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Simone Weil 

: Guerre et paix

Le mot de dignité est ambigu. Il peut signifier l'estime de soi-même ; nul n'osera alors nier

que la dignité ne soit préférable à la vie, car préférer la vie serait « pour vivre, perdre les

raisons de vivre » . Mais l'estime de soi dépend exclusivement des actions que l'on exécute

soi-même après les avoir librement décidées. Un homme outragé peut avoir besoin de se

battre pour retrouver sa propre estime ; ce sera le cas seulement s'il lui est impossible de subir

passivement l'outrage sans se trouver convaincu de lâcheté à ses propres yeux. Il est clair

qu'en pareille matière chacun est juge et seul juge. On ne peut imaginer qu'aucun homme

puisse déléguer à un autre le soin de juger si oui ou non la conservation de sa propre estime

exige qu'il mette sa vie en jeu. Il est plus clair encore que la défense de la dignité ainsi

comprise ne peut être imposée par contrainte; dès que la contrainte entre en jeu, l'estime de

soi cesse d'être en cause. D'autre part ce qui délivre de la honte, ce n'est pas la vengeance,

mais le péril. Par exemple, tuer un offenseur par ruse et sans risque n'est jamais un moyen de

préserver sa propre estime. Et si la guerre ne peut constituer pour personne une sauvegarde de

l'honneur, il faut en conclure aussi qu'aucune paix n'est honteuse, quelles qu'en soient les

clauses.

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