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L'UNIVERS.
HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES.
AFRIQUE.
TABLEAU GENERAL.
AFRIQUE ANCIENNE.
PARIS.
imprimeurs de l'institut,
rue Jacob , 56.
AFRIQUE.
TABLEAU GÉNÉRAL,
PAR M. D'AVEZAC,-
DES SOCIÉTÉS GÉOGRAPHIQUES DE PARIS , LONDRES ET FRANCFORT ,
DE LA SOCIÉTÉ AFRICAINE DE LONDRES,
AFRIQUE ANCIENNE
(CYRENAIQUE, CARTHAGE, NUMIDIE , MAURITANIE),
PAR MM.
DUREAU DE LA MALLE,
MEMBRE SE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES,
YANOSKI,
PROFESSEUR SUPPLEANT AU COLLEGE DE FRANCE
M DGCG XLII.
no
Ji
L'UNIVERS, OU
HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, INDUSTRIE, COUTUMES, etc.
PAR M. D'AVEZAC,
DES SOCIÉTÉS GÉOGRAPHIQUES DE TARIS, DE LONDRES ET DE FRANCFORT, ETC.
INTRODUCTION.
Près d'aborder un sujet vaste dans le futile mérite de présenter tour à
son ensemble, compliqué dans ses dé- tour des descriptions ou des récits
tails, dont nous ne voulons laisser en particuliers, dont l'intérêt spécial fasse
oubli aucun trait essentiel; ayant des- oublier le récit qui précède pour s'ef-
sein d'effleurer, au moins, les parties facer bientôt devant le récit qui sui-
que diverses raisons, telles que le temps vra : préoccupé du besoin d'exciter
et l'espace assignés à notre travail, la dans la pensée quelques idées plus du-
nature de ce travail lui-même , et par- râbles que les fugitifs souvenirs de ces
dessus tout notre propre insuffisance, descriptions et de ces récits morcelés ,
ne nous permettraient point d'appro- qui n'ont d'autre lien apparent que
fondir; forcé de consacrer, au tableau leur juxtaposition ou leur succession
que nous allons entreprendre, une Ion- matérielle, nous avons dû porter nos
gue série de pages, variées comme les premières sollicitudes sur la méthode
aspects multiples du sol, comme la qu'il nous convenait d'adopter pour
pbysionomie diverse des populations, montrer et ne ja'mais laisser perdre
comme les faits successifs de l'histoire de vue l'enchaînement mutuel de toutes
des empires; et désirant, plus que ces choses que nous avons à décrire et
toutes choses , que ce tableau dont le à raconter.
cadre est si grand, les détails si nom- C'est d'une puissante synthèse qu'il
breux, les parties si variées , n'ait point nous faut emprunter le secours , afin
ire Livraison. (Hist. de l'Afrique. 1
L'tJNIVERS,
de ramener à une constante unité les physiques qui la caractérisent, et les
faits de divers ordres sur lesquels no? influences atmosphériques auxquelles
tre attention doit se trouver tour à tour elle est soumise; puis nous apparaîtra
appelée. Montrer et définir cette unité, la végétation distribuée à sa surface
la considérer sous les divers aspects par grandes agglomérations diverse-
qu'elle peut offrir dans son ensemble; ment nuancées au gré de la multipli-
tracer les grandes coupes naturelles cation de telle ou telle espèce prédo-
entre lesquelles se distribuent par minante. Ensuite se montreront les
masses, puis par groupes successive- animaux qui la peup'ent, et à leur
ment étages, les détails sans nombre tête l'homme, sur lequel
qui doivent former comme les fils d'un trera dès lors toute notre seattention
concen- :
nous verrons les différences de couleur
vaste tissu : tel est le plan qu'il con-
vient de suivre pour que , saisis- et de formes, nous entendrons les
sant lacorrélation naturelle des faits variétés de langages qui le séparent
isolés, des groupes où ces faits ont en races distinctes; nous étudierons
leur place déterminée, des masses où ses mœurs, ses usages, son dévelop-
ces groupes se doivent encadrer, et pement intellectuel , la constitution
du grand tout, enfin, que compose sociale qu'il s'est donnée; nous pour-
la réunion de ces masses, l'esprit par- rons aussi interroger ses traditions
coure sans ennui, retienne sans fatigue historiques, apprendre son origine,
une multitude de détails, dont chacun son établissement, ses alliances, ses
aura désormais ainsi une valeur de guerres, les conditions actuelles de sa
position, un degré d'importance ap- vie politique, et peut-être même cal-
préciable dans l'ensemble du sujet. culer ses chances d'avenir. Et souvent,
Elevons-nous par la pensée hors des au milieu de ces considérations, un
limites terrestres où notre frêle hu- retour sur nous-mêmes nous portera
manité se trouve emprisonnée, et pla- à rechercher par quelles routes nous
nant dans l'espace, considérons cette sommes parvenus jusqu'à lui, et quelle
terre, notre demeure, d'assez haut place nous devons lui assigner dans
pour que son unité seule nous soit nos inventaires géographiques du sol
perceptible; puis, nous rapprochant qu'il occupe.
d'elle
la massepar des degrés,eaux et nous distinguerons
la masse des ter- Aussi, en jetant d'abord un coup
d'oeil d'ensemble sur la vaste division
res émergées, parmi ces terres des terrestre dont nous avons entrepris la
continents séparés, en ces continents description historique, nous paraît-il
de grandes divisions tracées par d'im- convenable de traiter tour à tour, eu
muables limites; et concentrant dé- trois seetions distinctes, du sol afri-
sormais notre attention sur l'une d'el- cain des
, peuples qui l'habitent , et de
les, nous observerons d'abord ses l'étude qui en a été faite.
formes extérieures, les grands traits
PREMIERE SECTION.
DU SOL DE L'AFRIQUE.
Depuis le cap Blanc, voisin de Bi- lieues carrées; puis, rangées autour
zerte, qui projette à 37° 19' 40" de la- res, d'elle comme des satellites, les Como-
titude nord l'extrémité la plus avan- les Séchelles, et ces îles de France
cée de la côte septentrionale, jusqu'au et de Bourbon, que les affections mu-
cap des Aiguilles , qui termine à tuel es, lelangage, les mœurs et la
34° 38' 40" de latitude australe la pointe communauté d'origine tiennent étroi-
sud du continent, on mesure un dia- tement liées sous des pavillons rivaux ;
mètre de 1,450 lieues, que coupe, sous enfin, à l'extrémité du cap Gharda-
un angle de 80° nord-ouest, un autre fouy, Socotora, de plus de 100 lieues
diamètre de 1,380 lieues, déterminant carrées, acquisition récente de l'An-
la plus grande largeur de l'Afrique, gleterre pour assurer à ses paquebots
entre le cap Vert, par 19 53' 7" de lon- la voie de l'Inde par la mer Rouge.
gitude àl'ouest de Paris, et le cap Bien plus : située au voisinage im-
Ghardafouy qui s'avance à l'opposite médiat de l'Afrique, offrant avec elle
jusqu'à 49°l'36"de longitude est. La la plus parfaite similitude de caractè-
superficie totale est évaluée à 929,000 res physiques et de productions natu-
lieues carrées géographiques. Et, com- relles, ainsi que les rapports ethnolo-
me appendices immédiats, le banc des giques etlinguistiques les plus intimes,
Aiguilles à l'extrémité sud, et le banc l'Arabie semble constituer au nord-
d'Àrguin, sur la marge occidentale, est un appendice de ce continent bien
prolongent sous
vaste étendue des terres africaines. les eaux de l'Océan la plutôt que
tendre sur cede motif celui introduire
d'Asie. Sans
une pré-
dé-
limitation nouvelle des grandes divi-
DÉPENDANCES.
sions de l'aricien monde, du moins
est-il opportun de signaler ces con-
En dehors de ces limites existent nexités répétées, que la géographie et
des îles, soit isolées, soit groupées en l'histoire s'accordent à montrer si
archipels, que leur voisinage relatif étroites et si nombreuses.
fait encore annexer, comme des dé-
MEBS AMBIANTES, COUBANTS.
pendances, au large continent d'Afri-
que. En nous bornant à indiquer les
principales, nous avons à énumérer, Les mers qui baignent ces immen-
dans l'océan Occidental, Madère, fa- ses rivages circulent autour du
d'eux en
meuse par ses vins; les Canaries, aux- courants rapides, dérivations grand
quel es se rattache le souvenir des îles courant équatorial que la rotation ter-
Fortunées, des Hespérides et des Gor- restre imprime aux mobiles eaux de
gones de l'antiquité', et celui peut-être l'Océan. Dans la mer des Indes, le
de cette Atlantide disparue, que la mouvement normal, modifié par la
vieille Egypte racontait «à la Grèce disposition des côtes, court au nord-
naissante; plus loin, les îles du cap ouest le long des rivages, jusqu'au
Vert; au fond de la mer de Guinée, fond du golfe du Bengale, d'où il se
Fernan-do-Po, le Prince, Saint-Thomé, réfléchit au sud-ouest pour aller frap-
Annobon, qui semblent culminer sur per ies berges de Madagascar; pen-
une prolongation sous -marine des dant que la même impulsion, propagée
montagnes des Ambozes ; au large, et en deçà de la chaîne des Maldives, en-
jalonnant la route de l'océan Indien, traîne" les eaux de la mer d'Oman le
le rocher de l'Ascension, terre nue long des plages orientales du continent
sans souvenirs, et celui de Sainte-Hé- africain, et les précipite dans le canal
lène, sur lequel est ineffaçablement de Mozambique. Au sortir de cette
écrit le plus grand nom historique manche, elles se réunissent à la fois
des temps modernes; sur la côte au courant particulier du Bengale et
orientale, Madagascar, la plus grande au grand courant équatorial , pour
des îles africaines , présentant à elle continuer avec une nouvelle puissance
seule une étendue de plus de 20,000
de glisser le long des côtes jusqu'au
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
banc des Aiguilles, le traverser en le qu'aux abords du littoral africain : sur
contournant, et là, se combinant avec toute la côte occidentale, des vents
les effluves polaires, s'avancer d'une tout aussi réguliers , tout aussi cons-
part au nord dans la mer de Guinée, tants, loin de souffler à l'ouest, se di-
et s'aller perdre d'autre part au nord- rigent dans un sens opposé vers la
ouest dans le courant équatorial de terre; et dans la mer des Indes, le
l'Atlantique. Ici encore les mers d'A- phénomène des moussons frappe les
frique se refusent à l'influence directe côtes orientales, jusqu'au cap Delga-
du mouvement normal; elles ne reçoi- do, d'un vent de nord-est qui dure une
vent que son impulsion réfléchie, alors moitié de l'année (d'octobre à février),
qu'après avoir glissé sur les côtes bra- tandis qu'un vent de sud-ouest le rem-
siliennes, contourné le golfe du Mexi- août). place pendant l'autre moitié (d'avril à
que et longé les États-Unis, il revient
sur lui-même porter d'une part les eaux GOLFES ET CAPS.
de l'Océan dans la Méditerranée, où elles Les mers ambiantes ne tracent
courent à l'est contre le littoral barba-
resque, etd'autre part se diriger en biai- point de profondes découpures dans
sant vers la côte occidentale, imprimer le massif du continent africain; l'é-
au banc d'Arguin la triste célébrité d'un chancrure la plus considérable, qui
fameux naufrage (celui de la Méduse), est au sud-ouest, ne fait qu'une ob-
et poursuivre sa marche fatale jusque tuse rentrée, où l'océan Atlantique
dans le golfe de Guinée, où sa rencon- élargi forme, entrele le cap' oudesplutôt
Palmesla
tre avec le courant du sud se révèle et le cap Lopez, golfe
par des tournants moins renommés, mer de Guinée, laquelle reçoit, en
mais plus à craindre que Charybde et
Scylla, tant chantés par la poétique s'approchant
nom de golfedes ou terres,
baie deà ga'uche
Bénin, leà
antiquité. droite celui de golfe ou baie de Biafra,
Cette route circulaire du Gulf- séparés par la pointe basse et mousse
Strëam (comme l'appellent les marins qu'on appelle cap Formose.
du Nord) n'a-t-elle d'autre noyau cen- La mer Méditerranée dessine pareil-
tral que la masse inerte des eaux lement au nord, entre le cap Bon de
atlantiques? ou bien faut -il croire Tunis et le Gebel Akhclhar de la Cyré-
qu'un grand continent submergé trace naïque, une large rentrée, ou plutôt
encore, au fond des mers, un lit in- deux rentrées jumelles, que les an-
franchis ablece
à fleuve gigantesque? ciens nommaient les Syrtes, et que la
O Platon! cette Atlantide, attestée à géographie moderne a dénommées
Solon par les traditions immémoriales golfe du Sidr (nom arabe du jujubier
de l'Egypte , et dotée, par ta rêveuse lotos), et golfe des Qâbes.
imagination, de peuples si merveilleu- Comprimée en quelque sorte entre
sement sages, cette terre, que la fable les Syrtes et la mer de Guinée, l'Afri-
dispute à l'histoire, gît-elle, en effet, que s'épanouit ensuite vers l'ouest en
sous ces eaux immobiles, autour des» un vaste demi -cercle, jalonné d'une
quelles roule incessamment un cou- multitude de caps, parmi lesquels le
rant fougueux, emprisonné dans ses cap Spartel, le cap Noun, le cap Bo-
liquides rivages? jador, le cap Blanc, le cap Vert, le cap
Tagrin et le cap Mesurado sont les
VENTS RÉGULIERS . plus connus. Dans les intervalles de
ces caps, la côte n'éprouve que des dé-
D'accord avec les courants mariti- pressions peu sensibles; mais en avan-
mes généraux, les vents alizés régnent çant au sud, les rentrées et les saillies
constamment d'est en ouest sur la zone se prononcent davantage, de même
équinoxiale de l'Océan; mais, comme que sur la plage orientale, dont les on-
les courants généraux, les vents alizés dulations correspondent avec une sin-
n'étendent point leur domaine jus- gulière symétrie à celles du rivage oc-
8 L'UNIVERS.
geuses comme autant de ports de re- sans eau , sans verdure, couvrant plus
lâche au milieu de cet océan dont le de 200,000 lieues carrées, depuis la
vent du midi tourmente les flots des- vallée du Nil jusqu'à l'Océan occiden-
séchés (*); plaine immense, effrayante tal, et depuis l'Atlas jusqu'au Tchad ,
d'étendue et de nudité, ondulant quel- avec une altitude moyenne de 500
mètres.
quefois en sèches collines , coupée ra-
rement dequelques rangées de rochers,
ATUREL LE,
HISTOIRE
§ NIII.
règne minerai,. part des caps de la côte occidentale
sont basaltiques; des trachytes, des
Constitution géognostique. — - laves , des ponces et des scories ont
La tré
géologie n'a pointassez
des observations encore enregis-
nombreuses été observées dans le pays d'Alger : des
volcans ignivomes existent même, dit-
pour qu'il soit possible d'indiquer la on, dans les montagnes du Congo, dans
distribution géognostique des terrains
qui celles de Mozambique, et jusqu'en Abys-
dans constituent
toutes les chaînes le sol de
de montagnes
l'Afrique; sinie ; mais la plupart de ces indica-
qui ont été visitées, la base granitique tions auraient besoin d'être vérifiées.
a pu être aperçue, se montrant surtout Quant aux sables du Ssahhrâ, sont-ils
à découvert dans celles du Marok, du un transport alluvionnaire, ou le ré-
Mandharah, de PAbyssinie et du Con- sultat d'une décomposition spontanée
go, avec les porphyres, la syénite, le de roches préexistantes ? C'est une
gneiss, le micaschiste, le scliiste argi- question sur laquelle les notions acqui-
leux, lequartz, le calcaire primitif. ses ne permettent point encore de pro-
Les grès abondent à peu près partout, noncer, bien que la nature friable des
tantôt reposant immédiatement sur les grès du Fezzân paraisse favoriser la
formations granitiques , tantôt sur les côté, secondele quartzhypothèse gris; blanc
mais ,qui
d'una formé
autre
formations schisteuses; dans la région ces sables si ténus se retrouve de même
australe ils se présentent comme un au désert en graviers , en galets , en
couronnement tabulaire posé horizon- cailloux roulés, et semble témoigner
talement sur le granit qui s'élève au
travers des roches stratifiées. Les cal- de l'ancienne action d'un océan que
caires secondaires prédominent dans la les traditions historiques n'ont peut-
être pas , non plus , complètement
région moyenne de l'Atlas ; dans le
sud, ils se montrent, comme le grès, oublié.
en couronnement horizontal sur les Obyctognosie. — Quant aux espè-
hautes terrasses du Gariep. Le sel, soit des ces minérales disséminées, sans parler
mines de fer, de cuivre, et autres
en couches, soit dissous dans les eaux
métaux moins recherchés, qui parais-
de quelques lacs, de quelques ruis- sent nombreuses et abondantes , de
seaux ,se trouve en diverses parties
du continent, mais particulièrement régions riches mines d'or ont rendu certaines
dans celles du nord ; la plaine de sel africaines célèbres parmi les
géographes orientaux ; les pavsdeBan-
de l'Abyssinie est fameuse par son éten- bouq , de Bouré, de Ouanqarah dans
due. Des basaltes, des roches trapéen-
nes sont indiquées dans presque toutes l'ouest, celui de Sofalah dans l'est, sont
les plus renommés sous ce rapport.
les grandes chaînes montagneuses, sur- Les Arabes appellent spécialement ces
tout dans les rameaux de l'Atlas qui deux dernières contrées Beled el-dze~
s'étendent au sud de Tripoli ; la plu-
heb ou Beled el-tebr, le pays de l'or ou
(*) « Ille (auster) immodicus exsurgit, de la poudre d'or; les Européens eux-
arenasque quasi maria agens, siccis sœvit mêmes donnent le nom de Côte d'or
iluetibus. » Mêla, I, vin.
à une partie du Ouanqarah, où l'or se
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
Il
montre en grains dans les roches quart- rie ; et dans la région du Cap elle est
zenses qui alternent avec le schiste aussi fraîche, aussi douce et moins
argileux sous les couches du grès su- variable qu'en notre beau pays de
périeur. Des gemmes précieuses exis- France. VÉGÉTATION.
tent, dit-on, en abondance dans cer-
tains cantons, tels que les parties
élevées du Congo, et surtout les pays Sous l'influence de températures
aussi diverses, la végétation, fille du
qui avoisinent le Nil , où l'on voit les
fameux Gebêl el-Zamarrad, ou mon- sol et du climat, ne peut manquer d'of-
frir des aspects pareillement divers ;
tagnes d'émeraudes ; le diamant lui- cependant, malgré les variations de
même, dont Pline attestait l'antique puissance végétative que déterminent
existence dans la région qui s'étend
depuis
retrouvéThangeh de nos jours jusqu'àdans
Méroé, a été les différences de latitude, d'altitude ou
les sables d'exposition , des caractères aisément
aurifères de Constantine. saisissables, permettent de distribuer
CLIMAT. la flore générale de l'Afrique en trois
flores spéciales (*) , ayant chacune un
Les deux tropiques enferment dans vaste domaine; et l'Arabie, placée dans
la zone torride la majeure part des des conditions climatériques et cho-
terres africaines; les portions compri- rographiques absolument analogues ,
ses dans les zones tempérées se rédui- vient en outre s'annexer au continent
africain , pour être classée dans cette
sent àmoins d'un quart de la superficie grande division tripartite.
totale. Cependant la température n'est Les dénominations respectives de
point aussi généralement brûlante que
cette distribution climatérique pour- septentrionale , équinoxiule et aus-
rait le faire supposer : l'élévation des trale, appliquées aux trois zones pic-
terrasses qui se succèdent par étages tographiques ainsi établies, obéissent,
jusqu'à des hauteurs considérables pro- il est vrai, aux conditions les plus
cure, jusque sous l'équateur, un air frappantes de l'habitat des types, mais
frais et doux, quelquefois même un sont loin de représenter le gisement
froid vif et piquant ; mais les plaines de chacune d'elles et leur disposition
inférieures et les plages maritimes su- relative. Une ligne tirée d'est en ouest,
bissent toute l'ardeur du soleil zéni- du Caire à Marok ou aux Canaries,
thal ,à laquelle viennent seulement laisse en effet au nord la première de
faire diversion les vents constants et ces trois zones, étendue presque en
les brises réglées. Des pluies diluviales entier sur la Méditerranée , et produi-
reviennent chaque année grossir tou- sant le chêne , le pin , le cyprès , le
tes les rivières intertropicales, dont myrte , le laurier , l'arbousier , la
les débordements couvrent et fécondent
les terres riveraines : les crues du Nil bruyère rangarborescente , l'olivier , l'o-
er, lejujubier, le dattier, le rai-
sont fameuses depuis les temps les sin, lafigue , la pêche, l'abricot, les
plus reculés. L'époque qui succède im- melons , l'orge , le maïs , le froment ,
médiatementla
à saison des pluies est le riz, le tabac, le coton, l'indigo, Ja
un moment critique, où l'humide cha-
leur de l'air occasionne de dangereu- ces (*) De précieux échantillons, types de
trois flores distinctes , nous sont offerts
ses maladies, jusqu'à ce que les vents par les beaux ouvrages de Desfontaines
aient assaini l'atmosphère. C'est dans {Flora atlantica, 2 vol. grand in-40, Paris ,
le Ssahhrâ et les plaines limitrophes i798),dePalissotdeBeauvois(F/ore^Owrt/-e
que la chaleur est le plus intense : elle et de Bénin, 2 vol. in-folio, Paris, 1804),
s'élève, au Bournou et dans le Hhaou- et de Thunberg {Flora capensis, vol. in-8°,
sa , jusqu'à plus de 45° du thermomè- Upsal, 1807), auxquels on ne peut se dis-
tre octogésimal; elle atteint même 50° penser de joindre les travaux plus récents
dans Jes basses terres de Bénin ; mais de Robert Brown, de Perrottet, de Ton-
elle est fort modérée dans la Barba- ning et Schumaker, etc.
12 L'UNIVERS.
canne à sucre; offrant ainsi de nom- mier élaïs, le khaïr, le nété, les ar-
breuses analogies avec les côtes oppo- bres àbeurre, le kola ou gourou , les
sées de l'Europe méridionale. cypéracées , etc. , non par divisions
Mais c'est une ligne tirée du sud- juxtaposées, mais par succession de
ouest au nord-est, entre le fleuve d'O- plus grande fréquence au milieu de la
range et Maskat, qui détermine la fusion commune. Outre les fruits et les
limite et la direction de la troisième autres produits que le nègre retire de
région phytographique, développée sur ces arbres, tels que le vinet l'huile de
l'océan Indien en une zone prolongée palme, le beurre végétal, etc., il re-
qu'il serait plus exact d'appeler aus- cueille pour sa nourriture le miel, le
tro-orientale, etque caractérise d'une maïs, le manioc, les ignames, quelques
manière remarquable l'abondance des légumes, la banane, la goyave, l'o-
plantes grasses. On y rencontre en range, lelimon, les fruits du papayer,
nombreuses tribus les stapélias , les du tamarin, et nombre d'autres; il
mesembryanthèmes, les aloès (qui ont cultive aussi le coton , l'indigo , le ta-
fait la renommée de Socotora ) , les bac :mais c'est la végétation spontanée
euphorbes, lescrassules aux fleurs écar- sur laquelle est basée notre réparti-
lates; puis les pélargoniers, les protéeS tion.
au feuillage d'argent , les ixia , les La vallée du Nil, appartenant à la
bruyères ; sans parler de la vigne, des fois aux trois zones , conduit de l'une
fruits, des céréales, et autres végétaux à l'autre par un passage insensible; la
que la main de l'homme y cultive pour basse Egypte se lie, par la Cyrénaïque,
ses besoins. Madagascar et les îles voi- à la lisière barbaresque ; à Thèbes se
sines établissent une sorte de liaison montrent le palmier doum et le bala-
entre cette flore et celle de l'archipel nite; en Nubie paraît le baobab; et dans
indien, offrant en outre quelques plan- les mares de l'Abyssinie se retrouve le
tes qui leur sont propres, surtout des souchet papyrier des bords du Kouan-
fougères et des orchidées en grande go et de ceux du Schâry , comme le
quantité. sésame ptérosperme du Bornou ; la
Tout le reste de l'Afrique appartient flore d'Abyssinie tend d'ailleurs à se
à la grande division intermédiaire dé- rapprocher de celles de Mozambique et
signée sous l'appellation d'équinoxia- du Cap : les pélargoniers et les protées
le, figurant un triangle immense dont s'y montrent déjà.
le sommet est au golfe Persique , et Quant à l'Arabie, elle n'offre qu'une
dont la base onduleuse s'épanouit sur prolongation des zones africaines, de-
l'océan Atlantique. Peut-être pourrait- puis les gommiers et les balanites jus-
elle être subdivisée en bandes succes- qu'aux mesembryanthèmes et aux sta-
sives ,qui tireraient leurs caractères pélias; lecafé lui-même, qui fait la
spéciaux de la prédominance de cer- renommée de Mokhâ, ne serait , de
tains genres , si des notions moins l'aveu des Arabes, qu'une importation
vagues et moins bornées permettaient de l'Abyssinie.
de déterminer avec quelque assurance ZOOLOGIE.
leur distribution. Le désert a des buis-
sons de gommiers , l'agoul ou herbe La faculté locomotive qui distingue
du pèlerin , quelques poacées et pani- le règne animal rend plus difficile la
cées , entre autres le kaschya, incom- distribution du sol par régions zoolo-
mode au voyageur par les piquants de giques ;peut-être cependant une con-
son calice, une capparidée , appelée naissance plus étendue des circonstan-
souag , et un petit nombre d'autres ces spéciales d'habitat pour certains
plantes chétives et glauques. Le pal- genres , certains ordres , certaines
mier doum et le soump ou balanite ca- classes même , permettra-t-elle de dé-
ractériseraient ensuite la bande la plus terminer ultérieurement quelques cen-
voisine du désert; puis viendraient tour tres de fréquence pour ceux dont l'u-
à tour le baobab, les fromagers, le pal- biquité est plus restreinte ; mais ce
AKI ! l'I'l AN ' II; N N E
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1/aù !i.n/t,,//,
15
HISTOIRE DÉ L'AFRIQUE.
reniement sur les côtes quelques am- du baudet et de la vache , que Rozet
phibies, du moins le phoque commun n'a pu retrouver.
et le lion de mer. Quant aux quadrupèdes onguiculés,
Les pachydermes sont répandus en les moins nombreux en Afrique sont
Afrique dans une proportion très-for- les édentés, parmi lesquels nous n'a-
te , et Ton peut estimer que les deux vons àciter que l'oryctérope du Cap
cinquièmes des espèces connues appar- et le kouaggelo ou pangolin à longue
tiennent en propre à ce continent. queue, à écailles mobiles et tranchan-
Entre les ruminants, le genre antilope tes , qui habite au Sénégal et en Gui-
est particulièrement développé : ses née. Dans les rongeurs on remarque
espèces les plus remarquables sont le plusieurs espèces d'écureuils à riches
canna ou élan du Cap, et le gnou, qui fourrures, les gerboises du désert,
existe sous ce même nom en Guinée
l'aye-aye de Madagascar, le rat- taupe
comme dans le Sud ; mais il ne faut et le rat-sauteur du Cap, des rats va-
guère s'attendre à y rencontrer la fa- riés ,entre autres la souris du Caire
buleuse licorne des anciens, que des armée de piquants, le porc -épie à
rapports indigènes persistent néan- crête , et quantité de lièvres et de la-
moins àsignaler encore dans l'ouest pins. Les carnassiers sont répandus en
du Dâr-Four, mais que Cuvier suppo- grand nombre sur le continent : le
sait avoir été imaginée d'après un pro- lion , la panthère , le léopard , l'once ,
fil égyptien de l'oryx recticorne ; le le lynx, le caracal, le serval, y sont l'ef-
mouflon traîne une énorme et pesante froi dudans voyageur ; l'hyène
queue ; le bœuf à bosse sert de mon- troupes ies villes pendantvient en
la nuit;
ture, de bête de somme et de trait le loup et le chacal abondent ; le re-
dans toute la Nigritie; le bœuf galla nard aété signalé dans le Nord et dans
porte des cornes immenses ; le buffle le Sud ; le chien , hôte dédaigné dans
sauvage du Cap est remarquable par sa la demeure de l'Arabe, lui montre en
grosseur et sa férocité; la girafe ha- retour peu d'attachement, et il est re-
devenu tout à fait sauvage au Congo ;
bite depuis l'Egypte
le dromadaire jusqu'au
ou chameau à uneGariep
bosse;
le fennec de l'Abyssinie et du Belêd-
est, comme on sait, le navire du dé- el-Géryd, qui semble devoir être rap-
sert. Entre les pachydermes non ru- porté au même genre , est caractérisé
minants, le premier rang est dû à par ses longues oreilles de lièvre ; la
l'éléphant africain , différent de celui civette se rencontre presque partout,
d'Asie par ses molaires losangées, son et l'ichneumon , jadis adoré en Egyp-
front convexe , sa tête ronde , et ses te, continue son incessante guerre aux
immenses oreilles : on le rencontre
reptiles ; enfin l'ours, dont Cuvier ré-
depuis la limite du Ssahhrâ jusqu'au voquait en doute l'existence sur le sol
cap de Bonne-Espérance ; le rhinocéros africain , paraît du moins y être ex-
à deux 'cornes a été trouvé en Abys- trêmement rare ; il faut citer encore
sinie comme au Cap; l'hippopotame, plusieurs espèces de hérissons, la mu-
qui a disparu depuis longtemps des saraigne etla chrysochlore du Cap à
eaux du Nil , se montre dans tous les robe dorée, le tenrec de Madagascar,
grands fleuves de la région australe ; et diverses taupes. Parmi les chéiroptè-
!e phacochère à défenses énormes a été res, l'Afrique possède diverses espèces
vu au cap Vert en même temps que de chauves-souris, dont la plus grosse
dans le Sud , où se rencontre aussi le est la roussette, recherchée à Mada-
sanglier à masque, différent du san- gascar et à Maurice comme un mets
glier éthiopique du Sénégal. Le zèbre comparable au faisan et à la perdrix ;
et le couagga sont répandus dans les les nyetères et les rhinolophes méri-
parties centrales et méridionales; le tent aussi une mention. Quant aux
cheval et l'âne sont élevés principale- quadrumanes, l'Afrique possède à elle
ment dans le Nord ; Shaw y avait signa- seule plus d'un quart de la totalité des
le aussi le kumrah, produit hybride espèces : l'indri paraît, il est vrai,
16 L'UNIVERS.
spécial à Madagascar ; mais les gala- d'une manière encore plus frappante,
gos et les makis à longue queue sont Nulle part, au surplus, cette res-
nombreux dans toute la Nigritie. Entre semblance singulière ne pouvait pa-
les singes, le genre cynocéphale est raître aussi prodigieuse qu'en Afrique,
représenté par des espèces variées, car la nature y a réuni , comme une
presque toutes grandes, fortes et mé- nouvelle preuve de l'enchaînement inin-
chantes les
; guenons sont aussi fort terrompu detous les êtres , à côté de
multipliées : et dans le genre si remar- ce singe si voisin de l'homme, l'homme
quable des orangs, c'est l'Afrique qui le plus voisin du singe, ce bushman
nous offre la plus remarquable des es-
pèces ,ce curieux chimpansé dont les
abruti
sur le ,mêmegui , sol d'un, àautre côté,
travers une sesérie
lie,
bras sont moins longs, la taille plus de variétés intermédiaires, à celles qui
haute, l'intelligence moins étroite que sont regardées comme le type le plus
chez l'orang-outang de Bornéo, et parfait de l'espèce humaine.
qui se rapproche ainsi de l'homme
SECONDE SECTION.
DES PEUPLES AFRICAINS.
I.
ETHNOLOGIE AFRICAINE,
MULTIPLICITE DES RACES HUMAINES. chaque type et ne sauraient permuter
de l'un à l'autre.
A ces mots $ espèce humaine se On cherchera peut-être longtemps
rattache une grande question débattue encore dans les traditions bibliques des
parmi les adeptes des sciences natu- arguments contre la multiplicité origi-
rel es celle
: de savoir si l'homme cons- nelle des espèces dans le genre hu-
titue la
à fois un ordre, un genre et une main ;mais en invoquant , contre les
espèce uniques, conservant invaria- résultats des études scientifiques, un
bles tous les caractères fondamentaux témoignage présenté comme dogmati-
de l'ordre, du genre, de l'espèce, et ne que , on oublie trop que les textes al-
laissant percer de diversité que dans légués ne sont produits qu'à travers
ces caractères accessoires et accidentels une interprétation grammaticale qui
de forme et de couleur, que la science n'est point incontestée, et une exégèse
considère d'habitude comme les plus contestable encore : et d'ailleurs
diacritiques des simples variétéssignes ; ou le prophète s'écriant que la peau du
s'il faut l'admettre comme un genre nègre ne peut changer de couleur, pas
subdivisé en plusieurs espèces distin- plus que celle de la panthère ne peut
guées entre elles par des caractères cesser d'être mouchetée (*), n'apporte-
tranchés, constants, ineffaçables : en t-il point un argument de même valeur
d'autres termes, si l'Européen, le Mon- à l'hypothèse contraire ? Loin d'ad-
gol et le Nègre , qui offrent les trois mettre que la Genèse ait voulu faire
types les plus divergents, peuvent être descendre de l'unique Noé toutes les
ramenés à une souche commune, ou ramifications de la grande famille hu-
s'ils ont chacun des caractères spé- maine, nous soutiendrions volontiers
ciaux ,entre lesquels des croisements
à divers degrés peuvent, il est vrai, la thèse que l'écrivain génésiaque n'a
voulu désigner que les trois grands
avoir produit des variétés nombreu-
ses, mais qui sont fondamentaux pour (*) Jércmie, xiii, 23.
A.FÉ ngUE AN^IE N N E
/„,..:, n, ./, ,■
HISTOIRE DE L'AFRIQUE. 17
rameaux de la race blanche, individua- variétés, les nombreuses espèces de
lisés pour nous dans les trois types Bory de Saint-Vincent, et celles qu'il
grec, égyptien, et syriaque, dont les faut ajouter à son incomplète nomen-
traditions respectives ont conservé à clature. Sans nous détenir à montrer
travers les siècles, comme un témoi- comment le zoologiste anglais , s'éle-
gnage indélébile de la véracité de Moï- vant sur les idées de Mac-Leay, établit
se, les noms de Japet, de Hham et de dans toute section naturelle du règne
Schêm ; mais sans aborder digression- animal une subdivision tripartite pré-
nellement une question aussi vaste , sentant un type, un sous-type, et un
hâtons-nous de dire qu'à nos yeux les groupe aberrant ou moins développé,
textes bibliques sont fort désintéres- composé à son tour de trois groupes
sés dans les doutes que soulève celle secondaires dont un principal et deux
de l'unité ou de la multiplicité des subordonnés, nous supposerons de
espèces dans le genre humain. prime abordestque l'espèce blanche du
ou
A ne considérer cette dernière ques- caucasique le type fondamental
tion que sous un aspect purement genre humain , l'espèce jaune ou mon-
scientifique , on ne tarde point à re- golique le sous-type, et l'espèce éthio-
connaître que la controverse roule en pique le groupe aberrant, formé des
majeure partie sur l'acception réelle trois sous-espèces nègre , américaine
des mots espèce, variété; et l'on peut et malaie, dont la première se lie à
considérer que si, d'un autre côté, les l'espèce blanche par la sous-espèce amé-
partisans de l'unité d'espèce restent en ricaine ou rouge, et à l'espèce jaune
deçà des concessions qui semblent in- par la sous-espèce malaie ou brune.
dispensables, leurs antagonistes vont Poursuivant l'application de la même
sans doute beaucoup au delà en ad- méthode,
mettant autant d'espèces qu'ils ont che en troison variétés
peut classer l'espèce blan-
qui seraient ainsi
reconnu de types plus ou moins tran- échelonnées, savoir : la variété japé-
chés, bien que les cadres les plus lar- tique ou indo-germanique constituant
ges qu'ils aient tracés ne comprennent le groupe normal , la variété schêmi-
point encore, tant s'en faut, tous les tique ou syro-arabe offrant le sous-
types différents que présente l'Afrique. type, et la variété hhamitique ou phé-
GRANDES DIVISIONS DU GENRE nico- égyptienne formant le groupe
HUMAIN. aberrant, dans lequel il faudrait pro-
bablement compter comme sous -va-
Nous ne saurions prétendre établir riétés les Messrytes, les Kouschytes et
ici une nouvelle classification du genre les Kananéens, ces derniers servant
humain ; mais il nous importe du de lien avec la variété japétique, et les
moins d'indiquer en gros quelle place Kouschytes se rapprochant davantage
occupent les types africains dans le de la variété schêmitique.
vaste tableau des populations du glo- Les races blanches africaines repré-
be. Sans nous restreindre aux trois sentent, autant à raison de leurs gé-
variétés de Link et de Cuvier, ou aux néalogies traditionnelles que par la
cinq variétés deBlumenbach, ni même persistance des caractères physiques ,
aux deux espèces de Virey, sans débor- toutes ces grandes sections de l'espèce
der non plus jusqu'aux onze espèces blanche, dont la coordination présen-
de Desmoulins ou aux quinze espèces tait dès lors ici un intérêt direct et
de Bory de Saint-Vincent, nous pren- immédiat.
drons comme un mezzo termine com-
L'espèce jaune, sans être complète-
mode les trois divisions principales et ment désintéressée dans l'ethnologie
deux divisions subordonnées dans la africaine, ne laisse toutefois aperce-
coordination desquelles Swainson a voir qu'une liaison éloignée, immémo-
concilié les classifications de Cuvier et
riale, et dont la trace n'est pourtant
de Blumenbach : dans ces grandes pas entièrement perdue, entre le Cop-
coupes viennent se ranger , à titre de te, héritier dégénéré de l'antique peu-
2e Livraison. (Hist. dr l'Afrique.)
18 L'UNIVERS.
§ III.
ÉTAT SOCIAL DES PEUPLES AFRICAINS
Naissante chez les uns, caduque chez Palestine, mais aussi chez les Hho-
les autres, la civilisation est en géné- mayrytes sécution
chassés d'Arabie par la per-
ral médiocre parmi les peuples afri- musulmane; Vislamisme est
cains les plus avancés sous ce rap- la religion la plus répandue, mais pro-
port, et elle est absolument négative fessée sans ferveur, et n'opérant dès
chez les nations qui occupent les der- lors qu'un bien faible progrès dans la
niers degrés de l'échelle. mesure déjà si restreinte de son uti-
lité sociale, tout en fomentant l'into-
RELIGIONS DE L'AFRIQUE. lérance etle fanatisme de ses grossiers
Le principe le plus actif du mouve- sectateurs ; le sahéisme , qui se trou-
ment intellectuel , la croyance reli- vait jadis parmi quelques tribus de
gieuse, n'a acquis nulle part ce degré l'Atlas , et qui se retrouverait peut-
être encore dans certains cantons re-
d'épuration qui seul peut témoigner de
l'accomplissement de sa mission civi- culés de l'Abyssinie , compte aussi
lisatricle
e : christianisme grossier des quelques adhérents à Mozambique ;
Coptes et des Abyssins, celui que le mais c'est surtout le fétichisme le plus
zèle des missionnaires évangéliques grossier qui constitue le culte ou plu-
tente d'implanter chez les Kafres, les tôt la multitude de cultes entre les-
Hottentots et les Nègres , n'est pour quels se partagent la plupart des
les uns et les autres qu'un culte sans peuples d'Afrique, et ce rudiment lui-
intelligence des préceptes, et par con- même ne s'est point, dit-on, encore
séquent inerte; te judaïsme est tra- fait jour à travers la stupide anima-
ditionnellement conservé non -seule- lité de quelques tribus , ou du moins
ment chez les Hébreux réfugiés de la
la sagacité des voyageurs n'a-1-elle su
(*) Le nom de Champollion est trop po-
découvrir chez ces sauvages l'indice
pulaire pour que nous ayons besoin de le d'aucune idée religieuse.
rappeler ici. (*) Le seul échantillon qu'on possède main-
(**) M. de Saulcy, membre de l'Institut, tenant en Europe de l'écriture galla, est
a déchiffré la plus étendue de ces inscrip- une lettre du roi d'Enâria à un prince abys-
tions, et nous avons reconnu des formes
sin , envoyée par M. Arnaud d'Abbadie à
berbères dans les noms propres qu'il y a M. Reinaud, de l'Institut, et publiée dans
le Bulletin de la Société de géographie.
24 L'UNIVERS.
HISTOIRE §
DE
iv. L'AFRIQUE,
TRADITIONS FABULEUSES , HYPO- les auteurs anciens tous les vestiges
THESES CONJECTURALES. des vieilles traditions sur les premiers
Est-il une histoire générale de ces âges
surtoutdesà terresécouter d'occident , dociles
les enseignements
contrées, et des peuples qui y sont ré- écrits sur le sol par les révolutions
pandus? Où la trouver? La faut-il
demander à de vagues et menteuses physiques qui l'ont tourmenté, nous
traditions, ou bien à de conjecturales pourrions tenter de reconstruire l'his-
hypothèses ? toire de ces temps effacés où l'Espagne
tenait à l'Afrique pendant que la Mé-
Les mythes grecs nous parlent d'At- diterranée communiquait à l'Océan
las, ce poétique géant des vieux âges,
qui de ses épaules rocheuses soutenait par une autre route , encore reconnais-
sable au nord des Pyrénées, dans les
la voûte vers laquelle l'entassement de landes et les lagunes de la Gascogne
Pélion et d'Ossa n'avait offert aux et du Languedoc; la mer Atlantique
Titans qu'un insuffisant marchepied ; alors couvrait le Ssahhrâ , et de ses
il était fils de Neptune et père de sept flots directs allait battre les rivages
Atlantides, dont l'aînée fut mère de méridionaux de la péninsule arabique,
Mercure : n'est-ce pas simplement une où Strabon et Diodore lui conservent le
tradition des temps primitifs dont nos
nom ô'sJtlantikon pelagos (* ), en même
langues prosaïques offriront une ver-
temps qu'Hérodote affirme son identité
sion fidèle en traduisant qu'Atlas avait avec la mer Erythrée (**), imbus qu'ils
émergé des eaux, qu'il dominait sept étaient d'antiques souvenirs. A cette
îles plus petites formées des culmi-
époque sans doute l'Afrique donnait
nances de ses rameaux, et qu'en la à l'Espagne ses premiers habitants,
principale
che commerce?d'elles Platon
prit naissance un ri-
a mis dans la qu'Hérodote avait entendu appeler
Kynètes, et dont Ptolémée aussi bien
bouche d'un prêtre égyptien de Sais que Tacite connurent plus tard la
l'histoire d'une grande terre atlantide, souche africaine, demeurée avec le
où Neptune procréa Atlas, et son ju- même nom au voisinage de la petite
meau Gadiron ou Cadiz, et bien Syrte; et quand cette dénomination
d'autres enfants, dont la puissance eut disparu de part et d'autre, Am-
s'étendit graduellement jusqu'auprès mien et Corippe nous montrèrent en-
de l'Egypte avant qu'un grand cata-
clysme vînt engloutir leur empire;
(*) 'H 'EvSacVwv £(tt!v I^'XP1 T0^
c'est une de ces lueurs vacillantes qui 'AxXavTiKoû %ekdyov<;.
percent
des siècles à grand'peine
oublies pourl'épaisse nuit
arriver jus-
Strabon, XVI (Comp. Diodore, III, 38).
HISTOIRE DE L'AFRIQUE.
subir son despotique protectorat a ces el-Mandeb, vinrent se réfugier en
deux États , et les réduisit successive- Abyssinie, se répandre au sud le long
ment en provinces de l'empire. Alors de la côte orientale, ou s'infiltrer à
toute l'Afrique septentrionale fut ro- l'ouest vers le Bahhr-Abyadh.
maine, etle christianisme de ces nou- Le débordement ismaylyte, grossi
veaux maîtres vint s'enter sur le ju- peut-être de quelques convertis du Yé-
daïsme des tribus émigrées du Yémen men , mais surtout de ceux de Syrie ,
et des Hébreux chassés de la Pales- se précipita par l'isthme de Soueys sur
tine, comme celui-ci s'était implanté l'Egypte, et roula le flot musulman
au milieu du sabéisme des Kouschytes jusqu'aux extrémités occidentales du
et du tiède paganisme des indigènes : littoral barbaresque; mais les tribus de
les églises se multiplièrent, et le titre l'intérieur opposèrent une vive résis-
épiscopal leur fut décerné à profusion. tance, etle célèbre O'qbah lui-même
Lors du partage de l'empire, l'Egypte éprouva de leur part une défaite ; et
et Cyrène échurent à Byzance; Rome quand elles eurent été subjuguées et
garda le surplus, que lui disputaient converties, de fréquentes rébellions
de perpétuelles révoltes ; puis quand montrèrent, dans ces nouveaux frères,
les Vandales repoussés de l'Hispanie des gens impatients du joug, indiffé-
vinrent chercher des établissements en rents tous
à les cultes, chrétiens, juifs,
Afrique, les indigènes se joignirent païens , plutôt que mahométans. Et
volontiers à eux contre les Romains, pourtant , ébranlés par la commotion
qui furent dépossédés sans retour , et musulmane, ils s'élancèrent les pre-
contre les Byzantins, qui vinrent re- miers sur l'Espagne, où les Arabes les
cueillir l'héritage de leurs frères. Les suivirent , et ils continuèrent avec
Vandales furent vaincus et dispersés eux, sur ce nouveau théâtre, une lutte
sans que l'esprit de révolte des Afri- incessante depuis les haines de Thâ-
cains pût être dompté ; on parvenait req et de Mousày jusqu'aux dernières
bien à réduire quelques districts, mais querelles des Âbencerrages et des
la plupart des tribus bravaient le joug, Zégris.
et l'appellation de Barbares , qui leur Mais cet Occident , que la ferveur
était donnée par opposition aux Mau- des conquérants islamites avait si ra-
res soumis , leur devint bientôt une
dénomination nationale, qui a persisté lyfes, leur pidementfut annexé
plusà rapidement
l'empire desencore
kha-
jusqu'à nos jours dans le nom de Ber- enlevé par de successives défections :
bers. Les Goths d'Espagne occupaient, un nouveau khalyfat s'éleva dans l'An-
près du détroit des Colonnes, une dalousie pour les Ommyades que l'u-
Dortion de la Tingitane.
DOMINATION MUSULMANE EN ; surpation
rient les a'bbasyde déshéritait
Medrârytes de l'O-
fondèrent, au
AFBIQUE. delà de l'Atlas occidental , l'empire de
Segelmêsah; lesBerbers de Barghaouâ-
Le grand mouvement islamique pour thah élevèrent un État indépendant à
lequel s'ébranlaient , dans les déserts Temsnâ ; les Rostamydes établirent
du Hhegjâz, les Arabes de la troisième celui de ïeyhert; le pays compris entre
famille (ces hordes mosta'rabes qui ceux-ci et les Barghaouâthah devint le
reconnaissent pour aïeul Ismaël), vint patrimoine des Édrysytes, fondateurs
peser de tout le poids du prosélytisme de Fês ; enfin les Aghlabytes , en se
et des persécutions sur les Hhomay- rendant maîtres de toute la région
rites ou Arabes de la seconde famille
(issus de Yeqthan ou Qahhthan), soit comprise
achevèrententre de ravir Teyhert aux etsultans
l'Egyptede,
juifs, soit chrétiens, soit encore sa- Baghdâd le reste de leurs possessions
béens, possesseurs du Yémen et frères d'Occident. L'Egypte elle-même leur
des Arabes déjà établis en Afrique; échappa sous le gouvernement des
ceux qui ne voulurent point subir la Thoulounydes : s'ils la reprirent pour
conversion, s'échappant par le Bab- quelques années , ce fut pour la perdre
30 L'UNIVERS.
encore, et sans retour, alors qu'elle des Fathémytes, leur fut un peu plus
passa aux mains des Ekhschédytes. tard enlevée par les Ayoubytes, qui se
L'héritage des Édrysytes, déjà mor- la virent arracher eux-mêmes ensuite
celé par les princes ghomérytes de par les mamlouks qu'ils avaient insti-
Sebthah , fut recueilli en partie par tués, et qui formèrent deux dynasties
successives désignées par les dénomina-
les Bény-Aby-el-A'âfyah de MeknéVh, tions de Bahharytes et de Circassiens,
possesseurs passagers de la royale Fês
et souverains persistants d'Agarsyf ; le jusqu'à
missent ce lin que
a leurlessouveraineté.
Ïurks-Othomans
surplus passa aux Ommyades d'Espa-
gne , ainsi que Sebthah et une partie Le reste de l'Afrique musulmane
de Segelmêsah. Mais là, sur les ruines forma, à la chute des Almohades, trois
des Aledrârytes, avaient surgi les Fa- Etats principaux : le plus occidental ,
thémytes, sous la puissance croissante qui est celui de Marok , échut aux
desquels croulèrent de proche en pro- Mérynytes , auxquels succédèrent les
che les Rostamytes de Teyhert', et les Bény-Ouathâs , rameau détaché de la
Aghlabytes de Qayrouàn, maîtres de même dynastie; ceux-ci furent rem-
la Sicile, et les Ekhschédytes d'Egyp- placés par des schéryfs Dara'ouytes ,
te ; et le Caire s'éleva sur les bords dont le sceptre passa en dernier lieu
du ]\jl pour devenir leur capitale. Mais aux schéryfs Fillêlytes qui le tiennent
pressés de continuer leur marche vers aujourd'hui. Dans un voisinage immé-
l'Orient, ils abandonnent leurs pre- diat, Telemsên redevint un royaume,
mières conquêtes à l'ambition de nou- indépendant cette fois, sous les Zyâny-
velles dynasties : les A'bdélouadytes tes, rejetons des anciens
tes; mais sa durée fut peuA'bdélouady-
longue : le
établissent dans l'ouest le royaume
tributaire de Tejemsên, les Hhamma- fameux corsaire A'rougj , et son frère
dytes dans l'est celui de Bougie, tandis Khayr-el-Dyn Barbe-rmisse, qui de-
qu'entre les deux les Zéyrytes conser-
vent l'état suzerain d'Àschvr et de mane,vintjetèrent
grand "amiral de la
à Alger les Porte Otho-
fondements
d'une puissance nouvelle; tout le ter-
se montrent; puis
Qayrouàn les Yafrounytes à l'extrême occident
de Salé, ritoire de Telemsên fut bientôt sou-
maîtres intermittents de Fês et profli- mis àleur pavillon ; Bougie, enlevée à
g;iteurs des infidèlesdeB;irghaouâthah; Tunis, vint aussi grossir leur domai-
enfin , à côté d'eux , en même temps ne : et le repaire de ces forbans, no-
minalement tributaire du Grand -Sei-
(jue voisins et rivaux des Zéyrytes d'As- gneur, fatiguait la chrétienté de ses
chvr ,les Bény-A'thyah , rois de Fês
et fondateurs de Ouetchdah, qui éten- perpétuelles déprédations, lorsque la
dirent leur domination jusqu'au Zab. France, vengeant son injure person-
Bientôt apparut l'association redouta- nelle, adélivré l'Europe de ces auda-
ble des iMorabethyn ou Almoravides, cieux pirates et fondé pour elle-même
formée au désert, qu'elle avait envahi une importante colonie.
jusqu'aux Enfin, à l'est, le royaume de Tunis,
remontant États au nord, nègres absorba
du sud, tour
et quià
étendu jusqu'à l'Egypte, fut le lot des
tour les monarchies des Bény-Aby el- Hhafssytes, qui se partagèrent en plu-
A'âfyah, des Bargbaouâthah, des A'b- sieurs branches , dont l'une garda
délouadytes, des Yafrounytes, des Bé- Tunis, et une autre eut Bougie, qui
ny-A'thyatoute
h, l'Andaiousie, et les lui fut enlevée par la victoire du comte
Baléares, étendant en outre sa suze- Pierre de Navarre ; puis les Turks
raineté sur les Zéyrytes de Qayrouàn s'emparèrent successivement de ce qui
restait aux Hhafssytes, et y établirent
et les
les Hhammadytes"
Mouahhedyn de Bougie.vinrent
ou Almohades Puis
renverser les uns et lesautres, et tout deux pâschâs, l'un à Tunis, l'autre à
Tripoli; ainsi furent constituées, avec
englober dans une seule monarchie
homogène. Alger,
les Régences ce que barbaresques.
l'on appela depuis lors
L'Egypte, alors encore aux mains
HISTOIRE DE L'AFRIQUE. 31
TROISIEME SECTION.
DE L'ÉTUDE DE L'AFRIQUE.
NS S.
OR ATIO UV ERTE
EXPL ET DÉCO
ANCIENNES CIRCUMNAVIGATIONS. - pour aller fonder des
Mnon
les côtes occidentales.
colonies sur
Des Marchais, en 1725, leur a consa- rendu sont celles de Cauche qui s'y était
en 1638 , de Flacourt qui y ar-
cré quiquelques ; l'expéd
pagesavec ition d'O- ne riva en 1648 et y passa sept années,
wen, avait elle le capitai
de Souchu de Rennefort qui y fut
Boteîer et l'aimable aveugle Holman,
a recueilli , en 1827, les éléments de envoyé en 1664, de Drury qui y fit nau-
descriptions plus détaillés. frage en 1702, puis celles de Le Gentil,
L'Ascension et Sainte-Hélène ont de Rochon , d'une foule d'autres , ré-
leur place dans tous les routiers de en dernier sumées en 1831 par d'Unienville, et,
lieu , celle de Leguével
l'Inde : ce sont comme deux hôtelleries
par lesquelles il faut indispensablement qui y a séjourné de 1823 à 1830, et
celle des missionnaires anglais qui s'y
passer; et cependant, la route n'a point étaient établis en 1818 et qui en ont
toujours été si certaine , que Jean de été chassés en 1835.
Nova n'eût trouvé, en 1501, l'îlot
écarté de la Trinidad , avant de décou- Quant aux petites îles qui sont ré-
vrir, en 1502, Sainte-Hélène, qui nous pandues autour de cette grande terre
a été décrite avec détail par Brooke insulaire, Bourbon, Maurice, Rodri-
en 1806 , mais qui nous est bien mieux gue, les Séchelles, les Comores, con-
connue par le fameux Mémorial de tentons-nous deciter les relations de
Bernardin de Saint-Pierre en 1768, de
Napoléon, par les
et allée de l'expé-
récits naguère Milbert et de Bory de Saint-Vincent
dition qui est y chercher
les restes du grand Empereur. Tristao en 1800, de Grant en 1801, de Billard
aussi , en 1506 , l'îlot en 1816, de Frappaz en 1818, de Le-
da Cunha trouva
éloigné qui a gardé son nom , avant de lieur de Ville-sur- Arce en 1819, deTho-
rencontrer, en 1508 , le rocher de l'As- mas en 1828 , et de d'Unienville en
cension, dont nous devons au capitaine 1831, dont les unes s'appliquent à quel-
Brandrethune notice détaillée, publiée ques points isolés, d'autres à plusieurs
en 1835. îles à la fois , ou même à tout l'en-
Dans la mer des Indes, Madagascar, semble de cet archipel inconnexe.
Il nous reste à dire un mot de Soco-
qui nous est connue sous ce nom (*) tora : il doit se borner à signaler ici
depuis le temps de Marc Polo , a une
telle importance, que les voyageurs le mémoire descriptif du lieutenant
qui l'ont visitée en ont laissé de nom- Wellsted , qui a exploré cette île en
breuses relations; les plus connues 1834.
AFRIQUE ANCIENNE.
INTRODUCTION
gés autour de Ptolémée ; enfin , la dé- nord et le sud sont certainement dési-
cadence romaine nous présente les gnés par Homère comme le côté de
itinéraires, notices, dictionnaires, et Borée ou de l'Aquilon et le côté de
cosmographies, fastidieuses mais uti- INotos ou de l'Autan. Plus tard on ap-
les compilations, dont les plus impor- pliqua aux deux segments les noms
tantes ont eu pour rédacteur Éthicus : d'Europe et d'Asie ; mais le poète ne
c'est encore de la géographie ancienne, connut ces deux noms que dans une
acception beaucoup plus restreinte ,
mais c'est déjà le moyen âge de la
géographie. inscrivant celui d'Europe entre le Pé-
CONTREES LIBYENNES COMPRISES loponèse et les Iles (*),et celui d'Asie
à l'embouchure du Raystre (**), tout
TERRESTRE D'HO-
MÈRE. LE DISQUE
DANS près d'Éphèse.
Dans l'hémicycle septentrional s'é-
Le Planisphère homérique, dont le tendaient jusqu'au limbe océanique, au
fleuve Océan déterminait le circulaire delà des Mysiens de la Thrace et des
contour, représentait la terre comme peuples hippomolges, les Cimmériens,
dans
tentée lesquels l'ethnologie moderne est
un disque, au centre duquel s'élevait de retrouver les ancêtres de cette
l'Olympe , et que traversait , du cou- puissante race celtique dont les restes
chant àl'aurore, une zone tracée par
la mer Intérieure depuis les sources de portent encore le nom de Cymris.
l'Océan jusqu'au Phase. L'orbe terres- Dans l'hémicycle austral , sur les
tre se trouvait ainsi coupé en deux seg- bords de la mer Intérieure, après la
ments, pour lesquels le divin rhapsode Colchide, laTroade, lesCariens, les
n'avait point encore de noms propres Lyciens , les Solymes, les terres qui
généraux. En vain Strabon, panégy- s'arrondissent autour de Chypre, la
riste, maladroit cette t'ois, de la science Phénicie et les Érembes, s'étend l'E-
gypte ,et enfin la Libye ; et au delà ,
géographique d'Homère , aflirme-t-il sur le limbe que baigne l'Océan, les
que chez le poète l'hémicycle septen- Éthiopiens éloignés , divisés en deux
trional est le côté des ténèbres, l'autre
celui du soleil et du jour. Cette appli- parts, l'une d'Orient et l'autre d'Occi-
cation est plus ingénieuse que vraie, dent. Ainsi dans la mappemonde d'Ho-
et c'est folie de croire que le chantre mère, ledisqueinégales
terrestre',
deux moitiés dontpartagé en
la plus
d'Ulysse ait renversé Tordre de la na- grande était consacrée tout entière à
a mis au dulevant
ture*, quiéternelle l'aurore et
la source jour, au cou- l'Europe, n'offrait plus qu'un segment
chant les ténèbres et la nuit (*). Le amoindri pour l'Asie et l'Afrique, en-
semble ; et quant à cette dernière en
(*) Iïpoç Çocpov — (ÔTtep fort Tcpoç àpxTOv) particulier,
au fond du couchant, qui s'y trouvait
il nous reléguée
reste à
— ai os t' âveuOe T:pô; r,ù> x' rjsXiôv te.
(ôXov ib vÔTiov uXeupôv ouxto )iycov). examiner dans quelles proportions elle
Strabon, I, sur Hom., Odys. ix, 25. s'y trouvait comprise.
Il nous suffit d'opposer à cette explication Ménélas, qui passa huit années à er-
rer sur des plages étrangères avant de
celle qui ressort de cet autre passage d'Ho-
mève (Odyssée, x, 191).
Nous n'avons pas besoin de nous étendre
"*Q 91X01, oùyàp x' Ï8u.êv Ô7tr) Ço<poç, ovS' ont] r)à>ç, ici davantage sur cette question.
Oùo° ôtcy) YjéXioç çaeciu-êpoio; î\a? vtcô yaïoa,
Oûô' otcyj àvveîrai. (*) 'H[xàv ÔQ-oi IleXoTîOvv/iaov lueipav eyo'j-
Nous ne doutons pas que la véritable aiv.
'Hô' ôcroi Eùpo)7a]v xe xai àpupipuraç
traduction ne soit celle-ci : « O mes amis , xatà vyjaouç.
«< nous ne savons plus où sont ni l'obscu- Homère, Hymne à Apollon, a5o.
« rite (l'occident), ni l'aurore (l'orient), ni le
« côté où le soleil lumineux fait sa route au- (**) 'Affito ev XetjM&vi , KaOo-xpîou àu-tpl
«« dessous de la terre {le nord), ni le point où
(Séeôpa. Homère, Iliade, II, 461.
«il culmine au-dessus d'elle {le midi). »
AFRIQUE ANCIENNE.
51
rentrer à Sparte . visita ainsi tour à de Charybde et le rocher de Scylla; il
tour Chypre et la Pîiériicie, les Egyp- y fait naufrage, et, ballotté sur les
tiens et les Éthiopiens, les Sidoniens débris de son navire, il arrive au bout
et les Érembes , et la Libye où les de dix jours à Ogygie, l'île de Calypso
agneaux ont des cornes dès leur nais- fille d'Atlas. Il en repart enfin sur
sance, où les brebis mettent bas trois un radeau , et après dix-huit jours il
t'ois l'an, offrant aux maîtres comme gagne l'île Skhéria, terre des Phéaciens,
aux bergers d'abondantes provisions qui le ramènent à sa chère Ithaque.
de fromage, de chair, et de lait frais, L'antiquité, religieuse admiratrice
puisqu'on peut les traire toute Tan- des chants du sublime poète, devait se
née. Sur quel point de la Libye aborda complaire à reconnaître et à signaler
l'époux d'Hélène? La tradition géo- tous les lieux qu'il avait décrits : aussi
graphique semble nous le révéler, en les noms homériques sont-ils restés
conservant, jusqu'au temps de Ptolé- traditionnellement attachés aux points
mée, le nom de Ménélas à l'un des ports qui semblaient répondre à ses indica-
de la Marmarique. Ménélas , au sur- tions ,et nous les trouvons consignés
plus , ne doit point mourir dans la dans les géographes aussi bien que dans
Grèce : à la fin de ses jours, les dieux les scholiastes. La moderne Gerbeh
le transporteront au champ Élysien , est chez eux appelée l'île des Lotopha-
à l'extrémité de la terre , séjour déli- ges ; Favignana , à la pointe occiden-
cieux àl'abri des neiges, du long hiver tale de la Sicile, représente Éguse,
et de la pluie, doucement rafraîchi par voisine du pays des Cyclopes. Quant à
le souffle du zéphyre, ou vent d'ouest, l'île flottante d'Éole, c'est, d'après les
émane de l'Océan. Malheureusement explications de Pline , la moderne
le poète ne nous dit point à quelle Stromboli. Les Lestrygons d'Homère
distance du phare d'Egypte, où Méné- sont généralement placés sur la côte
las apprit son destin, gisait cette terre d'Italie , au fond du golfe de Gaëte ,
fortunée.
où, suivant le dire d'Horace (*) , La-
Les pérégrinations mos avait régné sur Formies. Le nom
instruiront sans doute d'Ulysse
davantage, nous
car de Circé est resté jusqu'à nos jours
il se rendit lui-même aux limites du attaché à un promontoire, qu'on sup-
profond Océan. Suivons rapidement le pose avoir autrefois été détaché du ri-
sillage de son navire, depuis qu'au dé- vage, et qui passe pour avoir été le
partie Troie, repoussé par les Cicones séjour de la fameuse magicienne. C'est
de la Thrace, il fut emporté par Borée de là que passant devant les îles Syré-
jusqu'auprès de Cythère , et poussé nuses indiquées en face de Pestum, et
ensuite en dix jours chez les Lotopha- traversant le détroit de Messine, Ulysse
ges de la Libye; de là nous le voyons fut poussé dans l'île Ogygie , qui se
aborder chez les Cyclopes, en face des- retrouve dans le groupe maltais , et
quels est l'île boisée d'Éguse; échappé gagna ensuite Skhéria , la moderne
des mains de Polyphême , il arrive à Cori'ou, d'où il revint enfin à Ithaque.
l'île d'Éole, d'où le zéphyre le ramène Dans cette navigation errante, Ulysse
en dix jours jusqu'en vue d'Ithaque , n'a touché aux terres Libyennes qu'en
mais où il est rejeté par le déchaîne- « JEU, vetusto nobilis ab Lauao
ment des vents contraires. Alors il ga- (*)
gne en sept journées la côte des Lestry- « Qui Formiarum înœnia dicitur
gons, sujets du roi Lamos , échappe « Prince|is, et inuanletn Maricae
« Liltoribus tenuisse Lirim,
à grand'peine à leur dent cruelle , et « Latè tyrannus.
gagne Eéa, l'île de l'enchanteresse Horace, Odes, lit, xn.
Circé. De là un jour lui suffit pour se Malte-Brun conduit Ulysse chez les Les-
rendre aux bords de l'Océan, et, re- trygons de la Sicile, mais il oublie que ce
venu chez Circé , un jour encore le peuple était cantonné sur la côte orientale,
conduit, en doublant les îles des Syrè- et il le transporte de son autorité privée
sur la côte septentrionale.
nes, au détroit où l'attendent le gouffre
L'UNIVERS.
deux points insulaires, l'un habité par partagé en deux sections, en sorte que
tout un peuple de Lotophages, l'autre la Libye, bien que considérée encore
par la solitaire fille d'Atlas; et cette comme une dépendance de l'Asie, eut
double indication ne peut guère nous dès lors à l'orient une limite déter-
minée.
suffire pour estimer l'étendue de la
Libye dent.
homérique du côté
Mais nous avons vu de
le l'occi-
(ils de LA. LIBYE DANS LE PLANISPHÈRE
D'HÉRODOTE.
Laërte, parti de l'île de Circé, parve-
nir en un jour jusqu'aux bords de 10- Au temps d'Hérodote, les conditions
céan,
de Circéde ilmême
revientqu'en un jour,de deSicile.
au détroit l'île du problème avaient changé : le disque
Cette deuxième journée nous donne la terrestre s'était étendu, le cercle de
mesure de la première, et nous désigne l'Océan agrandi; il semble même que
le centre du monde se fût déplacé, et
l'entrée de l'Océan fantastiquement que du Parnasse, qui avait succédé à
ouverte sous le méridien de l'île d'Elbe
et de Carthage. Tel était donc le terme l'Olympe, il eût été transporté vers le
sud-est , à Rhodes peut-être.
de la Libye d'Homère. Et l'on n'était L'Europe, en effet, séparée de l'Asie
pas plus avancé dans les siècles sui-
par le Phase, l'Araxe, et la mer Cas-
eût étévants, jusqu'à ceparquela letempête
poussé samien auColéos
delà pienne, était bien aussi longue que
du l'Asie et la Libye, en face desquelles
notredétroit
ère. d'Hercule, 639 ans avant elle étendait ses rivages ; mais elle ne
Si le rapprochement des portes de leur était point comparable en largeur,
l'Océan raccourcissait à ce point la quoique, à vrai dire, personne ne l'eût
encore explorée au nord et à l'est, et
Libye du côté de l'ouest, elle se trou-
vait bien plusrétrécie encore entre les ne pût certifier en conséquence qu'elle
contours méridionaux de l'immense fût de toutes parts entourée par l'O-
céan, comme on le savait pourla Libye
fleuve circulaire et la rentrée des Syr-
tes. On en peut juger en recueillant, et l'Asie, autour desquelles Nékos et
Darius avaient fait naviguer leurs flot-
dans les Pythiques dePindare, la tra- tes le
, premier du golfe Arabique aux
dition primitive du voyage des Argo-
nautes, qui, du Pont-Axène passant Colonnes d'Hercule, sous la conduite
par le Phase dans l'Océan oriental, et des mariniers deTyr, l'autre depuis
naviguant au sud de la Libye, trans- Caspatyros sur l'Inaus jusqu'au golfe
f)ortèrent ensuite leur navire à travers Arabique , sous les ordres de Scylax
de Caryande : ce qui avait permis de
es terres, jusqu'au lac Tritonide, ac- juger que ces deux grandes portions
complis ant endouze journées ce mer-
veilleux trajet de tout le continent de l'hémicycle austral étaient mutuel-
lement de grandeur égale.
africain (*).
Mais quand Hécatée de Milet, qui Mais ce n'est point au Nil que l'il-
écrivit le premier traité de géographie, lustre historien veut placer leur limite
comme son compatriote Anaximandre naturelle : c'est au golfe Arabique, sé-
avait tracé la première mappemonde, paré de la mer Intérieure par un isthme
eut désigné le Nil comme un bras de si étroit! Au surplus, il trouve risible
l'Océan, les Argonautes virent s'ouvrir qu'on ait voulu couper ainsi en trois
pour eux une voie plus aisée de retour parts l'orbe terrestre , et qu'on ait
à la grande mer Intérieure, et le con- choisi précisément le Nil pour faire
tinent austral se trouva naturellement cette coupure, puisque sa bifurcation
sépare de l'Asie et de la Libye, tout à la
fois , le Delta égyptien, qui constitue-
(*) Àto8e-/.a oï itpotepov
'Ayipa; i\ 'Qxsavov cpépo^sv rait ainsi lui-même une quatrième (*)
NoÔTtov U7rèp yaïaç èpr^cov
'EvàXiov ôopu.
Pindare, Pythiques, IV, Sir. 2. dans(*) leur
Les division
Égyptiensethnologique
l'entendaient dubien ainsi
monde,
AFRIQUE ANCIENNE. 53
partie du monde!... Ces moqueuses Bien que les conquêtes de la science
sorties du grave historien nous prou- ne soient point irrévocablement assu-
vent que ses propres idées , malgré rées contre des retours d'ignorance
et de barbarie, il faut néanmoins se
leur justesse, n'étaient point celles qui
avaient cours parmi ses contempo- garder de croire, sur la foi de quel-
rains, et que l'Egypte restait séparée ques exagérations modernes, que l'é-
de la Libye. cole aristotélique, venue plus d'un
Les connaissances constatées par siècle après Hérodote, eût rétrogradé
Hérodote sur la Libye au delà de jusqu'au monde d'Homère; que l'au-
l'Egypte suivent trois lignes principa- teur d'un livre publié sous le nom du
les vers l'occident : l'une s'avance le Stagyrite lui-même ait voulu repré-
long des côtes de la Méditerranée, at- senter la Méditerranée comme for-
teint le détroit des Colonnes , et le mant legolfe Syrtique immédiatement
franchit pour se continuer jusqu'à un après le détroit des Colonnes ; qu'un
peuple avec lequel les Carthaginois autre disciple d'Aristote, Héraclide
échangeaient leurs marchandises con- de Pont, ait parlé de Rome comme
tre de l'or; l'autre , partant de Thèbes d'une ville voisine de l'Océan. Ce sont
d'Egypte, se poursuit d'oase en oase, là de pures équivoques : Héraclide, en
à travers le désert, jusqu'à l'Océan ; la effet, avait consigné dans un de ses
troisième, inclinant plus au sud, sil- écrits la vague nouvelle de la prise de
lonne tour à tour des pays habités, des Rome par les Gaulois, et il la dési-
solitudes infestées de bêtes sauvages, gnait comme une ville assise sur les
des déserts sablonneux, et aboutit en- bords de la Grande mer; et la
fin aux bords d'un fleuve intérieur Grande mer ne fut jamais, dans l'an-
coulant d'ouest en est , habités par mais bien tiquité celui
classique,dele la
nomMéditerranée.
de l'Océan,
des hommes noirs , ce qui a fait con-
jecturer que cette indication s'applique Et quant au livre aristotélique Du
au grand fleuve Kouârâ ou Niger, qui Monde, on n'y trouve que cette ex-
passe à Ten-Boktoue. plication pleine de justesse : « L'O-
S'il en est ainsi , Hérodote aurait « céan, répandu autour du monde que
recueilli dans ces informations , qui « nous habitons, se frayant une route
n'étaient, au surplus, que le simple « à travers le détroit appelé les Co-
récit d'une expédition isolée, des ren- « lonnes d'Hercule, forme une mer
seignements quis'étendaient, dans la « intérieure, s'agrandissant de proche
Libye intérieure, bien plus loin que « en proche et s'enfonçant dans des
les Grecs ni les Romains des siècles « golfes considérables, se rétrécissant
ultérieurs ne poussèrent leurs connais- « et s'élargissant tour à tour. Et d'a-
sances géographiques. Il ne faut point « bord, en effet, Ton dit que sur la droite
oublier, d'ailleurs, que, dans les idées « des navigateurs venant des Colonnes
que le père de l'histoire se formait de « d'Hercule, elle s'avance dans les
l'orbe terrestre, la Libye et l'Asie se « terres et produit les deux Syrtes;
balançaient symétriquement de part et « tandis qu'à l'opposite elle forme les
d'autre du golfe Arabique, et que même « trois mers Sarde, Gauloise et Adria-
l'Arabie était, au midi, la dernière des « tique, immédiatement suivies de la
terres habitées (*). « mer de Sicile, après laquelle vient
« la mer de Crète, ayant elle-même
où ils se donnaient comme de raison la « d'un côté celles d'Egypte, de Syrie
première place , sous le nom de Rome ou « et de Pamphylie, de l'autre la mer
Hommes ; puis venaient successivement les « Egée et celle de Myrtos. »
Nahasi ou Africains, les Namou ou Asia-
Il n'y a là, certes,- rien qui ne soit
tiques et
, les Tamliou ou Européens. d'une parfaite exactitude; mais notre
J*)oîxeouivtov
TTpoç 8' au x^pîwv
(j.£aa|j.êpirJ;
vaniteuse légèreté est prompte à taxer
Ttov èorî. ir>yârr\ 'ApaêiY]
Hérodote, Thalle, 107.
d'ignorance et d'erreur ce qu'elle ne
s'est pas donné la peine de compren-
54 L'UNIVERS,
parti de Garama et de la Grande Lep- heures de la nuit (*). Que dis -je? la
tis, avec le roi des Garamantes. pour rotondité même n'est plus une condi-
marcher droit au sud contre les Éthio- tion des représentations graphiques;
piens, avait, dans l'espace de quatre et le moine grec Cosmas, surnommé
mois, atteint la contrée d'Agasymba; Indicopleustes ou le navigateur in-
mais, saitremarquait Ptolémée, il s'agis- dien inscrit
, sa mappemonde dans un
des Éthiopiens limitrophes des parallélogramme, sur la marge duquel
Garamantes, étendus à l'ouest et à reparaît,
des au delà dede l'Océan,
Antiehthones la terreà
Mêla, offrant
l'est aussi bien qu'au midi, etl'on n'en
rapportait d'ailleurs aucun renseigne- l'orient le paradis terrestre, où se
voient les sources non-seulement du
mesurerment digne d'intérêt,
là-dessus Nous des
la valeur pouvons
con- Gihon ou Nil , comme l'avait énoncé
naissances acquises jusqu'alors sur le géographe romain , mais aussi de
l'Afrique centrale : elles se rédui- l'Euphrate, du Tigre et du Phvson.
saient àquelques vagues indices des Dans les œuvres du moyen âge pro-
peuples noirs qui bordent le Fezzan prement dit , se reproduisirent ces
par nosle jours.
sud, c'est-à-dire, des Tibbous fantastiques délinéations du monde
de connu des anciens. Les disques offrant
un hémicycle et deux quartiers se re-
Connaissances géographiques posté-
rieures àPtolémée. trouvent "nombre de fois; les Anglo-
Saxons, à i'autre bout de la terre, ont
Après Ptolémée, la science de la aussi laissé leur parallélogramme, ana-
terre subit une révolution nouvelle :
logue àcelui de l'indicopleustes Cos-
alors commence une époque de tran- mas ;quelques traces de la terre des
sition où la géographie, Rappliquant Antichthones se montrent sur de rares
encoretoireàdu monde,
la périodese ancienne mappemondes oibiculaires , dans les
rattache deparl'his-
ses conditions indiquées par Mêla; puis
formes aux siècles ultérieurs : ainsi apparaissent les planisphères arabes,
que nous l'avons dit plus haut, ce où percent, à travers l'impéritie de
n'est point encore la géographie du l'art le plus naïf, les enseignements de
moyen âge, mais c'est déjà le moyen Ptolémée , et son système du prolon-
âge de la géographie. gementla mer
de l'Afrique à t'est pour une
en-
Toutes les cosinographies latines fermer des Indes comme
sont désormais rédigées sur une base autre Méditerranée; ceux-là servirent
qui s'éloigne peu de ce principe fon- de modèle aux cosmographes néo- la-
damental que
, l'orbe terrestre, cireu- tins (iui vinrent après eux, jusqu'à ce
lairement entouré d'un océan continu, qu'une subite lumière sur la véritable
est diamétralement coupé du nord au forme de la terre détermina la brusque
sud par le Tanaïs et le Nil, en deux transition de ces planisphères grossiers
parties, dont la plus orientale s'ap- aux mappemondes sphériques de la
science moderne.
pelle Asie , tandis que celle d'occident
est séparée d'est en ouest par la Mé- RÉSUMÉ DES NOTIONS DES ANCIENS
diterranée en deux quartiers , l'un
d'Europe , l'autre d'Afrique. C'est un SUR L'AFRIQUE.
retour
thènes etgrossier de Strabon. aux lia
idées d'Ératos-
sphéricité de Ainsi , dans la revue historique que
la terre s'efface même devant les scru- nous venons de passer des phases di-
pules des Pères de l'Église; on rétro- verses sous lesquelles se sont produites
grade jusqu'au disque plan d'Hérodote
et d'Homère; et le soleil, effectuant (*) On retrouve l'exposition de ce sys-
son cours du levant au couchant par tème au neuvième siècle dans le géographe
le midi pendant les douze heures de la anonyme de Ravenne , et son application
journée, revient du couchant au le- graphique beaucoup plus tard encore, dans
vant par le nord pendant les douze le Planisphère niellé du musée Borgia.
AFRIQUE ANCIENNE.
successivement les connaissances géo- Rio do Ouro , par le nord du désert63,
le pays des Tibbous, et les sources du
graphiques del'antiquité sur l'étendue
et la repartition des continents ter- Nil , jusqu'au cap Delgado voisin de
restres, parmi lesquels nous avions à
Quiloa.
reconnaître la place réservée à l'Afri-
que, nous avons vu, tour à tour, Ho- LIMITES DE L'AFRIQUE ANCIENNE
mère, donnant à l'Europe la plus grande DU CÔTÉ D'ASIE.
moitié du disque , laisser l'autre seg-
ment àl'Asie, dont la Libye occupait Ptolémée, le premier, avait osé mar-
l'extrémité occidentale ; puis Hérodote, quer expressément la séparation de
amoindrissant l'Europe, consacrer à l'Afrique et de l'Asie à l'isthme que les
l'Asie le segment le plus considérable, modernes ont aussi adopté pour limite
dans lequel la Libye avait la moindre définitive : Hérodote en avait déjà eu
part; ensuite Strabon, attribuant à la pensée, mais il ne l'avait pas impo-
l'Asie toute la moitié orientale de l'Ecu- sée d'autorité à ses contemporains et
mène sphéroïde, donner l'autre à l'Eu- à ses successeurs ; aussi Ptolémée est-il
rope, en y comprenant la Libye comme forcé de la proposer lui-même comme
une annexe de moindre étendue, in- une nouveauté, et d'en plaider les avan-
dépendam ent des terres extérieures, tages, sans parvenir toutefois à con-
au nombre desquelles se range celle vaincre son siècle ni les géographes des
des Antichthones de Mêla ; nous avons âges ultérieurs : en vain il représenta
vu enfin Ptolémée , soudant la terre
des Antichthones aux extrémités con- que le Nil avait l'inconvénient de scin-
der l'Egyptemoins
séparation , et d'offrir
tranchéed'ailleurs une
et moins
nues de la Libye , agrandir celle-ci jus-
qu'à lui assigner le second rang, après commode que le golfe Arabique; l'an-
l'Asie et avant l'Europe, dans la dis- cienne routine prévalut. On se con-
tribution des continents de l'Écumène. tentait d'échapper à l'inconvénient de
Après lui, la géographie rétrograde scinder l'Egypte et '.'Ethiopie, en rat-
vers l'imperfection des âges antérieurs, de la vallée tachant i'Asie
à du Niltoute
: cettela vallée
rive gauche
même
et s'enveloppe des langes de la barba- devint plus étroite ou plus large au
rie, d'où elle naissance desne lettres. doit sortir qu'à la re-
gré des vicissitudes politiques qui an-
Et parallèlement à ces représenta- nexaient l'Egypte
à une portion tantôt
tions contemporaines, sous lesquelles plus grande, tantôt moindre, de la li-
les anciens formulaient à la fois leurs sière libyque limitrophe.
connaissances positives et leurs théo- Ainsi, tantôt c'était à l'embouchure
ries systématiques du monde habité, canopique du Nil , ou bien à Alexan-
cherchant la portée véritable de leurs drie, ou encore au fond du golfe Plin-
notions réelles, nous avons vu Ho- thinète, tantôt à Parétonion, ou à
mère, mentionnant à peine quelques Apis, ou à Plynos, ou enfin au grand
îles libyennes de la Méditerranée, tout Catabathme , que l'on marquait, sur la
ignorer au delà du méridien de Car- côte , le point de division de l'Asie et
tilage ;Hérodote n'a de renseigne- de la Libye, continuant droit au sud
ments précis que sur une partie du lit- leur ligne de démarcation. En un mot,
toralmais
; les informations plus vagues l'Egypte meura , avec ses dépendances , de-à
fondamentalement annexée
qu'il avait obtenues suivaient la ligne
des Oases, et s'enfonçaient peut-être l'Asie , et le nom de Libye fut invaria-
même dans les terres jusqu'aux confins blement restreint, dans l'acception
ultérieurs du désert; la limite des con- usuelle, à la région africaine située à
nais ances deStrabon, partant des Ca- l'ouest de l'Egypte ; les Arabes \r. "me,
naries, suivait la chaîne de l'Atlas, et dont Ptolémée fut pourtant le princi-
passait au sud du Fezzan pour se ter- pal guide, subirent néanmoins cette
miner au Râs el Kheyl ; enfin , l'hori- influence des vieilles habitudes ; et
zon de Ptolémée s'étendait depuis le comprenant le Messr, c'est-à-dire
64 L'UNIVERS.
l'Egypte, dans le Scharq ou Orient, ils nègres proprement dits, qui se seraient
eurent, pour représenter la Libye des avancés alors jusqu'au nord du désert,
anciens, le nom général de Maghreb soit der
qu'on
ou Occident. comme les unedoive seulement regar-
race basanée.
Il convenait donc, en traitant de A ces populations indigènes ou pré-
tendues telles, se vinrent mêler des
l'Afrique ancienne, de n'y pas intro- éléments étrangers qui en modifièrent
duire l'Egypte et le reste de la vallée la composition intime et la distribu-
du Nil, toujours considérés, dans l'an-
tiquité, comme une division séparée, tion territoriale ; c'est encore aux livres
et qui, dès lors, exigeaient une des- de Hiempsal que Salluste en a emprunté
cription à part , une histoire dis- le récit. « Quand Hercule, dit-il, selon
tincte. les traditions africaines , eut péri en
Espagne , son armée , composée de
DIVISIONS GÉOGRAPHIQUES DE L'A-
nations diverses, sans chef, en proie à
FRIQUE ANCIENNE. des ambitieux qui s'en disputaient le
commandement , ne tarda point à se
Cette troisième partie du monde débander. Une partie , s'étant embar-
connu des anciens n'a point gardé, dans quée, passa en Afrique: c'étaient des
le cours des siècles, une distribu- Mèdesrent suretledes Arméniens, qui s'établi-
tion géographique constante à laquelle littoral de la Méditerranée;
nous puissions accommoder de prime- et des Perses, qui s'enfoncèrent plus
saut les subdivisions de notre travail. loin, vers l'Océan. Ceux-ci se liront
D'abord on n'entrevoit d'autre distinc- des abris delà coque renversée de leurs
tion que celle des peuples : Hérodote navires, à défaut de matériaux que le
d'après les notions qu'il avait directe- sol ne leur fournissait pas, et qu'ils ne
ment recueillies , Salluste d'après pouvaient tirer d'Espagne par voie
celles qu'il trouva consignées dans les d'achat ou d'échange, car l'étendue de
livres puniques de Hiempsal , concou- la mer et la différence de langage s'op-
rent ànous donner une idée générale posaient aux relations commerciales.
de la situation primitive des popula- Peu à peu ils se mêlèrent aux Gétules
tions par des mariages ; et comme souvent,
daient duautochthones,
moins comme ou qu'ils
telles.regar-
Sur tatant le pays, ils étaient allés de place
toute l'étendue du littoral était répan- en place , eux-mêmes se donnèrent le
due la race libyenne, à laquelle ce nom nom tredeformeNumides (quiden'est qu'une au-
de celui nomades). Au
appartenait en propre; depuis l'Egypte temps de Salluste , les demeures de ces
jusqu'au fond de la petite Syrte et aux Numides agrestes, appelées mapalia
bords du fleuve Triton , elle menait la
vie errante des nomades ; du Triton à en leur langue, avaient encore la forme
l'Océan, elle était adonnée aux cul- allongée et la courbure latérale d'une
tures sédentaires. Derrière ces Libyens coque de navire.
agriculteurs étaient cantonnés d'autres « Quant aux Mèdes et aux Armé-
nomades, peuples rudes et sauvages, niens, ils s'unirent aux Libyens, plus
désignés sous le nom de Gétules , et rapprochés de la mer d'Afrique; tandis
que représentent peut-être les Berbers que les Gétules étaient plus au midi,
de nos jours : les traditions généalo- non loin des ardeurs du tropique. Ils
giques de ces derniers, rapprochées de eurent bientôt des villes ; car, séparés
celles que nous a transmises Procope, de l'Espagne par un simple détroit, ils
tendent à montrer en eux les descen- avaient institué un commerce d'échan-
dants des Rananéens expulsés de la ges. Les Libyens, altérant peu à peu
Palestine par Josué. Puis , derrière leur nom, les appelèrent, en leur langue
tous ces nomades, soit libyens, soit barbare, Maures, au lieu de Mèdes
gétules , habitaient les Éthiopiens , (se rapprochant ainsi de la prononcia-
ainsi appelés de la noirceur de leur tion arménienne , qui donne en effet
la forme Mar au nom des Mèdes).
teint, soit qu'il y faille reconnaître des
AFRIQUE ANCIENNE.
65
«La puissance des Perses fut prompte dont le plus considérable fut Carthage,
à se développer (et leur descendance bientôt devenue cité prépondérante au
directe se perpétua dans les tribus des milieu des cités puniques , souveraine
Pérorses et des Pharusiens, ainsi que d'un État puissant, et dominatrice de
Pline en a fait la remarque). Plus tard, tout le littoral africain depuis le fond
à cause de leur multitude, ils se sépa- de la Syrte jusque par delà les colonnes
rèrent de leur souche et s'étendirent, d'Hercule. Ce furent , d'un autre côté,
sous le nom de Numides, dans les can- les Grecs de Théra, qui vinrent fonder,
tons voisins du site de Carthage, qui sur la côte libyenne à l'est de la Syrte,
s'appelèrent dès lors Numidie. Puis, des établissements dont la métropole
s'aidant les uns les autres, ils subju- fut Cyrène, moins célèbre par son im-
guèrent parles armes ou par la crainte portance politique et ses richesses que
par la culture des sciences et des
les
beaucoup delimitrophes,
peuples gloire et deet renommée,
s'acquirent
lettres et par l'illustration de ses
écoles.
surtout ceux qui s'étaient le plus avan- Alors se trouvèrent déterminées de
cés vers la Méditerranée, où ils n'eu-
rent affaire qu'aux Libyens, moins véritables limites territoriales, que les
belliqueux que les Gétules : en défini- vicissitudes politiques purent déplacer,
mais qui ne s'effacèrent plus ; les au-
tomba,tive, la pour
plage lainférieure de l'Afrique
majeure partie, en la tels des Philènes, au fond de la Syrte,
possession des Numides; et tous les marquèrent la séparation des états de
vaincus n'eurent désormais d'autre na- Cyrène et de Carthage; le nom de
tion ni d'autre dénomination que celle Libye acquit, surtout dans la bouche
de leurs maîtres. » des Romains, une application spéciale
Ainsi, à sa deuxième phase, la po- à la première de ces divisions, tandis
pulation de l'Afrique se trouva répar- que le nom d'Afrique fut adopté comme
tie de manière à nous offrir, au voisi- la dénomination propre du domaine
nage le plus formés
les Maures, immédiatdudemélange
l'Hispanie,
des carthaginois; tout le reste s'appelait
Numidie , jusqu'au Molouya , après le-
Arméniens et des Mèdes avec ies Li- quel était la Mauritanie.
byens indigènes; derrière eux les Pé- Dans la Libye proprement dite , on
rorses et les Pharusiens, postérité des distinguait la Pentapole cyrénaîque, et
Perses; puis les Gétules, et, en avant le pays des Marmarides ou Libye mar-
de ces derniers , les Numides formés manque, appelée aussi Maréotide;
de leur mélange avec les Perses , et quand les Romains en furent devenus
englobant les Libyens subjugués du les maîtres, ils en firent une province
lrttoral , depuis le fleuve Molouya d'abord réunie à la Crète, puis sépa-
borne des Maures, jusqu'au fond de la rée, et enfin divisée elle-même en deux
{>etite Syrte, et même au delà; enfin, à provinces présidiales sous l'autorité
'extrérnité orientale de cette longue supérieure du préfet d'Egypte.
zone , les Libyens pasteurs , chez les- Dans l'Afrique et la Numidie, il y
quels les Numides ne s'étaient point eut , jusqu'à l'époque où la conquête
étendus; et derrière eux tous, les Éthio- romaine eut passé le niveau sur les ri-
piens. valités nationales des dominateurs pu-
D'autres races étrangères vinrent niques et des sujets indigènes, une
s'impatroniser
comme élémentsen nouveaux Afrique, destinés
non plusà fluctuation de limites que l'érudition
et la science des modernes n'a pas tou-
s'effacer dans une comme fusion fondatrices
commune, jours bien comprise, et que nous au-
mais au contraire
de colonies conservant une nationalité rons latâche d'expliquer. Contentons-
nous de dire ici que la province
séparée. Ce furent, d'une part, les d'Afrique, graduellement agrandie, fut
Phéniciens de Tyr et de Sidon , qui ensuite partagée de manière à former
échelonnèrent sur la côte , à l'ouest de d'est en ouest les provinces successives
la grande Syrte, divers comptoirs, appelées Tripolitaine, Bizacène, Afri-
5* Livraison. (Afrique ancienne
66. L'UNIVERS.
que propre, et Numidie nouvelle. Le fils. Et la mer elle-même, vis-à-vis
reste de l'ancienne Numidie, donné de ce point , semblait avoir subi , dans
par les Romains au roi de Mauritanie la nomenclature qui lui est spéciale,
Bocchus, fut désormais confondu dans l'influence de ce grand divorce entre
les états de ce prince , sous le nom l'Occident et l'Orient; car un ancien
général de Mauritanie; puis, rentrées périple grec de la Méditerranée dis-
sous la domination romaine, ces con- tingue expressément , dans le golfe
trées formèrent les deux provinces de communément appelé grande Syrte,
Mauritanie, distinguées, d'après le nom d'une part une Syrte de Cyrène, de
de leurs capitales, en Mauritanie Césa- l'autre la grande Syrte proprement
rienne et Mauritanie Tingitane ; plus dite.
tard, on sépara de la première, du côté Dépendance politique de l'empire
de celle de Numidie, une province nou- d'Orient , la Libye chrétienne recevait
velle, qu'on appela Mauritanie Siti- ses évêques d'Alexandrie. Les provin-
fienne. Quand Rome porta ses armes ces africaines, comprises dans l'em-
au delà de cette zone littorale, les
f)ire d'Occident,
a primatie constituèrent,
de Carthage, sous
la célèbre
cantons qui subirent alors le joug
furent annexés à la province la plus voi- Église d'Afrique, placée dans par
l'obé-la
sine le: reste n'était connu que de nom. dience de Rome, et anéantie
Les dénominations territoriales que persécution des Vandales. Quand elles
la géographie a consacrées pour les furent reprises aux barbares pour être
grandes divisions de l'Afrique an- réunies à l'empire d'Orient, ces pro-
cienne sont donc celles de Libye pro- vinces formèrent ensemble une grande
pre, d'Afrique propre, de Numidie, et préfecture prétorienne, distincte de
de Mauritanies. toutes les autres.
Ces contrées n'ont point, n'eurent C'est donc adopter, pour notre tra-
même jamais une histoire commune : vail , une distribution conforme au
et d'abord une séparation profonde di- sujet lui-même, que de traiter séparé-
visait en deux parts très -distinctes ment de ces deux grandes divisions
territoriales. Nous consacrerons, en
cette longue zone de provinces : d'un
côté c'était l'Orient , de l'autre l'Occi- conséquence, une première partie de
dent, grandes régions dont la nature ce livre à la Libye proprement dite,
même avait indiqué le partage, et que dont nous suivrons l'histoire, sans in-
la force des choses maintenait cons- ter uptiodepuis
n, les temps les plus
tamment en des mains diverses, bien reculés jusqu'à l'invasion arabe, dans
avant que les maîtres du monde son- les flots de laquelle fut engloutie toute
geas ent àle morceler en deux em- l'Afrique ancienne.
pires jumeaux. Les dénominations gé- Passant ensuite aux provinces afri-
nérales étaient, dans leur acception la caines, nous donnerons une section à
plus large, soumises aux exigences de chacune des trois grandes contrées,
ce partage : on n'étendait "point au l'Afrique propre , la Numidie , les
delà de la région occidentale l'appel- Mauritanies , depuis l'origine jusqu'à
lation de provinces africaines; et la leur réduction en provinces romaines;
langue de Rome échappait à l'influence la domination des Romains, le déve-
des habitudes grecques , pour concen- loppement etles vicissitudes de l'É-
trer dans la division orientale le nom
de Libye. glise d'Afrique , le règne des Vandales,
la restauration byzantine, demande-
La borne commune- était marquée ront àleur tour de nouvelles sections
par les Autels des Philènes, monu- pour arriver à l'invasion musulmane,
ments àla fois de l'ancienne étendue qui doit ouvrir, ainsi que nous l'avons
des possessions littorales de Carthage l'Afrique.
déjà marqué, l'histoire moderne de
et du patriotique dévouement de ses
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AfIEE<SWîS AKTSISSrïîB.
PREMIÈRE PARTIE.
LA LIBYE PROPRE,
COMPRENANT
LA GYRÉNAÏQUE ET LA MARMARIQUE.
IPT ION.
D ESCR
I. LE SOL. Ier. îles de verdure étaient parse-
§ quelques
mées àla lisière septentrionale de la
Limites générales, politiques et grande mer de sables, la possession
physiques; dénominations. de ces îles flotta souvent, incertaine,
Limites politiques de l'an- entre tions
la Libye, l'Egypte, et les popula-
cienne Libye. — La Méditerranée au indépendantes du désert.
nord, au sud les profondeurs du désert, Limites naturelles ou physi-
à l'est l'Egypte, et l'Afrique propre à ques. — Cependant , le territoire que
l'ouest, telles sont, en termes généraux, nous venons de signaler, peut aussi être
les bornes de la contrée à laquelle les considéré , au point de vue de la géo-
Romains restreignaient le nom de Li- graphie physique, comme une région
bye, employé par les Grecs dans un sens déterminée par des limites assez bien
beaucoup plus étendu. Sauf le .côté de tracées : il y faut remarquer en effet ,
la mer, dont le caprice des hommes au nord-ouest, un plateau culminant,
ne pouvait avancer ou reculer les ri- dont les déclivités s'abaissent rapide-
vages, cesdes
limites n'eurent pas la fixité ment, dans cette direction, vers la
indélébile démarcations naturelles
mer qui l'entoure, tandis qu'elles s'é-
que n'affectent point les vicissitudes po- tendent, àl'opposite, en vastes ter-
litiques; mais si les variations qu'elles rasses successivement étagées vers
éprouvèrent furent fréquentes et sen- l'est, où le passage de l'une à l'autre
sibles du côté de l'Egypte , où un pou- est remarquable par les ressauts appe-
voir puissant envahissait par degrés un lés le grand et le petit Catabathme,
domaine qu'il devait finir par s'appro- et dont la dernière vient expirer aux
prier tout entier, les limites occiden- confins immédiats de la vallée du Nil ;
tales ne subirent que des changements pendant que vers le sud , depuis le fond
plus rares et moins considérables , dus
de la grande Syrte jusqu'à l'extrémité
encore à l'extension de la puissance orientale, une longue vallée s'étend
égyptienne, qui sous les Ptolémées comme un lit desséché', entre les der-
s'avança d'une centaine de milles au nières déclivités du plateau, et les
delà même des Autels des Philènes, jus- dunes sablonneuses où commence le
5.
qu'à latour Euphranta; et au sud , où grand Ssahhrâ , présentant sur quel-
68 L'UNIVERS.
ques points des cultures et des bosquets Villes, bourgades et autres
verdoyants, qui signalent les oases lieux dépendants de la penta-
d'Augiles et d'Ammon. DIVERSES pole. — Cyrène , Apollonie, Ptolé-
DÉNOMINATIONS DU maïs, Arsinoé, Bérénice, telles furent
pavs. — Le plateau culminant, partie les cinq cités qui constituèrent la floris-
principale de tout cet ensemble , cons- sante Pentapole : dans leur dépendance
tituait, proprement
à parler, ce qu'on étaient comprises d'autres villes moins
appela tour à tour Cyrénaïque , Pen- importantes , comme Adrianopolis ,
tapole, Libye supérieure; le reste for- entre Bérénice et Arsinoé; sur la route
mait la Marmarique, Libye aride ou de Ptolémaïs à Cyrène, Kélida , Ké-
inférieure, nommée aussi, dans sa
nopolis, Phalacra, dans l'intérieur; et
partie la plus orientale, Libye maréo- sur la côte, Ausigda, et le petit tem-
tide. Il est superflu
la domination d'ajouter
de Cyrène , leque,
nomsous
de Ele
re d'Aptoukhos;
de villages plus sans compter
obscurs nom-
, répandus
sur tout le plateau en tirant vers le
Cyrénaïque
reunie sous s'étendait
ses lois. à toute la contrée sud.
Description de la Libye supérieure A l'est d'Apollonie, s'ouvrait une
baie spacieuse offrant un Naustathmos
ou Pentapole cyrénaïque. ou station navale, au sortir de laquelle
* Territoire et villes de la Pen- on rencontrait, sur la droite, Éry-
tapole.—Figurant une ellipse, le pla- thron , puis Chersis voisine de la
teau verdoyant de Cyrène projetait à petite île d'Aphrodisias, et sous l'abri
l'est la grande Cbersonnèse, à l'ouest le du promontoire Zephyrion la cité de
promontoire Borion , comme les deux Darnis, dont le nom a persisté dans
pôles de son grand axe; tandis que sur le celui de la moderne Derneh ; après
flanc septentrional , le promontoire de Darnis on trouvait encore, sur la côte,
Phyconte marquait: !el'extrémité
moindre diamètre de son
flanc méridional Axilis, avant d'atteindre la grande
Cbersonnèse des Antides; et quand
s'abaissait vers les landes arides d'une on avait doublé celle-ci , on voyait le
Paliouros déboucher en face des îles
grande terrasse qui s'étendait elle-
même au loin jusqu'à Augiles et à Platée et Sidonie. A l'intérieur étaient
l'oasis d'Ammon. Sur le plateau étaient Limniade, Hvdrax, Leucon, et d'au-
assises Cyrène et Barkê, ayant à leurs tres points plus obscurs.
pieds , au fond de deux petites anses Productions naturelles du
de la côte , les ports d'où elles expé- plateau cyrénéen. — Le flanc sep-
diaient leurs navires ; là c'était Apol- tentrional du plateau offrait la plus
lonie, le port de Cyrène, connu plus admirable fertilité, et les récoltes,
tard sous le nom de Sozousa, que
s'étageant en trois saisons successives
peut-être il avait primitivement porté, depuis le pied jusqu'au sommet , oc-
reconnaissable encore dans l'appella- cupaient les deux tiers de l'année. On
tion arabe de Mersày-Sousah qu'il commençait la moisson et la ven-
conserve encore aujourd'hui; de l'au- dange sur le bord de la mer ; on pas-
tre part , c'était Ptolémaïs , le port de sait ensuite à la région intermédiaire,
Barkê, d'abord appelé aussi Barkê de celle des coteaux, où le blé et le rai-
même que la cité principale à la for- sin achevant de mûrir appelaient la
tune de laquelle il était attaché. Plus main qui devait les couper; et pen-
loin, à l'ouest, se montrait, sur la dant qu'on les cueillait sur cette zone
côte, Teukhira, qui fut appelée Arsinoé moyenne, ils venaient aussi à matu-
sous les Ptolémées, mais qui reprit rité dans la dernière région , et vou-
ensuite son nom indigène, qu'elle garde laient àleur tour être moissonnés
encore de nos jours; puis enfin Béré- et vendangés. L'extrémité occidentale
nice, l'antique Hespéride, près des présentait surtout la plus délicieuse
ruines de laquelle s'élève la moderne végétation, et méritait à juste titre ce
Ben-Ghâzy. nom de Jardin des Hespérides, que
AFRIQUE ANCIENNE.
du grand Pétras et de Panormos ,
l'antiquité poétique lui avait décer-
né :c'étaient d'admirables vergers , de jusqu'au grand Catabathme ; quelques
charmants bocages , où l'ombre et la autres points, marqués à l'intérieur
fraîcheur s'étendaient sous l'épaisse dans la direction d'Ammon et d'Au-
verdure des lotiers , des pommiers de giles , n'étaient probablement que des
toute espèce , des grenadiers , des poi- lieux de campement. A l'ouest, au
riers, des arbousiers, des mûriers, delà du cap Borion , on voyait se suc-
des vignes , des myrtes, des lauriers,
des lierres , des oliviers, des oléastres, raclion céder,les postes de Diacbersis
de Sérapion , d'Hé-
, les ports de
des amandiers , des noyers. Le figuier Diarrhoas et d'Apis, les châteaux de
et le cornouiller, le lentisque , le gené- Kainon , de Borion , d'Automala , et
vrier odorant et le cyprès, étaient aussi enfin le bourg et les Autels des Phi-
répandus sur ce terroir fertile où la lènes. Si, de cette limite, on voulait
brise promenait un air pur et vivifiant, suivre plus loin le rivage, on ren-
où des eaux fréquentes nourrissaient contrait lepetit port d'Épèros , celui
de verdoyants pâturages émaillés des de Charax où l'on croit que naquit
fleurs du safran. Au delà de cette li- Denys le Périégète, et enfin la tour
sière littorale , sur les hautes plaines , Euphranta, dernière borne de la Cy-
depuis la grande Chersonnèse jus- rénaïque sous les Ptolémées.
Seconde terrasse, au-dessous
de 1 500qu'auxstades Hespérides,
surdans
uneunelargeur
longueur
de du grand Catabathme. — En des-
300, naissait le précieux silphion aux
on arrivaitcendant àl'est
à unele seconde
grand Catabathme,
terrasse, non
ombelles d'or, aux vertus héroïques ,
produit sauvage des terres incultes, moins aride et nue que la première,
fuyant lesraissantsoins s'étendant vers l'orient jusqu'au petit
sous la de
dentl'homme et dispa-
des troupeaux, Catabathme, et offrant, sur la côte,
jadis abondant, puis rare, puis disparu Zygris, Zagylis; Plynos , Apis, Paré-
tout à fait du sol, et reparaissant après tonion, et autres lieux de moindre im-
un long oubli, pour se laisser étudier portance sans
, parler de nombreuses
par les botanistes modernes, sous le stations plus écartées de la mer. Et
nom de deriah ou zerrah que lui don- lorsqu'on avait encore descendu ce
nent les Arabes nomades, maîtres ac- deuxième Catabathme, on trouvait, sur
tuels de l'antique région silphiophore. le littoral, Pédonia, Antiphra, Leu-
caspis, et enlin Plinthine où la Libye
Description de la Libye inférieure venait expirer devant l'Egypte, outre
ou Marmarique. quelques autres points moins immé-
diatement rapprochés du rivage.
Première terrasse, au-dessus Tel est le théâtre sur lequel nous
du grand Catabathme — Des- avons à distribuer les populations qui
cendons du plateau supérieur sur la se partageaient la possession du sol.
vaste terrasse qui lui succède au sud,
IL LES HABITANTS.
et qui s'étend d'est en ouest depuis
le grand Catabathme jusqu'au fond
de la grande Syrte , borné au midi , C'étaient , nous le savons , des races
comme nous l'avons déjà indiqué , indigènes, des Libyens nomades, au
par les oasis d'Ammon et d'Augiles; nord desquels s'étaient juxtaposés ,
ce n'était qu'un désert, parcouru par sur la côte , des colons grecs , hôtes
quelques nomades sans habitations d'abord , puis maîtres du pays.
fixes, et l'on n'y pouvait guère relever La plus ancienne description que
qu'un petit nombre de points sur la nous ayons de ces divers peuples , est
côte. A l'est, depuis l'embouchure du celle que nous devons à Hérodote : et
Paliouros , se succédaient les ports de nous ne pouvons mieux faire que de
Batrachos, du petit Pétras , d'Anti- la transcrire ici , telle à peu près qu'il
pyrgos, de Skythranion, de Ménélas, nous l'a laissée.
70 L'UNIVERS.
Description des populations indi- qu'à la merdu près des Hespérides. Vers
qènes au cinquième siècle avant le milieu territoire des Auskhises
l'ère vulgaire. sont cantonnés les Cabales, petite na-
tion qui s'étend jusqu'à la mer vers
Adyrmachides, Giligames, As- Taukhira, ville dépendante de Barkè.
BYSTES , AUSKHISES. — « Voici » , Ces peuples ont les mêmes mœurs que
dit Hérodote, « l'ordre dans lequel on ceux qui habitent au-dessus de Cyrène.
trouve les peuples de la Libye, à com- INASAMONS , PSYLLES. — « AUX
mencer depuis l'Egypte. terres des Auskhises confinent , à
« Les premiers qu'on rencontre sont l'ouest, les Nasamons, peuple consi-
les Adyrmachides. Ils ont presque les
mêmes usages que les Égyptiens ; mais dérable, qui, laissant
leurs troupeaux au bordpendant l'été
de la mer,
ils s'habillent comme le reste des Li- s'avancent jusqu'au canton d'Augiles,
byens, elleurs femmes portent à cha- pour y récolter des dattes , parce que
que jambe un anneau de cuivre. Elles les palmiers y sont abondants , vigou-
laissent croître leurs cheveux , et si reux et tous féconds : on les cueille
elles sont incommodées par les poux, à peine mûres (*) , on les fait sécher
elles les prennent, les tuent avec les au soleil, et on les moud ensuite; on
dents, et s'en débarrassent de cette les détrempe dans du lait pour les
manière ; ils sont, au surplus, les seuls
d'entre les Libyens qui en agissent femmes, Chacun
manger. et il les avoit
d'ordinaire plusieursà
publiquement,
ainsi. Ce sont également les seuls qui peu près comme les Massagètes, après
montrent au roi leurs filles nubiles
avoir planté en terre son bâton. Lors-
afin qu'il choisisse celle qui lui plaît. qu'un Nasamon se marie pour la pre-
Ces Adyrmachides habitent depuis mière fois , la coutume est , la pre-
l'Egypte jusqu'au port appelé Plynos mière nuit des noces, que la mariée
(voisin du grand Catabathme). reçoive les embrassements de tous les
« Ils ont auprès d'eux les Gigames convives, qui lui font un cadeau ap-
ou Giligames, qui occupent la con- porté tout exprès de chez eux. Voici
trée al'occident, jusqu'à l'île Aphro- leur manière de faire des serments et
disias. Dans cet intervalle est l'île de d'exercer la divination : ils mettent la
Platée, où les Grecs fondateurs de main sur les tombeaux des hommes
Cyrène s'étaient d'abord établis, et qui
sur le continent est le port de Méné- été ont parmijustes
les plus eux laetréputation d'avoir
le plus gens de
las , et Aziris où les Cyrénéens habi- bien, et jurent par eux. Pour exercer
tèrent aussi. Là commence le sil- la divination, ils vont aux tombeaux
phion , car c'est depuis l'île de Pla- de leurs ancêtres, y font leurs prières,
tée jusqu'à l'entrée de la Syrte que et y dorment ensuite : si pendant leur
croît cette plante. Ces peuples ont à sommeil ils ont quelque songe, ils en
peu près les mêmes coutumes que font usage dans leur conduite. Ils
leurs voisins.
s'engagent mutuellement leur foi en
«Après les Gigames, du côté du cou-
chant, sont les Asbystes , qui habitent
le pays au-dessus de Cyrène; ils ne (*) Le texte d'Hérodote est en cet en-
droit équivoque à tel point, que les uns y
s'étendent pas jusqu'à la mer, attendu ont vu des hannetons, d'autres des saute-
que le littoral est occupé par les Cyré- relles, et peut-être ceux-ci ont-ils raison;
néens. Ils sont fort habiles , ce sont
cependant nous avons préféré interpréter
même les plus habiles des Libyens à toùç ôè àrreXéëovç ÈTieàv 6ïipeu<Ttoai par une
conduire les quadriges ; ils s'étudient cueillette de (dattes) à peine mûres, plutôt
à imiter la plupart des coutumes des que par une chasse aux sauterelles , nous
Cyrénéens. consolant d'avance, si nous nous trompons,
« Au couchant des Asbystes confi- de le faire en compagnie du savant Henri
nent les Auskhises, qui occupent le pays Estienne , réviseur et éditeur de la version
latine de Laurent Valla.
au-dessus de Barkê, et s'étendent jus-
AFRIQUE ANCIENNE.
buvant réciproquement dans la main sables, est une colline de sel gemme
l'un de l'autre; à défaut de liquide, ils pareille à celle d'Ammon, avec une
ramassent à terre de la poussière et la source autour de laquelle sont établis
lèchent. les habitants : ce canton porte le nom
« Aux Nasamons confinent les Psyl- d'Augiles; c'est là que les Nasamons
les, lesquels périrent de la manière viennent , en automne , faire leur ré-
que voici : le vent du midi avait, de colte de dattes. A dix journées plus
son souffle, desséché leurs citernes, loin habitent les Garamantes.
et toute leur contrée, située en dedans « Les maisons de tous ces peuples
de sont bâties de quartiers de sel , car il
tenula Syrte,
conseilestentre
dépourvue
eux, ilsd'eau : ayant
résolurent, ne pleut jamais dans cette partie de la
d'un consentement unanime, d'aller Libye, sans quoi les murailles de leurs
faire la guerre au vent du midi : je ré- habitations seraient bientôt fondues.
pète le récit des Libyens eux-mêmes. On tire de ces mines deux sortes de
Lorsqu'ils furent arrivés au milieu des sel : l'un blanc, élévation
l'autre rouge. Au-des-
sables , l'autan déchaîné les y enseve- sus de cette sablonneuse
lit. Quand ils eurent péri , les Nasa- vers le midi , dans l'intérieur de la Li-
mons s'emparèrent de leurs terres. bye, le pays est désert, sans eau, sans
Populations de l'intérieur. — animaux, sans pluie, sans bois, dé-
«Voilà quels sont les Libyens nomades
pourvu de toute espèce d'humidité.
les plus rapprochés de la mer. Au-des- Moeurs et coutumes des Li-
sus , en avançant dans l'intérieur
des terres s on rencontre la Libye thé- byens. — « Ainsi, à partir de l'Egypte,
riode ou sauvage, au-dessus de laquelle les Libyens rissant de lasont des etnomades
chair du lait se
de nour-
leurs
on dit qu'une élévation sablonneuse
brebis; s'abstenant, comme les Égyp-
s'étend depuis Thèbes d'Egypte jus-
qu'aux stèles Héracléennes, offrant de
dix en dix journées, ou à peu près, des vanttiens,pasdenon
manger plusdudebœuf, et n'éle-
cochons. Les
collines de sel gemme; du milieu de femmes cyrénéennes, même, ne se
croient pas permis de manger du
celles-ci jaillissent des sources d'eau
douce et fraîche, autour desquelles bœuf, à cause de l'égyptienne Isis,
habitent les peuples les plus reculés dont elles observent soigneusement
vers le désert au-dessus de la Libye les jeûnes et les fêtes; et les femmes
thériode. Les premiers qu'on rencon- des Barkéens s'abstiennent non-seule-
tre depuis Thèbes , à dix journées de ment du bœuf, mais aussi du porc :
route, sont les Ammoniens, qui ont telle est leur observance.
un temple consacré à Jupiter thébéen, « Chez la plupart des Libyens no-
car on sait qu'à Thèbes la statue du mades (jene saurais dire avec certi-
dieu a une tête de bélier. Chez ces peu- tude s'il en est de même pour tous) ,
ples se trouve une autre source dont quand les enfants ont atteint quatre
l'eau est tiède au point du jour, fraî- ans, on leur brûle, avec de la laine en
che àl'heure du marché, extrêmement suint, les veines du haut de la tête,
froide à midi, au moment où ils arro- quelquefois celles des tempes, pour les
sent leurs jardins ; puis à mesure que délivrer à toujours de l'écoulement des
le jour avance , elle devient moins humeurs de la tête , et leur procurer
froide jusqu'au coucher du soleil, une santé robuste. Il est de fait que
qu'elle est tiède; elle s'élève ensuite de tous les .peuples que nous connais-
de plus en plus jusqu'à minuit, qu'elle sons, les Libyens sont ceux dont le
bouta gros bouillons; passé minuit, corps est le plus sain ; je ne puis dire
elle va en refroidissant jusqu'au lever que telle en soit la cause , mais il est
de l'aurore. duOnSoleil.
la fontaine appelle cette fontaine certain qu'ils ont une santé parfaite.
« Après les Ammoniens, à dix autres Si , pendant
fants sont prisqu'on les brûle , les
de convulsions, on en-
y a
journées de route sur cette zone de trouvé remède : il suffit de les asper-
72 L'UNIVERS,
ger d'urine de bouc; je répète ce que troisième ne reconnaît aucun roi, n'a
disent les Libyens. aucune notion de la justice , et ne vit
« Voici comment ces nomades font que de brigandages , enlevant tout ce
leurs sacrifices : d'abord ils coupent, qui arrive du désert, et l'emportant
à titre de prémices , une oreille de la aussitôt dans son repaire. Tous ces Li-
victime, et la jettent sur le toit de byens mènent une existence abrutie ,
leurs maisons; cela fait, ils lui tordent couchant
le cou : ils l'immolent au soleil et à la nourritureen sauvage plein air, ;etsans
n'ayantmaisons
qu'une,
lune, seules divinités auxquelles sacri- sans habits, se couvrant seulement le
fient tous les Libyens sans distinction. corps de peaux de chèvres. Leurs chefs
(Nous dirons ailleurs le culte particu- n'ont pas de villes sous leur obéis-
lier des habitants du lac TritoniHe, et sance, mais seulement, au voisinage
les emprunts que leur a faits la Grèce.) des sources , des tours où ils renfer-
C'est aussi des Libyens que les Grecs ment leurs richesses ; tous les ans ils
ont appris à atteler quatre chevaux à somment les peuples tributaires de
leurs chars. L'enterrement des morts faire leur soumission , traitant en
se fait chez les nomades comme chez amis ceux qui obéissent, poursuivant
les Grecs; il faut excepter les Nasa- comme rebelles ceux qui s'y refusent.
mons, qui enterrent leurs morts assis, Leurs armes sont analogues à la na-
ayant soin de tenir les agonisants dans ture de leur pays et à leur genre de
cette posture, vie; car, légers de corps, et habitant
couchés. Leursde habitations
peur qu'ils n'expirent
sont des un pays de plaines, ils courent au
cabanes tressées d'asphodèles et de combat avec trois javelots et des pierres
joncs, qu'ils transportent à volonté. dans un sac de cuir, sans aucune au-
Voilà quels sont les usages de ces tre arme offensive ou défensive, ayant
peuples. » pour but de gagner de vitesse l'ennemi
dans la poursuite comme dans la re-
État des populations libyennes de-
puis le premier siècle avant J.-C. traite, habiles qu'ils sont, à courir et à
lancer des pierres, après s'être appli-
jusqu'au deuxième siècle de notre
ère. qués à développer par l'exercice et
l'habitude leurs dispositions natu-
Exposé de Diodore de Sicile,
au premier siècle avant noire relles. En général, à l'égard des étran-
gers, ils n'observent absolument ni
ère. —Tel est le tableau que nous offre foi , ni loi. »
Hérodote, au cinquième siècle avant Exposé de Stràbon et de Pline,
notre ère; quatre cents ans plus tard, au premier siècle de notre ère.
Diodore de Sicile nous fait une nou- — Strahon, un peu plus récent, est plus
velle description, moins étendue, mais bref : « La région aride et stérile qui
qui offre quelques détails curieux, di- s'étend au-dessus des Syrtes et de la
gnes de trouver place ici. Cyrénaïque, est occupée par les Li-
« Passons», dit-il , « aux Libyens voi- byens, et en premier lieu par les Na-
sins de l'Egypte, et aux contrées limi- samons, cident)qui ont près d'eux (vers l'oc-
trophes. Très de CyrCne et des Syrtes, les Psylles et quelques Gétules,
habitent, dans l'intérieur des terres, après lesquels viennent les Garaman-
quatre races de Libyens : on appelle tes; à l'orient , les Marmarides, qui
Nasamons ceux qui s'étendent au midi ; d'un côté touchent à la Cyrénaïque,
Auskhises ceux qui et de l'autre se prolongent jusqu'à
dent; Marmarides ceuxoccupent
qui ont l'occi-
leurs l'oasis d'Ammon. On ignore ce qui est
demeures entre l'Egypte et Cyrène, au delà d'Ammon et des oases jus-
tenant une partie du rivage; les autres qu'aux frontières de l'Ethiopie. »
habitent autour des Syrtes. Deux de Pline, postérieur à Strabon, se
ces peuples obéissent à des rois, et borne comme lui à quelques notions
mènent une vie moins grossière, moins extrêmement concises : « Les Marma-
éloignée de toute civilisation : mais le rides habitent à peu près depuis les
73
AFRIQUE ANCIENNE.
ciers ensemble ; mais il faut se bâter
environs de Paretonium jusqu'à la de reconnaître que beaucoup de ces
grande Syrte ; puis viennent les Ara- noms de peuples ne désignent proba-
raucèles, et, sur les bords de la Syrte ,
les Nasamons, que les Grecs appe- blement que les habitants de quelques
laient jadis Mcsammons à cause de petits districts, quelquefois de simples
leur situation nu milieu des sables. villages; les Espagnols qui appellent
Après les Nasamons vivent les A sbystes pueblos ou peuples leurs villages, les
et les Makes. Depuis le Catabathme Portugais qui appellent les leurs po-
voacào ou population , emploient
jusqu'à l'Egypte s'étend la Libye ma-
réotide, occupée par les Marmarides une' frappé
métaphore
et les Adyrmachides, après lesquels est , dèstoute semblable.coup
le premier On
viennent les Maréotes. » d'œil , des rapports que présentent
Exposé dk Ptolémée, au deuxiè- les noms des Zygrites, des Khatta-
me SIÈCLE DE NOTRE ÈRE. — Mais niens et des Zyges, dans la liste ci-
Ptolémée, dans le siècle suivant, vient dessus, avec ceux des villes ou villages
nous fournir de nouveaux détails : de Zygris, de Khettéa, de Zygis, ins-
« Au-dessus de la Pentapole », nous crits dans les tables du géographe
alexandrin. Il est probable que plu-
dit-il, « le pays est occupé, à l'est
des jardins des Hespérides , par les sieurs desbranches
peupladesou qu'il désigne
étaient des des rameaux
Bark'ites,
Araraucides. à l'orient desquels
Derrière sont des
le jardin les de tribus plus considérables.
Hespérides sont les montagnes appe- Résultats comparatifs des notions
lées les buttes d'Hercule, au levant
desquelles on trouve les Asbvstes. Plus qui précèdent»
loin vers l'Afrique, au-dessus des Modifications organiques et
monts Ouelpa , se présentent les Ma- déplacements, subis par les di-
katoutes, puis les repaires des Lesa- VERSES TRIBUS LIBYENNES. — Il faut
nikes, à l'est desquels sont les Psylles, tenir compte, au surplus, dans l'exa-
et ensuite, des lieux sauvages et la men comparatif des données succes-
région silphiophore. Les parties sep- sives que nous venons de passer en
tentrionales dela Marmarique appar- revue, des modifications qu'ont pu
tiennent aux Libyarkes, aux Anèrittes produire, d'une part la fusion de plu-
et aux Bassakhites , derrière lesquels sieurs tribus en une seule, d'autre
sont les Apotomites, et plus au sud part le morcellement d'une seule tribu
encore, les Augyles ; après ceux-ci les en plusieurs. Hérodote nous dit lui-
Nasamons et les Bacates, ensuite les même que les Psylles avaient été ab-
Aukhises et les Tapanites, au delà des- sorbés par les Nasamons; il est à croire
quels sont les Sentîtes et les Obèles , que les Cabales et les Gigamcs ou Gi-
puis les Ésariens. Le littoral du nome ligames, qu'il avait signalés, et qui ne
de Libye est possédé par les Zygrites, se retrouvent plus dans les siècles pos-
térieurs, furent pareillement absorbés,
les Khattaniens
ties méridionaleset par
les Zyges;'ies
les Bouzespar-
et les premiers par les Auskhises ou par
les Ogdémiens; au delà sont les Adyr- les Barkéens , les seconds par les Mar-
makhites, ensuite le pays d'Ammon, fectionmarides. Quelquefois aussirecueillies
des connaissances l'imper-
puis les Anagombriens, et après eux
les Iobakbes et les Rouadites. » Nous par certains écrivains, ou le désir de
n'avons pas à nous occuper ici de la réduire leurs descriptions à quelques
Maréotide, dépendance trop immédiate grands traits, leur ont fait réunir,
de l'Egypte pour que nous puissions sous une désignation commune, divers
consentir à l'en séparer. peuples
Diodore d'ailleurs
de Sicile, indépendants;
en distribuant ainsi
tout
On voit que Ptolémée à lui seul énu-
mère , dans la contrée qui fait le sujet l'intérieur de la Libye propre entre les
de notre étude actuelle, un plus grand Nasamons au sud , les Auskhises à
nombre de peuples que tous ses devan- l'ouest, et les Marmarides à l'est,
74 L'UNIVERS
confond avec chacune de ces nations qui forme l'étage suivant, occupée à
une ou plusieurs des nations voisines la fois , depuis le Catabathme jusqu'à
qui la Syrte , au par milieu les Gigames
, et les àAuskhises
l'est , les
voit n'avaient point péri,
ultérieurement puisqu'on
reparaître les
: tels Asbystes
sont les Asbystes ou Asbytes, proba- à l'ouest, avec les Cabales enclavés;
blement sous-entendus parmi les Aus- plus tard seulement, les Marmarides,
khises; tels sont, d'une manière plus les mêmes peut-être que les Gigames,
frappante encore, les Adyrmachides, se trouvèrent maîtres exclusifs de
enveloppés dans les Marmarides. cette terrasse ; à l'étage au-dessous
Il faut, en outre se rendre compte figuraient , vers l'ouest les Psylles ,
de quelques déplacements ; les Asbystes vers le sud les Nasamons, et vers l'est
et les Ausk bises paraissent avoir été les Adyrmachides. Voilà, ce nous sem-
poussés au sud par les Barcéens, ou ble, la disposition générale qui ressort
plutôt par les Marmarides, qui au- de l'étude des faits ultérieurs. Il est
raient été repoussés à leur tour par utile de ne pas perdre de vue cette es-
les Barcéens, pendant que les Ararau- pèce de symétrie des populations in-
cèles ou Araraucides, qui se trouvaient digènes avec les grands traits physi-
jadis au delà des Marmarides, tout au- ques du sol , parce qu'elle a toujours
près des Nasamons, remontaient vers influé, à un certain degré, sur les déli-
le nord pour devenir limitrophes des mitations que l'histoire ou la géogra-
Barcéens. Ces déplacements n'ont rien phie ont ensuite adoptées.
qui nous doive surprendre, puisqu'ils Et maintenant que nous avons dé-
crit lethéâtre où se succédèrent, dans
s'opéraient
dont entre des tribus
le cantonnement nomades,a
territorial le cours des siècles , les actes divers
toujours moins de fixité que les éta- du drame politique où le premier rôle
blissements des peuples sédentaires. appartient à Cyrène, il est temps de
Distribution relative des po- raconter l'origine, l'accroissement, la
pulations SUR LE TERRITOIRE. — puissance et les vicissitudes de cette
Quoi qu'il en soit, en remontant parla ville tour à tour royale et populaire,
pensée aux temps primitifs de la Li- autonome et asservie, païenne, juive
bye, avant que les Grecs y fussent et chrétienne; fameuse par sa turbu-
venus fonder leurs colonies, et em- lence par
, ses richesses, par ses mœurs
brassant dans une considération sy- raffinées , par ses philosophes , ses
noptique les populations autochtho- poètes et ses savants, aujourd'hui dis-
nes et le territoire qui leur était parue du monde, et n'ayant laissé à sa
dévolu, on peut se représenter le pla- place que le nom de Qerenneh pla-
teau supérieur en la possession exclu- nant sur quelques ruines éparses aban-
sive des Barcéens; la grande terrasse don ées àd'insouciants nomades.
RE.
HISTOI
I. HISTOIRE DE LA FONDATION
§ IL
DE CYRÈNE. antiques,
de fables; au entourée
milieu des d'incertitudes
récits divers,et
ressort néanmoins invariablement ce
Origine des Thérêens fondateurs fait principal, que Cyrène fut une co-
de Cyrène. lonie de l'île de Théra, dont les habi-
tants étaient, pour la plupart, venus
Les Achéens de la Laconie , de la Laconie. Il est donc nécessaire,
premier élément de la popula- pour éclaircir, au point de vue ethno-
TION de Théra. — L'origine de Cyrène logique, l'histoire de la fondation de
se trouve, comme toutes les origines
Cyrène , de remonter, comme l'a fait
75
AFRIQUE ANCIENNE.
Hérodote, aux colons qui peuplèrent réfugiés de Lemnos. — Dans l'in-
Théra, et aux causes qui déterminè- tervalle, l'invasion des Pélasges avait
rent leur émigration. chassé de Lemnos les Minyens, origi-
naires deThessalie, et célèbres à raison
Un coup d'œil sur l'état de la La-
conie à cette époque paraît d'abord de la part qu'ils avaient prise à
indispensable. Cette contrée était en l'expédition des Argonautes; expul-
Ja possession des Achéens, quand l'in- sés de leur île, ils cinglèrent vers la
vasion dorienne, conduite par les Hé- Laconie, débarquèrent à Ténare pa-
raclides , au douzième siècle avant trie de l'argonaute Euphème, et vin-
notre ère, vint y établir un ordre de rent camper sur les hauteurs du Tay-
choses entièrement nouveau : les con- gète.A la vue des feux qu'ils y avaient
quérants, dont le nombre n'était point allumés , les Lacédémoniens leur en-
assez considérable pour occuper à la voyèrent demander qui ils étaient ,
fois tout le pays, se contentèrent, dans d'où ils venaient, et ce qu'ils voulaient:
le principe, de s'établir à Lacédémone, ils répondirent qu'ils étaient Minyens,
sauf à étendre graduellement leur do- descendants de ces vaillants guerriers
mination sur les cantons voisins , en qui montaient le navire Argo, et qui
refoulant les anciens habitants au ayant abordé à Lemnos y avaient laissé
delà des limites, successivement agran- leur postérité ; ils ajoutèrent qu'ayant
dies, du territoire subjugué. De là les été chassés par les Pélasges, ils ve-
émigrations qui eurent pour résultat naient , comme cela était naturel ,
la colonisation de Théra , métropole à chercher un asile au pays de leurs pè-
son tour de Cvrène. res ;ils priaient donc les Laconiens
Second élément, les Cadméens de les recevoir chez eux et de les ad-
réfugiés de ïhèbes. — Mais avant mettre au partage non-seulement de
l'arrivée des Héraclides, l'ancienne ca- leurs terres, mais encore des droits et
pitale des Achéens de la Laconie, la des honneurs de la cité. Les Laco-
ville de Tyndare et de Léda , la pa- niens yconsentirent, en considération
trie de Castor et de Pollux , d'Hélène surtout de ce que les Tyndarides
et de Clytemnestre, Amyclée, avait avaient fait partie de l'expédition des
reçu dans son sein les restes de la Argonautes : ils accueillirent les Mi-
noble race des Égides , dépossédée nyens, leur donnèrent des terres, et
de Thèhes par l'invasion béotienne les répartirent parmi leurs tribus.
(1150 ans avant notre ère); elle avait Ceux-ci y prirent aussitôt des épou-
ainsi donné l'hospitalité à Théras et ses, et y trouvèrent des époux pour
Argie, tous deux enfants d'Autésion, les filles qu'ils avaient amenées de
Lemnos.
fils déshérité du roi Tisamène , dont
la généalogie remontait, qtravers huit Mais bientôt les Minyens affichè-
générations, par OEdipe, Jusqu'à Cad- rent des prétentions exorbitantes : ils
mus. Quand l'héraclide Aristodème voulurent s'emparer de l'autorité, et
s'empara d'Amyclée, il y prit pour violèrent sur plusieurs points les lois
épouse la cadméenne Argie, et la ren- du pays. Les Lacédémoniens alors ré-
dit mère de deux princes jumeaux , solurent de s'en délivrer : ils se sai-
Eurysthènes et Patrocles , qui ne vi- sirent d'eux , et les jetèrent en prison
rent toutefois le jour qu'après sa mort pour attendre leur supplice, les exé-
(1 125 ans avant J.-C.) : leur oncle ma- cutions, Lacédémone,
à ne se faisant
ternel Théras gouverna pendant leur que la nuit, et jamais de jour. Comme
minorité , et quand ils furent en âge l'heure de leur mort approchait, leurs
de prendre eux-mêmes les rênes de femmes , qui étaient filles des princi-
l'État , Théras , trop lier pour obéir paux citoyens de Lacédémone, deman-
après avoir si longtemps commandé, dèrent àentrer dans la prison pour
résolut de s'expatrier pour aller ail- parler à leurs maris , ce qui leur fut
leurs fonder un nouveau royaume. accordé sans défiance. Elles ne furent
Troisième élément, lesMinyens
pas plutôt entrées, qu'elles se hâtèrent.
76 L'UNIVERS.
ble d'hésiter pour cette dernière hy- « tre est bon ; abandonne une terre
pothèse. La nymphe thessalienne, « isolée au milieu des flots, le con-
« tinent te vaut mieux,; renonce à
conduite en Libye par Apollon, n'est-
ce pas une allusion directe à la popu- « l'orient, où fut ton premier domi-
lation d'origine minyenne, transpor- « cile, et obéis à mes ordres en allant
tée sur le sol libyen par ordre de l'o- « habiter la terre-ferme , suivant la
racle de Delphes? Quand il rappelle « volonté des dieux. Garde-toi donc
des souvenirs historiques, Pindare « d'entreprendre une navigation fu-
lui-même ne nous parle pas de la nym- « neste pour retourner dans ta patrie,
phe Cyrène, mais bien d'Aristote ou « et souviens-toi que selon les œu-
Battos (ils de Polymneste , que la « vres de l'homme est le succès de ses
Pythie envoya fonder une colonie « entreprises. »
quand il venait la consulter sur le dé- Version adoptée par l'histo-
faut de sa langue, et qui amena en rien Trogue-Pompée. —Le récit de
Libye, dans ses vaisseaux, les colons Trogue-Pompée, tel queJustin
nous ,l'asemble
trans-
minyens, égides et lacédémoniens , mis son abréviateur
qui de Sparte s'étaient jadis rendus être un amalgame des traditions et
des fables antérieures, emprunté, à
àalors
Calliste.
recouvré Le Ipoète usage ajoute
facile dequ'ayant
sa lan- ce qu'il semble, d'un fragment de
gue, ileffrayait les lions du seul bruit Théopompe; nous nous bornerons à
de sa voix; tandis que Pausanias ra- le traduire ici.
Cyrène, raconte-t-il , fut bâtie par
lion luicontedéliaque la lafrayeur
langue qu'il
en luieutfaisant
d'un Aristée, surnommé Battos à cause de
pousser de grands cris. sa difficulté à parler. Son père Cyr-
RÉCITS RECUEILLIS PAR UN ANCIEN
nus , roi de l'île de Théra , étant venu
scholiaste. -Cependant, si l'on en à l'oracle de Delphes pour consulter
croit Acésandre, auteur d'une histoire le dieu au sujet de l'infirmité de son
de Libye ou de Cyrène, citée par l'an- (ils adolescent qui ne parlait point
cien scholiaste de Pindare, Battos n'au- encore, reçut une réponse qui ordon-
rait été nullement bègue, mais bien au nait àce fils Battos de se rendre en
contraire, éloquent, instruit et habile, Afrique pour y bâtir la ville de Cy-
et son prétendu défaut de langue n'au- rène, où il recouvrerait l'usage de sa
rait été qu'une feinte. Un autre histo- langue. Comme cette réponse avait
rien, Ménéclès, cité par le même scho- l'air d'une plaisanterie , à cause du pe-
liaste, traitait de fables tous ces récits tit nombre d'habitants de l'île de Thé-
où il était question du bégaiement de ra , où il s'agissait de prendre des
Battos, et voici la version qu'il donnait colons pour aller fonder une ville dans
lui-même de la fondation de Cyrène. une contrée aussi vaste que l'Afrique ,
« Il y eut», dit-il, « des troubles dans on négligea de s'y conformer. Mais
l'île de Théra , et les citoyens se par- quelque temps après , ils furent, com-
tagèrent endeux factions : Battos, qui me des rebelles, forcés par la peste
était a a tête de l'un des deux partis, d'obéir au dieu : ils étaient si peu
ayant eu le dessous dans un combat, qu'ils remplissaient à peine un seul
fut obl;eé de quitter sa patrie; et navire. Quand ils furent arrivés en
comme il désespérait d'y pouvoir ren- Afrique, ils occupèrent, à cause de
trer, ilforma le projet de s'aller éta- l'aménité du lieu et de l'abondance de
la source , la montagne de Cyra , dont
blir ailleurs avec ceux qui l'avaient ac- ils chassèrent les habitants. Là leur
compagné dans sa fuite. Etant allé à
chef Battos commença à parler sans
Delphes pour y consulter l'oracle sur difficulté, ce qui, eh leur montrant
ce qu'il devait faire, de combattre
pour recouvrer sa patrie, ou de cher- l'accomplissement des promesses du
cher ailleurs un établissement , le dieu dieu à cet égard, leur donna du cou-
lui répondit : « Battos, de ces deux rage et l'espérance du succès pour la
« partis , le premier est mauvais , l'au- fondation d'une ville.
AFRIQUE ANCIENNE.
81
Ayant établi leur camp sur ce point, navire l'espace de douze jours à tra-
ils apprirent la tradition de l'ancienne vers les déserts de la Libye jusqu'au
fable d'après laquelle Cyrène , vierge marais de Triton ; bien que , suivant
d'une merveilleuse beauté, enlevée du Apollonius de Rhodes, ils effectuèrent
mont Pélion en ïhessalie par Apol- ce portage à partir seulement de la
lon ,et transportée sur le sommet de Syrte , où les avait poussés une tem-
la montagne même dont ils occupaient pête qui les avait saisis en vue du
le versant, avait eu de ce dieu quatre Péloponèse
enfants : Nomius, Aristée, Eutocus Diodore de ;Sicile, tandis sequ'Hérodote
taisant sur et
le
et Argée. Son père Hypsée, roi de portage, racontent que la tempête,
Thessalie , ayant envoyé à sa recher- saisissant le navire sur la route de
che, les messagers, séduits par l'a- Delphes, au retour de la Colchide d'a-
ménité du lieu , s'étaient établis avec près celui-ci , avant le départ d'après
la princesse sur ce même territoire. l'autre, l'emporta sur les basses du
Les enfants étant devenus adultes ,
lac de Triton. Quoi qu'il en soit , il
trois d'entre eux étaient retournés en s'agissait, pour les navigateurs grecs,
Thessalie, où ils avaient succédé aux de dégager leur vaisseau de ces bas-
domaines de leur aïeul ; Aristée avait fonds dangereux : Triton lui-même,
eu un vaste royaume en Arcadie: c'est se montrant à leurs yeux sous les
lui qui , le premier, avait fait connaî- traits d'Eurypyle roi du pays, leur
tre aux hommes les abeilles et le miel , enseigna la bonne route, soit au prix
le lait et le fromage, et qui le pre- du trépied que Jason destinait au tem-
mier avait observé le lever solsticial
des astres. Instruit de ces détails , et ple de Delphes, ou d'une patère d'or
au dire de Lycophron, soit sous l'in-
s'étant informé du nom de la prin- fluence d'un sentiment plus désinté-
cesse Battos
, fonda en cet endroit la
ville de Cyrène. lité,ressé;racontent
et commeles présent d'hospita-
uns, il arracha du
Attribution prophétique delà sol une glèbe pour la leur offrir, et
possession du territoire de cy- elle fut reçue par Euphème, en fa-
rène, lors du passage des argo- veur duquel elle était, ainsi que le
NAUTES. — Un savant géographe cri- prophétisa Médée ou Jason, l'emblè-
tique, Mannert, a cru trouver, dans le me de la possession future de la con-
mythe de la nymphe Cyrène, une preuve trée; suivant les autres, c'est au tré-
que des navigateurs grecs avaient, dans pied outachées
à la patère d'or qu'étaient at-
leurs pérégrinations, en des temps re- les destinées du pays.
culés, abordé à ces rivages. En quittant le Triton , les Argo-
Cette opinion est confirmée par les nautes arrivèrent près de Théra , et
traditions des temps héroïques, où Euphème y ayant laissé tomber à la
nous trouvons, au milieu du récit de
la grande expédition des Argonautes, mer la glèbe qu'il avait reçue d'Eury-
des traits directement relatifs à l'éta- pyle ,cet accident fut le 'texte de la
blissement futur des Grecs dans les prophétie que Pindare a mise dans la
bouche de Médée : « De cette île », dit-
parages où fut plus tard bâtie Cy- elle, « la fille d'Épaphus recevra un
rène.
Sans nous engager dans le dédale « jour le germe des villes qui s'élève-
« ront sur le sol consacré à Jupiter
des traditions diverses qui, dans la « Ammon , et à cause de cette glèbe
succession des âges, se sont formulées « Théra deviendra la métropole de
sur la route par laquelle les Argonau- « grandes cités ; car dans cette île est
tes revinrent de la Colchide, nous « prématurément tombée la semence
nous bornerons aux récits les plus « destinée à féconder la vaste Libye.
anciens , d'après lesquels , suivant Pin- « Si Euphème l'eût jetée sur sa terre
dare, les conquérants de la Toison « natale , aux abords du Ténare ,
d'Or rentrèrent de l'Océan dans la « ses enfapts , après quatre généra-
Méditerranée en transportant leur « tions, seraient allés occuper cette
6e Livraison. (Afrique ancienne 0 6
82 L'UNIVERS.
« grande terre avec les Danaèns tous
« qui seront alors chassés de Lacédé- Enfin les , lecas, savant qu'une date deincertaine.
évêque Césarée ,
« mone , d'Argos et de My cènes ; tan- Eusèbe le chronologiste, n'est pas,
« dis que maintenant il rencontrera plus que Solin , d'accord avec lui-
« des épouses étrangères , de qui naî- même, , puisqu'en troisdates
endroits de son
« tra dans cette île le rejeton que les canon il énonce des différentes,
répondant aux années 1333, 758 et
« oracles d'Apollon Pythien invite-
« ront à transporter aans ses vais- 631 avant J.-C. ; on peut croire, avec
« seaux de nombreux colons en Li- ceux qui supposent divers établisse-
ft bye. » ments successifs des Grecs dans la
Date probable de la fondation Libye , que ces trois dates se rappor-
de Cyrène. — A quelle époque faut-il tent àtrois différents essais de coloni-
rapporter la fondation de Cy rêne? C'est sation. Quoi qu'il en soit , la dernière
un point d'autant plus controversé par- a été acceptée par les critiques comme
mi les modernes, que les anciens nenous la plus probable de celles qui ont été
ont transmis à cet égard que des indica- attribuées à l'établissement de Battos,
tions vagues et discordantes. Le natu- et nous l'adopterons nous-même sans
raliste Théophraste énonce d'une plus de discussion.
manière générale que les Cyrénéens
étaient établis dans leur ville environ II. RÈGNE DES BATTIADES.
trois cents ans avant l'archontat de Enfance, développement et organU
Simonides , dont la date se rapporte sation de la colonie sous les cinq
à l'année 311 avant notre ère. Pline
premiers rois.
l'ancien, répétant probablement le Enfance de la colonie sous les
calcul de Théophraste , fait corres-
pondre la fondation de Cyrène à l'an deux premiers monarques.— Pen-
143 de Rome, ce qui revient de même dant huit générations, dont les chro-
à 611 ans avant l'ère chrétienne. So- nologistes évaluent habituellement la
lin , si fréquemment servile copiste de durée à deux siècles, -Cyrène fut sou-
Pline, s'écarte cependant ici du maître mise àdes rois, dont la dynastie prit
dont on l'a surnommé le singe; sui- le nom de Battiades , de celui de son
fondateur Battos Aristote.
vant lui , c'est à la quarante-cinquième
olympiade, au règne d'Ancus Martius, Le règne, de ce premier monarque
et à l'an 586 de la prise de Troie, que fut de quarante ans, et ne laissa que
doit être fixée la date de l'établisse- de bons souvenirs, consacrés par les
ment formé par Battus à Cyrène: or louanges des historiens et des poètes;
cette triple indication est d'autant il bâtit aux dieux plusieurs sanctuaires,
plus embarrassante, que si d'un côté et fit construire , pour les solennités
l'année 590 avant l'ère chrétienne ré- instituées en l'honneur d'Apollon, une
pond aux deux conditions tirées de la route droite et pavée rendue célèbre
chronologie grecque , d'un autre côté par les chants de Pindare, et à l'un des
les vingt-quatre ans du règne d'Ancus bouts de laquelle , vers le Forum, fut
Martius s'étendent de 640 à 616 avant ensuite placé son propre tombeau.
J. C, en sorte que la première date ne Pausanias rapporte que les Cyrénéens
s'accorde nullement avec la seconde , avaient consacré à sa mémoire, à Del-
qui est précisément celle que Solin a phes, un tableau du peintre crétois
dû écrire avec le plus d'assurance , Amphion de Gnosse, où ce prince était
puisqu'elle se rapporte à la chronolo- représenté dans un char conduit par la
gie de sa propre patrie. On a tenté di- nymphe Cyrène, et couronné par la
verses corrections au texte de l'auteur, nymphe Libye.
on en a donné diverses explications , Il eut pour successeur son fils Ar-
pour faire disparaître les contradic- césilas, le premier de ce nom, qui
tions qu'il présente ou semble présen- régna seize années ; c'est tout ce que
ter ;mais on n'en a pu retirer, dans nous savons de celui-ci. Hérodote
AFRIQUE ANCIENNE.
83
nous apprend seulement que , sous ce sur le territoire qu'ils avaient envahi,
prince, comme sous son père, la co- et sur les tribus libyennes d'alentour;
lonie resta confinée dans les limites
elle leur valut aussi le respect de l'E-
du premier établissement. gypte, dont le nouveau souverain,
Extension de la. colonie sous Amasis , rechercha leur amitié ; il
LE BÈGNE DE BATTOS L'HEUBEUX. leur envoya, pour se concilier leurs
— Le troisième roi , appelé Battos bonnes grâces, une statue de Minerve,
comme son aïeul, fut surnommé Eudé- et
mone ou l'Heureux : il s'appliqua au des ladeux
sienne États propre
fut ;cimentée
enfin l'alliance
par le
développement de la cité restée jus- mariage d'Amasis avec une princesse
qu'alors stationnàire, et trop faible cyrénéenne, Ladice, fille de Battos,
pour tenir tête aux peuplades indigènes ou d'Arcésilas , ou peut-être d'un
dont elle était entourée. Il appela les grand seigneur nommé Critobule.
Grecs au partage des terres fertiles C'est sans doute à cette époque d'ex-
qu'on pouvait enlever aux Libyens , et tension etde développement qu'il faut
s'adressa , pour les déterminer, à la rapporter aussi la fondation de la
Pythie , dont les oracles se firent en- plupart
tendre aussitôt : « Ceux qui n'iront grecque desdisséminésvilles etsurbourgs d'origine
le territoire de
« dans la fertile Libye qu'après le par- la Cyrénaïque. L'augmentation consi-
« tage des terres», disait le dieu, «au- dérable tout à coup survenue dans la
« ront plus tard sujet de s'en repen- population, et la diversité des élé-
« tir. » Ainsi excités, nombre de ments dont elle se trouvait composée,
Grecs du Péloponèse, de la Crète et durent naturellement amener cette
des îles de la mer Egée, vinrent grossir diffusion , ce fractionnement entre
la population de Cyrène, et la colonie divers centres d'agglomération. Les
s'étendit alors aux dépens des Li- dissidences politiques contribuèrent
byens nomades du voisinage, hors surtout à la formation de plusieurs
d'état désormais de lui résister. Les cités distinctes, ainsi que le règne
anciens maîtres du sol ne se laissèrent suivant en offrit un exemple remar-
pourtant pas dépouiller sans mur-
mure :ils étaient faibles, il est vrai, RÈGNE d'AbCÉSILAS II: DISSEN-
quable.
mais ils pouvaient appeler à leur aide SIONS politiques. — Battos II avait
un protecteur puissant : c'est ce qu'ils laissé plusieurs enfants , Arcésilas ,
firent; leur chef Adikran implora le Léarque, Persée, Zacynthe, Aristomé-
secours d'Apriès , le pharaon de Sais , don et Lycos;
au trône; maisA ses
rcésilas,
frèresl'aîné, succéda
ne voulurent
qui envoya contre les Cyrénéens des
forces considérables ; les deux armées point subir son autorité, et quittèrent
se rencontrèrent dans la belle con-
le canton de Cyrène pour s'aller éta-
trée d'Irasa,près de la fontaine de blir sur un autre point: résolus à fon-
Thesté. Les Égyptiens, qui jamais en- der une cité nouvelle, ils firent alliance
core n'en étaient venus aux mains avec les Barcéens, et soit que ces peu-
avec des Grecs , dédaignaient de tels ples eussent déjà une ville où les Bat-
ennemis : mais ils firent en cette oc- tiades dissidents vinrent avec leurs par-
casion une cruelle épreuve de leurs tisans prendre domicile1, soit que les
armes ; ils furent battus si complète- nouveaux venus fussent les premiers
à élever chez leurs alliés nomades la
ment ,qu'il n'en retourna en Egypte
?u'un très-petit nombre; et cette dé- ville qu'ils habitèrent depuis en com-
aite devint, dans leur patrie, le si- mun, telle fut l'origine de la cité
gnal d'une révolte qui précipita du gréco-libyenne de Barkê ou Barca,
trône Apriès lui-même, 570 ans en- dont le nom couvre encore le sol de
viron avant notre ère.
l'ancienne Libve. Excités par leurs
Cette victoire , à laquelle sans doute hôtes , les Barcéens s'insurgèrent con-
Battos II dut le surnom d'Heureux, tre la suprématie de Cyrène : Arcé-
assura la domination des Cvrénéens silas marcha contre les rebelles et
84 L'UNIVERS.
contre leurs fauteurs; ceux-ci, redou- solider son usurpation , voulut obte-
tant ses armes, s'enfuirent à son ap- nir sa main , promettant d'adopter en
proche chez les Libyens orientaux; même temps le jeune prince; la reine
mais Arcésilas se mit à leur poursuite, feignit d'y souscrire,dumais en repré-
et les atteignit près de Leucon , dans sentant lanécessité consentement
la Marmarique : forcés d'accepter le de sessantpropres
à dessein frères ; et laceux-ci
traîner chose fai-
en
combat, ils se comportèrent avec vi-
gueur, et la victoire se déclara pour longueur , elle parut céder au désir
leur cause , si bien que les Cyrénéens du prétendu régent, en lui donnant
y perdirent sept mille hommes de leurs un rendez-vous qui devait rendre inu-
meilleures troupes. tile l'opposition calculée de ceux-ci;
Il résulta sans doute de cet échec
mais au lieu d'Eryxo, le tyran trouva
des concessions de la part d'Arcésilas Polyarque , frère aîné de la princesse,
envers ses frères, et probablement accompagné de deux jeunes gens ar-
l'admission d'un ou plusieurs de ceux- més qui se surpateur
jetèrent aussitôt desurleurs
l'u-
ci au partage de l'autorité souveraine ; et le percèrent
il paraît du moins que Léarque s'im- épées.
misça complètement au maniement Il était à craindre que les Égyp-
des affaires, expulsa ou fit périr beau- tiens dont Léarque s'était entouré ,
coup de citoyens considérables, en n'attirassent sur ses meurtriers la co-
ayant la perfide adresse de faire attri- lère d'Amasis, ou pour mieux dire,
buer au roi ces actes d'odieuse ty- n'offrissent à l'ambition du pharaon
rannie, de manière à attirer l'exécra- un prétexte d'envahir la Cyrénaïque,
tion publique sur ce prince, auquel il dontil convoitait la possession; peut-
projetait de se substituer lui-même : être une armée égyptienne était-elle
quand les choses lui parurent suffi- déjà prête à marcher sur la Libye,
samment avancées , il empoisonna son
quand les desseins d'Amasis, d'abord
frère, et comme l'effet du breuvage ajournés par la mort de sa mère , fu-
n'était pas assez prompt , il l'é- rent heureusement conjurés par les
trangla. démarches de Polyarque, qui se rendit
Usurpation de Léarque, dé- auprès du pharaon avec sa sœur
jouée PAR LA REINE KRYXO MERE Eryxo et sa vieille mère Critola, sœur
de Battos m. — Arcésilas II laissait de Battos l'Heureux; les bonnes rela-
un fils encore mineur, à qui devait ap- tions qui avaient existé entre Amasis
partenir lcouronne;
a Léarque s'en em- et la dynastie royale des Battiades
para, sous prétexte de la conserver in- furent consolidées, et le monarque
tacte pour son neveu, le jeune Battos III, égyptien renvoya ses nobles hôtes
le Boiteux, ainsi appelé, parce qu'en comblés d'honneursA et
LOIS DONNÉES LA deCOLONIE
présents.PAR
effet il était affligé de cette infirmité;
et le nouveau tyran, s'entourant de Démonax. — Cependant, après avoir
soldats égyptiens gagnés par ses lar- détourné les périls extérieurs, il fallait
gesses donna
, un libre cours à ses pourvoir à l'ordre intérieur; et les der-
dispositions arrogantes et cruelles. niers événements n'avaientque trop fait
Mais il ne jouit pas longtemps de l'im- sentir l'imperfection des institutions
punité :la reine Eryxo, veuve d'Ar- politiques sous le régime desquelles les
césilas I , et mère du jeune Battos , factions pouvaient faire naître de pa-
reils bouleversements : on eut recours
femme d'un esprit aussi ferme que
doux, qui jouissait à Cyrène de la con- au dieu protecteur de la colonie, et l'on
sidération due à ses vertus, et qui députa vers l'oracle de Delphes pour le
appartenait d'ailleurs à une famille consulter sur l'organisation
venait de donner qu'il con-
au gouvernement de
puissante, étant, par sa mère, la nièce
de Battos l'Heureux; Eryxo, dis-je , Cyrène afin d'y assurer désormais la
sut venger son époux et maintenir les tranquillité publique. La Pythie ré-
droits de son fils. Léarque, pour con- pondit qu'il fallait aller chercher à
AFRIQUE ANCIENNE.
monax subsistassent plus longtemps85,
Mantinée, en Arcadie, le législateur
dont les sages règlements sauraient et réclama les honneurs et préroga-
tives dont avaient joui ses ancêtres;
apaiser leurs dissensions. Il y avait
en effet alors , parmi les Mantinéens, mais il éprouva une vigoureuse résis-
tanceon
; recourut aux armes , et son
un homme sidération jouissan t d'une grande con-
politique, appelé Démonax : parti ayant eu le dessous , il s'enfuit à
et ce fut lui que , sur la demande qui Samos , et sa mère Phérétime à Sala-
mine de Chypre.
leur en fut faite, ils envoyèrent à Cy- Phérétime étant arrivée à la cour
rène.
Le premier soin de Démonax fut d'Évelthon , qui régnait alors à Sala-
d'étudier la situation de la colonie pour mine, lui demanda des troupes pour
laquelle on lui demandait des lois; se rétablir à Cvrène, elle et son fils;
quand il se fut bien mis au fait de mais ce prince lui donnait plus volon-
l'état des choses , il sépara en trois tiers toute autre chose qu'une armée :
différentes tribus les éléments hétéro- Phérétime acceptait ses présents et les
trouvait fort beaux ; mais elle ajoutait
gènes dont se composait l'ensemble de
la population : il réunit dans la pre- qu'illuiserait
de accorderbeaucoup plus honorable
des soldats. Comme
mière tous les anciens colons venus de
Théra ; puis il distribua dans les deux elle faisait, à chaque présent, tou-
autres, d'une part les Péloponésiens jours la même réponse , Évelthon lui
et les Cretois, et d'autre part les insu- envoya enfin un fuseau d'or avec une
quenouille chargée de laine, en lui
bua aulaires
roi venusle de soin l'Archipel
des choses; il attri-,
sacrées faisant dire qu'on offrait aux femmes
avec la jouissance des revenus du do- de tels présents
maine sacerdotal ; mais il lui retira , donnait pas une ,armée.
mais qu'on ne leur
pour les rendre au peuple, tous les Arcésilas rassemble des trou-
pes ET REPREND POSSESSION DE CY-
droits que les monarques s'étaient jus- rène. — A Samos, où Polvcrate avait
qu'alors arrogés. sans doute besoin de garder pour lui-
Ce nouveau régime fut accepté par
même ses soldats, Arcésilas prit le parti
toutes les parties , d'un commun con- de faire de tous côtés un appel auxGrecs,
sentementet
, il se continua sans op-
position pendant tout le règne de Bat- en leur promettant des terres dans
la Cyrénaïque ; ce moyen lui réussit ,
tos le Boiteux , bien qu'il y ait lieu de et ayant ainsi rassemblé un corps de
croire que son épouse Phérétime, prin-
cesse ambitieuse et hautaine, cher- troupes assez considérable, il se rendit
chât àlui faire considérer comme une àlesDelphes
chancespour consulter
de son l'oracle
entreprise sur
; voici
honte l'abaissement de puissance au- quelle fut la réponse de la Pythie :
quel ils'était résigné. « Apollon accorde à ta famille la do-
Histoire d'Arcêsilas III et de Phé- rt mination de Cyrène pour huit géné-
rétime. « rations de rois , quatre du nom de
Arcésilas et sa mère expulsés «« Battos
mais le, dieu
quatrete durecommande
nom d'Arcêsilas
de ne;
pour avoir voulu abolir les lois « rien prétendre au delà. Quant h toi,
de démonax. — Arcésilas III, fils de « Arcésilas , il te conseille de rester
Battos et de Phérétime , succéda à son « tranquille chez toi , quand tu y seras
« rentré : si tu trouves un fourneau
père vers l'an 530 avant l'ère chrétien-
ne; ilavait sucé, avec le lait de sa mère, « plein de vases de terre , garde-toi de
les idées d'ambition et de fierté de cette « les faire cuire , mets-les au contraire
femme orgueilleuse, dont les conseils
eurent désormais sur son esprit et sa «« au grandle air
lumer ; que s'il
fourneau t'arrive garde
, prends d'al-
conduite une influence exclusive. A
« d'entrer dans le lieu qu'entoure l'eau
peine monté sur le trône, il déclara qu'il « courante; autrement tu périrais, et
ne souffrirait point que les lois de Dé- « avec toi le plus beau des taureaux. »
86 L'UNIVERS.
Sur cette réponse , Arcésilas fit voile Perses poub le vengeb. — Cepen-
pour Cyrène avec les troupes qu'il dant Arcésilas , ne pouvanf se dissi-
avait levées à Samos, et rentra en pos- muler la puissance des factions sou-
session de ses États ; mais au lieu d'y levées contre lui à Cyrène, n'osa point
demeurer tranquille, ainsi que l'avait y rester après qu'il eut reconnu, dans
recommandé l'oracle, il voulut se ven- ce qu'il venait de faire à la tour d'A-
ger des rebelles qui l'avaient expulsé , glomachos , l'accomplissement d'une
et il ordonna contre eux des pour- des conditions fatales auxquelles l'o-
suites ceux
; dont on put se saisir fu- racle avait subordonné sa destinée,
rent déportés en Chypre, où ils de- persuadé qu'il était d'ailleurs que Cy-
vaient trouver la mort; mais leur vais- rène était le lieu entouré d'eau cou-
seau ayant touché à Cnide, les habi- rante où il devait en ce cas prendre
tants les délivrèrent, et leur fournirent garde d'entrer. Comme il avait épousé
les moyens de se sauver à Théra. De une de ses parentes , fille d'Alazir roi
ceux qui échappèrent , les uns émigrè- des Barcéens , ce fut à Barkê , près de
rent à l'étranger, les autres se réfu- son beau-père,dence, laissantqu'il
sa alla
mèrefixerPhérétime
sa rési-
gièrent dans le château fortifié d'Aglo-
machos , l'un d'eux. Arcésilas, ne jouir en son nom à Cyrène de tous
pouvant les forcer dans cette retraite, les privilèges de la souveraineté , en-
fit entasser du bois à Tentour, y mit le tre autres de celui de présider aux déli-
feu, et les étouffa de la sorte au milieu bérations du sénat.
de l'incendie, sans réfléchir qu'il vio- Mais déjà s'étaient réfugiés parmi
lait ainsi la défense que lui avait faite les Barcéens quelques-uns des citoyens
la Pythie, de faire cuire dans leur
de Cyrène, que les persécutions d'Ar-
fournaise
trouverait les vases de terre qu'il y
réunis. césilas avaient forcés d'émigrer , et ils
fomentèrent contre lui un soulèvement,
La Libye devient tributaire dans lequel il fut tué sur la place pu-
des Pebses. blique ,et avec lui le roi Alazir son
amassait sur —sa Pendant
tête lesqu'Arcésilas
haines de beau-père. A peine la nouvelle en fut-
son peuple, Cambyses envahissait l'E- elle parvenue à Phérétime , qu'elle se
gypte, se rendait maître de Memphis, rendit en toute hâte à Memphis , au-
et s'asseyait sur le trône des pharaons près d'Aryandes satrape d'Egypte,
(l'an 525 avant notre ère). Les Libyens afin de lui demander vengeance , com-
voisinsvahisdeaussi,l'Egypte, craignant me au représentant de Cambyses, dont
se soumirent sans d'être
combat,en-
Arcésilas avait reconnu l'autorité en
s'imposèrent un tribut, et envoyèrent lui livrant Cyrène et se soumettant
des présents. Les Cyrénéens et les au tribut; et elle ne manqua pas d'a-
Barcéens imitèrent les Libyens par le jouter que c'était surtout en haine de
même motif de crainte. Cambyses son attachement à la domination per-
reçut favorablement les présents de sane qu'il avait été assassiné par les
ceux-ci; mais il trouva mesquins ceux factieux.
de Cyrène , qui ne montaient pas au- Les Pebses viennent assiégée
dessus de 500 mines d'argent (valant Babké. — Aryandes, touché des plain-
environ 45,000 fr. de notre monnaie), tes de Phérétime, mit à sa disposition
et il les abandonna à ses soldats. toutes les forces de l'Egypte, tant de
Ayant trouvé à Sais la princesse La- terre que de mer , les premières com-
dice, du sang royal des Battiades, et mandées par le maraphien Amasis, les
veuve d'Amasis, Cambyses lui permit autres par le pasargade Badrès; ce-
de retourner à Cyrène. Depuis ce temps, pendant, avant de les faire partir, il
la Libye orientale, Cyrène et Barkê, envoya à Barkê un héraut chargé de
furent comprises comme tributaires demander qu'on lui livrât le meurtrier
dans la satrapie est persane d'Arcésilas; mais les Barcéens, qui
Arcésilas tué de dans
l'Egypte.une avaient eu beaucoup à se plaindre de
émeute; sa mèbe s'adresse aux ce prince, se déclarèrent tous soli-
AFRIQUE ANCIENNE.
claires de l'attentat; et cette réponse Le serment ayant été prêté sans dé-
ayant été rapportée à Aryandes, le fiance par les Barcéens , ils ouvrirent
satrape saisit avec empressement cette leurs portes , sortirent de la ville , et y
occasion d'envahir la Libye, ainsi qu'il laissèrent entrer ceux des ennemis qui
en avait voulurent y venir; pendant ce temps-
mée aveclePhérétime.dessein ; et il expédia l'ar-
là, les Perses, ayant détruit le pont
Arrivés devant Barkê, les Perses caché , entrèrent en masse dans la
sommèrent la ville de livrer les coupa- ville. Ils avaient eu soin de détruire le
bles, et n'ayant point obtenu satisfac- pont, afin de ne pouvoir être accusés
tion ils
, attaquèrent vigoureusement de violer le traité qu'ils étaient tenus
la place; ils poussèrent leurs mines, d'observer tant que subsisterait le ter-
en neuf mois rain sur lequel il avait été conclu ; en
murailles; mais de ellessiège,
furent jusqu'aux
éventées effet , le pont une fois détruit , le
par un ouvrier en cuivre, au moyen traité
toire. lui-même cessait d'être obliga-
d'un bouclier d'airain , qu'il prome- Les Perses livrèrent à Phérétime les
naitceicontre
: oùterre
nte là les leennemis
long desnemurs d'en-
minaient
plus
aussitôtcoupables
elle les d'entre
fit mettreles enBarcéens
croix au-;
pas , le bouclier ne rendait aucun son ;
mais il résonnait distinctement dans tour des murailles; et ayant fait cou-
les endroits où l'on travaillait. Guidés per le sein à leurs femmes, elle en fit
par cet indice, les Barcéens firent border le mur. Barkê fut mise au pil-
aussitôt des contre- mines, et tuèrent lage par l'ordre de cette princesse : on
les mineurs persans ; quant aux atta- n'épargna que les Battiades, et ceux
ques ouvertes, ils parvinrent égale- qui n'avaient eu aucune part à l'assas-
ment àles repousser. sinat d'Arcésilas. Ce furent les seuls
Barkê est puise par trahison qui eurent la permission de demeurer
et saccagée.— Le siège durait depuis dans la ville. Le reste fut emmené en
esclavage.
longtemps, et les pertes étaient consi-
dérables de part et d'autre, autant du Fin de l'expédition; Barcéens
côté des Perses que du côté des Bar- déportés en bactriane; mort de
céens, quand Amasis, qui commandait Phérétime. — L'armée persane s'é-
l'armée des assiégeants, voyant qu'il ne tant remise en îriarche pour retourner
pouvait réduire "la place par la force, en Egypte, passa par Cyrène,
trée lui fut librement accordée;dont l'en-
Badrès,
s'avisa de la prendre par la ruse; et
voici le stratagème qu'il imagina : commandantde la flotte, était d'avis de
Il fit creuser , pendant la nuit, un la piller; mais Amasis s'y opposa , par
large fossé, sur lequel on mit des le motif que leur mission avait unique-
pièces de bois très-faibles , qu'on cou- ment été de réduire Barkê. Cependant,
vrit de terre , de sorte que le terrain après être sortis de Cyrène , et avoir
était de niveau et égal partout. Au assis leur camp sur la colline de Ju-
point du jour, il invita les Barcéens à piter-Lycéen, ilsregrettèrent de ne
un pourparler; ils reçurent cette nou- s'être pas emparés de cette riche cité ;
velle avec joie, ne demandant pas ils rebroussèrent chemin pour tenter
mieux quedement.d'en venir donc
à un sur
accommo- de rentrer dans la place ; mais ils trou-
On se réunit le fossé
vèrent les Cyrénéens en devoir de s'y
couvert , et ayant conclu un traité , on opposer;ennemi et bien
jura de part et d'autre d'en observer aucun , ilsqu'il furentne tout
se montrât
à coup
tous les articles aussi longtemps que saisis d'une terreur panique, et se re-
subsisterait le terrain sur lequel on se tirèrent précipitamment à soixante
trouvait. La convention portait que stades de là , où ils posèrent leur camp.
les Barcéens payeraient au roi un tribut Ils furent rejoints en cet endroit par un
convenable , et que les Perses ne for- courrier d'Aryandes, qui les rappelait.
meraient point de nouvelles entreprises Ils demandèrent aux Cyrénéens de
contre eux. leur fournir des vivres , et en ayant
88 L'UNIVERS.
obtenu , ils continuèrent leur marche l'on ne prenait garde que son décès
vers l'Egypte , harcelés tout le long avait dû précéder le succès d'Arcésilas.
de lacherchaient
route'par des Libyens pillards, Tentative d'insurrection ré-
qui à leur enlever leurs primée par Arsames. —C'est donc
bagages, tuant les traînards et tous sous Battos le Beau qu'il faut placer
ceux une expédition contre les Barcéens ,
mée. qui s'écartaient du gros de l'ar-
commandée par Arsames qui fut l'un
Ainsi se termina cette expédition , des généraux de Xerxès , et rappelée
qui s'était avancée à l'ouest jusqu'au dans un de ces récits anecdotiques où,
pays des Évhespérides ; les Barcéens , sans indiquer la date du fait ni l'au-
qu'elle emmenait en servitude, furent torité àlaquelle il l'a emprunté, Po-
envoyés d'Egypte en Perse, où Darius lven raconte aux empereurs Marc-
fils d'Hystaspes était monté sur le Âurèle et Vérus les stratagèmes em-
trône quelques mois après la mort de ployés par les chefs militaires en des
Cambyses. Ce prince leur accorda des circonstances célèbres. Il s'agit ici
terres dans la Bactriane, où ils bâti- d'un événement contemporain des pré-
rent une ville à laquelle ils donnèrent paratifs de la fameuse guerre des Per-
le nom de leur chère patrie, qu'elle ses contre les Grecs. Il est probable
conservait
dote. encore au temps d'Héro- qu'entraînées par l'exemple de l'insur-
rection des Égyptiens, à la fin du règne
de Darius , les populations de la Libye
unePhérétime , ajoute l'historien
fin malheureuse : revenue, eut
en voulurent aussi recouvrer leur indé-
Egypte après s'être vengée des Bar- pendance, etque Xerxès, après avoir
céens ,elle périt misérablement , dé- réduit l'Egypte et lui avoir donné pour
vorée par les vers dont son corps gouverneur son propre frère Achémé-
fourmilla : tant il est vrai que les dieux nès, envoya Arsames contre les pro-
haïssent et châtient ceux qui portent vinces plus occidentales. Celui-ci ayant
trop loin leur ressentiment. mis le siège devant Barkê, des ambas-
sadeurs lui furent envoyés pour traiter
Insurrections contre la domination de la paix; il la leur accorda, en leur
persane; abolition de la royauté. donnant la main , suivant la coutume
persane, et leva le siège. Il engagea
Durée présumée du règne de alors les Barcéens à se joindre aux
Battos tv. — Au troisième Arcésilas Persesrait contre
pour lal'expédition
succéda le quatrième Battos, surnommé Grèce , et àquifournir
se prépa-
des
le £eau,qui ne nous est ainsi individuel- renforts de chars de guerre. Ils dépê-
lement désigné que par Héraclide de chèrent leurs chefs pour traiter avec
Pont, et dont nous ne savons rien autre lui de cette alliance; Arsames ayant
chose, sinon que son règne doit remplir fait préparer un splendide festin, y
Ja lacune qui sépare la mort d'Arcési- invita ces chefs, et ouvrit pour la foule
las III son père, tué dans les premières des Barcéens un marché abondant en
années de Darius, et l'avènement d'Ar- toute espèce de denrées. Pendant que
césilas IV son fils, qui était tout jeune ceux-ci y affluaient , il donna un signal
encore mais déjà roi , en 466 avant aux Perses, qui, armés de leurs épées,
l'ère chrétienne, quand il fut vainqueur s'emparèrent des portes, envahirent
aux jeux Pythiques : les chronologistes et saccagèrent la ville , tuant tous ceux
attribuent ainsi à Battos IV environ qui voulurent leur résister.
cinquante ans de gouvernement, et mê- Troupes lieyennes dans l'ar-
me davantage, en sorte qu'il aurait vu mée de Xerxès. — Nous n'avons
s'écouler la majeure partie du règne de aucun autre détail sur cette expé-
Darius fils d'Hystaspes , celui de dition de Libye, qui ne nous est
Xerxès le Grand tout entier, et qu'il connue que par cet épisode : mais
aurait même pu voir encore l'avéne- nous savons du moins qu'elle eut pour
ment d'Artaxerxès Longue-main , si résultat de faire marcher les Libyens
89
AFRIQUE ANCIENNE,
avec l'armée de Xerxès, dans cette dans ces éloges un peu de flatterie,
grande invasion de la Grèce qui devait car le poëte attend une grâce du jeune
si désastreusement échouer à Platée : roi de Cyrène : les troubles politiques
dans le dénombrement de l'immense ont causé l'exil de quelques hommes
armée du roi des rois , on voit figurer distingués, entre lesquels brille Dé-
en effet, après les Arabes et les Ethio- mophïîe, qui a cherché asile à Thè-
piens au-dessus de l'Egypte comman- bes , et Pindare veut obtenir le rap-
dés par Arsames, les Libyens avec pel de ce noble Cyrénéen, l'allié des
leurs vêtements de peau et leurs épieux rois, l'honneur de son pays, qui as-
durcis au feu , sous les ordres du Per- pire àrevoir sa terre natale; il sem-
san Massages fils d'Oarize : ils de- ble même que l'unique objet de la
vaient former un corps très-considé- quatrième Pythique tout entière soit
rable, pour avoir ainsi à eux seuls un de gagner la cause de Démophile au-
de ces généraux dont le commande- près d'Arcésilas.
ment embrassait souvent le contingent Quellenarquequ'ait été particulier,
la décision ilduparaît
mo-
de plusieurs nations, et se partageait dans ce cas
en nombreuses divisions de dix mille
certain qu'il avait juste motif de se
hommes d'infanterie chacune. Il faut défier de l'esprit remuant et factieux
compter à part, en outre, une division des Cyrénéens : aussi médita-t-il un
de cavalerie libyenne menant ces chars
de guerre que les Cyrénéens étaient si changement de résidence , et s'occupa-
t-il prudemment de se ménager ainsi
habiles à diriger. un refuge en cas d'événements graves.
ArCÉSILAS IV, VAINQUEUR AUX Il chargea en conséquence Euphème,
allié à la famille royale, de réunir des
jeux pythiques. — Le règne d'Ar- troupes mercenaires pour la défense de
césilas IV, fils et successeur de Bat-
tos le Beau, ne nous est guère mieux son autorité, et de rassembler des co-
connu que celui de son père ; mais lons pour fonder une nouvelle ville aux
il remporta le laurier pythique, pour Evhespérides , sur la côte occidentale
la course des chars, à la trente et de la Cyrénaïque , à l'endroit où gît la
unième célébration des jeux institués moderne Ben-Ghâzy ; mais Euphème
à Delphes par Euryloque , c'est-à- ayant péri, à ce qu'il paraît, dans un
engagement où la victoire resta aux
dire en l'année
et Pindare en a466 "avant notrele sou-
immortalisé ère ;
siens , ce fut Karrhôtos fils d'Alexi-
venir en consacrant au royal vain- bias, beau-frère du roi , qui prit à sa
queur laquatrième et la cinquième de place le commandement des troupes ,
ses odes pythiques. Le chantre thébain et qui velle
reçut
a célébré la puissance et la sagesse de colonielades
mission d'établir la nou-
Hespérides.
Insurrection de la Libve sous
son héros ; il s'est plu 5 répéter ce que
la renommée proclamait de son esprit la conduite d'Inaros. — Lorsque,
et de son éloquence au-dessus de son à la faveur des troubles qui suivirent
âge, de son audace et de sa vigueur le meurtre de Xerxès, les Égyptiens
dans les combats , de sa précoce faci- s'insurgèrent contre Artaxerxès , en
lité pour la poésie, de son habileté à l'année 462 avant notre ère , il sem-
conduire les chars (*). Peut-être y a-t-il ble que l'insurrection eût son foyer
(*) ■••• «v-,
tête le roi puisqu'ils
en Libye, mirenten àmême
libyen Inaros, leur
5pa xeîvov Ê7raiv£ovxi ctvivexoi.
temps qu'un autre prince du nom
xpécaova jtèv àXtxîaç d'Amyrtée; et il y a tout lieu de
vôov çépêexai ,
présumer que la Cyrénaïque profita
yXiôacrâv xe 6ap<roç te xavv- de cette occasion pour échapper elle-
7UTEpOÇ èv ôpvtijiv at-
exoç etcXexo. àytoviaç
(jLaxpoç cpiXaç', 7t£'cp<xvxai
6' àp[xaxr)Xàxaç aoy 6ç.
8' Ëpxoç ÔÏOÇ , (JÔÉVO;*
èv te [xoicratut Ttoxavo; cmo Pindare, PylhiqueV.
90 L'UNIVERS.
même au joug persan , d'autant plus ce qu'on ignore, bien que cette dernière
qu'Inaros, après avoir chassé le sa- hypothèse semble s'accorder mieux
trape Achéménès et tous les gouver- avec l'idée que Cyrène, en prenant part
neurs étrangers, appela aux armes non- à l'insurrection libyenne contre la do-
seulement les guerriers du pays, mais mination persane, se débarrassa dès
encore tout ce qu'il put réunir de lors d'une dynastie les
considérait comme de alliés
rois qu'elle
de ces
tous les côtés, envoyant chercher du
secours jusqu'à maîtresdue étrangers, à l'appui desquels
un renfort de Athènes , d'oùvaisseaux.
deux cents il reçut était la restauration de Battos IV
Artaxerxès renvoya Achéménès avec sur le trône d'où Arcésilas III avait
trois cent mille hommes, tant d'in- été précipité. Quoi qu'il en soit, nous
fanterie quede cavalerie; l'armée liby- apprenons d'un des scholiastes de
co-égyptienne soutint seule le premier Pindare, qu' Arcésilas IV fut tué en
choc, et semblait devoir céder la vic- trahison par les Cyrénéens, qui dé-
clarèrent alors la royauté abolie , et se
Athénienstoire au nombre, rétablit quand l'arrivée
le combat des
: Aché- constituèrent en république démocra-
ménès fut tué de la main d'Inaros, son tique.
armée taillée en pièces, et les fuyards Battos , fils du dernier Arcésilas ,
acculés et assiégés dans une forteresse fuyant la turbulente cité où ses pères
près de Memphis. avaient régné pendant deux siècles,
Artaxerxès mit une nouvelle armée alla chercher asile dans celte nouvelle
de trois cent mille soldats sous les cité des Hespérides que son père avait
ordres d'Artabaze et de Mégabyze élevée pour être la sauvegarde de sa
J)Our aller réduire les insurgés ; mais il puissance et de sa race ; mais il y trouva
une aussi cruelle destinée : il y périt
eur fallut
rendre à leur plusdestination
d'une annéeet pourrefairese misérablement, et pour effacer jusqu'à
leurs troupes. Enfin , cette multitude sa mémoire , on jeta sa tête à la mer,
se porta contre les insurgés, et les en haine de la royauté.
enveloppa à son tour : les Égyptiens, Tels sont les renseignements que
effrayés, se soumirent en livrant leurs Diodore, Thucydide, HéraclidedePont,
chefs , et Inaros , trahi par les siens , et les scholiastes, fournissent sur les
périt sur la croix (458 ans avant J.-C). derniers règnes de la dynastie des Bat-
Mais les Athéniens tinrent ferme, brû- tiades, dont les descendants, confondus
désormais avec le reste des citoyens,
lèrent leurs vaisseaux que l'ennemi
avait mis à sec , et s'apprêtèrent avec ne se distinguèrent plus que par le vain
une telle résolution à se frayer un che- prestige d'une illustre origine, Jusqu'à
min par la force des armes, que les ce que l'auréole poétique de Callimaque
généraux persans, pour éviter un car- vînt encore nier éclat.
jeter sur leur nom un der-
nage inutile, leur permirent d opérer
leur retraite en sûreté : ils gagnèrent
la Libye, arrivèrent à Cyrène, et de III. GOUVERNEMENT REPUBLICAIN.
(*) L'an 4i3 avant l'ère vulgaire. (**) L'an 401 avant l'ère vulgaire.
92 L'UNIVERS.
la perte énorme des deux côtés , à tel ans après (*) , la bataille de Leuctres
point que les Messéniens auxiliaires y ayant substitué la fortune de Thèbes à
périrent presque tous. Après cette rude celle de Lacédémone, Ëpaminondas
épreuve , les deux partis en vinrentà des rappela avec instance dans leurs foyers
prétentions moins exclusives; ils mi- les fugitifs de la Messénie, dont il
rent bas les armes, et un accommo- voulait restaurer l'existence politi-
dement fut ménagé , à Cyrène , entre que (**), afin d'établir ainsi l'ennemi
leurs envoyés respectifs : il fut unani- aux portes mêmes de Sparte; et Comon,
mement convenu , sous serment , que quittant la Cyrénaïque , où des songes
la querelle serait oubliée, et que per- prophétiques lui avaient déjà fait pres-
sonne ne garderait rancune du passé. sentir la renaissance de Messène, ra-
Des modifications sont appor- mena alors à Naupacte ses compa-
tées A LA CONSTITUTION POLITIQUE gnons d'exil : « On ne peut se figurer»,
de Cyrène. — Quelques modifica- s'écrie Pausanias, « avec quel em-
tions furent introduites alors dans « pressement ces fugitifs accoururent
l'organisation de la république; elles « à l'appel d'Épaminondas, tous éga-
eurent sans doute le succès qu'on en « lement transportés d'amour pour
devait attendre, puisque Aristote , « leur patrie et de haine contre Lacé-
en son traité de la Politique, les cite « démone. »
comme exemple de ce qu'il convient Traité de limites avec Car-
de faire en pareil cas : « Augmen- thage. — Dans le développement sans
ter le nombre des tribus et des sec- bornes de sa richesse et de sa puissance
tions , effacer autant que possible commerciale, Cyrène avait une active
l'ancienne distinction des nationalités et jalouse rivale : de l'autre côté des
diverses, faire rentrer dans le culte Syrtes, Carthage s'était élevée aussi
commun les observances religieuses à la plus haute prospérité, et la con-
particulières; tout faire en un mot currence des deux cités devait
pour l'appro-
pour opérer une fusion générale , et vision ement dumonde amener
détruire l'empire des vieilles coutu- fatalement des collisions dès qu'elles
mes. »Ce changement fut-il immédiat , se rencontreraient sur un même théâ-
ou fut-il le résultat d'une pénible éla- tre. Séparées par une immense plage
borationc'est
: ce que nous ne saurions aride et déserte , ce n'est point de ce
dire; nous pensons toutefois qu'il ne côté que la ratte dut commencer, et
fut résolu, ou du moins effectué, qu'a- déjà sans doute leurs flottes s'étaient
près une infructueuse tentative faite, plus d'une fois trouvées aux prises
suivant une anecdote vulgaire , auprès avant que l'extension de leurs comp-
du divin Platon, pour obtenir de sa toirs sur la côte rendît leurs posses-
sagesse de nouvelles institutions poli- sions territoriales contiguës; mais
tiques. Platon connaissait bien Cyrène, quand à peu de distance du poste
où il était venu écouter les leçons du cyrénéen d'Automalax fut venue s'é-
célèbre Théodore sur la géométrie : tablir l'escale punique de Charax, le
« Les Cyrénéens sont trop riches et conflit fut engagé aussitôt sur la li-
« trop blasés », répondit le philosophe, mite où devaient mutuellement s'ar-
« pour que j'essaye de leur donner des rêter les deux puissances devenues
« lois : il est trop difficile de gouver- voisines : l'irritation était vive des
« ner une république si opulente. » deux parts, et il s'ensuivit une guerre
Quoi qu'il en soit , les dispositions qui longue et sanglante , dans laquelle
furent alors adoptées, parvinrent à des armées et des flottes furent dé-
ramener l'ordre et laDES paixMESSENIENS.
dans la cité. faites et dispersées, au grand dom-
RAPATRfEMENT mage de chacune des parties conten-
— Quant aux Messéniens qui n'étaient dantes ; si bien que reconnaissant enfin
pas intervenus dans la lutte, ils se
cantonnèrent chez les Évhespérites, et (*) L'an 371 avant l'ère vulgaire.
y demeurèrent jusqu'à ce que, trente (**) L'an 369 avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 93
qu'un tiers pourrait proflter de leur avant notre ment qu'elle ère.eut lieu vers l'an 350
affaiblissement et de leur fatigue pour
venir sur leurs brisées, elles convinrent
de régler à l'amiable leur différend , et Période de soumission nominale à
voici les conditions qu'elles arrêtèrent: Alexandre le Grand.
à un jour désigné , des délégués de- Alexandre le Grand se met
vaient respectivement partir de chez
eux, et le point de leur rencontre se- en route pour aller consulter
rait désormais la limite commune des l'oracle d'Ammon. — Bientôt le
deux peuples. Les envoyés de Carthage nom d'Alexandre de Macédoine, le
étaient deux frères du nom de Phi- plus grand de tous les noms histo-
lène; ils hâtèrent leur marche , tandis riques que l'admiration des peuples
que les Cyrénéens se laissaient attar- ait légués jamais à la postérité, vient
der, soif par négligence, soit par acci- remplir le monde et lui annoncer un
dent ; en ces régions , en effet , les maître; des bords du Danube aux
tempêtes peuvent retenir les voyageurs plaines d'Issus, et d'Issus aux riva-
aussi bien qu'en pleine mer ; car lors- partout ges de Tyr,
; illaarrive victoireen l'accompagne
Egypte, et
que le vent souffle sur ces plaines nues
et arides, le sable, enlevé du sol et l'Egypte, aussitôt soumise, voit s'é-
violemment agité, remplit la bouche lever une capitale nouvelle qui ef-
et les yeux , et empêchant de rien aper- facera Thèbes et Memphis , et perpé-
cevoir, arrête forcément la marche. tuera dans les siècles a venir la gloire
de son fondateur ; Alexandrie , qui
Quoi qu'il en soit, les envoyés cy-
rénéens se voyant en retard , et crai- sera l'entrepôt du commerce de l'uni-
gnant d'être punis au retour pour avoir vers entier, projette son merveilleux
mal fait leur devoir , se mirent à accu- port en avant de la côte, sur la limite
ser les Carthaginois d'être partis de de l'Egypte et de la Libye : c'est dire
chez eux avant le temps convenu , éle- assez que la Libye désormais doit
vèrent des contestations , déclarèrent obéir à Alexandrie.
enfin qu'ils tenteraient tout plutôt A cette époque où les croyances
que de s'en retourner vaincus ; mais païennes exerçaient sur les esprits un
les Carthaginois leur ayant demandé empire illimité, il était d'une bonne
de poser une condition dont les chan- politique de se concilier les oracles ,
ces fussent égales, les Grecs offrirent de donner à ses armes l'appui des
à leurs adversaires cette alternative , superstitions populaires, et Alexandre
ou de se laisser enterrer vivants à l'en- ne négligea en aucune occasion ce soin
droit qu'ils réclamaient pour limite important : il avait promis de rebâtir
de leur pays, ou de souffrir qu'eux- le temple de Diane à Éphèse; il avait,
mêmes , à pareille condition , pussent dans la capitale de la Phrygie, tranché
avancer jusqu'où ils voudraient. Les avec éclat le célèbre nœud gordien ;
Philènes , souscrivant à cet accord , et aux portes de la Libye, il avait voulu
sacrifiant leur existence à leur patrie , visiter, au milieu des déserts, l'oracle
furent ensevelis vivants en cet endroit; fameux de Jupiter Ammon.Cet oracle,
et Carthage éleva à cette même place dit Arrien , passait pour infaillible:
des autels consacrés aux frères Phi- Persée , Hercule même , l'avaient in-
furentlènes pour
, aussi lesquels instituésd'autres honneurs
dans leur ville par ordre terrogé lorsqu'ils marchaient , l'un
de Polydecte contre la Gor-
natale.
gone, l'autre contre le libyen Antée
Cette détermination, antérieure à la et contre l'égyptien Busiris; Alexan-
rédaction du Périple de Scylax , où dre voulait rivaliser de gloire avec
ces héros dont il était descendu, fai-
l'on voit figurer les autels de^Philène,
n'est point rapportée par les historiens sant d'ailleurs remonter sa propre ori-
et les polygraphes à une date précise ; gine jusqu'à Ammon lui-même,puisque
mais on peut estimer approximative- les traditions mythiques rapportaient
94 L'UNIVERS.
en mourant (*), laissait deux (ils en missaires spéciaux, que Polybe appelle
bas âge, sous la tutelle de leur mère simplement Canuléius etQuintus, pour
Cléopâtre,
tous deux fille d'Antiochus
avaient le Grand ;; régler sa querelle avec son frère. Le
nom Ptoléméè patrimoine
lors indivis des deux princes,
et disputé jusqu'a-
entre eux , leur
l'aîné fut surnommé Philométor, et
le second, Évergète; mais ce der- fut partagé : l'Egypte fut rendue à
nier, qui acquit plus tard un embon- Philométor, et la Cyrénaique avec la
point difforme, en reçut le surnom Libye fut adjugée à Physcon.
de Physcon, sous lequel il est plus
généralement désigné. Arrivé à sa La Cyrénaique de Vde nouveau séparée
Egypte
majorité, Philométor voulut porter la
guerre en Syrie ; il fut battu , et An-
tiochus Épiphanes vint le faire pri- RÉCLAMATIONS DE PHYSCON CON-
sonnier dans Memphis (**). Éver- TRE LA MODICITÉ DE SON LOT. —
gète ,qui à son tour atteignait alors Physcon ne se tint pas pour satis-
sa majorité, fut aussitôt proclamé à fait du royaume de Cyrène , et il
Alexandrie, et occupa seul le trône voulut, à son tour, venir à Rome
pendant quatre années, au bout des- faire valoir ses droits (*) ; il s'y ren-
quelles Philométor obtint sa liberté; dit en même temps que les commis-
les deux princes régnèrent alors en- saires qui avaient fait le partage, et
semble deux années, pendant lesquelles se plaignit au sénat de l'exiguïté de
des discussions s'élevèrent entre eux , la part qui lui était faite , demandant
chacun ayant la prétention de garder que l'on réformât la convention et
exclusivement la couronne. qu'on ajoutât à son lot l'île de Chypre,
Rome intervient et fait adju- après quoi son domaine serait encore
ger la Cyrénaique a Physcon. beaucoup moindre que celui de son
— Rome, qui intervenait d'office dans aîné. Canuléius et Quintus combatti-
rent cette réclamation, de concert
le règlement
voya ases commissai des affaires
res en d'Orient, en-
Syrie (Cnéus avec le carien Ménylle d'Alabande, en-
Octavius, Spurius Lucrétius et Lucius voyé de Philométor, qui prétendait
Aurélius) l'ordre d'aviser à la concilia- qu'Évergète devait s'estimer heureux
tion des différends qui divisaient les d'avoir obtenu la Cyrénaique; qu'il en
était bien redevable aux Romains ,
deux rois d'Alexandrie (***). Mais
dans l'intervalle la guerre s'était allu- ainsi que de la vie , tant il s'était fait
mée entre les deux princes, et l'aîné, détester des Égyptiens; qu'au surplus
chassé du trône par son frère, venait il y avait un traité juré sur les .autels,
à Rome implorer la commisération et que les paroles avaient été mutuel-
du sénat : il y entra à pied , couvert lement données. Physcon contesta tout
de haillons ; en vain son cousin Dé- cela, et le sénat, voyant qu'en effet
métrius Soter, alors en otage , vint au- le partage n'était point égal, profita
devant de lui mettre à sa disposition habilement, dit Polybe^ de la querelle
un train plus digne de son rang; il des deux frères, pour amoindrir les
refusa tout , et alla demander un loge- forces du roi d'Egypte par un nou-
ment àun peintre alexandrin. Aussi- veau morcellement , en accordant au
tôt que le sénat en fut instruit , il en- plus jeune ce qu'il demandait. Deux
voya faire au monarque détrôné des autres commissaires, Titus Torquatus
excuses de ne lui avoir pas rendu les et Cnéus Mérula, furent envoyés avec
honneurs d'usage; on pourvut avec Physcon pour le faire mettre en pos-
munificence à ses besoins, et l'on en- session de l'île de Chypre , et établir
voya avec lui , en Egypte , deux com- une paix durable entre les deux rivaux.
Arrivé en Grèce avec les envoyés
(*) L'an 181 avant l'ère vulgaire. romains, Ptoléméè Physcon y engagea
(**) L'an 170 avant
iuuul
l'ère
1 Ut
vulgaire.
TUl^ailL*
pouvoirs les plus étendus, l'étolien saires chargés de lui annoncer la déci-
Lycope; et que, pendant que les hom- sion rendue en sa faveur. Publius
mes combattaient, les femmes forti- Apustius et Caïus Lentulus furent
fiaient les retranchements , creusaient nommés, et partirent pour Cyrène,
les fossés, portaient les munitions, soi- afin de s'acquitter au plus tôt de leur
gnaient les blessés, préparaient les mission. Physcon, plein de confiance,
vivres ; mais qu'après l'extinction des se mit aussitôt à lever des troupes et
guerriers, Lycope avant voulu trans- àde s'occuper
former son administration en souve- Chypre. exclusivement de l'affaire
raineté, ces femmes l'accablèrent de Mais pendant ces préparatifs, il se
tant d'injures que, dans son exaspéra- tramait contre lui une conspiration
tion il, en tua le plus grand nombre, dont il faillit être la victime; il courut
qui couraient elles-mêmes à la mort. risque de la vie , et n'échappa au fer
Ces circonstances expliquent assez des assassins qu'après avoir reçu plu-
comment la résistance des Cyrénéens
ne put tenir longtemps contre les ar- sieurs blessures: ce fut pour' lui le
motif d'un nouveau voyage à Rome ,
mes de Physcon.
Rome appuie ouvertement les afin de s'aller plaindre au sénat d'un
RÉCLAMATIONS DE PHYSCON. — Sur attentat dont il ne craignait point d'ac-
cuser son frère; et de son côté ce-
ces entrefaites, Cnéus Mérula arriva lui -ci envoya Néolaïdas et Androma-
d'Alexandrie, et apprit au roi de Cy- chos pour se disculper. Mais quand
rène que son frère rejetait toutes les
propositions qui lui avaient été fai- Physcon, cours, eutàmontré
l'appui les
d'uncicatrices
touchantde dis-
ses
tes, prétendant qu'on devait s'en te- plaies, l'émotion générale fut telle,
nir exclusivement aux conditions pri- que l'assemblée refusa d'entendre les
mitivement convenues. A ces nouvelles,
le roi désigna aussitôt les deux frères envoyésdonnadu roi d'Egypte,
de sortir et leurdélai.
de Rome sans or-
Coman et Ptolémée pour se rendre à On désigna au contraire, au roi de
Rome avec Cnéus , et se plaindre au Cyrène, cinq commissaires, du nombre
sénat de la ténacité et des mépris de desquels furent Cnéus Mérula et Lu-
son frère. Philométor laissa partir cius Thermus, qui devaient prendre
aussi , vers le même temps, Titus Tor- chacun une galère afin de conduire
quatus, sans avoir rien fait. Voilà où
en étaient les choses à Alexandrie et ce prince en Chypre ; et l'on envoya
aux troupes alliées , en Grèce et en
l'île.
à Cyrène. Asie, l'autorisation de lui prêter main-
C'est dans ces circonstances qu'ar- forte pour opérer sa descente dans
rivèrent (*)à la fois à Rome les am-
bassadeurs des deux Ptolémées ; ceux RÉCONCILIATION DE PHYSCON ET
du plus jeune ayant à leur tête Coman , de Philométor. — Il semblait que la
ceux de l'aîné ayant pour chet Ménylle réussite de ses désirs fut ainsi assurée;
d'Alabande. Ils se rendirent au sénat, mais la fortune en décida autrement: il
où ils firent de longs discours et se je- fut battu par son frère, bloqué dans la
tèrent mutuellement à la face les re- ville deLapithe,et obligé de se rendre
proches les plus odieux : on entendit à discrétion. Cependant Philométor,
aussi Cnéus et Titus qui se hâtèrent soit par indulgence , soit par crainte
d'appuyer de leur témoignage la cause des Romains, ne profita point avec ri-
du plus jeune. Il fut décrété par le sé- gueur de ses avantages : il lui offrit ,
nat que Ménylle et les siens sortiraient en dédommagement de l'île de Chypre,
de Rome dans le délai de cinq jours , la cession de quelques villes libyennes
que toute alliance était rompue avec de plus à ajouter à son royaume de
l'aîné des Ptolémées, et qu'il serait Cyrène , des subsides annuels de fro-
envoyé au plus jeune des commis- ment, et dans l'avenir la main de sa
fille comme gage d'une alliance du-
(*) L'an 161 avant l'ère vulgaire. rable. Ainsi fut terminée définitive-
106 L'UNIVERS.
ment (*) la querelle des deux rois ; et En l'année 132 avant l'ère vulgaire,
Physcon put désormais continuer dans sa tyrannie ayant comblé la mesure ,
l'étude, le repos et la mollesse, un règne une émeute survenue à Alexandrie l'o-
dont les premières années avaient été bligea de se réfugier en Chypre; là,
si agitées. Il nous a transmis lui- craignant que les Alexandrins, excités
même, dans un passage de ses mé- par la première Cléopâtre , n'eussent
moires ,conservé par Athénée , quel- l'idée de proclamer à sa place son fils
ques détails sur le luxe qu'il déploya à Memphite, jeune homme plein de grâ-
l'occasion du sacerdoce du temple ce et de bonnes qualités, qui était alors
d'Apollon à Cyrène, quand il en fut à Cyrène, il le rappela près de lui, et
revêtu ; c'était une charge annuelle , le fit mettre à mort sous ses yeux ;
dont le titulaire, à son entrée en exer- puis, s'il faut en croire un affreux ré-
cice, réunissait dans un festin tous cit, illui fit couper la tête, les pieds et
ceux quifonctions, l'avaient etprécédé dans les les mains, qui furent enveloppés dans
mêmes leur offrait un un drap et renfermés dans un panier
vase de terre d'une certaine capacité, pour être envoyés à la malheureuse
rempli de provisions , en y joignant mère comme un présent le jour anni-
le plus souvent une lyre. Phvscon leur versaire de la naissance de ce même
fit servir des vases d'argent d'un grand fils ! A la suite de cette atrocité,
prix, et y joignit, pour chacun, un Ptolémée Physcon revint en forces
cheval dressé couvert de harnais do- reprendre possession de l'Egypte ,
rés et conduit par un écuyer, avec in- d'où la vieille Cléopâtre se sauva en
vitation àchaque convive de monter
le sien pour s'en retourner chez lui. Syrie.
Une grande pluie de sauterelles af-
Physcon s'empare de l'Egypte fligea laCyrénaïque dans les dernières
et règne tyranniquement. — a années du règne de ce prince (*) :
la mort de Ptolémée Philométor, ar- d'immenses essaims , après avoir ra-
rivée en l'an 147 avant notre ère , vagé toute l'herbe et toutes les feuil-
Ptolémée Phvscon, en ayant reçu la les des arbres, furent poussés dans la
nouvelle à Cyrène, se mit aussitôt en mer par le vent , et ramenés par les
marche avec une armée pour aller re- flots sur la côte, où leur accumulation
vendiquer lasuccession de son frère, causa, par ses miasmes putrides, une
qui ne laissait qu'un fils mineur; sa cruelle peste qui fit périr les animaux
sœur Cléopâtre, veuve de Philométor, et les hommes par milliers.
lui envoya offrir sa main et la tutelle La Cyrénaïque passe a Apion ,
de son fils : il accepta , entra dans qui la lègue aux romains. — en-
Alexandrie; et au milieu des fêtes du fin, après quarante-cinq ans de règne
mariage, il fit mettre à mort les par- depuis son avènement au trône de
tisans du jeune prince, le tua lui- Cyrène, Ptolémée Physcon mourut,
même entre les bras de sa mère, et en l'année 117 avant notre ère , et la
demeura ainsi maître du trône d'Egyp- Cyrénaïque fut de nouveau l'apanage
te, qu'il souilla de sang et de crimes. d'un souverain distinct de celui d'E-
Les Cyrénéens même qui l'avaient ac- gypte le
: monarque défunt
cialement léguée, par l'avait spé-
testament , à
compagné furent sacrifiés pour quel-
ques paroles indiscrètes sur la cour- Ptolémée, surnommé Apion, ou le
tisane Irène, sa maîtresse. Après avoir Maigre, son fils naturel. Ce prince
eu de sa sœur Cléopâtre un fils qui occupa le trône plus de vingt années ;
reçut le nom de Memphite , il la ré- mais l'histoire se tait sur les événe-
pudia, afin de prendre pour épouse la ments de son règne , dont il nous est
jeune Cléopâtre fille de la première, seulement parvenu quelques médail-
dont il eut deux autres fils , Ptolémée les ; et il n'a acquis une certaine cé-
et Alexandre. lébrité qu'à raison du testament par
(*) L'an 169 avant l'ère vulgaire. (*) L'an 125 avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 107
lequel, en mourant, il légua ses États suffit de répéter qu'Apion fils de Phys-
au Cet
peuple con fut le dernier roi de la Cyrénaï-
acte romain a été , (*).
pour les érudits du que, dont les limites s'étendaient de-
dix.- septième siècle , le sujet d'une puis la grande Syrte jusqu'aux portes
grave controverse, à cause de l'équi- de l'Egypte,
aussi bien que comprenant l'aride Libyeet
la riante Pentapole,
voque commise par un ancien compi-
lateur et
, répétée sans examen par qu'à sa mort , arrivée en l'année 96
divers autres , sur la double date du avant notre ère, tout ce territoire de-
legs fait à Rome par le dernier Pto- vint, suivant les dernières volontés
lémée de Cyrène, et de la réduction en du défunt, une dépendance de Rome.
province romaine de cette même terre
libyenne ainsi léguée par Apion.Sextus V. MOEURS PUBLIQUES ET PRIVÉES
DES CYRÉNÉENS AVANT LA PERTE
Rufus Festus, l'auteur du petit Bré-
viaire des conquêtes et provinces du DE LEUR NATIONALITÉ.
de la progression par laquelle les na- exotiques sur une terre qui avait elle-
tions grecques s'échelonnaient entre même ses rejetons autochthones, étouf-
elles depuis une grossière rudesse jus- fés peut-être sur les points où l'implan-
qu'à la politesse la plus raffinée. tation grecque fut plus dense, mais
i Mais si l'on traduit les noms de qui durent s y entremêler, dans le pour-
Sparte et d'Athènes par les dénomi- tour, bien qu'ils ne se développassent
nations génériques de Doriens et d'Io- plus dans toute leur vigueur qu'à de
niens, peut-on, même en forçant l'ex- plus grandes distances des lieux en-
vahis.
oublier lespressionanneaux
de leur antagonisme jusqu'à
intermédiaires for- Ainsi , dans les premiers siècles de
més par les Éoliens et les Achéens, son existence la population cyrénéenne
méconnaître encore qu'ils ont eu tous fut grecque au centre et libyenne à son
un père commun dans Hellen? Il est extrême circonférence; puis dans le
vrai qu'on attribue à l'influence étran- centre même, indépendamment de tou-
gère des Pélasges asiatiques cette dé- tes les accessions étrangères successi-
générescence ou, si on aime mieux, ce vement amenées par les relations po-
progrès qui détermina le caractère spé- litiques et par le commerce, mais qui
cial d'élégance et de mollesse des Io- durent se perdre dans la masse hellé-
niens; mais que sait-on avec précision nique, ilfut introduit un élément asia-
et certitude des Pélasges eux-mêmes ? tique, important par le nombre autant
On n'est guère plus avancé quant que par le défaut d'affinité; je veux
aux immigrations austro-orientales des parler des juifs que le premier Ptolé-
Inachides , des Cécropides, des Cad- mée transplanta dans les villes de la
Pcntapole.
méens, des Lélèges et des Danaëns, dé-
puis que le système d'explication sym- Trois peuples , non-seulement dis-
bolique introduit dans l'histoire vient tincts, mais encore hétérogènes, se
à la fois, arme à deux tranchants, dé- trouvaient donc juxtaposés sur le mê-
truire d'une part le voile mythique me sol : l'un en dehors de la cité, les
sous lequel on suppose cachés des faits Libyens, anciens possesseurs du pays;
traditionnels, et d'autre part le pré- des deux autres, exerçant à des titres
tendu masque historique derrière le- divers leurs droits politiques dans les
quel on suppose que se cache un my- mêmes villes, l'un nouveau-venu, les
the. Que penser, au milieu de ce bou- Juifs tansplantés ciennement établideet Syrie ; l'autreen an-
réunissant un
leversement d'idées, des dénominations
de Danaëns et de Cadméens qui se trou- seul faisceau tous les éléments qui pou-
vent mêlées aux indications ethnolo- vaient prétendre au nom d'Hellènes.
giques touchant la formation originaire Décomposition de l'élément
de la population cyrénéenne? grec : Cadméens , Éoliens ,
ÉLÉMENTS PRINCIPAUX DE LA. PO- Achéens; Péloponésiens et Cre-
PULATION CYRÉNÉENNE AU POINT DE tois; insulaires de la mer Egée.
VUE ETHNOLOGIQUE ! LES LIBYENS — Les colons hellènes avaient été
INDIGÈNES, LES COLONS GRECS, LES
groupés
peut se lepar Démonax
rappeler, , ainsi
en trois qu'on
fractions,
Juifs transplantés. — Sans pré-
tendre aborder de si haut, ni avec un eu égard à leur origine, savoir : en pre-
tel dédain des vieilles croyances histo- mier lieu les Théréens avec les voisins
riques, une question qui se présente à immédiats qu'ils s'étaient assimilés ,
nous entourée de tant de difficultés et puis les Péloponésiens avec les Cre-
d'incertitudes, bornons-nous à rappe- tois, et enfin les insulaires de la mer
ler d'une manière générale que la co- Egée. Chacun de ces groupes était,
lonie grecque établie sur le sol libyen comme on le voit, formé lui-même
s'était formée d'un premier noyau thé- par l'agglomération de plusieurs élé-
ments. Dans le premier surtout les
réen, prés duquel s'étaient ultérieure- éléments étaient nombreux et divers.
ment implantes d'autres rameaux hel-
lènes, pour jeter ensemble leurs racines Et d'abord, ces voisins immédiats, cette
111
AFRIQUE ANCIENNE.
population ambiante (wepîoixoi),ces gens Minyens, en déroulant les généalogies
de la banlieue comme nous dirions au- du cadméen Théras et du minyen Bat-
jourd'hui chez nous, semblent ne pou- tos ; teur Denys le périégète et son traduc-
Priscien ont rappelé dans leurs
voir être que des Libyens sédentaires
de la côte soumis par les colons thé- vers l'origine amycléenne des Cyré-
réens, et fondus dans l'agrégation néens (*); et Pindare, qui a consacré
commune; et quant aux ïhéréens, on par ses chants la tradition antique des
doit se souvenir qu'ils devaient leur aussi Égides (**) et des Minyens (***), donne
origine à une association de gens d'A- aux fondateurs deCyrène le nom
myclée en Laconie, de Minyens, et de de Danaëns (****), comme si l'influence
Cadméens. Ces derniers , établis en de l'immigration conduite par Danaùs
partie d'ancienne date , en partie ve- chez dueles Achéens d'Argos se fût éten-
àtous ceux du Péloponèse avant
nus avec ïhéras, étaient, suivant l'o-
pinion vulgaire et probable, de race que la conquête dorienne les eût dé-
phénicienne; les Minyens, quoique nés placés. Ainsi le premier noyau de la
a Lemnos , avaient pris origine à population de Cyrène, il est bon de le
Iolehos en Thessalie, et paraissent de- et constater,
le langage. n'avait de dorien que le nom
voir être rapportés à la famille éolien-
ne; et le seul élément laconien de Le deuxième groupe, dans lequel
l'association appartenait à la famille figuraient
achéenne.
les Péloponésiens et les Cre-
tois, était, suivant toute apparence,
Il n'enétant est pas moins maîtres
vrai quede les empreint davantage de la nationalité
Doriens devenus la dorienne : il est présumable qu'il était
Laconie lors du retour des Héracli- au moins conduit par des chefs do-
des, et leur domination s'étant éten- riens, dans le nombre desquels se trou-
due et consolidée à Théra , les Thé- vait même quelque fféraclide, puisque
réens eux-mêmes furent compris dans le cyrénéen Synesios, près de dix siè-
la famille dorienne dont ils subissaient cles après, faisait remonter sa généa-
à là fois l'autorité politique et l'in- cule. logie, par Eurysthènes, jusqu'à Her-
fluence sociale, et dont ils prirent le
langage, soit parce que la langue du maî- Quant aux nésiotes ou insulaires
tre s'impatronise d'ordinaire chez les réunis dans le troisième groupe, nous
sujets, soit peut-être aussi parce que n'avons aucune désignation certaine
l'adoption
la différence s'en mutuelletrouvait favorisée par de la famille à laquelle ils appartenaient
des dialectes
des trois populations réunies, et par (*) Kvpyivri t' evi7vrcoç 'Af/.uxXauov ye'voç
la prédominance de la fraction éolien- àvopwv.
Denys, Périégèse, v. 21 3.
ne, dont l'affinité était plus grande Necnon Cyrenc clarorum mater equorum,
avec les habitudes doriennes. Quoi Urbis Amyclœa; populus quain condidit olim.
Priscien, Périégèse, v. 197-8.
qu'il en soit, il est manifeste que les
Théréens, déjà compris dans la natio- (**) '06ev Yev£voc[jtivoi
nalité dorienne au moment de leur fxovxo ©vjpavôs Ç&-
expédition coloniale en Libye, appor- xeç Alyeïoai, è\iol rca-répeç.
tèrent dans leur établissement cette Pindare, Pythu/ues, V, Antistr. 3.
même nationalité dorienne, avec la (***) .... x68e yàp yévoç, E0-
langue qui en était le caractère exté- <pà[j.ou «pureuèèv, Xoiuàv aïet
rieur le plus apparent. TeXXeTo , xat Aaxeôai-
[xovîwv {M^ôévre; àvôpcôv
Ce n'est point à dire, toutefois, que fjôeaiv, dt7t<î>XY]<jav
ëv uoxs KaX-
le souvenir y fût perdu de la distinc- Xtarav yj^àvtù
tion primordiale des trois éléments VÔCCTOV.
réunis et confondus sous une déno- Pindare, Pjthiques, IV, Sir. 12.
mination commune : les traditions re- (****) Alfjià 0! xetvav Xaêe <rùv Aavaotç
cueillies parHérodote en font foi, sur- eùpeïav a7reipov.
tout àl'égard des Cadméens et des Pindare, Pjthiques, IV, Str. 3,
112 L'UNIVERS.
En relisant, avec ces impressions,
dans la division ethnologique de l'Hel-
lade; mais en consultant les conve- l'histoire de la Cyrénaïque depuis l'ar-
nances géographiques de proximité rivée de Battos jusqu'au testament
tant à l'égard de Delphes d'où partait d'Apion, on sera porté à s'expliquer,
l'oracle qui détermina leur émigration par l'antagonisme des deux principes,
la plupart des troubles dont elle fut si
qu'à l'égard de Cyrène qui en était le souvent le théâtre; on reconnaîtra, ou
but, on doit regarder comme infini-
ment probable qu'ils venaient des Cy- l'on croira reconnaître, ici les exigen-
clades, où des Pélasges, des Phéniciens, ces de l'aristocratie dorienne, là les
des Cretois , des Eoliens , peut-être caprices
étaient habituelsde la démocratie
aux Ioniens.tels qu'ils
Nous ne
aussi déjà quelques Ioniens, avaient
voulons point formuler nous-mêmes
tour à tour posé les assises d'une po-
pulation mélangée, au sein de laquelle ces explications de détail : qu'il nous
le commerce de Délos appelait encore suffise de les avoir indiquées d'une
journellement des étrangers. manière générale, laissant à la pru-
Nous ne poserons pas ici , tant il dence de chacun des interprétations
nous semble difficile de la résoudre , tantôt plausibles, tantôt spécieuses ,
tantôt aussi fort aventurées.
la question de savoir jusqu'à quel point
la distribution ethnologique dont nous D'autres, d'ailleurs, voudront expli-
venons d'esquisser les traits princi- quer les mêmes
antagonisme dont faits, et jusqu'à
on fait honneur cetà
paux, se trouva conservée ou mécon-
nue dans la distribution politique si- l'esprit de famille, par des circonstan-
gnalée par Josèphe comme existante à ces tout à fait indépendantes des faits
Cyrène au temps de Sylla et de Lu- ethnologiques , telles que l'opposition
cullus, et où l'on vit figurer, en quatre des intérêts individuels, l'esprit de
classes distinctes, les citadins, les pay- corps, la différence des directions pri-
sans, les étrangers et les juifs; toutes ses sur la grande voie de la civilisation
et du progrès social. A ce compte, le
les hypothèses que l'on pourrait être caractère national des Cyrénéens au-
tenté de proposer à cet égard ne se-
rait été le produit, non des instincts
raient fondées que sur d'arbitraires
conjectures. héréditaires, mais de l'influence mu-
Les Grecs de Cyrène, comp- tuelle des institutions politiques, et du
tés DANS LA. FAMILLE DORIENNE , développement industriel et commer-
AVAIENT NÉANMOINS LES MOEURS cial déterminé par la richesse du sol
RAFFINÉES DES IONIENS. — Ce qui et la facilité des communications ma-
ritimes.
ressort au moins de ce que nous ve-
On ne peut du moins se dissimuler
nons d'exposer, c'est que la population
cyrénéenne, formée d'éléments em- que, dorienne par le langage et la dé-
pruntés, dans des proportions inégales, rivation politique, et se reconnaissant
aux diverses races helléniques , dut comme telle, la population cyrénéenne
présenter, dans le développement de se distingua bien moins parla sévérité
ses instincts nationaux^ une diversité des mœurs, l'économie, la sobriété, le
de caractères conséquente à ces pré- patriotisme, la vertu guerrière, qui fi-
mis es la
: prédominance dorienne se rent la gloire de Sparte, que par les
manifesta sans doute dans la consti- mœurs élégantes, le luxe, la mollesse,
tution aristocratique, dans les habitu- la turbulence, l'amour des lettres et
des agricoles, dans le langage; tandis des arts, qui firent la célébrité d'A-
que les races assujetties, bientôt puis- thènes.
santes par les richesses que procurent Elle poussa même bien plus loin
l'industrie et le commerce, révélèrent qu'Athènes l'amour du bien-être, la
leur turbulence démocratique dans plus recherche, la sensualité, l'ostentation.
d'une tentative d'émancipation dont le Le poète comique Alexis , cité par
succès ne profita guère à la consoli- Athénée, avait mis en scène le luxe
dation des libertés publiques. des festins à Cyrène : quelqu'un in-
113
AFRIQUE ANCIENNE.
vile-t-il un ami à dîner? voilà aussitôt le silphion si rare et si recherché, le
dix-huit autres convives, dix voitures, safran odorant , la rose principe des
quinze attelages à héberger! — Qui plus suaves parfums, le sphagnos mus-
ne sait d'ailleurs que l'école philoso- qué, le concombre aux vertus médici-
phique cyrénéenne avait pour doctrine nales, enfin le bois de genévrier si es-
que le bonheur est dans le plaisir? timé àAthènes sous le nom de thyon,
Ce n'est point toutefois d'un seul à Rome nement sousdes meubles celui de decitrus, pourchasse
luxe. La l'or-
bond que la colonie dorienne de Libye
put arriver à ce raffinement de mœurs; mettait de plus à leur disposition les
et la civilisation plus rude des monta- magnifiques plumes de l'autruche; et
gnes de la Laconie ne dut s'oublier l'exploitation des mines leur procurait
que progressivement, à mesure que le le sel limpide d'Ammon et la craie de
développement des ressources agrico- Parétonion. On peut supposer que l'or
les et commerciales amenait une opu- de l'Afrique centrale parvenait jusqu'à
lence corruptrice. eux par la voie du commerce indigène,
dont le temple d'Ammon était peut-
Agriculture et commerce; Revenus être le comptoir.
publics ; monnaies. Commerce. — Placée entre Alexan-
drie et Carthage, Cyrène eut dans
Productions. — Établis sur un l'une et dans l'autre de dangereuses
sol éminemment fertile , les colons rivales, dont l'active concurrence dut
grecs durent y continuer avec autant nuire beaucoup à l'extension de son
de goût que de succès et d'avantages commerce d'échanges avec les peuples
la vie agricole et pastorale à laquelle reculés dans le continent , attendu la
ils se trouvaient déjà façonnés ; aussi facilité qu'avaient l'une et l'autre de
ne doit-on pas être surpris que l'idée recevoir directement aussi par la val-
de richesse et de bien-être fût attachée lée du Nil ou par le Fezzân les pro-
pour eux au mot gyuEvioç (*). Le blé , Cyrène duitsavait de l'Ethiopie intérieure. Mais
des produits que ses ri-
le riz, la vigne, l'olivier, couvraient la vales même étaient forcées de venir
majeure partie de leurs terres; leur
huile était la meilleure qui fût au prendre chez elle : Alexandrie lui de-
monde. Synesios vante aussi , plus mandait lesilphion et le thyon, qu'elle
tard, la qualité du miel de Cyrène, consommait sur place ou qu'elle réex-
moins vanté toutefois que ceiui du portait àson tour, et les Carthagi-
mont Hymette; au surplus la cire et le nois soutiraient par leur comptoir de
miel sont restés un des principaux Charax le silphion de la Cyrénaïque
articles d'exportation de ce pays. D'im- occidentale, en échange des vins de
menses pâturages nourrissaient de luxe qu'ils apportaient de la Sicile et
nombreux troupeaux de bœufs, de de la grande Grèce.
pourceaux, de chèvres, et surtout de Cette précieuse denrée était telle-
brebis au doux lainage, et de chevaux ment recherchée que Ton fit sur plu-
de race supérieure : tout cela se re- sieurs points, notamment dans le Pé-
trouve encore chez les nomades d'au- loponnèse et dans i'Ionie asiatique ,
jourd'hui. mais partout sans aucun succès, des
Leurs céréales, leur huile, leur miel, tentatives d'acclimatement et de natu-
la laine et les cuirs de leurs troupeaux, ralisation de la plante qui sécrétait
leurs chevaux même , étaient sous leur cette substance merveilleuse. Aussi,
main pour fournir les éléments d'un I'Ionie par la voie de Samos, le Pélo-
commerce d'exportation considérable: ponnèse par celle de Cythère, en
la nature leur offrait spontanément étaient -ils directement approvision-
nés par les navires de Cyrène, qui
d'autres articles plus précieux, tels que
l'apportaient aussi en Crète, en Chy-
de la lerre. ayant en abondance les Rome. pre, àAthènes, en Sicile, et jusqu'à
(*) C'est-à-dire,
fruits
soustraire à son horrible tyrannie, s'il « jugiez digne de mort l'épouse qui ,
n'eut eu la précaution de taire garder « par un breuvage d'amour, espérait
les portes avec une telle rigueur, qu'on « se faire chérir plus peut-être que
piquait même les cadavres, ou qu'on « vous n'aviez résolu. »
En entendant Arétaphile se défendre
les passait au feu, pour s'assurer que ainsi, Nicocrate ordonna seulement
des vivants ne tentaient pas de s'é-
chapper en faisant les morts. Ce mons- qu'elle fût mise à la question , laissant
tre farouche, que rien ne pouvait ap- à l'implacable Calbia le soin d'y prési-
privoiser se
, laissait pourtant subju- der ; mais Arétaphile supporta les
guer par son amour pour Arétaphile ; tourments avec tant de fermeté, se
pour elle seule il était doux et mania- tira avec tant d'avantage de toutes les
ble, et souffrait qu'elle jouit d'une épreuves , que Calbia , fatiguée elle-
grande autorité. Mais outre le poids même , fut forcée d'y renoncer, et que
de ses propres chagrins, elle avait le Nicocrate, persuadé de l'innocence de
poignant spectacle des malheurs de sa sa femme, lui rendit la liberté, plein de
patrie indignement soumise à de si regret des tortures qu'elle avait subies.
atroces épreuves : car on sacrifiait les Et bientôt il revint à elle plus amou-
citoyens l'un après l'autre , et il n'y reux que jamais , la comblant d'atten-
avait pas de vengeance à espérer de tions et d'honneurs.
la part de quelques exilés timides, Quant à elle, que la douleur et les
faibles et dispersés. tourments n'avaient pu faire céder,
Arétaphile sentait qu'en elle seule elle ne se laissa pas décourager; le
était l'espoir de son mais
pays, dénuée
et pleined'une soin de sa gloire et sa ténacité à rem-
noble résolution, de tout plir un noble dessein, lui firent pren-
secours, elle tenta de se débarrasser de dre d'autres voies. Elle avait une fille
son époux par le poison; comme elle assez à belle, et déjà
faisait ses dispositions, se procurait voir Léandre, frèrenubile , qu'elle
du tyran, fit
jeune
les drogues nécessaires, et essayait la homme facile à enflammer , et dont
force de ses préparations, la chose fut elle exalta , dit-on , par des prestiges
découverte ; après en avoir recueilli et deslire.philtres,
les preuves, Calbia, mère de Nicocrate, Et lorsque,latombé passiondans
jusqu'au dé-
le piège,
femme sanguinaire et implacable , il eut, à force de prières, obtenu de
opina pour qu'Arétaphile , honteuse- son frère la main de la jeune fille ,
ment traitée, fût mise a mort sur-le- celle-ci, sous l'inspiration de sa mère,
champ. Mais l'amour retenait Nico- lui insinua l'idée de délivrer sa patrie
crate et lui ôtait le courage de sévir, d'une tyrannie sous laquelle il ne lui
d'autant plus qu'Arétaphile repoussait était pas permis de vivre en liberté et
vivement l'accusation et soutenait son de prendre ou de garder une épouse;
innocence. Voyant cependant qu'elle pendant que d'un autre côté les amis
ne pouvait tout nier absolument, elle d'Arélaphile lui suggéraient officieu-
avoua qu'en effet elle avait voulu pré- sement de calomnieux soupçons con-
parer un breuvage , mais non pour tre son frère. Léandre ayant compris
causer le trépas : « Il s'agissait pour que les idées d'Arétaphile étaient d'ac-
« moi , dit-elle , d'une chose impor- cord avec les siennes , se mit à l'œu-
« tante; car les honneurs dont je jouis, vre, gagna le chambellan Daphnis , et
« l'autorité que je dois à votre bien- par son moyen parvint à tuer Nico-
« veillance , ont excité contre moi les crate.
« dangereuses jalousies de beaucoup Tyranniede Léandre, détruite
« de femmes; craignant leurs breuva- également par aretaphile. —
« ges et leurs artifices, j'ai voulu aussi Léandre ne remplit point ensuite l'at-
« recourir à de semblables moyens : tente d'Arétaphile, et montra au con-
« imaginations vaines et féminines , traire, par sa conduite inhabile et hau-
« §ans doute, mais non punissables taine, qu'il avait bien été un fratricide,
« du supplice ; à moins que vous ne mais non un tyrannicide. Arétaphile
120 L'UNIVERS.
conservait toutefois auprès de lui son été en présence de l'image de quelque
rang et son autorité , ne montrant divinité ; et comme ils affluaient les
elle-même ouvertement à son égard uns après les autres , ils ne purent
ni hostilité ni répugnance ; mais elle emmener Léandre et rentrer dans la
faisait silencieusement ses disposi- ville que le soir. Là , après avoir sa-
tions. Elle excita d'abord à la guerre tisfait lebesoin qu'ils avaient de re-
contre Léandre, Anabos, chef des Li- mercier et de bénir Arétaphile , ils
byens du voisinage, qui fit des incur- s'occupèrent enfin des tyrans : Calbia
fut brûlée vive, et Léandre, cousu dans
sions dans le pays, et s'avança en ar-
mes contre la ville; puis elle repré- un sac, fut jeté à la mer.
senta à son gendre que ses amis et On supplia Arétaphile de se joindre
ses généraux, peu disposés à la guerre, aux sénateurs pour gouverner et ad-
ne cherchaient que la paix et le repos ; ministrer lacité ; mais elle , comme
qu'au surplus, c'était le parti qui con- s'il se fût agi d'une pièce de théâtre
venait le mieux à ses intérêts s'il vou- en plusieurs actes qu'elle aurait enfin
lait affermir son autorité sur ses con- conduite jusqu'au dénoûment , dès
citoyens et
: elle offrit en même temps qu'elle vit la liberté rétablie, elle ren-
de s'entremettre de la paix, se faisant tra aussitôt dans le gynécée , et refu-
forte d'amener Anabos à une confé- sant de se mêler en rien des affaires
rence avec lui, s'il le souhaitait, avant publiques, elle passa le reste de sa vie
que les hostilités eussent amené quel- à filer sa quenouille au milieu de sa
que dommage irréparable. famille et de ses amis.
Léandre lui ayant ordonné d'agir Intervention de Lucullus ; sé-
dans cette voie , elle eut d'abord une duction DE LA. CyBENAÏQUE EN
entrevue avec le Libyen, et obtint de province. — La perturbation causée
lui, à force de présents et de promes- par ces événements n'était point en-
ses ,qu'il s'engageât à se saisir de core effacée , quand le fameux Lucius
Léandre quand il viendrait pour con- Licinius Lucullus aborda à Cyrène.
férer avec lui. Cependant Léandre Il avait accompagné Syila comme ques-
hésitait; néanmoins, par honte vis-à- teur dans la guerre contre Mithridate,
vis d'Arétaphile qui déclarait vouloir et pendant que l'armée campée autour
assister à la conférence , il s'y rendit d'Athènes avait ses convois interceptés
sans armes et sans escorte; mais lors- par la Hotte ennemie , il était envoyé
qu'en approchant il aperçut Anabos, en Libye et en Egypte pour y rassem-
il se mit à tergiverser, à vouloir qu'on bler des vaisseaux (*) , afin de faire
apostat des satellites; sa belle-mère, cesser cet état de choses. A son arri-
de son côté, le rassurait, le grondait; vée àCyrène, Lucullus trouva la po-
et enfin , comme il tardait trop long- pulation encore en proie à l'agitation
temps, elle le saisit hardiment par la et au désordre causés par les révolu-
main , et le conduisit bel et bien au tions intérieures dont elle venait d'être
barbare, et le lui livra. Léandre, ar- le théâtre , et il mit ses soins à y ré-
rêté aussitôt par les Libyens, fait pri- tablir lebon ordre et la tranquillité :
il se souvint, à cette occasion, de la
son ier, etgarrotté, fut gardé jusqu'à
ce que les amis d'Arétaphile , accom- réponse que jadis Platon avait faite
pagnés par le reste des citoyens, vins- aux Cyrénéens qui lui demandaient des
sent apporter la récompense promise. lois : « Qu'ils étaient trop riches pour
Car la plupart, à la nouvelle de ce « cela; attendu que nul n'est plus dif-
qui se passait, accoururent au lieu de « ficile à gouverner que l'homme fa-
la conférence, et en voyant Arétaphile, « vorisé par la fortune, tandis qu'au
peu s'en fallut qu'oubliant leur colère « contraire nul n'est plus souple et
contre le tyran , ils ne négligeassent « plus docile que l'homme dans la dis-
d'en
plus tirer
pressévengeance , n'ayant'rien
que de venir, de
en pleurant (*) Au commencement de l'année 86
de joie, la saluer comme s'ils eussent avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 121
« grâce. » Le temps était venu où les bun du peuple Publius Servilius Rullus
Cyrénéens devaient se trouver dans proposa une loi agraire , dont le but
les dispositions convenables pour re- apparent était de procurer aux citoyens
cevoir avec soumission les lois qui pauvres des terres en Italie : ces terres,
leur seraient données; et cette cir- qu'on leur aurait gratuitement distri-
constance rendit plus facile la tâche buées, ifallait
l les acheter, et pour cela
de Lucullus , qui sans doute ne fit amasser des sommes immenses desti-
qu'assurer de nouveau l'observation nées àles payer; et Rullus proposait
des institutions anciennes. Après avoir d'y pourvoir en faisant vendre aux en-
pourvu à ce que lui paraissaient exi- chères, pardix commissaires spéciaux,
ger les besoins locaux , il poursuivit les terres domaniales de la république
sa mission et se rendit en Egypte. dans les provinces : les champs de la
Puis , lorsque douze ans après Lu- Cyrénaïque étaient formellement com-
cullus fut parvenu au consulat (*), la pris dans cette opération.
Bithynie, queNicomède venait de lé- du consul a rendu célèbre L'éloquence
ce projet de
guer aux Romains , et la Cyrénaïque loi , dont il sut avec tant d'habileté
qu'ils avaient reçuefurent d'Apion faire prononcer le rejet ; et les cam-
ans auparavant, à la vingt-deux
fois, ainsi pagnes cyrénéennes restèrent nomina-
que nous l'apprend Appien , réduites lement un domaine de l'État, pendant
en provinces de l'empire. qu'elles étaient envahies en réalité
A quelques années de là , l'île de par des usurpations privées, ainsi que
nous le verrons en son lieu.
Crète, qui s'allonge en face des côtes
libyennes , ayant été conquise par L'éloquence de Cicéron a de même
Quintus Cecilius Metellus, et réduite consacré la mémoire du procès in-
aussi en province (**), on pourrait con- tenté àCnéus Plancius, édile curule(*),
parMarcus Juventius Laterensis, son
clure d'un rapprochement fait par concurrent évincé, qui, parmi ses
Eutrope dans* une rédaction un peu
équivoque, que dès lors furent réunies titres aux suffrages du peuple, faisait
en une seule province la Crète et la valoir ses services comme questeur de
Cyrénaïque, bien que cette réunion ne la Cyrénaïque, où il avait su se mon-
trer àla fois libéral envers les officiers
soit incontestable qu'à dater de l'em-
pereur Auguste, et que dans l'inter- du fisc , et juste envers une population
alliée. Il accusait Plancius de lui avoir
valle la Crète d'une part et la Cyré-
enlevé, par la brigue et la corruption,
trouvéesnaïque entre
de l'autredesse mains
soient diverses
derechef:
une charge à laquelle il croyait avoir
car l'attribution des provinces n'eut plus de
dans droits; mais
la balance Cicéron
le poids "vint talent
de son jeter
dans le principe aucune fixité, et dans
la répartition annuelle qui en était en faveur de Plancius, et l'ancien
faite entre les consuls et les préteurs, questeur de Cyrène fut débouté de ses
on en réunissait souvent ensemble
poursuites.
La Cyrénaïque suit le parti
deux ou trois sous un même gouver-
neur, ainsi que Dion Cassius a eu soin de Pompée. — Au temps des guerres
d'en faire la remarque expresse. civiles , lorsque Jules César et Pompée
se disputaient l'empire, la Cyrénaïque
Seconde période, depuis la réduc- dut se trouver d'abord , avec tout l'O-
tion en province jusqu'à Auguste: rient, entraînée dans le parti de Pom-
Époque des guerres civiles. pée du
; moins.aprèslabatailledePhar-
sale(**), la flotte aux ordres de Caton
Cause de la. Cyrénaïque plai- vint-elle, avec les restes considérables
dée par Cicéron. — On sait que , de l'armée vaincue, y chercher refuge
sous le consulat de Cicéron (** *), le tri-
et s'y enquérir des nouvelles du fugi-
(*) L'an 74 avant l'ère vulgaire.
(**) L'an 65 avant l'ère vulgaire. (*) L'an 54 avant l'ère vulgaire.
(***) L'an 63 avant l'ère vulgaire. (**j L'an 48 avant l'ère vulgaire.
122 L'UNIVERS.
tif ; elle aborda au port de Paliouros , d'Antoine. — Mais , quand ces deux
en face de File de Platée; ce fut là chefs eurent été détruits à la double ba-
qu'on
de apprit lade mort
la bouche du grand
son fils Sextus Pompée,
et de sa taille de Philippes(*),et que les trium-
virs se partagèrent l'empire , Antoine
veuve Cornélie, qui s'étaient enfuis de s'attribua la mission d'aller réduire les
la rade de Péluse, et après avoir tou- provinces de l'Orient pour leur compte
ché à Chypre, avaient été portés par commun ; puis, lors du traité qui scella
les vents au port même où arrivaient par le mariage d'Antoine avec la fille
Caton et les siens. La se séparèrent d'Octavien la réconciliation de ces
dans diverses directions plusieurs des deux rivaux (**), dans le partage
chefs , quidun'espéraient
clémence vainqueur, plus
entrequ'en
autresla qu'ils se firent du monde romain ,'&
l'exception de l'Italie qui demeurait in-
Caius Cassius, qui alla peu après se divise Octavien
, prit l'Occident , et
rendre à César dans Alexandrie; mais Antoine
le plus grand nombre persista dans mite l'Orient, choisissant
commune entre ces deux pour
immen-li-
son dévouement à la cause des fils de ses départements , dans le nord la
Pompée. De Paliouros on vint à Cy- ville de Scodra en Illyrie, et dans le
rène; d'abord la ville ferma ses portes sud l'Afrique propre qu'on abandon-
à Labiénus, mais le port reçut la nait àLépide pour son lot.
flotte , qui de là se rendit en Afri- Antoine, subjugué par les charmes
que (*) , où allait se trouver le théâtre et l'adresse de la trop fameuse Géo-
de la guerre. pâtre, se montra prodigue envers elle
Lorsqu'après la mort de César (**) de ses provinces, comme il l'était de
on changea la distribution qui avait son temps, de ses trésors, de sa gloire,
naguère été faite des provinces entre de son honneur même ; il ne se con-
les magistrats, que la Syrie fut retirée tenta point d'agrandir les domaines de
à Cassius pour être donnée à Dola- la reine
bella , et la Macédoine retirée à Bru- bie, de lad'Egypte
Judée, deaux ladépens de l'Ara-
Phénicie, de la
tus pour être donnée à Antoine, ce- Celésyrie, qui appartenaient à des
lui-ci, daprès ce que raconte Appien, princes tributaires et amis; il lui ren-
fit assurer aux deux officiers ainsi dé- dit encore des pays dont Rome elle-
pouillés de leurs provinces, et envers même avait pris possession , et c'est
lesquels il voulait cependant garder ainsi que la Cyrénaïque rentra avec
quelque apparence de ménagement, Chypre sous le sceptre des Ptolé-
la Cyrénaïque et la Crète; suivant une mées (***). Cependant on le vit, trois
autre version recueillie par le même ans après (****), se déclarant publique-
historien, Cassius les aurait eues toutes ment l'époux de Cléopâtre, et procla-
deux, et c'est la Bithynie qu'on aurait mant rois les enfants qu'il avait eus
accordée à Brutus. Mais comme Cicé- délie, disposer encore en maître de
ron , dans une de ses Philippiques ces mêmes provinces, et faire de la
contre Antoine, rappelle expressément Cyrénaïque la dot future de sa filie
que la Crète avait été attribuée à CÏeopâtre-Sélene, la même qui depuis
Brutus avec le titre de proconsul , il fut mariée à Juba le jeune, roi de Mau-
ritanie.
semble qu'on en doit conclure que la TÉMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE
première version est plus exacte, et
DES JUIFS DE BÉRÉNICE ENVERS
que la Cyrénaïque et la Crète se trou-
vaient alors encore séparées, celle-ci Marcus Titius. — A cette époque
étant dévolue à Brutus, celle-là for- se rapporte, suivant l'opinion du docte
mant le département de Cassius. Fréret, une inscription grecque gravée
La Cyrénaïque entre dans le lot
(*) L'an 42 avant l'ère vulgaire.
(*) Il s'agit de l'Afrique propre, distin- (**) L'an 40 avant l'ère vulgaire.
guée de la Libye. (***) L'an 36 avant l'ère vulgaire.
(**) L'an 44 avant l'ère vulgaire. (****) L'ai; 33 avant l'ère vulgaire.
123
AFRIQUE ANCIENNE.
sur marbre blanc, venue originaire- la jeune princesse sa fille , dans le
ment de la Cyrénaïque, transportée royaume qui venait de lui être attri-
plus tard de Tripoli de Barbarie à Aix bué. D'autres critiques ont opté pour
en Provence, et dont voici la traduc- une époque plus ancienne , et d'autres
tion française : pour une date plus moderne : la ques-
tion dépend, à cet égard, de l'ère à la-
« semblée *55,
« L'an de lela 25fêtede des
paophi, en l'as4,
Tabernacles
« sous l'archontat de Cléandre fils de inscritequelleendoit être
tête rapportée l'année
de ce décret; 55e
les uns
« Stratonicus , d'Euphranor iils d'A- optent pour le commencement de la
« riston , de Sosigène fils de Sosippe, domination romaine en Cyrénaïque ,
« d'Andromaque fils d'Andromaque , les autres pour la réforme législative
«de Marcus Lélius Onasion fils d'A- de Lucullus, ceux-ci pour la réduction
« pollonius , de Philonide fils d?Agé- en
du province,
calendrier ceux-là Julien pour l'adoption
à Alexandrie:
« mon , d'Autoclès fils de Zenon , de
« Sonicus fils de Théodote, et de Jo- chaque hypothèse a ses arguments et
« seph fils de Straton ; ses difficultés, et il est difficile de
« D'autant que Marcus Titius fils prendre un parti définitif au milieu de
«de Sextus, de la tribu Emilia , per- toutes ces incertitudes.
« sonnage excellent, depuis son avé- Antoine perd la. Cyrénaïque
« nement à la préfecture s'est com- et l'empire. — Nous voici arrivés
« porté dans les affaires publiques avec au moment où la bataille d'Actium (*)
« beaucoup d'humanité et d'intégrité, allait décider de l'empire du monde. La
« et qu'ayant marqué dans sa conduite fuite de Cléopâtre détermina le départ
« toutes "sortes de bontés , il continue et la défaite d'Antoine, qui la suivit à
« d'en user de même , et non - seule- Parétonion , d'où il la laissa revenir
« ment se montre humain dans les
seuleà Alexandrie, déterminé qu'il était
« choses générales, mais aussi à l'égard en apparence à faire quelques disposi-
« de ceux qui recourent à lui pour leurs tions militaires pour la continuation de
«affaires particulières, traitant sur- la guerre. Il avait, dans la Cyrénaïque,
« tout favorablement les Juifs de notre quatre légions commandées par Pina-
«synagogue, et ne cessant de faire rius Scarpus, un de ses lieutenants,
« des actions dignes de son caractère et il voulut les appeler auprès de lui;
« bienfaisant :
mais Scarpus refusa d'obéir, fit tuer
« A ces causes, les chefs et le corps les courriers que lui dépêchait An-
« des Juifs de Bérénice ont ordonné toine, et même quelques soldats qui
« qu'il serait prononcé un discours à élevaient la voix pour blâmer une telle
« sa louange , et que son nom serait conduite; et il livra Cyrène et ses
« orné d'une couronne d'olivier avec quatre légions à Gallus, lieutenant
« le lemnisque, à chacune de leurs as- d'Octavien. Antoine alors se rendit
« semblées publiques , et à chaque re- lui-même à Alexandrie, pendant que
« nouvellement de lune; et qu'à la di- Gallus venait, avec les légions de Scar-
« ligence desdits chefs la présente pus, s'emparer lui-même de Paréto-
« délibération soit gravée sur une co- nion; le triumvir espéra qu'il pour-
« lonne de marbre de Paros , qui sera rait, en faisant directement appel à
« érigée au lieu le plus distingué de ces vieux soldats qui avaient com-
« l'amphithéâtre. battu sous lui , les ramener à sa cause,
« Voté à l'unanimité. » et ressaisir ainsi la place importante
Il s'agit, comme on voit, d'actions que la défection de Scarpus venait de
de grâces décernées par les Juifs de Bé- lui faire perdre: il reprit donc, avec
rénice au gouverneur romain Marcus une flotte et quelques troupes, la route
Titius, à raison de sa conduite pleine de Parétonion ; sa flotte entra sans
d'humanité envers eux ; Fréret pense obstacle dans le port, et lui-même
que la mission de Titius émanait d'An-
toine, et se liait à la proclamation de (*) L'an 3i avant l'ère vulgaire.
124 L'UNIVERS.
s'avança vers ses anciennes légions; rée consulaire , la Cyrénaïque fut ran-
mais comme il voulut leur parler, gée parmi les prétoriales. Les bornes
Gallus fit aussitôt couvrir le son de sa de cette dernière province étaient alors
voix par les fanfares de ses trompettes, marquées , en ce qui concerne la por-
et rendit de ce côté ses efforts inu- tion continentale, par les autels des
tiles; illui fit même souffrir, dans Philènes à l'ouest, et le grand Cata-
bathme à l'est; et cette délimitation
une sortie, quelque désavantage. D'un
autre côté, des chaînes d'abord ca- persista
Rescrits jusqu'au
en règne
faveurd'Adrien.
des Juifs
chées sous l'eau s'étaient tendues à
l'entrée du port, et les vaisseaux, blo- cyrénéens. — D'après le récit de Fla-
qués, attaqués de toutes parts, étaient vien Josèphe , les Juifs de Libye ainsi
coulés à fond ou brûlés, et il n'en put que ceux des provinces asiatiques, se
voyant fort maltraités par les Grecs,
échapper
sait le reste qu'un très-petitla nombre.
: désormais On
Cyrénaïque qui lesgent et deaccusaient
leur être d'exporter
à charge en detoutes
l'ar-
et l'empire tout entier étaient dévo- choses , furent contraints de recourir
lus à Octavien, à qui il ne manquait
plus que le titre d'Auguste , créé tout àrescrits
la justice auxd'Auguste,
magistratsquiprovinciaux,
adressa des
exprès pour lui quelque temps après.
et notamment à Flavius, préteur de
Troisième période , depuis Auguste Libye (*), pour qu'on ne troublât plus
les réclamants dans l'exercice de leurs
droits.
jusqu'à rection
Trajan des Juifs: cyrénéens.
Époque d'insur-
Malgré ces ordres précis , ils se
La Cyrénaïque comprise dans trouvèrent gênés de nouveau dans leurs
le lot du sénat. — Au commen- libertés , et réitérèrent leurs plaintes ,
cement de cette ère nouvelle qui
qui donnèrent lieu à un rescrit d'A-
commençait pour Rome avec des ins- grippa (**) , dont la teneur nous a été
conservée par Josèphe, et que nous
titutions* où tous les pouvoirs des croyons devoir transcrire ici :
grandes charges de l'ancienne répu-
blique venaient se concentrer entre « Marcus Agrippa, aux magis-
les mains d'un seul homme, quelques « trats et au sénat de Cyrène, salut.
dehors pourtant semblaient être con- « Les Juifs qui demeurent à Cyrène
servés pour témoigner du respect de « nous ayant fait des plaintes de ce
ce magistrat suprême envers le sé- ««àqueFlavius
, encorepréteur
qu'Auguste ait ordonné
nat et le peuple; et il leur abandonna de Libye, et aux
le gouvernement direct des provinces « officiers de cette province , de les
dont la tranquillité ne rendait point « laisser dans une pleine liberté d'en-
nécessaire l'active surveillance du gé- « voyer de l'argent sacré à Jérusalem,
néralis ime des armées, ou empereur. « comme ils ont de tout temps cou-
La Cyrénaïque , réunie à la Crète en « tume de le faire, il se trouve des
une seule province, était du nombre « gens assez malveillants pour préten-
de celles qui furent ainsi attribuées au « dre les en empêcher , sous prétexte
sénat (*) ; dans la même catégorie se « de quelques tributs dont ils les disent
trouvait aussi l'Afrique avec la Nu- «redevables, mais qu'ils ne doivent
midie; en sorte qu'au sud de la Mé- « point en effet ;
diter anée, lelot du sénat se trouvait « A ces causes , nous ordonnons
compris entre la Mauritanie encore « qu'ils seront maintenus dans la jouis-
aux mains de .Tuba , et l'Egypte dévo- « sance de leurs droits, sans qu'ils
lue àl'empereur ; l'Afrique fut décla- « puissent y être troubiés ; et que si
« dans quelque ville on avait diverti
(*) Ce partage des provinces fut fait le « de l'argent sacré , il soit restitué aux
i3 janvier de l'an 27 avant l'ère vulgaire;
et ce fut quatre jours après qu'Octavien re- (*) L'an i5 avant l'ère vulgaire.
çut le titre d'Auguste. (**) L'an 14 avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 125
« Juifs par des commissaires nommés commises sur les terres autrefois pos-
« à cet effet. » sédées par le roi Apion , et par lui lé-
Ces dispositions assurèrent peut-être guées ,avec tout son royaume , au
la tranquillité des Juifs pour le reste peuple romain; les propriétaires voi-
du règne d'Auguste; mais les vexa- sins s'en étaient emparés chacun à sa
tions devaient recommencer pour eux convenance, et ils se fondaient sur
bientôt après la mort de ce grand em- l'ancienneté de leur injuste possession
pereur. comme sur le titre le plus équitable.
Une simple mention de l'historien Le juge ayant prononcé le retrait des
Florus , répétée par Jornandes , nous terres usurpées, il en était résulté à
apprend mettrequ'Auguste son égard de grandes animosités, et on
les Marmaridesenvoya pour etsou-
insurgés les avait porté plainte contre lui au sénat,
Garamantes , Publius Quirinius, le qui déclara n'avoir point connaissance
de la mission donnée par Claude , et
même sans doute qui avait, peu d'an-
nées auparavant , procédé par ses renvoya les parties devant l'empereur.
ordres au recensement de la Syrie , à Néron, après avoir approuvé l'arrêt
l'époque où naquit Jésus-Christ, ainsi d'Acilius dant ilvoulait Strabose ,montrer ajouta que cepen-à
favorable
que le rapporte i'évangéliste saint Luc.
Quirinius fut victorieux, et il eût pu des alliés, et qu'il leur abandonnait les
se parer, à cette occasion , du surnom domaines qu'ils s'étaient appropriés.
Insurrection du zélateur juif
de Marmaricus , s'il n'eût eu la mo-
destie de priser moins haut les avan- Jonathas. — Sous le règne de Vespa-
tages qu'il avait remportés. sien , qui avait jadis été lui-même ques-
Procédures intentées par les teur de Cyrène et de Crète, la Cyrénaï-
Cyrénéens contre divers offi- que fut troublée par une sorte d'insur-
ciers romains. — Sous Tibère, Cé- rection parmi la population juive du
sius Cordus était proconsul de Crète pays. On sait que Judas leGaliléen,
et de Cyrène; il commit des exactions dont il est parlé dans les Actes des apô-
qui soulevèrent contre lui les Cyré- tres, avait été le fondateur d'une secte
néens , et les déterminèrent à s'en de fanatiques ennemis de toute sou-
plaindre devant l'empereur; Ancharius mission aux pouvoirs terrestres, sur-
Prisais porta contre lui une accusa- tout àla domination étrangère ; que
tion de concussion , en y ajoutant celle cette secte , grossie plus tard des restes
de lèse-majesté , qui était alors comme de toutes les factions vaincues, et des
le complément obligé de toutes les au- malfaiteurs toujours disposés à se met-
tres (*); la plainte des Cyrénéens fut tre en révolte contre les lois qui les con-
reconnue fondée, et sur la poursuite damnentcouvrant
, leurs brigandages
d'Ancharius
condamné Priscus comme ,concussionnaire.
Césius Cordus du prétexte d'un
fut dépendance nationale ardent
zèle , joua pour
un l'in-
rôle
Sous Néron, Pédius Blésus, à son important dans la défense de Jérusa-
tour, fut accusé par les Cyrénéens lem contre les Romains; après la sou-
d'avoir pillé le trésor du temple d'Es- mission de la Judée, un assez grand
culape , et de s'être laissé corrompre nombre de ces Zélateurs, ou comme'
par argent ou par intrigue dans les nommaient eux-mêmes, de cesilsSi-
se
opérations du recrutement militaire; caires ou assassins, comme les appe-
le coupable fut exclu du sénat (**). lait la voix publique, s'étaient sauvés
Les Cyrénéens se plaignaient en même à Alexandrie, en y portant l'esprit de
temps d'AciliusStrabo, qui avait exercé rébellion qui les caractérisait; mais il
les fonctions de préteur, avec une mis- fut coupé, court aux menées révolu-
sion spéciale de l'empereur Claude, tionnaires qu'ils y avaient entreprises,
pour prononcer sur les usurpations en les livrant aux magistrats romains;
plus de six cents furent exterminés, et
(*) L'an ai de l'ère vulgaire. l'on poursuivit jusqu'à Thèbes ceux
(**) L'an 5g de l'ère vulgaire. qui s y étaient réfugiés.
126 L'UNIVERS.
(*)
tre ère.Probablement en l'année i32 de no- (*) On sait que l'ère des martyrs date
du 29 août 284.
X
AFRIQUE ANCIENNE. 129
Morcellement des provinces fournies par le livre De la mort des
sous Dioclétien. — On s'accorde persécuteurs : « Avare et timide à la
à rapporter au règne de Dioclétien, «fois,» s'écrie le fougueux
« Dioclétien a bouleversé toute écrivain,
la terre :
sur la foi d'un reproche adressé à sa
mémoire par l'auteur du livre De la « il s'est associé trois collègues , divi-
mort des persécuteurs (*), le morcel- « sant le monde en quatre parties ,
lement des provinces , dont on n'en- « grossissant les armées au point que
trevoit que des traces éparses et fu- « chacun des quatre empereurs a plus
gitives dans les auteurs contempo- « de soldats qu'il n'en fallait autrefois
rains, età l'égard duquel nous n'avons « au maître unique de tout l'empire...
de renseignements précis que posté- « Les provinces aussi ont été coupées
rieurement àl'organisation générale « en morceaux ; on a établi des gouver-
faite par Constantin le Grand. On sait « neurs avec toute leur séquelle dans
du moins que Dioclétien, et son col- « chaque contrée, presque dans chaque
lègue Maximien-Hercule, s'étant asso- « cité ; des intendants de finances mul-
cié, le 1er mars 292, Constance-Chlore tipliés, des inspecteurs généraux
et Galère, il y eut alors, entre les deux « militaires, des vice-préfets, etc. »
augustes et les deux césars , une di- Mode d'après lequel l'empire
vision quadripartite de l'empire, dans fut divisé en quatre parties. —
laquelledent auConstance
delà des -Chlore Alpes, eut l'Occi- Il y a donc lieu de penser que le
Maximien partage de l'empire se fit entre les
l'Italie et l'Afrique, Galère le reste Quatre princes par voie d'attribution ,
de l'Europe, et Dioclétien l'Orient : la à chacun d'eux, d'un certain nombre
Cyrénaïque avec la Libye et l'Egypte de provinces, suivant certaines conve-
nances résultant des affinités mutuelles
étaient comprises dans ce dernier lot.
Il est difficile de décider si la Crète de celles-ci; et que, plus tard seule-
fut dès lors détachée de Cyrène pour ment, quand chacune de ces provinces
s'aller annexer à la Grèce, apanage de en eut formé plusieurs, la grande di-
Galère : quelques auteurs ont admis vision quadripartite put être modifiée
cette séparation hâtive; il nous semble par le retrait ou l'accession de quel-
plus sage de douter, et nous penchons qu'une de ces provinces nouvellement
même à croire qu'elle ne dut avoir lieu constituées. C'est ainsi que nous rap-
que sous Constantin. Il est probable , portons au règne de Dioclétien l'or-
en effet, que le morcellement des pro- ganisation d'après laquelle trois pro-
vinces ne précéda point le partage de vinces distinctes se trouvèrent formées
l'empire, et qu'il fut, au contraire, une du territoire de l'ancienne province
conséquence de ce partage, parce qu'a- avons Cyrénéenne établie par Auguste. Nous
lors chacun des quatre princes régnants déjà remarqué le déplacement
voulut avoir sa cour, ses officiers, de limites qui , sous Adrien , avait
toute la hiérarchie administrative et transporté de cette province à celle
militaire d'un empire distinct ; et d'Egypte la Libye qui s'étend à l'est
pour multiplier les commandements , de Darnis; sous Dioclétien, cette der-
il fallut multiplier les divisions terri- nière dut être détachée de l'Egypte
toriales sur lesquelles ces commande- pour faire une province nouvelle; et
ments étaient exercés. Telle est la
celle qui du temps d'Adrien compre-
marche naturelle des choses , telle nait sous un seul gouverneur la Pen-
aussi la succession des indications
tapole cyrénaïque et l'île de Crète, fut
naturellement subdivisée par Dioclé-
(*) Ce livre est vulgairement cité sous le tien en deux gouvernements distincts,
nom de Laclance; mais le manuscrit unique
qui a servi de type à toutes les éditions ne l'un continental, l'autre purement in-
désigne l'auteur que sous le nom de Lucius sulaire; etc'est au temps de Constan-
Cécilius , qui n'a qu'un rapport bien in- tin seulement que ce dernier gou-
complet avec celui de Lucius CœliusLaclan- vernement ,ayant acquis ainsi une
tius Firmianus. individualité propre , put être distrait
9e Livraison. (Afrique ancienne.)
130 L'UNIVERS.
sans effort de l'un des quatre grands général à Nicée , en présence même
départements de l'empire, pour être du souverain, le 19 juin 325, au nom-
désormais rattaché à un département bre de trois cent dix-huit évêques,
voisin. pour y dresser le symbole de leur foi :
Il serait , en effet , erroné de croire les deux provinces de Libye (la Libye
que ces quatre grandes divisions, dans et la Pentapole) y furent représentées
chacune desquelles il y avait un préfet par sept évêques , groupés en deux
du prétoire avec plusieurs vice-préfets, camps, les uns autour de leur métro-
répondissent précisément aux quatre politain lepatriarche d'Alexandrie
préfectures établies par Constantin , autres autour du théologien Arius, ,qui
les
et renfermassent les mêmes diocèses fut alors déclaré hérésiarque.
ou vice-préfectures : ainsi Dioclétien L'organisation générale de l'empire
n'avait point dans son département sous Constantin ne nous est pas con-
le diocèse de Thrace , qui fut cepen- nue dans ses détails avec une pré-
dant compris ensuite dans la préfec- cision telle qu'on la pourrait désirer,
ture d'Orient; et après l'abdication puisque la Notice des dignités des
de Dioclétien (*), le lot qu'il avait eu empires d'Orient et d'Occident, ce
ne passa même à Maximin que dimi- précieux inventaire de toutes les charges
nué encore des provinces du Pont, civiles et militaires du monde romain,
qu'il reprit seulement après la mort est postérieure d'environ un siècle à
de Galère (**); Licinius au contraire l'établissement administratif fondé ou
ajouta tout le département de Maxi- complété par cet empereur. Toujours
min (***) à une portion de celui de Ga- est-il, nous le savons par le témoi-
lère. Nous ne saurions, au surplus, gnage explicite de Zosime, que dans
déterminer le nombre et l'étendue des le partage qu'il fit, en quatre grandes
diocèses existants à cette époque préfectures prétoriales, du territoire
dans chaque département, et c'est uni- de l'empire qu'il venait de pacifier (*),
quement par conjecture que nous pou- la Pentapole et la Libye furent attri-
vons considérer la Cyrénaïque et ses buées au préfet qui eut l'Egypte avec
démembrements comme englobés avec l'Orient ; tandis que la Crète , déjà sé-
l'Egypte dans un même diocèse, dont parée de Cyrène , fut dévolue à celui
la Palestine faisait peut-être alors éga- qui avait l'Illyrie avec la Grèce; l'A-
lement partie: tout ce que nous sa- frique, àl'ouest de la Pentapole, ap-
vons avec assurance , c'est que ces partenait au préfet d'Italie ; celui des
provinces appartinrent successivement Gaules tenait l'ancien lot de Constance-
a Dioclétien, à Maximin, et à Licinius, Chlore.
Cette organisation devait recevoir,
et que la persécution contre les chré-
tiens fut
y à diverses fois renouvelée, de son auteur même, une modifica-
jusqu'à
dans les la mains réunion de tout l'empire
de Constantin. tiontribuerimportante
entre ses ,trois
lorsqu'il voulut dis-
fils, Constantin,
Organisation et partage de Constance et Constant, et ses deux
l'empire sous Constantin et ses neveux Delmace et Annibalien (**),
enfants.— Sous ce dernier empereur, les provinces de ce grand empire; il
le christianisme cessa d'être opprimé, est vrai que le département du jeune
il devint même la religion dominante et Constantin répondit exactement à la
favorisée ; et les se Pères de l'Église ca- préfecture rient,des donnéeGaules; mais celleperdit
à Constance, d'O-
tholique purent réunir en concile
(*) Le i* mai 3o5. Maximin ne fut fait d'une part la petite Arménie, le Pont
et la Cappadoce, qui en furent démem»
alors que césar, mais il se déclara lui-même
auguste dès 3o8.
(**) En avril 3n. de (*) Ce ère.
notre qui indique pour date l'année 3a6
(***) Maximin, vaincu par Licinius, mou-
rut vers août 3i3; Licinius lui-même fut (**) En l'année 335 , deux ans avant sa
mort
dépouillé par Constantin à la fin de 3a3.
AFRIQUE ANCIENNE. 131
brés pour former un royaume à An- gation mutuelle entre collègues. Aussi
nibalien, et d'autre part la Thrace, les aperçus géographiques de l'empire
qui fut jointe à la Grèce démembrée de romain qui nous sont fournis par Sex-
tus Rufus sous Valens et Valentinien,
l'Illyrie , pour constituer le départe-
ment de Delmace; la préfecture d'Ita- par Ammien Marcellin et par la No-
tice des Provinces sous Théodose le
lie s'augmenta au contraire du reste
de celle d'Illyrie, pour devenir le lot de Grand et Valentinien le Jeune, le re-
Constant. Mais à la mort de Constan- présentent comme un seul tout, sub-
tin le Grand , cet ordre fut encore divisé en provinces. La Notice y
bouleversé , et pendant que Constan- compte cent treize provinces, renfer-
tin le jeune et Constant se disputaient mées dans onze régions ou diocèses ;
l'Italie et l'Afrique, Constance repre- la région d'Egypte y figure pour six
nait tout l'Orient et la Thrace ; puis , provinces, parmi lesquelles sont énu-
quand il alla combattre les tyrans qui mérées la Libye Aride {Libya Sicca\
s'étaient élevés en Occident à la place c'est-à-dire la Marmarique, et la Li-
de ses frères, il laissa le gouvernement bye Pentapole, c'est-à-dire la Cyré-
naïque.
supérieur de l'Orient à son jeune cou- SÉPARATION DES DEUX EMPIRES A
sin Gallus , avec le titre de César (*) LA MORT DE THÉODOSE LE GRAND.
et Lucilianus pour maître de la mi-
lice, indépendamment des préfets du — Après la mort de Théodose, au con-
prétoire entre les mains desquels se traire, iyl eut désormais deux empires
trouvait l'administration réelle, et dont bien distincts, conservant, il est vrai,
il se réservait la nomination; mais une organisation similaire, mais non
trois ans après, Gallus ayant été mis plus commune. C'est le tableau de
à mort par ordre de Constance, tout cette organisation qui nous est donné,
l'empire se trouva réuni de nouveau pour chacun des deux empires, par la
sous un même sceptre. Au milieu de Notice des Dignités, où nous allons
ces changements , la Pentapole et la relever les indications spéciales qui
concernent la Libye.
Marmarique n'avaient cessé d'apparte-
nir directement à Constance que pen- L'empire d'Orient était divisé en
dant le règne transitoire du césar deux préfectures du prétoire, celle d'O-
Gallus. rient et celle d'Illyrie. La première
RÈGNE DE VALENS ET DE ThÉO- comprenait cinq diocèses, savoir , l'E-
dose
donné leà Valentinien
Grand. — Quand l'empire
(en 364), fut
on sait gyptel'Orient
, , l'Asie , le Pont et la
Thrace, dontles quatre derniers étaient
qu'il le partagea avec son frère Valens, gouvernés par des vice-préfets, tandis
à qui il céda tout l'Orient, dont les deux que le gouverneur du diocèse d'Egypte
provinces libyennes formaient invaria- avait le titre particulier de préfet au-
blement une dépendance; et si Théodose gustal : six provinces se trouvaient
le Grand, qui succéda à Valens (en 379), dans sa circonscription, savoir , la Li-
parvint à réunir encore une fois en bye supérieure répondant à l'ancienne
ses mains tout l'empire, ce fut pour Cyrénaïque, la Libye inférieure ré-
en consommer le partage irrévocable pondant àla Marmarique, l'Egypte
(en 395) entre ses deux fils, Arcadius
propre, la Thébaïde, l'Arcadie,et l'Au-
qui eut l'Orient, et Honorius qui eut gustamnique; sauf l'Egypte propre,
l'Occident. Jusqu'alors il n'y avait eu, directement régie avec le titre de pro-
à proprement parler, qu'un seul et vince consulaire par le préfet augus-
même empire, possédé à la fois par tal lui-même, toutes ces provinces
deux ou plusieurs empereurs, dont avaient chacune un commandant titré
chacun exerçait plus spécialement son de prises, ayant, pour l'expédition
autorité dans une circonscription dé- des affaires administratives et judi-
terminée, mais par une sorte de délé- ciaires, des bureaux dirigés par un pre-
mier commis.
(*) Le i5 mars 35 1. Le commandement militaire, 9. qui
132 L'UNIVERS.
depuis Constantin le Grand demeurait que des autres documents que nous
tout à fait séparé du gouvernement possédons, laissent fort obscur pour
politique, appartenait, en chef, sous nous; et grande est la divergence des
les ordres immédiats de l'empereur, critiques qui ont voulu l'expliquer, les
à des grands-maîtres ou colonels-gé- uns supposant le retrait, absolu des
néraux, deux pour la garde impériale, troupes régulières de toute la Libye,
toujours présents à la cour, et trois ou au moins de la Cyrénaïque, les au-
pour tres la coexistence d'un gouverneur
chacun lesonreste de l'armée
autorité , exerçant
dans une grande civil et d'un commandant militaire
division militaire, comme l'Orient, la dans la Pentapole, d'autres encore la
Thrace ou l'Illyrie. Parallèlement à réunion des pouvoirs civils et mili-
eux, un grand-maître des offices ou taires en une seule main(*). Quoi qu'il
intendant-général avait dans ses at- en soit à cet égard, des modifications
tributions les services administratifs avaient eu lieu, qui excitaient le dé-
de l'armée et la juridiction militaire plaisir de Synésios, et lui avaient fait
supérieure. Chaque grande division se réclamer, quoique en vain, le retour à
partageait en plusieurs subdivisions, l'organisation ancienne.
attribuées à des généraux de divers
rangs, les plus élevés en grade ayant Cinquième période , règnes oVArca-
le titre de comte, les autres celui de dius et de Théodose le Jeune :
duc; trois de ces généraux étaient af- Époque de Synésios.
fectés au diocèse d'Egypte, savoir , un Commencements de Synésios.
comte d'Egypte, un duc de Thébaïde, — Nous venons de prononcer un nom
et un duc de Libye.
Création d'un duc de Libye. qui tient une place d'honneur dans
— Dans le principe, il n'y avait, pour l'histoire de la Cyrénaïque à cette
époque: Synésios nous présente, au
la défense de tout le diocèse d'Egypte, milieu des calamités qui désolèrent sa
qu'un seul duc, dont l'institution, sous patrie, une de ces belles figures que
ce titre ou sous un autre, paraît re-
grandit encore la petitesse dès person-
monter au règne même d'Auguste; nages qui occupent la scène autour de
puis on voit, au temps de Gallien, en lui. Il nous faut consacrer ici à ce
l'année 265, figurer dans l'histoire du nom célèbre une page spéciale.
tyran Celsus par Trébellius Pollio, un
duc de Libye, Fabius Pompeïanus, qui Issu de la race royale des Eurysthé-
s'était prononcé pour cet empereur (*) La première de ces opinions est ex-
éphémère : mais quelque doute peut posée par Marcus, dans ses additions à
s'élever sur l'exactitude de cette dési- la Géographie de Mannert ; elle n'est que
gnationil; est plus sûr de ne rappor- spécieuse, et accompagnée de notables er-
reurs. La seconde est professée par le savant
ter qu'au règne de Valens la création
des ducs de Thébaïde et de Libye, aux Tillemont, qui cependant n'a pas été suivi
sur ce point par Lebeau , son paraphraste
dépens des attributions du duc d'E- ordinaire ; mais Lebeau a certainement con-
gypte, que l'on consola de ce démem- fondu des indications très-distinctes, et l'on
comte. brement en l'élevant au rang de
peut s'étonner que Saint-Martin , son der-
Le duc de Libye, qui avait son quar- nier éditeurTillemont
confusion. critique, nous
n'ait semble
pas relevé
donccette
ici
tier-général àParétonion, paraît avoir le meilleur guide à suivre, et c'est en nous
été, dans l'origine, chargé de la dé- aidant de son jugement à la fois perspicace,
fense de toute la Libye, c'est-à-dire consciencieux et sûr, que nous avons pu
de la Cyrénaïque et de la Marmarique cheminer dans le labyrinthe des données
ensemble ; mais il y eut, à cet égard , historiques éparpillées dans le recueil désor-
quelque changement donné des écrits de Synésios. Notre con-
lacune dans le seul notable,
exemplaire qu'une
qui fiance n'a cependant point été aveugle, et
nous soit parvenu de la Notice des nous avons osé, sur quelques points, avoir
une opinion différente de la sienne.
Dignités, et l'insuffisance ou l'équivo-
AFRIQUE ANCIENNE. 133
« quoi j'ai écrit quelques lettres trai- ger ,d'autres mangeaient plus tôt ,
« tant la question sous le rapport du et quelques-uns dès le soir du samedi.
« dogme , et je vous en envoie les co- Le saint patriarche
« pies. » En effet . quelques évêques rance de ceux qui se blâme
hâtent l'intempé-
trop , loue
avaient adopté les idées de Sabellius , le courage de ceux qui tiennent bon
et leur opinion avait tellement pré- jusqu'à la quatrième veille, et ne
valu,que l'on ne prêchait presque trouve d'ailleurs rien à redire à ce
plus le mystère de l'incarnation de qu'on cède au besoin du sommeil,
Jésus-Christ ; saint Denis, en pasteur tandis que les plus fervents passaient
diligent, les avait exhortés à quitter la nuit entière sans dormir. « Vous
leur erreur ; mais ils n'en avaient rien « nous avez fait ces questions , mon
fait, et s'étaient imprudemment enga- « cher fils, » disait -il en terminant,
gés plus avant dans leur impiété ; et « non par ignorance , mais pour nous
c'est pour « faire honneur et entretenir la con-
triarche ce motif que
avait adressé le saint pa-
à Ammonius de
« corde ; et moi , j'ai déclaré ma pen-
Bérénice et à Euphranor une lettre « sée, non pour faire le docteur, mais
spéciale , où il rappelait les témoigna- « pour user de la simplicité avec la-
en ce qui touche l'hu- « quelle nous devons parler ensemble. »
ges évangéliques
manité de Jésus-Christ , afin de mon- Cette lettre à Basilides a toujours été
trer que ce n'est pas le Père , mais le regardée,
comme uneparépître les canonique
églises d'Orient,
faisant
Fils
et lesquiamener s'est ensuite
fait homme pour nous,
à la connaissance règle en matière de discipline. Deux
de la divinité du Fils. Mais, ainsi qu'il écrivains ecclésiastiques du douzième
arrive souvent dans les discussions, en siècle, Zonare et le canoniste Théodore
voulant combattre l'unité de personne Balzamon, ont recueilli quelques frag-
prêchée par Sabellius, saint Denis, ments de Basilides lui-même.
dans sa lettre à Euphranor et Ammo- Premiers évêques de la Cyré-
nius avait
, un peu forcé l'expression naique. — Le titre d'évêque de la Pen-
des arguments propres à établir la tapole, que portait Basilides, ne doit
distinction du Père et du Fils ; si bien
point nous induire à penser qu'il n'y eût
que des fidèles scrupuleux crurent alors qu'un seul évêque pour toute la
trouver dans cet écrit des assertions Pentapole, puisque nous avons déjà
contraires à la consubstantialité des rencontré aussi le nom d'Ammonius
deux personnes divines, et signa- évêque de Bérénice ; peut-être le pre-
lèrent au pape l'erreur prétendue du mier s'intitulait -il ainsi, parce que le
patriarche; ce fut, pour celui-ci, l'oc- siège de Ptolémais, qu'il occupait,
casion d'adresser à saint Denis, évêque était le principal de la Pentapole, et
de Rome et successeur de Sixte II, lui donnait, en quelque sorte, la qua-
une nouvelle lettre, accompagnée d'un lité de métropolitain. Il y a lieu de
traité apologétique où il se justifiait croire que , même sans remonter plus
pleinement de la fausse interprétation haut que le patriarche Démétrius, plu-
donnée à ses paroles. sieurs évêchés furent simultanément
Épitre canonique a Basiltdes établis dans la Cyrénaïque , bien que
de Ptolémais. — Une autre lettre nous n'ayons trouvé jusqu'ici d'indices
de saint Denis d'Alexandrie nous formels que pour Bérénice et Pto-
fait connaître le nom de Basil ides , lémaïs.
évêque de Ptolémais , ou comme on Les martyrologes nous désignent
disait alors, évêque de la Pentapole, ensuite , à la date du 4 juillet , Théo-
qui l'avait consulté sur plusieurs dore, évêque de Cyrène, comme ayant
points de discipline, notamment sur péri dans les tortures au temps de la
l'heure à laquelle on pouvait rom- persécution de Dioclétien , en l'année
pre le jeûne le jour de Pâques; les 302; et sous la date du 26 mars, un
uns attendaient le chant du coq après autre Théodore, évêque de Ptolémais,
avoir passé tout le samedi sans man- qui fut martyrisé avec le diacre Irénée
144 L'UNIVERS.
et les lecteurs Sérapion et Ammonius, lui , en telle sorte qu'il y avait distinc-
peut-être à la même époque, peut-être tion, non-seulement de personne, mais
seulement sous le règne de Licinius, aussi de substance. Cet enseignement,
vers 319, comme on pourrait le con- bien que renfermé dans son église, fit
clure des annales d'Eutychius , où se des prosélytes et entraîna plusieurs
trouve indiqué, sous ce prince, le mar- des prêtres les plus distingués d'A-
tyre de Théodore chevalier, et du mé- lexandrie; mais d'autres résistèrent,
tropolitain deBarkè , sans désigna- Ja controverse naquit, et le patriarche
tion plus précise de celui-ci ; il nous assembla dans sa métropole, en 320,
suffit de rappeler, quant à ce dernier, un synode, où fut anathématisée l'hé-
que Ptolémaïs était alors la métropole résie nouvelle, et son auteur excom-
de la province, et qu'elle portait dans munié avec neuf diacres qui parta-
l'origine le nom de Barkè. geaient son erreur. La lettre synodale
adressée au patriarche d'Antioche et
Le Libyen Jrius et son hérésie. à quelques autres évêques , pour les
instruire de cette décision, portait que
Naissance et progrès de l'hé- nombre d'évêques de l'Egypte, de la
résie d'Arius. — Bientôt éclata l'hé- Thébaïde, de la Libye, de la Penta-
résied'Arius. C'était, suivant ,1e portrait pole et de diverses autres provinces y
que nous a laisséde lui saintÉpiphanes, avaient adhéré par leurs lettres.
un Libyen déjà âgé, à la taille élevée, au Mais l'hérésie , loin d'en être abat-
maintien austère, au costume simple, tue, se propageait au contraire au de-
au visage mélancolique et grave, à la dans et au dehors. Secundus, évêque
voix douce et persuasive. Fait diacre de la Pentapole, c'est-à-dire de Ptolé-
sous le patriarcat de saint Pierre maïs, etThéonas, évêque de Marma-
successeur de saint Denis, il avait eu rique, c'est-à-dire peut-être de Darnis,
discussion avec son évêque en prenant l'adoptèrent avec éclat ; et le patriar-
le parti de Mélétius de Panopolis con- che assembla en 321 un nouveau sy-
tre les rigueurs qui avaient déterminé
node des évêques d'Egypte et de Li-
le schisme de celui-ci. Saint Achillas, bye, au nombre de près de cent
successeur de saint Pierre, n'en avait disent les historiens, pour anathéma-
pas moins élevé Arius à la prêtrise, tiser de nouveau Arius et ses adhé-
lui donnant même la direction de l'é- rents, et avec ceux-ci les évêques Se-
glise deBoukolion, l'une des paroisses cundus etThéonas. Des prêtres et des
d'Alexandrie. Arius, s'il en faut croire diacres d'Alexandrie et de la Maréo-
ses ennemis, prétendait à l'épiscopat, tide demandèrent à être compris dans
et ne put pardonnera saint Alexandre la même sentence , et Arius , se reti-
de lui être préféré pour succéder à
rant en Palestine, se vit à la tête d'un
saint Achillas (en 313); d'autres, au parti nombreux, où tenait le premier
contraire, assurent qu'Alexandre ne rang Eusèbe de Nicomédie.
Rescrit de Constantin pour la
lut
rius. nommé que par l'influence d'A-
pacification de l'Église. — Les
Alexandre, en prêchant à son clergé, choses en vinrent à ce point, que l'em-
et aux autres fidèles le mystère de la
pereurtervenir :illui-même
écrivit sentit le besoin d'in-
à Alexandre et à
Trinité, parut àentraîner
rius se laisser l'esprit prévenu d'A-
au sabellia- Arius une lettre commune, dans la-
nisme; et le prêtre ardent , comme quelle, au milieu de développements
autrefois saint Denis d'Alexandrie, étendus, il leur disait en substance :
prêchant à son tour contre cette er- « J'ai résolu , avec l'aide de la Pro-
reur, tomba dans l'excès contraire , et « vidence divine, de me constituer vo-
enseigna que, loin de n'admettre en « tre arbitre et votre médiateur, et de
Dieu qu'une seule personne, il fallait « vous rappeler à des sentiments plus
bien reconnaître que le Père étant le « sages et plus modérés. Je dirai donc
créateur du Fils, avait dû exister avant « avant tout que toi , Alexandre , tu
AFRIQUE ANCIENNE. 145
« as été la cause première de tout le « mon empire, aussi tranquilles et aussi
« mal, par ton imprudence à proposer « heureux qu'autrefois, et que je puisse
« à tes prêtres des questions subtiles « rendre à Dieu, pour la bonne har-
« et vaines sur divers passages du texte « monie, la prospérité et la liberté de
« de notre loi ; et que toi , Arius, tu « tous, le tribut de grâces et de louan-
« as indiscrètement manifesté une opi- te ges qui lui est si légitimement dû. »
« nion que tu ne devais point avoir, Osius, évêque de Cordoue, en qui
« ou que du moins tu devais cacher l'empereur avait toute confiance, fut
« avec grand soin: c'est de ces fautes chargé de remettre ces lettres et d'en
« qu'est née entre vous deux la dis- suivre l'effet ; il se rendit à Alexan-
« corde qui trouble votre Église. Mais drie et y convoqua (en 324 ), de con-
« tout pouvait être réparé; au lieu de cert avec le patriarche, un synode, où
« cela, vous avez refusé de vous con- se réunirent, dit-on, plus de deux
te certer, de vous entendre; vous avez cents évéques, tant de l'Egypte que de
« rompu toute communion religieuse la Libye; et il tenta tous les efforts
« entre vous; et le peuple des fidèles, imaginables pour amener une récon-
ciliation; mais ses tentatives furent
«. à votre exemple, s'est séparé en deux
« partis, et a détruit l'unité de l'Église vaines, et il vint rendre compte à
« par un schisme déplorable. — Mais, Constantin de l'inutilité de sa mis-
« puisque le mal est fait, pardonnez- sion. Alors, sur le conseil des évéques
« vous mutuellement, tant la demande les plus influents, l'empereur résolut
« inconsidérée de l'un que la réponse de convoquer un concile écuménique,
« imprudente de l'autre. Il ne s'agit c'est-à-dire de réunir en une seule as-
« pas entre vous de quelque point semblée tous les prélats de l'écumène
« principal de la loi nouvelle, ou d'un ou de la terre habitée, premier exem-
« dogme qu'on veuille inventer puur ple d'une réunion générale de toute
« l'ajouter à la somme des articles de l'Église chrétienne.
Concile général de Nicée, qui
« notre foi ; vous professez tous deux
« une seule et même opinion sur le condamne Arius. — Des lettres im-
« culte de la divinité ; à tous deux donc périales furent en conséquence en-
« il doit être facile de vivre dans la voyées dans toutes les provinces; Ni-
« même communion religieuse. — L'u- cée fut désignée pour le lieu du
« niformité en tout est impossible; rendez-vous, et les relais de l'empire
«« dans
elle n'existe ni dans des
les volontés, furent mis à la disposition des évéques
les caractères hommes : niil
et des prêtres convoqués. S'il en fal-
« doit suffire que vous soyez parfaite-
cette laitconvocationcroire les Annales d'Eutychius,
aurait amené à Nicée
«« avez
ment end'accord
Dieu et sur
danslalafoiProvidence
que vous
deux mille quarante-huit évéques, tous
« divine ; et si désormais quelque nou- divisés d'opinions et de croyances; mais
« velle question venait à s'élever entre probablement les simples prêtres et les
« vous sur des choses d'un moindre autres clercs sont compris dans ce chif-
« intérêt, ensevelissez-la soigneuse- fre, et l'on doit penser que le nombre
« ment au fond de votre cœur, et ne des évéques était seulement de trois
« vous attachez qu'à conserver là cha- cent dix-huit, suivant le compte admis
par la tradition la plus répandue.
« rite mutuelle, la vérité de la croyan-
te ce, et l'observation des préceptes de Après quelques conférences particu-
« Dieu et de la loi. Croyez-m'en : ai- lières, leconcile s'ouvrit le 19 juin 325,
« mez-vous de nouveau les uns les au- sous la présidence de l'empereur en per-
« très; faites que tout le peuple, sans sonne, dans une des salles de son palais.
« exception, puisse, comme de cou- Arius et ses partisans furent entendus,
« tume, donner et recevoir le baiser et malgré leur opposition la consubstan-
« de paix. — Faites, je vous en con- tialité du Fils avec le Père fut recon-
« jure, que je puisse bientôt vous re- nue et proclamée, et l'on adopta 10 corn
« voir, ainsi que tous les peuples de me sacramentel le mot destiné à expri-
10e Livraison. (Afrique ancienne.)
146 L'UNIVERS.
mer ce dogme. La majorité futénorme, Avant de se séparer, les Pères du
et les évêques ariens qui rejetèrent le concile écrivirent une épître synodale,
symbole de foi rédigé par elle se rédui- adressée principalement à l'église d'A-
saientdix-sept,
à parmi lesquels étaient lexandrie età tous les fidèles de l'E-
Secundus de la Pentapole, Théonas de gypte, de la Libye et de la Pentapole,
la Marmarique, Secundus de Theuchi- comme plus directement intéressés
ra, Dathès de Bérénice, Sentianus de dans la question, et en général à tou-
Borion, Zéphyrios de Barkè. La dis- tes les églises de la terre, afin de leur
cussion etdes considérations diverses notifier les décisions de l'assemblée,
réduisirent bientôt le nombre de dix- l'excommunication et l'exil d'Arius, de
sept à cinq seulement, savoir : Secun- Secundus et deThéonas. Saint Alexan-
dus de la Pentapole , Théonas de la dre, patriarche d'Alexandrie , et le
Marmarique, Eusèbe de Nicomédie, grand saint Athanase qui était alors
Théognis de Nicée , et Maris de Cal- son archidiacre, furent chargés de
cédoine mais
; ces trois derniers ne ré- promulguer cette épître dans leur dio-
cèse.
sistèrent pasà des menaces de déposi-
tion et d'exil, et en définitive Secun- RÉHABILITATION ET MORT D'A-
dus et Théonas restèrent seuls entre RIUS.— Mais cet acte solemnel, qui sem-
tous les évêques , fermes dans la cause blait devoir anéantir l'arianisme, fut
d'Arius. Titus de Parétonion et Sé- loin de le déraciner : Eusèbe de Nicomé-
die et Théognis de Nicée retirèrent leur
rapion d'Antiphra s'étaient rangés, signature, et se laissèrent déposer et
dès le principe, de l'avis de la majorité.
L'assemblée arrêta vingt canons re- exiler pour la cause d'Arius; plus
latifs àla discipline , dont le sixième, tard, à la prière de Constantia sœur
concernant principalement l'ordina- de l'empereur, les deux évêques et
tion des évêques, rappelait les ancien- Arius lui-même furent rappelés; et
bientôt la rigidité de saint Athanase,
nes coutumes établies dans l'Egypte,
la Libye et la Pentapole, où l'évêque devenu patriarche d'Alexandrie par
d'Alexandrie avait l'autorité exclusive, surprise, au dire de Philostorge, aigrrt
de telle sorte que, nul évêque ne pou- contre lui Constantin, au point que la
vant, en général, être institué dans une sentence portée au concile de Nicée ne
lui parut plus incontestablement juste,
province'qu'avecil fallait
métropolitain, le consentement
en outre ici dule et qu'un nouveau concile fut convoqué
consentement de l'évêque supérieur, à Tyr en 335, dix ans précisément après
patriarche, ou pape, auquel étaient celui de Nicée. On y vit des évêques
subordonnées en commun les diverses
de Macédoinede etdePannonie;
d'Egypte, Libye, de tout ilsl'Orient,
étaient
provinces que nous venons de dési-
nombreux, et la plupart ariens; ils
gner (*).
n'avaient pas terminé leurs opérations
(*) « Antiqua consuetudo servetur in quand une lettre impériale les invita
« jEgypto, Libyâ et Pentapoli, ul Alexan- à se transporter à Jérusalem pour y
« drinus episcopus horum omnium habeat assister à la dédicace de l'église du
« potestatem. » Saint-Sépulcre, qui eut lieu le 13 sep-
L'édition arabe des canons du même tembre. Arius et tous les siens furent
concile nous a conservé, sous le nombre 3g,
reçus Athanase
saint à la communion
condamné deet l'Église,
déposé,
le' renseignement suivant, curieux pour l'his-
toire de l'ancienne hiérarchie des églises et bientôt après exilé à Trêves par
d'Orient : Constantin , et Pistus ordonné à sa
« Consideret Patriarcha quœ Archiepis-
« copi et Episcopi ejus in provinciis suis place évêque d'Alexandrie, par Secun-
dus de Ptolémaïs. Une lettre synodale
«faciunt, et si quid reperiat secùs quàm
« oporteat, factum mutet, et disponat ut « curam habet fratrum suorum , et ei debent
« sibi videbitur, siquidem ipse est pater « obedientiam quià praeest , est tamen Pa-
««omnium; et quamvis sit Archiepiscopus « triarcha loco patris, sub cujus doininatu.
« in Episcopos tanquam frater major qui « ac potestate sunt filii ejus, n
AFRIQUE ANCIENNE. 147
i -h sog ■■■■ ■
SECONDE PARTIE.
LA RÉGION COMPRENANT
D'AFRIQUE
L'AFRFQUE PROPRE, LA NUMIDIE
ET LES MAURITANIES.
IP TION RALE
DESCR GÉNÉ
I. GEOGRAPHIE PHYSIQUE. Ier.
§ cette acception intermédiaire, où il
Étendue et limites. ne s'agit ni de toute l'Afrique connue
des anciens, ni de la seule Afrique
Bornes générales. — Ainsi que propre distincte de la Numidie et des
nous l'avons dit au début de ce livre , Mauritanies, mais bien de la vaste
le nom d'Afrique fut d'abord restreint région frique
à laquelle
à la colonie pbénicienne concentrée était donnéce par
mêmeopposition
nom d'A-à
sur l'emplacement de Carthage; puis il celui de Libye, c'est-à-dire de l'en-
s'étendit avec elle dans les environs, et semble des contrées se succédant d'est
gagnant de proche en proche, il désigna en ouest depuis les Autels des Philènes
successivement une petite province , jusqu'à l'extrême occident , et sur les-
puis une province plus grande, puis quelles l'évêque de Carthage étendait
toutes les possessions puniques dans son bâton pastoral à titre de primat.
leur plus grand développement , puis Limites a l'est et au nord. —
enfin tout le continent où elles étaient Cette région avait pour limite orientale
assises.
la Libye propre, et le désert ultérieur
De cette diversité d'étendue terri- jusqu'à l'Ethiopie au-dessus de l'Egypte.
toriale que représente tour à tour la Au nord , elle étendait sur la Médi-
dénomination d'Afrique, il résulte un terranée de longs rivages onduleux,
certain embarras dans l'emploi que où le cap des Trières (Tpir,où)v) et celui
nous en voulons faire ici. Dans son
qu'on appelait les Têtes (xecpaXoù) suc-
acception la plus large au point de vue cédaient ensemble à l'enfoncement de
de l'antiquité classique, elle désigne la grande Syrte, tandis qu'un peu plus
le sujet de tout ce volume ; dans son loin celui de Zitha et celui qui tirait
acception étroite , au contraire , elle son nom des bas-fonds adjacents (*),
reste attachée au domaine politique de
Carthage, auquel est consacrée une (*) BpocxwÔY); àxpa chez les Grecs, Caput
section importante dans la suite de ce vacla chez les Romains.
travail. Paur le présent, il nous faut «,,.,. quos nomine porta?
160 L'UNIVERS.
idée ble
aussi des du littoral et des Gétuies de l'inté-
phase nette
sous que précisese d'une
laquelle dou-à
présente rieur, Hérodote laisse en dehors de ses
nous la distribution des populations descriptions les Gétuies et les Numi-
antiques qui se partagèrent le sol afri- des, et à plus forte raison les Maures
cain. relégués au delà des Numides. Pour
D'abord apparaissent soûles, inéga- lui l'Afrique n'a que deux peuples in-
lement réparties sur une triple zone, digènesles
: Libyens surja côte, et
trois races distinctes entre elles, sa- derrière eux, au loin, les Éthiopiens.
voir :d'un bout à l'autre de la plage Quant aux Libyens, ils sont noma-
qui borde la Méditerranée, les Libyens ; des depuis l'Egypte jusqu'au fleuve
derrière eux à l'intérieur, mais sur la Triton, qui s'écoule dans la petite Syrte;
moitié occidentale seulement, les Gé- au delà du Triton ils sont agriculteurs.
tules; et plus loin encore, à une pro- Notre examen doit se borner ici aux
fondeur inconnue, les Éthiopiens brû- contrées qui s'étendent à l'ouest de la
lés par le soleil. grande Syrte , où s'arrêtaient les Na-
Plus tard, blissement aprèsdéfinitif
l'arrivée et l'éta-
des débris de samons : c'est de là que nous allons
reprendre
Nomadesle récit de l'historien
du littoral. — grec.
« Sur
l'armée d'Hercule , la triple zone de
peuples existe toujours il est vrai, mais les bords de la mer, à l'ouest des
la composition en est changée : les Nasamorrs , habitent les Makes , qui
se rasent les cheveux autour de la
Éthiopiens sont restés à l'horizon ex-
trême ou nous les avions aperçus ; les tête
Gélules sont demeurés également les touffe etsurnele laissent vertex ; croître
pour la qu'une,
guerre
maîtres de l'intérieur en avant des ils se cuirassent de peaux d'autruches.
Éthiopiens, sauf peut-être à recon- C'est dans leur pays que débouche à
naître parmi eux, sous le nom de la mer le Cinyps, venant des coteaux
Pharousiens et de Pérorses, quelques qui portent le nom des Grâces, situés
Persans qui s'étaient conservés sans à deux cents stades de la côte, et cou-
mélange; mais sur le littoral, les Mau- verts de bocages épais, tandis que le
res, postérité des IVIèdes et des Armé- reste de l'Afrique,
tièrement déboisé. à l'orient, est en-
niens suivant Salluste. ou des Indiens
au dire de Strabon , mêlée aux Libyens «Près des Makes sont les Gindanes,
occidentaux, occupent la région la plus dont les femmes portent chacune, au-
rapprochée de THispanie ; à côté d'eux, tour de la cheville du pied, autant de
les Numides, nés du mélange des Per- lanières de cuir qu'elle a eu d'amants;
ses et des Gétuies, ont subjugué les et celle qui en compte davantage est
cantons qui s'étendent sur la mer Sar- la plus considérée , comme ayant mé-
do-Tyrrhenienne; et la plage orientale rité les suffrages du plus grand nom-
seule est restée aux Libyens primitifs. bre d'hommes.
Il serait fort délicat d'assigner une « Le rivage de la mer, en avant du
date absolue à ces changements : nous pays des Gindanes, est habité par les
ne l'essayerons point. Salluste les sup-^ Lotophages , qui ne vivent que de
fruits de lotos , lesquels ressemblent
pose^ antérieurs à l'arrivée des colo-' par la grosseur à ceux du lentisque ,
nies' phéniciennes : c'est
monter àseize siècles au les faireavant
moins re- par le goût à ceux du palmier, et dont
notre ère. ils font aussi du vin.
« Aux Lotophages confinent , le
État des populations indigènes au long de la mer, les Machlyes, qui eux-
temps d'Hérodote. mêmes font pareillement usage de
lotos , mais beaucoup moins que les
Le père de l'histoire, dont les con- premiers; ils s'étendent jusqu'au grand
nais ances dedétail sur l'Afrique pa- fleuve appelé Triton , qui se jette dans
raissent atteindre tout au plus la limite
où commençait le domaine des Numi- le grand
mée Phla.lac Tritonide où est l'île nom-
168 L'UNIVERS.
muler qu'aucune de ces preuves prise tels des Philènes et au delà, côtoyait
isolément n'est irréfragable. La tra- la mer en suivant à peu près toutes
dition altère quelquefois le fait le les sinuosités du rivage. Elle se parta-
mieux constaté : n'est-ce point la tra- geait en deux moitiés inégales , dont
dition qui , en forgeant le nom de Carthage marquait la séparation, et
bataille de Zama pour la fameuse ren- qui étaient en outre, l'une et l'autre,
contre où Scipion Émilien vainquit coupées parmédiaires, lpremière
Annibal, a fait chercher sur ce champ ades pointsen d'arrêt inter-
sept portions
de bataille la ville royale de Zama qui successives , la seconde en trois : en
en est éloignée de plusieurs journées ? voici la série entière :
La ressemblance des noms est trom- Tingis
1. Du; poste de Mercurios jusqu'à
peuse aussi quelquefois , et si elle ne
laisse aucun doute pour certains points 2. De Tingis à Rusadder;
incontestables, n'a-t-elle pas offert de 3. De Rusadder à Césarée de Mau-
ritanie;
fausses lueurs à ceux, par exemple ,
qui dans Gézâyr (Alger) croyaient re- 4. De Césarée à Saldes ;
5. De Saldes à Rusiccade ;
Gemellse trouverdans Césarée, ou bien Gemmileh
la moderne l'ancienne
6. De Rusiccade à Hippone Royale;
que les inscriptions désignent comme 7. D'Hippone Royale à Carthage;
répondant en réalité à Cuiculum? Les 8. De Carthage à ïhènes ;
inscriptions néanmoins ne procurent 9. De Thènes à la Grande Leptis;
pas plus de certitude : non-seulement 10. De la Grande Leptis aux Autels
elles sont quelquefois matériellement des Philènes.
déplacées, mais on en trouve aussi qui Route depuisMercurtos jusqu'à
ont été consacrées en un lieu éloigné Rusadder. — La première de ces rou-
de celui au nom duquel elles sont fai- tes partielles avait son point de départ
tes; ainsi Rusgunia est nommée dans au poste de Mercurios, c'est-à-dire a la
une inscription à Hamzah, et Rusic- pointe d'Hermès ou du petit Atlas, et
ende dans une inscription de Constan- son point d'arrivée à Tingis, décorée par
tine. C'est par une intelligente combi- l'empereur Claude du titre de colonie
naison de tous ces divers éléments de et du surnom de Julia Traducta, à la
conviction que l'on arrive plus sûre-
ment àla vérité. place de laquelle s'élève la moderne
Thangeh; la route passait d'abord à
C'est sous l'influence de ces préoc- Sala, dont le nom est resté à la ville
cupations que doivent être examinées de Salé; plus loin à Banasa, colonie
et comparées les voies décrites par les d'Auguste,
routiers anciens, et les cartes dressées les cartes desurnommée Valentia,
Ptolémée nous dont
montrent
par les géographes modernes. Les dis- que la position n'était point tout à
cussions scientifiques auxquelles cet fait littorale; puis à Lix ou Lixos, cé-
examen comparatif peut donner lieu, lèbre par les fabuleuses relations de
ne sauraient trouver place ici : nous l'antiquité qui y plaçaient le palais
nous contenterons de présenter en d'Antée et le jardin des Hespérides ,
raccourci le tableau des routes ancien- érigée en colonie par l'empereur Claude,
nes, avec l'indication des positions et représentée aujourd'hui par El-
modernes qui offrent, à l'égard des 'Arâysch, à l'embouchure du fleuve
principales villes, les correspondances Aoufkos (*); ensuite à Zilis ou Zilia,
les moins contestables ou les plus
plausibles. (*) Nous préférons écrire Thangeh , El-
'Aràysch, Aoulkos , Sebthah , plutôt que
Tanger, Larache, Luccos, Ceuta, parce que
Grande route du littoral.
l'exactitude nous paraît devoir l'emporter
sur la corruption d'orthographe. Jl est des
Prenons d'abord la grande voie lit- gens dont la prononciation transforme,
torale qui de l'extrémité occidentale comme on sait, Shakspeare , shut the door,
de la province Tingitane jusqu'aux Au- en chat qui expire , chat qui dort; est-ce un
175
AFRIQUE ANCIENNE.
autre colonie d'Auguste, nommée plus D'un autre côté, les Trois-Iles, et
tard Julia Constantia, et dont la mo- le fleuve Malua, qui marquent les deux
derne Azylah retient la place et le premières étapes à partir de Rusadder,
nom. sont bien reconnus pour les trois îles
La seconde fraction de route se
ainsi Gja'faryn
des et le fleuvede Malouyah
les deux extrémités cette route :
poursuivait depuis Tingis jusqu'à Rus- sont bien déterminées; mais toutes
adder, colonie d'origine assez récente, les stations intermédiaires le sont fort
dont l'emplacement paraît répondre
à celui de Mélylah ; dans l'intervalle, peu, à raison tinéraire avecdeleslacartes
discordance de l'I-
de Ptolémée,
nous ne trouvons d'autre point digne
d'être signalé ici, que les Sept frères en outre d'une grande lacune que laisse
('Eut' àSeXçoi de Ptolémée), où l'on re- en cette partie laTablePeutingérienne,
connaît par son nom la ville de Seb- et de l'insuffisance actuelle des notions
thah , que les Espagnols appellent acquises sur cette région. Ce n'est pas
Céuta. que les principaux lieux compris dans
Route deRusadder a Césabée ; cet intervalle ne figurent à la fois dans
désaccord entre l'itinéraire et le routier romain et dans la série des
les Tables dé Ptolémée. — Depuis positionsdonnées par legéographegrec;
mais leur situation relative est souvent
Kusadder jusqu'à Siga. — La troi-
sième partie de la route que nous par- inverse. Du moins ne peut-il y avoir
courons se continuait depuis Rusad- doute sur certains points : Siga , par
der, exemple, qui avait été la capitale du
sous oule Mélylah,
nom de loi, jusqu'à Césarée,
résidence des jadis
rois
indigènes, dotée du titre de colonie pays au temps de Syphax, c'est-à-dire
à l'époqueensuite
devenue des guerres puniques,
une colonie Siga
romaine
romaine par l'empereur Claude, et ca-
pitale de la province à laquelle elle ainsi que le constate Ptolémée au se-
imposa son nom. On ne doute plus cond siècle, érigée plus tard en muni-
aujourd'hui que Césarée, qu'on a cher- cipe comme nous le montre l'Itinéraire
chée tour à tour sur l'emplacement 250 ans après ; cette ville est indiquée
d'Alger et sur celui de Ténès, ne fût par ces deux autorités dans une posi-
précisément à la place occupée par la tion qui doitplacementensur lesfaire reconnaître l'em-
moderne Sc.herschel, où l'on a recueilli, bords de la Tâfnày,
dans ces dernières années, des ins- où l'on en trouve encore des restes, "h
criptions quiparaissent décisives : l'endroit même où s'était élevée, après
L. LICINIO L. FIL. QV1B la conquête musulmane, la ville mau-
SECVNDINO. DECVRIONI
resque d'Areschqoul , non loin de la-
3AESAR1ENSIVM. EQVO PVBLICO quelle les Français avaient naguère
EXORNATO SACRISQVE
LVPERCALIBVS FVNCTO établi leur par
également posteles"de la Tâfnày,
Arabes appelé
Areschqoul,
« A Lucius Licinius Secundinus , fils de
« Lucius, de la tribu Quirina, décurion des tandis que nous n'avons conservé ce
nom, défiguré en Risgoun ou Harsch-
« Césaréens, gratifié d'un cheval d'honneur,
« et ayant été chargé de la célébration des goun, qu'a la petite île voisine.
« Lupercdes. » — Depuis Siga jusqu'à Césarée.
ENIO C. F. FATALI — Le géographe alexandrin nous dé-
DECVRIONI SPLEND1DISSIMAE signe bientôt après le Portos Magnos
COLONIAE CAESARIESNS1S RELIGIOSO ou Grand Port, puis la colonie de
ANTISTITI SANCTI NVM1NIS MATRIS
Kouiza qui dans le principe était un
DEVM DENDROPHORO DIGMSSIMO
établissement étranger , ensuite le
« A ... . énius Fatalis, fils de Caius, dé- Theôn-limên ou Port des Dieux , en-
« curion de la magnifique colonie de Césa- fin la colonie d'Jrsenaria, naguère
« rée, religieux pontife de la sainte divinité ville latine, à trois milles du rivage :
« de la Mère des Dieux, digne dendrophore. »
lieux importants qui seraient repré-
motif
ridiculespourbalivernes?...
que l'orthographe se plie à ces sentés aujourd'hui respectivement par
Mersày-el-Kébyr ou le Grand Port,
176 L'UNIVERS.
par Oran, par le port et par la ville Dans l'est, l'Itinéraire indique un
d'Arzêou; mais l'Itinéraire ne peut château appelé Lar, qui peut-être fut
cadrer à ces correspondances; son bâti à Kar-kôme ou village de Kar
Portus Magnus va tomber vers Mos- mentionné 250 ans auparavant par
taghânem, bien que son Portus Divi- Ptolémée. C'est un peu plus loin que
nus coïncide avec celui d'Arzêou ; ce géographe place des Castra Ger-
tandis que son Quiza, de colonie de- manônqm semblent répondre par leur
venu municipe, et son Arsenaria, dé- dénomination aux Castra puerorum
pouillé detoute qualification, devraient de l'Itinéraire, tandis que ce dernier
être cherchés sur la côte mal connue les désigne bien auparavant , dans
à la droite du Schélif. Il semble que l'ouest, auprès d'une colonie de Gilua
l'Itinéraire ait subi quelque transpo- inconnue a Ptolémée sur la côte (*) ,
sition dont il faudrait accuser l'inad- et qui répondrait à Oran dans le tracé
vertance des copistes. de cette route. Non loin de Césarée,
La colonie de Gartenna, fondée sous Gunugi ou Kanoukkis, ancien poste
Auguste par la seconde légion, paraît, carthaginois où fut établie une colonie
dans tous les cas, représentée par la sous Auguste par une cohorte préto-
moderne Ténès, où des fouilles récentes rienne, se montre dans Ptolémée au
ont fait découvrir cette inscription : second siècle, et dans l'Itinéraire au
C. FVLCVNIO. M. F. QVIR. quatrième, sans aucune mention de
OPTATO. FLAM. AVG. II VIR. cet ancien titre colonial. On voit de
QQ. PONT1F. II VIR. AVGVR.
combien d'incertitudes sont envelop-
AED. QVESTORI. QVI. pées les notions qui nous sont parve-
1NRVPTIONE. BAQVA- nues touchant les stations que les Ro-
T1VM.
TVS.
COLON1AM.
EST.
TVI-
TESTIMONIO. mains avaient établies sur cette portion
DECRETI. ORDIN1S. ET. de côte (**).
POPVLI CARTEMSITANI.
Route depuis Césabée jusqu'à
ET. INCOLA. PHIMO* IPSI. Rusiccade, par Saldes. — Position
NEC. ANTE. VLLl.
deSatdes. — La quatrième et la cinquiè-
AERE. CONLATO.
me portionde la route littoralequinous
« A Cains Folcinius Optatus, fils de Mar- occupe, sont comprises, dans leur en-
« eus, de la tribu Quirina, flamineaugustal, semble, entre Césarée que nous savons
« dnumvii quinquennal, pontife, duumvir être Scherschel , et Rusiccade dont les
« augurai, édile, questeur; qui a préservé
ruines se voient encore au Râs Sokay-
« la colonie de l'irruption des Baquates(*); kadah près de Storah; et comme elles
« en foi d'un décret du corps municipal et
« des citoyens de Cartenna , ainsi que des sont d'égale longueur, c'est précisé-
« habitants ; à lui le premier, et à personne ment au milieu de cet intervalle que
« auparavant; par souscription. » doit se trouver la colonie de Saldes
fondée par Auguste , dont la position
(*) Le nom des Baquates , connu d'ail- a longtemps été un problème pour les
leurs par les indications de Ptolémée, de
l'Itinéraire et de Julius Honorius, figure modernes, attendu que nulle ville im-
sur cet autre monument épigraphique, déjà
publié par Marini , par Fabretti , et par (*) Si l'on se résolvait à la chercher,
Orelli, quLoffre un intérêt particulier: avec Reichard, dans l'intérieur des terres,
n. m. on pourrait alors plausiblement l'identifier
MEMORIS à la Fiyàouyi de Ptolémée.
filI (**) L'intérêt spécial et actuel que notre
avrelI
possession de l'Algérie imprime ici à notre
canarthae sujet, nous a entraîné à nous départir quel-
principis gentivm que peu du système de description et de
baqvativm narration rapides auquel est astreint l'en-
QVI VIXIT semble de notre travail. Nous n'avons pour-
ANN. XVI. tant indiqué que les sommités de la ques-
« Aux mânes de Mémor, fils d'AuréliusCanarlha,
tion de géographie comparée que donne à
« prince des Baquates, mort à seize ans. » résoudre l'étude de cette côte.
AFRIQUE ANCIENNE. 177
portante ou ancienne n'existe sur la moderne Tefesah, puis Casas, Col-
côte, à égale distance de Scherschel venti qui était peut-être sur l'em-
et de Storah ; le voyageur Shaw sup- placement deQole'yah, ensuite la co-
posa Saldes à Bougie, et le grand lonie d'Icosion, bâtie, si l'on en croit
géographe d'Anville la plaça à Tedlès : Solin,cule par
une inscription recueillie à Bougie de- qui ne vingt voulurentcompagnons
laisser à d'Her-
aucun
puis notre conquête paraît, suivant d'entre eux la gloire de lui donner son
l'interprétation de divers savants , propre nom ; elle tenait de Vespasien
donner gain de cause au voyageur an- son titre de ville latine, et l'on pense
glais; lavoici : qu'elle occupait la place actuelle d'Al-
SEX. CORNELIO.
ger, d'autant plus qu'on y a trouvé
SEX. F. ARN. DEXTRO.
PROC. ASIAE. IVRIDICO. ALE
l'inscription suivante (*) :
L. SITIO. M. F. QVIR.
X ANDRE AE. PROC. NEASPO PLOCAMIAN.
LEOS. ET. MAVSOLEI. PRAEF. ORDO.
CLASSIS. SYR. DONIS. MILITA ICOS1TANOR.
RIB. DONATO. A. DIVO. HADRI
M. SITIVS. SP. F. QVIR
ANO. OB. BELLVM. IVDAIGVM. CAECILIANVS
HASTA. PVRA. ET. VEXILLO.
PRO FILIO
PRAEF. ALAE. I. AVG. GEM. CO PIENTISS1MO
LONORVM. TRIB. LEG. VIII. AVG. H. R. I. R.
PRAEF. COH. V. RAETORVM.
PRAEF FABRUM. III. PATRONO. « A Lucius Sittius Plocamianus fils de
COLONIAE. « Maicus, de la tribu Quirina, le corps mu*
« nicipal des Icositans : Marcus Sittius Ce-
P. BLAESIVS. FELIX. C. LEG.- II. TRA
IAN. FORT. ADFINI. PIISSIMO. « cilianus fils de Spurius, de la tribu Qui-
OB. MERITA. « rina, pour le meilleur des fils, après les
« honneurs reçus, a remboursé la dépense.»
« A Sextns Cornélius Dexter, fils de Sex-
On voit, après, Rusgunia, colonie
« tus, delà tribu Arnienne, proconsul d'Asie,
« graiid jUge d'Alexandrie, procurateur de fondée par Auguste, à laquelle appar-
« la nouvelle ville et du mausolée, préfet
tiennent, dit-on, les ruines que l'on
« de la flotte de Syrie, honoré de distinc- trouve un peu au sud du cap Têmed-
te tions militaires par l'empereur Adrien fous, et d'où l'on assure qu'ont été
« pour la guerre contre les Juifs (savoir),
tirées diverses inscriptions transpor-
« d'une pique simple et d'un guidon; préfet
« de l'Aile première Augusta-Gemina des tées àAlger, entr'autres celle-ci :
« colons; tribun de la légion huitième Au- L. FADIO.
ROGATO.
L. F. QVIR.
« guste ; préfet de la cohorte cinquième des
« Rhétiens ; trois fois préfet des ouvriers ; DEC. AED. IIVIR. IIVIR.
12.
180 L'UNIVERS.
dont la moderne Qâbes conserve le par Volubilis, décorée du titre de co-
nom, dépouillé de l'article berber qui lonie postérieurement au temps de
le précède dans sa forme antique. On Ptolémée ; un embranchement qui
traversait les municipes de Gittis et était tracé sur la feuille perdue de la
de Zita et plusieurs villas, pour at- Table Peutingérienne, dont quelques
teindre lacolonie de Sabrata, que les vestiges défigurés se retrouvent dans
Arabes appelaient encore Santhbartha la compilation du cosmographe ano-
et Sabart avant que les mariniers euro- nyme de Ravenne, passait par Babba,
péens en eussent fait Tripoli vecchio érigée en colonie par Auguste, qui
ou le vieux Tripoli; après une autre lui donna le nom de Julia Campes-
tris.
villa,
ou Ea,on revêtue atteignaitdésormais
l'ancienne ducitétitre
d'Ééa
de Deux grandes etvoies,
à Rusuccurum, de là l'une de Calama
à Saldes, puis à
colonie, et représentée de nos jours
par la grande ville de Tripoli de Bar- Igilgilis, l'autre de Carthage à Césarée
barie; et après deux villas encore, on par Cirta et Sitifis, se croisant toutes
arrivait à Leptis la Grande, patrie de deux à Sufazar, formaient une grande
Septime-Sévère , et qui dut sans doute ligne continue, par l'intérieur, entre
à cet empereur son érection en colo- Carthage
la Mauritanie et l'extrémité
Césarienne. occidentale de
nie ;sonment nom ne s'est
effacé dans celuipoint entière-
de Lebedah Grande boute de Calama a Igil-
gilis par Rusuccurum et Saldes.
qu'elle porte aujourd'hui.
De Leptis aux AutelsdesPhilènes(*), — Le première, celle de Calama à Ru-
nulle station n'est digne d'être men- succurum, traversant un pays sur le-
tion ée, sice n'est peut-être celle des quel nous n'avons encore aujourd'hui,
Grandes Macomades , pour rappeler malgré les intelligentes reconnaissan-
qu'elles désignent en effet une sebkhah ces de nos officiers d'état-major, que
très-considérable. Quelques traverses des notions imparfaites, il est à peu
pouvaient, entre certaines mutations, près impossible de déterminer l'empla-
abréger le chemin, ou remédier à l'in- cement actuel d'une bonne partie des
terruption accidentelle de la grande lieux par où elle passait. Le point
voie : c'est là tout ce que nous avons de départ est lui-même un problème
à en dire, et nous le disons ici pour non encore résolu d'une manière satis-
n'y plus revenir. faisante, puisque les uns l'identifient à
A l'ouest de Leptis , au contraire , Nedromah , d'autres à un fort voisin
les traverses et les routes de l'inté- du Malouyah, les uns et les autres le
rieur méritent une attention particu- mettant ainsi à quelques lieues dans
lière, surtout en se rapprochant de les terres, d'accord en ceci avec la
Carthage, où est le véritable point cen- position qu'offrent les cartes de Pto-
tral de toutes ces lignes de communi- des Romainsléméetandis
; que l'itinéraire
semble en faire maritime
une ville
cation.
de la cote, en énonçant la distance qui
Routes de Vlntêrieur. le sépare de quelques îles voisines. Ce
n'est ici le lieu ni d'examiner ni de ré-
A l'extrême occident, une route in- soudre ces difficultés. A la quatrième
térieure, dont il ne nous est parvenu étape on trouvait une station appelée
qu'une indication tronquée , partait Regix; c'était sans doute une rési-
probablement de quelque point de la
côte pour revenir à Tingis en passant dence royale, des anciens princes indi-
gènes d'Anville
; supposait qu'elle ré-
pondait àTelemsên. Plus loin se ren-
(*) Nous" avons fait remarquer ailleurs
que les Autels des Philènes sont marqués
contraient consécutivement Castra
dans l'Itinéraire par la dénomination de nova ou le nouveau camp , le Praesi-
Jiomi,id est arœ , défiguré par les copistes en dium, poste ou fort de Ballene, Mina,
Banadedarï. — Voyez le volume consacré et le camp de Gadaum; pour cette
aux lies de F Afrique, ire partie, p. 3o. partie de ia route , des analogies de
181
AFRIQUE ANCIENNE.
dénomination , jointes aux conditions Grande route de Carthage a
de distances, et à la certitude acquise CÉSARÉE PAR ClRTA ET SlTIFIS. —
qu'au passage de la rivière Mynah exis- De Carthage à Théveste. — La se-
tent les ruines d'une ville romaine conde grande voie intérieure, de Car-
qui représentent très -bien celle de thage àCésarée, était distribuée aussi
Mina de l'Itinéraire: ces circonstances en trois fractions, par les stations
rendent très-probables les synonymies principales de Cirta et de Sitifis ;
géographiques d'après lesquelles on de et la première fraction elle-même ,
placerait Castra nova à Ma'skarah , Carthage à Cirta, se partageait
dont la signification arabe est analo- naturellement, bien que l'Itinéraire
gue à celle de Castra , un camp mili- n'en fasse pas mention , en deux sub-
tairePraesidium
; Ballene àQala'h, dont divisions àpeu près égales, ayant
la signification arabe est pareillement leur point de réunion à Théveste,
analogue à celle de Praesidium, un colonie romaine dont le nom est resté
poste fortifié, un fort; puis, au delà de avec peu d'altération à la moderne
Mina, Gadaum castra à Têqdemt, dont Tébesah. La première subdivision fut
l'homonymie est frappante. Plusieurs restaurée sous Adrien, en l'année 119
étapes venaient ensuite, dont les cor- de notre ère, ainsi que le constate
respondances modernes ne sont point l'inscription bien connue que voici :
déterminées; on y peut remarquer, IMP. CAESAR
échelonnés de proche en proche, le DIV1 NERVAE NEPOS
château de Tingitium (ou Tingitanum), DIVI TRAIANI PARTHICI P.
le municipe de Tigauda, la colonie TRAIANVS HADRIA1NVS
AVG. PONT. MAX. TRIB.
d'Oppidum
au passage du novum Schélif et le ;campaprèsdeTigava
quoi on POT. VII. COS. III.
VIAM A CARTHAGINE
rencontrait Malliana , dont le nom THEVESTEN STRAV1T
d'après cette inscription , encore exis- mérite que d'avoir été visitées par
tante sur place : Peyssonnel , et l'on atteignait Cirta ,
DIVO
peut-être la plus ancienne et même
ANTON INO
CAESAR. d'abord l'unique ville bâtie chez les Nu-
COLONIA mides, qui pour la désigner emprun-
AELIA tèrent àla langue des Carthaginois
AVG. LARES. cette appellation de ville (*) qui man-
quait leur
à vocabulaire, comme il man-
« Au bienheureux Antonin César, la co- que encore à celui de leurs rejetons les
« lonie Élia Augusta Lares. »
Berbers de nos jours. Tour à tour ca-
pitale de Syphax, de Massinissa, de
L'étape qui précédait Théveste por-
tait le nom d'Ammédéra et le titre de Micipsa, d'Adherbal,de Juba le jeune;
chef-lieu de la province romaine de
colonie , qu'Hygin , l'affranchi d'Au- Numidie, elle fut érigée en colonie
guste et l'ami d'Ovide , mentionne par Jules César, pour récompenser le
déjà comme une faveur récente, et qui
corps de partisans avec lequel Publius
réparaît dans l'Itinéraire après un ou- Sittius Nucerinus lui avait rendu de
bli de près de quatre siècles.
— De Théveste à Cirta. — La se- si utiles secours pendant la guerre
conde subdivision , entre Théveste et d'Afrique, et fut dès lors appelée Cirta
Cirta, ne nous offre pas de lieu remar- Sittianorum et Cirta Julia, jusqu'à
quable; nous y devons signaler tou- ce
nomqu'au
de Constantinequatrième siècle elleestreçût
qui lui resté.le
tefois de nouvelles Macomades, dont
le nom constate que la route passait — De Cirta à SU? fis. — La frac-
auprès, sinon au travers de la longue tion de route qui conduisait de Cirta
ou Constantine à Sitifîs ou Séthyf,
sebkhah qui s'étend du sud au sud-est traversait Mileum revêtue du titre de
de Constantine; de là on passait à Si-
colonie dans la Table Peutingérienne,
gus (*), dont les ruinef n'ont d'autre
célèbre par l'épiscopat de saint Optât
(*) Cette ville aurait eu le titre de co- l'historien du schisme des Donatis-
lonie ,si c'est à elle qu'il faut rapporter tes , et encore reconnaissable aujour-
l'inscription suivante trouvée à Constan- d'hui sous son nom arabe de My-
tine : lah ; puis on atteignait la colonie de
M. AVRELIO ANTO Cuiculum , dont une inscription re-
NINO CAES. IMP. DES cueillie sur place paraît déterminer
TINATO. FILIO
IMP. CAES. DIVI. M. ANTONI avec certitude la position à l'endroit
NI PII GERMANICI SARMATI même où s'élève aujourd'hui Gemmy-
CI FIL. DIVI COMMODI FRATRIS
leh , vers le nord-est de Séthyf; cette
DIVI ANTONINI PII NEP. DIVI
inscription est ainsi conçue :
TELLVRI GENETRICI RESPVBL1CA CVICVL1TANOR.
HADRIANI PRONEP. DIVI TRA
TEMPLVM FECIT.
IAHT PARTHICI AHNEP. DIVI
C. 1VLIVS LEPIDVS TERTVLLVS LEG. AVG. PR.
NERVAE ADNEPOTIS PR. DEDICAVIT.
L. SEPTIMI SEVERI PERTINA SIMVLACRVM DEAE ACROLITHVM TI. IVLIVS
CIS. AVG. PARTHICI ARABICI HONORATV.S PONT. FL. PP. DONO DEDIT.
PARTHICI ADIABENICI PRO
PAGATORK IMPERIt PONTIF. « généralissime pour la huitième fois, consul, pro-
MAX. TRIB, POT. V IMP. VIII « consul , puissant et inviolable prince; la colonie
COS. PROCOS. FORTISSIMI « des Siguitains. » Cette inscription (dont nous nous
dispensons de traduire les indications purement
ET SANCTISSIMI PRINCIPIS
COL. SIGVITANORVM. généalogiques) est de l'année 198, la 5e du règne
de Septime Sévère , et s'adresse à son fils Caiacalla,
alors césar.
« A Marc Anrèle Antonin , césar et futur empe-
« reur, fils de l'empereur et césar Lucius Sep-
« timius Severus Pertinax Auguste, le parthique ara-
même Qertà,
ont(*)deNnnp» la Ville.
emprunté Les Berbers
aux Arabes leur
« bique, le parthique adiabénique, l'extenseur de
« l'empire , grand pontife , revêtu de la puissance mot Médjnah, qu'ils ont naturalisé sous la
» u-ibumtUtiaa pour la cinquième fois > du titra ils forme Témdyttt»
AFRIQUE ANCIENNE.
183
« A la Terre génératrice , la république magasins, mais l'emplacement en est
« des Cuiculitains a élevé ce temple; Caïus encore ignoré. Maqqarah , lieu de nais-
« Julius Lepidus Tertnlliis , lieutenant im- sance du célèbre historien arabe Sche-
« përial propréteur, en a fait la dédicace ; hâb-el-Dyn Ahhmed ei Maqqary, re-
« Tibeiïus Julius Honoratus , pontife fla-
« vien, a donné, de ses deniers, la statue
« de la déesse sur son piédestal. » raire.présente très-bien qui
La route le Macri
, pourde arriver
l'Itiné-
jusque-là T avait tiré au sud-ouest,
Cuiculum communiquait à la côte reprenait ensuite au nord pour gagner
par deux routes directes , Tune sur Auza.
Coba avec embranchement vers Igilgi- Entre ce dernier point et Césarée ,
lis, l'autre sur Tucca à l'embouchure le nom de Rapidum indique une de
de l'Ampsagas. ces chutes d'eau que les indigènes ap-
— De Sitifis à César êe. — La der-
nière fraction de la grande route de plusieurspellent
sontaujourd'hui
marquéesSchillêlah,
sur les etcartes,
dont
Carthage à Césarée partait de Siti- dans ces cantons. Le Caput-Cillani
fis, et ne comptait pas moins de douze désignait-il un poste établi à la source
gîtes d'étape , parmi lesquels nous d'un fleuve Cillanus? On pourrait le
remarquons les noms de Perdices , croire : un commandant de frontière,
Cellas, Macri, Auza, Rapidum, Caput- prœpositus limitis Caput-Cellensisy y
Cillani, Sufasar, et Aquis. avait ses quartiers; et les montagnes
Séthyf d'une part et Scherschel de situées au delà portaient le nom de
l'autre indiquent les deux points ex- mont Tr ans- Celle nsis ; peut-être était-
trêmes vers
; le milieu se trouve, dans ce celles de Tythery. A Sufazar se trou-
le château actuel de Hamzah, le point vait le point d'intersection de la route
corrélatif à Auza,qu'Ammien Marcel- de Sitifis à Césarée avec celle de Cala-
lin appelle Castellum Audiense, et qui ma à Rusuccurum; puis on passait à
porte le titre de colonie dans deux Aquis,
inscriptions recueillies sur les lieux thermal c'est-à-dire
destiné au à soulagement
un établissement
des
mêmes ; lune est consacrée
malades et des blessés; et l'on n'avait
AVZIO DEO GENIO ET CONSERVATOR1 COL.
plus qu'une étape pour
sarée. La position arriver
de ces à Cé-
thermes,
« Au dieu» d'Auza , génie et gardien de la
« colonie. ainsi queétécelle
encore de Sufazar,
déterminée avec n'aquelque
point
l'autre trouvera sa place plus loin , assurance : le voyageur Shaw, qui con-
dans le résumé topographique de l'ex- naissait bien le pays , avait désigné
pédition de Théodose contre Firmus. Hhammâm-Merghah comme représen-
C'était le mandantquartier-général
de frontière que la d'un
Noticecom-
des tant plausiblement les Aquœ de l'Iti-
néraire.
dignités intitule prœpositus limitis Grande route de Thènes a Sal-
Audiensis. des par théveste, lambese et sl-
Ces trois points ne suffisent pas* pour tifis. — La grande voie que nous
donner une idée générale de la direc- venons de parcourir était coupée car-
tion de la route: car on vient aujour- rément àSitifis par une autre ligne
d'hui de Séthyf à Hamzah par les fa- importante conduisant de Thènes à
meuses Portes de fer que les soldats Saldes par Théveste , Lambèse et Si-
tifis.
français ont franchies, tandis que la
voie "romaine contournait par le sud Cette ligne se compose de divers
les montagnes dans lesquelles est ou- fragments,tinéraire qui
vert ce périlleux défilé. Un Qassr el- en cet sont
ordreprésentés
: route dedans l'I-
Sitifis
Thâyr ou Château des Oiseaux répon- à Saldes, route de Lambèse à Sitifis,
drait bien par sa dénomination à la route de Théveste à Sitifis par Lambè-
station de Perdices, si la condition de se, et plus loin, route de Thènes à
distance était mieux remplie. Le nom Théveste: nous aimons mieux les exa-
de Ctilkg indique suffisamment des» miner dans l'ordre inverse, qui mon-
184 L'UNIVERS.
tre plus clairement comment ces frag- « Félix Réceptus, fils de Caïus, de la tribu
ments s'ajustent bout à bout. «Papiria, outre d'autres monuments, a
« aussi, avec sa libéralité accoutumée en-
— Depuis Thènes jusqu'à Thèveste. « vers sa patrie, élevé cet arc décoré des
— La route de Thènes à Thèveste , « insignes de la colonie , etc. »
après avoir traversé Autentum, ou Au-
tenti comme on le trouve dans les
— —Depuis
bèse. Sur laThèveste
route de jusqu'à
Thèveste Lam~
à Si-
vers de Corippe (*), passait par Suf-
fétula ,lieu important pnr le croise- tifis, le point important était celui de
ment des diverses voies auxquelles elle Lambèse, dont la synonymie géographi-
offrait ainsi un centre commun , et que est bien connue par les vérifications
dont les ruines présentent encore de Peyssonnel et par la visite récente
d'assez beaux restes de trois temples , d'un jeune prince au milieu de ses
et d'un arc de triomphe dédié à An- ruines, où subsistent de nombreuses
tonin , sur lequel Peyssonnel , Shaw, inscriptions, qui constatent, aussi bien
et Grenville Temple ont lu quelques qu'une annotation spéciale de Ptolé-
mots épars d'une dédicace que nous mée (*), que c'était une colonie de la
croyons pouvoir rétablir ainsi dans
son entier :
(*) Il existe généralement, dans la ma-
IMP. CAESARl DIVI HADRIANT AUG. FIL. DIVI nière dont cette annotation est entendue
TRAIANI PARTIIICI NEP. DIVI NERVAE PRONEP.
par les éditeurs de Ptolémée et par les des-
TITO AELIO IIADRIANO ANTOMNO AVG. PIO
sinateurs de ses cartes, une erreur trop
PONT. MAX. TR1R. POT. COS. II. PP ORDO ET
grave pour que nous ne regardions pas
POPVLVS SVFFETVLENSIVM ( ARCVM ? ) HANC comme un devoir de la relever ici, surtout
EDIF1CAVEUVNT EX DD. PP.
au moment où la petite édition grecque de
« A l'empereur et césar fils du bienheu- M. Nobbe (destinée, par son mérite aussi
« reux Adrien Auguste , petit-fils du bien- bien que par la modicité de son prix et la
« heureux Trajan le Partliique, arrière-petit- netteté de son exécution, à une circulation
« fils du bienheureux Nerva , Titus Elius
« HadrianusAntoninusAugustus Pins, grand très-étendue) rend cette erreur plus sensible
encore par une coupure mal placée. On
« pontife, revêtu de la puissance tribuni- nous pardonnera cette digression, à cause
« tienne, consul pour la seconde fois (**) ,
« père de la pairie; le corps municipal des de l'intérêt qui s'attache à toutes les ques-
« Suffétulans a élevé cet arc; par décret tions de géographie ancienne relatives au
« des dédirions, des deniers publics. » territoire de l'Algérie.
Le nom de Suffétula se retrouve Ayant à énumérer les villes intérieures de
presque intact dans celui de Sobey- la province d'Afrique, Ptolémée les distribue
en quatre séries principales : i° entre le fleuve
thalah que porte
arabe élevée aujourd'hui
au milieu de ces la ville
ruines. Anip<;agas et Thabraca ; i° entre Thabraca
Après Suffétula on trouvait Cilium , et le fleuve Bagradas; 3° entre le fleuve Ba-
obscur dans les géographes, mais dont gradas et le fleuve Triton ; 4° entre les deux
Syrtes ; et il subdivise la première et la
les ruines, éparses auprès du village troisième de ces quatre séries principales
actuel deQassryn, montrent encore de en deux séries secondaires chacune, savoir :
grands tombeaux, et un arc de triomphe la 3e en villes soumises à Carthage et villes
avec une inscription qui constate que soumises à Adruinète (ce qui revient à la
ce lieu avait été décoré du titre de division bien connue de la Zeugitane et de
colonie :
COLON1AE C1L1TANAE la Byzacène) ; et la ire, dont nous voulons
parler spécialement ici, en villes des Cir-
Q. MANL1VS FELIX C FIL1VS PAPIRIA RECEPTVS tésiens et villes de la Numidie Nouvelle.
POST AL1A ARCVM QVOQVE CVM 1NS1GN1BVS
COLON 1AE Les éditeurs ne paraissent point s'être
SOL1TA IN PATR1AM LIBER AL1TATE EREX1T rendu compte, autant qu'il était nécessaire,
de cet arrangement, et ils ont fait ressortir
« A la colonie Cilitaine, Quintus Manlius d'une manière uniforme les titres des sub-
divisions aussi bien que ceux des divisions
(*) « Te Aulenti sacvos maclantes viderat hosles. » principales; bien plus, l'annotation qui suit
Corippe, Johannide, III, 3 19.
le nom de Lambèse, ils l'ont prise aussi
(**) En l'année 139 de notre ère. pour un titre applicable aux villes dénom-
185
AFRIQUE ANCIENNE.
légion Troisième- Auguste , qui fut, à Thamugadis, dont le titre colonial,
depuis la conquête, constamment af- qu'elle paraît avoir reçu de Trajan, ne
fectée àla garde de l'Afrique : cette nous est révélé que par cette inscrip-
circonstance, et la multiplicité des tion tumulaire :
D. M.
routes tracées à l'entour, nous fournit L. AELI. PERPETVI
une indication très-digne de remarque LEGATIONE FVNCTI
sur le fense
système adopté pard'occupation
les Romains eten decette
dé- PATRIAE SVAE COLONI
AE VLPIAE THAMVCA
région : c'est à vingt lieues au sud de DIS EX NVMIDIA.
FECERVNT
Constantine qu'ils avaient porté le
noyau de leurs forces militaires, te- AELII TERTIVS ET COMA
nant ainsi en échec, entre la côte et FILIl LEVGAD10.
le cordon des frontières, les indigènes « Aux mânes de Lucius Elius Perpetuus,
subjugués, et circulant librement sur «« sa
quipatrie,
avait rempli les fonctions d'envoyé de
leur territoire au moyen des routes la colonie Ulpia Thamucadis en
«Numidie; fait par Tertius et Coma fils
dont ils l'avaient sillonné : ce sytème v. d'Elius Leocadius. »
ne paraît pas encore avoir été assez
clairement aperçu ni médité.
Avant d'arriver à Lambèse on passait — —DeDepuis
Lambèse Lambèse jusqu'à
la route Saldes.
se continuait
vers Sitifis en passant par Diana, ap-
mées ultérieurement jusqu'au titre suivant;
si bien que la dernière édition grecque , pelée aujourd'hui Zanah , et qui était
stéréotypée à Leipzig, porte même :
un établissement de vétérans, ainsi
§ 29. Noujxtôîaç veaç*
que l'indique
Diana suffisamment
Veteranorum qui lui le
estnom de
donné
Aàjxêataa. . . . x 8 X. ailleurs dans l'Itinéraire; sur un arc
§ 30. Aeyeîwv Tpixy) <je6a<>TY)
de triomphe en ruines se lit encore
©ouêovxiç. . . x.t. X. cette inscription :
et les cartographes ont en conséquence 1MP. CAES. M. SEVEROPIO FELICI AVG. PONT.
tracé la limite de la Nmnidie Nouvelle au- MAX. TRI. POT. PROVIDENTISSIMO ET SANC-
tour des villes énumérées sous celle rubri- TISS1MO PRINCIPI. ET ANTONINO NOB1LISSIMO
CAESARI PRINCIPI IVVENTVTIS. DIANENS. EX
que jusques et y compris lambèse, laissant DECRETO DD. PP.
en dehors les villes dénommées après, com-
me si elles composaient une subdivision « A l'empereur et césar Marcus Severus
spéciale affectée à là légion Troisième-Au- « Pius Félix, auguste, grand prêtre, revêtu
guste.
« de la puissance ttibunitienne , prévoyant
« et inviolable prince ; et à Antonin très-
On ne s'est point aperçu : i° en la forme, « noble césar et prince de la jeunesse ; les
que si l'annotation
Aàu,éai<ra qui un
eût constitué suitnouveau
le nom titre
de «Dianais, par décret des décurions, des
« deniers publics. »
corrélatif à ceux de KipTY]<na>v et de Nou-
u-toiaç veaç, il aurait fallu lire Aeyiovoç xpi- Une autre route pouvait conduire
t/]ç cr£6acrof)ç au génitif , au lieu du nomi- de Théveste à Diana sans passer par
natif qui dénote une fonction explétive à Lambèse, mais il y avait communica-
l'égard du nom qui précède; 2° au fond, tion de l'une
que les inscriptions ont constaté le canton- traverse entre à Lambèse
l'autre voie
et leparVicus
une
nement de la. légion Troisième- Auguste à Aurelii. On pouvait aussi, à volonté,
Lambèse, et qu'en outre Ptolémée lui- aller de Lambèse à Sitifis sans passer
même a bien expliqué l'étendue qu'il en- par Diana, soit en prenant à droite
tend donner à la Numidie Nouvelle à l'est
par Taduttis dont le nom est resté à
des Ciitésiens jusqu'à Thabraca, quand il Tattubt, soit en prenant à gauche par
place les Iontiens xaxà rr,v Noufnoîav ttjV
Lamasba dont le nom se retrouve en-
xaî Néav èuap^t'av ui^pt 0aëpàxY]ç. Les core dans celui de Lamaza , et en al-
douze villes qui suivent l'annotation doivent
donc être comprises, aussi bien que les
lant, par Zarai qui est aujourd'hui re-
onze qui précèdent, dans la circonscription présenté par Zéryah, rejoindre Perdi-
de la nouvelle province de Numidie.
ces; mais Diana "communiquait direc-
186 L'UNIVERS.
sarée par Théveste et Cirta; on ve- sur une autre route encore de Tysdrus
nait d'abord à Assura, dont l'em- à Théveste parZoma Regia, Assura, et
placement est déterminé par les ruines Ammédéra : celle-ci , tracée unique-
qui portent aujourd'hui le nom de ment sur la Table Peutingérienne, est
Zanfour et au milieu desquelles se lit, importante
miner avec enassurance
ce qu'ellelasert à déter-
position de
sur une porte
suivante : triomphale, l'inscription
DIVO OPTIMO SEVERO PIO AVG. ARAB. PART.
Zama
erronée, plus
de son célèbre
nom par
à la l'application
fameuse ba-
ADIAB. MAX. ET IMP. CAESARI AYRELIO ANTO- taille oùScipion vainquit Annibal, que
NINO PIO AVG. FELICI PART. MAX. BRIT. MAX. par les faits réels de son histoire; le
GERM. MAX. PONT. MAX. FIL. TRIB. POT. XVIII.
titre de colonie lui fut probablement
IMP. III. COS IIII. PP. PROCOS. OPTIMO MAXI*
MOQVE P&INGIPI. ET IVLIAE DOMNAE PIAE PI.R-
accordé par l'empereur Adrien, ainsi
TINACI AVG. MATRI AVG. ET CASTRORVM ET qu'on en peut juger par le fragment
SENATVS ET PATRIAE. CONIVGI DIVI SEVERI d'inscription que voici:
AVG. PII COL. IVL. ASSVRA DEVOTA NVMIM COLONI COLONIAE AELIAE HABRIANAE AVG.
EORVM DDD. P. ZAMAE REGIAE
Q. ARADIVM VALERIVM PROCVLVM IPSVM
« Au dieu bienfaisant Severus Pius, Au- LIBEROS POSTEROSQVE EIVS S1BI LIBERIS POSTE
« guste, l'Arabique, le Partbique, le grand RISQVE SVIS PATRONVM COOPTAVEKCINT.
«« Aurélius
Adiabénique ; et à Pius
A.ntoninus l'empereur
Augustuset Félix,
césar « Les colons de la colonie Élia Adrienne
« le grand Partbique, le grand Britannique, « Auguste Zama Regia , tant pour eux que
« le grand Germanique, grand pontife, son « pour leurs enfants et descendants , ont
« (ils , revêtu de la puissance tribunitienne « choisi pour leur patron Quintus Aradius
« pour la xvme fois, généralissime pour la «« Valerius» Proculus, ses enfants et descen-
dants.
« 111e fois, consul pour la ive fois (*) , père
« de la patrie, le meilleur et le plus grand
« des princes ; et à Julia Domna Pia Perti- Multiplicité des villes et autres éta-
«« nax blissements.
arméesAugusta, mèreet de
, du sénat de lal'empereur, des
patrie , épouse
« du bienheureux Sévère Auguste Pius, la On vient de voir quel était dans son
« colonie Julia Assura, dévouée à leur divi- ensemble le système de communica-
« nité, a élevé ce monument, dédié par tions itinéraires établi dans la région
« décret des décurions. »
d'Afrique. Sur ces routes étaient se-
Les ruines de Mahhdher Aoulêd més, en grand nombre, les villes ro-
maines, les châteaux, les camps, les
'Ayâr sont moins explicites pour la dé- postes occupés par des soldats , les
termination de la correspondance de
thermes où ils allaient guérir leurs
ce lieu avec l'ancienne Tucca Téré-
benthina , qui venait après Assura ; blessures et leurs maladies, les gre-
Sufes, qui suivait, est représentée par niers oùdes provisions de vivres étaient
la moderne Esbybah. Bientôt on attei- accumulées pour leur subsistance.
Aussi, tranquilles possesseurs du sol,
gnait Suffétula, et l'on arrivait à Ta- ils bâtissaient, même hors du passage de
cape à travers quelques stations moins
connues. ces routes, des cités florissantes telles
Diverses routes passant par que Calama notre moderne Ghelmah,
Aquas Regias. — La route ci-dessus Madaurus la patrie d'Apulée; ils dis-
était coupée à angle droit par celle de séminaient sans crainte dans les cam-
Tysdrus à Théveste, sur laquelle se trou- pagnes ou les vallées des villas de
plaisance , comme au sein de la belle
ensuite vaient Jquœ Regix,Lesd'où
Suffétula. Aquœl'onRegiœ
gagnait
se Italie.
rencontraient également sur la route Les indigènes de leur côté avaient
des cités et des bourgades multipliées
d'Adrumète à Suffétula, de même que
sur celle de Sufes à Adrumète, et enfin répandues dans le plat pays, et l'his-
toire nous a transmis le. nom d'un
certain nombre de ces places; nous ne
de (*)
notreCesère.
chiffres se rapportent à l'an 21 3
chercherons point à en faire ici le fas-
189
AFRIQUE ANCIENNE.
tidieux inventaire: nous aimons mieux passer en revue pour y saisir les élé-
ies signaler avec précision dans une ments d'une détermination des limites
esquisse rapide, au point de vue topo- dans lesquelles se trouvèrent successi-
graphique, des faits historiques dans vement renfermés les états et les pro-
le récit desquels elles se trouvent en- vinces entre lesquels fut morcelé le
cadrées, etqu'il nous faut maintement territoire de l'Afrique.
APERÇU GÉNÉRAL U.
SDESRÉVOLUTIONS
POLITIQUES ET TERRITORIALES.
NAISSANCE ET PROGRES DE LA qui les séparait des Éthiopiens; mais
PUISSANCE PUNIQUE. nous pouvons présumer que la zone
mitoyenne occupée par ces deux na-
Établissement des colonies phéni- tions se partageait entre elles vis-à-vis
ciennes en Afrique. du fond de la petite Syrte.
RÉPARTITION DU TERRITOIRE EN- Voilà, autant que nous pouvons le
TRE LES POPULATIONS INDIGÈNES
présumer,rodote, laquelle était, probable
répartition au temps dud'Hé-
sol
AVANT L'ARRIVÉE DES PHÉNICIENS.
— L'histoire des divisions territoriales entre les grandes populations indigè-
du sol africain ne peut remonter jus- nes ou réputées telles. Le vieil histo-
qu'à une antiquité bien reculée, car il rien connaît de plus, en Afrique, deux
n'eut longtemps que des habitants no- peuples étrangers : — en premier lieu
mades, entre lesquels les Grecs établis dans la Cyrénaïque
de délimitations fixes;il n'existe guère
les récits de et dont nous n'avons plus à nous oc-
Salluste et les descriptions d'Hérodote cuper actuellement; peut-être aussi
nous montrent seulement une ancienne quelques autres réfugiés grecs, rares
distribution générale, par grandes mas- et épars sur divers points des côtes
ses, des populations auxquelles la pos- ultérieures, tels que les colons lacédé-
session en était dévolue : sur le pre- moniens conduits sur les bords du
mier plan les Libyens, les Numides et Cinyps par Doriéus , les Locriens-
les Maures; sur le second plan, les Ozoles de Kyrkinis et d'Uzala, les
Garamantes et les Gétules ; au dernier Hellènes égarés au retour de Troie
f>lan les Éthiopiens. Quelles étaient les qui abordèrent à Meskhela, et d'autres
imites respectives de ces peuples, on encore , tous disparus sans laisser
ne saurait prétendre le déterminer d'autres souvenirs; — en second lieu
avec précision ; il faut se contenter de les Phéniciens.
quelques indications vagues et flottan- Colonies phéniciennes en Afri-
tes , sorte de moyenne conjecturale que; PRÉÉMINENCE DE CARTHAGE.
entre des contours variables et igno- —Ceux-ci avaient fondé, sur les plages
rés :on peut ainsi tracer à la crête de libyennes, de nombreuses villes, les
unes succursales et ornement de leurs
l'Atlas la ligne qui séparait, des Ga-
ramantes etdes Gétules de l'intérieur, métropoles , qui y avaient écoulé le
les trois nations littorales, à l'égard trop plein de leur population ; les au-
desquelles le fleuve ïusca pourrait of- tres, souverainetés nouvelles créées
frir assez plausiblement la borne mu- par des factions expatriées, et qui prê-
tuelle des Libyens et des Numides, tèrent àleurs frères d'Orient un se-
comme le fleuve Malua celle des Nu- courable appui; toutes, à l'exemple de
mides et des Maures. Nous n'oserions la mère-patrie, trouvant dans le com-
nous hasarder à décrire au sud des
Garamantes et des Gétules la ligne lencemerce
et deune prospérité.
source inépuisable d'opu-
190 L'UNIVERS.
Favorisée par son heureuse position rer leur navigation jusqu'au détroit
maritime, Carthage devait naturelle- des Colonnes, au delà duquel Hannon
ment primer au milieu de toutes ces eme foncier de nouvelles colo-
colonies d'un même peuple; et la force nies sur la plage occidentale. Celte
des choses en dut faire un centre po- route leur était familière , ainsi que
litique en même temps qu'un centre nous l'assurent les informations re-
de commerce, pour tous ces comptoirs, cueillies par Hérodote, et dont il ré-
indépendants sans doute les uns des sulte qu'ils allaient porter leurs mar-
autres, mais réunis en confédération chandiseschezdes peuplesavec lesquels
nécessaire sous l'empire d'un intérêt ils traitaient d'une façon singulière ,
commun de monopole et de défense. déposant leur cargaison sur le rivage
Comme la plupart de nos comptoirs et retournant à leurs vaisseaux pour
modernes , ces villes phéniciennes attendre que les indigènes fussent ve-
étaient des postes isolés sur une plage nus déposer auprès de chaque objet la
étrangère , n'ayant dans leur dépen- quantité d'or jugée équivalente, et se
dance qu'un petit territoire fussent retirés à leur tour pour atten-
de leurs murailles; et nousà l'entour
savons dre que les vendeurs eussent examiné
avec certitude, au moins pour Cartha- si le prix offert était suffisant ; renou-
ge, qu'il avait fallu acheter des indi- velant de part et d'autre ce manège
jusqu'à ce que le marché fût accepté
établi, gènes
toutl'emplacement
comme nous sur lequel on s'était
achetons, des ou rompu.
peuples nègres chez lesquels nous por- Du côté de l'est , les villes phéni-
tons notre commerce, l'emplacement ciennes étaient nombreuses jusqu'à la
où nous voulons élever nos magasins ;
petite Syrte,
çaient beaucoupet quelques-unes
plus loin, telle s'avan-
que la
et le prix de cette cession était une re-
devance annuelle , tout comme celles grande Leptis fille de Sidon; au sur-
que nous payons sous le nom de cou- plus, lalimite orientale, vivement dis-
tumes. putée par les Cyrénéens, ainsi que
Carthage paya longtemps les coutu- nous l'avons raconté en son lieu, fut
mes convenues. Puis elle se crut assez définitivement portée au fond de la
forte pour répudier ce témoignage grande Syrte par le dévouement des
frères Philènes.
constant d'une possession précaire :
elle voulut être chez elle maîtresse in-
commutable ; et elle lutta à diverses Étendue et conditions de la puis-
reprises contre les indigènes qui se sance territoriale de Carthage en
prétendaient les véritables propriétai- Afrique.
res du sol. Justin nous la montre en
guerre avec les Libyens dès une épo- Répartition du sol entre di-
vers ORDRES DE POPULATIONS. —
que qu'Orose nous dit contemporaine
de Cyrus; puis encore au temps de Jusque-là Carthage ne se montre à
Darius, et forcée alors de payer les ar- nous que commecolonieprépondérante
rérages stipulés; mais renouvelant au milieu de la confédération des co-
bientôt ses tentatives, qui enfin eurent lonies phéniciennes , ayant peut-être
une meilleure issue et obligèrent les elle-même quelques établissements se-
condaires immédiatement soumis à
indigènes àcontestée.
redevance consentir l'abolition de la
son autorité, exerçant peut-être aussi,
Extension des escales et des
à l'égard de certaines villes de la con-
comptoirs puniques. — Les Car- fédération, un protectorat plus direct,
thaginois, au dire de Justin, por- bien voisin d'une suzeraineté absolue ,
tèrent dès lors aussi leurs armes chez ainsientre
qu'ille arrive
les Numides et même chez les Mau- cas fort et toujoursles faibles.en pareil
res. Peut-être cette expédition eut- xWais là ne se bornait point le do-
elle pour but l'établissement de quel- maine des Carthaginois. L'argent des
ques escales sur le littoral pour assu- mines ibériennes , accaparé par leur
AFRIQUE ANCIENNE. 191
que
commerce avant qu'il devînt le fruit conclu avec Rome immédiatement nous le montre le premier traité
de leurs propres exploitations , leur
servait à acheter des soldats merce- après l'expulsion des Tarquins (*).
naires, ces condottieri des vieux temps, Les Libo - Phéniciens , second
avec lesquels ils firent, en Afrique et élément de la population puni-
au dehors, des conquêtes territoriales. QUE.— Au premier rang parmi ces con-
Sans chercher à déterminer quant fédérés étaient les Libo-Phéniciens, les
à présent l'époque précise où Carthage Phéniciens Libyques comme les ap-
parvint à ce point de puissance terri- pelle Ptolémée ; c'étaient les posses-
toriale en Afrique , et sans discuter seurs de la plupart des villes mariti-
avec Heeren si Justin s'est mépris en mes, unis par d'étroites affinités avec
faisant descendre jusqu'au temps de les Carthaginois, et souvent confondus
Darius la date où elle s'affranchit de avec eux sous un même nom, ainsi que
la redevance annuelle stipulée lors de l'assure Diodore et que nous en offre
sa fondation ; nous remarquerons du d'ailleurs un exemple le stadiasme ano-
moins que dès le moment où cet ordre nyme de la Méditerranée, où toute la
de choses fut établi, des lors aussi se
côte depuis la petite Syrte jusqu'au
trouva constituée la distribution géné- delà d'Utique est désignée par le nom
rale du sol africain, telle que l'a ex- de Phênicie. Mais, ainsi que Carthage,
pressément signalée Diodore pour un et plus ancienne qu'elle, Utique sur-
temps ultérieur, entre les Carthaginois, gissait aussi au milieu des villes puni-
les Libo-Phéniciens alliés, les Libyens ques, de manière à se constituer une
tenus à grand'peine sous le jou£, et les nominativement, individualité distincte, et elle prit place
Numides indépendants. à ce titre, dans les
La cité de Carthage, noyau
actes fédéraux, ainsi qu'on le voit dans
de la population punique. — le second traité avec Rome (**) et dans
Quant aux de premiers , c'étaient le traité d' Annibal avec Philippe de
les Macédoine.
Phéniciens Carthage comme les
appelle Diodore, c'est-à-dire ceux qui, Quant aux autres villes de la confé-
au milieu de la nationalité tyrienne, dération, elles sont purement et sim-
s'étaient créé une nationalité spéciale; plement ainsi appelées dans le dernier
et le grand Annibal lui-même nous ex- de ces deux actes ; mais dans le pré-
plique ce qu'il faut comprendre en cédent elles ont une désignation plus
celle-ci, lorsque, traitant avec Philippe précise, puisqu'on y voit nommés, à
de Macédoine (*), il stipule pour les côté des Carthaginois ou citoyens de
seigneurs carthaginois, pour lui-même Carthage, et des Itijkéens ou citoyens
leur stratège, pour les citoyens com- d'Utique, les Tyriens, qui ne peuvent
battant sous ses ordres , pour les hy-
parques ou gouverneurs provinciaux être lesrient, nicitoyens de la vieille Tyr d'o-
d'une Tyr africaine inconnue,
carthaginois, pour tous ceux en un mais uniquement des villes tyriennes
mot qui avaient en commun les mê- réunies dans cette Phênicie d'occident
mes lois. C'était la cité carthaginoise dont nous venons de constater l'exis-
parallèle à la cité romaine, comprenant tence. Aucune de celles-ci n'avait une
comme elle, outre la métropole, toutes prépondérance assez marquée pour
les villes, tous les établissements colo- être mentionnée individuellement par-
niaux peuplés de citoyens tirés de son mi les membres influents de la confé-
sein. En dehors de ce cercle, tout ce dération; oubien elles ne constituaient
qui obéissait à Carthage était confondu
sous la dénomination générale de Sym- (*) L'an 5oo, avant notre ère. Voyez ce
maques , ou alliés , confédérés, ainsi traité transcrit en entier dans la suite de ce
volume {Carthage, pp. 4 et 5).
(*) L'an 2i5 avant notre ère. Ce traité (**) Le deuxième traité avec Rome est de
est rapporté en entier dans la suite de ce l'an 35a avant noire ère; nous le rappor-
volume {Carthage, pp. 86 et 87). terons un peu plus loin dans une note.
192 L'UNIVERS.
viateur, n'en a pas moins toute l'au- laient Carthage, les Libyens se hasar-
torité d'un fait historique confirmé dèrent encore à secouer le joug; il
par les documents contemporains, sa- fallut les combattre et les vaincre pour
voir : que Carthage ne devint maî- les faire rentrer dans la sujétion : et
tresse du pays que par les efforts de les efforts des Carthaginois pour y
la famille de Magon, au temps de Da- parvenir durent être bien grands, puis-
rius fils d'Hystaspes, et même plus que dix ans après Denys de Syracuse
tard (*). profitait de l'épuisement qui en était
Haine des Libyens pour le résulté
lités. pour recommencer les hosti-
joug de Carthage. — Au surplus ,
en ces ^Libyens conquis, Carthage ne Quand Agathocles, pressé en Sicile
trouva point des sujets toujours do- par les armes carthaginoises, résolut
ciles; et le joug sous lequel elle fai- de porter la guerre en Afrique, il
sait plier leur tête , trop lourd pour comptait sur la défection , en sa fa-
être porté sans impatience , n'était veur, des Libyens alliés de Carthage ,
point assez fortement assujetti pour qu'il savait être las de la domination
résister aux accès de colère d'un peu- punique ; et l'événement sur ce point
ple qu'elle ne sut qu'opprimer. justifia ses prévisions.
Quand Himilcon eut vu la peste en-
vahir son armée devant Syracuse (**), Invasion de V Afrique par Agathocles.
et que réduit à fuir avec la seule co-
horte sacrée des citoyens carthagi- Agathocles enlève aux Car-
nois, ilabandonna à la merci du vain- thaginois TOUTES LEURS POSSES-
queur ses auxiliaires libyens sans re- SIONS ET SE DÉCLARE ROI D'AFRIQUE.
fuge sur cette terre étrangère où ils — Cette expédition d'Agathocles (*) ,
furent bientôt dispersés et détruits , qui sillonna de ses marches le sol de
alors une violente indignation souleva l'Afrique et mit Carthage à deux doigts
l'Afrique , dès longtemps fatiguée du de sa ruine, fournit quelques indica-
joug de ses maîtres; elle reprit son
indépendance. Deux cent mille soldats santtions topographiques
de recueillir dans qu'il est intéres-
le récit de Dio-
dore.
s'emparant de Tunis et pressant Car-
thage, lui demandèrent compte de ce Furtivement parti de Syracuse, Aga-
lâche abandon. Mais ils étaient sans thocles vient débarquer aux Latoniies
chefs habiles, de tribus diverses, trop ou carrières que l'on voit encore près
nombreux pour se procurer aisément d'El-ïlawaryeh; il emporte et pille Mé~
des vivres ; les Carthaginois surent galopolis, qui paraît répondre à Sydy-
trouver quelques traîtres à acheter, et Daoud, et entre dans le blanc Tunis ,
bientôt cette multitude débandée, re- qui se rend à la première sommation. Il
gagnant ses demeures, délivra la cité bat les premières troupes qui lui sont
suzeraine des frayeurs qu'elle lui cau- opposées, dévaste les environs de Car-
sait. Et l'adroite Carthage eut bientôt thage , reçoit les soumissions d'un
repris son ascendant politique en Afri- grand nombre de places ; puis il mar-
que, où quatre ans après nous la voyons che contre les villes maritimes, s'em-
faire de puissantes levées de soldats
pour créer une nouvelle armée de Si- et va pare de Néapolis,
assiéger aujourd'hui
Jdrumète, Nabel,
la moderne
cile. Sousah, de concert avec Elymas roi
Mais quinze ans plus tard (***), pen- des Libyens devenu son allié. Il prend
dant que la peste et les émeutes déso- ensuite Thapsus, dont les ruines se
voient au cap Dimas, et plusieurs au-
tres villes du même canton. Ayant
(*) C'est-à-dire à la génération suivante,
sous les fils d'Amilcar le contemporain de ainsi, de gré ou de force, réduit à son
Darius.
(**) L'an 395 avant l'ère vulgaire. (*) De l'an 3 10 à l'an 3o6 avant l'ère vul-
(***) L'an 379 avant l'ère vulgaire.
gaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 195
obéissance plus de deux cents villes, vient auprès d'Archagathe. Une se-
il s'enfonce dans l'intérieur. Les Car- conde expédition est alors résolue, et
thaginois tentent une diversion; mais Eumaque , dépassant les villes déjà
Agathocles revient les surprendre, les soumises, attaque à l'improviste Mil-
taille en pièces, et reprend son ascen- Une, que des forces supérieures le
dant sur les Libyens après avoir forcent d'abandonner : traversant alors
vaincu et tué Elymas qui était retour- une montagne infestée de chats sau-
né au parti ennemi. Cependant les vages, ilentre dans un pays rempli de
Carthaginois envoient des troupes singes, et atteint trois villes dont le
pour regagner les Numides déficients, nom, traduit à la manière des Grecs,
et Agathocles ne peut les empêcher est exprimé dans Diodore par celui de
d'atteindre les terres des Zouphons , Pithêkousses; elles étaient sans doute
de faire déclarer pour Carthage un placées vers le golfe d'El-Qoll, où les
grand mener
nombre d'habitants, et debeau-
ra- pithèques abondent, et où Scylax in-
àleur ancienne alliance dique d'ailleurs une île Pithékousse
rés. coup de ceux qui s'en étaient sépa- qui suivantexistant
aux singes toute apparence
encore sous est l'île
ce nom
Après avoir appelé à son aide Ophel- près de Storah. Eumaque emporte et
las et l'avoir fait assassiner, Agatho- détruit une de ces villes, reçoit les
cles grossit sa propre armée des trou- soumissions des deux autres; mais ef-
pes venues de Cyrène; et comme Anti- frayé du nombre des ennemis qui ac-
gone, Démétrius, Ptolémée, Cassandre, couraient detoutes parts, il s'empresse
Lysimaque se créaient des royaumes de regagner les bords de la mer.
Carthage recouvre toutes ses
des lambeaux de l'empire d'Alexandre,
lui-même aussi prend la couronne et possessions d'Afrique. — Cepen-
le titre de roi. Il vient assiéger Utique, dant les revers d'Archagathe rappel-
qu'il enlève d'assaut, puis Hippou- lent Agathocle en Afrique, et dans
Akra, c'est-à-dire la citadelle de la le dénombrement qu'il fait à son ar-
première Hippone représentéeaujour- rivée ,ce prince compte encore six
d'hui parlement;Bizerte, mille Grecs, autant de mercenaires
etil se faitqu'il
ainsiemporte éga-
reconnaître d'Europe, dix mille auxiliaires libyens,
de la plupart des Libyens du littoral quinze cents chevaux et six mille chars
et de l'intérieur ; quant aux Numides du pays ; mais un premier échec
quelques-uns acceptent son alliance, amène la défection des Libyens , et
les autres attendent l'issue définitive Agathocles voyant sa cause perdue en
de la lutte.
Afrique, s'enfuit secrètement en Si-
Expéditions d'Eumaque chez cile. Ses soldats, indignés de ce lâche
les Numides. — Rappelé en Sicile par abandon, massacrent ses deux fils, et
l'état de ses affaires, Agathocles laisse traitent directement avec Carthage ,
à son fils Archagathe le soin de conti- qui leur accorde trois cents talents en
nuer la guerre d'Afrique. Celui-ci en- échange des villes qu'ils tenaient en-
voie dans l'intérieur des terres un corps core, réduit par la force les garnisons
de troupes sous les ordres d'Eumaque, qui voulaient résister , prend à son
lequel prend d'abord Tokai et soumet service ceux qu'elle y trouve disposés,
les Numides d'alentour, puis s'empare et transporte le reste en Sicile. Ainsi
de Phellinê, et réduit les Asphodélodes fut terminée cette guerre qui avait dé-
du voisinage, semblables pour la cou- pouillé un moment Carthage de tou-
leur aux Ethiopiens, se rend maître tes ses possessions territoriales d'A-
ensuite de la grande ville de Meskhe- frique, mais après laquelle les choses
la, de là va conquérir la citadelle de se trouvaient,en définitive, remises au
la seconde Hippone, homonyme de même état qu'avant les hostilités.
celle qu'avait naguère subjuguée Aga- Pour apprécier ses ions, au moins l'étendue de ces
sur certains pos-
rayons,
thocles ,et enfin emporte et rase la
ville libre iïAkris, après quoi il re- il nous suffirait de connaître l'empla-
13.
196 L'UNIVERS
cernent des Numides Zouphons , qui fin la dernière guerre avec Rome, où
étaient une nation amie et non sujette, le fils de Paul-Émile, le fils adoptif de
située par conséquent en dehors des Scipion, n'eut qu'à porter le coup de
limites puniques; et celui des villes de grâce à la malheureuse Carthage qui
l'ouest conquises par Eumaque, et se débattait en vain, dans une affreuse
dont la première, Tokai, est déjà in- agonie, sous le fer impitoyable de ses
bourreaux.
diquée comme une place numide : c'est
probablement la même que Ptolémée Voilà ce qu'il nous faut parcourir
indique sous le nom de Toukka entre d'un coup d'œil rapide ; mais aux seu-
Thabraka et le fleuve Bagradas; mais les choses d'Afrique doit se borner ici
la position en demeure pour nous in- notre examen, restreint même, dans
certaine: etquant aux Zouphons, il ne son point de vue, à de simples ques-
s'est encore produit à leur égard que tions de topographie et de limites ter-
ritoriales.
des hypothèses sans consistance.
IL LUTTE DE CARTHAGE CONTRE Première guerre punique.
ROME.
Expédition de Régulus.— -Après
Jusqu'à l'époque où nous sommes huit années de combats où la téna-
parvenus, la reine du commerce de cité des Romains semblait triom-
l'occident, Carthage n'avait eu de rap-
ports avec Rome que pour lui inter- sulsdeAulus
pher l'inconstante fortune,
Manlius Vulso et les con-
Marcus
dire l'approche de ses domaines d'A- Atilius Régulusfectuer une descente (*) avaient
sur lerésolu d'ef-
territoire
frique la
: Sicile, jetée entre les deux
rivales, était le champ sur lequel même de Carthage; et la flotte ro-
elles devaient se rencontrer, et com- maine, rompant les obstacles que les
mencer lalutte, fameuse dans tous les vaisseaux puniques avaient tenté de
siècles, où trois fois elles mesurèrent lui opposer, se rallia au promontoire
leurs forces, s'ébranlant l'une l'autre d'Hermès; puis longeant la côte vers
dans leurs fondements, jusqu'à ce le sud, elle s'arrêta devant Aspis, dont
qu'enfin Carthage fut violemment ar- le nom grec était traduit dans la lan-
rachée du sol par son implacable en- gue des Latins par celui de Clypéa, con-
nemie. servé presque entièrement par les Ara-
Les trois guerres qui forment com- bes à la moderne Éqlybvah. C'est là
me les actes de cette longue tragédie, qu'on débarqua ; la ville fut emportée,
eurent leurs intermèdes, dignes d'un et devint le quartier général
si grand drame : et Carthage, deux mée expéditionnaire, qui fut de l'ar-
bientôt
fois échappée aux coups de Rome, fut maîtresse de tout le plat pays et de
aux prises tour à tour avec les soldats nombre de places dans le voisinage.
stipendiés dont ses caisses épuisées ne A l'expiration de son consulat, Ré-
f>ouvaient solder les services , et avec gulus, maintenu comme proconsul à
'insatiable Massinissa, dont l'ambi tion la tête des troupes nécessaires pour
usurpatrice la dépouillait pièce à pièce continuertérieurladu pays guerre, s'avança versbords
l'in-
de ses domaines. , arriva sur les
Ainsi s'offrent successivement à no- du Bagradas, et vint mettre le siège
tre étude suivant l'ordre des temps ; devant la forte place nommée Adin,
— la première guerre avec Rome, celle au soutien de laquelle accoururent les
dont Régulus fut le héros ainsi que la Carthaginois ; mais l'habileté de Régu-
victime ; — la guerre des stipendiés ; lus triompha de leur nombre ; sa vic-
— la guerre chantée par Silius Itali- toire fut complète, et lui valut la ca-
cus, où les grands noms de Scipion et pitulation dupays dans un rayon assez
d'Annibal ne laissent de place pour étendu pour compter jusqu'à quatre-
aucun autre ; — les querelles de ter-
ritoire élevées par Massinissa ; — en- (*) L'an 256 avant l'ère vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 197
vingts villes soumises. Certaines condi- ritoirequ'une
, occupation passagère,
tions de position et d'homophonie sem- dont toutes les traces étaient déjà effa-
blent désigner la ville appelée Outhina cées. Iln'y eut plus de leur part, jus-
dans Ptolémée, Utina dans les conci- qu'à la fin de la guerre, aucune tenta-
les, et dont les ruines portent encore tive sérieuse d'invasion : d'abord les
le nom de Oudenah , à dix milles géo- consuls Cnéus Servilius Cépio et Caïus
graphiques au sud de Tunis, comme Sempronius Rlésus (*) vinrent faire
représentant l'AdindePolybe.La prise quelques courses de pillage sur divers
de Tunis couronna cette brillante cam- points du littoral , jusqu'à l'île des
pagne ,où les succès du proconsul Lotophages appelée Ménix (c'est-à-
étaient accompagnés des déprédations dire l'île de Gerbeh, où subsiste encore
des Numides , ennemis plus acharnés le nom de Menâqes) , emportant un
encore que les Romains. butin que la mer engloutit à leur re-
Victoire de Xantippe. — Ce- tour ,ce qui n'empêcha pas Sempro-
pendant Carthage ayant eu recours nius d'obtenir le triomphe. Six ans
a des Grecs mercenaires, le lacédé- après, quelques particuliers, armant
à leurs frais des galères empruntées à
monien Xantippe vint changer d'un la république, allèrent courir les côtes
seul coup la face des affaires ; l'ar-
mée des Romains fut anéantie , et africaines , pénétrèrent dans le port
2 000 hommes à peine parvinrent à re- d'Hippone-Diarrhyte , y brûlèrent les
gagner Clypéa. Les Carthaginois s'em- de vaisseaux ennemis ainsi qu'une partie
la ville, firent un butin considéra-
pressèrent d'expulser les Romains des ble ,et effectuèrent leur sortie en fran-
places qu'ils occupaient, et ils vinrent chissant adroitement les chaînes ten-
assiéger
tée de mettre Clypéa.en Mais Rome
mer de s'était for-
nouvelles hâ-
dues pour leur barrer le passage. Puis
ces ;les consuls Servius Fulvius Péti- à deux ans de là le consul Marcus
nus Nobilior et Marcus Emilius Paullus Fabius Rutéo (**) conduisit une flotte
vinrent d'abord à l'île de Cossura , la en Afrique, et remporta sur les Car-
moderne Pantellaria, dont ils s'empa- une victoire thaginois, auprès de
navale l'île Egimurus,
, dont encore une
rèrent ;puis ils se dirigèrent sur Cly-
péa ,en vue de laquelle ils remportè- fois la tempête enleva les fruits aux
rent sur la flotte carthaginoise une Romains. Egimurus est la plus grande
victoire vivement disputée, descendi- des deux îles conjointement appelées
rent àterre, établirent leur camp près aujourd'hui Gjouâmer, pluriel de Gja-
de la ville, et battirent encore les Car- mour, ou de Gjâmerah dont les Euro-
thaginois puis
; , embarquant la gar- nos cartes. péens ont fait Zembra , ainsi écrit sur
nison et le butin , ils abandonnèrent
l'Afrique pour retourner en Italie, où Enfin la paix fut conclue , et la pre-
les honneurs du triomphe les atten- mière guerre punique, dont le théâtre
daient àraison de la prise de Cossura était demeuré, sur le continent, res-
et de la défaite des Carthaginois. Mais treint dans un cercle médiocrement
une tempête détruisit leur flotte sur étendu , fut terminée sans que Rome
les côtes de Sicile , et Cossura fut re- eût pris pied sur le territoire d'A-
prise par Carthalon, pendant qu'Amil- frique.
car Rarca , parcourant en maître le
pays des Numides, les châtiait de l'ap- Guerre des Stipendiés.
pui qu'ils avaient prêté à Régulus ,
faisant pendre les chefs et imposant Causes de la guerre. — Car-
aux populations de grosses contribu- thage eut bientôt sur les bras toutes
tions d'argent et de bestiaux. les troupes mercenaires et libyennes
RÉSULTATS DE LA GUERRE. —
que l'évacuation de la Sicile et la ces-
Ainsi la première expédition des Ro-
mains en Afrique n'avait eu d'autre (*) L'an 253 avant l'ère vulgaire.
résultat, quant à la possession du ter- [ (**) L'au 245 ayant l'ère vulgaire.
198 L'UNIVERS.
sation des hostilités rendaient mainte- bes ont conservé le nom à la moderne
nant inutiles , et qui furent provi- Qafssah qui lui a succédé. Hannon
soirement transférées à Sicca, la mo- marcha au secours des places assié-
derne Kêf.
Elles avaient à réclamer un gros gées ,et remporta auprès d'Utique un
premier succès, presque aussitôt suivi,
arriéré de solde et de prestations de par son imprudence, d'un désastre qui
toute nature, sur le montant desquel- lui fit perdre son camp et tout son
les on voulut marchander ; elles s'en matériel ; puis, à quelques jours de là,
irritèrent , et prenant la route de Car- devant la ville de Gorza, dont nous
thage, elles vinrent camper à Tunis au ignorons remplacement certain, bien
nombre de 20 000 hommes (*) ; les cme des inscriptions en soient venues
tardives concessions du sénat cartha- à nos musées d'Europe (*) , deux fois
ginois accrurent leurs exigences, et son impéritie laissa échapper une vic-
comme on n'y obtempérait pas sans toire facile. Carthage effrayée se hâta
objections, elles se révoltèrent ouver- de mettre sur pied une nouvelle ar-
tement ,et appelèrent le pays à faire mée de 10 000 citoyens avec 70 élé-
cause commune avec elles. phants, eten donna fe commandement
Le pays concentrait une longue im- à Amilcar Barca, qui fit prendre aussi-
patience des exactions impitoyables de tôt une nouvelle face aux affaires.
ses maîtres, qui ne croyaient être que Les insurgés avaient établi des pos-
justes en ravissant au cultivateur la tes multipliés en travers de l'isthme
moitié de ses produits, en arrachant qui joignait Carthage au continent ;
aux villes , en temps de guerre , le
double des contributions ordinaires. ils occupaient en outre l'unique pont
du fleuve Makar (c'est ainsi que Po-
Toutes les villes et les campagnes ré- lybe appelle le Bagradas ou Megerdah),
pondirent l'appel
à de leurs frères ; de et y avaient même bâti une ville. Ce
toutes parts on envoya des soldats , pont et la ville attenante sont plau-
des munitions , de l'argent ; les fem- siblement représentés aujourd'hui par
mes même sacrifièrent avec empresse- la positionchemin d'El-Qantharah
ment leurs joyaux pour soutenir la à moitié de Tunis ouà leBizerte.
Pont ,
querelle nationale ; et les insurgés Amilcar, au grand étonnement de
ayant ainsi réuni une armée de 70 000 tous , tourna ces obstacles en opérant
hommes , allèrent, sous la conduite du son passage sur la barre même du
libyen Mathôs et du transfuge campa- fleuve , que la mer découvrait sous
nien Spendius, attaquer Utique et
Hippone-Diarrhyte, qui seules étaient (*) Le musée de Cortone renferme deux
restées fidèles à la cause des Cartha- inscriptions curieuses apportées d'Afrique
ginois. et publiées pour la première fois par Marini
Succès divers de Hannon et d'A- dans ses Monuments des Frères Arvales ;
milcar. — Le stratège Hannon, qui nous nous bornerons à rapporter ici un frag-
avait fait sa réputation militaire par la ment de l'une
notre ère : d'elles, datée de l'an 7 de
conquête antérieure du canton libyen CIVITAS GVRZKNSIS EX AFRICA
d'Hécatompyle, fut mis à la tête d'une HOSPITIVM. FECIT CVM C. AVFVS
armée improvisée au sein de la capitale. TIO C. F. GAL. MACRINO PRAEF.
Cette Hécatompyle, que Polybe et Dio- FABR. EVMQVE LIBEROS POSTE
dorefontconquérirpar Hannon, avait, ROSQVE EIVS SIB1 LIBERIS
suivant le dernier, été fondée par Her- POSTERISQVE SVIS PATRO
cule à la sortie du désert de Libye , NVM etc.
COOPTARVNT.
fectif un peu moindre de 12 000 Li- après avec cinquante galères faire une
byens, auxquels iljoignit 300 Liguriens descente à Utique, ravager la campa-
et 500 Baléares ; quant à la cavalerie , gne et enlever des prisonniers. L'an-
la Libye et les villes libo-phénicien- née suivante, les comices voulurent que
nes n'avaient pas fourni 500 hommes ; Lévinus, conservant la Sicile comme
il y avait de plus 300 Lorgites et proconsul, fît encore quelque descente
1800 nomades Massy liens , Massésy- en Afrique, en personne ou par un de
liens, Makiens, et Maures des bords ses lieutenants, soit Messala, soit le
de l'Océan. Lui-même entra en cam- propréteur Lucius Cincius Alimentus ;
pagne avec une puissante armée, dont mais il n'effectua son expédition que
les Libyens et les Numides avaient la seconde année de son proconsulat ;
fourni une part importante. alors il partit avec cent galères , vint
Nous n'avons point à raconter ici débarquer près de Clypéa, poussa ses
les mémorables prouesses du héros excursions au loin dans la campagne
carthaginois conduisant ses éléphants sans trouver d'obstacles, et, chargé de
et ses phalanges africaines à travers les dépouilles, regagna précipitamment ses
frimas des Pyrénées, des Alpes, de vaisseaux pour combattre et vaincre la
l'Apennin,Rome ébranlant flotte carthaginoise envoyée contre lui.
réduisant à la toute l'Italie
dernière et
extré- L'année d'après, proconsul encore, il
mité ;nous n'avons point à dire les aborda
avant sur prèsle d'Utique,
territoire de s'avança fort,
Carthage
exploits des Scipions en Hispanie ;
l'Afrique seule , au point de vue de et ayant recueilli un riche butin, il
son histoire territoriale , a droit de se remit en mer pour battre la flotte
nous occuper. punique qui venait à sa rencontre.
Premières incursions des Ro- Rome se fait des alliés en Afri-
mains.—Le consul CnéusServiliusGé- que. — Mais des courses de pillage sur
minus (*) y lit une première incursion ; le littoral étaient sans portée : pour in-
d'abord il dévasta l'île de Ménix , ran- quiéter sérieusement Carthage en Afri-
çonna celle de Kerkina , et débarqua que, ilfallait prendre pied sur ce con-
ensuite sur le continent pour y faire tinentRome
; n'avait point négligé de
le dégât; mais il fut enveloppé, per- s'y ménager des alliances dans ce but.
dit 1000 hommes avec son questeur Entre les possessions puniques et les
Sempronius Blésus, et fut contraint Maures daient voisins
à une honteuse fuite; dans la traver- les deux depuissants
l'Hispanie s'éten-
royaumes
sée de retour, il prit la petite île de numides des Massésyliens et des Mas-
Kossyra, où il laissa garnison, et syliens, états rivaux se disputant la
rentré à Lilybée, il remit le comman- possession d'une province enlevée à
dement de la flotte au préteur Titus Carthage, l'un ayant pour roi Syphax
Otacilius, le même qui deux ans après dont la capitale était Siga, l'autre ap-
vint faire une descente sur les côtes partenant Gala
à et ayant pour capi-
carthaginoises qu'il dévasta, et trois tale peut-être la royale Hippone. Les
ans plus tard reparut avec quatre- Romains ayant gagné Syphax, les Car-
vingts galères devant Utique , enleva thaginois excitèrent contre lui Gala ,
dans le port même cent trente navires qui envoya son jeune fils Massinissa le
chargés de grains , ravagea les envi- combattre et le vaincre à deux repri-
rons ,et revint en Sicile avec un im- ses ;cependant Syphax se releva de sa
mense butin, fruit d'une simple croi- double défaite et obtint quelques avan-
sière de trois jours. tages contre les Carthaginois, pendant
A son exemple , Marcus Valérius que Massinissa faisait la guerre pour
Messala, envoyé par le consul Marcus eux en Hispanie , où l'avait accompa-
Valérius Lévinus (**) , vint deux ans gné son neveu le jeune Massiva.
Massiva ayant été fait prisonnier
n(*) L'an
V 217
L'an 210
avant l'ère vulgaire.
avant l'ère vulgaire.
dans une rencontre, Scipion le ren-
voya sans rançon et comblé de pré-
201
AFRIQUE ANCIENNE.
sents à son oncle, qui fut vivement étant devenue nombreuse , moins ce-
touché de cet acte de générosité , et pendant qu'il ne l'avait espéré, il mar-
résolut peut-être dès lors d'embrasser cha contre Lacumacès, qu'il atteignit
le parti des Romains. On peut croire près de Thapsus au moment où ce
toutefois que ses dispositions à cet prince partait pour aller joindre Sy-
égard furent principalement détermi- phax Massinissa
; s'empara de la ville,
nées par le désir de s'assurer, au reçut à merci les cavaliers royaux qui
moyen de leur alliance, la possession se rendirent, tailla en pièces ceux qui
future d'un trône qui venait de lui voulurent résister ; mais le gros de
échapper par l'avènement de son oncle l'armée ainsi que le jeune roi parvin-
Ésalcès, plus favorisé que lui-même rent às'échapper pendant la mêlée et
des Carthaginois, lesquels avaient ci- rejoignirent Syphax. Ce premier suc-
menté leur amitié en faisant épouser cès ayant grossi les forces de Massi-
au nouveau roi une nièce du grand nissa, ilput tenir tête à Mézétule mal-
Annibal. Quoi qu'il en soit, Massi- gré les renforts que Lacumacès avait
nissa fit de premières ouvertures au obtenus de Syphax; il leur livra ba-
propréteur Marcus Silanus, puis il eut tail eles
, défit, les obligea à se réfu-
avec Scipion lui-même une entrevue gier sur les terres de Carthage , et re-
secrète, dans laquelle il insista vive- couvra ainsi le royaume de ses pères;
vement peur que la guerre fut portée mais sentant qu'il allait avoir Syphax
en Afrique, où il était né, où il avait sur les bras , il se hâta de faire à ses
été élevé dans l'attente d'un trône, et compétiteurs défavorables conditions,
où il pourrait montrer aux Romains et les rallia ainsi à son parti.
que jamais ils n'avaient eu d'ami aussi Syphax en effet, adroitement excité
dévoué que lui. Après s'être engagé par les Carthaginois à occuper sur-le-
mutuellement leur foi , les deux chefs champ en maître le territoire qui avait
se séparèrent, et bientôt Scipion se été l'objet de contestations opiniâtres
rendit à Rome pour obtenir le consu- entre Gala et lui, fondit sur les Mas-
lat, et Massinissa fut rappelé en Afri- syliens, etforça Massinissa à fuir dans
que par le soin de ses propres affaires. les montagnes avec un petit nombre
Massinissa recouvre son royau- de cavaliers et quelques familles em-
me et le reperd. — Il avait d'abord portant leurs tentes et chassant de-
reçu la nouvelle que son oncle Ésalcès vant elles leurs troupeaux : les habi-
était mort, et que son cousin Capusa, tants ,dit Tite-Live , appellent ces
fils aîné du défunt, avait été proclamé montagnes Balbum,la soit que l'histo-
roi à sa place; bientôt il apprit que Ca- rien latin traduise signification du
pusa avait été tué dans un combat con- mot indigène, soit qu'il en reproduise
tre Mézétule, autre prétendant, qui tou- simplement l'émission phonétique. Un
tefois n'avait osé prendre le sceptre lieutenant de Syphax, chargé d'une
qu'à titre de tuteur du jeune Lacuma- expédition dans ces gorges étroites,
cès frère de Capusa, tout en cherchant poursuit Massinissa de retraite en re-
à consolider son usurpation, d'un côté traitel'atteint
, et le blesse auprès de
par l'alliancedes Carthaginois au moyen Clypéa, et perd enfin sa trace au pas-
de son mariage avec la veuve d'Ésal- sage d'un torrent où le prince s'est jeté
cès nièce d'Annibal , et d'un autre et doit avoir péri Mais une ca-
côté verne cache le monarque blessé , qui
envoyapardes l'alliance de Syphax, à qui il
ambassadeurs. bientôt rétabli reparaît au milieu des
Massinissa ne perdit pas un instant: Massyliens enthousiasmés, reprend son
il passa en Mauritanie, et obtint du roi royaume, ravage les terres de ses voi-
Bocchar 4 000 cavaliers à titre d'escorte sins ,vient se faire battre entre Hip-
jusqu'aux frontières de la Numidie des pone et Cirta par son heureux com-
Massyliens, où cinq cents de ses par- pétiteur, et va chercher un refuge au
tisans, prévenus de son arrivée, vin- fond de la petite Syrte, dans le canton
rent le recevoir; bientôt son armée situé entre les comptoirs puniques et
202 L'UNIVERS.
les Garamantes, où i) attendit avec une absence de sept jours seulement,
confiance des jours meilleurs. assiéger Utique par terre et par mer.
Arrivée de Scipion. — Tel était L'arrivée de Syphax et d* Asdrubal le
l'état des choses quand le consul Sci- détermine à lever le siège après qua-
pion (*), préparant en Sicile une ex- rante jours d'efforts inutiles, et à s'al-
pédition décisive contre Carthage, en- ler retrancher pour l'hiver sur un pro-
voya Caius Lélius avec une escadre montoire qu'un isthme étroit unissait
courir les côtes et sonder le terrain ; au continent; ce lieu en prit le nom
celui-ci débarqua à Hippone-Royale , de Castra Cornélia, sous lequel on le
fit le dégât dans les environs , eut voit figurer dans les itinéraires.
une entrevue avec Massinissa , et re- Premiers succès de Scipion. —
partit chargé de butin , pendant que Après quelques pourparlers sans ré-
les Carthaginois effrayés s'empres- sultat, Syphax se porta sur la ville de
ïholonte où les Romains avaient de
saient d'acheter, au prix de la main de
la belle Sophonisbe , la renonciation grands approvisionnements, et l'enleva
ouverte de Syphax à l'alliance ro- par surprise. Mais Scipion (*), dans
maine ,et tentaient de gagner égale- une expédition nocturne , se dirige
ment Massinissa , qui feignit de s'y silencieusement vers le camp d'As-
prêter et vint avec ses cavaliers éta- drubal, distant de soixante stades en-
blir son camp auprès d'Utique. Enfin viron, ou plus de sept milles, pour
Scipion, à qui Rome avait laissé, avec aller y mettre le feu, pendant que Lé-
le titre de proconsul , la province de lius se joint à Massinissa pour incen-
Sicile et le soin de la guerre d'Afrique, dier celui de Syphax ; profitant du tu-
mit en mer avec une flotte bien équi- multe et de l'effroi que cause de part
pée et de nombreuses troupes de dé- et d'autre cet embrasement, les assail-
barquement; après une journée et une lants font un épouvantable carnage et
nuit brumeuses, le soleil dissipa les demeurent bientôt maîtres des deux
nuages et !e vent fraîchit ; on aperçut camps : Syphax s'enfuit à huit milles
la terre à cinq mille pas, c'était le pro- de là, dans une position mieux défen-
montoire de Mercure: « Allons plus due; Asdrubal se réfugie avec 500
loin », dit Scipion. Le vent tomba, la cavaliers seulement dans la ville d'Au-
brume reparut et ne fut dissipée que da, qu'il abandonne presque aussitôt,
le lendemain au lever du soleil ; on et qui ouvre ses portes à Scipion ,
revit la terre , c'était le Beau promon- dont les soldats enlèvent et saccagent
toire :« Bon augure ! dit Scipion; dé- deux autres villes du voisinage , puis
barquons ici. » il revient au sesiègehâte
d'Utique.
Asdrubal de recruter de
Il établit d'abord son camp sur les
hauteurs les plus voisines , envoie sa nouvelles troupes ; Syphax , retiré à
flotte vers Utique , et prend la même Abba, y rallie tout ce qui lui reste de
route par les coteaux peu éloignés du soldats, fait de nouvelles levées, reçoit
rivage, s'empare chemin faisant de un renfort de Celtibériens qui arri-
quelques places, est rejoint par Mas- vaient de l'Hispanie , et les deux ar-
sinissa avec 2 000 cavaliers numides, mées réunies établissent ieur camp
ravage la campagne, occupe la ville dans ce qu'on appelait les Grandes
libyenne de Lokha dont le nom est Plaines, c'est-à-dire dans le canton
resté au village actuel d'El-Ouqâ, et arrosé par le fleuve Tusca, et qu'on ap-
vient camper à un mille d'Utique ; pelle encore la campagne de Boll ; Sci-
puis il va, à quinze milles de son camp, pion, partant d'Utique, arrive en cinq
tomber sur un corps de 4 à 5 000 ca- journées , campe d'abord à trente sta-
valiers cantonnés à Salera , qu'il em- des ou quatre milles de l'ennemi, puis
porte, dévaste les alentours, prend il s'en rapproche jusqu'à sept stades ;
quelques autres places, et revient, après enfin, après quelques escarmouches, la
(*) L'an 2o5 avant l'ère vulgaire. (*) L'an 2o3 avant l'ère vulgaire.
203
AFRIQUE ANCIENNE.
Tunis pour y recevoir les soumissions ces fossés ne sont mentionnés que par
des vaincus ; les conditions de la paix lui, et par un fragment de la Périégèse
furent ainsi réglées : que les Carthagi- perdue d'Eumaque, conservé par Phlé-
nois demeureraient libres, conservant gon de Tralles, sans indication de
leurs lois et la possession des villes leur situation. Pline aussi nous parle
de leur territoire en dedans des limites d'un fossé que le jeune Scipion établit
existantes avant la guerre, évacuant pour limite entre les possessions ro-
toutes les villes en dehors de ces limi- maines et celles des rois numides, et
tes, et leur rendant leurs otages; qu'ils il est probable qu'il s'agit , au moins
livreraient tous les prisonniers et en partie , de la même ligne de dé-
transfuges, tous leurs éléphants, tou- marcation; mais nous ne sommes
tes leurs galères, sauf dix trirèmes guère mieux instruits de la situation
seulement ; qu'ils ne feraient aucune précise de celle-ci. Quoi qu'il en soit,
guerre, soit en Afrique, soit au dehors, nous pouvons admettre, sans crainte
sans l'autorisation de Rome ; qu'ils d'erreur grave, que les Carthaginois
rendraient à Massinissa tout ce qu'ils prétendaient posséder tout le terri-
lui avaient enlevé, et s'allieraient à lui ; toire compris entre Thabraca et Thè-
qu'ils fourniraient les vivres et la solde nes; que Massinissa avait sans con-
de l'armée jusqu'au retour des ambas- testation lacontrée qui s'étendait au
sadeurs àdéputer au sénat ; qu'ils delà de ces limites jusqu'à la CyrénaS
paveraient 10 000 talents euboïques , que d'une part, et d'autre part au
donneraient cent otages, et restitue- moins jusques et y compris la royale
raient toutes leurs prises. Cirta; sauf les prétentions puniques
Rome ayant décerné de pleins pou- sur quelques villes du littoral, et les
voirs à Scipion (*), la paix fut ainsi prétentions de Massinissa sur une
définitivement conclue. Le proconsul bonne partie du territoire occupé par
ajouta aux états que Massinissa te- les Carthaginois et dont la restitution
nait en héritage de ses pères, la ville était stipulée. Le domaine de Ver-
de Cirta et toutes les autres places et mina, assez vaste encore, se poursui-
territoires qui avaient été enlevés à vait àl'ouest du royaume de Massi-
Syphax par les armes romaines , le nissa jusqu'à la Mauritanie, c'est-à-dire,
surplus demeurant au pouvoir de Ver- suivant toute apparence, jusqu'au fleu-
ve Molochath au couchant du Malua,
mina. Puisà ilRome
recevoir quittales
l'Afrique et vint
honneurs du où commençait le royaume de Boc-
triomphe. char.
RÉSULTATS DE CETTE GUERRE
QUANT AUX DÉLIMITATIONS TERRITO- Envahissements de Massinissa.
RIALES. — Quelles furent alors les li-
mites où se trouvèrent renfermés les Gouvernement d'Annibal a Car-
Carthaginois, quelles furent celles de thage : révolution parlemen-
Massinissa et celles du fils de Syphax ? TAIRE contre lui. — Le traité qui ve-
La question est plus facile à poser qu'à nait d'être conclu entre Rome et Car-
résoudre. Toutefois il est quelques thage contenait, dans ses dispositions
données générales qui ressortent des en faveur de Massinissa, le germe de
faits que nous venons de résumer, des longues contestations ; car il était évi-
indications subséquentes des géogra- dent qu'un intérêt de conservation de-
phes, et des vait porter Carthage à résister aux ten-
demander aux lumières que ultérieurs.
événements l'on peut
tatives d'agrandissementque l'ambition
Les Carthaginois devaient se renfer- et la confiance en l'appui des Romains
mer, dit Appien, dans le territoire inspireraient au monarque numide : et
ceint par les fossés puniques (**); mais l'on avait ôté à Carthage la faculté de
vider à cet égard sa propre querelle, en
(*) L'an 2or avant noire ère. lui interdisant toute guerre qui n'au-
(**) 'Evtoç tûv <E»oivix(owv xatppwv. rait pas l'assentiment de Rome.
AFRIQUE ANCIENNE. 205
lendemain matin à la tour qui portait
Cependant la présence d'Annibal son nom , entre Acholla et ïhapsus.
dans sa patrie suffisait pour contenir
les prétentions de Massinissa dans les Il se rendit le même jour à l'île de
bornes d'une simple réclamation di- Cercina, et remit en mer la nuit sui-
vante pour aller chercher un asile au-
plomatiquel'illustre
: stratège , resté
a la tête de l'armée carthaginoise, près d'Antiochus de Syrie qui prépa-
partageait avec son frère Magon le rait la guerre aux Romains.
soin de maintenir l'Afrique dans le Massinissa se met en posses-
devoir. Mais bientôt Rome en témoi- sion des Emporia. — Au milieu
gna de l'ombrage. Le parti populaire des préoccupations nouvelles excitées
était alors assez puissant encore pour par cet événement inattendu, la ques-
lutter contre le servilisme qui envahis- tion de limites qui avait servi de pré-
sait le sénat punique; et ce ne fut texte àla venue des commissaires,
qu'après trois ans d'efforts que les fut probablement oubliée ; tandis que
deux factions que l'on appelait ro- Massinissa, enhardi par les mauvai-
maine et royale parvinrent à faire pro- ses dispositions des Romains contre
noncer le rappel d'Annibal et de Ma- les Carthaginois, et favorisé en même
gon: ce ne fut même qu'un succès temps par les dissensions intestines
momentané , car le parti patriote re- de ceux-ci , prit le parti d'envahir
gagna presque aussitôt l'avantage en le territoire qu'il convoitait, soumit à
portant Annibal à la suprême magis- son autorité quelques-unes des villes
tributaires de Carthage, et dévasta
trature (*). Le grand homme s'y mon-
tra plus menses
redoutable encore refluer
réformes faisant , et d'im-
au tout le pays : il s'agissait, nous dit
Tite-Live, de la contrée maritime ap-
trésor, pour l'acquittement des char- pelée Emporia, bordée à la fois, d'un
ges publiques , les richesses dont l'a- côté, par la petite
une campagne Syrte,etdeconstituant,
fertile, l'autre par
ristocratie avait seule jusqu'alors abu-
sivement profité , on vit Carthage se sous le nom de Leptis, une cité uni-
refaire de ses pertes avec une merveil- que (*) qui payait à sa métropole l'é-
leuse rapidité, se créer des ressources norme tribut d'un talent par jour.
nouvelles , et redevenir pour Rome Carthage envoya à Rome des am-
une rivale d'autant plus formidable bassadeurs (**) pour se plaindre de
qu'elle semblait se ménager des allian- cette violation des limites fixées par
ces étrangères. Scipion : limites, disaient-ils, que Mas-
Aussi des ambassadeurs romains sinissa avait bien reconnues et respec-
arrivèrent-ils à Carthage sous le pré- tées, alors que, poursuivant le nu-
texte de terminer par voie de concilia- mide Aphir ou Aphtérate dans sa fuite
tion les discussions soulevées par les vers Cyrène, il s'était cru obligé de
réclamations de Massinissa , mais en demander et s'était vu refuser par les
réalité pour favoriser une révolution Carthaginois le passage qu'il avait re-
parlementaire contre Annibal, et ob- vendiqué depuis. Mais des envoyés nu-
tenir l'extradition de leur implacable mides étaient aussi venus pour répon-
ennemi. Il leur échappa toutefois en dre à ces griefs : ils accusèrent les
s'exilant volontairement de son in-
grate patrie : averti de leurs menées, (*) C'est ainsi , suivant nous , qu'il faut
il fit secrètement disposer des relais entendre ce passage de Tite-Live : « Empo-
« ria vocant eam regionem ; . . . . una civitas
pendant qu'il affectait de se montrer « ejiiSjLeptis. » Les traducteurs, qui oublient
toute la journée exclusivement occupé
des affaires publiques ; et le soir il trop souvent la valeur du mot c'witas (corps
partit furtivement ; il fit une telle politique ) , font dire au Padouan qu'il
n'y avait en ce pays que la seule ville de
diligence, qu'après avoir traversé une Leptis ! tandis que Polybe assure au con-
partie du territoire Vocan, il arriva le
villes. traire qu'il y avait un grand nombre de
(*) L'an 197 avant l'ère vulgaire. (**) L'an 193 avant l'ère vulgaire.
206 L'UNIVERS.
Carthaginois de mensonge en ce qui très nations ibériennes , chargèrent
concernait les limites fixées par Sci- leur boëtharque (*) Carthalon de pro-
pion : que si l'on voulait remonter à fiter de sa tournée dans les provinces
l'origine des droits respectifs, Car- puniques pour reprendre aux Numides
tilage disaient-ils
, , n'aurait d'autre la contrée envahie : les hostilités, sou-
domaine que l'espace mesuré par les tenues de part et d'autre avec ardeur,
lanières de la fameuse peau de bœuf; durèrent jusqu'à ce que de nouveaux
tout ce qu'elle possédait au delà, elle commissaires romains vinrent y met-
l'avait usurpé ; mais si l'on voulait se tre un terme en adjugeant à Massi-
borner à la question actuelle , il était nissa leterritoire dont il s'était em-
certain que la possession du territoire paré ,remettant en compensation aux
en litige, loin d'avoir constamment Carthaginois les cent otages que
appartenu aux Carthaginois, avait au Rome avait jusqu'alors retenus.
contraire flotté sans cesse entre eux et Massinissa s'empare des Gran-
les rois numides, au gré de la fortune des Plaines. — Après un autre laps
des armes ; et il convenait de ne rien de dix années (**),Rome eut encore à in-
changer à cet ordre de choses. tervenir dans une troisième contesta-
Rome délégua trois nouveaux com- tion de territoire, suscitée par les em-
missaires, parmi lesquels était Scipion piétements continuels de Massinissa:
lui-même , pour aller régler cette af- c'était maintenant les Grandes Plaines,
faire sur les lieux; mais après exa- c'est-à-dire le district de Tusca , qu'il
men, les envoyés romains aimèrent avait envahi , et où il s'était , depuis
mieux laisser la question indécise que deux ans, rendu maître de plus de
de prononcer un jugement qui eût soixante-dix villes et châteaux. Les
Carthaginois renouvelèrent avec force
dantes : et l'une
mécontenté Massinissa des parties
demeuraconten-
ainsi leurs plaintes devant le sénat romain,
provisoirement maître de fait du pays et demandèrent avec instance ou qu'on
dont il s'était emparé.
Massinissa reprend un canton leur fît justice ou qu'on leur laissât
vider par les armes leur propre que-
jadis conquis par son père. — relle; ou du moins, si l'injustice devait
Dix ans après (*), de nouvelles que- prévaloir contre eux , que Rome elle-
relles de territoire furent provoquées même fixât une fois pour toutes la part
par d'autres envahissements de Mas- qu'il fallait faire à leur insatiable voi-
sinissa. Cette fois , il s'agissait d'un sin. Gulussa , fils du monarque nu-
canton jadis enlevé aux Carthaginois mide, arrivé en même temps que l'am-
par son père Gala, puis conquis sur bassade punique , essaya de conjurer
Gala par Syphax, et restitué par celui- l'orage , mais n'y réussit qu'à demi :
ci aux Carthaginois en considération il fut ordonné que les parties conten-
de son beau-père Asdrubal ; Massinissa dantes enverraient des délégués spé-
le reprit à main armée, et opposa aux ciaux pour discuter cette affaire, non
plaintes des Carthaginois le double dans la vue d'établir de nouvelles li-
titre de son droit héréditaire et de sa mites, mais bien de s'en tenir aux an-
possession effective. Des commissaires ciennes, sans faire perdre aux Cartha-
romains furent encore envoyés, et ginois pendant la paix ce que la guerre
maintinrent le statu quo si favorable ne leur avait pas enlevé.
à leur allié, réservant au sénat le droit Gulussa revint avec les pouvoirs de
de rendre une décision définitive. Les Massinissa , et son premier soin fut
Carthaginois, de leur côté, jugeant de suggérer des craintes sur l'usage
opportun un moment où les Romains que pourraient faire ultérieurement
avaient sur les bras la guerre contre les Carthaginois, des forces navales
les Celtibériens , pendant que Massi- qu'ils étaient censés préparer pour ser-
nissa lui-même était harcelé par d'au-
(*) Commandant des auxiliaires;
(*) L'aa 18a avant l'ère vulgaire. (**) L'an 172 avant l'ère vulgaire.
207
AFRIQUE ANCIENNE.
tir les Romains dans leur guerre de moyennant l'abandon que ferait Mas-
Macédoine ; en sorte que la question sinissa du territoire contesté; mais
des limites à débattre entre lui et les Giscon fils d'Amilcar, qui était alors
envoyés de Carthage ne se présenta revêtu de la suprême magistrature,
plus avec la même faveur. Comme voyant le sénat disposé à souscrire à
dans les précédentes contestations, ces conditions, souleva si bien par son
rien ne fut décidé, sinon que le statu éloquence l'indignation
triote contre les factionsduromaine
parti pa-
et
quo
de nouveauxserait maintenu commissaires jusqu'à ce que
fussent al- royale, que les envoyés de Rome eux-
lés régler le différend sur les lieux ; et mêmes eussent couru quelque danger
l'on prit soin de traîner l'affaire en s'il n'eût assuré leur fuite ; quant aux
longueur pour donner à Massinissa le royalistes , il y en eut quarante d'ex-
temps de consolider sa possession. pulsés, avec serment de ne jamais souf-
Enfin, après de longues années d'at- frir qu'il fût fait aucune motion pour
tente, les commissaires furent dési- leur retour ; ils allèrent chercher asile
gnés (*) , et l'un d'eux fut le farouche auprès de Massinissa , avec la résolu-
Marcus Caton , l'ennemi acharné de tion de le pousser à la guerre.
Carthage: arrivés sur les lieux, ils de- Gulussa vint à Rome pour dénon-
mandèrent que la décision du litige cer que l'on faisait à Carthage des le-
fût entièrement abandonnée à leur dis- vées de troupes , qu'on y armait une
crétion : Massinissa, sûr d'être favo- flotte, et qu'il n'était pas douteux
risé ,s'y prêtait volontiers ; mais les ifu'on n'y méditât la guerre : Caton,
Carthaginois , instruits à leurs pro- suivant sa coutume, fit valoir ces ar-
pres dépens de la partialité de Rome, guments; mais Scipion Nasica insista
insistèrent pour l'exécution pure et pour qu'on ne fît rien légèrement, dt
simple du traité fait sous l'autorité de une nouvelle commission de dix mem-
Scipion : aussi les commissaires s'en bres fut désignée pour aller vérifier
retournèrent-ils sans avoir rien fait, l'état des choses. Massinissa voulut
mais frappés de la richesse du pays, que ses fils Gulussa et Micipsa accom-
de l'opulence et de l'agrandissement pagnassent les envoyés romains , afin
de la ville, et depuis lors Caton ne de demander le rappel des quarante
cessa de prêcher hautement la guerre exilés ; mais le boëtharque qui cam-
contre Carthage. pait aux portes de la ville en interdit
Préparatifs de guerre de Car- l'entrée
thage. — Une grosse armée numide embuscadeauxleur princes numides
fut même ; uneà
dressée
commandée par Archobarzanes petit- leur retour, et Gulussa n'y échappa
fils de Syphax se trouvant rassemblée qu'en perdant plusieurs personnes de
sur les frontières puniques, Caton s'é- sa suite.
cria que ces forces, réunies en apparence Les commissaires, de retour à Rome,
contre Massinissa , l'étaient en réalité où Gulussa se rendit avec eux, attestè-
contre les Romains , et que c'était rent qu'en effet il existait à Carthage
pour ceux-ci un juste motif de com- une armée et une flotte; Caton et d'au-
mencer les hostilités; mais Scipion tres sénateurs opinèrent pour qu'on
Nasica s'y étant opposé , on résolut transportât aussitôt une armée ro-
d'envoyer des commissaires chargés maine en Afrique ; mais sur l'avis de
de s'assurer des faits , et Scipion fut Scipion , qu'ilsuffisante
n'y avait depoint encore
du nombre (**) : après avoir reproché là une cause guerre , il
au sénat carthaginois d'avoir levé une fut décidé qu'on y renoncerait si Car-
armée et équipé une flotte contraire- thage consentait à licencier son armée
ment aux traités , ils voulurent ame- et à brûler sa flotte, sans quoi les pro-
ner la paix entre les deux parties chains consuls auraient à s'occuper de
la guerre.
Massinissa prend Oroscopa et
(*) L'an îS'j avant l'ère vulgaire.
(**) L'an i52 avant l'ère vulgaire. taille en pièces les carthagi-
208 L'UNIVERS,
nois.— Sur ces entrefaites, Massinissa exact des nouvelles limites qui sépa-
vint assiéger la place d'Oroscopa, qu'il raient àcet instant le domaine puni-
désiraitréunir encore à ses usurpations, que des États de Massinissa , on se
sans s'inquiéter davantage des traités. rappellera les envahissements succes-
Le boëtharque Asdrubal marcha aussi- sifs du monarque numide au sud et à
tôt contre lui avec 25 000 hommes de
l'ouest de Carthage , et l'on reconnaî-
pied et 4 000 cavaliers urbains, et il tra ,dès l'abord , qu'il s'était mis en
fut bientôt renforcé de 6 000 cava- possession de toute la Byzacène, et de
tout le pays des Grandes Plaines ou
sis et liers
de numides
Suba, pardeux
la défection d'Osa-
des généraux de de Tusca , probablement jusqu'auprès
Massinissa ; il eut d'abord l'avantage d'Hippone-Diarrhyte, sans parler de
dans quelques escarmouches ; mais quelques autres points douteux ou
Massinissa , se retirant à dessein de- moins connus. Quant à ceux-ci , on
vant lui , le conduisit ainsi jusqu'à une peut , du moins en ce qui concerne les
grande plaine aride entourée de colli- cantons jadis enlevés à Carthage par
nes abruptes ; c'est là qu'à la vue de Gala , à Gala par Syphax , à Syphax
Scipion Émilien qui venait alors lui par Massinissa, puis repris par Syphax
demander au nom de Lucullus un ren- et rendus à Carthage , et repris enfin
fort d'éléphants pour l'armée de Celti- de nouveau par Massinissa , penser
bérie (*), le vieux monarque numide , avec quelque
agile encore malgré ses quatre-vingts pagne au nord raison
de la que c'était puisque
Byzacène, la cam-
ans , livra aux Carthaginois une ba- nous avons vu précédemment Massi-
taille meurtrière et prolongée, où il nissa, vaincu par Syphax dans la lutte
eut le principal avantage. Instruits de relative à la possession de ce terri-
la présence de Scipion , les Carthagi- toire ,se retirer sur le mont Balbum
nois réclamèrent sa médiation pour et dans le voisinage de Clypéa, c'est-
terminer enfin par un traité de paix à-dire jusque dans la grande presqu'île
une si longue querelle; ils consen- du Les
cap états d'Hermès.
taient à abandonner sans retour, à de Massinissa avaient dû
leur compétiteur, le district appelé s'agrandir considérablement aussi du
Emporta , à lui payer mille talents côté opposé , car, en admettant que
d'argent ; le roi numide exigea qu'on Vermina, fils de Syphax, eût gardé jus-
lui livrât en outre les transfuges, et qu'à sa mort sans contestation nou-
cette condition fit rompre aussitôt velle le sceptre des Massésyliens , il
les négociations; mais un peu plus est certain qu'Archobarzanes, petit-
tard Asdrubal, bloqué, affamé, réduit fils de Syphax, s'étant montré dans
à l'extrémité par la disette, la chaleur ces derniers temps l'allié de Carthage
et les maladies, consentit à tout, la contre Massinissa, dut subir les vicis-
reddition des transfuges , la rentrée situdes dela cause qu'il avait embras-
des quarante exilés, le payement d'une sée, et se voir dépouillé de son royaume
rançon de cinq mille talents en cin- par l'heureux rival de sa famille : aussi
quante années , l'abandon de ses ar- Appien énonce-t-il que les états de
mes; puis le vindicatif Gulussa tomba Massinissa touchaient d'une part à la
sur cette troupe désarmée, et Carthage Mauritanie voisine de l'Océan , et de
revit à peine quelques soldats , des l'autre à la Cyrénaïque. Mais quant à
58 000 hommes qu'avait eus Asdrubal. la limite précise entre la JNumidie et la
Alors éclata la troisième guerre pu- Mauritanie , on peut se demander si
nique. elle était restée au Molochath comme
Nouvelles délimitations ter- au temps où Syphax régnait à Siga , ou
ritoriales RÉSULTANT DES ENVA- si elle avait été transportée au Mulu-
HISSEMENTS de Massinissa. — En cha, où nous la trouverons prochaine-
cherchant à se rendre un compte ment indiquée ; la postérité de Syphax
ayant dû être dépouillée dans les der-
(*) L'au i5o avant l'ère vulgaire. niers temps du règne de Massinissa ,
509
AFRIQUE ANCIENNE.
on peut supposer que le roi de Mau- bal, occupant tout le reste de l'Afrique,
ritanie Bocchus y aura concouru pour dirigeait sur Carthage de nombreux
convois. Les consuls Jurent repoussés
sa part et à son profit, en s'emparant
du canton de Siga et s'avançant jus- au premier assaut qu'ils voulurent
qu'au JMulucha tenter, et ils éprouvèrent encore di-
tard avoir été la, limite
qu'il déclarera
commune plus
en- vers échecs partiels ; harcelée journel-
tre lui et Micipsa. lement par la cavalerie d'Asdrubal, qui
On peut se former ainsi une idée avait établi son camp à Néphéris , à
assez juste des conditions territoria- 180 stades de Carthage, l'armée ro-
les au milieu desquelles allait surve- maine se trouva plus d'une fois dans
nir la reprise des hostilités. une position difficile , dont elle fut ti-
réebileté
chaque fois par
de Scipion la bravoure
Émilien, alors et l'ha-
tribun.
Troisième guerre punique.
Premières opérations de la grande Ce jeune seigneur s'acquit ainsi une
réputation tant parmi les siens
guerre. — En prenant les armes sans que chez l'ennemi ; et le vieux Massi-
la permission de Rome pour repousser nissa ,qui voyait en lui le fils adoptif
les agressions de Massinissa, Carthage de son premier protecteur , l'investit
avait contrevenu aux conditions du en mourant du droit de régler le par-
traité que lui avait imposé sa rivale ; tage de sa succession entre ses enfants.
et elle redoutait maintenant d'autant Scipion adjugea à Micipsa le gouverne-
plus le courroux des Romains, qu'elle ment politique, avec la possessiowde la
venait d'éprouver des revers, et qu'Uti- royale Cirta; il attribua à Mastanabal
que abandonnait sa cause pour se don- le pouvoir judiciaire ; et il réserva le
ner à ses implacables ennemis. Elle commandement des troupes à Gulussa,
essaya de conjurer l'orage en offrant qu'il ramena avec lui et un corps de
satisfaction au sénat de Rome ; les con- cavalerie numide au camp des Romains
suls Lucius Marcius Censorinus et devant Carthage.
Marcus Manilius Nepos (*) furent en- Peu de succès des consuls Ma-
voyés en forces à U tique pour en dic- nilius et Calpurnius. — Pour
ter les conditions, pendant que trois laver la honte d'un premier échec
cents otages étaient exigés comme gage reçu devant Néphéris qu'il avait im-
préalable d'obéissance. prudemment attaquée, Manilius vou-
ges, les consuls se firentAprès
livrercestoutes
ota- lut alors faire contre cette place une
les armes , puis ils exigèrent l'abandon nouvelle tentative ; il emporta pour
de Carthage elle-même ; ce fut le signal quinze jours tle vivres, et alla établir
son camp dans le voisinage; mais il
d'une tentative deAsdrubal
Le boëtharque défense désespérée.
avait réuni n'eut pas plus de succès, et fut obligé
20 000 hommes sur le territoire exté- par le manque de vivres à effectuer
rieurtous
; les citoyens en état de por- sa retraite le dix-septième jour, ayant
ter les armes dans la ville se levèrent à faire en outre trois pénibles journées
en masse et furent placés sous les or- de marche pour regagner son camp de-
dres d'un autre vant Carthage ; et if fallut que l'habi-
Massinissa par Asdrubal,
sa mère; on petit-fils de
travailla leté de Scipion le tirât encore d'em-
jour et nuit à fabriquer de nouvelles barras.
armes , et l'on se trouva en état de De nouveaux consuls ayant été
soutenir vigoureusement un siège , nommés (*), Lucius Calpurnius Piso
d'autant. plus que les Romains ne se Césonius vint prendre le commande-
procuraient qu'à grand'peine des vi- ment de l'armée d'Afrique; mais il ne
vres qu'il leur fallait tirer exclusive- fut point heureux dans ses opérations.
ment d'Adrumète , Saxos , Leptis , Quittant le siège de Carthage , il alla
Achollè et Utique , tandis qu'Asdru- tenter contre Aspis ou Clypéa une
(*) L'an t49 avant Vère Tiilgaire. (*) L'an 148 avant l'ère vulgaire.
14e Livraison. (Afrique ancienne.) 14
210 L'UNIVERS
double attaque par terre et par mer, de détruire, après la victoire , ce que
et fut repoussé; il s'en vengea en sac- l'incendie et les dévastations de la
guerre avaient pu laisser encore de-
rendue àcageantlui. une ville
De làvoisine qui contre
il marcha s'était bout. Rome fut au comble de la joie,
Hippone-Diarrhyte ( ou Hippagreta et le sénat délégua dix commissaires
comme l'appelle Appien) qui profitait pour régler avec Scipion le sort du
de son voisinage d'Utique pour inter- pays conquis. 11 fut résolu que toutes
cepter les convois que celle-ci expé- les villes qui dans cette guerre avaient
diait àl'armée romaine; la place était tenu le parti de Carthage seraient ra-
grande et forte, Calpurnius passa tout sées, et leur territoire donné à celles
l'été à l'assiéger sans succès, et il s'en qui avaient embrassé la cause des Ro-
retourna, sans avoir rien fait, prendre mainsUtique
; obtint ainsi tout le can-
ses quartiers d'hiver à Utique. ton qui s'étendait d'un côté jusqu'à
Pendant ce temps, les Carthaginois, Carthage et de l'autre jusqu'à Hippone-
rassurés parles échecs répétés de leurs Diarrhyte ; le reste fut déclaré tribu-
ennemis et par l'accession de huit cents
cavaliers numides qui abandonnèrent rait taire,
de Romeetil fut unconvenu stratègequ'on
, ou y préteur
enver-
Gulussa pour venir avec leur chef Bi- annuel, comme gouverneur.
Rome se substituait ainsi purement
thyas se ranger à leur parti, s'enhar- et simplement aux Carthaginois dans
dirent àparcourir le pays , à y distri-
buer des garnisons, à se faire des par- la possession de leur domaine d'Afri-
tisans parmi les indigènes ; et le boë- que , tel qu'il se trouvait en dernier
tharque Asdrubal , à qui l'on devait lieu circonscrit par les états des mo-
tous ces avantages, fut élu stratège de narques numides. Peut-être doit-on
la république à la place de l'autre As- penser qu'une partie au moins de la
drubal ,qui fut mis à mort comme Byzacene fut dès lors reprise par Sci-
coupable pion, et que dès lors aussi fut tracé le
son oncle d'intelligences
maternel Gulussa secrètes
, allié avec
des
Romains. fossé de partage qui s'avançait jus-
qu'à ïhènes; peut-être au contraire
Scipion-Émilien détruit Car- est-il permis de croire que la prolon-
thage et réduit son territoire
gation du fossé jusqu'à Thènes est un
en province romaine. — Enlin le fait postérieur à la délimitation adop-
jeune Scipion Émilien fut porté au tée par Scipion, et dont nous rencon-
consulat avant l'âge (*), dans la per- trerons plus tard quelques indices.
suasion que la fin de cgtte guerre lui
était fatalement réservée, et il vint III. CONQUÊTE DE LA NUMIDIE PAR
LES ROMAINS.
prendre le commandement de l'armée
romaine ; il établit son camp devant
Carthage , s'empara dans un premier Guerre de Jugurtha.
assaut du faubourg de Mégara , et fit
ses dispositions pour affamer la place Succession de Micipsa envahie
par un blocus rigoureux; puis il alla par Jugurtha sur Hiemsal et
détruire devant ISéphéris l'armée exté- Adhereal. — La mort de Gulussa
rieure des Carthaginois; et la prise de et de Mastanabal, que la maladie em-
cette ville ayant amené la soumission porta àune époque dont la date ne
de toutes celles du voisinage, tranquille nous est point donnée, laissa Micipsa
désormais de ce côté, il revint presser seul maître des vastes états de son
le siège de Carthage (**), et malgré les père, dont il s'appliqua à continuer
efforts inouïs des assiégés, il emporta l'œuvre; on ne peut oublier com-
enfin la place, défendue pied à pied bien le règne long et brillant de Mas-
avec le courage du désespoir, et acheva sinissa avait eu d'influence sur les
mœurs de son peuple, qu'il sut façon-
(*) L'an 147 avant l'ère vulgaire. ner aux habitudes de la vie agrico-
(**) L'an 146 avant l'ère vulgaire. le; Micipsa, prince ami de la paix et
211
AFRIQUE ANCIENNE.
des arts , poursuivit activement cette Commencements de la guerre
œuvre de civilisation, orna sa capitale de Numidie. — L'habile Jugurtha
d'édifices et d'établissements utiles, y sut acheter la faveur d'un sénat cor-
appela une colonie de Grecs, et la ren- rompu, qui envoya une commission de
dit tellement florissante et peuplée, dix membres faire le partage des états
de Micipsa entre le fils survivant de
qu'elle pouvait mettre en campagne ,
suivant le calcul de Strabon , 20 000 ce monarque et le meurtrier de l'au-
fantassins et 10 000 chevaux. La plaie tre ;et les décemvirs, gagnés à force
de sauterelles racontée par Orose, qui d'or , lotirent Jugurtha de la portion
sous son règne (*) vintcette
anéantir les la plus étendue et la plus puissante,
moissons et causer affreuse la Numidie des Massésyliens depuis le
peste à laquelle succombèrent plus de fleuve Muluchaavoir jusqu'à une établie
limite dès
qui
800 000 Numides, 200 000 Libyens nous semble dû être
de la province d'Afrique, et 30 000 sol- lors près du port de Saldes , laissant
dats romains cantonnés à Utique, fut à Adherbal la plus ornée de villes etd'é-
un coup funeste à de si favorables difices, avec la royale Cirta. Mais l'am-
progrès, et il fallut longtemps sans bition deJugurtha n'est pas satisfaite :
doute pour s'en relever. Peut-être est- il vient piller le domaine d' Adher-
ce dans cette redoutable épidémie que bal , et bientôt envahit ouvertement
périrent et Mastanabal et Gulussa. Le ses états , le bat entre Cirta et la mer,
premier laissait deux enfants , Gauda et vient l'assiéger dans sa capitale. Une
et Jugurtha ; le second un fils , Mas- seconde, une troisième commission
siva , les seuls dont l'histoire ait eu à envoyées de Rome sont gagnées ; Cirta
nous entretenir. Micipsa lui-même eut capitule, et Jugurtha fait massacrer
deux enfants , Adherbal et Hiemsal. aussitôt Adherbal et tous ses adhé-
Tous ces princes eurent des préten- rents. Mais la nouvelle de ces attentats
tions au trône de Numidie. émeut à Rome les classes populaires;
On sait comment le fils adoptif de le tribun Caïus Memmius tonne contre
Micipsa , ce Jugurtha que nous a si les grands que l'or de Jugurtha a cor-
bien fait connaître Salluste, appelé à rompus; laguerre de Numidie est ré-
partager avec ses cousins Adherbal et solue, etle cousu! Lucius Calpurnius
Hiemsal la succession de son bienfai- Piso Restia est envoyé pour la com-
teur, sehâta de faire assassiner Hiem- mander.
Restia signale son entrée en cam-
sal dans sa capitaleThimida(**),et força
Adherbal vaincu à se réfugier à Rome pagne par la prise de quelques villes et
pour y demander protection contre de nombreux captifs; mais bientôt l'or
du Numide achète une paix facile ;
l'usurpateur.
Memmius indigné obtient qu'on ap-
(*) L'an 125 avant l'ère vulgaire. pelle àRome Jugurtha pour démas-
quer les concussionnaires, et Jugurtha
(**) Salluste l'appelle Thirmida; mais tous vient encore semer l'or à pleines mains
les documents ultérieurs s'accordent à écrire dans cette ville vénale : Massiva, fils de
Thimida, Thimida regia, entre autres cette
inscription mutilée :
C. IVLIO REG1NO DECVRIOïf.
Gulussa, qui s'ypour
dresse au sénat obteniraussi,
trouvait s'a-
lui-même
KARTHAG. AED. II VIR QVIW le royaume de Numidie , et Jugurtha
QVENNALICIO. GENTIS SEVERI le fait assassiner. Le sénat alors lui
ordonne de quitter immédiatement
CVRATOR
l'Italie, et le consul Spurius Posthu-
SPLEIÏDIDISSIMAE REIPVBLICAE mius Albinus recommence la guerre;
THIMIDENSIVM REGIORVM. ORD. puis en laisse le soin à son frère Au-
DECVRIONVM EX SPORTVLIS SVIS lus , qui court assiéger Suthul , où
OB MERITA D. D.
étaient les trésors du monarque nu-
* A Caius Julius Reginus, etc. , le caialeur de la mide, et que Paul Orose identifie à
«magnifique république de Thimida royale, »etc. Calama , vulgairement appelée aujour-
14,
212 L'UNIVERS.
d'hui Ghelma ; mais Jugurtha l'attire cagée ; il est battu de nouveau en rase
dans une embuscade au milieu des bois, campagne, se réfugie dans Thala (dont
et le force à capituler aux conditions Grenville Temple croit avoir de nos
les plus honteuses ; l'armée romaine jours retrouvé les ruines à vingt milles
est obligée de passer sous le joug et dans l'est d'Ayédrah , conservant en-
d'évacuer en dix jours la Numidie. core le nom de Tsâiah (*) ; puis il
Succès de Métellus. — Rome l'abandonne pendant que Métellus
ne veut point reconnaître une pa- vient voirl'assiéger , la fumantes
prendre , et
reille convention, et elle charge le sur ses ruines lesrece-
en-
nouveau consul Quintus Cécilius Mé- voyés de Leptis, fille de Sidon et alliée
tellus,plus tard surnommé Numidi- de Rome depuis le commencement de
eus, d'aller reprendre la guerre; il se la guerre, qui venaient lui demander
rend, avec le fameux CaïusMarius pour une garnison ; il leur accorda quatre
lieutenant, dans la province romaine, cohortes de Ligures avec Caïus Annius
où se trouvaient cantonnées les troupes, pour commandant. Jugurtha va alors
recruter chez les Gétules une armée
dont il fallut d'abord relever le moral,
puis entrant en Numidie , il y occupe dont il fait l'éducation militaire; il
d'abord Vacca, le marché le plus re- s'adresse au roi de Mauritanie Boc-
nommé de tout le royaume, très-fré- chus dont il avait épousé une fille,
quentédes marchands italiens ; arrivé l'entraîne dans son parti , et tous deux
sur les bords du Muthul, dans l'ancien s'avancent vers Cirta , sous les murs
domaine d'Adherbal , il y obtient sur de laquelle Métellus vient asseoir et
Jugurtha une victoire signalée, à la fortifier son camp.
suite de laquelle il reçoit les soumis- Marius termine là guerre. —
sions de plusieurs places , et en pre- Sur ces entrefaites , le consulat et la
mier lieu de Sicca , la moderne Kêf , guerre de Numidie échurent à Marius,
peut-être aussi celle de Cirta, où nous qui revint à Utique avec des renforts
voyons établis peu de temps après ses considérables de troupes fraîches, re-
magasins..!! se porte ensuite surZama, prit les hostilités avec une nouvelle
ville considérable (*), le boulevard du vigueur, battit Jugurtha et ses Gétu-
royaume dans la partie où elle était les non loin de Cirta , alla détruire la
lointaine Capsa, à neuf journées de
située ; mais il ne peut l'emporter, et
il revient prendre ses quartiers d'hi- distance , prit et brûla nombre d'au-
ver dans la province romaine, au voi- tres places; puis à l'autre extrémité
sinage de la Numidie. de la Numidie, non loin du fleuve Mu-
Enfin Jugurtha se résout à ouvrir lucha, limite commune des états de
ses trésors, à livrer tous ses éléphants Bocchus et de Jugurtha, il vint assié-
et une partie de ses armes et de ses ger et emporter d'assaut un château
chevaux ; ce n'est point assez : Métel- réputé imprenable ; c'est là qu'il fut
lus exige rejoint par son questeur, le fameux
cevoirqu'il vienneà ïisidium;
ses ordres en personne mais
re- Lucius Cornélius Sylla , qui arrivait
Jugurtha veut tenter un effort déses- d'Italie avec un corps considérable de
péré plutôt que de se livrer lui-même; cavalerie; et ils opérèrent ensemble
il recommence la guerre, fait égorger leur retraite vers Cirta, afin d'aller
par trahison la garnison romaine de
Vacca , qui est aussitôt reprise et sac- (*) Le nom arabe ,J L)' Tsâiah se pro,-
nonce exactement comme le grec 6àXa, dont
(*) « Urbem magnam, et in eâ parte le latin Thala est la simple transcription.
« quà sita erat arcem regni, nomine Za- Mais peut-être faudrait-il chercher Thala
« main, » tels sont les termes de Salluste. Il dans un moindre éloignement de la grande
ne peut donc être douteux que ce ne soit
Leptis, ou supposer, au contraire, qu'il
la Zcc[jia u.eiÇwv ou grande Zama de Ptolé- s'agit de la petite Leptis, et que c'est par
confusion que Salluste lui a appliqué des
mée, lamentsZama regia d'Hirtius et des monu-
ultérieurs. désignations propres à la grande.
213
AFRIQUE ANCIENNE.
fils, et un Hiemsal qu'on fait gratui- vint, avec d'autres proscrits, chercher
tement fils de Gulussa, régner en Nu- refuge en Numidie auprès du roi
midie, on oublie de tenir compte du Hiemsal , dont les dispositions incer-
droit héréditaire qui les a appelés au taines excitèrent bientôt leur défiance;
trône. On a trop négligé, sur deux aussi dès qu'ils avait
apprirent
points essentiels, les indications d'une Marius fugitif paru que le vieux
à Carthagc,
inscription deCarthagène bien connue, ils s'échappèrent pour le venir joindre,
et souvent répétée (*),que nous allons et quittant avec lui ces rivages inhos-
reproduire à notre tour :
REGI. 1VRAE. RE..
pitaliers, ilss'empressèrent de passer
1VBAE. F1LIO. REGI»
a Cercina, d'où ils aperçurent bientôt
IEMPSALIS. N. REGIS. CAV.. les cavaliers
envoyait à leur numides 'que Puis
poursuite. Hiemsal
les
PRONEPOT1. REGIS. MAS1MSS..
proscrits de la veille devinrent les
PRONEPOT1S. KEPOTI
proscripteurs du lendemain; puis la
11V1R. QV1NQ. PATRONO
COLOM fortune revint à l'heureux Sylla, et les
restes du parti vaincu naviguèrent de
« Au roi Juba fils du roi Juba, petit-fils nouveau en Afrique, pour s'en empa-
« du roi lempsal , arrière-petit-fils du roi rer en compensation de la perte de
« Gauda, petit-fils de l'arrière-petit-fils du l'Italie (*); c'est alors que nous voyons
«roi Massinissa; les duumvirs quinquen-
« naux au Patron de la colonie. »
apparaître
du roi Hiarbas, pour laquepremière
suivantfois le "nom
toute ap-
Il résulte évidemment de cette ins- parence leparti de Marius éleva sur le
cription d'abord
, que Hiemsal était trône de Numidie à la place de Hiem-
fils de Gauda , et en second lieu que sal, ou au moins en rivalité avec lui.
Gauda a eu le titre de roi ; d'où il Mais Pompée envoyé par le dictateur
faut conclure que Gauda, à qui Marius
avait promis la Numidie dès que Ju- contre les rebelles, lit enlever dans l'île
de Cosyra le consul Cnéus Papirius
gurtha serait pris ou tué, reçut effecti- Carbo, qui fut décapité; et débarquant
vement lapossession de ce royaume, et à Curubis (la moderne Qourbah), il
la transmit à sa postérité. Comment fut
vint
Cnéus tailler
Domitius en pièces auprès d'Utique
Ahénobarbus et le roi
réglée sa succession, on l'ignore ; quel-
?ues modernes ont conjecturé qu'elle Hiarbas
ut partagée entre Hiemsal et Hiar- tius fut qui
tué s'était joint àprit
et Hiarbas lui la
; Domi-
fuite.
bas ; mais les lambeaux historiques
Pompée s'occupa alors de rétablir
qu'il est possible de recueillir sur ces Hiemsal dans son royaume ; il fit at-
princescune ne taquer et battre Hiarbas par Bogud,
lumière.procurent à cet égard au- fils du roi maure Bocchus, qui le força
règne simultané de hlemsal, à revenir s'enfermer dans Bulla sa
Hiarbas, et Massinissa père d'A- capitale (**), où Pompée le fit mettre à
rabion. — Quand le parti de Ma- mort après avoir emporté la place.
rius fut obligé de fuir devant la for- Hiarbas avait-il entièrement dépouil-
tune de Sylla (**), le jeune Caïus Marius
(*) 'Q; Atêuriv Trapad-cyiaou-evoç àvtc xfjç
(*) Nous donnons cette inscription d'a- 'lxa/iaç. (ArriEN, Guerres civiles, I, 92.)
près une empreinte tout nouvellement appor- (**) C'est à titre de capitale de Hiarbas
tée de Carlhagène par M. Joseph Tastu , qui
que Bulla fut décorée dès lors de l'épithète
l'a prise lui-même sur l'original : elle diffère de Royale qu'on lui trouve désormais dans
à la fois, et de la copie du Père Ximenez les géographes, les itinéraires et les actes
publiée par Shaw, et de la copie du che- des conciles. — Cette expédition de Pompée,
valier de Bibran empruntée par Spon aux sur laquelle on ne possède que quelques
rares indications éparses dans les fragments
papiers de Peiresc : elle s'éloigne néanmoins
fort peu de la première , adoptée par le de Salluste, dans Plutarque, Appien, Eu-
président de Brosses et l'abbé Belley, qui trope, Aurélius Victor, Orose, Paul Diacre,
en ont toutefois méconnu la portée.
et Zonare, se rapporte à l'an 81 avant l'ère
(**) L'an 88 avant l'ère vulgaire. vulgaire.
AFRIQUE ANCIENNE. 215
lé Hiemsal , ou lui avait-il seulement ment de la province d'Afrique, et
enlevé la portion de la Numidie située trouva dans le roi Juba un voisin et
à l'ouest de la province romaine d'A- un allié tout disposé pour sa cause.
frique ?On peut rester indécis entre César ayant envoyé contre Varus son
ces deux hypothèses. Mais il est une lieutenant Curion, celui-ci vint débar-
autre question à résoudre : Hiemsal quer àAquilaria, lieu bien abrité en-
devait-il seul reprendre tout ce dont tre deux caps, à vingt-deux milles de
on dépouillait
aucun autre prétendant Hiarhas, età n'y avait-il? Clypéa, et qui paraît être la moderne
satisfaire El-Hawaryah, le même point où plus
Aurélius Victor a laissé échapper le de deux siècles et demi auparavant
nom de Massinissa : est-ce une mé- Agathocles avait aussi abordé. Le jeune
prise de copiste, ou bien y avait-il en Lucius César, n'osant attendre à Cly-
effet un prince du nom de Massissina péa une attaque de la flotte de Curion,
à qui il fallût rendre quelque portion alla se réfugier à Adrumète, où Caïus
de la Numidie ? On peut à bon droit Confidius Longus était cantonné avec
s'arrêter à cette dernière pensée lors- une légion. Curion envoya ses vais-
qu'on réflechitque César, comme nous seaux àUtique, vers laquelle il sa-
le dirons tout à l'heure, dépouilla plus chemina lui-même par terre : trois
tard de ses domaines le numide Mas-
journées l'ayant conduit près du Ba-
sinissa, dont le fils Arabion est appelé gradas , il alla avec sa cavalerie re-
roi par Appien. N'est-ce pas, dirai-je connaître les Castra Comélia, et éta-
encore, contre ce même prétendant , blit ensuite son camp devant Utique.
dont le nom est écrit cette fois Ma- Juba avait à se plaindre personnel-
sintha par Suétone, que le roi Hiem- lement de Curion, qui l'année précé-
sal eut à envoyer à Rome (*), pour dente, pendant son tribunat, avait
soutenir ses intérêts, son propre fils proposé une loi pour la confiscation
Juba, aussi riche de pièces d'or que de la Numidie et sa réduction en pro-
vince romaine : aussi le vindicatif mo-
de cheveux, dit plaisamment Cicéron
dans son deuxième discours contre la
narque s'était-il empressé d'envoyer
loi agraire? Masintha s'était mis sous des secours à Varus, et il vint bientôt
le patronage de César, qui dans une le joindre lui-même avec de nouveaux
discussion animée au sujet de cette af- renforts, tailla en pièces Curion et son
faire s'emporta jusqu'à saisir Juba par armée, passa au fil de l'épée ses pri-
sa barbe : affront que celui-ci ne lui sonniers, et rentra triomphant dans
pardonna jamais; aussi, devenu roi, se ses états.
lit-il un des fauteurs les plus ardents L'Afrique devint alors le point de
du parti de Pompée. refuge de tous les restes, considé-
Règne de Juba l'ancien. -- rables, encore, du parti pompéien dis-
Lorsqu'il avait été chargé pour trois persés par les victoires de César, et
ans de l'immense commandement ma- l'on résolut de s'y défendre vigou-
ritime et territorial motivé par la reusement; Caton s'enferma dans Uti-
guerre des pirates, Pompée avait assi- que , qui devait être son tombeau,
Corsegnéàl'Afrique avec la Sardaigne
ses lieutenants Cnéus Corné- et la et Métellus Scipion prit le comman-
dement de l'armée. Mais si la Numidie
lius Lentulus Marcellinus et Publius de Juba étajt hautement déclarée pour
Attilius ; depuis son second consulat, eux , il n'en était pas de même des
ayant eu l'Afrique avec l'Espagne dans états de Bogud et de Bocchus , qui
son lot, il les gouvernait de même avaient succédé à leur père Bocchus
par ses lieutenants. Quand éclata la l'ancien, alliédeMarius, et qui s'étaient
guerre civile (**), le pompéien Attius partagé son héritage, Bogud conser-
Varus, chassé d'Italie, s'empara aisé- vant l'ancienne Mauritanie avec Tingis
pour capitale, Bocchus ayant pour son
(*) L'an 63 avant l'ère vulgaire. lot la Numidie des Massésyliens, avec
(**) L'an 49 avant l'ère vulgaire. loi pour capitale ainsi que nous l'in-
216 L'UNIVERS.
de son camp d'Agar, où il est rejoint luste, qu'il décora du titre de procon-
sul :cette province fut appelée Nouvelle
par de nouveaux renforts , il s'avance
de huit milles, jusqu'à quatre milles par opposition à l'Afrique propre, qui
du camp de Scipion, auprès de la ville était Y Ancienne. Il semble que, dans
deTégéa, où il engage un combat de l'état où la constitua César, elle con-
cavalerie, mais sans pouvoir en venir serva Zama pour capitale, et s'étendit
à une action générale. au sud de l'ancienne province, par
Alors il prend le parti de quitter Adrumète, Ruspina, Leptis, Acilla ou
Agar, et faisant seize milles avant le Acholla, et Tysdrus, jusqu'à cette
jour, il vient assiéger Thapsus ; Sci- Thabéna extrême, dernière possession
pion le suit pour secourir la place; la littorale de Juba; et dans l'ouest jus-
bataille s'engage enfin, et César rem- Sittius et qu'auxau concessions faites au partisan
roi Bocchus.
porte une victore complète (*); les
fuyards
et comme prennent la ville dele Parada
chemin leur
d'Utique,
ferme Ces concessions elles-mêmes n'é-
taient autre chose que l'ancien terri-
ses portés, ils la prennent de force et toire du prince Massimssa, qui avait,
l'incendient. César laisse à un de ses comme allié, suivi la fortune du mal-
lieutenants le soin d'emporter Thap- heureux Juba , et qui peut-être avait
sus, en envoie un autre s'emparer de péri avec lui ; Arabion, fils de Massi-
Tysdrus, dépêche sa cavalerie vers Uti- nissa, se réfugia en Espagne auprès
que, va lui-même prendre Usceta, puis du jeune Pompée, et lorsque celui-ci,
Adrumète, et arrive à son tour à Uti- après la mort de César, eut recouvré
que, où Caton s'était donné la mort la fortune et les honneurs de son père,
de désespoir, et où Messala avait fait Arabion revint en Afrique , rallia les
aussitôt son entrée. Juba , échappé de indigènes auxiliaires, et avec leur aide
la mêlée, se cachant le jour et mar- il chassa Bocchus, se défit de Sittius
chant la nuit, atteignit ainsi Zama sa par trahison , et rentra en possession
capitale; mais elle lui ferma ses por- de son patrimoine. Quelles en étaient
tes , et fit porter ses soumissions à les limites? Sans avoir à cet égard des
César, qui vint en prendre possession; témoignages directs, nous avons du
le malheureux roi se tua de désespoir. moins cette indication essentielle que
D'un autre côté, Sittius avait taillé en la ville de Cirta, si elle n'y était point
pièces les troupes que ce prince avait elle-même renfermée , en était du
laissées pour le combattre , il arrêta moins immédiatement voisine; d'oùle
dans leur fuite à travers la Maurita- il suit que selon toute apparence,
nie les restes du parti vaincu qui vou- fleuve Ampsagas qui passait à Cirta,
laient passer en Espagne, et coula les et qui fut plus tard la limite occiden-
galères sur lesquelles se sauvait Sci- tale de la province de Numidie, était
pion et que la tempête avait poussées
dans le port de la royale Hippone. la borne orientale du royaume d'Ara-
bion, qui s'étendait sans doute à Fop-
Partage de la Numidie : créa-
tion DE LA NOUVELLE PROVINCE posite jusqu'à Saldes.
IV. DOMINATION DES ROMAINS EN
d'Afrique. — La Numidie de Juba était
tout entière au pouvoir du dictateur; il AFRIQUE DEPUIS LA CONQUETE DE
donna à Sittius, en récompense de ses
LA NUMIDIE JUSQU'AU REGNE DE
CLAUDE.
services, la ville de Cirta dont il s'était
emparé si à propos, avec un territoire
considérable au voisinage; il gratifia
Première période : l'Afrique an-
le.roi Bocchus de quelques autres can- cienne et V Afrique nouvelle for-
tons àsa convenance ; et de tout le mant deux provinces distinctes.
reste il lit une province romaine con-
fiée au gouvernement du préteur Sal- Les deux Afriques, partagées
entre Antoine et César Octavien,
(*) L'an 46 avant l'ère vulgaire. ABANDONNÉES A LÉPIDE. — Autant
218 L'UNIVERS.
qu'il voulait réunir à celles qu'il amenait des TIONEM ET QVOD EIVS VïR
Gaules, et qui étaient déjà arrivées à Sitifis; TVTE AC VIGILANTIA FA
or, à moitié chemin de Lambèse à Sitifis, RAXEN REBELLIS CYM SA
nous avons, dans la Table Peutingérienne, TELLITIBVS SV1S FVERIT
problème , soit qu'on veuille lire Statio « A. Quintus Gargilius... fils de Quintus, chef de
Baccliariana ou Pacchariana dans Ammien,
«ta cohorte.... Britannique, tribun delà cohorte
soit qu'on lise Pancarus ou Bancarus dans «des Maures Césariens formant l'aile milliaire,
la Table. Il semble que la sagacité de d' An- « chef de la cohorte des cavaliers singnlaires et
ville ait deviné cette solution, puisque sur « vexillaires maures campés dans le territoire
sa carte de Numidie de 174a, où il a in- « d'Auza , décurion des deux colonies d'Auza et
« «le Riisçunia , et patron de la province; pour son
diqué les routes données par la Table , il a « amour insigne envers ses concitoyens , et son
écrit Pancarus au lieu de Baccarus, u affection particulière envers sa patrie ; et attendu
234 L'UNIVERS.
Théodose fit passer les transfuges par Fuite de Firmus ; sa mort. —
les armes, et décapiter les deux chefs Théodose s'occupa alors de rompre
maures. De là il alla prendre et raser adroitement la ligue formée à grands
le camp fortifié de Gallonatis, et se di- frais par l'ennemi , et de gagner par
rigeant vers le château Tingitan à tra- des promesses ou des menaces, les
vers le mont Ancorarium , il tomba tribus circonvoisines telles que les
sur un parti de Mazikes commandés Baïures , les Cantavriens , les Avas-
par Suggena, et les tailla en pièces. tomates , les Casaves , les Davares et
Le comte militaire d'Afrique succes- autres limitrophes. Firmus effrayé du
seur de Romanus (qui avait alors été danger d'une défection, se sauva au
démasqué et renvoyé à la justice de loin dans les monts Caprariens, puis
l'empereur), fut chargé d'aller dans la dans le municipe de Conta : ses
MauritanieSitifienne surveiller les pos- alliés se dispersent , Théodose dé-
tes afin de garantir la province de vaste leur camp abandonné, établit
toute invasion, et Théodose lui-même des chefs dévoués sur les tribus qu'il
se dirigea contre les Musons; mais à soumet sur son passage, va battre
peine avancé jusqu'auprès du municipe chez eux les Caprariens et leurs voi-
sins les Abannes , et tournant vers
d'Audia
affaire à (*), une ayant appris innombrable
multitude qu'il aurait Conta, il se rend maître de la place,
de gens de toutes les tribus , tandis d'où Firmus s'était enfui à son appro-
qu'il n'avait avec lui que 3 500 hommes, che pour se réfugier chez les Isafliens;
il prit le parti de battre en retraite, Théodose va les attaquer et les bat-
et quoique vivement harcelé, il arriva tre, et s'enfonce plus avant jusqu'aux
sans grave accident au domaine de montagnes des Jubalènes , patrie de
Mazuca, et de là à Tipasa,où il rentra Nubel et de Firmus : là les difficultés
au mois de février 373. du terrain l'arrêtent, et il revient au
château d'Audia, où il reçoit les sou-
missions des Iéssaliens.
« que c'est par son courage et sa vigilance que le
« rebelle Faraxen , avec sa bai/de , a été pris et mis Ayant porté son camp auprès du
* à mort ; le sénat de la colonie d'Auza a fait élever
(( ce monument à une victime de la trahison des Ba- château de Média,les ilmoyens
veau àchercher s'occupade dese nou-
faire
« vares , aux frais du trésor public , en vertu d'un
« décret des décurions, le 8 des calendes de février,
« l'an de la province 221. » revenu chez les Isafliens, il alla le était
livrer Firmus; apprenant qu'il leur
La restitution de cette inscription offre redemander, mais inutilement, et après
quelques difficultés ; la date de l'année pro- un combat acharné dont l'issue fut
vinciale soulève plus d'une question, el le douteuse, il retourna au château d'Au-
chiffre même nous en paraît erroné. Le nom dia, où il fut encore harcelé par les
de Faraxen, sa capture, sa mort, le cam- barbares; hâtant sa marche, il tomba
pement avancé d'Auza, la trahison ulté- à l'improviste , par des chemins de
rieure des Bavares, voilà assez de motifs de
traverse, sur le pays des Iéssaliens
certitude que l'inscription se rapporte à la dont il se défiait, le dévasta, et conti-
guerre de Théodose contre Firmus, et qu'elle nuant sa route par les villes de la
doit être réellement de l'année 373.
Mauritanie Césarienne, il rentra a Si-
(*) Ammien Marcellin , dont nous n'a- tifis. Enfin, dans une dernière cam-
vons qu'un texte très-imparfait, parle cer- pagne, Théodose ayant fatigué les Isa-
tainement du même lieu en trois endroits,
fliens par de nouvelles attaques, leur
où les éditions portent néanmoins trois le-
çons différentes ; municipium ou castellum roi Igmazen se décida à traiter se-
Addense, Audiense , et Duodiense ; la se- crètement avec lui de l'extradition de
conde leçon est évidemment la meilleure , Firmus,
chef des par Mazikes l'intermédiaire
dévoué auxdeRomains;
Massilla
et nous rappelle très-bien, sous une forme
adjective, le nom à'Audia, le même que Firmus, averti du danger, n'y échappa
Auza; la permutation de di en z est une qu'en se donnant la mort. Son cada-
des particularités les mieux constatées de vre, chargé sur un chameau, fut porté
l'ancienne prononciation africaine. au château de Subicara près duquel
AFRIQUE ANCIENNE. 235
campait Théodose, qui rentra alors diocèse d'Afrique, qu'il épuisa d'exac-
triomphant à Sitifis. tions; l'empereur Théodose vint le pu-
IVIAT DES PROVINCES AFRICAINES
nir, et rétablir immédiatement l'au-
A cette époque. — Ces événements torité du prince légitime ; et quand
signalaient la lin du règne de Va- celui-ci eut péri en 393, Théodose réu-
lentinien : il nous reste de ce temps nit en sa main tout l'empire , qu'il
le tahleau abrégé ou Bréviaire des partagea définitivement à sa mort (en
victoires et des provinces du peuple 395) entre ses deux fils; ce fut le plus
romain , de Sextus Rufus , où la ré- jeune, Honorius, qui eutde l'empire
duction successive des états de l'A- cident sous la tutelle Stilichon.d'Oc-
I friqne en provinces est rappelée en Dans ces temps de troubles et de
Iquelques lignes, et leur situation résu- minorités, l'organisation hiérarchique
mée en ces. mots : « Il a été fait, de des services publics éprouvait des va-
« toute l'Afrique, six provinces : d'a- riations au gré des besoins et des con-
« bord celle même où estCarthage, venances locales ou du caprice des in-
« proconsulaire; la Numidie, consu- fluences personnelles : Constantin avait
« laire; le Byzacium, consulaire; Tri- prétendu séparer ministration civilecomplètement
du commandement l'ad-
« poli, et les deux Mauritanies , c'est-
« à-dire la Sitifienne et la Césarienne, militaire, mais à l'époque où nous
« sont présidiales. » Quant à la Tin- sommes parvenus on voyait un même
gitane , il déclare un peu plus loin officier être à la fois duc et président
qu'elle est annexée à l'Hispanie et de la Mauritanie Césarienne, tel autre
qu'elle est au nombre des provinces duc et correcteur de la Tripolitaine.
présidiales. La même disposition se L'armée active avait été placée sous
trouve reproduite, avec quelques dé- les ordres de maîtres de la milice ré-
tails de moins, dans la Notice des Pro- sidant près de l'empereur, et les deux
vinces que l'on croit dater du règne armes de l'infanterie et de la cavalerie
étaient même attribuées à des maîtres
de l'empereur Théodose le Grand.
distincts; et d'un autre côté les trou-
VII. ORGANISATION PROVINCIALE pes sédentaires préposées à la garde
SOUS HONORIUS. des frontières étaient spécialement
commandées par des comtes et des ducs
Révolte de Gïldon. ressortissant au maître des offices ;
mais quand le maître de la cavalerie
le comte glldon, revêtu de Théodose fut envoyé en Afrique con-
tous les pouvoirs militaires en tre Firmus, le commandement mili-
Afrique, tente de se rendre in- taire lui appartint sans réserve pour
dépendant. — A la mort de Valen-
tout le temps de son expédition: c'é-
tinien (*) le sceptre d'Occident resta tait un premier pas; bientôt après le
aux mains de son fils Gratien, âgé comte Gildon fut revêtu du même
de dix-sept ans à peine, à qui l'ar- commandement en titre d'office, com-
mée donna pour collègue son frère me maître de l'une et l'autre milice
Valentinien le Jeune, enfant de qua- en Jfrique, ce qui lui conférait un tel
tre ans ; et il se fit entre eux , dit-
on, un partage, qui ne peut avoir été pouvoir, qu'il eut été surprenant qu'il
n'en abusât pas, surtout après qu'une
que nominal, par lequel l'Afrique, l'I- longue possession l'eût consolidé en
talie etPIllyrie auraient été attribuées ses mains (*) : aussi dès que l'autorité
au dernier. Quoi qu'il en soit, l'usur- impériale faiblirait on devait s'attendre
pateur Maxime , après s'être emparé
du lot de Gratien, voulut dépouiller (*) Claudien donne à Gildon douze an-
aussi Valentinien le Jeune , et parvint nées de gouvernement:
à se faire reconnaître en 388 dans le « Jàin solis habenae
« Bis senas torquent hieines , ceivicibus ex quo
pi Hseret triste jugum. »
(*) Le 17 novembre 375. Guerre de Gildon , i53.
236 L'UNIVERS.
de sa part à une défection. Un mo- bien que les rers des poètes furent
ment ilput croire douteuse la fortune, consacrés à célébrer le triomphe de
de Théodose le Grand, ébranlée par la Stilichon et le rétablissement de la
révolte d'Arbogast et d'Eugène, et il
négligea de fournir à son souverain le La grande charge de?nagisterutrius-
contingent de troupes qui lui était de- que militise per Jfricam demeura
mandé. Après la mort de Théodose, il paix.
supprimée, et c'est postérieurement à
se trouva plus à l'aise encore; et ré- cette suppression (*), que fut rédigée
solu à l'indépendance, mais n'osant la Notice des Dignités si précieuse
toutefois se mettre en hostilité ou-
verte sans appui suffisant contre la pour la connaissance de l'organisation
vigoureuse activité de Stilichon, il administrative des empires d'Orient et
d'Occident à cette époque. L'Afrique
prit le parti de se soustraire à l'obéis- y occupe une place importante, qu'il
sance d'Honorius en se plaçant nomi- y a intérêt de constater ici au moins
nalement dans la dépendance de l'em- d'une manière succincte, et sans en-
pire d'Orient (*), ce qui lui assurait la trer dans les développements que nous
protection d'une puissance rivale. interdisent la nature et les bornes de
Punition de Gildon; suppres- ce travail.
sion de la grande charge mi-
litaire dont il etait revetu. — Organisation des pouvoirs publics.
Mais Stilichon
ractère àsouffrir n'était
cettepoint d'un dé-
défection ca-
Administration centrale. —
guisée ,dangereuse pour Rome et Il nous faut dire d'abord comme in-
l'Italie qu'elle pouvait affamer; il avait troduction nécessaire qu'autour de
d'ailleurs à ses ordres un ennemi ir- l'empereur se trouvaient groupés, avec
réconciliable deGildon, son frère Mas-
kelzer, dont les enfants venaient d'être la qualification d'illustres , certains
égorgés par ordre du perfide : il lui grands dignitaires, ministres et offi-
confia un premier corps de troupes ciers du'4palais, qui avaient, sur la con-
assez considérable, prêt à le faire ap- duite des affaires de l'empire, une in-
fluence diverse: le gouvernement pro-
puyer par de Maskelzer
nécessaire. nouvelles ,forces s'il était
débarqué en prement dit, comprenant l'administra-
tion générale et la distribution de la
Afrique, s'avance aussitôt contre Gil- justice, était confié aux préfets du
don et le rencontre près du fleuve Ar- prétoire ; le commandement des ar-
dalion, entre Théveste et Ammédéra,
mées aux maîtres de dans
ministration centrale la milice;
le sensl'ad-le
l'attaque avec résolution, jette Je dé-
sordre dans la cavalerie indigène, et plus étendu, mais au point de vue de
met l'ennemi en complète déroute : la surveillance et du contrôle plutôt
Gildon , abandonné des siens, s'em- que de la direction des affaires, avec
barque pour chercher un refuge en
Orient, mais les vents contraires le
S. I>. Q. R. VINDICATA REBELLIONS ET
ramènent à Thabraca, où il trouve la AFRICAK RESTITUTIONE I.AETVS. FL. STI-
prison et la mort (**). L'Afrique re- LICHONI AFRICA CONSILIIS EIVS ET TRO-
tourna àHonorius; tous les fauteurs VISiOWE I.IBERATA, etC.
de la rébellion furent sévèrement re-
(*) Postérieurement même à la chute de
cherchés etpunis, leurs biens furent Stilichon en 408, puisque celui-ci était
confisqués, de même que ceux de Gil-
don , au profit du trésor impérial ; maure de la cavalerie et de l'infanterie de
l'empire d'Occident, charges distinctes dans
et des monuments lapidaires (***) aussi la Notice. Ce, titre de maître répond assez
bien à ce qu'on appelait autrefois chez nous
(*) Sur la fin de 397. grand maure, mestre de camp général, et
(**) Au commencement de 398. enfin colonel général de l'arme placée tout
(***) Sans les rapporter ici, nous pouvons entière sous le commandement de l'officier
du moins y relever les phrases suivantes : ainsi désigné.
237
AFRIQUE ANCIENNE.
la police patente OU secrète, les postes, cette anomalie. Ce diocèse avait six
les fabriques d'armes, tout ce qui con- provinces ; mais le proconsul qui gou-
cernait en un mot la sûreté de l'empe- vernait celle d'Afrique , avec deux
lieutenants sous ses ordres , échappait
reur et de l'empire, au maître des
offices; les affaires législatives au par son rang à l'autorité du vicaire ou
questeur; le maniement des finances gouverneur sous général , qui n'avaitqueainsi
ae l'état au comte des largesses im- réellement sa dépendance les
périales; l'intendance de la liste civile cinq autres gouverneurs, savoir, les
au comte des affaires privées de la deux consulaires de la Numidie et de la
maison de l'empereur. Nous ne disons Byzacène, et les trois présidents de la
rien des dignitaires dont les attribu- Mauritanie Sitifienne , de la Maurita-
tions avaient exclusivement pour objet nie Césarienne, et de la Tripolitaine.
le service personnel du souverain. Outre le proconsul et le vicaire, il y
Et maintenant voyons quellesétaient; avait encore en Afrique deux fonction-
quant à l'Afrique, les diverses hiérar- naires supérieurs obéissant directe-
chies de fonctionnaires placées dans ment au préfet du prétoire, savoir,
les attributions de ces illustres dépo- le préfet ou intendant des vivres d'A-
sitaires des pouvoirs publics et des vo- frique, et le préfet ou intendant des
lontés impériales. domaines patrimoniaux : nous n'avons
Gouvernement civil. — Quant pas d'autres lumières à leur égard.
au gouvernement, tout le territoire Commandement militaire. —
de l'empire était partagé en deux pré- En ce qui concerne le pouvoir mi-
fectures prétoriales renfermant six litaire, lecommandement des armées
diocèses et cinquante -huit provin- était dévolu fondamentalement à un
ces. Le préfet du prétoire des Gau- maître de l'infanterie et un maître de
les avait dans sa circonscription le la cavalerie , tous deux présents à la
diocèse de Bretagne, celui des Gau- cour : des circonstances exceptionnel-
les, et celui d'Hispanie où la province les pouvaient motiver la création d'un
de Mauritanie Tingitane se trouvait emploi semblable hors de la résidence
comprise ; le préfet du prétoire d'Italie impériale; c'est ce qui avait eu lieu
gouvernait les trois diocèses d'Illyrie, précédemment en Afrique pour Gil-
d'Italie, et d'Afrique. Chaque diocèse don Gaules
les ; c'est au ce qui existait
moment de encore dans
la rédaction
était régi par un officier qualifié de
respectable ou considérable (specta- de la Notice. A cette dernière époque,
bilis) , avec la dénomination de vicaire l'autorité militaire était exercée en
ou vice-préfet , et ayant sous ses or- Afrique, sous les ordres directs du
dres les gouverneurs particuliers des grand maître de l'infanterie , par un
provinces, auxquels était en général comte militaire, qualifié de respecta-
accordée la qualification de très-dis- ble ,aussi bien que deux ducs ou com-
tingués {clarissimi) , bien que les uns mandants defrontières qui lui étaient
eussent le titre de consulaires et les
adjoints , l'un pour la Mauritanie Cé-
autres celui de présidents : par excep- sarienne, l'autre pour la Tripolitaine.
tion, quelques gouverneurs de pro- Un comte militaire était pareillement
vinces étaient d'un rang plus modeste établi dans la Tingitane. Sous le
et ne recevaient que le nom de cor- commandement de ces comtes étaient
recteurs, avec la simple qualification placées un certain nombre de troupes
de très-parfaits; d'infanterie et de cavalerie tirées de
traire ,ou plutôt und'autres au con-
autre seulement l'armée, et organisées en légions et
dans tout l'empire d'Occident , était escadrons. Douze légions et dix-neuf
d'un rang plus élevé, et, revêtu du escadrons se trouvaient ainsi à la dis-
titre de proconsul
des vicaires, , marchait
recevant comme euxl'égal
la position du comte d'Afrique; le comte
qualification de respectable. Cest en de la Tingitane n'avait que quatre lé-
Afrique précisément que se montrait troupesgions etde cinqligne escadrons.
et de C'étaient
combat , lesen
238 L'UNIVERS.
garnison dans les villes , mobiles sui- commune, que le comte militaire avait
vant les exigences de la guerre, et au-dessus des ducs de frontière une
exclusivement attribuées aux comtes supériorité, non-seulement de titre et
militaires. Il y avait en outre des de rang, mais encore d'autorité réelle,
troupes spécialement affectées à la et peut-être de commandement hié-
garde des frontières, établies à de- rarchique. N'oublions pas de remar-
meure dans des cantonnements fixes ,
quer ici, qu'àdeladuc
commission date dede lala Césarienne
Notice , la
sous le commandement de préposés
ou prévôts respectivement placés sous avait été donnée au président ou gou-
les ordres du comte ou des ducs des verneur civil de cette province, qui
frontières, d'après les circonscriptions cumulait ainsi deux emplois regardés
territoriales assignées à ceux-ci. Le généralement comme incompatibles.
comte d'Afrique avait ainsi dans sa Dans la Tingitane, outre les troupes
circonscription particulière seize pré- de ligne mises à la disposition du
vôts ;le duc de la Mauritanie Césa- comte , il avait sous ses ordres une
rienne en avait huit, et le duc de la aile et six cohortes de troupes séden-
Tripolitaine quatorze. Malgré les dé- taires dans sept cantonnements éche-
fectuosités dela Notice et l'insuffisance lonnés sur la côte depuis Pariétina à
des documents contemporains où
peuvent être puisés les éléments de l'est jusqu'à Frigula à l'ouest (*).
FlNA-NCES DE L'EMPIRE ET DE
comparaison
reconnaît, auetmilieu d'éclaircissement, on
l'empereur ;ministration
de la triple liste offices. — Pour
des finances, l'ad-
YiUustre
des cantonnements qui y sonténumé- comte des largesses avait eu sous ses
rés, que si la circonscription respec- ordres dans chaque diocèse, et avait
tive des ducs de la Césarienne et de
la Tripolitaine était la même que celle parfait encore dans celui d'Afrique un très-
comte des largesses chargé de
de chacune de ces deux provinces, la pourvoir au double service des recet-
division territoriale du comte d'Afri- tes et des dépenses du trrâor pu»
que était beaucoup plus étendue que blic dans l'étendue du diocèse. Après
la province proconsulaire, car il est celui-ci venaient les comptables du
facile de retrouver la ligne de ses li- trésor (rationales summarum) , au
mites particulières , jalonnée entre nombre de deux , l'un d'Afrique, l'au-
Tacape et Saldes par les cantonne- tre de Numidie, ce qui indique suffi-
ments de Tamallenum, Nepte (*) , samment que le premier avait dans
Badiae, Gemellœ, Tubuna , Zabi et son ressort, avec l'Afrique proconsu-
ïubusuptus, qui embrassent à la fois laire, la Byzacène et la Tripolitaine,
la Byzacène, la Proconsulaire et la
tandis que le ressort de l'autre devait
Sitifienne; et l'on voit de plus qu'il comprendre, avec la Numidie, la Si-
avait aussi des prévôts sous ses or- tifienne etla Césarienne. Il y avait en
dres ,même concurremment avec ceux outre trois procurateurs des ateliers
des ducs, dans certains cantonnements publics, savoir, le procurateur du
de la circonscription de ceux-ci, comme gynécée de Carthage , atelier de fem-
à Bida, au Caput Cillani, et ailleurs mes pour la fabrication des étoffes,
dans la Césarienne, à Tillibari et et deux procurateurs des teintureries,
ailleurs dans la Tripolitaine; d'où il l'un pour le seul atelier de l'île de
nous paraît résulter, contre l'opinion Girba dans la Tripolitaine , et son
(*) Les éditions de la Notice portent : de collègue
teinture pourdisséminés tous les' autres ateliers
en Afrique.
Prœpositus Urnitis Montensis in caslris Lep-
titanis ; sans entrer dans une discussion Quant au domaine particulier de
dont ce n'est point ici la place, nous croyons
cependant nécessaire d'avertir que la véri- (*) Tous ces noms sont défigurés dans la
table leçon nous paraît devoir être : Prœ- Notice; et l'Itinéraire, qui pourrait aider à
positus militwnMontensium in castris Nep- les rétablir, a besoin lui-même d'une sévère
ttianis.
épuration.
AFRIQUE ANCIENNE. 239
tite ; que le duc de la province de Nu- les provinces africaines; ce que nous
midie aura sa résidence provisoire espérons, avec la permission de Dieu
dans la ville de Constantine; enfin, par l'aidevoir
de arriver
qui elles nous deontnotre
été
que le duc de la province de Maurita- rendues, bientôt
nie résidera provisoirement dans la temps. Et tégralitéque les provinces,
ville de Césarée. de leurs anciennes dans l'in-,
limites
« 2. Nous ordonnons aussi que vous soient maintenues en sécurité et tran-
établissiez complètement, sur le pas- quillité, que par la vigilance et les ef-
forts des soldats les plus dévoués et
sage qui est vers l'Hispanie et qu'on les soins des respectables ducs en exer-
appelle Septa, en tel nombre que Votre
Grandeur le jugera nécessaire, des cice, elles soient conservées intactes ;
soldats avec leur tribun, homme pru- car il faut que les provinces aient tou-
dent et dévoué à notre empire , de ma- jours des gardiens fidèles, afin d'ôter
nière qu'ils puissent toujours garder aux ennemis la faculté d'envahir ou de
ce passage, et faire savoir au respec- dévaster les lieux possédés par nos su-
table duc tout ce qui se fait du côté
de l'Hispanie, de la Gaule ou des « 5. Quant au nombre de soldats,,
Francs, afin que lui-même le rapporte soit fantassins soit cavaliers, qu'il faut
à Votre Grandeur. Vous ferez établir placer
jets. sur chaque frontière pour la
en outre, dans ce passage, des vais- garde des provinces et des villes, Votre
seaux légers, autant que vous le juge- Grandeur le réglera ainsi qu'elle croira
rez nécessaire. convenable, de manière que si ces dis-
« 3. Nous voulons qu'il soit établi positions nous paraissent suffisantes
un duc en Sardaîgne, et qu'il réside nous les confirmions, ou que si nous
près des montagnes où se trouvent apercevions qu'il y eût à faire davan-
des populations barbares, avec autant tage nous y ajoutassions.
de soldats que Votre Grandeur ju- « 6. Ce qu'un duc doit recevoir à ti-
gera nécessaire pour la garde des tre de solde, pour lui et ses hommes, et
lieux. ce qui revient à ses bureaux, se trouve
« 4. Que tous veillent diligemment détaillé dans l'état ci-dessous annexé.
aux provinces commises à leur garde; « 7. Ainsi donc qu'il a été dit, les
qu'ilsdicepréservent
de toute incursion nos sujets
des du préju-; ducs et les troupes résideront provi-
ennemis soirement, quant à présent, confor-
qu'ils tâchent , en invoquant jour et mément ànotre ordre, dans les villes
nuit l'aide de Dieu, et en travaillant et lieux que nous avons désignés, jus-
activement , d'étendre les provinces qu'à ce que Dieu prêtant aide à nous
africaines jusqu'aux limites où avant et à notre empire , ils puissent être
l'invasion des Vandales et des Maures rétablis par nos efforts dans les lieux
l'empire romain avait ses frontières, et où était fixée l'ancienne limite de cha-
où les anciens entretenaient des pos- que province, à l'époque où lesdites
tes, ainsi qu'on le voit par les clôtu- provinces étaient restées entières sous
res et les tours; qu'ils se hâtent sur- l'empire florissant des Romains.
tout de prendre et de fortifier, à me- « 8. Il nous paraît toutefois néces-
sure ricorde
qu'avecdivinel'assistance
les ennemisde enla seront
misé- sairetièrque, pour créé, l'organisation
es, ilsoit en sus des des fron-
troupes
expulsés, les villes voisines des clô- mobiles distribuées dans les forts, des
tures et des limites, et qui étaient au- troupes spéciales qui puissent défen-
trefois occupées comme étant établies dre et les forts et les places de la fron-
sous l'autorité romaine ; que les ducs tière, veenraienmême
et les troupes se rapprochent succes- t lesol; entemps sorte qu'elles culti-
que les autres
sivement des points où étaient aupa-
ravant les limites et les clôtures des provinciaux
établir aussi. les Nous voyant avonslà,organisé
aillent s'y
un
modèle de bataillon de frontière, que
provinces, lorsque sous l'autorité ro-
maine se conservaient encore intactes nous vous envoyons , afin que sur ce
247
AFRIQUE ANCIENNE.
modèle Votre Grandeur en organise proportion de ses services, à des em-
de semblables dans les forts et les pla- plois et des grades meilleurs.
« 10. Quand il aura plu à Dieu, que
ces qu'elle choisira ; de façon cepen- par les soins de Votre Grandeur toute
dant que si vous trouvez dans les pro-
la frontière ait été remise en son an-
avaient vincesantérieurement
ou parmi les soldats
, desqu'elles
sujets cien état et soit bien organisée; alors,
convenables, vous en formiez un ba- là où cela deviendra nécessaire les res-
taillon spécial pour chaque frontière; pectables ducs se prêteront, quand le
afin que s'il y avait quelque mouvement, besoin l'exigera , une mutuelle assis-
ces troupes frontières pussent elles- tance, afin qu'avec faide de Dieu les
mêmes , sans le secours des troupes provinces ou les frontières soient con-
mobiles, défendre avec leurs chefs les servées intactes par leur vigilance et
lieux où elles auront été placées, sans leurs efforts.
s'éloigner beaucoup de la frontière, ni « 1 1 . De même que nous voulons que
les troupes , ni leurs chefs. Ces trou- nos magistrats et nos troupes soient
pes frontières ne supporteront aucuns audacieux et intraitables envers les
frais de la part des ducs ni des offi- ennemis , de même nous les voulons
ciers de ceux-ci , qui ne pourront dé- doux et bienveillants envers nos con-
tourner frauduleusement à leur profit tribuableset
, qu'ils ne leur fassent
aucun droit sur leur solde. Nous vou- aucun tort ni dommage. Que si un
lons, au surplus, que ceci soit observé militaire se permettait de faire quel-
non-seulement à l'égard des troupes que tort à nos sujets , il sera puni
frontières , mais aussi à l'égard des exemplairement, sous la responsabilité
troupes mobiles. du respectable duc , ou du tribun, où
« 9. Et nous voulons que chaque duc, du premier commis , de manière que
ainsi que les tribuns de ces mêmes trou- nos sujets soient indemnisés.
pes, exercent toujours leurs soldats au « 12. Que si, pour certaines causes,
maniement des armes, et ne leur per- il était fait une interpellation par-de-
mettent pas de ils
s'éloigner, vant nos magistrats, nous voulons que
cas de besoin puissent afin qu'enà
résister les exécuteurs ne reçoivent à titre d'é-
l'ennemi ; et que les ducs ni les tri- piceslois rien, sans au delàencourir de*ce qui
buns ne se permettent d'en envoyer nos la est fixé pro-
peine par
aucun chantenàencongé, de peurilsqu'en cher- noncée par les mêmes lois en cas de
faïre profit, ne laissent contravention.
les provinces dégarnies. Que si les « 13. Lorsque, avec la permission de
ducs susmentionnés ou leurs bureaux Dieu, nos provinces africaines auront
ou les tribuns s'avisaient de laisser été organisées par Votre Grandeur
quelqu'un des soldats en congé, ou de conformément à nos ordres , que la
tirer quelque profit de leur paye, non- frontière en aura été rétablie suivant
seulement nous voulons qu'ils resti- l'ancien état de choses , et que toute
tuent au trésor public le quadruple , l'Afrique aura été restaurée telle
mais encore qu'ils soient destitués de qu'elle était; lors donc que tout cela,
leur grade. Car les ducs et les tribuns avec l'aide de Dieu , aura été fait et
doivent attendre de notre largesse, en achevé sous les yeux de Votre Gran-
sus des émoluments qui leur sont ac- deur, et que par vos efforts l'Afrique
cordés, une rémunération proportion- aura repris toutes ses anciennes limi-
née àleurs services, et non chercher à tes, et que vous nous aurez rendu
gagner sur les congés ou sur la solde compte de l'organisation complète de
des troupes qui sont organisées pour tout le diocèse d'Afrique, savoir, dans
la garde des provinces ; d'autant plus quels lieux ou quelles villes et en quel
que nous avons assigné des émolu- nombre ont été distribuées les trou-
ments suffisants aux ducs eux-mêmes pes, et de quelle espèce elles sont;
et à leurs bureaux, et que nous avons combien de troupes frontières , et de
toujours eu soin d'élever chacun, en quelle arme , en quels lieux elles ont
248 L'UNIVERS.
été placées; alors nous voulons que septembre de la prochaine indiction
Votre Grandeur revienne auprès de treizième , suivant ce qui est réglé en
Notre Clémence. l'état ci-dessous annexe.
« 14. En attendant, si Votre Gran- « 19. Et voici, avec la volonté de
deur jugeait que certaines places ou Dieu, l'état de ce qui doit être alloué
châteaux de la frontière étaient trop aux ducs établis en Afrique, et à leurs
considérables pour être bien gardés , bureaux, pour les vivres et fourrages
qu'elle les fasse rebâtir de telle ma- qui leur sont annuellement dus. (Suit
un détail fort embrouillé des émolu-
nière qu'elles puissent être bien gar- ments dus, pour eux et leurs gens, aux
dées par peu de monde.
« 15. Lors donc que Votre Gran- cinq ducs, qualifiés simplement ici de
deur, après avoir réglé toutes choses, clarissimes ou très-distingués, au lieu
effectuera le retour qui lui est ordonné; de la qualification de spectabiles ou
alors les ducs de chaque limite, toutes considérables, qui leur est donnée dans
le reste de la loi.)
les fois qu'ils auront besoin de quel-
que chose pour la réparation des places « 20. État des droits que le duc de
ou châteaux, pour leur solde ou leurs chaque frontière doit payer à la chan-
provisions, le feront savoir au plus tôt cellerie impériale, au prétoire de l'am-
au magnifique préfet d'Afrique , afin plissime préfecture
secrétariat du maîtred'Afrique , et au
de la milice en
que lui-même fasse aussitôt ce qui sera
nécessaire, et qu'aucun délai ne puisse exercice ; savoir : à la chancellerie im-
nuire aux provinces. périale six sous d'or; au secrétariat
« 16. Et ce qu'il aura fait lui-même, du magistère de la milice, pour l'enre-
et ce à quoi il sera encore nécessaire gistrement del'ordre impérial deNotre
de pourvoir ultérieurement, le magni- Sérénité relatif à sa nomination, douze
fique préfet du prétoire d'Afrique sus- sous d'or ; au secrétariat de l'amplis-
mention é etles respectables ducs nous
en rendront fréquemment compte , sime préfecture registrement ded'Afrique, pour douze
s mêmes lettres, l'en-
ainsi que de tout ce qui se passe ; pour sous d'or.
que nous confirmions ce qui aura été « 21. En conséquence Votre Gloire
bien fait, et que les dispositions qui ordonnera la mise à exécution et l'ob-
auraient pu être mieux prises soient servation dece que Notre Éternité a
complétées par nos ordres. réglé par cette ordonnance officielle.
« 17. Nous réglons en outre que les « Loi rendue aux ides d'avril à Cons-
magistrats à établir sur les frontières tantinople, sous le quatrième consulat de
africaines, n'auront rien de plus à notre seigneur Justinien Père de la Patrie
payer, soit dans le palais impérial à et Auguste, avec Paulin. »
aucune personne ou dignité, soit dans Tout ce qui était ordonné à Béli-
saire dans ce rescrit était sans doute
le prétoire d'Afrique à la préfecture
ou au magistère de la milice, que ce en voie d'exécution quand ce grand
qui est déclaré dans l'état ci-dessous homme quitta Carthage pour aller re-
annexé; car si quelqu'un exigeait ou cevoir àConstantinople les honneurs
recevait plus que ce qui est taxé audit du triomphe, et prendre bientôt après
état, il serait puni d'une amende de possession du consulat. Son départ
trente livres d'or , et encourrait de laissa son œuvre inachevée, et priva
plus notre indignation. Ils n'auront l'Afrique de la main puissante qui
rien à payer d'ailleurs à aucune autre seule pouvait retenir à la fois dans le
personne, dignité, ou office, autre que devoir une armée hétérogène qui n'a-
celles dénommées en l'état ci-dessous. vait plus de romain que le nom, et des
« 18. Nous ordonnons en outre, avec chefs maures dont sa renommée avait
l'aide de Dieu , que chaque duc, ainsi amené la soumission.
que ses bureaux , reçoive ses émolu- Guerres contre les Maures.
ments sur les tributs de la province
d'Afrique , à partir des calendes de Première expédition de Salo-
AFRIQUE ANCIENNE. 249
mon. — Trois chefs principaux com- les monts Bourgaôn, les forçant à
mandaient aux Maures répandus sur le s'aller réfugier en ensuite
Numidiechercher
auprès
territoire romain; c'étaient, dans la de Iaudas.. Il vint
Byzacène, Antalas(*), fidèle à l'empire, celui-ci dans l'Aurasion , où il fut
qui se l'était attaché moyennant une guidé
pension annuelle, et Coutzinas, le de ces par deuxétait
guides princes maureschef: l'un
Orthaïas, des
plus notable d'une foule de petits chefs tribus cantonnées dans l'ouest de l'Au-
rasion, qui reprochait à Iaudas de
que le nom detenus
ce moment Bélisaire avait jusqu'à
en respect ; dans favoriser Mastigas , chef des tribus de
la Numidie, Iaudas, demeuré indépen- la Mauritanie, dans Orthaïas
le desseinlui-même
qu'avait
celui-ci de chasser
dant sur les montagnes d'Aurasion.
On peut croire que des conditions pa- et ses Maures du pays où ils étaient
reilles àcelles d'Antalas auraient as- depuis longtemps établis ; ce qui avait
suré la soumission des deux autres ; déterminé l'accession d'Orthaïas et
mais ils se plaignirent hautement d'a- des siens à la cause romaine. Après
voir été déçus par de vaines promes- avoir campé sur le fleuve Abigas, qui
ses, et les vaisseaux de Bélisaire s'échappe de ces montagnes, Salomon
avaient à peine levé l'ancre, que déjà s'avança jusqu'à celle à'Jspis ou du
un soulèvement général se manifestait Bouclier; mais craignant de s'engager
sur toute la frontière ; les postes ro- trop avant avec des guides peu sûrs,
mains dans la Byzacène et la Numi- il se borna pour lors à cette démons-
tration, renforça en se retirant les
die,
le torrent, trop faibles
étaient"encore battus pour arrêter
, et les bar- garnisons de la Numidie, et retourna
bares dévastaient tout le pays. Deux passer l'hiver à Carthage (*).
officiers distingués de la cavalerie im- Au printemps suivant, une mutine-
périale avaient été tués dans la Byza- rie de ses troupes obligea Salomon à
cène après une défense acharnée; dans quitter précipitamment son palais , et
la Numidie, Althias , qui était can- à se réfugier à Missoua, vers le cap
tonné àCenturies (**) avec un corps de d'Hermès, d'où il dépêcha un courrier
Huns tour, pour la plus gardeheureux,
des fortset d'alen- en Numidie, pendant que lui-même al-
avait été il avait lait chercher Bélisaire à Syracuse. La
remporté sur Iaudas , auprès de la révolte avait été excitée par les fem-
fontaine de Tigisis (où Procope met la mes et le clergé vandales , et les mu-
fameuse inscription constatant l'ori- tins grossissant leur nombre des débris
gine cananéenne des Maures) , un du peuple vaincu, se réunirent dans la
avantage brillant quoique de peu plaine de Bulla en un corps de huit
d'importance. Salomon marcha d'a- mille hommes, sous le commandement
bord contre Coutzinas et ses adhé- de Stotzas , qui vint bientôt assiéger
rents, qu'il battit rudement à deux Carthage, mais qui battit en retraite
reprises , d'abord à Mamma , puis sur au seul nom de Bélisaire arrivant
avec quelques soldats. Le fameux
(*) Ce nom africain se montre plus tard guerrier vint défaire et disperser les
dans l'histoire mauresque sous la forme rebelles auprès de Membressa, sur le
Hliantkalah, suivant l'orthographe des Ara-
bes. Bagradas , à 350 stades ou cinquante
milles romains de Carthaee , et, rap-
(**) 'ExuYxave ôè AXÔiaç sv xevxouptaiç tcov pelé en Sicile par une autre révolte, il
èxeivY) ( Novjuôta ) <ppoupitov œuXoooQV &XWV-
(Procope, Guerre des Vandales, II, i3.) laissa à Salomon, pour suivre les af-
Nous pensons, comme Ruinart , qu'il faut faires d'Afrique , deux braves officiers,
lire ici èv KevToupîai;, à Centuries, ce qui Théodore et Ildiger, et repartit aussi-
se rapporte au poste appelé ad Cenlena-
rium sur la Table Peutingérienne , entre (*) A la fin de l'année 535, et non en
Gasaupala et Tigisis, sur la route de Tipasa 536 comme l'indique Lebeau dans son
(Tyfèsch) à Conslantine par Sigus. Tiyiffiç Histoire du Bas-Empire, où cette date erro-
est la moderne Teghzeh.
née remonte jusqu'à la bataille de Mamma.
250 L'UNIVERS.
appris que les ennemis étaient campés mandaver àson rappel pour l'aller
près de Sicca- Vénéria , envoya contre Constantinople, où il retrou-
devint
eux un de ses lieutenants , qui les at- maître de la milice de la garde.
Expédition de Jean Tboglita.
taqua dans le port ou défilé deTacia (*),
tua Stotzas, et fut tué lui-même, au —Ce fut alors Jean Troglita que l'em-
milieu d'une défaite que le concours pereur nomma stratège d'Afrique ; il
de Sergius aurait empêchée: l'empe- vint débarquer à Caput-Vada comme
reur alors rappela enfin ce jeune pré- Bélisaire, et après avoir réuni à Car-
somptueux. Gontharis, chef des trou- thage les troupes d'Afrique, celles
qu'il amenait , et les Maures de Cou-
se substituer à la fois à l'ambition
pes de la Numidie,eut Sergius etdeà tzinas qu'une pension annuelle atta-
Ariobinde, en se liguant secrètement chait alors à l'empire, il courut dans
avec les Maures, et il ameuta Iaudas la Byzacène, à l'endroit autrefois ap-
etCoutzinas contre Carthage, en mê- pelé le Camp d'Antoine (*), remporta
me temps qu'Antalas s'y portait avec sur Antalas et ses confédérés une vic-
le rebelle Jean> que les soldats de toire complète, et retourna triom-
Stotzas avaient élu pour chef. Ario- phant àCarthage. Mais une ligue for-
binde rappela aussitôt près de lui tous midable s'étant formée des Maures de
ses la Tripolitaine avec ceux de la Byza-
les chefs maureset par
généraux, s'efforça de désunir
des négociations cène il, réunit de nouveau ses troupes
secrètes. Gontharis devenu nécessaire
et ses alliés pour marcher à l'ennemi
à Carthage , y leva le masque , fit mas- avant qu'il eût envahi cette dernière
sacrer Ariobinde, et se saisit ainsi province. Au bruit de son approche ,
du pouvoir; Jean et les soldats de les Lévathes , qui étaient déjà sur la
Stotzas , ainsi que le maure Coutzi- frontière,foncentrebroussent chemin et s'en-
nas , vinrent se joindre à lui , tandis dans le désert de Gadaïas , où
qu'Antalas prit le parti de se réunir Jean Troglita les suit sans pouvoir les
aux troupes de la Byzacène restées fi- atteindre. Le manque d'eau et de vi-
dèles dans Adrumète sous leur duc vres le rappelle vers la côte, où il
Marcentius; mais l'arsacide Artaban, reçoit les soumissions de quelques tri-
d'accord avec le préfet Athanase que bus; puis il se porte vers les collines
Gontharis avait dédaigné de frapper, de Gallica pour couper le chemin aux
fit assassiner le rebelle par un de ses ennemis, que la soif ramenait sur les
Arméniens, trente- six jours après son bords d'un fleuve, où il les devance
usurpation , et rendit ainsi Carthage avec quelques troupes : le combat
à l'empereur, qui l'en récompensa en s'engage avant que les Romains eus-
le nommant lui-même stratège ou maî- sent assis leur camp; ils sont défaits,
tre de la milice d'Afrique (**). Mais et Jean Troglita est obligé de se re-
l'amour peut-être entrait pour une plier sur une petite ville, puis de re-
part dans la conduite d'Artaban , et gagner Vinci , où son armée s'était
en sacrifiant Gontharis c'est d'un ri- ralliée et l'attendait; de là il renvoie
val qu'il s'était défait; peut-être Gon- ses troupes se refaire dans leurs quar-
tharis lui-même n'était-il devenu cri- tiers et
, lui-même prenant la route du
minel que pour rompre le nœud qui littoral, ne s'en écarte plus que pour
unissait comme épouse à Ariobinde la gagner Laribus, où il donne rendez-
jeune Préjecte nièce de Justinien, à vous à tout son monde pour une nou-
la main de laquelle il prétendit aussi-
tôt; Artaban fut plus heureux, et de- velle expédition (**).
(') « Jamque per extensos properans exercitus agros
«Byzacii, carpebat iter quô Antonio Castra
« INomine dictus avis locus est. »
(*) Procope parle du défilé sans le nom- CoRirpE, Joliannide, I, 460.
mer ;mais le chroniqueur Jean de Valclara
nous fournit une indication précise. (**) Toute cette campagne est résumée
(**) En la 19e année du règne de Justi- par Procope en ces mois : «Les Lévathes
nien, c'est-à-dire en 545. « venant de !a Tripolitaine avec une grande
253
AFRIQUE ANCIENNE.
Avant bientôt réuni les troupes et fort considérable de Maures alliés , il
les munitions nécessaires, et un ren- se remit en campagne. Les ennemis
s'étaient avancés jusqu'aux frontières
« armée, entrèrent dans la Byzacène et se de la Byzacène, et dévastaient le plat
« réunirent à Anlalas ; Jean ayant marché pays autour de Mamma ; à la nouvelle
« contre eux fut vaincu , perdit beaucoup de son approche, ils se retirèrent au
« de monde, et se réfugia à Laribus. » Co- désert pour qu'il s'y engageât encore
rippe au contraire nous fait un long récit,
à leur poursuite , et s'éloignèrent jus-
où ne se trouvent malheureusement qu'en qu'à une distance de dix journées. Jean
fort petit nombre les désignations précises Troglita ayant envoyé reconnaître leur
nécessaires pour la détermination des loca-
lités ;et Saint-Martin les a même négligées position, s'avança jusqu'à la ville de
dans son analyse du poëme ; nous avons au Vinci auprès de' laquelle ils étaient
contraire soigneusement relevé ces faibles campés sur le bord de la mer, et pen-
indices, que certaines corrections hasar- dant que les Maures se retiraient de-
dées par Mazzuchelli et répétées par le se-
vant lui sur les hauteurs, il occupa le
cond éditeur, M. Emmanuel Eekker, ren- rivage, dont il fit rentrer tous les bâ-
daient plus difficiles à saisir, en transportant timents dans le port de Lariscum ;
dans la Tingitane ce qui regarde exclusi- puis il s'avança encore jusqu'en un
vement la Tripolitaine, bien que la leçon
lieu appelé le* Camp de Caton (où
du manuscrit se prêtât mieux à la restitu- sans doute s'était jadis arrêté ce grand
tion plus naturelle que nous avons adoptée. homme lorsqu'il ramena par terre les
Ainsi, quand la renommée fait connaître
restes de l'armée des Pompéiens de-
aux Maures l'approche de Jean ïroglita puis Cyrène jusqu'à Utique). C'est là
avec tous ses ducs, ce n'est point Abylœ
qu'ayant habilement attiré les enne-
Tingensis ad arva qu'elle peut raisonnable-
ment aller, mais bien
mis dans la plaine, Jean ïroglita leur
livra une sanglante bataille , où leur
« Lnguatan gentis ad oras
«Improba tendit iter. Fines jàm raptor iniquus perte fut énorme (*); ils y perdirent,
« Byzacii vastabat eques : sic pectora rumor
« Nominis incutiens magna virtute Johannis suivant
tribus, et Jornandès*
demeurèrent dix-sept chefs de
complètement
«Terruit, innumeras acies post terga reflexit.
« Siccas superare Gadaias écrasés. Après avoir ainsi terminé la
« Nec dubitant.tristesque locos,quîs nullus eundi guerre, Jean Troglita rentra triom-
« \ ivendique modus. »
phant àCarthage, et s'appliqua à faire
Gadaïas ne s'identifie ni à Cydamus ou Ga- jouir l'Afrique des bienfaits d'une paix
dames, ni à Gadabis qui est vers Leptis la
profonde.
Grande ; mais c'est évidemment dans les
mêmes cantons que la position en doit être
Astrices; nous savons seulement que c'est
cherchée. Quand les Romains sont revenus une ville soumise aux Romains , non loin
à la côte, de la mer, à plusieurs journées au delà des
« tune maie fida Latinis limites de la Byzacène.
« Urceliana manus Romanis addita fatis.
(*) La victoire de Jean Troglita fut rem-
« Subjicit ipsa... sese portée dans les mêmes lieux où il avait
« Astricum gens clara virûm. »
éprouvé une défaite; outre le voisinage de
Puis lorsque Jean Troglita va couper aux la ville de Vinci , qui est déjà un repère
ennemis le chemin du fleuve, significatif, le Camp de Caton est lui-même
<t Infandum carpebat iter, coliesque malignos indiqué dans le récit antérieurement fait
« Tristis et infaustos monstrabat Gallica campos. »
par Corippe de cette défaite si bien rache-
Dans un autre passage, le nom est écrit Gal- tée, par cette allusion mise dans la bouche
de son héros :
lida ; mais l'une ni l'autre forme ne nous
rappelle un point déjà connu. Après la dé- « Magnoque Calone seenndum
faite « Me tentasse legent. »
a Suecessit parvsc defessus mœnibus uvbis.
« Inde petens Vinti Romanum contrahitagmen.»
En supposant que les trois campagnes de
Jean ïroglita ne se soient succédé que d'an-
Vinci ne nous est pas plus connu que Ga- née en année , la guerre aurait été terminée
daïas que
, Gallida , que les Urcéliens et les en 548 au plus tard.
254 L'UNIVERS.
Édifices de Justlnien en Afrique. belle église. A l'extrémité de la même
plage sont les deux villes de Tacapa
Alors sans doute s'achevèrent les et de Girgis , entre lesquelles est la
ouvrages entrepris par Bélisaire et petite Syrte.
continués par Salomon pour la sûreté Édifices de l'Afrique propre.
et l'embellissement des villes. Proco- — « Après la Tripolitaine et les Syrtes
pe, en nous racontant au sixième livre vient le reste de l'Afrique. Les Van-
de ses Édifices les constructions faites dales, devenus maîtres du pays, avaient
sous le nom de Justinien dans le res- pensé qu'il convenait à leurs intérêts
de démanteler toutes les places , de
sort de la préfecture d'Afrique , nous
fait apprécier l'étendue des travaux peur que les Romains venant à s'en
qui y furent exécutés. Il est intéres- emparer n'en tirassent avantage contre
sante jeter, sous ce point de vue , eux; ils épargnèrent les murs de Car-
un coup d'œil rapide sur les indica- thage et de quelques autres villes,
tions de l'historien courtisan. mais les laissèrent se dégrader par dé-
Édifices de la Tripolitaine. faut d'entretien : Justinien, après avoir
— « La Tripolitaine, voisine des Syr- arraché l'Afrique aux Vandales, non-
tes, a pour habitants des Maures bar- seulement releva les forteresses détrui-
bares d'origine phénicienne. Là est tes, mais en construisit en outre plu-
aussi la ville de Kidamè, peuplée de sieurs nouvelles. Etd'abord, s'occupant
Maures dès longtemps alliés des Ro- de Carthage, appelée aujourd'hui a bon
mains, et qui se sont aisément laissé droit Justinienne, il en restaura com-
persuader par Justinien d'embrasser plètement les murailles, et la ceignit
le christianisme: on les appelle Pacali, d'un fossé neuf; il érigea dans le pa-
pacifiés, à cause de la paix où ils se lais une chapelle à la Vierge, et hors
maintiennent vis-à-vis des Romains. du palais une autre à sainte Prime qui
La ville de Lepti-Magna , autrefois est l'une des saintes indigènes; il lit
grande et peuplée, «est devenue ensuite construire des portiques des deux cô-
presque déserte, et le sable Ta envahie : tés de la place dite de la Marine, et
Justinien en a relevé les murs depuis de très-beaux bains publics que l'on a
les fondements, mais sur une étendue
appelés Théodoriens pératrice; ila en outre du nom
bâtide sur
l'im-le
bien moindre que l'ancienne enceinte: bord de la mer , près du port appelé
il a laissé dans l'état où elle était la
portion de la ville ensevelie sous les Mandracion, un monastère si bien
sables, et il a entouré de fortes mu- fortifié, qu'il en a fait un château inex-
railles la partie restante : il y a fait pugnable :voilà les édifices dont Jus-
construire un fort beau temple sous tinien adoté la nouvelle Carthage.
l'invocation de la Vierge, et quatre au- Dans la contrée environnante, qu'on
tres églises; il a restauré l'ancien pa- appelle Proconsulaire, la ville de Vaga
lais de Septime Sévère , qui était né se trouvait sans murailles, au point
dans cette ville et y avait laissé ce mo- que les barbares auraient pu la pren-
nument de son élévation. Peu après dre sans effort et pour ainsi dire en
l'avènement de Justinien , et avant la passant : Justinien l'a fortifiée de ma-
guerre de Bélisaire, des Maures bar- nière àoffrir de véritables moyens de
bares, appelés Leucathes, ayant chassé défense à ses habitants, qui par re-
les dominateurs vandales de Lepti- connaissance ont donné à ieur ville,
Magna, l'avaient désolée complètement. en l'honneur de l'impératrice, le nom
Justinien l'a décorée encore de bains de Théodoriade ; il a érigé aussi dans
publics et d'autres édifices. Quant aux le même canton le château appelé
barbares d'alentour , appelés Gadabi- Toucca.
tains , qui professaient le paganisme Édifices de la Byzacène. —
grec, il les a complètement convertis « Dans le Byzacium, la ville d'Adra-
au christianisme. Il a aussi fortifié la myte, sur la côte, autrefois grande et
ville de Sabaratha, et y a bâti une peuplée , avait le rang et le titre de
AFRIQUE ANCIENNE. 255
métropole de la contrée , tant à cause
de son étendue que de son heureuse sur lestorallimites
du Byzacium. Dans l'intérieur,
de la province habitées
{>osition; les Vandales en avaient abattu par des Maures barbares, il a établi
es murs pour que les Romains ne des postes fortifiés, en sorte qu'ils ne
pussent s'y retrancher, et elle demeu- peuvent plus faire d'incursions sur le
rait exposée aux courses des Maures ; territoire romain ; car après avoir en-
les habitants avaient, pour leur propre touré de fortes murailles les villes
sûreté, relié entre elles et fortifié leurs frontières de Mamma , Télepte, Kou-
maisons contre les agressions du de- loulis, et le château que les indigènes
hors; mais dans une telle situation appellent Ammétéra , il y a mis de
leur salut ne tenait pour ainsi dire bonnes garnisons.
Édifices de la Numidie. — « Il
qu'à un fil, car les Maures les harce- a de même pourvu à la sûreté de la
laient, et les Vandales ne prenaient
nul souci de les défendre. Mais Justi- Numidie par des postes fortifiés et des
nien devenu maître de l'Afrique, a en- garnisons
ser. Dans, cetteainsi province
que je vais l'expo-
se trouve
touré la place de fortes murailles et y
a mis une garnison suffisante pour le mont Aurasion , qui n'a pas son
rassurer les habitants contre toute es- pareil au monde, car il s'élève abrup-
pèce d'ennemis; aussi appellent -ils tement à une grande hauteur, et n'a
également aujourd'hui cette ville Jus- guère moins de trois journées de cir-
tinienne en témoignage de leur grati- cuit; l'abord en est très-difficile, et
tude pour les bienfaits du prince; seul l'on n'y peut monter qu'à travers des
précipices; mais le sommet en est plat,
témoignage en effet qu'ils pussent lui
donner et qu'il voulût accepter. d'un parcours facile, couvert de prai-
« Sur la côte de la Byzacène était ries, de vergers et de bosquets odori-
un lieu appelé Capoudvada par les in- férants, de sources limpides, de ruis-
digènes :c'est là qu'avait abordé la seaux paisibles, et chose surprenante,
flotte impériale les moissons et les fruits n'y sont pas
contre Gélimer lors et lesdeVandales
l'expédition
, et moins frbeaux
Dieu y avait admirablement fait con- : estquele dans
ique tel mont leAurasion.
reste de l'A-
Les
naître sa bienveillance pour notre mo- Vandales s'en étant emparés au com-
narque en faisant naître dans ce lieu mencement de leur occupation, les
aride , où l'armée romaine souffrait Maures s'y établirent après le leur
beaucoup avoir enlevé, jusqu'à ce que Justinien
qui jaillit du toutmanque
à coupd'eau,
sousunela source
pioche les en ayant chassés, l'a réuni au do-
des soldats, du sein d'une terre jus- maine de l'empire; et afin d'empêcher
qu'alors desséchée; en sorte qu'après qu'il ne retombe au pouvoir des bar-
avoir trouvé là un campement favora- bares, ila fortifié les villes d'alentour,
ble, ils purent le lendemain s'élancer qu'il avait trouvées désertes et dé-
vigoureusement à la conquête de l'A- manteléesde
: plus il y a placé deux
frique. Aussi Justinien, pour consa- châteaux avec des garnisons suffisantes
pour ôter aux barbares du voisinage
de ce divin façon
crer d'une bienfait,durable le souvenir
ordonna aussitôt tout espoir de jamais reprendre F Au-
la fondation d'une belle et forte ville, rasion. Ila également mis en état de
dont il traça le plan; elle a été bâtie défense les villes situées dans le reste
en effet , entourée de murs , et son de la Numidie.
existence a changé la face dé ce can- Édifices en Sardaigne et a
ton, car les habitants se sont civilisés, Septa.— « Dans l'île de Sardôs qu'on
ont pris l'habitude de venir tous les appelle maintenant Sardinia, estime
jours au forum, de délibérer de leurs ville nommée par les Romains le Châ-
affaires dans des assemblées, d'établir teau deTrajan; Justinien Fa ceinte de
des marchés, de faire en un mot tout murailles et de fortifications, dont elle
ce qui se pratique dans les cités : était auparavant dépourvue.
voilà ce que Justinien a fait sur le lit- « Vers les colonnes d'Hercule, sur
256 L'UNIVERS.
le rivage africain , était autrefois un Teberseq, déclare que ces murs ont été
fort appelé Septon , construit par les bâtis pas ses soins :
Romains à une époque antérieure, et SALV1S DOM1N1S N0STR1S XP1ST1AN1SS1M1S
ET 1NV1CT1SS1M1S 1MPERAT0R1BVS
croulant de vétusté par suite de l'in-
curie des Vandales : Justinien l'a en- 1VST1NO ET SOFIA AVGVST1S HANC MVN1T101SEM
tion générale (*), et ils marchèrent sur qu'Héraclius eût fermé les yeux. Cinq
Carthage avec des forces redoutables, ans après, l'exarque d'Afrique, le pa-
auxquelles Gennadius n'avait pas de trice Grégoire, ne craignait pas de se
troupes suffisantes à opposer ; mais déclarer indépendant dans son gou-
l'administrateur d'alors se montra vernement; etl'année suivante il pé-
aussi habile rissait lui-même sous les coups des
montré brave que le général
autrefois; s'était
il les amusa Sarrasins , qui avaient déjà envahi la
par une déférence simulée pour tou- majeure partie de l'Afrique et la sou-
tes leurs exigences, et pendant que sa- mirent dès lors au tribut. L'établisse-
tisfaits de cette facile victoire ils se ment de leur domination imprimait à
livraient aux festins et à la boisson, il cette région une face toute nouvelle ;
les surprit, les tailla en pièces, et dis- et quelque persistance que l'on veuille
sipa ainsi cet orage qui avait paru si supposer à certains éléments, à cer-
menaçant. tains caractères des populations sub-
L'Afrique est envahie par les juguées et du sol envahi, cette con-
Sarrasins. — A Gennadius succéda, quête néanmoins opérait une trans-
en l'année 600, Innocentius, connu par formation profonde , dans laquelle
les lettres du pape saint Grégoire le disparaissait sans retour l'Afrique an-
Grand, dont il était l'ami; et Innocen- cienne, dont l'histoire se termine donc
ici.
tius àson tour fut remplacé, en l'année
603, par le comte Héraclius, avec son
frère Grégoras pour lieutenant ou pour RÉSUMÉ.
collègue : on sait qu'à l'instigation des
principaux personnages de la cour de Nous venons de parcourir tout d'une
Phocas , les deux frères envoyèrent haleine l'histoire des révolutions po-
leurs fils Héraclius et Nicétas, le pre- litiques et territoriales de l'Afrique
mier avec- une flotte, le second avec
ancienne, depuis les temps primitifs
une armée, pour enlever l'empire au jusqu'à la conquête musulmane, qui en
tyran, et que le jeune Héraclius, ar- marque le terme ; mais quelque rapide
rivé àConstantinople le 4 octobre 610,
qu'ait été notre course, trop de dé-
y était proclamé empereur le lende- tails encore ont du passer devant nos
main :triste fortune, qu'il ne tarda
yeux pour qu'il n'y ait point utilité de
point à regretter, et qu'il aurait volon-
récapituler,
tiers quittée quelques années après semble, lesà principales
un point dephases vue d'en-
sous
pour revenir à Carthage près de son lesquelles s'est montrée à nous suc-
père, si les Byzantins n'y eussent mis cessivement la région d'Afrique, à
obstacle en exigeant de lui le serment mesure que les bouleversements poli-
solennel de ne les point abandonner. tiques yont changé la distribution des
L'empire d'Orient s'en allait alors états ou des provinces.
par lambeaux, et périssait sous l'é- PÉRIODE D'INDÉPENDANCE PRIMI-
TIVE.— A une époque primordiale,
treinte des peuples de l'Asie, comme
l'empire d'Occident avait péri sous dont la chronologie n'a point mesuré
l'étreinte des barbares du Nord : et Péloignement, une zone ininterrompue
cette Afrique, où Héraclius avait pensé de .peuples libyens occupe toute la
trouver un dernier refuge, il eut la plage littorale.
douleur de la voir entamée par les En arrière de cette zone , les Gétu-
conquérants sarrasins; quand ils eu- les à l'ouest, les Garamantes à l'est ,
forment une seconde assise, après la-
rent pris Damas, l'empereur écrivit,
dit-on, à Pierre qui commandait en quelle sont les Éthiopiens jusqu'à des
Numidie, pour l'appeler à la défense de profondeurs inconnues. Mais ces plans
l'Egypte; mais l'Egypte était déjà oc- éloignés du tableau restent invariables
cupée et Alexandrie assiégée avant
pour nous; le devant de la scène
éprouve seul les variations dont l'his-
(*) Eu l'année 597. toire s'est occupée.
17e Livraison. (Afrique ancienne.)
258 L'UNIVERS.
A une seconde époque, fort reculée
aussi dans la nuit des temps , les nissa, qui d'une part touchent à la
Maures et les Numides ont remplacé Cyrénaïque et de l'autre vont peut-
les Libyens dans la partie occidentale être étatsjusqu'à
de Vermina, Saldes, qui ayantse à prolongent
l'ouest les
de leurs possessions, les premiers de- au couchant jusqu'au Malua ou au
puis l'Océan jusqu'à une limite que Molochat, limite de la Mauritanie.
Mais bientôt les envahissements de
nous croyons devoir placer au fleuve
Malua , les seconds depuis ce fleuve Massinissa viennent amoindrir de plus
jusqu'à une autre limite que nous en plus les possessions carthaginoises,
supposons au fleuve Tusca ; les Libyens à ce point qu'au commencement de la
ne conservant que la plage qui s'étend troisième guerre punique , l'an 150
à lest de celui-ci. avant notre ère, Carthage n'a plus
Période punique. — L'établisse- qu'un territoire restreint entre Hip-
ment des colonies puniques vient chan- pone-Diarrhyte et la presqu'île du cap
ger cet état de choses; U tique, Car- d'Hermès , tandis que la Numidie s'est
tilage et les Emporia , implantées sur
la côte libyenne, forment une chaîne agrandie de tout le reste, et s'étend
au couchant jusqu'au fleuve Mulucha,
de plus en plus étendue, qui domine où s'avance alors la Mauritanie.
le pays, ou en interdit l'accès aux peu- Après la guerre, Carthage est dé-
ples étrangers. Deux phases distinc- truite ,et le territoire qu'elle avait
tes sont constatées à cet égard par le
premier et le second traité de Carthage jusqu'alors mis aux Romains gardé est désormais
, dont sou-
le préteur
avec Rome , qui se rapportent à l'an siège à Utique.
509 et a l'an 352 avant notre ère. Dans Période romaine. — C'est main-
le premier cas, les villes puniques tenant sur la Numidie que notre at-
n'ont que leur propre territoire avec tention est appelée. Après la mort de
le monopole du commerce, sur la côte Micipsa , il semble qu'il en eût été fait
au sud du Ralon-Akrotérion; dans le une division tripartite entre Adherbal
second cas, Carthage, arrivée à l'apo- régnant à Cirta, Hiemsal régnant à
gée de sa grandeur, est devenue maî- Thimida, et Jugurtha, dont nous ne
tresse des pays libyens, et se réserve connaissons pas la ville royale; il est
le monopole du commerce sur tout le du moins certain qu'après l'assassinat
reste de la côte africaine. de Hiemsal, il y eut un partage effec-
Un peu avant la deuxième guerre tif entre Adherbal et Jugurtha, le pre-
punique, le domaine libyen de Car- mier ayant toute la Numidie orientale
thage se trouve entamé par les con- avec la ville de Cirta, l'autre la Numi-
quêtes de Gala, roi des Numides Mas- die occidentale jusqu'au Mulucha. La
syliéens, occupant le pays entre les limite intermédiaire paraît avoir été à
fleuves Tusca et Ampsagas , avecHip- la hauteur de Saldes, et l'on peut pré-
pone pour capitale , tandis que le reste
sumer queprésentait
le territoire d'Adherbal
son lot primitif, augmentére-
de la Numidie, appartenant aux Mas-
sésyliens, avait pour roi Syphax, dont de celui de son frère Hiemsal ; mais
la capitale fut d'abord Siga , mais qui bientôt il est dépouillé lui-même, et
transporta sa résidence a Cirta après Jugurtha se trouve maître de tout
avoir agrandi vers l'est ses états aux l'ancien
Micipsa. royaume de Massinissa et de
dépens des Massylieens.
Après la deuxième guerre punique, Les Romains vinrent renverser cet
terminée par un traite l'an 201 avant état de choses. Après la chute de Ju-
notre ère, des changements notables gurtha, l'an 104 avant notre ère, le
se sont opérés ; le domaine de Carthage roi de Mauritanie Bocchus parait éten-
comprend encore la Zeugitane et la
dre ses limites jusqu'à Saldes, l'Afri-
Byzacène, depuis le fleuve Tusca jus- que romaine agrandit probablement
qu'à la petite Syrte; mais il est pressé les siennes jusqu'à Sicca et au fleuve
de tous côtés par les états de Massi- Tusca, et le reste forme les états du
AFRIQUE ANCIENNE. 250
roi numide Gauda. La succession de rétabli pour Juba le Jeune, tel, ce
celui-ci est ensuite possédée par Hiein- semble, que l'avait possédé son père
sal dont la capitale est peut-être Juba l'Ancien; mais cinq ans après,
Zama, par Hiarbas qui siège à Bulla, revenant sur sa première décision ,
et par Massinissa ou Masintha à qui Auguste reprit à Juba la Numidie pour
appartient
Cirta. Que le territoire
le règne à l'ouest
de Hiemsa! de l'annexer a la province romaine d'A-
et de
Hiarbas ait été simultané ou alterna- frique,àlasous l'administration
consul nomination du sénat; d'un pro-et
tif, Hiemsal demeura seul maître de la Mauritanie de Bocchus, depuis l'O-
leur double domaine, et le transmit céan jusqu'à Saldes, forma désormais
tout entier à Juba l'Ancien, qui con- le royaume de Juba , qui donna à loi,
serva Zama pour sa capitale. sa capitale , le surnom de Césarée.
Après la guerre de Jules-César, en Sous cette phase , l'Afrique ne nous
Afrique , l'an de 46 choses
avant notre ère ,éta-
un présente plus que deux états parallè-
nouvel ordre se trouve les : à l'ouest le royaume de Mau-
bli :les états du roi maure Bocchus
ritanie, àl'est la province romaine
l'Ancien étaient passés à ses enfants , d'Afrique depuis Saldes jusqu'à la
le roi Bogud conservant l'ancienne Cyrénaïque. réexpédition de Balbus
Mauritanie à l'ouest du Mulucha avec ajoute bientôt à celle-ci, nominalement
Tingis pour capitale ; le roi Bocchus le au moins, Cydamus et quelques can-
Jeune, qui régnait à loi, est gratifié de tons de la Phazanie.
quelques cantons pris sur les états de Avec le règne de Claude, l'an 42 de
Masintha, dont le surplus est donné, l'ère chrétienne, commence pour l'A-
avec Cirta, à Sittius et ses partisans ; et frique une nouvelle organisation ter-
la Numidie de Juba forme aux Romains ritorialele
: royaume de Mauritanie,
une seconde province d'Afrique, appe- devenu vacant par la meurtrière ja-
lée Nouvelle, gouvernée par un pro- lousie deCaracalla, forme dorénavant
consul quiréside probablement à Zama, deux provinces régies par des procu-
tandis que l'Ancienne continue d'être et de Césarienne rateurs, sous les noms de Tingitane
régie par un préteur siégeant à Utique. , avec le fleuve Malua
Peu de temps après , Arabion fils de pour borne commune, et l'Ampsagas
Masintha vint reprendre à Bocchus et à pour limite orientale; une province de
Sittius le patrimoine dont Jules-César Numidie est détachée à l'ouest de celle
l'avaitdépouillé;maisil ne tarda point d'Afrique , dont elle est séparée par
à en être expulsé par Fango lieutenant le fleuve ïusca, et son chef-lieu est à
de César-Octavien , et l'Afrique nou- Cirta; mais l'Afrique proconsulaire
velle se trouva augmentée d'autant. garde alors dans sa circonscription la
Sextius , lieutenant d'Antoine, l'en- Byzacène et la région Syrtique, celles-ci
leva à Fango, et la rendit, avec la constituant peut-être déjà des subdi-
province ancienne, au triumvir Lé- visions chacune
à desquelles était pré-
pide; puis Statilius Taurus, l'an 40 posé un lieutenant du proconsul.
avant notre ère, reconquit l'une et Maximien-Hercule, vers l'an 296,
l'autre pour César. Quant aux états opère le morcellement définitif de l'A-
maures, Bogud, entraîné dans le parti frique en sept provinces, dont l'une,
d'Antoine , et forcé de s'aller réfugier la Tingitane, est annexée à l'Hispanie,
près de lui, laissait son royaume à tandis que les six autres, la Césarien-
Bocchus, et celui-ci à son tour laissait ne, la Sitifienne, la Numidie, l'Afri-
en mourant, l'an 33 avant notre ère , que proconsulaire, la Byzacène, et la
toutes ses possessions à la merci de Tripolitaine ou Sabratane, constituent
César.
était auxA Romains. ce moment, toute l'Afrique un diocèse d'Afrique dépendant de la
préfecture
Période vandale.—d'Italie. du prétoire Un nouveau
L'empereur eut le bon plaisir d'en
disposer autrement, et l'an 30 avant bouleversement
sion des Vandales : entrés par est amené l'inva-
en Mauri-
notre ère un royaume de Numidie fut
17.
:60 L'UNIVERS.
tanie en l'année 429, ils ont déjà con- Période byzantine. — La restau-
quis en 431 tout le plat pays jusqu'à ration byzantine nous présente enfin
Carthage, qui seule avec Cirta et Hip- la dernière phase sous laquelle se
pone résiste à leurs attaques; encore
montrent à nous les provinces de l'A-
Hippone est-elle prise en 432. Alors un frique ancienne ; elles sont alors tou-
armistice provisoire, puis un traité tes réunies, avec la Sardaigne et les
conclu en 435 et stipulant une trêve de
trois ans , maintiennent le statu quo îles voisines pour annexes , sous l'au-
en attendant un arrangement définitif. torité d'un préfet du prétoire établi
à Carthage;
que nominalemais pourcette réunion n'est
la Tingitane, où
Mais la trêve expire avant qu'une paix
solide ait été réglée, les Vandales s'em- l'empire ne possède que le fort de
parent de Carthage, et la paix, enfin Septon ou Septa, et pour la Césarien-
conclue en 442 , leur assure toute la ne , où il ne possède que Césarée
même; néanmoins un gouverneur
partie orientale de la région d'Afrique, consulaire et un duc y sont revêtus
a partir d'une limite tracée au milieu
de la Numidie entre Hippone et Cirta; des pouvoirs civils et du commande-
toute la partie occidentale, à partir de ment. La Sitifienne appelée désormais
cette limite, retourne aux Romains. Première Mauritanie, la Numidie qui
Mais à la mort de Valentinien le Jeune, en est voisine , et la Sardaigne, sont
en 455, Giséric reprend ces provinces, gouvernées par des présidents; la
et toute l'Afrique est englobée dans le Carthaginoise, la Byzacène, et la ïri-
royaume des Vandales. politaine ont des gouverneurs consu-
Ce sont les Maures dont l'insurrec- laires. A côté de cette administration
tion vient ensuite imprimer à l'orga- civile est constituée en même temps
nisation territoriale de l'Afrique une une hiérarchie militaire, qui l'éclipsé
face nouvelle. A la mort de Hunéric, complètement chaque fois que la tur-
en 484, laïingitane et les districts de bulence des Maures renouvelle la
l'Aurasion sont déjà perdus pour les
Vandales , et sous Trasamund , vers Puis tout cela s'efface entièrement
guerre.
l'année 500, les Maures leur ont en- sous la conquête musulmane, qui
levé lerestededesla Mauritanies
frontières Numidie. jusqu'aux vient clore brusquement l'histoire des
temps anciens de l'Afrique.
Bélisaire acheva de les dépouiller.
TABLE DES MATIERES.
Introduction • ' i
Première section : Du sol de l'Afrique 2
§ I. Vue générale, de l'Afrique a
Dénominations de l'Afrique 4
§ II. Aspect et constitution physique 5
Situation , figure, étendue 5
Dépendances 6
Mers ambiantes , courants 6
Vents réguliers . 7
Golfes et caps 7
Versants et reliefs généraux , fleuves 8
Lacs 8
Montagnes 9
Plaines et terrasses 9
§ III. Histoire naturelle 10
Règne minéral • Jo
Constitution géognostique , 10
Ory ctognosie Io
Climat 11
Végétation 11
Zoologie 12
Invertébrés i3
Poissons i3
Reptiles 13
Oiseaux 14
Mammifères 14
Seconde section : Des peuples africains 16
§ I. Ethnologie africaine 16
Multiplicité des races bumaines 16
Grandes divisions du genre humain 17
Classification des races africaines 18
§ II. Linguistique africaine 20
Considérations générales sur les indications linguistiques 20
Classification artificielle des langues africaines 20
Langues africaines considérées sous un point de vue cohésif 21
Langues africaines considérées sous un poiut de vue diacritique 22
Écritures africaines 23
§ III. Etat social des peuples africains 23
Religions de l'Afrique 23
Echelle de la civilisation africaine 24
Organisation politique , 24
262 TABLE
§ IV. Histoire de V Afrique 25
Traditions fabuleuses , hypothèses conjecturales a5
Indices historiques sur l'origine , les migrations et les révolutions politi-
ques des peuples nègres 26
Origine et histoire ancienne des Égyptiens 27
Origine et histoire ancienne des populations atlantiques 28
Domination musulmane en Afrique 29
AFRIQUE ANCIENNE.
INTRODUCTION.
PREMIÈRE PARTIE.
§ I. Description . 67
1. Le sol 67
Limites générales, politiques et physiques; dénominations 67
Limites politiques de l'ancienne Libye 67
Limites naturelles ou physiques 67
Dénominations diverses du pays 68
Description de la Libye supérieure ou Pentapole cyrénaïque.. 68
Territoire et villes de la Pentapole 68
Villes , bourgades et autres lieux, dépendants de la Pentapole 68
Productions naturelles du plateau cyrénéen 68
Description de la Libye inférieure ou Marmarique 69
Première terrasse , au-dessus du Grand Catabathme , 69
Seconde terrasse, au-dessous du Grand Catabathme . 69
2. Les habitants \ 69
Description des populations indigènes au ve siècle avant, l'ère vulgaire. . . 70
Adyrmachides , Giligammes , Asbystes , Auskhîses 70
Nasamous, Psylles 70
Populations de l'intérieur ■ 71
Mœurs et coutumes des Libyens 71
Etat des populations libyennes, depuis le premier siècle avant Jésus-Christ
jusqu'au deuxième siècle de notre ère 72
Exposé de Diodore de Sicile au premier siècle avant notre ère 72
Exposé de Strabon au premier siècle de notre ère 72
Exposé de Ptolémée au deuxième siècle de notre ère 73
Résultats comparatifs des notions qui précèdent 73
Modifications organiques, et déplacements subis par les diverses tribus
libyennes 73
Distribution relative des populations sur le territoire 74
§ IL Histoire 74
1. Histoire de la fondation de Cyrène ,... 74
Origine des Théréens, fondateurs de Cyrène 74
Les Achéens de la Laconie, premier élément de la population de Théra. 7 4
Second élément, les Cadméens réfugiés de Thèbes 75
Troisième élément , les Myniens réfugiés de Lemnos yS
Fondation de la colonie de Théra 76
Causes de l'émigration vers Théra et de là vers Cyrène 7f»
Expéditions des Théréens pour la fondation d'une colonie en Libye. ... 76
Traditions conservées à Théra; première reconnaissance de l'île de
Platée 77
Séjour de Corobios; arrivée des colons à Platée 77
Récit des Cyrénéens; origine Cretoise de Battos par sa mère 77
Battos conduit une colonie à Platée 78
Les colons quittent Platée pour Aziris, et arrivent enfin à leur desti-
nation . 78
Traditions diverses relatives à la fondation de Cyrène. .< 79
Mythe poétique de la nymphe de Cyrène 79
Récits recueillis par un ancien scholiaste 80
Version adoptée par l'historien Trogue Pompée 80
264 TABLE
Attribution prophétique de la possession du territoire de Cyrène, lors
du passage des Argonautes •. 8 t
Date probable de la fondation de Cyrène. 82
a. Règne des Batl'iadcs 82
Enfance , développement et organisation de la colonie sous les cinq pre-
miers rois 82
Enfance de la colonie sons les deux premiers monarques 82
Extension de la colonie sous le règne de Rattos l'Heureux 83
Règne d'Arcésilas II; dissensions politiques 83
Usurpation de Léarque, déjouée par la reine Erixo, mère de Rattos III. 84
Lois données à la colonie par Démonax 85
Histoire d'Arcésilas HI et de Phérétime 85
Arcésilas et sa mère expulsés pour avoir voulu abolir les lois de Dé-
monax 85
Arcésilas rassemble des troupes et reprend possession de Cyrène 85
La Libye devient tributaire des Perses 86
Ai'césilas est tué dans une émeute; sa mère s'adresse aux Perses pour
le venger 86
Les Perses viennent assiéger Rarkè 86
Rarkè est prise par trahison et saccagée. 87
Fin de l'expédition ; Rarcéens déportés en Ractriane; mort de Phérétime. 87
Insurrections contre la domination persane ; abolition de la royauté 88
Durée présumée du règne de Rattos IV 88
Tentative d'insurrection réprimée par Arsames 88
Troupes libyennes dans l'armée de Xerxès 88
Arcésilas IV vainqueur. aux jeux pythiques 89
Insurrection de la Libye sous la conduite d'Inaros 89
Abolition de la royauté à Cyrène 90
3. Gouvernement républicain 90
Période de complète indépendance 90
Développement remarquable de la prospérité de Cyrène 90
Cyrène ne prend point part à la guerre du Péloponèse 91
Insurrection populaire sous la conduite d'Ariston 91
Des modifications sont apportées à la constitution politique de Cyrène. 92
Rapatriement des Messéniens 92
Traité de limites avec Carthage 92
Période de soumission nominale à Alexandre le Grand 93
Alexandre le Grand se met en route pour aller consulter l'oracle d'Am-
mon 93
Soumission des Cyrénéens 94
Alexandre continue sa route à travers le désert jusqu'au temple d'Am-
mon , ; 94
Description de l'oasis d'Ammon 94
Alexandre consulte l'oracle et retourne à Memphis 95
Alexandre pourvoit à l'administration de l'Egypte et de la Libye,. . . 95
Histoire de la tyrannie de Thimbron g5
Thimbron appelé à Cyrène par une faction; ses premiers succès 95
Revers répétés de Thimbron 96
On appelle des renforts de part et d'autre 97
Les Egyptiens, venus au secours des Cyrénéens, s'emparent du pays. . 97
Histoire de la tyrannie d'Ophellas » 97
Intervention d'Ophellas dans les dissensions des Cyrénéens 97
Ophellas se déclare roi de Libye 98
Expédition d'Ophellas contre les Carthaginois. 98
DES MATIÈRES. 265
Conquête de la Cyrénaïque par les Égyptiens - ... 99
4 . Règne des Lagides 99
Ruis particuliers de la Cyrénaïque 99
Magas gouverne d'abord au nom de Ptolémée Lagide 99
Magas se déclare souverain, et marche contre Philadclphe 100
Insurrection desMarmarides ; réconciliation de Magas et de Phila-
delphe 1 00
Troubles de Cyrène apaisés par Ecdène et Démophanes » 10 1
Bérénice épouse successivement Démétriuset Ptolémée Evergète 10 1
Travaux et mort de Bérénice 102
SECONDE PARTIE.
CARTHAGE.
PAR M. DUREAU DE LA MALLE,
MEMBRE DE L'iNSTlTUT.
rique, qu'elle a été fondée par une aussi vraisemblable qu'il est possible
colonie de Tyrieris , et comme une de l'entrevoir à travers les nuages de
opinion vraisemblable , que cette fon- la fable et le long espace des siècles.
dation a eu lieu avant celle de Rome, Formation et accroissements
environ 878 ans avant l'ère vulgaire. de Carthage , de 878 a 543 avant
Ceux qui adoptent cette date ont J. C. — Carthage, qui avait eu de
reproché à Virgile l'anachronisme qu'il très-faibles commencements , s'accrut
a commis en faisant paraître à la cour d'abord peu à peu dans le pays même,
de Didon un prince troyen qui aurait et forma plusieurs établissements de
existé plus de trois cents ans avant commerce à l'est et à l'ouest sur la
cette princesse. Cependant d'habiles côte septentrionale de l'Afrique. Mais
critiques ont cru pouvoir justifier le sa domination ne demeura pas long-
poète latin, en faisant remonter la temps enfermée dans ces bornes étroi-
fondation de Carthage à l'année 1255 tes. Cette ville ambitieuse porta ses
avant J. C. , qui est à peu près celle conquêtes au dehors , envahit la Sar-
de la guerre de Troie. Dans cette der- daigne,
nière hypothèse, Didon et Karchedon tie de s'empara
la Sicile,d'une grande
soumit par-
presque
auraient seulement agrandi l'enceinte toute l'Espagne, et, ayant envoyé de
et augmenté la puissance de Carthage. tous côtés de puissantes colonies, elle
Cette opinion , soutenue par des demeura maîtresse de la mer pendant
savants distingués, s'appuierait encore plus de six cents ans, et se fit un état
sur les autorités d'après lesquelles qui le pouvait disputer aux plus grands
Procope raconte l'origine des Maures empires du monde par son opulence,
et l'établissement des colonies phéni- par son commerce, par ses nombreuses
ciennes en Afrique. L'auteur bysan- armées, par ses flottes redoutables,
tin , invoquant le témoignage unanime et surtout par le courage et le mérite
de tous les historiens anciens de la de ses capitaines. La date et les cir-
Phénicie, assure que, constances de plusieurs de ces con-
sion de la Palestine par lors
Josuéde , l'inva-
fils de quêtes sont peu connues : à partir de
Navé (1590 ans avant J. C), tous les la mort deDidon , il existe une lacune
peuples qui habitaient la région mari- de près toire de de trois cents ans dans l'his-
Carthage.
et qui time, depuis Sidon
étaient soumisjusqu'à l'Egypte,
à un seul roi , Guerre entre Cyrène et Car-
les Gergéséens, les Jébuséens et plu- thage. — C'est entre l'époque de sa
sieurs autres tribus , dont les noms fondation et l'année 509 avant Jésus-
sont inscrits dans les livres histori- Christ , que Carthage s'affranchit du
ques des Hébreux , abandonnèrent tribut qu'elle avait consenti à payer
leur patrie et se portèrent, à tra- aux Libyens, et qu'elle étendit ses
vers l'Egypte, dans l'Afrique. Pro- conquêtes dans l'intérieur de l'Afri-
cope ajoute qu'ils s'étendirent jus- que et sur le littoral de la Méditerra-
née. Le fait historique le plus ancien
qu'aux colonnes d'Hercule, qu'ils occu- que nous connaissions avec quelques
pèrent la région septentrionale tout
détails est une contestation entre
entière, et qu'ils fondèrent dans ce
vaste pays un grand nombre de villes, Carthage et Cyrène au sujet des limites
dans lesquelles, de son temps, la lan- de leur territoire. Cyrène était une
gue phénicienne était encore en usage. ville fort puissante située sur le bord
Ces récits s'accordent assez bien avec de la Méditerranée , vers la grande
ce que les anciens nous ont transmis Syrte, qui avait été bâtie par Battus,
de Lacédémone. «Entre les deux États,
sur lacentfondation
deux ou trois d'Utique
cents , ans
qu'ilsavant
pla- «dit Salluste, se trouvait une plaine
celle de Carthage, et il nous semble « sablonneuse , tout unie , où il n'y
que le rapprochement de ces autori- « avait ni fleuve ni montagne qui pût
« servir à marquer les limites , ce qui
tés présente , de l'établissement et de
la formation de Carthage , un tableau « occasionna entre eux une guerre Ion-
CARTHAGE. 3
pueraient avec toutes leurs forces les droit où ils manquaient de tout, ne
Grecs établis dans la Sicile, pendant purent pas s'y défendre longtemps, et
que Xerxès en personne marcherait se rendirent à discrétion. Ce combat,
contre la Grèce. suivant quelques historiens, se donna
Les préparatifs de cette guerre du- le jour même de la célèbre action des
rèrent trois ans. S'il faut en croire les Thermopyles. Hérodote et Aristote di-
historiens de Sicile, qui ont peut-être, sent au contraire que ce fut le jour de
par un sentiment de vanité nationale, la bataille de Salamine. Le témoignage
exagéré le nombre de leurs ennemis, de ces deux écrivains mérite sans doute
l'armée de terre ne montait pas à la préférence. Le premier de ces deux
moins de trois cent mille hommes, auteurs raconte même d'une autre
et la flotte comptait deux mille vais- manière la mort d'Amilcar : il dit que
seaux et plus de trois mille petits bâ- le bruit commun parmi les Carthagi-
timents de charge. Amilcar, le capi- nois était (me ce général, voyant la
taine de son temps le plus estimé, défaite entière de ses troupes, pour
partit de Carthage avec ce formidable ne pas survivre à sa honte, se préci-
appareil. Il aborde à Palerme, et, après pita lui-même dans le bûcher où il
y avoir fait prendre quelque repo à avait immolé plusieurs victimes hu-
ses troupes, il marche contre la ville maines.
d'Hymère, qui n'en est pas fort éloi- Les Carthaginois, imputant à leur
gnée, et en forme le siège. Théron, général la défaite qu'ils venaient de
gouverneur de la place, ayant vaine- recevoir, bannirent de Carthage Gis-
ment imploré le secours de Léonidas, con, son fils, qui, dans la suite, périt
roi de Lacédémone, députe à Syracuse, de misère à Sélinonte. Quelques siè-
vers Gélon, qui s'en était rendu maî- cles après, ils rendirent à Amilcar
tre. Ce général accourt aussitôt au des honneurs presque divins.
secours de la ville assiégée , avec une La victoire complète que Gélon ve-
armée de cinquante mille hommes de nait de remporter, loin de le rendre
pied et cinq mille chevaux. fier et intraitable,
Gélon était un général fort habile et sa modestie et sanedouceur,
fit qu'augmenter
même à
savait employer à propos la force et la à l'égard de ses ennemis. Il accorda
ruse. On lui amena un courrier chargé la paix aux Carthaginois, exigeant seu-
d'une lettre que les habitants de Séli- lement d'eux qu'ils payassent pour les
nonte adressaient à Amilcar, pour le frais de la guerre deux mille talents
prévenir que la troupe de cavaliers (11 millons de francs), et qu'ils bâtis-
qu'il leur avait demandée arriverait un sent deux temples où l'on exposerait
certain jour. Gélon en choisit dans en publicditions et où l'on garderait les con-
du traité.
ses troupes un pareil nombre, qu'il fit
partir au temps dont on était convenu. Puissance de la famille de Ma-
Ayant été reçus dans le camp des en- gon; création du centumvirat ;
nemis comme venant de Sélinonte, ils DE 460 A 440 AVANT L'ÈRE VULGAIRE.
se — Amilcar, mort dans la guerre de
et mirent lesurfeuAmilcar,
jetèrent qu'ils tuèrent,
aux vaisseaux. Dans Sicile, laissa trois fils : Imilcon, Han-
le moment même de leur arrivée, Gé- non et Giscon. Asdrubal avait un pa-
lon attaqua avec toutes ses troupes les reil nombre d'enfants : Annibal, As-
Carthaginois, qui se défendirent d'a- drubal et Sappho. Toutes les affaires
bord fort vaillamment; mais quand ils de Carthage étaient alors confiées à
apprirent la mort de leur général , et leurs mains. On fit la guerre aux Mau-
qu'ils virent la flotte en feu, le courage res; on combattit les Numides; on
et les forces leur manquèrent, et ils força les Africains à renoncer au tri-
prirent la fuite. but' que leur
Le carnage fut horrible : il y périt, naissante. Cetteavait promis
famille Carthage
de généraux,
dit-on, cent cinquante mille hommes. qui réunissaient dans leurs mains le
Les autres s'étant retirés dans un en- pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire,
CARTHAGE. 7
parut dangereuse à la liberté. On for- que par la peste; mais son chagrin le
ma un tribunal de cent sénateurs, à plus
qui les généraux , au retour de leurs milieuvifdeétait tant dede n'avoir braves, puet mourir au
de se voir
campagnes, devaient rendre compte de réservé, non pour goûter les douceurs
leur conduite, pour que la crainte sa- de la vie, mais pour servir de jouet à
lutaire des lois et l'attente d'un ju- l'adversité; que cependant, après avoir
gement servissent de militaire.
frein à l'arbitraire ramené dans Carthage les tristes dé-
du commandement bris de son armée, il allait à son tour
Continuation de la guerre de
Sicile; maladie contagieuse dans suivre ses compagnons d'armes , et
montrer à sa patrie que s'il avait pro-
l'armée; de 440 a 410 avant l'ère longé jusque-là ses jours, ce n'était
chrétienne. — En Sicile, Imilcon point par amour de la vie, mais par
succéda à Amilcar. Après avoir rem- crainte d'abandonner, en mourant, au
porté plusieurs victoires sur terre et milieu des armées ennemies, ceux qu'a-
sur mer, et pris un grand nombre de vait épargnés le terrible fléau. Déplo-
villes, il perdit tout à coup son armée rant ainsi son malheur, il entre dans
par les ravages d'un mal contagieux. la ville, arrive à sa maison, salue d'un
Apportée à Carthage, cette nouvelle dernier adieu le peuple qui le suivait,
plongea les habitants dans le deuil. et, faisant fermer les portes sans per-
Les maisons et les temples se ferment; mettre àses fils eux-mêmes de pa-
on court au port; on ne voit sortir des raître devant lui, il se donne la mort.
Continuation de la guerre de
vaisseaux qu'un petit nombre de sol- Sicile ; prise de Sélinonte et
dats échappés à ce désastre.
Cependant, dit Justin, qui nous a d'Hvmère par les Carthaginois ;
transmis ce fait, le malheureux Imil- environ 410 avant l'ère vulgaire.
con sort de son vaisseau dans l'aban- — Après la défaite des Athéniens de-
don de la douleur, couvert d'une tu- vant Syracuse, où INicias périt avec
nique d'esclave. A son aspect, les toute sa flotte , les Ségestains, qui s'é-
groupes de citoyens éplorés se rassem- taient déclarés pour eux contre les
blent autour de lui. Il élève les mains Syracusains, craignant le ressentiment
vers le ciel , déplorant tour à tour son de leurs ennemis, et se voyant déjà
triste sort et les désastres de sa patrie. attaqués par Sélinonte, implorèrent le
Il reproche aux dieux de lui ravir ses secours de Carthage, et se mirent, eux
triomphes, ses nombreux trophées qu'il et leur ville, à sa discrétion. Les Car-
devait à leur appui; de détruire par la thaginois, après avoir longtemps ba-
peste et non par le fer cette armée qui lancé às'engager dans cette guerre ,
avait pris tant de vilies, et si souvent
que sesla dernières
de puissance victoires de Syracuse et l'éclat
devaient lui
vaincu sur terre et sur mer. Il appor-
tait du moins, disait-il, à ses conci- faire redouter, y furent poussés par
toyens ce motif de consolation, que les conseils d'Annibal leur suffète,
l'ennemi pouvait bien se réjouir, mais et envoyèrent du secours aux Séges-
non se glorifier de leurs désastres. tains.
Ceux qui étaient morts n'avaient pas Annibal tira de l'Afrique et de l'Es-
succombé sous ses coups; ceux qui pagne un grand nombre de mercenai-
revenaient dans leur patrie n'avaient res; il y joignit un nombre considé-
pas fui devant lui. Le butin que te rable de Carthaginois , et débarqua en
Grec avait enlevé dans un camp aban- Sicile avec une armée qu'Éphore porte
donné n'était pas de ces dépouilles à 200 mille fantassins et 4 mille cava-
que l'orgueil d'un vainqueur se plaît à liers, mais que Timée etXénophon,
étaler, mais de celles que la mort for- historiens plus dignes de foi , rédui-
tuite de leurs maîtres a laissées va- sent en tout à 100 miile combattants.
cantes et livrées aux mains qui s'en Annibal, petit-fils d' Amilcar qui avait
emparent. Vainqueurs de leurs enne- été défait par Gélon et tué devant
mis ,ses soldats n'avaient été vaincus Hymère , et fils de Giscon , qui avait
8 L'UNIVERS.
été condamné à l'exil , était animé nommèrent encore pour général An-
d'un vif désir de venger sa famille et nibal. Comme il s'excusait sur son
sa patrie, et d'effacer la honte de la grand âge, et refusait de se charger
dernière défaite. Sa première entre- de cette guerre, on lui donna pour
prise fut le siège de Sélinonte. L'at- lieutenant Imilcon, fils d'Hannon, qui
taque fut très-vive, et la défense ne était de la même famille. Les prépa-
le fut pas moins : les femmes mêmes, ratifs de la guerre furent proportion-
les enfants et les vieillards montrèrent nés au grand dessein que les Cartha-
un courage au-dessus de leur âge et de ginois avaient conçu. Le nombre des
leurs forces. Après une longue résis- troupes montait , selon Timée , à plus
tance, la ville fut prise d'assaut, et de 120 mille hommes; Éphore les
livrée au pillage. Le vainqueur exerça porte à 300 mille. Les ennemis , de
les dernières cruautés, sans avoir égard leur côté , s'étaient mis en état de les
ni au sexe, ni à Page. Il fit déman- bien recevoir, et lesSyracusains avaient
teler la ville, qu'il rendit aux habi- envoyé chez tous les alliés pour y le-
tants que le fer avait épargnés, à con- ver des troupes , et dans toutes les
dition qu'ils se reconnaîtraient sujets villes de la Sicile , pour les exhorter
de Carthage et lui payeraient un tribut. à défendre courageusement leur li-
berté.
Hymère, qu'il assiégea ensuite, et
qu'il prit aussi d'assaut, après avoir v\grigente s'attendait à essuyer les
été traitée avec encore plus de cruauté, premières
fut entièrement rasée. Il fit souffrir puissammentattaques. riche, C'était une ville
et environnée de
toutes sortes d'ignominies et de sup- bonnes fortifications. Annibal com-
plices àtrois mille prisonniers, et les mence ,en effet , la campagne par le
fit égorger tous dans l'endroit même siège de cette place, située, de même
où son grand-père avait été tué, pour que Sélinonte , sur la côte de Sicile
apaiser et satisfaire ses mânes par qui regarde l'Afrique. Ne la jugeant
le sang de ces malheureuses victi- prenable que par un endroit, il tourne
mes. tous ses efforts de ce côté-!à, fait
Après cette expédition, Annibal re- approcher des murs deux, ordonne
tours d'unela
tourna àCarthage, chargé d'un im- hauteur extraordinaire
mense butin. Toute la ville sortit au- démolition des tombeaux qui envi-
devant de lui, et le reçut au milieu ron aient laville, et fait construire,
des cris de joie et des applaudissements avec leurs décombres, un agger qui
unanimes : car en quelques jours il s'élève jusqu'à la hauteur des mu-
avait plus fait que les généraux qui l'a- railles. Bientôt une peste effroyable
vaient précédé dans le cours de plu- ravage l'armée carthaginoise ; Anni-
sieurs campagnes. bal même périt victime du fléau. Les
Fondation de la. ville de Ther- soldats superstitieux croient voir dans
mes, en Sicile , environ 408 avant les ravages de cette terrible maladie
l'ère chrétienne. — Ces brillants une punition des dieux, qui vengeaient
succès inspirèrent aux Carthaginois
fait à les
ainsi leurmorts dernière de l'outrage
demeure.qu'on avait
On cesse
de désir
le la Sicile et entière.
l'espoir Mais
de s'emparer
avant de de toucher aux tombeaux ; on ordonne
commencer la guerre, ils fondèrent des prières d'après le rit de Carthage ,
sur la côte septentrionale, auprès ôt, suivant la coutume barbare obser-
d'une source d'eau chaude , une ville vée dans cette ville, on immole un
à laquelle sa position fit donner le enfant à Saturne, et l'on jette plu-
nom de Thermes; ils la peuplèrent de sieurs victimes dans la mer en l'hon-
Carthaginois et d'Africains. neur de Neptune.
Expédition d' Annibal et d'Imil- Cependant les Syracusains, avec une
armée de trente mille hommes et de
CON, SIEGE d'AGRICxENTE , 407 ET
406 avant l'ère vulgaire. — Quel- cinq mille chevaux, viennent au se-
que temps après, les Carthaginois cours d'Agrigente. Ils remportent une
CARTHAGE.
grande victoire sur l'armée des Car- quent de pillage. On y trouva un nom-
thaginois; ils les tiennent bloqués bre infini de tableaux , de vases , de
dans leur camp , leur coupent les vi- statues de toute sorte; car les arts
vres, et les réduisent à la plus déplo- d'imitation étaient très-florissants dans
rable extrémité. Effrayés de leur der- Agrigente. Parmi ces monuments pré-
cieux qu'Imilcon envoya à Carthage,
sortir deéchec,
nier leurs les retranchements
assiégeants n'osaient
pour était le fameux taureau de Phalaris,
livrer bataille. Déjà la famine avait qui , 260 ans plus tard , après la ruine
fait périr un grand nombre de sol- de cette ville, fut,rendu aux Agrigen-
dats déjà
, les mercenaires menaçaient tins par Scipion Émilien.
SlECxE ET PBISE DE GELA. PAR
dépasser à l'ennemi, lorsqu'un évé-
nement imprévu vint changer la face Imilcon; traité entre les Car-
des affaires. Imilcon apprend par un thaginois etDenys l'ancien , ty-
transfuge que les Syracusains envoient ran de Syracuse, 404 avant l'ère
par mer à Agrigente un convoi consi- chrétienne.
avait duré huit — Le siègeImilcon
mois. d'Agrigente
avait
dérable devivres. Aussitôt, ce général,
avec quarante trirèmes, leur dresse épargné les maisons particulières pour
une embuscade. Les Syracusains navi- servir de quartier d'hiver à ses trou-
guaient sans ordre , persuadés que les pes. Lorsqu'elles se furent reposées
Carthaginois, tant à cause de leur de leurs fatigues , il en sortit au com-
défaite récente qu'à cause de la saison mencement du printemps et rasa en-
tièrement la ville. Imilcon assiégea
des tempêtes qui approchait , n'ose-
raient pas se mettre en mer. Imilcon ensuite Gela , et la prit malgré le se-
profite de leur négligence , détruit cours qu'y mena Denys le Tyran , qui
toute
voi. leur flotte et s'empare du con- s'était emparé de l'autorité à Syra-
cuse. Ce prince éprouva un échec con-
La famine passa alors du camp des sidérable dans une attaque dirigée
assiégeants dans la ville. Les Agrigen- contre le camp des Carthaginois. Le
tins se trouvèrent tellement pressés, seul résultat qu'il put obtenir , fut de
que, se voyant sans espérances et sans sauver, de la colère du vainqueur, les
habitants de Gela et de Camarine,
ressources", donner leursilsmurailles.
prirent leOnparti d'aban-la
marqua dont il protégea la retraite avec ses
nuit suivante pour le départ. Alors troupestoire,de et qu'il établit sur le terri-
une foule innombrable d'hommes , de Syracuse. Cependant, une
femmes, d'enfants, maladie contagieuse qui se déclara dans
soldats, sortent de laprotégés
ville au par les
milieu le camp des Carthaginois et leur en-
des gémissements et des sanglots, leva la moitié de leur armée , engagea
abandonnant à la merci du vainqueur Imilcon à proposer aux Syracusains
leurs richesses, leurs foyers, leurs des conditions de paix. Denys, qui
dieux domestiques, et, ce qui aug- venait d'éprouver de grands revers,
mentait encore leur douleur , les bles- et dont
sés, les malades et les vieillards. Ces core la puissance
solidement n'était
établie pas en-
à Syracuse,
infortunés se réfugièrent d'abord à accepta avec joie ces propositions.
Gela , et obtinrent ensuite de la pitié Les conditions du traité furent que
des Syracusains la ville des Léontins les Carthaginois, outre leurs anciennes
pour asile. conquêtes dans la Sicile , demeure-
Cependant Imilcon entra dans la raient maîtres du pays des Sicaniens,
ville, et fit égorger tous ceux qui y de Sélinonte, d'Agrigente
étaient restés. On peut se faire une mère , comme aussi de celui etde d'Hy-
Gela
idée de l'immensité du butin dans une et de Camarine, dont les habitants
des cités les plus opulentes de la Si- pourraient demeurer dans leurs villes
cile, peuplée, selon Diodore, de deux démantelées, en payant tribut aux Car-
cent mille habitants, et qui n'avait thaginois; queles Léontins , les Mes-
jamais souffert de siège, ni par consé- séniens et tous les Siciliens vivraient
10 L'UNIVERS.
selon leurs lois et conserveraient leur d'envahir toute la Sicile; que si l'on
liberté et leur indépendance ; qu'enfin n'arrêtait leurs progrès , leur capitale
les Syracusains demeureraient soumis se verrait bientôt elle-même attaquée ;
à Denys. qu'il
Imilcon, après la conclusion du de cesfallait profiter,
barbares , du pour se délivrer
moment où la
traité, retourna à Carthage, où les peste qui ravageait leur pays les met-
débris de son armée apportèrent la tait hors d'état de se défendre. Les
peste , qui fit périr un grand nombre Syracusains applaudissent le discours
de citoyens. et les projets de leur premier magis-
Renouvellement des hostilités trat.
par Denys le Tyran, 399 avant Sans aucun sujet de plainte, sans
l'ère vulgaire. — Denys n'avait déclaration de guerre, il abandonne
conclu la paix avec les Carthaginois au pillage et à la fureur du peuple
que pour se donner le temps d'affer- les biens et les personnes des Cartha-
mir son autorité naissante, et de tra- ginois, qui, sur la foi des traités,
vailler aux préparatifs de la guerre exerçaient le commerce à Syracuse;
qu'il méditait contre eux. Ses prépara- on force leurs maisons , on pille leurs
tifs furent immenses. Syracuse en- effets , on leur fait souffrir toutes
tière était devenue un vaste atelier, sortes d'ignominies et de supplices,
où , de toutes parts , on était occupé à en représailles
fabriquer des armes, des machines de avaient exercées des contrecruautés qu'ils
les habitants
guerre (*) et des vaisseaux. Corinthe du pays , et cet horrible exemple de
avait , la première , construit des vais- perfidie et d'inhumanité fut suivi dans
seaux àtrois rangs de rames; c'est toute l'étendue de la Sicile.
du temps de Denys que Syracuse, Denys, après cette sanglante in-
colonie de Corinthe, perfectionna cette fraction des traités , osa envoyer des
invention en construisant des navires députés aux Carthaginois, pour de-
à quatre et à cinq rangs de rames. mander qu'ils rendissent la liberté à
Denys animait le travail par sa pré- toutes les villes de Sicile , et leur dé-
sence, par des libéralités et des louan-
traités clarer
commequ'en cas ennemis.
de refus , ils y seraient
ges qu'il savait dispenser à propos, et Cette provocation jeta une grande
surtout par des manières populaires
et engageantes, moyens encore plus alarme à Carthage, surtout à cause
efficaces que tout le reste pour réveil- de l'état déplorable où elle se trou-
ler l'industrie et l'ardeur des ouvriers, vait.
et il faisait souvent manger avec lui Siège de Motya par les Syra-
ceux qui excellaient dans leur genre. cusains397
, ANS AVANT L'ÈRE CHRÉ-
Quand tous ces préparatifs furent TIENNE. — Denys ouvrit la campagne
achevés, et qu'il eut levé un grand par le siège de Motya , qui était la
nombre de troupes en différents pays, place d'armes des Carthaginois en Si-
il lit sentir aux Syracusains que les cile, et il poussa vivement ce siège,
Carthaginois n'avaient d'autre but que sans qu'Imilcon, qui commandait la
flotte ennemie , pût s'y opposer. De-
nys avait sous ses ordres quatre-vingt
(*) Parmi les machines de guerre, Diodore mille fantassins, trois mille cavaliers ,
mentionne les catapultes. Élien et Plutarque
deux cents vaisseaux de guerre et cinq
disent qu'elles furent inventées alors en Sicile.
Mais il est sûr que cette arme terrible fut em- cents vaisseaux de charge. Débarque
pruntée parles Grecs aux peuples orientaux; devant la place , il fit avancer- ses
car les livres sacrés en font mention en 810 machines , la fit battre avec le bélier,
avant l'ère vulgaire, sous le règne d'Osias,
approcha des murs des tours à six
roi de Jérusalem. Voy. sur l'époque de cetie étages, qui étaient portées sur des
invention la Poliorcétique des anciens , par roues et qui égalaient la hauteur des
M. Dureau de la Malle, pag. 356 et suiv. maisons. De là, il incommodait fort
Paris, 1819, chez F. Didot. les assiégés par ses catapultes , nia-
CARTHAGE.
11
flotte, sous la conduite de Magon,
chines jusqu'alors inconnues aux Car- côtoyait les bords de la mer.
thaginois, etqui leur inspiraient une
grande terreur par la force et le nom- L'arrivée des Carthaginois jeta un
bre des traits et des pierres qu'elles grand trouble dans la capitale de la
lançaient. La ville lit une longue et Sicile. Magon, à la tête de ses navires
vigoureuse de guerre, chargés des dépouilles de
les habitantsrésistance. L'enceinte
barricadèrent leurs prise,
mai- la flotte ennemie, sur laquelle il venait
sons, et s'y défendirent avec opiniâ- de remporter une victoire signalée ,
treté. Ce nouveau siège coûta plus de entra comme en triomphe dans le grand
monde aux Syracusains que le pre- port, suivi de ses vaisseaux de charge.
On vit en même temps , du côté de la
mier. Enfin, la* ville fut prise , et tous terre, arriver la nombreuse armée que
les habitants passés au fil de l'épée,
excepté ceux qui se réfugièrent dans conduisait Imilcon. Ce général fit dres-
leurs temples. On abandonna le pillage ser sa tente dans le temple même de
aux soldats. Denys, y ayant laissé une Jupiter.
bonne garnison et un gouvernement dans les Leenvirons
reste deà l'armée campa
douze stades,
sûr, retourna à Syracuse. c'est-à-dire , un peu plus d'une demi-
Siège de Syracuse par les car- lieue de la ville. Bientôt il range ses
thaginois, 396 ET 395 AVANT L'ÈRE troupes en bataille sous les murs de
chrétienne. — Pendant que Denys la place, et s'efforce, mais en vain ,
assiégeait Motya , Imilcon , que les d'attirer les Syracusains au combat.
Carthaginois avaient nommé suffète , Non content d'avoir ainsi obtenu des
occupé°en Afrique des apprêts assiégés l'aveu de leur faiblesse sur
de la terre,
guerre , conçut un projet de diversion il veut encore leur montrer que,
qui fut exécuté avec une audace re- . sur la mer, ils ne sont pas moins in-
marquable. Il met un commandant férieurs aux Carthaginois. Du grand
actif à la tête de dix vaisseaux légers , port qu'il occupait, il envoie cent vais-
et lui ordonne de partir secrètement seaux d'élite qui s'emparent des au-
la nuit , de voguer à toutes voiles vers tres ports sans résistance. Pendant
trente jours , il porte le ravage et la
Syracuse, de forcer l'entrée du port
et de détruire les vaisseaux, qu'on y désolation dans tout le territoire de Sy-
avait laissés. L'officier entre la nuit, racuse. Ilse rend maître du faubourg
sans être aperçu, dans le port de Syra- d'Achradine, pille les temples de Cérès
et de Proserpine, et, pour fortifier
cuse, coule à "fond tous les vaisseaux
qui s'y trouvaient, et reprend la route son camp, il abat tous les tombeaux
de Carthage. qui environnaient la ville, et, entre au-
L'année suivante, Imilcon revint en tres, celui de Gélon et de Démarète sa
Sicile avec une armée composée, sui- femme , qui était d'une magnificence
vant Éphore, de trois cent mille hom- extraordinaire.
mes de pied etde quatre mille chevaux; Cette impiété, dit Diodore, attira
sur Imilcon le courroux des dieux. La
mais que Timée, dont l'assertion nous
paraît plus probable, ne fait monter en fortune changea de face, et d'affreux
tout qu'à cent mille combattants. Sa revers suivirent les brillants succès-
flotte était composée de trois cents qui avaient signalé le commencement
vaisseaux de guerre , et de six cents de la campagne. D'abord les Syracu-
vaisseaux de transport pour les vivres sains, ayant repris confiance, avaient
et les munitions. Il aborda -à Païenne, eu l'avantage dans quelques légères
recouvra Éryx par composition, Motya escarmouches. Des terreurs paniques
par la force , prit et rasa Messine , et troublaient chaque nuit le camp des
s'empara de Catane et de quelques au- Africains. Imilcon l'entoura de nou-
tres villes. Animé par ses heureux suc- veaux ouvrages et construisit trois
cès, ilmarche vers Syracuse pour en forts , l'un à Plemmyre , l'autre vers
former le siège , menant ses troupes le milieu du port, et le dernier près du
de pied par terre , pendant que sa temple de Jupiter II les approvisionna
12 L'UNIVERS.
de blé, de vin et de toutes les choses porté toutes leurs forces à la défense
nécessaires à la défense; car il pré- de leurmultecamp, se précipitent en tu-
voyait que cette guerre serait plus vers le port pour tâcher de
longue et plus difficile qu'il ne l'avait sauver leur flotte. Mais la diligence
cru d'abord. des ennemis les a prévenus. Ils n'ont
Peste horrible dans le camp
pas eu le temps de se mettre en dé-
des Carthaginois. — Mais bientôt fense que déjà la plupart de leurs vais-
une maladie contagieuse se déclara seaux sont pris, coulés à fond ou con-
sumés par les flammes. Ces premiers
dans son armée
incroyables. et "y dans
On était fit desle ravages
fort de succès augmentèrent tellement la con-
l'été, et la chaleur, cette année, était liance des Syracusains , que les enfants
excessive. De plus, son camp était et les vieillards se mêlèrent à l'armée
placé dans une vallée basse et maré- et à la flotte, et voulurent aussi avoir
cageuse, circonstances favorables au leur part des périls et de la victoire.
développement de l'épidémie La nuit mit fin au combat, et Denys
le même emplacement, avaitqui, dans
décimé plaça son camp en face du camp en-
les Athéniens lorsqu'ils assiégèrent nemi ,près du temple de Jupiter.
Syracuse. Imilcon , vaincu à la fois sur terre
La contagion commença par les et sur mer, envoya secrètement vers
Africains qui mouraient par centaines. Denys pour lui demander la permis-
D'abord on enterrait les morts, on sion d'emmener avec lui à Carthage le
soignait les malades ; mais tous les re- peu qui lui restait de troupes. Il offrait
mèdes étant inefficaces, le mal se com- pour obtenir cette grâce tout l'argent
muniquanttous
à ceux qui assistaient qu'il possédait encore, et qui ne se
les pestiférés, et le nombre des vic- montait pas à plus de trois cents talents
times s'accroissant tous les jours , les (1650 mille francs). Il ne put obtenir
cadavres demeurèrent sans sépulture cette grâce que pour les Carthaginois
et les malades sans secours. Bientôt ,
avec lesquels il s'échappa pendant la
l'infection causée par la putréfaction nuit, laissant tous les autres soldats
de
du ces
fléau.cadavres augmenta l'intensité à la discrétion de l'ennemi.
Ainsi, dit Diodore, ces conquérants
Cette peste, dit Diodore, indépen- qui s'étaient emparés de toutes les
damment des bubons, des lièvres vio- villes de Sicile, à l'exception de Syra-
lentes etdes engorgements glandulai- cuse que même ils regardaient déjà
res,'signes caractéristiques de cette comme une proie assurée, se voyaient
maladie, était accompagnée de symp- réduits à trembler pour le salut de
tômes extraordinaires, de cruelles dys- leur patrie. Ceux qui avaient détruit les
senteries , de pesanteurs dans les jam- tombeaux des Syracusains laissaient
bes, de douleurs aiguës dans la moelle étendus sur la terre étrangère, et pri-
épinière, de frénésie même et de fu- vés des honneurs de la sépulture, cent
reur telles qu'ils se jetaient sur qui- cinquante mille cadavres de leurs con-
conque se trouvait sur leur passage et citoyens que la peste avait moisson-
les mettaient en pièces. nés. Ceux qui avaient porté le fer et
Denys, connaissant le déplorable le feu dans le territoire de Syracuse
état de l'armée des Carthaginois , les avaient vu, par un juste retour du sort,
attaque de trois côtés à la fois avec leur flotte immense consumée par les
toutes ses forces. Dans la confusion
flammes. Ceux qui avec toute leur ar-
où cette triple attaque jette les Afri- mée étaient entrés orgueilleusement
cains, ilemporte d'assaut deux des dans le port de Syracuse, j>arés des
forteresses qu'i!s avaient construites. dépouilles ennemiesne etprévoyaient
dans tout pas
l'é-
En même temps la flotte syracusaine clat du triomphe,
vient fondre sur leurs vaisseaux. Les
qu'ils seraient forcés de s'échapper
Carthaginois , qui pensaient n'être at- furtivement au milieu de la nuit, aban-
taqués que sur terre et qui avaient donnant leurs alliés, leurs compagnons
13
CARTHAGE.
CARTHAGE.
pris ces mesures , ii fait marcher les projet de passer en Afrique; 310
soldats , enveloppe le peuple , égorge avant l'ère vulgaire. — Les Car-
le sénat, et se délivre encore, après thaginois vainqueurs mettent le siège
ce massacre , des plébéiens les plus ri- devant Syracuse. Agathocle , alors
ches et les audacieux. pressé par des forces de terre et de
Il lève alors des soldats, et ras- mer supérieures aux siennes, mal pré-
semble une armée avec laquelle il fond paré àsoutenir un siège , délaissé par
brusquement sur les villes voisines, tous ses alliés révoltés de sa cruauté,
qui ne s'attendaient point à ces atta- voyant la Sicile entière, à l'exception
ques. D'accord avecAmilcar, il mal- de Syracuse, au pouvoir des Barbares,
traite et persécute même les alliés de conçut un dessein si hardi et si impos-
Carthage, qui envoient des députés sible à prévoir, que, même après
pour se plaindre aux Carthaginois l'exécution et le succès, il paraît en-
moins d'Agathocle que d'Amilcar. «Le core presque incroyable. En effet, tan-
« premier était un usurpateur et un dis qu'on pensait généralement qu'il
« tyran, le second un traître qui, par n'essayerait pas même de résister aux
«un pacte frauduleux, abandonnait Carthaginois, il laisse dans Syracuse
« ses alliés à leur plus cruel ennemi. une garnison suffisante, et passe en
« Pour prix d'un odieux marché, dont Afrique avec l'élite de ses troupes. Au-
« le premier gage avait été le don dace vraiment extraordinaire, d'aller
« de Syracuse, l'éternelle ennemie de attaquer dans leur capitale ceux contre
« Carthage , la rivale qui lui dispu- lesquels il ne peut défendre la sienne ;
« tait la domination de la Sicile , il d'envahir une terre étrangère, lors-
« cédait maintenant les villes de leurs
« alliés. On verrait bientôt les effets qu'il ne peut protéger sa patrie, et d'o-
ser, vaincu, insulter à ses vainqueurs.
« de cette alliance de deux traîtres Il avait calculé que les citoyens de
« retomber sur Carthage et devenir Carthage, amollis par une longue paix,
« aussi funestes à l'Afrique qu'ils l'a- ne pourraient résister à ses vieux sol-
« vaient été à la Sicile. » Ces plaintes dats, habitués à tous les travaux, à
irritèrent le sénat contre Amilcar; tous les périls de la guerre; que les
mais, comme la force était dans ses Africains, fatigués depuis longtemps
mains, la délibération fut secrète, et du joug oppresseur des Carthaginois,
les votes, avant d'être publiés, furent saisiraient avec joie l'occasion de s'en
renfermés dans une urne qui devait délivrer; qu'en un mot, par cette di-
rester scellée jusqu'au retour d'un au- version hardie, il arracherait l'ennemi
tre Amilcar, fils de Giscon , alors en du cœur de la Sicile , et transporterait
Sicile. La mort naturelle du général la guerre en Afrique. Le profond se-
accusé rendit inutile l'adroite précau- cret qu'il garda n'est pas moins sur-
tion des sénateurs et la sentence se- prenant que l'entreprise même. Il se
crète par laquelle ils l'avaient condamné borna à déclarer au peuple qu'il avait
sans l'entendre. Ce jugement, dont les trouvé la route de la victoire; qu'il ne
dispositions avaient transpiré, servit leur demandait que le courage de sou-
de prétexte à Agathocle pour déclarer tenir lesiège pendant quelques jours;
la guerre aux Carthaginois. Il livra qu'enfin,
sent des ceux
chosesqu'effrayait
étaient libresl'étatdepré-
se
d'abord,
contre Amilcar, près d'Hymère, une bataille
fils de Giscon : il fut retirer. Seize cents citoyens seulement
vaincu , perdit la plus grande partie de quittèrent la ville ; il fournit aux autres
son armée , et se vit contraint de se l'argent et les vivres nécessaires à sa
renfermer dans Syracuse. Bientôt, il défense, et n'emporta que cinquante
leva une armée plus considérable, et talents (*) pour les besoins présents,
tenta une seconde fois, mais sans plus aimant mieux prendre le surplus à ses
de succès, la fortune des armes. ennemis qu'à ses alliés. Il affranchit
Siège de Syracuse par les Car-
thaginois; Agathocle forme le (*) 275,000 fr.
20 L'UNIVERS.
tous les esclaves en état de porter les cuse, dont l'unique ressource est dé-
armes, reçoit leur serment, les em- sormais de faire souffrir a l'ennemi
barque et les incorpore dans ses trou- ce qu'elle souffre aujourd'hui. « La
pes, persuadéde qu'en confondant ainsi guerre, leur dit-il, ne se fait pas
ces hommes différentes conditions, au dedans comme au dehors : au de-
il établirait entre tous une émulation
de courage. Le reste fut laissé pour la dans, c'est à la patrie seule qu'il faut
emprunter toutes ses ressources ,
défense de la patrie. tandis qu'au dehors on peut vaincre
Agathocle trompe la vigilance
l'ennemi par ses propres forces, et
des Carthaginois, et débarque
en Afrique avec son armée; 309 ses alliés rebelles, qui, las d'une
longue servitude, accueillent avec
avant l'ère vulgaire.— Tout était joie des libérateurs étrangers. D'ail- .
prêt pour le départ; soixante vaisseaux
étaient armés, portant le roi et ses leurs, les villes, les châteaux de l'A-
frique, ne sont ni entourés de rem-
deux fils, Archagâthe et Héraclide; parts, ni construits sur des monta-
mais le port était bloqué par une gnes, mais situés dans la plaine, et
flotte ennemie bien supérieure en nom- ouverts de tous côtés : la crainte de
bre. Tout à coup , un grand convoi de leur destruction entraînera facile-
vaisseaux chargés de blé se dirige vers ment les places dans notre parti.
Syracuse; les Carthaginois lèvent le L'Afrique elle-même va devenir pour
blocus, et courent, avec toutes leurs Cartriage une ennemie plus redouta-
voiles, pour s'en emparer. Agathocle ble que la Sicile. Tout va s'unir con-
saisit l'instant propice, débouche du tre une ville qui n'a guère pour appui
port et gagne la pleine mer : la flotte que son nom , et nous tirerons ainsi
punique alors se retourne vers lui, et de cette terre ennemie les forces qui
abandonne les vaisseaux de charge,
qui entrent dans la ville, désormais à nous manquent. De plus, l'épou-
vante soudaine qu'inspirera tant
l'abri de la disette et de la famine. d'audace contribuera puissamment
Agathocle, au moment d'être atteint à la victoire. L'incendie des villages,
par les Carthaginois, est sauvé, d'a- le pillage des villes et des places qui
bord par la nuit, le lendemain par une oseront se défendre, le siège de Car-
éclipse totale de soleil qui leur dérobe tilage elle-même, montreront aux
sa marche. Enfin, après six jours et ennemis que leur pays n'est pas h
six nuits d'une poursuite continue, il l'abri du fléau de la guerre qu'ils ont
arrive aux côtes d'Afrique presque en jusqu'ici toujours porté chez les au-
même temps que les ennemis, et opère tres. La victoire sur les Carthagi-
son débarquement à la vue de la flotte nois sera la délivrance de la Sicile.
punique, qui arrive pour en être té- Poursuivront-ils le siège de Syra-
moin, mais trop tard pour s'y op- cuse, quand ils verront leur patrie
assiégée? Ainsi la guerre la plus
seauxposer.
à sec Agathocle fait carrières
près des tirer ses' où
vais-il facile vous offre la plus riche proie ;
était abordé (*), et les entoure d'un
retranchement. car la Sicile et l'Afrique entière se-
Agathocle révèle ses projets ront le prix de la conquête de Car-
tilage. La gloire d'une si belle entre-
a ses soldats. — C'est alors que, prise , perpétuée d'âge en âge ,
pour la première fois, Agathocle ré- triomphera du temps et de
vèle àses soldats le dessein qu'il avait On dira de vous que, seuls entrel'oubli.
tous
conçu. Il leur rappelle l'état de Syra- les hommes, vous avez porté chez
l'ennemi une guerre que vous ne
(*) Lapidicinas Aarouia;. Ces carrières pouviez soutenir chez vous; que
dont parle Strabon (liv. xvxi, p. 8H)> sont seuls, après une défaite, vous ayez
situées sur le côté oriental du golfe de Tunis, poursuivi vos vainqueurs et assiégé
au sud du cap P>on, à un endroit appelé ceux qui assiégeaient votre patrie
Louaria , l'ancienne Aquilaria. Entreprenez donc, pleins d'espé-
21
CARÏHAGE.
«rance et de joie, une guerre où la « nous serions arrivés en Afrique.
« victoire vous promet d'immenses «Aidez-moi, soldats, à m'acquitter
« richesses, et la défaite même un glo- « de mon vœu ; les déesses sauront
« rieux tombeau. » « bien nous dédommager de ce sacri-
Agathocle rassure ses soldats « fice. Déjà même les victimes que je
effrayés par l'éclipsé et met le « viens de leur immoler nous promet-
FEU A SES VAISSEAUX. — TOUS les « tent un glorieux succès. » Aussitôt
soldats, enivrés d'espérance, applau- il prend en main la torche sacrée ; il
à discours; cependant, lors- en fait distribuer à chacun des capi-
dirent ce
que la première impression fut calmée, tainesil; met le feu à son propre vais-
le souvenir de l'éclipsé qui avait eu seau; chefs et soldats imitent son
lieu pendant leur voyage , agita de vives exemple , et , en un instant , aux ap-
terreurs leurs âmes superstitieuses. plaudis ements etaux cris de joie de
Agathocle les rassura en leur faisant toute l'armée, la flotte entière n'est
entendre que ces variations dans le plus qu'un vaste monceau de cendres.
cours naturel des astres marquaient Les soldats n'avaient pas eu le temps
de réfléchir. Séduits par la ruse habile
toujours un changement dans l'état
présent ; que l'éclipsé , loin d'être .un d'Agathocle, impétueuse les avait tous entraînés.
une ardeur aveugle et
funeste augure, présageait indubita-
blement lafin de leurs revers et le dé- Mais lorsque leur enthousiasme se fut
clin de la prospérité de Carthage. refroidi, lorsque , mesurant dans leur
Alors, voyant ses soldats bien dis- esprit cette vaste étendue de mer qui
Eosés, il exécuta une entreprise aussi les séparait de leur patrie , ils se virent
ardie et plus périlleuse peut-être que en pays ennemi sans aucun moyen
sa diversion même en Afrique; ce fut d'en sortir, une noire tristesse et un
de brûler entièrement la flotte qui l'y morne les cœurs. désespoir s'emparèrent de tous
avait amené. Plusieurs motifs puis-
sants le déterminèrent à prendre un Agathocle , sans laisser à ce décou-
parti si extrême. Il n'avait pas de port hâte de conduire ragement letemps de se propager, se
en Afrique où il pût mettre ses vais- son armée vers une
seaux en sûreté. Les Carthaginois, maî- ville du domaine de Carthage, appelée
tres de la mer, s'empareraient facile- Mégalopolis. Le pays qu'ils eurent à
ment de sa flotte, si elle n'était défendue traverser était orné de jardins , de vi-
que par une faible garnison; s'il laissait gnes, d'oliviers et de plantations de
assez de troupes pour la protéger, il toutes les espèces d'arbres fruitiers,
affaiblissait trop son armée active; entrecoupé de ruisseaux et de canaux
enfin, par la destruction de ses vais- d'eau vive qui arrosaient abondamment
seaux, ilenlevait à ses soldats tout toutes les cultures. On trouvait à cha-
espoir de retraite , et les mettait dans que pas des maisons de campagne,
la nécessité de vaincre en ne leur lais- bâties avec une recherche et une ma-
sant d'autre ressource que la victoire. gnificence quiattestaient l'opulence de
Après avoir fait approuver son projet leurs propriétaires. Les champs étaient
par tous ses officiers qui lui étaient dé- couverts d'immenses troupeaux de
voués, Agathocle offre un sacrifice à bœufs et de brebis, et les prairies
Cérès et à Proserpine, et convoque nourrissaient un grand nombre de su-
l'assemblée des soldats. Alors, vêtu perbes cavales. En un mot , cette belle
d'habits de fête, le front ceint d'une contrée , où les plus nobles et les plus
couronne : « Lorsque nous partîmes riches Carthaginois avaient choisi leur
« de Syracuse , dit - il , au moment demeure, offrait partout des preuves
« d'être atteints par l'ennemi , j'invo- de leur goût pour la vie champêtre,
« quai Proserpine et Cérès, divinités de leur amour pour les arts, et de
« protectrices de la Sicile, et je leur leur habileté dans l'agriculture. L'as-
« promis, si elles nous sauvaient dans pect de ce beau pays ranime le courage
« ce péril extrême , de brûler en leur abattu des soldats, et les entraîne à
« honneur tous nos vaisseaux , dès que . braver tous les périls pour s'emparer
22 L'UNIVERS.
d'une si riche proie. Agathocle profite Il se trompa néanmoins dans ses pré-
de leur ardeur et les mène à l'attaque visions. Bomilcar depuis longtemps
de Mégalopolis qui , assaillie à i'impro- aspirait à la tyrannie. Jusqu'alors il
viste, et n'ayant pour défenseurs que n'avait ni trouvé l'occasion favorable,
des habitants sans expérience dans la ni obtenu le pouvoir nécessaire pour
arriver à son but. Revêtu alors du
guerre, thocleest emportée led'assaut.
en abandonne Aga-
pillage à» ses commandement de l'armée, il jugea
soldats. L'abondance règne dans le l'instant propice à ses desseins et en
camp; la confiance augmente, et aussi- résolut l'exécution.
tôt ils s'emparent d'-une ville que Dio- Bientôt les deux généraux carthagi-
dore appelle Leuco-Tunès (*'), et qu'il nois marchèrent à l'ennemi , et l'ayant
place à deux mille stades de Carthage. atteint, rangèrent leur armée en ba-
défaite d'hannon et de bomil- taille. Les troupes d'Agathocle ne mon-
car par Agathocle; 309 avant taient qu'à treize ou quatorze mille
l'ère vulgaire. — Cependant les hommes, dont plusieurs même n'a-
Carthaginois, instruits par les habi- vaient pas d'armes défensives. Aga-
tants des campagnes du débarquement thocle leur en fabriqua avec les cou-
vertures en cuir des boucliers de ses
d' Agathocle en Afrique, conçurent de
grandes alarmes. Us crurent, d'abord hoplites. Il s'aperçut ensuite que ses
que leur armée et leur flotte de Sicile soldats étaient effrayés de la supério-
avaient été entièrement anéanties. Com- rité du nombre de l'ennemi, et surtout
ment concevoir, en effet, qu'Agatho- de sa cavalerie. L'habile politique em-
cle, à moins d'être vainqueur, eût osé ploie aussitôt un pieux stratagème
laisser Syracuse sans défense , et qu'il pour relever leur courage. Il s'était
se fût hasardé à traverser la mer, si procuré un certain nombre de chouet-
les vaisseaux carthaginois en eussent tes privées. Il fait lâcher à la fois dans
encore été les maîtres ? Le trouble et plusieurs parties de son camp ces
la terreur se répandent dans la ville; oiseaux consacrés à Minerve, qui, se
le peuple court en désordre au forum. posant sur les drapeaux et sur les
Le sénat s'assemble à la hâte et tu- boucliers des soldats, semblent leur
multuairement. On délibère sur les promettre au nom de la déesse une
moyens de sauver la république. On victoire assurée.
n'avait pas sous la main de troupes ré- La batailledess'engage
la cavalerie : les chariots
Carthaginois viennentet
gulières qu'on pût opposer à l'ennemi, se briser contre les rangs serrés de
et l'imminence du danger ne permet-
tait pas d'attendre celles qu'on pourrait l'infanterie sicilienne. Hannon, à la
lever dans les campagnes et chez les tête de la cohorte sacrée, soutient
alliés. Les uns voulaient qu'on deman- longtemps l'effort des Grecs, et les en-
dât lapaix à Agathocle , les autres qu'on fonce même quelquefois; mais bien-
attendît des informations plus précises. tôt iltombe mort aux premiers rangs,
L'arrivée du commandant de la flotte fit accablé d'une grêle de traits et percé
connaître le véritable état des choses. d'innombrables blessures. La mort de
Il fut résolu enfin d'armer les citoyens. leur chef intimide les Carthaginois et
Le nombre des troupes monta à "qua- redouble la confiance des soldats d'A-
gathocle. Bomilcar, dont les forces
chevauxrante mille
et hommes d'infanterie,
deux mille mille
chariots armés étaient encore entières , aurait pu ré-
en guerre. On nomma pour généraux tablir lecombat; mais cet ambitieux
de cette armée Hannon et Bomilcar conspirateur, jugeant que la victoire
qui étaient divisés par des inimitiés d'Agathocle et la défaite des Cartha-
héréditaires. Mais le sénat voyait dans ginois étaient pour lui un moyen sûr
la haine mutuelle de ces citoyens puis- d'arriver à la souveraine puissance,
sants une garantie pour la république. se
une retire
hauteuravecvoisine. son corps Cette d'armée sur
lâche déser-
(*) La position de cette ville est inconnue. tion amène une déroute générale. La
23
CARTHAGE.
cohorte sacrée soutient seule pendant sit :ils avouèrent publiquement leur
mauvaise foi et leur sacrilège avarice,
quelque temps lesdeefforts de l'ennemi ;
mais, entourée tous côtés, elle se et pour expier leur faute , ils envoyè-
laisse massacrer presque tout entière rent, à l'Hercule tyrien une grande
sur le corps de son général. Agathocle, somme d'argent et un nombre consi-
après avoir quelque temps poursuivi dérable de riches présents.
les fuyards, revient sur ses pas et Leur superstition barbare imagina
s'empare du camp des Carthaginois. aussi que Saturne, irrité contre eux,
Les historiens varient sur la perte leur envoyait ces revers pour les punir
qu'éprouvèrent les Carthaginois dans d'avoir négligé l'observation exacte des
cette bataille. Les uns la portent à pratiques de son culte. Anciennement
mille hommes seulement, les autres on immolait à Saturne les enfants des
à six mille, ce qui nous paraît plus meilleures maisons de Carthage. Us se
vraisemblable. Après cette victoire, reprochèrent d'avoir usé de fraude et
Agathocle s'empare des villes , fait un de mauvaise foi envers le dieu en of-
immense butin, égorge des milliers frant, àla place des enfants de leur
d'ennemis. Il vient asseoir son camp à noblesse, d'autres enfants de pauvres
Tunis pour que les habitants de Car- ou d'esclaves qu'on achetait dans cette
thage puissent voir du haut de leurs vue. Pour expier cette transgression
murailles la ruine de ce qu'ils ont de sacrilège, ils immolèrent à leur dieu
plus cher, le ravage de leurs campa- sanguinaire deux cents enfants choisis
gnes l'incendie
, de leurs maisons. Mé- dans les plus illustres familles de la
morable exemple des vicissitudes de la ville, et plus de trois cents personnes
fortune, qui, par un retour inattendu, qui se sentaient coupables de cette
élevait les vaincus au niveau des vain- fraude impie s'offrirent elles-mêmes
queurs !En effet , les Carthaginois , en sacrifice pour éteindre par leur sang
après avoir remporté en Sicile sur les la colère de Saturne.
Syracusains une victoire signalée , as- Progrès d'Agathocle en Afri-
siégeaient Syracuse , tandis qu'Agatho- que ;DÉFECTION DES SUJETS ET DES
cle, vainqueur contre son attente dans alliés de Carthage. — Cependant
un combat décisif, entourait les murs la renommée publie dans l'Afrique en-
de Carthage de ses retranchements; tière que l'armée des Carthaginois est
et, chose étonnante, ce général qui, détruite, qu' Agathocle s'est emparé
dans son propre pays , avec ses forces d'un grand nombre de villes et met le
tout entières , n'avait pu résister aux siège devant Carthage. On s'étonne
barbares , maintenant , sur la terre qu'un si puissant empire ait été si
ennemie, avec une faible portion des brusquement attaqué, et par un en-
débris de son armée vaincue, ébranlait nemi déjà vaincu. A la surprise suc-
la puissance de Carthage. cède insensiblement le mépris pour les
Offrandes et sacrifices des Carthaginois , et Agathocle voit bien-
Carthaginois a Hercule et a Sa- tôt passer dans son parti , non-seule-
turne. — Ces revers réveillèrent dans ment les Africains tributaires, mais
Carthage les idées superstitieuses. Elle encore de puissantes cités alliées, en-
attribua ses malheurs à sa négligence traînées par l'amour du changement ;
envers les dieux. C'était une coutume il en reçoit pour prix de sa victoire des
à Carthage, aussi ancienne que la vivres e't de l'argent.
ville même , d'envoyer tous les ans à DÉFAITE D'AMILCAR EN SlCILE ,
Tyr, d'où elle tirait son origine, la ENVIRON 309 AVANT L'ÈRE CHRÉ-
dîme de tous les revenus de la répu- TIENNE. — Dans cette position cri-
blique, et d'en faire une offrande à tique, les Carthaginois dépêchent un
Hercule, le patron et le protecteur des navire en Sicile pour instruire Amil-
deux viiles. Depuis quelque temps les car de l'état des choses en Afrique,
Carthaginois avaient diminué la va- et le presser d'envoyer du secours.
leur des offrandes. Le scrupule les sai- Employant encore dans cette occa-
24 L'UNIVERS.
sion leurs ruses accoutumées , ils font alliance un chef africain , appelé Élyma.
remettre à Amilcar les éperons de Profitant du départ d'Agathocle, les
vaisseaux grecs qu'ils avaient eu soin Carthaginois dirigent toutes leurs for-
de recueillir après l'incendie de la flotte ces contre Tunis , s'emparent du camp
d'Agathocle. Le général carthaginois retranché, approchent de la ville les
prescrit aux envoyés le plus profond machines de guerre, et redoublent l'ac-
silence sur les victoires des Siciliens , tivité de leurs attaques, pour s'en em-
répand le bruit qu'Agathocle a été Agathocle, parer avant le retour du prince sicilien.
complètement battu, que sa flotte est averti de la prise de son
au pouvoir des Carthaginois , et pour camp et du danger qui menace Tunis,
preuve de son assertion , il montre les laisse devant Adrumète la plus grande
éperons des vaisseaux qu'on lui avait partie de son armée, et, ne prenant
expédiés. Cette nouvelle s'accréditait avec bles lui que sa garde et quelques fai-
détachements, il gravit en silence
dans la ville; le grand nombre son-
geait déjà à se rendre et à capituler ; une montagne d'où il pouvait être
le commandant même de la place,
aperçu et par les habitants d' Adru-
Antandros , frère d'Agathocle , qui était mète'etgeaient
par Tunis.les Là Carthaginois quistrata-
assié-
loin d'avoir son courage et son éner- il invente un
gème qui jette à la fois la terreur chez
gie, parlait déjà de traiter avec l'en- tous ses ennemis. Pendant la nuit, il
nemi, lorsqu'un esquif à trente rames
qu'Agathocle avait fait construire à la fait allumer de grands feux qui cou-
hâte arriva dans le port, et parvint, vrent un vaste espace de terrain. Les
non sans peine et sans danger, jus- Carthaginois occupés au siège de Tu-
qu'aux assiégés.misaitLescourir Syracusains, que
la curiosité en foule vers de lanis ,croyant
place avecqu'il unemarchait
nombreuse au secours
armée,
le port, avaient négligé sur quelques s'enfuient dans leurs murs en aban-
points la garde des murailles. Amilcar donnant leurs machines. Les habitants
profite de l'occasion, et des
fait remparts
attaquer U' Adrumète, persuadés que les assié-
Brusquement cette partie geants reçoivent un renfort considéra-
par une troupe d'élite. ble, sont 'frappés de crainte et se ren-
Mais la nouvelle des victoires d'Aga- dent àdiscrétion. D' Adrumète, il se
thocle s'était répandue dans la ville, dirige vers Thapsus, qu'il emporte d'as-
et avait rendu la confiance et le cou- saut et
; après s'être rendu maître , tant
rage àtous les habitants. par la force que par la persuasion , de
ardeur invincible, ils sePleins d'une près
précipitent de deux cents villes, il entreprend
sur les assaillants, et les repoussent une expédition dans l'intérieur de l'A-
après en avoir fait un grand carnage. frique.
Découragé par cet échec, Amilcar A peine s'est-il éloigné de quelques
leva le siège de Syracuse, et envoya journées de marche que les Carthagi-
cinq mille hommes au secours de sa nois lèvent de nouvelles troupes, les
patrie. joignent à celles qu'ils ont reçues de
Conquêtes d'Agathocle dans la Sicile, et mettent, pour la deuxième
eyzacène ; stratacxème de ce fois, le siège devant Tunis. Agathocle,
peince; 309 avant J. C. — Pendant instruit par un courrier de cette atta-
que ces événements se passaient en que imprévue, revient de suite sur ses
Sicile, Agathocle, maître de la cam- pas , place son camp à deux cents stades
pagne, tourna ses armes contre les de l'ennemi, et, pour cacher son arri-
villes maritimes soumises aux Cartha- vée, ildéfend à ses soldats d'allumer
ginois. Il laisse dans son camp re- des feux. Il se met en marche pendant
tranchéTunis
à , une armée suffisante , la nuit; au point du jour, il surprend
marche contre Néapolis, prend la ville les Carthaginois hors de leur camp,
d'assaut , et traite les vaincus avec in- dispersés dans la campagne, et fourra-
dulgence. De là il va mettre le siège geant sans ordre et sans discipline. Il
devant Adrumète, et attire dans son tombe sur eux comme la foudre, en
CARTHAGE. 25
utile à ses intérêts et à sa puissance. velle ville, malgré les pierres et les
Par une perfidie sans exemple, il dé- traits qu'on lance sur eux de toutes
les maisons situées sur leur route ;
bauche une partie des troupes d'O- enfin ils occupent sur une éminence
phellas, le fait périr au milieu de son
camp, et s'attache son armée tout une position avantageuse (*); mais
entière par des présents et de magni- tous les citoyens, ayant pris les ar-
fiques promesses. mes ,viennent camper devant les ré-
Conjuration de Bomilcar; sup- voltés.
plice DE CE GÉNÉRAL; 307 AVANT L'affaire se termina par une amnis-
l'ère chrétienne. — Jamais, depuis tie générale que la foi punique rompit
le commencement de la guerre, Car- envers le seul Bomilcar. On le fit périr
tilage ne s'était trouvée dans un si dans les plus cruelles tortures. Justin
grand péril. Aux ennemis étrangers ajoute que Bomilcar fut mis en croix
dont les forces venaient d'être doublées au milieu du forum , afin que le même
par la réunion de l'armée d'Ophellas , lieu où on lui avait conféré les hon-
se joignait un ennemi domestique, non neurs suprêmes devînt le théâtre de
moins dangereux et non moins redou- son supplice et de son ignominie.
table. Bomilcar, qui depuis longtemps Diodore observe , comme une sin-
aspirait à la tyrannie, jugea le mo- gularité remarquable , que les Cartha-
ment favorable pour exécuter son pro- ginois ignorèrent entièrement les pro-
jet. Il éloigna de Carthage sous diffé- jets d'Agathocle contre Ophellas , et
rents prétextes la plus grande partie qu'à son tour Agathocle n'eut aucune
de la noblesse qui aurait été un obstacle connaissance de la conjuration de Bo-
à ses desseins. Bientôt, ayant fait des milcar. S'il en eût été autrement, ou
levées dans le faubourg nommé la bien les Carthaginois se seraient ligués
Nouvelle ville, qui est un peu en de- avec Ophellas pour chasser Agathocle
hors de l'ancienne Carthage , il licen- de l'Afrique , ou bien ce général aurait
cia tous ceux qu'il croyait attachés profité de la guerre civile allumée
au gouvernement. Il rassembla quatre dans les murs de Carthage, pour s'em-
mille mercenaires et cinq cents de ses parer de cette ville.
concitoyens, complices de ses projets, Prise d'Utique et d'Hippozari-
et se lit déférer par eux le pouvoir tus; Agathocle passe en Sicile;
despotique. Il divise sa troupe en cinq 307 avant l'ère vulgaire. — Ce-
corps et entre dans la ville, massa- pendant Agathocle porte ses armes
crant tous ceux qu'il rencontre dans dans les provinces situées à l'occident
les rues. Une terreur incroyable se de Carthage. Il s'empare, après une
répand dans Carthage. Tous fuient, vive résistance, d^Utique et d'Hippo-
persuadés que la ville a été livrée à l'en- zaritus , qui avaient essayé de se sous-
traire àsa domination. Dans le but
nemi, qu'Agathocle a pénétré dans son
enceinte. Mais sitôt que la vérité est de prévenir désormais de pareilles ten-
connue, les jeunes citoyens courent tativesil
, inflige à ces deux cités un
aux armes, forment leurs rangs et châtiment exemplaire : il en abandonne
marchent contre le tyran. Celui-ci, le piilage à ses soldats , et fait passer
après avoir tué tous ceux qu'il ren- au
leursfil habitants.
de l'épée la plus grande partie de
contre sur sa route, pénètre dans le
forum. Alors les Carthaginois, ayant Après cette sanglante exécution, il
soumit à son pouvoir laplus grande par-
occupé
bordent cette les maisons très - hautes"
place publique qui
, font pleu- tie des villes maritimes et les peuples de
voir une grêle de traits sur les conju- l'intérieur, excepté les Numides, dont les
rés qui, dans cette position, se trou-
vaient àdécouvert de tous les côtés.
(*) Cette position est probablement le
Ceux-ci , trop maltraités , serrent leurs Djebd-khawi près du cap Qamart. Voyez
rangs, et, à travers les rues étroites, la Topographie de Carthage, par M. Du-
se frayent un passage jusqu'à la Nou- reau de la Malle, p. 73 et planche II.
28 L'UNIVERS.
uns entrèrent dans son alliance , les au- provinces de l'intérieur. Hannon, qui
tres restèrent neutres en attendant l'is- lui était opposé , lui dressa une em-
sue de la guerre. C'est alors que, se buscadeoù
, le général syracusain périt
voyant supérieur aux Carthaginois, tant avec quatre mille fantassins , et deux
cents cavaliers.
par ses propres
due de ses forceset ,que,
alliances que jugeant
par l'éten-
sa Imilcon, chargé des opérations de
domination solidement établie en Afri- la guerre sur les frontières méridiona-
que il
, se résolut à passer en Sicile , où les, s'était emparé d'une place forte
le mauvais état des affaires semblait sur la route que devait tenir Euma-
exiger sa présence. Il n'emmena que chus. Celui-ci ayant présenté la ba-
deux mille soldats , et laissa le com- tail e, lerusé Carthaginois laissa dans
mandement dureste de l'armée à son la ville une partie de son armée avec
fils Archagate. l'ordre de fondre sur l'ennemi au
État des affaires en Afrique moment où il feindrait lui-même de
sous le commandement d'archa- prendre la fuite. Au même instant, il
sort de la ville avec la moitié de ses
GATE , 306 AVANT L'ÈRE CHRÉTIENNE.
— La fortune sembla d'abord favoriser troupes, s'avance sous les retranche-
les armes du nouveau général. Il fit, ments de l'ennemi, engage le combat,
par ses lieutenants, quelques expédi- et s'enfuit aussitôt comme frappé d'une
tions heureuses dans la partie méri- terreur soudaine. Les soldats d'Eu-
dionale del'Afrique, et subjugua même, machus , croyant la victoire décidée ,
dit Diodore , quelques tribus de peu- rompent leurs rangs et s'abandonnent
ples nègres. en désordre à la poursuite des fuyards.
i Cependant le sénat de Carthage, se Tout à coup, la portion de l'armée
relevant de l'abattement où l'avaient carthaginoise qui était restée dans la
jeté les succès d'Agathocle, résolut ville, tombe sur eux, rangée en bon
de tenter un dernier effort, et mit sur ordre et poussant de grands cris : les
pied Grecs, surpris par cette attaque im-
chacuntrois
de dixcorpsmille d'armée,
hommes ,composés
qui, sous prévue, s'arrêtent, frappés de terreur,
le commandement d'Adherbal, d'Han- et s'enfuient presque sans résistance.
non et d'Imilcon , devaient agir, Vun Mais l'ennemi leur avait coupé la re-
sur les côtes de la mer , l'autre dans traite du côté de leur camp ; Euma-
les provinces de l'intérieur , le troi- chus fut contraint de se réfugier avec
sième sur les frontières méridionales. ses soldats sur une éminence voisine,
Ils espéraient, par ce plan de campa- position assez forte, mais entièrement
gne, contraindre dépourvue d'eau : les Carthaginois les
ses forces, délivrerl'ennemi à diviser
la ville du blocus y poursuivent, entourent la colline
qui gênait l'importation des vivres, d'un retranchement, et l'armée grec-
et enfin , raffermir la fidélité chance- que périt tout entière, soit par la soif,
lante de leurs alliés, qui, voyant de
nouveau les armées puniques en cam- mille par
soit huitle fer centsde hommes
l'ennemi. dont
De huit
elle
pagne ,pourraient compter sur un se- était composée, il ne se sauva, dit Dio-
cours efficace. dore, que trente fantassins et quarante
Ce plan , bien conçu , obtint le ré- cavaliers.
sultat qu'on en avait espéré. Plusieurs Archagate, consterné par ces revers
des alliés de Carthage, que la crainte inattendus, se retire à Tunis, réunit
seule avait forcés de se réunir aux autour de lui tout ce qui lui restait de
Grecs , s'en détachèrent et renouèrent troupes, et envoya en Sicile porter à
avec la république leurs anciennes liai- son père la nouvelle de ces désastres ,
sons d'amitié. D'un autre côté , Archa- et le supplier de venir aussitôt à son
gate, voyant les troupes carthaginoi- secours. Déjà il était abandonné de
ses répandues dans toute l'Afrique, presque tous ses alliés; il était bloqué
partagea lui-même son armée en trois dans Tunis par les trois généraux car-
corps. Eschrion, à la tête d'une de ces thaginois, et,la mer étant au pouvoir
divisions , était chargé de défendre les de l'ennemi , son armée abattue et dé-
CARTHAGE. 29
couragée était en proie à toutes les ginois, dans la poursuite, eurent soin
horreurs de la disette. d'épargner les Africains auxiliaires
Agathocle repasse en Afrique qu'ils espéraient engager à la défec-
pour secourir son fils archaga- tion ils
; s'acharnèrent à massacrer les
the. — Agathocle, après avoir obtenu Siciliens et les mercenaires, dont trois
d'abord quelques succès en Sicile, avait mille environ restèrent sur la place.
Incendie du camp des Cartha-
vu la plusà sa
soustraire grande partie Néanmoins
domination. de l'île se ginois; TERREUR PANIQUE DANS LES
les nouvelles qu'il reçut d'Afrique lui deux armées. — Pendant la nuit qui
parurent si désastreuses, qu'il résolut suivit la bataille, un événement inat-
de tendu porta la terreur et le désordre
allers'embarquer
au secours sur-le-champ de son armée.pourIl dans les deux armées. Tandis que les
trompe, par un nouveau stratagème, Carthaginois, en réjouissance de leur
la vigilance des Carthaginois qui blo- victoire, immolaient aux dieux l'élite
quaient leport de Syracuse, en sort de leurs laprisonniers, le feu deFavorisé
l'autel
avec dix-sept galères, met en fuite la embrasa tente du sacrifice.
flotte supérieure en nombre qui le par un vent
poursuivait , et débarque en Afrique. consuma en un impétueux, l'incendie
instant le camp tout
Là, retrouvant ses soldats épuisés par entier, qui n'était qu'un assemblage de
la disette et abattus par le désespoir, cabanes grossièrement formées de
il relève leur courage par ses exhorta- paille et de roseaux. Les rapides pro-
tions, leur démontre qu'une victoire grès du feu rendent tout secours inu-
décisive peut seule les sauver, et les tile. Les uns, surpris par les flammes
mène contre l'ennemi. Il lui restait dans les rues étroites du camp où ils
encore en infanterie six mille hommes s'étaient entassés, y trouvent le même
de troupes grecques, un pareil nombre supplice que leur impiété barbare vient
de mercenaires étrusques, celtes et d'infliger à leurs prisonniers ; les au-
samnites, et dix mille Africains, sur tres ,qui , en tumulte et en désordre ,
la fidélité desquels il ne pouvait pas s'étaient jetés hors des retranche-
entièrement compter. Il avait encore ments ,y trouvent une nouvelle cause
quinze cents hommes de cavalerie grec- de trouble et d'épouvante. Cinq mille
que, et six mille chars de guerre mon- Africains de l'armée d'Agathocle dé-
tés par des Africains. Les généraux sertaient en ce moment ses drapeaux,
carthaginois, quoiqu'ils eussent l'a- et se rendaient au camp des Carthagi-
vantage du nombre et de la position, nois. Ceux-ci, les ayant aperçus de
ne voulaient pas s'exposer aux hasards loin,
d'une bataille contre un ennemi au vient supposent
tout entière que les
l'armée des'Grecs
attaquer. Une
désespoir ; persuadés qu'en traînant la terreur incroyable se répand dans l'ar-
guerre en longueur, et en continuant mée; tous prennent la fuite : les uns,
a lui couper les vivres, ils le force- aveuglés par la crainte, se jettent dans
raient se
à rendre. Agathocle, ne pou- des précipices ; les autres
vant attirer l'ennemi dans la plaine, curité de la nuit, croyant, dans l'obs-
combattre
prend le parti d'attaquer les hauteurs l'ennemi, tournent leurs armes contre
sur lesquelles étaient retranchés les leurs camarades, et s'égorgent entre
Carthaginois. La détresse où il se eux. Cinq mille hommes périrent dans
trouvait justifiait à ses yeux la témé- ce tumulte; le reste s'enfuit précipi-
rité de l'entreprise. L'armée punique tamment vers Carthage, dont les ha-
sort de son camp rangée en bataille; bitants, trompés par cette fuite désor-
Agathocle , malgré tous les désavanta- donnée, crurent que leur armée avait
ges de sa position, résiste longtemps été complètement défaite.
aux efforts des Carthaginois. Enfin, Cependant, les déserteurs africains,
les mercenaires et les Africains ayant à l'aspect de l'incendie du camp des
été enfoncés, il est contraint de se
retirer dans son camp. Les Cartha- Carthaginois et du désordre qu'y avait
jeté leur approche, n'avaient osé pour-
30 L'UNIVERS.
suivre leur marche, et étaient retour- l'espoir d'être secourus par Agatho-
nés sur leurs pas. A leur retour, la cle , ne voulurent point souscrire à
même terreur panique qui venait d'ê- cette capitulation. Les Carthaginois
tre si fatale aux troupes carthagi- mirent le siège devant ces villes, et,
noises, se répandit tout à coup dans après s'en être emparés , ils mirent en
le camp d'Agathocle. Les Grecs s'ima- croix les chefs, réduisirent en escla-
ginèrent venait
aussi que l'armée ennemiele vage les soldats , et forcèrent à faire
tout entière les attaquer; refleurir la culture dans leurs campa-
tumulte et l'épouvante causés par cette gnes, ces mêmes mains qui y avaient
erreur produisirent sur eux les mêmes porté le ravage et la désolation.
effets, et coûtèrent la vie à quatre Telle fut la fin de cette guerre mé-
mille hommes.
morable, qui avait duré quatre an-
Agathocle abandonne son ar- nées et qui avait ébranlé dans ses fon-
mée ET REPASSE EN SlCILE ; FIN dements lapuissance de Carthage.
DE LA GUERRE; 306 AVANT L'ÈRE L'année suivante, un traité conclu
vulgaire. — Après ce nouveau dé- entre Agathocle et les Carthaginois
sastre, Agathocle, se voyant aban- rétablit les possessions des deux partis
donné par tous ses alliés, et trop faible en Sicile dans le même état où elles
désormais pour lutter avec les Cartha- étaient avant la guerre. La république
ginois, résolut d'abandonner l'Afri- consentit à payer pour ce traité au
que. Il manquait de vaisseaux pour prince syracusain trois cents talents
et deux cent mille médimnes de blé.
transporter
mer était au ses troupes;
pouvoir d'ailleurs,Cesla
des ennemis. Mort d'Agathocle
expédition ; nouvelle
des carthaginois en
deux motifs le décidèrent à s'embar-
quer seul sur un vaisseau léger, lais- Sicile, de 305 a 278 avant l'ère
sant ses deux fils et son armée exposés vulgaire. — Les vingt-cinq années
à toutes les chances de la guerre. A la qui suivirent le dernier traité avec
nouvelle de son départ, les soldats /Agathocle furent probablement pour
épouvantés, et se croyant déjà dans Carthage une période de calme et de
les mains d'un ennemi implacable, s'é- bonheur. Le silence de l'histoire est
criaient que, pour la seconde fois, leur presque une preuve de la tranquillité
roi les abandonnait au milieu des enne- uniforme dont jouit alors cette répu-
blique. Les époques stériles pour les
mis; que celui qui leur devait jusqu'à historiens sont généralement heureuses
la sépulture renonçait même à dé-
fendre leur vie. Ils veulent poursuivre pour les peuples.
leur roi, mais, arrêtés par les Numi- Agathocle était mort en* 289 avant
des de l'armée carthaginoise, ils sont J. C. , après un règne de vingt-huit
forcés de rentrer dans ieur camp. ans, dans la soixante-douzième, et
Alors, dans leur désespoir, ils égor- suivant quelques historiens, dans la
gent les fils d'Agathocle, et traitent quatre-vingt-quinzième année de son
avec les Carthaginois. Les conditions âge. La démocratie s'était rétablie dans
de cet accommodement furent que les Syracuse ; les dissensions intestines
Grecs, moyennant trois cents ta- qui , pendant neuf ans entiers , déchi-
lents (*), livreraient aux Carthaginois rèrent cette malheureuse ville, réveil-
toutes les villes dont ils étaient en lèrent chez les Carthaginois l'espoir
possession; que ceux qui voudraient de s'en emparer. Ils vinrent l'assiéger
servir dans les armées puniques y re- par terre et par mer, avec cent vais-
cevraient lapaye ordinaire des trou- seaux de guerre et cinquante mille
hommes de troupes de débarquement.
pes ,etportésque les' autres seraient
àSulonte, en Sicile, où on leur trans- Troisième traité des Romains
donnerait les moyens de s'établir. Les Sicile contre Pyrrhus; guerre
et des Carthaginois; en
278 avant
commandants de quelques places, dans
l'ère vulgaire. — Deux ans aupa-
(*) i,65o,ooo francs. ravant, les Carthaginois et les Ko-
CARTHAGÉ. SI
mains, alarmés de l'ambition de Pyr- gociation fut rompue. Dès lors Pyr-
rhus, roi d'Épire, qui menaçait à la rhus résolut d'employer tous les moyens
fois la Sicile et l'Italie, avaient renou- pour s'emparer de Lilybée; mais les
velé leurs anciens traités, en y ajou- Carthaginois, étant maîtres de la mer,
tant la clause d'une alliance offensive avaient fait entrer des vivres et une
et défensive contre ce prince. Leur nombreuse garnison dans cette ville,
prévoyance n'avait pas été vaine : Pyr- qui, située sur un promontoire es-
rhus tourna ses armes contre l'Italie, carpé, de toute part environnée par
et y remporta plusieurs victoires. Les les eaux, ne se joignait à la terre ferme
Carthaginois , en conséquence du der- que par un isthme fort étroit. Us
nier traité, se crurent obligés de se- avaient en outre fortifié avec le plus
courir les Romains, et leur envoyè- grand soin cette partie, qui était la
rent une flotte de cent vingt vaisseaux, seule accessible. Pyrrhus employa vai-
commandés par Magon. Le sénat ro- nement toutes les machines , tous les
main témoigna sa reconnaissance de procédés usités pour l'attaque des pla-
l'empressement de ses alliés, mais ces. Après deux mois de tentatives
inutiles, il fut obligé de lever le siège.
n'accepta pas leurs secours. Ce premier revers fut pour Pyrrhus
Magon, quelques jours après, alla
trouver Pyrrhus, sous prétexte de mé- le présage de revers plus funestes. Il
avait besoin de rameurs et de soldats
prince et nager un"
lesaccommodement
Romains, mais, entre ce
en effet, pour i'exécution de ses projets ambi-
pour le sonder, et pour pressentir ses tieux :la dureté avec laquelle il. en
desseins au sujet de la Sicile, qui, de- exigea des villes de Sicile excita con-
tre lui un mécontentement universel.
cours. puis longtemps , l'appelait à son se- Les Carthaginois, prompts à saisir une
En effet, les Syracusains, vivement occasion si favorable de recouvrer
pressés par les Carthaginois, avaient leurs anciennes possessions, envoyè-
envoyé députés sur députés à Pyrrhus, rent en Sicile une nouvelle armée, qui
se grossit de jour en jour par le con-
pour'le
Ce prince, supplier
ayant deépousé
venir Lanassa,
les délivrer.
fille cours des mécontents. Alors Pyrrhus,
d'Agathocle, regardait en quelque sorte sous prétexte de défendre les villes
la Sicile comme un héritage qui lui contre les troupes puniques, y mit des
était dévolu. Il partit donc de Tarente, garnisons qui lui étaient dévouées , et
passa le détroit, et aborda en Sicile. fit périr, comme coupables de trahison,
Les peuplades grecques de cette île le les citoyens les plus distingués , dans
reçurent avec une joie extraordinaire, l'espoir qu'il lui serait plus aisé de
et 'lui troupes,
offrirent leur
à l'envi leurset villes, contenir la multitude privée de la pro-
leurs argent leurs tection de ses chefs. Ces actes de
vaisseaux. Pyrrhus avait amené avec cruauté décidèrent sa ruine. Dès lors,
lui trente mille fantassins, deux mille il se vit abandonné par le petit nombre
cinq cents cavaliers, et deux cents de villes qui jusque-là lui étaient res-
vaisseaux de guerre. Ses conquêtes tées fidèles ; la Sicile repassa sous la
domination de ses anciens maîtres,
furent d'abord si rapides, qu'il ne resta et il perdit cette belle et riche contrée
dans toute la Sicile aux Carthaginois
que la seule ville de Lilybée, dont il avec autant de rapidité qu'il l'avait
s'apprêtait à faire le siège. Alors les conquise. Plutarque rapporte que lors-
Carthaginois entrèrent en négociation qu'il se fut embarqué pour retourner
avec lui : ils consentaient même à ache- à Tarente, il s'écria, les :yeux
vers les côtes de Sicile « O tournés
le beau
ter la paix au prix d'une flotte et d'une
somme d'argent considérable qu'ils « champ de bataille que nous laissons
livreraient entre ses mains. Pyrrhus « aux Carthaginois et aux Romains ! »
exigeait qu'ils abandonnassent Cette prédiction fut pleinement justi-
tout entière. Cette condition lasemblaSicile fiée par les guerres acharnées que se
trop dure aux Carthaginois, et la né- tirent ces deux peuples, et par les
32 L'UNIVERS.
PREMIERE GUERRE PUNIQUE.
sanglantes
tour à tour. défaites qu'ils essuyèrent
HlÉRON , ÉLEVÉ A LA ROYAUTÉ A
Ici les événements s'agrandissent,
Syracuse, continue la guerre con- et l'histoire prend un caractère plus
tre les Carthaginois , 275 a 268 imposant. Les deux plus puissantes
avant l'ère vulgaire. — Après le républiques du monde, alliées depuis
départ de Pyrrhus, la magistrature su- plus de deux siècles et dont jusqu'alors
prême de Syracuse fut remise aux aucun différend n'avait troublé la
mains d'Hiéron. Gagnées par l'attrait bonne querintelligence, vont forces,
s'entrecho-
de ses vertus, toutes les villes lui dé- avec toutes leurs avec
cernèrent d'un commun accord le com- un acharnement sans exemple. Car-
mandement des troupes contre les thage avait pour marine elle d'immenses ri-
Carthaginois. Fils d'Hiéroclès, homme chesses , une formidable,
une cavalerie auxiliaire excellente ;
d'une naissance distinguée, qui des-
cendait de Gélon, ancien tyran de la Rome, l'union et la force de son gou-
Sicile, son origine maternelle était vernement, l'austérité de ses vertus
obscure et honteuse. Il devait le jour antiques, le courage et la discipline de
à une esclave , et son père le fit expo- ses armées nationales, exercées par
deux cents ans de victoires contre les
ser comme l'opprobre de sa maison.
Bientôt, sur la foi de brillants pré- peuplades
sages, qui annonçaient la grandeur fu- on ne vit guerrières
aux prises dedesl'Italie.
nationsJamais
plus
ture de cet enfant, Hiéroclès le prit belliqueuses, et jamais ces mêmes na-
avec lui et s'appliqua à le rendre digne tions ne déployèrent plus de force et
des destins qui l'attendaient. A peine d'énergie. En effet , ce n'était pas seu-
sorti de l'adolescence, il se distingua lement une médiocre province, c'était
dans plusieurs actions, et reçut de l'empire du monde que ces deux
Pyrrhus plusieurs récompenses" mili- peuplestroiterivaux
arène de sela disputaient
Sicile. dans l'é-
taires. Doué d'une rare beauté, d'une Causes de la première guerre
force plus qu'ordinaire, plein de grâce
dans ses paroles, de justice dans sa PUNIQUE , 268 AVANT J. C — Déjà
conduite, de modération dans le pou- quelques signes de refroidissement
voir, ilse vit déférer d'un consente- s'étaient manifestés entre les Romains
ment unanime le nom et l'autorité de et les Carthaginois pendant la guerre
roi. Il fut chargé de la guerre contre de Pyrrhus et le siège de Tarente :
les Carthaginois, et remporta sur eux mais ce furent les dissensions de Mes-
de grands avantages. Mais bientôt des sine qui amenèrent entre les deux
intérêts communs unirent les Cartha- peuples une rupture déclarée. Sous le
ginois et les Syracusains contre un règne d'Agathocle, tyran de Sicile,
nouvel ennemi, qui menaçait la Sicile, quelques aventuriers campaniens qui
et qui leur donnait aux uns et aux au- étaient à la solde de ce prince s'é-
tres de vives et justes alarmes. Il était taient ouvert par la perfidie
aisé de prévoir que les Romains, qui de la ville de Messine , avaient l'entrée
égorgé
avaient conquis toute l'Italie jusqu'au une partie des habitants, chassé les
détroit de Sicile, ne s'arrêteraient pas autres, épousé leurs femmes, envahi
devant cette faible barrière , et qu'ils leurs biens, et étaient demeurés seuls
porteraient bientôt leurs armes victo- maîtres de cette place importante. Ils
rieuses dans cette île riche et féconde,
avaient pris le nom de Mamertins (*).
qui leur semblait en quelque sorte une A leur exemple, et par leur secours,
annexe de l'Italie. Il ne leur manquait une légion romaine, composée de sol-
pour s'en emparer, dats campaniens, et commandée par
une occasion favorablequ'un
: elle prétexte ou
se présenta Décius Jubellus, citoyen de Capoue, ,
bientôt , et fut cause de la première
guerre punique. (*) Ce nom venait du mot Mamers , qui ,
dans la langue campanienne, signifiait Mars.
CARTHAGE. 33
avait traité de même la ville de Rhége, flotte carthaginoise, et arrive à Mes-
située vis-à-vis de Messine, de l'autre sine. Là, par son éloquence et de bril-
côté du détroit. Les Mamertins, sou- lantes promesses, il détermine les ha-
tenus par ces dignes alliés, accrurent bitants àréunir leurs efforts pour
recouvrer leur liberté. Les Mamertins
rapidement leur' puissance, et devin- emploient tour à tour les menaces, la
rent un sujet de crainte et d'inquié-
tude pour les Carthaginois et les Sy- ruse, la force, et parviennent à chas-
racusains, qui se partageaient l'empire ser de la citadelle l'officier qui y com-
de la Sicile. Mais sitôt que les Ro- mandait au nom des Carthaginois.
mains, délivrés de la guerre contre Ceux-ci font mettre en croix le com-
Pyrrhus, eurent tiré vengeance de la mandant dont la lâcheté ou l'impéritie
perfide légion qui s'était emparée de avait causé la perte de Messine, et
assiègent cette ville par terre et par
Rhége, et' rendu
habitants, la ville à sesdemeurés
les Mamertins, anciens mer. En même temps, Hiéron, jugeant
seuls et sans appui , ne furent plus en l'occasion favorable pour chasser en-
état de résister aux forces de Syra- tièrement lesMamertins de la Sicile,
cuse ,et crurent devoir recourir à une fait alliance avec les Carthaginois, et
protection puissante. Mais la division part de Syracuse pour se joindre à
se mit parmi eux : les uns livrèrent eux.
la citadelle aux Carthaginois, les au- Le consul Appius Claudius qui, pen-
tres envoyèrent à Rome un ambassa- dant cet intervalle, était retourné à
deur pour offrir la possession de leur Rhége, essaye de traverser le détroit
ville au peuple romain, et le presser de avec sa flotte , dans le but de faire
venir à leur secours.
lever le siège de Messine. Ce fut d'a-
L'affaire, mise en délibération dans bord en plein jour qu'il tenta ce pas-
le sénat, fut envisagée sous deux points sage dangereux; mais la supériorité
de vue opposés. D'un côté, il parais- et l'expérience de la flotte carthagi-
sait indigne des vertus romaines de noise,difficile
l'impétuosité des vagueset dans
protéger, en défendant les Mamertins, cette mer et resserrée, une
des brigands semblables à ceux qu'on violente tempête, qui s'éleva tout à
avait punis si sévèrement à Rhége; de coup , furent pour ses matelots peu
exercés des obstacles invincibles. Il
l'autre, il semblait important d'arrêter
les progrès des Carthaginois, qui, perdit quelques vaisseaux, et ne re-
maîtres de Messine, le seraient bien- gagna qu'avec beaucoup de peine le
tôt de Syracuse et de la Sicile entière, port de Rhége, d'où il était sorti.
et qui, ajoutant cette conquête à leurs L'âme ferme et constante du consul
anciennes possessions de Sardaigne et ne se laissa point abattre par ce pre-
d'Afrique, menaçaient de toutes parts mier revers. Persuadé qu'il ne pour-
les côtes de l'Italie. Le sénat n'osa rait passer en Sicile tant que les Car-
prendre aucune décision : il renvoya thaginois occuperaient le détroit , il
l'affaire au peuple , qui , excité par les eut recours à un ingénieux stratagème.
consuls, résolut de secourir les Ma- Il feignit d'abandonner l'entreprise,
mertins.. de retourner à Rome avec sa flotte, et
Passage du détroit de Sicile, fixa publiquement le jour et l'heure
et occupation de messine par
du départ.
donné, les Sur ennemisl'avis qui qui leur en fut
bloquaient
les Romains , 264 avant l'ère
vulgaire. — Aussitôt, le consul Ap- Messine du côté de la mer s'étant
pius Claudius se mit en marche avec retirés comme s'il n'y avait plus rien
son armée , et se rendit à Rhége , où à craindre, le consul, qui avait soi-
il attendit l'occasion favorable de pas- gneusement observé la nature du dé-
ser le détroit de Sicile. Ce général au- troit ,s'empressa
dacieux ose se confier à la mer sur favorable. Aidé dude vent saisiret ledemoment
la ma-
une frêle barque de pêcheur, passe, rée, profitant de l'absence des Cartha-
sans être aperçu , au travers de la ginois et de l'obscurité de la nuit, il
3
3e Livraison. (Carthage.)
34 L'UNIVERS
effectue le passage et aborde à Messine. Alors les Carthaginois, persuadés
L'accomplissement de cette entre- que c'était à leur valeur et non à l'a-
prise immortalisa le nom d'Appius. vantage du terrain qu'ils devaient la
Comme il avait transporté au milieu victoire , sortirent de leurs retranche-
de la nuit, à travers cette mer dange- ments et poursuivirent les Romains.
reuse, la plus grande partie de ses Tout à coup la fortune changea avec
soldats sur des radeaux formés de la position des lieux; il ne resta à cha-
troncs d'arbre et de planches grossiè- cun que son propre courage. Les Car-
rement jointes, on lui donna le surnom thaginois ne purent soutenir le choc
de Caudex, des mots caudices et can- des Romains. Il y en eut un grand
dicariœ naves, par lesquels les Ro- nombre de tués. Les autres se réfu-
gièrent soit dans les villes voisines,
cations. mains désignaient ces sortes d'embar-
soit dans leur camp d'où ils n'osèrent
Appius, plus sortir tant qu'Appius demeura
sine par desse forces v*oyantdepresséterre dans
et de Mes-
mer dans Messine.
supérieures aux siennes, fit offrir la Appius, maître de la campagne, laisse
paix aux Carthaginois et aux Svracu- une forte garnison dans Messine, porte
sains, à condition qu'ils abandonne- le ravage dans le territoire de Syracuse,
raient le siège de cette ville. Ces pro- et met le siège devant cette ville dans
positions furent rejetées. Alors le con- l'espoir de détacher Hiéron de l'alliance
sul, réduit à tenter la fortune des des Carthaginois. La campagne finit
armes, résolut d'attaquer séparément sans qu'il eût pu réussir dans son des-
chacun de ses ennemis. Il fondit d'a- sein ,et il repassa en Italie.
bord sur l'armée d'Hiéron, qui, après Continuation de la guerre ;
une assez vigoureuse résistance, fut traité des Romains avec Hiéron;
vaincue et forcée de se retirer dans 263 avant l'ère vulgaire. — L'an-
son camp. Hiéron, déjà mal disposé née suivante, les Romains, ayant à
envers les Carthaginois, à cause de la cœur de terminer la guerre de Sicile ,
négligence qu'ils avaient mise à garder y envoyèrent les deux nouveaux con-
suls avec quatre légions, et le nombre
le détroit, et , de plus, prévoyant , d'a-
près l'essai qu'il venait de faire des d'auxiliaires qui était attaché à chacun
armes romaines, que l'issue de la de ces corps (*). Avec ces forces impo-
guerre leur serait favorable, s'échappa santes, tantôt unissant leurs troupes,
en silence au milieu de la nuit, et re- tantôt les séparant, les consuls bat-
tourna promptement à Syracuse. tirent en plusieurs occasions les Car-
DÉFAITE DES CARTHAGINOIS DE- thaginois et les Svracusains, et ré-
VANT Messine; les Romains s'a- pandirent partout ïa terreur de leurs
vancent jusqu'à Syracuse. — Le armes. Leurs succès furent si rapides
lendemain, Appius, enhardi par la vic- qu'ils se virent en peu de temps maî-
toire et par la retraite des Syracusains, tres de soixante-sept villes, au nombre
résolut desquelles furent Catane et Taurome-
dans leursd'attaquer les Carthaginois
retranchements. Us étaient nium. Alors Hiéron qui, voyant le dé-
campés dans un lieu que la nature et couragement général des peuples de la
l'art avaient fortifié. D'un côté la mer, Sicile, se déhait de ses forces et de
de l'autre un marais large et profond, celles de ses alliés, envoya des députés
formaient une péninsule qu'ils avaient aux consuls pour traiter de la paix
fermée d'une muraille sur le seul point avec eux. Ceux-ci ne furent pas diffi-
par où elle était accessible. Les Ro- ciles sur les conditions. En détachant
mains tentèrent de forcer cette bar- de l'alliance des Carthaginois Hiéron,
rière mais
; la difficulté des lieux, et la souverain des contrées les plus fécon-
résistance opiniâtre des Carthaginois des de la Sicile , ils se procuraient les
rendirent leurs efforts inutiles. Appius
reconnut bientôt la témérité de son
(*) En tout 32 mille fantassins et 36oo
cavaliers.
entreprise, et ordonna la retraite.
CARTHAGE. 35
ments. En cette occasion comme en
moyens d'approvisionner leur armée , plusieurs autres, les lois rigoureuses
qui ne pouvait que très-difficilement
recevoir des vivres d'Italie , tant que de la discipline militaire sauvèrent
les flottes puniques étaient maîtresses l'armée romaine d'un désastre qui
de la mer. Les clauses du traité furent paraissait inévitable. Ces lois punis-
saient de mort le soldat qui lâchait
qu'on se rendrait de part et d'autre
les prisonniers, qu'Hiéron serait réta- pied dans une bataille ou qui abandon-
bli dans la possession intégrale de son nait son poste. Aussi , quoique infé-
rieurs en nombre aux assaillants , les
royaume, et qu'il payerait cent talents Romains chargés de la défense du
pour les frais de la guerre (*). Annibal,
général des Carthaginois, s'avançait camp soutinrent leur choc avec une
déjà avec sa flotte pour secourir Hié- incroyable fermeté, leur tuèrent plus
ron qu'il croyait assiégé dans Syracuse de monde qu'ils n'en perdirent, et
donnèrent le temps aux cohortes de
f)ar les Romains ; mais lorsqu'il apprit
a conclusion du traité, il jugea pru- s'armer et de venir à leur secours.
dent de retourner sur ses pas. Alors, les Carthaginois, qui s'étaient
ïboisieme année de la ?* guebre vus au moment d'emporter les retran-
punique*, siege et bataille d'a- chements, sont enveloppés de toutes
gbigente; 262 avant l'èbe chbé- parts , taillés en pièces ou mis en dé-
tienne.— Cependant les Carthaginois,
de la routeville.
,et poursuivis
Cet événement jusqu'aux
renditportes
à la
voyant les Romains fortifiés de l'al- fois les Romains plus circonspects,
liance d'Hiéron, jugèrent à propos
d'envoyer en Sicile des forces plus con- et les Carthaginois moins entrepre-
sidérables, tant pour résister à leurs nants.
ennemis que pour conserver leurs an- Ceux-ci n'engageant plus que rare-
ciennes possessions. Ils joignirent à ment de légères escarmouches, les
leurs armées nationales un grand nom- consuls divisèrent leur armée en deux
bre de mercenaires tirés de la Ligurie, corps, dont l'un fut placé devant le
de la Gaule et surtout de l'Espagne. temple d'Esculape, l'autre du côté de
Ils choisirent pour leur place d'armes la ville qui regarde Héraclée. Les deux
Agrigente que sa position naturelle et camps étaient protégés par une double
ses fortifications rendaient presque ligne de retranchements, l'une desti-
imprenable, et y firent entrer des née à empêcher les sorties des assié-
vivres et une nombreuse garnison. gés, l'autre à garantir les derrières du
Les consuls romains, ayant réuni à camp, et àintroduire
intercepter dans
les secours
leurs légions toutes les forces de leurs voudrait la place.qu'on
Des
alliés, viennent camper à mille pas postes fortifiés remplissaient l'espace
d' Agrigente , et forcent intermédiaire entre les deux corps
d'armée.
nois àse renfermer dans les Carthagi-
les murs. Les
moissons étaient alors parvenues à Le blocus durait depuis cinq mois.
leur maturité, et les soldats romains, Les Romains recevaient de leurs alliés
qui prévoyaient *la longueur du siège, de Sicile des vivres en abondance.
s'étaient imprudemment dispersés dans Agrigente au contraire , où cinquante
la campagne pour ramasser des grains. mille hommes se trouvaient entassés ,
Les Carthaginois , profitant de leur né- souffrait déjà toutes les horreurs de la
gligence, fondent à l'improviste sur les disette. Annibal, fils de Giscon, qui
fourrageurs et les mettent aisément en commandait dans la place, envoyait
fuite. De là ils marchent au camp des depuis longtemps à Carthage courriers
Romains, et partagés en deux corps, les sur courriers pour exposer sa détresse,
uns commencent a arracher les palis- et demander des secours en vivres et
sadestandis
, que les autres combattent en soldats. Enfin les Carthaginois firent
les postes qui couvrent les rctranche- passer en Sicile le vieil Hannon avec
cinquante mille hommes d'infanterie ,
(*) 55o,ooo fr. six mille chevaux et soixante éléphants.
3.
36 L'UNIVERS.
A peine ce général était-il débarqué à sollicité par les vives instances d'Anni-
Héraclée avec toutes ses forces qu'on bal qui lui mandait que les assiégés ne
lui livra la ville d'Erbesse , voisine du pouvaient plus résister à la famine et
camp latin, où l'on apportait de tous que plusieurs de ses soldats passaient
les points de la Sicile les vivres desti- à l'ennemi, Hannon résolut de donner
nés à l'approvisionnement de l'armée la bataille sans plus différer, et con-
romaine. Alors les Romains, assié- vint avecAnnibal qu'il ferait en même
geants àla fois et assiégés, se trou- temps une sortie. Les Romains, par
vèrent réduits à la même pénurie qu'ils les pressants motifs que nous avons
faisaient éprouver à la garnison d'A- indiqués , n'étaient pas moins disposés
grigente. La famine fit bientôt de tels à livrer le combat. La bataille s'enga-
progrès qu'ils furent plusieurs fois sur gea dans une plaine située entre les
le point de lever le siège , et ils y au- deux camps. Le succès fut longtemps
raient été forcés si l'adresse et le zèle balancé. Enfin, par un dernier effort, le
d'Hiéron n'eussent réussi à leur faire consul Posthumius enfonce les rangs
passer quelques convois qui soulagèrent des mercenaires qui combattaient en
un peu leur détresse. Hannon , voyant tête de l'armée carthaginoise. Ceux-ci,
les Romains affaiblis par la famine et reculant en désordre sur les éléphants
par les maladies qui en sont la suite or- et sur les troupes de la seconde ligne,
dinaire s'approcha
, portent le trouble et la confusion dans
de leur camp , ré-
solu de livrer une bataille générale. D'a- toute l'armée. Dès lors plus de résis-
bord ileut l'adresse d'attirer dans une tance; presque tous tombent sous le
embuscade leur cavalerie qui éprouva fer; Hannon se sauve à Héraclée avec
une perte considérable. Enhardi par une poignée de soldats. Les Romains
ce premier succès, il porta son camp s'emparent du camp des Carthaginois
sur une colline à quinze cents pas de et de presque tous les éléphants. An-
l'armée romaine. Cependant la bataille nibal ne fut pas plus heureux dans sa
diversion. Il fit une sortie contre le
se donna beaucoup plus tard qu'on ne camp romain , fut repoussé avec une
devait l'attendre de deux armées si
voisines l'une de l'autre, les Romains grande perte, et poursuivi jusqu'aux
et les Carthaginois craignant alterna- portes de la ville.
tivement de confier la décision de la Cependant il sut habilement saisir
le moment favorable pour sauver sa
guerre au hasard d'une seule journée.
Ainsi, tant qu'Hannon témoigna de garnison. Au déclin du jour, il remar-
l'empressement pour en venir aux qua quetrêmelèsconfiance
Romains,
qui suitsoittoujours
par l'ex-la
mains, les consuls se tinrent renfer-
més dans leurs retranchements, ef- victoire, soit à cause des fatigues
frayés dela multitude et de la confiance d'une si rude journée, gardaient leurs
de leurs ennemis, et découragés en lignes avec plus de négligence qu'à l'or-
outre par la défaite récente de leur dinaire. Ilsortit en silence au milieu
cavalerie. Mais quand ils s'aperçurent de la nuit, traversa les fossés des li-
que leurs craintes et leurs délais affai- gnes romaines sur des pontons qu'il
blis aient lezèle et le courage de leurs avait préparés d'avance, et parvint à
alliés, que les Carthaginois en deve- s'échapper avec toutes ses troupes à
naient plus fiers et plus hardis, et que l'insu des ennemis. Les Romains, au
la faim était un ennemi encore plus à point du jour, s'étant aperçus de son
craindre pour eux que les soldats évasion, se contentèrent de harceler
d'Hannon , ils se décidèrent à accepter son arrière-garde et portèrent toutes
la bataille. Alors Hannon , à son tour, leurs forces à l'attaque de la ville.
parut en craindre l'événement et cher- Agrigente, seurs fut
abandonnée de ses défen-
, prise sans résistance et li-
cher les moyens
Deux mois se passèrent dans cette de l'éviter. vrée au pillage ; vingt-cinq mille de ses
alternative de confiance et de crainte habitants furent vendus comme escla-
sans aucun événement décisif. Enfin , ves. La conquête de cette place , dont
GARTHAGE.
37
le siège avait duré sept mois , fut éga- que paisible et tranquille, tandis que
lement utile et glorieuse aux Romains ; l'Italie était infestée par les fréquentes
mais elle leur coûta de grands sacrifi- incursions des flottes puniques, ils
ces. Ils y perdirent plus de trente mille formèrent l'audacieuse et magnanime
hommes , tant de leurs soldats que des résolution de disputer à leurs ennemis
Siciliens leurs alliés. Aussi les consuls, l'empire de la mer. Us n'avaient pas
alors un seul vaisseau de guerre , pas
se voyant
former aucune désormaisentreprise horsimportante
d'état de,
un constructeur habile, pas un rameur
se retirèrent à Messine. expérimenté : une galère carthaginoise
Quatrième année de la guerre à cinq rangs de rames, échouée sur leurs
punique; 261 avant l'ère chré- côtes, leur sert de modèle. Ils se livrent
tienne. — Aucun événement impor- avec une ardeur incroyable à des tra-
tant n'a signalé la quatrième année de vaux, àdes exercices entièrement nou-
la première guerre punique. Les Car- veaux pour eux. Les uns construisent
thaginois, indignés de la perte d'A- les vaisseaux, les autres, imitant sur le
grigente et de la défaite d'Hannon , rivage les mouvements des rameurs ,
destituèrent s'exercent à la manoeuvre. Les con-
nèrent à unece forte généralamende.
et le condam-
Il fut suls animent tout par leur présence et
remplacé en Sicile par un Amilcar, qu'il par leurs exhortations : à peine soixante
ne faut pas confondre avec Amilcar jours s'étaient écoulés , et Rome avait
Barca, père du fameux Annibal. La à l'ancre une flotte de cent vingt ga-
flotte punique, envoyée en Italie pour lères ,qui semblait sortie par miracle
empêcher le passage des consuls, ne tout armée et tout équipée des forêts
put accomplir son dessein ; mais en de l'Italie.
Sicile elle réussit à recouvrer la plu- Le commandement de l'armée de
part des villes maritimes dont les Ro- terre en Sicile était échu à Duilius,
mains s'étaient emparés. Ceux-ci, ce- celui de la flotte à Cornélius. Ce der-
pendant, depuis la prise d'Agrigente nier avait pris les devants avec dix-
qui avait répandu dans toute l'île une sept vaisseaux, le reste de la flotte
consternation générale, s'étaient ren- devait le suivre de près. Arrivé à Mes-
dus maîtres de presque toutes les villes sine, ilse livra avec trop d'imprudence
de l'intérieur, que les Carthaginois à l'espoir qui semblait s'offrir de s'em-
étaient hors d'état de défendre. Ainsi parer de l'île et de la ville de Lipari.
les Romains occupant les villes éloi- Les habitants, de concert avec Annibal,
gnées des côtes aussi facilement que amiral de la flotte carthaginoise, lui
les Carthaginois celles qui étaient si- avaient promis de se rendre. Il part
tuées le long de la mer, et les deux avec ses dix-sept navires; mais à peine
peuples conservant leurs conquêtes, est-il entré dans le port, qu'il y est
il existait entre leurs forces respecti- bloqué par vingt galères que comman-
ves, quoique de nature différente, un dait Boodès, lieutenant d'Annibal.
équilibre qui ne permettait pas de pré- Alors, enveloppé de toutes parts, et
sager quelle serait l'issue ne pouvant résister à deux ennemis à
Cinquième année de delala guerre
guerre.
la fois , il est forcé de se rendre à Boo-
punique construction de la flot- dès qui le conduit en triomphe à Car-
te romaine, prise du consul cor- thage.
NÉLIUS par les Carthaginois ; 260 Invention du corbeau ; bataille
avant J. C. — Cependant les projets navale entre les romains et les
et les espérances des Romains s'agran- Carthaginois. — Peu de jours après,
dissaient avec leurs victoires. La con- le même excès de confiance qui avait
quête de Messine ne suffisait plus à causé la perte de Cornélius devint fu-
leur ambition ; ils méditaient mainte-
nant celle de la Sicile entière. Lassés appris nesteque àl'amiral carthaginois. Il avait
la flotte romaine longeait les
d'un état de choses qui ne décidait côtes de l'Italie pour se rendre' à Mes-
rien , irrités d'ailleurs de veir l'Afri- sine. Plein de mépris pour un ennemi
38 L'UNIVERS.
sans expérience dans la navigation, la prise d'Agrigente, avait fait une re-
et dans les combats maritimes , il traite si hardie, montait une galère
s'avança pour le reconnaître à la tête à sept rangs de rames que les Cartha-
de cinquante galères. Dans sa pré- ginois avaient prise dans leur guerre
somptueuse confiance , il marchait en contre Pyrrhus. Le dernier échec qu'il
désordre et sans précaution, lorsque avait essuyé n'avait pas abattu sa pré-
tout à coup, au détour d'un promon- somptueuse confiance. A l'approche
toire d'Italie, il rencontra la flotte des Romains, il s'avança dédaigneu-
romaine voguant en bon ordre et toute sement contre eux , et , comme s'il ne
prête à combattre. Il fait de vains ef- se fut pas agi de combattre , mais seu-
forts pour réparer son imprudence et lement derecueillir des dépouilles dont
se trouve vaincu avant d'avoir pu même il se croyait déjà maître, il ne prit
disposer sa ligne de bataille. Il perdit pas même la peine de former sa ligne
la plus grande partie de ses vaisseaux de bataille. L'avant-garde des Cartha-
et eut bien de la peine à se sauver avec ginois fut pourtant un peu étonnée de
le peu qui lui en restait. ces machines élevées sur la proue de
La flotte victorieuse ayant appris le chaque vaisseau, et qui étaient nou-
désastre de Cornélius, en donna avis velles pour eux. Mais bientôt se ras-
à Duilius son collègue, qui comman- surant et se moquant même de l'in-
dait les troupes de terre en Sicile, et vention grossière d'un ennemi igno-
lui apprit en même temps son arrivée rant, ils fondent avec impétuosité sur
et l'avantage qu'elle venait de rem- les Romains. Alors les corbeaux, abais-
porter sur l'ennemi. Duilius laissa le sés tout à coup et lancés avec force
commandement de l'arméeaux sur leurs vaisseaux, les accrochent
et se mit à la tête de la flotte.tribuns,
Arrivé malgré eux, et, changeant la forme
à la vue des Carthaginois près des du combat, les obligent à en venir aux
côtes de Mylœ (*), il se prépara au mains, comme si l'on eût été sur terre.
combat. Les uns sont massacrés ; les autres,
Mais s'apercevant aussitôt du dé- frappés
machines deinconnues, stupeur seà rendent
l'aspect prison-
de ces
savantage que ses pesants vaisseaux ,
construits grossièrement et à la bâte, niers. Les trente galères de l'avant-
auraient en combattant ceux des Car- garde , au nombre desquelles était le
thaginois, plus élancés , plus agiles et vaisseau amiral, furent coulées à fond
plus faciles à manier , il suppléa à cet ou prises avec tout leur équipage. An-
inconvénient par une machine qui fut nibal, voyant tout perdu, ne s'échappa
inventée sur-le-champ , et que depuis qu'avec peine dans une chaloupe.
on a appelée Corbeau. Elle se composait Le reste de la flotte des Carthaginois
d'un mât planté sur la proue, auquel voguait avec ardeur pour fondre sur
s'adaptait un pont-îevis, portant à son les Romains. Mais lorsqu'ils virent le
extrémité un cône de fer très-pesant désastrede leuravant-garde, ilss'avan-
et très-aigu, garni de crochets mobi- cèrent avec plus de circonspection, et
les. Cette macnines'abattant avec force cherchèrent a éviter par leurs manœu-
d'une grande hauteur, le cône, par sa vres l'atteinte des redoutables cor-
beaux. Ces habiles marins, se fiant à
forme et par son poids , s'enfonçait
dans le l'agilité de leurs galères et à la promp-
fixait le pont
pont-levis du vaisseau
et donnaitennemi",
ainsi auxy titude de leurs évolutions, espéraient
soldats romains un moyen facile de encore, en attaquant tantôt les flancs,
monter à l'abordage. tantôt la poupe des vaisseaux romains,
La flotte carthaginoise se composait venir à bout de leurs ennemis. Mais
de cent trente vaisseaux. Son comman- comme ils se voyaient environnés de
dant Annibal , le même qui , lors de tous côtés par ces terribles machines,
et comme, pour peu qu'ils s'approchas-
la (*) Meîazzo sur la côte septentrionale de
Sicile. sent, ils ne pouvaient éviter l'abor-
dage, laterreur les saisit, et ils pri-
CARTHAGE
rent la fuite après avoir perdu cin- sieurs villes rentrèrent sous leur obéis-
sance. Les Romains furent obligés de
quante vaisseaux. C'est ainsi que les
Romains, qui l'emportaient dans les lever le siège de My tistrate après l'avoir
combats de pied ferme par leur cou- continué pendantsept mois et y avoir
rage, l'exercice et la bonté de leurs perdu beaucoup de monde. Quelque
armes, vainquirent aisément des en- temps après, il s'éleva une dissension
nemis moins bien armés, qui comp- dans l'armée romaine entre les légions
taient beaucoup plus sur la légèreté de et les auxiliaires qui prétendaient oc-
leurs vaisseaux que sur leur valeur per- cuper le premier rang dans les batail-
son el e etsur la vigueur de leurs bras. les. Amilcar, qui était alors à Païenne,
Annibal sentait bien ce qu'il avait à ayant été instruit que, par suite de ces
craindre de ses concitoyens après sa divisions, les auxiliaires campaient sé-
défaite. II se hâta d'envoyer un ami à parément entre Parope et Thermes (*) ,
Carthage avant que la nouvelle de son vint fondre tout à coup sur eux et leur
tua plus de quatre mille hommes; peu
désastre
cette rusey pour eût étééviter
portée, et s'avisadont
le supplice de
s'en fallut même
maine ne fut que toute
détruite. l'arméeaprès
Amilcar, ro-
cette république punissait souvent ses
généraux malheureux. Le messager, cette victoire, reprit encore plusieurs
introduit dans la salle des délibérations villes, les unes de force et les autres
du sénat, informe l'assemblée que le parSixième
composition.
année de la première
consul Duilius est arrivé avec une nom-
breuse flotte, et lui demande si elle guerre punique ; expeditions dans
la sardaigne et dans la corse ,
est d'avis qu'Annibal livre la bataille.
Tous s'étant écriés qu'Annibal devait 259 avant l'ère vulgaire. — Après
saisir au plus tôt l'occasion de combat- sa défaite, Annibal reprit la route de
tre. «Eh bien, » reprit l'envoyé, « il Carthage avec ce qui lui restait de
« l'a fait et il a été vaincu. » Par cet vaisseaux. Quelque temps après il
adroit stratagème, Annibal mit les sé- équipa une nouvelle flotte , choisit pour
nateurs dans l'impossibilité de con- commander ses vaisseaux les capitaines
damner une action qu'ils avaient con- les plus expérimentés, et passa dans la
seillée eux-mêmes. Sardaigne. Les Romains lui opposè-
Cettedeur etvictoire signalée des
redoubla l'ar- rent le consul Cornélius Scipio , a qui
la confiance Romains. était échu le commandement de la
Duilius débarqua en Sicile, reprit le flotte. Ce fut là leur première expédi-
commandement de ses légions, fit lever tion contre la Sardaigne et la Corse.
le siège de Ségeste que les Carthaginois Ces deux îles, si voisines qu'on les
avaient réduite à la dernière extrémité, prendrait pour une seule et même île,
et emporta d'assaut Macella, sans qu' A- sont cependant fort différentes pour
milcar, général des troupes carthagi- la nature du terroir et le caractère des
noises osât se présenter devant lui. habitants. La Sardaigne est grande et
Le consul , après avoir, par ses succès, fertile; elle possède de riches trou-
assuré la tranquillité des villes alliées, peaux, des mines d'or et d'argent, et
voyant produit du blé en si grande abondance
à Rome.l'hiver approcher, s'en retourna
qu'elle en a longtemps fourni à Rome
Les Romains lui rendirent des hon- et à l'Italie. La Corse ne saurait lui
neurs extraordinaires. Il fut le premier être comparée ni pour la grandeur ni
à qui le triomphe naval fut accordé. pour la fertilité; elle est montueuse et
On lui érigea une colonne rostrale âpre, inaccessible et inculte en plu-
avec une inscription qui existe encore sieurs endroits. Les habitants partici-
aujourd'hui. pent de la nature sauvage du terroir,
Dissensions dans l'armée ro- et sont d'un caractère dur et féroce.
maine FAVORARLES AUX CARTHAGI- Jaloux à l'excès de leur indépendance,
NOIS. — L'absence de Duilius rétablit
les affaires des Carthaginois, et plu- (*) Thermœ hymerenses.
40 L'UNIVERS.
Il se présente au consul et lui fait sentir reuse sortie , dans laquelle ils blessèrent
l'imminence du danger. « Il faut te ou tuèrent un grand nombre de Ro-
« hâter, dit-il, si tu veux délivrer ton mains.
Huitième année de là guerre,
« armée , d'envoyer quatre cents hom-
257 avant l'ère vulgaire. — Cette
mes d'élite
«« teur. Notre s'emparer diversion attirera hau-
de cettetoutes
année il ne se passa entre les armées et
« les forces des ennemis ; ils ne s'occu- les flottes romaines et carthaginoises
« peront qu'à la repousser. Sans aucun aucune action remarquable. L'his-
« doute nous y périrons tous ; mais en toire ne rapporte que quelques évé-
« vendant cher notre vie, nous te don- nements peu importants , où les suc-
« nerons le temps de sortir du défilé
« avec tes légions. Il ne te reste plus balancés. et d'autre furent également
cès de part
Neuvième année de la première
« d'autre moyen de salut. » Les prévi- guerre punique; bataille navale
sions du tribun ne furent point trom-
pées. Il se porte sur la hauteur; l'in- d'Ecnome; défaite des Cartha-
fanterie etla cavalerie carthaginoises ginois; 256 AVANT L'ÈRE CHRÉ-
enveloppent de toute part sa faible TIENNE. — Cependant les deux peu-
cohorte ; elle se défend avec un courage ples rivaux, jugeant bien que l'issue
invincible; enfin, après d'incroyables de la guerre serait en faveur de ce-
efforts, accablée par le nombre, elle lui qui resterait maître de la mer,
reste tout entière sur le champ de ba- avaient employé toutes leurs ressour-
taille. Mais la résistance avait été assez ces à des préparatifs immenses. Les
opiniâtre et assez longue pour que le Romains, avec une flotte de trois cent
consul eût le temps de dégager son trente galères, abordèrent à Messine,
et de là se rendirent à Ecnome, où
est touteL'issue
armée. merveilleu d'uneseaction héroïque
et en sirelève en- leurs légions étaient campées. En même
core l'éclat. Calpurnius fut trouvé au temps Amilcar, qui commandait la
milieu des cadavres, criblé de blessu- flotte carthaginoise, composée de trois
res, dont, par un hasard qui tient du cent cinquante vaisseaux de guerre,
miracle, aucune n'était mortelle. Il avait abordé à Lilybée , et s'était en-
parvint à s'en guérir, reçut pour ré- suite porté sur Heraclée, où il obser-
compense lacouronne obsidionale, et vait les mouvements des Romains.
rendit encore de grands services à son Ceux-ci avaient conçu le projet auda-
pays. cieux de passer en Afrique , d'en faire
Délivré du danger, Atilius alla met- le théâtre de la guerre, et de réduire
tre le siège devant Camarine. Avec les par là les Carthaginois à combattre
machines de guerre que lui fournit non pour la possession de la Sicile,
Hiéron, il renversa les remparts, s'em- mais pour celle de leur territoire et le
para de la ville, et vendit comme es- salut de leur patrie. Les Carthaginois,
claves la plus grande partie des habi- au contraire, sachant par expérience
tants.Enna, Sittana,Camicum, Erbesse combien l'accès et la conquête de l'A-
et plusieurs autres vilies de la province frique étaient faciles, ne craignaient
carthaginoise tombèrent en son pou- rien tant que cette invasion , et avaient
voir. Enhardi par ces succès, il s'em- résolu , pour l'empêcher, de tenter le
barqua pour aller attaquer Lipari , où sort d'une bataille navale.
il croyait avoir un parti parmi les ha- Les Romains firent leurs disposi-
bitants. Mais Amilcar, ayant pénétré tions pour accepter le combat, si on le
ses desseins , était entré secrètement leur présentait, ou pour faire une ir-
dans la ville, où il épiait l'occasion de ruption dans le pays ennemi, si on n'y
le surprendre. En effet, le consul qui mettait pas obstacle. Us embarquèrent
croyait Amilcar bien éloigné s'avançait l'élite de leur armée de terre, et divi-
sous les murs sèrent toute la flotte en quatre esca-
hardiesse que dede prudence,Lipari avec plus' les
lorsque de dres, distribuant également les légions
Carthaginois firent sur lui une vigou- dans les trois premières, et réunissant
42 L'UNIVERS.
de terre des Carthaginois. Mais il s'ac- les Carthaginois les forcèrent de re-
corde avec Polybe sur l'évacuation de noncer au siège de cette ville. Loin de
Clypéa par les Romains. Eutrope en se laisser décourager par cette tenta-
donne pour motif le défaut de subsis- tive infructueuse, ils allèrent mettre
tances.
le siège devant Palerme (*) , capitale de
Une navigation favorable avait ame- toutes les possessions carthaginoises en
né la flotte romaine jusqu'en Sicile. Sicile. Us s'emparèrent du port , et les
Les pilotes avaient conseillé de retour- habitants ayant refusé de se rendre,
ner de suite en Italie pour éviter la ils travaillèrent à environner la ville de
saison des tempêtes qui approchait. fossés et de retranchements. Comme
Mais les consuls, méprisant leurs avis, le pays était couvert d'arbres jusqu'aux
s'obstinèrent à vouloir reprendre quel- portes de la ville, les palissades, les
ques villes maritimes qui tenaient en- agger et les machines avancèrent rapi-
core pour les Carthaginois. Cette im- dement. Uspoussèrent vigoureusement
prudence fut la cause d'un désastre leurs attaques, et renversèrent avec le
épouvantable. Ils furent assaillis tout bélier une tour située sur le bord de
h coup d'une si violente tempête, que la mer. Les soldats montèrent à l'as-
sur trois cent soixante-quatre vais- saut par la brèche, et après avoir fait
seaux ,ils purent à peine en sauver un grand carnage, s'emparèrent de
quatre-vingts. cette partie deVille. la plac$
la Nouvelle Les qu'on appelait
habitants de
L'activité des Carthaginois sut met-
tre àprofit cette faveur de la fortune. la Vieille Ville, manquant de vivres,
Ils envoyèrent une armée en Sicile, offrirent de se rendre, à condition
formèrent le siège d'Agrigente , pri- qu'on leur laisserait la vie et la liberté.
rent en peu de jours cette ville, qui Les consuls n'acceptèrent point cette
ne reçut point de secours , et la rui- proposition, mais fixèrent leur rançon
nèrent entièrement. Il paraissait pro- a deux mines par tête (**). Il y en eut
bable que toutes les autres places des dix mille qui se rachetèrent à ce prix ;
Romains auraient le même sort et se- tous les autres , au nombre de treize
raient obligées de se rendre aux Cartha- mille, dufurent
ginois; mais la nouvelle du puissant reste butin.vendus à l'encan avec le
armement que l'on préparait à Rome La prise de cette ville fut suivie de
donna du courage aux alliés, et les la reddition de plusieurs autres pla-
engagea à tenir ferme contre les enne- ces (***), dont les habitants chassèrent
mis. En effet , dans l'espace de trois la garnison carthaginoise et embrassè-
mois , deux cent vingt galères furent rent le parti des Romains.
mises en état de faire voile. Les consuls laissèrent une garnison
Onzième année de la guerre; dans Palerme et retournèrent à Rome.
tentative inutile des romains Pendant leur traversée, les Cartha-
sur Drépane ; prise de Cepha- ginois leur dressèrent une embuscade
lœdium et de palerme ; 254 avant et leur enlevèrent quelques vaisseaux
l'ère vulgaire. — Les deux nou- chargés d'argent et de butin.
veaux consuls , Cnéius Cornélius Scipio Douzième , treizième et quator-
Asina et Aulus Atilius Calatinus , char- zième ANNÉES DE LAPREMIÈRE GUER-
gés du commandement delà flotte, se RE PUNIQUE , 253 A 250 AVANT L'ÈRE
rendirent d'abord à Messine, où ils chrétienne. — L'année suivante, les
recueillirent les bâtiments qui avaient consuls C. Servilius Cœpio et Caius
échappédente.auDelà,naufrage Sempronius Rlœsus passèrent en Afri-
avec troisdecents
l'année précé-
vaisseaux
de guerre, ils abordèrent à Cephalœ- (*) Anciennement Panormus.
dium, qui leur fut livrée par la trahi- (**) i8-2 fr. o,5 c. La rançon des dix mille
son de quelques habitants. Us essayè- fut donc de 1,829,500 fr.
rent ensuite de s'emparer de Drépane; (***) Jétine , Petrinum , Solunte , Tynda-
mais les secours qu'y introduisirent ris, etc.
49
CARTHAGE.
que avec toute leur flotte. Ils se bornè- forces qu'ils avaient en Sicile. Mais
rent àlonger la côte et à faire de ternes comme leur trésor était épuisé par les
à autre des descentes , dont le seul ré- dépenses énormes d'une si longue
sultat fut le pillage de quelques cam- guerre, ils envoyèrent une ambassade
pagnes tant
, les Carthaginois avaient à Ptolémée
bien pourvu alors à la garde et à la pour le prierPhila'delphe, roi deux
de leur prêter d'Egypte,
mille
sûreté de leur pays. Ils retournèrent talents (*). Celui-ci, qui était allié des
à Rome , en côtoyant les côtes de la deux peuples , après avoir vainement
Sicile et celles de l'Italie. Mais au mo- interposé sa médiation pour les récon-
ment où ils doublaient le cap Palinure, cilier refusa
, le prêt sollicité par les
ii s'éleva une furieuse tempête qui Carthaginois , en disant qu'il ne conve-
submergea cent cinquante vaisseaux nait pas à un ami de fournir des se-
de guerre et un grand nombre de bâ- cours contre ses amis.
timents de charge. Quelle que fût la Alors les Carthaginois épuisèrent
constance des Romains, tant de dé- toutes leurs ressources , et expédièrent
sastres consécutifs abattirent leur cou- en Sicile Asdrubal avec deux cents
vaisseaux, cent quarante éléphants et
rage. Ils renoncèrent à disputer l'em-
pire de la mer, que les vents et les flots vingt mille hommes, tant d'infanterie
semblaient leur refuser. Ils mirent que de cavalerie. Ce général employa
désormais tout leur espoir dans leurs toute l'année suivante à exercer ses
légions, et se bornèrent à équiper troupes et ses éléphants, et les armées
soixante vaisseaux pour transporter en romaines ne firent dans cette campa-
Sicile les vivres et les munitions né- gne aucune action qui mérite d'être
ces aires leurs
à armées.
rapportée.
Quinzième année de la première
Ce découragement des Romains re-
leva la confiance des Carthaginois. Ja- guerre punique ; les carthaginois
mais depuis
, le commencement de la sont eattus par les romains sous
les murs de palerme ; 250 avant
guerre , l'état de leurs affaires n'avait
été plus florissant. Les Romains les l'ère yulgaire. — Le sénat romain,
avaient laissés maîtres de la mer , et voyant s'augmenter de jour en jour
ils commençaient à concevoir une le découragement des légions qui fai-
meilleure opinion de leurs troupes de saient laguerre en Sicile , revint sur
terre. En effet, les Romains , depuis sa première résolution , et se décida
la défaite de Régulus , qui avait été à tenter de nouveau sur mer la fortune
des armes. Les nouveaux consuls
décidée surtout par les éléphants , s'é-
taient fait de ces animaux belliqueux Caius Atilius Régulus et Lucius Man-
une idée si terrible , que pendant les lius Vulso furent chargés de préparer
deux années suivantes, où ils campèrent et
souvent dans les campagnes de Lilybée uned'équiper
nouvelle avec le plus
flotte. Luciusgrand soin
Cœcilius
et de Sélinunte, à cinq ou six stades de Metellus , l'un des consuls de l'année
l'ennemi , ils n'osèrent ni accepter le précédente , fut continué dans le com-
combat , ni descendre dans la plaine. mandement del'armée de Sicile avec le
Privés de cette confiance qui leur fai- titre de proconsul.
sait ordinairement chercher la bataille Asdrubal avait remarqué que , pen-
avec joie, ils se retranchaient soigneu- dant les précédentes campagnes, les
sement sur des montagnes escarpées et Romains avaient tacitement fait l'aveu
dans des positions inaccessibles. Aussi de leur crainte en évitant toujours les
toutes leurs opérations, pendant ces occasions de combattre en bataille
deux années de la guerre , se bornè- rangée. Instruiten que l'unavec
des laconsuls
rent-elles aux sièges presque insigni- était retourné Italie moitié
fiants de Thermes et de Lipari. des troupes , que Metellus était resté
Cependant les Carthaginois, jugeant seul en Sicile avec l'autre moitié; pressé
l'occasion favorable pour reprendre
l'offensive , résolurent d'augmenter les (*) ii millions.
4* Livraison. (Carthage.)
50 L'UNIVERS.
d'ailleurs par les instances de ses sol- envoyant sans cesse de nouveaux se-
dats, qui brûlaient de marcher à l'en- cours àses vélites qui étaient engagés
nemi il
, résolut de profiter de ces cir- avec l'ennemi. Les conducteurs des
constances favorables pour engager éléphants, piqués d'une noble émula-
une action décisive. Il partit donc de tion et voulant avoir l'honneur de la
Lilybée avec toutes ses forces , et vint victoire, chargent tous à la fois les
camper sur la frontière du territoire premiers rangs des Romains , les ren-
de Palerme. Métellus se trouvait alors versent et les poursuivent hardiment
dans cette ville avec son armée.
jusqu'au bord du fossé. Mais alors, les
Celui-ci, ayant appris pardes espions éléphants , accablés d'une grêle de flè-
carthaginois qu'il avait eu l'adresse de ches qu'on faisait pleuvoir du haut des
surprendre qu'Asdrubals'avançaitdans murs , et des traits que leur lançaient
les vélites rangés en avant du mssé,
le
de dessein
montrerde deluila livrer craintebataille', affecta
pour inspirer entrent en fureur , se tournent contre
à son ennemi une plus aveugle confian- les Carthaginois, écrasent tous ceux
ce ,et se tint soigneusement enfermé qui se trouvent sur leur passage et
dans ses murailles. Cette terreur simu- portent le désordre et la confusion
lée accrut en effet la témérité d' Asdru- dans leurs rangs. Métellus, qui n'at-
bal. Il franchit les défilés, s'avance dans tendait que ce moment , sort avec ses
la plaine , mettant tout à feu et à sang , légions rangées en bon ordre , et tombe
et portede lePalerme. ravage jusqu'aux sur le flanc des ennemis , effrayés et
mêmes Métellus portes
ne lit
déjà plus d'à moitié vaincus. Aussi
encore aucun mouvement dans l'espoir n'eut-il pas de peine à achever leur dé-
d'engager les Carthaginois à franchir faite. On en tua un grand nombre sur
le champ de bataille; on en fit un grand
la rivière d'Orethus , qui coule le long carnage dans la fuite, et, pour sur-
de la ville, et ne laissa même pa-
croît de malheur, un accident , qui au-
nombreraîtredesur les remparts
soldats. qu'un donna
Asdrubal petit rait dû leur être favorable , contribua
dans le piège. Il lit passer la rivière à encore à leur désastre. La flotte car-
son infanterie et à ses éléphants, et, thaginoise ayant paru dans ce moment,
plein de mépris pour les Romains , il tous se précipitèrent au-devant d'elle ,
dressa ses tentes presque sous les murs dans l'espoir d'y trouver leur salut.
de la ville, sans daigner même les Mais, avant de pouvoir atteindre les
protéger parchement.
un Métellus
fosséaussitôt
et par unfitretran- galères, ils furent ou écrasés par les
sortir éléphants, ou tués par les Romains qui
quelques troupes légères pour harceler les poursuivaient, ou submergés dans
les Carthaginois et les engager à mettre les flots. Les Carthaginois perdirent
toutes leurs forces en bataille. Alors, dans cette journée vingt mille soldats,
voyant que son stratagème avait com- et tous leurs éléphants tombèrent au
plètement réussi , il place une partie
de ses vélites , armés de javelots, en pouvoir de l'ennemi.
Métellus , outre l'honneur
toire si mémorable, d'une vic-
eut encore la
avant du fossé et des murs de la ville,
avec ordre de lancer tous leurs traits
gloire d'avoir rendu leur ancienne
contre les éléphants dès qu'ils seraient confiance aux légions romaines qui,
à portée, et, s'ils se trouvaient trop dès ce moment, restèrent maîtresses
pressés, de se jeter dans le fossé pour de la campagne. Asdrubal, après sa
en sortir ensuite et revenir à la charge. défaite, se réfugia à Lilybée. Ce seul
Il fait mettre sous leurs mains, au malheur fit oublier aux Carthaginois
pied des murailles, une grande pro- tous les services que cet habile géné-
vision dejavelots , dispose sur les rem- ral leur avait rendus. Il fut condamné
Îiarts ses archers et ses frondeurs , et pendant son absence,
ui-même, avec ses soldats pesamment vint àCarthage , il fut et, lorsqu'il
arrêté et misre-à
armés , se tient derrière la porte op- mort.
posée àl'aile gauche des Carthaginois, Les Carthaginois envoient Ré-
CARTHAGE.
51
gulus à Rome pour négocier la sa femme, ses enfants, sa patrie. Mais
paix ; son opinion dans le senat ; cette âme ferme et constante sacrifia
SON SUPPLICE ET SA MORT. — Ce nOU- toutes ses affections à l'intérêt de son
veau désastre, joint aux pertes consi- pays , et déclara nettement qu'on ne
dérables que les Carthaginois avaient devait point songer à faire l'échange
éprouvées sur terre et sur mer dans des prisonniers; qu'un tel exemple au-
les dernières campagnes, les engagea à rait des suites funestes pour la répu-
ouvrir des négociations de paix. Ils blique que
; des citoyens qui avaient eu
fiensèrent que par l'entremise de Régu- la lâcheté de livrer leurs armes à l'en-
us, ils pourraient obtenir des condi- nemi étaient indignes de compassion
tions plus favorables ou du moins et incapables de servir utilement leur
l'échange de leurs prisonniers, dont patrie; que pour lui-même, en le per-
quelques-uns appartenaient aux pre- dant, ils ne perdraient que les débris
mières familles de Carthage. On lui d'un corps usé par la vieillesse et par
avait fait prêter serment de revenir la guerre, tandis que les généraux
s'il ne réussissait pas dans sa négocia- carthaginois , qu'on
tion. Ilpartit donc pour Rome avec les changer, étaient tous leur
dans proposait
la vigueur d'é-
de
ambassadeurs des Carthaginois ; mais l'âge, et pouvaient rendre longtemps
lorsqu'il fut arrivé, il ne voulut jamais encore de grands services à leur pays.
entrer dans la ville, quelques instances Les sénateurs admiraient , mais n'o-
que lui fît le sénat, alléguant pour mo- saient accepter cedévouement sublime.
tif de son refus que, suivant les cou- Ils ne se rendirent enfin que sur les vives
tumes de leurs ancêtres , un député des instances de Régulus lui-même, qui,
ennemis ne pouvait point y être intro- par une générosité sans exemple , s'im-
duit, mais qu'on devait lui donner au- molait l'intérêt
à de sa patrie.
dience hors de l'enceinte de Rome. L'échange fut donc refusé ; mais la
Les sénateurs s'étant donc assem- famille, les amis, les concitoyens de
blés hors des murs, Régulus leur dit : Régulus employèrent presque la force
« Les Carthaginois , pères conscrits , pour le retenir. Le grand pontife lui-
nous ont envoyés vers vous ( car moi même assurait qu'il pouvait rester à
aussi , par le droit de la guerre , je suis Rome sans être parjure à son ser-
devenu leur esclave), et nous ont ment. Rien ne put ébranler la géné-
chargés de demander la paix à des reuse obstination de cette âme inflexi-
conditions qui puissent être agréées ble. Ilpartit de Rome pour se rendre
des deux peuples, sinon d'insister au à Carthage, sans se laisser attendrir
moins sur l'échange des prisonniers. » ni par la vive douleur de ses amis, ni
Après avoir prononcé ces mots , il se par les larmes de sa femme et de ses
retirait en silence avec les ambassa- enfants. Cependant il n'ignorait pas
deurs. Les consuls le pressaient vive- quels supplices affreux l'attendaient à
ment d'assister à la délibération; mais son retour; mais il redoutait plus le
il n'y consentit qu'après avoir obtenu parjure
mis. que la cruauté de ses enne-
la permission des Carthaginois, qu'il
regardait comme ses maîtres. En effet, lorsque les Carthaginois
Les propositions de paix furent écar- apprirent que c'était sur l'avis même
tées la
; délibération ne roula que sur de Régulus que l'échange des prison-
l'échange des prisonniers. Invité par
les consuls à donner son avis , il répon- souffrirniersles avaitplus
été refusé, "ils lui firent
affreux tourments. Ils
dit qu'il n'était plus sénateur ni même le tenaient longtemps renfermé dans
citoyen romain depuis qu'il était tombé un noir cachot , d'où , après lui avoir
entre les mains de l'ennemi ; mais il coupé les paupières, ils le faisaient
ne refusa pas d'émettre son opinion sortir tout à coup pour l'exposer au
comme simple particulier. Il n'avait soleil le plus vif et le plus ardent. Ils
qu'un mot à prononcer pour recouvrer, l'enfermèrent ensuite dans un coffre
avec sa liberté, ses biens, ses dignités, hérissé de pointes de fer, où il expira,
4.
62 L'UNIVERS.
miné par la douleur et par les fatigues avaient été renversées ; d'autres mena-
d'une insomnie perpétuelle. çaient ruine, et les assiégeants s'avan-
Siège de Lilybée par les Ro-
mains. — Cependant les consuls par- de la çaient
place.de plus Alors en plusla vers l'intérieur
terreur et la
tirent de Rome avec quatre légions et consternation se répandirent dans la
une flotte de deux cents voiles , dans ville, quoique la garnison fût de dix
le dessein de venger la mort de Régu- mille soldats, sans compter les habi-
lus , et de profiter de la victoire de tants, et qu'Imilcon, leur comman-
Palerme pour chasser entièrement les dant, déployât dans la défense de la
Carthaginois de la Sicile. Après avoir place un courage et une habileté re-
réuni à leur armée toutes les forces marquables. En effet, l'infatigable ac-
qui étaient dans cette province , ils ré- tivité de ce général pourvoyait à tous
solurent défaire le siège de Lilybée, es- les besoins, et déjouait tous" les efforts
pérant qu'après la prise de cette ville, des ennemis. S'ils creusaient une mine,
rien ne pourrait plus s'opposer à leur il en ouvrait une autre pour les traver-
passage en Afrique. Les Carthaginois ser ;s'ils parvenaient à faire une brè-
sentaient, aussi bien que les Romains, che, elle était aussitôt réparée; si une
de quelle importance était cette place, portion du mur s'écroulait, un autre
soit pour la défense de l'Afrique, soit mur s'élevait en arrière pour le rem-
f»our la conquête de la Sicile. Aussi placer. Toujours vigilant et attentif,
es deux peuples employèrent-ils tout toujours présent au milieu du danger,
il ne laissait ni ses soldats en repos ,
ce qu'ils avaient de forces pour l'atta- ni ceux des assiégeants en sûreté, op-
quer et pour la défendre.
Lilybée est située sur le promontoire posant ses ouvrages , ses mines et ses
du même nom qui est tourné du côté armes, aux ouvrages, aux mines et
de l'Afrique. Cette ville , que les Car- aux armes des Romains. Il épiait sans
thaginois avaient fortifiée avec le plus cesse l'occasion de mettre le feu aux
machines des assiégeants, et, pour
grand soin, était entourée d'épaisses y parvenir, le jour, la nuit , à tous les
murailles , d'un fossé profond et de
lagunes salées presque impraticables. instants favorables, il faisait de brus-
C'est à travers ces lagunes que s'ou- ques sorties, et livrait des combats
vrait l'entrée du port, dont l'accès était acharnés, plus meurtriers quelquefois
très-difficile pour ceux qui ne connais- que des batailles rangées.
saient pas parfaitement la rade. Les Pendant qu'Imilcon se défendait si
Romains ayant établi leurs camps sur courageusement , quelques officiers des
deux points opposés de la ville qui se soldats étrangers formèrent entre eux le
rapprochaient de la mer, les joignirent complot de livrer la ville aux Romains ,
espérant entraîner dans leur défection
entre eux par des lignes fortifiées d'un
fossé , d'un mur et d'un retranchement. les troupes qu'ils avaient sous leurs
Ils dirigèrent leurs premières attaques ordres. Le général, dont la vigilance
contre la tour la plus proche qui regar- avait pénétré ce projet de révolte, ne
dait l'Afrique, ajoutant toujours de perd pas un instant. Il rassemble sur
nouveaux ouvrages aux premiers, et le forum tous les mercenaires; il ré-
veille dans leurs âmes les sentiments
s'avançant de plus en plus. Enfin, ils
renversèrent six tours contiguës à celle d'affection et de fidélité qu'ils doivent
dont nous avons parlé, et entreprirent à Carthage et à leur général; il leur
d'abattre les autres avec le bélier. Dans fait payer l'arriéré de leur solde; et
ce but, ils commencèrent à combler, enfin, par ses promesses, par son élo-
quence, illes détermine à punir les
pour y établir leurs machines, le fossé traîtres, et à se dévouer entièrement
qui, selon Diodore, avait soixante
coudées de large et quarante de pro- avec lui à une cause qu'ils ont défendue
fondeur, et ils poussèrent avec une jusque-là avec tant de courage et de
constance inébranlable ce long et pé- Annibal passe a travers là
nible travail. Déjà plusieurs tours gloire.
CARTHAGE 53
FLOTTE ROMAINE POUR INTRODUIRE aux habitants, les réunit tous sur la
du secours dans Lilyeée. — Bien- place publique, et les décida à une
tôt de nouveaux secours que reçurent sortie générale
les assiégés relevèrent encore leur con- victoire infaillibleparet l'espérance d'une
des récompenses
fiance. Les Carthaginois qui , sans avoir dont elle serait suivie.
reçu aucun renseignement certain sur Assuré de leurs bonnes dispositions ,
l'état dantdeles dangers
Lilybée, etprévoyaient il assemble les principaux officiers , il
les besoins cepen-
de la leur assigne les postes qu'ils doivent
ville assiégée, équipèrent une flotte de occuper, leur donne le mot d'ordre,
cinquante vaisseaux, y embarquèrent fixe l'instant de la sortie, et, au point
dix mille soldats, et chargèrent Anni- du jour, il attaque sur plusieurs points
bal, fils d'Amilcar, d'introduire des à la fois les ouvrages des Romains.
troupes à Lilybée, avec de l'argent et Ceux-ci, qui avaient pénétré d'avance
des vivres. Il reçut ordre de partir sans les desseins de l'ennemi, ne furent
délai, et de braver tous les dangers point surpris par cette brusque atta-
pour pénétrer dans la place. Annibal que. Us se portent rapidement sur tous
aborde aux îles Éguses, situées près les points menacés et présentent par-
de Lilybée, et y attend un vent favo- tout une vigoureuse résistance. Les
rable pour y exécuter cette difficile en- deux partis avaient déployé toutes leurs
treprise; car les Romains, dès le com- forces. Vingt mille hommes étaient
mencement du siège, avaient obstrué sortis de la ville; les assiégeants leur
l'entrée du port en y coulant à fond en avaient opposé encore un plus grand
quinze vaisseaux chargés de pierres. nombre. La mêlée devint générale et
Sitôt qu'un vent fort et propice à ses le combat sanglant. L'action était d'au-
desseins s'éleva du côté de la mer, tant plus vive que, de partleuret ordre
d'autre,
Annibal déploya toutes ses voiles, et les soldats, abandonnant de
se dirigea vers Lilybée, tenant sur le bataille, se battaient pêle-mêle et ne
pont de ses galères ses soldats rangés suivaient que leur impétuosité. On eut
en bon ordre et tout prêts à combattre. dit que dans cette multitude immense
La flotte romaine, surprise et comme homme contre homme, rang contre
frappée de stupeur par l'imprévu de rang,
combat s'étaient
singulier.défiés l'un l'autre en
cette manœuvre hardie, craignant
Mais c'était surtout autour des ma-
d'ailleurs
poussât dans que la
le violence
port ou dusurvent~ne
les bas-la chines que les efforts étaient plus vio-
fonds qui bordaient le rivage, ne fit lents et la lutte plus acharnée. Les
aucun mouvement pour s'opposer au Carthaginois dansdéfense,
mains dans la l'attaque, les Ro-
rivalisaient
passage des vaisseaux ennemis. Anni-
bal, sans ralentir sa course, évitant d'audace et d'opiniâtreté. Les uns, pour
avec adresse tous les obstacles, entra repousser les défenseurs des machi-
fièrement dans le port et débarqua ses nes ,les autres , pour ne pas céder le
dix mille soldats, aux cris de joie et terrain , prodiguaient leur vie et tom-
aux applaudissements de toute la ville. baient morts sur la place même où ils
Sortie d'Imilcon; combat san- avaient commencé à combattre. Ce qui
glant AUTOUR DES MACHINES. — Les mettait le comble au tumulte et à l'hor-
Romains ductionn'ayant reur de cette affreuse mêlée, c'était
du secourspu dans
empêcher
la villel'intro-
assié- les soldats qui, armés de torches et
gée, présumèrent qu'Imilcon, après d'étoupes enflammées pour aller met-
avoir reçu un renfort si considérable, tre le feu aux machines, se précipi-
entreprendrait bientôt de détruire taient comme des forcenés au milieu
leurs machines. Us ne se trompèrent des périls et du carnage. Les Romains ,
point dans leurs conjectures. Imilcon, effrayés de tant d'audace , furent plu-
voulant profiter de l'ardeur des nou- sieurs fois sur le point de céder et
velles troupes , et du courage que leur d'abandonner leurs ouvrages. Mais
arrivée avait rendu à la garnison et enfin Imilcon, voyant qu'il avait fait
54 L'UNIVERS.
de grandes pertes sans obtenir aucun son vaisseau. — Cependant à Car-
avantage décisif, fit sonner la retraite. thage on ne recevait aucune nouvelle
Les Romains , satisfaits d'avoir pu con- de ce qui se passait à Lilybée, et per-
server leurs machines, ne songèrent sonne ne s'offrait pour aller s'en ins-
point à le poursuivre. Dès la nuit sui- truire. Annibal, surnommé le Rho-
vante, Annibal , choisissant le moment dien, homme brave et entreprenant,
où les Romains fatigués du combat se fit fort de pénétrer dans la ville
gardaient le port avec moins de vigi- assiégée, d'en examiner avec soin
lance, sortit avec ses vaisseaux et re- la situation , et de venir rendre un
joignit Adherbal à Drépane, ville ma- observé. fidèle
compte de tout ce qu'il aurait
ritime située à cent vingt stades (*) de Les Carthaginois applaudirent
Lilybée. Il emmena avec lui la cavalerie à son zèle et à son dévouement, et ac-
qui , n'étant d'aucun usage dans la ville ceptèrent ses offres , bien qu'ils fussent
assiégée, pouvait être utilement em- persuadés qu'il aurait beaucoup de
ployée ailleurs. En effet, ces cavaliers, peine à accomplir sa promesse; car ils
par leurs incursions continuelles, ren- savaient que les vaisseaux romains
dirent aux assiégeants les chemins dan- étaient à l'ancre devant le port et en
gereux et le transport des convois fermaient presque entièrement l'en-
difficile, exercèrent toutes sortes de trée. Mais Annibal, ayant équipé un
ravages dans les campagnes voisines, vaisseau qui lui appartenait en propre,
et donnèrent beaucoup d'embarras et aborde à l'une des îles qui sont vis-
d'inquiétude aux consuls. Adherbal ne à-vis de Lilybée, et le lendemain, pro-
leur en causait pas moins, du côté de fitant d'un vent favorable, il met a la
la mer, par 8e fréquentes et subites voile vers le milieu du jour, passe à
incursions , tantôt sur les côtes de Si- travers la flotte romaine , et entre dans
le port à la vue des ennemis étonnés
cile, tantôt sur celles de l'Italie. Cette de son audace. Le jour suivant, il se
tactique, suivie avec persévérance,
amena dans le camp des Romains une disposait à retourner à Carthage. Mais
si grande disette, que, réduits pour le consul, pendant la nuit, avait choisi
tout aliment à la chair des animaux, dix de ses vaisseaux les plus légers, et
la plupart furent emportés par la fa- les avait placés aux deux côtés de l'en-
mine ou par les maladies qui en sont trée du port, étendant leurs rames
la suite ordinaire. comme des ailes, pour fondre au pre-
Les consuls, ayant perdu près de mier signal sur le navire carthaginois.
Annibal, fort de son audace et de la
dix mille hommes, décidèrent que l'un légèreté de sa galère, part en plein jour
d'eux retournerait à Rome avec la
moitié des légions, afin que celles qui pour braver l'ennemi. Il passe, avec la
resteraient pour continuer le siège rapidité d'un oiseau, à travers les
eussent moins de difficulté pour se masses presque immobiles des vais-
procurer des vivres. Décidés à conver- seaux romains, et, se jouant de leurs
tir le siège en blocus, ils entreprirent pesantes manœuvres, il revient sur ses
de fermer par une digue l'entrée du pas, voltige sur leurs flancs, quelque-
port de Lilybée; mais la profondeur fois s'arrête pour les provoquer au
des eaux et la violence du courant
combat, et ne s'éloigne enfin qu'après
ayant rendu leurs efforts presque en- avoir longtemps, avec un seul vais-
tièrement inutiles, ils se bornèrent à seau, déjoué les efforts de toute la
en garder l'entrée avec plus de vigi- flotte romaine. L'heureuse issue de
lance qu'auparavant. cette entreprise, qu' Annibal réitéra
Audace d' Annibal le Rhodien; plusieurs fois avec le même succès , fit
IL PÉNÈTRE PLUSIEURS FOIS DANS LE connaître aux Carthaginois les besoins
port de Lilybée ; il est pris avec de Lilybée, et leur donna les moyens
d'y pourvoir. Elle accrut en même
(*) 11,340 toises, environ 4 lieues de 20 temps la confiance des assiégés et abat-
au degré. tit le courage des Romains, honteux
CARTHAGE. 55
de voir leurs projets traversés par la sur eux à l'improviste, en tua dix
témérité insultante d'un seul homme. milie et força les autres à prendre la
fuite.
L'audace présomptueuse du Cartha-
ginois et la réussite constante de ses Quelques temps après , une circons-
tentatives tenaient principalement à la tance imprévue fournit aux assiégés
connaissance approfondie qu'il possé- l'occasion de détruire les ouvrages des
dait des écueils, des bas-fonds et des Romains. Il s'éleva tout à coup un ou-
étroits passages de cette rade dange- ragan impétueux qui ébranla leurs ga-
reuse. Déjà son exemple était imité leries et renversa même les tours des-
par d'autres navigateurs, qui allaient tinées àles protéger. Quelques soldats
a Lilybée et en revenaient impuné- mercenaires jugèrent le moment d'au-
ment, lorsque le hasard lit tomber au tant plus favorable pour les incendier,
pouvoir des Romains une quadrirème que le vent les favorisait en soufflant
carthaginoise, remarquable par l'élé- du côté de la ville. Ils communiquèrent
gance de sa coupe et la légèreté de ses leur idée à Imilcon et s'offrirent pour
mouvements. Les Romains, ayant exécuter l'entreprise. Imilcon approuva
choisi pour son équipage de braves sol- ce projet et fit tous les préparatifs né-
dats et d'excellents rameurs, s'en ser- ces aires. Ilssortent partagés en trois
virent pour observer ceux qui tente- corps , et mettent à la fois le feu aux
raient de pénétrer dans le port, et machines sur trois points différents.
surtout Annibal. Celui-ci, qui était Ces machines , construites depuis long-
entré de nuit dans la ville , en repartait temps et formées d'un bois desséché
en plein jour. Serré de près par la qua- par le soleil et les ardeurs de l'été,
drirème qui suivait tous ses mouve- prirent feu aisément, et la violence de
ments, illa reconnut et ne put se dé- l'ouragan, portant deet tous côtés en-
les
débris des mantelets des tours
fendre d'un sentiment de frayeur. Il
chercha d'abord à lui échapper par la flammées, propagea l'incendie avec
rapidité de sa course; mais gagné de une rapidité effrayante. Les Romains
vitesse , et au moment d'être atteint , accoururent pour défendre leurs ou-
il fut contraint de faire volte-face et vrages mais
; leurs secours étaient di-
d'accepter le combat. Alors , trop faible rigés au hasard et leurs efforts impuis-
pour résister au nombre et à la valeur sants car
; le vent qu'ils avaient en face
des soldats romains, il fut pris avec poussait dans leurs yeux et dans leurs
son vaisseau. Les Romains équipèrent visages des tourbillons de cendre, de
ce navire avec le plus grand soin, et flamme et de fumée, et il en périt un
ils employèrent avec tant de succès ces grand nombre avant qu'ils eussent pu
deux belles galères à la garde du port, même laitapprocher des Carthaginois,
endroits qu'il fal-
secourir. Les au
que personne désormais n'osa plus en- contraire , favorisés par la direction du
trer dans Lilybée.
Nouvelle sortie d'Imilcon; in- vent, et éclairés par le feu qui consu-
cendie des machines. — A partir de mait les machines, lançaient leurs traits
ce moment, les assiégeants redoublè- avec certitude, et manquaient rare-
rent leurs assauts avec une nouvelle
ment le but qu'ils voulaient atteindre.
vigueur, et attaquèrent les fortifica- Enfin, les mantelets, les tortues, les
tions voisines de la mer, pour attirer béliers, les balistes, toutes les machi-
de ce côté toute l'attention et toutes nes destinées soit à creuser des mines ,
les forces de la garnison. Ils espéraient soit à battre les murs, furent entière-
que, à la faveur de cette fausse atta- ment consumées.
que, leurs troupes campées du côté de Dès ce moment, les Romains per-
la terre pourraient s'emparer du mur dirent toute espérance de se rendre
extérieur de la ville. Ce projet réussit maîtres de Lilybée par la force. Ils se
d'abord; mais les Romains n'avaient bornèrent à entourer la ville d'un fossé
pas encore eu le temps de s'établir dans et d'un retranchement. Ils fermèrent
leurs positions , lorsqu'Imilcon tomba leur camp par une forte muraille, et
56 L'UNIVERS.
changeant le siège en blocus , ils atten- une attaque imprévue. Il choisit dans
dirent que la famine forçât la place à toute la flotte deux cents vaisseaux, et
se rendre. Lesfortifications
assiégés, "dequi
leuravaient
côté , y embarqua ses meilleurs rameurs et
relevèrent les les plus braves soldats des légions. Il
été renversées, et se ménagèrent tous sortit du port au milieu de la nuit,
les Seizième
moyensd'une vigoureuse sans être aperçu des assiégés , et la
année de la résistance.
guerre;
tête de sa flotte n'était pas loin de
bataille navale de drepane ; Drépane, quand le jour parut et la
victoire complète des cartha- découvrit aux yeux d'Adherbal. Cette
GINOIS249
; avant l'ère vulgaire. apparition inattendue le surprit sans
le déconcerter. Entre les deux seuls
— Quand on eut appris à Rome qu'une
partie des troupes avait péri à Lilybée, partis qu'il avait à prendre, il fallait
soit dans l'incendieopérations
des machines', soit se déterminer promptement. Le pre-
dans les autres du siège, mier était d'aller au-devant des Ro-
cette fâcheuse nouvelle , loin d'abattre mains etde les combattre sur le champ,
les esprits, sembla renouveler l'ardeur l'autre de les attendre et de se laisser
et le courage des citoyens. Chacun se assiéger. Il rejeta ce dernier parti qui
hâtait de porter son nom pour se faire lui parut à la fois lâche etdangereux.il
enrôler, et bientôt dix mille hommes, rassemble sur le rivage les matelots et
et un renfort considérable de matelots les soldats; il leur fait entendre en
passèrent le détroit, et allèrent par peu de mots , mais pleins de force et
terre se joindre aux assiégeants. d'énergie, ce qu'ils ont à espérer en
Le département de la Sicile était sortant du port pour livrer la bataille
échu au consul Publius Claudius Pul- aux
cher. C'était un homme d'un carac- en seRomains
laissant ,investir.
ce qu'ils ont à craindre
tère dur et violent, entêté de sa no- Tous ayant demandé le combat avec
blesse etde son propre mérite , plein de grands cris de joie, il leur ordonne
de confiance dans ses lumières, de mé- de s'embarquer sur-le-champ et de
pris pour celles des autres ; punissant suivre la galère amirale, qu'il allait
les moindres fautes avec une extrême monter lui-même, sans la perdre de
rigueur, tandis que lui-même, dans les vue. Il gagne le premier la haute mer
affaires les plus importantes, ne mon- et fait filer sa flotte derrière les rochers
trait pas moins d'extravagance que qui bordaient le côté du port opposé
d'incapacité. Ainsi, quoiqu'il eût blâmé à celui par lequel entrait l'ennemi.
avec une aigreur excessive les derniers Claudius voyant , contre son attente ,
généraux d'avoir tenté de fermer l'en- que les Carthaginois étaient sortis ,
trée du port au moyen d'une digue, disposés à lui livrer bataille en pleine
il s'obstina à poursuivre l'exécution mer, envoya ordre à ceux de ses vais-
de ce projet impraticable et échoua
devant les mêmes obstacles. seaux qui"étaient déjà dans le port ou
au moment d'y entrer, de revenir sur
Mais, de toutes les fautes qu'il com- leurs pas pour se joindre au gros de
mit, la plus funeste fui l'attaque de la flotte. L'exécution de cette manœu-
Drépane, où il perdit par son impru- vre fut la cause d'un désordre extrême.
dence et par la valeur d'Adherbal la Parmi les vaisseaux romains, les plus
flotte »a plus brillante que les Romains légers avaient déjà pénétré dans le
eussent mise en mer. Il s'était per- port, d'autres les suivaient de près,
suadé qu'il serait facile de surprendre quelques-uns étaient arrêtés à l'entrée
Adherbal à Drépane; que ce général, même. Il en résulta que, dans cet es-
instruit des pertes que la flotte ro- pace étroit, tous faisant à la fois de
maine avait éprouvées au siège de grands efforts pour revirer de bord ,
Lrlybée, et ignorant le nouveau ren- ils s'embarrassaient mutuellement , se
fort qu'elle avait reçu , ne s'attendrait heurtaient les uns les autres et se bri-
pas à ce qu'elle reprit subitement l'of- saient réciproquement leurs rames.
fensive etne serait pas en garde contre Enfin s'étaat dégagés avec beaucoup
CARTHAGE. 57
de peine , ils se rangèrent en bataille La pesanteur de ses vaisseaux et l'in-
le long de la côte, la proue tournée vers expérience de ses rameurs rendaient
l'ennemi. toutes ses manœuvres infructueu-
Le trouble et la confusion causés ses. Rangés trop près du rivage, ses
par cette manœuvre avaient commencé navires n'avaient ni l'espace néces-
a jeter de l'inquiétude et de la frayeur saire pour leurs évolutions, ni les
dansconsul
du l'armée. Une deaction
acheva irréligieuseet
la déconcerter moyens de faire retraite lorsqu'ils
étaient pressés par l'ennemi : aussi la
de lui faire perdre tout courage et plupart échouèrent sur les bancs de
toute espérance. Les Romains , à cette sable ou allèrent se briser contre les
époque, avaient une confiance supersti- rochers de la côte. Il ne s'en échappa
tieuse dans les présages et dans les que trente qui , étant auprès du consul ,
augures. Au moment où la bataille prirent la fuite avec lui en glissant
était près de s'engager, on vint dire entre le rivage et la flotte victorieuse.
à Claudius que les poulets sacrés ne Tout le reste des vaisseaux , au nombre
voulaient ni sortir de leur cage, ni de quatre-vingt-treize, tomba avec l'é-
prendre de nourriture : « Qu'ils boi- quipage en la puissance des Carthagi-
vent donc, puisqu'ils ne veulent point nois, dont la perte dans cette bataille
manger » , dit Claudius avec un ton fut peu considérable. Du côté des Ro-
d'impiété mains, huit mille hommes furent tués
dans la mer.railleuse, et il les fit jeter ou noyés , vingt mille , tant soldats que
Cependant le consul, qui, aupara- matelots, furent pris et conduits à
vant, était placé à l'arrière- garde, Carthage. Claudius , pour regagner plus
se trouva , par le mouvement qui venait sûrement Lilybée, en longeant les
de s'opérer, à la tête de l'aile gauche côtes qui étaient au pouvoir des Car-
et à l'extrémité de la ligne. En même thaginois, orna ses galères de palmes,
temps, Adherbal, ayant gagné la haute de lauriers, de tous les signes de la
mer et tourné la flotte romaine, rangea victoire, et, par ce stratagème, il
ses galères sur une même ligne vis-à- réussit, même en fuyant, à inspirer la
terreur.
vis de celles des Romains qui s'éten-
daient le long du rivage. Au signal Ce brillant succès, qui était dû tout
donné par les amiraux, le combat s'en- entier à la prévoyance et à l'habileté
gagea, et fut d'abord soutenu de part d'Adherbal , lui valut de grands hon-
et d'autre avec la même ardeur et un neurs àCarthage. A Rome, au con-
succès à peu près égal. Mais bientôt traire, on punit par une forte amende
la balance pencha en faveur des Cartha- l'incapacité et l'impiété arrogante de
ginois qui, dans cette bataille, avaient Claudius, qui avaient été si funestes à
sur les Romains plusieurs avantages. la république.
Leurs vaisseaux étaient beaucoup plus Cependant Adherbal profita de sa
légers, leurs rameurs plus habiles et victoire pour enlever aux Romains,
plus expérimentés. Ils avaient habile- près de Palerme, un grand nombre de
ment choisi leur position en mettant barques chargées de vivres ; il parvint
la pleine mer derrière eux. En effet , à les introduire dans Lilybée, et ra-
s'ils étaient trop pressés, ils pouvaient mena ainsi l'abondance dans la ville
reculer sans aucun risque et éluder assiégée.
Cabthalon amène de Carthage
l'attaque de l'ennemi par l'agilité de
leurs vaisseaux. Les Romains se lais- un renfort de soixante-dix vais-
saient-ils emporter trop loin par l'ar- seaux; il surprend la flotte ro-
deur de la poursuite, ils se retour- MAINE devant Lilybée. — La lin de
naient tout à coup, les enveloppaient de cette année amena encore aux Romains
de nouveaux désastres. Ils avaient
toutes
les flancs parts de ,leursbrisaientnaviresavecet l'éperon
les cou-
chargésuls, Lucius
de conduireJunius, l'un des
à Lilybée desvivres
con-
laient fond.
à Claudius, au contraire,
avait toutes les difficultés à vaincre.
et des munitions pour l'armée qui as-
58 L'UNIVERS.
siégeait cette ville. Junius vint aborder ses éclaireurs qu'une armée navale
à Messine, où il trouva une infinité de composée de bâtiments de toute espèce
bâtiments dedetoute espèce se dirigeait vers Lilybée, il saisit l'oc-
rassemblés toutes les qui s'y étaient
parties de la casion avec joie, et, plein de mépris
Sicile. Il en composa une flotte de cent pour les Romains qu'il avait déjà vain-
vingt vaisseaux de guerre et de huit cus, ils'avance à leur rencontre pour
cents navires de transport, avec la- leur livrer bataille. L'escadre com-
quelle ilse rendit à Syracuse. Dès mandée par les questeurs, se jugeant
trop faible pour soutenir le combat,
qu'il yteurs avec
, arrivé,
fut il fitdespartir
la moitié les ques-
vaisseaux de alla aborder à une petite ville alliée,
charge et quelques galères, pour sub- nommée Phintias, qui à la vérité n'a
venir aux besoins pressants des trou- pas de port, mais où des promontoires
pes qui bloquaient Lilybée. Il attendit avancés dans la mer forment, pour les
lui-même à Syracuse les bâtiments vaisseaux, un abri commode et une
qui , partis de Messine avec lui , étaient rade facile à défendre. Us y débarquè-
restés en arrière, et l'arrivée des con- rent, et, après y avoir disposé tout ce
vois de vivres que ses alliés lui en- que la ville put leur fournir de cata-
voyaient des provinces éloignées de la pultes etde balistes, ils y attendirent
mer.
l'attaque des Carthaginois. Ceux-ci
Cependant Adherbal , enhardi par ses pensèrent d'abord que les Romains
premiers succès et par un renfort de effrayés se retireraient dans la ville et
soixante-dix vaisseaux que Carthalon leur abandonneraient leurs vaisseaux.
venait de lui amener de Carthage, ré- Mais trouvant, contre leur attente,
solut de frapper un coup décisif. Il une vigoureuse résistance , et se voyant
confie cent galères à Carthalon, il lui exposés dans cette position difficile à
ordonne de cingler vers Lilybée, et, des périls multipliés, ils se contentè-
par uneoubrusque rent d'emmener quelques vaisseaux de
brûler de coulerattaque, à fond d'enlever, de
les vaisseaux charge qu'ils avaient pris, et se reti-
romains qui étaient à l'ancre devant le rèrent dans le fleuve Halycus pour ob-
port. Carthalon part aussitôt pour server ledépart de la flotte romaine.
exécuter cet ordre. Il arrive avant le Vers le même temps le consul Ju-
jour à Lilybée, fond avec impétuosité nius, après avoir terminé les affaires
sur la flotte romaine, enlève quelques qui le retenaient à Syracuse, doubla le
vaisseaux, en brûle quelques autres, promontoire Pachynum et cingla vers
et répand le trouble et la terreur dans Lilybée, ignorant encore ce quià s'était
le camp des assiégeants: Ceux-ci ac- passé à Phintias. Carthalon, cette
courent àla hâte pour défendre leurs nouvelle, mit sur-le-champ à la voile,
galères; mais Imilcon, gouverneur de dans le dessein de livrer bataille au
la ville assiégée, averti par le tumulte consul avant qu'il eût rejoint la divi-
et les cris des combattants, fait une sion de sa flotte commandée par les
sortie à la tête de ses mercenaires et questeurs. Junius reconnut de loin la
tombe sur les derrières des Romains, flotte nombreuse des Carthaginois;
dont le désordre s'accroît par cette mais trop faible pour soutenir un com-
double attaque. bat, et trop proche de l'ennemi pour
Manoeuvres de Carthalon de- échapper à sa poursuite, il prit le parti
vant LES FLOTTES ROMAINES; NAU- d'aller jeter l'ancre près de Camarine,
FRAGE ET DESTRUCTION ENTIÈRE DE dans une rade entourée de rochers es-
ces deux flottes. — L'approche de carpés etpresque entièrement inabor-
la nouvelle flotte romaine empêcha dable, aimant mieux s'exposer à périr
Carthalon de pousser plus loin ses au milieu des écueils que de tomber
avantages. Il alla se poster à Héraclée avec toute sa flotte au pouvoir des en-
pour observer l'arrivée des questeurs nemis. Carthalon se garda bien de
et leur couper la communication avec donner bataille aux Romains dans des
l'armée de siège. Bientôt, instruit par lieux si difficiles ; il alla mouiller auprès
CARTHAGE.
raison de tous les temples de la Sicile. 59
d'un promontoire , d'où il était à portée
d'observer en même temps les deux Un peu au-dessous du sommet s'éle-
flottes ennemies et de prendre sur elles vait la ville d'Éryx, où l'on ne montait
tous ses avantages. que par un chemin très-long et très-
difficile. Junius avait placé une partie
Bientôt après, avec
rent à souffler les vents commencè-
violence, et les de ses troupes sur le plateau, gardant
pilotes carthaginois , accoutumés à na- avec le plus grand soin les points de la
viguer sur ces mers, conseillèrent à montagne accessibles du côté de Dré-
Carthalon de quitter sa station et de pane; ilfortifia même Égithalle, place
doubler sans délai le promontoire de située sur la mer au pied du mont
Pachynum. Carthalon suivit ce conseil , Éryx, et y laissa huit cents hommes
et parvint , après de grands efforts , à de garnison. Il croyait, par ces dispo-
mettre sa flotte en sûreté. Mais celles sitions, avoir bien assuré sa conquête;
des Romains , surprises l'une et l'autre mais Carthalon, ayant débarqué pen-
par la tempête, au milieu des rochers dant la nuit ses troupes près d'Égi-
et des bas-fonds, éprouvèrent un nau- thalle, emporta cette place d'assaut,
frage siaffreux, que de tant de vais- tua ou prit ceux qui la défendaient, à
seaux ilne se sauva que deux galères, l'exception de quelques-uns qui se ré-
avec lesquelles le consul Junius se ren- fugièrent dans la ville d'Éryx.
dit àLilybée. Dix-septième, dix-huitième, dix-
Junius s'empare par trahison neuvième ET VINGTIÈME ANNEE DE
de la montagne et de la ville la guerre, de 248 a 244 avant
d'Éryx. — Ce dernier désastre acheva l'ère chrétienne ; Amilcar occupe
d'abattre les Romains déjà découragés la forte position d'Ercte. — C'est
et affaiblis par les pertes précédentes. cette année que commence à paraître
Ils renoncèrent de nouveau à disputer sur la scène l'un des plus grands hom-
l'empire de la leursmer aux Carthaginois, mes gc guerre que Carthage ait pro-
et tournèrent efforts du côté de duits. Amilcar, surnommé Barca , père
la terre, résolus d'employer toutes du fameux Annibal, reçoit le com-
leurs ressources pour maintenir la su- mandement général des armées de terre
et de mer en Sicile. Il part avec toute
Ainsi , loin périorité qu'ils y avaient
de renoncer au siègeacquise.
, ils en sa flotte, va porter le ravage sur les
poussèrent les opérations avec une côtes d'Italie, et revient, chargé de
nouvelle vigueur. L'armée ne manquait butin, aborder près de Païenne. Là,
ni de munitions ni de vivres, qui lui son coup d'œil habile lui fit reconnaître
étaient apportés par les peuples de Si- dans Ercté une position admirable
cile, dont la plupart s'étaient ou
soumis pour y retrancher son armée et braver
volontairement aux Romains leur
pendant longtemps les efforts de l'en-
étaient unis par des traités d'alliance. nemi. Ercté est une montagne d'une
Cependant le consul Junius, qui assez grande hauteur, située sur le
était resté à Lilybée, poursuivi par le bord de la mer, entre Éryx et Palerme,
souvenir de ses fautes et de son nau- escarpée de tous les côtés et couronnée
frage, cherchait à les faire oublier par par un plateau de cent stades de cir-
quelque action d'éclat. Il se ménagea conférence (*).Ce plateau est très-fer-
des intelligences secrètes dans Éryx> tile et produit d'abondantes moissons
et se lit livrer la ville et le temple de de toutes sortes de grains. Du côté de
Vénus. L'Éryx , la plus haute montagne la terre et du côté de la mer, les flancs
de la Sicile après l'Etna, est située de la montagne sont presque entière-
près de la mer, entre Drépane et Pa- ment revêtus de rochers à pic, inter-
ïenne, mais bien plus rapprochée de rompus seulement par quelques ravins
Drépane. Au sommet de la montagne faciles à fortifier. Au milieu du pla-
est un vaste plateau sur lequel on avait teau ,s'élève une éminence aue la na-
bâti le temple de Yénus Érycine, le
plus beau et le plus riche sans compa- (*) Environ 9,5oo toises.
60 L'UNIVERS.
ture semble avoir formée à la fois pour poste important à la sûreté de la ville
servir de citadelle et pour observer assiégée. Le consul s'en aperçut trop
tout ce qui se passe dans les campagnes
voisines. Le pied de cette montagne, tard, et, ne pouvant aller au'secours
des
avec siens,
toutesil ses donna l'assaut
forces, à Drépane
espérant, par
où l'on trouve une grande abondance
d'eau douce, s'étend jusqu'à un port cette diversion, ou prendre la ville en
très-commode pour ceux qui, de Dré- l'absence de son commandant, ou for-
pane ou de Lilybée, font voile vers cer ce dernier à revenir sur ses pas.
l'Italie. On n'arrive au sommet du Il obtint l'un de ces avantages. Amil-
mont que par trois chemins, deux du car étant retourné dans la ville pour
côté de la terre et un du côté de la repousser les assaillants, Fabius resta
mer, mais tous également pénibles et maître de l'île, qu'il joignit au conti-
difficiles. C'est dans ce poste qu'Amil- nent par une digue, et dont il se servit
car eut l'audace de s'établir. Il se pla- utilement dans la suite pour y établir
çait au milieu ses machines et presser plus vivement
vironné de tousd'un paysparennemi
côtés , en-
les armes les assiégés.
romaines, loin de ses alliés, loin de Amtlcar se maintient pendant
toute espèce de secours, et cependant, trois ans a ercté contre tous les
par l'avantage de cette position, par efforts des Romains. — Cependant
son courage et son expérience dans le Amilcar conservait toujours sa forte
métier de la guerre, il sut créer aux position d'Ercté. Sans cesse, avec sa
Romains obstacles sur obstacles, et flotte, il infestait les côtes de la Sicile
les jeter dans des périls et des alarmes et de l'Italie, et même lorsque les Ro-
continuelles. mains commandés par Métellus se fu-
Succès d'Hannon en Afrique. — rent établis en avant de Palerme, à
Pendant qu'Amilcar rétablissait en Si- cinq stades de ses retranchements, il
cile l'honneur des armes puniques, sut encore déjouer leurs manœuvres et
Hannon, son rival de gloire, étendait se maintenir pendant trois ans dans
en Afrique la domination de Carthage. cette position formidable.
Ce général, pour exercer ses soldats Pendant ce long espace de temps il
et les nourrir aux dépens de l'ennemi, ne se passa presque point de jour qu'il
avait porté la guerre dans cette partie n'en vînt aux mains avec l'ennemi.
de la Libye qui est aux environs d'Hé- C'étaient des deux côtés des embûches ,
catompyle. Il s'était emparé de cette des surprises habilement préparées,
grande ville; mais jaloux de relever plus habilement déjouées, des attaques
par la clémence l'éclat de sa victoire, imprévues, des retraites simulées, en
il se laissa attendrir par les prières des un mot, des combats de détail si fré-
habitants, se conduisit à leur égard en queuts, si semblables entre eux, que
vainqueur généreux, leur laissa leurs leur description a rebuté même la mi-
biens et leur liberté, et se contenta nutieuse exactitude de Polybe. « Une
d'exiger trois mille otages pour garants « idée générale de cette lutte, où les
de leur fidélité. «succès furent également balancés,
Siège de Drépane par le consul «suffira, dit-il, pour faire juger de
Fabius. — Vers le même temps le con- « l'habileté des deux généraux. En
sul Fabius faisait le siège de Drépane. « effet, tous les stratagèmes que l'ex-
Au midi de cette ville et tout près du « périence peut apprendre, toutes les
rivage est une île ou plutôt un rocher, « inventions que peuvent suggérer l'oc-
« casion et la nécessité pressante,
que les Grecs appelaient
lombes. Le consul y envoyal'île des Co-la
pendant « toutes les manœuvres qui exigent Je
nuit quelques soldats qui s'en emparè- « secours de l'audace et de la témérité,
rent après avoir égorgé la garnison « furent employés de part et d'autre
carthaginoise. Amilcar, qui était ac- « sans amener de résultat important.
couru ala défense de Drépane, sortit « Les forces des deux armées étaient
au point du jour pour reprendre ce « égales ; les deux camps bien fortifiés
Gl
CARTHAGE.
était-il prononcé, l'imprudent qui avait à lui envoyer des secours. A son insti-
osé se présenter, frappé de mille coups gation presque tous les peuples afri-
à la fois, succombait sans avoir pu ni cains se révoltèrent contre la domina-
échapper, ni se défendre. Ces vio- tion des Carthaginois , et lui fournirent
lences ayant écarté tous les concur- des vivres et des renforts. Alors , ayant
rentsMathos
, et Spendius furent choi- partagé leurs troupes en deux corps ,
Mathos et Spendius allèrent mettre le
sis pour commander
Violation du droit l'armée.des gens
siège devant Utique et Hippone , qui
envers glscon et ses compa- avaient refusé de prendre part à leur
rébellion.
GNONS; SIEGE d'UtIQUE ET d'IÏIP- Position critique des Cartha-
PONE; 239 ANS AVANT L'ÈRE VUL-
GAIRE. — Au milieu de ce tumulte ginois. — Jamais Carthage ne s'était
affreux, Giscon restait inaccessible à vue dans un si grand danger. Jusqu'a-
la crainte. Décidé à se sacrifier aux in- lors les revenus des propriétés parti-
térêts de sa patrie , et prévoyant même culières avaient fourni à l'existence des
que si la rage de ces forcenés se dé- familles; les tributs que payait l'Afri-
que avaient alimenté le trésor public ,
chaînait contre Carthage, l'existence
même de la république était menacée, et les troupes étrangères avaient tou-
il accomplissait sa mission avec une jours composé l'élite de ses armées.
Toutes ces ressources non-seulement
constance inébranlable. S'exposant à
lui manquaient à la fois , mais se tour-
tous les périls , tantôt il s'adressait aux
chefs , tantôt il rassemblait tour à tour naient contre elle et s'unissaient pour
l'accabler. La consternation et le dés-
les soldats de chaque
çait de calmer nation
leurs , et s'effor-
ressentiments. espoir s'augmentaient encore par l'im-
Mais les Africains , qui n'avaient pas prévu d'un tel événement. Lorsque,
épuisés par les longs efforts que leur
encore reçu l'arriéré de leur solde, avait causés la guerre de Sicile, ils
vinrent en demander le payement.
Comme ils l'exigeaient avec hauteur avaient enfin obtenu la paix , ils s'é-
et avec insolence, Giscon, dans un taient flattés de pouvoir respirer un
mouvement de colère, leur répondit moment,
affaires lesetannées d'employer à rétablir
de calme et de leurs
tran-
qu'ils n'avaient qu'à s'adresser à Ma-
thos, leur général. Cette réponse les quillité dont ils se croyaient assurés ;
transporta d'une telle fureur, qu'ils se et voilà qu'il surgissait tout à coup
une nouvelle guerre plus terrible et
jetèrent à l'instant sur l'argent préparé
pour le payement de leur solde, et plus dangereuse encore que la pre-
qu'ils arrachèrent de leur tente Giscon mière. Auparavant ils n'avaient à com-
et les Carthaginois qui l'avaient accom- battre qu'une nation étrangère; il ne
pagné. Mathos et Spendius, persuadés s'agissait que de la possession de la
qu'un attentat public au droit des gens Sicile : maintenant c'était une guerre
civile où leur patrimoine, leur salut,
était un moyen sûr d'allumer la guerre ,
irritaient l'existence même de Carthage étaient
multitude encore l'exaspération
turbulente. de cette
Ils livrent au en péril. Ils se trouvaient sans armes,
sans troupes ni de terre, ni de mer,
pillage l'argent et les bagages des Car-
thaginoischargent
, de fers Giscon et sans approvisionnements pour soute-
ses compagnons, et les jettent dans un nir un siège, sans argent dans le tré-
cachot, après les avoir abreuvés d'ou- sor public , et , ce qui mettait le comble
à leurs malheurs , sans aucune espé-
causes tragesetetd'ignominies. Tels furent
les commencements de les
la rance de secours étrangers de la part
de leurs amis ou de leurs alliés.
guerre contre les mercenaires , qu'on
Du reste, ils ne pouvaient attribuer
a appelée aussi guerre d'Afrique.
Mathos , après cet attentat , envoya ces malheurs qu'à leur conduite passée.
Us avaient traité avec une extrême du-
des députés à toutes les villes d'Afri-
reté les peuples africains pendant le
que pour l'es exhorter à recouvrer leur
liberté, à entrer dans son alliance, et cours de la guerre précédente. Prétex-
CARTHAGE.
69
tant les dépenses qu'elle occasionnait , que jour par de nouveaux renforts,
ils avaient exigé des propriétaires ru- s'élevait déjà à soixante-dix mille hom-
raux la moitié de leurs revenus, et mes , pressaient , sans être inquiétés
des habitants des villes le double de par l'ennemi, le siège d'Utique et
l'impôt qu'ils supportaient auparavant, d'Hippone. En même temps ils forti-
sans accorder aucune grâce ni aucune fiaient avec le plus grand soin leur
remise aux plus pauvres et aux plus camp retranché près de Tunis, et cou-
misérables. Entre les gouverneurs des paient ainsi aux Carthaginois toute
communication avec le continent de
provinces,
les administraient ce n'étaient point ceux
avec douceur qui
et avec l'Afrique. En effet , Carthage est située
humanité auxquels ils prodiguaient sur une péninsule, bordée d'un côté
leur estime, mais ceux qui faisaient par la mer, de l'autre par le lac de
entrer de plus grosses sommes dans le Tunis. L'isthme qui la joint à l'Afrique
trésor public, et auprès desquels, les est large d'environ vingt-cinq stades.
contribuables trouvaient le moins d'ac- Utique et Tunis sont bâties l'une à
cès et d'indulgence. Hannon était du l'ouest , l'autre à l'est de Carthage , et
nombre de ces derniers. Des peuples toutes deux à une petite distance de
ainsi maltraités n'avaient pas besoin cette ville. De ces deux points les mer-
d'instigations pour les pousser à la ré- cenaires harcelaient sans cesse les Car-
volte ;c'était assez qu'on annonçât un thaginois. Le jour, la nuit, à chaque
instant , ils poussaient leurs excursions
soulèvement pour qu'ils fussent' prêts
àavaient
s'y joindre. eu souvent Les femmes mêmes
la douleur qui
de voir jusqu'audaient lepied
trouble des murailles , et répan-
et la consternation
traîner en prison par les collecteurs parmi les habitants.
des impôts leurs maris et leurs pères, Hannon était habile et actif dans
montrèrent pour leurs vengeurs un l'organisation et dans l'administration
dévouement unanime. Elles se dépouil- d'une armée; mais, en présence de
lèrent avec empressement de leurs bi- l'ennemi , c'était un homme tout diffé-
joux et de leurs parures, et en consa- rent. Alors il ne montrait ni sagacité
crèrent leproduit aux frais de la guerre; pour faire naître les occasions , ni éner-
de sorte que Mathos et Spendius, gie pour en profiter, ni vigilance pour
après avoir payé aux soldats ce qu'ils se garantir des surprises. Ce général
leur avaient promis pour les engager s'était avancé au secours d'Utique. Il
à la révolte , se trouvèrent encore en remporta d'abord un avantage qui au-
état de fournir abondamment à toutes rait pu devenir décisif, mais dont il
les dépenses de l'armée. profita si mal , qu'il aurait pu causer la
Hannon, nommé général des perte de ceux mêmesamené qu'il plus
était venu se-
Carthaginois, éprouve, par sa courir. Il avait de cent
faute, un échec consideraele a éléphants, et, s'étant abondamment
Utique. — Cependant les Carthagi- pourvu de catapultes , de balistes , et de
nois ,au milieu de la détresse qui les toutes sortes de traits qu'il trouva dans
accablait, trouvèrent encore des res- Utique, il plaça son camp en avant de
sources dans leur énergie. Ils nom- la ville, et entreprit d'attaquerLesles élé-
re-
ment pour général Hannon , le même tranchements des ennemis.
qui , quelques années auparavant, avait phantspoussés
, avec impétuosité , ren-
soumis Hécatompyle. Ils font venir de versent tous les obstacles. Les mer-
tous côtés des soldats mercenaires; ils cenaires, ne pouvant soutenir leur
enrôlent dans l'infanterie et dans la choc, prennent la fuite et abandon-
cavalerie; ils exercent aux manœuvres nent leurs retranchements. Un grand
tous les citoyens en âge de porter les nombre périt victime de la fureur de
armes ; enfin ils équipent , sans perdre ces animaux redoutables. Ceux qui
de temps , tout ce qui leur restait de parvinrent à s'échapper se retirè-
vaisseaux. De leur côté, Mathos et rent sur une colline escarpée et cou-
Spendius, dont l'armée, grossie cha- verte d'arbres, qui leur parut une posi-
70 L'UNIVERS.
tion avantageuse et facile à défendre. Amilcar Barca, nommé au com-
Hannon , accoutumé à faire la guerre mandement DE L'ARMÉE A LA PLACB
contre des Numides et des Africains, D'HANNON, REMPORTE SUR LES MER-
gui, au premier échec, prenaient ia CENAIRES UNE VICTOIRE SIGNALÉE,
fuite et se dispersaient à deux ou trois FAIT LEVER LE SIÈGE D'UTIQUE ET
journées de distance, crut que la vic- S'EMPARE DE PLUSIEURS VILLES,
toire était complète et qu'il n'avait plus 238 avant l'ère vulgaire. — Les
d'ennemis à combattre. Préoccupé de Carthaginois , ayant enfin reconnu l'in-
cette idée, il ne songea plus à veiller capacité d'Hannon, rendirent à Amil-
ni sur la discipline de son armée ni sur car, surnommé Barca, le commande-
la défense de son camp. Il entra dans ment de l'armée. Ils le chargèrent de
la ville et se livra en pleine sécurité la conduite de la guerre; ils lui don-
au repos et aux plaisirs. nèrent soixante-dix éléphants, tous les
soldats étrangers qu'ils avaient pu ras-
surLesla colline
mercenaires étaientquices
s'étaient
mêmes retirés
vété- sembler, tous les transfuges et les
rans auxquels , dans une longue confra- troupes d'infanterie et de cavalerie
ternité d'armes, Amilcar avait trans- qu'ils avaient levées dans la ville. Cette
mis son audace. Pendant les campagnes petite armée s'élevait à peine à dix mille
de Sicile, ils s'étaient instruits par hommes. Dès sa première action il se
son exemple à soutenir avec fermeté montra digne de son ancienne renom-
toutes les vicissitudes de la guerre. mée, et remplit les espérances que sa
Plusieurs fois, dans le même jour, on nomination avait fait naître parmi ses
les avait vus faire retraite devant l'en- concitoyens. A peine sorti de Carthage,
nemi, changer de front brusquement il tombe à l'improviste sur ses enne-
pour l'attaquer à leurleur
rilleuses manœuvres tour, et cesdeve-
étaient pé- mis ,et les frappe d'une si grande ter-
reur que, perdant toute confiance, ils
nues familières. Alors, ayant appris que abandonnent le siège d'Utique. L'im-
l'ivresse de la victoire avait introduit portance decet événement exige quel-
dans l'armée ennemie la négligence et ques détails.
l'indiscipline, que le général s'était re- Le col étroit de l'isthme qui joint
tiré dans la ville, que les soldats s'écar- Carthage a l'Afrique est entouré de
taient sans précaution de leurs retran- collines escarpées et d'un accès diffi-
chements, ilsse forment en ordre de cile, sur lesquelles l'art a pratiqué des
bataille, viennent fondre sur le camp chemins qui ouvrent des communica-
des Carthaginois, en tuent un grand tions avec le continent. Mathos avait
nombre, et forcent les autres à fuir fortifié avec soin tous les passages de
honteusement jusque sous les murs de ces collines susceptibles de défense.
la ville. Ils s'emparèrent de tous les ba- Indépendamment ae ces fortifications
gages, de toutes les armes et de toutes naturelles, le Baccara(*), fleuve pro-
les machipes de siège qu'Hannon avait traverser fond, qu'ilà est guépresque impossible
dans cette partie de
de
fait sortir d'Utique, et qui, par cette son cours , fermait à ceux qui venaient
imprudence, tombèrent au pouvoir de
ses ennemis. Ce ne fut pas la seule de Carthage le débouché dans l'inté-
circonstance où ce général donna des rieur du pays. Ce mercenaires
fleuve n'avaitavaient
qu'un
preuves d'incapacité. Quelques jours seul pont dont les
plus tard , comme il était campé près fortifié les abords, et au-dessus duquel
de la ville de Gorza, en face des enne- ils avaient même construit une ville,
mis l'occasion
, se présenta de les dé- de sorte que non-seulement une armée ,
faire deux fois en bataille rangée et mais même un homme seul ne pouvait
deux fois par surprise, et cependant, sortir de l'isthme sans être aperçu des
ennemis.
quoiqu'il fût à portée d'observer les Amilcar, toujours attentif à saisir
fautes de ses adversaires et d'en pro-
fiter, illaissa toujours échapper ces
occasions décisives. (*) Ou Bagrada.
71
CARTHAGE.
les occasions que lui présentaient le valerie, rompent leurs rangs et la
temps et la nature des lieux, et voyant poursuivent avec impétuosité. Mais
l'impossibilité de débusquer l'ennemi lorsque les cavaliers, faisant tout à
par la force, imagina cet expédient coup volte-face, se déployèrent sur les
pour ouvrir un passage à son armée. deux ailes de l'infanterie qui s'avançait
Il avait observé que lorsque le vent en ordre de bataille, la terreur se ré-
soufflait d'un pandit parmidelesla Africains. L'ardeur
quelques jours,certain point
le lit du pendant
fleuve était inconsidérée poursuite avait jeté
le désordre dans leurs rangs; aussi
obstrué par le sable et qu'il s'y formait
une espèce de banc qui permettait de n'opposèrent-ils presque aucune résis-
le traverser à gué près de son embou- tance; du premier choc ils furent mis
chure. Il tint son armée prête à se en fuite, culbutés les uns sur les au-
mettre en marche, et sans s'ouvrir de tres, foulés aux pieds des chevaux et
son dessein à personne, il attendit des éléphants, qui les pressaient sans
patiemment la circonstance favorable. leur donner le temps de se rallier. Six
Les vents soufflent; le gué se forme; mille hommes , tant Africains que mer-
il part la nuit avec toutes ses troupes, cenaires, restèrent sur le champ de
et se trouve au point du jour de l'autre bataille. On fit deux mille prisonniers ;
coté du fleuve, sans avoir été aperçu le reste se sauva, les uns dans la ville
de l'ennemi. La réussite de cette au- bâtie au-dessus du pont, les autres
dacieuse entreprise frappa dans le camp d'Utique. Arailcar, pro-
ment et les mercenaires et lesd'étonne-
Cartha- fitant de sa victoire, poursuit les
ginois eux-mêmes qui la croyaient fuyards sans relâche, et s' impare de la
impossible. Amilcar poursuit sa route ville qui défendait le pont du Baccara
à travers une plaine découverte, et se et que les merce: pires avaient aban-
dirige vers le pont qui était occupé par donnée pour se retirer à Tunis. En-
un détachement de l'armée de Spen- suite, savançant dans 1- pays, il se
dius.
rendit
les unesmaître *de plusieurs
se rendirent villes, dont
à composition et
Celui-ci,
milcar, faitinstruit de l'approche
sortir dix d'A-
mille hommes les autres furent prises de vive force.
de la ville bâtie au-dessus du pont, et Par ces heureux succès il releva le cou-
s'avance en rase campagne à la ren- rage et la confiance des Carthaginois,
contre du général carthaginois. En qui naguère désespéraient entièrement
même temps ceux qui assiégeaient Uti- du salut de leur patrie.
que, au nombre de plus de quinze Amilcar est resserré par les
mercenaires dans une position
mille, se hâtent d'arriver au secours
de leurs camarades. Ces deux corps dangereuse ; il en sort par le se-
d'armée réunis s'exhortent, s'encoura- COURS d'un chef de Numides, qui
ARANDONNE LA CAUSE DES REVOLTES
gent à saisir l'occasion favorable et POUR SE JOINDRE AUX CARTHAGI-
tondent sur les Carthaginois.
Jusque-là Amilcar avait conservé NOIS. — Cependant Mathos continuait
son ordre de marche, les éléphants à toujours le siège d'Hippone. Il donna
la tête; derrière eux la cavalerie et les à Spendius et à Autarite, chef des
armés à la légère; l'infanterie, pesam- Gaulois, le sage conseil d'observer de
ment armée, formait l'arrière-garde. près l'ennemi, d'éviter les plaines où
Surpris par la brusque attaque des leurs éléphants et leur cavalerie don-
mercenaires, il change en un moment naient aux Carthaginois l'avantage , de
toute la disposition de son armée. Par suivre le pied des montagnes, de régler
un mouvement de conversion rapide, leur marche sur celle d'Amilcar, et de
il porte à la fois sa cavalerie sur les ne l'attaquer que lorsqu'ils le ver-
derrières , et ramène son infanterie sur raient engagé dans quelque position
le front de bataille pour l'opposer à difficile. En même temps il expédie
l'ennemi. Les Africains, attribuant à la des messages aux JNumides et aux Afri-
crainte la marche rétrograde de la ca- cains pour les engager à envoyer des
72 L'UNIVERS.
CARTHAGE.
cités massacrèrent et précipitèrent du avaient arrêté et conduit dans leurs
haut de leurs murailles environ cinq ports des vaisseaux marchands qui ap-
cents hommes que Carthage avait en- portaient d'Italie des vivres aux rebelles
voyés pour les défendre. Ils ouvrirent d'Afrique. Ils avaient jeté en prison
leurs portes aux Africains, et refusè- ceux qui les montaient, et leur nom-
rent même aux Carthaginois, malgré bre s'élevait déjà à cinq cents lorsque
les Romains commencèrent à mani-
leurs instances, la fa\eur d'ensevelir fester leur mécontentement. Mais à
les corps de leurs concitoyens.
Siège de Carthage parles mer- la première réclamation , ceux-ci ob-
cenaires; les Carthaginois im- tinrent laliberté de leurs concitoyens,
plorent LE SECOURS DE LEURS AL- et, pour ne pas se laisser vaincre en
LIES. — Ces circonstances favorables
à leur cause accrurent tellement la àgénérosité",
Carthage tout ils rendirent
ce qui leursur-le-champ
restait des
confiance de Mathos et de Spendius, prisonniers qu'ils avaient faits dans la
qu'ils osèrent mettre le siège devant guerre de Sicile. A partir de cette
Carthage elle-même. Amiicar alors époque, ils s'empressèrent de préve-
prend avec lui Naravase et Annibal, nir toutes les demandes des Carthagi-
qui avait été choisi pour remplacer nois. Ils permirent aux vaisseaux d'Ita-
Hannon. Il divise ses forces en plu- lie d'approvisionner Carthage de vivres
sieurs corps , ravage le pays , harcèle et de munitions, et leur défendirent
Mathos et Spendius par des escarmou- d'en fournir aux rebelles. Ils résistè-
ches continuelles, et intercepte les vi- rent aux sollicitations des mercenai-
res de Sardaigne, qui les pressaient
armée.etlesDans
vres convois cettequ'on envoyaitcomme
occasion, à leur
de s'emparer
rent même ladereligieuse
cette île , observance
et poussè-
dans beaucoup d'autres, le Numide
Naravase lui rendit les plus utiles ser- des traités jusqu'à refuser de recevoir
vices. pour sujets les habitants dU tique, qui
Cependant les Carthaginois, blo- se soumettaient volontairement à leur
qués de toutes parts, se trouvèrent domination. Carthage trouva ainsi ,
contraints d'implorer le secours de dans les secours fournis par ses al-
leurs alliés. Hiéron siège. liés, des ressources pour soutenir le
œil attentif tous les, qui suivait d'un
événements de
cette guerre, leur avait accordé jus- LES MERCENAIRES, CONTRAINTS DE
LEVER LE SIEGE DE CARTHAGE , SE
qu'alors avec bienveillance
avaient demandé. tout occasion
Dans cette ce qu'ils REMETTENT EN CAMPAGNE; 237 ANS
critique, il redoubla d'empressement avant l'ère chrétienne. — Cepen-
et de zèle. Ce prince, dont la politique dant Mathos et Spendius, tout en as-
était à la fois habile et prudente, jugea siégeant Carthage , étaient eux-mêmes
bien qu'il était de son intérêt d'empê- assiégés. Amiicar leur coupait les vi-
cher la ruine de Carthage. Il sentait vres, et les réduisit bientôt à une si
que, pour conserver sa domination extrême disette, qu'ils furent contraints
en Sicile, et maintenir son alliance de renoncer à leur entreprise.
avec les Romains, il lui importait que Peu de temps après , les deux chefs
la balance fut égale entre les • deux des rebelles, ayant formé avec l'élite de
peuples leurs troupes une armée de cinquante
une foisrivaux , car,il sisel'équilibre
rompu, étaità
trouverait mille hommes, au nombre desquels
la merci du plus fort. étaient ; l'Africain Zarzas et les auxiliai-
Les Romains eux-mêmes, fidèles res qu'il commandait, reprirent leur an-
observateurs du traité qu'ils avaient cienne tactique et se remirent en cam-
conclu avec les Carthaginois, les avaient pagne, serrant de près Amiicar et
aidés de tout leur pouvoir, quoique observant tous ses mouvements. La
dans le commencement de la guerre crainte des éléphants et de la cavale-
une querelle passagère eût altère leurs rie de Naravase les empêchait de se
relations d'amitié. Les Carthaginois hasarder dans les plaines et les forçait
76 L'UNIVERS.
à se maintenir sur les montagnes et ces affreuses extrémités. Mais lors-
dans les défilés. Dans cette campagne, qu'ils eurent mangé tous leurs prison-
les mercenaires , quoiqu'ils ne tussent niers et même leurs esclaves, aucun
inférieurs aux Carthaginois ni pour secours ne venant de Tunis, l'année,
l'activité ni pour le courage, éprou- exaspérée par ses souffrances, éclata
en menaces contre ses chefs. Alors
vèrent souvent des échecs par l'igno-
rance etl'incapacité de leurs chefs. Autarite , Zarzas et Spendius résolu-
Amilcar extermine l'armée rent de capituler avec Amilcar, et,
d'Autarite et de Spendius. — On ayant obtenu un sauf-conduit , se ren-
voit par le détail des faits combien une dirent au camp des Carthaginois. Amil-
tactique habile, fondée sur une pro- car leur imposa ces conditions : Que
fonde connaissance du grand art de dix d'entre les rebelles, au choix des
la guerre , l'emporte sur la valeur in- Carthaginiois , seraient livrés à leur
disciplinée etsur une aveugle routine. discrétion, et que les autres seraient
En effet, lorsqu'ils s'écartaient par pe- renvoyés sans armes et sans aucun
tits détachements , Amilcar leur cou- autre vêtement qu'une simple tunique.
pait la retraite, les enveloppait de Quand le traité fut signé, Amilcar
toutes parts et les détruisait presque déclara sur-le-champ qu'en vertu des
sans combat. Lorsqu'ils marchaient conventions, il choisissait ceux qui
avec toutes leurs forces, Amilcar at- étaient présents. C'est ainsi qu' Auta-
tirait les uns dans des embûches habi- rite, Spendius et les autres chefs les
lement préparées, tombait brusque- plus distingués, tombèrent entre les
ment sur les autres, tantôt le jour, mains des Carthaginois.
tantôt la nuit , paraissait toujours Lorsqu'ils apprirent qu'on avait re-
quand il était le moins attendu , et tenu leurs chefs , les révoltés , igno-
les tenait ainsi dans des transes con- rant la capitulation qui avait été con-
tinuelles. Enfin , il eut l'adresse de les clue et se croyant trahis, coururent
engager dans une position entièrement aux armes. Mais Amilcar fit avancer
désavantageuse à leurs troupes, et fa- contre eux ses éléphants et son armée,
vorable de tous points aux Carthagi- les enveloppa de toutes parts , et les
nois. Ilse saisit de tous les passages, de extermina tous sans accorder ni grâce
tous les défilés , enveloppa le camp des ni pardon. Leur nombre dépassait
rebelles de fossés et de retranchements, quarante mille.
Siège de Tunis par Amilcar;
et les resserra de si près, que, n'osant supplice de Spendius; Anniral
hasarder la chance d'un combat et ne
pouvant échapper par la fuite, ils est surpris par mathos et atta-
éprouvèrent en peu de jours toutes les CHE A une croix. — Après cette san-
horreurs de la disette. Bientôt, privés glante exécution, Amilcar parcourut
de toute espèce d'aliments, pour apai- le pays, accompagné de Naravase et
ser la faim qui les tourmentait, ils d'Annibal. Presque toutes les villes
furent contraints de se dévorer entre
d'Afrique , découragées par ce dernier
eux. Juste punition, dit Polybe, de échec, lui ouvrirent volontairement
leur impiété et de leur barbarie.
Cependant ils ne faisaient aucune leurs portes, et rentrèrent Sans
béissance des Carthaginois. sous per-
l'o-
proposition de paix. La conscience de dre de temps, il marche contre Tunis,
leurs crimes passés , et la certitude des où commandait Mathos, et qui, de-
supplices qui les attendaient s'ils tom- puis le commencement de la guerre,
baient au pouvoir de l'ennemi , leur servait aux révoltés de refuge et de
en ôtaient même la pensée. Pleins place d'armes. Il fait camper Annibal
d'une aveugle confiance dans les pro- en avant de la ville, du côté qui re-
messes de leurs généraux , et bercés garde Carthage ; lui-même établit son
par l'espoir que l'armée de Tunis arri- camp sur le point opposé. Ensuite,
verait pour les délivrer, ils suppor- ayant fait conduire près des murailles
taient avec une incroyable constance Spendius etles autres chefs des rebelles
77
CARTHAGE.
qui avaient été pris avec lui, il les fit teurs, etles charge expressément d'em-
attacher à des croix , à. la vue de toute ployer tous les moyens possibles pour
la ville. Cependant Mathos s'aperçut réconcilier les deux généraux. Ces dé-
qu'Annibal , par l'excès de confiance putés leur représentent la situation
que donnent les succès, était devenu déplorable de la république, les con-
moins attentif, et se gardait avec né- jurent au nom des malheurs de la pa-
gligence. Ilt'ait une vigoureusedes sortie, trie d'oublier leurs
et de sacrifier leurs querelles passées,
ressentiments au
attaque les retranchements enne-
mis, en tue un grand nombre, chasse bien de l'État. Amilcar et Hannon, ne
les autres de leur camp , s'empare de pouvant résister à leurs longues et
tous les bagages et fait prisonnier An- vives instances, abjurèrent avec une
nibal lui-même. Aussitôt on conduit noble générosité leur haine récipro-
ce malheureux général au pied de la que, se réconcilièrent de bonne foi,
croix de Spendius. Là, les rebelles, et, dès ce moment, dirigèrent les opé-
après lui avoir fait souffrir les plus rations de la guerre avec un ensemble
cruels tourments , détachent le cada- et un accord qui en assurèrent le suc-
vre de leur chef, clouent à sa place cès. Us engagèrent Mathos dans une
Annibal encore vivant, et immolent multitude de petits combats, où il eut
sur le corps de Spendius trente des toujours le désavantage. Ce chef de
plus illustres Carthaginois rebelles , voyant que ce genre de guerre
La distance qui séparait les deux consumait inutilement ses forces, ré-
camps était si considérable que Barca solut d'en venir à une bataille géné-
n'apprit que fort tard la sortie dé rale que les Carthaginois, de leur côté,
Mathos et le danger que courait An-
ne désiraient pas^avec moins d'ar-
deur.
nibal. Même lorsqu'il en fut instruit,
la difficulté des chemins l'empêcha de Les deux partis se préparèrent
se porter au secours de son collègue. comme pour une action qui devait à
Alors il leva le siège, et, côtoyant jamais décider de leur sort. Us ré-
le Baccara, il alla camper sur le bord unirent tous leurs alliés, et rappelè-
rent àleur armée les soldats de toutes
de la mer, à l'embouchure de ce
fleuve. Cet échec inattendu répandit les garnisons. Enfin , lorsque tout fut
de nouveau l'alarme et la consterna- prêt de part et d'autre , au jour et à
tion dans Carthage. A peine commen- l'heure convenus, les deax armées
çait-el e se
à relever de ses malheurs descendirent dans l'arène. La victoire
passés et à entrevoir un avenir plus se déclara en faveur des Carthaginois.
heureux , qu'elle voyait s'évanouir en- La plupart des Africains restèrent sur
core toutes ses espérances , tant le le champ de bataille , le reste se sauva
cours de cette guerre offrit une alter- dans une ville qui se rendit quelque
native continuelle de succès et de re- temps après. Mathos tomba rivant au
vers, de confiance et de désespoir. pouvoir des vainqueurs. Le résultat
RÉCONCILIATION d'AmILCAR ET de cette victoire fut la soumission
GUERRE PAR; ILS
D'HANNON LA TERMINENT
DEFAITE DE ENFIN
MATHOS LA complète de toutes les villes de l'A-
frique. Hippone et Utique seules per-
ET LA SOUMISSION DES VILLES RE- sistèrent dans leur rébellion. Les for-
BELLES. — Cependant le sénat de Car- faits dont elles s'étaient souillées dans
thage résolut de tenter un dernier le commencement de leur révolte leur
effort pour empêcher la ruine de la interdisaient tout espoir de miséri-
république. Il rassemble tout ce qui corde et de pardon. Mais Amilcar et
restait de citoyens capables de porter Hannon mirent le siège devant ces
deux villes , et les forcèrent bientôt à
les armes, et' les renvoie à Amilcar subir les lois que Carthage voulut leur
sous les ordres d'Hannon, le même
qui, quelque temps auparavant, avait imposer.
été dépouillé du commandement. Il y Ainsi finit , après trois ans et quatre
joint une députation de trente séna- mois , la guerre des mercenaires qui
78 L'UNIVERS.
avait jeté Carthage dans de si grands L'histoire ne nous a pas transmis la
périls et dont chaque période avait été date précise de l'entrée des Carthagi-
signalée par des actes d'impiété et de nois en I^spagne. On sait seulement
barbarie sans exemple. On punit, dans qu'ils y étaient venus au secours de
les villes d'Afrique, les principaux Cadix , ville , ainsi que Carthage , d'o-
chefs de la révolte. L'armée victorieuse rigine tyrienne , dont les rapides
rentra en triomphe dans Carthage , accroissements avaient excité la ja-
traînant enchaînés Mathos et ses com- lousie des peuples voisins. Cette pre-
pagnons ,auxquels on fit expier , par mière expédition eut un heureux ré-
une mort cruelle et ignominieuse, sultat. Les Carthaginois délivrèrent
une vie souillée par tant de crimes et Cadix de ses ennemis et s'emparèrent
de si noires perfidies. d'une partie de la province, sans que
Abandon de la Sabdaigne par l'on connaisse exactement la limite où
LES CABTHAGINOIS; 237 ANS AVANT s'arrêtèrent leurs conquêtes. Pendant
J. C. — A peine les Carthaginois neuf ans qu'Amilcar commanda les
armées en Espagne, il soumit à la
commençaient- ils à respirer, qu'ils domination carthaginoise un grand
furent menacés d'une nouvelle guerre.
Les mercenaires de Sardaigne , qui , nombre de peuples, les uns subjugués
comme nous l'avons dit, avaient par la force , les autres vaincus par la
d'abord fait d'inutiles instances au- persuasion , et il trouva enfin sur le
près des Romains, pour les engager champ de bataille une mort honorable
et digne de toute sa vie. Ce fut dans
amaîtres,
passer dans les cette île et à s'en enfin
déterminèrent rendreà un combat sanglant et acharné contre
prendre ce parti. Les Carthaginois un ennemi puissant et belliqueux ,
s'offensèrent de ce manque de foi, qu'entraîné par son audace au plus
prétendant, non sans raison, que la fort de la mêlée , il succomba glorieu-
dominai ion de la Sardaigne leur ap- sement les armes à la main.
ASDRUBAL SUCCÈDE A AMILCAR
partenait bien
à plus juste titre qu'aux
Romains. Déjà ils équipaient une SON BEAU -PÈRE DANS LE COMMAN-
flotte pour passer dans cette île et DEMENT DES ARMÉES EN ESPAGNE ;
punir les auteurs de la révolte. Les 227 avant l'ère vulgaire. — Les
Romains saisissent cette occasion et
Carthaginois élurent à la place d'A-
décrètent sur-le-champ la guerre con- milcar, Asdrubal son gendre. Celui-
tre Carthage, sous le frivole prétexte
que ses préparatifs sont dirigés contre ci, plus politique
tachant les que guerrier,
petits princes s'at-
de la contrée
eux et non contre les peuples de Sar- par les liens d'une hospitalité géné-
daigne. Les Carthaginois , affaiblis reuse, et par l'affection des chefe se
par la dernière guerre qui avait tant conciliant celle des peuples, eut l'art
épuisé leurs ressources , et hors d'état, d'accroître ainsi la puissance de Car-
en ce moment, de résister à la puis- thage ,non moins que s'il eût employé
sance du peuple romain, cédèrent à la la guerre et les armes. Les Romains
force des circonstances. Non-seule- redoutant son caractère insinuant , et
ment ils abandonnèrent la Sardaigne , cet art merveilleux qu'il mettait à
mais encore , pour prévenir une lutte gagner les peuples, pour les réunir
inégale, ils consentirent à ajouter sous sa domination , avaient réglé
douze cents talents au tribut imposé avec
par le dernier traité. serait luila ,limite par undestraité
deux , empires,
que l'Èbreet
Expéditions des Cabthaginois que Sagonte , qui se trouvait enclavée
en Espagne. — Lorsque les Cartha- au milieu, conserverait son indépen-
dance. Mais le plus éminent service
ginois eurent terminé la guerre d'A-
frique etréglé leurs différends avec les qu'Asdrubal rendit à sa patrie, fut la
Romains , ils envoyèrent en Espagne fondation de Carthagène. Cette ville ,
une armée sous le commandement par l'avantage de sa situation, la
d'Amilcar (237 ans avant J. C. ). commodité de ses ports , les richesses
CARTHAGE
79
CARTHAGE.
de son commerce, la force de ses béissance aux magistrats, afin de
remparts, devint le plus solide appui s'accoutumer à courber la tête sous
de la domination carthaginoise en le joug de l'égalité. Ses remontrances
Espagne. Après avoir gouverné cette furent vaines ; la faction Barcine l'em-
province pendant huit ans, Asdrubal porta ,et Annibal partit pour l'Es-
fut assassiné en pleine paix et dans sa
propre maison , par un esclave gau- Dès qu'il parut à l'armée , il attira
pagne.
lois qui voulait venger la mort de son sur lui tous les regards. Les vieux
maître.
Annibal est envoyé en Espagne soldats s'imaginaient revoir leur Amil-
car, rendu à sa première jeunesse.
après la mort d'asdrubal; ca- C'était le même feu dans les yeux , le
ractère de ce général , 220 ans même caractère de vigueur empreint
avant J. C. — Trois ans avant sa sur
mort, Asdrubal avait écrit à Carthage air ettoute sa ligure
tous ses traits. :Ilsc'était tout son
ne se lassaient
pour qu'on lui envoyât Annibal qui point de le contempler. Mais bientôt,
était le souvenir du père fut le moindre des
année.alors Cettedans sa Vingt-
demande lut troisième
mise en
titres
Jamais duhomme
lils a ne
l'affection publique.
réunit au même
délibération dans le sénat que divi-
saient alors deux factions contraires. degré deux qualités entièrement oppo-
La faction Barcine qui voulait qu'An- sées la
, subordination et le talent de
nibal commençât à se montrer aux commander; aussi n'eut-il pas été
armées , afin de pouvoir succéder à la facile de décider qui le chérissait le
puissance de son père, appuyait avec plus ou du général ou de l'armée.
chaleur C'était l'officier qu'Asdrubal choisis-
faction la proposition
contraire dontd' Asdrubal. La
le chef était sait de préférence pour les expéditions
Hannon , préférant aux chances d'une qui demandaient de l'activité et de la
guerre incertaine et dangereuse, une vigueur. C'était le chef sous qui le
paix sûre qui conservât à la république soldat se sentait le plus de confiance
toutes leslarmait deconquêtes d'Espagne, s'a-
ce nouvel accroissement de et d'intrépidité. Autant il avait d'au-
dace pour aller affronter le péril,
puissance dans la famille Barca , et autant il avait de sang-froid dans le
redoutait le caractère belliqueux et péril même. Nulle épreuve ne pouvait
entreprenant du jeune Annibal. Han- dompter ni les forces de son corps ,
non rappela aux sénateurs la puissance ni la fermeté de son courage. Il sup-
excessive et la domination absolue portait également le froid et la cha-
d'Amilcar. Il leur représenta combien leur, la soif et la faim, les fatigues
il était imprudent de faire du com- et l'insomnie. Il ne cherchait pas à se
mandement de leurs armées le patri- distinguer des autres par l'éclat de ses
moine d'une seule famille. Il ajouta vêtements, mais par la bonté de ses
chevaux, de ses armes : il était sans
qu'il serait plus utile pour l'État et contredit le meilleur cavalier et le
pour Annibal lui-même que ce jeune
homme restât à Carthage afin d'y meilleur fantassin de toute l'armée.
apprendre l'obéissance aux lois , l'o-
iT-g><HK) iiï~i
»»*«*e«*«fc «»»*<•© t«té(« î*
G ART H AGE.
DEUXIÈME PARTIE.
le général qui avait rompu les traités. sages de paix, et, sans plus tarder, il
Dès lors, tous les vœux d'Annibal traversa le pays jusqu'au Rhône, puis
étaient comblés , et il pouvait marcher il franchit le fleuve. Il apprit alors
librement à l'accomplissement de ses • qu'un général romain , Scipion, avait
vastes projets. débarqué près de l'embouchure avec
Après la prise de Sagonte , Annibal une armée. Il y eut une escarmouche
entre un détachement de cavalerie ro-
passe l'hiver à Carthagène, où il fait ses maine et une troupe de Numides; mais
premiers préparatifs. Asdrubal son
frère doit rester en Espagne avec Annibal , pour ne point user ses forces,
quinze mille Carthaginois, vingt-quatre marche. évita un combat général et continua sa
éléphants et soixantegalères ; il gouver- Il entra sur le territoire des
Allobroges , traversa la Durance , enfin
au nedétroitde
les provinces qui s'étendent
Gades. de l'Èbre
Hannon, avec onze il atteignit les Alpes. Annibal touchait
mille Carthaginois , est préposé à la dé- à l'Italie , mais il lui restait encore à
fense du pays qui se trouve compris en- franchir des montagnes couvertes de
tre les Pyrénées et l'Èbre. Les troupes tout neige et de glace , où il fallait lutter
d'Hannon et d'Asdrubal forment aussi à la fois contre les hommes et
une réserve destinée à rejoindre, au contre les éléments. On sait quels
furent les fatigues et les dangers de ce
fnremier appel , l'armée qui marche sur mémorable passage qui coûta plus de
'Italie. Annibal , pour gagner l'affec-
tion des soldats qu'il a choisis pour trente mille hommes à l'armée cartha-
son expédition , leur fait de grandes ginoise. Après avoir surmonté tous les
largesses ; puis il leur accorde, pour se obstacles, Annibal entra en Italie.
Annibal en Italie; combat du
reposer, toute la saison d'hiver. C'est TÉSIN ; DÉFAITE DES CARTHAGINOIS
alors qu'il se rend à Gades au temple
d'Hercule. Le bruit se répand en Espa- adansLilybée; marche d'Annibal
la Cisalpine; bataille de
gne que les dieux ont promis de le pro-
là Trébie;
téger, etqu'un envoyé céleste est venu rie; bataille de ïrasimène; Annibal passe en Étru-
218
lui prédire que les soldats qu'il com- ET 217 AVANT NOTRE ERE. — Les
mandait feraient la conquête de l'Italie.
Quand , au retour de la belle saison , Romains avaient essayé de faire face
l'armée carthaginoise fut rassemblée , des à tous les dangers. Ils avaient envoyé
Annibal , qui avait amassé de grandes armées en Espagne , en Sicile , pour
sommes d'argent, et préparé, pour combattre les Carthaginois, et en Ci-
son expédition,sion ements,d'immenses approvi- salpine pour contenir les Gaulois qui
se mit en marche avec menaçaient de se soulever. Scipion ,
quatre-vingt mille hommes , et bientôt après avoir envoyé son frère Cnéus en
il eut franchi l'Ebre et les Pyrénées (*). Espagne, attendait Annibal à la des-
cente des Alpes. Annibal , de son côté,
Entrée d'Annibal dans les
Gaules; passage des Alpes; 218 commençait à désespérer du succès de
avant notre Ère. — A son entrée son entreprise quand il vit les Gaulois
dans les Gaules, Annibal rencontra cisalpins rester neutres , contre leurs
quelques peuples qui s'étaient armés promesses , et refuser de venir se join-
pour le combattre. Il ne chercha point dre àl'armée carthaginoise. Toutefois,
à les vaincre ; il leur envoya des mes- un premier et brillant succès vint ra-
nimer ses espérances. Il y eut un com-
(*) Le récit qui va suivre ne présentera bat de cavalerie sur les bords du Tésin ,
qu'un résumé succinct des expéditions car- où la victoire demeura aux Carthagi-
thaginoises enItalie , en Espagne, en Sicile
et en Sardaigne. On trouvera ailleurs, dans nois. Le consul Scipion fut blessé dans
les volumes de Y Univers consacrés à ces cette rencontre. Rome se hâta de rap-
différents pays , tous les détails de ces expé- peler de la Sicile Sempronius, qui avait
ditions. Nous ne devons insister ici que sur déjà fait éprouver aux Carthaginois des
les événements qui se rattachent directement pertes considérables. Le préteur JEm\-
à l'histoire de Carthage. lius avait détruit, près de Lilybée,
CARTHAGE. 83
6.
84 L'UNIVERS.
Naples, il se dirige vers Capoue, qui prévalu , et qui se rapproche le plus de
lui ouvre ses portes. C'est alors qu'il la vérité, est qu'il n'y en avait pas au
envoie Magon à Carthage pour de- delà d'un boisseau. Magon ajouta , pour
faire sentir toute la grandeur des pertes
Magonmander devient
l'argentdemander
et des~troupes.
des se- éprouvées par les Romains, que les
cours a Carthage; délibération chevaliers et seulement les plus distin-
DU SÉNAT CARTHAGINOIS. — Tite-
Live nous donne sur la mission du gués terminant,
dit, en pouvaient porterquel'anneau
plus ond'or.
avaitIl
frère d'Annibal les détails suivants : l'espoir prochain de terminer glorieu-
«Magon, fils d'Amilcar, était venu sement lalutte , plus il fallait prodiguer
porter à Carthage la nouvelle de la vic- à Annibal toute espèce de secours. En
toire de Cannes. Son frère ne l'avait effet, la guerre se faisait loin de Car-
pas envoyé du champ de bataille même , thage, au milieu d'un pays ennemi;et
mais il l'avait retenu quelques jours elle absorbait beaucoup de vivres
pour recevoir la soumission des Brut- d'argent.
tiens et de quelques autres peuples qui ennemies Les avaient batailles où les avaient
été détruites armées
s'étaient séparés des Romains. Intro- aussi causé des pertes au vainqueur.
duit dans le sénat, Magon expose tout Il fallait donc envoyer de nouvelles
ce que son frère a fait en Italie. « Il troupes, de l'argent et du blé pour la
avait combattu en bataille rangée six solde et la nourriture des soldats qui
généraux, dont quatre consuls , un dic- avaient si bien mérité du nom cartha-
tateur et un maître de la cavalerie, ginois. Ces paroles de Magon causèrent
défait six armées consulaires, tué à une grande joie dans le sénat. Alors
l'ennemi plus de deux cent mille hom- Himilcon, de la faction Barcine, crut
mes et fait plus de cinquante mille l'occasion favorable pour humilier Han-
prisonniers. Des quatre consuls, deux non. «Eh bien, dit-il, Hannon, re-
avaient péri, le troisième était blessé, « grettez-vous encore que l'on, ait fait
le dernier avait perdu toute son armée « la guerre aux Romains? Ordonnez
et s'était enfui, a peine avec cinquante « maintenant de livrer Annibal; empê-
soldats. Le maître de la cavalerie, qui « chez qu'au sein de la prospérité nous
était revêtu à l'armée du pouvoir con- « rendions des actions de grâces aux
sulaire, avait été battu et mis en dé- « dieux immortels ! Écoutons ce que
route. Quant au dictateur, il était « va dire ce sénateur romain dans le
regardé comme le modèle des généraux « sénat de Carthage. » Alors Hannon :
f>ar cela seul qu'il n'avait jamais osé « J'aurais aujourd'hui gardé le si-
ivrer une grande bataille. Les Brut-
tiens et les Auuliens, une partie des «« gresse
lence , pour ne paspartroubler
universelle l'allé-
des paroles
Samnites et des Lucaniens, avaient « qui ne respirent point Penthousias-
abandonné le parti de Rome pour se
donner aux Carthaginois. Capoue, la «« demandé
me. Mais si puisqu'un
je regrettesénateur m'a
encore que
capitale, non pas seulement de la Cam- « l'on ait entrepris la guerre contre
panie, mais de l'Italie entière, depuis «Rome, je me hâte de répondre,
que la journée de Cannes avait abattu « parce que mon silence serait inter-
la puissance romaine, s'était livrée à « prétédiversement; les uns pourraient
Annibal. Pour des triomphes si nom- « l'attribuer à mon orgueil, les autres
breux et si grands, il était juste de
rendre aux dieux immortels de solen- «« àa la honte que
commis une l'on éprouve
erreur. Je nequand
suis on
ni
nelles actions de grâces. » En témoi- « orgueilleux ni repentant. Je dirai
gnage de ces heureuses nouvelles, « donc à Himilcon que mes regrets sur
Magon fit verser dans le vestibule du
« la guerre sont aussi grands' que par
sénat une quantité d'anneaux d'or si
prodigieuse, que certains auteurs pré- «« cuser
le passé, et que
votre je ne cesserai
invincible général d'ac-
que
« quand je verrai la lutte terminée à
seaux tendent
etdemi; qu'il y enmais
avaitla bien trois qui
tradition bois-a «des conditions raisonnables, et je
85
CARTHAGE.
CARTHAGE.
et Syphax ne tarda point à donner au navires qui apportaient de la Sicile les
général carthaginois le secours de ses provisions destinées à l'armée de Sci-
Numides. Asdrubnl avait réuni environ pion. Alors, sans doute, les Carthagi-
trente mille hommes, lorsqu'il fut en- nois fondaient de grandes espérances
core attaqué par les Romains. Au sur l'arrivée d'Annibal (*). Ce général ,
moment où Scipion avait appris que les en effet, avait obéi aux ordres du
Carthaginois rassemblaient de nou- sénat de Carthage, et il était parti
velles forces, il avait abandonné le pour l'Afrique avec son armée. Mais
siège d'Utique pour aller combattre ce ne fut point sans une profonde dou-
Asdrubal. Après cinq jours de marche , leur, et les historiens anciens l'ont
il était arrivé dans un lieu que Polybe attesté, qu'il abandonna cette Italie
appelle les Grandes-Plaines. C'est là dont il n'avait pas cessé de rêver la
que fut livrée une bataille qui enleva à conquête, et où il avait dépensé, pen-
Carthage sa dernière armée et ses der- dant quinze années, tant de courage
nières ressources. et de génie. Annibal aborda à Lep-
délibération du senat cartha- tis; puis il vint à Adrumète, où il prit
ginois après la bataille des quelques jours de repos, et de là il se
rendit à Zama.
Grandes-Plaines; Scipiondirigée
pare de Tunis; attaque s'em- Annibal et Scipion entrent en
contre la flotte romaine qui CONFÉRENCE ; BATA1LLEDEZaMA(**).
assiégeait Utique; les Carthagi- 202 ANS AVANT NOTRE ERE. — C'é-
nois ENVOIENT DES AMBASSADEURS tait sur les instances du sénat car-
a Rome; Annibal débarque a Lep- thaginois qu'Annibal était venu cam-
tis; 203 et 202 avant notre ère.
— Le résultat de la bataille des Gran- per à maine
Zama. se trouvaitCependant
encore assez l'armée ro-
éloignée
des-Plaines portaetla leur
terreur dans l'âme de cette ville, qui est à cinq journées de
des Carthaginois fit perdre toute Carthage du côté du couchant. Bientôt
espérance. Les sénateurs décidèrent Annibal leva son camp , pour se rappro-
alors qu'on fortifierait la ville, qu'on cher encore desRomains.Déjà la bataille
ferait les préparatifs nécessaires pour entre le général carthaginois et Scipion
soutenir un siège, et qu'on rappellerait était inévitable, lorsque ces deux illus-
tres chefs se rendirent à une entrevue.
d'Italie Magon et Annibal. Le danger La conférence, comme il était facile de
était pressant en effet; Scipion, met-
tant àprofit sa victoire, s'avançait sur le prévoir , n'eut aucun résultat , et l'on
Carthage, et déjà il était maître de se prépara au combat. Scipion rangea
Tunis. Les Carthaginois essayèrent ses troupes dans l'ordre suivant : il
alors une diversion; ils envoyèrent des mit les hastaires sur la première ligne,
vaisseaux pour attaquer la flotte ro-
maine qui assiégeait Utique, et ils (*) Magon de son côté avait quitté la Cisal-
forcèrent Scipion à quitter Tunis et à pine et venait au secours de sa patrie lorsqu'il
mourut en mer, à la hauteur delà Sardaigne.
voler au secours d'une partie de son
armée. Après cette entreprise qui ne (**) Les écrivains modernes s'accordent
leur réussit point, les Carthaginois, généralement pour donner à cette bataille
privés des secours de Syphax leur le nom de Zama. Cependant la bataille fut
livrée loin de cette ville, entre Killa et Na-
allié, qui était attaqué dans ses pro-
pres États par Lœlius et Massinissa, ragara (V. Tive- Live et Appien). Le théâ-
demandèrent une trêve à Scipion, et tre de l'action n'est point indiqué d'une
manière précise dans Polybe, mais il est fa-
envoyèrent des ambassadeurs à Rome cile de voir, par le récit de cet historien ,
pour'demander la paix. Mais en cette que les Carthaginois el les Romains n'en
circonstance, comme en bien d'autres, vinrent aux mains qu'à une assez grande
ils se montrèrent peu scrupuleux pour distance de Zama. Il faut ajouter (pie, sui-
remplir les engagements qu'ils avaient vant Appien, il y eut à Zama, quelques
bris; ils s'emparèrent, à la faveur de jours avant la grande bataille, un combat
la trêve, d'un convoi de deux cents entre des cavaliers romains et carthaginois.
94 L'UNIVERS.
et laissa des intervalles entre chaque mirent en déroute. Cependant l'infan-
cohorte ; à la seconde ligne il plaça terie s'était abordée. Les soldats sou-
les princes : les cohortes des princes
étaient posées non vis-à-vis des inter- avec un doyés pargrand
Carthage se battirent
courage; mais d'abord
voyant
valles de la première ligne, comme cela que la seconde ligne restait immobile
se pratique chez les Romains, mais les et ne venait point à leur secours , ils
unes derrière les autres avec des in- lâchèrent pied et se précipitèrent sur
tervalles entre elles, à cause des nom- les Africains et les Carthaginois. La
breux éléphants qui se trouvaient dans seconde ligne d'Annibal , attaquée tout
l'armée ennemie. Les triaires for- à la fois par les mercenaires et les Ro-
maient la réserve. Sur l'aile gauche mainsfut
, taillée en pièces. Le géné-
était Lœlius avec la cavalerie d'Italie, ral carthaginois ne voulut pas que les
et, sur la droite, Massinissa avec ses fuyards vinssent se mêler aux soldats
Numides. Scipionjeta des vélites dans qui lui restaient : il ordonna au pre-
les intervalles de la première ligne, et mier rang de la troisième ligne de leur
leur donna ordre de commencer le présenter la pique, ce qui les obligea
combat, de manière pourtant que s'ils de se retirer le long des ailes dans la
étaient repoussés ou ne pouvaient sou- plaine. Scipion se porta alors avec
tenir lechoc des éléphants, ils se reti- toute son infanterie, hastaires, prin-
rassent, par les intervalles, derrière ces et triaires réunis, sur la troisième
l'armée. Annibal, de son côté, plaça ligne
et acharné,d'Annibal. et la Le combat
victoire étaitfutencore
long
sur le front de son armée plus de qua-
tre-vingts éléphants; les mercenaires, indécise, lorsque Laelius et Massinis-
Liguriens, Gaulois, Baléares et Mau- sa, qui revenaient de la poursuite, se
res, occupaient la première ligne; der- jetèrent, par derrière, sur l'infanterie
rière eux , sur la seconde ligne , se carthaginoise et en firent un grand
trouvaient les Africains et les Cartha- carnage. Ce fut ainsi que se termina
ginois ;enfin à la troisième ligne , qui la bataille. Les Romains perdirent dans
était éloignée de la seconde de plus cette mémorable journée plus de quinze
d'un stade (*), on voyait les troupes cents hommes; mais, du côté des Car-
qui thaginois, vingt mille soldats restèrent
Dansavaient les deux fait armées, les guerres d'Italie.
les Numides sur la place et vingt mille furent faits
commencèrent la bataille par des es- prisonniers. Après cette terrible dé-
carmouches. Ensuite Annibal fit avan- faite, Annibal se sauva en toute hâte
cer les éléphants. L'infanterie romaine à Adrumète (*).
eut beaucoup à souffrir de cette atta-
que , mais les éléphants se retirèrent (*) Folard , dans le commentaire qui ac-
par les intervalles que Scipion avait compagne lerécit de Polybe sur la bataille
ménagés sur sa triple ligne, et, à coups de Zama., a jugé peut-être Annibal avec
de traits, on les chassa hors du champ trop de sévérité. Après avoir essayé de dé-
de bataille. Alors Lœlius et Massinissa
montrer, par une longue série d'arguments,
se précipitèrent sur les corps de cava- que la conduite du général carthaginois ,
lerie qui leur étaient opposés , et les avant et pendant la bataille, ne répondit
point à sa réputation de prudence et d'ha-
bileté, ilajoute : «Polybe, Tite-Live, et un
(*) Tous ces détails sont empruntés à « grand nombre d'auteurs fort éclairés parmi
Polybe. La narration d'Appien est très-cir- « les modernes , ne peuvent s'empêcher
constanciéemais
, elle est remplie d'un foule « d'admirer la merveilli use disposition d'An-
de traditions mensougères. Nous devons « nibal dans cette bataille : passe pour Tite-
dire aussi , qu'en ce qui concerne les der- « Live et pour ces derniers ; ils n'ont pas
niers événements de la deuxième guerre «« cru devoir se morfondre à faire l'analyse
punique, Appien est souvent en contradic- de ces deux ordres de bataille. Ils ont
tion avec Polybe et Tite-Live. Pour le récit « suivi le sentiment général, sans pénélrer
de la bataille de Zama nous avons donc pré- « plus loin ; mais que Polybe , qui était un
féré Polybe à l'historien alexandrin. «homme judicieux, grand historien, et
CARTHAGE. 95
Avant la bataille, dit Polybe, non- mander la paix aux Romains. On en-
seulement l'Italie et l'Afrique, mais voya donc des ambassadeurs à Scipion ,
encore l'Espagne , la Sicile et la Sar- qui leur ordonna de se rendre à Tunis
daigne étaient en suspens et suivaient où il conduisait son armée. Scipion
les événements avec une vive anxiété. songea un instant à faire le siège de
La victoire de Scipion mit fin aux in- Carthage, et à terminer la guerre par
certitudes etrendit les Romains maî- la ruine de cette ville. Mais bientôt,
tres du monde. craignant que, pendant les longueurs
Les Carthaginois envoient des du siège qu'il méditait, un successeur
amr assadeubs a Scipion; réponse ne vînt lui enlever le fruit de ses nom-
de Scipion; délibération du sé- breux succès et toute sa gloire , il ré-
nat carthaginois; le sénat et solut d'accorder la paix aux Carthagi-
le peuple romain approuvent le nois. Voici à quelles conditionsilvoulut
traité de paix conclu par sd- traiter :
pion; fin de la deuxième guerre « D'une part, les Carthaginois gar-
punique; 202 et 20j avant notre deront en Afrique toutes les places
ère.— Annibal s'était enfui d'abord qu'ils avaient avant la dernière guerre,
à Adrumète; puis, rappelé à Carthage, ainsi que les terres , les esclaves et les
il était venu dans cette ville qu'il n'a- autres biens dont ils étaient en posses-
vait point vue depuis trente-six ans. Il sion ;à partir de la conclusion du
conseilla alors aux Carthaginois de de- traité, il ne sera fait contre eux aucun
acte d'hostilité; ils continueront à
« tout ensemble un excellent homme de vivre suivant leurs lois et leurs cou-
« guerre ; que Polybe , tlis-je , soit le pre- tumes, eton ne leur imposera point de
« mier qui ;iit été de ce sentiment, et qu'il
« ait donné le branle à celui de tous les garnisons.
« autres, voilà ce qui me surprend. Serait- « D'autre part , les Carthaginois res-
« ce en vue de relever la gloire de Scipion titueront aux Romains tout ce qu'ils
leur ont injustement enlevé pendant
« qui était son ami, ou prévenu par les les trêves; ils leur remettront tous
« grandes actions d'Annibal , ou faute de les prisonniers de guerre et trans-
«réflexion? Pour peu qu'on ait de
« connaissance de la guerre , on verra qu'An- fuges qu'ils ont pris ou reçus; ils
« nibal ne se surpassa jamais moins que abandonneront tous leurs longs vais-
« dans celte bataille Quoiqu'il soit seaux ,à l'exception de dix galè-
res; ils livreront tous leurs élé-
« toujours dangereux d'être singulier dans
« son opinion , et d'aitaquer, comme j'ai
phantsils
; ne feront aucune guerre ni
« fait , un sentiment généralement reçu , je au dehors , ni au dedans de l'Afrique
« ne puis que je ne dise que cet ordre de sans l'adhésion du peuple romain ; ils
« bataille est très-peu digne d'envie el de rendront à Massinissa les maisons,
« l'éloge de Scipion J'avoue qu'il n'y terres, villes et autres biens qui lui
« a qu'une voix sur l'excellence de l'ordre ont appartenu ainsi qu'à ses ancêtres
« de bataille adopté à Zama par Annibal ; ( les Romains se réservaient de dési-
« mais ce ne doit pas être une raison pour gner les pays où se trouvaient ces
« me soumettre à l'opinion de ces gens-là. biens de Massinissa) ; ils fourniront des
« Ils ont profondément examiné celte mé-
« thode , dira-l-on, fort bien ; cela ne doit vivres à l'armée romaine pendant trois
mois; ils payeront la solde de cette ar-
« pas m'empècher d'examiner à mon tour
mée jusqu'au moment où le sénat et le
« et voir s'ils ne se sont pas trompés. Il est peuple romain auront statué sur les
« aisé de juger si la chose méritait d'être articles du traité; ils donneront dix
«« examinée. Il n'y a rien
cher de reconnaître des qui doivedans
fautes empê-
un mille talents d'argent en cinquante ans ,
«c homme extraordinaire, ainsi que dans un en payant chaque année deux cents ta-
« autre. Personne n'est exempt de fautes, et lents euboïques ; enfin , comme garan-
«c le plus partait est celui qui en a le moins tie du traité, le consul choisira cent
« commis. Annibal peut être mis d-e ce otages dans la jeunesse carthaginoise. »
« nombre. » Quand les ambassadeurs qui avaient
96 L'UNIVERS.
été envoyés à Tunis revinrent à Car- « thaginois une douleur aussi profonde
tilage, etfirent connaître le résultat
de leur négociation , il y eut dans le «« que s'ils avaient
de Carthage. vu l'incendie
» Quand il fallut même
faire
sénat une grande hésitation. Plusieurs le premier payement des contributions,
sénateurs étaient d'avis de rejeter les les sénateurs carthaginois manifes-
conditions proposées; et parmi eux, tèrent une vive affliction , et plusieurs
Giscon essaya par un discours de mo- d'entre eux versèrent des larmes amères.
tiver son opinion. Il commençait à Alors Annibal se prit à rire : sur le
parler lorsque A nnibal s'élança vers lui reproche que lui fit Asdrubal Hœdus
et l'arrachamurmures
violents de son siège. Aussitôtdaus
éclatèrent de d'insulter par sa joie à la douleur
publique, dont il était la première
l'assemblée. « Vous me pardonnerez , cause, il répondit : «Si l'œil qui
dit Annibal , si j'ai commis une faute distingue les mouvements extérieurs
contre les usages. Vous savez que pouvait
sorti de ma patrie à l'âge de neuf facile delirereconnaître
au fond de quel'âmece ,rire
il serait
qui
ans , je n'y suis revenu qu'après vous choque n'est pas l'expression de
trente-six ans d'absence. Veuillez donc la joie, mais plutôt d'un délire causé
me pardonner la faute que j'ai com- par l'excès du malheur. Toutefois, ce
, ne considérer que mes inten- rire est encore moins déplacé que votre
mise et
tions qui sont celles d'un bon citoyen. »
Annibal ajouta que rejeter, dans un douleur. rachait Quoi ! au moment
les dépouilles de où l'on ar-
Carthage,
danger si pressant, la paix accordée quand on la désarmait, vous ne pleu-
par Scipion , c'était vouloir la ruine de riez point; et, dans ce jour où chaque
Carthage. Il termina en disant : « Ne citoyen doit payer sa part du tribut ,
délibérez point sur les articles, mais on dirait que la perte de votre or est
recevez-les avec joie. Offrez des sacri- une véritable calamité publique. Hélas !
fices aux dieux, et priez -les de faire je crains qu'avant peu vous ne vous
en sorte que le peuple romain ratifie aperceviez que ce qui vous coûte au-
le traité que l'on nous propose. » Le jourd'hui des larmes, était de tous vos
sénat se rendit à l'opinion d'Annibal, maux le plus léger ! »
et fit partir des ambassadeurs pour Scipion, avant de quitter l'Afrique,
conclure la paix. Ces ambassadeurs se ajouta aux États que Massinissa tenait
dirigèrent vers Scipion qui campait à de ses ancêtres Cirta et les autres villes
Tunis, et de là ils allèrent à Rome.
Introduits dans le sénat, Asdrubal qui
pouravaient
le récompenserappartenu de à Syphax. C'étaitet
sa fidélité
Hœdus, l'un d'eux , prit la parole et l'attacher de plus en plus au parti des
implora la pitié des Romains. On leur Romains. Ainsi Carthage, épuisée d'ar-
accorda la paix , et le traité conclu par gent par d'onéreuses contributions ,
Scipion fut ratifié par le peuple et les sans armées de terre et sans flotte, se
sénateurs. Alors, les ambassadeurs re- voyait livrée à la discrétion de sa ri-
vinrent en Afrique. vale. Toutefois , Rome craignit encore
«Les Carthaginois, dit Tite-Live, qu'elle ne pût se relever de tant de
« livrèrent leurs vaisseaux de guerre, désastres; et, pour la tenir toujours
« leurs éléphants , les transfuges , les faible et toujours humiliée, elle accrut
« esclaves fugitifs et quatre mille pri- la puissance de Massinissa, Y ennemi
« sonniers , parmi lesquels se trouva éternel du peuple carthaginois. Au
«un sénateur, Q. Terentius Culleo. moment où Scipion partit pour aller
« Scipion fit conduire les vaisseaux en recevoir le triomphe , il était déjà évi-
« pleine mer pour y être brûlés ; ils dent que le traité qui avait mis fin à la
« formaient , suivant quelques histo- deuxième guerre punique ne faisait
« riens , un total de cinq cents bâti- qu'ajourner la ruine de Carthage.
« ments à rames. L'aspect de cet em- Carthage humiliée par les Ro-
«brasement, qui tout à coup vint mains APRÈS LA DEUXIÈME GUERRE
« frapper les regards , causa aux Car- punique; ambassadeurs envoyés
97
CARTHAGE.
aux Carthaginois par les Ro- se hâtèrent encore d'envoyer à Rome
mains; réponse des Carthaginois deux cent mille mesures de blé et au-
aces ambassadeurs; 20 1-195 avant tant àl'armée de Macédoine. Quant à
notre ère. — Après avoir succombe , Amilcar, il perdit la vie dans une ba-
Carthage ne tarda pas à sentir com- taille où les Gaulois furent vaincus (*).
bien étaient rigoureuses et dures les Nous devons ajouter ici que les am-
lois que Romevictorieuse imposait à bassadeurs quiétaient venus à Car-
ses ennemis. Dès lors, en effet, elle thage avaient mission de poursuivre
fut obligée de subir, jusqu'au moment leur route en Afrique, et de se pré-
senter àMassinissa pour lui offrir de
de sa ruine, une longue série d'humi-
liations etd'injustices. Ainsi, les Ro- riches présents, et le féliciter, non-
mains avaient à peine ratifié le traité seulement d'avoir reconquis les États
qui termina la guerre, que les Cartha- de ses pères, mais encore d'avoir dé-
ginois s'empressèrent de remplir leurs pouillé de son royaume Syphax, l'allié
des Carthaginois.
nouveaux engagements et de se sou-
mettre àtoutes les conditions qu'ils Conduite d' Annibal pendant la
avaient acceptées. Ils croyaient sans paix*, les réformes qu'il opere
doute avoir satisfait aux exigences dans le gouvernement de car-
thage soulèvent contre lui le
des vainqueurs, lorsque des ambassa-
deurs se présentèrent à eux , et PARTI aristocratique; Annibal
parlèrent ainsi au nom de Rome : échappe aux Romains par la
« Amilcar, vn de vos concitoyens, est fuite; 195 avant notre ère. —
«resté clans la Gaule; il a levé une Quand la guerre fut terminée, Anni-
« armée de Gaulois et de Liguriens , et bal, chef de la faction Barcine, fut
« il fait la guerre aux Romains contre porté par ses concitoyens aux plus
« la foi des traités. Si vous désirez hautes dignités de la république. Bien-
«conserver la paix, rappelez Amilcar tôt il usa de son pouvoir et de son
« pour le livrer au peuple romain. » influence pour opérer dans le gouver-
Ils ajoutèrent encore : « Tous les trans- nement de Carthage d'importantes ré-
« fuges n'ont point été rendus; il en formes; mais il ne put attaquer cer-
«est resté un grand nombre, qui, tains vices de la constitution sans se
« dit-on, se montrent publiquement à faire, dans le parti aristocratique,
« Carthage. Vous devez en faire une d'implacables ennemis. A cette épo-
« recherche exacte et les arrêter, afin que, l'ordre des juges exerçait dans la
«« de
les les remettre
termes aux Romains
du traité. » d'après ville une domination d'autant plus ab-
solue et tyrannique, que les charges
Amilcar avait agi sans la participation de cet ordre étaient inamovibles. Les
des Carthaginois; ceux-ci ne pouvaient juges disposaient, suivant leurs ca-
donc lui ordonner de suspendre une pricesdes
, biens , de l'honneur et de la
guerre à laquelle ils étaient étrangers. vie même des citoyens. Il suffisait d'a-
Toutefois, à la voix des ambassadeurs voir déplu à l'un d'eux pour être ex-
romains, ils s'humilièrent, et firent cette posé à la haine de tous les autres.
réponse : « Tout ce qui est en notre Annibal essaya d'attaquer les juges qui
« pouvoir, c'est d'exiler Amilcar et de depuis longtemps étaient devenus
« confisquer ses biens. A l'égard des odieux au peuple. Un jour qu'il siégeait
« transfuges, nous avons restitué ceux à son tribunal, il s'éleva fortement
« que des recherches exactes nous ont contre eux, et les accusa d'avoir
« fait découvrir. Nous nous proposons , anéanti, par l'abus qu'ils
«« àsénat
ce sujet, d'envoyer des donner
députés des
au de leur pouvoir et par leur avaient fait
arrogance,
romain pour lui
« explications satisfaisantes. » Les Car- (*) Tite-Live nous apprend que, suivant
thaginois ne se bornèrent point à pro- certains historiens , Amilcar fut pris pen-
tester ainsi, par leurs paroles, contre dant la bataille et qu'on le vit paraître à.
la malveillance de leurs ennemis, ils Rome , dans un triomphe.
7e Livraison. (Carthage.)
98 L'UNIVERS.
l'autorité des lois et des magistrats. équipée. C'est ainsi qu'Annibal quitta
Quand titude Annibal écoutait sons'aperçut que avec
discours la mul-
fa- l'Afrique; et dans sa fuite, dit Tite-
Live, il pensait plus souvent à la triste
veur, ilfit passer une loi qui portait : destinée
malheurs.de Carthage qu'à ses propres
« qu'à l'avenir, on élirait chaque année
de nouveaux juges , et que personne ne La nouvelle de la disparition sou-
pourrait être juge deux ans de suite. » daine d'Annibal se répandit bientôt à
Cette grande mesure fut accueillie avec Carthage. Les bruits les plus divers
joie par le peuple, mais elle ne fit circulaient dansparmi la laplace
foule qui s'était
qu'irriter de plus en plus la faction rassemblée publique. Les
aristocratique. Bientôt une autre loi, uns disaient qu'il avait pris la fuite ;
faite dans un but d'utilité publique, les autres, et c'était le plus grand nom-
acheva d'exaspérer tous les ennemis bre, affirmaient qu'il avait été tué par
d'Annibal. Depuis longtemps, les re- les émissaires des Romains; enfin, on
venus de l'État étaient dilapidés par apprit par des marchands qu'Annibal
ceux-là même à qui la république les s'était montré dans l'Ile de Cercine.
avait confiés , ou enlevés par les grands, Les ambassadeurs romains , trompés
qui se les partageaient comme une dans leur attente, se présentèrent au
proie. Les sommes destinées à payer sénat de Carthage, où ils dirent : « qu'ils
le tribut annuel imposé par les Ro- n'ignoraient pas qu'Annibal entrete-
mains se trouvant ainsi détournées, le nait des relations avec Philippe de Ma-
peuple était soumis à d'onéreuses con- cédoine, Antiochus , lesÉtoliens, et
tributions. Annibal, après avoir pris tous les ennemis de Rome; qu'il ne se
une connaissance exacte de l'étendue donnerait point dansde repos qu'il n'eût
des revenus de l'État, força à une res- lumé la guerre le monde entieral-;
que les Carthaginois ne devaient pas
blics. titution les détenteurs
Dès lors, il fut exposé des'deniers
à toutepu-la laisser ces manœuvres impunies, s'ils
haine de l'aristocratie. Ses ennemis voulaient prouver au peuple romain
écrivirent à Rome pour l'accuser d'en- qu'ils étaient complètement étrangers
tretenir avec le roi de Syrie, Antio- aux projets d'Annibal. » Les Cartha-
chus, de coupables intelligences. ginois répondirent à ces arrogantes pa-
Les Romains, qui craignaient tou- roles,
jours Annibal, prêtèrent une oreille mettrequ'ils étaientchoses
en toutes disposés
aux àvolontés
se sou-
favorable à ses accusateurs, et ils ré- du peuple romain. Mais déjà il était
solurent, malgré l'opposition de Sci- hors de leur pouvoir de combler les
pion l'Africain, de s'emparer de sa vœux de Rome, car Annibal en fuyant
personne. Ils envoyèrent à Carthage s'était mis à l'abri de la haine et de
C. Servilius, M. Claudius Marcellus et la perfidie de tous ses ennemis.
A.XMBAL CHEZ ANTIOCHUS ; SES
Q. Terentius Culléo, qui, d'après les TENTATIVES POUR RALLUMER LA
conseils des ennemis d'Annibal, ca-
chèrent lebut de leur voyage. Quand GUERRE CONTRE LES ROMAINS ; IL
ils furent arrivés , Annibal ne se trompa ESSAIE, PAR UN DE SES EMISSAIRES,
DE SOULEVER LES CARTHAGINOIS.
point sur leurs projets. Il fit ses pré-
paratifset
, le jour même de sa fuite 195-193 avant notre Ère. — An-
on le vit se promener longtemps sur nibal, après une heureuse navigation,
la place publique. Quand le soir fut arriva à Tyr, où il fut reçu comme
venu, il se rendit à une des portes de dans une seconde patrie. Il ne fit pas
la ville, suivi seulement de deux hom- un long séjour dans cette ville , et il
mes qui ignoraient son dessein. Des s'empressa de se rendre à Antioche.
chevaux l'attendaient, et il partit aus- Quand il apprit que le roi de Syrie
sitôt. Le lendemain, il arriva au bord était absent, il se remit en mer et il
de la mer, entre Acholla et Thapsus, se dirigea vers Éphèse, où il rencon-
et là il s'embarqua sur une galère que tra enfin Antiochus. Ce prince était
depuis longtemps il tenait prête et alors dans de grandes incertitudes, et
CARTHAGE.
vaincue et humiliée, s'était vue forcée en paix avec les alliés du peuple ro-
de céder au roi de Numidie une nou- main. Carthage ne savait que trop
velle portion de son territoire. Plein bien que Rome plaçait Massinissa au
de confiance dans l'amitié des Romains, nombre de ses alliés' les plus fidèles et
et rassuré d'ailleurs par l'approbation les plus dévoués. Un seul moven res-
tacite qu'ils avaient donnée à ses pre- tait aux Carthaginois : c'était de porter
mières usurpations, Massinissa avait leurs plaintes au sénat romain. Les
renouvelé les hostilités, et il avait en- ambassadeurs qu'ils envoyèrent alors
core enlevé une province aux Cartha- demandèrent pour leurs compatriotes
ginois. Ceux-ci envoyèrent des ambas- une de ces trois choses : ou de les au-
sadeurs àRome pour porter plainte toriser àdiscuter avec Massinissa sur
contre Massinissa. Les Romains nom-
leurs droits respectifs au tribunal d'un
mèrent des arbitres qui prirent con- peuple allié; ou de leur permettre
naissance de l'affaire, mais qui ne se d'opposer à une injuste agression une
prononcèrent point. Toutefois, ils lais- défense légitime ; ou bien , enfin , si la
sèrent provisoirement à Massinissa les faveur l'emportait sur le bon droit,
terres qu'il avait conquises. Les Car- de déclarer une fois pour toutes ce
thaginois protestèrent longtemps con- qu'on voulait leur enlever pour le don-
tre cette odieuse partialité. En effet , ner àMassinissa. « Si l'on ne veut ac-
nous savons par Tite-Live que deux « corder aux Carthaginois , ajoutèrent
ans après l'envoi des commissaires, les « les ambassadeurs, aucune de ces trois
Romains , pour apaiser les plaintes de « choses; et si, depuis la paix accordée
Carthage, lui rendirent cent otages « par Scipion , on a quelque tort à leur
et lui garantirent la paix non -seule- « reprocher, il faut agir franchement à
ment avec eux-mêmes, mais encore « leur égard. Ils aiment mieux une ser-
avec Massinissa. Pendant quelques an- « vitude tranquille sous la domination
nées, le roi de Numidie resta fidèle « des Romains qu'une liberté exposée
aux engagements que les Romains « aux violences de Massinissa. » Ce dis-
avaient pris pour lui ; mais enfin il cours achevé, ils se prosternèrent en
ne put résister au désir de renouveler pleurant , et les sénateurs romains ne
contre les Carthaginois une guerre qui purent se défendre d'un mouvement
lui procurait de si grands avantages. de compassion. On jugea convenable
Il réclama, comme sa propriété, une d'interroger le fils du roi de Numidie,
portion de territoire connue sous le Gulussa , qui se trouvait alors à Rome.
nom de Grandes-Plaines , et une pro- Gulussa,qui n'avait aucun moyen de
vince appelée Tysca, où l'on comptait justifier la conduite de son père, ré-
un grand nombre de villes. Tandis que pondit que Massinissa ne lui ayant
les Carthaginois protestaient , au nom transmis aucune instruction, il ne
de la justice, contre cette nouvelle pré- pouvait donner les explications qui lui
et du territoire. tentioMassinissa
n, s'empara des villes étaient demandées. Le sénat, après
avoir délibéré , décida que Gulussa re-
Par le traité qui avait mis fin à tournerait en Numidie pour avertir
la deuxième guérie punique, les Car- son père d'envoyer des ambassadeurs
thaginois se trouvaient tellement en- chargés de répondre aux plaintes des
chaînés qu'ils ne pouvaient repous- Carthaginois. « On a déjà faitbeaucoup,
ser la violence par la violence , et re- disait le sénat , et l'on fera plus encore
courir aux armes pour se défendre pour récompenser Massinissa de son
contra le roi de Numidie. En effet, il attachement sincère; mais on respec-
ne leur était pas permis de faire la tera lajustice et l'on n'accordera rien
guerre au delà de leurs frontières ; et à la faveur. Les Romains désirent que
quand bien même Piome les eût auto- le territoire contesté reste à son pos-
risés àuser de représailles, ils étaient sesseur légitime , et que les anciennes
encore liés par un article du traité qui limites tracées entre les deux États
leur ordonnait formellement de vivre
soient respectées. Ils n'ont pas rendu
CARTHAGE.
aux Carthaginois vaincus leurs villes PARTIS QUI DIVISENT LA. RÉPUBLI-
et leur territoire, pour leur arracher QUECARTH
; AGE, APRÈS LA DEUXIÈME
par violence, durant la paix, ce qu'ils GUERRE PUNIQUE, CONSERVE EN-
n'ont pas voulu leur enlever par le CORE ASSEZ DE PUISSANCE POUR INS-
droit de la guerre. » PIRER DES CRAINTES SÉRIEUSES AUX
On pourrait s'étonner de cette déci- Romains. — Il n'y eut longtemps à
sion impartiale des Romains, si l'on Carthage que les âeux partis qui, à
ne savait qu'au moment même où ils l'époque de la deuxième guerre puni-
paraissaient disposés à écouter les que, avaient eu pour chefs Hannon et
plaintes des Carthaginois , ils couraient Annibal. Le parti d'Hannon, comme
de grands dangers. Le roi de Macé- nous l'avons dit, carthaginoise,
représentait l'an-
doine, Persée, avait envoyé des am- cienne aristocratie et le
bassadeurs aux Carthaginois , et il leur
avait proposé de se liguer avec lui pour parti
sous lecP Annibal,
nom de faction connu dans l'histoire
Rarcine, était
combattre leurs ennemis communs. le parti populaire, et si nous en jugeons
Ce fut alors que, pour prévenir cette par ses actes, le parti vraiment na-
redoutable coalition, le sénat se mon- tional. Après la bataille de Zama, la
tra juste et blâma avec quelque sé- faction Rarcine ne perdit rien de son
vérité les agressions de Massinissa. influence. Annibal était revenu à Car-
Mais quand Persée fut vaincu , les Ro- thageoù
, sa grande renommée lui avait
mains changèrent de langage, et ils ne
acquis la considération de tous et l'avait
montrèrent plus le même empresse- porté aux premières dignités de la ré-
ment pour donner satisfaction aux Car- publique.sans
Toutefois, l'aristocratie ne
thaginois. Ilsenvoyèrent, il est vrai, des subissait point peine la supériorité
commissaires en Afrique (*); mais ces de la faction Rarcine. Quand Annibal
commissaires voulut introduire dans la république
de forcer le roi n'avaient de Numidiepoint mission
à restituer
d'utiles réformes, quand il attaqua les
le territoire qu'il avait injustement juges qui usaient tyranniquement du
usurpé; ils proposèrent seulement à pouvoir qui leur avait été confié , quand
Massinissa et aux Carthaginois de s'en il força à une restitution ceux qui
remettre à leur arbitrage. Massinissa
avaient
les premières dilapidéfamillesles trésors de de l'État,
Carthage,
accepta volontiers , parce qu'il ne pou-
vait que gagner à un jugement pro- parmi lesquelles se trouvaient les ma-
noncé par les Romains; mais les Car- gistrats prévaricateurs, lui vouèrent
thaginois refusèrent. Ils disaient , pour une haine implacable. Comme le parti
raison , que le traité qui avait été donné aristocratique ne pouvait triompher,
par Scipion n'avait pas besoin de com- par la force , de la faction Barcine, il
mentaire, qu'on devait seulement s'en- eut recours à un odieux moyen. Il en-
quérir de ce qui avait été fait contre tretint Rome
à des émissaires qui dé-
ce traité. Cette fois encore , les com- nonçaient comme attentatoires aux
missaires envoyés par Rome quittèrent traites conclus chacune des actions
l'Afrique sans prononcer un jugement. d'Annibal. Les Romains accueillirent,
Mais il était facile de voir que la ques- sans y croire peut-être, les délations
tion avait été tranchée en faveur de
Massinissa. Dès lors , le roi de Numidie de l'aristocratie carthaginoise contre
celui dont le nom seul était pour eux un
ne cessa de susciter aux Carthaginois objet de terreur. Annibal, on le sait,
de nouveaux embarras. Enfin, par ses
attaques sans cesse renouvelées, il les s'expatria
mis. Privéepour de son échapper
chef età obligée
ses enne-
de
entraîna dans une guerre qui devait céder aux circonstances, la faction
amener leur ruine. Rarcine abandonna le pouvoir au parti
ÉTAT INTÉRIEUR DE CARTHAGE; aristocratique, que les historiens de
l'antiquité ont justement flétri en le
(*) Caton était au nombre de ces com-
missaires. qualifiant de parti romain. Bientôt,
par suite des succès de Massinissa et
104 L'UNIVERS.
des relations fréquentes des Numides de la province de Tysca et du territoire
avec Carthage, il se forma dans la ré- des Grandes-Plaines, que les Romains
publique une troisième faction : celle- avaient envoyé des commissaires en
ci favorisait ouvertement les préten- Afrique. Pour pénétrer jusqu'au terri-
tions du roi de Numidie , et se montrait toire qui faisait l'objet du une débat, ces
commissaires traversèrent contrée
non moins hostile que l'aristocratie au
parti vraiment national. qui appartenait aux Carthaginois. Ils
Rassurés par la lutte des factions et virent alors des campagnes fertiles,
par les dissensionsqui éclataient chaque embellies par une savante agriculture,
jour au sein de la ville, se fiant d'ail- et où l'on rencontrait d'immenses ap-
leurs sur la vigilance de Massinissa, provisionnements. Après avoir rempli
leur fidèle allié, les Romains faisaient leur mission, ils entrèrent à Carthage.
la guerre en Espagne, en Illyrie et en Là ils furent frappés d'étonnement. En
Grèce, et ils attendaient patiemment effet, peu d'années s'étaient écoulées
l'occasion de porter le dernier coup à depuis la victoire de Scipion , et cepen-
la puissance carthaginoise. Par son lan- dant Carthage semblait avoir réparé
gage et par ses actes, Carthage sem- toutes ses pertes. Elle brillait par ses
blait encore ôter aux Romains tout richesses, et dans ses rues circulait
sujet de crainte. Elle remplissait ses une innombrable population. Les com-
engagements, payait exactement le missaires revinrent à Rome, où, rap-
tribut qui lui avait été imposé, et quand pelant leurs impressions, ils racon-
les Romains entreprenaient uneguerre, tèrent ce qu'ils avaient vu. « Carthage,
elle leur prêtait une loyale assis- disaient-ils, s'est relevée de ses dé-
tance (*). Il arriva un jour â R.ome des faites et elle a repris toutes ses forces.
ambassadeurs qui annoncèrent que les Dès à présent, les richesses et la puis-
Carthaginois avaient amassé au bord sance de cette ville ennemie doivent
de la mer un million de boisseaux de nous inspirer des craintes sérieuses. »
blé et cinq cent mille boisseaux d'orge, Ce fut alors que Caton laissa tomber
et qu'ils étaient prêts à les faire trans- dans le sénat des figues qu'il portait
porter où il plairait au sénat. Les dans sa toge. Les sénateurs admiraient
ambassadeurs ajoutèrent : « Ce présent la beauté et la grosseur de ces figues,
« et ce service sont loin, sans doute, lorsqu'il leur dit : « La terre qui les
« de répondre à notre bonne volonté et produit n'est qu'à trois journées de
« aux bienfaits du peuple romain ; mais Rome. » Caton ne se bornait pas à faire
« vous savez que dans d'autres temps des allusions, il exprimait ouvertement
« et lorsque la fortune des deux peu- sa pensée, et l'on sait qu'à cette épo-
« pics était également prospère, nous que ilterminait tous ses discours par
« avons maintes fois rempli les devoirs ces mots : « J'opine pour la destruction
« de bons et fidèles alliés. » Ce langage de Carthage. » Il trouva, il est vrai,
abject et une si entière soumission en- quelques contradicteurs dans le sénat,
tretenaient les Romains, à l'égard de mais la majorité de l'assemblée parta-
Carthage, dans une complète sécurité. geait ses opinions. La destruction de
Mais bientôt leurs craintes se réveil- Carthage fut donc résolue, et le sénat
lèrent, etils portèrent toute leur at- romain n'attendit plus qu'une occasion
tention sur cette ville, qu'après la ba- favorable ponr mettre son projet à
taille d? Zama ils croyaient abattue et exécution. Cette occasion ne tarda pas
privée de ses dernières ressources. à se présenter.
Nous avons déjà dit, en parlant de - Les partisans de Massinissa
la contestation qui s'était élevée entre sont expulsés de carthage par
les Carthaginois et Massinissa au sujet le parti démocratique ; guerre
entre les Carthaginois et le roi
(*) Pendant la guerre contre Persée , les de Numidie; 152-149 avant notre
Carthaginois avaient envoyé des vaisseaux ère. — Au moment même où les Ro-
aux Romains. mains préparaient la destruction de
105
CARTHAGE.
Carthage, cette ville était en proie à Enfin , il y eut entre les deux armées
de violentes dissensions. Vers l'année une grande bataille. Pendant cette san-
glante mêlée qui dura un jour entier,
152 le parti démocratique l'emporta,
et fit condamner à l'exil quarante ci- Massinissa, âgé alors de quatre-vingt-
toyens qui appartenaient à la faction huit ans, courait à cheval parmi les
du roi Massinissa. Dans cette circons- siens, remplissant tout à la fois, dit
tance, lepeuple s'engagea par serment Appien, les devoirs du général et du
soldat. Vers le soir, la victoire était
à ne jamais rappeler ceux qu'il venait
d'expulser. Les citoyens bannis se re- encore douteuse lorsque les deux ar-
tirèrent alors en Numidie : là ils pres- mées se séparèrent.
sèrent vivement Massinissa de déclarer Le jeune Scipion se trouvait à cette
la guerre à leurs concitoyens. Le roi, bataille, mais il n'y prit aucune part :
dit un historien ancien , cédant moins il se tenait à distance, sur une colline,
et de là il suivait avec attention les
aux conseils qu'on lui donnait qu'à sa mouvements des deux armées. Plus tard,
propre inclination , n'hésita point à
s'engager dans une nouvelle lutte con- il répéta souvent qu'il avait assisté à
tre les Carthaginois. D'abord il réso- de nombreuses
vait jamais éprouvé batailles, mais qu'il
un plaisir aussi n'a-
vif
lut d'envoyer à Carthage ses deux fils
Gnlussa etMicipsa, pour exiger qu'on quedanscettejournée,oùil avait vu aux
rappelât ceux de ses partisans que le prises plus de cent mille combattants.
peuple avait bannis. Gulussa et Micipsa Il est vraisemblable qu'après cette
touchaient déjà aux portes de Carthage bataille Asdrubal conçut des craintes
lorsqu'ils apprirent que, par ordre des sérieuses sur l'issue de la guerre , car
magistrats, il leur était défendu d'en- il pria tablir
Scipion
lapaix entre de s'employer pour ré-
les Carthaginois
trer dans la ville. On raconte qu'à leur et Massinissa. Il disait que Carthage
retour, les fils du roi de Numidie fu-
rent attaqués par les Carthaginois , et était prête à céder une portion de
qu'après avoir vu périr plusieurs hom- son territoire (*) ; il promettait en
mes de leur escorte ils n'échappèrent outre, au nom de ses concitoyens, de
qu'avec peine à ceux qui les poursui- faire payer à Massinissa mille talents :
vaient. Massinissa profita de ces cir- deux cents immédiatement, et huit
constances pour s'emparer de la ville cents à une certaine époque que l'on
d'Oroscope , qu'il avait respectée jus- fixerait d'un commun accord. Le roi
qu'alors, de Numidie accepta ces propositions,
vertementpourlesne point violer
traités. trop ou-
Une tentative
aussi audacieuse mit fin à toutes les mais il voulut aussi qu'on lui renvoyât
ses transfuges. Sur le refus des Car-
hésitations des Carthaginois. Ils levè- thaginois, lesnégociations furent rom-
rent quarante-cinq mille fantassins et
quatre cents cavaliers, et ils placèrent Alors Massinissa environna d'un
Asdrubal à la tête de cette armée. fort retranchement la colline sur la-
Asdrubal se mit en marche, et il vit pues.
quelle se trouvait l'armée d'Asdrubal.
bientôt ses forces augmentées de six Il intercepta l'arrivée des convois , et
mille cavaliers numides qui avaient il fit si bonne garde que les Carthagi-
abandonné le camp de Massinissa. Dans nois, ne pouvant sortir de leur camp
les premiers combats qui furent livrés, pour se procurer des vivres, furent
les Carthaginois obtinrent l'avantage. bientôt en proie à une horrible famine.
Mais Massinissa usait de ruse, et par Quelques jours encore après la bataille ,
une fuite simulée il attira peu à peu Asdrubal et les siens auraient pu tra-
Asdrubal et son armée sur un terrain verser les rangs de l'armée ennemie
inculte et parsemé, d'un grand nombre et revenir à Carthage ; mais ils avaient
d'éminences. Le roi de Numidie resta appris que des ambassadeurs romains
alors dans la plaine, et les Carthaginois
s'emparèrent des lieux élevés, croyant (*) Suivant Appien , c'était le territoire
se ménager ainsi une forte position. qui se trouvait aux environs des Emportes.
106 L'UNIVERS.
(*) Asdrubal n'eut d'abord avec lui que la guerre , son armée reçut de nombreux
quarante-cinq mille hommes , mais pendant renforts.
107
CARTHAGE.
punique, Scipion avait campé; c'est là ordonnèrent aux licteurs d'éloigner les
qu'ils reçurent les ambassadeurs car- Carthaginois.
Les ambassadeurs reviennent a
thaginois".
« Livrez-nous vosCensorinus
armes. leurDèsdit aujour-
alors : Carthage; ils font connaître au
d'hui, elles sont devenues inutiles, sénat la réponse des consuls;
« puisque vous désirez sincèrement la tumulte dans la ville; les car-
« paix. » Les Carthaginois se résignè- thaginois se préparent a sou-
rent àce dernier sacrifice ; seulement ils tenir un siege; 149 avant notre
déclarèrent aux Romains qu'Asdrubal ère. — Se fondant sur le récit d'Ap-
avait rassemblé vingt mille hommes, pien, quelques historiens ont pensé,
et qu'ilsdene cette
soldats pouvaient
armée contraindre les avec raison peut-être, qu'il y avait des
à livrer leurs traîtres parmi les ambassadeurs car-
armes. « Laissez-nous ce soin, ajoutè- thaginois. En effet, Appien nous ap-
« rent les consuls, et retournez à Car- prend qu'après avoir connu la volonté
« thage. » On vit bientôt arriver au du peuple romain, les ambassadeurs
camp romain d'innombrables chariots s'approchèrent des consuls et leur di-
tout chargés d'armes et de machines rent :« Si vous nous abandonnez , nous
de guerre. Ils étaient suivis des am- serons massacrés par nos concitoyens
bassadeurs carthaginois et d'une foule avant d'avoir achevé le récit de notre
de citoyens qui tenaient un rang dis- mission. Nous vous prions de diriger
tingué dans la république. « En ce votre flotte vers Carthage, afin que la
jour, ditPolybe, on put apprécier toute vue de vos vaisseaux vienne en aide à
la puissance de Carthage, car elle livra nos paroles, et fasse comprendre au
plus de deux cent mille armures et peuple la nécessité où il se trouve au-
deux mille catapultes. » Se croyant jourd'hui d'obéir à vos ordres. » Cen-
sorinus partit alors avec vingt galères
maîtres pourvu déjà d'un ennemi pris au dé-
et désarmé, les deux consuls à cinq rangs de rames, et il vint croi-
n'hésitèrent plus à faire connaître la ambassadeurs, ser sur la côte de Carthage. Parmi les
volonté du peuple romain. Censorinus il y en eut plusieurs
s'adressa aux Carthaginois, et leur fit qui ne furent point encore assez ras-
entendre ces terribles paroles : « Aban- surés par cette démonstration du con-
« donnez Carthage, et choisissez, sur le sul et qui s'enfuirent par différents
« territoire que Rome vous a laissé, un chemins; les autres ne balancèrent
« emplacement pour y transporter vos point à se diriger vers la ville pour
« demeures. Toutefois, que la ville nou- apporter la fatale nouvelle à leurs con-
« velle soit éloignée de la mer au moins citoyens.
« de trois lieues. Rome nous a en^Jyés A' Carthage, on attendait avec im-
« pour détruire Carthage.» Quand Cen- patience leretour de ceux qu'on avait
sorinus eut achevé, les Carthaginois envoyés au camp des Romains. Une
donnèrent tous les signes de la plus partie des habitants s'était portée sur
vive affliction. Ils pleuraient, déchi- les murailles, l'autre se tenait sur la
raient leurs vêtements, se jetaient à route d'Utique, afin d'épier le moment
genoux, et invoquaient les dieux, de leur arrivée. Ils parurent enfin. Du
qu'ils prenaient à témoin de la per- plus loin qu'on les vit, on courut à
fidie-des Romains. Les consuls, pour leur rencontre. La démarche des am-
échapper à de si justes plaintes , et pour bassadeurs et la tristesse qui était
ne pas voir plus longtemps cette scène peinte sur leurs visages jetèrent bien-
de douleur, dirent aux Carthaginois : tôt la foule qui les environnait dans
« Hâtez-vous d'obéir aux ordres du une inexprimable angoisse. On les
« sénat. Retournez promptement à Car- abordait, on les pressait de questions,
« thage. Vous n'avez rien à redouter, car mais ils avançaient toujours et gar-
« vous n'avez point encore perdu à nos daient lesilence. Quand ils arrivèrent
«yeux l.e caractère sacré qui défend et à la porte de la ville, tout Je peuple
« protège les ambassadeurs. » Puis ils se précipita vers eux. Comme ils res-
109
CARTHAGE.
taient silencieux, on voulut les massa- mes complètement armés, fut choisi
crer. Effrayés par les cris et les me- pour commander, hors des murs de
naces qui les accueillaient de toutes Carthage , les troupes de la république ,
parts, ils dirent alors, pour échapper et un autre Asdrubal, petit-fils de
Massinissa par sa mère, fut chargé de
au danger, qu'ils allaient communi- veiller à la défense de la ville. Cette
quer au sénat les nouvelles qu'ils ap- généreuse résolution, chez un peuple
portaient. Aussitôt le calme sembla
renaître; les flots pressés de la multi- qui depuis un demi-siècle avait montré
tude s'ouvrirent et laissèrent aux am- à l'égard de ses plus cruels ennemis
bassadeurs un libre passage. tant de faiblesse et une si lâche con-
Le lieu où le sénat s'était réuni fut descendance, ne pourrait s'expliquer,
bientôt environné par une foule im- si l'on ne savait que la révolution qui
mense. Quand les ambassadeurs intro- venait d'éclater dans la république
duits dans l'assemblée firent connaître avait remis le pouvoir aux mains de
les ordres des consuls, les sénateurs ceux qui aimaient sincèrement leur pa-
poussèrent un cri auquel répondit, du trie. Quand les projets odieux des
dehors, la voix du peuple; puis, au traîtres vendus à Rome et à Massinissa
moment où les ambassadeurs racontè- furent dévoilés, Carthage, comme au
rent ce qu'ils avaient dit pour fléchir
les Romains , il y eut un morne silence ; temps point àdeconfier la guerre ses d'Annibal,
destinées aun'hésita
parti
enfin, quand on apprit que les consuls démocratique. Dès lors, elle sembla
ne permettaient pas même aux Car- se ranimer avec toutes ses forces pour
thaginois d'envoyer à Rome une am- engager contre ses ennemis un dernier
bassade, les sénateurs firent entendre et glorieux combat.
un nouveau cri. Le peuple en fureur Les Carthaginois avaient envoyé au
força alors l'entrée du sénat et se pré- trente romain camp
jours.
demander une trêve de
Cette trêve ne leur fut
En un cipita au milieu
moment,de ill'assemblée. y eut dans la ville point accordée. Le refus des consuls,
un horrible tumulte/ On massacra les loin de les abattre, né fit que leur ins-
sénateurs qui avaient conseillé de li- pirer une nouvelle audace. Hommes
vrer aux Romains les trois cents otages et femmes se précipitèrent alors dans
et toutes les armes; on poursuivit à les temples et les édifices spacieux pour
coups de pierres les ambassadeurs, et les transformer en ateliers. Là, ils
on se jeta, pour user de représailles, travaillèrent nuit et jour, sans relâche,
sur les Italiens qui se trouvaient alors à la fabrication des armes, et bientôt
à Carthage; puis il y eut un grand' ils eurent en nombre suffisant des pi-
nombre de citoyens qui coururent aux ques, des épées et des boucliers. Il y
portes et aux murailles pour les dé- eut un moment où l'on manqua de
tendre contre l'ennemi que l'on atten- cordages pour les machines de guerre ;
dait àchaque instant. « Toute la ville, « alors, dit Appien, les femmes n'hé-
dit Appien, était pleine de larmes, de sitèrent point à faire, pour la défense
fureur, de crainte et de menaces. » commune, le sacrifice de leurs che-
Dans un danger si pressant, le sénat veux. »
carthaginois se montra ferme et résolu ; Commencement de la. troisième
il ordonna à tous les citoyens de se GUERRE PUNIQUE ; MàNILIUS ET CEN-
tenir prêts à combattre, et par un dé- SORINUS S'APPROCHENT DE CARTHA-
cret, qu'un héraut était chargé de lire GE ;PREMIÈRES OPÉRATIONS DU SIE-
publiquement, il affranchit les escla- GE; 149 AVANT NOTRE ÈRE. — Des
ves. On eut bientôt rassemblé de nom- événements imprévus avaient arrêté
breux soldats. Asdrubal(*), qui avait Manilius et Censorinus. Le vieux roi
déjà sous ses ordres vingt mille hom- de Numidie, Massinissa, n'avait point
vu sans douleur les Romains descendre
(*) C'était le même qui avait été condamné en Afrique pour lui arracher une con-
à mort pour avoir fait la guerre à Massinissa.
quête qu'il poursuivait depuis un demi-
110 L'UNIVERS.
siècle. Une chose surtout l'avait irrité , qu'il y avait au sud de Carthage une
c'est que les Romains l'avaient laissé langue de terre étroite et allongée qui
dans une ignorance complète de leurs séparait le lac de Tunis de la mer.
desseins. Il témoigna, par ses messa- Cette langue de terre s'appelait Taenia.
ges, son mécontentement à Manilius Au point de jonction de la Taenia et de
et à Censorinus : ceux-ci étaient donc
la presqu'île où est bâtie Carthage,
peu rassurés sur les dispositions de s'élevait un mur qui n'était pas très-
leur plus fidèle allié, lorsqu'ils reçurent élevé et qui n'avait qu'une médiocre
des courriers qui annoncèrent que épaisseur. C'était l'endroit le plus
Massinissa enverrait des secours aux faible des fortifications de Carthage^).
Romains, et qu'il leur prêterait, Arrivés sous les murs de la ville,
comme par le passé, une loyale assis- les deux consuls combinèrent les opé-
tance. Les consuls avaient encore un rations du siège. Manilius se plaça sur
autre sujet de crainte; ils ne se procu- le continent, au nord de Carthage, non
raient des vivres qu'avec une extrême loin vraisemblablement de la porte
difficulté, et ils ne recevaient des con- d'Utique. Censorinus avec la flotte se
vois queaud'un
situées bordpetit
de lanombre de villes
mer. Asdrubal porta à l'extrémité de la Tœnia , vers
la partie faible de la muraille. Manilius
tenait toute la campagne, et ii ne et Censorinus s'étaient promis une
cessait d'envoyer à Carthage d'im- victoire aisée : ils croyaient Carthage
menses approvisionnements. Cepen- dépourvue d'armes et de soldats , et
dant, après plusieurs jours passés dans
déjà ils se préparaient à livrer l'assaut,
l'incertitude, Manilius et Censorinus lorsqu'ils virent sur les murailles des
prirent enfin la résolution de venir hommes bien armés et qui faisaient
attaquer Carthage, et ils se dirigè- bonne contenance. Tant de résolution
armée.rent vers' cette ville avec toute leur et d'audace chez les assiégés étonna les
consuls. Ils furent contraints alors ,
Carthage était bâtie sur une pres-
pour ne point s'engager témérairement
qu'île, entre Utique, au nord-ouest, dans une périlleuse entreprise, de pren-
et Tunis, au sud-ouest. Vers le conti- dre de nouvelles dispositions. Enfin,
nent, la ville était défendue par une
après quelques moments d'hésitation ,
triple défense : un fossé bordé d'une ils voulurent tenter l'assaut et ils es-
palissade, un mur d'une hauteur mé- sayèrent une double attaque, mais ils
diocre, et un autre mur d'une éléva- furent repoussés nar les Carthaginois.
tion considérable. Du côté de la mer, Ce premier succès accrut encore le
il n'y avait qu'une simple muraille. courage et l'ardeur des assiégés.
Au nord, se trouvait un faubourg On vit bientôt paraître sur les bords
qu'on appelait la Ville neuve ou Mé~ du lac de Tunis l'armée d' Asdrubal.
gara. Un mur particulier séparait ce
Craignant à leur tour d'être envelop-
faubourg de l'ancienne ville. Au sud pés et assiégés, Manilius et Censorinus
de Carthage se trouvaient deux ports;
fortifièrent leurs camps et s'y tinrent
l'un était destiné aux vaisseaux mar- renfermés ; obligés de se prémunir
chanl'autre
ds , aux vaisseaux de guerre. contre une double attaque, ils furent
Les deux ports communiquaient à la forcés de ralentir les opérations du
mer par une entrée commune. Il fallait siège. Asdrubal, en effet, surveillait
traverser le port marchand pour ar- tous les mouvements -des armées con-
river au port militaire ou Cothôn. La sulaires. Un jour, Censorinus ayant
place où se tenaient les assemblées du traversé le lac de Tunis pour se procu-
peuple était située près du Cothôn; et rer le bois nécessaire à la construc-
non loin de cette place, en se dirigeant tion des machines de guerre, il se vit
vers le nord , on rencontrait la cita-
delle connue sous le nom de Byrsa. (*) Nous renvoyons nos lecteurs à la par-
Nous devons ajouter encore, afin de tie de notre travail que nous avons consa-
rendre plus clair le récit qui va suivre, crée àla topographie de Carthage.
PLAN J>E CARTTi AGI; ET DE LA PENINSULE
d'ehk/ui (JaUne
G. H .f urine J .
I. Diane de .rci/>iou .
K. Amphitlwc.hr .
■Joe» M.
M. Maison d A unifiai ,
3r e R
XV jvo 1000
(ART IL AGE
VTTJSriQ l K E T ROMAINE
C. Oanmit
1
quaient. Les convois que l'on envoyait , de l'ennemi , c'était montrer plus de
par mer, à Manilius, étaient souvent lâcheté que de prudence. « Au moins,
interceptés par les Carthaginois. Pour ajouta Scipion , restons de ce côté du
protéger les débarquements, le consul fleuve , et attendons qu'A sdrubal vienne
avait fait élever un fort sur la côte ; nous présenter la bataille, v Les tri-
mais, depuis longtemps, les provisions buns repoussèrent encore cet avis. « Si
qu'il recevait
11 réunit alorsnedixpouvaient lui suffire.et
mille fantassins nous devons ici , dit l'un d'eux , obéir
à Scipion , et non point au consul , je
deux mille cavaliers, et il leur ordonna suis prêt à jeter mon épée. » Après
de se répandre dans les campagnes cette vive altercation, Manilius passa
pour enlever les blés et le fourrage. le fleuve. Il y eut bientôt entre les Car-
Ce corps d'armée eut bientôt à redou- thaginois etles Romains une sanglante
ter les attaques de Phamaeas. Le géné- mêlée ; mais il est vraisemblable que
ral de la cavalerie carthaginoise se l'avantage ne resta point aux Romains ,
cachait dans les vallées, et, lorsqu'il car, immédiatement après la bataille,
voyait les fourrageurs romains épars ils se disposèrent à la retraite. Parmi
eux, dit Appien, il y en avait déjà un
çà'et là pitait surdans
eux ,laet campagne,
les massacrait.il se Parmi
préci-
grand nombre qui se repentaient d'avoir
les tribuns qui commandaient à tour donné à Manilius le conseil d'entre-
de rôle les soldats qui sortaient du prendre cette périlleuse expédition.
camp, Scipion était le seul que Pha- Au moment où l'armée , en se retirant ,
mseas n'osât point attaquer. En effet, arriva aux bords du fleuve , l'embarras
le jeune tribun maintenait ses soldats fut extrême , car on ne trouvait qu'un
dans une discipline sévère; il ne leur petit nombre de bateaux pour trans-
permettait point de s'écarter des rangs ; porter les soldats d'une rive à l'autre.
et, lorsqu'il envoyait une troupe pour Les Romains , craignant alors d'être
couper l'herbe et enlever le blé, il fai- attaqués pendant les lenteurs du pas-
sait garder les fourrageurs par de forts sage, rompirent leurs rangs, et bien-
détachements de cavaliers et de fan- tôt ,parmi eux, le désordre fut à son
tassins. Scipion ne tarda point à rendre comble. Asdrubal épiait tous leurs
de nouveaux services à l'armée; d'abord mouvements. Quand il crut l'instant
il repoussa les Carthaginois qui avaient favorable, il se précipita sur eux et en
essayé bâti
avait d'enlever au bordle de fortla que consul lit un grand massacre. Trois tribuns
mer;le ensuite des légions restèrent au nombre des
il sauva Manilius et les soldats romains
morts ; c'étaient les mêmes qui naguère
qui s'étaient imprudemment engagés avaient conseillé à Manilius de persis-
dans une expédition contre Asdrubal. ter dans son dessein, et de livrer ba-
Le général carthaginois avait établi taille aux Carthaginois. L'armée ro-
son camp à ÎSTéphéris. C'était de là maine courait grand risque d'être
qu'il envoyait Phamaeas pour harceler exterminée tout entière, lorsque Sci-
les soldats romains. Le consul, mal- pion ,prenant avec lui un corps de ca-
gré les avis de Scipion, prit un jour valerie, arrêta l'ennemi par ses habiles
la résolution d'attaquer Asdrubal dans manœuvres. Il attira sur lui tout l'ef-
ses retranchements. Il se mit en mar- fort des Carthaginois , et donna le
che et il se dirigea, à travers un pays
tempstre rive. aux Le Romains consul deetpasser sur l'au-
son armée se
qui lui était inconnu , vers l'armée trouvant ainsi hors du péril , Scipion ,
ennemie. Les Romains n'étaient plus
séparés du camp d'Asdrubal que par avec ses cavaliers, se jeta dans le fleuve,
un espace de untrois stades au milieu d'une grêle de traits , et il
rencontrèrent fleuve. En lorsqu'ils
cet ins- parvint, non sans peine, à rejoindre
tant, Scipion conseilla à INJanilius de ceux qu'il avait sauvés.
rétrograder. Alors quelques-uns des Au moment où Asdrubal avait com-
tribuns, qui étaient jaloux de la gloire mencé lecombat, quatre cohortes ro-
de Scipion , s'écrièrent que fuir à la vue maines avaient été séparées du gros
C ART HA G E
CARTHAGE. 113
sous ses ruines. Au moment où l'in- VINCE ROMAINE; 146 AVANT NOTRE
ère. — Scipion permit à son armée
cendie commençait à dévorer l'édifice, de piller les ruines de Carthage; tou-
la femme d'Asârubal , revêtue de ses
plus beaux vêtements, se présenta avec tefois, ilfit mettre en réserve l'or,
ses deux enfants, à la vue de Scipion; l'argent et les objets qui avaient été
elle lui cria avec force : « Romain, les consacrés aux dieux dans les temples.
dieux te sont favorables, puisqu'ils Puis, il donna une gratification à ses
t'accordent la victoire. Souviens-toi de soldats. ïl envoya alors à Rome un
punir Asdrubal qui a trahi sa patrie, vaisseau chargé de riches dépouilles,
ses dieux, sa femme et ses enfants. pour annoncer sa victoire. En même
Les génies qui protégeaient Carthage temps , il fit savoir aux peuples de la
s'uniront à toi pour cette œuvre de Sicile qu'il était prêt à leur restituer
vengeance. » Puis, se tournant vers tout ce qui leur avait été pris pendant
Asdrubal : « O le plus lâche et le plus leurs guerres avec les Carthaginois (*).
infâme des hommes! tu me verras
Ce fut un soir que l'on vit arriver
mourir ici avec mes deux enfants; mais à Rome le vaisseau envoyé par Sci-
bientôt tu sauras que mon sort est en- pion et quede l'on apprit laLanouvelle de
core moins à plaindre que le tien. Il- la ruine Carthage. joie fut
lustre chef de la puissante Carthage, grande dans la ville. Pendant la nuit,
tu orneras le triomphe de celui dont tu les citoyens s'abordaient, s'interro-
baise les pieds, et après ce triomphe, geaient et s'adressaient de mutuelles
tu recevras le châtiment que tu mé- félicitations. On racontait aussi les
rites. » En achevant ces mots, elle
guerres passées,
lait les divers et lorsqu'on
incidents rappe-
de la dernière
égorgea ses deux enfants et se précipita
avec eux au milieu des flammes. « Ce lutte, on trouvait qu'aucune victoire
n'était point la femme d'Asdrubal, dit n'était comparable à celle que venaient
Appien, qui devait terminer sa vie par de remporter Scipion et son armée.
cette mort héroïque , mais Asdrubal Le succès même était si grand, que
lui-même. » parfois on était tenté de n'y point
On raconte que Scipion , en voyant croire, et l'on entendait des gens qui
autour de lui tant de ruines accumu- disaient : « Mais est-il bien vrai que
lées, versa des larmes. Il pensait à la Carthage ait été détruite ? » Toute la
triste destinée de Carthage qui avait nuit se passa ainsi en joyeux propos et
été si longtemps riche et puissante. Il en manifestations de la plus vive allé-
lui arriva, au milieu de ses réflexions , gresse. Le lendemain , à la pointe du
de s'écrier avec Homère : jour , on se rendit aux temples pour
« Viendra un jour où périra Troie , faire des prières et des sacrifices. Après
la ville sacrée, et où périront avec elle avoir rendu aux dieux de solennelles
Priam et le peuple de Priam (*). » actions de grâces, on donna des jeux
Polybe, qui se trouvait à côté de au peuple, et les fêtes commencèrent.
Scipion, lui dit alors : « Quel sens at-
tachez-vous àces paroles? — C'est (*) « C'étaient,ditDiodore, des portraits
Rome qui occupe ma pensée, répondit peints de leurs hommes illustres , des sta-
tues exécutées avec un talent remarquable,
Scipion; je crains pour elle l'instabi- et des offrandes en or et en argenl qu'on
lité des choses humaines. Ne pourrait- avait faites à leurs dieux. Himère y retrouva
il point se faire qu'elle éprouvât un
jour les malheurs de Carthage? » sa statueet personnifiée
femme celle du poète sous les traitsSegeste,
Stésichore; d'une
Carthage ruinée; Scipion par-
tage LE BUTIN ENTRE SES SOLDATS ; sa Diane; Gela, plusieurs objets d'art; Agri-
joie a Rome a la nouvelle de la gente , le fameux taureau de Phalaris. Plu-
prise de Carthage; le territoire sieurs villes d'Italie et d'Afrique recouvrè-
rent alors , par la libéralité de Scipion , les
CARTHAGINOIS EST RÉDUIT EN PRO- objets précieux dont elles avaient été dé-
de la Malle. pouillées parles Carthaginois. » M. Dureau
(*) Iliade iv, v. 164 et i65.
128 L'UNIVERS.
nés circonstances l'intervention du peu- rite était loin d'être illimitée , et ils ne
ple était jugée nécessaire. Quand les pouvaient , à eux seuls, contre-balancer
pouvoirs supérieurs, qui secomposnient la puissance du conseil des Cent et de
des deux assemblées et des suffètes , la grande assemblée. Il fallait, il est
n'étaient point d'accord, c'était le vrai, que, pour l'adoption des
peuple qui décidait. Les deux suffètes sures jugées indispensables par me-
les
ou rois étaient placés à la tête du gou- assemblées , ils donnassent leur ad-
vernement (*). Cependant leur auto- hésion. Quand celte adhésion man-
quaitle, sénat avait encore un moyen
que où la république par ses conquêtes, par
la grandeur et la nature de ses entreprises, de l'emporter. Il s'adressait au peuple,
qui décidait. Ce qui relevait la dignité
parle nombre des peuples tributaires, était
florissante et se trouvait à l'apogée de sa
des suffètes à Carthage, c'était moins
puissance et de sa splendeur. A celte époque, l'importance des fonctions que les
distinctions honorifiques. Ainsi, ils
le gouvernement , à Cartilage, était pure-
ment aristocratique et, comme nous l'avons
avaient la préséance dans les assem-
blées. Us étaient choisis parmi les
dit , le peuple n'avait dans les affaires de
l'Étal qu'une faible part d'action C'est le membres les plus influents du sé-
jeu des institutions qui étaient en vigueur, nat, mais leur élection était ratifiée
pendant cette période que nous venons d'ex- par le peuple. Leur pouvoir était
pliquer.^Tlus tard , au moment où Carlhà&e
à vie, et par conséquent soumis à
se trouva en contact avec Rome, et après l'élection. Nous voyons quelquefois les
de longue» guerres et de*; désastres multi- suffètes prendre en main le comman-
plies, il se lit dans la constitution de gra- dement des armées de terre et des
ves changements. Le peuple à son tour voulut
interwnir dans le gouvernement et se mé- flottes,inhérent
point mais se àcommandement leurs fonctions. n'était
Tout
nager dans les affaires de l'État une grande nous porte à croire, au contraire, que
influence. L'aristocratie soutint une lutte
opiniâtre contre cette prétention nouvelle l'on abandonnait plus volontiers aux
et elle accabla de toute sa haine la famille suffètes tration ce civile. quiLaconcernait
république l'adminis-
apportait
fiarca qui appuyait les réclamations de la
démocratie! Cependaùt,au temps des guerres le plus grand soin dans le choix de
puniques, les circonstances étaient changées, ses généraux : on prenait pour com-
et des événements imprévus nécessitaient, mander les armées, ceux qui, dans
peut-être, dans la constitution des réfor- les guerres, s'étaient distingues pat-
mes extraordinaires. Si l'aristocratie s'était leur courage ou leurs talents.D'abord
prêtée de son plein gré aux rélorn.i s deman- c'était le conseil supérieur oit des Cent
dées par le peuple, Carthage eût peut-être qui nommait; ensuite la grande as-
échappé aux humiliations et aux malheurs semblée etle peuple sanctionnaient la
sans nombre qui vinrent fondre sur elle pen- nomination. En plusieurs circonstan-
dant un demi siècle (202-146 avant notre ère);
ces, lechoix fut laissé à l'armée elle-
peut-être aussi eût-elle évité une entière des- même; ainsi, pendant la guerre des
truction. C'est l'opinion de Montesquieu : Mercenaires, au moment où un funeste
«Carthage, dit-il, périt parce que, lorsqu'il dissentiment éclata entre Lannon et
fallut retrancher les abus, elle ne put souf- Amilcar, les soldats reçurent pouvoir
frir lamain de son Annibal mèmv.»(Grandeur
et décadence des Romains, ch. viii.) Anni- d'élire un chef unique : "ils se pronon-
bal, on le sait, fut, après Amilcar son père, cèrent, on Je sait , en faveur d'Amilcar.
le chef du parti démocratique. Au reste, Enfin , pour terminer cette no-
nous avons raconté plus haut, avec quelque menclature ,nous dirons que Cor-
étendue, les changements survenus dans la nélius I\epos parle d'un magistrat qui ,
constitution de Carthage et la lutte de la
démocratie contre l'aristocratie. Voyez prin- le gouvernement républicain. Malchus, qui
cipalement p.80, 97 et suiv. , io3, 108, commanda en Sicile et en Sardaigne (536-5 3o
109, 121 et suiv. avant notre ère) , est le premier Carthagi-
(*) Suivant les traditions , le gouverne- nois qui, dans l'histoire, porte le titre de
ment monarchique avait précédé, à Carthage, suffète. Voy. plus haut, p. 3.
CAR.THAGE. 131
à Carthage , aurait été revêtu des fonc- par ce monopole, qui était loin de
tions de censeur des mœurs. contribuer à la prospérité des colonies ,
Nous ne pouvons nous arrêter sur la république gagnait d'incalculables
les institutions judiciaires des Cartha- richesses. La métropole avait soin de
ginois, car nous n'avons sur ces insti- transporter, là où elle établissait des
tutions que des données incomplètes. colons, ses dieux et son culte. La con-
Nous savons cependant qu'il existait formité des croyances religieuses était
des magistrats spéciaux pour juger les assurément un lien puissant; mais Car-
affaires civiles et criminelles.
Système de gouvernement a moyens thagepour
eut encoreretenirrecours à d'autres
les colonies sous
l'égard des peuples tributaires sa dépendance. Elle plaçait dans cha-
sur le continent africain et des cune d'elles des magistrats carthaginois
colonies. — Carthage tenait dans une chargés de l'administration civile et mili-
étroite dépendance toutes les villes qui taire, etsouvent elle adjoignait aces ma-
lui étaient soumises sur le continent gistrats une garnison de mercenaires.
africain. Loin de leur conférer des Étendue de la puissance car-
privilèges étendus, elle les traitait en thaginoipeuples
se ; soumis a Car-
villes conquises, et elle montra parfois thage SUR LE CONTINENT AFRICAIN ;
à leur égard une extrême dureté. Elle colonies. — Carthage, après sa fon-
leur faisait payer de lourds impôts, dation, setrouva en lutte avec les peu-
et, lorsqu'il s'agissait de percevoir, ples qui l'avoisinaient. Elle triompha
fisc de la république procédait avec unele cependant, et elle compta enfin au
inflexible rigueur. Les gouverneurs nombre de ses tributaires tous les enne-
délégués pour administrer les villes mis qui l'avaient attaquée. Par un long
avaient mission, avant tout, de faire contact, les hommes qui habitaient
entrer de grosses sommes dans le tré- autour de Carthage et de quelques au-
sor public , et les percepteurs em tres établissements phéniciens se mê-
ployaient souvent d'énergiques moyens lèrent peu à peu aux colons venus de ïyr
pour extorquer l'argent des tributaires. ou de Sidon,et, par suite de la fusion
Les habitants des campagnes n'étaient qui s'était opérée, ils reçurent le nom
pas traités avec plus de modération, de Liby-Phéniciens. Dans les provinces
et, en plusieurs circonstances, on en- voisines de Carthage s'élevèrent
leva aux cultivateurs propriétaires la tôt des villes nombreuses, et le solbien-
fut
moitié de leurs revenus. Les habitants embelli et fertilisé par une savante
des villes et des campagnes qui res- agriculture. Indépendamment des peu-
taient soumis par la force gardaient le ples sédentaires qui s'étaient presque
souvenir de ces odieuses exactions, et assimilés aux Phéniciens, il y avait
lorsqu'un ennemi mettait le pied sur encore des nomades qui s'étaient sou-
le sol de Carthage, ils se rangeaient de mis à la puissance carthaginoise. A
son côté et lui prêtaient aide et appui. l'ouest, quelques-unes des peuplades
Cette haine des peuples tributaires de la Numidie payaient un tribut. Au
contre la république se manifesta sur- midi, jusqu'au lac Triton, et à l'est,
tout avec violence à l'époque de la jusqu'à la gronde Syrte, on distinguait
guerre des Mercenaires (*). parmi les tributaires de Carthage les
Carthage suivit la même règle de Ausenses, les Maxyes, les Machlyes,
conduite à l'égard de ses colonies. Elle les Lotophages et 'les Nasamons. La
leur lit sentir quelquefois sa préémi- soumission ou l'alliance de toutes ces
nence d'une manière tyrannique. Ainsi, tribus était précieuse à la république;
elle les obligeait à fermer leurs ports les unes lui servaient de barrière contre
aux marchands étrangers. C'était à les invasions, et les autres, en trans-
Carthage seulement qu'on achetait les portant ses denrées jusqu'aux rives du
produits des contrées lointaines, et Niger, facilitaient son commerce dans
l'intérieur de l'Afrique. ■»
(*) Voyez plus haut, p. 68 et 69. Colonies. — Il ne faut pas ranger
9.
132 L'UNIVERS*
au nombre des colonies carthaginoises dans mille entreprises diverses qui
certaines villes qui peut-être, bien toutes eurent
moment un plein
où elle succèsen, jusqu'au
se trouva contact
avant Carthage elle-même, avaient été
fondées par des Phéniciens sur les côtes avec les Romains.
de l'Afrique. Salluste nous apprend Sardaigne. — Justin parle d'une
que la plupart des villes du littoral, expédition des Carthaginois contre la
aux environs de Carthage, telles qu'A- Sardaigne. Cette expédition, qui eut
drumète,Hippo-Zarytes,la petite Lep- lieu vraisemblablement entre 600 et
tis, devaient leur origine à des émigra- 550 , est une des premières que Car-
tions phéniciennes. Il en était de même thage ait dirigées contre cette île. La
pour Utique et la grande Leptis. La Sardaigne était, sans contredit, une
ville d'Utique formait un Etat indé- des possessions les plus importantes
pendant et n'était point soumise à des Carthaginois dans la Méditerranée.
Carthage. Dans deux traités que Po- Tous les peuples de l'île furent soumis ,
lybe nous a conservés et qui furent à l'exception de quelques indigènes qui
faits avec les Romains (509 et 348 se retirèrent dans les montagnes. Les
avant notre ère), et encore dans un Carthaginois, pour assurer leurs éta-
autre traité qui fut conclu avec Phi- blissements dans ce pays qui leur
lippe, roi de Macédoine, à l'époque de offrait de précieuses ressources, fon-
la seconde guerre punique, les Cartha- dèrent deux villes, Caralis et Sulchi.
ginois mentionnèrent Utique comme La Sardaigne est mentionnée expres-
ville alliée et non point comme ville sément dans les deux premiers traités
tributaire. Il semble même , d'après ces que Carthage
traités , qu'ils la placèrent sur le même de ces traités,fit les
avecRomains
Rome. Par l'un
peuvent
rang que Carthage. entretenir des relations commerciales
Après avoir donné une nomencla- avec la Libye, c'est-à-dire, avec les
ture des villes et des ports qui se trou- habitants du territoire carthaginois en
vent sur la côte septentrionale de Afrique, et avecleur la Sardaigne; par l'au-
l'Afrique jusqu'aux colonnes d'Her- tre, Carthage défend de naviguer
cule, Scylax ajoute: «Les villes et vers ces deux pays. La Sardaigne, nous
places commerçantes, depuis les Hes- le répétons , était pour les Carthaginois
pérides (la grande Syrte) jusqu'aux co- une précieuse acquisition , car elle leur
fournissait du blé en abondance, et,
lonnes d'Hercule , appartiennent toutes
aux Carthaginois. » Carthage en effet, dans les temps de guerre, elle fut plus
dans un but commercial, avait fondé d'une fois le grenier de Carthage.
des établissements nombreux sur le Corse. — La possession de la Corse
littoral africain, ou bien encore elle n'offrait pas les mêmes avantages.
avait placé des comptoirs dans les villes Toutefois, les Carthaginois, sans trop
qui ne lui devaient point leur origine. se soucier d'une contrée qui ne devait
Carthage, par sa position et par la pas leur rapporter de grands profits,
nature de ses entreprises, était animée ne se montrèrent point indifférents
de l'esprit de conquête. Il fallait pour lorsqu'il s'agit de savoir à qui appar-
les intérêts de son commerce, qui re- tiendraient lescôtes de la Corse. Ainsi ,
cevait chaque jour de nouveaux déve- quand les Phocéens, fuyant la domi-
loppements ,qu'elle accrût et multipliât nation des Perses, vinrent chercher
ses possessions dans l'intérieur des dans l'île une nouvelle patrie et y fon-
terres et au delà des mers. Elle com-
battait sans cesse pour acquérir, dans rent dèrent Alalia, les Carthaginois
aux Etrusques s'uni-
pour les expulser.
les provinces qui l'a et voisinaient, de Les Phocéens cédèrent à une coalition
nouveaux territoires de nouveaux si puissante, et ils se dirigèrent vers
alliés, et pour placer, dans les contrées un autre pays pour trouver enfin un
lointaines explorées par ses naviga- asile et un durable établissement. La
teursdes
, colonies ou des comptoirs. Sardaigne et la Corse appartenaient à
Cette nécessité de s'agrandir la jeta Carthage, lorsque les Romains se rea-
CARTHAGE. 133
dirent maîtres de ces deux îles en 237, Romains n'avaient franchi le détroit de
au moment où finissait la guerre des Messine pour descendre à leur tour'
Mercenaires. dans cette sanglante arène. Il résulta
Sicile. — On connaît assez la po- de cette guerre, dont les succès étaient
sition et l'état florissant de la Sicile partagés, que en l'étendue
dans l'antiquité, pour savoir combien carthaginois, Sicile,duvaria
territoir-
sane
sa possession devait être utile à Car- cesse. Tantôt les Syracusains étaiens
tilage. Mais jamais la commerçante réduits à défendre leurs propres mut
railles, tantôt Carthage ne conservait
cité, malgré
parvint ses efforts
à la posséder dans réitérés*, ne
son entier. en Sicile que Motya ou Lilybée. Ce-
Elle rencontra sans cesse des obstacles , pendant, depuis l'année 383, le petit
et le plus grand fut assurément la ri- fleuve Halykus était regardé comme
valité 4es Syracusains, qui, eux aussi, une ligne de démarcation entre les deux-
voulaient dominer en maîtres absolus parties belligérantes. On sait, par le
dans toute l'étendue de la Sicile. Ce qui récit qui précède, comment, après une
ouvrit à Carthage l'entrée de l'île, ce guerre qui avait duré plus de vingt
fut d'abord sa parenté avec Eryx,Panor- ans, les Carthaginois, vaincus par les
me , Motya, Soloes, Lilybée, et quelques Romains, furent obligés de renoncer
autres villes qui étaient d'origine phé- a la conquête de la Sicile.
nicienne; ensuite les rivalités qui exis- Iles Baléares. — S'il faut en croire
taient entre les différentes colonies grec- Diodore, Carthage eut des relations
ques. Après avoir fondé leurs premiers avec les îles Baléares deux siècles seu-
établissements sur la côte qui avoisine lement après sa fondation. Les Cartha-
Lilybée, les Carthaginois ne tardèrent ginois surent apprécier de bonne heure
point à s'étendre, et à pousser leurs toute l'importance de ces îles. Ils y
conquêtes jusque dans la partie orien- fondèrent une ville, Éréstis, qui offrait
tale de la contrée. Nous devons remar- aux navigateurs un excellent port, et
quer ici que, par suite du système de qui brillait par la beauté de ses édifices.
gouvernement adopté par la métropole Les îles Baléares servaient d'entrepôt
a l'égard de ses colonies, les villes aux marchands qui allaient en Espa-
carthaginoises de la Sicile ne furent gne, et elles fournissaient aux ar-
jamais bien florissantes. Carthage les mées de Carthage des soldats renom-
maintenait dans un rang très-inférieur més [tour leur habileté à lancer au loin
au sien, et ces villes, gênées dans leur des projectiles , et surtout à se servir
développement, ne pouvaient rivaliser de la fronde.
avec les colonies grecques ni par leur Petites îles de la Méditerra-
splendeur ni par leur population. Ce- née. — Entre l'Afrique et la Sicile on
pendant Carthage connaissait toute voyait les deux îles de Gaulos et de
l'importance d'une bonne position en Mélita, qui , à une époque fort recu-
Sicile. A partir du jour ou elle eut dans lée, avaient appartenu aux Phéniciens.
la partie occidentale de l'île de solides Carthage s'en empara, et elles lui ser-
établissements, elle devint conqué- virent de stations pour son commerce.
rante, et, comme nous l'avons dit, A Mélita ( Malte ) se trouvaient de
elle essaya de s'agrandir. Ce fut alors nombreuses manufactures pour la fa-
qu'une guerre terrible éclata entre elle brication des tissus. Dans ces îles, com-
et les Syracusains ses rivaux. Dans me dans toutes les autres possessions
cette guerre qui dura plusieurs siècles de la république, il y avait une garni-
(de l'an 41 0 à l'an 264 avant notre ère) , son de mercenaires à laquelle était
les Carthaginois prodiguèrent leurs préposé un officier carthaginois.
trésors et leurs soldats; ils ne se lais- Espagne. — Il serait difficile de pré-
sèrent point abattre par les succès de ciser letemps où Carthage mit le pied
Gélon , de Denys l'Ancien et d'Agatho- pour la première fois sur le sol de
cle, et l'on ne saurait dire quelle au- l'Espagne. Toutefois, il est avéré que
rait été l'issue de la lutte, si les déjà, à une époque fort ancienne, les
134 L'UNIVERS.
Carthaginois envoyèrent des colons sur Himilcon explorait la côte occidentale
les côtes de Vlbérie. Nous savons , au de l'Europe. Les fragments de Festus
reste, que les Phéniciens les avaient Avienus, qui parle de ce périple, ne
devancés en fondant des établissements nous apprennent rien de certain sur
célèbres, Gadès entre autres, sur la le but et le résultat du voyage d'Hi-
milcon.
côte méridionale de l'Espagne. Les
rapports de Carthage florissante avec Trésor public; ses revenus. —
la péninsule ibérique furent tout paci- Le trésor public, à Carthage, se rem-
fiques. Plus tard seulement, quand la plissait facilement, soit par la rentrée
république, épuisée par de longues guer- des impôts et des tributs , soit par la
res ,se vit enlever par les Romains la part considérable que l'État se réser-
Sicile . la Corse et la Sardaigne, elle vait dans les découvertes importantes
changeapagne :de que faisaient chaque jour ses colons
ellesystème à l'égard plus
ne se contenta de l'Es-
des ou ses navigateurs. En ce qui concerne
établissements fondés sur les cotes par cette dernière branche de revenus,
les Phéniciens ou par elle-même; elle Carthage, comme nous l'avons dit pré-
essaya de pénétrer dans l'intérieur du cédemment, trouva dans l'exploitation
pays, de conquérir de grandes provin- des mines de l'Espagne d'inépuisables
ces et de compenser ainsi les pertes richesses. Les revenus fixes et régu-
considérables qu'elle avait faites. Là , liers consistaient dans les tributs que
en effet, les produits de la terre et les payaient les peuples soumis. Les villes,
mines à peine explorées étaient encore dans toute l'étendue des possessions
pour elle une source abondante de ri- carthaginoises, donnaient de l'argent ;
chesses. Nous ne rappellerons point les cultivateurs, et en général ceux qui
ici la lutte qu'elle soutint dans la pé- n'habitaient pointenvers
taient en nature la côte, s'acquit-
le fisc et ses
ninsule ibérique pour consolider ses
établissements et assurer ses conquê- agents. La Sardaigne et la Sicile en-
tes, car nous avons résumé plus haut voyaient leblé qui servait aux appro-
l'histoire de la domination carthagi- visionnements publics. Carthage s'en-
noise en Espagne. richissait aussi par les droits qu'elle
Carthage n'avait point de colonies en percevait à l'entrée de> ports de la ca-
Gaule et en Italie. Dans la première pitale etdes colonies. Bien souvent elle
de ces deux contrées, Massilia, fon- se procura de l'argent par la pirate-
dée par les Phocéens ses ennemis, rie. Parfois elle confisqua la charge des
dans la seconde, Rome et les villes vaisseaux qui stationnaient dans son
de la Campanie, lui faisaient une trop port; mais elle n'avait recours à ces
redoutable concurrence. Il paraît ce- moyens violents que dans les moments
pendant qu'elle eut de fréquents rap- de détresse et lorsque de grands dan-
ports avec la Gaule, car on voit des gers la menaçaient, comme à l'époque
légions entières de Gaulois dans ses
armées de mercenaires. de la fois,guerre hâtons-nous "des Mercenaires.
de le dire, quand Toute-le
côtes occidentales de l'afri- péril s'était éloigné, quand le calme
que et de l'Europe ; Périples renaissait,
tuer, et elle elle s'empressait
indemnisait de resti-
les marchands
d'Hannon et d'Himilcon. — Les
Carthaginois franchirent le détroit de qui avaient eu à souffrir de ses injus-
Gadès et ils explorèrent une partie des tes saisies. Ce qui contribua principa-
côtes occidentales de l'Afrique et de lement àrendre Carthage riche et flo-
l'Europe. Nous savons que le roi Han- ris ante, cefut la prospérité de chacun
non fut chargé de passer le détroit et des individus soumis à ses lois. En
de fonder des colonies sur différents effet, par lagriculture, le commerce
points de la côte africaine. I! condui- et l'industrie, presque tous étaient
sait avec lui trente mille Liby-Phéni- parvenus
ciens qui devaient peupler les nouveaux bien-être. à se procurer l'aisance et le
établissements. A la même époque, Agriculture. — Les Carthaginois
135
CARTHAGE.
habituèrent de bonne heure à la vie n'était pas seulement pratiquée dans
rurale les populations indigènes qui les toutes ses branches, mais encore trai-
avoisinaieni. Eux-mêmes ne se portè- tée dans des écrits que les Romains
rent point exclusivement vers le com- ne dédaignèrent pas de faire traduire
merce ou l'industrie ; ils s'adonnèrent dans
aussi aux travaux de la campagne. avons leur langue à (voy.
consacré l'alinéa que
la littérature des nous
Car-
L'agriculture, dans les terres de la thaginois). Le savant historien ajoute :
domination carthaginoise, était parve- «« AtureCarthage
nue àun haut degré de perfectionne- semble , même l'amouravoir
de Pagricul-
surpassé
ment. Les étrangers qui parcouraient «■ l'amour pour le commerce. Dans
les environs de Carthage, traversaient, « l'antiquité, l'état de commerçant
non sans admiration, les campagnes, « n'était pas le plus estimé, et iT est
que de savants procédés avaient trans- « vraisemblable que les Carthaginois
formées en de véritables jardins. «La « eurent à cet égard une opinion con-
« contrée qu'Agathocle, après son dé- « forme à celle des autres peuples.
« barquement en Afrique, traversa à « Nous savons que les grandes familles
« la tête de son armée, était, suivant « de la république possédaientdes biens-
« Diodore , couverte de jardins , de ft fonds et vivaient de leurs revenus,
« plantations, et coupée de canaux qui « mais nous ne trouvons aucun fait
« servaient à les arroser. De superbes « qui prouve qu'elles aient fait quelque
« maisons de campagne décelaient les « négoce. » Ici, nous le croyons, Hee-
« richesses des propriétaires. Ces de- ren s'est exprimé avec quelque exagé-
« meures offraient toutes les commo- ration ,mais il n'en reste pas moins
« dites de la vie, car, dans l'intervalle démontré jusqu'à l'évidence, par le té-
« d'une longue paix , les habitants y moignage des écrivains de l'antiquité,
« avaient entassé tout ce qui peut flat- que les Carthaginois , tout en se livrant
te ter la sensualité. Le sol était planté au commerce et à l'industrie, donnè-
« de vignes, d'oliviers et d'autres ar- rent les plus grands soins aux travaux
« bres fruitiers. D'un côté s'étendaient de l'agriculture.
« des prairies où paissaient des trou- Commerce et industrie. — Car-
« peaux de bœufs et de brebis; de l'au- thagetrepôtfutdetoutes
pendantlesplusieurs
« tre, dans les contrées basses, se trou- richesses siècles l'en-
du monde
ancien. Ses vaisseaux lui amenaient
« vaient d'immenses haras. On voyait
« partout l'aisance, car les Carthàgi- chaque jour les produits des contrées
« nois les plus distingués y avaient des les plus lointaines, et ses caravanes,
« possessions et rivalisaient de luxe. » qui traversaient les déserts, appor-
Polybe nous apprend que la campagne taient les trésors de l'intérieur de l'A-
de Carthage offrait encore le même frique H même de l'Orient (*).
aspect au moment où l'armée de Re- Commerce par mer. — On peut
gulus descendit en Afrique, c'est-à- juger de retendue du commerce mari-
dire cinquante ans après l'expédition time de Carthage par le nombre de ses
d'Agathocle. Entre toutes les pro- colonies. Nous avons énuméré précé-
vinces que les Carthaginois possédaient demment les villes et les provinces qui
sur le sol de l'Afrique, la By/acène avaient reçu ses colons ou qui étaient
i-enait le premier rang par son extrême soumises a"sa domination. De tous ces
fécondité. « Cette contrée habitée par points divers arrivaient dans ses ports
« des Libyens, dit Scylax , est très-ter- des vaisseaux chargés de précieuses
ri tile et elle offre un magnifique aspect. marchandises. Carthage, nous l'avons
« Elle abonde en troupeaux, et ses dit , recevait de la Sicile et de la Sar-
« habitants sont très-riches. » daigne de grandes provisions de blé ,
Heeren a fait une remarque impor-
tante que nous devons rappeler ici , (*) Voyez sur le commerce de Carthage
c'est que , dans les provinces de l'Afri- Wilhelm Bôtticher {Geschichte der Cartha-
que soumises à Carthage, l'agriculture ger), p, 66 et suiv. Berlin, 1827.
136 L'UNIVERS.
mais elle prenait encore dans ces deux stations du désert , depuis l'Egypte jus-
îles , ainsi que dans la Corse , du miel qu'à Ammonium, et depuis Ammonium
et de la cire. Il est vraisemblable que jusqu'à la grande Leptis, ou jusqu'aux
les Carthaginois exploitèrent les mines tentes des premières tribus nomades
de métaux qui sont en Sardaigne , et soumises à Carthage, elles transmet-
que, pour leur commerce de pierres taient les trésors de l'Orient. D'un
fines, ils surent tirer profit des sar- autre côté , le commerce par terre
doines que l'on rencontre fréquemment s'étendait jusqu'au Niger, ou les Car-
dans ce pays. Ils trouvaient à Lipara thaginois envoyaient du sel et d'autres
et dans les petites îles qui l'entourent, produits, et recevaient des grains d'or
du bitume, et à Ilva (l'île d'Elbe) en échange. Outre les grains d'or, les
du minerai de fer. Les îles Baléares,
où ils achetaient de nombreux escla- Carthaginois tiraient de l'intérieur de
ves, leur fournissaient en outre du l'Afrique des esclaves noirs, des dattes
et des pierres précieuses, que Pline
vin , de l'huile et une laine très-fine et appelle Carbunculi carchedonii. Les
tres-recherchée. Les mulets des îles peuples nomades étaient, si nous pou-
Baléares étaient aussi fort estimés. vons nous exprimer ainsi, les inter-
Les produits naturels de l'Espagne médiaires de ce grand commerce. Ils
formaient une branche très-importante se chargeaient de porter les marchan-
du commerce de Carthage. Mais ce dises à leur destination. Cependant
qui attira principalement l'attention les Carthaginois eux - mêmes se joi-
de la république vers l'Espagne, ce fut gnaient quelquefois aux caravanes, et
l'exploitation des mines, qui produi- nous savons qu'un certain Magon ,
saient alors abondamment et qui marchand de Carthage, fit trois fois
étaient pour elle la source d'immenses le voyage du désert.
richesses. Tout nous porte à croire Industrie. — A Carthage , il y avait
que les Carthaginois comme les Phé- plus de commerce que d'industrie. Les
niciens firent un grand commerce avec Carthaginois échangeaient souvent ,
les côtes occidentales de l'Afrique et sans les livrer à la fabrication , les
de l'Europe. Les vaisseaux de Car- produits
les contrées qu'ilslointaines. allaient recueillir
Toutefois,dansla
thage, après avoir franchi le détroit
de Gaclès, montaient au nord jusqu'aux magnificence et le luxe qui éclataient
îles Cassitérides, d'où ils revenaient à Carthage attestent que , dans cette
chargés d'étain ; on prétend même ville florissante, les arts manuels
qu'ils allaient chercher l'ambre jusque étaient pratiqués et cultivés avec soin.
sur les côtes de la mer Baltique. Car- Certaines branches de l'industrie re-
thage entretint aussi des relations avec çurent chez les Carthaginois de grands
la Gaule, malgré la concurrence de âéveloppements; nous citerons , entre
Massilia. autres , la fabrication des tissus. Dans
Dans la partie orientale de la Mé- l'antiquité, les étoffes qui sortaient
diter anée, lecommerce des Cartha- des fabriques carthaginoises étaient
ginois était beaucoup moins étendu fort recherchées. Athénée nous ap-
?[ue dans la partie occidentale. Toute- prend qu'un Grec, nommé Polémon ,
ois, ils avaient encore, pour les pro- avait fait un traité spécial sur la fa-
duits de leur industrie, de nombreux brication de ces étoffes (*). Carthage
débouchés en Grèce et en Italie. C'é- possédaitbreuses
, dans l'île de qui
Malte , de nom-
tait là principalement que, outre les manufactures produisaient
pierres fines et les esclaves noirs, ils des tissus renommés pour leur finesse
vendaient les objets sortis de leurs ma- et leur beauté.
nufactures.
Monnaies. — Frappait-on , à Car-
Commerce par terre. —Le com-
thage, des monnaies d'or et d'argent?
merce par terre était très-actif et très-
étendu. Des caravanes arrivaient du
(*) L'ouvrage de Polémon était iniitulé ;
fond de l'Arabie , et , passant par les
CARTHAGE
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CARTHAGE.
13?
divers commandements des armées,
C'est là une question que les numis-
mates n'ont point encore résolue. Il La légion composée de Carthaginois
existe des monnaies qui ont été frap- était peu nombreuse. Si l'on en croit
pées par les Carthaginois dans les villes Diodore , il arriva une fois que , dans
de la Sicile , et qui portent une inscrip- une armée de soixante et dix mille
tion punique. Il est vraisemblable que hommes, on ne compta que deux
la métropole n'attendit point l'exemple mille cinq cents Carthaginois. « Le
de ses colonies pour avoir une mon- « nombre des citoyens carthaginois
naie. Toutefois, il est à peu près cer- « qui servaient dans les armées , dit
tain que les Carthaginois apprirent « Heeren , n'était jamais considérable.
dans les villes grecques de la Sicile les « Les peuples tributaires de l'Afrique ,
éléments de l'art numismatique. Si, « que Polybe appelle toujours Libyens,
dans les premiers siècles qui suivirent « formaient l'élite des troupes. Ils
sa fondation , Carthage n'eut point de « combattaient à cheval ou à pied, et
monnaies , c'est que dans les pays où « ils étaient le noyau de la grosse ca-
elle pénétrait le commerce se faisait « valerie et de la grosse infanterie. Ils
par échange.
Forces militaires de Car- ««. nibal
portaient de longues
changea , après piques qu'An-
la bataille de
thage ;ARMÉES NAVALES. — NOUS « Trasimène , contre des armes ro-
croyons indispensable de donner ici « maines. A côté de ces troupes se
quelques détails sur les forces militaires « rangeaient les Espagnols et les Gau-
de Carthage , sur ses armées de terre « lois. Les soldats espagnols étaient
et de mer. Au rapport des historiens, « les plus disci plinés des armées de la ré-
il y avait deux aux
portsvaissaux
à Carthage; l'un « publique ; ils faisaient ordinairement
était destiné du com- « le service de la grosse infanterie. Ils
merce, l'autrecontenaitaux vaisseaux de guerre. «■ portaient des habits blancs de lin
Ce dernier ordinairement «avec des ornements rouges; une
cent cinquante et deux cents galères. « grande épée, qui pouvait tout à la fois
Dans les premiers temps de la répu- « frapper et percer , était la principale
blique, les vaisseaux étaient tous à « de leurs armes. Les Gaulois com-
trois rangs de rames. Mais les forces « battirent de bonne heure dans les
navales de Carthage s'accrurent consi- « rangs carthaginois. Dans la bataille
en lutte avec dles érablement l'époque
à Romains.oùAlors
elle entra
aussi '< ils étaient nus jusqu'à la ceinture, et
« n'avaient qu'un sabre pour frapper
les Carthaginois firent de grands pro- « l'ennemi. L'Italie grossissait le nom-
grès dans l'art de construire les vais- « bre des mercenaires de Carthage.
seaux. En effet, nous voyons que, « Les Liguriens paraissent dans ses
dans un combat livré à Régulus, la « armées au commencement de la lutte
flotte carthaginoise se composait de « contre Rome , et les Campaniens
trois cent cinquante galères , à cinq « déjà à l'époque des guerres contre
rangs de rames. Chaque galère portait « Syracuse. La république avait aussi
cent vingt combattants et trois cents « des Grecs à son service. Les îles Ea-
hommes pour la manoeuvre. « léares fournissaient à Carthage jus-
Armées de terre. — Les armées «'qu'à mille soldats. Us portaient une
de terre entretenues par la république « fronde qui avait presque l'effet de
étaient considérables. Elles se com- « nos petites armes à feu , car les
posaient de soldats mercenaires que «« pierres qu'elles lançaient brisaient
Carthage avait levés en différents pays. les boucliers et les cuirasses. Dans
Cependant, dans chaque corps d'ar- « une bataille contre les habitants de
mée, ily avait une troupe où les Car- « Syracuse , ils assurèrent , par leur
thaginois seuls étaient admis. C'étaient « adresse , la victoire aux-Carthaginois.
les fils des grandes familles qui ve- « Mais la force principale des armées
naient s'exercer au métier des armes a de Carthage consistait en cavalerie
et se préparer, dans les combats, aux , « légère, que la république tirait des
138 L'UNIVERS.
« tribus nomades placées sur les deux pour trois cents éléphants et quatre
« côtés de son territoire. Toutes ces mille chevaux. Il y avait des logements
«(tribus, depuis les Massyliens liini- pour vingt mille fantassins, et des ma-
« trophes jusqu'aux Maurusiens de- gasins remplis de ce qui était néces-
« meurant dans le Fez et le Maroc saire àla subsistance des hommes et
« modernes, avaient l'habitude de se des animaux employés à la guerre (voy.
« battre dans les armées des Carthagi- plus bas la Topographie de Car thagè).
« nois, et d'être à la solde de cette na- Le récit de la lutte terrible et dan-
« tion. La levée des troupes était faite , gereuse que les Carthaginois eurent à
« dans les provinces de l'Afrique .aussi soutenir contre leurs propres soldats
«bien qu'en Europe, par des séna- après la première guerre punique (*) ,
« teurs députés qui pénétraient jus- nous dispense d'entrer ici dans de lon-
«« qu'aux contrées les plus lointaines. gues considérations sur les avantages
Les cavaliers numides couraient sur ou les périls réservés aux États qui en-
«de petits chevaux non sellés, qui tretiennent des armées composées
« él aient dressés à des évolutions ra- tout entières de mercenaires. En ter-
« pides, et qu'ils dirigeaient sans frein. minant ce que nous avions à dire du
«« fournissait
La [H'.'ui d'unà lalion ou d'un tigre leur système militaire des Carthaginois,
fois un vêtement et nous devons encore faire une remar-
« une couche pendant la nuit; et, lors- que ,c'est que les Romains essayèrent
« qu'ils combattaient à pied , un mor- constamment , depuis le jour où pour
« ceau de peau d'éléphant leur servait la première fois ils franchirent le dé-
« de bouclier. Leur attaque était ter- troit de Messine, de détacher de Car-
« rible à cause de l'agilité de leurs thage toutes les provinces où elle en-
« chevaux ; et la fuite n'avait rien de rôlait des mercenaires. Ils lui enlevèrent
« honteux pour eux, puisqu'ils fuyaient la Sicile, la Corse et la Sardaigne; ils
« seulement pour faire une nouvelle at- s'allièrent aux Phocéens de Marseille
« taque. La grosse cavalerie se compo- et à quelques-unes des nations qui ha-
« sait , suivant Polybe, de Carthagi- bitaient le midi de la Gaule; en Es-
«« Gaulois.
nois, de »Libyens, d'Espagnols et de pagne, par des actes de clémence et de
Dans les armées de Car- générosité , ils se concilièrent un grand
tilage, on voyait aussi des éléphants nombre de peuples; enfin, en Mauri-
qui étaient guidés par des Éthiopiens. tanie et en ISumidie , à force d'adresse,
Heeren suppose que ce ne fut qu'après ils se firent des amis nombreux et dé-
les guerres de Pyrrhus, en Sicile, que voués. Cette politique réussit aux Ro-
mains, qui anéantirent ainsi peu à peu,
les Carthaginois'
maux dans les batailles. employèrent ees ani-
mieux qu'ils ne l'auraient fait par de
Pour une partie de l'armée soudoyée grandes batailles, toutes les forces des
par Carthage , le service militaire était Carthaginois.
permanent. Ainsi , comme nous l'avons Religion des Carthaginois. —
déjà remarqué, il y avait des garni- Les émigrés qui fondèrent Carthage
sons de mercenaires fixées dans les îles
et les provinces soumises à la républi- apportèrent avec eux , sur la côte d'A-
frique, lareligion de la Phénicie. Ce-
que. Les flottes et les armées de terre pendant, nous devons ajouter que, dans
avaient des chefs distincts. Toutefois,
les commandants des flottes étaient cette tactreligion, par suite du long con-
des Carthaginois avec les Libyens
subordonnés aux généraux des armées et les Grecs de la Sicile, il s'introdui-
de terre tement. lorsqu'ils
Dans les autres agissaient conjoin-
circonstances, sit un grand nombre d'éléments étran-
gers. INous donnerons ici les noms des
le commandant de la flotte recevait di-
rectement les ordres du sénat. Enfin , principales divinités adorées à Car-
thage. Le premier de tous les dieux
nous savons qu'il existait des casernes était Baal ou Moloch, le seigneur, le
à Carthage. Dans les murs de la cita-
delle, on avait pratiqué des écuries (*) Voyez plus haut p. 65 et suiv.
(
CARTHAGE. 139
roi du ciel. C'était le dieu suprême sait silence aux sentiments les plus
dans lequel les Grecs crurent voir Kro- sacrés de la nature, elle dégradait
nos, et les Romains Saturne. A ce dieu les aines par des superstitions tour
Baal, les Carthaginois associèrent la à tour atroces et dissolues , et l'on
puissante déesse Astarté. La déesse est réduit à se demander quelle in-
Astarté ou Astaroth (ce mot répond fluence vraiment morale elle put exer-
à l'idée de souveraine du ciel et des cer sur les mœurs du peuple. Aussi
astres) fut appelée par les Grecs Ura- le portrait que l'antiquité nous a
nie, et par les Romains la Déesse ce- laissé des Carthaginois est- il loin
l'esté ou Junon. A près Baal et Astarté, d'être flatteur: à la fois durs et ser-
nous devons mentionner le dieu Mel- vîtes, tristes et cruels, égoïstes et
carth. Chaque année, Cartilage, par cupides, inexorables et sans foi, il
un pieux respect et en souvenir de sa semble que l'esprit de leur culte ait
parenté, envoyait dans sa vieille mé- conspiré avec la jalouse aristocratie
tropole un vaisseau chargé de riches qui pesait sur eux, avec leur existence
offrandes pour le dieu Melcarth, qui toute commerciale et industrielle, à
était le génie tutélaire de la ville de fermer leurs cœurs aux émotions
Tyr. Les Carthaginois transportèrent généreuses, aux besoins d'un ordre
dans toutes leurs colonies le culte de élevé. Ils pouvaient avoir quelques
Melcarth (Hercule tyrien), aussi bien nobles croyances, mais dont la pra-
que celui de Baal et $ Astarté. Plu- tique se ressentait peu. Une déesse
sieurs écrivains de l'antiquité ont rangé présidait à leurs conseils publics ,
aussi au nombre des dieux puniques mais ces conseils, ces assemblées se
Ësmun-Esculape, qui avait son tem- tenaient la nuit, et l'histoire dépose
ple sur la colline de Byrsa. Comme des terribles
taient. Le dieumesures qui s'y
de la clarté agi-
solaire,
nous l'avons dit, les Carthaginois adop- Hercule , fut le patron de Carthage
tèrent quelques-unes des divinités
étrangères. Ils empruntèrent aux Grecs comme celui de Tyr ; il y donna
le culte de Cérès et de Proserpine, l'exemple des grandes entreprises et
des hardis travaux ; mais le sang y
peut-être même celui d'Apollon; et, souillait sa lumière , et tous les
s'il faut en croire Diodore de Sicile,
ils envoyèrent une fois des ambassa- ans, des victimes humaines tom-
deurs au temple de Delphes. Les fonc- baient au pied de ses autels aussi
tions du sacerdoce étaient recherchées
bien
Baal. Partoutfêtes
qu'aux où de
les l'impitoyable
Phéniciens ,
par les familles les plus illustres delà ré-
publiquecependant
; il n'y avait point où les Carthaginois après eux portè-
à Carthage de caste sacerdotale (*). rent leur commerce et leurs armes,
« Le caractère de la religion cartha- non-seulement à certaines époques ,
« ginoise fut comme celui de la nation mais dans toutes les conjonctures
«qui la professa, mélancolique jus- critiques^ leur fanatisme exalté re-
« qu'à la cruauté. La terreur était le nouvela ces immolations sanguinai-
« mobile de cette religion, qui avait res. En vain Gélon de Syracuse, avec
« soif de sang et s'environnait des plus l'autorité de la victoire; en vain, par
« noires images. A voir les abstinen- une pacifique influence, les Grecs eux-
« ces, les tortures volontaires, et sur- mêmes tixés à Carthage tentèrent
et tout les horribles sacrifices dont elle d'y mettre un terme, l'antique bar-
« faisait un devoir aux vivants, on s'é- barie reparut sans cesse et se main-
« tonne peu que les morts aient dû leur tint dans la Carthage romaine. Au
commencement du troisième siècle
« sembler dignes d'envie. Elle impo-
de notre ère, on découvre encore des
(*) Voyez sur la religon des Carthaginois
vestiges de ce culte affreux , tout au
le savant ouvrage de Muater {Religion der moins alors pratiqué en secret. Dès
Carthager) ; voyez aussi Wilhelm Bôtticher l'an 655 de Rome, tous les sacrifices
{Geschiclite der Carthager), p. 77 et suiv. humains avaient été prohibés; mais
140 L'UNIVERS.
et ils en ont extrait de nombreuses ci-
« plus d'une fois les empereurs se trou- tations. Heeren dit, à propos du livre
« vèrent dans la nécessité de répéter
« cette défense, et nous devons ajouter de Magon : « On ne saurait douter
« que, pendant longtemps, la sévérité qu'il n'y eût une littérature carthagi-
« des lois romaines ne put mettre un noise Un ouvrage aussi étendu que
«terme à ces hideuses immolations(*).» celui de Magon ne pouvait être, à Car-
LITTERATURE DES CARTHAGINOIS. thage, ni la première ni la dernière
— Y avait -il une littérature à Car- production littéraire. » Les Carthagi-
tilage? Des documents assez nombreux nois durent se perfectionner dans la
et assez authentiques nous permettent littérature
de résoudre affirmativement cette ques- vre que le par géniel'étude
grec des
avaitchefs-d'œu-
entantes ;
tion. Cependant dix vers en langue pu- et cette étude leur fut rendue facile par
nique qui se trouvent dans lePœnvlus les voyages qu'ils faisaient dans la
de Plaute , dix vers que personne jus- Grèce elle-même, et parleurs relations
qu'ici n'a pu traduire même approxi- suivies avec les peuples de la Sicile.
mativement, quoiqu'en remontant aux Enfin nous savons qu'il y eut dans
sources primitives, c'est-à-dire, à la l'école grecque un philosophe cartha-
langue hébraïque, qui ne devait pas ginois. Clitomaque était le nom qu'il
différer beaucoup de la langue phéni- portait à l'étranger ; dans sa patrie on
cienne, sont les seuls vestiges de la l'appelait Asdrubal (*).
littérature carthaginoise qui soient
parvenus jusqu'à nous. Mais nous avons (*) « Winkelmann (Kunst geschichte),
en revanche le témoignage des écri- nie que les beaux-arts aient lleuri à Car-
vains grecs et romains qui attestent thage; mais l'architecture de son Cothôn et
de ses doubles portiques , le temple et la
que les lettres furent cultivées à Car-
châsse d'Apollon, décrits parAppien,la
tilage. Pline l'ancien rapporte qu'après mention laite par Polybe des monuments
la prise et la destruction de la ville, élevés à Carthage et dans ton (es ses colonies,
les Romains donnèrent les bibliothè-
en l'honneur d'Amilcar, fils d'Hannon; le
leurs ques
alliés.publiquesSalluste, aux princes de d'Afrique,
son côté, bouclier d'argent cité par Tite-Live (xxv ,
quand il parle des premiers peuples 39) , qui était décoré du portrait d'Asdrubal
et pesait i38 livres; les statues érigées dans
qui ont habité l'Afrique, invoque, à Carthage, à Cérès el à Proserpine; enfin
l'appui de ses assertions, les livres pu- le goût des Carthaginois pour les chefs-
niques {libri jnmici) qui avaient ap- d'œuvre de la Grèce, semblent prouver que
partenu au roi Hiempsal. Les livres celte assertion tranchée d'un aussi hahile
puniques, livres d'histoire vraisembla- antiquaire doit être modifiée. Le style d'ar-
blement, étaient ceux qu'après la chitecture des stèles votives chargées d'in-
destruction de Carthage les Romains scriptions puniques, des médailles phéni-
avaient donnés à leurs alliés d'Afrique. cien essurtout
, du médaillon maxime d'ar-
Au reste , Polybe nous apprend aussi gent de la Bibliothèque royale , est tout à
(jue Carthage avait eu des historiens, fait grec, et nous induit à penser que le
fintre les ouvrages de la littérature car- voisinage de la Sicile, que les relations fré-
quentes entre cette île el Carthage ont dû
thaginoile
se , plus estimé par les étran- porterie goût et la cultuie des arls dans celte
gers fut culture.
un D.Silanus traité dele Magon traduisitsuren l'agri-
latin. république riche et commerçante; qu'enfiu,
s'ils n'ont pas eu de bons artistes nationaux,
Nous savons qu'il était divisé en vingt-
huit livres. Tous les auteurs qui ont ce qui n'est pas prouvé, ils se sont servis
des artistes grecs , comme l'ont fait depuis
écrit sur l'économie rurale, Caton, les Romains, pour la décoration de leurs
Pline, et Columelle, entre autres , ont maisons privés, de leurs édifices publics et
fait de cet ouvrage le plus grand éloge, l'embellissement de leur capitale. Il existe
à Leyde un grand nombre de monuments
(*) Religions de l'antiquité , ouvrage de funéraires en terre cuite, couverts d'inscrip-
Creuzer, refondu, complété et développé tions phéniciennes, et décorés de bustes
par M. Gnigniaut. d'individus des deux sexes , remarquables
lettres
1
CARTHAG-E
lettres PumqTies lettres Française;
Hébraïques
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CARTHAGE. 141
Nous avons essayé de réunir ici les se trouvent le bourg moderne de Mersa
principaux renseignements que les et les hameaux de Malqa et de Douar-
écrivains el-Schat.
leursCette position
avec s'accorde d'ail-
sés sur lade constitution
l'antiquité nous ont lais-
intérieure de exactement les indications
Carthage ; sur son système de gouver- que l'on trouve dans Polybe. « Car-
nement àl'égardet des « thage , dit cet historien , est située
étaient soumis, de sespeuples
coloniesqui; sur
lui «dans un golfe, sur une espèce de
l'étendue de ses possessions, de son « chersonèse , et elle est entourée dans
commerce, de ses ricchesses, de ses « la plus grande partie de son enceinte,
forces militaires; enfin sur sa religion « d'un côté parla mer, de l'autre, par
et sa littérature. Si nous avons prié « le lac. L'isthme qui l'attache à la
éle toutes ces choses avec quelque éten- « Libye a de largeur environ vingt-
due ,c'est qu'elles se rapportaient in- « cinq stades (*). Du côté où cet isthme
timement l'histoire
à d'une ville qui a « se tourne vers la mer est placée la
joué , comme on l'a vu , un grand rôle «ville d'Utique ; lautre côte, bordé
dansrelations
l'histoirecommercialesdu monde , etet qui « par le lac, regarde la ville de Tunis. »
ses ses ,loin-
par
Tite-Live évalue à douze milles (**) la
tains voyages , a exercé sur la civilisa- distance qui séparait cette dernière ville
tion de presque tous les peuples de de Carthage; et aujourd'hui cetteTunis
dis-
tance est encore la même entre
l'antiquité une notable influence.
et l'extrémité méridionale du lac, où
TOPOGRAPHIE DE CARTHAGE. se trouvent les premières traces de
l'enceinte de la ville ruinée.
Position de Carthage. — Au Après avoir fixé la position de Car-
fond du golfe de Tunis, entre le lac à thage, nous allons essayer de décrire
l'extrémité chacune des parties de la ville, et d'énu-
ville, et les duquel est situéeformés
marais saumâtres cette
mérer les principaux édifices que Ton
par l'ancienne embouchure et les aliu- y rencontrait
Situation (***).
des ports. — Le lac
vions du lleuve Medjerdah , s'avance de Tunis est séparé de la mer par une
une haute péninsule, presque entière-
ment couverte de grandes masses de langue de terre, au milieu de laquelle
se trouve le fort moderne de la Gou-
décombres. C'est la que tous les sa- lette. Cette langue de terre est désignée
vants qui, jusqu'ici, se sont occupés par les auteurs anciens sous les noms
de Carthage, s'accordent à placer les
ruines de cette antique cité. Cependant de Tœnia et de Ligula. Au point de
les uns mettaient la ville et le port au jonction de la péninsule sur laquelle
nord-ouest de la presqu'île, près du
cap Qamart, vis-à-vis l'ancienne Uti- (*) Le stade valait 180 mètres.
que; les autres, au sud-est, sur le (**) Le mille romain valait 1472 mètres.
lac de Tunis, et en regard de cette (***) Pour celle partie de notre travail ,
ville. De nouvelles observations, et nous avons constamment, suivi, comme gui-
surtout les savantes recherches de de M.
, Dureau de la Malle, dans ses savantes
M. Dureau de la Malle, semblent avoir Recherches sur la topographie de. Carthage.
démontré maintenant que ces deux M. Dureau de la Malle, qui a rassemblé
opinions sont également erronées, et avec tant d'érudition et discuté avec tant
de sagacité tous les témoignages des auteurs
qu'il faut chercher désormais l'empla- anciens et modernes, est arrivé à des résul-
cement de Carthage entre ces deux
tats que la science,
Nous aujourd'hui
nous sommes, tient pourà
positions extrêmes, c'est-à-dire, à l'ex- incontestables. bornés
trémité de la péninsule, à l'endroit où ne présenter que les résultats, parce que,
renfermés dans d'étroites limites , nous ne
par leurs traits africains et leurs cheveux, pouvions énumérer ici tous les arguments
nattés comme ceux des portraits monétaires et toutes les preuves (\ue M. Dureau de la
de Juha. » Dureau de la Malle, Recherches Malle a donnés à l'appui de chacune de ses
sur la topographie de Carthage. assertions.
142 L'UNIVERS.
est bâtie Carthage, et de la Tsenia, «effet, cette île était située près de
on rencontre une petite anse formée , « l'entrée qui communiquait avec le
d'un côté, par la Txnia elle-même, « port extérieur, et assez élevée pour
de l'autre , par un môle construit de « que l'amiral pût voir tout ce qui ar-
main d'homme. C'est là que se trou- « rivait par la mer, sans rjue les navi-
vait l'entrée du port marchand. A l'épo- « gateurs vissent ce qui était dans le
?|ue du siège de Carthage, Scipion * Cothôn. Les marchands , même en
erma cette anse par une jetée dont on « entrant dans leur port, ne pouvaient
distingue encore les débris. «apercevoir l'intérieur de l'arsenal,
Pour marchand. — Le port mar- « car il était entouré d'un double mur,
chand communiquait à la mer par une « et il y avait des portes qui introdui-
entrée ou goulet de soixante-dix pieds « saient les commerçants du premier
romains de largeur (*) , quedel'on « port dans la ville, sans passer pfr
niait au moyen de chaînes fer feri
: il « le Cothôn.» Le même historien nous
formait une ellipse allongée de cinq apprend quele second port n'était pas
cents pieds sur trois cents. Dans toute comme le premier, de forme ellipti-
l'étendue de sa circonférence étaient que,culairemaisdu côté
qu'ilde avait uneet, partie cir-
disposés de nombreux points d'attache la ville une partie
pour amarrer les navires. rectangulaire du côté de la mer. C'est
PORT MILITAIRE OU COTHON. — par ce dernier côté que les Carthagi-
Le port militaire, connu sous le nom nois ouvrirent une nouvelle entrée,
de Colliôn (**), n'avait pas d'autre en- lorsque Scipion eut fermé celle du port
trée que celle du port marchand : il marchand. Ils choisirent cet endroit,
communiquait avec lui par un canal dit Appien , parce que la profondeur
voûté, semblable à celui qui unissait de l'eau et la violence des vagues qui
l'un a l'autre les deux ports d'Alexan- s'y brisent n'auraient pas permis aux
drie. Le Cothôn était moins étendu que Romains d'y construire une seconde
le port digue. Cette nouvelle entrée subsista
tre centsmarchand
mètres de: illongueur
n'avait que qua-
sur trois après la destruction de Carthage, et
cents de largeur, et- une île de cent lorsque cette ville se releva de ses rui-
cinquante mètres de diamètre en rétré- nes et devint une colonie romaine ,
cissait encore la surface. Voici , au elle n'eut plus d'autre port que le Co-
reste, la description qu'en a donnée thôn ,qui reçut plus tard le nom de
Mandracuan.
Appien : « Au milieu du port intérieur
« s'élève une île; l'île et le port sont Forum.— La placeoù se tenaient les
« bordés de vaste» quais, sur lesquels assemblées du peuple était située près
« sont bâties des loges ou cales qui de Cothôn relie étaitde forme rectangu-
« contiennent deux cent vingt vaisseaux laire et entourée de maisons très-hau-
« et des magasins de bois et d'agrès. tes. C'est Diodore qui nous a fourni ce
« En avant de chaque loge s'élèvent détail, en racontant la conjuration de
o deux colonnes ioniques; ainsi le port Bomilcar. Sur l'une des faces du Fo-
« et l'île présentent l'apparence de deux rum s'élevait le temple d'Apollon.
« portiques. C'est dans cette île qu'é- Curie. — Le lieu ordinaire des as-
« tait placé le palais de l'amiral, qui, semblées du sénat était voisin du Fo-
« de ce point, pouvait tout voir dans rum ; et peut-être était-ce une des
« l'arsenal. C'est de la qu'il faisait don- salles du temple d'Apollon. Dans les
« ner le signal par la trompette , ou circonstances importantes, le sénat se
« ses ordres par la voix du héraut. En réunissait à Byrsa , dans le temple
d'Esculape.
Principales rues de Carthage;
(*) 20 mètres 6 décimètres. Le pied ro-
main valait o'",2945. noms de quatre de ces rues. — le
(**) Servius , qui donne l'étymologie de Forum communiquait à la citadelle
ce mot , dit qu'il signifie un port creusé de par trois rues de quatre ou cincj cents
main d'homme. mètres de longueur. Ces rues étaient
n
- , ."Ç
-4L xvç -^ ^
143
CARTHAGE.
bordées de maisons à six étages ; elles basse et de Mégara ; son enceinte , du
étaient assez étroites pour que, lors côté de l'ouest, se confondait avec
de la prise de ce quartier, les soldats l'enceinte générale de la ville. Le point
romains pussent communiquer d'un le plus élevé de la colline était occupé
et desà solives
côté l'autre ,suren les plaçant des planches
terrasses des mai- parle temple d'Esmun-Esculape, le
plus célèbre et le plus riche de Car-
sons. thage. A côté se trouvait le palais dont
Lorsque Scipion fut maître de ces la tradition attribuait la construction
trois rues, il y fit mettre le feu ; puis, à Didon, et lad'où,
afin de se ménager une esplanade pour découvrait mer suivant Servius,
et toute on
la ville.
attaquer la citadelle , il entreprit de C'est dans l'enceinte de la citadelle
faire enlever tous les débris qui cou- qu'étaient situés le temple d'Astarté et
vraient leterrain. L'armée romaine , celuisacrifices
de Baal-Moloch
composée de cent vingt mille hommes , des humains., où l'on offrait
y travailla jour et nuit; et le septième Mégaba. — La nouvelle ville, ou
jour, lorsque les Carthaginois retran- Mégara (*), s'étendait au nord delà
chés dans Byrsa demandèrent à capitu- citadelle, jusqu'à la mer et aux pre-
ler, elle n'avait encore enlevé qu'une mières pentes du cap Qamart. Ce quar-
partie des décombres. Ce fait , rap- tier, le plus étendu de Carthage , était
porté par Appien, suffit pour don- cependant le moins populeux. Il était
ner une idée du nombre et de la gran- rempli tiers,deet séparés
jardins plantés
deur des édifices qui se trouvaient dans par des d'arbres
clôturesfrui-en
ce quartier. Les rues de Carthage pierres sèches et par des haies vives.
étaient dallées. Servius, dans son com- Un grand nombre de canaux profonds
mentaire, àpropos de ce vers de
Y Enéide, le coupaient dans tous
vaient sans doute les sens.queIls pour
été creusés n'a-
«Miralur portas, strepitumque et slrata viarum,» servir à l'irrigation des jardins et à la
défense de la ville; car les eaux qui
f>rétend que les Carthaginois furent coulent sur le territoire de Carthage
es premiers qui imaginèrent de paver et dans toute cette partie du littoral
les rues.
On connaît les noms et la direction de l'Afrique sont généralement sau-
matres et ne peuvent servir aux usages
de quatre rues ; mais comme elles ap- alimentaires. Le faubourg de Mégara
partien ent àCarthage colonie ro-
maine, et que rien ne était protégé, du côté de l'isthme, par
aient existé avant la prouve qu'elles
destruction de l'enceinte générale de la ville , qui ,
comme nous le dirons, se prolongeait
l'ancienne tenterons Carthage, nous Cenous
de les nommer. sontcon-
les jusqu'à la mer. Ilduétait
simple muraille côté entouré d'uneet
de la mer
rues à\Esmun ou Salus {via salutaria)', du cap Qamart ; un mur particulier le
iïAstartê ou Cœlestis {via cœlestis);
des Mappales {via mappaliensis); et séparait de Byrsa et de l'ancienne
ville.
enfin, la voie des tombeaux.
Nécbopoles de Cabthage. — Le
Position de la citadelle, ou
Bybsa. — La citadelle, connue sous nord et l'est du faubourg de Mégara
étaient consacrés à la sépulture des
le nom de Byrsa, était située au nord morts. On trouve encore, en cet en-
du Forum et des ports , sur une col-
line de deux cents pieds de hauteur. droit, de nombreux vestiges de tom-
beaux. Les Carthaginois ne brûlaient
Elle avait vingt-deux stades de tour (*) , point leurs morts; ils les enterraient,
suivant Servius, et seulement deux
suivant l'usage de tous les peuples de
race sémitique.
milles romains (**) , s'il faut s'en rap-
porter au témoignage de Paul Orose.
Un double mur la séparait de la ville
(*) Ce nom, suivant Isidore de Séville,
(*) 3960 mètres. vient du mot punique Ma.oar , qui signifie
(**) ^5 mètres. nouvelle ville.
144 L'UNIVERS.
Circonférence; population de continent , la famine commença à Se
Carthage. — Les murs de Carthage, faire sentir parmi eux, et Asclrubal
suivant Strabon , présentaient un dé- ne distribua plus de vivres qu'aux seuls
veloppement de trois cent soixante combattants, qui étaient au nombre de
stades (*) dans toute leur étendue , et trente mille. En évaluant à vingt mille
de soixante stades (**) dans la partie le nombre de ceux qui avaient péri de-
qui traverse l'isthme,anciens du côtésont
du con- puis le commencement de la guerre,
tinent. Les auteurs loin et en supposant que les hommes en
d'être d'accord avec Strabon. Appien état de porter les armes formassent le
ne donne à l'isthme que vingt -cinq cinquième de la population , on voit
stades (***) de largeur , et Tite-Live , à que celle de Carthage devait s'élever
Ja ville entière, seulement vingt -cinq environ à deux cent cinquante mille
âmes.
milles romains (****) de circonférence.
Elle n'en avait que vingt (*****) suivant On peut supposer encore, avec beau-
Paul Orose. On a cherché à expliquer coup de vraisemblance, que, dès le
ces contradictions en supposant que commencement de la guerre , et lors-
Strabon avait mesuré le développe- que la ville se vit menacée d'un siège ,
ment des murailles , en ayant égard à un grand
toutes leurs sinuosités. Quoi qu'il en tèrent pournombre d'habitants
aller chercher la quit-
de nouvelles
soit, en supposant môme que telle ait demeures.
été Triple défense.-— Carthage, maî-
nous l'idée
donnede deStrabon , la mesurede qu'il
la circonférence Car- tresse dela Méditerranée parses flottes,
thage est évidemment exagérée, et protégée d'ailleurs du coté de la mer
l'état des lieux démontre qu'il faut s'en par la violence des vagues qui se bri-
tenir à celles que nous trouvons dans sent avec fureur contre les rochers, et
Tite-Live et Appien. Strabon n'exagère rendent impossible toute tentative d'a-
pas moins la population de Carthage. bordagen'avait
, à craindre une attaque
Elle était, suivant lui, de sept cent sérieuse que du côté de la terre. C'est
mille âmes au commencement de la
aussi de ce côté qu'elle avait élevé ses
troisième guerre punique. Cependant meilleures fortifications. De l'extré-
Appien nous apprend qu'après la prise mité septentrionale du lac de Tunis
de JMégara et du Cothôn , par Scipion jusqu'au bord de la Sebka(*), s'éten-
Émilien , tous les habitants se retirè- dait une triple défense. On voyait d'a-
rent à Byrsa , et que , lors de la capi- bord un fossé bordé d'une palissade,
tulation de la citadelle, il n'en sortit puis un premier mur eten enfin
pierres,un d'une
que cinquante mille individus, hommes élévation médiocre, mur
et femmes. Ce nombre toutefois nous d'une hauteur considérable, protégé
paraît beaucoup trop faible, et il ne par un grand nombre de tours. Tous
faut peut-être pas prendre à la lettre ces ouvrages suivaient les sinuosités
l'assertion d'Appien, quand il nous dit des collines sur lesquelles la ville était
que tous les habitants s'étaient réfu- assise , et faisaient de nombreux an-
giés dans la citadelle. Un autre passage gles rentrants. Appien nous a laissé
de cet auteur a fourni à M. Dureau de une description des hautes murailles
la Malle un moyen de calculer plus qui formaient la partie principale de
exactement la population de Carthage. l'enceinte de Carthage. Voici cette
Lorsque Scipion , par ses lignes de cir- description : « A partir du midi , vers
convallation , eut intercepte toutes les «le continent, du côté de l'isthme,
communications des assiégés avec le « où était placée Byrsa , régnait une
(*) La Scbka formait autrefois un golfe
(*) (H 800 mètres.
qui s'étendait jusqu'aux dernières pentes du
(**) 10800 mètres.
cap Qamart. Comblée pou à peu par les al-
(***) 45oo mètres. luvions de la Medjerclah , elle ne présente
(****) 368 1 1 mètres. plus aujourd'hui
d'eau salée. qu'âne suite de laguues
(*****) 39450 mètres.
CARTHAGE
Y, Y^^*^?
CARTHAGE. 145
« triple défense. La hauteur des murs Portes. — Parmi les portes de Car-
« était de trente coudées (*) , sans les thage, nous en connaissons cinq, dont
'< créneaux et les tours, qui étaient dis- la position nous est indiquée par des
« tantesentreellesdedeuxplèthres(**), textes formels ; ce sont celle de Mê-
« et avaient chacune quatre étages, et gara, dont s'empara Scipion, lors de
« trente pieds (***) , depuis le sol jus- la prise de ce faubourg; celle qui est
« qu'au fond du fossé. Les murs avaient désignée par Appien sous le nom de
«aussi deux étages; et, comme ils porte à'Utique; celle de Theveste ,
« étaient creux et couverts, le rez-de- qu'une inscription nous fait con-
« chaussée servait d'écurie pour trois naître; celle de Furnos, dont parle
« cents éléphants , et de magasin pour Victor de Vite ; et enfin celle qui con-
« tout ce qui était destiné à leur nour- duisait à Thapsus , et par laquelle
« riture. Le premier étage contenait Annibal s'enfuit, lorsque des envoyés
« quatre mille chevaux, avec le four- romains vinrent à Carthage pour de-
"- rage et l'orge suffisants pour les mander qu'il leur fiit livré. Cette der-
«nourrir; et, de plus, des casernes nière porte devait se trouver près de
« pour vingt-quatre mille soldats. Telles la Taenia et de la partie faible des murs.
« étaient les ressources pour la guerre, Places publiques. — Nous avons
« que les murs seuls contenaient dans parlé du Forum et de son emplace-
« leur intérieur. » Toutes ces cons- ment entre les ports et la citadelle.
tructionssuivant
, Paul Orose, étaient Dans le récit de l'attaque dirigée par
formées de pierres détaille. Les ruines le consul Censorinus contre la partie
n'ont pas tellement disparu, qu'on ne faible des murailles, Appien nous ap-
puisse encore suivre la trace des murs prend que , près de là , au point de
dans la plus grande partie de leur jonction de laune Taeniaseconde et de la place.
presqu'île
étendue. se trouvait Elle,
Quais. — Le rivage de la mer, près était, comme le Forum, environnée
du Cothôn, était horde de larges quais de hautes maisons. Victor de Vite nous
où les marchands déposaient leurs den- fait connaître une troisième place, à
rées. Ces quais étaient en dehors de laquelle il donne le nom de place neuve ,
l'enceinte de la ville. Les Carthagi- Platea nova; celle-ci était ornée de
nois, pendant le siège, y construi- gradins, et située au centre de la
sirent un ouvrage avancé, à égale dis- ville.
tance du rempart et de la mer, afin Temple d'Astarté. — Nous avons
que, si l'ennemi venait à s'emparer de dit que le temple d'Astarté était com-
ce quai , il ne pût lui servir d'esplanade pris dans l'enceinte de la citadelle. Cet
édifice était situé sur une colline, au
ou de place d'armes pour attaquer la
ville. Cette précaution fut inutile; on nord de celle où s'élevait le temple
sait , en effet , que c'est précisément d'Esmun-Esculape. Un immense liié-
de ce côté que Scipion dirigea sa der- ron lui servait d'avenue. Cette cour,
nière attaquer, dont le résultat fut la qui n'avait pas moins de deux milles
prise du Cothôn et de toute la ville romains (*) de longueur, était revêtue
basse. de larges dalles en pierre , ornée de mo-
Les autres parties de la presqu'île saïques, debelles colonnes, et environ-
n'étaientinabordables
point garnies de quais. Elles née de tous les temples des divinités
étaient à cause des écueils inférieures. Parmi ces temples secon-
et des bas-fonds qui en défendaient daires, on distinguait celui d'Élisa ou
l'approche. Didon. Le temple d'Astarté, relevé
par les Romains avec une grande ma-
(*) 1 3 mètres 5 décimètres, la coudée gnificence, reçut sous les premiers
valant om,45.
empereurs Son
offrandes. de principal
'nombreuses et riches
ornement était
(**) 6o mètres. Leplèthre valait roo pieds
grecs.
(***) 9 mètres. Le pied grec valait om,3o. (*) 2945 mètres.
10e Livraison. (Carthage.) 10
14C L'UMVERS.
ayant proposé par une loi le rétablis- préteur Sextilius te défend, ô Marius,
sement de Carthage ruinée par Sci- d'entrer en Afrique. Si tu n'obéis point
pion , et cette commission étant échue à ses ordres , il mettra à exécution ,
Ear le sort à Caïus Gracchus, il s'em- contre toi , le décret du sénat qui te
arqua pour conduire cette nouvelle condamne comme ennemi du peuple
colonie en Afrique.... Caïus était oc- romain. — Dis au préteur, répond l'il-
cupé du rétablissement de Carthage lustre proscrit , que tu as vu Marius
qu'il avait nommée Junonia, lorsque assis sur les ruines de Carthage. »
les dieux lui envoyèrent plusieurs si- Ce récit prouve évidemment que le
gnes funestes pour le détourner de cette préteur Sextilius avait sa résidence
entreprise. La pique de la première dans la colonie romaine, puisque, au
moment même où Marius descendait
enseigne fut brisée par l'effort d'un
vent impétueux, et par la résistance en Afrique, il fut informé de son arri-
même que fit celui qui la portait pour vée et lui envoya un licteur. Marius
la retenir. Cet ouragan dispersa les s'était probablement réfugié dans une
entrailles des victimes qu'on avait déjà des parties de la ville punique qui
posées sur l'autel, et les transporta n'avaient point été relevées. Depuis
hors desceintepalissades l'arrivée de Caïus Gracchus, la colo-
de la nouvellequi ville.
formaient l'en-
Des loups nie n'avait pas encore pris des accrois-
vinrent arracher ces palissades et les sements assez considérables pour cou-
emportèrent fort loin. Malgré ces pré-
sages ,Caïus eut ordonné et réglé en Carthage. l'emplacement de l'ancienne
vrir tout
soixante-dix jours tout ce qui con- A'son retour d'Egypte, César pour-
cernait l'établissement de cette colo- suivit dans l'Afrique carthaginoise les
nie ; après quoi il s'embarqua pour partisans de Pompée. Suivant une an-
revenir à Rome (*). » cienne tradition, il campait non loin
Histoire de Carthage romaine
de Carthage, lorsqu'une nuit, pendant
depuis l'établissement des co- un sommeil agité, il vit en songe une
lons amenés en afrique par caïus grandesant et armée qui l'appelait en gémis-à
Gracchus, jusqu'à Tibère. — Ma- en pleurant. Le lendemain,
rius proscrit par Sylla , se sauva en son réveil , César écrivit sur ses ta-
Afrique et descendit à Carthage. A blettes lenom de Carthage. Lorsqu'il
peine avait-il pris terre, qu'un licteur revint à Rome, les citoyens pauvres
vint à sa rencontre, et lui dit : « Le lui demandèrent des terres : ce fut
alors qu'il envoya des colons à Corin-
the et à Carthage. Dion Cassius , en
(*) Les patriciens n'avaient qu'au moyen
d'accréditer ce récit fabuleux auprès de la parlant de César , s'écrie avec une
multitude, c'était de montrer que les sinis- sorte d'enthousiasme : « Relever deux
villes illustres, sans tenir compte de
tres présages blis ement dqui avaient accompagné
ela nouvelle colonie étaientl'éta-
un leur ancienne inimitié contre Rome,
effet de la colère des dieux conlre celui qui et cela seulement en souvenir de leur
s'était fait un jeu des imprécations pronon- puissance et de leur splendeur pas-
cées sur les ruines de Carthage. Ne pour-
rait-on point dire que le passage de Plutarque sées ,c'est une gloire qui n'appartient
qu'à César. » Dion ajoute : « Ce fut
prouve d'une manière indirecte que Caïus ainsi que ces deux cités célèbres , qui
Gracchusment mêmeétablit de la ville ses colons
détruitesur? Mais,
l'emplace-
nous jadis avaient été détruites à la même
époque, commencèrent à reprendre
ne sommes point réduits
montré M. Dureau de la ,Malle
comme l'a une
, dans dé- simultanément une nouvelle vie et re-
savante discussion, à ce genre de preuves. devinrent une seconde fois très-floris-
Pline et Paul Orose nous apprennent d'une santes. »On pourrait croire, d'après
manière positive que Carthage romaine était ces paroles d'unvéritable
grave historien
César fut le fondateur, que
de
placée là où s'élevait jadis Carthage puni-
que. Nous pourrions citer encore YEpitome Carthage romaine. Il n'en est rien tou-
du livre 60 de Tite-Live. tefois. César n'envoya en Afrique que
'v
M
5
CARTHAGE. 151
trois mille colons. Un passage de Solin les commotions violentes qui agitaient
nous explique les apparentes contra- plusieurs provinces de l'empire, lors-
dictions qui existent pour cette époque qu'un événement subit vint lui enle-
entre plusieurs historiens. Suivant cet ver pour quelques instants le repos et
auteur, la colonie de Caïus Gracchus la sécurité. Nous reproduirons ici dans
eut des commencements faibles et sans son entier le récit de Tacite.
gloire. Elle n'avait point encore pris « Rome était en alarmes. L'Afri-
de grands développements lorsque , que, disait-on, était soulevée; la ré-
sous le consulat de Dolabella et de volte avait pour chef Pison, proconsul
Marc-Antoine , elle brilla d'un vif et gouverneur de la province. Ces
éclat, et fut vraiment en Afrique une bruits étaient faux ; mais comme des
seconde Carthage. vents contraires [retardaient l'arrivée
Dion Cassius nous apprend qu'Au- de la flotte d'Afrique qui portait des
guste envoya de nouveaux colons en blés à Rome, on croyait que Pison
Afrique, parce que Lépidus, non con- avait fermé le port de Carthage et vou-
tent de priver Carthage de ses privi- lait affamer la capitale. D'ailleurs, la
lèges de colonie romaine , lui avait province et les troupes regrettaient
encore enlevé une partie de ses habi- Vitellius et n'aimaient nullement Vcs-
tants. Quelle était la cause des sévéri- pasien. Tous deux avaient été procon-
tés de Lépidus? On l'ignore, L'ancien suls d'Afrique, et, chose étonnante,
triumvir avait vraisemblablement en- Vitellius avait emporté l'estime etVes-
rôlé les colons romains dans ses lé- pasiensuscite
la haine de cette
gions ,et lorsqu'il avait privé de ses cien contre Pisonprovince. Mu- *
deux agents
privilèges une ville fondée par Caïus provocateurs,
Gracchus et restaurée par Jules César, de cavalerie, etSagitta, préfet d'uncorps
un centurion. Le lieu-
il avait cru peut-être, lui qui était un tenant de la 4e légion , Valérius Fes-
des chefs de l'aristocratie , porter un tus, se joint à eux pour l'entraîner à
coup à la démocratie, qui était sur le la révolte. Pison repousse les sollici-
point de triompher dans la personne tations du lieutenant et du préfet. Le
des empereurs. centurion de Mucien arrive : à peine
Histoire de Carthage romaine entré au port de Carthage, il proclame
depuis Tibère jusqu'à l'arrivée Pison empereur; le peuple se précipite
des Vandales en Afrique. — Pom- au Forum , et demande que Pison y
ponius Mêla, qui fut le contemporain paraisse. Celui-ci refuse, fait punir le
de Tibère , de Caligula et de Claude, centurion, réprimande les Carthagi-
disait en parlant de Carthage : « Cette nois par un édit sévère, et se tient
colonie du peuple romain est déjà bril- renfermé dans son palais, sans même
lante et riche pour la seconde fois. » exercer les fonctions publiques de sa
En effet , Carthage prenait chaque
jour de nouveaux accroissements et charge. Festus, sitôt etqu'il
gitation du peuple le apprend
supplice l'a-
du
s'embellissait par les somptueux édi- centurion , pense à gagner par un crime
fices qui s'élevaient dans son enceinte. la faveur de Mucien et envoie des ca-
Elle s'enrichissait par le commerce, valiers pour tuer Pison. Ceux-ci font,
et, comme autrefois, les vaisseaux pendant la nuit, une marche forcée,
qui sortaient de son port allaient tra- arrivent au point du jour, se précipi-
(iquer dans presque toutes les parties tent, l'épée nue, dans le palais du
du monde ancien. Une chose encore
servait à sa prospérité et lui donnait proconsul,
La sédition et l'égorgent
populaire (*). fut »bientôt
une grande importance, c'est qu'elle apaisée à Carthage , et pendant un
était devenue le véritable grenier de siècle, sous le gouvernement des Fia-
l'Italie , et qu'elle pouvait en quelque viens et des Antonins, cette ville ne
sorte remplacer, pour le peuple de Ro- cessa de jouir du calme heureux qui
me, l'Egypte et Alexandrie. Elle vivait
dans une heureuse paix sans éprouver (*) Tacil* , liv. iv des Histoire*.
153 L'UNIVERS.
jusqu'alors avait tant contribué à la vait plus d'espoir, mit fin à ses jours
rendre riche et florissante (*). en s'étranglant avec sa ceinture. Peu
Sous Commode, qui voulait que Car- de temps après, on vit à Rome un
tilage portât son nom et s'appelât jeune enfant de la famille des Gordien
Alexandria Commoda Togata, -il y revêtu de la pourpre des Césars : il
eut quelques mouvements en Afrique. était âgé de douze ans à peine. Après
un règne qui fut bien court, il périt,
Nous savons quedans
alors proconsul Pertinax, qui 'était
cette province, comme son père et son aïeul, par une
mort violente.
réprima plusieurs séditions. Le peu-
ple était agité par les prophéties qui Après la révolte que nous venons
émanaient, à Cartilage, du temple de de raconter, l'histoire ne nous dit pas
Juno Cœlestis. Mais ces troubles ne que Carthage ait été le théâtre de
furent pas de longue durée, et pendant quelque grand événement politique.
un demi-siècle encore la ville vécut Nous savons seulement que l'empereur
dans une paix profonde (**). Probus, dans ses courses rapides, vi-
En 235, Maximin devint le chef de sita cette ville et qu'il y comprima
l'empire. Cet ancien pâtre de la Thra- des séditions (*). Un auteur chrétien,
ce, qui était Goth d'origine, se rendit saint Prosper, nous apprend encore
bientôt odieux par son avarice et sa qu'en l'année 424, Carthage fut en-
cruauté. L'Afrique carthaginoise fut la close de murailles
était restée ouverte : etjusqu'alors clic
non fortifiée.
première province qui se révolta con-
tre lui. Quelques ennemis de Maximin Quel danger, en effet, menaçait la
forcèrent le proconsul Gordien à re- province carthaginoise et sa capitale ?
cevoir le titre d'empereur. Ce fut à Pendant longtemps les intérêts de Ho-
Carthage que ce vieillard , qui était me et «de l'Afrique avaient été si bien
alors âgé de quatre-vingts ans , prit liés , qu'une seule légion avait sufli
les marques de la dignité impériale. 11 pour garder tout le pays depuis Tan-
associa à son nouveau pouvoir son fils, ger jusqu'à Cyrène. Dès l'établisse-
qui portait comme lui le nom de Gor- ment de l'empire, la province cartha-
dien. L'élection des nouveaux empe- ginoise n'inspirait aucune crainte aux
reurs fut approuvée à Rome, en haine Romains; Auguste l'avait abandonnée
de Maximin. Mais Capellien, qui com- à l'administration du sénat, et l'on
mandait en Numidie, rassembla des sait que le prévoyant empereur avait
troupes et marcha contre Gordien. Les eu soin de se réserver les provinces des
habitants de Carthage prirent les ar- frontières qui étaient sans cesse me-
mes pour défendre celui qui avait été nacées et où campaient de nombreuses
élu et proclamé empereur au milieu légions (**). Pourquoi donc, en 424,
d'eux. Les Carthaginois furent vain- Théodose le jeune lit-il entourer Car-
cus. Le jeune Gordien fut tué dans la thage de fortes murailles? On ne le
bataille, et son père, qui ne conser- sait. C'était peut-être par un vague
pressentiment des maux qui allaient
(*) Les événements les plus importants
fondre sur l'Afrique. Mais, certes, on
qui signalent, à Carthage, le commencement était loin de prévoir que les ennemis
et le milieu du deuxième siècle de notre ère, qui devaient envahir cette province du
sont la construction du grand aqueduc par vieil empire romain étaient des barba-
res venus des bords de la Baltique.
Adrien et l'incendie du Forum sous le règne Pebsistance de la race punique
d'Antonin le Pieux.
(**) Septime Sévère, s'il faut en croire
Tzeizès, lit élever un tombeau de marbre (*) Sous le sixième consulat de Dioclétien
blanc au plus illustre des Carthaginois, à et le cinquième de Maximien, on éleva des
Annibal , qui était Africain comme lui. Si thermes à Carthage. On les appela Thermes
Tzeizès dit vrai, ce tombeau de marbre de Maximien.
blanc fut vraisemblablement placé à Car- (**) Tillernont, Histoire des empereurs,
thage, qui était la patrie d' Annibal. t. I, p. 8 de l'édition in-i^ ; Bruxelles, 1707.
153
CARTHAGE.
dans Carthage romaine. — Il n'est nalogue dans les rits italiques, mais
point inutile de constater ici la per- qui se rapprochaient beaucoup des pra-
sistance de la race punique au sein tiques en usage
même de Carthage devenue colonie pereur Héliogabaledans l'Orient.
comprit L'em-la
aisément
romaine. transformation qui s'était opérée; sous
La victoire de Scipion Emilien n'a- le nom romain il distingua i'Astarté
vait pu anéantir d'un seul coup tous phénicienne , et lorsque , par un ca-
les descendants des Phéniciens. D'a- price bizarre, il voulut unir par ma-
bord ,au commencement du siège que riage ledieu Baal et la Juno Cœlestis,
nous avons précédemment raconté, il n'ignorait pas qu'il rapprochait ainsi
plusieurs familles avaient dû quitter deux divinités asiatiques qui apparte-
Carthage pour se réfugier dans les vil- naient àune seule et même religion.
les voisines. Ensuite, on peut croire Ce n'était point seulement par le
qu'après le siège, au moment même genre des hommages qu'ils rendaient
de la destruction de la cité punique , à Junon Céleste que plusieurs habi-
plusieurs de ceux qui avaient défendu tants de Carthage décelaient leur ori-
gine phénicienne, mais encore par les
leurs foyers jusqu'à la dernière extré-
mité échappèrent à la mort et à l'es- sacrifices
leurs anciens humains dieux. qu'ils
Dans faisaient
la colonieà
clavage.
« TJn fait très-curieux pour l'histoire romaine, le sang des hommes coula
de Carthage romaine, dit M. Dureau plus d'une fois en l'honneur de Baal
de la Malle , se trouve égaré dans le et de Melcarth, et nous avons dit pré-
vaste recueil d'Athénée où personne cédemment que, sous les empereurs ,
ne s'est avisé d'aller le chercher. Cet on fut obligé de faire des lois sévères
auteur rapporte un discours du péripa- pour arrêter ces terribles et sanglantes
immolations.
téticien Athénion, devant l'assemblée
du peuple d'Athènes , dans lequel ce A Carthage et dans le pays qui avoi-
philosophe affirme que non-seulement sinait cetteville, la langue punique
les peuples italiques, mais que les Car- ne cessa point d'être en usage, même
thaginois même ont envoyé des ambas- à l'époque de la domination romaine.
sadeurs àMithridate, pour conclure Nous pourrions peut-être donner ce
avec lui une alliance offensive dans le fait comme une preuve de la persis-
but de détruire la puissance de Ro- tance de la race vaincue. Apulée nous
me. Ce document curieux prouve qu'à apprend que, sous le règneà Carthage
d'Anto-
cette époque beaucoup de Carthaginois nin , on parlait également
étaient encore mêlés à la colonie ro- le punique et le latin; et longtemps
maine, qui, formée d'Italiens, parta- encore après le siècle où vécurent An -
geait la haine des vaincus contre le tonin et Apulée, on se servait, en
sénat obstiné à lui refuser le droit de Afrique, de la vieille langue des Phé-
cité. » niciens, sil'on en juge par le passage
Mais il est une chose qui prouve suivant que nous empruntons à l'un
mieux encore la persistance de la race de nos plus savants et de nos plus il-
punique au milieu de la colonie ro- lustres historiens. « Le premier ou-
maine, c'est la transmission non in- vrage de saint Augustin contre les
terrompue des idées religieuses venues donatistes fut un cantique en rimes
de l'Orient. La religion des Carthagi- acrostiches, suivant l'ordre de l'alpha-
nois se releva pour ainsi dire avec leur bet, pour aider la mémoire. Saint Au-
ville. Parmi les anciens temples que les gustin lelit d'un style très-simple, et
Romains consacrèrent à leurs dieux, n'y observa point la mesure des La-
il y en eut un qui acquit bientôt un tins de
, peur d'être obligé d'y mettre
grand renom : ce fut le temple de Juno quelque mot hors de l'usage vulgaire,
Cœlestis. La déesse Céleste, comme
car il composa truction du basce peuple
cantique
; cepour
gai l'ins-
fait
on l'appelait alors, fut honorée par
des cérémonies qui n'avaient rien d'a- voir qu'encore que la langue punique
154 L'UNIVERS.
fût encore en usage dans cette partie tait un homme nourri dans les lettres
de l'Afrique, il y avait peu de gens et la philosophie, et qui lisait assidû-
qui n'entendissent le latin (*): » ment les ouvrages de Tertullien. Il
Carthage chrétienne. — On ne consuma sa vie à ranimer par ses écrits
saurait fixer d'une manière précise le le zèle de ceux qui partageaient ses
temps où le christianisme pénétra pour croyances, et à combattre les ennemis
la première fois dans l'Afrique cartha- de la religion chrétienne. Il avait
échappé bien des fois aux ruses des
la fin du ginoise.
deuxième Nous savons
siècleseulement
de notre qu'à
ère persécuteurs et à la fureur du peuple
on comptait déjà dans cette province qui ne cessait de crier : Cyprien aux
un grand nombre de chrétiens. C'était lions ! lorsqu'il souffrit le martyre sous
l'époque où vivait à Carthage un des l'empereur Valérien.
plus illustres écrivains de l'Église, Ter- Après les sanglantes persécutions de
tullien. Cet homme qui, suivant l'ex- Dioclétien et de Galérius , la religion
pression deFleury, avait un génie dur, chrétienne triompha enfin dans toutes
sévère et violent, une grande chaleur les parties de l'empire. Mais la lutte
d'imagination , composait dans cette contre le polythéisme était à peine
ville , pour l'instruction ou la défense terminée, que l'Église fut agitée par
de ses frères en religion, les éloquents des dissensions intestines et de gran-
traités qui l'ont rendu à jamais cé-
lèbre. des discordes. A Carthage, l'élection
contestée de l'évêque Cécilien devint
Les édits de persécution atteigni- la cause d'un schisme. Les dissidents
rent bientôt en Afrique les sectateurs donatistes se multiplièrent bientôt dans
des idées nouvelles. L'an 200 de notre toutes les parties de l'Afrique. Ce fut
ère, sous le règne de Septime Sévère, à l'occasion de ce schisme qu'on vit à
on amena douze chrétiens à Saturnin, alors à Carthage de nombreux conci-
proconsul de la province carthaginoi- les, et qu'un des Pères les plus illustres
se. Nous citerons ici les noms glorieux de l'Église, Augustin, évêque d'Hip-
de ces douze premiers confesseurs de pone, soutint dans ses écrits de lon-
l'Église d'Afriquc.Sept hommes : Spe- gues et célèbres controverses (*). La
ratus, Narzal, Cittin , Veturius, Fé- querelle entre les orthodoxes et les
lix, Acyllin, Letantius; cinq femmes : donatistes n'était point encore apai-
Januaria, Generosa, Vestina, Donata sée lorsque les Vandales passèrent en
et Secunda, aimèrent mieux , par un Afrique.
sublime dévouement, perdre la vie que État florissant et splendeur
renoncer à leurs croyances. Ce fut de Carthage sous la domination
vraisemblablement à l'occasion de ce romaine; arrivée des Vandales
martyre que Tertullien écrivit le plus en Afrique. —Au commencement d*
célèbre de ses ouvrages, Y Apologéti- l'empire, Strabon disait déjà de Car-
que. Mais le hardi défenseur des chré- thage :« Maintenant il n'existe point
tiens ne put se faire entendre, et, au de ville en Libye qui soit plus peuplée; »
moment où circulait dans toutes les et Pomponius Mêla, peu de temps
mains son éloquent plaidoyer, il vit, après, la représentait comme une cité
à Carthage, le supplice de Perpétue et riche et florissante. Sous le règne d'An-
de Félicité (**). tonin, Apulée, en faisant une pom-
Au milieu du troisième siècle, Cy- peuse description de Carthage , nous
parle de sa nombreuse population, de
prien illustra l'Église de Carthage. C'é- la beauté de ses édifices , du luxe qui
t
(*) Yoyez Fleury, Histoire ecclésiastique,
liv. xix.
(*)schisme
et le En ce quidesconcerne l'Église
donatistes, nous derenvoyons,
Carthage
(**) Nulle légende chrétienne n'égale en
beauté le récit des longues souffrances de pour de plus amples détails, à la partie de
Perpétue et de Félicité. Voyez les Acta cet ouvrage qui est consacrée à Y Afrique
chrétienne.
martyr um sincera.
I
fa
h
S
CARTHAGE. 155
éclatait de toutes parts dans son en- cette ville qu'écrivirent et parlèrent
ceinte, etde la richesse de ses habi- Tertullien et Cyprien , et que saint
tants. Hérodien prétend qu'à l'époque Augustin enseigna la rhétorique.
de Gordien elle ne cédait qu'à Rome Pour compléter ce tableau, il nous
seule, et qu'elle disputait le second suffira de donner ici une description
rang à Alexandrie. Solin, qui écrivit, de Carthage faite par Salvien, au mo-
comme l'a démontré Saumaise, avant ment même où l'empire était envahi
la translation de l'empire à Constante de tous côtés par les nations barbares.
nople, nous dit : « Carthage est main- «Je prendrai, dit-il, pour exemple Car-
tenant après Rome la seconde ville du thage, lapremière et presque la mère
monde. » Un géographe qui vécut sous de toutes les villes d'Afrique, toujours
l'empereur Constance vante la beauté la rivale de Rome, autrefois par ses
de ses rues et de ses places , la sûreté armes et son courage, depuis, par sa
de son port, et la magnificence du grandeur et par sa magnificence; Car-
Forum décoré par le superbe portique thage ,la plus cruelle ennemie de
des banquiers (*). A l'époque de Valen- Rome, et qui est pour ainsi dire la
tinien et de Gratien , Ausone ne met Rome de l'Afrique. Là se trouvent des
au-dessus d'elle que Rome et Cons- établissements pour toutes les fonc-
tantinople. tions publiques, des écoles pour les
Les nombreux témoignages que nous arts libéraux , des académies pour les
venons de citer, peuvent nous don- philosophes, enfin des gymnases de
ner une haute idée de la splendeur toute espèce pour l'éducation physique
de Carthage romaine. Cette ville , en et intellectuelle; là se trouvent aussi
effet, voyait circuler dans son enceinte les forces militaires et les chefs qui diri-
une innombrable population. Elle était gent ces forces; là s'honore de résider
ornée de superbes édifices. Elle avait le proconsul qui, tous les jours, rend
un cirque, un théâtre, un amphithéâ- la justice et dirige l'administration ,
tre, un gymnase, un prétoire, de beaux proconsul quant au nom seulement ,
temples (**), des rues et des places mais consul quant à la puissance; la
bien alignées et un immense aqueduc. résident enfin des administrateurs de
Elle s'enrichissait par le commerce et toute espèce, dont les emplois diffèrent
autant que les noms, qui surveillent,
l'industrie.
teurs et des Elle possédait
fondeurs des et
habiles, sculp-
ses en quelque sorte, toutes les places et
œuvres d'art étaient recherchées. Elle tous les carrefours , qui tiennent sous
brillait aussi dans les sciences et dans leurs mains presque toutes les parties
de la ville et tous les membres de la
les lettres; Apulée, sous le règne d'An-
tonin, se faisait gloire d'être sorti des population. »
écoles de Carthage ; et ce fut dans Quand Salvien écrivait ces mots ,
dans tait
un pasouvrage célèbre, l'instant n'é-le
éloigné où , franchissant
(*) Voyez
ehlercnes M. topographie
sur la Dureau de la
de Malle", Re-
Carthage. détroit de Gadès, les Vandales allaient
(**) A partir de l'établissement du chris- se répandre en Afrique et faire de
tianisme dans l'empire , on vit s'élever à Carthage la capitale de leur empire.
Carthage plus de vingt églises ou monastères.
FIN.
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS CARTHAGE.
d'Hannon, el soumet toutes les villes de Dion Cassius , sur les colons envoyés par
Sardaigne, 3g a, 40 a. César à Corinthe et à Carthage, i5o b.
Corse. Voyez Cyrne. Duilius , commande l'année romaine en
Coudée, son évaluation, i45 a. Sicile, dans la première guerre punique;
se met à la tète de la flotte; invente la ma-
Cyrne, aujourd'hui la Corse, conquise
par les Carthaginois, 3 b ; ils s'unissent aux chine appelée corbeau; défait la flotte car-
Étrusques pour en expulser les Phocéens ; thaginoise, puis reprenant le commande-
les Romains s'en rendent maîtres vers la fin ment de ses légions , fait lever le siège de
de la guerre de Libye, i32 b, i33 a. Ségeste et s'empare de Macella ; obtient le
premier le triomphe naval , 37 b, 39 a ;
colonne roslrale érigée en son honneur,
Denys l'Ancien ou le Tyran , marche au 39, a.
secours de Gela assiégée par Imilcon. Il y
essuie un échec considérable ; mais, favorisé Èbre, devait êtreE. pour les Romains el
par la peste, il obtient des Carthaginois un les Carthaginois la limite des deux em-
traité de paix qui confirme sa dominai ion pires, 78 b.
dans Syracuse, 9 b, 10 a; fait de grands Éclipse de soleil , favorise le débarque-
préparatifs de guerre ; livre à la fureur du ment d'Agathocle en Afrique, 20 a.
peuple de Syracuse les biens et les personnes Ecnome; les Carthaginois sont vaincus
des Carthaginois; assiège Molya et s'en em- par les Romains près de ce mont, et per-
pare, 10 b, 11 a. La peste ravageant l'ar- dent la plus grande partie de leur flotte,
mée des Carthaginois qui assiégeait Syra- 41 b, 43 a.
use, Denys les accable de toutes parts, Égates (les îles). Près de ces îles , le con-
jais facilite à Imilcon sa retraite avec les sul Lutatius remporte sur la flotte cartha-
Carthaginois seulement, 12 a, b; perd les ginoise une victoire qui met fin à la pre-
^sessions carthaginoises, dont il s'était mière guerre punique, 63 a, b.
gjjparé, et conclut un nouveau traité de Égithalle, pn Sicile, prise d'abord par le
D^x avec Magon , i3 b ; excite par de nou- consul Junius, est reprise par le général
carthaginois Carthalon, 59 b.
rèséesde
hostilités
Cabala les ,Carthaginois,
14 , a ; fait la qu'il
paix défait
après Église d'Afrique, quels hommes et
av^j-, été vaincu par Magon II ; recommence quelles femmes l'ont illustrée, i54 a, b.
ja alerre , et meurt peu de temps après avoir Éléphants; soixante sont amenés en
l'ait i11 nouveau traité de paix, 14 a, i5 a. Sicile par Hannon, presque tous pris par
Tje>ys le Jeune, succède à Denys le Ty- les Romains, 35 a, 36 b; employés pat
les Carthaginois devant Adis, 44 b; par
ran 'on père ; chassé de Syracuse , puis Xanlhippe, 46 b; par Asdrubal , 49 b,
de Lores' rentre Par trahison dans Syra-
cuse )ù il ne possède plus que la citadelle; 5o a, b; par Hannon dans la guerre de
jj ia '^met à Timoléon; se réfugie à Co- Libye, 69 a; par Amilcar dans la même
guerre, 71 a, b, 73 b; par Annibal à
rinthe l5 a' l6 a' Zama, 94 a.
jjjjqI ou Elysa , fondatrice de Carthage
suivant ^a tradition poétique, 1, 2 a; selon Elyma, chef africain, fait alliance avec
Virale * ^a'1 construire le théâtre de Car- Agathocle, 24 a, b.
thage l4?b- Éphore. Son évaluation de l'armée dé-
barquée en Sicile par Annibal , fils de
DioVore' C1^ sur 'a P0Pulat»on d'Agi i-
gente 3 a ' SUr ^a Peste qui désola l'armée 8 b.
Giscon ,7b; it. pour le siège d'Agrigente
d'Imil'c?n devant Syracuse, 12 a; nomme par Annibal et Imilcon, tils d'Hannon,
Leupo.funès une ville située non loin de
Erésus, ville fondée dans une des îles
Cartha?e» 22 a' sur ^a Srandeur du fossé
qui dé*eil(^alt Lilybée, 52 a; cité sur Ophel- Baléares par les Carthaginois; utilité de
ces îles pour Carthage, i33 b.
las et sur Bomilcar, 27 b; sur l'époque à
]i le Carthage commença à avoir des Eryx, ville située sur la montagne de ce
relalK)ns av^c les îles F>aléares, i33 b; sur nom, d'origine phénicienne, i33 a; prise
l'état de l'agriculture chez les Carthaginois, par Amilcar, 40 b; le consul Junius s'y
i35 a> sur la statue de Saturne, 146 a. ménage des intelligences et s'en rend ainsi
Difigène, général carthaginois, est vain- maître, 59 b; Amilcar Rarca l'emporte
cu par Scipion qui l'attaque dans son camp d'assaut ; cette montagne est, pendant deux
de Néphéris, 124 a, b. ans, le théâtre de la guerre ; quelques corps
Xanthippe, de Lacédémone, un des offi- Zarzas, Africain, un des chefs des merce-
ciers amenés de la Grèce avec une levée de naires dans la guerre de Libye, 75 b, 76 b.
mercenaires, par les Carthaginois; ils le Zonare. Son opinion sur la mort de Xan-
mettent à la tète de leur armée; il remporte thippe, 47 a; est cité sur la vicioire rem-
sur Régulus une victoire complète et se portée par les Romains près de Clypéa ,
retire dans sa patrie : discussion sur ce que cependant ils évacuèrent, 47 b, 48 a.
Zorus, un des fondateurs de Carthage,
qu'Appien et Zonare rapportent sur sa
mort, 45 b, 47 b. d'après plusieurs auteurs anciens, 1 b.
HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES.
■■e-eo<i
AFRIQUE.
CARTHAGE.
NUMIDIE ET MAURITANIE.
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
PARIS.
TYPOGRAPHIE 1)K FlRMÏfv DIDOT FRÈRES,
UUB IACOR, in" 56,
AFRIQUE.
ESQUISSE GÉNÉRALE DE L'AFRIQUE
ET AFRJQUE ANCIENNE,
PAR M. D'AVEZAC,
ii.» «ocisris aÉooaAPHiQnes de paris, Londres et Francfort, de la société africaine de lowdae;
VICE-PRESIDENT DE LA SOCIÉTÉ ETHNOLOGIQUE DE PAMS, ETC.
CARTHAGE,
PARjM. BUREAU DE LA MALLE,
MEMBRE DE L'ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES,
NUM1DIE ET MAURITANIE,
PAR M. LOUIS LACROIX, s/
PROFESSEUR D HISTOIRE AU COLLEGE ROLLll
L'AFRIQUE CHRÉTIENNE
ET DOMINATION DES VANDALES EN AI R1QUE v
PAR M. J. YANOSKI.
PARIS,
ETRMIN DIDOT FRÈRES, ÉDITEURS,
IMPRIMEURS-LIBRAIRES DE i/lNSTITUT DE FRANCE,
R IIB J ACO e , B° 50.
M DCCC XLIV.
PRÉFACE
T)E L'ÉDITEUR
HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, etc.
HISTOIRE DE LA 1XUMÎDIE ET DE
LA MAURITANIE,
DEPUIS LES TEMPS LES PLUS ANCIENS JUSQU'A l'aRRIVEE DES VANDALES
EN AFRIQUE;
PAR M. L. LACROIX,
ANCIEN ELEVE TiZ l'ÉCOLE NORMALE , AGREGE DE l'uNIVERSITK , PROFESSEUR u'HISTOrRE
AU COLLEGE ROr.LIN.
PREMIÈRE PARTIE.
aussi injuste , ni aussi fâcheux qu'on
NUMIDIE JUSQU'A LA REDUCTION EN
pourrait le croire. On n'a point à re-
PROVINCE ROMAINE. gretter ici la perte des annales d'un
grand peuple : l'histoire ne commence
introduction. — Les Numides, ordinairement qu'avec la civilisation.
comme la plupart des peuples barba- Liés Numides , ainsi que les Maures-
res de l'antiquité, n'ont point eu d'his- leurs voisins, restèrent dans la mono-
toire nationale : tout ce que nous sa- tonie insignifiante de la vie barbare,
vons sur leur compte nous a été jusqu'au temps où leurs rapports avec
transmis par les écrivains de la Grèce Carthage et Rome les firent entrer
et de Rome: encore l'attention de ces dans une voie nouvelle. Alors seule-
derniers ne se porta sur ces tribus in- ment ils commencèrent à devenir une
digènes de l'Afrique septentrionale nation, vaientunété que
royaume ; jusque-là ils n'a-
qu'au temps où le commerce et la des tribus nomades, et
guerre eurent établi avec elles de fré- l'ignorance de tout ce passé n'est
quentes relations, et elle se concentra presque rien pour nous, tandis que la
principalement sur les moments mêmes science déplorera toujours la nuit pro-
où s'accomplirent les événements de la fonde qui enveloppe les premiers siè-
conquête ; en sorte que tout ce qui pré- cles de la grande république de Car-
cède l'époque où les armes romaines pé- thage. Les critiques et savants moder-
nétrèrent enAfrique, tout ce qui ne se nes'ont montré le même dédain pour
rapporte point au fait de l'invasion est l'histoire ancienne des Numides et des
vaguement indiqué , ou entièrement Maures, qui n'a été traitée spécialement
omis. Après tout , ce silence n'est ni par personne, si ce n'est par les auteurs
Ve Livraison. (Numidie et Mauritanie.)
L'UNIVERS.
midie ( 206 avant notre ère ). -~ En ils avaient encore reçu de Syphax un
apprenant la mort de son père et le corps de 15,000 fantassins; leur ca-
meurtre de Capusa , Massinissa quitta valerie s'élevait à 10,000 hommes.
l'Espagne et passa en Mauritanie (206). Malgré l'infériorité de ses forces, Mas-
Depuis longtemps il ne cherchait sinissa eut l'avantage. Il dut la victoire
qu'un prétexte pour abandonner les au courage des vieux soldats de son
Carthaginois , qui , de leur côté , se dé- père et à sa propre expérience de la
fiaient de ses dispositions. Aussi , au guerre,tant enqu'il avait Le
acquise
Espagne. jeune enroicombat-
et son
rapport d' Appien,
les résultats de son Asdrubal,
retour en craignant
Numidie, tuteur se réfugièrent , avec une petite
essaya-t-il de le faire assassiner. Mas- troupe de cavaliers , sur le territoire
carthaginois. Massinissa avait recouvré
de Bocchar, sinissa échappa,roi des et" seMaures.
présentaIl auprès
obtint son royaume; mais comme il pré-
de lui , par les plus humbles et les voyait qu'il aurait bientôt à soutenir
plus pressantes prières , un corps de une guerre plus dangereuse avec Sy-
4,000 hommes, qui devaient seulement phax il
, jugea à propos de se réconci-
lier avec son parent. Il fit proposer à
lui servir d'escorte pour le voya- Lucumacès de revenir en Numidie ,
ge, Bocchar refusant de lui donner
du secours pour la guerre qu'il al- l'assurant qu'il occuperait auprès de
lait entreprendre. A peine arrivé sur lui le même rang, et qu'il jouirait des
mêmes honneurs que Désalcès auprès
les frontières de l'ancien royaume de
Gula , Massinissa fait un appel à ses de Gula. Quant à Mézétule, il lui pro-
amis et à ceux de son père. Environ mettait lepardon, et la restitution de
500 Numides vinrent le trouver. Il tous ses biens. L'un et l'autre accepta,
renvoie les cavaliers maures avec les- revint dans la Numidie, qui aurait pu
quels il avait traversé les États de être tranquille sans les ennemis du
dehors.
Syphax, et, réduit à d'aussi faibles ASDRUBAL DÉTERMINE SYPHAX A
ressources , mais plein d'ardeur et
d'espérance, il entreprend la conquête ATTAQUER MASSINISSA; CELUI-CI EST
vaincu et mis en fuite (205 avant
de l'héritage paternel. Le hasard lui
procura une heureuse rencontre. Lu- J. C. ) — En effet, Asdrubal était tou-
cumacès , épouvanté à son approche , jours auprès de Syphax, à qui il im-
se rendait chez Syphax pour demander portait beaucoup que le royaume fût
du secours. Massinissa le surprit en entre les mains de Lucumacès plutôt
chemin , le vainquit , et le força à se qu'au pouvoir de Massinissa. Asdru-
réfugier dans Thapsa, près de laquelle bal ne négligea rien pour augmenter
s'était livré le combat. Ensuite, ayant les craintes que cette révolution ins-
investi la ville, il l'emporta presque pirait au roi son gendre. Il lui repré-
aussitôt : de ceux qui entouraient Lu- senta que c'était une grande erreur de
cumacès, une partie se rendit au vain- croire que Massinissa se contenterait
queur ,une autre fut massacrée, et le des États qu'avaient possédés Gula et
reste parvint, avec le roi, à gagner le Désalcès; qu'il y avait en lui plus
royaume de Syphax. Le bruit de cet d'ambition et de courage que dans au-
heureux commencement s'étant ré- cun autre prince de sa race ; qu'en Es-
pandu partout, les Numides accouru- pagne ilavait donné, aux yeux de ses
rent en foule auprès de Massinissa, et alliés et des ennemis, des prends d'un
parmi eux se trouvaient des vétérans grand caractère ; que si les Carthagi-
de Gula , qui avaient à cœur le réta- nois et Syphax ne s'entendaient pas
blissement deson iîls , et qui se dé- pour détruire cette flamme naissante,
vouèrent àlui. De part et d'autre on ils seraient bientôt dévorés eux-mêmes
se prépara à une action décisive. Mé- par unfiter duvaste incendie; qu'il fallait
zétule et Lucumacès avaient une ar- momentoù Massinissa étaitpro-
en-
mée plus considérable que celle de core assez mal affermi sur son trône.
Massinissa; car, outre leurs partisans, Ces raisons persuadèrent Syphax , qui
N □ M ID IE
,,/■,,
c Zu, /,
17
kumidie et Mauritanie.
Se présenta avec une armée sur les fron- pays des Numides. Ces brigandages de
tières des Massyliens, réclamant un ter- Massinissa firent plus de tort aux Car-
ritoire conteste depuis longtemps , et thaginois, etleur coûtèrent beaucoup
pour la possession duquel il avait lui- plus d'hommes vendus ou massacrés,
même souvent combattu avec Gula.
que ne l'aurait fait une guerre régu-
Si Massinissa cédait la province en lière. Les compagnons du roi fugitif
question , Syphax devait , profitant de étaient devenus si hardis, qu'ils al-
sa faiblesse, pénétrer jusqu'au cœur laient sur le rivage vendre les dépouil-
de son royaume; s'il le défendait les les à des marchands attirés par les
armes à la main , l'infériorité de ses profits de ce singulier commerce.
BOCCHAR , LIEUTENANT DE SY-
forces donnait à ses ennemis l'espoir
de sa défaite. Cette dernière prévision PHAX, FORCE MASSINISSA A QUITTER
se réalisa. Massinissa, voulant repous- cette retraite. — Les Carthagi-
ser l'invasion, fut totalement vaincu, nois, qui souffraient considérablement
et contraint de prendre la fuite avec de ces ravages, s'adressèrent à Sy-
quelques cavaliers. phax, afin qu'il exterminât ces débris
MASSINISSA SE REFUGIE SUR LE dangereux du parti vaincu. Mais ce
MONT BALBÏIS ; SES COURSES SUR LES prince, jugeant indigne de lui de pour-
TERRES DE CARTHAGE. — Massinissa suivre dans les montagnes une troupe
supporta héroïquement ce nouveau re- vagabonde de brigands, chargea Boc-
vers de fortune. Pendant que tout son char, un de ses lieutenants, homme ac-
royaume subissait la loi du vainqueur, tif et courageux, du soin de cette ex-
il se retrancha sur le mont Balbus(*), pédition. Illui donna 4,000 fantassins
avee quelques familles qui lui restèrent et 2,000 chevaux , et l'exalta par l'es-
IL les. Elles s'établirent sur la mon- poir des plus grandes récompenses, s'il
tagne avec leurs tentes et leurs trou- lui rapportait la tête de Massinissa ,
peaux ,qui formaient toute leur ri- ou, ce qui aurait été un bonheur inap-
chesse. Cette montagne renfermait préciable, s'il le lui amenait vivant.
plusieurs sources d'eau, et était cou- Profitant de la sécurité et de la négli-
verte de pâturages. Les réfugiés nu- gence de Massinissa et des siens, Boc-
mides pouvaient donc y faire paître char les assaillit à Pimproviste ; il lit
leurs troupeaux, dont le lait et la chair main basse sur les troupeaux et la
servaient à leur subsistance. D'abord multitude de ceux qui étaient sans dé-
ils firent furtivement des incursions fense ,et cerna le chef lui - même et
nocturnes dans les campagnes envi- ses guerriers sur le sommet du mont
ron antespuis
; , enhardis par leurs Balbus. Bocchar, regardant l'expédition
premiers succès, ils étendirent leurs comme presque terminée, envoya à
ravages et ne se cachèrent plus. Ils Syphax
pillaient de préférence les terres des avec unetoutpartie le butin qu'iltroupes,
de ses avait fait,
ne
Carthaginois, où le butin était plus gardant avec lui que 500 fantassins et
abondant et plus facile que dans le 200 cavaliers, qui lui suffisaient pour
achever la guerre. Il contraignit Mas-
(*) Le mont Balbus est aujourd'hui le sinissa àquitter les hauteurs, et l'en-
« >jebel-el-Resas entre Nabal (Neapolis) et ferma dans une vallée étroite , où il
Rhades (Maxula). Sur le flanc de la mon-
extermina presque toute sa bande , à
tagne est un lieu appelé El-Arbaim les Qua-
rante, àcause d'un groupe de quarante l'exception de 50 cavaliers, qui échap-
tombeaux que les gens du pays regardent pèrent avec leur chef par des passages-
comme les monuments funèbres de pieux inconnus. Cependant Bocchar retrouva
musulmans morts en défendant leur patrie leurs traces; il les atteignit de nou-
adoptive. D'autres voudraient y voir les
veau sur le territoire de Clypea (Ciy-
tombeaux des compagnons d'armes de Mas- bea auj.), non loin de la mer, et leur
sinissa, qui furent massacrés pour la plu- livra un dernier combat , dont il n'é-
part par les soldats de Bocchar. Voir Man- chappa que quatre hommes avec Mas-
nert, traduct. de Marcus, p. 700. sinissa, qui, dangereusement blessé,
2e Livraison. (Numidie et Mauritanie.)
Î8 L'UNIVERS.
faillit tomber au pouvoir du vainqueur. te Cirta et îlippone. Cette fois , Sy-
Bocchar répandit ses cavaliers dans la phax, voulant en finir avec cet ennemi
campagne, pour atteindre ces derniers indomptable, marcha lui-même contre
fuyards. Ceux-ci , serrés de près , ar- Massinissa, accompagné de son fils
rivèrent sur les bords d'une large ri- Vermina. Bientôt les deux armées fu-
vière ,où ils se jetèrent sans hésita- rent en présence. Syphax ordonna à
tion, préférant le moindre des deux son fils d'attaquer secrètement et par
dangers. La force du courant entraîna derrière, tandis qu'il mettait ses trou-
les plus faibles pes en bataille pour en venir ouverte-
le gouffre sous , qui s'abîmèrent
les yeux même ,duns
des ment aux mains. Massinissa comptait
ennemis. Ils crurent que Massinissa sur l'avantage de sa position , et il ac-
avait subi le même sort; mais il eut
cepta bravement le combat. L'action
le bonheur d'échapper avec deux des fut sanglante et longtemps douteuse :
cavaliers qui lui restaient , et il par- l'ardeur des Numides de Massinissa
vint à gagner l'autre rive, où il se compensait la supériorité numérique
cacha dans un taillis. Bocchar n'osa de l'ennemi. Mais quand le corps d'ar-
franchir le fleuve; il arrêta sa pour- mée de Vermina eut donné sur l.'ar-
suite , qu'il considérait désormais rière-garde , Massinissa et les siens ,
comme inutile, et il revint auprès de enveloppés de tous côtés , ne purent
Syphax, affirmant que Massinissa avait tenir plus longtemps , et la victoire
succombé. Des envoyés annoncèrent cessa d'être douteuse. Le carnage
cette heureuse nouvelle à Carthage, commença, les Massyliens périrent ou
où elle excita la joie la plus vive. furent fafts prisonniers; il n'en restait
massinissa. se cache dans une plus que 200, qui, groupés autour de
caverne; il rentre dans son leur chef, résistaient en désespérés. Ces
royaume, perd une grande ba- braves n'avaient plus qu'à succomber
taille contre syphax et se joint en combattant, ou à se faire jour a tra-
aux romains ( 204 avant J. C. ). — vers l'ennemi le fer à la main. Massi-
Pendant que Syphax et les Carthagi- nissa prend ce dernier parti : il divise
nois célébraient par de grandes ré- ses gens en deux troupes , et leur or-
jouis ances lamort de Massinissa, ce donne de percer comme ils pourraient
prince avait trouvé un asile sûr dans les bataillons de Syphax, en leur indi-
une caverne ignorée, où ses deux com- quant un lieu de ralliement. Deux de
pagnons lui apportèrent des herbes ces pelotons ne purent échapper ; car
pour panser ses blessures. Il y resta l'un ayant perdu courage mit bas les
plusieurs jours en repos , nourri par armes , et l'autre fut écrasé par le
les vols de ses fidèles cavaliers, jus- nombre; le troisième, commandé par
qu'au moment où, ses plaies étant ci- le roi lui-même, et qui se composait de
catrisées il
, reparut de nouveau au 70 cavaliers , parvint à se dégager.
grand jour , et étonna ses adversaires Puis , se répandant dans la campagne,
par un nouveau trait d'audace. Il ren- il parvint, à force de courses et de dé-
tra subitement dans son royaume, où
tours, àlasser Vermina, qui s'était at-
la joie inespérée qu'on eut de le revoir, taché àle poursuivre. Toujours infati-
après l'avoir cru mort, rassembla en gable et audacieux maigre ses revers,
peu de temps autour de lui 10,000 Massinissa parcourut en pillant la
hommes de pied et 4,000 cavaliers. En côte et les villes carthaginoises ; et ,
un instant il se retrouva maître de
s'avançant
retira chez jusqu'à la petite syrte
les Garamantes. Peu , de
se
toute la contrée , et recommença ses
ravages sur les terres des Carthagi- temps après, Lélius arriva en Afrique
nois et sur les frontières de Syphax. avec la flotte romaine, et Scipion ne
Comme il prévoyait bien que ce der- tarda pas à le suivre. Massinissa vint
nier répondrait a ces provocations , il se joindre à ses alliés, selon quelques-
posa son camp sur une montagne,
dans un terrain très-avantageux, en- uns, avec 2,000 chevaux , selon d'au-
tres ,avec 200 seulement ; d'après cg
NUMIDIE ET MAURITANIE. 19
que nous venons de dire du fâcheux son rival avec la plus grande activité.
état de ses affaires , on peut conclure Conseillé par sa passion et par sa
que cette dernière évaluation est la haine, il était le véritable chef des opé-
plus vraisemblable. rations, etimposait ses plans à Lélius.
l'arrivée de scipion relève Il avait à cœur d'occuper à l'instant
massinissa et ruine syphax. — Cirta, où Syphax avait résidé depuis
Jusque-là la fortune s'était acharnée que son royaume s'était agrandi vers
à poursuivre Massinissa ; mais dès que l'orient, et il persuada à Lélius de le
les Romains eurent mis le pied en suivre avec l'infanterie, tandis qu'il
Afrique, les choses changèrent de face. courrait en avant avec les cavaliers
Ici l'histoire des deux rois numides pour investir la place. Ce n'était pas
se confond entièrement avec ceile de seulement pour se rapprocher de Car-
la seconde guerre punique , qu'il thage que Syphax avait choisi ce sé-
n'entre pas dans notre sujet de ra- jour. Cirta était la place la plus forte
conter. Cependant il importe de sui- de toute la Numidie, comme aujour-
vre la destinée de Massinissa et de Sy- d'hui encore la ville moderne q'ui la
phax, devenus les seconds de Rome et remplace (*). Massinissa arriva devan-
de Carthage dans cette grande lutte, les murs de Cirta avant que la nou-
où ils terminèrent aussi leurs longs velle de la captivité de Syphax y fût
démêlés (*). Syphax apportait à ses al- parvenue. Il demanda une entrevue
liés une armée , un trésor , de vastes aux principaux de la ville; mais ni les
ressources ; Massinissa fut beaucoup promesses ni les menaces ne pouvaient
plus utile aux siens en leur consacrant les déterminer à se rendre ; alors on
sa valeur, son expérience et sa fidélité. leur montra Syphax enchaîné. A ce
Il prit une part glorieuse à tous les triste spectacle, un cri de douleur
exploits de Scipion et de Lélius, à échappa de leur poitrine, et toute la
la ruine de l'armée d'Hannon , à l'in- ville fut bientôt dans la consternation.
cendie des camps d'Asdrubal et de On ne songea plus à se défendre ; les
Syphax, à la victoire des grandes plai- uns , par crainte , abandonnèrent les
nes, qui laissa Carthage sans défense, murailles; les autres , pour obtenir le
et la contraignit à rappeler Annibal ; pardon du vainqueur, ouvrirent les
enfin, à la défaite de ce dernier à portes et se rendirent. Massinissa
Zama. En récompense de tant de ser- plaça des gardes aux portes et autour
vicesles
, Romains l'aidèrent à ruiner des'muraiiles pour empêcher la déser-
la puissance de Syphax. Lélius ra- tion des habitants, et il courut de
mena Massinissa dans son royaume. toute la vitesse de son cheval au palais
Syphax,
tenta encore qui s'étaitune enfui
fois ledans
sortsesdesÉtats,
ba- de DISCOURS
Syphax pourDE s'en rendre maître.
SOPHONISBE A MAS-
tailles, etil succomba devant les lé- SINISSA.— Au moment où il entrait
gions de Lélius. Il combattit brave-
ment; mais son cheval s'étant abattu, (*) Constantine.
cement de cette villeOnde trouve sur l'empla-
nombreuses ruines
il se blessa dans la chute, fut fait pri-
sonnier, et conduit d'abord à Massi- antiques, un arc de triomphe tel qu'on en
voit à Rome, un édifice de marbre construit
nissa, qui goûta toutefois le plaisir de
près d'une fontaine d'une eau très-froide.
la vengeance en voyant l'abaissement Hors de l'enceinte de Constantine , Shaw
de celui qui l'avait proscrit autrefois a vu plusieurs cippes couverts d'inscriptions
(202). Ensuite Syphax fut livré à Lé-
lius. funéraires. Au dedans de la ville sont plu-
sieurs débris de constructions romaines, un
CIRTA , CAPITALE DE SYPHAX ,
palais, un amphithéâtre; enfin le pont du
TOMRE AU POUVOIR DE MASSINISSA.
Pvummel , ouvrage romain d'une architec-
— Massinissa poursuivit la perte de ture remarquable. Les voyageurs Shaw et
Poiret ont pensé que la ville moderne n'est
(*) Voyez dans ce volume YHistoire de pas
Carthage, deuxième partie, p. 91. Cirta.aussi étendue que le fut l'ancienne
20 L'UNIVERS.
sous le vestibule du palais, Sopho- tilage. Mais V ancien amour de Mas-
nisbe, fille d'Asdrubal, épouse de Sy- sinis a, tesfeux mal éteints, la joie
phax, se présente à lui. Elle, distingua de retrouver sa maîtresse, sont des in-
facilement le roi ventions romanesques de nos histo-
ses armes et à lade richesse
sa suite, deà tout
l'éclatson
de
riens (*). Sophonisbe était alors dans
vêtement militaire, et, s'étant pros- toutl'éclat de sa jeunesseetdesa beauté.
ternée ses
à pieds, elle lui parla ainsi : Massinissa, qui la voyait pour la pre-
Les dieux, votre courage et votre mière fois , fut à l'instant enflammé
fortune vous ont rendu maître ab- d'un ardent désir de la posséder, et il
solu de mon sort. Mais s'il est per- conçut l'imprudent dessein de l'épou-
mis àune captive d'implorer en sup- ser,* pour ôter à Lélius et à Sci-
pliant celui qui est l'arbitre de sa pion la possibilité de disposer d'une
vie et de sa mort , si vous m'accor- femme qu'il aurait prise pour épouse.
dez la faveur d'embrasser vos ge- Ainsi, la séduisante Sophonisbe faillit
noux et cette main victorieuse , je être aussi dangereuse pour Massinissa
vous conjure, par la majesté royale que pour Syphax.
dont nous étions encore tout à l'heure ENTREVUE DE SYPHAX ET DE SCI-
environnés, par le nom de Numide pion. — Syphax avait été conduit de-
qui vous est commun avec Syphax , vant Scipion, et son entretien fit com-
prendre àcelui-ci tout le danger du
par les
prie de divinités regarder de ce palais"
votre arrivéequeplus
je nouveau mariage de Massinissa : « Quel
favorablement qu'elles n'ont vu son «démon t'a poussé, dit Scipion au
triste départ; je vous conjure de « prisonnier, à renoncer à l'alliance
m'accorder cette grâce, que vous dé- «. romaine, et à préférer celle de Car-
cidiez vous-même de mon sort, « thage, qui t'avait toujours combat-
quelles que soient vos dispositions « tu? » Syphax répondit : « C'est So-
à l'égard de votre prisonnière, et de «phonisbe, fille d'Asdrubal. Je l'ai
ne point souffrir que je tombe sous « aimée, pour mon malheur. Elle aime
la superbe et cruelle domination « ardemment sa patrie, et est habile à
d'aucun Romain. Quand je n'aurais « persuader ce qu'elle veut. C'est elle
été que la femme de Svphax, j'aurais « qui m'a fait l'allié de Carthage, et
toujours préféré la foi d'un prince « qui m'a précipité dans cet abîme de
numide, né dans l'Afrique comme « maux. Prenez garde qu'elle ne sé-
moi, à celle d'un étranger. Mais « duise aussi Massinissa, et qu'elle ne
vous comprenez ce qu'une Cartha- « l'entraîne à son parti.» Il parlait ain-
ginoise, ce que la fille d'Asdrubal si, autant par dépit de l'infidélité de So-
doit redouter des Romains. S'il n'y phonisbe, que par jalousie et par haine
a que la mort qui puisse me sous- contre Massinissa. Ces paroles furent
traire àleur puissance, je vous prie bien accueillies de Scipion, qui garda
et je vous conjure de me la don- Syphax auprès de lui , et le consulta
ner. » fréquemment, dit Appien, comme, au-
MASSINISSA ÉPOUSE SOPHONISBE. trefois Cyrus, le roi de Lydie Crésus,
— Ïite-Live , qui raconte au long la qui était aussi son captif. Peut-être
dramatique histoire de Sophonisbe, ne Scipion se ménageait -il les moyens
parle nullement des engagements qui, d'inquiéter Massinissa, si les prévisions
selon Appien, avaient été contractés de Syphax se réalisaient.
déjà entre elle et Massinissa avant SCIPION BECLAME SOPHONISBE;
son mariage avec Syphax. Cepen-
dant ce silence sur ce point ne dé- (*) Rollin, le président de Brosses em-
ploient ces expressions à propos de cette
truit pas entièrement le témoignage entrevue de Massinissa et de Sophonisbe.
d'Appien ; et Asdrubal, par les mêmes Le sujet de Sophonisbe a été traité trois
motifs qui le déterminèrent à donner fois par trois poètes tragiques d'une valeur
sa fille à Syphax, avait pu auparavant bien différente, Mairet , Corneille, Voltaire.
la fiancer à son rival, allié de Car- Aucun n'y a réussi.
21
NUMIDIE ET MAURITANIE.
MASSINISSA LUI ENVOIE DU POISON. plainte pour mourir avec dignité ,
— Lélius avait fortement blâmé Mas- avala le funeste breuvage. Alors les
sinissa de ce qu'il avait fait, et avait Romains survinrent; Massinissa n'eut
été sur le point d'enlever Sophonisbe, qu'un cadavre à leur montrer. Il fit à
pour la réunir aux autres prisonniers. Sophonisbe de royales funérailles, et
Massinissa le supplia de la lui laisser, retourna près de Scipion. Telle était
et Lélius consentit à s'en rapporter l'humiliation d'un roi puissant et dé-
au jugement de Scipion. Celui-ci or- voué en présence de ces fiers républi-
donna hautement que Sophonisbe, cains.
femme de Syphax, lui fût remise. ANNIBAL VAINCU A ZAMA; SCIPION
Rien ne fait mieux comprendre la hau- DONNE A MASSINISSA L'INVESTITURE
teur romaine à l'égard de quiconque de toute la numidie (202 avant notre
prétendait avoir une volonté contraire ère). — Annibal n'avait pas encore été
à celle de Rome, que la manière dont vaincu, et les espérances que Carthage
Scipion contraignit Massinissa à sa- conservait encore de ce côté avaient fait
crifier cette femme qu'il voulait sau- à Scipion la nécessité d'être inflexible
ver. Tite-Live, qui dans ses admirables envers Sophonisbe, qui pouvait chan-
narrations n'a pas toujours exacte- ger Massinissa. Annibal trouva encore
ment représenté le caractère des faits des alliés parmi les Numides : le prince
ni des personnages, représente Scipion des Aréacides, tribu dont le pays n'é-
inquiet des dispositions de Massinissa,
et tâchant de le ramener par des pa- mina,taitfils
guère aîné éloigné d'Adrumète;
de Syphax; Ver-
Mésétule,
roles pleines de douceur et de ména- l'ancien tuteur de Lucumacès; Tychée,
gements, où il mêle à des raisons po- prince numide, ancien allié de Sy-
litiques des conseils relatifs au mépris phax, sejoignirent à lui. Mais Massi-
des passions et à l'empire sur soi- nissa était à lui seul préférable à tous
même. C'est une leçon de morale qu'il ces vaincus, qui n'empêchèrent pas le
invente, et non un fait qu'il rapporte. désastre de Zama (201). Avant de quit-
Scipion pouvait parler en maître , et ter l'Afrique, Scipion récompensa di-
il ne manque pas de le faire. Appien, gnement son allié. Massinissa fut re-
moins élégant et moins habile que connu roi au nom du peuple romain.
Tite-Live, est beaucoup plus près de Il reçut en présent, de Scipion, une
la vérité, et son récit est plus frap- couronne et une coupe d'or, une chaise
pant. Ildit que Massinissa ayant en- curule, un sceptre d'ivoire, une robe
trepris de toucher Scipion à l'égard de pourpre brodée , et tous les orne-
de Sophonisbe, commençait à lui ra- ments dont se paraient les triompha-
conter toute l'infortune de cette femme, teurs. Après avoir imposé à Carthage
lorsque Scipion l'interrompit dure- le traité qui termina la seconde guerre
ment par ces mots : « Vous ne devez punique, Scipion déclara publiquement
« pas priver Rome de ses dépouilles : qu'il ajoutait aux États que Massinissa
« il faut tout mettre en commun. tenait de ses pères la ville de Cirta
« Vous demanderez ensuite , et on et les autres places que les Romains
« vous accordera si vous savez obte- avaient enlevées à Syphax, établissant
nir. »Massinissa se tut, et parut se ainsi nemi
aux acharné
portesquide"devait
Carthage un en-
résigner. Accompagné de quelques sol- préparer sa
dats romains, il partit comme pour li- ruine par de continuelles agressions.
vrer Sophonisbe. Mais ayant pris les FIN DE SYPHAX ; VERMINA SE MAIN-
devants, il la vit en secret et lui donna TIENT DANS UNE PARTIE DES ÉTATS
du poison , en lui disant : « Prenez de son père (200 avant notre ère).
« ceci , ou devenez l'esclave des Ro- — Lélius avait été chargé par Sci-
« mains. »surIl n'ajouta rienledecœur
plus, dé-
et pion de conduire à Rome Syphax et
remonta son cheval les prisonniers numides lesplus im-
chiré. Sophonisbe montra la coupe à portantsla
: vue de tous ces captifs
sa nourrice, et, s'abstenant de toute causa parmi le peuple une grande allé-
22 L'UNIVERS.
gresse. Le sénat délibéra sur le sort punique, toute la Numidie était tom-
de Syphax, et on bée sous l'ascendant des Romains :
enfermé à Albe, qui décida
devint qu'il seraitla
dès lors ceux - ci ne possédaient pas encore
prison ordinaire des rois vaincus. Sy- un pouce de terre en Afrique , mais
phax ne tarda pas à y mourir de tris- déjà tout y dépendait de leur volon-
tesse etd'ennui (*). Vermina, après avoir té. Cependant la famille de Syphax
partagé la défaite d'Annibal à Zama, n'oublia jamais que Rome était la
leva encore une armée pour la con- cause de son abaissement, et eut tou-
duire àCarthage, que Scipion mena- jours plus d'inclination pour Carthage.
çait d'un siège. La cavalerie romaine Lorsque Caton le Censeur voulut prou-
f'ayant enveloppé, lui prit et lui tua ver au sénat qu'il fallait détruire Car-
plus de quinze mille hommes. Ver- thage, ildonna, comme une des preu-
mina s'échappa au milieu du tumulte, ves qu'elle redevenait à craindre, les
avec un petit nombre des siens, et se secours considérables qu'Archobarza-
retira dans les provinces les plus recu- ne, petit-fils de Syphax, avait armés
lées et les plus barbares du royaume pour la soutenir contre Massinissa.
de son père. Mais il n'y avait pas de CONDUITE DE MASSINISSA A l'É-
G ARD DE CARTHAGE ET DE ROME, DE-
sûreté pour lui s'il ne désarmait le PUIS LA FIN DE LA SECONDE GUERRE
courroux des Romains. Il envoya une
ambassade à Rome, pour rejeter sur PUNIQUE JUSQU'A SA MORT (de 200 à
les Carthaginois tout le tort de sa 148 avant notre ère).— Le plus grand
conduite a l'égard de la république. Il malheur de Carthage, après celui d'a-
promettait d'imiter Massinissa dans voir eu Rome pour rivale, fut d'être
son zèle et son attachement au peuple inquiétée continuellement pendant un
romain, si, comme lui, il parvenait demi-siècle par l'ambition
à être traité en allié et en ami. Le sé- nissa. Les Romains laissèrent deà saMassi-
haine
nat répondit que le titre d'allié était le soin d'empêcher Carthage de se re-
un honneur qu'il n'accordait qu'à ceux leverils
; lui permirent de lui enlever
.qui avaient rendu de grands services; ses jiieilleures provinces, de la dégarnir
qu'avant de demander de tous côtés, d'anéantir ses dernières
ami , Vermina devaitd'être traité en
se contenter ressources; et quand ils le jugèrent
d'obtenir la paix; que les envoyés de a propos, ils lai arrachèrent sa proie,
la république allaient passer en Afri- et ruinèrent cette malheureuse ville
que, et qu'ils lui signifieraient les con- de fond en comble. Pour tous les évé-
ditions auxquelles on consentait à trai- nements de cette lutte de Massinissa
ter avec lui. Quand Vermina sut que avec la république phénicienne, nous
l'ambassade romaine se dirigeait vers renvoyons à l'histoire même de Car-
ses États, il s'empressa d'aller au de- thage, où les envahissements du roi
numide et l'inique intervention des
soumitvant sansd'elle jusqu'à
réclamer ses àfrontières.
toutes les Il
con-se Romains sont complètement racon-
ditions qu'on voulut bien lui pres- tés {*). Ainsi , nous n'ajouterons rien
crire, disant que toute paix avec les à ce qui a été dit déjà sur les agres-
Romains lui paraîtrait juste et avan» sions successives par lesquelles Massi-
tageuse. La paix lui fut donc accor- nissa se rendit maître de la province
dée et imposée d'autorité, et il reçut appelée Emporta, du territoire des
l'ordre d'envoyer des députés à Rome grandes plaines , de la province de
pour en recevoir la ratification (200). Tysca, enfin de la ville d'Oroscope; ni
Ainsi, à la fin de la seconde guerre sur la guerre provoquée par cette der-
nière usurpation , dans laquelle Mas-
(*) Syphax mourut au moment où il quit- sinissa, combattant avec toute l'ar-
tait Albe pour paraître au triomphe de deur de la jeunesse, extermina l'armée
Scipion l'Africain. Les Romains lui firent carthaginoise. Rome n'avait rien à
des funérailles convenables. Tous les pri-
sonniers numides obtinrent leur liberté. (*) Carthage, deuxième partie, p. 101.
23
NUMIDÏE ET MAURITANIE.
craindre en Italie, tandis que Carthage les consuls Censorinuset Manilius vin-
avait en Afrique, tout autour de ses rent lui demander des secours, il ré-
frontières, un ennemi puissant et ha- pondit sèchement qu'il leur fournirait
bile qui la détestait. Sa ruine était des troupes dès qu'ils en auraient be-
inévitable. Dans le reste de sa longue soin. Mais s'il avait persévéré, les Ro-
carrière, le roi numide conserva tou- mains n'auraient-ils pas eu le droit de
jours l'amitié des Romains par son l'accuser d'ingratitude? Rome avait
empressement à les servir. Quand fait sa grandeur, à condition
ceux-ci firent la guerre à la Macé- consacrerait tout entier à son qu'il
service.se
- doine, il leur fournit un corps de mille Et qui pouvait songer à se pourvoir
cavaliers , autant de fantassins et en présence de ce peuple envahisseur
trente-deux éléphants, et nomma son qui, depuis longtemps, se sentait ap-
fils Misagènes pour commander ces pelée tout asservir? Aussi, cette irri-
renforts. Il leur envoya, à différentes tation de Massinissa ne fut qu'un mo-
reprises, des quantités considérables de ment d'erreur dont il revint bientôt.
grains; et, comme Carthage en faisait D'ailleurs, quels que fussent les désirs
autant pour désarmer le sénat, il en et les projets de Massinissa, il ne sen-
résulta que l'Afrique commença dès tait plus en lui la force nécessaire
lors à suppléer à l'insuffisance4 pour rien entreprendre et rien réali-
production agricole en Italie, deet laà ser davantage. Si son âme conservait
nourrir le peuple-roi. La conduite de son énergie et son ambition , son
Massinissa à l'égard des deux républi- corps, si longtemps robuste et infati-
ques était habilement calculée dans gable, était enfin brisé par l'âge, et la
l'intérêt de sa grandeur. Si Rome con- vie allait l'abandonner.
servait sa puissance, Massinissa jouis- DERNIÈRES DISPOSITIONS DE MAS-
sait toujours du bénéfice de son al- SINIS ASA
. ; MORT ; SCIPION ÉMILIEN,
liance; siquelque roi de l'Orient avait MANDÉ PAR LUI, VIENT REGLER LES
fini par l'abaisser, le Numide n'avait AFFAIRES DE LA NUMIDIE (148 avant
plus qu'à mettre la main sur Carthage, notre ère). — Alors, renonçant à tous
qu'il affaiblissait tous les jours, et à les plans qu'il avait formés, 'il ne son-
se proclamer souverain de toute l'A- gea plus qu'à préparer un avenir pai-
frique. Ilparaissait bien, à l'acharne- sible àses enfants. Sentant sa fin pro-
ment de Massinissa à poursuivre Car- chaine, ilfit prier Scipion Émilien,
thage, que ce prince travaillait pour qui n'était alorsde que tribun auprès
dans l'ar-
lui-même; et c'était la seule crainte du mée romaine, se rendre de
sénat qu'il n'en finît que trop tôt avec lui. Ses anciennes relations d'amitié
elle, etqu'il ne lui portât le dernier coup. avec la famille des Scipions, la haute
Aussi cette défiance, que les Romains réputation que le jeune Émilien avait
avaient conçue de leur allié, devint déjà acquise, le déterminèrent à lui
presque la seule défense de Carthage, confier le soin de partager ses États
et prolongea quelque temps son exis- entre ses fils, pour les placer sous un
tence. Car si le sénat lâchait Massi- patronage puissant. Il voulait leur as-
nissa contré elle , il le retenait aussi. surer un appui à Rome, et un média-
Massinissa sentait sa dépendance, et* teur qui préviendrait leurs propres
à mesure qu'il devenait plus puissant, dissensions. Mais, prévoyant qu'il al-
il en souffrait davantage. Quand les lait mourir avant l'arrivée d'Émilien,
Romains se décidèrent à achever Car- il fit venir sa femme et ses enfants, et
thage etdéclarèrent la troisième guerre leur dit « qu'il laissait à Scipion le
punique, le roi deNumidie ne put dissi- pouvoir suprême de disposer de ses
muler lemécontentement que lui causa biens et de partager son royaume entre
le procédé de Rome. Il vit avec dou- ses fils; qu'il voulait que tout ce qu'il
leur qu'il n'avait été que l'instrument aurait décidé fût exécuté rigoureuse-
du sénat; que le résultat de ses efforts ment comme si lui-même l'avait ar-
n'était pas pour lui. Aussi, lorsque rêté par son testament. » Il termina en
24 L'UNIVERS.
conseillant à ses fils de cultiver cons-
occupent dans l'histoire romaine une
tamment l'amitié des Romains, de place aussi considérable que Massi-
ne point contracter de nouvelles al- nissa. La longue durée de son règne
liances, de placer toute leur confiance contribua
et toute leur force dans la protection social de labeaucoup Numidie. à Dans
changer l'état
plusieurs
du sénat. Quelques instants après, il contrées de son vaste empire, ce prince
expira , âgé de quatre-vingt-dix-sept s'attacha à fixer les habitants au sol ,
ans, l'an 148 avant l'ère chrétienne. à leur faire abandonner les habitudes
II avait confié son anneau à l'aîné de de la vie errante , en leur enseignant
ses fils , Micipsa. Il laissa quarante- à tirer parti de la fertilité de leur ter-
quatre enfants de diverses femmes; ritoire, età se livrer à l'agriculture. Il
mais trois seulement furent considé-
s'efforça surtout de discipliner ses sol-
rés comme ses héritiers légitimes, sa- dats, cle les façonner à la tactique
voirMicipsa,
: Gulussa et Manastabal. romaine, de réprimer en eux l'instinct
A peine Massinissa avait-il rendu l'es- du brigandage. Lui-même donna plus
prit, que Scipion Émilien arriva à d'une fois l'exemple du respect dû à
Cirta. Il fit le partage du gouverne-
ment et des États de la Numidie entre la propriété,
des dieux. Valere principalement
Maxime nous àapprend
l'égard
les trois fils légitimes , en assurant que ses vaisseaux ayant fait une des-
aussi le sort de leurs frères. Micipsa cente dans l'île de Malte, les soldats
eut Cirta, la capitale, et l'autorité qui les montaient pillèrent un temple
principale. Gulussa , prince habile et consacré à Junon , et y enlevèrent une
belliqueux, eut le commandement de grande quantité d'ivoire, que le chef
l'armée et la direction de tout ce qui de l'expédition vint offrir au roi. Mas-
avait rapport à la guerre. Manastabal, sinissa, regardant ce présent comme
le plus jeune des trois, fut chargé de sacrilège , rendit tout cet ivoire aux
présider aux jugements, à tout ce qui prêtres du temple, et fit graver en ca-
était de la justice. Les immenses tré- ractères numides, sur quelques-unes des
sors de leur père leur furent laissés en
commun, et ils eurent tous trois le avait restitué ces par
pièces renvoyées son ordre
objets , qu'il
par respect
titre de roi. Quand touf fut réglé, pour la déesse à laquelle on les avait
Scipion repartit de Cirta , emmenant consacrés. Ce fait nous atteste de plus
avec lui un corps de troupes numides, que les Numides avaient un alphabet
sous la conduite de Gulussa, pour ren- qui leur était particulier. Les rela-
forcer l'armée romaine, occupée alors tions de ce prince avec les Scipions ,
au siège de Carthage. On peut remar- les Romains les plus élégants et les
quer avec quelle adresse Scipion s'ac- plus policés de leur temps , lui firent
quitta de la tache difficile que Mas- connaître les raffinements de la civi-
sinissa lui avait léguée : en disséminant lisation grecque; et Athénée nous ap-
l'autorité entre les trois frères, il les prend qu'il avait des musiciens grecs
rendait plus dépendants de Rome, et a ses repas. Le second de ses fils, Ma-
établissait un équilibre par lequel ces nastabal ,connaissait parfaitement la
trois rois se retenaient les uns les au-
tres. Ainsi la mort de Massinissa était, plus remarquableMais
langue grecque. dansce qu'il y a de,
Massinissa
comme sa vie tout entière , un événe- c'est que tout en comprenant les avan-
ment favorable à la fortune des Ro-
mains. Carthage allait périr, et la tages de la civilisation , et en s'effor-
çant de la répandre autour de lui et
Numidie, loin d'inspirer des craintes, parmi ses sujets , il ne changea rien
était plus dépendante que jamais. pour lui-même aux coutumes de ses
QUELQUES PARTICULARITÉS SUR
pères et
rude , niforte aux qui
habitudes
avait étéde celle
l'éducation
de son
MASSINISSA ; SES EFFORTS POUR CI-
VILISER SON PEUPLE ; SES HABITU- enfance. Pendant que les étrangers
DES DE Y1E ; SA TEMPÉRANCE ; SA
qu'il admettait à sa table étaient ser-
vigueur , etc. — Peu de rois barbares vis dans de la vaisselle d'or, et qu'on
.NUMIDIE ET MAURITANIE.
25
étalait à leurs yeux des vases précieux ses vastes Etats, que, deux années plus
par la matière et le travail, le roi man- tard , la prise de Carthage devait en-
geait dans de la vaisselle de terre. Il core agrandir. Scipion Emilien , à la
se contentait des aliments les plus fin du long siège qui allait avoir pour
simples. Plutarque, d'après Polybe , issue l'entière destruction de la rivale
raconte que, le lendemain d'une grande de Rome , trouva dans les fils du vieux
victoire sur devant
les Carthaginois , on son
l'a- roi , et surtout en la personne de Gu-
vait trouvé, sa tente, faisant
lussa , d'utiles et dévoués auxiliai-
repas d'un morceau de pain bis. Pen- res (*). Après l'anéantissement de
dant toute sa vie il s'exerça au travail Carthage, les vainqueurs, distraits à
et à la fatigue : selon Polybe, il se te- l'orient et à l'occident par des guer-
nait souvent debout au même endroit res importantes, ne songèrent point à
depuis le matin jusqu'au soir , sanset étendre leurs conquêtes en Afrique.
se donner le moindre mouvement; Se bornant à occuper et à placer
d'autres fois il demeurait assis durant sous leur surveillance immédiate la
le même espace de temps. Sa force et province qui avoisinait la ville détruite,
son agilité, entretenues par ce genre de ils laissèrent en Afrique les vastes ré-
vie, étaient extrêmes. Il était le meil- gions de l'ouest et du sud aux rois
leur cavalier de toute la Numidie, et numides dont ils connaissaient les ami-
restait à cheval plusieurs jours et plu- cales dispositions.
sieurs nuits de suite. Il conserva cette Massinissa avait eu trois fils, Ma-
vigueur jusque dans sa vieillesse la nastabal , Gulussa et Micipsa. Après
plus avancée, et à l'âge de quatre- la mort de ses deux frères, Micipsa
vingt-dix ans on le voyait encore, tête se trouva seul héritier et souverain du
nue, monter seul surdon cheval sans royaume de Numidie. Ce royaume
selle, et s'y tenirse un jour tout entier. comprenait tous les pays situés entre
Sa constitution conserva si robuste le Mulucha et l'extrémité sud-ouest de
jusqu'à la fin , que le dernier de ses la petite Syrte; il fallait en retrancher
fils, nomméStembal, n'avaitquequatre toutefois la nouvelle province romaine.
ans quand il mourut. Il dirigea lui- Micipsa gouverna en paix les nombreu-
même la guerre qu'il fit aux Cartha- ses tribus disséminées dans ses États ,
ginois deux ans avant sa mort, et s'y et pendant le cours de son long règne
montra aussi actif, aussi infatigable il sut, comme ses frères et son père, se
que soixante-dix ans auparavant quand maintenir non point seulement dans
il commença à lutter contre Syphax l'alliance , maisPendant
encore trente
dans l'amitié
et à combattre les Romains en Espagne. des Romains. années
Tel fut Massinissa , habile guerrier , environ, le niroiennemisnumide aun'eut donc nià
bon politique, attaché aux Romains combattre dehors,
sans bassesse, d'un caractère fier et révoltes au dedans ; néanmoins il ne
généreux , exempt de ces crimes odieux fut pas heureux, et dans les derniers
si communs dans la vie des rois bar- jours de sa vie surtout il fut en proie
bares, et par là même placé au-dessus à de vives alarmes et à une profonde
tristesse.
de Jugurtha, le seul de sa race qui
puisse lui être opposé. Il fut le héros Il avait élevé près de lui , avec ses
de la Numidie. deux enfants Adherbal et Hiemp-
REGNE DE MICIPSA; LA FAMILLE sal , un neveu , Jugurtha, qui était fils
DU ROI ; JEUNESSE DE JUGURTHA ( 148 naturel de Manastabal. Jugurtha avait
à 119 avant notre ère) (*).— Massinissa l'esprit étendu , vif, délié, pénétrant;
en mourant (148) avait légué à ses fils il était beau de visage, et d'une force
l'amitié si précieuse des Romains, et qui nesirs ets'amoindrit
les excès. Iljamais dans les
était sobre plai-
comme
(*) M. Yanoski nous a communiqué des
notes qui nous ont considérablement aidé (*) Voy. ci-dessus Histoire de Carthage ,
pour toute l'Histoire de Jugurtha. deuxième partie, p. n3.
L'UNIVERS.
tous les hommes de sa race. Dès son dres duquel il avait été placé, et de
adolescence il s'adonna avec passion tous les officiers qui l'environnaient.
aux exercices du corps ; il montait, à Là, dans les travaux de la guerre , les
la manière des Numides, un cheval qui repos et les veilles du camp, Jugurtha
n'avait ni selle ni frein , le lançait au étudia , avec sa vive pénétration , le
galop, et accomplissait tout armé, pen- caractère de ses compagnons d'armes.
dant les courses les plus rapides , ces Il se lia d'amitié avec certains hom-
brusques évolutions que les anciens mes très-influents , mais qui, en gé-
admiraient et que nous admirons en- néral ,suivant l'expression d'un his-
core aujourd'hui chez les cavaliers torien de l'antiquité, étaient plus amis
africains. Jugurlha était brave aussi ; des richesses que de la vertu et de la
dans les grandes chasses , il se préci- probité. Il rechercha de préférence les
pitait hardiment, avec seulement un plus corrompus , comptant sur eux
javelot, à la poursuite du lion et des pour réussir un jour dans ses projets
autres animaux féroces qui habitent le ambitieux. Ce fut de ces hommes dé-
désert. Les Numides admiraient et ai- criés que le jeune Numide apprit , dit
maient Jugurtha. Micipsa ne se lit Salluste, « qu'à Rome on obtenait
point illusion sur les dangers qui me- tout à prix d'argent. » Enfin , Scipion
naçaient ses deux fils; il comprit que, prit et renversa Numance. Après le
parmi ces tribus africaines qui accep- succès il renvoya ses auxiliaires. Tou-
tent volontiers pour chef le guerrier tefoisil
, ne se sépara point du corps
le plus brave et le cavalier le plus ha- des Numides sans lui avoir témoigné
bile, son neveu avait acquis des droits hautement sa satisfaction , et il donna
plus réels que ceux de la naissance, et à leur chef, pour Micipsa, une lettre
qui devaient l'emporter un jour sur ainsi conçue : « Jugurtha , ton neveu,
ceux d'Adherbal et de Hiempsal. Il « a montré la plus grande valeur dans
songea plus d'une fois, comme l'at- « la guerre de Numance. Réjouis-toi :
teste Salluste, à faire périr Jugurtha ; « les services qu'il a rendus à l'armée
mais la crainte d'exciter un soulève- « romaine lui ont acquis mon affec-
ment parmi les tribus soumises à son « tion ; je ferai tout pour lui assurer
commandement l'arrêta. A l'époque « celle du sénat et du peuple romain.
du siège de Numance, il crut enfin « Pour toi , je te félicite à cause de
avoir trouvé une occasion favorable « l'amitié qui nous unit ; car tu as
de se défaire de celui qui lui inspirait « dans ce neveu un homme digne de
« toi et de son aïeul Massinissa. » Cette
pour l'avenir de
Les Romains si vives
avaient inquiétudes.
demandé au roi
lettre, loin de porter la joie dans l'âme
,de Numidie , leur allié, un corps de de Micipsa, ne fit sans doute que ra-
troupes. Micipsa se bâta de leur en- viver ses craintes et sa tristesse. Mais
voyer en Espagne des cavaliers et des il n'y avait plus à hésiter; il fallait jus-
fantassins qu'il avait placés sous les qu'au bout conserver des ménage-
ordres de Jugurtha ; il pensait que le ments et des dehors d'affection pour
jeune prince, emporté par son bouil- celui qui, par ses qualités personnelles
lant courage et sa témérité, trouve- et sa conduite habile, s'était rendu
rait la mort dans les rangs ennemis, également cher aux Numides et aux
et le dispenserait ainsi de recourir à Romains.
MORT DE MICIPSA; SES DERNIÈRES
un crime dont l'exécution jusqu'alors
lui avait paru si périlleuse. Mais ar- paroles. — Depuis la guerre de Nu-
rivé au camp des Romains, Jugur- mance ,le roi de Numidie traita Ju-
tha sut contenir son ardeur (133). gurtha comme l'égal de ses propres
Chargé souvent par Scipion de mis- enfants; et plus tard, quand il sentit
sions difficiles, il les remplit avec au- approcher sa fin , il résolut de lui don-
tant de prudence que de courage; en ner une part dans son héritage , afin
peu de temps il sut acquérir l'affec- qu'il ne fût pas tenté de prendre le
tion de l'illustre général sous les or- tout. Couché sur son lit de mort , il
27
NUMIDIE ET MAURITANIE.
fit appeler Adherbal , Hiempsal , et ce- Ce fut à l'occasion du partage que
lui qu'il appelait son fils d'adoption , la discorde éclata entre les trois prin-
et adressa aux trois jeunes princes ces. Jugurtha aurait hésité longtemps
une touchante allocution. Il leur re- peut-être à mettre à exécution ses pro-
commanda de vivre en paix et de se jetsmentambitieux
fjrêter, dans les circonstances diffici- excité et ,entraîné
s'il n'avait été violem-
malgré lui par
es, un mutuel secours. Il termina en le caractère fougueux et hautain de
disant : « Je vous laisse un royaume Hiempsal. Un jour, dans une réunion
solidement affermi , si dans vos rap- des trois princes , Hiempsal , le plus
ports vous êtes loyaux et gens de bien; jeune , s'assit à la droite d'Adherbal ,
mais aisé à détruire, si vous ne l'êtes afin que Jugurtha n'eût pas la place
pas : car l'union augmente les forces du milieu, que les Numides regardent
des plus petites choses ; la désunion comme la plus honorable ; cependant,
ruine insensiblement les plus grandes. à la fin, pour se débarrasser des ins-
C'est à toi , Jugurtha, plutôt qu'à tes tances de sori frère, il consentit, quoi-
frères, puisque tu es le plus âgé et le plus
sage, à prévenir les événements qui côté. Ce futpeine
que avec dans , la.à même
siéger réunion
d'un autre
que
amènent la discorde et les ruptures ; Jugurtha ayant insinué qu'il convenait
parce que, dans tout démêlé, le plus d'annuler les mesures prises par Mi-
fort, quoique attaqué le premier, ne cipsa dans les cinq dernières années
laisse pas, à raison même de sa supério- de sa vie , parce que le roi ne jouissait
rité, dépasser pour l'agresseur. Pour plus alors de toute sa raison , Hiemp-
vous, Adherbal et Hiempsal, respectez sal repartit vivement : « .l'y consens ;
et honorez Jugurtha. Soyez comme lui vous cessez donc d'être roi, puisque
braves et habiles , et faites en sorte vous n'avez été appelé à partager le
qu'à l'égard de mes enfants je ne pa- royaume que depuis trois ans. » Cette
raisse pas avoir été plus heureux par réponse fit sur l'âme de Jugurtha une
l'adoption que par la nature. » Jugur- vive impression , et il résolut de ne
tha témoigna sa reconnaissance au roi pas tarder à tirer vengeance de celui
mourant par les plus vives protesta- qui l'avait outragé.
tions. Mais Micipsa avait à peine fermé JUGURTHA ASSASSINE HIEMPSAL;
les yeux, que sa famille fut accablée ADHERBAL IMPLORE L'ASSISTANCE
de tous les maux qu'il avait prévus DES ROMAINS*, PARTIALITÉ DU SÉ-
(119). NAT; DES COMMISSAIRES SONT EN-
PARTAGE DU ROYAUME ; LA DIS- VOYÉS en Afrique (de 118 à 114 de
CORDE ÉCLATÉ ENTRE LES PBINCES. notre ère). — Après avoir accompli le
— Les trois princes songèrent d'abord partage d'un commun accord , les
à se partager les provinces que Mi- princes s'étaient séparés. Hiempsal se
cipsa leur avait léguées. Après des ar- rendit à Thermida (*). Jugurtha, qui
rangements priset acceptés d'un com-
mun accord , Adherbal reçut pour sa vail , qui a pour titre : Parallèle entre les
part les terres confinées entre YAmp- opérations militaires de Métellus et de Ma-
sa<7a(Oued-el-Kebir), la Tucca (Zaïne), rius contre Jugurtha , les premières inva-
sions des Arabes et les exploits des Fran-
et'le Muthul
appelé (Hamise)
à régner ; Jugurtha
des rives fut
de la Mulu- çais dans l'Algérie. C'est à la suite de la tra-
cha jusqu'à celles de YAmpsaga;
le reste des États de Micipsa tombaittout commun
duction de l'ouvrage de Mannert , faite en
avec M. Duesberg, que M. Marcus
en partage à Hiempsal (*). a rejeté, sous forme d'appendice , le travail
très-remarquable dont nous parlons.
(*) Nous empruntons ces délimitations si (*) « Thermida ou Tlùrmida paraît être
précises à un excellent travail deM. L. Mar- la même ville que Timida de la Proconsu-
cus. Nous devons déclarer ici que nous nous laire, ou province de Carthage. Cette ville
conformerons en général, dans le récit qui porte souvent le nom de Regia dans les
va suivre, aux opinions émises dans ce tra- Actes de l'Église ; son emplacement coïncide,
28 L'UNIVERS.
avait introduit ses soldats dans la aux sénateurs furent touchantes. Après
ville, par trahison, l'y fît assassiner. avoir exposé ses malheurs , il dévoila
La nouvelle de ce meurtre se répandit indirectement les manoeuvres des émis-
bientôt; mais Jugurtha, sans tarder, saires de Jugurtha, et laissa entendre
appelle autour de lui ses partisans , que plusieurs parmi ses juges avaient
qui étaient nombreux et dévoués , et été gagnés à l'avance. « Pères cons-
se met en mesure de s'emparer de crits, dit-il, Massinissa nous a for-
toute la Numidie. Adherbal épouvanté més ,par sa conduite et par ses paro-
s'était hâté d'envoyer des ambassa- les à, ne nous attacher qu'au peuple
deurstanceàRome, romain, à ne faire ni alliances ni con-
du sénat.pour implorersans
Toutefois, l'assis-
at- fédérations nouvelles, à nous croire
tendre leur retour, il s'avance contre très-puissants par votre amitié seule ;
les meurtriers de son frère, à la tête et si la fortune de votre empire venait
des Numides qui se sont dévoués à sa à changer, à nous ensevelir en même
fortune. Mais les soldats de Jugurtha temps sous ses ruines. Votre valeur
étaient plus braves et mieux exercés et la faveur des dieux ont assuré votre
que les siens ; dès le premier combat grandeur et votre puissance ; tout se-
il fut vaincu , et forcé de se réfugier conde vos vues et obéit à vos lois;
dans la partie de l'Afrique qui avait rien donc de plus aisé pour vous que
été réduite en province romaine. De de venger les injures faites à vos al-
là il gagna l'Italie et Rome. Le vain- liés. La seule chose que je craigne,
queur ne fut pas complètement ras- c'est que quelques-uns de vos citoyens,
suré par la fuite d'Adherbal ; il crai- séduits par des liaisons peu éclairées
gnait les Romains, et, pour diminuer avec Jugurtha , ne traversent vos in-
l'effet que devaient produire sur le sé- tentions; ej'apprends,
t en effet, qu'ils
nat les plaintes de celui qu'il avait dé- n'épargnent ni efforts, ni brigues, ni im-
pouil éil, envoya , de son côté, avec portunités auprès de chacun de vous,
des sommes considérables en or et en pour vous engager à ne rien décider
argent , des émissaires qui devaient en son absence, et sans avoir examiné
gagner à sa cause les plus notables pa- le fond de l'affaire; qu'ils m'accusent
triciens. Ces émissaires s'adressèrent d'exagérer et de feindre que j'ai été
d'abord aux nobles romains que Ju- forcé de fuir, quoique je sois libre de
gurtha avait connus au siège de Nu- rester dans mon royaume. Puissé-je le
mance; puis, à l'aide de ces anciens voir , le parricide auteur de mes maux,
amis, ils en gagnèrent de nouveaux. réduit à feindre comme moi ! Puissiez -
L'or et les promesses firent alors dans vous un jour, vous ou les dieux im-
les esprits un si grand changement , mortels ,prendre connaissance des
qu'après avoir été l'objetsuivant
de "la haine affaires des hommes , afin que le mal-
la plus vive , Jugurtha, le té- heureux qui aujourd'hui
moignage de Salluste, jouit tout à et se prévaut de ses crimess'enorgueillit
, livré alors
coup des bonnes grâces et de la faveur à tous les supplices imaginables, soit
de la noblesse. Quand on assigna un rigoureusement puni de son ingrati-
jour à Adherbal pour entendre ses
plaintes , sa cause, dans le sénat, était nattude
de mon envers frère notre , père et de, mesde l'assassi-
propres
déjà perdue. malheurs. » Après avoir écouté Adher-
Les paroles adressées par Adherbal bal les
, sénateurs donnèrent la parole
aux ambassadeurs de Jugurtha. Us
selon toutes les apparences avec celui de la dirent que les Numides avaient tué
moderne Jama , prise à tort par plusieurs Hiempsal à cause de sa cruauté; qu'A-
géographes de notre époque, pour l'ancienne dherbal, ayant été l'agresseur, se plai-
Zama Regia, dont le nom actuel est Zoua- gnait, aprèsdans
avoir son
été vaincu, de n'avoir
rin.n M. Marcus; voy. les notes qui suivent pu réussir entreprise; que
sa traduction de la Géographie de l'Afri- Jugurtha conjurait le sénat de ne le
que ancienne, par Mannert , p. 702.
point croire autre qu'on ne l'avait
NUMIDIÊ Et MAURITANIE. 2&
deux rois, pourtous arranger, s'il étaità avaient combattu si bravement, perdi-
temps encore, leurs différends rent courage, et prirent la résolution
l'amiable. Jugurtha trompa les Ro- de se sauver à tout prix. Us conseil-
mains par des paroles pleines de sou- lèrent àAdherbal de remettre sa per-
mission, et en protestant de son bon sonne et la ville entre les mains de
droit. Les députés revinrent en Italie Jugurtha, en stipulant toutefois qu'il
sans avoir délivré Adherbal , et lais- aurait la vie sauve; et jls lui firent en-
sant toutes choses indécises.
Jugurtha redoubla alors de surveil- sénat.coreCeespérer, pour l'avenir,
conseil était vn l'appui
ordre, du et
lance, etpressa de plus en plus le siège le malheureux roi, abandonna sa per-
de Cirta. Adherbal , prévoyant les sonne et la ville à son implacable
maux quidresser l'attendaient, ennemi. Oubliant ses serments, Jugur-
encore une fois résolût
au sénatde s'a-
ro- tha livra Adherbal aux plus affreux
main. Ilchoisit , parmi ceux qui l'a- tourments ; puis il fit massacrer toute
vaient accompagné dans sa fuite, deux la garnison, sans épargner les Ita-
hommes dévoués , et prêts à braver liens, qui invoquèrent en vain, comme
pour lui tous les périls. Il les encou- leur sauvegarde, la majesté du peuple
ragea par des promesses, et les pressa romain.
de traverser le camp ennemi et de ga- GUERRE DES ROMAINS ; CALPUR-
gner le rivage. Ils devaient se rendre NIUS BESTIA ET SCAURUS; JUGUR-
en Italie, etdemander au sénat romain THA CORROMPT LES GENERAUX RO-
une prompte assistance. Les deux Nu- MAINS (112 avant notre ère).— Quand
mides réussirent à échapper à l'en- ces nouvelles vinrent à Rome, l'indi-
nemi, et en peu de jours ils portèrent gnation du peuple fut portée à son
à Rome la lettre d' Adherbal. Touchés comble, et le sénat se vit contraint
des prières du roi assiégé et de ses d'adopter contre Jugurtha des mesu-
pressantes instances , les sénateurs res énergiques. L. Calpurnius Bestia,
décidèrent que de nouveaux députes l'un des consuls, fut désigné pour por-
partiraient sans retard pour l'Afrique. ter la guerre en Numidie. Ce fut en
On les choisit parmi les personnages vain que le roi numide envoya en Ita-
qui jouissaient dans la république, par lie son fils, et deux de ses plus intimes
leur âge et les charges qu'ils avaient confidents. On leur refusa l'entrée de
remplies, d'une grande illustration. Rome, et Calpurnius, réunissant ses
Arrivés àUtique, ils signifièrent à Ju- légions, passa de Rhegium en Sicile,
gurtha que, dans un bref délai, il eut et de là en Afrique. Le consul com-
à se rendre auprès d'eux dans la pro-Il mença la guerre avec vigueur; il ra-
vince romaine. Jugurtha hésitait. vagea la Numidie , et s'empara de
voulut tenter encore , avant d'obéir quelques
en croire villes. SallusteCalpurnius
, était un, s'ilhommefaut
aux ordres des députés , de prendre
Cirta par la force. Il donna un assaut brave et habile; mais ces qualités
général, mais il échoua. Il se décida étaient gâtées par une insatiable ava-
alors à se rendre dans la province ro- rice. Quand Jugurtha connut le carac-
maine. Accompagné d'un petit nom- tère du général qui lui était opposé,
bre de cavaliers, il se présenta devant il se mit à l'œuvre pour le corrompre.
les envoyés du sénat, qui lui firent de 11 tenta également, par son or, le lieu-
tenant Scaurus , qui , par prudence
terribles" menaces. Il ne se laissa point
déconcerter; il eut recours à l'astuce, plutôt que par vertu, luine avait
et été opposé. Calpurnius résistad'abord
point
despeut-être à l'argent;
conférences inutiles,et les
, après bien
Romains aux offres , sans doute considérables ,
quittèrent l'Afrique sans avoir l'ait le- qu'on lui fit. Après avoir reçu l'or du
ver le siège de Cirta. A cette nou- Numide, ce cœur malade (l'avarice,
dit Salluste, changea aisément de vues.
velle, ledésespoir s'empara d' Adher-
bal et de la garnison de la ville assié- Cependant , il fallait traiter secrète-
ment avec Jugurtha. Celui-ci , comme
gée. Les Italiens , qui jusqu'alors
NUMIDIE ET MAURITANIE.
par soumission, se rendit au camp ro conjoncture, devait être plus efficace
main, où il essaya, en présence de tous pour lui que celle de ses anciens amis
les officiers, de se disculper des crimes les sénateurs. C'était le tribun du peu-
ple C. Bébius. Quand Jugurtha parut
et des manquements de foi qu'on lui
reprochait. En public, il ne cessa de devant l'assemblée, on l'accabla de tou-
protester de ses bonnes intentions; tes parts , malgré son humble conte- Il
mais en secret il s'arrangea avec Cal- nance ,d'injures et de menaces. Le
purnius et Seaurus , et avec eux il se tribun Memmius contint le peuple, et
débarrassa de la guerre aux conditions lui rappela que le roi avait reçu un
suivantes : il livra au questeur deCal- sauf-conduit. Puis il interrogea Jugur-
purnius trente éléphants , du bétail, tha sur ses crimes, et sur ses rapports
un grand nombre de chevaux , et une avec les nobles romains. On attendait
somme d'argent peu considérable. A une réponse, lorsque C. Bébius, usant
ce prix, comme le consul le lui avait du privilège de sa charge, se tourna
promis, il devait rentrer en grâce au- vers le roi , et lui défendit de parler.
près du peuple romain. A près ce traité, L'indignation du peuple fut portée à
Calpurnius, enrichi mais déshonoré, son comble; et Bébius, malgré les cla-
meurs et les menaces de ceux qui
revint à Rome pour l'élection des ma-
gistrats. l'environnaient , persistant à imposer
JUGURTHA A ROME ; LES TRIBUNS silence à Jugurtha , l'assemblée , à la
MEMMIUS ET BÉBIUS *, MASS1VA EST fin , se sépara. Dès lors le roi numide,
ASSASSINÉ ; JUGURTHA SORT DE et ceux que l'enquête proposée par
rome (111 av. notre ère). — « Quand Memmius avait menacés , reprirent
on eut, dit Salluste , la nouvelle de ce courage.
qui s'était passé en Afrique, et de la Jugurtha , débarrassé d'Adherbal ,
manière dont les choses s'y étaient et arrivé
vait seulà maître ses fins,
de puisqu'il se trou-
la Numidie, eût
faites, il n'y eut à Rome ni lieu , ni
assemblée où l'on ne s'entretînt de la évité peut-être la guerre avec Rome ,
conduite du consul. Le peuple en avait si, par un excès d'audace, il ne se fût
un vif ressentiment ; les sénateurs porté, sous les yeux mêmes de ses en-
étaient fort embarrassés , et ils ne sa- nemis et de ses accusateurs, à un nou-
vaient s'ils devaient ratifier une préva- veau crime. Il y avait alors dans la
rication simarquée, ou casser ce qui ville un fils de Gulussa; on l'appelait
Massiva. Le successeur de Calpurnius
avait été réglé par le consul. C'était dans le consulat, Spurius Albinus, lui
surtout Te crédit de Seaurus , le con-
seiller etl'associé de Bestia dans cette fit espérer une part de la Numidie, et
affaire , qui les empêchait le plus de l'engagea, dans ce but, à présenter une
se déclarer pour la raison et la jus- requête au sénat. Albinus désirait
tice. »Cependant le peuple, excité par moins citer soutenir le fils une
de G guerre
ulussa qu'ex-
les tribuns, surtout par l'éloquence de en Numidie qui ,
C. Memmius, se décida à mander Ju- comme il le prévoyait, nécessiterait
gurtha à Rome. Il voulait vérifier, par l'envoi d'une armée consulaire. Mas-
les dépositions du roi numide, le crime siva se laissa tenter; mais ses démar-
de ches lui coûtèrent la vie. Jugurtha fit
au prévarication
consul et à Seaurus. que l'on On
reprochait
envoya aposter, par Bomilcar, son parent,
donc en Afrique le préteur L. Cassius, des assassins qui tuèrent le nouveau
qui donna à Jugurtha un sauf-con- prétendant. Cet attentat porta le der-
duit. Le roi n'était pas encore décidé nier coup au crédit de Jugurtha. Il eut
ou préparé à lutter ouvertement contre beau protester de son innocence, ré-
Rome ; il résolut d'obéir , comptant pandre son argent à pleines mains, il
cette fois encore, non sans raison, sur ne put se soustraire à l'indignation
la puissance de son or et de ses pré-
sents. Ilgagna en effet à sa cause un publique.
ver et à regagner Bomilcarla parvint à "se6t sau-
Numidie; Ju-
homme dont l'assistance , dans cette gurtha lui-même , sur l'ordre du se*
32 t UNIVERS.
NUMIDIE ET MAURITANIE.
romaine. Au premier choc, les rangs en cela les lois de la guerre. Telle est
furent rompus; mais Mételius parvint la coutume du pays (*). »
peu à peu à rallier ses soldats. La
mêlée dura jusqu'à la nuit. A la fin, (*) Voici comment M. L. Marcus déter-
les Romains voyant qu'ils ne pou- mine les lieux où s'accomplirent les événe-
vaient battre en retraite, qu'ils per- ments que nous venons de raconter : «Mé-
daient une partie de leurs avantages telius prit au printemps de l'an 109 le com-
dans cette action où la tactique était mandement des troupes romaines destinées
à combattre contre le roi de Numidie. Il
inutile, s'apercevant d'ailleurs que le
jour était à son déclin, gagnèrent, sur employa les premiers mois de son séjour
en Afrique à rétablir la discipline dans les
les ordres Les
la colline. de Mételius,'
Numides lene sommet de
pouvaient rangs dedurcirl'armée,
aux travauxet àet laisser le soldat des'en-
aux fatigues la
songer à les forcer dans cette position,
et ils prirent la fuite. guerre par des exercices de tout genre. En-
suite ,il pénétra dans la Numidie du côté
Romilcar ne fut pas plus heureux
de la Tucca. La première grande ville qu'il
que Jugurtha. Il laissa d'abord passer rencontra sur sa route dans le royaume de
Rutilius; puis, quand il sut que le Jugurtha portait le nom de Vacca (Bedja)\
lieutenant du consul avait assis son elle était située, suivant Salluste, à une
camp et se tenait au repos, il disposa journée de marche des lieux où les troupes
ses fantassins et ses éléphants, et s'ap- romaines passèrent l'hiver de 109 à 108.
prêta àl'attaquer. Rutilius fut averti De Vacca, Mételius s'avança sur les rives de
de l'approche de l'ennemi par les tour- YHamisc, que Salluste appelle Muthul
billons de poussière que soulevait, en La vaste chaîne de montagnes qui courait
marchant sur un sol aride, la troupe dans la même direction que le Muthul est
de Bomilcar. Il se hâta de sortir de figurée, dans le quatrième segment de la
ses retranchements et de se mettre en Table de Peutinger, sur la rive droite de
bataille. On se chargea bientôt de part l'Hamise ; elle s'étend sur cette carte de la
et d'autre avec un grand acharnement. source de cette rivière jusqu'auprès de son
embouchure, et forme la partie nord-est du
Les Numides tinrent bon jusqu'au mo- dos montueux que Ptolémée nomme Buzara.
ment où les Romains eurent pris qua- La colline transversale dont Salluste fait
tre éléphants et tué tous les autres,
mention paraît être identique avec la hau-
au nombre de quarante. Ils se sauvè-
teur dont Abou-Obaïd signale l'existence à
rent ensuite, et n'échappèrent à la l'ouest de Tamedith, qui correspond à l'an-
mort qu'à la faveur de la nuit. Ruti- cienne Zama, où Annihal fut vaincu par
lius, après sa victoire, abandonna son Scipion. Cette place était située dans le voi-
camp, et rejoignit le gros de l'armée sinage de Naragarra, au midi de la roule
sur la colline où Mételius avait pris qui menait dudit endroit à Sicca Veneria.
position. Le consul demeura quatre Les itinéraires marquent trente milles ro-
jours dans ses retranchements sans mains (dix lieues) d'intervalle entre ces deux
faire un mouvement. « Quant à Jugur- places; Sicca était voisine du point de jonc-
tha, dit Salluste,
des lieux couverts ildes'était
bois retiré dans
et fortifiés
tion de YHamise avec la Medjerdah ; il n'est
donc pas surprenant que ce soit la première
par la nature; il y formait une nou- ville de la Numidie qui ait pris volontai-
velle armée plus nombreuse, mais sans rement parti pour les Romains , immédia-
tement après leur victoire sur Jugurtha. La
expérience et sans force réelle, com- bataille du Muthul a eu lieu quelques jours
posée de gens plus propres à faire va-
après l'entrée de Mételius dans la ISumidie;
loir les terres et les troupeaux qu'aux elle fut donc livrée à quelques lieues de
expéditions militaires. Cela vient de ce
dislance , vers le couchant de l'embouchure
que chez les Numides il n'y a que la de YHamise, qui est éloignée de Vacca d'en-
cavalerie de la garde du roi qui le viron dix-huit lieues en ligne droite. L'em-
suive dans une déroute; les autres placement des lieux couverts de bois et
soldats se dispersent, et chacun se re- d'un accès difficile , où Jugurtha se retira
tire où bon lui semble, sans enfreindre après sa défaite, doit être cherché dans
3.
86 L'UNIVERS.
MÉTELLUS RAVAGE LÀ NUMÎDIE; Romains de colline en colline; il cher*
IL EST HARCELÉ PAR JUGURTHA. — chait à s'assurer d'une occasion ou
Enfin Métellus, après avoir pris soin d'un poste favorable pour attaquer; il
des blessés et donné des récompenses brûlait les fourrages, empoisonnait les
aux soldats sources là où l'ennemi devait passer;
dans les deux qui s'étaientabandonna
batailles, distinguésla il se montrait tantôt à Métellus, tantôt
colline où il était campé. Il comprit à Marius; il attaquait l'arrière-garde
alors qu'en poursuivant pendant la marche; et quand les Ro-
le poussant à une actionl'ennemi et enil
générale, mains étaient prêts à le repousser, il
n'arriverait point à son but, qui était regagnait les hauteurs au galop; puis
d'abattre Jugurtha et de terminer il revenait donner l'alarme aux uns,
promptement la guerre. Il perdait plus aux autres, sans jamais engager une
par sa récente victoire que les vaincus action. C'est ainsi qu'il ne laissait
mêmes. Il se jeta donc sur la plus aucun repos à Métellus et à ses sol-
riche partie de la Numidie, et la ra- dats.
vagea par
, le fer et le feu , dans tous MÉTELLUS ASSIEGE ZAMA; IL NE
les sens. Ce nouveau système de guerre, PEUT EMPORTER LA PLACE; IL DÉ-
comme le remarque Salluste, inquiéta CAMPE. — Le consul , sans cesse pour-
plus le roi que la défaite de ses trou- suivi et harcelé par Jugurtha, se lassa
pes. Comme il n'osait s'opposer en àrésolut la fin de parcourir la iNumidie. 11
alors de mettre le siège devant
plaine à Métellus, il tint le gros de son
armée dans des lieux couverts, et sur- Zama (*). En attaquant cette place
veilla, avec sa cavalerie seulement, la importante, il comptait forcer Jugur-
marche des Romains. Il gênait ainsi tha àse montrer en plaine, et à engager
leurs mouvements, et, profitant des une action décisive dans un lieu où il
occasions qui lui étaient offertes, il ne pourrait fuir sans éprouver une
leur fit essuyer plus d'une fois, par perte considérable. Mais le roi avait
ses attaques imprévues, des pertes été averti par des transfuges des pro-
considérables. Métellus redoubla de jets du général romain. Il le devance,
surveillance pour ne donner aucune jette des renforts dans Zama, engage
prise à l'ennemi. Quand il fallait du les habitants à faire bonne résistance,
blé ou du fourrage, les cohortes, avec leur promet de ne point les abandon-
toute la cavalerie, escortaient les four- ner, et se retire avec ses troupes à
rageurs. Le consul avait divisé son quelque distance. De la position qu'il
armée; il en commandait une partie, avait choisie, il épiait tous les mouve-
ments de ses ennemis. Au moment où
et Marius l'autre. Ils campaient sépa- Métellus approchait de la place, il
rément, ilest vrai; mais ils se te-
naient àpeu de distance l'un de l'au- faillit surprendre Marins, qui avait été
tre, et quand il s'agissait de se mettre détaché avec quelques cohortes pour
en force, ils se réunissaient prompte- faire provision de blé à Sicca. Ce ne
ment. Le but des dispositions de Mé- fut point là le plus grand danger que
tellus était, suivant le grand histo- courut l'armée romaine. Un jour que
rien de cette guerre, de répandre plus Métellus livrait un assaut à Zama, le
au loin la désolation et l'effroi. Cepen- roi numide se jeta à l'improviste sur
dant Jugurtha suivait toujours les son camp, qui était gardé avec négli-
gence, et s'en empara. Ce ne fut pas
les derniers mamelons du Djebel Mahoma, sans de grands efforts et de grandes
à l'ouest de Ripasa et sur la route de Guelma pertes que les assiégeants parvinrent
à Medjaz Hammar, où l'on rencontre beau- a rentrer dans leurs lignes. D'autre
coup de forêts coupées en parcs naturels. » part, la garnison de la ville, qui se
Voyez l'Appendice à Mannert déjà cité; composait en grande partie de trans-
M. Marcus cite à l'appui de ses dernières fuges, se battait avec bravoure, et re-
assertions l'ouvrage de M. Évariste Bavoux
Jlgcr, t. II, p. 94, 1841. (*) Aujourd'hui Zouarin.
MJMIDIE.ET MAURITANIE.
37
poussait toutes les attaques. Le consul ordres. Cette fois, le roi de Numidie
se vit enfin forcé, après plusieurs as- refusa brusquement d'obéir au consul.
sauts meurtriers, de lever le siège de
Zama. Comme la mauvaise saison ap-
Il
et, aperçut
se prenant le piège qu'on auluichâtiment
à réfléchir tendait;
prochait, ilmit des garnisons dans que lui préparaient sans doute les Ro-
toutes les villes qui s'étaient rendues mains humiliés, il résolut, quoique
à lui , et se retira avec ses troupes dans privé de la meilleure partie de ses
la province romaine qui confine à la forces, de recommencer la guerre.
Numidie. Ce fut vers ce temps que le sénat
MÉTELLUS ESSAYE DE SE RENDRE
romain, après avoir mis en délibéra-
MAÎTRE DE JUGURTHA PAR TRAHI- tion le partage des provinces, décréta
SON; BOMILCAR; JUGURTHA SE DÉ- que Métellus serait maintenu dans le
CIDE A FAIRE LA PAIX AVEC LES
ROMAINS, ET A SE RENDRE (109 avant
commandement de l'armée d'Afrique.
LA GUERRE RECOMMENCE ; RÉVOLTE
notre ère). — Métellus ne resta pas de vacca (108 av. notre ère). —Une
oisif dans ses quartiers d'hiver. Il chose pouvait favoriser Jugurtha , c'é-
chercha, suivant l'expression de Sal- tait ladésunion qui existait entre Mé-
luste, à substituer les ruses et la per- tellus etses principaux officiers. Marius,
fidie à la force des armes, qui jus- fatiguédeservir en second dans l'armée,
qu'alors, malgré son habileté et sa aspirait alors au premier rang. Suivant
prudence, lui avait peu réussi. Il es- une vieille tradition, un aruspice lui
saya donc de corrompre les confidents
dit un jour, pendant un sacrifice, qu'il
mêmes du roi. Il s'adressa à Bomilcar, était réservé à de grandes et merveil-
que l'assassinat de Massiva, à Rome, leuses destinées. Marius prit les secrets
avait gravement compromis. Il lui fit mouvements de son ambition pour la
espérer, dans le cas où il livrerait Ju- voix du ciel; et, après le siège de
gurtha mort ou vif, sa grâce et la pos- Zama, il déclara à Métellus qu'il était
session libre de tous ses biens. Bomil-
décidé à quitter l'Afrique pour briguer
car se laissa gagner. leconsulat. Celui-ci, orgueilleux comme
Jugurtha était en proie, depuis l'ar- tous les patriciens, se moqua des pro-
rivée de Métellus en Afrique, à de jets de son lieutenant, plébéien sans
vives inquiétudes. Bomilcar ne l'igno- naissance, sans richesses et sans cré-
rait pas. Il profita d'un instant où le dit. Marius ne pardonna point à Mé-
roi était plongé dans la tristesse et tellus ses dédains et ses paroles pleines
le découragement pour l'engager à faire d'ironie. Il fomenta le mécontentement
la paix, même aux conditions les plus parmi les troupes, et fit si bien, que
dures, avec les Romains. Jugurtha bientôt officiers et soldats écrivirent à
suivit ses conseils. Il envoya des am- Rome pour se plaindre de Métellus et
bas adeurs au consul, pour lui déclarer demander son rappel. Dans toutes les
lettres Marius était loué sans mesure ,
qu'il abandonnait sans réserve sa per-
sonne et son royaume à sa discrétion. et représenté comme le seul homme
Alors Métellus, de l'avis de ses offi- capable de mener à bonne fin la guerre
d'Afrique.
ciers, lui ordonna de livrer sans retard
200,000 pesant d'argent, tous ses élé- Ce fut sur ces entrefaites que Ju-
phants, et une certaine quantité de gurtha recommença la guerre. Son
chevaux et d'armes. Ces premières premier soin fut de reprendre Vacca ,
conditions furent acceptées; puis Mé- où Métellus avait mis garnison. Il ga-
tellus exigea encore les transfuges. Ils gna les habitants , qui , à un jour
furent amenés au camp romain pieds donné , se jetèrent sur les soldats ro-
et poings liés. Enfin Jugurtha fut mains et les massacrèrent. Titius ïur-
mandé à Tisidium (*) pour recevoir des piiius Silanus , leur commandant , fut
(*) La ville numide de Tisidium, queStra- de Vacca (Bedja), aux confins du territoire
bon appelle Tioiaov;, était située non loin romain et du royaume de Numidie.
L'UINIVERS.
NUMIDIE ET MAURITANIE.
ressemblaient, s'il faut en croire les des troupes romaines sous les murs du
historiens romains, aux accès de la fort, leur fait bien augurer de leur en-
folie. treprise. Effectivement, Thala se rend
DERNIÈRE CAMPAGNE DE MÉTEL- au bout d'un siège de quarante jours ;
LUS CONTRE JUGURTHA (108 avant mais Jugurtha s'était enfui nuitam-
notre ère). — « Les mouvements des ment du fort à l'approche de l'ennemi.
troupes numides , dit M. Marcus (*) , Il s'en alla, suivi de peu de gens, dans
vont bientôt se ressentir de la per- le pays des Gélules, peuple farouche
plexité d'esprit où se trouve leur chef. et barbare qui ne connaissait point le
Métellus en profite pour fondre sur nom romain. Il les assemble , les ac-
elles à l'improviste, et les met en dé- coutume peu à peu à garder les rangs,
route. Sa victoire lui vaut la conquête à suivre les enseignes, à exécuter les
de Cirta (Constantine) , qui le reçoit ordres du commandant , en un mot
dans ses murs , pendant que son ad- à s'acquitter de toutes les fonctions de
versaire va gagner la forteresse de la guerre. En même temps il amène
Thala (**) par des voies détournées , Bocchus, son beau -père, qui régnait
en traversant des lieux déserts , avec dans la Mauritanie Tingitane, a lui
les transfuges et une partie de sa ca- prêter main forte contre les Romains.
valerie. Thala était une ville grande Les deux rois marchent sur Cirta, où
et opulente ; Jugurtha y faisait élever Métellus avait déposé le butin fait à
ses enfants d'une manière digne de Thala et le gros bagage de ses trou-
leur rang, et il y avait mis beaucoup pes. Le général romain fait dresser
d'or en réserve. La place avait deux un camp bien retranché dans le voisi-
fontaines devant ses portes; mais il nage de Cirta, pour v attendre le choc
fallait franchir un espace de cinquante de l'ennemi; mais celui-ci n'ose point
milles romains (16 lieues deux tiers) l'y attaquer. Sur ces entrefaites, Mé-
pour trouver de nouveau de l'eau dans tellus apprend que le peuple avait an-
la direction de la route que l'armée nulé le choix que le sénat avait fait de
romaine avait à suivre pour marcher lui pour la direction de la guerre con-
contre Thala. Cependant Métellus ne tre Jugurtha pour l'année à venir, et
recule point devant cette difficulté; qu'il l'avait conféré à Marius , revêtu
on charge des bêtes de somme des vi- de la dignité consulaire pour cet es-
vres nécessaires pour faire subsister pace de temps. Cette nouvelle le for-
tifie dans la résolution de ne pas sortir
l'armée expéditionnaire pendant dix
jours, ainsi que d'outrés de cuir et de de son Gamp; toutefois, les jours qu'il
vases de bois qu'on remplit d'eau pui- y passa ne furent [joint perdus : il les
sée dans la rivière qui se trouvait à employa à détacher Bocchus de l'al-
cinquante milles de distance de ladite liance avec Jugurtha, et il eut la satis-
place (***). Une pluie abondante qui faction de voir qu'il n'entreprit rien
tombe du ciel, la veille de l'arrivée contre les Romains tant qu'il resta en
Afrique. »
DÉPART DE MÉTELLUS; RETOUR
(*) Voy. l'Appendice à Mannert déjà cité, DE MARIUS EN AFRIQUE; SES PRE-
p. 761.
MIERS SUCCÈS ; PRISE DE CAPSA
(**) Il ne faut pas confondre, comme l'ont ( 107 avant notre ère). — Marius avait
fait quelques savants, Thala avec Thelepte.
Ce sont deux villes différentes. La ville de enfin obtenu de Métellus , après de
Thala, dont parle Salluste, était située non vives instances, de retourner en Italie.
loin de l'endroit où le Bousellam et le Arrivé à Rome, il s'était ligué avec
Oued-Zianin se réunissent pour former les tribuns, et s'était montré l'un des
YJjebbi. ennemis les plus acharnés des patri-
(***) Cette rivière est le Oued-elDzahab, ciens. Ses violents discours plus que
qui se jette dans la rivière de Constantine ses glorieux services lui avaient con-
(ancienne
Tucca Finis.Cirta), aux environs de l'ancienne cilié l'affection du peuple. Aussi ,
quand le temps des comices arriva ,
40 L'UNIVERS.
Marius, au grand regret des sénateurs Jugurtha d'un grand avantage, et pour
et des nobles, fut élevé au consulat. nous d'un difficile accès ; d'ailleurs, on
Il se fit donner alors le commande- avait affaire à une nation inconstante,
ment de l'armée d'Afrique. Il disposa perfide,tenue niqui
tout pour réussir; il leva des soldats par jusque-là n'avait
les bienfaits , ni été
par re-la
dans les classes qui lui étaient dé- crainte. » La prise de Capsa donna à
vouées et auxquelles il devait son élé- Marius, dans l'armée et à Rome,
vation ,se pourvut abondamment de beaucoup de crédit et de considération.
vivres, d'argent et d'armes, et s'em- MARIUS S'EMPARE DE LA FORTE-
RESSE OU ÉTAIENT DÉPOSÉS LES
barqua enfin pour l'Afrique. Il aborda TRÉSORS DE JUGURTHA; ARRIVÉE
en peu de jours à Utique. Le com-
mandement de l'armée lui fut remis DE SYLLA EN AFRIQUE. — Le SUCCès
par le lieutenant Publius Rutilius; rendit le consul de plus en plus auda-
car Métellus , évitant la présence de cieux. Non loin du Mulucha (*) , qui
Marius séparait la Numidie de la Mauritanie ,
Rome. , s'était hâté de retourner à
où régnait Bocchus, s'élevait, au mi-
Arrivé à ses quartiers , le nouveau lieu d'une plaine, un rocher d'une
consul y maintint la discipline sévère étendue considérable et d'une immense
hauteur. Au sommet de ce rocher
qu'avait établie son habile prédéces-
seur; puis il mit son armée en mou- était une forteresse, où Tonne pouvait
vement. Ill'habitua aux marches , aux arriver que par des sentiers étroits, et
fatigues, et, par des combats partiels, bordés de toutes parts de précipi-
il entretint son ardeur. Il battit plus ces **).
( C'était dans cette forteresse
d'une fois les tribus qui prêtaient aide que Jugurtha avait déposé ses trésors.
et appui à Jugurtha , et obtint sur le Marius voulut s'en emparer , et, sans
roi lui-même un avantage considéra- se rendre compte des difficultés de
ble aux portes de Cirta. Mais ce que l'entreprise, il vint établir son camp
Marius recherchait avant tout, c'était au pied du rocher. II eût échoué peut-
une de ces actions d'éclat qui, comme être, sans l'audace d'un soldat ligurien.
la prise de Thala, pouvait illustrer Celui-ci découvrit sur le flanc de la
d'un coup toute une campagne. Il montagne, à distance du camp romain,
voulut donc, comme Métellus, s'em- un sentier qui n'était pas gardé par
parer ainsi
lever d'une àplaceson considérable,
ennemi une deet ses
en- l'ennemi; il fit part au consul de sa
découverte. Marius envoya des trou-
principales ressources. Il jeta les yeux pes légères vers le point qui lui était
sur Capsa (*). Cette ville était située désigné, et, pour cacher son dessein ,
au milieu d'un désert inculte, et entiè- il se porta d'un autre côté, et feignit de
rement privé d'eau. Marius fit ses pré- vouloir emporter la place. Tandis qu'il
paratifs avec prudence; et quand il occupe les soldats de Jugurtha, le Li-
eut pourvu pour plusieurs jours aux gurien et ses compagnons gravissent
besoins de son armée , il se mit en
marche. Il surprit Capsa un matin, et le rocher, et pénètrent dans l'intérieur
de la forteresse en escaladant la par-
s'y jeta avec ses troupes. Il brûla la tie des murs qui n'était point gardée.
ville, massacra ou vendit les habitants ; Ce fut ainsi que Marius se rendit maî-
il se montra si cruel, que sa conduite tre des trésors de Jugurtha. Sur ces
parut odieuse à ceux-là même qui , entrefaites, Sylla, qui avait été nommé
comme Salluste, essayèrent de le jus- questeur
tifier. Cette
« rigueur, contraire aux au camp de avecl'armée d'Afrique,
un puissant arriva
renfort de
cavalerie.
lois de la guerre , dit l'historien , ne
vint ni de l'avarice , ni de la cruauté (*) La Molouya.
du consul ; mais la place était pour (**) L'emplacement de cette forteresse cor-
respond, suivant M. Marcus, à celui du
(*) Capsa (Gafsa) était la ville principale château fortifié appelé par les Arabes Ka-
de la partie orieutale de la Gétulie Numide. laat-el-Ouecl , ou le château de la rivière.
41
NUMIDIE ET MAURITANIE.
BOCCHUS SE JOINT A JUGURTHA ;
de Rome, et promit d'abandonner Ju-
MARIUS REMPORTE DEUX VICTOIRES gurtha. Mais, après le départ de Sylla
SUR LES ROIS ALLIÉS ; IL PREND SES et de Manlius, il changea brusquement
quartiers d'hiver. — Après tant de résolution. Ce ne fut qu'au moment
d'heureux succès, Marius voulut don- où le consul prépara une nouvelle ex-
ner du repos à ses troupes, et ii se
pécdhietmioenntqu'il
,faire
à parut
la paix.se Ildécider
envoyafran-
des
mit en marche vers la côte pour pren-
dre ses quartiers d'hiver. Jugurtha, ambassadeurs au camp de Marius ,
malgré puis à Rome. Là, on répondit en ces
Il avait ses entraîné pertes,dans n'était
son point
allianceabattu.
Boc- termes à ses propositions : « Le sénat
chus, roi de la Mauritanie. Les deux et le peuple romain ne perdent jamais
rois avaient sous leurs ordres une ca- le souvenir des bons et des mauvais
valerie considérable , avec laquelle ils offices qu'on leur rend. Néanmoins,
surveillaient la retraite de l'armée ro- puisque Bocchus se repentde sa faute,
maine. Un soir , ils se jetèrent à l'im- ils la lui pardonnent : pour ce qui est
proviste sur Marius, non en corps ni de leur alliance et de leur amitié, on
en ordre de bataille, mais en foule et
les lui accordera lorsqu'il les aura mé-
par pelotons formés au hasard. Cette ritées. »Bocchus ne pouvait se mé-
attaque inattendue jeta d'abord le dé- prendre sur le sens de ces dernières
sordre parmi les Romains. Ils se dé- paroles , et dès lors il chercha , non
fendirent avec peine jusqu'au moment sans hésiter souvent encore , à rem-
où Marius, après avoir rallié ses sol- plir les intentions du sénat. Voici les
dats , occupa deux éminences. Les curieux détails que Salluste nous a
Numides n'osèrent point le forcer transmis sur l'odieuse trahison qui
dans cette position; ils se contentè- mit fin d'un coup à la guerre d'Afri-
rent d'environner les collines. Pendant
la nuit, au moment où ils se livraient « Bocchus écrivit à Marius de lui
au repos, le consul les surprit à son envoyer
que : Sylla, afin de remettre à son
tour, leur fit éprouver de grandes per- arbitrage la décision de leurs intérêts
tes, et continua sa marche. Pendant communs. Le consul l'y envoya avec
quatre jours l'ennemi ne reparut pas; une escorte de cavalerie, d'infanterie,
mais aux environs de Cirta, les cava- et de frondeurs des îles Baléares ; il y
liers de Jugurtha et de Bocchus atta- avait en outre des archers et une co-
quèrent les Romains par quatre côtés. horte pélignoise , tous armés légère-
Cette nouvelle apparition des Numi- ment, afin d'aller plus vite, mais aussi
des était aussi imprévue que la pre- en sûreté
toute autre avec contrecette armure traits
les faibles qu'avec
des
mière; aussi ellejetaf"abord le désor-
dre dans l'armée consulaire. Cepen- ennemis. Cependant , le cinquième
dant, grâce à l'activité et au courage jour de la marche, Volux, fils de Boc-
de Marius et de Sylla son questeur , chus, parut tout à coup dans la plaine
l'ennemi
Les Romains est forcé de prendre
entrèrent enfin la fuite.
à Cirta. avec un corps de cavalerie qui n'était
que de mille hommes, mais qui, mar-
IRRÉSOLUTION DE BOCCHUS; IL chant écartés et sans ordre , firent
TRAITE AVEC LES ROMAINS*, IL TRA- craindre à Sylla et aux autres que le
HIT et livre jugurtha (106 avant nombre n'en fût plus grand, et que ce
notre ère). — Découragé par sa der- ne fût un corps d'ennemis. Chacun se
nière défaite , Bocchus songea à trai- prépare donc au combat , essaye ses
ter avec les Romains. Quand le consul armes et ses traits, et se tient sur ses
connut ses dispositions, il lui envoya gardes : on a quelque crainte ; mais la
Sylla et Aulus Manlius, son lieutenant, confiance l'emporte, comme il est na-
qui lui avait déjà rendu de grands ser- turel àdes vainqueurs qui rencontrent
vices pendant la guerre. Ces deux of- des gens qu'ils ont vaincus plusieurs
ficiers eurent une entrevue avec le roi fois. Cependant, les cavaliers envoyés
de Mauritanie, qui demanda l'alliance à 1q découverte rapportèrent , comme
42 L'UNIVERS.
il était vrai , qu'il n'y avait rien à « Celui-ci le prie avec larmes de se
craindre.
désabuser; il l'assure qu'il n'y a de sa
« Volux, en arrivant, s'adresse au part aucune connivence, et que c'est
questeur, et lui dit que son père l'en- simplement un effet de l'adresse de
voie pour recevoir les Romains et Jugurtha, qui a eu connaissance de sa
pour les escorter. Ils marchent ensem- marche par le moyen des espions;
ble ce jour-là et le suivant sans au- qu'au reste, ce prince ayant peu de
cune alarme; mais le soir, après que monde, et n'ayant d'espérance et de
le camp est posé, le prince maure ac- ressource que dans la protection de
court précipitamment vers Sylla, d'un Bocchus,
rien entreprendre il est probable qu'il n'osera
ouvertement sous
air inquiet et effrayé; il lui dit qu'il
vient d'apprendre par ses espions que les yeux du fils de son protecteur ; que
Jugurtha le parti donc qui lui paraît le meilleur
vivement n'est de sepasdérober loin, etsecrètement
il le presse
est de traverser son camp en plein
avec lui pendant la nuit. Sylla lui ré- jour; et que
pond avec fierté qu'il ne craint point envoyer les pourMaures lui, en
soit avant
qu'on veuille
ou les
un Numide battu tant de fois ; qu'il est laisser au lieu même où l'on est, il
assez rassuré par la confiance qu'il a ira seul avec Sylla. Cet expédient, vu
dans la valeur de ses troupes; mais la conjoncture, est approuvé; on part
que quand sa perte serait infaillible, aussitôt, et l'on passe sans accident,
il resterait, plutôt que de trahir ceux
qui ont été confiés à sa garde. Le parce que Jugurtha, surpris d'un abord
si imprévu, ne sait à quoi se détermi-
prince, là-dessus, lui conseillant de ner. Peu de jours après, on arrive au
décamper, du moins pendant la nuit, rendez-vous.
il approuve cet avis , et sur-le-champ « Il y avait auprès de Bocchus un
il ordonne aux soldats de prendre de Numide, nommé Aspar, faisant sa cour
la nourriture, d'allumer beaucoup de assidûment et avec succès; Jugurtha
feux dans le camp , et d'en sortir ayant su que Sylla avait été mandé ,
en silence à la première veille. Après l'avait envoyé d'avance à titre d'agent,
cette marche nocturne, qui avait fati- et pour pénétrer adroitement les des-
gué tout le monde, Sylla, au lever du seins de Bocchus. Il y avait encore
soleil, traçait un camp, lorsque des Dabar, fils de Massugrada, de la mai-
cavaliers maures viennent annoncer son de Massinissa ; mille excellentes
que Jugurtha est campé en avant, à qualités lui avaient gagné les bonnes
quelque deux milles de distance. Cette grâces et la faveur du roi maure. Boc-
nouvelle jette l'épouvante parmi nos chus ayant déjà éprouvé, en plusieurs
gens ; ils se croient trahis, et engagés occasions , qu'il était affectionné aux
par Volux dans une embuscade ; quel- Romains, se hâta de le députer vers
ques-uns même sont d'avis qu'il faut Sylla , pour lui dire de sa part qu'il
s'en venger
laisser impunisur unsa crime personne, et ne pas
si atroce. est prêt à se soumettre; qu'il ait à
choisir lui-même le jour, le lieu et le
« Mais Sylla, quoiqu'il ait les mêmes moment de la conférence; qu'aucun
pensées, s'oppose à cette violence; il engagement n'a prévenu leur délibé-
exhorte les siens à avoir bon courage ; ration commune; queaucun
l'envoyé de Ju-;
il leur représente qu'il est souvent ar- gurtha ne doit faire ombrage
rivé àune poignée de braves de l'em- qu'on ne l'a appelé que pour traiter
porter sur le grand nombre; que,
plus vait
librement,
autrement separce que aux
dérober l'on artifices
ne pou-
moins ils se ménageront dans l'action,
plus ils seront de ce prince. Pour moi , ajoute Sal-
honteux, quand en on sûreté; qu'il est
a les armes en luste, j'ai des preuves que Bocchus,
main, de ne compter que sur la fuite. par une insigne mauvaise foi plutôt
Ensuite, ayant pris les dieux à témoin que dans aucune des vues qu'il pré-
de la perfidie de Bocchus , il ordonne textait, amusait tout à la fois les Ro-
à Volux de sortir du camp. mains et le roi numide par des espé-
NUMIDIE ET MAURITANIE.
rances de paix; qu'il avait souvent « tière. Quant à mes dispositions à l'é-
balancé s'il livrerait Jugurtha aux Ro- « gard de votre république, apprenez-
mains, ou Sylla à ce prince; et que « les en deux mots. Je n'ai jamais fait
son penchant le décidait contre nous, «ni voulu faire la guerre au peuple
mais que la crainte le détermina en «romain; mes frontières ont été atta-
notre faveur.
«quées, j'ai pris les armes pour les
« Sylla répondit qu'il dirait peu de « défendre : j'y renonce, puisque vous
chose en présence d'Aspar; qu'il s'ex- «le voulez. Faites, à votre gré, la
pliquerait sur le reste sans témoin, « guerre à Jugurtha ; le fleuve Mulu-
ou du moins devant peu de person- «cha, qui bornait mes États et ceux
nes :il régla en même temps ce qui «de Micipsa, est une barrière que je
lui serait répondu. Quand ils furent « ne passerai point, et je ne la laisserai
assemblés comme ils en étaient conve- «point passer à Jugurtha; si vous
nus, Sylla dit qu'il était venu de la «exigez quelque autre chose qui soit
part du consul pour savoir si Rocchus « digne de vous et de moi , je ne vous
entendait prendre le parti de la guerre « la refuserai point. »
ou celui de la paix. Le roi , confor- «Sur ce qui lui était personnel,
mément aux instructions qu'il avait Sylla répondit en peu de mots et avec
reçues, lui dit de revenir dans dix modestie; sur ce qui concernait la
jours; qu'il n'était pas encore décidé, paix et les intérêts communs, il s'é-
mais qu'il lui donnerait ce jour-là une tendit davantage. Il finit par faire en-
réponse précise. Là-dessus, chacun se tendre au roi que le sénat et le peuple
retira dans son camp. Mais quand la romain, ayant eu la supériorité des ar-
nuit fut bien avancée, Bocchus fit ve- mes, ne regarderaient point ses pro-
nir Sylla secrètement; ils ne prirent messes comme une faveur, et qu'il
tous deux que des interprètes sûrs; faudrait y ajouter quelque action qui
mais ils y ajoutèrent Dabar, homme de pût leur plaire; qu'il avait pour cela
probité, qui, en qualité de tiers, leur une belle occasion , puisqu'il pouvait
prêta le serment qu'ils jugèrent à pro- disposervrait auxdeRomains,
Jugurtha; queen s'il
ils lui le li-
auraient
pos d'exiger;
le premier en ces et aussitôt
termes : le roi parla la plus grande obligation; que leur
« Je n'ai jamais pensé qu'étant le amitié, leur alliance, et la partie de la
« plus grand roi de cette contrée , et
«maître d'un des plus puissants États aisément qu'il
Numidie réclamait, en seraient
le prix.
«que je connaisse, je puisse avoir des « Le roi fit d'abord beaucoup de ré-
«obligations à un simple particulier; sistanceil
: observa qu'il tenait à ce
«et véritablement, Sylla, avant que je prince parle sang, par une alliance,
« vous connusse , plusieurs ont im- par un traité;
« ploré mon secours avec succès ; j'ai craindre que ce qu'il manqueavaitded'ailleurs
fidélité neà
« même prévenu les prières de quel- révoltât ses sujets , à qui Jugurtha
était cher et les Romains odieux. A la
« ques autres, et jamais je n'ai eu be-
«soin de personne. Cette diminution fin , fatigué des instances reitérées de
« de puissance, si affligeante pour d'au- Sylla, il promit
« très, est pour moi un sujet de joie. demandait. Puis, de
aprèsfaire
avoirce pris
qu'onleurs
lui
«J'ai à me féliciter d'avoir besoin de mesures, ils se séparèrent.
« votre amitié, qui est pour mon cœur « Dès le lendemain, Bocchus manda
« le plus précieux des biens. Vous pou- Aspar, envoyé de Jugurtha; il lui dit
« vez là-dessus me mettre à l'épreuve : que, par l'entremise de Dabar, il sait,
« armes , soldats , argent , enfin tout de Sylla même, qu'il y a des moyens
« ce que vous jugerez à propos, pre- de terminer la guerre ; qu'il s'informe
«nez-le, disposez-en à votre gré; et doncàcesujetdesintentionsduroison
« tant que vous vivrez, ne me regardez maître. Celui-ci , bien joyeux, se rend
«jamais comme quitte envers vous :
« ma reconnaissance sera toujours en- au camp de Jugurtha. Pourvu d'am-
ples instructions, il revient en dili-
44 L'UNIVERS.
NUMIDIE ET MAURITANIE.
fier l'Afrique. Pompée partit donc de Quant à Hiarbas , il fut assiégé dans
Sicile avec six légions, 120 vaisseaux Bulla, pris et mis à mort. Pompée re-
de guerre et 800 bâtiments de charge, vint àUtique, après une campagne qui
qui portaient des munitions de toute n'avait duré que quarante jours (81).
espèce. Il vint prendre terre à Curubis, JUBA Ier SUCCÈDE A SON PERE
petit port voisin de Carthage, non HIEMPSAL II; IL DEVIENT L'ENNEMI
loin du promontoire de Mercure, et PERSONNEL DE CESAR. — Lorsque
marcha vers Utique , où Domitius et Sylla etMarius eurent disparu, de nou-
Hiarbas étaient campés avec des forces veaux ambitieux prirent leur place, et se
nombreuses. Les deux armées se trou- firent les chefs des partis qui existaient
vaient en présence; mais elles étaient dans l'État. César et Pompée se dispu-
séparées par un ravin dont la descente tèrent àleur tour l'empire du monde,
était rude et le sol raboteux. Domitius
en s'appuyant, l'un sur la démocratie,
jugea l'attaque impossible , d'autant l'autre sur l'aristocratie. La Numidie
plus qu'il tomba pendant presque tout prit à leurs démêlés une part plus im-
le jour une grosse pluie, accompagnée portante qu'aux troubles précédents,
d'un vent violent. Il se retira vers son et fut d'un grand poids dans les évé-
camp. Alors Pompée jugea que le mo- nements de cette lutte. Le royaume
ment favorable était venu ; il passa le de Hiempsal avait été agrandi par
ravin, et fondit à l'improviste sur l'ar- Pompée ; la mort de Hiarbas avait dé-
mée qui se retirait. Le désordre se mit barrassé ce prince d'une rivalité qui
bientôt dans les rangs de Domitius et l'affaiblissait, et il avait transmis à
de Hiarbas. Ajoutez qu'ils avaient en son fils Juba Ier un royaume étendu et
florissant. Outre la reconnaissance qui
face la pluie et le vent. Aussi éprouvè-
rent-ils une entière défaite. Les sol- attachait Juba à la cause de Pompée,
dats de Pompée voulaient le proclamer ce prince avait contre César des mo-
imperator sur le champ de bataille ; tifs de mécontentement personnel.
mais leur chef leur ayant déclaré qu'il Suétone raconte qu'un différend s'é-
n'accepterait cet honneur qu'après la tant élevé entre Hiempsal et un noble
prise du camp ennemi, ilsy marchèrent numide appelé Masintha, celui-ci im-
à l'instant, et le forcèrent. Il était déjà plora la protection de César, qui com-
nuit; Pompée combattit tête nue, pour mençait alors sa carrière politique.
être reconnu par ses soldats et éviter César embrassa avec tant de chaleur
toute méprise funeste. Le camp fut la cause de Masintha, que, dans une
emporté , et Domitius resta sur la violente altercation avec Juba , fils de
place. Le carnage fut grand , et de Hiempsal, il s'emporta jusqu'à le pren-
20,000 hommes il n'en échappa que dre par la barbe. C'était le plus san-
3,000. Hiarbas prit la fuite, abandon- glant outrage que l'on pût faire à un
nant ses éléphants , que Pompée vou- Numide. Juba ne l'oublia jamais, et
lut plus tard atteler à son char de nous allons le voir dévoué à la cause de
triomphe. Ce prince essaya de rentrer Pompée , non-seulement par recon-
dans son royaume; mais il en fut em- nais ance etpar dévouement pour lui,
pêché par les Maures auxiliaires que mais aussi par haine pour son adver-
Gauda, fils de Bocchus, avait conduits saire.
à l'armée de Pompée. Il fut donc obligé EXPÉDITION DE CURION EN AFRI-
de se renfermer dans Bulla. Cependant QUE. JUBA MARCHE AU SECOURS DE
Pompée avait pénétré dans le pays VARUS. IMPRUDENCE DE CURION.
pour rétablir Hiempsal ; les Numides RUSE DE JUBA ; SA CRUAUTÉ APRÈS
effrayés prenaient tumultueusement la victoire (49 avant notre ère). —
les armes pour résister à cette inva- Au début de la guerre civile , César
sion; mais Gauda, parcourant la con- avait rapidement enlevé l'Italie à Pom-
trée , vainquit toutes les bandes qu'il
trouva formées , et Pompée rétablit tius péeVarus, et à ses partisans. L'un d'eux, At-
chassé d'Auximum, se ré-
sans peine Hiempsal sur son trône. fugia dans la province d'Afrique, en
4S L'UNIVERS.
Scipion avait eu le dessous , et rece- mains de tous les partis ; on voit qu'il
vant les lettres par lesquelles celui-ci avait conçu le dessein de faire cesser
implorait son secours, se remit en leur domination en Afrique, puisque,
marche après avoir confié à Sabura , selon Dion, il ne se rendit aux ins-
dont l'habileté lui était bien connue, tances de Scipion que lorsqu'il en eut
le soin de combattre Sittius. Quand obtenu l'assurance d'être mis en pos-
le bruit se répandit que Juba était sur session de tout ce que les Romains
le point d'arriver, les césariens , qui possédaient dans cette contrée, dès que
avaient déjà fort à faire avec Scipion César en aurait été chassé. Et cepen-
et les autres pompéiens , se laissèrent dant ildissimulait ses projets, sa haine
aller 5 la crainte et au découragement. personnelle contre César, en se pro-
La renommée publiait des choses ef- clamant le défenseur du sénat et du
frayantes touchant les forces du roi peuple romain. Ainsi , son but était
barbare , et César avait tout à redou- de détruire César et de dominer les
ter de la consternation où il voyait ses pompéiens , ou du moins de les reje-
soldats. Pour dissiper ces terreurs, il ter tout à fait de l'Afrique. Cette con-
imagina un expédient singulier qui lui ception était grande et audacieuse ;
réussit pleinement. Il résolut d'en- mais Juba n'avait ni dans l'esprit , ni
chérir encore sur les bruits qui alar- dans le caractère , les ressources né-
maient tant ses légions, et les ayant cessaires pour la réaliser; il n'y avait
rassemblées, il leur dit : « Je sais que que la faiblesse et la pusillanimité de
« Juba arrive avec dix légions, 30,000 Métellus Scipion en sa présence, qui
« chevaux, 100,000 soldats armés à la pussent lui inspirerdesi hauts desseins
« légère, et 300 éléphants. Que les cu- et lui en faire croire l'exécution pos-
« rieux de nouvelles cessent donc de sible. Hirtius rapporte deux faits qui
« faire des recherches inquiètes et de montrent jusqu'où allaient la hauteur
« bâtir des systèmes , et qu'ils s'en du Numide et l'humiliation du chef
« rapportent à ce que je leur annonce romain. On a vu que les désertions
« sur des avis certains ; ou bien je les étaient fréquentes dans l'armée de Sci-
« embarquerai sur le plus vieux de mes pion , par l'influence qu'exerçaient ,
« navires , et je les abandonnerai au sur l'esprit des barbares , les noms de
« gré des vents, pour être portés en César et de Marius. Scipion surveil-
« quelque terre que ce puisse être. » lait les démarches des siens , pour
Cette
toutes exagération
les terreurs, confirma d'abordà
mais elle servit empêcher toute relation avec l'ennemi.
Un jour , ayant aperçu un sénateur
les dissiper entièrement quand la vé- de son partie M. Aquinius, conver-
rité fut connue. En effet, Juba ayant sant avec un officier de César appelé
établi son camp auprès de Scipion , Saserna , il lui fit dire qu'il ne devait
mais à part , on reconnut bien que ses point s'entretenir avec les ennemis, et
forces n'étaient pas si considérables qu'il ferait bien d'en rester là. Aqui-
qu'on l'avait craint jusque-là. Enfin , nius ne tint pas compte de cette invi-
on sut qu'en outre de sa cavalerie nu- tation , et renvoya le messager de
mide et de son infanterie légère , qui Scipion. Alors Juba lui dépêcha un
étaient très-nombreuses, il n'avait que viateur qui lui dit , en présence de Sa-
trois légions , 800 chevaux , et 30 élé- serna :« Le roi vous défend de conti-
phants. Alors toute cette crainte ima- nuer cet entretien. » Aquinius eut
ginaire
sar en vinrent s'évanouit
à ne, etfaire
les soldats
aucun de
cas Cé-
de peur, et il se retira. Ce n'est pas seu-
lement àl'égard d'Aquinius , homme
la jonction de Juba avec leurs en- nouveau et simple sénateur, que Juba
nemis. montra tant de hauteur; mais il ne
NOUVEAUX TRAITS D'ARROGANCE ménagea pas plus Scipion , un homme
de juba. — Juba fit payer bien cher d'un nom si recommandable par ses
les secours qu'il amenait à Scipion. ancêtres , et qui avait lui-même exercé
Au fond , ce prince détestait les Ro- les plus hautes dignités. En effet, Sci-
55
NUMIDIE ET MAURITANIE.
pion portait, ainsi que le roi , la cotte tes continuelles qu'ils avaient éprou-
d'armes couleur de pourpre ; Juba fut vées dans ces rencontres, Juba et Sci-
choqué de voir Scipion porter le même pion reculaient maintenant devant une
vêtement que lui , et lui dit que cela action générale. Ils s'étaient postés
ne convenait pas : alors Scipion re- d'une manière avantageuse dans un
nonça àse parer de la pourpre, et prit camp fortement retranché , où César
une cotte d'armes blanche. Ce der- ne pouvait les contraindre à combat-
nier trait est si fort de part et d'au- tre. Ilrésolut de les tirer de là en al-
tre, qu'il est presque incroyable. Hir- lant faire le siège de Thapsus , ville
tius lui-même ne le donne pas comme importante , située au sud de Leptis-
un fait certain , et il peut avoir été Minor, que les ennemis ne pouvaient
inventé par la haine et le mépris des sans honte se dispenser de secourir.
césariens contre Juba et Scipion. Ce qu'il avait prévu arriva ; Scipion et
combats divers; batatlle de Juba le suivirent pour défendre la
thapsus ; défaite de juba et des f)lace, et Virgilius qui en commandait
pompéiens ( 46 avant notre ère ). — a garnison; ils vinrent se poster dans
Vers le même temps, César reçut le deux camps différents, à huit mille pas
reste de ses légions , entre autres la de Thapsus. Cette ville était sur le bord
dixième , sur laquelle il comptait le de la mer, et couverte, du côté de la
plus; en sorte que les deux partis terre, par un marais salant , entre le-
ayant réuni toutes leurs forces, la que- quel et la mer restait un espace de
relle dut bientôt se décider. César pro- quinze cents pas. Scipion avait compté
fita du temps qui lui fut encore laissé sur ce passage pour jeter du secours
pour châtier quelques désordres restés dans la place; mais César, qui s'en
impunis, resserrer la discipline, et doutait, avait posté en cet endroit un
exercer ses soldats à combattre contre bon corps de troupes; Scipion, trou-
les éléphants et les Numides. Plu- vant la voie interceptée , renonça à
sieurs rencontres eurent lieu avant la son premier projet , et commença à
bataille de Thapsus, et sa présence
décida toujours de la victoire. Une fortifier son camp. De son côté, "Cé-
fois entre autres, il vainquit Varus en sar
tionil; préparait
laissaittout,
deuxpour engager
légions l'ac-
à la garde
pleine mer, le poursuivit jusque dans de son camp devant Thapsus , faisait
la rade d'Adrumète, où il lui offrit un approcher ses vaisseaux le plus près
nouveau combat que l'ennemi n'osa possible du rivage , et marchait lui-
pas accepter. Une autre fois , César même avec le reste de ses forces con-
étant sorti pour piller les souterrains tre les retranchements ennemis. Sci-
où les habitants du pays gardaient pion
leurs grains, Labiénus le rencontra que; s'était préparérangée
son armée, à soutenir l'atta-
en bataille,
et en vint aux mains avec lui. Mais couvrait les travailleurs qui conti-
ses Numides prirent la fuite à l'ins- nuaient l'ouvrage commencé , et les
tant. Le lendemain, Juba fit saisir éléphants étaient distribués à droite et
tous ces fuyards , et les fit mettre en à gauche sur les ailes. Ici les relations
croix. Toutes les actions de Juba sont des historiens anciens nous présentent
empreintes du même caractère de des circonstances singulières, et diffi-
cruauté et d'orgueil. Les habitants de ciles àconcilier. L'auteur des mémoi-
Vacca avaient fait demander à César
res sur la guerre d'Afrique assure que
des secours, en promettant de se don- César voulut retenir l'ardeur de ses
ner à lui et de lui fournir des muni- soldats au moment où l'action allait
tions de guerre : Juba , informé de s'engager, mais que ceux-ci, entraînés
leur démarche , prévint le secours de par une impétuosité irrésistible , con-
César; il courut lui-même sur Vacca, tinuèrent leur course après avoir fait
s'en empara , et, aprèsil fit
en détruire
avoir ex-la sonner la charge, sans que leur géné-
terminé les habitants,
ral en eût donné l'ordre , et qu'alors
ville de fond en comble. Cependant, César, ne pouvant arrêter le torrent ,
rendus plus circonspects par les défai- donna enfin le signal , et pour mot la
56 L'UNIVERS.
félicité. On peut conjecturer que Cé- forts de César pour les sauver. Dix
sar n'opposa ce dernier retard que mille restèrent sur la place, les camps
pour donner encore plus d'élan et de furent pris ; il ne restait plus rien de
vigueur au courage de ses soldats; cette formidable coalition. César laissa
maisHirtius ne paraît pas soupçonner trois légions pour réduire Thapsus, fit
cette intention dans l'esprit du géné- investir Tysdrus, et marcha pour em-
ral, et présente la résistance de César
porter Utique , où l'intrépide Caton
comme le résultat d'une hésitation sé- pouvait encore
FIN DE JUBA l'arrêter
ET DES longtemps.
CHEFS DU
rieuse. D'un autre côté , que penser
de cette circonstance dont Plutarque parti pompéien. — Mais les habi-
fait mention, et qui ne se trouve dans
aucun autre auteur, à savoir, hauteurtantsded'Utique, qui n'étaient
son héroïsme pas à la
, refusèrent
commencement du combat Césarqu'au
fut de le seconder, et Caton échappa à
surpris d'un accès d'épilepsie , mal César par une mort volontaire. Tous
auquel il était sujet, et qu a l'appro- les autres ennemis de César succom-
che des premières convulsions, avant bèrent aussi d'une manière misérable.
que d'y succomber entièrement, il se Sittius ayant vaincu et tué Sabura, le
lit porter dans une tour voisine, où il royaume de Juba ne pouvait plus of-
demeura pendant toute la durée de la frir un asile sûr aux fugitifs : Faus-
bataille ? Comprend - on qu'Hirtius tus Sylla et Afranius furent pris par
n'ait rien dit de ce fait étrange? Com- Sittius, au moment où ils fuyaient en
prend-on que la victoire de ïhapsus
Espagne avec quinze cents chevaux.
ait pu être remportée, César absent? Scipion, qui était parvenu à gagner la
]\ous nous contenterons d'indiquer mer, fut arrêté par le mauvais temps,
ces difficultés , sans grossir notre ré- et surpris par la flotte de Sittius à
cit des interprétations oue nous pour- Hippone , où il relâcha. Il se tua sur
rions en faire ; ce qui est certain, c'est son vaisseau. Juba ne fut pas plus heu-
que les soldats de César combattirent reux ;après la bataille de Thapsus, il
en cette journée comme ils l'avaient s'était enfui avec Pétréius, et il était
toujours parvenu, en se cachant le jour dans
chef. La fait déroute sous des les ennemis
yeux d'uncom- tel
les métairies et marchant la nuit seu-
mença p;ir les éléphants; ces animaux, lement, àrentrer dans son royaume.
effarouchés par les traits et les flèches La défaite et la mort de Sabura, la
dont on les accabla , se retournèrent présence de Sittius avaient provoqué
vers les rangs de leur propre armée, une défection presque universelle. Juba
et, dans leur fuite précipitée et fu- se présenta d'abord devant Zama (*),
rieuse, ils écrasèrent tout sur leur qui était sa capitale, et où se trouvaient
passage. Ils renversèrent même les sa femme et ses enfants. Il y avait mis
portes
encore duconsolidées. camp, qui Lan'étaient en sûreté ses trésors et tout ce qu'il
cavaleriepoint
de
possédait de plus précieux. Les habi-
Juba, déconcertée par ce désordre, se tants de Zama étaient violemment ir-
débanda sans résistance, et les sol- rités contre lui. Avant de partir pour
dats de César entrèrent dans le pre- marcher contre César, Juba, ayant
mier camp en même temps que les quelques
fuyards : Scipion, Pétréius, Labiénus, avait prisdoutes sur l'issue
ses mesures pourde entourer
la lutte,
Afranius, tous les chefs avaient pris sa mort volontaire , supposé qu'il fût
la fuite. Les débris de J'armée vaincue vaincu, d'une pompe sanguinaire, digne
ne pouvant se rallier ni se défendre, de son orgueil et de sa cruauté. Il
quittèrent le camp de Scipion pour avait fait dresser sur la place publique
chercher un asile dans celui de Juba ; de la ville un vaste bûcher sur lequel
mais les césariens l'avaient déjà oc- il déclara qu'il jetterait les habitants
cupé, et tous ces malheureux, tombant
au milieu des vainqueurs , que le feu (*) Cette ville de Zama-Regia (Zoouario),
du combat avait animés , furent mas- n'est pas le bourg de Zama près duquel
sacrés impitoyablement, malgré les ef- Aiiuibal fut vaincu.
57
NUMIDIE ET MAURITANIE.
de la ville, après les avoir égorgés, et vendre à Zama tous les domaines de ce
qu'il s'y brûlerait ensuite lui-même roi, et les biens des citoyens romains
avec sa femme, ses enfants , et toutes
ses richesses. Les habitants de Zama, établis
soutenu dans cette deville"
la cause qui Ainsi
Juba. avaientse
que cette résolution avait remplis d'é- termina cette guerre d'Afrique , à la-
pouvante, apprirent avec joie la vic-
toire de César et les succès de Sittius. et demi.quelleLeCésarrésultat n'employa que immense
en était cinq mois :
Quand ils surent que Juba approchait, l'Afrique , qui appartenait au parti
ils fermèrent leurs portes et refusèrent aristocratique, venait de passer, comme
de le recevoir. Ni les menaces qu'il les autres provinces, entre les mains
proféra d'abord , ni les prières aux- du parti contraire; et la Numidie, qui
quel es ils'abaissa ensuite, ne purentà avait soutenu la cause des grandes fa-
les fléchir. Enfin Juba se réduisit milles patriciennes , espérant dans ce
demander qu'on lui rendît sa femme conflit se soustraire à toute espèce de
et ses enfants, et on lui refusa encore sujétion , cessait d'être un royaume,
cette satisfaction. Alors il prit le et tombait dans la condition de pro-
parti de se retirer dans sa maison de vince romaine. Toutefois, la partie
campagne avec Pétréius et quelques occidentale de la Numidie et la Mau-
cavaliers. Les habitants avaient prié ritanie étaient libres encore; mais leur
César de venir les protéger, et celui- asservissement ne devait pas tarder.
ci avait quitté Utique et marchait ra- RENSEIGNEMENTS SUR LE GOUVER-
pidement vers Zama ; tout se portait NEMENT LA
, RELIGION, LA LANGUE,
sur ses pas et se rendait à lui. Juba LA MANIÈRE DE COMEATTRE, LES
vit que le moment de mourir était MOEURS ET LES COUTUMES DES NU-
venu. Il fit préparer un grand festin, MIDES.—La victoire de César à Thap-
et après le repas que Pétréius avait sus termina pour toujours les desti-
partagé avec lui , ils se précipitèrent nées politiques de la Numidie. Ce
l'un sur l'autre, espérant se tuer mu- royaume est devenu province romaine,
tuellement; mais Juba, qui était plus et l'opposition aux envahissements de
fort, immola Pétréius, et lui survécut. Rome, tentée par son dernier roi, ne
Il essaya de se percer lui-même , et, pourra plus se reproduire. Le nom
n'ayant
un esclave. pas réussi, il se fit égorger par même de la Numidie, sans disparaître
entièrement, se restreint dans de plus
LA. NUMIDIE RÉDUITE EN PRO- étroites limites ; celui de Mauritanie
VINCE romaine (46 avant notre ère). va bientôt en désigner toute la partie
— César étant venu à Zama , réduisit orientale. La Numidie ne sera plus
la Numidie en province romaine. Il qu'une partie de la domination ro-
en donna le gouvernement à Salluste, maine en Afrique; et si nous la voyons
qu'il décora du titre de proconsul. On encore reparaître pour quelques ins-
sait que Salluste commit de grandes tants àtitre de royaume , cette appa-
exactions dans sa province. Dion rente résurrection ne sera qu'une me-
pense qu'il reçut de César des instruc- sure administrative ordonnée par Au-
tions secrètes 1 sans lesquelles il n'au- g uste et
, dans laquelle il faudra bien
rait osé prévariquer si ouvertement. se garder de voir un véritable affran-
Les habitants de Zama, qui avaient les chissement. Aussi , au moment où
premiers résisté à Juba, furent récom- cette nation est effacée de l'histoire
pensés par l'exemption de toute espèce pour se confondre dans la vaste unité
d'impôts. Sittius, qui avait rendu de si de l'empire romain , il importe de re-
grands services à César, fut mis en pos- cueillir quelques indications éparses
session du territoire voisin de Cirta , dans les écrivains de l'antiquité sur
dont il s'était emparé, et qui s'appela les coutumes , les mœurs, la manière
aussi, depuis ce temps, colonie des SU- d'être des Numides. Ces renseigne-
tiens. Le fils de Juba , encore enfant, ments n'ont pu trouver leur place dans
fut épargné par le vainqueur, qui fit le récit qui vient d'être présenté j
58 L'UNIVERS.
mais, pour traiter complètement ce des deux Syrtes. Il décrit aussi quel-
sujet , il est à propos de les réunir Î[ucs-unes clés tribus qui occupaient
dans un chapitre séparé. Tout ce que a Bysacène et les environs de ce qu'il
nous avons pu recueillir sur ce peuple appelle le fleuve Triton ; mais il ne va
se réduit à peu de chose , car aucun pas au delà , et ses recherches , si cu-
historien ancien n'a été curieux de rieuses sur les nations de l'Afrique
décrire les mœurs des Numides ; septentrionale, s'arrêtent à peu près au
voilà pourquoi nous voulons faire un point où commence la Numidie pro-
tout de ces détails, qui ne peuvent prement dite. Cependant on y voit
avoir quelque importance que par leur que tous les peuples qui s'étendaient
réunion. dans l'Afrique occidentale avaient
L'autorité des rois numides, comme aussi le nom général de Libyens ; et
Syphax, Massinissa, Juba, paraît avoir ce qu'il rodote y a applique de singulier
été absolue. Cependant elle devaittrou- le nom ,de
c'estNomades
qu'Hé-
ver des limites dans le pou voir des petits ou Numides à ceux qui habitaient
chefs de tribus qui les reconnaissaient entre les frontières de l'Egypte et le
pour leurs maîtres. Ces chefs , assez fleuve Triton, et qu'il les oppose aux
semblables aux émirs chez les Arabes, Libyens de l'ouest à l'océan Atlanti-
étaient souvent en révolte, tantôt iso- que ,auxquels il refuse cette dénomi-
lés, tantôt réunis ; et ce n'était que par nation, quileur fut plus tard exclusi-
la force et le despotisme que les sou- vement réservée. Cette distinction im-
verains venaient à bout de les con- portante ,qui n'est faite par aucun
tenir. Jamais il n'y eut complète autre auteur, prouve que le nom de
unité politique dans la Numidie. On Numidie ne fut donné par les Grecs
voit à toutes les époques de son his- aux provinces situées au delà des Syr-
toire des chefs non soumis au prince tes que dans les temps postérieurs à
Hérodote. Pline, Solin et Strabon, en
qui s'était rendu dominant, et combat- indiquant que les Numides de leur
tant dans le parti opposé. Carthage
s'attacha toujours à conclure avec les temps observaient les mêmes coutu-
différents chefs numides des traités mes dote,
que les
par lesquels elle en obtenait des trou- nous Libyens
autorisentnomades d'Héro-
à extraire du
passage de cet écrivain quelques
Aucun écrivain n'a
parlé pesdu mercenaires.
gouvernement intérieur de la traits généraux sur la religion de ces
Numidie : on ignore de même si quel- barbares, dont on ne sait rien d'ail-
ques-uns des princes numides ont été leurs. Pour
« les serments et la divi-
législateurs, et quelles lois ils peuvent nationdit-il
, (*) , ils observent les
avoir portées. Nul doute que des prin- pratiques suivantes : ils jurent par les
ces comme Massinista , Micipsa , Ju- hommes qui passent parmi eux pour
avoir été les plus justes et les plus
gurtha lui-même , n'aient établi sou- braves, et ils placent la main sur leurs
vent des dispositions législatives ;
mais on sera toujours dans une igno- tombeaux. Pour deviner, ils vont dans
rance complète sur ce point. Isi- les sépulcres de leurs ancêtres, font
dore de Séville, dans ses Origines, leur prière et s'y endorment, et le
dit que quelques lois des Mèdes et des songe qu'ils ont alors leur tient lieu
Perses s'observaient dans plusieurs d'oracle. Pour gage de foi, ils se don-
districts de la Numidie; et il adopte nent réciproquement à boire dans le
l'opinion de Salluste, que ce pays avait creux de la main : et, s'ils n'ont aucun
été peuplé par une colonie de Mèdes et liquide, ils prennent de la poussière à
de Perses. On ne peut faire aucun cas terre et la lèchent.» Plus loin, Hérodote
de cette assertion. parle des Machlyes et des Ausiens,
Hérodote a parlé longuement , au tribus qui habitaient aux environs du
quatrième livre de son histoire, des lac Triton ide , séparées par le fleuve
peuples de la Libye , mais particuliè-
rement de ceux qui habitaient le long (*) Hérodote, liv. iv.
NUMIDIE ET MAURITANIE. 59
nier, il n'a pas besoin de frein, et on mot Metago?iium, nom propre d'un
le gouverne avec une verge. Rien n'é- promontoire, ainsi que du pays des
gale sa rapidité ; à mesure que la course Massyliens , appelé souvent terre mé-
échauffe son sang , il acquiert de nou- tagonite. «Ce mot, disent-ils , est in-
velles forces et une plus grande vi- contestablement équivalent à ceux de
tesse; enfin même, dans un âge avan- meteg jonihh ou metegjoniahh, quel-
cé ,il conserve toute la vigueur de ses qu'un qui met à part, ou qui a mis
jeunes années : aussi les anciens atta- à part sa bride. Cette étymologie est
chaient-ils un grand prix à ces précieux bien plus naturelle que celle qu'on
animaux. Chacun avait son nom , sa peut dériver de la langue grecque.» On
généalogie; venaient-ils à mourir, on a remarqué aussi que les Massyliens ,
leur dressait un tombeau et on leur quand ils étaient en guerre, tâchaient
consacrait une épitaphe. Voici la tra- ordinairement d'en venir à une action
duction d'un de ces curieux monu- générale pendant la nuit. La déser-
ments, dont le texte se trouve dans le tion n'était pas un crime aux yeux des
recueil d'inscriptions d'Orelli : Numides; après une déroute, ils pou-
« Fille de la Gétule Harina, vaient s'en retourner chez eux , s'ils
« Fille du Gétule Equinus , n'aimaient mieux rester à l'armée :
o
«
Rapide à la course comme les vents ,
Ayant toujours vécu vierge,
aussi les voit-on fréquemment aban-
« Sjieutima , tu habiles les rives du Léthé. donner leparti pour lequel ils s'étaient
engagés
Outre d'abord.la guerre, la chasse était une
« C'est surtout dans les montagnes,
suivant Solin, que les Numides éle- des principales occupations des Nu-
vaient des chevaux (*). » Les Numides, mides. Leur pays abondait en bêtes
particulièrement les Massyliens, mon- féroces ou sauvages, ânes, lions, élé-
taient ces excellents chevaux à cru,
sans selles ni brides ; et ce que dit le phants,
battaientpanthères, etc., autant
continuellement, qu'ils com-
pour
poète Némésien est confirmé par les le profit qu'ils tiraient de leur capture
récits des historiens , qui nous repré- et de leurs dépouilles, que pour assu-
sentent Massinissa, le meilleur et le rer leur tranquillité. Salluste nous in-
plus infatigable cavalier de son temps, dique qu'un grand nombre de guerriers
courant et combattant à cheval jusque périssaient dans ces expéditions ; car
dans sa vieillesse la plus reculée, sans il dit que lessiNumides
aucun harnais. Les cavaliers numides constitution saine et étaient d'une ,
si robuste
furent très-recherchés comme auxi- qu'ils parvenaient presque tous à un
liaires par les Carthaginois d'abord, et âge avancé , excepté ceux qui étaient
ensuite par les Romains. Libres de tués dans la guerre ou dévorés par les
leurs deux mains, ils combattaient avec bêtes féroces.
Les Numides étaient sobres : ils
beaucoupbiles àlancer d'adresse et étaient
des dards. très-ha-
Ils avaient un se nourrissaient ordinairement de
soin extrême de leurs chevaux : ainsi
grains, de légumes , mangeaient rare-
les Numides d'Annibal , après la ba- ment de la viande, et buvaient très-
taille de ïrasimène, lavèrent les mem- peu de vin. Ce régime explique leur
bres de leurs coursiers, épuisés par le longévité et leur vigueur. Appien ajou-
voyage et la guerre, avec des vins te encore, comme une autre cause des
vieux que leur avait procurés le pillage mêmes effets, que leur climat était fort
de l'Ombrie et du Picénum. Virgile don- tempéré, la chaleur en été n'appro-
Les neauteurs
aux Numides l'épithète universelle
de V Histoire dHnfreni.
faisait chantdans
pas à beaucoup
les Indesprèset deen celle qu'il
Ethiopie
tirent de cet usage l'explication du dans la même saison. Leur passion
dominante était l'amour : Tite-Live
(*) Nous empruntons cette citation à l'ou- insiste , dans l'histoire de Syphax et
vrage de M. Dureau de la Malle sur la pro- de Massinissa , sur le penchant des
vince de Constantine, p. 91, Numides pour ce genre de plaisir ;
NUMIDIE ET BE LA MAURITANIE.
aussi la polygamie était-elle autorisée i et des géographes. « C'est Polybe le
chez eux. Salluste dit que chez les ; premier, dit Mannert , qui fixa pour Gl
Maures et les Numides les mariages
ne forment pas une chaîne fort étroite, toujours la position errante
las :dans le cours de son voyage il vit de l'At-
parce qu'en proportion de sa fortune une énorme chaîne de montagnes dres-
on y prend beaucoup de femmes, les ser ses flancs escarpés du sein de l'O-
uns dix, d'autres davantage, et les céan, et il comprit que ce devait être
rois beaucoup plus encore. Les Numi- là ce mont fabuleux cherché inutile-
des de la basse classe étaient presque ment pendant tant de siècles. Avant
nus, ou ne portaient que des vêtements Polybe, nul écrivain ne l'avait cherché
misérables ; les Numides d'un rang de ce côté; désormais tous les géogra-
supérieur portaient des habits longs f)hes lui assignent la position que Po-
et sans ceintures. Selon un fragment ybe lui avait donnée (*). » Juba II, le
de Nicolas Damascène, ils comptaient plus savant des rois africains , con-
le temps par nuits, et non par jours. firme letémoignage de Polybe; et les
Tacite dit la même chose des Ger- renseignements qu'il donne sur ces
mains. montagnes de son royaume sont con-
sultés par Pline, et servent à attester
DEUXIÈME PARTIE.
l'exactitude de l'historien grec. Pline,
ainsi que Strabon , donnent le nom
MAURITANIE JUSQU'A LA RÉDUCTION
EN PROVINCE ROMAINE. par lequel les indigènes désignaient
l'Atlas : ils l'appelaient Dyris. Ainsi ,
DESCRIPTION DE LA MAURITANIE; au temps des empereurs , la position
ses limites; l'atlas; nature do du grand Atlas était bien constatée, et
sol; principales productions du la limite méridionale de la Mauritanie
pays ; fleuves. — La Mauritanie était fixée à l'endroit où la ligne prin-
était la contrée la plus occidentale de cipale de cette chaîne vient aboutir à
l'Afrique du nord.Strabon l'appelle la l'Océan, auprès du cap appelé aujour-
Maurusie. Plusieurs médailles et mon- d'hui cap de Ger ou d'Jguer.
naies ,frappées à Rome au temps « Nous allons pénétrer actuellement
d'Adrien , et reproduites dans les re- dans l'intérieur de la Mauritanie, où
cueils de Gruter et d'Eckhel , la dési- nous suivrons d'abord l'Atlas. D'après
gnent par le nom de Mauritanie ; il les rapports des gouverneurs romains
et du roi Juba, Pline nous le décrit
n'y en a qu'un petit nombre qui por-
tent le mot de Mauritanie , et cepen- comme une chaîne élevée, avec des pen-
dant ilest resté le plus en usage. Les tes rapides; les sommets en portaient
peuples qui habitaient cette contrée des neiges éternelles. Dans les régions
étaient les Mauri, Maures, dénomi- inférieures, les flancs des montagnes
nation qui s'étendit de plus en plus à étaient revêtus d'immenses forêts; de
l'orient, et qui finit par envahir presque nombreux cours d'eau se précipitaient
toute la Numidie.LaMauritaniepropre- des hauteurs, et portaient la fécondité
ment dite est celle que l'on appela plus au sein des contrées voisines. Des gé-
tard Tingitane, du nom de Tingis (Tan- néraux romains étaient parvenus jus-
ger), sa capitale. Elle était séparée du qu'au nied des nombreux rameaux de
pays des Massésyliens par le fleuve l'Atlas, qui se répandent dans le pays
Malva ou Mulucha; la mer Méditerra- en tout sens , et prétendaient y avoir
née et l'océan Atlantique l'entouraient vu des choses merveilleuses; Pline ne
au nord et à l'ouest ; mais sa limite au nous a pas transmis leurs récits, qu'il
sud était plus incertaine, et fut long- traite de fables. Un seul de ces géné-
temps inconnue. On s'accordait à lui raux, Suétone Paulin, s'aventura dans
donner l'Atlas pour bornes de ce coté; l'intérieur de ces montagnes. Après dix
mais personne n'avait vu cette vaste jours de marche il atteignit l'Atlas ;
chaîne , et sa position était toujours
livrée aux conjectures des historiens (*) Trad. de Marcus, p. 56t.
62 L'UNIVERS.
ces deux peuples ; les Salisse se fixè- tous deux fils de Neptune; tous deux
rent plus à vers
l'ouest vers; l'Océan, et les dominent dans une grande partie de
Volubiani le sud les Maurensii l'Afrique, et particulièrement dans la
et les Herpeditani possédaient la par- Tingitane. Hercule défit et tua Antée
tie orientale qui confine à la Mulucha; dans la même guerre où il enleva le
les Angaucani, les Nectibères , les monde libyen à Atlas. Il les repousse
Zagrensiiy les Baniubx, qui sont de l'Egypte,
probablement ceux que Pline appelle sembleil; lesqu'ils avaient
combat dansenvahie en-
la guerre
Baniurœ, s'étendaient depuis les pen- des dieux. C'est pour l'un et l'autre la
tes méridionales de l'Atlas minor de même histoire , les mêmes attribu-
Ptolémée, jusqu'au pied de son Atlas tionsil: est impossible de ne pas les
major. Mêla nomme encore les Atlan- identifier. Antée ou Atlas résista cou-
tes, qu'ildentalesplace dans les parties
dela Mauritanie. Au delàocci-
du rageusemenHercule,
tà qui l'attaquait
avec des troupes égyptiennes et éthio-
cours de la Sala commençaient les tri- piennes. La Libye lui fournissait de
bus gétules, qui restèrent toujours in- nombreux renforts. Mais Hercule ayant
domptées. Les Gétules formèrent sur intercepté une troupe de Maures qui
les frontières des provinces romaines, venaient rejoindre Antée, marcha une
en Afrique, une ligne de tribus barba- dernière fois contre lui , et lui fit
res, toujours prêtes à envahir les pays éprouver une défaite complète. Alors
vaincus et civilisés par Rome. Ils pa- il occupa tout le pays, et y fit un riche
raîtront fréquemment dans les temps butin. Bochart trouve dans ces faits
de l'empire. l'explication de toutes les fables fa-
TEMPS ANCIENS DE LA MAURITA- briquées sur Hercule et Antée. Her-
NIE ; TRADITIONS FABULEUSES ET cule prive Antée des forces renais-
HYPOTHÈSES SUR SA PRIMITIVE HIS-
TOIRE.— Les premiers temps histori- tale ,ensantesinterceptant
qu'il puisait dans les sasecours
terre qui
na-
ques de la Mauritanie sont aussi obs- lui arrivent ; ou bien il l'enlève du sol
curs que ceux de la Numidie; seule- africain , en le forçant à combattre
ment, ils'y rattache un plus grand sur mer, où il le défait. Bochart pense
nombre de faits ; mais tous sont res- même que la stature gigantesque
tés fabuleux, car les noms de Neptune, d'Antée signifiait la grandeur des vais-
d'Atlas, d'Antée , d'Hercule , sont les seaux qui composaient ses flottes:
premiers qu'on y rencontre. Les poè-
tes ,les mythologues , les historiens Hercule ces
quant à aprèspommes d'orduenlevées
la défaite dragon par
qui
même, ont parlé longuement de tous les gardait , c'était le prix de la vic-
ces événements incertains. Les criti- toire, laconquête même de la Mauri-
ques modernes en ont disserté plus tanie etdes trésors d'Antée.
longuement encore; efforts inutiles Plus on recueille de témoignages
des uns pour inventer des faits sur sur des points si douteux, plus l'em-
une époque dont rien n'était parvenu, nous avons barras ne fait
ditqu'augmenter.
sur Atlas et CeAntée
que
et des autres pour éclaircir des inven-
tions sans fond et sans réalité. Voici
les principaux résultats de tout ce pourrait
textes bien suffire; mais :voici
différents d'autres
Diodore fait
travail des anciens et des modernes : d'Atlas un fils d'Ouranos; l'évêque
leur exposé démontrera suffisamment Cumberland , dans ses notes sur les
que notre jugement n'est pas trop dé- fragments de Sanchoniaton, prétend
daigneux. Selon les uns, le roi ou dieu que cet Ouranos est Noé. Eusèbe dit
Neptune régna le premier sur la Mau- qu'Antée est fils d'Atlas. Apollodore
ritanie, sur la Nubie, etsur une grande prétend qu'Atlas était fils de Japhet ;
partie de la Libye. Après lui viennent et par conséquent petit-fils de Noé,
deux princes , Atlas et Antée , qui ne ajoute l'évêque Cumberland, qui veut
sont vraisemblablement qu'un seul et absolument faire remonter cette his-
même personnage. En eifet , ils sont toire àl'époque du déluge. Toute la
es
NUMIDIE ET MAURITANIE.
généalogie atlantique ne vaut guère la gneurs d'Égynte, s'opposa à ses suc-
peine qu'on la discute ; mais on ne cès. Ily perdit beaucoup de monde ;
peut s'empêcher de sourire de cette mais à la fin Hercule ayant intercepté
étrange préoccupation de l'évêque de un corps de Maures qui marchait au
Péterborough , qui confond tous ces secours d'Antée, remporta une grande
mythes grecs avec l'antiquité bibli- victoire sur eux, subjugua tout le con-
que, et qui arrive par là à faire Her- tinent de la Libye, et tua Antée lui-
cule contemporain deMizraïm.
même, près d'une ville de la Thébaïde,
SYSTÈME DE NEWTON. — Enfin , qui reçut à cette occasion le nom
pour en finir avec toutes ces incerti- d'Antœa, ou d'Antaeopolis(*). »
tudes, nous produirons l'autorité d'un De leur côté, les auteurs anglais de
grand nom , auquel les annalistes de YHistoire universelle emploient tou-
l'histoire ancienne ont pris l'habitude tes sortes de raisons, bonnes ou mau-
de s'en rapporter sur cette matière. vaises ,pour confirmer les résultats
Le même homme qui a découvert la obtenus par Newton, à qui ils donnent
loi de la gravitation a aussi appliqué si justement la qualification ^incom-
la pénétration de son sublime génie parable. Ily a donc , chez les histo-
aux questions épineuses de la chrono- riens, unanimité pour proclamer l'ex-
logie, et, dans ce genre de travail , il cellence des combinaisons chronologi-
a surpassé les plus habiles (*). UArt ques de ce grand génie , et nous ac-
de vérifier les dates s'est contenté de ceptons aussi sur ce point le jugement
résumer son système, et voici l'exposé de ceux qui nous ont précédé, malgré
qu'il en donne : les nombreuses objections que ce sys-
« Ammon , père de Sésac , roi d'E- tème peut soulever , malgré tous les
gypte, aété , selon Newton , le pre- doutes qu'il laisse à l'esprit, toutes les
mier roi de Libye , ou de cette vaste contradictions qu'il présente. Mais il
étendue de pays qui sépare les fron- est la seule lumière que l'on rencontre
tières de l'Egypte des bords de l'océan dans ces ténèbres, et il faut s'en con-
Atlantique , c'est-à-dire, de la Mauri- tenter. On n'en trouverait pas de plus
tanie. La conquête en fut faite envi- satisfaisante, et on ne gagnerait rien
ron 1000 ans avant Jésus-Christ, par à pénétrer davantage dans ces temps
Sésac, du vivant de son père. et ces contrées, dont l'histoire a com-
« Sésac eut à défendre la Maurita-
nie contre les Libyens, qui , ayant à lapris mauritanie
qu'elle devait désespérer. au cinquieme
leur tête Neptune, se révoltèrent con- siècle; au temps de la deuxième
tre lui et le tuèrent (973). guerre punique ; au temps de
«Neptune, frère et amiral de Sé« jugurtha; bocchus trahit ju-
sac, après avoir envahi la Mauritanie, gurtha ; son expédition dans
étendit encore sa domination sur la l'atlas ; ses deux fils. — On ne
Nubie et une grande partie de la Li- rapporte rien de remarquable sur la
bye. Mauritanie, depuis la lutte d'Hercule
« Atlas ou Antée, fils de Neptune, et d'Antée jusqu'au temps où les Ro-
portait ses vues encore plus loin que mains commencèrent à pénétrer en
son père. Son projet était d'envahir Afrique. Justin et Diodore de Sicile
l'Egypte même. Il avait la fermeté et ne font mention des Maures que pour
la valeur nécessaires à une pareille en- dire qu'ils servaient
treprise. Des renforts nombreux, que naires dans les armées comme merce-et
de Carthage,
lui fournissait la Libye, le mettaient qu'ils eurent, de même que les Numi-
en état de la soutenir longtemps". Her- des, plusieurs démêlés avec cette ré-
cule, général de la Thébaïde et de l'E- publique. Au cinquième siècle , le
thiopie pour les dieux ou grands sei- royaume de Mauritanie existait, puis-
(*) Newtons chronol. of the empire of (*) Art de vérifier les dates, t. II , p. 458,
Egypt. and ofthe Greeks, p. 99. édit. de 1819.
5e Livraison. (Numidie et Mauritanie.) 5
G6 L'UNIVERS.
vice d'Ascalis, fils d'Iphtha, qu'ils de- et ses rois, comme ceux de la Numi- 67
vaient replacer sur le trône de Mauri- die, se partagèrent entre les factions
tanie. Quel était ce prétendant? l'his- selon leurs intérêts ou leurs sympa-
toire n'en sait pas davantage sur ce thies. L'an 46 avant notre ère , les
prince.
des fils C'était
de Bocchus. probablement
Sertorius,unautant
rival deux rois de Mauritanie s'appelaient
encore, au rapport de Dion Cassius,
pour occuper ses soldats que pour se Bocchus et Bogud. Étaient-ce les fils
venger des corsaires qui l'avaient dé- de Bocchus Ier, ou de nouveaux prin-
laissé, se déclara pour le parti con- ces du même nom ? C'est une question
traire, vainquit Ascalis, et l'assiégea qu'on riensne anciens
peutserésoudre, car les histo-
taisent absolument sur
dans la ville de Tingis, où il s'était re-
tiré. A cette nouvelle , Sylla envoya la Mauritanie pendant près de qua-
Paccianus au secours d'Ascalis : Ser- rante ans. Dion ne dit pas dans quelle
torius fut de nouveau vainqueur, tua portion de ce pays régnait chacun de
Paccianus, et obligea son armée à se ces deux princes, mais on peut inférer
réunir à lui. Puis il marcha contre des faits qui suivent que Bocchus était
Tingis , sonniers la prit d'assaut , et yUne
fit pri- roi de la Tingitane et Bogud de la Cé-
Ascalis et ses frères. an- sarienne. De là encore on peut con-
tique tradition, répandue chez les Mau- clure qu'ils n'étaient point les fils du
res, plaçait près de cette ville le tom- beau-père deJugurtha, puisque celui-
ci avait légué la Tingitane, a Bogud,
de la beau
véritéd'Antée.desSertorius, pour s'assurer
bruits extraordinaires et la Césarienne à Bocchus. Des deux
accrédités sur la grandeur de ce héros, princes qui régnaient
fit ouvrir son sépulcre, et y trouva , à que où César passa enenAfrique
46, à l'épo-
pour
ce qu'on dit, un corps de soixante cou- combattre Scipion et Juba, l'un se dé-
dées de haut. Frappé d'une terreur re- clara pour le vainqueur de Pharsale,
ligieuse ,ajoute Plutarque, il immola l'autre resta fidèle aux pompéiens.Tite-
des victimes, fit respectueusement re- Live etHirtius appellent Bogud l'allié
fermer letombeau , et par là il aug- de César, mais Appien désigne Boc-
menta beaucoup le respect et la véné- chus :l'accord des deux premiers au-
teurs est une raison suffisante pour
toute laration contrée, qu'on avaitet pour ce géant
confirma dans
les récits préférer leur témoignage. Donc Bogud
qu'on en faisait. combattit pour César; il se ligua avec
Vers le même temps (81 ) , Pompée, Sittius pour envahir les États de Juba.
après avoir vaincu Domitius jEnobar- Ils attaquèrent à l'improviste Cirta,
bus , dépouillait Hiertas ou Hiarbas, s'en emparèrent ainsi que de deux au-
roi d'une partieguerre
de la Numidie. tres places, et furent très-utiles à Cé-
aidé dans cette par BocchusIl fut
ou sar par cette diversion. Quelque temps
Bogud, l'un son
des fils
fils deGauda,
Bocchus Ier, qui après, Bogud fut attaqué dans son
fit marcher et envahit royaume par le jeune Cnéus Pompée,
lesINTERVENTION
États d'Hiertas DES(*). EOIS MAURES qui s'avança avec trente vaisseaux et
une petite armée sur les côtes de la
DANS LES TROUBLES CIVILS DEBOME, Mauritanie. Il crut surprendre la ville
AU TEMPS DE CESAB ET APRES SA
mort; ROIS DES MAURITANIES A
d'Ascurus (*) , où Bogud entretenait
une garnison. Les gens d'Ascurus
cette époque. — L'Afrique étant de-
venue un des principaux théâtres des (*) Les savants académiciens auteurs des
luttes acharnées engagées entre les Recherches sur l'Afrique septentrionale re-
trouvent Ascurus dans Askoure, petite ville
ambitieux qui se disputaient l'autorité située à dix lieues sud-ouest de Bone, entre
dans Rome, la Mauritanie fut entraî- ce port et Constantine, et qui , selon Shaw,
née àjouer un rôle dans ces guerres, est assise sur un monceau de ruines romai-
nes, p. 71. Ils appellent Bocchus le roi allié
(*) Voyez p.plus de César. Nous ne sommes pas en cela do
la Numidie, 47. haut, dans l'Hisloire de leur avis. Au reste, ce point est insoluble.
5.
68 L'UNIVERS.
Salda.inquiété
Dans les'commencements, une Histoire d'Assyrie, où, selon Ta-
fut par les incursions Juba des tien et Clément d'Alexandrie, il avait
Gétules. Ces turbulents sujets, ne vou- pris Bérose pour guide ; 3° des Anti-
lant pas d'un maître dont les qualités quités romaines, dont Etienne de By-
étaient des défauts à leurs yeux , pri- zance cite le premier et le deuxième
rent les armes, et envahirent les pro- volume ; 4° une Histoire des théâtres.
vinces soumises à Juba. En vain ce On en trouve des fragments dans Athé-
prince fit marcher ses troupes et ses née et Hésychius, ou il traite des dan-
généraux ; il éprouva de grandes pertes, ses, des instruments de musique et de
et Auguste fut contraint d'envoyer à leurs inventeurs ; 5° une Histoire de
son secours des légions romaines! Cor- la peinture et des peintres ; 6° des ou-
nélius Cossus, qui les commandait, fut vrages de grammaire et de botanique,
vainqueur, et prit le surnom de Gé- savoir, un Traité de la corruption de
tulicus (an 6 de notre ère). Du reste, la diction , un Traité des mètres , et
Juba eut un règne très -paisible. Il une description de la plante appelée
établit sa résidence à Jol , où le der- euphorbia ; 7° enfin un Traité sur les
nier Bocchus avait aussi demeuré ; il sources du Nil, et d'autres écrits dont
embellitcette ville de magnifiques cons- les titres même ne sont pas connus. Il
tructions, etpour complaire à Auguste est probable que ce prince avait plus
lui donna le nom de Cœsarea , qui de science que de critique, car dans un
de ses livres il raconte sérieusement
lui estjvsté. Les peuples qu'il rendit
heureux par ses soins et son amour de qu'un homme mort fut ressuscité par
la paix conçurent pour leur roi une la vertu de certaines
vive affection , et à sa mort ils le pla- et dans son Traité surplantes d'Arabie;
les sources du
cèrent au nombre de leurs dieux , NU, il faisait sortir ce fleuve d'une
comme le témoignent Lactance et Mi- montagne de Mauritanie voisine de
nutius Félix. Les étrangers même l'Océan , se fondant, dit AmmienMar-
partagèrent cette espèce de vénération cellin, sur ce que les poissons, les her-
pour Juba. Les habitants de Cartha- bes et les animaux de cet endroit res-
gène lui élevèrent un monument avec semblent àceux qu'on voit sur les
une inscription où ils s'exprimèrent bords du Nil (*). Juba mourut vers
en termes très -honorables pour ce l'anPTOLÉMÉE
23 de l'èreSUCCÈDE chrétienneA (**).
JUBA SON
prince;
vir; Athènes la villeluidedressa Cadix une
l'élutstatue.
duum-Il PÈRE ; IL EST ASSASSINÉ PAR CALI-
fut
et onroia pendant
retrouvé prèsdes d'un demi-siècle,
médailles datant gula (de 23 à l'an 40 de l'ère chré-
tienne). — Tibère, qui n'aimait pas à
de la quarante-cinquième année de son changer le gouvernement des provin-
règne. Après la mort de Cléopâtre il ces, laissa Ptolémée, (ils de Juba, sur
le trône de son père. Ptolémée aida les
épousa Glaphyre, veuve d'Alexandre, Romains à vaincre Tacfarinas. Alors,
fils d'Hérode. Josèphe est le seul his- dit Tacite, on renouvela un usage des
torien qui mentionne ce fait.
Juba fut surtout célèbre par son im- premiers temps : un sénateur fut dé-
mense savoir. Il composa un grand puté àPtolémée pour lui offrir le scep-
nombre d'ouvrages cités souvent dans tre d'ivoire, la toge brodée, ainsi que
l'antiquité, et dont il reste quelques (*) Voir la Dissertation de l'abbé Sévin ,
fragments épars çà et là dans les au- Académie des inser. et belles-lettres , t. IV,
teurs qui nous sont parvenus. L'abbé
Sévin a consacré à ce prince une no-
tice historique et littéraire où il dresse p. (**)
457.L'Art de vérifier les dates se trompe
en le faisant mourir l'an 17. En effet, Stra-
le catalogue de ses ouvrages. Juba bon composa le sixième livre de sa Géogra-
avait composé : 1° une Histoire d'Ara- phie la cinquième année du règne de Ti-
bie, destinée à instruire le jeune Caïus bère, c'est-à-dire l'an 19; et dans le dix-
César de l'état de cette contrée. Pline septième livre, qu'il écrivit plus tard, il dit
que le roi Juba venait de mourir.
en reproduit quelques passages ; 2°
71
NUMIDIE ET MAURITANIE.
des présents du sénat, et le saluer des Numides, il ne nous est parvenu qu'un
noms de roi , d'allié et d'ami. Ptolé- petit nombre de détails sur tous ces
mée régna paisiblement tant que Ti- pointspeuple.
d'un si intéressants dans l'histoire
bère vécut ; mais il fut victime des
fureurs de Caligula , dont sa circons- Que peut-on dire du pouvoir des rois
pection ne put le préserver. Caligula de la Mauritanie , de leur manière de
l'ayant fait venir à Rome, conçut con- gouverner, des lois, de la constitution
tre lui une jalousie violente. Un jour intérieure de leurs États? Sans doute
les Romains avaient reçu avec hon- les Bocchus, les Bogud, les Bocchar,
neur le fils de Juba, lorsque, revêtu devaient exercer un pouvoir à peu près
absolu , et régner , comme les souve-
théâtre.pourpre,
de la Caligula illes'était présenté au
fit assassiner. rains de la Numidie, en despotes sur
RÉVOLTE D'ÉDEMON. CAMPAGNES les tribus et les chefs qui les avaient
DE SUÉTONIUS PAULINUS ET DE SI- reconnus. Il paraît évident , d'après
DIUS GÉTA. REDUCTION DE LA MAU- quelques passages des anciens auteurs,
RITANIE EN PROVINCE ROMAINE ( 42 que beaucoup de tribus maures res-
de notre ère). — La famille de Massi- taient libres. Appien parle de Maures
nissa était éteinte ; le temps était venu autonomes, qui n'obéissaient point aux
d'effectuer définitivement la réunion rois qui résidaient à Tingis. Il y a tou-
du reste de l'Afrique à l'empire. Il ne jours eu , et il y a encore en Afrique ,
de ces tribus restées indépendantes
fallut que peu d'efforts pour obtenir et en dehors des empires constitués ,
ce résultat, que la politique avait pré-
paré depuis si longtemps. Ëdémon , af- pour lesquels ils sont un objet d'in-
franchi de Ptolémée , avait pris les ar- quiétudes continuelles. Les rois mau-
mes en Mauritanie pour venger son res faisaient souvent des excursions
maître; Claude, successeur de Cali- pour les réduire ou les tenir en res-
gula, envoya une armée qui dispersa pect. Malgré le goût de ces barbares
les troupes rassemblées par Édémon. africains pour une liberté absolue, le
L'empereur triompha des exploits de système monarchique prévalut tou-
ses lieutenants. L'année suivante, 41, jours ,en Mauritanie comme en Nu-
Suétonius Paulinus fit une campagne midie ;et il faut bien que le pouvoir
plus glorieuse, défit l'ennemi, ravagea de ces
voit dont roislesaitnoms été grand, puisqu'on
sont donnés en
à leurs
tout le pays jusqu'à l'Atlas, et pénétra
dans la Gétulie(*). Sidius Géta , qui royaumes ; « car pendant longtemps ,
prit le commandement après Paulinus, dit Pline, la Tingitane s'appela Bogu-
battit deux fois le Maure Salabus, et le diana, et la Césarienne, Mauritanie de
poursuivit jusque sur les confins du Bocchus. »
grand désert. La grande divinité de ces peuples
(42). A partir de cette époque , la était la mer ou le dieu de la mer. Us
Mauritanie fut réduite en province ro- rendaient donc un culte à Neptune et
maine. La division en Tingitane et a sa femme Neptys, et les noms de ces
en Césarienne fut fixée d'une manière deux divinités signifiaient roi et reine.
certaine ; et Claude , après avoir fait Plusieurs savants ont rapproché le
pacifier le pays , en donna le gouver- nom de Neptune de celui de Nephthu-
nement àdeux chevaliers romains. him, qui désigne dans la Genèse une
PARTICULARITÉS SUR LES MAURES. partie des descendants de Mizraïm, fils
GOUVERNEMENT, RELIGION, LANGUE, de Cham , et qui signifie le peuple de
MOEURS, COUTUMES, ARTS, SCIENCES. la côte maritime. Chez les Egyptiens,
— Pour les Maures , comme pour les la mer s'appelle Nephthys. Ainsi les
Maures, comme tous les Libyens, ado-
(*) Suétonius Paulinus avait écrit l'his-
rèrent la vaste mer qui bordait leurs
toire de ses expéditions en Mauritanie. Il rivages , et du sein de laquelle ils pa-
ne reste rien de cet ouvrage, dont la perte raissaient sortir. Ils donnèrent aussi
est si regrettable. les attributs de la divinité aux héros
72 L'UNIVERS.
de leur nation ; ainsi Neptune fut di- Su'ils portaient constamment leurs
vinisé, etAntée et Juba, dans une épo- èches avec eux, pour se défendre des
que bien éloignée des temps fabuleux. attaques des bêtes féroces dont ils
Sénèque affirme qu'à l'imitation des étaient toujours menacés. Horace parle
Phéniciens et des Carthaginois , les quelque part de leurs traits empoison-
Maures offraient à leurs dieux des sa- nés ils
: s'en servaient plutôt contre les
crifices humains. L'auteur des Diony- bats. monstres du désert que dans les com-
siaquesNonnus,
, prétend qu'ils ado- Les Maures de distinction déployaient
raient Bacchus. Enfin Pomponius Mêla
parle de la vénération particulière un grand luxe dans leurs vêtements ,
qu'ils avaient pour le bouclier d'Antée. qu'ils ornaient d'or et d'argent. Ils
On ne nous dit pas si le langage des poussaient à un degré extrême le soin
Maures différait de celui des Numides. de leur personne. Us entretenaientavec
Ces deux peuples devaient parler deux coquetterie la blancheur de leurs dents,
dialectes dérivés d'une même origine. la propreté de leurs ongles ; leur barbe
Us avaient un alphabet semblable. Si était longue et bien peignée. Quand
la langue actuelle des Kabyles est dé- ils se rencontraient, ils prenaient garde
rivée de l'ancien idiome des Numides de s'approcher de trop près , de peur
et des Maures , on pourrait remonter de déranger les boucles de leurs che-
à l'origine probable de ces langues de veux. Les figures des médailles afri-
l'Afrique du nord , et l'on serait vrai- la beauté caines sont en effet remarquables par
semblablement amené à placer leur de la barbe et de la cheve-
lure. Les Maures de la classe inférieure
berceau en Orient. Mais il n'appar-
tient qu'aux orientalistes de traiter n'avaient qu'un vêtement, qu'ils por-
ces questions (*). taienthivercommeété. La plupartd'en-
On peut appliquer aux Maures tout tre eux couchaient la nuit par terre, ga-
ce qui a été dit touchant les chevaux rantis seulement par leurs habits. Le
et les cavaliers numides. C'était, de voyageur Shaw dit la même chose des
part et d'autre, même manière de Kabyles et des Arabes , qui se servent
monter à cheval , même vigueur et de leurs manteaux comme de lit et de
couverture. Les Maures , en général ,
même agilité chez l'homme et le cour-
sier. L'infanterie maure, dans les com- n'aimaient point le travail , s'adon-
bats , se servait de boucliers faits de naient peu à l'agriculture , excepté
cuir d'éléphant, et était vêtue de dans nitquelques cantons. Strabon four-
à ce sujet des détails que nous
peaux de lion, de léopard et d'ours,
qu'elle portait jour et nuit. Les cava- avonstion cités plus haut, dans la descrip-
de la Mauritanie. Comme les Nu-
liers étaient armés de lances courtes ,
et avaient des boucliers faits aussi de mides, ils étaient très-sobres, vivaient
peaux de bêtes sauvages. Leur vête- degrains, de légumes, qu'ils mangeaient
ment ressemblait à celui du fantassin. souvent verts , sans aucune prépara-
Tous étaient fort habiles à se servir de tion. Us n'avaient, pour la plupart, ni
leurs boucliers. Hyginus rapporte que huile ni vin , ne sachant ni cultiver
les Maures , ainsi que tous les autres l'olivier et la vigne, ni en préparer les
Africains, combattaient avec des mas- produits. Leurs demeures étaient des
tentes ou mapalia. Ainsi le genre de
sues, jusqu'à ce que Bélus, fils de Nep-
tune, leur eût enseigné à se servir de vie de la plus grande partie de la na-
tion ne différait en rien de celui des
l'épée.
bons archers. Les Maures Hérodienétaient et Éliende disent
très- nomades.
La polygamie était usitée chez eux
comme chez les Numides , et cela bien
(*) Le docteur Shaw a donné plusieurs
mots du vocabulaire africain , et plusieurs longtemps après la conquête romaine.
d'entre eux trouvent leur équivalent dans On lit dans Procope le passage sui-
des mots arabes ou hébreux, presque sem- vant : « Vous nous menacez , disaient
blables et ayant la même signification. les Maures à Salomon, de tuer nos en-
73
NUMIDIE ET MAURITANIE.
fants, livrés par nous en otages. Ro- est certain qu'une partie des Maures
mains, vous tenez à votre progéniture, fut initiée , dès les temps les plus an-
parce que , dans vos mœurs , dans vo- ciens ,au commerce , à la navigation,
tre religion , vous ne pouvez avoir et à toutes les connaissances qui les
qu'une femme : nos lois nous en per- accompagnent. Si Pomponius Mêla re-
mettent cinquante, nous ne craignons présente laMauritanie comme un pays
pas de voir notre race s'éteindre. » Ce pauvre et sans importance, Strabon en
langage exprime parfaitement les con- parle comme d'un royaume riche et
séquences sociales de la polygamie : opulent. Cela prouve que ces écrivains
un tel usage empêche la formation de ne l'ont envisagé que partiellement, et
la vie de famille, et le développement qu'il y avait dans cette terre un grand
des affections qui la constituent. contraste de barbarie et de civilisa-
Tous les Maures n'étaient pas étran- tion, de misère et de richesse. Toute-
gers aux arts et aux connaissances de fois, Strabon est plus près de la vérité.
la civilisation. Les villes étaient plei- Les anciennes fables sur les pommes
nes d'une population industrieuse et d'or destains Hespérides,
sur le commerce les rapports cer- ,
des Maures
commerçante qui dut être formée de
bonne heure par le contact des peuples l'importance acquise par les derniers
navigateurs, et surtout des Phéniciens. rois de la Mauritanie, Bocchus, Bogud,
Cette partie de la nation mauritanienne Juba, montrent assez que ce royaume
s'enrichit par le commerce. Elle le possédait de grandes ressources, et
faisait par mer avec l'Espagne, l'Ita- que cette nouvelle et dernière acquisi-
lie ,la Grèce , et même l'Orient ; par tion des Romains n'était pas une des
terre, avec les tribus de l'intérieur de moindres provinces de leur vaste em-
l'Afrique (*). Onomacrite, l'auteur des
Argonautiques, attribuées aussi à Or- TROISIÈME PARTIE.
phée, assure qu'ils formèrent un éta- pire.
blis ement l'entrée
à de la Colchide. NUMIDIE ET MAURITANIE SOUS L'AD-
C'est à Neptune et à sa race que les MINISTRATION IMPÉRIALE.
traditions
la civilisation rapportent dans les l'introduction de
villes de la Mau- Les deux premières parties de cette
ritanie, et le développement primitif histoire ont été consacrées au récit de
des sciences. Pline , Cicéron , dans ses tout ce qui a rapport à la Numidie et
Tusculanes , disent qu'Atlas inventa à la Mauritanie, tant qu'elles restèrent
l'astrologie et la doctrine de la sphère. indépendantes. La troisième partie
Diodore explique par cette tradition la traitera de l'état de ces contrées sous
fable qui place les cieux sur les épaules l'administration impériale; des chan-
d'Atlas. Il rapporte aussi qu'Atlas en- gements quiy furent introduits alors;
seigna toutes ces choses à Hercule, et des soulèvements dont elles furent le
que ce héros rapporta ces connaissan- théâtre, et de la part qu'elles prirent
ces dans la Grèce. Singulière asser- aux affaires générales du monde ro-
tion ,qui fait des Grecs les disciples main.
des barbares africains, et qui retourne LA NUMIDIE SOUS SALLUSTE , SEX-
d'Occident en Orient la marche de la TIUS, LÉPIDUS; AUGUSTE PARTAGE
civilisation humaine ! Mais les Grecs LES PROVINCES AVEC LE SÉNAT ;
ont tant erré sur ces anciennes choses! JUBA II : LA NUMIDIE , PROVINCE
Selon quelques auteurs ce fut Nep- sénatoriale. — César, après la vic-
tune, suivant d'autres ce fut Atlas qui, toire de Tapsus, ne réduisit en pro-
le premier , appliqua des voiles aux vince qu'une partie de la Numidie,
grands navires , et qui mit en mer la le reste ayant été partagé entre Bo-
première flotte. Quoi qu'il en soit , il gud et Sittius (46 av. Jésus-Christ).
Crispus Sallustius , l'historien , fut le
premier gouverneur de cette province
t. (*)
IV. Heeren, Idées sur le commerce , etc., de la Numidie proprement dite, à la-
74 L'UNIVERS.
quelle était jointe la Byzacène que ché d'Octave le sacrifia; et toute l'A-
Juba avait possédée ; on l'appelait aussi frique romaine, réunie et étendue par
Afrique nouvelle, par opposition à ses soins, fut donnée en gouverne-
Y Afrique ancienne ou Zeugitane , for- mentnistraauen triumvir Lépidus, qui l'admi-
mée du territoire de Carthage. Sal- maître absolu pendant quatre
luste traita la Numidie comme un pays ans. En 36 (avant l'ère chrétienne),
de conquête : il y laissa un nom odieux, Lépidus, après avoir contribué à la
et il s'y déshonora. Sa tâche était dif- défaite de Sextus Pompée , fut dé-
ficile, ilest vrai: il fallait des rigueurs pouillé par Octave de son gouverne-
pour contenir une terre récemment ment, de ses dignités , de son armée
soumise, où Rome n'avait ni colonies, et de sa flotte. Cette chute de Lépidus
ni établissements, où la civilisation était le résultat de sa nullité person-
avait à peine pénétré. César ferma les nel e ;elle n'était pas causée par la
yeux sur la conduite de Salluste; peut- faiblesse de ses ressources, car il avait
être même l'avait- il autorisé à tout autant de légions qu'Octave, et autant
faire. Salluste fut remplacé par Sex- de vaisseaux. Sans doute l'Afrique, où
tius, qui administra le pays de l'an 44 on l'avait relégué, le plaçait dans une
à J'an 40 avant notre ère. La Numidie grande
de ses collègues; infériorité politique mais il y àtrouvait
l'égard
n'ayant plus ses rois était plus que ja-
mais engagée dans les dissensions ci- tout autant de moyens matériels d'ac-
viles de Rome : aussi fut-elle violem- tion que ceux-ci dans leurs provinces,
ment agitée par tous les événements et un autre homme aurait su en pro-
qui éclatèrent à la mort de César. Sex- fiter.
tius, partisan de ce dernier, prétendit Octave disposa du gouvernement
dépouiller Cornificius, gouverneur de des provinces d'Afrique après les avoir
l'Afrique ancienne. Cornificius prévint enlevées à Lépidus ; il les confia à Sta-
son attaque, et vint assiéger Cirta, ca- tilius Taurus, avec le titre de procon-
pitale de la nouvelle province. Mais, sul ;et, en 35 , Taurus obtint les hon-
soutenu par le Numide Arabion , dont neurs du triomphe pour quelques
il a été fait mention plus haut, et par exploits contre les tribus insoumises.
les partisans de Sittius, Sextius déli- L'an 27, Auguste, devenu définiti-
vra Cirta , et, après avoir vaincu Cor- vement maître de l'empire, partagea
nificius, leréduisit à se donner la l'administration des provinces avec le
mort. Quelque temps après, il eut à sénat, se réservant pour lui les postes
défendre sa province contre un nou- les plus périlleux, mais où étaient con-
veau gouverneur, Phangon, qui , par centrées toutes les forces militaires.
le crédit d'Octave, venait d'être nommé L'Afrique fut donnée au sénat. Pen-
à la place de Sextius. Phangon eut le dant quelque temps , la Numidie fut
même sort que Cornificius: vaincu, reconstituée en royaume en faveur de
abandonné de tous les siens, il se tua Juba; mais quand celui-ci eut été placé
de sa propre main. Sextius, irrité sur le trône des Mauritanies , la Nu-
contre Octave, se déclara dès lors par- midie fut ajoutée aux provinces séna-
tisan d'Antoine. Il possédait les deux toriales. Alors cette province, com-
provinces romaines en Afrique. Par prise entre l'Ampsaga et la Tusca ,
une noire ingratitude envers Arabion, commençait à se façonner au joug;
qui l'avait encore puissamment aidé des Romains
établis en grand et des Italiens
nombre ; less'ycolonies
étaient
clans la guerre contre Phangon , Sex-
tius l'attira dans un piège, et le fit s'y multiplièrent, la transformation
assassiner. Le territoire d'Arabion , de ce pays barbare commençait. En
qui comprenait presque tout l'ancien peu de temps , l'Afrique devint sem-
pays des Massésyliens , fut ajouté aux blable àl'Italie, et le séjour en était
deux provinces romaines. Mais Sex- également interdit aux criminels d'État
tius ne jouit pas longtemps du fruit que multirjlia bientôt la sombre tyran-
nie de Tibère.
de son crime. Antoine s'étant rappro-
75
NUMIDIE ET MAURITANIE.
SOULEVEMENT DE TACFARINAS ; IL mes, eu égard à la multitude des Nu-
SE LIGUE AVEC MAZIPPA ; IL EST mides et des Maures; mais on évitait
BATTU PAR FURIUS CAMILLUS (17 de surtout d'inspirer à ces barbares une
notre ère). — Dès la troisième année crainte qui leur eût fait éluder nos at-
du règnela Numidie
de ce prince taques; en leur laissant espérer la
surtout furent, l'Afrique
agitées paret victoire, on réussit à les vaincre. La
la révolte d'un audacieux aventurier, légion fut placée au centre, les co-
qui, pendant longtemps, tint en échec hortes légères et deux ailes de cavale-
toutes les forces que Rome entrete- rie sur les flancs. Tacfarinas ne refusa
nait dans cette province. Il s'appelait pas le combat. Les Numides furent
Tacfarinas. Tacite a raconté cette défaits ; et la gloire des armes , après
guerre dans ses Annales. Il n'y a rien de longues années, rentra dans la mai-
à ajouter, rien à retrancher dans son- son des Furius;... encore ce Furius
récit : nous le reproduirons ici tout dont nous parlons n'était-il pas re-
entier. « Tacfarinas était un Numide gardé comme un grand capitaine. Ti-
déserteur des armées romaines , où il bère en fit plus volontiers , devant le
avait servi comme auxiliaire (*). II sénat, l'éloge
conscrits luidedécernèrent
ses exploits. les
Les orne-
pères
réunit d'abord , pour le vol et le bu- ments du triomphe ; distinction qui ,
tin, des bandes vagabondes, accoutu-
mées au brigandage; bientôt il sut les grâce au peu d'éclat de sa vie , ne lui
discipliner, ïes ranger sous le drapeau, devint pas funeste. »
les distribuer en compagnies; enfin, TACFARINAS ASSIEGEUNE COHORTE
vers les fuyards, les arrête, crie aux maux qu'elle cause, mais pour la gloire
porte-enseignes
« le soldat romain« qu'il tourneest honteux
le dos à que
une que d'autres pouvaient y acquérir. La
« bande de brigands et de déserteurs. » Numidie appartenait au'sénat : la gra-
vité des événements qui s'y passaient,
Couvert de blessures, ayant un œil l'importance de toute la province, dé-
crevé, il n'en fait pas moins face à terminèrent l'empereur à en disposer
l'ennemi, et combat jusqu'à ce qu'il lui-même. Il opéra ce changement à
tombe mort, abandonné des siens. sa manière ordinaire, par la ruse et la
« A la nouvelle de cet échec, L. dissimulation. Dans une séance du
A pronius, successeur de Camillus, plus sénat, il lut des lettres d'Afrique qui
indigné de la honte des Romains qu'a- annonçaient une nouvelle apparition
larmé du succès de l'ennemi, fit un de Tacfarinas, et il ajouta qu'il impor-
exemple rare dans ces temps-là, et tait que le sénat choisît un proconsul
d'une sévérité antique : il décima la habile et brave, capable de terminer
cohorte infâme, et tous ceux que dé- une telle guerre. Un flatteur, préve-
signa lesort expirèrent sous la verge. nant les pensées de Tibère, s'écria
Cet acte de rigueur fut si efficace, qu'il fallait se garder de choisir Lépi-
qu'un corps de cinq cents vétérans dus. Tibère le craignait, précisément
défit seul les mêmes troupes de Tac- parce qu'il avait toutes ces vertus qui
farinas devant le fort de Thala (*), désespèrent un tyran. Le sénat, péné-
qu'elles venaient attaquer. Dans cette trant et lâche, comprit le vœu de
action, Helvius Rufus, simple soldat, Tibère. On décida que César choisirait
eut la gloire de sauver un citoyen. lui-même le gouverneur d'Afrique. Ti-
A pronius lui donna la pique et le col- bère, qui ne se démasquait jamais,
lier. Comme proconsul , il pouvait désigna deux candidats, Lépidus et
ajouter la couronne civique : il laissa Junius Blésus. Lépidus devait refuser,
ce mérite au prince, qui s'en plaignit son salut en dépendait : il s'excusa sur
plus qu'il n'en fut offensé. ïacfarinas sa santé. Blésus, qui était oncle de
voyant ses Numides découragés et re- Séjan, fut donc nommé au proconsulat
d'Afrique.
butés des sièges, court de nouveau la
TACFARINAS DEMANDE DES TER-
campagne,
et bientôt revenant fuyant dèsà la
qu'on le presse,
charge. Tant RES A L'EMPEREUR. GLORIEUSE CAM-
PAGNE DE BLÉSUS, QUI NEGLIGE DE
qu'il suivit ce plan, il se joua des ef-
forts de l'armée romaine, qui se fati- l'accabler tout a fait (20 à 22 de
guait vainement à le poursuivre. Lors- notre ère). — Au reste, Blésus n'était
qu'il eut tourné sa course devers pas indigne de ce choix. « Tacfarinas,
maritimes, embarrassé son lesbutin,
pays
souvent chassé par nos troupes, dit
il lui fallut s'assujettir à des campe- Tacite (*), et toujours revenu du fond
ments fixes. Alors Apronius Césianus, de l'Afrique avec de nouvelles forces ,
envoyé par son père avec de la cava- avait
lerie et des cohortes auxiliaires, ren- envoyerenfin pousséunel'insolence
à César jusqu'à
ambassade, qui
forcées des légionnaires les plus agiles, demandait un établissement pour lui
battit les Numides, et les rechassa
dans leurs déserts (18 à 20). » et pour interminable.
guerre son armée, ou Onmenaçait
rapported'une
que
TIBÈRE DISPOSE DU PROCONSULAT
jamais insulte à l'empereur et au peu-
d'afrique. — Tacfarinas ne tarda pas ple romain n'indigna Tibère comme
à recommencer ses incursions. Déjà de voir un déserteur et un brigand
Tibère ressentait une inquiétude sé- s'ériger en puissance ennemie. « Il n'a-
rieuse de la prolongation de cette lutte. « vait pas été donné à Spartacus lui-
Il redoutait la guerre, non pour les « même, lorsqu'après la défaite de tant
« d'armées consulaires il saccageait
(*) Thala, souvent confondu avec Telepte, o impunément l'Italie, lorsque les gran-
ne correspond pas à cette ville, puisqu'elle
(*) Tacit., Ann., liv. nr, c. 73.
NUMIDIE ET MAURITANIE. 77
« des guerres de Sertorius et de Mithri- rière lui des ennemis prêts à recom-
mencer la lutte. Tibère la considéra
« date ébranlaient la république, d'ob-
« tenir un traité qui lui garantît le cependant comme terminée, et permit
«pardon; et l'empire, au faîte de la que Blésus fût salué par ses légions
« puissance, se rachèterait par la paix, du nom d'imperator. Nul n'obtint plus
« et par des concessions de territoire, ce titre après lui (22). »
« des brigandages de Tacfarinas! » Il NOUVELLES COURSES DE TACFART-
chargea
ceux qui Blésus d'offrir
mettraient bas l'impunité
les armes,à
NAS; IL ASSIEGE THUBUSQUE*, IL EST
SURPRIS PAR DOLABELLA, ET SE
mais de s'emparer du chef à quelque donne la mort (24 de notre ère). —
prix que ce fut. Ce ne fut que deux ans après que
« Beaucoup de rebelles profitèrent l'Afrique romaine fut délivrée de Tac-
de l'amnistie. Bientôt, aux ruses du farinas. «Jusqu'alors nos généraux,
Numide on opposa le genre de guerre contents d'obtenir les ornements du
dont il donnait l'exemple. Comme ses triomphe, laissaient reposer l'ennemi
troupes, moins fortes que les nôtres, dès qu'ils croyaient les avoir méri-
et meilleures pour les surprises que tés (*). Déjà trois statues couronnées
pour le combat, couraient par bandes de lauriers s'élevaient dans Rome, et
détachées, attaquant tour à tour ou Tacfarinas mettait encore l'Afrique au
éludant les attaques et dressant des pillage. Il s'était accru du secours des
embuscades,
en marche dansl'armée romaine seet mit
trois directions sur Maures, qui, abandonnés par la jeu-
nesse insouciante de Ptolémée, fils de
trois colonnes. Le lieutenant Corné- Juba, au gouvernement de ses affran-
lius Scipion ferma les passages par où chis, s'étaient soustraits par la guerre
l'ennemi venait piller le pays de Lep- à la honte d'avoir des esclaves pour
tis, et se sauvait ensuite chez les Ga- maîtres. Receleur de son butin et com-
ramantes. Du côté opposé, le fils de pagnon de ses ravages, le roi des Ga-
Blésus alla couvrir les bourgades dé- ramantes, sans marcher avec une ar-
pendantes deCirta. Au milieu, le gé- mée, envoyait des troupes légères, que
néral lui-même, aveclieux
un corps d'élite, la renommée grossissait en proportion
établissait dans les convenables
de l'éloignement. Du sein même de la
des postes fortifiés; de sorte que les province, tous les indigents, tous les
barbares, serrés, enveloppés de toutes hommes d'une humeur turbulente,
parts, ne faisaient pas un mouvement couraient sans obstacle sous les dra-
sans trouver des Romains en face, sur peaux du Numide. En effet, Tibère,
leurs flancs, souvent même sur leurs
derrières. Beaucoup furent tués ainsi, croyant l'Afrique purgée d'ennemis
parles victoires de Blésus, en avait rap-
ou faits prisonniers. Alors Blésus sub- pelé la neuvième légion; et le procon-
divisa ses trois corps en plusieurs sul de cette année, P. Dolabella, n'a-
détachements, dont il donna la con- vait osé la retenir : il regrettait les
duite àdes centurions d'une valeur ordres de César encore plus que les
éprouvée; et, l'été fini, au lieu de re- périls de la guerre.
tirer ses troupes, suivant la coutume, « Cependant Tacfarinas ayant semé
et de les mettre en quartiers d'hiver le bruit que la puissance romaine, en-
dans notre ancienne province, il les tamée déjà par d'autres nations, se
distribua dans des forts qui cernaient retirait peu à peu de l'Afrique, et
pour ainsi dire le théâtre de la guerre. qu'on envelopperait facilement le reste
De là , envoyant à la poursuite de Tac- des nôtres, si tous ceux qui préféraient
farinas des coureurs qui connaissaient la liberté à l'esclavage voulaient fon-
les routes de ces déserts, il le chassait dre sur eux , augmente ses forces,
de retraite en retraite. Il ne revint
campe devant Thubusque(**),et inves-
qu'après s'être emparé du frère de ce
chef; et ce fut encore trop tôt pour (*)Tacit., Ann., 1. iv, c. a3.
le bien des alliés, puisqu'il laissait der- (**) Thubusque est, selon Mannert (page
78 L'UNIVERS
tit cette place. Aussitôt Dolabella nul ordre, nul mouvement calculé ; ils
rassemble ce qu'il a de soldats; et, se laissent entraîner, égorger, pren-
grâce à la terreur du nom romain, dre comme des troupeaux. Irrité par
jointe à la faiblesse des Numides en le souvenir de ses fatigues, et joyeux
présence de l'infanterie , il chasse les d'une rencontre désirée tant de fois
assiégeants par sa seule approche, for- et tant de fois éludée , le soldat s'eni-
tifie les postes avantageux, et fait tran- vrait dé vengeance et de sang. On fit
cher la tête à quelques chefs musa* dire dans, connu les rangs
lans qui préparaient une défection ; farinas de de touss'attacher
après tantà Tac-
de
puis, convaincu, par l'expérience de combats ; car si le chef ne périssait,
plusieurs la guerre n'aurait jamais de fin; mais
pesante etcampagnes marchant ,en qu'une
un seul armée
corps le Numide, voyant ses gardes renver-
n'atteindrait jamais des bandes vaga- sés, son fils prisonnier, les Romains
bondes, ilappelle le roi Ptolémée avec débordant de toutes parts , se préci-
ses partisans, et forme quatre divi- pite au milieu des traits, et se dérobe
à des sions,tribuns. qu'il donneDesà desofliciers
lieutenants ou
maures à la captivité par une mort qu'il fit
payer cher. La guerre finit avec lui. »
choisis conduisaient au butin des trou- Ainsi périt Tacfarinas, aussi héroï-
pes légères; lui-même dirigeait tous quement que Spartacus , et après une
les mouvements. lutte glorieuse contre Rome. Le roi
« Bientôt on apprit que les Numi- des Garamantes fit sa soumission , et
des, réunis près des ruines d'un fort Ptolémée fut récompensé par le sénat.
nommé Auzéa , qu'ils avaient brûlé L'histoire de Tacfarinas méritait d'au-
autrefois , venaient d'y dresser leurs tant plus d'être rapportée entièrement,
huttes et de s'y établir, se fiant sur la que ce chef semble revivre de nos
bonté de cette position, tout entourée jours dans le prince africain qui op-
de vastes forêts. A l'instant des es- pose en ce moment aux armes de la
cadrons et des cohortes, libres de France une résistance si acharnée. L'a-
tout bagage, et sans savoir où on les nalogie est frappante : la tactique et
mène , courent à pas précipités. Au les ruses du chef actuel des tribus
jour naissant, le son des trompettes et africaines sont les mêmes que celles du
un cri effroyable les annonçaient aux Numide. Or, si les Romains, après
barbares à moitié endormis' Les che- une occupation déjà longue , employè-
vaux des Numides étaient attachés, ou rent sept années à réduire ce rebelle,
erraient dans les pâturages. Du côté faut-il s'étonner si nous n'avons pu
des Romains , tout était prêt pour le encore, aux débuts de notre établisse-
combat , les rangs de l'infanterie ser- ment dans ce pays, dompter un ennemi
rés, la cavalerie à son poste. Chez les dont les ressources sont, sans contre-
ennemis, rien de prévu : point d'armes, dit, plus considérables que celles de
Tacfarinas , et qui , de plus , agit sur
5ig), la même ville queTubusuptus, placée des populations encore fanatiques,
par l'itinéraire d'Antonin à 28 milles de non - seulement par l'autorité mili-
Saldae, entre ce port et Silifis. C'était une taire, mais par l'influence plus grande
des principales villes de l'intérieur. La carte de la religion?
de Shaw nomme cet endroit Burgh. On CALIGULA SÉPARE EN AFRIQUE
voit, comme le remarquent les auteurs des
L'ADMINISTRATION CIVILE DE l'ad-
Recherches sur l'Afrique septentrionale, ministration militaire. — Quoique
que le théâtre de cette guerre était la partie
maritime de la province de Sitifis; Tacfa- Tacfarinas fût abattu , l'Afrique con-
rinas porta toujours ses efforts sur ce point. tinuait toujours à donner du souci
Mais sa retraite était au sud ; et quand on aux empereurs. Les nomades ne se
parvenait à le chasser, il fallait guerroyer fixaient pas encore , et l'intérieur du
vers le désert, et loin à l'est vers la Tripo- pays était éternellement agité. On
litaine, puisque les Garamantes ses alliés avait tout à craindre d'une province si
habitaient la région actuelle du Fezzan. turbulente, où , comme en Egypte, la
79
NUMIDIE ET MAURITANIE.
rébellion séjournait dans le peuple, changement est rapporté aux temps de
et pouvait facilement entraîner les Dioclétien ; mais il n'en est fait men-
gouverneurs. Et cependant il impor- tion la première fois que dans la no-
tait de maintenir ce pays riche et po-
ÉTATde l'empire
tice DE LA d'Occident.
NUMIDIE ET DE LA
puleux, qui nourrissait Rome et l'Ita- MAURITANIE SOUS LES ANTONINS ;
lie. AussitrationCaligula sépara
militaire dans les l'adminis-
provinces INCURSIONS DES GETULES ET DES
d'Afrique.
commandement des armées , et plus
Le proconsul n'eut , là oùle MAURES ; CHANGEMENTS DANS L'AD-
MINISTRATION.—L'histoire de la Nu-
il y avait deux pouvoirs et deux hom- midie et de la Mauritanie, dans les
mes, l'union pour la révolte devenait deux premiers
résume siècles
en deux faitsde : l'empire, efforts desse
plus difficile. Bien plus, les dissensions
des deux chefs, toujours en désaccord princes pour acclimater sur le sol
sur les limites de leurs attributions, africain la civilisation romaine; dé-
fense des frontières contre les barba-
étaient pour l'empereur une nouvelle
cause de sécurité. Caligula avait pris res du sud, qui les franchissaient fré-
cette mesure au moment où il confiait quemment. Déjà, au temps de Pline,
le proconsulat d'Afrique à M. Silanus, l'état social des anciens royaumes
dont le rang et l'illustration étaient de Juba et de Bocchus était grande-
bien propres à lui inspirer des défian- ment modifié. La Mauritanie césa-
ces. Cette disposition fut maintenue, rienne renfermait au moins treize co-
et appliquée plus tard à toutes les au- lonies romaines , trois municipes li-
tres provinces. Ce fut une des grandes bres deux
, colonies en possession du
modifications introduites par l'empire droit latin, et une jouissant du droit
dans l'ancienne administration répu- italique. Toutes les autres villes étaient
blicaine. ^ des villes libres ou tributaires. La Nu-
LA MAURITANIE DEVIENT PRO- midie avait douze colonies romaines
VINCE romaine (42 de notre ère). — ou italiques, cinq municipes, et trente
Le règne de Claude complète la con- et une villes libres : les autres étaient
quête de l'Afrique
effectuant la réunion septentrionale
de la Mauritanie. , en soumises au tribut (*).
Les incursions des Musulans, des
Les deux nouvelles provinces formées Gétules et des autres tribus du désert,
alors , la Tingitane et la Césarienne, avaient commencé dès le principat
furent au nombre de celles qui dé- d'Auguste , et rarement les posses-
sions romaines furent en repos par le
entretenir pendaiedes
nt del'empereur, car il y fallait
forces considérables. voisinage de ces barbares. On manque
Chacune était gouvernée par un pro- de documents sur les actes d'hostili-
curateur. Elles étaient séparées l'une tés qui avaient lieu continuellement
de l'autre par le fleuve Mulucha. Plus de part et d'autre. Seulement, on ren-
tard, à une époque où les empereurs contre par intervalles, dans les histo-
adoptèrent le système de subdiviser riens, de rares et courtes indications.
les provinces, la Mauritanie césarienne
fut partagée en deux régions. Tout ce Ainsi on sait, par le biographe d'A-
sius Quiétus drien, Spartianusayant, qu'un soulevécertain Lu-
plusieurs
qui était à l'ouest du port de Saldae
jusqu'au Mulucha, conserva le nom de tribus de la Mauritanie, dont il avait
Cxsariensis : depuis Saldae jusqu'à le commandement, l'empereur chargea
l'Ampsaga , on créa la province de Martius Turbo de pacifier la province.
Mauritania Sitifensis, ainsi appelée Ce général, formé àoùl'école
de Sitifis (Sétif), sa capitale (*). Ce quitta la Palestine, il avaitdeTrajan,
réprimé
la turbulence des Juifs, et calma l'agi-
(*) Sitifis (Sétif) n'avait point eu d'im- \int très-prospère; des routes y aboutis-
portance sous les rois numides ; c'était une saient de toutes les directions.
ville de l'intérieur. Les empereurs en firent
un centre considérable , l'agriculture y de- (*) Recherches sur l'Afrique sept., p. 14,
80 L'UMVERS.
tation de la Mauritanie. Une statue que et dans la Bétique. En effet, dans
fut élevée en son honneur. cette province sénatoriale, nous voyons
Antonin força aussi les Maures rebel- un P. Tullius Varro procurateur de la
les àdemander la paix. Voici comment Bétique, c'est-à-dire gouverneur de la
Pausanias parle de cette guerre : « L'em- Bétique au nom de l'empereur. Dans
pire, dit-il, fut attaqué parles Maures, ces inscriptions, où l'ordre de préémi-
peuplade la plus considérable des Li- nence des titres est très-régulier, le
byens indépendants. Ces Maures, noma- mot procurateur succède à celui de
des comme les Scythes, sont bien plus légat propréteur, et précède celui de
difficiles à vaincre que ces peuples, préteur. Or, Capitolin nous apprend
puisqu'ils voyagent a cheval , eux et que Marc-Aurèle fut contraint, par
leurs femmes , et non sur des cha- les nécessités de la guerre, de changer
riots. Antonin les ayant chassés de la hiérarchie établie pour les provin-
toute la partie del'Afrique soumise aux ces.
Romains, les repoussa aux extrémités « De même l'Afrique, provinceavait
sé-
de la Libye, dans le mont Atlas, et natoriale dont ce même Varron
sur les peuples voisins de cette chaîne.» été proconsul, s'était révoltée plus
Sous le règne de Marc-Aurèle, les tard, ou avait été attaquée par les
dangers de l'empire devinrent plus Maures, puisque Marc-Aurèle y envoya
graves. Les barbares, comprenant que des troupes et la rendit province im-
ce grand corps s'affaiblissait enfin, l'at-
taquèrent avec un acharnement in- plus dèspérialelelors
: gouverneur que le titreDasumius n'eut
seul de légat,
croyable. Depuis ce temps, Rome ne ou celui de légat propréteur.» Ainsi,
songea plus à envahir, s'estimant heu- le danger de l'empire et l'intérêt public
reuse de pouvoir préserver ses fron- forcèrent Marc-Aurèle à compléter ces
tières. Les Maures (et par ce mot il usurpation^sur les droits du sénat, que
faut entendre les peuples indomptés les premiers empereurs avaient com-
voisins de l'Atlas) ne furent pas les mencées par défiance et par tyrannie.
moins ardents ni les moins dangereux. L'AFRIQUE SOUS LES SÉVÈRES ; PRO-
Julius Capitolinus, dans la vie de GRÈS DE LA civilisation; ÉDIT DE
Marc-Aurèle, nous révèle sur leurs caracalla. — Cependant, à mesure
tentatives un fait important et cu- que la civilisation romaine se répan-
rieux :« Ni les garnisons romaines, ni dait dans l'Afrique occidentale, cette
le détroit de Gadès, n'empêchèrent les contrée exerçait une influence de plus
hordes de l'Atlas de prendre l'offen- en plus grande sur les destinées généra-
sive, de pénétrer en Europe, et de ra- les de l'empire. Au commencement du
troisième siècle de notre ère, l'homme
Tel estvagerdu une grande
moins partie le sensde qui
l'Espagne.
semble qui gouvernait le monde romain était
ressortir des paroles un peu vagues de né en Afrique. C'était Septime Sévère.
Jules Capitolin(*), à moins qu'on ne Il est vrai qu'il était de Leptis, dans la
veuille supposer que ces hostilités, ré- province proconsulaire; mais il regar-
primées enfin par les lieutenants de dait l'Afrique tout entière comme sa
l'empereur, s'exerçaient par mer, et patrie, etellefut toujours pour ce prin-
qu'il y avait déjà alors sur les côtes
d'Afrique des corsaires ou des pirates, plusce unRome
pays seulement
de prédilection. Ce n'était
qui agissait sur
comme de nos jours nous en avons vu les provinces : celles-ci devaient domi-
sortir des ports d'Alger. ner tour à tour dans la cité qui les avait
« Les inscriptions découvertes en conquises. La Gaule et l'Espagne
avaient placé sur le trône impérial les
eut desà mouvements
1829, Tarquinies, prouvent sérieux enqu'il
Afri-y
premiers empereurs étrangers à l'Ita-
lie :l'Afrique et la Syrie donnèrent la
(*) Jul. Capit., Ant. Philos., xxi : « Cum dynastie fricains,
des venus
Sévères.
Mauri Hispauias prope omnes vastarent, à RomeUnesousfoule d'A-
ces prin-
res per legatos bene geslœ sunt. » ces, ybrillèrent au premier rang,
NUMIDIE ET MAURITANIE.
81
à l'armée, au barreau, dans la littéra- traversait à désavouer Gordien. Ce-
ture. La Numidie, la Mauritanie elle- lui-ci opposa son fils à cette attaque
même présentaient partout l'aspect imprévue. Mais Capelien avait la répu-
d'une terre civilisée. Des routes nom- tation d'un vieux soldat
breuses et sûres sillonnaient ces con- rience etde bravoure ; sonplein d'expé-
adversaire
trées en tous sens, en longeant les était plutôt connu par son luxe et ses
côtes, ou en pénétrant dans les villes débauches que par ses talents militai-
importantes de l'intérieur. Bientôt l'é- res. Dans la bataille qui se livra, le
dit de Caracalla éleva tous les habi- jeune Gordien fut vaincu et tué; son
tants libres de l'empire au rang de ci- corps , enseveli sous un monceau de
toyens (216), et il n'y eut plus entre cadavres, ne fut retrouvé que plusieurs
les hommes d'autre distinction que jours après. A cette triste nouvelle,
cellede Romains etd'esclaves. Cette me- le vieuxrioritéGordien , considérant l'infé-
sure n'avait pas seulement pour objet deses forces, les ressources de
d'augmenter le nombre des contribua- Capelien, l'instabilité de la la
foi mort.
afri-
bles ,elle, tendait encore à multiplier caine, résolut de se donner
les ressources militaires de l'État et à Il se pendit. Le vainqueur usa cruel-
faciliter sa défense, en donnant à tous lement de son triomphe; il dressa des
le droit d'être enrôlés dans les légions. échafauds, prononça des confiscations,
Du reste, on ne trouve aucune indica- et n'épargna aucun des ennemis de.
tion particulière sur la Numidie ou la Maximin : même les villes et les tem-
Mauritanie à cette époque, excepté ces ples furent livrés au pillage, et le bu-
mots de Lampride tin abandonné aux soldats. Capelien
lexandre Sévère : dans la vieCelsus
« Furius d'A-
changea l'administration municipale
remporta des avantages dans la Mau- des villes , et se rendit cher aux trou-
ritanie Tingitane(*).»> pes et à la populace. Cet ancien inten-
TROUBLES EN AFRIQUE A LA MORT dant de la Mauritanie aspirait a la
D'ALEXANDRE SÉVÈRE ; LES DEUX pourpre impériale , et préparait les
GORDTENS; ILS SONT VAINCUS PAR voies pour succéder à Maximin. On
capelien (237 et 238 de notre ère). ne sait rien sur la fin de sa carrière
— Alexandre Sévère ayant été assas- (238).
siné par le Goth Maximin, toutes les gallien; incursions des francs
provinces virent avec effroi ce barbare en mauritanie; tremblement de
maître de l'empire. L'Afrique donna terre; l'usurpateur celsus (de
l'exemple du soulèvement; le vieux 260 à 268 de notre ère). — Le règne
Gordien, qui la gouvernait, fut pro- de Gallien fut signalé par des calamités
clamé àTysdrus ; il prit son fils pouret des hontes de toute espèce. Pendant
collègue, et le sénat les reconnut. Mais que l'anarchie intérieure semblait près
les deux Gordiens, proclamés en Afri- de dissoudre l'empire, les barbares en
que, y trouvèrent aussi la ruine de ravageaient impunément les provinces.
leurs espérances et leur fin. La Mau- Les Francs , après avoir franchi ie
Rhin, se répandirent dans la Gaule et
ritanie avait pour gouverneur un cer-
tain Capelianus, ennemi personnel de dans l'Espagne. Lorsque le pays, épuisé
Gordien , et dévoué à Maximin. A après douze ans de ravages, ne leur
peine empereur, Gordien destitua Ca- offrit plus de butin , ils s'emparèrent
pelien, et lui donna un successeur.
de quelques vaisseaux dans les ports
Mais Capelien ayant réuni une armée d'Espagne, et passèrent en Mauritanie.
composée de Maures d'élite et d'autres « Quel dut être, dit Gibbon , à la vue
troupes rassemblées à la hâte, marcha de ces peuples féroces, l'étonnement
sur Carthage , forçant les pays qu'il d'une région si éloignée? Lorsqu'ils
abordèrent sur la côte d'Afrique , cù
(*) Actre sunt res féliciter et in Maurila- l'on ne connaissait ni leur nom , ni
nia Tingitana per Furium Celsum (c. lviii). leurs mœurs, ni leurs traits, ils pa-
6
6e Livraison. (Numidie et Mauritanie.)
82 L'UNIVERS.
rurent sans doute tomber tout à coup ment l'Afrique.» Ces Quinquégentiens,
d'un nouveau monde (*). » Cette inva- que plusieurs ont placés dans la Pen-
sion passa sans laisser de traces; tapole , étaient des tribus voisines de
mais les Francs avaient indiqué la la Mauritanie (*) romaine, des Mau-
route que les Vandales devaient sui- res indépendants. Ces peuples étaient
vre deux siècles plus tard. Trébellius presque toujours armés les uns contre
Pollion mentionne aussi à cette épo- les autres, comme le fait comprendre
que un terrible tremblement de terre Claudius Mamertinus, à travers l'em-
qui bouleversa toute la Libye. La phase de son style de rhéteur. « Là où
terre s'entr'ouvrit en plusieurs en- se perd la lumière, dit-il, à l'endroit
droits, etla mer reflua sur les rivages où le mont Calpé se tourne vers le ri-
et engloutit plusieurs villes. Toute- vage ledesein
la Tingitane , et ouvre à l'O-
fois, la Mauritanie et la Numidie fu- céan de la Méditerranée, les
rent àpeine agitées par les désordres nations s'acharnent contre leur pro-
qui éclatèrent à cette époque où paru- pre sang. Privées du bonheur d'ap-
rent les trente tyrans. Celsus , le seul partenir aux Romains, elles portent la
usurpateur qui parut en Afrique , ne peine de leur indomptable férocité.
fut reconnu que par la Libye et la La nation des Maures se déchire les
proconsulaire, et encore son règne ne entrailles avec fureur, etc.. » Cepen-
dant cette invasion des Maures indé-
dura que sept
occidentale restajours.
fidèleAinsi, l'Afrique
à Gallien. pendants dans la province romaine
EXPLOITS DE PROBUS EN AFRTQUE ; semble prouver qu'ils avaient fait trêve
GUERRE DE MAXIMIEN CONTRE LES à leurs hostilités, pour piller ensem-
quinquégentiens (297 de notre ère). ble les terres de l'empire. Maximien
— Probus , avant d'être empereur , lit dompta les Quinquégentiens. « Tu as
glorieusement la guerre en Afrique. vaincu, dit Mamertinus dans le pané-
« Il combattit avec courage les Mar- gyrique tuqu'il adresse à celesprince, tu
marides, dit Flavius Vopiscus, et les as soumis, as déporté sauvages
vainquit. Étant passé de la Libye à tribus des Maures, malgré les monta-
Carthage , il y réprima les rébellions. gnes inaccessibles et les remparts na-
Il provoqua et tua en combat singulier turels qui les protégeaient. » Quant à
un chef de tribus africaines , nommé Julianus, il fut réduit à se donner la
Aradion ; et comme il avait reconnu mort.
en lui de la fermeté et de la bravoure, Ce fut après avoir terminé cette
il fit élever en son honneur un grand guerre que Maximien opéra quelques
sépulcre : ce monument a 200 pieds changements
de largeur, et il subsiste encore. Il le la Numidie etdans de l'administration de
la Mauritanie. La
fit élever par ses soldats , qu'il ne lais- Numidie devint province consulaire.
sait jamais dans l'oisiveté .(**). » La Mauritanie Sitifensis fut détachée
Sous Dioclétien, les Mauritanies et de la Césarienne, et la Tingitane fut
l'Afrique furent désolées par une réunie a l'Espagne, et en forma la sep-
guerre sérieuse qui nécessita la pré- tième province.
sence de Maximien. Cet événement USURPATION d'alexandre; maxen-
n'est qu'indiqué dans Aurélius Victor, ce le renverse ; il opprime l'a-
Eutrope et les panégyristes. Point frique; gouvernement de Cons-
d'explications ni de détails ; car, à cette tantin. — Dioclétien avait rétabli la
époque de décadence littéraire, l'his- grandeur et la tranquillité de l'empire.
toire dégénère tout à fait en chroni- La tétrarchie, en divisant le pouvoir,
que. «Julianus et les Quinquégentiens, rendait la défense des frontières plus
dit Aurélius Victor, agitaient violem- facile ; mais quand Dioclétien se fut
retiré à Salone, les Augustes et les Cé-
(*) Gibbon, Décad. de l'emp. romain,
t. II, p. i33. (*) Voyez la note de M. Marcus, p. 7x7
de la traduction de Mannert.
(**) Flav. Vopisc. , Vie de Prob., ch. ix.
83
NtJMIDIE ET MAURITANIE.
sars
tous qu'ilrivaux.laissait après lui
A la faveur devinrent
de leurs dis- rement modifié l'état des esprits ; d'ail-
leurs Constantin la combla de bienfaits,
sensions ,un usurpateur s'éleva en et, depuis trois siècles, la reconnais-
Afrique. C'était un Pannonien appelé sance envers les empereurs se manifes-
Alexandre, de la plus basse origine,, tait par leur apothéose. En 322, Cons-
qui se maintint pendant trois ans dans tantin rendit un édit destiné à soulager
la contrée ( 308-311 ). Maxence , in- l'Afrique de la profonde misère où la
quiété par Constantin , fut contraint tyrannie de Maxence l'avait plongée. Il
de le laisser jouir quelque temps de dit dans ce décret qu'il a appris que des
son usurpation. Mais, avant de lutter parents, pressés par le dénûment, ven-
contre le fils de Constance Chlore, il daient leurs enfants, qu'ils ne pouvaient
renversa ce faible et méprisable ad- plus nourrir; il indique les secours à
versaire. Ilenvoya Volusianus, préfet donner à ces malheureux, et la source
du prétoire, avec quelques cohortes, où il faut les puiser; il accorda aussi une
et il suffit d'un combat pour dépouil- diminution d'impôts, et affranchit les
ler Alexandre. Maxence désola Car- provinces agricoles d'Afrique des tri-
thage et toutes les plus belles parties buts de blé et d'huile qu'elles avaient
de l'Afrique par ses cruelles vengean- d'abord offerts volontairement à Sep-
ces, et s'y rendit aussi odieux qu'en time Sévère, et qui s'étaient changés
Italie. « Il paraît certain que la Numi- depuis en contributions régulières et
die avait aussi accepté la domination forcées.
d'Alexandre , et morne que ce timide ÉTAT RELIGIEUX DE L'AFRIQUE AU
usurpateur, après avoir perdu Car- QUATRIÈME SIECLE ; SCHISME DES
thage presque sans combat , s'était, donatistes.— Mais un mal auquel
comme Adherbal, réfugié sous l'abri Constantin ne put remédier, ce furent
de la position forte de Cirta. Telle est, les dissensions religieuses qui éclatè-
du moins, l'induction très - probable rent en Afrique quelques années après
la défaite de Maxence. Aux rivalités
qu'on peut tirer de la phrase d'Auré-
lius Victor , qui nous dit , avec sa con- des ambitieux qui se disputaient le
cision ordinaire, que Constantin, vain- siège primatial de Carthage se joigni-
queur de Maxence , fit relever, embel- rent les ardentes controverses d'héré-
lir la ville de Cirta, qui avait beaucoup tiques opiniâtres, et le schisme des
souffert dans le siège d'Alexandre , et donatistes prit naissance. Il dura trois
qu'il lui donna le nom de Constan- siècles, et ne disparut de l'Afrique
tine (*). » qu'avec le christianisme même. Il y
La chute de Maxence excita dans tou- eut deux évêques hérétiques du nom
tes les provinces qu'il avait opprimées de Donat : le premier, qui occupait le
la joie la plus vive. Constantin fut sa- siège de Cases noires en Numidie ,
lué comme un libérateur. Par une con- commença le schisme vers 305, en re-
tradiction singulière, le premier empe- fusant d'admettre à la communion les
reur chrétien toléra et encouragea en traditeurs, c'est-à-dire ceux qui avaient
Afrique le culte idolâtrique de sa per- livré les saintes Écritures pendant la
sonneil; fit ériger un temple et institua persécution de Dioclétien. Il fit dépo-
un collège de prêtres en l'honneur de la ser Cécilien, évêque de Carthage, qui
famille ilavienne, dont il se disait des- usait d'indulgence envers les tradi-
cendu. Une inscription prouve que ce teurs; mais il fut lui-même excommu-
culte existait encore au temps de Cons- nié par le pape Melchiade (313) et par
tance. Telle était la force des habitudes plusieurs conciles. Cependant Céci-
et des préjugés du paganisme; l'Afri- lien fut réélu primat d'Afrique ; mais
que se prêtait volontiers à cette ado- les évêques de Numidie , qui n'avaient
ration de la créature humaine, car la foi point pris part à cette décision , se dé-
chrétienne n'y avait pas encore entiè- clarèrent, au nombre de soixante-dix,
pour un second Donat, homme 6. deha-la
(*) Recherches sur l'Afrique sept. , p. 26. bile, et qui affectait les dehors
84 L'UNIVERS.
vertu la plus austère (316). Pour em- contentement plus légitime. Vers la
pêcher ces déchirements de l'Église fin du règne de Valentinien Ier, l'Afri-
d'Afrique, le que était gouvernée par le comte Ro-
tervinrent; etpape et l'empereur
les décrets des concilesin-
manus ; plusieurs villes, opprimées
d'Arles et de Rome , le jugement su- par son odieuse tyrannie, demandè-
prême de Constantin, dans son sacré rent justice à l'empereur. Romanus
consistoire , reconnurent les droits de éluda , à force de ruses et d'intrigues,
Cécilien. L'exil fut prononcé contre une condamnation méritée, et les ré-
les chefs du parti opposé; néanmoins, clamations deces malheureuses cités
les donatistes se maintinrent dans plu- ne servirent qu'à aggraver leur sort
sieurs provinces , particulièrement (371). Cette iniquité déposa dans tous
en Numidie, et quatre cents évêques les cœurs les germes d'une irrita-
reconnurent l'autorité de leur primat. tionmentprofonde
« Mais l'invincible esprit de secte de, dit terrible., présages Enlin, lesd'un soulève-
tribus bar-
Gibbon, dévorait les entrailles la
bares ,châtiées par Maximien
tendaient aussi que le moment de se, n'at-
secte même , et l'Église schismatique
était déchirée par des dissensions in- venger de ses rigueurs. Tout était fa-
testines. Le quart des évêques donatis- vorable àla révolte, et il ne fallait
tes suivaient la doctrine indépendante
des maximianistes. Le sentier étroit et qu'un chef
diriger les pour
forcescommencer l'attaque,et
des mécontents,
solitaire que leur avaient marqué leurs
premiers conducteurs les éloignait de opérermes la séparation
regardaient commequele tant d'hom-
seul remède
plus en plus du genre humain; et la à leurs maux.
petite secte , à peine connue sous le RÉVOLTE DE FIRMUS *, SA NAIS-
nom de rogatiens , affirmait avec as- SANCE CAUSE
; DE SA REBELLION ; IL
surance que si le Christ descendait du pille césarée (371 de notre ère).—
ciel pour juger les humains, il ne re- Ce chef tant désiré ne tarda pas à
con aîtrait lapureté de sa doctrine paraître : ce fut le Maure Firmus,
que dans quelques villages obscurs homme influent, actif et habile, réu-
de la Mauritanie Césarienne (*). » Irri- nissant toutes les conditions nécessai-
tés par la persécution , les donatistes res àson rôle, et qui , dans l'histoire
prirent les armes : un grand nombre des résistances de l'Afrique contre
d'habitants des campagnes , enrôlés Rome , se place , par son esprit de
dans la secte des circoncellions, por- ruse et sa bravoure , au-dessus de Tac-
tèrent de tous côtés le ravage et l'in- farinas et à côté de Jugurtha. Le
cendie. Constantin fut obligé de les même intérêt que nous avons trouvé
combattre, et on en fit un grand car- dans les autres guerres soutenues
nage. Ces troubles funestes nuisirent pour l'indépendance
à îa prospérité du pays , affaiblirent trouve encore dans cetteafricaine
dernière selutte,
re-
l'autorité impériale , et encouragèrent qui nous offre aussi des rapproche-
les révoltes des tribus indigènes. ments curieux et des leçons profita-
MÉCONTENTEMENT GENERAL . DES
bles. Malheureusement nous n'avons
provinces africaines. — Ainsi , le plus pour guides des historiens comme
schisme des donatistes cessa d'être Tacite ou Salluste; la tentative de
une simple révolte contre l'unité de Firmus ne nous est racontée que dans
l'Église. Ces fanatiques , proscrits par un des chapitres les plus mutilés d'Am-
lesdnpereurs , aspirèrent à se sépa- mien Marcellin (*). Cependant il faut
rer de l'empire, et conspirèrent à la fois rendre à cet écrivain cette justice, qu'il
contre la société politique et contre la était habile homme de guerre , ins-
communion chrétienne. Il existait en-
truit en géographie , et ami de l'exac-
core en Afrique des causes d'un mé- titude etde la vérité. D'ailleurs , Til-
(*) Gibbon, Dccad. de l'empire romain, (*) Amra. Marcel., liv. xxix, ch. aa et
t. IV, p. i65 , ch. xxr. suiv.
85
NUMIDIE ET MAURITANIE.
lemont a éclairci toutes les difficultés la ville d'Arles avec une petite flotte r
et vient aborder sur la côte de la Mau-
chronologiques ; les savants acadé-
miciens cités plus haut ont discuté ritanie Sitifensis, que les habitants ap-
tous les points de géographie avec une pellent Igilgitaine(*). Romanus se trou-
grande netteté; et, au moyen de tels vait alors par hasard sur le même ri-
l'in- vage :Théodose eut une entrevue avec
ce etdes venir
secours, onsuf isanpeut à bout dude texte
obscurités lui, et, après quelques légers reproches
de l'auteur ancien. sur ce qui s'était passé , il le chargea
Firmus était fils de Nubel, puissant de surveiller les avant-postes et les
chef de tribus mauritaniennes. A sa frontières de la Césarienne. Il dépêcha
mort, Nubel laissa une nombreuse pos- vers Carthage Gildon , un des frères
térité, qui se disputa sa riche succes- de Firmus, et Maximin, pour obser-
sion; et dans ces querelles, Zamma , ver la conduite de Vincentjus, le com-
l'un de ses fils, fut tué par son frère plice des exactions de Romanus , qui
Firmus. Romanus, dont Zamma avait l'avait laissé dans cette ville en qualité
su se concilier la faveur, poursuivit la de vice -gouverneur. Ainsi Théodose
vengeance de ce meurtre plutôt par concentrait toute l'autorité entre ses
des motifs d'avarice ou de haine per- mains avant de commencer cette lutte,
sonnelle que par amour de la justice, dont il ne voulait être distrait par au-
qui cette fois cependant était de son cun embarras. Après avoir reçu des
côté. Il ne négligea rien pour perdre renforts, il pénétra dans l'intérieur du
Firmus, suscita contre lui des déla- pays, et s'assura de Sitifis, qui était
teurs, qui aggravaient son crime en le restée fidèle , et qui fut le centre de
calomniant auprès du prince. Il enleva ses opérations. Il ne se dissimulait pas
toutes les difficultés de cette guerre ,
à l'accusé tout moyen de justification.
Firmus comprit que sa perte allait se et nous le voyons dans Ammien médi-
décider dans le consistoire impérial; ter soucieusement son plan de campa-
et, pour échapper à une condamnation gne. «L'esprit rempli d'incertitudes ,
que le crédit de son adversaire ren- il s'efforçait de trouver par quels
dait certaine, il prit les armes, et ap- moyens il pourrait manœuvrer sur
pela les Africains à la révolte. De tou- cette terre que l'ardeur du soleil avait
tes parts on accourt à sa voix , et sa brûlée , avec des soldats habitués aux
première tentative est de marcher sur frimas du Nord ; comment il parvien-
Césarée et o> la livrer au pillage ; puis drait àsurprendre un ennemi agile et
insaisissable, et combattant plutôt par
il setiefait
de la reconnaître
Numidie et d'une de la grande par-
Mauritanie
surprises qu'en batailles rangées. » Les
obstacles du terrain semblaient insur-
césarienne. Malgré le silence d'Am-
mien Marcellin , un passage de saint montables.C'était
« dans la région la
Augustin , confirmé par les textes
plus âpre et la plus escarpée de l'Afri-
d'Aurélius Victor , d'Orose , et par que qu'existait le foyer le plus ardent de
l'exergue d'une monnaie , font soup- l'insurrection. C'est ce réseau de mon-
çonner que Firmus prit la pourpre et tagnes abruptes , c'est cet amas de
se fit proclamer empereur. gorges, de défilés, de pics, de lacs et
LE COMTE THÉODOSE EST CHARGÉ de torrents qui se croisent sans inter -
DE LA CxlIERRE CONTRE FIRMUS. SES ruption de Sétif à Cherchel, entre les
PREMIÈRES OPÉRATIONS. IL SE PORTE
deux chaînes de l'Atlas; c'est cette
A sitifis (372 de notre ère). — Ces contrée presque inviable que Firmus
hardis commencements inspirèrent à avait habilement choisie pour y ame-
Valentinien une vive inquiétude, et il ner les Romains et en faire le théâtre
envoya , pour
meilleur châtier
de ses l'usurpateur
généraux , le
, le comte de la guerre (**). »
(*) Il dut prendre terre au port de Gi-
Théodose, qu'Ammien compare à Cor- gelli , que Shaw appelle Jigel , et qui se
bulon et aux plus habiles lieutenants trouve entre Bougie et le cap ftougiarone.
de Trajan. Théodose part sans bruit de (**) Recherches sur l'Airiq. sept. , p. 32.
86 L'UNIVERS.
FIRMUS ESSAYE DE TROMPER THÉO-
dus resPetrensis
de Firmus (*) , que l'un
, Salmacès des frè-
, venait de
DOSE. — Firmus, outre les avantages
d'un caractère persévérant, possédait faire construire avec une somptueuse
encore les ressources d'un esprit rusé magnificence. Non loin du théâtre de
et perfide. Pour inspirer à Théodose cette première bataille était la ville de
une fausse confiance, il affecta, comme
Lamfocta , dont Théodose s'empara à
Jugurtha à l'égard deMétellus, de dé- l'instant même. Avant de pousser plus
sirer vivement la paix, et députa au chef avant , il fit amasser dans cette ville
romain quelques-uns des siens, chargés une grande quantité de vivres et de
de lui exprimer son repentir, et de reje- munitions, afin d'avoir un magasina
ter, sur ceux qui l'avaient poussé à bout sa portée, si la disette se faisait sentir.
à force d'injustices, le tort de tout ce qui Au milieu de ces préparatifs, Mascézil,
s'était passé. Théodose promit la paix, qui avait réparé ses pertes par de nou-
si Firmus donnait des otages ; mais il velles recrues , affronte de nouveau
ne se laissa pas prendre à ces manifes- l'armée romaine; mais il est vaincu
tations suspectes, et il courut vers la une seconde fois, et ne dut qu'à la
station Panchariana (*) , pour y faire rapidité de son cheval de ne pas tom-
ber aux mains des ennemis.
la revue des légions d'Afrique qu'il y FEINTE SOUMISSION DE FIRMUS.
avait réunies. Sa présence et ses paro-
THÉODOSE LUI ACCORDE LA PAIX. IL
les excitèrent au plus haut point l'ar-
deur des troupes. Il était également va A césarée. — Firmus, découragé
cher aux habitants de la province, dont par le mauvais résultat de ces opéra-
il respectait les propriétés et qu'il ga- tions qu'il avait dirigées, en revint à
rantis ait detout pillage. Après avoir sa première ruse, et demanda la paix
opéré la jonction des légionnaires et avec une grande apparence de sincé-
des troupes indigènes, il marcha vers rité. Il se servit de l'intermédiaire de
Tubusuptus, ville voisine des monta- prêtres du rit chrétien, dit Marcel-
gnes de Fer. Là, il rencontra une nou- lin, pour entamer les négociations.
velle ambassade de Firmus ; mais Ceux-ci vinrent avec des otages, et dé-
comme elle n'amenait pas les otages, sarmèrent leressentiment de Théo-
il la renvoya. dose, qui consentit à une entrevue avec
Théodose avait pénétré les intentions Firmus. Le Maure se présenta plein
de défiance, et monté sur un cheval
de Firmus , et le temps d'agir était
venu. Après une course rapide, l'ar- dont la vitesse pouvait le préserver en
mée de Théodose fut aux prises avec cas de surprise. Mais arrivé en pré-
les tribus des Tyndenses et des Mas- sence de Théodose, il se rassura à la
sissenses, que commandaient Mascézil vue de la majesté loyale et imposante
et Dius, deux autres frères de Firmus. de ce chef redoutable; et, mettant
On combattit d'abord de loin avec des pied à terre, il courba la tête, et, dans
flèches, puis une mêlée furieuse s'en- une humble attitude, fit l'aveu de sa
gagea ,et l'horreur de ce combat était faute et en implora le pardon. Théo-
augmentée par les hurlements plain- dose lui donna le baiser de paix; et
tifs des barbares blessés ou faits pri- deux jours après, conformément au
sonniers. Les Romains vainqueurs se traité, Firmus restitua les prisonniers,
répandirent dans la campagne, et mi- les drapeaux, son butin et ses trésors.
rent tout à feu et à sang. Ce fut dans Tout fut remis à Icosium (**). A ce
ce pillage qu'ils détruisirent de fond en prix, Firmus arrêta Théodose, obtint
comble la superbe résidence du fun-
(*) Tout ceci se passe dans le Séboue ,
(*) Lieu inconnu , à moins qu'on ne district plat et fertile , entouré de monta-
veuille y voir la même chose que la station gnes ,au sud de Dellys.
Paratianis, aujourd'hui Pacdana, située près (**) Selon Shaw, Alger serait sur rempla-
de la mer, sur la voie romaine de Saldee à d'Iomnium.
cement d'Icosium ; selon d'autres, sur celui
Hippone.
NUMIDIE ET MAURITANIE. 87
du temps, et put préparer de nouvelles avec eux deux chefs de la nation des
perfidies. Mazices, Bellen et Féricius, dont ils
Cette soumission du chef n'avait s'étaient rendus maîtres. Théodose or-
pas entièrement pacifié le pays. Théo- donna leur supplice. Après la prise du
dose le parcourut en tous sens, et, fort de Gallonas et du fortTingitanus,
après de longues marches, il entra à Théodose envahit le pays des Mazices
Tipasa (*), où il reçut les envoyés des en franchissant la chaîne de l'Ancora-
Mazices (**), peuple maure qui avait sou- rius(*); il les défait complètement, et,
tenu Firmus, et qui voulait détourner poursuivant sans relâche la résolution
la colère des Romains. Loin de les de terminer la guerre par le châtiment
de toutes les tribus, il entre dans la
entendre, Théodose répondit qu'il ne
tarderait pas à les châtier, et se remit contrée des Musones, et s'avance jus-
en marche. Il visita sur son chemin la qu'au municipe d'Auzia, oùTacfarïnas
ville de Césarée, que Firmus avait s'était autrefois retranché. Dans cette
région étaient une foule de tribus
pillée, et qui n'était plus qu'un mon-
ceau de ruines. Mais pendant qu'il son- différentes de mœurs et de langage,
geait àréparer les désastres de cette mais toutes animées de la même haine,
malheureuse cité et à y établir deux contre le nom romain. Cyria, sœur de
légions, il apprend que Firmus, trahis- Firmus, femme déterminée, était au
sant sa foi, se dispose à le surprendre. milieu de ces peuples, leur communi-
FIRMUS REPREND LES ARMES. quant son ardeur et leur prodiguant
THÉODOSE EST CONTRAINT DE RECU- ses immenses richesses. Si Théodose
LER devant lui (373 de notre ère). s'engageait avec sa faible armée sur le
— A cette nouvelle, Théodose change territoire occupé par ces nombreuses
ses dispositions, et, avant de marcher tribus, sa perte était assurée. Firmus
contre les Mazices, il se porte, vers espérait que son ennemi commettrait
l'occident, à Succabar, municipe adossé la magnanime imprudence d'avancer
aux pentes du mont iranscellensis, et toujours, et c'était là qu'il comptait
il place un corps de troupes à Ti- l'envelopper et l'anéantir. En effet,
gava (***). Par ces manœuvres , il occu- Théodose sentit son courage se ré-
pait tous les passages, et éloignait le volter àl'idée de reculer devant ces
danger d'une attaque soudaine. Des àadversaires méprisables, et il hésitait
donner le signal de la retraite. Déjà
conspirations, excitées parmi les trou-
pes par les intrigues de Firmus, ne des multitudes d'ennemis serraient de
servirent près les flancs de sa petite armée, qui
lance et laqu'àfermeté
faire ressortir la vigi-
de Théodose. Il ne comptait que 3,500 hommes; ils
livra une partie des coupables à la fu- apparaissaient à tous les défilés, sur
reur des soldats; d'autres, en plus toutes les hauteurs. Alors, craignant
grand nombre, eurent les deux mains que ces hordes ne lui barrassent le
coupées, et vécurent pour servir cnemin vers la mer, il se décida enfin
à faire ce qui lui avait tant répugné
d'exemple par le Alors
rible châtiment. spectacle de ce ter-
arrivèrent au
d'abord, et il revint sur ses pas, au
camp Gildon et Maximus, amenant milieu de dangers de toute espèce.
Après s'être arrêté quelque temps au
(*) Tipasa est, selon Mannert , la même
domaine de Mazuca , fundum nomine
que le port de Thapsus* Celte ville était à Mazucanwn (**) , il revint en février
l'orient de Césarée.
(*) Mont Ouannaséris.
(**) Les Mazices habitaient à l'occident (**) « La villa Mazucana, dont le nom res-
de Césarée, comme on le voit par la di- semble àcelui de Mazices, est à chercher
rection de la marche de Théodose. entre Tipasa et Auzia. Mazuca est un des
(***)Jil>els-Doui,montagneausudd'Herba frères de Firmus. Il est probable que le
et du Shéliff , doit être le mont Transcel- fundus Mazucan us, à présent Mazuha, était
lensis. — Sur l'emplacement deTigava sont une propriété de ce Mazuca. » (Recherches
des ruines appelées aujourd'hui Herba. sur l'Afrique sept., p. 5g.)
83 L'UNIVERS.
373 sur la cote, dans la ville de Tipasa les armes en faveur de Firmus. Ils
(Dahmouse), où il fit reposer ses étaient postés sur les hauteurs, et il
troupes. paraissait impossible de les forcer dans
THÉODOSE CORROMPT PLUSIEURS leurs positions. Pendant que Théodose
TRIBUS BARBARES ; IL POURSUIT FIR- étudie les lieux et médite son plan
MUS CHEZ LES ABANI ; IL EST EN- d'attaque, des tribus d'Éthiopiens ou
CORE CONTRAINT DE RETROGRADER. de nègres viennent renforcer les Abani
— Théodose séjourna assez longtemps et accroître leur audace. Toutes ces
dans cette cité : toutefois, son repos hordes, se précipitant des montagnes,
n'était pas de l'inaction. Il répandit fondent avec impétuosité, et en pous-
parmi les tribus attachées à Firmus sant des cris affreux , sur les bataillons
de nombreux agents, qui, parlant au romains,tamer. qu'ils
nom de la puissance romaine, et agis- Théodosesont
fut sur le point
encore d'en-
contraint
sant sur les uns par des menaces de de rétrograder devant les Maures;
vengeance, sur les autres par des pro- mais, comme la première fois, il fit sa
messes de récompenses magnifiques, retraite en bon ordre et d'une manière
parvinrent à ébranler la fidélité de ces menaçante, ayant ordonné aux siens
hordes, et à en ramener plusieurs à de serrer leurs rangs, et d'opposer aux
l'obéissance. etLa qui ligueétait
qui formée
avait arrêté barbares un mur impénétrable de pi-
Théodose, des ques et de boucliers. Il parvint ainsi,
Baiures, des Cantauriens, des A vas- sans éprouver de perte, à la ville ap-
tomates, des Casaves, des Dovaresf*), pelée Conteuse, où il découvrit et
fut peu à peu dissoute par cette poli- châtia exemplairement, selon sa cou-
tique rusée et habile, qui fut plus ef- tume, de nouveaux traîtres.
ficace que les opérations militaires. PREMIÈRE CAMPAGNE DE THÉO-
Firmus, craignant pour ses jours, prit DOSE CONTRE LES ISAFLIENS. IL VA
JUSQUE CHEZ LES JUBALENES. SON
le partidesde forces
encore fuir, assez
quoiqu'il lui restât
considérables. retour A auzia ( 374 de notre
A la faveur des ténèbres de la nuit, il ère ). — Théodose était encore à Con-
disparaît, abandonnant à la merci du tense , quand on vint lui appren-
Romain tous ceux qu'il a compromis; dre que Firmus
les Isafliens. s'était retiré
Il ordonne au chefchez
de
et il va se cacher, accompagné de sa
femme, dans les monts Caprariens, cette tribu de lui livrer le fugitif, ainsi
dans des rochers solitaires et inacces- que son frère Mazuca; et, sur son
sibles. Les siens, ne retrouvant plus refus, il envahit ses domaines. Une
leur chef, s'enfuirent précipitamment grande bataille fut livrée, où les bar-
bares montrèrent leur acharnement
de leur camp, qui fut à l'instant oc- accoutumé, et où la supériorité de la
cupé par les soldats de Théodose.
Celui-ci poursuivait son ennemi sans tactique assura l'avantage aux Ro-
relâche, domptant, exterminant tout mains. Un grand nombre d'Isafliens
sur son passage, et imposant aux fut immolé; Firmus combattit avec
tribus consternées des chefs dont il
était sur. Enfin, il arriva aux monts valeur,
mort auet milieu
cherchadesplus d'une
rangs fois la
ennemis;
Caprariens, et dans le pays des Abani mais, à la fin, son cheval l'emporta en
ou Abennae (**), qui tous avaient pris galopant à travers les rochers. Mazuca
ne fut pas si heureux : ayant été blessé
(*) « Ces tribus doivent être placées entre mortellement, il tomba au pouvoir des
Tipasa et Auzia , probablement dans les Romains, fut conduit à Césarée, et y
chaînes du Jibel-Zickar et du petit Atlas mourut de sa blessure. Après sa mort,
au sud d'Alger. » (Rech. sur l'Atriq. sept.,
P- 6o') etc L'emplacement des Mazices étant
connu, fixe celui des Abennae. Celui de
(**) « Les Abennae sont désignés par l'ora-
teur Julius Honorais, auteur d'une Cosmo- l'oppidum Contense est bien incertain; on
graphie mentionnée par Cassiodore, comme peut néanmoins lui assigner sa place entre
voisins des Quinqviégentiens , des Mazices , le grand et le petit Allas. » (Ibid. , p. 6i.)
NUMIDIE ET MAURITANIE.
sa tête fut séparée de son corps , et pour poursuivre et punir un brigand
exposée en public, à la satisfaction de sans ressources. Remets-le à l'instant
tous les habitants de Césarée, que ce entre mes mains , et sois assuré que
spectacle vengeait de la ruine de leur si tu n'obéis pas au commandement
cité. Cette défaite coûta cher aux Isa- de mon invincible souverain, toi et ton
fliens; Théodose parcourut leur pays, peuple vous serez entièrement exter-
pillant et dévastant tout sur son pas- minés. »Igmazen ne répondit que par
sage. des injures, et se retira furieux. Le
S'étant avancé plus loin encore, lendemain, à la pointe du jour, les
Théodose rencontra la nation des Ju- deux armées étaient rangées en ba-
balènes(*), où était né Nubel , père taille, n'attendant plus que le signal
de Firmus. Il dissipa du premier choc de l'action. L'avant-garde de l'armée
les guerriers de cette tribu ; mais, re- barbare était composée de vingt mille
buté par l'âpreté du pays, la hauteur guerriers, et derrière se pressaient des
des montagnes , craignant d'être sur- bataillons plus nombreux encore. C'é-
pris dans ces gorges et ces défilés, tait lahorde des Jesalenses, qui avaient
il revient tranquillement à Auzia. Il y oublié leurs engagements avec Théo-
reçut la soumission des Jesalenses (**), dose, et que Firmus avait regagnés à
qui offrirent d'eux-mêmes des secours sa cause. Se voyant en si grand nom-
et des vivres. Tout autre chef que Théo- bre, les barbares ne doutaient pas
dose eût regardé cette guerre comme qu'ils viendraient à bout d'envelopper
terminée, et fût revenu à la cour jouir les Romains. Le danger était grand
de sa gloire et se reposer de ses fati- en effet; mais les Romains étaient
gues. Ainsi avaient fait autrefois les pleins de confiance dans leurs succès
généraux opposés à Tacfarinas , qu'ils passésral.etThéodose dans l'habileté
recourut àde saleurtactique
géné-
croyaient dompté dès qu'il avait dis- ordinaire : les hommes se rapprochè-
paru. Mais la persévérance de Théo-
dose ne se démentit pas un seul ins- rent, les rangs se serrèrent, et, ap-
tant. Après son séjour à Auzia et à puyés les uns contre les autres, -cou-
Castellum Medianum, il se remit en verts de leurs longs boucliers, ils ne
campagne, et envahit de nouveau le purent être entamés par les Maures.
pays des Isafliens. Le combat dura tout le jour : vers le
SECONDE CAMPAGNE DE THÉO- soir, avant que le soleil eût disparu,
DOSE CONTRE LES ISAFLIENS. GRANDE Firmus se montra aux deux armées ,
BATAILLE. RAVAGE DU PAYS DES JE- monté sur un puissant cheval, revêtu
SALENSES. — LorsquTgmazen , roi d'un éclatant manteau de pourpre; et
des Isafliens, apprit que Théodose en- on l'entendit appeler à grands cris les
trait une seconde fois dans ses États, soldats à la défection, et accabler
il vint h sa rencontre, et lui demanda Théodose d'outrages, lui reprochant
d'unsa air insultant son lui
nomdit etle comte
l'objet sa cruauté envers les siens, et les sup-
de venue. « Je suis, plices qu'il inventait pour les punir.
d'un ton imposant et dédaigneux , je Ces paroles ne furent pas sans effet :
suis le général de Valentinien , mo- si la plupart des soldats de Théodose
narque de l'univers ; il m'envoie ici en furent indignés, quelques-uns se
laissèrent persuader par l'usurpateur,
(*) Les Jubaleni habitaient la chaîne du et quittèrent les rangs. Quand la nuit
grand Atlas au-dessus de Titteri; les Isa- fut venue, le comte romain opéra sa
flenses, les vallées situées entre cette chaîne retraite, et se dirigea vers la forte-
et le Jurjurah. M. Dtireau de la Malle assi- resse Duodiënse (*). Là, l'inflexible
mile les Isafliens aux Inschlowa de la plaine
de Castoula.
(*) Castellum Duodiënse ou Vodiense.Sa
(**) Les Jesalenses sont peut-être, selon position est inconnue, mais il devait être
le même savant, les Welled-Eisa vers le Tit- situé à l'ouest d'Auzia. Mannert, p. 3§3 de,
teri-Dosh. la trad. de M. Marcus.
90 L'UNIVERS.
général mit en jugement ceux de ses manœuvres eurent un plein succès :
soldats qui s'étaient montrés lâches Firmus , ne comptant plus sur ces tri-
ou traîtres; les uns eurent les mains bus découragées , se préparait à cher-
coupées, les autres furent brûlés vifs. cher un asile dans des solitudes, ou
Ammien Marcellin exalte cette barbare chez des peuples plus reculés , lors-
justice de son héros. qu'il s'aperçut qu'il n'avait plus la li-
Les Isafliens avaient poursuivi Théo- bertélaient
de s'enfuir
dose dans sa retraite; mais, repoussés toutes ses :démarches.
des gardes Alors
surveil-il
dans une tentative nocturne sur son prit son parti , et, profitant du som-
camp, ils rentrèrent chez eux. Alors meil de ses gardiens, il s'éloigna avec
Théodose se porta à marches forcées précaution , rampant plutôt qu'il ne
par des chemins de traverse chez les marchait; et quand il fut arrivé dans
Jesalenses, ravagea leur canton, et re- un lieu retiré , il se pendit. Igmazen
vint àSitifi, en passant par les villes fut au davre
désespoir de n'avoir qu'unilca-
de la Césarienne. à présentera Théodose; fit
TROISIÈME CAMPAGNE CONTRE des excuses, et envoya le corps de Fir-
LES ISAFLIENS; IGMAZEN TRAHIT mus, jeté négligemment sur un cha-
FIRMUS; FIN DE CE DERNIER (375 de meau. Toutefois, ce présent ne laissa
notre ère). — Quelque temps après, pas que d'être trés-agréable à Théodose,
Théodose recommença la guerre con- qui campait alors près du fort Rusub-
tre la tribu des Isaîliens. Après de bicari. Il fit exposer publiquement le
nouvelles défaites, le roi Igmazen, qui corps de Firmus ; et quand il eut été
jusque-là avait la réputation d'invinci- reconnu de tous, il ramena ses trou-
ble aux yeux des Maures, craignant pes victorieuses à Sitifi, où il rentra
pour son trône et pour sa vie , résolut avecRÉVOLTE
tout l'appareil d'un triomphateur.
de se débarrasser du fugitif dont la DE GÏLDON ; ELLE EST
cause était désespérée. Comme il con- RÉPRIMÉE PAR MASCÉZÏL (397-398 de
naissait les dispositions des siens en notre ère). — L'Afrique , rattachée de
faveur de Firmus, il fut obligé de nouveau à l'empire, resta en repos
prendre les plus grandes précautions. sous reur
la ferme
Il partit seul de son camp, et eut avec Théodose,domination de l'empe-
fils du vainqueur de
Théodose une entrevue secrète, où il Firmus. Mais les liens de cette réu-
convint de livrer Firmus comme au- nion se relâchèrent à la mort de ce
trefois Bocchus avait livré Jugurtha. grand prince, leetMaure ce fut Gildon,
l'un des qui
frères
N'osant pas le revoir une seconde fois, de Firmus, se
fit le chef de cette dernière tentative
dans la crainte
de Firmus d'éveiller
et des les soupçons
Maures, Igmazen d'indépendance. En récompense des
engagea Théodose à lui envoyer Ma- services qu'il avait rendus au comte
zilla, un des principaux chefs des Ma- Théodose , Gildon avait été investi de
zices , homme sûr à qui l'on pouvait tous les immenses domaines qui ap-
tout confier, et qui leur servirait d'in- suite àla dignité partenaientsa
à famille.
de comteOn l'éleva en-
militaire,
termédiaire. L'entremise de Mazilla
leur fut d'un grand secours ; mais et il fut chargé du gouvernement de
comme les Maures montraient tou- l'Afrique entière , qu'il administra
jours le plus grand attachement pour pendant douze ans avec une autorité
Firmus, Igmazen n'osait exécuter son presque absolue. La faiblesse des fils
projet de trahison. Il engagea à des- de Théodose lui fit concevoir le projet
sein plusieurs combats avec Théodose, de s'emparer de la souveraineté de l'A-
dans lesquels il avait soin de préparer
sa défaite et le carnage des siens ; en frique, et, refusant à Honorius l'hom-
mage qu'il lui devait comme gouver-
sorte que les Isafliens , accablés par neur d'une province de son empire, il
tant de pertes, commencèrent à se re- reconnut en apparence l'autorité
froidir pour Firmus, et à trouver cadius, plus éloigné et plus faible,d'^r-
afin
qu'il leur était à charge. Toutes ces de n'obéir en réalité à personne (397).
NUMIDIE ET MAURITANIE.
91
nie. Mascézil méprisait la multitude
Le conseil de l'empereur d'Occident , des ennemis et les bravades de leur
après l'avoir déclaré rebelle , prit les chef. Après avoir laissé reposer ses
mesures nécessaires pour assurer son
châtiment. Stilichon ne passa pas lui- soldats pendant trois jours , il donna
même en Afrique, mais il confia le le signal d'une bataille générale. Il n'y
soin de cette guerre à un général ac- eut presque pas de combat : en pré-
tif, et animé du désir de venger sur le sence des vétérans de l'empereur, les
rebelles et les barbares qui soutenaient
encore des
tyran un injures frère depersonnelles. C'était
Firmus, un des fils Gildon se sentirent intimidés. Un
de ce Nubel , dont la postérité était porte-étendard ayant par hasard baissé
depuis longtemps si activement mêlée son drapeau , tous l'imitèrent et se
à tous les troubles de l'Afrique. Cet rendirent, les autres se dispersèrent,
homme, appelé Mascézil, avait été très- et cette multitude s'évanouit. Gildon
attaché au parti de Firmus, comme on gagna la mer pour se réfugier en
l'a vu plus haut ; mais les indignes Orient. Rejeté par les vents contraires
procédés de Gildon a son égard, le sur la côte , il entra dans le port de
meurtre de ses deux enfants que ce Tabraca, qui est sur la limite de la
tyran avait massacrés , assuraient Sti- Numidie et de l'Afrique propre. Les
lichon qu'il trouverait en Mascézil habitants le saisirent et le jetèrent
l'homme le mieux disposé à servir les dans un cachot, où il termina ses jours
intérêts de Rome contre de
l'usurpateur. par une mort volontaire. Ses complices
Il lui donna une armée vétérans , furent poursuivis et rigoureusement
composée des légions jovienne, her- châtiés; la crainte fit rentrer tout le
culienne, augustienne, des auxiliaires, reste dans le devoir , et l'Afrique re-
des soldats qui marchaient sous l'é- devint une dépendance de l'empire,
tendard du lion, et des corps des fortu- jusqu'au
nés et des invincibles. Les soldats qui rée par lesmomentVandalesoù (398).
elle en fut sépa-
remplissaient ces cadres magnifiques CONSIDÉRATIONS SUR L'ÉTAT DE
ne s'élevaient pas au delà de 5,000; L'AFRIQUE AU MOMENT DE L'iNVA-
car, dans l'empire romain, toute force sion des vandales. — Avant de ter-
réelle avait fait place alors à une vaine miner cette histoire, nous emprunte-
ostentation de mots. La flotte qui rons à l'introduction des Recherches
portait cette petite armée partit de sur l'Afrique septentrionale le passage
Pise en Toscane ( 398 ) , évita les ro- suivant, où les causes de ces derniers
chers de la Corse, relâcha dans le port troubles sont si nettement exposées ,
de Caralis (Cagliari) en Sardaigne , et et qui fait parfaitement comprendre
aborda enfin sur la côte d'Afrique, en la situation politique de ce pays au
un lieu que les auteurs du temps ne commencement du cinquième siècle de
l'ère chrétienne.
désignent pas (*).
Gildon était parvenu à réunir sous « Ces deux ordres de faits, l'acces-
ses ordres une armée de 70,000 hom- sion si prompte de l'Afrique entière
mes. Ilavait cherché des combattants à l'usurpation de Gildon, sa soumis-
jusque parmi les Gétules et les Éthio- sion plus prompte
du faible Honorius,encore à l'empire
ces deux faits
nombreuse piens, et il secavalerie
vantait d'avance
fouleraitqueaux
sa
ont une cause générale qu'on a jus-
pieds la petite troupe de Mascézil , et qu'ici négligé de rechercher, et qui
ensevelirait dans un nuage de sable nous semble évidente et palpable.
brûlant ces soldats, tirés des froides « Gildon était Maure et païen, mais
régions de la Gaule et de la Germa- protecteur zélé des circoncellions et
des donatistes ; il était frère de Firmus,
(*) Claudien a composé un poëme sur la
qui était mort en combattant pour
la liberté du pays : il représentait donc
guerre de Gildon. 11 n'en reste que le pre-
mier livre , qui s'arrête au moment où la deux intérêts généraux très-puissants,
flotte de Mascézil est en Sardaigne. celui de l'indépendance africaine et
92 L'UNIVERS.
celui d'une secte religieuse fort active du monde ne fut déchirée par aucune
et fort étendue : l'accession du pays guerre civile ou étrangère (*). »
fut prompte et volontaire. conclusion. — L'établissement des
« Mais la famille de Gildon était Vandales en Afrique , le sort de la Nu-
chrétienne et orthodoxe; sa femme, midie et de la Mauritanie sous ces con-
sa sœur et sa fille furent des saintes. quérantla
s , restauration momentanée
Son règne dégénéra en tyrannie. Sa du gouvernement impérial dans ces
cruauté, sa lâcheté, son avarice et ses contrées jusqu'à l'invasion des Arabes,
débauches, plus offensantes dans un qui les en sépara pour toujours, sont
vieillard, lui aliénèrent le cœur de ses racontés dans une autre partie de
partisans. Mascézil arrive avec une poi- cette histoire (**). La succession de
gnée de soldats ; il représente, aux yeux tous ces faits , ces alternatives de con-
des Maures, le sang des rois indigènes, quêtes étrangères et de retour à l'in-
fils de Nubel ; aux yeux des chrétiens, dépendance età la barbarie, cette in-
fériorité constante de la terre et de
la religion orthodoxe, qui, depuis l'é-
piscopat de saint Cvprien , avait jeté la race africaine, à l'égard de l'Asie
en Afrique de profondes racines. Mas- et de l'Europe , sont bien de nature à
cézil trouve des auxiliaires dans la fa- inspirer, pour ce sol et pour ce peu-
mille même du tyran : il s'appuie à son ple si peu privilégiés et vraiment mau-
tour sur des intérêts généraux tout- dits ,une compassion profonde. Dans
puissants;
sans résistance. l'Afrique entière se soumet l'histoire du développement de la ci-
vilisation humaine, l'Afrique n'a pas
« Aussi, la conquête achevée, Sti- de place; elle ne contribue en rien à
lichon, politique à la vue perçante, l'œuvre que poursuivent les autres
mais peu délicat sur les moyens , se peuples : ses sables sont trop stériles
débarrassa de Mascézil par un crime, pour produire, trop mouvants pour
qu'il déguise sous les apparences d'un conserver ; elle se complaît dans
accident fortuit. Stilichon, trop ins- son isolement et son ignorance , et
truit des secrets de la faiblesse de se fait hostile et inhospitalière pour
l'empire, eut évidemment pour but, tous les autres peuples. Sa haine con-
en sacrifiant Mascézil, d'ôter un chef tre Carthage fut affreuse ; la guerre
redoutable à l'indépendance africaine. inexpiable des mercenaires le prouve
« Un seul chiffre démontre quel ap- assez. Cette haine aveugle la rap-
pui la rébellion pouvait trouver en proche de Rome , qu'elle détesta
Afrique. On compta , en 411 , au con- tout autant quand il fallut subir son
cile de Carthage , composé de 576 joug. Rome pourtant la domina , la
membres, 279 évêques donatistes; et transforma même , par l'action du
cette secte , depuis quarante ans , ap- temps et de sa persévérance. Mais l'A-
puyait toutes les tentatives formées frique frémissait toujours sous la
main vigoureuse qui la pressait , et
pour
tous les séparer
se efforts de du l'empire. Aussi ,,
gouvernement cependant Rome réussit à la rendre
toute l'énergie des Pères de l'Église, brillante et prospère, et à la faire comp-
ter parmi les nations. Occupée, après
dirigée par saint Augustin, s'appli-
quèrent àextirper cette hérésie , qui la chuterantsdemoinsl'empire,
civilisés par des conqué-
et moins forts ,
menaçait à la fois la religion et l'État.
« L'Afrique même profita pendant l'Afrique retourne à ses penchants na-
turels; et après les Vandales, après
quelque temps des malheurs de l'Italie les Arabes, elle retombe dans une
et du démembrement de l'empire; un
grand nombre de fidèles s'y réfugia
pourres ,échapper à l'invasion
et vint accroître les des barba-
forces du (*) Recherches sur l'Afrique sept., introd.,
parti catholique et impérial. Enfin, p. (**)
34. Voy« l'Histoire de la domination des
depuis la révolte de Gildon jusqu'à Vandales en Afrique , et l'appendice sur la
l'arrivée des Vandales, cette partie domination byzantine, par M. J. Yanoski.
NUMIDIE ET MAURITANIE. 93
barbarie aussi grande et plus invétérée resséela, plus généreuse de l'Europe.
que la première, car une religion mau- Qu'elle persévère , cette nation , dans
vaise laconsacre. Toutefois^ ne peut- la noble et difficile tentative si glorieu-
on pas espérer pour elle un avenir dif- sement commencée, et qui deviendra
férent et des jours meilleurs ? Voilà
la plus àgrande
rende la société, de notre
à lasiècle ! Qu'elle
civilisation,
que , de l'autre côté de la Méditerra-
née, de braves soldats s'élancent sur ce rivage de la Méditerranée appelé si
cette antique patrie des Numides et longtemps terre de barbarie! En con-
des Maures, et en recommencent la sidérant larapidité de ses progrès de-
conquête. Ils luttent avec une ardeur
et une constance invincibles contre ces et lapuislente
treize années seulement
opiniâtreté des d'efforts,
Romains
mêmes obstacles devant lesquels Car- dans la même entreprise, elle ne dou-
tilage échoua, et qui arrêtèrent les tera plus du succès , elle achèvera une
Romains pendant deux siècles. Par oeuvre qui importe à sa gloire et à sa
une disposition toute providentielle, puissance , et elle réalisera une espé-
cette œuvre de conquête et de régé- rance et un vœu qu'inspirent le senti-
nération d'un peuple impuissant à manité.ment patriotique et l'amour de l'hu-
se former lui-même, est confiée à la
nation la plus forte, la plus désinté-
son autorité. Quand l'usurpateur eut rieux par l'habitude du sang et par la
autour de lui des forces assez considé- faim , poursuivirent les hommes pour
les dévorer. La peste, suite inévitable
rables, ilvoulut joindre l'Espagne à ce de la famine , vint bientôt mettre le
qu'il possédait déjà , et il envoya dans comble à la désolation; la plus grande
la Péninsule son fils Constant et Gé-
rontius. Ces deux chefs entraînèrent partie des habitants en fut la victime,
à leur suite quelques-unes des bandes et la vue des mourants n'excitait que
de barbares que l'Empire avait enrôlés, l'envie de ceux qui leur survivaient.
et qu'on appelait les Honoriens. Ils en- Enfin les barbares, rassasiés de meur-
trèrent en Espagne ; et , malgré l'hé- mêmestres et de brigandages, et atteints eux-
de la maladie contagieuse dont
roïsme de quatre frères, liés par le
sang à la famille de Théodose, et ils étaient les funestes auteurs, se ren-
parmi lesquels on distinguait encore fermèrent dans le pays qu'ils avaient
Didyme et Véranien , ils forcèrent les dépeuplé. Les Suèves et les Vandales
habitants de la province à reconnaître se partagèrent l'ancienne Gallécie , où
Constantin. Après cette expédition, le le royaume de la Vieille-Castille se
vainqueur, comptant sur la fidélité des trouvait enclavé. Les Alains se répan-
Honoriens, les chargea de défendre les dirent dans les provinces de Cartha-
gorges des Pyrénées. Mais bientôt Gé- gène et de Lusitanie, depuis la Médi-
rontius abandonna l'empereur que, terranée jusqu'à l'océan Atlantique.
jusqu'alors, il avait servi avec dévoue- Les Silinges, branche de la nation des
ment, et il prit les armes pour le ren- Vandales, s'emparèrent du territoire
verser. Au moment où Constantin se
fertile de la Bétique (*). »
défendait avec peine, au midi de la
Gaule, contre son lieutenant révolté, (*) Voici un passage que nous emprun-
les Vandales, les Alains et les Suèves tons à M. Marcus, sur le partage de l'Es-
se dirigèrent de nouveau vers les Py- Alains pagneetpar les barbares : « Les Vandales, les
les Suèves , voulant éviter tout
rénées. Mais , cette fois , ils ne trou- sujet de discorde entre eux , se partagèrent
vèrent plus aux défilés de la montagne
ces braves soldats qui , sous la con- au sort les provinces de l'Espagne. Des cinq
duite de Didyme et de Véranien , les provinces formant la division établie par
Constantin le Grand , les Vandales et les
avaient si vigoureusement repoussés.
Suèves obtinrent la Gallécie , c'est-à-dire la
Ils ne rencontrèrent que les Hono- Galicie actuelle, Tras-os-Montes , Entre-
riens, riches déjà des dépouilles qu'ils Duero-e-Minho , les parties septentrionales
avaient amassées à la suite de Géron- des royaumes de Léon et de la Vieille-Cas-
tius, et qui, avides de piller encore, tille, les Asturies et la Biscaye, en d'autres
livrèrent tous les passages dans l'es- termes , tout le pays compris entre le cou-
pérance, sans doute, de se mêler aux rant du Duero, la mer et la Sierra d'Oca ;
envahisseurs. Après avoir franchi les les Alains , la Lusitanie et la Carthaginoise,
Pyrénées (409) , les barbares se répan- c'est-à-dire la partie du Portugal qui est con-
dirent comme un torrent dans toutes tenue entre le Duero au nord et le Gua-
diana au midi , l'Estramadure et le district
les parties de l'Espagne. Un grand his- de la Nouvelle-Castille, qui est situé entre
torien Mariana
, , a tracé en quelques
lignes le tableau de cette terrible inva- la Guadiana et le Tage, à l'ouest de Tolède,
puis Murcie et Valence ; les Silingi , un des
sion :« L'irruption de ces peuples fut
suivie des plus affreuses calamités. Les deux peuples vandales , la Bétique , c'est-
à-dire le pays arrosé au sud par la mer, et
barbares pillaient et massacraient in-
dif érem ent lesRomains et les Es- au nord et à l'ouest par la Guadiana. Le
pagnolset
, ravageaient avec la même reste de l'Espagne
tarraconaise , fut ,laissé
c'est-à-dire la province
aux Romains ou
fureur les villes et les campagnes. La
famine réduisit les malheureux habi- plutôt à Géronce , l'ancien allié des barba-
res, et qui les avait favorisés dans leurs
tants àse nourrir de chair humaine; conquêtes.» Hisl. des Vandales, etc., p. 84.
et les animaux sauvages, qui se multi- Après avoir cité ce passage, nous devons
pliaient sans obstacle, rendus plus fu- ajouter que les auteurs anciens, dans cette
6 L'UNIVERS.
On a prétendu que les peuples bar- classe des travailleurs libres; quand on
bares qui avaient envahi l'Espagne ré- connaît enfin les innombrables vexa-
glèrent, par le sort, le partage du tions auxquelles étaient soumis tous
pays conquis. Mais il est plus vraisem- ceux qui vivaient sous la loi de Rome,
blable, suivant la remarque d'un his- on ne regarde plus comme vaines ou
torien moderne, que les lots furent exagérées les paroles de Salvien et
plus ou moins exactement proportion- d'Orose , qui attestent que les provin-
nés à la force relative des parta- ciaux regardèrent plus d'une fois les
geants. barbares comme des libérateurs. L'Es-
Les paroles de Mariana nous ont pagne, il n'en faut pas douter, se
fait connaître les premiers résultats de trouva mentplus heureuse, des
après l'établisse-
des Vandales Alains et des
l'invasion. Il faut ajouter, toutefois,
que le pillage, la dévastation, les meur- Suèves , qu'au temps où elle obéissait
tres ,les désordres de toute espèce à Honorius. Mais le repos et cette sorte
cessèrent au moment où les barbares de bien-être qui suivirent la première in-
purent croire qu'ils avaient trouvé vasion ne furent pas de longue durée.
enfin, après leurs longues courses, des Les Goths s'approchaient, qui devaient
établissements assures. Des rapports, encore apporter, dans la Péninsule , la
que le besoin de la paix devait rendre guerre, les désordres et la dévasta-
de plus en plus faciles, s'établirent tion.
bientôt entre les vainqueurs et les vain- SECONDE CONQUÊTE DE L'ESPAGNE
cus. Forcés de vivre avec les Romains par les vandales. — Chassés de la
dans un perpétuel contact, les Van- Gaule par Constance, l'un des plus
dales, les Alains et les Suèves cher- habiles généraux de l'Empire, les
chèrent, par nécessité, à se concilier Goths, commandés par Ataulfe, fran-
les populations au milieu desquelles chirent les Pyrénées, et envahirent la
le hasard, autant que leur volonté, les portion de l'Espagne qui était restée
avait jetés et disséminés. Ils laissèrent au pouvoir des Romains. Peu de temps
aux Espagnols une portion de leurs après , Ataulfe fut assassiné dans son
terres , les biens meubles qui avaient palais de Barcelone. Mais celui qui
échappé aux premiers désordres de la profita du crime fut tué, à son tour,
conquête, et ils s'efforcèrent moins après un règne de sept jours (415). La
d'anéantir la civilisation romaine, que nation reconnut alors, pour roi, Wal-
de s'y conformer et de se modifier. lia, frère d'Ataulfe. Sous ce nouveau
Les barbares, suivant l'expression d'un chef, les Goths se firent, en Espagne,
ancien historien, quittèrent alors l'épée les auxiliaires des Romains et ils com-
pour la charrue; et il semblait qu'ils mencèrentcontre
, les barbares qui les
voulussentculture, , par les travaux dude sol
l'agri- avaient devancés dans la Péninsule,
faire disparaître de une guerre qui dura deux ans (416-
l'Espagne les vestiges de leur invasion. 418). Ils exterminèrent d'abord les
Quand on se reporte, par la pensée, Vandales - Silingi qui s'étaient établis
aux cinq premiers siècles de notre dans la Bétique , puis ils battirent les
ère; quand on songe à ce qu'il y avait Alains. Ceux qui purent échapper au
alors de dur, de violent, d'oppressif fer des vainqueurs se réfugièrent en
dans l'administration romaine;résultats
quand Galice, auprès de Gundéric, chef de
on énumère les désastreux
l'autre portion de la nation vandale.
de cette fiscalité aussi préjudiciable Les historiens anciens nous ont appris
aux campagnes qu'aux villes, qui anéan- que Wallia ne songea pas toujours à
tissait lapetite propriété, arrêtait les faire la guerre au profit des Romains.
développements du commerce et de Ainsi , il voulut, comme autrefois Ala-
l'industrie, diminuait incessamment la ric, conduire les Goths en Afrique.
Mais une tempête ayant englouti, dans
question du partage , sont loin d'être aussi le détroit de Gadès , une partie de la
rigoureux et aussi précis que M. Mardis. flotte qui portait ses trésors et son
AFRIQUE.
armée, il renonça à son expédition. de foi disent des choses singulières de
Trop faible, dès lors, pour songer aux leur conduite en ce moment de dé-
vastes entreprises, il accepta la pro- tresse. Ils se présentèrent sur le champ
de bataille, faisant porter en cérémo-
blir, avecpositionsaque lui fit l'Empire,
nation, au midide de
s'éta-la nie ,devant eux , je ne sais lequel des
Gaule, où on lui céda la seconde Aqui- livres sacrés des chrétiens, la Bible
taine et la Novempopulanie(419). ou l'Évangile. Sans prendre garde à
Quand les barbares Vandales, Alains cet acte de piétésur
des eux
Vandales,
et Suèves, que Wallia avait refoulés romaine fondit , commel'armée
sûre
dans les montagnes du nord-ouest de de la victoire. Ce fut elle qui fut plei-
nement défaite, mise en fuite, et ne
l'Espagne,
avaient apprirentla que
abandonné les Goths
Péninsule, ils s'arrêta qu'à ïarracone, après avoir
reprirent les armes pour conquérir de perdu près de vingt mille hommes
nouveau les riches provinces du Midi, (422) (*). » Un officier, renommé déjà
d'où la force les avait
recommencèrent expulsés. Alors
les désordres de la dans l'Empire pour ses actions d'éclat
et son habileté dans la guerre , Boni-
première invasion. face , avait accompagné Castinus dans
La mésintelligence éclata bientôt son expédition. Mais voyant avec peine
entre les Suèves et les Vandales. Les l'inexpérience de celui qui dirigeait
Romains crurent sans doute que, grâce les opérations, blessé par ses hau-
à cette désunion, ils pourraient enfin
teurs, et prévoyant d'ailleurs le mau-
arracher l'Espagne aux barbares. Mais vais résultat de l'entreprise , il quitta
ils furent trompés dans leur attente; l'armée avant la bataille. On raconte
et, au moment même où Astérius ve- aussi que les Goths abandonnèrent, au
nait prêter aux Suèves les secours de moment décisif, le général romain.
l'Empire, les Vandales, par un brusque Après cette trahison, tous ne revinrent
mouvement, se jetèrent sur la Beti- point en Gaule, et Théodéric vit sans
doute un grand nombre des siens se
gue
frèresqu'avaient
les Silingioccupée (420). autrefois leurs
Ils achevèrent
en peu de temps la conquête de toute mêler aux futurs conquérants de l'A-
frique.
la partie méridionale de la Péninsule. Aprèsriale, leslaVandales
défaite de l'armée impé-
C'est depuis cette double occupation se trouvèrent les
par les Vandales que la Bétique prit le seuls maîtres du pays. Us parcou-
nom d'Andalousie (Fandalousia) que rurent alors, en ravageant et en pillant,
nous lui donnons encore aujourd'hui. l'Espagne dans tous les sens, et rui-
Cependant les Romains ne pouvaient nèrentSéville et Carthagène. Les maux
se résigner à laisser au pouvoir des de la Péninsule furent portés au com-
barbares la plus belle et la plus riche ble, quand les barbares, joignant le
des provinces semblèrentde l'Espagne.
donc une Ils ras-
armée considé- fanatisme et l'intolérance
sions ordinaires, exercèrentà leurs
contre pas-
les
rableà, la tête de laquelle on plaça catholiques, par esprit de secte, de
un général plus présomptueux qu'ha- violentes persécutions. L'Espagne fut
bile Castinus.
, L'armée romaine , qui ainsi soumise, pendant six ans, à la
comptait dans ses rangs un grand nom-
bre d'auxiliaires goths commandés par (*) M.Fauriel ; Histoire de la Gaule mé-
ridionale, t.I , p. i53. Nous ne partageons
Théodéric, entra dans l'Andalousie,
où elle ne tarda pas à rencontrer les pas l'opinion de M. Fauriel, qui croit qu'en
Vandales. « Attaqués par une armée l'année 422 les Vandales étaient encore
très-supérieure à la leur, les Vandales païens. Nous pensons , comme nous l'avons
semblaient devoir être exterminés; ils dit précédemment, qu'en Pannonie, déjà ,
le chrislianisme avait fait' de grands pro-
furent en effet très -vivement poussés grès parmi eux. Nous ajouterons même que
et réduits à une position désespérée , ce fut, suivant nous, dans les contrées
dans laquelle il leur fallut accepter une voisines du Danube qu'une partie de la na-
bataille décisive. Des écrivains dignes tion adopta rarianisme.
8 L'UNIVERS.
plus intolérable des dominations. Puis, naître un officier du palais, appelé
quand les Vandales eurent enlevé au Jean , qui s'était fait proclamer empe-
pays ses dernières ressources, ils firent reur en Italie; et il aida de ses armes
des courses au dehors; montés sur les et de ses conseils Placidie, et son jeune
vaisseaux qu'ils avaient trouvés à Car- fils Valentinien. Les efforts du gou-
thagène, ils se livrèrent à la piraterie, verneur del'Afrique, dans ces moments
et , s'il faut en croire d'anciens récits, de troubles , furent plus efficaces que
ils visitèrent plus d'une fois , pour les tous les secours venus de l'Orient
piller, les îles Baléares et les côtes de pour doncrenverser l'usurpateur. Placidie
la Mauritanie (425-428). Les barbares était redevable à Boniface du
étaient à peine entrés dans les provin- pouvoir qu'elle allait exercer
ces méridionales de l'Espagne, qu'ils de son fils Valentinien. Aussiau, dans
nom
portèrent leurs regards vers l'Afrique; les premiers moments de sa joie et de
et dès lors, comme les Goths, au temps son triomphe, elle se montra recon-
d'Alaric et de Wallia , ils aspirèrent à naissante pour celui qu'elle regardait
la possession de cette chaude et riche comme le plus habile et le plus loyal
contrée. Toutefois , ils hésitaient en- défenseur de l'Empire. Mais bientôt
core àfranchir la mer étroite qui les les vues coupables d'un ambitieux en-
séparait de la Mauritanie, lorsque le levèrent àValentinien son meilleur
comte Boniface mit fin à leurs irréso- général et sa plusricheprovince. Aétius
lutions, et leur fournit l'occasion et voulait faire oublier, par des excès de
les moyens d'accomplir la conquête zèle, son ancien attachement pour
qu'ils avaient rêvée. l'usurpateur et ses rapports avec les
LE COMTE BONIFACE. — TOUS les
barbares. D'autre part, il songeait à
écrivains du cinquième siècle s'accor- perdre Boniface, dont la gloire et la
dent àvoir, dans Boniface, un grand loyauté l'importunaient. Il fit croire à
homme de guerre et un habile admi- Placidie que le gouverneur de l'Afrique
nistrateur. Cependant, il est vraisem- trahissait l'Empire. Il ajoutait , pour
blable qu'ils ne nous ont transmis que donner plus de poids à ses paroles,
la moindre partie des actions glorieu- qu'assurément Boniface refuserait d'o-
ses de celui qu'ils ont tant loué. On béir, sion le rappelait en Italie. Pla-
sait que déjà , en l'année 4 1 3, Boniface cidie recourutEllea rappela
l'expédient qu'on;
s'illustra en défendant Marseille contre lui indiquait. Boniface
les Goths. Nous avons dit que plus mais celui-ci, averti par Aétius que
tard, en 422, il avait pris part à l'ex- de grands dangers le menaçaient
pédition deCastinus, mais qu'il s'était s'il venait pour se justifier, ne tint
retiré assez tôt pour qu'on ne pût lui compte des lettres impériales, et il re-
reprocher d'avoir contribué au mau-
vais succès de l'entreprise. Honorius avait fusa
donc de quitter
réussi l'Afrique. L'intrigue
: on croyait, dans le
aurait pu , sans doute , accuser Boni- palais, à la trahison de Boniface; et
face d'avoir abandonné l'armée ro- Boniface, de son côté, accusait l'em-
maine au moment du danger; mais il
préféra, dans ces temps désastreux, pereur et sa mère d'ingratitude. Placi-
die résolut
contre le rebelle. alors d'envoyer des troupes
Elle les confia à trois
ménager un homme qui pouvait servir
utilement l'Empire, et il le fit partir chefs, Mavors , Galbion et Sinox, que
pour l'Afrique , dont il lui avait con- Boniface défit successivement. Les
fié le gouvernement. Boniface, dans conseillers de Placidie et de l'empereur
sa province, mit tous ses soins à com- ne perdirent point courage après cet
primer les soulèvements des Maures échec; ils rassemblèrent une armée
ou des Romains séditieux ; il adminis- considérable, qu'ils placèrent sous les
tra sagement, et se montra juge sé- ordres de Sigiswulde. Dans ce pres-
vère ,mais équitable et éclairé.
sant danger, et parce qu'il sentait qu'il
La mort d'Honorius n'ébranla point ne pouvait lutter seul avec succès con-
sa fidélité. Il ne voulut pas recon- tre toutes les forces de l'Empire, Bo-
AFRIQUE. 9
seaux qui devaient transporter en Mau- des armes romaines. Les Maures er-
ritanie, Genséric et sa nation. La
rants hasardèrent peu à peu de s'ap-
foule s'apprêtait au départ , lorsqu'on procher du camp des Vandales; ils
apprit que les Suèves ravageaient les considéraient avec surprise les armes,
terres que les émigrants avaient aban- les vêtements, l'air martial et la disci-
données. Pour préserver, sans doute, pline de ces étrangers. La figure blan-
de futures incursions ceux des siens che et les yeux bleus des guerriers
qui, pour des causes diverses, res- germains devaient, à la vérité, former
taient en Andalousie, Genséric ras- un contraste bien frappant avec la
sembla son armée , et se mit à la pour- couleur olivâtre et les yeux noirs des
suite des Suèves. Il les atteignit près voisins de la zone torride. Lorsque les
de Mérida , et les précipita , avec leur Vandales eurent vaincu les premières
chef Hermigar, dans la Guadiana. difficultés qui naissent de l'ignorance
Après cette victoire, il rejoignit sa mutuelle d'un langage inconnu , les
flotte, et s'embarqua pour l'Afrique Maures embrassèrent sans hésiter l'al-
au mois de mai de l'année 429. « Notre liance des ennemis de Rome; une
imagination, accoutumée à exagérer et foule de sauvages nus sortirent de
à multiplier les essaims de barbares leurs forêts et des vallées du mont
qui semblaient tous sortir du Nord, Atlas, pour rassasier leur vengeance
sera étonnée sans doute du petit nom- sur les tyrans civilisés qui les avaient
bre de combattants que Genséric dé- chassés de leur pays natal (*). »
barqua sur les côtes de la Mauritanie. i Mais ces Maures, ennemis de la ci-
Les Vandales, qui , dans le cours de vilisation etdes Romains, ne furent
vingt ans, avaient pénétré depuis l'Elbe pas les seuls auxiliaires que rencon-
jusqu'au trèrent les Vandales en débarquant sur
réunis sousmont Atlas, se trouvaient
le commandement de leur
les côtes de l'Afrique. Les Romains
roi. Son autorité s'étendait sur les eux-mêmes, suivant la remarque de
Alains, dont la génération existante Gibbon, devaient leur prêter aide et
était passée des régions glacées de la appui. Nous avons dit, en parlant du
Scythie sous le climat brûlant de l'A- séjour des Vandales en Espagne, com-
frique. Des aventuriers goths, attirés ment ilse pouvait faire que les hom-
par l'espoir du pillage , accouraient mes vivant sous la loi de Rome préfé-
sous ses drapeaux ; et des provinciaux, rassent parfois les troubles et les
ruinés et poussés au désespoir, s'enrô- violences de la domination barbare
laient, dans l'intention de réparer leur aux rigueurs de l'administration im-
fortune par les mêmes moyens qui la périale. En Afrique , comme en Eu-
leur avaient enlevée. Cependant l'ar- rope, on trouvait cette odieuse et im-
mée de Genséric ne montait qu'à cin- pitoyable fiscalité qui ruinait les villes
quante mille hommes effectifs ; et , et les campagnes (**). Il est donc vrai-
quoiqu'il tâchât d'en augmenter l'ap- semblable quela masse des proprié-
parence, en nommant quatre-vingts taires urbains ou ruraux que le fisc
chiliarques ou commandants de mille avait dépouillés, jetés dans la plus dé-
soldats , le supplément illusoire des
vieillards , des enfants et des esclaves plorableencore
suivait des conditions,
, se rangeaet du
qu'ilcôté
pour-
de
n'aurait pas suffi pour porter la tota- Genséric. Mais, de tous ceux qui don-
lité àquatre-vingt mille hommes. Mais nèrent assistance aux Vandales, les
l'adresse du général et les troubles de
l'Afrique lui procurèrent bientôt une (*) Gibbon; Histoire de la décadence et
multitude d'alliés. Les cantons de la de la chute de l'empire romain , ch. 33.
Mauritanie qui bordent le grand dé- (**) Je renvoie ici au chapitre intéressant
sert et l'océan Atlantique, fourmil- où M. Papencordt parle de l'état de l'Afrique
laient d'une race d'hommes hardis, avant l'arrivée des Vandales; Geschicthtedet
dont le caractère sauvage avait été vandalischen Herrschaft in Africa. Voy. liv.
plus aigri que corrigé par la terreur i, ch. 2, p. ai et suiv.
iï
AFRIQUE.
plus empressés, les plus ardents furent Dès leur entrée en Afrique, les Van-
les sectaires dales portèrent, dans tous les lieux ha-
sous le nom deconnus, dans Ils
donatistes. l'histoire,
avaient bités qu'ils rencontrèrent sur leur
hâte de se venger, sur les catholiques, passage , le fer et la flamme. Les riches
de toutes les persécutions que l'into- et populeux établissements fondés sur
, lérance des empereurs leur avait fait la côte par les Carthaginois ou les
subir. On les avait traités jusqu'alors Romains furent anéantis. Pour expli-
quer les effroyables excès auxquels se
avec une excessive rigueur. Us étaient
assimilés aux criminels d'État. Leurs livrèrent alors les barbares , on est
évêques, leurs prêtres étaient privés de obligé de supposer qu'ils furent ani-
leurs biens, soumis à une rigoureuse més, dans leur œuvre de destruction,
surveillance, et souvent envoyés dans par la rage aveugle des Maures et l'es-
un lointain exil. Us ne pouvaient invo- prit de vengeance des donatistes per-
quer leurs droits de citoyen. Les lois sécutés. Cefut ainsi que les Vandales
n'étaient pas moins sévères contre les parcoururent, massacrant et rava-
laïques. Nul ne se montra plus intolé- geantles
, trois Mauritanies, et qu'ils
rant et plus impitoyable, contre les arrivèrent au fleuve Ampsaga, qui de-
vait être, aux termes du traité conclu
partisans
Honorius. deLal'hérésie crainte , que l'empereur avec Boniface, la limite de leur em-
des châtiments
arrêta seule les plaintes et les protes-
tations des donatistes. Seulement, ils REPENTIR
pire (*). DE BONIFACE; IL REN-
cherchèrent à se rapprocherdes ariens ,
et à confondre les intérêts des deux SANCETRE AVEC LES SIENS SOUS L'OBÉIS-
DE VALENTINIEN; IL PERD
hérésies. Ainsi , quand on envoya une UNE BATAILLE CONTRE GENSERIC ;
armée contre Boniface révolté, ils es- siég-e d'hippone. — A la première
nouvelle de la marche rapide des Van-
sayèrent de mettre da'ns leur parti les dales etde leurs dévastations, Boniface
Goths , que l'empereur avait engagés dut regretter amèrement, sans doute,
pour l'expédition d'Afrique. Ce fait a
été signalé dans ces lignes de saint Au- d'avoir tiré de l'Espagne ces terribles
gustin :« Plusieurs donatistes voulant auxiliaires. Il est vraisemblable que
se concilier les Goths, parce qu'ils les déjà il avait songé , dans son intérêt
croient
sont ariens puissants,comme eux. prétendent
Mais , en qu'ils
cela , propre,séric,à qui, s'opposer en armes à Gen-
chaque jour, se rappro-
ils sont condamnés par l'autorité des chait davantage de la Numidie, lors-
traditions qu'ils invoquent, car il est
toire de Carthage , deuxième partie, p. i53.
avéré que Donat, qu'ils reconnaissent
et qu'ils honorent comme leur chef, Nous renvoyons , en outre , pour ce point
n'a jamais partagé les croyances d'A- historique très-important , à quelques pas-
rius (ep. 185 , ad Bonifac). » Enfin , sages curieux que l'on trouve dans les ou-
pour compléter cette nomenclature vrages suivants de saint Augustin : Sermo
des ennemis naturels de la puissance xxv, de Vcrbo apostol. — Tractatus n, in
romaine, ajoutons que Genséric devait epistol. Joliannis. — Expositio ephtol. ad
encore trouver des auxiliaires, moins, Roman. — Epist. cvm , § 14.
(*) Au temps de Constantin , dans la di-
il est vrai, en Mauritanie qu'aux en- vision administrative des provinces, la Mau-
virons de Carthage , dans les restes de
ritanie Tingitane , la plus occidentale des
la race punique. Cette race , qui avait trois Mauritanies , avait été placée dans la
survécu à tant de catastrophes, n'avait préfecture des Gaules, et dans le diocèse
perdu alors, malgré son long contact
avec les étrangers, ni son caractère d'Espagne. Les deux autres Mauritanies re-
propre, ni sa langue, ni sa vieille levaient de la préfecture d'Italie, et du dio-
cèse d'Afrique. La Mauritanie Tingitane
naine contre les Romains (*). s'étendait de l'Atlantique au Malva; la Mau-
ritanie Césarienne , du Malva au Serbèle ; la
(*) Voyez, dans ce volume, sur la persis- Mauritanie Sitifienne, du Serbèle à l'Amp-
tance de la race punique en Afrique, YHis- saga ,qui la séparait de la Numidie.
n L'UNIVERS.
terdire les incendies, et d'exempter les capitale , et des vaisseaux pour les
captifs de la torture ; et, quoique ces transporter. Les ornements du palais
ordres n'aient été ni sévèrement don- impérial , les meubles, les vêtements,
nés, nistrictement exécutés, la média- la vaisselle, tout fut entassé sans dis-
tion de Léon fut glorieuse pour lui et tinction. L'or et l'argent s'élevèrent à
utile à son pays. Mais Rome, avec ses plusieurs milliers de talents, et les
habitants, barbares ne négligèrent cependant ni
des Mauresn'enet fut des pas moins ;laetproie
Vandales les le cuivre, ni l'airain. Eudoxie elle-
nouveaux habitants de Carthage ven- même paya chèrement son imprudence.
gèrent les anciennes injures de la race On la dépouilla de ses bijoux au mo-
ment où elle venait au-devant de son
punique qu'ils avaient remplacée. Le
pillage continua durant quatorze jours libérateur et de son allié. L'impéra-
et quatorze nuits; et Genséric fit soi- trice et ses deux filles, seuls restes de
gneusement transporter sur ses vais- la famille du grand Théodose, furent
seaux les richesses publiques, celles des forcées de suivre comme captives le
particuliers, et tous les trésors sacrés. sauvage Vandale, qui mit aussitôt à
Parmi les dépouilles, les ornements la voile , et rentra dans le port de Car-
précieux de deux temples, ou plutôt thage après une heureuse navigation.
de deux religions, offrirent un exem- Les barbares entraînèrent sur leurs
ple mémorable de la vicissitude des vaisseaux des milliers de Romains des
choses humaines et divines. Depuis deux sexes, dont la figure ou les ta-
l'abolition du paganisme, on avait lents pouvaient contribuer aux plai-
abandonné le Capitole ; mais on res- sirs de leurs maîtres ; et , dans le par-
pectait encore les statues des dieux et tage des captifs , les maris furent
des héros; et la magnifique voûte de impitoyablement séparés de leurs fem-
bronze doré était comme réservée aux mes, et les pères de leurs enfants. Ils
mains avides de Genséric. Les objets ne trouvèrent de secours et de conso-
sacrés du culte des Juifs, la table d'or, lation que dans la charité de Déogra-
le chandeiier à sept branches , origi- tias, évêque de Carthage. Il vendit gé-
nairement construit d'après les ins- néreusement lesvases d'or et d'argent
tructions deDieu lui-même, qui étaient de son église; racheta les uns, adoucit
placés dans le sanctuaire de Jérusa- l'esclavage des autres, soigna les ma-
lem, avaient été offerts avec ostenta- lades, etfournit aux différents besoins
tion en spectacle aux Romains dans le d'une multitude dont la santé avait
triomphe de Titus , et déposés ensuite beaucoup souffert dans le passage
dans le temple de la Paix. Après quatre d'Italie en Afrique. Le digne prélat
siècles, ces dépouilles fnrent transpor- convertit deux vastes églises en hôpi-
tées de Rome à Carthage par un bar- taux, yplaça commodément tous les
bare qui tirait son origine des côtes de
la Baltique. Les églises chrétiennes, malades,
rer tous les et'semédicaments chargea de leur procu-
nécessaires
ornées et enrichies par la dévotion de à leur état. Deogratias , quoique d'un
ces temps, offrirent une proie abon- âge très-avancé, les visitait exactement
dante aux mains sacrilèges; et la pieuse le jour et la nuit. Son courage lui prê-
libéralité du pape Léon, qui fondit six tait des forces, et sa tendre compas-
vases d'argent donnés par îe grand sion ajoutait un prix inestimable à ses
Constantin, chacun du poids de cent services. Comparons cette scène avec
livres, est une preuve de la perte qu'il celle qui suivit la bataille de Cannes,
tâchait de réparer. Dans les quarante- et jugeons entre Annibal et le succes-
cinq ans qui s'étaient écoulés depuis seur de saint Cyprien (*). »
l'invasion des Goths, Rome avait pres- PARTAGE DES DEPOUILLES', NOU-
que repris sa première magnificence. Il VELLES COURSES DES VANDALES; RI-
était difficile de tromper ou de rassa-
sier l'avarice d'un conquérant qui avait (*) Gibbon ; Histoire de la décadence et
le loisir d'enlever les richesses de la de la chute de l'emvire romain, ch. 36.
21
AFRIQUE
cimer. — A son retour à Carthage , domination sans rivale, et qu'elle leur
le roi Genséric, qui n'avait perdu, eût préparé d'ailleurs, contre les dan-
dit-on , dans la traversée qu'un seul gers de toute espèce dont ils étaient
vaisseau, celui qui portait les orne- assaillis dans leurs courses, des points
de relâche et de sûrs abris. Ils firent
jnents et les statues du Capitole, s'em-
pressa de distribuer les dépouilles de de longs efforts pour compléter ainsi
Rome aux guerriers de sa nation et leurs conquêtes. De 455 à 459, ils
aux Maures qui lui avaient servi d'auxi- s'emparèrent de Malte, et de toutes
liaires. Or, argent, meubles et vête- les petites îles qui se trouvent placées
ments précieux, objets d'art et pri- non loin des côtes de l'Afrique. Mais
son iers tout
, fut partagé. Suivant ils ne furent pas si heureux dans leurs
d'anciens récits, le roi se réserva, tentatives sur la Sicile, la Corse et la
comme part du butin, les ornements Sardaigne. L'empire d'Occident avait
du temple de Jérusalem, que Titus alors un général qui, par son activité
avait transportés à Rome; et, parmi et ses succès, les arrêta dans leurs en-
les prisonniers, Gaudentius, fils d'Aé- treprises. Ricimer détruisit une de
tius, et Eudoxie avec ses deux filles. leurs flottes en vue de la Sicile, près
Plus tard, en 457, Genséric renvoya à d'Agrigente; et, la même année 456,
Constantinople la veuve de Valenti- il les expulsa de la Corse, où ils avaient
nien et de Maximus , avec Placidie ,
qui épousa Olybrius, destiné à devenir essayé de s'établir.
Ricimer était barbare d'origine. Il
un jour empereur d'Occident. Quant à avait eu pour père un Suève. et pour
l'autre fille d'Eudoxie(*), elle demeura mère la fille de Wallia, roi des Wisi-
à Carthage, où elle devint, de gré ou goths. Il avait servi avec distinction
de force, la femme de Hunéric, fils sous Aétius, et s'était élevé rapide-
aîné du roi des Vandales. ment dans l'armée roma-ne, par sa
La révolution qui avait livré Rome bravoure et par ses talents. Après la
à Genséric lui avait donné en même double révolution qui priva du trône
et de la vie Valentinien et Maximus, il
temps dules traité
vertu provinces de 442, d'Afrique
étaient qui , en
restées devint l'homme le plus puissant de
au pouvoir de Valentinien. En 455, les l'Empire. Il hérita en quelque sorte,
Vandales joignirent au territoire qu'ils par illustre
cet la mort chefd'Aétius,
avait deexercée
l'influence que
pendant
possédaient déjà la Tripolitaine et les
trois Mauritanies; et ils étendirent tant d'années sur les soldats barbares.
ainsi leur domination sur toute la côte Ses victoires sur les Vandales accru-
de la Méditerranée, depuis Gadès jus- rent encore sa puissance. Ricimer,
qu'à la Cyrénaïque. Mais cette vaste comme barbare, n'osait aspirer au
étendue de pays ne leur suffit point en- rang suprême; mais il voulait au
core; ils remontèrent sur leurs vais- moins, à défaut du titre, se réserver
seaux et
, parcoururent la mer comme le pouvoir absolu des empereurs. Il
autrefois, pour attaquer et piller les exerça ce pouvoir, et le fit sentir sur-
provinces d'Europe qui étaient sou- tout °à ceux qui étaient revêtus de la
mises àl'Empire. Ils voulaient aussi pourpre, et qui semblaient placés au-
s'établir dans toutes les îles de la Mé- dessus de lui. Ce fut, en 456, au re-
diterranée. Ils avaient bien compris tour de la Corse, qu'en déposant Avi-
que la possession de ces îles leur eût tus, Ricimer fit le premier essai de ses
donné sur mer, et pour longtemps, une forces. L'empereur déchu n'essaya
(*) Nous suivrons, à cause de l'usage, point de
avait reprendre
enlevé; le titresans
il comprit qu'ondoute
lui
l'exemple de Gibbon et de quelques autres
historiens modernes qui l'appellent Eudoxie que, même avec l'appui du roi des
comme sa mère. Cependant Procope donne Wisigoths, son protecteur, toute ré-
des noms différents a la veuve de Valenti-
et revint sistance
dansserait lavaine.
GauleIl ,quitta l'Italie,
sa patrie , où
nien et à sa fille, l'épouse de Hunéric. Il
appelle la première Eûôoijia , et la seconde il mourut (456). Après la déposition
EOSoxta.
d'Avitus et un interrègne de plusieurs
22 L'UNIVERS.
mois, Ricimer donna son assentiment roi , fut battue sur la côte de Sinuessa,
à l'élévation de Majorien, que les vœux non loin de l'embouchure du Liris.
des Romains avaient appelé au trône Genséric , après cet échec , se crut en
impérial (avril 457). péril; et, suivant son usage, il alla
l'empereur majorien ; ses pré- chercher, parmi ses alliés naturels, les
paratifs POUR attaquer les van- peuples germaniques, des ennemis aux
dales EN AFRIQUE ; DESTRUCTION Romains. Il s'empressa de renouer
DE LA FLOTTE ROMAINE A CARTHA- avec les Wisigoths; et, pour accroître
GÈNE ; MORT DE MAJORIEN. — Le le nombremédiateur de ses auxiliaires, il s'offrit
caractère du nouvel empereur était, comme dans la guerre que
suivant l'expression de Gibbon , grand ce peuple soutenait alors contre les
et héroïque. Dans sa jeunesse , il s'é- Suèves. Mais Majorien, sans s'inquié-
tait illustré à la guerre par des actions ter des ennemis que lui suscitait le roi
d'éclat. Il arriva même, à la fin, que des Vandales , faisait , pour attaquer
sa gloire fit ombrage à Aétius. Il avait l'Afrique, d'immenses préparatifs. Il
trop de prudence pour engager la lutte ne les ralentit point quand le roi des
contre celui dont la puissance, en Oc- Wisigoths manifesta des dispositions
hostiles ; seulement il entra en Gaule,
abandonnacident,doncn'avait point de bornes.
les armées, et rentraIl le prévint et le battit. Par son ordre,
dans la vie privée. Après la mort d' Aé- on avait préparé ou rétabli les arse-
tius, ilreparut à la tête des troupes naux de l'Empire. On construisait une
impériales. Au moment même où l'es- grande flotte sur les côtes de la Ligu-
time de tous lui décernait le pouvoir rie. Cette flotte nouvelle devait se join-
souverain , il venait d'arrêter, au pied dre aux anciens vaisseaux qui station-
des Alpes, une nouvelle invasion des naient dans l'Adriatique, et se rendre,
peuples germaniques. Maître de l'Em- avec eux, à Carthagène, où l'empereur
pire, Majorien n'avait plus rien à dé- se proposait d'embarquer son armée.
sirer; et, comme tant d'autres, il au- Vers ce temps, suivant une vieille
rait pu , en se cachant dans son palais, tradition byzantine, Majorien, voulant
se livrer tout entier à de faciles plai- connaître les ressources de son en-
sirs, et se dérober désormais aux tra- nemi ,se rendit à Carthage. Il se pré-
vaux et aux dangers. Son élévation senta àGenséric sous un faux nom ,
et comme ambassadeur.il avait noirci
cependant n'amollit point son âme , et
il porta en temps de paix , dans l'ad- sa chevelure , qui naturellement était
ministratila
on , vigilance et l'énergie blonde, et ressemblait à l'or. Genséric
qui l'avaient illustré au milieu des l'accueillit avec distinction; et, pour
camps. Vivement préoccupé par les lui donner une haute idée de ses forces
maux de l'Empire, il déploya une acti- et de sa puissance, il le conduisit à
vité extraordinaire pour le guérir au son arsenal. On dit qu'à l'approche de
dedans, et pour écarter les dangers ces deux illustres guerriers, les ar-
qui , du dehors, le menaçaient de toutes mes entassées
un son. Le rois'agitèrent et rendirent
des Vandales chercha
parts. C'était portait
que Majorien surtoutses* vers l'Afrique
regards et sa alors, mais en vain , l'explication de ce
pensée. prodige. Il n'apprit
Les Vandales, en effet, poursuivaient avait accueilli dans que plus tard, etqu'il
sa capitale au
le cours de leurs pirateries et de leurs sein même de son palais , le plus re-
dévastations. Leur puissance maritime doutable de ses ennemis. « La tradi-
et leurs entreprises audacieuses met- tion, dit un grand historien, du voyage
taient Rome et l'Italie dans un conti- de Majorien à Carthage , doit être re-
nuel danger. Majorien ranima le cou- jetée comme improbable ; mais c'est
rage des Romains, rassembla des vais- une tradition qui n'a pu être imaginée
seaux; etles mesures qu'il prit alors que pour un héros. »
furent si sages et si promptes, que Quand Majorien eut achevé ses pré-
déjà, en l'année 458, une flotte van- paratifsil
, partit avec ses troupes
dale, commandée par un parent du
pour rejoindre la flotte qu'il avait ras-
AFRIQUE. 23
thémius, l'un des plus illustres géné- core cet empire d'Occident, qu'autre-
raux de l'Orient. L'empereur de Cons- fois ilavait si glorieusement défendu.
tantinople, Léon, accueillit favorable- On accueillit sans doute avec joie les
ment lademande qui lui était adressée propositions de Marcellianus. On lui
de Rome. Il savait bien qu'en permet-la confia des troupes, et, à leur tête, il
tant àun de ses officiers de revêtir
partit pulsapour les Vandales la Sardaigne,
(469). d'où il ex-
pourpre, il se réservait une espèce de
suprématie sur l'Occident. Tout s'ar- A la même époque, les généraux de
rangeait donc au gré de Rome et de l'empire d'Orient obtenaient sur terre
Constantinople, lorsque Genséric in- et sur mer de brillants succès. L'un
tervint etdemanda qu'à la placed'An- d'eux , Héraclius , s'empara , avec les
thémius on prît pour empereur Oly- trouves de l'Egypte, de toute la Tri-
brius. Le mérite de l'un lui inspirait politaine, etse prépara à marcher sur
des craintes, tandis que, en raison de Carthage. L'empereur Léon cependant
la parenté, il pouvait espérer de trou- ne voulait point se borner à des atta-
ver chez l'autre un entier dévoue- ques partielles; il avait résolu de frap-
ment (*). Léon et les Romains ne tin- per sur les Vandales un cou|j décisif, et
rent compte ni des demandes, ni des il faisait alors d'immenses préparatifs.
menaces de Genséric. Le roi des Van- Avec les sommes qu'il tirait de Cons-
dales, pour se venger, dirigea alors ses tantinople etdes provinces, il équipa
une flotte de onze cent trente vais-
vaisseaux vers l'Orient , et les pirates
de Carthage allèrent porter sur les cô- seaux, et leva plus de cent mille sol-
dats ou matelots. Quand il eut ras-
pire,tes de
de latoute Dalmatie, de PIllyrie,
la Grèce , des îlesdedel'É-
la semblé toutes ces forces, il les confia
mer Egée, et même de l'Asie, les ra- à Basiliscus, frère de sa femme, l'im-
vages qui n'avaient atteintjusqu'alors pératrice Vérine, et. lui ordonna de se
que les provinces de l'Occident. La diriger vers la capitale du royaume de
cour de Byzance négocia d'abord pour Genséric (470). « La (lotte formidable
arrêter ce fléau; mais voyant que ses de Basiliscus atteignit sans accident la
démarches n'amenaient aucun résul- côte d'Afrique. Il débarqua ses trou-
tat , elle résolut d'opposer la force à pes au cap Bon, ou sur le promontoire
la force, et de soutenir vigoureusement de Mercure, à environ quarante milles
la guerre. de Carthage. L'armée d'Héraclius et
GUERRE ENTRE L'EMPIRE d'ORTENT la flotte de Marcellianus joignirent ou
ET les vandales; basiliscus ; secondèrent le général de l'empereur,
COMBAT NAVAL; RUSES ET VICTOIRE et les Vandales furent vaincus par terre
DE GESSÉRIC ; LES FORCES DE LEM- et par mer , partout où ils voulurent
PIRE D'ORIENT SONT ANÉANTIES. — s'opposer à eux. Si Basiliscus eût saisi
Parmi les guerriers qui suivirent An- le moment de la consternation pour
thémius en Italie, se trouvait Marcel- marcher sur la capitale , Carthage se
lianus. Après son départ de la Sicile, serait nécessairement rendue , et le
il s'était retiré en Dalmatie, et !à , à royaume des Vandales était anéanti.
Genséiicconsidéra le danger en homme
l'aide des soldats qui s'étaient dévoués
à sa fortune, il se maintint à l'égard décourage, et l'éluda avec sa vieille
de Rome et de Constantinople dans habileté. Il offrit respectueusement de
une complète indépendance. Cepen- soumettre sa personne et ses États à
dant ,à l'avènement d'Anthémius, il la discrétion de l'empereur; mais il
demanda une trêve de cinq jours pour
s'imagina peut-être que l'influence de stipuler les articles de sa soumission ;
Ricimer, son ennemi , était à jamais
détruite, et il s'offrit pour servir en- et sa libéralité , si l'on peut en croire
l'opinion
fit aisémentuniverselle obtenir ledesuccès ce siècle, lui
de cette
(*) Plaeidie, femme d'Olybrius , était
sœur d'Eudoxie , quiVandales.
avait épousé Huilerie,
demande insidieuse. Au lieu de se re-
lils aîné du roi des fuser avec fermeté aux sollicitations de
AFRIQUE. 25
son ennemi , le coupable ou crédule ses
Basiliscus consentit à cette trêve fu- sans propres
doute deofficiers Ricimer, à, et
l'instigation
le roi des
neste ,et se conduisit avec aussi peu Vandales apprit avec surprise et sa-
de précaution que s'il eût été déjà le saienttisfaction que les de
eux-mêmes Romains s'empres-
le débarrasser de
maître detervalle,l'Afrique. Dans cefavorables
les vents devinrent court in-
ses plus formidables adversaires. Après
aux desseins de Genséric. II lit monter le mauvais succès de cette grande ex-
sur ses plus grands vaisseaux de guerre
les plus déterminés de ses soldats ; ils pédition, Genséric reprit l'empire des
mers , et les côtes de l'Italie, de la
traînèrent après eux de grandes bar- Grèce et de l'Asie, éprouvèrent tour
ques remplies de matières combusti- à tour les fureurs de sa vengeance et
bles, et, après y avoir mis le feu , ils de son avidité. La Sardaigne et Tripoli
les dirigèrent pendant la nuit au milieu rentrèrent sous son obéissance , et il
de la flotte ennemie, sur laquelle le vent joignit enfin la Sicile aux provinces
les portait. Les Romains furent éveillés déjàGENSÉRIC
soumises CONTINUE à sa domination (*). »
par la vue des flammes qui consumaient LA GUERRE ;
leurs vaisseaux. L'obscurité, le bruit SES RAPPORTS AVEC LES OSTRO-
des vents, le craquement des bois , les GOTHS ; SES DERNIÈRES ENTREPRI-
cris des matelots et des soldats qui ne SES ; IL TRAITE AVEC L'EMPEREUR
savaient ni obéir, ni commander, aug- zénon ; sa mort. — Les historiens
mentaient ledésordre et la terreur des
anciens ont pensé que l'empereur Léon
Romains. Tandis qu'ils tâchaient de perdit sa flotte par trahison. Ils ont
s'élo'gner des brûlots et de sauver une accusé tout à la fois Basiliscus le
partie de la flotte , les galères de Gen- commandant, et Aspar , Goth d'ori-
séric les assaillirent de tous côtés, et gine, qui cherchait, avec son fils Ar-
une partie des vaisseaux sauvés des daburius, à se créer à Constantinople
flammes devinrent la proie des Van- une puissance égale à celle que Rici-
dales. Au milieu des événements de mer exerçait en Italie. En ce qui con-
cette nuit désastreuse, Jean , un des
principaux officiers de Basiliscus, a su cerne Aspar, l'opinion des contempo-
rains ne paraît pas dénuée de vraisem-
par son courage héroïque , ou plutôt blance; mais il est difficile d'admettre
désespéré, arracher son nom à l'ou- la complicité de Basiliscus. Si Léon
bli. Lorsque le vaisseau qu'il avait eût soupçonné seulement ce dernier
bravement défendu fut presque con- d'aspirer,' commeil neon luil'aeûtprétendu, au
sumé par les flammes , il refusa la pi- trône impérial, certes pas
tié et l'estime de Genzon, fils de Gen- accordé un entier pardon. Basiliscus,
séric et,
; se précipitant tout armé dans suivant un ancien historien , était un
la mer, il s'écria, en disparaissant sous brave soldat ; mais son esprit était
les vagues , « qu'il ne voulait point borné et on le trompait aisément.
«tombervivantau pouvoirdeschiens.» Léon était bien loin sans doute de lui
Mais le méprisable Basiliscus, étranger attribuer le désastre qui l'avait frappé,
à ce noble courage et placé au poste le puisqu'il lui rendit sa confiance et le
plus éloigné de tout danger, prit hon- replaça à la tête de ses troupes. Ce fut
teusement lafuite dès le commence- avec les débris de la flotte d'Orient
ment du combat , retourna précipi- que Basiliscus battit, en 471, les Van-
tam entConstantinople,
à après avoir
perdu moitié de sa flotte et de son ar- (*) Ce récit est emprunté à Prooope. O-ib-
bon (Hist. de la décadence, etc., ch. 36) a
mée, et se réfugia dans le sanctuaire
seulement cherché , à l'aide des documents
de Sainte-Sophie, où il attendit que sa contemporains , à rendre plus clair et plus
sœur eût arraché par ses prières et ses
précis l'historien byzantin, en ce qui con-
larmes un pardon à l'empereur indi- cerne lamort de Marcellianus. Voy. Procop.
gné. Héraclius fit sa retraite à travers de Bello Vandal., I, 6; éd. Dindorf. Cor-
le désert; Marcellianus se retira en
i833.pus script, hist. byzant. , etc. ; Bonnce ,
Sicile , où il fut assassiné par l'un de
26 L'UNIVERS.
dales sur les cotes de l'Italie , et les l'ambassadeur. Il se fit reconnaître par
repoussa jusque dans le port de Car- Zenon comme légitime possesseur de
ihage. toute la côte septentrionale de l'Afri-
Aspar, il faut le croire, était le traî- que, depuis Ja ,Cyrénaïque jusqu'à, dela
tre qui , par ses intrigues et ses mau- mer Atlantique des îles Baléares
vais conseils , avait livré vaisseaux et la Corse, de la Sardaigne et de la Si-
soldats au roi des Vandales. Léon lui cile. En retour, il promit de traiter à
fit expier, en le tuant , sa trahison et l'amiable pour la dot si longtemps ré-
les craintes que, depuis si longtemps, clamée de .l'épouse de son fils Huné-
il avait inspirées aux maîtres de l'O- ric, et aussi pour des contestations
rient par ses hauteurs et son immense qui s'étaient récemment élevées entre
crédit. La mort d'Aspar fut encore les marchands grecs et ceux de Car-
pour Genséric un événement beureux, thage. Il fit plus : par estime pour Ze-
car elle fit naître une guerre et amena, non et pour Sévérus, l'ambassadeur, il
jusque sous les murs de Constantino- cessa de persécuter les catholiques, et
ple , de redoutables ennemis (472). leur permit d'ouvrir leurs églises et
Parmi eux se trouvait le puissant roi de rappeler leurs évêques exilés. Enfin,
des Ostrogoths , Théodéric. La capi- il rendit la liberté à tous les sujets de
tale fut sauvée; mais les barbares ne Zenon, qui, par la piraterie ou la
voulurent point encore poser les ar- guerre, étaient tombés aux mains des
mes. Tandis que le roi des Vandales, Vandales , et qui , lui étant échus en
qui avait contracté alliance avec les partage , vivaient comme esclaves dans
Ostrogoths , pressait Théodéric de ses domaines. Après ce traité, qui lé-
renverser Léon , il faisait ses courses gitimait ses anciennes et ses nouvelles
accoutumées, et dévastait au midi les conquêtes aux veux du seul monarque
qui eût le droit de les lui contester, il
provinces de l'empire. Il essaya même
d'attaquer n'avait plus rien à désirer. Ce fut le
Alexandrie. l'Egypte Cette fois,etil échoua
de prendre
dans dernier succès d'un règne qui , depuis
son entreprise (473). La mort de Léon cinquante ans, n'avait pas cessé d'être
en 474, suspendit, pour un instant heureux. Au mois de janvier de l'année
les hostilités(*). Genséric vit enfin tom 477, Genséric atteignit le terme de sa
ber l'empire d'Occident. Il l'avait corn glorieuse vie.
battu , épuisé , amoindri , sans relâche fxOUVERNEMENT DE GENSERIC. —
pendant un demi -siècle; et, en 476 Pendant la longue période de l'histoire
il put se glorifier de ce que nul , parmi des Vandales que nous venons de par-
les chefs barbares, sans excepter Ala- courir, les pirateries et les guerres
ric et Attila , n'avait fait autant que n'avaient point absorbé toute l'activité
lui pour effacer du monde le nom et de Genséric. Ce chef, qui eut toujours
les armes à la main, porta souvent,
la puissance de Rome. Restait l'empire néanmoins, son attention et ses soins
d'Orient, contre lequel il se tourna. vers les provinces qui étaient tombées
L'année même où la royauté d'Odoacre
succédait, en Italie, à l'ancien gouver- en sa possession. Il s'appliqua cons-
nement romain, Genséric dirigea ses tamment, en régularisant, si je puis
pirates vers les côtes de l'Épi re. L'em- me servir de cette expression , sa con-
pereur de Constantinople, Zenon, lui quête, àrendre forte et permanente
envoya alors un de ses officiers, Sévé- sa domination, qui , dans le principe,
rus, pour demander la paix. Le vieux avait été uniquement
roi ne rejeta point les propositions de force. Il réussit. Nous nel'œuvre de la
connaissons
pas tous les moyens qu'il employa
pour arriver à son but; mais, au moins,
(*) Nous avons déjà dit plus haut qu'au les résultats de son long règne attestent
moment où Théodéric , roi des Ostrogoths,
traita avec les empereurs de Constantino- son extrême vigilance et sa grande sa-
ple ,il s'engagea à combattre tous les en- gesse. Nous parlerons ailleurs et lon-
nemis de l'empire , les Vandales exceptés. guement de la forme du gouverne-
AFRIQUE.
ment chez les Vandales, des institutions au gré deconquise. ses compagnons d'armes,
politiques, des rapports des vainqueurs la terre Puis, ch«se bien
avec les vaincus, des alliances avec plus difficile encore, il mit les vain-
les Maures, etc ; ici , nous nous bor- queurs et les anciens possesseurs du
nerons àrappeler, en peu de mots, les sol de la Proconsulaire, qui, pour la
faits qui concernent l'histoire inté- plupart, comme nous le dirons ail-
leurs, étaient devenus de simples fer-
séric. rieure de l'Afrique , au temps de Gen- miers, dans des relations telles, que les
Depuis la sortie de l'Espagne jus- Vandales eurent intérêt à effacer peu
qu'à la prise de Carthage, la nation à peu tous les souvenirs de leur con-
vandale n'est qu'une horde inquiète, quête et
, à faire oublier aux Romains,
errante , qui n'a point d'autre patrie par des ménagements de toute espèce,
que la terre enclose par des fossés où les rigueurs de l'expropriation. Gensé-
elle place son camp; d'autres mœurs ric n'étendit point seulement ses soins
que celles que font la guerre et des à la province qu'il avait divisée entre
combats sans cesse renouvelés; d'au- ses guerriers, mais encore aux autres
tre gouvernement que la discipline des parties de l'Afrique où la terre n'avait
armées. Il suffisait alors, à celui qui point cessé d'appartenir aux Romains.
dirigeait les mouvements de cette En dehors de la Proconsulaire ou Zeu-
horde, d'avoir assez de bravoure et gitane, jusqu'à l'extrême frontière de
d'énergie pour la sauver des attaques son empire, des garnisons maintenaient
de l'ennemi, et pour maintenir, dans les habitants dans l'obéissance, et as-
cette foule composée , comme nous suraient larentrée des impôts. Pour
l'avons dit, de tant d'éléments divers, s'étendre si loin , la surveillance de
l'obéissance et l'apparence de l'unité. Genséric ne fut pas moins active que
Après la prise de Carthage, les Van- par le passé. Ce fut ainsi qu'il contint
dales, les Alains et les autres barbares barbares et Romains, d'une main ferme
gui et sûre,
, sur seset anciens qu'il conserva jusqu'à
sujets,la
furents'étaient
mis en associés à leur
possession fortune et,
de terres fin et nouveaux
de demeures qu'ils ne devaient plus un pouvoir absolu. Des récits contem-
quitter. La vie du camp et des aven- porains nous apprennent que plus
tures cessa pour eux. Ils se dissémi- d'une fois , avant et après la prise de
nèrent dans une vaste et fertile pro- Carthage, les soldats barbares conspi-
vince ,la Proconsulaire , qu'ils ne rèrent contre l'autorité et la vie de
pillèrent point comme les lieux où ils leur chef; maislesnous savons aussiparqu'il
ne faisaient que passer, mais qu'ils ex- arrêta toutes conspirations de
ploitèrent dans des vues d'avenir, sans sanglantes exécutions. Nul en Afrique,
l'épuiser. Leurs mœurs changèrent. pendant son règne d'un demi - siècle ,
La nation , ainsi transformée , ne pou- ne se révolta impunément.
vait plus être régie seulement à l'aide Genséric, on le voit, eut à surmon-
de ces mesures simples et énergiques ter de graves et d'innombrables diffi-
qui assurent l'ordre dans les armées; cultés. Toutefois, il faut dire qu'il fut
il lui fallait un gouvernement plus sa- secondé dans son gouvernement par
vant et plus compliqué , et un chef qui deux choses : d'une part , par les hé-
ne fût pas exclusivement un homme résies qui avaient pris racine en Afri-
de guerre. Tous les faits que nous que ,et, d'autre part, par les odieux
avons déjà signalés semblent attester souvenirs qu'avaient laissés dans tous
que les vues et les talents de Genséric les esprits les excès de l'administration
s'étendirent avec ses succès. Il se impériale. D'abord les donatistes et les
montra aussi habile à gouverner un ariens, jadis persécutés, devinrent pour
peuple sédentaire qu'à diriger les mou- lui, en haine des empereurs, leurs
vements irréguliers d'une tribu no- ennemis, de fidèles et puissants auxi-
made. liaires; ensuite il rencontra , même au
D'abord» il partagea, il faut le croire, sein de la population catholique , des
28 L'UNIVERS.
taine. Zenon sanctionna, par son traité
hommes qui l'acceptèrent avec joie, avec le roi des Vandales (476), ces
préférant , comme on l'avait déjà vu
tant de fois, dans ce siècle de calami- usurpations successives des provinces
tés, la domination des barbares à l'ad- qui avaient appartenu autrefois aux
ministration oppressive des Romains. empereurs romains. Il reconnut en
Le fisc impérial avait exercé sur l'A- outre Genséric comme légitime pos-
frique sadésastreuse influence. Il l'avait sesseur des Baléares, de la Corse, de
ruinée, épuisée. Les habitants, en proie la Sardaigne, de Malte et des petites
depuis si longtemps à d'intolérables îles avoisinantes, et, enfin, de la
souffrances, virent dans les Vandales Sicile.
des libérateurs; et, en réalité, ils trou- Quand Genséric mourut, son auto-
vèrent, sous le gouvernement de Gen- rité était reconnue en Afrique , depuis
séric, un soulagement à leurs maux. l'Atlantique et Ceuta jusqu'à l'embou-
Enfin , le roi des Vandales se mon- chure du Cinyps, et peut-être même,
tra fort et habile dans ses relations
avec les Maures. Pour tourner à son à l'est de ce fleuve, jusqu'à la fron-
tière de l'ancien empire carthaginois ,
profit et à l'avantage de ses États l'ar- c'est-à-dire, jusqu'aux autels des Phi-
deur de cette nation avide et remuante, lènes. Sans doute, en certains lieux,
il l'associa à toutes ses entreprises. Il dans les trois Mauritanies, par exem-
plaça des Maures dans les rangs de ple, et dans la Tripolitaine, la domi-
ses nation des Vandales ne s'étendit pas
ses 'soldats,
garnisons.surIl ses vaisseaux
payait et dans
leurs services, au loin dans les terres; souvent même
et, de plus, il les excitait aux pirate- elle neToutefois,
se fit sentir qu'aux
ries ,en leur faisant , au retour de côte. il faut direvilles
que, deparla
chaque expédition, une part dans le la nature de ses relations avec les
Maures, Genséric mit ses frontières
butin. Ce fut ainsi qu'il préserva la
partie méridionale de son royaume de du sud à l'abri des attaques et des in-
continuelles invasions, et qu'il s'aida vasions; et, sous ce rapport, sa puis-
pour seins l'accomplissement de ses des-, sance en Afrique fut plus forte et plus
et pour ses agrandissements étendue que celle des empereurs ro-
même de ceux que des circonstances mains qu'il avait remplacés (*).
fortuites et une haine commune contre
PORTRAIT DE GENSERIC — L'en-
les Romains avaient rendus momen- semble des événements que nous avons
tanément ses alliés, mais qui, par leur racontés jette une vive lumière sur le
position, leurs mœurs et leurs besoins, caractère et les grandes qualités du roi
devaient être ses plus implacables en- Genséric. Toutefois , nous n'aurions
nemis.
ÉTENDUE DES POSSESSIONS DES encore de ce chef, l'un des plus il-
lustres parmi les barbares (**), qu'une
VANDALES SOUS LE RÈGNE DE GEN- idée bien incomplète, si nous ne rap-
séric — Le territoire sur lequel Gen- prochions de nos jugements le témoi-
séric régnait, et qu'il maintint pendant gnage et les impressions des siècles
tant d'années dans une complète dé- Suivant Orose, les Vandales étaient
pendance occupait
, presque toute la passés.
côte septentrionale de l'Afrique. Nous de leur nature « avides de gain , sans
avons dit qu'en Tannée 442, après son foi , et amis de la ruse (***). » On a vu ,
établissement définitif, le roi des Van- dans les pages qui précèdent, que
dales avait consenti à ne garder de ses Genséric ne démentait point son ori-
conquêtes que la ProeonsulaiVe ou gine. Il avait aussi la bravoure com-
Zeugitaue, la Byzacène, et une faible mune àtous les barbares; et, de plus,
portion de la Numidie. Après la mort
de Valentinien et la prise de Rome (*) Voyez Papencordt , 1. nr , chap. i ,
(455), il occupa,
dessaisir, pour ne plus toute
les trois Mauritanies, s'en p. 174 et suiv. ; et Marcus, p. iS5 et suiv.
(**) Procop. ; de Be.llo goth.t m, 1.
(***) Oros., VII, 38.
la Numidie, et, à l'orient, la Tripoli-
AFRIQUE.
29
il se distinguait par la promptitude qualités pouvait accomplir et affermir,
avec laquelle il prenait et exécutait avec cinquante mille soldats au plus ,
ses résolutions. Les Byzantins, tant de appartenant à plusieurs races et à plu-
fois trompés et vaincus, disaient de sieurs nations, la conquête de toute
lui « que ses ennemis n'avaient pas en- l'Afrique septentrionale. La grandeur
core eu le temps de réfléchir et de des Vandales fut donc exclusivement
prendre leurs mesures, que déjà il les l'œuvre de Genséric. Elle avait com-
avait frappés (*). » Il s'affranchit, et mencé avec lui ; mais aussi elle ne de-
c'est là vait point lui survivre. Dès les pre-
lière sans
chez un doute barbare une victorieux
chose singu-
, de miers jours d'un nouveau règne devait
toutes les passions qui auraient pu se manifester la décadence de la nation.
gêner ses desseins et arrêter ses en- AVENEMENT DE HUNERÏC ; SES
treprises. Ilne s'amollit point au sein RAPPORTS AVEC L'EMPIRE D'ORIENT;
du luxe et des plaisirs qu'offrait, à PREMIERS SYMPTÔMES DE DÉCA-
Carthage, la vieille civilisation ro- DENCE CHEZ LES VANDALES (*). —
maine. Il subordonna, ce qui était Après la mort de Genséric (477) , Hu-
bien rare de son temps, ses croyances néric, son fils aîné, lui succéda. Il
religieuses à ce que nous appellerions était à peine en possession du trône
aujourd'hui ses vues et ses intérêts po- que de graves dissentiments éclatèreut
litiques. Genséric, s'il faut en croire entre lui et l'empereur
réclamations relatives àd'Orient.
des actesDes
de
d'anciennes traditions , avait été ca-
tholique dans sa jeunesse (**). Plus piraterie avaient fait naître des diffi-
tard , par ambition et pour régner plus cultés que rendait plus grandes en-
sûrement sur une nation qui avait core l'ancienne obstination de la cour
adopté presque toutentièrel'arianisme, de Bvzance à ne point payer la dot de
il changea de croyances. On sait qu'en la reine Eudoxie, L'empereur, en effet,
Afrique, il se fit le persécuteur de retenait toujours les biens de l'épouse
ceux qui avaient été autrefois ses co- de Hunéric. Le roi Genséric n'avait
religionnaires. Mais il cessa de se pu les obtenir malgré ses vives ins-
montrer sévère à leur égard, le jour
où il ne vit plus en eux des ennemis tances ,et son successeur n'avait pas
été plus heureux que lui dans ses pre-
mières demandes. Cependant, Zenon
politiques. Après la chute de l'empire consentit enfin à négocier. Il envoya
d'Occident et la ruine de la puissance
maritime des Byzantins, les catholi- pour terminer cette affaire , et peut-
ques ayant perdu tout espoir de se- être par esprit de conciliation , un
cours, et ne lui inspirant dès lors au- homme dont le choix devait plaire au
cune crainte, il leur permit d'ouvrir roi des Vandales (478). C'était Alexan-
leurs églises, et les toléra. Jornandès dre, principal officier de la maison de
a tracé en quelques mots le portrait Placidie, sœur d'Eudoxie.
de Genséric. «Il était, dit -il, d'une teur se conduisit sans douteLe avec
négocia-
une
taille moyenne, grande habileté, car Hunéric le fît
chute de cheval, ilet,boitait. par suite d'une
Il méditait suivre à Constantinople par des am-
beaucoup, parlait peu, et ne s'aban- bassadeurs chargés de porter à Zenon
donnait point aux plaisirs. 11 était des paroles de paix et d'amitié (479).
irascible et avide de richesses. Il se Le roi des Vandales leva lui - même
montra prévoyant dans ses alliances,
et toujours habile à exciter entre les (*) Pour toute la période de l'histoire des
différents peuples la discorde et les Vandales qui s'étend de la mort de Gensé-
ric à la déposition de Hildéric, nous avons
haines (***). » fait souvent usage de l'ouvrage de M. Papen-
Celui-là seul qui possédait tant de cordt [Geschiclde der 'vandalischen Herrs-
chafl in Jfrica, p. 109 et suiv.) et aussi
(*) Ma\ch\ Histor., p. g5, éd. Paris. d'un excellent travail qui nous a été com-
(**) Idatii Chron., p. 22. muniqué par un jeune savant, M. Maximi-
lien Veydt.
(***) Jornand.; De reb. get. 53.
80 L'UNIVERS.
tous les obstacles qui s'opposaient à les Vandales, pour jouir plus complè-
une sincère réconciliation : il renonça tement de la paix, renoncèrent à leurs
à la dot cTEudoxie; il cessa de récla- courses maritimes. Ils se jetèrent, avec
mer une indemnité pour les marchands une espèce d'ivresse, dans tous les
de Carthage, qui avaient été pillés; il plaisirs et dans toutes les débauches
abandonna enfin toutes les prétentions qui avaient tant affaibli ces Romains
que Genséric, son père , avait fait va- qu'ils méprisaient et qu'ils avaient dé-
loirrentsur l'Empire.
aisément dansLeslesGrecs motifspénétrè-
de ces possédés. L'esprit militaire s'éteignit
chez eux , et les forces de la nation dé-
larges concessions; ils surent que Hu- clinèrent rapidement. Mais ce change-
ment dans les habitudes et les mœurs
néric n'était pas moins avide qu'eux-
mêmes d'éviter une rupture et la guerre. devait avoir de prompts résultats. Les
Voici quelles furent alors leurs im- Maures, que la main puissante de Gen-
pres ions : séric avait à peine contenus, se levèrent
«Les ambassadeurs qui revinrent en armes sous Hunéric, et ils com-
avec Alexandre, dit le Byzantin Mal- mencèrent dès lors une guerre sans
chus déclarèrent
, que leur roi Hunéric fin contre les Vandales dégénérés.
désirait, sans feinte, devenir l'ami de guerres entre les vandales
l'empereur Zenon; qu'il aimait les et les maures; caractère de ces
Romains, etclamationsqu'il derentesrenonçait à sesbiens
et des autres ré- guerres. — Nous n'essayerons point
ici de raconter, dans les moindres dé-
que Léon avait retenus à sa femme ; tails, tous les incidents de ces longues
qu'il ne serait même plus question des guerres. Nous nous bornerons à repro-
biens qu'on avait enlevés, dans la der- duire une page où, suivant nous,
nière guerre, à des marchands de Car- M. MarCus a parfaitement saisi et rendu
thage ,ni de tout ce qui avait fait éle- le caractère général de la lutte que
ver à son père des plaintes contre les les Vandales eurent à soutenir contre
Romains; que Hunéric voulait conclure les Maures, leurs agresseurs. «Les
une paix durable avec eux , et ne pas événements auxquels ce combat des
même laisser subsister dans leur esprit deux nations donna lieu, dit-il, ne
le soupçon qu'il pourrait un jour ne nous sont guère connus ; il est néan-
pas observer fidèlement les traités à moins facile d'en déterminer le carac-
intervenir et les arrangements déjà tère, et de dire quel en fut le résul-
faits; qu'il avait de grandes obliga- tat. C'était une suite continuelle de
tions àl'empereur de ce qu'il témoi- petites guerres de partisans dont les
gnait tant de respect à Placidie, femme côtes de la Tripolitaine, les parties
d'Olybrius ; qu'aussi était-il prêt à con- basses de la Byzacène, les montagnes
sentir àtout ce que Zenon lui deman- d'Aurès, et le haut plateau bordé , au
derait. Ce n'était pourtant que l'exorde sud, par ces dernières; au nord, par
d'une harangue décente, que tout cela ; le petit Atlas; à l'est, par le Bagradas
la vérité est que les Vandales furent
ou Megerda, et, à l'ouest, par le lac
alors fortement soupçonnés d'avoir Chott et par lele cours supérieur de l'A-
voulu faire la guerre à l'Empire ; mais jebbi, furent principal théâtre. Les
ils s'étaient tellement amollis depuis Maures étaient d'ordinaire les agres-
la mort de Genséric, qu'ils ne por- seurs dans ces guerres; et ils les en-
taient plus la même vigueur que jadis treprirent dans les premiers temps
aux affaires. Ils n'entretenaient même pour devenir maîtres absolus des
plus ces armées et ces flottes que Gen- chaînes de montagnes et des plateaux
séric avait toujours prêtes dans les ou vallées qu'elles renferment; et, plus
ports de mer, et avec lesquelles il dé- tard, pourhabitants
s'enrichirromains par le pillage aux
jouait les projets de ses ennemis , frais des de la côte
avant ment même arrêtés. qu'ils » fussent définitive- et des térieurparties peu Vandales
élevées devaient
de l'in-
du pays. Les
En effet , à partir de cette époque ,
s'opposer aux projets des Maures*
31
AFRIQUE.
sinon, ils risquaient de voir bientôt de Césarée et de quelques autres villes
leur empire réduit aux limites de la maritimes, mais à expulser en outre
Proconsulaire, où ils demeuraient les Vandales de toute la partie de la
presque tous. Mais, dans leur lutte Numidie qui est située au sud du petit
contre les Maures, tous les avantages Atlas. Plus à l'est, les Maures de la
étaient du côté de ces derniers. Agres- Tripolitaine et de la Byzacène étendi-
seurs, ils purent faire porter leurs at- rent leurs ravages, déjà sous le règne
taques sur plusieurs points de l'em- de Trasamund, jusqu'à Ruspe et au
pire vandale à la fois, ou sur ceux qui delà. Du temps de Hunéric, les Maures
leur offraient pour le moment le plus
de chances de succès. Les Vandales ne purent détacher de l'empire vandale
avaient peu de troupes stationnaires que les montagnes
districts situés surd'Aurès la routeet de
quelques
Lam-
dans les provinces du prince; mais bèse à Sitifis. Mais sous les rois pos-
c'est là précisément que se vidait la térieurs, leurs conquêtes s'agrandirent
querelle des deux nations; et les con- d'autant plus rapidement que les Van-
quérants germains de l'Afrique n'au- dales s'amollirent davantage; et, dans
raient pas voulu que les habitants ro- les dernières années de la domination
mains de ces provinces se chargeassent de ce peuple germain en Afrique, les
de leur défense. Si les Vandales appro- habitants d'Adrumète, ville située non
chaient avec des forces trop grandes, loin de la Proconsulaire, se virent obli-
les Maures se retiraient dans des lieux gés de fermer les ouvertures qui étaient
déserts ou défendus par de hautes à leurs maisons, et de les joindre les
montagnes , sauf à revenir dès que unes aux autres, pour se défendre tant
l'ennemi serait parti , ou à envahir le bien que mal contre les irruptions su-
territoire vandale à une longue dis- bites des Maures de (*). Hunéric
»
Tentatives . pour
tance de l'endroit où le parti adverse
avait momentanément pour lui la su- changer l'ordre de succession
périorité du nombre. Mais les Maures au trône; ses persécutions con-
tre SA PROPRE FAMILLE ET CONTRE
étaient d'ordinaire plus nombreux que
les Vandales, et la tactique militaire LES GRANDS DU ROYAUME. — Il Sem-
de ceux de l'Est les lit sortir victorieux ble que pendant la durée de son règne,
de tous les combats qu'ils livrèrent aux Hunéric n'ait voulu manifester son
guerriers tudesques. Quant aux Maures autorité et sa puissance que contre ses
de l'Ouest, ils se battaient aussi bien à parents et contre ses propres sujets.
cheval que les Vandales, et leurs fan- Sans tenir compte des nombreux dan-
tassins valaient probablement mieux gers qui du dehors menaçaient les
que l'infanterie de ces derniers. La Vandales, il se plut à porter le désordre
flèche et le dard des Numides et des dans Tintérieur de son royaume, et à
Mauritains les mettaient à même de diminuer ses propres forces par un
faire plus de mal aux Vandales, que gouvernement tyrannique et par de
ceux-ci ne purent leur en faire avec sanglantes persécutions. Une chose le
leurs larges épées et leurs longues lan- préoccupa avant tout, ce fut de chan-
ces, les Maures occidentaux ayant ger l'ordre que Genséric avait établi
l'habitude de disparaître comme l'é- pour la succession au trône. Le con-
clair du champ de bataille quand ils quérant de l'Afrique avait voulu que
voyaient de loin l'ennemi fondre sur la royauté appartînt, en cas de mort,
eux, et de se jeter sur lui à leur tour non point suivant les lois ordinaires
au moment où il s'y attendait le moins. au fils du roi défunt, mais au membre
Il n'est donc pas étonnant que dans le plus -âgé de la famille royale. Il faut
les parties occidentales de l'empire ajouter, toutefois, que les fils du roi
vandale, les Maures soient parvenus défunt étaient appelés aussi à succéder,
peu à peu, non-seulement à se rendre
maîtres de toute là Mauritanie césa- (*) M. Marcus; Histoire des Vandales (
rienne etdecellede Sitifis, à l'exception etc. , p. 3 1 1 et suiv.
32 L'UNIVERS.
à la terre comme esclave. La colère
pourvu qu'ils remplissent cette condi-
tion d'âge que Genséric, par crainte du roi ne fut pas encore apaisée par
des minorités et aussi peut-être pour tant de rigoureux châtiments : chaque
légitimer sa propre élévation , avait mois, Camut était frappé de verges;
posée dans son testament- Hunéric, on mesurait l'eau qu'il buvait, et le
pour favoriser ses enfants, voulut pain qu'on lui donnait était à peine
violer Tordre établi. Pour parvenir à suffisant pour prolonger son exis-
son but, il se fit le persécuteur des tence.
autres membres de sa famille. Parmi
Dès arien
vêque les premières exécutions,
de Carthage, l'é-
Jocundus,
ceux-ci, il craignait surtout la femme
rusée et habile qu'avait épousée son -avait essayé de porter au roi des pa-
frère Théodéric. Il l'accusa d'un crime roles de pitié et de clémence. La pa-
imaginaire et la fit décapiter. Le fils cifique et généreuse intervention du
aîné de Théodéric, jeune prince versé prélat fut mal récompensée : Hunéric
dans les belles-lettres, partagea le sort irrité fit brûler Jocundus en présence
de sa mère; puis un autre fils encore de tout le peuple assemblé. Les catho-
en bas âge et deux filles furent aban- liques virent peut-être avec joie cette
donnés àla fureur des animaux sau- fin tragique d'un évêque arien , mais
vages ; enfin Théodéric et Genzon , le temps n'était pas éloigné où devait
frères du roi, et Godagis, un de ses fondre sur eux une terrible persécu-
tion.
neveux, furent condamnés à l'exil. On INTERVENTION DE HUNERIC DANS
ne laissa auprès d'eux aucun de ceux
qui auraient pu les aider ou les con- LES AFFAIRES RELIGIEUSES; LES MA-
soler; on leur enleva même leurs ser- NICHÉENS ET LES CATHOLIQUES. —
viteurs et leurs esclaves. Les comtes Dans les premiers temps qui suivirent
son avènement, Hunéric se montra
et les autres nobles soupçonnés d'être
les partisans des opprimés lurent étran- plus tolérant que son père envers les
glés. catholiques de son royaume. Il acca-
Hunéric, qui frappait avec tant de bla d'abord de ses rigueurs les mani-
rigueur ses frères et ses neveux, ne chéens. Il ménageait alors les catho-
devait point, sans doute, se montrer liques pour les lier en quelque sorte
scrupuleux et modéré à l'égard de ceux à ses projets. Il espérait sans doute
qui ne lui étaient pas unis par les liens qu'à l'aide de cette modération affec-
du sang. Sans mémoire pour les ser- tée ,il les gagnerait à sa cause et à
vices passés, sans respect pour les celle du fils qu'au mépris des lois il
choses les plus saintes, il enveloppa voulait placer sur le trône. Quand il
également dans ses sanglantes persé- s'aperçut qu'il ne pouvait réussir par
cutions et les vieux compagnons de la douceur, il eut recours à la sévé-
son père , et les ministres de sa reli- rité et aux violences : il priva tous les
gion. D'abord il fit trancher la tête à catholiques de leurs emplois ; il pour-
Heldie , que Genséric avait nommé suivit même les officiers de sa cour
chancelier du royaume. Il fit saisir qui refusèrent d'embrasser l'arianisme;
aussi la femme de Heldie, Teucarie , et, après les avoir dépouillés de leurs
et la condamna au feu. Après l'exécu- biens , il les fit déporter en Sardaigoe.
tion les
, restes des deux époux furent Il était naturel que la persécution
traînés, durant un jour entier, sur frappât surtout les prêtres et les évê-
toutes les places et dans les rues de ques. Hunéric ne se contenta point
Carthage. Le frère de ces infortunés , de leur ôter leurs biens ; dans la pre-
Camut , parvint à se soustraire au der- mière moitié de l'année 483 , il en jeta
nier supplice en se réfugiant dans un près de cinq mille dans les déserts de
temple. Il fut arrêté néanmoins, et il l'Afrique , et les livra ainsi , sans dé-
ne put échapper à la torture ; on le fense , aux attaques et aux mauvais
jeta d'abord dans une fosse immonde, traitements des Maures. Néanmoins,
d'où il ne fut tiré que pour travailler malgré sa toute-puissance , le roi sen-
AFRIQUE. 3$
tit le besoin de donner à ces actes, jesté royale de faire retomber le mal
d'une odieuse tyrannie, les apparences sur ceux qui ont voulu le mal. Le
de la légalité. A cet effet , le 19 mai méchantsi nele doit s'en prendre
même châtiment est le qu'à lui-
résultat
483 , il publia un édit qu'il fit lire, le de ses mauvaises intentions. En cela,
jour de l'Ascension , dans toutes les notre clémence suit la marche de la
églises de son royaume. Par cet édit ,
il ordonnait aux évêques ariens et ca- justice divine, qui répand, par une
tholiques de se réunir à Carthage le équitable compensation , le bien et le
premier jour de février de l'année sui- mal sur chaque homme, suivant qu'il
vante 484 , pour discuter librement , a mérité ou démérité. C'est pourquoi
disait-il, sur les points qui séparaient nous
les deux églises. sévèresprenonscontreaujourd'hui des mesures
les provocateurs qui
CONCILE DE CARTHAGE; ÉDIT DU ont cru pouvoir enfreindre les édits
ROI HUNÉRIC CONTRE LES CATHOLI- de notre père de glorieuse mémoire et
QUES.— Tous les évêques de l'Afri- nos propres édits. Nous avons déjà
que s'étant rendus à Carthage , au fait savoir par nos ordonnances, à tous
temps indiqué , les conférences com- les peuples qui nous obéissent, que
mencèrent ;mais la discussion fut nous nous opposions aux assemblées
loin d'amener entre les deux partis un convoquées par les prêtres catholiques
rapprochement et des concessions ; les dans les terres échues en partage aux
catholiques demeurèrent inébranlables Vandales, et à la célébration de leurs
dans leur foi. Les ariens qui avaient mystères impies. Voyant que les ca-
prévu, sans doute, ce résultat, sai- tholiques ne tenaient point compte de
sirent avidement l'occasion qui leur nos injonctions, et ayant été informés
était offerte de frapper leurs ennemis, d'ailleurs que plusieurs se vantaient
et Hunéric publia l'édit suivant (*) : d'être seuls en possession de la vraie
« Nous , Hunéric, roi des Vandales doctrine, nous leur avons mandé, en
et des Alains , mandons les choses leur fixant un délai de neuf mois, de
qui suivent à tous les peuples soumis venir sans crainte à Carthage pour une
à notre domination. assemblée qui devait avoir lieu aux
« C'est un des attributs de la ma- calendes de février de la huitième
année de notre règne. Notre intention
(*) Nous ne devons point faire un récit était d'examiner, dans cette nouvelle
détaillé des persécutions auxquelles furent conférence, si l'on pouvait se rappro-
exposés les catholiques sous la domination cher de leurs doctrines. Lorsqu'ils se
des Vandales. Tout ce qui tient à l'origine, furent rendus de toutes parts à Car-
aux progrès et aux luttes du christianisme thage pour l'époque désignée,
en Afrique , trouvera place dans une autre leur accordâmes encore un délainous de
partie de ce volume. Toutefois, nous som- quelques jours. Au moment où les ca-
mes forcés de donner ici , dans son entier, tholiques se montrèrent disposés à
l'édit promulgué par le roi Hunéric, en conférer, nos vénérables évêques les
l'année 484. D'abord, cet édit contient plu- invitèrent à prouver nettement, à l'aide
sieurs faits importants que nous ne pouvions des divines Écritures, ainsi que cela
passer sous silence , le concile de Carthage,
avait été réglé à l'avance, leur dog-
par exemple; ensuite, il offre, quoiqu'en me de la consubstantialité du Père,
abrégé , un tableau complet des triomphes
et des revers qui ont marqué les diverses du Fils et du Saint-Esprit, ou bien à
périodes de la guerre que le catholicisme rejeter ce que les innombrables prélats,
eut à soutenir en Afrique contre les héré- rassemblés de toutes les parties du
sies. Nous nous dispensons, en outre, par monde, dans les deux conciles de Ri-
la simple traduction de ce document , d'en, mini et de Séleucie, avaient précé-
trer dans de longs développements. Il suffira demment condamné. Mais loin de se
de lire ledit de 484 pour connaître la cause prêter à ce qu'on leur demandait, ils
et la nature de la grande persécution qui a poussèrent le peuple à la sédition. Us
signalé le règne de Hunéric. firent plus : lorsque nous leur enjoi-
38 Livraison. CHist. des Vandales.)
34 L'UNIVERS.
gent; et de plus, ceux qui persévé- toutes les choses condamnées ci-des-
raient dans ce qu'on appelait leurs sus. Qu'ils sachent bien qu'il sera pro-
erreurs, perdaient leurs biens et étaient cédé àleur égard sans nulle tolérance.
condamnés à l'exil. Si les habitants de Les châtiments atteindront indistinc-
tout rang, dans les villes, si les régis- tement tous ceux qui , aux calendes de
seurs et fermiers des biens d'autrui juin de la huitième année de notre règne,
essayaient de cacher un délinquant, ne se seront point convertis à la vraie
ne le dénonçaient pas, ou tentaient de religion, celle que nous pratiquons et
soustraire un prévenu au jugement, vénérons. Notre piété a fixé ce délai
ils encouraient les mêmes peines que> pour ouvrir la voie de l'indulgence à
les coupables. Les fermiers des do- ceux qui se rétracteront, et, d'autre
maines royaux donnaient au fisc, à part, pour enlever tout prétexte de
titre d'amende, une somme égale à plaintes à ceux qui ne se rétracteront
celle qu'ils payaient pour la ferme. point. Les individus qui persévéreront
C'était la mesure qui était générale- dans leur erreur,
du palais qu'ils soient officiers
ou fonctionnaires publics,
ment adoptée à l'égard des régisseurs
de biens particuliers, ou des posses- seront passibles d'une amende, cha-
seurs d'immeubles, quand ils refusaient cun en raison de son rang, et d'après
d'abandonner leurs croyances. Les le tableau qui a été dressé précédem-
ment. Nous voulons en outre, par cet
gouverneurs civils des provinces qui
ne tenaient pas la main à l'exécution édit, que pour la punition des délits,
de ces lois encouraient la peine de on consulte avec soin le texte des lois
mort; il en était de même des trois
que nous avons citées, afin qu'on ne
employés supérieurs des bureaux du puisse commettre d'erreurs dans l'ap-
gouverneur civil; quant aux employés plication des peines. Quant aux gou-
inférieurs, ils étaient passibles chacun verneurs des provinces, nous ordon-
d'une amende de vingt livres d'or. nons qu'on leur inflige les châtiments
C'est pourquoi nous croyons néces- prononcés contre eux quand ils né-
saire d'appliquer à notre tour toutes gligeront d'obéir à nos commande-
les mesures précédemment indiquées ments. Que les vénérables serviteurs de
à ceux qui sont convaincus d'avoir été la Majesté divine, à savoir nos prêtres,
et soient mis en possession de toutes les
leurd'être
ordonnons encorede catholiques.
renoncer à Nous
leurs églises des catholiques et de leurs
anciennes erreurs. S'ils résistent, on dépendances, en quelques lieux et con-
trées de notre royaume que ces églises
}es poursuivra devant les tribunaux de
toutes les villes, et on poursuivra aussi se trouvent situées. C'est là notre vo-
les juges qui, sans tenir compte de lonté. Les pauvres profiteront, nous
nos volontés, auront négligé d'infliger n'en doutons pas , de ce que nous don-
aux coupables de rigoureux châti- nons si légitimement aux ministres
ments. Nous voulons donc que les sacrés de notre religion. Nous ordon-
partisans delà doctrine delà consubs- nons que cette loi, fondée sur l'équité
tantialitédu Père, du Fils et du Saint- naturelle, soit portée à la connais-
Esprit, doctrine déclarée fausse dans sance de tous, afin que nul désormais
une assemblée où ont figuré tant et de ne puisse se prévaloir d'avoir ignoré
si grands prélats, s'abstiennent de ses dispositions.
« A tous les peuples soumis à notre
domination, salut.
sent aucun doute à cet égard. En général, ils
appartenaient à la secte des donalistes. Il « Donné à Carthage, le sixième jour
nous semble que le dernier et très-savant des calendes de mars(*). »
éditeur du Glossarium aurait pu rappro- CARACTÈRE DE LA PERSECUTION;
cher ces circumcelliones des presbyteri va-
gantes , dont il est fait mention dans les (*) Cet édit du roi Hunéric nous a été
Capitulaires. Voy. du Cange, s. v. Cir- transmis
cumcelliones, Vandale parlib. Victor
3. de "Vita. De persëcut%
L'UNIVERS*
INTERVENTION DE 1/ EMPEREUR DO-
abjuration. Dans l'histoire de cette
rient; mort du roi hunéric. — persécution, racontée par Victor de
La persécution suivit de près cet édit, Vita avec trop de passion peut-être,
promulgué au mois de février de nous choisirons seulement un fait qui
l'année 484. On prit contre les catho- montrera, tout ensemble, les violences
liques des mesures sévères, et bientôt et la mauvaise foi du roi Hunéric et
même on eut recours aux supplices. des hérésiarques ses conseillers.
L'empereur d'Orient , Zenon , sollicité Après avoir promulgué son édit, le
par le pape Félix, essaya alors, mais roi fit chasser de Carthage les évêques
en vain, de faire sentir son interven- catholiques qui, obéissant aux lettres
tion. S'il faut en croire d'anciens ré- de convocation, s'étaient réunis pour
cits, leroi des Vandales, pour mon- le concile. Il avait eu soin, au préala-
trer qu'on ne devait trouver en lui ni ble, de les dépouiller de tous leurs
miséricorde, ni pitié, fit parcourir à biens; puis, il fit savoir que celui qui,
l'ambassadeur, venu de Constantinople par pitié ou autrement, donnerait aux
à Carthage, des rues remplies par les proscrits un asile ou du pain, serait
instruments qui servaient aux sup- brillé avec sa maison. Les évêques
plices des catholiques. ainsi chassés prirent la sage résolution
Hunéric était encoreanimé par lescon- de rester aux environs de la ville. Ils
seils des évêques qui l'environnaient, n'ignoraient pas que s'ils tentaient de
et qui étaient les chefs des hérésiar- s'éloigner, on les forcerait à revenir,
ques. C'étaient ces évêques, et non les et qu'usant du mensonge, leurs enne-
catholiques, comme disait l'édit, qui mis les accuseraient de s'être dérobés
aux conférences et aux luttes de la
s'étaient opposés à une conférence pa-
cifique età la libre discussion. Avant discussion. D'ailleurs, qu'eussent-ils
la réunion, ceux qui suivaient les doc- gagné à revoir leurs maisons et leurs
trines de l'orthodoxie avaient bien églises déjà envahies par les persécu-
prévu ce résultat. Ils redoutaient ce teurs? Ils restèrent donc auprès des
concile, où, comme ils le savaient, on murs de la ville. Là, ils gémissaient
devait les condamner sans les enten- sur leur malheureux sort , lorsque , par
dre. Aussi ils avaient essayé, pour hasard, ils rencontrèrent le roi qui
détourner le coup qui les menaçait et était sorti avec une escorte. Ils se je-
pour se créer des auxiliaires, de changer tèrent sur son passage, et lui dirent :
la nature de l'assemblée où on les « Que t'avons-nous fait? quelles sont
appelait. L'un d'eux, le métropolitain nos fautes ou nos crimes? Nous som-
Eugène, avait dit au roi qu'il ne lui mes venus, à ton appel, pour discuter
semblait pas juste de faire discuter et et soutenir nos doctrines; pourquoi
résoudre par les évêques d'une seule donc nous dépouiller de nos biens,
province les questions qui intéressaient nous chasser de Carthage, et nous li-
toute la chrétienté. Hunéric lui avait vrer en proie à la faim et à toutes les
répondu avec dérision : « Eugène, sou- misères? » Hunéric les regardait avec
mets l'univers à ma puissance, et je colère, et ils n'avaient point encore
réunirai en concile, comme tu le veux,
achevé, qu'il ordonna à ses cavaliers
les évêques du monde entier. » Cepen- de les disperser. On lui obéit avec tant
dant les catholiques, pour tenter sans de promptitude, que plusieurs parmi
doute la voie des conciliations, vinrent les évêques ne purent échapper à ceux
à Carthage; mais, nous le répétons, qu'on vieillards
avait lancés
ils étaient condamnés à l'avance, et Les et lesà leur poursuite.
malades furent
leurs ennemis avaient déjà tout dis- renversés et broyés sous les pieds des
posé pour la persécution. chevaux.
Nous ne voulons point énumérer Peu de temps après, Hunéric indi-
ici les odieux moyens, exils et sup- qua aux évêques un lieu où ils devaient
plices que
, l'on employa pour vaincre se rassembler. Ils étaient à peine ar-
les catholiques et leur arracher une rivés, qu'ils furent abordés par des
AFRIQUE. 37
ment à payer au roi des Ostrogoths guerre contre les Maures. Cabnon ,
un tribut annuel. Gunthamund mourut chef des tribus de la Tripolitaine, fut
au mois de septembre de l'année 496. le plus redoutable ennemi des Van-
regne de thrasamund *, son dales. Ilne se borna point à faire sur
amour pour la controverse; ses leur territoire de passagères incur-
alliances; ses guerres; sa mort.
— Thrasamund était frère du dernier contre sions.
lesIl s'y établit, de
habitudes et sa
osa nation,
attendre,
les
roi. Il était beau, doué d'un esprit forces considérables qu'on lui oppo-
pénétrant, mais subtil, et il avait cul- sait. Ala lin du règne de Thrasamund,
tivé les lettres. Il comprit que c'était il fit subir aux Vandales un grand dé-
mal servir l'arianisme que de persé- sastre. On avait envoyé contre lui une
cuter ouvertement les catholiques. Il
puissante mund armée
mourut en; il523.
l'anéantit. Thrasa-
A ses derniers
imita l'empereur Juiien. Il combat-
tit les ennemis de sa croyance, non instants, il avait fait appeler Hildénc,
plus comme Hunéric, par des sup- que la loi lui donnait pour successeur.
plices, mais en les privant, à sa cour Il lui recommanda de ne point suivre
et dans son royaume, de biens, d'hon- son exemple, d'user de et
tolérance à l'é-
neurs et de considération, et en les gard des catholiques, de réparer,
accablant en tous lieux de mépris et autant qu'il le pourrait, les maux de
d'outrages.Il Ildiscutait voulait paraître douxavecet la persécution.
tolérant. volontiers HILDÉR1C ; IL FAIT PERIR AMALA-
Jes catholiques. Avant tout, disait-il, FRID ET ROMPT AVEC LES OSTRO-
il cherchait à s'éclairer. Mais, en vé- GOTHS; SA DOUCEUR POUR LES CA-
rité, ilne provoquait les discussions THOLIQUES ET SES RAPPORTS AVEC
?[ue pour montrer son savoir, et pour L'EMPIRE D'ORIENT LUI ALIENENT
aire sentir à ses .adversaires ses rail- L'AFFECTION DES VANDALES. — Hil-
leries et ses dédains. Cependant il ne déric, à son avènement, s'empressa
put toujours se contenir, et il eut re- de suivre volontésles conseils et d'exécuter les
cours parfois à la force et aux violen- dernières du roi Thrasamund.
ces. Ainsi, en 507, les évêques de la Il cessa de persécuter les catholiques ,
Byzacène ayant voulu remplir les vides les rappela de l'exil, leur rendit leurs
que la persécution et la mort avaient églises , et leur permit de faire de nou-
laissés dans leurs rangs, le roi fit saisir veaux évéques. Des synodes furent te-
les nouveaux élus et ceux qui les nus alors dans chaque province; et
avaient sacrés, et les exila tous en Sar- bientôt même ceux que Hunéric et
daigne. Thrasamund avaient proscrits purent
Le mariage de Thrasamund avec se rassembler dans un concile général
Amalafrid , sœur de Théodéric , ren- à Carthage (524), pour discuter, libre-
dit plus forte que par le passé l'alliance ment et sans crainte, sur les points qui
qui existait déjà entre les conquérants intéressaient leurs croyances et leur
de l'Afrique et ceux de l'Italie. La culte. Le roi agissait ainsi dans des
nouvelle reine apportait en dot à son vues de conciliation ; il voulait changer
époux le promontoire de Lilybée, c'est- les rapports qui avaient existé jus-
à-dire, la partie la plus occidentale de qu'alors entre les ariens et les catho-
la Sicile. Toutefois, Théodéric et Thra- liques, rapprocher les églises rivales ,
samund ne furent pas toujours unis ; et mettre un terme à leur longue désu-
et l'on sait qu'en l'année 510, le roi nion. Mais il ne réussit pas dans son
des Vandales , en soutenant Gésalic , entreprise. Si la lutte cessa pendant un
prêta aide et appui aux ennemis des instant, les haines ne s'éteignirent
Ostrogoths.
Si les maîtres de l'Afrique étaient Dès les premiers jours de son règne,
alors en paix avec l'empereur d'Orient, Hildéric
point. avait eu à se défendre contre
Anastase, ils avaient toujours à soute- Amalafrid, veuve de Thrasamund.
nir sur leur propre territoire une rude Elle avait excité une révolte qui fut
AFRIQUE.
39
promptement étouffée. Après avoir tout à la fois la déchéance de Hildéric,
échoué, Amalafrid se sauva chez les et l'avènement à la royauté de leur
Maures, avec les Goths qui l'avaient chef victorieux. Gélimer, parGenzon,
accompagnée à l'époque de son ma- descendait de Genséric. Il est vraisem-
riage; mais elle fut arrêtée dans sa blable qu'avant la brusque révolution
fuite. On massacra ceux qui la suivaient;
et, pour elle, on la jeta dans une dure qui le porta au trône , il s'était déjà
prison. Après la mort de Théodéric, fait un nombreux parti. Il n'hésita
point à accepter le titre que lui avaient
son frère, elle fut mise à mort. Par là décerné les soldats. Il marcha sur Car-
l'alliance qui existait entre les Vandales thage, et s'en empara. Là , il fit jeter
et les Ostrogoths fut rompue. Hildéric en prison l'ancien roi avec Oamer et
ne s'inquiéta point des protestations Euagis, ses deux neveux (531).
et des menaces qui lui venaient d'Ita- Quand Justinien apprit ces événe-
lie. Il savait trop bien que, depuis la ments, ilenvoya des ambassadeurs a
mort de Théodéric, le plus illustre de Gélimer, pour rengager à rendre à Hil-
leurs rois, les Ostrogoths se trouvaient déric laliberté et le trône. Mais le nou-
dans des embarras tels, qu'ils ne pou- veau roi ne tint compte des lettres de
vaient se venger. D'ailleurs, il était li-l'empereur d'Orient. Il fit même cre-
vré tout entier à ses relations avec l'O- ver les yeux à Oamer, et rendit plus
rient. Il entretenait un commerce
dure la trôné. captivité Justinien deluicelui qu'ilalors
envoya avait une
dé-
assidu d'ambassades et de lettres avec
la courdeConstantinople, où il avait nouvelle lettre. Elle était ainsi conçue :
longtemps vécu. Il regardait Justinien «Nous t'avons déjà écrit, parce que
comme son protecteur, et comptait sur nous pensions que tu suivrais volon-
son appui ; et, pour lui témoigner son tiers nos conseils. Maintenant, nous ne
affection et son respect, il voulut que t'exhortons plus à céder ta royauté;
ses propres monnaies portassent l'ef- garde ce que la fortune t'a donné. Seu-
figie de l'empereur de Byzance. C'était lement, laisse venir vers nous Hildé-
placer en quelque sorte les conquérants ric, Oamer et son frère Euagis, afin
de l'Afrique dans la dépendance de que nous puissions leur prodiguer les
ceux qu'autrefois ils avaient vaincus, consolations qui conviennent à ceux
et reconnaître que les Vandales avaient qui ont perdu une couronne ou la lu-
un autre souverain que l'héritier légi- mière des yeux. Dans le cas où tu re-
time de Genséric. jetterais notre demande , nous avons
Le mécontentement de la nation pris la résolution de recourir à la force.
croissait de jour en jour. Elle repro- En cela, nous ne violerons point la
chait àHildéric ses liaisons avec Cons- paix faite avec Genséric. Te poursuivre
tantinople, sa rupture avec les Ostro- par les armes, ce n'est point attaquer
goths, et aussi les ménagements qu'il son successeur légitime ; c'est le ven-
gardait avec les catholiques. Le mau- ger. » Après avoir pris connaissance
vais succès de la guerre contre les de cette lettre hautaine , Gélimer ré-
Maures aigrissait encore les esprits. pondit :« Je ne dois point ma royauté
Oamer , qu'on appelait l'Achille des àenvers
la violence.
ceux deJeman'airace. point été injuste
Hildéric com-
Vandales, avait éprouvé une défaite qui
avait livré aux tribus victorieuses toute plotait contre sa propre famille, contre
la Byzacène, et ce désastre avait beau- la famille de Genséric; c'est la haine
au roi.coup ajouté à la haine que l'on portait de tous les Vandales qui l'a renversé.
HILDÉRIC EST DÉPOSÉ; GÉLIMER Le trône étant vacant, je m'y suis as-
sis en vertu de mon âge et de la loi de
LE REMPLACE ; LETTRES DE JUSTI- succession. Celui-là agit sagement,
NIEN.— Ce fut alors que Gélimer fut comme prince, qui, livré tout entier
placé à la tête de l'armée. Il battit les à l'administration de son royaume, ne
Maures ; et ses soldats , dans un mo- porte point ses regards au dehors , et
ment d'enthousiasme, proclamèrent ne cherche point à s'immiscer dans les
40 L'UNIVERS.
affaires des autres États. Si tu romps et les barbares. Justinien sembla ré-
les traités qui nous unissent, j'oppose- servé àfaire valoir, avec plus de force
rai la force à la force , et je ne cesserai et sur un plus vaste plan que ses pré-
d'invoquer, à l'appui de mon bon droit, déces eurs, lesprétentions des empe-
les serments de l'empereur Zenon , reurs d'Orient. Les cinq premières
dont tu tiens aujourd'hui la place. » années de son règne, il soutint, mal-
Cette réponse, dit Procope, excita la gré lui, une guerre dispendieuse et
colère de Justinien , et redoubla sa inutile contre les Perses; à la fin, son
haine pour Gélimer; elle ne fit que ambition triompha de son orgueil , et
l'exciter davantage à porter la guerre il paya près de onze millions une trêve
en Afrique , et à se venger. passagère que les deux nations quali-
CAUSES DE L'EXPÉDITION d'AFRI- fièrent du nom de paix éternelle. La
que sous justinien. — « Lorsque sûreté de l'Orient lui permit d'em-
Justinien, dit Gibbon, monta sur le ployer ses forces contre les Vandales ,
trône, environ cinquante années après et l'état intérieur de l'Afrique offrait
la chute de l'empire d'Occident (*) , les un prétexte honorable, et promettait
royaumes des Goths et des Vandales de puissants secours aux armes ro-
semblaient s'être établis en Europe et maines (*). »
en Afrique d'une manière solide, et, On peut saisir, dans ces paroles, la
pour ainsi dire , légale. Les titres con- véritable cause de l'expédition que fit
férés aux Romains par leurs victoires en Afrique l'armée de Justinien. Les
se trouvaient effacés, à leur tour, avec maîtres de Byzance se regardaient com-
la même justice par l'épée des bar- me les héritiers légitimes des anciens
bares; et le temps, les traités et des empereurs d'Occident; ils se croyaient
serments de fidélité, qu'une seconde encore par le droit, sinon par le fait,
et une troisième génération avaient les souverains de la Gaule, de l'Italie,
déjà renouvelés, consacraient les heu- de l'Espagne et de l'Afrique. Il y avait
reuses usurpations des derniers con- longtemps, il est vrai, que l'orgueil
quérants. L'expérience et le christia- des Césars ne dissimulait plus leur im-
nisme réfutaient assez la superstitieuse puissance. Cependant les barbares, par
espérance que les dieux avaient des- un vague sentiment de respect pour
tiné Rome à régner sur toutes les na- cet empire romain qui avait inspiré
tions de la terre; mais, si des soldats jadis tant de frayeur à leurs ancêtres,
ne pouvaient plus maintenir cette or- semblèrent plus d'une fois avouer eux-
gueilleuse prétention d'une domination mêmes la suprématie de ceux qu'ils
éternelle et inattaquable, les hommes avaient si souvent vaincus et dépouil-
d'État et les hommes de loi , dont les lés.
opinions se sont quelquefois propagées On a vu, dans le récit qui précède,
dans les modernes écoles de jurispru- que le roi des Vandales Hildéric s'étai t
dence cherchaient
, à faire valoir à leur mis volontairement dans une sorte de
tour, par l'intelligence,
avait abandonné. E)u moment ce queoùlaRome
force dépendance à l'égard de l'empire d'O-
rient. Il avait restitué, autant qu'il
fut dépouillée de la pourpre impériale, l'avait pu , à ceux qui se disaient les
les princes de Constantinople prirent successeurs des Romains , cette Afri-
seuls le sceptre de la monarchie; ils que qui avait coûté tant de ruses, de
demandèrent, comme un héritage qui fatigues et de sang à Genséric, le plus
leur appartenait, ces provinces subju- illustre de ses aïeux. Il avait rendu les
guées par les consuls ou possédées par Vandales, sauf le tribut, sujets du
les césars. Cependant, ils n'agirent monarque qui régnait à Byzance. Or
que faiblement pour garantir leurs su- déposer Hildéric , si dévoué à l'empire,
jets de l'Occident contre les hérétiques c'était attaquer Justinien lui-même;
(*)reurJustinien succéda enen565.
Justin ; il mourut 527 à l'empe- (*) Gibbon ; Histoire de la décadence
et de la chute de V empire romain, ch. &1*
AFRIQUE. 41
aussi , à la nouvelle de la révolte qui plein conseil , aux désirs de son maî-
avait donné aux Vandales un nouveau
tre. Il avoua qu'on ne pouvait trop
roi, payer une victoire si importante; mais
commela cour si onde lui Constantinople s'émut
eût arraché une de il montra des difficultés certaines et
ses provinces. On conçoit donc que une issue incertaine. « Voulez-vous
assiéger Carthage ? dit le préfet ; par
Justinien n'ait point hés'ité à embras-
ser la cause de celui qu'il regardait terre, ce royaume est éloigné de cent
comme son représentant en Afrique , quarante jours de voyage : par mer ,
et qu'ilet ait
haine de sespoursuivi menaces. Gélimer de sa une année entière doit s'écouler avant
En défendant de recevoir des nouvelles de votre flot-
Hildéric , il croyait défendre les inté- te. Quand l'Afrique serait vaincue ,
rêts de l'empire. pour la garder il faudrait conquérir la
PROJETS DE GUERRE; DISCOURS DE Sicile et l'Italie. Le succès vous impo-
JEAN DE CAPPADOCE; EVENEMENTS serait de nouveaux travaux, et un seul
QUI METTENT FIN AUX IRRESOLU- revers attirerait les barbares au sein
TIONS de justinien. — Les projets de votre empire épuisé. » Le prince
de Justinien causèrent àConstantinople sentit la justesse de cet avis. La har-
et dans tout l'empire de grandes émo- diesse d'un sujet qui s'était toujours
tions ;mais , en général , les esprits montré soumis l'étonna d'ailleurs ; et
étaient agités plutôt par la crainte que il aurait peut-être renoncé à la guerre
par les espérances. Procope nous a d'Afrique, si une voix qui fit taire les
conservé dans un récit animé les im-
pressions deses contemporains. Voici doutesniméde la profane
son courage. Un raison
évêque n'eût
venu ra-
de
comment Gibbon , à son tour , a re- l'Orient s'introduisit dans le palais ,
produit les passages les plus vifs et et quand il fut en présence de Justi-
les plus saillants de l'historien byzan- nien ,il s'écria avec une certaine
tin (*) : « Le bruit d'une guerre d'A- exaltation : « Empereur, le ciel veut
frique ne satisfit que l'oisive populace que tu n'abandonnes pas ta sainte
de Constantinople, si pauvre qu'elle entreprise pour la délivrance de l'É-
se trouvait affranchie des tributs, si glise. Le Seigneur m'a dit : Je marche-
lâche qu'on l'employait peu au service rai àses côtés s'il fait la guerre, et je
militaire. Mais les citoyens sages, qui soumettrai l'Afrique à sa domination. »
jugeaient de l'avenir par le passé, se Justinien put croire une révélation qui
souvenaient de l'immense perte d'hom- arrivait si à propos , et la raison de
mes et d'argent qu'avait supportée ses ministres se trouva réduite au si-
l'empire dans l'expédition de Basilis- lence ;d'ailleurs , les événements qui
cus. Les troupes, rappelées des fron- s'accomplissaient alorsranimèrent
dans les pays
tières de Perse , après cinq campagnes soumis aux Vandales tous
laborieuses , craignaient la mer , le les courages. L'Africain
avait secrètement instruit laPudentius
cour de
climatministres
Les et les armes d'un payscalculaient,
des finances inconnu.
Constantinople de ses intentions loya-
autant qu'ils pouvaient calculer, les les, etquelques troupes qu'on lui envoya
frais d'une guerre d'Afrique, les taxes suffirent pour remettre la ïripolitaine
qu'il faudrait imaginer et percevoir, et sous la domination des Romains. Go-
ils redoutaient de perdre la vie, ou du das ,barbare valeureux qui comman-
moins leur emploi , si l'on manquait dait en Sardaigne,suspendit le payement
de quelque chose. Jean de Cappadoce, du tribut qu'il devait aux Vandales,
inspiré par ces motifs personnels, car après avoir déclaré qu'il n'obéirait plus
on ne peut lui supposer du zèle pour à l'usurpateur. Il donna audience aux
le bien public (**), osa s'opposer , en émissaires de Justinien, qui le trou-
(*) Procop. De bello VandaL, I, 10. vèrent maître de cette île fertile , en-
Gibbon (ch. 41) n'a fait qu'améliorer, en
l'abrégeant , le récit de Procope. Cappadoce , voy. Histoire de la décadence,
(**) Gibbon a parlé ailleurs de Jean de etc., ch. 40.
42 L'UNIVERS.
dans PHellespont. Il s'arrêta quatre bâtiments qui portaient les officiers at-
jours à Abydos. Ce fut devant cette tachés àsa personne, et il ordonna que
ville que Bélisaire donna une preuve pendant la nuit on remplaçât ces voiles
de sa sévérité et de sa fermeté. Deux par des fanaux mis aux grands mâts.
soldats qui appartenaient au corps des Après une fausse manœuvre ou une
Huns avaient tué un de leurs compa- tempête,
gnons, dans un moment d'ivresse. Bé- avait ainsile unvaisseau signe dequiralliement,
s'était éloigné
et il
lisaire fit saisir les coupables, et il pouvait facilement, le jour ou la nuit,
ordonna qu'on les pendît sur la col- rejoindre la flotte et reprendre son
line qui domine Abydos. Il y eut alors rang. Dans le trajet d'Abydos au pro-
une grande rumeur dans le camp. Les montoire deSigée, il s'éleva un grand
Huns se plaignaient vivement : « Nous vent qui tomba au moment où le cap
nous sommes mis, disaient-ils, au fut doublé. La flotte traversa heureu-
service de l'empire, mais nous ne nous sement toute la mer Egée. Quand elle
sommes point engagés à suivre les arriva en vue de Malée et qu'elle s'en-
lois qui régissent les Romains. D'après gagea dans l'étroit canal qui sépare,
nos coutumes, on ne tue point celui en cet endroit, le Péloponèse de l'île
qui a tué. » Les soldats romains eux- de Cythère , le désordre se mit dans
mêmes, qui désiraient le relâchement les rangs. Les vaisseaux se touchaient,
dans la discipline et l'impunité pour se heurtaient, et ce ne fut que par des
leurs désordres, prenaient parti pour
prodiges de force et d'habileté que ra-
les Huns. Bélisaire ne s'effraya point meurs et pilotes sortirent de ce dan-
de gereux passage. Au moment du désor-
et ces
leur clameurs,
dit : « La il réunit
justiceles veut
"troupes,
que dre, le moindre coup de vent eût
l'assassin soit puni du dernier suppli- anéanti l'armée entière. La flotte tou-
ce. Je n'admets point l'excuse de l'i- cha ensuite à l'ancienne ville de Té-
vresse. C'est un crime , dans une ar-
mée ,de se livrer , en buvant , à de de là ,elle
nare qu'on appelaità Méthone,
se rendit alors Cœnopolis
dans la;
tels excès que l'on puisse perdre la Messénie , où elle s'arrêta.
raison , et tuer, sans hésitation , ses LES FOURNISSEURS DES VIVRES;
meilleurs amis. Vos protestations et leurs fraudes; maladies. — Le
vos plaintes
et vous connaissez ne peuvent m'émouvoir,
maintenant le châ- vent avait cessé de souffler, et l'armée
ne pouvait continuer son voyage. Bé-
timent que je réserve aux coupables. lisaire fit mettre ses troupes à terre.
Je ne reconnaîtrai jamais comme mon Là, sur le rivage, officiers et soldats
compagnon d'armes , quelque brave attendaient un temps favorable , lors-
qu'il soit, un soldat assassin. J'estime qu'ils furent atteints d'une maladie qui
le courage ; mais , à mon sens , il ne enleva en peu de jours cinq cents hom-
mes. On connut bientôt la cause de
profitera jamais à l'homme injuste et
pervers. » Après ce discours prononcé cette maladie. Le préfet du prétoire,
en vue de la colline où l'on avait Jean , employait souvent des moyens
dressé les potences qui portaient en-
core les cadavres des soldats huns, les odieux pour faire entrer de l'argent
dans les coffres de l'empereur et aussi
murmures cessèrent et l'armée ren- dans les siens. C'était lui qui s'était
tra dans le devoir.
chargé de fournir les vivres à l'armée
Avant de s'éloigner d' Abydos , Béli- qui partaitde pour
coutume mettrel'Afrique.
deux foisOnau avait
four
saire essaya de prévenir , par de sages
mesures, les dangers qui menacent,
le pain que l'on donnait aux soldats en
pendant une longue traversée, et sur- campagne, et on le cuisait de telle
tout dans les mauvais temps, une sorte que de longtemps il ne pouvait
flotte de six cents vaisseaux. Pour di- se gâter. Ce pain était très-léger , et
riger les pilotes, et pour que nul d'en- l'État eût fait une perte considérable
tre eux ne pût s'écarter ou se perdre, il sur le poids , si les soldats n'eussent
fit teindre en rouge les voiles des trois consenti, au moment des distribu-
AFRIQUE. 45
tions, à faire remise aux fournisseurs teilles dans une partie du vaisseau où
du quart de la portion qui leur était ne pouvaient pénétrer les rayons du
accordée. Jean , le préfet , crut réali- soleil, et on les couvrit de sable. Après
ser de grands bénéfices sur les vivres une traversée de seize jours , la flotte
toucha la Sicile sur un point désert
de l'armée d'Afrique, en recourant
aux moyens suivants : il fit à peine qui n'était pas éloigné du mont Etna.
cuire la pâte , et la retira lorsqu'elle Bélisaire commença dès lors à être
eut pris seulement l'apparence du pain. en proie à de yives inquiétudes. La dé-
Cela formait une masse molle, hu- faite de Basiliscus qui avait perdu la
mide; mais rien ne manquait au poids. flotte de l'empereur Léon , et les an-
Jean avait ainsi gagné tout à la fois , ciens succès des Vandales , lui reve-
sur le bois, la farine et le salaire des naient sans doute en mémoire, et il se
boulangers ; puis on porta les pains à demanda plus d'une fois , s'il faut en
demi cuits sur la flotte. Ce fut à Mé- croire Procope qui fut souvent leconfi-
thone que l'on ouvrit pour la première dentdeses plus secrètes pensées: Quels
fois les sacs qui les contenaient. On ne sont donc ces Vandales que je vais com-
trouva qu'une pâte mal battue et qui bat reSont-ils,
? comme on le dit, forts
tombait par morceaux. C'était une fa- et braves ? Sur quel point dois-je por-
rine mouillée qui ne paraissait point ter mes attaques? La résolution ne lui
avoir été soumise à l'action du feu, et manquait pas ; mais il s'effrayait de
qui, pendant la traversée, s'était en- l'esprit qui régnait dans son armée.
tièrement corrompue. On fit néan- Les soldats disaient hautement que
moins ladistribution; mais cette mau- s'ils rencontraient l'ennemi sur terre ,
vaise nourriture ne tarda pas à faire ils l'attaqueraient vaillamment; mais
naître et à développer au sein de l'ar- que s'il fallait soutenir un combat sur
mée les germes d'une violente épidé- mer, ils étaient décidés à prendre la
mie. Le mal eût été plus grand encore fuite ,tumeparce
si on ne se fût hâté de faire cuire à de lutterqu'ils
tout n'avaient
à la fois point
contrecou-
les
Méthone de nouveaux pains. Alors Bé- hommes et contre les flots. Bélisaire,
lisaire écrivit à l'empereur, et se plai- au milieu des craintes qui l'agitaient,
gnit vivement du préfet du prétoire. prit la résolution d'envoyer Procope à
Justinien lui répondit, et donna de Syracuse. Il le chargea de s'informer,
grands éloges à son zèle; mais il ne par d'adroites questions , des projets
punit point Jean, qui probablement de l'ennemi. Les Vandales avaient-ils
lui avait fait une large part dans ses fait, en Sicile ou sur le continent, de
gains. secrets préparatifs pour repousser l'in-
SUITE DU VOYAGE ; ZACYNTHE ; LA vasion Sur
? quel point de la côte d'A-
SICILE; TERREUR DES SOLDATS; MIS- frique les troupes impériales pou-
SION DE procope. — Enfin, l'armée vaient-elles opérer sans danger leur
remonta sur les vaisseaux, et la flotte descente ? Après avoir recueilli les
se porta de Méthone a Zacynthe. Après renseignements qu'on lui deman-
avoir refait dans cette île ses provi- dait, Procope devait revenir à Cau-
sions d'eau , elle remit à la voile pour cane , ville située à deux cents stades
traverser l'Adriatique. Sa marche fut de Syracuse (*). C'était vers cette ville
lente, parce que le vent se faisait à que Bélisaire se proposait de diriger
peine sentir. L'armée eut alors beau- ses vaisseaux. Procope avait aussi à
coup àsouffrir. On était dans les plus remplir une autre mission ; mais alors,
fortes chaleurs de l'été, et l'eau que pour le général, condaire. En vertu celle-ci n'étaitfaitqueentre
du traité se-
buvaient les soldats s'était corrompue.
Antonina, par ses soins et un procédé Justinien et Amalasuntha, qui régnait
ingénieux , préserva du mal commun
Bélisaire et ceux qui mangeaient à sa (*) Suivant Cluvier (Sicilia an tiqua) , la
table. Elle mit l'eau dans des bou- distance entre Syracuse et Caucane était de
trois cents stades.
teilles deverre ; puis on porta ces bou-
L'UNIVERS.
en Italie et en Sicile, au nom de son s'éloignait,
fils Atalaric, les Ostrogoths devaient son ami et luiProcope
cria : « sePoint
tourna vers
de colère
vendre, en cas de besoin, des vivres et de chagrin, je t'en prie. Il faut que
aux troupes impériales. L'envoyé de le général interroge ton serviteur. Je
Bélisaire venait donc passer un mar- le renverrai à Syracuse avec une bonne
ché pour les approvisionnements de la
récompense, quand l'armée aura tou-
flotte.
il obtintSurun ceentier point succès.
comme sur l'autre ché les côtes de l'Afrique. »
DÉPART DE LA SICILE; LES ILES
Procope marchait un jour dans les DE GAULOS ET DE MELITA; LA
rues de Syracuse lorsqu'il se trouva FLOTTE EN VUE DE L'AFRIQUE ;
face à face , par le plus singulier des conseil de guerre. — Quand Pro-
hasards , avec un de ses amis d'en- copeplongée
arriva à dans
Caucane, il trouva l'ar-
fance. C'était un homme qui, pour des mée le deuil. Dorothée,
affaires de commerce, avait quitté le duc de l'Arménie, était mort. Chefs
Constantinople et s'était fixé en Sicile. et soldats le regrettaient sincère-
Le marchand fournit à l'envoyé de Bé- ment. La présence de Procope rendit
lisaire de précieux renseignements. Il la joie à Bélisaire. Il interrogea son
fit appeler un de ses serviteurs qui, envoyé, le félicita sur les résultats
depuis trois jours seulement, était re- de sa mission, et sans perdre de temps
venu de Carthage, et lui ordonna de il fit sonner la trompette pour annon-
parler. Celui-ci dit alors : « La (lotte cer le départ. La (lotte mit à la voile,
impériale n'a point à redouter les atta- et elle ne tarda point à gagner les lies
ques des Vandales. Ils ne savent pas de Gnulos et de Melita (*). A la hau-
qu'une armée s'avance contre eux. De teur de ces îles il s'éleva un vent qui
plus , ils ont dirigé toutes leurs forces poussa rapidement les vaisseaux vers
sur la Sardaigne pour soumettre Go- un endroit de la côte d'Afrique que
das. Gélimer se croit tellement à l'abri les Romains appelaient Caputvada(**),
du danger du coté de l'Orient, que, De cet endroit à Carthage, il n'y avait,
sans prendre soin de surveiller Car- par terre, que cinq journées de mar-
thage et les autres places maritimes , che.
il s'est retiré dans la Byzaeène , à Alors Bélisaire ordonna à chaque
Hermione, ville située à quatre jours de navire de plier ses voiles et de jeter
marche de la cote. La flotte ne ren- l'ancre. Puis, il fit appeler à son bord
contrera donc point l'ennemi dans la les principaux chefs de l'armée, ri il
traversée, et l'armée pourra débar- leur bledemanda
de mettre s'ils jugeaient
un terme convena-
à leur navi-
quer, sans crainte d'être attaquée, sur
le point de la terre d'Afrique où le gation et d'opérer enfin la descente.
vent l'aura poussée. » Ces paroles, il Une longue de discussion
faut le croire, causèrent à Procope ce conseil guerre,s'engagea.
Archélaùs,Dansle
une grande joie. Il entraîna vers le questeur, prit la parole et dit : « Vous
port d'Aréthuse, où l'attendait son voulez descendre à terre; mais avez-
vaisseau, le marchand et son servi- vous un port où votre (lotte puisse
teur. Iltenait celui-ci par la main et le trouver un abri contre les attaques de
pressait de questions ; puis , il le fit l'ennemi
monter sur son navire. Quand ils fu- vous une ou ville contreenvironnée
les tempêtes? Avez-
de fortes
rent à bord , on mit les voiles au
(*) Gozzo et Malte.
vent , et le pilote reçut l'ordre de na- (**) Le Caputvada de Procope, dit Gibbon,
viguer en toute hâte vers la ville de où Justinien fonda ensuite une ville (de
Caucane. Le marchand était resté sur iEdif. VI, 6) , est le promontoire ft Ammon.
le rivage ; là , il se tenait ébahi et sui- de Strabon, le Brachodes de Ptolémée, le
vait avec étonnement tous les mouve- Capodia des modernes , et il forme une
ments de celui qui lui avait enlevé son bande longue et étroite qui se prolonge dans
serviteur avec tant de promptitude et la mer (Skaw's travels, p. 1 1 1). — Voy. aussi
d'audace. Au moment où le vaisseau Marcus; Hist, des Vandales, etc., p. 366,
AFRIQUE.
47
murailles, et disposée à recevoir et à d'avis divers, nous choisirons le meil-
défendre, en cas de besoin, vous et leur et nous agirons. Et d'abord, ne
vos soldats ? On vous a dit que la côte vous souvient-il plus des récentes dis-
où nous sommes était exposée à tou-
entendu lespositionssoldats
del'armée? N'avez-vous
déclarer pas
hautement
tes les violences du vent, qu'elle n'of-
frait au navigateur ni port, ni lieu de qu'ils redoutaient les combats de mer,
relâche; on vous a dit aussi qu'il n'y et que ennemie
flotte s'il arrivait,
vînt par hasard, qu'une
les attaquer, ils ne
avait, en Afrique, qu'un point fortifié, se défendraient point et prendraient
Carthage, et que Genséric avait fait
renverser les murailles des autres la fuite? Vous tous, mes collègues,
villes : ne tiendrez-vous point compte vous vous unissiez alors à Bélisaire
de ces renseignements? J'ajoute que pour prier Dieu de nous mener promp-
tement et sans mauvaise rencontre sur
vous manquerez d'eau dans cette con-
trée. Voyons maintenant les dangers la côte d'Afrique. Aujourd'hui Dieu
qui nous menacent. Je suppose qu'a- nous a exaucés, et vous voyez l'Afri-
près le débarquement il s'élève une que; ne serait-ce point une folie de
tempête, que deviendra la flotte ? Les renoncer ici à une descente facile que
vaisseaux seront dispersés au loin, nous avons si vivement désirée? Si
ou bien ils se briseront sur la côte. nous nous portons directement sur
Où prendrons-nous alors des muni- Carthage, et que dans notre trajet
tions? Il ne faudrait pas, après un nous rencontrions la flotte des Van-
dales, on nous accusera avec raison de
pareil désastre, s'adresser au ques- la perte de nos vaisseaux et de la dé-
teur Archélaùs. Celui-là seul est ques-
teur qui possède les moyens d'exercer faite de l'armée. On nous reprochera
sa charge, qui tient à sa disposition, d'avoir négligé les avertissements, que,
dans leur ignorance et leurs craintes
Voicil'argent,
de mon avis des envivres
deux et des : armes.
mots il faut exagérées, nos soldats nous ont si
mettre à la voile et nous porter direc- souvent donnés. On a dit, pour nous
tement sur Carthage. Près de la ville, effrayer, que si l'armée
à quarante stades environ, nous trou- flotte et descendait à terre, quittait
elle seraitla
exposée à d'innombrables dangers;
et qui verons un port qu'onfacilement
contiendra appelle l'ÉtangO,
la flotte qu'une tempête, en dispersant ou en
tout entière. Il peut se faire qu'à une brisant les vaisseaux, pouvait lui en-
première attaque nous nous rendions lever ses communications avec l'em-
maîtres de Carthage; nous devons pire, et lui ôter jusqu'à l'espérance du
même l'espérer, puisque l'ennemi a retour. Quoi ! vaut-il donc mieux que
porté sur un autre point la meilleure cette tempête, dont on nous menace,
partie de ses forces. Quand la capitale engloutisse non point seulement les
de l'Afrique sera prise, la guerre sera vaisseaux, mais encore, avec eux, l'ar-
achevée. Tel est mon avis, que, sui- mée tout entière? Pour moi, je pense
vant votre bon plaisir, vous pouvez qu'il faut descendre à terre sans plus
suivre ou rejeter. » Bélisaire ne pensait tarder et attaquer brusquement l'en-
point comme Archélaùs; il répondit nemi. Les promptes résolutions et la
en ces termes à ceux qui s'opposaient hardiesse sont pour beaucoup dans les
à une prompte descente : « Ne croyez succès de la guerre. La moindre hési-
tation peut donner aux Vandales le
pas
vous qu'ici
imposer je veuille, comme Je
mes volontés. général,
cher- temps de se mettre en défense, et
che àm'éclairer. J'ai écouté avec at- alors nous perdons nos avantages. Si
tention et pesé, dans mon esprit, les nous nous dirigeons vers un autre
raisons que chacun de vous a fait va- point de la côte, peut-être serons-
loir. Je vais, à mon tour, vous dire nous obligés d'avoir recours aux ar-
toute ma pensée. Ensuite, parmi tant mes pour opérer une descente; tandis
que nous pouvons débarquer ici sans
(*) Le lac de Tunis. rencontrer d'obstacles et sans combat.
4& L'UNIVERS.
Oui, la
tout je flotte
crois ennemie
qu'il faut etredouter avant
les tempêtes. ges qu'aux anciens Carthaginois. Ce
fut peut-être sur leurs réclamations,
et pour ne point mécontenter la par-
àC'est
terrepourquoi
nos soldats,hâtons-nous
et avec deeux
mettre
nos tie la plus active de la population qui
chevaux, nos armes et nos provisions. l'avait accepté pour roi , que Gélimer
Nous choisirons alors un camp qui fit les préparatifs d'une grande expé-
sera entouré par un fossé profond et dition. D'ailleurs, il était encore animé
défendu par de fortes palissades. Ce par la haine personnelle qu'il portait
camp sera pour nous une ville où à celui qui avait soustrait l'île à son
nous serons à l'abri contre les atta- obéissance. Jadis il avait compté Go-
ques imprévues de l'ennemi. Ne crai- das parmi ses serviteurs les plus dé-
gnons point que les vivres ou les voués. C'était même pour le récom-
munitions nous manquent. Si nous penser de son zèle qu'il lui avait confié
triomphons, nous aurons tout en le gouvernement de la Sardaigne. Il
abondance. Une armée victorieuse
n'avait point limité le pouvoir qu'il lui
n'est jamais en proie à la disette ou avait délégué ; seulement il avait voulu
aux privations (*). » que chaque année il lui payât un léger
Ces paroles de Bélisaire entraînè- tribut. Godas , que le roi des Vanda-
rent tous les chefs. Chacun d'eux, les avait ainsi choisi pour son lieute-
après le conseil, regagna son bord, et nant, était Goth d'origine. C'était un
ordonna à ses soldats de se tenir prêts homme, s'il faut en croire Procope,
à descendre dans le pays ennemi. d'une force prodigieuse et d'une bra-
IMPRÉVOYANCE DE GELIMER; GO- voure sans égale. Il resta fidèle à son
DAS ;EXPÉDITION DES VANDALES EN
maître
se déclara jusqu'au moment où
ouvertement Justinien
le défenseur
sardaigne. — Les renseignements
que Procope avait recueillis en Si- de Hildéric, et se disposa à porter la
cile étaient exacts, et Gélimer, comme
guerre en Afrique. Ce fut alors qu'il
l'avait dit le serviteur du marchand écrivit à l'empereur la lettre suivante :
de Syracuse , était loin de se croire « Je me suis séparé de celui qui était
menacé par les troupes de Justinien. mon souverain , non pour des motifs
Le roi des Vandales portait alors toute
son attention vers la Sardaigne. Cette personnels,
tré cruel envers mais saparcepropre
qu'il famille.
s'est mon-
Je
île et la Tripolitaine, comme on l'a vu n'ai pas voulu, en lui restant soumis,
précédemment , avaient échappé , par devenir le complice de sa cruauté.
une révolte, à sa domination. Gélimer J'aime mieux obéir à un empereur re-
n'essaya point de reconquérir la Tri- nommé pour sa justice qu'à un tyran
politaine, oùl'empereur avait envoyé qui viole toutes les lois. Viens à mon
des troupes. Il avait hâte de soumet- aide, et envoie-moi des troupes avec
tre la Sardaigne. Les pirates et les lesquelles je puisse repousser les atta-
marchands d'Afrique ressentaient vi- ques de celui que j'ai cessé de reconnaî-
vement laperte de cette île, qui leur tre pour mon roi.» Ce fut alors, comme
offrait pour leurs courses ou leurs af- nous l'avons dit, que Justinien en-
faires decommerce les mêmes avanta- voya Euloge, un de ses officiers, pour
annoncer à Godas qu'il était prêt à
(*) Nous avons cru devoir insérer , dans l'aider dans sa rébellion.
celte histoire, plusieurs des discours que
Procope met dans la bouche de Bélisaire Pour prévenir l'arrivée des secours
et des autres chefs de l'armée. Ces discours, promis
de rassembler par l'empire, Gélimer
une flotte et dese lever
hâta
suivant nous, ont été réellement prononcés.
L'historien byzantin a pu changer la forme,
une armée. Il réunit cent vingt vais-
seaux sur lesquels il plaça cinq mille
mais il n'a pas altéré le sens. Procope fut
témoin oculaire de la plupart des événe- soldats. Il donna le commandement de
ments qu'il raconte, et il est vraisemblable la flotte et de l'armée à Tzazon, un de
qu'il assista au conseil où l'on agita la ques-
ses frères, et lui ordonna de faire voi
tion du débarquement. le, sans retard, pour la Sardaigne.
AFRIQUE.
4!)
Ce fut ainsi que , par une fatale im- avait lieu, les attaques de l'ennemi.
prévoyance, Gélimer se sépara de la Le lendemain, quelques soldats sor-
meilleure partie de ses forces au mo- tirent des retranchements et se disper-
ment même où l'empire faisait pour sèrent dans la campagne pour enlever
l'attaquer un formidable armement. des fruits. A leur retour, Bélisaire les
Quand Bélisaire toucha l'Afrique, le fit châtier sévèrement. Puis il ras-
roi des Vandales n'avait à sa dispo- sembla les troupes, et leur adressa
sition nivaisseaux, ni soldats pour re- la proclamation suivante : « Soldats,
pousser les envahisseurs. le vol à main armée, même en temps
l'armée impériale en Afrique; de guerre, est un crime. Ce crime ac-
premier campement ; pillage ; quiert aujourd'hui une nouvelle gra-
proclamation de bélisaire. —
vité, parce qu'il compromet le salut
Après trois mois de navigation , l'ar- de l'armée entière. J'espérais, au mo-
mée partie de Constantinople était en- ment où vous touchiez cette terre, que
fin arrivée sur les côtes de l'Afrique. nous allions trouver parmi les Afri-
A l'ordre de ses chefs, elle descendit cains ,soumis autrefois à la domina-
à terre avec armes et provisions. Quand tion de Rome , d'utiles et puissants
elle fut sur Je rivage, elle se mit en auxiliaires. Je me disais que les vivres
mesure ment.deLes matelots s'assurer seunmêlèrent bon campe- ne vous manqueraient point, que nos
alors convois seraient assurés, et que nous
aux soldats, et, tous ensemble, ils n'aurions point d'autres ennemis à
creusèrent un fossé large et profond , craindre que les Vandales. Vos désor-
et élevèrent une forte palissade. L'é- dres ont déjà changé la face des cho-
mulation, lacrainte d'une surprise, et de vos ses. Les Africains qui ont eu à souffrir
aussi les paroles de Bélisaire, ani- violences se rattacheront aux
maient les travailleurs. Tout fut ache- Vandales et nous poursuivront de leur
vé dans une journée. Pendant le tra- haine. Pour conserver quelques pièces
vail ,une chose excita l'étonnement d'argent, vous avez sacrifié la sécurité
et la joie de l'armée; une source abon- de nos opérations et la facilité de nos
dante jaillit du sol que l'on creusait. approvisionnements. Il eût été plus
Ce phénomène, si commun en Afri- sage assurément de faire un marché
que, parut d'autant plus merveilleux avec ceux que vous avez dépouillés ,
aux soldats que le lieu où ils se pro- de traiter de gré à gré avec eux, et de
posaient de camper était sec et aride. donner votre argent en échange des vi-
Procope partagea l'étonnement géné- vres. Vous ne vous seriez point rendus
ral, et il crut que la découverte de coupables d'une odieuse violence, et
cette source tenait du prodige. 11 s'ap- vous auriez gagné par là l'affection
procha de Bélisaire pour le féliciter. des peuples que vous voulez arracher
« C'est un heureux présage, lui dit-il; au joug et à l'oppression d'une race
Dieu a voulu montrer par là que vous étrangère. Dorénavant, vous aurez à
obtiendriez, sur vos ennemis, une fa- combattre, tout à la fois, les Vanda-
cile victoire. » Quand le travail fut les et les Africains. Que dis-je! vous
achevé , l'armée se renferma dans le aurez pour ennemi Dieu lui-même,
camp. Elle y passa la nuit. Les senti- qui retire son appui à quiconque em-
nelles furent disposées , suivant l'u- ploie, àl'égard d'autrui, l'injustice et
sage, de distance en distance, et l'on la violence. Soldats, il est encore temps
fit bonne garde sur tous les points. peut-être de réparer le mal que vous
Par ordre de Bélisaire, cinq archers avez fait. Montrez aux populations que
devaient veiller sur chacun des bâti- vous allez rencontrer, que vous êtes
ments de transport. Quant aux vais- justes et modérés. Quand vous aurez
seaux plus légers qui étaient destinés mérité de nouveau que Dieu vous pro-
aux combats de mer, ils étaient ran- tège et que les Africains vous aident,
gés en demi-cercle, devant les autres, vous aurez accompli votre oeuvre, et
se tenant prêts à repousser, s'il y les Vandales seront vaincus. » Après
4° Livraison. (Hist. des Vandales.]
50 L'UNIVERS.
cette proclamation, Bélisaire ordonna chariots. Il y entra avec eux. Ce fut
aux soldats de rompre les rangs. ainsi que la place fut occupée sans
l'armée se met en marche ; pro- combat. Quand il fit grand jour, Mo-
jets de bélisaibe; manifeste de
raïde fit appeler, sans bruit, l'évêque
l'empereur justinien ; passage et les citoyens les plus notables , et il
des troupes grecques a syllec- leur exposa les projets de Bélisaire.
tum.— On avait appris au général qu'à Nul ne songea à lui résister, et on lui
une journée de marche environ de son remit, pour son général, les clefs qui
camp, sur la route qui conduit à Car- ouvraient les diverses issues de la ville.
thage, et au bord de la mer, se trou- Le même jour, le directeur des pos-
tes livra aux Grecs tous les chevaux
vait une ville appelée Syllectum (*).
Cette ville avait perdu ses anciens qui appartenaient à l'État. On arrêta
remparts; mais comme les habitants, aussi un de ces courriers appelés Ve-
pour se défendre contre les irruptions redarii, qui portait les ordres et les
subites des Maures, avaient joint leurs lettres du roi , et on le conduisit à Bé-
maisons entre elles par d'épaisses mu- lisaire. Le général lui fit bon accueil,
railles, elle présentait encore l'aspect et lui compta
d'une place fortifiée. Bélisaire résolut gent. Illui fitune grosse
jurer somme d'ar-
de remettre aux
de s'en emparer. Il confia un détache- chefs et aux hommes les plus illustres
ment àMoraïde, l'un des officiers de de la nation vandale plusieurs exem-
sa garde, et lui donna ordre de mar- plairesleurdes lettres que l'empereur Jus-
cher en avant. « Il faut essayer, dit-il, tinien avait adressées. Ces lettres
en s'adressant aux soldats qui par- contenaient un manifeste qui était
taient, d'entrer dans la ville par sur- ainsi conçu : « Je ne déclare point la
prise. Si vous obtenez un plein suc- guerre aux Vandales. Je ne viole point
cès, gardez -vous de piller. Que les les serments de paix qui ont été prê-
habitants
de vos désordres. n'aient Déclarez
point à sehautement
plaindre tés par mon prédécesseur Zenon. J'at-
taque letyran qui, au mépris du tes-
et montrez que vous êtes les libéra- tament de Genséric, a jeté votre roi
teurs de l'Afrique. Enfin, préparez les légitime dans les fers, a tué ses pro-
ches ou leur a fait arracher les yeux.
habitants à recevoir l'armée.» Le dé-
tachement arriva vers le soir dans un Venez à mon aide, et unissons nos ef-
vallon (jui n'est pas éloigné delà ville. forts pour renverser l'odieuse tyran-
Il fit halte en cet endroit pour y pas- nie qui pèse
ser la nuit. Le lendemain, au moment de Dieu que sur vous. promets
je vous C'est aula nompaix
et la liberté. » Celui à qui on avait
où l'aurore commençait à poindre , il
se confié ces lettres n'osa point les ré-
le remit
plus grand en marche,ordre, "et et enil silence,
suivit dans
les pandre. Illes fit lire seulement à un
paysans des campagnes avoisinantes petit nombre d'amis, ce qui ne pro-
qui se rendaient à Syllectum avec leurs duisit aucun effet sur l'esprit public,
et n'amena point les résultats sur les-
(*) Syllectum est peut-être la Turris An-
nibalis. Il reste de cette ville un vieil édifice
quels avaient compté Justinien et le
chef de l'expédition. Enfin, Bélisaire
qui est encore aujourd'hui aussi grand que
la tour de Londres. La campagne de César
se porta avec son armée sur Syllectum.
Quand il fut entré dans la ville, il
(Hirtius; de Bello africano), avec l'analyse
de Guichard et les voyages de Shaw dans maintint parmi ses soldats une disci-
le même pays (p. 109-110, etc.), jettent du pline sévère, et il n'eut à réprimer ni
jour sur la marche de Bélisaire vers Leptis excès, ni violences. La douceur du gé-
minor, Adrumetum, etc. (Noie de Gibbon.) néral la
, modération des troupes ga-
— L'Académie des inscriptions adopte
mée marcha gnèrent tousen les Afrique
cœurs. comme
Dès lorssi l'ar-
elle
sans hésiter pour Syllectum ( Sullecto ) la
conjecture de Gibbon. Voy. Recherches sur eût été au sein de l'empire. Nul ne
l'histoire de r Afrique septentrionale , etc. , prenait la fuite à son approche, Tous,
t.I,p. 98. au contraire , venaient à sa rencontre
AFRIQUE. 51
Frappé par ces paroles, Genséric chan- pensèrent qu'il était plus sage d'avertir
gea d'avis, et n'accueillit point la de- Gélimer. Le roi se réjouit fort de l'oc-
mande des députés. On se moqua alors casion qui lui était offerte de prendre
du roi et de celui qui l'avait conseillé. ainsi, d'un seul coup, un officier des
Mais, plus tard, au temps de Béli- gardes et vingt-deux soldats d'élite. Il
saire, la nouvelle génération des Van- fit partir au galop trois cents cavaliers
dales se souvint, au moment de ses vandales, leur recommandant, avant
revers, des paroles du vieillard, et les tout, de lui amener vivants Diogène
trouva pleines de sagesse. et ses compagnons. Ceux-ci étaient
GELIMER SURVEILLE A DISTANCE
loin de nemi.
soupçonner
Ils avaient l'approche
fait choix,de pour
l'en-
l'armée grecque ; ACTION glo-
rieuse DE DIOGENE ET DE VINGT- passer la nuit, d'une vaste maison.
DEUX cavaliers. — Gélimer se te- Après avoir laissé leurs chevaux dans
nait à une assez grande distance de la cour, ils étaient montés à l'étage
Carthage; cependant il surveillait avec supérieur pour se livrer au repos. Les
soin son ennemi. Il avait envoyé dans Vandales arrivèrent enfin. La nuit était
toutes les campagnes des émissaires profonde, et tout semblait les favori-
qui devaient exciter la population afri- ser; mais au moment décisif la réso-
lution leur manqua. Ils ne voulurent
en armes, caine, par l'appât du gain, contre
et à défendre, à se lever
les point briser les portes et pénétrer dans
troupes impériales, la domination des la maison avant le jour; ils craignaient
Vandales. Il fît promettre une somme de s'entre-tuer dans un engagement
nocturne, ou au moins de fournir aux
d'argent à quiconque apporterait à son
camp la tête d'un soldat grec. Les Grecs les moyens de s'échapper. C'é-
Africains n'hésitèrent point : ils se mi- tait la peur, dit Procope, qui leur dic-
rent en embuscade, et s'emparèrent de tait ces penséps; car rien n'eût été
tous ceux qui sortaient de Carthage simple et facile comme de se rendre
pour piller dans les campagnes avoi- maître de Diogène et de ses compa-
sinantes. Parmi les prisonniers, les gnons, en pénétrant dans la maison
esclaves et les valets étaient plus nom- avec des flambeaux, et même sans
breux que les soldats. Les paysans ne
flambeaux, puisque ceux que l'on vou-
mettaient pas entre eux de différence; lait surprendre s'étaient couchés après
ils les tuaient indistinctement, et se avoir quitté leurs armes et leurs vê-
hâtaient de porter les têtes à Gélimer. tements. Les Vandales ne montrèrent
Le roi les payait largement, et se ré- pas tant de hardiesse; ils se bornè-
jouissait dese défaire ainsi, sans dan- rent, en attendant le jour, à placer des
ger pour lui et pour les Vandales qui sentinelles autour de la maison, et un
l'accompagnaient, des soldats de Bé- gros de cavaliers devant chaque porte.
lisaire.
Il arriva, par hasard, qu'un soldat grec
Ces meurtres répétés et les dispo- se réveilla pendant la nuit. Le mouve-
sitions hostiles des Africains durent ment qui se faisait au dehors le
frapper et inquiéter le chef de l'armée frappa; il se leva et prêta une oreille
impériale. Il envoya un jour à ia dé- attentive. Des armes qui se choquèrent
couverte Diogène, officier de sa garde, et des mots prononcés à voix basse ne
avec vingt-deux cavaliers. La petite lui laissèrent bientôt aucun doute sur
troupe s'avança dans le pays, et ne les projets des Vandales. Alors il ré-
veille prudemment et sans bruit ses
s'arrêta que dans un village qui était
situé à deux journées de marche de compagnons, et leur fait connaître le
Carthage. Les habitants auraient bien
danger qui les menace. De l'avis de
voulu tuer les Grecs; mais ils n'osaient Diogène,
couvrir de tous leurs s'empressèrent
vêtements et de deleurs
se
attaquer vingt-deux soldats armés de
toutes pièces, qui auraient fait, sans armures, et d'abandonner la partie de
doute, bonne résistance, et les auraient
la maison qu'ils occupaient. Quand ils
peut-être exterminés eux-mêmes. Ils furent dans la cour, ils s'élancèrent sur
60 L'UNIVERS.
leurs chevaux. Jusqu'alors, nul ne s'é- Godas ne put résister et fut tué. On
tait présenté pour les combattre. Ils vint alors apprendre au vainqueur,
restèrent quelque temps immobiles ; mais sans rien ajouter à cette nouvelle,
puis, tout à coup, ils ouvrirent la porte qu'une flotte impériale avait touché
et se précipitèrent au dehors. Les les côtes de l'Afrique. Tzazon ne s'in-
Vandales, qui se tenaient sur leurs quiéta point ; il croyait que Gélimer
gardes, voulurent les repousser; mais repousserait facilement les agresseurs
les Grecs, protégés par leurs boucliers et , dans cette pensée , il lui écrivit la
et frappant à coups de lance tous ceux lettre suivante : « Roi des Vandales
qu'ils rencontraient, traversèrent les et des Alains , j'ai pris Godas et je l'ai
rangs ennemis, et coururent vers Car- tué ; j'ai replacé la Sardaigne sous ton
tilage de toute la vitesse de leurs che- obéissance ; célèbre ma victoire par
vaux. Ce fut ainsi que Diogène sauva des fêtes. On m'a dit que les Grecs,
nos ennemis, avaient osé mettre le
d'une perte certaine, à l'exception de
deux, les soldats qui lui avaient été pied sur notre territoire. Crois-moi ,
confiés. Cependant il faillit payer de ils éprouveront le même sort que ceux
sa vie son audace et sa généreuse ré- qui jadis ont attaqué nos pères. » Les
solution. Ilavait eu un doigt coupé messagers qui devaient remettre au
dans l'action, et, de plus, il avait reçu roi la lettre de Tzazon s'embarquè-
au cou et au visage trois graves bles- rent et vinrent , sans défiance , abor-
sures. der au port de Carthage. Ils furent
BÉLISAIRE RÉPARE LES FOBTIFI- saisis, à leur arrivée, et conduits à
cattons de carthage. — Les dis- Bélisaire : ils livrèrent la lettre qu'ils
positions chancelantes ou hostiles des portaient et donnèrent tous les rensei-
habitants de la campagne, et la der- gnements qu'on leur demanda. Quand
nière tentative des Vandales pour s'em- on les arrêta leur frayeur fut extrême.
parer de Diogène et de ses cavaliers, A la vue des Grecs , ils demeurèrent
inspirèrent à Bélisaire des craintes sé- frappés d'étonnement et ils cherchè-
rieuses. Il pensa que l'inaction de rent ,en vain , à se rendre compte de
Gélimer n'était qu'apparente, et il se la brusque révolution qui venait de
hâta de prendre, à.Carthage, toutes les s'accomplir. Le général , par ses pa-
mesures qui pouvaient le garantir d'un roles et ses bons traitements, ne tarda
coup de main. Il rassembla de nom- pas à les rassurer.
breux ouvriers auxquels il promit une LES AMBASSADEURS DE GELIMER
bonne paye, fit creuser autour de la EN ESPAGNE; LEUR ENTREVUE AVEC
ville des fossés larges et profonds, re- LE ROI THEUDIS ; LEUR MÉPRISE ; ILS
leva la partie des murailles qui était TOMBENT AU P0UV0IBDE BÉLISAIRE;
tombée, et raffermit celle qui mena- COURRIER ENVOYÉ A JUSTINIEN. —
çait ruine. Les travaux furent conduits Une circonstance imprévue vint en-
et achevés avec une merveilleuse rapi- core fournir à Bélisaire , sur la situa-
dité, et, en peu de jours, Bélisaire se tion des Vandales, de nouveaux ren-
trouva à l'abri de toutes les attaques. seignements. Gélimer avait bien com-
LES VANDALES EN SARDAIGNE ; RÉ- pris, après la déposition de Hildéric ,
SULTAT DE LEUR EXPÉDITION.— AU
moment même où Gélimer , abandon- que son ment assispouvoir
, et que n'était pendantpoint solide-
longtemps
nant aux Grecs sa capitale, fuyait dans il aurait à défendre sa couronne con-
le désert , Tzazon triomphait en Sar- tre de nombreux ennemis. Il voulut
daigne ; il était parti, comme on l'a vu, alors.se ménager des auxiliaires pour
avec cinq mille soldats , l'élite de l'ar- l'avenir et , dans ce but , comme il ne
mée vandale. Après une heureuse tra- pouvait se tourner ni vers l'Orient , ni
versée, laflotte envoyée par Gélimer vers l'Italie , il rechercha l'alliance des
arriva en vue de Caralis , la place la maîtres de l'Espagne. Il s'adressa donc
plus importante de l'île. Tzazon l'at- à Theudis, roi des Wisigoths. Les am-
taqua brusquement et s'en empara. bassadeurs envoyés par Gélimer se
AFRIQUE. 61
mirent en marche, traversèrent le Cependant ils étaient loin de supposer
détroit de Gadès, et touchèrent les que Carthage Ils
eût suivirent
cessé d'appartenir
aux Vandales. le conseil
côtes de l'Espagne sans avoir appris
l'arrivée de Bélisaire en Afrique et les qu'on leur avait donné, et ils se diri-
succès de l'armée de Justinien. Ils s'a- gèrent vers la côte. Là, ils s'embar-
vancèrentà, petites journées , dans quèrent pour rapporter à Gélimer les
l'intérieur des terres, pour voir Theu- paroles du roi des Wisigoths. Au mo-
dis et pour s'acquitter, auprès de lui, ment où ils mettaient le pied sur le
de leur mission. Le roi des Wisigoths rivage deronnés l'Afrique , ils grecs
furentquienvi-
savait déjà , quand ils se présentèrent, par des soldats les
conduisirent à Bélisaire. Le général
que Carthage n'était plus au pouvoir se plut à leur faire raconter au long
de Gélimer. Le jour même où la ville
avait été occupée par les Grecs, un leur voyage et leur entrevue avec Theu-
vaisseau chargé de marchandises avait dis, et, lorsqu'ils eurent achevé, il or-
quitté le Mandracium et , favorisé par donna qu'on les mît en liberté.
le vent , était arrivé en peu de temps Vers ce temps on vit entrer dans le
en Espagne. Ce furent les passagers port de Carthage Cyrille et les soldats
qui apportèrent la nouvelle des succès qu'il commandait. Il avait été envoyé
obtenus par les troupes impériales. par Justinien au secours de Godas ;
Theudis recommanda aux gens de l'é- mais, au moment où il approchait de
quipage et
, à tous les marchands, de la Sardaigne, il apprit la victoire de
garder le silence sur les événements Tzazon : dès lors il renonça à se diri-
qui s'étaient accomplis en Afrique; ger sur l'île etCeil fut
de Bélisaire. se mit
dansà Ta
lesrecherche
murs de
Euis , il se disposa à recevoir les am-
assadeurs de Gélimer. Quand ils fu- Carthage qu'il le rencontra. Le géné-
rent en sa présence, il leur fit bon ral, après tant d'événements heureux,
accueil et les invita même à un grand résolut d'envoyer un de ses officiers à
banquet. Pendant leTepas, au milieu Constantinople, et il choisit Salomon
des joyeuxeurs propos, le roidits'adressa aux pour porter à Justinien la nouvelle de
ambassad , et leur : « Que font ses premiers succès.
maintenant Gélimer et les Vandales? les maures; leurs dispositions.
Votre royaume est-il toujours floris- — La plaine de Bulla où se tenait
sant? — Tout va pour le mieux, ré- Gélimer était située à quatre journées
pondit alors Gotthée, l'un des ambas- de marche de Carthage , non loin des
sadeurs. — Mais enfin , reprit Theu- frontières de la Numidie. Là étaient
dis, que venez-vous me proposer? — accourus auprès du roi et de ses guer-
Gélimer, repartirent les Vandales , riers un certain nombre de Maures
t'offre son amitié , et il désire con- attirés par l'appât du gain et des aven-
tracter avec toi une sincère alliance. » tures. C'étaient des nommes qui ap-
Le roi se prit à rire : « Retournez à partenaientplusieurs
à tribus , et qui
la côte, dit-il aux ambassadeurs , et là s'étaient rendus de différents lieux et
vous apprendrez ce qui se fait en Afri- sans chefs au camp des Vandales. En
que. »Les Vandales se levèrent de ta- effet, la masse de la nation restait in-
ble sans trop se soucier des paroles décise etflottante; cependant, comme
qu'ils avaient entendues. Theudis, sans elle prévoyait la ruine de Gélimer, elle
doute , avait beaucoup bu pendant le penchait déjà du côté des Grecs. Les
, et ilst pensèren t étaitn ivre. chefs des tribus qui habitaient la Mau-
repasrevinren
Ils donc le qu'illendemai au- ritanie, la Numidie et la Byzacène,
près du roi; mais, comme la veille, s'étaient même avancés jusqu'à faire
il répondit à leurs propositions par des promesses à Bélisaire ; ils lui avaient
des railleries. Dès lors l'inquiétude se envoyé des ambassadeurs pour lui dire
glissa dans leur esprit et ils commen- qu'ils étaient prêts à reconnaître la
à
cèrent croire qu'une révolution avait suprématie de l'empereur, et plusieurs,
éclaté en Afrique après leur départ. s'il faut en croire Procope, avaient
62 L'UNIVERS.
livré, en témoignage de leur sincérité, Sardaigne, mais pour donner à Justi-
leurs enfants comme otages. Seulement nien letemps de conquérir l'Afrique.
ils demandaient qu'à son tour le re- Les événements qui à viennent de s'ac-
présentant de Justinien voulût bien complir ont dévoilé tous les yeux les
reconnaître leurs titres et leur donner desseins de la fortune. Bélisaire n'est
l'investiture suivant la forme accou- arrivé sur nos terres qu'avec des trou-
tumée. Au temps de la domination ro- pes peu nombreuses, et cependant il
maine nul
, ne se déclarait chef de tribu nous a vaincus. Les Vandales ont
qu'il n'eût reçu de l'empereur les in- perdu tout courage, et désormais ils
signes du commandement. Les rois ne peuvent compter sur le succès.
vandales s'étaient conformés à l'ancien AmmatasetGibamund sont morts par
usage; mais les Maures ne regardaient la lâcheté de leurs soldats. L'ennemi
point comme légitime l'investiture con- est maître de nos ports, de nos arse-
férée par les usurpateurs de la puis- naux de
, nos agrès , de nos chevaux ,
sance impériale. Bélisaire s'empressa de Carthage,
tière. Rien ne enfin de l'Afrique
peut tirer en-
les Vandales
d'accueillir la demande qui lui était
adressée. Il envoya à chacun des chefs de l'engourdissement et de la stupeur
des tribus maures une baguette d'ar- où ils sont plongés ; ils semblent igno-
rer qu'ils compromettent ainsi, par
formegentdedoré couronne
, un bonnet , un d'argent
manteau fait en
blanc leur nonteuse conduite , leurs biens et
la liberté de leurs femmes et de leurs
qu'une agrafe d'or attachait sur l'é-
paule droite , une tunique qui, sur un enfants. JNous n'avons plus rien en
fond blanc, offrait des dessins variés, notre puissance que la plaine de
enfin des chaussures travaillées avec
Bulla. C'est là que nous nous mainte-
un tissu d'or. Il joignit à ces orne- nons ,dans l'espérance que toi et les
ments qui étaient le signe matériel du tiens vous ne tarderez pas à venir à
pouvoir suprême, de grosses sommes notre secours. Hâte-toi ; vole sur les
eaux avec toute ta flotte; ne songe
d'argent. Cependant les tribus ne se
déclarèrent poiut encore. Elles n'en- plus désormais à renverser le tyran et
voyèrent point aux Grecs des troupes a replacer la Sardaigne sous nos lois.
auxiliaires ; mais d'un autre côté, elles Ce n'est plus contre cette île, mais
n'aidèrent pas les Vandales. Elles at- contre Bélisaire, qu'il faut diriger nos
tendaient, au repos et en observant, coups. Unissons nos forces et mar-
qu'entre Justinien et Gélimer la for- chons àl'ennemi : désormais nous de-
tune se fut prononcée d'une manière vons vaincre ou supporter, en com-
irrévocable. mun ,le poids de nos désastres. »
TRISTESSE ET DECOURAGEMENT DE TZAZON QUITTE LA SARDAIGNE; IL
GÉLIMER; SA LETTRE A TZAZON. — ARRIVE AU CAMP DE BULLA; SON
Gelimer ne se faisait point illusion ENTREVUE AVEC GELIMER. — Après
sur les dangers de sa position. L'es- avoir reçu, au port de Caralis, la
pérance même du succès semblait l'a- lettre de 'Gélimer, Tzazon réunit les
voir abandonné. Il fit porter en Sar- Vandales et leur apprit les nouvelles
daigne, à son frère Tzazon, une lettre qu'on lui avait apportées. Toute l'ar-
qui trahissait ses impressions : « Ce mée fut alors en proie à une vive dou-
n'est point Godas , disait-il , mais une leur. Les soldats n'osaient montrer
maligne influence qui nous a arraché en public leur tristesse et leurs larmes.
la Sardaigne. L'inspiration qui t'a en- Ils cherchaient à dérober leurs impres-
levé à l'Afrique avec l'élite de nos sions aux habitants de l'île , et ce n'é-
guerriers venait d'une puissance cé- tait qu'entre eux, et à l'écart, qu'ils
leste, mais qui nous est ennemie, s'interrogeaient sur le coup terrible
puisque, en nous privant ainsi de qui les avait frappés et qu'ils gémis-
toutes nos ressources , elle a presque saient sur leurs infortunes. Après
anéanti la maison de Genséric. Tu avoir pris à la hâte quelques mesures
n'es point parti pour soumettre la qui pouvaient assurer la tranquillité
AFRIQUE.
nication et de toutes ressources. Soit 63
et la soumission de l'île , Tzazon or-
donna aux troupes de monter sur la pour ménager et gagner à sa cause les
flotte et il fit voile pour l'Afrique. Il habitants de la campagne , soit qu'il
arriva , le troisième jour, sur le point persistât à regarder le territoire où il
de la côte où l'on rencontre les fron- s'était arrêté comme son bien et celui
tières de la Numidie et de la Maurita- de sa nation , il le préserva avec grand
nie. C'est de là qu'il s'avança à mar- soin du pillage et de la dévastation.
che forcée vers la plaine de Bulla. D'ailleurs, l'espérance commençait à
Quand le roi et son frère furent en renaître en lui ; il entretenait des in-
présence, ils se précipitèrent l'un vers tel igencesCarthage,
à et il supposait
l'autre, s'embrassèrent et confondi- que non-seulement les Carthaginois ,
rent sans prononcer une seule parole, mais encore les soldats ariens qui ser-
leurs larmes et leurs sanglots. Les sol- vaient dans l'armée grecque, lui livre-
dats qui revenaient de la Sardaigne et raient la place par trahison. Puis il
ceux qui étaient restés en Afrique se avait étudié, par ses émissaires, les
mêlèrent et, eux aussi, en se retrou- dispositions de la troupe des Huns, et
vant, donnèrent les marques de la il avait excité les barbares, par des
plus violente affliction. On ne parlait promesses et sans doute aussi par de
dans le camp, ni de Godas, ni de l'argent, à s'unir avec lui et à venir
Bélisaire. On ne cherchait point à s'é- dans son camp. Les Huns, en effet, ne
clairer par de mutuelles questions, car servaient l'empereur qu'à regret, et
chaque soldat craignait que ses mal- ils se plaignaient hautement d'un offi-
heurs ne fussent encore plus grands cier nommé Pierre , qui avait employé
qu'il ne l'avait imaginé. Cette scène un honteux mensonge pour les tirer de
fut déchirante et elle fit éprouver Constantinople et pour les amener en
pendant longtemps à ceux qui la vi- Afrique. Ils écoutèrent donc les pro-
rent ,et même aux ennemis des Van- positions de Gélimer, et ils allèrent
dales qui l'entendirent raconter, une jusqu'à promettre qu'au jour de la ba-
vive et profonde émotion. taille ilspasseraient dans les rangs des
GÉLIMEB ET TZAZON SE PORTENT Vandales. Ce furent des transfuges qui
SUR carthage; ON CONSPIRE DANS dévoilèrent à Bélisaire les projets des
LA VILLE CONTRE LES GRECS ; MAU- Huns. Dès lors il résolut de ne point mar-
VAISES DISPOSITIONS DES SOLDATS cher àla rencontre de l'ennemi avant
huns. — Quand Gélimer se vit entou- d'avoir pris toutes les mesures qui
ré de Tzazon et de tous les guerriers pouvaient lui conserver, même pendant
de sa nation , il quitta la plaine de une longue expédition, la possession
Bulla et marcha sur Carthage. Il plaça de Carthage. D'autre part, quelques
son camp non loin de la ville , pour
attirer Bélisaire au combat. Il avait citoyens s'étaient aussi mis en rapport
avec Gélimer. L'un d'entre eux, Lau-
aussi coupé l'immense et bel aqueduc rus , fut dénoncé par son secrétaire. Sa
qui de l'intérieur des terres condui- trahison était manifeste, et Bélisaire
sait à Carthage l'eau qui servait aux le fit pendre au sommet d'une colline
besoins de la population (*); mais Bé- qui avoisinait la ville. Cette exécution
lisaire resta dans l'inaction et n'es- effraya tous les autres , et nul désor-
saya point de repousser Gélimer. Alors mais ne songea à conspirer.
le roi des Vandales leva son camp Mais il importait surtout au géné-
et divisa son armée : il envoya une ral de ramener les Huns. Il les accabla
troupe sur chacune des routes qui con- de présents , les admit à sa table , et,
duisaient àCarthage, et il crut dès à force de prévenances, il parvint à
lors qu'il avait assez fait pour priver leurs tirer d'eux-mêmes le secret de toutes
son ennemi assiégé de toute commu- relations avec Gélimer. « Nous
ne te cacherons point, lui dirent les
(*) Voy. dans ce volume : Histoire de Car- barbares , que nous sommes mal dis-
thage; topographie; p. 148. posés au combat. .Nous craignons que
64 L'UNIVERS,
les Romains, après leur victoire, re- mation, Bélisaire fît partir toute la
fusent de nous ramener à Constanti- cavalerie, à l'exception de cinq cents
nople, et qu'ils nous laissent vieillir et hommes qu'il retint auprès de lui. Il
mourir sur la terre d'Afrique. Qui, avait confié le corps d'élite et le dra-
d'ailleurs, nous garantit que l'on ne peau àJean l'Arménien, en lui recom-
nous enlèvera pas le butin que nous mandant de ne point reculer devant les
avons fait ? — Moi , répondit Bélisaire, combatsd'escarmouche; puis lui-même
et je vous jure que si vous nous aidez se mit en marche, le lendemain, avec
a vaincre les Vandales , je vous ren- les cinq cents cavaliers qui étaient res-
verrai àvos demeures avec une large tés àCarthage et toute son infanterie.
part des dépouilles de l'ennemi. » Les Les Huns accompagnaient aussi les
Huns s'engagèrent une seconde fois à Grecs; mais ils avaient tenu conseil
servir dans l'armée avec zèle et cou- entre eux, et, après avoir pesé les pro-
rage. messes de Gélimer et celles de Béli-
BÉLISAIRE SE DISPOSE A QUITTER saire, ils avaient pris la résolution de
carthage; il adresse aux trou- rester neutres au commencement de la
pes une proclamation. — Au mo- bataille, pour se tourner ensuite, quand
ment où Bélisaire cessa de craindre les la fortune aurait prononcé, du coté de
trahisons, et quand il eut achevé de l'armée victorieuse.
fortifier Carthage, il se décida à sortir Les Romains rencontrèrent les Van-
pour marcher à l'ennemi. Avant le dales campés à cent quarante stades de
départ, il fit lire aux soldats rassem- Carthage, à Tricamara (*). Comme on
blés la proclamation suivante : « Vous était à la fin du jour, ils s'arrêtèrent,
avez gagné par une récente victoire à une certaine distance de l'ennemi,
Carthage et toute l'Afrique. Désormais pour passer la nuit. Là, dans leurs
mes paroles seront moins puissantes retranchements, au milieu des ténè-
pour exciter votre, courage que le sou- bres, une chose vint frapper leurs re-
venir de vos succès passés. Aujour- gards :le fer des lances brillait d'un
d'hui, jene vous dirai qu'une chose : vif
une éclat,
flamme. et Ton Les eût dit qu'il
soldats portait
cherchèrent
c'est que du même coup, si vous êtes
braves, vous enlèverez tout espoir aux en vain à se rendre compte de ce pro-
Vandales, et vous mettrez fin à la dige; seulement, après la bataille, ils
guerre. Vous trouverez pendant l'ac- n'hésitèrent point a prononcer que ce
tion un secours que vous n'avez point feu qu'ils avaient aperçu pendant la
rencontré dans vos premiers comhats.
nuit, et frayeur,
quelque qui leurétait avait'un inspiré alors
sûr présage
La cavalerie seule jusqu'ici a lutté de la victoire.
contre l'ennemi : cette fois, l'infanterie
prendra part à la bataille, et les défen- ' GÉLIMER ET TZAZON ESSAIENT DE
seurs de Gélimer auront à soutenir le RANIMER LE COURAGE DES VANDA-
choc et les efforts de l'armée entière. LES; PRÉPARATIFS DANS LES DEUX
On vous a dit que les Vandales, à la armées; ordre de bataille. — Le
seule idée que vous étiez maîtres de lendemain du jour où avait paru la
leurs femmes, de leurs enfants et de cavalerie romaine, Gélimer prit ses
leurs biens les plus précieux, sentiraient dernières mesures. Il voulut que, pen-
doubler leur courage. INe vous laissez dant le combat, on laissât dans le
point tromper: leur rage sera grande, camp les femmes, les enfants, avec l'or
peut-être; mais elle les aveuglera. Sou- et l'argent que les Vandales avaient pu
venez-vous demes paroles. Ayons bon
espoir, nemi. » et marchons hardiment à l'en- (*) « Tricamara devait être à 8 lieues
au sud - ouest de Carthage. » RecJierches
DÉPART DE L'ARMÉE; DISPOSI- sur l'histoire de l'Afrique septentrionale ,
TIONS de bélisaire; les huns;
LES ROMAINS ET LES VANDALES SONT etc. , par une commission de l'Académie
des inscriptions et belles-lettres, tome I,
en présence. — Après cette procla-
p. 104.
AFRIQUE. 65
sauver; puis il rassembla ses soldats et de ne frapper l'ennemi qu'avec l'épée.
les exhorta à bien combattre. Tzazon, la bataille; mort de tzazon.
qui exerçait sur les troupes revenues — Les deux armées s'observèrent pen-
de la Sardaigne un grand ascendant, dant quelques instants sans faire un
joignit ses prières à celles de son frère, mouvement; enfin Jean l'Arménien
et il adressa à ses compagnons d'armes passa le ruisseau avec un petit nombre
de cavaliers, et se présenta sur le
une pressante allocution. Puis, l'armée
entière s'ébranla, et se dirigea, en ba- front de l'ennemi. Tzazon se détacha
taille, vers les Romains, qui se dispo- alors avec un corps de Vandales, et se
saient alors à prendre leur repas. mit en devoir de repousser les Grecs;
L'alerte fut vive parmi les troupes im- mais ceux-ci battirent en retraite et
fiériales; elles saisirent rapidement repassèrent le ruisseau. Les Vandales
eurs armes, et se disposèrent, en un n'osèrent le traverser, et, arrivés sur
instant, àcoulait
ruisseau recevoir entre l'ennemi. faible le bord , ils cessèrent la poursuite.
les deux Unarmées. Les cavaliers grecs revinrent à la
Les Vandales ne le traversèrent point, charge avec un renfort; mais cette fois
et s'arrêtèrent à quelque distance de sa encore ils furent obligés de se retirer
rive. Les Romains, de leur côté, arri- et de se replier sur l'armée. Enfin
vèrent sur l'autre bord, et, a leur Jean, bien décidé à ne plus reculer,
tour, ils firent halte. Les deux armées marcha à l'ennemi pour la troisième
étaient rangées en bataille dans l'ordre fois avec toute la garde de Bélisaire
suivant : la gauche des troupes impé- et le drapeau. La troupe, en s'élan-
riales était commandée par Martin, çant, poussa de grands cris. Les Van-
Valérien, Jean, Cyprien, Althias et dales soutinrent le choc et reçurent
Marcellus; la droite, par Pappus, Bar- les assaillants à coups d'épée. On se
batus et Aigan; Jean l'Arménien s'é- battit avec courage, et bientôt on vit
tait placé au centre avec la cavalerie tomber les plus braves guerriers des
d'élite, les gardes de Bélisaire et le frère deux troupes, et parmi eux Tzazon, le
drapeau. Le général en chef lui-même du roi. Cette mort décida du
arriva, en temps opportun, avec cinq sort des Vandales. Ceux qui avaient
cents cavaliers; il avait devancé, pour lutté avec tant de valeur contre les
diriger le combat, son infanterie, qui, meilleurs cavaliers de l'armée impé-
à son gré, marchait avec trop de len- riale étaient sans doute les soldats re-
teur. Les Huns se tenaient à l'écart, venus de Sardaigne, les vainqueurs de
de manière cependant à tout observer. Godas. Quand ils eurent perdu le chef
Ils avaient refusé de prendre place à qui les animait par son exemple, le
côté des autres troupes, alléguant, désespoir les gagna, et le désordre se
pour ne point éveiller les soupçons, mit dans leurs rangs. Ce mouvement
que c'était la coutume des guerriers de n'échappa point à Bélisaire, qui fit
leur nation de se porter pendant l'ac- sonner la charge et lança toute sa ca-
tion où bon leur semblait, sans se valerie au delà du ruisseau. C'était au
conformer aux mouvements des corps centre que se trouvait la principale
réguliers. Du côté des Vandales, la force de Gélimer. Au moment où les
gauche et la droite étaient confiées à troupes commandées par Tzazon com-
des chiliarques; Tzazon, le frère du mencèrent àplier, les soldats placés
roi, se tenait au centre; les Maures, aux deux ailes abandonnèrent leurs
dont les dispositions étaient chance- rangs et prirent la fuite. La bataille
lantes formaient
, une espèce d'ar- était gagnée. Ce fut alors que les Huns,
rière-garde. Quant à Gélimer, il par- qui pendant l'action s'étaient tenus au
courait les rangs à cheval, et ex- repos, s'ébranlèrent, et se mirent à la
hortait ses soldats à se comporter poursuite des fuyards. Le succès les
avec bravoure; il leur recommanda avait tirés d'incertitude, et après la
expressément de ne point user pen- victoire ils n'hésitèrent plus à se rat-
dant le combat des armes de trait, et tacher àBélisaire. Les Vandales rega-
5e Livraison. (Hist. des Vandales.)
66 L'UNIVERS.
gnèrent leur camp, et là ils purent se la mort que pour servir, comme es-
reposer quelques instants sans être claves, aux caprices et à la brutalité
inquiétés. La cavalerie impériale, qui des vainqueurs.
n'était point en mesure de les forcer Au témoignage des Byzantins, rien
dans leurs retranchements, se répandit ne pouvait donner une idée des ri-
dans la campagne pour dépouiller les chesses accumulées dans le camp des
morts. Huit cents Vandales environ Vandales. Là, en effet, se trouvait
étaient tombés sous le fer ennemi ; les déposé le fruit d'un brigandage qui
Romains n'avaient perdu que cinquante avait duré un siècle sans interruption ;
hommes, qui tous, il faut le supposer, on y voyait les dépouilles de tous les
avaient été frappés sur les bords du ruis- pays. L'Espagne,
seau au
, moment où Tzazon soutenait la Grèce, les îles delalaGaule, l'Italie,,
Méditerranée
encore les efforts de Jean l'Arménien. et même l'Asie , avaient été visitées ,
FUITE HONTEUSE DE GÉLIMER", DE- pillées et ravagées tour à tour par les
ROUTE; BÉLISAIRE ENTRE DANS LE flottes qui sortaient des ports de Car-
CAMP DES VANDALES; L'ARMÉE IM- tilage. On eût dit , depuis les premiers
PÉRIALE FAIT UN RICHE BUTIN. — succès des Vandales , que l'Afrique
Quand, vers le soir, Bélisaire eut été était destinée à recevoir, pour ne plus
rejoint par son infanterie, il marcha, les rendre, les trésors du monde en-
sans plus tarder, sur le camp des Van- tier. Contre toutes les prévisions de
dales. Gélimer ne l'attendit point; il la sagesse humaine , une seule bataille,
prit avec lui quelques serviteurs fidè- qui ne coûta pas au vainqueur cin-
les, sauta à cheval, et se sauva, à quante soldats , fit passer de Carthage
l'insu de ses troupes et sans laisser à Constantinople les monceaux d'or et
d'ordre, vers la Numidie. Sa fuite de- d'argent que la fortune elle - même
meura cachée jusqu'au moment où toujours semblait avoir pris soindesd'assurer
aux héritiers pour
compagnons
chefs et soldats l'appelèrent pour lui de Genséric.
montrer l'ennemi qui approchait, et DÉSORDRE APRÈS LA VICTOIRE ;
pour lui demander ses conseils et ses
ordres; puis, quand les Vandales se CRAINTES DE BELISAIRE; SES SOL-
virent abandonnés, leur désespoir fut DATS LE REJOIGNENT ET REPREN-
sans bornes, et ils poursuivirent de NENT leurs rangs. — Bélisaire
leurs imprécations le lâche qui , après passa la nuit qui suivit sa victoire
avoir attiré sur l'Afrique l'invasion clans d'inexprimables angoisses. Son
étrangère et tous les maux de la guerre, armée, si longtemps contenue dans
sacrifiait à sa sûreté personnelle la vie l'ordre et la plus sévère discipline ,
d'un peuple entier qui s'était armé pour venait de lui échapper et de s'expo-
sa défense. Les femmes et les enfants, ser , par son aveugle emportement ,
rassemblés dans le camp, poussaient à périr tout entière. Dans l'enivre-
des cris qui venaient encore amollir ment du succès, les soldats mettant
l'âme des Bientôt guerriersuneet foule
augmenter en oubli les conseils de la prudence,
confusion. immensela et n'obéissant plus à la voix de leur
s'échappa de l'enceinte retranchée par
toutes les issues, et se dispersa dans chef, avaient rompu les rangs et s'é-
taient précipités, cavaliers et fantas-
toutes les directions. Mais déjà il était sins mêlés, à la poursuite des ennemis;
trop tard, et les Romains étaient ar- bientôt ils s'étaient disséminés sur une
rives. Après avoir pris possession du vaste étendue de pays. Chacun d'eux ,
camp, et des richesses que Gélimer et sans se soucier de la présence des au-
les siens y avaient entassées, ils s'élan- tres ,s'engageait résolument dans les
cèrent àla poursuite des fuyards et bois, et pénétrait dans les cavernes
les massacrèrent sans pitié. Les scènes où les Vandales avaient pu cacher
de violence et de carnage se prolon- leurs femmes et leurs trésors. Si le
gèrent pendant toute une nuit. Les cœur n'eût point manqué à ceux qui
femmes et les enfants n'échappèrent à fuyaient, s'ils avaient songé à se re-
67
AFRIQUE.
tourner brusquement , les troupes im- mouvement et de lui nuire , il songea
périales eussent été anéanties. Béli- enfin à se rendre maître de la per-
saire qui seul , après la victoire , avait sonne de Gélimer.
conservé du calme, se porta sur tous Déjà deux cents cavaliers, comman-
les points, et pendant cette nuit, qui
lui parut bien longue, il chercha, par lancésdés parsur Jeanlesl'Arménien
traces du , roi
s'étaient
, qui
les prières ou par les menaces, à rallier fuyait rapidement vers la Numidie; ils
ses soldats; mais nul ne répondit à avaient ordre de courir jour et nuit,
son appel. Au point du jour il se re- et de ne s'arrêter qu'au moment où
tira sur une éminence. Ce fut alors ils auraient en leur pouvoir, vivant
seulement que les troupes commencè- ou mort, celui qu'ils poursuivaient.
rent àle rejoindre et à se ranger au- Bélisaire s'avançait, de son côté, avec
tour de lui ; mais avant de se remet- toute son armée pour seconder Jean
tre en mouvement elles envoyèrent, l'Arménien. Les cavaliers grecs mi-
sous bonne escorte , leur butin à Car- rent tant d'ardeur dans la poursuite ,
thage. Gélimer perdit ainsi, par sa qu'après cinq, jours d'une course non
lâcheté, ses dernières espérances avec interrompue ils atteignirent presque
sa dernière armée. Il avait livré bataille
la troupe qui fuyait, et purent calcu-
vers le quinzième jour de décembre de
ler les heures qui devaient s'écouler
l'année 533. Trois mois, suivant Pro- jusqu'à l'instant où Gélimer serait leur
cope, s'étaient écoulés depuis l'instant prisonnier; mais un événement im-
où Bélisaire avait pris possession de prévu les arrêta et sauva le roi des
Carthage (*). Vandales.
DOUCEUR DE BELISAIRE A L'ÉGARD MORT DE JEAN L'ARMÉNIEN ; GÉ-
DES VAINCUS ; SES MESURES ; GÉLI- LIMER ÉCHAPPE AUX VAINQUEUES.
MER est poursuivi. —Tous les sol-
dats ne revinrent pas au camp avec le — Parmi les compagnons de Jean l'Ar-
ménien se trouvait un officier des gar-
jour ; pendant longtemps Bélisaire fut des, Uliaris, dont il a déjà été fait
obligé de parcourir à cheval les lieux mention dans ce récit (*). C'était un
qui avoisinaient le point du ralliement homme d'une force prodigieuse , d'une
pour ramener les traînards. Quand, grande bravoure , mais peu réglé dans
au milieu de ses courses, il rencon- ses mœurs et trop ami des plaisirs et
trait des Vandales , il les rassurait et du vin. Dans la nuit qui précéda le
leur jurait qu'il ne leuril serait fait au- sixième jour de la poursuite , il pro-
cun mal , seulement les désarmait fita ,sans doute pour boire largement,
et les envoyait à Carthage. Il avait de l'un des rares et courts repos que
donné ordre de les recevoir et de les prenaient les chevaux et les cavaliers,
bien traiter à ceux qui gardaient la ville car , au lever du soleil , il était com-
pendant son absence. Il prit soin éga- plètement ivre. Il aperçut alors un oi-
lement de faire sortir des églises les
vaincuscomme qui s'y pour ie tuer;suril un
seau perché arbreson; ilarc,
banda s'arrêta
mit
foule dansétaient précipités
un asile en
inviolable. une flèche sur la corde , et lança son
Il promit la vie sauve à ceux qui dé- trait. Mais sa main tremblait* et sa
poseraient lesarmes et qui se soumet- vue était troublée; la flèche, mal diri-
traient àla surveillance des officiers
gée ,s'écarta de l'arbre et de l'oiseau
impériaux. Quand , par ces sages me- et vint nien.frapper
sures, ileut mis les Vandales dans Ce brave àofficier la tête était
Jean blessé
l'Armé-à
l'impuissance de tenter un nouveau mort. Les soldats se précipitèrent pour
le recevoir dans leurs bras, et, jus-
(*) Procop. de Bel. Vandal, II, 3. Le qu'à son dernier soupir, ils lui prodi-
passage que nous signalons ici établit clai- guèrent leurs consolations et leurs
rement que les Grecs entrèrent à Carthage, soins au milieu des manifestations de
comme nous l'avons dit plus haut, vers le
milieu du mois de septembre. (*) Voy. plus haut , p. 54-
G8 L'UNIVERS.
diverses qui l'accompagnaient, un pou- plus haut dans notre récit (pag. 58) ,
voir absolu. C'était le pouvoir dont, le roi , dans les circonstances solen-
par nécessité, ont été investis dans nelles ,appelait autour de lui , pour
tous les temps les généraux d'une ar- prendre conseil , les hommes les plus
mée en campagne. Quand Genséric illustres de sa nation. Cette réunion
eut distribué à ses compagnons les n'était point sans analogie avec le
terres de la Zeugitane, quand il eut fVittena-ghemote , ou assemblée des
sages des anciens Saxons. Seulement
pris tive
possession
de la meilleure d'unepartie
manière
des défini-
vastes il fout remarquer que la voix du roi
et fertiles provinces d'Afrique qui , dans le conseil était prépondérante ,
avant sa conquête , relevaient de l'em- décisive; qu'elle valait, en un mot, à
pire ,sa sphère d'action s'agrandit. Il elle seule, toutes les voix. Ainsi Pro-
cessa d'être exclusivement le chef d'une cope raconte que les députés envoyés
foule armée, pour devenir roi. Mais à Carthage par les Vandales d'Europe
alors son pouvoir, pour s'étendre plus qui , au temps du roi Godigiscle , n'a-
loin qu'autrefois, ne perdit ni sa force, vaient point voulu émigrer , ayant de-
ni le caractère de violence que lui avait mandé àGenséric l'entier abandon des
imprimé l'état de guerre. Les compa- terres que lui et les siens avaient lais-
gnons de Genséric , la conquête une sées en Germanie, le roi , de l'avis de
fois accomplie et le partage des terres son conseil, fit d'abord une réponse fa-
étant achevé, ne cessèrent pas de se vorable. L'historien byzantin ajoute
considérer comme les membres d'une qu'un vieillard s'étant levé, ramena le
armée , et ils ne cherchèrent pas à ra- roi par un discours à un avis contraire.
vir une part de l'autorité de celui qui, Genséric hésion, sans
avant leur établissement, les dirigeait expriméetenir
par compte de l'ad-
la majorité de
dans les courses lointaines et les com- ceux qu'il avait rassemblés, trouva
bats. Nous renvoyons au récit qui sages les paroles du vieillard , et ren-
précède. voya les députés sans accueillir leur
ques de On verra qu'aux des
la domination diverses épo-
Vandales demande. Cette seule anecdote peut
en Afrique , la puissance absolue de nous faire connaître la nature et les
l'ancien chef de guerre qui était de- attributions du conseil convoqué dans
venu roi , pour employer ce mot dans les graves circonstances par les rois
son acception moderne , fut toujours vandales.
incontestée. Genséric et ses succes- ROYAUTÉ HÉRÉDITAIRE ; LOI DE
seurs eurent tout pouvoir sur la vie succession. — La famille qui , chez
et la liberté non point seulement des les conquérants de l'Afrique, possédait
Romains, mais encore des hommes les la royauté, était sans doute illustre
plus illustres de leur race. En ce qui entre' toutes les familles vandales. A
concerne les Vandales , l'autorité du quelle époque et à quelles conditions
roi n'était limitée qu'en un sens : il le pouvoir snprême fut-il confié aux
aïeux de Genséric ? Nul document ne
n'osait porter atteinte à la propriété
concédée à perpétuité à ceux qui avaient saurait nous l'apprendre. Nous devons
fait la conquête. Une seule infraction nous borner à constater qu'à partir de
aux arrangements voulus et acceptés la grande invasion jusqu'au règne de
par Genséric et ses compagnons eût Justinien , les rois vandales , et nous
inspiré à tous les barbares, devenus n'exceptons point Gélimer(*), ne fu-
propriétaires , des craintes sérieuses , rent jamais soumis à l'élection. Gen-
et amené une révolution qui aurait eu séric régla après la conquête l'ordre
pour premier résultat une diminution
du pouvoir royal, et peut-être la chute (*) Dans sa lettre à Justinien , Gélimer
de la famille investie de la royauté. établit la légitimité de son pouvoir moins
le conseil du roi. — Si l'on en sur le vœu exprimé par les guerriers de sa
croit une tradition rapportée par Pro- nation que sur le testament de Genséric et
cope, et que nous avons reproduite les droits de sa famille.
80 L'UNIVERS.
de succession au trône. Il lit, suivant zacène, et sur la côte, près de Grasse,
Procope {De Bel. Vandal. , 1,7), un
de magnifiques jardins
ration des soldats qui firent Les
de Bélisaire. l'admi-
rois
testament dans lequel on lisait cet ar-
ticle :Que la royauté reviendrait au vandales ne tiraient point seulement
plus royal,
âgé desans tous"suivre
les princes leurs revenus de leurs domaines. L'im-
sang la ligne issus du
directe. pôt payé autrefois par les Romains
Ainsi le fils d'un roi voyait la cou- aux empereurs fut versé, après la con-
ronne de son père passer à un oncle quête dans
, les coffres de Genséric et
ou à un cousin. Toutefois , il ne per- de ses successeurs. On doit remarquer,
dait point l'espoir de devenir roi à son toutefois, que cet impôt fut moins
tour. L'âge pouvait lui conférer un lourd sous les Vandales qu'au temps
jour la royauté. Genséric, par son tes- de la domination romaine, et que les
tament, ne se proposait point seule- percepteurs et receveurs de Genséric
ment d'effacer le souvenir de son usur- {procuratores seu exactores) se mon-
trèrent moins durs et moins cruels
pation, etde faire oublier qu'il s'était
emparé de la souveraine puissance au que les agents du fisc impérial. Il faut
détriment des jeunes enfants de son encore ajouter à ces sources de reve-
frère Gundéric , il voulait encore as- nus les amendes en argent ou en na-
surer letrône à sa famille , et écarter ture payées par ceux qui avaient en-
de sa nation îes troubles et les dan- couru une condamnation.
gers inséparables d'une minorité (*). Voici, d'après les indications re-
Nous ajouterons ici une remarque, cueillies chez les auteurs contempo-
c'est que l'histoire des Vandales et rains quel
, était l'emploi des sommes
leur loi de succession ne font pas men- amassées par les rois vandales. Ils sou-
tion de cette règle des partages suivie doyaient, pour le service de la flotte,
de la garnison de Carthage, et des
par les Franks, dans l'ordre politique,
règle que d'éminents historiens ont camps fortifiés que Genséric avait éta-
regardée, à tort peut-être, comme in- blis vers le désert, sur plusieurs points
hérente aux coutumes et aux mœurs de la frontière, un corps nombreux
des peuples de la Germanie. d'archers maures. Ils payaient les in-
LES DOMAINES DU ROI ; SON TRÉ- dividus qu'ils appelaient d'Espagne
SOR ;EMPLOI DES DENIERS ROYAUX. pour frapper les monnaies, et les ou-
— Le roi , on le conçoit aisément , se vriers employés à la fabrication des
fit une large part dans les terres con- armes, à leur entretien et à la cons-
truction des vaisseaux. Ils élevaient et
quises. Ilest vraisemblable qu'il avait,
non loin de Carthage, dans la province remplissaient d'armes ou d'agrès de
même qui était devenue la propriété vastes arsenaux. Les sommes que les
de ses compagnons d'armes, de vastes violences de la conquête avaient mises
domaines. Puis, dans les parties de son entre les mains du roi furent quelque-
empire où les Romains étaient restés fois réservées, comme nous dirions
propriétaires, il choisit encore d'autres aujourd'hui , pouravons
lut public. Nous des mesures
cité plusdehaut
sa-
terres pour ses plaisirs ou pour accroî-
tre ses revenus. Ainsi, nous savons, par (pag. 16) un passage où Victor de
le récit de Procope, que Gélimer avait Cartenne raconte que toutes les ri-
une résidence à Hermione, dans la By- chesses enlevées aux habitants de Car-
thage, après la prise de la ville, furent
portées à Genséric. « Elles devaient
(*) Voyez sur le testament de Genséric :
Marcus; Histoire des Vandales, etc., p. 2g5 servir, ajoute l'historien, à prendre
et suiv. — Papencordt; Gesc/iichte dervan-
les mesures nécessaires pour repousser
dalischen Herrschaft in Afrika, p. 217 et les Romains des provinces où les Van-
suiv. — Voy. aussi une note curieuse de dales avaient fixé leurs demeures. »
Saint-Martin, dans son édition deYffist. DES DIFFÉRENTES CLASSES DE LÀ
AFRIQUE.
brasser l'hérésie d'Arius , il faut ad- haine, d'une animosité, d'une cruauté
mettre qu'avant la sortie d'Espagne, qui appartiennent moins , si nous pou-
les ariens étaient en majorité parmi les vons nous servir de cette expression ,
Vandales. Ce ne fut sans doute qu'au aux exigences de la raison d'État et
prix d'une abjuration , que Genséric aux querelles politiques qu'aux pas-
sions religieuses.
put se faire accepter comme chef et
régner. EFFETS DE LÀ CONQUÊTE*, ETAT
En Afrique, la totalité des conqué- des romains. — C'est en vain que
rants, plutôt par le fait des circonstan- certains historiens ont essayé de prou-
ces et par nécessité que par convic- ver que les nations barbares , en s'é-
tion, adopta l'arianisme. Les donatistes tablissant sur les terres de l'empire,
et tous les hérésiarques que les empe- avaient gardé, au moins par calcul et
reurs orthodoxes d'Occident avaient prudence , des règles et de grands mé-
persécutés, se précipitèrent au-devant nagements, etque , par exemple, elles
de Genséric et des siens , et lui prêtè- avaient tenu compte souvent, dans
rent assistance. Ils assurèrent les suc- l'occupation et le partage des terres
cès et la conquête des Vandales. Ceux- conquises , des droits et des intérêts
ci durent nécessairement, nous le ré- de la population vaincue (*). M. Mar-
pétons ,pour prendre racine sur la cus n'est pas éloigné de croire que les
terre d'Afrique, devenir tous hérésiar- Vandales accomplirent leur conquête
ques et se déclarer ennemis des catho- et le partage des terres avec la plus
liques. Ce furent donc moins des grande modération. Mais cette con-
considérations religieuses que des vues quête et ce partage se firent , comme
politiques qui jetèrent , en définitive , le témoignent les contemporains, avec
les Vandales dans l'arianisme. violence. Nous renvoyons ici au pas-
Nous ne montrerons point ici (parce sage de Victor de Cartenne, que nous
que nous l'avons fait) le véritable ca- avons cité plus haut (p. 16), et nous
ractère des persécutions qui signalè- nous bornerons à rappeler ces paroles
rent le règne de Genséric. On sait , et de Procope, qui se rapportent aux
nous l'avons dit plus haut, que ce roi premiers temps de la conquête : « Les
se montra plus ou moins tolérant sui- Vandales envoyèrent plusieurs Ro-
vant que les attaques dirigées contre mains en exil /et ils en tuèrent un
lui par l'empire furent plus ou consta-
moins grand nombre. Cacher ses richesses
vives. Seulement nous voulons était, aux yeux des vainqueurs, le plus
ter que, dans les deux plus récentes grand des crimes (**). » Au reste,
publications sur la domination des
Vandales en Afrique, MM. L. Marcus quand nous n'aurions pas le témoi-
gnage formel des historiens, nous
et Papencordt ont parfaitement saisi serions encore en droit de conclure,
les raisons politiques qui ont amené à l'aide seulement du bon sens,
la plupart des mesures adoptées, dans que , dansblirent,tous les lieux où ils s'éta-
les affaires religieuses, par Genséric les barbares portèrent, par
et ses successeurs (*). Il faut encore leurs violences, au sein de la société,
ajouter que les conquérants germains la plus grave perturbation.
devenus ariens montrèrent parfois , Les Romains furent donc expro-
dans leurs actes , un fanatisme qui de- priés dans toute
vait être le résultat d'une profonde et ensuite dans lacertaines Zeugitaneparties
d'abord,
des
conviction. Les persécutions dirigées autres provinces , là où Genséric avait
par le roi Hunéric contre les catholi- choisi à sa convenance des domaines
ques sont empreintes souvent d'une et des maisons de plaisance. Que de-
(*) Papencordt; p. ig3. Voyez tout le (*) C'est une opinion qui a encore été
cliap. 6 du liv. III, p. 270 et suiv. et prin- récemment exprimée , pour la conquête des
ci paiement p. 27 9 et suiv. — Marcus ; liv. III, Franks, par M. Pardessus, dans son savant
ch. 5 , p. 238 et suiv., et ch. 10 du même ouvrage sur la Loi salique ; dissert. 8 , p. 534.
livre, p. 307, 319 et suiv. (**) Procope; De Bel. Fand.yl, 5.
L'UNIVERS.
vinrent les individus expropriés ? Ils Disons enfin que, par nécessité, les
descendirent d'un degré dans l'échelle rois vandales s'environnèrent de Ro-
mains. Dans le palais de Carthage, on
sociale. De propriétaires qu'ils étaient
ils devinrent colons. Les guerriers
vandales, et tous les autres barbares comptait plus d'un de ces officiers,
appelés ailleurs Romani in truste et
qui les avaient suivis, ne firent point convivx régis t qui étaient admis au
valoir leurs terres par eux-mêmes , ils service ou dans la familiarité du sou-
les confièrent, moyennant redevance, verain. C'était aussi parmi les Romains
aux Romains. On serait porté à croire, que l'on prenait les percepteurs de
par certaines indications, que les vain- l'impôt (procuratores, exactores) et
queurs laissèrent aux vaincus expro- les régisseurs des domaines royaux.
priés lechoix de rester colons en Afri- Tous les officiers d'origine romaine,
que ou de se retirer dans les provinces employés par Genséric ou ses succes-
qui relevaient encore de l'empire; mais seurs, recevaient en traitement des
d'autres faits semblent vivres et une solde. Ils étaient obligés
ne se montrèrent point attester qu'ils
si modérés. de porter l'habillement des Vanda-
Plus d'une fois ils reléguèrent les Ro- les (*).
mains qui ne voulaient pas reconnaître PERSISTANCE DE L'ADMINISTRA-
leur domination dans les îles de la Mé- TION ET DES LOIS ROMAINES SOUS
PRECIS DE L'HISTOIRE
D'AFRIQUE
SOUS LA DOMINATION BYZANTINE.
AFRIQUE
difications amenées par les circonstan-
cidentales de l'empire à une époque ces et le temps, les anciennes formes
fameuse misme,par la fondation de l'isla- de son administration et le gouverne-
qui devait bientôt ébranler le
trône de Byzance, et lui arracher ses ment romain. adressées
Dès l'annéeà 534, par des
ordonnances Bélisaire et
plus belles provinces. En 647, les Ara-
bes s'emparent de la Cyrénaïque et de au questeur de son armée , Archelaùs,
la Tripolitaine (*). En 658, un traité Justinien organisa le pays conquis de
partage l'Afrique entre Constant et la manière suivante. Il divisa l'Afri-
Moawiah, qui se soumet, disent les que en sept provinces : 1° celle de
Grecs, à payer un faible tribut. En Tingi; 2° celle de Carthage (l'ancienne
666 ou 670, ce même Moawiah fonde proconsulaire) ; 3° celle de Byzacium;
la ville de Kairouan, qui devient le 4° celle de ïripolis ; 5° la Numidie ;
siège de la domination musulmane en 6° la Mauritanie; 7° la Sardaigne.
Afrique. Enfin, en 697 (**), Carthage Les quatre premières devaient avoir
est prise et détruite par Hassan , et le pour gouverneurs des personnages con-
nom grec et romain effacé de l'Afri- sulaireles
s ; trois dernières des prési-
que. dents. Depuis Constantin jusqu'à l'in-
l'administration byzantine en vasion des barbares, l'Afrique avait
Afrique; ses résultats (***). — De- été placée dans la préfecture d'Italie.
Justinien créa, pour sa nouvelle con-
venu maître, par les victoires de Bé-
lisaire, des provinces soumises aux quête ,une préfecture spéciale dont le
Vandales, Justinien voulut d'abord, chef-lieu fut Carthage. Archelaùs fut
comme nous l'avons dit, que les fron- nommé préfet du prétoire. Après avoir
tières de ses nouvelles possessions fus- organisé le gouvernement de l'Afrique
sent celles que Rome avait fixées dans et pourvu aux grandes charges , l'em-
les derniers jours de la république et pereur régla les attributions et les ap-
sous l'empire. Puis, comme l'attestent pointements detous ceux qu'il mit en
des actes nombreux, il s'occupa de exercice, non point seulement des plus
rendre à l'Afrique , sauf quelques mo- haut placés , mais encore des 396 se-
crétaires ou employés qui servaient,
(*) Nous devons ajouter aussi que le
patrice Grégoire qui lutta, en 647 contre les
à Carthage, dans les bureaux du pré-
Arabes , est le dernier qui ait été revêtu
fet du prétoire et de ceux qui étaient
attachés à chacun des gouverneurs des
en Afrique de la dignité de préfet du pré- sept provinces. Pour mieux assimiler
toire. Voy. Morcelli; Africa christiana;
t. I , p. 29. encore l'Afrique aux provinces qu'il
(**) lllud certe constat anno 691 , ab
possédait en Europe et en Asie et pour
Hasano Saracenorum duce qui Occidentem effacer les distinctions qu'avait pu lais-
occuparant, Cartliaginem ipsam eversam esse, ser ,même après la chute de Gélimer,
dit Morcelli {Africa christiana ; t. III , p. la conquête des Vandales, Justinien
3q3). L'Académie des inscriptions place en imposa à tous ceux qui habitaient dans
697 , comme Y Art de vérifier les dates , la les limites de sa nouvelle préfecture, les
prise et la destruction de Carthage. lois romaines que ses jurisconsultes
(***) Voyez sur ce point : Cad. lib. I, tit. compilaient à Byzance.
27 et Novel. 36, 37, i3i. — Ludwig; Vit.
Justinian., p. 349-377. — Gibbon; His-
L'Afrique dut se réjouir d'abord
toire de la décadence , etc., ch. 41 et 43. de la brusque révolution qui l'avait
placée sous la domination des em-
— Lebeau ; Histoire du Bas-Empire; t. VIII, pereurs de Constantinople. Pour at-
p. 264 et suiv., éd. Saint-Martin. — Recher- tacher les Africains à son empire par
ches sur l'hist. de l'Afrique septentrionale , de forts liens, Justinien les autorisa
etc., par une commission de l'Académie des à reprendre les propriétés qui avaient
inscriptions, 1. 1, p. 43. — Papencordt (Ges-
chichte dervandalischen Herrschaft in Afri- été enlevées à leurs aïeux , il y avait
ka); liv. III, ch. 9, p. 309-334. — V Africa un siècle , par Genséric et ses compa-
christiana de Morcelli (t. I, p. 27, 28 et gnons. Illeur accorda , pour les récla-
29 ) contient aussi sur ce sujet un excellent mations, un délai de cinq ans. L'ex-
résumé.
propriation s'accomplit. Cette mesure
L'UNIVERS,
96
violente enleva aux Vandales, qui frontières aux dévastations des Mau-
étaient restés en Zeugitane, leurs der- res et théâtre de nombreuses séditions
nières ressources et tous les moyens se trouva bientôt appauvri, ruiné, et
de rébellion; et, d'autre part, comme complètement épuisé. « Justinien , dit
l'empereur l'avait prévu, elle mit en Procope {Hist. arcan. , 18) , a ravagé
quelque sorte les nouveaux possesseurs l'Afrique de telle sorte que l'on par-
de terres dans la nécessité de défendre
court aujourd'hui cette contrée , pen-
et de maintenir la domination byzan- dant plusieurs jours , sans rencontrer
tine. D'ailleurs , après les premières un seul homme. Les Vandales, dans
victoires de Bélisaire, l'Afrique put les derniers temps de leur puissance ,
croire un instant que Justinien avait comptaient 160,000 guerriers. Qui
le désir sincère de porter remède à ses pourrait dire le nombre de leurs fem-
maux et de la rendre florissante. Il s'é- mes ,de leurs enfants et de leurs ser-
tait empressé , en effet , de relever les viteurs ?Qui pourrait énumérer aussi
murailles des villes, de réparer et d'a- les Africains qui , à l'arrivée de Béli-
grandir les ports et d'embellir chaque saireétaient
, répandus en foule dans
localité, Carthage surtout, qu'il appe- les villes et dans les campagnes? J'ai
laittueux
Justiniana, vu de mes yeux cette forte et nom-
édifices. par d'utiles et somp- breuse population; maintenant elle a
Mais c'étaient là de trompeuses ap- disparu. Si l'on joint aux Vandales et
parences, et l'Afrique romaine ne aux indigènes qui habitaient les côtes,
tarda pas à sentir que le gouvernement des familles maures sans nombre et
des Byzantins était plus oppressif que tous les soldats qui ont perdu la vie sous
celui des Vandales. D'abord elle ne les drapeaux de l'empire, on ne saurait
trouva pas, dans les affaires religieu- être accusé d'exagération en disant que
ses, cette tolérance qui, après ses longs l'Afrique, sous le règne de Justinien,
désastres et ses agitations , devait sur- a perdu cinq millions d'hommes. »
tout contribuer à lui rendre la paix L'Afrique resta soumise un siècle
intérieure dont elle avait tant besoin. et plus au gouvernement byzantin.
Les catholiques , qui avaient changé de Cependant
rôle avec les ariens, étaient devenus per- fin elle eût ilsecoué est vraisemblable
le joug qui qu'à la
pesait
sécuteursleur
à tour. Puis, elle fut li- sur elle et se fût constituée , à l'égard
vrée de nouveau, comme une proie, à de l'empire qui s'amoindrissait chaque
cette effrayante fiscalité qui jadis, au jour et penchait vers sa ruine, dans
temps de Genséric, lui avait rendu sup- un état de complète indépendance.
portable l'invasion barbare. Les Vanda- Alors, peut-être, en demeurant en
les étaient vaincus à peine que déjà Jus- possession de toutes les traditions de
tinien songea àexploiter, par sesagents, l'antiquité, elle eût contribué, par
sa nouvelle conquête. « On ne savait des relations fréquentes , au dévelop-
plus, dit un contemporain, ce que l'A- pement moral et intellectuel de l'Eu-
frique payait à l'ancien empire romain, rope et abrégé, pour notre continent,
parce que Genséric, au commence- la durée du moyen
ment de son règne , avait anéanti les des Arabes vint luiâge.porter
Mais lel'invasion
dernier
rôles des contributions. C'est pour- coup. Dans la seconde moitié du sep-
quoi Justinien envoya en Afrique Try- tième siècle, l'Afrique perdit une nou-
phon et Eustratius pour faire un ca- velle part de sa population, ses villes
dastre et dresser de nouveaux rôles.
tombèrent, ses déserts s'agrandirent,
Cette mesure parut odieuse et intolé- et elle vit disparaître jusqu'au dernier
rable aux Africains (Procop. , de Bel.
Vand. , II, 8). » Les agents du fisc vestige
apportéedetour cette à civilisation
tour, sur qu'avaient
ses côtes,
impérial ne tardèrent pas à se mettre depuis l'Egypte jusqu'à l'Atlantique,
à l'œuvre. Ils se montrèrent impitoya- les Phéniciens , les Grecs , et les Ro-
bles ,et le pays en proie sur toutes les mains.
FIN.
L'UNIVERS, -
HISTOIRE ET DESCRIPTION OU ■
L'AFRIQUE CïiRÉTIEIVIVE,
Pak M. JEAN YANOSRI,
^CRltatf Dr 1,'rNIVF.RSITll, PROFESSEUR D'HISTOIRE AU COLLÈGE STAN1SL\S , etc.
A quelle époque et par quels mis- seraient de jurer par le génie des em-
sion aires lechristianisme fut-il in- pereurs et de sacrifier aux dieux.
Bientôt douze chrétiens de la ville de
troduit en Afrique? On l'ignore. Sans
doute, dès la fin du premier siècle, Scilla (1) furent saisis et amenés à
quelques disciples des apôtres vinrent Carthage, devant le tribunal jrocon-
d'Asie ou d'Europe, sur des vaisseaux sulaire. Saturnin leur promit le pardon
marchands, pour apporter l'Evangile des empereurs s'ils voulaient renoncer
dans les populeuses et riches cités du aux croyances qu'ils avaient embras-
littoral africain. Carthage dut être le sées. Mais tous d'une voix unanime
point de départ de la prédication. Il s'écrièrent : Nous sommes chrétiens et
est vraisemblable que ce fut aussi dans nous voulons rester chrétiens. Spérat
la capitale de l'Afrique que fut élevé le était le plus ardent des accusés; il sti-
premier siège épiscopal. La doctrine mulait le courage des autres par sa
nouvelle se répandit avec rapidité dans fermeté et la véhémence de ses réponses.
l'intérieur des terres. Là , comme ail- Enfin le proconsul cessa de promettre
leurs, elle gagna, ainsi que l'attestent et menaça. Les chrétiens restèrent in-
d'anciens documents, les actes des ébranlables. Alors Saturnin prononça
martyrs par exemple, des hommes de contre Spérat, Narzal , Cittin, Vetu-
toutes les classes, depuis les esclaves rius , Félix , Acyllin , Letantius, et cinq
femmes, Januaria, Generosa, Vestina,
jusqu'à
rang dansceux la société qui occupaient
romaine. le premier Donata et Secunda , une sentence de
Saint Cyprien nous apprend que dès condamnation. Ces premiers martyrs
la fin du second siècle il y avait dans de l'Église d'Afrique se rendirent au
la Proconsulaire et dans la JNumidie lieu du supplice sans proférer une plainte
un grand nombre d'évéchés (1). Agrip- et sans rien perdre de leur résolution.
pinns, le premier évêque connu de Ils eurent la tête tranchée. Cette san-
Carthage, convoqua à cette époque un glante exécution, loin de ralentir le zèle
concile où il lit statuer que les héréti- des chrétiens, ne lit cjue l'enflammer.
ques qui voudraient rentrer dans le Le nom des douze victimes était répété,
sein de l'Église, seraient soumis à un dans leurs réunions secrètes, avec vé-
second baptême. L'opinion qui fut nération plusieurs,
; parmi les païens,
émise dans ce concile, et qu'approuva se laissèrent gagner aux doctrines qui
plus tard saint Cyprien, a été con- inspiraient tant de dévouement et d'hé-
damnée par l'Église. roïsme, et ceux-là mêmes qui ne re-
noncèrent point aux croyances et à la
Optât,le après
occupa la mort d'Agrippinus
siège épiscopal de Carthage. ,
PROPAGATION DES IDEES CHRÉ-
pratique de l'ancienne religion ne pu-
rent s'empêcher d'admirer les martyrs
TIENNES; LA PERSÉCUTION EN AFRI- si fameux dans l'Église sous le nom
QUE; LES MARTYRS SCILL1TAINS. — de martyrs scillitains.
Les idées chrétiennes se répandirent ENTHOUSIASME DES CHRÉTIENS,
avec rapidité
doctrine dans toute
nouvelle obtintl'Afrique. La
dans cette L'APOLOGÉTIQUE DE TERTULLIEN. —
La mort de Spérat etdeses compagnons
province un tel succès que bientôt le et toutes les rigueurs de la persécution
gouvernement impérial en conçut de n'avaientdoncpointabattuleschrétiens.
vives alarmes. Septime Sévère ordonna Loin de là, elles avaient excité parmi
au proconsul Vigellius Saturnin de
eux un redoublement d'énergie et d'ar-
faire d'activés recherches et de punir deur qui allait jusqu'à l'enthousiasme.
par le dernier supplice ceux qui refu- « Tel fut le progrès de cet enthousiasme
ver, non qu'il savait penser, mais seulement que là , comme ailleurs , la cruauté
qu'il savait lire et compiler, il a complètement des gouverneurs romains fut vaincue
réussi. Il a montré dans son travail ( et c'est par la foule des victimes. Toute la pro-
là sanschée)doute la seule louange En
qu'ilrésumé,
ait recher-
une palience admirable. pour vince d'Afrique se remplit d'églises,
les dates et l'exactitude des faits, Morcelli est d'évéchés. Le nombre, la richesse des
un guide très-sùr que nous n'avons jamais
abandonné. chrétiens s'accroissaient dans les épo-
(I) Cypriani epist. 71 ad Quint. — V. aussi (i) Cette ville était située dans la Proconsu-
laire.
Morcelli ( AJrica christiana )\i.ït p. 30.
AFRIQUE CHRÉTIENNE. 3
Inquiète pour lui, j'en parlais à ma mère ; fortifier, en disant : Sur l'échafaud , il
je fortifiais mon frère et lui recomman- arrivera ce qu'il plaira à Dieu; car sa-
dais mon fils. Je séchais de douleur, chez bien que nous sommes en la puis-
parce que je les voyais eux-mêmes sé- sance de Dieu , non pas en la nôtre. Et
chant de douleur pour l'amour de moi ; il s'en alla tout triste. Le lendemain,
je passai plusieurs jours dans ces in- comme nous dînions, on vint tout d'un
quiétudes. M'étant accoutumée à garder coup nous enlever pour être interrogés ,
mon enfant dans la prison , je me trou- et nous arrivâmes à la place. Le bruit
vai aussitôt fortifiée, et la prison me de- s'en répandit aussitôt dans les quartiers
voisins, et Ton vit accourir une foule
vint un palais; en sorte que j'aimais
mieux y être qu'ailleurs. Mon frère me immense. Nous montâmes sur l'écha-
dit alors : Madame et sœur, déjà vous faud. Mes compagnons furent interrogés
êtes en grande faveur auprès de Dieu; et confessèrent. Quand mon tour vint,
demandez-lui donc qu'il vous fasse con- mon père se présenta tout à coup avec
naître par quelque vision si vous mon fils; il me lit descendre les degrés,
devez finir par le martyre ou par être et me dit d'une voix suppliante : Ayez
rendue à la liberté. » pitié de votre enfant! Le procurateur
Perpétue, en effet, eut une vision Hilarien, qui remplaçait alors Minucius
pendant son sommeil. Elle comprit Timinien, qui venait de mourir, me
qu'elle était destinée au martyre. Elle disait de son côté : Épargnez les che-
veux blancs de votre père! Épargnez
le dit à son frère; et tous deux", suivant
l'expression de la sainte, commencè- l'enfance de votre fils! Sacrifiez pour
rent à n'avoir plus aucune espérance la prospérité des empereurs! Je n'en
dans le siècle. Perpétue reprend le ré- ferai rien, répondis-je. Êtes-vous chré-
cit en ces termes : « Peu de jours après , tienne? me dit-il. Et je lui répondis :
le bruit se répandit que nous devions Je suis chrétienne. Cependant, mon
être interrogés. Mon père vint de la père se tenait toujours la pour me faire
ville, consumé de tristesse; il monta tomber. Hilarien commanda de le chas-
vers moi (t) pour me faire tomber dans ser ;etton. Jeilressentis
fut frappé d'un coup
!e coup de monde père
bâ-
l'apostasie,
de mes cheveux disant blancs! : Ma fille,
ayezayez
pitiépitié
de comme s> j'eusse été frappée moi-même,
tant je compatissais à son infortunée
votre père, si du moins je" suis digne vieillesse! Hilarien prononça la sentence,
que vous m'appeliez votre père! Si moi- et nous condamna tous aux bëtes. Et
même, de mes mains que voilà, je vous
ai élevée jusqu'à cette fleur de l'âge; si nous descendîmes joyeux à la prison.
je vous ai préférée à tous vos frères , Comme mon enfant était accoutumé à
recevoir de moi le sein et à demeurer
ne memes Regardez
. rendez pas l'opprobre
vos frères, des hom-
regardez votre avec moi dans la prison , j'envoyai aus-
mère et votre tante; regardez votre fils sitôt lediacre Pompone pour le deman-
qui ne pourra vivre après vous. Quittez der à mon père; mais mon père ne
cette fierté, de peur de nous perdre voulut pas le donner. Et il plut à Dieu
tous; car aucun de nous n'osera plus que l'enfant ne demanda plus à téter,
parler , s'il vous arrive quelque malheur. et que je ne fusse pas incommodée de
Ainsi me parlait mon père dans sa ten- mon lait; de sorte que je restai sans
dresse, me baisant les mains, se jetant inquiétude et sans souffrance. »
à mes pieds et m'appelant avec larmes La sainte, après avoir raconté une
non plus sa fille, mais sa dame. Et seconde vision, ajoute : « L'inspecteur
moi , je pleurais sur les cheveux blancs Pudens, qui était gardien de la prison,
de mon père, je gémissais de ce que, seul conçut une grande estime pour nous,
de toute ma famille, il ne se réjouissait parce
couragequ'il voyait
venait de sans
Dieu. doute que notre
Il laissait donc
pas de mon martyre; et j'essayais de le entrer beaucoup de frères , afin que nous
i (I) Au temps de la domination romaine, les
firisons de Carlliage étaient situées sous le pa- pussions nous consoler et nous encou-
ais proconsulaire, et le palais lui-même se rager mutuellement. Quand le jour du
trouvait sur la colline où s'élevait jadis la ci- spectacle approcha , mon père vint me
tadelle de Byrsa Voy. dans ce volume la topo-
graphie de Carlliage. trouver. 11 était accablé de tristesse;
s L'UNIVERS.
laient les ennemis de l'empire, des tor- Cyprien mit bientôt sa science et son
tures et des plus affreux supplices. Au zèle au service Ildese lalivra croyance qu'il
nombre de ces derniers se trouvaient avait embrassée. avec ardeur
le proconsul Scapula et le gouverneur à l'étude des saintes Écritures et des
de la Mauritanie. ouvrages de Tertullien, pour lequel il
La persécution se ralentit enfin. Tou- avait une admiration sans bornes ; puis ,
tefois, ilfaut croire qu'il n'y eut de lorsqu'il se sentit suffisamment fortifié
paix véritable pour leschrétiensque sous par ses nouvelles lectures, il essaya, à
son tour, par de nombreux écrits, de
le règne d'Alexandre Sévère. L'Église défendre le christianisme. Ses premiers
d'Afrique avait à peine joui de quel-
essais, on le comprend , sont empreints
ques instants de repos qu'elle fut agi-
tée par des querelles. Elle était déjà de la vive réaction qui s'est opérée dans
tourmentée et déchirée par les schis- son esprit. D'abord, il adresse à un de
mes et les hérésies. Ce fut probablement ses amis, Donat, une lettre sur le mé-
au temps d'Alexandreen Numidie,
Sévère qu'un pris du monde; ensuite, comme fit Ar-
concile se rassembla, dans nobe plus tard, pour donner en quel-
la colonie de Lambèse, pour condam- que sorte à ses nouveaux frères un gage
ner l'hérétique Privât. Suivant le té- de sa foi , et peut-être pour se raffer-
moignage de saint Cyprien (1), quatre- mir lui-même, il attaque violemment
vingt-dix évêques (et ce seul fait prouve le polythéisme dans son traité de la Va-
les immenses progrès du christianisme nité des idoles. Dans ce dernier ou-
en Afrique) prirent placedans ce concile. vrage, Cyprien procède avec une exces-
Après la persécution et la mort d'A- sive réserve; il n'a point encore assez
de confiance dans ses propres forces
grippinusement,
successiv et d'Optat, on vit
sur le siège paraître
épiscopal de
Carthage, Cyrus, Donat et Cyprien (2). pour s'écarter des opinions déjà émises
par les docteurs de pour
déces eurs, etil suit, l'Église, ses pré-
ainsi dire, pas
Ce dernier s'éleva au moment où Ter-
tullien achevait sa longue carrière. àmodèle.
pas, Tertullien qu'il avait choisi pour
CONVERSION DE SAINT CYPRIEN; Sa manière est plus originale,
SES PREMIERS OUVRAGES', IL DEVIENT ses allures sont plus libres dans ses
évêque de carthage. — Cyprien ap- trois livres des Témoignages. Le pre-
Î>artenait à une des familles les plus il- mier livre contient une discussion con-
ustres et Il
les avait
plus riches de l'Afrique tre les juifs; Cyprien y établit que la
romaine. été élevé, dans sa
loi ancienne a tait son temps, et qu'il
jeunesse , avec beaucoup de soin. Dirigé faut nécessairement adopter et suivre
par des maîtres savants et habiles, il la loi du Christ, la loi nouvelle. Le
avait pris le goilt des lettres et les avait second est consacré à l'exposition du
étudiées avec fruit. Il parut bientôt avec
dogme de l'incarnation. Le troisième
éclat dans les écoles justement renom- est, suivant l'expression
mées de Carthage. C'est là qu'il don- ecclésiastique, un traité d'un écrivain
de théologie
nait avec grand succès des leçons pu- morale. Dans ces trois livres, on voit que
âge déjà bliques
assez d'éloquence,
avancé, lorsque, 'dans un
il se fit chrétien. Cyprien
approfondie a déjà étudié Écritures.
les saintes d'une manière
Il fit
Les écrivains ecclésiastiques nous ap- suivre ses Témoignages d'un traité
prennent que cette conversion fut l'œu- sur la Conduite des vierges. Il est évi-
vre d'un prêtre nommé Cecilius. dent que , dans ce dernier ouvrage , l'au-
teur s'est encore inspiré de Tertullien.
(1) Saint Cyprien, au moment où finissait la Il y avait un an à peine que Cy-
persécution ordonnée par l'empereur Deciuset
aCarthage,
propos d'un concile qu'il àavait
prien était prêtre, lorsque mourut Do-
écrivait chs mots saint convoqué
Corneille:à nat, l'évêque de Carthage. Plusieurs se
Per Feliciaitum autem signr/icavi tibi , fral^r, présentèrent alors pour occuper le siège
venisse Carlhaginem PrivaUtm velerem hœre- vacant. Mais le clergé et le peuple appe-
ticinn in Lomliesitana cnlonia , fin te mu Uns fère
annns, ob multa et, y m via delictn , nonaginta
episcoporum sentenùacondemnatum. Cypriani lèrent Cyprien, qui se tenait à l'écart, et
ad Cornet, epist. 45. tous, d'un commun accord, le procla-
(2) Morcelli {Africa christiana ) ; t. I, p. mèrent évêque en l'an 248 (1).
6let52. (I) C'est la date adoptée par Morcelli. Il ne
12 L'UNIVERS.
nouvelle persecution; retraite persécution, et qui avaient confessé
de saint cyprien; nombreuses sans crainte le nom du Christ au
apostasies; troubles et divisions milieu des plus horrib'es tourments.
dans l église de carthage. — cy- Les évêques et les prêtres avaient égard
prien était à peine monté sur son siège aux recommandations des martyrs, et,
que l'empereur Decius promulgua un en leur considération, ils se montraient
édit de persécution (249). Les païens , volontiers indulgents et abrégeaient,
qui étaient encore nombreux à Car- pour les faibles et les lâches, le temps
tilage, se mirent à poursuivre les chré- de la pénitence. En Afrique donc, et
tiens avec un acharnement qui tenait surtout à Carthage, les apostats s'adres-
de la fureur. C'était l'évéque surtout sèrent aux martyrs qui étaient en pri-
qui était féraient l'objet de leur son ou qui avaient échappé tout à fait au
hautement contrehaine; ils pro-
lui des me- fer des bourreaux , et leur demandèrent
nac s de mort; et quand ils étaient des billets d'indulgence. Parmi ces mar-
réunis dans l'amphithéâtre ils criaient : tyrs ,il y en eut qui n'en donnèrent
Cyprien au* lions! 11 fallait se cacher ou qu'avec uneextrême réserve; mais d'au-
périr. Cyprien crut sans doute que sa tres, trop 4iers du courage qu'ils avaient
vie serait plus utile un jour à ses frères montré et de leur victoire, s'imaginè-
que l'exemple de son martyre, et il se rent que, par leurs seuls mérites, ils
déroba, par une prompte retraite, au avaient le droit de réconcilier avec l'É-
fer des persécuteurs. On le frappa, glise tous ceux qui étaient tombés. Un
quoique absent, par une sentence de certain Lucien fut de ce nombre, et il dis-
proscription et par la confiscation de tribua indistinctement des billets d'in-
ses biens. dulgence atous ceux qui lui en deman-
Depuis Septime Sévère, un funeste dèrent. Ien vint à ce point d'arrogance ,
relâchement s'était opéré dans les mœurs qu'il adressa
la lettre suivante: à Cyprien,
« Tous dans sa retraite,
les confesseurs
des chrétiens. On le vit bien au jour
de la persécution. Si Mappalicus, Paul, ànous
l'évéque
Fortunion, Bassus et quelques autres avons Cyprien donné la , salut.
paix àSachez que
tous ceux
qui périrent soit au milieu des tortures, qui se sont bien conduits depuis leur
soit de la faim, dans les prisons de Car- péché, et nous voulons que vous le fas-
siez savoir aux autres évêques. Nous
tilage, s'illustrèrent par leur courage et souhaitons que vous ayez la paix avec
leur dévouement, l'ancienne gloire de
l'Église d'Afrique, comme on l'ap- les saints martyrs. En présence d'un
prend de Cyprien lui-même, fut ternie exorciste et d'un lecteur : écrit par
par des apostasies sans nombre. L'évé- Lucien.
semblable» L'évéque réclamation. ne tint compte d'une
Il recommanda,
que, de sa retraite, encourageait en
vain ses frères à la constance; quel- par lettres, à son clergé, de ne point ad-
ques-uns, comme Rogatien, suivaient mettre les apostats à la communion,
ses conseils; mais les autres cédaient avant le jour où il serait permis de dis-
lâchement et sacrifiaient en foule aux cuter librement sur les affaires de l'É-
idoles.
glise. D'autre part, comme il sentait que
L'esprit de Cyprien n'était point seu- depuis sa retraite l'autorité de sa parole
lement
plorablepréoccupé
apostasie de
; ilces actesencore
voyait d'une avec
dé- pouvait être diminuée, il s'adressa à
l'Eglise de Rome, qui s'était illustrée
douleur que, dans ces moments de par sa fermetédans la persécution. Celle-
péril, un schisme menaçait son Église. ci approuva et loua la conduite de Cy-
Parmi les chrétiens qui avaient renié prien, blâma l'insistance des apostats,
leur foi et leur Dieu, plusieurs se re- et condamna les abus qu'avait
pentirent, etils eurent hâte de rentrer nés une trop large concession des entraî-
billets
en grâce auprès de l'Église. d'indulgence. L'opinion de l'Église ro-
ver plus promptement à leursPour
lins,arri-
ils maine donna une grande force aux re-
s'adressèrent, suivant un vieil usage, à montrances deCyprien.
ceux qui étaient restés fermes pendant la Enfin, la persécution avait cessé, et
croit pas qu'on puisse reporter en deçà de 248 déjà l'évéque se préparait àr sortir de sa
ou au delà de 249 l'élection de saint Cyprien. retraite pour célébrer les fêtes de Pâques
AFRTQtîE CHRÉTIENNE. n
dans son église ( 251 ) , lorsqu'il apprit tien voulait donc se faire élire évêque
de Rome; mais ses espérances furent
qu'un schisme violent venait d'éclater
a Carthage. trompées. Corneille fut choisi par une
schisme acarthage; les ennemis forte majorité. Novatien, dans son dé-
de saint cyprien; deux conciles; pit, n'hésita pas à exciter un schisme ;
rapports de l'église de carthage il se fit, à son tour, nommer et sacrer
avec l'église de rome; celle-ci par ses partisans. Il écrivit alors à
condamne les schtsmat1ques afri- toutes les Églises pour leur apprendre
cains ;deux traités de saint cy- son élection; mais de toutes parts on
PRIEN. — Il y avait alors dans la ville reconnut Corneille, et l'évêque de Car-
un homme puissant qui s'appelait Féli- thage ne fut pas le dernier à condamner
cissime. Par ses richesses et surtout par Novatien.
ses intrigues il avait réussi à se faire Cyprien était rentré à Carthage. C'est
un parti. Les apostats, qui réclamaient là qu'en 251 se tint un concile où se
pour leur faute un prompt et entier par- rassemblèrent soixante-dix évêques. On
don, l'avaient choisi pour chef, et ils y délibéra longtemps sur les affaires de
l'excitèrent , sans doute , à lutter ouver- l'Église, et on y traita surtout les ques-
tement contre Cyprien. L'évêque avait tions qui se rattachaient au fait de
envoyé , de sa retraite deux évêques et l'apostasie et du schisme. Les schisma-
deux prêtres pour faire une enquête sur tiques furent excommuniés, et quant
la conduite de tous ceux qui apparte- aux apostats qui se repentaient sincè-
naient à son Église. Félicissime ne rement de leur chute, on décida qu'ils
voulut point qu'ils remplissent leur seraient admis à la communion après
mission et les repoussa avec menace. À trois ans. Au reste, les évêques pro-
cette nouvelle, Cyprien prononça une portion èrent àla gravité des délits
sentence d'excommunication. Cette sen- les rigueurs de la pénitence. L'Église
tence atteignait Félicissime et un cer- d'Afrique, pour donner plus de poids à
tain Augendus, qui lui avait prêté aide ses décisions, envoya les règlements du
et appui. Parmi ceux qui provoquèrent concile à Corneille, évêque de Rome.
le schisme on comptait aussi cinq prê- Celui-ci les approuva dans uneassemblée
tres, qui avaient ambitionné le siège qui, sans compter les prêtres et les dia-
épiscopal et qui avaient vu avec chagrin cres, se composait de soixante évêques.
l'élection de Cyprien. Le plus célèbre L'année suivante, 252, Cyprien con-
de ces cinq prêtres est Novat. voqua un autre concileàCarthage. Cette
C'était à Home, surtout, que ce der- fois, et à cause de l'approche d'une
nier devait se signaler. Il se rendit en nouvelle persécution , les quarante-
Italie au moment où l'Église romaine deux évêques qui s'étaient réunis, usè-
se disposait à élire un nouvel évêque. rent d'indulgence à l'égard des apostats
Novat se lança, comme à Carthage, et les admirent sans plus tarder à la
dans les intrigues. Il s'opposa, autant communion. Mais ce concile fut l'oc-
qu'il casion d'un nouveau schisme. Privât
leur Je put, sur
choix à ceux qui voulaient
Corneille, porter
et il favorisa
de
vu, avait été qui
Lambèse, , commeparnous
condamné l'avons
les évêques
les prétentions de Novatien. Celui-ci,
qui était admirateur de la philosophie de la Numidie, se présenta pour siéger
des stoïciens, affichait des principes dans l'assemblée que présidait Cyprien.
d'une extrême rigidité. En ce qui con- Il fut rejeté. Dans sa colère, il s'envi-
cernait les apostats, par exemple, il ronna de quelques excommuniés, et choi-
soutenait que l'Église ne pouvait ac- sit un certain Fortunat, qu'il consacra
corder le pardon, quelque pénitence et proclama évêque de Carthage. Les
qu'ils lissent, à ceux qui étaient tombés schismatiques, pour assurer le succès de
dans la persécution. Il devint le chef leur entreprise, écrivirent à Corneille
d'une secte qui se répandit hors de une lettre remplie des plus odieuses ca-
l'Italie. Les membres de cette secte lomnies. Ce fut Félicissime qui porta
cette lettre à Rome. Mais Corneille,
s'appelaient eux-mêmes, d'un mot grec,
cathares, c'est-à-dire les purs, et ils qui connaissait Cyprien, repoussa ses
portaient des vêtements blancs. Nova- accusateurs.
14 L'UNIVERS.
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
PEREUR TALER1EN; MARTYRE DE
pour répondre à ceux qui l'interrogeaient
de toutes parts, écrivit un grand nombre saint cyprien. — Dans les premiers
de lettres sur des sujets de discipline. temps de son règne, l'empereur Valérien
Ce n'étaient point seulement, comme s'était montré favorable aux chrétiens.
nous le voyons dans ses œuvres, lesévê- En 257, il changea brusquement et il
quesdela Proconsulaire, de la Numidie ordonna de les poursuivre. La persécu-
et de la Mauritanie qui s'adressaient à tion s'étendit bientôt dans tout l'em-
lui , mais encore ceux de l'Espagne et pire. Ce fut alors que Cyprien, sous forme
de la Gaule. Quand il n'osait, en cer- d'une lettre qu'il adressait à un certain
tains cas, s'en rapportera son propre Fortunat, composa pour les fidè.esune
jugement, il appelait autour de lui les exhortation au martyre. Il devait bientôt
éveques des provinces voisines, et leur lui-même encourager par son exemple,
soumettait
embarrassé. les questions qui l'avaient ceux qu'il avait tant de fois animés par
ses écrits. Au mois d'août 257, il fut
Au reste, Cyprien, pendant son épis- traduitdevant Paternus, proconsul d'A-
copat, convoqua souvent des conciles. frique. Il répondit avec fermeté aux
Les deux derniers furent remarquables questions qui lui furent adressées : il
par la lutte qu'il soutint contre l'Église déclara qu'il était chrétien et évêque, et
de Rome. Certaines Églises d'Asie refusa , avec unegéuéreuse indignation,
avaient pour coutume de rebaptiser les de dénoncer les prêtres de son Église.
hérétiques qui abjuraient leurs erreurs. Paternus se contenta de l'exiler. Il ne
L'Église de Rome et Etienne, son évê- resta point oisif dans son exil. De là, il
que, condamnaient cette coutume ; Cy- écrivait à Carthage, aux martyrs des
prien l'approuvait. L'opinion de I'évê- diverses Églises de l'Afrique, et notam-
que de Carthage était celle d'Agrippinus, ment, neuf
à évèques qui avaient étécon-
son plus ancien prédécesseur. Cyprien damnés avec un grand nombre de < h ré-
combattit donc Etienne. Il mit beaucoup tiens àtravailler aux mines de cuivre de
la Numidie et de la Mauritanie.
d'ardeur dans ladiscussion, et quelque-
fois de l'amertume. Puis, pour donner En 258 ,torisation
il obtintderevenirde à l'empereur l'au-
Carthage. Mais
plus de poids à ses paroles et à ses
écrits , il fit approuver son opinion il ne devait pas y demeurer longtemps
par deux conciles. Dans le premier, il en paix.On Laconseillait
persécution n'avait point
réunit, à Carthage, soixante et onze cessé. à Pévêque, dans
éyéques ; dans le second, quatre-vingt- l'intérêt de l'Église, de fuir et de se ca-
cinq , qui étaient venus de la Procon- cher. Ilrésista aux pressantes sollicita-
sulairde
e , la Numidie et de la Maurita- tions de ses amis. Enfin, il fut arrêté
nie. Ce dernier concile s'ouvrit au mois par ordre de Galérius Maxime, qui
de septembre de l'année 256. Ce fut au avait succédé à Paternus. Quand on
temps de cette vive polémique que Cy- sut dans la ville que Cyprien devait
prien écrivit deux traités, l'un sur VU- paraître devant le proconsul, il y eut
une immense émotion. La foule se
tilitê de la patience, l'autre sur X Envie
et la Jalousie. .Nous devons dire, en finis- précipita autour de la maison où l'on
sant ,que l'Église condamne saint Cy- gardait i'évêque, et sur tous les visages
prien et approuve on voyait l'empreinte de la tristesse.
saint Etienne (1). l'opinion du pape Cyprien avait compris que le temps du
PERSÉCUTION ORDONNÉE PAR i/EM- martyre était proche. Cependant quand
il comparut devant le proconsul, il ne
(I) Schelslrate (Ecclesia af ricana; dissert.
in, c. 2, p. !2o , Paris, 1680) blâme S. Cyprien perdit rien de sa fermeté. Voici l'in-
et passe rapidement sur se.« démêlés avec
S- Etienne. Leydecker, au contraire (Historia servé dans unter ogatoireancien
tel qu'il nous a été (1)
document con- :
ecclesiœ africanœ illustrata ; Utrecht, 1090 — « Le proconsul Galérius Maxime dit à
dissert, de statu eccl. afr. sect. 9 et 1 1 : hist.
afric. et donatistica, p. 108), approuve I'évê- I'évêque Cyprien : N'es-tu pasThascius
que de Carlhage et revient plus d'une fois avec Cyprien? L'évêque Cyprien répondit :
étendue sur cette célèbre controverse. On le
conçoit aisément : Schelstrale était bibliothé- (I) Voy. Acta proconsularia S. Cypriani
caire du Vatican, et Leydecker protestant episcoji ctmartyris; ap. Ruiuart , p. 217 et
exalté.
218.
16 L'UNIVERS.
Oui, c'est moi. Le proconsul Galérius torches et des cierges , dans une pro-
Maxime dit : N'es-tu pas le pape d'une priété du procurateur Macrobe Can*
secte sacrilège? L'évêque Cyprien ré- dide, située dans la rue des Mappaïes
pondit Oui.
: Le proconsul Galérius non loin des Piscines. Peu de jours
Maxime dit : Les très-sacrés empereurs après mourut le proconsul Gaiérius
t'ordonnent de sacrifier. L'évêque Çy- Maxime. »
prien répondit : Je ne le ferai point. Telle fut la fin du plus illustre évêque
Galérius Maxime dit : Réfléchis. L'é- de Carthage. Quand il souffrit Iç mar-
vêque CyprienEnrépondit: tyre (14 septembre 258), il y avait dix
commandé. une choseFaisévidemment
ce qui t'est ans que, par le choix de ses frères, il
juste la réflexion est inutile. — Galé- avait été appelé aux fonctions épiscopa-
rius Maxime (ici, nous reproduisons en- Jes. Ce fut dans le court intervalle qui
core le document dont nous parlons,) sépare son exaltation de sa mort que
après avoir pris l'avis de ses assesseurs, Cyprien, génie facile, abondant, agréa
s'adressa à Cyprien , en ces termes : ble, comme dit Tillemont, mais non
« Tu as vécu longtemps avec un esprit sans vigueur, composa, à l'exception de
sacrilège-, tu as rassemblé un grand trois , dans un style qui rappelle trop
nombre d'hommes pour les associer à souvent peut-être les exercices de l'école,
ton abominable conspiration ; tu t'es les nombreux écrits que nous avons si-
déclaré l'ennemi des dieux romains et gnalés (1).
de la sainteté des lois; les pieux et SUITE DES PERSÉCUTIONS EN AFRI-
très-sacrés princes Valérien etGallien, QUE; NOMBREUX MARTYRS; NOMS
augustes, et Valérien, le très-noble cé- DES EVEQUES DE CARTHAGE QUI SUC-
sar, n'ont pu te ramener au culte de CEDENT acyprien. — La persécution
l'empire: qui avait frappé saint Cyprien fit, en
des crimesc'est pourquoi,
les plus odieux,toi,
tu l'auteur
serviras Afrique, de grands ravages. L'évêque
d'exemple à ceux que tu as choisis pour d'Hippone, Théogène, fut mis à mort.
tes complices et tu sanctionneras la loi À Utique, on jeta dans un four à chaux
par ton sang. » Après cette allocution
le proconsul lut sur une tablette un ar- cents cinquante,
cent chrétiens. Les d'autres
fidèlesdisent trois
rassemblè-
rêt ainsi conçu : « Je condamne au rent avec respect les ossements consu-
més, et comme ils adhéraient les uns
glaive Thascius Cyprien.» A quoi l'évê- aux autres, ils appelèrent ces reliques,
que Cyprien répondit : « Grâces soient
rendues à Dieu. » Dès que les chré- à cause delà couleur, la masse blanche.
tiens eurent entendu la sentence, ils se A Carthage, les martyrs Lucius, Mon-
dirent les uns aux autres : Allons et tanus, Flavien, Julien, Victoriens,
qu'on nous fasse mourir avec lui. Il s'é- Primolus, Renus et Donatien, suivirent
leva donc parmi eux une espèce de tu- de près saint Cyprien. En Numidie, à
multe et ils se précipitèrent enfouie, Cirta et à Lambèse, le glaive des per-
sécuteurs immola de nombreuses vic-
en suivant cution.l'évêque, vers le lieu
Cyprien en arrivant de l'exé-
se dépouilla times, parmi lesquelles il faut compter
de son manteau, se mit à genoux et Émilien, Agapius, Secundinus, Ma-
pria. Puis, il ôta encore sa dalmatique, rien, Jacques, Antonia et Tertulla. La
qu'il donna aux diacres, ne conservant persécution ne cessa qu'au moment où
sur lui qu'une tunique de lin. Quand l'empereur
des Perses. Valérien Mais elletomba devait aux mainsse
encore
le bourreau arriva, l'évêque ordonna aux rallumer deux fois avant le sangjant
siens de lui compter vingt-cinq pièces
d'or. Cependant les frères jetaient des édit de Nicomédie; d'abord sous Aure-
linges autour du martyr afin de recueil- (I) Voy. sur saint Cyprien, indépendamment
lir son sang. Deux d'entre eux, sur ses de ses œuvres : Tilleinont : Mémoires pour ser-
ordres, Julien prêtre et Julien sous- vir à l'histoire ecclésiastique des six premiers
siècles; t. IV, p. 45 et suiv. (Paris, 1704.)
diacre, lui attachèrent les mains. Ce Fieury; Histoire eeclésiastique ; t. Il, p. 152
fut alors que le bienheureux Cyprien — 314. —L'abbé Robrbacher; Hisl. univers.
eut la tête tranchée. Les chrétiens de V Église catholique; t. V, p. 389— 48G.
— Aug. Neander; allgemeine Geschichle der
s'emparèrent de son corps, qu'ils trans- christlichen lieliyion und Kirche (Hambourg,
portèrent en grande pompe, avec des 1842 ); t. I, p. 380 et suiv.
AFRIQUE CHRÉTIENNE. 17
lien, ensuite sôus Dioclétien, en 296. chrétiens par le fer et la flamme , c'é-
Ce fut vers ces temps que la secte des tait porter, par une tentative vaine,
manichéens se répandit en Afrique. au sein des populations entièrement
Cyprien eut pour successeurs , sur le envahies par le christianisme, la plus
siège épiscopal de Carthage, Carpo- grave perturbation, et anéantir d'un
phore (1), Lucien et Mensurius. coup le bon ordre que pendant vingt
EDIT DE NICOMÉDIE; SES SUITES; années il avait maintenu avec tant de
SANGLANTE PERSECUTION. — Au peine dans le monde romain. Dioclé-
commencement du quatrième siècle, le tien tolérant
, moins par nature peut-
christianisme avait envahi tout l'em- être que par habileté, résista long-
pire. Les partisans du polythéisme firent temps àGalérius. Il discuta avec lui
alors les derniers efforts pour anéantir pendant tout un hiver; mais enfin,
cette vaste communauté chrétienne qui soit que l'âge eût affaibli son esprit
contenaitdans son sein toutes les classes
jusqu'alors si ferme, soit qu'il voulût
de la vieille société et qui les resserrait donner un contentement à l'ambition
eux-mêmes dans un cercle qui chaque de son César qui laissait percer son
jour devenait plus étroit. Ils avaient dépit
reconnu l'impuissance des édits impé- dans dela n'occuper
tétrarchie, qu'un rang secondaire
il céda, et de son
riaux promulgués à diverses époques palais de Nicomédie (303) il promul-
contre les chrétiens; ils voyaient ap- gua l'édit de persécution (1).
procher ltemps
e où ces édits cesseraient En vertu de cet édit, les églises de-
vaient être détruites et les livres de la
d'être applicables; ils se hâtèrent donc
de s'armer en quelque sorte de la lé- religion :proscrite consumés par les
galité qui leur échappait et qui allait flammes. Les chrétiens étaient mis
passer en d'autres mains. Us organisè- hors la loi; les juges impériaux pou-
vaient, suivant des cas déterminés, les
vaste rent, dans leurs conseils,
extermination. le plan esprit
Galérius, d'une
exproprier, les priver de la liberté, les
violent et résolu, se fit l'instrument do- tuer. Le zèle excessif, comme dit
cile des philosophes , derniers sectateurs Fleury, de certains chrétiens vint
du polythéisme. Il mit à leur disposition encore aggraver les maux de l'Église.
ce qu'il possédait déjà d'autorité et son Les persécuteurs s'organisèrent et ils
immense crédit auprès de Dioclétien. se mirent à l'œuvre avec une violence
Celui-ci, politique habile, qui avait ré- sans égale dans les provinces admi-
généré l'empire par une savante et sage nistrées par Dioclétien , Galérius et
administration, vit d'abord tout le dan- par Maximien, Yauguste d'Occident.
ger d'une persécution, et il opposa les Il n'y eut que le césar Constance
raisons qu'il trouvait dans sa vieille Chlore, qui, dans l'Espagne, la Gaule
expérience à la fougue de Galérius. Il et la Bretagne, pays dont le gouver-
montra au César que poursuivre les nement et la défense lui avaient été
confiés, tempéra, par sa tolérance et
( I) Fleury (Hisl. ecclés. t. II, p. 314 ), l'abbé sa noble modération, les rigueurs de
Robrbacher (t. V , p. 485 ) et les autres écri-
vains ecclésiastiques ne font pas mention de l'ordonnance de Nicomédie.
Catponhore. Suivant eux, ce fut Lucien qui LA PERSÉCUTION EN AFRIQUE ;
succéda immédiatement a saint Cyprien. C'est
Morcelli, dans son Africa christiana, qui nous nombreux martyrs. — Quand l'é-
a fourni le nom de Carpophore ; les raisons sur dit de persécution fut apporté en Afri-
lesquelles
que et notifié aux magistrats impé-
liste connueil s'appuie
des évèques pourde ajouter
Carthagece nom
nous àont
la riaux, les hommes avides de faveurs et
paru décisives. Il dit : Nomen hujus servavit
nobis Optati codex sangermaneusis. In eo les partisans du polythéisme se mon-
enim, ubi Optatus agit de schismate Majorini trèrent impitoyables pour les chré-
adversus Cœcilianum legitimum episcopum,
plena erat, inquit, cathedra episcopalis , erat tiens.
considérables de A Cirta, l'une
la des villes lesce plus
Numidie, fut
altare loco suo , in quo pacilici episcopi rétro
temporis obtulerant, Cyprianus, Carpophorus,
Lucianus et ceteri ( de Schism. Don. i , 19 ). (I) Tillemont; Mémoires pour servir à Vhist.
eccles. des six premiers siècles ; t. V, p. 20 et suiv.
C'ongri/um
inter guoqueest,
Cyprianum binos saltem
et M ensurium episcopos
fuisse ; nam — Fleury; Hist. ecclésiast.; t. H, p. 415 et
inter utrumque fluxere anni plus minus qua- suiv. — Dumont; Histoire romaine ; t. III, p.
draginla. Voy. t. I, p. 52. 497 et suiv.; in-12.
AFR. CHRÉT.
18 L'UNIVERS
un prêtre de la vieille religion, Mu- brer les saints mystères. Les magis-
natius Félix, flamine perpétuel, qui se trats les y surprirent une fois et les
chargea de mettre à exécution l'ordon- firent arrêter par leurs soldats. On les
nance des empereurs. Il fit démolir les conduisit à Carthage au nombre de
églises et procéda avec un zèle infati- quarante-neuf.
gable àla recherche des livres sacrés. Le danger qui les menaçait ne les
Il s'empara non-seulement des vases, effraya point et, saisis d'enthousiasme ,
chandeliers, lampes et de tous les orne- ils ne cessèrent pendant toute la durée
ments qui servaient au culte proscrit, du voyage , de répéter des hymnes et
mais encore de certains objets que la des cantiques. A Carthage, ils ne se
charité des chrétiens destinait au sou- laissèrent gagner ni par les menaces ,
lagement des pauvres. Ce fut ainsi que ni par les promesses du proconsul. Ils
sur l'inventaire de la saisie, on inscri- confessèrent hardiment le nom du
vit quatre-vingt-deux tuniques de fem- Christ et, sans crainte des châtiments
mes, trente-huit voiles, seize tuni- infligés à ceux qui violaient les édits
ques d'hommes et soixante paires de impériaux, ils avouèrent sans hésiter
chausses. L'Église de Cirta se montra qu'ils s'étaient réunis librement pour
faible en ces jours de persécution; célébrer les saints mystères. Ils furent
ses prêtres et ses lecteurs se soumirent condamnés à souffrir et à périr. Parmi
sans opposition aux ordres du flamine ces
Félix et lui livrèrent les ornements du mis chrétiens
au nombrequedel'Église d'Afrique
ses plus illustresa
culte et tous leurs livres. martyrs , on comptait le prêtre Satur-
L'évêque de Tibiure (1), Félix, nin et ses fils, Dativus, Thelica,
n'imita point la conduite des prêtres Emeritus, Félix, et la vierge Victoria.
de Cirta. Quand le magistrat de la l'évêque de cabthage mensu-
ville, Magniïien, lui dit : Évêque Félix,
donnez-nous les livres et les parche- faut en rius; sa mort.
croire — A Carthage
les documents , s'il
contem-
mins de votre Église, il répondit : Je porains, lapersécution ne sévit point
les ai, mais je ne les donnerai pas. avec autant de violence que dans les
Pour ébranler sa résolution et l'ef- autres villes de l'Afrique. Soit par
frayer, on le conduisit, chargé de crainte d'une sédition dans cette popu-
chaînes, au tribunal du proconsul. leuse cité, soit que ces ménagements
Là, il ne se démentit point et resta lui fussent imposés par la conduite
inébranlable. Le proconsul envoya
Félix au préfet du prétoire et le fit pleinequedeMensurius,
mesure etle deproconsul
sagesse deatténua
l'évê-
passer en Italie. L'évêque devait com- la rigueur des édits impériaux. Mensu-
paraître devant les empereurs. Mais rius avait caché les livres de son Église;
la ville de Venusia, en Apulie, fut le
on
ses pressait
officiers ledeproconsul
faire une d'ordonner
perquisitionà
terme de son voyage. Il y fut déca-
pité. Jusqu'au dernier moment il ré- dans la maison de l'évêque; il s'y refusa.
pondit aux juges et aux bourreaux qui Mensurius, de son côté, était un homme
lui demandaient les livres de son Église :
« Je les ai, mais je ne les donnerai pas. » modération
pleinritédemorale que lui donnait de l'auto-
; il usa' sa haute
L'évêque d'Abitine (2), Fundanus , position dans l'Église d'Afrique pour
pour se soustraire au dernier supplice, conseiller, par lettres, aux évêques
se hâta, sur les injonctions des magis- ses frères , aux prêtres , à tous les
trats, de livrer les Écritures. Cet acte chrétiens, de ne point irriter par un
de faiblesse attrista sans doute les zèle inconsidéré les magistrats des
chrétiens de la ville, mais il ne les dé- villes et des provinces. Il blâmait,
couragea pas. Quand ils eurent perdu
leurs églises, ils se rassemblèrent dans avec raison, ceux qui n'étant point re-
cherchés venaient d'eux-mêmes s'offrir
des maisons particulières pour célé- aux juges et aux bourreaux. Mensurius
(1) Tibiure, en latin Tibiura,civitas Tibitt- cependant
mide, et il n'était
se dévouait pas volontiers
un homme pourti-
rensium, Tibitrsicensium Burensîum, était une
petite ville de la Proconsulaire. ses frères. C'est ainsi qu'il sauva Félix ,
(2) C'était encore une ville de la Proconsulaire. un des diacres de son Église. Celui-ci
AFRIQUE CHRÉTIENNE. 19
était poursuivi pour avoir écrit un libelle bourreaux, du dépôt sacré qui leur avait
été confié. Ils leur appliquèrent, comme
contre l'empereur. L'évêque, au péril
de ses jours , l'accueillit dans sa mai- une note d'infamie, le nom de tradi-
son, et le cacha. Puis, quand on vint teurs. Cette qualification injurieuse,
auprès de lui réclamer le coupable, il employée par des hommes violents et
refusa de découvrir le lieu où il était passionnés, ne devait pas tarder à sou-
caché. Mensurius, à cause de la gravité lever dans les Églises chrétiennes de
du cas, et pour sa résistance obstinée, nombreux orages. Elle servit, pour
ainsi dire , de mot de ralliement à ceux
fut mandé a la cour impériale. Il s'y
rendit après avoir réglé les affaires de qui opérèrent , au moment même où
son Église ; là , il plaida si bien sa cause cessait la persécution , un schisme qui
qu'il fut absous et renvoyé. Mais ce devait être pour l'Afrique la cause et
sage et courageux évêque ne devait l'origine des plus grandes calamités.
point revoir Carthage; il mourut avant cécilien succède a mensubius;
d'y arriver. donat des cases-noires ; troubles
arnobe. — Ce fut au temps de la dans l'église de carthage; ori-
gine DU SCHISME DES DONATISTES. —
persécution qu'un auteur célèbre, Ar- Après la mort de Mensurius (311) , les
nobe, qui avait enseigné la rhétorique
dans la ville de Sicca, écrivit un ouvrage chrétiens de Carthage procédèrent à
pour défendre les chrétiens. C'était, l'élection d'un nouvel évêque. Ils se
dans ces jours de péril , un acte de réunirent, prêtres et peuple, et tous,
courage. Arnobe avait été païen, et d'un commun accord, ils proclamè-
rent le diacre Cécilien. Ce fut Félix,
l'on voit que, dans son ouvrage, il a
voulu prouver à ses nouveaux frères que évêque d'Aptonge, qui lui imposa les
sa conversion avait été sincère. Il se fit mains. Mais bientôt une vive opposi-
dans ses idées une vive réaction. Après tion se manifesta contre cette élec-
avoir longtemps expliqué et commenté tion. Mensurius, avantson départ , avait
avec amour les chefs- d'oeuvre littérai- remis, par prudence, aux anciens de
res de la vieille civilisation, il se laissa Carthage, les vases d'or et d'argent de
emporter par son ardeur de néophyte; sou Église. Cécilien, à peine assis sur
il demanda la destruction des théâtres, le siège épiscopal,
et voua aux flammes les œuvres des sitaires choisis par s'adressa aux dépo-et
son prédécesseur
poëtesjadisl'objetdeson admiration (1). réclama les richesses qui leur avaient
lestràditeurs. — Les spoliations été confiées. Ils s'irritèrent de cette de-
injustes, les tortures, les supplices ne mande et se refusèrent à une restitu-
furent point les plus grands des maux tion. Ils se joignirent, dans leur dépit,
qu'entraîna à sa suite, pour l'Église à Botrus et à Celeusius, qui se plai-
d'Afrique, l'édit de Nicomédie. Parmi gnaient vivement de ne l'avoir point
les chrétiens persécutés, il y en avait emporté sur Cécilien. Puis, se liguant
plusieurs qui, comme nous l'avons dit, encore avec Lucilla , femme riche . et
s'étaient signalés par leur héroïsme. puissante, ennemie de l'évêque qui,
Mais d'autres s'étaient laissé entraî- simple diacre, l'a\ aitremontrances,
jadis offensée par
ner, par surprise peut-être, à des actes de justes et sévères ils
d'une déplorable faiblesse. On avait vu formèrent un parti qui s'enhardit enfin
des évêqueset des prêtres se soumettre jusqu'à protester hautement contre la
sans résistance à la loi de César, et récente élection. L'âme et le chef de ce
livrer à ses exécuteurs les biens de leurs parti était Donatdes Cases-Noires.
Églises et leurs livres sacrés. Quand la Pour arriver à leurs fins, ils s'adres-
sèrent aux évêques de la Numidie, qui,
persécution se ralentit, ceux qui s'étaient
montrés forts dans le danger s'exaltè- vivement blessés de n'avoir point été
rent et poursuivirent de leur mépris et appelés à l'ordination de Cécilien , se
de leurhaine les hommes qui par crainte rendirent en toute hâte à Carthiga
s'étaient dessaisis , dans les mains des pour prêter aide et appui aux ennemse
du nouvel élu. A leur tête se trouvait
(i) Voy. sur Arnobe, l'Histoire universelle de Secundus de Tigisi, le premier évêque
l'Eglise
VI, p. 55catholique
et suiv. , par l'abbé Rohrbacher, t. de la Numidie. ILs étaient au 2. nombre
20 L'UNIVERS.
lés à Carthage par ses adversaires, qu'ils son avis , selon la coutume, et le pape
logeaient chez eux , et concertaient tout Miltiade conclut l'action, disant le sien
avec eux. IJ savait les menaces de Pur-
en ces termes : Puisqu'il est constant
purius , évêque de Limate, dont la vio- que Cécilien n'a point été accusé par
lence était connue. Les évêques du con- ceux qui étaient venus avec Donat,
cile de Rome jugèrent donc que tout ce comme ils l'avaient promis, et qu'il n'a
qui avait été traité en ce concile de été convaincu par Donat sur aucun
Carthage était encore en son entier :
savoir, si Félix d'Aptonge était tradi- en tousje ses
chef, suisdroits,
d'avis dans
qu'il lasoit conservé
communion
teur, ou quelque autre de ceux qui ecclésiastique. Nous
avaient ordonné Cécilien. Mais ils trou- reste de la sentence sur n'avons
les autres pas
chefs.le
vèrent cette question difficile et inutile. Le pape et les autres évêques rendirent
Elle était difficile, parce qu'il y avait compte à l'empereur Constantin de ce
des témoins à interroger, des actes à jugement, lui envoyant les actes du
examiner, et que Cécilien accusait ses concile, et lui mandèrent que les accu-
accusateurs du même crime, d'avoir sateurs deCécilien étaient aussitôt re-
livré les saintes Écritures , à cause du tournés en Afrique. Le pape Miltiade
concile de Cirta où ils l'avaient con- ou Melchiade mourut trois mois après,
fessé. D'ailleurs, il était inutile d'exa- le dixième
miner siFélix était traditeur, puisque, RETOUR deDE janvier, DONAT l'an
ET DE314(1). »
CÉCILIEN
quand il l'eut été, il ne s'ensuivait pas EN AFRIQUE ; s'uiTE DES TROUBLES;
que l'ordination de Cécilien fût nulle : LES DONAT1STES DEMANDENT LA RE-
car la maxime était constante, qu'un VISION DU JUGEMENT QUI LES A CON-
évêque, tant qu'il était en place sans DAMNES A ROME; DÉCISION DE CONS-
être condamné ni déposé par un juge- TANTIN; concile d'arles. — Après
ment ecclésiastique, pouvait légitime- sa condamnation, Donat des Cases-Noi-
ment faire des ordinations et toutes les
res demanda l'autorisation de retourner
autres fonctions épiscopales. Les évê- en Afrique; il s'engageait à ne point
ques du concile de Rome crurent donc
ne devoir point toucher à cette ques- rentrer dans Carthage. D'autre part,
en vue de la paix, Cécilien reçut ordre
tion, de peur d'exciter de nouveaux de ne point quitter l'Italie et de séjour-
troubles dans l'figlfeé d'Afrique, au lieu ner àBrescia. Deux évêques furent en-
de la pacifier. Ils déclarèrent Cécilien voyés alors comme commissaires à
innocent et approuvèrent son ordina- Carthage, pour notifier au clergé et au
tion; mais ils ne séparèrent pas de leur peuple la sentence que le concile de
communion les évêques qui avaient Rome avait promulguée. Ils étaient
condamné Cécilien , ni ceux qui avaient chargés en outre de faire une enquête
été envoyés pour l'accuser. J)onat des et detat detransmettre à l'empereur
Cases-Noires fut le seul qu'ils condanr- leurs observations. Optât, leévêque
résul-
nèrent, comme auteur de tout le mal,
convaincu de grands crimes , par sa catholique, qui des
toire du schisme écrivit plus tardassure
donatistes, l'his-
'propre confession. On laissa le choix
aux autres de demeurer dans leurs siè- qu'après un long
commissaires et mûr etexamen
Eunomius Olympius les
ges, quoique ordonnés par Majorin hors donnèren tencore une fois gain de cause
de L'Eglise, à la charge de renoncer au à Cécilien. Ce fut sur ces entrefaites
schisme. En sorte que dans tous les
lieux où il se trouverait deux évêques , que Donat, malgré
vint àCarthage; ses promesses,
Cécilien, re-
de son côté,
l'uu ordonné par Cécilien , l'autre par
Majorin , on conserverait celui qui se- se hâta de quitter Brescia, où on l'avait
rait ordonné le premier, et on pourvoi-
(l) Fleury; Hist. ecclésiast. liv. x , t. III, p.
rait l'autre d'une autre Église. Voilà le 26. — Tilleraont; mémoires pour servir à t'hisi.
jugement
voit une du concile de
discrétion Rome, oùet l'on
singulière un ecclés., etc., t. VI, p.. 31 et suiv. — Bérault-
Bercaste); Hist. deVEgltse; t. H.p- 13 et suiv.
exemple remarquablede dispense contre — Voy. aussi M. de Potter; Hist. du chris-
la rigueur des règles pour le bien de la tianisme, etc., époq. I, liv. VI, ch. 3; t. II,
p. 130 et suiv. — Morcelli {Ajrica chris-
paix. En ce concile, chaque évêque dit tiana ;; ad an. 813; t. II , p. 209.
AFRIQUE CHRÉTIENNE. 23
admis à accuser avec des témoins cor- nonce , ils protestèrent contre sa sen-
rompus par argent, qu'ils ne soient tence. Constantin répondit cette fois à
point reçus en leurs demandes. Ils de- leurs protestations par la menace des
vront prouver, au préalable, par des ac- peines les plus sévères. Déjà, il avait
tes publics, ce qu'ils recommandé à Celsus, son vicaire,
on lit dans les actes ont avancé. : »« Enfin
du concile Ceux dans une lettre que saint Optât nous
qui accuseront faussement leurs frères adonatistes
conservée avec , de une
procéder
extrêmeà l'égard
sévérité.desIl
ne recevront la communion qu'à la
mort (1). » *î avait annoncé, en même temps , que
Le concile d'Arles n'éteignit point, lui-même se disposait à passer en Afri-
en Afrique, les passions et les haines. Le que pour trancher toutes les difficultés
schisme continua. Lesdonatistes, per- et opérer, s'il en était besoin, par la
sévérantse
à croire mal jugés, interje- force, la pacification d'une des portions
tèrent appel des deux sentences qui les les plus importantes de son empire.
avaient condamnés ; ils s'adressèrent di- Celsus se conforma aux ordres qu'il
rectementl'empereur,
à le priant d'exa- avait reçus. Il poursuivit les donatistes
miner lui-même et de prononcer dans et bannit d'Afrique les hommes les plus
leur cause. Vivement irrité de cette de- marquants du parti (1).
mande, qui tendait à prolonger la dis- Les dispositions
cussion et les querelles, Constantin tèrent sans doute de les l'empereur
catholiques inci-
à la
s'emporta contre les donatistes, et leur persécution , et , plus d'une fois , ils eu-
reprocha leur opiniâtreté et leur audace. rent recours pour combattre leurs ad-
Néanmoins , il résolut de tenter encore versaires, non plus à la discussion, mais
une fois la voie des conciliations. Il à la violence. Les magistrats, de leur
évoqua à son tribunal la cause qui lui côté, essayèrent, en usant de rigueur,
était soumise, et par un jugement pro- de complaire à Constantin. Cette con-
noncé àMilan, en 315, il confirma l'ar- duite, loin d'étouffer le schisme, ne fit
rêt porté contre les donatistes dans les que raviver les haines. Les donatistes
conciles de Rome et d'Arles (2). se laissèrent emporter par le désir de la
MESUBES RIGOUBEUSES PBISBS PAB vengeance ; sous des chefs énergiques ,
CONSTANTIN CONTBE LES DONATIS- sous Menalius et Silvanus, par exemple,
TES*, LUTTES ET BEVOLTES*, LES CIB- ils opposèrent la force à la force; ils
concellions. —Constantin, comme s'emparèrent, comme à Constantine (2),
nous l'avons dit, même en promettant des églises et résistèrent ouvertement
aux donatistes d'écouter leur plainte aux catholiques et à l'empereur. La sé-
et de les juger, avait donné un libre vérité des édits portés contre eux ne
cours à sa colère. Son emportement les arrêta point; leur zèle ne fit que
avait dû faire prévoir aux ennemis de s'accroître, et bientôt dans les classes
Cécilien une nouvelle condamnation. inférieures qui embrassèrent, en géné-
Néanmoins, quand l'empereur eut pro- ral ,la cause du schisme, ce zèle prit le
caractère d'un violent et sombre en-
(I) Labbe; Concil.,\. I, col. 1727 et 1728. On housiasme.
trouve dans ce recueil non-seulement les canons
du concile d'Arles , mais encore les lettres de Ce fut alors que se montrèrent les
Constantin. premières bandes de circorwellions (3).
(2)Voy. sur le concile d'Arles et sur les évé- (1) En 331, sur la requête des donatistes, ceux
nements qui le précédèrent et le suivirent jus- 3ui avaient été bannis à cause du schisme et
qu'en l'année 416 , indépendamment des conci-
les et des auteurs anciens, saint Optât, saint es troubles qui l'avaient suivi, furent autorisés
Augustin et Eusèbe (Optât, milev. de schism. à rentrer en Afrique. Constantin promit même,
Don. I, 25 et sqq. — S. Aug. epist. 60 ad sur la demande qui lui en avait été faite , de ne
Bon.\ epist. 162 ad Glor. Eleus.; epist. IC5 ad point contraindre les dissidents à communi-
Gêner.; epist. \tQad Donat.;elc, etc.— Euseb. quer avec Cécilien. Vov. Eleury; Hist. eccles.,
Hist. eccles., X, 5); Tillemont; Mémoires pour t. III, p. 76, et Morcelli ad an. 321.
servira Phitt. ecclésiast., etc. , t. VI, p. 50 «t suiv. (2) C'était Cirta. Elle quitta alors son ancien
— Fleury; Hist. eccles., t. III, p. 32 et suiv. — Bé- nom pour celui de Conttantine.
(3) Morcelli {AJric. christ., t. II, p. 219)
rault-Bercastel; Hist. de l'Église; t. II, p. 19
et suiv. — Rohrbacher; I. c. — Potter; t. TI, dit, àrent propos des événements qui s'accompli-
p. 135; — et surtout Morcelli, ad an. 3I3,3H, en 317 : ortum habuere circnmcelliones,
315 et 316. C'est Morcelli que nous avons suivi furiosi illi donatistarum satellites , perditis-
pour la date du jugement rendu à Milan; sima fex populi et agrestiurn latronurn mul-
voy. Afr. christ., t. Il , p. 216 et 217. titudo ad omne facinus congregata. — En
25
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
La querelle entre Cécilien et ses enne- célèbres de leurs chefs , de se livrer à
de graves désordres. Ils s'abandonnaient
grandmis avait eu, dans touteLesl'Afrique,
retentissement. un
populations ( et cela est inévitable dans les grandes
s'étaient divisées. Les classes inférieu- réunions où l'on ne trouve ni frein, ni
res, excitées par d'ardentesdu prédications, règle) à la débauche et à tous les excès.
se rangèrent volontiers côté de ceux Ils pillaient, brûlaient, massacraient.
qui se vantaient d'avoir seuls traversé, Les choses en vinrent à ce point que
avec courage , les temps de la persécu- les donatistes eux-mêmes qui les avaient
tion et d'être sortis de la lutte sans suscités implorèrent, pour les réprimer,
souillure; et par une conséquence né- l'assistance des officiers impériaux. On
ces aireelles
, déclarèrent une guerre à envoya des troupes contre les circon-
mort aux catholiques qu'on leur dési- cellions; mais il s'écoula bien des an-
gnait comme impurs, comme traditeurs. nées avant le retour de l'ordre et la sou-
Les chefs donatistes réglèrent sans doute mission complète, en Afrique, des po-
les premiers mouvements des hommes pulations insurgées (1).
qu'ils avaient soulevés. Mais bientôt ils CARACTÈRE DU SCHTSME DES DO-
furent dépassés : les esclaves, les colons, NATISTES ET DU SOULÈVEMENT DES
les petits propriétaires ruinés par le circoncellions.—* Ledonatisme, dit
fisc que, pour leur vagabondage autour M. Saint-Marc Girardin (2), n'est point
des lieux habités, on appela circoncel- une hérésie, c'est un schisme; car les
lions, formèrent des bandes semblables
à celles qui parcoururent, au moyen âge, donatistes croient
catholique; ce que selon
seulement, croit eux,
l'Église
les
sous des noms divers, l'Allemagne, la traditeurs ont souillé la pureté du ca-
France, l'Angleterre, l'Espagne et l'I- ractère épiscopal; ils ont interrompu la
talie. Ces circoncellions ne s'inquiétè- descendance spirituelle des apôtres. Ne
rent point seulement, il faut le dire, de cherchez ici aucune des subtilités fami-
la querelle qui séparait Donat de Céci- lières aux hérésies de la Grèce ou de
lien; comme ils appartenaient presque l'Orient. L'esprit africain est à la fois
tous à la classe opprimée et souffrante,
ils voulurent une réorganisation sociale simple et violent, et il ne va pas jusqu'à
l'hérésie : il s'arrête au schisme; mais
et tentèrent d'établir, en ce monde , ce il met dans le schisme un acharnement
que, sous le fouet du maître et au mi-
lieu des plus rudes travaux, ils avaient singulier. Il y a peu d'hérésies qui soient
appelé si souvent de leurs vœux , à sa- nées en Afrique. L'arianisme n'y vint
qu'avec
nisme, tellesque
Vandales , et encore
le professaient les f'aria-
Goths
voir, lerègne d'une parfaite égalité. Ce-
mine danspendant cette c'est
, le côté insurrection.
grande religieux qui Les
do- et les Vandales, n'était pas l'arianisme
circoncellions, qui se donnaient le nom subtil , tel que l'Orient l'avait connu ,
disputant sur la consubstantialité du
de saints, se crurent chargés d'une mis- (1) Les circoncellions se dissipèrent, il est
sion divine. S'opposer à eux,c'était, dans vrai; mais les croyances qui avaient soulevé
leurs idées, résister à Dieu même ; donc,
les populations devaient longtemps
tion armée. Pendant survivre à l'insurrec-
on vit en
périr
droits dans à la lafélicité lutte, éternelle.
c'était acquérir des
Dans leur Afrique des hommes errer çà et là , dans les
campagnes, pour perpétuer, au sein des classes
farouche enthousiasme , ils recherchè- opprimées, la doctrine sociale et religieuse qui
les avait si vivement agitées. Ces hommes, pour
rent avidement le martyre. Ils s'of- la plupart, étaient engagés dans les ordres,
fraientpar
, troupes , au fer de leurs en- et tous, ils appartenaient au parti donatiste.
nemis, et quand on refusait de les C'est à ces prédicateurs errants , appelés aussi
frapper, ils se tuaient eux-mêmes. La circoncellions, que s'applique la noie insérée à
rigidité de leur doctrine ne les empêcha la page 34 de notre Histoire de la domination
des Fondâtes en Afrique.
point , sous Maxida et Fasir , les plus Nous renvoyons encore ici, pour ce qui con-
cerne les donatistes et les circoncellions, aux
effet , l'insurrection dut s'organiser au moment renseignements bihliographiques rassemblés
même ou, pour obéir aux ordres de Constantin, par J C. Ludw. Gieseler. Voy. Lehrbnch des
les Kirchengeschichte ; t. I , p. 323,324 et 325;
sévirmagistrats
contre lesdedonatistes.
l'Afrique Fleury
commencèrent
( t. III, p.à 417 et suiv.
217 ) et quelques autres historiens ont reporté (2) M. Saint-Marc Girardin ; Y'Afrique sous
à l'année 32!) et même plus tard, à tort sui- saint Augustin. Voy. la Revue des Deux Mon*
vant nous, l'apparition des circoncellions. des; 15 septembre 1842; p. 987.
26 L'UNIVERS.
les deux nouveaux élus songèrent d'a- entraîner par la colère jusqu'à proférer
bord àremédier aux maux de l'Église des injures contre l'empereur devant ses
et que leurs premiers soins eurent pour deux représentants. Donat de Bagaïa
but d'opérer entre les deux partis un fit plus encore : il appela à son aide les
bandes non encore anéanties des cir-
sincère rapprochement. C'est, à notre
sens , l'explication du concile que, sui- concellions, souleva la population des
vant letémoignage de saint Augustin, villes et des
les donatistes ouvrirent à Carthage, à résister par campagnes,
la force auxet ordres
s'apprêta
de
en l'année 328(1). Ce qui prouvela force Constant. Paul et Macaire n'hésitèrent
du schisme, c'est que l'on vit accourir, point : ils s'adressèrent, en vertu de
de divers lieux, dans ce concile, deux leurs instructions, au comte Sylvestre,
cent soixante-dix évêques. qui mit des soldats à leur disposition.
Les membres de cette grande réunion Des scènes de violence ne tardèrent pas
tentèrent les voies de la conciliation. à éclater de toutes parts, et la guerre
Ils se relâchèrent de leur rigorisme et commença ; mais elle ne fut pas de lon-
déclarèrentqueraient
qu'àvolontiers
l'avenir ils traditeurs,
communi- gue durée. La victoire resta bientôt
avec les aux délégués impériaux. Ceux-ci ne
sans les soumettre à un second baptê- trouvant plus de résistance poursuivi-
me. On en vit plusieurs qui , comme l'é- rent les dissidents avec une grande ri-
vêque Deuterius, de la Mauritanie si- gueur. Les évêques donatistes furent
tifienne, observèrent fidèlement ce qui chassés de leurs sièges , exilés ou tués.
avait été décrété; et ce fut à ces hommes Les persécuteurs, que du nom du plus
que l'Afrique dut la paix dont elle jouit violent de leurs chefs on appela M aca-
encore pendant quelques années. riens ne
, s'arrêtèrent que sous le règne
LA LUTTE RECOMMENCE; PERSÉCU- de l'empereur Julien.
TION mac arienne. — Vers l'année Au moment même (349) où Paul et
348, la lutte recommença. Quelle fut Macaire venaient de vaincre les schisma-
tiques par la force des armes, Gratus
la cause de cette guerre 'nouvelle? on assembla à Carthage un concile , où sié-
l'ignore. Les écrivains catholiques pré-
tendent que l'obstination et les violences gèrent les évêques catholiques de toutes
de Donat, èvêque schismatique de Car- les provinces de l'Afrique. Le but des
thage, etd'un autre Donat, évêque de Pères qui vinrent à ce concile était prin-
Bagaïa, ranimèrent les anciennes dis- cipalement de condamner les donatis-
cordes (2). L'empereur Constant avait tes (1). -
envoyé en Afrique deux officiers, Paul l'empereur julien; réaction. —
et Macaire, qui avaient pour mission Julien voyait avec joie les schismes et
d'apaiser dans cette contrée les querel- les hérésies qui déchiraient l'Église. Il
les religieuses. Les dissidents connais- ne cherchait pointa terminer les diffé-
saient sans doute à l'avance les disposi- rends à, étouffer les haines. Il laissait
tions des deux délégués impériaux et pleine et entière liberté à tous les agi-
leurs rapports avec Gratus, évêque ca-
tholique de Carthage. Paul et Macaire querelles tateurs, entrepersuadé qu'en nuiraient
chrétiens définitive plus
les
avaient à peine touché les côtes de l'A- au christianisme que la plus rigoureuse
frique que les donatistes se soulevèrent et la plus sanglante des persécutions.
contre eux de toutes parts. Donat de En Afrique, Julien devait donc re-
Carthage, suivant saint Optât, se laissa constituer contre l'orthodoxie le parti
Noires qui, comme nous l'avons vu plus puissant que les macariens avaient pres-
haut, donnèrent leur nom aux dissidents. que anéanti. Il rendit la paix aux do-
(1) Morcelli ( A fric, christ. ); ad an. 328. natistes persécutés depuis quatorze ans ,
Voy. t. Il , p. 232.
(2) Il ne faut pas oublier qu'il ne nous reste
sur les querelles religieuses de l'Afrique que les (I) C'est le premier concile de Carthage dont
écrits des catholiques. Le devoir d'un historien nous ayons les canons. — Morcelli a rassem-
impartial est de n'admettre qu'avec une extrême blé avec un grand soin, sur cette période de
réserve les accusations portées contre les dissi- l'histoire du schisme, tous les renseignements
dents, même par saint Optât et saint Augustin. contenus dans les anciens documents , et princi-
Les donatistes ont beaucoup écrit dans le cours palement dans les ouvrages de saint Optât et
du IVe siècle ; mais leurs livres ne sont pas ar- de saint Augustin. Voy. Afric. christ, (ad an.
rivés jusqu'à nous. 3i8 et sqq.); I. II, p. 247 et suiv.
AFRIQUE CHRETIENNE.
et, par cette mesure seule, il les releva. illustres de ces adversaires, il faut comp-
Les schismatiques obtinrent de rappe- ter assurément Optât, évêque de Mi-
ler leurs évêques qui avaient été bannis lève. « Parménien, évêque donatiste de
et de rentrer en possession de leurs Carthage et successeur de Donat, dit
églises. On peut à peine se faire une Fleury , ayant écrit contre l'Église ,
idée de la réaction qui se fit alors. Les plusieurs catholiques avaient désiré une
évêques et les prêtres donatistes , accom- conférence des deux partis : mais les
pagnés de nombreux soldats, se jetèrent donatistes l'avaient refusée, ne voulant
sur les églises , s'en emparèrent de vive pas même parler aux catholiques ni ap-
force et massacrèrent ceux qui voulaient procher d'eux , sous prétexte de ne pas
les défendre. Ils se portèrent aux plus communiquer avec les pécheurs. Optât
répondit donc par écrit à Parménien , ne
odieux excès, pillant et tuant, et n'épar- le pouvant faire autrement. » Dans les
gnant pas même les vieillards, les fem-
mes et les enfants qui tenaient au parti sept livres de son ouvrage (1), l'évéque
de leurs persécuteurs. Tout (!Wjg£iivait de Mi lève se propose de défendre con-
servi au culte des catholiquesVils le tre les schismatiques l'unité de l'É-
repoussèrent et, dans leur fureur, glise et de repousser toutes les accusa-
ils n'hésitèrent point à jeter l'Eucharis- tions portées par les donatistes contre
tie aux chiens. Le désordre fut porté les
au comble , non point seulement dans ils catholiques,
appelaient encore qu'à latraditeurs.
fin du IVe Optât
siècle
le pays qui avoisinait Carthage, mais ne se borne pas à discuter : comme le
encore dans la Numidie et dans les Mau- schisme des donatistes reposait tout en-
ritanies. tier ,en quelque sorte , sur cette ques-
A la nouvelle de tant de violences, tion de fait : Cécilien et les évêques ca-
Julien et ceux qui dans les diverses par- tholiques, ses partisans , ont-ils livré les
ties de l'empire n'avaient point aban- Écritures , au temps des persécutions ?
donné les doctrines du polythéisme, sont-ils traditeurs? il remonte à l'ori-
durent éprouver une grande joie; mais gine des dissensions et raconte. Il op-
le triomphe des donatistes fut court. pose des faits aux faits allégués par ses
Les édits de Valentinien ramenèrent
adversaires. C'est ainsi qu'en combat-
bientôt pour les schismatiques de l'A- tant Parménien, il mêle la narration à
frique la discussion et suit , jusqu'à son temps,
cution le(1).temps de l'exil et de la persé- l'histoire des luttes religieuses de l'A-
SAINT OPTAT, ÉVÊQUE DE MILEVE ; frique. Suivant Fleury (2), Optât écrivit
POLÉMIQUE ENTRE LES ÉCRIVAINS son ouvrage sous Valentinien (364-375).
CATHOLIQUES ET LES ÉCRIVAINS DO- Comme nous l'avons dit, la violente
NATISTES ; LOI DE VALENTINIEN. — réaction des donatistes contre les ca-
Depuis l'origine du schisme, une polé- tholiques cessa avec le règne de Julien.
mique vive, ardente, s'était engagée Les schismatiques ne pouvaient dé-
entre les écrivains des deux Égli- sormais espérer l'impunité pour leurs
ses. Elle dura pendant près d'un siècle excès. Les empereurs qui succédèrent à
sans interruption. Presque tous les ou- Julien n'auraient pas tardé à réprimer
vrages qui furent composés alors et qui en Afrique les désordres que, par un
se rapportent aux querelles religieuses sentiment de haine contre toutes les
de l'Afrique sont perdus aujourd'hui. communions chrétiennes , le restaura-
JVous n'avons rien des donatistes. teur du paganisme pouvait seul tolérer.
Nous ne connaissons les opinions des Mais les donatistes avaient à peine mis
schismatiques africains et les arguments un terme à leurs vengeances , que les
qu'ils employaient catholiques, à leur tour, se relevèrent et
que parles ouvrages dedans
leurslaadversaires.
discussion
réclamèrent l'assistance du pouvoir
Parmi les plus vigoureux et les plus impérial pour vaincre leurs adversaires.
(I) Indépendamment des ouvrages de saint (1) Quelques auteurs ont pensé que le sep-
Ciptat ( de Schism. Donat. II , 19; VI, 2 et sqq) et tième livre n'avait pas été écrit par Optât.
de saint Augustin (nous faisons surtout allu- (2) Fleury, Hist. ecclés. t. IV, p. 220 et suiv. —
sion ici à la lettre 166, al. 105, ad Donatist.) , Voy. aussi sur saint Optât : Rohrbacher; Hist.
voy. sur cette réaction : Fleuxy, t. IV, p. 67 et univers, de l'Église catholique, t. VII, p. 102 et
suiv; Polter,t. II, p. 142. suiv.
30 L'UJNIVtRS.
Valentinien leur vint en aide; cepen- Ce fut aussi vers ce temps qu'il se laissa
dant ce ne fut qu'au mois de février de séduire par la doctrine des manichéens.
l'année 373 qu'il promulgua, à Trêves, Augustin , après avoir achevé ses
une loi par laquelle quiconque, parmi études, revint encore à ïagaste , où il
les évêques ou les prêtres , rebaptisait , enseigna successivement la grammaire
était condamné et déclaré indigne du et la rhétorique. Mais la petite ville où
sacerdoce : cette loi , qui atteignait les il avait pris naissance n'était pas à ses
donatistes , fut adressée au proconsul yeux un théâtre où il pût se produire
d'Afrique , Julien. Il est vraisemblable avec éclat et acquérir, comme maître,
toutefois que, dans les intentions de la gloire que sans doute il avait rêvée.
l'empereur, elle était applicable aussi Il quitta donc Tagaste et reprit le
aux partisans que les seliismatiques chemin de Carthage. Il reparut comme
africains avaient rencontrés à Rome professeur dans les écoles de cette ville;
et en Espagne. Les donatistes ne se mais il n'y fit pas un long séjour. Il se
laissèrent point abattre par le décret de décida à passer la mer, et, trompant
Valentinien ; la sévérité des lois impé- la vigilante tendresse de sa mère, il
riales ne fit sans doute que raviver leur s'embarqua pour l'Italie etvintà Rome.
haine contre les catholiques et les af- Là, il continuaitàétudier les philosophes,
fermir dans le schisme. lorsque la ville de Milan demanda au
SAINT AUGUSTIN ; SES COMMENCE- préfet Symmaque un professeur de
MENTS *IL
, QUITTE L'APRIQUE ; SÉJOUR rhétorique. Sur la puissante recomman-
A ROME ET A MILAN ; SA CONVER- dation des manichéens , et après avoir,
SION (1). — Au moment même où l'évê- au préalable , prouvé sa capacité par
quede Milève, Optât , achevait son ou- un discours , Augustin fut désigné aux
vrage, saint Augustin, qui devait être citoyens de Milan. Nous devons remar-
l'adversaire le plus redoutable des do- quer ici que , déjà à cette époque, Au-
natistes, commençait à paraître avec gustin n'avait plus confiance en la doc-
éclat dans les écoles de l'Afrique. Il trine des manichéens ; ses rapports et
naquit en 354, à ïagaste, petite ville ses discussions avec les hommes les
de la Numidie. Patrice , son père , était plus influents de la secte , avec l'évêque
un des hommes notables de la cité; il Fauste surtout, avaient jeté le doute
faisait partie du corps des décurions. dans son esprit; toutefois il ne s'était
Sa mère, qui exerça une si grande in- pas encore séparé ouvertement de ceux
fluence sur sa vie^ et qui tint une si dont il avait été pendant plusieurs an-
grande place dans ses affections , s'ap- nées lesincère partisan.
pelait Monique. Il étudia d'abord à En 384, il se rendit à Milan, où arri-
Madaure ; puis, il revint à Tagaste; vèrentbientôt Monique sa mère etdeux
de là il serendità Carthage, où il acheva
hommes, comme lui originaires de l'A-
ses études. Ce fut dans les écoles jus- frique, et qu'il chérissait entre tous,
tement renommées de la capitale de Alypius etNebridius. C'était dans cette
l'Afrique, qu'en lisant les traités de ville que devait commencer pour Au-
Cicéron , il se prit d'un vif amour pour gustin une vie nouvelle.
la philosophie. Il se mit dès lors avec Son esprit, en proie depuis si long-
une ardeur sans égale à la recherche
de la vérité. Il voulut connaître les ché entempsvain
àl'incertitude, et qui
la vérité, soit dansavait cher-
les livres
ouvrages où sont exposés les dogmes de Cicéron et des académiciens, soit
fondamentaux du christianisme; mais dans le système des manichéens, se fixa.
le style des saintes Écritures devait Les vœux ardents de Monique , les ser-
rebuter un homme qui étudiait assidû- mons de saint Ambroise, et plus encore
ment Cicéron et les auteurs qui avaient les ouvrages de Platon, qu'il lut clans
vécu à la belle époque de la latinité. Il une traduction latine , mirent fin à tou-
laissa donc de côté les livres chrétiens.
tes ses irrésolutions.'Platon, comme il
(I) Pour toute cette partie biographique de
l'avoue, lui fit entrevoir la vérité tant
notre travail nous avons toujours eu sous les désirée. Puis, les saintes. Écritures, qu'il
yeux les Confessions et la Fie de saint Augus- étudia alors avec attention et avec ar-
tin écrile par Possidius. deur, achevèrent de lui dévoiler ce qui
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
31
n'apparaissait encore que d'une ma- deux livres : l'un sur la Morale et les
nière vague et confuse , même dans la mœurs de l'Église
plus sublime des doctrines de la philo- sur la Morale elles catholique
mœurs des, l'autre
mani-
sophie grecque. Il voulut être sincère- chéens. Le résultat de cette comparai-
ment chrétien. son, on le cqnçoit aisément, est tout
Pour se préparer avec plus de re- entier à l'avantage de l'Église catholique.
cueil ement aubaptême , Augustin cessa Augustin ne se contenta pas de montrer
d'enseigner et se retira dans une mai- au grand jour la corruption des mani-
son de campagne avec sa mère et Adéo- chéens il
; les attaqua dans un des
dat, fils de l'une des femmes nombreuses points fondamentaux de leur système ;
qu'il avait aimées. Il fut suivi dans sa et en leexaminant
vient cette question
mal ? il combattit : D'où
la doctrine
retraite par ses amis les plus chers. Ce
fut là qu'à la suite de doux et graves des deux principes, l'un bon, l'autre
entretiens, il composa plusieurs ouvra- mauvais , qu'ils admettaient. Ce fut
ges qui sont parvenus jusqu'à nous. Il sans doute cette controverse qui le
conduisit à écrire son traité du Libre
écrivit d'abord contre les académiciens;
puis il fit les deux traités de la Vie heu- arbitre. En faisant au libre arbitre, dans
reuse etde l Ordre. Il commença aussi tous les actes, une large part (beaucoup
les Soliloques, qu'il compléta plus tard plus
par le traité de / Immortalité de Vâme. tard large
, dansquecellequ'il lui accorda
la lutte contre Pelageplus
et
Peu de temps après, il composa encore Célestius), il réfutait encore la doctrine
deux traités : celui de la Grammaire, qui des deux principes. Il n'acheva ce dernier
n'est point arrivé jusqu'à nous , et celui traité qu'en Afrique, où il arriva enfin
de la Musique , qui ne fut achevé qu'en dans les derniers mois de l'année 388.
Afrique. Au printemps de l'année 387, II demeura quelque temps à Carthage;
il revint à Milan , où il fut baptisé avec puis, il revint à Tagaste, où il vécut, pen-
Adéodat, son fils, et Alypius, son ami, dant trois ans environ, dans une pro-
par saint Ambroise. fonde retraite. Il y acheva son ouvrage
AUGUSTIN QUITTE MILAN; IL PERD de la Musique, il composa à la même
SA MÈRE, SÉJOUR AROME ; IL REVIENT époque les deux livres de la Genèse, des-
EN AFRIQUE; LUTTES CONTRE LES
tinés àréfuter l'opinion des manichéens
MANICHÉENS ET LES DONATISTES; SA sur l'Ancien Testament, le livre du Maî-
retraite; il est NOMMÉ SUCCESSI- tre, qui est un dialogue entre lui et son
VEMENT PRETRE ET ÉVEQUE DE l'É- fils Adéodat, et le traité delà Vraie re-
glise d'hippone. — Augustin .après ligion. Ilsortit enfin de la retraite, et
son baptême, prit la résolution de re- sur la demande d'un de ses amis qui
tourner en Afrique. Il quitta Milan, et voulait quitter le siècle et désirait ar-
accompagné de sa mère et de son fils, il demment levoir et l'entendre , il vint à
se dirigea vers le port d'Ostie. Il atten- Hippone. Il y fut retenu malgré lui , en
dait le moment de s'embarquer, lors- quelque sorte, par les vœux du peuple ;
que Monique fut prise d'une fièvre qui et pour l'attacher à son église, l'évêque
l'emporta à en
sentit la mortneufde jours.
sa mère Augustin res-
une violente Valère l'ordonna prêtre, en 391. Le
dernier lien qui unissait Augustin au
douleur qui bouleversa pour un ins- monde avait été rompu par la mort
tant tous ses projets. Il ne songea prématurée d'Adéodat. Aussi , dès qu'il
plus à l'Afrique et, d'Ostie, il vint à Rome, fut entré dans les ordres sacrés , il re-
où il séjourna pendant plus d'une an- doubla d'austérités, et sa vie fut encore
née. Il ne cherchait plus alors à briller
dans les écoles; il voulait, avant tout, plus retirée ouqu'àil Tagaste.
monastère rassembla Ilautour
fonda unde
mettre au service de la doctrine qu'il lui ses amis les plus chers, Alypius, Evo^
venait d'embrasser les connaissances dius et Possidius. Il ne sortait de sa re-
qu'il avait acquises et son éloquence. Il traite que sur les ordres de Valère, son
attaqua évêque , pour instruire le peuple tou-
réaction l'hérésie
naturelle avec
chez force, et par con-
un nouveau une
jours avide de l'entendre.
vertiil, combattit d'abord ceux dont il La réputation d'Augustin était déjà
avait partagé les erreurs. Il composa
grande à cette époque. Les évêques s*a-
L'UNIVERS.
dressaient volontiers à lui pour lui de la classe opprimée qui avait été ga-
demander des prières et des conseils. gnée presque tout entière à la cause du
schisme.
D'autre part, il exerçait sur le peuple Ce fut vers cette époque que Valère ,
qu'il instruisait une autorité sans bor-
nes. Ainsi, jusqu'à son temps, les évêques accabléd'ans et d'infirmités, choisit Au-
s'étaient en vain opposés dans la ville à gustin pour coadjuteur et le fit nom-
certaine fête qui entraînait à sa suite mer évêque d'Hippone.
la débauche et de graves désordres. TRAVAUX D' AUGUSTIN DANS L'ÉPIS-
Un concile même, tenu à Hippone en copat; IL COMBAT les hérésies; SA
393, n'avait pu abolir les vieux usages. réputation s'étend au loin. — L'é-
En 394, la parole seule d'Augustin fut piscopat gustinne changea en vrai
rien ,laduviemonas-
d'Au-
plus puissante que les décrets du con- . Ilsortit , il est
cile et que les exhortations des évêques ; tère qu'il avait choisi pour asile ; mais,
elle lit cesser la fête populaire. au milieu du monde auquel il devait dès
Au milieu des occupations nombreu- lors se mêler, il conserva les habitudes
ses que lui imposait sa qualité de prê- austères que depuis sa conversion il
tre, Augustin trouvait encore le temps s'était imposées. Seulement son activité
de servir l'Église par ses ouvrages. Il devint plus grande et le cercle de ses
écrivait son traité de l'Utilité de croire , travaux s'agrandit. Il faisait au peuple
pour ramener à la foi un de ses amis de fréquentes instructions, visitait ou
appelé Honorât, et son livre des Deux accueillait tous les citoyens d'Hippone
âmes, pour réfuter les manichéens. Il qui réclamaient son assistance, et in-
attaqua encore ces derniers, en 394 , en tervenait comme juge et comme média-
soutenant contre l'un d'eux , Adimante ,
que l'Ancien et le Nouveau Testament entre teurlesdausmembres
les différends de sonqui s'élevaient
Église.
n'étaient pas ooposés l'un à l'autre, et On conçoit à peine qu'au milieu d'oc-
que là même où ils semblaient se con- cupations 'strouvé
diverses
i et siécrire
nombreuses
tredire, ilétait facile de les concilier. Augustin ait pour quelques ,
Il entrait aussi volontiers en conférence instants de loisir. Cependant dans les
publique avec les ennemis de sa doc- premiers temps de son épiscopat, il
trine c'est
; ainsi qu'en 392 il discuta composa le Combat chrétien et le livre
pendant deux jours contre le prêtre de la Croyance aux chosesqu'on ne voit
manichéen Fortunat, qui s'avoua vaincu. pas. Un peu plus tard, vers 397, il
Mais en Afrique ce n'était point le mani- reprit la lutte contre les manichéens, et
chéisme qui avait porté les plus rudes réfuta d'abord la lettre de Manès, ap-
coups cisme à l'unité pelée rÉpitre du fondement ; puis, il
avait dansdecette l'Église ; le catholi-
contrée des ad- fit ses Trente-trois livres contre Fauste.
versaires plus puissants et plus nom- Les ariens fixèrent aussi son attention,
breuxles
, donatistes. Les partisans du et il commença, pour les combattre,
schisme dominaient dans un grand ses quinze livrés de la Trinité. Il écri-
nombre de provinces. Dans une de leurs vait aussi à la même époque le plus
réunions à Bagaîa , on compta plus de connu de tous ses ouvrages , les Con-
quatre cents évêaues dissidents. Augus- fessions.
tin tourna bientôt tous ses efforts con- Tant d'activité et de science portèrent
tre ces redoutables ennemis. Il essaya au loin la réputation
le consultait de toutes d'Augustin.
parts. Pour luiOn,
d'abord de ramener, par la persuasion, il répondait avec un zèle infatigable
les donatistes nombreux qui se trou-
vaient Hippone;
à puis il composa une- aux demandes qu'on lui adressait. Ce
sorte de chanson populaire où il racon- fut ainsi qu'au milieu des grands tra-
tait l'histoire du donatisme. Il mêla au vaux que nous venons d'énumérer, il
récit une réfutation du schisme. La composa pour Deogratias, diacre de
formequ'il avait adoptée dut contribuer l'Église de Carthage, un traité sur la
singulièrement à propager son œuvre. manière d'instruire les ignorants , et
Ses idées étaient mises ainsi à la portée qu'il fit ( vers 397 ) deux livres pour ré-
de tous, et pouvaient aisément pénétrer soudre certaines questions qui lui
dans les villes et les campagnes, au sein avaient été soumises par Simplicien,
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
évêque de Milan et successeur de saint les lettres de Pétilien , évêque donatiste
Ambroise. Le dernier de ces deux li- de Cirta ou Constantine.
vres mérite une sérieuse attention. II L'Église catholique d'Afrique , aussi
y expose déjà clairement, à propos de bien qu'Augustin, avait repris courage
ces paroles de l'Apôtre, « Qu'avez-vous et force. Elle multiplia alors les con-
ciles. Les Pères se réunirent une fois à
que vous n'ayez reçu? » cette doctrine
de la grâce qui annihilait complètement Hippone ; mais en général Carthage était
le libre arbitre, et qu'il devait pousser le lieu fixé pour les assemblées. En 398,
jusqu'à ses dernières conséquences, on compta dans la capitale de l'Afri-
dans sa lutte contre Pelage.
LES DONATISTES', LEUBS DIVISIONS; cent que,quatorze
sous la présidence d'Aurélius,
évêques. deux
La question
LIVRES DE SAINT AUGUSTIN ; CONCI- du schisme était toujours agitée dans
LES. — Mais alors Augustin était sur- ces grandes réunions, et les Pères ne se
tout occupé par ses discussions contre séparaient jamais sans avoir promulgué
les donatistes. L'occasion était bien quelques canons contre les donatistes.
choisie pour combattre le schisme. De- DERNIERS VESTIGES DU POLYTHEIS-
puis plusieurs années déjà, l'église do- ME EN AFRIQUE ; LE TEMPLE DE JU-
natiste était en proie à de grandes di- non-céleste; POLÉMIQUE DE SAINT
visions. Vers la fin du siècle , les opi- AUGUSTIN CONTRE LES PAÏENS. — Le
nions de Ticonius, qui fut parmi les schisme et l'hérésie n'étaient pas les
dissidents , suivant saint Augustin lui- seuls ennemis que l'Église catholique et
même, un éloquent et savant docteur, saint Augustin eussent à combattre en
fournirent un nouvel aliment aux que- Afrique. Le paganisme avait laissédans
relles et aux dissensions. La mort de cette contrée une profonde empreinte.
Parménien, évêque donatiste de Car- Dans les Mauritanies, la Numidie, la
thage, acheva de désorganiser le schis- Proconsulaire, la Byzacène, à Carthage
me. Primien , qui fut élu , vers l'an 392 , même, on trouvait encore, au commen-
avait excommunié un de ses diacres, cement du Ve siècle , de nombreux ado-
Maximien. Ce dernier, pour se venger, rateurs des anciens dieux. Les temples
se fit un parti, et occupa par la force le avaient été fermés , il est vrai , par ordre
siège de celui qui l'avait condamné. de Théodose; mais la sévérité des lois
Deux conciles se prononcèrent contre impériales n'empêchait pas les païens de
Primien ; mais un troisième, qui se tint se livrer, comme par le passé, aux pra-
à Bagaïa, prit sa défense et déclara cou- tiques de leur religion, et ils ne cessèrent
pable Maximien et ses adhérents. Ce fut point dans les jours solennels de se ras-
là l'occasion d'une guerremontrèrent
où primianis- sembler pour faire des sacrifices. La plus
tes et maximianistes une célèbre et la plus vénérée de toutes les
ex.trême violence.
divinités de l'Afrique était l'Astarté
Il faut encore ajouter à ces deux par- des Phéniciens. La race punique n'avait
tis dont
, le premier dominait à Cartila- point été anéantie tout entière au mo-
ge,dans la Proconsulaire et la Numidie ,
et le second, dans la Byzacène, celui ment où Scipion
cienne Carthage. Parmiavait les
renversé
hommesl'an-
de
des rogatlstes, cette race, beaucoup échappèrent alors
le nombre sur qui tous l'emportaient par
les autres dissi-
dents, dans la Mauritanie césarienne. au fer des Romains ou à l'esclavage, et
continuèrent à vivre sur la terre d'Afri-
Augustin voyait avec joie toutes ces que. Les descendants des Phéniciens se
divisions. Elles lui fournissaient, dans soumirent, il est vrai, aux lois des vain-
ses conférences avec les évêques dona- queurs; mais ils ne perdirent pour cela
tistes, avec Glorius et Fortunius, par ni leur caractère national ni les tradi-
exemple , aussi bien que dans ses écrits tions de leurs ancêtres. Ils conservè-
contre le schisme, des arguments sans rent leurs dieux et leur culte, et les rap-
réplique. Ce fut vers Tan 400 qu'il com- portèrent dans la colonie de Caïus
posa trois livres pourréfuter une lettrede Gracchus, où ils relevèrent le temple
Parménien adressée à Ticonius; sept d'Astnrté. 11 était dans la politique des
livres sur la question tant controversée Romains, non de combattre les croyan-
du baptême , et trois livres enfin contre ces religieuses des vaincus, mais de les
AFR. CHRÉT. 3
34 L'UNIVERS.
adopter, ou plutôt de les combiner avec blé, pour ainsi dire, pour le protéger
leurs propres croyances. Ainsi , ils es- et le défendre, tout le genre humain
sayèrent deconcilier le culte d'Astarlé dans son vaste empire. Tant que notre
avec celui de leurs divinités , et sous le religion a régné sans partage, l'empire
nom de Junon-Céleste ils adorèrent la romain n'a pas rétrogradé et nul bar-
déesse phénicienne. Le temple de Ju- bare n'a franchi impunément ses fron-
non-Céleste fut, au temps de l'empire, tières. Qu'est-il arrivé après le triomphe
le plus riche et le plus révéré de Car- du christianisme? l'empire a été en
thnge : Théodose le fit fermer en 391. proie à d'effroyables calamités ; il a été
sans cesse harcelé, envahi, ravagé,
Un
prit peu
possession plus tard,et l'évêque le dédia Aurélius en
au Christ. amoindri par les populations barbares.
Mais après cette consécration, les païens Nos dieux se sont vengés, et il semble
( c'étaient sans doute des hommes de même qu'ils aient fait éclater particu-
race punique et les derniers descendants lièrement leur colère à l'égard des em-
des Carthaginois) ayant osé pénétrer pereurs partisans et protecteurs du
dans son enceinte pour y renouveler en christianisme. Y eut-il jamais une fa-
l'honneur d'Astarté leurs sacrifices et mille plus malheureuse que celle de
leurs cérémonies, il fut renversé de fond Constantin? Il faut donc attribuer à no-
en comble (1). tre religion les anciennes prospérités
L'empereur Honorius, dans son zèle, de l'empire, et au christianime tous les
ne se borna pas à persécuter en Afri- maux qui nous accablent. Voilà le
que le polythéisme oriental, grec ou ro- grand argument que firent valoir sou-
main; ilenvoya aussi dans les diverses vent avec une haute éloquence, comme
provinces des ofliciers qui avaient pour Libanius et Symmaque, les défenseurs
mission de détruire, comme cela se fit du polythéisme. La prise de Rome,
avec éclat dans la Mauritanie, les par Alâric, en 410, sembla justifier
images des dieux adorés par les po- les raisons des païens. Le coup qui avait
pulations indigènes. Mais les païens frappé la ville éternelle eut dans toutes
étaient encore nombreux et puissants les provinces un long retentissement.
sous le Gis de Théodose, et plus d'une Il y eut alors bien des hommes qui , dans
fois ils opposèrent une vive résistance des instants de doute et de décourage-
aux édits impériaux. A Suffète, par ment, furent tentésd'attribuerau chris-
exemple, dans la Byzacène, ils massa- tianisme lescalamités de l'empire.
crèrent soixante chrétiens qui avaient Ce fut au milieu de ces grandes ca-
brisé une statue d'Hercule. tastrophes que se mirent à l'œuvre Paul
lis écrivirent aussi pour défendre Orose et Augustin : l'un composa son
leurs croyances ; et parmi eux il se Histoire, l'autre sa Cité de Dieu. Tous
trouva des hommes instruits et éloquents deux par des voies diverses tendaient
qui firent une rude guerre au chris- au même but. Ils voulaient raffermir
tianisme. Cefut l'infatigable Augustin leurs frères qui chancelaient, amener à
qui, oubliant alors pour un instant la foi ceux qui ne croyaient pas en-
le schisme et l'hérésie, se chargea de ré- core, et pour cela ils s'efforcèrent de
futer les doctrines du polythéisme. De- montrer à tous les yeux combien étaient
puis longtemps les païens faisaient vaines les accusations que lepolythéisme,
valoir contre la religion chrétienne un aigri par sa récente défaite et le senti-
argument qui pouvait ébranler les igno- ment de son impuissance, avait portées
rants. Ils disaient : Quand nos dieux contre le christianisme victorieux.
étaient adorés, il y avait sur cette terre, les donatistes sont poursuivis
pour les hommes, bonheur et sécurité. avec acharnement; conciles de
C'est avec l'assistance de ces dieux carthage; conférences de l'an
41 1 ; condamnation des donatistes;
que Rome a conquis le monde, qu'elle
l'a soumis à ses lois et qu'elle a rassem- LE TRIEUN MARCELLIN; LOI d'HONO-
rtus. — Quels que fussent les travaux
(I) Voy. sur la religion des Carthaginois, le
temple d Astarté et la persistance delà race pu- d'Augustin, ses yeux et son attention
nique en Afrique, notre Histoire de Carthayp, ne se détournaient jamais des donatis-
p. 139, 145 et 15:J. tes. L'extinction du schisme était sa
35
AFRIQUE CHRÉTIENNE
grande affaire et , en cela , il se confor- nées pour la religion catholique , et
mait àla pensée de tous les catholiques l'empereur lui donne pouvoir de pren-
de l'Afrique. Il arriva un moment où dre entre les officiers du proconsul, du
ceux-ci, poussés par le vif désir d'opé- vicaire, du préfet du prétoire et de tous
rer la réunion des deux Églises, recou- les autres juges, les personnes néces-
rurent au moyen extrême d'invoquer sairesLe pour
sion. l'exécution
rescrit est datéde desa Ravenne,
commis-
l'intervention du pouvoir temporel. En
404, les Pères d'un concile rassemblé la veille des ides d'octobre, sous le
à Carthage s'adressèrent à l'empereur consulat de Varane , c'est-à-dire le qua-
pour obtenir de lui aide et appui dans torzième d'octobre 410 Le tribun
leur lutte contre le donatisme. Dès lors Marcellin étant venu à Carthage donna
ils ne cessèrent plus accueillit
sistance. Honorius d'implorerleurs as- son ordonnance, par laquelle il avertit
son de-
tous les évêques d'Afrique, tant catholi-
mandes, et pour obéir aux instructions
ques que donatistes, de s'y trouver dans
qu'ils avaient reçues de Ravenne, les of- quatre mois, c'est-à-dire le premier jour
ficiers quigouvernaient l'Afrique trai- tous les pourytenirunconcile.il
de juin,
officiers des villes de le faire sa-
charge
tèrent les partisans du schisme avec
une excessive rigueur. Mais ce fut sur- voir aux évêques et de leur signifier le
tout vers 410 que l'empereur donna rescritde l'empereuret cette ordonnan-
aux catholiques des preuves éclatantes
de sa bienveillance. ce. Ildéclare, quoiqu'il n'en eût pas d'or-
dre de l'empereur, que l'on rendra aux
Il y avait longtemps qu'on voulait évêques donatistes qui promettront de
amener les évêques des deux Églises à s'y trouver, les églises qui leur avaient
discuter , dans une conférence publique, été ôtées selon les lois, et leur permet
lesmotifsde la séparation. Depuis Théo- de choisir un autre juge, pour être avec
dose, les catholiques désiraient ardem- lui l'arbitre de cette dispute. Enfin il
ment cette conférence. Ils l'offrirent leur proteste avec serment qu'il ne leur
plusieurs fois aux donatistes. Ceux-ci, fera aucune injustice, qu'ils ne souffri-
prévoyant les résultats ront aucun mauvais traitement, et re-
inévitablement à sa suitequ'entraînerait
une condam- tourneront chez eux en pleine liberté.
nation sous des empereurs qui leur Il défend cependant que Ton fasse au-
étaient ouvertement hostiles, repoussè- cune poursuite, en vertu des lois pré-
rent jusqu'en l'année 410 les proposi- cédentes. Cet édit était du quatorzième
tions des catholiques. Alors quelques- des calendes de mars , c'est-à-dire du
uns d'entre eux se laissant entraîner seizième de février 411, en sorte que
acceptèrent la discussion publique. Les les quatre mois, à la rigueur, échéaient
catholiques et l'empereur Honorius se le seizième de mai ; mais par indugence
hâtèrent de profiter de ces dispositions, il donnait jusqu'au premier de juin.
et un rescrit émané de la chancellerie Les évêques donatistes se rendirent à
impériale enjoignit aux évêquesdes deux Carthage au plus grand nombre qu'ils
Églises de se rendre à Carthage. « Ce purent, pour montrer que les catholi-
rescrit, dit Fleury , fut adressé à Fla- ques avaient tort de leur reprocher leur
vius Marcellin, tribun et notaire, di- petit nombre. La lettre que chacun de
gnité alors considérable. C'était un leurs primatsenvoya, selon la coutume,
homme pieux et ami de saint Jérôme et à ceux de sa province, et que l'on nom-
de saint Augustin, comme il paraît par mait Tractoria, portait que, toutes af-
leurs lettres. Le rescrit ordonne que faires cessant, ils se rendissent à Car-
les évêques donatistes s'assembleront thage en diligence, pour ne pas perdre
à Carthage dans quatre mois, afin que le plus grand avantage de leur cause.
les évêques choisis de part et d'autre En effet, tous y vinrent, excepté ceux
puissent conférer ensemble. Que si les
que lachez
retint maladie' eux , ou ou l'extrême
arrêta en vieillesse:
chemin;
donatistes ne s'y trouvent pas , après et ils se trouvèrent environ deux cent
avoir été trois fois appelés, ilsseront dé-
possédés deleurs églises. Marcellin est soixante et dix. Ils entrèrent à Carthage
établi juge de la conférence, pour exé- le dix-huitième de mai, en corps et en
cuter cet ordre et les autres lois don- procession , en sorte qu'ils attirèrent les
L'UNIVERS*
qu'il était prouvé que Dona était l'au- personne ne fait point de préjugé con-
teur du schisme ; que Cécilien et son or- tre une, autre. Cependant le tribun Mar-
dinateur Félix d'Aptonge avaient été cellin ayant fait son rapport à l'empe-
pleinement justifiés. Après cet exposé,
il ordonne aux magistrats, aux proprié- dans reur Honorius de ce et
la conférence, quiless'était passé
donatistes
taires etlocatairesdes terres d'empêcher ayant appelé devant lui, il y eut une
les assemblées des donatistes dans les loi donnée à Ravenne, le troisième des
villes et en tous lieux ; et à ceux-ci de
calendes de février, sous le*neuvième
délivrer aux catholiques les églises qu'il consulat d'Honorius et le cinquième de
leur avait accordées pendant sa commis- Théodose, c'est-à-dire le troisième de
sion; que tous les donatistes qui ne janvier 412, qui, cassant tous les res-
crits que les donatistes pouvaient avoir
voudrontreront passujets àsetoutes
réunirales l'Église, demeu-
peines des lois , obtenus , et confirmant toutes les an-
et que pour cet effet tous leurs évêques ciennes lois faites contre eux , les con-
se retireront incessamment chez eux; damne àde grosses amendes , suivant
enfin, que les terres où l'on retire des leur condition, depuis les personnes il-
troupes de circoncellions seront confis- lustres jusqu'au simple peuple, et les
quées. Ces actes delà conférence furent esclaves à punition corporelle ; ordonne
rendus publics, et on les lisait tous les que leurs clercs seront bannis d'Afrique
ans tout entiers dans l'Église à Carthage, et de toutes les églises rendues aux ca-
à Tagaste , à Constantine , à Hippone et tholiques. La conférence fut le coup
dans plusieurs autres lieux; et cela pen- mortel du schisme des donatistes ; et
dant lecarême, lorsque le jeûne donnait depuis ce temps ils vinrent en foule se
au peuple plus de loisir d'entendre cette réunir à l'Église, c'est-à-dire les évêques
lecture. Toutefois, il y avait peu de gens avec les peuples entiers (1). »
qui eussent la patience de les lire en En effet, la masse des schismatiques,
particulier , à cause de leur longueur et suivant la remarque de Fleury et de quel-
des chicanes dont les donatistes avaient
ques autres historiens, revint à l'Église
affecté de les charger. C'est ce qui obli- catholique. Mais cette conversion, œu-
gea saint Augustin d'en faire un abrégé,
qui en comprend toute la substance; Les vredonatistes
de la force ,voulaient, n'était point
avantsincère.
tout,
et il y avait ajouté des nombres, pour échapper aux amendes, à l'expropria-
avoir facilement recours aux actes mê- tion à, l'exil, à tous les châtiments en-
mes. Les donatistes se déclarèrent ap- fin prononcés par l'édit d'Honorius
pelants de la sentence de Marcel lin, contre ceux qui persévéraient dans le
schisme. Ils conservaient sous les dehors
sous prétexte qu'elle avait été rendue
de nuit et que les catholiques l'avaient d'une apparente sentiment deleur soumission
défaite. Ils un vif res-
le montrè-
corrompuçaient aupar hasard argent
sans : aucune
ce qu'ilspreuve.
avan-
rent bientôt. Deux ans à peine s'étaient
Ils disaient aussi que Marcellin ne leur écoulés depuis la conférence de Carthage,
avait pas permis de dire tout ce qu'ils qu'ils profitèrent
comte Héraclien etdedesla désordres rébellion qui du
voulaient,
més dans le etlieuqu'ilde lalesconférence,
avait tenus comme
enfer-
dans une prison. Mais saint Augustin la suivirent pour se venger. Us s'atta-
chèrent surtout à perdre le tribun Mar-
réfuta ces calomnies par un traité qu'il cel in, leplus implacable de leurs enne-
lit ensuite, adressé aux donatistes laï- mis. Us lefirent décapiter avec son frère.
ques, où il releva tous les avantages Quand le pouvoir impérial se fut raf-
que l'Église catholique avait tirés de la fermi en Afrique, ils cédèrent et se sou-
conférence, les efforts que les donatis- mirent de nouveau. Us vécurent ainsi ,
tes avaient faits pour éviter qu'elle ne cachant leur haine, jusqu'en l'année 429,
se tînt; l'es chicanes dont ils avaient où l'invasion des barbares leur offrit l'oc-
usé pour ne point entrer en matière ; casion d'exercer sur les catholiques de
les plaintes qu'ils avaient répétées deux nouvelles vengeances.
OPINIONS DE SAINT AUGUSTIN SUR
fois , qu'on les y faisait entrer malgré
eux ; enfin ce mot important qui leur
était échappé, qu'une affaire, ni une (i) Fleury; ffist. ecclés., t. V, p. 345 et sulv.
3S L'UNIVERS.
rendirent à Carthage. C'est de là que eux la théorie du libre arbitre , telle que
partit Pelage pour aller dans la Pales- la formulaient Pelage et ses disciples ,
tine. Célestius était resté dans la capi- était un excès de l'orgueil humain.
tale de l'Afrique pour y propager la Prétendre que l'homme avait la faculté
nouvelle doctrine. C'était , s'il faut en de vouloir, de se déterminer, indépen-
croire ses contemporains , un homme damment de toute influence supérieure ,
plus audacieux encore que Pelage. 11 ne et conclure, de là, que sans l'assistance
reculait devant aucune des conséquences de
de son système ; et bientôt on le vit un Dieu
bon ,ouil mauvais pouvait, suivant
usage dequ'il
sonfaisait
libre
repousser, comme contraire à la théorie arbitre, mériter ou démériter, n'était-ce
du libre arbitre, la croyance au péché point enlever à Dieu une partie de sa
originel et nier la nécessité du baptême toute-puissance, égaler en quelque sorte
et de la rédemption. l'homme à Dieu ? n'était-ce point
L'Église d'Afrique s'alarma des pro- comme le disait saint Jérôme, renouve-
grès de l'hérésie, ler latentative des anges rebelles? Aux
à Carthage (412)et condamna
un concile Célestius.
convoqué
yeux des défenseurs de la foi catholi-
Le pélagianisme, comme on l'apprend que, pour employer l'énergique expres-
par l'acte d'accusation qui fut dressé sion d'un écrivain moderne, Satan aussi
alors, attaqua, dès son début, les doc- avait été pélagien ( 1 ).
trines del'Eglisecatholique avec une sin- Après avoir hésité quelque temps,
gulière hardiesse. On reprochait à saint Augustin se lança avec ardeur
Célestius d'avoirdit : « 1° qu'Adam avait dans la discussion. Il n'essaya point de
été créé sujet à la mort ; 2° que son transiger , de concilier la liberté avec la
péché n'avait nui qu'à lui et ne s'était
pas communiqué à sa race, ce qui dé- théorie il
grâce; de s'avança
la grâce aussi loin dansdansla
que Pelage
truisait lacroyance du péché originel; celle de la liberté.
3° que les enfants en naissant sont dans « De toutes les doctrines psychologi-
le même état où était Adam avant son ques de saint Augustin, la pius digne
péché; 4° que d'attention est celle qu'il a émise sur
pas la cause de le péché ded'Adam
la mort n'est
tout le genre la nature du libre arbitre. Les rapports
humain, non plus que la résurrection de étroits qui existent entre cette question
Jésus-Christ la cause de la résurrection et celle de la grâce, et l'autorité dont
de tous les hommes ; 5° que la loi natu- jouit l'évêque d'Hippone dans l'Église,
relle conduit au royaume des cieux principalement à cause de la manière
comme l'Evangile; G° que même avant dont il a combattu les pélagiens, don-
la venue de Jésus-Christ, il y avait des nent une importance particulière à ce
hommes impeccables , c'est-a-dire sans qu'il a écrit sur cet objet. Le traité du
péché ; 7° que les morts sans baptême Libre Arbitre , divisé en trois livres , fut
ont la vie éternelle. » Après sa condam- achevé par saint Augustin en 395, vingt-
nation Célestius se retira en Asie (1). deux ans, par conséquent, avant la
SAINT AUGUSTIN COMBAT LES PE- condamnation de Pelage par le pape
lagiens; concile; RAPPORTS DES Innocent Ier, en 417. Il était dirigé con-
ÉGLISES D'AFRIQUE AVEC L'ÉGLISE DE tre les manichéens, qui affaiblissaient la
rome. — Le concile de Carthage n'avait liberté en soumettant l'homme à l'action
point arrêté les progrès de l'hérésie : le d'un principe du mal, égal en puissance
pélagianisme pénétrait en tous lieux. au principe du bien. Il était naturel que,
Alors, pour conjurer ce pressant danger, pour combattre avec succès de pareils
Tes docteurs les plus illustres de l'Église adversaires, saint Augustin accordât le
catholique se mirent à l'œuvre. Pour plus possible au libre arbitre. Aussi
voit-on, par une lettre adressée à Mar-
. 0) Nous ne pouvons, dans ce résumé rapide,
traiter avec quelque étendue la question du cellin, en 412, qu'il n'est pas sans crainte
pélagianisme. Nous renvoyons sur ce point aux que les pélagiens ne s'autorisent de ses
diverses histoires de l'Église. Il est inutile, sui- livres composés longtemps avant qu'il
vant nous , de signaler ici , parce qu'elles sont
connues de tous, les pages qui ont été écrites fût question de leur erreur. La philoso-
de nos jours sur ce grave sujet par MM. Gui- (I) Rohrbacher;
zot et J. J. Ampère. tholique,t. VII, p.Hist.
504. univers, de l'Église ca-
41
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
phie ne peut donc rester indifférente libre arbitre, il déclare que ce libre ar-
au désir d'étudier de quelle manière bitre est dans la dépendance d'un pou-
l'auteur du traité du Libre Arbitrez pu voir supérieur, qu'il est complètement
se retrouver plus tard le défenseur ex- subordonné à la grâce.
clusif de la grâce, et concilier les prin- L'opinion de saint Augustin fut adop-
cipes philosophiques avec les données tée par l'Église d'Afrique. En 416, les
de la révélation. Nous ne pouvons toute- évêques de cette Église tinrent âaux
fois ,sur ce point , présenter que de conciles, l'un à Carthage, l'autre à
courtes explications. Dans ses livres sur Milève, où ils condamnèrent Pelage
le Libre Arbitre, saint Augustin recon- et Célestius. Puis, ils s'adressèrent au
naît que le fondement de la liberté est pape Innocent qui, en 417, donna son
dans le principe même de nos détermi- adhésion à la sentence qu'ils avaient
nations volontaires. Le point de départ prononcée. Mais on put craindre un
de tout acte moral humain est l'homme instant (418) que Zozime, successeur
lui seul, considéré dans la faculté qu'il d'Innocent, n'approuvât , comme l'a-
a de se déterminer sans l'intervention vaient déjà fait avant lui les évêques
d'aucun élément étranger (deLib. Arb., d'Orient, rassemblés à Diospolis, quel-
lib. III , c. 2 ). Dans sa manière de dé- ques-unes des opinions du pélagianisme.
finir le libre arbitre, le mérite de la Sa conduite pleine de modération à
bonne action appartient à l'homme ; rien l'égard de Pelage et de Célestius excita
n'a agi sur sa volonté en un sens ou en en Afrique de vives appréhensions.
un autre; sa détermination est parfai- Les évêques se rassemblèrent de nou-
tement libre. Saint Augustin a-t-il main- veau àCarthage, en 418, et là ils con-
tenu ces principes dans sa controverse firmèrent eu quelque sorte, par une
contre Pelage? Une étude plus attentive nouvelle condamnation de l'hérésie,
des saintes Écritures, et principalement leurs premières décisions. La sentence
de saint Paul, ne lui a-t-elle pas fait mo- qu'ils prononcèrent nous fait connaître
difier sa manière de voir ? L'examen phi- les hardies conséquences que les péla-
losophique deses écrits ne nous sem- giens avaient tirées de leur théorie
ble laisser au critique impartial aucun du libre arbitre. « Quiconque dira qu'A-
doute à cet égard (1). » Au moment où dam a été fait mortel , en sorte que ,
parut le pélagianisme , saint Augustin soit qu'il péchât ou qu'il ne péchât
avait déjà modifié ses premières opinions
point, il dût mourir, c'est-à-dire sortir
sur le libre arbitre. Dès l'année 398, du corps, non par le mérite de son pé-
comme nous l'avons dit , dans une lettre ché, mais par la nécessité de sa nature ;
adressée à Simplicien, et à propos de qu'il soit anathème ! Quiconque dit qu'il
ce texte de Saint Paul : Qu'avez- vous ne faut pas baptiser les enfants nou-
que vous n'ayez reçu? il avait amoindri,
si nous pouvons nous servir de cette ex- tise pour laveau-nés;rémission
ou que, bien des
qu'on les bap-
péchés , ils
pres iole
n , libre arbitre pour exalter ne tirent d'Adam aucun péché originel
la grâce. Sa lutte contre Pelage et Cé- qui doive être expié par la régénéra-
lestius ne fit que rendre ses opinions tion, d'où s'ensuit que la forme du bap-
plus absolues. Dès lors dans ses con- tême pour la rémission des péchés est
versations, ses sermons, ses ouvrages
fausse à leur égard ; qu'il soit anathè-
( du Mérite et de ta rémission des pé- me! Quiconque dira que la grâce de
chés; de ta Grâce du Nouveau Testa- Dieu qui nous justifie par Jésus-Christ,
ment; de V Esprit et de ta lettre; Traité ne sert que pour la rémission des pé-
de la nature et de la grâce; de la Per- chés déjà commis, et non pour nous
fection de la justice de l'homme; aider encore à n'en plus commettre;
tre à Hilaire en Sicile), il affirme Let-
que qu'il soit anathème! Si quelqu'un dit
l'homme ne veut et ne peut que par que la même grâce nous aide à ne point
Dieu , et si parfois il parle encore du
pécher seulement en ce qu'elle nous
(I) Voy. Dictionnaire des Sciences philoso-
ouvre l'intelligence des commande-
ments ,afin que nous sachions ce que
phiques par une société de professeurs de phi- nous devons chercher et ce que nous
losophie: art. Saint Augustin; 1. 1. p. 257 ; Pa-
ris, 1814.
devons éviter; mais qu'elle ne nous
42 L'UNIVERS.
donne pas d'aimer encore et de pou- lurent point se soumettre a cette con-
voir ce que nous devons faire; qu'il damnation. Ils s'adressèrent à l'Église
soit anathème ! Quiconque dira que de Rome qui, prêtant l'oreille à leurs
la grâce de la justification nous est don- prières, essaya de les imposera ceux
née, alin que nous puissions accomplir qui les avaient rejetés. Les évêques d'A-
plus facilement par la grâce ce qu'il frique protestèrent contre cette inter-
nous est ordonné de faire par le libre vention qui tendait à infirmer leurs
arbitre, comme si, sans recevoir la décisions et à amoindrir leur autorité.
grâce, nous pouvions accomplir les Ils l'emportèrent; et le jugement qui
commandements de Dieu, quoique dif- avait condamné Apiarius et Antoine
fut maintenu (1).
ficilement; qu'il soit anathème! » A
Rome, Zozime s'était enfin prononcé, et SEM1-PELAGIENS; DERNIERS TRA-
il avait condamné les pélagiens. On VAUX DE SAINT AUGUSTIN. — Comme
ne se contenta plus alors, pour rame- nous l'avons dit, l'opinion desaint Augus-
ner les hérésiarques , des censures ec- tin sur la tholique.
grâce Toutefois, était ilcelle de l'Église ca-
clésiastiques; on eut recours au pou- y avait dans cette
voir temporel, à la rigueur des lois. opinion quelque chose de si absolu , il
Nul, suivant saint Augustin, ne fut fallait crtellement,
plus ardent dans cette persécution que ifier laraison à lapour foi, l'embrasser,
que des hommes sa-
le prêtre Sixte, qui occupa plus tard la jusqu'alors fermement attachés aux dog-
chaire de Saint-Pierre. Honorius fit un mes de l'Église se sentirent ébranlés. Il
édit qui bannissait de Rome Pelade et se fit chez eux une réaction : ils se de-
Célestius, qui organisait contre leurs mandèrent si saint Augustin n'était
adhérents un système de délation, qui point tombé dans l'erreur en immolant
punissait enfin, dans toute l'étendue de d'une manière absolue le libre arbitre à
l'empire d'Occident, de l'exil et de la grâce, en l'annihilant, et conséquem-
l'expropriation, ceux qui étaient con- ment en détruisant la responsabilité hu-
vaincus de pélagianisme. Toutefois, au maine. Ils cherchèrent alors un système
de conciliation.
temps même de la persécution , l'héré-
sie trouva des défenseurs. Le plus célè- Le mouvement se fit d'abord sentir
bre de tous saint
Il attaqua est Julien, Augustin évêque d'Éelane.
à propos du en Afrique. Quelques moines d' Adrumet
s'élevèrent contre un écrit où saint
livre intitulé du Mariage et de La con- Augustin anéantissait, suivant eux , le
cupiscence. Dès lors s'engagea entre libre arbitre. L'évêque d'Hippone se hâta
eux, par écrit, une lutte qui ne devait de leur répondre par deux ouvrages ( de
avoir pour terme que la mort de l'illus- la Grâce et du libre arbitre; de la Cor-
tre évêque d'Hippone. rection etde la grâce). Cette fois, il sem-
Il y avait eu sur la question du péla- bla transiger, et fit, si nous pouvons nous
gianisme dissentiment entre lesévêques servir de cette expression, quelques
africains et le pape Zozime (I). Mais ce concessions au libre abitre.
dissentiment , comme nous l'avons dit , Il y avait aussi en Gaule des hommes
n'avait pas été de longue durée. Plus éminents qui n'admettaient pas dans
tard, l'intervention de l'Église de Rome toutes ses parties le système de saint
dans Augustin. Parmi eux se trouvaient saint
amenerlesun affaires nouveau dedésaccord. l'AfriqueIl devait
éclata Hilaired' Arles et Cassien. Celui-ci ,dans
au temps de saint Boniface et de saint des conférences spirituelles qu'il écrivit,
Célestin. Les évêques d'Afrique refu- vers 426, pour ses moines de Marseille,
sèrent, en deux circonstances , d'accep- essaya de concilier le libre arbitre avec
ter les instructions qui leur venaient la grâce. Il ne porta pas atteinte, comme
d'Italie. Le prêtre Apiarius, et plus les pélagiens, ; aux dogmesprétendit
tholiqueseulementil de l'Église
que ca-le
tard, l'évêque Antoine avaient été con-
damnés, pour leur scandaleuse conduite,
(l)queVoy. surdelesRome
rapports
et sur deles l'Église d'Afri-
par les évêques africains. Ils ne vou- avec celle désaccords que
nous venons d'indiquer : Fleury; Hist. ecclé-
(1) Indépendamment des écrivains catholi- siast., t. V, p. 494 , 515 , 5T7 , 679, 580 et 582 ; et
îiques, voyez sur ce dissentiment : Leydecker ; Rohrbacher; Hist. univers, de l'Eglise cathol.,
de Libertate Ecclesiœ africanœ , p. 523 et suiv. t. VII, p. 5'j8, 552 et suiv.; 568, 577 et suiv.
43
AFRIQUE CHRETIENNE.
libre arbitre était nécessaire pour l'ac- qui opère en vous de vouloir et de faire,
complissement du bien, nécessaire
et si quelques-uns ne sont pas encore
comme la grâce. Il alla plus loin encore :
il déclara que la grâce était donnée par appelés, prions Dieu qu'il les appelle ,
car peut-être ils sont prédestinés. Quant
Dieu à ceux qui l'avaient méritée, à ceux aux réprouvés, il ne faut jamais en par-.
qui d'abord avaient voulu le bien par 1er qu'en tierce personne, en disant, par
eux-mêmes en vertu de leurs propres dé- exemple : « Si quelques-uns obéissent
terminations. Ainsi, suivant Cassien, le
maintenant, et ne sont pas prédestinés,
libre arbitre était le principe de la grâce. ils ne sont que pour un temps, et ne de-
Ce nouveau système agita vivement meurerontpas dans robéissancejusques
les esprits. Les uns l'embrassèrent har- à la fin. Surtout il faut exhorter les moins
diment ce
( furent les semi-pélagiens); pénétrants à laisser les disputes aux
d'autres, assaillis par le doute et plus ti- savants (1). » Pour avoir trop accordé
mides, voulurent, avant tout, prendre à la grâce, saint Augustin , on ne sau-
conseil de celui qui, dans la grande que- raitle dissimuler, arrivait au fatalisme.
relle suscitée par Pelage, avait été l'in- Il semble que saint Augustin ait été
terprète de l'Église catholique. Ils s'a- absorbé tout entier, dans les dernières
dressèrent donc à saint Augustin. L'é- années de sa vie par sa lutte contre le
vêqued'Hippone
dans une nouvellene discussion. refusa point d'entrer
pélagianisme.
tant. Pendant Il les n'en est rienlespour-
discussions plus
Il poussa alors jusqu'à ses dernières vives, il trouvait encore du temps pour
conséquences la doctrine de la grâce. écrire sur mille sujets divers. Il répon-
Dansses deuxlivresr/e/a Prédestination dait souvent, par de longues lettres, à
des Saints (1) qu'il adressa
Hilaire, il admet sans réserve et dans le à Prosper et à tous ceux qui lui proposaient des dif-
ficultés résoudre
à ou lur demandaient
sens le plus illimité, en vertu de son prin- des conseils. Il composait son Enchiri-
cipe de la grâce qu'il s'efforçait d'éta- dion; un petit livre adressé à saint Pau-
blir, laprescience divine et la prédesti- lin de Noie, sur ta piété envers les morts
nation. Aux semi-pélagiens, qui lui ob- et son traité contre le mensonge . Il re-
jectaient que, dans un pareil système , produisait aussi par écrit sa conférence
on devait rejeter nécessairement comme avec févêque arien Maxime et rédigeait
inutiles la prédication, les exhortations, ses Rétractations. Sur la fin de sa vie,
toute pénalité , il répondait : « Il est vrai cédantaux prières de Quodvultdeus, qui
qu'il faut user de discrétion en prêchant fut plus tard évêque de Carthage, il
au peuple cette doctrine; et ne pas dire : promit d'écrire une histoire des hérésies.
La prédestination de Dieu est absolu- Il ne recula point devant les difficultés
ment certaine, en sorte que vous êtes que présentait un semblable travail.
venus à la foi , vous qui avez reçu la vo- « Il exécuta sa promesse, dit Fleury,
lonté d'obéir, et vous autres demeurez et envoya quelque temps après à Quod-
attachés au péché, parce que vous n'avez vultdeus un traité des hérésies où il en
pas encore reçu la grâce pour vous en compte quatre-vingt-huit commençant
relever. Mais si vous êtes prédestinés, auxsimoniensetfinissantaux pélagièns.
vous recevrez la même grâce, et vous Il ne prétend pas toutefois avoir connu
autres, si vous êtes réprouvés, vous ces-
toutes les hérésies, puisqu'il y en a de si
serez d'obéir. Quoique tout cela soit vrai obscures qu'elles échappent aux plus
dans le fond et à le bien prendre , la ma- curieux; ni avoir expliqué tous les dog-
nière de le dire avec dureté et sans
ménagement, le rend insupportable. mes des hérétiques qu'il a nommés,
Il faut plutôt dire: La prédestination cer- puisqu'il y en a que plusieurs d'entre
eux ignorent. A ce premier livre, il pré-
taine vous a amenés de l'infidélité à la tendait en joindre un second, où il don-
foi , et vous y fera persévérer. Si vous nerait des règles pour connaître ce qui
êtes encore attachés à vos péchés , rece-
vez les instructions salutaires, sans les fait hérésies
l'hérétique connues et se garantir de toutes
et inconnues; mais
toutefois vous en élever ; car c'est Dieu la mort qui le prévint ne lui permit pas
(I) Le second livre a un titre particulier :
du Don de la Persévérance. (I) Traduction de Fleury.
44 L'UNIVERS.
d'exécuter cette seconde partie (1). » étendue, comment et par quelles cau-
l'invasion des vandales; mort ses les Vandales se précipitèrent sur l'A-
de saint augustin; souffrances frique (1). Genséric, appelé par le comte
de l'aerique chrétienne — En 426, Boniface, quitta l'Espagneet, passant la
saint Augustin avait désigné, avec l'as- mer,née aborda , aucôtes
mois dedela mai de l'an-
sentiment dupeuple d'Hippone, le prêtre 429, sur les Mauritanie.
Héraclius pour son successeur. Il lui D'abord il conquit et ravagea tout le
avait confié, en partie, l'administration pays compris entre l'Océan et l'Ampsaga.
de son Église et s'était ménagé ainsi Puis, quand Boniface, réconcilié avec
quelques instants de silence et de re- Placidie, rejeta l'alliance des barbares
cueillement. Mais il ne jouit pas long- pour redevenir le défenseur de l'empire,
tempsvasiondu calme qu'il avaitAfrique cherché. L'in- le chef vandale poussa vers l'est et se
des Vandalesen nedevait jeta sur la Numidie.
pas tarder à troubler sa retraite et à rem- Ala nouvelle des désastres qui étaient
plir avons
d'amertumedit ses derniersavecjours. venus fondre sur l'Afrique , saint Au-
Nous ailleurs, quelque
gustin dut se repentir amèrement d'a-
(I) Nous croyons devoir signaler ici à nos voir quelquefois, au moment des dis-
lecteurs l'article Saint Augustin publié dans cordes religieuses, appelé sur les en-
un recueil nouveau que nous avons déjà nemis de sa doctrine la rigueur des
cilé et qui a pour titre : Dictionnaire des
lois et la persécution. Lesdonatistes,
Sciences
la classilication philosophiques. suivante On: « yParmi
trouvelesd'abord
nom- en effet, poussés au déses poi r par les éd its
breux ouvrages de saint Augustin plusieurs
d'Honorius, n'avaient pas hésité à se le-
appartiennent plutôt à la philosophie qu'à la ver en masse pour prêter aide et appui,
théologie ; d'autres appartiennent à l'une et à en haine des catholiques , à la horde
l'autre; d'autres, enfin, sont purement théologi-
ques ;nous indiquerons ceux des deux premiè- barbare qui venait les attaquer l'empire.
res classes. Les écrits de saint Augustin à peu Les manichéens, pélagiens, les
rtrès exclusivement philosophiques sont : I* les ariens , qui eux aussi étaient proscrits
rois livres centre les Académiciens ; 2° le livre
de la fie heureuse , 3° les deux livres de l'Or- par les lois, avaient suivi l'exemple des
dre ; 4°' le livre de l'Immortalité de Came; donatistes.
5° de la Qualité de l'Ame; 6° ses quatorze pre-
mières Lettres. — Ses écrits mêlés de philoso- sans doute Alesceshommes, sectaires derniers
s'étaient joints
restes
phie et de théologie sont : 1° les Soliloques ; 2° le delarace punique, qui, en dépitdu temps,
livre du Ma itr<>;:i° les trois livresdw Libre arbi- du christianisme et de la législation
tre; 4° des Mœurs de l'Église ; 5° de la fraie
Religion ; 6° Réponses a quatre-vingt-trois ques- impériale,
au sein même n'avaient pascesséd'observer,
de Carthage, les pratiques
tions; 7UConférence contre Forlunat; 8° Trente-
trois Disputes contre Fauste et lesmanichéens;
9° traité de la Créance des choses que l'on ne
de la religion apportée jadis sur les cô-
conçoit pas; 10° les deux livres Contre le Men- tés de l'Afrique par les colons phéni-
songe; 11° Discours sur la Patience; 12° de la ciens. Voilà les puissants auxiliaires que
Cité de Dieu; 13° les Confessions; 14° Traité de
la. Nature contre les manichéens; 15° de la la persécution avait donnés à l'invasion
Trinité. » L'auteur de l'article résume ensuite barbare; et ils ne furent pas les seuls
les doctrines philosophiques contenues dans que rencontra l'armée vandale. Elle se
ces divers ouvrages. 11 divise son résumé en recruta encore au sein des populations
deux parties: d-'une part, les idées sur Dieu;
de l'autre, les idées sur l'homme. En un mot, il
expose, pour employer ses expressions, la
voisines du désert qui
moitié chrétiennes, n'étaient
parmi qu'à
les tribus
Thèodicèe et la Psychologie de saint Augustin.
Nous renvoyons sur ces points, étrangers à la
maures, et même dans les campagnes
question qui nous occupe , au recueil que nous et les villes romaines. Les uns, guidés
signalons. Toutefois, nous devons dire ici que
par l'appât du gain, accouraient dans le
l'auteur de l'article aurait pu trouver encore,
en ce qui concerne les doctrines philosophiques
camp de Genséric pour piller et ravager;
de saint Augustin , des renseignements précieux les autres, propriétairesruinés, voulaient
dans plusieurs ouvrages que nous avons cités, se dérober à la déplorable condition où
et qu'à tort, suivant nous, il exclut de sa liste.
Nous ajouterons , en finissant , que nous adop- lesdeavait
et rigueur,précipités, à force
la fiscalité d'exigences
romaine^
tons sans réserve son opinion sur la Cilé de
Dieu , vantée au delà de ce qu'elle contient ,
comme il le dit, par des écrivains qui n'en con- ([) Voyez dans ce volume notre Histoire de la
naissent que le titre ou qui n'en ont lu que de domination des fondâtes en Afrique , p. 8 et
courts fragments. Voy. Dictionnaire des Scien- suiv. C'est le complément indispensable, a par-
ces philosophiques , par une société de profes- tir de l'année 429, de notre Histoire de l'Afrique
chrétienne.
seurs de, philosophie; art. Saint Augustin.
45
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
Rien désormais ne pouvait résister, difficiles l'administration et la surveil-
en Afrique aux soldats de Genséric. Bo- lance ecclésiastiques. On la divisa donc,
niface- essaya en vain de les arrêter. Il comme nous l'avons dit, en deux parties,
fut battu et rejeté dans Hippone. Là se et ce fut vers la fin du quatrième siè-
trouvait saint Augustin, qui entendit cle distinctes,
que l'on vitlaparaître comme provin-
bientôt retentir à ses oreilles les cris de ces Mauritanie césarienne
l'armée barbare. Les maux que souf- et la Mauritanie sitifienne. Peut-être
fraient alors l'empire et l'Église lui cau- y eut-il, vers cette époque, un autre
sèrent une immense douleur, qui sans démembrement, à la suite duquel on
doute hâta sa mort. Au moment où il forma une septième province de la
ferma les yeux, il ne restait plus, dit Mauritanie tingitane. Un métropoli-
un contemporain, des innombrables tain était préposé à chacune des cir-
églises qui couvraient autrefois le pays conscriptions territoriales que nous
que avons indiquées; le premier de ces mé-
Cirta.celles de Carthage, d'Hippone et de
tropolitains était l'évéque de Carthage.
ORGANISATION DE L'ÉGLISE d'a- Avant l'arrivée des Vandaleson voyait
FRIQUE DEPUIS LA FIN DU DEUXIÈME dans les villes et les campagnes de
SIÈCLE JUSQU'AU COMMENCEMENT DU l'Afrique des églises et des .couvents
cinquième. — L'Afrique chrétienne sans nombre. Carthage seule possédait
près de vingt édifices de ce genre (1).
et civilisée,
écrivain suivant l'expression
ecclésiastique d'un
, sembla mourir LISTE DES ÉVÈCHÉS DE L'AFRI-
avec saint Augustin. En effet, depuis QUE, AUX IVe ET Ve SIÈCLES. — Mais
les rapides conquêtes de Genséric, elle rien ne saurait nous représent r avec
ne fit que languir et décliner. Mais avant plus de vérité et d'une manière plus
d'entrer dans cette périodededécadence, frappante l'état florissant de l'Église
portons encore une fois nos regards d'Afrique, dans le quatrième siècle et
au commencement du cinquième, que
vers le passé, pour étudier l'organisation la simple nomenclature des évêchés
de l'Église d'Afrique au temps de sa qui étaient constitués , à cette époque,
force et de sa grandeur.
Carthage, nous l'avons dit , fut pour dans les diverses provinces que nous
avons énumérées. Nous donnerons ici
l'Afrique le point de départ des pré-
dications chrétiennes. De Carthage le cette nomenclature d'après le savant
christianisme se répandit de proche en ouvrage de Morcelli (2). La liste sèche
proche jusqu'aux extrémités de la Pro- (l) Voici , d'après Morcelli , l'énumération des
consulaire. Puis, il entreprit la con- basiliques de Carthage : Basilica Perpetua-
quête de la Numidie. Dans les premiers Restituta ( c'était la cathédrale'); Fausti basi-
lica Sancli
; Agilei basilica ; basilica Major a ut
Majorum; basilica martyrum Scillitanorum ;
temps de l'épiscopat de saint Cyprien, basilica Celcrinœ martyris ; basilica Novarum;
l'Église d'Afrique ne possédait que les basilica Gratiani ; basilica Theodosiana; ba-
deux provinces que nous venons d'in- silica Honoriana; basilica Theoprepria; ba-
diquer. Elle en eut bientôt une troi- silica Tricellarum ; basilica Pc tri ; basilica
sième, qui fut la Mauritanie. Les idées Pauli; basilica martyris J uliani. En outre, deux
églises avaient été bâties, dans les faubourgs,
chrétiennes ne s'étaient pas seulement en l'honneur de saint Cyprien; l'une sur le lieu
répandues à l'occident de la Proconsu- de son supplice; l'autre dans la rue des Mappa-
laire, mais encore à l'orient. Elles les. à l'endroit où il avait été enseveli. Apres la
chute de la domination vandale, Justinien lit éle-
avaient pénétré dans la Byzacène et la
ver àCarthage deux nouvelles églises , l'une à la
Tripolitaine, qui formèrent, dès le com- Vierge, l'autre àsainte Prime. Il ajouta aussi un
mencement du quatrième siècle, deux couvent à ceux qui se trouvaient déjà dans la ville
nouvelles provinces ecclésiastiques. il le lit bâtir près du Mandracium. Voy. Mor-
Aux cinq que nous avons nommées, il celli Jfric.
( christ. ); t. I. p. 49. — M. Dureau
de la Malle, dans ses Recherches sur la topo-
faut joindre une sixième qui fut formée graphie de Carthage ( p. 214 et suiv. ), ajoute
un nom à ceux qui nous ont été fournis par
plus tard d'un démembrement (te la Morcelli. Il appelle basilique de Terlullien celle
Mauritanie. Réduire en une seule pro- où se réunissaient les tertullianistes au temps
de saint Augustin.
vince la vaste contrée qui s'étend de
( 2) Afrlc. christ.; t. I , p. 34 sqq. Morcelli a
l'Océan à l'Ampsaga , à une époque où retranché de sa liste soixante évècliés environ ,
le christianisme l'avait couverte d'é- parce qu'il ne pouvait, comme il le dit (ibid.,
vêchés et d'églises, c'eût été rendre bien p. 43 ), en assigner la véritable position.
46 L'UNIVERS.
Cibalianensis.
et aride qui va suivre ne sera point Cicsitana.
sans intérêt, nous le croyons, pour Cilibiensis.
tous ceux qui applaudissent aux efforts Cincaritana.
Ciumtuturbi.
que nous faisons depuis treize ans pour
reporter sur la côte septentrionale de Cubdensis.
Clypiensis.
Culcitanensis , quae et Culsitana et Culusitana.
l'Afrique le christianisme et la civili- Curbitana, quae et Curubitana.
sation, et qui se plaisent à chercher, si Drusilianensis.
nous pouvons nous exprimer ainsi, Duassenemsalitana.
des espérances et comme un gage Egugensis.
Furnitana.
pour l'avenir, dans tous les faits qui Giggensis, quae et Ziggensis.
attestent
belle contrée. l'ancienne splendeur de cette Girbensis, quae et Gerbensis et Gervitana,
Gisipensis, quae et Gisipensium majoruin.
Giutrambacariensis.
Nous avons fait subir à la liste de Morcelli Gorensis.
quelques changements. Tous les noms mar- Gunelensis quae et Gunelmensis.
Hillensis.
qués d'un astérisque ont été motlUiés, déplacés
ou ajoutés. Ces corrections ne nous appartien- Hipponis Diarrbyti, quae et Hipponensium
nent point. Elles avaient été faites, par un sa- Zaritorum et Hipzaritensis.
vant membre de l'Académie des Inscriptions , Honoriopolitana.
sur Horreensis.
nous l'exemplaire
avons eu entre de les
VJfrica
mains. cliristiana que Labdensis , quae et Lapdensis.
Lacubazensis.
ECCLESLE PROVINCIJS PROCONSULARIS.
Larensis sive Larium.
Libertinensis.
Abaritana. * Lupcrcianensis.
Abbenzensis. Maltianensis.
Abbir majoris. Maxulitana.
Abbir Germaniciatue , quae et Abbiritina. Meglapolitana.
Abitinensis. Melzitana, quœ et Melsilana.
Aborensis. Memblositana.
Absasallensis. Membresitana , quae et Membressitana et Mem-
brosilana.
Abtugnensis , quae et Autumnitana et Aptun-
giensis. Migirpensis.
Missuensis.
Abziritensis , quae et Abderitana.
Advocatensis. Mizigitana.
Agensis. Mullitana.
Musertitana.
Altiburiensis, quae et* Altîbariensis. * Mustitana.
Amaderensis , quae et Ammederensis.
Aptucensis. Muzuensis.
Araditana. Naraggaritana, quae et Nagargaritana.
Arensis. Neapolitana.
Assuritana. Nigrensium majoruin
Ausafensis. Numnulitana.
Ausanensis. Ofitana.
Auzuagen sis, quae et Ausuagensis gemina. *Pappianensis
Pariensis. , quae et Pupianensis.
* Basarididacensis.
Belalitensis. Pertusensis.
Bencennensis. Pisitt-nsis.
Beneventensis. * Pocofeltensis.
* Betagbarensis. Pupitana, quae et Puppdana.
Biltensis. Rucumensis , quae et Rucummae et Racumae.
Binensis. Rusucensis.
Bollitana. Sajensis.
Bonustensis. Scilitana.
Bosetensis. Sebargensis.
Bullamensis. Sedelensis.
Bullensis/Vullensis. Seminensis.
Bulleriensis. Senempsalensis.
* Serrensis.
Bu!nensis
Buritana. Siccenensis.
Buslacena. Siccensis.
Buzencis, Sicilibbensis, quae et Sicilippœ et Siciliae.
Csecirilana. Simidicensis.
Calibiensis. Siminensis, quae et Simminiensis.
Canapitanorum. Simingitana.
Carpitana. Simittensis, quae et Semitensis.
Cartbaginiensis. Sinnarensis ,qua? et Sinuarilensis.
Cefalensis. Succubensis.
Celerinensis. Suensis.
Cellensis. Taborensis.
Cerbalitana. Tabucensis.
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
47
Taciae IVfontanensis , quae et Tatlae Mont, et Ta- Casarum Nigrensium.
canensis. Casarum silvanae.
Tadduensis. Casasmedianensis.
Tagaratensis. Casensis Bastalensis.
Tagorensis. Casensis * Calanensis.
Taiborensis. Castellana.
Tauracinae. Castelli Sinitensis.
Telensis. Castelli Titulitani.
Yheudalensis, quae et Theodaleosis et Euda- Caslrornm Galbae.
lensis. Cataquensis.
Thinisae, quae et Tinnisensis. Cemeiiniana.
Thuccaboris, quae et Tuccaborensis. Centenariensis.
T;bursicensis Burae. Cenluriensis.
7'igimmensis. Centurionensis, quae et Centurianensis.
Timedensis , quae et Timidae Regiae. Ceramussensis.
Circensis.
'1 tsililensis , quae et Tisilensis.
1 "itulitana. Cirtensis, quae et Constantiniensis.
Cuiculitana.
'tVmnonensis,
Trisipellis. quae et Tennonensis. Cullitana.
Irisipensis. Dianensis.
Tuburbilanorum majorum. Edistianensis
Tuburbitanorum rainorum. Enerensis.
Tuburnicensis. Fatensis.
Tuccae, quae et Togise. Fesse itana.
Tulanensis. Fissanensis.
Tunejensis, quae et Tuniensis. Formensis ad Idicram.
Turuzitensis. Formensis Missoris.
Tyzicensis. Fossalensis , quae et Fussalensis.
Vallitana. Garbensis.
Vaziensis, quae et Vazuensis Gaudiabensis.
Verensis. Gaurianensis.
Vicoturrensis. Gazaufalae.
Villa magnensis. Gemellensis.
Visicensis. Gerraaniensis.
Ucitana. Gibbensis.
Uculensîs. Gilbensis.
Urcitana, quae et Uracitana et Uricitana. Girensis.
Uticensis. Girumarcelli.
Utimmirensis. Girutarasi.
Ulinensis, quae et* Utlnicensis. Hipponeregiensis, quae et Hipponenslum Re-
Utzipparitana, quae et Lzipparilana.
Uzalensis, quat et Uzialensis. Hizirzadensis,quae
giorum. et Izirianensls.
Zarnensis.
Hospilensis.
Zemtensis, quae et Zentensis. Jaclerensis , quae et Zaltarensis..
Zurensis. Idassensis.
ECCLESLE PROVINCUE MUMIDl^.
ïdicrensis.
Jucundianensis.
Ajurensis, quae el Azurensis. Lamasuensis , quae et Lamasbae.
Amporensis. Lambesensis.
Anguiensis. Larnbiritana.
Appissanensis. Lauifuensis , quae et Larapuensis et Jamfuensis.
Aquae Nobensis. Lamiggigen.sis gemina.
Aquarura Tibilitanarum. Lamsortensis.
Aquensis. Lamzellensis.
Arsicaritana. Larilanus.
Assabensis. Legensis.
Augurensis. Legiensis.
Ausucurrensis. Legisvoluminiensis.
Babrensis. Liberaliensis.
Badiensis. Limatensis.
Bagajensis. Lugurensis.
Bajanensis quae et Vajanensis. Macomadiensis, quae et Macomaziensis.
Bajesitana. Madaurensis.
Bamaccorensis , quae et Vamaccorensis Madensis.
Bazarilana, quae et Vazarilana. Magarmelitana.
Belesasensis. Manazenensium Regiorum.
Bercerifana , quae et Becerritana. Masculitana.
Bofetana. Matharensis.
Bucconiensis Maximianensis, quae et Maximinensis.
Buffadensis. , quae et * Bocconiensis Mazacensis.
Bullensium Regiorum. Megarmitana.
Burcensis, quae et Burgensis. Mesarfeltensis.
Gelianensis. Metensis.
Gesariensis. Midilensis.
Calamensis. Milei, quae et Milevitana.
4B L'UNIVERS.
Monterais, qua? cl Montena. ECCLKSMB PROVINCE BYZACENtë.
Moxoritana. Abaradircnsis.
Muliensis. Abiddensis.
Municipensis. Abissensis.
Mustitana. Acolitana.
Mutugensis. Adrumelina.
Naralcatensis , qua? et Naraccatensis. Afufeniensis.
Nibensis.
Nicibensis. Aggaritana.
Nobabarbarensis , qua? et Novabarbarensis. Aggeritana.
Amudarsensis.
Nobagermaniensis. Ancusensis.
Nobasparsensis , quai et Nobaspartensis. Aqua? Albensis.
Albensis.
Nobasinensis , qua? et Novasinensis.
Novapelrensis. Aquensis.
Octabensis. Aquensium Regiorum.
Pudentianensis.
Putiensis. Aquiabensis.
Arensis.
* Regiariensis. Arsuritana.
Respectensis. Autentensis, qua? et Auteniensis.
Ressianensis. Auzagerensis, qua? et Auzegerensis
Rotariensis. Bancnsis.
Rusiccadiensis. Bennefensis.
Rusticianensis. Bladiensis.
Selemselitana, qua? et Silemsilensis.
Seleucianensis. Rufelialensis', qua? et Bubelialensis.
Siguitensis, qua? et Stiggitana. Byzaciensis.
Câbarsussitana.
Silensis. Capsensis, qua? et Capsitana.
Sillitanus. Carcabianensis.
Sistronianensis. Carianensis sive Casularum Carianensium.
Suavensis. Cellensis.
Summensis, qua? et Zuramensis Cenculianensis.
Susicaziensis. Cenensis.
Tabracensis. Cilitana,qua? et Cillitana.
Tabudensis. Circitana.
Tacaratensis.
Crepedulensis.
Tagastensis. Cufrutensis.
Tagorensis. Cululitana.
Tamogadensis, qua? et Tamogaziensis. Detorianensis, qua? et Decorianensis.
Tarasensis, qua? etTharasensis. Dicensis.
Tebestina, qua? et Tevestina et Thebestis. Dionysianensis.
Teglatensis, quœ et Tegulatensii». Durensis.
* Thiabensis. Eliensis.
Tbibilitana. Febianensis.
Til)ursicensis, qua? et Tubusicensis. Feradimajensis, qua? et Feradilana major.
Tididitana, qua.' et Tiseditana. Feraditana minor.
Tigillabensis. Filacensis.
Tigisitana. Forontonianensis, qua? et Ferontonianensis.
Tignicensis.
Tipasensis. Forlianensis,
nensis. qua? et Forianensis et Foratia-
Tubuniensis.
Frontonianensis , qua? et Frotonianensis.
Tuccse, qua? et Tugga? et Tuncensis. Gaguaritana
Tunudensis. Garrianensis. , qua? et Gauvarilana.
Turrensis.
Turrisrotunda?. Gattianensis , qua? et Galianensis.
Germanicianensis.
Turrium Ammeniarum. Gummitana.
Turrium Concordiie.
Tuzudrumes. Curgaitensis,
Hermianensis. qua? et a Gurgiubus.
Vadensis.
Hierpinianensis, qua? et Hirpinianensis.
Vageatensis. Hirenensis, qua? et Hirinensis et Irensis.
Vagensis. Horrea? Aninicensis.
* Vagraulensis. Horrea? Cœliensis.
Vegeselitana, qua? et Veselitana. Jubaltianensis.
Velesitana.
Juncensis.
"Vensanensis. Leptinoinensis , qua? et Leplitana.
Vicopacatensis , quœ et Vicopacensis. Limmicensis.
"Villamagnensis. Macomadiensis Rusticiana.
Villaregiensis. Macrianenhis major.
Villavictorianensis. Mactaritana.
Ullilana. Mandasumitana, qua? et Madassumilana.
Urugitana. Maraguiensis.
Utmensis. Marazanensis.
Zabensis. Masclianensis.
Zamensis. Mataritana.
Zaradtensis, qua? et Zaraitensis, Marterianensis.
Zertensis. Maximiensis, qua? et Massimanensia.
49
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
Medefessitana, qu& el Menefessitana. Zellensis.
Meaianensis.
Mibiarcensis. ECCLESLE PROVINCIiE MAURETANI/E C/ESA»
ÏUENSIS ET TINGITANjE.
Midicensis.
Miditana, quae et Mididitana. Adqucsirensis.
Mimianensis. Adsinuadensis.
Mozotcoritana.
Munatianensis. Agrensis.
Alamiliarensis.
Muzucensis, quae et Muzulensis. Albulensis.
Narensis. Altabensis.
Nalionensis. Amaurensis.
Neptitana , quae et Neptensis. Ambiensis.
Octabensis.
Ocîabiensis. Aquensis.
Aquisirensis-
Arenensis.
Oppennensis, quae et Opemiensis.
Peaerodiadensis. Arsinuaritana.
Peradamiensis. Bacanariensis.
Praecausensis. Balianensis.
Praesidiensis.
Putiensis. Baparensis.
Benepotensis.
Quaestorianensis. Bidensis.
Rulinianensis.
Bitensis.
Ruspensis , quae et Rusfensis et Ruft'nsis. Boncariensis
Ruspitensis. Bulturiensis. , quae et "Voncariensis.
Sasuritana. Buronilana.
Scebatianensis. Buruc
Seberianensis. Caesariensis.
Segermitana. Caltadriensis.
Septimunicensis. Caprensis.
Sublectina.
Sufetana , quae et Sufium. Caputcillensis.
Cartennitana.
Sufetulensis , quae et Suliculensis. Castellana.
Sulianensis. Castelli labaritani.
Tabaltensis, quae et Tasbaltensis. Castelli Mediani.
Tagamutensis , quae et Tliagamutensis. Castelli Minoritani.
Tagarbalensis , quae et Targabolensis. Castelli Ripensis.
Tagariatana. Castelli Tatroportensis.
Tagasensis. Castrorura Nobensium.
Talaptensis , quae et Talaplulensis. Castrorum Seberianensium.
Tamallensis. Catabitana.
Tamallumensis. Catrensis.
Tamateni. Catulensis.
Tambajensis , quae et Tambeitana. Cessitana, quae et Cissitana.
Taprurensis. * Columpnatensis.
Tapsitana. Corniculanensis.
Taraquensis, quae et Tarazensis. Elfantariensis , quae el Elephantariensis.
Teleptensis. Fallabensis.
Temonianensis, quae et Temoniarensis. Fenucletensis.
Tetcilana. Fidolomensis.
Thenitana, quae et Thenisiorum. Florianensis.
Theuzitana. Flumenzeritana.
Tbibaris , quce et Tibaritana . Frontensis.
Ticensis. Girumontensis.
Ticualtensis. Gratianopolitana, quae et Cralinopolitana.
Tigualensis. Gunugitana.
Tiziensis.
Trotinianensis. Gypsariensis.
Icositana.
Tubulbacensis. Idensis.
Turditana, quae et Tusdritana. Itensis
Turreblandina. Jommitensis.
Turrensis. Juncensis.
Turretamallumensis, quaeetTurriumTamulus. Lapidiensis.
Tuzuritana, quae et Tuziritana. Majucensis.
Vadenlinianensis, quae et Valentinianensis. Malianensis, quae et Milianensls.
Vagensis. Mammillensis.
Vararitana. Manaccenseritana.
Vassinassensis. Masuccabensis.
Vegeselitana, quae et Vegeiselitana. Maturbensis.
Vicensis. Maurensis.
Vicoateriensis. Maurianensis.
Victorianensis. Maxitensis.
"Vitensis. Medlensis.
Uniricopolitana, quae et Unorecopolitana. Minensis, quae etMinnensis et Minuensis.
Unizibiretrsis , quae et Uniziverensis. Murconensis vel Nurconensis.
Usuleusis , quae et Usilabensis. Murustagensis.
AFR. CHRÉT. 4
50 L'UNIVERS.
Mulecitana. Ficensis.
Nabaiensis.
Flumenpiscensis.
Nasbincensis , quae et Narbincensis. Gecitana.
Nobae, quae et Novensis gemina. Horrensis.
Nobicensis. Ieralitana.
Nuroidiensis. Igilgitana, quae et Igillitana.
Obbensis. Lemelefensis.
Oboritaaa gemina. Lemfoctensis
Lesvitana. , quae et Lamfoctensis.
Oppidonebensis.
Oppinensis. Macrensis.
Pamariensis. Macrianensis.
Panatoriensis. Maronanensis , quae et Maronensis.
Priscianensis, quse et Prisianensis. Maxitensis.
Quidiensis. Medianorum Zabuniorum.
Regiensis. Molicunzensis , quae et Molicuntensis.
Reperitana. Moptensis , quae et Moctensis et Mozotensis.
Rubicariensis. Nobalicianeosis.
Rusaditanus. Olivensis.
Partheniensis.
Rusgoniensis, quae'et Rusguniensis.
Rusubiccariensis. Perdicensis.
Rusubiritana. Privatensis.
Rusuccurrensis , quae et Rusuccuritana. ; Salditana.
Satafensis. Satafensis.
Sereddelitana. Serteitana.
Sertensis. Sitifensis.
Sestensis. Sociensis.
Sfasferiensis. Suristensis.
Siccesitana. Tamagristensis.
Sinnipsensis. Tamalluraensis.
Sitensis. Tamascaniensis.
Subbaritana, quae et Subaritana. Thuccensis.
Sucardensis. Tubiensis.
Sufasaritana, quae et Sufaritaoa. Tugusubditana, quae et Tubusubditana.
Sululitana. Vamallensis.
Summulensis. Vesceritana.
Tabadcarensis , quae et Tabarcarensis.. Zabensis. — Zallatensis.
Tablensis. ECCLESI^E PROVINCIiETRIPOLITANyE-
Taborenlensis.
Tabuniensis. Girbensis , quae et Girbitana et Gerbitana.
Gittensis.
Tadamatensis , quae et Tadamensis. Leptimaguensis.
Tamadensis , quae et Tanudajensis. Keapolitana.
Tamazucensis , quae et Tamazensis. Oensis.
Tasaccurrensis. Sabratensis.
Ternamunensis, quae et Ternamusensis. Tacapitaua.
Tiiiltensis.
Tigabitana. Telle était l'étendue et la force de
Tigamibenensis.
Tigisitana. l'Église d'Afrique lorsque les Vandales
Timicitana. parurent, en 429, sur les côtes de la
Tiinidanensis , quae et Timidianensis. Mauritanie.
Tingartensis.
Tipasitana. l'ARIANISME EN AFRIQUE ; RÈGNE
Tubunensis. de GENSÉRic. — La marche de Gen-
*Tuscamiensis.
Vagalitana. séric en Afrique , comme nous l'avons
Vannidensis.
Vardimissensis. dit, fut marquée pardud'effroyables
vastations. La soif butin ou de dé-la
Ubabensis. vengeance, les passions religieuses qui
Villanobensis-
Vissalsensis. animaient les Vandales et leurs alliés,
Voncarianensis. couvrirent de sang et de ruines, en
Usinadensis.
Zucabiaritana , quœfetZugabbaritana. moins d'un an, les trois Mauritanies et
ECCLESI^E PROVlNGI£! MAURETANLE SITIFENSIS.
une grande partie de la Numidie. Les
églises tombèrent; les évêques et les
Acutidensis.
Aquae.Albensis.
prêtres furent massacrés ou obligés de
Assafensis. chercher un asile sur les terres encore
Assuoremixtensis. soumises à la domination romaine (1).
Castellana.
Cedamusensis. La furie de l'invasion qui atteignit
Cellensis.
Coviensis. (I) Nous n'avons pas besoin de dire, que
Emioentianensis. pour le récit qui va suivre, nous n'avons
jamais cessé d'avoir sous les yeux ce que Rui-
Equizotensis , quœ et Equizetana. nart a écrit sur la persécution vandale.
AFRIQUE CHRETIENNE. 51
surtout la population catholique ne fut force aux haines religieuses qui ani-
point de courte durée. Elle ne perdit maient les Vandales et attira sur les
rien de sa force pendant dix ans. En Mauritanies et la Numidie les affreux
439, le premier soin de Genséric, maî- ravages dont nous avous déjà parlé.
tre de Carthage, fut de persécuter les Ce ne fut pas seulement au moment
catholiques et de dépouiller les églises des expéditions, dans les instants de péril
de la ville de leurs vases sacrés et de etdeguerre,maisencorependantlapaix,
leurs riches ornements. Toutefois, ce que l'esprit de secte poussa à la persécu-
fut au moment même où Carthage tion et à la cruauté les conquérants bar-
tomba au pouvoir des Vandales que bares. Ainsi, dans les années qui séparent
cessèrent , au moins en partie , les vio- la prise d'Hippone de celle de Carthage ,
lences et les immenses désordres qui en 437 , à une époque où il v avait trêve
avaient désolé, depuis 429, l'Afrique entre l'empire et les Vandales, Genséric
chrétienne et civilisée. Dès lors, en effet, traita les catholiques, dans les provinces
Genséric contint ses soldats pour ne soumises à sa domination, avec une
point épuiser le pays où, après avoir excessive rigueur. Il ne se borna pas à
anéanti toute résistance , il avait résolu chasser de leurs églises les évêques et
de se fixer. les prêtres ; il sévit même contre les
L'intérêt donc et le changement qui laïques, et il en fit mourir plusieurs qui
se fit, de 439 à 442, dans l'état social n'avaient pas voulu embrasser l'aria-
des Vandales empêchèrent le pillage, nisme. Plus tard ( il était déjà maître de
le meurtre et la dévastation ; mais ils ne
mirent point un terme à la persécution Carthage),
que Quodvultdeus on saisit etparun son ordrenombre
grand l'évê-
contre les catholiques. Deux choses
principalement devaient , en quelque de clercs
leurs vêtements; on les, dépouilla
puis on lesd'abord de
plaça sur
sorte, perpétuer en Afrique cette per- des vaisseaux à moitié brisés qui furent
sécution. C'était , d'une part, l'esprit lancés à la mer et abandonnés à la fu-
de secte qui animait les conquérants reur des vents (1).
barbares; de l'autre, l'état de guerre Une chose encore, dès les premiers
dans lequel la nation vandale, sous temps de la conquête , aggrava les souf-
Genséric, fut obligée de se maintenir frances des catholiques , ce fut la crainte
pour résister aux attaques de l'empire. qu'ils inspirèrent à Genséric. Le roi
Les Vandales, suivant certains his- barbare n'ignorait pas qu'ils désiraient
toriens, avaient adopté l'arianisme ardemment le rétablissement de l'au-
pendant leur séjour en Espagne; sui- torité impériale; que leurs regards
vant d'autres (et nous partageons l'o- étaient sans cesse tournés vers l'Italit
pinion de ces derniers) , ils avaient été
ou vers Byzance; qu'ils le haïssaiene
gagnés à l'hérésie, avant la grande in- comme prêts arien et comme barbare, et qu'ils
vasion de 406 , à l'époque où ils cam- étaient à soutenir toute armée qui
paient sur les frontières de l'empire viendrait sur les côtes de l'Afrique
d'Orient, dans les provinces qui avoi- pour les rattacher à l'un des deux em-
sinent le Danube. Dès l'instant où ils pires. Illes persécuta donc aussi pour
parurent en Afrique, ils ne se déclarè- des raisons politiques, parce qu'ils se
rent point seulement ennemis de l'em- déliaient d'eux; et sa sévérité à leur
pire ,mais encore ennemis des catholi- égard, il faut le croire, augmenta toutes
ques et, par là, ils doublèrent leurs les fois qu'une expédition fut dirigée
forces et assurèrent le succès de leur
par lesconquises.
avait Romains vers les provinces qu'il
audacieuse entreprise. Us virent ac-
courir dans leurs rangs, nous l'avons
dit aussi, tous ceux qui avaient souffert (i ) L'évêque de Carthage Quodvultdeus et ses
pour leurs croyances sous le règne compagnons échappèrent à la mort. Ils furent
poussés par le vent sur la côte de Naples. Gen-
d'Honorius ; les donatistes surtout, qui, sericus, Quodvultdeum et maximum turbam
pour se venger de leurs persécuteurs , clericorum, navibus fractis impositos , nudos
atque expoliatos expelli prœcepit : quos Deusf
n'hésitèrent fpoint sans doute à passer miseratione bonitaiissuœ, prospéra navigatione
en grand nombre du schisme à l'héré- Neapolim Campaniœ perducere dignatus est
sie. Cette alliance donna une nouvelle civilatem. Victor de Vita : 1 , 5.
h% L'UNIVERS*
Toutefois, il semble que, vers la fin mort. Cet édit reproduisait, dans leurs
de sa vie, Genséric se soit relâché de sa principales dispositions, toutes les lois
rigueur. C'est qu'alors nul ennemi ne promulguées jadis par Honorius contre
lui. faisait ombrage. Il avait conduit à le schisme ou l'hérésie.
sa chute l'empire d'Occident, ruiné la L'édit de Hunéric ne contenait point
marine des Byzantins, et il dominait, par de vaines menaces ; il fut bientôt exé-
ses flottes, sur toute la Méditerranée. cuté avec rigueur dans toutes les par-
Rien ne lui résistait en Afrique. En 476, ties de l'empire vandale , et alors com-
sur la prière de l'empereur Zenon, il mença une persécution qui fut marquée
permit aux catholiques de rouvrir leurs par des supplices et de sanglantes exé-
églises et il On (rappela les évêques cutions. Ce fut d'abord sur les évêques
avait exilés. pourrait induire dequ'il
ce qui s'étaient rendus à la conférence de
fait, qu'en général, il les persécuta , non ne se borna Carthage que tomba la colère du roi. Il
comme dissidents religieux, en haine point à les dépouiller de
de leurs croyances , mais comme enne- leurs églises; il les fit tous arrêter : puis,
mis de sa domination (1). il condamna les uns à cultiver la terre ,
ÉDIT DE 484 CONTRE LES CATHOLI- comme esclaves, les autres à couper
QUES ;état de l'église d'Afrique
SOUS LES ROIS HUNÉRIC, GUNTHAMUND
et à préparer , dans l'île de Corse , les
bois qui devaient servir 5 la construc-
et thrasamund. - Hunéric,filset suc- tion de ses vaisseaux (1).
cesseur deGenséric , ne persécuta point Sous le règne de Gunthamund , les
les catholiques dans les premières années catholiques jouirent de quelques ins,
de son règne. 11 ne fut cruel alors que tants de repos. Alors les évêques exilé-
pour les membres de sa propre famille revinrent de toutes parts et, parmi euxs
et pour les hommes les plus illustres de Eugène, qui, en 487, reprit possession du
la nation vandale. Ce fut seulement en siège épiscopal de Carthage (2). Mais ce
483
tourna , qu'entraîné
ses fureurs par l'esprit
contre de secte, il repos
les catholiques.
ne devait pas être de longue durée.
Thrasamund, qui devint roi en 496,
Il voulut les contraindre à embrasser persécuta de nouveau les catholiques.
l'arianisme. Ceux qui résistèrent furent C'était un homme lettré, d'un esprit sub-
dépouillés de leurs biens et exilés. Les til ,qui aimait la controverse et se plai-
prêtres surtout eurent à souffrir du zèle sait aux discussions théologiques. Il
intolérant de Hunéric; ils furent dépor- traita les ennemis de sa croyance à la
tés par milliers, sans défense et sans manière de Julien. Il les attaqua parles
ressources , dans les déserts de l'Afri- railleries, le mépris et l'outrage. Cepen-
q.ue. dant, il ne put toujours soutenir son
Pour se donner sans doute un pré- rôle; plus d'une fois, renonçant à feindre
texte de sévir, le roi convoqua un grand la modération et la tolérance, il laissa
concile à Carthage. Ariens et catholi- librement éclater sa haine contre ceux
ques se réunirent dans cette ville en 484 ; qui ne partageaient point ses opinions
mais à la suite de désordres provoqués
religieuses. Ce fut ainsi qu'il força Eu-
f>eut-être par Hunéric lui-même et par gène àquitter encore son siège épisco-
es évêques qui l'environnaient, les con- pal et à s'exiler de Carthage , et que ,
férences furent interrompues. La sen- dans l'année 507, il fit déporter en
tence de condamnation avait été prépa- Sardaigne les évêques de la Byzacène.
rée à l'avance. Le roi, accusant les L'Église d'Afrique ne souffrait pas
catholiques d'avoir mis obstacle à kla seulement alors de l'intolérance des rois
discussion, publia un édit qui les pri- vandales , elle était encore attaquée et
vait de leurs églises et prononçait, con- affaiblie parles tribus du désert. Celles-
tre eux les
à savoir : leschâtiments plus'sévères,, ci , profitant
amendes, leslesconfiscations
de la faiblesse des succes-
seurs de Censéric , avaient recommencé
les peines corporelles, l'exil, et même la (1) Nous avons déjà donné, dans ce volume,
l'édit de 484, et raconté, avec quelque éten-
(I) Voy. sur l'état de l'Église d'Afrique, au Histoiredue, la persécution qui le suivit.
de la domination Voy. notre
des Vandales en
temps de Genséric , notre Histoire de la domi-
nation des Vandales en Afrique , p. 10 et suiv.; Afrique, p. 33 et suiv.
26 et suiv. (2) Morcelli ( Afric. christ. )\ t. I, p. 55.
53
AFRIQUE CHRÉTIENNE.
la guerre contre la civilisation. Elles s'é- frique au nom de l'empereur. Les ra-
taient jetées sur l'empire vandale et elles pides et brillants succès du général
avaient rapporté le paganisme dans les byzantin donnèrent enfin la victoire et
contrées
la. tolérance qu'elles avaient du roienvahies.
hildéric la nouvelle
paix à l'Égliseréaction;
catholique. édit de
amène une revolution; gelimer; justinien; rapports avec l'église
l'église catholique triomphe par de rome; concile; état de l'église
bélisaibe. — Thrasamund mourut en d'afrique sous la domination
523. Il laissait le trône à Hildéric , qui byzantine. — Une ancienne tradition
avait longtemps vécu à Constantinople racontée par Procope (1) nous montre
et qui était peut-être catholique. A l'a- que les catholiques, depuis le règne de
vénement de ce prince , la persécution Genséric jusqu aux victoires des soldats
cessa. Tous les exilés pour cause de de Justinien, n'avaient point cessé de
religion furent rappelés. Les supplices conspirer , au moins en pensée, contre
ou l'exil avaient fait de grands vides dans les conquérants barbares. En 533 , ils
l'épiscopat, Hildéric ne s'opposa point , accueillirent Bélisaire comme un libéra-
comme son prédécesseur, à ce qu'ils teur. Ilest vraisemblable que dès l'ins-
fussent remplis. Dans toutes les provin- tant où le représentant de Justinien
ces, les catholiques furent remis en pos- parut sur
session des églises qui leur avaient été dèrent de les
leurscotes de l'Afrique,
conseils ils l'ai-
et de leurs se-
enlevées. Hsjouirent dès lors d'une telle crets avis. D'ailleurs , en ne résistant
liberté que leurs évêques n'hésitèrent point à l'armée impériale , en lui lais-
point à se rassembler, à Carthage même , sant libre passage dans toutes les villes,
pour délibérer publiquement sur les be-
depuis Syllectum jusqu'à Carthage , ils
soins de l'Église. Ce fut là, en effet, contribuèrent, autant qu'ils le pouvaient
sous les yeux du roi, qu'ils tinrent, en alors, à la chute de la domination van-
524 ou 525, un concile présidé par le dale.
primat Une nouvelle réaction religieuse sui-
Mais deles l'Afrique, hommes de Boniface (1).
race vandale et vit de près la victoire de Bélisaire. Les
même les Romains qui avaient embrassé catholiques s'empressèrent de profiter
l'arianisme blâmaient la tolérance et la de la défiance que les hérésiarques et
modération de Hildéric. Ils n'avaient les schismatiques inspiraient à la cour
point cessé , avec raison, de considérer de Byzance pour se venger de tous les
les catholiques comme de mortels en- maux qu'ils avaient soufferts. Ils s'a-
nemis. Ils les accusaient de chercher,
dres èrentJustinien.
à C'était princi-
par leurs relations secrètes avec l'em- palement l'hérésie qui avait donné force
pire, lerenversement de la domination et durée à l'empire vandale. C'était
vandale. A la fin, Hildéric lui-même, elle aussi qui , peu d'années aupara-
qui entretenait avec la cour de Constanti- vant, avait précipité du trône Hildéric,
nople de fréquents rapports, et qui avait le protecteur des orthodoxes etj'ami des
eu l'imprudence de placer sur ses mon- Byzantins. Justinien ne l'ignorait pas ,
naies l'effigie de Justinien, fut soup- et , par politique autant que par zèle reli-
çonné de partager, contre sa nation et sa gieux, ilprit, contre les ariens, les do-
propre famille, les haines des catholi- natistes et les autres dissidents, de sé-
ques. Une révolte éclata; Hildéric fut vères mesures. Par un édit de 435, il
renversé du trône et Gélimer le rem- les écarta des fonctions publiques , les
plaç . ' dépouilla de leurs biens, leur enleva
Cette réaction de l'arianisme ne fut leurs églises, et leur défendit d'élire des
pas de longue durée. Justinien leva une évêques, de conférer les ordres et de
armée pour soutenir le roi déchu. Ce baptiser (2). Les juifs aussi furent enve-
fut en 533 que Bélisaire mit fin à la do- loppés dans l'arrêt de proscription.
mination des Vandales et que , Hildéric C'était donc la peur qui avait dicté
étant mort, il prit possession de l'A- cette loi violente. Plus d'une fois alors
(1) Voy.
dales notre Hist.
en Afrique, de la domination des Fan*
p. 58.
( i ) On compta 59 évêques flans ce concile. Voy .
Hardouin; Conc. t. II, p, 1 154. (2) Baronius , ad. an. 535
L'UNIVERS.
54
on accusa les dissidents de conspirer, marne , ce fut la guerre continuelle que
non sur des preuves, mais seulement firent à l'empire et à la civilisation
les populations indigènes. Salomon,
parce qu'on les craignait. Toutefois, il Jean Troglita, Gennadius, eux-mêmes,
faut dire que les Vandales, dépossédés
et;non exilés , que les hérésiarques et les les plus illustres de tous les généraux
qui vinrent de Constantinople, ne purent
schismatiques qui s'étaient attachés à toujours refouler et contenir les tribus
la fortune des conquérants barbares, dé-
siraient ardemment la chute de la do- du désert. Guidées, pendant un siècle,
mination byzantine. Ils prirent part, il par des chefs qui , comme Yabdas, An-
talas , Carcasan et Gasmul, avaient ravi
n'en faut pas douter, à tous les troubles sans doute à la tactique romaine quel-
qui bouleversèrent l'Afrique depuis le
départ de Bélisaire jusqu'à l'invasion ques-uns de ses secrets , elles ne ces-
arabe. Par la force des choses, ils de- sèrent de faire des progrès, gagnant
vaient conspirer contre Justinien et ses chaque jour une nouvelle part de terri-
successeurs, comme les catholiques, toire sur la civilisation, et ramenant jus-
depuis Genséric jusqu'à Gélimer , barie. qu'à la côte le paganisme et la bar-
avaient conspiré contre les Vandales.
Les Byzantins achevaient à peine de ^ Les Arabes, de 647 à 697, achevèrent
soumettre les provinces qui avaient l'œuvre des tribus indigènes et portè-
rent àla domination romaine le dernier
appartenu aux Vandales que l'Église
catholique d'Afrique songea à se réor- coup. En moins d'un demi-siècle, en
ganiser. D'abord, pour traiter les nom- effet, ils établirent l'islamisme, par la
breuses affaires que lui donnait sa si- force du sabre , sur toute la côte sep-
tuation nouvelle, elle tint un concile. tentrionale del'Afrique. Alors les évê-
Ce fut à cette fin que deux cent dix- ques et les prêtres s'enfuirent et se dis-
sept évêques se réunirent à Carthage, persèrent; lesuns se retirèrent sur les
en 534 , sous la présidence du primat terres encore soumises aux empereurs
Réparatus (1). Ensuite elle se remit dans de Constantinople ; les autres en Italie;
des rapports assidus avec Rome et les d'autres, enfin, comme Potentinus,
autres Églises du monde chrétien (2). évêque d'Utique
en Espagne (1). , cherchèrent un asile
Elle forma , peut-être dès la même
époque, les quatre provinces ecclésiasti- conclusion. — Après cette terrible
ques qui subsistaient encore, suivant invasion il resta pourtant des chrétiens
d'anciens documents, en l'année 649. en Afrique. Nul, aujourd'hui, ne sau-
Ces quatre provinces étaient : 1° la rait dire précisément à quelles condi-
Proconsulaire; 2° la Numidie; 3° la tions les conquérants arabes laissèrent
Mauritanie ; 4° la Byzacène. Sous au milieu d'eux, pendant plusieurs siè-
le nom général de Mauritanie se trou- cles cette
, part de la population rom aine
vaient comprises la Césarienne , la Siti- qui n'avait abandonné
lienne et la ïingitane. La Tripolitaine sa foi. Un seul fait nous nisemble
son culte, ni
hors de
avait été rattachée à la Byzacène. doute, c'est que l'existence de cette
Depuis la conquête accomplie par population, vouée par l'islamisme au
Bélisaire jusqu'à l'invasion des Arabes , mépris et aux outrages, exposée sans
cesse à une complète extermination, ne
l'Église d'Afrique eut sans doute beau-
coup àsouffrir des révoltes et des trou- fut qu'une longue suite de souffrances.
bles qui à diverses époques éclatèrent à Nous savons, en effet, par d'anciens
Carthage et dans toutes les provinces documents, combien fut triste et misé-
soumises à la domination byzantine. rable l'état de l'Église d'Afrique, pen-
dant le moyen âge. Elle souffrit alors,
Mais ce qui contribua surtout à l'affai-
blir ,et , si nous pouvons nous servir de non-seulement de la persécution , mais
cette expression, à amoindrir son do- encore de ses discordes. Elle ne cessa
pas d'être en proie à ces querelles et à
(I)Hardouin; Concil. t. II, p. 1154 et 1177. ces divisions qui, dans le cours du qua-
— Réparatus venait de succéder sur le siège
épiscopal de Carthage à Boniface.
(2)Voy. Morcelli ( Afr.chisl.); ad an. 535; (I) Morcelli ( Africa christiana ) ; ad an.
t. III, p. 282 et sqq. 59; t. III, p. 392.
AFRIQUE CHRETIENNE.
55
trième siècle, avaient tant fait pour sa que, il fut victime des interminables
ruine. En l'année 893 , des députés de discordes de ses frères les chrétiens. Ac-
l'Afrique vinrent à Rome et s'adressè- cusé par eux auprès des Sarrasins, il
rent au pape, lui demandant ses con- eut à supporter les plus odieux traite-
seils et sa médiation pour arrêter un ments etles plus cruels outrages (1).
schisme qui avait éclaté entre les évê- Ce sont là les derniers et tristes sou-
ques (I). venirs laissés par l'Église dont nous
Plus tard , vers 1054, une lettre venue voulions écrire l'histoire. Vers 1146,
de Carthage à la cour du souverain pon- la secte des Almohades, qui vainquit et
tife atteste une nouvelle discorde. Le extermina celle des Almoravides , porta
métropolitain Thomas écrit à Léon IX en Afrique
nisme (2). le dernier coup au christia-
pour se plaindre de l'évêque de Gum-
mase, en Byzacène, qui se croyait et Les chrétiens d'Europe savaient en-
se disait son égal. Le pape reconnaît, core vaguement au moyen âge que par
dans sa réponse, les droits de Thomas. delà la Méditerranée , non loin de l'I-
« Après le souverain pontife, lui dit-il, talie de
, une la France et de etl'Espagne se
trouvait côte belle fertile où
nul n'est plus élevé, en Afrique, que
l'archevêquede Carthage. » Il déclare que avaient existé jadis des églises sans
les autres évêques ne peuvent ni sacrer, nombre et de populeuses cités, et ils s'é-
ni déposer, ni assembler des conciles murent aux lamentables récits que leur
sans l'assentiment du métropolitain. firent, sans doute, ceux qui avaient
Léon IX voyait avec tristesse l'état de échappé par la fuite au fer des Al-
l'Église d'Afrique, et ce n'était pas sans mohades. Alors, dans ce temps d'hé-
une profonde douleur, comme il le di- roïque ignorance où rien ne paraissait
sait lui-même, qu'il ne comptait que impossible à quiconque croyait et vou-
cinq évêques dans une contrée qui jadis lait fermement, plusieurs songèrent à
en réunissait plus de deux cents pour reconquérir, au profit du christianisme ,
ses conciles (2). cette terre désolée. En l'année 1226,
Ces cinq évêques étaient réduits à deux de pauvres religieux, n'ayant pour res-
vers 1076. Ce fut alors que Grégoire sources etpour appui que leur foi et que
VII écrivit, à Carthage, au métropo- leur zèle, s'embarquèrent pourdel'Afrique,
litain Cyriaque , pour lui recommander, où ils essayèrent en vain prêcher
lorsqu'il n'y aurait que deux évêques en l'Évangile. En 1270, un roi de France
campa avec son armée sur les ruines de
Afrique, de procéder à l'élection d'un Carthage. Mais alors et depuis , pendant
troisième, qui se rendrait à Rome et s'y
ferait sacrer. C'est afin, dit le pape, sept siècles , les efforts de ceux qui sou-
que plus tard les consécrations puissent mettent les peuples par l'épée ou par la
se faire , en Afrique même , par les évê- parole demeurèrent impuissants. Toutes
ques réunis au nombre prescrit par leurs entreprises échouèrent, et quand
les canons; et il sacra lui-même, pour ils parvinrent à prendre possession de
commencer, Servandus, qui devait être (1) Hardouin ; Conc, t. VI , p. 1341. — Greg.
évêque d'Hippone. Alors, tout ce qui vu EpisL, lib. 1, 22.
(2) il resta pourtant quelques chrétiens sur
rappelait l'ancienne gloire de l'Afrique
était tellement oublié, que Grégoire VII la côte d'Afrique. Placés au milieu d'une po-
pulation fanatique et barbare, ils étaient dans
ne savait en quelle province était le une situation déplorable. iGuillaume de Nan-
siège épiscopal illustré par saint Au- gis
de nous
saint apprend
Louis , il qu'au temps encore
y avait de l'expédition
à Tunis
gustin. Dans la lettre qu'il écrivit à des prêtres et des églises. Les musulmans je-
propos de l'élection de Servandus, il tèrent en prison tous les chrétiens quand ils
place Hippone dans la Mauritanie Siti- apprirent que l'armée française avait touché
fienne. Quant au métropolitain Cyria- les côtes de 1'A.frique. Erat in urbe Tunarum
■multitudochristianorumjugo tamen servitutis
(I)Frodoard;IV,2. Sarracenorum oppressa , etfratrum Prcedica-
(2) Decus ccclesiarum africanarum ita torum congregatio , ac ecclesiœ constructœ in
conculcatum a gentibus nimium dolemus, quïbusfideles quotidie confluebant : quos omnes,
ut modo vix qùinque inveniantur episcopi , ex sui régis prœcepty, Sarmceni captas incar- ■
ubi olim ducenti quinque solebant per conci- ceraverant cumjines suos intravisse Francorum
lia plenaria computari. Hardouin ; Concil. t. exercitum cognovissent. Gesta Philippi III ;
VI , p. 950. Voy. les Historiens de France , t. XX , p. 478.
56
L'UNIVERS. AFRIQUE CHRÉTIENNE.
quelques points de la côte, leurs établis- croisade , s'est enfin montrée ; elle est
sements durèrent peu. L'Europe pour- sortie de la France, pays privilégié au-
tant ne s'est jamais lassée et ses espé- quel laProvidence avait réservé la gloire
rances n'ont pas été vaines. La race de de rattacher l'Afrique au système poli-
guerriers qu'un écrivain ecclésiastique tique des nations européennes et de la
appelait de tous ses vœux , au commen- faire participer de nouveau à la vie du
cement denotre siècle, pour une dernière monde chrétien et civilisé.
APPENDICE.
LISTES D'ÉVÉQUES.
Nous avons dû faire un choix parmi Eugenius fut sacré en 479. Il fut
les nombreuses cités qui couvraient le chassé d'Afrique
et mourut dans par le roi Thrasamund
les Gaules à la fin du
sol de l'Afrique ancienne. D'abord
nous avons pris Carthage, la grande cinquième siècle.
métropole chrétienne , ensuite quelques- Fabius Furius Fulgentius Planciada?
unes des villes qui sont soumises aujour- Morcelli le rejette de sa liste.
d'hui àla domination française. Bonifacius monta sur le siège épisco-
Carthage. pal vers 523. Il mourut en 535 après la
chute de la domination vandale.
Agrippinus; c'est le premier évêque
connu. Son épiscopat peut être reporté se Reparatus lui succéda. Onen sait
rendit à Constantinople 551. qu'il
aux dernières années du second siècle.
Primasius. Morcelli pense qu'il ne
Optatus fut évêque au commence- mourut pas avant l'année 565.
ment du troisième siècle. Il succéda Publianus était encore évêque en 581 .
peut-être à Agrippinus. Dominicus occupait déjà le siège
Cyrus doit être placé après Optatus, épiscopal en 591. Il vivait encore en
suivant Morcelli.
Donatus mourut en 248. 601.Fortunius était évêque en 640.
Ctjprianus(S. Cyprien)Iui succéda. Victor occupait encore le siège épis-
Il fut décapité en 258. copal en 649.
Carpophorus lui succéda , suivant Après l'invasion des Arabes il faut
Morcelli. franchir quatre siècles pour retrouver
Lucianus fut évêque vers la fin du un évêque de Carthage.
troisième siècle. Thomas occupait le siège épiscopal
Mensurius occupait déjà le siège en 1054. Il fut en relation avec le pape
Léon IX.
épiscopal à l'époque où
Tédit de Nicomédie. fut promulgué
Il mourut en 3 1 1 . Cyriacus, évêque de Carthage en 1076,
Cœcilianus. Ce fut à propos de son fut en relation avec le pape Grégoire VII.
élection que commença le schisme des Dfcl461 à 1804, douze prélats euro-
péens, suivant Morcelli ont porté le
donatistes. On sait positivement qu'il
vivait encore en 321 . Il assista peut-être titre d'évêquesde Carthage.
au concile de Nicée en 325.
ClRTA ( CONSTANTINE ).
Rufus est nommé dans un concile de
337. Crescens est le premier évêque connu.
Gralus présida un concile à Carthage En 255 , il vint à Carthage pour assis-
en 349. ter au concile présidé par saint Cyprien
Restitutus était évêque de Carthage et où devait être débattue la question
en 359. du baptême des hérétiques.
Geneclius en 381. Paulus était évêque lorsque fut pro-
Aurelius monta sur le siège épiscopal mulgué Fédit de Nicomédie ( 303 ). Il
de Carthage en 391. Il mourut vers 426. mourut vers 305.
Capreolus était évêque vers 435. Sylvanus succéda à Paulus.
Quodvultdeus prit possession du siège en Zeuzius
330 ; occupait le siège épiscopal
épiscopal vers 437.
Deogratias fut évêque de 454 à 457. Generosus , vers 400.
58 APPENDICE.
Frofuturus succéda à Generosus ; on ropéens ont porté le titreMorcelli
qu'avait enil
ne saurait porter au delà de 410 la durée lustré saint Augustin.
de son épiscopat. compte quarante-trois (de 1375 à 1795).
Fortunatus assista à la conférence de
SniFi (Sétif).
Carthage , en 41 1 . Il fut un des sept com-
missaires choisis par le parti catholi- Sevems, vers 400.
que. Novatus assista à Carthage , à la con-
Honoratus Antoninus était évêque férence de 411 et au concile de 419.
sous le .règne de Genséric. Donatus vint au concile convoqué en
Victor est le dernier évêque de Cirta 484 , par Hunéric , roi des Vandales.
ou Constantine dont l'histoire nous ait Optatus vint au concile convoqué en
conservé le souvenir. 11 vint, en 484, au 525 par Boniface, évêque de Carthage.
concile convoque à Carthage par Huné-
ric , roi des Vandales. Iol-Cesarea ( Cherchel )
Nous n'avons pas besoin de dire que Quatre noms seulement ont échappé
nous n'avons pas nommé ici les évêques à l'oubli.
donatistes. Il en est un pourtant qui mé- Fortunatus était évêque de Iol-Caesa-
rite d'être mentionné à cause de sa
rea, en 314. Il assista au concile d'Ar-
grande réputation ; c'est Pétilien. les où furent condamnés les donatis-
tes.
Hippo-Regius (Bone*).
Théogêne est le premier évêque Clemens occupait le siège épiscopal
au temps de la révolte de Firmus, vers
connu. Il assista au concile convoqué en 372.
255 par saint Cyprien.
Fidentius occupa le siège épiscopal Deuterlus assista à la grande confé-
rence qui eut lieu à Carthage , en 411,
vers 304 (?). entre les catholiques et les donatistes.
Leontius. On ne saurait préciser l'é- Apocorius, enfin, vint au concile qui
poque où il occupa le siège épiscopal. fut convoqué , en 484 , par Hunéric ,
Il fut peut-être le successeur de Fiden- roi des Vandales.
tius.
Faustinus était donatiste. Suivant CUICULUM (JiMMILAH).
Morcelli , il fut contemporain des empe-
reurs Constance et Julien. Fudeniianus assista , en 255 , au con-
cile de Carthage où fut discutée la ques
Valerius était déjà évêque d'Hippone tion du baptême des hérétiques.
lorsque saint Augustin revint d'Italie.
Augustinus ( saint Augustin), de 395 Elpidephorus assista, en 348, au con-
à 430. cile de Carthage présidé par le métro-
Heraclius avait été désigné au choix politain Gratus.assista à la conférence
Cresconius
du clergé et du peuple par saint Au-
gustin lui-même. Il devait lui succéder; qui eut lieu à Carthage , entre les ca-
tholiques etles donatistes, en 411.
mais il est vraisemblable , qu'il ne*rem- Victor vint au concile convoqué , en
plit pas ses fonctions, puisque la ville
d'Hippone fut saccagée et brûlée par 484, par Hunéric, roi des Vandales.
les Vandales. Elle ne se releva que plus Crescens se rendit à Constantinople
tard. et assista, en 553, au cinquième concile
Servandus fut sacré évêque d'Hippone oecuménique.
par le pape Grégoire VII, vers 1076. Icosium (Algeb).
De tous les évêques qui ont résidé
àHippone , Servandus est le dernier dont Crescens assista , en 411 , à la confé-
le nom soit arrivé jusqu'à nous. Nous rence de Carthage. Il était du parti des
devons dire qu'à partir du quatorzième donatistes.
siècle un grand nombre de prélats eu- Laurentius assista , en 419 , au concile
(*) La ville moderne de Bone , comme nous convoqué à Carthage par l'évêque Au-
relius.
l'avons dit dans notre histoire des Vandales, Victor vint au concile convoqué, en
est située à quelque distance de l'emplacement
ÎVHippo-Regius. 484 . par Hunéric , roi des Vandales.
APPENDICE. 59
Igilgili (Jigel). Salrs (Bougie).
Urbicosus assista, en 411, à la confé- PaschaSzus est leseul évêque de cette
rence de Carthage .„ dont ,e nom ait écha ^ a roubli
Domitianm vint au concile convo- n y. t au conci,e convoqJ/en 484 par
que en 484, par Hunenc, roi des Hunéric roi des Vandales.
Vandales. '
«4««S«tî?«»«»«*»t«S«?4J***!5Hi8i*>»53*est5938»8efr!«<«!e58t*«*«»4»»« ««»#»««&«©♦€>»©
TABLE
DE L'AFRIQUE CHRÉTIENNE.
cette ville importante , et à ceux qu'il alors leurs efforts pour triompher du
avait amenés des frontières de Perse; lieutenant de Justinien, et peut-être
et aussitôt il se dirige vers la Byzacène, pour chasser les Romains de l'Afrique.
pour y combattre Antalas, le prince L'armée d'Antalas s'était grossie, dans
des barbares qui y habitaient, et pour sa marche, par les renforts que lui
dissoudre la ligue des tribus maures fournirent les peuples errants dans les
qui venaient le secourir. L'armée de déserts de Zerquilis et d'Arzugis , et
Jean prit position dans un lieu nommé par les montagnards du mont Aura-
les Camps Antoniens, dont la situa- sius, quieutétaient
tion est inconnue. Des députés y fu- Antalas bientôt d'habiles
inondé decavaliers.
ses sol-
rent envoyés par Antalas. Maccus , le dats toutes les plaines de la Byzacène,
chef de l'ambassade, habile dans la où il marquait partout son passage
langue latine, chercha à dissuader Jean par le ravage et l'incendie. Genséric
de continuer la guerre , en lui faisant Vandale au service des Romains , et,
un tableau exagéré de la puissance des Amantius, avaient été envoyés par
Africains, et en rappelant les victoires Jean pour observer les mouvements de
qu'ils avaient remportées sur Salomon, l'ennemi ; sur leur rapport, le général
et les exploits de la tribu des Ilasguas , romain n'osa affronter en rase cam-
qui avait autrefois triomphé de Maxi- pagne leur innombrable cavalerie; il
mien. Le général romain , sans s'ef- résolut de les attendre dans une posi-
frayer de ces menaces , congédia froi- tion avantageuse, où il se fortifia. Les
dement les ambassadeurs, et donna Africains se répandirent alors dans
l'ordre de se préparer au combat. An- toutes les plaines environnantes, et se
talas, l'instigateur de cette guerre, était préparèrent à venir assaillir les Ro-
impatient de venger la mort de son mains jusque dans leurs retranche-
frère Guarizila. Pendant dix ans Odèle
mentstandis
; que Jean s'efforçait, par
allié de l'empire, il avait fait la guerre ses discours,
cœur de ses soldats de faire lapasser "dans et
confiance le
aux Vandales,
rendre des services et ilauxn'avait cessé de
lieutenants de
l'espérance qui étaient daqs le sien, en
Justinien. Leur perfidie en fit un im- leur rappelant leurs victoires passées,
placable ennemi des Romains, et il et la grande puissance du prince qu'ils
souleva contre eux toutes les tribus de servaient. Les deux armées ne tardè-
l'Afrique. Ses messagers avaient ap- rent pas à en venir aux mains. Jean
pelé aux armes une multitude de peu- donna le commandement de son aile
f)lades barbares cantonnées dans les droite à Gentius, qui avait le titre de
ieux les plus sauvages et les plus éloi- maître de la milice. Il plaça sous ses
gnés. Parmi elles, on distinguait les ordres Putzintulus, Grégoire, Marty-
Ilasguas , célèbres par leur férocité et rius, Genséric, Martianus et Sénator.
leur caractère belliqueux. La religion Il leur joignit Coutzinas, prince des
chrétienne n'avait point encore péné- Massyliens, l'amiétait
du malheureux
tré parmi eux, leur chef Ierna, re- lomon , et qui resté attachéSa-à
nommé par sa cruauté, et qui se pré- l'empire ; c'était un prince doué des
tendait issu de Jupiter Ammon , était plus rares qualités, et distingué par sa
en même temps leur roi et le pontife gravité toute romaine.
de leur grand dieu Gurzil, le même était conduite par Jean,L'aile gauche
surnommé
que Jupiter Ammon. Je ne rapporte- Senior , que secondaient Fronimuth ,
rai pas ici toutes les dénominations Marcentius, Libératus, et d'autres
barbares des peuples que la vengeance chefs romains ou barbares; parmi ces
d'Antalas soulevait contre les Ro- derniers, on distinguait le Maure Ifis-
mains il
-, me suffira de dire que toutes daïas, et son fils Bitipten. Le général
les nations indigènes de la Byzacène , en chef s'était placé au centre, que
de la Tripolitaine, et des parties de la commandait Rhécinarius , guerrier
Libye qui s'étendent dans les déserts aussi brave que prudent, qui avait été
au midi de la Cyrénaïque, réunissaient antérieurement envoyé comme am-
99
APPENDICE A L'HISTOIRE D'AFRIQUE.
bassadeur à la cour de Chosroès. Du l'usage de sa nation , le grand pontife
côté des Africains, Ierna, le chef des Ierna donna le signal du combat, en
Ilasguas , chargé de défendre le camp lâchant contre les rangs ennemis un
pendant la nuit, avait fait également taureau furieux, consacré, avec un art
ses dispositions, et son ordonnance magique, au grand dieu Gurzil. Les
barbare est digne de remarque ; selon deux armées s'abordent alors en fai-
sant retentir les airs des noms du
l'usage des Africains, il avait envi- Christ et de Gurzil, et des autres dieux
ronné son camp d'un mur de cha-
meaux, formés sur huit rangs (*); il révérés par les idolâtres de l'Afrique.
avait placé, en seconde ligne, trois La bataille devient bientôt générale;
rangs de bœufs liés par les cornes, et des deux parts, on combat avec le plus
fixés à leur place. Ce double rempart grand acharnement. Les deux chefs
vivant formait un labyrinthe inextri- signalent également leur valeur : Eilé-
cable, au milieu duquel il était difficile nare, prince maure, qui, le premier,
avait osé affronter les bataillons ro-
de se frayer un chemin jusqu'à l'en- mains, succombe sous les coups de
ceinte qui renfermait les bagages et les
familles des Maures. Antalas , fortifié Rhécinarius. Nombres d'autres guer-
de ia même façon, ne tarda pas à sor- riers illustres parmi les Africains pé-
tir de ses retranchements, et à s'unir rissent. Enfin, après une opiniâtre ré-
sistance, Antalas est complètement
aux soldats qui s'avançaient également vaincu, et son armée dispersée, tandis
dans la plaine. Il confia son aile droite
aSidisan. Carcasan, chef renommé par que lui-même court chercher un asile
sa valeur chez les Ilasguas , conduisait dans le désert, et qu'il abandonne aux
la gauche. Antalas , qui connaissait la Romains les étendards qu'il avait au-
valeur des Romains et l'habileté de son trefois conquis sur Salomon. Son allié
adversaire, marchait avec précaution, Ierna est forcé à la retraite, après une
défense non moins opiniâtre. Hors
évitant d'engager
contentant son infanterie,
de le harceler avec sa nom-et se
d'état de rétablir la bataille, il résiste
breuse et excellente cavalerie. Il épiait encore; après avoir vu enfoncer son
le moment favorable pour engager double rempart de chameaux et de
une charge générale, quand, selon bœufs, il s'efforce de soustraire au
moins au vainqueur les simulacres de
'*) Murog per castra camelis , son dieu Gurzil, et il tombe en les dé-
Construit , octono circumdans ordine carnpum.
CORlPPUS, IV, 5g8, 599. fendant. La nuit et une prompte fuite
Le même poète parle encore ailleurs de cette préservèrent les restes de l'armée
manière de défendre les camps particulière maure d'une entière destruction.
aux Maures ; il dit : Jean, après avoir triomphé d'Anta-
Nara belliger Ànstur las et de ses redoutables alliés, ne per-
Sollicitas dubias cainpis committere pognas,
Collocat astrictis muros fjssasqtie camelis, dit pas de temps pour assurer sa vic-
Atque pecus varium , densa vallante corona , toire; des détachements poursuivirent
Ponit ; ut ob:cibus pugnantes implicet bostes , les vaincus dans toutes les directions;
Ambiguosque prenant.
Idem, ibid., II, 91 sqq. d'autres subjuguent les villes et les
châteaux de la Byzacène, où il laisse
Procope parle aussi du même usage (de bel%
vand. , 1,8, et II, 11) : il rapporte que, un corps d'armée qu'il croit suffisant
pour contenir le pays. Il ramène en-
dans la circonstance dont il s'agit dans son suite ses troupes vers Carthage, où il
texte, les Maures disposèrent leurs cha-
meaux en cercle, èv xvxXw, sur douze de fait une entrée triomphale. Cependant
hauteur, xcaà ôwSexa (xdXicrTa xau.rjXouç un nouvel orage se formait au milieu
TCOiY]<yàu.evoç to toO (xeTW7rov) §â6oç , au lieu des déserts de l'Afrique, et menaçait
de huit, comme dans l'occasion dont parle encore les possessions romaines. *La
Corippns. L'un et l'autre exemple , aule reste, nouvelle de la défaite d' Antalas avait
font voir combien était considérable nom- pénétré jusque dans les contrées les
7.
bre des chameaux élevés par les Maures.
{Note de Saint-Martin.) plus reculées de l'Afrique centrale , et
bien loin d'y répandre la terreur , elle
1Ô0 L'UNIVERS.
avait animé toutes ces nations bar- resse excessive avait tari toutes les
bares d'un profond sentiment de ven- sources; les récoltes avaient manqué,
geance. Dans le temps même où les et une horrible famine tourmentait les
Romains croyaient la puissance des provinces fct faisait de grands ravages
Maures anéantie , Carcasan , qui avait dans l'armée. Pour la faire subsister
commandé l'aile gauche de l'armée plus facilement, Jean fut contraint de
d'Antalas, et qu'on regardait comme la répandre sur un plus vaste espace ,
la gloire et l'espérance de sa nation , et de l'affaiblir ainsi en la divisant en
réunissait les guerriers échappés au plusieurs corps. Les Africains, plus ac-
dernier désastre, les ranimait, les ins- coutumés aux fatigues et aux priva-
pirait de sa haine contre les Romains. tions ,eurent bientôt l'avantage. Le
Le fanatisme religieux ne tarda pas à général romain avait envoyé dans
toutes les villes maritimes , pour en
s'y joindre; ces nations n'avaient pas tirer les grains qui lui étaient néces-
embrassé le christianisme, et c'était
pour eux un motif de plus de conti- sairesmais,
; pour comble de malheur,
nuer et de renouveler la guerre. Les les vents contraires empêchèrent tous
chefs mirent en mouvement les pon- les arrivages. Jean ne fut pas arrêté
tifes et les devins de ces nations sau- par toutes ces calamités; malgré les
vages. L'oracle de leur dieu Gurzil plaintes et l'insubordination de ses
promet la victoire; il annonce que les soldats, il poursuit sa marche, et, che-
Romains succomberont sous la vail- min faisant, il soumet les Astrices ,
lance des Languantans ; que les Ma- nation africaine, puissante et guer-
ziques domineront à jamais dans la rière, dont il prend des otages. Les
Ryzacène, et que Carcasan entrera vic- Romains continuent d'avancer; et les
torieux dans Carthage. Les promesses barbares , tourmentés comme eux par
des dieux, la haute réputation de Car- la faim et la soif, reculent en se diri-
casan, lui amenèrent des auxiliaires; geant vers les parties les plus arides
les peuples des déserts qui environnent du désert. Cette retraite encourage les
le temple de Jupiter Ammon, ceux des soldats romains; ils avancent rapide-
Syrtes, les Nasamons et les Garamantes ment dans un pays qui ne leur offre
viennentcombattre sous ses étendards. plus d'ennemis, et ils s'arrêtent au-
Les peuples des régions lointaines, où près d'un fleuve dont les bords , cou-
sont les marais qui donnent naissance verts d'arbres, raniment l'espérance
au Nil, lui envoient des auxiliaires. de l'armée. On se hâte de s'y établir,
Carcasan ne perdit pas de temps pour mais sans y prendre aucune des pré-
se mettre en marche; il eut bientôt cautions prescrites par le général. On
envahi la Tripolitaine ; il entrait dans se disperse dans les environs , on dé-
la Byzacène, quand Rufin, qui en était daigne de se fortifier contre un ennemi
gouverneur, dépêcha un courrier vers qui semble fuir en toute hâte. Les
Romains étaient à peine arrivés en ce
Carthageproche,despour avertir
barbares. Jean de
Surpris de cette
l'ap-
lieu, qu'ils y furent assaillis par les
nouvelle invasion, Jean donne aussitôt Africains, qui profitèrent de leur im-
des ordres pour rentrer en campagne. prudence pour les attaquer. Ils accou-
Tous les soldats sont rappelés de leurs rent de tous les points de l'horizon ;
cantonnements ; les alliés maures se les détachements romains se replient
réunissent aux Romains sous leur roi en désordre et avec perte sur le gros
Coutzinas , et on se dirige vers le de l'armée, tandis que Jean fait à la
Midi pour repousser ce nouvel ennemi. hâte ses dispositions, en s'appuyant
Carcasan, qui croyait surprendre le sur la rive du fleuve. Il se place a la
droite avec Fronimuth et Coutzinas ,
général
vers le désert,romain où , s'arrête et se
il cherche replie
à attirer le fidèle allié de l'empire. Il confie sa
son ennemi, pensant qu'il pourrait l'y gauche à Putzintulus et au Vandale
Genséric. Les Romains se forment à
combattre avec plus d'avantage. On
était alors au fort de l'été; une séche- la hâte, et se préparent à résister à un
APPENDICE A L'HISTOIRE D'AFRIQUE. 101
ennemi qui les environne de tous les courent àdes moyens qui leur sont
côtés, et dont ils ignorent les forces. plus familiers , et qu'ils regardent
Carcasan profite avec habileté de la dis- comme plus sûrs. Ils harcèlent l'armée
position du terrain, couvert d'arbres de Jean, détruisent le pays à de grandes
qui troublent les manœuvres des Ro- distances autour de son camp ; puis,
mains. Ils résistent cependant ; Jean par des attaques simulées, ils fatiguent
s'efforce d'arrêter les progrès tou- les Romains , qu'ils entraînent à leur
jours croissants des barbares, mais il suite dans des cantons dévastés et dé-
()erd la meilleure partie et les plus serts, où ils espèrent les livrer à une
)raves de ses soldats; plusieurs de ses mort certaine. Les Romains éprouvè-
plus habiles officiers succombent ; sa rent en effet les plus grandes priva-
valeur est inutile, il est contraint tions, en s'attachant à leur poursuite;
d'abandonner
de se retirer enle toute champhâte bataille,Car-et les fatigues et la soif leur enlevèrent
de devant
plus de soldats que le fer ennemi. Le
casan et les Maures victorieux.
Jean fit sa retraite en bon ordre : se- tribun Cécilides, qui conduisait l'avant-
garde, parvint cependant à les attein-
condé par Rhécinarius, il parvint à dre; les Maures furent vaincus dans
soustraire aux efforts des Africains les un premier combat, où ils firent une
restes de son armée, et il les condui- opiniâtre résistance; plusieurs de leurs
sit àLaribe, ville forte de la Numidie, plus vaillants chefs succombèrent, et
environnée de vastes forêts , et dont un grand nombre furent faits prison-
les remparts avaient été réparés depuis niers parmi
; eux, on distinguait Varin-
peu par les ordres de Justinien ; Jean nus. Chargés de fers, ils bravaient, ils
se hâta d'y appeler les chefs et les na- injuriaient encore leurs vainqueurs;
tions de l'Afrique restés fidèles à la pleins des promesses de leurs oracles,
cause des Romains. Des convois de
ils nourrissaient
casan victorieux chasser l'espoir de
les voir Car-
Romains
vivres, des armes, des renforts lui fu-
rent expédiés de Carthage, tandis que et rendre la paix à l'Afrique; ils insul-
Jean, fils d'Etienne, s'efforçait, par ils rappelaient taient àla puissance de l'empereur,
les ordres du général, d'apaiser une leurs ancêtres contre les combats livrés par
Maximien. Irrité
guerre qui s'était élevée entre Coutzi-
nas et Iiisdaïas, autre chef maure du de tant d'audace , le général les fit
parti des Romains. On parvint à as- mettre à mort.
soupir une division aussi préjudiciable Malgré le succès qu'il venait d'ob-
aux intérêts de l'empire; et Coutzinas tenir, Jean n'osa poursuivre plus loin
ne tarda pas à venir rejoindre Jean les barbares ; il s'était aperçu que ce
avec des forces considérables ; son n'était pas la crainte qui les faisait re-
exemple fut imité par Ifisdaïas, qui culer devant lui, et il reconnut les pé-
vint du mont Aurasius avec beaucoup
de vaillants guerriers. Il fut bientôt rils qui le menaçaient, s'il s'acharnait
suivi par Iabdas, le plus puissant des plus prit donc longtemps' à leur
le parti poursuite. Ilà
de rétrograder
princes de la contrée, accompagné de son tour, pour les attirer vers le rivage
son fils. Enfin, le préfet Bézina amena de la mer, dans les lieux où il serait
au camp romain toutes les forces dis- plus facile de les combattre. Carcasan
ponibles desa nation. Cependant An- et Antalas, qui observaient les mouve-
talas, ranimé par la victoire de Carca- ments des Romains , prirent cette re-
san, avait repris les armes, et il avait traite pour une fuite; ils revinrent sur
de nouveau envahi la Byzacène. Il leurs pas , et se postèrent dans des
s'unit à Carcasan, et tous deux ils es- lieux élevés , tandis que les Romains
couvrirent de leurs tentes les bords de
pèrent être bientôt en état d'anéantir
les restes de l'armée, et de triompher la mer, en plaçant au milieu d'eux les
des alliés de l'empire. Ce n'est pas ce- Maures alliés. La discorde se répandit
pendant force
à ouverte qu'ils veulent bientôt dans l'armée ; une sédition s'y
achever la ruine des Romains ; ils re- éleva ; des chefs ambitieux cherchaient
102 L'UNIVERS.
à renouveler les criminelles entre- tête de ses gardes. Ils ne tardèrent pas
prises des successeurs de Salomon. à mettre le désordre dans l'armée
Tarasès, Rhécinarius, et d'autres gé- africaine, où ils firent un grand car-
néraux, s'efforcèrent de rétablir l'or- nage. Coutzinas et les alliés maures
dre; leurs efforts furent vains, et cette furent moins heureux de leur côté ; re-
révolte aurait peut-être amené les plus poussés avec perte , ils étaient sur le
fâcheux événements, si Coutzinas et
point d'abandonner le champ de ba-
les Maures fidèles n'étaient accourus tail e quand
, ils virent Jean vainqueur
au secours du général. Les soldats arriver à leur secours; ils reprennent
des deux nations en seraient venus courage, repoussent leurs ennemis, et
aux mains, si Rhécinarius n'était par- les mettent dans une déroute complète.
venu par ses discours conciliants à Cette victoire décisive mit fin à la
les calmer et à ramener la paix. Jean guerre d'Afrique. Antalas, sans espoir
décampa aussitôt, et vint prendre po- de continuer la guerre, se soumit à la
sition dans un lieu appelé 1rs Champs domination impériale, et les barbares
de Caton, dont la situation nous est furent repoussés jusqu'aux extrémités
inconnue. Carcasan et Antalas l'y de l'Afrique. Pour Carcasan, il périt
suivirent, et vinrent se placer à peu sur le champ de bataille; sa tête, sé-
de distance; et des deux côtés on ne parée de son corps, fut placée au haut
tarda pas à se préparer à une bataille d'une lance, et promenée dans les rues
décisive. Pour se rendre les dieux fa- de Carthage. Ainsi fut accomplie la
vorablesles
, Africains leur offrirent prédiction mensongère de ses devins,
d'abondants sacrifices : les uns s'a- qui lui avaient promis de le faire en-
dres ent Gurzil,
à qui est Jupiter Am- trer triomphant dans les murs de cette
mon; d'autres invoquent Mars, et capitale de l'Afrique. Jean ramena ses
d'autres troupes victorieuses dans Carthage, et
times encore
humaines à présentent
leur dieu Ma des
s ti m vic-
an.
continua
rien ne troubla de gouverner plus del'Afrique,
longtempsdontla
On s'attaque au lever de l'aurore.
Jean donne le signal du combat, en tranquillité.
chargeant lui-même les ennemis à la
FIN DE L APPENDICE.
««WUUMU'VM hMvtvt^\a%> ■*■»*•-»■«,
TABLE
DE L'HISTOIBE D'AFRIQUE SOUS LA DOMINATION DES VANDALES
ET SOUS LA DOMINATION BYZANTINE.
Pannonie ; les Vandales s'y établissent , Sardaigne prise par les Vandales, 23 b ;
4 a. ils la perdent , 24 b; nouvelle conquête de
Papencordt t jugement sur son histoire l'île ,25b; Tzazon , frère de Gélimer , y
des Vandales, 2 a, b. soumet Godas, 60 a, b; elle est attaquée et
Pappua, montagne d'Afrique, 70 b, 73 a. envahie par Cyrille, officier byzantin, 49 b.
Partage des terres de l'Afrique entre les Scalœ veteres (plaines de) ; Stozas y est
Vandales conquérants , 8a a. battu , 93 a.
Perses (les) en guerre avec Justinien,
Sergius, neveu de Salomon , rallume la
40 b.
Prœpositus regnl , grand magistrat chez guerre avec les Maures , et succède à Salo-
les Vandales, 81 b, 82 a. mon dans le commandement de l'armée ,
Prœpositus judiciis romanis; attributions 93 a, b.
Sévère; sa mort, 23 b.
de ce magistrat sous la domination vandale,
86 b. Sicile (la) est attaquée par Genséric, 17
a ; elle est conquise par les Vandales, 25 b ;
Probus (l'empereur) bat les Vandales dans les Grecs ne peuvent la prendre, 70 a.
la Germanie, 4 a.
Proconsulaire (la) , province d'Afrique Siglswulde y officier romain envoyé con-
soumise à Genséric, 16 a, 17 b; partagée tre Boniface révolté , 8 b.
entre les guerriers vandales , 82 a. Si linges (Vandales), 5 b.
Procope (l'historien); son départ de Cons- Sinox , officier romain envoyé contre
tantinople , 43 ; appréciation de son ou- Boniface révolté, 8 b.
vrage ,43 b ; ce qu'il fait à Syracuse, 46 Slnuessa ; la flotte vandale y est battue ,
a, b ; sa réponse à Archélaûs, 47 a, b; 22 a , b.
48 a. Stozas se révolte contre Justinien, 92 b ;
il sort de sa retraite , 93 b.
Procuratores, percepteurs de l'impôt sous
la domination vandale , 80 b.
80 Succession
a. (loi de) chez les Vandales ,
Propriétaires romains devenus colons ,
86 a ; indemnisés par Justinien , gS b. Suèves (les) s'unissent aux Vandales, 4 b.
108
TABLE DE L'HISTOIRE D'AFRIQUE.
Suinthilas, roi des Wisigoths, s'empare Ulphilas ; sa Bible, 90 b.
de plusieurs villes en Afrique , 94 b.
Syllectum5o , a.
ville d'Afrique occupée par
Bélisaire, V. •
^alentinien (l'empereur) ; sa mort, 19 a.
Vandales ; leur origine ; leur séjour en
Taihundafath, chefs germains, 81 a; ju- Germanie, 3 a, b; ils s'unissent aux Bur-
ges pendant la paix, 82 a; explication de gondes ,4a; passent en Espagne , 4 b ; ils
ce mot , 83 a. triomphent des Goths et des Romains , 7
a , b ; ils sont appelés en Afrique par Bo-
Tailuinfath. "Voy. Décani. ni face , 9 a; jls battent Boniface , 12 a;
Tattimuth est attaqué par les Maures,
leurs cruautés, 12 b; ils pillent Rome, 19
70 a.
Tennis, ville d'Afrique, 70 a. b; ils s'emparent de la Mauritanie et de la
Tripolitaine, 21 a; leurs courses sur mer,
Testament de Genséric, règle l'ordre de 21 a, b; ils brûlent la flotte de Majorien,
succession au trône, 80 a.
Teucarie , victime des cruautés de Huné- a3 a; leurs pirateries, 23 a, b, 24 a; ils
ric; sa mort. 32 a. brûlent la flotte des Romains , 24 b, 25 a,
26 a ; étendue de leurs possessions en Afri-
Théodora (l'impératrice), 74 a. que sous Genséric, 28 a, b; leur portrait
Théodore, officier byzantin; amène de
nouveaux renforts à Salomon, 92 a. d'après Orose ,28b; leurs guerres avec les
Maures, 3o a, 3i a, b ; leur expédilion en
Théodoric, roi des Ostrogoths, s'allie avec Sardaigne, 48 a , b; ils sont battus à Deci-
les Vandales, 18 b, et 26 a.
irmm, 55 a; les Vandales de la Germanie
Theudis, roi des Wisigoths, rejette l'al- envoient des députés à Genséric, 58 b ; des-
liance de Gélimer, 60 b; 61 a.
tinée des Vandales, 75 a, b; ils ne ser-
Thevesle (bataille de) gagnée par les Mau- vaient pas à pied dans les armées, 84 a ;
res, 93 a, b.
Thrasamund, roi des Vandales ; sa con- causes de la chute de l'empire vandale, 76
a et b, 77 a et b, et 78 a.
duite àl'égard des catholiques ; ses allian- Vandales modernes , 76 a
ces, 38 a; ses guerres; sa mort, 38.
Tolhus; son récit sur les Vandales mo- Veranien, chef espagnol , arrête les Van-
dernes ,76 a. dales aux Pyrénées, 4 b.
Trésors (les) de Gélimer, 69 a. Verine (l'impératrice), W. 24b.
Tricamara (bataille de), 64 b, et suiv.
Tripolitaine, province soumise aux Van-
dales, 21 a; aux Arabes, 95 a.
rVallia, roi des Wisigoths, 6b; 7 a.
Trjphon et Eustratius envoyés en Afri- Wisigoths (les) alliés de Genséric, 18 b ,
que pour faire un nouveau cadastre, 96 a. 22 b.
Tunis (lac de) ; la flotte byzantine y jette
l'ancre, 56 b.
Tzazon , frère de Gélimer, 48 b; il
triomphe en Sardaigne, 60 a ; sa lettre à Yabdas, chef maure, commande sur le
Gélimer, 60 b ; il quitte la Sardaigne, 62 b; mont Aurasius , 92 a.
son entrevue avec Gélimer, 63 a ; sa mort, Z.
65 b ; sa tête portée en Sardaigne , 69 b.
U.
Zenon (l'empereur) demande la paix à
Genséric , 26 a ; il négocie avec Hunéric ,
Uliaris, officier des gardes de Bélisaire ,
54 a ; il tue Jean l'Arménien ,67 b ; il Zeugitane , province d'Afrique occupée
obtient son pardon , 68 a. par les Vandales, 17 b.
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TABLE GENERALE
DE L'HISTOIRE DE L'AFRIQUE ANCIENNE.
Pages.
Préface de l'Éditeur. i - iv
Esquisse générale de l'Afrique, par M. d'Avezac 1-48
Introduction a la description et a l'histoire de l'Afrique
ancienne, par le même 49-66
La Libye propre comprenant la CyrénaÏque et la Marma-
rique , par le même. 67-158
Carthage.
Première partie , par M. Dureau de la Malle 1-09
Deuxième partie y par M. Jean Yanoski 80-172
Histoire de la Numidie et des Mauritanies, par M. L. La-
croix 1-96 ^
L'Afrique chrétienne, par M. Jean Yanoski i-63 ^S
Histoire de la domination des Vandales en Afrique , par
M. Jean Yanoski 1 - 91 S
Histoire de l'Afrique sous la domination byzantine , et
Appendice à cette histoire par le même 91-102
PIN DU VOLUME.
DT
170 Avezac-Macaya, Armand d1
Afrique
A85