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que cet autrui significatif change de point de vue sur moi pour que mon propre point de vue
sur moi change avec lui.
On a affaire ici à l'inverse de la relation qui prévalait dans le cadre du rapport de réification
(se défaire d’un jugement négatif par un acte de réification en retour): il s'agit à l'inverse de
préserver le jugement positif en affrontant la menace qu’est sa contingence.
Dépasser cette contingence implique de s'emparer de la liberté de l’autre afin que je sois
toujours garanti quant à la valeur de mon être pour autrui. Il faut que je soumette la liberté
d'autrui à ma propre liberté.
Difficulté: le dépassement de la contingence interdit tout recours à la contrainte. Seule peut
fonctionner une appropriation de ce qui gouverne sa représentation, c’est-à-dire sa liberté.
Paradoxe de la contrainte: je veux qu'autrui soit libre de me choisir puisque c'est la
condition de la valeur de son choix, mais je veux en même temps que cette liberté soit
limitée pour que je sois certain d’être toujours choisi.
L’amant, à l’inverse de celui qui est réifié, ne veut rien tant que dépendre du point de vue de
l’aimé puisqu’il est assuré que ce point de vue lui confère précisément la valeur qu’il cherche
à avoir. En existant comme l’absolu de l’aimé, en se sentant choisi entre tous, l’amant se
sent justifié d'exister.
Pour pouvoir posséder la liberté d’autrui comme liberté, il faut un moyen de faire i) que le
point de vue de l’aimé soit celui que je veux qu’il ait et ii) qui puisse justifier ma propre
facticité. Ce moyen est la séduction : se donner comme objet fascinant au regard d'autrui.
En effet, pour que l'amant puisse se faire attribuer une certaine valeur il faut qu'il convainque
l'aimé qu'il en possède une, et le meilleur moyen pour cela, c'est de feindre qu'il la possède
déjà.
La séduction consiste à transformer sa dépendance réelle en autonomie fictive, ce qui
représente en réalité un redoublement de dépendance puisqu’on cherche le regard d’autrui
qui doit trouver l’aimé fascinant tout en feignant de ne pas le remarquer.
La contradiction ici a lieu entre les deux désirs croisés : d'un côté, l'amant désire
apparaître comme parfaitement autonome et seul doté de valeur à l'égard d'autrui pour
exercer sa fascination et limiter ainsi la liberté de l'autre, mais l'autre désire faire
exactement la même chose. Jeu de dupes : c’est sa liberté que la conscience veut
récupérer alors même que la réciprocité la lui fait perdre.
Objections à Sartre:
- 1) là où Sartre voit la réciprocité impossible, l'expérience montre qu'elle a lieu, et
même assez couramment;
- réponse: l'amant apparaît d'abord comme l'objet de la relation ; s’il réussit à s'aliéner
inconditionnellement la liberté d'autrui, alors, en retour, il peut aimer autrui ; mais
c'est uniquement parce qu'il a commencé à recevoir ce qu'il a demandé. Dans ce
cas, c'est l’asymétrie qui commande et la réciprocité n’en est pas vraiment
une.
- 2) il peut exister des relations amoureuses sans réciprocité, c’est-à-dire à sens
unique
- réponse: à partir du moment où quelque chose de tel qu’un conflit amoureux pour la
reconnaissance existe, une manière de dépasser la contradiction serait concevable
dès lors que l'un des deux renonce à récupérer sa propre liberté: càd en devenant
soi-même un objet débarrassé de sa propre subjectivité (soumission masochiste, par
exemple);
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- Mais c'est une tentative qui échoue, elle aussi, dans la mesure où celui qui se
soumet ainsi et s'objective aux yeux d'autrui cherche secrètement à ce qu'autrui
fasse la même chose.
Reste alors une dernière manière de surmonter cette réciprocité impossible et cela consiste,
à l'inverse de la soumission, dans la pure et simple relation de domination. Elle consiste à
objectiver autrui et à transcender sa transcendance pour éviter d’être objectivé par lui:
instrumentalisation menant au conflit ouvert. L’indifférence fonctionne comme une réduction
d’autrui à un objet du monde.
Cette attitude a cependant pour conséquence un double échec :
- la négation d’autrui comme regard fait qu’il n’y a plus de danger d’appropriation par
autrui ;
- je suis alors renvoyé à moi-même comme seule source de mon propre fondement et
je deviens alors le fondement de ma propre justification d’existence.
Or, comment puis-je être tout à la fois le fondement de ma propre valeur et la source de la
justification de ma propre existence ?
Tâche impossible: pour devenir le fondement de ma propre valeur il faudrait déjà que je
possède à mes propres yeux une valeur afin de me la conférer à moi-même. Or, si je
possédais une valeur initiale, je n'aurais évidemment pas besoin de m’en donner une à
moi-même. La question devient donc: d'où pourrait bien venir cette valeur initiale que je
posséderais et que personne ne m'aurait conférée ? Il y a donc là un cercle vicieux
insurmontable.
Paradoxe : tout en feignant qu’autrui n’existe pas, je suis cependant dépossédé de mon
pouvoir de me retourner vers celui qui me dépossède pour tenter au moins de contrôler
cette possession par autrui.
La réciprocité est donc pour Sartre un échec, mais la négation de la réciprocité dans
la soumission unilatérale, constitue aussi un échec, alors même que la domination
s'annonce elle aussi comme un échec.
Il semble alors que quels que soient nos actes, c’est dans un monde où il y a déjà l’autre et
où je suis de trop par rapport à l’autre, que nous les accomplissons. Mais, en est-il vraiment
ainsi ?
En réalité, il ne s'agit pas là de la conclusion du livre et l'on peut montrer que Sartre a tout
de même cherché à construire, en accord avec ses prémisses, la possibilité de relations
sociales qui ne passent pas par une guerre de tous contre tous.