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Argent et terrorisme

par René WACK*

De prime abord , il peut paraître étrange qu'on puisse assimiler les notions d'argent et de
terrorisme, vu que l'activité terroriste en tant que telle n'est pas une activité lucrative.
D'un examen sommaire il apparaît que le terrorisme est une activité clandestine qui
nécessite des moyens financiers importants pour des raisons logistiques . C'est la raison
pour laquelle l'approche financière du terrorisme est très différente de celle des autres
activités criminelles qui ont pour but l'argent facile .
Sur l'aspect légal de cette question ce n'est que la loi du 13 mai 1996 qui a créé une
infraction générale de blanchiment, qui permet d'appréhender l'aspect financier du terro-
risme . Et tout d'abord, le blanchiment «simple» :
Art. 324-1 CP - Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen , la justification
mensongère de l'origine des biens ou revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant
procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération
de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime
ou d'un délit.
Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 2 500 000 F d'amende.
Puis le blanchiment «aggravé» , l'aggravation résultant soit des conditions de com-
mission de l'infraction, soit de la nature de l'infraction primaire:
Art. 324-2 CP - Le blanchiment est puni de dix ans d'emprisonnement et de 5.000.000
F d'amende :
1) Lorsqu 'il est commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure
l'exercice d'une activité professionnelle;
2) Lorsqu 'il est commis en bande organisée.
Art. 324-4 CP - Lorsque le crime ou délit dont proviennent les biens et les fonds sur
lesquels ont porté les opérations de blanchiment est puni d'une peine privative de liber-
té d'une durée supérieure à celle de l'emprisonnement encouru en application des
articles 324-1 ou 324-2, le blanchiment est puni des peines attachées à l'infraction dont
son auteur a eu connaissance et, si cette infraction est accompagnée de circonstances
aggravantes, des peines attachées aux seules circonstances dont il a eu connaissance .
Bien que non expressément visées , les infractions primaires qu'on peut qualifier de
terroristes sont concernées par ces textes .
Sur un plan plus administratif ou au niveau des services répressifs , cet aspect avait
déjà été pris en compte . En effet, le Décret interministériel du 9 mai 1990 a créé au sein
du Ministère de l'Intérieur l'Office Central pour la Répression de la Grande Délinquance
Financière: «Cet office a pour domaine de compétence les infractions à caractère éco-
nomique, commercial et financier liées à la criminalité professionnelle ou organisée,
notamment celles en relation avec le grand banditisme, le terrorisme ou le trafic de stu-
péfiants« .
Il est chargé :
1) de promouvoir, d'animer et de coordonner l'action des services de police et de gen-
darmerie dans la lutte contre les auteurs et complices des infractions relevant de la gran-
de délinquance financière.

• Chargé de mission à la Direction du Crédit Lyonnais, ancien chef de l'Office central de répression
de la Grande délinquance financière

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2) d'étudier et de participer à l'étude, avec les ministères , les organismes publics et
privés et les organismes internationaux concernés , des moyens préventifs et répressifs
à mettre en oeuvre pour faire échec à la grande délinquance financière commise en liai-
son avec le crime organisé.
Il intervient de sa propre initiative, à la demande des services locaux ou régionaux de
police et de gendarmerie, à la demande des autorités judiciaires. Il est habilité à entrer
en relation et à correspondre directement, aux fins de coopération et d'échanges d'infor-
mations, avec les services centraux des autres Etats exerçant des missions similaires ,
ainsi qu'avec tout autre organisme ayant dans ses attributions la répression de la gran-
de délinquance financière.
L'aspect particulier de cet office réside dans le fait qu'il a une compétence très large
dès lors que les infractions à caractère financier sont en relation avec la criminalité orga-
nisée. Il constitue une sorte de trait d'union entre le monde des affaires et la criminalité.
Pour en revenir à l'activité terroriste proprement dite, les enquêtes financières tout
comme en droit commun peuvent être conduites à partir de trois niveaux différents :
1) les enquêtes effectuées après l'arrestation pour activités terroristes
2) les enquêtes effectuées à l'encontre de personnes suspectées d'activités terro-
ristes
3) les enquêtes effectuées à partir de transactions commerciales ou financières sup-
posées être liées à des activités terroristes .
Ces trois types d'enquêtes peuvent être effectuées soit séparément , soit en combi-
naison .
Avant de débuter une enquête d'initiative il est indispensable d'avoir une bonne
connaissance de l'environnement financier de l'activité terroriste :
- Est-ce que le groupe terroriste a des moyens financiers ?
- A-t-il un budget conséquent ?
- Sa surface et son activité justifient-elles des opérations financières ou de blanchi-
ment de fonds ?
Cette étude de faisabilité est primordiale avant d'aborder une quelconque enquête .
Par exemple , pour la France, nous devons faire face à deux types de problèmes en
relation avec des activités terroristes : le terrorisme corse et le terrorisme basque. Le pro-
blème du terrorisme en Corse est très spécifique. Les motivations sont multiples et il est
souvent mêlé à des activités criminelles de droit commun . C'est un phénomène complexe
qui ne peut être individualisé en tant qu'activité autonome. C'est pourquoi il est très diffi-
cile de limiter les enquêtes financières au seul phénomène «terrorisme ».
A l'inverse, l'analyse des organisations autonomistes basques (E.T.A .) montre l'exis-
tence de sources de revenus régulières à . travers les extorsions de fonds au Pays
Basque espagnol , communément appelées impôt révolutionnaire pour se donner bonne
conscience, ainsi que des dépenses régulières (salaire des soldats militants, aide finan-
cière accordée aux familles des membres emprisonnés, achats d'armes , d'explosifs, de
véhicules , etc ... ) Le pays basque français se caractérise par un aspect non violent et son
utilisation pour des raisons logistiques.
Avec ces éléments de départ, il est possible de cibler certains objectifs.
C'est ainsi que dans une enquête d'initiative, il a été possible de cibler un bureau de
change du sud-ouest de la France.
Les caractéristiques principales de ce bu reau de change étaient les suivantes:
1) le directeur de ce bureau de change était un ancien cadre de banque qui, quelques
années plus tôt, avait été condamné pour activités de terrorisme en ayant hébergé l'un
des leaders de !'E.T.A. militaire

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2) Le montant global annuel des opérations de change pesetas-francs était largement
supérieur à celui d'une activité normale, s'élevant à plus de 900 millions de francs fran-
çais .
3) ce bureau de change faisait partie d'un réseau de bureaux de change à Paris et à
Genève soupçonnés par les Douanes françaises d'avoir des activités financières illé-
gales. Le cerveau du réseau était établi en Suisse.
4) les premières investigations sur le terrain ont fait apparaître que toutes les com-
munications téléphoniques importantes étaient effectuées à partir de cabines publiques
et que certains rendez-vous avec des clients connus pour leur appartenance à la mou-
vance autonomiste avaient lieu à minuit dans des terrains vagues , ou des casses auto-
mobiles.
Toutes ces indications laissaient supposer une participation active de ces bureaux de
change dans des activités de blanchiment de capitaux.
Après plusieurs mois d'enquête, il a pu être établi que les bureaux de change à
Bayonne, Paris et Genève faisaient partie d'un réseau organisé de blanchiment de capi-
taux. Les espèces qui étaient blanchies étaient d'origines diverses: trafics de stupéfiants
(dont deux de cannabis, un d'héroïne et un de cocaïne) , trafic et contrebande d'or, éva-
sion et fraude fiscale. La comptabilité de ces sociétés était totalement globalisée et les
clients demeuraient anonymes. Même en Suisse, les clients avaient des noms codés tels
que «grosse moustache», «Napoléon», etc ... Le chiffre d'affaires total a été estimé à plus
de 1,5 milliards de francs par an. A la fin de l'enquête, 16 personnes ont été mises en
examen et plus de 30 millions de francs ont été saisis.
Cette enquête spécifique qui a démarré au pays basque français avec des flux d'ar-
gent supposés provenir exclusivement d'une activité terroriste a fini à Paris avec la
découverte d'un réseau séparé de blanchiment utilisant les mêmes bureaux de change
mais l'argent provenait de Chinatown.
Les sommes blanchies et recyclées par la communauté chinoise de Paris se sont éle-
vées à plus d'un milliard de francs en 3 ans. Malheureusement, l'origine précise des
fonds est restée ignorée, mais est supposée être très diversifiée: jeux clandestins, travail
clandestin , immigration illégale, trafic de stupéfiants, etc ... Sans parler beaucoup des
triades , le fait qu'un seul trésorier était chargé de gérer tous les flux concernés est très
révélateur. Il est difficile de dire qu 'il y a un crime organisé chinois , mais force est de
constater que les Chinois sont très organisés.
A travers cet exemple précis on peut constater que les circuits de blanchiment de
fonds ne sont pas obligatoirement spécialisés. Ils sont utilisés par tous ceux qui ont
besoin de blanchir ou de recycler les fonds d'origine illicite rendant d'autant plus difficile
la preuve de l'origine précise des fonds . Dans tous ces cas , seule la connaissance du
destinataire final des fonds (end user) permet de connaître l'origine de l'argent, mais ceci
se heurte très souvent, pour ne pas dire toujours , aux difficultés de la coopération inter-
nationale.
Dans une autre enquête qui a débuté après l'arrestation dans le sud-ouest de la
France de plusieurs dirigeants de l'E.T.A militaire, les services de police ont découvert
divers papiers que les terroristes n'avaient pas eu le temps de détruire. Parmi ces docu-
ments figurait , déchiré en petits morceaux, un avis de paiement d'un montant de 300.000
$US provenant d'une banque suisse.
Les multiples investigations effectuées en France, en Suisse et au Luxembourg ont
finalement abouti à l'arrestation d'un ressortissant luxembourgeois qui avait en charge
une partie de l'émergence financière de l'organisation terroriste , y compris celle relative
aux achats d'armes.

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Cette personne n'avait aucun lien direct avec les séparatistes basques, elle ne faisait
pas de politique ni ne s'occupait d'activités terroristes à proprement parler; c'était un
homme d'affaires, intermédiaire financier dans les transactions d'armement. Pour finir sur
une note cocasse, il est à noter qu 'une partie des 300.000 $US a été retrouvée au
Luxembourg, non pas sur un compte bancaire, mais dans un coffret enterré dans un jar-
din, sous un sapin fraîchement planté et devant servir de point de repère ultérieur.
Comme quoi les montages financiers les plus sophistiqués peuvent se terminer avec la
cassette de l'oncle Picsou .
Dans ces deux exemples précis , on s'aperçoit que les groupes terroristes n'utilisent
pas forcément leurs propres membres ou sympathisants pour les opérations financières ,
mais qu'ils ont tendance à utiliser les compétences externes (motivées par le seul aspect
lucratif) pour les besoins de la cause.

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