause
de L'Eglise, à la charge de renoncer au à Cécilien. Ce fut sur ces entrefaites
schisme. En sorte que dans tous les
lieux où il se trouverait deux évêques , que Donat, malgré
vint àCarthage; ses promesses,
Cécilien, re-
de son côté,
l'uu ordonné par Cécilien , l'autre par
Majorin , on conserverait celui qui se- se hâta de quitter Brescia, où on l'avait
rait ordonné le premier, et on pourvoi-
(l) Fleury; Hist. ecclésiast. liv. x , t. III, p.
rait l'autre d'une autre Église. Voilà le 26. — Tilleraont; mémoires pour servir à t'hisi.
jugement
voit une du concile de
discrétion Rome, oùet l'on
singulière un ecclés., etc., t. VI, p.. 31 et suiv. — Bérault-
Bercaste); Hist. deVEgltse; t. H.p- 13 et suiv.
exemple remarquablede dispense contre — Voy. aussi M. de Potter; Hist. du chris-
la rigueur des règles pour le bien de la tianisme, etc., époq. I, liv. VI, ch. 3; t. II,
p. 130 et suiv. — Morcelli {Ajrica chris-
paix. En ce concile, chaque évêque dit tiana ;; ad an. 813; t. II , p. 209.
AFRIQUE CHRÉTIENNE. 23

relégué et de reprendre possession de consacré par des évêques traditeurs ,


son siège épiscopal. ne furent point établis sur des preuves.
L'assemblée des évêques réunis à Les Pères
rent doncduen concile
faveurd'Arles prononcè-
de Cécilien une
Rome n'avait rien terminé, et, à l'arri-
vée, en Afrique, des deux chefs de par- sentence d'absolution. Avant de se sé-
ti ,les querelles recommencèrent. Les parer, ilslettre
adressèrent à l'évêque
Rome une où on lisait ces motsde:
donatistes disaient qu'on les avait con-
damnés àRome, sans avoir pris con- « Au bien-aimé pape Sylvestre, tous les
nais ance detous les faits qu'ils avaient évêques, salut éternel dans le Seigneur.
allégués, et avec une extrême précipi- Unis ensemble par le lien de la charité
tation. Ils rappelaient, pour exemple, et par l'unité de notre mère l'Église
que Félix, l'évêque d'Aptonge, tradi- catholique, après avoir été amenés en
teur suivant eux, n'avait point été mis la ville d'Arles par la volonté du très-
en cause. Constantin, pour les satis- pieux empereur, nous vous saluons de
faire, ordonna aux magistrats de l'A- là, très-glorieux Père, avec la vénération
frique déjuger Félix. Ce fut Élien, le qui vous est due. Nous y avons eu à
proconsul, qui présida à l'interroga- supporter des hommes emportés et per-
toire. Après de longues et minutieuses nicieux ànotre loi et à la tradition;
recherches, qui établirent dans tout son mais l'autorité présente de notre Dieu,
jour, au témoignage des écrivans catho- la tradition et la règle de la vérité les
liques, l'innocence de l'accusé, le juge ont repoussés de telle sorte, qu'il n'y
impérial
un traditeur. déclara que Félix n'était point avait de consistance et d'accord , ni dans
leurs discours, ni dans leurs accusa-
Les donatistes ne se laissèrent pas
tions, nidans leurs preuves. C'est pour-
abattre par cette nouvelle sentence. Ils quoi, par le jugement de Dieu et de
s'adressèrent encore à l'empereur, qui, l'Église, notre mère, laquelle connaît
pour pacifier une de ses plus belles pro- les siens et les approuve, ils ont été
vinces, usa de patience et soumit de nou- ou condamnés ou repoussés. Et plût à
veau l'affaire à un concile. Les lettres de Dieu, bien-aimé frère, que vous eussiez
convocation fixaient à Arles le lieu de
assisté à ce grand spectacle: vous-même
l'assemblée. Cécilien et ses accusateurs jugeant avec nous, leur condamnation
n'étaient pas les seuls membres du en eût été plus sévère, et notre joie plus
clergé d'Afrique qui fussent appelés grande (1).» Les membres du concile
dans les Gaules. Ils devaient être assis- ne s'étaient point seulement occupés de
tés, aux termes des lettres impériales, Cécilien et de ses accusateurs, ils avaient
d'un certain nombre d'évêques appelés encore fait divers règlements relatifs à
de la ïripolitaine, de la Byzacène, de
la Proconsulaire, de la Numidie et des la discipline générale de l'Église. Néan-
moins, parmi ces règlements, il en est
Mauritanies. Nous savons que Chres- plusieurs qui montrent que les évêques
tus, évêque de Syracuse, les accompa- étaient vivement émus par le grand dé-
gna. bat auquel ils avaient assisté et qui font
Le concile s'ouvrit le premier du mois une allusion directe aux querelles qui
d'août de l'année 314. Oncomptaitdans agitaient l'Afrique : « Ceux, dit le con-
l'assemblée seize évêques gaulois, deux cile, qui sont coupables d'avoir livré les
Bretons (ceux d'York et de Londres), Écritures ou les vases sacrés , ou dé-
et plusieurs qui étaient venus de l'Italie noncé leurs frères, seront déposés de
et de l'Espagne. L'évêque de Rome , l'ordre du clergé, pourvu qu'ils soient
saint Sylvestre, était représenté par deux convaincus par des actes publics, non
prêtres, Claudien et Yitus , et deux dia-
cres, Eugène et Cyriaque. On examina fiarde simples paroles. S'ils ont conféré
es ordres à un homme digne d'ailleurs,
d'abord l'affaire de Cécilien. Les deux l'ordination sera valable. » Et plus
faits qu'on ne cessait de lui reprocher, loin : « Parce que plusieurs résistent
à savoir, de s'être opposé par violence, àla règle de l'Église, et prétendent être
à l'époque de la persécution, aux chré-
tiens qui portaient de la nourriture aux (I) Rolirbacber ; Hist. univers, de VÉgl. ca-
martyrs emprisonnés, et d'avoir été thol.\ t. VI, p. 226
24 L'UNIVERS

admis à accuser avec des témoins cor- nonce , ils protestèrent contre sa sen-
rompus par argent, qu'ils ne soient tence. Constantin répondit cette fois à
point reçus en leurs demandes. Ils de- leurs protestations par la menace des
vront prouver, au préalable, par des ac- peines les plus sévères. Déjà, il avait
tes publics, ce qu'ils recommandé à Celsus, son vicaire,
on lit dans les actes ont avancé. : »« Enfin
du concile Ceux dans une lettre que saint Optât nous
qui accuseront faussement leurs frères adonatistes
conservée avec , de une
procéder
extrêmeà l'égard
sévérité.desIl
ne recevront la communion qu'à la
mort (1). » *î avait annoncé, en même temps , que
Le concile d'Arles n'éteignit point, lui-même se disposait à passer en Afri-
en Afrique, les passions et les haines. Le que pour trancher toutes les difficultés
schisme continua. Lesdonatistes, per- et opérer, s'il en était besoin, par la
sévérantse
à croire mal jugés, interje- force, la pacification d'une des portions
tèrent appel des deux sentences qui les les plus importantes de son empire.
avaient condamnés ; ils s'adressèrent di- Celsus se conforma aux ordres qu'il
rectementl'empereur,
à le priant d'exa- avait reçus. Il poursuivit les donatistes
miner lui-même et de prononcer dans et bannit d'Afrique les hommes les plus
leur cause. Vivement irrité de cette de- marquants du parti (1).
mande, qui tendait à prolonger la dis- Les dispositions
cussion et les querelles, Constantin tèrent sans doute de les l'empereur
catholiques inci-
à la
s'emporta contre les donatistes, et leur persécution , et , plus d'une fois , ils eu-
reprocha leur opiniâtreté et leur audace. rent recours pour combattre leurs ad-
Néanmoins , il résolut de tenter encore versaires, non plus à la discussion, mais
une fois la voie des conciliations. Il à la violence. Les magistrats, de leur
évoqua à son tribunal la cause qui lui côté, essayèrent, en usant de rigueur,
était soumise, et par un jugement pro- de complaire à Constantin. Cette con-
noncé àMilan, en 315, il confirma l'ar- duite, loin d'étouffer le schisme, ne fit
rêt porté contre les donatistes dans les que raviver les haines. Les donatistes
conciles de Rome et d'Arles (2). se laissèrent emporter par le désir de la
MESUBES RIGOUBEUSES PBISBS PAB vengeance ; sous des chefs énergiques ,
CONSTANTIN CONTBE LES DONATIS- sous Menalius et Silvanus, par exemple,
TES*, LUTTES ET BEVOLTES*, LES CIB- ils opposèrent la force à la force; ils
concellions. —Constantin, comme s'emparèrent, comme à Constantine (2),
nous l'avons dit, même en promettant des églises et résistèrent ouvertement
aux donatistes d'écouter leur plainte aux catholiques et à l'empereur. La sé-
et de les juger, avait donné un libre vérité des édits portés contre eux ne
cours à sa colère. Son emportement les arrêta point; leur zèle ne fit que
avait dû faire prévoir aux ennemis de s'accroître, et bientôt dans les classes
Cécilien une nouvelle condamnation. inférieures qui embrassèrent, en géné-
Néanmoins, quand l'empereur eut pro- ral ,la cause du schisme, ce zèle prit le
caractère d'un violent et sombre en-
(I) Labbe; Concil.,\. I, col. 1727 et 1728. On housiasme.
trouve dans ce recueil non-seulement les canons
du concile d'Arles , mais encore les lettres de Ce fut alors que se montrèrent les
Constantin. premières bandes de circorwellions (3).
(2)Voy. sur le concile d'Arles et sur les évé- (1) En 331, sur la requête des donatistes, ceux
nements qui le précédèrent et le suivirent jus- 3ui avaient été bannis à cause du schisme et
qu'en l'année 416 , indépendamment des conci-
les et des auteurs anciens, saint Optât, saint es troubles qui l'avaient suivi, furent autorisés
Augustin et Eusèbe (Optât, milev. de schism. à rentrer en Afrique. Constantin promit même,
Don. I, 25 et sqq. — S. Aug. epist. 60 ad sur la demande qui lui en avait été faite , de ne
Bon.\ epist. 162 ad Glor. Eleus.; epist. IC5 ad point contraindre les dissidents à communi-
Gêner.; epist. \tQad Donat.;elc, etc.— Euseb. quer avec Cécilien. Vov. Eleury; Hist. eccles.,
Hist. eccles., X, 5); Tillemont; Mémoires pour t. III, p. 76, et Morcelli ad an. 321.
servira Phitt. ecclésiast., etc. , t. VI, p. 50 «t suiv. (2) C'était Cirta. Elle quitta alors son ancien
— Fleury; Hist. eccles., t. III, p. 32 et suiv. — Bé- nom pour celui de Conttantine.
(3) Morcelli {AJric. christ., t. II, p. 219)
rault-Bercastel; Hist. de l'Église; t. II, p. 19
et suiv. — Rohrbacher; I. c. — Potter; t. TI, dit, àrent propos des événements qui s'accompli-
p. 135; — et surtout Morcelli, ad an. 3I3,3H, en 317 : ortum habuere circnmcelliones,
315 et 316. C'est Morcelli que nous avons suivi furiosi illi donatistarum satellites , perditis-
pour la date du jugement rendu à Milan; sima fex populi et agrestiurn latronurn mul-
voy. Afr. christ., t. Il , p. 216 et 217. titudo ad omne facinus congregata. — En
25
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
La querelle entre Cécilien et ses enne- célèbres de leurs chefs , de se livrer à
de graves désordres. Ils s'abandonnaient
grandmis avait eu, dans touteLesl'Afrique,
retentissement. un
populations ( et cela est inévitable dans les grandes
s'étaient divisées. Les classes inférieu- réunions où l'on ne trouve ni frein, ni
res, excitées par d'ardentesdu prédications, règle) à la débauche et à tous les excès.
se rangèrent volontiers côté de ceux Ils pillaient, brûlaient, massacraient.
qui se vantaient d'avoir seuls traversé, Les choses en vinrent à ce point que
avec courage , les temps de la persécu- les donatistes eux-mêmes qui les avaient
tion et d'être sortis de la lutte sans suscités implorèrent, pour les réprimer,
souillure; et par une conséquence né- l'assistance des officiers impériaux. On
ces aireelles
, déclarèrent une guerre à envoya des troupes contre les circon-
mort aux catholiques qu'on leur dési- cellions; mais il s'écoula bien des an-
gnait comme impurs, comme traditeurs. nées avant le retour de l'ordre et la sou-
Les chefs donatistes réglèrent sans doute mission complète, en Afrique, des po-
les premiers mouvements des hommes pulations insurgées (1).
qu'ils avaient soulevés. Mais bientôt ils CARACTÈRE DU SCHTSME DES DO-
furent dépassés : les esclaves, les colons, NATISTES ET DU SOULÈVEMENT DES
les petits propriétaires ruinés par le circoncellions.—* Ledonatisme, dit
fisc que, pour leur vagabondage autour M. Saint-Marc Girardin (2), n'est point
des lieux habités, on appela circoncel- une hérésie, c'est un schisme; car les
lions, formèrent des bandes semblables
à celles qui parcoururent, au moyen âge, donatistes croient
catholique; ce que selon
seulement, croit eux,
l'Église
les
sous des noms divers, l'Allemagne, la traditeurs ont souillé la pureté du ca-
France, l'Angleterre, l'Espagne et l'I- ractère épiscopal; ils ont interrompu la
talie. Ces circoncellions ne s'inquiétè- descendance spirituelle des apôtres. Ne
rent point seulement, il faut le dire, de cherchez ici aucune des subtilités fami-
la querelle qui séparait Donat de Céci- lières aux hérésies de la Grèce ou de
lien; comme ils appartenaient presque l'Orient. L'esprit africain est à la fois
tous à la classe opprimée et souffrante,
ils voulurent une réorganisation sociale simple et violent, et il ne va pas jusqu'à
l'hérésie : il s'arrête au schisme; mais
et tentèrent d'établir, en ce monde , ce il met dans le schisme un acharnement
que, sous le fouet du maître et au mi-
lieu des plus rudes travaux, ils avaient singulier. Il y a peu d'hérésies qui soient
appelé si souvent de leurs vœux , à sa- nées en Afrique. L'arianisme n'y vint
qu'avec
nisme, tellesque
Vandales , et encore
le professaient les f'aria-
Goths
voir, lerègne d'une parfaite égalité. Ce-
mine danspendant cette c'est
, le côté insurrection.
grande religieux qui Les
do- et les Vandales, n'était pas l'arianisme
circoncellions, qui se donnaient le nom subtil , tel que l'Orient l'avait connu ,
disputant sur la consubstantialité du
de saints, se crurent chargés d'une mis- (1) Les circoncellions se dissipèrent, il est
sion divine. S'opposer à eux,c'était, dans vrai; mais les croyances qui avaient soulevé
leurs idées, résister à Dieu même ; donc,
les populations devaient longtemps
tion armée. Pendant survivre à l'insurrec-
on vit en
périr
droits dans à la lafélicité lutte, éternelle.
c'était acquérir des
Dans leur Afrique des hommes errer çà et là , dans les
campagnes, pour perpétuer, au sein des classes
farouche enthousiasme , ils recherchè- opprimées, la doctrine sociale et religieuse qui
les avait si vivement agitées. Ces hommes, pour
rent avidement le martyre. Ils s'of- la plupart, étaient engagés dans les ordres,
fraientpar
, troupes , au fer de leurs en- et tous, ils appartenaient au parti donatiste.
nemis, et quand on refusait de les C'est à ces prédicateurs errants , appelés aussi
frapper, ils se tuaient eux-mêmes. La circoncellions, que s'applique la noie insérée à
rigidité de leur doctrine ne les empêcha la page 34 de notre Histoire de la domination
des Fondâtes en Afrique.
point , sous Maxida et Fasir , les plus Nous renvoyons encore ici, pour ce qui con-
cerne les donatistes et les circoncellions, aux
effet , l'insurrection dut s'organiser au moment renseignements bihliographiques rassemblés
même ou, pour obéir aux ordres de Constantin, par J C. Ludw. Gieseler. Voy. Lehrbnch des
les Kirchengeschichte ; t. I , p. 323,324 et 325;
sévirmagistrats
contre lesdedonatistes.
l'Afrique Fleury
commencèrent
( t. III, p.à 417 et suiv.
217 ) et quelques autres historiens ont reporté (2) M. Saint-Marc Girardin ; Y'Afrique sous
à l'année 32!) et même plus tard, à tort sui- saint Augustin. Voy. la Revue des Deux Mon*
vant nous, l'apparition des circoncellions. des; 15 septembre 1842; p. 987.
26 L'UNIVERS.

Père et du Fils ; c'était un arianisme plus qui sontmes. Ilsnaturelles


haïssent àles cettemaîtres
sorte d'hom-
et les
simple et plus
barbares, qui faisait à la portée de l'esprit
du Père des
et du Fils riches , et quand ils rencontrent un
maître monté sur son chariot et entouré
deux dieux, dont l'un était plus grand de ses esclaves, ils le font descendre, I
et plus sies puissant
africaines, et queelles
l'autre.
sont Lesen héré-
petit font monter les esclaves dans le char
nombre, n'ont jamais rien de subtil et et forcent le maître à courir à pied ; car
de raffiné. Les célicoles, dont saint Au- ils se vantent d'être venus pour rétablir
gustin parle quelque part, nesontqu'une l'égalité sur la terre, et ils* appellent
secte qui penche vers le déisme primi- les esclaves à la liberté : tout cela, au
tif des Juifs, et semblent être en Afri- nom, disent-ils, des principes du chris-
que 1rs précurseurs lointains du ma- tianisme, qu'ils dénaturent en l'exagé-
hométisme.
rant, et dont surtout ils n'ont pas les
« Les donatistes africains n'ont ni mœurs. Otez-leur le fanatisme, et; sont
avec le judaïsme, ni avec le mahomé- les Bagaudes de la Gaule , ce sont las
tisme aucune analogie de dogmes , car ancêtres de la Jacquerie; c'est la vieille
ils ne contestent aucune des croyances guerre entre l'esclave et le maître, en-
chrétiennes ; mais ils ont avec ces deux tre le riche et le pauvre; seulement
religions une grande ressemblance exté- cette guerre a pris la marque de l'Afri-
rieure. C'est la même allure de fana- que : ce sont des nomades ; — et la
tisme, c'est le même goût pour la force marque du temps : ce sont des bandes
matérielle. Les donatistes ont, comme fanatiques. C'est le fanatisme, en effet,
tous les partis, leurs modérés et leurs qui leur donne un caractère à part. Ils
zélés; les modérés, qui s'appellent sur- sont cruels contre eux-mêmes et contre
tout les donatistes; les zélés, qui sont les autres; ils se tuent avec une facilité
les circoncellions. Les donatistes sont
les docteurs et les diplomates du parti ; incroyahle , afin , disent-ils,
tyrs et de monter au ciel. Ilsd'être
tuentmar-
les
ils désavouent l'usage de la violence; autres sans plus de scrupule, en combi-
ils font des requêtes aux empereurs; nant d'affreuses
raffinements de tortures
la cruauté , pleines des
africaine.
ils inventent d'habiles chicanes pour
échapper aux arrêts rendus contre leur Parfois cependant, ils s'inquiètent de
schisme ; ils écrivent contre les doc- savoir s'ils ont le droit de se tuer, et
alors ils forcent le premier venu à les
teurs catholiques; ils les calomnient et
les insultent. Ils ne sont du reste ni frapper, afin de ne pas compromettre
moins obstinés, ni moins ardents que le mérite du martyre par le péché du
les circoncellions. Ils se déclarent les suicide. Malheur, du reste, au voyageur
seuls saints, les seuls purs, les seuls qui refuserait de leur prêter sa main pour
catholiques. Les circoncellions sont les tuer! Il périrait lui-même sous les
l'armée et le peuple du parti , et ils re- coups de leurs longs bâtons, qu'ils ap-
présentent, dans le donatisme, l'Afrique
pellent des israélites, à moins qu'il n'ait
barbare, comme les donatistes repré- la présence
sentent de la ville ded'esprit Madaure,d'un qui
jeunerencontra
homme
cellions sontl'Afrique
des civilisée. Les circon-
bandes nomades qui
un jour une de leurs bandes. Ces fana-
se mettent sous un chef et parcourent le tiques avaient résolu depuis plusieurs
pays. Ils font profession de continence; jours d'être martyrs , et , selon leur
mais le vagabondage amène la débauche
dans leurs bandes. Le but de leurs usage , imité taient, avant des
leur gladiateurs
mort, livrés, ils s'é-
à tous
courses est de faire reconnaître la sain- les plaisirs de la vie , et surtout aux
teté de leur Église; aussi leur cri de plaisirs de la table. Ils cherchaient donc
guerre est : Louanges à Dieu ( Laudes avec impatience quelqu'un qui les vou-
Deo) , cri redouté, car, partout où il lût tuer. A l'aspect de ce jeune homme,
retentit, il annonce le pillage et la mort. ils coururent à lui avec de grands cris,
Comme les circoncellions sont la plu- et lui présentèrent une épée nue, le me-
part des esclaves fugitifs ou des labou- naçant de l'en percer s'il ne voulait pas
reurs qui ont renoncé au travail pour les en percer eux-mêmes. « Mais , dit le
s'enfuir au désert, ils ont les haines jeune homme, qui me répond, quand
AFRIQUE CHRÉTIENNE.

j'aurai tué deux ou trois d'entre vous , l'Afrique a gardée sousdonatisme


minations. Dans le toutes les do-
27
, cette
que les autres ne changeront pas d'i-
dée, et ne me tueront pas? Il faut originalité a été jusqu'au schisme en
donc que vous vous laissiez lier. » Us y religion ; et elle se ralliait volontiers à
consentirent, et, une fois bien liés, il la révolte en politique (1). »
les laisse sur le chemin et s'enfuit. SUITE des troubles; y aines ten-
« Les circoncellions représentent, tatives de conciliation; concile
dans le donatisme, les mœurs de l'A- de cartuage. — Dans cette lutte
frique barbare ; mais il y a dans le do- acharnée des donatistes contre les ca-
natisme quelque chose qui caractérise tholiques ou, comme disaient les dissi-
l'Afrique en général : c'est l'esprit d'in- dents, contre les traditeurs, il y eut,
dépendancel'égard
à des empereurs; par un accord tacite, des instants de ré-
c'est la haine de l'unité, soit de l'unité pit et des trêves. Le rappel des exilés
temporelle de l'empire, soit de l'unité donatistes, en 321, semble indiquer un
religieuse de l'Église » ralentissement dans la lutte et un affai-
Plus loin, M. Saint-Marc Girardin dit blissement dans les haines. Cet état
encore (1) : « Quand on écarte de la dis- de choses dura d'abord jusqu'en 326,
cussion entre les donatistes et les ortho- année où, suivant IMorcelli (2), finit
doxes tout ce qui est déclamation et in- l'épiscopat de Ceci lien. On put croire
jure, on voit que le principal grief contre un instant que la guerre allait recom-
le donatisme, c'est qu'il a rompu l'unité mencer; mais le repos de l'Afrique ne
catholique. De ce côté, le refrain du fut pas troublé. Les catholiques choi-
chant rimé de saint Augustin résume sirent Rufus pour évêque ; ce fut pro-
fort bien les bablement àla même époque que les
donatistes : reproches qu'il fait aux
Omnes qui gaudelis de pace, dissidents procédèrent à l'élection de
Modo verum judicate.
Donat (3). On serait tenté de croire que

La paix, c'est-à-dire l'unité, voilà le


sentiment et le principe que saint Au- (t) Cette appréciation du schisme des do-
natistes etdu soulèvement des circouceJ lions
gustin atteste contre les donatistes. C'est nous semble profondément vraie. Cependant
là en effet le sentiment qui leur répu- nous devons dire que nous n'acceptons point
sans réserve, toutes les opinions de M. Saint-
gne, «'est par là qu'ils sont rebelles ; ils Marc Girardin. Nous croyons, par exemple,
n'ontavec les orthodoxes aucun dissen-
timent dogmatique; seulement ils veu- que cette phrase : L'esprit africain est à la
fois simple et violent , et il ve va pas jusqu'à
lent faire une Église à part. Il n'y a point l'hérésie; il. s'arrête au schisme, contient un
avec eux de controverse théologique, jugement trop absolu. Nous pensons , — et
car ils disputent sur des faits plutôt que ici nous invoquons l'autorité de tous les
historiens ecclésiastiques, — que les héré-
sur des opinions. Dans le donatisme, sies ont eu sur l'Afrique, si l'on peut s'ex-
primer ainsi, plus de prise que ne le croit
ce n'est point comme dans h plupart M. Saint-Marc Girardin. D'autre part, l'esprit
des hérésies, l'indépendance de l'esprit afiicoin, suivant nous, se prêtait volontiers
aux profondes méditations et à la controverse;
humain qui en est cause, c'est l'indé- et dans la discussion il 86 distinguait tour à
pendance del'Afrique; et, ce qui achève tour par la force de la dialectique et par la
de le prouver, c'est que les tentatives de subtilité. C'est un fait que l'on peut constater
révolte que font quelques gouverneurs dans les ouvrages de tous les Africains, qui
d'Afrique, entre autres le comte Gel- écrivirent
Augustin. Saulement,depuis Tertullien
dans cesjusqu'à
ouvrages,saint
ce
don en 397 , sont appuyées par les do- qu'il y a de logique, d'ingénieux, de délié, de
natistes. Us sont les alliés naturels de
subtil,, disparail sous l'exagération de la for-
me,sous l'enflure des mots. Il semble même
quiconque veut rompre ['unité de l'em- que l'Afrique ait aux
communiqué
pire dans l'ordre politique, comme ils discussions habiles étrangers, auxl'esprit des
barbares,
veulent la rompre dans l'ordre reli- par exemple, qui fréquentèrent ses écoles et
gieux » qui étudièrent ses œuvres littéraires, his-
toriques et philosophiques. Nous rappellerons
Enfin il ajoute (2) : « Le donatisme est, ici, comme preuve, le nom de Thrasamund ,
au quatrième et au cinquième siècle, un de ce roi vandale qui était théologien, non
point à la manière du fameux roi des Franks,
témoignage expressif de l'originalité que Hilpéric, mais à la manière des Byzantins.
(2) Africa christ iana ; ad an. .326 et 327.
(1) M. Saint-Marc Girardin; lbid. p. 990. Voy. t. II, p. 230 et 231.
(2) Id. lbid. p. 992. (3) Ce fut cet évèque et Donat des Cases-
28 L'UNIVERS.

les deux nouveaux élus songèrent d'a- entraîner par la colère jusqu'à proférer
bord àremédier aux maux de l'Église des injures contre l'empereur devant ses
et que leurs premiers soins eurent pour deux représentants. Donat de Bagaïa
but d'opérer entre les deux partis un fit plus encore : il appela à son aide les
bandes non encore anéanties des cir-
sincère rapprochement. C'est, à notre
sens , l'explication du concile que, sui- concellions, souleva la population des
vant letémoignage de saint Augustin, villes et des
les donatistes ouvrirent à Carthage, à résister par campagnes,
la force auxet ordres
s'apprêta
de
en l'année 328(1). Ce qui prouvela force Constant. Paul et Macaire n'hésitèrent
du schisme, c'est que l'on vit accourir, point : ils s'adressèrent, en vertu de
de divers lieux, dans ce concile, deux leurs instructions, au comte Sylvestre,
cent soixante-dix évêques. qui mit des soldats à leur disposition.
Les membres de cette grande réunion Des scènes de violence ne tardèrent pas
tentèrent les voies de la conciliation. à éclater de toutes parts, et la guerre
Ils se relâchèrent de leur rigorisme et commença ; mais elle ne fut pas de lon-
déclarèrentqueraient
qu'àvolontiers
l'avenir ils traditeurs,
communi- gue durée. La victoire resta bientôt
avec les aux délégués impériaux. Ceux-ci ne
sans les soumettre à un second baptê- trouvant plus de résistance poursuivi-
me. On en vit plusieurs qui , comme l'é- rent les dissidents avec une grande ri-
vêque Deuterius, de la Mauritanie si- gueur. Les évêques donatistes furent
tifienne, observèrent fidèlement ce qui chassés de leurs sièges , exilés ou tués.
avait été décrété; et ce fut à ces hommes Les persécuteurs, que du nom du plus
que l'Afrique dut la paix dont elle jouit violent de leurs chefs on appela M aca-
encore pendant quelques années. riens ne
, s'arrêtèrent que sous le règne
LA LUTTE RECOMMENCE; PERSÉCU- de l'empereur Julien.
TION mac arienne. — Vers l'année Au moment même (349) où Paul et
348, la lutte recommença. Quelle fut Macaire venaient de vaincre les schisma-
tiques par la force des armes, Gratus
la cause de cette guerre 'nouvelle? on assembla à Carthage un concile , où sié-
l'ignore. Les écrivains catholiques pré-
tendent que l'obstination et les violences gèrent les évêques catholiques de toutes
de Donat, èvêque schismatique de Car- les provinces de l'Afrique. Le but des
thage, etd'un autre Donat, évêque de Pères qui vinrent à ce concile était prin-
Bagaïa, ranimèrent les anciennes dis- cipalement de condamner les donatis-
cordes (2). L'empereur Constant avait tes (1). -
envoyé en Afrique deux officiers, Paul l'empereur julien; réaction. —
et Macaire, qui avaient pour mission Julien voyait avec joie les schismes et
d'apaiser dans cette contrée les querel- les hérésies qui déchiraient l'Église. Il
les religieuses. Les dissidents connais- ne cherchait pointa terminer les diffé-
saient sans doute à l'avance les disposi- rends à, étouffer les haines. Il laissait
tions des deux délégués impériaux et pleine et entière liberté à tous les agi-
leurs rapports avec Gratus, évêque ca-
tholique de Carthage. Paul et Macaire querelles tateurs, entrepersuadé qu'en nuiraient
chrétiens définitive plus
les
avaient à peine touché les côtes de l'A- au christianisme que la plus rigoureuse
frique que les donatistes se soulevèrent et la plus sanglante des persécutions.
contre eux de toutes parts. Donat de En Afrique, Julien devait donc re-
Carthage, suivant saint Optât, se laissa constituer contre l'orthodoxie le parti
Noires qui, comme nous l'avons vu plus puissant que les macariens avaient pres-
haut, donnèrent leur nom aux dissidents. que anéanti. Il rendit la paix aux do-
(1) Morcelli ( A fric, christ. ); ad an. 328. natistes persécutés depuis quatorze ans ,
Voy. t. Il , p. 232.
(2) Il ne faut pas oublier qu'il ne nous reste
sur les querelles religieuses de l'Afrique que les (I) C'est le premier concile de Carthage dont
écrits des catholiques. Le devoir d'un historien nous ayons les canons. — Morcelli a rassem-
impartial est de n'admettre qu'avec une extrême blé avec un grand soin, sur cette période de
réserve les accusations portées contre les dissi- l'histoire du schisme, tous les renseignements
dents, même par saint Optât et saint Augustin. contenus dans les anciens documents , et princi-
Les donatistes ont beaucoup écrit dans le cours palement dans les ouvrages de saint Optât et
du IVe siècle ; mais leurs livres ne sont pas ar- de saint Augustin. Voy. Afric. christ, (ad an.
rivés jusqu'à nous. 3i8 et sqq.); I. II, p. 247 et suiv.
AFRIQUE CHRETIENNE.
et, par cette mesure seule, il les releva. illustres de ces adversaires, il faut comp-
Les schismatiques obtinrent de rappe- ter assurément Optât, évêque de Mi-
ler leurs évêques qui avaient été bannis lève. « Parménien, évêque donatiste de
et de rentrer en possession de leurs Carthage et successeur de Donat, dit
églises. On peut à peine se faire une Fleury , ayant écrit contre l'Église ,
idée de la réaction qui se fit alors. Les plusieurs catholiques avaient désiré une
évêques et les prêtres donatistes , accom- conférence des deux partis : mais les
pagnés de nombreux soldats, se jetèrent donatistes l'avaient refusée, ne voulant
sur les églises , s'en emparèrent de vive pas même parler aux catholiques ni ap-
force et massacrèrent ceux qui voulaient procher d'eux , sous prétexte de ne pas
les défendre. Ils se portèrent aux plus communiquer avec les pécheurs. Optât
répondit donc par écrit à Parménien , ne
odieux excès, pillant et tuant, et n'épar- le pouvant faire autrement. » Dans les
gnant pas même les vieillards, les fem-
mes et les enfants qui tenaient au parti sept livres de son ouvrage (1), l'évéque
de leurs persécuteurs. Tout (!Wjg£iivait de Mi lève se propose de défendre con-
servi au culte des catholiquesVils le tre les schismatiques l'unité de l'É-
repoussèrent et, dans leur fureur, glise et de repousser toutes les accusa-
ils n'hésitèrent point à jeter l'Eucharis- tions portées par les donatistes contre
tie aux chiens. Le désordre fut porté les
au comble , non point seulement dans ils catholiques,
appelaient encore qu'à latraditeurs.
fin du IVe Optât
siècle
le pays qui avoisinait Carthage, mais ne se borne pas à discuter : comme le
encore dans la Numidie et dans les Mau- schisme des donatistes reposait tout en-
ritanies. tier ,en quelque sorte , sur cette ques-
A la nouvelle de tant de violences, tion de fait : Cécilien et les évêques ca-
Julien et ceux qui dans les diverses par- tholiques, ses partisans , ont-ils livré les
ties de l'empire n'avaient point aban- Écritures , au temps des persécutions ?
donné les doctrines du polythéisme, sont-ils traditeurs? il remonte à l'ori-
durent éprouver une grande joie; mais gine des dissensions et raconte. Il op-
le triomphe des donatistes fut court. pose des faits aux faits allégués par ses
Les édits de Valentinien ramenèrent
adversaires. C'est ainsi qu'en combat-
bientôt pour les schismatiques de l'A- tant Parménien, il mêle la narration à
frique la discussion et suit , jusqu'à son temps,
cution le(1).temps de l'exil et de la persé- l'histoire des luttes religieuses de l'A-
SAINT OPTAT, ÉVÊQUE DE MILEVE ; frique. Suivant Fleury (2), Optât écrivit
POLÉMIQUE ENTRE LES ÉCRIVAINS son ouvrage sous Valentinien (364-375).
CATHOLIQUES ET LES ÉCRIVAINS DO- Comme nous l'avons dit, la violente
NATISTES ; LOI DE VALENTINIEN. — réaction des donatistes contre les ca-
Depuis l'origine du schisme, une polé- tholiques cessa avec le règne de Julien.
mique vive, ardente, s'était engagée Les schismatiques ne pouvaient dé-
entre les écrivains des deux Égli- sormais espérer l'impunité pour leurs
ses. Elle dura pendant près d'un siècle excès. Les empereurs qui succédèrent à
sans interruption. Presque tous les ou- Julien n'auraient pas tardé à réprimer
vrages qui furent composés alors et qui en Afrique les désordres que, par un
se rapportent aux querelles religieuses sentiment de haine contre toutes les
de l'Afrique sont perdus aujourd'hui. communions chrétiennes , le restaura-
JVous n'avons rien des donatistes. teur du paganisme pouvait seul tolérer.
Nous ne connaissons les opinions des Mais les donatistes avaient à peine mis
schismatiques africains et les arguments un terme à leurs vengeances , que les
qu'ils employaient catholiques, à leur tour, se relevèrent et
que parles ouvrages dedans
leurslaadversaires.
discussion
réclamèrent l'assistance du pouvoir
Parmi les plus vigoureux et les plus impérial pour vaincre leurs adversaires.
(I) Indépendamment des ouvrages de saint (1) Quelques auteurs ont pensé que le sep-
Ciptat ( de Schism. Donat. II , 19; VI, 2 et sqq) et tième livre n'avait pas été écrit par Optât.
de saint Augustin (nous faisons surtout allu- (2) Fleury, Hist. ecclés. t. IV, p. 220 et suiv. —
sion ici à la lettre 166, al. 105, ad Donatist.) , Voy. aussi sur saint Optât : Rohrbacher; Hist.
voy. sur cette réaction : Fleuxy, t. IV, p. 67 et univers, de l'Église catholique, t. VII, p. 102 et
suiv; Polter,t. II, p. 142. suiv.
30 L'UJNIVtRS.
Valentinien leur vint en aide; cepen- Ce fut aussi vers ce temps qu'il se laissa
dant ce ne fut qu'au mois de février de séduire par la doctrine des manichéens.
l'année 373 qu'il promulgua, à Trêves, Augustin , après avoir achevé ses
une loi par laquelle quiconque, parmi études, revint encore à ïagaste , où il
les évêques ou les prêtres , rebaptisait , enseigna successivement la grammaire
était condamné et déclaré indigne du et la rhétorique. Mais la petite ville où
sacerdoce : cette loi , qui atteignait les il avait pris naissance n'était pas à ses
donatistes , fut adressée au proconsul yeux un théâtre où il pût se produire
d'Afrique , Julien. Il est vraisemblable avec éclat et acquérir, comme maître,
toutefois que, dans les intentions de la gloire que sans doute il avait rêvée.
l'empereur, elle était applicable aussi Il quitta donc Tagaste et reprit le
aux partisans que les seliismatiques chemin de Carthage. Il reparut comme
africains avaient rencontrés à Rome professeur dans les écoles de cette ville;
et en Espagne. Les donatistes ne se mais il n'y fit pas un long séjour. Il se
laissèrent point abattre par le décret de décida à passer la mer, et, trompant
Valentinien ; la sévérité des lois impé- la vigilante tendresse de sa mère, il
riales ne fit sans doute que raviver leur s'embarqua pour l'Italie etvintà Rome.
haine contre les catholiques et les af- Là, il continuaitàétudier les philosophes,
fermir dans le schisme. lorsque la ville de Milan demanda au
SAINT AUGUSTIN ; SES COMMENCE- préfet Symmaque un professeur de
MENTS *IL
, QUITTE L'APRIQUE ; SÉJOUR rhétorique. Sur la puissante recomman-
A ROME ET A MILAN ; SA CONVER- dation des manichéens , et après avoir,
SION (1). — Au moment même où l'évê- au préalable , prouvé sa capacité par
quede Milève, Optât , achevait son ou- un discours , Augustin fut désigné aux
vrage, saint Augustin, qui devait être citoyens de Milan. Nous devons remar-
l'adversaire le plus redoutable des do- quer ici que , déjà à cette époque, Au-
natistes, commençait à paraître avec gustin n'avait plus confiance en la doc-
éclat dans les écoles de l'Afrique. Il trine des manichéens ; ses rapports et
naquit en 354, à ïagaste, petite ville ses discussions avec les hommes les
de la Numidie. Patrice , son père , était plus influents de la secte , avec l'évêque
un des hommes notables de la cité; il Fauste surtout, avaient jeté le doute
faisait partie du corps des décurions. dans son esprit; toutefois il ne s'était
Sa mère, qui exerça une si grande in- pas encore séparé ouvertement de ceux
fluence sur sa vie^ et qui tint une si dont il avait été pendant plusieurs an-
grande place dans ses affections , s'ap- nées lesincère partisan.
pelait Monique. Il étudia d'abord à En 384, il se rendit à Milan, où arri-
Madaure ; puis, il revint à Tagaste; vèrentbientôt Monique sa mère etdeux
de là il serendità Carthage, où il acheva
hommes, comme lui originaires de l'A-
ses études. Ce fut dans les écoles jus- frique, et qu'il chérissait entre tous,
tement renommées de la capitale de Alypius etNebridius. C'était dans cette
l'Afrique, qu'en lisant les traités de ville que devait commencer pour Au-
Cicéron , il se prit d'un vif amour pour gustin une vie nouvelle.
la philosophie. Il se mit dès lors avec Son esprit, en proie depuis si long-
une ardeur sans égale à la recherche
de la vérité. Il voulut connaître les ché entempsvain
àl'incertitude, et qui
la vérité, soit dansavait cher-
les livres
ouvrages où sont exposés les dogmes de Cicéron et des académiciens, soit
fondamentaux du christianisme; mais dans le système des manichéens, se fixa.
le style des saintes Écritures devait Les vœux ardents de Monique , les ser-
rebuter un homme qui étudiait assidû- mons de saint Ambroise, et plus encore
ment Cicéron et les auteurs qui avaient les ouvrages de Platon, qu'il lut clans
vécu à la belle époque de la latinité. Il une traduction latine , mirent fin à tou-
laissa donc de côté les livres chrétiens.
tes ses irrésolutions.'Platon, comme il
(I) Pour toute cette partie biographique de
l'avoue, lui fit entrevoir la vérité tant
notre travail nous avons toujours eu sous les désirée. Puis, les saintes. Écritures, qu'il
yeux les Confessions et la Fie de saint Augus- étudia alors avec attention et avec ar-
tin écrile par Possidius. deur, achevèrent de lui dévoiler ce qui
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
31
n'apparaissait encore que d'une ma- deux livres : l'un sur la Morale et les
nière vague et confuse , même dans la mœurs de l'Église
plus sublime des doctrines de la philo- sur la Morale elles catholique
mœurs des, l'autre
mani-
sophie grecque. Il voulut être sincère- chéens. Le résultat de cette comparai-
ment chrétien. son, on le cqnçoit aisément, est tout
Pour se préparer avec plus de re- entier à l'avantage de l'Église catholique.
cueil ement aubaptême , Augustin cessa Augustin ne se contenta pas de montrer
d'enseigner et se retira dans une mai- au grand jour la corruption des mani-
son de campagne avec sa mère et Adéo- chéens il
; les attaqua dans un des
dat, fils de l'une des femmes nombreuses points fondamentaux de leur système ;
qu'il avait aimées. Il fut suivi dans sa et en leexaminant
vient cette question
mal ? il combattit : D'où
la doctrine
retraite par ses amis les plus chers. Ce
fut là qu'à la suite de doux et graves des deux principes, l'un bon, l'autre
entretiens, il composa plusieurs ouvra- mauvais , qu'ils admettaient. Ce fut
ges qui sont parvenus jusqu'à nous. Il sans doute cette controverse qui le
conduisit à écrire son traité du Libre
écrivit d'abord contre les académiciens;
puis il fit les deux traités de la Vie heu- arbitre. En faisant au libre arbitre, dans
reuse etde l Ordre. Il commença aussi tous les actes, une large part (beaucoup
les Soliloques, qu'il compléta plus tard plus
par le traité de / Immortalité de Vâme. tard large
, dansquecellequ'il lui accorda
la lutte contre Pelageplus
et
Peu de temps après, il composa encore Célestius), il réfutait encore la doctrine
deux traités : celui de la Grammaire, qui des deux principes. Il n'acheva ce dernier
n'est point arrivé jusqu'à nous , et celui traité qu'en Afrique, où il arriva enfin
de la Musique , qui ne fut achevé qu'en dans les derniers mois de l'année 388.
Afrique. Au printemps de l'année 387, II demeura quelque temps à Carthage;
il revint à Milan , où il fut baptisé avec puis, il revint à Tagaste, où il vécut, pen-
Adéodat, son fils, et Alypius, son ami, dant trois ans environ, dans une pro-
par saint Ambroise. fonde retraite. Il y acheva son ouvrage
AUGUSTIN QUITTE MILAN; IL PERD de la Musique, il composa à la même
SA MÈRE, SÉJOUR AROME ; IL REVIENT époque les deux livres de la Genèse, des-
EN AFRIQUE; LUTTES CONTRE LES
tinés àréfuter l'opinion des manichéens
MANICHÉENS ET LES DONATISTES; SA sur l'Ancien Testament, le livre du Maî-
retraite; il est NOMMÉ SUCCESSI- tre, qui est un dialogue entre lui et son
VEMENT PRETRE ET ÉVEQUE DE l'É- fils Adéodat, et le traité delà Vraie re-
glise d'hippone. — Augustin .après ligion. Ilsortit enfin de la retraite, et
son baptême, prit la résolution de re- sur la demande d'un de ses amis qui
tourner en Afrique. Il quitta Milan, et voulait quitter le siècle et désirait ar-
accompagné de sa mère et de son fils, il demment levoir et l'entendre , il vint à
se dirigea vers le port d'Ostie. Il atten- Hippone. Il y fut retenu malgré lui , en
dait le moment de s'embarquer, lors- quelque sorte, par les vœux du peuple ;
que Monique fut prise d'une fièvre qui et pour l'attacher à son église, l'évêque
l'emporta à en
sentit la mortneufde jours.
sa mère Augustin res-
une violente Valère l'ordonna prêtre, en 391. Le
dernier lien qui unissait Augustin au
douleur qui bouleversa pour un ins- monde avait été rompu par la mort
tant tous ses projets. Il ne songea prématurée d'Adéodat. Aussi , dès qu'il
plus à l'Afrique et, d'Ostie, il vint à Rome, fut entré dans les ordres sacrés , il re-
où il séjourna pendant plus d'une an- doubla d'austérités, et sa vie fut encore
née. Il ne cherchait plus alors à briller
dans les écoles; il voulait, avant tout, plus retirée ouqu'àil Tagaste.
monastère rassembla Ilautour
fonda unde
mettre au service de la doctrine qu'il lui ses amis les plus chers, Alypius, Evo^
venait d'embrasser les connaissances dius et Possidius. Il ne sortait de sa re-
qu'il avait acquises et son éloquence. Il traite que sur les ordres de Valère, son
attaqua évêque , pour instruire le peuple tou-
réaction l'hérésie
naturelle avec
chez force, et par con-
un nouveau une
jours avide de l'entendre.
vertiil, combattit d'abord ceux dont il La réputation d'Augustin était déjà
avait partagé les erreurs. Il composa
grande à cette époque. Les évêques s*a-
L'UNIVERS.
dressaient volontiers à lui pour lui de la classe opprimée qui avait été ga-
demander des prières et des conseils. gnée presque tout entière à la cause du
schisme.
D'autre part, il exerçait sur le peuple Ce fut vers cette époque que Valère ,
qu'il instruisait une autorité sans bor-
nes. Ainsi, jusqu'à son temps, les évêques accabléd'ans et d'infirmités, choisit Au-
s'étaient en vain opposés dans la ville à gustin pour coadjuteur et le fit nom-
certaine fête qui entraînait à sa suite mer évêque d'Hippone.
la débauche et de graves désordres. TRAVAUX D' AUGUSTIN DANS L'ÉPIS-
Un concile même, tenu à Hippone en copat; IL COMBAT les hérésies; SA
393, n'avait pu abolir les vieux usages. réputation s'étend au loin. — L'é-
En 394, la parole seule d'Augustin fut piscopat gustinne changea en vrai
rien ,laduviemonas-
d'Au-
plus puissante que les décrets du con- . Ilsortit , il est
cile et que les exhortations des évêques ; tère qu'il avait choisi pour asile ; mais,
elle lit cesser la fête populaire. au milieu du monde auquel il devait dès
Au milieu des occupations nombreu- lors se mêler, il conserva les habitudes
ses que lui imposait sa qualité de prê- austères que depuis sa conversion il
tre, Augustin trouvait encore le temps s'était imposées. Seulement son activité
de servir l'Église par ses ouvrages. Il devint plus grande et le cercle de ses
écrivait son traité de l'Utilité de croire , travaux s'agrandit. Il faisait au peuple
pour ramener à la foi un de ses amis de fréquentes instructions, visitait ou
appelé Honorât, et son livre des Deux accueillait tous les citoyens d'Hippone
âmes, pour réfuter les manichéens. Il qui réclamaient son assistance, et in-
attaqua encore ces derniers, en 394 , en tervenait comme juge et comme média-
soutenant contre l'un d'eux , Adimante ,
que l'Ancien et le Nouveau Testament entre teurlesdausmembres
les différends de sonqui s'élevaient
Église.
n'étaient pas ooposés l'un à l'autre, et On conçoit à peine qu'au milieu d'oc-
que là même où ils semblaient se con- cupations 'strouvé
diverses
i et siécrire
nombreuses
tredire, ilétait facile de les concilier. Augustin ait pour quelques ,
Il entrait aussi volontiers en conférence instants de loisir. Cependant dans les
publique avec les ennemis de sa doc- premiers temps de son épiscopat, il
trine c'est
; ainsi qu'en 392 il discuta composa le Combat chrétien et le livre
pendant deux jours contre le prêtre de la Croyance aux chosesqu'on ne voit
manichéen Fortunat, qui s'avoua vaincu. pas. Un peu plus tard, vers 397, il
Mais en Afrique ce n'était point le mani- reprit la lutte contre les manichéens, et
chéisme qui avait porté les plus rudes réfuta d'abord la lettre de Manès, ap-
coups cisme à l'unité pelée rÉpitre du fondement ; puis, il
avait dansdecette l'Église ; le catholi-
contrée des ad- fit ses Trente-trois livres contre Fauste.
versaires plus puissants et plus nom- Les ariens fixèrent aussi son attention,
breuxles
, donatistes. Les partisans du et il commença, pour les combattre,
schisme dominaient dans un grand ses quinze livrés de la Trinité. Il écri-
nombre de provinces. Dans une de leurs vait aussi à la même époque le plus
réunions à Bagaîa , on compta plus de connu de tous ses ouvrages , les Con-
quatre cents évêaues dissidents. Augus- fessions.
tin tourna bientôt tous ses efforts con- Tant d'activité et de science portèrent
tre ces redoutables ennemis. Il essaya au loin la réputation
le consultait de toutes d'Augustin.
parts. Pour luiOn,
d'abord de ramener, par la persuasion, il répondait avec un zèle infatigable
les donatistes nombreux qui se trou-
vaient Hippone;
à puis il composa une- aux demandes qu'on lui adressait. Ce
sorte de chanson populaire où il racon- fut ainsi qu'au milieu des grands tra-
tait l'histoire du donatisme. Il mêla au vaux que nous venons d'énumérer, il
récit une réfutation du schisme. La composa pour Deogratias, diacre de
formequ'il avait adoptée dut contribuer l'Église de Carthage, un traité sur la
singulièrement à propager son œuvre. manière d'instruire les ignorants , et
Ses idées étaient mises ainsi à la portée qu'il fit ( vers 397 ) deux livres pour ré-
de tous, et pouvaient aisément pénétrer soudre certaines questions qui lui
dans les villes et les campagnes, au sein avaient été soumises par Simplicien,
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
évêque de Milan et successeur de saint les lettres de Pétilien , évêque donatiste
Ambroise. Le dernier de ces deux li- de Cirta ou Constantine.
vres mérite une sérieuse attention. II L'Église catholique d'Afrique , aussi
y expose déjà clairement, à propos de bien qu'Augustin, avait repris courage
ces paroles de l'Apôtre, « Qu'avez-vous et force. Elle multiplia alors les con-
ciles. Les Pères se réunirent une fois à
que vous n'ayez reçu? » cette doctrine
de la grâce qui annihilait complètement Hippone ; mais en général Carthage était
le libre arbitre, et qu'il devait pousser le lieu fixé pour les assemblées. En 398,
jusqu'à ses dernières conséquences, on compta dans la capitale de l'Afri-
dans sa lutte contre Pelage.
LES DONATISTES', LEUBS DIVISIONS; cent que,quatorze
sous la présidence d'Aurélius,
évêques. deux
La question
LIVRES DE SAINT AUGUSTIN ; CONCI- du schisme était toujours agitée dans
LES. — Mais alors Augustin était sur- ces grandes réunions, et les Pères ne se
tout occupé par ses discussions contre séparaient jamais sans avoir promulgué
les donatistes. L'occasion était bien quelques canons contre les donatistes.
choisie pour combattre le schisme. De- DERNIERS VESTIGES DU POLYTHEIS-
puis plusieurs années déjà, l'église do- ME EN AFRIQUE ; LE TEMPLE DE JU-
natiste était en proie à de grandes di- non-céleste; POLÉMIQUE DE SAINT
visions. Vers la fin du siècle , les opi- AUGUSTIN CONTRE LES PAÏENS. — Le
nions de Ticonius, qui fut parmi les schisme et l'hérésie n'étaient pas les
dissidents , suivant saint Augustin lui- seuls ennemis que l'Église catholique et
même, un éloquent et savant docteur, saint Augustin eussent à combattre en
fournirent un nouvel aliment aux que- Afrique. Le paganisme avait laissédans
relles et aux dissensions. La mort de cette contrée une profonde empreinte.
Parménien, évêque donatiste de Car- Dans les Mauritanies, la Numidie, la
thage, acheva de désorganiser le schis- Proconsulaire, la Byzacène, à Carthage
me. Primien , qui fut élu , vers l'an 392 , même, on trouvait encore, au commen-
avait excommunié un de ses diacres, cement du Ve siècle , de nombreux ado-
Maximien. Ce dernier, pour se venger, rateurs des anciens dieux. Les temples
se fit un parti, et occupa par la force le avaient été fermés , il est vrai , par ordre
siège de celui qui l'avait condamné. de Théodose; mais la sévérité des lois
Deux conciles se prononcèrent contre impériales n'empêchait pas les païens de
Primien ; mais un troisième, qui se tint se livrer, comme par le passé, aux pra-
à Bagaïa, prit sa défense et déclara cou- tiques de leur religion, et ils ne cessèrent
pable Maximien et ses adhérents. Ce fut point dans les jours solennels de se ras-
là l'occasion d'une guerremontrèrent
où primianis- sembler pour faire des sacrifices. La plus
tes et maximianistes une célèbre et la plus vénérée de toutes les
ex.trême violence.
divinités de l'Afrique était l'Astarté
Il faut encore ajouter à ces deux par- des Phéniciens. La race punique n'avait
tis dont
, le premier dominait à Cartila- point été anéantie tout entière au mo-
ge,dans la Proconsulaire et la Numidie ,
et le second, dans la Byzacène, celui ment où Scipion
cienne Carthage. Parmiavait les
renversé
hommesl'an-
de
des rogatlstes, cette race, beaucoup échappèrent alors
le nombre sur qui tous l'emportaient par
les autres dissi-
dents, dans la Mauritanie césarienne. au fer des Romains ou à l'esclavage, et
continuèrent à vivre sur la terre d'Afri-
Augustin voyait avec joie toutes ces que. Les descendants des Phéniciens se
divisions. Elles lui fournissaient, dans soumirent, il est vrai, aux lois des vain-
ses conférences avec les évêques dona- queurs; mais ils ne perdirent pour cela
tistes, avec Glorius et Fortunius, par ni leur caractère national ni les tradi-
exemple , aussi bien que dans ses écrits tions de leurs ancêtres. Ils conservè-
contre le schisme, des arguments sans rent leurs dieux et leur culte, et les rap-
réplique. Ce fut vers Tan 400 qu'il com- portèrent dans la colonie de Caïus
posa trois livres pourréfuter une lettrede Gracchus, où ils relevèrent le temple
Parménien adressée à Ticonius; sept d'Astnrté. 11 était dans la politique des
livres sur la question tant controversée Romains, non de combattre les croyan-
du baptême , et trois livres enfin contre ces religieuses des vaincus, mais de les
AFR. CHRÉT. 3
34 L'UNIVERS.
adopter, ou plutôt de les combiner avec blé, pour ainsi dire, pour le protéger
leurs propres croyances. Ainsi , ils es- et le défendre, tout le genre humain
sayèrent deconcilier le culte d'Astarlé dans son vaste empire. Tant que notre
avec celui de leurs divinités , et sous le religion a régné sans partage, l'empire
nom de Junon-Céleste ils adorèrent la romain n'a pas rétrogradé et nul bar-
déesse phénicienne. Le temple de Ju- bare n'a franchi impunément ses fron-
non-Céleste fut, au temps de l'empire, tières. Qu'est-il arrivé après le triomphe
le plus riche et le plus révéré de Car- du christianisme? l'empire a été en
thnge : Théodose le fit fermer en 391. proie à d'effroyables calamités ; il a été
sans cesse harcelé, envahi, ravagé,
Un
prit peu
possession plus tard,et l'évêque le dédia Aurélius en
au Christ. amoindri par les populations barbares.
Mais après cette consécration, les païens Nos dieux se sont vengés, et il semble
( c'étaient sans doute des hommes de même qu'ils aient fait éclater particu-
race punique et les derniers descendants lièrement leur colère à l'égard des em-
des Carthaginois) ayant osé pénétrer pereurs partisans et protecteurs du
dans son enceinte pour y renouveler en christianisme. Y eut-il jamais une fa-
l'honneur d'Astarté leurs sacrifices et mille plus malheureuse que celle de
leurs cérémonies, il fut renversé de fond Constantin? Il faut donc attribuer à no-
en comble (1). tre religion les anciennes prospérités
L'empereur Honorius, dans son zèle, de l'empire, et au christianime tous les
ne se borna pas à persécuter en Afri- maux qui nous accablent. Voilà le
que le polythéisme oriental, grec ou ro- grand argument que firent valoir sou-
main; ilenvoya aussi dans les diverses vent avec une haute éloquence, comme
provinces des ofliciers qui avaient pour Libanius et Symmaque, les défenseurs
mission de détruire, comme cela se fit du polythéisme. La prise de Rome,
avec éclat dans la Mauritanie, les par Alâric, en 410, sembla justifier
images des dieux adorés par les po- les raisons des païens. Le coup qui avait
pulations indigènes. Mais les païens frappé la ville éternelle eut dans toutes
étaient encore nombreux et puissants les provinces un long retentissement.
sous le Gis de Théodose, et plus d'une Il y eut alors bien des hommes qui , dans
fois ils opposèrent une vive résistance des instants de doute et de décourage-
aux édits impériaux. A Suffète, par ment, furent tentésd'attribuerau chris-
exemple, dans la Byzacène, ils massa- tianisme lescalamités de l'empire.
crèrent soixante chrétiens qui avaient Ce fut au milieu de ces grandes ca-
brisé une statue d'Hercule. tastrophes que se mirent à l'œuvre Paul
lis écrivirent aussi pour défendre Orose et Augustin : l'un composa son
leurs croyances ; et parmi eux il se Histoire, l'autre sa Cité de Dieu. Tous
trouva des hommes instruits et éloquents deux par des voies diverses tendaient
qui firent une rude guerre au chris- au même but. Ils voulaient raffermir
tianisme. Cefut l'infatigable Augustin leurs frères qui chancelaient, amener à
qui, oubliant alors pour un instant la foi ceux qui ne croyaient pas en-
le schisme et l'hérésie, se chargea de ré- core, et pour cela ils s'efforcèrent de
futer les doctrines du polythéisme. De- montrer à tous les yeux combien étaient
puis longtemps les païens faisaient vaines les accusations que lepolythéisme,
valoir contre la religion chrétienne un aigri par sa récente défaite et le senti-
argument qui pouvait ébranler les igno- ment de son impuissance, avait portées
rants. Ils disaient : Quand nos dieux contre le christianisme victorieux.
étaient adorés, il y avait sur cette terre, les donatistes sont poursuivis
pour les hommes, bonheur et sécurité. avec acharnement; conciles de
C'est avec l'assistance de ces dieux carthage; conférences de l'an
41 1 ; condamnation des donatistes;
que Rome a conquis le monde, qu'elle
l'a soumis à ses lois et qu'elle a rassem- LE TRIEUN MARCELLIN; LOI d'HONO-
rtus. — Quels que fussent les travaux
(I) Voy. sur la religion des Carthaginois, le
temple d Astarté et la persistance delà race pu- d'Augustin, ses yeux et son attention
nique en Afrique, notre Histoire de Carthayp, ne se détournaient jamais des donatis-
p. 139, 145 et 15:J. tes. L'extinction du schisme était sa
35

AFRIQUE CHRÉTIENNE
grande affaire et , en cela , il se confor- nées pour la religion catholique , et
mait àla pensée de tous les catholiques l'empereur lui donne pouvoir de pren-
de l'Afrique. Il arriva un moment où dre entre les officiers du proconsul, du
ceux-ci, poussés par le vif désir d'opé- vicaire, du préfet du prétoire et de tous
rer la réunion des deux Églises, recou- les autres juges, les personnes néces-
rurent au moyen extrême d'invoquer sairesLe pour
sion. l'exécution
rescrit est datéde desa Ravenne,
commis-
l'intervention du pouvoir temporel. En
404, les Pères d'un concile rassemblé la veille des ides d'octobre, sous le
à Carthage s'adressèrent à l'empereur consulat de Varane , c'est-à-dire le qua-
pour obtenir de lui aide et appui dans torzième d'octobre 410 Le tribun
leur lutte contre le donatisme. Dès lors Marcellin étant venu à Carthage donna
ils ne cessèrent plus accueillit
sistance. Honorius d'implorerleurs as- son ordonnance, par laquelle il avertit
son de-
tous les évêques d'Afrique, tant catholi-
mandes, et pour obéir aux instructions
ques que donatistes, de s'y trouver dans
qu'ils avaient reçues de Ravenne, les of- quatre mois, c'est-à-dire le premier jour
ficiers quigouvernaient l'Afrique trai- tous les pourytenirunconcile.il
de juin,
officiers des villes de le faire sa-
charge
tèrent les partisans du schisme avec
une excessive rigueur. Mais ce fut sur- voir aux évêques et de leur signifier le
tout vers 410 que l'empereur donna rescritde l'empereuret cette ordonnan-
aux catholiques des preuves éclatantes
de sa bienveillance. ce. Ildéclare, quoiqu'il n'en eût pas d'or-
dre de l'empereur, que l'on rendra aux
Il y avait longtemps qu'on voulait évêques donatistes qui promettront de
amener les évêques des deux Églises à s'y trouver, les églises qui leur avaient
discuter , dans une conférence publique, été ôtées selon les lois, et leur permet
lesmotifsde la séparation. Depuis Théo- de choisir un autre juge, pour être avec
dose, les catholiques désiraient ardem- lui l'arbitre de cette dispute. Enfin il
ment cette conférence. Ils l'offrirent leur proteste avec serment qu'il ne leur
plusieurs fois aux donatistes. Ceux-ci, fera aucune injustice, qu'ils ne souffri-
prévoyant les résultats ront aucun mauvais traitement, et re-
inévitablement à sa suitequ'entraînerait
une condam- tourneront chez eux en pleine liberté.
nation sous des empereurs qui leur Il défend cependant que Ton fasse au-
étaient ouvertement hostiles, repoussè- cune poursuite, en vertu des lois pré-
rent jusqu'en l'année 410 les proposi- cédentes. Cet édit était du quatorzième
tions des catholiques. Alors quelques- des calendes de mars , c'est-à-dire du
uns d'entre eux se laissant entraîner seizième de février 411, en sorte que
acceptèrent la discussion publique. Les les quatre mois, à la rigueur, échéaient
catholiques et l'empereur Honorius se le seizième de mai ; mais par indugence
hâtèrent de profiter de ces dispositions, il donnait jusqu'au premier de juin.
et un rescrit émané de la chancellerie Les évêques donatistes se rendirent à
impériale enjoignit aux évêquesdes deux Carthage au plus grand nombre qu'ils
Églises de se rendre à Carthage. « Ce purent, pour montrer que les catholi-
rescrit, dit Fleury , fut adressé à Fla- ques avaient tort de leur reprocher leur
vius Marcellin, tribun et notaire, di- petit nombre. La lettre que chacun de
gnité alors considérable. C'était un leurs primatsenvoya, selon la coutume,
homme pieux et ami de saint Jérôme et à ceux de sa province, et que l'on nom-
de saint Augustin, comme il paraît par mait Tractoria, portait que, toutes af-
leurs lettres. Le rescrit ordonne que faires cessant, ils se rendissent à Car-
les évêques donatistes s'assembleront thage en diligence, pour ne pas perdre
à Carthage dans quatre mois, afin que le plus grand avantage de leur cause.
les évêques choisis de part et d'autre En effet, tous y vinrent, excepté ceux
puissent conférer ensemble. Que si les
que lachez
retint maladie' eux , ou ou l'extrême
arrêta en vieillesse:
chemin;
donatistes ne s'y trouvent pas , après et ils se trouvèrent environ deux cent
avoir été trois fois appelés, ilsseront dé-
possédés deleurs églises. Marcellin est soixante et dix. Ils entrèrent à Carthage
établi juge de la conférence, pour exé- le dix-huitième de mai, en corps et en
cuter cet ordre et les autres lois don- procession , en sorte qu'ils attirèrent les
L'UNIVERS*

yeux de toute la ville : les évêques ca- Enfin, le moment de comparaître et


tholiques entrèrent sans pompe et sans de discuter arriva. Alors les donatistes,
éclat, mais au nombre de deux cent qui se défiaient de Marcellin et de ses
quatre-vingt-six. Quand ils furent tous vingt assesseurs laïques, et qui se
arrivés, Marcellin publia une seconde croyaient sans doute condamnés à l'a-
ordonnance, où il avertit les évêques vance, élevèrent'^ ifficultés sur difficultés
d'en choisir sept de chaque côté pour pour arrêter la conférence. D'abord Pe-
conférer, et sept autres pour leur servir tilien de Cirta contesta au délégué im-
de conseil en cas de besoin, à la charge périal ledroit de siéger dans une réu-
de garder le silence, tandis que les pre- nion d'évêques et de décider dans une
miers parleraient. Le lieu de la con- question purement religieuse. Puis,
férence, ajoute-t-il, sera les thermes les prélats donatistes demandèrent à
Gargiliennes. Aucun du peuple, ni même assister à la discussion, non plus au
aucun autre évêquen'y viendra, pour nombre fixé par Marcellin, mais en corps.
éviter le tumulte. Mais avant le jour de Ces débats préliminaires durèrent long-
la conférence tous les évêques de l'un temps, ilest vrai, mais ils ne firent
et de l'autre parti promettront par leurs pas perdre de vue aux catholiques le
lettres, avec leurs souscriptions, de ra- but qu'ils s'étaient proposé. Ils enta-
tifier tout ce qui aura été fait par leurs mèrent ladiscussion ; ils parlèrent du
sept députés. Les évêques avertiront le schisme en général; ensuite ils abordè-
peuple, dans leurs sermons, de se tenir rent laquestion de fait depuis un siècle
en repos et en silence. Je publierai ma controversée qui concernait Cécilien et
son élection. On lit dans les documents
sentence, et l'exposerai au jugement de
tout le peuple de Carthage : je publierai contemporains que les donatistes ne pu-
même tous les actes de la conférence , rent répondre aux arguments de leurs
et , pour plus grande sûreté, je souscri- adversaires. « Enfin le tribun Marcellin
rai le premier à toutes mes paroles, et dit : Si vous n'avez rien à dire au con-
tous les commissaires souscriront de traire, trouvez bon de sortir, afin que
même aux leurs, afin que personne ne l'on puisse écrire la sentence qui pro-
nonce sur tous les chefs. Ils se retirè-
puisse nier ce qu'il aura dit (1). »
Pour plus de sûreté encore, Marcellin rent départ et d'autre; Marcellin dressa
choisit, dans chaque parti , quatre évê- la sentence , et ayant fait rentrer les
ques chargés de surveiller la rédaction parties, il leur en fit la lecture. Il était
des actes de la conférence. Puis, il s'oc- déjà nuit, et cette action finit aux flam-
cupa de maintenir à Carthage la tran- beaux quoiqu'elle eût commencé dès le
quillité publique. L'affluence des étran- point du jour, et que ce fut le huitième
gers devait être grande alors dans cette de juin. Aussi les actes en étaient très-
ville déjà si populeuse; toutefois rien longs, et contenaient cinq cent quatre-
n'indique que des désordres y aient vingt-sept articles. Il nous en reste deux
éclaté. Les évêques exhortèrent le peu- cent quatre-vingt-un , c'est-à-dire jus-
ple àla modération et à la paix, mais ques à l'endroit où saint Augustin com-
nul, il faut le croire, n'exerça plus mençait àtraiter la cause générale de
d'autorité
tin. Dans sur ces lacirconstances
foule que saint Augus-
solennelles l'Église. On a perdu le reste , qui con-
tenait plusieurs actes importants et cu-
l'évêque d'Hippone était accouru pour rieux; mais saint Augustin nous en a
conservé la substance et nous avons la
donuer à l'Église dont il était déjà de-
puis longtemps un des plus fermes sou- table entière des articles, dressée par
tiens, l'appui de son érudition, de son un officfer nommé Marcel , à la prière
éloquence et de son nom. Quand on. eut de Severien et de Julien. La sentence
réglé l'ordre de la conférence, les catho- du tribun Marcellin ne fut proposée en
liques lemirent au nombre de leurs sept public que le vingt-sixième de juin. Il
commissaires, lui adjoignant ses amisles y déclare que comme personne ne doit
plus chers : Alypius deïagaste, Possidius être condamné pour la quand
faute d'autrui,
de Calame et Aurelius de Carthage. les crimes de Cécilien, même ils
(I) Fleury ; Hist. ecclés. , t. V , p. 317 , 320 et auraient été prouvés, n'auraient porté
321.
aucun préjudice à l'Église universelle;
AFRIQUE CHRÉTIENNE. 3.7

qu'il était prouvé que Dona était l'au- personne ne fait point de préjugé con-
teur du schisme ; que Cécilien et son or- tre une, autre. Cependant le tribun Mar-
dinateur Félix d'Aptonge avaient été cellin ayant fait son rapport à l'empe-
pleinement justifiés. Après cet exposé,
il ordonne aux magistrats, aux proprié- dans reur Honorius de ce et
la conférence, quiless'était passé
donatistes
taires etlocatairesdes terres d'empêcher ayant appelé devant lui, il y eut une
les assemblées des donatistes dans les loi donnée à Ravenne, le troisième des
villes et en tous lieux ; et à ceux-ci de
calendes de février, sous le*neuvième
délivrer aux catholiques les églises qu'il consulat d'Honorius et le cinquième de
leur avait accordées pendant sa commis- Théodose, c'est-à-dire le troisième de
sion; que tous les donatistes qui ne janvier 412, qui, cassant tous les res-
crits que les donatistes pouvaient avoir
voudrontreront passujets àsetoutes
réunirales l'Église, demeu-
peines des lois , obtenus , et confirmant toutes les an-
et que pour cet effet tous leurs évêques ciennes lois faites contre eux , les con-
se retireront incessamment chez eux; damne àde grosses amendes , suivant
enfin, que les terres où l'on retire des leur condition, depuis les personnes il-
troupes de circoncellions seront confis- lustres jusqu'au simple peuple, et les
quées. Ces actes delà conférence furent esclaves à punition corporelle ; ordonne
rendus publics, et on les lisait tous les que leurs clercs seront bannis d'Afrique
ans tout entiers dans l'Église à Carthage, et de toutes les églises rendues aux ca-
à Tagaste , à Constantine , à Hippone et tholiques. La conférence fut le coup
dans plusieurs autres lieux; et cela pen- mortel du schisme des donatistes ; et
dant lecarême, lorsque le jeûne donnait depuis ce temps ils vinrent en foule se
au peuple plus de loisir d'entendre cette réunir à l'Église, c'est-à-dire les évêques
lecture. Toutefois, il y avait peu de gens avec les peuples entiers (1). »
qui eussent la patience de les lire en En effet, la masse des schismatiques,
particulier , à cause de leur longueur et suivant la remarque de Fleury et de quel-
des chicanes dont les donatistes avaient
ques autres historiens, revint à l'Église
affecté de les charger. C'est ce qui obli- catholique. Mais cette conversion, œu-
gea saint Augustin d'en faire un abrégé,
qui en comprend toute la substance; Les vredonatistes
de la force ,voulaient, n'était point
avantsincère.
tout,
et il y avait ajouté des nombres, pour échapper aux amendes, à l'expropria-
avoir facilement recours aux actes mê- tion à, l'exil, à tous les châtiments en-
mes. Les donatistes se déclarèrent ap- fin prononcés par l'édit d'Honorius
pelants de la sentence de Marcel lin, contre ceux qui persévéraient dans le
schisme. Ils conservaient sous les dehors
sous prétexte qu'elle avait été rendue
de nuit et que les catholiques l'avaient d'une apparente sentiment deleur soumission
défaite. Ils un vif res-
le montrè-
corrompuçaient aupar hasard argent
sans : aucune
ce qu'ilspreuve.
avan-
rent bientôt. Deux ans à peine s'étaient
Ils disaient aussi que Marcellin ne leur écoulés depuis la conférence de Carthage,
avait pas permis de dire tout ce qu'ils qu'ils profitèrent
comte Héraclien etdedesla désordres rébellion qui du
voulaient,
més dans le etlieuqu'ilde lalesconférence,
avait tenus comme
enfer-
dans une prison. Mais saint Augustin la suivirent pour se venger. Us s'atta-
chèrent surtout à perdre le tribun Mar-
réfuta ces calomnies par un traité qu'il cel in, leplus implacable de leurs enne-
lit ensuite, adressé aux donatistes laï- mis. Us lefirent décapiter avec son frère.
ques, où il releva tous les avantages Quand le pouvoir impérial se fut raf-
que l'Église catholique avait tirés de la fermi en Afrique, ils cédèrent et se sou-
conférence, les efforts que les donatis- mirent de nouveau. Us vécurent ainsi ,
tes avaient faits pour éviter qu'elle ne cachant leur haine, jusqu'en l'année 429,
se tînt; l'es chicanes dont ils avaient où l'invasion des barbares leur offrit l'oc-
usé pour ne point entrer en matière ; casion d'exercer sur les catholiques de
les plaintes qu'ils avaient répétées deux nouvelles vengeances.
OPINIONS DE SAINT AUGUSTIN SUR
fois , qu'on les y faisait entrer malgré
eux ; enfin ce mot important qui leur
était échappé, qu'une affaire, ni une (i) Fleury; ffist. ecclés., t. V, p. 345 et sulv.
3S L'UNIVERS.

L'INTERVENTION DU POUVOIR TEMPO- « que nous puissions en effet paraître


REL DANS LES AFFAIRES DU SCHISME. « étrangers à la mort de ces hommes qui
— Saint Augustin montra à tous les ins- « sont soumis à votre jugement, non sur
tants de la lutte qu'il eut à soutenir con- « notre accusation , mais sur l'avis de
tre les donatistes, de la modération, de « ceux auxquels est confié le soin de la
la douceur et de la charité; plus d'une « paix publique, nous ne voulons pas
fois, cependant, il se laissa entraîner par « que les souffrances des serviteurs de
les passions de son parti et de son temps. « Dieu soient vengées, d'après la loi du
Sa polémique fut alors dure et violente; « talion, par des supplices semblables.
il demanda et en même temps déclara lé- «Non que nous voulions empêcher qu'on
gitime l'intervention du pouvoir tempo- « ôte aux hommes coupables le moyen
rel dans les affaires religieuses, et il in- «de mal faire; mais nous souhaitons
voqua la persécution. Mais, nous le ré- « que ces hommes, sans perdre la vie, et
« sans être mutilés en aucune partie de
pétons ,l'esprit de charité domina
toujours dans saint Augustin. Au mo- « leur corps, soient, par la surveillance
ment même où il se réjouissait de la sen- « des lois, ramenés, d'un égarement fu-
tence portée par le tribun Marcellinet « rieux, au calme du bon sens /ou dé-
de l'édit d'Honorius, où les officiers im- « tournés d'une énergie malfaisante ,
périaux sévissaient avec rigueur contre « pour être employés à quelque travail
les donatistes, son âme s'attendrit, la « utile. Cela même est encore une con-
douceur l'emporta sur la passion, et « damnation; mais peut-on ne pas y
comme le prouve le fait que nous allons « trouver un bienfait plutôt qu'un sup
raconter, il devint le protecteur des « plice, puisqu'eu ne laissant plus de
persécutés. A Hippone, les donatistes « place à l'audace du crime, elle permet
étaient nombreux. Après la conférence « le remède du repentir? Juge clirétien-
de .Carthage ils se soulevèrent et se por- « remplis le devoir d'un père tendre;
tèrent de
à graves excès; ils tuèrent un « dans ta colère contre le crime, sou-
prêtre catholique appelé Restitut et en « viens-toi cependant d'être favorable
blessèrent un autre. Lescoupables furent « à l'humanité; et en punissant les at-
jetés en prison, battus de verges, con- « tentats des pécheurs, n'exerce pas
duits enfin devant les magistrats im- « toi-même la passion de la vengeance. »
périaux. Cefut alors que saint Augustin Augustin terminait cette lettre tou-
écrivit aux juges Marcellinet Apringius
chante par des raisons prises dans l'in-
deux lettres térêt du christianisme, et qui lui com-
suivants : où l'on trouve les passages
mandaient ladouceur : « J'atteste, di-
« J'ai appris, dit-il à Marcellin, que « sait-il, que cela seul est utile, est
« ces circoncellions et ces clercs du parti « salutaireàl'Églisecatholique;ou,pour
« donatiste,que l'autorité publique avait « ne point paraître sortir de ma juridic-
« transférés delà juridiction d'Hippone « tion, je l'atteste du moins, de l'église
« à votre tribunal , avaient été enten- « d'Hippone. Si tu ne veux pas écouter
« dus par votre excellence, et que la plu- « la prière d'un ami, écoute le conseil
« part d'entre eux avaient avoué l'homi- « d'un évêque. » La lettre qu'il adres-
« cide qu'ils avaient commis sur le prê- sait au proconsul Apringius était non
« tre catholique Restitut et les blessures moins expressive : « Epargne, lui disait-
«• qu'ils ont faites à Innocent, prêtre « il, ces coupables convaincus; laisse-leur
« catholique, en lui crevant un œil et en « la vie et le temps du repentir (1). »
« lui coupant un doigt. Cela m'a jeté Rapprochons encore de ces paroles
« dans une grande inquiétude que votre les opinions pleines de tolérance et de
« excellence ne veuille les punir avec douceur que saint Augustin professa ,
« toute la rigueur des lois , en leur fai- à diverses époques , soit dans les livres,
« sant souffrir ce qu'ils ont fait. Aussi, soit dans les discours qu'il adressa aux
«j'invoque par cette lettre la foi que fidèles de son Église : « L'homme n'apas
« vous avez en Jésus-Christ ; et, au nom été doué de la faculté de prévoir infaiLi-
«de sa divine miséricorde, je vous (I) M. Villemain ; de V Éloquence chrétienne
« conjure de ne point faire cela , et de dans le quatrième siècle. Voy. Mélanges litté-
raires, p.471 et suiv.
« ne point permettre qu'on le fasse. Quoi-
AFRIQUE CHRETIENNE.
blement ce que penseront, dans la suite venons de transcrire, on oublie volon-
des temps, ceux de ses semblables qu'il tiers que parfois, dans l'ardeur de la
juge être actuellement dans Terreur; il lutte, saint Augustin se laissa emporter
ne sait pas jusqu'à quel pointles fautes 30
des méchants contribuent au perfection- jusqu'à prêcher l'intolérance.
LE PÉLAG1ANISME EN AFRIQUE. —
nement des bons. Il faut donc bien se
L'Église catholique en Afrique venait à
garder d'ôter la vie à ceux-là; car vou- peine de triompher du schisme qu'elle
lant tuer des méchants, on ne ferait sou- fut exposée à un nouveau danger. C'é-
vent que tuer ceux qui sont destinés à tait l'hérésie, cette fois, qui devait la
rentrer dans la bonne voie, ou bien on diviser.
nuirait aux bons , auxquels , quoique Au commencement du cinquième
malgré eux, les méchants sont utiles. siècle, deux hommes originaires de la
On ne peut porter de jugement fondé et Grande-Bretagne, Pelage et Célestius
équitable sur les hommes qu'à la fin de se mirent à sonder, soit dans la médita-
leurdevie, lorsqu'il n'y a plus nipossibilité, tion, soit dans leurs entretiens, les
ni changer de conduite, de servir questions les plus graves et les plus dif-
la cause de la vérité par la comparaison
ficiles qui aient jamais agité l'esprit
de l'erreur. Mais ce jugement, il n'est humain. Ce fut , dit-on , un certain Ru-
donné
non aux qu'aux hommes anges de Reste
le porter,
bon etet fin, venu de Syrie, qui leur donna l'im-
pulsion etleur fournit quelques-unes de
souffre les méchants. Il vaut mieux, leurs solutions. Ils vivaient alors à
demeurant dans le seinà cause
de l'Église, sup- Rome, où ils arrêtèrent leur doctrine.
porter les méchants des bons, Ils s'étaient demandé : Dieu intervient-
que de s'exposer à s'en séparer, aban- il dans nos actes? Sommes-nous libres
donnant etles bons et les méchants. S'il d'accomplir, à notre gré, le bien et le
y a avec toi des bêtes féroces, c'est-à-dire mal? Est-ce Dieu qui veut pour nous, et
s'il y a avec toierronées,dans l'Église ne sommes-nous que des instruments
de doctrines de fauxdescroyants,
apôtres
dont les mouvements sont prévus et
hérétiques
vais catholiques, ou schismatiques, ou" mau-
cherchant, comme les réglés à l'avance? Si, disaient-ils, nous
ne pouvons nous déterminer par nous-
bêtes féroces, à dévorer lésâmes, qu'el- mêmes , nous ne sommes point respon-
les soient tolérées jusqu'à la fin des siè- sables du bien et du mal que nous fai-
cles Tolère; tu es né pour cela : sons; nous ne méritons ni ne déméri-
tolère, car tu as probablement aussi tons. — Ces raisonnements les conduisi-
besoin d'indulgence. Si tu as toujours rent peu à peu à rejeter la grâce divine,
été bon, montre-toi miséricordieux; si
sans laquelle, suivant l'Église, l'homme
tu as commis des fautes, n'en perds pas ne peut rien, et à rapporter exclusive-
la mémoire. Il faut souffrir l'ivraie dans ment, dans chacun de nos actes, le
le bon grain, les boucs entre les che- bien et le mal à la faculté que nous
vreaux, les béliers entre les moutons. avons de nous déterminer par nous-
Ce mélange aura un terme, et le temps mêmes, à notre libre arbitre.
de la moisson viendra Sois bon, Pelage et Célestius quittèrent Rome
et prends le mal en patience. Sois bon vers 409 , pour aller en Sicile : de là ils
intérieurement; car si tu ne l'es pas passèrent en Afrique. Ils s'arrêtèrent
de cette manière , tu ne peux pns te van- d'abord à Hippone (410); puis, ils se
ter de l'être. Quand tu seras bon inté-
rieurementtu
, supporteras celui qui
est méchant intérieurement et extérieu- que, etc. , du Christianisme, t. II, p. 150. —
Nous devons ajouter ici que parmi Ips écrivains
rement. Tolère l'hérétique déclaré, to- ecclésiastiques, plusieurs, aujourd'hui même,
lère le païen, tolère le Juif, tolère enfin semblent approuver les pages ou saint Augus-
le mauvais chrétien caché. » Ce sont là tin,clans
parlantle deschisme
l'intervention du pouvoiradmet
tempo-la
rel des donalistcs,
de grands et généreux sentiments que
persécution comme moyen
de ceslégitime de ne
répres-
de nos jours les ennemis les plus ardents sion. Les doctrines écrivains sont
point de notre siècle, et ne portent pas Pem-
de l'Église catholique ont loués et admi-
rés (1). En lisant les lignes que nous preintedunousvéritable
comme venons esprit chrétien.
de le voir, elles D'aiUeurs,
sont con-
(I) Voy. M. de Potter'; Histoire philosophi- damnées par saint Augustin lui-même.
40 L'UNIVERS.

rendirent à Carthage. C'est de là que eux la théorie du libre arbitre , telle que
partit Pelage pour aller dans la Pales- la formulaient Pelage et ses disciples ,
tine. Célestius était resté dans la capi- était un excès de l'orgueil humain.
tale de l'Afrique pour y propager la Prétendre que l'homme avait la faculté
nouvelle doctrine. C'était , s'il faut en de vouloir, de se déterminer, indépen-
croire ses contemporains , un homme damment de toute influence supérieure ,
plus audacieux encore que Pelage. 11 ne et conclure, de là, que sans l'assistance
reculait devant aucune des conséquences de
de son système ; et bientôt on le vit un Dieu
bon ,ouil mauvais pouvait, suivant
usage dequ'il
sonfaisait
libre
repousser, comme contraire à la théorie arbitre, mériter ou démériter, n'était-ce
du libre arbitre, la croyance au péché point enlever à Dieu une partie de sa
originel et nier la nécessité du baptême toute-puissance, égaler en quelque sorte
et de la rédemption. l'homme à Dieu ? n'était-ce point
L'Église d'Afrique s'alarma des pro- comme le disait saint Jérôme, renouve-
grès de l'hérésie, ler latentative des anges rebelles? Aux
à Carthage (412)et condamna
un concile Célestius.
convoqué
yeux des défenseurs de la foi catholi-
Le pélagianisme, comme on l'apprend que, pour employer l'énergique expres-
par l'acte d'accusation qui fut dressé sion d'un écrivain moderne, Satan aussi
alors, attaqua, dès son début, les doc- avait été pélagien ( 1 ).
trines del'Eglisecatholique avec une sin- Après avoir hésité quelque temps,
gulière hardiesse. On reprochait à saint Augustin se lança avec ardeur
Célestius d'avoirdit : « 1° qu'Adam avait dans la discussion. Il n'essaya point de
été créé sujet à la mort ; 2° que son transiger , de concilier la liberté avec la
péché n'avait nui qu'à lui et ne s'était
pas communiqué à sa race, ce qui dé- théorie il
grâce; de s'avança
la grâce aussi loin dansdansla
que Pelage
truisait lacroyance du péché originel; celle de la liberté.
3° que les enfants en naissant sont dans « De toutes les doctrines psychologi-
le même état où était Adam avant son ques de saint Augustin, la pius digne
péché; 4° que d'attention est celle qu'il a émise sur
pas la cause de le péché ded'Adam
la mort n'est
tout le genre la nature du libre arbitre. Les rapports
humain, non plus que la résurrection de étroits qui existent entre cette question
Jésus-Christ la cause de la résurrection et celle de la grâce, et l'autorité dont
de tous les hommes ; 5° que la loi natu- jouit l'évêque d'Hippone dans l'Église,
relle conduit au royaume des cieux principalement à cause de la manière
comme l'Evangile; G° que même avant dont il a combattu les pélagiens, don-
la venue de Jésus-Christ, il y avait des nent une importance particulière à ce
hommes impeccables , c'est-a-dire sans qu'il a écrit sur cet objet. Le traité du
péché ; 7° que les morts sans baptême Libre Arbitre , divisé en trois livres , fut
ont la vie éternelle. » Après sa condam- achevé par saint Augustin en 395, vingt-
nation Célestius se retira en Asie (1). deux ans, par conséquent, avant la
SAINT AUGUSTIN COMBAT LES PE- condamnation de Pelage par le pape
lagiens; concile; RAPPORTS DES Innocent Ier, en 417. Il était dirigé con-
ÉGLISES D'AFRIQUE AVEC L'ÉGLISE DE tre les manichéens, qui affaiblissaient la
rome. — Le concile de Carthage n'avait liberté en soumettant l'homme à l'action
point arrêté les progrès de l'hérésie : le d'un principe du mal, égal en puissance
pélagianisme pénétrait en tous lieux. au principe du bien. Il était naturel que,
Alors, pour conjurer ce pressant danger, pour combattre avec succès de pareils
Tes docteurs les plus illustres de l'Église adversaires, saint Augustin accordât le
catholique se mirent à l'œuvre. Pour plus possible au libre arbitre. Aussi
voit-on, par une lettre adressée à Mar-
. 0) Nous ne pouvons, dans ce résumé rapide,
traiter avec quelque étendue la question du cellin, en 412, qu'il n'est pas sans crainte
pélagianisme. Nous renvoyons sur ce point aux que les pélagiens ne s'autorisent de ses
diverses histoires de l'Église. Il est inutile, sui- livres composés longtemps avant qu'il
vant nous , de signaler ici , parce qu'elles sont
connues de tous, les pages qui ont été écrites fût question de leur erreur. La philoso-
de nos jours sur ce grave sujet par MM. Gui- (I) Rohrbacher;
zot et J. J. Ampère. tholique,t. VII, p.Hist.
504. univers, de l'Église ca-
41
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
phie ne peut donc rester indifférente libre arbitre, il déclare que ce libre ar-
au désir d'étudier de quelle manière bitre est dans la dépendance d'un pou-
l'auteur du traité du Libre Arbitrez pu voir supérieur, qu'il est complètement
se retrouver plus tard le défenseur ex- subordonné à la grâce.
clusif de la grâce, et concilier les prin- L'opinion de saint Augustin fut adop-
cipes philosophiques avec les données tée par l'Église d'Afrique. En 416, les
de la révélation. Nous ne pouvons toute- évêques de cette Église tinrent âaux
fois ,sur ce point , présenter que de conciles, l'un à Carthage, l'autre à
courtes explications. Dans ses livres sur Milève, où ils condamnèrent Pelage
le Libre Arbitre, saint Augustin recon- et Célestius. Puis, ils s'adressèrent au
naît que le fondement de la liberté est pape Innocent qui, en 417, donna son
dans le principe même de nos détermi- adhésion à la sentence qu'ils avaient
nations volontaires. Le point de départ prononcée. Mais on put craindre un
de tout acte moral humain est l'homme instant (418) que Zozime, successeur
lui seul, considéré dans la faculté qu'il d'Innocent, n'approuvât , comme l'a-
a de se déterminer sans l'intervention vaient déjà fait avant lui les évêques
d'aucun élément étranger (deLib. Arb., d'Orient, rassemblés à Diospolis, quel-
lib. III , c. 2 ). Dans sa manière de dé- ques-unes des opinions du pélagianisme.
finir le libre arbitre, le mérite de la Sa conduite pleine de modération à
bonne action appartient à l'homme ; rien l'égard de Pelage et de Célestius excita
n'a agi sur sa volonté en un sens ou en en Afrique de vives appréhensions.
un autre; sa détermination est parfai- Les évêques se rassemblèrent de nou-
tement libre. Saint Augustin a-t-il main- veau àCarthage, en 418, et là ils con-
tenu ces principes dans sa controverse firmèrent eu quelque sorte, par une
contre Pelage? Une étude plus attentive nouvelle condamnation de l'hérésie,
des saintes Écritures, et principalement leurs premières décisions. La sentence
de saint Paul, ne lui a-t-elle pas fait mo- qu'ils prononcèrent nous fait connaître
difier sa manière de voir ? L'examen phi- les hardies conséquences que les péla-
losophique deses écrits ne nous sem- giens avaient tirées de leur théorie
ble laisser au critique impartial aucun du libre arbitre. « Quiconque dira qu'A-
doute à cet égard (1). » Au moment où dam a été fait mortel , en sorte que ,
parut le pélagianisme , saint Augustin soit qu'il péchât ou qu'il ne péchât
avait déjà modifié ses premières opinions
point, il dût mourir, c'est-à-dire sortir
sur le libre arbitre. Dès l'année 398, du corps, non par le mérite de son pé-
comme nous l'avons dit , dans une lettre ché, mais par la nécessité de sa nature ;
adressée à Simplicien, et à propos de qu'il soit anathème ! Quiconque dit qu'il
ce texte de Saint Paul : Qu'avez- vous ne faut pas baptiser les enfants nou-
que vous n'ayez reçu? il avait amoindri,
si nous pouvons nous servir de cette ex- tise pour laveau-nés;rémission
ou que, bien des
qu'on les bap-
péchés , ils
pres iole
n , libre arbitre pour exalter ne tirent d'Adam aucun péché originel
la grâce. Sa lutte contre Pelage et Cé- qui doive être expié par la régénéra-
lestius ne fit que rendre ses opinions tion, d'où s'ensuit que la forme du bap-
plus absolues. Dès lors dans ses con- tême pour la rémission des péchés est
versations, ses sermons, ses ouvrages
fausse à leur égard ; qu'il soit anathè-
( du Mérite et de ta rémission des pé- me! Quiconque dira que la grâce de
chés; de ta Grâce du Nouveau Testa- Dieu qui nous justifie par Jésus-Christ,
ment; de V Esprit et de ta lettre; Traité ne sert que pour la rémission des pé-
de la nature et de la grâce; de la Per- chés déjà commis, et non pour nous
fection de la justice de l'homme; aider encore à n'en plus commettre;
tre à Hilaire en Sicile), il affirme Let-
que qu'il soit anathème! Si quelqu'un dit
l'homme ne veut et ne peut que par que la même grâce nous aide à ne point
Dieu , et si parfois il parle encore du
pécher seulement en ce qu'elle nous
(I) Voy. Dictionnaire des Sciences philoso-
ouvre l'intelligence des commande-
ments ,afin que nous sachions ce que
phiques par une société de professeurs de phi- nous devons chercher et ce que nous
losophie: art. Saint Augustin; 1. 1. p. 257 ; Pa-
ris, 1814.
devons éviter; mais qu'elle ne nous
42 L'UNIVERS.

donne pas d'aimer encore et de pou- lurent point se soumettre a cette con-
voir ce que nous devons faire; qu'il damnation. Ils s'adressèrent à l'Église
soit anathème ! Quiconque dira que de Rome qui, prêtant l'oreille à leurs
la grâce de la justification nous est don- prières, essaya de les imposera ceux
née, alin que nous puissions accomplir qui les avaient rejetés. Les évêques d'A-
plus facilement par la grâce ce qu'il frique protestèrent contre cette inter-
nous est ordonné de faire par le libre vention qui tendait à infirmer leurs
arbitre, comme si, sans recevoir la décisions et à amoindrir leur autorité.
grâce, nous pouvions accomplir les Ils l'emportèrent; et le jugement qui
commandements de Dieu, quoique dif- avait condamné Apiarius et Antoine
fut maintenu (1).
ficilement; qu'il soit anathème! » A
Rome, Zozime s'était enfin prononcé, et SEM1-PELAGIENS; DERNIERS TRA-
il avait condamné les pélagiens. On VAUX DE SAINT AUGUSTIN. — Comme
ne se contenta plus alors, pour rame- nous l'avons dit, l'opinion desaint Augus-
ner les hérésiarques , des censures ec- tin sur la tholique.
grâce Toutefois, était ilcelle de l'Église ca-
clésiastiques; on eut recours au pou- y avait dans cette
voir temporel, à la rigueur des lois. opinion quelque chose de si absolu , il
Nul, suivant saint Augustin, ne fut fallait crtellement,
plus ardent dans cette persécution que ifier laraison à lapour foi, l'embrasser,
que des hommes sa-
le prêtre Sixte, qui occupa plus tard la jusqu'alors fermement attachés aux dog-
chaire de Saint-Pierre. Honorius fit un mes de l'Église se sentirent ébranlés. Il
édit qui bannissait de Rome Pelade et se fit chez eux une réaction : ils se de-
Célestius, qui organisait contre leurs mandèrent si saint Augustin n'était
adhérents un système de délation, qui point tombé dans l'erreur en immolant
punissait enfin, dans toute l'étendue de d'une manière absolue le libre arbitre à
l'empire d'Occident, de l'exil et de la grâce, en l'annihilant, et conséquem-
l'expropriation, ceux qui étaient con- ment en détruisant la responsabilité hu-
vaincus de pélagianisme. Toutefois, au maine. Ils cherchèrent alors un système
de conciliation.
temps même de la persécution , l'héré-
sie trouva des défenseurs. Le plus célè- Le mouvement se fit d'abord sentir
bre de tous saint
Il attaqua est Julien, Augustin évêque d'Éelane.
à propos du en Afrique. Quelques moines d' Adrumet
s'élevèrent contre un écrit où saint
livre intitulé du Mariage et de La con- Augustin anéantissait, suivant eux , le
cupiscence. Dès lors s'engagea entre libre arbitre. L'évêque d'Hippone se hâta
eux, par écrit, une lutte qui ne devait de leur répondre par deux ouvrages ( de
avoir pour terme que la mort de l'illus- la Grâce et du libre arbitre; de la Cor-
tre évêque d'Hippone. rection etde la grâce). Cette fois, il sem-
Il y avait eu sur la question du péla- bla transiger, et fit, si nous pouvons nous
gianisme dissentiment entre lesévêques servir de cette expression, quelques
africains et le pape Zozime (I). Mais ce concessions au libre abitre.
dissentiment , comme nous l'avons dit , Il y avait aussi en Gaule des hommes
n'avait pas été de longue durée. Plus éminents qui n'admettaient pas dans
tard, l'intervention de l'Église de Rome toutes ses parties le système de saint
dans Augustin. Parmi eux se trouvaient saint
amenerlesun affaires nouveau dedésaccord. l'AfriqueIl devait
éclata Hilaired' Arles et Cassien. Celui-ci ,dans
au temps de saint Boniface et de saint des conférences spirituelles qu'il écrivit,
Célestin. Les évêques d'Afrique refu- vers 426, pour ses moines de Marseille,
sèrent, en deux circonstances , d'accep- essaya de concilier le libre arbitre avec
ter les instructions qui leur venaient la grâce. Il ne porta pas atteinte, comme
d'Italie. Le prêtre Apiarius, et plus les pélagiens, ; aux dogmesprétendit
tholiqueseulementil de l'Église
que ca-le
tard, l'évêque Antoine avaient été con-
damnés, pour leur scandaleuse conduite,
(l)queVoy. surdelesRome
rapports
et sur deles l'Église d'Afri-
par les évêques africains. Ils ne vou- avec celle désaccords que
nous venons d'indiquer : Fleury; Hist. ecclé-
(1) Indépendamment des écrivains catholi- siast., t. V, p. 494 , 515 , 5T7 , 679, 580 et 582 ; et
îiques, voyez sur ce dissentiment : Leydecker ; Rohrbacher; Hist. univers, de l'Eglise cathol.,
de Libertate Ecclesiœ africanœ , p. 523 et suiv. t. VII, p. 5'j8, 552 et suiv.; 568, 577 et suiv.
43
AFRIQUE CHRETIENNE.

libre arbitre était nécessaire pour l'ac- qui opère en vous de vouloir et de faire,
complissement du bien, nécessaire
et si quelques-uns ne sont pas encore
comme la grâce. Il alla plus loin encore :
il déclara que la grâce était donnée par appelés, prions Dieu qu'il les appelle ,
car peut-être ils sont prédestinés. Quant
Dieu à ceux qui l'avaient méritée, à ceux aux réprouvés, il ne faut jamais en par-.
qui d'abord avaient voulu le bien par 1er qu'en tierce personne, en disant, par
eux-mêmes en vertu de leurs propres dé- exemple : « Si quelques-uns obéissent
terminations. Ainsi, suivant Cassien, le
maintenant, et ne sont pas prédestinés,
libre arbitre était le principe de la grâce. ils ne sont que pour un temps, et ne de-
Ce nouveau système agita vivement meurerontpas dans robéissancejusques
les esprits. Les uns l'embrassèrent har- à la fin. Surtout il faut exhorter les moins
diment ce
( furent les semi-pélagiens); pénétrants à laisser les disputes aux
d'autres, assaillis par le doute et plus ti- savants (1). » Pour avoir trop accordé
mides, voulurent, avant tout, prendre à la grâce, saint Augustin , on ne sau-
conseil de celui qui, dans la grande que- raitle dissimuler, arrivait au fatalisme.
relle suscitée par Pelage, avait été l'in- Il semble que saint Augustin ait été
terprète de l'Église catholique. Ils s'a- absorbé tout entier, dans les dernières
dressèrent donc à saint Augustin. L'é- années de sa vie par sa lutte contre le
vêqued'Hippone
dans une nouvellene discussion. refusa point d'entrer
pélagianisme.
tant. Pendant Il les n'en est rienlespour-
discussions plus
Il poussa alors jusqu'à ses dernières vives, il trouvait encore du temps pour
conséquences la doctrine de la grâce. écrire sur mille sujets divers. Il répon-
Dansses deuxlivresr/e/a Prédestination dait souvent, par de longues lettres, à
des Saints (1) qu'il adressa
Hilaire, il admet sans réserve et dans le à Prosper et à tous ceux qui lui proposaient des dif-
ficultés résoudre
à ou lur demandaient
sens le plus illimité, en vertu de son prin- des conseils. Il composait son Enchiri-
cipe de la grâce qu'il s'efforçait d'éta- dion; un petit livre adressé à saint Pau-
blir, laprescience divine et la prédesti- lin de Noie, sur ta piété envers les morts
nation. Aux semi-pélagiens, qui lui ob- et son traité contre le mensonge . Il re-
jectaient que, dans un pareil système , produisait aussi par écrit sa conférence
on devait rejeter nécessairement comme avec févêque arien Maxime et rédigeait
inutiles la prédication, les exhortations, ses Rétractations. Sur la fin de sa vie,
toute pénalité , il répondait : « Il est vrai cédantaux prières de Quodvultdeus, qui
qu'il faut user de discrétion en prêchant fut plus tard évêque de Carthage, il
au peuple cette doctrine; et ne pas dire : promit d'écrire une histoire des hérésies.
La prédestination de Dieu est absolu- Il ne recula point devant les difficultés
ment certaine, en sorte que vous êtes que présentait un semblable travail.
venus à la foi , vous qui avez reçu la vo- « Il exécuta sa promesse, dit Fleury,
lonté d'obéir, et vous autres demeurez et envoya quelque temps après à Quod-
attachés au péché, parce que vous n'avez vultdeus un traité des hérésies où il en
pas encore reçu la grâce pour vous en compte quatre-vingt-huit commençant
relever. Mais si vous êtes prédestinés, auxsimoniensetfinissantaux pélagièns.
vous recevrez la même grâce, et vous Il ne prétend pas toutefois avoir connu
autres, si vous êtes réprouvés, vous ces-
toutes les hérésies, puisqu'il y en a de si
serez d'obéir. Quoique tout cela soit vrai obscures qu'elles échappent aux plus
dans le fond et à le bien prendre , la ma- curieux; ni avoir expliqué tous les dog-
nière de le dire avec dureté et sans
ménagement, le rend insupportable. mes des hérétiques qu'il a nommés,
Il faut plutôt dire: La prédestination cer- puisqu'il y en a que plusieurs d'entre
eux ignorent. A ce premier livre, il pré-
taine vous a amenés de l'infidélité à la tendait en joindre un second, où il don-
foi , et vous y fera persévérer. Si vous nerait des règles pour connaître ce qui
êtes encore attachés à vos péchés , rece-
vez les instructions salutaires, sans les fait hérésies
l'hérétique connues et se garantir de toutes
et inconnues; mais
toutefois vous en élever ; car c'est Dieu la mort qui le prévint ne lui permit pas
(I) Le second livre a un titre particulier :
du Don de la Persévérance. (I) Traduction de Fleury.
44 L'UNIVERS.

d'exécuter cette seconde partie (1). » étendue, comment et par quelles cau-
l'invasion des vandales; mort ses les Vandales se précipitèrent sur l'A-
de saint augustin; souffrances frique (1). Genséric, appelé par le comte
de l'aerique chrétienne — En 426, Boniface, quitta l'Espagneet, passant la
saint Augustin avait désigné, avec l'as- mer,née aborda , aucôtes
mois dedela mai de l'an-
sentiment dupeuple d'Hippone, le prêtre 429, sur les Mauritanie.
Héraclius pour son successeur. Il lui D'abord il conquit et ravagea tout le
avait confié, en partie, l'administration pays compris entre l'Océan et l'Ampsaga.
de son Église et s'était ménagé ainsi Puis, quand Boniface, réconcilié avec
quelques instants de silence et de re- Placidie, rejeta l'alliance des barbares
cueillement. Mais il ne jouit pas long- pour redevenir le défenseur de l'empire,
tempsvasiondu calme qu'il avaitAfrique cherché. L'in- le chef vandale poussa vers l'est et se
des Vandalesen nedevait jeta sur la Numidie.
pas tarder à troubler sa retraite et à rem- Ala nouvelle des désastres qui étaient
plir avons
d'amertumedit ses derniersavecjours. venus fondre sur l'Afrique , saint Au-
Nous ailleurs, quelque
gustin dut se repentir amèrement d'a-
(I) Nous croyons devoir signaler ici à nos voir quelquefois, au moment des dis-
lecteurs l'article Saint Augustin publié dans cordes religieuses, appelé sur les en-
un recueil nouveau que nous avons déjà nemis de sa doctrine la rigueur des
cilé et qui a pour titre : Dictionnaire des
lois et la persécution. Lesdonatistes,
Sciences
la classilication philosophiques. suivante On: « yParmi
trouvelesd'abord
nom- en effet, poussés au déses poi r par les éd its
breux ouvrages de saint Augustin plusieurs
d'Honorius, n'avaient pas hésité à se le-
appartiennent plutôt à la philosophie qu'à la ver en masse pour prêter aide et appui,
théologie ; d'autres appartiennent à l'une et à en haine des catholiques , à la horde
l'autre; d'autres, enfin, sont purement théologi-
ques ;nous indiquerons ceux des deux premiè- barbare qui venait les attaquer l'empire.
res classes. Les écrits de saint Augustin à peu Les manichéens, pélagiens, les
rtrès exclusivement philosophiques sont : I* les ariens , qui eux aussi étaient proscrits
rois livres centre les Académiciens ; 2° le livre
de la fie heureuse , 3° les deux livres de l'Or- par les lois, avaient suivi l'exemple des
dre ; 4°' le livre de l'Immortalité de Came; donatistes.
5° de la Qualité de l'Ame; 6° ses quatorze pre-
mières Lettres. — Ses écrits mêlés de philoso- sans doute Alesceshommes, sectaires derniers
s'étaient joints
restes
phie et de théologie sont : 1° les Soliloques ; 2° le delarace punique, qui, en dépitdu temps,
livre du Ma itr<>;:i° les trois livresdw Libre arbi- du christianisme et de la législation
tre; 4° des Mœurs de l'Église ; 5° de la fraie
Religion ; 6° Réponses a quatre-vingt-trois ques- impériale,
au sein même n'avaient pascesséd'observer,
de Carthage, les pratiques
tions; 7UConférence contre Forlunat; 8° Trente-
trois Disputes contre Fauste et lesmanichéens;
9° traité de la Créance des choses que l'on ne
de la religion apportée jadis sur les cô-
conçoit pas; 10° les deux livres Contre le Men- tés de l'Afrique par les colons phéni-
songe; 11° Discours sur la Patience; 12° de la ciens. Voilà les puissants auxiliaires que
Cité de Dieu; 13° les Confessions; 14° Traité de
la. Nature contre les manichéens; 15° de la la persécution avait donnés à l'invasion
Trinité. » L'auteur de l'article résume ensuite barbare; et ils ne furent pas les seuls
les doctrines philosophiques contenues dans que rencontra l'armée vandale. Elle se
ces divers ouvrages. 11 divise son résumé en recruta encore au sein des populations
deux parties: d-'une part, les idées sur Dieu;
de l'autre, les idées sur l'homme. En un mot, il
expose, pour employer ses expressions, la
voisines du désert qui
moitié chrétiennes, n'étaient
parmi qu'à
les tribus
Thèodicèe et la Psychologie de saint Augustin.
Nous renvoyons sur ces points, étrangers à la
maures, et même dans les campagnes
question qui nous occupe , au recueil que nous et les villes romaines. Les uns, guidés
signalons. Toutefois, nous devons dire ici que
par l'appât du gain, accouraient dans le
l'auteur de l'article aurait pu trouver encore,
en ce qui concerne les doctrines philosophiques
camp de Genséric pour piller et ravager;
de saint Augustin , des renseignements précieux les autres, propriétairesruinés, voulaient
dans plusieurs ouvrages que nous avons cités, se dérober à la déplorable condition où
et qu'à tort, suivant nous, il exclut de sa liste.
Nous ajouterons , en finissant , que nous adop- lesdeavait
et rigueur,précipités, à force
la fiscalité d'exigences
romaine^
tons sans réserve son opinion sur la Cilé de
Dieu , vantée au delà de ce qu'elle contient ,
comme il le dit, par des écrivains qui n'en con- ([) Voyez dans ce volume notre Histoire de la
naissent que le titre ou qui n'en ont lu que de domination des fondâtes en Afrique , p. 8 et
courts fragments. Voy. Dictionnaire des Scien- suiv. C'est le complément indispensable, a par-
ces philosophiques , par une société de profes- tir de l'année 429, de notre Histoire de l'Afrique
chrétienne.
seurs de, philosophie; art. Saint Augustin.
45
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
Rien désormais ne pouvait résister, difficiles l'administration et la surveil-
en Afrique aux soldats de Genséric. Bo- lance ecclésiastiques. On la divisa donc,
niface- essaya en vain de les arrêter. Il comme nous l'avons dit, en deux parties,
fut battu et rejeté dans Hippone. Là se et ce fut vers la fin du quatrième siè-
trouvait saint Augustin, qui entendit cle distinctes,
que l'on vitlaparaître comme provin-
bientôt retentir à ses oreilles les cris de ces Mauritanie césarienne
l'armée barbare. Les maux que souf- et la Mauritanie sitifienne. Peut-être
fraient alors l'empire et l'Église lui cau- y eut-il, vers cette époque, un autre
sèrent une immense douleur, qui sans démembrement, à la suite duquel on
doute hâta sa mort. Au moment où il forma une septième province de la
ferma les yeux, il ne restait plus, dit Mauritanie tingitane. Un métropoli-
un contemporain, des innombrables tain était préposé à chacune des cir-
églises qui couvraient autrefois le pays conscriptions territoriales que nous
que avons indiquées; le premier de ces mé-
Cirta.celles de Carthage, d'Hippone et de
tropolitains était l'évéque de Carthage.
ORGANISATION DE L'ÉGLISE d'a- Avant l'arrivée des Vandaleson voyait
FRIQUE DEPUIS LA FIN DU DEUXIÈME dans les villes et les campagnes de
SIÈCLE JUSQU'AU COMMENCEMENT DU l'Afrique des églises et des .couvents
cinquième. — L'Afrique chrétienne sans nombre. Carthage seule possédait
près de vingt édifices de ce genre (1).
et civilisée,
écrivain suivant l'expression
ecclésiastique d'un
, sembla mourir LISTE DES ÉVÈCHÉS DE L'AFRI-
avec saint Augustin. En effet, depuis QUE, AUX IVe ET Ve SIÈCLES. — Mais
les rapides conquêtes de Genséric, elle rien ne saurait nous représent r avec
ne fit que languir et décliner. Mais avant plus de vérité et d'une manière plus
d'entrer dans cette périodededécadence, frappante l'état florissant de l'Église
portons encore une fois nos regards d'Afrique, dans le quatrième siècle et
au commencement du cinquième, que
vers le passé, pour étudier l'organisation la simple nomenclature des évêchés
de l'Église d'Afrique au temps de sa qui étaient constitués , à cette époque,
force et de sa grandeur.
Carthage, nous l'avons dit , fut pour dans les diverses provinces que nous
avons énumérées. Nous donnerons ici
l'Afrique le point de départ des pré-
dications chrétiennes. De Carthage le cette nomenclature d'après le savant
christianisme se répandit de proche en ouvrage de Morcelli (2). La liste sèche
proche jusqu'aux extrémités de la Pro- (l) Voici , d'après Morcelli , l'énumération des
consulaire. Puis, il entreprit la con- basiliques de Carthage : Basilica Perpetua-
quête de la Numidie. Dans les premiers Restituta ( c'était la cathédrale'); Fausti basi-
lica Sancli
; Agilei basilica ; basilica Major a ut
Majorum; basilica martyrum Scillitanorum ;
temps de l'épiscopat de saint Cyprien, basilica Celcrinœ martyris ; basilica Novarum;
l'Église d'Afrique ne possédait que les basilica Gratiani ; basilica Theodosiana; ba-
deux provinces que nous venons d'in- silica Honoriana; basilica Theoprepria; ba-
diquer. Elle en eut bientôt une troi- silica Tricellarum ; basilica Pc tri ; basilica
sième, qui fut la Mauritanie. Les idées Pauli; basilica martyris J uliani. En outre, deux
églises avaient été bâties, dans les faubourgs,
chrétiennes ne s'étaient pas seulement en l'honneur de saint Cyprien; l'une sur le lieu
répandues à l'occident de la Proconsu- de son supplice; l'autre dans la rue des Mappa-
laire, mais encore à l'orient. Elles les. à l'endroit où il avait été enseveli. Apres la
chute de la domination vandale, Justinien lit éle-
avaient pénétré dans la Byzacène et la
ver àCarthage deux nouvelles églises , l'une à la
Tripolitaine, qui formèrent, dès le com- Vierge, l'autre àsainte Prime. Il ajouta aussi un
mencement du quatrième siècle, deux couvent à ceux qui se trouvaient déjà dans la ville
nouvelles provinces ecclésiastiques. il le lit bâtir près du Mandracium. Voy. Mor-
Aux cinq que nous avons nommées, il celli Jfric.
( christ. ); t. I. p. 49. — M. Dureau
de la Malle, dans ses Recherches sur la topo-
faut joindre une sixième qui fut formée graphie de Carthage ( p. 214 et suiv. ), ajoute
un nom à ceux qui nous ont été fournis par
plus tard d'un démembrement (te la Morcelli. Il appelle basilique de Terlullien celle
Mauritanie. Réduire en une seule pro- où se réunissaient les tertullianistes au temps
de saint Augustin.
vince la vaste contrée qui s'étend de
( 2) Afrlc. christ.; t. I , p. 34 sqq. Morcelli a
l'Océan à l'Ampsaga , à une époque où retranché de sa liste soixante évècliés environ ,
le christianisme l'avait couverte d'é- parce qu'il ne pouvait, comme il le dit (ibid.,
vêchés et d'églises, c'eût été rendre bien p. 43 ), en assigner la véritable position.
46 L'UNIVERS.
Cibalianensis.
et aride qui va suivre ne sera point Cicsitana.
sans intérêt, nous le croyons, pour Cilibiensis.
tous ceux qui applaudissent aux efforts Cincaritana.
Ciumtuturbi.
que nous faisons depuis treize ans pour
reporter sur la côte septentrionale de Cubdensis.
Clypiensis.
Culcitanensis , quae et Culsitana et Culusitana.
l'Afrique le christianisme et la civili- Curbitana, quae et Curubitana.
sation, et qui se plaisent à chercher, si Drusilianensis.
nous pouvons nous exprimer ainsi, Duassenemsalitana.
des espérances et comme un gage Egugensis.
Furnitana.
pour l'avenir, dans tous les faits qui Giggensis, quae et Ziggensis.
attestent
belle contrée. l'ancienne splendeur de cette Girbensis, quae et Gerbensis et Gervitana,
Gisipensis, quae et Gisipensium majoruin.
Giutrambacariensis.
Nous avons fait subir à la liste de Morcelli Gorensis.
quelques changements. Tous les noms mar- Gunelensis quae et Gunelmensis.
Hillensis.
qués d'un astérisque ont été motlUiés, déplacés
ou ajoutés. Ces corrections ne nous appartien- Hipponis Diarrbyti, quae et Hipponensium
nent point. Elles avaient été faites, par un sa- Zaritorum et Hipzaritensis.
vant membre de l'Académie des Inscriptions , Honoriopolitana.
sur Horreensis.
nous l'exemplaire
avons eu entre de les
VJfrica
mains. cliristiana que Labdensis , quae et Lapdensis.
Lacubazensis.
ECCLESLE PROVINCIJS PROCONSULARIS.
Larensis sive Larium.
Libertinensis.
Abaritana. * Lupcrcianensis.
Abbenzensis. Maltianensis.
Abbir majoris. Maxulitana.
Abbir Germaniciatue , quae et Abbiritina. Meglapolitana.
Abitinensis. Melzitana, quœ et Melsilana.
Aborensis. Memblositana.
Absasallensis. Membresitana , quae et Membressitana et Mem-
brosilana.
Abtugnensis , quae et Autumnitana et Aptun-
giensis. Migirpensis.
Missuensis.
Abziritensis , quae et Abderitana.
Advocatensis. Mizigitana.
Agensis. Mullitana.
Musertitana.
Altiburiensis, quae et* Altîbariensis. * Mustitana.
Amaderensis , quae et Ammederensis.
Aptucensis. Muzuensis.
Araditana. Naraggaritana, quae et Nagargaritana.
Arensis. Neapolitana.
Assuritana. Nigrensium majoruin
Ausafensis. Numnulitana.
Ausanensis. Ofitana.
Auzuagen sis, quae et Ausuagensis gemina. *Pappianensis
Pariensis. , quae et Pupianensis.
* Basarididacensis.
Belalitensis. Pertusensis.
Bencennensis. Pisitt-nsis.
Beneventensis. * Pocofeltensis.
* Betagbarensis. Pupitana, quae et Puppdana.
Biltensis. Rucumensis , quae et Rucummae et Racumae.
Binensis. Rusucensis.
Bollitana. Sajensis.
Bonustensis. Scilitana.
Bosetensis. Sebargensis.
Bullamensis. Sedelensis.
Bullensis/Vullensis. Seminensis.
Bulleriensis. Senempsalensis.
* Serrensis.
Bu!nensis
Buritana. Siccenensis.
Buslacena. Siccensis.
Buzencis, Sicilibbensis, quae et Sicilippœ et Siciliae.
Csecirilana. Simidicensis.
Calibiensis. Siminensis, quae et Simminiensis.
Canapitanorum. Simingitana.
Carpitana. Simittensis, quae et Semitensis.
Cartbaginiensis. Sinnarensis ,qua? et Sinuarilensis.
Cefalensis. Succubensis.
Celerinensis. Suensis.
Cellensis. Taborensis.
Cerbalitana. Tabucensis.
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
47
Taciae IVfontanensis , quae et Tatlae Mont, et Ta- Casarum Nigrensium.
canensis. Casarum silvanae.
Tadduensis. Casasmedianensis.
Tagaratensis. Casensis Bastalensis.
Tagorensis. Casensis * Calanensis.
Taiborensis. Castellana.
Tauracinae. Castelli Sinitensis.
Telensis. Castelli Titulitani.
Yheudalensis, quae et Theodaleosis et Euda- Caslrornm Galbae.
lensis. Cataquensis.
Thinisae, quae et Tinnisensis. Cemeiiniana.
Thuccaboris, quae et Tuccaborensis. Centenariensis.
T;bursicensis Burae. Cenluriensis.
7'igimmensis. Centurionensis, quae et Centurianensis.
Timedensis , quae et Timidae Regiae. Ceramussensis.
Circensis.
'1 tsililensis , quae et Tisilensis.
1 "itulitana. Cirtensis, quae et Constantiniensis.
Cuiculitana.
'tVmnonensis,
Trisipellis. quae et Tennonensis. Cullitana.
Irisipensis. Dianensis.
Tuburbilanorum majorum. Edistianensis
Tuburbitanorum rainorum. Enerensis.
Tuburnicensis. Fatensis.
Tuccae, quae et Togise. Fesse itana.
Tulanensis. Fissanensis.
Tunejensis, quae et Tuniensis. Formensis ad Idicram.
Turuzitensis. Formensis Missoris.
Tyzicensis. Fossalensis , quae et Fussalensis.
Vallitana. Garbensis.
Vaziensis, quae et Vazuensis Gaudiabensis.
Verensis. Gaurianensis.
Vicoturrensis. Gazaufalae.
Villa magnensis. Gemellensis.
Visicensis. Gerraaniensis.
Ucitana. Gibbensis.
Uculensîs. Gilbensis.
Urcitana, quae et Uracitana et Uricitana. Girensis.
Uticensis. Girumarcelli.
Utimmirensis. Girutarasi.
Ulinensis, quae et* Utlnicensis. Hipponeregiensis, quae et Hipponenslum Re-
Utzipparitana, quae et Lzipparilana.
Uzalensis, quat et Uzialensis. Hizirzadensis,quae
giorum. et Izirianensls.
Zarnensis.
Hospilensis.
Zemtensis, quae et Zentensis. Jaclerensis , quae et Zaltarensis..
Zurensis. Idassensis.
ECCLESLE PROVINCUE MUMIDl^.
ïdicrensis.
Jucundianensis.
Ajurensis, quae el Azurensis. Lamasuensis , quae et Lamasbae.
Amporensis. Lambesensis.
Anguiensis. Larnbiritana.
Appissanensis. Lauifuensis , quae et Larapuensis et Jamfuensis.
Aquae Nobensis. Lamiggigen.sis gemina.
Aquarura Tibilitanarum. Lamsortensis.
Aquensis. Lamzellensis.
Arsicaritana. Larilanus.
Assabensis. Legensis.
Augurensis. Legiensis.
Ausucurrensis. Legisvoluminiensis.
Babrensis. Liberaliensis.
Badiensis. Limatensis.
Bagajensis. Lugurensis.
Bajanensis quae et Vajanensis. Macomadiensis, quae et Macomaziensis.
Bajesitana. Madaurensis.
Bamaccorensis , quae et Vamaccorensis Madensis.
Bazarilana, quae et Vazarilana. Magarmelitana.
Belesasensis. Manazenensium Regiorum.
Bercerifana , quae et Becerritana. Masculitana.
Bofetana. Matharensis.
Bucconiensis Maximianensis, quae et Maximinensis.
Buffadensis. , quae et * Bocconiensis Mazacensis.
Bullensium Regiorum. Megarmitana.
Burcensis, quae et Burgensis. Mesarfeltensis.
Gelianensis. Metensis.
Gesariensis. Midilensis.
Calamensis. Milei, quae et Milevitana.
4B L'UNIVERS.
Monterais, qua? cl Montena. ECCLKSMB PROVINCE BYZACENtë.
Moxoritana. Abaradircnsis.
Muliensis. Abiddensis.
Municipensis. Abissensis.
Mustitana. Acolitana.
Mutugensis. Adrumelina.
Naralcatensis , qua? et Naraccatensis. Afufeniensis.
Nibensis.
Nicibensis. Aggaritana.
Nobabarbarensis , qua? et Novabarbarensis. Aggeritana.
Amudarsensis.
Nobagermaniensis. Ancusensis.
Nobasparsensis , quai et Nobaspartensis. Aqua? Albensis.
Albensis.
Nobasinensis , qua? et Novasinensis.
Novapelrensis. Aquensis.
Octabensis. Aquensium Regiorum.
Pudentianensis.
Putiensis. Aquiabensis.
Arensis.
* Regiariensis. Arsuritana.
Respectensis. Autentensis, qua? et Auteniensis.
Ressianensis. Auzagerensis, qua? et Auzegerensis
Rotariensis. Bancnsis.
Rusiccadiensis. Bennefensis.
Rusticianensis. Bladiensis.
Selemselitana, qua? et Silemsilensis.
Seleucianensis. Rufelialensis', qua? et Bubelialensis.
Siguitensis, qua? et Stiggitana. Byzaciensis.
Câbarsussitana.
Silensis. Capsensis, qua? et Capsitana.
Sillitanus. Carcabianensis.
Sistronianensis. Carianensis sive Casularum Carianensium.
Suavensis. Cellensis.
Summensis, qua? et Zuramensis Cenculianensis.
Susicaziensis. Cenensis.
Tabracensis. Cilitana,qua? et Cillitana.
Tabudensis. Circitana.
Tacaratensis.
Crepedulensis.
Tagastensis. Cufrutensis.
Tagorensis. Cululitana.
Tamogadensis, qua? et Tamogaziensis. Detorianensis, qua? et Decorianensis.
Tarasensis, qua? etTharasensis. Dicensis.
Tebestina, qua? et Tevestina et Thebestis. Dionysianensis.
Teglatensis, quœ et Tegulatensii». Durensis.
* Thiabensis. Eliensis.
Tbibilitana. Febianensis.
Til)ursicensis, qua? et Tubusicensis. Feradimajensis, qua? et Feradilana major.
Tididitana, qua.' et Tiseditana. Feraditana minor.
Tigillabensis. Filacensis.
Tigisitana. Forontonianensis, qua? et Ferontonianensis.
Tignicensis.
Tipasensis. Forlianensis,
nensis. qua? et Forianensis et Foratia-
Tubuniensis.
Frontonianensis , qua? et Frotonianensis.
Tuccse, qua? et Tugga? et Tuncensis. Gaguaritana
Tunudensis. Garrianensis. , qua? et Gauvarilana.
Turrensis.
Turrisrotunda?. Gattianensis , qua? et Galianensis.
Germanicianensis.
Turrium Ammeniarum. Gummitana.
Turrium Concordiie.
Tuzudrumes. Curgaitensis,
Hermianensis. qua? et a Gurgiubus.
Vadensis.
Hierpinianensis, qua? et Hirpinianensis.
Vageatensis. Hirenensis, qua? et Hirinensis et Irensis.
Vagensis. Horrea? Aninicensis.
* Vagraulensis. Horrea? Cœliensis.
Vegeselitana, qua? et Veselitana. Jubaltianensis.
Velesitana.
Juncensis.
"Vensanensis. Leptinoinensis , qua? et Leplitana.
Vicopacatensis , quœ et Vicopacensis. Limmicensis.
"Villamagnensis. Macomadiensis Rusticiana.
Villaregiensis. Macrianenhis major.
Villavictorianensis. Mactaritana.
Ullilana. Mandasumitana, qua? et Madassumilana.
Urugitana. Maraguiensis.
Utmensis. Marazanensis.
Zabensis. Masclianensis.
Zamensis. Mataritana.
Zaradtensis, qua? et Zaraitensis, Marterianensis.
Zertensis. Maximiensis, qua? et Massimanensia.
49
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
Medefessitana, qu& el Menefessitana. Zellensis.
Meaianensis.
Mibiarcensis. ECCLESLE PROVINCIiE MAURETANI/E C/ESA»
ÏUENSIS ET TINGITANjE.
Midicensis.
Miditana, quae et Mididitana. Adqucsirensis.
Mimianensis. Adsinuadensis.
Mozotcoritana.
Munatianensis. Agrensis.
Alamiliarensis.
Muzucensis, quae et Muzulensis. Albulensis.
Narensis. Altabensis.
Nalionensis. Amaurensis.
Neptitana , quae et Neptensis. Ambiensis.
Octabensis.
Ocîabiensis. Aquensis.
Aquisirensis-
Arenensis.
Oppennensis, quae et Opemiensis.
Peaerodiadensis. Arsinuaritana.
Peradamiensis. Bacanariensis.
Praecausensis. Balianensis.
Praesidiensis.
Putiensis. Baparensis.
Benepotensis.
Quaestorianensis. Bidensis.
Rulinianensis.
Bitensis.
Ruspensis , quae et Rusfensis et Ruft'nsis. Boncariensis
Ruspitensis. Bulturiensis. , quae et "Voncariensis.
Sasuritana. Buronilana.
Scebatianensis. Buruc
Seberianensis. Caesariensis.
Segermitana. Caltadriensis.
Septimunicensis. Caprensis.
Sublectina.
Sufetana , quae et Sufium. Caputcillensis.
Cartennitana.
Sufetulensis , quae et Suliculensis. Castellana.
Sulianensis. Castelli labaritani.
Tabaltensis, quae et Tasbaltensis. Castelli Mediani.
Tagamutensis , quae et Tliagamutensis. Castelli Minoritani.
Tagarbalensis , quae et Targabolensis. Castelli Ripensis.
Tagariatana. Castelli Tatroportensis.
Tagasensis. Castrorura Nobensium.
Talaptensis , quae et Talaplulensis. Castrorum Seberianensium.
Tamallensis. Catabitana.
Tamallumensis. Catrensis.
Tamateni. Catulensis.
Tambajensis , quae et Tambeitana. Cessitana, quae et Cissitana.
Taprurensis. * Columpnatensis.
Tapsitana. Corniculanensis.
Taraquensis, quae et Tarazensis. Elfantariensis , quae el Elephantariensis.
Teleptensis. Fallabensis.
Temonianensis, quae et Temoniarensis. Fenucletensis.
Tetcilana. Fidolomensis.
Thenitana, quae et Thenisiorum. Florianensis.
Theuzitana. Flumenzeritana.
Tbibaris , quce et Tibaritana . Frontensis.
Ticensis. Girumontensis.
Ticualtensis. Gratianopolitana, quae et Cralinopolitana.
Tigualensis. Gunugitana.
Tiziensis.
Trotinianensis. Gypsariensis.
Icositana.
Tubulbacensis. Idensis.
Turditana, quae et Tusdritana. Itensis
Turreblandina. Jommitensis.
Turrensis. Juncensis.
Turretamallumensis, quaeetTurriumTamulus. Lapidiensis.
Tuzuritana, quae et Tuziritana. Majucensis.
Vadenlinianensis, quae et Valentinianensis. Malianensis, quae et Milianensls.
Vagensis. Mammillensis.
Vararitana. Manaccenseritana.
Vassinassensis. Masuccabensis.
Vegeselitana, quae et Vegeiselitana. Maturbensis.
Vicensis. Maurensis.
Vicoateriensis. Maurianensis.
Victorianensis. Maxitensis.
"Vitensis. Medlensis.
Uniricopolitana, quae et Unorecopolitana. Minensis, quae etMinnensis et Minuensis.
Unizibiretrsis , quae et Uniziverensis. Murconensis vel Nurconensis.
Usuleusis , quae et Usilabensis. Murustagensis.
AFR. CHRÉT. 4
50 L'UNIVERS.
Mulecitana. Ficensis.
Nabaiensis.
Flumenpiscensis.
Nasbincensis , quae et Narbincensis. Gecitana.
Nobae, quae et Novensis gemina. Horrensis.
Nobicensis. Ieralitana.
Nuroidiensis. Igilgitana, quae et Igillitana.
Obbensis. Lemelefensis.
Oboritaaa gemina. Lemfoctensis
Lesvitana. , quae et Lamfoctensis.
Oppidonebensis.
Oppinensis. Macrensis.
Pamariensis. Macrianensis.
Panatoriensis. Maronanensis , quae et Maronensis.
Priscianensis, quse et Prisianensis. Maxitensis.
Quidiensis. Medianorum Zabuniorum.
Regiensis. Molicunzensis , quae et Molicuntensis.
Reperitana. Moptensis , quae et Moctensis et Mozotensis.
Rubicariensis. Nobalicianeosis.
Rusaditanus. Olivensis.
Partheniensis.
Rusgoniensis, quae'et Rusguniensis.
Rusubiccariensis. Perdicensis.
Rusubiritana. Privatensis.
Rusuccurrensis , quae et Rusuccuritana. ; Salditana.
Satafensis. Satafensis.
Sereddelitana. Serteitana.
Sertensis. Sitifensis.
Sestensis. Sociensis.
Sfasferiensis. Suristensis.
Siccesitana. Tamagristensis.
Sinnipsensis. Tamalluraensis.
Sitensis. Tamascaniensis.
Subbaritana, quae et Subaritana. Thuccensis.
Sucardensis. Tubiensis.
Sufasaritana, quae et Sufaritaoa. Tugusubditana, quae et Tubusubditana.
Sululitana. Vamallensis.
Summulensis. Vesceritana.
Tabadcarensis , quae et Tabarcarensis.. Zabensis. — Zallatensis.
Tablensis. ECCLESI^E PROVINCIiETRIPOLITANyE-
Taborenlensis.
Tabuniensis. Girbensis , quae et Girbitana et Gerbitana.
Gittensis.
Tadamatensis , quae et Tadamensis. Leptimaguensis.
Tamadensis , quae et Tanudajensis. Keapolitana.
Tamazucensis , quae et Tamazensis. Oensis.
Tasaccurrensis. Sabratensis.
Ternamunensis, quae et Ternamusensis. Tacapitaua.
Tiiiltensis.
Tigabitana. Telle était l'étendue et la force de
Tigamibenensis.
Tigisitana. l'Église d'Afrique lorsque les Vandales
Timicitana. parurent, en 429, sur les côtes de la
Tiinidanensis , quae et Timidianensis. Mauritanie.
Tingartensis.
Tipasitana. l'ARIANISME EN AFRIQUE ; RÈGNE
Tubunensis. de GENSÉRic. — La marche de Gen-
*Tuscamiensis.
Vagalitana. séric en Afrique , comme nous l'avons
Vannidensis.
Vardimissensis. dit, fut marquée pardud'effroyables
vastations. La soif butin ou de dé-la
Ubabensis. vengeance, les passions religieuses qui
Villanobensis-
Vissalsensis. animaient les Vandales et leurs alliés,
Voncarianensis. couvrirent de sang et de ruines, en
Usinadensis.
Zucabiaritana , quœfetZugabbaritana. moins d'un an, les trois Mauritanies et
ECCLESI^E PROVlNGI£! MAURETANLE SITIFENSIS.
une grande partie de la Numidie. Les
églises tombèrent; les évêques et les
Acutidensis.
Aquae.Albensis.
prêtres furent massacrés ou obligés de
Assafensis. chercher un asile sur les terres encore
Assuoremixtensis. soumises à la domination romaine (1).
Castellana.
Cedamusensis. La furie de l'invasion qui atteignit
Cellensis.
Coviensis. (I) Nous n'avons pas besoin de dire, que
Emioentianensis. pour le récit qui va suivre, nous n'avons
jamais cessé d'avoir sous les yeux ce que Rui-
Equizotensis , quœ et Equizetana. nart a écrit sur la persécution vandale.
AFRIQUE CHRETIENNE. 51
surtout la population catholique ne fut force aux haines religieuses qui ani-
point de courte durée. Elle ne perdit maient les Vandales et attira sur les
rien de sa force pendant dix ans. En Mauritanies et la Numidie les affreux
439, le premier soin de Genséric, maî- ravages dont nous avous déjà parlé.
tre de Carthage, fut de persécuter les Ce ne fut pas seulement au moment
catholiques et de dépouiller les églises des expéditions, dans les instants de péril
de la ville de leurs vases sacrés et de etdeguerre,maisencorependantlapaix,
leurs riches ornements. Toutefois, ce que l'esprit de secte poussa à la persécu-
fut au moment même où Carthage tion et à la cruauté les conquérants bar-
tomba au pouvoir des Vandales que bares. Ainsi, dans les années qui séparent
cessèrent , au moins en partie , les vio- la prise d'Hippone de celle de Carthage ,
lences et les immenses désordres qui en 437 , à une époque où il v avait trêve
avaient désolé, depuis 429, l'Afrique entre l'empire et les Vandales, Genséric
chrétienne et civilisée. Dès lors, en effet, traita les catholiques, dans les provinces
Genséric contint ses soldats pour ne soumises à sa domination, avec une
point épuiser le pays où, après avoir excessive rigueur. Il ne se borna pas à
anéanti toute résistance , il avait résolu chasser de leurs églises les évêques et
de se fixer. les prêtres ; il sévit même contre les
L'intérêt donc et le changement qui laïques, et il en fit mourir plusieurs qui
se fit, de 439 à 442, dans l'état social n'avaient pas voulu embrasser l'aria-
des Vandales empêchèrent le pillage, nisme. Plus tard ( il était déjà maître de
le meurtre et la dévastation ; mais ils ne
mirent point un terme à la persécution Carthage),
que Quodvultdeus on saisit etparun son ordrenombre
grand l'évê-
contre les catholiques. Deux choses
principalement devaient , en quelque de clercs
leurs vêtements; on les, dépouilla
puis on lesd'abord de
plaça sur
sorte, perpétuer en Afrique cette per- des vaisseaux à moitié brisés qui furent
sécution. C'était , d'une part, l'esprit lancés à la mer et abandonnés à la fu-
de secte qui animait les conquérants reur des vents (1).
barbares; de l'autre, l'état de guerre Une chose encore, dès les premiers
dans lequel la nation vandale, sous temps de la conquête , aggrava les souf-
Genséric, fut obligée de se maintenir frances des catholiques , ce fut la crainte
pour résister aux attaques de l'empire. qu'ils inspirèrent à Genséric. Le roi
Les Vandales, suivant certains his- barbare n'ignorait pas qu'ils désiraient
toriens, avaient adopté l'arianisme ardemment le rétablissement de l'au-
pendant leur séjour en Espagne; sui- torité impériale; que leurs regards
vant d'autres (et nous partageons l'o- étaient sans cesse tournés vers l'Italit
pinion de ces derniers) , ils avaient été
ou vers Byzance; qu'ils le haïssaiene
gagnés à l'hérésie, avant la grande in- comme prêts arien et comme barbare, et qu'ils
vasion de 406 , à l'époque où ils cam- étaient à soutenir toute armée qui
paient sur les frontières de l'empire viendrait sur les côtes de l'Afrique
d'Orient, dans les provinces qui avoi- pour les rattacher à l'un des deux em-
sinent le Danube. Dès l'instant où ils pires. Illes persécuta donc aussi pour
parurent en Afrique, ils ne se déclarè- des raisons politiques, parce qu'ils se
rent point seulement ennemis de l'em- déliaient d'eux; et sa sévérité à leur
pire ,mais encore ennemis des catholi- égard, il faut le croire, augmenta toutes
ques et, par là, ils doublèrent leurs les fois qu'une expédition fut dirigée
forces et assurèrent le succès de leur
par lesconquises.
avait Romains vers les provinces qu'il
audacieuse entreprise. Us virent ac-
courir dans leurs rangs, nous l'avons
dit aussi, tous ceux qui avaient souffert (i ) L'évêque de Carthage Quodvultdeus et ses
pour leurs croyances sous le règne compagnons échappèrent à la mort. Ils furent
poussés par le vent sur la côte de Naples. Gen-
d'Honorius ; les donatistes surtout, qui, sericus, Quodvultdeum et maximum turbam
pour se venger de leurs persécuteurs , clericorum, navibus fractis impositos , nudos
atque expoliatos expelli prœcepit : quos Deusf
n'hésitèrent fpoint sans doute à passer miseratione bonitaiissuœ, prospéra navigatione
en grand nombre du schisme à l'héré- Neapolim Campaniœ perducere dignatus est
sie. Cette alliance donna une nouvelle civilatem. Victor de Vita : 1 , 5.
h% L'UNIVERS*
Toutefois, il semble que, vers la fin mort. Cet édit reproduisait, dans leurs
de sa vie, Genséric se soit relâché de sa principales dispositions, toutes les lois
rigueur. C'est qu'alors nul ennemi ne promulguées jadis par Honorius contre
lui. faisait ombrage. Il avait conduit à le schisme ou l'hérésie.
sa chute l'empire d'Occident, ruiné la L'édit de Hunéric ne contenait point
marine des Byzantins, et il dominait, par de vaines menaces ; il fut bientôt exé-
ses flottes, sur toute la Méditerranée. cuté avec rigueur dans toutes les par-
Rien ne lui résistait en Afrique. En 476, ties de l'empire vandale , et alors com-
sur la prière de l'empereur Zenon, il mença une persécution qui fut marquée
permit aux catholiques de rouvrir leurs par des supplices et de sanglantes exé-
églises et il On (rappela les évêques cutions. Ce fut d'abord sur les évêques
avait exilés. pourrait induire dequ'il
ce qui s'étaient rendus à la conférence de
fait, qu'en général, il les persécuta , non ne se borna Carthage que tomba la colère du roi. Il
comme dissidents religieux, en haine point à les dépouiller de
de leurs croyances , mais comme enne- leurs églises; il les fit tous arrêter : puis,
mis de sa domination (1). il condamna les uns à cultiver la terre ,
ÉDIT DE 484 CONTRE LES CATHOLI- comme esclaves, les autres à couper
QUES ;état de l'église d'Afrique
SOUS LES ROIS HUNÉRIC, GUNTHAMUND
et à préparer , dans l'île de Corse , les
bois qui devaient servir 5 la construc-
et thrasamund. - Hunéric,filset suc- tion de ses vaisseaux (1).
cesseur deGenséric , ne persécuta point Sous le règne de Gunthamund , les
les catholiques dans les premières années catholiques jouirent de quelques ins,
de son règne. 11 ne fut cruel alors que tants de repos. Alors les évêques exilé-
pour les membres de sa propre famille revinrent de toutes parts et, parmi euxs
et pour les hommes les plus illustres de Eugène, qui, en 487, reprit possession du
la nation vandale. Ce fut seulement en siège épiscopal de Carthage (2). Mais ce
483
tourna , qu'entraîné
ses fureurs par l'esprit
contre de secte, il repos
les catholiques.
ne devait pas être de longue durée.
Thrasamund, qui devint roi en 496,
Il voulut les contraindre à embrasser persécuta de nouveau les catholiques.
l'arianisme. Ceux qui résistèrent furent C'était un homme lettré, d'un esprit sub-
dépouillés de leurs biens et exilés. Les til ,qui aimait la controverse et se plai-
prêtres surtout eurent à souffrir du zèle sait aux discussions théologiques. Il
intolérant de Hunéric; ils furent dépor- traita les ennemis de sa croyance à la
tés par milliers, sans défense et sans manière de Julien. Il les attaqua parles
ressources , dans les déserts de l'Afri- railleries, le mépris et l'outrage. Cepen-
q.ue. dant, il ne put toujours soutenir son
Pour se donner sans doute un pré- rôle; plus d'une fois, renonçant à feindre
texte de sévir, le roi convoqua un grand la modération et la tolérance, il laissa
concile à Carthage. Ariens et catholi- librement éclater sa haine contre ceux
ques se réunirent dans cette ville en 484 ; qui ne partageaient point ses opinions
mais à la suite de désordres provoqués
religieuses. Ce fut ainsi qu'il força Eu-
f>eut-être par Hunéric lui-même et par gène àquitter encore son siège épisco-
es évêques qui l'environnaient, les con- pal et à s'exiler de Carthage , et que ,
férences furent interrompues. La sen- dans l'année 507, il fit déporter en
tence de condamnation avait été prépa- Sardaigne les évêques de la Byzacène.
rée à l'avance. Le roi, accusant les L'Église d'Afrique ne souffrait pas
catholiques d'avoir mis obstacle à kla seulement alors de l'intolérance des rois
discussion, publia un édit qui les pri- vandales , elle était encore attaquée et
vait de leurs églises et prononçait, con- affaiblie parles tribus du désert. Celles-
tre eux les
à savoir : leschâtiments plus'sévères,, ci , profitant
amendes, leslesconfiscations
de la faiblesse des succes-
seurs de Censéric , avaient recommencé
les peines corporelles, l'exil, et même la (1) Nous avons déjà donné, dans ce volume,
l'édit de 484, et raconté, avec quelque éten-
(I) Voy. sur l'état de l'Église d'Afrique, au Histoiredue, la persécution qui le suivit.
de la domination Voy. notre
des Vandales en
temps de Genséric , notre Histoire de la domi-
nation des Vandales en Afrique , p. 10 et suiv.; Afrique, p. 33 et suiv.
26 et suiv. (2) Morcelli ( Afric. christ. )\ t. I, p. 55.
53
AFRIQUE CHRÉTIENNE.

la guerre contre la civilisation. Elles s'é- frique au nom de l'empereur. Les ra-
taient jetées sur l'empire vandale et elles pides et brillants succès du général
avaient rapporté le paganisme dans les byzantin donnèrent enfin la victoire et
contrées
la. tolérance qu'elles avaient du roienvahies.
hildéric la nouvelle
paix à l'Égliseréaction;
catholique. édit de
amène une revolution; gelimer; justinien; rapports avec l'église
l'église catholique triomphe par de rome; concile; état de l'église
bélisaibe. — Thrasamund mourut en d'afrique sous la domination
523. Il laissait le trône à Hildéric , qui byzantine. — Une ancienne tradition
avait longtemps vécu à Constantinople racontée par Procope (1) nous montre
et qui était peut-être catholique. A l'a- que les catholiques, depuis le règne de
vénement de ce prince , la persécution Genséric jusqu aux victoires des soldats
cessa. Tous les exilés pour cause de de Justinien, n'avaient point cessé de
religion furent rappelés. Les supplices conspirer , au moins en pensée, contre
ou l'exil avaient fait de grands vides dans les conquérants barbares. En 533 , ils
l'épiscopat, Hildéric ne s'opposa point , accueillirent Bélisaire comme un libéra-
comme son prédécesseur, à ce qu'ils teur. Ilest vraisemblable que dès l'ins-
fussent remplis. Dans toutes les provin- tant où le représentant de Justinien
ces, les catholiques furent remis en pos- parut sur
session des églises qui leur avaient été dèrent de les
leurscotes de l'Afrique,
conseils ils l'ai-
et de leurs se-
enlevées. Hsjouirent dès lors d'une telle crets avis. D'ailleurs , en ne résistant
liberté que leurs évêques n'hésitèrent point à l'armée impériale , en lui lais-
point à se rassembler, à Carthage même , sant libre passage dans toutes les villes,
pour délibérer publiquement sur les be-
depuis Syllectum jusqu'à Carthage , ils
soins de l'Église. Ce fut là, en effet, contribuèrent, autant qu'ils le pouvaient
sous les yeux du roi, qu'ils tinrent, en alors, à la chute de la domination van-
524 ou 525, un concile présidé par le dale.
primat Une nouvelle réaction religieuse sui-
Mais deles l'Afrique, hommes de Boniface (1).
race vandale et vit de près la victoire de Bélisaire. Les
même les Romains qui avaient embrassé catholiques s'empressèrent de profiter
l'arianisme blâmaient la tolérance et la de la défiance que les hérésiarques et
modération de Hildéric. Ils n'avaient les schismatiques inspiraient à la cour
point cessé , avec raison, de considérer de Byzance pour se venger de tous les
les catholiques comme de mortels en- maux qu'ils avaient soufferts. Ils s'a-
nemis. Ils les accusaient de chercher,
dres èrentJustinien.
à C'était princi-
par leurs relations secrètes avec l'em- palement l'hérésie qui avait donné force
pire, lerenversement de la domination et durée à l'empire vandale. C'était
vandale. A la fin, Hildéric lui-même, elle aussi qui , peu d'années aupara-
qui entretenait avec la cour de Constanti- vant, avait précipité du trône Hildéric,
nople de fréquents rapports, et qui avait le protecteur des orthodoxes etj'ami des
eu l'imprudence de placer sur ses mon- Byzantins. Justinien ne l'ignorait pas ,
naies l'effigie de Justinien, fut soup- et , par politique autant que par zèle reli-
çonné de partager, contre sa nation et sa gieux, ilprit, contre les ariens, les do-
propre famille, les haines des catholi- natistes et les autres dissidents, de sé-
ques. Une révolte éclata; Hildéric fut vères mesures. Par un édit de 435, il
renversé du trône et Gélimer le rem- les écarta des fonctions publiques , les
plaç . ' dépouilla de leurs biens, leur enleva
Cette réaction de l'arianisme ne fut leurs églises, et leur défendit d'élire des
pas de longue durée. Justinien leva une évêques, de conférer les ordres et de
armée pour soutenir le roi déchu. Ce baptiser (2). Les juifs aussi furent enve-
fut en 533 que Bélisaire mit fin à la do- loppés dans l'arrêt de proscription.
mination des Vandales et que , Hildéric C'était donc la peur qui avait dicté
étant mort, il prit possession de l'A- cette loi violente. Plus d'une fois alors
(1) Voy.
dales notre Hist.
en Afrique, de la domination des Fan*
p. 58.
( i ) On compta 59 évêques flans ce concile. Voy .
Hardouin; Conc. t. II, p, 1 154. (2) Baronius , ad. an. 535
L'UNIVERS.
54
on accusa les dissidents de conspirer, marne , ce fut la guerre continuelle que
non sur des preuves, mais seulement firent à l'empire et à la civilisation
les populations indigènes. Salomon,
parce qu'on les craignait. Toutefois, il Jean Troglita, Gennadius, eux-mêmes,
faut dire que les Vandales, dépossédés
et;non exilés , que les hérésiarques et les les plus illustres de tous les généraux
qui vinrent de Constantinople, ne purent
schismatiques qui s'étaient attachés à toujours refouler et contenir les tribus
la fortune des conquérants barbares, dé-
siraient ardemment la chute de la do- du désert. Guidées, pendant un siècle,
mination byzantine. Ils prirent part, il par des chefs qui , comme Yabdas, An-
talas , Carcasan et Gasmul, avaient ravi
n'en faut pas douter, à tous les troubles sans doute à la tactique romaine quel-
qui bouleversèrent l'Afrique depuis le
départ de Bélisaire jusqu'à l'invasion ques-uns de ses secrets , elles ne ces-
arabe. Par la force des choses, ils de- sèrent de faire des progrès, gagnant
vaient conspirer contre Justinien et ses chaque jour une nouvelle part de terri-
successeurs, comme les catholiques, toire sur la civilisation, et ramenant jus-
depuis Genséric jusqu'à Gélimer , barie. qu'à la côte le paganisme et la bar-
avaient conspiré contre les Vandales.
Les Byzantins achevaient à peine de ^ Les Arabes, de 647 à 697, achevèrent
soumettre les provinces qui avaient l'œuvre des tribus indigènes et portè-
rent àla domination romaine le dernier
appartenu aux Vandales que l'Église
catholique d'Afrique songea à se réor- coup. En moins d'un demi-siècle, en
ganiser. D'abord, pour traiter les nom- effet, ils établirent l'islamisme, par la
breuses affaires que lui donnait sa si- force du sabre , sur toute la côte sep-
tuation nouvelle, elle tint un concile. tentrionale del'Afrique. Alors les évê-
Ce fut à cette fin que deux cent dix- ques et les prêtres s'enfuirent et se dis-
sept évêques se réunirent à Carthage, persèrent; lesuns se retirèrent sur les
en 534 , sous la présidence du primat terres encore soumises aux empereurs
Réparatus (1). Ensuite elle se remit dans de Constantinople ; les autres en Italie;
des rapports assidus avec Rome et les d'autres, enfin, comme Potentinus,
autres Églises du monde chrétien (2). évêque d'Utique
en Espagne (1). , cherchèrent un asile
Elle forma , peut-être dès la même
époque, les quatre provinces ecclésiasti- conclusion. — Après cette terrible
ques qui subsistaient encore, suivant invasion il resta pourtant des chrétiens
d'anciens documents, en l'année 649. en Afrique. Nul, aujourd'hui, ne sau-
Ces quatre provinces étaient : 1° la rait dire précisément à quelles condi-
Proconsulaire; 2° la Numidie; 3° la tions les conquérants arabes laissèrent
Mauritanie ; 4° la Byzacène. Sous au milieu d'eux, pendant plusieurs siè-
le nom général de Mauritanie se trou- cles cette
, part de la population rom aine
vaient comprises la Césarienne , la Siti- qui n'avait abandonné
lienne et la ïingitane. La Tripolitaine sa foi. Un seul fait nous nisemble
son culte, ni
hors de
avait été rattachée à la Byzacène. doute, c'est que l'existence de cette
Depuis la conquête accomplie par population, vouée par l'islamisme au
Bélisaire jusqu'à l'invasion des Arabes , mépris et aux outrages, exposée sans
cesse à une complète extermination, ne
l'Église d'Afrique eut sans doute beau-
coup àsouffrir des révoltes et des trou- fut qu'une longue suite de souffrances.
bles qui à diverses époques éclatèrent à Nous savons, en effet, par d'anciens
Carthage et dans toutes les provinces documents, combien fut triste et misé-
soumises à la domination byzantine. rable l'état de l'Église d'Afrique, pen-
dant le moyen âge. Elle souffrit alors,
Mais ce qui contribua surtout à l'affai-
blir ,et , si nous pouvons nous servir de non-seulement de la persécution , mais
cette expression, à amoindrir son do- encore de ses discordes. Elle ne cessa
pas d'être en proie à ces querelles et à
(I)Hardouin; Concil. t. II, p. 1154 et 1177. ces divisions qui, dans le cours du qua-
— Réparatus venait de succéder sur le siège
épiscopal de Carthage à Boniface.
(2)Voy. Morcelli ( Afr.chisl.); ad an. 535; (I) Morcelli ( Africa christiana ) ; ad an.
t. III, p. 282 et sqq. 59; t. III, p. 392.
AFRIQUE CHRETIENNE.
55
trième siècle, avaient tant fait pour sa que, il fut victime des interminables
ruine. En l'année 893 , des députés de discordes de ses frères les chrétiens. Ac-
l'Afrique vinrent à Rome et s'adressè- cusé par eux auprès des Sarrasins, il
rent au pape, lui demandant ses con- eut à supporter les plus odieux traite-
seils et sa médiation pour arrêter un ments etles plus cruels outrages (1).
schisme qui avait éclaté entre les évê- Ce sont là les derniers et tristes sou-
ques (I). venirs laissés par l'Église dont nous
Plus tard , vers 1054, une lettre venue voulions écrire l'histoire. Vers 1146,
de Carthage à la cour du souverain pon- la secte des Almohades, qui vainquit et
tife atteste une nouvelle discorde. Le extermina celle des Almoravides , porta
métropolitain Thomas écrit à Léon IX en Afrique
nisme (2). le dernier coup au christia-
pour se plaindre de l'évêque de Gum-
mase, en Byzacène, qui se croyait et Les chrétiens d'Europe savaient en-
se disait son égal. Le pape reconnaît, core vaguement au moyen âge que par
dans sa réponse, les droits de Thomas. delà la Méditerranée , non loin de l'I-
« Après le souverain pontife, lui dit-il, talie de
, une la France et de etl'Espagne se
trouvait côte belle fertile où
nul n'est plus élevé, en Afrique, que
l'archevêquede Carthage. » Il déclare que avaient existé jadis des églises sans
les autres évêques ne peuvent ni sacrer, nombre et de populeuses cités, et ils s'é-
ni déposer, ni assembler des conciles murent aux lamentables récits que leur
sans l'assentiment du métropolitain. firent, sans doute, ceux qui avaient
Léon IX voyait avec tristesse l'état de échappé par la fuite au fer des Al-
l'Église d'Afrique, et ce n'était pas sans mohades. Alors, dans ce temps d'hé-
une profonde douleur, comme il le di- roïque ignorance où rien ne paraissait
sait lui-même, qu'il ne comptait que impossible à quiconque croyait et vou-
cinq évêques dans une contrée qui jadis lait fermement, plusieurs songèrent à
en réunissait plus de deux cents pour reconquérir, au profit du christianisme ,
ses conciles (2). cette terre désolée. En l'année 1226,
Ces cinq évêques étaient réduits à deux de pauvres religieux, n'ayant pour res-
vers 1076. Ce fut alors que Grégoire sources etpour appui que leur foi et que
VII écrivit, à Carthage, au métropo- leur zèle, s'embarquèrent pourdel'Afrique,
litain Cyriaque , pour lui recommander, où ils essayèrent en vain prêcher
lorsqu'il n'y aurait que deux évêques en l'Évangile. En 1270, un roi de France
campa avec son armée sur les ruines de
Afrique, de procéder à l'élection d'un Carthage. Mais alors et depuis , pendant
troisième, qui se rendrait à Rome et s'y
ferait sacrer. C'est afin, dit le pape, sept siècles , les efforts de ceux qui sou-
que plus tard les consécrations puissent mettent les peuples par l'épée ou par la
se faire , en Afrique même , par les évê- parole demeurèrent impuissants. Toutes
ques réunis au nombre prescrit par leurs entreprises échouèrent, et quand
les canons; et il sacra lui-même, pour ils parvinrent à prendre possession de
commencer, Servandus, qui devait être (1) Hardouin ; Conc, t. VI , p. 1341. — Greg.
évêque d'Hippone. Alors, tout ce qui vu EpisL, lib. 1, 22.
(2) il resta pourtant quelques chrétiens sur
rappelait l'ancienne gloire de l'Afrique
était tellement oublié, que Grégoire VII la côte d'Afrique. Placés au milieu d'une po-
pulation fanatique et barbare, ils étaient dans
ne savait en quelle province était le une situation déplorable. iGuillaume de Nan-
siège épiscopal illustré par saint Au- gis
de nous
saint apprend
Louis , il qu'au temps encore
y avait de l'expédition
à Tunis
gustin. Dans la lettre qu'il écrivit à des prêtres et des églises. Les musulmans je-
propos de l'élection de Servandus, il tèrent en prison tous les chrétiens quand ils
place Hippone dans la Mauritanie Siti- apprirent que l'armée française avait touché
fienne. Quant au métropolitain Cyria- les côtes de 1'A.frique. Erat in urbe Tunarum
■multitudochristianorumjugo tamen servitutis
(I)Frodoard;IV,2. Sarracenorum oppressa , etfratrum Prcedica-
(2) Decus ccclesiarum africanarum ita torum congregatio , ac ecclesiœ constructœ in
conculcatum a gentibus nimium dolemus, quïbusfideles quotidie confluebant : quos omnes,
ut modo vix qùinque inveniantur episcopi , ex sui régis prœcepty, Sarmceni captas incar- ■
ubi olim ducenti quinque solebant per conci- ceraverant cumjines suos intravisse Francorum
lia plenaria computari. Hardouin ; Concil. t. exercitum cognovissent. Gesta Philippi III ;
VI , p. 950. Voy. les Historiens de France , t. XX , p. 478.
56
L'UNIVERS. AFRIQUE CHRÉTIENNE.
quelques points de la côte, leurs établis- croisade , s'est enfin montrée ; elle est
sements durèrent peu. L'Europe pour- sortie de la France, pays privilégié au-
tant ne s'est jamais lassée et ses espé- quel laProvidence avait réservé la gloire
rances n'ont pas été vaines. La race de de rattacher l'Afrique au système poli-
guerriers qu'un écrivain ecclésiastique tique des nations européennes et de la
appelait de tous ses vœux , au commen- faire participer de nouveau à la vie du
cement denotre siècle, pour une dernière monde chrétien et civilisé.

FIN DE L'AFRIQUE CHRETIENNE.


oeist£?s»e»e< >»*S»«»«««l*»«,'«»i«âti9S,4,i,(,i<l,9

APPENDICE.
LISTES D'ÉVÉQUES.

Nous avons dû faire un choix parmi Eugenius fut sacré en 479. Il fut
les nombreuses cités qui couvraient le chassé d'Afrique
et mourut dans par le roi Thrasamund
les Gaules à la fin du
sol de l'Afrique ancienne. D'abord
nous avons pris Carthage, la grande cinquième siècle.
métropole chrétienne , ensuite quelques- Fabius Furius Fulgentius Planciada?
unes des villes qui sont soumises aujour- Morcelli le rejette de sa liste.
d'hui àla domination française. Bonifacius monta sur le siège épisco-
Carthage. pal vers 523. Il mourut en 535 après la
chute de la domination vandale.
Agrippinus; c'est le premier évêque
connu. Son épiscopat peut être reporté se Reparatus lui succéda. Onen sait
rendit à Constantinople 551. qu'il
aux dernières années du second siècle.
Primasius. Morcelli pense qu'il ne
Optatus fut évêque au commence- mourut pas avant l'année 565.
ment du troisième siècle. Il succéda Publianus était encore évêque en 581 .
peut-être à Agrippinus. Dominicus occupait déjà le siège
Cyrus doit être placé après Optatus, épiscopal en 591. Il vivait encore en
suivant Morcelli.
Donatus mourut en 248. 601.Fortunius était évêque en 640.
Ctjprianus(S. Cyprien)Iui succéda. Victor occupait encore le siège épis-
Il fut décapité en 258. copal en 649.
Carpophorus lui succéda , suivant Après l'invasion des Arabes il faut
Morcelli. franchir quatre siècles pour retrouver
Lucianus fut évêque vers la fin du un évêque de Carthage.
troisième siècle. Thomas occupait le siège épiscopal
Mensurius occupait déjà le siège en 1054. Il fut en relation avec le pape
Léon IX.
épiscopal à l'époque où
Tédit de Nicomédie. fut promulgué
Il mourut en 3 1 1 . Cyriacus, évêque de Carthage en 1076,
Cœcilianus. Ce fut à propos de son fut en relation avec le pape Grégoire VII.
élection que commença le schisme des Dfcl461 à 1804, douze prélats euro-
péens, suivant Morcelli ont porté le
donatistes. On sait positivement qu'il
vivait encore en 321 . Il assista peut-être titre d'évêquesde Carthage.
au concile de Nicée en 325.
ClRTA ( CONSTANTINE ).
Rufus est nommé dans un concile de
337. Crescens est le premier évêque connu.
Gralus présida un concile à Carthage En 255 , il vint à Carthage pour assis-
en 349. ter au concile présidé par saint Cyprien
Restitutus était évêque de Carthage et où devait être débattue la question
en 359. du baptême des hérétiques.
Geneclius en 381. Paulus était évêque lorsque fut pro-
Aurelius monta sur le siège épiscopal mulgué Fédit de Nicomédie ( 303 ). Il
de Carthage en 391. Il mourut vers 426. mourut vers 305.
Capreolus était évêque vers 435. Sylvanus succéda à Paulus.
Quodvultdeus prit possession du siège en Zeuzius
330 ; occupait le siège épiscopal
épiscopal vers 437.
Deogratias fut évêque de 454 à 457. Generosus , vers 400.
58 APPENDICE.
Frofuturus succéda à Generosus ; on ropéens ont porté le titreMorcelli
qu'avait enil
ne saurait porter au delà de 410 la durée lustré saint Augustin.
de son épiscopat. compte quarante-trois (de 1375 à 1795).
Fortunatus assista à la conférence de
SniFi (Sétif).
Carthage , en 41 1 . Il fut un des sept com-
missaires choisis par le parti catholi- Sevems, vers 400.
que. Novatus assista à Carthage , à la con-
Honoratus Antoninus était évêque férence de 411 et au concile de 419.
sous le .règne de Genséric. Donatus vint au concile convoqué en
Victor est le dernier évêque de Cirta 484 , par Hunéric , roi des Vandales.
ou Constantine dont l'histoire nous ait Optatus vint au concile convoqué en
conservé le souvenir. 11 vint, en 484, au 525 par Boniface, évêque de Carthage.
concile convoque à Carthage par Huné-
ric , roi des Vandales. Iol-Cesarea ( Cherchel )
Nous n'avons pas besoin de dire que Quatre noms seulement ont échappé
nous n'avons pas nommé ici les évêques à l'oubli.
donatistes. Il en est un pourtant qui mé- Fortunatus était évêque de Iol-Caesa-
rite d'être mentionné à cause de sa
rea, en 314. Il assista au concile d'Ar-
grande réputation ; c'est Pétilien. les où furent condamnés les donatis-
tes.
Hippo-Regius (Bone*).
Théogêne est le premier évêque Clemens occupait le siège épiscopal
au temps de la révolte de Firmus, vers
connu. Il assista au concile convoqué en 372.
255 par saint Cyprien.
Fidentius occupa le siège épiscopal Deuterlus assista à la grande confé-
rence qui eut lieu à Carthage , en 411,
vers 304 (?). entre les catholiques et les donatistes.
Leontius. On ne saurait préciser l'é- Apocorius, enfin, vint au concile qui
poque où il occupa le siège épiscopal. fut convoqué , en 484 , par Hunéric ,
Il fut peut-être le successeur de Fiden- roi des Vandales.
tius.
Faustinus était donatiste. Suivant CUICULUM (JiMMILAH).
Morcelli , il fut contemporain des empe-
reurs Constance et Julien. Fudeniianus assista , en 255 , au con-
cile de Carthage où fut discutée la ques
Valerius était déjà évêque d'Hippone tion du baptême des hérétiques.
lorsque saint Augustin revint d'Italie.
Augustinus ( saint Augustin), de 395 Elpidephorus assista, en 348, au con-
à 430. cile de Carthage présidé par le métro-
Heraclius avait été désigné au choix politain Gratus.assista à la conférence
Cresconius
du clergé et du peuple par saint Au-
gustin lui-même. Il devait lui succéder; qui eut lieu à Carthage , entre les ca-
tholiques etles donatistes, en 411.
mais il est vraisemblable , qu'il ne*rem- Victor vint au concile convoqué , en
plit pas ses fonctions, puisque la ville
d'Hippone fut saccagée et brûlée par 484, par Hunéric, roi des Vandales.
les Vandales. Elle ne se releva que plus Crescens se rendit à Constantinople
tard. et assista, en 553, au cinquième concile
Servandus fut sacré évêque d'Hippone oecuménique.
par le pape Grégoire VII, vers 1076. Icosium (Algeb).
De tous les évêques qui ont résidé
àHippone , Servandus est le dernier dont Crescens assista , en 411 , à la confé-
le nom soit arrivé jusqu'à nous. Nous rence de Carthage. Il était du parti des
devons dire qu'à partir du quatorzième donatistes.
siècle un grand nombre de prélats eu- Laurentius assista , en 419 , au concile
(*) La ville moderne de Bone , comme nous convoqué à Carthage par l'évêque Au-
relius.
l'avons dit dans notre histoire des Vandales, Victor vint au concile convoqué, en
est située à quelque distance de l'emplacement
ÎVHippo-Regius. 484 . par Hunéric , roi des Vandales.
APPENDICE. 59
Igilgili (Jigel). Salrs (Bougie).
Urbicosus assista, en 411, à la confé- PaschaSzus est leseul évêque de cette
rence de Carthage .„ dont ,e nom ait écha ^ a roubli
Domitianm vint au concile convo- n y. t au conci,e convoqJ/en 484 par
que en 484, par Hunenc, roi des Hunéric roi des Vandales.
Vandales. '
«4««S«tî?«»«»«*»t«S«?4J***!5Hi8i*>»53*est5938»8efr!«<«!e58t*«*«»4»»« ««»#»««&«©♦€>»©

TABLE
DE L'AFRIQUE CHRÉTIENNE.

A. Mensurius ; sa lutte contre le parti de Bonat


des Cases-Noires ; accusations portées con-
ibilinc, Tille de la Proconsulaire; courageuse tre lui ; il est reconnu comme évéque légitime
conduite des chrétiens de cette ville sous
par les conciles de Rome et d'Arles ; p. 19 et
Dioclétien ; ses martyrs; p. 18. a. suiv.; sa mort; p. 27. b.
Adeéodat, tils de saint Augustin; p. 31. a et b. Cécilius, maître de saint Cyprien ; p. II. a
Agrippinus, premier évéque connu de Carthage ; Célestius, ami de Pelage; il propage en Afrique
son opinion sur le baptême ; il tient un con- le pélagianisme ; p. 39 et suiv.
cile ;p. 2. a. Celeusius, prêtre de Carthage, ennemi de Céci-
Almohades (les ) font disparaître de l'Afrique lien; p. 19. b.
jusqu'au dernier vestige du christianisme ; Celsus, vicaire impérial en Afrique, sa conduite
p. 55. b. à l'égard des donatistes ; p 24. a et b.
Alypius, ami de saint Augustin; p. 30. b ; 31. Christianisme. A quelle époque le christia-
b ; 36. a. nisme fut-il introduit en Afrique ? p. 2. a;
Ambroise ( 6aint ) baptise saint Augustin ; p. 1 à quelle époque y fut-il anéanti? p. 55. b. a
31. a. Circoncellions (apparition des ); p. 24. b, 25.
Anialas, chef des tribus maures; p. 54. a. et b; leurs excès ; ibid. et p. 28. a ; caractère
Antoine ( Pévéque ) condamné par les évêques du soulèvement des circoncellions ; leurs doc-
africains est soutenu en vain par l'église de trines; p. 25 et suiv.
Rome ; p. 42. a. Cirla ; persécution àCirta; p. 16. b.
Antonien, évéque de Numidie ; p. 14. a. Conciles africains, p. 2. a; II. a; 13. b; 15.
Apiarius ( le prêtre ) condamné par les évêques a; 19. b; 20. a; 28. a; 28- b; 32. a. 33. a et
africains est soutenu en vain par l'église de b; 35, et suiv.; 40. a; 41. b; 52. a; 53. a ; 54. a.
Rome ; p. 42. a. Concile de Rome présidé par Miltiade ; les do-
natistes ysont condamnés; p. 20 et suiv.
Apologétique
Apringius, juge (!' )impérial
de Tertullien; p. 3; etsuiv.
en Afrique p. 38. a
et b. Concile d'Arles ; les donatistes y sont condam-
nés; p. 23. a et b; 24. a.
Arabes; leur conquête; ils anéantissent le Conférence entre les évêques catholiques et les
christianisme en Afrique; p. 54. b. évêques donatistes a Carthage, p. 35 et suiv.
Arianisme ( 1' ) triomphe en Afrique par les Constant ( l'empereur ) persécute les donatis-
Vandales ; p. 5o et suiv. tes; p. 28. a.
Ariens ; leur conduite à l'arrivée des Vandales ; Constantin ( l'empereur ); sa conduite à l'égard
p. 44. b. des donatistes; p. 20. b; 23. a; 24. a et 1).
Arles. Voy. Conciles. Cyprien
II— 16.( saint ) ; sa vie et ses ouvrages ; p.
Arnobe; sa conversion; il écrit un ouvrage
pour la défense du christianisme; p. 19. a. Cyriaque, évéque de Carthage au moyen âge ;
Astarlé Voy. Junon- Céleste.
Augustin (saint). Sa vie et ses ouvrages; p. p. 55.évéque
Cyrus, a. do Carthage; p. II. a.
30-45.
Aurélien (l'empereur ) persécute les chrétiens
d'Afrique}
Aurélius pag. catholique
; évéque 16. b. de Carthage ; p.
33. b; 34. a; 36. a. Decius (l'empereur) promulgue un édit de
persécution; p. 12. a.
B. D.
Deuterius, évéque donaliste de la Mauritanie ;

Bélisaire; son expédition en Afrique; il met p . 28 . a. ( l'empereur); ses édits de persécu-


Dioctétien
fin à la domination vandale et rend la paix tion ;p. 16. b; 17. b.
Donat prédécesseur de saint Cyprien sur le
à l'église catholique ; p. 53. a et b. siège épiscopal de Carthage; p. II. a.
Boni/ace ( le comte ) ; p. 44. a et b. Donat, des Cases-Noires ; se fait à Carthage le
Boniface, évéque de Carthage ; p. 53. a. chef du parti opposé à Cécilien ; p. 19. b; il
Botrus, prêtre de Carthage , ennemi de Céci- donne son nom au schisme, p. 20 b; il se
lien ; p. 19. b.
G. porte comme accusateur de Cécilien, dans le
concile de Rome ; p. 21. b; il est condamné
comme calomniateur ; p. 22. a et b ; son re-
tour en Afrique; p. 22. b.
Carcasan,
Carpophore,chef des tribus.des
évéque de CarthageMaures';
; p. 16, p.
b; 54. a.
17. b. Donat, évéque donatiste de Carthage, succède
Carthage, point de départ de la prédication àMajorin; p. 27. b; son opposition aux vo-
chrétienne en Afrique; p. 2. a; 45. a ; l'évè- lontés de l'empereur Constant ; p. 28. a.
que de Carthage primat de l'Afrique ; 45. b. Donat, évéque donatiste de Bagaïa ; sa lutte
Cassieti ; Sa doctrine ; p. 42. b. contre l'empereur Constant; p. 28. a.
Cécilien, évéque de Carthage; il succède à Donatistes; origine du schisme des donatistes ,*
62 TABLE
p. ï9 et suiv; leur requête à Constantin; p. à saint Augustin sur le siège épiscopâl
20. I) ; ils sont condamnés dans le concile de d'Hippone; p. 44. a.
Rome ; p. 22. a et b ; dans le concile d'Arles ; Hilaire d'Arles , ses rapports avec saint Au-
p. 24.
23. aa et; leur
b ; 24 obstination
a ; par l'empereur, gustin; p.42. b; 43. a
p. ; ibid. ; àils
Milan
sont; Hilarien, procurateur en Afrique, sous Septirae
persécutés; p. 24. b ; ils se soulèvent ; ibid. ; Sévère; il juge et condamne Perpétue, Féli-
appréciation du schisme des donatistes; p. cité et leurs compagnons ; p. 7. b.
25 et suiv.; conduite des donatistes sous Hildéric, roi vandale ; sa tolérance à l'égard des
le règne de Julien; p. 29. a; leurs divisions catholiques ; p. 52. b, et 53. a.
au temps de saint Augustin ; p. 33. a; sont Honorius (l'empereur); favorable aifx catholi-
poursuivis avec acharnement ; p. 34 et suiv.; liques; p. 35 et suiv. ; sévérité de ses édits
leur contre les donatistes; p. 37. b; il sévit contre
44. b.conduite à l'arrivée des Vandales; p.
E. les pélagiens; p. 42. a.
Hunéric, roi des Vandales ; son intolérance ; il
persécute les catholiques; 1. p. 52. a et b.
Églises (nombre des ) à Carlhage et en Afri-
.que; p. 45. b.
Etienne ( le pape saint ) ne partage point sur le Innocent Vr (le pape) condamne Pelage et
baptême des hérétiques l'opinion de saint Célestius, et approuve l'opinion des évéques
Cyprien; p. 15. a. africains dans la question du pélagianisme ;
Eugène, évèque de Carthage, persécuté par les
rois vandales; p. 52. b. p. 41. b.
Évêchés (liste des) de l'Afrique ; p. 46 et suiv.
Évéques
suiv. (listes d') voy. l'appendice p. 56 et Julien (l'empereur ) rend la paix k l'église do-
t. Évodiusy ami de saint Augustin; p 31. b. natiste; ses vues; p. 28. b; 29. a.
Julien (évèque d'Eelane); ses discussions avec
saint Augustin; p. 42. a.
Junon-Céleste, l'Astarté des Phéniciens;' son
Fasir, chef des circoncellions; p. 25. a. culte; son temple; p. 33. b; 34. a.
Félicissime excite un schisme a Carthage ; sa Justinien ( l'empereur ), après les victoires de
lutte contre saint Cyprien; p. 13. a. Bélisaire, protège les catholiques et persécute
Félicité (sainte); son martyre; p. 6 et suiv. les ariens et les autres dissidents ; réaction
Félix, évèque de Tibiure ; son courage au temps violente en Afrique; L. p. 53. a et b.
de la persécution de Dioclétien; sa mort;
p. 18. a.
Félit/a;, évèque d'Aptonge, impose les mains à Lambèse; persécution àLambèse; p. 16. b.
Cécilien et le fait évèque; p. 19 b; sa justi- Léon IX ( le pape ) intervient dans les querelles
fication; p.22. a; 23. a.
Fortunat, évèque schismatique de Carthage; p. de l'église d'Afrique; sa lettre à l'évéque
13. b. Thomas; p. 54. b, et 55. a.
Lucien ( le martyr ) ; son orgueil ; il lutte con-
Fortunat, prêtre manichéen, dispute avec saint tre saint Cyprien ; p. 12. b-
Augustin ; p. 32. a. Lucien, évèque de Carthage; p. 16. b.
Fortùnius, évèque donatiste; p. 33. a. Lucilla, femme riche et puissante, soutient par
Fundanus, évèque d'Abitine ; sa lâcheté au son crédit et ses richesses les ennemis de Cé-
temps de la persécution; p. 18. a. cilien; p. 19. b. M.
G.
Macaire persécute les donatistes; p. 28. a et b.
Galerius Maxime ( le proconsul d'Afrique ) Macarienne ( persécution ) ; p. 28. a et b.
juge et condamne à mort saint Cyprien ; p.
15. b. Majorin est opposé comme évèque à Cécilien ;
Galerius (le César) pousse Dioclétien à la per- p. 20- a. ;leur conduite à l'arrivée des Van-
sécution p.
; n. a et b. Manichéens
Gargiliennes (les Thermes); les donatistes et dales en Afrique; p. 44. b.
Marcellin ( le tribun ) préside la conférence des
, les catholiques s'y rassemblent pour leur con- évéques donatistes et.catholiques à Carthage;;
férence; p 36. a.
Gasmul, chef des tribus maures ; p. 54. a. il est favorable aux catholiques; p. 35 et
suiv. , sa mort; p. 37. b.
Gélimer remplace Hildéric ; réaction de l'aria-
nisme sous son règne; p. 53. a. Masse-blanche; c'est le nom donnéaux reiiques
Gennadius, général byzantin, combat en Afrique des martyrs d'Utique; p. 16. b.
les tribus maures ; p. 54 . a. Maxida, chef des circoncellions; p. 25. a.
Genséric, roi des Vandales, persécute les catho- Maxime ( l'évéque arien ) discute avec saint
liques; son règne; p. 50 et suiv. Augustin; p. 43. b.
Glorius, évèque donatiste ; p. 33. a. Maxïmianisles ; p. 33. a.
Gratus, évèque catholique de Carthage ; p. 28. Maximien, évèque donatiste de Carthage; p.
a et b. 33 a.
Mensurius évèque de Carthage; p. 16. b. Sa
Grégoire VII (le pape); ses rapports avec l'é- prudence; son courage; sa mort; p. 18. b;
glise d'Afrique ; p. 55. a et b.
H. 19. a.
Milan (arrêt de) qui conlirme les sentences
prononcées contre les donatistes par les con-
Héraclien (le comte) ; sa révolte en Afrique; ciles de Rome et d'Arles; p. 24. a.
p. 37. b. Miltiade{le pape) condamne les donatistes;
Héraclius (le prêtre) est choisi pour succéder
p. 2f et 22.
DE L'AFRIQUE CHRÉTIENNE.
Morcelli ; son ouvrage intitulé Africa chris- Satur ; son martyre ; p. 6 et suiv. 63
tiana; appréciation de cet ouvrage; note de Saturnin ( Vigellius), proconsul d'Afrique, juge
la p. I. b. et condamne les martyrs scillitains ; p. 2. b.
Saturnin ; son martyre ; p. 6 et suiv.
N. Scillitains ( martyrs ) ; leur condamnation et
Nébridius, ami de saint Augustin; p. 3o. b. leur supplice; p. 2. b.
IStcomédie ( édit de ); p. 17. a et b. Secundulus; son martyre; p. 6 etsuiv.
Novat, prêtre carthaginois; ses intrigues à Car- Secundulus, évèque de Tigisi ; il se met à la
thage et à Rome; p. 13. a et b.
0. tète des évèques qui veulent annuler l'élec-
tion deCécilien; p. 19. b.
Semi-pélagianisme ( le) ; p. 42 et suiv. *
Optât, second évèque de Carthage; p. 2. a. Scrvandus, évèque d'Hippone, est sacré par le
Optât (saint), évèque de Milève; son ouvrage pape Grégoire VII ; p. 55. b.
sur le schisme des donatistes; p. 29. a et b. Sévère ( Septime ) persécute les chrétiens d'Afri-
Orose{ Paul); p. 34. b. que, p. 2. a; 10. b.
Simplicien, évèque de Milan; ses rapports avec
saint Augustin ; p. 32. b.
Païens, encore nombreux en Afrique au com- Sixte (le prêtre) poursuit les Pélagiens avec
mencement du Ve siècle; saint Augustin les ardeur; p. 42. a.
combat; p. 33. b; 34. a et b. Suffète, ville de la Byzacène; soixante chrétiens
Parménien, évèque donatisle de Carthage ; p . y sont massacrés ; p. 34. .a.
33. a.
Paul persécute les donatistes ; p. 28. a et b. T.
Paulin de Noie ; saint Augustin lui adresse un
de ses traités; p. 43. b. Tertullien et ses œuvres ; p . 4. b.
Pelage et sa doctrine; p. 39 etsuiv. Théogène, évèque d'Hippone ; p. 16. b.
Pélagianisme; son histoire ; p. 39 et suiv. Thomas, évèque de Carthage au moyen âge ;
Pélagiens ; leur conduite à l'arrivée des Van- p. 54. b.
dales; p.44. b. Thrasamund, roi vandale; son intolérance; il
Perpétue ( sainte ) ; son martyre ; p. 6 et suiv. persécute les catholiques; p. 52. b.
Pélilien, évèque donatiste de Cirta; p. 33. a; Ticonius, savant docteur donatiste; p. 33. a.
36. b. Tradifeurs. Ce nom fut donné à ceux qui livrè-
Possidius, ami de saint Augustin; p. 31. b ; 36. a. rent les ornements et les livres des églises
Potentinus, évèque d'Utique ; p. 54 . b. au temps de la persécution dioclétienne; la
Primianistes; p. 33. a. aualitication de traditeur devient la cause
Primien, évèque donatiste de Carthage; p. 33. a. 'un schisme; p. 19. a etb.
Privât est condamné pour hérésie dans un Troglita (Jean ), général byzantin, combat
concile tenu à Lambèse, en Numidie ; p. II , en Afrique les tribus maures ; p. 54. a.
a; il est de nouveau condamné à Carthage où
il excite un schisme ; p. 13. b.
Prosper, ses rapports avec saint Augustin ; p.
43. a.
Provinces ecclésiastiques en Afrique ; p. 45. a Valentinien ( l'empereur ) poursuit les dona-
tistes ;son édit; p. 29. b.
et b; 54. a.
Purpurius, évèque de Limate ; ses fureurs ; p. Valère, évèque d'Hippone; il attache saint
Augustin à son église ; p. 31. b; 32. a.
20. a.
Falérien ( l'empereur ) persécute les chrétiens
d'Afrique; p. 15. a; 16- b.
Vandales ( les ); leur arrivée en Afrique; leurs
Quodvultdeus, évèque de Carthage, persécuté ravages; p. 44 et suiv.; ils persécutent les
par Genséric; p. 51. b. catholiques ; p. 50 et suiv .
R.
Q.
Reparatus, évèque de Carthage; p. 54. a.
Restitut, prêtre catholique, tué par les donatis- Y. maures; p. 54. a.
Yabdas, chef des tribus
tes à Hippone; p. 38. a.
Révocalus ; son martyre ; p. 6 etsuiv.
Rome ( l'église de ) ; ses rapports avec l'église z.
d'Afrique ; p. 12. b ; 13. b ; 14. a; 15. a; 20 et Zenon ( l'empereur ) intercède, pour les catho-
suiv.; 4L b;42. a et b; 54. aetb; 55. a et b. liques de l'Afrique , auprès de Genséric ; p.
Rufus, évèque de Carthage; p. 27. b.
5i0b. (le pape) montre de la modération a
Zozime
S. l'égard de Pelage et de Célestius ; son irré-
Salomon, général byzantin, combat en Afrique solution; ses rapports avec les évoques de
les tribus du désert ; p. 54. a. l'Afrique; p. 41, b; 42. a.

FIN DE LA TABLE DE L AFRIQUE CHRETIENNE,


APPENDICE
A L'HISTOIRE DAFRIftlE
SOUS LÀ DOMINATION BYZANTINE.

Nous avons parlé, en deux mots, partage


sion desduchefs
commandement
étaient les seules et lacauses
divi-
dans notre Histoire de l'Afrique sous
la domination byzantine (p. 93), des des troubles et des malheurs qui tour-
guerres que Jean Troglita eut à soute-
nir contre les tribus indigènes. Nous tion de la mentaient l'Afrique depuis
monarchie la destruc-
vandale ; aussi
ne pouvions, dans les étroites limites donna-t-il £ Jean une autorité sans
qui nous étaient assignées, raconter partage. Ce général était employé de-
ces guerres avec étendue. Nous avons puis plusieurs années sur les iront ières
cru utile de rejeter ici, en appendice,
le curieux récit que Saint-Martin a in- la décision dede l'empire.
orientales son souverain, Lorsqu'il apprit
sa valeur
séré dans son édition de l'Histoire du était occupée sous les murs de Nisibe,
Bas-Empire par Lebeau (*). On ne lira où il contenait les efforts de Mermé-
pas sans intérêt Us curieux détails roès, le plus habile des généraux du
que notre célèbre érudit a empruntés roi de Perse , qu'il avait défait devant
à la Johannide de Flavius Cresconius Théodosiopolis et devant Dara, dans
Corippus(**). Au reste, les pages qui la Mésopotamie. Jean obéit sans tar-
vont suivre forment le complément der aux ordres qui l'appelaient à Cons-
de tout ce que nous avons dit , dans tantinople, ou une flotte et des soldats
ce volume , sur les guerres de l'Afri- l'attendaient. Justinien , qui le regar-
que, depuis les temps les plus anciens dait comme le seul homme capable de
jusqu'à l'invasion des Arabes. délivrer l'Afrique, instructions,
ner ses dernières se hâta de lui endon-
lui
RECIT DES GUERRES DE JEAN TRO- prescrivant surtout de dompter les
GLITA EN AFRIQUE, PAR M. DE Languantans, les rebelles de la Tripo-
SAINT-MARTIN. litaine. Il mit bientôt h la voile , et il
fut en peu de temps hors de l'Helles-
Jean, qui venait réparer les mal- pont; ilrêter, traversa
heurs de l'Afrique, au fois
moment où elle etbientôt illa toucha
mer figée
aux sans
côtess'ar-
de
semblait encore une vouloir se la Sicile, où, comme Bélisaire, seize
soustraire à la domination romaine, ans avant lui , il prit terre auprès de
connaissait bien le pays où il devait Caucane. Après une assez courte re-
commander. Il y avait conduit un lâche, ise
l dirigea, malgré les tempêtes,
corps de cavalerie lors de l'expédition vers la côte d'Afrique, et il y jeta l'an-
deBélisaire ; et , depuis, il s'y était dis- cre à Caput Fada, au lieu où Béli-
tingué sous les ordres de Germain. saire était débarqué lorsqu'il vint
Justinien avait pu reconnaître que le détruire la puissance des Vandales.
Trois jours après , il entra dans Car-
(*) T. IX, p. 92-119. Didot, 1828. thage. Sans perdre de temps , il y ap-
(**) Le poème de Corippus, comme nous
pelle toutes les troupes dispersées dans
l'avons déjà dit, a été découvert et publié l'Afrique romaine; il les joint aux sol-
à Milan, en 1820, par Mazzucchelli. dats qui formaient la garnison dans
7e Livraison. (Hist. de l'Afrique.)
08 L'UNIVERS.

cette ville importante , et à ceux qu'il alors leurs efforts pour triompher du
avait amenés des frontières de Perse; lieutenant de Justinien, et peut-être
et aussitôt il se dirige vers la Byzacène, pour chasser les Romains de l'Afrique.
pour y combattre Antalas, le prince L'armée d'Antalas s'était grossie, dans
des barbares qui y habitaient, et pour sa marche, par les renforts que lui
dissoudre la ligue des tribus maures fournirent les peuples errants dans les
qui venaient le secourir. L'armée de déserts de Zerquilis et d'Arzugis , et
Jean prit position dans un lieu nommé par les montagnards du mont Aura-
les Camps Antoniens, dont la situa- sius, quieutétaient
tion est inconnue. Des députés y fu- Antalas bientôt d'habiles
inondé decavaliers.
ses sol-
rent envoyés par Antalas. Maccus , le dats toutes les plaines de la Byzacène,
chef de l'ambassade, habile dans la où il marquait partout son passage
langue latine, chercha à dissuader Jean par le ravage et l'incendie. Genséric
de continuer la guerre , en lui faisant Vandale au service des Romains , et,
un tableau exagéré de la puissance des Amantius, avaient été envoyés par
Africains, et en rappelant les victoires Jean pour observer les mouvements de
qu'ils avaient remportées sur Salomon, l'ennemi ; sur leur rapport, le général
et les exploits de la tribu des Ilasguas , romain n'osa affronter en rase cam-
qui avait autrefois triomphé de Maxi- pagne leur innombrable cavalerie; il
mien. Le général romain , sans s'ef- résolut de les attendre dans une posi-
frayer de ces menaces , congédia froi- tion avantageuse, où il se fortifia. Les
dement les ambassadeurs, et donna Africains se répandirent alors dans
l'ordre de se préparer au combat. An- toutes les plaines environnantes, et se
talas, l'instigateur de cette guerre, était préparèrent à venir assaillir les Ro-
impatient de venger la mort de son mains jusque dans leurs retranche-
frère Guarizila. Pendant dix ans Odèle
mentstandis
; que Jean s'efforçait, par
allié de l'empire, il avait fait la guerre ses discours,
cœur de ses soldats de faire lapasser "dans et
confiance le
aux Vandales,
rendre des services et ilauxn'avait cessé de
lieutenants de
l'espérance qui étaient daqs le sien, en
Justinien. Leur perfidie en fit un im- leur rappelant leurs victoires passées,
placable ennemi des Romains, et il et la grande puissance du prince qu'ils
souleva contre eux toutes les tribus de servaient. Les deux armées ne tardè-
l'Afrique. Ses messagers avaient ap- rent pas à en venir aux mains. Jean
pelé aux armes une multitude de peu- donna le commandement de son aile
f)lades barbares cantonnées dans les droite à Gentius, qui avait le titre de
ieux les plus sauvages et les plus éloi- maître de la milice. Il plaça sous ses
gnés. Parmi elles, on distinguait les ordres Putzintulus, Grégoire, Marty-
Ilasguas , célèbres par leur férocité et rius, Genséric, Martianus et Sénator.
leur caractère belliqueux. La religion Il leur joignit Coutzinas, prince des
chrétienne n'avait point encore péné- Massyliens, l'amiétait
du malheureux
tré parmi eux, leur chef Ierna, re- lomon , et qui resté attachéSa-à
nommé par sa cruauté, et qui se pré- l'empire ; c'était un prince doué des
tendait issu de Jupiter Ammon , était plus rares qualités, et distingué par sa
en même temps leur roi et le pontife gravité toute romaine.
de leur grand dieu Gurzil, le même était conduite par Jean,L'aile gauche
surnommé
que Jupiter Ammon. Je ne rapporte- Senior , que secondaient Fronimuth ,
rai pas ici toutes les dénominations Marcentius, Libératus, et d'autres
barbares des peuples que la vengeance chefs romains ou barbares; parmi ces
d'Antalas soulevait contre les Ro- derniers, on distinguait le Maure Ifis-
mains il
-, me suffira de dire que toutes daïas, et son fils Bitipten. Le général
les nations indigènes de la Byzacène , en chef s'était placé au centre, que
de la Tripolitaine, et des parties de la commandait Rhécinarius , guerrier
Libye qui s'étendent dans les déserts aussi brave que prudent, qui avait été
au midi de la Cyrénaïque, réunissaient antérieurement envoyé comme am-
99
APPENDICE A L'HISTOIRE D'AFRIQUE.
bassadeur à la cour de Chosroès. Du l'usage de sa nation , le grand pontife
côté des Africains, Ierna, le chef des Ierna donna le signal du combat, en
Ilasguas , chargé de défendre le camp lâchant contre les rangs ennemis un
pendant la nuit, avait fait également taureau furieux, consacré, avec un art
ses dispositions, et son ordonnance magique, au grand dieu Gurzil. Les
barbare est digne de remarque ; selon deux armées s'abordent alors en fai-
sant retentir les airs des noms du
l'usage des Africains, il avait envi- Christ et de Gurzil, et des autres dieux
ronné son camp d'un mur de cha-
meaux, formés sur huit rangs (*); il révérés par les idolâtres de l'Afrique.
avait placé, en seconde ligne, trois La bataille devient bientôt générale;
rangs de bœufs liés par les cornes, et des deux parts, on combat avec le plus
fixés à leur place. Ce double rempart grand acharnement. Les deux chefs
vivant formait un labyrinthe inextri- signalent également leur valeur : Eilé-
cable, au milieu duquel il était difficile nare, prince maure, qui, le premier,
avait osé affronter les bataillons ro-
de se frayer un chemin jusqu'à l'en- mains, succombe sous les coups de
ceinte qui renfermait les bagages et les
familles des Maures. Antalas , fortifié Rhécinarius. Nombres d'autres guer-
de ia même façon, ne tarda pas à sor- riers illustres parmi les Africains pé-
tir de ses retranchements, et à s'unir rissent. Enfin, après une opiniâtre ré-
sistance, Antalas est complètement
aux soldats qui s'avançaient également vaincu, et son armée dispersée, tandis
dans la plaine. Il confia son aile droite
aSidisan. Carcasan, chef renommé par que lui-même court chercher un asile
sa valeur chez les Ilasguas , conduisait dans le désert, et qu'il abandonne aux
la gauche. Antalas , qui connaissait la Romains les étendards qu'il avait au-
valeur des Romains et l'habileté de son trefois conquis sur Salomon. Son allié
adversaire, marchait avec précaution, Ierna est forcé à la retraite, après une
défense non moins opiniâtre. Hors
évitant d'engager
contentant son infanterie,
de le harceler avec sa nom-et se
d'état de rétablir la bataille, il résiste
breuse et excellente cavalerie. Il épiait encore; après avoir vu enfoncer son
le moment favorable pour engager double rempart de chameaux et de
une charge générale, quand, selon bœufs, il s'efforce de soustraire au
moins au vainqueur les simulacres de
'*) Murog per castra camelis , son dieu Gurzil, et il tombe en les dé-
Construit , octono circumdans ordine carnpum.
CORlPPUS, IV, 5g8, 599. fendant. La nuit et une prompte fuite
Le même poète parle encore ailleurs de cette préservèrent les restes de l'armée
manière de défendre les camps particulière maure d'une entière destruction.
aux Maures ; il dit : Jean, après avoir triomphé d'Anta-
Nara belliger Ànstur las et de ses redoutables alliés, ne per-
Sollicitas dubias cainpis committere pognas,
Collocat astrictis muros fjssasqtie camelis, dit pas de temps pour assurer sa vic-
Atque pecus varium , densa vallante corona , toire; des détachements poursuivirent
Ponit ; ut ob:cibus pugnantes implicet bostes , les vaincus dans toutes les directions;
Ambiguosque prenant.
Idem, ibid., II, 91 sqq. d'autres subjuguent les villes et les
châteaux de la Byzacène, où il laisse
Procope parle aussi du même usage (de bel%
vand. , 1,8, et II, 11) : il rapporte que, un corps d'armée qu'il croit suffisant
pour contenir le pays. Il ramène en-
dans la circonstance dont il s'agit dans son suite ses troupes vers Carthage, où il
texte, les Maures disposèrent leurs cha-
meaux en cercle, èv xvxXw, sur douze de fait une entrée triomphale. Cependant
hauteur, xcaà ôwSexa (xdXicrTa xau.rjXouç un nouvel orage se formait au milieu
TCOiY]<yàu.evoç to toO (xeTW7rov) §â6oç , au lieu des déserts de l'Afrique, et menaçait
de huit, comme dans l'occasion dont parle encore les possessions romaines. *La
Corippns. L'un et l'autre exemple , aule reste, nouvelle de la défaite d' Antalas avait
font voir combien était considérable nom- pénétré jusque dans les contrées les
7.
bre des chameaux élevés par les Maures.
{Note de Saint-Martin.) plus reculées de l'Afrique centrale , et
bien loin d'y répandre la terreur , elle
1Ô0 L'UNIVERS.
avait animé toutes ces nations bar- resse excessive avait tari toutes les
bares d'un profond sentiment de ven- sources; les récoltes avaient manqué,
geance. Dans le temps même où les et une horrible famine tourmentait les
Romains croyaient la puissance des provinces fct faisait de grands ravages
Maures anéantie , Carcasan , qui avait dans l'armée. Pour la faire subsister
commandé l'aile gauche de l'armée plus facilement, Jean fut contraint de
d'Antalas, et qu'on regardait comme la répandre sur un plus vaste espace ,
la gloire et l'espérance de sa nation , et de l'affaiblir ainsi en la divisant en
réunissait les guerriers échappés au plusieurs corps. Les Africains, plus ac-
dernier désastre, les ranimait, les ins- coutumés aux fatigues et aux priva-
pirait de sa haine contre les Romains. tions ,eurent bientôt l'avantage. Le
Le fanatisme religieux ne tarda pas à général romain avait envoyé dans
toutes les villes maritimes , pour en
s'y joindre; ces nations n'avaient pas tirer les grains qui lui étaient néces-
embrassé le christianisme, et c'était
pour eux un motif de plus de conti- sairesmais,
; pour comble de malheur,
nuer et de renouveler la guerre. Les les vents contraires empêchèrent tous
chefs mirent en mouvement les pon- les arrivages. Jean ne fut pas arrêté
tifes et les devins de ces nations sau- par toutes ces calamités; malgré les
vages. L'oracle de leur dieu Gurzil plaintes et l'insubordination de ses
promet la victoire; il annonce que les soldats, il poursuit sa marche, et, che-
Romains succomberont sous la vail- min faisant, il soumet les Astrices ,
lance des Languantans ; que les Ma- nation africaine, puissante et guer-
ziques domineront à jamais dans la rière, dont il prend des otages. Les
Ryzacène, et que Carcasan entrera vic- Romains continuent d'avancer; et les
torieux dans Carthage. Les promesses barbares , tourmentés comme eux par
des dieux, la haute réputation de Car- la faim et la soif, reculent en se diri-
casan, lui amenèrent des auxiliaires; geant vers les parties les plus arides
les peuples des déserts qui environnent du désert. Cette retraite encourage les
le temple de Jupiter Ammon, ceux des soldats romains; ils avancent rapide-
Syrtes, les Nasamons et les Garamantes ment dans un pays qui ne leur offre
viennentcombattre sous ses étendards. plus d'ennemis, et ils s'arrêtent au-
Les peuples des régions lointaines, où près d'un fleuve dont les bords , cou-
sont les marais qui donnent naissance verts d'arbres, raniment l'espérance
au Nil, lui envoient des auxiliaires. de l'armée. On se hâte de s'y établir,
Carcasan ne perdit pas de temps pour mais sans y prendre aucune des pré-
se mettre en marche; il eut bientôt cautions prescrites par le général. On
envahi la Tripolitaine ; il entrait dans se disperse dans les environs , on dé-
la Byzacène, quand Rufin, qui en était daigne de se fortifier contre un ennemi
gouverneur, dépêcha un courrier vers qui semble fuir en toute hâte. Les
Romains étaient à peine arrivés en ce
Carthageproche,despour avertir
barbares. Jean de
Surpris de cette
l'ap-
lieu, qu'ils y furent assaillis par les
nouvelle invasion, Jean donne aussitôt Africains, qui profitèrent de leur im-
des ordres pour rentrer en campagne. prudence pour les attaquer. Ils accou-
Tous les soldats sont rappelés de leurs rent de tous les points de l'horizon ;
cantonnements ; les alliés maures se les détachements romains se replient
réunissent aux Romains sous leur roi en désordre et avec perte sur le gros
Coutzinas , et on se dirige vers le de l'armée, tandis que Jean fait à la
Midi pour repousser ce nouvel ennemi. hâte ses dispositions, en s'appuyant
Carcasan, qui croyait surprendre le sur la rive du fleuve. Il se place a la
droite avec Fronimuth et Coutzinas ,
général
vers le désert,romain où , s'arrête et se
il cherche replie
à attirer le fidèle allié de l'empire. Il confie sa
son ennemi, pensant qu'il pourrait l'y gauche à Putzintulus et au Vandale
Genséric. Les Romains se forment à
combattre avec plus d'avantage. On
était alors au fort de l'été; une séche- la hâte, et se préparent à résister à un
APPENDICE A L'HISTOIRE D'AFRIQUE. 101
ennemi qui les environne de tous les courent àdes moyens qui leur sont
côtés, et dont ils ignorent les forces. plus familiers , et qu'ils regardent
Carcasan profite avec habileté de la dis- comme plus sûrs. Ils harcèlent l'armée
position du terrain, couvert d'arbres de Jean, détruisent le pays à de grandes
qui troublent les manœuvres des Ro- distances autour de son camp ; puis,
mains. Ils résistent cependant ; Jean par des attaques simulées, ils fatiguent
s'efforce d'arrêter les progrès tou- les Romains , qu'ils entraînent à leur
jours croissants des barbares, mais il suite dans des cantons dévastés et dé-
()erd la meilleure partie et les plus serts, où ils espèrent les livrer à une
)raves de ses soldats; plusieurs de ses mort certaine. Les Romains éprouvè-
plus habiles officiers succombent ; sa rent en effet les plus grandes priva-
valeur est inutile, il est contraint tions, en s'attachant à leur poursuite;
d'abandonner
de se retirer enle toute champhâte bataille,Car-et les fatigues et la soif leur enlevèrent
de devant
plus de soldats que le fer ennemi. Le
casan et les Maures victorieux.
Jean fit sa retraite en bon ordre : se- tribun Cécilides, qui conduisait l'avant-
garde, parvint cependant à les attein-
condé par Rhécinarius, il parvint à dre; les Maures furent vaincus dans
soustraire aux efforts des Africains les un premier combat, où ils firent une
restes de son armée, et il les condui- opiniâtre résistance; plusieurs de leurs
sit àLaribe, ville forte de la Numidie, plus vaillants chefs succombèrent, et
environnée de vastes forêts , et dont un grand nombre furent faits prison-
les remparts avaient été réparés depuis niers parmi
; eux, on distinguait Varin-
peu par les ordres de Justinien ; Jean nus. Chargés de fers, ils bravaient, ils
se hâta d'y appeler les chefs et les na- injuriaient encore leurs vainqueurs;
tions de l'Afrique restés fidèles à la pleins des promesses de leurs oracles,
cause des Romains. Des convois de
ils nourrissaient
casan victorieux chasser l'espoir de
les voir Car-
Romains
vivres, des armes, des renforts lui fu-
rent expédiés de Carthage, tandis que et rendre la paix à l'Afrique; ils insul-
Jean, fils d'Etienne, s'efforçait, par ils rappelaient taient àla puissance de l'empereur,
les ordres du général, d'apaiser une leurs ancêtres contre les combats livrés par
Maximien. Irrité
guerre qui s'était élevée entre Coutzi-
nas et Iiisdaïas, autre chef maure du de tant d'audace , le général les fit
parti des Romains. On parvint à as- mettre à mort.
soupir une division aussi préjudiciable Malgré le succès qu'il venait d'ob-
aux intérêts de l'empire; et Coutzinas tenir, Jean n'osa poursuivre plus loin
ne tarda pas à venir rejoindre Jean les barbares ; il s'était aperçu que ce
avec des forces considérables ; son n'était pas la crainte qui les faisait re-
exemple fut imité par Ifisdaïas, qui culer devant lui, et il reconnut les pé-
vint du mont Aurasius avec beaucoup
de vaillants guerriers. Il fut bientôt rils qui le menaçaient, s'il s'acharnait
suivi par Iabdas, le plus puissant des plus prit donc longtemps' à leur
le parti poursuite. Ilà
de rétrograder
princes de la contrée, accompagné de son tour, pour les attirer vers le rivage
son fils. Enfin, le préfet Bézina amena de la mer, dans les lieux où il serait
au camp romain toutes les forces dis- plus facile de les combattre. Carcasan
ponibles desa nation. Cependant An- et Antalas, qui observaient les mouve-
talas, ranimé par la victoire de Carca- ments des Romains , prirent cette re-
san, avait repris les armes, et il avait traite pour une fuite; ils revinrent sur
de nouveau envahi la Byzacène. Il leurs pas , et se postèrent dans des
s'unit à Carcasan, et tous deux ils es- lieux élevés , tandis que les Romains
couvrirent de leurs tentes les bords de
pèrent être bientôt en état d'anéantir
les restes de l'armée, et de triompher la mer, en plaçant au milieu d'eux les
des alliés de l'empire. Ce n'est pas ce- Maures alliés. La discorde se répandit
pendant force
à ouverte qu'ils veulent bientôt dans l'armée ; une sédition s'y
achever la ruine des Romains ; ils re- éleva ; des chefs ambitieux cherchaient
102 L'UNIVERS.
à renouveler les criminelles entre- tête de ses gardes. Ils ne tardèrent pas
prises des successeurs de Salomon. à mettre le désordre dans l'armée
Tarasès, Rhécinarius, et d'autres gé- africaine, où ils firent un grand car-
néraux, s'efforcèrent de rétablir l'or- nage. Coutzinas et les alliés maures
dre; leurs efforts furent vains, et cette furent moins heureux de leur côté ; re-
révolte aurait peut-être amené les plus poussés avec perte , ils étaient sur le
fâcheux événements, si Coutzinas et
point d'abandonner le champ de ba-
les Maures fidèles n'étaient accourus tail e quand
, ils virent Jean vainqueur
au secours du général. Les soldats arriver à leur secours; ils reprennent
des deux nations en seraient venus courage, repoussent leurs ennemis, et
aux mains, si Rhécinarius n'était par- les mettent dans une déroute complète.
venu par ses discours conciliants à Cette victoire décisive mit fin à la
les calmer et à ramener la paix. Jean guerre d'Afrique. Antalas, sans espoir
décampa aussitôt, et vint prendre po- de continuer la guerre, se soumit à la
sition dans un lieu appelé 1rs Champs domination impériale, et les barbares
de Caton, dont la situation nous est furent repoussés jusqu'aux extrémités
inconnue. Carcasan et Antalas l'y de l'Afrique. Pour Carcasan, il périt
suivirent, et vinrent se placer à peu sur le champ de bataille; sa tête, sé-
de distance; et des deux côtés on ne parée de son corps, fut placée au haut
tarda pas à se préparer à une bataille d'une lance, et promenée dans les rues
décisive. Pour se rendre les dieux fa- de Carthage. Ainsi fut accomplie la
vorablesles
, Africains leur offrirent prédiction mensongère de ses devins,
d'abondants sacrifices : les uns s'a- qui lui avaient promis de le faire en-
dres ent Gurzil,
à qui est Jupiter Am- trer triomphant dans les murs de cette
mon; d'autres invoquent Mars, et capitale de l'Afrique. Jean ramena ses
d'autres troupes victorieuses dans Carthage, et
times encore
humaines à présentent
leur dieu Ma des
s ti m vic-
an.
continua
rien ne troubla de gouverner plus del'Afrique,
longtempsdontla
On s'attaque au lever de l'aurore.
Jean donne le signal du combat, en tranquillité.
chargeant lui-même les ennemis à la

FIN DE L APPENDICE.
««WUUMU'VM hMvtvt^\a%> ■*■»*•-»■«,

TABLE
DE L'HISTOIBE D'AFRIQUE SOUS LA DOMINATION DES VANDALES
ET SOUS LA DOMINATION BYZANTINE.

Arianisme (T) est embrassé par les Van-


dales en Pannonie, 7 b et 84 b.
Abaritane; Genséric se réserve la pro- Arsenal (1') de Cartilage, 84 b ; il est vi-
priété de cetle province, 82 a.
sité par l'empereur Majorien, 22 b.
Administration romaine (1') survit à la Artaban, officier arménien, gouverneur
conquête des Vandales, 86 b; administra- de l'Afrique, g3 b.
tion byzantine, 95 et suiv. Aspar, général romain, i3 a, b; 25 b ;
Aétius, rival de Boniface, 8, b. ; sa per- sa mort, 26 a.
fidie,ibid.; il est vaincu par Boniface, i3,
b.; il est assassiné, 19 a. Astérius, général de l'empire, 7 a.
Ataidfe, roi des Wisigotbs, 6 b.
Afrique; son étal au moment de la con- Attila, roi des Huns, s'allie à Genséric,
quête, 11, b.; sons la domination byzantine, 17 b; se jette sur la Gaule, 18 b.
91 et suiv.; pacification de cette province, Augustin (saint), sa mort, i3 a.
94 a; son histoire depuis la mort de Jus- Aurasius, montagne d'Afrique, 92 a.
tinien, 94 a et suiv.
Aurétien (l'empereur) bat les Vandales, 3 b.
Aigan, officier byzantin massacré par les Avitus, empereur déposé, a 1 b.
Maures , 92 a.
Alains réunis aux Vandales, 4 b ; 5 a, b.
Alode germanique , 82 b.
Alexandre, officier de la maison de Pla- Baléares (les îles), 8 a ; tombent au pou-
cidie, 29 b. voir de Bélisaire, 70 a.
Althias, officier byzantin, arrête les en- Bcuiliscus, général byzantin; il est battu
vabissements d'Yabdas , 92 a. par Genséric ; sa lâcheté, 24 et 25.
Amalafrid épouse Tbrasamund , roi des Bélisaire; ses commencements, 42 a, b;
Vandales, 38 a ; excite une révolte, 38 b; son armée, 42 b et 43 a; sa sévérité, 44 a ;
elle est mise à mort, 39 a, ses discours aux troupes, 49 h; 53 a , b ;
Amalasuntha ; sa réponse à Bélisaire sur il entre à Carthage, 56 a et 57 b ; il donne
la possession de la Sicile, 70 b. l'investiture aux chefs maures, 62 a ; il va
An/matas, frète de Gélimer, 5i b; 52 a, à la rencontre de Gélimer, 65 a; sa dou-
b; impression que cause sa mort au roi
vandale, 04 b et 55 a. ceur, 67 a ; il se rend maître d'Hippone ,
68 b; il est accusé par ses officiers auprès
Ampsaga, fleuve d'Afrique, 11 b. de l'empereur, 73 b; il retourne à Cons-
Anlalas, cbef maure , 93 b. tantinople, 73 b et 74 a; son triomphe, 74
Antonina , femme de Bélisaire, 42 b; sa a, b; il est nommé consul , 73 a.
prévoyance, 45, a, b. Boniface (le comte) sert en Espagne , 7
Apollinarius, officier byzantin, s'empare b; son portrait , sa vie, 8 a, b; il appelle
des îles Baléares , 70 a. les Vandales en Afrique, 9 a ; son repentir,
11 b ; sa mort , 1 3 b.
Arabes (les) s'emparent de la Cyrénaï-
que et de la Tripoli taine, g5 a. Boniface, serviteur de Gélimer ; le roi
Archélaiis (le préfet); son discours à Bé- vandale lui confie ses trésors, 69 a,b.
lisaire, 46 b, 47 a; il conduit la flotte by- Bulla (plaine de), 55 a; 6. b.
zantine àCartilage, 52 a; il devient préfet Burgaon (la bataille du mont) perdue
du prétoire en Afrique, 92 a. par les Maures, 92 a.
Aréobinde (le sénateur) partage le com- Byzacène, province soumise à Genséric,
mandement enAfrique avec Sergius, 93 b; 16 a; 17 b ; ses évèques sont exilés, 38 a ;
il est assassiné, ibid. elle est envahie par les Maures , 39 a.
104 TABLE

c. Cyrus, officier byzantin , gouverneur de


la Pentapole, g3 a.
Calonyme, amiral byzantin, aborde à Car-
tilage, 56 b ; sa fia, 67 a.
Camut, noble vandale; traitement que lui
fait subir Huilerie, 3a a et b. Darius est envoyé
cidie à Boniface, 12 par
a. l'impératrice Pla-
Caracalla (l'empereur) ; ses tentatives Décani ou Taihunfath , juges vandales,
pour désunir les barbares, 3 b.
Caralis, ville de Sardaigne, 60 a. 82 a ; leurs fonctions dans l'armée, 83 b.
Carcason, chef maure, 94 a. Decimum (gorges de), 5i b et 52 a.
Carthage; tableau de cette ville, i5 b; Deogratias, évêque de Carthage ; sa cha-
rité et sa noble conduite, 20 b.
elle est prise par Genséric, 16 a; concile de
Didyme, chef espagnol , 4 b.
Carthage, 33 a; Calonyme y aborde, 56 b;
elle est occupée par Bélisaire, 56 b ; ses for- Diogène, officier byzantin ; sa bravoure,
tificaiions réparées, 60 a; conspiration tra- 59 a , b ; 60 a.
mée dans cette ville contre la domination Domaines (les) du roi chez les Vandales,
80 a, b.
byzantine, 63 b ; elle est prise par les Ara-
bes, 95 a. Donatistes (les) s'unissent aux Vandales
Cassiodore , général romain, repousse E.
au moment de l'invasion, 11 a, 84 b.
Genséric, 17 a.
Castinus , général romain; sa conduit
en Espagne, 7 a.
Espagne ; son état après la conquête des
Catholiques (les) de l'Afrique persécutés, Vandales , 5 a , b; 6 a.
16 a; leurs églises rouvertes, 26 b; les ca-
tholiques persécutés de nouveau par Huné- Epiphanius, archevêque de Constantino-
ric et ses successeurs, 3a b, 36 a b, et 37 ple , bénit les soldats de Bélisaire qui par-
a, b ; lin de la persécution, 39 b ; ils triom- tent pour l'Afrique, 43 b.
phent par Bélisaire, 58 a. Euagis, prince vandale , frère d'Oamer ,
Centenarii (les) , juges vandales, 82 a ; ce 39 b; il est assassiné, 5i b.
qu'ils étaient dans l'armée, 83 b. Eudoxie (l'impératrice) appelle Genséric
Césarée tombe au pouvoir de Bélisaire , en Italie, 19 b; elle est emmenée prison-
69 b. nière àCarthage, 20 b, et renvoyée à Cons-
tantinople, 21 a.
Ceuta , ville d'Afrique occupée par les Eudoxie, fille de la précédente et de Va-
Byzantins , 70 a.
lentinien, épouse Hunéric, fils aîné de Gen-
Champs de Caton. Les Maures 'y sont séric, 21 a; sa dot, 29 b.
battus , 94 a.
huric, roi des Wisigoths, 18 b.
Commerce de l'Afrique sous les Vandales,
88 a, b, et 89. Évêques persécutés par Hunéric, 36 b •
Conseil de guerre tenu par Bélisaire , 46 37 a; leur pouvoir dans les villes d'Afri-
a, 47 a, b. que, sous les Vandales, 87 b.
Conseil des rois vandales, 79 b. Exactores, percepteurs de l'impôt , 80 ;
choisis , même sous la domination vandale,
Constantin (l'usurpateur), 4 b, 5 a.
Coptos (teinturiers de), 88 b. parmi les Romains de l'Afrique, 86 b.
Corippus (le poète); son poëme sur Jean Exportations de l'Afrique, 86 b.
Troglita, 93 b. F.
Corse (l'île de) conquise par Genséric,
23 b; les troupes byzantines la reprennent,
69 b. Para, officier de Bélisaire chargé de sur-
Cuzinas, chef des Maures , 92 a ; sa fin, veiller les mouvements des Maures, 63 a,
94 a. 68 b ; il assiège Midenos , 70 b ; il écrit à
Cyprienne (fête), 58 a. Gélimer, 71 b; il décide le roi vandale à se
Cyiénaique (la) tombe au pouvoir des rendre, 72 b.
Arabes, 95 a. Fisc impérial; ses exigences ; il appauvrit
Cyrille , officier byzantin , arrive à Car- et ruine les populations, 6 a, 28 a, 80 b,
thage, 61 b ; il fait la conquête de la Sar-
daigne etde la Corse, 69 b. 96 Fortunat
a , b. (le poète), 90.
Cyrus, général romain, 17 t. Frank* (les) battent les Vandales, 4 b.
10&
DE L'HISTOIRE D'AFRIQUE
G. Gundéric, frère de Genséric, est assas-
siné, b9 ; sa veuve et ses enfants tués par
Genséric , i5 b.
Galbiontrice Placidie , général envoyé par
contre Boniface l'impéra-
révolté , 8 b. Gnnthamund, roi des Vandales; sa to-
Gasmul, roi maure ; ses projets hardis , lérance ,ses guerres , ses relations avec les
94 a ; sa fin , 94 b. Ostrogoths, 37 b.; sa mort, 38 a.
Gaudentius, fils d'Aétius , prisonnier de Gurzil, Jupiter africain, 94 a.
Genséric, 21 a, 23 b. H.
Gélimer, roi des Vandales ; son avène-
ment et sa lettre à Justinien , 39 a, b; son
imprévoyance, 48 a ; ses fautes , 54 a , b ; Hassan , chef arabe , détruit Carthage ,
sa défaite , 55 a ; il surveille les mouve-
ments de l'armée grecque, 5g a ; il rappelle Heldic, noble vandale ; sa mort, 32 a.
de la Sardaigne son frère Tzazon, 62 a, b ;
il marche sur Carthage, G3 a, b; sa fuite, 95 Héraclius,
a. général romain, 24 b.
66 a ; sa défaite, 67 a ; ses trésors, 69 a ; Héraclius (l'empereur), 94 b.
Hérésies, en Afrique, 27 b.
ses demandes à Fara , 72 a; il se décide à
se rendre, 72 b ; il est conduit à Carthage, Hermione, ville de la Byzacène, résidence
des rois vandales, 5i b, 80 a.
73 a ; à Constantinople , 73 b, 74 b , 75 a.
Hermigar, chef sue ve, battu par Genséric,
Qennadius, gouverneur de l'Afrique sous
Tibère , 94 b. 10 a.
Genséric; motif de son expédition en Hernies dans l'armée de Bélisaire, 42 b,
Afrique, 9 a; son inaction, 14 b; il étend repousses de Midenos, 70 b.
ses conquêtes, 16 a ; il attaque l'Italie et la Hildéric, roi vandale; sa tolérance, 38 b ;
Sicile, 17 a, b; il envoie des émissaires à ses relations avec l'empire d'Orient ; il est
Attila, 17 b ; il fait la paix avec Valenti- déposé, 39 a, b; il est assassiné, 5i b ; ses
nien, 17 b; ses alliances avec différents filles sont bien accueillies par Justinien,
peuples , 18 a , b ; il pille Rome, 19 b; il
demande la paix , 23 a ; il échoue devant 75 Hippone,
a. ville d'Afrique, 12 a; elle est
Alexandrie, 26 a; sa mort, son gouverne- assiégée par les Vandales, 12 b; elle se rend,
ment, 26 b et suiv.; son portrait, 28 b, 29 i3 b; elle est prise par Bélisaire, 68 b.
a, b. Hundafath, titre de certains juges chez
Genzon, fils de Genséric, 25 a; il est per- les Vandales, 82 b.
sécuté par Hunéric, 34 a.
Géro/i tins, 5 a. Hunéric donné en otage à l'empereur
Gcrmanus, neveu de Justinien, envoyé d'Orient, 14 a; son avènement au trône,
29 b ; sa, conduite cruelle envers sa famille,
contre Stozas , 92 b. 3i b et 32 a ; son édit contre les catholi-
Gétulie, province d'Afrique dont Gensé- ques, 33 et suiv.; sa mort, 37 b; la part que
ric se réserve la possession, 82 a. lui assigne Genséric dans la conquête de
Gibamund, neveu de Gélimer, 52 a ; mas- l'Afrique, 82 a, b.
sacré52avecb,le53corps
dait, a. d'armée qu'il comman- Huns (les) au service de l'empire byzan-
Gibbon; une erreur de cet historien, 5i tin , 44 a ; ils combattent contre Giba-
a, b. mund, 52 ; ils conspirent en faveur de Gé-
Godas, chef vandale, se révolte contre limer, 63 b ; leurs dispositions à la bataille
Gélimer, 41 b, 48 b ; il est tué, 60 b. de Ti ieamara , 65 a ; ils se rattachent défi-
nitivementBélisaire,
à 65 b.
Gontharis se rend maître de Carthage ,
93 b.
Goths (les) se précipitent sur les Vanda-
les, 4 a ; ils envahissent l'Espagne, 6 b ; ils ' Ierna, chef maure, 94 a.
s'allient aux Vandales, 18 a, b; ils trahis- Ilasguas, tribu maure, 94 a.
sent Majorien, 23 a.
Gotthée, ambassadeur de Gélimer àTheu- lldiger, officier byzantin, amène des ren-
dis, 61 a. forts àSalomon, 92 a.
Grasse, ville d'Afrique, 5i a, b. , Importations en Afrique, 89 a.
Grégoire, dernier préfet du prétoire en Industrie des Vandales, 89 a.
Afrique, g5 a.
106 TABLE

Jean, général au service de l'empire, ga- Majorien (l'empereur), 22 a; il équipe


gné par Genséric, 17 a, b. une flotte, 22 a, b; il va sous un déguise-
Jean, de Cappadoce; son discours dans ment à Carthage, 22 b ; sa flotte brû-
le conseil de Justinien relativement à l'ex- lée, 23 a; sa mort, ibid.
pédition d'Afrique, 41 a, b; il fournit des Malte , île de la Méditerranée prise par
vivres aux troupes, 44 b. les Vandales ,21b.
Jean, l'Arménien, combat contre Am- Mamma (bataille de), 92 a.
matas, Si b ; il sort de Cartilage à la tête Mandracium , port de Carthage, 55 b,
d'un corps d'élite , 64 b ; il poursuit Géli-
mer, 67 b ; sa mort, ibid. Mannert ; jugement sur son histoire des
Jean, officier de Bélisaire , occupe Césa- Vandales , 1 a , b.
rée, 69 b. a.
92MarcelUanus en Sicile, 23 b; son rôle
Jean Rogathinus , gouverneur de Car- sous le règne d'Anthemios ,24a; en Sar-
tilage ,94 a. daigne, 24 b ; sa flotte, 24 b ; sa mort, 25 a.
Jean, fils de Sisiniolus, g3 b. Marchands de Carthage pillés par les
Jean Ti oglita , 93 b ; il bat les Maures, soldats byzantins , 57 a.
94 a. Marcien , neveu de Justinien , bat les
Jocundus, patriarche arien ; son supplice Maures ,94 a.
ordonné par Hunéric, 32 b. Marcomans font la guerre aux Romains,
Jusiiniana, nom donné à Cartilage, 96a. 3 b.
Justinien; ses lettres à Gélirner, 3<j b; sa Marcus ; son histoire des Vandales , 1 a,
joie à la nouvelle du succès de l'expédition b ; 2 a , b ; 5 b ; 6 a ; ses opinions, 12 b ;
de BélisaireJ, 74 a ; il prend le titre d'A- .14 a; 34 b ; 54 b; 85 a, b; 82 a.
fricain, 77b, et suiv.; il rétablit l'adminis- Marine des Vandales, 84 a, b.
tration romaine en Afrique, 86 a. Maures, peuple allié des Vandales, 10 b;
K.
ce qu'ils étaient sous Genséric, 28 a; guerre
contre les Vandales, 3o b, 3r a, b; guerre
avecGunthamund, 37 b; avecThrasamund,
Kairottan , ville fondée en Afrique par 38 b; avec JJildéric, 39 a; ils sont battus
les Arabes, 95 a. par Gélimer, 39 a; leurs dispositions à
KXyjpot {sortes Vandalici) , lots des Van- l'égard des Byzantins après la prise de Car-
dales dans le partage des terres conquises, thage par Bélisaire, 61 b, 62 a, 68 b;
8a b. leurs mœurs, 7 1 a; ils sont battus à Mamma,
L. 92 a ; quatre-vingts Maures massacrés con-
tre la foi des traités , 93 a.
Mauritanie Sitiûenne soumise par Salo-
Laurus , citoyen de Carthage , conspire mon, 93 a.
contre les Byzantins, 63 b. Mauritanies soumises aux Vandales, 21a;
Légendes, 5^ b, et suiv. dévastées par Genséric, 23 a.
Léon (le pape) protège Rome contre Gen- Mavors, officier romain, envoyé contre
séric, 19b. Boniface révolté , 8 b.
Maximus (Pétronius) est fait empereur ,
Léon 24(l'empereur)
flotte, b; sa mort,, 24 26 aa.; il équipe une
Lettres de Gélimer à Tzazon , 62 a , b ; 19 Maxime,
a. chef de révoltés , 93 a.
de Bélisaire aux officiers goths qui com- Méditerranée; destinée des peuples qui
mandaient en Sicile , 70 a , d'Amalasnntha habitent sur les bords de cette mer, 16 b.
à Bélisaire, 70 a, b; de Fara à Gélimer, Mercure (cap de) doublé par la flotte by-
71 b; de Gélimer à Fara, 72 a, b ; de Jus- zantine, 55 b, 56 a.
tinien àBélisaire, 91 b. Midenos, ville maure, 68 b; assiégée par
Lilybée, ville de Sicile prise par Gensé- Fara, 70 b; description de cette ville, 71 b.
ric, 17 a; les Grecs repoussés devant ses MiUenarii, cliefs vandales, 81 a.
murs, 70 a. Moawiali (le khalife) , 95 a.
Littérature des "Vandales et des Africains Mœurs des Vandales, 90 b, et suiv.
sous la domination barbare , 90 a, b. Molocka (sources du fleuve), 88 b.
Murailles (les) de toutes les villes d'Afri-
107
DE L'HISTOIRE D'AFRIQUE
que abattues après la conquête vandale, Pudentius, agent secret de Justinien,
84 a. 41 b; il est. attaqué par les Maures, 7 a.
Punique (la race), 11 a.

Naudet (M.) ; son mémoire sur l'état des


personnes en France, etc., 81 a.
Noblesse chez les Vandales, 81 a, b ; le Religion des Vandales , 84.
roi peut appliquer aux nobles des peines Repas donné par Bélisaire à ses officiers,
infamantes, 81 b; ouvrier ennobli, 90 a.
Notarii , employés du magistrat vandale 57 Rlclmer
a. bat les Vandales, ai b; ses in
appelé prœpositus regni, 81 b. trigues, 23 b.
Roi (le); son pouvoir et ses attributions
chez les Vandales, 78 b, 79 a ; son conseil ,
domaine, son trésor, l'em-
Oamer, surnommé l'Achille des Vandales, ses son
79a,ploi deb; deniers, 80 a , b.
3g a , b ; il est assassiné par ordre de Gé- Romains ; leur état en Afrique après la
limer, 5i b. conquête vandale, 85 b; 86 a, b.
Organisation politique des Vandales en Rome pillée par les Vandales, 19 b; 20
Afrique, 78 a, b, et suiv.; organisation ju-
diciaire, 8x b, et suiv.; organisation mili- a, Rufui
b. , officier byzantin massacré par les
taire 83
, a , b. Maures, 92 a.
Ornements de l'ancien temple de Jérusa-
lem rapportés de Carthage à Constantino-
ple , 74 b.
Ostrogoths (les) s'allient avec le roi van- Salomon , général byzantin , commande
dale Gunthamund, 37 b. l'armée d'Afrique en l'absence de Bélisaire,
73 b; sa campagne au mont Aurasius, 92 b ;
il est tué à Theveste, 93 a, b. J
P. Salvlen, 9 b.

Pannonie ; les Vandales s'y établissent , Sardaigne prise par les Vandales, 23 b ;
4 a. ils la perdent , 24 b; nouvelle conquête de
Papencordt t jugement sur son histoire l'île ,25b; Tzazon , frère de Gélimer , y
des Vandales, 2 a, b. soumet Godas, 60 a, b; elle est attaquée et
Pappua, montagne d'Afrique, 70 b, 73 a. envahie par Cyrille, officier byzantin, 49 b.
Partage des terres de l'Afrique entre les Scalœ veteres (plaines de) ; Stozas y est
Vandales conquérants , 8a a. battu , 93 a.
Perses (les) en guerre avec Justinien,
Sergius, neveu de Salomon , rallume la
40 b.
Prœpositus regnl , grand magistrat chez guerre avec les Maures , et succède à Salo-
les Vandales, 81 b, 82 a. mon dans le commandement de l'armée ,
Prœpositus judiciis romanis; attributions 93 a, b.
Sévère; sa mort, 23 b.
de ce magistrat sous la domination vandale,
86 b. Sicile (la) est attaquée par Genséric, 17
a ; elle est conquise par les Vandales, 25 b ;
Probus (l'empereur) bat les Vandales dans les Grecs ne peuvent la prendre, 70 a.
la Germanie, 4 a.
Proconsulaire (la) , province d'Afrique Siglswulde y officier romain envoyé con-
soumise à Genséric, 16 a, 17 b; partagée tre Boniface révolté , 8 b.
entre les guerriers vandales , 82 a. Si linges (Vandales), 5 b.
Procope (l'historien); son départ de Cons- Sinox , officier romain envoyé contre
tantinople , 43 ; appréciation de son ou- Boniface révolté, 8 b.
vrage ,43 b ; ce qu'il fait à Syracuse, 46 Slnuessa ; la flotte vandale y est battue ,
a, b ; sa réponse à Archélaûs, 47 a, b; 22 a , b.
48 a. Stozas se révolte contre Justinien, 92 b ;
il sort de sa retraite , 93 b.
Procuratores, percepteurs de l'impôt sous
la domination vandale , 80 b.
80 Succession
a. (loi de) chez les Vandales ,
Propriétaires romains devenus colons ,
86 a ; indemnisés par Justinien , gS b. Suèves (les) s'unissent aux Vandales, 4 b.
108
TABLE DE L'HISTOIRE D'AFRIQUE.
Suinthilas, roi des Wisigoths, s'empare Ulphilas ; sa Bible, 90 b.
de plusieurs villes en Afrique , 94 b.
Syllectum5o , a.
ville d'Afrique occupée par
Bélisaire, V. •
^alentinien (l'empereur) ; sa mort, 19 a.
Vandales ; leur origine ; leur séjour en
Taihundafath, chefs germains, 81 a; ju- Germanie, 3 a, b; ils s'unissent aux Bur-
ges pendant la paix, 82 a; explication de gondes ,4a; passent en Espagne , 4 b ; ils
ce mot , 83 a. triomphent des Goths et des Romains , 7
a , b ; ils sont appelés en Afrique par Bo-
Tailuinfath. "Voy. Décani. ni face , 9 a; jls battent Boniface , 12 a;
Tattimuth est attaqué par les Maures,
leurs cruautés, 12 b; ils pillent Rome, 19
70 a.
Tennis, ville d'Afrique, 70 a. b; ils s'emparent de la Mauritanie et de la
Tripolitaine, 21 a; leurs courses sur mer,
Testament de Genséric, règle l'ordre de 21 a, b; ils brûlent la flotte de Majorien,
succession au trône, 80 a.
Teucarie , victime des cruautés de Huné- a3 a; leurs pirateries, 23 a, b, 24 a; ils
ric; sa mort. 32 a. brûlent la flotte des Romains , 24 b, 25 a,
26 a ; étendue de leurs possessions en Afri-
Théodora (l'impératrice), 74 a. que sous Genséric, 28 a, b; leur portrait
Théodore, officier byzantin; amène de
nouveaux renforts à Salomon, 92 a. d'après Orose ,28b; leurs guerres avec les
Maures, 3o a, 3i a, b ; leur expédilion en
Théodoric, roi des Ostrogoths, s'allie avec Sardaigne, 48 a , b; ils sont battus à Deci-
les Vandales, 18 b, et 26 a.
irmm, 55 a; les Vandales de la Germanie
Theudis, roi des Wisigoths, rejette l'al- envoient des députés à Genséric, 58 b ; des-
liance de Gélimer, 60 b; 61 a.
tinée des Vandales, 75 a, b; ils ne ser-
Thevesle (bataille de) gagnée par les Mau- vaient pas à pied dans les armées, 84 a ;
res, 93 a, b.
Thrasamund, roi des Vandales ; sa con- causes de la chute de l'empire vandale, 76
a et b, 77 a et b, et 78 a.
duite àl'égard des catholiques ; ses allian- Vandales modernes , 76 a
ces, 38 a; ses guerres; sa mort, 38.
Tolhus; son récit sur les Vandales mo- Veranien, chef espagnol , arrête les Van-
dernes ,76 a. dales aux Pyrénées, 4 b.
Trésors (les) de Gélimer, 69 a. Verine (l'impératrice), W. 24b.
Tricamara (bataille de), 64 b, et suiv.
Tripolitaine, province soumise aux Van-
dales, 21 a; aux Arabes, 95 a.
rVallia, roi des Wisigoths, 6b; 7 a.
Trjphon et Eustratius envoyés en Afri- Wisigoths (les) alliés de Genséric, 18 b ,
que pour faire un nouveau cadastre, 96 a. 22 b.
Tunis (lac de) ; la flotte byzantine y jette
l'ancre, 56 b.
Tzazon , frère de Gélimer, 48 b; il
triomphe en Sardaigne, 60 a ; sa lettre à Yabdas, chef maure, commande sur le
Gélimer, 60 b ; il quitte la Sardaigne, 62 b; mont Aurasius , 92 a.
son entrevue avec Gélimer, 63 a ; sa mort, Z.
65 b ; sa tête portée en Sardaigne , 69 b.
U.
Zenon (l'empereur) demande la paix à
Genséric , 26 a ; il négocie avec Hunéric ,
Uliaris, officier des gardes de Bélisaire ,
54 a ; il tue Jean l'Arménien ,67 b ; il Zeugitane , province d'Afrique occupée
obtient son pardon , 68 a. par les Vandales, 17 b.
»——»»•«»•« O^«^>tt>»9>>««»>)0«B>>a«»»»»tÉ><

TABLE GENERALE
DE L'HISTOIRE DE L'AFRIQUE ANCIENNE.

Pages.

Préface de l'Éditeur. i - iv
Esquisse générale de l'Afrique, par M. d'Avezac 1-48
Introduction a la description et a l'histoire de l'Afrique
ancienne, par le même 49-66
La Libye propre comprenant la CyrénaÏque et la Marma-
rique , par le même. 67-158
Carthage.
Première partie , par M. Dureau de la Malle 1-09
Deuxième partie y par M. Jean Yanoski 80-172
Histoire de la Numidie et des Mauritanies, par M. L. La-
croix 1-96 ^
L'Afrique chrétienne, par M. Jean Yanoski i-63 ^S
Histoire de la domination des Vandales en Afrique , par
M. Jean Yanoski 1 - 91 S
Histoire de l'Afrique sous la domination byzantine , et
Appendice à cette histoire par le même 91-102

PIN DU VOLUME.
DT
170 Avezac-Macaya, Armand d1
Afrique
A85

UNfVERSITY OF TORONTO LIBRARY


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