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Maquette intérieure :

www.atelier-du-livre.fr
(Caroline Joubert)

© Dunod, 2021
11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff
ISBN 978-2-10-083106-7
Liste des auteurs
Sous la
direction de :
Charles Professeur, Laboratoire VCR, École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique de Paris –
MARTIN- Équipe d’accueil « Religion, Culture et Société », Paris (France) ; Institut de recherche biomédicale
KRUMM des armées (IRBA), Brétigny. Il est également Associate-Editor de la revue European Journal of
Trauma and Dissociation (Elsevier).
Cyril Professeur, Université de Lorraine, APEMAC, Metz, Centre Pierre-Janet. Il est également Editor-in-
TARQUINIO Chief de la revue European Journal of Trauma and Dissociation (Elsevier) et Associate-Editor de la
revue The European Journal of Sexology and Sexual Health (Elsevier).

Avec la
collaboration
de :
Colette MCHU-HDR en psychopathologie clinique, membre de l’EE 1901 « Qualité de vie et santé
AGUERRE Psychologique » (QualiPsy).
Clara ANKRI Service de pédopsychiatrie, hôpital Salvator, Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, Aix-
Marseille-Université, Marseille.
Jacques Professeur, directeur de l’École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique de Paris.
ARÈNES
Aude AZEMA Hôpital La Conception, APHM, Marseille.
Arnold Center of Excellence for Positive Organizational Psychology, Erasmus University Rotterdam (Pays-
B. BAKKER Bas).
Élodie BARAT Maître de conférences, Laboratoire VCR, École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique
de Paris – Équipe d’accueil « Religion, culture et société ». CRNL – Équipe « Trajectoires ». Inserm
Unité Mixte de Recherche-Santé (UMR-S) 1028, CNRS UMR 5292, Université Lyon 1.
Meike BARTELS Institut de recherche en santé publique d’Amsterdam,
Centre médical de l’Université d’Amsterdam (Pays-Bas).
Flora BAT Service de pédopsychiatrie, hôpital Salvator, Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, Aix-
Marseille Université, Marseille ; Institut de neuroscience de la Timone, CNRS, Aix-Marseille
Université, Marseille.
Arnaud BÉAL Maître de conférences, Laboratoire VCR, École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique
de Paris – Équipe d’accueil « Religion, culture et société ». Membre de la coordination et facilitateur-
chercheur Capdroits.
Martin BENNY Professeur de psychologie, Collège Montmorency, Laval, Québec (Canada).
Jean-Luc Professeur des Universités en psychologie ; laboratoire du Centre de recherche sur le travail et le
BERNAUD développement (CRTD) EA4132, CNAM, Paris ; président de l’Association française de psychologie
existentielle (AFPE).
Laurent BOYER Hôpitaux universitaires de Marseille, Aix-Marseille Université, faculté de médecine – Secteur
Timone, EA 3279 : CEReSS ;
Centre d’étude et de recherche sur les services de santé et la qualité de vie.
Gaël BRULÉ Université de Genève (Suisse).
Nicolas BUREL UER-EPS, Haute École pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse).

Justin CARTER University of Northern Alabama (USA).

Aïna Université Grenoble-Alpes – Laboratoire Sport et Environnement social.


CHALABAEV

Léandre-Alexis Laboratoire de recherche sur le comportement social, département


CHÉNARD- de psychologie, Université du Québec à Montréal (Canada).
POIRIER

Maud Enseignante du second degré, diplômée en psychologie positive,


CHERRIER formée à la pleine conscience.

Damien École du Val-de-Grâce, Paris.


CLAVERIE

Antonia Maître de conférences HDR, Université Paris-Nanterre, EA 4430.


CSILLIK

David DA Service de pédopsychiatrie, hôpital Salvator, Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, Aix-


FONSECA Marseille Université, Marseille ; Institut de neurosciences de la Timone, CNRS, Aix-Marseille
Université, Marseille.
Virginie Maître de conférences, Université Rennes 2, LP3C (Laboratoire de Psychologie, Cognition,
DODELER Comportement, Communication).

Philippe Université du Québec à Trois-Rivières (Canada).


DUBREUIL

Fabien Professeur, Laboratoire interdisciplinaire en neurosciences, physiologie et psychologie :


FENOUILLET apprentissages, activité physique, santé (LINP2-2APS), Université Paris-Nanterre.

Guillaume Hôpitaux universitaires de Marseille, Aix-Marseille Université,


FOND faculté de médecine – Secteur Timone, EA 3279 : CEReSS –
Centre d’Étude et de recherche sur les services de santé et la qualité de vie.
Jacques FOREST ESG, Université du Québec à Montréal (Canada).

Marylène Curtin University, Perth (Australie).


GAGNÉ

Lionel GIBERT Institut de recherche biomédicale des armées ; département neurosciences et sciences cognitives ;
Unité NPS (NeuroPhysiologie du Stress),
Brétigny-sur-Orge et hôpital Paul-Brousse, APHP, Paris.
Clément Université Grenoble-Alpes, SENS, Grenoble.
GINOUX

Marc-Antoine Université du Québec à Montréal (Canada).


GRADITO
DUBORD

Anja HAGEN University of South-Eastern Norway (Norvège).


OLAFSEN

Sonja HEINTZ École de psychologie, Université de Plymouth, Drake Circus, Plymouth (Royaume Uni).

Jean HEUTTE Professeur, Université de Lille, ULR 4354 – CIREL – Centre Inter-universitaire de Recherche en
Éducation de Lille.
Sandrine Université Grenoble-Alpes, SENS, Grenoble.
ISOARD-
GAUTHEUR

Jenni Élise Queen Mary University of London (Royaume Uni).


KÄHKÖNEN
Hans Henrik Professeur associé, Université d’Aarhus, Danemark ;
KNOOP professeur extraordinaire, Université du Nord-Ouest, Afrique du Sud.
Andreas Chercheur associé, Institut für Systemisches Management und Public Governance Universität St.
M. KRAFFT Gallen (Suisse).
Dominique Université du Québec à Montréal (Canada).
LAVOIE

Anthony Université du Luxembourg (Luxembourg).


LEPINTEUR
Francesca Queen Mary University of London (Royaume Uni).
LIONETTI
Fred LUTHANS University of Nebraska-Lincoln (USA).
Fanny Maître de conférences, Laboratoire VCR, École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique
MARTEAU- de Paris – Équipe d’accueil « Religion, culture et société ».
CHASSERIEAU
Clément Université de Lorraine, APEMAC, Metz, Centre Pierre-Janet.
MÉTAIS
Marine Université du Québec à Trois-Rivières (Canada), APEMAC – EA 4360,
MIGLIANICO Université de Lorraine, Metz.
Paule Université du Québec à Trois-Rivières (Canada).
MIQUELON
Mathilde Docteure en psychologie et ingénieure en hygiène, sécurité
MOISSERON- et environnement ; laboratoire du Centre de recherche sur le travail
BAUDÉ et le développement (CRTD) EA4132, CNAM, Paris ; secrétaire
de l’Association française de psychologie existentielle (AFPE).
Kristin NEFF Université du Texas à Austin (USA).
Marie OGER Université de Lorraine, APEMAC, Metz, Centre Pierre-Janet.
Annie PAQUET Laboratoire interdisciplinaire en neurosciences, physiologie et psychologie : apprentissages, activité
physique, santé (LINP2-2APS), Université
Paris-Nanterre.
Yvan PAQUET Université du Tampon, La Réunion.
Virginie Laboratoire de recherche sur le comportement social
PAQUETTE – Université du Québec à Montréal (Canada).
Benjamin PATY Institut national de recherche et de sécurité au travail.
Marine Psychologue en doctorat au laboratoire interuniversitaire de psychologie « Personnalité, cognition,
PAUCSIK changement social », Université Grenoble-Alpes.
Anne Maître de conférences, Laboratoire VCR, École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique
PLANTADE- de Paris – Équipe d’accueil « Religion, culture et société ».
GIPCH

Michael Queen Mary University of London (Royaume Uni).


PLUESS
Anne-Laure Maître de conférences, Laboratoire VCR, École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique
POUJOL de Paris – Équipe d’accueil « Religion, culture et société ».
Willibald RUCH Département de psychologie, Université de Zurich (Suisse).
Philippe Université Grenoble-Alpes, SENS, Grenoble.
SARRAZIN

Yuri S. SCHARP Kimberley, Breevaart Center of Excellence for Positive Organizational Psychology, Erasmus
University Rotterdam (Pays-Bas).
Claudia SENIK Sorbonne Université et Paris School of Economics.
Rebecca Professeure des Universités en psychologie du développement, laboratoire « Développement,
SHANKLAND Individu, Personnalité, Handicap, Éducation », Université Lumière-Lyon 2.
Murielle Psychologue, doctorante, Université de Lorraine, APEMAC, Metz.
SMAILOVIC
Charlotte Maître de conférences, Laboratoire VCR, École de Psychologues Praticiens de l’Institut Catholique
SOUMET- de Paris – Équipe d’accueil « Religion, culture et société ».
LEMAN
Pierre-Louis Hôpitaux universitaires de Marseille, Aix-Marseille Université,
SUNHARY faculté de médecine – Secteur Timone, EA 3279 : CEReSS – Centre d’étude et de recherche sur les
DE VERVILLE services de santé et la qualité de vie.

Guillaume Psychologue, doctorant à l’Université Lumière-Lyon 2


TACHON et à l’École des psychologues praticiens.
Camille Louise Doctorante, Université de Lorraine, APEMAC, Metz.
TARQUINIO

Pascale Psychologue, Université de Lorraine APEMAC, Metz.


TARQUINIO
Anaïs John Molson School of Business, Montréal (Canada).
THIBAULT
LANDRY
Damien Université Grenoble-Alpes – Laboratoire « Sport et Environnement social ».
TESSIER
David Université Grenoble-Alpes – Laboratoire « Sport et Environnement social ».
TROUILLOUD
Marion Institut de recherche biomédicale des armées ; département Neurosciences et Sciences cognitives ;
TROUSSELARD Unité NPS (NeuroPhysiologie du Stress),
Brétigny-sur-Orge ; École du Val-de-Grâce, Paris et APEMAC, EA 4360 ; Université de Lorraine,
Nancy.
Michele Vassar College, Poughkeepsie (USA).
M. TUGADE
Robert Directeur, Chaire de recherche sur les processus motivationnels et le fonctionnement optimal,
J. VALLERAND Laboratoire de recherche sur le comportement social, département de psychologie, Université du
Québec à Montréal (Canada).
Charles Institut de recherche biomédicale des armées ; département Neurosciences et Sciences cognitives ;
VERDONK Unité NPS (NeuroPhysiologie du Stress),
Brétigny-sur-Orge.
Juriena D. DE Center of Excellence for Positive Organizational Psychology, Erasmus University Rotterdam (Pays-
VRIES, Bas).

Lianne P. DE Département de psychologie biologique, faculté des sciences


VRIES du comportement et du mouvement, Vrije Universiteit Amsterdam
(Pays-Bas).
Louise Teachers College, Columbia University, New York (USA).
S. WACHSMUTH

Margot P. VAN Département de psychologie biologique, faculté des sciences


DE WEIJER du comportement et du mouvement, Vrije Universiteit Amsterdam
(Pays-Bas).
Carolyn M. Bellevue University, Bellevue (USA).
YOUSSEF-
MORGAN
Tse YEN TAN Yale (USA).
Table des matières
Préface (Ed Diener)
Introduction

PARTIE 1 - CADRAGES THÉORIQUES


CHAPITRE 1 - LE FONCTIONNEMENT OPTIMAL EN SOCIÉTÉ : UNE ANALYSE
MULTIDIMENSIONNELLE DU BIEN-ÊTRE
1. Une analyse historique du bien-être
2. Perspectives contemporaines sur le bien-être
3. Le fonctionnement optimal en société
4. Le fonctionnement optimal en société et la passion
5. Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 2 - CONTRIBUTION DES NEUROSCIENCES À LA PSYCHOLOGIE POSITIVE


1. Les neurosciences : de quoi parle-t-on ?
2. Les neurosciences cognitives : un cadre conceptuel pour appréhender
l’adaptation
3. Les neurosciences biologiques : neuroplasticité et adaptation
4. Les neurosciences sociales : un cercle vertueux pour une adaptation
positive
5. Les neurosciences affectives : le plaisir et la récompense et leur
régulation
6. Les neurosciences de l’interaction sociale
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 3 - LES INFLUENCES GÉNÉTIQUES ET ENVIRONNEMENTALES SUR LE


BONHEUR ET LE BIEN-ÊTRE
1. Qu’est-ce que le bien-être ?
2. Revue des études de jumeaux antérieures sur le bien-être
3. Nouvelles conclusions des études de jumeaux sur le bien-être
4. Phénotypes apparentés
5. Influences spécifiques de la génétique moléculaire et de l’environnement
6. Les orientations futures
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 4 - MICROBIOTE ET BIEN-ÊTRE PSYCHIQUE


1. Physiologie du microbiote intestinal et des liens microbiote-intestin-
cerveau
2. Physiopathologie du microbiote et troubles mentaux associés
3. Soigner son microbiote pour augmenter son bien-être : régimes et
compléments alimentaires
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 5 - LES ENVIRONNEMENTS RECONSTITUANTS


1. Les environnements reconstituants (restorative environments)
2. Implications pratiques
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 6 - SPIRITUALITÉ, RELIGION ET PSYCHOLOGIE POSITIVE


1. Spiritualité et religion : ouverture conceptuelle
2. Spiritualité, religion au service de la santé
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 7 - L’ADAPTATION DANS LE CHAMP DE LA PSYCHOLOGIE POSITIVE :


QUELLES DISTINCTIONS ET RELATIONS CONCEPTUELLES ENTRE CROISSANCE POST-
TRAUMATIQUE, CHANGEMENT DE VALEURS ET RÉSILIENCE ?
1. Réflexions autour de la question de l’adaptation
2. Croissance posttraumatique
3. Adaptation et changement de valeurs
4. Résilience
Conclusion
Bibliographie
CHAPITRE 8 - LE BONHEUR A-T-IL SA PLACE DANS LA SOCIOLOGIE ?
1. À la recherche de traces du bonheur
2. Quels liens possibles entre sociologie et bonheur ?
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 9 - L’AUTOCOMPASSION : ACCUEILLIR SA SOUFFRANCE AVEC


BIENVEILLANCE ET GENTILLESSE
1. Qu’est-ce que l’autocompassion ?
2. Les trois facettes de l’autocompassion
3. Autocompassion et bien-être
4. Autocompassion et estime de soi
5. L’autocompassion dans les relations avec les autres
6. La compassion s’enseigne-t-elle ?
Conclusion
Bibliographie

PARTIE 2 - PSYCHOLOGIE POSITIVE ET SANTÉ


CHAPITRE 10 - LA SANTÉ MENTALE POSITIVE : HISTORIQUE, DÉVELOPPEMENT ET
ENJEUX ACTUELS
1. Le modèle de Keyes
2. Définition et composantes de la santé mentale positive
3. Vers une approche processuelle de la santé mentale
4. Perspectives pour les politiques et les interventions de promotion de la
santé
5. Santé mentale et rétablissement
6. Bénéfices des interventions de psychologie positive sur la santé mentale
Bibliographie

CHAPITRE 11 - PSYCHOTHÉRAPIES : QUELLES CONTRIBUTIONS DE LA


PSYCHOLOGIE POSITIVE ?
1. Plaidoyer pour une psychologie clinique intégrant les apports de la
psychologie positive
2. Spécificités et visées des interventions positives
3. Bienfaits des IPP selon les données de la littérature
4. Paramètres susceptibles de modifier les bienfaits des IPP
5. Préconisations cliniques pour mener à bien des IPP dans un cadre
psychothérapeutique
6. Questions restant à élucider
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 12 - LES RESSOURCES PSYCHOLOGIQUES : MODÈLES THÉORIQUES ET


APPLICATIONS
1. Que sont les ressources et quelles sont leurs approches et modèles
théoriques ?
2. Le rôle protecteur et facilitateur de la croissance psychologique des
ressources psychologiques
3. Nouveaux développements et perspectives
Bibliographie

CHAPITRE 13 - MINDFULNESS ET SANTÉ


1. Mindfulness : de quoi parle-t-on ?
2. Mindfulness : comment ça marche ?
3. Mindfulness : un enjeu pour la prévention de la santé
4. Mindfulness et santé mentale positive
Bibliographie

CHAPITRE 14 - VULNÉRABILITÉ, CAPABILITÉ ET RÉTABLISSEMENT : UN


CHANGEMENT DE MODÈLE DANS L’ACCOMPAGNEMENT PSYCHOLOGIQUE
1. Le thème de la vulnérabilité : un nouveau référent anthropologique et
éthique
2. L’approche par les capabilités : des potentialités de fonctionnement à
développer
3. Le concept de rétablissement : vers un nouvel équilibre du sujet
4. La psychothérapie brève à l’épreuve de la vulnérabilité
5. Mobiliser les capabilités des personnes en situation de handicap : un
recueil de consentement éclairé
6. Quand la remédiation cognitive aide à développer les ressources
cognitives chez les patients schizophrènes : un exemple de processus de
rétablissement
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 15 - L’ACTIVITÉ PHYSIQUE, UNE PRATIQUE DE PSYCHOLOGIE POSITIVE À


PROMOUVOIR POUR FAVORISER LE BIEN-ÊTRE DES JEUNES ET DES PERSONNES ÂGÉES
1. L’activité physique, un vecteur d’amélioration du bien-être
2. Les mécanismes explicatifs de la relation entre AP et bien-être
3. L’insuffisance d’activité physique, un constat préoccupant
4. Modèles théoriques du changement de comportement d’activité physique
5. Promouvoir l’activité physique chez les jeunes et les personnes âgées
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 16 - VOIR LE BON CÔTÉ DES CHOSES : COMMENT LES ÉMOTIONS


POSITIVES AMÉLIORENT LA SANTÉ ET LE BIEN-ÊTRE
1. Psychologie positive et santé physique
2. Psychologie positive et bien-être mental
3. Orientations futures
Bibliographie

CHAPITRE 17 - LA NATURE ET LA VALEUR DE L’ESPOIR. NOUVELLES


DÉCOUVERTES ISSUES DU BAROMÈTRE DE L’ESPOIR
1. L’espoir au quotidien
2. L’étude de l’espoir
3. Un concept transdisciplinaire de l’espoir
4. Présentation du Baromètre de l’espoir
5. Souhaits et valeurs
6. Croyances fondamentales et activités pratiquées par espoir
7. Confiance et sources d’espoir
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 18 - AMÉLIORER LA SANTÉ PAR L’HUMOUR


1. Qu’est-ce que l’humour et le sens de l’humour ?
2. Quel lien entretient l’humour avec la santé ?
3. Comment améliorer la santé par l’humour ?
Bibliographie

PARTIE 3 - PSYCHOLOGIE POSITIVE ET ÉDUCATION


CHAPITRE 19 - APPRENDRE LES COMPÉTENCES DE LA RÉSILIENCE À L’ÉCOLE
1. Deux types de programmes scolaires de résilience
2. Les stratégies et points à retenir pour développer des compétences de la
résilience à l’école de manière efficace
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 20 - LE POUVOIR DE CROIRE QUE L’ON A COMPRIS : PERSPECTIVE


DUALISTIQUE DE L’EXPÉRIENCE OPTIMALE D’APPRENTISSAGE TOUT AU LONG DE LA
VIE
1. La théorie de l’autotélisme : l’une des théories majeures de la
psychologie scientifique contemporaine
2. Le flow : l’émotion de s’apercevoir que l’on comprend
3. L’évolution du soi : à la recherche de la dimension sociale de
l’autotélisme-flow
4. L’expérience autotélique tout au long de la vie
5. Le côté obscur de l’expérience autotélique en contexte d’apprentissage
tout au long de la vie : le pouvoir de croire que l’on a compris
Bibliographie

CHAPITRE 21 - GRATITUDE ET JOIE À L’ÉCOLE : L’IMPACT DES ÉMOTIONS


POSITIVES DANS L’ÉDUCATION
1. L’impact des émotions positives en contexte scolaire
2. Le rôle des émotions positives dans la vie des étudiants
3. Le vécu des enseignants et la psychologie positive
4. Orientations futures
Bibliographie

CHAPITRE 22 - AMÉLIORER LA QUALITÉ DE VIE À L’ÉCOLE : LE RÔLE DES


INTERVENTIONS VISANT LE DÉVELOPPEMENT DE LA GRATITUDE ET DE LA PLEINE
CONSCIENCE
1. Efficacité des interventions fondées sur la gratitude
2. Efficacité des interventions fondées sur la pleine conscience à l’école
3. Limites et perspectives
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 23 - QUELLE PLACE POUR LA MOTIVATION DANS LA RÉUSSITE DES


ÉLÈVES ?
1. La motivation en quelques lignes
2. La théorie de l’autodétermination et réussite scolaire
3. La bienveillance de l’enseignant : son impact sur la motivation et la
réussite scolaire
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 24 - PEUT-ON ENVISAGER UNE ÉDUCATION POSITIVE ?


1. Le modèle JD-R appliqué à l’École, un cadre théorique original et
novateur
2. En quoi les exigences perçues par les élèves peuvent-elles nuire à leur
qualité de vie ?
3. De multiples ressources offertes par l’environnement éducatif
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 25 - GEELONG GRAMMAR SCHOOL : EXEMPLE D’UNE ÉCOLE


ORGANISÉE AUTOUR DE PRÉCEPTES D’ÉDUCATION POSITIVE
1. Histoire d’une rencontre entre Geelong Grammar School et l’éducation
positive
2. L’éducation positive à Geelong Grammar School
Conclusion et perspectives futures pour Geelong Grammar School
Bibliographie

CHAPITRE 26 - DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DANS LA SENSIBILITÉ AUX


EXPÉRIENCES POSITIVES : LE CAS DE L’ÉCOLE
1. Différences individuelles
2. Les effets positifs de l’école sur le développement des enfants
3. La sensibilité environnementale
4. La sensibilité avantageuse : le bon côté de la SE
5. Mesure de la sensibilité des enfants à l’aide de l’échelle
d’hypersensibilité de l’enfant
6. La sensibilité avantageuse dans le contexte scolaire
7. Discussion
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 27 - LES THÉORIES IMPLICITES DE LA PERSONNALITÉ : DÉTERMINANTS


DE L’ÉDUCATION ?
1. Quel est l’impact des théories implicites au quotidien ?
2. Comment se développent les théories implicites ?
3. Comment modifier les théories implicites ?
Conclusion
Bibliographie

PARTIE 4 - PSYCHOLOGIE POSITIVE ET ORGANISATIONS


CHAPITRE 28 - LE RÔLE DE LA PASSION DANS LE FONCTIONNEMENT OPTIMAL ET
LA RÉSILIENCE EN CONTEXTE ORGANISATIONNEL
1. La psychologie de la passion
2. Certaines conséquences de la passion
3. Passion et résilience
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 29 - L’APPRECIATIVE INQUIRY, UNE TECHNIQUE D’ACCOMPAGNEMENT


QUI DONNE VIE AUX ENTREPRISES ?
1. Les formes d’AI
2. Objectif du chapitre
3. Vers un développement de la vitalité organisationnelle ?
4. Impacts de l’AI en milieu organisationnel et mécanismes engagés
5. Une mise en œuvre complexe
6. L’AI, approche révolutionnaire de l’accompagnement au changement ou
pratique qui questionne ?
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 30 - COMMENT L’APPROCHE PAR LES FORCES FAVORISE-T-ELLE LE


FONCTIONNEMENT OPTIMAL DES COLLABORATEURS ? UNE EXPLICATION PAR LA
THÉORIE DE L’AUTODÉTERMINATION
1. Problématique et objectif
2. Les bienfaits de l’approche par les forces
3. Les ressources que l’approche par les forces offre aux travailleurs
4. Les mécanismes explicatifs de la relation entre les ressources de
l’approche par les forces, le bien-être et la performance au travail
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 31 - L’ÉCONOMIE DU BIEN-ÊTRE SUBJECTIF


1. La place du bonheur dans l’économie
2. Quels sont les déterminants principaux du bien-être subjectif ?
3. Comment le bien-être subjectif influence-t-il nos comportements et nos
décisions ?
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 32 - LES THÉORIES DU CONTRÔLE AU TRAVAIL


1. Contrôle, stress et bien-être au travail
2. Contrôle, motivation et passion au travail
Conclusion et perspectives
Bibliographie

CHAPITRE 33 - L’APPROCHE LUDIQUE DU TRAVAIL : UNE APPROCHE POSITIVE DES


TÂCHES PROFESSIONNELLES
1. L’approche ludique du travail : un nouveau concept
2. Jouer pendant le travail
3. Un comportement proactif au travail
4. L’approche ludique du travail
5. Mesurer l’approche ludique du travail
6. D’autres preuves empiriques issues d’études de journaux de bord
7. Implications pratiques
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 34 - ACTIVITÉ PHYSIQUE ET BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL : MÉCANISMES


PSYCHOLOGIQUES EXPLICATIFS ET INTERVENTIONS SUR LE LIEU DE TRAVAIL
1. Quels sont les liens entre l’AP et le bien-être au travail ?
2. Quels sont les mécanismes impliqués dans la relation entre l’AP et le
bien-être au travail ?
3. Quels sont les résultats des interventions visant l’amélioration du bien-
être professionnel par l’AP ?
4. Quelles sont les limites et les perspectives des recherches sur les liens
entre l’AP et le bien-être au travail ?
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 35 - MINDFULNESS ET ENTREPRISE


1. Cadre général
2. La pleine conscience
3. Bénéfices de la pleine conscience en entreprise
4. Management et pleine conscience
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 36 - LA COMMUNAUTÉ COMME RESSOURCE DANS LE PARCOURS DE VIE


1. Méthodologie
2. Résultats
3. Synthèse conclusive de l’étude de cas
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 37 - LA RÉMUNÉRATION (N’)EST (PAS) UNE QUESTION D’ARGENT


1. La théorie de l’autodétermination (TAD) et ses postulats
2. Les implications de la TAD pour les significations et l’utilisation de
l’argent
3. L’argent et le point de satiété
4. Les différentes significations de l’argent et ce que nous pouvons faire
pour les améliorer
5. Devrait-il y avoir une différenciation entre les salaires (ou pas) ?
6. Et les bonus ?
7. L’avenir de la rémunération
Conclusion
Bibliographie

CHAPITRE 38 - CAPITAL PSYCHOLOGIQUE POSITIF ET PERFORMANCE AU TRAVAIL


1. Les ressources qui constituent le capital psychologique
2. Les caractéristiques scientifiquement établies du capital psychologique
3. Les résultats du capital psychologique
4. Les mécanismes du capital psychologique
5. Implications pratiques
Bibliographie

PARTIE 5 - L’AVENIR DE LA PSYCHOLOGIE POSITIVE


CHAPITRE 39 - LA PSYCHOLOGIE POSITIVE DU FUTUR : PLAIDOYER POUR UNE
HARMONIEUSE COMPLEXITÉ
1. L’avenir approche à grands pas
2. La psychologie positive est la psychologie normale
3. Complexité et fondements de la psychologie positive
4. La complexité : principal catalyseur, facteur de stress universel et facteur
essentiel d’adaptation
5. Apprendre : accroître simultanément la complexité et l’équilibre
6. La nature complexe de la complexité
7. Évolution et croissance de la complexité
8. Vers trop de tout, ou simplement vers l’abondance ?
9. La complexité harmonieuse comme principe directeur pour la recherche
et ses applications
Bibliographie

CHAPITRE 40 - LES RISQUES IDÉOLOGIQUES DE LA PSYCHOLOGIE POSITIVE


1. Définition et trajectoire de la psychologie positive
2. Psychologie positive et psychologie critique
3. Un regard vers l’avenir… positif
Bibliographie
Conclusion
Bibliographie
Préface
C’est avec plaisir que je rédige la préface de ce tout nouveau Grand Manuel
de psychologie positive. Depuis plusieurs décennies, je contribue au
développement de cette discipline, qui prospère aujourd’hui dans le monde
entier. Je suis heureux de constater qu’il en est de même en France avec ce
nouvel ouvrage dirigé par Charles Martin-Krumm et Cyril Tarquinio. Les
chercheurs et les scientifiques ont très vite compris que les modèles nouveaux
et parfois innovants qu’apporte la psychologie positive fournissent de
nombreux éléments permettant d’étayer leurs travaux théoriques et de
conceptualiser leurs objets d’étude. La rigueur et l’essor de la recherche ainsi
que le nombre de publications sont autant d’éléments qui ont très vite
convaincu le monde scientifique. Mais la force de la psychologie positive
réside dans le fait qu’elle est aussi un point d’ancrage pour l’action et
l’intervention. C’est pourquoi les praticiens, qu’ils soient psychologues ou
coachs, ont rapidement trouvé dans cette discipline une nouvelle façon
d’appréhender et d’intervenir dans l’environnement psychosocial pour
transformer les individus, mais aussi pour intervenir et agir auprès des
groupes, des entreprises et même de la société dans son ensemble.
L’ouvrage de Charles Martin-Krumm et Cyril Tarquinio concentre en un
seul volume ce qu’il faut savoir sur la psychologie positive. Le premier est
sans doute le chercheur français dans ce domaine qui bénéficie de la plus
grande reconnaissance internationale compte tenu de ses collaborations et de
son dynamisme. Charles Martin-Krumm est l’un des rares au monde à avoir
participé à tous les congrès internationaux de psychologie positive depuis
2002, tant au niveau européen que mondial. Cela lui a permis d’être toujours
à la pointe du domaine. Le second, Cyril Tarquinio, est de ceux qui ont su
s’engager très tôt dans la voie de l’innovation, notamment en développant la
thérapie EMDR en France. Avec Charles Martin-Krumm, il a créé un cursus
de psychologie positive dans un contexte académique qui demeure parfois
sceptique. Cette capacité d’innovation l’a conduit à créer le premier centre
clinique universitaire de psychothérapie, le Centre Pierre-Janet à Metz, où
sont intégrées, développées et évaluées les approches liées à la psychologie
positive. Porté par ces deux auteurs, cet ouvrage va donc bien au-delà de
l’essentiel. Il s’agit d’une synthèse, d’un état des lieux des connaissances
actuelles, à nouveau disponible et mis à jour après le premier Traité de
psychologie positive que ces mêmes auteurs ont dirigé il y a dix ans. Ils ont
su fédérer autour d’eux tous les experts du domaine, ce qui fait de ce livre un
impressionnant ouvrage de référence.
Ce volume présente un corpus de connaissances qui devrait permettre à la
communauté scientifique et à tous ceux qui s’intéressent à la psychologie
positive de parfaire leur vision de la discipline. Ce livre intègre des
contributions issues de multiples domaines pour saisir la complexité des
objets d’étude que la psychologie positive tente de décrire et de comprendre.
Il ne s’agit pas d’un ouvrage contemplatif qui se contente de théoriser sans
jamais prendre le risque de s’engager. Les concepts sont discutés, mis en
perspective, remis en question et finalement placés dans une perspective
interdisciplinaire et intégrative.
Enfin, ce livre a une autre qualité : l’humilité. L’humilité de considérer qu’il
est possible de regarder les choses différemment, de manière globale, et qui
apprécie de voir des approches diverses se compléter plutôt que s’opposer.
Une grande partie de ce qui est publié en psychologie positive, en particulier
à destination des professionnels et du grand public, s’appuie sur la recherche
scientifique. On l’oublie trop souvent, et le fait que les ouvrages de
vulgarisation se vendent en grande quantité sur le « dos » de la psychologie
positive fait certainement du bien à cette discipline car leur approche
contribue au développement du bien-être de nos concitoyens. Mais ces succès
de librairie ne doivent pas faire oublier que les connaissances produites
proviennent d’une recherche académique qui travaille constamment à valider
des modèles et à leur donner une cohérence théorique et scientifique. Ces
notions que nous voyons fleurir ici et là, qui font la promotion d’une vision
optimiste du monde, ne « tombent pas du ciel ». Elles sont l’œuvre de
chercheurs, que nous avons trop souvent tendance à oublier et à occulter, et
qui sont les véritables pionniers de cette discipline. Les vulgarisateurs, s’ils
occupent une place importante, s’ils mettent les acquis de la psychologie
positive à la portée du plus grand nombre, ne doivent pas oublier d’où vient
leur inspiration. Il serait bon qu’ils rendent hommage à ces chercheurs et aux
autres scientifiques qui sont les véritables créateurs des concepts qu’ils
manipulent et simplifient, mais qu’ils s’approprient trop souvent, laissant
croire qu’ils en sont à l’origine. Il ne fait aucun doute que ce nouveau manuel
sera un moteur de vulgarisation, mais en attendant, ce sont les chercheurs et
l’ensemble du champ de la psychologie positive qui sont mis à l’honneur
dans ce livre.
Pour conclure, je dirais qu’il s’agit d’un ouvrage de valeur ! Comme le
disait Paul Valéry : « Un livre vaut à mes yeux par le nombre et la nouveauté
des problèmes qu’il crée, anime ou ranime dans ma pensée… J’attends de
mes lectures qu’elles me produisent de ces remarques, de ces réflexions, de
ces arrêts subits qui suspendent le regard, illuminent des perspectives et
réveillent tout à coup notre curiosité profonde… »
Prenez plaisir à la lecture de cet excellent ouvrage !
Ed Diener
Rédiger la préface d’un livre est une responsabilité qu’il convient de ne pas
prendre à la légère : cela vous engage et c’est supposé cautionner son
contenu. Ed Diener avait accepté de le faire pour le présent ouvrage. Force
est donc de constater que pour nous, c’était un soutien majeur dans le projet
de ce Grand Manuel de la Psychologie Positive. C’est donc avec une grande
tristesse que nous avons appris son décès en avril 2021. C’était l’un des
chercheurs phares dans le champ de la psychologie positive mondiale.
Premier président du réseau mondial de psychologie positive, il a reçu le
prestigieux prix William James 2013. Au-delà du chercheur et de
l’enseignant qu’il était, au-delà de sa contribution scientifique, au-delà des
actions qu’il a menées pour contribuer à l’éducation de tous en mettant des
manuels de psychologie gratuitement à la disposition des enseignants, c’était
une belle personne, humaine, généreuse et bienveillante. Il manquera à
l’ensemble de la communauté.
Professeurs Charles Martin-Krumm et Cyril Tarquinio
Mai 2021
Introduction1
Il y a une quinzaine d’années, il eût été possible de considérer que la
psychologie positive ne serait qu’une étoile filante dans les paysages
scientifiques national et international. Force est de constater qu’il n’en est
rien et qu’elle est au contraire de plus en plus présente, affirmant tant dans les
champs théoriques qu’appliqués des positions originales et créatives. Depuis
son apparition officielle à la fin des années 1990-début des années 2000
(e. g. Seligman & Csikszentmihalyi, 2000), elle a été régulièrement critiquée,
plus ou moins habilement, souvent dans la communauté scientifique. Elle a
aussi été, dans une certaine mesure, le plus souvent adulée par le « grand
public », comme si elle pouvait représenter une recette miracle face à tous les
maux de la société et des souffrances individuelle ou collective. Ces
plaidoyers en sa faveur ont été tout autant que les critiques, plus ou moins
habiles. Alors si critiques il doit y avoir, de quelles natures devraient-elles
être ? Qu’est-il légitime de questionner ? Et si plus-value il doit y avoir, de
quelle nature est-elle ? Quels points de vue scientifiques ?
Des réponses à ces questions ont déjà été apportées dans les nombreux
ouvrages qui sont maintenant disponibles en langue française, notamment
dans le Traité de psychologie positive qui fête son dixième anniversaire
(Martin-Krumm & Tarquinio, 2011). Le présent ouvrage n’a pas pour
vocation de mettre à jour l’existant mais plutôt d’apporter des réponses aux
questions qui sont parfois les mêmes mais sous des angles novateurs qui, en
2011, n’en étaient qu’à leurs balbutiements. Certains parmi ceux-ci
bénéficient de solides assises théoriques éprouvées au fil des années
notamment dans le domaine du fonctionnement optimal des individus, des
groupes ou des institutions. La volonté intégratrice de ce courant va se
retrouver tout au long de l’ouvrage, apportant sous l’angle de prismes divers
et complémentaires des réponses à des problématiques souvent proches
touchant à la santé, à l’éducation, ou à l’environnement organisationnel. Les
choix ont été opérés en fonction de l’actualité des champs respectifs,
notamment lors des congrès scientifiques, français, européens et mondiaux
qui ont eu lieu depuis 2011 (années paires, congrès européens et mondiaux
les années impaires). À la différence du Traité qui avait été structuré plutôt
autour de deux grandes parties, théorique et pratique, là ce sont donc les
différents axes évoqués précédemment qui structurent celui-ci, à l’instar
souvent des manifestations scientifiques.
Le contenu de cet ouvrage va aussi permettre de mesurer combien les
suggestions de Lalande et Vallerand (2011) se sont révélées
rétrospectivement visionnaires et combien ce qu’ils pressentaient était fondé.
Dans quelle mesure leur contribution de l’époque, une analyse des besoins
actuels de la psychologie positive et quelques suggestions quant à son avenir
(p. 658-671) pourrait avoir servi de prisme d’analyse dix années plus tard ?
Ils avaient identifié cinq pistes destinées à combler les besoins de la
psychologie positive telle qu’elle se dessinait en 2011, une intégration
théorique, développer des recherches en sciences biologiques, généraliser les
phénomènes en psychologie positive, élargir le champ d’étude de l’individu à
la société, et accentuer le côté appliqué de la psychologie positive. Nous
allons revenir sur chacun de ces points.
Tout d’abord était évoqué un besoin d’intégration théorique. Difficile de
considérer qu’elle soit effective. Elle en est plutôt à ses balbutiements encore.
En effet, quand il s’agit de définir précisément ce que sont la psychologie
positive et son assise théorique, ce qui revient le plus souvent c’est évoquer
un courant intégrateur au sein duquel finalement tout se passe comme si tout
était psychologie positive ce qui est inconfortable à tenir dans le discours. En
effet, que ce soit le bien-être, le fonctionnement optimal, les ressources, ou
les forces, à un niveau individuel ou groupal, nombreux sont les champs de la
psychologie qui sont concernés sans que ceux-ci établissent forcément de
liens avec la psychologie positive. Aussi il convient de reconnaître qu’en
l’état, une telle intégration théorique est insuffisante et encore à construire.
Elle sera donc difficile à retrouver dans cet ouvrage même si, à l’instar des
propositions de Lalande et Vallerand, l’actualité des champs suggérés comme
pouvant permettre la définition de cette métathéorie, à savoir les théories de
l’autodétermination, de l’élargissement constructif des émotions positives et
le modèle dualiste de la passion est développé dans certains des chapitres à
suivre.
La recherche en sciences biologiques a en revanche donné lieu à des pistes
novatrices dans l’exploration des phénomènes liés au bien-être, au
fonctionnement optimal ou à l’épanouissement individuel. Certaines sont
développées ici traitant notamment du microbiote, des aspects génétique et
épigénétique du bien-être ainsi que les chapitres s’appuyant sur les
neurosciences. Ces approches sont de plus en plus développées lors des
manifestations scientifiques majeures comme lors du congrès de
l’International Positive Psychology Association (IPPA) de Melbourne qui
s’est déroulé en 2019, l’un des plus importants depuis l’organisation des
événements consacrés depuis 2009 avec plus de 1 600 participants.
D’ailleurs, l’élection de Judith Moskowitz, neuroscientifique, à la tête de
l’IPPA (Présidente de 2019 à 2021) et de celle à suivre de Meike Bartels,
spécialiste de la génétique, ne peut être que le reflet de ces nouvelles
approches dans le champ. Sur ces développements de la recherche, il semble
donc que Lalande et Vallerand aient bien été visionnaires, ayant pressenti les
orientations futures de la recherche.
La généralisation des phénomènes observés est incontestablement en cours
également. En effet, le recours de plus en plus massif à des études réalisées
via des recueils des données accessibles par internet rend non seulement
possible l’accès à différents types de publics et non plus seulement à un
public estudiantin comme cela est évoqué dans l’ouvrage de 2011, mais en
outre ouvre une possibilité de plus en plus grande aux études panculturelles.
Bien sûr de telles études avaient déjà été publiées dès les années 1990 avec
certains travaux d’Ed Diener (e. g. Diener, Diener, & Diener, 1995). L’accès
à internet a incontestablement offert une opportunité que nombre de
chercheurs ont su saisir afin de se livrer à des études qui non seulement ne se
limitent plus aux seuls étudiants qu’ils ont en face d’eux lors des cours
dispensés, ni à un nombre limité de participants mais qui peuvent permettre à
des participants de nombreuses nations de participer à l’instar du baromètre
de l’espoir développé par le suisse Andreas Krafft (voir chapitre 17 du
présent ouvrage). La réponse à ce besoin couvre au moins partiellement celui
qui consiste à élargir le champ d’étude de l’individu à la société. Des
associations comme La Fabrique Spinoza ou des auteurs comme Jacques
Lecomte par exemple, viennent contribuer à la réponse à ce besoin
également. Ces aspects sont effectivement très importants. À quoi bon
développer un champ d’étude traitant du bien-être, de l’épanouissement, ou
du fonctionnement optimal des individus, des groupes ou des sociétés si les
résultats des recherches n’apportent pas un mieux vivre au plus grand
nombre ? Certes beaucoup reste à faire mais ces volontés existent à différents
niveaux.
Pour finir, le dernier point qui a été évoqué concerne le côté appliqué de la
psychologie positive, autrement dit à la fois la conception des interventions et
l’évaluation de leur efficacité. Ici, force est de constater qu’un vaste champ
d’étude est ouvert, que ce soit dans les domaines de la santé, de l’éducation
ou de l’entreprise. Des exemples vont être donnés dans les différents
chapitres proposés.
Avant d’entrer plus dans le contenu lui-même de l’ouvrage, il est donc aisé
de constater que ce que Lalande et Vallerand pressentaient en 2011 se réalise
petit à petit même si beaucoup reste encore à accomplir, ce qui rend aussi la
recherche stimulante. Il était finalement important pour nous de vérifier la
cohérence du présent ouvrage au regard du précédent afin d’en évaluer sa
pertinence et finalement de confirmer l’inscription durable de la psychologie
positive dans le champ scientifique.
Le présent volume est donc structuré sur la base de cinq parties distinctes.
La première est dédiée à différents cadrages théoriques. Tout d’abord, compte
tenu du fait que régulièrement la psychologie positive est considérée comme
étant une science du bonheur, Robert Vallerand, récent récipiendaire du
prestigieux Prix William James et ancien président élu du réseau mondial de
psychologie positive (IPPA), et Léandre-Alexis Chénard-Poirier vont faire un
point théorique, comment le définir et exposer différents modèles. Marion
Trousselard, Charles Verdonk et Damien Claverie vont ensuite proposer des
apports des neurosciences à la psychologie positive. Des éléments de
génétique et d’épigénétique seront ensuite proposés par Meike Bartels,
présidente élue de l’IPPA, Margot P. van de Weijer et Lianne P. de Vries
pour comprendre le bien-être et le fonctionnement, comme ceux proposés par
Pierre-Louis Sunhary de Verville, Guillaume Fond et Laurent Boyer avec
l’apport de l’alimentation et le rôle du microbiote. Compte tenu de son
actualité, la contribution de la psychologie positive au respect de
l’environnement et les liens avec l’écologie seront développés par Virginie
Dodeler. Cyril Tarquinio et ses co-auteurs aborderont les liens entre
psychologie positive, spiritualité et religion. Dans la période de pandémie qui
frappe l’ensemble de la planète, en espérant que nous en parlerons
rapidement au passé, il était inévitable de positionner la résilience et la
croissance post-traumatique sous l’angle de la psychologie positive. Clément
Métais, Nicolas Burel, Cyril Tarquinio et Charles Martin-Krumm apporteront
leur contribution sur ce point et Gaël Brulé développera une approche
sociologique du bonheur. La dernière contribution à cette partie théorique
concernera un concept émergeant dans le champ, l’auto-compassion, qui sera
développé par Kristin Neff, qui le porte au niveau international.
La deuxième partie traitera de la contribution de la psychologie positive à la
santé ou formulé différemment, comment la santé peut-elle être envisagée
sous l’angle de la psychologie positive. La contribution de Marine Paucsik,
Martin Benny et Rebecca Shankland a pour vocation de positionner la santé
mentale positive comme approche novatrice en la matière. Colette Aguerre
présentera des travaux issus de la psychologie positive concernant les
psychothérapies. De manière complémentaire, Antonia Csillik apportera une
seconde contribution qui traitera des ressources psychologiques. Les liens
entre pleine conscience (mindfulness) et santé seront développés par Charles
Verdonk, Lionel Gibert, Aude Azema et Marion Trousselard. Dans le
domaine de la prise en charge et du rétablissement, l’équipe de chercheurs de
l’École de psychologues praticiens de Paris, Fanny Marteau-Chasserieau,
Arnaud Béal, Anne-Laure Poujol, Charlotte Soumet-Leman, Elodie Barat,
Anne Plantade-Gipch, Charles Martin-Krumm et Jacques Arènes aborderont
la vulnérabilité, la capabilité et le rétablissement. Damien Tessier, David
Trouilloud et Aïna Chalabaev apporteront des éléments relatifs à l’apport de
l’activité physique à la qualité de vie. Michele Tugade et son équipe
montreront en quoi les émotions positives peuvent se révéler importantes
pour la santé, et Andreas Krafft en quoi l’espoir l’est tout autant en proposant
une étude comparative issue du baromètre de l’espoir permettant de le
mesurer à travers les nations. Pour clore cette partie dédiée à la santé, Sonja
Heintz et Willibald Ruch montreront que l’humour peut apporter une
contribution significative.
La troisième partie a pour vocation de présenter quelques thématiques en
lien avec l’éducation. La première est proposée par Clément Métais, Marie
Oger et Nicolas Burel. Des programmes de résilience à destination des élèves
vont être présentés ainsi que, lorsqu’ils sont disponibles, des résultats
concernant leur efficacité. Jean Heutte, dans la ligne de la publication de son
récent ouvrage, va présenter le concept de flow et l’impact qu’il peut avoir en
environnement éducatif. Le rôle des émotions dans ce champ sera abordé par
Michele Tugade et son équipe. Rebecca Shankland, Maud Cherrier et
Guillaume Tachon présenteront pour leur part des liens entre la pleine
conscience, la gratitude et la qualité de vie des élèves ainsi que celle des
enseignants. Ce sera pour elle l’occasion de présenter à la fois des
programmes éducatifs qu’elle a conçus et les premiers résultats de
l’évaluation de leur efficacité. Bien sûr, chacun connaît l’importance de la
motivation comme moteur des apprentissages des élèves et de leur réussite.
Annie Paquet, Fabien Fenouillet et Yvan Paquet en présenteront des leviers.
Des programmes intégratifs prenant en compte un ensemble des concepts qui
viennent d’être évoqués sont susceptibles de se retrouver dans des
programmes d’éducation positive. C’est ce que proposeront Marie Oger,
Annie Paquet, Rebecca Shankland, Yvan Paquet, Cyril Tarquinio, Clément
Métais et Charles Martin-Krumm. Plusieurs travaux révèlent que pour que
ces programmes soient efficaces, il y a des variables de personnalité qui sont
susceptibles d’interagir, accentuant leur effet bénéfique, ou alors au contraire,
les inhibant. C’est ce que Jenni Elise Kähkönen, Francesca Lionetti et
Michael Pluess vont développer avec le concept de sensibilité, sa définition,
ses modalités d’évaluation et ses conséquences. Autre condition susceptible
d’influencer les processus d’enseignement/apprentissage, ce sont les théories
implicites de la personnalité telles qu’elles sont définies et étudiées par David
Da Fonseca. Ce chapitre viendra clore cette partie dédiée à l’éducation.
La quatrième partie est pour sa part en lien avec le contexte organisationnel,
quels concepts issus de la psychologie positive vont pouvoir impacter la
qualité de vie des salariés, la performance, et l’environnement de l’entreprise
au sens large. La première contribution sera celle de Robert Vallerand et
Virginie Paquette qui exposera l’impact de la passion, ses effets bénéfiques
mais aussi délétères selon les conditions. L’appreciative inquiry est reconnue
comme étant une technique d’accompagnement au changement efficace en
entreprise. Marine Miglianico, Philippe Dubreuil, Paule Miquelon et Charles
Martin-Krumm se proposent de faire un point quant à ses principes d’action
et les effets qu’il est légitime d’en attendre. Marc-Antoine Gradito Dubord,
Dominique Lavoie et Jacques Forest vont ensuite positionner les forces de
caractère des collaborateurs comme ressource de l’entreprise sous le prisme
de la théorie de l’autodétermination. Le bien-être en entreprise sera
questionné par Anthony Lepinteur et Claudia Senik. En effet, il est légitime
de se demander s’il peut y trouver sa place, considérant que le travail est
souvent source d’aliénation. Yvan Paquet et Benjamin Paty vont apporter un
éclairage concernant l’environnement organisationnel au travers les théories
du contrôle. Le concept d’approche ludique du travail sera abordé par Arnold
Bakker, Yuri Scharp, Kimberley Breevaart et Juriena de Vries dans la suite
de ces éléments. Sandrine Isoard-Gautheur, Clément Ginoux et Philippe
Sarrazin développeront pour leur part un chapitre concernant l’intérêt de
pratiquer une activité physique comme déterminant potentiel de la qualité de
vie au travail. Dans le même registre, la pratique de la méditation de pleine
conscience, et comme dans l’environnement scolaire, peut avoir des effets
bénéfiques dans cet environnement particulier qu’est l’entreprise. C’est ce
que Marion Trousselard va démontrer dans ce chapitre. Mathilde Moisseron-
Baudé et Jean-Luc Bernaud pour leur part, vont pointer l’importance du sens
dans l’environnement professionnel au travers du prisme de la psychologie
existentielle. C’est dans cette même logique que Jacques Forest, Anja Hagen
Olafsen, Anaïs Thibault Landry et Marylène Gagné montreront que la
rémunération (n’) est (pas) une question d’argent. L’ultime chapitre dédié à
l’apport de la psychologie positive à l’environnement professionnel sera celui
consacré au capital psychologique positif, concept de plus en plus d’actualité
dans le champ, développé relativement récemment par Carolyn Youssef-
Morgan, Fred Luthans et Justin Carter.
À l’instar du Traité de psychologie positive à la fin duquel une partie était
consacrée à un essai concernant son avenir, la cinquième partie du présent
ouvrage sera elle aussi dédiée à une tentative de prédiction quant à ce que le
champ pourrait devenir d’ici une dizaine d’années. Forcément, il sera
nécessaire de revenir sur ce questionnement consistant à interroger le
développement durable du champ, de le positionner sur le plan
épistémologique et de faire le point quant à ce que certains perçoivent comme
étant une tyrannie du bonheur que la psychologie chercherait à imposer. C’est
à Hans-Henrik Knoop, ancien président élu du réseau européen, que
reviendra la mission de brosser un futur possible de la psychologie positive.
Pour finir, Charles Martin-Krumm, Jean Heutte et Cyril Tarquinio viendront
apporter ces éléments destinés à lever les malentendus quant à ce qu’il est
légitime d’en attendre.
Cyril Tarquinio et Charles Martin-Krumm concluront cet ouvrage dans
lequel on retrouve finalement la triple temporalité de la recherche en
psychologie : celle des définitions conceptuelles et des assises théoriques
avec l’étude des interactions entre variables. Il pourrait être possible de
considérer qu’il s’agit de la partie la plus fondamentale dans les travaux de
recherches. C’est l’orientation principale de la première partie de cet ouvrage
sachant qu’elle se retrouve aussi dans différentes contributions tout au long
de l’ouvrage et qu’il s’agit sans doute de l’aspect majoritairement développé.
La richesse de l’ouvrage révèle la dynamique des recherches concernant cet
aspect en particulier. La seconde temporalité concerne la mise au point des
interventions. En effet, forts des résultats obtenus sur les plans théoriques,
conceptuels et exploratoires, certains chercheurs ont fait de leur mise au point
leur domaine d’excellence. Mais on retrouve cette temporalité en arrière-plan
souvent de la troisième évoquée, celle de l’évaluation des effets de ces
interventions. De nouveau, cet ouvrage donne un aperçu du dynamisme du
champ dans les domaines de la santé, de l’éducation ou de l’environnement
organisationnel. Chacun pourra juger à la lecture des différents chapitres.
C’est en tous les cas cette volonté qui nous a animés. Bonne lecture.

Bibliographie
Lalande, D., & Vallerand, R. (2011). Une analyse des besoins actuels de la psychologie
positive et quelques suggestions quant à son avenir. In C. Martin-Krumm et C. Tarquinio
(éd.), Traité de psychologie positive (657-671). Bruxelles : De Boeck.
1. Par Charles Martin-Krumm et Cyril Tarquinio.
Partie 1
Cadrages théoriques
Chapitre 1
Le fonctionnement optimal en
société :
une analyse multidimensionnelle
du bien-être1

Sommaire
1. Une analyse historique du bien-être
2. Perspectives contemporaines sur le bien-être
3. Le fonctionnement optimal en société
4. Le fonctionnement optimal en société et la passion
5. Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Dans ce chapitre, nous proposons une perspective
multidimensionnelle du bien-être soit le « fonctionnement optimal
en société » (FOS). Selon le FOS, une personne fonctionne de
façon optimale lorsqu’elle présente un haut niveau de bien-être
psychologique, social, et physique, qu’elle est performante dans
son domaine d’activité principale et qu’elle contribue à la société.
L’une des façons d’atteindre cet état consiste à s’engager dans
des activités par passion harmonieuse.
Résumé long
La psychologie positive consiste à l’étude scientifique des facteurs
qui mène au bien-être, soit au fonctionnement optimal d’une
personne. On remarque toutefois une absence de consensus sur
la définition du bien-être. Or, afin de pouvoir le favoriser, il faut
pouvoir le définir. Historiquement, le bien-être a été réduit soit à un
état de plaisir, soit à une quête de sens à la vie. Les théories
contemporaines proposent quant à elle que le bien-être soit un
phénomène multidimensionnel caractérisé par les aspects
adaptatifs du fonctionnement d’une personne. Toutefois, elles ne
s’entendent pas sur les aspects ou dimensions du fonctionnement
devant être considérés et se concentrent plus étroitement sur le
fonctionnement psychologique. La perspective du
« fonctionnement optimal en société » (FOS) propose qu’une
personne fonctionne de façon optimale lorsqu’elle présente un
haut niveau de bien-être psychologique, social, et physique, qu’elle
est performante dans son domaine d’activité principale et qu’elle
contribue à la société. Les dimensions du FOS s’avèrent promues
par un engagement soutenu dans diverses activités accomplies
avec une passion harmonieuse, un prédicteur connu du bien-être.
Les recherches réalisées à ce jour sur la passion et le FOS
soutiennent cette perspective.

Mots-clés : bien-être, fonctionnement optimal en société, passion.


Questions
• Historiquement, comment le bien-être a-t-il été défini ?
• Quelles sont les caractéristiques communes des théories
contemporaines du bien-être ?
• Comment l’approche du Fonctionnement optimal en société
répond-elle aux limites des théories contemporaines du bien-être
global ?
• Comment la passion harmonieuse peut-elle être favorisée le FOS
et pourquoi ?

La raison d’être de la psychologie positive est de comprendre ce qui amène


une personne à vivre une « belle vie » (traduction libre de good life). Au
début du siècle dernier, Seligman et Csikszentmihalyi (2000), deux membres
fondateurs de ce courant, proposaient que la psychologie positive représente
l’étude scientifique des facteurs favorisant le bien-être et l’épanouissement
des individus, des familles et des communautés. Toutefois, afin de mieux
comprendre ce qui mène au bien-être humain, faut-il encore être en mesure
de le définir. Il règne actuellement un consensus sur la prémisse que le bien-
être concerne les aspects adaptatifs du fonctionnement humain. De plus, il est
reconnu que le bien-être humain soit un phénomène multidimensionnel
complexe qui ne peut être réduit à la simple présence d’un état de plaisir
momentané. Néanmoins, on constate que les principaux théoriciens de ce
domaine ne s’entendent pas sur les dimensions qui composent le bien-être.
Exemplifiant la multiplicité des perspectives présentes, une grande quantité
de concepts ont été proposés afin de définir le bien-être tels le bonheur, le
bien-être psychologique, le bien-être subjectif, le bien-être hédonique, le
bien-être eudémonique, l’épanouissement, le fonctionnement optimal, etc.
(Diener et al., 1999, 2010 ; Huppert & So, 2013 ; Keyes, 2002 ; Ryan &
Deci, 2001 ; Ryff, 1989 ; Seligman, 2011 ; Vittersø, 2013 ; Waterman et al.,
2010).
Ce chapitre a pour premier objectif d’offrir un tour d’horizon du concept du
bien-être. Il débute par un aperçu historique du concept de bien-être de
l’antiquité au XXe siècle. Ce bref retour historique permet au lecteur de
comprendre l’évolution des diverses conceptualisations du bien-être à travers
le temps et de constater à quel point celles-ci font encore écho dans les
modèles contemporains. Par la suite, les principales conceptualisations
contemporaines du bien-être sont présentées et brièvement analysées. Une
attention toute particulière est accordée au modèle de Fonctionnement
optimal en société (FOS ; Vallerand, 2013, 2015), un modèle
multidimensionnel du bien-être qui pallie certains éléments problématiques
des conceptualisations contemporaines. De plus, en lien avec le modèle
dualiste de la passion (MDP ; Vallerand, 2010, 2015), on s’attardera au rôle
de la qualité de l’implication de la personne dans diverses activités
significatives pour le développement et le maintien du fonctionnement
optimal en société.

1. Une analyse historique du bien-être


La définition du bien-être a été un sujet de réflexion et de débat depuis le
moment où l’être humain s’est intéressé à la compréhension de sa condition.
Cet intérêt constant s’est traduit dans une abondance de conceptualisations
ancrées dans la pensée de philosophes, théologiens ou scientifiques, cela
depuis des millénaires. Sans être exhaustifs, nous illustrons ci-dessous
certaines de ces perspectives qui ont su influencer les conceptualisations
contemporaines.

1.1 De l’Antiquité aux Lumières


La question du bien-être fut au cœur de la pensée de plusieurs philosophes
de la Grèce antique. Par exemple, Socrate (469-399 avant notre ère) proposa
que le réel bonheur passe par la connaissance de soi, suggérant ainsi que la
vraie nature de ce qui est intrinsèquement bon se trouve dans les vérités
immuables de la psyché humaine (Robinson, 1990). Offrant une proposition
similaire, Platon (427-347 avant notre ère) avança que la sagesse, de laquelle
découle l’atteinte du bonheur, se trouve dans un monde qui transcende la
simple expérience des sens. Selon Compton et Hoffman (2013), ces divers
courants de pensée, notamment la philosophie de Platon, sont à la source de
l’idée contemporaine que le bonheur s’acquiert par la recherche d’une vie qui
a un sens et un but.
Aristote (384-322 avant notre ère) proposa quant à lui une vision plus
nuancée du bonheur, suggérant qu’il puisse exister sous deux formes
cooccurrentes (Deci & Ryan, 2008 ; Helliwell, 2003 ; Ryan et al., 2008 ;
Vittersø, 2016). La première forme correspond à ce qui est aujourd’hui
appelé le bien-être hédonique. Ce type de bien-être se définit comme étant
l’obtention d’un maximum de plaisir émanent de la richesse, de la forme
physique, de la beauté, de la gloire, etc. La seconde forme correspond à ce
que l’on nomme aujourd’hui le bien-être eudémonique et fait quant à elle
écho aux conceptualisations de Socrate et Platon. Cette forme de bien-être est
atteinte par une vie d’activités vertueuses donnant un sens à la vie. Aristote
avance ainsi que le bien-être comporte l’idée qu’il faille non seulement « bien
vivre » (c’est-à-dire l’hédonisme), mais aussi « vivre bien » (c’est-à-dire
l’eudémonisme). Toutefois, s’il considère l’hédonisme comme une forme de
bien-être préconisé ou adopté par une majorité d’individus, le réel bonheur, le
réel bien-être, s’acquiert toutefois par l’intermédiaire de l’eudémonisme.
L’hédonisme ne serait pas une fin en soi, mais un moyen d’atteindre le réel
bien-être.
On remarque ainsi que deux visions du bien-être sont proposées, l’une
centrée sur le plaisir et l’autre centré sur la quête de sens. Sheldon (2004)
constate que même si ces perspectives ne sont pas conceptuellement
opposées, les différents courants de pensée portant sur le bien-être au cours
de l’histoire auront tendance à mettre l’accent sur l’une ou l’autre de ces
perspectives. Par exemple, une emphase sur l’aspect eudémonique du bien-
être est adoptée par Socrate, Platon et dans une certaine mesure Aristote.
Cette philosophie fait ainsi parallèle à plusieurs théismes suggérant que
l’atteinte du bonheur réel se trouve dans la vie après la mort et s’atteigne par
la conduite d’une vie pieuse et dévote respectant un ensemble de diktats. Au
contraire, au siècle des Lumières, on note un intérêt marqué pour la
perspective hédonique. Par exemple, des philosophes comme Bacon, Hobbes,
Hume et Locke soutenaient que la poursuite de l’intérêt personnel
représentait une composante importante du bonheur.

1.2 Introduction au concept du bien-être en


psychologie
Cette dualité entre plaisir et quête de sens dans la définition du bien-être a
eu un impact profond sur les premières conceptualisations du bien-être en
psychologie. Celle-ci est particulièrement flagrante dans le second topique de
Freud (1927 ; publication originale 1923), suggérant que la psyché humaine
soit composée du « ça » étant un réservoir de pulsions obéissant au principe
du plaisir, du « surmoi » renfermant les idéaux que nous désirons atteindre,
ainsi que nos normes et standards moraux, et du « moi » tentant de concilier
ces deux structures. À l’instar de ce qui est observé dans les siècles
précédents, on remarque que la plupart des conceptualisations du bien-être
proposées par divers théoriciens en psychologie au XXe siècle poursuivent
cette tendance à prioriser soit l’eudémonisme, soit l’hédonisme.
Ainsi, au courant des dernières décennies, plusieurs conceptualisations du
bien-être ont adopté une perspective eudémonique (Martela & Sheldon,
2019). Or on observe que cette vision du bien-être a été principalement
popularisée par les théoriciens du courant de la psychologie humaniste. Par
exemple, Rogers (1961) s’intéressa au processus menant à l’atteinte du plein
potentiel d’une personne et suggéra que la satisfaction des besoins de base
d’une personne passe par un état de cohérence ou de congruence entre
l’individu (c’est-à-dire le soi) et son environnement. De façon similaire,
l’atteinte du bien-être pour Maslow (1971) passe par un processus
d’actualisation de soi se concluant par la transcendance de l’intérêt personnel
au profit de l’intérêt collectif. En cohérence avec cette perspective, plusieurs
conceptualisations récentes du bien-être adoptant une perspective
eudémonique ont mis l’accent sur l’importance de percevoir que sa vie à un
sens, une direction et des buts, ainsi que sur le processus d’actualisation de
soi passant par la pratique d’activités personnellement signifiantes. Par
exemple, Ryff (1989) proposa le concept de « bien-être psychologique », un
état psychologique complexe caractérisé par un haut degré d’acceptation de
soi, des relations positives avec autrui, la perception d’être autonome, de
contrôler son environnement, de se développer et de percevoir que sa vie a un
sens. Parallèlement, Waterman (1990) proposa que le bien-être eudémonique
réfère à un ensemble de sentiments relatifs à l’expression de soi qui sont
ressentis lorsqu’une personne a l’impression de développer son potentiel qui
sera utilisé dans la quête de buts existentiels. Plus spécifiquement, Waterman
et al. (2010) proposent que le bien-être soit un état caractérisé par un
engagement intense dans des activités qui sont personnellement importantes
pour la personne et qui sont une source de plaisir, ainsi que par la perception
que la personne apprend sur elle-même, qu’elle développe ses potentiels et
que sa vie ait un but et un sens.
En revanche, plusieurs conceptualisations du bien-être ont adopté une
perspective hédonique. Il a été suggéré que le bien-être puisse être
adéquatement capturé par la simple expérience d’émotions positives (par
exemple, Kahneman et al., 1999). Élargissant cette perspective, Diener et al.
(1999) ont proposé le concept de « bien-être subjectif » un état qui se
caractérise par la présence d’émotions positives, l’absence d’émotions
négatives, ainsi qu’une perception générale de satisfaction de vie.
On relève, de ce bref historique non exhaustif de la conceptualisation du
bien-être, que la dualité entre hédonisme et eudémonisme prend non
seulement sa source dans un courant philosophique datant de plusieurs
millénaires, mais aussi que celle-ci a traversé l’épreuve du temps, imprégnant
fortement les théories psychologiques du bien-être au XXe siècle. On peut
ainsi se demander si l’une ou l’autre de ces perspectives représente
effectivement le bien-être tel que vécu par l’humain ou si au contraire elles ne
seraient pas les deux composantes d’un bien-être humain complexe et
holistique ? Les conceptualisations contemporaines du bien-être humain
tentent ainsi une réponse à cette question.

2. Perspectives contemporaines sur le bien-


être
2.1 Le bien-être serait hédonique,
eudémonique et bien plus
Les principaux chercheurs adhérents au courant de la psychologie positive
s’entendent non seulement pour dire que toute conceptualisation du bien-être
devrait considérer les perspectives hédonique et eudémonique (voir
Vallerand, 2016), mais aussi considérer le bien-être comme étant un construit
multidimensionnel s’intéressant à de multiples aspects du fonctionnement
d’un individu (par exemple Seligman, 2011 ; Vallerand, 2013 ; Vittersø,
2013). Cet état de bien-être global est parfois nommé « épanouissement »
(traduction libre de flourishing) et est défini par Butler et Kern (2016, p. 2)
comme étant un état optimal de fonctionnement qui découle du bon
fonctionnement d’un individu dans différentes sphères psychosociales. Nous
utiliserons ces deux termes (épanouissement et bien-être global) comme
équivalents et en conséquence utiliserons les deux dans le chapitre. D’un
intérêt particulier, cet état de bien-être global est donc considéré comme étant
le reflet du « fonctionnement optimal » d’une personne. Or, si l’on s’entend
généralement sur les principes portés par cette définition, on observe que les
principales conceptualisations proposées dans la littérature en psychologie
positive suggèrent différentes sphères ou dimensions psychosociales. Ces
modèles peuvent être subdivisés en deux grandes catégories.
Bien-être global (aussi appelé épanouissement)
État optimal de fonctionnement qui découle du bon fonctionnement d’un
individu dans différentes sphères psychosociales.
Dans un premier temps, certains théoriciens considèrent le bien-être comme
étant un syndrome présentant des symptômes opposés à ceux d’états
pathologiques tels la dépression ou les troubles d’anxiété. Afin de recevoir un
« diagnostic » d’épanouissement, une personne présentant un fonctionnement
optimal doit présenter différents symptômes touchants à divers aspects de son
fonctionnement psychosocial. Par exemple, Keyes (2002, 2005) avance
qu’une personne ayant un fonctionnement optimal doit présenter plusieurs
symptômes de bien-être émotionnel (c’est-à-dire ressentir des émotions
positives, être satisfait dans la vie, ou ressentir du bonheur), couplé à des
symptômes de ce qu’il qualifie de « signes de fonctionnement positif » qui se
déclinent par des indicateurs de bien-être social (c’est-à-dire perception de
contribuer à un ensemble social, bonne intégration sociale, actualisation
sociale et perception de cohérence sociale) et des indicateurs de bien-être
psychologique (c’est-à-dire acceptation de soi, perception d’avoir du contrôle
sur son environnement, relations positives avec autrui, perception de
développement personnel, perception d’autonomie et perception que sa vie à
un but). Présentant une conceptualisation similaire, Huppert et So (2013)
avancent qu’une personne épanouie doit ressentir des émotions positives,
couplées de la présence de ce qu’ils appellent des « caractéristiques
personnelles positives » (c’est-à-dire stabilité émotionnelle, vitalité,
optimisme, résilience et forte estime de soi) et des « indicateurs de
fonctionnement positif » (c’est-à-dire engagement, perception de
compétence, perception que sa vie à un sens et présence de relations
positives).
Dans un second temps, d’autres théoriciens ont proposé une approche
multidimensionnelle plus simple. Au contraire des approches diagnostiques
du bien-être, une personne ayant un « fonctionnement optimal » manifeste de
hauts niveaux de fonctionnement dans diverses sphères psychosociales
(Seligman, 2011 ; Sheldon, 2004 ; Vallerand, 2013). Nous précisons ici que
le niveau de fonctionnement doit être élevé dans chacune des sphères
psychosociales considérées par une théorie, étant donné l’absence de
consensus sur les dimensions représentant le fonctionnement humain. Par
exemple, Seligman (2011) considère l’épanouissement comme étant
l’expérience simultanée d’émotions positives, d’engagement dans la vie (un
état similaire au concept de flow proposé par [Csikszentmihalyi, 1990]), de
relations positives avec autrui, de perception que la vie a un sens et un but,
ainsi que de perception de s’accomplir. Diener et al. (2010) considèrent quant
à eux l’épanouissement comme étant un état de bien-être psychologique et
social qui est généralement mesuré à l’aide des indicateurs de fonctionnement
suivants : percevoir que sa vie a un sens et un but, avoir du soutien social et
des relations interpersonnelles gratifiantes, être engagé et intéressé dans ses
activités quotidiennes, contribuer au bonheur et au bien-être d’autrui, être
optimiste par rapport à son futur, ainsi que percevoir être compétent dans les
activités importantes pour soi.
À l’instar de ce qu’avancent Forgeard et al. (2011) et Hone et al. (2014), on
ne peut que constater qu’il ne semble pas y avoir de consensus sur les sphères
du fonctionnement humain devant être considérées afin d’adéquatement
évaluer le bien-être global d’une personne. Ainsi, on peut se demander si ces
conceptualisations contemporaines brossent un portrait précis du bien-être
humain. N’oublions pas que la raison d’être fondamentale de la psychologie
positive est l’identification des facteurs favorisant le bien-être. Or comment
peut-on atteindre cet objectif sans savoir ce que l’on souhaite favoriser
spécifiquement ?
Dans ce cadre, deux constats semblent importants. Dans un premier temps,
bien que le bien-être inclue la dimension psychologique, il ne peut s’y
limiter, sinon des sphères de fonctionnement importantes seront omises.
Appuyant cette perspective, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
considère qu’une personne en santé le soit physiquement, mentalement et
socialement (WHO, 1948). Dans un second temps, il est crucial de distinguer
entre les sphères de fonctionnement et leurs déterminants. Par exemple,
certains modèles suggèrent que des facteurs dispositionnels telle la stabilité
émotionnelle (Huppert & So, 2013) ou des facteurs motivationnels comme la
perception d’autonomie (Keyes, 2002) ou d’engagement (Diener et al., 2010 ;
Huppert & So, 2013 ; Seligman, 2011) devraient être considérés comme étant
des dimensions de fonctionnement humain nécessaires à l’évaluation du bien-
être d’une personne. Or ces variables seraient plutôt des déterminants du
fonctionnement et non des sphères de fonctionnement. En effet, dans une
étude impliquant un échantillon de jumeaux, Keyes et collaborateurs (2015)
ont observé une distinctivité relativement importante entre le bien-être et la
personnalité, telle que mesurée par les traits d’ouverture, d’esprit
consciencieux, d’extraversion, d’agréabilité et de stabilité émotionnelle du
« Big 5 ». Keyes et ses collaborateurs mettent ainsi en garde contre toute
équivalence trop directe entre des facteurs dispositionnels comme les traits de
personnalité et le bien-être. De plus, il est généralement accepté que les traits
de personnalité sont des prédicteurs du bien-être (par exemple : Diener et al.,
1999, 2003 ; Friedman & Kern, 2014). Ils ne pourraient alors servir
d’indicateurs du bien-être. Il en va de même pour les facteurs motivationnels
telle la perception d’autonomie. Une perception de soutien de sa propre
autonomie (par exemple : Gillet et al., 2012 ; Uysal et al., 2017) ou une
satisfaction du besoin psychologique d’autonomie (par exemple : Van den
Broeck et al., 2016) représentent généralement des antécédents du bien-être
psychologique et non des indicateurs du bien-être en tant que tel.
L’importance de cette distinction est fondamentale en psychologie positive,
les antécédents devant servir de fondement à la création d’interventions et les
sphères de fonctionnement devant servir de critères à l’évaluation de leur
efficacité.
En résumé, l’apport des approches actuelles du bien-être psychologique va
bien au-delà de la simple intégration des perspectives hédonique et
eudémonique. Elles suggèrent que l’être humain soit considéré comme un
système composé de multiples sphères de fonctionnement psychosocial
englobant plusieurs domaines de la vie (Diener et al., 2004 ; Ford & Smith,
2007 ; Sheldon, 2004). Ainsi, afin d’être dans un état optimal de bien-être, ce
système se doit de montrer un haut niveau de fonctionnement dans diverses
sphères psychosociales (Constantine & Sue, 2006 ; Ford & Smith, 2007). Le
bien-être humain est donc un concept multidimensionnel complexe de haut
fonctionnement où les dimensions du bien-être sont distinguées de leurs
antécédents.

3. Le fonctionnement optimal en société


Le modèle du FOS proposé par Vallerand (2013, 2015) prend en compte les
deux éléments mis de l’avant ci-dessous. En effet, il propose une
conceptualisation multidimensionnelle de la nature du bien-être qui est
distinguée de ses déterminants. En ce qui concerne la nature du bien-être, le
FOS postule qu’un individu fonctionnant de façon optimale en société
présente un haut niveau de bien-être psychologique, physique, ainsi que
social. De plus, l’individu est performant dans son domaine d’activité
principal (par exemple : travail, études, famille, etc.) et il contribue à sa
communauté ou plus généralement à la société. Intéressons-nous à ce que
cette définition implique, comment elle s’intègre dans la perspective des
conceptualisations du bien-être et comment elle s’en distingue.
Fonctionnement optimal en société (FOS)
État de fonctionnement optimal caractérisé par un haut niveau de bien-être
psychologique, physique, et social, un haut niveau de performance dans le
domaine d’activité principale, ainsi que la perception de contribuer à sa
communauté ou plus généralement à la société.
D’un point de vue général cette définition est cohérente avec les autres
approches actuelles du bien-être. Tout d’abord, le modèle de Vallerand
(2013) considère le bien-être comme une évaluation multidimensionnelle des
sphères de fonctionnement humain. De plus, cette conceptualisation est
cohérente avec la proposition de Sheldon (2004) qui suggère que ce qui est
« optimal » dans le fonctionnement d’un individu, c’est de présenter un haut
niveau de fonctionnement dans chacune des sphères considérées. Cette
perspective est ainsi conforme à l’approche adoptée par les
conceptualisations de Diener et al. (2010) et de Seligman (2011).
Le modèle du FOS considère les domaines de fonctionnement qui se
recoupent dans les conceptualisations actuelles soit, le bien-être
psychologique, le bien-être social et la performance, tout en excluant les
antécédents du fonctionnement. Dans un premier temps, la majorité de ces
conceptualisations considère à la fois des indicateurs de bien-être hédonique,
telle la présence d’émotions positives, ainsi que des indicateurs de bien-être
eudémonique, telle la perception que la vie à un sens et à un but (Huppert &
So, 2013 ; Keyes, 2005 ; Seligman, 2011). Vallerand (2013) propose que le
domaine de fonctionnement relatif au bien-être psychologique considère ces
deux perspectives. En plus, une personne ne peut être fonctionnelle sans
entrer en relation avec autrui (Baumeister & Leary, 1995). Ainsi, toutes les
conceptualisations soutiennent qu’une personne se doit d’avoir des relations
sociales satisfaisantes, gratifiantes, soutenantes, chaleureuses et fondées sur
la confiance (Diener et al., 2010 ; Huppert & So, 2013 ; Keyes, 2005 ;
Seligman, 2011). Finalement, les conceptualisations actuelles du bien-être
considèrent généralement une forme de performance, de compétence ou
d’engagement soit dans la vie en général (Keyes, 2005 ; Huppert & So,
2013 ; Seligman, 2011) ou encore dans la conduite d’activités importantes
(Diener et al., 2010). Le modèle FOS suggère quant à lui qu’une personne
devrait être performante dans son domaine d’activité principale (Vallerand,
2013, 2015). Il s’agit ici de l’activité dans laquelle l’individu va dédier la plus
grande partie de son temps et de son énergie, tels son emploi, ses études, etc.
Cette perspective sur la performance adoptée par Vallerand (2013, 2015)
découle des théories du bien-être eudémonique suggérant que la conduite
d’activités importantes pour une personne et intimement liées à son identité
soit un élément important du bien-être (Martela & Sheldon, 2019 ;
Waterman, 1990 ; Waterman et al., 2010).
Le modèle du FOS toutefois se distingue des modèles actuels, celui-ci ayant
pour objectif d’offrir une évaluation globale du fonctionnement humain
intégré dans un ensemble social plus grand. Premièrement, en cohérence avec
la définition de la santé de l’OMS (WHO, 1948), le bien-être physique est
considéré dans ce modèle comme un domaine central du fonctionnement
humain. Deuxièmement, Vallerand (2013, 2015) avance qu’une personne
démontrant un haut niveau de bien-être psychologique, social, ainsi que
physique et qui est performante dans son domaine principal d’activité n’est
pas pour autant pleinement fonctionnelle dans la société. En effet, Vallerand
(2013, 2015) avance qu’afin d’être optimalement fonctionnelle, une personne
doit aussi contribuer à sa communauté ou à la société en général. Cette
perspective provient des théories humanistes de Rogers (1961) et Maslow
(1971) qui suggèrent que le fonctionnement humain englobe non seulement
le fonctionnement individuel, mais aussi une transcendance de soi au profit
des autres. Si cette vision n’est pas partagée par tous les modèles de
l’épanouissement, elle est tout de même implicite dans les conceptualisations
de Diener et al. (2010 ; c’est-à-dire contribuer au bonheur et au bien-être
d’autrui), ainsi que de Keyes (2005 ; c’est-à-dire, perception de contribuer à
un ensemble social), qui suggèrent que la contribution à la société soit un
indicateur de bien-être.
Des études récentes ont procuré un soutien à la validité du modèle de
FOS. Spécifiquement, dans le cadre de deux études, Chénard-Poirier et al.
(2021) ont démontré à l’aide d’analyses factorielles exploratoires et
confirmatoires que la structure factorielle du FOS était soutenue. Les diverses
sphères de fonctionnement (c’est-à-dire, bien-être psychologique, physique et
relationnel, performance et contribution à la société) se sont ainsi avérées
distinctes empiriquement. Cette même recherche a aussi montré (Étude 1)
que l’ensemble des sphères de fonctionnement étaient liées positivement
entre elles, en plus d’être liées positivement à divers indicateurs de bien-être
psychologique et social (c’est-à-dire émotions positives, engagement dans la
vie, relations positives avec autrui, perception que sa vie a un sens et un but,
perception de s’accomplir, satisfaction dans la vie, émotions positives et
négatives), ainsi que négativement la présence d’émotions négatives. De
même, toutes les sphères de fonctionnement du FOS étaient liées
positivement à divers indicateurs de santé physique (c’est-à-dire vitalité et
qualité du sommeil). Toutes les dimensions du FOS étaient aussi liées
négativement à des indicateurs de mauvaise santé physique (c’est-à-dire
douleur et prise de médicamentation), à l’exception de la contribution à sa
communauté ou à la société qui n’y était pas liée. Enfin, la même structure du
FOS se généralisait chez les adultes indépendamment de l’âge, du sexe, ou du
domaine d’activité principale (travail ou étude) des participants sondés
(Études 1 et 2). Une échelle, soit l’ÉFOS est maintenant validée et prête à être
utilisée en recherche.
Dans l’ensemble, ces résultats soutiennent la validité de cette
conceptualisation tout en suggérant que le bien-être psychologique, social et
physique, ainsi que la performance et la contribution à sa communauté ou à la
société contribuent tous à un construit global latent de bien-être humain.

4. Le fonctionnement optimal en société et


la passion
Afin de bien positionner le FOS dans le contexte de la psychologie positive,
cette dernière section s’intéresse aux conditions favorisant l’émergence de cet
état de fonctionnement optimal. L’une des propositions mentionnées
précédemment porte sur le rôle des processus motivationnels et notamment
de la passion pour une activité significative dans le développement et le
maintien du FOS. Il s’agit donc ici de préciser le rôle de l’engagement dans
ce type d’activités dans la promotion du bien-être.
Au cœur des théories eudémoniques du bien-être, on retrouve cette idée que
l’engagement dans diverses activités importantes pour une personne
contribue au développement et au maintien du bien-être. Ainsi, il a été
proposé que des activités qui favorisent la croissance d’une personne, qui
sont intimement intégrées à sa personnalité et/ou qui satisfont ses besoins
psychologiques seraient des vecteurs de bien-être (Martela & Sheldon, 2019 ;
Sheldon & Lyubomirsky, 2019 ; Waterman et al., 2010). Or, le MDP
(Vallerand, 2010, 2015 ; Vallerand et al., 2003 ; Vallerand & Houlfort, 2019)
postule que le concept de la passion envers une activité importante et bien
intégrée dans son identité contribue au développement de la personne
(Vallerand & Rapaport, 2017) et son épanouissement (St-Louis et al., 2020).
Ainsi, la passion représente ainsi une voie royale vers le bien-être. Toutefois,
le MDP postule qu’il ne faille pas seulement considérer l’engagement dans
l’activité, mais aussi la qualité de cet engagement, apportant une nuance
importante au rôle des activités significatives dans la promotion du bien-être.
Passion
Forte inclinaison envers une activité que la personne aime, qu’elle trouve
importante, dans laquelle elle investira une grande quantité de temps et
d’énergie sur une base régulière et qui fait partie intégrante de son
identité.
Le MDP (Vallerand, 2010, 2015 ; Vallerand et al., 2003) définit la passion
comme étant une forte inclinaison envers une activité que la personne aime,
qu’elle trouve importante, dans laquelle elle investira une grande quantité de
temps et d’énergie sur une base régulière et qui fait partie intégrante de son
identité. Cette théorie stipule qu’une passion se développe à la suite de
l’internalisation (intégration) de l’activité à l’identité. Or, en fonction du type
d’internalisation, la passion peut prendre une forme harmonieuse ou
obsessive, et c’est notamment la forme harmonieuse qui mène à de hauts
niveaux de bien-être.
La passion harmonieuse se développe lorsqu’une personne s’engage
librement dans une activité seulement parce qu’elle l’aime. Étant donné
l’absence de contrainte, cette activité passionnée est internalisée de façon
autonome à son identité, ce qui permet une intégration harmonieuse avec les
autres sphères de l’identité (Ryan & Deci, 2017). Cela fait en sorte que la
personne ne se définisse pas uniquement par sa passion. Dès lors, la passion
devient une force motivationnelle importante, mais contrôlable. De plus, la
pratique de l’activité passionnée s’accompagnera d’un état de flow,
d’émotions positives et de satisfaction (Vallerand, 2015).
Passion harmonieuse
Forme de passion qui résulte d’une internalisation autonome d’une activité
significative à l’identité, permettant une intégration harmonieuse avec les
autres sphères de l’identité et de la vie de la personne. La passion
harmonieuse est caractérisée par un contrôle de l’engagement dans activité
significative que la personne aime, ce qui favorise le FOS.
En revanche, la passion obsessive se développe lorsque l’individu ne
s’engage pas uniquement dans l’activité parce qu’il l’aime, mais aussi pour
ses contingences, comme l’acceptation sociale ou l’augmentation de l’estime
de soi (Lafrenière et al., 2011 ; Mageau et al., 2011). L’activité est donc
internalisée à l’identité de manière dite contrôlée par les contingences
externes (Ryan & Deci, 2017). La personne ressent donc une envie
compulsive et rigide de s’engager dans sa passion, pour obtenir ces
contingences externes, cela même si cet engagement entre en conflit avec
d’autres sphères de sa vie personnelle. La pratique de l’activité passionnante
occupe alors une trop grande place dans l’identité de la personne et
s’accompagne généralement de cognitions envahissantes (par exemple
rumination) et d’émotions négatives (Vallerand, 2015), ce qui nuit au bien-
être de l’individu. Remarquons que peu importe le type de passion, la
personne pratique l’activité qui fait partie de son identité parce qu’elle l’aime
et qu’elle la trouve importante. Pourtant, seule la passion harmonieuse
s’avère promouvoir le bien-être. Spécifiquement, le MDP montre que les
motifs d’engagement doivent aussi être considérés. En d’autres termes,
s’engager dans l’activité pour l’activité elle-même favoriserait le bien-être,
alors que l’engagement pour l’activité et ses contingences pourrait avoir un
effet moins adaptatif et parfois délétère.
Passion obsessive
Forme de passion qui résulte d’une internalisation contrôlée par des
contingences externes de l’activité significative à l’identité, ce qui mène à
des conflits avec les autres sphères de l’identité et de la vie de la personne.
La passion obsessive est caractérisée par un engagement compulsif, rigide
et hors de contrôle dans une activité significative que la personne aime et
qui peut entraver le FOS.
Plusieurs études ont démontré le rôle adaptatif de la passion harmonieuse en
ce qui concerne les divers éléments du FOS étudiés de façon indépendante.
Ainsi, la passion harmonieuse est liée positivement à chacune des sphères de
fonctionnement considérées dans ce modèle, soit le bien-être psychologique
et la performance (Curran et al., 2015), le bien-être physique (Schellenberg
et al., 2019), le bien-être social, soit la présence de relations sociales de
qualité (Philippe et al., 2010 ; Séguin-Levesque et al., 2003 ; Utz et al.,
2012), ainsi que la contribution à la société par l’implication dans diverses
causes sociales (Gousse-Lessard et al., 2013 ; St-Louis et al., 2016). Au
contraire, on observe que la passion obsessive est généralement liée
négativement ou non liée aux domaines de fonctionnement du modèle FOS, à
l’exception de la performance résultant de la conduite obsessive de l’activité,
et de l’implication excessive voir extrémiste, dans des causes qui peuvent
servir la société (pour une revue exhaustive, voir Vallerand, 2013, 2015).
D’autres études plus récentes ont étudié le rôle de la passion dans le FOS en
mesurant toutes les dimensions du FOS dans le cadre de la même étude. Par
exemple, dans le cadre de quatre études, Verner-Filion et al. (2021) ont
démontré l’apport positif de la passion harmonieuse à chacune des sphères de
fonctionnement du FOS. Précisément, ceux-ci ont montré dans deux études
avec un devis transversal que la passion harmonieuse était liée positivement à
chacune des sphères du FOS dans différents échantillons de travailleurs
(Étude 1 et Étude 2). La passion harmonieuse s’est aussi avérée être liée
positivement aux dimensions du FOS mesurées à quatre mois d’écart chez
des étudiants (Étude 3). La pratique harmonieuse d’une passion a même été
liée positivement à presque toutes les dimensions du FOS mesurées à sept
années d’écart avec un échantillon d’infirmiers et d’infirmières (Étude 4). La
seule dimension non liée était la santé physique, ce qui est compréhensible
étant donné le vieillissement de ces participants pratiquant une profession très
exigeante. En revanche, dans ces diverses études, la passion obsessive était
soit liée négativement, soit non liées aux diverses sphères du FOS, selon les
études. Donc, en lien avec nos hypothèses, dans l’ensemble la passion
harmonieuse contribue au FOS, alors que ce n’est pas le cas de la passion
obsessive.

5. Conclusion
En conclusion, nous voudrions attirer l’attention du lecteur sur les deux
messages principaux de ce chapitre. Tout d’abord, définir et conceptualiser le
bien-être humain est une tâche excessivement complexe qui a occupé les
esprits depuis millénaires et qui continuera à le faire. À ce jour, il semble
toutefois y avoir un certain consensus autour du fait qu’il faille dépasser la
dualité du bien-être hédonique et eudémonique, afin de se concentrer sur le
fonctionnement global de l’être humain. Dans cette optique, le modèle du
FOS (Vallerand, 2013, 2015) propose une représentation multidimensionnelle
et inclusive du bien-être global. Ce dernier inclut le bien-être psychologique,
social et physique, la performance dans la sphère d’activité principale de la
personne, ainsi que la contribution à sa communauté ou à la société.
Dans un second temps, faisant écho aux théories eudémoniques du bien-
être, il a été proposé que l’engagement dans des activités significatives pour
un individu représente un déterminant fondamental du fonctionnement
optimal. Toutefois, reposant sur le MDP, le FOS propose que la qualité de
l’engagement dans de telles activités joue un rôle fondamental dans cette
relation. Ainsi, ces activités significatives seraient une source de bien-être
uniquement lorsqu’elles sont accomplies avec une passion harmonieuse et
non une passion obsessive. Donc, en plus de proposer un nouveau construit
multidimensionnel du fonctionnement optimal, le FOS, et une mesure, nous
offrons aussi un modèle théorique permettant de prédire la nature de certaines
variables permettant de favoriser le FOS ou d’y nuire.
Plus de deux décennies après sa fondation, la psychologie positive
s’intéresse toujours aux questions entourant la définition du bien-être humain
et ses antécédents. Nous croyons que le FOS et le concept de passion puissent
apporter un éclairage nouveau à la psychologie positive. Dans ce cadre, les
recherches futures devraient s’avérer prometteuses.

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1. Par Léandre-Alexis Chénard-Poirier et Robert J. Vallerand.
Chapitre 2
Contribution des neurosciences
à la psychologie positive1

Sommaire
1. Les neurosciences : de quoi parle-t-on ?
2. Les neurosciences cognitives : un cadre conceptuel
pour appréhender l’adaptation
3. Les neurosciences biologiques : neuroplasticité et
adaptation
4. Les neurosciences sociales : un cercle vertueux pour
une adaptation positive
5. Les neurosciences affectives : le plaisir et la
récompense et leur régulation
6. Les neurosciences de l’interaction sociale
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Les neurosciences proposent des paradigmes et des techniques
d’enregistrement de l’activité cérébrale qui sont en plein essor.
Appliqués à la psychologie positive, ils permettent de proposer des
hypothèses mécanistiques pour appréhender le fonctionnement
optimal de l’individu et du groupe.
Résumé long
Les neurosciences ambitionnent d’appréhender les mécanismes
sous-tendant les comportements humains en situation et leur
transformation. Elles s’attachent à comprendre les conditions de la
neuroplasticité qui permettent une adaptation positive via les
comportements prosociaux. Elles posent l’importance de la
sécurité perçue et de ses corrélats neurophysiologiques pour
proposer un cadre de métacognition émotionnelle protectrice.
Cette métacognition serait associée à une meilleure régulation des
émotions positives et négatives pour permettre un fonctionnement
optimal. Notamment, elles proposent des réseaux
neurofonctionnels cibles et des corrélats neurobiologiques pour
évaluer l’efficacité des interventions déployés en psychologie
positive. Enfin, elles développent des paradigmes visant à
caractériser les interactions interpersonnelles positives ouvrant
ainsi la voie au développement d’interventions positives ajustées
au groupe. L’ensemble de ces champs d’études répond aux
questionnements de la psychologie positive en offrant un cadre
mécanistique neurofonctionnel et neurobiologique de
compréhension et d’évaluation des processus impliqués dans le
fonctionnement optimal de l’individu.

Mots-clés : énaction, neuroplasticité, neuroception, prosocialité,


sécurité perçue.
Questions
• Quelles sont les conditions psychophysiologiques permettant un
changement positif ?
• Quels sont les leviers d’un changement positif ?
• Quels sont les objectifs des neurosciences ?

1. Les neurosciences : de quoi parle-t-on ?


Le défi des neurosciences est de parvenir à un point de vue unifié du
fonctionnement du système nerveux à tous ses niveaux d’organisation
(cerveau, moelle épinière, nerfs, organes sensoriels…), chez le sujet vivant,
pour mieux appréhender les mécanismes sous-tendant les comportements
ainsi les pathologies dans lesquelles un dysfonctionnement cérébral est
incriminé. Une partie des neurosciences étudie les éléments constitutifs du
système nerveux (cellules, membranes, molécules) sans référence explicite au
comportement de l’organe en s’appuyant sur des méthodologies
principalement in vitro. Le second type de neurosciences a un lien direct avec
le comportement : ses mécanismes en sont explicitement l’objet, et il entre
dans la méthodologie comme une variable du plan expérimental. On parle au
sens large de neurosciences comportementales. Avec l’évolution des
connaissances scientifiques, liées entre autres aux capacités offertes par la
physique, les mathématiques et l’informatique (neurosciences
computationnelles), mais aussi la chimie incluant la génétique, se sont
développées des outils d’exploration fonctionnelle du cerveau qui permettent
d’avancer dans la compréhension de mécanismes cérébraux sous-tendant la
perception et ses biais, la mémoire et l’apprentissage, ou encore les effets du
« stress » sur les comportements humains à l’échelle de l’individu comme du
groupe, domaines jusqu’à présent réservés à la psychologie.
Neurosciences
Les neurosciences regroupent toutes les sciences impliquées dans l’étude
de l’anatomie et du fonctionnement du système nerveux (cerveau, moelle
épinière, nerfs, organes sensoriels…). L’objectif des Neurosciences est de
parvenir à un point de vue unifié du fonctionnement du système nerveux à
tous ses niveaux d’organisation, chez le sujet vivant.
Cette présentation succincte des neurosciences pose un cadre athéorique
pour l’étude des corrélats cérébraux des comportements humains permettant
« l’épanouissement ou le fonctionnement optimal des personnes et des
groupes », en laissant de côté l’aspect du fonctionnement optimal des
institutions (Gable et al., 2005). Il ne s’agit pas ici de questionner les
bénéfices de la psychologie positive en termes de dispositions positives,
d’interventions individuelles ou de groupe mais de s’interroger sur les
mécanismes cérébraux sous-jacents susceptibles de les permettre. Les
mécanismes et processus mis en avant dans ce chapitre s’inscrivent dans
diverses branches des neurosciences, témoignant de la complémentarité
nécessaire des champs d’étude qui les composent. Le choix des cibles
mécanistiques ambitionne de proposer un cadre neuroscientifique du
fonctionnement optimal afin de pouvoir appréhender les leviers d’un
changement opérant, autrement dit d’une adaptation positive de l’individu
dans le monde qu’il habite.
2. Les neurosciences cognitives : un cadre
conceptuel pour appréhender l’adaptation
Maturana et Varela définissent l’Homme comme un système autopoïétique
(du grec autos : soi et poiein : produire), c’est-à-dire qu’il se distingue de son
environnement, en même temps qu’il est façonné par lui et le configure en
retour (Varela et al., 1993). Les milieux interne (le corps) et externe
(l’environnement) se déterminent ainsi l’un l’autre. Cette idée s’inscrit dans
la théorie de l’énaction (de l’anglais to enact : susciter, faire émerger) qui
souligne l’interaction entre l’Homme et son environnement : « L’organisme
donne forme à son environnement en même temps qu’il est façonné par lui »
ainsi que le caractère indissociable de la perception et de l’action : « Il n’y a
pas de perception en dehors d’action par le corps et réciproquement »,
puisque le sujet percevant est inscrit dans un corps agissant. Les structures
cognitives émergent de schèmes sensori-moteurs récurrents qui permettent à
l’action d’être guidée par la perception. Dans la logique de la théorie de
l’énaction, l’instant présent sensoriel est porteur d’une information ; le sujet
est à la fois créateur de la réalité, observateur et modelé par la réalité donc
transformé par elle. La perception est donc incarnée (enacted), impliquant
non seulement le cerveau, mais aussi le corps de l’organisme (embodied) et
l’environnement dans lequel il évolue en temps réel (embedded). La
perception est également située dans un environnement et elle s’étend aux
interrelations (extended). En ce sens, la théorie de l’énaction constitue une
synthèse d’approches développées sous d’autres formulations, telles que
l’action et la cognition située ou encore la cognition distribuée ; elle complète
les approches cognitivistes en les enrichissant. La méthodologie au cœur de
l’approche énactive s’appuie sur les outils de la phénoménologie pour
s’attacher à ne jamais situer ce qui est étudié hors de l’expérience. La mise au
point de méthodes phénoménologiques permet de recueillir des données
précises et rigoureuses « en première personne », c’est-à-dire exprimant le
point de vue du sujet lui-même sur son expérience. Ces méthodes visent à
expliciter les corrélats mentaux d’états cérébraux que les outils
d’investigation neurophysiologique actuels permettent d’isoler.
Énaction
L’énaction désigne les interactions entre l’homme et son environnement,
qui se façonnent mutuellement en interagissant. Chaque événement laisse,
en raison de l’émotion générée consciemment ou non, une trace dans le
cerveau et toute contrainte intense et/ou prolongée transforme la
morphologie cérébrale durablement puisque le cerveau est, en
permanence, énacté,
Force est de constater que ce cadre théorique a pour l’instant peu de
répercussions dans les champs de la science psychologique, à l’exception de
la psychologie du sport. Plusieurs études en psychologie du sport se sont
attachées à l’étude de l’activité, considérée en tant que couplage du sujet à
son environnement, pour caractériser l’identité du sportif en situation, c’est-à-
dire ses modes d’engagement et les mondes autonomes et émergents qui les
spécifient (Hauw, 2018). Il s’agit de comprendre comment se construit le
monde propre d’un sujet autonome dans lequel et grâce auquel il agit, pense,
ressent des émotions ou interagit avec les autres. Cette approche positive,
agentive et sociale s’étend au groupe par le développement récent de travaux
sur la construction de significations partagées entre des joueurs de sports
collectifs et leur transformation au cours des situations de jeu. Des
interventions énactives ont également été mises en œuvre au profit de sportifs
en s’appuyant sur la description par le sportif lui-même de ses propres
énactions. Le sportif qui s’engage par l’intervention dans la propre analyse de
son activité ré-énacte ses mondes propres et ses perspectives en acte. Cette
modalité non prescriptive de l’intervention respecte les hypothèses théoriques
de l’autonomie de l’activité et de son caractère émergent. Elle constitue une
aide stimulante à la réflexivité sur sa propre activité pour favoriser le
développement d’une activité équilibrée dont les effets sont positifs pour le
sportif tout en étant compatibles avec les contraintes liées au suivi d’une
carrière sportive de haut niveau.

3. Les neurosciences biologiques :


neuroplasticité et adaptation
La possibilité de transformation du sujet, étudiée dans le cadre de
l’adaptation psycho-physiologique ou encore cognitive, traduit une propriété
fondamentale du tissu neuronal : la neuroplasticité (NP). La NP a tout
d’abord été perçue comme la capacité du cerveau humain à s’adapter aux
variations physiologiques de l’activité cérébrale par modification des
structures synaptiques. Elle repose sur des processus de modifications
neurobiologiques qui sont à l’œuvre à chaque instant au niveau de la synapse
(potentialisation à long terme) et qui permettent un remodelage fonctionnel
puis structurel des réseaux cérébraux stimulés par l’interaction individu-
environnement. Elle sous-tend ainsi les apprentissages et la mémorisation.
Elle rend compte que le cerveau est capable de se réorganiser pour améliorer
nos émotions, nos pensées, nos actions.
Neuroplasticité
Dynamique d’adaptation visant à modifier la force et le type de
connectivité au niveau du système nerveux.
La NP est par définition incriminée, au moins en partie, dans toutes les
maladies du cerveau dont les troubles psychiatriques. Elle est en miroir
impliquée dans l’amélioration clinique des patients et de ce fait dans les
mécanismes d’action des prises en charge. Alors que les modifications
cérébrales secondaires aux interventions en psychologie positive ont peu été
étudiées a peu été étudiée en termes, les interventions basées sur la
méditation témoignent de l’implication de la NP dans l’adaptation positive du
sujet souffrant de dépression (Kirk et al., 2016). Chez le sujet non déprimé ou
ayant une pratique experte de la méditation pleine conscience, la régulation
émotionnelle implique le contrôle de l’amygdale, structure du système
limbique qui génère la peur, par les régions médianes du cortex préfrontal
(CPF). Cette régulation top-down (terme anglo-saxon pour désigner le
contrôle d’une structure par une structure supérieure) permet une réévaluation
adaptée des situations émotionnelles, contrôlant ainsi l’émergence des
ruminations. Chez le sujet déprimé, il existe une mauvaise connectivité entre
les régions médianes du CPF et l’amygdale, qui se traduit par des efforts
inefficaces pour réguler les émotions et contrôler les ruminations (Farb et al.,
2012). Chez un sujet déprimé qui s’entraîne à la méditation de pleine
conscience, on observe une diminution de l’activation des régions médiales
du CPF. Cette diminution d’activité d’une région de facto dysfonctionnante
est associée à une diminution, voire une suspension, des ruminations et de
l’auto-évaluation négative, via le déplacement du contrôle top-down sur
l’amygdale depuis les zones préfrontales médianes vers les zones préfrontales
latérales droites (Farb et al., 2007). La pratique méditative permet de
renforcer le fonctionnement du CPF latéral qui est impliqué dans
l’apprentissage du « désengagement » sur le plan émotionnel. Sur le plan
clinique, il y a une bascule d’un fonctionnement en mode focus narratif
favorisant les pensées de type rumination à propos de soi vers un
fonctionnement en mode « expérientiel ». Ces modifications ont une
implication pour la prise en charge des troubles de l’humeur pour lesquels les
ruminations représentent un facteur de vulnérabilité cognitive favorisant les
rechutes.
La NP peut être étudiée par trois approches complémentaires :
• La NP individu-dépendante interroge la variabilité interindividuelle de
sensibilité des sujets à l’environnement, en s’attachant à considérer les
gènes de vulnérabilité aux maladies comme des gènes de sensibilité à
l’environnement, ou gènes de plasticité.
• La NP âge-dépendante interroge l’interaction synchronique et diachronique
des évènements de vie dans la régulation de la NP, et elle implique que la
régulation neuroplastique ait des conséquences comportementales
différentes selon l’âge de survenue d’un évènement.
• La NP symptôme-dépendante interroge les modifications de neuroplasticité
chez des sujets adultes dans leur aspect adaptatif et, dans le cadre de la
psychopathologie elle s’intéresse aux défauts de synchronisation des
réseaux cérébraux soutenant les processus sensorimoteurs, émotionnels
et/ou cognitifs.
Appliquées à la psychologie positive, ces approches ouvrent de nombreux
champs d’étude. Elles questionnent la relation entre les potentialités de
neuroplasticité d’un individu et son fonctionnement positif ; autrement dit
certaines dispositions positives (e. g. optimisme-trait, espoir-trait, etc.)
favorisent-elles les capacités de neuroplasticité par les processus adaptatifs
associés à ces dispositions (NP individu et symptôme-dépendante). Ou
encore, dans quelle mesure la croissance post-traumatique dépend-elle de
l’histoire du sujet et/ou de l’intensité de la pathologie traumatique (NP âge-
dépendante, mais aussi NP-individu-dépendante).
4. Les neurosciences sociales : un cercle
vertueux pour une adaptation positive
D’un point de vue ontogénétique, il est considéré que les comportements
sociaux, notamment prosociaux, sont des facteurs qui favorisent la NP. Les
comportements prosociaux sont des comportements qui sont dits
« constructifs » en ce qu’ils facilitent les relations. Le partage, la coopération,
le réconfort ou l’aide sont des exemples de comportements prosociaux. Ils
permettent d’approcher l’autre en mobilisant l’organisme et le développement
de l’affiliation par des rétroactions positives autorisant le maintien de
l’interaction dans le temps. Ils favorisent l’émergence d’un cadre sécure
favorable à la NP. Le concept de sécurité englobe les notions de sécurité
physique et psychique. La sécurité demeure une sécurité perçue, laquelle peut
être plus ou moins éloignée de la réalité de la situation. En effet, si
l’évaluation du risque est primordiale pour l’adoption de comportements
prosociaux, seul un environnement perçu comme suffisamment sûr par
l’organisme permet à l’individu d’adopter une stratégie assurant la
diminution de l’activation physiologique automatique de défense pour
s’engager dans une interaction. La sécurité perçue est associée à un
fonctionnement neurophysiologique singulier. Elle implique le système
nerveux autonome (SNA) et a été étudiée dans le cadre de la neuroception
(Porges, 2007). La neuroception définit le mécanisme de mise à jour de l’état
physiologique de l’organisme au regard des nouvelles informations reçues de
l’environnement et de la réponse du SNA. Le SNA est composé de deux
branches. La branche sympathique du SNA permet de mobiliser les
ressources énergétiques nécessaires à des comportements tels que la fuite ou
le combat. La branche parasympathique comprend une partie vestigiale,
responsable des comportements de repli sur soi, d’incapacité d’agir, de
résignation, d’évanouissement, de sidération ou de dissociation au cas de
traumatisme, ainsi qu’une partie plus récente, sur le plan évolutif, qui soutient
le rapprochement et l’affiliation. Cette dernière participe aux expressions
faciales émotionnelles dotant l’individu de capacités de partage émotionnel
facilitant le soutien social. In fine, c’est sur la base de l’état neuroceptif
émergeant à chaque instant de la dynamique d’activation des voies du SNA
qu’un sujet se perçoit ou non en sécurité et développe ou non des
comportements prosociaux. Ainsi, la régulation des relations
interpersonnelles via la flexibilité physiologique du SNA apparaît
indispensable à l’émergence d’un changement adaptatif et à son maintien en
créant des conditions favorables à la NP.
Neuroception
Mécanisme de mise à jour de l’état physiologique de l’organisme au
regard des nouvelles informations reçues de l’environnement et de la
réponse du système nerveux.
Ces éléments mécanistiques conduisent à proposer que la psychologie
positive permet le développement d’une sécurité perçue favorable à des
adaptations positives, en favorisant les comportements prosociaux. Au moins
trois exemples soutiennent cette hypothèse. Premièrement, il est probable que
les dispositions positives soient associées à une sécurité perçue plus élevée en
raison d’une neuroception favorisant les liens prosociaux. Ainsi, il a été
montré que la disposition de pleine conscience, entendue comme une capacité
naturelle à être conscient et à maintenir de façon soutenue son attention sur
l’instant présent, est un facteur de protection de la santé psychique, associée à
des capacités singulières d’ajustement flexible de la réactivité physiologique
autonome. Il a été proposé que cette flexibilité ajustée du SNA s’explique par
le traitement conscient de l’information en provenance du corps et de
l’environnement. Le seuil de la conscience, tel qu’il est modélisé dans la
théorie de l’espace global de travail, pourrait être abaissé grâce à la qualité de
la régulation attentionnelle associée à la disposition de pleine conscience
(Verdonk et al., 2020). Ce mécanisme participerait non seulement à la qualité
de la régulation des émotions et au contrôle des fonctions cognitives mais
aussi à un ajustement de la sécurité perçue.
Deuxièmement, les interventions de psychologies positives sont
caractérisées par un travail de feedback visant à s’appuyer sur les ressources
du sujet pour les renforcer. À l’instar de l’alliance thérapeutique, le mode
renforçateur des interactions en intervention positive est reconnu comme
soutenant le développement de la confiance en soi et dans les autres.
L’apprenant peut ainsi en sécurité faire l’expérience de ressentis internes
positifs comme négatifs, apprendre à discerner son niveau d’activation
autonome afin d’acquérir une neuroception sécure en situation sécure. Cet
ajustement du SNA permet que les autres processus, cognitifs comme
émotionnels, rentrent dans le jeu de l’interaction sociale et participe aux
bénéfices de l’intervention.
Troisièmement, il a été montré que les personnes plus heureuses
présentaient des relations sociales plus solides que les personnes qui l’étaient
moins (Shankland, 2007). Ainsi, un ensemble de travaux souligne la relation
entre comportements prosociaux et le bien-être, le bien-être étant à la fois un
antécédent et une conséquence de ces comportements. Les travaux portant sur
les comportements d’aide soulignent d’une part que les personnes présentant
un niveau élevé de bien-être sont plus enclines à venir en aide aux autres.
D’autre part, les personnes qui mettent en œuvre des conduites d’aide voient
leur degré de bien-être augmenter. Cette augmentation s’appuie sur
l’amélioration du sentiment de contrôle et d’autodétermination, de l’estime de
soi et du sentiment d’efficacité personnelle, ainsi que du sens donné à la vie.

5. Les neurosciences affectives : le plaisir et


la récompense et leur régulation
Les émotions, définies comme le résultat d’interactions entre des facteurs
subjectifs et objectifs, sont réalisées au sein de systèmes neuronaux ou
endocriniens et peuvent :
• induire des expériences telles que des sentiments de plaisir ou de déplaisir ;
• influencer des processus cognitifs tels que la mémoire, l’attention, ou les
processus d’évaluation ou de catégorisation ;
• causer des ajustements physiologiques globaux ;
• induire des comportements qui sont, le plus souvent, expressifs et adaptatifs
(Panksepp, 1998).
L’idée princeps est que les émotions sont déterminées biologiquement mais
elles sont modulées par l’expérience et la culture, même si certaines
expressions du visage sont universelles (joie, colère, tristesse, dégoût, peur,
surprise). Ainsi, les émotions constituent des modes d’action de l’individu, en
ce sens qu’elles permettent une adaptation efficace face aux changements de
l’environnement, notamment lors les interactions interindividuelles. Si les
neurosciences affectives ont fortement bénéficié des progrès de l’imagerie
cérébrale, les approches théoriques contemporaines divergent encore sur la
nature exacte des émotions, notamment pour les intégrer par rapport à
d’autres états mentaux. Certaines théories dimensionnelles conceptualisent
l’organisation des différentes émotions comme le reflet d’un continuum qui
serait défini par un nombre limité de dimensions telles que le degré d’éveil
(excité versus calme) ou la valence (positif versus négatif). Des théories
catégorielles proposent en revanche que les émotions soient des phénomènes
discrets et distinguent les émotions primaires (ou fondamentales) des
émotions secondaires, ces dernières étant définies comme des combinaisons
d’émotions primaires. Les études de neuro-imagerie ont montré l’activation
sélective de certaines structures en relation avec des catégories primaires
d’émotion : c’est le cas de l’amygdale pour la peur et du striatum ventral pour
le plaisir, de l’insula pour le dégoût et du cortex cingulaire antérieur pour la
tristesse. Les données de neuro-imagerie ont permis d’établir que la plupart
des régions impliquées dans les processus affectifs tendent à participer à
plusieurs catégories d’émotions. Elles suggèrent que ces régions cérébrales
codent pour des composantes plus élémentaires dont la combinaison flexible
sous-tend les évaluations, expériences et comportements associés aux
différentes émotions définies au niveau psychologique. Ces connaissances
permettent ainsi de mieux caractériser les propriétés fonctionnelles des
différentes régions cérébrales concernées, en testant par exemple si leur degré
d’activation dépend du type de valence ou d’éveil associé à une émotion
particulière. Si elles soulignent l’importance des interactions entre l’ensemble
des régions cérébrales, elles montrent que plusieurs régions cérébrales sont
systématiquement impliquées dans différentes émotions. Les données des
neurosciences affectives contribuent de ce fait à l’étude du fonctionnement
optimal du sujet.
Sur le plan neurofonctionnel, un circuit princeps étroitement lié au plaisir et
à la récompense a été isolé. Ce circuit sous-cortical implique le striatum
ventral (STV) et les afférences dopaminergiques qu’il reçoit de l’aire
tegmentale ventrale (ATV) du mésencéphale. Au niveau neurophysiologique,
il a été démontré que les neurones dopaminergiques du STV codent la
récompense prédite ainsi que l’erreur de prédiction, qui est l’écart entre la
récompense prédite et celle effectivement reçue (Kringelbach &, Berridge,
2009) Ainsi, l’activité des neurones dopaminergiques augmente avant que la
récompense ne soit reçue, et diminue quand la récompense reçue diffère de
celle qui était prédite. Lorsque la prédictibilité s’accroît, l’activation
dopaminergique s’amenuise puis disparaît (Schultz, 2002). Les voies ATV-
STV sont également activées par l’écoute d’une musique plaisante, le visage
d’une personne aimée ou attirante, ou encore par une décision altruiste ou
charitable. Ces observations montrent que des expériences positives de nature
très différente recrutent les structures du système de la récompense de façon
similaire. Des anomalies au sein de ces voies participent aux mécanismes des
addictions et de la dépression. Au-delà de cette régulation sous-corticale, les
neurones dopaminergiques, particulièrement ceux de l’ATV, projettent
directement sur l’ensemble du CPF, l’informant d’évènements motivationnels
et modulant son activité. Ces signaux jouent un rôle important dans
l’apprentissage et la prise de décision, notamment lorsqu’un choix doit être
fait en fonction de récompenses possibles. Il participe à l’apprentissage par
renforcement positif (impliquant une récompense), alors que les structures
cérébrales impliquées dans l’apprentissage par renforcement négatif restent à
déterminer. L’amélioration des connaissances en neurosciences affectives
permettra de mieux appréhender les mécanismes de la motivation intrinsèque
et extrinsèque, mécanismes essentiels pour l’adaptation car il permet à
l’individu de reconnaître ce qui lui est bénéfique.
Les neurosciences affectives ont également permis de mieux appréhender
les mécanismes cérébraux de la régulation émotionnelle en étudiant
particulièrement le rôle du CPF, incluant sa région orbitofrontale (CPF-OF)
et ventromédiale (CPF-VM). Le CPF-OF est un acteur essentiel pour
l’intégration de la valeur affective des informations sensorielles et des
processus décisionnels. Il est fortement connecté avec l’ensemble des cortex
sensoriels, le lobe temporal, ainsi que des structures sous-corticales comme
l’amygdale et le STV. Notamment, le CPF-OF répond aux signaux de
récompense médiés par les connexions qui le relie au STV et à l’ATV. Son
activation est en lien avec la valeur relative d’une récompense perçue par le
sujet (i. e. situation impliquant qu’une décision confronte deux choix
récompensés). Par ailleurs, le CPF-OF en lien avec le gyrus frontal inférieur
participe à l’inhibition des comportements lorsque ceux-ci cessent d’être
récompensés. Le dysfonctionnement du CPF-OF, ainsi que celui du gyrus
frontal, participe à rendre compte de l’impulsivité et de la « sociopathie ». Ils
s’activent enfin face à des signaux sociaux négatifs tels que la colère d’autrui,
la violation de normes, ou encore la culpabilité. Il est considéré que cette
région joue un rôle majeur dans la régulation des affects et des conduites
sociales en anticipant les émotions associées à différentes actions potentielles.
La régulation émotionnelle implique également le CPF-VM qui exerce un
contrôle inhibiteur direct sur l’activité de l’amygdale permettant l’extinction
des peurs conditionnées. Il participe à la qualité de la réponse
neurobiologique de stress, via ses connexions à l’hypothalamus et à la
substance grise périaqueducale et au contrôle de l’humeur et de la
neuroception. Ce contrôle est modulé par ses connexions avec le cortex
cingulaire antérieur pour permettre une régulation affective et une adaptation
aux situations stressantes adaptées. Ainsi, alors que le visionnage de films
négatifs altère la connectivité de ces circuits chez des individus sains, cette
altération est présente même au repos chez le sujet anxieux ou déprimé.
L’efficacité de la réponse de ses boucles de régulation affectives n’a pas été
étudiée en fonction des dispositions positives. Enfin le CPF-VM est une zone
intégratrice des informations sensorielles en provenance du corps et qui
renseignent sur l’état interne du corps (intéroception), ainsi que la relation
que le corps entretient avec l’environnement (extéroception). Ces marqueurs
seraient acquis par le biais de l’expérience individuelle, sous l’égide d’un
système d’homéostasie interne et sous l’influence d’un ensemble de
circonstances externes qui comprennent non seulement les entités et les
événements avec lesquels l’organisme interagit nécessairement, mais aussi
les conventions sociales et les règles éthiques (Damasio, 2006). L’hypothèse
des marqueurs somatiques propose que les changements secondaires à la
détection d’un écart prennent place dans l’ensemble du corps (viscères,
système musculo-squelettique, modification électrodermale) en générant un
état émotionnel qui implique les voies chimique et neuronale, via le
SNA. L’état émotionnel induit par l’écart va qualifier, « marquer », la
situation comme bonne ou mauvaise selon les conséquences qui lui ont été
associées dans le passé. La qualité de fonctionnement de ces marqueurs
traduirait alors la qualité de l’intégration expérientielle au cours de la vie d’un
individu pour permettre à l’organisme une réponse adaptée à un stimulus
émotionnellement pertinent. Le lien entre marqueurs somatiques et
dispositions positives, tout comme l’impact des interventions positives sur la
régulation émotionnelle, demandent à être étudiés plus avant.
Cette intégration expérientielle des différents états émotionnels sous forme
de marqueurs somatiques sous-tend l’existence d’une mémoire « énactive »
participant à déterminer la qualité d’adaptation de l’individu. Si la mise en
jeu des marqueurs somatiques module la réponse émotionnelle, elle permet
également d’augmenter la précision et l’efficacité du processus de décision
(Damasio, 2006). Cette qualité de réponse implique les connexions du CPF-
VM avec l’insula, qui joue un rôle clé dans la représentation corticale des
informations intéroceptives (c’est-à-dire viscérales, thermiques,
nociceptives, etc.). Par exemple, l’activité de l’insula prédit la précision avec
laquelle un individu rapporte sa fréquence cardiaque. Le rôle de l’insula a été
particulièrement étudié dans la douleur : tandis que sa partie postérieure code
l’aspect sensoriel d’une stimulation thermique (e. g. la température mesurée
objectivement), sa partie antérieure représente davantage l’évaluation
subjective de la douleur du sujet, et de celle d’autrui. Son implication a été
également mise en évidence dans les choix en situation incertaine, ou encore
lorsque l’on commet des erreurs dans des tâches cognitives. Enfin, l’insula
est activée en présence d’émotions positives, y compris lors de l’imitation
motrice de l’expression émotionnelle positive d’autrui. Ainsi, si l’insula est
impliquée dans le spectre large des états émotionnels subjectifs, il a été
proposé que sa partie antérieure soit directement impliquée dans la
représentation des états émotionnels, dans leur prédiction, et qu’elle permette
l’expérience consciente des sentiments subjectifs. Il est licite de proposer que
le fonctionnement optimal d’un sujet soit en lien avec la qualité fonctionnelle
de l’insula.
Au-delà, il convient de noter qu’il existe une spécificité des émotions
positives (joie, intérêt, satisfaction, fierté, amour) dans leur propension à
induire une action. Cette tendance à l’action inhérente aux émotions positives
peut s’inscrire dans une perspective évolutionniste en ce qu’elle permet
d’ouvrir momentanément le répertoire des actions et de la pensée de
l’individu, et ce, de façon à construire ses ressources personnelles. Dans cette
perspective, les émotions positives acquièrent un sens du point de vue de
l’évolution puisqu’elles permettent aux espèces de parfaire leur adaptation à
l’environnement. Bien que les émotions positives puissent apparaître dans
des circonstances hostiles, elles ne peuvent surgir quand l’individu est
directement menacé. Dans certaines situations, l’individu a, en effet, tout
intérêt à ne pas rechercher l’ouverture mais plutôt à être hermétique aux
stimulations plaisantes et à se préparer aux actions nécessaires à sa survie.
Autrement dit, les émotions négatives ont une fonction adaptative directe,
mais dont l’horizon temporel serait très limité, alors que les émotions
positives soutiendraient une adaptation à long terme en plus d’une fonction
adaptative immédiate. Les émotions positives peuvent également se révéler
être un antidote aux émotions négatives en annulant les actions de ces
dernières. Par exemple, les impacts cardiovasculaires des émotions négatives
sont réduits lorsque les individus ressentent des émotions positives. De plus,
certains individus utilisent les émotions positives de manière protectrice pour
générer une spirale positive lorsqu’ils auraient tendance à être entraînés dans
certaines spirales négatives telles que les ruminations. En termes de
stimulations émotionnelles positives, les quelques études disponibles
suggèrent qu’il existe une variabilité interindividuelle de traitement précoce
de l’information émotionnelle positive, comme de leur mémorisation.
Néanmoins, en termes somatiques, les réponses émotionnelles positives sont
peu étudiées.

6. Les neurosciences de l’interaction sociale


Enfin, un champ des neurosciences se développe avec l’objectif de mieux
appréhender les mécanismes d’interactions sociales, en s’intéressant en
particulier au couplage interpersonnel positif. Les approches théoriques
actuelles proposent que nos capacités sociales complexes soient responsables
d’une charge cognitive importante. Elles ont nécessité l’augmentation très
importante du volume cérébral. Ces capacités de sociabilité, également
observées chez les primates, se caractérisent par une grande flexibilité et des
relations étroites permettant une généralisation à l’échelle du groupe des liens
sociaux intenses initialement développés au sein des couples appariés
(pairbonds). Elles sont permises par des propriétés neurophysiologiques qui
permettent à un individu de rentrer en résonance affective et motrice avec les
autres, et ce dès la naissance, offrant ainsi des conditions nécessaires au
développement du sens des autres (Decety & Ickes, 2011). Ainsi, les stimuli
sociaux sont traités de façon singulière sur le plan perceptif. Nous sommes
constitués pour détecter les visages, et les mouvements musculaires de la
face, par des mécanismes cérébraux automatiques et implicites qui s’avèrent
critiques pour notre survie. Ces mécanismes universels de bas niveau et les
processus attentionnels qui leur sont associés viennent structurer et
contraindre fortement nos activités corticales en réponse à l’observation
d’autrui, comme en témoigne le couplage cérébral mis en évidence entre
plusieurs individus lorsqu’ils visionnent des séquences de film où jouent des
acteurs et des protagonistes variés. La détection du regard joue un rôle central
dans la relation à l’autre humain. Cette interaction implique de nombreuses
zones cérébrales en connexion, notamment celles contenant les neurones
miroirs. Il a été montré que confronter un sujet à un regard direct (le sien ou
celui d’autrui) aiguise sa conscience intéroceptive. Cette conscience
intéroceptive est une composante essentielle du sentiment d’exister. La
conscience intéroceptive joue un rôle important dans certains processus
cognitifs (perception visuelle et prise de décision intuitive). Il a notamment
été observé que le niveau de conscience intéroceptive est associé à (1) de
meilleures performances de mémorisation, (2) des comportements prosociaux
et (3) une régulation émotionnelle plus adaptative (réévaluation positive de
soi et des autres). Cette capacité de détection du vivant est également
associée à une capacité perceptive à reconnaître la communication parlée.
Elle repose au moins en partie sur un alignement de nos réponses corticales
aux signaux audiovisuels de parole. Les études montrent qu’elle s’appuie sur
un couplage acoustique-neuronal présents à différents niveaux dans la
hiérarchie du traitement de l’information acoustique, qui semble en partie
indépendant du langage employé. Cette résonance est fortement orientée par
des processus attentionnels. Il a également été montré que s’engager dans une
interaction réciproque et immédiate avec ses congénères lie nos corps et
esprit à travers une boucle de perception-action commune et bidirectionnelle.
Ce couplage fonctionnel module en retour notre comportement. S’il est
suffisamment important, des formes de synergies interpersonnelles peuvent
émerger permettant une certaine stabilité dans l’interaction cérébrale.
Ces synergies corps-esprit enrichissent la taxonomie du couplage
interpersonnel entre visage et regard, communication parlée et corps. Elles
participent à nos capacités à attribuer une agentivité au vivant et au-delà à
inférer l’intention des individus qui nous entourent. Cette prédiction du
comportement d’autrui est possible grâce à notre capacité à analyser leur
comportement en conjonction avec la représentation de nos propres états
mentaux. En effet, la connaissance de soi autorise celle d’autrui et vice-versa
notamment parce que nous partageons des représentations sous-tendues par
des mécanismes neurologiques communs entre soi et autrui (Decety & Ickes,
2011). Étudiée dans le cadre de la théorie de l’esprit, le large réseau cérébral
participant à ces représentations de soi et des autres est plutôt latéralisé dans
l’hémisphère droit et inclut les aires préfrontales, temporales postérieures et
pariétales inférieures. Ces mécanismes partagés ont une telle importance
qu’ils contribuent continuellement à moduler notre activité cérébrale au repos
(brain default mode). Leur existence signe l’étendue des similarités et les
liens fonctionnels forts entre soi et les autres à un niveau individuel. Il a été
proposé que l’empathie joue un rôle important pour la mise en place du
couplage à un niveau interpersonnel. Si ces réseaux cérébraux ont
particulièrement été étudiés au profit de la compréhension des mécanismes de
l’empathie, ils n’ont pas fait l’objet de recherches avancées sur la gentillesse,
la gratitude ou orientation reconnaissante alors même que des outils de
mesure validés existent permettant de faire le lien entre ces comportements
de couplage positif et le fonctionnement optimal des individus.

Conclusion
L’introduction à la psychologie positive de Jacques Lecomte – « La
psychologie positive est à la fois un art de vivre avec soi-même mais aussi
avec les autres. C’est dans cette optique qu’elle peut constituer un formidable
moteur du changement social » – conduit à intégrer les données des différents
champs des neurosciences pour aborder les mécanismes permettant
l’expression optimum de l’individu incarné, situé et étendu (Lecomte, 2014).
Les méthodologies et paradigmes développés ces dernières années en
neurosciences permettent de poser les étapes conduisant à une connaissance
plus fine du fonctionnement positif du cerveau humain.

Bibliographie
Damasio, A. R. (2006). L’erreur de Descartes : La raison des émotions. Paris : Odile Jacob.
Decety, J., & Ickes, W. (2011). The social neuroscience of empathy. MIT Press.
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1. Par Charles Verdonk, Damien Claverie et Marion Trousselard.
Chapitre 3
Les influences génétiques
et environnementales
sur le bonheur et le bien-être1

Sommaire
1. Qu’est-ce que le bien-être ?
2. Revue des études de jumeaux antérieures sur le bien-
être
3. Nouvelles conclusions des études de jumeaux sur le
bien-être
4. Phénotypes apparentés
5. Influences spécifiques de la génétique moléculaire et
de l’environnement
6. Les orientations futures
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Avec l’évolution des conditions de vie, il est devenu très important
de cultiver et d’entretenir le bien-être. Au cours de la dernière
décennie, les recherches se sont développées afin de comprendre
les facteurs génétiques et environnementaux pouvant être
impliqués. Des études menées avec des jumeaux ont ainsi permis
de mieux comprendre les différences interindividuelles en matière
de bien-être.
Résumé long
À la lumière des grandes tendances mondiales (l’augmentation du
vieillissement des populations, l’accroissement de la longévité, la
diminution des taux de natalité, par exemple), il est crucial de
construire, de cultiver et d’entretenir le bien-être (BE), mais la
tâche devient aussi de plus en plus complexe et exigeante. Au
cours de la dernière décennie, les études menées sur des
jumeaux nous ont permis de mieux comprendre dans quelle
mesure les gènes et les environnements contribuent aux
différences individuelles en matière de bien-être. Nos
connaissances sur ces facteurs génétiques et environnementaux
ne cessent de s’accroître grâce aux études sur les phénotypes liés
au bien-être, aux extensions des études sur les jumeaux, aux
études sur la génétique moléculaire et aux études
environnementales. Ce chapitre donne un aperçu des orientations
passées, présentes et futures de la recherche génétique
comportementale sur le bien-être, le bonheur et les phénotypes
connexes.

Mots-clés : bien-être, bonheur, études sur les jumeaux,


génétique, génétique du comportement, psychologie positive.
Questions
• Comment savons-nous que les gènes jouent un rôle dans le
bonheur et le bien-être ?
• Cela signifie-t-il que 40 % de mon bonheur est déterminé par
mes gènes ?
• Le bonheur est-il déterminé de façon fixe par des facteurs
génétiques ?

1. Qu’est-ce que le bien-être ?


Au cours de la dernière décennie, le bien-être a suscité un intérêt croissant
en tant que sujet de recherche dans différentes disciplines, notamment en
génétique du comportement. En outre, le bien-être est de plus en plus reconnu
à travers le monde comme un objectif important pour les politiques
publiques, comme le montrent les enquêtes démographiques lancées par les
gouvernements dans le but de prendre systématiquement en compte le bien-
être dans les processus de décision (Boelhouwer, 1974 ; Zencey, 2014). Dans
ce chapitre, nous examinons la pertinence des études génétiques
comportementales (menées sur des jumeaux) pour mieux comprendre les
différences individuelles en matière de bien-être.
Le terme « bien-être » englobe une multitude de concepts dont la
signification varie en fonction du contexte et de la discipline. Ici, nous
adoptons le sens que la psychologie et les sciences sociales donnent au bien-
être. Il est toutefois important de mentionner brièvement son origine
philosophique. Deux traditions philosophiques anciennes sont pertinentes
dans ce contexte : l’hédonisme et l’eudémonisme (Ryan, Deci, 2001). La
tradition hédoniste remonte à plusieurs siècles avant Jésus-Christ, à des
philosophes comme les cyrénaïques, qui estimaient que le plaisir était le bien
le plus élevé, au cœur du bonheur ou bien-être (O’Keefe, 2002). Ainsi, dans
l’ancienne définition hédoniste, le bien-être ou le bonheur est assimilé à la
somme des douleurs et des plaisirs que vit la personne. La définition qu’en
donne l’eudémonisme est en revanche bien différente de la perspective
hédoniste. Influencée par l’éthique de la vertu d’Aristote, la vision
eudémonique du bonheur est centrée sur le fait de mener une vie vertueuse
(Waterman, 1990). De ce point de vue, c’est en réalisant son potentiel et en
trouvant un sens à sa vie que l’on parvient à l’épanouissement maximal. Ces
descriptions ne donnent qu’un bref aperçu des deux philosophies, mais elles
illustrent bien la distinction appréciable qui existe entre leurs définitions du
bien-être.
La littérature psychologique actuelle fait souvent la distinction entre le bien-
être « subjectif » (BES) et le bien-être « psychologique » (BEP). Cette
distinction remonte à l’ancienne distinction entre bien-être hédonique et bien-
être eudémonique, le BES étant issu de la tradition hédonique et le BEP de la
tradition eudémonique. Bien qu’il existe différentes définitions, le bien-être
subjectif se caractérise principalement par des niveaux élevés d’affects
positifs et de faibles niveaux d’affects négatifs, ce qui se traduit par une
évaluation subjective de grande satisfaction à l’égard de la vie (Deci, Ryan,
Hedonia, 2008). Si la satisfaction à l’égard de la vie reflète une évaluation
plus cognitive du bien-être qui ne correspond pas nécessairement aux idées
hédonistes sur le bonheur, les dimensions positives et négatives de l’affect du
bien-être sont très similaires aux idées hédonistes sur l’équilibre entre plaisir
et douleur. De même que la définition eudémonique a été formulée en
réponse à la définition hédonique, la définition du BEP a été formulée en
réponse à la définition du BES. Une des critiques de la définition du BES lui
reproche de ne pas tenir compte d’aspects importants du fonctionnement
psychologique positif, tels que l’épanouissement personnel (Ryff, 1989).
Ainsi, les définitions du bien-être axées sur le BEP cherchent à englober des
domaines plus larges du fonctionnement positif. Par exemple, la définition du
BEP de Carol Ryff inclut les domaines de l’acceptation de soi, des relations
positives avec les autres, de l’autonomie, de la maîtrise de l’environnement,
des objectifs de vie et de la croissance personnelles (Ryff, 1989).
Théoriquement, la distinction entre le BES et le BEP est claire.
Empiriquement, cependant, elle s’avère moins nette. Alors que la plupart des
recherches montrent que le bien-être comporte de multiples dimensions sous-
jacentes liées, mais distinctes du point de vue conceptuel (Gallagher, Lopez,
Preacher, 2009 ; Joshanloo, 2016), le degré de corrélation unissant ces
facteurs sous-jacents fait toujours débat. Par ailleurs, les résultats indiquent
un chevauchement important dans l’ensemble de gènes qui influencent le
BES et le BEP, avec une corrélation génétique plus élevée que la corrélation
phénotypique (Baselmans, Bartels, 2018 ; Baselmans et al., 2019) On dispose
en outre de nombreux instruments de mesure différents pour évaluer
différents aspects du bien-être (Linton et al., 2016 ; Cooke et al., 2016). Cela
complique encore notre interprétation de l’interdépendance des différents
construits du bien-être, car ces différents instruments de mesure pourraient
introduire une variance supplémentaire.
Les études sur les jumeaux nous aident à comprendre le bien-être de
multiples façons. Premièrement, en divisant la variance du bien-être en
sources de variation génétiques et environnementales, les études de jumeaux
permettent d’interpréter les causes des différences individuelles en matière de
bien-être (sections 2 et 3). Deuxièmement, en examinant les sources de
variation génétique et environnementale dans les phénotypes fortement liés
au bien-être, nous faisons un pas de plus vers la compréhension des
complexités du construit du bien-être (section 4). Les connaissances acquises
grâce aux études de jumeaux existantes sur le bien-être ont alimenté des
analyses complémentaires approfondies à la fois des points de vue génétique
et environnemental (section 5), lesquelles ont conduit à leur tour au
développement de nouveaux modèles d’études de jumeaux plus complexes
(section 6). Dans ce qui suit, nous présentons ces orientations passées,
présentes et futures de la recherche, en démontrant à quel point celle-ci a
transformé notre compréhension du bien-être.

2. Revue des études de jumeaux antérieures


sur le bien-être
L’année 2015 a vu la publication de deux études approfondies sur les causes
des différences individuelles en matière de bien-être (Bartels, 2015 ; Nes,
Røysamb, 2015). Les résultats de ces études des influences génétiques et
environnementales sur le bien-être, menées dans des familles de jumeaux, ont
révélé un éventail d’estimations de l’héritabilité, mais lorsque des méta-
analyses ont été utilisées pour estimer l’héritabilité dans les différentes
études, les résultats des méta-analyses ont convergé vers une estimation
proche de l’héritabilité. Dans le chapitre du livre de Nes et Roysamb (2015),
la moyenne pondérée de l’héritabilité, selon 13 études indépendantes incluant
plus de 30 000 jumeaux (âgés de 12 à 88 ans) de sept pays différents, a été
estimée à 40 % (IC : 37 %-42 %) (Nes, Røysamb, 2015). Dans la même
veine, l’article de Bartels fait état d’une héritabilité moyenne pondérée du
bien-être de 36 % (4 %-38 %) basée sur un échantillon de 55 974 personnes,
et d’une héritabilité moyenne pondérée de la satisfaction de vie de 32 %
(29 %-35 %) (n = 47 750) (Bartels, 2015).
Ces résultats similaires, avec un intervalle de confiance qui se chevauche,
fournissent une estimation plus robuste de l’influence de la génétique sur le
bien-être. Les revues comme les méta-analyses ont toutes montré que les
influences génétiques et environnementales sont d’importantes sources de
variation du bien-être. Les méta-analyses indiquent que les influences
génétiques sur le bien-être sont principalement additives et que les influences
environnementales semblent être non partagées.

3. Nouvelles conclusions des études de


jumeaux sur le bien-être
Depuis 2015, la méthodologie des études de jumeaux a été employée dans
15 études supplémentaires pour examiner l’héritabilité du bien-être à l’aide
de différentes mesures et en combinaison avec d’autres variables, comme la
dépression ou le soutien social, comme décrit plus loin. Les figures 3.1a et
3.1b résument les estimations de l’héritabilité de toutes les études de jumeaux
incluses dans les méta-analyses précédentes, et celles des récentes études de
jumeaux sur le bien-être. En outre, le tableau 3.1 résume les méthodologies et
les résultats des récentes études de jumeaux sur le bien-être. Les estimations
de l’héritabilité des récentes études sur le bien-être varient quelque peu
(plage : 0,27-0,67), mais concordent pour la plupart avec les estimations
fournies par les méta-analyses précédentes. L’effet de l’environnement
partagé est faible, mais significatif dans quelques études chez des participants
jeunes. Contrairement aux études précédentes, aucune des études récentes n’a
montré de preuves d’effets génétiques non additifs.
F = Femmes, M = Hommes, M/F = Hommes et Femmes, S/B = Frères et sœurs.
Figure 3.1a – Estimations de l’héritabilité pour le bien-être
F = Femmes, M = Hommes, M/F = Hommes et Femmes.
Figure 3.1b – Estimations de l’héritabilité du bien-être

Tableau 3.1 – Résumé des études de jumeaux sur le bien-être depuis 2015
N paires
A C
Référence Mesure Âge Sexe de jumeaux tMZ tDZ
(IC 95 %) (IC 95 %) (IC 95 %)
(MZ/DZ)

Haworth et al. SV 16,32 H 1 346 (693/653) 0,52 0,35 0,44 0,11 0,45
(2017) (0,68) (0,36- (0,05- (0,42-
0,52) 0,18) 0,48)

F 1868 (989/879) 0,60 0,39

SO 1480 0,29

SHS H 1347 (691/656) 0,43 0,19 0,34 0,06 0,60


(0,26- (0,02- (0,57-
0,40) 0,12) 0,64)

F 1867 (990/877) 0,41 0,30

Thege et al. SV 43,27 H 37 (28/9) 0,67 0,46 0,67 0,33


(2017) (16,3) (0,56- (0,23-
0,77) 0,44)

F 99 (72/27)

SHS 0,38 0,39 0,00 0,38 0,62


(0-0,30) (0,10- (0,45-
0,61) 0,82)

Indice 0,46 0,15 0,45 0,55


de l’OMS (0,30- (0,39-
0,61) 0,70)

Van’t Ent et al. Composite 27,0 H/F 294 (171/123) 44 16 44


(2017) (SAT + HAP) (4,1)

Unique 57 (32/25)

Frères 87
et
sœurs

Thege et al. Affect positif 17,85 H/F/SO 1 133 (354/779) 0,49 0,19 0,47 0,53
(2017) (0,77) (0,40- (0,46-
0,54) 0,60)

SHS 0,47 0,16 0,44 0,56


(0,36- (0,49-
0,51) 0,64)
SV 0,57 0,34 0,60 0,40
(0,54- (0,35-
0,65) 0,46)

Wootton et al. SV 16,32 H 2 200 0,46 0,10 0,44


(2017) (0,68) (1 142/1 058) (0,38- (0,04- (0,42-
0,54) 0,16) 0,47)

F 3 058
(1 640/1 418)

SO 2 370

SHS 0,41 0,59


(0,36- (0,56-
0,44) 0,62)

Baselmans Qualité de vie H/F/SO 42427 jumeaux


et al. (2018) (16 089/26 338)

7 0,85 0,66 0,43 0,43 0,13


(0,37- (0,37- (0,12-
0,49) 0,49) 0,16)

0,10 0,79 0,62 0,40 0,41 0,20


(0,34- (0,35- (0,17-
0,47) 0,46) 0,21)

0,12 0,83 0,63 0,36 0,46 0,18


(0,31- (0,41- (0,17-
0,41) 0,50) 0,20)

0,14 0,46 0,25 0,47 0,53


(0,43- (0,50-
0,50) 0,57)

0,16 0,47 0,21 0,45 0,55


(0,32- (0,51-
0,50) 0,59)

18-27 0,42 0,16 0,42 0,58


(0,37- (0,53-
0,47) 0,63)

> 27 0,30 0,11 0,31 0,69


(0,18- (0,64-
0,36) 0,75)

Milovanović SV 24,59 H 32 (23/9) 0,54 0,42 0,53 0,47


et al. (2018)/ (7,11)
Sadiković et
al. (2018) F 122 (98/24)

SO 28
Røysamb et SV 57,11 H 537 (290/247) 0,35 0,05 0,32 0,68
al. (2018) (4,5) (0,23-
0,41)

F 979 (456/523) 0,29 0,17

Luo et al. Latent (SV 18,29 H/F 492 (304/188) 0,39 0,12 0,49
(2020) + BE affectif) (1,96) SO 116

Routledge et COMPAS-W 39,8 H 294 (202/92) 0,50 0,50


al. (2016) (12,7)

F 449 (246/203)

SO 1483 0,16

Routledge et COMPAS-W 39,77 H 598 jumeaux 0,51 0,22 0,50 0,50


(2017) (12,77) (410/188) (0,44- (0,44-
0,56) 0,56)

F 904 jumeaux
(496/408)

Routledge et COMPAS-W 39,65 H 676 jumeaux 0,49 0,49


(2018) (12,73) (472/204)

F 979 jumeaux
(567/412)

Chilver et al. COMPAS-W 40,0 H/F 422 (292/130) 0,43 0,08 0,39 0,61
(2020) (13,0)

Jamshidi et al. COMPAS-W 39,64 H/F 1 660 (968/334) 0,47 0,53


(2020) SV (12,73) Unique 158 (0,40- (0,47-
OMS 0,53) 0,60)
(qualité de vie 0,31 0,69
psychologique) (0,23- (0,61-
SV sur un seul 0,39) 0,77)
item 0,40 0,60
QdV sur un (0,32- (0,53-
seul item 0,47) 0,68)
0,27 0,73
(0,20- (0,65-
0,35) 0,80)
0,27 0,50
(0,19- (0,65-
0,35) 0,81)

Développement Composite 16,55 H 158 (67/91) 0,55 0,32 Avant : 0,07 0,44
du bien-être (SHS + SV) (0,51) 0,48 (0,0-0,30) (0,36-
Haworth et al. (0,20- 0,55)
(2016) 0,64)
F 217 (100/117) 0,50 0,25 Pendant : 0,06 0,49
0,45 (0,0-0,26) (0,39-
(0,19- 0,60)
0,60)

0,53 0,20 Suivi : 0,03 0,49


0,48 (0,0-0,20) (0,40-
(0,26- 0,60)
0,60)

Note : SHS = échelle de bonheur subjectif (Subjective Happiness Scale), SV = satisfaction de


vie, F = femmes, H = hommes, SO = paires de sexe opposé.

Outre l’examen de l’héritabilité du bien-être, de nombreuses études récentes


ont utilisé l’approche bivariée ou multivariée pour étudier la covariance
(génétique et environnementale) entre le bien-être et d’autres variables. Par
exemple, Haworth et ses collègues (Bartels, 2015) ont fait état de corrélations
génétiques modérées avec les symptômes de dépression, Wang et ses
collègues (2017) avec le soutien social, Wootton et ses collègues (2017) avec
des événements positifs et négatifs de la vie, et Luo et al. (2020) ont observé
une corrélation génétique modérée avec la valorisation de soi. Van t’Ent et
ses collègues (2017) ont signalé des corrélations génétiques non significatives
avec les volumes cérébraux sous-corticaux. Dans un petit échantillon de
jumeaux polonais, Milovanović et al. (2018) et Sadiković et al. (2018) ont
étudié la covariance de la satisfaction de vie avec la régulation des émotions
et les traits de personnalité. La corrélation génétique avec diverses formes de
régulation des émotions variait entre 0,53 et 0,86. La corrélation génétique
entre le bien-être et les traits de personnalité variait de 0 (ouverture et
amabilité) à 0,61-0,71 (personnalité consciencieuse, extraversion et traits
névrotiques). Røysamb et ses collègues ont également étudié l’héritabilité de
la satisfaction de vie en relation avec les traits de personnalité dans un
échantillon plus large (Røysamb et al., 2018). L’héritabilité de la satisfaction
de vie a été estimée à 31 % (22 %-40 %), dont 65 % s’expliquent par des
influences génétiques liées à la personnalité (principalement les traits
névrotiques et l’extraversion). La variance génétique restante était propre à la
satisfaction de vie.
Thege et ses collègues (Thege et al., 2017) ont étudié les influences
génétiques et environnementales sur le bonheur, la satisfaction de vie et le
bien-être en général dans un petit échantillon de jumeaux hongrois. Les
résultats indiquent une héritabilité de la satisfaction de vie et du bien-être
général de 67 % et 45 % sans effets environnementaux partagés.
L’héritabilité du bonheur est négligeable (0 %), alors que 38 % de la variance
s’explique par l’environnement partagé. En raison de la petite taille de
l’échantillon, ces résultats doivent être interprétés avec prudence.
Une étude récente menée sur un échantillon de jumeaux néerlandais
(Baselmans et al., 2018) a étudié la contribution des facteurs génétiques et
environnementaux au bien-être et à la dépression tout au long de la vie. Les
facteurs génétiques expliquent une part importante de la variance
phénotypique du bien-être pendant l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte
(de 31 % à 47 %). Dans les échantillons les plus jeunes, les influences
environnementales communes expliquent une grande partie de la variation,
mais celles-ci disparaissent avec l’âge. En ce qui concerne l’association entre
le bien-être et la dépression, la contribution des facteurs génétiques augmente
de l’enfance à l’adolescence, ce qui signifie que les facteurs
environnementaux sont importants pour expliquer la relation entre le bien-
être et les symptômes dépressifs dans l’enfance, alors qu’à l’adolescence les
facteurs génétiques jouent un rôle plus important.
Alors que les études les plus récentes ont utilisé les mesures les plus
courantes du bien-être (par exemple, l’échelle de satisfaction de vie, l’échelle
de bonheur subjectif ou l’échelle Cantril), Routledge et ses collègues (2016,
2018) ont mis au point l’échelle COMPAS-W. L’échelle COMPAS-W est un
indice composite du bien-être subjectif (hédonique) et psychologique
(eudémonique). L’héritabilité du bien-être mesurée à l’aide de cette échelle a
été estimée à 50 %. De plus, environ la moitié des influences génétiques sur
le bien-être étaient partagées avec les symptômes de dépression et d’anxiété.
Chilver et al. ont mis en évidence une petite association génétique entre la
maladie de von Willebrand et l’activation cérébrale, illustrée par la puissance
de l’électroencéphalographie (EEG) (Chilver, Keller, Park, Jamshidi,
Montalto, Schofield, Clark, Harmon-Jones, Williams, Gatt, 2020).
Récemment, Jamshidi et ses collègues ont comparé les estimations
d’héritabilité fournies par l’échelle COMPAS-W, l’échelle de satisfaction de
vie et les mesures à un seul item de la satisfaction de vie et de la qualité de
vie (Jamshidi et al., 2020). Les estimations de l’héritabilité variaient de 23 %
à 47 % et l’héritabilité des questions à un seul item était inférieure à celle des
échelles à plusieurs items.
Enfin, Haworth et ses collègues (Haworth et al., 2016) ont étudié l’effet
d’une intervention de développement du bien-être sur les composantes
génétiques et environnementales de la variance. L’intervention a duré dix
semaines et consistait à réaliser en ligne des tâches de bienveillance et de
gratitude. Le bien-être s’est amélioré au cours de l’intervention et il était
nettement plus élevé lors du suivi. La contribution des influences génétiques
à la variance phénotypique est restée constante avant, pendant et après
l’intervention (respectivement 48 %, 45 % et 48 %). La contribution des
influences environnementales non partagées est également restée constante,
mais de nouvelles influences environnementales non partagées sont apparues
au fil du temps en réponse à l’intervention. Ainsi, les influences génétiques
sont restées en grande partie inchangées, tandis que de nouvelles influences
environnementales expliquaient les changements en matière de bien-être en
réponse à l’intervention.

4. Phénotypes apparentés
Comme nous l’avons évoqué dans les sections précédentes, le bien-être
n’est pas un construit unidimensionnel. Parallèlement au caractère
multidimensionnel de la définition du construit lui-même, il existe également
de nombreux phénotypes étroitement liés au bien-être. On a identifié
plusieurs catégories de ces phénotypes apparentés : les résultats défavorables
qui sont négativement liés au bien-être (par exemple, les symptômes
dépressifs (Baselmans et al., 2018), des traits connexes mais clairement
distincts tels que les caractéristiques de la personnalité (Baselmans et al.,
2019) et des phénotypes très proches qui sont parfois difficiles à séparer du
bien-être d’un point de vue conceptuel. Dans cette section, nous nous
concentrons sur les connaissances que les études de jumeaux nous ont
apportées sur cette dernière classe de phénotypes. Nous allons examiner plus
particulièrement l’optimisme, le sens de la vie, l’estime de soi et la résilience.

4.1 L’optimisme
L’optimisme peut se définir comme l’attente générale de résultats positifs
ou négatifs dans différents domaines de la vie, et est souvent mesuré à l’aide
du Test d’orientation de vie (Life Orientation Test, LOT) ou du LOT révisé
(LOT-R) (Scheier, Carver, 1985). Dans le contexte du bien-être, l’optimisme
est lié à une diminution des émotions négatives et à une augmentation des
affects positifs et de la satisfaction à l’égard de la vie (Ben-Zur, 2003 ;
Wrosch, Scheier, 2003). Une vaste méta-analyse a estimé à environ 0,50 les
corrélations phénotypiques entre l’optimisme et les différents aspects du
bien-être (Alarcon, Bowling, Khazon, 2013).
Le tableau 3.2a donne un aperçu des estimations d’héritabilité de
l’optimisme présentes dans la littérature existante. Toutes les études
mentionnées dans ce graphique ont mesuré l’optimisme à l’aide du LOT-R à
6 énoncés (Wootton et al., 2017 ; Mavioğlu, Boomsma, Bartels, 2015 ; Bates,
2015 ; Caprara et al., 2009 ; Thege, Littvay et al., 2017 ; Mosing, Pedersen,
Martin, Wright, 2010 ; Alessandri et al., 2010), à l’exception des études de
Plomin et al. (Plomin et al., 1992) et de Yuh et al. (Yul et al., 2010) qui ont
utilisé le LOT à 4 énoncés, et celles de Mavioğlu et al. (Mavioğlu et al.,
2015) et Whitfield et al. (Whitfield et al., 2020) qui ont eu recours au LOT-R
à 3 énoncés. Plomin et al. (Plomin et al., 1992) ont été les premiers à étudier
les causes des différences individuelles en matière d’optimisme. À partir d’un
modèle jumeau/adoption, l’optimisme mesuré par le LOT affichait une
héritabilité de 23 %, les 77 % restants de la variance étant dus à des facteurs
environnementaux non partagés. Comme le montre la figure 3.2a, les
estimations de l’héritabilité tirées d’études ultérieures ne diffèrent pas
sensiblement d’une étude à l’autre, même si les intervalles de confiance sont
très variables.
Figure 3.2a – Estimations de l’héritabilité de l’optimisme, de la résilience et du sens à la vie

4.2 Le sens de la vie


Le construit du sens de la vie, comme le bien-être, connaît de nombreuses
opérationnalisations différentes. Selon une opinion répandue, le sens de la vie
est une structure tripartite, composée de trois sous-domaines distincts : la
compréhension (estimer que sa vie a un sens), le but (donner une direction à
sa vie) et la valeur (considérer que sa vie a une valeur inhérente) (George,
Park, 2016 ; Martela, Steger, 2016). La relation entre le bien-être et le sens de
la vie est complexe. Alors que le sens de la vie peut être considéré comme
une partie importante du bien-être eudémonique/psychologique (Ryff, 1989),
il pourrait également être interprété comme une voie d’accès au bien-être ou
une conséquence de celui-ci (McMahan, Renken, 2011 ; Schueller, Seligman,
2010). Une corrélation d’environ 0,50 a été observée entre le sens de la vie et
le bien-être, représenté par la satisfaction de vie ou le bien-être psychologique
(Steger, Kashdan, 2007 ; Chamberlain, Zika, 1988 ; Howell, Passmore, Buro,
2013). Seules quelques études de jumeaux ont été consacrées au sens de la
vie jusqu’à présent (voir figure 3.2a). Comme le montre la figure 3.2a, la
plupart des études constatent des estimations d’héritabilité moyennes, situées
entre 33 % et 52 % (Wang et al., 2017 ; Wootton et al., 2017 ; Steger et al.,
2011). Pourtant, Thege et ses collègues font état d’une héritabilité de 0 %
dans leur analyse du sens de la vie. Toutefois, étant donné que l’échantillon
de cette étude était plus réduit que celui des études décrites précédemment,
ces résultats doivent être interprétés avec prudence (Thege et al., 2017).
4.3 La résilience
La résilience psychologique se définit comme la capacité d’un individu à se
reconstruire après un stress ou un traumatisme, à revenir à un état mental
optimal, ou comme la récupération psychologique après des événements
indésirables (Satici, 2016). Résilience et bien-être ont été associés dans de
nombreuses études avec une corrélation phénotypique d’environ 0,50, et on a
observé des liens particulièrement forts entre la résilience et les composantes
cognitives et affectives du bien-être (Hu, Zhang, Wang, 2015). La résilience a
été étudiée dans différentes études de jumeaux (figure 3.2a), mais là encore
avec des définitions variables du construit. Par exemple, Kim-Cohen et ses
collègues ont étudié les différences individuelles de résilience
comportementale et cognitive des enfants après une privation économique
(résilience définie comme un comportement antisocial plus faible et un QI
plus élevé que prévu), et ont estimé l’héritabilité à 71 % et 46 %,
respectivement (Kim-Cohen et al., 2004). Hansson et ses collègues ont
analysé des concepts de résilience spécifiques (sens de la cohérence, maîtrise,
autonomie, estime de soi, humour et optimisme), et ont observé une
héritabilité modérée d’environ 33 %. Les analyses des échelles de mesure de
la résilience psychologique révèlent un éventail encore plus large de variation
dans les estimations de l’héritabilité. Par exemple, en utilisant l’échelle de
résilience de Connor-Davidson (Connor, Davidson, 2003), Wolf et ses
collègues ont estimé la variance expliquée des effets génétiques additifs et de
l’environnement partagé chez les jumeaux masculins militaires à 25 % et
15 %, respectivement (Wolf et al., 2018). Cependant, chez les adolescents,
l’héritabilité d’un facteur de résilience latent a été estimée à 78 % et 70 %
chez les garçons et les filles, à l’aide de l’échelle Égo-résilience (Block,
Kremen, 1996 ; Waaktaar, Torgersen, 2012).
Les études utilisent également parfois une mesure de la résilience basée sur
les résultats plutôt que des questionnaires visant à mesurer directement la
résilience (sur la base des traits) (Kalisch et al., 2019). Par exemple, dans une
première étude, la résilience a été définie comme l’affect positif résiduel
après avoir contrôlé les facteurs de stress (Boardman, Blalock, Button, 2008).
Les estimations de l’héritabilité étaient plus élevées chez les hommes (52 %)
que chez les femmes (38 %). En outre, Amstadter et ses collègues ont défini
la résilience comme les symptômes internalisés résiduels après avoir contrôlé
le nombre d’événements de vie stressants (Amstadter, Myers, Kendler, 2014).
À deux points temporels, l’héritabilité était stable, autour de 31 %, sans
différence entre les sexes. Sawyers et al. (2020) ont comparé l’étiologie de la
résilience basée sur les traits et de celle basée sur les résultats (Sawyer et al.,
2020). Seules 15 % de l’héritabilité de la résilience fondée sur les résultats
étaient partagées avec la résilience fondée sur les traits. En résumé, les
variations dans la définition de la résilience (et dans l’échantillon) entraînent
de nombreuses variations dans les estimations de l’héritabilité, ce qui
démontre la nécessité d’une définition universelle ou commune de la
résilience.
4.4 L’estime de soi
L’étude scientifique de l’estime de soi a produit une abondante littérature.
Souvent mesurée à l’aide de l’échelle d’estime de soi de Rosenberg
(Rosenberg, 1965), l’estime de soi peut être définie comme l’appréciation
affective ou évaluative de soi, ou la mesure dans laquelle une personne
s’aime (ou ne s’aime pas) (Baumeister, Tice, Hutton, 1989). Deux éléments
sont essentiels dans l’évaluation de l’estime de soi : le niveau (c’est-à-dire
l’appréciation générale de soi) et la stabilité dans le temps de cette
appréciation (Neiss, Sedikides, Stevenson, 2002). En outre, si l’on peut en
donner une interprétation générale, l’estime de soi d’une personne peut
également varier dans différents domaines (par exemple, intellectuel,
culturel). La corrélation avec le bien-être est forte, puisque des estimations de
0,50 et plus ont été observées (Schimmack, Diener, 2003 ; Diener, Diener,
1995).
Une revue de la littérature effectuée en 2002 résume les résultats d’études
génétiques comportementales sur l’estime de soi (Neiss, Sedikides,
Stevenson, 2002). Pour cette revue, les résultats ont été divisés en fonction du
niveau et de la stabilité de l’estime de soi, et à l’intérieur de ces catégories, en
fonction de l’estime de soi générale et spécifique à un domaine. En ce qui
concerne le niveau d’estime de soi, les résultats des différentes études ne
convergeaient pas toujours. Néanmoins, dans l’ensemble, il semble
qu’environ 30 % à 40 % des différences individuelles de niveau d’estime de
soi s’expliquent par des facteurs génétiques, et que le reste de la variation est
imputable à des facteurs environnementaux particuliers (mais non partagés).
Pour les niveaux d’estime de soi spécifiques à un domaine, des résultats
similaires ont été rapportés, avec des estimations d’héritabilité autour de
50 %, et un rôle faible ou nul des influences environnementales partagées,
tant chez les enfants que chez les adultes. Cependant, selon le domaine
étudié, les estimations varient considérablement. Par exemple, McGuire et al.
(McGuire et al., 1994) ont examiné le niveau d’estime de soi dans les cinq
domaines suivants : compétence scolaire, compétence sportive, apparence
physique, moralité et amitié. Alors que l’héritabilité de l’estime de soi dans le
domaine scolaire était estimée à 61 %, l’héritabilité de l’estime de soi dans le
domaine de l’amitié était nettement plus faible, de l’ordre de 10 %
(également représentée dans la figure 3.2b). Bien qu’on dispose de moins de
littérature sur la stabilité de l’estime de soi, l’héritabilité de celle-ci, estimée à
un peu plus de 50 %, semble être similaire, voire supérieure à l’héritabilité
considérée à un moment donné. Cela se vérifie tant pour l’estime de soi
globale que pour l’estime de soi spécifique à un domaine.
Depuis cette méta-analyse, de nombreuses autres études de jumeaux sur
l’estime de soi ont été publiées (voir figure 3.2b). Comme le montre la
figure 3.2b, les estimations de l’héritabilité varient considérablement.
Toutefois, ces variations sont probablement dues aux différentes définitions
de l’estime de soi utilisées et aux différents groupes d’âge examinés. Par
exemple, Jonassaint a indiqué qu’au début de l’âge adulte, l’estime de soi est
presque entièrement déterminée par l’environnement particulier, sans que les
facteurs génétiques ne jouent de rôle (Jonassaint, 2010). Raevuori et ses
collègues ont examiné les facteurs génétiques et environnementaux qui
affectent l’estime de soi chez les garçons et les filles de 14 à 17 ans (Raevuori
et al., 2007). Leurs résultats montrent que l’héritabilité de l’estime de soi est
plus élevée chez les garçons que chez les filles dans cette tranche d’âge.
Figure 3.2b – Héritabilité de l’estime de soi

4.5 Les modèles multivariés des traits


psychologiques positifs
Les modèles d’études de jumeaux multivariés cherchent à savoir dans quelle
mesure la corrélation phénotypique entre les traits s’explique par des facteurs
génétiques et environnementaux. En outre, il est possible d’évaluer le
chevauchement des facteurs génétiques et environnementaux qui sous-
tendent de multiples traits. En d’autres termes, ces modèles nous aident à
comprendre pourquoi des traits sont liés ou ont tendance à coexister.
Par exemple, une étude réalisée par Caprara et ses collègues (Caprara et al.,
2009) a évalué les associations entre l’estime de soi, l’optimisme et le bien-
être (en termes de satisfaction de vie). Les analyses indiquent un
chevauchement important des causes génétiques, avec des corrélations
génétiques situées entre 0,80 et 0,87. De même, Wootton et ses collègues
(Wootton et al., 2017) ont cherché à savoir si les événements positifs de la
vie étaient génétiquement liés au BES et aux traits psychologiques positifs
qui lui sont associés, notamment le bonheur subjectif, la satisfaction de vie,
l’optimisme, l’espoir et la gratitude mesurés à l’âge de 16 ans. Du point de
vue génétique, les traits du bien-être étaient corrélés positivement avec les
événements positifs de la vie, et négativement avec les événements négatifs
de la vie. Cependant, ces corrélations génétiques étaient modérées, allant
approximativement de – 0,5 à 0,5.
Les études ci-dessus sont deux exemples de modèles multivariés appliqués
au bien-être et aux traits connexes. Ces types de recherche sont de plus en
plus fréquents et alimentent les études de suivi en génétique moléculaire.
Dans une prochaine section, nous montrerons comment des études comme
celles-ci aident à concevoir ce qu’on appelle des « méta-analyses
d’association multivariée à l’échelle du génome » (Baselmans et al., 2019),
qui utilisent le chevauchement génétique entre des traits apparentés pour
augmenter la puissance des analyses génétiques.

5. Influences spécifiques de la génétique


moléculaire et de l’environnement
L’introduction de ce chapitre mentionnait déjà brièvement que les études de
jumeaux sur le bien-être ont alimenté des analyses plus approfondies des
effets génétiques et environnementaux. Pour mieux cerner l’importance des
résultats des études menées sur les jumeaux et les familles, il est utile de les
examiner conjointement avec les résultats qui sondent le rôle des facteurs
génétiques et environnementaux à l’aide d’autres méthodes. Des études de
génétique comportementale ont révélé qu’une part substantielle (~ 40 %) de
la variation du bien-être peut être attribuée à des influences génétiques, ce qui
conduit tout droit à la prochaine étape : essayer d’identifier les régions
génomiques associées au bien-être.
La première preuve moléculaire fiable de la complexité génétique du bien-
être est issue d’une méthode appelée l’analyse des traits complexes sur le
génome entier (genome-wide complex trait analysis, GCTA), qui consiste à
estimer la proportion de la variance phénotypique expliquée par tous les PSN
(polymorphismes d’un seul nucléotide – variation de la séquence d’ADN
d’un seul nucléotide) du génome en comparant la similarité phénotypique et
génétique dans un groupe d’individus non apparentés (Yang et al., 2011).
Dans un échantillon combiné d’environ 11 500 participants suédois et
néerlandais génotypés sans lien de parenté, le bien-être a été mesuré à l’aide
de la sous-échelle d’affect positif de l’échelle de dépression du Centre
d’études épidémiologiques (Center for Epidemiology Studies Depression
Scale – CES-D). Selon cette approche, il a été estimé que 12 % à 18 % de la
variance du bien-être étaient dus aux effets additifs des PSN mesurés sur les
plateformes de génotypage (Rietveld et al., 2013).
Par la suite, le développement des études d’association pangénomique
(genome-wide association studies, GWAS) a permis la première
identification de variants génétiques spécifiques associés au bien-être. Dans
une GWAS, des millions de variants génétiques sont mesurés et régressés sur
un phénotype dans un grand groupe d’individus. De cette façon, l’association
entre chaque variant génétique et un résultat visé est testée avec une forte
correction pour des tests multiples, de sorte que la probabilité de trouver des
faux positifs est fortement réduite. La première GWAS réussie pour le bien-
être (N = 298 420) a été réalisée en 2016. Cette étude a conduit à
l’identification de 3 variants génétiques associés au bien-être (défini comme
la satisfaction de vie et les affects positifs) (Okbay et al., 2016). Les effets
des PSN ont été estimés dans une plage de 0,015-0,018 s.d. par allèle (chaque
R2 ≈ 0,01 %). Les corrélations génétiques élevées (rg > 0,75) entre la
satisfaction de vie, les affects positifs, les traits névrotiques et les symptômes
dépressifs suggèrent un passif commun et ce passif commun a été exploité
pour accroître la puissance afin d’identifier les variants génétiques associés.
À cette fin, la dernière étude d’association pangénomique sur le bien-être a
combiné ces trois traits et les a appelés « le spectre du bien-être ». Dans cette
étude, 304 associations indépendantes significatives de phénotypes variants
ont été identifiées pour le spectre du bien-être, avec 148 et 191 associations
spécifiques pour la satisfaction de vie et les affects positifs, respectivement.
L’annotation biologique a révélé des preuves de l’enrichissement de gènes
exprimés de manière différentielle dans le subiculum (partie de
l’hippocampe) et de l’enrichissement des interneurones GABAergiques.
Toutefois, même avec ces progrès, les variants identifiés ne représentent
qu’un faible pourcentage de la variation, ce qui signifie que nous avons
encore un long chemin à parcourir. La première et unique approche par étude
d’association à l’échelle de l’épigénome (EWA), qui vise à identifier les sites
différentiellement méthylés associés à des différences individuelles de bien-
être, fait état de deux sites (cg10845147, p = 1,51 × 10 – 8 et cg01940273, p
= 2,34 × 10 – 8) qui ont atteint une significativité à l’échelle du génome à la
suite de la correction de Bonferroni. Quatre autres sites (cg03329539, p
= 2,76 × 10 – 7 ; cg09716613, – = 3,23 × 10 – 7 ; cg04387347, p = 3,95 × 10
–7 ; et cg02290168, p = 5,23 × 10 – 7) ont été considérés comme significatifs
à l’échelle du génome en appliquant le critère largement utilisé d’une valeur q
FDR < 0,05. L’analyse Gene Ontology (GO) a mis en évidence
l’enrichissement de plusieurs catégories du système nerveux central parmi les
sites de méthylation de rang supérieur. Il faudrait toutefois reproduire ces
résultats dans des échantillons plus importants.
Les études sur les jumeaux nous ont déjà appris qu’environ 40 % des
différences individuelles de bien-être peuvent s’expliquer par des facteurs
génétiques. Ces analyses de suivi nous ont appris la complexité génétique du
bien-être, et la contribution probable de milliers de variants au trait. Ces
études ont également révélé que chaque variant génétique ne contribue qu’à
une infime partie de la variation du bien-être, de sorte que l’on ne peut pas
parler d’un seul « gène du bonheur » ou de quelques « gènes du bonheur »
qui exerceraient une influence substantielle sur le bien-être.
Bien que les facteurs génétiques exercent une influence substantielle sur les
variations de bien-être, la majorité restante de la variance provient
d’influences environnementales. Là encore, si les études de jumeaux et de
familles nous renseignent sur l’influence relative de l’environnement, elles ne
précisent pas quelles sont les influences environnementales importantes.
Nous pouvons tirer quelques conclusions de la littérature existante sur
l’association entre le bien-être et les facteurs environnementaux. Sur le plan
socio-environnemental, il semble que les facteurs associés aux liens sociaux,
tels que la qualité des contacts sociaux (Pinquart, Sörensen, 2000) et le
soutien social (Wang, Wu, Liu, 2003) soient importants pour le bien-être.
Cependant, sur le plan de l’environnement plus contextuel/physique, on ne
parvient pas à un consensus sur les facteurs environnementaux qui sont
importants. Non seulement les études produisent des résultats contradictoires,
mais il semble qu’il existe un manque de supervision méta-analytique. Ce
manque de méta-analyses s’explique principalement par le fait que les études
ont utilisé des modèles différents, ce qui rend difficile la comparaison des
résultats. Il existe quelques études de synthèse sur des facteurs
environnementaux spécifiques dans la littérature sur le bien-être en général,
mais ces études ne présentent pas non plus de preuves concluantes. Par
exemple, Lovell et ses collègues ont examiné l’association entre l’exposition
aux environnements biodiversifiés et le bien-être et conclu qu’il existe des
preuves d’un petit effet positif, mais que la plupart des preuves ne sont pas
concluantes (Lovell et al., 2014). De même, Vanaken, Danckaerts (Vanaken,
Danckaerts, 2018) et Houlden et al. (2018) ont examiné la littérature relative
à la relation entre l’exposition aux espaces verts et le bien-être chez les
enfants et les adultes, respectivement. Les deux études concluent qu’il existe
peu de preuves d’un effet positif. Malheureusement, même si l’on dispose de
nombreuses publications sur les associations entre différentes variables
environnementales et le bien-être, il semble que nous soyons loin d’avoir une
image complète de ces influences environnementales.
Pour les futures recherches dans ce domaine, il est important de continuer à
mener des études à grande échelle sur ces facteurs environnementaux. On
peut par exemple obtenir une plus grande homogénéité en employant une
conception similaire à celle utilisée dans les études d’association
pangénomique, mais en incluant le bien-être et de multiples facteurs
environnementaux au lieu de multiples variants génétiques. En réalisant de
telles « études d’association à l’échelle de l’environnement », il est possible
d’étudier l’effet des variables environnementales dans différentes populations
et à différents niveaux géographiques de manière cohérente. Ni et ses
collègues ont déjà appliqué un tel modèle au bien-être, et ils ont évalué
l’association entre 194 facteurs psychosociaux et comportementaux, et le
bien-être physique, mental et social dans un vaste échantillon de Hong Kong
(Ni et al., 2020). Ils ont constaté que seuls les symptômes dépressifs, la
satisfaction de vie et le bonheur étaient simultanément associés à ces trois
domaines du bien-être. Pour obtenir une image complète de l’exposome du
bien-être (c’est-à-dire l’ensemble des expositions à des facteurs
environnementaux que les individus subissent, et la manière dont ces
expositions influencent le bien-être), il est important de poursuivre ces
travaux en étudiant d’autres types de facteurs environnementaux dans un
contexte global, comme l’environnement physique et social. En outre,
comme nous l’avons vu dans ce chapitre, la génétique exerce une influence
considérable sur le bien-être. Les facteurs environnementaux sont également
en partie sous contrôle génétique (Vinkhuyzen et al., 2010), c’est-à-dire que
l’exposition à certains environnements peut être déterminée par des facteurs
génétiques. Par conséquent, pour comprendre pleinement l’association entre
le bien-être et les facteurs environnementaux, cette interaction gène-
environnement doit également être prise en compte. Comme nous l’avons
déjà mentionné, les études sur la relation entre l’environnement et le bien-être
ont donné lieu à de nombreux résultats incohérents. Cette incohérence
pourrait s’expliquer en partie par le fait que la plupart des études n’utilisent
pas de modèles génétiquement sensibles. La recherche sur les jumeaux peut
nous aider à élucider dans quelle mesure la covariation entre le bien-être et
les facteurs environnementaux est de nature génétique, par exemple en
utilisant des modèles bivariés qui répartissent la covariance entre les sources
génétiques et environnementales.
Pour conclure, s’il reste des obstacles à surmonter et de nombreuses
questions sans réponse, des progrès considérables ont été réalisés ces
dernières années dans l’identification des facteurs génétiques et
environnementaux qui influencent le bien-être. Les paragraphes ci-dessus ont
déjà décrit certaines des mesures qui ont été/doivent être prises pour faire
progresser notre compréhension du bien-être. Cependant, nous n’avons pas
encore parlé de la manière dont les modèles de jumeaux (élargis) peuvent
nous aider à mieux comprendre le bien-être. Dans la section 6, nous
développons quelques orientations futures intéressantes pour ce type de
recherche.

6. Les orientations futures


Dans cette dernière section, nous présentons quelques extensions
intéressantes du modèle classique des études de jumeaux en termes de
modèles et de mesures de résultats. Plus précisément, nous discutons de
l’utilisation de l’évaluation écologique momentanée, de la causalité dans les
modèles basés sur la différence entre monozygotes et des modèles basés sur
les familles nucléaires de jumeaux.

6.1 Les fluctuations du bien-être


Presque toutes les études de jumeaux existantes qui examinent l’héritabilité
du bien-être évaluent ce dernier à l’aide de questionnaires sur le bien-être
général, le bonheur ou la satisfaction de vie. Cependant, comme beaucoup
d’autres traits humains complexes, le ressenti du bien-être (par exemple,
l’humeur) fluctuent dans le temps et en fonction de différents contextes (Eid,
Diener, 2004 ; Li et al., 2014 ; Lyubomirsky, 2001). L’héritabilité du bien-
être momentané (par exemple, à quel point vous sentez-vous heureux en ce
moment ?) a été évaluée à deux reprises et a donné lieu à des estimations
faibles, voire négligeables (Riemann et al., 1998 ; Menne-Lothmann et al.,
2012). Dans un petit échantillon de jumeaux, Riemann et ses collègues ont
mesuré les humeurs dans des situations inductrices et ont estimé l’héritabilité
aux alentours de 8 % à 16 % (Riemann et al., 1998). Plus récemment,
Menne-Lothmann et al. ont étudié les affects positifs momentanés chez des
jumelles en utilisant la méthode d’échantillonnage des expériences et ont
constaté une héritabilité de 0 % (Menne-Lothmann, 2012). La variance du
bien-être momentané s’expliquait entièrement par l’environnement, c’est-à-
dire la situation qui induisait l’humeur.
L’héritabilité des fluctuations du bien-être n’a pas été étudiée, même si des
différences individuelles de bien-être et des fluctuations de l’humeur ont été
signalées. Certaines personnes présentent des niveaux de bien-être
relativement stables au cours de la journée et/ou de la semaine, tandis que
d’autres connaissent de fortes fluctuations (Eid, Diener, 1999 ; Gadermann,
Zumbo, 2007 ; Röcke, Li, Smith, 2009). L’une des façons de saisir les
fluctuations et la nature dynamique du bien-être consiste à appliquer le
modèle d’évaluation écologique momentanée (ecological momentary
assessment, EMA). L’EMA implique l’évaluation répétée des expériences et
des humeurs momentanées des participants en temps réel et dans leur
environnement naturel (Shiffman, Stone, Hufford, 2008). Les progrès
technologiques facilitent la conduite des études EMA, grâce aux
smartphones, des appareils omniprésents dans notre société. Les futures
études de jumeaux devraient utiliser de telles conceptions pour explorer la
contribution des effets génétiques et environnementaux à la stabilité et aux
fluctuations du bien-être momentané.

6.2 Causalité/différences entre MZ


Les études de jumeaux peuvent également être utilisées pour étudier les
relations causales entre les variables, car cette conception permet de contrôler
les facteurs de confusion génétiques et environnementaux partagés. Le
modèle de contrôle par jumeau témoin utilise des paires de jumeaux MZ (et
DZ) discordants pour déterminer si une association observée est cohérente
avec un effet causal d’une exposition pour un résultat (Vitaro et al., 2009).
Par exemple, si les jumeaux MZ diffèrent sur une variable d’exposition, et
diffèrent également sur le résultat (par exemple le bien-être), nous pouvons
conclure que l’association entre les variables n’est pas due à des facteurs
génétiques confondants ou à des facteurs environnementaux partagés
affectant les deux variables puisque les jumeaux MZ partagent 100 % de
leurs gènes.
Dans le domaine du bien-être, cette analyse de causalité n’a été appliquée
que pour étudier les relations de cause à effet entre le bien-être et le
comportement vis-à-vis de l’exercice physique (Stubbe, de Moor, Boomsma,
de Geus, 2007) ainsi que la mortalité (Sadler et al., 2011 ; Saunders et al.,
2018). Stubbe et ses collègues (2007) ont indiqué que, même si les personnes
qui font de l’exercice sont en moyenne plus satisfaites de leur vie et plus
heureuses que celles qui n’en font pas, aucune preuve d’un effet causal de
l’exercice physique sur le bien-être n’a été apportée par la méthode du
jumeau témoin. Sadler et al. (Sadler et al., 2011) et Saunders et al. (Saunders
et al., 2018) ont trouvé une association causale entre un bien-être plus élevé
et une mortalité plus faible. Les différences entre jumeaux en termes de bien-
être prédisaient une mortalité différentielle au sein des paires discordantes.
Bien que la méthode des jumeaux discordants ou la méthodologie des
différences entre jumeaux (MZ) soient puissantes pour explorer les liens de
causalité probables entre les facteurs (environnementaux) et les traits ou les
résultats, ces méthodes sont rarement appliquées dans le domaine du bien-
être. Les études futures pourront utiliser cette puissante méthodologie pour
explorer les diverses influences causales sur le bien-être en utilisant des
échantillons de jumeaux.

6.3 Méthode de la famille de jumeaux nucléaire


Dans une étude classique de jumeaux, la covariance observée entre les
paires de jumeaux MZ et DZ est utilisée pour faire des déductions sur
l’influence relative des gènes et de l’environnement. Bien que cette
conception ait permis d’obtenir de nombreuses informations importantes pour
le bien-être (comme cela a été résumé dans ce chapitre), elle présente
certaines limites. Dans ces modèles, nous ne pouvons estimer qu’autant de
paramètres qu’il y a d’informations disponibles. Comme le paramètre
d’environnement unique (e) peut être estimé dans tous les modèles (étant
donné que e est égal à 1 moins la corrélation MZ), et que nous observons la
covariance MZ et DZ, nous disposons de trois éléments d’information
lorsque nous utilisons la méthode classique des jumeaux. Cela signifie que
nous ne pouvons estimer que trois paramètres : soit les effets génétiques
additifs (a), les effets environnementaux partagés (c) et les effets
environnementaux uniques (e), soit (a), (e) et les effets génétiques dominants
(d).
Pour augmenter le nombre de paramètres pouvant être estimés, une solution
simple consiste à inclure davantage de membres de la famille entre lesquels
on peut estimer la covariation. Le modèle de la famille nucléaire de jumeaux
(MFNJ) inclut les données sur les parents en plus des données sur les
jumeaux, ce qui signifie que nous prenons maintenant également en compte
la covariance entre les parents et la covariance entre les parents et les enfants
(Keller et al., 2009). Cela permet l’estimation simultanée de C et D, ainsi que
d’autres paramètres intéressants : l’effet potentiel de l’accouplement
assortissant, et la transmission verticale potentielle. L’accouplement
assortissant se produit lorsque deux conjoints se ressemblent plus que ce à
quoi on pourrait s’attendre dans le cadre d’un modèle d’accouplement
aléatoire. Si ce phénomène peut avoir de multiples causes, il en résulte que
ces conjoints sont génétiquement plus semblables que deux individus choisis
au hasard. La transmission verticale, dans le contexte du modèle de la famille
nucléaire de jumeaux, décrit l’influence de l’environnement familial sur les
effets non génétiques transmis des parents à la progéniture. Dans le cas du
bien-être, cela signifierait que le bien-être parental influence le bien-être de la
progéniture par son effet sur l’environnement familial. Il est important de
noter que le phénotype parental est influencé par le génotype parental. Cette
transmission verticale du phénotype parental sur le phénotype de la
progéniture n’est donc pas complètement indépendante des influences
génétiques.
Ainsi, en incorporant des données sur les parents, le modèle de la famille
nucléaire de jumeaux permet l’estimation d’un plus grand nombre de
paramètres, et fournit également des estimations plus précises des paramètres
du modèle. Naturellement, le modèle peut être élargi pour inclure davantage
de membres de la famille (par exemple, des frères et sœurs non jumeaux), ce
qui permet d’obtenir des modèles plus performants (Posthuma, Boomsma,
2000). Il est important de noter que ce modèle n’est pas nouveau : il a été
appliqué à de nombreux traits et a été amélioré par différents chercheurs au
fil des ans. Pourtant, en ce qui concerne le bien-être, il semble qu’un tel
modèle d’étude de jumeaux élargi n’ait été appliqué qu’une seule fois. Dans
une étude sur des jumeaux et des parents norvégiens, Nes, Czajkowski et
Tambs (Nes, Czajkowski, Tambs, 2010) ont appliqué le modèle de la famille
nucléaire de jumeaux pour estimer les accouplements non aléatoires, la
transmission culturelle et les effets environnementaux partagés spécifiques
aux frères et sœurs ordinaires et aux jumeaux. Leurs analyses ont révélé la
présence d’un accouplement non aléatoire (corrélation entre les conjoints de
0,26), et une influence significative de l’environnement partagé par les
jumeaux. L’effet de la transmission verticale (culturelle) a été estimé
négligeable. Comme il s’agit de la seule étude sur le modèle élargi de la
famille nucléaire de jumeaux à ce jour, nous ne savons pas encore de façon
claire si ces résultats sont cohérents dans différentes cultures/mesures du
bien-être. Une orientation future intéressante consisterait donc à reproduire
ces résultats dans différentes études et avec différentes mesures.

Conclusion
Ce chapitre avait pour objectif de résumer la recherche en génétique
comportementale existante sur le bien-être, de montrer de quelle manière elle
a orienté la recherche sur le bien-être et de donner un aperçu des orientations
à donner à la recherche future. Alors que les dernières méta-analyses d’études
de jumeaux sur le bien-être ont été publiées il y a seulement cinq ans, le
domaine s’est rapidement développé depuis lors : les (300) premiers variants
génétiques du bien-être ont été identifiés, le domaine met de plus en plus en
doute les définitions existantes du bien-être, reconnaît l’interdépendance des
différents phénotypes liés au bien-être, et réfléchit à la manière d’améliorer
les modèles utilisés pour estimer les sources de variation du bien-être. Si
l’accent a d’abord été mis sur la quantité, le but étant d’obtenir la plus grande
taille d’échantillon possible au prix d’un phénotypage simple, nous nous
concentrons maintenant sur la qualité, avec la perspective d’améliorations
prometteuses de la mesure (par exemple, l’évaluation écologique
momentanée) et des analyses (c’est-à-dire des conceptions informatives du
point de vue génétique) du bien-être.

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1. Par Margot P. van de Weijer, Lianne P. de Vries et Meike Bartels.
Chapitre 4
Microbiote et bien-être
psychique1

Sommaire
1. Physiologie du microbiote intestinal et des liens
microbiote-intestin-cerveau
2. Physiopathologie du microbiote et troubles mentaux
associés
3. Soigner son microbiote pour augmenter son bien-
être : régimes et compléments alimentaires
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Des modifications de la composition du microbiote intestinal ont
été associées à la dépression et à l’anxiété. Le bien-être mental
peut être favorisé par l’adoption d’un régime alimentaire sain et la
prise de compléments alimentaires aux propriétés anti-
inflammatoires.
Résumé long
La composition du microbiote intestinal varie depuis la naissance
jusqu’aux âges les plus avancés. Ces modifications physiologiques
sont impliquées dans le bon déroulement de la croissance de
l’enfant, et joueraient un rôle dans le déclin cognitif chez les
personnes âgées. Cinq voies majeures de communication entre
les intestins et le cerveau ont été étudiées, confirmant les liens
entre microbiote et santé mentale.
Des altérations similaires de la composition qualitative et
quantitative du microbiote ont été retrouvées chez les personnes
souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable, de dépression ou
d’anxiété.
Des interventions sur les modes d’alimentation, au premier rang
desquelles le passage d’un régime inflammatoire à un régime de
type méditerranéen, ont démontré leur efficacité dans le traitement
et la prévention de la dépression. L’alimentation anti-inflammatoire
et les compléments alimentaires tels que les probiotiques et les
oméga-3 ont un impact positif sur le microbiote, la santé mentale
et le bien-être psychique.

Mots-clés : microbiote, alimentation, inflammation, compléments


alimentaires, dépression.
Questions
• Quel est l’impact sur la santé mentale des variations
physiologiques de la composition du microbiote ?
• Quels liens existent entre les variations pathologiques du
microbiote et l’altération de la santé mentale ?
• Quelles interventions sur le microbiote ont un impact positif sur la
santé mentale ?

1. Physiologie du microbiote intestinal et


des liens microbiote-intestin-cerveau
Le microbiote intestinal comprend entre un et deux kilos de bactéries
logeant dans nos intestins, mais aussi des champignons – tels que Candida
albicans (Neville, d’Enfert, Bougnoux, 2015) – qui constituent le mycobiote.
Plusieurs grands projets de séquençage du microbiome (l’ensemble des gènes
de notre microbiote) ont vu le jour depuis 2007. Ces projets ont révélé qu’il
existerait un « microbiote fonctionnel minimal » chez l’être humain, qui
correspond aux 170 espèces de bactéries présentes dans les intestins de tous
les individus. Les variations du microbiote existent aussi chez un même
individu, en lien (entre autres) avec l’âge, l’alimentation et l’indice de masse
corporelle.
Microbiote intestinal
Le microbiote est l’ensemble des micro-organismes peuplant un
écosystème donné. Le microbiote intestinal est l’ensemble des bactéries,
champignons, virus et parasites non pathogènes (ou commensaux) qui
vivent dans nos intestins.
Le microbiote joue un rôle majeur dans le développement cérébral. Le
microbiote vaginal de la mère change au cours de la grossesse : il devient
plus riche en Lactobacillus vers la fin de la grossesse et s’appauvrit en autres
espèces bactériennes. À la naissance, l’intestin du nouveau-né est quasi
stérile. La prématurité, l’allaitement, le peau-à-peau, l’alimentation, la
présence d’animaux de compagnie au domicile et l’utilisation d’antibiotiques
peuvent influencer le microbiote intestinal et – potentiellement – le
développement cérébral. Alors que l’on pensait que l’accouchement par
césarienne modifiait le microbiote des nouveau-nés, une étude récente de
bonne qualité n’a pas confirmé cette hypothèse (Chu et al., 2017).
C’est au cours des trois premières années de vie que le microbiote intestinal
subit les modifications les plus importantes, avec une augmentation de la
variété des espèces bactériennes. Les nourrissons qui ont des frères et sœurs
ont un microbiote différent de celui des premiers-nés. Les membres d’une
même famille vivant ensemble présentent plus de similitudes entre leurs
microbiotes cutanés, intestinaux et oraux que les individus non apparentés.
Vers 2-3 ans, le microbiote se stabilise, et le cerveau atteint 90 % de son
volume adulte. Entre 7 et 12 ans le microbiote intestinal possède une diversité
d’espèces proche de l’adulte. Dans une étude finlandaise incluant trois cents
enfants, la présence plus élevée de Bifidobacterium et de Streptococcus dans
le microbiote intestinal était associée à une émotivité positive (Aatsinki,
Lahti, Uusitupa et al., 2019). Chez l’enfant, les fonctions bactériennes sont
composées principalement de la synthèse des vitamines et de la fourniture de
nutriments. Elles ne sont toutefois pas directement superposables à la variété
des espèces. Si 40 % seulement des espèces sont communes entre les enfants,
90 % des fonctions le sont. Cette absence de correspondance entre fonctions
et espèces complique la définition du microbiote sain et pathologique.
Il n’y a pas de différence entre les microbiotes des femmes et les hommes
adultes. La diversité de composition du microbiote se modifie autour de la
ménopause, et on note chez les femmes et les hommes une certaine stabilité
entre cette période et l’âge de 70 ans.
Les intestins communiquent en permanence avec le cerveau par plusieurs
voies.
Le nerf vague, le nerf le plus long de l’organisme, est relié à l’intestin. 80 %
des informations transmises par ce nerf sont ascendantes, des viscères vers le
cerveau. Grâce à ses récepteurs à certains composés des parois bactériennes,
il joue le rôle d’alarme en cas d’infection. Les 20 % d’informations
descendantes correspondent aux variations de la motilité intestinale. Grâce à
son action cholinergique il possède également des propriétés anti-
inflammatoires, protégeant la barrière intestinale.
Motilité intestinale
Capacité à déplacer les aliments dans l’appareil digestif
L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien est aussi appelé axe du stress.
En effet, en complément de la sécrétion pulsatile de cortisol, avec un pic au
matin qui favorise l’éveil, l’axe du cortisol est physiologiquement stimulé
lors de stress aigus. Cette libération de cortisol impacte également la motilité
intestinale, entraînant des ralentissements du péristaltisme qui peuvent
devenir pathologiques en cas de stress prolongés.
Le microbiote intestinal interagit avec le système immunitaire. De façon
directe, il constitue une barrière physique et chimique – par la sécrétion
d’endotoxines qui s’opposent à la colonisation par d’autres souches
bactériennes. Indirectement, il stimule la différenciation des cellules
immunitaires, ce qui a pour effet d’augmenter la sécrétion de cytokines anti-
inflammatoires.
Les bactéries du microbiote sont impliquées dans la digestion des nombreux
nutriments retrouvés dans l’alimentation. Ce processus de fermentation
permet la production des neurotransmetteurs qui sont impliqués dans le bon
fonctionnement cognitif et émotionnel (sérotonine, dopamine, noradrénaline,
GABA…). Il n’existe pas de preuve de l’influence de ces neurotransmetteurs
sur le cerveau chez l’humain, toutefois des modèles animaux suggèrent une
communication potentielle entre les neurotransmetteurs de la lumière
intestinale et le cerveau de l’hôte. Les bactéries du microbiote répondent aux
stimulations par les neurotransmetteurs qui peuvent faire varier la proportion
de certaines espèces, en fonction des taux de dopamine ou de nordadrénaline
par exemple.
Enfin, les acides gras à courte chaîne – comme le butyrate – sont des
produits de la fermentation du microbiote. Un microbiote riche en
Faecalibacterium et Coprococcus, deux espèces bactériennes productrices de
butyrate, a été associé à des niveaux de qualités de vie supérieurs (Valles-
Colomer, Falony, Darzi et al., 2019). Le butyrate fournit 70 % de l’énergie
des cellules du colon. Il favorise également la sécrétion de neurotrophines,
telles que le BDNF. Ce dernier possède des propriétés anti-inflammatoires et
antioxydantes indirectes sur le cerveau.

2. Physiopathologie du microbiote et
troubles mentaux associés
Les perturbations du microbiote jouent un rôle très probable dans la genèse
et/ou le maintien de troubles psychiques. Elles sont en effet une source
d’inflammation chronique qui a été identifiée comme facteur déclenchant et
facteur d’entretien de troubles mentaux, notamment de troubles de l’humeur à
travers la cascade de l’inflammasome déclenchée par l’interleukine 1 par
exemple et conduisant à une neuro-inflammation (Ellul, Boyer, Groc,
Leboyer, Fond, 2016). Cette théorie inflammatoire des troubles psychiques
vient compléter la théorie monoaminergique sans s’y substituer. D’autres
mécanismes peuvent expliquer le lien microbiote-troubles de l’humeur, dont
notamment la perturbation des différents axes microbiote-intestin-cerveau
sus-décrits.
Théorie monoaminergique
Théorie selon laquelle les troubles psychiques seraient dus à des
altérations de la transmission chimique interneuronale. Cette transmission
chimique implique la libération synaptique de monoamines : la sérotonine,
la noradrénaline, la dopamine.
Théorie inflammatoire
Théorie selon laquelle les troubles psychiques seraient dans certains cas
associés à une inflammation cérébrale.
Inflammasomes
Complexes multiprotéiques intracellulaires qui stimulent la production de
cytokines pro inflammatoires en réponse à des stresseurs ou à des micro-
organismes pathogènes. Ces complexes induisent également la mort de
certaines cellules lors de l’inflammation.
Plusieurs dizaines d’études animales ont montré le caractère « transférable »
de symptômes comportementaux par le transfert de microbiote, preuve de la
capacité du microbiote à influencer le comportement de son hôte. Ces études
concernent la dépression, l’anxiété associée au syndrome de l’intestin
irritable, mais aussi la schizophrénie et l’autisme. L’enjeu est désormais de
savoir ce qu’il en est chez l’humain.

Figure 4.1 – L’axe cerveau-intestins dans l’épisode dépressif caractérisé

Chez l’enfant, l’utilisation d’antibiotiques dans les premières années de vie


entraîne des troubles du développement du microbiote intestinal. Dans une
étude récente, elle est associée à une augmentation des scores de dépression
et des difficultés neurocognitives jusqu’à 11 ans (Slykerman, Thompson,
Waldie, Murphy, Wall, Mitchell, 2017).
Chez l’adulte, le syndrome de l’intestin irritable (irritable bowel syndrome –
IBS) est le syndrome paradigmatique des perturbations de l’axe microbiote-
intestin-cerveau. Ce syndrome est composé de symptômes de ballonnement,
d’inconfort digestif, de diarrhées et de constipations. Il est retrouvé dans
15 % à 20 % des cas après une infection intestinale, et touche deux femmes
pour un homme. Il concerne 12 millions de personnes en France. Nous avons
montré dans une méta-analyse publiée en 2014 regroupant 2 269 individus
(dont 885 avec IBS) que les individus présentant un syndrome de l’intestin
irritable avaient des niveaux plus élevés d’anxiété et de dépression (Fond,
Loundou, Hamdani et al., 2014). Ces résultats ont été confirmés dans une
méta-analyse publiée en 2019 (Zamani, Alizadeh-Tabari, Zamani, 2019).
D’un point de vue épidémiologique, les perturbations du microbiote
intestinal sont donc associées à des troubles anxieux et dépressifs trois fois
plus fréquents, avec une relation probablement bilatérale. Les patients
déprimés présentent des dysbioses, c’est-à-dire des diminutions de la
diversité du microbiote intestinal (Fond, Lagier, Honore et al., 2020). Les
expériences de vie négatives sont elles aussi associées à des perturbations du
microbiote. Les femmes enceintes ayant eu des expériences négatives dans
l’enfance ont un microbiote plus riche en Prevotella, une espèce bactérienne
associée à la dépression et au syndrome de l’intestin irritable (Hantsoo,
Jašarević, Criniti et al., 2019). L’influence du microbiote sur nos
comportements ne semble pas se limiter aux troubles de l’humeur puisqu’une
étude a montré que les couples présentant une translocation bactérienne plus
élevée (Kiecolt-Glaser, Wilson, Bailey et al., 2018) – c’est-à-dire un passage
dans le sang de particules de bactéries – avaient des rapports plus hostiles que
ceux qui ne présentaient pas de translocation bactérienne.
Enfin, chez la personne âgée, la maladie d’Alzheimer est associée dans les
études à des perturbations du microbiote (Garcez, Jacobs, Guillemin, 2019).
Certaines souches comme Lactobacillaceae et Ruminococcaceae sont en
excès, tandis que d’autres sont moins représentées que chez les adultes aux
fonctions cognitives normales (Lachnospiraceae, Bacteroidaceae, et
Veillonellaceae).
3. Soigner son microbiote pour augmenter
son bien-être : régimes et compléments
alimentaires
Malgré les découvertes décrites plus haut, les traitements biologiques
actuels des troubles de l’humeur et des troubles anxieux restent basés sur la
théorie monoaminergique, qui stipule que les symptômes dépressifs
proviennent de déficits en neurotransmetteurs dans le cerveau. Entre 15 % à
30 % des dépressions ne répondent pas aux antidépresseurs après deux essais
thérapeutiques bien conduits. Ce haut niveau de non-réponse pourrait
provenir des perturbations du microbiote intestinal qui joueraient un rôle dans
la genèse et/ou le maintien des symptômes dépressifs. Nous allons voir dans
cette partie les différentes interventions orientées sur le microbiote qui ont
montré une efficacité dans l’amélioration de l’anxiété et/ou de la dépression
ou qui ont montré des résultats prometteurs.
Nous avons vu que l’alimentation pouvait influer sur la composition du
microbiote intestinal et il est désormais bien démontré que l’alimentation peut
prévenir et soigner les troubles de l’humeur. Un changement alimentaire
passant d’un régime occidental riche en sucre et en graisse à un régime riche
en protéines et en fibres peut induire des modifications du microbiote. Une
méta-analyse de 2018, incluant 50 études, publiée dans la revue Molecular
Psychiatry a montré l’efficacité de trois régimes spécifiques dans la
prévention et le traitement de la dépression (Lassale, Batty, Baghdadli et al.,
2019) : le régime méditerranéen, le régime anti-inflammatoire et le healthy
diet (régime sain).

3.1 Le régime méditerranéen


C’est le régime qui a montré le meilleur niveau de preuve dans la prévention
et le traitement des symptômes anxiodépressifs. Il consiste en la
consommation de légumes de saison en grandes quantités, de salades crues,
de fruits, de noix, de poissons et de viande blanche en petites portions. Selon
les recommandations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de
l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), la consommation
de poisson doit être limitée à 2 portions par semaine, incluant un poisson gras
(saumon, sardine, maquereau, truite fumée, hareng), et un poisson maigre
(cabillaud, lieu, merlan, colin) pour limiter les risques d’ingestion de métaux
lourds2.
Les légumes verts sont retrouvés dans tous les régimes alimentaires ayant
prouvé leur bénéfice pour la santé mentale et sont recommandés en grande
quantité. Ils comprennent notamment les asperges, les brocolis, les
courgettes, les épinards, les haricots verts, la salade. L’assaisonnement par de
l’huile d’olive, une de celles contenant le plus d’oméga-3, est privilégié. Une
méta-analyse de 2014 a retrouvé une association entre la consommation de
fruits, légumes, graines entières, poissons et un risque réduit de dépression
(Lai et al., 2014).
Un essai contrôlé randomisé de 2018, a rapporté une amélioration du bien-
être psychologique et des fonctions cognitives lorsque le régime
méditerranéen était associé à des produits laitiers chez des sujets à risque de
démence (Wade, Davis, Dyer et al., 2018). Un essai contrôlé randomisé
australien, avec pour intervention des cours de cuisine de régime
méditerranéen et la supplémentation en huiles de poissons, a retrouvé une
réduction des symptômes dépressifs et une amélioration de la qualité de vie
chez des personnes qui avaient un diagnostic de dépression caractérisée
(Parletta, Zarnowiecki, Cho et al., 2019). Manger méditerranéen contribue
donc au bien-être psychique.

3.2 Le régime anti-inflammatoire


Il est très proche du régime méditerranéen. Chaque aliment possède un
« score inflammatoire », c’est-à-dire une capacité à augmenter ou à diminuer
l’inflammation de l’organisme.
Une méta-analyse de 2017 (21 études dans 10 pays) (Li, Lv, Wei et al.,
2017) a confirmé que l’alimentation occidentale moderne, composée de
produits raffinés/transformés riches en acides gras trans, de viandes rouges en
quantités, de produits à fortes teneurs en sucres, de produits riches en
matières grasses animales et de peu de légumes et de fruits, est associée à un
risque de dépression augmenté.
Acide gras trans
Acides gras insaturésdont la conformation est différente de celle des
acides gras insaturés produits par l’organisme (cis). Ils sont responsables
d’une augmentation du risque cardiovasculaire
Inversement, une alimentation riche en fruits et légumes, en poissons,
céréales complètes, produits laitiers peu gras, antioxydants et huile d’olive, et
pauvre en aliments d’origine animale, est un facteur protecteur de dépression.
Le régime anti-inflammatoire inclut la consommation d’aliments et de
condiments anti-inflammatoires tels que l’ail, le gingembre, le safran, le
curcuma associé au poivre (le poivre multiplie par 20 l’absorption du
curcuma), le thé, la caféine, les fibres, les oméga-3, et diverses vitamines et
oligo-éléments. Il comprend également les aliments riches en antioxydants,
parmi lesquels les fruits rouges (myrtilles, framboises, mûres, cerises), les
avocats, artichauts, choux verts, noix, amandes, brocolis, haricots rouges, riz
brun…
Le blé complet, riche en polyphénols, possède également des propriétés
anti-inflammatoires contrairement au blé raffiné (Vitaglione, Mennella,
Ferracane et al., 2015). Il serait préférable pour le microbiote de consommer
des céréales complètes comme l’avoine, le quinoa, le riz brun, les pains et
pâtes contenant en premier ingrédient des céréales complètes.
Maladie cœliaque
Maladie auto-immune qui affecte les villosités intestinales. Elle est due à
une intolérance au gluten. L’ingestion de gluten induit une réaction
immunitaire responsable de la destruction des cellules épithéliales de
l’intestin grêle.
Le blé est une source importante de gluten, comme l’orge et le seigle et dans
une moindre mesure l’avoine. Le débat scientifique se maintient depuis
plusieurs décennies. En dehors de la maladie céliaque, pour laquelle un
régime d’éviction complet à vie du gluten est recommandé de façon
consensuelle, le rôle de la sensibilité au gluten dans le déclenchement et
l’entretien de pathologies reste l’objet de controverses (Leonard, Sapone,
Catassi, Fasano, 2017 ; Daulatzai, 2015). Cette sensibilité pourrait être la
source de troubles digestifs et de phénomènes inflammatoires qui pourraient
toucher le cerveau via des peptides opioïdes, et donc être source de troubles
mentaux.
Le rôle du lobbying de l’industrie agroalimentaire n’est par ailleurs pas clair
dans ce domaine aux vues des enjeux économiques des produits sans gluten
vendus plus cher. Ce lobbying potentiel accentue les suspicions scientifiques
autour des études explorant le rôle du gluten dans des pathologies, y compris
dans les pathologies mentales.
Il n’existe pas de biomarqueur pour diagnostiquer la sensibilité au gluten à
ce jour, ce qui gèle le débat puisque la recherche ne peut fournir que des
arguments indirects via des signes non spécifiques et difficilement
attribuables directement au gluten. Un régime d’éviction du gluten va par
exemple favoriser d’autres aliments ayant un effet positif sur la santé,
empêchant de conclure sur le rôle du gluten et de son éviction dans les
pathologies chroniques et leur traitement.
Le régime anti-inflammatoire limite également la consommation d’oméga-6
et favorise les oméga-3. Les oméga-3 interviennent dans le transport des
neurotransmetteurs dans des vésicules, à l’intérieur des neurones. Ils jouent
un rôle dans la formation des gaines de myéline, composants permettant une
circulation efficace de l’influx nerveux et favorisent la croissance de certaines
bactéries du microbiote intestinal (Costantini, Molinari, Farinon, Merendino,
2017). L’acide alpha-linolénique (ALA) est le précurseur indispensable des
oméga-3. À partir de l’ALA sont synthétisés les acides eicosapentaénoïque
(EPA) et docosahexaénoïque (DHA). Toutefois, le taux de cette conversion
varie d’un individu à l’autre et il n’est pas certain qu’un apport élevé en ALA
alimentaire se traduise par de bons taux d’EPA et de DHA. L’alimentation
des Français est déficitaire en oméga-33. La balance alimentaire d’oméga-
3/oméga-6 devrait être de 1 à 5. Elle est actuellement en France de 10
environ. Pour réduire cet écart il faut :
• Réduire les aliments riches en oméga-6, pro-inflammatoires, notamment les
graisses animales (bacon, graisse de poulet, de porc, de canard,
mayonnaise…), les huiles de graines (huile de soja, de sésame, de tournesol,
de pépins de raisins…),
• Augmenter les aliments riches en oméga-3, anti-inflammatoires : ALA
(noix, graines de chia et de lin, huile de lin, spiruline, germes de blé) ; EPA
et DHA (saumon, maquereau, morue, huiles de poisson).
L’outil « CIQUAL » est un outil en ligne créé par l’ANSES pour permettre
à chacun de connaître la teneur en nutriments des différents aliments4.
Une méta-analyse a montré que les sujets dépressifs ont plus de carences en
oméga-3 dans le sang que les sujets sains (Mocking et al., 2016). On retrouve
également ces carences dans les autres troubles mentaux (troubles bipolaires,
schizophrénie, démence) (Chen, Chibnall, Nasrallah, 2015 ; Hawkey, Nigg,
2014 ; McNamara, Welge, 2016 ; Lin, Chiu, Huang, Su, 2012).
Devant les difficultés d’avoir un apport suffisant de 2 grammes par jour
d’oméga-3 dans son alimentation (notamment du fait de la limitation de la
consommation de poissons gras par l’Anses), la prise d’oméga-3 en
compléments alimentaires peut être recommandée en adjonction au traitement
usuel dans les troubles de l’humeur. Ils ont prouvé leur efficacité dans
plusieurs méta-analyses de haute qualité, en particulier chez les patients les
plus sévères et en adjonctions aux antidépresseurs (Sarris, Murphy,
Mischoulon et al., 2016 ; Schefft, Kilarski, Bschor, Köhler, 2017).
L’efficacité augmente proportionnellement à la dose d’EPA, il est
recommandé de consommer plus d’un gramme d’EPA par jour chez ces
patients, voire plus de 1 500 mg chez certains (Mocking, Harmsen, Assies,
Koeter, Ruhé, Schene, 2016).
Les oméga-3 ont également prouvé leur efficacité dans le traitement des
troubles anxieux (Su, Tseng, Lin et al., 2018). Toutefois ce sont les
compléments riches en DHA qui semblent plus efficaces dans cette
indication. On peut donc recommander aux patients avec troubles anxieux de
prendre plus de 400 mg de DHA par jour, voire plus, la dose minimale
efficace n’étant pas définie. Le DHA consommé sous forme de poisson a
également été associé à la prévention de la démence, dont la maladie
d’Alzheimer (Zhang, Chen, Qiu, Li, Wang, Jiao, 2016). Une augmentation de
100 mg par jour était associée à une diminution du risque de 14 % pour la
démence. Cette réduction du risque était de 37 % pour la maladie
d’Alzheimer.
Le régime Mediterranean-DASH intervention for neurodegenerative delay
(MIND) (régime DASH-méditerranéen pour retarder la
neurodégénérescence) a été développé initialement dans le but de réduire le
risque de démence de type Alzheimer. Il a prouvé son efficacité préventive en
réduisant le risque de développer la maladie de 35 % à 53 %. Il combine le
régime dietary approach to stop hypertension (DASH en abrégé ou, en
français, approche diététique pour arrêter l’hypertension) – proche du régime
méditerranéen, avec une consommation faible de sel – et le régime
méditerranéen. Il requiert le retrait des aliments néfastes pour le cerveau
(Morris, Tangney, Wang, Sacks, Bennett, Aggarwal, 2015 ; Morris, Tangney,
Wang et al., 2015 ; Agarwal, Wang, Buchman, Holland, Bennett, Morris,
2018) et aurait une efficacité supérieure à ces deux régimes pris séparément
dans la prévention du déclin cognitif.
Un régime riche en fibres permet de lutter contre la constipation (Shen,
Huang, Lu, Xu, Jiang, Zhu, 2019), qui joue un rôle dans la dysbiose. Les
légumineuses sont particulièrement intéressantes car elles sont sources
d’amidon (ce qui en fait des féculents), de protéines et de fibres, tout en étant
pour la plupart pauvres en lipides. Elles comprennent les fèves et les haricots,
certaines arachides, et les pois secs. Leurs fibres ont un effet prébiotique,
c’est-à-dire qu’elles participent à la croissance et à la diversité du microbiote
intestinal. Les prébiotiques comprennent les oligofructoses/fructooligosides,
les galacto-oligosaccharides dérivés du lactose, et l’inuline, fibre alimentaire
retrouvée dans de nombreuses plantes. Ce sont des substrats favorisant le
développement d’un microbiote sain. Ils permettent ainsi de renforcer la
barrière intestinale.
Les fibres appartiennent à la catégorie des prébiotiques, c’est-à-dire des
molécules non absorbables participant directement à la croissance du
microbiote intestinal. On les retrouve majoritairement dans les légumes et les
graines entières, qui sont directement associés à la diversité du microbiote
lorsqu’ils sont consommés quotidiennement (Kong, Li, Han et al., 2019).
L’inuline d’agave est un prébiotique qui favorise par exemple le
développement d’Enterococcus faecium, une bactérie qui réduit les cytokines
inflammatoires et promeut la synthèse de butyrate (Heyck, Ibarra, 2019).
Les prébiotiques permettent la diminution de la ghréline, hormone
orexigène, et de la protéine C réactive, marqueur d’inflammation sanguine
(da Silva Borges, Fernandes, Thives Mello, da Silva Fontoura, Soares Dos
Santos, Santos de Moraes Trindade, 2020). Ils n’ont pour le moment pas fait
la preuve de leur efficacité dans l’anxiété et la dépression. Seules sept études
ont été retenues dans la dernière méta-analyse les étudiant dans ces
indications (contre vingt-trois pour les probiotiques).
L’alimentation inclut également les substances toxiques que nous inhalons
ou que nous ingérons, comme le tabac et l’alcool, qui impactent directement
notre microbiote intestinal. Le tabac peut augmenter la perméabilité de la
barrière intestinale en perturbant les jonctions entre les cellules, en modifiant
la composition du microbiote, l’équilibre acido-basique et en favorisant le
stress oxydatif (Savin, Kivity, Yonath, Yehuda, 2018). Sa consommation est
à proscrire pour assurer le bien-être psychique, d’autant qu’elle a été reliée à
la dépression dans plusieurs études.
L’alcool quant à lui peut entraîner une dysbiose (Temko, Bouhlal,
Farokhnia, Lee, Cryan, Leggio, 2017), une croissance inappropriée de
bactéries dans l’intestin grêle, des altérations de la muqueuse colique, une
augmentation de la perméabilité intestinale (Engen, Green, Voigt, Forsyth,
Keshavarzian, 2015) et une augmentation de l’inflammation sanguine. Les
recommandations de Santé publique France stipulent de ne pas consommer
plus de dix verres standards d’alcool par semaine, pas plus de deux par jour,
avec des jours sans consommation. Un verre standard correspond à la
quantité de liquide pour un alcool donné, dans laquelle on retrouve
10 grammes d’alcool pur.
Parmi les compléments alimentaires, les probiotiques sont l’exemple
paradigmatique de l’intervention qui vise l’amélioration de troubles par
l’enrichissement du microbiote intestinal. Les probiotiques sont des bactéries
ou levures, vivantes ou mortes. Ils sont la plupart du temps insérés dans des
capsules gastro-résistantes. Ils sont présents également dans les yaourts et les
aliments fermentés (choucroute, kéfir). Cependant, le suc gastrique en détruit
la majeure partie sans que l’on sache précisément la proportion de bactéries
vivantes qui atteignent l’intestin. Cette proportion est probablement très
variable d’un individu à l’autre en fonction de l’acidité gastrique.
Une méta-analyse de 2019, compilant 23 études, a démontré l’efficacité de
la prise de probiotiques dans la dépression caractérisée (Liu, Walsh, Sheehan,
2019). L’efficacité augmentait avec la sévérité de l’épisode en cours. En
particulier, les probiotiques ont montré une efficacité modérée à importante
dans l’épisode dépressif d’intensité sévère. Les traitements d’une durée
supérieure à un mois ont montré une meilleure efficacité. Les souches de
probiotiques à choisir préférentiellement ne sont à ce jour pas identifiées.
Toutefois, les associations de plusieurs souches de Lactobacillus (dont
Lactobacillus rhamnosus) et de Bifidobacter sont les plus étudiées par la
littérature scientifique. Six essais contrôlés randomisés parmi les 23 inclus
ont rapporté une efficacité du probiotique par rapport au placebo.
Les cinq premières études ont testé l’efficacité des souches suivantes :
• combinaison de Bifidobacterium bifidum, Lactobacillus acidophilus,
Lactobacillus casei pendant huit semaines (Akkasheh, Kashani-Poor,
Tajabadi-Ebrahimi et al., 2016) ;
• prébiotiques de type oligofructoses combinés à Bifidobacterium breve,
Bifidobacterium longum, Lactobacillus acidofilus, Lactobacillus
bulgarigus, Lactobacillus casei, Lactobacillus rhamnosus, Streptococus
thermophilus pendant six semaines chez des patients dépressifs (Ghorbani,
Nazari, Etesam, Nourimajd, Ahmadpanah, Razeghi Jahromi, 2018) ;
• Bifidobacterium longum, Lactobacillus helveticus pendant huit semaines
(Kazemi, Noorbala, Azam, Eskandari, Djafarian, 2019).
• Bifidobacterium bifidum, Lactobacillus acidophilus, Lactobacillus casei et
Lactobacillus fermentum pendant douze semaines chez des patients avec
sclérose en plaques (Kouchaki, Tamtaji, Salami et al., 2017) ;
• Bacillus coagulans pendant trois mois chez des patients avec dépression et
syndrome de l’intestin irritable (Majeed, Nagabhushanam, Natarajan et al.,
2016) ;
• Prébiotiques de type oligofructoses, inuline, Lactobacillus rhamnosus chez
des femmes obèses pendant douze semaines (Sanchez, Darimont, Panahi
et al., 2017). Ces probiotiques ne montraient pas la même efficacité chez les
hommes dont l’échantillon était plus restreint.
La dernière étude (Slykerman, Hood, Wickens et al., 2017) retrouvait
l’efficacité de Lactobacillus rhamnosus pendant quarante-cinq semaines dans
la dépression du post-partum.
Ainsi, dans le cadre de la dépression, la prise d’un complément alimentaire
à base de probiotiques (association de souches de Bifidobacter et de
Lactobacillus) pendant un mois semble recommandée, avec observation
empirique des résultats. La prise du complément se fait le matin à jeun
(passage plus rapide de l’estomac) avec un verre d’eau fraiche (la chaleur
risque de détruire certaines bactéries).

Conclusion
Il existe des preuves solides de démonstration de l’efficacité de certaines
interventions ciblées sur le microbiote dans le maintien du bien-être
psychique, comme le régime méditerranéen. Il a prouvé une efficacité
préventive dans la survenue de la dépression dans des études longitudinales.
La consommation de légumineuses, d’oméga-3 et de vitamine D, la
suppression des aliments ultra-transformés, la diminution des sucres rapides
et des graisses saturées, l’arrêt du tabac et la diminution de l’alcool semblent
les meilleures recommandations que l’on puisse faire à ce jour aux individus
qui souhaitent optimiser leur bien-être psychique en protégeant leur
microbiote intestinal et leur intestin. Ces modifications s’intègrent dans une
approche holistique de l’individu, à côté des approches thérapeutiques, de
l’activité physique, du sommeil et de la luminothérapie entre autres.

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Chapitre 5
Les environnements
reconstituants1

Sommaire
1. Les environnements reconstituants (restorative
environments)
2. Implications pratiques
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Ce chapitre présente l’approche des environnements
reconstituants, ainsi que ses fondements théoriques. Ces
environnements présentent un potentiel thérapeutique, au sens où
ils ont un effet bénéfique sur la santé, le bien-être et les
performances des individus.
Résumé long
Les environnements reconstituants (restorative environments)
permettent et favorisent la restauration de ressources ou de
capacités qui se sont vues diminuées à la suite d’un effort
adaptatif. La théorie de la restauration de l’attention, proposée par
Kaplan, et la théorie de réduction du stress, proposée par Ulrich,
sont les deux principales théories de psychologie de
l’environnement qui sous-tendent cette approche. Pour Kaplan et
Kaplan (1989), les effets reconstituants d’un environnement
seraient dus à quatre facteurs : l’évasion, l’étendue, la fascination
et la compatibilité. Ainsi, ces environnements présenteraient un
certain potentiel thérapeutique, en contribuant à l’amélioration de
la santé, du bien-être et des performances des individus. Un
environnement peut devenir reconstituant par certaines de ses
caractéristiques ou certaines activités qu’il permet. Les principales
caractéristiques documentées dans la littérature sont l’exposition à
la nature et la présence de distractions positives. Ces éléments
doivent être pris en compte dans la conception et l’aménagement
des espaces.

Mots-clés : environnement reconstituant, santé, performance,


attention.
Questions
• Qu’est-ce qu’un environnement reconstituant ?
• Quelles sont les caractéristiques d’un environnement
reconstituant ?
• Quels sont les bénéfices des environnements reconstituants ?

La nature est considérée par beaucoup comme un lieu de ressourcement et


d’apaisement. Mais d’où vient ce potentiel thérapeutique ? Y a-t-il d’autres
espaces qui permettent ce ressourcement ?
L’objectif de ce chapitre est de présenter l’approche des environnements
reconstituants et ses implications pratiques en termes d’aménagement des
espaces et d’impact sur la santé et les performances. La psychologie positive
visant à étudier les conditions et processus qui contribuent à
l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des personnes, des groupes
et des institutions (Gable & Haidt, 2011), la question des environnements
reconstituants peut y apporter un éclairage.

1. Les environnements reconstituants


(restorative environments)
Pour Hartig (2004), le concept de « restoration » correspond au processus de
renouvellement, de restauration, de récupération, de rétablissement des
ressources ou des capacités physiques, psychologiques ou sociales, diminuées
au cours d’un effort adaptatif. Un environnement reconstituant (restorative
environment) serait alors un environnement qui permet et favorise une telle
récupération.
Restauration (restoration)
Processus de renouvellement, de restauration, de récupération, de
rétablissement des ressources ou capacités physiques, psychologiques ou
sociales, diminuées au cours d’un effort adaptatif.
Environnement reconstituant (restorative environment)
Environnement qui permet et favorise une telle récupération.
Cette approche des environnements reconstituants se place dans la
perspective du stress, renvoyant aux demandes de l’environnement, d’une
part, et de l’adaptation, renvoyant aux processus permettant de faire face à
ces demandes et de les réduire, d’autre part.
Le stress apparaît quand les demandes faites à un individu excèdent les
ressources dont il dispose pour y faire face. Et il devient chronique lorsque
ces demandes sont excessives ou persistent, et que l’individu ne peut ni
utiliser ses ressources ni en acquérir de nouvelles pour lui permettre d’y faire
face. Quand un individu n’a pas la possibilité d’accéder à un environnement
lui permettant de récupérer les ressources dont il a besoin, diminuées par les
efforts déployés pour faire face, le stress peut alors perdurer.
Dans une perspective de salutogenèse, l’approche des environnements
reconstituants permet de promouvoir santé et bien-être des individus (von
Lindern et al., 2017). Elle s’intéresse aux ressources, aux conditions
entraînant une perte des ressources, ainsi qu’aux caractéristiques des
environnements permettant de restaurer, de récupérer ces ressources. Cette
perspective de récupération complète ainsi les perspectives pathogénique et
salutogénique des approches du stress et du coping. Tout individu est amené
à perdre certaines ressources dans sa vie de tous les jours. Même s’il lui reste
d’autres ressources, ces pertes peuvent engendrer des difficultés de
fonctionnement. C’est pourquoi il est nécessaire de les restaurer, de les
récupérer pour continuer à fonctionner et s’adapter. Pour ce faire, il est
nécessaire que l’environnement permette et favorise ce processus (Hartig,
2004).
Deux grandes théories de psychologie de l’environnement se sont
intéressées aux caractéristiques de l’environnement qui permettent et
favorisent la récupération et la guérison et sous-tendent l’approche des
environnements reconstituants (Hartig, 2004) : la théorie de la restauration de
l’attention et la théorie de réduction du stress.

1.1 La théorie de la restauration de l’attention


La théorie de la restauration de l’attention (attention restoration theory ;
Kaplan & Kaplan, 1989 ; Kaplan, 1995) est une approche cognitive, centrée
sur les processus attentionnels, et plus spécifiquement les processus de
récupération attentionnelle. Le concept central est celui d’attention dirigée.
Kaplan & Kaplan (1989) ont choisi le terme « attention dirigée » afin de le
distinguer du terme « attention volontaire », proposé par James (1892),
duquel il découle (voir encadré 5.1).
L’attention dirigée renvoyant à la capacité à focaliser intentionnellement
son attention sur certains stimuli présents dans son environnement au
détriment des autres, l’individu va donc devoir provisoirement inhiber les
stimulations qu’il ne souhaite pas prendre en compte, même si elles s’avèrent
parfois plus intéressantes. Ce processus nécessite de sa part un effort cognitif.
Si cet effort est trop intense ou prolongé, ses capacités d’inhibition vont
diminuer.
La théorie de la restauration de l’attention postule qu’un effort de
concentration prolongé ou trop intense va engendrer une fatigue mentale
(Kaplan & Kaplan, 1989 ; Kaplan, 1995), dont les répercussions négatives
varient selon son intensité : irritabilité, difficultés à se concentrer et à rester
concentré, difficultés à résoudre des problèmes, augmentation du risque
d’erreurs et d’accidents, diminution de la performance (Hartig et al., 1996 ;
Hartig, 2004 ; Herzog et al., 1997). Pour récupérer de cette fatigue mentale,
les processus attentionnels doivent être moins sollicités afin de pouvoir se
reposer. De nombreuses activités quotidiennes impliquent l’attention dirigée :
il est donc primordial pour la performance, la santé et le bien-être de pouvoir
les restaurer (von Lindern et al., 2017). Certains environnements, dits
« reconstituants », ont la capacité de favoriser cette récupération mentale. Ils
ont des caractéristiques et/ou permettent des activités qui attirent et retiennent
l’attention : en éloignant l’individu de ses contraintes, ces environnements
peuvent engendrer une expérience réparatrice (Hartig, 2007).
Encadré 5.1
Les trois caractéristiques centrales de l’attention dirigée
(Kaplan, 1995 ; Kaplan & Berman, 2010 ; Kaplan & Kaplan,
1989)
Dans la théorie de la restauration de l’attention, l’attention dirigée a
trois caractéristiques centrales :
1. Elle renvoie à une capacité limitée nécessitant un effort
cognitif volontaire.
L’effort cognitif nécessaire pour réussir une tâche est déterminé par
l’interaction des charges perceptive, sensorielle et cognitive
(Sörqvist et al., 2016).
– La charge perceptive correspond au ratio entre les stimuli
pertinents et les stimuli non pertinents pour la tâche.
– La charge sensorielle renvoie à la facilité vs difficulté à traiter les
stimuli pertinents.
– La charge cognitive indique dans quelle mesure une tâche
nécessite des ressources cognitives.
L’effort cognitif peut ainsi être conceptualisé à partir de ces trois
facteurs en termes de résistance aux distracteurs pendant la
réalisation d’une tâche.
2. Elle nécessite de se focaliser sur les stimuli pertinents pour
la tâche tout en inhibant les stimuli non pertinents (les distracteurs).
3. Elle sert de ressources pour d’autres processus cognitifs.
Stevenson et al. (2018) proposent ainsi trois types de mesure de
l’attention dirigée :
– la demande cognitive (faible vs élevée), basée sur le niveau des
charges perceptive, sensorielle et cognitive ;
– la direction du focus attentionnel (interne vs externe) ;
– l’origine des distractions (interne vs externe).

Selon Kaplan & Kaplan (1989), l’effet reconstituant d’un environnement


serait dû à quatre facteurs : « évasion » (being away), « étendue » (extent),
« fascination » (fascination) et « compatibilité » (compatibility).
La dimension « évasion » correspond au fait de se sentir ailleurs, de
s’évader physiquement ou virtuellement de tous les aspects de la vie
quotidienne. Pour permettre l’évasion, l’environnement doit offrir une
diversion par un contenu permettant à l’individu de s’éloigner de ses
préoccupations quotidiennes, qu’elles soient personnelles ou
professionnelles.
La dimension « étendue » fait référence à deux propriétés : l’envergure,
suggérant qu’un environnement étendu dans l’espace est perçu comme plus
accessible (Kaplan, 1983), et la cohérence, indiquant qu’un environnement
doit être cohérent et facilement utilisable.
La fascination est le facteur essentiel pour le rétablissement et la guérison.
Elle correspond au processus par lequel l’attention est retenue sans effort, et
s’oppose à l’attention dirigée. En effet, le caractère fascinant d’un lieu ou
d’une activité agirait sur les ressources attentionnelles des individus : il est
supposé mobiliser les processus d’attention involontaire, c’est-à-dire qui ne
nécessitent aucun effort mental, ceci au profit de la récupération des capacités
attentionnelles volontaires et dirigées (qui, elles, nécessitent un effort
mental). La fascination peut être favorisée par la présence d’éléments naturels
(plantes, paysages, bruit du vent ou de l’eau, animaux…) ainsi que par
certaines activités.
Enfin, la compatibilité d’un espace fait référence à un ajustement entre
l’environnement, les objectifs individuels et les actions imposées par
l’environnement (Kaplan, 1983). L’espace doit ainsi être compatible avec ce
que l’individu souhaite faire.
Ces environnements reconstituants présentent quatre bénéfices cognitifs
(Kaplan & Kaplan, 1989). Ils permettent de supprimer le « bruit cognitif
résiduel » produit au cours des tâches quotidiennes ; de récupérer de la
fatigue attentionnelle ; de penser à des problèmes immédiats à résoudre ; et
de réfléchir à des questions existentielles. Si les deux premiers bénéfices
renvoient à la récupération de l’attention, les deux derniers font plutôt
référence à la réflexion. Certaines activités, comme par exemple faire du
sport, aller à un concert, ou jouer à des jeux vidéo, présentent un potentiel de
fascination élevée, ce qui facilite la récupération de l’attention mais stimule
peu la réflexion. Par contre, lorsque la fascination est plus douce et moins
captivante, comme c’est le cas pour les espaces naturels, elle facilite la
réflexion tout en permettant la récupération de l’attention (Herzog et al.,
1997). Passer du temps dans la nature permet ainsi de récupérer davantage et
plus rapidement que de réaliser des activités récréatives (Wells, 2000 ;
Werner & Altman, 2000).

1.2 La théorie de réduction du stress


La théorie de réduction du stress (stress reduction theory ; Ulrich, 1983 ;
Ulrich et al., 1991) s’intéresse, dans une perspective évolutionniste, à ce qui
permet la diminution du stress psychophysiologique. Elle se centre ainsi sur
les réponses affectives, partant du principe que les affects précèdent les
cognitions. La réponse initiale d’un individu confronté à un environnement
serait une réponse affective générale (en termes de « j’aime » vs « je n’aime
pas »), associée à un ressenti plus ou moins plaisant, et qui précède les
processus cognitifs d’identification. Cette réaction affective générale va
initier le processus de récupération car elle permet à l’individu de diminuer à
son état de stress, d’alerte, ainsi que ses affects négatifs.
Le stress générant des émotions négatives et des changements
physiologiques, la récupération est possible quand un environnement suscite
des sentiments d’intérêt, est perçu comme plaisant et calme. Les affects
négatifs sont alors remplacés par des affects positifs.

2. Implications pratiques
Après avoir présenté ce qu’était l’approche des environnements
reconstituants, il convient d’en présenter les implications pratiques en termes
d’aménagement des espaces. Cette seconde partie présentera les effets
observés sur la santé et le bien-être des individus d’une part, et sur les
performances d’autre part.

2.1 Santé et bien-être


Plusieurs caractéristiques des environnements peuvent avoir une influence
sur la santé et le bien-être des individus. Si les recherches se sont beaucoup
intéressées aux effets de la nature sur la santé et le bien-être des individus,
d’autres facteurs, tels que les distractions positives (musique, peinture,
jeux, etc.), peuvent également disposer de ce potentiel thérapeutique.
2.1.1 Les espaces naturels
Ulrich (1984) a été le premier à montrer les effets bénéfiques des
environnements naturels sur la santé. Il a ainsi constaté que, à la suite d’une
opération chirurgicale, les patients hospitalisés dans une chambre avec vue
sur la forêt récupéraient plus rapidement et consommaient moins
d’antidouleurs que ceux dont la fenêtre donnait sur un mur extérieur.
Depuis, les effets bénéfiques des espaces naturels sur la santé ont été
largement étudiés (Markevych et al., 2017), soulignant notamment que la
nature avait tendance à augmenter le sentiment de bien-être et à diminuer les
manifestations de stress (Bowler et al., 2010 ; Dzhambon et al., 2020). Dans
leur revue de littérature réalisée sur 106 études, Dzhambon et al. (2020)
constatent que la grande majorité conclut à un effet bénéfique des espaces
naturels sur la santé : seules 5 (4,7 %) d’entre elles concluent à une absence
d’effet. Aller dans un espace naturel au moins une fois par semaine aurait un
effet bénéfique sur l’état de santé général (Martin et al., 2020) ; tandis que
passer au minimum 30 minutes par semaine dans un espace naturel permettait
de réduire l’hypertension artérielle et la dépression (Shanahan et al., 2016).
Plus spécifiquement, les recherches ont montré que la nature pouvait avoir
un effet bénéfique sur le niveau de douleur ressentie (Ulrich et al., 2008 ;
Malenbaum et al., 2008, Diette et al., 2003), ainsi que sur le niveau de stress
et d’anxiété (Ulrich et al., 1993). Dans une recherche menée par IRMf,
Mochizuki-Kawai et al. (2020) ont montré que regarder des fleurs permettait
de diminuer stress et émotions négatives par la réduction de l’activité d’une
zone cérébrale spécifique.
L’exposition à la nature présente également des effets bénéfiques pour la
santé au travail : les espaces de travail offrant un accès à la nature ou
disposant d’éléments naturels améliorent le bien-être des salariés et
diminuent leur stress (Gilchrist et al., 2015 ; Bringslimark et al., 2009 ; Kim
et al., 2018 ; Stigsdotter, 2004).
Les recherches menées dans ce domaine ont montré qu’une exposition à la
nature ou à des éléments naturels a des effets bénéfiques sur la santé et le
bien-être des individus, y compris si cette exposition se matérialise par des
stimulations visuelles (photos, peinture, etc.), olfactives ou sonores
(Annerstedt et al., 2013 ; Wooler et al., 2016) ou encore dans un
environnement virtuel. Et même si les bénéfices d’une promenade virtuelle
en forêt sont moindres comparativement à une promenade réelle, la réalité
virtuelle permet de créer un environnement reconstituant pour les personnes
ne pouvant pas se rendre physiquement dans un espace naturel (Nukarinen
et al., 2020).
Certaines recherches ont étudié les effets de la connexion avec la nature sur
la santé. Dans une perspective biophile, la connexion avec la nature renvoie
aux besoins d’être lié, d’être en contact avec d’autres éléments vivants.
L’approche biophile postule ainsi que les êtres humains ont une tendance
innée à se focaliser et à être attirés par les éléments vivants (Wilson, 1984 ;
Kellert & Wilson, 1993). La connexion avec la nature permettrait ainsi
d’augmenter le niveau d’affects positifs, de vitalité et de satisfaction quant à
la vie, ainsi que de prédire le bonheur (Capaldi et al., 2014 ; Zelenski &
Nisbet, 2014).
Enfin, parallèlement aux recherches concernant les environnements
reconstituants, certaines recherches se sont intéressées aux expériences
microreconstituantes, postulant que même des contacts très brefs avec la
nature permettraient d’améliorer santé et bien-être. Un salarié parviendrait
mieux à restaurer les capacités cognitives nécessaires à son activité de travail
s’il a la possibilité de regarder régulièrement par la fenêtre avec vue sur un
espace naturel (Kaplan, 1993). Ces expériences microreconstituantes
s’avèrent particulièrement utiles pour pallier des niveaux de stress faibles
(Gulwadi, 2006).
Expérience microreconstituante
Interaction sensorielle brève avec la nature, présentant des bénéfices pour
la santé et le bien-être (Joye & van den Berg, 2019)
Dans la lignée de ces travaux, Hartig (2007) postule qu’une brève
exposition à la nature n’aurait pas uniquement un pouvoir de restauration,
mais pourrait également avoir des effets « instaurant » (instorative). Ces
expériences microreconstituantes pourraient ainsi améliorer bien-être et
performance d’individus qui ne sont ni stressés ni fatigués.
Environnement instaurant (instorative environment)
Environnement qui présente des caractéristiques permettant d’améliorer
les capacités et la santé d’un individu. Le terme « instaurant » (instorative)
est utilisé en complémentarité de celui de « reconstituant » (restorative),
afin de souligner que les effets bénéfiques d’un environnement ne
résultent pas uniquement dans la restauration de capacités ou ressources
perdues, mais également dans leur amélioration.
2.1.2 Les distractions positives
Santé et bien-être peuvent être améliorés par l’utilisation de distractions,
qu’elles soient visuelles (décorations murales, photos, peintures,
sculptures…), sonores (musiques, bruits de la nature…) ou ludiques
(Dodeler, 2014). Ces effets ont principalement été étudiés sur la perception
de la douleur ainsi que sur le stress et l’anxiété. Nous évoquerons ici deux des
facteurs les plus documentés : la musique et les jeux.
Une musique, que les patients peuvent choisir et dont ils peuvent contrôler
le volume, contribue souvent à réduire l’angoisse et le stress, ainsi qu’à
supporter la douleur. Le fait d’écouter de la musique à des moments
fortement stressants, tels que lors d’actes pré et postopératoires, procure un
effet anxiolytique, se traduisant par une augmentation du confort des patients,
une diminution de leur rythme cardiaque et des symptômes d’anxiété, ainsi
qu’une réduction des besoins en produit anesthésiant (Knight & Rickard,
2001 ; Moss, 1988 ; Yilmaz et al., 2003). La diffusion de musique douce
dans les salles d’attente a tendance à réduire le niveau de stress des patients
(Routhieaux & Tansik, 1997).
La présence de distractions positives prend toute son importance lors
d’examens ou de soins douloureux. Le principe est alors d’attirer l’attention
du patient sur des éléments positifs, qui vont détourner son attention des
manipulations douloureuses. Et plus la distraction proposée est captivante,
plus les patients sont absorbés par cet élément distrayant, moins ils ressentent
de douleur (McCaul & Malott, 1984). Un exemple en est l’usage de la réalité
virtuelle (Indovina et al., 2018 ; Mallari et al., 2019 ; Schneider et al., 2004),
notamment pour les soins des grands brûlés. Un environnement virtuel
immersif, dans lequel le patient est totalement immergé grâce au port d’un
casque ou de lunettes le coupant du monde réel, permettait de réduire
considérablement la douleur ressentie par des grands brûlés lors des soins qui
leur sont dispensés (Hoffman et al., 2008 ; Maani et al., 2011). Ainsi, lorsque
l’on réalise ces soins pendant que les patients jouent soit à un jeu vidéo sur
console, soit à un jeu vidéo immersif en réalité virtuelle, le niveau de douleur
ressentie diminue. Si les deux types de jeux présentent un effet bénéfique,
c’est le jeu vidéo en réalité virtuelle qui permet d’obtenir le plus
d’amélioration : les soins réalisés pendant le jeu en réalité virtuelle sont
perçus comme moins douloureux et déplaisants que pratiqués pendant le jeu
sur console (Hoffman et al., 2000). L’explication avancée est que la
perception de la douleur a une forte composante psychologique et sollicite les
ressources attentionnelles du patient. Or nos capacités attentionnelles étant
limitées, se plonger dans un tout autre environnement que celui des soins va
mobiliser nos ressources attentionnelles, en laissant donc moins à disposition
pour traiter les signaux de douleur (Hoffmann et al., 2011).

2.2 Performance
Les environnements reconstituants peuvent également améliorer les
performances, même si ces effets restent moins documentés que ceux sur la
santé et le bien-être.
Dans leur méta-analyse, Ohly et al. (2016) ont mis en évidence une certaine
hétérogénéité des résultats des études concernant les effets bénéfiques de la
nature sur la restauration de l’attention et sur les performances à des tâches
cognitives impliquant une mobilisation de l’attention dirigée. Ils soulignent
notamment l’ambiguïté du concept d’attention dirigée dans ces études, se
traduisant par une diversité de mesures pour l’appréhender. Ainsi, les effets
bénéfiques de la nature ne se retrouveraient que pour certaines tâches et pas
pour d’autres. Pour eux, ce sont ces divergences méthodologiques qui
expliqueraient l’hétérogénéité des résultats obtenus.
Plus récemment, Stevenson et al. (2018) ont examiné quarante-deux
articles, publiés à compter de 2013, afin de déterminer les tâches pour
lesquelles être exposés à des espaces et éléments naturels présenterait des
bénéfices en termes de performance et de restauration de l’attention. Ils
concluent que l’exposition à des espaces et éléments naturels améliore
significativement les performances pour trois des huit types de tâches
cognitives. Ils constatent un effet bénéfique sur la mémoire de travail,
permettant aux participants soit de retrouver leur niveau de performance de
base, soit de l’améliorer. Un effet bénéfique est également observé sur le
contrôle attentionnel, évalué par des tâches consistant à focaliser son
attention sur une cible tout en ignorant des distracteurs, et sur la flexibilité
cognitive. Ces effets bénéfiques se retrouvent tant pour une exposition réelle
à des espaces ou des éléments naturels que pour une exposition virtuelle.
Pour les autres types de tâches (attention visuelle, vigilance, contrôle des
impulsions, vitesse de traitement), soit ils ne constatent pas d’effet, soit le peu
de données ne permet pas réellement de conclure. L’exposition à des espaces
et à des éléments naturels améliore donc la performance pour des tâches de
mémoire de travail, de contrôle attentionnel et de flexibilité cognitive.
L’exposition à un environnement naturel réel permet toutefois une meilleure
récupération qu’un environnement virtuel. Néanmoins, dans les études prises
en compte, la durée d’exposition à des environnements naturels réels était
plus importante que pour les environnements virtuels : une piste avancée par
Stevenson et al. (2018) est que la durée d’exposition pourrait également être
un facteur explicatif des effets bénéfiques constatés.
Enfin, les effets bénéfiques de la nature ont également été démontrés sur la
créativité. Ainsi, la présence d’éléments naturels au sein d’un espace de
travail, qu’ils soient réels ou artificiels, améliore performance et créativité,
comparativement à des espaces sans éléments naturels (Ayuzo-Sanchez,
2018 ; Chulvi et al., 2020 ; Ferraro, 2015 ; Shibata & Suzuki, 2004). Dans ce
type d’espaces, on constate une curiosité plus élevée, plus de nouvelles idées
et une meilleure flexibilité de pensée (Plambech & Konijnendijk, 2015 ;
Williams et al., 2018).

Conclusion
Ce chapitre a présenté l’approche des environnements reconstituants, en
mettant en évidence les principales caractéristiques d’un environnement qui
ont ce potentiel de permettre et favoriser la récupération des ressources et
capacités. Néanmoins, il est important de souligner que ces caractéristiques
doivent être en cohérence avec les individus : il ne suffit pas d’ajouter des
plantes vertes ou de la musique pour que les gens se sentent mieux ! En effet,
croire qu’il suffit d’ajouter des éléments naturels dans n’importe quel espace
pour améliorer récupération, santé et bien-être serait un raccourci rapide. Les
environnements reconstituants ne sont pas uniquement définis par des
caractéristiques objectives, ils deviennent reconstituants au regard de la
transaction entre un individu et son environnement. Par exemple mis en
évidence que les espaces naturels ne permettaient qu’une récupération limitée
pour les individus travaillant en forêt (Von Lindern et al., 2013). Cette
limitation serait due à la difficulté de mettre à distance les demandes et
contraintes de cet environnement : la forêt étant leur lieu de travail, elle ne
leur permet pas de s’évader de leur quotidien professionnel.
Les environnements reconstituants occupent une place centrale pour le
design fondé sur les preuves (EBD : evidence-based design), et
particulièrement pour la conception des centres de soins (Ulrich et al. 2008).
L’EBD consiste à concevoir des espaces en se basant sur les résultats
concrets d’études scientifiques crédibles, afin d’espérer obtenir les meilleurs
résultats possibles sur la guérison et la santé des patients (The Center for
Health Design, 2008). En effet, pour qu’un patient guérisse plus vite, il lui
faut un environnement propice à la guérison (healing environment, healing
space), un lieu lui permettant de se rétablir. Le concept d’environnement
propice à la guérison suggère que la conception des centres de soins, et
notamment les caractéristiques physiques des différents espaces, joue un rôle
dans le processus de guérison et le sentiment de bien-être des patients
(Dijkstra et al., 2006 ; Dodeler, 2014).
La question des environnements reconstituants devrait également avoir sa
place dans les réflexions concernant l’aménagement des espaces de travail,
ceci afin d’améliorer performance et bien-être des salariés.

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1. Par Virginie Dodeler.
Chapitre 6
Spiritualité, religion
et psychologie positive1

Sommaire
1. Spiritualité et religion : ouverture conceptuelle
2. Spiritualité, religion au service de la santé
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Depuis ces dernières années, la recherche en psychologie,
notamment dans le champ de la psychologie positive, s’est
intéressée aux effets des croyances et des pratiques spirituelles et
religieuses sur la santé ainsi que le bien-être des individus. Les
études dans le domaine semblent démontrer l’intérêt clinique de
l’intégration de ces notions dans le cadre psychothérapeutique.
Résumé long
Les processus d’adaptation de l’individu face aux événements de
vie sont nombreux. On constate que face à certaines situations,
les individus mobilisent des ressources internes en termes de
croyances, de valeurs ou de pratiques qui émanent ou s’inscrivent
dans le champ de la religion et de la spiritualité. De tels concepts
embrassent l’histoire de l’humanité depuis ses origines. La religion
et la spiritualité, bien que très proches, restent néanmoins des
notions distinctes. La spiritualité peut être définie comme la partie
de notre vie intérieure qui a un rapport avec l’absolu, l’infini ou
l’éternité, que ceux-ci soient conçus comme transcendants et
personnels ou bien comme immanents et impersonnels. La
religion, quant à elle, peut être envisagée comme un ensemble de
croyances et de dogmes définissant le rapport de l’homme avec le
sacré. Il s’agit également d’un ensemble de pratiques et de rites.
La recherche en psychologie, et notamment la psychologie
positive, se sont saisies de ces notions afin de mieux saisir leurs
effets sur la santé et le bien-être des individus.

Mots-clés : spiritualité, religion, psychologie positive, santé


Questions
• Qu’est-ce que la spiritualité ? Qu’est-ce que la religion ?
• Quels sont les effets sur la santé de la spiritualité et de la
religion ?
• Quel est intérêt d’intégrer ces notions dans la pratique clinique ?

Depuis quelques années, on assiste à un retour du « spirituel ». Pour


Frédéric Lenoir (2011), cette quête est le révélateur d’un besoin profond « de
retrouver l’accès à des expériences archaïques du sacré. Et si ce n’est à
travers une réelle symbiose avec le cosmos, c’est en se reliant à son corps et à
ses émotions que l’homme contemporain cherche à éprouver le sacré, ce qui
est une autre manière de « quitter le mental » pour retrouver la nature »
(p. 28). Devenue un véritable objet de consommation, la spiritualité est
disponible à la carte selon ses envies et ses périodes de disponibilité, quête de
sens, quête de soi, quête du sacré, tout est possible aujourd’hui entre deux
avions ou deux périodes de stress professionnel, il est possible par la
méditation, de se retrouver dans des univers à la scénographie parfaite qui
nous rappellent l’Asie et les vies d’ascètes des moines bouddhistes. Utile
pour tout, elle est de ces nouvelles thériaques thérapeutiques qui permettent
de répondre aux besoins de développement personnel, de bien-être,
d’épanouissement, de gestion du stress. Ces pratiques ancestrales, sont
souvent mises à la « sauce » moderne (Kabbalah, bouddhisme occidental…),
parfois bien éloignées de leur ancrage originel. Pour expliquer ce « tourisme
spirituel », Raphaël Lioger (2009), philosophe et professeur en sociologie,
propose la théorie de l’« individuo-globalisme » qu’il explique en ces
termes :
« Derrière la multiplication apparemment chaotique des groupes religieux dans les
sociétés dites postindustrielles, se profile une orthodoxie oscillant entre la “quête de
soi” et “l’ouverture au Tout”, l’individuo-globalisme, qui s’accompagne d’une mystique
exprimée dans un langage quasi scientifique sous certains aspects et néotraditionnel
sous d’autres, qui se dénomme spiritualité plutôt que religion, et qui s’appuie sur le
culte de l’énergie, objet paradoxal à la fois naturel et surnaturel, personnel et
impersonnel, bref individuel et global » (p. 88).

Ces nouvelles spiritualités s’inscrivent dans « cette dogmatique


orthorationnelle (rejet d’une mauvaise rationalité, froide et impersonnelle, au
profit du dogme d’une rationalité juste, écologique, vraie, qui redécouvre les
« traditions authentiques »), qui se présente plus comme spirituelle que
religieuse » (Lioger, 2009, p. 114). Toujours selon Lioger (2009), ce
changement ne fait pas passer de l’ère de la religion à l’ère de la spiritualité
mais indique « un changement de signifiant, de contenant – ce qui constitue
la véritable originalité de l’évolution actuelle – mais nullement de signifiant,
de contenu » (p. 90).
Ainsi, chacun recherche un sens à sa vie, des solutions pour affronter la
souffrance et trouver des réponses face aux énigmes de l’existence. Tout
laissait croire que le XXIe siècle serait celui de la psychologie de l’avoir :
« J’ai, donc je suis. » Pourtant, il semble que les hommes les plus modernes
aient besoin de donner de la perspective à leur vie lors de leur passage sur
terre. Croire en quelque chose qui redonne de l’espoir et du sens à vivre
s’impose comme une quête qui laisse peu de gens indifférents. Il apparaît que
les épreuves et la maladie stimulent plus encore cette quête et ce
questionnement. Cela n’a en tout cas pas échappé aux cliniciens et aux
chercheurs qui se sont demandé si la spiritualité et la religiosité pouvaient
aider les malades à aller mieux et permettre à chacun de mobiliser des
ressources nouvelles pour affronter les bouleversements multiples auxquels
ils sont confrontés.
La psychologie positive est l’étude des conditions et des processus qui
contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des personnes,
des groupes et des institutions (Gable & Haidt, 2005). L’intérêt porté à cette
discipline a été, depuis ces dernières années, grandissant. Cet essor peut être
envisagé de diverses façons. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la
psychologie s’est largement focalisée sur les conséquences à court, moyen et
long termes de la confrontation aux expériences adverses. Elle a ainsi
développé un arsenal de ressources et d’outils permettant de soigner,
colmater, soutenir et parfois même, de guérir. S’il était urgent de réparer les
blessés de la guerre, il est aujourd’hui, au regard des évènements auxquels
nos sociétés sont confrontées, d’être en mesure de prendre en charge les
formes multiples que prend la souffrance humaine et de proposer des
dispositifs toujours plus efficaces. C’est ce à quoi la recherche a très
largement contribué. Mais qu’investir de l’après ? Selon, la bien connue
définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la santé peut être
définie comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui]
ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
Le champ de la psychologie positive a permis de remettre au cœur de la
recherche cette notion de « bien-être », qui va bien au-delà de l’« absence
de… ». Selon Seligman et Csikszentmihalyi (2011), son objectif est
« d’initier un changement dans l’optique de la psychologie en la faisant
passer d’une centration exclusive sur la pathologie et le traitement des pires
choses pouvant arriver dans la vie, à une centration sur ce qui permet de
construire des qualités positives » (p. 22). La psychologie positive s’est, pour
ainsi dire, plus largement focalisée sur ce qui fait que la vie vaut la peine
d’être vécue. Depuis son essor, elle est venue puiser dans différents champs
disciplinaires et culturels, les savoirs et les savoir-faire lui permettant de
proposer une recherche plus encline avec les besoins des individus. Nous
l’évoquions précédemment, spiritualité et religion, ont au fil des siècles et des
époques, accompagnés les civilisations dans leur quête de sens, de
transcendance et de bonheur. La psychologie s’est notamment saisie de ces
concepts ancestraux afin d’étudier leurs effets sur le mieux-être des individus
ainsi que sur leur santé.
C’est dans un tel contexte que nous aborderons la question de la spiritualité
et de la religion afin que les psychologues et les chercheurs puissent être
sensibilisés à cette dimension et qu’ils puissent en tenir compte dans leur
intervention clinique et leurs travaux de recherche. Dans ce chapitre nous
envisagerons dans un premier temps ce que la spiritualité et la religion
recouvrent. Nous verrons ainsi que ces termes, pourtant communément
utilisés, restent tout de même assez complexes à définir. Par ailleurs, nous
aborderons de façon plus précise, les liens qu’entretiennent spiritualité,
religion et psychologie positive. Dans une deuxième partie nous nous
intéresserons au champ de la santé en lien avec les dimensions évoquées
précédemment. En effet, la recherche semble montrer que religion et
spiritualité semblent favoriser l’adaptation des malades, réduire les impacts
négatifs des événements de vie difficiles et ainsi, améliorer le bien-être des
individus. Nous présenterons ensuite un outil de mesure de la spiritualité qui
pourra servir aux cliniciens et aux chercheurs à opérer des évaluations dans
ce domaine. Enfin, nous discuterons de la possibilité d’introduire, lorsque
cela est possible, dans la prise en charge des malades le « soutien spirituel »
qui se distingue du soutien psychologique classique et qui pourrait favoriser
la mobilisation de ressources adaptatives nouvelles et complémentaires.

1. Spiritualité et religion : ouverture


conceptuelle
1.1 Approche de la spiritualité
La spiritualité peut être définie, comme la partie de notre vie intérieure qui a
un rapport avec l’absolu, l’infini ou l’éternité, que ceux-ci soient conçus
comme transcendants et personnels (on parle alors de divinité et de Dieu) ou
bien comme immanents et impersonnels (où l’on parlera plutôt de l’être, de la
vérité ou de la nature), avec bien sûr une prise en compte de tous les degrés
intermédiaires entre ces deux pôles. Toutes les religions contiennent en leur
sein une dimension spirituelle centrale. C’est le cas du judaïsme, du
christianisme ou de l’islam. À l’inverse, toute spiritualité n’est pas forcément
religieuse. Si certaines comme le bouddhisme ou le taoïsme ne vénèrent
aucun Dieu, d’autres dites laïques se pratiquent en dehors de tout contexte
religieux. Notre époque est d’ailleurs propice à de telles approches qui se
pratiquent alors dans la sphère privée avec comme seul but, une sorte
d’apaisement et de quête de soi. Il existe pour ainsi dire, des approches
multiples de la spiritualité, ce qui la rend difficile à circonscrire et à définir.
On peut considérer la spiritualité comme un ensemble de croyances et
d’attitudes qui donnent un sens et un but à la vie par un sentiment de
connexion au soi, aux autres, à l’environnement naturel, à une puissance
supérieure et/ou à d’autres forces surnaturelles. Ces croyances et ses attitudes
sont organisées autour de la quête de sens (élaboration d’un réseau de
significations permettant de surmonter la gravité des situations auxquelles on
se trouve confronté), la transcendance (existence d’une réalité qui dépasse
l’individu), les valeurs (caractérisent, le bien, et le vrai c’est-à-dire des choses
matérielles et psychologiques qui ont du poids et qui comptent pour la
personne).
Spiritualité
La spiritualité est un ensemble de croyances et attitudes qui donnent un
sens et un but à la vie par un sentiment de connexion au soi, aux autres, à
l’environnement naturel, à une puissance supérieure et/ou à d’autres
forces surnaturelles. Ces croyances et ces attitudes sont organisées autour
de la quête de sens (élaboration d’un réseau de significations permettant
de surmonter la gravité des situations auxquelles on se trouve confronté),
la transcendance (existence d’une réalité qui dépasse l’individu), les
valeurs (caractérisent, le bien, et le vrai c’est-à-dire des choses matérielles
et psychologiques qui ont du poids et qui comptent pour la personne).
La recherche spirituelle s’ancre dans le désir de l’individu de vivre sa vie
selon une attitude qui transcende les contingences et qui donne une
profondeur à son existence. Dès lors, la spiritualité exerce une fonction
d’intégration et d’harmonie impliquant l’unité intérieure, d’une part, et la
relation aux autres et à une réalité plus large qui induit la capacité de
transcendance, d’autre part.
Les manifestations liées aux expériences spirituelles sont extrêmement
polymorphes et propres à chaque individu ; chacun exprimant sa spiritualité à
sa manière. La spiritualité amène l’individu à développer des valeurs
personnelles comme la paix intérieure, l’altruisme, ou la compassion.
Rappelons néanmoins que la notion de transcendance est spécifiquement
religieuse. Elle découle directement d’une révélation (la Bible, etc.) dont la
source est Dieu qui parle aux Hommes. À la différence de la transcendance,
la spiritualité est autoréférentielle : aujourd’hui dans les démarches
méditatives ce sont les êtres humains qui définissent le sens de leur vie
(comme l’euthanasie par exemple actuellement…) alors que dans la
transcendance le sens de la vie nous est donné pour toute chose (exemple :
« Tu ne tueras point »…).

1.2 La religion
La religion peut se concevoir comme un ensemble de croyances et de
dogmes définissant le rapport de l’Homme avec le sacré. Il s’agit aussi d’un
ensemble de pratiques et de rites propres à chacune de ces croyances. La
religion peut donc s’envisager comme un ensemble de croyances et de
pratiques qui réglementent la relation du croyant au sacré ou au divin. Elle
implique une qualité mystique et surnaturelle qui favorise la proximité au
transcendant et détermine la compréhension de sa relation aux autres dans le
contexte communautaire (Koenig et al., 2012). Concernant les monothéistes,
la religion est perçue comme reliant les individus de manière horizontale,
c’est-à-dire entre eux, et de manière verticale, c’est-à-dire, à la divinité (Dieu,
Allah…). Toutes les religions sont déterminées et influencées par de
nombreux phénomènes culturels permettant d’envisager la relation au divin,
une conception du monde et de répondre aux questions existentielles que les
individus peuvent se poser au regard de leur vie.
Religion
La religion se définit par un ensemble de croyances et de pratiques qui
réglementent la relation du croyant au sacré ou au divin. Ce système relie
des hommes entre eux et avec une instance non sensible, et donne sens à
l’existence.
Plus précisément, pour Pargament et al. (2007), la religion est à la croisée
du sentiment de sens et du sentiment de transcendance, et se définit comme
« une recherche de sens dans la façon d’être lié au sacré » (p. 745). Cela
implique un processus par lequel les individus découvrent le sacré, l’intègrent
et le transforment, dès lors qu’ils sont confrontés à un besoin de changement.
Dans la vision contemporaine, la religiosité est souvent réduite à son aspect
institutionnel et traditionnel, alors qu’historiquement elle était envisagée dans
une conception plus large. En effet, multidimensionnelle, la religion réunit de
nombreuses composantes telles que l’engagement religieux, l’affiliation
religieuse, l’attitude religieuse, la fréquentation des offices religieux, la
pratique de la prière (collective ou privée), la lecture ou l’étude des textes
fondateurs, etc.

1.3 Spiritualité, religion et psychologie


positive
Ainsi, depuis que le monde est monde, la spiritualité accompagne les
humains dans leur quête sens, leur recherche du « sacré ». Elle a au cours des
années, façonnée les connaissances et les pratiques de civilisations toutes
entières. Tantôt incarnée par la nature, la religion, tantôt par des pratiques et
croyances ancestrales, elle a transcendé les époques. À titre d’exemple, la
guérison spirituelle, souvent initiée par les chamanes, les prêtres et les
guérisseurs, permettaient et permet encore aujourd’hui de soulager, de venir
en aide, et parfois miraculeusement guérir les souffrances du cœur et de
l’esprit. Si nos sociétés modernes, se sont largement éloignées des préceptes
et dogmes imposés par la religion, elle n’a pour autant pas disparu ! Le
religieux n’a jamais disparu de la modernité, il s’est simplement adapté,
accoutumé aux nouvelles mœurs. En effet, nous sommes les témoins d’un
renouveau de la spiritualité dans différents domaines de notre société, non
plus tournée vers la communauté, mais vers soi. Une quête de sens, une quête
de soi, qui passe par l’individu et qui n’est plus une attente vis-à-vis de la
société. Les rayons des librairies fourmillent d’ailleurs de méthodes
miraculeuses permettant de trouver le chemin du bonheur. Les savoirs
ancestraux, les préceptes et pratiques issues des religions, sont alors
redécouverts, choisis, adaptés aux besoins de l’individu qui compose et
décompose ce qui sera son chemin spirituel. À la clé ? Le bonheur ! Pourtant
les notions de bonheur et de bien-être recouvrent des réalités bien vastes,
encore aujourd’hui, difficilement définissables.
Depuis ces dernières années, la psychologie, et plus particulièrement la
psychologie positive, se sont largement intéressées à la spiritualité et la
religion afin d’étudier leurs effets sur le bien-être et la santé des individus.
Rappelons que la psychologie positive est l’étude des conditions et des
processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal
des personnes, des groupes et des institutions (Gable & Haidt, 2005). Le
bonheur, le bien-être ainsi que ce qu’incarne le fonctionnement optimal des
individus font partis des champs de recherche qui organisent la psychologie
positive. Différents concepts, tels que la gratitude par exemple, largement
associée à des dimensions spirituelles voire, religieuses, ont montré des effets
sur le bien-être émotionnel des individus. Par ailleurs, la spiritualité a
indiqué, sur la base de recherches quantitatives, une relation positive à la
qualité de vie (Sawatzki et al., 2005). Les recherches dans ce domaine ont
permis de légitimer l’importance de ces concepts, pour la prévention et la
promotion de la santé ainsi que du bien-être, mais également, leur pertinence
dans les interventions cliniques.
2. Spiritualité, religion au service de la santé
2.1 Un intérêt pour la santé
Nous l’évoquions précédemment, la spiritualité est devenue depuis quelques
années une dimension importante dans le champ de la santé, notamment dans
la prise en charge des malades, avec un nombre de recherches de plus en plus
important.
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette nouvelle préoccupation. En
particulier certaines limites de la médecine scientifique qui réduit trop
souvent les malades à un objet d’analyse et de recherche, considérant
l’organe comme étant malade et non la personne. Chacun d’entre nous a le
sentiment de n’être qu’un « organe » que les spécialistes se partagent, ou
d’être défini par sa maladie. Les spécialistes médicaux ont balkanisé notre
corps et nos organes. Par effet induit, un cœur, un poumon, ou encore un
intestin, ne pense pas et qui plus est, n’a pas d’aspiration spirituelle ou
existentielle. Si la technique a permis à la médecine moderne des avancées
majeures dans le diagnostic et le traitement des maladies, son développement
technoscientifique a rationalisé à outrance la maladie ainsi que le malade,
faisant alors perdre le caractère unique des individus (Philibert, 1998). La
médecine contemporaine a eu tendance à mettre la technique au service d’une
conception réductrice de la santé et du corps.
Cantonnée au mesurable et à l’objectivable, et excluant ce qui n’entre pas
dans ces catégories, c’est l’hégémonie de l’evidence based medicine qui doit
être mise en veilleuse. Les questions relatives au sens de la vie et de la
maladie sont les grandes oubliées de cette approche. Et ce sont tous ces
problèmes que les approches thérapeutiques alternatives ont voulu prendre en
considération. Incapable de répondre aux attentes et aux espoirs de guérison
qu’elle a elle-même suscités, interpellée par les approches thérapeutiques
alternatives visant à élargir ses notions de santé, de maladie et de guérison, la
médecine scientifique, sans être rejetée, n’accorde aucune place pour les
questions existentielles fondamentales. D’où l’intérêt d’intégrer la spiritualité
des malades dans les prises en charge, permettant ainsi de redonner de
l’espoir et d’améliorer foncièrement les relations soignés-soignants, dans la
mesure où ces derniers sont en capacité de l’intégrer.
Encadré 6.1

Spiritualité, satisfaction à l’égard de la vie et comportement lié


à la santé des personnes âgées résidant dans des
établissements de soins de longue durée – une étude pilote
Magdalena Zadworna-Cieslak (2020) a tenté de déterminer dans
son étude, si la satisfaction de vivre agissait comme un médiateur
dans la relation entre la spiritualité et les comportements liés à la
santé chez les résidents des établissements de soins de longue
durée. Cette recherche a été menée dans trois établissements
publics de soins infirmiers dans le centre de la Pologne. Les
participants étaient au nombre de 102, âgés de 60 à 99 ans. Trois
outils de recherche ont été utilisés dans cette étude : le
questionnaire sur les comportements liés à la santé des personnes
âgées (Zadworna-Cieslak, 2017) ; le Self-description Questionnaire
a été utilisé pour mesurer la spiritualité (Heszen-Niejodek &
Gruszczynska, 2004) ; l’adaptation polonaise du Satisfaction with
Life Scale (Diener, Emmons, Larsen & Griffin, 1985). Il a été
constaté que la satisfaction de la vie jouait un rôle de médiation
dans la relation entre la spiritualité et les comportements en matière
de santé. L’étude aborde le manque de connaissances concernant
les personnes âgées institutionnalisées.

Les recherches sur la spiritualité ont pris leur essor dans les années 1980. En
un quart de siècle, les publications relevant du mot-clé spirituality sur
PubMed ont vu leur nombre augmenter de façon exponentielle. Un des chefs
de file du champ de recherche qui rapproche spiritualité et santé, est le
psychiatre américain Harold G. Koenig. Il est coauteur du Handbook of
Religion and Health, paru en 2001. Pour Koenig, intégrer la spiritualité dans
le domaine de la santé est de l’ordre du bon sens, car la plupart des patients
atteints de maladies graves ont des besoins spirituels au même titre que des
besoins psychologiques, physiques ou sociaux. Ces besoins doivent donc être
pris en compte parce qu’ils ont une influence sur la santé voire sur la
mortalité. La spiritualité est une ressource ! Elle permet au patient de faire
face à la maladie. Psychologiquement, dans la mesure où la spiritualité
permet de diminuer le stress, l’anxiété, la dépression. Socialement, parce que
la spiritualité favorise les relations sociales et que cet aspect influence
positivement la santé, et par extension, le bien-être des individus.
En raison de son influence sur la santé, Koenig recommande même aux
professionnels du soin de s’intéresser à la spiritualité de leur patient comme
ils s’intéressent à leur consommation d’alcool ou de tabac.
Barbour (1997) présente quatre typologies d’interaction possibles entre la
science et la religion, les deux pouvant s’envisager dans des rapports
antagonistes (les deux cherchent mutuellement à nier leur prétention à la
vérité), d’indépendance (chacune gardant sa sphère d’expertise qui lui est
propre, par exemple la science s’occupant du corps et la religion de l’âme),
de dialogue (les deux collaborent sur des sujets communs de réflexion et de
recherche) ou d’intégration (articulation ou mise en lien des deux comme
c’est le cas de la recherche dans le domaine). La plupart des recherches qui
ont étudié les croyances et la pratique religieuses en lien avec la santé,
mettent en évidence que les personnes religieuses ou spirituelles sont en
meilleure santé physique et psychologique que les autres et qu’elles ont une
conduite et un style de vie plus sains et qu’elles font moins appel aux services
de santé (Koenig, 2000).
On montre d’ailleurs de manière assez convaincante que la maladie est à cet
égard propice à l’émergence d’un questionnement existentiel important.
Plusieurs sondages ont d’ailleurs révélé que les personnes malades
considéraient leur santé spirituelle comme aussi importante que leur santé
physique (Mueller, Plevak, & Rummans, 2001).

2.2 Quelques travaux dans le champ de la


santé et de la maladie
La religion et/ou la spiritualité ont été prises en compte par de nombreux
auteurs dans le domaine de la santé. Les travaux ont généralement porté sur
les problématiques du stress, du deuil ou des maladies chroniques (maladies
cardiovasculaires, diabète, cancer, maladies rénales, VIH) (Koenig,
McCullough, & Larson, 2001). De manière générale, les résultats montrent
des effets positifs du coping religieux sur la santé. En 2005, Ano et
Vasconcelles ont publié une méta-analyse sur l’effet des stratégies de coping
spirituel et religieux sur l’ajustement aux évènements stressants. Le coping
religieux était principalement associé aux croyances et pratiques religieuses
(conversion religieuse, purification, support social lié au clergé, punition
divine…). Il était défini comme l’usage de croyances ou comportements
religieux pour faciliter la résolution d’un problème, prévenir ou apaiser les
conséquences émotionnelles négatives des circonstances de vie
stressantes. Les auteurs ont ainsi montré que l’utilisation du coping religieux
(conversion religieuse, connexion à Dieu…) s’avérait efficace pour s’adapter
aux événements stressants. Cela avait pour effet de réduire les niveaux de
détresse, de culpabilité ou de désespoir.
Coping religieux
Le coping religieux se caractérise par un sentiment de connexion au
transcendant, une relation sécure avec un Dieu bienveillant et la croyance
dans un sens plus large. Cette dimension constitue une ressource
psychique susceptible d’accompagner les personnes dans les épreuves de
la vie.
Le coping religieux apparaît également comme une stratégie adaptée
lorsqu’il s’agit de faire face à la maladie grave. Thuné-Boyle et al. (2006) se
sont intéressés aux liens entre coping religieux et ajustement à la maladie
dans le cas du cancer. Leur revue de littérature (17 études) montre un effet du
coping religieux sur la diminution de la détresse psychologique et
l’ajustement à la pathologie. Cette adaptation comprend une diminution du
sentiment de colère, d’hostilité et de l’isolement social, ainsi qu’une
amélioration du sens donné à l’expérience de la maladie. Le coping religieux
pourrait dans certaines études, expliquer jusqu’à 14 % de la variance du bien-
être émotionnel et 16 % de la variance associée à la satisfaction de vie. Les
activités religieuses sont également positivement liées à la joie et aux affects
positifs, qui influeraient positivement la diminution des sensations
douloureuses. À l’inverse, dans cette même méta-analyse, quatre études
montrent un effet négatif du coping religieux qui s’est révélé être associé à
l’augmentation de l’anxiété, du stress, de la détresse, ainsi qu’à une baisse du
bien-être émotionnel et familial, de l’ajustement psychosocial et de la
satisfaction de vie2.
Le coping spirituel et religieux a également montré des effets intéressants
sur la santé mentale. Koenig, McCullough, et Larson (2001) ont par exemple
montré un lien positif entre religiosité, bien-être, espoir et optimisme.
Le travail de Hackney et Sanders (2003) précise un peu les choses en
distinguant religion institutionnelle (activités liées à la paroisse, motivation
extrinsèque, participation dans des rituels liés à la prière),
croyances/idéologies religieuses (idéologies, attitudes, croyances et
fondamentalisme) et dévotion personnelle (motivation intrinsèque,
attachement émotionnel à Dieu, dévotion, prières familières).
Cette catégorisation a permis de démontrer que la « religion
institutionnelle » est associée aux résultats les plus faibles et n’est en rien
moteur d’un quelconque effet sur la santé. En ce qui concerne les dimensions
« croyances/idéologies » et « dévotion personnelle » ce sont elles qui
conduisent aux effets les plus significatifs tant sur la baisse de la détresse
émotionnelle que sur l’augmentation de la satisfaction perçue et de
l’actualisation de soi. Tout se passe comme si, le degré d’intériorisation des
croyances était le plus à même de modifier le niveau d’adaptation et la santé
mentale. En d’autres termes, il ne suffit pas d’intégrer et de participer
socialement à une institution religieuse pour être en meilleure santé. Ce sont
les valeurs intimes, les croyances profondes qui sont seules à même d’avoir
des effets sur la santé des personnes, comme si seule une motivation
autonome à une pratique religieuse, en référence à la théorie de
l’autodétermination (e. g. Deci & Ryan, 1985), pouvait avoir des effets
bénéfiques. Une religion pratiquée en raison d’une motivation contrôlée,
instrumentalisée finalement, non seulement n’aurait pas d’effets bénéfiques,
mais pourrait au contraire avoir des effets délétères.
D’autres travaux comme ceux de Büssing et al. (2005), ont étudié les effets
de la spiritualité/religiosité auprès de 710 patients présentant diverses
maladies (42 % souffraient de douleur chronique, 25 % de cancer, 10 % de
sclérose en plaques, 21 % d’autres maladies chroniques et 3 % de maladies
aiguës). Les résultats montrent que plus les personnes sont engagées dans une
posture spirituelle ou religieuse, plus la croyance en une « source suprême »
d’aide existe, plus les malades sont amenés à construire une vision positive
de leur maladie. Espoir et optimisme deviennent alors des ressources qui les
conduisent à espérer en une issue positive de leur maladie et à se battre pour
y parvenir.
Tous les travaux dans le domaine laissent entrevoir la possibilité que la
spiritualité/religiosité puisse s’envisager comme une stratégie efficace pour
faire face aux bouleversements qu’impose la maladie. Si le bien-être et la
qualité de vie semblent s’améliorer, certains travaux indiquent même que
cette dimension jouerait un effet protecteur sur la santé, prévenant les effets
du stress et l’apparition de troubles dépressifs. Les explications de tels effets
sont sans doute à trouver dans les perspectives nouvelles qu’offrent aux
malades de telles croyances. Croire ou espérer permettent d’ouvrir le champ
du possible. Quand tout est encore possible, quand il nous est permis de
croire en sa propre capacité à guérir, à s’en sortir ou que l’on pense qu’un
Dieu extérieur pourra nous aider alors la lumière peut à nouveau éclairer
notre chemin. Une telle approche est sans aucun doute plus encourageante
que de penser qu’il n’y a plus rien à faire, que les « dés sont jetés » et que la
nuit cette fois est tombée pour toujours.

2.3 La mesure de la spiritualité


S’il y a bien une question centrale à cette problématique de la
spiritualité/religiosité dans le domaine de la recherche c’est bien celle de
définir une unité de mesure et de l’évaluer. Plusieurs outils existent dans le
domaine et correspondent bien entendu à la définition que les auteurs vont
donner des concepts qu’ils souhaitent opérationnaliser.
Nous avons choisi de présenter la DSES (Daily Spiritual Experience Scale)
d’Underwood et Teresi (2002) validée en français par Bailly et Roussiau
(2010). La DSES fut développée pour mener des études sur la santé. Elle a
pour objectif d’évaluer les expériences spirituelles ordinaires au quotidien,
c’est-à-dire qu’elle cherche à déterminer le rôle de la spiritualité dans la vie
des personnes et leurs comportements « spirituels » dans la vie quotidienne.
Elle permet de découvrir la « prise de conscience » des individus par rapport
au divin et la manière dont ils interagissent avec celle-ci. La DSES circonscrit
9 domaines avec 16 items3 : connexion avec le transcendant (items 1 et 2), la
force et le confort (items 4 et 5), l’amour perçu (items 8 à 10), l’inspiration et
le discernement (items 7 et 8), le sentiment de plénitude/intégration interne
(item 6), le sentiment de transcendance de soi (item 3), sentiment de crainte
(item 11), sentiment de gratitude (item 12), le sentiment de compassion (item
13), le sentiment de miséricorde (item 14) et le désir du transcendant (item
16). Les qualités psychométriques de la DSES sont plutôt satisfaisantes avec
une consistance interne allant de.91 à.95 (Underwood & Teresi, 2002).
Tableau 6.1 – Version française de la DSES
De Jamais
Plusieurs Presque
Chaque Certains temps ou
fois par tous les
jour jours en presque
jour jours
temps jamais

1. Je ressens la présence de Dieu.

2. Je me sens relié(e) à toute forme de vie.

3. Durant un office religieux, ou à tout autre


moment où je communique avec Dieu, je ressens
de la joie, ce qui m’élève au-dessus de mes
préoccupations quotidiennes.

4. Ma religion ou ma spiritualité m’apporte de la


force.

5. Je trouve du réconfort dans ma religion ou ma


spiritualité.

6. Je ressens intérieurement une profonde paix ou


harmonie.

7. Je demande à Dieu de m’aider au cours de mes


activités quotidiennes.

8. Je me sens guidé(e) par Dieu au cours de mes


activités quotidiennes.
9. Je ressens de manière directe l’amour de Dieu
pour moi.
10. À travers les autres, je ressens l’amour de Dieu
à mon égard.
11. La beauté de la nature me touche à un niveau
spirituel.
12. J’éprouve de la reconnaissance pour les
bénédictions que j’ai reçues.

13. J’ai le désir d’aider les autres de façon


désintéressée.
14. J’accepte les autres même quand j’estime
qu’ils agissent mal.
15. Je désire être plus près de Dieu ou uni(e) à
Lui.
16. En général, vous sentez-vous proche de Dieu ?
Pas du tout – Assez proche – Très proche – Aussi proche que possible –.

Dans le domaine de la santé, le score obtenu à la DSES est prédictif d’une


durée plus courte d’hospitalisation (Koenig et al., 2003). De plus, elle est
corrélée négativement, avec, l’anxiété, la dépression et la consommation
d’alcool et positivement, avec, la qualité de vie et la santé mentale et
physique chez malades douloureux chroniques (Rippentrop, 2005).

2.4 Le soutien spirituel comme intervention


Depuis quelques années, les soins spirituels tendent à être intégrés dans la
démarche des soignants. Palier aux limites de la médecine ou encore,
reconnaître l’importance des questions existentielles des malades sont autant
d’explications à cette nouvelle dynamique. Peut-être d’ailleurs que les
psychologues ne sont pas si éloignés que cela des valeurs que véhicule le
domaine de la spiritualité. Pour Pargament et Riya (2007), « il manquait
quelque chose. Beaucoup d’entre nous, je soupçonne, ont été initialement
attirés dans le domaine de la psychologie pour des raisons religieuses et
spirituelles. Ainsi, ce ne sont pas seulement nos clients qui pourraient
accueillir l’intégration de la spiritualité dans la psychothérapie ; Nous,
comme thérapeutes, pouvons aspirer à la même chose » (p. 742). S’il est un
lieu privilégié pour aborder et utiliser les ressources de la spiritualité, à n’en
pas douter, le cadre de la psychothérapie y est propice. N’est-ce pas dans ce
cadre qu’il convient d’aider le patient à mobiliser ses ressources afin d’être en
mesure de faire face aux contraintes de la vie et parfois même de la fin de
vie ? À vrai dire, il ne faudrait pas laisser se confondre la question de la
spiritualité et de l’humanitaire. Bien que ces derniers entretiennent, à certains
égards, des dimensions communes, ils se distinguent malgré tout fortement.
Le soutien spirituel
Le soutien spirituel est proche du soutien psychologique, parce qu’il est
basé sur une relation humaine empreinte de respect et authentique.
Cependant, le soutien spirituel s’en différencie parce qu’il ne fait pas
appel aux mêmes valeurs. Il se définit comme « l’expression d’une
relation intérieure avec l’autre au plus intime de son cœur, de son âme »
(Fischer, 2013).
Le soutien spirituel est proche du soutien psychologique, parce qu’il est
basé sur une relation humaine empreinte de respect et d’authenticité.
Cependant, le soutien spirituel s’en différencie parce qu’il ne fait pas appel
aux mêmes valeurs. Gustave-Nicolas Fischer définit le soutien spirituel
comme : « l’expression d’une relation intérieure avec l’autre au plus intime
de son cœur, de son âme » (Fischer, 2013, p. 32). C’est une dimension qui se
fonde sur l’intériorité de l’être humain. Pour toucher cette intériorité, le
soignant doit faire preuve de compassion, en adoptant une écoute
bienveillante à l’égard du patient. Le patient est pris dans la totalité de son
être et donc, dans toutes les sphères de sa vie. La façon d’exprimer ce soutien
au patient se fait dans une présence habitée par l’amour que le soignant est
capable de donner.
Gustave-Nicolas Fisher (2013) précise qu’« être aimant pour [le malade] est
peut-être la manière la plus spirituelle de le soutenir » (p. 33). C’est à travers
des gestes simples et attentifs que « l’amour pour l’autre se révèle alors la
grande, l’extraordinaire, la seule faculté humaine de transcender la déchéance
et la mort » (p. 34). Quand un malade est au stade ultime de sa vie : « Rien
d’autre n’est alors possible que de donner de l’amour, et l’accompagnant
reçoit autant sinon plus que ce qu’il donne » (Fischer, 2013, p. 34). Le
soutien spirituel est donc une attitude de compassion et d’amour que le
soignant peut choisir de mettre en œuvre dans sa pratique auprès de ceux qui
souffrent.
Au-delà de ce soutien spirituel, dans la relation médecin-patient, il existe
différentes formes de soin qui tendent à intégrer la dimension spirituelle. Ces
formes de traitements permettent aux malades d’exprimer leurs besoins
profonds qui ne sont pas d’ordre médical. William Breitbart, psychiatre
américain, a développé une psychothérapie, la MCP (meaning-centered
psychotherapy), qui est une psychothérapie centrée sur le sens. Ce médecin
psychiatre s’est inspiré du travail du neurologue et psychiatre autrichien,
Viktor Frankl (1988), survivant de l’Holocauste, pour qui la vie ne cesse
jamais d’avoir du sens, même dans les moments les plus douloureux. La
spiritualité est en soi, une quête de sens et peut ainsi aider l’homme à donner
du sens à son existence, à la maladie, à la mort.
William Breitbart (2012) a mené une recherche pour cerner les effets d’une
psychothérapie axée sur le sens de la vie, sur la qualité de vie et l’anxiété des
patients atteints de cancers avancés. Il a recruté 120 participants et il les a
répartis en deux groupes. Un groupe de 64 personnes ont suivi la
psychothérapie et un groupe de 56 personnes ont eu des séances de massage.
Au bout des sept semaines de psychothérapie, il a constaté une amélioration
de la qualité de vie et du bien-être spirituel pour les patients qui ont suivi la
psychothérapie. Il a également relevé une diminution significative des
symptômes douloureux. Mais lorsqu’il a procédé au bout de deux mois à une
réévaluation, l’amélioration de la qualité de vie, du bien-être spirituel et de la
réduction de la douleur ne s’est pas maintenue. Ainsi, on peut dire que la
psychothérapie peut apporter une aide au patient à court terme.
En ce qui concerne l’anxiété, les chercheurs n’ont pas mis en évidence un
lien entre la thérapie et l’anxiété. La psychothérapie n’avait aucun effet sur
l’anxiété des patients. Les travaux dans ce domaine sont encore au stade des
balbutiements et mériteront à l’avenir de nouveaux développements.

Conclusion
La spiritualité fait aujourd’hui partie des nouvelles conceptions de la santé
et de la maladie. Elle n’est ainsi pas cloisonnée dans une compréhension
purement médicale des choses.
Plusieurs raisons militent en faveur de l’intégration de la spiritualité dans la
prévention, les soins, les services de santé, ainsi que dans la pratique des
psychologues. D’abord parce que, les personnes malades elles-mêmes
demandent de plus en plus que cette dimension soit reconnue, et qu’à défaut
de leur être proposée, ils iront la chercher ailleurs. Une conception globale de
la santé et de la maladie plaide en faveur d’une intégration de la spiritualité.
Les médecins et les psychologues qui prennent le temps de discerner et de
découvrir les besoins spirituels des personnes malades peuvent ce faisant les
aider à révéler eux-mêmes des ressources insoupçonnées qui pourront les
aider à affronter l’épreuve de la maladie. Ensuite, des concepts de la
psychologie positive, largement imprégnés de la spiritualité et de la religion
(gratitude, pardon, de sagesse…) constituent des éléments clés pour améliorer
le bien-être des individus. L’enjeu est de taille car cette dimension représente
pour les professionnels un potentiel et constitue le cœur même de nos
interventions. Certes cela nous renvoie à notre propre spiritualité, à nos
croyances et à notre conception du monde. Charge à nous de faire la part des
choses et de ne pas amputer l’autre d’une partie de lui-même pour des raisons
plus idéologiques que cliniques.
Il faut cependant être prudent dans la façon d’intégrer la dimension
spirituelle en psychologie de la santé. Intégrer ne veut pas dire remplacer.
En effet, les personnes malades qui requièrent des soins d’ordre spirituel
demandent en même temps le bon diagnostic et la meilleure expertise
médicale possible. Certes, la prière est efficace, l’espoir guérit et le désespoir
tue (Dossey, 1997). Mais, si les croyances et les pratiques religieuses et
spirituelles semblent avoir une incidence sur la santé ou la guérison, aucune
n’a à ce jour démontré, que la spiritualité ou la religiosité protégeait de la
maladie. La maladie n’est pas le fait d’un manque de foi et la spiritualité ne
peut se prescrire comme on prescrit aujourd’hui de l’activité physique.

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1. Par Murielle Smailovic, Cyril Tarquinio, Camille Louise Tarquinio, Charles Martin-Krumm et
Pascale Tarquinio.
2. À noter que, dans cette même méta-analyse, sept études ne montrent pas d’effet ni positif, ni négatif.
3. Il existe une version courte en 6 items de l’échelle DSES (Bailly, 2010) :
« Je ressens la présence de Dieu. »
« Ma religion ou spiritualité m’apporte force et réconfort. »
« Je ressens une paix et une harmonie profonde. »
« Je ressens l’amour de Dieu, directement ou à travers les autres. »
« Je suis spirituellement touché par la beauté de la création. »
« J’aspire à être plus proche ou en harmonie avec Dieu. »
Chapitre 7
L’adaptation dans le champ de
la psychologie positive : quelles
distinctions
et relations conceptuelles
entre croissance post-
traumatique,
changement de valeurs
et résilience ?1

Sommaire
1. Réflexions autour de la question de l’adaptation
2. Croissance posttraumatique
3. Adaptation et changement de valeurs
4. Résilience
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Le champ de l’adaptation est complexe et ne peut se résoudre au
seul coping si usité en psychologie de la santé. Les modèles de la
résilience, de la croissance post-traumatique, et du changement
de valeurs peuvent aussi être invoqués lorsqu’il s’agit d’illustrer les
processus d’adaptation de l’être humain.
Résumé long
Le coping, employé pour désigner les efforts de modération et de
résistance d’un individu face aux impacts psychosociaux d’une
situation stressante, est un concept régulièrement rencontré en
psychologie de la santé. Néanmoins d’autres modèles, ne
s’opposant pas forcément au coping, sont associés au champ de
l’adaptation et permettent d’illustrer des situations de confrontation
à une adversité si bouleversante qu’elle fait tout voler en éclat et
ne laisse que l’option d’une réinvention et d’une reconstruction.
Ces modèles sont celui de la croissance posttraumatique où le
sujet va dépasser cet état mental pathogène pour se transcender
et grandir à partir de l’épreuve vécue, celui du changement de
valeurs où le bouleversement chez le sujet va se cristalliser en une
nécessité de changer ses valeurs, ses croyances, son regard sur
le monde, et celui de la résilience, processus durant lequel le sujet
devra à la fois attribuer du sens à l’événement, produire des efforts
de coping, et engager une mobilisation ou une acquisition de
ressources.

Mots-clés : adaptation, croissance post-traumatique, valeurs,


résilience
Questions
• En quoi ces épreuves et ces événements qui nous bouleversent
nous perturbent-ils ?
• En quoi remettent-ils en question nos fondements ?
• Qu’est-ce que l’adaptation ?
• Quels concepts et modèles peut-on y associer ?
• Quelles sont les particularités des modèles de croissance post-
traumatique, de changement de valeurs, de résilience ?
• Peuvent-ils nous éclairer un peu plus sur le chemin que l’individu
parcourt de sa confrontation avec l’épreuve jusqu’à sa remontée
vers la lumière ?
Il est des évènements de vie qui n’ont rien de comparable aux autres. Sans
doute parce qu’ils bouleversent profondément ce que nous sommes et
questionnent ce que nous avons été. Ces « épreuves », en ce sens qu’elles
mettent notre vie physique et/ou psychique en péril, nécessitent pour être
dépassées la mobilisation de compétences d’adaptation et de ressources
nouvelles, souvent inédites. Leur mobilisation transcende le plus souvent les
individus qui en sont le théâtre et qui se trouvent eux-mêmes surpris par la
puissance de l’épreuve rencontrée – semblable à une lame de fond les
emportant. Leurs proches ne sont pas en reste non plus et se trouvent eux
aussi doublement bousculés par l’évènement aversif, parfois pathogène, qui
survient d’une part, et par les transformations psychiques, voire identitaires,
qui d’autre part en découlent.
Ces mécanismes et ces transformations nécessaires sont à mettre en lien
avec le champ de l’adaptation particulièrement développé en psychologie de
la santé. L’adaptation… nous voilà ici confrontés à un concept qui bien au-
delà du domaine de la santé, parcourt à vrai dire toutes les disciplines, ce qui
le rend d’autant plus difficile à circonscrire. En psychologie, le concept
d’adaptation est presque aussi ancien que la discipline elle-même, alors que le
processus, lui, a au minimum l’âge de l’humanité ou de l’apparition de la vie
sur la terre. En biologie, la notion renvoie à l’ensemble des ajustements
réalisés par un organisme pour survivre dans un environnement physique
donné. En psychologie, l’accent est davantage mis sur la modification des
conduites qui visent à assurer l’équilibre entre un organisme et ses milieux de
vie, ainsi que les processus qui sous-tendent ces modifications.
Dans le langage courant, le terme d’adaptation couvre une variété de
processus des plus évidents (transformation, changement, aménagement),
jusqu’aux plus complexes, flexibilité, souplesse, élasticité, malléabilité (Dalle
Mese & Tarquinio, 2012), et tout le monde peut comprendre ce qu’il en est.
En réalité sa compréhension notamment sur le plan psychologique pose
problème. Le détour par l’étymologie suggère précisément une double visée.
« Adapter », nous vient du latin apere/aptare qui signifie « joindre », ou
aptus : « (bien) attaché ». Joint au préfixe –ad, il rajoute l’idée de but ou de
visée si bien que la notion d’adaptation désigne, « l’état d’un être vivant du
point de vue des rapports plus ou moins adéquats au milieu que lui autorise
son organisation interne et le processus qui permet d’atteindre cette
adaptation » (Encyclopædia universalis, articles « Adaptation »).
On pourra rapidement s’entendre sur le fait que l’adaptation correspond à un
équilibre et à la façon dont cet équilibre s’établit et se fait entre les actions de
l’organisme sur le milieu, mais aussi entre les actions du milieu sur
l’organisme. Lorsque l’individu agit sur le milieu, il se modifie et en retour
lorsque le milieu se transforme, il impacte l’individu, qui par nécessité se
modifie aussi. On est ainsi confronté à un processus dynamique de
changement qui mobilise les capacités d’un individu à réagir aux stimulations
externes et/ou internes, aux contraintes et aux conflits, en cherchant à réduire
ou à éliminer leurs conséquences défavorables par des ajustements divers. Sa
finalité est de survivre et de créer un nouvel équilibre compatible avec cette
survie. En psychologie de la santé, cette notion est intimement liée au concept
de coping qui désigne un mécanisme d’ajustement défini essentiellement
comme une manière de gérer les perturbations occasionnées par les situations
et événements stressants, ainsi que par ce qu’impose aux personnes la
maladie, en développant des moyens cognitifs et émotionnels susceptibles de
contrôler ou de diminuer les effets négatifs des situations auxquels l’individu
est confronté. Coping est un terme anglais qui veut dire « faire face à » ; il est
traduit en français par « ajustement » dans de nombreux travaux en
psychologie de la santé. On distingue ainsi dans le coping diverses modalités
d’action selon qu’elles sont centrées sur les actions à entreprendre pour agir
sur la situation, ou selon qu’elles sont centrées sur la gestion des états
émotionnels déclenchés par la situation. Il s’agit généralement de situations
ordinaires (stress au travail, situation de vie difficiles…) qui mobilisent des
ressourcent ordinaires. Quoi qu’il en soit, trois modèles illustrent alors ces
problématiques et ces interrogations autour du processus d’adaptation, celui
de la croissance post-traumatique, celui du changement de valeurs, ainsi que
celui de la résilience. Ces concepts traduisent parfaitement en quoi les
théories de l’adaptation trouvent leur place dans le champ de la psychologie
positive. On peut ici parler d’adaptation positive car, ainsi que nous le
montrerons, ces concepts illustrent en quoi face à l’épreuve et aux épisodes
traumatiques les sujets sont en mesure de déployer de nouvelles ressources
parfois inédites qui leur permettre non seulement de s’ajuster aux épreuves de
vie mais aussi d’aller plus loin en proposant aux personnes impactées de se
réinventer et de repenser en des termes nouveaux leurs rapports au monde et
leur rapport à elles-mêmes. L’adaptation est ici génératrice de connaissances
et de ressources nouvelles qui projettent les sujets dans un univers psychique
inédit susceptible de les faire grandir et de générer chez eux du bien-être, un
sens des choses et de la vie, et plus généralement un certain épanouissement.
À la suite d’un approfondissement sur l’idée d’adaptation, nous discuterons
donc dans ce chapitre des trois modèles en lien avec ce champ : la croissance
post-traumatique, le changement de valeurs, la résilience.

1. Réflexions autour de la question de


l’adaptation
La notion d’adaptation est relativement ancienne (pour une revue du
concept, voir Tarquinio & Spitz, 2012) ; elle a été utilisée en particulier dans
les théories de l’évolution, de la biologie, de l’éthologie et de la
psychophysiologie. Elle désigne un processus dynamique de changement lié
aux capacités innées ou acquises d’un organisme, d’un individu ou d’un
groupe de réagir à des agressions externes ou internes, des contraintes ou des
conflits, en cherchant à réduire ou à éliminer leurs conséquences défavorables
par des ajustements divers leur permettant de survivre et de créer un nouvel
équilibre compatible avec leur survie.
L’adaptation est une notion assez large qui englobe des niveaux très divers
de réactions (neurophysiologiques, comportementales, psychologiques,
émotionnelles) et qui rend compte de la diversité des réponses que chacun
peut apporter aux modifications de l’environnement ou aux changements de
son propre organisme.
S’adapter, c’est intégrer des modifications. Soit ! Mais quelles sont les
frontières d’un phénomène d’adaptation ? Quelle en est la cartographie ?
Nous partirons de l’idée qu’il y a deux versants au moins, susceptibles de
caractériser tout phénomène adaptatif. D’abord, à toute intégration de
modification, il faut bien supposer la confrontation à un obstacle extérieur, à
un choc ou à une résistance intérieure. Ensuite, que se produise et se réalise
une nouvelle possibilité ou simplement, du nouveau ! Le lien entre les deux
moments est indissociable ! L’un ne peut pas être sans être rapporté à l’autre.
Du point de vue psychologique par exemple, la maladie doit être située dans
une perspective dynamique qui repose sur deux données. Tout d’abord, notre
vie est un processus en perpétuel changement, lié à des événements
extérieurs, eux aussi en transformation ; il en résulte que la santé apparaît
comme un équilibre provisoire par rapport à des facteurs pathogènes externes
et internes qui menacent l’organisme. D’autre part, la maladie apparaît
comme la rupture d’un tel équilibre dans le sens où des processus pathogènes
morbides se sont développés et installés dans l’organisme ; ils deviennent
suffisamment puissants pour affaiblir, voire détruire les processus correcteurs
habituels et inverser le processus de vie en processus de mort. Dans
« L’expérience du malade, l’épreuve intime » Fischer (2009) aborde la
question des pathologies graves, qui marquent toujours pour les individus qui
en sont affectés un « avant » et un « après » dans le cours de leur existence.
« En tant qu’expérience psychique, la maladie se révèle souvent comme une
épreuve singulière ; elle ne signe pas comme on le croit souvent une
impossibilité de vivre mais oblige souvent à vivre de façon très différente ».
La maladie peut en conséquence être définie comme l’ébranlement d’un
processus vital qui va engendrer une situation spécifique de bouleversements
provoqués par des agents pathogènes tendant à détruire le vivant et des forces
d’adaptation pour faire face. Il s’agit sous cet angle d’une situation
dynamique qu’il faudra considérer au même titre que les aspects biologiques
mais sous un autre angle. On étudie en guise d’adaptation le coping, les
mécanismes de défenses ou encore la résilience à partir de réponses à des
questionnaires. Même fiables, ces mesures et cette conception de l’adaptation
s’amputent en permanence de l’étude du processus adaptatif comme s’il était
secondaire. Pire encore, ces travaux font l’économie du possible, pour ce qui
a émergé ou a été sélectionné par l’individu ou l’environnement de
l’individu. Pour Vygotski et Clot (2003), « c’est en mouvement qu’un corps
montre ce qu’il est ». C’est donc seulement au travers d’une expérience de
transformation que l’activité psychologique d’adaptation (le processus) peut
livrer ses secrets. A s’amputer de la part développementale des processus
adaptatifs (ce que l’on fait allégrement dans le champ de la recherche par
exemple), on risque la plupart du temps de ne rien saisir vraiment de ce qui se
joue, s’est joué, aurait pu se jouer ou se jouera dans la capacité de chacun à
s’adapter et à faire face, donc à être présent et à vivre. C’est là la seule
solution – au combien heuristique – de prendre en compte non seulement le
résultat de l’adaptation, mais encore le processus qui en est à l’origine. Il
conviendrait pour cela de développer d’autres modalités de recherche et pas
seulement d’autres modèles scientifiques. N’oublions pas que les théories, les
modèles et autres approches qui traitent de l’adaptation ne sont que des
théories, au mieux des hypothèses dont la seule fonction est de nous aider à
mieux comprendre et/ou penser ce qui se joue chez les individus lorsque la
vie les somme d’affronter les épreuves et les moments difficiles de la vie. Ils
ne sont au fond qu’une lecture, qu’un décodage d’un processus unique ou
presque. Et il ne faut pas perdre de vue que toutes ces approches ne sont que
des tentatives heuristiques, dont il convient de se défaire au plus vite pour
qu’elles ne deviennent pas des dogmes ou des filtres trop étriqués qui nous
feraient oubliés la complexité de ce qu’est la psychologie humaine.
En effet, il est une évidence à dire et à penser que les comportements
humains ne sont pas inscrits depuis toujours dans le ciel pour échoir sur la
terre. Ils sont le fruit d’innombrables facteurs, multiples et hétérogènes. Ils
ont leur raison d’être et d’être comme ils sont. Et cela la plupart du temps
nous échappe…

2. Croissance posttraumatique
2.1 Combattre les pensées intrusives et tenter
de réinterpréter
L’idée d’« épreuve » à vivre, à affronter ou à traverser est envisagée depuis
la nuit des temps comme une étape dans la vie des hommes. Une étape ou un
moment susceptible de les grandir et de leur permettre d’accéder à de
nouvelles formes de compréhension de ce qu’ils sont, ainsi qu’à une nouvelle
conception du monde et de leur rapport à lui. C’est à partir de telles idées que
le concept de développement post-traumatique (ou post traumatic growth, ou
PTG) trouve son origine. Ainsi, dans une telle approche de la confrontation à
un ou plusieurs événements de vie marquants pourrait donc ne pas être que
négative. Face à l’épreuve, le sujet serait confronté dans un premier temps à
l’apparition de pensées intrusives et automatiques. Ces intrusions sont en fait
envisagées dans ce modèle comme une première tentative de l’individu pour
intégrer l’évènement. Après un certain temps, on assisterait à des ruminations
mentales plus « constructives » qui permettraient au sujet d’analyser,
comprendre et entendre ce qui lui arrive. Pour décrire ce phénomène les
auteurs s’appuient sur la conception de Martin et Tesser (1996) qui
définissent les ruminations comme un processus volontaire et conscient,
orientées vers des objectifs précis dont la finalité est de donner du sens aux
évènements, de résoudre des problèmes et d’anticiper l’avenir. Il s’agit alors
de mettre du sens, de réinterpréter de manière plus adaptée ce qui vient
d’arriver. Une telle approche est conforme à ce qu’avançait Frankl (1963).
Selon lui, l’homme est fondamentalement motivé à trouver un sens à sa vie
au lendemain de la confrontation à des événements de vie éprouvants ou
douloureux. Il s’agit d’un effort de réflexion dans le but de comprendre
pourquoi l’événement traumatique est survenu et d’évaluer les impacts de cet
événement sur ses croyances, ses valeurs et ses priorités. L’individu est alors
pris dans un fonctionnement cyclique entre pensées intrusives, ruminations et
sentiment de détresse. C’est ce processus, dont il ne peut s’échapper, qui le
pousserait à mobiliser des ressources intérieures pour dépasser cet état mental
pathogène et négatif. Pour ce faire, il va devoir revisiter progressivement son
mode de vie, ses croyances et ses buts.

2.2 Reconstruire et réenvisager les buts


Les événements négatifs comme l’épreuve de la maladie, créeraient une
rupture entre l’avant et l’après, ce qui pousserait l’individu à un
questionnement sur les buts qui, avant l’évènement, étaient envisageables
mais qui aujourd’hui ne le sont plus. Ainsi, la refonte des buts se fera en
fonction de cette nouvelle réalité, grâce à la construction de nouveaux buts et
par l’entremise d’un regard nouveau sur le monde et sur soi-même. Par ce
processus, l’individu ressentira la satisfaction d’avoir grandi, évolué, et
d’avoir dépassé quelque chose au-delà de lui-même, avec le sentiment de se
sentir plus fort et plus armé face à l’adversité. La construction de nouveaux
buts et le remaniement des croyances lui permettent également de donner un
nouveau sens à son expérience, et de reconstruire une cohérence de vie. Ce
processus est graduel. Il se situe dans une évolution dynamique entre détresse
émotionnelle, rumination, pensées intrusives, pensées contrôlées
(réorganisatrices d’un nouveau mode de fonctionnement), remaniement des
buts et des croyances et apaisement émotionnel et psychologique. Cet
ensemble permet la révision de schémas fondamentaux, créant ainsi les
conditions d’un changement positif.
Parallèlement au concept de développement posttraumatique d’autres
approches théoriques nourrissant un objectif commun, ont vu le jour autour
de cette question, comme le stress-related growth (Park, Cohen, & Murch,
1996), benefit-finding (Lechner, Stoelb, & Antoni, 2008) ou encore le
thriving (Abraído-Lanza, Guier, & Colón, 1998). Ce champ d’études présente
la particularité de considérer que ces changements positifs ne pourront
émerger qu’à la condition d’avoir vécu sur un mode traumatique certaines
expériences de vie. La réponse adaptative est envisagée dans une dimension
proactive capable de révéler aux sujets des choses sur lui et la vie qu’il
n’aurait pu envisager sans la survenue de ces moments difficiles.

2.3 L’importance de la perception du sujet


On a trop longtemps appliqué une telle vision des choses aux victimes de
psycho traumatismes, avec une réduction de ce dernier au trouble de stress
post-traumatique (TSPT). Cependant, la gestion du psycho traumatisme se
doit d’être élargie (Tarquinio & Montel, 2014) et pensée en des termes plus
larges et plus adaptés à la relation clinique, non pas telle qu’on souhaiterait la
voir sur le plan théorique, mais telle qu’elle est dans les faits. De ce point de
vue la maladie qui survient, surtout si elle pose avec force un risque vital réel
ou perçu par le malade peut s’envisager comme un traumatisme. C’est dans
une telle perspective que la maladie, peut aussi être pensée. Elle n’est pas
seulement facteur de stress, elle est aussi une dimension traumatique majeure
susceptible d’ébranler les individus. L’événement traumatique soudain et
aigu ne serait ainsi plus le seul élément pouvant déclencher un renouveau,
mais une adversité plus chronique, telle que la maladie, aurait aussi des
schémas d’impact psychologique similaires. Le modèle du développement
post-traumatique peut alors devenir un levier théorico-clinique
complémentaire susceptible d’aider les psychologues de la santé à mieux
comprendre et prendre en charge les malades et leurs proches.

3. Adaptation et changement de valeurs


3.1 Les situations extrêmes, des expériences
bouleversantes
La confrontation à diverses situations considérées tantôt comme pathogènes
ou traumatiques, tantôt comme stressantes peut également être analysée afin
de dégager les formes d’adaptation et de transformation spécifiques qui sont
alors à l’œuvre. Fischer (1994) parle de situations extrêmes (SE). Elles
désignent selon lui, un ensemble d’événements qui plongent des personnes
ordinaires dans des conditions radicalement différentes de celles de leur vie
habituelle. Ces situations peuvent être imposées, soit par des catastrophes
naturelles ou accidentelles (tremblement de terre, inondations, incendies,
crash d’avion) soit par des circonstances de la vie (maladies graves) soit par
une volonté humaine (guerre, génocide, etc.). Dans tous les cas, ce sont des
événements qui bouleversent la vie et menacent directement leur existence.
C’est dans ce sens que Bettelheim a utilisé le terme de « situation extrême »
pour désigner l’expérience des prisonniers dans les camps nazis :
« Nous nous trouvons dans une situation extrême quand nous sommes soudain
catapultés dans un ensemble de conditions de vie où nos valeurs et nos mécanismes
d’adaptation anciens ne fonctionnent plus et que certains d’entre eux mettent en
danger la vie qu’ils étaient censés protéger. Nous sommes alors pour ainsi dire
dépouillés de tout notre système défensif et nous touchons le fond ; nous devons
nous forger un ensemble d’attitudes, de valeurs et de façons de vivre selon ce
qu’exige la nouvelle situation » (Bettelheim, 1979).

Plusieurs aspects caractérisent ces situations. Tout d’abord, il s’agit la


plupart du temps d’événements qui surviennent de manière brutale et
soudaine, marquant ainsi une rupture radicale avec toute forme de vie
antérieure. Ces situations imposent des changements tels que les individus ne
disposent plus des ressources habituelles (matérielles, psychologiques,
sociales, symboliques). Autrement dit, ils ne sont pas préparés à affronter de
tels bouleversements. En effet, les apprentissages antérieurs, les acquis de
l’expérience sont pour la plupart défaillants, car la vie ordinaire nous apprend
seulement à faire face à ce qui est routinier et prévisible et non à
l’imprévisible. Concernant la nature des bouleversements en jeu, ce ne sont
pas seulement les conditions matérielles habituelles qui posent problème,
c’est aussi notre manière de percevoir les événements et notre propre vie qui
s’effondrent. Tous ces bouleversements se cristallisent autour d’un élément
central et invariant, à savoir qu’ils mettent directement la vie en danger. Nous
sommes face à l’extrême lorsqu’un événement comporte, d’une manière ou
d’une autre, un risque réel de mort et pas seulement une situation vécue
comme menaçante pour la vie. Ainsi qu’il s’agisse de maladie, de
catastrophe, de guerre, d’agression, toutes ces situations sont considérées
comme extrêmes à partir du moment où elles comportent un tel risque vital.

3.2 Fracture du fonctionnement de l’individu,


déstructuration de l’identité et éclatement
du système des valeurs
Ensuite, toute SE introduit également un ensemble de fractures dans
l’expérience de vivre. Parmi ces lignes de fracture, il y a celle de la
temporalité. En effet, l’extrême impose une toute autre manière de vivre le
temps. Ce paramètre est d’autant plus prégnant que le traumatisme, ou la
situation extrême, confronte l’individu de près ou de loin à la mort (e. g. perte
d’un proche, maladie grave, guerre). Le temps ordinaire est stoppé, il devient
sans horizon et parfois sans issue. Cette dimension se traduit par une
perception nouvelle du déroulement même de la vie. Le temps est compté et
la conscience soudaine de la fragilité de la vie est une manière de réaliser que
le temps passe. Cela donne la mesure du temps qui reste à vivre. L’individu
fait alors l’expérience éprouvante de sa propre finitude. À travers cette
rupture dans le vécu temporel, se trouve battue en brèche notre illusion
d’immortalité qui nous protège contre cette vérité insupportable : notre vie a
une fin. Une deuxième ligne de fracture se révèle au niveau de l’identité. Du
fait de leur confrontation à la mort, les individus se trouvent dépouillés de
toutes les coquilles protectrices qui assurent leur stabilité et les insèrent dans
des trames qui balisent leur chemin, leur imposent ce qu’ils ont à faire et leur
renvoient une image de ce qu’ils sont. Ce déchirement de l’identité est lié à
l’éclatement des cadres de référence qui nous ont fabriqués socialement à
travers la conformité aux normes, la réponse aux attentes sociales, la
dépendance aux pressions du groupe et de la société. À cet égard, toute SE
opère plus qu’un dévoilement, elle brise une identité acquise par les
apprentissages sociaux sur le mode du prêt-à-porter à social à l’intérieur
duquel la conformité sociale se traduit par un désinvestissement de sa propre
responsabilité face à l’engagement de chacun dans son existence.
Dans le contexte de l’extrême, les mécanismes de déstructuration de
l’identité représentent en fait le révélateur d’un enjeu plus fondamental : celui
de la mise en morceaux des valeurs qui fondent la vie de chacun. On peut
considérer les valeurs comme des croyances liées à des affects. Elles guident
notre action, notre rapport au monde et à nous-mêmes et l’évaluation des
comportements et des événements. Enfin, les valeurs sont classées par
importance relative. C’est leur pondération qui organise pour une part au
moins notre capacité d’adaptation aux évènements de vie.
L’extrême constitue donc une expérience très singulière où l’éclatement du
système des valeurs représente en même temps un enjeu de survie. En effet,
l’expérience de l’extrême est une expérience de survie qui pose la question de
l’adaptation en des termes inédits : le fait de vivre se définit ici comme une
lutte contre la mort, c’est-à-dire fondamentalement une épreuve de résistance
à des forces de destruction ; or dans un tel contexte, les moyens habituels à la
disposition de l’individu sont défaillants. Celui-ci doit donc mobiliser des
ressources qui, par définition, sont absentes. En réalité, l’extrême se trouve
être un creuset de l’expérience humaine où se forge une faculté inédite de
l’adaptation. De fait, c’est précisément là que l’être humain découvre en lui
des ressources dont personne ne peut soupçonner ni la puissance, ni même
l’existence.

3.3 Mobilisation de ressources et réinvention


de valeurs
Avec les situations extrêmes, de profonds changements psychiques
apparaissent avec une remise en cause des anciennes valeurs, une redéfinition
de l’importance des choses et des événements. Pour Fischer (1994, 2014), ce
sont des expériences de passage, non seulement d’un état à un autre, mais de
passage intérieur vers nous-mêmes où se joue notre propre refondation, à
partir d’autres repères, d’autres certitudes puisées au fond de notre âme et qui
définissent ce que vivre signifie désormais pour nous.
Le fait de lutter pour survivre est à un titre ou à un autre relié à une raison
de vivre. Mais il n’existe pas de raison de vivre toute faite venant de
l’extérieur. Les raisons de vivre viennent d’un travail d’introspection par
lequel les individus sont arrivés à identifier ce qui est vital pour eux. La SE
amène le sujet à discerner ce qui peut être vital dans cette situation et qui peut
valoir le coup de se battre. Et le fait de répondre à cela va faire que les
ressources nécessaires seront mobilisées pour résister. L’énergie nécessaire
pour défendre ce qui est vital sera développée. L’adaptation face à la maladie
grave par exemple prend un relief crucial et doit être envisagée comme un
mécanisme de survie et non plus comme un simple ajustement. Cet enjeu
souvent vital confère à l’adaptation un contenu spécifique : la mobilisation de
ressources psychiques qui n’ont aucune commune mesure avec les formes de
l’adaptation dans la vie ordinaire et qui se révèlent comme l’expression d’un
« ressort invisible ». Cela désigne à la fois les aspects multiformes de la
plasticité humaine et ces ressources insoupçonnées qui se révèlent dans ces
situations où la vie est ou a été menacée, comme une capacité humaine à
transcender les contingences et les déterminismes. Il faut donc saisir leur
dynamique comme directement liée à la nature des processus de survie qui
comporte un double enjeu : d’une part, une expression de ressources
insoupçonnées en tant que capacité humaine à résister à l’œuvre de
destruction de l’évènement qui s’impose à nous et, de l’autre, cette
mobilisation même des ressources correspondant à un profond
réaménagement psychique qui se traduit, comme on va le voir, par une
transformation de soi et une autre manière de vivre.
Ce qui se joue de ce point de vue dans les situations extrêmes, c’est qu’un
certain nombre de ces valeurs vécues comme essentielles volent en éclats
(Fischer & Tarquinio, 2002). Par conséquent, l’enjeu de l’adaptation se
traduit dans le fait que la mobilisation des ressources représente alors une
stratégie de survie qui se définit et implique le recours à d’autres valeurs, car
le système de valeurs antérieures est mis en faillite du fait même de
l’expérience extrême. Dans ces conditions, le recours à d’autres valeurs
devient l’expression même de l’adaptation. Autrement dit, quelqu’un va
s’adapter du fait que les ressources mobilisées vont faire appel à d’autres
valeurs et lui permettre de vivre. Ce processus d’émergence d’autres valeurs
représente à certains égards une condition même de la survie.
La relation entre adaptation et valeurs apparaît donc en raison d’une
dynamique nouvelle où c’est la mobilisation même des ressources psychiques
qui se traduit par un changement du système de valeurs et c’est ce processus
qui entraîne une transformation psychique à travers laquelle quelqu’un va
faire face différemment à ce qui lui arrive, va apprendre à vivre avec sa
maladie du fait que les choses n’ont plus la même importance pour lui, qu’il
voit la vie sous un autre angle, qu’il prend tout simplement conscience de la
valeur de la vie, de sa vie comme valeur.
Considérés ainsi à travers la relation qui se joue entre ressources psychiques
et changement de valeurs, les processus d’adaptation à la maladie grave
apportent un éclairage sur leurs enjeux spécifiques en tant que stratégies de
survie et plus profondément sur l’expression de ce « ressort invisible » en
nous.
Cette approche sur les valeurs donne des éléments de compréhension
importants de ce qui se passe après la confrontation à un évènement
traumatique. C’est justement là où la vie fut détruite et le sujet mis en pièces,
que l’on peut espérer quelque chose qui fera vivre.
Il n’en reste pas moins, qu’à l’image du développement posttraumatique, il
est possible d’envisager que le chaos qu’impose le processus traumatique au
sujet, soit en creux le lieu même où la vie va dessiner le chemin et les
contours d’une transformation fondamentale inédite du sujet. Même le
traumatisme le plus grave reste détenteur d’un espoir de vie.

4. Résilience
4.1 L’évolution d’un concept
Rendue célèbre en France par les travaux de figures telles que Tisseron,
Anaut, et plus particulièrement Manciaux et Cyrulnik, la résilience a
cependant vu le jour et a connu une majorité de ses grandes avancées chez les
scientifiques anglo-saxons. Ainsi, la première utilisation du terme
« résilience » est généralement attribuée à Emmy Werner (Werner & Smith,
1982, 1992). Alors docteur en psychologie de l’enfance à l’université du
Nebraska, elle met en place une étude en 1954 à Hawaï au cours de laquelle
elle observe 698 enfants provenant de milieux défavorisés. S’intéressant
premièrement au handicap (physique ou mental) et aux comportements
antisociaux, elle s’interroge après constat sur la capacité de certains individus
à solutionner leurs problèmes et à poursuivre leurs développements. En effet,
trente ans après le début de l’étude, lors de son retour à Hawaï (1982),
certains de ces enfants défavorisés devenus adultes se sont développés
positivement : alors que deux tiers d’entre eux ont connu des problèmes et un
développement chaotique, un tiers des individus a en réalité repris le cours
d’une vie « normale », a appris à écrire, à lire, a appris un métier, et est
devenu un groupe d’adultes heureux et compétents. C’est pour qualifier ces
enfants, qu’elle a suivi de la naissance à l’âge adulte, de sujets « vulnérables,
mais invincibles » que Werner a utilisé le terme « résilience ». Même si
d’autres travaux se sont intéressés à la même époque aux notions voisines de
stress et de coping, de processus de protection, ou d’attachement
(e. g. Anthony, 1974 ; Garmezy, 1971 ; Masten & Garmezy, 1985) c’est bien
Emmy Werner, par son étude à Hawaï, qui a permis l’essor de la résilience.
La définition de la résilience proposée en 2001 par la Fondation de
l’enfance et par le groupe de travail dirigé par Manciaux (2001) envisage
cette notion comme « la capacité d’une personne, d’un groupe, à se
développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir en dépit d’événements
déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois
sévères ». Cette définition est assez proche de celle des auteurs anglo-saxons
comme Luthar, Cicchettiet, et Becker (2000) pour qui « la résilience se réfère
à un processus dynamique englobant une adaptation positive dans un
contexte d’adversité significative ».
Pour Anaut (2003), « la résilience peut se définir comme la capacité de
sortir vainqueur d’une épreuve qui aurait pu être traumatique, avec une force
renouvelée. La résilience impliquant l’adaptation face au danger, le
développement normal en dépit des risques et le ressaisissement de soi après
un traumatisme ».
Retenons également la définition de Boris Cyrulnik (2001) pour qui la
résilience est « la capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement,
de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui
comportent normalement le risque grave d’une issue négative ».
Ainsi aujourd’hui en sciences humaines, la résilience peut se définir comme
un processus dynamique permettant à l’individu de rebondir après un
événement adverse plus ou moins sévère, ou après avoir souffert d’une
adversité plus chronique (i. e. qui perdure dans le temps, environnement
néfaste) (Luthar, Crossman, & Small, 2015 ; Masten, 2015).

4.2 Les facteurs qui rentrent en compte dans


la résilience
L’importance de la résilience a surtout été mise en évidence dans la
littérature relative au développement de l’enfant et de l’adolescent. La
résilience est souvent définie en fonction des facteurs de protection liés à
l’individu lui-même et à son environnement. Des facteurs de protection
nommés également facteurs de résilience ont été relevés chez les personnes
résilientes et décrites comme ayant des ressources personnelles (estime de
soi, la confiance en soi et l’autodiscipline, le courage et l’optimisme face à
l’adversité) ou encore comme possédant des capacités cognitives supérieures
à la moyenne, un sentiment de compétence, un lieu de contrôle interne, le
sens de l’humour, de l’empathie et des compétences sociales. D’autres
facteurs de protection ont été montrés comme contribuant également à la
protection des individus tels que l’adaptabilité au changement, l’autonomie,
l’indépendance, les habiletés à résoudre les problèmes, la capacité à donner
du sens à l’événement et la religion. Le contexte familial semble également
jouer un rôle. Il apparaît en effet que des parents chaleureux, le soutien
parental, l’harmonie parentale, la qualité du lien établi avec les parents,
l’absence de conflits entre les parents, la structuration de la vie de famille
sont des facteurs propices à une bonne résilience (Losel & Bliesener, 1994).
Notons enfin que le soutien social des pairs, des professionnels, de la
famille élargie, de professeurs et de voisins est également à prendre en
compte (Hawley & DeHaan, 1996). À cet égard le soutien peut prendre
diverses formes, parmi celles-ci, la présence réconfortante, le conseil et
l’information.
Métais, Burel, Gillham, Tarquinio et Martin-Krumm (accepted) ont à cet
égard proposé une approche transactionnelle et constructiviste de la
résilience. Cette dernière réunit à la fois le regard subjectif de l’approche
traditionnelle (focus exclusif sur facteurs internes de l’individu), et le regard
contextuel de l’approche écologique (importance forte donnée aux facteurs
externes à l’individu). Elle se trouve ainsi forte d’un caractère intégratif et
porte un regard situationnel garantissant l’entière considération (1) d’un
individu unique, (2) de son environnement et surtout (3) de leur alchimie
particulière.
Une telle approche rejoint la position qui domine actuellement la littérature
et qui consiste à aborder la résilience en termes de processus. La résilience est
alors envisagée dans une perspective développementale, c’est-à-dire qu’elle
est fonction du stade de développement dans lequel se trouve le sujet, ce qui
conduit à des différences de réactions suivant l’âge, l’évolution, la
construction psychique, l’entourage du sujet. Ce n’est pas une qualité « fixe »
de l’individu, elle peut être soumise à des variations conséquentes selon les
circonstances. Ainsi, la résilience doit s’envisager dans une perspective
évolutive et contingente (Rutter, 1987). Pour mobiliser les processus de
résilience, les individus doivent être confrontés à des évènements aversifs ou
traumatisants, comportant de la violence, une effraction physique ou
psychique (par exemple, la perte d’un proche, un accident, une maladie, etc.).
Il peut aussi s’agir également d’une accumulation d’évènements aversifs ou
de carences graves et répétées (par exemple, des négligences affectives).

4.3 Quelles situations et quels champs où


invoquer le concept de résilience ?
Pour Richardson (2002), les processus de résilience peuvent être mis en
œuvre dans des situations variées qui contribuent à rompre l’équilibre de
l’individu adapté à son environnement. Certaines expériences suscitant des
émotions fortes et négatives (comme la peur, la confusion, la défiance, etc.)
pourraient constituer des risques pour le bien-être et l’équilibre de l’individu.
Ainsi, une grande variété de situations est susceptible de mobiliser les
processus de résilience. Pour Tisseron et Cyrulnik (2007) trois dimensions
sont au cœur du processus de résilience :
• L’attribution d’un sens à l’événement : il s’agit du sens dans les deux
acceptations du terme, c’est-à-dire l’orientation et la signification. Le sens
correspond à l’aspect subjectif, l’interprétation que l’individu fait de sa
situation. « La mise en sens de nos expériences du monde n’est jamais un
travail solitaire et elle dépend étroitement de nos liens cognitifs et
émotionnels avec nos proches » (Tisseron & Cyrulnik, 2007). Pour désigner
ce travail psychique, Tisseron (2007) utilise le mot « symbolisation » qui a
l’intérêt de rappeler que, chez l’être humain, le sens est toujours « une
opération symbolique, et qu’à ce titre, elle fait intervenir à la fois le langage,
les images et la sensori-motricité » (Tisseron & Cyrulnik, 2007) et autrui.
• La disposition des ressources externes : cette dimension peut être
rapprochée à stratégie ou des efforts de coping. Pour Tisseron (2007), la
reconstruction psychique qui suit le traumatisme doit s’appuyer sur un
support relationnel. D’une part, ces soutiens peuvent émaner des
« échanges » noués avec des autrui, potentiellement très variés (proches,
relations amicales, professionnels de la santé, autres malades etc.) qui ont
des actions de soutien, d’encouragement, d’orientation ou de balisage. D’un
autre côté, les professionnels peuvent apporter beaucoup à la construction
de la résilience, la relation qui se crée entre le psychologue et le patient
« permet d’approcher les processus de symbolisation que l’être humain
opère par rapport à ses expériences » (Tisseron, 2017). Ces considérations
ont incité les auteurs à parler de « tuteurs de développement » ou « tuteurs
de résilience » (Tisseron & Cyrulnik, 2007). Pour Lecomte, il s’agit de « la
rencontre avec quelqu’un que l’on connaît déjà ou quelqu’un qu’on
rencontre pour la première fois » (Lecomte, 2010) et qui manifeste un
intérêt sincère et de l’empathie.
• L’acquisition des ressources internes : pour Tisseron (2017), cette
dimension se situe dans la perspective de l’empowerment, autrement dit de
la prise en charge de chacun par lui-même en s’attachant à renforcer un
sentiment de compétence et de confiance en lui. « Cela nécessite de
développer et d’encourager […] toutes les actions concrètes, même les plus
simples, qui peuvent lui donner le sentiment qu’il lui est possible d’exercer
un plus grand contrôle sur les aspects de sa réalité psychologique et
sociale » (Tisseron, 2017). Cette dimension est très proche de la notion
d’agentivité de Bandura (2007), qui repose notamment sur la croyance, ou
le sentiment, d’efficacité personnelle de chacun, c’est-à-dire la perception
de sa capacité à agir sur la situation. De son côté, Cyrulnik, s’appuyant sur
les neurosciences, préfère employer le mot « traces » : « On voit à
l’imagerie comment on peut façonner et entraîner un cerveau à privilégier la
réponse d’une partie du cerveau et comment la psychothérapie, comment les
mots, peuvent façonner une autre partie du cerveau » (Tisseron & Cyrulnik,
2007).
Dans le champ de la maladie, la notion de résilience n’a pas encore suscité
un grand intérêt, la plupart des chercheurs et des praticiens restant dans des
approches cloisonnées et se limitant au concept de coping. C’est sans doute
un tort, car sur le plan conceptuel et clinique convoquer une telle approche
peut être utile. La résilience en psychologie de la santé pourrait se définir
comme la capacité permettant de rebondir après avoir essuyé le choc de la
maladie et des épreuves qu’elle impose ou des déceptions que les traitements
et les prises en charge peuvent parfois susciter. Cela implique de faire preuve
d’initiatives, de structurer et de classer les problèmes, de maintenir son
niveau d’engagement lors de contraintes situationnelles diverses, fréquente
dans la maladie. La résilience de santé correspondrait à la volonté d’une
personne à rester motivée en dépit des épreuves, des échecs, des fluctuations,
des espoirs/désespoirs qu’impose le rapport à la santé. Il peut aussi s’agir
d’une attitude de « prise de risque » qui conduirait le malade à sortir de sa
zone de confort pour explorer de nouvelles pistes susceptibles de l’aider dans
sa lutte face à la maladie ceci quels que soient les domaines ou les registres,
mêmes si ces dernières ne sont pas données d’avance, voire ne sont pas
toujours conventionnelles. La résilience de santé permettrait ainsi de rester
engagé dans la lutte contre la maladie et pour la survie. La résilience de santé
serait un processus important pour la gestion de sa maladie permettant d’être
prêt à affronter les échecs, et de tirer parti des opportunités de divers
évènements.

Conclusion
Le champ de l’adaptation est complexe et ne peut se résoudre au seul coping
si usité en psychologie de la santé. Rappelons que la notion de coping
désigne un aspect du comportement humain par lequel un individu confronté
à des événements de vie difficiles et éprouvants cherche à leur faire face par
des réponses adaptées. À partir du cadre élaboré par Lazarus et Folkman
(1984), le coping a été étudié comme un modérateur des impacts
psychosociaux d’une situation stressante sur un individu.
Cependant, d’autres processus adaptatifs peuvent être convoqués en
psychologie de la santé afin de mieux situer les ajustements des malades. La
résilience, rendue célèbre en France par Boris Cyrulnik, en est une
illustration. La PTG, puis la théorie des valeurs, toutes deux évoquées dans ce
texte en sont également de bonnes illustrations. En effet, si ces modèles ne
s’opposent pas au coping, ils insistent sur le fait qu’il est des situations si
bouleversantes et si terribles dans la vie des hommes que tout est alors
susceptible de voler en éclats. Il nous est certes possible dans certaines
situations de composer avec la réalité, de s’en accommoder, voire de « se
débrouiller » avec ce qui est disponible. Mais à l’inverse il est des situations
qui font tout voler en éclat et qui ne laissent comme option que de tout
réinventer et reconstruire. Il s’agit alors de dépasser celui que l’on était et de
transcender tout ce qui jusque-là nous constituait, pour survivre. Il est donc
essentiel de faire la différence entre ce qui relève de l’épreuve2 ou des
situations extrêmes3, et ce qui relève des situations ordinaires qui peuvent
aussi être douloureuses (et qu’il ne faut pas relativiser), mais qui ne se
superposent pas.

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1. Par Clément Métais, Nicolas Burel, Charles Martin-Krumm et Cyril Tarquinio.
2. Les épreuves désignent des situations qui mettent notre vie physique et/ou psychique en péril,
nécessitent pour être dépassée la mobilisation de ressources nouvelles, souvent inédites.
3. Les situations extrêmes désignent, un ensemble d’événements qui plongent des personnes ordinaires
dans des conditions radicalement différentes de celles de leur vie habituelle.
Chapitre 8
Le bonheur a-t-il sa place
dans la sociologie ?1

Sommaire
1. À la recherche de traces du bonheur
2. Quels liens possibles entre sociologie et bonheur ?
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
La sociologie est restée quelque peu en retrait des études sur le
bonheur en comparaison de la psychologie ou de l’économie. Ce
chapitre montre quelles sont les raisons historiques pour ce
désamour.
Résumé long
La sociologie est restée quelque peu en retrait des études sur le
bonheur en comparaison d’autres disciplines, au premier rang
desquelles la psychologie ou l’économie. En plus de certaines
raisons trouvées dans la littérature, ce chapitre se penche sur une
lecture historique de certaines trajectoires qui peuvent expliquer
pourquoi la sociologie reste en retrait des études actuelles. À
certaines raisons épistémologiques qui traversent les traditions
nationales viennent s’ajouter des particularités géographiques et
historiques. En particulier, au moment de la constitution de la
sociologie française comme discipline universitaire, dans les
années 1960, le travail d’exégèse s’est appuyé sur
l’antisubjectivisme prôné par Durkheim au début du siècle, en
opposition à Tarde et Worms, ce qui eut pour effet de délaisser les
ressentis et les sentiments individuels.

Mots-clés : sociologie, pères fondateurs, antisubjectivisme,


holisme, Durkheim
Questions
• Pourquoi la sociologie est-elle restée en retrait des études sur le
bonheur ?
• Y a-t-il une incompatibilité de la sociologie, notamment française
et du bonheur ?
• Un rapprochement entre la sociologie et le bonheur est-il
envisageable ?

Il serait facile d’imaginer que le bonheur occupe une place centrale au cœur
de la sociologie. Si pour certains sociologues, « la sociologie est l’étude des
moyens de rendre le monde meilleur » (Du Bois et Wright, 2002, p. 5), même
celles et ceux qui ne la définissent pas en ces termes reconnaîtront que la
discipline a pour objectif une meilleure compréhension des mécanismes
sociaux, et d’ici, nous ne serions qu’à un pas de tendre vers une forme de
progrès social. Pourtant le bonheur, ou plus généralement le bien-être2,
semble être traité dans la plupart des écrits sociologiques comme un sujet
non-sérieux, non utilisable théoriquement ou empiriquement, en somme un
sérieux non-sujet. Face à un objet tiraillé entre la philosophie morale, une
science psychologisante, et les pratiques thérapeutiques portées par les
coachs et les chief happiness officers, certains sociologues se sont même
érigés en gardiens d’une science objectiviste et critique. Nous pourrions y
voir une hostilité de la sociologie envers le bonheur, toutefois de nombreux
pionniers de la discipline se sont pourtant risqués à évoquer le bonheur de
manière plus ou moins implicite. Ce chapitre se propose de comprendre le
degré d’adéquation des études sur le bien-être à la discipline sociologique.
Les frontières en permanente mutation de la sociologie et les voix
concordantes et discordantes qui la composent nous obligeront à adopter une
perspective historique et à étudier les écrits, les acteurs clés et les institutions
qui peuvent expliquer une certaine frilosité des sociologues à s’emparer du
sujet.
1. À la recherche de traces du bonheur
Le bonheur apparaît très tôt dans des écrits sociologiques. Dès 1824,
William Thompson, dont la critique du capitalisme a grandement influencé
Karl Marx, publie Une enquête sur les principes de la répartition des
richesses la plus propice au bonheur humain [An Inquiry into the Principles
of the Distribution of Wealth Most Conducive to Human Happiness]. Voyons
à quel point cette étude précoce a été suivie par les fondateurs et les
contemporains.
On s’attendrait à trouver l’évocation du bonheur sous la plume d’Auguste
Comte, inventeur des termes de « sociologie » et de « positivisme », puisque
ce dernier entendait faire du positivisme la science qui promouvrait le
bonheur (Plé, 2000). Il s’interroge très tôt sur les liens entre bonheur et
société : « Mais quels sont les moyens de bonheur pour la société ? »
(Berredo Carneiro et Arnaud 1970, p. 464) et voit dans le progrès moral « la
source principale de bonheur et de bien public » (Comte 1969), en ébauchant
déjà des pistes de réponse : « C’est la vertu qui permet de concilier la loi du
bonheur et la loi du devoir. » Dans son Système de politique positive, Comte
identifie trois conditions à l’émergence du bonheur : une conception
scientifique du monde, les sentiments d’amour et de vénération et une activité
sociale et naturelle ordonnée. Il influencera fortement John Stuart Mill, qui
prendra le bonheur comme focale centrale au sein de sa théorie utilitariste.
Chez Alexis de Tocqueville (2009), on aurait pu imaginer une sympathie
par rapport au sujet pour celui qui considère la démocratie comme le moyen
d’atteindre le plus de bonheur pour le plus grand nombre. Mais certains de
ses écrits invitent à la prudence, puisque derrière le bonheur peut se cacher la
main du despote, qui échangerait nos libertés contre un peu de bonheur.
« Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul
d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. […] il aime que les citoyens se
réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur
bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur
sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs
principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs
héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de
vivre ? »
Le bonheur est vu dans la critique tocquevillienne comme un outil de
contrôle, un moyen d’asservir les masses en répondant aux besoins de base de
chacun. On découvre un rapport au bonheur pour le moins ambivalent.
Marx nous dit que le bonheur est l’un des trois états qu’il faut chercher,
avec la tranquillité et la liberté. À cette fin, Marx, en suivant (tout en
critiquant) les travaux d’Adam Smith sur les sacrifices du travailleur, touche
aux prémices du bonheur comme objet empirique puisque selon lui, le travail
forcé se fait au prix de tranquillité, de liberté et de bonheur.
Une lecture des textes incontournables de Durkheim (1967) révèle une
omniprésence des rapports entre forces sociales et bonheur. Le premier
chapitre du deuxième livre de La division du travail était intitulé : « Le
progrès de la division du travail et du bonheur ». Pour Durkheim, le nombre
des suicides est un indicateur du « malheur moyen ». Malgré le pessimisme
auquel il est parfois associé, Émile Durkheim reconnut que la plupart des
gens semblaient être satisfaits de leurs vies, quelles que soient leurs
conditions. Il va jusqu’à caractériser le bonheur comme dépendant d’une
force capable de proportionner ses désirs à ses moyens, puisqu’« un vivant
quelconque ne peut être heureux et même ne peut vivre que si ses besoins
sont suffisamment en rapport avec ses moyens » (Durkheim, 1995, p. 272).
Cette force doit être de nature morale et supra-individuelle puisque la nature
humaine aurait spontanément des besoins insatiables, porteurs d’angoisses et
de dérèglements collectifs. C’est donc bien la société qui a pour vocation de
contenir et de modérer les passions.
Le rapport au bonheur de Max Weber est tout aussi ambivalent. Les textes
de Max Weber s’intéressent au bonheur par l’angle religieux, et notamment
sur le besoin des gens heureux d’être légitimés par la religion3. Mais, comme
le note Turner (2018), Weber rejette explicitement dans un de ces textes le
bonheur comme projet social. Partant d’une « posture pessimiste », Max
Weber écrit :
« Je crois que nous devons renoncer à créer un sentiment de bonheur par le biais
d’une quelconque législation sociale. Nous voulons, et ne pouvons faire autrement
que vouloir autre chose. Nous voulons entretenir et protéger ce qui nous paraît avoir
de la valeur en l’homme : la responsabilité individuelle, son envie profonde de tendre
vers des choses plus élevées, vers les valeurs spirituelles et morales de l’humanité »
(Hennis, 1987).
Parmi les pionniers, c’est peut-être Georg Simmel qui semble avoir la
compréhension la plus fine et la plus complexe du bonheur, qu’il livre
notamment dans sa critique du bonheur kantien. C’est une vision du bonheur
en lien avec sa vision de la modernité, comme un interstice entre un espace
de contraintes et un espace de possibles. Comme les auteurs précédents, il lie
le bonheur et la souffrance à l’espace social, puisqu’ils « dérivent des
relations accidentelles entre les besoins du sujet et la nature imprévisible de
ses destinées sociales, physiques et psychologiques ». Rejetant l’opposition
kantienne entre moralité et bonheur, le bonheur est, selon Simmel, la
conséquence de nos choix, actions et de notre « pratique quotidienne de
l’existence ». Ou, comme il le dit ailleurs, « Le bonheur est différent selon la
source à laquelle il s’alimente » (Simmel, 1997, p. 157).
Ainsi, le bonheur est bien présent chez les pères fondateurs mais
principalement sous forme de mention lyrique, comme horizon désirable
voire comme idéal d’un passé romantisé ou de manière tout à fait
périphérique ou occasionnelle. Voyons ce qu’il en est dans la sociologie
d’après-guerre.

1.1 Une discipline peu encline à s’intéresser


au bonheur
Le bonheur au sein de la sociologie se développe au lendemain de la
seconde guerre mondiale, notamment à partir des années 1960. À partir des
années 1970, les travaux sociologiques se penchèrent sur les problématiques
de classe, de race, de mariage, et du travail sous l’angle du bonheur et de la
satisfaction de vie (par exemple Glenn et Weaver 1979, 1981 ; Witt et al.,
1980 ; Thomas et Hughes, 1986). En Europe, deux monographies
sociologiques sur le bonheur parurent dans les années 1980 : Happiness,
Lifestyle and Environment (1982) de Maddox et Conditions of Happiness
(1984) de Veenhoven. Aucune d’entre elles n’a touché une large audience à
l’époque, bien que Ruut Veenhoven s’apprêtât à devenir l’un des fers de
lance de la recherche sur le bonheur en Europe. L’introduction à la
macrosociologie de Nolan et Lenski (2006), qui traite du bonheur comme une
forme aboutie du progrès social est également un apport majeur dans ce sens.
Malgré ces contributions, il semble que la sociologie se tienne en retrait
d’un domaine dominé par les psychologues et les économistes, que ce soit par
les représentants au sein des institutions principales (et notamment
l’association International Society of Quality of Life Studies), le nombre de
publications, ou par la vision individualisante du bonheur qui prédomine.
Veenhoven (2016) montre par le nombre de publications que l’intérêt pour le
bonheur explose dans les années 1950 et surtout les années 1960 au sein de la
psychologie, dans les années 1990 pour l’économie, mais que cette impulsion
n’a pas trouvé d’écho dans la sociologie (cf. figure 8.1). Il rappelle que le mot
n’apparaît pas dans les livres introductifs de Giddens (2006), Marsh et al.
(1996) et Newman (1997). Alors que ces livres traitent des états mentaux
négatifs comme l’anomie ou l’aliénation et contiennent des sections sur les
problèmes de santé. La deuxième et dernière édition du fameux Blackwell
Dictionary of Sociology, n’inclut aucun terme lié au bonheur, au bien-être
subjectif ou à la qualité de vie. Le bonheur était relativement absent des
dictionnaires de sociologie ou des mots-clés utilisés dans les écrits
sociologiques.

Figure 8.1 – Évolution des publications en économie, psychologie et sociologie (réalisé à partir de la
World Database of Happiness)

Thin (2017) dresse un constat similaire en se penchant sur les missions des
associations de sociologie anglaise et américaine. Dans la rubrique « Qu’est-
ce que la sociologie ? », le site Internet de la British Sociological Association
indique dans la première phrase que : « la sociologie est l’étude de la manière
dont la société est organisée et de la manière dont nous faisons l’expérience
de la vie ». Si cette ambition générale semble pleine de promesses pour un
sujet comme le bonheur, l’on s’en écarte rapidement puisque dès les
premières lignes, les thèmes mis en avant sont la pauvreté, la criminalité, la
déviance et les comportements antisociaux. De même, dans sa page « Qu’est-
ce que la sociologie ? », l’American Sociological Association admet que sa
mission est de « servir le bien public ». Après cet appel prometteur, la
description de l’ASA n’inclut aucune référence à la façon dont les gens se
sentent ou comment ils évaluent leurs vies.

1.2 Les raisons d’un désamour


Le désamour relatif de la sociologie pour le bonheur peut s’expliquer par
des raisons épistémologiques qu’historiques. Épistémologiques par la
« teinture négative » que revêtent parfois la sociologie et sa mise à distance
de la philosophie, de la psychologie et des pratiques thérapeutiques,
historiques par l’antisubjectivisme qui imprègne une partie du tissu
sociologique, devenu dominant, notamment au sein de la sociologie
française. Nous développons ces points ci-dessous. Comme l’a montré Johan
Heilbron (2020), la trajectoire de la sociologie, notamment française, est
autant le résultat du développement de caractéristiques propres à la discipline
que de trajectoires individuelles d’acteurs clés ou du développement de
certaines institutions. C’est dans cette imbrication de propriétés ontologiques
à la discipline et de trajectoires individuelles et institutionnelles que l’on peut
trouver des éléments de réponse au manque d’intérêt de la sociologie pour le
bien-être.

1.3 Une teinture négative


Il existe un flou conceptuel autour du terme de « positif ». Cela est dû à la
double signification du terme, la première étant liée à la confiance dans les
apports factuels à la connaissance (comme dans l’ouvrage Cours de
philosophie positive d’Auguste Comte) et la seconde au sens plus profane et
courant du terme, comme dans « psychologie positive ». Pourtant, il est
possible que la sociologie actuelle n’ait rien de positif, au sens quotidien du
terme. Veenhoven note que la plupart des études sociologiques se focalisent
sur ce qui ne va pas. En étudiant les abstracts des revues de sociologie, il a
montré que 41 % se basaient sur des termes à connotation négative et
seulement 8 % sur de termes à connotation positive. Selon Neil Thin, le
romantisme et le relativisme moral ont inhibé le développement des études
sur le bonheur au cours du XXe siècle, notamment pour la sociologie. Cela a
des conséquences sur les choix d’étude, puisqu’un grand nombre de
chercheurs préféraient étudier l’aliénation, les inégalités ou la vulnérabilité
pour ne pas être qualifié de « naïfs » (Bartram 2012). Il semblerait ici que la
marque des pionniers ait eu une influence sur l’inclination négativiste de la
discipline. Durkheim s’est opposé à l’optimisme post-Lumières et voyait
dans toute nouvelle forme de plaisir la possibilité d’être contrebalancé par de
nouvelles formes de souffrance liées à la modernité. Selon Thin, il fit l’erreur
de supposer que le bonheur moyen pourrait être mesuré par le taux de suicide
(les études récentes montrent que les corrélations entre niveau de suicide et
bonheur moyen sont faibles au niveau national). Nous avons également vu
que Max Weber rejetait explicitement le bonheur comme projet social et
préférait partir d’une « posture pessimiste ». Ce pli négativiste pris
relativement tôt au sein de la sociologie et notamment chez les fondateurs
marque durablement la discipline, marquant les termes à connotation positive
du sceau de la naïveté, de la non-pertinence voire de l’impertinence du point
de vue des acteurs de la discipline.

1.4 Un antisubjectivisme
En plus du « positivisme antipositif » qui semble parcourir la discipline, un
certain nombre de sociologues, y compris parmi les fondateurs, récusent le
point de l’acteur, et ce malgré l’émergence de courants comme la sociologie
des émotions développée par des auteurs comme Arlie Russel Hochschild ou
Theodore Kemper ou dans le contexte français d’une sociologie de
l’expérience ou de l’individualité comme chez François Dubet, Bernard
Lahire ou Danilo Martuccelli. Durkheim, par exemple, nous met en garde
quant à la validité du point de vue de l’acteur dans le cas du suicide :
« Comment savoir quel mobile a déterminé l’agent et si, quand il a pris sa résolution,
c’est la mort même qu’il voulait ou s’il avait quelque autre but ? L’intention est chose
trop intime pour pouvoir être atteinte du dehors autrement que par de grossières
approximations. Elle se dérobe même à l’observation intérieure. Que de fois nous
nous méprenons sur les raisons véritables qui nous font agir ! Sans cesse, nous
expliquons par des passions généreuses ou des considérations élevées des
démarches que nous ont inspirées de petits sentiments ou une aveugle routine »
(p. 4).

Il convient dès lors de séparer l’observation et l’analyse des faits sociaux


« comme des choses ». Comme il existe une réalité sociale sui generis qui
existe par-delà la perception des acteurs, la subjectivité est reléguée au
second plan puisqu’elle ne comprend qu’une partie de la réalité. Il faut se
méfier des sensations puisque « la sensation est subjective » et elle peut se
perdre dans « un simple jeu d’images hallucinatoires ». Il est également
possible, en suivant Weber, que certains sociologues aient eu peur de mêler
les faits et les valeurs et que certains aient pu craindre que les discussions sur
le bien-être prennent une tournure normative. Même chez Marx, chez qui le
bonheur comme horizon social occupe une place importante, il y a un
antisubjectivisme qui semble difficilement réconciliable avec l’idée de
bonheur comme objet empirique. S’il a certes dit que « l’histoire n’est rien
d’autre que l’activité d’hommes poursuivant leurs fins4 », il y a aussi la
pensée que les hommes font l’histoire malgré eux « puisque les croyances et
les jugements sont conditionnés par des entités supra-individuelles » (Bouton
2011). Au final, comme le résume Rémy Pawin, le bien-être, « sentiment
subjectif ou superstructure culturelle déterminée par les conditions objectives,
est sujet à caution ».
La sociologie française d’après-guerre s’appuie sur une double dynamique,
en replongeant dans ses racines durkheimiennes d’une part et en s’ouvrant
aux travaux de l’école de Chicago d’autre part. L’Évolution du travail ouvrier
d’Alain Touraine. Comme le note Rémy Pawin, « la sociologie objectiviste
française inclut en réalité dans ses méthodes des éléments de saisie de vérités
subjectives et l’opposition, classique, des deux courants [holisme et
individualisme] est certainement trop schématique ». Le même auteur
rappelle que le juriste Georges Gurvitch poussa la sociologie dans une
direction durkheimienne épurée d’autres influences par le biais de son
magistère.
C’est peut-être Pierre Bourdieu qui redonnera au holisme sa dimension
antisubjectiviste la plus marquée, puisqu’il récuse la subjectivité du goût et se
méfie des réponses des acteurs, notamment dans les travaux méthodologiques
qu’il réalise avec Jean-Claude Passeron. Il existe néanmoins plusieurs textes
ou interviews dans lesquels Pierre Bourdieu évoque le bonheur5, mais c’est le
bonheur comme un horizon théorique, onirique et non comme un objet
empirique.
Il nous faut ajouter à ces explications générales les caractéristiques de la
sociologie française qui viennent renforcer le tableau dépeint. S’il n’est
jamais aisé de tenter de décrire les traditions sociologiques nationales sans
verser dans le regard du touriste ou dans le risque de réifier des préjugés ou
des stéréotypes, il est possible de percevoir des courants façonnant les
paysages sociologiques nationaux. Il nous faut d’emblée dépasser
l’opposition sommaire entre les French Theory et l’empirisme anglais et voir
que la sociologie française a une tradition empirique, tout comme la tradition
anglo-saxonne a mis en avant de grands penseurs théoriques. Johan Heilbron
a défini les grandes caractéristiques de la sociologie française, s’appuyant sur
une structure centralisée, une proéminence de la philosophie et une appétence
pour l’esprit théorique. Au sein même des sciences naturelles, Pierre Duhem
distingue l’esprit ample anglais, prêt à déployer un grand nombre d’exemples
à partir d’un cas, à l’esprit profond français, qui préfère créer une structure
théorique avant de créer tout nouveau cas d’étude. Sans aller jusqu’à en faire
des vérités absolues, on comprend aisément que le bien-être se dissolve
moins bien dans une sociologie à dominante holiste, critique et non-
empirique que dans une sociologie empirique davantage basée sur
l’individualisme.

1.5 Un concept tiraillé entre plusieurs


domaines
La méfiance relative de certains sociologues peut également s’expliquer par
les disciplines ou domaines qui se sont montrés actifs sur le sujet, notamment
la philosophie, la psychologie et les pratiques thérapeutiques. Chacun a, à sa
manière, agi comme un repoussoir pour certains sociologues qui ont préféré
laisser le sujet à d’autres.
Tout d’abord, la philosophie. Depuis Socrate et Aristote, le bonheur a été
amplement analysé par les philosophes. Il serait impossible de faire un
inventaire des philosophes ayant travaillé sur le sujet tant le bonheur semble
être pour Aristote, le « souverain bien », le sujet ultime, celui qui inclut,
toutes les autres quêtes de l’être humain. Or, si l’on se réfère aux principes
durkheimiens de la sociologie listés par Johan Heilbron, la science sociale
doit être indépendante de la philosophie et se cantonner à l’observation,
condition nécessaire du positivisme. Or, il est si aisé de ranger le bonheur
comme objet philosophique de par le nombre d’écrits et la grandeur de celles
et ceux qui se sont penchés dessus que certains sociologues ont sans doute
préféré laisser le bonheur aux philosophes. Tout d’abord, la philosophie.
Depuis Socrate et Aristote, le bonheur a été amplement discuté par les
philosophes. Il serait impossible de faire un inventaire des philosophes ayant
travaillé sur le sujet tant il semble être pour Aristote, le « souverain bien », le
sujet ultime, celui qui inclut toutes les autres quêtes de la part de l’être
humain. Or, si l’on se réfère aux principes durkheimiens de la sociologie
listés par Johan Heilbron, la science sociale doit être indépendante de la
philosophie et se cantonner à l’observation, condition nécessaire du
positivisme. Il est si facile de classer le bonheur parmi les objets
philosophiques de par le nombre d’écrits consacrés que certains sociologues
ont sans doute préféré laisser le bonheur aux philosophes.
Ensuite, l’appétence de la psychologie pour le sujet s’est accompagnée
d’une critique croissante, celle selon laquelle le bonheur serait forcément
individualiste et donc éloigné des préoccupations de la sociologie. Pourtant,
comme je l’ai montré ailleurs, le bonheur est porteur d’informations
supplémentaires pour le chercheur en sciences sociales (Brulé, 2018). Très
loin d’être purement individuel, il reflète le parcours de vie social des acteurs,
et colore la façon dont l’acteur perçoit ce qui l’entoure. Cette question est
notamment liée à la définition du terme « social ». Selon Lahire, si le social
renvoie toujours à des collectifs, il ne prend pas nécessairement la forme d’un
collectif (Lahire, p. 90). Les sacs et ressacs des socialisations passées forgent
la personnalité, la pensée, la sensibilité et le comportement des acteurs. On
peut trouver des raisons historiques à cette dépsychologisation de la
sociologie. Johan Heilbron le montre de manière limpide. Après la saillie
faite par Comte et les travaux de Tocqueville, la sociologie peine à se
constituer en tant que domaine. Elle regagne en vigueur à la fin du XIXe siècle
et sera parfois décrite comme un « ménage à trois » constitué de Gabriel
Tarde, René Worms et Émile Durkheim. Chacun a sa spécificité : Tarde
prône une sociologie psychologisante, René Worms déploie des efforts pour
asseoir la sociologie institutionnellement à une époque où elle gagne en
intérêt au sein du grand public et Émile Durkheim rejette la conception
tardienne d’une sociologie basée sur des actes intermentaux. Le succès à
venir de la sociologie durkheimienne et notamment son rejet de la
psychologie aura une influence sur la réception du bonheur des décennies
plus tard. Il est donc possible que la séparation radicale entre sociologie et
psychologie soit imputable à la rivalité de Durkheim avec Tarde. Très
rapidement, l’influence de Durkheim éclipse celle des autres sociologues et
l’on a du mal à imaginer une sociologie qui ne serait pas durkheimienne et
donc une sociologie qui ne soit pas nettoyée de tout aspect psychologisant.
Enfin, le foisonnement récent du nombre de pratiques thérapeutiques, de
coachs, combiné à la publicité et l’« instagrammisation » des citations sur le
bonheur ont saturé l’objet et ont contribué à lui donner une image d’objet
superficiel.
Pour certains sociologues, la philosophie, la psychologie et le coaching ont,
à leur façon, joué le rôle de repoussoir et ont fait que certains ont préféré jeter
le bébé avec l’eau du bain et rejeter ce sujet en bloc plutôt que de comprendre
les larges territoires inexplorés qui n’attendaient que les sociologues.
Comprendre ces trois tendances – l’inclination vers le négativisme, l’étonnant
manque de considération du point de vue des acteurs et la confusion entre
social et collectif – fournit des clés pour comprendre pourquoi si peu de
sociologues ont pu trouver trouvent un intérêt académique à étudier le
bonheur. Il semblerait pourtant qu’il existe des terrains fertiles et pourtant
largement inexplorés.

2. Quels liens possibles entre sociologie et


bonheur ?
Tentons de voir s’il est possible de réconcilier les deux facettes du mot
positif et d’imaginer une sociologie basée sur l’observation et qui regarderait
un horizon de progrès et de bien-être. Si certaines franches de la sociologie
s’en sont saisies, d’autres ont ignoré, voire critiqué, le domaine des études en
qualité de vie. Ainsi, contrairement à un grand nombre de sociologues issus
de la sociologie empirique, notamment quantitative, les chercheurs gravitant
autour de la sociologie théorique ou critique ont relativement délaissé le
domaine, même si des auteurs comme Alex Michalos nous font quelque peu
démentir. Sans être exhaustif, voyons trois exemples de contribution élargie
de la sociologie à l’étude du bien-être.
2.1 Muscler la théorie
Parmi les critiques récentes à propos du domaine scientifique du bonheur,
certaines en venaient à attaquer les fondements mêmes d’une telle science.
Bienheureusement ces critiques avaient pris place il y a bien longtemps au
sein du domaine lui-même. Certains chercheurs ont mis en avant que le
domaine du bien-être était « surétudié et sous-théorisé » (Reeves, 2009).
D’autres sont allés plus loin en écrivant de manière un peu provocatrice que
le domaine du bien-être était a-théorique. Si cette image est caricaturale et
qu’il existe des théories au sein du domaine (citons entre autres celles de
Michalos, de Veenhoven, de Keyes), il est indéniable que l’on observe
parfois un empressement empirique qui s’accompagne d’un manque d’assise
théorique. Or la sociologie est une science sociale qui a produit de
nombreuses théories qui seraient tout à fait mobilisables pour ancrer
davantage le domaine. Kroll (2014) montre par exemple que les théories de
l’identité ou de la socialisation pourraient offrir des herméneutiques
d’interprétation quant aux évolutions du bien-être à travers la vie, puisque les
individus endossent des rôles différents à chaque âge et adoptent des
stratégies de socialisation différentes au cours de leur vie. Ce qui n’est
qu’observé dans la plupart des études sur les parcours de vie pourrait être
expliqué grâce à des théories existantes. De même, la plupart des théories se
concentrent sur l’individu alors qu’il serait possible de bâtir des théories
autour d’un bonheur social.

2.2 Des apports critiques


Même aux endroits où il existe une assise théorique solide, le manque de
réflexivité se retrouve également dans le mauvais usage des concepts, ou
alors un usage partiel. La branche critique de la sociologie a produit quelques
écrits sur les travers possibles des études sur le bonheur, que ce soit sur le
concept, la mesure (Brulé et Maggino, 2017) ou les méthodes à suivre. Par
exemple, partant du constat que la notion de capital social n’était utilisée au
sein de sciences en qualité de vie que dans le sens de Coleman ou de Putnam,
c’est-à-dire comme un réseau relativement dense de confiance qui peut servir
les individus et très rarement dans le sens d’un agrégat de relations
stratégiques qui peuvent servir les acteurs, comme au sens de Pierre
Bourdieu, je préconisais dans un article récent l’utilisation d’un capital social
à deux dimensions, l’une verticale au sens de Bourdieu et l’autre horizontale,
au sens de Putnam (Brulé, 2020). Cela demande de déromantiser l’utilisation
de concept comme le capital social et de voir non seulement ces côtés positifs
mais également ses côtés négatifs (surprotection, reproduction des inégalités
par le capital culturel).

2.3 Développer le panel de méthodes


Il serait possible de citer plusieurs méthodes sociologiques qui
contribueraient davantage à l’étude scientifique du bonheur. Tout d’abord la
comparaison macrosociologique (qui existe également au sein des sciences
politiques). En suivant le précepte durkheimien « on n’explique qu’en
comparant », la sociologie a une grande tradition d’étudier à côté plusieurs
cas présentant des similitudes et des différences. Si un certain nombre d’écrits
ont déjà été faits dans ce sens (par exemple Veenhoven 2000, Brulé et
Veenhoven 2014), il serait possible d’imaginer une place plus importante de
cet outil pour comprendre le bien-être en décentrant et en recentrant les
cadres d’analyse et éviter la présence d’angles morts.
Ici, nous avons vu que les études quantitatives étaient majoritaires dans le
domaine de la qualité de vie. Cela n’est pas sans poser de questions puisque
d’après Neil Thin, « depuis les années 1930, les sociologues quantitativistes
occupent la place centrale du mouvement des indicateurs sociaux, qui en
dépit de biais pathologiques initiaux a été au cœur de l’expansion
contemporaine de la science du bonheur ». Il existe également une tradition
qualitative, plutôt minoritaire, mais qui peut apporter un autre type de
résultats. Ce manque d’études qualitatives est en soi une raison pour laquelle
les sociologues pourraient s’engager dans le domaine. Elles pourraient
permettre de mieux comprendre les déterminants du bonheur qui
n’apparaîtront pas dans des questionnaires fermés où seuls les facteurs
mentionnés pourront être visibles. Delle Fave et al. (2011) ont ainsi montré
par le biais de questionnaires ouverts que les répondants mettaient en avant
l’équilibre interne et l’harmonie, des facteurs rarement mis en avant dans les
études classiques utilisant des méthodes quantitatives. De plus, comprendre
les facteurs qui mènent au bonheur ne signifie en rien que, une fois mis en
place, ils vont ruisseler vers davantage de bonheur pour tous. Il est nécessaire
de comprendre les effets de contexte, les dynamiques collectives et les
sociologues paraissent particulièrement armés pour cela.
Ici aussi, les sociologues seront probablement prudents, à juste titre, avant
d’adopter un courant purement subjectif. Dans son enquête sur le bien-être à
l’école, Barbara Fouquet-Chauprade montre, dans un contexte de forte
ségrégation sociale (six collèges parmi les plus ségrégués de Seine-Saint-
Denis et de Bordeaux) qu’il est possible d’objectiver le bien-être scolaire
(celui des élèves) grâce à une définition incluant à la fois des dimensions
subjectives et objectives. Le bonheur y trouve une place de choix, même si
d’autres biens sociaux tels que la justice, la paix et la solidarité doivent être
aussi prises en compte.

Conclusion
Les apports de la sociologie à l’étude du bonheur sont nombreux que ce soit
au niveau des méthodes, des indicateurs ou de la capacité à mobiliser des
études comparatives. Pourtant, force est de constater que les tenants de la
discipline sont restés quelque peu en retrait de l’étude de ce sujet, notamment
en comparaison des psychologues et des économistes. Nous avons mis en
avant certaines des raisons de ce désamour (inclination négativiste,
antisubjectivisme partiel et mise à distance d’un objet convoité par la
philosophie, la psychologie et les pratiques thérapeutiques). Pour autant, la
sociologie serait à même d’apporter une voix qui lui est propre et de répondre
à certaines des apories qu’elle a pu mettre en avant. Cela est vrai sur la
validité des mesures et les effets des contextes, mais également sur les cadres
d’interprétation existants qui pour la plupart se concentrent sur l’individu et
renvoient les collectifs et les dimensions sociales à de simples variables
environnementales. Il manque une théorie sociologique solide traitant le
bonheur comme une variable sociale, comme certains, dont nous-mêmes,
avons ont commencé à le faire. De même, une discipline riche en théorie
aurait beaucoup à offrir en termes de prismes explicatifs à un domaine qui est
bien souvent sous-théorisé. Cela demanderait une posture sociologique, qui
tout en étant vigilante sur les volets théoriques, méthodologiques et
empiriques, soit également confiante et ouverte quant à sa capacité à saisir
des objets a priori épineux. Comme l’a écrit Norbert Elias, « on a parfois
l’impression que les sociologues ne croient pas qu’il est encore possible de
faire dans leur discipline des découvertes aussi significatives et vérifiables
qu’en sciences naturelles ». À celles et ceux qui envisagent de réconcilier les
deux significations du terme « positif », rien n’empêche d’imaginer des
enrichissements mutuels à l’avenir au sein de la sociologie.

Bibliographie
Bartram, D. (2012) Elements of a sociological contribution to happiness studies. Sociology
Compass, 6 (5), 644-656.
Berredo Carneiro, P. & Arnaud, P. (1970) Écrits de jeunesse (1816-1828). Paris : Mouton.
Bouton, C. (2011). Ce sont les hommes qui font l’histoire. Sens et limites de l’idée de
« faisabilité » de l’histoire. In C. Bouton (éd.), Penser l’histoire : De Karl Marx aux siècles
des catastrophes (253-269). Paris : Éditions de l’Éclat.
Brulé, G. & Maggino, F. (2017) Towards more complexity in subjective well-being studies. In
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1. Par Gaël Brulé. L’auteur tient à remercier Johan Heilbron, Rémy Pawin, Ophélie Bidet, Noé
Kabouche et Daniel Burnier pour des discussions et leurs retours sur ce chapitre.
2. Nous utiliserons ces termes sans distinction pour désigner l’ensemble des concepts liés à une
évaluation subjective positive de sa vie ; cf. Brulé et Maggino, 2017.
3. « En traitant ainsi la souffrance comme un symptôme de la haine divine et d’une culpabilité secrète,
la religion répondait sur le plan psychologique à un besoin très général. L’homme heureux se contente
rarement du fait d’être heureux ; il éprouve de surcroît le besoin d’y avoir droit. Il veut être également
convaincu qu’il “mérite” son bonheur et surtout qu’il le mérite par comparaison avec d’autres. Et il veut
donc également pouvoir croire qu’en ne possédant pas le même bonheur, le moins fortuné n’a que ce
qu’il mérite. Le bonheur veut être “légitime”. Si l’on entend par l’expression générale de “bonheur”
tous les biens que constituent l’honneur, la puissance, la possession et la jouissance, nous avons là la
formule la plus générale du service de légitimation que la religion devait rendre aux intérêts externes et
internes de tous les dominants, les possédants, les vainqueurs, les bien portants, bref de tous les
heureux : la théodicée du bonheur. Celle-ci est ancrée dans des besoins humains tout à fait substantiels
(“pharisiens”) ; elle est donc facilement compréhensible, bien qu’on prête souvent une attention
insuffisante à son action. »
4. La sainte famille (Marx, 1982, p. 526).
5. « La connaissance du monde social que donne la sociologie est sans nul doute une des conditions les
plus indispensables d’une pensée critique vraiment responsable. J’ai évoqué la nécessité de rompre
avec l’économisme et de promouvoir une action régulatrice prenant en compte tous les éléments
constitutifs d’une économie qui soit orientée vers le bonheur et non vers les seules valeurs de
productivité, de rentabilité et de compétitivité », Pierre Bourdieu, in « La saine colère d’un sociologue,
entretien avec L. Roméo », in Politis, 9 avril 1992, aussi in Interventions, 1961-2001Science sociale et
action politique, Agone, 2002.
« Plus précisément, il faut mettre en question radicalement la vision économique qui individualise tout,
la production comme la justice ou la santé, les coûts comme les profits et qui oublie que l’efficacité,
dont elle se donne une définition étroite et abstraite, en l’identifiant tacitement à la rentabilité
financière, dépend évidemment des fins auxquelles on la mesure, rentabilité financière pour les
actionnaires et les investisseurs, comme aujourd’hui, ou satisfaction des clients et des usagers, ou, plus
largement, satisfaction et agrément des producteurs, des consommateurs et, ainsi, de proche en proche,
du plus grand nombre. À cette économie étroite et à courte vue, il faut opposer une économie du
bonheur, qui prendrait acte de tous les profits, individuels et collectifs, matériels et symboliques,
associés à l’activité (comme la sécurité), et aussi de tous les coûts matériels et symboliques associés à
l’inactivité ou à la précarité » in Pierre Bourdieu, Contre-feux, Raisons d’Agir, 1998, p. 46.
Chapitre 9
L’autocompassion :
accueillir sa souffrance
avec bienveillance et
gentillesse1

Sommaire
1. Qu’est-ce que l’autocompassion ?
2. Les trois facettes de l’autocompassion
3. Autocompassion et bien-être
4. Autocompassion et estime de soi
5. L’autocompassion dans les relations avec les autres
6. La compassion s’enseigne-t-elle ?
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
L’autocompassion consiste à faire preuve de bienveillance envers
soi-même en tant qu’être humain imparfait et à apprendre à faire
face avec plus d’aisance aux inévitables difficultés de la vie. Une
littérature empirique en plein essor a montré que la compassion
envers soi était fortement associée au bien-être émotionnel, à la
motivation, à des comportements favorables à la santé, à la
responsabilité personnelle, à la capacité à affronter les problèmes
et à de meilleures relations interpersonnelles. Les recherches
indiquent également que l’autocompassion peut être développée
par des formations relativement courtes, ce qui pourrait en faire un
moyen pratique d’accroître le bonheur.
Résumé long
Ce chapitre explore le lien entre l’autocompassion – une manière
positive de se comporter envers soi-même – et le bien-être.
L’autocompassion consiste à se traiter avec gentillesse, comme on
se comporterait avec un ami proche auquel on tient. Plutôt que de
se considérer globalement comme « bon » ou « mauvais »,
l’autocompassion consiste à faire preuve de gentillesse envers
nous-mêmes en tant qu’êtres humains imparfaits et à apprendre à
faire face avec plus d’aisance aux inévitables luttes de la vie. Elle
nous motive à apporter les changements nécessaires dans notre
vie, non pas parce que nous sommes sans valeur ou
incompétents, mais parce que nous nous soucions de nous-
mêmes et voulons atténuer nos souffrances. Nous allons présenter
un aperçu des recherches sur l’autocompassion. Une littérature
empirique en plein essor a montré qu’elle était fortement associée
au bien-être émotionnel, à la motivation, à des comportements
favorables à la santé, à la responsabilité personnelle, à la capacité
à faire face aux difficultés, et à de meilleures relations
interpersonnelles. Les recherches indiquent également qu’il est
possible de développer l’autocompassion par des formations
relativement courtes, ce qui pourrait en faire un moyen pratique
d’accroître le bonheur.

Mots-clés : autocompassion, coping, bien-être, psychologie


positive
Questions
• Quelles sont les facettes de l’autocompassion ?
• Quels sont ses effets ?
• Comment enseigner l’autocompassion ?

« Il est dans la nature humaine de vouloir être heureux et d’éviter la souffrance. » Le


Dalaï-Lama
Cette recherche du bonheur imprègne les traditions philosophiques
orientales et occidentales ; elle donne cependant lieu à des interprétations
légèrement différentes, qui ont un impact sur la façon de concevoir le
bonheur et le bien-être. En Occident, on assimile d’une manière générale le
bonheur à l’hédonisme, selon lequel les humains sont motivés à rechercher le
plaisir et éviter la douleur. De ce point de vue, le bonheur correspond à un
rapport positif entre les expériences agréables et désagréables. En revanche,
la vision bouddhiste du bonheur reconnaît que les expériences douloureuses
et désagréables font naturellement partie de la condition humaine, qu’il faut
les accepter plutôt que les éviter. Les bouddhistes considèrent que le bonheur
et la souffrance s’influencent mutuellement de manière cyclique.
Cette différence a également fortement influencé la façon dont nous
recherchons le bonheur en Occident. Depuis le début de ce siècle, la
psychologie s’est recentrée sur l’étude des facteurs qui permettent à l’homme
de s’épanouir et de prospérer. Fidèle à la perspective hédonique, le
mouvement émergeant de la psychologie positive a initialement dichotomisé
la relation entre les expériences positives et négatives en partant du principe
que les expériences positives utilisaient des processus distincts qui ne
dépendaient pas de leurs homologues négatives (Fredrickson, 2001). Partant
de cette hypothèse, beaucoup ont conclu que le soulagement de la souffrance
n’engendre pas le bonheur et le bien-être, mais seulement l’absence de
souffrance (Duckworth, Steen et Seligman, 2005). En conséquence, la
psychologie positive s’est focalisée sur les états et les traits positifs, tels que
la joie, la gratitude, l’optimisme, l’espoir, la curiosité et l’émerveillement,
ainsi que sur les facteurs qui enrichissent ou appauvrissent ces états et ces
traits. Plus récemment, cependant, la psychologie positive a choisi de mettre
l’accent sur le bonheur eudémonique, qui préconise de trouver un but et un
sens à sa vie plutôt que simplement rechercher le plaisir et éviter la douleur
(Waterman, 2013). Cette perspective rejoint le construit bouddhiste de
l’autocompassion (Ryan & Deci, 2001).
L’autocompassion consiste à se tourner directement vers sa propre
souffrance, qu’elle découle d’échecs et d’erreurs personnelles ou de
difficultés générales de la vie, et à l’accueillir avec bienveillance et
gentillesse. Dès lors, elle transforme la souffrance d’une manière qui
améliore le bien-être, la résilience et la capacité à faire face aux pensées et
aux émotions difficiles. Ce chapitre traitera de l’autocompassion et de son
lien avec la santé psychologique positive, ainsi que des convergences et des
différences entre l’autocompassion et la pleine conscience – un autre
construit bouddhiste qui fait actuellement l’objet d’une attention particulière
dans le domaine de la psychologie positive.

1. Qu’est-ce que l’autocompassion ?


Pour mieux comprendre ce que recouvre le terme d’autocompassion,
arrêtons-nous d’abord sur la compassion pour autrui, un concept qui est plus
familier à la plupart d’entre nous. La compassion implique une sensibilité à
l’expérience de la souffrance. Il s’agit d’ouvrir sa conscience à la douleur
d’autrui, sans l’éviter ni s’en déconnecter, en laissant émerger des sentiments
de bienveillance envers les autres et un désir d’améliorer leur souffrance
(Goetz, Keltner et Simon-Thomas, 2010). La compassion implique également
de comprendre que nous partageons la même condition humaine, fragile et
imparfaite, et d’être disposé à étendre cette compréhension aux autres
lorsqu’ils échouent ou commettent des erreurs. Au lieu de détourner le regard
ou de remonter votre vitre lorsque vous vous arrêtez à côté d’un sans-abri à
un feu rouge, par exemple, vous faites une pause et prenez un moment pour
réfléchir aux difficultés qu’il rencontre. En sortant de votre cadre de référence
habituel et en vous mettant à sa place, vous commencez à le considérer
comme un être humain qui souffre. À partir de cet instant, votre cœur ne peut
pas s’empêcher d’entrer en résonance avec le sien ; la compassion signifie
littéralement « souffrir avec » (Lewis et Short, 1879). Au lieu de l’ignorer,
vous vous découvrez ému par sa situation et ressentez le besoin de l’aider
pour soulager sa douleur d’une manière ou d’une autre.
Tout comme nous sommes capables d’éprouver de la compassion pour la
souffrance d’autrui, nous pouvons faire preuve de compassion envers nous-
mêmes lorsque nous sommes confrontés à la souffrance, que celle-ci résulte
de circonstances extérieures ou de nos propres erreurs, échecs et insuffisances
personnelles. L’autocompassion consiste donc à être touché par sa propre
souffrance et à s’ouvrir à elle, sans l’éviter ni s’en détacher, à générer le désir
de l’alléger et de se guérir soi-même avec bienveillance. L’autocompassion
implique également d’appréhender sans jugement sa douleur, ses
insuffisances et ses échecs, et de considérer que sa propre expérience fait
partie de l’expérience humaine au sens large.

2. Les trois facettes de l’autocompassion


Bien que l’autocompassion trouve son origine dans la tradition bouddhiste
de l’introspection, Neff (2003b) a conceptualisé ce construit en termes
séculiers dans la littérature scientifique. Selon la définition de Neff,
l’autocompassion comporte trois composantes principales : la bienveillance
envers soi-même, la conscience d’appartenir à la même humanité et la pleine
conscience.

2.1 La bienveillance envers soi-même


La culture occidentale valorise le fait d’être gentil envers les autres ; nous
accordons cependant rarement autant de valeur à la gentillesse envers soi-
même. Lorsque nous échouons ou faisons des erreurs, nous avons tendance à
nous autocritiquer durement et nous nous disons souvent des choses que nous
ne dirions pas à un inconnu, ni même, dans certains cas, à quelqu’un que
nous n’aimons pas. L’autocompassion reconnaît que les insuffisances et les
difficultés font naturellement partie de la vie et qu’il ne faut pas y résister
(par l’autocritique, par exemple) ou les nier (par l’évitement par exemple),
mais au contraire les accueillir avec gentillesse, bienveillance et acceptation.
Lorsqu’on remarque chez soi une tendance comportementale qui a été source
de frustration ou d’embarras dans le passé, l’imperfection est abordée avec
bienveillance et compréhension, dans un langage à tonalité émotionnelle
douce et encourageante. De même, face à une nouvelle épreuve, la personne
compatissante envers elle-même prend le temps de réfléchir aux
conséquences émotionnelles de la situation et de s’offrir un peu d’apaisement
et de réconfort, au lieu de faire face en luttant stoïquement en bon petit soldat.

2.2 La conscience de notre humanité


commune
L’un des plus grands problèmes que pose le jugement négatif sur soi est le
sentiment d’isolement qu’il tend à provoquer. Lorsque l’on pense à nos
échecs et nos défauts personnels, nous avons tendance à nous sentir isolés et
éloignés des autres, trompés par la croyance irrationnelle que nos difficultés
sont anormales en comparaison avec les autres qui semblent s’en sortir plus
facilement. La composante d’humanité commune de l’autocompassion
reconnaît que tout le monde échoue, fait des erreurs et se sent inadéquat
d’une manière ou d’une autre. L’autocompassion relie les propres
imperfections de la personne à l’expérience humaine partagée, de sorte que
les caractéristiques du moi sont considérées dans une perspective large et
inclusive. En replaçant notre douleur dans le cadre plus large de l’expérience
humaine, nous avons tendance à nous sentir moins isolés et coupés du monde
dans les moments difficiles. Ainsi, l’autocompassion se distingue de
l’apitoiement sur soi-même, qui consiste à se plaindre de ses propres
difficultés et, souvent, immerge les gens dans leurs propres problèmes au
point de leur faire oublier que les autres connaissent des problèmes
similaires.

2.3 La pleine conscience


La pleine conscience implique d’être conscient de sa propre expérience dans
le moment présent d’une manière claire et équilibrée (Brown & Ryan, 2003),
de sorte que l’on ne puisse pas ignorer ni ruminer sur des aspects de soi-
même ou de sa vie que l’on n’aime pas. Avant de pouvoir faire preuve de
compassion envers soi-même, il faut d’abord reconnaître sa propre
souffrance. Bien qu’elle puisse nous sembler aveuglément évidente, nous
sommes souvent incapables de reconnaître sa véritable portée, en particulier
la douleur émotionnelle qui découle de l’autocritique. De même, dans les
moments difficiles de notre vie, nous avons tendance à nous mettre
immédiatement en mode résolution de problèmes, sans reconnaître la
nécessité de nous offrir du réconfort face aux difficultés que nous
rencontrons. La pleine conscience aide également les gens à éviter de se
laisser emporter par le récit de leur douleur, un processus que Neff (2003b)
appelle la « suridentification ». Lorsqu’une personne est en proie à la
suridentification, elle a tendance à exagérer et à se fixer de manière
obsessionnelle sur des pensées et des émotions négatives sur elle-même, ce
qui l’empêche de se voir et d’envisager sa situation de manière claire.
Finalement, ces pensées négatives sur nous-mêmes s’intègrent dans notre
concept de soi, mêlant ainsi nos croyances défavorables sur nous-mêmes avec
notre soi réel. En reconnaissant que nos pensées et nos sentiments ne sont que
cela – des pensées et des sentiments, la pleine conscience nous aide à
abandonner les scénarios dramatiques sur nos insuffisances et nos échecs
passés et à acquérir une perspective plus équilibrée sur soi.

3. Autocompassion et bien-être
Alors que la vision hédoniste traditionnelle de la psychologie considère le
bien-être comme équivalent au bonheur, qui est conceptualisé comme le
rapport entre les expériences positives et négatives, les chercheurs en
psychologie positive reconnaissent de plus en plus la nécessité de prendre
davantage en compte les expériences négatives dans les théories du bien-être.
Parce qu’il est souvent impossible ni même bénéfique d’éviter toutes les
expériences douloureuses, Wong (2011) propose que la psychologie s’attache
à aider les individus à atteindre un niveau de fonctionnement optimal malgré
des circonstances de vie difficiles, en transformant et en transcendant les
expériences négatives en sources de force et de bien-être. À bien des égards,
cette perspective du bien-être ressemble beaucoup à l’autocompassion.
L’autocompassion accepte la souffrance comme faisant partie intégrante de la
condition humaine et l’enveloppe dans l’étreinte chaleureuse de la
compassion, générant par la même occasion des sentiments positifs d’amour,
de bienveillance et de connexion à autrui en apportant chaleur et soutien dans
les moments difficiles, l’autocompassion donne aux individus les ressources
émotionnelles nécessaires pour endurer des expériences douloureuses ou
difficiles. Elle adoucit et apaise également les émotions négatives, leur
permettant de se dissiper plus facilement, afin que les gens puissent rebondir
plus rapidement. Enfin, le fait de savoir qu’ils possèdent une force intérieure
capable de les porter à travers les moments les plus difficiles les rend plus
forts et plus disposés à affronter des situations défavorables à l’avenir. Ainsi,
l’autocompassion permet aux individus de s’épanouir et de grandir face à
l’adversité.
Pour résumer un corpus de recherche de plus en plus important, il ressort
clairement de la littérature que l’autocompassion est inversement associée à
la psychopathologie. Une méta-analyse de vingt études (MacBeth et Gumley,
2012) a trouvé une forte taille d’effet en examinant le lien entre
l’autocompassion et les états négatifs tels que la dépression et l’anxiété. Un
fort degré d’autocompassion est également lié à moins de rumination, de
perfectionnisme et de peur de l’échec (Neff, 2003a ; Neff, Hsieh et Dejitterat,
2005). La résilience qu’offre l’autocompassion contre les états d’esprit
négatifs pourrait être liée au fait que le taux de cortisol diminue et la
variabilité de la fréquence cardiaque (associée à la capacité de s’auto-apaiser
lorsqu’on est stressé) augmente lorsqu’on fait preuve de compassion envers
soi-même (Rockliff, Gilbert, McEwan, Lightman et Glover, 2008).
Si elle semble desserrer l’emprise de la négativité, l’autocompassion
n’élimine pas ou ne repousse pas complètement les émotions négatives. En
fait, les personnes les plus compatissantes envers elles-mêmes sont moins
susceptibles de réprimer les pensées et les émotions non désirées que celles
qui le sont moins (Neff, 2003a), et sont plus susceptibles de reconnaître et de
valider l’importance de leurs émotions (Leary et al., 2007 ; Neff, Hseih et
Dejitterat, 2005). Par exemple, Neff, Kirkpatrick et Rude (2007) ont soumis
les participants d’une étude à un entretien d’embauche fictif qui leur
demandait de « décrire leur plus grande faiblesse ». Les résultats indiquaient
que les niveaux d’autocompassion n’étaient pas liés au nombre
d’autodescripteurs négatifs utilisés par les personnes pour décrire leurs
faiblesses. Cependant, les individus les plus compatissants envers eux-mêmes
étaient moins susceptibles de développer de l’anxiété à la suite de l’entretien.
De plus, les personnes dotées d’une plus grande estime de soi avaient
tendance à utiliser un langage exprimant la connexion à autrui plutôt que
l’isolement lorsqu’elles décrivaient leurs faiblesses. Par exemple, elles
utilisaient moins la première personne du singulier « je », en faveur de la
première personne du pluriel « nous », et faisaient davantage de références
sociales aux amis, à la famille et aux autres. Ces résultats suggèrent que
l’autocompassion est capable de réduire les réactions émotionnelles
inadaptées, car les faiblesses paraissent moins menaçantes lorsqu’elles sont
considérées à la lumière de l’expérience humaine partagée.
Les recherches indiquent que l’autocompassion est également associée à un
certain nombre de forces psychologiques positives. Par exemple, les
personnes dotées d’un niveau élevé d’autocompassion déclarent se sentir plus
heureuses que celles en ayant un plus faible (Hollis-Walker et Colosimo,
2011 ; Neff, Rude et Kirkpatrick, 2007 ; Shapira et Mongrain, 2010 ; Smeets
et al., 2014). Elles font également preuve de davantage d’optimisme, de
gratitude et d’affects positifs en général (Breen, Kashdan, Lenser et Fincham,
2010 ; Neff, Rude et Kirkpatrick, 2007). L’autocompassion est également liée
à l’intelligence émotionnelle, à la sagesse, à l’initiative personnelle, à la
curiosité, à la flexibilité intellectuelle, à la satisfaction à l’égard de la vie et au
sentiment d’appartenance sociale, qui sont tous des éléments importants
d’une vie pleine de sens (Heffernan, Griffin, McNulty et Fitzpatrick, 2010 ;
Martin, Staggers et Anderson, 2011 ; Neff, 2003a ; Neff, Rude et Kirkpatrick,
2007). En outre, le trait d’autocompassion a été associé à des sentiments
d’autonomie, de compétence, de sens relationnel et d’autodétermination
(Magnus, Kowalski et McHugh, 2010 ; Neff, 2003a), ce qui suggère que
l’autocompassion aide à répondre aux besoins psychologiques de base que
Ryan et ses collègues (2013) considèrent comme fondamentaux pour le bien-
être eudémonique.
Afin de mieux comprendre pourquoi l’autocompassion génère un tel état
d’esprit positif en même temps qu’elle améliore les états d’esprit négatifs, il
est utile de considérer les trois composantes de l’autocompassion en termes
d’amour, de connexion, de présence (bienveillance, lien et pleine
conscience). Lorsque nous accueillons notre douleur avec une « présence
bienveillante et aimante », nous produisons simultanément des émotions
positives tout en atténuant nos émotions négatives par l’auto-apaisement
généré.
De nombreuses personnes restent méfiantes vis-à-vis de l’autocompassion,
qui les empêche d’adopter cet état d’esprit. Elles craignent que celle-ci leur
fasse du tort d’une manière ou d’une autre (Gilbert, McEwan, Matos et Rivis,
2011). Heureusement, la recherche a accumulé suffisamment de preuves pour
affirmer qu’il s’agit d’idées fausses, de croyances erronées et d’une mauvaise
compréhension de ce que l’autocompassion recouvre réellement.
Certains craignent qu’elle ne les affaiblisse. En fait, les psychologues ont
découvert qu’elle est une source puissante de résistance à l’adversité et de
résilience, qui donne la force de traverser un divorce (Sbarra et al., 2012), de
faire face à la douleur chronique et à d’autres problèmes de santé comme
le VIH ou le cancer (Edwards et al., 2019 ; Brion, Leary et Drabkin, 2014 ;
Zhu et al., 2019), et de survivre aux combats militaires avec moins de
symptômes de stress post-traumatique (Hiraoka et al., 2015). Ce n’est pas
seulement ce que vous affrontez dans la vie qui compte, c’est la façon dont
vous vous comportez envers vous-même quand la vie devient difficile qui
détermine votre capacité à traverser les difficultés. Par exemple, les niveaux
d’autocompassion des parents d’enfants autistes prédisent mieux la quantité
de stress qu’ils subissent que la gravité de l’autisme de leur enfant (Neff et
Faso, 2014).
Le plus grand obstacle à l’autocompassion est peut-être la croyance qu’elle
sapera notre motivation. D’après Robinson et al. (2016), la principale entrave
à l’autocompassion est la crainte qu’elle anéantisse les efforts déployés pour
atteindre les objectifs. Mais cette peur est-elle fondée ? On peut trouver une
bonne analogie dans la façon dont les bons parents motivent leurs enfants. Un
père aimant critiquerait-il impitoyablement son fils lorsqu’il échoue, en lui
disant qu’il est un raté sans espoir ? Certainement pas. Au lieu de cela, il
rassurerait son enfant en lui disant que l’erreur est humaine, et lui offrirait
tout le soutien nécessaire pour l’aider à progresser. L’enfant sera beaucoup
plus motivé pour essayer d’atteindre ses objectifs dans la vie en sachant qu’il
pourra compter sur les encouragements et le soutien inconditionnel de son
père lorsqu’il échoue, plutôt qu’en étant rabaissé et traité de bon à rien.
Cela semble facile à comprendre quand on parle de parentalité saine, mais il
n’est pas si facile d’appliquer cette même logique à soi-même. Nous sommes
profondément attachés à notre autocritique et, d’une certaine façon, nous
pensons que la douleur est utile. Si l’autocritique fonctionne parfois comme
un facteur de motivation, c’est parce que nous sommes animés par le désir
d’échapper à la sévérité de notre juge intérieur en cas d’échec. Mais si l’on
sait que l’échec sera accueilli par une déferlante d’autocritique, la simple idée
d’essayer peut devenir effrayante. Avec l’autocompassion, nous nous
efforçons d’atteindre un objectif pour une raison très différente – parce qu’il
nous tient à cœur. On pourrait dire que la motivation générée par
l’autocompassion vient de l’amour, tandis que la motivation générée par
l’autocritique vient de la peur. Si nous nous soucions vraiment de nous-
mêmes, nous agirons en vue d’être heureux, par exemple en entreprenant de
nouveaux projets stimulants ou en acquérant de nouvelles compétences. Et
parce que l’autocompassion nous donne la sécurité dont nous avons besoin
pour reconnaître nos faiblesses, nous serons mieux à même de les surmonter
pour progresser.
De nombreuses preuves empiriques soutiennent l’idée que l’autocompassion
renforce la motivation plutôt qu’elle ne l’affaiblit. Par exemple, bien que
l’autocompassion soit négativement liée au perfectionnisme, elle n’a aucun
lien avec le niveau de normes de performance adoptées pour soi (Neff,
2003a). Les personnes qui ont de la compassion pour elles-mêmes visent tout
aussi haut, mais elles reconnaissent et acceptent aussi qu’elles ne peuvent pas
toujours atteindre leurs objectifs. En outre, lorsqu’elles n’atteignent pas leurs
objectifs, elles sont plus susceptibles de se relever et de réessayer (Neely
et al., 2009). On a constaté que les personnes dotées d’un niveau
d’autocompassion élevé éprouvent moins d’anxiété motivationnelle et
adoptent moins de comportements auto-handicapants comme la
procrastination, que celles en ayant un niveau plus faible (Sirois, 2014). Dans
une série de quatre études expérimentales, Breines et Chen (2012) ont utilisé
l’induction d’humeurs pour engendrer des sentiments d’autocompassion vis-
à-vis des faiblesses personnelles, des échecs et des transgressions morales
passées. Par rapport à l’induction de l’estime de soi (« Pensez à vos qualités
positives ») ou d’une humeur positive (« Pensez à un passe-temps que vous
aimez »), l’induction de la compassion envers soi-même (« Exprimez de la
gentillesse et de la compréhension ») a entraîné une plus grande motivation à
changer positivement, à redoubler d’efforts pour apprendre, à réparer les
vieilles blessures et à éviter de répéter les erreurs passées.
L’autocompassion est bénéfique. Elle conduit à des comportements sains
tels que faire de l’exercice, bien manger et consulter son médecin (Sirois,
Kitner et Hirsch, 2015). En plus de modifier le comportement,
l’autocompassion améliorerait concrètement la santé en renforçant la fonction
immunitaire. Une étude de Breines et al. (2014) a montré que les personnes
ayant un niveau d’autocompassion plus élevé présentaient une meilleure
fonction immunitaire lorsqu’elles étaient exposées à un facteur de stress
standard en laboratoire (test de stress social de Trèves, en anglais Trier Social
Stress Test). En outre, l’autocompassion permettrait de prédire la réponse
immunitaire même lorsqu’on contrôle les niveaux d’estime de soi et de
dépression. Ce constat de base a été reproduit dans un groupe de personnes
qui ont suivi une brève formation à l’autocompassion (Arch et al., 2014).
Ainsi, l’autocompassion semble améliorer à la fois le bien-être physique et
mental.

4. Autocompassion et estime de soi


Il existe une distinction importante entre la compassion pour soi et l’estime
de soi. L’estime de soi désigne le degré d’évaluation positive que l’on fait de
soi. Il existe un consensus sur le fait que l’estime de soi est essentielle pour
une bonne santé mentale, tandis que le manque d’estime de soi nuit au bien-
être, en favorisant la dépression, l’anxiété et d’autres pathologies (Leary,
1999). La forte estime de soi peut se révéler problématique toutefois, non pas
lorsqu’on en jouit, mais lorsqu’on cherche à l’obtenir et à la conserver
(Crocker et Park, 2004). Dans la culture américaine, pour avoir une bonne
estime de soi, il faut se démarquer en sortant du lot et en réalisant des
performances supérieures à la moyenne (Heine, Lehman, Markus et
Kitayama, 1999). La haute estime de soi est souvent basée sur la comparaison
avec les autres et dépend de la réussite (Harter, 1999). Le mouvement pour
l’estime de soi aux États-Unis a également été associé à une épidémie de
narcissisme parmi les étudiants de premier cycle universitaire (Twenge et
Campbell, 2009). À l’inverse, l’autocompassion n’est pas basée sur des
jugements ou des évaluations positives – c’est une manière d’être en relation
avec soi-même. Il est plus facile de parvenir à l’autocompassion qu’à l’estime
de soi, puisqu’il suffit d’accepter nos limites avec bienveillance, plutôt que de
faire évoluer nos auto-évaluations du négatif au positif. Nous avons de la
compassion pour nous-mêmes parce que nous sommes des êtres humains, et
non parce que nous sommes extraordinaires ou au-dessus de la moyenne.
Cela signifie que nous n’avons pas besoin de nous sentir supérieurs aux
autres pour nous sentir bien dans notre peau. L’autocompassion offre
également une plus grande stabilité émotionnelle que l’estime de soi, car elle
est toujours disponible, dans les bons comme dans les mauvais moments.
Les recherches suggèrent que, si l’autocompassion apporte des avantages
similaires à l’estime de soi en matière de santé mentale, elle ne présente pas
les mêmes écueils en termes de comparaison sociale ou de contingence à la
réussite de performances. Dans une enquête portant sur un large échantillon
de population aux Pays-Bas (Neff et Vonk, 2009), le trait d’autocompassion
était associé à une plus grande stabilité du sentiment de valeur personnelle (la
valeur que l’on s’attribue à soi-même sur le moment), évaluée douze fois sur
une période de huit mois. Cela s’explique par le fait que la compassion
envers soi est moins liée que l’estime de soi au sentiment de valeur
personnelle qui dépend de facteurs tels que l’attrait physique ou les
performances réussies. Les résultats indiquaient que le trait d’autocompassion
était associé à un plus faible niveau de comparaison sociale, d’inhibition en
public, de rumination, de colère et d’étroitesse d’esprit que ne l’était l’estime
de soi. De plus, l’estime de soi était fortement associée au narcissisme, tandis
que l’autocompassion ne l’était pas du tout. Ces résultats suggèrent que,
contrairement aux personnes qui ont une haute estime de soi, celles qui font
preuve d’autocompassion ont moins tendance à s’auto-évaluer, à se sentir
supérieures aux autres, à s’inquiéter de savoir si les autres les évaluent ou
non, à défendre leurs points de vue ou à réagir avec colère à l’encontre de
ceux qui sont en désaccord avec eux.

5. L’autocompassion dans les relations avec


les autres
En nous traitant nous-mêmes de la même manière que nous traitons ceux
qui nous sont chers, nous améliorons nos relations avec les autres. Les
émotions positives telles que la bienveillance envers soi-même engendrent un
sentiment de proximité sociale (Fredrickson, 2001 ; Hutcherson, Seppala et
Gross, 2008), ce qui se traduit par des unions plus heureuses. Par exemple,
dans une étude sur les couples hétérosexuels (Neff et Beretvas, 2013), les
individus qui font preuve de plus d’autocompassion sont décrits par leurs
partenaires comme étant plus connectés émotionnellement, acceptant et
encourageant l’autonomie, tout en étant moins détachés, contrôlants et
agressifs verbalement ou physiquement que les personnes manifestant moins
de compassion à l’égard d’elles-mêmes. L’autocompassion était également
associée à des relations plus satisfaisantes et à davantage de sécurité
affective. Lorsque les gens s’offrent à eux-mêmes affection et soutien, ils
semblent avoir plus de ressources émotionnelles à offrir à leur partenaire.
Crocker et Canevello (2008) ont découvert que les étudiants manifestant un
niveau d’autocompassion plus élevé ont tendance à se montrer plus
compatissants dans leurs relations avec leurs amis et colocataires, c’est-à-dire
qu’ils ont tendance à offrir du soutien social et à encourager la confiance
interpersonnelle.
Même si de nombreuses personnes dans le monde éprouvent de la
compassion pour les autres, mais pas pour elles-mêmes, il est difficile de
maintenir une telle façon d’être sans s’épuiser. Selon Hashem et Zeinoun
(2020), le trait d’autocompassion est lié à moins d’épuisement professionnel
chez les soignants et à une plus grande « satisfaction liée à la compassion » –
les sentiments positifs éprouvés par la personne dans le cadre de son travail,
tels que le fait de se sentir plein d’énergie, heureux et reconnaissant
d’apporter une contribution utile au monde. Ainsi, se donner de la
compassion à soi-même semble procurer les ressources émotionnelles
nécessaires pour s’occuper des autres. Bien que les personnes qui éprouvent
de la compassion pour elles-mêmes soient plus susceptibles de s’engager
dans des activités de ressourcement personnel saines (Sirois, Kitner et Hirsch,
2015), la compassion pour soi est en fait pratiquée au moment où la
souffrance survient. Si les soignants s’accordent de la compassion pour le
stress, la fatigue et la détresse qu’ils ressentent par empathie en s’occupant
des autres, ils généreront des émotions positives d’attention à soi, d’amour et
de bienveillance qui les protégeront contre les effets délétères des émotions
négatives.

6. La compassion s’enseigne-t-elle ?
Heureusement, l’autocompassion est une compétence qui peut être
enseignée et développée par la pratique. Une récente méta-analyse de vingt-
sept essais contrôlés randomisés portant sur des formations à
l’autocompassion (Ferrari et al., 2019) a montré non seulement une forte
augmentation de l’autocompassion, mais aussi une réduction des
psychopathologies avec des tailles d’effet moyennes à grandes. Germer et
Neff (2019) ont développé un programme de formation de huit semaines, le
Programme d’autocompassion en pleine conscience (mindful self-
compassion, MSC), qui aide les individus à développer une plus grande
compassion envers eux-mêmes et les autres, tout en renforçant la pleine
conscience qui sert de fondement à l’autocompassion. Un essai contrôlé
randomisé mené par Neff et Germer (2013) a révélé que la participation au
programme MSC entraînait une augmentation significative de
l’autocompassion, de la pleine conscience, de la compassion envers les autres
et de la satisfaction à l’égard de la vie, ainsi qu’une diminution de la
dépression, de l’anxiété, du stress et de l’évitement émotionnel. Les bénéfices
s’étaient tous maintenus au moment des suivis effectués au bout de six mois
et un an, ce qui indique que les compétences acquises au cours du programme
MSC ont été conservées dans le temps. Un autre essai contrôlé randomisé
mené auprès de patients diabétiques (Friis et al., 2016) a révélé que les
participants au programme MSC n’ont pas seulement constaté une baisse de
leur dépression et de leur détresse liée au diabète, mais ils ont également vu
leur glycémie diminuer de manière significative, ce qui suggère des bienfaits
sur le bien-être aussi bien physique que psychologique.

Conclusion
L’idée que notre réaction aux événements négatifs influence notre bien-être
n’est pas nouvelle dans le domaine de la psychologie positive. Pourtant, les
psychologues positifs ont eu tendance à se concentrer sur les effets tampons
des émotions positives, en accordant moins d’attention aux aspects
transformatifs des émotions négatives. Si l’on veut que la psychologie
positive soit plus équilibrée, et se concentre à la fois sur l’amélioration du
positif et la transformation du négatif, l’autocompassion doit être intégrée
dans son cadre général. La recherche montre que le fait prendre soin de soi
avec affection et compassion est un moyen puissant d’améliorer le bien-être
intra et interpersonnel. Lorsque nous sommes conscients de notre souffrance
et que nous l’accueillons avec chaleur et bienveillance, en nous rappelant que
la douleur fait partie de la condition humaine que nous partageons tous, nous
sommes capables de faire face aux difficultés de la vie avec plus de facilité.
Nous créons un état d’esprit aimant, connecté et équilibré qui contribue à
réduire les pathologies psychologiques tout en renforçant la joie et le
sentiment que notre vie a du sens. La compassion pour soi est une source
portable d’amitié et de soutien qui est disponible lorsque nous en avons le
plus besoin : lorsque nous échouons, faisons des erreurs ou faisons face à des
difficultés dans la vie. En combinant l’acceptation de notre expérience du
moment présent avec le désir plein de compassion d’être heureux et libéré de
la souffrance, nous maximisons notre capacité à guérir et à atteindre notre
plein potentiel. Heureusement, il est possible d’acquérir des compétences
d’autocompassion et de les maintenir dans le temps. Il semble donc
souhaitable que les formations psychologiques visant à améliorer le bien-être
positif mettent un accent particulier sur le développement de la compassion
envers soi-même.

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1. Par Kristin Neff.
Partie 2
Psychologie positive et santé
Chapitre 10
La santé mentale positive :
historique, développement
et enjeux actuels1

Sommaire
1. Le modèle de Keyes
2. Définition et composantes de la santé mentale
positive
3. Vers une approche processuelle de la santé mentale
4. Perspectives pour les politiques et les interventions
de promotion de la santé
5. Santé mentale et rétablissement
6. Bénéfices des interventions de psychologie positive
sur la santé mentale
Bibliographie
Résumé court
La santé mentale positive est composée du bien-être subjectif et
d’un niveau optimal de fonctionnement psychologique et social.
Une meilleure compréhension de ces dimensions et des
interventions permettant d’agir sur certains processus comme la
flexibilité psychologique peuvent contribuer à promouvoir la santé
mentale et la résilience.
Résumé long
Les discours sur la santé mentale ont souvent porté davantage sur
les maladies mentales. D’ailleurs, la santé mentale fut longtemps
comprise comme la simple absence de trouble mental. Or, dans
une perspective de prévention, de développement des
compétences de résilience et de la qualité de vie, il est utile de
s’appuyer sur une description positive des caractéristiques de la
santé psychologique. Ce chapitre présente différentes conceptions
et modèles permettant d’appréhender et de mesurer la santé
mentale dite « positive ». Les différentes composantes du modèle
de Keyes sur le bien-être subjectif et le niveau de fonctionnement
psychologique et social sont décrites, ainsi que l’approche
processuelle permettant de mettre en évidence des mécanismes
sous-jacents au bien-être durable. Il est possible de favoriser la
santé mentale positive en agissant sur des processus tels que la
flexibilité psychologique et l’autocompassion. Enfin, une
contribution possible des interventions de psychologie positive aux
politiques publiques de promotion de la santé est proposée.

Mots-clés : santé mentale positive, approche processuelle de la


santé mentale, promotion de la santé mentale, facteurs de
protection, résilience.
Questions
• Comment décrire la santé mentale positive ?
• Comment peut-on mesurer la santé mentale positive ?
• Qu’est-ce qu’une approche processuelle de la santé mentale ?

La définition et la perception de la santé mentale ont fait l’objet de


nombreux changements (Jahoda, 1958 ; Keyes, 2002 ; Keyes & Haidt, 2003 ;
Organisation Mondiale de la Santé, 2001) qui se poursuivent encore de nos
jours (Carleton et al., 2020 ; Iasiello, van Agteren, & Cochrane, 2020). Si
aujourd’hui, la santé mentale n’est plus appréhendée uniquement sous le
spectre des troubles psychopathologiques, cela n’a pas toujours été ainsi en
effet, pendant plusieurs décennies les recherches sur la santé mentale ont
porté essentiellement sur la compréhension de l’apparition, du maintien et de
la diminution des troubles psychopathologiques.
Malgré sa pertinence, cette approche n’est pourtant pas suffisante (Iasiello
et al., 2020). Ce constat a notamment été inscrit dans le rapport annuel de
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2004 qui abordait alors la
santé mentale non plus comme un état résultant de l’absence de maladie, mais
comme un « état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser,
surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et
contribuer à la vie de sa communauté ». Cette définition remet en question
l’idée selon laquelle la santé mentale est simplement le contraire d’un trouble
de santé mentale et met en évidence les différents aspects de la santé mentale
comme le bien-être, l’équilibre affectif et le développement des compétences
psychosociales. Le concept de santé mentale positive englobe donc les
capacités à se développer psychologiquement, émotionnellement,
intellectuellement, socialement et spirituellement (Barry, 2009).
Bien que ce rapport ait permis un changement de perspective notable dans le
champ de la santé mentale, cette dernière avait déjà été abordée différemment
quelques années auparavant par la pionnière australienne, Marie Jahoda,
chercheure en psychologie sociale, qui indiqua dans le rapport de la
commission américaine sur la maladie et la santé mentale que « l’absence de
maladie mentale n’est pas un indicateur suffisant pour la santé mentale »
(Jahoda, 1958, p. 15). Son rapport est aujourd’hui un ouvrage de référence
sur la santé mentale positive car il retrace la revue de la littérature concernant
les dimensions du bien-être psychologique. À travers ses travaux, Marie
Jahoda a tenté de distinguer l’approche psychopathologique de l’approche
positive de la santé mentale en identifiant notamment six composantes
interdépendantes propres à la santé mentale positive :
1. l’attitude positive envers soi-même et l’acceptation de soi ;
2. l’engagement vers une réalisation de soi et l’orientation vers l’avenir ;
3. l’intégration, entendue comme la capacité à maintenir un équilibre entre
différentes tendances intrapsychiques ;
4. l’autonomie ;
5. la perception de la réalité ;
6. la maîtrise de son environnement. Ses recherches ont d’ailleurs fait l’objet
d’une échelle intitulée Questionnaire de santé mentale positive (Lluch-
Canut, 1999).
Ses travaux ont ainsi impulsé une nouvelle façon d’appréhender la santé
mentale : considérer la santé comme étant plus que l’absence de maladie,
comprenant la dimension d’épanouissement de l’individu au sein de sa
communauté, d’où l’ajout de la qualification « positive » pour mettre l’accent
sur cet aspect de la santé.
Dans les années 1980, deux articles phares ont notamment contribué aux
recherches sur la santé mentale à travers l’étude du bien-être : l’article d’Ed
Diener (1984) présentant sa théorie sur le bien-être subjectif et l’article de
Carol Ryff (1989) dans lequel elle a publié sa théorie du bien-être
psychologique. En travaillant sur une définition de la santé mentale différente
de celle abordée par le modèle médical, une nouvelle approche permettant
une compréhension complémentaire de l’être humain apparaît mettant en
évidence les dimensions du fonctionnement humain optimal et de
l’épanouissement. La santé mentale n’est plus considérée comme l’absence
de troubles mentaux, mais comme un état de bien-être et d’équilibre
psychique indépendamment des aléas et difficultés rencontrées au cours de la
vie (Shankland, 2019). L’étude des maladies et des facteurs de risque devrait
être complétée par une « épidémiologie positive » axée sur les facteurs
protecteurs et sur un éventail plus large d’états liés au bien-être et à
l’épanouissement (VanderWeele et al., 2020).
Dans ce chapitre nous présenterons plus en détail le modèle de Keyes
(2002) qui fait référence concernant la santé mentale positive, nous
préciserons les différentes dimensions qui composent cet état, ainsi que les
processus psychologiques pouvant contribuer au développement de celles-
ci enfin, nous terminerons en indiquant des perspectives pour les politiques et
les interventions dans le champ de la promotion de la santé mentale.

1. Le modèle de Keyes
L’absence de trouble mental ne garantit pas un état de bien-être optimal.
C’est notamment ce que montent les travaux empiriques de Keyes (2002,
2005) et de Huppert et Whittington (2003). Leurs recherches mettent en
évidence l’indépendance entre le bien-être et les troubles
psychopathologiques, et soulignent que les troubles mentaux et la santé
mentale positive sont deux dimensions distinctes, mais corrélées. En d’autres
termes, la présence d’un trouble mental et la santé mentale positive sont deux
concepts liés qui forment ensemble un double continuum comme l’illustre la
figure 10.1.

État de la santé mentale


Diagnostic de trouble mental
durant les 12 derniers mois Épanouissement
État languissant État modéré
psychosocial

Santé mentale Santé mentale positive Santé mentale


Non
languissante élevée complète

Épanouissement
Trouble mental et santé Trouble mental et santé
Oui malgré un trouble
mentale languissante mentale positive modérée
mental

Figure 10.1 – Modèle du double continuum (Keyes, 2013)


Santé mentale
« État de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les
tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à
la vie de sa communauté » (OMS, 2004).
Une des implications majeures de ce modèle est que l’absence de maladie
mentale n’implique pas pour autant la présence d’une bonne santé mentale
(Slade, 2010 ; Trompetter, de Kleine, & Bohlmeijer, 2017a). Suite aux
travaux de Keyes, des chercheurs comme Westerhof aux côtés de Keyes
(2010) ont reproduit l’étude originale de Keyes (2005), tandis que d’autres
études se sont intéressées à l’exploration des facteurs médiateurs de ce
modèle (Venning, Kettler, Zajac, Wilson, & Eliott, 2011), à son application
dans les psychothérapies (Trompetter, Lamers, Westerhof, Fledderus, &
Bohlmeijer, 2017), ainsi que dans divers domaines comme celui du
rétablissement (Slade, 2010), de la prise en charge des traumatismes
(Brunzell, Stokes, & Waters, 2016) ou encore des douleurs chroniques
(Trompetter, Mols, & Westerhof, 2019). Ce modèle est donc une référence en
termes de santé mentale. Une récente synthèse des recherches menées suivant
ce modèle (Iasiello et al., 2020) indique bien la présence de deux continuums
distincts, mais interdépendants que sont la santé mentale positive et les
troubles psychopathologiques. Les études révèlent également que ces deux
dimensions ont des prédicteurs communs et d’autres prédicteurs spécifiques,
et s’influencent mutuellement.

2. Définition et composantes de la santé


mentale positive
La santé mentale positive est un concept généralement considéré comme
recouvrant les aspects du bien-être émotionnel, psychologique, social,
physique et spirituel. La littérature émergente sur la santé mentale positive la
définit comme la combinaison d’un bien-être subjectif et d’un
fonctionnement optimal (Huppert, 2005 ; Keyes, 2002). Cette approche
permet d’appréhender la santé mentale en s’appuyant sur les deux
composantes du bien-être : la composante hédonique, c’est-à-dire liée à la
dimension plaisante, et la composante eudémonique, c’est-à-dire liée à la
dimension existentielle qui comprend le fonctionnement psychologique et
social (Keyes, 2002 ; Ryan & Deci, 2001 ; Waterman, 1993).
Santé mentale positive
La santé mentale positive combine un bien-être subjectif avec un certain
niveau de fonctionnement psychologique et social (Huppert, 2005 ; Keyes,
2002).
Le bien-être hédonique est un concept multidimensionnel, comprenant des
évaluations de la vie en général (c’est-à-dire la satisfaction de vivre et les
émotions positives ; Diener, 1984 ; Diener, Suh, Lucas, & Smith, 1999). Le
bien-être psychologique, tel que présenté par Carol Ryff (Ryff, 1989 ; Ryff &
Keyes, 1995 ; Ryff & Singer, 1998), comprend six aspects :
1. s’accepter soi-même et adopter une attitude bienveillante envers soi ;
2. entretenir des buts dans la vie, se fixer des objectifs qui donnent un sens et
une direction dans la vie ;
3. être autonome, autodéterminé et motivé de manière intrinsèque ;
4. entretenir des relations positives avec les autres, et qui soient satisfaisantes,
intimes et de confiance ;
5. maîtriser son environnement et développer un sentiment de compétence ;
6. participer à son propre développement personnel.
Enfin, le bien-être social peut-être défini en termes d’engagement social et
d’ancrage sociétal (Keyes, 1998). Selon les travaux de Keyes, le bien-être
social regroupe cinq dimensions :
1. la cohérence sociale, mettre du sens sur ce qu’il se passe dans la société ;
2. l’acceptation sociale, adopter une attitude ouverte et compréhensive envers
les autres ;
3. la réalisation sociale, avoir la conviction que la communauté peut se
développer ;
4. la contribution sociale, avoir le sentiment que l’on est utile à la société ;
5. l’intégration sociale, ressentir un sentiment d’appartenance avec sa
communauté.
Tableau 10.1 – Les critères de l’épanouissement psychosocial selon Keyes
(2002)
Humeur positive Présence d’émotions agréables
Bien-être subjectif
Satisfaction Sentiment de satisfaction face à la vie

Attitude bienveillante et compréhensive envers soi-même


Acceptation de soi
Acceptation de soi, de ses pensées, émotions et comportements

Mettre en œuvre des buts qui donnent du sens à la vie


Buts dans la vie
Être engagé vers ses objectifs

Autonomie
Fonctionnement Être autodéterminé, se fixer ses propres standards
psychologique indépendamment des pressions sociales

Relations sociales Entretenir des relations sociales satisfaisantes, stables et de


positives confiance.

Maîtrise de son Avoir un sentiment de compétences


environnement Pouvoir satisfaire ses besoins personnels

Développement Ouvertures aux expériences


personnel Reconnaissance de sa capacité à se développer

Cohérence sociale Se sentir en accord avec le monde dans lequel on évolue

Attitude d’ouverture face aux autres


Acceptation sociale
Reconnaître l’autre et de ses différences

Fonctionnement Reconnaissance du potentiel de croissance des autres et des


Développement social
social institutions

Contribution sociale Avoir un sentiment d’utilité dans la société dans laquelle on vit

Développer un sentiment d’appartenance et de cohésion sociale


Intégration sociale
Se sentir soutenu par sa communauté

L’ensemble des éléments présentés dans le tableau contribuent à un état


d’épanouissement psychosocial que reflète le concept de santé mentale
positive (Keyes, 2005 ; Keyes, 2007 ; Westerhof & Keyes, 2010). Ainsi, si
l’on s’appuie sur le modèle du double continuum de Keyes (2002), un état
d’épanouissement comprend un niveau élevé de bien-être subjectif avec un
niveau optimal de fonctionnement psychologique et social, tandis qu’un
faible niveau de santé mentale positive fait référence à un faible niveau de
bien-être subjectif combiné à un faible niveau de bien-être psychologique et
social.

3. Vers une approche processuelle de la


santé mentale
Bien que le modèle de Keyes éclaire sur les facteurs contribuant à la santé
mentale positive, les processus permettant de maintenir cette santé mentale
positive sont bien moins connus que les prédicteurs des troubles
psychopathologiques. À l’heure actuelle, les recherches montrent que ces
processus semblent se référer à de multiples systèmes biologiques,
psychologiques, sociaux ou encore écologiques qui interagissent entre eux de
manière à permettre à l’individu de retrouver, maintenir ou développer son
bien-être (Sturgeon, 2006 ; Ungar & Theron, 2020). Parmi ces processus,
deux processus psychologiques communs à tout être humain semblent jouer
un rôle clés dans le développement et le maintien de la santé mentale
positive : la flexibilité psychologique (Østergaard, Lundgren, Zettle, Landrø,
& Haaland, 2020) et l’autocompassion (MacBeth & Gumley, 2012 ;
Trompetter et al., 2017).
Approche processuelle de la santé mentale
Cette approche met l’accent sur des processus sous-jacents tant au bien-
être qu’à différentes psychopathologies. La flexibilité psychologique et
l’autocompassion sont deux processus essentiels sur lesquels il est
possible d’intervenir pour favoriser la santé mentale positive.
La flexibilité psychologique est définie comme la capacité à ajuster ses
propres comportements pour qu’ils puissent être en adéquation avec ses
valeurs, c’est-à-dire avec ce qui est important pour soi (Hayes et al., 2006).
La flexibilité psychologique est associée à la santé mentale en influençant
différentes dimensions qui y sont reliées telles que l’autodétermination (Deci
& Ryan, 2000), la poursuite de ses buts (Tamir, 2009) ou encore la régulation
émotionnelle (Bonanno et al., 2016). Le manque de flexibilité psychologique
est un processus identifié comme étant à l’origine du développement et du
maintien des troubles psychopathologiques (Fledderus, Bohlmeijer, Smit, &
Westerhof, 2010 ; Masuda, Price, Anderson, Schmertz, & Calamaras, 2009 ;
Østergaard et al., 2020).
En plus de la flexibilité psychologique, l’autocompassion a également été
repérée comme un processus favorisant la santé mentale positive, la résilience
et la réduction des troubles psychopathologiques (MacBeth & Gumley,
2012 ; Trompetter et al., 2017). L’autocompassion se caractérise par une
attitude bienveillante, chaleureuse et amicale envers soi, notamment dans les
moments difficiles et motive à prendre soin de soi plutôt qu’à se résigner
(Gilbert, 2009 ; Neff, 2003). Cette attitude favorise l’acceptation de soi, le
sentiment de maîtrise de son environnement, les relations constructives, la
confiance et participe à la satisfaction de vie (Barnard & Curry, 2011 ; Keyes,
2005 ; Neff, Kirkpatrick, & Rude, 2007 ; Neff, Rude, & Kirkpatrick, 2007).
De nombreux programmes d’intervention visent ainsi à développer la
flexibilité psychologique et l’autocompassion, comme les programmes
fondés sur la pleine conscience comprenant des pratiques formelles (voir par
exemple le programme Mindfulness Based Stress Reduction de Kabat-Zinn,
2003) ou des pratiques intégrées au quotidien (voir par exemple le
programme FOVEA, Shankland, Tessier, Strub, Gauchet, & Baeyens, 2020),
l’approche d’acceptation et d’engagement (Hayes, Strosahl, & Wilson, 1999)
ou encore la thérapie fondée sur la compassion (Gilbert, 2010).

4. Perspectives pour les politiques et les


interventions de promotion de la santé
Face à la difficulté à prendre en charge les troubles mentaux, de nombreux
gouvernements réforment aujourd’hui leur façon d’aborder les soins de santé
mentale. Effectivement, la plupart des gouvernements ont toujours agi sur la
prise en charge des troubles psychopathologiques (Chisholm, Sanderson,
Ayuso-Mateos, & Saxena, 2004) bien que cette approche ne permette pas de
réduire la prévalence des troubles ni l’âge de leur apparition (Insel &
Scolnick, 2006 ; Kessler et al., 2005). Une nouvelle possibilité pour faire face
à ces difficultés revient alors à s’engager dans une approche complémentaire
en s’appuyant sur les recherches en psychologie positive afin de promouvoir
la santé mentale positive (Benny, 2016 ; Davis, 2002 ; Jané-Llopis, Barry,
Hosman, & Patel, 2005 ; Keyes, 2007 ; Secker, 1998). La promotion de la
santé mentale consiste à favoriser le développement des facteurs de
protection, de résilience et d’épanouissement qui sont utiles tout au long de la
vie tels que les compétences psychosociales.
De plus en plus d’institutions gouvernementales deviennent sensibles à cette
nouvelle approche et placent la promotion de la santé mentale comme une
priorité (Horton, 2007). Par exemple, la déclaration de l’OMS sur la santé
mentale et son plan d’action pour l’Europe (OMS, 2005) et le livre vert de la
Commission européenne en matière de stratégie pour la santé mentale
(European Commission, 2005) soulignent l’importance de l’amélioration du
bien-être mental des citoyens pour la prospérité sociale et économique de
l’Europe. Dans cette même perspective, le gouvernement de l’Australie-
Méridionale a par exemple déclaré souhaiter devenir un « État de bien-être »
comme le recommandait Martin Seligman qui postulait que l’État pouvait
permettre d’incarner l’approche positive de la santé mentale en renforçant le
bien-être de ses citoyens (Seligman, 2013). En 2008, la France a également
pris part au « Pacte européen pour la santé mentale » et un « Appel à
l’action » a également été initié.
Alors que l’approche médicale de la santé mentale se focalise sur les
personnes ayant des troubles psychopathologiques ou sur les populations à
risques, la promotion de la santé mentale positive s’adresse à toute personne
(Keyes, 2013). Promouvoir la santé mentale, c’est soutenir le bien-être socio-
émotionnel durable des personnes, mais c’est également mettre en place des
environnements favorables et réduire la stigmatisation et la discrimination.
Plus concrètement, il peut s’agir de mettre en place des interventions de
promotion de la santé mentale auprès de publics spécifiques pour réduire les
discriminations. Par exemple, une étude menée par Campbell et ses
collaborateurs (Campbell, Shryane, Byrne, & Morrison, 2011) a évalué
l’impact d’une intervention de promotion de la santé mentale dans des classes
d’adolescents sur la discrimination envers la schizophrénie. Les résultats
montrent une diminution significative des discriminations chez les
adolescents ayant participé à l’intervention en contraste avec ceux n’ayant
pas participé à l’intervention. Les interventions de promotion de la santé
mentale peuvent cibler des discriminations liées aux troubles
psychopathologiques de même que d’autres discriminations spécifiques
comme celles liées à l’obésité (Beintner, Emmerich, Vollert, Taylor, &
Jacobi, 2019 ; Bray, Slater, Lewis-Smith, Bird, & Sabey, 2018) ou liée à
l’âge (Levy, 2018). Ces interventions pourraient également s’avérer
pertinentes pour diminuer le racisme, l’homophobie ou encore le sexisme et,
de manière plus générale, pour cibler la promotion d’un bien-être social et
sociétal (e. g. Fledderus et al., 2010 ; Herrman, 2001).

5. Santé mentale et rétablissement


Alors que la prévalence des troubles mentaux ne cesse d’augmenter (Steel
et al., 2014), ayant un impact sur la vie de ceux qu’ils touchent en termes de
handicap (Whiteford, Ferrari, Degenhardt, Feigin, & Vos, 2015), de qualité
de vie (Saarni et al., 2007), de satisfaction de vie (Meyer, Rumpf, Hapke, &
John, 2004) ou de risque de mortalité (Walker, McGee, & Druss, 2015), il
devient d’autant plus important de prendre en compte et de promouvoir la
santé mentale positive des usagers. La santé mentale et le bien-être sont
fondamentaux pour la qualité de vie, car ils permettent aux individus de vivre
une vie pleine de sens et d’être des citoyens créatifs et actifs (Barry, 2009).
De plus, si la santé mentale joue un rôle important pour mener une vie riche
et épanouissante, les études montrent qu’elle peut aussi jouer un rôle
important sur la prévention des troubles mentaux. Par exemple, des études
ont constaté qu’une santé mentale positive élevée était associée à un meilleur
rétablissement (e. g. Teismann, Brailovskaia, Totzeck, Wannemüller, &
Margraf, 2018).

6. Bénéfices des interventions de


psychologie positive sur la santé mentale
De nombreuses recherches ont attesté de l’efficacité des interventions visant
l’amélioration de la santé mentale auprès d’adultes (e. g. Teixeira, Coelho,
Sequeira, Lluch i Canut, & Ferré-Grau, 2019), ainsi qu’auprès d’enfants
(e. g. Wells, Barlow, & Stewart-Brown, 2003). Les interventions de
promotion de santé mentale apparaissent également pertinentes au travail
pour augmenter la santé mentale des salariés, mais également pour diminuer
les troubles musculosquelettiques (voir revue systématique de Proper & van
Oostrom, 2019). Ces interventions sont également auprès des personnes
âgées notamment pour diminuer le sentiment d’isolement et de solitude qui
sont des facteurs de risque importants en termes de santé physique et mentale
(e. g. Cattan, White, Bond, & Learmouth, 2005). Enfin, plusieurs revues de
questions ont mise en évidence l’efficacité d’interventions de psychologie
positive en ligne sur l’amélioration de la santé mentale positive à différents
âges (Clarke, Kuosmanen, & Barry, 2015 ; Sitbon, Shankland, & Martin-
Krumm, 2019 ; Stratton et al., 2017).
Des travaux ont également mis en évidence que la santé mentale positive
protège de l’apparition de troubles psychopathologiques à long terme
(e. g. Lamers, Westerhof, Glas, & Bohlmeijer, 2015 ; Westerhof & Keyes,
2010 ; Wood & Joseph, 2010). Des études longitudinales complémentaires
permettraient d’affiner ses résultats en éclairant les processus d’efficacité de
ces interventions (Barry et al., 2013 ; Teixeira et al., 2019) et d’identifier les
spécificités culturelles concernant leur efficacité (voir par exemple Dubarle,
Bernet, Brun, & Shankland, 2019) ou encore comment les décliner de
manière adaptée en fonction des populations ciblées (voir par exemple
Bressoud, Durand, Garnier, & Shankland, 2020 ; Bressoud, Shankland, Ruch,
& Gay, 2017). Enfin, concernant la santé mentale positive il apparaît
nécessaire aujourd’hui de prendre davantage en compte la question
environnementale qui est étroitement liée au bien-être durable des individus.
Ainsi, des recherches récentes sur les interventions de psychologie positive
s’orientent aujourd’hui vers le développement de la santé mentale positive
mais aussi des écogestes (voir par exemple Frattina, Kerjean-Ritter, Julien,
Helme-Guizon, & Shankland, 2019). Malgré les résultats de nombreuses
études attestant de l’efficacité des interventions permettant de promouvoir la
santé mentale positive, des efforts doivent encore être fournis pour
encourager l’évaluation d’interventions et de mesures standardisées et de
répliquer davantage les recherches interventionnelles menées (voir les
recommandations proposées par Van Zyl, Efendic, Rothmann, & Shankland,
2019).

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1. Par Marine Paucsik, Martin Benny et Rebecca Shankland.
Chapitre 11
Psychothérapies :
quelles contributions
de la psychologie positive ?1

Sommaire
1. Plaidoyer pour une psychologie clinique intégrant les
apports de la psychologie positive
2. Spécificités et visées des interventions positives
3. Bienfaits des IPP selon les données de la littérature
4. Paramètres susceptibles de modifier les bienfaits
des IPP
5. Préconisations cliniques pour mener à bien des IPP
dans un cadre psychothérapeutique
6. Questions restant à élucider
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
La psychologie clinique positive examine à la fois les faiblesses et
les forces des individus, en vue de les aider à tendre vers un état
de santé optimal. Une grande pluralité d’exercices et de pratiques
facilitant le développement du bien-être peuvent être considérés
comme des interventions psychologiques positives (IPP). Leurs
bienfaits ont surtout été établis chez les personnes souffrant
modérément de dépression, mais elles peuvent se révéler aussi
utiles à d’autres populations cliniques. Plusieurs paramètres sont
susceptibles de moduler leurs bienfaits. Les proposer suppose
d’identifier les difficultés psychologiques des individus, ainsi que
leurs ressources et leurs attentes. Le style thérapeutique, centré
sur la recherche de solutions, se veut empathique et bienveillant.
L’observation de soi est de mise, et le recours à l’imagerie mentale
peut se révéler fort utile. Mieux vaut déceler les éventuels freins
envers le changement. Les recherches futures devront confirmer
les bienfaits des IPP et préciser leurs principes actifs.
Résumé long
À l’objectif de supprimer des symptômes psychopathologiques
s’est progressivement rajouté celui d’améliorer le bien-être, en vue
d’atteindre un état de santé optimal. Pour ce faire, nous devons
développer une approche clinique positive inclusive qui examine à
la fois les faiblesses et les forces des individus, en vue de leur
venir en aide de la manière la plus complète. Une grande pluralité
d’exercices et de pratiques peuvent être considérés comme des
interventions psychologiques positives (IPP). Leur dénominateur
commun est de faciliter le développement du bien-être. Les IPP
peuvent être regroupées au sein de programmes semi-
standardisés, faisant l’objet d’études pour en évaluer les bienfaits.
Si les bienfaits des IPP ont surtout été établis pour les personnes
souffrant modérément de dépression, force est par ailleurs de
constater qu’elles peuvent se révéler aussi utiles pour venir en
aide à diverses autres populations cliniques, souffrant de
désordres mentaux ou somatiques. Plusieurs paramètres sont
susceptibles de moduler (à la hausse ou la baisse) les bienfaits
des IPP : leur format (en présentiel, en ligne), leurs modalités (en
individuel, en groupe, en mode auto-administré), leur durée
(interventions ponctuelles ou s’étalant sur plusieurs semaines), les
caractéristiques psychologiques et les préférences des
participants, leur niveau de dépressivité, leur soutien social et leur
environnement culturel. La mise en place d’une IPP doit tout
d’abord se fonder sur une conceptualisation préalable du cas
clinique via une analyse du mode de fonctionnement de l’individu
prenant tout autant en considération ses problèmes et ses
difficultés, que ses ressources et ses attentes. Le style
thérapeutique centré sur la recherche de solutions se veut
empathique et bienveillant, se veut favoriser un climat de travail
collaboratif et faciliter le partage d’expériences. L’observation de
soi est de mise, et le recours à l’imagerie mentale peut se révéler
fort utile pour développer la disposition au changement via des
visualisations positives. Une attention particulière doit être
accordée aux freins éventuels envers le changement. Les
recherches futures devront confirmer les bienfaits des IPP (sur le
plan mental, somatique et cérébral), à plus ou moins long terme, et
préciser leurs principes actifs.

Mots-clés : bien-être, santé optimale, interventions positives,


thérapies cognitivo-comportementales, bienfaits thérapeutiques
Questions
• Quels sont les apports de la psychologie positive à la
psychothérapie ?
• Quels sont les bienfaits des interventions positives ?
• Quelles précautions cliniques faut-il prendre quand on les
propose ?

1. Plaidoyer pour une psychologie clinique


intégrant les apports de la psychologie
positive
Pendant longtemps, la psychologie clinique s’est confondue avec la
psychopathologie en se polarisant essentiellement sur le traitement des
troubles psychiques, ce qui a permis de développement fécond de traitements
psychologiques aux bienfaits scientifiquement établis, tout particulièrement
d’orientation cognitivo-comportementale. Mais cela a parfois conduit à
emprisonner les individus en souffrance psychique dans des catégories
diagnostiques potentiellement stigmatisantes, et à négliger l’examen des
aspects intéressants de leur mode de fonctionnement psychologique (Rashid
& Ostermann, 2009). Petit à petit, s’est donc imposée l’idée que la
psychologie clinique ne doit pas se résumer à une démarche de réduction de
la souffrance (Bannink, 2013, 2014, 2017 ; Palmer, 2015 ; Wood & Tarrier,
2010), mais qu’elle doit aussi chercher à accroître le bien-être et la qualité de
vie des personnes, voire doit participer à leur rétablissement (Slade et al.,
2010).
Pour Keyes (2010) la psychologie clinique a pour mission ultime d’aider les
personnes à tendre vers une « santé mentale florissante » (flourishing) qui va
se caractériser par l’absence de problèmes psychologiques assortie d’un
sentiment de bien-être maximal (voir Aguerre, 2017, pour une présentation
détaillée des travaux de Keyes). Ce point de vue concorde avec celui de
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui considère la santé comme un
état complet de bien-être, à la physique, mental et relationnel, qui ne requiert
pas nécessairement l’absence de pathologies ou de handicap (WHO, 1948).
De nos jours, on considère aussi qu’un des objectifs centraux de la
psychologie clinique est de promouvoir un état d’euthymie, tel qu’il est
spécifié dans l’encadré 1.11 (Fava & Bech, 2016 ; Fava & Guidi, 2020).
Celui-ci se caractérise par l’absence de troubles de l’humeur, la présence
d’affects positifs, un sentiment de bien-être, une flexibilité cognitive, un
sentiment de congruence, mais aussi de bonnes capacités de faire face au
stress et de résilience psychologique.
Encadré 11.1

Caractéristiques de l’euthymie (selon Fava & Bech, 2016 ; Fava


& Guidi, 2020)
A. Absence de troubles de l’humeur pouvant être identifiés à partir
de catégories diagnostiques ; si le sujet a des antécédents de
troubles de l’humeur, il doit être en rémission complète. En cas de
tristesse, d’anxiété ou d’humeur irritable, ces troubles ont tendance
à être de courte durée, liés à des situations spécifiques et
n’affectent pas de manière significative la vie quotidienne.
B. Le sujet a des affects positifs, c’est-à-dire qu’il se sent joyeux,
calme, actif, intéressé par les choses et son sommeil est
réparateur.
C. Le sujet manifeste un bien-être psychologique, c’est-à-dire que
ses forces psychologiques sont équilibrées et aisément
mobilisables (flexibilité). Il porte un regard unificateur sur sa vie, qui
guide ses actions et ses sentiments, lui permet de façonner son
avenir en conséquence, et de résister au stress (résilience et
tolérance à l’anxiété ou à la frustration).

Il est aujourd’hui admis que les préceptes de la psychologie positive


peuvent se révéler fort utiles pour compléter les bienfaits des traitements
psychologiques destinés à différents types de populations cliniques, tout
particulièrement ceux qui s’adressent avec succès aux personnes dépressives
(Csillik et al., 2012). Ils peuvent être une source d’inspiration clinique
féconde par rapport à ce qui se fait habituellement et fonctionne relativement
sur le plan psychothérapeutique. Ils nous aident par exemple à prolonger les
bienfaits d’une thérapie cognitivo-comportementale (TCC ; Prasko et al.,
2016), en évitant notamment les rechutes dépressives (Karwoski et al., 2006)
et sont par ailleurs susceptibles d’optimiser les effets bénéfiques de l’EMDR
(Regourd-Laizeau, 2013). Il peut également s’agir de faciliter la croissance
post-traumatique à la suite d’un grave problème de santé psychologique
(Mazor et al., 2018) ou d’une pathologie somatique chronique (cancer, sida,
pathologie cardiaque ; Hefferson et al., 2009), voire d’aider à bien vieillir en
misant sur les capacités individuelles de résilience (Aguerre, 2011).
Rappelons toutefois que bien avant l’avènement de la psychologie positive,
les questions de développement de soi et de sens conféré à l’existence ont été
prises en considération par les thérapeutes se réclamant du courant
humaniste, et ont formaté leur pratique clinique. Au demeurant, leur
démarche psychothérapeutique, essentiellement fondée sur l’exploration de
l’expérience vécue et les bienfaits de l’empathie, se prêtait mal à des
évaluations cliniques. Le développement des TCC a notamment changé la
donne en enjoignant à objectiver les bénéfices thérapeutiques, et à miser sur
des leviers de changement aux bienfaits scientifiquement bien établis. Un
exemple éloquent est celui de Masha Linehan qui a mené bon nombre de
travaux pour mettre au point une thérapie intégrative (comportementale et
dialectique) conçue pour venir en aide aux personnes présentant un trouble de
la personnalité borderline (voir Beaudoin & Aguerre, 2018, pour une
présentation de cette approche). Pour elle, il ne s’agit pas seulement de les
encourager à abandonner leurs comportements destructeurs (tentatives de
suicide, scarifications, agressivité, etc.) et de leur apprendre à réguler leurs
émotions perturbatrices pour éviter les rechutes : il s’agit aussi de les aider à
construire une vie qui vaille vraiment la peine d’être vécue.
Aujourd’hui, la psychologie positive cherche aussi à parfaire le travail
psychothérapeutique, en ne le résumant pas à une réduction de symptômes.
De la sorte, elle constitue clairement un point de rencontre intéressant entre
les différentes spécialités de la psychologie tournées vers la santé mentale et
la santé somatique. Plus précisément, elle apparaît sur le plan clinique comme
une approche complémentaire à la psychopathologie (Hamilton et al., 2006 ;
Ruini, 2017) et à la psychologie de la santé (Aspinwall & Tedeschi, 2010).
C’est selon cette perspective que l’on peut concevoir l’existence d’une
psychologie clinique positive (Johnson & Wood, 2017 ; Joseph & Linley,
2005 ; Ruini, 2017 ; Wood & Tarrier, 2010).

2. Spécificités et visées des interventions


positives
Les interventions psychologiques positives (IPP) sont des méthodes de
traitement ou des activités qui visent à cultiver des sentiments, des cognitions
ou des comportements positifs (Layous et al. 2014 ; Parks & Biswas-Diener
2013 ; Sin & Lyubomirsky, 2009). Elles ne visent pas à opérer un travail de
réduction des symptômes, du moins directement : elles ambitionnent plutôt
d’augmenter le bien-être des individus (Schueller et al. 2014), sachant que ce
dernier protège contre les rechutes psychopathologiques (Wood & Tarnier,
2010).
Dans un premier temps, les IPP ont cherché à augmenter le quota
d’émotions positives, au regard du fait qu’elles élargissent notre champ
attentionnel et favorisent l’émergence de pensées et d’actions nouvelles,
variées et exploratoires, contrairement aux émotions négatives qui tendent à
réduire notre vision de la réalité et à borner notre raisonnement, comme le
stipule le modèle de Barbara Fredrickson (2001) soulignant l’importance des
ressources. Pour ce faire, les IPP ont promu les caractéristiques positives
personnelles (forces, vertus, etc.), et les expériences de vie heureuses et/ou
optimales génératrices d’un état de flow (Nakamura & Csikszentmihalyi,
2014). Les IPP aident potentiellement aussi à se sentir socialement intégré,
pris en charge et soutenu par les autres, et à être satisfait de ses liens sociaux.
De plus, elles aident à ressentir un sentiment d’accomplissement personnel et
à conférer un sens à son existence, comme le stipule notamment le modèle
PERMA (positive emotion, engagement, relationships, meaning, et
accomplishment) proposé par Martin Seligman (Seligman, 2018).
Les IPP peuvent aussi prendre en considération les émotions et les
expériences négatives, lesquelles peuvent avoir une valeur adaptative et un
pouvoir transformateur (Held, 2002). En effet, selon Kashdan et Biswas-
Diener (2014), tendre vers une vie plaisante (quête hédonique) ne doit pas
être le seul objectif des IPP : elles doivent aussi aider à mieux fonctionner
face aux difficultés rencontrées, en dépit de limitations psychologiques et/ou
de conditions de vie défavorables (Wood & Tarrier, 2010 ; Wong, 2011). De
ce fait, les IPP promues par la seconde vague de la psychologie clinique dite
« positive » (Ivtzan et al., 2015 ; Lomas & Ivtzan, 2016) invitent à se poser
des questions existentielles sur la souffrance (au regard du fait qu’elle fait
partie intégrante de la condition humaine), et à s’interroger plus globalement
sur le sens de la vie (quête eudémonique).
Les principaux exercices et pratiques considérés comme des IPP sont listés
et décrits succinctement dans le tableau 11.1.
Tableau 11.1 – cibles et description des principales IPP ayant fait l’objet
d’études
Cibles
possibles Quelques exemples d’IPP (exercices ou pratiques) visant ces cibles
des IPP

Réorienter l’attention vers les aspects positifs de la réalité (exercice « des trois bonnes choses »),
augmenter le quota d’activités plaisantes, apprendre à savourer les moments agréables et à déployer
Plaisir
des stratégies pour freiner l’habituation hédonique (comme par exemple : se contenter de peu, varier
les plaisirs, se laisser surprendre, cultiver l’émerveillement, etc.).

Imaginer le meilleur des sois possibles, reconsidérer ses échecs (sous un angle plus positif), revoir son
Optimisme style explicatif, réviser si besoin ses attributions causales, se fixer des objectifs réalistes atteignables,
rehausser son sentiment d’auto-efficacité et d’empowerment, etc.

Forces et Identifier ses forces, les mettre en action en s’engageant dans des activités qui les mobilisent, les
vertus mettent à l’épreuve, les consolident.

Vivre des expériences optimales en s’adonnant à des activités accaparant l’attention, défiant ses
État de flow
forces, génératrices d’un état de flow.
Connexions Développer l’altruisme et la compassion en s’adonnant à des actes de bonté, en tenant un journal ou
sociales en rédigeant une lettre de gratitude, en s’adonnant à des pratiques de méditation compassionnées, en
développant ses habilités sociales, en mobilisant sur le soutien social, etc.

Identifier et respecter ses valeurs et ses priorités existentielles, se mettre au service d’autrui ou d’une
Sens de la
cause, réfléchir à la place de la souffrance dans l’existence humaine, s’engager dans une quête
vie
spirituelle.

La pratique de la pleine conscience (Parks & Biswas-Diener, 2013) peut ne


pas être considérée comme une IPP dans la mesure où elle ne mène
directement et assurément à éprouver un sentiment du bien-être. Selon
notamment une étude menée par Schlosser et al. (2019) auprès de
1 232 pratiquants la méditation depuis plus de deux mois, environ un quart
d’entre elles déclare avoir expérimenté au cours de leur pratique méditative
des turbulences émotionnelles et des pensées perturbatrices les
accompagnant. Ce constat ne remet absolument pas en cause les bénéfices de
la méditation de pleine conscience qui a toute sa place en psychologie
positive (Shankland & André, 2014), mais montre simplement que cette
pratique n’est pas dénuée d’effets indésirables, certes transitoires (Schlosser
et al., 2019).
Il en va de même avec son corollaire : l’acceptation de la réalité (Parks &
Biswas-Diener, 2013). En effet, cette dernière peut parfois être compromise
par la brutalité de l’exposition à ce qui est omis et redouté, lorsqu’elle
engendre une prise de conscience abrupte et soudaine du fait que tous les
efforts personnels déployés pour lutter contre sa souffrance s’avèrent au final
vains. Pour autant, cette résultante est considérée dans la thérapie
d’acceptation et d’engagement (ACT) comme un passage obligé vers un
changement salutaire, l’idée étant de transcender l’ambivalence à son égard
après avoir développé un état de « désespoir créatif » (Hayes, 2004).
Présenté ainsi, le principe d’acceptation s’inscrit dans le cadre des IPP de la
seconde vague de la psychologie clinique dite positive (Feeney & Hayes
2016 ; Hayes, 2013 ; Howell & Passmore, 2019).
D’autres études montrent l’intérêt de cultiver la bienveillance envers soi-
même via des pratiques méditatives de pleine conscience (Gilbert & Choden,
2015). L’autocompassion est un important facteur de résilience sur le plan
psychopathologique, puisqu’elle réduit la propension à développer des affects
négatifs en diminuant la propension à l’autocritique et aux ruminations. Il
s’agit aussi d’un précieux moyen de diminuer les souffrances physiques et de
soulager la détresse psychologique des douloureux chroniques (Aguerre &
Henry, sous presse).
Des programmes reposant sur les préceptes de la psychologie clinique
positive et/ou combinant plusieurs IPP ont été élaborés en vue d’être
proposés à des populations cliniques ou à une population exempte de
problèmes. À titre d’exemple nous pouvons citer : la thérapie du bien-être
(well-being therapy) mise au point par Fava et Ruini pour éviter les rechutes
dépressives (Blanc et al., 2018), la psychothérapie positive proposée par
Seligman et al. (2006), le programme PEPS conçu pour des patients
schizophrènes (Favrod et al., 2016), le programme ABCD (Atelier bien-être
et coping envers la douleur chronique) destiné à des personnes douloureuses
chroniques (Aguerre et al., soumis), le programme SPARKS s’adressant à
des enfants et à des adolescents (Boniwell & Ryan, 2009), et le programme
CARE s’adressant à une population tout-venant (Shankland et al., 2020).

3. Bienfaits des IPP selon les données de la


littérature
De nos jours, les IPP n’ont rien à voir avec la pensée positive préconisée par
le pasteur Norman Vincent Peale (1952), ou la méthode Coué qui consiste à
se répéter les yeux fermés et à mi-voix, comme une litanie : « Tous les jours,
à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. » Ce dernier procédé,
relevant de la maîtrise de soi via l’autosuggestion consciente, est tombé
aujourd’hui en discrédit, sachant qu’il peut avoir des effets contraires à ceux
escomptés chez les personnes ayant une faible estime d’elles-mêmes (Mruk,
2013 ; Wood et al., 2009). Les pensées et les paroles positives qu’elles
s’adressent (consistant à se répéter par exemple que l’on va bien, ou que l’on
est une personne aimable) ne suffisent pas en effet à modifier la perception
négative qu’elles ont d’elles-mêmes. Face à cet échec, leur estime de soi peut
même se détériorer. Autrement dit, l’autosuggestion positive peut produire
sur elles des effets contreproductifs, en aggravant leur état d’esprit négatif
initial.
Fordyce fait figure de pionnier en matière de conception et d’évaluation
des IPP, telles que nous les concevons de nos jours. En 1977, il a créé un
programme d’apprentissage du bonheur basé sur 14 principes directeurs (se
tenir occupé, passer plus de temps en société, développer une pensée
positive, etc.) dont il a testé les bienfaits auprès de 338 étudiants. En 1983, il
a reproposé ce programme à des étudiants sous la forme d’une autoformation
au bonheur. Ceux qui l’ont mis en œuvre ont vu leur niveau de bonheur
augmenter significativement, comparativement à ceux qui ne l’ont pas mis en
application.
Par la suite, les interventions positives ont surtout été testées auprès de
personnes dépressives (voir Csillik et al., 2012 pour une revue de question
sur le sujet), du moins dans un premier temps. Deux méta-analyses se sont
penchées sur leurs bienfaits : celle qui a été réalisée par Sin et Lyubomirsky
(2009) a fait état d’effets de taille plus importants des IPP sur le bien-être (r
= 0,29) et la dépression (r = 0,31) que la méta-analyse réalisée par Bolier
et al. (2013). En examinant leur démarche méthodologique respective, White
et al. (2019) se sont aperçus que le calcul des effets de taille portait parfois
sur de faibles échantillons (White et al., 2019). In fine, il s’avère que les IPP
ont un effet moins important qu’on ne le pensait sur le bien-être des
personnes dépressives, voire que leur incidence n’est pas franchement
évidente à établir compte tenu de l’existence de ces biais statistiques. Aussi,
White et al. (2019) préconisent fortement de mener à l’avenir des études
d’efficacité des IPP sur des effectifs plus importants de patients.
En 2018, une méta-analyse regroupant les données de trente études et
portant sur un total de 1 864 personnes atteintes de désordres psychiatriques
ou somatiques a été menée par Chakhssi et al. Globalement, il en ressort que
les IPP diminuent significativement leur détresse psychologique, comparées à
des conditions contrôles (diverses et variées), que ce soit à court terme, ou
deux à trois mois après l’essai clinique. Plus précisément, les IPP ont des
effets bénéfiques modérés sur l’état anxieux, et faibles sur l’état dépressif, de
même que sur le sentiment de bien-être. Elles ne réduisent pas en revanche le
stress perçu. Des effets de taille similaires sont trouvés pour les personnes
souffrent de pathologies somatiques (cancer, sida, maladies cardiaques,
diabète de type 2, traumatisme cérébral, douleurs chroniques), comparées à
celles présentant plutôt une détresse psychologique (personnes dépressives,
anxieuses, psychotiques, souffrant de grandes dysrégulations émotionnelles,
d’addictions diverses, d’un état de stress post-traumatique, etc.). Au
demeurant, ces constats positifs sont à prendre avec précautions, la qualité
des études examinées étant faible à modérée.
En 2020, pas moins de trois méta-analyses se sont repenchées sur les effets
des IPP, en veillant à répondre à une plus grande rigueur méthodologique
(Geerling et al., 2020 ; Hendriks et al., 2020 ; Koydemir et al., 2020). La
première d’entre elles, réalisée par Geerling et al. (2020) porte sur seize
études menées auprès de 729 personnes atteintes de pathologie mentales
sévères, diverses et variées, à savoir : état dépressif majeur, trouble bipolaire,
schizophrénie et trouble de la personnalité borderline. Primo, on constate que
l’efficacité des IPP est supérieure à l’absence de prise en charge
psychologique, ou à une prise en charge proposée de manière différée. Mais
contre toute attente, cette méta-analyse nous apprend que les IPP ne
rehaussent pas de manière significative le niveau de bien-être initial de
l’ensemble des personnes présentant d’importants problèmes psychologiques,
et n’améliorent pas non plus de façon tangible leur état de santé mental,
comparativement à d’autres types de prises en charge psychologique plus
classiquement proposées, telles qu’une TCC traditionnelle, ou un
entraînement à des pratiques de médiation de pleine conscience. Toutefois, un
examen plus approfondi des données recueillies montre que les personnes
présentant un état dépressif sévère retirent davantage de bénéfices des IPP
que les patients souffrant de schizophrénie dont le niveau de bien-être initial
demeure, lui, inchangé, ce qui est d’ailleurs aussi le cas de figure des
personnes souffrant d’autres désordres mentaux sévères et/ou caractérisés par
de multiples comorbidités.
Une seconde méta-analyse a été réalisée en 2020 par Hendriks et al. (2020).
Elle porte elle sur 50 essais cliniques dont les résultats ont été publiés
entre 1998 et 2018. Dans un premier temps ils établissent le constat que
les IPP combinant plusieurs types d’exercices et de pratiques rehaussent peu,
ou au mieux modérément, le niveau de bien-être initial, et qu’il en est
sensiblement de même pour la diminution de l’humeur dépressive. En
revanche, les IPP parviennent à améliorer un peu l’état anxieux de base, et le
niveau initial de stress perçu. Après avoir corrigé certains biais
méthodologiques et statistiques, Handricks et al. (2020) confirment les
bienfaits des IPP sur le bien-être subjectif et l’état anxiodépressif, nonobstant
le fait qu’ils aient été un peu surestimés dans un premier temps. A contrario,
les effets bénéfiques des IPP sur le stress perçu, qui avaient été auparavant
jugés assez minimes, s’avèrent au final franchement significatifs. Pour
Hendricks et al. (2020), force est donc d’admettre que la qualité des études
menées compte beaucoup dans l’appréciation de leurs résultats, les études lui
paraissant les plus exigeantes sur le plan méthodologique étant
majoritairement menées dans les pays occidentaux.
Koydemir et al. (2020) ont également effectué une méta-analyse pour mieux
cerner l’ampleur des bienfaits des IPP sur le bien-être subjectif et
psychologique, en veillant à ne sélectionner que les recherches scientifiques
les plus rigoureuses. Leur travail porte sur soixante-huit études évaluant
l’évolution du niveau de bien-être ressenti par 16 085 personnes ne présentant
pas de troubles cliniques, après qu’elles ont suivi une IPP centrée sur
l’augmentation de leurs émotions positives (recherche hédonique), ou
une IPP visant à conférer du sens à leur existence (recherche eudémonique),
ou une IPP combinant ces deux objectifs. Ils constatent que ces trois IPP
augmentent significativement le bien-être de l’ensemble des personnes, avec
une taille d’effet globale (d de Cohen) de l’ordre de .23, qui est seulement
de .08 lorsque l’IPP prône uniquement l’hédonisme, et de .22 lorsque l’IPP
promeut uniquement l’eudémonisme. Les effets des IPP sont décuplés
lorsqu’elles allient démarche hédonique et démarche eudémonique (d de
Cohen égal à .43).

4. Paramètres susceptibles de modifier les


bienfaits des IPP
En règle générale, les IPP proposées en individuel génèrent davantage de
bienfaits que les IPP pratiquées en groupe, notamment lorsqu’il s’agit de
traiter un état dépressif (Sin & Lyubomirsky, 2009), ou d’apprendre à
pardonner (Baskin & Enright, 2004). Qui plus est, les personnes qui
continuent à pratiquer seules des activités positives apprises en groupe, en
retirent davantage de bienfaits que celles qui cessent de s’adonner à ces
pratiques une fois les séances en groupe terminées (Sin & Lyubomirsky,
2009). Bien qu’un travail individuel puisse suffire pour rehausser
significativement son niveau bien-être initial (Sin & Lyubomirsky, 2009), il
n’en demeure pas moins que les IP auto-administrées procurent moins de
bienfaits que celles qui sont pratiquées dans le cadre d’une thérapie
individuelle ou de groupe. À titre d’exemple, l’exercice consistant à
s’imaginer sous son meilleur jour (best possible self) porte davantage ses
fruits lorsqu’il est suivi d’un partage d’expérience, que lorsqu’il est proposé
en ligne et n’invite pas à se connecter positivement aux autres (Layous et al.,
2013).
Les IPP brèves donnent, quant à elles, de moins bons résultats immédiats
que les IPP s’étalant sur une durée plus longue (Koydemir et al., 2020). Ces
dernières s’avèrent particulièrement précieuses pour traiter des problèmes
dépressifs et accroître le bonheur (Sin & Lyubomirsky, 2009). Cet état de fait
souligne l’importance de promouvoir un entraînement aux pratiques positives
enseignées, leur expérimentation au long cours favorisant l’implémentation
durable de nouvelles postures (émotionnelles, mentales et comportementales)
salutaires pour la santé. En outre, les IPP pratiquées en ligne donnent bien
souvent de moins bons résultats que les IPP proposées en face-à-face
(Koydemir et al., 2020). Toutefois, elles sont susceptibles d’attirer les
personnes qui trouvent plus confortable de se livrer à distance (Vella-
Brodrick & Klein, 2010). Il convient aussi de contrecarrer le phénomène
d’habituation hédonique pour faire perdurer l’enthousiasme à pratiquer
(Sheldon et al., 2013). Pour ce faire, mieux vaut varier la nature des IPP ou la
manière dont on les propose, afin que leurs effets bénéfiques sur le bien-être
ne s’amenuisent pas trop vite, quand bien même les exercices et les pratiques
de psychologie positive apparaissent généralement particulièrement attractifs
et faciles à réaliser.
De plus, mieux vaut respecter les préférences des personnes en matière
d’IPP (Schueller, 2010), pour les motiver intrinsèquement à s’y adonner,
rendre plus enclin à suivre les instructions fournies et à appliquer les conseils
prodigués (Sin et al., 2011). Cela suppose de prendre notamment en
considération les besoins, les centres d’intérêt, les valeurs et les priorités
existentielles des personnes, mais aussi la nature de leurs forces
psychologiques (Lyubomirsky et al., 2005). À titre d’illustration, une
personne sociable va probablement juger plus gratifiant pour elle et conforme
à ses valeurs de se tourner vers les autres en s’adonnant à des actes de
gentillesse, que de pratiquer des exercices autocentrés tels que décrire de
manière détaillée ses forces psychologiques pour les louer, ou rédiger une
lettre bienveillante envers soi-même (Layous et al., 2013). Autre exemple :
les IPP auxquelles les personnes dépressives souscrivent librement, en
connaissance de cause (sachant que ces IPP peuvent les rendre plus
heureuses), s’avèrent plus efficaces pour traiter leurs problèmes
psychologiques et augmenter leur niveau bien-être initial, que des IPP
imposées, auxquelles elles n’ont pas forcément consenti (Sin &
Lyubomirsky, 2009). L’acceptabilité des IPP dépend aussi en partie du profil
de personnalité des personnes auxquelles elles s’adressent (Senf & Liau,
2013), plus spécifiquement de leur propension à l’agréabilité (Mongrain
et al., 2018) et à l’extraversion (Schueller, 2012) qui peut conditionner, du
moins en partie, leur propension à entrer en relation avec autrui.
Notons par ailleurs que les IPP apportent davantage de bienfaits aux
personnes dépressives qu’aux personnes exemptes de problèmes
psychologiques (Sin & Lyubomirsky, 2009). Ce résultat d’étude est
cependant à nuancer, dans la mesure où les personnes dépressives bénéficient
bien souvent de la part de leur thérapeute de conseils avisés et d’une attention
bienveillante, contrairement aux personnes bien portantes qui sont
généralement livrées à elles-mêmes pour rehausser leur niveau de bien-être
(IPP auto-administrées). Qui plus est des IPP peuvent s’avérer
particulièrement bénéfiques pour certaines personnes dépressives (Layous &
Lyubomirsky, 2011), mais inefficaces, voire néfastes, pour d’autres (Sergeant
& Mongrain, 2011 ; Sin et al., 2011). Cela nous enjoint à prendre davantage
en considération les différences interindividuelles en matière d’efficacité
des IPP proposées (Antoine et al., 2018 ; Cognard et al., 2020), en vue de les
personnaliser au mieux (Schueller, 2011).
Les IPP sont aussi davantage couronnées de succès lorsqu’elles s’adressent
à des personnes disposant d’un bon soutien social (Sin et al., 2011). Celui-ci
peut en effet s’avérer précieux pour renforcer la confiance en soi et soutenir
les efforts déployés, tout particulièrement dans les moments difficiles sapant
la motivation et l’enthousiasme initial. Les proches sont parfois aussi sources
d’inspiration pour pratiquer certaines activités positives, par exemple en tant
que destinataires d’une lettre de gratitude. Enfin, leurs feedback positifs
aident à conscientiser l’existence de certaines forces psychologiques (bonté,
authenticité, etc.), mais aussi l’importance des efforts fournis et l’ampleur des
progrès accomplis par une personne en quête de bien-être. Enfin, il convient
de faciliter l’accès aux IPP aux personnes physiquement malades, isolées
et/ou rencontrant des difficultés économiques (Weiss et al., 2020).
En outre, il est bon de garder à l’esprit que certaines IPP sont socialement
davantage plébiscitées au sein de certaines cultures. Dans une méta-analyse
sur la question orchestrée par Hendriks et al. (2018), les données issues de
7 516 études portant sur vingt-neuf essais cliniques différents ont été
compilées en vue de déterminer si les IPP donnent des résultats comparables
selon le contexte culturel du pays dans lequel elles sont pratiquées. Il en
ressort que les Occidentaux en retirent globalement plus de bienfaits que les
Orientaux sur le plan de l’amélioration de leur bien-être (qui se voit
modérément rehaussé par leur truchement), et du traitement de leur état
anxiodépressif (plus considérablement améliorable par leur entremise chez
les Occidentaux). Toutefois, la prudence est de mise pour l’interprétation de
ces résultats, au regard de la piètre qualité méthodologique de certaines
études prises en considération dans cette méta-analyse. Notons en outre que
l’acceptabilité des IPP est variable selon les pratiques considérées, proposées
dans une culture donnée. À titre d’exemple, s’il est valorisé d’exprimer sa
gratitude dans les contextes sociétaux prônant la solidarité entre les êtres
humains (par exemple en Inde ou à Taïwan), c’est moins le cas dans des
environnements culturels louant plutôt l’individualisme (par exemple aux
États-Unis), ce qui peut subséquemment moduler (à la hausse ou la baisse)
l’efficacité de cette pratique (Shin et al., 2020).

5. Préconisations cliniques pour mener à


bien des IPP dans un cadre
psychothérapeutique
5.1 Déroulé type des IPP, étape par étape
Dans le cadre d’une démarche thérapeutique, la mise en place d’une IPP
doit selon nous se fonder sur une conceptualisation préalable du cas clinique,
prenant tout autant en considération ses problèmes et ses difficultés, que ses
ressources. Cet état des lieux se démarque donc un peu de l’analyse
fonctionnelle telle qu’elle est classiquement réalisée au démarrage d’une
thérapie cognitivo-comportementale (TCC) en vue d’identifier une situation
problème, les cognitions dysfonctionnelles qu’elles activent, les émotions
perturbatrices qu’elles génèrent, et les comportements inadaptés qui leur sont
subséquents. Dans le cas d’une TCC intégrant des IPP, il s’agit aussi de
cerner les attentes positives de la personne, comme le préconise notamment
Christine Padesky (2020), arguant qu’elle seule sait in fine ce qui est bon
pour elle. Mais en prendre pleinement conscience requiert parfois selon
Bannink (2013, 2014, 2017) de l’aider à imaginer à quoi pourrait bien
ressembler son existence si un miracle se produisait, faisant disparaître par
magie tous ses problèmes de santé actuels (exercice du « meilleur des sois
possibles » ; Sheldon & Lyubomirsky, 2006). Cet exercice permet
notamment d’identifier sur quels critères de jugement va se fonder la
personne pour savoir si un changement positif s’est opéré dans sa vie
(« Quelle sera la première chose que vous remarquerez demain matin qui
vous indiquera qu’un miracle s’est produit durant la nuit passée ? »). Cela
suppose de sa part de parvenir à concevoir les conséquences concrètes que ce
changement positif est susceptible d’avoir sur elle-même et son entourage
(« Que ferez-vous différemment qui vous indiquera, ou indiquera aux autres,
qu’un miracle s’est produit durant la nuit ? »). En l’invitant à visualiser un
monde meilleur, exempt de problèmes, celle-ci peut reprendre espoir et
nourrir une motivation intrinsèque envers le changement.
Une fois les objectifs à atteindre fixés, il peut s’avérer utile de repérer les
préférences individuelles en matière d’exercices à pratiquer (Schueller, 2010 ;
Nelson & Lyubomirsky, 2014). Pour ce faire, mieux vaut offrir la possibilité
de tester un large éventail de pratiques positives, en vue que les personnes
puissent choisir celles qui leur conviennent le mieux, et auxquelles elles
s’adonneront par voie de conséquence plus volontiers, en toute autonomie. À
cet égard, Parks et al. (2012) notent que les activités et les pratiques positives
nécessitant des efforts (cognitifs et comportementaux) peuvent s’avérer
problématiques pour certaines personnes dépressives, si leur état de santé
altéré se caractérise par des difficultés d’attention et de concentration. À titre
d’illustration, elles risquent de rencontrer des difficultés pour mobiliser leurs
ressources psychologiques en vue d’expérimenter des activités dites
optimales (relevant d’un défi librement imposé, générant un état de flow).
Aussi, certaines IPP peuvent s’avérer contre-productives pour les personnes
dépressives en grande détresse psychologique, bien souvent en proie à des
sentiments d’impuissance qui les empêchent de passer à l’action, les
démotivent, voire les amènent à chercher en dehors d’eux-mêmes des
solutions (Sergeant & Mongrain, 2011 ; Sin et al., 2011 ; Parks et al. 2012).
A contrario, les pratiques visant à augmenter le quota d’émotions positives
sont a priori tout à fait abordables et appropriées pour aider les personnes
dépressives à contrecarrer leurs émotions négatives (Fredrickson, 2001,
2009 ; Layous & Lyubomirsky, 2011), a fortiori si elles éprouvent des
difficultés à éprouver du plaisir (anhédonie), à condition toutefois que les
moments heureux sont pleinement conscientisés mas surtout pas analysés
(Lyubomirsky et al., 2006). Il convient aussi de promouvoir l’observation de
soi dénuée de jugements (self monitoring) pour aider la personne à repérer
ses croyances limitantes envers le bonheur et le bien-être, et les conséquences
que cela peut avoir (sur le plan émotionnel et comportemental). Ce mode de
recueil de données est d’ailleurs préconisé dans la thérapie du bien-être de
Fava et Ruini (telle qu’elle est décrite par Blanc et al., 2018). Il fait partie
intégrante du dispositif d’évaluation clinique, et constitue une source
d’enseignements précieuse pour progresser vers un changement de vie plus
épanouissant. Le recours à l’imagination, mais aussi à des analogies, des
métaphores et des poèmes (par exemple celui de Rûmi intitulé « La Maison
d’hôte »), aide aussi grandement à comprendre et à mentaliser ce qui se joue
psychologiquement, et à se mobiliser de façon adaptée subséquemment, pour
tendre vers un plus grand état de bien-être.
Durant une IPP, il importe aussi de déceler les points forts de la personne lui
permettant d’éviter la survenue éventuelle de rechutes, dépressives ou autres,
ou d’y faire face si besoin de la manière la plus adéquate. Pour ce faire,
Padesky et Mooney (2012) demandent à leurs patients d’imaginer comment
ils pourraient s’y prendre en post-traitement pour préserver de façon durable
leur état de santé et leur bien-être. Pour ce faire, ils sont invités à décrire la
singularité de leur cheminement psychologique vecteur de résilience, en
dissociant quatre étapes successives :
1. identifier ses points forts face à ses problèmes de santé ;
2. décrire son processus habituel de résilience ;
3. le transposer à la gestion au long cours de ses problèmes de santé (risquant
à nouveau d’advenir) ;
4. le déployer concrètement.
Plus globalement, identifier les ressources des patients les aide à positiver
l’image qu’ils se font d’eux-mêmes et de leurs possibilités d’évolution
(Bellier-Teichmann et al., 2017). Ainsi, ils sont mieux à même de les
exploiter en vue de tendre vers un rétablissement complet.
5.2 Style thérapeutique à adopter et points de
vigilance clinique
Un bon moyen de promouvoir chez les personnes le développement
d’émotions positives en vue d’élargir le champ de leurs pensées et de leurs
actions, est d’adopter un style thérapeutique centré sur les solutions (Bannink
& Jackson, 2011), en vue de défocaliser leur attention des problèmes qu’ils
rencontrent, comme cela est d’ailleurs préconisé dans le programme
CARE. Pour ce faire, il est bon de leur poser des questions ouvertes les aidant
à identifier la nature et l’ampleur des progrès thérapeutiques qu’ils ont
accomplis (« Comment savez-vous que le problème a été résolu ? »,
« Qu’est-ce qui est dorénavant mieux ? » « Comment savez-vous que cette
séance a été utile ? »), mais aussi à prendre pleinement conscience des types
de ressources (internes et externes) et des compétences qu’ils ont réussi à
mobiliser pour induire les changements salutaires constatés (« Comment
avez-vous réussi à faire cela ? », « Comment avez-vous décidé de faire
cela ? », « Qu’est-ce qui a bien fonctionné selon vous ? »). Cette manière
d’animer les séances requiert que le thérapeute soit empathique et
bienveillant à l’égard de son patient dont il va essayer de gagner la confiance,
en vue d’instaurer un climat de travail collaboratif, de manière que tous les
deux se sentent impliqués dans la recherche et la coconstruction de solutions
(Bannink & Jackson, 2011). L’authenticité du thérapeute et sa capacité à se
dévoiler peuvent de surcroît contribuer à libérer la parole du patient en
favorisant le partage de ressentis et d’expériences, tout en veillant à instaurer
un cadre thérapeutique préservant la vie privée du soignant (Riches et al.,
2020). Cette transparence est parfois préconisée dans le cadre d’IPP destinées
à des patients psychotiques (Riches et al., 2020), comme cela se fait
d’ailleurs depuis longtemps dans le cadre de la thérapie comportementale et
dialectique (TCD) que Marsha Linehan a conçu pour venir en aide à des
personnes présentant un trouble de la personnalité borderline (voir Beaudoin
& Aguerre, 2017 pour une présentation détaillée de cette approche). Le
recours à des techniques empruntées à l’entretien motivationnel contribue de
surcroît à faire émerger ou à consolider la disposition personnelle au
changement (Aguerre et al., 2015), via notamment une prise en considération
de ses forces psychologiques (Csillik, 2015).
Une attention particulière devrait selon nous être davantage accordée aux
freins individuels envers le bonheur et le bien-être (Gilbert et al., 2015) qui
peuvent s’exprimer sous forme de pensées dysfonctionnelles entravantes, du
type : « Je ne suis pas capable de m’occuper de mon bien-être », « Je n’ai pas
le droit au bonheur », « Mieux vaut que je m’occupe des autres que de moi-
même », « Être bienveillant envers soi-même est un signe de faiblesse »,
« Que va-t-on penser de moi si je prends soin de moi ? », « Je ne mérite pas
d’être heureux », etc. En effet, il arrive que la quête d’un changement, aussi
positif soit-il, génère un chamboulement émotionnel, mais aussi un
questionnement existentiel inconfortable. Des pensées limitantes peuvent
faire faire l’objet d’un travail de restructuration cognitive, comme c’est le cas
dans la thérapie du bien-être proposée par Fava et Ruini. Chez les patients en
souffrance physique ou morale, les pratiques expérientielles
d’autocompassion peuvent de surcroît raviver des souvenirs infantiles
douloureux, de manque affectif ou d’abandon, en réactivant des schémas de
pensées dysfonctionnels sources d’affects pénibles et inconfortables (Aguerre
& Henry, sous presse). Notons que cette déstabilisation psychologique
s’accompagne parfois d’un sentiment de culpabilité, voire d’un sentiment de
honte. Conséquemment, il est bon de chercher à comprendre pourquoi la
connexion aux autres pose parfois problème à certains patients (Klussman
et al., 2020). C’est par exemple le cas si ces derniers présentent un
attachement insécure qui les amène à ne compter que sur eux en cas de
besoin, ou à se méfier de l’aide accordée, voire à ressentir une dette envers
les personnes sur lesquelles elles peuvent compter.

6. Questions restant à élucider


Nonobstant ces constats prometteurs, quelques interrogations demeurent. Il
s’avère tout d’abord indispensable d’approfondir les recherches entreprises
pour confirmer les bienfaits des IPP sur le bien-être, mais aussi le mal-être
physique et mental, tout en comparant leurs effets à ceux d’autres modes de
prises en charge psychologiques, plus usuels (TCC, ACT, etc.). Il convient
aussi de mieux déterminer quelles combinaisons et fréquences d’exercices
et/ou de pratiques permettent d’obtenir des bienfaits optimaux, après avoir
mis en lumière les ingrédients actifs des IPP. Pour ce faire, nous devons nous
doter d’outils, adaptés et validés en langue française, nous permettant
d’évaluer les bienfaits et les limites des IPP. Il faudrait par ailleurs
s’employer à préciser davantage les indications thérapeutiques des IPP, en les
testant auprès de diverses populations cliniques souffrant de différents
troubles psychologiques et/ou somatiques, s’accompagnant plus ou moins de
comorbidités. Il importe ici de mieux répondre au mieux aux besoins des
patients, en se basant sur certaines caractéristiques de leur mode de
fonctionnement psychologique (Parks et al., 2012). Pour ce faire, nous
devons inscrire nos investigations dans le cadre d’une démarche
clinimétrique telle que la conçoivent Fava et al. (2018). Il s’agit selon eux
d’élargir le regard clinique, de ne pas le borner au repérage diagnostique, de
l’étendre au repérage des besoins et des attentes psychologiques des patients
en matière de bien-être. Enfin, des suivis individuels au long cours s’avèrent
indispensables pour certifier et clarifier les bienfaits à long terme
des IPP. Plus précisément, il convient de décrire les trajectoires évolutives et
leur dynamique sous-jacente, lesquelles peuvent sensiblement différer d’un
individu à l’autre. Pour ce faire, la méthode d’échantillonnage d’expériences
paraît tout indiquée (Versluis et al., 2016 ; Congard et al., 2020), voire des
analyses qualitatives de discours en vue de spécifier la nature de leur vécu
(Geschwind et al., 2020).
Afin d’optimiser l’efficacité des IPP et de garantir leurs effets à long terme,
il incombe aussi aux chercheurs et aux praticiens de chercher à élucider
comment les changements psychologiques s’opèrent (Quoidbach et al.,
2015 ; Wellenzohn et al., 2016). Plus spécifiquement, il importe de vérifier
dans quelle mesure les bienfaits des IPP résultent d’un recalibrage du ratio
émotions positives versus émotions négatives, la présence massive d’affects
négatifs étant propice à l’émergence de troubles psychopathologiques
(Garamoni et al., 1992), tout comme d’ailleurs un trop-plein d’émotions
positives (Wood & Tarrier, 2010). Selon Quoidbach et al. (2014), mieux vaut
en fait promouvoir l’émodiversité, en diversifiant le plus possible la gamme
des émotions ressenties (Quoidbac et al., 2014). À titre d’illustration, mieux
vaut que les personnes dépressives, habituées à expérimenter une grande
variété d’affects négatifs (tristesse, peur, colère, culpabilité, etc.), élargissent
leur gamme d’expériences émotionnelles positives en vue d’éviter les
rechutes (Werner-Seidler et al., 2018). Notons que l’émodiversité participe de
surcroît au bon fonctionnement somatique en réduisant l’activité
inflammatoire (Ong et al., 2018).
En vue d’expliquer le maintien des gains thérapeutiques, il est également
nécessaire de mieux comprendre les rouages du processus de changement
amorcé, en vue de le modéliser. Ce challenge explicatif nécessite de mieux
cerner le rôle de certaines variables, médiatrices ou modératrices2, envisagées
comme des éléments de réussite thérapeutique. Cela nous invite notamment à
nous intéresser à la manière dont les IPP parviennent à réguler les émotions
(Quoidbach et al., 2015). La flexibilité psychologique apparaît de surcroît
comme un gage de bonne santé (Kashdan & Rottenberg, 2010) qui peut se
développer grâce à des IPP, comme l’attestent des études menées sur la
plasticité cérébrale (Garland et al., 2010).

Conclusion
L’approche promue par la psychologie positive et les applications pratiques
novatrices qui en découlent présentent selon nous une valeur ajoutée
intéressante sur le plan clinique, comme nous avons essayé de le démontrer et
de l’illustrer ci-avant. Elle nous amène à adopter une vision élargie du mode
de fonctionnement des personnes, davantage holistique et intégrative. Il s’agit
en effet de prendre tout autant en considération leurs difficultés
psychologiques, que leurs ressources biopsychosociales, voire spirituelles.
In fine, la pratique clinique des IPP devrait s’inscrire selon Joseph et Linley
(2006), dans le cadre d’une métathéorie permettent de les situer par rapport à
ce qui se fait habituellement sur le plan psychothérapeutique, par exemple
dans le cadre de la 3e vague des TCC avec laquelle elle partage des
dénominateurs communs (pratique de la pleine conscience, intérêt apporté au
principe d’acceptation, etc.). Ce type de réflexion questionne aussi
l’importance que l’on accorde aux techniques promues par la psychologie
positive (facteurs de changement spécifiques aux IPP), versus l’importance
que l’on accorde à la relation thérapeutique (facteur non de changement non
spécifique aux IPP). Cet abord compréhensif nous convie également à
réfléchir à la manière dont on conçoit l’existence humaine, à une époque
donnée et dans un contexte sociétal particulier, et les possibilités de
changement salutaire qui en découlent.
Nous espérons vivement que la synthèse des données scientifiques et
cliniques que nous avons réalisée permettra de plaider en faveur des IPP, en
tant que valeur ajoutée à l’arsenal psychothérapeutique existant, dont elles
complètent, optimisent et prolongent les bienfaits. Chercheurs et cliniciens
sommes intimement persuadés qu’il sera à l’avenir de plus en plus
envisageable d’accroître les chances des personnes malades de tendre vers un
rétablissement complet, de ressentir un sentiment de bien-être, voire
d’expérimenter un état de santé optimal, tout comme cela est a priori plus
aisément concevable pour des personnes bien portantes.

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documents, Genève.
1. Par Colette Aguerre.
2. Alors qu’une variable médiatrice nous renseigne sur comment et pourquoi un certain effet a lieu, une
variable modulatrice explique quand et sous quelles conditions cet effet se produit (Brauer, 2000).
Chapitre 12
Les ressources
psychologiques : modèles
théoriques et applications1

Sommaire
1. Que sont les ressources et quelles sont leurs
approches et modèles théoriques ?
2. Le rôle protecteur et facilitateur de la croissance
psychologique des ressources psychologiques
3. Nouveaux développements et perspectives
Bibliographie
Résumé court
Ce chapitre porte sur les principaux modèles de ressources en
psychologie, leurs mécanismes d’action et leur utilité. Des travaux
de recherche très récents portant sur le rôle des ressources seront
présentés ainsi que les derniers développements, les perspectives
et les applications.
Résumé long
Les ressources psychologiques dont disposent les personnes ont
été ignorées pendant longtemps dans la recherche en
psychologie. En effet, les modèles centrés sur le déficit et la
pathologie ont été utilisés au détriment d’autres modèles plus
complets comme celui de la psychologie positive. Ce chapitre
porte sur les principaux modèles de ressources en psychologie,
leurs mécanismes d’action et utilité. Des travaux de recherche très
récents portant sur le rôle des ressources seront présentés ainsi
que les derniers développements, les perspectives et les
applications.

Mots-clés : bien-être, bienveillance envers soi, facteurs


protecteurs, qualité d’attachement, pandémie covid-19, ressources
psychologiques.
Questions
• Que sont les ressources psychologiques et quelles sont leurs
approches et modèles théoriques ?
• Quel est le rôle des ressources psychologiques et quels sont
leurs domaines d’application ?
• Quels sont les nouveaux développements ?

1. Que sont les ressources et quelles sont


leurs approches et modèles théoriques ?
Les ressources psychologiques dont disposent les personnes ont été ignorées
pendant longtemps dans la recherche en psychologie. En effet, les modèles
centrés sur le déficit et la pathologie ont été utilisés au détriment d’autres
modèles plus complets comme celui de la psychologie positive. Le courant de
pensée de la psychologie positive propose un nouvel abord plus équilibré, où
l’accent est mis sur les ressources et forces de la personne, conjointement
avec l’étude de la pathologie et des troubles. Il s’agit ici d’aborder et de
prévenir et/ou soigner les troubles mentaux sous un angle radicalement
différent : en cultivant les ressources psychologiques, le bien-être, les
émotions positives, et le sens de la vie plutôt qu’en visant uniquement la
réduction des symptômes.

1.1 Premiers modèles basés sur les


ressources
Les premiers modèles basés sur les ressources en psychologie au sens large
(ressources-based views of human adaptation) se sont intéressés aux
ressources de l’adaptation contre le stress, qui facilitent un coping adaptatif.
Ces modèles ont émergé à la suite de la Seconde Guerre mondiale. En effet,
c’est dans ce contexte particulier d’après-guerre que les chercheurs ont essayé
de comprendre pourquoi certaines personnes développaient des troubles
psychopathologiques à la suite du combat, alors que d’autres étaient
résilientes (Grinker & Spiegel, 1945). Caplan (1964, 1974) a complété ces
travaux par la suite. Travaillant en Israël après la guerre, notamment sur les
conséquences des catastrophes, Caplan a été impressionné par la capacité de
certaines personnes de maintenir leur santé mentale dans ces circonstances
extrêmement stressantes et éprouvantes. Il a ainsi mis en évidence deux
ressources clés : d’une part une ressource interne, le sens de la maîtrise (sens
of mastery) et, d’autre part, un aspect en lien avec l’environnement social, à
savoir le soutien social. On distingue, d’une part, les ressources
psychologiques, qui sont des facteurs internes, des dispositions
psychologiques que possèdent une personne et, d’autre part, les ressources
environnementales extérieures, dont notamment le soutien social, en plus des
ressources économiques, biologiques et culturelles (voir Csillik, 2017 pour
une synthèse).
Pendant longtemps, les travaux de recherche se sont focalisés sur les
ressources sociales et leurs effets protecteurs contre le stress. Les domaines
émergents de l’épidémiologie de la santé et de la psychologie de la santé ont
donné un nouvel élan aux théories de la santé. À titre d’exemple, les travaux
de Nuckolls, Cassel et Kaplan (1972) ont constaté que la combinaison d’un
stress élevé et d’un manque de ressources sociales était liée à la fois aux
risques psychologiques et aux risques pour la santé physique de la mère et de
l’enfant.
Un des modèles les plus utilisés dans le domaine du stress est le modèle
transactionnel de Lazarus et Folkman (1984), qui a mis l’accent sur le rôle
des ressources au sens large. Dans cette approche, la présence ou le manque
des ressources ont été envisagés comme des sources de stress conduisant à la
mobilisation des processus d’évaluation et d’adaptation. La mesure dans
laquelle les personnes jugent quelque chose comme menaçant et les choix
d’adaptation qu’ils font sont largement influencés par les ressources dont
elles disposent pour répondre aux menaces ou défi (Lazarus & Folkman,
1984). Selon ce modèle, les ressources internes et externes influencent la
manière dont la personne fait face à ce qu’il interprète comme un défi. Le
stress correspond ici à une menace pour le sujet dont les ressources sont
perçues comme insuffisantes.
Les ressources liées au contrôle perçu ont été pendant longtemps les
ressources psychologiques les plus couramment étudiées dans la recherche
empirique. Ceci est probablement dû au fait que la mesure dans laquelle les
personnes se sentent en contrôle de leur vie peut influer sur la manière dont
elles perçoivent, réagissent et résolvent les problèmes (Turner & Roszell,
1994). Les plus étudiées dans ce contexte ont été : le contrôle interne versus
externe (Seligman, 1975), la maîtrise (Pearlin & Schooler, 1978) ou l’auto-
efficacité (Bandura, 1997). C’est ce dernier concept qui a reçu la plus grande
attention dans la recherche en psychologie. L’auto-efficacité a d’abord été
considérée comme une caractéristique liée à un défi bien précis (Bandura,
1997). Cette notion se réfère à l’évaluation par la personne de sa capacité de
réussir dans un domaine spécifique. Ainsi, selon la théorie de l’apprentissage
social de Bandura, des processus psychologiques créent et renforcent des
attentes d’efficacité personnelle. Bandura (2002, p. 63) définit le sentiment
d’efficacité personnelle ou l’auto-efficacité perçue comme une capacité
productrice au sein de laquelle les sous-compétences cognitives, sociales,
émotionnelles et comportementales doivent être organisées et harmonisées
efficacement pour servir de nombreux buts. De nombreuses études
soutiennent cette théorie, montrant que les croyances d’efficacité modifient
les processus cognitifs, le niveau de motivation et son maintien, ainsi que les
états émotionnels, tous ces éléments contribuant fortement aux types de
performances obtenues. Les personnes doutant de leurs capacités dans des
secteurs particuliers d’activité évitent les tâches difficiles dans ces domaines,
ont des difficultés à se motiver et diminuent leurs efforts ou renoncent
rapidement devant les obstacles. Elles expriment des aspirations réduites et
une faible implication vis-à-vis des objectifs qu’elles décident de poursuivre.
À l’inverse, les personnes qui croient fortement en leurs possibilités abordent
les tâches difficiles comme des défis à relever plutôt que comme des menaces
(voir Bandura, 2002, pour une synthèse). L’auto-efficacité a été associée à un
meilleur bien-être physique et émotionnel et à une meilleure résistance au
stress face à tout type de situation, allant des petits tracas aux tragédies
majeures (Bandura, 1997).
L’auto-efficacité est généralement comprise selon la théorie de Bandura
comme étant spécifique à un domaine ou à une tâche bien délimitée
(e. g. activité physique, conduite d’une automobile, abstinence d’un produit
toxique dans le cas d’une addiction, etc.). Cependant, certains chercheurs ont
proposé une approche généralisée de l’auto-efficacité, qui fait référence dans
ce cadre à une ressource personnelle stable, utile pour faire face de façon
efficace au stress dans une variété de situations stressantes (Schwarzer &
Jérusalem, 1995). Le sentiment d’efficacité personnelle générale est donc la
confiance globale d’une personne en ses propres capacités à faire face et à
réussir dans un large éventail de demandes et de situations stressantes de la
vie (Schwarzer, 1993). L’auto-efficacité générale reflète donc une
généralisation des auto-évaluations des compétences d’une personne dans
différents domaines de fonctionnement. Ceux qui possèdent cette disposition
sont plus susceptibles de se considérer comme ayant la capacité d’exercer une
influence efficace sur leur environnement et d’accomplir leurs objectifs.
Une autre ressource qui a reçu une attention marquée de la recherche est
l’optimisme dispositionnel (Scheier & Carver, 1985, 1992 ; Carver &
Scheier, 1998), étudié dans de très nombreux contextes. La recherche sur
cette disposition a commencé il y a environ trente ans avec la création du test
d’orientation de la vie (Life Orientation Test, Scheier & Carver, 1985). On
parle aussi de vision du monde, optimiste ou pessimiste selon les causes
invoquées. Il doit être distingué des attentes situationnelles en raison du large
éventail de situations auxquelles il est applicable ainsi que de sa stabilité au
fil du temps (Carver & Scheier, 2014). Carver et Scheier (1994, 2014) ont
défini l’optimisme dispositionnel comme la tendance stable des personnes à
avoir des attentes positives concernant le futur. Ces personnes pensent
qu’elles vivront globalement plus d’expériences positives que négatives au
cours de leur vie. Les personnes optimistes ont tendance à éprouver un bien-
être globalement plus important et une meilleure résistance au stress.
L’optimisme peut à la fois conduire une action dirigée vers un objectif plus
cohérente et avoir des effets plus directs sur la santé et le bien-être.
Une définition et un modèle plus large des ressources ont été proposés par
Diener et ses collègues, qui se sont intéressés notamment à l’action et
mécanismes des ressources dans le bien-être (Diener et al., 1995 ; Diener &
Fujita, 1995). Ils ont défini les ressources en termes d’objets, de
caractéristiques personnelles que les personnes possèdent et qu’elles peuvent
utiliser afin d’accomplir leurs objectifs. Ces ressources sont valorisées en
elles-mêmes ou parce qu’elles agissent comme des conduits à la réalisation
ou à la protection de ressources précieuses (Diener & Fujita, 1995). Selon ces
auteurs, les ressources peuvent être des possessions matérielles externes
(e. g. argent), des rôles sociaux ou des caractéristiques personnelles
(e. g. l’intelligence, l’extraversion, les compétences sociales, etc.). Ces
ressources aident les personnes à accomplir leurs besoins physiques et
psychologiques et aident en conséquence à développer par la suite un sens de
sa compétence ou maîtrise. À titre d’exemple, une personne ayant des
ressources aurait plus de facilités à réaliser ses objectifs et en conséquence
elle va expérimenter plus d’affects positifs. Le bien-être est conceptualisé
selon Diener (1994) comme le résultat des évaluations cognitives et affectives
des personnes de leurs vies ; cet auteur a fait donc l’hypothèse que ces
évaluations seraient plus positives si la personne possède des ressources qui
sont valorisées par sa culture.
Ces travaux sont soutenus par une large base interculturelle : l’influence des
ressources sur la satisfaction de vie a été ainsi examinée à travers le monde.
Leurs résultats indiquent que les ressources sont liées au bien-être, à la fois
pour les ressources individuelles ou nationales. Plus précisément, les nations
disposant de ressources plus importantes ont des citoyens plus satisfaits de
leurs vies. Cependant, le revenu seul est corrélé faiblement au bien-être
subjectif, ce qui suggère que d’autres ressources ont plus d’importance. En
effet, les individus qui accordent une plus grande valeur à l’argent qu’aux
autres ressources ont tendance à être moins satisfaits de leur vie, même s’ils
obtiennent des revenus plus élevés (Richins & Dawson, 1992).

1.2 Principaux modèles des ressources


psychologiques
1.2.1 Rogers et le modèle théorique de l’approche
centrée sur la personne
L’intérêt porté aux ressources psychologiques s’inscrit initialement dans la
mouvance du courant humaniste en psychologie (Maslow, 1968 ; Rogers,
1959), dont le postulat principal est que l’être humain a une tendance innée
au développement et à un fonctionnement optimal, c’est-à-dire à
l’actualisation de son propre potentiel. L’être humain serait doué de capacités
d’autorégulation et d’autodétermination et de ressources psychologiques dans
lesquelles il peut puiser, notamment dans un climat interpersonnel
facilitateur. Ce courant s’est focalisé notamment sur les facteurs qui
favorisent le développement optimal de ces ressources et sera décrit plus loin.
Selon Rogers, toute personne a en elle des capacités considérables de se
comprendre et de changer son comportement (Rogers, 1962). Ces capacités,
exposées plus bas, requièrent, selon Rogers, certaines conditions afin qu’elles
s’accomplissent. Ainsi, même lorsqu’elle est confrontée à des circonstances
adverses, cette force de croissance reste toujours active, tant que l’organisme
est en vie (Rogers, 1962). Ces attitudes psychologiques facilitatrice peuvent
être donc assurées naturellement, par le milieu familial dans lequel la
personne évolue, ou bien peut être créées dans le cadre thérapeutique, si ces
ressources n’ont pas été activées naturellement durant l’enfance et
l’adolescence (Csillik, 2017). Rogers (1957) a fait l’hypothèse de l’existence
de certaines conditions, qu’il considère comme nécessaires et suffisantes à
tout changement thérapeutique : il s’agit principalement de l’empathie,
l’acceptation totale, la confiance dans les capacités potentielles du client à
résoudre ses propres problèmes, la congruence et la considération positive
inconditionnelle.
L’approche centrée sur la personne de Rogers repose donc sur une
confiance dans l’être humain, dans sa tendance vers un développement
positif, et dans sa capacité à réaliser toutes ses possibilités intrinsèques. Selon
Rogers, tout organisme vivant tend vers la croissance, tel le gland qui
contient déjà potentiellement l’immense chêne qu’il deviendra, à condition
qu’il existe des conditions favorables : que la graine repose sur de la bonne
terre, qu’elle reçoive de l’eau et de la lumière. Ces ressources seraient donc
en état potentiel existant chez tout être humain. Disponibles dans le cadre
d’un terreau fertile et propice, elles peuvent être développées de façon
adéquate et utilisées afin d’assurer le développement de la personne.
1.2.2 Modèles issus de la psychologie positive
En effet, les potentialités de la personne et la question des ressources
psychologiques ont fait l’objet depuis plus d’une vingtaine d’années
maintenant d’études scientifiques dans le cadre de la psychologie positive, et
notamment à l’axe d’étude qui fait référence à toutes les expériences
subjectives ressenties comme positives par l’individu, telles que le bien-être,
le contentement et la satisfaction de vie, la joie et l’expérience optimale. Dans
les théories s’inscrivant dans le courant de pensée de la psychologie positive,
telles que celle de Fredrickson sur l’élargissement constructif des émotions
positives (the broaden-and-build theory of positive emotions), (Fredrickson,
1998, 2001, 2002, 2004 ; Fredrickson, & Branigan, 2005), ce serait
principalement la présence des émotions positives qui permet le
développement à long terme des ressources psychologiques. Selon
Fredrickson (1998), le fait de ressentir des émotions positives tend à annuler
les effets des émotions négatives, et élargit donc notre façon de penser et le
répertoire de nos idées et actions et facilite la réinterprétation de nos
comportements. Cette théorie postule l’existence de deux processus de
changement psychologique en lien avec les émotions positives :
« l’élargissement » et « la construction ». Le fait d’éprouver des émotions
positives se présente tout d’abord comme une source importante d’inspiration
qui permet d’enrichir son panel d’idées et son répertoire d’actions. Cela aide
à réinterpréter ses comportements et à développer subséquemment de
nouvelles ressources individuelles, qui participent à la construction du bien-
être. Si l’expérience des émotions positives est souvent momentanée, les
bénéfices qu’elles engendrent, en termes de ressources, sont à considérer sur
le long terme. In fine, les émotions positives président à l’instauration d’une
« spirale positive » du bien-être, dans laquelle les émotions positives et
l’élargissement du répertoire d’actions et de ressources individuelles
disponibles s’influencent réciproquement. Cette spirale contribue à
l’accroissement du bien-être individuel, parallèlement à une augmentation
des compétences permettant de faire face à l’adversité (Tugade, &
Fredrickson, 2006). C’est le modèle théorique proposé par l’approche de
Rogers en lien avec les ressources psychologiques qui a guidé nos travaux de
recherches sur ces capacités positives protectrices, ainsi que celui de la
psychologie positive (Csillik, 2017).
Pendant longtemps, les travaux de recherche en psychologie se sont
focalisés sur les ressources sociales et leurs effets protecteurs contre le stress.
Cette partie porte sur les premiers modèles basés sur les ressources, dont
principalement celui du modèle transactionnel de Lazarus et Folkman et celui
de Diener et de ces collaborateurs. Ces derniers ont défini les ressources de
manière assez large en termes d’objets, de caractéristiques personnelles que
les personnes possèdent et qu’elles peuvent utiliser afin d’accomplir leurs
objectifs. Ces ressources aident les personnes à accomplir leurs besoins
physiques et psychologiques et à développer par la suite un sens de
compétence ou maîtrise. Des modèles plus complexes ont complété ces
premiers, dont celui de Carl Rogers et de la psychologie positive.

2. Le rôle protecteur et facilitateur de la


croissance psychologique des ressources
psychologiques
La gestion du stress et des difficultés de la vie qui le produisent peut être
plus facilitée lorsque la personne possède certaines ressources qui l’aident à
mieux leur faire face. Ainsi, les circonstances et les évènements de vie
difficiles peuvent produire de la détresse psychologique et des réactions
négatives, qui sont très fréquentes chez les personnes exposées à des
événements très stressants. Cependant les réactions de la personne à ces
évènements difficiles de la vie sont influencées par la présence des ressources
psychologiques, qui non seulement aident la personne à mieux s’adapter
psychologiquement à la situation, à ressentir la situation comme étant moins
stressante et, dans certains cas, mènent au développement des caractéristiques
positives ou aux ressources psychologiques (Tedeschi & Calhoun, 2004).
Les ressources psychologiques permettent à l’individu de surmonter plus
facilement les difficultés de la vie, d’accomplir un travail fructueux et de
contribuer à la vie sociale de sa communauté. Parmi ces ressources
psychologiques, les plus citées dans la littérature scientifique et les plus
étudiées à l’heure actuelle sont l’optimisme, l’espoir, le contrôle personnel
(auto-contrôle) et le sens (sense of meaning), l’auto-efficacité, la disposition à
l’attention consciente (mindfulness), l’intelligence psychologique
(psychological mindedness) et plus récemment l’orientation reconnaissante,
la disposition au pardon, à l’espoir et à la bienveillance envers soi (self-
compassion) ou encore l’auto-affirmation spontanée (self-affirmation). Ces
ressources sont reconnues comme étant protectrices de la santé mentale, voire
même de la santé physique. Nous présenterons ici les travaux de recherche
qui portent notamment sur l’évaluation du rôle protecteur de l’intelligence
psychologique, les forces de caractères et de signature, de l’optimisme
dispositionnel, de la disposition à l’attention consciente (mindfulness) et de la
bienveillance envers soi (self-compassion).
Dès 1999, Peterson et Seligman (2004) qui ont mené des travaux de
recherche afin de définir et étudier le caractère bon. Ce dernier sera envisagé
comme un ensemble de caractéristiques dont chacune serait présente à des
degrés variables chez les individus. Les forces de caractère (FC) sont les
processus ou des mécanismes psychologiques qui opérationnalisent les
vertus. Elles constituent donc un sous-ensemble de traits de personnalité
moralement valorisés par la plupart des gens, quelles que soient leur culture
et leur profession religieuse (Peterson & Seligman, 2004). Ce qui distingue
les forces de caractère d’autres ressources psychologiques est leur valeur
morale.
Selon Parks et ses collaborateurs (2004), les gens peuvent réfléchir à leurs
propres forces de caractère et les reconnaître et les cultiver. L’utilisation des
forces de caractère favorise d’ailleurs le sentiment d’appartenance, le
sentiment d’authenticité, la motivation intrinsèque (Peterson & Seligman,
2004) et conduit à une baisse du stress, à une amélioration de l’estime de soi,
à un gain de vitalité, et plus d’affects positifs (Wood et al., 2011). Selon
Peterson et Seligman (2004), la pratique spécifique des cinq forces les plus
prédominantes, les forces de signature, apporte effectivement un
épanouissement. Park et Peterson (2009) ont d’ailleurs constaté que, puisque
les gens possèdent déjà les forces de signature, il leur est souvent plus facile
et plus satisfaisant de travailler avec et sur ces forces, tout au moins au début
de cette démarche. Govindji et Linley (2007) ont montré que les personnes
qui connaissent leurs forces les utilisent davantage et que cette connaissance
des forces, ainsi que leur utilisation est associée au bien-être subjectif. En
effet, si une personne présente une faible connaissance d’elle-même, de ses
capacités et des forces qu’elle possède, il est fort possible qu’elle utilisera
moins ses forces.
Dans cette direction, nous avons mené une étude portant sur le rôle de
certaines ressources psychologiques et en particulier l’intelligence
psychologique, dans l’identification et l’utilisation des forces de caractère
(Denhier, & Csillik, 2016). Nous nous sommes interrogés sur les ressources
psychologiques qui faciliteraient l’accès à la connaissance de nos forces de
signature : qu’est-ce qui fait que certaines personnes connaissent et utilisent
davantage leurs forces de signature que d’autres ? Peu d’études se sont
penchées sur l’impact que la dépression pouvait avoir sur l’identification des
forces de signature. En outre aucune étude à notre connaissance ne traite de
l’intelligence psychologique (IP) comme facteur prédictif d’une bonne
connaissance des forces de caractère et de signature, ni de l’impact de la
dépression sur ce lien. Nous nous sommes intéressées notamment sur le rôle
de l’intelligence psychologique (psychological mindedness), concept
réintroduit depuis quelque temps dans la clinique et la recherche en France
(Csillik, & Bigeard, 2014), définit par Conte et ses collaborateurs (1996)
comme « un attribut qui suppose un degré d’accès à ses sentiments, une
volonté d’essayer de se comprendre soi-même et de comprendre les autres,
une croyance dans le bénéfice de discuter de ses problèmes, un intérêt pour
son propre sens et sa propre motivation, ainsi qu’un intérêt pour les pensées,
les sentiments et les comportements des autres, et une capacité de
changement ». Ainsi l’IP pourrait faciliter la connaissance de ses propres
forces de signature et en plus elle pourrait également être impliquée dans la
perception de celles des autres.
Trente-trois participants ont été inclus dans cette étude et répartis en deux
groupes : un groupe clinique, composé de dix-neuf patients (moyenne d’âge
46,56 ; σ = 14,34) atteints de troubles dépressifs (BDI ≥ 16) et un second
groupe, composé de 14 personnes (moyenne d’âge 34,79 ans ; σ = 16,99) de
l’entourage de ces patients. Dans le groupe « entourage », une corrélation
positive entre le degré de présence des forces de signature et leur niveau
d’utilisation a été trouvée. Le niveau de connaissance de ses forces de
signature est, dans le groupe « entourage », très fortement corrélé de façon
positive avec d’une part, leur niveau d’utilisation et d’autre part, leur degré de
présence. Chez les patients et leur entourage, le nombre total de forces de
signature déterminé en commun est corrélé positivement avec le niveau d’IP
global. Par ailleurs, le niveau de dépression est corrélé négativement avec le
niveau d’IP, ainsi qu’avec le niveau de connaissances en ses forces de
signature. Cette étude montre bien le rôle de l’IP dans la détection de ses
propres forces de signature. Cette détection des forces est liée à leur
connaissance et à leur utilisation. L’IP joue également un rôle dans la
reconnaissance des forces de signature d’autrui (Denhier & Csillik, 2016).
L’IP joue également un rôle dans la reconnaissance des forces de signature
d’autrui, ce qui montre son rôle notamment chez les personnes ayant une
image de soi biaisée du fait de leurs troubles. En outre, les résultats montrent
également une implication de l’IP dans la reconnaissance des forces de
signature d’autrui et une influence de la dépression sur le rapport
qu’entretiennent les individus avec leurs propres forces de signature. Il serait
utile de répliquer cette étude, avec un plus grand échantillon afin de
confirmer ces résultats. Des nouvelles versions du questionnaire VIA
élaborées par l’institut de recherche Values in Action sont en cours de
validation sur une population française, en collaboration avec Charles Martin-
Kumm et de Fabien Fenouillet de l’université Paris-Nanterre.
L’objectif d’une étude très récente menée en collaboration avec Andrea
Ferreira, étudiante en Master 2 de psychologie clinique et le
professeur Fabien Fenouillet de l’université Paris-Nanterre porte sur les liens
entre les ressources psychologiques et la qualité de l’attachement et leur rôle
protecteur dans une situation de stress prolongé (pendant et après le premier
confinement de mars-avril 2020, suite à la pandémie COVID 2019). Peu
d’études se sont intéressées à la qualité d’attachement envers autrui en lien
avec les ressources psychologiques. Cette étude porte sur le rôle de
l’optimisme dispositionnel, de la disposition à l’attention consciente ou
la mindfulness, et de la bienveillance envers soi, qui sont des ressources
particulièrement protectrices de la santé mentale contre le stress, qui
permettent à l’individu de surmonter plus facilement les situations difficiles
dans sa vie et de s’ajuster à cette situation particulièrement difficile (Csillik,
2017). Notre échantillon est composé de 264 participants adultes dont
209 femmes (79,2 %) et 55 hommes (20,8 %). L’âge moyen des participants
est de 30 ans (Ety = 11,8), s’échelonnant de 18 ans à 70 ans. Une grande
partie des participants sont actifs (45 %), étudiants (46,2 %), et une petite
partie (8,8 %) sans activité professionnelle.
Les résultats confirment nos hypothèses. Les analyses corrélationnelles
montrent qu’il existe une corrélation positive significative entre le style
d’attachement « sécure » et le score de mindfulness (Mindful Attention
Awareness Scale, MAAS, Brown, & Ryan, 2003 ; validation française
Csillik, Mahr, & Meyer, 2010) (r = 0.21, p < .001), le score d’optimisme
(Life Orientation Test-Revised, LOT-R, Scheier, Carver, & Bridges, 1994 ;
validation française Trottier, Mageau et al. en 2008) (r = 0.44, p < .001).et la
bienveillance envers soi (Self-Compassion Scale Short Form, SCS-SF, Neff,
2003 ; validation française Karras, Csillik, & Delhomme, 2019).
Les analyses en pistes causales valident nos hypothèses quant au rôle
protecteur des ressources contre la symptomatologie anxiodépressive,
notamment la bienveillance envers soi et l’optimisme dispositionnel
(figure 12.1). Il n’y a pas d’effet de la mindfulness.

Note : ** p < .01 ; *** p < .001.


Figure 12.1 – Modèle en pistes causales avec la bienveillance envers soi (SCS), la mindfulness
(MAAS), l’optimisme dispositionnel (LOT-R) comme prédicteurs de la symptomatologie
anxiodépressive (hadtotd).

Ces mêmes ressources prédisent dans un deuxième modèle des meilleurs


niveaux de bien-être subjectif (figure 12.2).
Note : *** p < .001.
Figure 12.2 – Modèle en pistes causales avec la bienveillance envers si (SCS), la mindfulness
(masstot), l’optimisme dispositionnel (LOT-R) comme prédicteurs du bien-être subjectif
(spanebalance).

Cette étude a permis de mettre en évidence des liens entre les ressources
psychologiques et les styles d’attachement, et ce dans une période de stress
prolongée particulièrement épouvante. Les résultats obtenus ont montré que
les ressources psychologiques aident à lutter contre la dépression et l’anxiété
d’une part, et sont liées à une meilleure qualité d’attachement et des meilleurs
niveaux de bien-être subjectif d’autre part. En effet, il s’avère que les
personnes avec un style d’attachement sécure présentent des symptômes
d’anxiété et de dépression moindres, ainsi que de meilleures ressources
psychologiques (bienveillance envers soi, disposition à l’attention consciente
et optimisme). Ces liens méritent d’être approfondis avec des études
supplémentaires et notamment des études longitudinales qui permettraient de
préciser les liens de causalité entre le style d’attachement et les ressources
psychologiques.

3. Nouveaux développements et
perspectives
3.1 Le bien-être : ressource psychologique ou
conséquence des ressources ?
Afin de refléter ce que les personnes appellent habituellement le
« bonheur », des psychologues pionniers dans son étude scientifique ont
proposé le terme de bien-être subjectif ou satisfaction de vie (Diener, 1984).
En effet, Ed Diener, un des premiers chercheurs qui s’est penché sur cette
question et qui a effectué des travaux de recherche marquants dans le
domaine, a défini le bien-être subjectif comme l’évaluation que font les
individus de leur vie. Cette conceptualisation souligne sa nature subjective et
considère les individus comme les meilleurs juges de leur propre bonheur.
Suite aux recherches initiées dans les années 1980 par Diener et ses
collègues, de nombreux chercheurs en psychologie se sont penchés sur cette
question du bonheur et du bien-être. La revue de littérature sur le sujet fait
apparaître plusieurs conceptions du bonheur. Il s’agit d’un concept
multidimensionnel et complexe. En effet, les définitions et les théories du
bonheur diffèrent considérablement, à la fois de point de vue théorique et
d’opérationnalisation du concept. Deux approches principales du bien-être
existent actuellement : la tradition hédonique, qui a mis l’accent sur des
concepts tels que le bonheur, les affects positifs, des niveaux faibles d’affects
négatifs et la satisfaction de la vie (par exemple, Diener, 1984 ; Kahneman,
Diener & Schwarz, 1999 ; Lyubomirsky & Lepper, 1999) et d’autre part la
tradition eudaimonique, qui a mis en évidence le fonctionnement
psychologique positif et le développement humain (Rogers, 1981, Ryff,
1989a, 1989b, Waterman, 1993).
Le concept de bien-être psychologique de Ryff et Singer (1996) et la théorie
d’autodétermination de Ryan et Deci (2000) constituent un autre modèle
important du bonheur et du bien-être (Csillik & Fenouillet, 2019). Ces
théories ont un caractère moins subjectif et plus normatif en ceci qu’elles
précisent que certains besoins (tels que l’autonomie, l’appartenance sociale et
le sentiment d’efficacité) doivent être satisfaits afin de permettre le bien-être.
Le bonheur hédonique consiste à éprouver du bonheur à s’engager dans une
pratique, une situation vectrice de sensations positives alors que le bonheur
eudémonique naît de l’association entre des états de conscience gratifiants et
complexes et des activités porteuses de sens et riches de possibilités et de
défis. C’est la raison pour laquelle on a nommé ce type de bonheur bien-être
eudémonique ou psychologique.
Le bien-être d’un individu est influencé par une multitude de facteurs, dont
l’environnement extérieur, qui joue un rôle important (Jebb, Morrison, Tay,
& Diener, 2020). Les normes culturelles changent notamment les corrélats du
bien-être subjectif. En effet, selon qu’on a été élevé dans une culture
collectiviste ou individualiste, le bien-être subjectif ne dépendra pas des
mêmes choses (Biswas-Diener et al., 2005). La culture d’un individu joue un
rôle important dans son niveau de bien-être subjectif. Par ailleurs, la religion
est un autre facteur prédictif important du bien-être. De nombreuses études
montrent que la religion rend les personnes plus heureuses. Il est important
cependant de noter que les liens positifs entre la religion et le bonheur ne sont
pas universels ; dans certains pays (e. g. la Lithuanie, la Slovaquie) les
personnes religieuses rapportent des niveaux inférieurs de bien-être (Diener,
2012). Une avancée importante dans les travaux de recherche concernant le
bonheur et le bien-être réside dans la découverte que, tant au niveau
individuel qu’au niveau sociétal, le bonheur est à la fois cause et conséquence
d’un nombre important de résultats positifs, plutôt que d’en constituer
simplement le produit (Lyubomirsky, King & Diener, 2005). Plus
spécifiquement, le bonheur peut mener à une meilleure santé, à une meilleure
performance au travail, à de meilleures relations sociales et à une conduite
plus éthique. En effet, un nombre important d’études montrent les liens
positifs entre le bonheur et des résultats positifs dans tous les domaines
importants de la vie comme le travail, l’amour, la santé (Lyubomirsky, King
& Diener, 2005). De plus, de nombreuses études ont montré que les affects
positifs et le bonheur sont liés positivement à des ressources et des
comportements positifs tels que des perceptions positives de soi-même et des
autres, la sociabilité, des comportements prosociaux, la créativité etc. Les
études longitudinales qui portent sur le sujet montrent que, d’une part le
bonheur durable précède les résultats positifs corrélés, et d’autre part le
bonheur durable et les affects positifs précèdent les ressources et
caractéristiques qui y sont corrélées. Le bonheur émerge des données
disponibles comme la caractéristique positive qui mène au développement et
à un meilleur usage des compétences et des ressources intellectuelles. La
causalité pourrait donc être bidirectionnelle. Cependant, ces conclusions ne
sont pas définitives et nécessitent des études longitudinales supplémentaires
afin d’apporter un éclairage quant au fait que le bonheur mène au succès
plutôt que d’en être uniquement la conséquence. Ces éléments pourraient en
effet être interdépendants et le bonheur durable n’est pas fortement nécessaire
pour tous les types de succès et résultats positifs.

3.2 Conclusion et perspectives


Des études longitudinales sont nécessaires afin de confirmer les données
selon lesquels les affects positifs prédisent les résultats positifs,
indépendamment du niveau initial des ressources psychologiques. Les
personnes qui ont une disposition au bonheur et celles chez qui a été
artificiellement induite une bonne humeur sont plus performantes que les
autres dans divers domaines, comme la prise de décision, la résolution
d’anagrammes ou la pensée originale et flexible (Diener & Seligman, 2004).
Le bonheur est lié à une meilleure performance dans la vie professionnelle.
Les individus heureux ont plus de chances de réussir leurs études, d’obtenir
un emploi, d’obtenir des évaluations favorables de leurs supérieurs, de gagner
des revenus plus élevés, ils sont moins susceptibles de perdre leur emploi et
ils en retrouvent un plus rapidement en cas de licenciement (Diener,
Nickerson, Lucas & Sandvik, 2002 ; Diener & Seligman, 2004). Des études
supplémentaires sont nécessaires afin de clarifier les liens le rôle des
ressources spirituelles (religiosité, spiritualité) dans le bien-être des
différentes cultures.
Il s’avère nécessaire de continuer à explorer les ressources psychologiques,
en élargissant leur portée et leurs applications dans le domaine du transport,
de la prise de décision dans les comportements favorables à la santé, tels que
l’adhésion aux traitements médicamenteux ou la pratique de l’activité
physique régulière et en intégrant de nouvelles ressources. Il est important de
comprendre comment ces ressources interagissent entre elles et quels sont les
mécanismes par lesquelles elles favorisent le bien-être. De même il s’avère
nécessaire de comprendre leur évolution dans les maladies chroniques et les
troubles psychopathologiques persistants, qui reste un domaine peu exploré
dans la littérature. Ce n’est pas parce qu’on a des ressources qu’on est
capable de les utiliser, d’où l’intérêt de leurs évaluations et des interventions
psychologiques qui les favorisent (Csillik, 2017).

Bibliographie
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1. Par Antonia Csillik.
Chapitre 13
Mindfulness et santé1

Sommaire
1. Mindfulness : de quoi parle-t-on ?
2. Mindfulness : comment ça marche ?
3. Mindfulness : un enjeu pour la prévention de la santé
4. Mindfulness et santé mentale positive
Bibliographie
Résumé court
Les bénéfices des approches basées sur la méditation sur la santé
sont nombreux et nous disposons d’un recul et d’un nombre
d’études suffisants chez le sujet sain et le sujet en souffrance pour
leur accorder tout le crédit nécessaire (prévention secondaire).
Résumé long
La méditation renvoie à un ensemble de techniques qui
développent la mindfulness (ou pleine conscience). La mindfulness
se définit comme une « focalisation de l’attention sur l’expérience
du moment présent dans une attitude de non-jugement ». Le
fonctionnement mindfulness se traduit par une plus grande
acceptation de la réalité, instant après instant, ainsi que des
capacités accrues d’adaptation aux situations. De nombreux
travaux ont montré son rôle dans la qualité de la santé, de
l’adaptation au stress et du niveau. Ils s’inscrivent dans la
prévention primaire. Les bénéfices de la méditation sur la santé
sont nombreux. Nous disposons d’un recul et d’un nombre
d’études suffisants chez le sujet sain et le sujet en souffrance pour
leur accorder un sérieux crédit. Ces études ciblent à la fois les
champs de la prévention secondaire et tertiaire. Au regard de ses
bénéfices, la mindfulness se pose comme un acteur de prévention
de la santé. Elle contribue au développement de la santé mentale
positive.

Mots-clés : mindfulness, méditation, santé positive, système


nerveux autonome.
Questions
• Comment peut-on développer son fonctionnement mindful ?
• La méditation peut-elle être considérée comme un acteur de la
prévention ?
• Quels sont les processus psychologiques par lesquelles la
mindfulness participe à la bonne santé ?

La psychologie de la santé est une discipline récente qui a pour objet


principal d’analyser les facteurs psychologiques liés à l’apparition et à
l’évolution des maladies somatiques. La psychologie positive s’inscrit
pleinement dans ce champ en ce qu’elle vise à étudier les conditions et
processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal
des personnes. Elle contribue au modèle de santé positive qui cible le
développement des ressources de l’individu, plutôt que la réduction des
facteurs de risques, pour éviter l’apparition d’une maladie. Dans l’optique de
la santé positive, la question de la santé dépasse la seule question de la
pathologie puisqu’elle continue positivement au-delà de l’absence de cette
dernière. Elle pose la santé comme un processus mettant en valeur les
ressources sociales et individuelles ainsi que les capacités psychologiques et
physiques du sujet. Elle considère également les processus interventionnels,
notamment éducatifs, pouvant favoriser l’appropriation de ces compétences.
Ces approches trouvent un point de recouvrement dans le cadre des études
intégrant le fonctionnement de pleine conscience ou mindfulness dans la
prévention de la santé.

1. Mindfulness : de quoi parle-t-on ?


Historiquement associée à la tradition bouddhiste vieille de plus de deux
millénaires, la mindfulness a vu sa popularité croître ces trente dernières
années dans plusieurs domaines séculiers, comme par exemple la médecine,
la recherche en neurosciences ou le management en entreprise.
Méditation
Pratique mentale qui consiste en une attention portée sur un certain objet,
souvent la respiration, pour mieux prendre connaissance de ses pensées,
ses émotions et sensations corporelles.
Pour introduire le concept de mindfulness nous choisissons la définition du
professeur Kabat-Zinn, médecin américain qui a été pionner dans le recours à
la mindfulness en pratique clinique : « La mindfulness est un état de
conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au
moment présent, sans jugement, sur l’expérience qui se déploie moment
après moment » (Kabat-Zinn, 2003). Dans la littérature, le terme mindfulness
désigne à la fois un état psychologique transitoire (état mindful), un
fonctionnement stable de la personnalité (disposition mindful ; DM) et la
méthode utilisée (e.g pratique de méditation, programme clinique, etc.) pour
atteindre un état mindful ou cultiver la DM (Grossman, 2008). Il existe ainsi
une ambiguïté de la notion de mindfulness en ce qu’elle renvoie à deux
acceptions non exclusives : une « manière de fonctionner », propriété
émergente d’un cerveau qui s’est développé avec une certaine façon de
percevoir, et la méditation comme moyen d’atteindre cette manière de
percevoir, voire encore l’association des deux. Dans un souci de
simplification, nous utiliserons dans ce chapitre le terme de mindfulness pour
désigner à la fois l’état mindful, la DM et la pratique de la mindfulness. Aussi,
par convention :
1. la propriété d’éveil en pleine conscience est la mindfulness ;
2. la DM caractérise un sujet ayant une forte intensité d’éveil en conscience
(haut niveau de mindfulness) ;
3. un fonctionnement mindful renvoie à un sujet mindful ou devenu mindful à
la suite d’une intervention impliquant un entraînement à la mindfulness
(méditation mindfulness, MM).
Cette évolution conceptuelle allant d’une philosophie de la vie vers une
conception psychologique a mis au cœur de la mindfulness les interventions
permettant au sujet de fonctionner selon ce mode mindful. Ces pratiques sont
nombreuses. Les interventions initiales consistent à entraîner le sujet à se
concentrer sur ses sensations lors d’exercices respiratoires représentant alors
une ligne de base attentionnelle, permettant ainsi de notifier toute autre
sensation corporelle par rapport à ce référentiel. L’analyse corporelle consiste
à focaliser son attention de façon séquentielle sur les différentes parties
corporelles sans interprétation subjective. Le focus attentionnel sur la
respiration au cours de la méditation sert d’ancrage au sujet. Ce point focal
lui permettra, lorsqu’il prend conscience des sensations plus ou moins
douloureuses, des émotions plus ou moins pénibles et surtout des pensées
associées qui provoquent des jugements ou des ruminations, de prendre note,
de laisser aller ces informations et de revenir au présent de sa respiration,
comme élément de sa réalité, instant après instant. Ces pratiques s’appuient
sur des exercices codifiés (programme d’intervention) et des exercices
d’action en pleine conscience à intégrer dans la vie quotidienne (en
mangeant, en marchant, etc.). Il existe de nombreux programmes
interventionnels visant à développer la mindfulness. Parmi les premiers, il
faut relever « la réduction du stress basée sur la mindfulness » (mindfulness-
based stress reduction, MBSR), premier programme utilisé dans la prise en
charge des douleurs chroniques, puis « les thérapies cognitives basées sur la
mindfulness » (mindfulness-based cognitive therapy, MBC) centrées sur la
prise en charge des dépressions, la thérapie comportementale dialectique
(dialectical behavor therapy, DBT) et la thérapie d’approbation et
d’engagement (acceptance and commitment therapy, ACT). Pour toutes les
interventions MM, la conservation et a fortiori l’amélioration du niveau de
mindfulness passe par une pratique régulière et quotidienne des exercices
enseignés pour entraîner le sujet à faire avec les agressions internes, externes,
environnementales et/ou liés à la maladie.

2. Mindfulness : comment ça marche ?


La littérature abonde d’études qui démontrent les bénéfices de la
mindfulness sur la santé physique et mentale et dont nous présenterons
quelques données en fin de ce chapitre (pour une revue de la littérature, voir
Chiesa et al., 2011 ; Goldberg et al., 2018 ; Tomlinson et al., 2018).
Cependant, même si la réponse à la question « Est-ce que la mindfulness
marche ? » est de toute évidence affirmative, il n’en est pas de même pour la
question « Comment marche la mindfulness ? » qui demeure une question
ouverte à ce jour.
Mindfulness (pleine conscience)
« État de conscience qui résulte du fait de porter son attention,
intentionnellement, au moment présent, sans jugement, sur l’expérience
qui se déploie moment après moment » (Kabat-Zinn, 2003)
D’un point de vue phénoménologique, la mindfulness améliorerait la qualité
de la relation du sujet à lui-même et au monde. Elle accroît la perception
environnementale, du soi et des émotions. Ce faisant, elle interrompt les
réponses affectives automatiques, et permet la diminution de leur intensité et
de leur durée. La mindfulness autorise un détachement en conscience,
permettant une régulation de l’expérience affective. Des données récentes
suggèrent que les sujets mindful ont une capacité accrue de faire face (coping)
à des expériences affectives comparativement aux sujets témoins. La
mindfulness augmente la flexibilité comportementale et permet une plus
grande ouverture au monde. La pratique de la mindfulness apporte au sujet un
nombre accru de stratégies de réponses émotionnelles adaptées. De plus, elle
améliore la gestion des situations de conflits non seulement attentionnels et
ceci avec une moindre anxiété, mais également dans les situations de conflits
moraux.
Outre le fonctionnement de la psyché, il semble que les sujets considérés
comme mindful présentent des caractéristiques neurophysiologiques
particulières à de nombreux égards susceptibles de rendre compte de la
phénoménologie clinique. Quoique les études soient peu nombreuses, ces
modifications peuvent s’observer au repos mais plus fréquemment lorsque le
sujet s’active et se confronte au monde.
Indépendamment de la manière dont la mindfulness émerge, c’est
l’ensemble du fonctionnement neurophysiologique qui doit être considéré.
S’appuyant sur une revue des données de neuro-imagerie, comportementales
et psychométriques (autoquestionnaires) de la littérature sur la DM et les
interventions mindfulness, Hölzel et al ont proposé en 2011 quatre
mécanismes cognitifs pour expliquer les bénéfices de la mindfulness sur la
santé :
1. la régulation de l’attention ;
2. l’amélioration de la métacognition (qui est la connaissance qu’un individu
a sur son propre fonctionnement cognitif) ;
3. l’augmentation du niveau de conscience du corps ;
4. l’amélioration de la régulation des émotions (Hölzel et al., 2011).
Ces quatre processus cognitifs sont en interaction. La régulation
attentionnelle permet à l’individu mindful d’accéder à une expérience
sensorielle riche et dénuée de tout jugement. L’attention portée sur contenu
de la pensée permet d’améliorer la métacognition. L’augmentation de la
conscience corporelle résulte de l’attention qui est portée sur le corps, et ce
mécanisme est particulièrement travaillé au cours de l’entraînement à la
mindfulness (la cible de l’attention étant le plus souvent la respiration). Enfin,
l’amélioration de la régulation émotionnelle passe par la mise en place de
stratégies visant à limiter l’impact des émotions négatives (stratégie
d’extinction), et la réévaluation constructive des contextes à forte valence
émotionnelle (stratégie de réévaluation cognitive).
La validité de ce modèle mécanistique a été récemment étendue aux
données électrophysiologiques que sont les potentiels évoqués cérébraux
(ERPs pour event-related potentials) (Verdonk et al., 2020). Les ERPs
correspondent à l’activité cérébrale particulière qu’on observe en
synchronisant le signal EEG sur un évènement particulier (par exemple la
présentation d’un stimulus, la réponse motrice du sujet, etc.). Ils reflètent,
avec une excellente résolution temporelle, l’activité des neurones corticaux
en réponse à un évènement particulier. Les données ERPs confirment que la
mindfulness est associée à une régulation de l’attention, à une diminution de
la réactivité aux stimuli émotionnels et à un meilleur contrôle cognitif. Le
fonctionnement mindful pourrait être caractérisé par un traitement conscient
de l’information en provenance du corps et de l’environnement et ce, y
compris pour des informations de bas niveau sous corticales. Intégrée dans le
cadre de la théorie de l’espace global de travail sur la conscience (Dehaene
et al., 2011), cette hypothèse suggère que la mindfulness diminue le seuil de
la conscience grâce à la qualité de la régulation attentionnelle. Au-delà, ce
traitement conscient de l’information pourrait favoriser la conscience du
corps et la conscience de la situation, améliorant ainsi la régulation des
émotions et le contrôle des fonctions cognitives (Verdonk et al., 2020). Force
est de constater que si dans la littérature, il existe des arguments en faveur
d’une relation entre la mindfulness et la conscience du corps (Farb et al.,
2007 ; 2012), la confirmation de cette relation par des données objectives est
encore l’objet d’études.
Les données de neuro-imagerie sont en lien avec ces hypothèses
mécanistiques. La mindfulness est associée à des différences anatomiques
(hypertrophie) et fonctionnelles (hyperactivation) dans des régions cérébrales
impliquées dans le traitement de l’information corporelle, tels que l’insula et
le cortex somato-sensoriel (Farb et al., 2007 ; Hölzel et al., 2011). Elle est
également associée à un fonctionnement singulier du réseau du mode par
défaut (default mode network, DMN) qui joue un rôle fonctionnel central
dans les processus autoréférentiels et a été associé au vagabondage mental
(mind-wandering) (Ramírez-Barrantes et al., 2019). Ainsi, une étude en IRM-
f de repos, menée sur 290 personnes a mis en évidence qu’une DM élevée
était corrélée à la qualité de la synchronisation locale de l’activité de l’insula
droite, du cortex orbitofrontal gauche (COF-g) et du gyrus
parahippocampique gauche, régions impliquées dans la réactivité
émotionnelle et dans la régulation implicite des émotions ; et anti-corrélé
avec la synchronisation locale du gyrus frontal inférieur (GFI). Les niveaux
de synchronisation locale du COF et du GFI prédisent respectivement des
émotions positives, un sens et un but dans la vie, deux effets médiés par la
DM (Kong et al., 2016). Cette étude suggère que la synchronisation locale
dans les régions clés de la régulation des émotions pourrait s’engager
différemment chez les sujets caractérisés par haut niveau de fonctionnement
mindful, et rendre compte des effets bénéfiques des émotions positives. Si la
pratique de la mindfulness modifie fonctionnellement la régulation
émotionnelle et cognitive du soi, l’observation de cette connectivité
singulière au repos à l’issue des programmes de mindfulness indique que
cette pratique modifie structurellement le réseau par défaut.
L’analyse de la variabilité cardiaque (HRV) du fonctionnement mindful
suggère en complément un fonctionnement physiologique singulier. L’HRV
reflète la qualité de régulation du système nerveux autonome sympathique et
parasympathique en réponse aux challenges de l’environnement. Son
dysfonctionnement est permissif ou impliqué dans de nombreuses maladies
en lien avec le stress, bien que ses modalités d’analyse posent question. Une
HRV élevée reflète un système nerveux autonome capable de générer, de
manière flexible, les états nécessaires d’excitation physiologique associés aux
émotions (par exemple activer des ressources en association avec la colère
tout en étant attaqué, ou détendre le corps et économiser des ressources en
période de calme). Un tel système nerveux autonome flexible est adaptatif car
il permet la génération d’émotions appropriées et facilite un ajustement
rapide aux demandes situationnelles momentanées et une récupération rapide
du fonctionnement homéostatique. Au-delà des questions méthodologiques
d’analyse du signal HRV, il a été montré chez les sujets hauts en DM, que la
qualité de la conscience du moment présent était associée à une réactivité
autonome flexible et adapté aux signaux internes et externes. Chez les sujets
ayant bénéficié d’un programme de mindfulness, une revue récente souligne
que l’amélioration de la réactivité autonome est observée à l’issue du
programme dans la moitié des études incluses (Christodoulou et al., 2020).
Au-delà, le rôle des connexions réciproques entre le cœur et le cerveau dans
la santé n’est pas nouveau comme en témoignent les travaux de recherche de
Claude Bernard. « L’expression de nos sentiments se fait par un échange
entre le cœur et le cerveau, les deux rouages les plus parfaits de la machine
vivante » (Bernard, 1865). Les connaissances actuelles ont permis
l’identification d’un réseau appelé central autonomic network (CAN)
formalisé par Benarroch en 1993. Ce réseau est constitué d’aires cérébrales
interconnectées à l’ensemble du système nerveux, et contrôle les efférences
autonomes sympathiques et parasympathiques que l’HRV permet d’évaluer
via l’analyse du signal cardiaque. Le CAN est essentiel pour l’activation
tonique des réponses autonomes, neuro-endocrines et comportementales,
notamment dans les situations de régulation émotionnelle et de réponse au
stress (Benarroch, 1993). Il renseigne le sujet sur l’état physiologique interne
de son corps. Il participe de ce fait au sens de l’intéroception qui constitue le
« substrat sensoriel » des émotions. Il influence via l’intéroception le
fonctionnement émotionnel, cognitif et comportemental de l’individu (Craig,
2002). Ce système autonome et sa régulation représentent ainsi une unité
fonctionnelle de l’ensemble du système nerveux central qui permet à
l’individu une certaine adaptabilité grâce à l’utilisation de processus
d’autorégulation. Il est un acteur majeur du fonctionnement mindful et de ses
bénéfices sur la santé.
3. Mindfulness : un enjeu pour la prévention
de la santé
Face à un problème de santé, il est possible d’intervenir à plusieurs
niveaux : en prévention primaire, secondaire ou tertiaire. L’objectif de la
prévention primaire est d’agir sur les déterminants du problème de santé ciblé
en réduisant les facteurs de risques, ou en favorisant ou renforçant les
facteurs protecteurs ; elle intervient avant la survenue du problème ; le but est
alors. La prévention secondaire définit les interventions une fois le problème
de santé présent ; elle consiste à dépister précocement et réorienter vers une
prise en charge. La prévention tertiaire poursuit l’objectif d’offrir une prise en
charge du problème de santé lorsque celui-ci est chronique. Le cas échéant, le
but est de soigner en s’attachant à limiter les risques d’aggravation du
problème de santé, comme par exemple les conséquences psychosociales ou
les comorbidités, ou encore à maintenir une phase de rémission dans le cadre
d’une maladie chronique. L’evidence based medicine a permis de clarifier des
standards scientifiques pour les stratégies de prévention en développant des
guidelines efficaces et reconnues pour chacun de ces trois niveaux de
prévention.
Prévention
Ensemble des actions préventives, menées dans le but d’éviter ou de
réduire l’apparition, le développement et la gravité des accidents, maladies
et handicaps, pouvant toucher tout ou une partie de la population
Notre ambition ici n’est pas de présenter une revue complète des bénéfices
de la mindfulness en termes de santé, mais de s’attacher à présenter quelques
données de la littérature en ciblant des cadres nosographiques variés afin de
proposer un panorama élargi non exhaustif de l’impact positif de la
mindfulness pour la prévention de la santé.

3.1 Mindfulness et prévention primaire :


gestion du stress et amélioration du bien-
être chez le sujet en bonne santé
Le stress et ses conséquences se posent comme une véritable question de
santé publique. Il est reconnu pour être impliqué dans de nombreuses
maladies, dites pluricausales, dans lesquelles il joue un rôle que certains
qualifient de « permissif », d’autres de « déclencheur ». Le stress implique en
effet la mise en œuvre de mécanismes d’adaptation face à des situations
contraignantes (ou stresseurs). L’adaptation renvoie alors à la capacité d’un
organisme de fonctionner dans un environnement contraignant à un coût
biologique le plus bas possible. On parle de stress chronique lorsque
l’exposition à l’agent stresseur persiste et/ou se répète fréquemment (Mouzé-
Amady, 2014). La persistance et/ou la répétition des stresseurs a un coût
biologique dépendant de la qualité des réponses de stress, en trop ou trop peu.
Elle génère un risque de dérive fonctionnelle susceptible de conduire à la
pathologie. Si la médecine moderne a fait des grands progrès dans la prise en
charge des pathologies, son arsenal préventif pour la prise en charge du stress
demeure mal systématisé.
Pour autant, les données de la littérature montrent l’importance de la
mindfulness lorsque l’individu est exposé aux contraintes de la vie (Khoury
et al., 2015). Elles soulignent aussi le rôle des programmes visant à
développer la mindfulness pour réduire les symptômes liés au stress afin
d’améliorer la qualité de vie et le bien-être psychologique et somatique. Sur
le plan de la régulation du stress, il a été montré que le développement de la
sérénité et de la non-réactivité dans la mindfulness aide les personnes
confrontées à un stress ou à des émotions négatives à réduire la réactivité aux
stresseurs, de même qu’il participe au contrôle des comportements impulsifs
ou de consommation de substances. La nature adaptative de l’acceptation des
expériences émotionnelles est confirmée par les données de recherche qui
montrent qu’il est plus efficace d’éprouver ou d’exprimer une émotion, que
de changer sa trajectoire, en l’inhibant.
Les bénéfices de la mindfulness ont été soulignés dans le cadre de la
prévention du stress au travail (Good et al., 2016 ; Janssen et al., 2018).
Notamment, la méditation mindfulness est utilisée avec efficacité dans le
cadre de la gestion du stress chez les personnels de santé, population connue
pour être soumise à des contraintes nombreuses, répétées, et multiformes.
L’amélioration de la mindfulness aiderait à résister à la contrainte
psychologique telle que la vivent les professionnels de santé. Elle
contribuerait à prévenir du burnout et au-delà à améliorer la qualité de vie au
travail comme le souligne une méta-analyse récente (Spinelli et al., 2019).
Elle souligne que les effets bénéfiques sont de taille légère à modérée sur le
plan psychique alors qu’il n’est pas retrouvé d’effet en termes d’amélioration
de la santé physique ou des performances.
Au-delà, les études conduites dans les professions à risque soulignent
l’intérêt de la DM ainsi que des programmes MM dans la prévention des
souffrances en lien avec le stress. Ces études ont principalement été conduites
au profit des militaires anglo-saxons. Un premier travail de l’armée
américaine a montré l’efficacité d’un entraînement à la mindfulness (durée :
8 semaines) sur la récupération physiologique après l’exposition à un stress
au cours d’un entraînement au combat. Les combattants qui ont bénéficié de
l’entraînement à la mindfulness présentent une normalisation plus rapide des
variables cardiorespiratoire (fréquence cardiaque et respiratoire) dans l’heure
qui suit l’évènement stressant, par comparaison à un groupe contrôle. Ces
données physiologiques sont associées, dans le groupe ayant bénéficié de
l’intervention mindfulness, à une diminution de l’activation de deux régions
cérébrales, l’insula droit et le cortex cingulaire intérieur, qui jouent un rôle
important dans le traitement de l’information corporelle en réponse à un
stress (Johnson et al., 2014). Dans l’armée française, une étude évaluant
l’impact psychopathologique d’une mission opérationnelle de plusieurs mois
parmi les forces d’élite de l’armée française a mis en évidence le rôle
protecteur de la pleine conscience avant la mission, rôle protecteur qui
perdure à l’issue de la mission (Verdonk, 2013).

3.2 Prévention secondaire : bénéfices de la


méditation mindfulness sur la santé
La méditation mindfulness a particulièrement été étudiée dans le cadre de la
prise en charge des pathologies mentales même si le champ de la psychiatrie
n’est pas le seul à avoir bénéficié des études d’efficacité de ces interventions
en termes de prévention secondaire. Les plus étudiées sont les pathologies
dépressives, anxieuses, addictives et traumatiques.
La méta-analyse de Goldberg et al. (2018) qui comprend cent quarante-deux
essais randomisés contrôlés (ERC) montre une efficacité globale plus
marquée sur la dépression, les douleurs et le sevrage tabagique. Cette
efficacité se maintiendrait dans le temps. L’étude a pris en compte une
stratification des traitements contrôles concomitants intégrant les habitudes
thérapeutiques sans preuve d’efficacité. La supériorité de la MM disparaît
pour les traitements de référence.
Les ERC ont été particulièrement nombreux pour évaluer les bénéfices des
interventions basées sur la mindfulness, particulièrement le programme
MBCT, dans la prise en charge de la dépression. La méta-analyse de Kuyken
et al. (2016) est sans doute la plus importante du champ. Elle comprend neuf
ERC avec 1 258 patients déprimés récurrents non bipolaires (supérieur à trois
épisodes) pour lesquels on observe une réduction d’environ 30 % du risque
de rechute à un an. La MBCT a une meilleure efficacité que les autres
traitements y compris les antidépresseurs, indépendamment du nombre
d’épisodes dépressifs antérieurs. Par ailleurs, d’après cette méta-analyse, le
programme de MBCT apparaît particulièrement efficace pour les patients
avec des épisodes dépressifs récurrents qui ont des symptômes résiduels
prononcés à l’issue des épisodes. Pour ces patients, il existe une réduction du
risque de rechute de 50 % versus un traitement médicamenteux habituel. Le
programme de MBCT est par ailleurs plus efficace chez les patients
présentant les caractéristiques suivantes : un début précoce de la maladie, des
scores plus élevés de dépression au départ de l’épisode dépressif, des
antécédents d’abus et/ou de circonstances défavorables au développement,
une rémission partielle et/ou instables (fluctuation des symptômes).
Sur le plan de l’anxiété, la revue et méta-analyse de Chen et al. (2012)
étudie différentes interventions du champ de la méditation au sens large.
Parmi les trente-six ERC, vingt-cinq études montrent une supériorité de ces
pratiques sur le traitement contrôle sur la réduction des symptômes d’anxiété.
La revue de Norton et al. (2015) étudiant les bénéfices de la méditation sur la
phobie sociale comprend neuf ERC. Malgré des faiblesses méthodologiques,
elle conclut à une certaine efficacité d’ensemble.
L’impact des interventions mindfulness sur les pathologiques addictives a
fait l’objet de plusieurs études. La revue et méta-analyse de Li et al. (2017)
est une des premières méta-analyses sur les bénéfices du traitement par la
méditation de pleine conscience dans l’abus de substances. Elle comprend
trente-quatre ERC et huit études quasi expérimentales. Les bénéfices
significatifs ont une taille d’effet faible sur la réduction des abus de
substances, une taille d’effet faible à moyenne sur la réduction du besoin ou
craving, et une taille d’effet forte sur la réduction du niveau de stress. La
méta-analyse sur l’entraînement à la méditation pleine conscience dans
l’addiction au tabac de Oikonomou et al. (2017), incluant quatre ERC,
montre que pour l’addiction au tabac, le taux d’abstinence posttraitement est
plus élevé dans le groupe méditation mindfulness que dans le groupe
contrôle. Les résultats sont significatifs sur le taux d’abstinence de plus de
quatre mois. Ils montrent que 25 % des participants sont restés abstinents
durant plus de quatre mois dans le groupe mindfulness contre 13 % dans le
groupe contrôle. La revue et méta-analyse de Maglione et al. (2017) qui
comprend dix ERC est la plus complète (cinq bases de données) et la plus
rigoureuse (caractéristiques d’inclusion). Les résultats ne retrouvent pas
d’effet significatif des interventions de pleine conscience sur l’abstinence ni
sur la consommation journalière de cigarettes en comparaison aux groupes
contrôles. Concernant le jeu pathologique, treize ERC ont été inclus dans la
revue et méta-analyse de Maynard et al. (2018). Les résultats montrent des
bénéfices cliniques mais ils demandent à être confirmés aux regards du faible
nombre d’études incluses, de leur qualité et de l’hétérogénéité des
interventions de mindfulness. Enfin, les troubles du comportement
alimentaire, de type boulimie/hyperphagie impliquent des
dysfonctionnements des processus de contrôle et d’évitement. L’étude de
Sala et al. (2015) montre l’intérêt des approches centrées sur l’autorégulation
ainsi que sur l’acceptation des émotions et des sensations désagréables
inspirées des programmes MBSR et MBCT. Ces programmes permettent de
travailler les aspects obsessionnels (comme les ruminations) et compulsifs
(sur l’alimentation, la réactivité avec perte de contrôle) associés à ces troubles
alimentaires. Notons que si l’approche de prévention primaire des troubles du
comportement alimentaire est basée sur la dissonance cognitive pour réduire
l’internalisation de l’idéal de minceur (body project), les interventions basées
sur la MM ont été proposées pour optimiser le body project. Les affects
négatifs et le fonctionnement psychosocial dysfonctionnel sont les deux
facteurs de risque principaux prédisant l’apparition de l’ensemble des TCA
(Ruffault, 2018). Aussi, il est fait l’hypothèse d’une action positive de la MM
via une amélioration de la prise de conscience des sensations corporelles et
une réduction des biais cognitifs.
La pratique de la méditation a montré des bénéfices dans la prise en charge
des troubles du sommeil et des insomnies chroniques. La méta-analyse de
Wang et al. (2019) propose quarante-neuf ERC évaluant les interventions de
pleine conscience dans l’insomnie chez le sujet sain et le patient. Les
bénéfices sur la qualité du sommeil dépendent de la durée de l’intervention. Il
est observé un bénéfice supérieur pour les interventions de mindfulness basée
sur le travail corporel. Un programme associant TCC et intervention de pleine
conscience de type MBSR a par ailleurs été développé par Ong et al. (2014).
Ce programme dénommé mindfulness based therapy for insomnia (MBTI)
montre des résultats encourageants pour la prise en charge de l’insomnie.
Notons également l’évaluation des bénéfices de la méditation dans la
dysfonction sexuelle féminine. La revue et méta-analyse de Stephenson et
Kerth (2017) comprend onze études dont quatre ERC. La nature des
interventions de mindfulness des études sélectionnées n’est pas décrite.
Néanmoins, les résultats montrent un bénéfice de la méditation de pleine
conscience.
Bien que les programmes thérapeutiques basés sur la méditation
mindfulness soient utilisés depuis les années 1980 pour réduire le stress lié
aux maladies et améliorer la qualité de vie des patients, il faut attendre les dix
dernières années pour disposer des premières études sur l’intérêt de ces
approches dans la prise en charge du trouble de stress post-traumatique
(TSPT). La méta-analyse de Hopwood et al. (2017) comprend dix-huit
ERC. Elle conclut à une amélioration significative des signes de TSPT sans
différence d’efficacité entre le MBSR et le MBI. Hilton et al. (2017)
présentent une revue et méta-analyse de dix ERC dont cinq MBSR, trois
yogas et deux répétitions de mantras. Bien que les études évaluées soient de
qualité médiocre, elles concluent à une amélioration significative des signes
de TSPT et de dépression mais pas des signes d’anxiété ni de la qualité de
vie. La symptomatologie d’évitement diminue significativement chez les
sujets en lien avec les exercices d’acceptation sans jugement, des sensations
corporelles et des évènements (King et al., 2013). Le contrôle de l’attention
et le retour à l’ancrage (souvent la respiration) pourraient aider à diminuer les
reviviscences ou tout du moins leur impact sur l’humeur et l’anxiété (Lang,
2017 ; Stephenson, Simpson, Martinez, et al., 2017). La compassion pour soi-
même et le non-jugement contribueraient à une meilleure régulation des
émotions (Svendsen et al., 2020). Notons également que la DM pourrait être
une ressource protectrice du TSPT. Les victimes des attentats de Paris haut en
DM présentent moins de risque d’évolution vers un TSPT au décours de
l’évènement traumatique/l’attentat (Gilbert et al., 2018). À noter qu’une
étude ne retrouve pas d’effet protecteur de la DM sur le TSPT dans une
cohorte, relativement petite, de 23 sujets victimes du tsunami en Asie du Sud-
Est en 2004 (Hagen et al., 2016). Enfin, Boyd et al. (2018) proposent
différents mécanismes/processus par lesquelles la méditation pourrait
améliorer la symptomatologie des patients souffrant de TSPT (figure 13.1).
Ils rappellent également qu’il est essentiel de considérer les caractéristiques
symptomatologiques de chaque patient afin de déterminer si ce type
d’approche est réellement appropriée.

Figure 13.1 – Mécanismes putatifs de régulation des clusters symptomatiques du TSPT par les MBI
et leur validation ; à partir de la figure originale en anglais dans (Boyd et al., 2018)

3.3 Prévention tertiaire : mindfulness et


l’amélioration du quotidien
Parmi les pathologies psychiatriques chroniques invalidantes, les troubles
bipolaires et schizophrénie ont fait l’objet de la majorité des études publiées.
Pour les troubles bipolaires, une étude pilote a été conduite par Mirabel-
Sarron et al. (2009) chez des patients bipolaires I. Ils ont bénéficié du
programme MBCT après avoir suivi le programme de TCC de groupe pour
patients bipolaires (modèle de Lam (2010). Les résultats montrent la
faisabilité du programme, sa bonne acceptation par les sujets, avec une
tendance à l’augmentation de la capacité de mindfulness en lien avec
l’assiduité de la pratique. Pour les troubles schizophréniques, la revue de Lam
et al. (2016) qui recense 6 ERC incluant différents programmes montrent des
résultats encourageants. La revue d’Aust et al. (2017) comprenant 11 ERC
confirment ces résultats positifs sur de nombreuses variables cliniques. La
taille de l’effet est cependant d’autant plus faible que les études sont
rigoureuses. L’intégration de ces approches dans la réhabilitation des patients
psychiatriques chroniques demande donc à être bien réfléchie. Elle nécessite
notamment de vérifier la stabilité clinique du patient avant toute mise en
route d’un programme de méditation mindfulness.
De nombreuses études montrent également les bénéfices de programmes de
méditation mindfulness dans la douleur chronique et les maladies
inflammatoires chroniques, la fibromyalgie (pour une revue de la littérature,
voir Hilton et al., 2017 ; Black & Slavich, 2016, respectivement). Les
résultats sont encourageants pour l’amélioration de la qualité de vie au
quotidien mais demandent davantage de niveaux de preuve.
Récemment, une revue a analysé les bénéfices des programmes de
méditation dans la prise en charge du cancer (Mehta et al., 2019). Les
bénéfices sont d’une part à considérer en termes d’acceptation de la maladie
cancéreuse, de la tolérance à l’incertitude quant à l’évolution de la maladie et
d’aide à la gestion du stress induit. D’autre part, les programmes aident à
soulager les symptômes inhérents à la pathologie cancéreuse (e. g. fatigue).

4. Mindfulness et santé mentale positive


Le cadre de la santé mentale positive, encore appelée santé mentale
complète, n’est pas un cadre théorique en soi. Il s’inscrit à un croisement de
plusieurs champs : celui de la psychologie de la santé et celui de la
psychologie positive. La santé mentale positive allie un sentiment positif à
l’égard de la vie et une bonne santé fonctionnelle. Il est nécessaire de
poursuivre les études et réflexions pour mieux caractériser ce qu’est un bon
état de santé mentale positive. Les études des corrélats neurobiologiques de la
santé mentale positive complète sont encore peu nombreuses. Une meilleure
connaissance des caractéristiques des personnes ayant une santé mentale
complète satisfaisante est une voie de recherche à poursuivre. Répondre à ces
questionnements permettra d’ajuster au mieux les interventions visant à la
promotion de la santé.
Santé mentale positive
Conception de la santé mentale qui incite à ne pas se concentrer
uniquement sur la prévention et le traitement des troubles mentaux, mais
également à promouvoir et à maintenir une santé mentale « florissante ».
Les données présentées dans ce chapitre soulignent que la DM constitue un
concept opérant dans le cadre de la conception positive de la santé. Cette
disposition s’inscrit pleinement dans une conception de l’individu
responsable de sa santé et son bien-être. Au-delà, le développement de la DM
est possible. Les nombreux programmes de développement de la mindfulness
offrent un éventail d’interventions possibles dont les bénéfices en termes de
prévention primaire, secondaire et tertiaire sont manifestes. Bien que
l’adéquation des types de programme aux individus et à leur problème de
santé demande encore à être affinée, les programmes existants se posent
comme des compléments de soins. Ils participent si ce n’est directement à
une amélioration de la santé physique et psychique, au moins indirectement à
une meilleure qualité de vie au quotidien des sujets sains comme des sujets
malades.

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1. Par Charles Verdonk, Lionel Gibert, Aude Azema et Marion Trousselard.
Chapitre 14
Vulnérabilité, capabilité
et rétablissement :
un changement de modèle
dans l’accompagnement
psychologique1

Sommaire
1. Le thème de la vulnérabilité : un nouveau référent
anthropologique et éthique
2. L’approche par les capabilités : des potentialités de
fonctionnement à développer
3. Le concept de rétablissement : vers un nouvel
équilibre du sujet
4. La psychothérapie brève à l’épreuve de la vulnérabilité
5. Mobiliser les capabilités des personnes en situation
de handicap : un recueil de consentement éclairé
6. Quand la remédiation cognitive aide à développer les
ressources cognitives chez les patients
schizophrènes : un exemple de processus de
rétablissement
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Le champ de l’activation des ressources et les concepts afférents,
permettent aux recherches actuelles en psychologie et en
psychothérapie de s’extraire des limitations propres aux
pathologies pour s’orienter sur les capabilités des personnes.
Résumé long
Le champ de l’activation des ressources permet aux recherches
actuelles en psychologie et en psychothérapie centrées sur les
notions de vulnérabilité physique, psychologique ou sociale, de
s’extraire des limitations propres aux pathologies pour s’orienter
sur les ressources personnelles, sociales et environnementales et
les capabilités des personnes. Dans cette perspective, les
concepts de vulnérabilité, de capabilité et de rétablissement ont
été définis, analysés, et situés par rapport au champ de la
psychologie positive. Notre propos a été étayé par trois
illustrations. La première a exposé un dispositif de
psychothérapie centré sur l’activation des ressources personnelles
et sur l’établissement d’une alliance thérapeutique de qualité,
prenant en compte la reconnaissance de la vulnérabilité. La
deuxième a permis d’observer l’intérêt d’une recherche
collaborative (concept de capabilité) avec des personnes en
situation de déficience intellectuelle. La troisième a illustré le
concept de rétablissement dans le champ précis de la remédiation
cognitive. Ces changements de paradigmes en psychologie
tendent à modifier profondément les approches thérapeutiques
prenant désormais plus en considération les ressources en un
horizon de vulnérabilité consentie et potentiellement créatrice.

Mots-clés : vulnérabilité, capabilité, rétablissement, activation des


ressources, santé mentale.
Questions
• Comment le concept de vulnérabilité émerge-t-il comme un
nouveau référent anthropologique de l’humain « vulnérable » ?
• Pour quelles raisons les paradigmes des capabilités et du
rétablissement bouleversent-ils les pratiques d’accompagnement
des personnes ?
• De quelles manières les pratiques thérapeutiques et
d’accompagnement des personnes sont-elles profondément
remaniées par ces différents concepts ? Donnez des exemples.

Le concept de santé mentale fait partie intégrante de nos sociétés


contemporaines, caractérisant un certain rapport à notre être individuel et
social. Il s’est particulièrement développé et structuré durant les premières
décennies du XXIe siècle, imprégnant tous les champs de la société. Il s’inscrit
dans une histoire, notamment dans celle de la psychiatrie et de sa critique. On
le voit émerger dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle, ainsi
qu’à travers les notions d’hygiène ou de prophylaxie mentales (Bellahsen,
2014).
C’est donc après la Seconde Guerre mondiale que va émerger l’intérêt pour
la santé mentale, visant à transformer, voire révolutionner les pratiques
psychiatriques, enclenchant le mouvement de désinstitutionnalisation de la
psychiatrie. À partir du début des années 1980, on observe en France
l’émergence et la multiplication de textes officiels qui insistent sur le
nécessaire déplacement « de la psychiatrie, à la santé mentale » (Piel &
Roelandt, 2001).
La santé mentale est devenue aujourd’hui une priorité de santé publique,
inscrite dans le droit. Elle participe à la transformation de la conception que
nous nous faisons de nous-mêmes en tant que membre de la société, mettant
toujours plus au centre des valeurs collectives la subjectivité et la question
mentale (Ehrenberg, 2004, p. 78), dans la lignée de l’émergence du souci de
soi (Foucault, 1984 ; Vigarello, 2014) et d’une psychologisation des rapports
sociaux (Castel et al., 2008). Elle est même devenue un capital qu’il convient
de faire fructifier durant la jeunesse et la vie de jeune adulte afin d’avoir une
qualité de vie satisfaisante lors du vieillissement (e. g. Kern, Petot, & Martin-
Krumm, 2016).
La santé mentale est fondamentalement liée à son antinomie, la maladie ou
le trouble mental, se référant à des classifications (CIM-11 ; DSM-5) et
correspondant à des troubles de durées variables, plus ou moins importants
(troubles bipolaires, dépression, schizophrénie, etc.). Cette santé mentale
négative englobe également le phénomène de souffrance psychologique ou la
détresse psychosociale, c’est-à-dire le fait de faire face à des difficultés
existentielles éprouvantes. Cela a participé à l’extension de la psychiatrie à
des domaines éthiques et/ou affectifs de la vie humaine (injustice, échec,
mécontentement, souffrance, frustration), autrefois « traités » en termes de
conflits sociaux ou de lutte politique. Le vocabulaire de la santé mentale est
devenu ainsi un idiome global rendant compte de la santé, mais beaucoup
plus largement de l’inscription sociale plus ou moins douloureuse du sujet
contemporain (Ehrenberg, 2010).
Venant en complément aux manuels de diagnostic et à leur approche en
termes de déficit et de pathologie, s’est développée par ailleurs une
conception positive de la santé mentale (voir chapitre 10 de Pauczik, Benny,
& Shankland du présent ouvrage), qui est apparue notamment dans le
mouvement initié par Martin Seligman dans les années 2000 promouvant des
recherches sur les traits de caractères, les relations et les institutions
favorisant l’épanouissement de la personne et de la société (Shankland,
2014), bien connu sous l’intitulé de psychologie positive (Seligman &
Csikszentmihalyi, 2000). Celle-ci s’est ainsi attachée à considérer plutôt des
indicateurs de santé et de fonctionnement optimal des personnes et de la
société en général. Elle ne se limite plus seulement à l’absence de troubles
psychiques ou de souffrance psychologique, mais renvoie également au
sentiment de bien-être. Selon l’OMS (2004), la santé mentale est définie
« comme un état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser,
surmonter les tensions normales de vie, accomplir un travail productif et
fructueux et contribuer à la vie de sa communauté ». La santé apparaît alors
comme une ressource pour parvenir à cet état de complet bien-être, sans
constituer un but en soi. Cette orientation vers les indicateurs de santé plutôt
que de maladie est destinée à contrebalancer sans les ignorer les facteurs de
vulnérabilité chez l’individu. Cette orientation offre la possibilité au patient
de renforcer son niveau de capabilité qui pourrait favoriser son rétablissement
dans un contexte de maladie.
Ainsi, l’intérêt grandissant pour la pluralité de sens et d’application du
concept de santé mentale est le signe de l’évolution des recherches et des
pratiques actuelles en psychologie, en psychiatrie et en psychothérapie
(Ehrenberg, 2010), qui tendent vers une autonomisation du sujet vulnérable et
une activation de ses ressources personnelles, sociales et environnementales.
Tout semble donc se passer comme si le changement de paradigme opéré
avec le développement de la psychologie positive allait permettre de
contribuer à envisager la santé sous un angle plus large que l’absence de
maladie. Or force est de constater qu’il est nécessaire d’envisager les choses à
la fois sous l’angle de la vulnérabilité des personnes mais aussi de leur niveau
de capabilité et de ressource afin d’accompagner leur autonomisation dans le
processus qui les conduira au rétablissement et à recouvrer la santé.
Dans la première partie seront analysés les concepts de vulnérabilité, de
capabilité et de rétablissement. Ils seront situés en interaction avec le champ
de la psychologie positive. Trois illustrations cliniques seront ensuite
proposées pour tenter de montrer comment les changements de paradigmes
en psychologie influent sur les approches thérapeutiques.

1. Le thème de la vulnérabilité : un nouveau


référent anthropologique et éthique
Le thème de la vulnérabilité est apparu dans les discours académiques
depuis une trentaine d’années, et a permis d’analyser des phénomènes aussi
variés que la croissance du sentiment de vulnérabilité physique,
psychologique, sociale dans les sociétés occidentales, ou le risque
d’accroissement des inégalités sociales. La vulnérabilité est envisagée comme
un état lié à toute potentielle menace réelle ou perçue sur la santé physique,
psychique ou sociale.
Le concept de vulnérabilité détient une dimension interdisciplinaire
complexe et polysémique. Il est donc abordé selon des épistémologies
différentes. Si le droit fait référence à la vulnérabilité comme risque potentiel,
il utilise peu le terme, préférant préciser le type de risque, tel l’abus de
faiblesse. La dimension éthique et philosophique de la notion de vulnérabilité
peut alors être considérée comme transversale aux autres approches
(psychologique, physique, juridique, sociologique, par exemple). C’est donc
cette dimension qui sera, dans cette partie, privilégiée. Une éthique de la
vulnérabilité essaiera alors d’identifier des pratiques d’hospitalité et de care
vis-à-vis des plus vulnérables. Cette éthique détient une dimension politique,
appelant la figure de la victime sur la scène sociale. Qu’il s’agisse de
traumatismes sociaux ou de blessures individuelles, la mise en évidence ou le
témoignage des préjudices subis deviennent dorénavant essentiels au cœur
des politiques de la reconnaissance (Fassin & Rechtman, 2007).
Dans le champ de la psychologie, le concept de vulnérabilité concerne
l’ensemble du champ d’intervention du praticien, tant il confère une
coloration éthique à cette dimension sensible de l’être humain. La
vulnérabilité n’est pas la fragilité, qui est un manque de solidité évaluable,
mais fait référence à un état plus complexe, impliquant une éventualité. Elle
est reconnue comme une condition existentielle, « normale » du vivant, de
l’être humain en particulier, et peut être considérée comme un nouveau
référent anthropologique, notamment avec les éthiques du care. Cette
dimension sensible de l’être humain se retrouve dans les travaux développés
par exemple par Michael Pluess (voir chapitre 26 de cet ouvrage). Dans ce
qu’ils ont d’essentiel, ses travaux révèlent que dans le champ de l’éducation,
un élève « sensible » qui serait exposé à un environnement toxique
(e. g. harcèlement) en verrait les effets accentués sur sa santé. Dès lors, la
sensibilité est envisagée comme facteur de vulnérabilité.
Avec cette nouvelle conception, l’autonomie ne s’oppose pas à la
vulnérabilité, mais se pense comme un horizon possible pour un sujet appelé
à devenir autonome (Ricœur, 2002). La vulnérabilité humaine est alors reliée
à trois caractéristiques anthropologiques fondamentales. L’être humain est
1) corporel et temporel, 2) relationnel et 3) son existence est conditionnée
(Maillard, 2020). La vulnérabilité est ainsi inscrite dans la corporéité
humaine, la maladie possible et le vieillissement. La dimension relationnelle
de l’humain entraîne une attention particulière à certaines périodes de la vie
(enfance, vieillesse) et à la dépendance qu’elles peuvent engendrer. La
vulnérabilité n’est pas alors « un mal qu’il faut éliminer » (Callahan, 2000,
p. 117), mais un négatif faisant « intrinsèquement partie de la vie humaine »
(Maillard, 2020, p. 46). La prise en compte de la vulnérabilité permet ainsi de
changer la conception de l’autonomie elle-même, « qui a besoin d’un certain
nombre de conditions pour se réaliser et qui est socialement produite »
(Maillard, 2020, p. 61).
Le concept de vulnérabilité s’insère alors dans une épistémè2 globale, ayant
présidé à l’émergence de la psychologie positive. En effet, cette dernière fait
référence à une conception de l’être humain inséré dans un réseau relationnel
enveloppé par une culture (Lecomte, 2015), et à une vision eudémonique de
la recherche du bonheur (Huta & Waterman, 2014 ; Waterman, 1993). Dans
le champ de la psychologie, la référence à une éthique de la vulnérabilité ne
s’oppose pas à la mobilisation des ressources du sujet, mais la (re)situe en
une rencontre dissymétrique où chacun des protagonistes (patient et
psychologue) se sait conjointement relié à la figure iconique de l’humain
vulnérable unissant « fondamentalement les hommes les uns aux autres »
(Pierron, 2010, p. 15).

2. L’approche par les capabilités : des


potentialités de fonctionnement à
développer
L’approche par les capabilités a été initialement développée par
l’économiste indien Amartya Sen (2010), pour penser les inégalités socio-
économiques et la pauvreté. Elle s’oppose aux éthiques utilitaristes selon
lesquelles chaque individu chercherait à maximiser ses intérêts. L’attention
n’est plus portée, comme en économie classique, sur la plus ou moins grande
rareté des ressources matérielles, mais sur le pouvoir d’agir des individus
dans le but d’accéder à ces ressources.
Ce concept de capabilité a ensuite été développé en philosophie par Martha
Nussbaum (2012) pour promouvoir la vie bonne. Elle intègre l’eudemonia3
fondatrice de la philosophie dans l’Antiquité grecque et l’idée de
vulnérabilité de la condition humaine. Deux attitudes sont adoptées pour faire
face à la vulnérabilité en philosophie morale classique (Rizzerio, 2020).
L’une tend à construire un cadre normatif dans lequel le sujet doit s’insérer,
quelles que soient ses conditions d’existence. Ce type d’attitude amoindrit la
liberté de choix du sujet. L’autre attitude, d’inspiration libérale, met en avant,
au contraire, la liberté personnelle inconditionnée de décision.
Nussbaum (2012) emprunte une troisième voie et s’inspire de la philosophie
d’Aristote pour montrer que la visée normative de la vie bonne doit
s’accommoder des conditions de vie du sujet et des situations de son agir.
Elle postule que l’agir humain est lui-même vulnérable, puisqu’il est soumis
à la tension entre la pluralité des biens parmi lesquels il faut choisir.
L’approche aristotélicienne de Nussbaum rejoint le paradigme eudémonique
de la psychologie positive, par lequel la vie bonne conjugue les aspirations
individuelles et la dimension du bien commun.
Selon Nussbaum (2012), les personnes auraient des capabilités de base,
c’est-à-dire des capacités inhérentes qui sont des potentialités de
fonctionnement devant être développées. La liste de ces capabilités de base
est la suivante (Nussbaum, 2012, p. 55-57) : pouvoir vivre une vie humaine
complète ; pouvoir être convenablement nourri et logé ; pouvoir éviter toute
souffrance inutile ; pouvoir employer les cinq sens et avoir des expériences
émotionnelles ; pouvoir développer l’attachement, l’affiliation ; pouvoir
élaborer une conception du bien et analyser les buts de sa propre vie ; pouvoir
vivre avec d’autres et manifester un intérêt pour eux ; pouvoir jouer et rire ;
pouvoir participer aux choix politiques ; jouir des droits de propriété sur une
base égalitaire avec les autres ; pouvoir travailler comme un être humain ;
être protégé contre les persécutions arbitraires. Ces capabilités ne constituent
pas des normes fixées, mais des visées fonctionnelles.
Ce concept permet ainsi d’allier les dimensions psychologique, éthique,
économique et sociale de l’agir. Il peut également être au centre de la
construction des politiques publiques, visant les personnes catégorisées
comme vulnérables (Thomas, 2010). Il a ainsi été largement utilisé pour
penser l’accompagnement des maladies chroniques et du handicap. Il s’agit
d’être attentif non seulement à la santé objective des personnes, mais aussi à
la manière dont elles assument leurs capabilités de santé.
La capabilité de santé est ainsi définie comme une « méta-capabilité »
complexe, résultat de la combinaison de plusieurs formes de capabilités
d’ordre physique, psychique et social (Venkatapuram, 2011). Elle est donc
composée également d’un versant social qu’il est possible d’activer selon les
problématiques abordées. Elle suppose par exemple une relation collaborative
entre les professionnels et les sujets en situation de vulnérabilité en les
associant au processus de soin, et en valorisant leurs choix de vie. Cette
perspective rejoint les innovations dans les champs de la gériatrie, de la fin de
vie et de la psychiatrie, avec le développement des « directives anticipées »
permettant de favoriser le respect des volontés et des préférences antérieures
des personnes, qui ne sont dès lors plus en capacité de décider par elles-
mêmes de la manière dont elles veulent être soignées.
La construction du droit est donc également révélatrice de l’importance
prise par le paradigme des capabilités dans notre société, avec des
implications fortes dans les pratiques d’accompagnement des personnes. La
prise en charge psychologique nécessite effectivement la prise en compte de
ces éléments, particulièrement chez les personnes en situation de
vulnérabilité. La Convention internationale de l’ONU relative aux droits des
personnes handicapées (CIDPH), élaborée en 2006 par les États membres et
des ONG de personnes en situation de handicap (Béal & Eyraud, sous
presse), stipule qu’en aucun cas la capacité juridique des personnes à
s’autodéterminer ne doit être remise en cause, l’article 12 prônant
particulièrement l’abolition des mesures de prise de décision substitutive
(i. e. curatelle, tutelle, soins sans consentement). Ces enjeux éthiques dans les
pratiques d’accompagnement visent au respect des droits fondamentaux des
personnes, et confrontent bien souvent les différents acteurs à les nier dans
l’intérêt des personnes, par exemple dans la situation de la contrainte de soin
(Béal et al., 2019).
Donnons, pour finir, quelques exemples de prise en compte des capabilités
dans le champ de la psychologie positive. Le modèle PERMA, développé par
Seligman (2011), conjugue ainsi les aspirations individuelles et la dimension
du bien commun, dans la visée de la vie bonne. L’acronyme PERMA signifie
« plaisir » (c’est la dimension hédonique du bonheur), « engagement » (les
opportunités qui sont données à la personne d’être engagée dans un état de
flow – voir chapitre de Heutte du présent ouvrage), « relations » (ici les
relations positives entretenues par la personne, c’est l’aspect social), « sens »,
meaning, (autrement dit le sens à la vie – voir le chapitre 36 de Baudé et
Bernaud du présent ouvrage) et « accomplissement » (autrement dit le fait
d’avoir des occasions de s’accomplir dans la vie). Certains de ces facteurs se
retrouvent dans d’autres modèles comme celui du Fonctionnement Optimal
en Société développé par Vallerand (e. g. Vallerand & Bragoli-Barzan, 2019 ;
Vallerand, 2013) ou ceux développés par Keyes (e. g. 1998).
La prise en compte des capabilités se décline aussi dans l’approche par les
forces qui est développée dans différents contextes, organisationnel
(e. g. Heintz & Ruch, 2020 ; Dubord et al. du présent ouvrage), de
l’éducation (e. g. Höfer et al., 2020) ou de la santé (Kirchner et al., 2016 ;
Rashid & McGrath, 2020). Cette approche suscite un grand nombre de
recherches tant du point de vue de l’étude des effets des forces sur des
variables cognitives ou comportementales par exemple, que sur les modalités
d’interventions et l’évaluation de leur efficacité (voir Niemiec & McGrath,
2019, pour une revue). Le modèle auquel il est le plus classiquement fait
référence est le modèle Values in Action (VIA ; Peterson & Seligman, 2004).
Il est structuré autour de 24 forces de caractère (e. g. optimisme, résilience,
leadership, gratitude, etc.) qui s’agrègent autour de 6 valeurs (sagesse et
connaissance, courage, humanité, transcendance, justice, modération). Ce
modèle n’est pas le seul qui soit identifié dans la littérature (voir Miglianico
et al., 2019). Le modèle VIA est intégré à aux psychothérapies telles qu’elles
se déclinent à partir de travaux issus de la psychologie positive (Rashid &
Seligman, 2018, 2019).

3. Le concept de rétablissement : vers un


nouvel équilibre du sujet
Le concept de rétablissement s’est développé dans le champ de la santé
mentale et s’insère dans la lignée épistémique des capabilités. Le
rétablissement suppose une disjonction entre le processus morbide et
l’évolution du sujet malade. Il s’agit notamment de « se dégager de l’identité
de malade psychiatrique » (Pachoud, 2012). Le terme anglais de recovery
traduit par « recouvrement » laisserait supposer le retour à un statu quo ante
de santé. Le vocable de rétablissement correspond cependant mieux à l’idée
qu’un autre équilibre peut être trouvé, indiquant une forme d’apprivoisement
du processus morbide. « La perspective du rétablissement se décentre de la
réduction des troubles, souvent considérée comme le moyen, au profit de
l’exercice de la liberté… » (Pachoud, 2018, p. 51). La liberté comme moyen,
promue par Amartya Sen, se trouve ainsi au centre d’une philosophie de
l’accompagnement et du soin.
Le trouble mental peut alors être abordé par les professionnels de santé à
trois niveaux (Barbès Morin & Lalonde, 2006) :
1. celui du déficit qui suppose un traitement (psychotropes, psychothérapies,
remédiation cognitive) ;
2. celui de l’invalidité où il s’agit d’initier un processus de réhabilitation pour
aider la personne à acquérir des habiletés (notamment sociales) ;
3. le rétablissement qui s’inscrit, quant à lui, dans un processus
d’empowerment sur le savoir-être de la personne, tenant compte de son
interaction avec l’environnement et de l’alliance thérapeutique.
Le rétablissement peut alors être défini par trois axes :
1. un axe psychopathologique (avec une rémission symptomatique) ;
2. un axe de fonctionnement psychosocial (autonomie, relation sociale, santé
mentale positive) ;
3. un axe temporel supposant que la pathologie et le fonctionnement
psychosocial soient stabilisés (Liberman et al., 2002).
Il existe cependant deux acceptions du rétablissement, l’une plus objective,
symptomatique et fonctionnelle, supposant un retour au fonctionnement
prémorbide. L’autre plus subjective et expérientielle, insistant sur la
démarche de transformation personnelle du patient, et misant sur une
approche phénoménologique et herméneutique des troubles (Koenig, 2016)
conduisant potentiellement à une croissance post-traumatique (Kretsch et al.,
2011).
En ce dernier cas, il s’agit d’un changement de paradigme4 concernant le
trouble mental. Le rétablissement s’inscrit dans la même démarche que la
« médecine fondée sur des valeurs », value-based medicine, par opposition à
evidence-based medicine (médecine fondée sur des données probantes). Il
dépend d’une vision communautaire de la politique de soins qui a émergé aux
États-Unis dans les années 1960, plus récemment dans les pays européens
(Dugravier et al., 2009), tendant à aborder le patient dans son cadre de vie.
Les professionnels accompagnent le sujet « malade » dans la restauration de
son projet de vie, ainsi que dans la confiance en ses propres capacités. Cette
vision globale est résolument éthique, ambitionnant l’autodétermination.
Avec le slogan Nothing about us, without us revendiqué dans le milieu du
handicap, la dimension participative du patient ainsi que de son entourage, à
ses soins est prônée (Greacen & Jouet, 2012). Le patient et sa famille peuvent
également accompagner le rétablissement d’autres personnes souffrant du
même type de trouble, c’est le phénomène de pair-aidance. Cette approche,
dans le cadre de la prise en charge de la souffrance psychologique
potentiellement engendré par la maladie, pourrait révéler des proximités avec
les approches transactionnelles de la résilience (voir chapitre 7 de Métais
et al., dans le présent ouvrage). En effet, le processus d’adaptation initié pour
faire face à l’événement traumatique faisant rupture avec le continuum de la
vie du sujet, les situations extrêmes évoquées par Fisher (1994), est certes
dépendant de ses capabilités propres, mais aussi de celles qu’il trouve dans
son environnement social. Le niveau de résilience de la personne est donc
dépendant, certes, des ressources propres, mais aussi de celles qui lui sont
offertes dans les dispositifs de prise en charge.
L’approche psychothérapique du rétablissement pourra alors être pensée
comme un accompagnement de la mise en sens de la maladie, inspirée de la
phénoménologie et de l’herméneutique (Ricœur, 1983). La santé ne sera pas à
retrouver comme une normalité, s’opposant à l’anormalité de la maladie. Par
le rétablissement, le sujet se fait (re)créateur de valeurs et de normes vitales
propres, adaptées à son expérience de vie. Dans le cadre du rétablissement
expérientiel, le récit de soi devient le moyen privilégié d’une redéfinition
identitaire. Dans certains cas, le sujet se perçoit positivement transformé par
la maladie, dans la mesure où elle lui aurait appris quelque chose de lui-
même (Noiseux & Ricard, 2008). Ce processus lui donne l’occasion
d’effectuer une approche métacognitive de ses états internes, afin de les
appréhender et de les relier entre eux, palliant ainsi partiellement les déficits
cognitifs élémentaires (Lysaker et al., 2007). Plus qu’un retour à un état
antérieur, le rétablissement s’envisage donc conjointement avec une plus-
value accompagnée ou pas d’un changement de valeurs.
Dans la suite de ce chapitre, trois illustrations cliniques vont permettre
d’illustrer le propos afin de montrer comment ces changements de
paradigmes en psychologie modifient les approches thérapeutiques.

4. La psychothérapie brève à l’épreuve de la


vulnérabilité
Le travail réalisé au sein de cette psychothérapie illustre une situation de
vulnérabilité. Jeanne âgée de 45 ans, en arrêt de travail longue durée, est
orientée en consultation hypnose et relaxation, par le service hospitalier qui la
suit. Elle souffre d’atroces céphalées de tension, si intenses qu’elle a parfois
envie de se suicider. Elle est épuisée, très déprimée et semble extrêmement
vulnérable sur les plans psychologique et physique. Les nombreuses
interventions médicamenteuses visant à réduire la douleur ont échoué.
L’anamnèse indique que les céphalées ont commencé à la suite d’une
surcharge professionnelle importante. Elle rapporte avoir été soumise à un
stress professionnel chronique, lié à de la pression hiérarchique et à un
rythme de travail intense. Au moment de la consultation, la situation est
devenue chronique et l’arrêt de travail dure depuis huit mois.
Lors des premières consultations, la patiente explique que des difficultés
personnelles et interpersonnelles s’ajoutent à cet épuisement professionnel.
En effet, elle se décrit comme une superwoman et très vite, elle prend
conscience d’un besoin élevé de relever des défis et d’être estimée au travail.
Elle comprend progressivement lors de l’élaboration de son récit de vie, que
son investissement professionnel fort était une manière de contourner la
vulnérabilité de sa vie personnelle. En effet, sa trajectoire de vie paraît
marquée par un sentiment d’abandon de la part de ses parents, par un
isolement à la suite d’un divorce, et par des querelles familiales avec ses
enfants.
Dans le cadre de la psychothérapie brève qui a été envisagée, l’enjeu
principal pour cette patiente a été de parvenir à réduire l’intensité des
céphalées. Pour le thérapeute, il s’est agi d’accompagner cette patiente dans
ce travail d’acceptation de sa vulnérabilité et dans l’instauration de l’alliance
thérapeutique (Bioy & Bachelard, 2010 ; Marteau et al., 2014). En effet, il est
très difficile pour elle de s’investir dans les exercices de relaxation. Le
thérapeute a observé des sentiments d’inquiétude face à la thérapie et de
défiance qui apparaissaient de manière implicite durant les séances. La
patiente interrompait régulièrement les exercices pour rapporter des
événements de sa vie quotidienne qui la mettaient en rage. Le travail
thérapeutique s’est centré alors sur le fait de donner sens à ce qui se jouait en
elle, sur les plans affectif et relationnel pendant les séances. Un travail sur
l’alliance thérapeutique a été réalisé pour l’amener à accepter l’aide du
thérapeute, ainsi que la dimension psychologique des céphalées. L’enjeu pour
le thérapeute a été de ne pas se figer lui-même dans une attitude agressive, ou
trop à distance qui aurait détérioré la qualité de la relation professionnelle et
aurait fait obstacle à l’évolution du patient (Plantade-Gipch, 2019 ; Safran &
Muran, 2016).
Graduellement, la patiente s’est apaisée et s’est investie dans les exercices
de relaxation. Elle est parvenue à tenir compte de sa vulnérabilité, à respecter
ses propres limites, et celles de son psychothérapeute. Cet arrimage
progressif à l’alliance thérapeutique, lui a permis de restaurer sa confiance en
sa capacité à réduire la douleur des céphalées, la repositionnant dans une
situation d’autonomie, de confiance et d’apaisement.
5. Mobiliser les capabilités des personnes
en situation de handicap : un recueil de
consentement éclairé
Dans le cadre des recherches en psychologie auprès des personnes porteuses
de handicap, une attention particulière est portée à l’émergence des capacités
d’autodétermination, qui garantiront la liberté, l’autonomie et le respect des
libertés de chacun. L’autodétermination se définit comme « les habiletés et
les aptitudes, chez une personne, lui permettant d’agir directement sur sa vie
en effectuant librement des choix non influencés par des agents externes
indus » (Lachapelle & Boisvert, 1999). Elle se décline en quatre composantes
qui la déterminent :
• l’autonomie, autrement dit la capacité d’une personne à décider, à mettre en
œuvre ses décisions et à satisfaire ses besoins particuliers, sans sujétion à
autrui ;
• l’autorégulation autrement dit un ensemble de stratégies, savoir-faire et
séquences organisées d’actions ou de réponses permettant à un individu de
parvenir à une solution aussi satisfaisante que possible pour résoudre un
problème ;
• l’empowerment psychologique soit différentes dimensions de la perception
de contrôle parmi lesquelles le sentiment d’efficacité personnelle (Bandura,
2007) ;
• et enfin l’autoréalisateur ou auto-actualisation soit les connaissances
d’elles-mêmes que les personnes tirent d’une situation5.
Être capable de décider de participer à une recherche nécessite d’être en
capacité de comprendre les enjeux de cette participation et de pouvoir
consentir de manière « libre et éclairée » à cette participation. Prenons
l’exemple des recherches menées auprès de personnes ayant une déficience
intellectuelle (DI). Le premier enjeu est alors de leur rendre les travaux
accessibles. Cette question du recueil du consentement est d’autant plus
importante à considérer que les personnes présentant une DI sont souvent
dans un souci de désirabilité sociale et ont donc une forte propension à
l’acquiescement. D’autant plus, si la proposition de participation est faite par
des partenaires institutionnels, par lesquels les personnes peuvent être
accompagnées dans leur vie quotidienne. Dès lors le chercheur se doit d’être
vigilant quant à son positionnement éthique.
Au cours des recherches, des aménagements doivent être réalisés pour
rendre accessibles et compréhensibles les informations relatives à celles-ci.
Parmi ces aménagements, les protocoles de recueil de consentement peuvent
être pensés en veillant à diversifier les ressources mobilisables par les
personnes en situation de handicap (Poujol, 2016) :
1. l’appui sur un formulaire écrit servant de trame lors d’une présentation de
la recherche en groupe ;
2. la présence d’un membre de l’institution lors de la présentation de la
recherche, devenant alors un interlocuteur privilégié pouvant exercer une
fonction de médiateur entre les chercheurs et les personnes en situation de
handicap ;
3. la présentation orale de la recherche s’appuyant sur un diaporama avec des
pictogrammes, reprenant la trame des formulaires écrits (Petitpierre et al.,
2013) ;
4. puis, pour garantir un partage d’informations similaires entre les
participants à la recherche et les représentants légaux, un unique document
informatif, rédigé dans un vocabulaire accessible et facile à comprendre est
diffusé.
Lesdits formulaires doivent bénéficier d’un travail d’accessibilisation. Cela
peut se faire avec les personnes en situation de handicap, en amont de la
recherche, au moyen de temps de travail collaboratifs (Poujol, 2016). Ces
derniers permettent alors d’adapter les consignes de départ, de choisir des
mots adaptés, avec des tournures de phrases plus simples et plus courtes. Par
exemple, la phrase : « Votre participation à ce projet de recherche est
volontaire et non rémunérée », est devenue, à la suite du travail de Damien,
volontaire pour adapter la lettre d’information : « C’est vous qui décidez de
participer à ce projet de recherche. Votre participation est non payée. »
Impliquer les participants à la recherche, dès l’élaboration des outils
méthodologiques, permet l’accessibilisation des informations et
l’accompagnement de la prise de décision. La personne en situation de
handicap est alors à même d’exercer ses capacités d’autodétermination pour
choisir, en connaissance de cause, de participer ou non à la recherche. On
peut alors penser recueillir un consentement véritablement libre et éclairé du
sujet et obtenir ainsi de lui une contribution plus impliquée et pertinente.
6. Quand la remédiation cognitive aide à
développer les ressources cognitives chez
les patients schizophrènes : un exemple de
processus de rétablissement
Pascal, 27 ans, a reçu un diagnostic de schizophrénie il y a trois ans. Après
un cursus d’études brillant dans une école d’ingénieurs d’excellence, un
premier épisode psychotique survient lors de sa prise de poste. Bien stabilisé
depuis, il présente cependant une gêne cognitive importante sur les plans
attentionnel, mnésique et exécutif entravant son travail et alimentant un
sentiment d’incompétence professionnelle et une diminution de l’estime de
soi en effet, les troubles cognitifs touchent 70 % à 80 % des patients
schizophrènes et jouent un rôle majeur dans le handicap fonctionnel qui leur
est associé, souvent plus important que celui des symptômes cliniques
constituant le noyau de la maladie.
À ce jour, de nombreuses études et méta-analyses ont investigué l’impact de
la remédiation cognitive au niveau cérébral. Les améliorations cognitives
qu’elle suscite sont alors corrélées positivement avec des modifications
cérébrales fonctionnelles et structurelles (Matsuda et al., 2019). La neuro-
imagerie a mis en évidence des modifications fonctionnelles, et tout
particulièrement au niveau de la perfusion préfrontale. Ces résultats
concordent avec l’hypothèse de l’hypofrontalité, connue pour être à l’origine
des troubles cognitifs dans la schizophrénie. Les modifications structurelles
concernent notamment une meilleure préservation de la matière grise au
niveau de différentes structures impliquées dans les fonctions mnésiques et
sociales (Eack et al., 2010). Un nouveau cadre théorique a alors émergé, ne
se focalisant plus uniquement sur l’aspect neurofonctionnel en lien direct
avec des tâches cognitives spécifiques, mais prenant en compte la
connectivité de certains réseaux et notamment le réseau par défaut, dont les
dysfonctionnements ont été montrés dans la schizophrénie (Northoff &
Duncan, 2016). La remédiation cognitive permettait une restauration de la
désactivation du réseau par défaut chez des patients.
Ce contexte théorique explique la raison pour laquelle Pascal est orienté en
remédiation cognitive (RC) en complément de sa prise en charge
pharmacologique et psychothérapeutique. La RC s’inscrit dans le champ de la
réhabilitation psychosociale. Outre son efficacité maintenant bien établie
dans la schizophrénie (Wykes et al., 2011), la RC est aussi l’occasion pour le
sujet de conscientiser ses ressources et de développer sa métacognition,
favorisant ainsi le rétablissement tel qu’il est défini plus haut.
Le programme de RC proposé à Pascal est Remédiation cognitive dans la
schizophrénie (RECOS). Il comporte une évaluation neuropsychologique
(mémoire, attention, fonctions exécutives) et clinique incluant des
dimensions subjectives (gêne cognitive, handicap fonctionnel, estime de soi,
qualité de vie) dont la restitution des résultats permet la définition d’objectifs
fonctionnels communs avec le sujet. C’est en effet en dirigeant la cible des
interventions vers ce que la personne désire et les buts qu’elle s’est choisis
que la remédiation contribue au rétablissement du sujet. Pascal suit ensuite
trois séances hebdomadaires de remédiation pendant quatorze semaines. Il a
pu améliorer, à l’issue de la thérapie, a pu améliorer ses capacités
attentionnelles et exécutives, mais surtout prendre conscience de ses
ressources et développer ses compétences métacognitives, ce qui est
particulièrement important pour un sujet qui fut un étudiant brillant, et a dû
traverser l’épreuve d’une perte de fonctionnalité intellectuelle. Son adaptation
professionnelle s’en est trouvée améliorée et a ainsi concouru de son
rétablissement.

Conclusion
L’approche par la vulnérabilité ne concerne pas seulement la psychologie :
elle implique une attitude et une responsabilité éthiques globales « vis-à-vis
du cosmos, du vivre ensemble et des communautés qui soutiennent les
vivants » (Fino, 2019, p. 13). Plus spécifiquement, il s’agit de « changer
d’hypothèses sur les humains » (Tronto, 2009, p. 211) et de substituer à « la
morale de l’autonomie […] une éthique de la vulnérabilité » (Goldstein,
2011, p. 5.). La « morale de l’autonomie » suppose, en effet, si elle est portée
à son absolue, une autonomie et une liberté indéterminées et « hors sol ».
L’éthique de la vulnérabilité suppose, en revanche, que l’autonomie n’est
plus un but absolu à atteindre hors de tout contexte, mais un horizon possible
au sein d’existences pour une part conditionnées et contraintes. La
reconfiguration de l’action des professionnels (psychologues, médecins,
travailleurs sociaux) vis-à-vis des sujets en souffrance ou en situation de
handicap, notamment à travers les notions de capabilités et de rétablissement,
s’ordonne alors au service d’un « pouvoir être » qui ne méconnaît pas les
aspects limitatifs des processus morbides, mais cherche cependant à
mobiliser les ressources créatrices des personnes au cœur des situations
concrètes (physiques, psychiques, sociales) auxquelles ils sont confrontés.

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1. Par Fanny Marteau-Chasserieau, Arnaud Béal, Anne-Laure Poujol, Charlotte Soumet-Leman, Elodie
Barat, Anne Plantade-Gipch, Charles-Martin Krumm et Jacques Arènes.
2. Une épistémè est un agencement des savoirs relatif à une époque donnée.
3. L’eudémonia est une doctrine philosophique qui pose le bonheur comme la finalité naturelle de la vie
humaine.
4. Selon Thomas Kuhn, les révolutions scientifiques sont liées à des changements de paradigme
émergeant au cours de crises évolutionnelles. Un paradigme est un modèle cohérent de vision du
monde (Kuhn, 1983).
5. http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/6816/Chapitre_12.html?
sequence=296&isAllowed=y.
Chapitre 15
L’activité physique,
une pratique de psychologie
positive à promouvoir
pour favoriser le bien-être des
jeunes et des personnes âgées1

Sommaire
1. L’activité physique, un vecteur d’amélioration du bien-
être
2. Les mécanismes explicatifs de la relation entre AP et
bien-être
3. L’insuffisance d’activité physique, un constat
préoccupant
4. Modèles théoriques du changement de comportement
d’activité physique
5. Promouvoir l’activité physique chez les jeunes et les
personnes âgées
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
L’activité physique (AP) est une pratique de psychologie positive
favorisant le bien-être, mais en dépit de ses effets bénéfiques, le
taux d’AP demeure insuffisant. Ce chapitre présente les leviers de
la promotion de l’AP chez les jeunes et les personnes âgées.
Résumé long
L’activité physique (AP) est un vecteur d’amélioration de la qualité
de vie, mais le taux le pratique de la population est insuffisant et
demeure une préoccupation forte de santé publique. Ce chapitre
propose un état des lieux de la question en se focalisant sur les
jeunes et les personnes âgées. Il développe les effets bénéfiques
de l’AP sur la santé et le bien-être des jeunes et des personnes
âgées, ainsi que les mécanismes biologiques, psychologiques et
sociaux explicatifs de la relation AP – bien-être. Il présente ensuite
différents modèles sociocognitif et affectifs de la psychologie de la
santé qui permettent d’éclairer les pistes d’intervention en matière
de promotion de l’AP en direction de ces deux populations. Chez
les jeunes, les leviers proposés par le modèle SAAFE (soutien,
actif, autonomie, fun, équité) sont illustrés dans le contexte de
l’éducation physique scolaire. Chez les personnes âgées, les
techniques habituellement utilisées chez les adultes plus jeunes ne
fonctionnant pas, les leviers issus du modèle de l’incorporation des
stéréotypes sont proposés en guise de pistes pour l’intervention.

Mots-clés : activité physique, bien-être, motivation, intervention.


Questions
• Quels sont les mécanismes explicatifs de la relation entre activité
physique et bien-être ?
• Quels sont les leviers de l’activité physique mis en évidence par
les modèles sociocognitifs et affectifs contemporains ?
• Quelles stratégies d’intervention peut-on utiliser pour promouvoir
l’activité physique chez les jeunes et les personnes âgées ?

Le sport, et plus largement l’activité physique (AP), est un vecteur


d’amélioration de la qualité de vie (OMS, 2010). Les travaux qui ont porté
sur l’AP dans le champ de la psychologie positive ont essentiellement
investigué en quoi les concepts phares de cette dernière (e. g. forces de
caractère, espoir, optimisme, flow, pleine conscience, résilience) participaient
à l’amélioration de l’expérience sportive des pratiquants, comme en témoigne
le récent ouvrage de synthèse de Brady et Grenville-Cleave (2018).
Toutefois, ces travaux ne se restreignent pas à l’étude du pratiquant et à
l’amélioration de ses expériences et performances sportives. Ils s’intéressent
aussi aux mécanismes explicatifs de la relation entre AP et bien-être, ainsi
qu’à la question de la promotion de l’AP à des fins de santé, auprès des
populations qui ne la pratiquent pas suffisamment ou pas du tout. En effet, en
dépit de ses effets bénéfiques sur la santé physique et psychologique, le taux
d’AP insuffisant de la population demeure une préoccupation forte des
politiques de santé publique.
Ce chapitre se propose dès lors de faire un état des lieux de la question en se
focalisant sur les jeunes et les personnes âgées, un autre chapitre de cet
ouvrage traitant spécifiquement de l’AP chez les adultes. Plus précisément, ce
chapitre développera les effets bénéfiques de l’AP sur la santé et le bien-être
des jeunes et des personnes âgées, ainsi que des mécanismes explicatifs de la
relation entre AP et bien-être. Il présentera ensuite différents modèles
contemporains de la psychologie du sport et de la santé qui permettront
d’éclairer les pistes d’intervention en matière de promotion de l’AP en
direction de ces deux populations.

1. L’activité physique, un vecteur


d’amélioration du bien-être
Activité physique
« Tout mouvement corporel produit par les muscles squelettiques qui
résulte en la dépense d’énergie » (Caspersen et al., 1985). Ce terme inclut
à la fois les activités sportives structurées (e. g. football, tennis), les
activités de loisir sportives ou non (e. g. footing, jardinage) et les
déplacements actifs (e. g. aller au travail à pied ou à vélo).
Bien-être
Deux types de bien-être sont fréquemment décrits dans les recherches en
psychologie positive : le bien-être subjectif et le bien-être psychologique.
Le bien-être subjectif renvoie à l’expérience fréquente d’affects positifs
(joie, plaisir, gratitude…), un faible degré d’affects négatifs (anxiété,
dépression, culpabilité…), et un sentiment élevé de satisfaction par
rapport à sa vie (Diener, 1984). Le bien-être psychologique repose
davantage sur une conception existentielle et non hédonique, incluant des
dimensions telles que l’acceptation de soi (attitude positive envers soi), la
croissance personnelle (découvrir de nouvelles expériences et
perspectives), le sens de la vie (se sentir avancer vers ses buts de vie), la
maîtrise de l’environnement (sentiment de pouvoir gérer sa vie),
l’autonomie (sentiment d’autodétermination) et les relations positives
(satisfaction relationnelle).
Les effets bénéfiques de l’AP sur la santé dans la population générale sont
désormais bien documentés. La pratique régulière d’une AP permet de
réduire la mortalité précoce, le risque de maladies cardiovasculaires, de
diabète de type 2, d’obésité, ainsi que la survenue de plusieurs cancers. Elle
constitue également un facteur de prévention de certains troubles mentaux
(e. g. dépression, anxiété) et de promotion du bien-être (pour une synthèse en
français, voir ANSES, 2016 ; INSERM, 2008).
Plus spécifiquement, chez les jeunes de moins de 6 ans, l’AP pratiquée sous
forme de jeux en extérieur a un effet majeur sur la minéralisation et la densité
osseuse, ainsi que sur la réduction du tissu adipeux et du risque d’obésité
(PAGAC, 2018). Chez les enfants plus âgés et les adolescents, une AP
pratiquée à intensité modérée à vigoureuse améliore sensiblement les
capacités cardiorespiratoires et musculaires, réduit le risque d’obésité et
accroît la masse et la résistance osseuse (PAGAC, 2018). En ce qui concerne
les effets de l’AP sur les résultats scolaires et les capacités cognitives, une
tendance positive se dégage bien que les résultats des études manquent
encore de consistance (Poitras et al., 2016). En revanche, l’AP ne semble
avoir aucun effet sur le développement des comportements prosociaux, la
réduction du stress et sur l’estime de soi des jeunes (Poitras et al., 2016).
Chez les personnes âgées, la pratique régulière d’une AP réduit le taux de
mortalité, et la fréquence des cardiopathies coronariennes, de l’hypertension
artérielle, des accidents vasculaires cérébraux, du diabète de type 2, du cancer
du côlon et du cancer du sein. Elle améliore également l’endurance
cardiorespiratoire, ainsi que la masse et la constitution corporelle. En outre, le
fait de pratiquer une AP est associé à un risque de chute moindre et à une
amélioration de la fonction cognitive. Par ailleurs, une AP régulière permet
de favoriser le bien-être chez cette population. Une méta-analyse de trente-six
études de Netz, Wu, Becker et Tenenbaum (2005) a par exemple montré des
effets sur le bien-être trois fois plus élevés dans les groupes participant à un
programme d’AP que dans les groupes contrôle, les effets étant plus
importants pour l’activité aérobie d’intensité modérée.
Pour que ces effets bénéfiques se produisent, un certain niveau d’AP est
requis. On parle d’une relation « dose-effet ». L’Organisation mondiale de la
santé a formulé en 2010 des recommandations mondiales sur l’AP :
• Pour les enfants et adolescents âgés de 5 à 17 ans, il est préconisé
d’accumuler au moins 60 minutes par jour d’AP d’intensité modérée à
soutenue. L’AP quotidienne devrait être essentiellement une activité
d’endurance. Des activités d’intensité soutenue, notamment celles qui
renforcent le système musculaire et l’état osseux, devraient être incorporées
au moins trois fois par semaine.
• Pour les personnes âgées de 65 ans et plus, il est recommandé de pratiquer
au moins, au cours de la semaine, 150 minutes d’activité d’endurance
d’intensité modérée, ou au moins 75 minutes d’activité d’endurance
soutenue. Les personnes âgées dont la mobilité est réduite devraient
pratiquer une AP visant à améliorer l’équilibre et à prévenir les chutes au
moins trois jours par semaine. Des exercices de renforcement musculaire
faisant intervenir les principaux groupes musculaires devraient être
pratiqués au moins deux jours par semaine.
La relation « dose-effet » signifie que de faibles niveaux d’AP, mêmes
inférieurs aux seuils recommandés, sont quand même associés à des
bénéfices sanitaires, et que la pratique au-delà de ces seuils entraîne des
bénéfices supplémentaires pour la santé. Toutefois, il convient de souligner
qu’au-delà d’une certaine « dose », des niveaux d’AP trop élevés pourraient
avoir des effets délétères sur la santé (pour une revue en français, voir Kern
et al., 2020). En effet, lorsque l’AP est pratiquée de façon extrême dans la
fréquence et dans la durée, elle peut être associée à une impulsion irrésistible
de continuer l’AP en dépit des blessures, de la maladie, de la fatigue, ou
d’autres obligations personnelles (Hausenblas & Downs, 2002). Elle peut
alors entraîner un vieillissement accéléré du cœur, des risques de blessures,
des syndromes de surentraînement, un burnout, des troubles du
comportement alimentaire, un dysfonctionnement du système immunitaire,
une fatigue chronique, des conduites suicidaires, le recours au dopage (Wasfy
& Baggish, 2016). La prévalence de ce phénomène reste faible et touche
essentiellement les disciplines d’endurance (courses de longues distances,
marathon, cyclisme, natation et triathlon), les disciplines en lien avec la force
(haltérophilie, bodybuilding, crossfit), les disciplines en lien avec la santé
(fitness), les disciplines artistiques où les formes du corps ou le poids sont
importants pour la performance (danse, gymnastique). Cette pratique d’AP
excessive ou problématique est en fait un mécanisme d’adaptation qui permet
de réguler ou d’éviter les affects négatifs et les états émotionnels aversifs
(Freimuth, Moni, Kim, 2011). Elle permettrait ainsi de retrouver un équilibre
émotionnel, ce qui est un point commun aux autres addictions avec ou sans
substance.

2. Les mécanismes explicatifs de la relation


entre AP et bien-être
Trois catégories de mécanismes (i. e. biologiques, psychologiques et
sociaux) sont actuellement proposées pour expliquer les bénéfices
psychologiques de la pratique d’AP (Taylor & Faulkner, 2008).

2.1 Mécanismes biologiques


La pratique d’une AP engendre l’élévation de la température corporelle, la
réduction de la tension musculaire et de l’excitabilité du système nerveux
central, l’augmentation de la sécrétion d’endorphine et des
neurotransmetteurs chimiques cérébraux, l’amélioration de la circulation
sanguine cérébrale, etc. Ces effets physiologiques, neurologiques et
biochimiques de l’AP sont reconnus pour leurs effets antidépresseurs et
analgésiques, ainsi que pour leur fonction de régulation de l’humeur
(e. g. Wipfi, Landers, Nagoshi, & Ringenbach, 2011). Ils contribuent en cela
à la réduction des troubles anxieux et dépressifs.

2.2 Mécanismes psychologiques


Trois mécanismes psychologiques sont régulièrement mis en avant dans la
littérature scientifique (Trouilloud, 2011) : la distraction psychologique,
l’amélioration du sentiment d’efficacité personnelle, et l’augmentation du
sentiment de maîtrise et de contrôle personnel.
L’AP peut tout d’abord agir comme une « distraction psychologique », en
nous mettant psychologiquement à distance du stress et des émotions
négatives quotidiennes. Cette diversion produite par la pratique d’une AP
créerait une « pause », un temps mort dans les vicissitudes de notre existence,
et contribuerait ainsi au maintien d’un certain bien-être. Ce phénomène
semble être impliqué dans les effets antidépresseurs à court terme associés à
une pratique physique occasionnelle (e. g. Paluska & Schwenk, 2000).
Le renforcement du sentiment d’efficacité personnelle permet également
d’expliquer les bénéfices psychologiques associés à une AP. Il désigne les
croyances d’un individu quant à ses capacités à réaliser des tâches
particulières (Bandura, 2003). Un sentiment d’efficacité personnelle élevé est
un facteur de protection contre le stress et l’anxiété. La pratique d’une AP
peut être l’occasion de vivre des expériences d’accomplissement, de progrès
et de réussite susceptibles de générer une amélioration du sentiment
d’efficacité personnelle, notamment sur le plan physique et moteur. Par
exemple, un changement morphologique engendré par une perte de poids ou
un gain de force musculaire dus à une pratique régulière d’AP peut conduire
à une amélioration de l’image de soi et de la satisfaction corporelle. Ce
mécanisme peut se relever particulièrement important chez les personnes
âgées, car la perte de certaines capacités motrices et fonctionnelles engendre
souvent une diminution du sentiment d’efficacité personnelle (e. g. McAuley
et al., 2005).
De plus, lorsque l’AP fait vivre des expériences de progrès et
d’accomplissement personnel, elle peut également développer chez l’individu
un sentiment de maîtrise de son corps et de contrôle sur soi-même. Dans cette
perspective, l’AP peut donc être perçue comme un moyen de prendre le
contrôle de son corps, notamment par le développement de nouvelles
capacités motrices, et ainsi d’accroître l’autonomie ressentie et la capacité à
faire face aux situations quotidiennes. Chez les populations âgées, ce
sentiment de maîtrise corporelle peut avoir des incidences sur leur mobilité et
leur capacité à vivre en autonomie.

2.3 Mécanismes sociaux


Les interactions sociales accompagnant une pratique d’AP permettent
également d’expliquer les bénéfices psychologiques de l’AP. En effet, les
opportunités d’interactions sociales fournies par certaines formes d’AP
peuvent renforcer le sentiment d’appartenance sociale. Ainsi, les relations
sociales inhérentes à la pratique d’une AP, de même que le soutien social
susceptible de se produire lors de ces moments de pratique, joueraient un rôle
important dans l’apparition de bénéfices psychologiques, notamment en
contribuant à la réduction du risque de développer des troubles mentaux
(e. g. McNeill, Kreuter, & Subramanian, 2006). Le développement des
contacts sociaux au travers d’une AP peut être particulièrement bénéfique
pour la santé mentale des personnes âgées ou les individus dépressifs (Biddle
& Mutrie, 2001), en diminuant le sentiment de solitude et de rupture avec
l’environnement social.
Il est fort probable que ces différents mécanismes opèrent de manière
complémentaire (i. e. séquentiellement et/ou simultanément), et différemment
d’une personne à l’autre. De plus, de nombreux éléments contextuels (e. g. le
climat de pratique mis en place par l’encadrant) et individuels (e. g. les
motivations personnelles) semblent jouer un rôle déterminant dans
l’apparition des bénéfices psychologiques. Pour cette raison, certains auteurs,
en accord avec les principes de la psychologie positive (e. g. Mutrie &
Faulkner, 2004), suggèrent que ce ne serait pas seulement l’AP en tant que
telle qui jouerait un rôle prépondérant sur le bien-être, mais plutôt le
processus de faire (i. e. s’engager dans) une AP, et les conditions de cette
pratique.
Malgré la diffusion importante des recommandations et des nombreuses
preuves scientifiques soulignant les effets bénéfiques de l’AP sur la santé et
le bien-être, force est de constater que le niveau d’adhésion à l’AP reste faible
en France et dans les pays industrialisés.

3. L’insuffisance d’activité physique, un


constat préoccupant
Les résultats des enquêtes réalisées sur la population française montrent que
le taux d’inactivité physique augmente avec l’avancée en âge. Les enfants (de
3 à 10 ans) sont plutôt actifs. La majorité d’entre eux pratiquent des jeux de
plein air la plupart des jours de la semaine, ils sont décrits comme « plutôt
actifs » pendant des récréations, et 40 % d’entre eux utilisent un mode de
transport actif pour se rendre à l’école (ANSES, 2016). Concernant les
adolescents, 70 % d’entre eux sont insuffisamment actifs (i. e. pratiquent
moins de 5 heures d’AP d’intensité modérée à soutenue par semaine), avec
un écart marqué entre les garçons (61 %) et les filles (77 %) (HBSC, 2009-
2010). Deux tiers des collégiens pratiquent un sport en dehors de l’école,
mais pour la moitié d’entre eux, cette pratique extrascolaire cumulée aux
heures d’éducation physique et sportive n’est pas suffisante pour atteindre les
recommandations de santé (HBSC, 2009-2010). Les jeunes de 3 à 17 ans sont
en outre particulièrement sédentaires : ils passent en moyenne 3 heures par
jour assis devant un écran, les garçons comme les filles (ONAPS, 2017).
Cette durée moyenne augmente avec l’âge.
Une enquête récente portant sur 1,6 million d’adolescents de 11 à 17 ans,
issus de 146 pays du monde, a permis de mieux cerner la prévalence de
l’insuffisance d’AP (Guthold et al., 2019). La figure 15.1 montre les
principaux résultats de cette enquête et révèle la situation très préoccupante
du niveau d’AP des jeunes Français. La France se situe parmi les pays les
moins actifs du monde avec 82,4 % des garçons et 91,8 % des filles qui ne
réalisent pas 60 minutes d’AP par jour, sept jours par semaine. Ce niveau de
prévalence est largement supérieur à la moyenne des pays industrialisés, ainsi
qu’à la moyenne des pays des différentes zones du monde (Asie, Afrique,
Amérique du Sud).
Figure 15.1 – Prévalence de l’insuffisance d’AP (en pourcent) chez les jeunes de 11-17 ans à travers le
monde (n = 1,6 million) (Guthold et al., 2019)

Chez les personnes âgées de plus de 65 ans, l’insuffisance d’AP est moins
marquée que chez les jeunes mais demeure préoccupante. Le Baromètre
Santé (2008) montre que 57 % des hommes et 61 % des femmes ont un
niveau d’AP inférieur aux recommandations. Dans cette catégorie d’âge,
l’AP est réalisée dans sa plus grande proportion lors d’activités
professionnelles et domestiques (pour 43,9 % du temps d’AP total), puis à
l’occasion de déplacements (42,4 %), et dans sa plus faible proportion
pendant les loisirs (13,7 %) (ANSES, 2016).
L’une des raisons de plus en plus évoquées dans la littérature scientifique
pour expliquer cette pandémie d’inactivité physique est le fait que l’AP serait
associée à des expériences affectives déplaisantes. Par exemple, le modèle
d’Ekkekkakis et al. (2016) montre comment les expériences affectives
déplaisantes expliquent le cercle vicieux du surpoids et de l’inactivité
physique. Comme le présente la figure 15.2, lorsque les individus sont
déconditionnés (i. e. faible condition physique) en raison d’un manque d’AP
régulière, les différentes tentatives d’AP peuvent être associées à des
expériences déplaisantes en raison d’un manque de ressources énergétiques et
musculaires, et des perceptions de soi dégradées. En retour, le fait d’associer
en mémoire l’AP à des affects déplaisants peut réduire la motivation envers
l’AP et générer des comportements d’évitement qui risquent, à terme,
d’accroître le déconditionnement. Ce modèle conceptuel peut aisément être
généralisé à tout individu insuffisamment actif.

Figure 15.2 – Modèle conceptuel illustrant le « cercle vicieux » de l’obésité de l’inactivité physique
(issu de Ekkekkakis et al., 2016)

Afin d’approfondir la compréhension des facteurs susceptibles d’expliquer


l’insuffisance d’AP et des leviers permettant de la promouvoir, nous
présenterons dans la partie suivante une synthèse des modèles contemporains
du changement de comportement d’AP.

4. Modèles théoriques du changement de


comportement d’activité physique
Les théories du changement de comportement d’AP peuvent être classées en
deux grandes catégories : les modèles sociocognitifs et les modèles affectifs.

4.1 Les modèles sociocognitifs


Dans la littérature scientifique, il existe de nombreux modèles sociocognitifs
(e. g. la théorie du comportement planifié, le modèle transthéorique du
changement, l’approche des processus d’action de santé, la théorie de
l’autodétermination) qu’il serait trop fastidieux de développer dans ce
chapitre. Nous ne présenterons donc que certaines de ces théories et
insisterons sur les principaux leviers d’intervention issus de ces modèles.
Depuis quarante ans, en psychologie de la santé, les recherches ont
largement montré que le changement de comportement ne s’opère pas
rapidement et durablement, mais progressivement et s’accompagne de
boucles de rechutes. Le modèle transthéorique (Prochaska & DiClemente,
1984) représente les différents stades de ce processus de changement de
comportement (voir figure 15.3). D’abord l’individu n’a pas conscience du
fait que la non-adoption du comportement de santé peut lui être
préjudiciable ; ensuite, il en a conscience et se prépare à passer à l’action en
formalisant ses intentions ; puis il adopte le comportement de santé
considéré, ce qui lui permet, s’il ne rechute pas, de stabiliser ensuite ce
comportement en l’intégrant dans son mode de vie. Par exemple, dans le cas
de l’AP, un individu insuffisamment actif va d’abord développer des
intentions de faire plus d’AP, puis les planifier, puis les implémenter
ponctuellement, pour arriver – peut-être – à devenir un pratiquant régulier.
Figure 15.3 – Modèle transthéorique du changement (Prochaska & DiClemente, 1984)

Pour faciliter le passage d’un stade à l’autre, plusieurs modèles théoriques


permettent d’identifier les leviers d’intervention pertinents. La théorie du
comportement planifié (TCP ; Ajzen, 1991) est un modèle particulièrement
heuristique pour comprendre comment développer les intentions de changer
de comportement. Cette approche repose sur le postulat selon lequel les
individus traitent l’information disponible de manière rationnelle. Dans ce
cadre théorique, l’intention de l’individu de réaliser un comportement donné,
tel que l’AP, est considérée comme le déterminant central de ce
comportement. Elle est déterminée par trois variables conceptuellement
distinctes : l’attitude envers le comportement (i. e. une évaluation du
comportement exprimée en termes de bien-mal, plaisant-déplaisant), la norme
subjective (i. e. pression sociale perçue par l’individu pour réaliser ou non le
comportement) et le contrôle comportemental perçu (i. e. facilité ou difficulté
perçue associée à la réalisation du comportement). Selon la TCP, pour
susciter l’engagement de l’individu dans l’AP, il s’agit de développer ses
intentions en lui adressant des messages persuasifs qui ciblent les croyances
au fondement de l’attitude, de la norme subjective et du contrôle
comportemental perçu (Ajzen, 2006). Par exemple, les croyances au
fondement de l’attitude portent sur les conséquences du comportement. Ainsi,
un message adressé à des personnes âgées insuffisamment actives qui
mettrait en évidence le fait « qu’une AP régulière permet de réduire la
mortalité précoce de 29 % à 41 % » pourrait contribuer à améliorer leur
attitude envers l’AP, ce qui augmenterait leur intention de faire plus
d’exercice et qui, en retour, pourrait favoriser leur engagement dans ce
comportement de santé. Un nombre conséquent d’études a montré l’efficacité
des messages persuasifs pour développer les intentions d’AP, mais ils
semblent moins efficaces pour susciter l’engagement dans l’AP (pour une
revue, voir Latimer, Brawley, & Bassett, 2010). Plusieurs études ont en effet
souligné l’écart existant entre l’intention et le comportement, signifiant que
de bonnes intentions ne garantissent pas nécessairement la réalisation du
comportement (Sniehotta, et al., 2014). Afin de dépasser cette limite et de
favoriser le passage au stade d’après – la réalisation du comportement –
plusieurs chercheurs ont proposé d’utiliser des stratégies d’autorégulation,
telles que la planification.
La planification se compose de la planification de l’action et de la
planification face aux obstacles (Carraro & Gaudreau, 2013 ; Hagger &
Luszczynska, 2014). La planification de l’action nécessite de prévoir quand,
où et comment le comportement va être réalisé. La planification face aux
obstacles consiste à anticiper les difficultés qui pourraient entraver la
réalisation du comportement, et à proposer de manière anticipée des
alternatives pour dépasser ces difficultés. Grâce à la planification l’initiation
de l’action devient rapide et efficiente car ce sont les repères
environnementaux (i. e. quand, où, comment et les alternatives choisies pour
surmonter les obstacles), et non plus l’intention consciente, qui déclenchent
le comportement (Gollwitzer, 1999). Plusieurs travaux ont montré l’efficacité
de la planification pour favoriser l’engagement des individus insuffisamment
actifs dans l’AP (pour une revue, voir Carraro & Gaudreau, 2013). Toutefois,
l’accession au dernier stade du processus de changement de comportement –
le maintien du comportement dans la durée – reste difficile et nécessite
d’intégrer l’AP dans son mode de vie. L’une des théories qui explique le
mieux le processus d’intégration est la théorie de l’autodétermination.
La théorie de l’autodétermination (TAD ; Ryan & Deci, 2017) postule que
le développement de l’individu est un processus actif et naturel
d’intériorisation et d’intégration des demandes externes. L’intériorisation fait
référence à l’assimilation de valeurs ou demandes externes, et l’intégration
est l’étape ultime de ce processus, quand les demandes externes deviennent
partie intégrante du système de valeurs et de la personnalité de l’individu.
Appliqué à la question de l’AP, ce processus d’intériorisation a bien
fonctionné quand les individus ont perçu l’importance que pouvait revêtir
pour leur santé/bien-être la pratique régulière d’une AP, et qu’ils l’ont intégré
dans leur mode de vie. Cette intégration du comportement traduit ainsi le
passage d’une motivation contrainte (e. g. « je fais parfois de l’AP parce que
je me sens poussé par ma famille ou mon médecin »), à une motivation
autonome (e. g. « je fais régulièrement de l’AP pour le plaisir que j’en retire
et parce que cela me fait du bien »). Toutefois, ce processus d’intériorisation
ne se produit pas de manière systématique. Selon la TAD, le passage d’une
motivation contrainte à une motivation autonome résulte du degré de
satisfaction de trois besoins psychologiques fondamentaux : l’autonomie
(i. e. le désir de l’individu d’être à l’origine de ses comportements), la
compétence (i. e. désir d’un individu d’être capable de répondre avec
efficacité aux demandes et aux défis de son environnement) et la proximité
sociale (i. e. désir d’être connecté à d’autres personnes, de recevoir de
l’attention de personnes importantes pour soi et d’appartenir à un groupe
social). Plus les besoins d’un individu sont satisfaits par son environnement
social (e. g. famille, amis, collègues), plus sa motivation est autonome (Deci
et Ryan, 2002). La frustration des trois besoins est, quant à elle, reliée aux
formes de motivations les plus contraintes (Bartholomew et al., 2010).
Une des principales critiques adressées aux théories sociocognitives et aux
stratégies utilisées pour changer le comportement est qu’elles considèrent les
individus comme étant des êtres rationnels. Si c’était le cas, un message
présentant de manière précise, complète et engageante les bienfaits de l’AP
pour la santé, devrait générer un changement de comportement dans la
direction désirée. Or, contrairement à ces considérations, la littérature montre
que la pratique de l’AP est déconnectée des bénéfices associés en termes de
santé (Ekkekkakis, 2017). Ainsi, à côté de ces approches sociocognitives
fondées sur des leviers et des mécanismes rationnels, d’autres travaux se sont
intéressés aux approches affectives fondées sur des processus impulsifs.

4.2 Les modèles affectifs


Les modèles duaux ont été développés à partir de la prémisse fondamentale
selon laquelle l’esprit humain comprend deux systèmes distincts sur le plan
fonctionnel qui, conjointement, déterminent les choix de comportement. Le
système le plus récent d’un point de vue phylogénétique est appelé « système
2 ». Il repose sur des opérations mentales délibérées. Les comportements
basés sur ce système émanent d’un traitement conscient et réfléchi des
informations recueillies consistant à peser le pour et le contre de chaque
option, et à faire des prédictions en termes de probabilités sur les
conséquences de ces options. Le « système 1 » est plus archaïque, et
fonctionne sur la base d’associations, établies à partir des différentes
expériences de vie de l’individu, appariant un stimulus à une expérience plus
ou moins plaisante, ce qui déclenche en retour une réponse comportementale.
La répétition de cooccurrence du couple stimulus-affect (e. g. effort
physique-déplaisir) et du comportement associé (e. g. courir) conduit à
l’apprentissage d’un réseau associatif automatique. Par la suite, la simple
perception d’un stimulus (e. g. un ami qui vous propose d’aller faire un
footing après l’école) ayant son propre réseau associatif préconstruit entraîne
l’activation automatique du comportement correspondant
(e. g. comportement d’évitement et refus de la proposition).
Dans le champ de l’AP, plusieurs travaux ont cherché à comprendre les
interactions entre les deux systèmes et à expliquer les mécanismes de
régulation du comportement d’AP. Par exemple Cheval et al. (2015) ont
montré que l’AP d’intensité modérée à vigoureuse était prédite positivement
par les intentions de pratique (i. e. système 2) et par une tendance impulsive à
approcher l’AP (i. e. système 1), et qu’elle était également prédite
négativement par une tendance impulsive à approcher les comportements
sédentaires (i. e. système 1) (pour une revue en français, voir Cheval,
Sarrazin et Radel, 2015). Ces travaux offrent un nouvel éclairage sur les
facteurs susceptibles de promouvoir l’AP, et permettent de mieux
comprendre pourquoi les interventions qui ciblent uniquement les facteurs
rationnels des comportements de santé peuvent ne pas être complètement
efficaces. Dans cette mouvance, une autre ligne de recherche portant sur la
réponse affective à l’exercice s’est développée en se basant sur une démarche
plus expérimentale.
Les travaux sur la réponse affective à l’exercice s’enracinent dans les
théories hédonistes de la motivation. Elles suggèrent que lorsque les
individus ressentent du plaisir dans une activité, ils ont tendance à vouloir la
réitérer, et, a contrario, lorsque les individus éprouvent du déplaisir, de
l’inconfort, de la douleur ou de la fatigue, ils sont enclins à éviter la pratique
de cette activité (Kahneman, 1999). Dans le champ de l’AP, la théorie du
mode dual a été développée sur la base de ce principe hédoniste (Ekkekakis,
2003). L’idée essentielle sur laquelle repose cette théorie est que la réponse
affective (i. e. valence émotionnelle et niveau d’activation) varie selon
l’intensité de l’effort réalisé. Dans la littérature, l’intensité d’exercice est
repérée en référence au seuil ventilatoire 1 (SV1) qui se situe aux alentours
de 50 %-55 % de VO2max. Au-dessous de ce seuil, l’exercice est facile et
associé à des réponses affectives plutôt positives. Au-dessus, il est plus
difficile, moins bien supporté, et associé à des réponses affectives plutôt
négatives. Et, lorsque l’intensité de la réponse affective varie à proximité du
SV1, les réponses affectives sont hétérogènes (soit positives soit négatives)
en fonction de différences interindividuelles dans la tolérance à l’effort
(Ekkekakis, Hall, & Petruzzello, 2008).
Outre l’intensité de l’exercice, la théorie du mode dual met en évidence le
fait que donner la possibilité au pratiquant de moduler l’intensité de
l’exercice au cours de la pratique contribue à optimiser la réponse affective à
l’exercice. En effet, lorsque les individus ont la possibilité de réguler eux-
mêmes l’intensité de l’exercice, ils choisissent une intensité proche du SV1
(i. e. 64 % de la fréquence cardiaque maximale) associée à des affects positifs
(Ekkekakis, 2009). L’étude de Rose et Parfitt (2007) a montré en outre que
lors d’un exercice d’intensité autorégulé, les pratiquants ont tendance à
augmenter progressivement l’intensité de l’exercice au cours du temps, et la
perception de l’effort pour une même intensité objective est moindre dans le
cadre de cette modalité d’exercice que dans le cadre d’un exercice dont
l’intensité est imposée.
À la lumière de cette synthèse des modèles théoriques, il ne s’agirait pas de
penser que les approches affectives supplantent les approches
sociocognitives. Au contraire, les perspectives actuelles dans le champ de la
promotion de l’AP s’orientent vers la construction de modèles intégratifs qui
articulent des mécanismes issus de ces différentes approches. Dans la partie
qui suit, nous présenterons plusieurs pistes d’intervention fondées sur ces
différentes approches à dessein de promouvoir l’AP chez les jeunes et chez
les personnes âgées.

5. Promouvoir l’activité physique chez les


jeunes et les personnes âgées
5.1 Chez les jeunes
Autour de cinq mots-clefs, le modèle SAAFE (soutien, actif, autonomie,
fun, équité ; Lubans et al., 2017) constitue un exemple de modélisation
synthétisant différents leviers permettant de promouvoir la motivation des
jeunes pour l’AP. Les propositions qui suivent seront contextualisées en
éducation physique et sportive (EPS).
Soutien Actif Autonomie Fun Équité

L’enseignant favorise la Les leçons induisent Les leçons offrent aux Les leçons sont Tous les élèves ont
création d’un climat un haut niveau élèves des opportunités plaisantes et l’opportunité de
soutenant les besoins d’activité physique et de choix et des proposent une vivre des
psychologiques des des transitions situations progressives. variété expériences de
élèves réduites. d’activités. réussite.
Figure 15.4 – Les principes d’enseignement SAAFÉ (d’après Lubans et al., 2017)

5.1.1 Soutien
Selon la TAD (Ryan & Deci, 2017), le climat de classe instauré par
l’enseignant influence fortement la motivation des élèves pour l’AP en
soutenant ou en frustrant leurs besoins psychologiques d’autonomie, de
compétence, et de proximité sociale. Lorsque l’enseignant soutient
l’autonomie de ses élèves, il leur laisse la possibilité de donner leur point de
vue sur le cours, il a recours à un langage informationnel et flexible, il
explique le bien-fondé des situations qu’il propose, et il fait preuve
d’empathie quand un élève est confronté à des difficultés. Un enseignant qui
soutient le besoin de compétence propose des buts clairs, des situations
adaptées au niveau des élèves et un guidage approprié et constructif pour les
réaliser. Enfin, l’enseignant nourrit le besoin de proximité sociale en
investissant du temps et de l’énergie dans la relation avec les élèves, en leur
témoignant de l’affection, et en favorisant l’humour et la convivialité
(Escriva-Boulley, Tessier, Sarrazin, 2018).
5.1.2 Actif
Les préconisations actuelles indiquent que les élèves devraient être en
activité d’intensité modérée à vigoureuse au moins 50 % du temps de la leçon
d’EPS. Or la recherche montre qu’au secondaire, les élèves n’atteignent ce
niveau d’intensité que 40 % du temps (Hollis et al., 2015). Trois types de
stratégies permettent d’accroître le temps pendant lequel les élèves sont en
AP modérée à vigoureuse (Lonsdale et al., 2013) :
• réduire les temps de transition (e. g. réduire les temps consacrés aux
consignes, proposer des transitions rapides entre deux situations) ;
• maximiser les opportunités d’activité (e. g. proposer des situations où tous
les élèves sont actifs, éviter les situations d’attente telles que les rôles
sociaux) ;
• intégrer des moments de forte intensité dans les situations d’apprentissage.
5.1.3 Autonomie
L’individu qui poursuit une motivation autonome s’engage dans un
comportement qui est valorisé, qui a du sens, et qui est plaisant. Ce principe
repose sur le fait d’offrir aux élèves des choix d’options (e. g. choisir entre
plusieurs exercices) et des choix d’action (e. g. construire sa chorégraphie en
danse) afin qu’ils manifestent leurs valeurs, leurs préférences et leurs désirs.
Les moyens d’offrir des choix aux élèves sont nombreux, mais il semble
qu’un nombre optimal (deux à quatre choix dans une leçon) soit préférable,
au risque de déstabiliser les élèves par un manque de repères (Patall et al.,
2008). De même, une période de libre choix de 5 à 10 minutes au début du
cours (e. g. un temps d’exploration ou de pratique sans consigne spécifique)
est idéale pour engager les élèves avant de leur proposer des exercices
structurés (Lubans et al., 2017).
5.1.4 Fun
Ce principe renvoie à la notion de plaisir : quand les individus pratiquent
une AP pour le plaisir inhérent à cette activité, ils manifestent une grande
adhésion à cette activité. La nouveauté et la variété sont des stratégies qui
favorisent le plaisir car elles activent le système de la récompense en
augmentant la sécrétion de dopamine dans le cerveau qui, en retour, favorise
le déclenchement d’une motivation d’approche du comportement (Berridge &
Kringelbach, 2015). Dans une étude expérimentale portant sur un programme
de musculation de six semaines, il a été observé que les participants qui ont
bénéficié de supports de pratique plus nombreux et variés ont manifesté une
plus grande adhésion au programme et des affects plus positifs que ceux du
groupe contrôle (Sylvester et al., 2016). Le travail en musique est une autre
stratégie intéressante pour favoriser le plaisir dans la pratique. En effet,
lorsque la réponse affective à l’effort commence à devenir déplaisante, la
musique aurait un effet de distraction conduisant à porter moins attention aux
réafférences intéroceptives (liées à l’augmentation de la température
corporelle et de la fréquence cardiaque) (Carlier & Delevoy-Turrell, 2017).
5.1.5 Équité
Ce principe renvoie au fait de permettre à chaque élève de vivre des
expériences de réussite. Le sentiment d’équité est particulièrement important
dans les classes mixtes, où la domination des garçons – conduisant à la peur
d’être dévalorisée ou rabaissée – constitue un obstacle encore majeur à la
participation et aux expériences de réussite des filles (Bailey et al., 2005). La
différenciation pédagogique est une stratégie d’intervention essentielle au
service de l’équité. Dans certaines AP et sportives, elle requiert la
mobilisation de paramètres didactiques simples (moduler les distances, la
taille des cibles, le barème, etc.) et dans d’autres, elle nécessite la conception
de formes de pratiques scolaires plus élaborées (faire jouer au relais-vitesse
pour permettre d’apprendre ; Hanula & Llobet, 2011), gagner et perdre avec
« la manière » en badminton (Mascret, 2006).

5.2 Chez les personnes âgées


Plusieurs études interventionnelles basées sur les modèles sociocognitifs du
changement de comportement, ont révélé, contrairement à ce qui était
attendu, que la plupart des techniques habituellement utilisées chez les
adultes plus jeunes – telles que la planification – étaient inefficaces chez les
personnes âgées, voire néfastes (French, Olander, Chisholm, & McSharry,
2014). Plus récemment, les travaux se sont tournés vers des modèles plus
spécifiques aux personnes âgées, comme le modèle de l’incorporation des
stéréotypes de Levy (2009), qui met en avant le poids des perceptions liées au
vieillissement comme barrière à l’AP régulière chez cette population. D’après
ce modèle, une fois devenus âgés, les individus ont tendance à s’appliquer à
eux-mêmes les stéréotypes liés aux personnes âgées qu’ils ont incorporés au
cours de leur vie. Si ces stéréotypes sont négatifs (e. g. « les personnes âgées
sont en mauvaise santé »), alors ils seront susceptibles d’avoir des
perceptions négatives de leur propre vieillissement (e. g. « plus je vieillis,
plus je vais mal ») et de développer une forme de fatalisme, qui les
empêchera de s’engager dans des comportements de santé comme
l’AP. Quelques études interventionnelles récentes se sont appuyées sur ce
modèle, en développant des interventions visant à remettre en question ces
stéréotypes négatifs, et à promouvoir des perceptions positives de leur propre
vieillissement (e. g. Brothers & Diehl, 2017 ; Émile et al., 2014 ; Warner
et al., 2016). Bien que récents, les résultats sont prometteurs ; ils montrent
globalement que ce type d’intervention permet de diminuer les stéréotypes
négatifs et d’améliorer les perceptions de soi et l’AP des personnes âgées.
Voici quelques exemples de techniques utilisées dans ce type d’intervention :
• Changer les idées reçues sur le vieillissement : les croyances fausses que
les personnes âgées peuvent avoir sur le vieillissement sont identifiées et
corrigées en les informant des résultats scientifiques récents à ce sujet
(e. g. les personnes âgées sont souvent perçues comme lentes et incapables
d’apprendre de nouvelles choses, mais des études scientifiques montrent des
effets remarquables de l’entraînement sur les capacités physiques et
cognitives, même à un âge très avancé).
• Susciter des perceptions positives sur son propre vieillissement, par la
présentation des connaissances scientifiques actuelles sur l’association entre
une perception positive de son propre vieillissement et la santé, la longévité,
ainsi que les comportements de santé.
• Changer les pensées négatives automatiques sur le vieillissement en
demandant dans un premier temps aux personnes d’identifier celles qu’elles
peuvent avoir, et dans un second temps, de les remplacer par des pensées
neutres ou positives. Plus précisément, une situation quotidienne est
présentée, dans laquelle des pensées négatives sur le vieillissement sont
susceptibles d’apparaître automatiquement (e. g. un ami vous demande si
vous aimeriez faire de la course à pied avec lui, car cela fait longtemps que
vous ne faites plus d’AP ensemble, et vous pourriez penser : « À notre âge ?
Cela pourrait être embarrassant »). Il est alors demandé aux personnes de
réfléchir à d’autres interprétations positives ou neutres de la situation.

Conclusion
Ce chapitre rapporte les nombreux bénéfices d’une AP régulière sur la santé
et le bien-être des jeunes et des personnes âgées. Il met également en
évidence le constat préoccupant d’un manque d’AP dans ces deux
populations. À travers la présentation des modèles théoriques sociocognitifs
et affectifs nous avons mis en évidence les leviers d’intervention les plus à
même de changer les comportements d’AP.
En définitive, si l’AP est reconnue comme étant une pratique de psychologie
positive favorisant le bien-être, il est important de noter qu’à l’instar d’autres
pratiques de psychologie positive (e. g. la pleine conscience, la maîtrise de
ses forces de caractère), la pratique régulière d’une AP est loin d’être une
habitude pour la plupart des gens. Dans la perspective de diffuser largement
ces pratiques auprès des individus, groupes et institutions, il est nécessaire de
ne pas seulement en documenter les effets sur le bien-être, mais également
d’expliquer les leviers et les obstacles à la promotion de ces différentes
pratiques de psychologie positive, dont l’AP.

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1. Par Damien Tessier, David Trouilloud et Aïna Chalabaev.
Chapitre 16
Voir le bon côté des choses :
comment les émotions positives
améliorent la santé et le bien-
être1

Sommaire
1. Psychologie positive et santé physique
2. Psychologie positive et bien-être mental
3. Orientations futures
Bibliographie
Résumé court
L’objectif de ce chapitre est d’explorer l’impact des émotions
positives sur la santé et le bien-être physique et mental. Nous
avons utilisé deux cadres conceptuels : la théorie de
l’élargissement et de la construction et le modèle de l’émodiversité,
pour comprendre comment les émotions positives améliorent la
santé. Nous évoquons la manière dont les émotions positives
protègent contre la solitude et la dépression et la manière dont
elles encouragent des comportements favorables à la santé.
Résumé long
Ce chapitre a pour objectif d’examiner l’impact des émotions
positives sur la santé et le bien-être physique et mental. Nous
avons utilisé deux cadres conceptuels : la théorie de
l’élargissement et de la construction, et le modèle de l’émodiversité
pour comprendre comment les émotions positives améliorent la
santé. Les émotions positives, selon la théorie de l’élargissement
et de la construction, élargissent la pensée, l’attention et les
répertoires comportementaux de la personne, l’amenant à
construire ses ressources sociales et intellectuelles personnelles,
et à augmenter ses capacités à gérer les facteurs de stress.
L’émodiversité participe également au renforcement de la
résilience face aux événements négatifs de la vie. Enfin, les
émotions positives encouragent des comportements favorables à
la santé, conduisant à une dynamique d’autoperpétuation dans
laquelle les gains de bien-être psychosocial renforcent encore les
habitudes saines qui engendrent des affects positifs et une
meilleure santé physique. Dans la suite du chapitre, nous nous
penchons sur les troubles de l’humeur, la solitude et l’épuisement
professionnel, ainsi que sur le rôle protecteur des émotions
positives dans la réduction des symptômes défavorables.

Mots-clés : psychologie positive, santé physique, élargissement et


construction, bien-être mental, facteurs de protection.
Questions
• En quoi les émotions positives peuvent-elles être bénéfiques
pour la santé physique et mentale ?
• Quels cadres conceptuels peut-on utiliser pour essayer de
comprendre l’interaction entre la psychologie positive et la santé ?
• Quelles sont les interventions possibles face à la dépression, à
l’anxiété, à l’épuisement professionnel et à la solitude ?

Un mode de vie sain est souvent associé à des sentiments agréables, tels que
la joie, la gratitude, la satisfaction et la sérénité. On retrouve dans de
nombreuses cultures des adages populaires tels qu’« un cœur reconnaissant
est un cœur sain » ou « le rire est le meilleur médicament. » Une littérature
empirique florissante corrobore ces affirmations et montre qu’il existe des
liens importants entre les émotions positives et l’amélioration du bien-être
physique et psychologique. Adopter une attitude positive, faire preuve
d’optimisme et de vitalité émotionnelle sont des gages de santé et de bien-
être. Dans ce chapitre, nous explorons les propriétés régénératrices et
réparatrices des émotions positives. Tout comme des repas bien équilibrés
assurent une alimentation saine, un « régime sain » composé d’émotions
positives améliore la santé en renforçant le lien social entre les individus
(Kok et al., 2016).

1. Psychologie positive et santé physique


Si de nombreux travaux de recherche établissent un lien entre facteurs
psychologiques négatifs et effets indésirables sur la santé, telle l’influence du
stress psychologique sur les maladies cardiovasculaires (Dimsdale, 2008), le
rôle protecteur des facteurs psychologiques positifs sur le plan physiologique
suscite un intérêt croissant. Le corpus de recherches établissant un lien entre
les émotions positives et la santé physique augmente régulièrement, et les
émotions positives ont été associées à des taux de mortalité plus faibles
(Chida et Steptoe, 2008), à une probabilité moindre de maladies
cardiovasculaires et à une plus grande résistance immunitaire au rhume
(Cohen, Alper, Doyle, Treanor et Turner, 2006).

1.1 Cadres théoriques


La théorie de l’élargissement et de la construction des émotions positives
(Fredrickson, 2001) offre un cadre permettant de comprendre par quels
mécanismes les émotions positives contribuent à la santé. Par exemple, la
peur motive souvent des comportements de fuite, le système nerveux
sympathique se mobilise alors pour déclencher des actions associées à la
peur, comme partir en courant. Selon la théorie de l’élargissement et de la
construction, les émotions positives élargissent la réflexion, l’attention et le
répertoire comportemental de la personne (Fredrickson, 2001 ; Tugade,
Fredrickson et Barrett, 2004).
La théorie de l’élargissement et de la construction
Une théorie/un cadre conceptuel développé par Barbara Fredrickson
(1998) qui énonce que les émotions positives telles que la joie et la
gratitude aident à susciter des pensées, des actions et des comportements
plus expansifs (effet « d’élargissement »), augmentant ainsi les ressources
personnelles, sociales et adaptives (coping) des individus (effet de
« construction »). À l’opposé, les émotions négatives suscitent des
tendances à l’action particulières dans le but d’éviter une certaine
situation/un certain état.
À l’opposé, les émotions négatives incitent l’individu à restreindre son
répertoire particulier de pensées et d’actions. Le rétrécissement des
répertoires de pensées et d’actions engendré par les émotions négatives
confère des avantages adaptatifs immédiats dans les situations qui menacent
la survie, tandis que l’élargissement des répertoires de pensées et d’actions
suscités par les émotions positives confère des avantages plus indirects et à
plus long terme, comme la constitution de ressources sociales et
intellectuelles. Ainsi, le fait de cultiver des émotions positives conduit à son
tour à une augmentation des ressources psychologiques de l’individu, telles
que l’autonomie et l’agentivité (Bookwala et Fekete, 2010). La capacité de
résilience de la personne peut ainsi augmenter et servir de tampon contre les
effets néfastes des facteurs de stress sur la santé. L’effet tampon de la
résilience a été démontré chez les patients diabétiques, à la fois pour faire
face au stress et pour maintenir un contrôle glycémique adéquat (Yi et al.,
2010). La résilience a également été étudiée chez des populations gériatriques
et les études montrent qu’un niveau élevé de résilience protège contre
l’impact négatif du handicap dans la vieillesse, en modérant par exemple la
relation entre l’apparition d’une nouvelle maladie chronique et le niveau
ultérieur de handicap qui peut en découler (Manning et al., 2014). Les
émotions positives autotranscendantes comme la compassion, par exemple,
favorisent la santé en initiant ou en améliorant les relations avec les autres, ce
qui permet à l’individu de développer ses ressources sociales. Plus
précisément, les expériences de compassion ont été associées à une plus
grande activation du système parasympathique par le biais du nerf vague, ce
qui encourage les comportements de soutien et de soin (Stellar, Cohen, Oveis
et Keltner, 2015).
La résilience
Bien s’adapter en réponse à l’adversité, aux traumatismes ou au stress. La
capacité à rebondir face au stress et à l’adversité.
Un autre modèle d’interaction entre l’humeur et la santé postule que la
capacité à ressentir un affect positif en même temps qu’un affect négatif
entraîne des bénéfices pour la santé à long terme (Larsen et al., 2003). Les
personnes qui ont exprimé leur capacité à éprouver des émotions positives et
négatives (émotions mixtes) alors qu’elles étaient confrontées à des
événements négatifs dans leur vie ont fait preuve d’une plus grande résilience
et ont déclaré mieux s’en sortir (Bonnanno, 2005 ; Rivkin et Taylor, 1999).
L’émodiversité
La variété et l’abondance des émotions qu’un individu peut ressentir ; une
émodiversité élevée fait référence à la capacité d’une personne à ressentir
une riche palette d’émotions variées.
Dans une étude longitudinale menée sur dix ans par Hershfield et al. (2012),
les expériences fréquentes d’émotions mixtes étaient fortement associées à
une bonne santé physique (autodéclarée via le Cornell Medical Index Health
Questionnaire), et l’augmentation des émotions mixtes au fil du temps était
négativement associée au déclin de la santé avec le temps. De même, les
études sur l’émodiversité – la variété et l’abondance relative des expériences
émotionnelles d’une personne – ont été étudiées en relation avec les résultats
sur la santé physique (Quoidbach, Gruber, Mikolajcazk, Kogan, Kotsou, et
Norton, 2014). Quoidbach et al. (2014) ont constaté qu’une plus grande
émodiversité globale était associée à de meilleurs résultats en matière de
santé mentale et physique (baisse du nombre moyen de visites chez le
médecin de famille par an). Une autre étude sur l’émodiversité en relation
avec l’inflammation systémique a indiqué que seule une émodiversité
positive élevée (vivre une variété d’émotions positives, par exemple
l’excitation, l’enthousiasme et la détermination) était associée à des taux plus
faibles de marqueurs d’inflammation, soit la protéine C-réactive (CRP) en
phase aiguë et le fibrinogène (Ong, Lizbeth, Zautra et Nilam, 2018). Bien que
les conclusions de Ong et al. (2018) diffèrent de celles de Quoidbach et al.
(2014), peut-être en raison d’approches différentes en matière de mesure et de
populations échantillonnées, les résultats de ces deux études suggèrent
néanmoins que la variabilité intra-individuelle des émotions – en particulier
les émotions positives – a des répercussions importantes sur la santé
psychologique et physique de la personne. Si l’on se réfère à la théorie de
« l’affect comme information », qui postule que les individus considèrent les
ressentis émotionnels comme des sources d’information et portent des
jugements fondés sur leurs expériences subjectives (Schwarz, 2012) et au
modèle d’élargissement et de construction des émotions positives
(Fredrickson, 2001), un éventail plus large d’émotions vécues fournit à
l’individu des informations plus complètes et plus approfondies pour réagir à
une situation affective donnée. Selon une hypothèse avancée par Quoidbach
et al. (2014), une plus grande biodiversité des émotions empêche que
l’écosystème émotionnel d’une personne soit dominé par des émotions
spécifiques, et l’émodiversité positive peut être un moyen de dépasser
l’adaptation hédonique (Frederick et Lowenstein, 1999).
Étant donné les bénéfices pour la santé des affects positifs, décrits par les
multiples cadres ci-dessus, il n’est pas surprenant que de nombreuses
interventions visent à augmenter la fréquence des expériences émotionnelles
positives, telles que la gratitude, la compassion et le bonheur. L’activité
physique pourrait être un moyen de favoriser la santé mentale par le biais de
l’amélioration de l’humeur. Lathia, Sandstrom, Mascolo, et Rentfrow (2017)
ont examiné la relation entre l’activité physique en général et les scores de
bonheur dans le temps et sur le moment, et ont observé que l’activité
physique prédisait des niveaux plus élevés d’affects positifs et d’excitation.
Ces résultats corroboraient des études antérieures sur l’activité physique et
l’affect positif, dans lesquelles l’activité physique entretenait une relation
constamment positive avec le bonheur (Zhanjia et Chen, 2018).
Les études explorant l’influence de l’affect positif sur des comportements de
santé particuliers suscitent également un intérêt croissant. Par exemple, des
études examinant le lien entre l’affect positif et le sommeil suggèrent que les
personnes qui déclarent des niveaux plus élevés d’affects positifs ont un
sommeil mieux structuré (Fosse, Stickgold, Hobson, 2002). L’affect positif
influence le sommeil par des mécanismes indirects qui font tampon contre le
stress, et de manière directe en tant que facteur de protection contre d’autres
facteurs de déséquilibre du sommeil (Ong, Kim, Young et Steptoe, 2017). La
recherche suggère également que la corrélation positive entre les émotions
positives et les résultats physiques est bidirectionnelle et s’auto-entretient. Par
exemple, un tonus vagal cardiaque/contrôle vagal cardiaque élevé (en
référence au rôle du nerf vague dans la régulation cardiaque [Laborde et al.,
2018]) a été associé à une émotivité positive (Oveis et al., 2009) et de
meilleures capacités de régulation des émotions (Thayer, Hansen, Saus-Rose
et Johnsen, 2009) ; les gains en termes de bien-être physique (de tonus vagal,
par exemple) conduisent à un bien-être psychosocial accru qui se traduit à
son tour par des résultats physiques plus positifs, un processus qui reflète une
dynamique réciproque en spirale ascendante (Kok et Fredrickson, 2010 ;
Garland et al., 2010 ; Kok et al., 2013). Cette dynamique en spirale
ascendante peut être poussée plus loin et former un cadre pour comprendre le
rôle des émotions positives dans la modification des comportements vis-à-vis
de la santé (Fredrickson et Joiner, 2018). Lorsque l’affect positif est ressenti
parallèlement à de nouveaux comportements favorables à la santé (par
exemple, l’exercice physique), la théorie de la spirale ascendante suggère que
les associations positives créent alors des motivations non conscientes et
automatiques poussant à répéter ou persister dans ce comportement, un
processus qui suit la logique de la saillance incitative de la théorie de
l’addiction (Berridge et Robinson, 2016). Ainsi, l’affect positif initie un cycle
auto-entretenu de processus non conscients qui incite les individus à répéter
les comportements qu’ils ont précédemment appréciés (Fredrickson et Joiner,
2018).

2. Psychologie positive et bien-être mental


Comme pour la santé physique, les émotions positives exercent un impact
sur le bien-être émotionnel et servent de facteurs de protection contre un
ensemble de résultats négatifs, notamment les symptômes de dépression et
d’anxiété, la solitude et l’épuisement professionnel. La théorie de
l’élargissement et de la construction (Fredrickson, 1998) postule que les
émotions positives développent les ressources personnelles, élargissent les
modes de pensée habituels et contrecarrent les émotions négatives ; et le fait
de cultiver des émotions positives par le biais de diverses stratégies permet
d’améliorer la santé et le bien-être tant physique que mental (Fredrickson,
2000). Les émotions positives sont capables d’accroître la portée et
l’efficacité des capacités d’adaptation (coping skills) et contribuent,
directement et indirectement par le biais de stratégies d’adaptation (coping
strategies), à une plus grande résilience face à l’adversité (Gloria et
Steinhardt, 2014).
Il est utile de se concentrer sur des émotions positives particulières telles
que la gratitude et la pleine conscience (mindfulness) lorsqu’on examine le
rôle des émotions positives et le bien-être psychologique. Par exemple,
Wood, Froh, et Geraghty (2010) examinent le rôle de la gratitude – axée sur
le comportement des autres ainsi que sur les aspects positifs de la vie – sur le
bien-être général, et suggèrent qu’il existe un lien causal et unique entre la
gratitude et le bien-être. De même, Brown, et Ryan (2003) ont constaté que la
pleine conscience (mesurée par l’échelle d’attention et de pleine conscience,
Mindful Attention Awareness Scale) était associée à de multiples construits
du bien-être, notamment la conscience de soi, l’optimisme et la satisfaction à
l’égard de la vie. Dans une étude sur des étudiants, les individus pratiquant la
pleine conscience manifestaient des réactions plus adaptatives au stress,
utilisaient plus souvent des stratégies de coping basées sur l’approche plutôt
que sur l’évitement et évaluaient leur stress comme plus bénin (Weinstein,
Brown et Ryan, 2009). En outre, les résultats d’une intervention de
8 semaines basée sur la pleine conscience dans une population clinique de
patients atteints de cancer ont montré une association négative avec les
troubles de l’humeur et le stress (Brown et Ryan, 2003).

2.1 La dépression et les troubles anxieux


Non seulement les émotions positives contribuent au bien-être mental, mais
elles peuvent aussi servir de facteurs de protection contre les symptômes des
troubles de l’humeur tels que la dépression et l’anxiété, à la fois
indirectement et directement. Par exemple, les émotions positives sont
capables de renforcer la résilience de la personne (mesurée par une
augmentation de la résilience autodéclarée), ce qui a tendance à réduire
l’influence du stress sur les symptômes de dépression et d’anxiété (Gloria et
Steinhardt, 2014). Lambert, Fincham, et Stillman (2012) ont étudié le lien
entre la gratitude et les symptômes dépressifs, et ont constaté que la gratitude
dispositionnelle était associée à moins de symptômes dépressifs et que cette
relation était médiée à la fois par des émotions positives et un recadrage
positif. On a également constaté que la pleine conscience était négativement
associée au névrosisme, aux symptômes de l’anxiété et à la dépression
(Brown et Ryan, 2003). Il a été démontré que certaines interventions
spécifiques intégrant des émotions positives contribuent à atténuer les
symptômes de la dépression et de l’anxiété. Par exemple, une étude menée au
Japon a révélé qu’une thérapie de groupe de huit semaines, axée sur la pleine
conscience et l’autocompassion a entraîné une diminution des symptômes de
dépression et d’anxiété chez les participants (Takahashi et al., 2019). En
outre, la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience s’est révélée utile
pour réduire le risque de récidive/réapparition de la dépression majeure
(Teasdale, Segal, Williams, Ridgeway, Soulsby et Lau, 2000 ; Chiesa et
Serretti, 2011) et pour réduire les symptômes de l’anxiété chez les patients
atteints de troubles bipolaires en rémission ainsi que certains troubles anxieux
(Chiesa et Serretti, 2011).

2.2 Le burnout
Les émotions positives peuvent également servir de tampon contre
l’épuisement professionnel ou burnout (caractérisé dans la classification
internationale des maladies comme un stress chronique au travail entraînant
un sentiment d’épuisement, un retrait mental vis-à-vis du travail et des
sentiments négatifs à son égard, ainsi qu’une perte d’efficacité
professionnelle). En général, le fait de ressentir des émotions positives au
travail aide à protéger les travailleurs contre l’épuisement professionnel
(Fredrikson, 2000). En outre, divers facteurs liés aux émotions positives et à
la résilience réduisent le risque de burnout. Par exemple, Guan et Jepsen
(2020) ont constaté que la gratitude augmente l’efficacité des stratégies de
régulation des émotions et protège contre l’épuisement émotionnel et la
dépersonnalisation pendant la journée de travail, des problèmes qui peuvent
entraîner des taux d’épuisement professionnel élevés, en particulier dans les
professions de service. De même, il a été démontré que la pleine conscience
améliore la régulation des émotions, réduit l’épuisement émotionnel et
améliore la satisfaction au travail (Hülsheger, Alberts, Feinholdt et Lang,
2013). Ces résultats, qui indiquent que les émotions positives servent de
tampon contre la dépersonnalisation et l’épuisement émotionnel, pourraient
également être pertinents dans d’autres situations de burnout, comme la
fatigue des militants. Les émotions positives aident également à atténuer
l’épuisement professionnel dans les contextes éducatifs. La satisfaction à
l’égard de la vie et l’intelligence émotionnelle sont associées à une
diminution de la probabilité de burnout chez les étudiants de l’enseignement
supérieur (Cazan, et Năstasă, 2015). Dans le même ordre d’idées, les
émotions positives sont associées à un engagement émotionnel positif à
l’école, ce qui atténue le risque de burnout et de dépression chez les élèves
(Fredericks, Blumenfeld, Friedel et Paris, 2005).
2.3 La solitude
Les émotions positives constituent également un facteur de protection
contre les effets négatifs de la solitude. Une étude réalisée en 2013 a révélé,
en accord avec la théorie de l’élargissement et de la construction, que les
émotions positives modèrent la relation entre la solitude, l’activité physique
et la mortalité chez les personnes âgées, ce qui pourrait « annuler » les effets
négatifs de la solitude sur la longévité (Newall, Chipperfield, Bailis et
Stewart, 2013). Les stratégies liées aux émotions positives sont même
capables de réduire le degré de solitude ressentie. Une étude réalisée en 2016
auprès de 116 participants a révélé que les stratégies de régulation des
émotions, notamment la réévaluation positive et la « pleine présence » dans le
moment, réduisaient le degré de solitude déclaré par les participants (Kearns
et Creaven, 2016). De même, la bienveillance envers soi-même, le sentiment
de partager la même humanité et la pleine conscience sont associés
négativement aux mesures de la solitude (Akin, 2010). Ces conclusions se
révèlent encore plus cruciales lorsqu’on examine les effets de la pandémie de
Covid-19 sur la solitude, l’isolement et le stress. La Covid-19 peut être
considérée comme un facteur de stress multidimensionnel, qui augmente le
stress et en même temps supprime les facteurs de protection tels que le
soutien social, et est donc susceptible de déclencher ou d’exacerber un large
éventail de difficultés mentales et physiques (Gruber et al., 2020). La solitude
ressentie lors de l’isolement social dû à la pandémie pourrait être compensée
par des émotions positives et des stratégies de régulation des émotions, mais
le sujet mérite de plus amples recherches.

3. Orientations futures
Les outils technologiques tels que la télémédecine et la santé mobile
pourraient offrir un accès plus facile, plus immédiat et plus pratique aux
interventions et stratégies de psychologie positive. La santé mobile désigne
les interventions de santé mentale accessibles sur appareil mobile, dont il a
été démontré qu’elles augmentent la résilience (Flett et al., 2018), l’affect
positif (Parks et al., 2012), la gratitude (Ghandeharioun et al., 2016), entre
autres. Par conséquent, les applications de santé mobile peuvent se révéler un
moyen utile de promotion des émotions positives qui à leur tour alimentent et
améliorent la santé mentale et physique.
La santé mobile (mHealth ou m-Santé)
Les applications mobiles en santé mentale visent généralement à accroître
la gratitude, les affects positifs et la résilience. La santé mobile et d’autres
outils technologiques rendent les interventions plus accessibles, plus
pratiques et plus immédiates.
Ces interventions pourraient s’avérer plus importantes que jamais après la
pandémie de la Covid-19 qui entraîne de graves risques pour la santé mentale
et physique (Gruber et al., 2020), et la recherche devrait à l’avenir envisager
sérieusement ces stratégies pour promouvoir le bien-être mental et physique.
Il est important de prendre en compte les contextes et différences culturelles
pour que les interventions de santé mobile soient efficaces (Dutta, Kaur-Gill,
Tan, et Lam, 2018), et il faudrait engager davantage de recherches sur les
effets de la télémédecine et de la santé mobile chez des individus issus de
multiples cultures différentes. Les interventions qui tirent parti du lien entre
la santé physique et la santé mentale seraient particulièrement utiles pour
améliorer le bien-être général. Les interventions thérapeutiques
comportementales en plein air, parfois appelées « thérapie par la nature ou
l’aventure », qui peuvent être utiles aux jeunes aux prises avec des troubles
comportementaux, émotionnels et liés à la consommation de substances
(Norton et al., 2014) en sont un bon exemple. Comme il s’agit d’un domaine
relativement nouveau, des travaux de recherche supplémentaires sont
nécessaires, notamment pour inclure des groupes de comparaison et étudier
l’impact des différences démographiques telles que le sexe, l’âge et les
origines, ainsi que les différences culturelles (Demille et al., 2018). Alors que
les recherches suggèrent qu’il existe une corrélation entre l’affect positif et de
meilleurs résultats en termes de santé, et que le trait d’affect positif réduit le
risque de développer des maladies, les mécanismes par lesquels l’affect
positif influence la santé physique doivent être étudiés plus en détail. Il est
nécessaire de mener d’autres études rigoureuses et de long terme sur les liens
de causalité proposés par la théorie de la spirale ascendante du changement
de mode de vie pour guider les applications pratiques de la recherche et
mettre au point des interventions de développement du bien-être.
D’autres mécanismes d’action de l’affect positif sur la santé physique, tels
que l’effet d’annulation (Fredrickson et al, 2000), méritent un examen plus
rigoureux (par exemple, en contrôlant des modérateurs tels que la résilience,
l’épanouissement et le style d’évaluation). Bien que l’effet d’annulation ait
été amplement étudié, les résultats étayant l’hypothèse d’annulation ne sont
pas constants, certaines études confirmant totalement cet effet, alors que
d’autres le confirment partiellement et d’autres encore pas du tout (Cavanagh
et al., 2018).

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1. Par Tse Yen Tan, Louise S. Wachsmuth et Michele M. Tugade.
Chapitre 17
La nature et la valeur de l’espoir.
Nouvelles découvertes issues
du baromètre de l’espoir1

Sommaire
1. L’espoir au quotidien
2. L’étude de l’espoir
3. Un concept transdisciplinaire de l’espoir
4. Présentation du Baromètre de l’espoir
5. Souhaits et valeurs
6. Croyances fondamentales et activités pratiquées par
espoir
7. Confiance et sources d’espoir
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
À partir des résultats du Baromètre de l’espoir, nous présentons un
concept large de l’espoir composé du souhait d’un résultat
pertinent, de la conviction que sa réalisation est possible et de la
confiance en la disponibilité de ressources internes ou externes
permettant d’y parvenir.
Résumé long
L’espoir est un phénomène existentiel qui allie le souhait d’un
résultat hautement valorisé, la croyance en la possibilité (mais pas
nécessairement la probabilité) de sa réalisation et la confiance
dans la disponibilité de certaines ressources internes ou externes
permettant d’y parvenir. Les principaux souhaits ou objectifs
d’espoir de la population suisse romande sont le bonheur en
couple ou en famille, une bonne santé, une vie harmonieuse,
l’autodétermination, de bonnes relations avec les autres et
l’engagement dans des tâches utiles et intéressantes. Les plus
fortes sources d’espoir sont liées aux valeurs de dépassement de
soi, représentées par l’attention aux autres et à leur bien-être,
l’ouverture au changement, ainsi que la croyance en la
bienveillance du monde, des autres et de soi-même. Un cercle
vertueux de l’espoir se crée, dans lequel les principaux objectifs
d’espoir sont en même temps ses plus précieuses sources.

Mots-clés : espoir perçu, espoir dispositionnel, valeurs, croyances


fondamentales, objectifs d’espoir, sources d’espoir.
Questions
• Quels sont les fondements de l’espoir ?
• Quels sont les principaux espoirs de la population et les valeurs
personnelles qui leur sont liées ?
• Quelles croyances et sources fondamentales alimentent la
perception de l’espoir ?

1. L’espoir au quotidien
Peu de phénomènes sont aussi banals, aussi variés et en même temps aussi
difficiles à saisir que l’espoir. Nous espérons qu’il fera beau lors de notre
prochain voyage, nous espérons que nous obtiendrons le nouveau poste que
nous convoitons, nous espérons une promotion ou décrocher notre diplôme,
nous espérons que notre partenaire, nos parents et nos enfants se porteront
bien, et nous espérons de concert avec nos amis que notre équipe gagnera.
Nous sommes optimistes quant à nos prochaines vacances et nous attendons
avec espoir le résultat rassurant de notre dernier bilan de santé. Nous sommes
pleins d’espoir si tout va bien et nous nous efforçons de garder espoir lorsque
nous accumulons les déceptions. Parfois, nous ne pouvons rien faire d’autre
qu’espérer un miracle, parfois nous espérons le soutien d’autrui et d’autres
fois nous espérons avoir fait ce qu’il fallait.
Nous pouvons placer nos espoirs dans diverses sources et personnes : dans
le développement de nouvelles thérapies et de nouveaux médicaments, dans
le cours positif de l’économie générale, dans le bon sens des politiciens, dans
l’aide de Dieu, et bien plus encore. Parfois, nous devons abandonner nos
espoirs et d’autres fois, nous continuons à espérer même lorsque tout espoir
semble vain. Nous avons de grands et de petits espoirs et, dans certains cas,
nous nous contentons de regarder l’avenir avec espoir sans savoir exactement
ce qu’il nous réserve.
L’espoir est omniprésent, c’est pourquoi nous y prêtons généralement peu
attention. Toutefois, nous réalisons à quel point l’espoir est important dans
notre vie lorsque nous nous trouvons dans une situation désespérée,
impuissants, sans plus aucune lueur d’espoir, lorsque plus rien ne semble
pouvoir nous aider, qu’il n’y a plus rien de bon à espérer, qu’aucune solution
et aucune consolation ne semblent possibles et que nous n’envisageons
l’avenir qu’avec pessimisme. Perdre ainsi espoir engendre peur, inquiétude,
désespoir, découragement, tristesse, apathie et dépression. Ne plus avoir
d’espoir, c’est en avoir fini avec la vie, ce qui arrive quand on n’en attend
plus rien, quand plus rien n’a de sens, ou ne vaut la peine d’être entrepris.
C’est précisément dans de tels cas que le pouvoir de l’espoir, en termes de
d’affirmation et de renforcement des forces de vie, devient évident. Même
dans des situations qui semblent désespérées, la vie continue, de nouvelles
perspectives s’ouvrent et de nouvelles chances se présentent. Cela dépend
souvent de la façon dont la situation est interprétée. L’espoir peut être une
attitude à acquérir, à développer ou qui empêche simplement de sombrer.
Soudain, une lumière apparaît au bout du tunnel, les nuages sombres des
émotions négatives disparaissent, la vie prend un nouveau sens ou une aide
inattendue surgit. Sans espoir, aucune vie humaine n’est possible à long
terme, du moins pas sans souffrir de maladies mentales et souvent physiques.

2. L’étude de l’espoir
Parce que l’espoir est un phénomène humain universel et fondamental,
différentes disciplines telles que la théologie, la philosophie et la psychologie
en ont étudié la nature et la valeur. Aussi diverses que soient les approches du
phénomène de l’espoir, il en va de même pour sa compréhension, ses
concepts et ses définitions. Il se définit en tant que vertu théologique, vertu
humaine, force de caractère, modèle de pensée, utopie, mystère, trait de
personnalité, émotion, cognition, passion, construction culturelle, attente,
processus et attitude. L’espoir est lié à la réflexion, aux sentiments, aux rêves,
aux croyances, à la confiance, à l’action et à l’attente, ainsi qu’à la
persévérance, la patience, le sens, la motivation, les relations, l’amour,
l’efficacité personnelle, la volonté, la spiritualité, la survie, l’altruisme,
l’autotranscendance, l’éthique, la capacité à surmonter les difficultés et bien
plus encore. Ces différentes conceptions de l’espoir ont des implications
profondes en termes d’objectifs et de sources, ainsi que sur l’acte d’espérer
lui-même. Mais elles prennent peu en compte plusieurs questions
importantes : comment les individus eux-mêmes vivent-ils l’espoir ?
Qu’espèrent-ils ? Qu’est-ce qui leur donne de l’espoir ? Quelles activités
mettent-ils en œuvre pour nourrir et concrétiser leurs espoirs ?
Ces dernières décennies ont vu émerger une grande variété de concepts
théoriques et d’études empiriques sur l’espoir. Si les sciences infirmières ont
cherché à acquérir une compréhension multidimensionnelle de l’espoir, la
psychologie s’est principalement concentrée sur la dimension cognitive du
phénomène. Le modèle de Snyder (1994, 1995) conceptualise l’espoir
comme la somme de la volonté mentale (agentivité ou willpower) dénommée
composante motivationnelle, et de la planification du parcours à suivre
(capacité à imaginer les chemins vers un but ou waypower), dénommée
composante opératoire, en relation avec les objectifs personnels. L’espoir est
un processus dans lequel la personne se fixe des buts, se motive à agir pour
les atteindre et utilise ses capacités pour développer les moyens nécessaires.
À cet égard, la théorie de l’espoir de Snyder est étroitement liée aux notions
d’espérance, d’optimisme, d’auto-efficacité et d’estime de soi (Snyder et al.,
1991 ; Snyder, 2002).
Avec l’émergence de la psychologie positive, l’intérêt pour les traits de
caractère et les émotions positives telles que l’optimisme et l’espoir a
brusquement augmenté. Dans leur catalogue des forces de caractère
communes à toutes les cultures, Peterson et Seligman (2004) ont classé
l’espoir au rang des vertus de la transcendance, car il s’étend au-delà des
connaissances de la personne et de ses capacités à surmonter les difficultés. Il
permet d’établir des liens avec quelque chose de plus grand que nous, qui
donne du sens, une raison d’être et des croyances fondamentales. Dans leur
catégorisation, l’espoir est lié aux forces de caractère de la gratitude, de la
spiritualité et de la foi religieuse. En tant que force de caractère
transcendante, l’espoir est lié à des valeurs fournissant un cadre moral qui
maintient la personne engagée dans l’espérance et la recherche du bien.

3. Un concept transdisciplinaire de l’espoir


La théorie de l’espoir dispositionnel de Snyder (dispositional hope theory,
1994), qui met l’accent sur l’individu et la cognition, a longtemps prédominé
pour expliquer les niveaux, les facteurs prédictifs et les résultats de l’espoir,
sans remise en question de certaines prémisses fondamentales sur la nature,
les dimensions, les sources et l’expérience de l’espoir dans la vie quotidienne.
Toutefois, des considérations théoriques et des constatations empiriques font
prendre conscience des forces et des limites du modèle de l’agentivité et du
cheminement axé sur les objectifs de Snyder, qui présente des avantages et
des inconvénients comme toutes les autres théories. Cela ne signifie pas du
tout que la théorie de Snyder soit fausse. Nous ne voulons en aucun cas
dénigrer ses mérites et ses découvertes. Notre intention n’est pas de
remplacer cette théorie, mais de l’intégrer dans une conception beaucoup plus
large de l’espoir. Cette démarche est particulièrement pertinente dans
l’optique de faire progresser la compréhension des nombreuses facettes et de
la complexité de l’espoir, en particulier, mais pas seulement, dans un contexte
inter- et multiculturel.
Pour comprendre le phénomène complexe de l’espoir, il faut relier la
psychologie à d’autres disciplines, telles que la philosophie et la théologie. Le
concept intégré que nous avons développé commence par prendre en compte
la définition philosophique classique de l’espoir, qui comprend deux
éléments fondamentaux : 1) un souhait et 2) la possibilité (mais non la
probabilité) de sa réalisation (Downie, 1963). Ces deux éléments étant
considérés comme des conditions nécessaires mais non suffisantes pour
expliquer l’espoir, un troisième élément s’impose. Sur la base des travaux de
Meirav (2009) et de Tennen (2002), nous avons complété notre concept
d’espoir par le sentiment général de confiance.
Les trois composantes de l’espoir sont donc :
• Un souhait, qui peut être le désir d’une vie agréable en général, ou d’un
certain état des choses (la paix), d’un événement (que quelque chose se
passe), d’une circonstance (le bonheur en famille) ou d’un but (quelque
chose que je veux atteindre). Les souhaits sont fondés sur des valeurs, des
intérêts et des priorités personnelles.
• La croyance en la possibilité ou la faisabilité de sa réalisation. Bien que la
réalisation du souhait ne doive pas être considérée comme impossible, on ne
s’attend pas nécessairement à ce qu’elle soit probable. Cela distingue
l’espoir de l’optimisme. Même la faible probabilité de 1 sur 100 d’une
certaine occurrence permet à une personne d’espérer mais pas d’être
optimiste, ce qui exigerait une probabilité de réalisation beaucoup plus
élevée (généralement supérieure à 50 %). La croyance en la possibilité d’un
certain résultat est essentiellement de nature subjective et seulement en
partie déterminée par des faits « objectifs ». Les croyances sont les
hypothèses de base sur lesquelles s’appuient les visions du monde.
• La confiance en la disponibilité ou l’existence des ressources permettant de
concrétiser le but espéré. Il peut s’agir de ressources internes liées aux
forces, talents et capacités personnelles ou de ressources externes telles que
la confiance en une autre personne (membre de la famille, enseignant,
médecins, etc.), la confiance dans les institutions (science, technologie,
gouvernement, église) ou la confiance dans une puissance supérieure (foi
religieuse ou spirituelle).
L’un des avantages de notre modèle est qu’il permet d’intégrer le modèle de
motivation orientée vers les buts (willpower) et de planification des moyens
pour les atteindre (waypower) conceptualisé par Snyder. Par exemple :
1. Les objectifs individuels appartiennent au domaine des souhaits. Aristote
affirmait déjà que les buts sont précédés de souhaits et pour Bloch (1959),
l’espoir commence par un désir d’amélioration des choses lié à un but
encore inconnu mais en devenir.
2. La composante motivationnelle de l’agentivité doit être adossée à la
croyance ou la conviction que quelque chose de meilleur existe, ce qui
permet à l’individu de croire que son but est réalisable.
3. La composante opératoire de planification des chemins à emprunter se
caractérise par la confiance et l’assurance qu’a la personne en sa propre
capacité à atteindre son objectif.
Cependant, comme le soulignait Aristote, les effets d’une action ne
dépendent jamais entièrement de l’action elle-même. Nos seules actions ne
suffisent pas toujours à réaliser certains souhaits et objectifs de façon directe
et complète.

4. Présentation du Baromètre de l’espoir


En 2009, nous avons lancé le Baromètre de l’espoir en Suisse sous la forme
d’une vaste enquête publique annuelle et l’avons étendu à une quinzaine de
pays dans le monde entier. L’objectif principal du Baromètre de l’espoir est
de fournir un accès ouvert et impartial aux expériences et aux idées des
personnes sur le phénomène de l’espoir. Les gens vivent l’espoir de manière
très différente en fonction de leurs expériences, de leurs valeurs et croyances
personnelles, de leur situation actuelle et de leur environnement social. Nous
avons examiné comment les gens eux-mêmes vivent l’espoir, quelles sont les
hypothèses de base, les attitudes et les visions du monde qui le sous-tendent,
quels sont les espoirs personnels, ce que les gens font pour les réaliser et de
quelles sources ils tirent de l’espoir. En outre, le Baromètre de l’espoir a pour
objectif de donner des conseils sur ce que les gens peuvent faire pour
envisager l’avenir avec espoir, relever des défis, surmonter des situations
difficiles et peut-être même se dépasser.
Compte tenu de la variété des situations et des nombreuses manières de
vivre l’espoir, il était tout d’abord nécessaire d’évaluer sa perception générale
de façon directe, neutre et impartiale. L’échelle de l’espoir perçu (Perceived
Hope Scale, PHS) (Krafft, Martin-Krumm et Fenouillet, 2017) a été
développée pour fournir un instrument central d’évaluation de l’espoir,
utilisable dans différentes nations et cultures. L’espoir perçu est l’évaluation
subjective du niveau et de l’intensité de sa propre capacité à espérer,
indépendamment des sources possibles (religieuses, sociales ou individuelles)
qui pourraient l’avoir favorisée. L’échelle PHS évalue le niveau général
d’espoir ainsi que la croyance en la réalisation de ses espoirs, la relation
dynamique entre espoir et anxiété, la capacité de l’espoir à améliorer la
qualité de vie, ainsi que la solidité de l’espoir dans les moments difficiles.
Inspirés par les travaux de Staats et Stassen (1985) et Averill et al. (1990),
nous avons développé des mesures supplémentaires afin d’évaluer plusieurs
éléments et facettes de l’espoir (Krafft & Walker, 2018) :
1. les objectifs d’espoir en termes de souhaits personnels ;
2. les sources d’espoir vers lesquelles les gens se tournent ou sur lesquelles
ils comptent ;
3. les activités mises en œuvre pour atteindre les objectifs espérés.
Nos études intègrent ces trois instruments pour explorer les éléments et le
réseau nomologique de l’espoir tel qu’il est perçu. Elles les relient aux
valeurs et aux visions du monde et explorent d’autres concepts liés à l’espoir,
tels que le bien-être, la spiritualité, le sens de la vie, etc.
Dans les sections suivantes, nous présenterons au lecteur les trois domaines
de notre concept de l’espoir et citerons des études spécifiques afin d’illustrer
les arguments théoriques. Nous avons utilisé des données collectées via
Internet et les médias sociaux en 2017, 2018 et 2019 en Suisse romande. Le
tableau 17.1 montre la composition des trois échantillons.
Tableau 17.1 – Structure démographique des échantillons
2017 2018 2019

N/n % N/n % N/n %

Total 1 343 100,0 1 202 100,0 1 502 100,0

Sexe

Homme 625 46,5 513 42,7 718 47,8

Femme 718 53,5 689 57,3 784 52,2

Éducation

Abandon du cursus scolaire 13 1,0 9 0,7 17 1,1

Fin du cursus obligatoire 127 9,5 81 6,7 91 6,1

Baccalauréat 54 4,0 53 4,4 54 3,6

Poursuite des études 42 3,1 26 2,2

Formation professionnelle 604 45,0 556 46,3 724 48,2

Études supérieures avec diplôme d’état 202 15,0 177 14,7 267 17,8

Université, école supérieure 301 22,4 300 25,0 349 23,2

Situation familiale

Encore chez les parents 104 7,7 79 6,6 83 5,5


Seul(e), célibataire 180 13,4 169 14,1 217 14,4

En couple mais en vivant séparément 99 7,4 96 8,0 122 8,1

En couple en faisant vie commune 261 19,4 241 20,0 281 18,7

Marié 489 36,4 439 36,5 558 37,2

Divorcé, disjoint 177 13,2 154 12,8 211 14,0

Veuf, veuve 33 2,5 24 2,0 30 2,0

Activité principale

En cours de formation 113 8,4 78 6,5 83 5,5

Femme ou homme au foyer – éducation des enfants 60 4,5 64 5,3 78 5,2

Temps partiel 263 19,6 247 20,5 327 21,8

Emploi à temps plein 633 47,1 601 50,0 618 41,1

Chômeur 84 6,3 67 5,6 114 7,6

Retraité 190 14,1 145 12,1 282 18,8

Religion

Catholique romaine 449 33,4 364 30,3 458 30,5

Protestante, réformée ou luthérienne 242 18,0 237 19,7 280 18,7

Autre (Musulman, Juif, Bouddhiste, autre) 173 12,9 199 16,6 237 16,0

Sans appartenance religieuse 479 35,7 402 33,4 527 35,1

M EC M EC M EC

Âge 44,69 15,04 43,91 14,29 47,11 15,01

De 14 à 86 De 14 à 85 De 15 à 87

5. Souhaits et valeurs
Le premier domaine de notre modèle d’espoir s’intéresse aux souhaits des
gens. Les désirs personnels peuvent être orientés vers un certain état de
choses, un événement, des circonstances particulières ou des buts spécifiques
liés à l’individu ou à l’environnement social proche, à la société dans son
ensemble ou au monde entier (par exemple, l’espoir d’une économie
durable). Les éléments essentiels dans ce domaine sont les objectifs d’espoir
basés sur certaines valeurs qui revêtent une importance et une signification
particulières pour la population. Ce que les individus espèrent est
généralement lié à leurs intérêts, à ce qu’ils considèrent comme souhaitable
pour que leur vie soit satisfaisante, pour leur environnement proche et pour la
société en général (Krafft, 2019). Les espoirs personnels ne sont donc pas
seulement reliés à des buts concrets, mais souvent rattachés à des efforts, des
aspirations, des attentes et des souhaits fondamentaux.
Dans le cadre du Baromètre de l’espoir, nous avons donc voulu déterminer
les espoirs personnels des gens et leur relation avec les valeurs individuelles.
Pour étudier les valeurs personnelles et les objectifs d’espoir, nous avons
réalisé plusieurs études à partir de données recueillies en 2018 (voir
tableau 17.2). En raison de contraintes d’espace, nous nous concentrerons sur
les espoirs des individus concernant leur propre vie et laisserons de côté les
espoirs liés à l’environnement et à la société en général. Les espoirs
personnels portent sur des éléments ou des domaines de la vie qui sont
particulièrement importants pour l’individu et qui sont considérés comme
souhaitables et possibles, que leur probabilité soit jugée élevée ou faible.
Reprenant les travaux d’Averill et Sundararajan (2005) et de Staats et Stassen
(1985), les espoirs personnels ont été évalués à l’aide d’un ensemble de dix-
sept éléments relevant de différents domaines de la vie.
Pour évaluer les valeurs personnelles, nous avons utilisé le modèle de
Shalom Schwartz (2012), qui comprend dix catégories de valeurs. Ces dix
valeurs sont résumées en deux polarités centrales qui regroupent les valeurs
de base ou fondamentales : « ouverture au changement » et « conservation »
d’une part, et « valorisation de soi » et « autotranscendance » d’autre part.
L’ouverture au changement comprend les catégories de valeurs que sont
l’autonomie et la stimulation, et l’accent est mis sur la créativité, la nouveauté
et les défis. La valeur fondamentale de conservation comprend les valeurs de
sécurité, de conformité et de tradition. Il s’agit avant tout de respect, de
stabilité et d’adhésion aux normes et principes sociaux. La valorisation de soi
se caractérise par l’accomplissement, la réussite et le pouvoir, tandis que
l’autotranscendance regroupe la bonté et l’universalisme, et s’attache à
améliorer le bien-être d’autrui. Les valeurs individuelles ont été recueillies à
l’aide du questionnaire PVQ-RR (Portraits Value Questionnaire Refined)
développé et validé par Schwartz, composé de cinquante-sept items et une
échelle de 1 à 6 (Schwartz et al., 2012).
Outre la liste des dix-sept objectifs individuels d’espoir et les valeurs
individuelles, nous avons utilisé deux mesures pour étudier le niveau d’espoir
général, à savoir l’échelle de l’espoir perçu (Perceived Hope Scale, Krafft
et al. 2017) et l’échelle d’espoir dispositionnel (Dispositional Hope Scale,
Snyder et al., 1991), toutes deux graduées de 0 à 5. Notre analyse comprend
les étapes suivantes :
1. évaluation de l’ordre de classement en comparant les valeurs moyennes
des dix-sept objectifs d’espoir ;
2. corrélation des objectifs d’espoir individuels avec les quatre valeurs de
base ;
3. corrélation des quatre valeurs de base avec l’espoir perçu et l’espoir
dispositionnel.
Dans le tableau 17.2, nous avons classé les dix-sept objectifs d’espoir par
ordre décroissant d’importance. D’emblée, on constate que les objectifs
d’espoir associés au bien-être personnel et à la qualité des relations sociales
figurent en tête de liste. Il s’agit du désir d’être heureux en couple et en
famille, d’être en bonne santé, de mener une vie harmonieuse, d’entretenir
des relations positives et confiantes avec les autres, d’être indépendant et de
décider de sa propre vie ainsi que d’être engagé dans des tâches satisfaisantes
et utiles. Ces domaines de la vie semblent être les plus importants. En
psychologie positive, ces domaines correspondent au bien-être eudémonique
ou psychologique et à l’épanouissement (Huppert & So, 2013 ; Ryff &
Keyes, 1995).
La partie centrale du tableau contient les domaines liés aux activités de
loisirs (plaisir entre amis, temps de détente, etc.) et au désir de sécurité dans
la vie. Dans le dernier tiers, un peu moins recherchés, on trouve les espoirs de
réussite, de davantage d’argent et de sexe. Cela ne signifie pas pour autant
que ces derniers sont sans importance. Cependant, dans une société riche, où
très peu d’individus manquent des biens matériels indispensables, l’argent
perd de son importance. Une mention spéciale doit être accordée aux
expériences religieuses et spirituelles. Pour de nombreuses personnes, les
expériences religieuses et spirituelles sont très peu, voire pas du tout,
importantes. Cependant, comme nous le verrons dans les sections suivantes,
la religiosité et la spiritualité se révèlent d’importantes sources d’espoir.
Tableau 17.2 – Objectifs d’espoir et valeurs personnelles
– Valeurs moyennes et corrélations bivariées
Ouverture
Transcendance Valorisation
au Conservation
de soi de soi
M EC changement M = 4,00
M = 4,69 M = 3,00
M = 4,55 EC = 0,90
EC = 0,80 EC = 0,88
EC = 0,79

1. Le bonheur dans mon couple, en


2,70 0,618 0,28** 0,09** 0,13** 0,21**
famille, avec le(s) partenaire(s)

2. Ma santé 2,68 0,618 0,19** 0,10** 0,04 0,26**

3. Une vie harmonieuse 2,61 0,627 0,29** 0,06* 0,11** 0,26**

4. Indépendance, liberté personnelle 2,36 0,747 0,16** 0,06 0,34** 0,05

5. De bonnes relations avec les autres 2,27 0,783 0,38** 0,05 0,11** 0,24**

6. Une tâche qui a du sens et qui est


2,21 0,748 0,31** 0,11** 0,20** 0,15**
satisfaisante

7. Plus de plaisir avec les amis 2,18 0,785 0,26** 0,08** 0,16** 0,11**

8. La sécurité de l’emploi 2,13 0,962 0,14** 0,18** 0,02 0,25**

9. Davantage de temps libre 2,08 0,869 0,11** 0,07* 0,09** 0,05


10. Plus de sécurité dans mon
2,04 0,904 0,13** 0,11** 0,00 0,30**
environnement personnel

11. Davantage de temps libre pour le


2,01 0,883 0,12** 0,10** 0,05 0,13**
repos

12. Pouvoir aider les autres 1,96 0,864 0,54** -0,04 0,13** 0,25**

13. Réussite professionnelle, à


1,86 0,982 0,04 0,27** 0,11* 0,09**
l’école, etc.

14. Davantage d’argent 1,80 0,887 -0,01 0,31** 0,00 0,11**

15. Davantage de sexe ou


1,72 1,041 0,00 0,19** 0,12** -0,05
d’expériences romantiques

16. Une vie rangée 1,60 0,986 0,13** 0,17** -0,06 0,40**

17. Pratique religieuse ou expériences


0,68 0,945 0,23** 0,11** 0,05 0,29**
spirituelles

** Corrélation significative au seuil p < 0,01.


* Corrélation significative au seuil p < 0,05.

Dans l’étape 2, nous avons analysé les quatre valeurs fondamentales et leurs
liens avec les 17 objectifs d’espoir. En examinant les coefficients de
corrélation entre ceux-ci, nous avons souligné les indices ayant une taille
d’effet modérée ou supérieure à r = 0,20. L’autotranscendance entretient les
corrélations les plus fortes avec le désir altruiste d’aider les autres, avec le
souhait d’entretenir de bonnes relations à la fois en famille et en société,
d’effectuer des tâches utiles et intéressantes, de mener une vie harmonieuse et
de vivre des expériences religieuses et spirituelles. D’autre part, la
valorisation personnelle n’est que modérément corrélée avec l’espoir moins
bien classé de réussir au travail et de gagner plus d’argent. Quant aux deux
autres groupes de valeurs, alors que la dimension d’ouverture au changement
interagit modérément avec les souhaits d’indépendance personnelle et de
tâches utiles et intéressantes, la valeur de conservation est modérément
corrélée avec les souhaits d’ordre, d’expériences religieuses, de davantage de
sécurité, de bonnes relations, de santé et d’harmonie.
L’espoir de vivre des expériences religieuses et spirituelles et le désir
d’aider les autres méritent une mention spéciale. Dans la plupart des cas, ces
expériences ne sont pas au premier plan des souhaits des individus, mais elles
ont une corrélation modérée à forte avec l’autotranscendance, la valeur
fondamentale qui, à son tour, entretient la plus forte corrélation avec l’espoir,
comme nous le verrons à l’étape 3.
La dernière étape de cette section analyse le lien entre les quatre valeurs
fondamentales et le niveau général d’espoir perçu et d’espoir dispositionnel
ainsi qu’avec une mesure de l’épanouissement (Diener et al., 2009). Les
coefficients de corrélation indiquent que l’espoir perçu et l’épanouissement
sont le plus fortement associés aux valeurs fondamentales universelles
d’autotranscendance (r = 0,326 ; 0,343) et d’ouverture au changement (r
= 0,295 ; 0,351), suivies par la conservation (r = 0,199 ; 0,244) et très peu
avec la valorisation de soi (r = 0,113 ; 0,126) (pour toutes p < 0,01). Cela
signifie que l’espoir perçu est le moins lié à la performance, au succès et à la
recherche du pouvoir. Les personnes les plus attachées à la tolérance, la
compréhension, l’appréciation des autres et l’attention à leur bien-être, ainsi
que celles qui assument des responsabilités dans la vie, cherchent de
nouveaux défis, décident et agissent de manière indépendante, sont également
celles qui ont plus d’espoir et mènent une vie plus satisfaisante. Il est
intéressant de noter que l’autotranscendance et la conservation sont beaucoup
plus liées à l’espoir perçu qu’à l’espoir dispositionnel, qui à son tour est plus
étroitement lié à l’ouverture au changement (r = 0,444).
En conclusion, la plupart des souhaits les plus importants de la population
suisse romande sont associés à la valeur fondamentale de la transcendance de
soi, c’est-à-dire à la préservation et à la promotion du bien-être d’autrui, ainsi
qu’à une volonté de justice sociale, de paix, d’unité et de souci de
l’environnement. En outre, de nombreux souhaits sont liés à la valeur
fondamentale de la conservation, qui fait référence à l’acceptation et au
respect mutuels, à la politesse, à la stabilité sociale, à l’ordre et à l’harmonie.
Les souhaits assez hautement valorisés d’indépendance, d’autodétermination
et d’engagement dans des tâches intéressantes et utiles dénotent l’inclination
à être ouvert à de nouvelles choses, à apprécier la liberté, les nouveaux défis,
la curiosité et la créativité. Les souhaits moins importants de réussite et
d’argent sont liés aux valeurs les moins recherchées de performance,
d’ambition, de statut social et de pouvoir. Selon les résultats de notre étude,
pour ressentir davantage d’espoir, il est recommandé de développer des
valeurs de transcendance de soi et d’être ouvert à de nouvelles expériences.
Autrement dit, le fait de cultiver et de promouvoir la compréhension,
l’appréciation, la tolérance et le bien-être des autres, développera en retour le
souhait et l’espoir d’avoir une famille heureuse, de mener une vie
harmonieuse et d’entretenir des relations sociales chaleureuses et confiantes.
De plus, le souhait de davantage d’indépendance personnelle,
d’autodétermination et d’engagement dans des tâches satisfaisantes et utiles
révèle une ouverture au changement sans recherche d’une valorisation égoïste
de soi. Une telle attitude contribuera à nourrir l’espoir.

6. Croyances fondamentales et activités


pratiquées par espoir
Nous allons maintenant porter notre attention sur le deuxième domaine de
notre modèle de l’espoir : la conviction que la réalisation de nos espoirs est
possible (bien que pas nécessairement probable). Cette conviction est souvent
ancrée dans des croyances et des hypothèses plus fondamentales sur le monde
et sur nous-mêmes. En psychologie, Janoff-Bulman (1992) a étudié la
manière dont les personnes ayant subi des événements traumatisants ont pu
traiter et faire face à leurs expériences négatives. Elle a découvert que les
gens agissent en fonction de visions du monde, de croyances et d’hypothèses
de base sur eux-mêmes et sur le monde, pour la plupart inconscientes et
incontestées, qui les amènent à interpréter les nouvelles situations et à
anticiper les événements futurs de manière positive ou négative.
Selon Janoff-Bulman, ces visions du monde se répartissent en trois
catégories principales :
1. des hypothèses sur la bienveillance du monde ;
2. des hypothèses sur le sens de ce qui se passe dans le monde ;
3. des hypothèses sur soi-même.
La première catégorie concerne la croyance en (1) la bienveillance du
monde en général (le monde est un endroit où il fait bon vivre) et (2) la
bienveillance des êtres humains en particulier (les gens sont amicaux,
serviables et attentionnés).
La deuxième catégorie s’attache au sens et regroupe (1) la croyance en une
justice implicite sur terre, (2) l’hypothèse que les événements sont
contrôlables ou gérables, et (3) la croyance dans le hasard pur ou le caractère
aléatoire des événements.
La représentation de soi (la troisième catégorie) comprend (1) le niveau
d’estime de soi, (2) le degré de maîtrise de soi (être maître de sa propre vie),
et (3) l’impression générale d’avoir de la chance dans la vie.
Dans l’enquête du Baromètre de l’espoir de 2017, nous avons appliqué les
huit hypothèses de base de Janoff-Bulman (1989) sur le monde et sur soi-
même et les avons corrélées avec le niveau d’espoir et plusieurs mesures de
la santé et du bien-être. Les huit catégories ont été étudiées à l’aide de 32
éléments (4 éléments pour chaque catégorie), qui ont été notés sur une échelle
allant de 0 = pas du tout d’accord à 5 = tout à fait d’accord (Janoff-Bulman,
1989). Nous avons en outre ajouté aux hypothèses fondamentales la
dimension supplémentaire de la religiosité. L’espoir a de nouveau été mesuré
à l’aide de l’échelle de l’espoir perçu (Perceived Hope Scale, Krafft et al.,
2017) et de l’échelle de l’espoir dispositionnel (Dispositional Hope Scale,
Snyder et al., 1991).
Les gens agissent en fonction de leurs croyances. Nous avons donc voulu
explorer les activités qu’ils entreprennent afin de concrétiser leurs espoirs
personnels. Les participants ont évalué treize activités sur une échelle de
quatre points allant de « 0 = pas du tout » à « 3 = très souvent ».
Les analyses ont été effectuées en trois étapes. La première étape était
consacrée à l’évaluation des neuf dimensions utilisées pour mesurer les
croyances personnelles et les hypothèses fondamentales, et à l’évaluation de
leur lien avec l’espoir et le bien-être. Lors de la deuxième étape, nous avons
étudié l’importance des 13 activités mises en œuvre pour réaliser les espoirs
et, dans l’étape 3, nous avons examiné leur association avec les niveaux
généraux d’espoir. Enfin, nous avons mis en corrélation les 13 activités avec
les 17 objectifs d’espoir et les quatre valeurs fondamentales présentées dans
la section précédente.
Le tableau 17.3 montre les valeurs moyennes des neuf hypothèses
fondamentales ainsi que leurs coefficients de corrélation avec l’espoir.
Examinons d’abord ce qu’expriment les valeurs moyennes. Si la
bienveillance, le hasard, la contrôlabilité des événements et la chance
affichent des niveaux d’adhésion modérés (autour ou légèrement en dessous
du centre de l’échelle), la croyance en la justice et le degré de religiosité
obtiennent de faibles valeurs moyennes alors que la valeur personnelle et la
maîtrise de soi sont les mieux cotées.
L’espoir perçu entretient la corrélation la plus étroite avec la croyance en la
bienveillance du monde et avec l’impression d’avoir de la chance, suivies par
l’estime de soi. D’autre part, l’espoir dispositionnel est le plus fortement
corrélé à l’estime de soi, suivi par la bienveillance du monde et la maîtrise de
soi. Si l’on compare les deux mesures de l’espoir, la croyance en la
bienveillance du monde et des êtres humains, ainsi que la chance et la
religiosité sont plus étroitement liées à l’espoir perçu, tandis que l’espoir
dispositionnel entretient une plus forte relation avec l’estime de soi et la
maîtrise de soi (comparaisons de corrélation au seuil p < 0,01). La croyance
dans le hasard entretient une corrélation négative avec les deux mesures de
l’espoir. Cela signifie que les personnes qui croient au hasard se sentent
moins optimistes, probablement parce qu’elles développent un sentiment de
résignation, de fatalité ou d’impuissance.
Tableau 17.3 – Hypothèses fondamentales et espoir – Valeurs moyennes et
corrélations bivariées
Espoir perçu Espoir dispositionnel
M EC M = 2,94 M = 3,22
EC = 1,17 EC = 1,01

Bienveillance du monde 2,27 1,081 0,547** 0,444**

Bienveillance des êtres humains 2,28 0,977 0,384** 0,272**

Justice 1,63 1,030 0,339** 0,296**

Hasard 2,51 1,049 – 0,153** – 0,104**

Contrôlabilité des événements 2,23 0,996 0,284** 0,325**


Estime de soi 3,76 1,010 0,433** 0,525**

Maîtrise de soi 2,97 0,873 0,328** 0,434**

Chance 2,20 1,204 0,536** 0,473**

Religiosité 1,65 0,877 0,256** 0,130**

** Corrélation significative au seuil p < 0,01.

D’autres résultats non présentés dans le tableau 17.3 démontrent les


associations entre les croyances fondamentales, l’espoir et la santé/le bien-
être. La dépression/l’anxiété (Kroenke et al., 2009) présentent une corrélation
négative avec tous les construits, mais positive avec le hasard. La satisfaction
à l’égard de la vie (Diener et al., 1985), le bonheur (Lyubomirksy & Lepper,
1999) et la conviction que la vie a du sens (Steger et al., 2006) entretiennent
la corrélation la plus positive avec l’espoir, l’estime de soi, la chance et la
bienveillance ; une corrélation moins intense avec la maîtrise de soi, la
justice, la contrôlabilité des événements et la religiosité ; mais une corrélation
négative avec le hasard.
À l’étape 2, nous avons analysé l’intensité avec laquelle les individus
pratiquent certaines activités en vue de concrétiser leurs espoirs et nous avons
corrélé celles-ci avec les deux mesures de l’espoir. Les résultats sont
présentés dans le tableau 17.4.
Tableau 17.4 – Activités et niveau général d’espoir – Valeurs moyennes et
corrélations bivariées
Espoir Espoir
M EC
perçu dispositionnel

1. Je réfléchis beaucoup et j’analyse les circonstances. 2,26 1,034 0,310** 0,447**

2. Je prends mes responsabilités et je m’engage. 2,22 0,979 0,348** 0,524**

3. Je motive ma famille. 1,89 0,970 0,363** 0,352**

4. J’en parle à ma compagne, mon compagnon. 1,87 1,131 0,274** 0,264**

5. Je motive mes amis. 1,86 0,815 0,284** 0,306**

6. Je fais des économies pour réaliser mes espoirs. 1,64 0,914 0,261** 0,316**

7. J’ai un emploi qui correspond tout à fait à mes aspirations. 1,58 1,039 0,309** 0,403**

8. Je m’engage à la manière d’un entrepreneur. 1,53 0,869 0,299** 0,459**

9. Je lis et fais des recherches sur le sujet de mes espoirs. 1,52 0,902 0,215** 0,195**

10. Je donne de l’argent pour ce qui me donne de l’espoir. 0,98 1,106 0,250** 0,202**
11. Je prie, je médite. 0,94 0,700 0,200** 0,050

12. J’ai confiance en Dieu. 0,86 1,117 0,218** 0,053

13. Je me rends dans une église, un temple, un lieu de


0,50 1,072 0,157** 0,051
ressourcement.

* Corrélation significative au seuil p < 0,05.


** Corrélation significative au seuil p < 0,01.

Le haut de la liste est occupé par un domaine d’action cognitif (« Je


réfléchis beaucoup… »), un domaine d’action motivationnel (« Je prends mes
responsabilités… ») et trois domaines socio-émotionnels (« Je motive ma
famille », etc.). D’autres domaines cognitifs-rationnels tels que le fait d’avoir
un emploi correspondant à ses aspirations ou de s’informer se trouvent au
milieu de la liste. Les trois activités spirituelles-religieuses (par exemple « Je
prie, je médite ») figurent à la fin de la liste.
La deuxième partie du tableau 17.4 présente les coefficients de corrélation
entre les différentes activités et les niveaux d’espoir perçu et d’espoir
dispositionnel. Première observation, toutes les activités présentent une
corrélation positive avec les deux mesures de l’espoir. Autrement dit, tout ce
que nous mettons en œuvre contribue à améliorer notre niveau d’espoir. Les
différences entre les deux concepts d’espoir sont remarquables. Les activités
cognitives-rationnelles et individuelles-motivationnelles sont beaucoup plus
liées à l’espoir dispositionnel. En revanche, les activités spirituelles-
religieuses présentent une association modérée mais nettement plus
prononcée avec le concept plus large d’espoir perçu. Par conséquent, les
activités spirituelles-religieuses, bien que peu appréciées par la population en
général, peuvent certainement être rattachées à un niveau d’espoir plus élevé.
Les coefficients de corrélation ne montrent pas de différences significatives
en ce qui concerne les éléments socio-émotionnels, qui présentent un lien
modéré avec l’espoir perçu et l’espoir dispositionnel.
En corrélant les activités mises en œuvre pour concrétiser les espoirs avec
les objectifs d’espoir et les valeurs personnelles présentées dans la section
précédente, les conclusions principales suivantes se dégagent : les personnes
qui souhaitent être heureuses en famille ou en couple prennent soin de
communiquer avec leur partenaire (r = 0,384) et impliquent les membres de
leur famille (r = 0,247) ; les personnes à la recherche de davantage
d’expériences religieuses et spirituelles prient ou méditent (r = 0,693), ont
confiance en Dieu (r = 0,676) ou se rendent à l’église ou dans un autre lieu de
culte (r = 0,654) ; les personnes qui souhaitent aider les autres donnent de
l’argent (r = 0,299), impliquent leurs amis (r = 0,298) et leur famille (r
= 0,224) mais se tournent aussi vers des pratiques spirituelles-religieuses
comme la prière et la méditation (r = 0,269) et ont confiance en Dieu (r
= 0,236) (p < 0,01 pour tout). La plupart des pratiques sociales et spirituelles-
religieuses montrent une corrélation significative et plus forte avec la valeur
d’autotranscendance, tandis que les activités cognitives et motivationnelles
individualistes ont une corrélation plus marquée avec la valeur d’ouverture au
changement.

7. Confiance et sources d’espoir


Le troisième domaine de notre modèle d’espoir examine les formes et les
expressions de la confiance, en lien avec les ressources permettant de croire
en la réalisation des résultats espérés. Qu’est-ce qui donne aux individus la
force de croire en une guérison ? Qu’est-ce qui permet de croire en une issue
favorable en dépit de toutes les circonstances négatives ? Certains auteurs se
concentrent sur les aptitudes personnelles de chacun (Snyder, 1994), d’autres
font référence à l’importance du soutien social des membres de la famille ou
des amis proches (Erikson, 1963 ; Scioli et Biller 2003), d’autres encore
mettent l’accent sur la confiance ou la foi en une puissance supérieure
bienveillante (Scioli, 2007) à laquelle on peut s’adresser lorsqu’on est
confronté à des situations difficiles de la vie.
Dans la lignée des travaux de Earle et Siegrist (2006), nous proposons de
faire la distinction entre la confiance décidée (trust) et la confiance assurée
(confidence). La confiance décidée (trust) est un phénomène relationnel
favorisé par l’attachement social et caractérisé par des valeurs communes
telles que la bienveillance, l’intégrité, l’équité et la bienveillance. La
confiance assurée (confidence), au contraire, est une évaluation subjective,
fondée sur la raison, d’une probabilité élevée, qui correspond au concept
d’optimisme et d’espoir dispositionnel. La confiance (trust) est liée à
l’interdépendance avec les autres et donc à la vulnérabilité, à l’incertitude et à
la foi, ce qui renvoie à la notion d’espoir perçu. D’autre part, la confiance en
soi (self-confidence, White, 2009) est caractérisée par la croyance dans les
accomplissements personnels, la persévérance, la résilience, la conscience de
soi, la connaissance, l’expérience et la réussite personnelle, des attributs
étroitement liés à la définition de l’espoir dispositionnel.
Dans ce chapitre, nous analysons les multiples sources d’espoir à partir de
données recueillies en 2019. L’instrument consiste en une liste de 18 items
correspondant aux sources d’espoir sur lesquelles les individus s’appuient. À
cet égard il est essentiel, rappelons-le, de déterminer si l’espoir est un trait
purement individuel ou plutôt un phénomène social, lié aux relations avec les
autres comme le suggèrent de nombreux psychologues comme Erikson
(1963). Les 18 items ont été formulés en tenant compte de sources d’espoir
issues de différents domaines : les ressources individuelles, le soutien social,
les expériences personnelles positives, la capacité à faire face aux
difficultés, etc. ont été notés sur une échelle de 0 à 3.
Dans la même vague de collecte de données, nous avons également évalué
le niveau de soutien socio-émotionnel (Cyranowski et al., 2013) ainsi que le
bien-être social (Keyes, 2002), que nous avons ensuite mis en corrélation
avec les deux mesures de l’espoir perçu et de l’espoir dispositionnel.
Tableau 17.5 – Sources d’espoir et niveau général d’espoir
– Valeurs moyennes et corrélations bivariées
Espoir perçu Espoir dispositionnel
M EC M = 2,94 M = 3,15
EC = 1,14 EC = 0,96

1. Le soutien de ma famille et de mes amis 2,16 0,903 0,272** 0,196**

2. Des expériences agréables en pleine nature 1,91 0,969 0,238** 0,237**

3. Éducation et études réussies 1,81 0,915 0,225** 0,294**

4. Faire le bien pour une cause importante 1,79 0,919 0,310** 0,223**

5. La gratitude manifestée par les personnes que j’ai aidées 1,74 0,932 0,195** 0,129**

6. J’ai résolu des problèmes difficiles 1,69 0,863 0,325** 0,443**

7. Des personnes m’ont aidé dans des moments difficiles 1,69 0,960 0,199** 0,118**

8. Mes réussites et mes réalisations professionnelles 1,63 0,911 0,315** 0,428**

9. Des souvenirs d’enfance 1,54 0,994 0,186** 0,098**

10. J’ai vécu de superbes fêtes et concerts 1,53 1,029 0,239** 0,225**

11. J’ai toujours eu de la chance 1,30 0,933 0,398** 0,372**

12. J’ai bien récupéré de ma maladie 1,16 1,090 0,197** 0,178**


13. J’ai bénéficié des progrès techniques 1,13 0,911 0,208** 0,241**

14. Mes prières ont été entendues 0,83 0,989 0,300** 0,161**

15. J’ai fait l’expérience du soutien de Dieu 0,70 1,011 0,228** 0,116**

16. J’ai gagné beaucoup d’argent 0,61 0,787 0,209** 0,286**

17. Participation à des événements politiques 0,34 0,684 0,145** 0,155**

18. Engagement politique couronné de succès 0,23 0,600 0,105** 0,113**

** Corrélation significative au seuil p < 0,01.


* Corrélation significative au seuil p < 0,05.

Le tableau 17. 5 montre les expériences et les sources d’espoir que les gens
considèrent comme particulièrement importantes pour entretenir l’espoir. En
haut de la liste figurent les relations positives avec les autres et le lien avec la
nature. Avant tout, la famille et les amis proches sont d’une importance
capitale. Les relations positives, lorsqu’elles offrent soutien et aide mutuels,
deviennent une source d’espoir. Très importantes pour l’espoir, ces
expériences suscitent des sentiments positifs et incitent à faire confiance aux
autres. Elles renforcent la conviction que nous ne sommes pas seuls et que
nous pouvons compter sur les autres en cas de besoin.
Les réalisations personnelles et les réussites individuelles sont également
des sources importantes d’espoir, qui confèrent à la personne un sentiment de
confiance en soi. Seule une minorité (environ vingt pour cent de la
population) trouve dans les expériences religieuses ou spirituelles, telles que
le soutien de Dieu ou la prière, une source d’espoir. Le bas du classement est
occupé par les activités politiques et l’argent. Il est surprenant de constater à
quel point les aspects économiques, politiques et technologiques sont peu
représentés dans les espoirs personnels des individus. Cela ne signifie pas
pour autant que ces aspects sont totalement dénués d’importance.
La mise en corrélation des 18 sources d’espoir avec l’espoir perçu et
l’espoir dispositionnel fait apparaître des résultats frappants. Dans les deux
cas, les performances et les réussites individuelles sont en tête de liste, mais
elles sont beaucoup plus fortement corrélées avec l’espoir dispositionnel
qu’avec l’espoir perçu. En revanche, les items altruistes (aider les autres et
faire le bien), sociaux (le soutien familial) et religieux-spirituels (les prières)
sont nettement plus liés à l’espoir perçu qu’à l’espoir dispositionnel.
Le fait de recevoir un soutien socio-émotionnel montre une corrélation
positive significativement plus forte avec l’espoir perçu (r = 0,429) qu’avec
l’espoir dispositionnel (r = 0,366 ; p < 0,05), de même que le bien-être social
est plus fortement corrélé avec l’espoir perçu (r = 0,493) qu’avec l’espoir
dispositionnel (r = 0,400 ; p < 0,05).

Conclusion
L’espoir est un phénomène quotidien, complexe et en même temps difficile
à appréhender. Chaque jour, les gens nourrissent de nouveaux espoirs pour
des choses petites et grandes. Aussi diversifié que la vie elle-même, l’espoir
est un aspect important de la vie de chacun. L’espoir est vécu sous différentes
formes selon les personnes. Il existe divers espoirs, diverses façons de les
réaliser et diverses sources d’espoir. Certaines personnes ressentent de
l’espoir dans la nature, d’autres au sein de leur famille et d’autres encore dans
un travail utile. Cette diversité montre à quel point il est difficile de définir et
de décrire l’espoir de manière universelle.
Une découverte majeure du Baromètre de l’espoir révèle que les aspects
essentiels de la vie semblent être à la fois les souhaits les plus chers et les
sources d’espoir les plus importantes, ce qui crée un cercle vertueux et
affirme la place de l’espoir au rang des vertus. La santé personnelle, un
mariage et une famille heureux, un travail utile et intéressant, une vie
harmonieuse, l’entraide, la proximité avec la nature, des amitiés proches et
des relations chaleureuses sont les sources essentielles d’espoir et, en même
temps, les domaines les plus importants de la vie vers lesquels les individus
dirigent leurs espoirs. Cette observation est moins évidente dans d’autres
domaines. La réussite, l’argent et le plaisir (aussi importants que ces aspects
puissent être) ne figurent ni parmi les buts essentiels ni parmi les sources
importantes d’espoir.
La dimension spirituelle et religieuse constitue un phénomène particulier.
D’une part, la spiritualité et la religiosité ne sont ni un objectif central ni une
source importante d’espoir pour la majorité des individus. D’autre part, un
examen plus approfondi de ce phénomène indique que pour un certain
nombre de personnes, les expériences religieuses et spirituelles sont
effectivement un objectif significatif et une source importante d’espoir. La
relation avec Dieu, la foi et la confiance en l’assistance divine sont pour ces
personnes des aspects décisifs d’une vie pleine d’espoir, de sens et
d’accomplissement.
Enfin, les valeurs et les visions du monde positives sont reliées aux objectifs
et aux sources d’espoir, et tous se renforcent mutuellement. Si nous croyons
en la bienveillance du monde et des êtres humains, si nous sommes tolérants,
compréhensifs et reconnaissants envers les autres, si nous avons une saine
estime de soi et une bonne confiance en soi, si nous sommes en outre ouverts
au changement, si nous accomplissons nos tâches avec enthousiasme et envie
d’agir, mais sans tendance égoïste, et si nous faisons tout cela avec une foi
religieuse ou spirituelle fortifiante, alors notre espoir grandira et se
multipliera. Force existentielle majeure, le soutien socio-émotionnel favorise
notre niveau d’espoir personnel et renforce notre bien-être en société.

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1. Par Andreas M. Krafft.
Chapitre 18
Améliorer la santé par l’humour1

Sommaire
1. Qu’est-ce que l’humour et le sens de l’humour ?
2. Quel lien entretient l’humour avec la santé ?
3. Comment améliorer la santé par l’humour ?
Bibliographie
Résumé court
Ce chapitre présente en premier lieu les conceptualisations de
l’humour et du sens de l’humour. Il passe ensuite en revue les
relations entre l’humour et la santé, puis les effets sur la santé des
interventions basées sur l’humour.
Résumé long
La contribution de l’humour à la santé mentale, sociale et physique
est reconnue depuis longtemps, et a conduit à l’élaboration de
plusieurs théories et modèles psychologiques. En outre, la
recherche empirique a accordé une grande attention au thème de
l’humour et de la santé, en particulier au cours des deux dernières
décennies. Ce chapitre aborde les conceptualisations de l’humour
(terme générique recouvrant tous les phénomènes liés au
comique, à l’esprit, au rire et à l’humour) et le sens de l’humour
(différences individuelles en matière d’humour) ainsi que leur
pertinence pour la santé mentale, sociale et physique. La plupart
des études se sont concentrées sur les relations transversales
entre l’humour et la santé mentale, en accordant moins d’attention
empirique à la santé sociale et physique. Enfin, l’évaluation des
formations et des interventions basées sur l’humour a montré que
celui-ci joue effectivement un rôle causal dans l’amélioration de la
santé mentale. Ce chapitre met en lumière les principaux
concepts, résultats et implications pratiques de l’humour en
relation avec la santé, et guide les lecteurs intéressés vers
d’autres lectures importantes dans ce domaine.

Mots-clés : sens de l’humour, interventions basées sur l’humour,


humour d’adaptation au stress (coping), développement du sens
de l’humour (humour habits training), humour bienveillant.
Questions
• Que sont l’humour et le sens de l’humour ?
• Quel lien entretient l’humour avec la santé ?
• Comment améliorer la santé par l’humour ?

1. Qu’est-ce que l’humour et le sens de


l’humour ?
L’humour est un phénomène fréquent au quotidien, qui se manifeste par un
large éventail de comportements et d’expériences. Nous pouvons par
exemple raconter des blagues, regarder une comédie, rire d’un incident ou
échanger des histoires drôles et rire avec nos amis. Au sens strict, le terme
« humour » désigne une vision du monde (voir Ruch, 1998, pour un compte
rendu détaillé de l’émergence et des significations de l’idée « d’humour »).
Ce concept se rapproche de la force de caractère de l’humour selon
l’inventaire des forces et des vertus (VIA) développé par Peterson et
Seligman en 2004, ainsi que de la notion de l’humour bienveillant récemment
conceptualisée par Ruch et Heintz (2016a). Dans la recherche psychologique
moderne, en revanche, l’humour est devenu un terme générique qui englobe
un ensemble de phénomènes (Ruch, 1996, 1998 ; voir également Ruch et al.,
2018), y compris la moquerie ainsi que différents domaines (compréhension,
appréciation et production).
L’humour
« Terme générique désignant tous les phénomènes liés au comique, à
l’esprit, au rire et à l’humour » (Ruch, 1998, p. 242 et sq.)
Plusieurs modèles et théories ont été mis en avant pour expliquer comment
nous traitons l’humour. Ils se penchent notamment sur les différentes étapes
de traitement de l’humour (Chan et al., 2013 ; Suls, 1972), et sur les
fonctions de l’humour (évolutionniste par exemple ; Gervais et Wilson,
2005 ; Weisfeld, 1993). Ce vaste périmètre permet d’étudier l’effet que
produit la consommation de stimuli humoristiques (par exemple, vidéos
drôles, comédies, blagues, mèmes, dessins animés) sur le destinataire. Outre
cette appréciation passive, les effets bénéfiques de l’humour s’étendent à sa
production active. La production d’humour, qui peut être divisée en
reproduction et en création (Ruch et Heintz, 2018), est étroitement liée à la
créativité et à l’intelligence verbale (Christensen et al., 2018 ; Galloway,
1994 ; Kellner et Benedek, 2017).
Il est important de noter que les individus n’apprécient pas tous le même
type d’humour, ne le pratiquent pas tous de la même façon et le comprennent
de différentes manières ; par exemple, certains préfèrent un humour
aboutissant à une chute prévisible, d’autres un humour qui joue avec les idées
et flirte avec l’absurde (Chan et al., 2013 ; Ruch, 1992). Les préférences
varient également en termes de contenu humoristique, allant des jeux de mots
inoffensifs jusqu’à des contenus plus sexuels ou agressifs (Heintz, 2019 ;
Love et Deckers, 1987). Ces différences individuelles en matière d’humour
sont rendues par la notion de « sens de l’humour » (Ruch, 1996, 1998 ; Ruch
et al., 1996).
Sens de l’humour
« Terme générique désignant l’humour en tant que trait de personnalité »,
englobant « toutes les formes de comportement humoristique » (Ruch,
1998, p. 243).
Comme le soulignent Ruch et Heintz (2018), le sens de l’humour affecte les
sentiments, les comportements, les pensées et les motivations de la personne
en matière d’humour. Outre les habitudes humoristiques, le sens de l’humour
fait également appel aux aptitudes de l’individu, par exemple l’intelligence
verbale pour les traits d’esprit et la mémoire pour mémoriser et raconter des
blagues (Feingold et Mazzella, 1991, 1993 ; Ruch et al., 2018). Le modèle du
sens de l’humour qu’ont proposé Ruch et al. (1996) s’appuie sur le
tempérament et décrit trois dimensions qui influencent la façon dont l’hilarité
ou l’amusement se manifestent : la gaieté (c’est-à-dire, aimer rire, porter un
regard humoristique sur le monde), le sérieux (réfléchir de manière sobre et
factuelle), et la mauvaise humeur (tristesse et humeur dépressive). Plus une
personne est joyeuse, moins elle est sérieuse et de mauvaise humeur, plus elle
est susceptible de faire preuve d’humour et d’apprécier l’humour.
Par sa diversité et sa polyvalence, le sens de l’humour est un sujet fascinant
de recherche et d’application en psychologie. Les styles d’humour, qui
représentent des traits spécifiques du sens de l’humour, en témoignent. Le
terme « styles » a été introduit dans la recherche sur l’humour par Craik et al.
(1996) dans le cadre d’une approche globale visant à cartographier les
comportements humoristiques (voir Ruch et Heintz, 2016b, pour un examen
détaillé du terme « styles » dans le domaine de l’humour). Leurs « styles
comportementaux en matière d’humour » font référence aux différents
comportements que les gens ont tendance à adopter vis-à-vis de l’humour.
Martin et al. (2003), en revanche, ont défini les styles d’humour comme des
fonctions liées au bien-être. Ils ont proposé un modèle comprenant quatre
styles d’humour, qui ont été conceptualisés comme étant soit
adaptatifs/bienveillants (style affiliatif et style renforçant pour soi-même),
soit inadaptés/néfastes (style agressif et style rabaissant pour soi-même). En
outre, ces styles ont pour fonction soit de se faire du bien à soi-même (c’est-
à-dire se sentir mieux dans sa peau ou mieux gérer ses problèmes ; style
renforçant pour soi-même et style agressif), soit de renforcer ses relations
avec les autres (par exemple, en étant plus apprécié des autres ; style affiliatif
et style rabaissant pour soi-même). Il n’est pas surprenant, étant donné
l’accent mis sur le bien-être, que l’approche de Martin et al. (2003) soit la
plus populaire pour l’étude des relations entre l’humour et la santé, en
particulier la santé mentale.
La dernière conceptualisation des styles d’humour est le modèle des huit
styles comiques de Ruch et al. (2018a). Plutôt que de s’appuyer sur les
comportements (comme Craik et al. 1996) ou sur des fonctions liées au bien-
être (comme Martin et al., 2003), ils se sont basés sur des études littéraires et
des analyses linguistiques pour distinguer les différentes « saveurs » de
l’humour et définir leurs styles d’humour. Ils ont traduit ces concepts pour la
psychologie, mais ont conservé le terme original de « comique » (plutôt que
celui d’humour), qui est utilisé dans ces disciplines comme un terme
générique (regroupant entre autres la « comédie » ; Lockyer, 2016). Les huit
styles de comique sont la drôlerie, l’humour (bienveillant), le non-sens,
l’esprit, l’ironie, la satire, le sarcasme et le cynisme, et ils couvrent les
différences individuelles qualitatives en matière d’humour de manière plus
complète que les approches précédentes. Dans la recherche sur l’humour,
l’utilisation du terme « styles » peut donner lieu à des pièges d’appellation
(jingle, même mot, mais concept différent, et jangle, mot différent, mais
concept similaire ; Block, 1995).

2. Quel lien entretient l’humour avec la


santé ?
Selon l’Organisation mondiale de la santé (1948), la santé comporte des
aspects physiques, mentaux et sociaux (voir également Huber et al., 2011).
La recherche sur l’humour s’est surtout concentrée sur les relations entre les
styles d’humour et la santé mentale, et seulement quelques modèles et
recherches ont ciblé la santé physique et sociale. Ce dernier point paraît
d’autant plus surprenant que l’humour est un phénomène intrinsèquement
social (Martineau, 1972). Dans ce qui suit, nous présentons les principales
découvertes sur les relations qu’entretiennent l’humour, le sens de l’humour
et les styles d’humour avec la santé mentale, physique et sociale.
Plusieurs théories (Freud, 1928) et modèles (Martin et al., 2003 ; Martin et
Lefcourt, 1983 ; Peterson et Seligman, 2004 ; Ruch et Heintz, 2016a) ont
suggéré que l’humour jouait un rôle central dans la réaction au stress, la
gestion des événements négatifs et le maintien d’une attitude positive dans
des circonstances difficiles. Des recherches empiriques ont montré les
relations positives avec la santé mentale qu’entretiennent la bonne humeur
(par exemple, Lau et al., 2019 ; López-Benítez et al. 2020 ; Wagner et Ruch,
2020) et l’humour en tant que force de caractère (par exemple Müller et
Ruch, 2011), ainsi que les styles d’humour qui permettent de faire face aux
difficultés (Chen et Martin, 2007 ; Martin et Lefcourt, 1983 ; Martin et al.,
1993 ; Marziali et al., 2008 ; pour une vue d’ensemble, voir Martin, 1996),
l’humour de renforcement de soi et d’affiliation (par exemple Cann et
Collette, 2014 ; Chen et Martin, 2007 ; Edwards et Martin, 2014 ; Kuiper,
2014 ; Martin et al., 2003 ; Ruch et Heintz, 2013, 2017 ; pour une vue
d’ensemble, voir Schneider et al., 2019), et l’humour drôle et bienveillant
(Blasco-Belled et al., 2019 ; Heintz et al., 2020 ; Ruch et al., 2018b).
L’humour rabaissant pour soi est le seul style d’humour associé à une
mauvaise santé mentale. Ce style est lié à des niveaux de bien-être plus
faibles (Kuiper, 2014 ; Martin et al., 2003 ; Schneider et al., 2019) et à des
symptômes cliniques et sous-cliniques de troubles mentaux, tels que la
dépression, l’anxiété et les idées suicidaires (Meyer et al., 2017 ; Rnic et al.,
2016 ; Tucker et al., 2013). Ces résultats contrastent avec la connotation
positive généralement associée à l’humour envers soi-même, tel que le fait
d’être capable de rire de soi-même et de ne pas se prendre trop au sérieux
(Beermann et Ruch, 2008 ; McGhee, 1999, 2010 ; Hofmann, 2018). En effet,
les études sur la validité conceptuelle de l’échelle d’autodépréciation ont
montré que cette échelle ne semble pas évaluer ce qu’elle est censée mesurer.
Plutôt que d’évaluer l’humour envers soi-même, on a constaté que l’échelle
était plus étroitement liée au névrosisme, aux affects négatifs et à la faible
estime de soi (Ruch et Heintz, 2013, 2017). De plus, une étude détaillée des
personnes ayant des scores élevés dans le style d’humour rabaissant pour soi-
même a révélé une association entre l’humour envers soi et les émotions
positives, plutôt que négatives, (Heintz et Ruch, 2018 ; pour une vue
d’ensemble, voir Heintz, 2018).
Les styles d’humour liés à la moquerie, tels que l’humour agressif ou le
comique satirique, sarcastique et cynique, se sont généralement avérés sans
rapport avec la santé mentale (Blasco-Belled et al., 2019 ; Chen et Martin,
2007 ; Heintz et al., 2020 ; Kuiper, 2014 ; Martin et al., 2003 ; Ruch et al.,
2018b ; Schneider et al., 2019). En revanche, ces styles semblent pertinents
pour la santé et le bien-être sociaux. Martineau (1972) a décrit deux fonctions
de l’humour, qui ont été récemment développées par Janes et Olson (2015) :
L’humour peut être soit un « lubrifiant » social (c’est-à-dire qu’il aide à
établir et à maintenir des relations saines et un soutien social), soit un
« abrasif » qui perturbe la communication, éloigne les autres et dissout les
relations.
Bien que la recherche se soit moins penchée sur le lien entre humour et
santé sociale, les études empiriques sur les styles prosociaux et les styles
basés sur la moquerie ou « plus noirs » (par exemple, l’agressivité, le
sarcasme) ont confirmé ces deux fonctions sociales de l’humour. Les styles
prosociaux (par exemple, affiliatif et drôle) étaient positivement liés à
l’amabilité, aux forces interpersonnelles, au soutien social perçu, à la
cohésion du groupe au travail, à la résolution des conflits relationnels au
travail et à la satisfaction relationnelle (Caird et Martin, 2014 ; Cann et al.,
2011 ; Dyck et Holtzman, 2013 ; Mao et al., 2017 ; Martin et al., 2003 ;
Mendiburo-Seguel et al., 2015 ; Mesmer Magnus et al., 2012 ; Ruch et al.,
2018a). En revanche, les styles liés à la moquerie ou les styles « plus noirs »
(par exemple, l’agressivité, le sarcasme et le cynisme) étaient liés à des traits
de personnalité « sombres » (par exemple, la psychopathie), à l’agressivité, à
un manque d’amabilité, à moins de forces interpersonnelles et à moins de
satisfaction dans les relations (Caird et Martin, 2014 ; Cann et al., 2011 ;
Martin et al., 2003 ; Mendiburo-Seguel et al., 2015 ; Ruch et al., 2018a ;
Zeigler-Hill et al., 2016).
En considérant l’humour de manière plus générale (sans distinguer
différents styles), certaines études ont découvert une amélioration des
relations dans des contextes et des populations spécifiques, comme les soins
de santé (AMA Journal of Ethics, 2020), les soins palliatifs (Linge-Dahl
et al., 2018), et chez les personnes souffrant de handicaps intellectuels
(Chadwick et Platt, 2018). En outre, les personnes dotées du sens de
l’humour et maniant l’humour paraissent plus faciles à approcher et plus
aimables, connaissent moins la solitude, bénéficient d’une plus forte
attractivité sociale et d’une plus grande popularité (Wanzer et al., 2009).
Enfin, la corrélation entre la santé physique et l’humour est la moins
étudiée, elle l’est souvent en même temps que le rire dans ce contexte.
Plusieurs modèles et théories établissent un lien entre l’humour et la santé
physique (Fry, 1992 ; Martin, 2002). Martin (2002) propose quatre
mécanismes indirects qui relient l’humour et la santé physique :
1. l’humour est susceptible d’induire le rire, qui provoque alors des
changements physiologiques (une relaxation musculaire, une meilleure
respiration, par exemple) ;
2. l’induction d’émotions positives ;
3. la modération du stress (c’est-à-dire qu’il agit comme un tampon contre les
effets néfastes du stress sur la santé) ;
4. un soutien social accru.
Dans une étude approfondie des relations entre l’humour et la santé
physique, Martin (2001, 2002, 2004) a trouvé des résultats souvent faibles ou
incohérents dans plusieurs domaines de la santé physique, tels que
l’immunité, la tolérance à la douleur, la pression artérielle, la longévité et les
symptômes physiques déclarés par les personnes concernées. Des études plus
récentes ont également révélé des relations non significatives ou très faibles,
souvent avec la santé physique autodéclarée (par exemple, Curran et al.,
2019 ; Fritz, 2020). Dans la même lignée de recherche, l’humour et le sens de
l’humour ont été évalués de manière plus large, sans distinction entre
différents styles d’humour.

3. Comment améliorer la santé par


l’humour ?
Si, dans des recherches antérieures, l’humour en général et certains styles
d’humour en particulier ont été solidement corrélés avec la santé mentale et
sociale, et dans une moindre mesure avec la santé physique, il est nécessaire
de mener des expériences et des interventions afin de comprendre si l’humour
favorise réellement la santé. En raison de la rareté des recherches sur les
effets de l’humour sur la santé sociale (par exemple Dionigi et Canestrari,
2016) et la santé physique (par exemple Zweyer et al., 2004), cette partie se
concentrera sur les effets des interventions à base d’humour sur la santé
mentale. De plus, étant donné le large éventail existant de formations et
d’interventions basées sur l’humour, qu’il s’agisse des clowns en milieu de
soins/clowns hospitaliers (Auerbach et al., 2016 ; Dionigi et Canestrari,
2016), de l’improvisation (Morse et al., 2018) ou de l’incitation à pratiquer
l’humour pour aller mieux (Ford et al., 2017), nous nous concentrerons sur
les deux approches les plus utilisées : le programme des Sept habitudes en
matière d’humour (7 Humour Habits Program, 7 HHP ; McGhee, 1999,
2010) et les interventions de psychologie positive basées sur l’humour
(Wellenzohn et al., 2016, 2018). On trouvera un aperçu complet des
interventions basées sur l’humour chez Hofmann et Ruch (2019) et Ruch et
Hofmann (2017).
Le programme 7 HHP (McGhee, 1999, 2010) est un programme de
8 semaines qui peut être pratiqué seul ou en groupe, et il convient aux
environnements professionnels et cliniques (par exemple, pour les patients
souffrant de troubles dépressifs majeurs). Il comprend sept habitudes à
adopter en matière d’humour : (1) déterminer son propre sens de l’humour,
(2) être enjoué, (3) rire, (4) pratiquer l’humour verbal, (5) aborder la vie de
tous les jours avec humour, (6) rire de soi-même et (7) faire face au stress. Il
vise à accroître le sens de l’humour, les émotions positives, la résilience, la
gestion du stress et à réduire les émotions négatives. Le programme a permis
d’atteindre la plupart de ces objectifs, comme l’ont constaté Ruch et McGhee
(2014), soit en comparant les scores avant et après la formation, soit en
comparant des groupes ayant suivi la formation avec un groupe de contrôle
randomisé. Ces effets ont également été rapportés par les intéressés eux-
mêmes et par leurs pairs (Ruch et al., 2018).
Les interventions de psychologie positive basées sur l’humour (par exemple,
Gander et al., 2013 ; Wellenzohn et al., 2016, 2018) sont de courtes
interventions en ligne, pratiquées pendant 10-15 minutes chaque jour pendant
une semaine. Il s’agit par exemple de l’exercice des « trois choses drôles »,
dans lequel la personne écrit les trois événements les plus drôles qu’elle a
vécus pendant la journée et son ressenti pendant ces expériences, ou de
l’exercice du « décompte des choses drôles », qui consiste à compter tous les
événements drôles qui se sont produits pendant la journée et à noter leur
nombre total. Ces courts exercices ont permis d’améliorer la santé mentale
pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois. Les extravertis ont
davantage bénéficié de ces exercices que les introvertis, tandis que le sens de
l’humour n’a pas pondéré les résultats en matière de santé mentale
(Wellenzohn et al., 2018). Enfin, Wellenzohn et al. (2016) ont identifié deux
mécanismes potentiels générant ces effets : le fait de savourer les émotions
positives vécues dans le passé, et le fait de déplacer l’attention sur les
émotions positives actuelles et futures.
Dans l’ensemble, l’effet causal positif que l’humour exerce sur la santé
mentale est solidement étayé par des preuves. Comme les formations et les
interventions basées sur l’humour sont plutôt économiques et agréables pour
la plupart des participants, elles constituent une option viable en complément
des interventions et des thérapies existantes en matière de santé mentale.
Elles pourraient également servir à renforcer le sens de l’humour (en tant que
trait et en tant qu’état ; Ruch et al., 1996, 1997) ainsi que la santé mentale
dans un large éventail de contextes, notamment au travail et dans le domaine
des soins médicaux. De futurs travaux sur l’adéquation entre la personne et
l’intervention permettraient d’adapter les formations et les interventions
basées sur l’humour à chaque participant (par exemple, en fonction de son
propre style d’humour et de sa personnalité ; voir Wellenzohn et al., 2018 ;
Hofmann et Ruch, 2019). En revanche, on manque de preuves concernant les
effets positifs sur la santé sociale et physique et il faudrait poursuivre les
recherches avant de pouvoir envisager des recommandations d’applications
spécifiques. Sur la base des corrélations examinées dans la section
précédente, nous pensons que les relations sociales pourraient être
dynamisées par la pratique de styles d’humour prosociaux et par un
maniement réfléchi et prudent des styles d’humour apparentés à la moquerie.

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1. Par Sonja Heintz et Willibald Ruch.
Partie 3
Psychologie positive et
éducation
Chapitre 19
Apprendre les compétences
de la résilience à l’école1

Sommaire
1. Deux types de programmes scolaires de résilience
2. Les stratégies et points à retenir pour développer des
compétences de la résilience à l’école de manière
efficace
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Les programmes scolaires de résilience peuvent à la fois être
envisagés comme une opportunité pour atténuer les problèmes de
mauvaise santé mentale des adolescents, mais également comme
une solution pour promouvoir les compétences d’adaptation, de
résilience et plus généralement de bien-être. Ces programmes
tentent pour la plupart d’entre eux d’aider les élèves à gérer les
liens et entre leurs émotions, leurs manières de penser et leurs
comportements.
Résumé long
Les programmes scolaires de résilience peuvent être aussi utiles
en traitement des problèmes de santé mentale des adolescents,
qu’en promotion des compétences de résilience et d’un bien-être
plus global. Ces derniers se divisent en programmes additionnels
– conçus sous forme de modules facilement implantables – et en
programmes holistiques – impliquant une refonte totale des
établissements dans lesquels ils sont implantés. L’une ou l’autre
de ces formes n’est pas idéale ou définitivement meilleure. Il
convient au contraire de s’inspirer des avantages de chacune pour
déterminer les stratégies les plus pertinentes en vue de
développer les compétences d’adaptation et de résilience des
élèves, de manière efficace et dans des configurations applicables
à un large ensemble de systèmes scolaires tels que le système
scolaire français.

Mots-clés : résilience, adolescents, programmes scolaires de


résilience, compétences, bien-être.
Questions
• Dans quel état de santé mentale se trouvent les adolescents
français aujourd’hui ?
• Comment l’école peut-elle représenter un terrain d’amélioration
de leur santé ?
• Quels sont les programmes scolaires ciblant des compétences
de résilience ?
• Quelles sont leurs formes et en quoi enseignent-ils ces
compétences ?
• Quelles seraient les stratégies à associer pour concevoir des
programmes à destination d’élèves français ?

Très souvent, jeunesse rime avec joie de vivre, insouciance et perte de la


notion du temps qui passe. Les adultes déclament fréquemment : « Que c’est
beau d’être jeune ! », ou encore, comme le disait Gustave Le Bon (1884) il y
a déjà longtemps : « Profite de ta jeunesse, la vie n’a qu’un instant. » Ainsi
l’enfance et l’adolescence semblent, pour les adultes, être une belle période,
un moment où il fait bon vivre. Qu’en est-il réellement ? Que disent les
chiffres sur la qualité de vie et le bien-être des jeunes ? Si parmi eux, certains
vont très bien, de nos jours, globalement, la santé mentale de nos adolescents
se révèle plutôt mauvaise, voire alarmante. De nombreuses études le
soulignent. En effet, selon Métais, Martin-Krumm, Burel, Tarquinio et
Waters (soumis), un grand pan de la recherche constate que la mauvaise santé
psychologique des adolescents est en augmentation dans le monde entier
(Moghaddam, Bahreini, Abbasi, & Saeidi, 2016 ; Polanczyk, Salum, Sugaya,
Caye, & Rohde, 2015). Actuellement, entre 10 % et 20 % des adolescents et
des enfants dans le monde souffrent de problèmes de santé mentale (Kieling
et al., 2011), la dépression étant la première maladie chez les adolescents
(Moghaddam et al., 2016). Par ailleurs, aucune nation ni aucune culture ne
semblent être épargnées. Au regard des problèmes et des chiffres similaires
constatés dans de nombreux pays occidentaux, mais également dans d’autres
cultures (Shaheen & Oppenheim, 2016), l’adolescence semble en effet être
une étape de luttes et de difficultés psychologiques pour beaucoup de jeunes
dans de nombreux pays (Métais et al., soumis). En France, la situation est
similaire et pose aussi très fortement question. Oger et al. (2020) précisent
que « selon des enquêtes citées par le troisième rapport de l’Observatoire
national du suicide (2018), près de 3 % des jeunes de 17 ans ont déclaré avoir
fait au cours de leur vie une tentative de suicide ayant entraîné une
hospitalisation. Un adolescent sur dix, dit avoir pensé au moins une fois au
suicide au cours des douze derniers mois ». Ces faits inquiètent
considérablement. Stress, anxiété, dépression sont bien présents chez nos
jeunes français et les incitent parfois à avoir des comportements déviants
comme une (sur)consommation de tabac (e. g. Moncla, Walburg, & Milhaes,
2014), de substances illicites (e. g. Walburg, Moncla, & Mialhes, 2015) et/ou
d’alcool (e. g. Oller-Perret & Walburg, 2018) mais aussi parfois un
déploiement de la violence (e. g. Reneric & Bouvard, 2009).
La nécessité de se préoccuper de cette détresse mentale de la jeunesse, et de
prendre à bras-le-corps ce problème, est bel et bien réelle, d’autant plus que
la situation de crise sanitaire que nous vivons en ce moment, vient accentuer
ce triste tableau. L’Institut national d’excellence en santé et en services
sociaux (INESSS, 2020) met cela en lumière en résumant 466 articles
scientifiques issus du monde entier, montrant que le confinement a eu des
effets sur la qualité de vie, les conditions de vie, les habitudes de vie, et la vie
scolaire des jeunes. Ainsi le développement de l’enfant et sa santé mentale et
physique en sont affectés. Plus précisément, « l’épidémie et le confinement
qui s’en sont suivis, ont affecté la santé mentale d’environ 40 % des
adolescents, stressés par le fait d’être coupés de leurs amis et de
l’environnement scolaire, la peur de tomber malade ou la perspective d’un
futur incertain. C’est l’une des principales conclusions d’une récente enquête
de l’Unicef et de la Fédération internationale des associations d’étudiants en
médecine (Ifmsa), présentée mardi 28 juillet 2020 » (Dupont, 2020).
Ces constats amènent diverses questions : existe-t-il des moyens pour
améliorer la santé mentale des jeunes ou favoriser au moins un mieux-être ?
Que propose l’École ? Qu’est-elle en mesure d’apporter ? Des solutions
peuvent-elles être intégrées dans les programmes scolaires, ou ne sont-elles
que des solutions et des ressources parallèles ?
Il semble en tout cas que l’école soit un terrain idéal pour disséminer à large
échelle des interventions ayant pour but d’améliorer le bien-être et les
compétences de rebond des jeunes (McHale, 2015 ; Ungar, Russell, &
Connelly, 2014). Elles ont des effets bénéfiques sur leur état de santé. Il est
possible d’envisager qu’intervenir chez les adolescents aura en retour un effet
sur leur santé lorsqu’ils seront adultes. Plusieurs praticiens ont d’ailleurs
reprécisé certains besoins dans ce contexte actuel, si particulier, de sortie de
confinement et de retour en cours, comme celui de « se concentrer de façon
prioritaire sur le bien-être et la santé mentale des élèves plutôt que sur leur
réussite scolaire, [ou encore] d’assurer un accès rapide à des services de santé
mentale en milieu scolaire aux élèves qui en ont besoin » (Ordre des
psychologues du Québec, 2020).
L’éducation aux compétences de résilience, déjà présente dans certains
établissements scolaires est peut-être plus que jamais utile à l’édification
d’une protection contre les hauts et les bas de la vie et pourrait être un outil à
inclure dans l’école de demain. Or force est de constater que son introduction
au sein de l’école est encore très partielle. Ces programmes scolaires de
résilience sont nombreux et majoritairement encore trop spécifiques et
inadaptables à tous les systèmes scolaires. Ainsi, plutôt que de se centrer sur
le mal-être de certains élèves et avec la volonté de se placer dans une logique
positive, il paraîtrait nécessaire de porter son regard sur ces programmes de
résilience. En effet, ceux-ci semblent autant être une porte ouverte à la
promotion du bien-être et des compétences humaines et relationnelles, qu’un
moyen de traiter ces constats de mal-être. Dès lors, il conviendra dans ce
chapitre d’apporter tout d’abord une clarification sur les différentes formes de
programmes scolaires de résilience et de préciser leur éventuel
positionnement sur un sol français où les notions d’adaptation, de coping et
de résilience sont encore en débat et tendent à diverger des acceptions anglo-
saxonnes. Cette section nous permettra également de discerner certains
avantages et inconvénients propres à ces deux formes de programmes. Enfin,
nous verrons que c’est en sélectionnant et associant les stratégies et les
solutions les plus pertinentes dans chaque forme de programme, qu’il est
possible d’envisager une forme d’éducation à la résilience efficace et
adaptable à de nombreux systèmes scolaires, tel que notre système scolaire
français.

1. Deux types de programmes scolaires de


résilience
1.1 Réflexions sur la notion de programme de
« résilience »
Traitées plus haut dans le chapitre 7 de ce manuel, les questions autour des
concepts d’adaptation, de résilience, ou encore de coping, sont complexes.
Ces termes peuvent, dans bien des situations, porter à confusion. Selon le
contexte linguistique et culturel dans lesquels ils s’inscrivent, ou tout
simplement selon les fondements théoriques sur lesquels on choisit de les
baser, leur emploi peut tantôt être considéré comme fondé ou au contraire
paraître erroné.
En France, la résilience est, d’un côté, associée au champ de la psychologie
clinique et se rapporte à l’adaptation face à des situations extrêmes ou des
expériences bouleversantes. D’un autre côté, elle est associée au champ des
sciences de l’éducation ou de la psychologie de l’éducation. Dans ce second
cas, force est de constater que le concept de résilience se chevauche souvent
avec le concept de coping (« faire face à »), pour désigner l’idée d’un
« ajustement » face à des situations généralement plus ordinaires. Par ailleurs,
il est vraisemblable que des différences d’acception soient également liées à
la culture des pays, pays anglo-saxons versus France, notamment ici. Quoi
qu’il en soit, de ces précisions naît alors une potentielle remise en question du
label des programmes scolaires ici à l’étude, de leur dénomination :
programmes scolaires de « résilience ». En effet, quelle que soit leur forme,
les programmes scolaires de résilience reposent en grande partie sur des
approches cognitivo-comportementales, elles-mêmes tirées du modèle ABC
d’Ellis (1957) : A – activating event (événement déclencheur), B – beliefs
(pensées, réflexion), C – consequences (conséquences). Ainsi, tel que
mentionné en amont dans le chapitre « Peut-on envisager une éducation
positive ? », les élèves participant à ces programmes apprennent à gérer les
liens et les médiations entre leurs émotions, leurs schémas de réflexion, et
leurs réponses comportementales. Ces programmes ont donc en partie pour
objectif d’améliorer la gestion des émotions, la réflexion, la prise de recul et
la capacité de résolution de problèmes (Oger et al., 2020). De telles
thématiques pourraient globalement être associées à des contextes d’adversité
quotidienne et à des notions de coping – dans son acception se rapportant à
des épreuves ordinaires. Dans cette physionomie, le label de programme
scolaire de coping semblerait alors approprié.
En parallèle ces mêmes programmes ciblent parfois également un
développement de certaines ressources et forces de caractères sur lesquelles
l’élève pourrait s’appuyer au moment d’engager un processus de résilience.
En ce sens, il semble permis d’entendre un tel choix de label (i. e. programme
de résilience). Finalement, ces programmes relèvent d’un pari sur l’avenir :
renforcer les ressources des élèves, celles qui touchent à leurs capacités de
coping notamment, en pariant sur le fait que si plus tard, adultes, ils sont
confrontés à des événements traumatiques, l’adaptation que cela nécessiterait
serait facilitée.
La discussion que nous venons ici d’amorcer demanderait à être poursuivie.
Elle semble en tout cas essentielle dans l’éventualité d’une future
implantation d’envergure de tels programmes scolaires sur le sol français.
Néanmoins, dans un souci de consensus et de clarté, nous choisirons dans ce
chapitre de conserver le label établi de programmes scolaires de résilience.

1.2 Fonctionnement et principe des


programmes additionnels
Les programmes scolaires additionnels se présentent sous la forme d’un
module venant se greffer à un programme scolaire ou un curriculum déjà en
place. Ils sont une sorte de kit prêt à l’emploi, que l’école va mettre en place
et dont elle va disséminer le contenu l’espace d’un ou plusieurs trimestres. Le
Penn Resiliency Program (PRP ; programme de résilience de l’université de
Pennsylvanie ; Gillham & Reivich, 2009) est un exemple de programme
additionnel d’une douzaine de leçons qu’un collège peut mettre en place et
intégrer à l’emploi du temps existant d’une classe. Dans cette configuration, à
l’image du PRP, ces programmes scolaires additionnels suivent une forme
d’enseignement explicite (Boniwell, 2011 ; Dray, Bowman, Campbell,
Freund, Hodder, et al., 2017), ce qui se réfère à un enseignement des
compétences de la résilience en classe (ou de tout autre concept de
psychologie positive selon l’objectif du programme), lors de créneaux
horaires dédiés, durant lesquels l’élève va découvrir la théorie du concept et
sera amené à s’exercer sur des études de cas ou de petites activités (Métais
et al., soumis ; Norrish, 2015).
L’école qui investit dans le programme n’a alors plus qu’à suivre la
structure et le plan des leçons du programme. Néanmoins, un des aspects qui
change d’un programme à l’autre est le choix de la méthode enseignement et
de la personne allant dispenser le contenu d’enseignement. Il peut s’agir d’un
enseignant déjà en charge de la classe ciblée, mais il peut aussi s’agir d’un
formateur extérieur, faisant éventuellement partie de l’équipe conceptrice du
programme. À ce sujet, les avis divergent. Le formateur spécialiste en
psychologie positive et en éducation positive aurait l’avantage d’être plus
qualifié, mais ce dernier n’aurait pas forcément la proximité et la
connaissance du groupe classe en face de lui, alors que l’enseignant les
possède et aurait éventuellement une meilleure préhension sur ses élèves.
Sans qu’une conclusion soit forcément avancée, cette dualité est souvent
relevée par plusieurs figures de ce champ (voir Boniwell, 2011 ; Boniwell &
Ryan, 2012 ; Ungar, Russell, & Connelly, 2014). Cependant, notons tout de
même que plusieurs études rapportent un meilleur impact de ces programmes
de résilience ou de bien-être sur les élèves, lorsque l’enseignant auparavant
en charge de la classe enseigne lui-même le programme (Durlak, Weissberg,
Dymnicki, Taylor, & Schellinger, 2011 ; Waters, Barsky, Ridd, & Allen,
2015). Quoi qu’il en soit, lorsque cette solution est retenue, l’enseignant doit
systématiquement être sensibilisé aux concepts enseignés ; une session de
formation de l’enseignant est alors souvent prévue à cet effet par le
programme et par l’équipe de chercheurs.
À titre d’exemple, le PRP qui est basé sur une approche cognitivo-
comportementale et qui cultive aussi les forces de caractère des élèves, cible
pendant douze leçons d’une heure et demie, le développement de
compétences telles que l’identification des émotions, la compréhension des
liens entre émotions et pensées, la remise en question/le challenge de ces
liens et de schémas de réflexions mal orientés, la réattribution (autrement dit
remettre en cause ce à quoi est attribué un événement), l’analyse de
narrations alternatives, la relaxation, ou d’autres compétences liées aux
efforts de coping lors d’une confrontation à des émotions fortes et des
expériences très difficiles (Cutuli et al., 2013). Les élèves travaillent ces
compétences à travers un apprentissage de la théorie, mais également à
travers des études de cas, des jeux de rôle, des mini-sketches et des histoires
courtes ou des bandes dessinées.
Au final, là où le caractère « prêt à l’emploi » et relativement « adaptable à
tout système scolaire déjà en place », semble être un avantage, la limite des
programmes additionnels semble se dessiner dès lors qu’on s’interroge sur la
profondeur du contenu proposé. Sur le long terme, ainsi qu’à l’échelle du
développement d’un individu, quel impact aura ce type d’enseignement
(i. e. transmission théorique de contenu dans une configuration de cours, en
classe, pendant quelques semaines) ?

1.3 Fonctionnement et principes des


programmes holistiques
Selon une approche différente, les programmes scolaires holistiques sont par
nature plus globaux que les programmes additionnels. Ils impliquent une
refonte totale du curriculum et du fonctionnement de l’école ciblée, pour y
imprégner les principes généraux d’une éducation au bien-être, ou les
principes d’un concept d’éducation positive spécifique, tel que le concept de
résilience. Ces programmes peuvent se référer à l’idée d’« une action de
cohésion, collective et collaborative, menée dans et par une communauté
scolaire, et dont la stratégie a été élaborée dans l’objectif d’améliorer
l’apprentissage, le savoir-être/la conduite, et le bien-être de l’élève. […]
Ainsi tous les aspects de l’expérience scolaire ont un effet sur le bien-être
émotionnel de l’élève, depuis la philosophie et l’atmosphère de l’école,
jusqu’à son curriculum et son contenu d’enseignement » (McHale, 2015,
p. 4).
Ici il ne s’agirait donc pas seulement de mettre en place un enseignement
explicite à travers des leçons (créneaux horaires dédiés), mais bien de créer
un environnement scolaire « positif » où les compétences de vie, et les
compétences socio-émotionnelles seraient aussi légitimes que les
compétences académiques classiques. Ainsi, par la restructuration de
l’environnement scolaire, où tous les membres de la communauté scolaire
(enseignants, élèves, équipe éducative) peuvent alors expérimenter et
s’imprégner des concepts de la psychologie positive, ces types de
programmes visent aussi un enseignement implicite (Oger et al., 2020). Dans
ce manuel, le chapitre qui suit, détaille en profondeur l’exemple de l’école
australienne Geelong Grammar School qui a réorienté son fonctionnement
global autour des grands concepts de la psychologie positive, incorporant
ainsi un enseignement explicite et un enseignement implicite dans son
programme, et instituant une culture et un langage communs au sein de sa
communauté autour des concepts liés à l’épanouissement (Norrish, 2015).
Bien que des exemples d’éducations alternatives existent depuis longtemps
en France et ailleurs dans le monde, les programmes scolaires holistiques
issus des champs de la psychologie positive ou de l’éducation positive sont
tout de même peu nombreux. Ainsi, un rare représentant, dans cette catégorie,
est le resilience doughnut (l’anneau de résilience, voir Worsley, 2014). Ce
programme holistique cible directement le développement de la résilience
chez les élèves et les autres membres de la communauté scolaire. Fondé sur
un modèle qui associe un cercle intérieur représentant les caractéristiques
internes d’un individu (i. e. j’ai, je suis, je suis capable de ; Grotberg, 1995)
et un cercle extérieur réunissant des facteurs environnementaux (i. e. parents,
famille, éducation, pairs, relations, communauté, ressources financières), le
programme cultive les interactions entre les deux cercles et enseigne entre
autres aux élèves et aux enseignants à puiser des ressources dans le cercle
extérieur lors de leurs confrontations à des épreuves quotidiennes, ou plus
bouleversantes.
À l’image de certaines approches récentes de la résilience, tendant vers des
compréhensions plus systémiques et multidimensionnelles (Southwick,
Bonanno, Masten, Panter-Brick, & Yehuda, 2014 ; Yates, Tyrell, & Masten,
2015), cette approche scolaire globale et transactionnelle des programmes
holistiques, pourrait être envisagée comme un parallèle logique d’un actuel
courant de complexification théorique et d’une volonté qu’un pan de la
recherche a de tendre aujourd’hui vers plus de nuance et plus
d’interdisciplinarité. En effet, il est de plus en plus accepté que le bien-être ou
la résilience d’un individu ne sont pas uniquement liés à des facteurs internes
ou à des facteurs externes, mais plutôt à l’alchimie qui se joue entre ces deux
ensembles. La logique que tentent d’avoir ces programmes scolaires
holistiques est justement de mettre le doigt sur cette alchimie.
Pour finir, dans un équilibre similaire aux programmes additionnels, les
programmes scolaires holistiques présentent également leurs parts
d’avantages et d’inconvénients. Là où il semblerait que le caractère global et
multisystémique des programmes holistiques leur donne une portée et une
influence supplémentaires, l’ampleur du coût (humain, organisationnel,
financier) de leur mise en place et leur manque d’adaptabilité vers d’autres
systèmes scolaires, viennent se poser en limites majeures.

2. Les stratégies et points à retenir pour


développer des compétences de la
résilience à l’école de manière efficace
En dehors des avantages et des inconvénients associés aux deux types de
programmes additionnels et holistiques, et en marge de tout choix concernant
la formule définitive à favoriser, plusieurs points récurrents dans la littérature
viennent nous informer des stratégies essentielles à prendre en compte pour
améliorer les compétences de résilience des élèves à l’école et viser le
meilleur impact possible. Ces stratégies peuvent se révéler utiles à un niveau
macro, tel qu’au niveau des politiques scolaires à l’échelle d’une académie ou
d’un pays, mais également au niveau micro, jusque dans l’élaboration du
contenu et des méthodes de dissémination de ces programmes. En effet, une
phase de didactisation – autrement dit une phase préalable au cours de
laquelle seront explicitement définis (1) les contenus à enseigner par les
enseignants et à apprendre par les élèves, ainsi que (2) les conditions
d’apprentissage – est nécessaire.

2.1 Généralités sur la mise en place de


programmes scolaires de résilience
2.1.1 Des programmes dits « universels » efficaces
pour une majorité d’élèves
Deux catégories se distinguent dans les programmes scolaires
additionnels ciblant la résilience et les problèmes de santé mentale : les
programmes orientés et les programmes universels. Les premiers sont mis en
place dans l’objectif bien précis de résoudre des problèmes particuliers chez
une population d’élèves à risque. Ces élèves sont qualifiés « à risque » car ils
font preuve de problèmes académiques, comportementaux ou psychologiques
particulièrement préoccupants. Ainsi les programmes orientés ciblent de tels
problèmes d’internalisation (troubles affectant le « soi » : e. g. stress, anxiété)
et d’externalisation (affectant aussi l’entourage : e. g. troubles du
comportement, déficit d’attention, consommation d’alcool et de substances)
chez les élèves (Werner-Seidler, Perry, Calear, Newby, & Christensen, 2017).
Dans une approche différente, les programmes scolaires universels
s’appliquent à une population plus générale, à des élèves n’ayant pas de
problèmes autres que les fluctuations inhérentes à l’adolescence (Dray,
Bowman, Campbell, Freund, Wolfenden, et al., 2017 ; Weisz, Sandler,
Durlak, & Anton, 2005). Les programmes orientés sont donc essentiels dans
la mesure où ils viennent traiter un problème critique chez une population
donnée. Leur importance en viendrait même parfois à occulter les bienfaits et
la nécessité de programmes plus universels. Ces derniers ne ciblent pas
uniquement le traitement d’un symptôme particulier, mais préviennent plus
généralement du stress, de l’anxiété, de troubles dépressifs, mais surtout ils
promeuvent et tentent de développer des compétences de résilience ainsi que
d’autres concepts et ressources liés à la santé dans une perspective de
prévention primaire. De ce fait, les programmes universels représentent une
approche efficace pour toucher un public bien plus large et améliorer la santé
mentale (Boniwell, 2011 ; Dray, Bowman, Campbell, Freund, Wolfenden,
et al., 2017 ; McHale, 2015). Ils sont un enjeu à l’échelle des politiques
d’éducation globales.
2.1.2 Plus c’est tôt, mieux c’est !
Il n’y a pas d’âge pour être sensibilisé à l’optimisme, à la résolution de
problèmes, à la connaissance de ses émotions ou aux compétences de
résilience. L’effet de tels programmes scolaires sera d’autant plus conséquent
qu’ils seront mis en place tôt dans le développement de l’élève, de l’enfant
(Boniwell, 2011 ; Greenberg et al., 2003 ; O’Shaughnessy, Lane, Gresham, &
Beebe-Frankenberger, 2003). Faire prendre conscience à un jeune âge de
certains mécanismes de résilience, ou induire un certain habitus
psychologique, tels que l’optimisme, peut se révéler utile plus tard (Reivich
& Gillham, 2005).

2.2 Stratégies liées à la dissémination des


programmes scolaires de résilience
2.2.1 Majorer l’efficacité des programmes enseignés
par des enseignants
Tel que mentionné en première partie de ce chapitre, et au même titre que
l’enseignement des matières académiques classiques, l’enseignement des
compétences de résilience et des compétences de bien-être, dans le cadre d’un
enseignement explicite en classe face aux élèves, a de fortes chances d’avoir
un meilleur impact lorsqu’assuré par un enseignant déjà en charge des élèves
plutôt que par un intervenant extérieur (Durlak et al., 2011 ; Waters et al.,
2015). L’enseignant connaît en effet ses élèves et connaît surtout les
dynamiques d’échanges et de travail de sa classe. Par ailleurs, il est même
avancé qu’une connexion ou une structure émotionnelle stable et
bienveillante entre l’enseignant et l’élève favorise le déroulement du
programme (Stavrou & Kourkoutas, 2017 ; Ungar et al., 2014)
2.2.2 Importance de la formation et de l’accoutumance
à la psychologie positive de ces enseignants
Certes l’enseignant titulaire est potentiellement plus influent qu’un
formateur extérieur, étranger à la classe, néanmoins il est important que cet
enseignant soit formé sur le contenu qu’il s’apprête à enseigner. À l’inverse,
le point stratégique précédent se révélerait inexact si l’enseignant se
retrouvait relativement étranger et non sensibilisé à la résilience ou aux
compétences qu’il doit transmettre aux élèves et cela pourrait au contraire
nuire à l’efficacité du programme (Challen, Machin, & Gillham, 2014). En
effet, de l’efficacité de l’intervention dépend en grande partie de la qualité de
l’atelier de travail et de la manière dont il est délivré. En outre, la formation
de l’enseignant ne devrait pas être uniquement théorique, il est nécessaire
qu’elle amène celui-ci à « vivre » la psychologie positive, à en expérimenter
les bienfaits dans son quotidien, à la pratiquer et à en mobiliser les outils
(McHale, 2015). Un tel processus est crucial pour que l’enseignant croie en
ce qu’il s’apprête à enseigner et pour qu’il soit motivé et enthousiaste à l’idée
du projet qu’implique le programme. Au final, cet enthousiasme doit être
alimenté tout au long du programme ; il est en effet important que l’équipe de
spécialistes supervisant le programme propose un suivi, des retours, et assiste
l’enseignant chargé de délivrer le programme (Stavrou & Kourkoutas, 2017).

2.3 Points essentiels relatifs au contenu des


programmes scolaires de résilience
2.3.1 Baser ces programmes sur des preuves et des
fondements scientifiques
Que l’approche soit holistique ou qu’elle ait moins d’envergure
(i. e. programme additionnel), il est important que les programmes scolaires
de résilience [ou de bien-être] soient construits à partir de solides fondements
théoriques (Luthar & Cicchetti, 2000). Les options scientifiques sur
lesquelles se baser sont multiples (e. g. psychologie positive ; approches
cognitivo-comportementales ; social-emotional-learning, SEL :
Apprentissage social et émotionnel, voir CASEL, 2019). Les programmes
scolaires de résilience doivent inscrire leur organisation, leur stratégie de
mise en place et leurs contenus d’enseignement, sur une de ces options ou
méthodes établies (Dray, Bowman, Campbell, Freund, Wolfenden, et al.,
2017 ; Stallard & Buck, 2013). De plus, un tel principe ne devrait pas être
restreint uniquement au contenu ou à la structure du programme. Se baser sur
des données empiriques (e. g. études et mises en place ultérieures, exemples
de disséminations) permet en effet de s’orienter vers des stratégies de
dissémination et d’enseignement efficaces (Stavrou & Kourkoutas, 2017) tels
que les exemples suivants : atmosphère de classe soudée, apprentissage par
coopération, relations et échanges positifs et constructifs, jeux éducatifs, etc.
(Hattie, 2008).
2.3.2 Laisser les élèves vivre la psychologie positive
et expérimenter (le pouvoir de l’enseignement
implicite)
L’enseignement implicite (pour une explication plus détaillée, voir le
chapitre 25 sur l’école australienne Geelong Grammar School) ne devrait pas
être mis de côté. « Apprendre » se rapporte autant à une idée de « faire » et
d’expérimenter, qu’à une accumulation de connaissances. De surcroît, dans le
cadre de la résilience, une absence totale de stress – en quelque sorte une vie
dans un cocon stérile – serait contre-productive, alors que l’expérience ou
l’exposition à un degré relatif de stress et d’adversité serait bénéfique au
développement d’une certaine flexibilité de l’individu et pourrait l’aider à
engager une trajectoire résiliente lors d’une rencontre avec de futures
épreuves (Rutter, 2014). Ainsi l’élève doit pouvoir « vivre » et expérimenter
la psychologie positive. Il serait donc intéressant que le programme – bien
qu’une approche holistique ne soit pas toujours envisageable – crée une
atmosphère ou induise un langage commun dans l’école autour des
compétences ciblées et propose un terrain d’expérience à l’élève, pour que ce
dernier pratique les outils et compétences étudiés en classe (Luthar &
Cicchetti, 2000 ; Masten, Herbers, Cutuli, & Lafavor, 2008 ; Rutter, 2015).
Cette stratégie d’un enseignement implicite, telle qu’une éventuelle
confrontation des élèves à des obstacles, ou expériences stressantes – non pas
dangereuses ou non éthiques, mais mesurées, contrôlées, de l’ordre du
challenge – pourrait également offrir un début de solution concernant le
concept de vantage sensitivity (i. e. variabilité dans la réponse et dans la
réceptivité à un traitement psychologique ; voir Kähkönen, Lionetti, & Pluess
du présent ouvrage). En effet ce concept vient expliquer que des élèves
possédant le trait d’hypersensibilité seraient plus réceptifs à des interventions
telles que ces programmes scolaires de résilience (Pluess & Boniwell, 2015).
Un enseignement implicite amenant l’élève à expérimenter ses acquis
pourrait ainsi rendre le programme plus substantiel et plus significatif pour
cette autre moitié d’élèves moins sensibles.

Conclusion
Il est certes délicat d’affirmer qu’« apprendre la résilience », à proprement
parler, est possible, néanmoins il existe aujourd’hui des programmes scolaires
qui ont pour mission d’enseigner et de développer chez les élèves des
compétences dont on peut présumer qu’elles sont impliquées dans le
processus de résilience – que l’on choisisse de définir celle-ci uniquement
dans un rapport à l’extrême ou qu’on y associe également le contexte de
l’ordinaire comme c’est envisagé dans la culture anglo-saxonne ou dans le
champ scolaire. Ces compétences et ces outils (e. g. gestion des émotions,
prise de recul, attribution de sens, élaboration de narrations différentes,
attitude proactive, etc.) sont aujourd’hui d’autant plus utiles pour les
adolescents, qu’on constate une augmentation des troubles psychologiques
chez ces derniers ainsi qu’une baisse de leur bien-être (d’ailleurs d’autant
plus marquées suite aux divers confinements vécus récemment). Dans le
système scolaire français ces enjeux commencent tout juste à apparaître. Les
textes de l’éducation physique et sportive précisent que cette discipline
scolaire a notamment pour mission d’amener « les enfants et les adolescents à
rechercher le bien-être et à se soucier de leur santé » (Bulletin officiel spécial
de l’Éducation nationale du 26 novembre 2015, p. 46). Toutefois, quelques
lignes dans un texte officiel ne représentent malheureusement pas encore une
mise en place à la hauteur de l’urgence du problème de santé mentale de nos
adolescents, futurs adultes. En effet, un très important effort de déclinaison de
cette volonté en contenus d’enseignement doit être réalisé, ainsi que la mise
en place d’un environnement qui lui soit propice (e. g. la formation des
enseignants dans le sens de ce type de contenus à enseigner, prise en compte
de la qualité de vie des enseignants et de la communauté éducative au sens
large).
Qu’il s’agisse des différentes formes de programmes (i. e. additionnels vs.
holistiques) ou des multiples illustrations de mises en place et de
dissémination, les solutions pour enseigner les outils et les compétences de
résilience et de bien-être sont en tout cas nombreuses et commencent à
émerger dans plusieurs écoles du monde entier. La complexité, dans ces
formes d’éducations alternatives ou complémentaires, est alors d’adapter et
d’intégrer un tel contenu à n’importe quel système scolaire déjà en place ainsi
qu’à la culture du pays. En l’occurrence, le choix entre module additionnel et
programme holistique n’est pas toujours évident. En effet, le choix peut être
décidé d’avance du fait de la refonte totale du curriculum et de
l’environnement scolaire qu’implique une forme de programme holistique.
Cela peut s’avérer trop conséquent et inenvisageable pour de nombreux
systèmes scolaires ou établissements scolaires qui souhaiteraient les mettre en
place. Ainsi dans le dernier temps de ce chapitre, ont été présentées plusieurs
stratégies empruntées à l’ensemble du spectre d’une éducation positive et
d’une éducation à la résilience, dont on sait à l’heure actuelle qu’elles
semblent favoriser un enseignement efficace des compétences ciblées. Au
regard de ces stratégies retenues, et dans le cadre d’un système scolaire tel
que le système français, il pourrait être envisagé de se baser sur un modèle de
programme additionnel (moins complexe, moins coûteux, ne nécessitant pas
de renverser le modèle scolaire français), avec l’intégration progressive d’un
enseignement explicite à raison d’interventions réparties durant l’année
(créneaux dédiés, en classe), mais en y associant également à hauteur d’une
ou deux fois par trimestre, un événement, un contenu, à travers lequel l’élève
pourra venir mettre en application les outils travaillés en classe. Il serait
intéressant bien sûr, de créer du lien, un suivi, et de la continuité entre ces
versants d’enseignements explicites et implicites (sensibiliser l’ensemble des
enseignants de l’établissement, familiariser chaque individu avec ces outils et
avec ce que les élèves travaillent, apporter des retours après ces expériences
d’apprentissage implicite, construire à partir d’elles, les lier à l’enseignement
explicite en classe). Au final, il pourrait s’agir de venir greffer à des
pédagogies actives, des contenus en lien avec des programmes issus de la
recherche dans le champ de la psychologie positive, particulièrement dans le
domaine de l’éducation. En parallèle il semblerait également important
d’introduire progressivement plus de contenus en lien avec ces concepts
d’éducation positive et d’éducation à la résilience au niveau de la formation
des enseignants, dans les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de
l’éducation (INSPE) et dans la formation continue.

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1. Par Clément Métais, Marie Oger et Nicolas Burel.
Chapitre 20
Le pouvoir de croire
que l’on a compris :
perspective dualistique
de l’expérience optimale
d’apprentissage
tout au long de la vie1

Sommaire
1. La théorie de l’autotélisme : l’une des théories
majeures de la psychologie scientifique contemporaine
2. Le flow : l’émotion de s’apercevoir que l’on comprend
3. L’évolution du soi : à la recherche de la dimension
sociale de l’autotélisme-flow
4. L’expérience autotélique tout au long de la vie
5. Le côté obscur de l’expérience autotélique en
contexte d’apprentissage tout au long de la vie : le
pouvoir de croire que l’on a compris
Bibliographie
Résumé court
Dans le but d’appeler à une certaine vigilance scientifique quant à
une vision parfois trop angélique du flow, il nous semble pertinent
d’envisager la perspective dualistique de l’expérience autotélique,
notamment sa contribution à créer, conforter et renforcer des
croyances, valeurs, et cultures, pour le meilleur comme pour le
pire (pic de stupidité).
Résumé long
Bien que l’expérience autotélique soit toujours une expérience
subjective positive pour celui qui est en état de flow, cet état peut
aussi avoir des conséquences délétères. Dès lors, il nous semble
pertinent d’envisager la perspective dualistique du flow. Ainsi,
l’objet de ce chapitre est notamment d’en décrire les effets du côté
obscur (dark side of flow), plus particulièrement le risque de
conforter l’illusion d’avoir compris (pic de stupidité). Après avoir
rappelé en quoi le flow est un déterminant majeur de la
persistance à vouloir comprendre, tout au long et tout au large de
la vie, puis, avoir détaillé le principe de la sélection psychologique,
nous mettrons en évidence comment le flow va catalyser
l’affiliation de celles et ceux qui ont besoin d’être ensemble pour
partager (et le cas échéant défendre) ce qu’ils pensent avoir
compris, ce qui contribue à créer, diffuser et renforcer des
croyances, valeurs, et cultures, pour le meilleur comme pour le
pire.

Mots-clés : Flow, apprentissage, côté obscur du flow, expérience


autotélique, pic de stupidité
Questions
• Dans quelle mesure peut-on estimer que la théorie de
l’autotélisme est l’une des théories majeures de la psychologie
scientifique contemporaine ?
• Quelles sont les caractéristiques principales de l’expérience
autotélique en contexte éducatif ?
• Selon Csikszentmihalyi, quelles sont les grandes étapes du
développement du concept de soi ?
• Quels sont les liens entre l’expérience autotélique et le pic de
stupidité ?
• Quelles sont les conséquences sociétales de l’amoralité du flow
sur les croyances, les valeurs et les cultures ?
Dans la littérature, le flow est conceptualisé comme un état motivationnel
optimal caractérisé par une qualité d’expérience positive et associé à une
performance élevée (Csikszentmihalyi, 1990, 2014a, 2014b), plus
particulièrement au bien-être procuré par la tâche en elle-même. En effet,
l’expérience optimale ou autotélique2 permet par exemple à tout un chacun de
ressentir beaucoup de plaisir au cours d’une activité dans laquelle il perçoit
qu’il progresse au-delà de ce qu’il avait pu imaginer avant de s’y engager,
notamment l’émotion liée au sentiment d’avoir compris quelque chose de
nouveau et d’important pour lui. Ainsi, au cours de ces dernières décennies,
la presque totalité des analyses empiriques se sont principalement
concentrées sur le côté positif du flow (cf. bright side of flow). Pour le dire
autrement, très souvent, dans la littérature, le flow apparaît comme un état
hautement souhaitable qu’il convient de promouvoir en créant des
environnements qui pourront le soutenir dans une grande variété de domaines
de la vie. Paradoxalement, nous constatons que très peu études ont abordé
l’affirmation de Csikszentmihalyi selon laquelle « l’expérience du flow,
comme tout le reste, n’est pas bonne dans l’absolu » (Csikszentmihalyi, 1990,
traduction personnelle). En effet, bien que l’expérience autotélique soit
toujours une expérience subjective positive pour celui qui est en état de flow,
cet état peut aussi avoir des conséquences délétères. Dès lors, dans le but
d’appeler à une certaine vigilance scientifique quant à une vision parfois trop
angélique du flow, en nous inspirant notamment des travaux de Vallerand sur
la passion (cf. chapitre 28 de cet ouvrage), il nous semble pertinent
d’envisager la perspective dualistique de l’expérience autotélique. Ainsi,
l’objet de ce chapitre est notamment de décrire les effets du côté obscur du
flow (dark side of flow), plus particulièrement le risque de conforter l’illusion
d’avoir compris (par ignorance de son ignorance).
Ainsi, dans la première partie de ce chapitre, après avoir présenté quelques
éléments essentiels de la théorie de l’autotélisme, nous préciserons en quoi le
flow est un des déterminants majeurs de la persistance à vouloir comprendre,
seul, mais jamais vraiment sans les autres, tout au long et tout au large de la
vie, au cours de sa formation initiale, au travail (qui reste la situation
écologique dans laquelle la plupart des adultes apprennent le plus), comme en
formation continue, notamment à l’appui de quelques données empiriques.
Puis, après avoir détaillé le principe de la sélection psychologique, nous
conclurons en mettant en évidence comment l’expérience autotélique va
renforcer l’affiliation de celles et ceux qui ont besoin d’être ensemble pour
partager (et le cas échéant défendre) ce qu’ils pensent avoir compris, ce qui
contribue à créer et renforcer des croyances, valeurs, et cultures, pour le
meilleur comme pour le pire.

1. La théorie de l’autotélisme : l’une des


théories majeures de la psychologie
scientifique contemporaine
Bassi, Ceja, Freire, Heutte, Peifer et Riva ont élaboré la définition de
consensus du flow qui est désormais celle retenue par l’European Flow
Researchers Network (EFRN) depuis 2014.
« Le concept de flow a été décrit pour la première fois par Mihaly Csikszentmihalyi
dans son livre Beyond Boredom and Anxiety en 1975. Il s’agit d’un état
d’épanouissement lié à une profonde implication et au sentiment d’absorption que les
personnes ressentent lorsqu’elles sont confrontées à des tâches dont les exigences
sont élevées et qu’elles perçoivent que leurs compétences leur permettent de relever
ces défis. Le flow est décrit comme une expérience optimale au cours de laquelle les
personnes sont profondément motivées à persister dans leurs activités.
De nombreux travaux scientifiques mettent en évidence que le flow a d’importantes
répercussions sur l’évolution de soi, en contribuant à la fois au bien-être et au bon
fonctionnement personnel dans la vie quotidienne » (EFRN, 2014, trad. Heutte, 2017,
p. 204).

Pendant plus d’un quart de siècle, les travaux de Csikszentmihalyi, initiés au


cours de sa recherche doctorale dès 1965 concernant la créativité, puis ce qui
constitue une bonne vie et enfin l’expérience autotélique (figure 20.1), sont
peu connus, au-delà d’une communauté de chercheurs restreinte.
Figure 20.1 – L’expérience autotélique (le flow) apparaît lorsqu’il y a une correspondance adéquate
(un équilibre optimal) entre les exigences de la tâche et les compétences
(adaptation de Csikszentmihalyi 1990 ; Heutte, 2019, p. 164)

C’est au cours de sa présidence de l’APA (1998-2000) que Seligman va en


souligner l’importance, notamment en décrivant Csikszentmihalyi comme
« le leader mondial de la recherche en psychologie positive » (Jarden, 2012,
traduction Heutte, 2019, p. 157). Pour le dire autrement, si Seligman est
considéré comme le fondateur et « la voix » autoproclamée de la psychologie
positive, Csikszentmihalyi est décrit par Seligman comme « le cerveau » qui
a inspiré la psychologie positive (Tardio, 2009). Presque deux décennies plus
tard, son livre Flow : The Psychology of Optimal Experience paru en 1990 a
été traduit en vingt-trois langues (en français en 2004).
Dans le but de vérifier et de décrire l’intérêt croissant porté à la recherche
sur l’expérience autotélique au cours de ce nouveau millénaire, une équipe
internationale constituée d’une douzaine de chercheurs issus de l’EFRN
(Peifer, Wolters, Harmat, Heutte, Tan et al., 2018) a produit une synthèse de
206 études empiriques publiées dans des revues en langue anglaise
entre 2000 et 2016. Cette synthèse met clairement en évidence que le nombre
de publications est régulièrement en nette progression d’année en année
(figure 20.2).

Figure 20.2 – L’évolution du nombre d’articles concernant le flow, publiés dans les revues
scientifiques en langue anglaise, chaque année, entre 2000 et 2016 (Peifer, Wolters, Harmat, Heutte,
Tan et al., 2018)

2. Le flow : l’émotion de s’apercevoir que


l’on comprend
En contexte éducatif, le flow est ressenti par exemple, quand l’ensemble des
actions à réaliser pour comprendre, notamment celles qui réclament une
attention particulièrement soutenue, semblent couler de source, avec une telle
fluidité qu’à aucun moment l’apprentissage ou la compréhension ne seront
interrompus par une quelconque inquiétude concernant ce qu’il faut faire
pour y parvenir ou ce que les autres pourraient en penser. Des outils variés
sont souvent utilisés pour étudier le flow dans des contextes éducatifs,
cependant, selon Csikszentmihalyi, avant le développement du modèle du
flow en éducation (EduFlow, Heutte, Fenouillet, Boniwell, Martin-Krumm, &
Csikszentmihalyi, 2014), il n’existait pas d’échelle multidimensionnelle
courte spécifiquement conçue pour l’étude du flow en contexte éducatif.
Ainsi, depuis une dizaine d’années, progressivement, notamment au cours
de toutes les étapes de sa conception et de sa validation, l’échelle EduFlow a
été testée dans différents contextes éducatifs avec des élèves allant de l’école
primaire à l’université, en contexte d’apprentissage en présentiel, comme en
ligne (figure 20.3). Il s’agit d’une échelle composée de douze éléments qui
différencie quatre dimensions de flow (il y a trois éléments par dimension).
Elle fait actuellement l’objet de tests de validité écologique et de tentatives de
traductions dans le cadre d’études menées par de nombreux chercheurs et
doctorants, sur presque tous les continents (Australie, Belgique, Brésil,
Canada, Colorado, Croatie, Indonésie, Iran, Italie, Pologne, Roumanie,
Royaume-Uni, Suède, Suisse, Tunisie…).

Figure 20.3 – Le modèle des relations entre les dimensions du flow en éducation ([EduFlow2] Heutte,
Fenouillet, Martin-Krumm, Boniwell et Csikszentmihalyi, 2016)

Dans notre dernière version de la modélisation du flow éducation


([EduFlow2] Heutte, Fenouillet, Martin-Krumm, Boniwell et
Csikszentmihalyi, 2016), nous retenons quatre dimensions : le contrôle
cognitif (FlowD1), l’immersion et l’altération de la perception du temps
(FlowD2), l’absence de préoccupation à propos du soi (FlowD3), et
l’expérience autotélique – bien-être procuré par l’activité en elle-même
(FlowD4).
Ces quatre dimensions éclairent remarquablement la persistance du
comportement des apprenants en contexte de formation ou d’apprentissage.
Les trois premières dimensions (FlowD1 + FlowD2 + FlowD3) constituent
l’absorption cognitive, un état de profond engagement focalisé sur la volonté
de comprendre avec, comme sans, l’usage des technologies numériques
(Heutte, 2014). L’absorption cognitive est un déterminant fondamental de la
persistance à vouloir comprendre et de la qualité des apprentissages induite
par cette persistance.
L’échelle EduFlow2 présente trois avantages principaux :
• l’outil convient à la mesure du flow dans des contextes éducatifs variés ;
• il s’agit d’un outil court (réduction du temps de réponse) ;
• il met en évidence la différence entre quatre dimensions du flow qui sont
liées au processus cognitif.

3. L’évolution du soi : à la recherche de la


dimension sociale de l’autotélisme-flow
Si certaines caractéristiques comme le contrôle cognitif (FlowD1),
l’immersion et l’altération de la perception du temps (FlowD2) ou encore le
bien-être procuré par l’activité (FlowD4) sont très souvent évoquées comme
faisant partie des effets systématiquement perçus a posteriori de l’expérience
optimale, il est un effet moins souvent clairement décrit : « a loss of self-
consciousness3 » que nous avons choisi de traduire par « l’absence de
préoccupation à propos du soi » (FlowD3). Nous avons choisi de comprendre
cette absence de préoccupation à propos du soi comme une sorte de « dilation
de l’ego » à positionner quelque part dans le continuum entre l’égocentrisme
d’un soi en gestation dont l’énergie psychique est dirigée vers son monde
intérieur (la survie) et l’allocentrisme d’un soi pleinement développé dont
l’énergie psychique est dirigée vers le bien-être d’autrui (l’inclusion). Ainsi,
l’absence de préoccupation à propos du soi (FlowD3) nous semble être un
précurseur important de la dimension sociale du flow.
Pour sa part, après avoir comparé plusieurs modèles, Csikszentmihalyi
(1990) considère que le développement du concept de soi (et du projet de vie)
se fait via quatre étapes, inextricablement liées entre soi et l’environnement
social : (1) la survie, (2) la complexité du soi, (3) l’individualisme réflexif,
puis (4) l’inclusion (tableau 20.1).
Tableau 20.1 – Les étapes du développement du concept de soi et du projet
de vie
(adapté de Csikszentmihalyi, 1990 ; Heutte, 2017, p. 210)
Étapes Soi et l’environnement social Soi et l’autre

Survie (1) Préserver le soi. L’énergie psychique est dirigée vers la satisfaction de
(2) Protéger le corps. l’organisme, ce qui procure du plaisir.
(3) Éviter la désintégration des buts
fondamentaux : le sens de la vie
correspond au besoin d’assurer
l’intégrité du soi physique, confort,
plaisir.

Complexité du (1) Se conformer aux normes. L’individu dirige son attention vers les buts et les valeurs de
soi (2) Faire que le sens à la vie la communauté, l’ordre intérieur étant alors procuré par la
embrasse les valeurs de la religion, le patriotisme et/ou le respect porté à autrui.
communauté (famille, voisinage,
groupe religieux ou ethnique).
(3) Élargir son horizon.

Individualisme (1) Développer une conscience L’attention revient sur le soi, l’individu s’efforçant
réflexif autonome. d’identifier puis de dépasser ses limites personnelles : c’est
(2) Ne plus se conformer aux diktats l’auto-actualisation ; à cette étape, l’enchantement plus que
de la société : le sens à la vie porte le plaisir devient la source principale de récompense.
sur l’accroissement ou
l’actualisation du potentiel.

Inclusion (1) S’unir aux valeurs universelles. L’attention se détourne de soi pour mieux se porter vers les
(2) Être suffisamment individualisé autres. Les intérêts fusionnent avec des valeurs universelles.
pour pouvoir se détourner de soi- C’est l’étape de l’inclusion de son projet de vie dans un
même. système plus large (une cause, une idée, une entité
(3) Rechercher une plus grande transcendantale).
intégration aux autres : le sens à la
vie est guidé par le désir de
fusionner ses intérêts avec ceux
d’une réalité plus grande.

Cependant, tout le monde ne passe pas par toutes les étapes de cette spirale
de complexité ascendante. Quand les exigences de survie sont si insistantes
qu’une personne ne peut pas consacrer beaucoup d’attention à autre chose,
elle n’aura pas assez d’énergie psychique pour investir dans le but de sa
famille ou d’une communauté plus large. Le sens à la vie se limitera
exclusivement à l’intérêt personnel. La majorité des humains est
probablement confortablement installée dans la deuxième étape du
développement, où le bien-être de la famille, ou de l’entreprise, de la
communauté ou de la nation sont les sources de sens. Beaucoup moins
nombreux sont ceux qui atteignent le troisième niveau de l’individualisme
réflexif, et seules quelques rares personnes émergent à nouveau pour forger
une unité avec des valeurs universelles.
Dans cette perspective, la vie personnelle apparaît comme une série de
« jeux » – avec des buts et des défis – qui changent à mesure que la personne
évolue, de façon incrémentale et coordonnée, dans une spirale intégrant une
double progression permettant à chaque étape d’accéder à la fois à une plus
grande complexité et à une plus grande intégration :
• la complexité requiert une énergie intrinsèquement orientée vers le
développement de ses aptitudes personnelle en vue de devenir autonome,
conscient de son unité et de ses limites ;
• l’intégration requiert une énergie extrinsèquement orientée en vue de
reconnaître et de comprendre les forces qui dépassent l’individu et de
trouver les façons de s’y adapter.
Csikszentmihalyi a choisi d’illustrer ce scénario en quatre étapes par souci
de simplicité : « Ce scénario ne décrit pas ce qui se passe ou ce qui arrivera,
mais caractérise plutôt ce qui peut arriver si une personne réussit à maîtriser
sa conscience » (Csikszentmihalyi, 1990, p. 222, trad. personnelle).

4. L’expérience autotélique tout au long de


la vie
Dans la version originale du Positive Psychology Manifesto, Sheldon,
Frederickson, Rathunde et Csikszentmihalyi (2000) déclarent que l’éducation
est la première des six applications potentielles prioritaires de la psychologie
positive : « Améliorer l’éducation des enfants en utilisant davantage la
motivation intrinsèque, l’effet positif et la créativité au sein des écoles »
(Sheldon et al., 2000, traduction Heutte, 2019, p. 177). Cependant, nous
pouvons convenir que cette intention peut être étendue à l’apprentissage tout
au long de la vie, puisque le quatrième thème mentionné dans le manifeste
concernant la vie professionnelle est : « Améliorer la satisfaction au travail
tout au long de la vie en aidant les gens à trouver un engagement authentique,
à vivre des états de flow et à apporter de véritables contributions dans leur
travail » (ibid.). Il n’est donc pas surprenant que les applications de
l’expérience autotélique dans le développement humain et l’éducation
occupent une place particulièrement importante dans The Collected Works of
Mihaly Csikszentmihalyi (2014b).
Le corpus constitué des 206 études empiriques de la revue de littérature
(Peifer et al., 2018) évoquée précédemment a fait l’objet d’une étude
quantitative et qualitative de nature descriptive (Heutte, 2019). Cette analyse
confirme que l’éducation en est le thème principal, avec quatre-vingt-
quatorze études qui y sont spécifiquement consacrées. Nous pouvons
cependant relever que, dans ce corpus, seules quatre recherches empiriques
concernent la formation des adultes : trois articles (Rathunde, 2010 ; Yan,
Davison, & Mo, 2013 ; Sartori & Delle Fave, 2014, cités par Heutte, 2020) et
un chapitre d’ouvrage en langue anglaise (Heutte, Fenouillet, Kaplan, Martin-
Krumm, & Bachelet, 2016).
Partageant le principe selon lequel le métier d’apprendre, c’est « le seul
métier durable aujourd’hui », (Trocmé-Fabre, 1999, cité par Heutte, 2019,
p. 19) sans pour autant l’oublier, nos propos dépassent bien entendu très
largement le périmètre exclusif du système éducatif, pour s’étendre à toutes
les situations dans lesquelles l’humain peut apprendre tout au long de la vie,
notamment en situation de travail qui reste le contexte écologique dans lequel
la plupart des adultes apprennent le plus.

4.1 L’expérience optimale au travail


Bakker (2008) définit le flow au travail comme étant une succession de
courtes périodes d’expériences optimales caractérisées par :
• l’absorption ;
• le plaisir dans le travail ;
• une motivation intrinsèque dans le travail.
L’absorption fait ici référence à un état de concentration total dans lequel se
trouvent les personnes durant leur travail. Pendant ces périodes, le temps
suspend son vol, ils oublient totalement tout ce qui peut se trouver autour
d’eux si cela n’a pas de relation étroite et directe avec l’action en cours.
Ceci étant, dans sa modélisation, Bakker introduit une confusion en
considérant que la motivation intrinsèque serait partie intégrante de flow. En
effet, il est tout à fait possible de vivre une expérience optimale au cours
d’une activité qui n’a pas été choisie pour des raisons intrinsèques (qui ne
relève pas du libre choix). C’est notamment souvent le cas, par exemple, la
première fois qu’une personne réalise une tâche pour répondre à une
demande de son supérieur hiérarchique. Il est ainsi possible de constater que
parfois ce peut être le défi (complexité ou exigences de la tâche) imposé par
une tâche prescrite qui va d’une façon tout à fait inattendue (pour la
personne) provoquer l’état de flow, comme si le flow lui tombait littéralement
dessus sans qu’elle s’y attende. Bien entendu, ce phénomène peut induire en
retour le souhait de se réengager dans la tâche, cette fois-ci pour des raisons
intrinsèques. De ce fait, il serait plus juste de dire que la motivation
intrinsèque peut être une conséquence du flow (car l’inverse n’est pas
systématiquement vrai). Ainsi, nous inspirant des trois formes de motivation
intrinsèque (à la connaissance, à la stimulation et à l’accomplissement)
définies par Vallerand (1997), nous formulons l’hypothèse d’un parallèle
avec trois formes de flow liées 1) au plaisir de découvrir, d’essayer de
comprendre ou d’apprendre de nouvelles choses, 2) aux sensations
physiologiques agréables que l’activité procure en elle-même, ou 3) au
sentiment de se surpasser via un défi optimal. Ces trois formes de flow
pourraient ainsi être des précurseurs de chaque forme de motivation
intrinsèque, qui à leur tour pourraient à nouveau renforcer le flow (Heutte,
2019). Ceci étant, quels que soient les motifs de cette persistance à vouloir
comprendre, il n’en reste pas moins que, nous inspirant du modèle dualistique
de la passion de Vallerand (cf. chapitre 28 de cet ouvrage), pour notre part,
nous souhaitons attirer l’attention sur l’importance de bien vouloir prendre en
considération que les comportements induits par l’expérience autotélique
peuvent avoir des conséquences positives, comme négative, soulignant ainsi
la perspective dualistique du Flow.

4.2 Le côté obscur de la force (dark side of


flow)
Malgré ses effets positifs sur le développement personnel et la qualité de
vie, en tant que tel, le flow est amoral : « Comme toute source d’énergie, du
feu à la fission nucléaire, il [le flow] peut tout aussi bien servir des finalités
positives que destructives » (Csikszentmihalyi & Rathunde, 1993, traduction
Heutte, 2019, p. 172). En effet, il est régulièrement constaté que les individus
« tendent à poursuivre et à reproduire les activités qui leur procurent du flow,
indépendamment des conséquences, positives, comme négatives, pour eux ou
pour la société » (Delle Fave, Massimini, & Bassi, 2011, ibid.). Cependant, le
flow est toujours une expérience subjective positive pour celui qui est en état
de flow.
L’une des premières études scientifiques concernant le côté obscur du flow a
été menée par Sato (1988). Cette étude concernait les comportements
asociaux des bosozokus, des gangs de motards japonais apparus vers 1950,
comme un cri de révolte de jeunes qui ne supportaient plus la rigidité de la
société nipponne. Au guidon de leurs engins modifiés selon un code précis,
revêtus de leurs tokko-Fuku, uniforme d’attaque spéciale (adaptation libre de
ceux des pilotes kamikaze), s’affrontant au sabre ou à coups de battes de
base-ball, ils semaient la terreur sur leur passage. Ainsi, comme le met en
évidence le comportement des bosozokus, lorsque les personnes n’ont pas
l’occasion de vivre d’expérience optimale dans d’autres domaines de la vie,
elles peuvent chercher le flow dans des activités destructrices telles que les
comportements agressifs, la violence, voire le crime.
Pour sa part, Harari (2008) a synthétisé les expériences autotéliques vécues
en contexte de guerre. Au cours d’entretiens, des soldats rapportent la perte
d’une conscience réflexive et, par conséquent, de leurs inquiétudes et de leurs
pensées au sujet de la moralité et des valeurs humaines. Ils font état d’une
concentration totale sur la tâche à accomplir (qui, dans ce cas, consiste à tuer)
et d’une distorsion du temps dans laquelle seul le présent compte (plus de
disponibilité pour penser au passé et à l’avenir). En outre, les soldats font état
d’effets positifs de flow au combat, telles qu’un sentiment accru d’être en vie.
En raison des caractéristiques susmentionnées, ils ne tiennent pas compte du
danger pour leur vie et maximisent leurs capacités mentales et physiques.
Ce sont Partington, Partington et Olivier qui ont introduit pour la première
fois l’expression dark side of flow, en 2009, dans le titre d’une étude
concernant quinze des meilleurs big wave surfers du monde. Dans cette
étude, il apparaît que ces surfeurs ont connu les effets positifs de flow,
notamment l’amélioration de l’humeur, de la performance, de l’estime de soi
et de l’épanouissement personnel, spécifiquement liés à la pratique de ce
sport extrême. Cependant, ils présentaient également des symptômes de
dépendance au surf, notamment aux sensations euphoriques éprouvées
pendant l’activité, et de ce fait, ils étaient prêts à tout pour continuer à surfer,
malgré leurs engagements familiaux, les risques de blessures ou de mort, afin
de pouvoir revivre ces sensations. De tels effets, avec d’avantage de risques
psychosociaux ont été eux aussi par exemple mis en évidence dans des études
concernant le flow en contexte d’usage excessif de jeux vidéo (Chou & Ting,
2003 ; Heutte, Fenouillet, & Vallerand, 2016).
Pour leur part, dans une étude centrée sur 345 jeunes enseignants en
formation initiale (étudiants en Master à l’ESPE Lille Nord de France), en
souhaitant tester un modèle explorant les effets de la relation entre la passion
(harmonieuse vs obsessive) et le flow sur la persistance (flexible vs rigide),
Heutte, Fenouillet, Martin-Krumm et Vallerand (2018) ont mis en évidence
de l’effet médiateur du flow entre la passion harmonieuse et la persistance
rigide (figure 20.4).
Figure 20.4 – L’effet médiateur du flow entre la passion harmonieuse et la persistance rigide (Heutte,
Fenouillet, Martin-Krumm & Vallerand, 2018)

Le fait que le flow puisse précéder, avec une force quasi équivalente, à la
fois la persistance flexible (β = .25*) et la persistance rigide (β = .24*)
confirme que la passion, le flow et la persistance ont respectivement deux
côtés. Sauf erreur, cette étude est la première à mettre en évidence qu’une
passion harmonieuse, médiée par le flow, peut produire une persistance
rigide, et par là même contribuer potentiellement à un risque d’épuisement
professionnel. Il s’agit d’une illustration concrète et originale du côté obscur
du flow.
4.3 Le flow tout au long de la scolarité dans le
système éducatif académique formel
En regroupant les résultats de toutes les études menées de l’école primaire à
l’enseignement supérieur (figure 20.5), Heutte (2019) met en évidence que
dans le système d’éducation formel, aucun élève, une fois qu’il a quitté
l’école primaire, ne ressent jamais un niveau de flow aussi élevé que celui
ressenti à ce moment-là.
Dans des études précédentes, Fenouillet et ses collègues (2014) ont
clairement montré la baisse de tous les indicateurs de motivation dans le
secondaire (surtout au collège), avec une légère hausse en fin de lycée.
Cependant, il est surprenant de constater que, même si l’évolution du niveau
de flow entre les niveaux master et doctorat est importante, elle reste
inférieure à celle d’un élève qui entre dans l’enseignement secondaire.

Figure 20.5 – L’expérience optimale d’apprentissage tout au long de la vie (N = 5 116) (élèves/
étudiants inscrits dans le système d’enseignement académique (N = 2 925) vs auditeurs libres (N
= 2 191) ; Heutte, 2019, p. 198)

Nous constatons (figure 20.5) que pour les auditeurs libres – des apprenants
volontaires sans obligation ou contrainte académique – dans un MOOC, le
niveau de flow augmente de façon spectaculaire avec l’âge : seules ces
personnes atteignent et dépassent le niveau de flow des élèves de l’école
primaire.
Ainsi, nous pouvons en déduire que l’expérience autotélique est une
caractéristique spécifique de l’apprentissage des adultes, tout particulièrement
en contexte d’apprentissage autodirigé tout au long de la vie, comme cela
peut être le cas pour des auditeurs libres dans un MOOC.
Cependant (figure 20.6), les étudiants inscrits dans un programme
académique institutionnel – et pour lesquels les résultats obtenus dans le
MOOC sont pris en compte pour l’obtention d’un diplôme – sont ceux qui
produisent les meilleurs résultats d’examen à la fin du MOOC et l’âge
influence significativement ces résultats.

Figure 20.6 – La réussite à l’examen final non surveillé (candidats libres vs étudiants) dans le MOOC
« Gestion de projet » (GdP) de l’École centrale de Lille (Heutte, 2019, p. 198)

Il pourrait y avoir plusieurs explications au constat que la réussite semble


plutôt liée à un faible niveau de flow. Ces résultats pourraient être liés : (1) à
l’illusion d’avoir compris ; (2) à l’atteinte des buts, des intérêts ou des
passions ; (3) à la sélection psychologique.
4.3.1 L’expérience optimale liée à l’illusion d’avoir
compris (l’ignorance de son ignorance)
L’une des grandes différences entre les étudiants et les candidats libres,
c’est l’expérience académique. En effet, étant plus souvent confrontés aux
connaissances et savoirs académiques et à la contradiction par leurs
enseignants à l’occasion des cours ou par d’autres étudiants à l’occasion de
travaux personnels en groupes, les étudiants inscrits par leur université dans
le MOOC GdP ont a priori plus de chances d’avoir dépassé certaines de leurs
connaissances naïves, ce qui n’est peut-être pas le cas des candidats libres.
D’autre part, cette expérience académique permet probablement d’avoir un
point de vue plus réaliste concernant ce qu’ils pensent savoir. Ils sont
davantage conscients de la complexité qui peut se cacher derrière certaines
connaissances académiques, car ils y ont déjà été confrontés. Les candidats
libres pour leur part peuvent, en toute bonne foi, avoir l’illusion d’avoir
compris et totalement « ignorer leur ignorance » et vivre heureux, en quelque
sorte, protégés de cette ignorance (figure 20.7).

Figure 20.7 – La variation de la confiance dans ses capacités en fonction de l’expérience est le résultat
de biais cognitifs qui conduisent les personnes les moins compétentes à surestimer leurs capacités
(parce qu’elles sont dans l’ignorance de leur ignorance) et les plus compétentes à les sous-estimer
(parce qu’elles surestiment la complexité de ce qu’elles doivent maîtriser) (adaptation de Kruger &
Dunning, 1999, Heutte, 2019, p. 200)
Ainsi, les candidats libres peuvent vivre une superbe expérience optimale
d’apprentissage et atteindre des niveaux de flow qui dépassent ceux des
étudiants parce qu’ils n’ont pas conscience de la complexité de ce qu’il fallait
comprendre et probablement de ce qu’ils n’ont pas compris. Ceci étant,
comme l’ont mis en évidence d’autres études (Heutte, Fenouillet, Kaplan,
Martin-Krumm, & Bachelet, 2016), c’est malgré tout le sentiment de vivre
cette expérience optimale d’apprentissage qui a soutenu leur persistance dans
le MOOC, jusqu’à l’étape de l’évaluation finale.
4.3.2 L’expérience optimale liée à l’atteinte des buts,
des intérêts ou des passions
Il est tout à fait possible que l’objectif principal des candidats libres ne soit
pas d’obtenir une attestation de réussite (ou un certificat universitaire). Par
conséquent, pour les candidats libres, l’enjeu de la réussite à l’évaluation
finale n’est absolument pas le même que pour les étudiants inscrits dans un
parcours académique. Il est donc possible que, n’étant pas soumis à
l’exigence de restituer des connaissances dans un examen, ils aient
simplement survolé le contenu, sans se sentir obligés de tout comprendre, un
peu comme un client qui entre dans un magasin, juste pour jeter un coup
d’œil sur certains articles qui l’intéresse. Ils peuvent ainsi avoir pensé qu’ils
avaient suffisamment compris ce qui avait motivé leur intention de s’inscrire
dans ce MOOC (guidés par leurs intérêts et/ou passions), sans s’inquiéter
outre mesure du fait qu’ils n’avaient probablement pas tout compris, car ce
n’était le but qu’ils s’étaient initialement fixé.
4.3.3 L’expérience optimale liée à la sélection
psychologique
En 1985, Csikszentmihalyi et Massimini présentent le modèle de la
« sélection psychologique » selon lequel l’interaction entre les processus
biologiques, culturels et psychologiques pourrait être le moteur de l’évolution
humaine (le « 3e paradigme de l’évolution »). Selon Delle Fave, Massimini et
Bassi, « sur la base de l’attribution de sens, de la motivation et de
l’expérience, […] les individus sélectionnent et reproduisent un nombre
limité de morceaux d’information au sein de leur pool culturel » (2011,
traduction Heutte, 2019, p. 202). Malgré l’utilisation de schèmes opératoires
qui peuvent sembler logiquement articulés à la personne, la victoire du
mème4 (Dawkins, 1976) est de renforcer des conceptions qui ne sont pas
nécessairement scientifiquement fondées. C’est ce phénomène de
transmission qui conforte des individus dans une même communauté de
croyance. Ce processus constitue la base du principe de la sélection
psychologique.
Ainsi, la progression constante de l’expérience optimale des candidats libres
pourrait trouver une autre explication : l’âge aidant, croire que l’on est encore
capable d’apprendre (alors que l’on a quitté le système éducatif depuis
longtemps), d’autant plus que l’on est encore capable de comprendre ou d’en
savoir plus (même si l’on n’est pas en mesure de percevoir que ce que l’on
croit avoir compris n’est pas scientifiquement correct) est probablement une
grande source d’émerveillement : quoi qu’il en soit, cela reste une expérience
optimale d’apprentissage !

5. Le côté obscur de l’expérience


autotélique en contexte d’apprentissage tout
au long de la vie : le pouvoir de croire que
l’on a compris
Selon Csikszentmihalyi (1988), en essayant de garder son ordre interne, la
conscience choisit différemment parmi les mèmes disponibles. Les mèmes
qui facilitent les expériences de flow sont préservés car ils fournissent de
l’ordre dans la conscience en éliminant le hasard, en spécifiant des objectifs
clairs dans lesquels l’attention peut être investie, en fournissant des moyens
adéquats pour les atteindre, en produisant un feedback relativement sans
ambiguïté aux acteurs. Car le flow est très souvent appréhendé au travers de
l’émotion liée au fait de s’apercevoir (ou de croire) que l’on progresse, que
l’on comprend, que l’on est compris. Ainsi, le sentiment de vivre une
expérience optimale avec des autres favorise les affiliations et l’émergence de
cultures communes, pour le meilleur comme pour le pire, car comme cela a
été précisé précédemment, le flow est amoral. Dans ce contexte, force est de
constater que dans certaines circonstances, les conséquences du
comportement induit par l’état de flow pourront être très diversement
appréciées. Là où certains partisans pourront par exemple trouver une
argumentation pour légitimer une pensée ou une action particulièrement
violente, d’autres n’y verront peut-être que le fruit d’une barbarie
monstrueuse et inhumaine produit par un esprit psychiquement et/ou
moralement perturbé : à l’instar du gène, le mème est égoïste.
Dans les premiers niveaux de l’évolution définis précédemment
(tableau 20.1), le passage de l’étape de la survie à celle de la complexité du
soi ne pourra souvent se réaliser que sur la base de mèmes simples (voire
simplistes) dans la mesure où à l’étape de la survie, la préoccupation à propos
du soi absorbe une trop grande partie de l’énergie psychique pour permettre
une mobilisation suffisante de l’attention nécessaire au développement d’une
réflexion critique (qui ne pourra réellement commencer à se réaliser qu’à
partir de l’étape suivante, celle de l’individualisme réflexif). C’est la raison
pour laquelle des personnes dont l’énergie psychique est perturbée par des
perceptions subjectives négatives, vont plus facilement que d’autres être
réceptives à des mèmes qui offrent la perspective d’une solution simple à ce
qui les préoccupe (qui créent le moins de désordre possible dans la
conscience). Ils y seront d’ailleurs d’autant plus réceptifs si ces mèmes
s’organisent et s’agencent autour d’une doxa qui semble présenter toutes les
caractéristiques d’une structure a priori cohérente et compatible avec des
schèmes déjà bien établis (donc facilement assimilable). Là où une réflexion
complexe permettrait certainement une meilleure interprétation du réel
(notamment via un raisonnement scientifique), le principe du rasoir d’Occam
oriente la cognition vers ce qui semble le plus facile (le moins coûteux) à
accepter/assimiler, même s’il s’agit de conceptions tout à fait naïves. De ce
fait, ces personnes vont presque naturellement s’orienter (s’affilier) de
préférence avec ceux qui sont en mesure de satisfaire leurs besoins
psychologiques de base (notamment leur besoin de comprendre, d’être
compris, de se faire comprendre), sans leur demander d’y consacrer une
attention et une énergie psychique qui leur est, à cette étape de leur
développement, hors d’atteinte. Cela sera plus particulièrement marqué pour
celui qui n’a pas dépassé l’étape de la survie. Bien souvent ici, la probabilité
d’être submergées par des émotions négatives est plus grande qu’aux autres
étapes du développement du soi, avec le risque que ces affects obèrent les
capacités cognitives (notamment les capacités de réflexion), ainsi que les
capacités conatives (perception du pouvoir d’agir), ce qui ne peut que
renforcer une sorte de spirale de l’angoisse, un abîme psychique, dont les
conséquences peuvent être délétères pour l’évolution du soi, comme pour la
relation aux autres.
Dès lors que l’on accepte d’admettre que la vérité est une interprétation (une
construction) personnelle du réel, il est plus facile d’admettre que pour tout
un chacun il peut être particulièrement rassurant de trouver une communauté
qui lui donne le sentiment de mieux pouvoir construire une vérité qui aide à
vivre, via une affiliation avec des autrui significatifs auprès desquels il a le
sentiment de progresser, de comprendre, d’être compris, de se faire
comprendre. Dans ce contexte, se sentir accepté et reconnu, en tant que sujet
sachant, par un réseau d’autrui significatifs est vraisemblablement l’un des
moteurs essentiels de la persistance à vouloir s’impliquer au sein d’une
communauté. Le flow est assurément un catalyseur des dynamiques
identitaires, notamment dans les nombreuses phases critiques de la gestation
de soi : seul, mais jamais sans des autres. Le flow (plus particulièrement le
sentiment de vivre une expérience optimale avec des autres) est au cœur du
processus de sélection psychologique qui favorise les affiliations et
l’émergence de cultures communes.

Figure 20.8 – Expérience optimale d’apprentissage, contamination virale et cyberculture : Jake Angeli,
alias QAnon Shaman, manifeste aux côtés de militants pro-Trump le 5 novembre 2020, à Phénix en
Arizona, devant le centre où a lieu le dépouillement de la présidentielle américaine, deux mois avant la
prise d’assaut du Capitole des États-Unis, dont il sera l’un des chefs de file (Olivier Tournon, ©AFP)
De ce fait, l’acceptation culturelle (éthique, sociale, sociétale…) des
comportements, induits par le flow, aura ainsi tendance à favoriser le
regroupement (et la reproduction, au sens le plus génétique du terme) des
personnes qui les partagent et l’éloignement de celles qui ne les partagent pas
(avec le risque de renforcer la diffusion de mèmes qui confortent tous les
extrémismes, complotismes, communautarismes), renforçant notamment la
démocratie illibérale (Zakaria, 2003) qui produit des cultures défavorables
aux libertés individuelles dans les domaines économiques, politiques et
religieux. Le flow serait ainsi un des déterminants essentiels des processus
biologiques, culturels et psychologiques au cœur de l’évolution humaine, en
favorisant une sélection psychologiquement influencée par des individus qui
doivent s’affilier pour réunir les conditions et les ressources nécessaires pour
vivre ensemble des expériences optimales, pour le meilleur comme pour le
pire (figure 20.8). Cette dualité peut être la source d’une dramatique illusion :
le risque de confondre une croyance avec une vérité, par ignorance de son
ignorance (Heutte, 2021). Ainsi, croire que nous avons progressé vers plus de
connaissance, parce que nous croyons avoir compris, est à l’évidence l’une
des sources majeures de l’expérience optimale d’apprentissage, même si cela
renforce une croyance qui n’a aucun fondement académique ou scientifique.
In fine, le rapport à soi ne peut se penser sans le rapport aux autres.
L’autotélisme apparaît donc clairement comme une théorie du développement
individuel, social et sociétal dont le moteur de la progression s’inscrit dans la
spirale du continuum égocenté-allocentré. Dans ce contexte, il reste à
s’outiller conceptuellement et méthodologiquement pour mieux investiguer la
modélisation dualistique de la dimension sociale du flow, notamment la part
des autres dans la persistance à vouloir comprendre, apprendre et se former
tout au long et tout au large de la vie : cette piste de recherche fondamentale
constitue l’une des raisons d’être de la théorie sociale-conative (Heutte, 2017,
2019).

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Zakaria, F. (2003). L’avenir de la liberté. La démocratie illibérale aux États-Unis et dans le
monde. Paris : Odile Jacob.
1. Par Jean Heutte. L’auteur remercie tout particulièrement la Fondation I-Site ULNE pour son
partenariat dans le cadre de trois projets réalisés avec le soutien financier de l’État français via le
Programme « Investissements d’avenir » (I-SITE ULNE/ANR-16-IDEX-0004 ULNE) : La chaire
Technology-Enhanced Learning Spaces: https://cirel.univ-lille.fr/projets/i-site-tels ; The Social
Dimensions of Flow : https://flow.univ-lille.fr et La Fabrique des formations de l’ULille :
https://fabrique-formations.univ-lille.fr
2. « Autotélique » est un mot composé de deux racines grecques : autos (soi-même) et telos (but). Une
activité est autotélique lorsqu’elle est entreprise sans autre but qu’elle-même. L’expérience autotélique
est liée au bien-être procuré par l’activité en elle-même.
3. Il faut reconnaître que dans leur formulation originale les expressions suivantes ne sont pas faciles à
interpréter : Concern for the self disappears, yet paradoxically the sense of self emerges stronger after
the flow experience is over (Csikszentmihalyi, 1990, p. 39), a loss of self-consciousness during flow
(Csikszentmihalyi, 1975, 1990).
4. Selon Dawkins (1976), la transmission culturelle est analogue à la transmission génétique dans la
mesure où, bien qu’elle soit fondamentalement conservatrice, elle peut donner lieu à une forme
d’évolution. Il établit ainsi un parallèle entre le biologique (nature) et l’information (culture) afin de
comprendre comment une information peut circuler et muter comme un gène. Les mèmes sont, comme
les gènes, une forme de réplicateurs : conçus par analogie, ils sont au domaine de la culture ce que les
gènes sont au domaine de la nature.
Chapitre 21
Gratitude et joie à l’école :
l’impact des émotions positives
dans l’éducation1

Sommaire
1. L’impact des émotions positives en contexte scolaire
2. Le rôle des émotions positives dans la vie des
étudiants
3. Le vécu des enseignants et la psychologie positive
4. Orientations futures
Bibliographie
Résumé court
L’objectif de ce chapitre est d’examiner le rôle des émotions
positives dans le contexte éducatif. Les mécanismes à l’origine de
l’épanouissement et du bien-être des élèves et des enseignants à
l’école sont analysés dans le cadre conceptuel de la théorie de
l’élargissement et de la construction. La fin du chapitre évoque le
rôle de la technologie et les autres moyens de générer des
émotions positives à l’école.
Résumé long
Ce chapitre a pour but d’examiner le rôle des émotions positives
dans le contexte éducatif. Les mécanismes qui engendrent
l’épanouissement et le bien-être des étudiants et des enseignants
à l’école sont analysés à l’aune du cadre de la théorie de
l’élargissement et de la construction. Les domaines
d’épanouissement suivants sont abordés : les résultats scolaires,
les relations sociales et la santé mentale des élèves. Côté
enseignants, ce chapitre aborde en sus le rôle de la résilience
dans la prévention de l’épuisement professionnel. Sont présentées
ensuite les interventions de psychologie positive spécialement
conçues pour la classe (pleine conscience et gratitude, par
exemple) dans le but de générer des émotions positives en milieu
scolaire, en soulignant au passage les pièges d’une mise en
œuvre à la hâte des interventions et l’importance de fournir un
soutien à la fois aux enseignants et aux élèves. Le chapitre se
conclut par le rôle de la technologie et la manière dont elle peut
être utilisée pour améliorer l’apprentissage en classe, sa
pertinence croissante (en particulier dans le contexte de la COVID-
19) et les possibilités accrues d’étude des émotions in vivo que la
technologie offre aux chercheurs.

Mots-clés : éducation, émotions positives, réussite scolaire,


engagement, épanouissement, élèves, enseignants, résilience des
enseignants.
Questions
• Quels sont les avantages pour les élèves de cultiver des
émotions positives en classe ?
• Quels sont les avantages pour les enseignants de cultiver des
émotions positives en classe ?
• Quels types d’interventions peuvent être utilisés pour accroître
les émotions positives dans le cadre scolaire ?

1. L’impact des émotions positives en


contexte scolaire
La vie quotidienne des élèves est marquée par toute une gamme
d’expériences émotionnelles différentes. L’anxiété apparaît souvent avant les
examens scolaires ou lors de la première rencontre avec de nouveaux
camarades de classe ; la colère et la frustration surgissent lorsque les élèves
sont confrontés aux hiérarchies sociales ; tristesse ou déception naissent de la
perte d’une relation ou d’une amitié dissoute. En même temps, la vie des
élèves est émaillée de nombreuses expériences générant des émotions
positives, dont beaucoup sont capables d’aider les individus à faire face aux
émotions négatives (Tugade et Fredrickson, 2004). La découverte de
nouvelles idées et de nouveaux sujets inspire curiosité et intérêt ; la joie et
l’amusement que suscite le jeu aident les élèves à développer des
compétences et des stratégies ; et la fin d’une année scolaire réussie fait naître
gratitude et fierté. Ce chapitre analyse en quoi et pourquoi les émotions
positives sont particulièrement précieuses en milieu scolaire, à la lumière de
la théorie de l’élargissement constructif des émotions positives (Fredrickson,
1998, 2001).
Selon cette théorie, les émotions positives comme la joie et la gratitude
génèrent des pensées, des actions et des comportements plus expansifs (effet
« d’élargissement »), contribuant ainsi à l’accumulation de ressources
personnelles, sociales et adaptatives (coping) par les individus (effet de
« construction »). Le fait de cultiver des émotions positives en classe aide les
élèves à développer leur résilience face au stress, à augmenter leurs capacités
attentionnelles et à améliorer leur santé physique (Fredrickson, Cohn, Coffey,
Pek et Finkel, 2008 ; Waugh et Fredrickson, 2006). Plusieurs études ont
montré que les effets bénéfiques des émotions positives sur les résultats
scolaires sont probablement dus à une tendance à réfléchir de manière
critique et souple (Cohn, Fredrickson, Brown, Mikels et Conway, 2009 ;
Fredrickson, 2001 ; Fredrickson et al., 2008 ; Waugh et Fredrickson, 2006).
De même, il a été démontré que le fait de ressentir plus fréquemment des
émotions positives à l’école favorise un engagement plus actif et la réussite
dans les apprentissages scolaires (Restchly, Huebner, Appleton et
Antaramian, 2008). C’est donc une kyrielle d’études qui révèlent
unanimement qu’un environnement de classe positif permet aux élèves et aux
étudiants d’aborder les défis scolaires et universitaires avec davantage de
volonté, d’enthousiasme et de détermination.

2. Le rôle des émotions positives dans la vie


des étudiants
Non seulement les émotions à valence positive parviennent à améliorer le
bien-être général des élèves, mais elles affectent aussi la manière dont les
élèves s’investissent à l’école, leurs relations sociales et leurs résultats
scolaires.

2.1 Engagement en faveur de la réussite


scolaire en classe
Les débats sur les résultats scolaires et les émotions portent souvent sur des
émotions négatives telles que l’anxiété, la dépression, etc. Toutefois, les
émotions positives jouent également un rôle important dans la réussite
scolaire des élèves et étudiants. La théorie de l’élargissement constructif des
émotions positives de Fredrickson (1998 ; 2001) suggère par exemple que les
émotions positives élargissent la conscience cognitive, notamment les
compétences et les méthodes de résolution de problèmes, et encouragent
l’exploration et l’utilisation d’idées et de contenus variés. D’autre part, les
émotions négatives diminuent l’attention et la réflexion et peuvent affecter
négativement les processus cognitifs tels que la résolution de problèmes, la
réflexion stratégique et la mémoire (Fredrickson, 2001), ce qui risque
d’entraver la réussite scolaire. Une étude portant sur 338 élèves de CM1 a
révélé que le plaisir éprouvé par les enfants permettait de prédire leur
utilisation efficace de stratégies d’apprentissage, tandis que l’ennui avait un
impact négatif sur celle-ci (Obergriesser et Stoeger, 2019). Ainsi, les
émotions positives aident les élèves à utiliser plus efficacement leurs
compétences et améliorent ainsi leur performance scolaire.
La théorie de l’élargissement et de la construction
Une théorie/un cadre conceptuel développé par Barbara Fredrickson
(1998) selon lequel les émotions positives telles que la joie et la gratitude
aident à susciter des pensées, des actions et des comportements plus
expansifs (« effet d’élargissement »), augmentant ainsi les ressources
personnelles, sociales et adaptatives des individus (« effet de
construction »). À l’opposé, les émotions négatives suscitent des stratégies
d’action spécifiques qui visent à éviter une certaine situation/un certain
état.
Les émotions positives motivent les élèves à s’investir plus pleinement dans
les activités d’apprentissage, ce qui améliore leurs résultats scolaires
(Valiente, Swanson et Eisenberg, 2012). Dans une étude portant sur
293 élèves, les émotions positives à l’école étaient associées à des niveaux
d’engagement plus élevés, une association en partie liée à des stratégies
d’adaptation efficaces (adaptive coping), alors que les émotions négatives
étaient associées à des niveaux d’engagement plus faibles à l’école (Reschly,
Huebner, Appleton et Antaramian, 2008). De même, Lewis, Huebner,
Reschly et Valois (2009) ont constaté que les émotions positives prédisent de
manière significative la satisfaction à l’école, l’engagement des élèves et des
stratégies d’adaptation efficaces.
Émotions positives
Les émotions positives abordées dans ce chapitre se concentrent sur la
gratitude, la résilience et la pleine conscience.
Les élèves qui ressentent des émotions positives telles que l’intérêt et la
curiosité sont susceptibles de rechercher des ressources supplémentaires et de
s’engager dans l’apprentissage avec plus d’enthousiasme que les élèves qui
ressentent des émotions négatives telles que la colère et l’anxiété, qui les
conduisent à se sentir moins motivés pour apprendre et moins disposés à
s’impliquer (Linnenbrink, 2007). Par exemple, des sentiments, tels que la
joie, augmentent les motivations intrinsèque et extrinsèque, ce qui aide les
élèves à obtenir de meilleurs résultats scolaires (Pekrun, Frenzel, Götz et
Perry, 2007). Mega, Ronconi et De Beni (2014) ont constaté que les émotions
positives influencent l’autorégulation des élèves (en particulier
l’apprentissage autorégulé) et leur motivation, qui à leur tour améliorent leurs
résultats scolaires. Ces auteurs ont observé que les émotions positives
n’améliorent les résultats scolaires que lorsque cette relation fait intervenir
l’apprentissage autorégulé et la motivation (Mega et al., 2014).
De même, la relation entre les émotions et la réussite est souvent liée au
sentiment d’être intégré socialement à l’école. Les résultats d’une enquête
menée auprès de 406 élèves de collège montrent que les individus qui
ressentent un plus grand sentiment d’appartenance sociale au collège
éprouvent davantage d’émotions positives, ce qui renforce également leurs
résultats scolaires (Fong Lam, Chen, Zhang et Liang, 2015). Cette enquête
montre aussi que le fait de se sentir rejeté à l’école engendre des émotions
négatives et inhibe les émotions positives, avec un impact négatif sur les
performances scolaires (Fong Lam et al., 2015).

2.2 Les relations sociales


Les émotions positives affectent également la performance et le bien-être
des élèves par l’impact qu’elles exercent sur les relations. Les relations entre
élèves et enseignants ont une influence significative sur la réussite scolaire et
le bien-être d’un enfant (Hamre et Pianta, 2001 ; Jerome, Hamre et Pianta,
2009). Par exemple, une émotivité négative prédit des relations élève-
enseignant conflictuelles, ce qui risque d’entraîner des conséquences
négatives sur les élèves en classe (Valiente, Swanson & Lemery-Chalfant,
2012).
De la même manière, les relations positives entre les élèves ont des
répercussions sur la réussite et le bonheur des enfants. Les enfants très
anxieux sont plus susceptibles d’être rejetés, d’avoir des problèmes
relationnels avec leurs pairs et de manifester des comportements agressifs
(Valiente, Swanson et Eisenberg, 2012). Les élèves qui ressentent des
émotions positives sont capables d’établir des relations plus positives avec les
autres élèves et les enseignants, ce qui engendre une meilleure réussite
scolaire et un plus grand bien-être.

2.3 Les interventions


Divers programmes axés sur le développement d’émotions positives,
notamment la pleine conscience, l’estime de soi/la confiance en soi, l’aptitude
à diriger (leadership skills), la régulation des émotions et bien d’autres, ont
été mis en œuvre avec succès dans le cadre scolaire. Les recherches montrent
que la résilience, l’engagement, les émotions positives et le sens peuvent être
enseignés (Seligman, et al., 2009), et qu’il faut encourager les programmes et
les stratégies visant à promouvoir ces compétences. Selon Seligman et
d’autres chercheurs, le bien-être devrait être enseigné dans les écoles en
réponse à la hausse des taux de dépression. Ce serait un moyen d’accroître la
satisfaction à l’égard de la vie, d’améliorer l’apprentissage et de développer
un mode de pensée plus créatif (Seligman et al., 2009). Le Penn Resiliency
Program (PRP) est un exemple d’intervention efficace. Il vise à promouvoir
l’optimisme, l’affirmation de soi, la pensée créative, la relaxation, etc. Les
recherches sur le PRP démontrent que ce programme permet de réduire et de
prévenir les symptômes de dépression, d’anxiété et de désespoir et
d’améliorer le bien-être des élèves (Seligman et al., 2009). Le programme de
psychologie positive (Positive Psychology Program) est un autre exemple de
programme de psychologie positive qui peut être implémenté en classe. Ce
programme a pour but d’enseigner aux élèves à identifier leurs points forts et
à les utiliser de manière appropriée dans leur vie quotidienne, ainsi qu’à
développer la résilience, le sens et les émotions positives. Il a été démontré
que le programme de psychologie positive augmente la satisfaction des
élèves et leur engagement à l’école, et améliore leurs compétences sociales
(d’après les témoignages d’enseignants et de mères d’élèves) (Seligman
et al., 2009).

3. Le vécu des enseignants et la


psychologie positive
L’enseignement est un processus social, personnel et cognitif très complexe,
dont l’efficacité repose sur la force de la communication et les relations
établies entre l’enseignant et l’élève. Si les besoins émotionnels des élèves
sont souvent étudiés, l’intérêt pour le bien-être émotionnel des enseignants ne
cesse de croître, ainsi que le rôle des émotions des enseignants en classe et
leur impact sur leur enseignement et l’apprentissage des élèves. Les émotions
des enseignants sont en corrélation avec leur bien-être et, en fin de compte,
avec la qualité de leur enseignement (Brackett et al., 2013 ; Frenzel 2014), et
les émotions qu’ils ressentent sont fortement liées à leurs interactions avec les
élèves (Hargreaves, 2000 ; Chang, 2013). Une étude portant sur plus de dix
mille élèves de cours préparatoire et leurs enseignants a révélé que les
enseignants qui déclaraient ressentir des niveaux de stress élevés comptaient
davantage d’élèves souffrant de problèmes de santé mentale dans leurs
classes (Milkie et al., 2011).
Il a été prouvé que l’expression émotionnelle des enseignants influence
positivement ou négativement la compréhension des matières par les élèves
(Garner, 2010). Il est donc important d’explorer le rôle que la psychologie
positive pourrait jouer pour aider les enseignants à réduire leur stress et leur
épuisement professionnel, à améliorer leur bien-être mental et à réguler leurs
émotions.
Manque de ressources et d’assistance adéquates, faible sentiment
d’efficacité personnelle, les facteurs classiques de stress qui selon les
enseignants contribuent à leur épuisement professionnel sont bien
documentés (Skaalvik et al., 2010 ; Goddard et al., 2006). En accord avec les
cadres théoriques de la psychologie positive, les interrogations sur les raisons
pour lesquelles certains enseignants restent dans la profession – et même s’y
épanouissent – mettent l’accent sur le rôle de la « résilience des enseignants »
(Mansfield et al., 2016 ; Beltman et al., 2011). La résilience des enseignants
a été décrite par Beltman (2011) comme une capacité (la capacité d’un
enseignant particulier à exploiter ses ressources personnelles et contextuelles
en réponse à des défis), un processus (le processus par lequel un enseignant
utilise des stratégies pour interagir avec les défis) et un résultat (faut-il
expliquer le résultat ?). En ce qui concerne le développement de la résilience
des enseignants, des études ont mis en évidence le rôle des compétences
émotionnelles et de l’induction d’émotions positives telles que la pleine
conscience, l’espoir et l’optimisme (Mansfield et al., 2012), ce qui concorde
avec les travaux qui soulignent l’impact des émotions positives sur la
capacité d’une personne à « rebondir » face aux facteurs de stress (Tugade et
Fredrickson, 2004).
La résilience
Bien s’adapter face à l’adversité, aux traumatismes ou au stress.
La nature transactionnelle et hautement interpersonnelle de l’enseignement
se traduit par un travail émotionnel important, auquel les enseignants doivent
se livrer pour entretenir des relations solides avec leurs élèves. La relation
enseignant-élève joue un rôle clé dans le bien-être des enseignants
(Hargreaves, 2000 ; Split et al., 2011). Si les enseignants déclarent que le
mauvais comportement des élèves ou les problèmes de discipline sont les
principales causes d’épuisement professionnel (Tsouloupas et al., 2010), les
relations positives entre enseignants et élèves sont considérées comme une
source importante de motivation et de plaisir (Hargreaves, 2000), et la
relation enseignant-élève est citée comme l’une des principales raisons de la
persévérance des enseignants dans la profession (O’Connor, 2008). D’autres
études sur la relation enseignant-élève ont montré que la perception qu’ont
les enseignants du mauvais comportement des élèves influence
principalement les représentations mentales de la relation enseignant-élève,
qui à leur tour affectent les réponses émotionnelles des enseignants aux
élèves en temps réel, dans une relation réciproque et bidirectionnelle
(Doumen et al., 2008). À ce titre, le fait d’entretenir des relations
interpersonnelles positives avec les élèves fait partie intégrante du
développement de la résilience des enseignants (Day et Gu, 2014). Les
compétences et dispositions interpersonnelles (l’empathie, la mise en
perspective et la compassion par exemple) peuvent être cultivées par la pleine
conscience (Lutz et al., 2008). Dans une étude de Taylor et al. (2015), les
enseignants ont signalé une réduction de leur stress, une plus grande
efficacité personnelle et une amélioration à la fois de la régulation de leurs
émotions et de tendances prosociales telles que la compassion et le pardon
après une intervention basée sur la pleine conscience, des résultats en accord
avec ceux de Roeser et al. (2013). Les programmes de formation
professionnelle basés sur la pleine conscience, tels que le programme CARE
(Cultivating Awareness and Resilience in Education – Nourrir la conscience
et la résilience dans l’éducation), se sont également avérés efficaces pour
promouvoir le bien-être émotionnel des enseignants dans des domaines tels
que la régulation adaptative des émotions, la pleine conscience, la détresse
psychologique et l’urgence temporelle (Jennings et al., 2017).
L’épanouissement
Un état de bien-être dans de multiples domaines (physique, mental,
social), qui implique de progresser et de s’améliorer.
Les avantages des interventions fondées sur la pleine conscience dépassent
donc la réduction du stress, et s’étendent par exemple au développement chez
les enseignants de dispositions prosociales pour la compassion et le pardon
(Taylor et al., 2015), ce qui renforce la relation élèves-enseignants et
contribue au développement de la résilience des enseignants. En effet, une
étude réalisée par Hwang et al. (2019) a constaté qu’une intervention de
8 semaines basée sur la pleine conscience, conçue pour améliorer le bien-être
des enseignants, a conduit les élèves à évaluer plus positivement leur relation
avec leurs enseignants, après contrôle des données de référence (voir
Trousselard, chapitre 13 du présent ouvrage, pour les relations entre pleine
conscience et santé). Cela confirme que l’amélioration du bien-être des
enseignants peut conduire à l’amélioration des relations entre enseignants et
élèves. Avec l’avènement des technologies basées sur Internet, le recours
croissant à l’enseignement à distance et l’impact de la Covid-19, les études
sur l’enseignement en ligne prennent une importance particulière. Il est
particulièrement essentiel d’étudier l’effet du passage de l’enseignement en
personne à l’enseignement en ligne sur les émotions des enseignants. Dans
l’étude de Bennett (2014), les enseignants ont manifesté une gamme
d’émotions positives et négatives vis-à-vis du passage à l’enseignement en
ligne. La motivation à essayer de nouvelles technologies figurait parmi les
émotions positives, tandis que les émotions négatives étaient liées à la
méconnaissance et au manque de confiance dans ce nouveau média. De
même, Downing et Dyment (2013) ont constaté que les enseignants
compétents et confiants dans l’enseignement en face-à-face déclaraient se
sentir non préparés et technologiquement dépassés, mentionnant des
émotions telles que la honte, la frustration, l’isolement, la vulnérabilité et le
sentiment de perdre leur autonomie. Naylor et Nyanjom (2020) ont constaté
une relation dynamique entre les réactions émotionnelles des enseignants lors
du passage à l’enseignement en ligne et le soutien institutionnel reçu,
soulignant que les émotions des enseignants peuvent rendre ce changement
de mode d’enseignement soit lent et laborieux, soit gratifiant et source de
progrès.
Interventions de psychologie positive (IPP)
Interventions visant à améliorer le bien-être psychologique, à
renforcer/accroître les émotions/cognitions positives et à augmenter le
bonheur.
La recherche sur les interventions de psychologie positive (IPP) en milieu
scolaire a donné des résultats prometteurs en termes de climat scolaire, de
résultats académiques des élèves et de bien-être des enseignants (Marques
et al., 2011 ; Shoshani et Steinmetz, 2014). Cependant, en dépit des résultats
favorables des IPP, les établissements scolaires rechignent souvent à les
mettre en œuvre en raison des coûts liés à l’embauche de personnes formées,
de la logistique liée à la programmation de ces interventions et à la
réorganisation des programmes, et des coûts potentiels en matériel
supplémentaire (Shankland et Rosset, 2017). Par conséquent, les
interventions de psychologie positive brèves (IPPB) en milieu scolaire sont
probablement plus réalisables, étant donné qu’elles sont conçues pour être
mises en œuvre par les enseignants eux-mêmes et sur de courtes périodes
(Shankland et Rosset, 2017). Toutefois, comme pour les programmes
d’apprentissage social et émotionnel, il est important de renforcer les
compétences socio-émotionnelles des enseignants et leurs convictions
concernant leur propre efficacité, car ces facteurs influencent la fidélité avec
laquelle ces programmes sont mis en œuvre (Reichl, 2020). Les enseignants
qui se sentent soutenus et confiants sont plus motivés pour appliquer
fidèlement les programmes (Durlak et DuPre, 2008), ce qui produit de
meilleurs résultats.

4. Orientations futures
La technologie s’avère un outil important pour susciter l’engagement des
élèves à l’école et même augmenter leur bien-être général, et à mesure que de
nouvelles technologies se développent, il faudrait en toute logique les intégrer
en classe. Selon plusieurs enquêtes, la majorité des étudiants estime que la
technologie les aide à atteindre leurs objectifs d’apprentissage et à se préparer
à la vie active (Chen, Seilhamer, Bennett et Bauer, 2015 ; Dahlstrom, 2012),
et il a été démontré que les technologies informatiques augmentent
l’engagement des étudiants (Schindler et al., 2017).
Le rôle de la technologie est amené à se renforcer compte tenu des effets
potentiellement durables de la pandémie COVID-19 et de la popularité
croissante de l’enseignement à distance. Les étudiants et les enseignants sont
obligés, dans une certaine mesure, de s’appuyer sur la technologie pour
apprendre ou enseigner, socialiser avec leurs pairs et leurs collègues, etc. La
technologie est donc devenue encore plus vitale pour le bien-être et les
émotions positives des élèves comme des enseignants. Il est nécessaire de
suivre et d’étudier les résultats de cette évolution et de poursuivre l’étude du
lien entre la technologie et les émotions positives. Compte tenu des progrès
technologiques, il est également devenu plus facile de mener des recherches
en psychologie positive dans le contexte scolaire ; par exemple, les formats
en ligne de la méthode d’échantillonnage des expériences peuvent être
utilisés à la place des formats traditionnels papier-crayon, ce qui élimine les
limites pratiques et logistiques et permet aux chercheurs d’observer les
participants d’une manière plus écologiquement valide.
Méthode d’échantillonnage des expériences (Experience Sampling
Methodology, ESM)
Une méthodologie qui consiste à poser des questions aux participants,
dont les réponses sont enregistrées sur le moment en contexte, ce qui
permet d’obtenir des données d’une plus grande validité écologique.
Parmi les autres moyens créatifs de générer des émotions positives dans les
écoles, les programmes de thérapie animale se sont avérés réduire le stress,
améliorer le bien-être, les interactions sociales et les résultats scolaires
(Jalongo et al., 2004). Les effets thérapeutiques de la musique, et la capacité
de la musique à influencer positivement les émotions sont de plus en plus
étudiés, ainsi que l’association entre la pratique musicale, la participation et
le bien-être psychologique (Croom, 2014). La musique constitue donc une
autre piste à explorer pour les écoles qui envisagent d’intégrer la psychologie
positive dans le programme scolaire.

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1. Par Louise S. Wachsmuth, Tse Yen Tan et Michele M. Tugade.
Chapitre 22
Améliorer la qualité de vie à
l’école : le rôle des interventions
visant le développement de la
gratitude et de la pleine
conscience1

Sommaire
1. Efficacité des interventions fondées sur la gratitude
2. Efficacité des interventions fondées sur la pleine
conscience à l’école
3. Limites et perspectives
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Les interventions centrées sur le développement de la gratitude et
de la pleine conscience en contexte scolaire favorisent la qualité
de vie des élèves et du personnel et contribuent à développer un
climat favorable aux apprentissages.
Résumé long
La gratitude est une émotion, mais aussi une attitude générique
envers l’existence, qui consiste à éprouver plus fréquemment de la
reconnaissance, ce qui permet progressivement d’orienter
davantage l’attention vers les aspects satisfaisants du quotidien.
Cela contrecarre notre tendance spontanée à repérer davantage
ce qui ne va pas chez soi ou chez l’autre. La pleine conscience
représente un ensemble de compétences permettant d’accueillir
les pensées, les émotions, les expériences avec ouverture et
curiosité, c’est-à-dire sans se laisser aveugler par des jugements
de valeur et par une tendance à catégoriser les objets, personnes
ou événements. La pleine conscience favorise également la
capacité à percevoir l’expérience vécue sous un autre angle, à
réguler l’attention et les émotions. Les pratiques visant à
développer la gratitude et la pleine conscience améliorent la santé
physique, mentale et sociale. En cela, elles représentent des
ressources pertinentes pour améliorer le climat et la qualité de vie
à l’école.

Mots-clés : gratitude, pleine conscience, compétences


psychosociales, école, qualité de vie.
Questions
• Comment expliquer les effets des pratiques de gratitude sur le
bien-être à l’école ?
• Qu’est-ce que la pleine conscience ?
• Que permettent les ateliers de pratique de pleine conscience à
l’école ?

La qualité de vie des élèves est étroitement liée au climat scolaire, qui fait
l’objet de recherches depuis les années 1950 et se trouve de plus en plus au
cœur des problématiques de nombreux établissements scolaires, notamment
en France (voir loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de
programmation pour la refondation de l’École de la République, qui fait de
l’amélioration du climat scolaire une priorité, et circulaire n° 2016-045 du
29-3-2016 « Améliorer le climat scolaire pour une École sereine et
citoyenne »). Le climat scolaire concerne le contexte d’apprentissage et de
vie au sein de l’établissement et influence le bien-être des élèves et des
personnels. Lorsque le climat scolaire est détérioré, l’incidence est
perceptible à différents niveaux : absentéisme, désengagement scolaire,
harcèlement, problèmes de discipline, instabilité des équipes. La qualité de
vie scolaire repose sur un sentiment de sécurité où l’engagement, la
motivation et le plaisir d’apprendre sont présents.
Pour répondre à cet objectif d’amélioration du climat scolaire et de la
qualité de vie des élèves, le développement des compétences psychosociales
(CPS) fait dorénavant partie des missions de l’Éducation nationale (voir
circulaire n° 2016-008 du 28 janvier 2016 sur la mise en œuvre du parcours
éducatif de santé comprenant un axe éducation à la santé visant notamment le
développement des compétences psychosociales). Il est ainsi prévu que
l’éducation à la santé soit fondée sur le développement des CPS en lien avec
le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, dans les
établissements scolaires. Les compétences psychosociales sont définies
comme « la capacité d’une personne à maintenir un état de bien-être subjectif
lui permettant de répondre de façon positive et efficace aux exigences et aux
épreuves de la vie quotidienne » (OMS, 1993), notamment dans ses
interactions avec les autres. L’amélioration des CPS, compétences
individuelles indispensables à la vie, est ainsi clairement positionnée comme
un élément important dans la promotion de la santé dans son acception large,
renvoyant au bien-être physique, mental et social (OMS, 1997). Les CPS
peuvent être classées en compétences sociales, cognitives et émotionnelles
(OMS, 2001, 2004).
Le développement de ces compétences peut être favorisé à l’école par des
ateliers de nature psycho-éducative et participative, en groupe, permettant
aux participants d’explorer et d’accroître leurs propres compétences sociales,
cognitives et émotionnelles. Généralement d’une durée d’une ou deux heures
hebdomadaires, pendant plusieurs semaines (une dizaine au minimum), ces
interventions structurées proposent de travailler une compétence spécifique
par séance à travers des échanges, un partage d’expériences, des mises en
situation, des jeux de rôles et des exercices pratiques à intégrer dans son
quotidien. Des supports (livrets éducatifs) peuvent être donnés aux
participants afin de faciliter la compréhension et le développement de ces
CPS. Ces cycles d’ateliers CPS – appelés programmes – s’adressent aux
enfants mais aussi aux parents ainsi qu’au personnel éducatif et pédagogique,
et ont été fortement développés dans les pays anglo-saxons sous le terme
social and emotional learning (SEL) : apprentissage socio-émotionnel.
L’organisme américain CASEL se consacre ainsi, depuis plus de vingt ans, à
la promotion de ces interventions auprès des enfants, des familles et des
communautés via le transfert de connaissances, le développement de la
recherche et un plaidoyer auprès des politiques.
D’autres types d’interventions permettent aussi de développer les CPS de
manière transversale ; ce sont les interventions de psychologie positive et de
pleine conscience. On parle d’interventions transversales parce qu’elles
permettent de développer simultanément plusieurs CPS. Par exemple, les
interventions de psychologie positive permettent notamment de travailler sur
la réorientation de l’attention vers les aspects satisfaisants du quotidien. Par
une action sur ce processus, elles diminuent le biais de négativité qui oriente
spontanément notre attention vers ce qui nous dérange dans notre quotidien,
les échecs, les défauts, etc. En faisant cela, nous développons la capacité
d’observer la réalité sous un autre angle (compétence de décentration), de
réguler nos émotions grâce à ce changement de perspective qui permet un
changement d’état émotionnel (compétence de régulation des émotions) et cet
état plus positif favorise l’entraide (compétence de coopération).
Bien que les objectifs de promotion de la santé soient similaires pour les
programmes de pleine conscience et de psychologique positive, les pratiques
diffèrent, de même que les attitudes et attentes face aux pratiques.
Schématiquement, l’on pourrait dire que les interventions de psychologie
positive visent à modifier le contenu et la fréquence des expériences vécues,
tandis que la pratique de pleine conscience se focalise sur le changement de
relation à ces expériences. Malgré cette différence en termes d’attitudes et de
pratiques, ces deux champs d’intervention contribuent de manière similaire
au bien-être durable des individus (pour des méta-analyses sur les
interventions de psychologie positive, voir Bolier et al., 2013 ; Sin &
Lyubomirsky, 2009 ; pour des revues sur les liens entre pleine conscience et
bien-être, voir Brown & Ryan, 2003 ; Brown, Ryan, & Cresswell, 2007). De
plus, ces deux types d’interventions agissent également sur les
comportements prosociaux (e. g. Kemeny et al., 2012), notamment grâce à
des compétences émotionnelles et relationnelles accrues, en particulier la
régulation des émotions et l’empathie, et une plus grande flexibilité cognitive
et psychologique (e. g. Moore & Malinowksi, 2009).
Ainsi, en ce qui concerne les interventions de psychologie positive dans le
cadre scolaire, et en particulier les interventions brèves de psychologie
positive, pouvant être utilisées facilement en milieu scolaire par les
enseignants, quatre catégories d’interventions ayant été expérimentées sont
considérées comme efficaces ou prometteuses à l’école pour promouvoir le
bien-être des élèves, tout en améliorant leurs performances scolaires
(Shankland & Rosset, 2017) :
1. les pratiques de pleine conscience ;
2. l’identification et l’utilisation des ressources ou compétences personnelles
(interventions sur les forces) ;
3. l’orientation de l’attention vers les aspects satisfaisants du quotidien
(pratiques du journal d’attention) ;
4. les situations pédagogiques permettant de développer la coopération.
De plus, les interventions développant la gratitude et la pleine conscience
peuvent agir en synergie, c’est-à-dire que la présence attentive permet de
mieux percevoir les aspects positifs de la relation et donc d’accroître la
fréquence de l’émotion de gratitude, et cette émotion rend plus attentif aux
personnes que nous côtoyons, développant ainsi davantage de présence
attentive.
Nous présenterons dans ce chapitre les interventions fondées sur la gratitude
et leur efficacité en milieu scolaire, puis les interventions fondées sur la
pleine conscience à l’école, ainsi que leurs effets. Dans chaque partie, nous
présenterons tout d’abord quelques rappels théoriques, puis nous dresserons
l’état des lieux des effets, avant de proposer des exemples pratiques de mise
en application en classe. Après avoir présenté les limites observées pour ces
champs d’intervention, nous discuterons pour finir la notion de bienveillance
en éducation et la formation des enseignants nécessaire pour sa mise en place
en milieu scolaire.

1. Efficacité des interventions fondées sur la


gratitude
Le champ d’études de la gratitude a connu un fort développement au cours
des vingt dernières années. Cela a permis de mieux comprendre le concept et
l’expérience de gratitude. Cette dernière est considérée comme une émotion
et une attitude envers l’existence (l’orientation reconnaissante, Shankland,
2016, 2019), voire un trait de personnalité (Lambert, Graham & Fincham,
2009 ; McCullough, Emmons, & Tsang, 2003). En tant qu’émotion, la
gratitude est définie comme un sentiment de reconnaissance et d’appréciation
pour un bienfait, tangible ou non, envers autrui ou une entité non humaine
comme la nature (Emmons, 2004 ; Lambert, Graham & Fincham, 2009 ;
McAleer, 2012). Lorsque l’on fait référence à une attitude générique envers
la vie ou un trait de personnalité, il s’agit là d’une disposition à reconnaître et
apprécier ce qui est positif dans la vie ainsi qu’à éprouver des émotions de
gratitude de manière fréquente (Shankland & Martin-Krumm, 2012 ; Wood,
Froh & Geraghty, 2010 ; Wood et al., 2008).
Gratitude
C’est une émotion que l’on éprouve lorsque l’on prend conscience d’un
bienfait dont on est destinataire. La gratitude peut être interpersonnelle
(envers des personnes) ou envers une entité telle que la nature. Elle est
considérée comme l’émotion prosociale par excellence parce qu’elle
augmente l’attention bienveillante, l’altruisme et la coopération.
Les recherches portant sur la gratitude ont mis en évidence des effets
bénéfiques sur la santé et le bien-être (pour une revue, voir Jans-Beken et al.,
2019). En effet, la gratitude est significativement liée à un niveau plus faible
de symptomatologies dépressive et anxieuse (e. g. Lambert, Fincham &
Stillman, 2012 ; Petrocchi & Couyoumdjian, 2016), ainsi qu’à
l’augmentation du bien-être subjectif (e. g. Jans-Beken et al., 2018), du bien-
être psychologique (e. g. Wood, Joseph & Maltby, 2009), au développement
et au maintien de relations constructives (e. g. Algoe, Gable & Maisel, 2010 ;
Algoe, Haidt & Gable, 2008).
Ces effets, observés d’abord en population adulte, ont encouragé à étudier
l’effet du développement de la gratitude chez les plus jeunes et notamment
dans un contexte scolaire. Les interventions de gratitude à l’école peuvent
être particulièrement utiles en tant que vecteur de création et de maintien de
liens sociaux de confiance, essentiels à la satisfaction scolaire et pouvant
favoriser l’engagement ainsi que la réussite scolaire (e. g. Huebner et al.,
2006).
Les études menées auprès d’adolescents montrent que la gratitude est
associée au bien-être, à l’optimisme, à l’estime de soi et à la satisfaction de
vie dans différents domaines comme l’école, la famille ou les amis (Froh,
Yurkewicz & Kashdan, 2009 ; Protor, Linley & Maltby, 2010). Ainsi, un
niveau élevé de gratitude prédit, trois mois plus tard, le niveau de satisfaction
de vie et de comportements solidaires des élèves (Froh, Bono & Emmons,
2010). À la manière d’un cercle vertueux, un niveau élevé d’intégration
sociale est aussi associé à une plus grande propension à éprouver de la
gratitude. Une recherche a ainsi montré que les personnes les plus appréciées
étaient celles qui exprimaient le plus de gratitude (Watkins, Martin, &
Faulkner, 2003).
Sur l’ensemble des études répertoriées chez les élèves, la gratitude est
associée, de manière faible à modérée, au bien-être (Renshaw & Olinger
Steeves, 2016). Toutefois, la gratitude repose sur un processus cognitif
complexe, nécessitant de porter son attention sur le bienfait reçu, d’en
attribuer la cause à une source en partie externe, et enfin d’apprécier ledit
bienfait (e. g. Rusk, Vella-Brodrick & Waters, 2016 ; Wood et al., 2008). Peu
de recherches se sont intéressées au processus développemental de la
gratitude. Jusqu’alors, cette dernière a notamment été étudiée auprès
d’enfants de 7 à 10 ans (Bausert & Froh, 2016). Toutefois, des expressions de
gratitude se manifestent avant l’âge de 7 ans, mais elle dépend bien sûr du
développement de la capacité à identifier ses émotions et à prendre la
perspective d’autrui. Ainsi, la connaissance de l’enfant de ses propres
émotions et états mentaux à l’âge de trois ans prédit la compréhension de
l’émotion de gratitude à cinq ans (Nelson et al., 2013). Plus le
fonctionnement cognitif de l’enfant se perfectionne, plus la compréhension
de la gratitude est complète.
L’environnement joue également un rôle important dans le développement
de la gratitude, les enfants apprenant pour bonne partie par imitation du
modèle (e. g. Bausert & Froh, 2016). En ce sens, les pratiques de gratitude
dans le milieu scolaire paraissent pertinentes car elles pourraient favoriser le
développement de compétences émotionnelles et améliorer la qualité des
relations.
Toutefois, le peu de recherches interventionnelles ayant été menées auprès
d’élèves (Renshaw & Olinger Steeves, 2016) et la connaissance limitée des
processus de développement de la gratitude (Bono, Froh, & Emmons, 2014)
nécessitent de vérifier l’adaptation des pratiques en fonction du contexte, de
l’âge et de l’environnement des élèves. De plus, afin d’être efficaces, il
semble crucial que les interventions de gratitude ne se cantonnent pas
seulement à la mise en place de pratiques mais qu’elles s’intéressent
également à transmettre une compréhension du concept étudié, adaptée à
l’âge et au contexte culturel (Shankland & Rosset, 2017).
En ce sens, une étude publiée récemment apporte des résultats prometteurs
(Bono et al., 2020). L’intervention de gratitude a été menée auprès de
327 élèves, âgés de 14 ans en moyenne. Elle était composée d’une partie de
psychoéducation, indiquant comment et pourquoi s’entraîner à éprouver et à
exprimer de la gratitude. À cela s’ajoutait également une modalité de pratique
en ligne via une application mobile. Les résultats sont encourageants : par
rapport à un groupe contrôle qui ne pratiquait pas ces entraînements, les
élèves rapportaient un niveau plus élevé de gratitude après l’intervention,
davantage d’affects positifs, une meilleure satisfaction de vie et de leurs
relations amicales, ainsi que moins d’anxiété et d’affects négatifs. En
comparant les groupes ayant suivi l’ensemble de l’intervention et ceux
n’ayant utilisé que l’application, il apparaît que les premiers témoignaient de
leur gratitude plus intensément (i. e. nombre moyen de mots utilisés) et
envers un plus grand nombre de personnes. Ces résultats suggèrent l’utilité
d’intégrer une dimension psychoéducative aux interventions de gratitude afin
d’assurer leur efficacité. Ils témoignent également des bénéfices de ce type
d’intervention en contexte scolaire.
Il existe diverses pratiques facilement adaptables au contexte scolaire, telles
que le journal de gratitude ou encore la lettre de gratitude (Shankland &
Rosset, 2017). Toutefois, avant de débuter par un travail autour de la
gratitude, il est utile d’accroître la capacité à porter son attention vers les
éléments satisfaisants du quotidien. Pour cela, il est possible de débuter par
un journal des événements satisfaisants. Cela peut se faire à l’écrit pour les
élèves à partir du primaire et à l’oral pour les élèves d’école maternelle. En
fin de journée, il est proposé aux élèves de prendre quelques minutes pour
repenser à la journée et noter jusqu’à trois choses positives ou satisfaisantes.
Il peut s’agir de choses simples comme : « La maîtresse nous a donné de
nouveaux crayons de couleur » ou « J’ai aimé le repas à la cantine ».
Concernant les recherches sur le journal de gratitude, il y a parfois une
confusion entre la pratique du journal des événements satisfaisants et la
pratique du journal de gratitude. Or, bien que le premier puisse représenter
une étape utile dans le processus de développement de la gratitude, les effets
semblent moindres concernant le bien-être et les relations sociales,
comparativement au journal de gratitude, d’après une étude menée au collège
en France (Paris & Shankland, 2017).
La consigne permettant d’aider à mieux percevoir les événements
satisfaisants peut être formulée de différentes manières : « Aujourd’hui j’ai
de la chance parce que… » (Shankland & Rosset, 2015), « Les trois choses
amusantes que je retiens d’aujourd’hui sont… » (Gander et al., 2012), ou
encore « Qu’est-ce qui s’est bien passé aujourd’hui ? » (Grenville-Cleave,
2012). Le journal de gratitude en contexte scolaire consiste à proposer aux
élèves de repenser à la journée passée et de noter trois choses pour lesquelles
ils éprouvent de la reconnaissance (Shankland & Rosset, 2017).
La lettre de gratitude qui peut être réalisée en contexte scolaire propose,
quant à elle, aux élèves de rédiger une lettre (ou réaliser un dessin pour les
plus jeunes) à destination de quelqu’un d’important pour eux, à qui ils
souhaiteraient exprimer leur gratitude. Cette pratique peut être intégrée à une
pratique scolaire (i. e. un exercice d’expression écrite) afin de réduire la
difficulté potentielle ressentie par les élèves lorsqu’il s’agit d’un exercice
d’écriture classique. Dans le cadre de la rédaction de la lettre de gratitude, les
élèves peuvent être davantage concentrés sur le contenu, ce qui peut lever des
craintes quant à la forme pour certains élèves en difficulté. La consigne peut
être la suivante : pensez à une personne qui est importante pour vous parce
qu’elle prend soin de vous et vous aide quand vous en avez besoin. Parfois,
nous ne pensons pas à remercier ces personnes parce que ce qu’elles font est
tout à fait normal (un parent qui s’occupe bien de son enfant, une marraine
qui est toujours attentionnée), mais on peut avoir envie de leur exprimer notre
gratitude par une petite lettre ou un dessin, pour leur dire à quel point elles
sont importantes pour nous.
D’autres pratiques peuvent être inventées et adaptées au contexte de la
classe en fonction de l’âge, telles que le graphique de gratitude qui consiste à
noter sur des post-it toutes les choses pour lesquelles les élèves éprouvent de
la gratitude puis de les organiser en graphique avec des barres indiquant le
nombre de post-it par catégorie répertoriée, telle que la gratitude envers des
personnes, envers la nature, envers son corps ou des activités que l’on peut
faire (Zakrzewski, 2013). La boîte ou le bocal de gratitude est aussi une
activité très appréciée dans les classes (O’Grady, 2013). Les élèves écrivent
sur des « post-it » (anonymes ou non selon leur choix) de gratitude à
différents moments de la journée et les placent dans une boîte qui est ouverte
à la fin de la semaine et l’ensemble des papiers sont lus à la classe. Ces
pratiques ont pour objectif d’agir comme des rappels de tout ce pour quoi il
est possible d’être reconnaissant. Bien qu’elles semblent améliorer le climat
scolaire (O’Grady, 2013), ces dernières pratiques ne sont pas encore validées
scientifiquement par un protocole expérimental comparant la pratique de
gratitude à une autre forme de pratique ou à un groupe témoin sans pratique
de ce type.

2. Efficacité des interventions fondées sur la


pleine conscience à l’école
Parmi les thématiques d’intervention, la pleine conscience, plutôt
dénommée « présence attentive » dans le domaine de l’éducation, a été
définie comme un état, un trait, mais aussi une compétence ou un ensemble
de compétences (voir Shankland, Kotsou, Cuny, Strub, & Brown, 2017),
comprenant schématiquement deux dimensions : la régulation attentionnelle
permettant de porter l’attention à ses expériences dans l’instant présent, et la
dimension d’ouverture, d’accueil et de discernement. Les pratiques de pleine
conscience consistent en un entraînement de l’attention ayant pour but de
faciliter le processus de focalisation attentionnelle (concentration) lorsque
cela est utile, et d’ouverture attentionnelle (prise en compte de l’ensemble des
éléments d’une situation, expériences internes et externes) qui permet un
ajustement optimal aux situations rencontrées, en fonction des objectifs
ciblés. Ces pratiques peuvent entraîner des modifications cérébrales qui
favoriseraient l’autorégulation de l’attention, des émotions et des
comportements (e. g. Holzel et al., 2011).
Pleine conscience
C’est un ensemble de compétences permettant d’orienter
intentionnellement l’attention vers ce que l’on éprouve dans l’instant, sans
chercher à fuir ou à juger l’expérience du moment. Cet ensemble de
compétences est associé à une meilleure santé mentale.
La pleine conscience peut se pratiquer selon diverses modalités, formelles et
informelles. Les premières incluent des exercices d’attention portée à la
respiration, au corps ou aux pensées, tandis que les secondes sont intégrées
dans les activités du quotidien, proposant un entraînement à l’ouverture
attentionnelle, la conscience et l’acceptation (Jennings, 2019). Depuis une
trentaine d’années, les pratiques de méditation de pleine conscience inspirées
des pratiques bouddhistes sont étudiées scientifiquement. Il s’agit d’une
pratique qui tend à aller à l’encontre de ce vers quoi nous pousse le mode de
vie actuel dans les sociétés occidentalisées qui comprend toujours plus de
sollicitations, d’agitation, et s’accompagne souvent d’un état de stress plus ou
moins intense selon les individus.
Ne nécessitant pas d’adhérer à des croyances particulières, des cycles
d’ateliers de pleine conscience ont ainsi été développés dans un cadre laïque
dans le domaine médical initialement (mindfulness based stress reduction,
Kabat-Zinn, 1982), et sont aujourd’hui également proposés dans différents
champs, dont le milieu scolaire et universitaire (mindfulness in schools
project, Kuyken et al., 2013 ; mindfulness based coping with university life,
Lynch, Gander, Kohls, Kudielka, & Walach, 2011).
Médecine, psychologie, psychiatrie et neurosciences se sont penchées sur
les effets de la pleine conscience sur le court, moyen et long terme. De la
même façon que l’exercice physique augmente la force musculaire, la
souplesse et l’endurance de notre corps, la pratique de la pleine conscience
développe des compétences cognitives et émotionnelles d’autorégulation.
Plusieurs méta-analyses ont mis en évidence que les pratiques de pleine
conscience apparaissent particulièrement utiles pour le développement de la
régulation des émotions chez les adultes (voir les méta-analyses de Eberth &
Seldmeier, 2012 ; Seldmeier et al., 2012) et chez les élèves (voir les
synthèses et méta-analyses de Maynard, Solis, Miller, & Brendel, 2017 ;
Theurel, Gimbert, & Gentaz, 2018 ; Zoogman, Goldberg, Hoyt, & Miller,
2014).
En effet, une première méta-analyse portant sur vingt interventions de
pleine conscience auprès de près de 2 000 jeunes (Zoogman et al., 2014) a
mis en évidence des bénéfices pour un éventail de compétences
émotionnelles et relationnelles. Une seconde méta-analyse (Waters, Barsky,
Ridd, & Allen, 2015), portant sur quinze études réalisées uniquement dans
des établissements scolaires (au total 1 797 élèves), a rapporté des effets des
pratiques de pleine conscience sur plusieurs dimensions ayant un impact sur
le bien-être à l’école : le fonctionnement cognitif permettant d’améliorer les
performances scolaires (en particulier l’attention), l’engagement et la
satisfaction scolaire, la régulation des émotions et les compétences
relationnelles qui favorisent un bien-être stable et durable. Enfin, une
synthèse de trente-neuf études quantitatives publiées entre 2005 et 2017
(Theurel, Gimbert, & Gentaz, 2018) indique que des interventions fondées
sur la pleine conscience en milieu scolaire semblent majoritairement efficaces
pour prévenir les symptômes anxieux et dépressifs chez l’enfant et
l’adolescent, pour diminuer les comportements externalisés tels que
l’agression, et pour améliorer le bien-être des élèves. De plus, cette étude
montre, comme les précédentes, que les interventions fondées sur la pleine
conscience seraient un outil intéressant pour le développement des
compétences sociales (comportements prosociaux) et des compétences
émotionnelles, en particulier la capacité à réguler ses émotions.
L’efficacité des interventions fondées sur la pleine conscience à l’école
explique que le nombre de programmes fondés sur la pleine conscience est en
constante augmentation. En France, plusieurs programmes de présence
attentive en milieu scolaire ont ainsi été élaborés ou traduits, notamment
L’attention, ça marche (voir les pratiques dans Snel, 2012) et l’étude de
l’efficacité à l’école en France a récemment été publiée (Michel et al., 2019)
ou le programme P.E.A.C.E.® (Présence, Écoute, Attention et Concentration
dans l’Enseignement), créé en 2015 par l’Association méditation dans
l’enseignement (AME) destiné aux enfants de 4 à 18 ans, et qui est à ce jour
le plus diffusé dans les écoles en France. Des programmes combinant pleine
conscience et gratitude voient aussi le jour (« Je suis bien à l’école »,
Dubarle, Bernet, Brun, & Shankland, 2019).
Les pratiques visant à développer la présence attentive peuvent être mises
en œuvre par les enseignants eux-mêmes, en particulier lorsqu’il s’agit de
pratiques de présence attentive s’appuyant sur les cinq sens comme le
programme FOVEA (Shankland, Tessier, Strub, Gauchet, & Bayens, 2020),
plutôt que des pratiques orientées vers la respiration, le corps ou les pensées.
Les interventions en milieu scolaire semblent d’autant plus efficaces que
l’enseignant a suivi une formation, même brève (2,5 jours par exemple, voir
Tessier, Imbert, & Shankland, 2020), plutôt qu’un intervenant extérieur à la
classe (Boniwell & Ryan, 2012). Il est important de noter qu’il est
particulièrement utile que l’enseignant pratique lui-même la pleine
conscience pour adopter plus facilement la posture d’accueil sans jugement,
nécessaire pour réaliser les pratiques en classe.
Un premier exemple d’activité simple pouvant être proposé en classe
s’appuyant sur l’un des cinq sens (e. g. Archawski & Dugenet, 2019), par
exemple le toucher, est utilisé pour focaliser l’attention. Lorsque les élèves
rentrent de la récréation, l’enseignant propose à chacun de s’installer tout en
étant attentif à chaque objet qu’il touche : la fraîcheur du bureau, le caractère
rugueux de la trousse, la douceur du crayon. Le simple fait de focaliser
l’attention sur l’un des sens permet aux enfants de se rendre disponibles plus
rapidement en évitant la dispersion qui se produit fréquemment au moment
du retour en classe.
Un second exemple consiste à écouter en pleine présence le son d’une
cloche (ou instrument de musique utilisable en classe, par exemple un
triangle). Il s’agit de porter son attention au son jusqu’à ce qu’il disparaisse,
ce qui permet de s’entraîner à ramener son attention vers le son lorsque
l’esprit vagabonde ailleurs. L’exercice permet d’abord de prendre conscience
de la rapidité à laquelle notre attention est captée par nos pensées ou par une
autre source de distraction, et de comprendre qu’il est possible d’agir dès que
l’on perçoit que l’attention est partie sur un autre objet, pour la ramener vers
l’exercice proposé. Les études ont montré qu’une telle pratique pouvait avoir
des effets sur le climat de classe.
Le scan corporel bref est un autre exercice souvent utilisé ayant montré une
diminution des symptômes dépressifs et du stress et une augmentation du
bien-être quand il était pratiqué en classe (Kuyken et al., 2013). Cet exercice
consiste à porter son attention aux sensations corporelles, et se réalise en
classe, de façon la plus aisée en étant assis, en ressentant son corps depuis les
pieds posés sur le sol jusqu’au sommet du crâne. Plusieurs ressources sont
disponibles pour guider ce type d’activité, en ligne ou dans des ouvrages
(e. g. Jennings, 2019 ; Semple & Lee, 2016 ; Siaud-Facchin, 2014 ; Snel,
2012).
Un quatrième type de pratique simple de développement de la présence
attentive concerne l’attention portée à la respiration. L’objectif est
simplement de porter son attention au moment présent en observant sans
jugement sa respiration (régularité, amplitude, rythme, zones du corps
concernées…), ou par exemple en utilisant un décompte durant l’inspiration
puis l’expiration (le programme « .b » – Stop and breathe – propose par
exemple de compter jusqu’à 7 durant l’inspiration puis jusqu’à 11 durant
l’expiration). Des effets de diminution des symptômes dépressifs et
d’amélioration du bien-être ont également été observés avec ce type
d’exercice (Kuyken et al. 2013). Il faut bien noter cependant, que ces
pratiques, bien qu’utiles à mettre en place à l’école, nécessitent de s’exercer
régulièrement et sur la durée, donc aussi en dehors du temps scolaire, pour
pouvoir avoir des effets sur les performances scolaires ou le bien-être.

3. Limites et perspectives
Les effets des interventions fondées sur la gratitude et la pleine conscience à
l’école sont cependant à prendre en tenant compte de nuances et de limites
spécifiques. En effet, ils résultent de différents types d’études obtenues avec
des méthodes variées parfois peu comparables, et dont certaines prennent en
compte ou non un groupe contrôle, qui peut être passif (qui ne suit pas de
programme) ou actif (suivant un programme d’activités différentes) (Theurel
et al., 2018). D’autre part, parfois un troisième temps d’évaluation après la
fin du programme n’est pas réalisé alors qu’il permettrait d’observer si les
effets perdurent dans le temps. Enfin, il est intéressant de pouvoir étudier
l’évolution des élèves en fonction de leur niveau initial par rapport aux
variables mesurées, car un résultat global ne rend pas nécessairement compte
de l’évolution de différentes populations d’élèves pour lesquelles un type
d’intervention serait plus adapté qu’un autre.
Concernant les mesures réalisées auprès des enfants d’âge primaire, il
semble nécessaire d’une part de consolider le type de questionnaires, à
adapter en fonction de l’âge spécifique (pour des recommandations détaillées,
voir Van Zyl, Efendic, Rothmann, & Shankland, 2019), mais aussi d’utiliser
des mesures qui ne soient pas des questionnaires autorapportés, comme une
mesure des compétences de reconnaissance faciale des émotions (Encinar,
Shankland, & Tessier, 2017), ou prendre en compte par exemple la
perception des parents à l’égard de l’évolution de leurs enfants, au moyen
d’une hétéro-évaluation. Il peut aussi être intéressant de filmer des séquences
d’interaction en classe, de manière à coder les comportements entre les élèves
ou le style motivationnel des enseignants en lien avec les besoins
psychologiques fondamentaux.
Par ailleurs, comme nous l’avons évoqué, il semble indispensable de prêter
attention à la formation des enseignants qui souhaitent mettre en œuvre ce
type de pratique en classe. La recherche montre que les effets sont d’autant
plus importants lorsque l’enseignant est formé et propose régulièrement des
pratiques à ses élèves (Meiklejohn et al., 2012). Par ailleurs, il serait
souhaitable d’étudier plus spécifiquement les trajectoires individuelles afin
d’identifier des profils d’élèves pour lesquels ces interventions sont les plus
utiles.

Conclusion
Comme les pratiques de gratitude, les interventions fondées sur la pleine
conscience à l’école représentent des ressources précieuses tant pour le
développement des compétences psychosociales que pour l’amélioration du
climat de classe. Elles s’inscrivent dans le cadre du développement d’une
éducation bienveillante, tenant compte des besoins psychologiques
fondamentaux (Deci & Ryan, 2002). La bienveillance en éducation peut être
déclinée selon trois dimensions (Shankland, Bressoud, Tessier, & Gay,
2018) : 1) la dimension cognitive (attitude de non-jugement, d’ouverture,
d’acceptation), 2) la dimension affective (empathie émotionnelle et
compassion), 3) la dimension comportementale (cadre structurant).
Concrètement, dans le cadre de la classe, les interventions de gratitude et de
pleine conscience contribuent à agir sur ces trois dimensions et favorisent le
développement de relations constructives au sein de la classe. Au-delà du
climat de classe, ces interventions permettent de développer des compétences
qui pourront s’avérer utiles tout au long de la vie.

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1. Par Rebecca Shankland, Maud Cherrier et Guillaume Tachon.
Chapitre 23
Quelle place pour la motivation
dans la réussite des élèves ?1

Sommaire
1. La motivation en quelques lignes
2. La théorie de l’autodétermination et réussite scolaire
3. La bienveillance de l’enseignant : son impact sur la
motivation et la réussite scolaire
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
La motivation de l’élève est associée à sa réussite scolaire. Ce
chapitre souligne l’interdépendance motivationnelle élève-
enseignant. Il met l’accent sur la bienveillance de l’enseignant, tant
sur ses manifestations (sous l’angle de la TAD) que sur ses
processus.
Résumé long
La motivation de l’élève est associée à sa réussite à l’école. Cette
évidence empirique est ici approfondie via la littérature existante
sur différents concepts et théories motivationnels. Après une vue
d’ensemble de la motivation, telle qu’est est présentée dans le
modèle intégratif de la motivation (Fenouillet, 2016), la théorie de
l’autodétermination (TAD, Deci & Ryan, 1985), dans ses rapports
entre motivation et réussite, est exposée. Ces rapports ne peuvent
être appréhendés que sous l’angle d’une interdépendance
motivationnelle entre l’élève et son environnement qui crée (ou
pas) les conditions propices à la réussite. L’enseignant devient
alors la pierre angulaire du rapport entre la motivation de l’élève et
sa réussite. En effet, il transmet un cadre motivationnel en même
temps qu’il en est constitutif. C’est toute la complexité de la notion
de bienveillance de l’enseignant, qui favorise la motivation
autonome de ses élèves, en incarnant lui-même ce qu’il souhaite
transmettre, et concourt parallèlement à la satisfaction des trois
besoins fondamentaux de l’élève.

Mots-clés : motivation, réussite scolaire, motivation


autodéterminée, bienveillance, besoins fondamentaux.
Questions
• En quoi la motivation apparaît-elle comme un concept à plusieurs
facettes ?
• Quelles sont les conséquences d’une motivation autodéterminée
de l’élève à l’école ?
• Dans le cadre de la TAD, comment peut-on définir un enseignant
bienveillant ?

Motivation et réussite scolaire… deux termes tellement indissociés qu’ils en


deviennent presque synonymes pour de nombreuses personnes. Il est
désormais clair que la motivation de l’élève est associée à sa performance
(Mo, 2019 ; Koca, 2016). Ce constat reste à relativiser de par la présence de
plusieurs éléments. Le premier réside dans la pluralité des motivations
décrites dans la littérature et notamment dans la théorie de
l’autodétermination (TAD, Deci & Ryan, 1985) ainsi que dans le modèle
intégratif de la motivation (Fenouillet, 2016). Les différentes formes de
motivation de l’élève ont des conséquences différentes sur les résultats
scolaires (performances, bien-être, orientations de but, etc., Howard, Bureau,
Guay, Chong & Ryan, 2020). Le second est relatif aux relations sociales dans
le système scolaire. La motivation et la réussite sont dépendantes d’autres
facteurs tels que l’enthousiasme des parents et de l’enseignant (Jungert,
Levine & Koestner, 2020) ou une relation élève-enseignant positive (Koca,
2016) ou encore les émotions ressenties par l’élève, les émotions positives
entraînant une spirale ascendante vertueuse à de nombreux points de vues
(Frederickson, 2001). Or, ces émotions si personnelles ou singulières qu’elles
soient, sont corrélées avec le support apporté par l’enseignant (Lei, Cui &
Chiu, 2018). Ces facteurs non exhaustifs démontrent, si besoin était,
l’étendue de la complexité de la relation entre motivation et réussite scolaire.
Tout d’abord, une vue d’ensemble sur la motivation sera exposée,
différenciant la motivation considérée comme un état, de la motivation
considérée comme un processus, telle qu’est est présentée dans le modèle
intégratif de la motivation (Fenouillet, 2016). Ce modèle permet d’expliquer
le rapport entre les concepts et les théories motivationnelles. La suite du
chapitre sera consacrée à l’une d’entre elles, la théorie de l’autodétermination
(TAD, Deci & Ryan, 1985). La dernière partie du chapitre est consacrée à
une attitude importante pour la motivation de l’élève : la bienveillance. Cette
dernière est mise en relation avec les apports de la TAD et permet d’apporter
des éléments de compréhension sur les processus sous-jacents de la réussite
scolaire.

1. La motivation en quelques lignes


Le terme de motivation a été introduit en psychologie au milieu du
XXe siècle pour expliquer le dynamisme du comportement. Avant cette
introduction, les auteurs parlaient principalement d’instinct (James, 1890),
terme qui reste encore utilisé par exemple quand on parle d’instinct de
conservation ou maternel. Bien que l’instinct soit maintenant rarement utilisé
pour parler de la motivation humaine, il a introduit une conception qui
perdure encore actuellement. Le concept d’instinct laisse supposer que la
motivation serait un état, autrement dit qu’on serait ou qu’on ne serait pas
motivé, tout comme on aurait ou pas l’instinct maternel par exemple. Ainsi, il
y aurait des individus qui seraient motivés et d’autres qui ne le seraient pas.
Pour l’expliquer, les théoriciens de l’époque proposaient des listes d’instincts
plus ou moins longues qui ont d’ailleurs, pour certains, beaucoup évolué
(pensons à l’instinct de chasse de James en 1890).
Définition
La motivation est un terme valise recouvrant une complexité considérable
de concepts intervenant entre le motif et le résultat d’une action.
Le concept d’instinct a cessé peu à peu d’être utilisé par les psychologues
mais reste un concept majeur de la psychologie animale. Vers le milieu du
XXe siècle, de nombreux autres concepts ont émergé comme celui très connu
de besoin (Maslow, 1943) et d’autres un peu moins comme le drive (Hull,
1954). L’utilisation du terme motivation n’a pas marqué d’une croix blanche
une nouvelle découverte en psychologie humaine, mais, plutôt, l’émergence,
à partir des années 1950, d’une conception commune à différentes notions. Il
existe actuellement de nombreux concepts et théories dans ce qu’il est
possible d’appeler, le champ de la motivation. En plus de notions d’instinct et
de drive, on peut citer l’intérêt, le but, la valeur, le flow, les motifs ou encore
la volonté. La motivation est donc un terme valise qui peut être utilisé en lieu
et place d’autres termes qui visent à expliquer la même chose avec des
approches différentes. La conception de la motivation, en tant qu’état,
conduit à se dire que les nouveaux concepts introduits suite aux instincts
correspondent à différents états, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Les
années 1950 ont été marquées par l’émergence de la psychologie cognitive ce
qui a sans doute contribué à mettre en évidence une articulation possible entre
ces états pour expliquer un processus. La motivation en tant que processus
introduit l’idée qu’elle évolue en fonction des situations. De plus, alors que la
motivation état est uniquement liée à l’individu, la motivation processus peut
prendre son origine dans les paramètres de la situation. La motivation état
suppose, en quelque sorte, de « relever le compteur » motivationnel de
l’individu afin d’évaluer sa motivation. La motivation processus considère
que la motivation est fluctuante et situationnelle, il est donc possible d’agir
sur les paramètres de la situation pour agir sur elle. Les théories les plus
anciennes, comme celles qui expliquent que la motivation est un besoin ou un
instinct, considèrent que la motivation est un état. Pour ces théories,
l’essentiel est de repérer le niveau de la ou des différentes formes de
motivations qui sont définies par la théorie. Les théories plus récentes vont
prendre en compte certaines variables qui participent au processus
motivationnel et qui peuvent être internes ou externes à l’individu sans
qu’elles puissent être qualifiées d’état motivationnel. Par exemple, le type ou
niveau de récompense, la probabilité d’échec ou de réussite, la difficulté de
l’activité vont expliquer la fluctuation de la motivation ou d’une variable qui
est supposée lui être fortement liée, telle que la performance. Bien entendu, il
existe des théories qui vont combiner les deux conceptions.
On peut comptabiliser actuellement plus d’une centaine de théories
motivationnelles (Fenouillet, 2016). Certaines ont un poids plus important
que d’autres mais aucune ne rend compte de tous les aspects de la motivation.
Le modèle intégratif est une synthèse possible de ces 101 théories
motivationnelles en s’appuyant sur les concepts qu’elles utilisent pour
expliciter la nature de la motivation. En articulant ces concepts, il est possible
de mettre en évidence qu’ils ne se situent pas tous au même niveau (instinct
et besoin par exemple) et qu’ils sont ordonnables en fonction d’un ordre
d’apparition. Par exemple, le besoin préexiste au but qui lui-même est
supposé se « produire » avant le choix. Il devient donc possible d’établir une
sorte de processus motivationnel permettant d’articuler les concepts
motivationnels entre eux.
En procédant de la sorte, il serait cependant difficile de mettre en évidence
un processus résumant la motivation dans sa globalité. Par ailleurs, on peut
facilement s’apercevoir que les théories ne réinventent pas la roue à chaque
fois. Elles font des emprunts à d’autres pour nombre d’entre elles. Il est ainsi
possible de regrouper les concepts par famille ou ensemble conceptuel.
Le modèle intégratif repose sur sept ensembles conceptuels qui sont
articulés pour former un processus. La figure 23.1 permet à la fois de
présenter ces sept ensembles mais aussi leur articulation.
Les deux premiers ensembles, celui des motifs, représente le cœur de la
motivation. En effet, fondamentalement, la motivation explique pourquoi
l’individu fait ou ne fait pas quelque chose. Les motifs donnent cette
explication. Les motifs permettent donc de caractériser la motivation, de lui
donner un nom. Il existe d’innombrables motifs à nos actions mais les
théories motivationnelles permettent d’établir des catégories de motifs qui
peuvent définir une forme de motivation particulière.
Les motifs primaires comprennent deux grandes catégories, les instincts et
les besoins qui sont postulés par les théories comme étant préexistants à
d’autres motifs considérés comme secondaires. Les douze motifs secondaires
du modèle intégratif sont, là aussi, des catégories qui vont permettre
d’assembler des concepts différents qui parlent d’une réalité psychologique
assez proche. Par exemple, la valence peut être considérée comme une forme
de valeur, concept qui fait partie des douze motifs secondaires.
Cependant, il ne suffit pas d’avoir un motif pour agir et encore moins pour
parvenir au résultat. Dans le domaine scolaire, on pourrait dire qu’il ne suffit
pas d’être motivé pour réussir. Du motif au résultat, différentes théories
motivationnelles ont mis en évidence la présence de variables intermédiaires
qui sont, elles aussi, affichées sur la figure 23.1. Il serait trop long de
présenter ces différents ensembles dans le cadre de cette courte présentation
du concept de motivation, les lecteurs intéressés peuvent se reporter à
Fenouillet (2016). Ces différents ensembles permettent cependant de mettre
en évidence que s’il est important d’établir la motivation/le motif, celui-ci ne
produira l’effet escompté qu’à travers un processus.

Figure 23.1 – Modèle intégratif de la motivation

Cette brève introduction du concept de motivation ne doit pas faire perdre


de vue qu’il s’agissait ici principalement d’introduire ce concept pour mieux
comprendre son implication dans le monde scolaire. La théorie de
l’autodétermination s’avère être une théorie particulièrement intéressante à ce
niveau. Elle propose un éclairage particulièrement pertinent des besoins ainsi
que des motifs intrinsèque et extrinsèque. En tant que théorie moderne de la
motivation, elle permet également d’expliquer comment l’environnement est
à même de modifier ces motifs et d’atteindre de nombreux résultats.

2. La théorie de l’autodétermination et
réussite scolaire
La motivation et la réussite scolaire semblent souvent associées dans les
idées collectives. Ainsi, « En général, les parents et les enseignants
considèrent que la présence ou l’absence de motivation est associée à la
réussite scolaire » (Guay & Lessard, 2016, p 251). Pour Martin-Krumm et
Boniwell (2015), dès qu’il s’agit d’expliquer la réussite ou l’échec de l’élève,
une des premières raisons invoquées est leur motivation ou leur absence de
motivation.
Depuis plusieurs années, la théorie de l’autodétermination (TAD, Deci et
Ryan, 1985) constitue le cadre de référence pour explorer les liens entre
motivations et réussite scolaire. Ainsi, les premiers travaux s’intéressaient à
l’impact de l’environnement sur la motivation intrinsèque qui se retrouve
dans le plaisir inhérent à l’action accomplie et non pas pour d’éventuelles
conséquences positives ou d’évitement de conséquences négatives (Sarrazin,
Pelletier, Deci & Ryan, 2011). Ces premiers résultats montraient ainsi
l’impact négatif de la récompense sur la motivation intrinsèque et positif des
feedback positifs axés sur la compétence.
La suite des travaux sur la TAD s’attachait à comprendre les différentes
formes que pouvait revêtir la régulation des comportements par
l’environnement. On retrouve cette forme de motivation lorsque l’action est
accomplie en vue d’un résultat particulier, à des fins plus ou moins
personnelles. Ces travaux ont permis d’aboutir à un modèle plus heuristique,
qui tout en opposant motivation autonome et motivation contrôlée, termes se
substituant ainsi aux motivations intrinsèque et extrinsèque (Sarrazin,
Pelletier, Deci & Ryan, 2011), propose un continuum de la motivation plutôt
qu’une opposition intrinsèque/extrinsèque (voir le schéma du continuum de
motivation dans le chapitre 32 de Paquet et Paty, dans cet ouvrage).
Ce continuum des différentes formes de régulations propose donc des
comportements décrits comme autodéterminés (ou autonomes) associés aux
régulations intrinsèque, intégrée et identifiée et des comportements non
autodéterminés (ou contrôlés) associés à l’amotivation, la régulation externe
et introjectée.
Les conséquences positives, vertueuses, épanouissantes des motivations
autodéterminées dans le contexte scolaire ont été largement documentées.
Pour revue, voir Guay et Lessard (2016) qui distinguent 1) des conséquences
comportementales en termes de persévérance et de réussite scolaire, 2) des
conséquences cognitives en termes mnésiques, de challenge cognitif, de
niveau de traitement de l’information (superficiel ou profond) et l’utilisation
de stratégies métacognitives (attention, autoévaluation, planification) et 3)
des conséquences affectives en termes d’émotions positives, de plaisir, de
satisfaction à l’école, de moindre anxiété et de bien-être subjectif avec des
nuances concernant la motivation introjectée qui semble avoir un coût affectif
non négligeable pour l’élève car corrélée à l’anxiété.
Définition
La motivation autonome de l’élève est un facteur de réussite scolaire mais
doit être envisagée dans une interrelation entre les motivations d’autruis
significatifs mettant notamment en place un climat soutenant l’autonomie.
Il existe donc des évidences théoriques et empiriques reliant directement
motivation autonome de l’élève et réussite scolaire. Ce lien n’étant plus à
démontrer, il s’agit de se demander comment nourrir cette motivation
autonome ?
Certes, la théorie de l’autodétermination postule que l’être humain est
motivé de manière intrinsèque à apprendre, à découvrir, à se développer.
Mais force est de constater que l’enfant n’est pas toujours motivé comme
élève. Quels pourraient donc être les déterminants de la motivation de
l’élève ?
Dans un premier temps, la motivation de l’enseignant peut être prise en
considération. D’après l’étude de Radel, Sarrazin, Legrain et Wild (2010), il
existe une sorte de contagion motivationnelle de l’enseignant vers l’élève.
Leur étude s’intéresse aux motivations intrinsèques vs extrinsèques. Elle
montre que l’élève fait des inférences sur le type de motivation de
l’enseignant qui transmet un contenu de cours. À partir du moment où il
suppose une motivation intrinsèque chez l’enseignant, il a tendance à adopter
lui-même le même type de motivation et plus encore, à propager cette
motivation à un nouvel élève à qui il doit transmettre le même contenu.
Dans un second temps, l’influence de l’environnement doit être prise en
compte, plus particulièrement, l’impact du soutien à l’autonomie des parents,
de l’enseignant et des pairs (Guay et Lessard, 2016). Soutenir l’autonomie de
l’élève, c’est reconnaître et considérer son point de vue et ses sentiments,
c’est aussi lui procurer des informations utiles et signifiantes et enfin, lui
offrir la possibilité de faire des choix (Moreau & Mageau, 2013). S’appuyant
sur des travaux antérieurs, Sarrazin, Cheval & Isoard-Gautheur (2016)
décrivent des « styles relationnels » de l’intervenant opposant un « style
soutenant l’autonomie » favorisant des motivations autonomes et un style
« contrôlant » favorisant des motivations contrôlées qui seraient des styles
indépendants. Cependant, favoriser la motivation intrinsèque dans les
activités scolaires semble plus complexe car « force est de reconnaître que la
plupart des tâches scolaires ne sont pas intrinsèquement intéressantes »
(Sarrazin, Tessier et Trouilloud, 2006). Ces auteurs plaident donc pour le
développement d’une motivation autodéterminée, regroupant les motivations
intrinsèques, identifiée et intégrée. Cette motivation autodéterminée semble
pouvoir être catalysée par trois attitudes de l’enseignant : 1) soutien de
l’autonomie de l’élève en lui offrant des choix 2) justification de l’utilité des
activités scolaires et 3) reconnaissance des émotions et ressentis des élèves en
faisant preuve d’empathie envers eux et de chaleur (Assor, Kaplan et Roth,
2002 ; Ryan et Grolnick, 1986, cités par Sarrazin et al., 2006). Ces trois types
de comportements pourraient alors être des caractéristiques des enseignants
appelés « bienveillants » ?

3. La bienveillance de l’enseignant : son


impact sur la motivation et la réussite
scolaire
La bienveillance de l’enseignant est devenue un terme incontournable
depuis la loi de Refondation pour l’école de 2013. De manière générale, la
bienveillance est une valeur qui vise le bien-être d’autrui ; elle crée un état
motivationnel appelé altruisme ; elle se manifeste ensuite par des actes de
gentillesse (Binfet, Paquet et Paquet, 2019). Dit autrement, la bienveillance
est une croyance personnelle, dérivée de croyances sociales, qui oriente
l’individu vers l’action prosociale et lui accorde une valence positive. Ces
actions prosociales sont des actes de gentillesse. Dans le domaine scolaire,
ces actes de gentillesse sont multiformes. Avec Réto (2017), c’est un
ensemble de petits signes concrétisés par une expression, le plus souvent du
visage (un air, un sourire, un regard). C’est aussi un ensemble de petits gestes
caractérisés par l’ouverture à l’autre. C’est enfin un ensemble de petits
« mots » caractérisés dans le langage par un ton particulier ou plus
franchement par une parole gentille. Marsollier (2018, p 66-67) fait de son
côté une liste d’exemples d’attitudes de bienveillance. C’est, par exemple,
« formuler une parole chaleureuse d’accueil et de bienvenue » lors de
l’accueil en classe des élèves. C’est aussi « adapter sa voix aux interventions
individuelles ». C’est encore proposer des exercices de mobilisation de
l’attention.
Définition
La bienveillance est une croyance personnelle, dérivée de croyances
sociales, qui oriente l’individu vers l’action prosociale et lui accorde une
valence positive. Ces actions prosociales sont des actes de gentillesse
(plus consensuellement appelées attitudes ou comportements
bienveillants). Appliquée à l’enseignant, elle nourrit les besoins
fondamentaux des élèves dans le cadre de la TAD (Deci & Ryan, 1985).
La bienveillance scolaire est dans la lignée de l’éducation positive et
entretient des relations étroites avec la théorie des besoins fondamentaux de
Deci et Ryan (2014). En effet, Shankland, Bressoud, Tessier et Gay (2018) la
définissent comme une « disposition inconditionnelle de l’enseignant à
prendre en compte les besoins d’autonomie, de compétence et de proximité
sociale de leurs élèves » (paragraphe 12). Les trois attitudes de l’enseignant
favorisant la motivation autodéterminée se retrouvent ici. L’enseignant
bienveillant conforte le besoin d’autonomie de son élève. Il favorise le
sentiment de l’élève d’être acteur (et non un pion ou simple exécutant) de son
apprentissage. L’enseignant bienveillant développe également le sentiment de
compétence de son élève. Par exemple, il annonce clairement les objectifs de
l’activité et les critères de réussite. Cela amène l’élève à mettre du sens sur la
tâche et à se sentir efficient face la demande, lui trouvant alors une utilité.
Enfin, l’enseignant bienveillant favorise le besoin d’affiliation de l’élève. En
s’adaptant à la singularité de chaque élève (voir le chapitre 24 de Oger et al.
dans cet ouvrage), en prenant en considération les affects de chaque élève et
en leur accordant un regard inconditionnellement positif (c’est-à-dire,
spécifiquement, en croyant à sa capacité d’apprendre et de progresser, et plus
globalement en voyant en lui un « alter ego » (Giron, 2018)).
Tableau 23.1 – Comportements de gentillesse sous-tendus par la
bienveillance de l’enseignant nourrissant les besoins fondamentaux, inspiré
de Martin-Krumm & Boniwell (2015, p 153), Marsollier (2018), Shankland
et al. (2018), Sarrazin et al. (2006) et Sarrazin et al. (2011)
Temps Autonomie Compétence Affiliation

1. Proposer des exercices de mobilisation de l’attention et de relaxation.


2. Mettre en place des règles de fonctionnement du groupe en explicitant leur nécessité/maintenir le
cadre.
Pour les 3. S’assurer des conditions de travail comme la température ou le matériel adéquat.
3 besoins 4. Proposer un emploi du temps adapté en jonglant entre activités coûteuses cognitivement et activités
plus ludiques.
5. Considérer les erreurs de comportements comme inhérents au développement.
6. Considérer l’erreur comme une étape de l’apprentissage.

1. Offrir la possibilité de faire 1. Adopter un langage simple, clair, 1. Sourire.


des choix. adapté. 2. Parler chaleureusement.
2. Préférer des formulations 2. Donner du sens aux activités. 3. S’intéresser à chaque élève
telles que « je te suggère », 3. Formuler des encouragements. de manière singulière.
« il est possible de » plutôt 4. Accueillir sans jugement la parole 4. Prendre en compte les
que « tu devrais » ou « il de l’élève. singularités de chaque élève.
De faut ». 5. Faire respecter les temps de parole 5. Considérer positivement
manière 3. Éviter les dates butoirs. de chaque élève, l’écoute mutuelle. l’élève.
générale Permettre aux élèves de 6. S’adapter au rythme de chaque 6. Moduler le ton de sa voix.
prendre des décisions. élève. 7. Manifester des marques
4. Prévoir une plage horaire 7. Énoncer le fait qu’on a confiance en d’affection et de respect.
de travail en autonomie. lui, l’encourager dans son engagement. 8. Se préoccuper des soucis de
8. Proposer des tâches variées chaque élève.
9. Faire des demandes explicites
« j’attends de toi/vous que… ».

1. S’appuyer sur les intérêts 1. Anticiper les difficultés éventuelles. 1. Faire preuve d’empathie
ou préférences des élèves. 2. Structurer son enseignement en pour chaque élève (se
2. Mettre en place les définissant des objectifs à chaque préoccuper de ses besoins à
conditions favorables au activité. partir de ses compétences
développement de 3. Anticiper les différentes procédures notamment).
En
l’autonomie comme le à adopter pour être en réussite.
amont de
matériel à disposition. 4. Différencier qualitativement et
l’activité
quantitativement sa pédagogie pour
que chacun soit dans une situation
représentant un défi.
5. Proposer une tâche adaptée à l’âge
et aux compétences.

1. Permettre un temps de 1. Faire le lien avec les connaissances 1. Offrir la possibilité de


travail en autonomie. déjà acquises. travail en groupe ou
2. Éviter de donner trop vite 2. Être ouvert à des questions collaboratif.
la solution. éventuelles. 2. Encourager les échanges.
3. Expliquer clairement les objectifs 3. Favoriser la coopération.
Pendant concrets de l’activité
l’activité 4. Donner des encouragements et
expliciter les procédures pour réussir.
5. Aider à expliquer les succès et
échecs en termes de cause interne,
contrôlable et instable.

1. Encourager le tutorat. 1. Dédramatiser les éventuelles erreurs 1. Rechercher la validation des


2. Demander quelle est en disant par exemple qu’il est normal pairs.
l’activité suivante en fonction d’être mal à l’aise quand on apprend, 2. Féliciter le groupe classe
de l’emploi du temps. discuter des erreurs communes. pour leur attention et
Après 3. Proposer des activités de 2. Faire des feedbacks positifs en engagement.
l’activité réinvestissement de la notion valorisant ce qui est acquis et les 3. Proposer des situations de
abordée en autonomie. efforts consentis ; préférer dire « et » tutorat.
plutôt que « mais ».
3. S’assurer de la compréhension de
« tous ».

Si les définitions de la bienveillance scolaire sont encore éparses, ses


bénéfices sont consensuels. L’enseignant qui fait preuve de bienveillance
favorise le bien-être et la réussite scolaire de ses élèves (Giron, 2018 ;
Masson, 2018 ; Shankland et al., 2018 ; Jellab, 2018). « La bienveillance est
une attitude fondamentale pour soutenir les élèves dans leurs apprentissages
disciplinaires et transversaux, et contribuer à leur bien-être et leur réussite »
(Marsollier, 2018, p 58). Comment expliquer cet impact ?
Selon Masson (2018), il existe différentes pistes pour expliquer la relation
entre la bienveillance scolaire (celle de l’enseignant) et le bien-être et la
réussite de l’élève. Masson (2018) commence ses propos en soutenant que la
bienveillance influence directement la motivation. Il fait ensuite appel au
concept de sentiment d’efficacité personnel (SEP qui est la croyance de
l’individu en sa capacité à réussir les actions nécessaires pour parvenir à un
but). Selon Masson (2018), la bienveillance, de par sa nature même, nourrit le
SEP, ce qui a pour effet de l’augmenter et d’impacter par la suite la réussite
scolaire, le lien entre SEP et performances scolaires n’étant plus à démontrer
(par exemple, Masson & Fenouillet, 2013). Masson (2018) poursuit en
exposant le concept d’estime de soi scolaire qui peut se définir comme la
valeur que l’on s’accorde comme élève. La bienveillance suppose d’être
exigeant envers les élèves pour les valoriser s’ils réussissent et pour protéger
leur estime scolaire s’ils échouent. Ainsi, la bienveillance augmente l’estime
de soi scolaire par des tâches exigeantes qui nécessitent toutes les ressources
cognitives des élèves. Masson (2018) enchaîne ses propos en faisant la
relation entre bienveillance et but poursuivi par l’élève dans l’apprentissage.
La bienveillance, en donnant un statut positif à l’erreur, en donnant un feed-
back positif aux élèves sur leurs performances et sur eux-mêmes, en
favorisant le travail en groupe (ce qui nécessite coopération plutôt que
compétition), oriente les élèves vers un but de maîtrise de l’activité plutôt que
vers un but orienté vers la compétition avec autrui. De plus, à travers
l’attitude positive portée à l’élève et l’exigence qu’on a envers lui, la
bienveillance améliore les compétences psychosociales, ce qui a un effet sur
l’apprentissage des élèves. D’autre part, la bienveillance selon Masson (2018)
a un impact sur le climat scolaire par le biais :
1. de la coopération qui est mise en place (qui augmente par ailleurs la
bienveillance des élèves entre eux) ;
2. de la pédagogie différenciée qui crée les conditions pour que tous les
élèves progressent ;
3. de comportements qui permettent aux élèves de se sentir sécurisés.
Enfin, la bienveillance suscite des émotions positives chez les élèves
comme la joie ou la fierté et limite les émotions négatives. En cela, elle a des
conséquences indirectes sur leurs capacités cognitives (attention, motivation,
créativité et plus généralement apprentissages).
Ainsi, plaider pour un enseignant bienveillant devient une évidence dans la
mesure où l’on distingue la bienveillance du laxisme. Le laxisme est
« l’attitude de quelqu’un qui est excessivement indulgent, tolérant »
(Larousse en ligne). Or, être bienveillant, c’est permettre à l’élève d’évoluer
dans un cadre sécurisant car son bien-être est en jeu. Réto (2017) définit
quatre dimensions dans la bienveillance :
1. Une dimension intentionnelle qui correspond à la volonté de faire
apprendre et de faire progresser l’élève. La dimension intentionnelle
correspond à la volonté que les élèves se développent « bien » dans leurs
dimensions physiques, émotionnelles, sociales, culturelles et académiques.
2. Une dimension interactionnelle qui signifie qu’il y a un ajustement
constant entre distance et proximité entre l’enseignant et ses élèves.
3. Une dimension affective qui correspond à la prise en compte par
l’enseignant de ses propres affects et de ceux de ses élèves.
4. Une dimension attentionnelle. Être bienveillant, c’est prêter attention à
chacun de ses élèves. Donc la bienveillance, c’est le contraire du laxisme
car elle suppose une volonté forte et permanente de « bien-veiller » au
développement de l’élève dans toutes ses sphères. De plus, la bienveillance
fournit à l’élève des ressources externes et internes le protégeant
d’éventuels effets délétères d’évènements stressants (voir le chapitre 24
Oger et al.).
Le législatif ne s’y est pas trompé et a fait de la bienveillance de
l’enseignant une compétence professionnelle à part entière (référentiel de
compétences des professeurs des écoles). Cette injonction « louable » reste à
prendre avec précaution. En effet, cette incitation externe (suscitant une
motivation contrôlée) peut ne pas avoir les effets escomptés. S’intéressant
aux effets d’une motivation autonome vs contrôlée des actes prosociaux,
Weinstein et Ryan (2010) montrent que les actes prosociaux ont les effets
positifs attendus sur l’émetteur et le bénéficiaire si et seulement si la
motivation est autonome. Cette dernière impacte positivement le bien-être de
l’émetteur et augmente l’estime de soi et l’affiliation du bénéficiaire, ce qui
n’est pas observé dans le cas d’une motivation contrôlée.
Il est temps aujourd’hui de se demander comment chacun, individuellement,
personnellement, peut participer au développement d’une motivation
autonome chez l’élève. Sarrazin, Tessier et Trouilloud (2006) offrent des
pistes intéressantes mais les travaux sur la bienveillance de l’enseignant
viennent enrichir ces perspectives et les effets et mécanismes de la
bienveillance scolaire présentés ici s’avèrent être des pistes en continuité des
travaux précédents sur la TAD. En effet, dans une enquête sur les pratiques
autour de la bienveillance scolaire, Saillot (2018) met en évidence que les
professionnels répondant à l’enquête sont convaincus de l’importance de la
bienveillance. Ce résultat est éminemment réconfortant. Néanmoins deux
éléments sont à soulever :
1. Comment inciter les enseignants les moins convaincus à faire preuve de
bienveillance ? L’enseignant doit lui-même internaliser cette valeur, être
persuadé de son bien-fondé autrement que par motivation contrôlante au
risque de ne pas avoir les effets escomptés ;
2. La bienveillance demande encore à être pensée (Réto, 2016). Il faut
poursuivre les efforts de définition de la bienveillance en éducation et
distinguer ses manifestations de ses mécanismes (Réto, 2016). Il s’agit
donc désormais de conforter les effets positifs de la bienveillance à travers
des études empiriques, de recenser davantage et de catégoriser les
comportements de gentillesse de l’enseignant émanant de sa bienveillance
et enfin d’investiguer comment développer la bienveillance tant chez les
convaincus que chez les sceptiques.
Conclusion
Pour conclure, les recherches sur le lien entre la motivation et la réussite
scolaire se poursuivent et s’affinent. Récemment, en 2020, Howard, Bureau,
Guay, Chong et Ryan, montrent que c’est la motivation liée aux valeurs
personnelles (et non pas la motivation intrinsèque) qui est reliée le plus
fortement aux résultats scolaires. Ils expliquent leur découverte par le fait que
la motivation intrinsèque est dépendante de l’état émotionnel, donc
fluctuante ; alors que la motivation identifiée (les auteurs ne mentionnant pas
la motivation intégrée) concerne à la fois des tâches intéressantes et
inintéressantes, ce qui est important pour la persistance des comportements
socialement désirables. Cette observation paraît fondamentale dans la
perspective d’une contagion motivationnelle décrite ci-dessus. La relation
causale entre motivation et réussite scolaire s’estompe, au profit d’une boucle
vertueuse incluant motivation de l’enseignant (et probablement celle d’autres
autruis significatifs dont les parents), motivation de l’élève, valeurs
personnelles des uns et des autres, et réussite de l’élève ; avec en toile de
fond, la question du bien-être de chacun, notion au cœur de la bienveillance
(Paquet, Binfet & Paquet, 2019).

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Personality and Social Psychology, 98 (2), 222-244.
1. Par Annie Paquet, Fabien Fenouillet et Yvan Paquet.
Chapitre 24
Peut-on envisager
une éducation positive ?1

Sommaire
1. Le modèle JD-R appliqué à l’École, un cadre théorique
original et novateur
2. En quoi les exigences perçues par les élèves peuvent-
elles nuire à leur qualité de vie ?
3. De multiples ressources offertes par l’environnement
éducatif
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Si l’École peut être perçue comme un lieu de contraintes car
véhiculant de nombreuses obligations notamment institutionnelles,
elle sait offrir aux élèves, en partenariat avec les familles, des
ressources, leur permettant d’aimer venir en cours et de s’y
épanouir.
Résumé long
L’École présente un certain nombre de contraintes liées au rythme
des cours, à la charge de travail imposée par les professeurs, aux
pressions mises par les parents voulant à tout prix que leur enfant
réussisse ou encore aux tensions pouvant exister entre élèves.
Elle propose aussi tout un lot de ressources. La bienveillance des
divers acteurs du système éducatif, l’éducation de la résilience, les
programmes scolaires de psychologie positive sont des solutions
que l’École peut offrir. La qualité de vie de l’élève dépend de cet
équilibre « exigences et ressources » qu’il perçoit au sein de
l’école. La famille, à travers la parentalité positive peut jouer un
rôle pour faire pencher la balance du côté des possibilités de se
développer, de bien-être ou mieux-être au sein de cette institution.

Mots-clés : élèves, ressources, contraintes, éducation positive.


Questions
• En quoi le milieu scolaire représente-t-il aux yeux de l’élève un
lieu de contraintes ? Un lieu de ressources ? Quel est cet
équilibre ?
• Quelles solutions dispose l’École pour faire pencher la balance
du bon côté et permettre ainsi aux élèves d’accéder à une
meilleure qualité de vie ?
• Quel peut-être le rôle des parents (ou de la famille entière) dans
cette quête du mieux être à l’École ?

Si pour certains élèves chaque rentrée scolaire rime avec excitation, joie de
retrouver ses camarades, plaisir d’apprendre de nouvelles choses, pour
d’autres au contraire, elle s’apparente à un moment d’angoisse associé à « la
peur de l’inconnu. […] Cette peur est liée au fait que l’enfant ne connaît pas
[forcément] le lieu où il va atterrir, ni les personnes qu’il va rencontrer, ni les
performances scolaires qu’il va devoir fournir. Il imagine comment tout cela
va se dérouler et, ne pouvant trouver de réponses à ses questions, angoisse.
[Pour certains], un autre facteur s’ajoute à cette pression de l’inconnu et du
changement, déjà bien présente : la notion de rentrée est directement liée à la
notion d’obligation. Vous passez tout simplement du concept de plaisir, lié
aux vacances, à la détente, au lâcher-prise, à celui de contrainte. Si l’enfant
est très angoissé par la réussite scolaire, qu’il se surinvestit à l’école, une
sorte de pression inconsciente prend possession de lui et l’empêche de
développer une attitude sereine2 » (Aubert, 2019). Certains élèves en effet,
voient en l’école un espace avec son lot de nombreuses exigences et
l’associent donc à un lieu de pressions. Pour certains auteurs il peut y avoir
une accentuation de ce phénomène dès lors que les élèves sont victimes de
harcèlement ou d’humiliations pouvant les conduire à une véritable phobie
scolaire (Filliozat3, 2019). Cela aura été d’autant plus marqué à la rentrée
2020 à la suite des conditions sanitaires.
Ainsi, la rentrée peut donc être appréhendée comme un nouveau départ, ou
au contraire, comme un tournant plutôt stressant laissant présager de la suite
de l’année. Cela dépendra notamment des ressources dont dispose chaque
élève et de l’idée qu’il se fait du système scolaire en général.
C’est au travers de ce prisme d’analyse que nous avons choisi de traiter,
dans ce chapitre, de la qualité de vie des apprenants à l’École. Cela amène à
se poser un certain nombre de questions : quelles peuvent être les ressources
que le système éducatif met à disposition des élèves ? Quelles sont les
exigences qu’ils perçoivent vis-à-vis de l’École ? En quoi celles-ci peuvent-
elles avoir un impact sur leur qualité de vie ? Jouer sur le rapport
exigences/ressources dans le cadre scolaire, pourrait-il permettre un accès des
jeunes de l’école au bien-être ?
En effet, tout semble se passer comme si l’école était un environnement
générant des attentes importantes vis-à-vis des élèves mais que les ressources
qu’elle offre étaient à la hauteur de ces exigences. Or, force est de constater
qu’il y a parfois un décalage entre les deux. Dès lors, il conviendra de
préciser comment il est possible de répondre aux exigences du système
scolaire en augmentant le niveau de ressources disponibles non pas
uniquement dans l’environnement scolaire mais dans l’environnement
éducatif au sens large.
Nous expliquerons dans un premier temps sur quel cadre théorique original
nous nous sommes inspirés pour ce chapitre et son intérêt. Nous donnerons
ensuite des exemples d’exigences auxquelles sont confrontés les enfants puis
des exemples de ressources, présumant du fait qu’un équilibre entre les deux
permettrait d’améliorer leur qualité de vie mais aussi celle de ceux les
encadrant.

1. Le modèle JD-R appliqué à l’École, un


cadre théorique original et novateur
Nous avons fait le choix de recourir au modèle Job Demands/Resources
(JD-R) (e. g. Demerouti, Bakker, Nachreiner, & Schaufeli, 2001) comme
assise théorique à notre chapitre, en raison de son pouvoir prédictif de la
qualité de vie dans le champ organisationnel (Bakker et al., 2003a, 2005,
2013) et d’autre part par le côté innovant qu’est sa transposition au contexte
scolaire afin d’explorer la problématique du bien-être à l’école.

1.1 Les origines du modèle JD-R


Le JD-R tire ses racines à la fois du modèle de Karasek (1979) mais aussi de
la théorie de conservation des ressources (COR) de Hobfoll (1989). Pour le
premier, le DCM (Demand-Control Model), l’association d’un niveau élevé
de demandes faites à un individu (charge de travail, exigence de performance
et de rentabilité, problèmes de communication, manque de contrôle) à un
niveau faible de possibilité de contrôle par cet individu sur son activité,
engendre des conséquences néfastes sur le plan de sa santé (e. g. Shirom,
Nirel, & Vinokur, 2006). Ce modèle a dominé le champ de la recherche
empirique sur le stress et les conditions de travail durant plus de vingt ans
(Halbesleben, 2008). Pour le second, il y aurait stress lorsque l’individu serait
confronté à une perte de ressources ou à un échec, après avoir investi des
ressources en vain et/ou lorsqu’il serait placé face à une menace future
prévisible, pesant sur les ressources investies. La théorie COR est une
« théorie motivationnelle qui admet qu’un individu s’efforce d’obtenir
(acquisition), de protéger et d’entretenir les ressources (conservation) qui ont
une valeur réelle ou symbolique pour lui » (Ben Aissa & Sassi, 2019, p. 33).
Selon Hobfoll (2001), les ressources correspondent à « ces objets,
caractéristiques personnelles, conditions ou énergies que l’individu valorise
en soi ou qu’il valorise parce qu’elles sont le moyen par lequel il arrive à
obtenir une autre ressource ou à protéger et conserver une ressource qu’il
possède déjà » (p. 339). Elles sont nécessaires pour le maintien du bien-être
de la personne face aux demandes (Halbesleben, Neveu, Paustian-Underdahl,
& Westman, 2014). Contrairement aux théories précédentes, la COR-Theory
intègre l’environnement et la dimension sociale comme partie intégrante à la
fois dans le processus de stress et de coping (adaptation à ce stress). Le JD-R
s’inspire ainsi de ces deux approches et s’inscrit dans le courant
interactionniste du stress.

1.2 Les relations entre le modèle JD-R et la


thématique du burnout
Demerouti s’intéresse spécifiquement au milieu du travail. La première
version de son modèle permet d’évaluer l’épuisement professionnel
(burnout), qui suit deux processus psychologiques distincts. Le premier
mentionne que la charge excessive de travail, sur une longue période, conduit
à une sollicitation très importante des ressources propres et aboutit à la mise
en échec des stratégies compensatoires puis à l’épuisement. Le deuxième
postule que le manque ou l’absence de ressources, constitue un frein pour
atteindre les objectifs visés. Le fait de ne pas permettre à l’individu de
répondre aux exigences du travail, l’amènera à ressentir un sentiment d’échec
et de frustration entraînant par la suite une attitude de retrait puis un
désengagement. L’épuisement et le désengagement étant deux éléments
centraux du burnout, cela crée un risque pour la personne. Les ressources
revêtent dans ce modèle toute leur importance. En effet, elles permettent
d’atténuer l’effet des exigences sur l’épuisement mais aussi d’y répondre.
Elles peuvent donc jouer un rôle de tampon par rapport à la charge de travail
(Bakker, Demerouti, & Schaufeli, 2003b). Ainsi, en cas de fortes exigences,
si le salarié dispose de ressources nécessaires comme le soutien de
l’environnement, le matériel adéquat, une formation continue par exemple,
l’épuisement sera moindre, car il pourra faire face aux exigences et le niveau
de burnout sera alors réduit (Bakker & Demerouti, 2007). À l’inverse, en cas
de déséquilibre entre les deux, l’individu peut adopter deux stratégies : le
maintien de la performance à tout prix ou bien la protection de soi aux dépens
du maintien des objectifs fixés (Schaufeli & Bakker, 2004). Souvent le
burnout apparaît lorsque pour des demandes importantes, les personnes
maintiennent ou essaient de maintenir le niveau de performance attendu et/ou
désiré. Pour ce faire, elles puisent dans leurs ressources personnelles et
s’épuisent, perdant progressivement leur énergie et rencontrant de plus en
plus de difficultés à maintenir le niveau requis par les demandes. De même,
lorsque les ressources sont trop peu nombreuses, le désengagement (ou
dépersonnalisation) peut être considéré comme une stratégie d’autoprotection
contre la frustration qui résulte de l’échec à atteindre les objectifs fixés.
Le modèle de Demerouti met donc en exergue, les conséquences du rapport
entre l’intensité de la demande ainsi que la disponibilité et l’usage des
ressources par l’individu. D’une part, une forte demande et un manque de
ressources « vont motiver un processus énergivore qui altère le bien-être du
salarié » (Ben Aissa & Sassi, 2019, p. 33) ; d’autre part, une importante
demande associée à un niveau élevé de ressources va engendrer une spirale
positive au travail, facteur de motivation et d’engagement des salariés (Hu,
Schaufeli, & Taris, 2011). Le modèle JD-R valorise surtout le fait que les
ressources peuvent atténuer l’impact des exigences liées au travail sur les
réactions d’épuisement professionnel (Bakker, Demerouti, Taris, Schaufeli,
& Schreurs, 2003c), en effet, celui-ci se produit seulement quand les
ressources mobilisées sont insuffisantes ou inadaptées.

1.3 Des intérêts au JD-R scolaire ?


Tout comme dans le milieu du travail, il existe également, au sein du
domaine scolaire et du côté des élèves, des problématiques de stress (Zakari,
Walburg, & Chabrol, 2011), d’épuisement et même de burnout (Oger, Burel,
Métais, Paquet, Tarquinio, & Martin-Krumm, 2020). Aussi, pourquoi ne pas
envisager qu’elles proviendraient d’un déséquilibre entre les exigences et les
ressources perçues par les élèves au sein de leur établissement scolaire ?
Comme le souligne Haberey-Knuessi (2011), « de par sa structure
paradigmatique, le modèle de Demerouti s’applique à de très nombreuses
situations de travail, quelles que soient les exigences et ressources en
présence » (p. 26). C’est dans cette optique qu’il a été transposé à
l’environnement éducatif. En effet, dès lors qu’est envisagé un « métier
d’élève » (Perrenoud, 2013), il est possible de considérer que l’apprenant,
tout comme l’adulte dans toute situation de travail ou d’apprentissage, soit
soumis à de nombreuses contraintes (e. g. rythme de travail, pressions
exercées par les différents membres du système scolaire, voire pressions qu’il
se met lui-même, etc.). Par contre, tout comme un salarié sur son lieu de
travail, un élève peut percevoir un ensemble de ressources disponibles dans
l’établissement dans lequel il évolue. La bienveillance des enseignants, le
soutien de la communauté éducative, l’aide des camarades en sont des
exemples. L’étude de Salmela-Aro et Upadaya (2014) semble être la seule
dans la littérature à s’être appuyée sur le modèle JD-R à l’école pour
expliquer les problématiques d’épuisement et d’engagement. Menée auprès
d’adolescents finlandais elle a été réalisée selon un plan longitudinal en
quatre étapes. Les données ont été recueillies une fois pendant la transition de
l’éducation complète à l’éducation post-complète4, deux fois au cours de
l’éducation post-complète et une fois deux ans plus tard. Les résultats
révèlent que les ressources personnelles des élèves, les exigences et les
ressources liées aux études prédisent l’engagement scolaire et le burnout
scolaire à T2 puis à T3. Elles prédisent en retour la satisfaction de vie et les
symptômes dépressifs. Ce modèle comprend deux processus, celui de
l’épuisement de l’énergie et celui de la motivation. Il présente toutefois
quelques limites, notamment le peu d’informations données concernant les
qualités psychométriques de l’échelle ayant permis de mesurer les exigences
et les ressources. Une étude récente (Oger, Broc, Tarquinio, & Martin-
Krumm, soumis) présente l’élaboration d’une échelle adaptée à
l’environnement scolaire. Elle s’inspire de celle de Van de Ven, Vlerick, et
De Jonge (2008). Elle présente des qualités psychométriques satisfaisantes et
est à l’heure actuelle disponible en français. Elle a permis une première étude
mettant en lien les ressources et les exigences perçues par les élèves et leurs
conséquences en termes de burnout scolaire. Les premiers révèlent que plus
un élève perçoit un niveau d’exigences élevé, plus son niveau de burnout
augmente au cours d’un trimestre et inversement.
Nous pouvons en conclure, que le modèle théorique de Demerouti et al.
(2001) issu de la psychologie du travail se révèle heuristique pour
l’environnement scolaire. Autrement dit, il semble que du rapport
exigences/ressources dépend en partie la santé de l’élève. Nous détaillerons
dans les deux parties qui suivent, les contraintes d’une part, puis d’autre part
les ressources en environnement éducatif.

2. En quoi les exigences perçues par les


élèves peuvent-elles nuire à leur qualité de
vie ?
Pour Halbesleben et Buckley (2004), de sources et de formes variées, les
exigences correspondent à toute contrainte perçue comme telle par les
salariés. Transposées au contexte scolaire, elles représentent l’ensemble des
contraintes, des obligations que revêt l’environnement éducatif aux yeux des
enfants.
2.1 Des charges et des rythmes de travail
soutenus
L’école impose globalement, de grosses charges de travail et un rythme
difficile à suivre. En effet, le temps de présence à l’école est souvent de
8 heures le matin à 17 heures le soir avec parfois une pause méridienne d’une
seule heure, ce qui ne permet pas de récupérer. De plus, les activités scolaires
occupent une à quatre heures de travail supplémentaire le soir et/ou les jours
de congé, selon le niveau. Et ce, cinq jours par semaine, sept à huit mois
par an, pendant dix années minimum, mais souvent plus de quinze… Pour
Filliozat5 l’école ne respecte pas les besoins de l’enfant. Cela peut être
interprété par les élèves comme un véritable obstacle à surmonter. De plus,
les séquences d’activités, leur organisation et leur planification, parfois à des
moments peu favorables (comme par exemple des évaluations massées en fin
de trimestre afin d’avoir des notes à saisir dans les bulletins) peuvent
constituer une contrainte forte pour les élèves. Une charge de travail trop
lourde, notamment en ce qui concerne les devoirs à la maison, mais aussi les
interrogations surprises, les divers contrôles, les examens, les notations et
sélections sont aussi synonymes d’exigences véhiculées par le système
scolaire. Elles représentent même « une source de stress pour certains
adolescents et peuvent générer des réactions de rejet par désengagement
(Fortin, 2001), les amenant à perdre leur motivation et leur plaisir
d’apprendre » (Esparbès-Pistre, Bergonnier-Dupuy, & Cazenave-Tapie,
2015, p. 91). Par analogie au milieu professionnel (Demerouti, Bakker,
Nachreiner, & Ebbinghaus, 2002), elles couvrent les dimensions physiques,
psychologiques (émotionnelles) et mentales (cognitives). Les demandes
physiques sont par exemple associées aux sollicitations du corps à cause des
rythmes de travail contraignants comme le fait de se lever tôt. En termes de
charge psychologique liée au travail scolaire, on peut citer le fait de devoir
être concentré toute une journée en passant même d’une matière à l’autre
avec des attentes et exigences différentes selon l’enseignant. Enfin la charge
psychologique perçue, peut être le fruit de tensions entre un professeur et son
élève estimant que celui-ci ne travaille pas assez ou n’a pas passé assez de
temps à réviser pour un devoir de sa matière alors que le devoir a été donné la
veille et représente le quatrième de la journée sur huit heures de cours.
Injustice, colère, dégoût, frustration peuvent apparaître chez l’élève percevant
l’environnement scolaire uniquement exigeant. Ainsi, la charge de travail que
l’INRS (2011) définit par l’intensité et la complexité des tâches à exécuter, le
temps de travail, les exigences émotionnelles et les rapports sociaux au
travail, peut représenter pour un élève, une trop forte demande de la part de
l’institution et ainsi altérer sa santé.

2.2 Des attentes institutionnelles et parentales


supposées hors d’atteinte
En plus de vivre le rythme intense imposé, certains élèves redoutent de ne
pas se sentir à la hauteur. Cela peut s’expliquer à la fois par une sous-
estimation de leur niveau et une surestimation des attentes institutionnelles
mais aussi par la pression qu’ils subissent de leurs parents. L’un des prismes
d’analyse est celui offert par Eccles et Wigfield (2002). Selon leur modèle, un
sentiment d’efficacité personnelle (SEP) élevé prédirait des attentes de
réussites et une valeur de la tâche élevées ce qui en retour, prédirait les
performances. Que prédit le modèle quand l’enfant pense ne pas avoir les
ressources requises pour réussir ? Une baisse des attentes de réussite sera
observée avec une dévalorisation de la tâche. Cette dernière permet à l’enfant
de sauver la face. En effet, les conséquences morales (perçues…) seraient
accentuées s’il reconnaissait ne pas avoir les ressources requises pour réussir
une tâche valorisée. C’est en quelques sortes un mécanisme de protection qui
s’engage avec les effets délétères en retour sur l’apprentissage. Cela peut
d’ailleurs se combiner avec, soit une surestimation de l’importance de la
réussite à l’école par les parents ce qui ne fait qu’accentuer la pression
ressentie par l’enfant et entretenir potentiellement des croyances négatives
sur le niveau de compétence réelle. Soit cela peut se combiner par une
dévalorisation de la réussite scolaire par certains parents qui voient
éventuellement d’un mauvais œil la réussite de leur enfant là où ils auraient
eux-mêmes échoué. Les facteurs sont imbriqués et leurs effets sur
l’apprentissage, la performance scolaire et la qualité de vie peuvent être
démultipliés. Le problème ici n’est pas lié aux attentes en tant que telles
« imposées » par le système éducatif (programmes scolaires, acquisition de
valeurs et de règles, etc.), mais par la perception que pourrait avoir un enfant,
perception selon laquelle il n’aurait pas les ressources personnelles requises,
autrement dit, par exemple un faible SEP, un faible soutien de la communauté
éducative ou de ses pairs. La peur de l’échec engendrée pourrait en retour
avoir des effets sur la qualité de vie en termes de stress ou de construction de
l’image de soi, surtout si les parents accentuent la pression à l’instar des
propositions de Mabilon-Bonfils (2011).

2.3 Des contraintes cognitives, affectives et


sociales ressenties
Selon Esparbès-Pistre et al. (2015), l’école est un lieu hautement exigeant et
de nombreuses contraintes existent dans le métier « d’élève ». Leurs travaux
mettent en évidence une augmentation du stress perçu entre la sixième et la
terminale et distinguent trois grandes catégories de facteurs de stress à
l’école : le climat scolaire (en termes de sentiment subjectif d’être en sécurité
par exemple), les acteurs et l’organisation de l’environnement comme le
bruit, la chaleur mais aussi les devoirs, les notes, les évaluations. Déjà Philips
en 1978 différenciait deux types de « stresseurs » scolaires : académiques (les
apprentissages et évaluations) et sociaux (relations avec les autres élèves,
l’enseignant et la participation dans la classe). Il y a ainsi des facteurs bien
reconnus comme générant du stress chez l’élève mais d’autres contraintes,
agissant peut-être comme des processus sous-jacents à ces facteurs, peuvent
être relevées. Elles ne sont, a priori, pas identifiées comme sources directes
de stress, mais considérées ensemble, elles peuvent avoir des effets délétères.
On y trouve des contraintes cognitives, affectives et sociales.
Sur le plan cognitif, l’élève est pleinement sollicité durant sa journée de 6 à
7 heures, voire plus chez les lycéens (comme présenté plus haut). Kaplan
(1995) distinguait une attention volontaire, demandant un contrôle cognitif et
une concentration importante et entraînant une fatigue mentale, d’une
attention involontaire déclenchée automatiquement par un stimulus. L’élève
en classe doit faire preuve d’attention volontaire sur une durée longue ce qui
occasionne de la fatigue. Ses capacités de mémorisation (tant en mémoire de
travail qu’en mémoire à long terme) sont également requises pendant de
nombreuses heures, eu égard à l’ensemble des apprentissages visés en une
journée ou dans le programme scolaire.
Parallèlement, sur le plan affectif, l’élève doit pouvoir réguler ses émotions
afin d’être dans l’instant présent, entretenir des relations harmonieuses avec
ses pairs. La régulation émotionnelle est un ensemble de processus par
lesquels l’émotion spontanée est réévaluée, contrôlée et les réponses en
découlant modifiées (Luminet, 2002). Cette régulation émotionnelle, bien
qu’elle soit mise en place très tôt chez le nourrisson, va prendre plusieurs
années pour se construire. En effet, les études en neurosciences montrent que
le cerveau se développe jusqu’à l’âge de 23-25 ans (Brun, 2015). Ceci
implique un paradoxe : l’adulte demande à l’enfant de réguler ses émotions,
ce qui sous-entend qu’il en a la compétence, alors qu’elle est en construction
chez lui. Il est ainsi aisé de comprendre le double coût que cela suppose chez
l’élève entre demande extérieure et processus de maturation.
Enfin sur le plan social, des régulations comportementales sont attendues :
aller aux toilettes à des moments imposés, rester assis, écouter, coopérer avec
ses pairs, lever le doigt pour prendre la parole, attendre, moduler sa voix
lorsqu’il s’exprime, etc. Ces trois types de demandes sont interdépendants.
Ainsi, pour lever le doigt avant de prendre la parole (régulation
comportementale), l’élève doit faire preuve d’inhibition de la parole
spontanée et de planification (contrainte cognitive) mais aussi de régulation
de l’émotion que cette situation suscite chez lui, notamment la frustration.
Ces éléments montrent que l’environnement éducatif peut être perçu comme
un milieu de contraintes, d’obligations et être assimilé à un environnement
hostile. Il peut perturber, voire repousser certains élèves. Toutefois, il offre
également, diverses ressources (accès aux savoirs, développement et
épanouissement de soi, socialisation).

3. De multiples ressources offertes par


l’environnement éducatif
3.1 La bienveillance des divers acteurs du
système éducatif, un exemple de ressource
Pour Paquet, Binfet et Paquet (2019) « la bienveillance est une valeur qui
vise le bien-être de l’autre » (p. 139). Dans le milieu scolaire, la bienveillance
régulièrement exhortée n’est pas véritablement pensée (Réto, 2016). Elle peut
être une attitude positive envers l’élève (Masson, 2018) ou une compétence
socio-émotionnelle au service du bien-être et des apprentissages (Shankland,
Bressoud, Tessier, & Gay, 2018). De par sa définition, la bienveillance peut
être une notion importante à prendre en considération dans le modèle JD-R
scolaire. Elle sera examinée ici sous deux angles : celle de l’enseignant
envers l’élève et celle entre élèves.
D’une part, l’enseignant bienveillant, en raison de sa nature même, peut être
considéré comme une ressource externe pour l’élève en tant qu’individu qui
vient soutenir, aider, encourager. Mais plus encore, la bienveillance de
l’enseignant va développer des ressources internes et externes chez l’élève.
Concernant les ressources internes, la bienveillance augmente le SEP et
l’estime de soi scolaire définie comme la valeur que l’élève s’accorde (à
travers les appréciations portées sur lui, la régulation des conflits avec ses
pairs, l’exigence envers lui, la valorisation dans la réussite ainsi que dans
l’erreur vue comme une étape de l’apprentissage). Elle améliore également
les compétences psychosociales de l’élève (Masson, 2018). L’enseignant
bienveillant crée aussi des ressources externes pour l’élève. Ainsi, il veille
aux conditions physiques et environnementales de l’élève. Il encourage les
échanges en favorisant la coopération. Enfin, l’enseignant bienveillant est
modérateur des demandes faites à l’élève, conscient des contraintes qui lui
sont imposées. Il est attentif à gérer son temps de classe de manière équilibrée
avec des activités cognitivement coûteuses suivies d’activités plus ludiques.
Il s’adapte à la singularité de chacun. Par exemple, par la différenciation
pédagogique, il demandera quantitativement davantage de travail à un élève
pendant qu’il allégera le travail d’un autre, en gardant en tête son objectif (la
maîtrise de la compétence par ces deux élèves) et surtout en considérant ces
deux apprenants de manière inconditionnellement positive (Shankland et al.,
2018). L’enseignant bienveillant donne aussi des tâches signifiantes à ses
élèves. Il annonce clairement l’objectif du travail et la compétence à acquérir.
Il est donc possible de dire que les demandes de l’enseignant bienveillant
sont explicites et par conséquent, concourent à une meilleure compréhension
par l’élève. Quand il planifie ses activités, il fait la balance entre les défis et
les obstacles que les élèves connaîtront. Ainsi il organise, planifie, met en
œuvre et réagit en visant le bien-être de l’élève. Il constitue à l’évidence une
ressource externe pour l’élève qui trouve en lui un alter ego qui le conseille et
qui veille sur lui. Cependant, il crée aussi des ressources internes et externes
pour l’élève à différents niveaux tout en tenant à équilibrer les demandes.
D’autre part, la bienveillance des pairs peut être également considérée
comme une ressource pour l’élève. À ce titre, le socle commun de
compétences des élèves de cycle 3 inscrit la bienveillance comme une
compétence à maîtriser par l’élève et c’est l’école tout entière qui est incitée à
faire preuve de bienveillance. Il n’existe guère de travaux portant sur ses
conséquences. Il est néanmoins possible de dire que les comportements
prosociaux ont des effets positifs sur le bénéficiaire en termes de plaisir,
d’effort et de performance perçue (Al-Yaaribi, Kavussanu, & Ring, 2016).
De plus, ils augmentent le bien-être et l’estime de soi de ceux qui les
reçoivent s’ils sont motivés de manière autonome (Weinstein & Ryan, 2010).
À partir des travaux dans le monde sportif ou chez l’adulte, il est possible
d’inférer les conséquences positives de la bienveillance entre pairs chez
l’enfant en termes de ressources pour l’élève.
Si la bienveillance des divers acteurs du système éducatif constitue en effet
une ressource non négligeable, d’autres éléments existent au sein de l’École
pour favoriser le bien-être et la qualité de vie des élèves.

3.2 La résilience et son enseignement : de la


théorie aux programmes scolaires
Alternative à la manifestation et à l’expérience de la bienveillance à l’école
ou même à son enseignement, mais non pour autant incompatible avec cette
dernière, l’enseignement de la résilience à l’école peut également s’inscrire
dans le schéma scolaire du modèle théorique JD-R.
En sciences humaines, la résilience est définie comme un processus
dynamique permettant à l’individu de s’adapter après la confrontation à un
événement traumatique aigu ou chronique (voir chapitre 7 de Métais et al. du
présent ouvrage). Ce sont les ressources disponibles et les nouvelles
ressources requises et en construction qui vont permettre l’adaptation à cette
situation inédite. Ce n’est pas la situation en tant que telle qui va nécessiter
cette adaptation mais sa perception par le sujet, rendant ce dernier vulnérable.
C’est ce qui rend le phénomène de résilience complexe à appréhender. Ceci
rejoint des modèles tels que le JD-R, ou la COR Theory stipulant que la
confrontation à l’adversité déclenche un besoin de transactions de ressources.
Dans le domaine de l’éducation, les programmes scolaires de résilience
visent à développer la résilience des élèves dans l’optique de les aider à
s’épanouir et à faire face aux épreuves du quotidien (coping) ou à s’adapter à
des événements de stress aigu ou chronique (e. g. harcèlement scolaire,
agression, divorce des parents) et ainsi faire preuve de résilience. Sur le
principe des thérapies cognitivo-comportementales, ces programmes
sensibilisent les élèves à l’idée selon laquelle leurs manières de penser
(cognition), de ressentir (émotions) et de réagir (comportement), sont liées.
Ils apprennent ce qui favorise le développement de leur réflexion, de leur
prise de recul, de leur gestion des émotions, de leur capacité de résolution de
problèmes.
Des programmes dits « holistiques » envisagent une refonte totale de
l’établissement scolaire dans lequel ils sont mis en place, impliquant ainsi
une réorganisation du fonctionnement de l’établissement et de sa
communauté en résonance avec les concepts de psychologie et d’éducation
positive (e. g. résilience, bien-être, gratitude…), mais ces mesures sont
souvent lourdes et coûteuses. Ainsi, bien que les programmes holistiques
soient plus efficaces (Ungar, Russell, & Connelly, 2014), il est souvent plus
réaliste d’implémenter un programme moins conséquent se présentant sous la
forme d’un module additionnel venant se greffer, l’espace d’un trimestre et
d’une dizaine de leçons, sur un curriculum déjà en place (e. g. Gillham &
Reivich, 2009).
Le programme SPARC (acronyme de Situation, Perception, Affect,
Réaction, Compréhension) développé par Boniwell et Ryan (2009), dont
l’objectif est de développer la résilience, est un programme « module » ayant
fait ses preuves. Les élèves y apprennent à gérer ces différentes étapes de la
confrontation à l’adversité suivie des premières réactions adaptatives. L’étude
réalisée par Pluess, Boniwell, Hefferon et Tunariu (2017) montre une
diminution des symptômes dépressifs et une amélioration de la résilience. À
La Réunion, une étude réalisée par Forestier (2018) révèle que d’un point de
vue qualitatif, 90 % des élèves ont plébiscité et ont estimé avoir aimé le
programme, et 89 % ont déclaré avoir appris des choses utiles pour leur vie
telles que la maîtrise des émotions, des réactions, des méthodes pour se
calmer, ou l’importance de se relever. D’un point de vue quantitatif, des
effets positifs ont pu être constatés sur la régulation émotionnelle, le
sentiment d’autonomie, l’espoir, ou encore la motivation autodéterminée. Des
résultats complémentaires montrent également que SPARC serait plus
efficace dès lors qu’il serait dispensé par un intervenant faisant preuve de
bienveillance (voir partie ci-dessus ; voir Martin-Krumm, 2018, pour une
revue). Ces programmes sont au final surtout des programmes de coping
sachant qu’ils sont aussi un pari quant au rôle que pourraient jouer les
ressources développées en cas de confrontation à un événement traumatique
provoquant une rupture dans le quotidien de l’élève.
Si les acteurs de l’école ont effectivement un rôle à jouer pour que les élèves
perçoivent dans leur établissement des ressources en présence, les parents ont
également toute leur place dans l’environnement éducatif et dans cette quête
de qualité de vie.

3.3 La parentalité positive


Le facteur déterminant en termes de protection chez l’enfant et l’adolescent
est l’environnement sécurisant développé au sein de la famille. Par exemple,
une étude longitudinale menée auprès de 12 000 adolescents sur une durée de
cinq ans interrogeant les jeunes à propos de leurs liens sociaux, leur santé
mentale (affects négatifs, idéation suicidaire…) et leurs conduites à risque
(consommations de substances psychoactives…), a montré que le facteur
protecteur le plus important en termes de santé mentale et de conduites à
risque était la qualité de la relation aux parents, ainsi que le fait d’être
apprécié par les membres de la famille (Resnik et al., 1997). Plus
précisément, il s’agissait du sentiment de proximité relationnelle dans la
relation au père ou à la mère, de la perception du soutien et de l’attention de
la part des parents, de la satisfaction de la relation aux parents, et enfin du
sentiment d’être aimé par l’ensemble de la famille (parents et fratrie).
Le sentiment de confiance, de stabilité et de soutien qui émerge d’un tel
contexte familial est permis par la relation d’attachement qui se construit
grâce aux réponses sécurisantes (prévisibles, cohérentes, en lien avec les
besoins physiologiques et psychologiques de l’enfant) apportées par les
parents. Ce lien d’attachement est également favorisé par la proximité
physique avec l’enfant, surtout lorsqu’il est en bas âge. En effet, le contact
peau à peau par exemple chez le nourrisson représente un facteur favorable à
la qualité de l’attachement, à la santé physique (e. g. Mazumder et al., 2019)
et au développement de l’enfant, notamment ses compétences de régulation
des émotions et des comportements (e. g. Feldman, Rosenthal, & Eidelman,
2014).
Les effets bénéfiques de la qualité de la relation parents-enfants sur la santé
physique, mentale et sur le développement de l’enfant, ont amené le Conseil
de l’Europe à proposer le terme de « parentalité positive » en 2006. Ce
concept fait référence aux comportements parentaux fondés sur l’intérêt
supérieur de l’enfant, qui visent à l’élever et à le responsabiliser d’une
manière non violente et apportent à l’enfant reconnaissance et assistance, en
établissant un ensemble de repères favorisant son plein développement. Pour
favoriser la construction et le maintien d’une telle qualité de relation au sein
de la famille, il est nécessaire de favoriser le bien-être des parents, celui-ci
étant un déterminant important de la capacité à s’ajuster à l’enfant et trouver
des réponses utiles et constructives dans les situations éducatives du
quotidien. En effet, il a été montré que l’épuisement parental prédit une
augmentation de 26 % de la violence faite aux enfants et de 30 % des
comportements de négligence parentale (Mikolajczak, Brianda, Avalosse, &
Roskam, 2018). Ainsi, pour que le contexte familial joue ce rôle de facteur
protecteur et contribue au développement des compétences de résilience de
l’enfant, il est nécessaire de permettre un soutien des familles pour limiter les
risques d’épuisement.
Dans nos sociétés contemporaines les parents pensent de plus en plus qu’ils
doivent tout assumer seuls (Shankland & André, 2020). Les pratiques de
psychologie positive peuvent être une ressource particulièrement utile dans le
soutien à la parentalité bienveillante en raison des effets bénéfiques sur le
sentiment de compétence parentale, la relation aux proches et la capacité à
résoudre des problèmes de manière créative (e. g. Fredrickson, 2001). En
effet, il n’existe aucune recette éducative universelle ; il est nécessaire de
s’ajuster à la situation, à l’âge et aux besoins de l’enfant. Cette flexibilité est
facilitée lorsque le parent lui-même va bien, car cela augmente ses capacités
d’écoute, d’empathie, ainsi que les comportements de coopération et de
soutien. C’est pourquoi de nouvelles perspectives de recherche et
d’applications se fondent aujourd’hui sur des interventions de psychologie
positive.
Ces différentes ressources viennent potentiellement contrebalancer un
niveau d’exigences élevé.

Conclusion
Dans ce chapitre nous nous sommes intéressés à la notion d’éducation au
sens large, c’est-à-dire celle dispensée par l’École et par la famille. Nous
avons opté pour l’analyser à travers le prisme du modèle JD-R, adapté au
domaine scolaire, ce qui nous paraissait heuristique et avant-gardiste. Après
avoir défini et décrit le modèle développé par Demerouti et al. (2001) pour
l’environnement professionnel, nous avons montré en quoi il trouvait toute sa
pertinence ici. Nous avons ainsi développé ce que pouvaient être les
exigences perçues par les enfants, exigences émanant de la communauté
éducative. La quantité de travail importante et le rythme imposés par le
système, la pression et les exigences des professeurs mais aussi des parents et
même des élèves entre eux, la charge psychologique et émotionnelle induite
ont été cités en tant qu’exemples concrets. Nous avons montré que ces
éléments pouvaient altérer le bien-être et la qualité de vie des élèves. Nous
avons aussi mis en avant que la communauté éducative permettait le
développement de ressources qui pouvaient venir contrebalancer ces
exigences. La bienveillance de la communauté éducative et des parents, la
mise en place d’ateliers ou de programmes scolaires visant le développement
du coping, voire de la résilience, ont été cités comme moyens de favoriser le
SEP et en retour d’augmenter les ressources perçues.
C’est cet équilibre entre les exigences et les ressources perçues par l’élève
qui le fera soit basculer dans l’épuisement scolaire, l’absentéisme, voire le
décrochage, ou au contraire le guidera vers l’envie d’apprendre et de
progresser. Si l’École et la communauté éducative au sens large ne doivent
pas baisser le niveau d’exigences en raison par exemple de la technicité des
futurs métiers, en contrepartie elles se doivent d’offrir aux élèves les
ressources pour y faire face et avoir une qualité de vie satisfaisante, gage en
retour de leur niveau de performance.
Dès lors, à la question : peut-on envisager une éducation positive ? La
réponse est oui. Celle-ci est permise à la fois au sein des familles (parentalité
positive) mais aussi par l’acquisition d’un ensemble de compétences
construites dans l’environnement scolaire, que ce soient les compétences en
tant que telles, techniques (contenus scolaires) ou non (régulation
émotionnelle, mindfulness, coping, etc.) ou grâce à l’environnement dans
lequel elles sont construites. La prise en compte de ces divers aspects est en
retour le gage du fonctionnement optimal des futurs adultes.
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1. Par Marie Oger, Annie Paquet, Rebecca Shankland, Yvan Paquet, Cyril Tarquinio, Clément Métais
et Charles Martin-Krumm.
2. Psychologue clinicien à Nancy et créateur de la chaîne YouTube « Questions de psy », interrogé par
le magazine L’Express, publié le 30 août 2019.
3. Psychothérapeute et auteure, interrogée par le magazine L’Express du 30 août 2019.
4. En Finlande, tous les adolescents ont une éducation générale de base similaire jusqu’à l’âge de
16 ans (école polyvalente, éducation complète). Après l’enseignement général, 55 % des élèves entrent
dans l’enseignement secondaire supérieur et 37 % vont en école professionnelle (c’est l’éducation
postcomplète). Les études à l’école secondaire supérieure et celles à l’école professionnelle durent 3 à
4 ans.
5. Interview d’Isabelle Filliozat (défenseure de la parentalité bienveillante), publiée sur adolescence-
positive.com.
Chapitre 25
Geelong Grammar School :
exemple d’une école organisée
autour de préceptes
d’éducation positive1

Sommaire
1. Histoire d’une rencontre entre Geelong Grammar
School et l’éducation positive
2. L’éducation positive à Geelong Grammar School
Conclusion et perspectives futures pour Geelong
Grammar School
Bibliographie
Résumé court
Bien que des éducations alternatives et expérimentales existent
depuis longtemps un peu partout dans le monde, un champ se
démarque aujourd’hui : l’éducation positive. L’école australienne
Geelong Grammar School s’est montrée précurseur et s’inscrit
dans ce mouvement. Elle a choisi de restructurer tout son cursus
afin de cibler les compétences du bien-être autant que les
compétences académiques.
Résumé long
Martin Seligman nous encourage à imaginer une éducation
positive, où l’école serait fondée sur l’association d’un
enseignement des compétences de la réussite et des
compétences du bien-être. Bien qu’elle ne soit pas plus pionnière
qu’une autre en termes d’éducation alternative, Geelong Grammar
School est une des premières écoles fondée sur les concepts de
psychologie positive. Par une approche holistique impliquant une
refonte totale de son fonctionnement, de sa communauté scolaire
et de son curriculum, elle tente de créer une atmosphère autour
des concepts de la psychologie positive et de promouvoir le bien-
être de sa communauté. Sa principale stratégie pour atteindre cet
objectif est la mise en place d’un système associant un
enseignement explicite (en classe) des concepts ciblés, avec un
enseignement plus implicite à travers lequel élèves et autres
membres de l’école peuvent expérimenter, vivre la psychologie
positive et s’en imprégner pleinement.

Mots-clés : éducation positive, compétences de bien-être,


programme scolaire holistique, environnement positif,
communauté scolaire, enseignement implicite.
Questions
• Que désirons-nous le plus pour nos enfants ?
• L’école peut-elle cibler tous les compartiments de développement
des élèves ?
• Autant sur le plan des compétences académiques que des
compétences plus humaines ? Qu’est-ce que l’éducation
positive ?
• Quelle est l’organisation et quel est le fonctionnement de l’école
australienne Geelong Grammar School ?
• Que propose-t-elle comme solutions d’éducation alternative ?
• Comment se positionner, ou comment aborder une réflexion chez
nous en France, autour de cette approche scolaire particulière ?

L’école a pour objectif d’accompagner les enfants et adolescents dans leur


transition vers le statut d’individu adulte. Elle tente de réaliser cela en
donnant aux élèves les connaissances, les compétences et les outils
nécessaires à ce qu’ils puissent intégrer le moule de la société moderne, mais
également à ce qu’ils puissent aussi questionner cette dernière et soient
capables de décider librement de leur niveau d’adhésion au fonctionnement
normé du monde. Néanmoins au-delà de cet objectif essentiel, une réflexion
symbolisée par deux questions simples posées aux parents
demeure nécessaire : En deux mots ou moins, que désirez-vous le plus pour
vos enfants ? Et en deux mots ou moins, qu’est-ce que l’école enseigne en
premier lieu ? (Seligman, 2012).
À la première question, les réponses courantes sont « bonheur »,
« satisfaction », « accomplissement personnel », « équilibre », « santé »,
« amour », ou « sens dans la vie ». Plus généralement, il s’agirait ici en
priorité d’un objectif de « bien-être ». À la deuxième question, la plupart des
parents répondent ensuite « compétences de réflexion », « réussite »,
« conformité », « discipline », ou encore « travail ». En soit, l’école actuelle
forme surtout à la réussite professionnelle. De ce constat, Seligman (2012)
met en avant le fait qu’il n’y a quasiment aucun rapprochement, aucun
chevauchement entre les notions issues de ces deux questions, alors que notre
désir le plus cher est le bien-être de nos enfants et leur épanouissement. Est-
ce pour des raisons d’incompatibilité ? Est-ce parce qu’il y a une séparation
entre le bien-être de l’enfant – qui relèverait de la famille – et la construction
de compétences scolaires – qui relèveraient de l’école ? Ou encore, serait-ce
dû à un manque de visibilité quant aux enseignements dispensés à l’école ?
Des travaux dans le champ de la psychologie révèlent qu’il y a un lien fort
entre qualité de vie et performance (e. g. Lyubomirsky et al., 2005). La
performance à l’école peut s’envisager par la capacité des élèves à acquérir et
à restituer lesdites compétences de « travail ». Or on pourrait imaginer que ce
qui relève de la qualité de vie est du ressort des familles. Dès lors dans ce
schéma tout semble se passer comme s’il y avait une séparation entre ces
deux aspects pourtant indissociables de la vie de l’enfant. Force est de
constater qu’il conviendrait pourtant de les appréhender dans un tout, offrant
un équilibre global.
Cette problématique s’imprègne d’une dimension supplémentaire dès lors
qu’on prend du recul sur le monde qui nous entoure. Celui-ci a radicalement
changé, le shopping en ligne est normal, les smartphones sont partout, le
paiement sans contact est le moyen le plus pratique pour les achats et les
médias et réseaux sociaux inondent également notre quotidien quel que soit
notre niveau social. Cette vague viendrait presque balayer des acquis ou
besoins humains tels que l’art de communiquer, le développement de
compétences sociales interpersonnelles, la capacité de coopération, le travail
d’équipe, le concept de communauté, ou encore la construction de
nombreuses couches de protections contre les hauts et les bas de la vie
(Herbert, 2016).
Les idées de « réussite », de « persévérance », de « discipline », de
« travail » sont certes légitimes et fondamentales, mais il est possible et
même nécessaire d’aller plus loin. Seligman (2012) nous invite à ouvrir notre
façon de penser l’école. Il souhaite que nous imaginions que l’école, sans
compromettre aucun des deux champs, puisse enseigner à la fois les
compétences du bien-être et les compétences de la réussite. Pendant éducatif
de la psychologie positive, s’intéressant au fonctionnement optimal de
l’individu (i. e. son potentiel de bien-être et d’épanouissement), ce modèle
scolaire prend aujourd’hui le nom d’éducation positive. L’objet de ce chapitre
sera de présenter dans un premier temps l’éducation proposée à Geelong
(Geelong Grammar School) dans ses grandes lignes puis de la détailler pour
enfin évoquer des perspectives. Nous verrons que l’intérêt d’une structure
telle que celle mise en place par cette école, est d’essayer au maximum
d’allier les objectifs académiques et de performance avec les objectifs liés
aux compétences du bien-être – aspects tous deux indissociables de la vie de
l’enfant.

1. Histoire d’une rencontre entre Geelong


Grammar School et l’éducation positive
1.1 Un institut aux fondements solides
L’école australienne Geelong Grammar School (GGS) fut fondée en 1855
dans la ville de Geelong (50 km au sud-ouest de Melbourne). Accueillant
alors 14 garçons à sa création, GGS est une école à pensionnat, privée et
anglicane, assurant aujourd’hui la scolarité d’environ 1 500 élèves filles et
garçons, répartis de la maternelle au lycée. Initialement fondée sur une
combinaison de valeurs traditionnelles des pensionnats anglais et sur une
philosophie égalitariste, GGS a toujours mis un point d’honneur à maintenir
des standards élevés d’enseignement et d’apprentissages, d’opportunités
d’enrichissement culturel mais aussi sportif et athlétique et de pastoral care2
(Norrish, 2015).
Au cours de son évolution, l’école a connu plusieurs étapes marquantes, à
commencer par la création en 1914 du campus principal (Corio) en dehors de
la ville de Geelong et où, dans une atmosphère de petit village et de
communauté scolaire anglo-saxonne (i. e. grandes pelouses, allées pavées,
chapelle et autres bâtiments en briques de style néogothique), les élèves
vivent, étudient et peuvent s’adonner à des pratiques telles que le cricket,
l’aviron, l’athlétisme, ou encore le football australien. Les deux étapes
suivantes ont été la création du campus montagnard de Timbertop en 1954,
où les élèves suivent une éducation à la nature et à ses contraintes, puis le
virage audacieux vers l’enseignement mixte à partir de 1971, alors qu’une
telle décision était à l’époque controversée. L’ultime avancée a finalement été
l’intégration de l’éducation positive au cœur de l’école et de son
fonctionnement à partir de 2008 (Norrish, 2015).

1.2 L’expertise d’une figure de la psychologie


positive
Une telle institution scolaire privée peut paraître totalement contraire à notre
vision de l’école en France. En effet, depuis le début du XXe siècle, nous
disposons en France d’un système scolaire public, laïque et républicain. Ce
système repose lui-même sur des programmes nationaux qui, s’ils laissent
une certaine latitude aux enseignants afin qu’ils atteignent ses objectifs, n’en
est pas moins contraignant dans sa dimension nationale. Les établissements
d’enseignement privés sous contrat rencontrent la même obligation. Le
système en Australie laisse une grande liberté du fait d’une structuration par
états. C’est la raison pour laquelle l’éducation proposée par GGS pourrait
sembler impossible à adapter au système français. Toutefois, certains de ses
aspects sont très intéressants : sa philosophie, sa structure, son contenu et ses
outils par exemple. Cette mise en pratique complexe et globale de la
psychologie positive au sein du curriculum de GGS et de toute sa
communauté scolaire, fait d’elle une école avant-gardiste en éducation
positive. Il est possible de s’inspirer de certains principes potentiellement
transposables au système français, dans les écoles publiques ou privées – ces
dernières offrant sans doute plus flexibilité même si la politique générale
d’un établissement repose pour l’essentiel sur la volonté de l’équipe de
direction, qu’elle soit publique ou privée.
Cette volonté au sein de GGS aura été concomitante d’un côté à la vague de
renouveau déclenchée par la montée de la psychologie positive au début des
années 2000 (voir Seligman & Csikszentmihalyi, 2000) et de l’autre à la
hausse des constats de troubles de stress, de dépression, d’anxiété, ou encore
de troubles comportementaux chez les jeunes à l’échelle internationale mais
également en Australie au sein de l’école même (Sawyer et al., 2000). C’est
ce qui a permis d’amorcer la transition de toute l’école vers l’éducation
positive. Cette transition a été illustrée à cette période par le lancement du
projet de construction d’un nouvel espace lié au bien-être. Ce bâtiment, le
centre de bien-être, se devait d’être multidimensionnel. L’objectif était qu’il
donne accès aux élèves et à tout staff de l’école à la fois à des services
médicaux et de soutien psychologique, à un complexe de sport et de santé
(piscine, fitness et musculation, basketball, méditation, yoga et Pilates), à un
espace de lecture et de travail libre, ou encore à un espace d’échange social
où les élèves peuvent se retrouver pour passer un moment convivial autour
d’une boisson chaude. L’idée fondatrice est ici de réduire la stigmatisation de
l’accès aux services médicaux ou de soutien psychologique, en faisant de ce
bâtiment un espace global de bien-être et de santé physique et mentale. La
récente création du concours de psychologue scolaire en France permettra
peut-être de s’inscrire pour cet aspect-là dans une logique similaire.
Mais c’est essentiellement grâce à la rencontre entre le professeur Seligman
et l’équipe de GGS en 2005, que les objectifs d’intégration de l’éducation
positive au sein du curriculum de l’école se sont réellement concrétisés. Lors
d’un gala réunissant alumnis et mécènes dans l’objectif de récolter les
derniers financements du nouveau centre de bien-être, le professeur Seligman
est invité à présenter sa vision du bien-être, de la psychologie positive et de
leurs potentiels d’application dans le milieu scolaire. Sa philosophie de la
psychologie est fondée sur l’idée selon laquelle développer les forces d’un
individu, travailler ses capacités d’adaptation et sa gestion des émotions,
cultiver son bien-être et viser son épanouissement, sont des paramètres aussi
puissants et aussi importants à cibler que réparer une dysfonction, ou réduire
l’anxiété et les troubles de dépression. Cette philosophie est assise par le
modèle du bien-être désigné par l’acronyme PERMA (Seligman, 2012) :
• Positive emotions (les émotions positives) : l’expression de l’amour, de la
gratitude, de la satisfaction, du plaisir et de l’espoir rentrent dans cette
catégorie.
• Engagement : lorsque nous nous engageons dans une activité, un projet et
que le temps s’arrête parce que nous ne faisons qu’un avec l’objet ; la
préoccupation de soi disparaît. On peut le rattacher à la notion
« d’expérience optimale », le flow (Csikszentmihalyi, 2009 ; Heutte, 2019).
• Relationships (relations positives) : entretenir des relations positives avec
autrui (les amis, la famille, les voisins…), participe au sentiment de bien-
être.
• Meaning (sens) : les valeurs, les projets de vie, les croyances, rentrent dans
cette rubrique.
• Achievement (l’accomplissement) : atteindre un ou des objectifs importants
à nos yeux, se réaliser, favorise notre plénitude.

1.3 Six mois de suivi pour une implantation


complète
Conquis par la réflexion proposée par Seligman, les alumnis et les membres
de GGS valident rapidement la construction du nouveau centre et se déclarent
même favorables au projet d’implanter l’éducation positive au cœur de
l’école et de sa communauté. Trois ans plus tard, en 2008, le Handbury
Wellbeing Center sort de terre et Seligman et son équipe de chercheurs de
l’université de Pennsylvanie débarquent à Corio sur le campus principal. Le
programme pour l’équipe est de travailler à l’élaboration du nouveau
curriculum de l’école et de dispenser une intense formation au corps
enseignant et à de nombreux autres membres de la communauté scolaire
(Norrish, 2015). Pas moins de cent membres du staff de l’école ont ainsi suivi
un séminaire de neuf jours dirigé par le professeur Seligman et le
docteur Reivich, durant lequel les participants ont découvert la psychologie
positive et ont vécu une première immersion dans sa pratique. Les six
premiers jours se sont focalisés sur la résilience et ses concepts de fond, puis
les trois derniers jours ont été dédiés aux forces de caractère de chacun et aux
stratégies d’échanges et de réponses actives et constructives – par opposition
à passives destructives (i. e. une relation forte et stable est entretenue et peut
être démontrée), par la manière dont les deux protagonistes échangent entre
eux de manière active et constructive : par exemple féliciter la personne après
une promotion, mais également l’inciter à formuler des aspects plus profonds
liés à cet événement, telles que les émotions ressenties ou ses compétences
lui ayant valu cette promotion, serait une forme de réponse active et
constructive ; voir Gable et al., 2004).
Arrivés en janvier 2008 avec l’équipe de recherche, Seligman et sa famille
ont ensuite vécu sur le campus jusqu’à la fin du deuxième trimestre
(juin 2008) afin d’assurer la bonne intégration de l’éducation positive dans la
nouvelle organisation de l’école. Avec eux, quelques experts de l’équipe de
recherche d’origine ont également pris résidence à l’extérieur de la ville pour
prêter main-forte au département d’éducation et de pédagogie de l’école. Par
ailleurs durant toute cette année, GGS eu la chance d’accueillir plusieurs
experts en psychologie tels que Roy Baumeister, Ray Fowler, ou Barbara
Fredickson, pour des séminaires et des conférences. Bien que coûteuse pour
l’école, cette campagne d’interventions et d’expertises fut non seulement
favorable à la mise en place de la nouvelle politique scolaire, mais elle permit
également de former plusieurs membres de GGS aux concepts de la
psychologie positive (Norrish, 2015 ; Seligman, 2012).

2. L’éducation positive à Geelong Grammar


School
2.1 Concepts, ligne directrice et organisation
S’agissant pour GGS d’une incorporation complexe et globale de la
psychologie positive sur les plans académique, communautaire et
organisationnel, l’exemple de leur système tombe donc dans la catégorie des
programmes holistiques d’éducation positive. Il existe deux types de
programmes : Des programmes additionnels, à caractère ponctuel et conçus
sous forme de modules venant se greffer – l’espace d’un trimestre et d’une
douzaine de leçons – sur un système scolaire ou un curriculum déjà en place
(e. g. Penn Resiliency Program ; Cutuli et al., 2013 ; Gillham & Reivich,
2009) et des programmes scolaires plus globaux et conséquents. Ces derniers,
dits programmes holistiques, dépassent alors le simple enseignement d’un
unique concept et englobent au contraire tout le spectre d’une éducation
positive. Ils impliquent une refonte totale du curriculum et du fonctionnement
de l’établissement scolaire ciblé afin d’en faire une réelle communauté
« positive » où il ne s’agit pas seulement de mettre en place un enseignement
explicite sur les compétences du bien-être à travers des leçons (créneaux
horaires dédiés), mais bien de créer un environnement dans toute la
communauté scolaire où les membres, (enseignants, élèves, staff) peuvent
expérimenter et s’imprégner des concepts de la psychologie positive. Ces
mesures sont certes souvent plus lourdes et coûteuses, mais elles ont une
portée et un impact supérieurs (Ungar, Russell, & Connelly, 2014).
Le modèle d’éducation positive de GGS incorpore donc les cinq piliers du
modèle PERMA de Seligman à la différence qu’un sixième pilier
représentant la santé physique et sportive complète l’ensemble. La figure 25.1
expose les six domaines de l’éducation positive de l’école. Ils prennent racine
dans un cercle de forces de caractère (Peterson & Seligman, 2004) dont le
cœur – objectif de fond – est l’épanouissement (en anglais : flourish).

Figure 25.1 – Modèle d’éducation positive de Geelong Grammar School


(extrait de Institute of Positive Education, 2018)

Pour comprendre le mécanisme précis de ce modèle, il est important de


partir du centre. Ici il s’agit pour GGS de viser l’épanouissement des élèves,
des membres de la communauté éducative, des parents et de la communauté
scolaire plus large. Cela se justifie du fait des liens forts entre bien-être et
performance (e. g. Lyubomirsky et al., 2005). L’école voit l’épanouissement
tel une combinaison de « se sentir bien » – où on retrouve l’idée de cultiver la
résilience et cultiver des niveaux sains d’optimisme, de vitalité et de stabilité
émotionnelle – et « faire le bien », ou « agir bien » – où on s’oriente vers
l’idée de se préoccuper d’autrui, d’être bienveillant, de supporter son
prochain, de nourrir des relations sociales positives et d’utiliser ses
compétences et son savoir pour contribuer à la société. Le cercle des forces
de caractère est ensuite crucial car il cimente le lien entre les individus de la
communauté scolaire. L’objectif de GGS est ici de créer un langage commun
au sein de la communauté scolaire à propos de ce qui est juste et bon, un
langage des qualités humaines positives qui, lorsque mobilisées, contribuent
au bien-être et à l’épanouissement. Cette emphase sur les forces de caractère
constitue au final un sol fertile pour travailler et pour expérimenter les six
domaines d’éducation positive (voir figure 25.1) : (1) relations positives
(positive relationships), (2) émotions positives (positive emotions), (3) santé
physique et sportive (positive health), (4) engagement (positive engagement),
(5) accomplissements (positive accomplishement), (6) sens et objectifs de vie
(positive purpose) (Institute of Positive Education, 2018).
Néanmoins, ce modèle bien structuré ne pourrait prendre vie sans que GGS
ne suive une méthode et des principes stricts concernant son orchestration et
son application terrain. Ainsi le schéma retenu est learn, live, teach, embed
(i. e. apprendre, vivre, enseigner, incorporer). L’école donne l’opportunité à
son équipe, aux parents et aux autres membres adultes de la communauté
d’apprendre les concepts et les principes de la psychologie positive à travers
des conférences, des expositions, des formations, ou de la documentation
mise à disposition. Les intéressés sont ensuite encouragés à vivre la
psychologie positive, à en expérimenter les effets au quotidien, à vivre en
accord avec ces principes appris. Ces compétences et connaissances apprises
et vécues sont ensuite enseignées explicitement et implicitement aux élèves
de l’école. Pour finir, GGS s’évertue à incorporer ces principes dans ses
politiques et pratiques scolaires et dans l’atmosphère générale de l’école
(Institute of Positive Education, 2018 ; Norrish, 2015) – e. g. sur le plan des
schémas relationnels, sur le plan matériel avec des espaces et bâtiments
dédiés.
2.2 Contenu du programme et exemples
terrain
Enseigner explicitement et implicitement les concepts de psychologie et
d’éducation positive, cette combinaison du programme scolaire de GGS est
primordiale, car c’est cette particularité qui le différencie d’un simple
programme additionnel à enseignement uniquement explicite et permet
d’étendre la portée de son impact (Masten, Herbers, Cutuli, & Lafavor,
2008).
L’enseignement explicite correspond à une leçon en classe dédiée à un
concept de psychologie positive. Les programmes additionnels fonctionnent
majoritairement selon cette formule, ce qui correspond, l’espace d’un ou
plusieurs trimestres, à un forfait de x leçons et x heures durant lesquelles les
élèves vont apprendre la théorie d’un concept et auront l’opportunité de
s’exercer sur des cas d’étude concrets. À l’inverse, l’enseignement implicite
est un enseignement non direct des principes d’éducation et de psychologie
positive, il peut s’agir d’aborder une thématique dans n’importe quel cours
académique classique à travers le prisme de la psychologie positive, mais il
peut aussi s’agir d’un environnement ou d’un événement particulier
encourageant l’élève à mettre en application dans une situation réelle les
principes appris.
Ainsi à GGS, l’éducation positive, dans le cadre d’un enseignement
explicite, est devenue une matière à part entière que les élèves désignent
communément par Poséd. Ces cours touchent une multitude de concepts tels
que les exemples suivants (Norrish, 2015 ; Seligman, 2012) :
• Les forces de caractère :
– Découverte par les élèves de leurs forces de caractère grâce au
questionnaire Values in Action Inventory of Strengths (Peterson &
Seligman, 2004), puis l’écriture d’un résumé d’un souvenir positif et
marquant, avec pour consigne d’analyser à quelles forces ils avaient alors
eu recours.
– Dessiner un « arbre des forces » contenant les forces de chaque membre
de la famille de l’élève.
– Essayer de développer et de trouver des situations d’application d’une
force n’étant pas dans le top cinq des forces de l’élève.
– Élire des élèves leaders considérés comme modèles car faisant preuve
d’un large éventail de forces de caractère et de qualités humaines.
• Les émotions positives :
– Écriture d’une lettre de gratitude à l’intention d’un membre de sa famille,
d’un ami, ou de toute personne de la communauté scolaire inspirante ou
significative pour l’élève.
– Apprendre à savourer les moments positifs, les bons souvenirs, ou
apprendre à les nourrir, les comprendre et les reproduire via le petit atelier
« Three-Good-Things Exercise » via lequel les élèves se posent les
questions suivantes : Pourquoi cette chose positive m’est-elle arrivée ?
Qu’est-ce qu’elle signifie pour moi ? Que puis-je faire pour reproduire ce
schéma à l’avenir ?
– Découvrir que l’empathie, l’altruisme et la bienveillance procurent des
émotions positives aussi pour la personne qui les offre.
– Création d’un carnet de « bonnes choses » pour aider les élèves à prendre
l’habitude de faire l’exercice des « trois W » (i. e. what went well ?) pour
lequel ils doivent chaque soir écrire – ou se remémorer mentalement –
trois épisodes positifs de leur journée.
• La résilience, le coping et les compétences d’ajustement :
– Sur le principe des thérapies cognitivo-comportementales, encourager
l’élève à concevoir que ses manières de penser (cognition), de ressentir
(émotions) et de réagir (comportement), sont liées et que cette alchimie
peut être gérée.
– Dans une veine identique, selon le modèle ABC (A : activating event
[événement déclencheur] ; B : beliefs [pensées, réflexion] ; C :
consequences [conséquences]) d’Ellis (1957), enseigner à l’élève que c’est
en réalité (B) sa manière de penser, ses perceptions et ses certitudes à
propos de (A) l’adversité vécue – et non forcément l’adversité en soi – qui
cause (C) les conséquences nocives ou déplaisantes.
– Travailler sur une étude de cas (voir figure 25.2.) où l’élève a par exemple
manqué une séance de sport ou une répétition de musique importante,
provoquant ainsi des pensées potentiellement biaisées et donc des
émotions négatives, qu’il doit ensuite questionner, réévaluer et challenger.
Figure 25.2 – Modèle de l’Atelier « Mon Journal de Pensées » (issue de Center for Clinical
Interventions, 2014)

• Les relations positives :


– Analyser les différents schémas d’échanges et de conversations présents
dans le modèle de Gable et ses collègues (i. e. actifs et constructifs, passifs
et constructifs, actifs et destructifs, passifs et destructifs ; 2004) et
travailler à la mobilisation de schémas de réponses actives et
constructives.
– Apprendre qu’il est confirmé scientifiquement qu’entretenir des relations
sociales (famille, amis, pairs, cercle professionnel) positives et
sécurisantes est un élément majeur du bien-être humain et qu’à l’inverse
un environnement social critique et malsain est un fort levier pour
l’apparition de troubles dépressifs et comportementaux.
– Réflexion lors d’une session de PosEd sur les actes de bonté et
d’attention, qu’une personne a naturellement tendance à reproduire quand
celle-ci en reçoit. Selon la métaphore d’une goutte d’eau qui, lorsqu’elle
touche la surface d’une flaque, crée une onde circulaire, l’effet positif au
sein d’une communauté d’un acte de bonté peut rapidement se propager.
Concernant l’enseignement implicite, trois axes d’application se distinguent
dans la stratégie de GGS. Ainsi il peut se faire au sein des matières
académiques classiques où les concepts d’éducation positive y sont abordés
de manière indirecte. On le retrouve également dans l’environnement et dans
les défis que l’école met en place. L’élève est alors encouragé à mettre en
application ses acquis théoriques. Enfin l’environnement positif mis en place
ainsi que la communauté formée et soudée, permettent aussi à l’élève de
nourrir ses forces, ses ressources, ses émotions positives, ou sa confiance. Les
exemples suivants illustrent ces mises en place :
• L’enseignement implicite à travers les autres matières :
– En histoire, étudier les grandes figures ayant marqué (en bien ou en mal)
leur temps, en se questionnant sur leurs forces de caractère et sur comment
elles leur ont permis de s’élever.
– En littérature anglaise, analyser les protagonistes de nouvelles et récits de
Shakespeare en fonction de leurs forces de caractères et découvrir qu’elles
ont généralement un côté positif mais également une part d’ombre
déclenchant les péripéties de l’intrigue.
– En cours de théâtre ou de rhétorique, lors d’un exercice de prise de parole,
les élèves doivent non pas donner un discours sur un moment de confusion
ou une épreuve qu’ils ont vécu, mais plutôt un discours traduisant d’un
moment d’exaltation, de confiance, de flow (Csikszentmihalyi, 2009).
– En biologie, lors de l’étude du cerveau, un des chapitres est tourné sur
l’étude des circuits neuronaux sollicités et activés lors d’actions de
compassion et d’altruisme.
– En musique, l’enseignant utilise les principes et les compétences de
coping et de résilience pour transformer chez l’élève l’anxiété et la
décharge de stress provoquée par une prestation manquée ou par l’enjeu
d’une prestation devant un public, en une expérience constructive et
positive (e. g. gestion des émotions, prise de recul, attribution de sens,
élaboration de narrations différentes, réattribution [remise en cause de ce à
quoi est attribué un événement], attitude proactive, etc.).
• L’enseignement implicite à travers le challenge (on ne protège pas un
individu en le faisant vivre dans un cocon stérile, mais en lui faisant vivre
des challenges l’encourageant à s’adapter ; Rutter, 2015) :
– Mise en place de mini-colloques, conférences et assemblées, où
enseignants et élèves sont amenés à être impliqués, mais surtout invités à
en être les acteurs et à donner un discours en face d’un auditoire. Ces
moments récurrents à GGS où l’orateur partage une expérience ou ouvre
une réflexion peuvent paraître intimidants mais représentent en réalité de
multiples leçons de vie.
– Construction d’un orchestre de l’école et répétition en vue de
représentations et de concerts.
– Participation à des compétitions sportives.
– Mise en place d’une pièce de théâtre.
– À plusieurs moments clés de la scolarité des élèves, retraites en nature :
Randonnées et excursions relativement ardues (plusieurs jours en nature,
itinérance, autonomie, sac à dos, tentes, etc.).
– Rôles à responsabilités, rôles de mentors (filles et garçons) : responsable
de dortoir, représentant(e) d’un groupe d’âge au pensionnat,
représentant(e) des associations sportives et musicales, ambassadeur(drice)
de l’école.
• L’enseignement implicite à travers un environnement riche et
bienveillant :
– Institution d’une culture commune autour des principes de la psychologie
positive et d’un langage commun. Recherche de continuité et d’équité
dans l’accès et dans la pratique de la psychologie positive.
– Construction d’un lien humain fort, d’une communauté scolaire soudée et
solidaire, dans laquelle tout individu doit pouvoir trouver un soutien
émotionnel.
– Investissement très conséquent d’un point de vue aménagement matériel :
bâtiments et espaces dédiés au bien-être, ou à la méditation de pleine
conscience, ou encore à la créativité.

2.3 Le campus de Timbertop : une année


d’éducation au plein air et d’activités de
nature dans les Alpes victoriennes
Timbertop est un des quatre campus de GGS. Il est régi par les mêmes
règles et objectifs en matière d’éducation positive que les autres campus,
mais sa visée originelle est de cultiver la résilience des membres de sa petite
communauté (Norrish, 2015). Ce campus montagnard a été créé en 1953 par
James R. Darling – alors inspiré par le travail et les théories de Kurt Hahn sur
une éducation alternative (pour revue voir Hahn, 1957 ; Veevers & Allison,
2011) – et est niché à 700 mètres d’altitude dans les Alpes victoriennes au
pied du mont Timbertop. Environ deux cent trente élèves de troisième sont
envoyés dans ce campus en pleine nature, fonctionnant sur le principe d’un
internat résidentiel à long terme (retour dans les familles aux vacances
scolaires). L’environnement et le programme de l’année à Timbertop
représentent un challenge conséquent, car les élèves et les enseignants en
poste là-bas, en plus du programme académique classique (matières scolaires
et cours habituels), suivent un lourd programme de plein air (outdoor
education), composé en grande partie de randonnée et de course à pied en
montagne (trail running).
L’objectif de Timbertop est de sortir l’élève de sa zone de confort, tant
scolaire que sociale, pour le confronter pendant un an à un environnement
plus brut, mais aussi plus simple et plus en accord avec la nature. Coupés de
technologie moderne, de Smartphones, de réseaux sociaux et seulement en
contact avec leurs familles par courrier papier, les élèves de Timbertop vivent
répartis par dortoirs de quatorze ou quinze appelés units, pendant toute la
durée des quatre terms de l’année scolaire australienne. Par ailleurs, le
caractère rustique et reculé du campus fait que son modèle de fonctionnement
est fortement fondé sur l’entraide, le partage des tâches et le travail collectif.
Ainsi en plus du challenge sportif que représente le programme d’outdoor
education, les élèves sont tenus de balayer, passer la serpillière, nettoyer les
toilettes, servir les repas au réfectoire, respecter le tri des déchets, ou encore
collecter ordures et linge sale des différentes units. L’eau chaude des douches
est également un exemple de paramètre à gérer pour les élèves. Il faut que le
bois ait été collecté, coupé et que la chaudière à bois ait été allumée en amont
pour obtenir des douches chaudes pour l’ensemble du dortoir. De tels aspects
logistiques sont comparables à ceux que l’on retrouve par exemple aussi en
France dans quelques établissements comme le lycée autogéré de Paris ou le
lycée expérimental de Saint-Nazaire.
Néanmoins, le challenge principal de Timbertop reste son programme
d’outdoor education (pour une liste exhaustive des activités du programme,
voir figure 25.3) avec ses deux pratiques phares, la course à pied et la
randonnée qui est aujourd’hui toujours aussi présente qu’en 1966 quand le
prince Charles avait séjourné en tant qu’élève à Timbertop (British Pathé,
2014).
« Randonner est une activité très simple qui nécessite seulement de mettre un pied
devant l’autre. Cela ne nécessite pas grande compétence, mais c’est une activité qui
en appelle au social, à l’émotionnel et au cognitif si l’on veut réussir […] Un savoir et
des procédures sont nécessaires lorsqu’il s’agit d’orientation […] Le comportement et
les réponses émotionnelles sont des éléments cruciaux lorsqu’il s’agit de maintenir
l’harmonie d’un groupe pendant plusieurs jours de randonnée […] Le programme de
randonnée améliore également la condition physique des élèves et enseigne la
capacité à poursuivre l’effort en situation difficile » (Herbert, 2014, p. 26).

Une telle confrontation à ce type d’épreuve et d’environnement n’est pas


évidente pour les élèves. Pour s’adapter positivement, grandir et apprendre de
cette année en marge, ils ont besoin de compétences, de ressources et de
soutien. Ainsi, à l’image du fonctionnement général de GGS, Timbertop
fournit ce cadre où élèves et membres de la communauté du campus vont
pouvoir trouver le réconfort, le soutien émotionnel et la cohésion nécessaires
à nourrir leur pratique de la psychologie positive, leurs forces de caractère,
leurs compétences d’ajustement et de rebond après s’être retrouvés
déstabilisé par la confrontation à ce nouvel environnement et par les défis
physiques, sociaux et émotionnels qui y sont mis en place. À Timbertop,
l’effet « communauté » est encore plus fort et occupe un rôle crucial car tout
le monde sans distinction, élèves, personnels de direction, enseignants et
jeunes assistants (i. e. souvent des étudiants internationaux travaillant à
Timbertop pendant une année de césure universitaire), se réunissent après la
journée de cours sur la même ligne de départ de la course à pied, subissent le
même challenge physique et mental des randonnées hebdomadaires en
altitude, puis au final se soutiennent et partagent tous les instants joyeux et
difficiles.
Figure 25.3 – Programme d’éducation au plein air de Geelong Grammar School
Conclusion et perspectives futures pour
Geelong Grammar School
La mise au point de ce programme sort sans aucun doute de l’ordinaire.
L’application des résultats de travaux de recherches pour implémenter un
climat propice aux apprentissages, se déclinant des contenus disciplinaires
jusqu’aux contenus relatifs à la qualité de vie de chacun, en fait son
originalité. Les contenus disciplinaires ont été revus à travers le prisme de la
psychologie positive. Au-delà des différents cours théoriques et des ateliers
dont ont bénéficié les élèves, afin de leur permettre de contrôler leurs
émotions, d’identifier leurs forces et de gérer les adversités de la vie
quotidienne, autrement dit d’acquérir des compétences non techniques (voir
Oger et al. du présent ouvrage), et au-delà des cours académiques classiques
(i. e. acquisition de compétences techniques, contenus scolaires) parfois
abordés sous le prisme de certaines thématiques de psychologie positive,
c’est bien tout l’environnement scolaire qui a été mis au diapason d’une
éducation positive telle que proposée par les recherches. Néanmoins, les
autres points touchant à la gestion de la logistique et des tâches collectives ne
sont pas spécifiques à ce programme, ni à l’Australie. En effet, au sein du
lycée autogéré de Paris ou de l’école des Roches de Verneuil-sur-Avre, qui
prônent la réussite par l’épanouissement, ce type de dispositif est également
en vigueur, depuis la fin du XIXe siècle pour ce qui concerne le second
exemple. Si l’on a tendance à considérer que c’est toujours mieux ailleurs,
gardons à l’esprit qu’il y a en France également une tradition d’écoles
alternatives qui est aussi ancienne, si ce n’est antérieure à GGS. Par contre,
aucun de ces établissements en France n’a implémenté parallèlement des
préceptes de la psychologie positive, à juste titre eu égard le fait qu’elle ne
s’est structurée que bien après.
Mais malgré ces remarques, Geelong Grammar School n’en reste pas moins
une des premières écoles à être fondée sur les concepts de psychologie
positive. Ce basculement lui a permis de progresser et de tenter de répondre
aux maux grandissants d’une société en rapide évolution. GGS s’attache à
mieux armer les futurs adultes afin qu’ils puissent faire face aux hauts et aux
bas que la vie leur réserve. Il y a donc ici un second point de relativisation à
apporter. En effet, bien que le dispositif d’ensemble se veuille destiner à
promouvoir l’épanouissement et le développement des compétences de bien-
être des élèves et des membres de la communauté scolaire, renforcer la
résilience est également un objectif de fond et est la thématique phare de
l’année en montagne sur le campus de Timbertop. À ce titre, et tel que
débattu au début du chapitre 24 par Métais et al., la réflexion autour d’une
une telle forme de programme, dans un contexte plus Français – où les
notions d’adaptation, de coping et de résilience encore en débat tendent à
diverger des acceptions anglo-saxonnes – soulève une nuance à propos du fait
que certains points du cursus de GGS pourraient plutôt correspondre à un
renforcement des capacités de coping (si l’on envisage celui-ci dans son
acception se rapportant à des épreuves ordinaires). En effet, leur cursus
scolaire, sauf accident, se veut plus parsemé d’adversités quotidiennes et de
challenges, que d’événements traumatiques. En revanche, pour rester sur le
versant des compétences d’ajustement et d’adaptation du programme de
GGS, leur objectif ici est bien de cibler des mécanismes dont il est établi
qu’ils seraient impliqués dans le processus de résilience (e. g. attribution de
sens à l’événement, efforts de coping et capacité de mobilisation ou
d’acquisition de ressources ; voir Métais et al., chapitre 7). L’acquisition de
tels outils et compétences, associée à un environnement riche et offrant
l’opportunité à l’élève de développer des ressources, pourrait en tout cas être
considérée comme bénéfique pour ce dernier dans l’éventualité d’épreuves
futures – à défaut de pouvoir présumer d’un effet certain et définitif du
programme sur la résilience.
Bien que peu d’études soient à l’heure actuelle parues à propos de
l’efficacité du cursus de la GGS, quelques résultats viennent tout de même
apporter des chiffres encourageants. Une enquête sur le bien-être socio-
émotionnel des élèves de cinquième, de troisième et de première révèle qu’en
moyenne 37 % d’entre eux (les élèves de troisième à Timbertop atteignant
même 45 %) sont dans les catégories de bien-être « très élevé » ou « la plus
élevée », quand la moyenne nationale est à 21 % (Bernard, Stephanou, &
Urbach, 2011). Néanmoins cette même étude révèle également que bien que
les taux soient nettement en dessous de la moyenne nationale, quelques
élèves de GGS demeurent sujets à des troubles de santé mentale, montrant
que l’école n’échappe pas au fait que des élèves auront toujours besoin d’une
attention particulière quel que soit l’environnement mis en place. Un projet
d’étude longitudinale sur trois ans, à partir de 2013 et initié par l’université
de Melbourne a également mis en valeur des résultats encourageants.
L’objectif était de suivre et de mesurer le bien-être des élèves depuis l’année
de troisième (année à Timbertop) jusqu’aux deux années suivantes (Vella-
Brodrick, Rickard, & Chin, 2014). L’étude a en partie montré que les élèves
de GGS accusaient d’un niveau de bien-être nettement supérieur à celui de
183 élèves d’autres écoles aux caractéristiques sociodémographiques
équivalent.
Quoi qu’il en soit, Geelong Grammar School cherche aujourd’hui encore à
se transformer et à aller de l’avant ; depuis 2015 et la création du centre
d’éducation à la créativité (Center for Creative Education, CCE), l’école
concentre ses perspectives futures sur l’imbrication de trois piliers éducatifs :
l’adventure education (éducation à la nature), déjà présente à Timbertop et à
plusieurs étapes de la scolarité des élèves ; la positive education (éducation
positive), implanté à l’école en 2008 avec l’aide de Seligman et de son
équipe ; la creative education (éducation à la créativité) qui a pour objectif de
cultiver et développer les compétences et les réflexes de collaboration, de
résolution de problèmes, mais aussi de pensée critique et de formulation de
problématiques. Dans un tout autre contexte, en France, l’intégration du
concept de bien-être en EPS n’est que récente ; pour autant elle représente
sans doute une étape déterminante. En effet, dans un texte de 2015 est
mentionné le fait que « l’EPS amène les enfants et les adolescents à
rechercher le bien-être et à se soucier de leur santé » (BO spécial du
26 novembre 2015, p. 46). Se pose forcément la question de la nature des
contenus d’enseignement et des conditions de leur apprentissage. Ce sont
finalement des éléments qui pourraient se construire en s’inspirant de
programmes tels celui de Geelong. Le point remarquable est qu’il s’agisse ici
d’un texte relatif à l’éducation nationale ouvrant potentiellement sur
l’acquisition de contenus comparables à ce qui a été mis en place dans la
GGS.

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1. Par Clément Métais et Charles Martin-Krumm.
2. N’ayant pas de traduction française littérale, pastoral care est un terme anglo-saxon contemporain se
rapportant au modèle ancien de support émotionnel, social et spirituel pouvant se trouver dans toute
communauté, culture, ou tradition. Bien que l’origine de ce mouvement se situe dans le christianisme,
son utilisation aujourd’hui peut se dissocier totalement de tout aspect religieux. Il s’agirait par exemple
ici d’envisager la figure de pasteur dans son acception statutaire et non religieuse. Le pasteur est alors
celui qui a la charge de guider, de partager et de veiller sur un groupe de personnes. En français, la
conception la plus proche de cette notion de pastoral care, se trouve au croisement entre les notions de
philanthropie et de « patronage ». Qu’il s’agisse d’un patronage ecclésiastique du XIXe siècle – ayant été
le foyer des mouvements paroissiaux qui ont à terme mené à la création de la Fédération sportive et
culturelle de France (1968) – ou d’un patronage devenu plus laïque à partir de 1905 (loi de séparation
de l’Église et de l’État) et plus encore à partir de la seconde moitié du XXe siècle, la philosophie de cette
initiative réside dans la création d’un cadre bienveillant où le jeune est supporté et éduqué sur les plans
émotionnel, moral, social, culturel et physique/sportif.
Chapitre 26
Différences individuelles
dans la sensibilité aux
expériences positives : le cas de
l’école1

Sommaire
1. Différences individuelles
2. Les effets positifs de l’école sur le développement des
enfants
3. La sensibilité environnementale
4. La sensibilité avantageuse : le bon côté de la SE
5. Mesure de la sensibilité des enfants à l’aide de
l’échelle d’hypersensibilité de l’enfant
6. La sensibilité avantageuse dans le contexte scolaire
7. Discussion
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Selon les théories de la sensibilité environnementale (SE ; Pluess,
2015), certains individus sont plus sensibles aux expériences
négatives comme positives. Cela explique la variabilité des
réactions aux aspects positifs de l’école, les enfants hautement
sensibles en profitant davantage que les enfants moins sensibles.
Résumé long
En général, on pense et on s’attend à ce que tout le monde
bénéficie à un degré similaire des effets positifs des expériences
favorables. Toutefois, selon les théories de la sensibilité
environnementale (SE), la sensibilité des individus aux influences
de leur environnement varie considérablement. Nous abordons ici
ces différences dans le contexte de l’école. Divers facteurs
scolaires, tels que la qualité de la classe et les relations avec les
enseignants et les pairs, favorisent le développement socio-affectif
et scolaire des enfants. Nous examinons d’abord les preuves
empiriques de ces facteurs scolaires positifs avant de présenter
les différentes théories de la sensibilité qu’englobe la SE et les
preuves récentes montrant que les enfants très sensibles
bénéficient davantage des aspects positifs de l’école, notamment
des interventions. Les résultats indiquent qu’il est important de
tenir compte des différences de sensibilité lors de l’évaluation des
effets des expériences positives, non seulement dans le contexte
scolaire mais aussi dans le domaine de la psychologie positive en
général.

Mots-clés : sensibilité à l’environnement, sensibilité avantageuse,


échelle d’hypersensibilité de l’enfant, psychologie positive, milieu
scolaire.
Questions
• Qu’est-ce que la sensibilité environnementale ?
• Quels facteurs scolaires exercent une influence positive sur le
développement ?
• Les enfants hautement sensibles bénéficient-ils davantage des
interventions en milieu scolaire que les enfants moins sensibles ?

1. Différences individuelles
La psychologie positive fait de manière générale la promotion du bien-être
(Miller et al., 2008). Selon l’une de ses hypothèses générales, les individus
tirent bénéfice des expériences positives. Cependant, la psychologie positive
s’est vue reprocher son approche globale et l’absence de prise en compte des
différences individuelles (Held, 2004). Selon les théories de la sensibilité
environnementale (Pluess, 2015), les personnes réagissent de manière très
différente aux expériences, certains étant plus, d’autres moins sensibles aux
influences de l’environnement, qu’elles soient négatives ou positives. Un
grand nombre d’études fournissent des preuves empiriques de ces différences
de sensibilité. Dans ce chapitre, nous exposons les différences de sensibilité
aux expériences positives dans le contexte spécifique de l’école. L’école
représente un environnement de développement important où des facteurs tels
que de bonnes relations entre les enseignants et les enfants et entre les pairs,
ainsi qu’une classe de bonne qualité contribuent au développement scolaire,
cognitif et socio-émotionnel positif des enfants (Pianta et al., 2012 ; Newman
Kingery et al., 2011). Toutefois, certains enfants tirent davantage profit de
ces expériences en raison de leur sensibilité plus élevée. Nous présentons
d’abord certains facteurs de l’environnement scolaire qui ont été associés à
un développement positif. Puis nous détaillons la notion de sensibilité
environnementale et les diverses théories qu’elle intègre, en nous concentrant
plus particulièrement sur la sensibilité avantageuse, le cadre théorique qui
décrit les différences individuelles en réponse aux influences positives
(Pluess & Belsky, 2013). Nous passons ensuite en revue les preuves
empiriques montrant que les enfants sensibles tirent un bénéfice
particulièrement important des expériences positives qu’ils vivent à l’école.
Enfin, nous discutons de ce que ces résultats signifient pour la psychologie
positive et le milieu scolaire en général.

2. Les effets positifs de l’école sur le


développement des enfants
L’impact de l’école sur l’adaptation socio-émotionnelle et les résultats
scolaires des enfants a été étudié à travers un ensemble d’enquêtes
empiriques menées au cours des quatre-vingts dernières années. Les études se
rejoignent sur l’idée qu’outre la qualité structurelle de l’environnement
scolaire et le milieu socio-économique des enfants, c’est la qualité du
contexte scolaire, notamment le soutien émotionnel fourni par les
enseignants, la structure de l’environnement d’apprentissage et les relations
entre pairs, qui joue un rôle clé pour le développement des enfants à l’école,
comme on le verra plus loin. L’une des études les plus complètes sur les
enfants scolarisés, le Programme international pour le suivi des acquis des
élèves (connu sous l’acronyme PISA, de l’anglais Programme for
International Student Assessment), évalue les résultats scolaires et le bien-
être des enfants tous les trois ans dans plus de soixante pays (OCDE, 2017).
En 2000, selon les résultats de l’enquête PISA, la qualité du contexte scolaire,
le climat scolaire, les politiques, les ressources et les caractéristiques
démographiques des élèves étaient à l’origine des trois quarts des différences
de performance scolaire (Luyten et al., 2005). Le climat scolaire à lui seul
expliquait une grande partie de la variance des compétences des enfants
(environ 8 % dans les pays évalués), et l’emportait sur les effets des
politiques et des ressources scolaires (Luyten et al., 2005). Le climat scolaire
influence également le bien-être des enfants. Selon l’enquête PISA de 2015,
plus récente, dans les écoles où le soutien des enseignants est plus important,
les élèves se déclarent plus satisfaits de leur vie (OCDE, 2017). Dans ce qui
suit, nous passons en revue les recherches actuelles sur les facteurs scolaires
les plus pertinents pour le développement positif des enfants, tels que les
relations avec les pairs, la relation enseignant-enfant et la qualité particulière
de l’environnement de la classe.

2.1 Les relations entre pairs


La classe est considérée comme un cadre relationnel important pour le
développement socio-émotionnel des enfants (Pianta et al., 2012). L’école
offre aux enfants une plateforme leur permettant de fréquenter des groupes
plus nombreux et de nouer des relations avec leurs pairs. La recherche a
constaté que la qualité de ces relations avec les pairs influençait le
développement des enfants. Les enfants qui entretiennent de bonnes relations
avec leurs pairs ont tendance à avoir un meilleur niveau de bien-être
émotionnel, s’impliquent davantage dans les tâches scolaires et excellent
davantage que les enfants qui ont des problèmes avec leurs pairs (Wentzel,
2017). Les bonnes relations avec leurs pairs aident également les élèves
lorsqu’ils changent d’environnement scolaire. Par exemple, l’acceptation par
les pairs a permis de prédire la réussite scolaire après le passage au collège,
peut-être en raison du sentiment d’appartenance et du soutien émotionnel
supplémentaires qu’elle procure (Newman Kingery et al., 2011). L’influence
des pairs devient souvent particulièrement marquée à l’adolescence (National
Research Council, 2004). De manière peut-être surprenante, le sentiment
d’appartenance était l’un des aspects les plus importants du climat scolaire
prédisant la maîtrise de la lecture dans l’enquête PISA 2000 (Luyten et al.,
2005), alors que la perception de soi comme étant à l’écart du groupe était
liée à la fois à de moins bons résultats en sciences et à une moindre
satisfaction à l’égard de la vie dans l’enquête PISA 2015 (OCDE, 2017).

2.2 Relation enseignant-élève


La relation entre l’enseignant et l’enfant est un autre facteur important pour
le développement social et scolaire positif des enfants (Pianta et al., 2012).
Ses avantages ont fait l’objet de nombreuses études et s’étendent à toute la
période de la petite enfance (Baker, 2006). Une étude longitudinale a révélé
qu’une relation enseignant-enfant peu conflictuelle était associée à de
meilleurs résultats en lecture et à moins d’agressivité, et que les enfants qui
déclaraient connaître une relation enseignant-enfant de meilleure qualité
montraient des scores de dépression plus faibles sept mois plus tard (Rucinski
et al., 2018). Selon une autre étude, les résultats scolaires et les compétences
sociales sont plus élevés chez les enfants avec lesquels les enseignants ont
déclaré avoir une relation plus proche (Pianta & Stuhlman, 2004). Dans
certains cas, l’influence positive d’une relation proche entre l’enseignant et
l’élève peut s’étendre sur plusieurs années : les enfants qui présentaient un
niveau élevé de troubles externalisés du comportement en maternelle, mais
qui bénéficiaient d’une proximité moyenne ou élevée avec l’enseignant,
manifestaient une baisse significative de leurs troubles comportementaux en
CE2, alors que les enfants dont la proximité à l’enseignant était faible ne
montraient pas une telle amélioration (Silver et al., 2005).

2.3 Facteurs liés à la classe


La recherche a identifié trois facteurs spécifiques à la classe associés à des
effets positifs sur le développement des enfants : 1) le soutien émotionnel, 2)
le soutien pédagogique et 3) l’organisation de la classe (Pianta et al., 2008).
Par exemple, une étude a montré qu’un soutien émotionnel plus important de
la part des enseignants était associé à une meilleure maîtrise de soi et à une
moindre agressivité chez les élèves de cours préparatoire (Merritt et al.,
2012). Notamment, le soutien émotionnel était d’une importance égale pour
tous les enfants, quels que soient les facteurs de risque sociodémographiques
(faible niveau d’éducation de la mère, faible revenu familial, par exemple).
Des recherches antérieures ont également montré qu’un bon soutien affectif
améliore les résultats scolaires des enfants (Perry et al., 2007) et leur
participation en classe (McWilliam et al., 2003). En outre, on a constaté que
la qualité pédagogique des enseignants prédisait de meilleures compétences
scolaires et linguistiques (Mashburn et al., 2008) et moins de comportements
d’évitement de tâche (Pakarinen et al., 2011). Enfin, une meilleure
organisation de la classe est liée à un plus grand engagement comportemental
et à un meilleur comportement au travail (Rimm-Kaufman et al., 2009) ainsi
qu’à la réussite scolaire des enfants (Wharton-McDonald et al., 1998).
Ces trois domaines se sont avérés particulièrement bénéfiques pour les
enfants issus de milieux défavorisés ou qui risquent d’avoir un
développement inadapté en raison d’une tendance à des comportements
agressifs ou provocateurs. Par exemple, dans les classes qui offrent du
soutien émotionnel, les enfants souffrant de multiples problèmes d’adaptation
ont obtenu des résultats similaires à ceux de leurs camarades qui n’avaient
pas ces problèmes (Hamre & Pianta, 2005). De même, un niveau élevé de
soutien pédagogique dans une classe de cours préparatoire a contribué à
combler l’écart de réussite entre les élèves dont les mères avaient un niveau
d’études élevé et ceux dont les mères étaient peu éduquées (Hamre & Pianta,
2005).
En résumé, un important corpus de recherche démontre que des facteurs
scolaires positifs, tels que de bonnes relations avec les pairs et les enseignants
ainsi qu’une classe de bonne qualité, favorisent le développement positif des
enfants et même réduisent ou amortissent les effets négatifs d’autres facteurs
de risque individuels et environnementaux. Toutefois, la recherche ne s’est
pas encore penchée en détail sur le fait que les enfants peuvent aussi réagir
différemment à ces facteurs positifs, certains en bénéficiant plus et d’autres
moins, en raison de différences individuelles de sensibilité. Nous allons
présenter la notion de sensibilité environnementale (Pluess, 2015) et ses
théories sous-jacentes, qui décrivent ces différences de réaction à des
expériences tant négatives que positives.
3. La sensibilité environnementale
Plusieurs théories suggèrent que les influences environnementales affectent
les individus à un degré très variable. Ces théories regroupent la sensibilité
différentielle (SD ; Belsky, 1997 ; Belsky et Pluess, 2009), la sensibilité
biologique au contexte (SBC ; Boyce et al., 1995 ; Boyce & Ellis, 2005), et la
sensibilité liée au traitement sensoriel (STS ; Aron, 1996), qui sont toutes
intégrées dans le méta-cadre de la sensibilité environnementale (SE ; Pluess,
2015). Toutes ces théories s’accordent sur le fait que les individus hautement
sensibles réagissent plus fortement aux influences négatives et positives en
raison d’un système nerveux central plus sensible, qui est influencé par des
facteurs à la fois environnementaux et génétiques (Pluess et Belsky, 2013).
Après une brève description de ces différentes théories, nous nous
concentrerons sur le concept de sensibilité avantageuse, qui décrit plus
précisément les différences individuelles en réponse à des expériences
positives (Pluess & Belsky, 2013).
La sensibilité environnementale
La sensibilité environnementale désigne les différences individuelles de
réaction aux influences environnementales, certains étant de manière
générale plus sensibles que d’autres aux expériences négatives comme
positives. Une sensibilité élevée est due à un traitement plus approfondi
des stimuli environnementaux, à une réactivité émotionnelle et
physiologique accrue, à une inhibition comportementale, et à une
conscience plus aiguë de la stimulation sensorielle (Aron et al., 2012).
La sensibilité différentielle (SD) (Belsky, 1997 ; Belsky et Pluess, 2009)
avance que la sensibilité des individus aux influences environnementales
varie généralement au cours de l’enfance en raison de facteurs génétiques et
environnementaux précoces. Plusieurs traits de tempérament, facteurs
génétiques et attributs endophénotypiques, souvent considérés auparavant
comme des « facteurs de vulnérabilité », ont été associés à cette sensibilité
aux influences environnementales. En accord avec la théorie de la SD, ces
caractéristiques fonctionnent « pour le meilleur et pour le pire » (Belsky
et al., 2007). En d’autres termes, dans le cas d’une expérience positive (le
soutien d’un enseignant par exemple), la personne sensible se sent
particulièrement bien, mais si cette même personne vit des circonstances
négatives (un conflit avec l’enseignant, par exemple), les conséquences
seront pires que pour les personnes moins sensibles. Ainsi, la SD décrit à la
fois le côté lumineux et le côté sombre de la sensibilité.
La sensibilité biologique au contexte (SBC ; Boyce et al., 1995 ; Boyce et
Ellis, 2005) suggère que des facteurs environnementaux précoces façonnent
le degré de sensibilité individuel en programmant la réactivité physiologique.
Par conséquent, les individus plus réactifs physiologiquement sont aussi plus
sensibles aux influences environnementales. Selon la SBC, les
environnements modérés produisent des individus moins sensibles, tandis que
les environnements très protecteurs, tout comme les environnements très
stressants, entraînent une plus grande réactivité (c’est-à-dire une sensibilité
environnementale) aux expériences tant négatives que positives. Cette
sensibilité renforcée est considérée comme adaptative car dans les situations
de stress, la réactivité peut accroître la vigilance face aux menaces, et dans les
situations favorables, elle peut augmenter la propension à tirer profit de
l’environnement.
La sensibilité liée au traitement sensoriel (STS ; Aron, 1996 ; Aron & Aron,
1997), concept ancré dans la recherche en psychologie de la personnalité,
identifie des caractéristiques phénotypiques spécifiques associées à une
sensibilité accrue aux stimuli et à un traitement plus approfondi de ceux-ci.
Certaines caractéristiques sous-jacentes à la STS ont été identifiées,
notamment un traitement plus poussé des stimuli environnementaux, une
sensibilité exacerbée à la stimulation sensorielle, une plus grande réactivité
émotionnelle et physiologique et une plus forte inhibition comportementale
(Aron et al., 2012). Selon la STS, 20 % à 30 % de la population présente une
telle sensibilité exacerbée (Pluess et al., 2018 ; Lionetti et al., 2018) et ces
personnes sont davantage affectées par les expériences tant négatives que
positives. Bien qu’il s’agisse d’un trait relativement stable ayant une base
génétique, la STS est également influencée par l’environnement (Aron et al.,
2005 ; Slagt et al., 2018 ; Assary et al., 2020). Il est important de noter que la
sensibilité désignée par la STS est distincte des autres traits de personnalité
(Lionetti et al., 2019).
4. La sensibilité avantageuse : le bon côté
de la SE
Le concept de sensibilité avantageuse (SA) (Pluess et Belsky, 2013), dérivé
d’un point de vue théorique de la sensibilité différentielle (Belsky et Pluess,
2009) et donc lié à celle-ci, décrit plus précisément et plus en détail les
différences individuelles en réponse à des expériences positives. Le modèle
suggère que certains enfants sont plus sensibles aux effets positifs des
expériences favorables (ils font preuve de sensibilité avantageuse) tandis que
d’autres n’en tirent pas profit (en raison de leur résistance à l’avantage). La
SA diffère de la SD dans la mesure où elle se concentre uniquement sur la
réaction aux expériences positives (elle ne s’intéresse pas à la réaction aux
expériences négatives). En fait, la SA représente le côté positif de la SD. Le
degré de sensibilité avantageuse que montre un individu dépend de la
présence de facteurs propices à celle-ci, c’est-à-dire de traits génétiques,
physiologiques et comportementaux associés à une réponse plus forte aux
expériences positives.
La sensibilité avantageuse
La sensibilité avantageuse est un cadre qui décrit les différences
individuelles en réaction aux aspects positifs de l’environnement.
Certaines personnes ont tendance à profiter davantage des expériences
positives (elles font preuve de sensibilité avantageuse) et d’autres moins
(elles font preuve de résistance à l’avantage).
Nous donnerons brièvement des exemples de certains de ces traits.
Plusieurs études fournissent des preuves de l’existence de facteurs
génétiques à l’origine de la sensibilité avantageuse sur la base d’études des
gènes candidats (voir par exemple Kochanska et al., 2011 ; Hankin et al.,
2011 ; Eley et al., 2012). Plus récemment, l’origine génétique de la sensibilité
a été étudiée dans le cadre d’une approche à l’échelle du génome, qui tient
compte des effets cumulés de milliers de variants de gènes dans l’ensemble
du génome (Keers et al., 2016). Selon ces recherches, les enfants reconnus
comme hautement sensibles sur le plan génétique ont plus de chances de tirer
bénéfice d’interventions de haute qualité et de pratiques parentales positives.
L’un des facteurs identifiés de sensibilité avantageuse physiologique,
l’arythmie respiratoire sinusale (ARS), fournit un indice de la capacité
d’autorégulation physiologique des individus (Porges, 2007). Dans une étude
longitudinale portant sur 213 enfants, l’ARS de référence à 18 mois modérait
l’impact positif d’un environnement familial de haute qualité (basé sur le
statut socio-économique et l’entente conjugale), en ce sens que les enfants
ayant une ARS plus élevée présentaient moins d’agressivité à l’âge de
quatre ans que ceux ayant une ARS plus faible (Eisenberg et al., 2012).
Le tempérament difficile, un modèle comportemental particulier caractérisé
par une émotivité négative exacerbée et une adaptation lente aux situations
non familières, est déjà observable dans la petite enfance et a été associé à
plusieurs reprises à une sensibilité plus forte aux influences
environnementales. Selon une vaste méta-analyse comprenant 105
échantillons (N = 6 153) issus de 84 études longitudinales portant sur le
tempérament des enfants et la parentalité, les enfants au tempérament difficile
tiraient un bénéfice beaucoup plus important d’un style parental positif et
encourageant que les enfants dotés d’autres tempéraments (Slagt et al., 2016).

5. Mesure de la sensibilité des enfants à


l’aide de l’échelle d’hypersensibilité de
l’enfant
La mesure des facteurs de SA présentés, tels que les traits génétiques et
physiologiques et le tempérament du nourrisson, est souvent difficile, voire
impossible à mener dans un cadre scolaire. Récemment, une échelle d’auto-
évaluation courte et fiable a été mise au point pour évaluer la sensibilité
environnementale chez les enfants, l’échelle d’hypersensibilité de l’enfant (en
anglais Highly Sensitive Child Scale ou HSC ; Pluess et al., 2018). Cette
échelle est une adaptation de l’échelle de la personne hypersensible (en
anglais Highly Sensitive Person Scale, ou HSP) développée à l’origine pour
mesurer la STS chez les adultes (Aron et Aron, 1997). L’échelle comporte
12 questions (par exemple, « Lorsque de petites choses changent dans mon
environnement, je le remarque », « Je n’aime pas les bruits forts »),
auxquelles les enfants répondent sur une échelle de Likert à sept points, les
scores les plus élevés indiquant une plus grande sensibilité. L’échelle HSC a
été initialement validée dans cinq études portant sur 3 581 enfants et
adolescents britanniques âgés de 8 à 19 ans et s’est révélée robuste sur le plan
psychométrique (Pluess et al., 2018). L’échelle a également été validée par la
recherche internationale et traduite en plusieurs langues (Weyn et al., 2019 ;
Nocentini et al., 2017 ; Tillmann et al., 2018 ; Iimura & Kibe, 2020 ; Şengül-
İnal & Sümer, 2020). Une version française est disponible et en cours
d’évaluation (voir Martin-Krumm, 2021).
Échelle d’hypersensibilité de l’enfant
Il s’agit d’une échelle d’auto-évaluation en 12 points évaluant les
caractéristiques phénotypiques de l’hypersensibilité environnementale
chez les enfants âgés de 8 à 18 ans (Highly Sensitive Child Scale, HSC,
Pluess et al., 2018).
Les scores HSC suivent généralement une distribution normale et reflètent
un continuum de sensibilité. Toutefois, selon des analyses statistiques
complémentaires, la plupart des enfants peuvent être classés dans l’un de
trois groupes distincts du continuum de sensibilité : 1) faible (environ 25-
35 %), 2) moyenne (environ 41-47 %), et 3) élevée (environ 20-35 %) (Pluess
et al., 2018). Ces groupes ont reçu les noms de Pissenlits, Tulipes, et
Orchidées (Lionetti et al., 2018). Cette métaphore florale (pissenlits et
orchidées) a été proposée à l’origine par les auteurs de la SBC (Boyce et
Ellis, 2005) et fait référence aux caractéristiques particulières de ces fleurs :
les pissenlits sont généralement assez robustes et capables de pousser partout,
alors que les orchidées ont besoin d’excellentes conditions pour fleurir et
souffrent dans un environnement défavorable. Plus sensibles que les
pissenlits mais plus communes et plus résistantes que les orchidées, les
tulipes correspondent au groupe de sensibilité moyenne (Lionetti et al.,
2018).

6. La sensibilité avantageuse dans le


contexte scolaire
Actuellement, au moins quatre études menées dans trois pays différents ont
examiné les différences individuelles de sensibilité environnementale aux
expériences positives dans le contexte scolaire, en utilisant l’échelle HSC
comme mesure de la SE. Nous allons les examiner plus en détail.
La première étude menée par Pluess and Boniwell (2015) visait à tester si la
sensibilité des enfants pondérait les effets positifs d’un programme universel
de promotion de la résilience à l’école sur un échantillon de 363 jeunes filles
britanniques de 11 à 13 ans issues d’une population à risque dans une zone
défavorisée. Les enfants ont rempli des questionnaires immédiatement avant
et après l’administration à l’école du programme de résilience SPARK
(Boniwell et Ryan, 2009), un programme visant à favoriser la résilience et à
prévenir la dépression en utilisant des techniques de thérapie cognitivo-
comportementale telles que l’apprentissage de l’identification des pensées
négatives automatiques. Les questionnaires ont été à nouveau administrés
lors de suivis effectués 6 et 12 mois après la fin du programme. La sensibilité
a été évaluée à l’aide de l’échelle HSC (Pluess et al., 2018) et les symptômes
dépressifs ont été mesurés avec l’Échelle de dépression CESD (Center for
Epidemiologic Studies Depression Scale) (Radloff, 1977). Alors qu’il n’y
avait pas au départ de différences en termes de symptômes de dépression
entre les enfants peu et très sensibles, les symptômes de dépression des
enfants hautement sensibles ont diminué avec le temps et sont restés
significativement plus faibles que ceux des enfants peu sensibles, lors des
évaluations de suivi à 6 et 12 mois. Le fait que les différences ne soient
apparues qu’au fil du temps suggère que les enfants hautement sensibles ont
peut-être bénéficié davantage du traitement en raison d’une internalisation
plus poussée des stratégies d’adaptation cognitivo-comportementales qu’ils
ont apprises pendant le programme et de la poursuite de leur application au-
delà de la durée du programme. Il est intéressant de noter que les enfants peu
sensibles n’ont pas du tout bénéficié de l’intervention (ils ont fait preuve de
résistance à l’avantage).
Ces résultats ont trois implications importantes. Tout d’abord, ils ont été les
premiers à montrer que la sensibilité mesurée à l’aide d’une brève échelle
d’auto-évaluation permet de prédire la réponse à une intervention.
Deuxièmement, ils soulignent l’importance de prendre en compte les
différences individuelles lors de l’évaluation de l’efficacité d’un traitement,
car la résistance à l’avantage des personnes peu sensibles peut biaiser
négativement l’efficacité d’un programme. Troisièmement, des périodes de
suivi plus longues ont tendance à révéler des différences plus importantes
entre les groupes de sensibilité, car les enfants hautement sensibles sont plus
susceptibles de continuer à appliquer ce qu’ils ont appris que les enfants peu
sensibles.
Une deuxième étude a reproduit ces résultats sur un échantillon provenant
d’une culture différente, d’un groupe d’âge différent et d’un statut socio-
économique plus élevé. Une version culturellement modifiée de SPARK a été
administrée à 407 adolescents japonais âgés de 15 à 16 ans dans un lycée
privé (Kibe et al., 2020). Les étudiants ont indiqué leur niveau de sensibilité
en utilisant la version japonaise de l’échelle HSC (Iimura et Kibe, 2020) et
ont rempli des questionnaires sur l’estime de soi, la résilience, l’auto-
efficacité et la dépression avant et après l’intervention, et lors d’un suivi
effectué 3 mois plus tard. Sur l’ensemble de l’échantillon, l’intervention a
amélioré de manière significative les scores d’auto-efficacité, mais n’a pas
engendré de changements significatifs en termes de résilience, d’estime de
soi et de symptômes dépressifs. Cependant, la sensibilité pondérait de
manière significative les changements en termes de dépression : alors que les
individus hautement sensibles avaient des niveaux de dépression plus élevés
au départ, ils ont montré une plus grande amélioration après l’intervention.
En outre, les étudiants hautement sensibles avaient une plus faible estime de
soi au départ, mais ils l’ont plus fortement améliorée en réponse au
programme. Ces résultats révèlent que bien que l’intervention n’ait pas
amélioré les scores de dépression et d’estime de soi dans l’ensemble de
l’échantillon, elle a eu un impact particulièrement bénéfique sur les personnes
hautement sensibles. Fait notable, les individus peu sensibles n’ont pas tiré
profit de l’intervention, mais on ignore si cela est attribuable à une résistance
à l’avantage ou à des effets plafond dus à un bien-être relativement élevé au
départ.
Une troisième étude a examiné le rôle modérateur de la sensibilité des
enfants lors d’une intervention antiharcèlement en milieu scolaire (KiVa)
menée en Italie sur 2 042 enfants de CM1 et de 6e (Nocentini et al., 2018).
Conçue sous forme d’essai contrôlé randomisé, dans lequel les écoles ont été
réparties au hasard entre un groupe contrôle et un groupe recevant
l’intervention, l’étude a montré que la sensibilité des enfants pondérait les
effets du programme KiVa (Kärnä et al., 2011). Le programme KiVa cible le
contexte du harcèlement en apprenant aux enfants à reconnaître et à
déconstruire les situations dans lesquelles le harcèlement se produit et, par
conséquent, en aidant les enfants à éprouver de l’empathie pour la victime et
à trouver des solutions appropriées pour faire face. Dans le groupe de
traitement, le harcèlement, la victimisation et les symptômes d’extériorisation
ont diminué de manière significative entre les évaluations effectuées avant et
après le programme, mais l’évolution des symptômes d’extériorisation n’était
pas statistiquement significative. Cependant, le genre et la sensibilité ont
pondéré l’efficacité de l’intervention en ce qui concerne l’internalisation des
symptômes : celle-ci a diminué significativement plus chez les garçons
hautement sensibles que chez les garçons peu sensibles. En fait, le degré de
changement en termes d’internalisation des symptômes était trois fois plus
important chez les garçons hautement sensibles que chez les garçons peu
sensibles. Les scores de victimisation des garçons hautement sensibles ont
aussi diminué significativement plus. Si l’on considère que les individus
sensibles sont plus exposés au risque d’affects négatifs (pour une méta-
analyse sur le sujet, consulter Lionetti et al., 2019), ces résultats ont des
implications importantes car ils suggèrent qu’une intervention en milieu
scolaire est capable de réduire le risque de problèmes émotionnels, en
particulier chez les enfants hautement sensibles. En outre, ils soulignent la
présence de différences potentiellement significatives entre les sexes, car on a
constaté que les filles n’ont pas progressé dans les mêmes proportions sur la
plupart des points évalués.
La dernière étude a cherché à savoir si les différences individuelles de
sensibilité influencent l’adaptation des enfants lors d’une transition scolaire
chez les adolescents japonais (Iimura & Kibe, 2020). 412 adolescents
japonais ont été recrutés par le biais d’une enquête en ligne. La sensibilité a
été mesurée un mois avant le passage au lycée avec la version japonaise de
l’échelle HSC. Un mois après le passage au lycée, les mêmes adolescents ont
indiqué si la transition avait été positive ou négative. Le bien-être a été
mesuré aux deux points temporels à l’aide de l’indice de bien-être de l’OMS
(échelle WHO-5) (Awata et al., 2007). Les élèves ont généralement amélioré
leur bien-être tout au long de la transition scolaire, mais ce sont les individus
hautement sensibles ayant évalué la transition comme positive qui en ont le
plus bénéficié. Selon les analyses statistiques, l’effet modérateur de la
sensibilité a clairement suivi le modèle de la SA : les personnes très sensibles
ont le plus bénéficié de la transition lorsqu’elle était perçue comme positive,
mais ne se portaient pas plus mal que leurs pairs lorsqu’elles avaient évalué le
changement comme étant négatif. Ces résultats indiquent qu’en plus de bien
réagir aux interventions, les enfants hautement sensibles bénéficient souvent
de manière beaucoup plus importante des changements positifs qui se
produisent naturellement.

7. Discussion
Dans ce chapitre, nous avons exposé les différences de sensibilité aux
expériences positives dans le contexte spécifique de l’école. Nous avons
d’abord examiné les facteurs contribuant à un développement positif à
l’école, notamment les relations entre pairs, les relations enseignant-enfant et
les caractéristiques de la classe. Nous avons ensuite décrit les différentes
théories de la sensibilité, suggérant que certains enfants sont plus sensibles
aux effets positifs des expériences favorables, et nous avons passé en revue
les preuves empiriques montrant que les enfants hautement sensibles
bénéficient particulièrement des expériences positives à l’école.
En résumé, un nombre croissant de preuves confirment la proposition
théorique selon laquelle certains individus bénéficient plus que d’autres des
expériences positives en raison de leur niveau de sensibilité plus élevé,
notamment des aspects positifs de l’environnement scolaire dans le cas des
enfants. Dans les quatre études examinées ici, qui ont évalué la sensibilité des
enfants à l’aide de l’échelle HSC, nous avons trouvé des preuves
transculturelles montrant que les enfants hautement sensibles bénéficient
effectivement davantage des interventions en milieu scolaire et des transitions
scolaires positives. Au Royaume-Uni, Pluess et Boniwell (2015) ont constaté
que les enfants hautement sensibles sont ceux qui avaient le plus bénéficié
d’un programme de résilience organisé à l’école. Ces résultats ont été
reproduits dans un échantillon japonais présentant des caractéristiques
démographiques différentes (Kibe et al., 2020). Une étude italienne a montré
que les garçons très sensibles avaient nettement plus bénéficié d’une
intervention antiharcèlement que les garçons moins sensibles (Nocentini
et al., 2018). Enfin, les enfants hautement sensibles ont également connu les
plus fortes augmentations de bien-être à la suite d’une transition scolaire
positive au Japon (Iimura & Kibe, 2020). Nous allons maintenant présenter
les implications de ces résultats.
7.1 Implications
Il ressort principalement de ces recherches que le bénéfice tiré des
expériences positives sera plus ou moins important d’un individu à l’autre.
En d’autres termes, ce sont les enfants hautement sensibles qui semblent
profiter le plus des expériences et des environnements positifs rencontrés
dans le contexte de l’école. Cela laisse entendre que, selon leur niveau
individuel de sensibilité, les enfants ont des besoins différents. Il leur faudrait
des environnements différents afin qu’ils atteignent leur niveau optimal de
performance. Il convient d’en tenir compte dans le cadre scolaire en offrant
aux enfants toute une gamme d’environnements d’apprentissage.
Iimura et Kibe (2020) ont été les premiers à montrer que les personnes très
sensibles voient leur bien-être s’accroître davantage que leurs pairs suite à un
changement positif survenu de manière naturelle. Il reste cependant à
démontrer dans des études empiriques si les personnes très sensibles
bénéficient également davantage d’autres influences positives se produisant
de manière naturelle à l’école, telles que les bonnes relations entre pairs, les
relations chaleureuses entre enseignants et enfants ainsi que la bonne qualité
de la classe. Ces différents facteurs ont été décrits précédemment. Certaines
recherches indiquent que ce pourrait être le cas. Par exemple, les individus
hautement sensibles manifestent un intérêt plus élevé pour les sciences
(Tillman et al., 2018), et ils ont tendance à être plus intelligents et
consciencieux (Aron, 1996), ce qui suggère que les individus hautement
sensibles pourraient s’en sortir particulièrement bien dans un environnement
scolaire optimal. D’un autre côté, la sensibilité chez les enfants a été
négativement liée au sentiment d’efficacité personnelle (Tillmann et al.,
2018 ; Kibe et al., 2020), et les adultes hautement sensibles qui font état
d’expériences négatives dans leur enfance ont une satisfaction de vie plus
faible (Booth et al., 2015). Ainsi, en plus de tirer probablement davantage
parti d’un contexte scolaire positif, les enfants hautement sensibles pourraient
aussi avoir davantage besoin d’un environnement favorable et de haute
qualité pour éviter les problèmes de développement. Des recherches plus
approfondies sur la vie quotidienne des enfants hautement sensibles, à l’école
et en dehors, sont nécessaires pour comprendre comment la sensibilité
façonne leurs expériences (Greven et al., 2019). Comme les enfants sensibles
semblent plus réceptifs aux changements positifs, il serait souhaitable de
mettre en place des ressources destinées à améliorer leur cadre de
développement.

7.2 Limites et orientations futures


Bien que la recherche sur la sensibilité ait suscité beaucoup d’attention
récemment, et que les échelles HSP et HSC de mesure des différences
individuelles de sensibilité chez les adultes et les enfants aient été traduites et
validées dans plusieurs langues, le domaine en est encore à ses débuts et il est
nécessaire de poursuivre les recherches. L’amélioration continue de
l’évaluation de la sensibilité fait partie des domaines à approfondir. Un
examen plus approfondi des comportements et des traits de sensibilité, par
exemple par le biais d’entretiens et d’observations, permettrait d’exclure
d’autres influences causales possibles (les troubles du spectre autistique, le
TDAH, par exemple) pour certains comportements (le repli sur soi, les
difficultés de concentration dans un environnement bruyant, par exemple) et
d’approfondir la compréhension de la sensibilité chez les enfants. Cette
meilleure compréhension permettrait aux établissements scolaires, aux
psychologues scolaires et aux parents de collaborer afin d’éviter les mauvais
diagnostics et d’offrir un environnement stimulant aux enfants hautement
sensibles. Informer les enfants sensibles de leur trait de caractère pourrait
également les aider à identifier les moyens d’éviter la surstimulation (Greven
et al., 2019).
Les futures mesures de la sensibilité devront prendre en compte ses deux
polarités : la sensibilité aux aspects négatifs (la vulnérabilité selon le modèle
diathèse-stress) et la sensibilité aux aspects positifs (la sensibilité
avantageuse selon le modèle SA). Selon les études génétiques, si certains
gènes contribuent à la sensibilité de manière générale, d’autres agissent plus
spécifiquement sur la sensibilité aux stimuli négatifs ou positifs (Assary
et al., 2020). Ainsi, il existe des différents types de sensibilité selon les
personnes, certaines réagissent plus particulièrement aux aspects négatifs et
d’autres aux stimuli positifs. Les futures mesures permettront idéalement de
différencier ces sous-types et d’identifier les enfants qui ont particulièrement
besoin d’être protégés contre les expériences négatives, par rapport à ceux qui
sont plus susceptibles de s’épanouir à la suite d’une intervention positive
(mais qui ne sont pas nécessairement sensibles à l’adversité).
7.3 Discussion
L’examen des données sur la sensibilité avantageuse en réponse aux
interventions scolaires montre que tous les individus ne bénéficient pas au
même degré des influences positives et suggère que pour développer leur
plein potentiel, les enfants ont des besoins et des exigences différents vis-à-
vis de leur environnement, en fonction de leur niveau de sensibilité
individuel. Il faudrait mener d’autres études longitudinales pour déterminer si
les influences positives quotidiennes, telles que les relations interpersonnelles
à l’école et les facteurs liés à la classe, ont un impact plus important sur les
enfants très sensibles. Développer l’évaluation de la sensibilité, en passant
des auto-évaluations aux entretiens et aux observations, permettra de mieux
comprendre l’influence de la sensibilité sur le vécu des enfants à l’école et
au-delà.

Conclusion
En conclusion, plusieurs caractéristiques de l’environnement scolaire
influencent et favorisent le bon développement des enfants. Cependant, tous
les enfants ne bénéficient pas au même degré d’un contexte scolaire positif en
raison de différences individuelles de sensibilité environnementale, leur
capacité innée à percevoir et à traiter les informations de l’environnement.
Selon des études empiriques, les enfants hautement sensibles sont
particulièrement réceptifs à ces différences qualitatives et bénéficient
particulièrement des expériences positives qu’ils font à l’école. Par
conséquent, les différences individuelles de sensibilité environnementale, qui
peuvent être mesurées relativement facilement au moyen de questionnaires
solides et fiables, devraient être prises en compte à la fois dans la recherche et
la pratique des domaines de la psychologie positive et de la psychologie en
général.

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1. Par Jenni Elise Kähkönen, Francesca Lionetti et Michael Pluess.
Chapitre 27
Les théories implicites
de la personnalité :
déterminants de l’éducation ?1

Sommaire
1. Quel est l’impact des théories implicites au
quotidien ?
2. Comment se développent les théories implicites ?
3. Comment modifier les théories implicites ?
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Dans ce chapitre, nous nous focaliserons sur les théories
implicites de la personnalité, leur impact, leur développement ainsi
que la manière de les faire évoluer.
Résumé long
Les théories implicites de la personnalité correspondent aux
croyances concernant la malléabilité des capacités humaines.
Selon la théorie de l’entité, ces caractéristiques sont fixes et
immuables alors que selon la théorie incrémentielle, ces capacités
sont des qualités contrôlables que les gens peuvent changer.

Mots-clés : théories implicites, mindset, motivation.


Questions
• Quels sont les impacts des théories implicites au quotidien ?
• Comment se développent les théories implicites ?
• Comment les modifier ?

Dweck, Chiu et Hong (1995) ont défini le concept de théories implicites ou


mindset qui correspond à notre perception et à notre compréhension intuitive
des caractéristiques humaines. Du point de vue des théories implicites, les
individus présentent différentes représentations des caractéristiques humaines
comme l’intelligence ou la personnalité en particulier sur leur caractère
malléable c’est-à-dire la possibilité de les développer.
Ainsi, selon la théorie de l’entité (fixed mindset), les habiletés sont
considérées comme des dispositions fixes, stables dans le temps, des
capacités internes structurelles liées à un don que l’on a en plus ou moins
grande quantité et qu’il est difficile de changer. En revanche, la théorie
incrémentielle ou de développement (growth mindset) correspond à la théorie
selon laquelle les gens ont le potentiel de changer leurs capacités considérées
comme malléables et sur laquelle l’individu peut exercer un contrôle par
l’intermédiaire des efforts, du travail et des stratégies utilisées (Cury, Elliot,
Da Fonseca, & Moller, 2006).
Ces deux théories implicites, entité et incrémentielle, semblent jouer un rôle
fondamental dans la manière de se comprendre et de comprendre autrui. Elles
génèrent des visions du monde différentes à travers lesquelles les gens
interprètent et répondent aux différentes situations sociales (Molden &
Dweck, 2006). Ces théories implicites expliquent en effet les cognitions, les
réponses émotionnelles et les comportements des personnes engagées dans
des situations où leurs compétences sont mises en jeu. Elles permettent en
particulier de donner du sens ou de comprendre les différentes situations
d’échec (Hughes, 2015). Chaque théorie génère en effet des trajectoires
différentes de motivation et d’apprentissage.
Les théories implicites ont été étudiées dans de nombreux domaines : la
personnalité, l’intelligence, les habiletés physiques, les émotions et les
habilités sociales. Nous avons déjà dans un ouvrage précédent (Da Fonseca
2019) rédigé un chapitre sur les théories implicites de l’intelligence et leur
impact dans les situations d’apprentissage ainsi que sur les performances
scolaires. Ainsi, les théories implicites de l’intelligence orientent les élèves
vers des objectifs et des points de vue différents sur l’effort ainsi que vers
différentes réactions face à l’échec.
Nous nous focaliserons donc plus particulièrement dans ce chapitre sur les
théories implicites de la personnalité et des habiletés sociales qui jouent un
rôle également fondamental dans le domaine de l’éducation et de la santé.
Ainsi pour la personnalité par exemple, la théorie de l’entité correspond à la
théorie selon laquelle les traits socialement pertinents telles que la gentillesse
ou la bonté des gens sont fixes et immuables, relativement stables, liées à un
don et que l’on ne peut pas changer (Yeager & Dweck, 2012). À l’inverse, la
théorie incrémentielle considère ces habiletés sociales comme des qualités
contrôlables que les gens ont le potentiel de changer.
Les théories implicites envisagent les caractéristiques humaines
(intelligence, personnalité, habiletés physiques, émotions, habilités sociales)
comme fixes et stables (théorie de l’entité) ou au contraire malléables et
modifiables (théorie incrémentielle).

1. Quel est l’impact des théories implicites


au quotidien ?
Comme nous l’avons souligné, les théories implicites donnent un cadre pour
interpréter les évènements du monde social. Elles semblent déterminer les
jugements et les réactions face aux comportements des autres (Yeager,
Trzesniewski, Tirri, Nokelainen, & Dweck, 2011).

1.1 Jugements et interprétations des


comportements
Selon plusieurs études, une théorie de l’entité de la personnalité crée un
monde psychologique dans lequel le caractère global des gens peut être jugé
bon ou mauvais à partir d’un seul comportement (Yeager et al., 2011). En
effet, les individus qui considèrent les qualités humaines comme fixes
pensent que ces traits peuvent être utilisés pour prédire les comportements
futurs. Ils tirent donc des conclusions beaucoup plus rapidement à partir d’un
seul comportement.
A contrario, les individus avec des croyances incrémentielles ne font pas
d’attributions rapides et ne pensent pas que les traits sont de bons prédicteurs
des comportements futurs. Ils ont plutôt tendance à croire que le
comportement d’une personne varie d’une situation à l’autre. Leurs
jugements sont plus spécifiques, plus conditionnels et plus provisoires que les
jugements des individus avec une conception fixe des habiletés humaines
(Gross, 2015).
En outre, les enfants et les étudiants qui possèdent une théorie de l’entité
sont plus critiques et punitifs lorsqu’ils évaluent un malfaiteur. Après avoir
appris une transgression, ils ont plus tendance à accuser la personne et
imposer une punition plus sévère que ceux qui ont une théorie incrémentielle.
Lorsque les étudiants pensent que les traits des gens sont fixes et non
modifiables, ils sont plus susceptibles de considérer des actes répréhensibles
comme découlant de qualités négatives permanentes (Erdley & Dweck,
1993 ; Hong, Chiu, Dweck & Sacks, 1997 ; Kamins & Dweck, 1999).
Dans une méta-analyse concernant 11 études (N = 1 659), Yeager, Miu,
Powers et Dweck (2013) ont démontré que chez des adolescents âgés de 13 à
16 ans, une théorie de l’entité sur les traits de personnalité prédisait des biais
d’attribution plus hostiles. Le biais d’attribution hostile est la tendance à
interpréter les actions équivoques des autres (leur intention n’est pas claire)
comme intentionnelles et hostiles. Par exemple, l’adolescent jugera le
camarade qui l’a renversé pour une raison inconnue, comme une mauvaise
personne qui avait une mauvaise intention et l’a renversé volontairement. En
effet, les personnes avec une théorie de l’entité voient les bons et mauvais
comportements des gens comme émanant de traits durables et ils peuvent
donc être plus susceptibles de conclure qu’un pair qui les dérange est une
mauvaise personne.
Si les théories implicites semblent déterminer la manière de juger le
comportement des autres, plusieurs études attestent que ces croyances
impactent également la manière de se juger soi-même. Erdley, Loomis, Cain
et Dumas-Hines (1997) ont constaté que lorsque les élèves subissaient un
rejet social, ceux qui avaient plus une théorie de l’entité étaient plus
susceptibles de considérer leur rejet social comme une preuve de leur
incapacité à se faire des amis : « Je ne suis pas une personne aimable. » Ainsi
leurs propres échecs sociaux sont considérés comme résultant de déficiences
personnelles.
1.2 Réactions face aux comportements
Plusieurs études ont également démontré que les théories implicites avaient
des implications sur le bien-être général et les émotions des individus.
Selon Yeager (2017), les adolescents rapportent des émotions différentes
après une exclusion par des pairs, en fonction de leurs théories implicites.
Ceux avec une théorie de l’entité sont plus susceptibles de rapporter des
émotions telles que la honte, l’humiliation et la haine. En revanche, les
individus avec une théorie incrémentielle semblent ressentir plus de
culpabilité que de honte pour leur rôle dans un conflit, ce qui génère des
actions plus constructives qu’agressives.
Par ailleurs, des travaux récents ont décliné les théories implicites dans le
domaine de l’empathie. Une étude concernant 1 026 étudiants a démontré
qu’une faible empathie était plus fortement liée à l’agression sociale pour les
individus ayant un état d’esprit plus fixe. Les croyances sur la malléabilité de
l’empathie semblent donc modérer l’association entre l’empathie et
l’agression sociale. Ainsi, les personnes peu empathiques qui pensaient que
l’empathie pouvait être changée étaient moins enclines à l’agression sociale
que celles avec peu d’empathie et une théorie fixe (e. g. Ghandi, Dawood, &
Schroder, 2017 ; Schumann, Zaki, & Dweck, 2014).
Yeager et al. (2011) ont examiné l’effet des théories implicites de la
personnalité sur les réponses des élèves de collège ayant vécu des
expériences de conflits avec leurs pairs. Ils ont montré que ceux qui avaient
plus une théorie de l’entité avaient un plus grand désir de revenir « blesser ou
punir » le pair transgresseur. De même, Rattan et Dweck (2010) ont retrouvé
une relation entre la théorie d’entité et des comportements agressifs plus
importants. Ils semblent plus enclins à conclure que le délinquant est
foncièrement une mauvaise personne, à le haïr et à vouloir se venger. Ils
prônent également des punitions plus sévères.
Les données suggèrent en revanche que les personnes avec une théorie
incrémentielle sont plus susceptibles de pardonner et de faire confiance aux
autres que les personnes avec une théorie de l’entité. Ils sont aussi plus
susceptibles de suggérer la discussion, la négociation ou l’éducation. Une
croyance dans le potentiel de changement prédit donc une plus grande
focalisation sur le pardon et la réhabilitation chez les enfants et les adultes
(Haselhuhn, Schweitzer, & Wood, 2010). Ces adolescents ont donc moins de
réponses agressives face aux conflits avec leurs camarades et ont plus
tendance à essayer de comprendre et à réparer des relations avec les autres
(Yeager et al., 2011). Ils peuvent ainsi mieux affronter des situations
socialement difficiles et développer leurs compétences ou leurs relations
sociales.

1.3 Théories implicites et santé mentale


Plusieurs études ont permis de documenter l’influence que l’adoption d’une
théorie implicite est susceptible d’exercer sur diverses dimensions du
fonctionnement psychologique.
Selon De Castella et al. (2013), ceux qui pensent qu’il est difficile de
changer ses émotions signalent plus de détresse psychologique. Dans une
méta-analyse de 2015, Schleider, Abel et Weisz (2015) ont mis en lumière
que les enfants qui adhèrent à une théorie de l’entité présentent plus de
troubles psychiatriques. Garber et Flynn (2001) ont démontré l’existence de
liens entre les croyances des élèves et la dépression. Le sentiment de ne pas
pouvoir contrôler ou de ne pas pouvoir progresser retrouvé chez le dépressif
correspond au type de cognitions développées par les élèves ayant une
conception stable de leurs capacités. Les élèves avec une théorie de l’entité
interprètent leurs mauvais résultats comme indicateur de leur faible niveau
d’intelligence. Ils ont tendance à généraliser ce type de cognitions en jugeant
négativement leurs capacités globales (« je pense que je suis nul ») en
s’autodépréciant (« je ne vaux rien ») et en considérant que ces difficultés
sont immuables (« ce sera toujours pareil »). Ce style d’attribution est tout à
fait comparable à celui retrouvé chez des personnes présentant un état
dépressif caractérisé. De même, Da Fonseca, Cury, Rufo et Poinso (2007) ont
démontré que la théorie implicite de l’entité de l’intelligence constitue un
facteur prédicteur de la dépression chez l’adolescent en contexte scolaire et
que l’anxiété est un médiateur de la relation entre la théorie de l’entité et la
dépression.
Inversement, les théories incrémentielles peuvent protéger les adolescents
des troubles mentaux. En effet, selon cette théorie, les élèves pensent qu’ils
peuvent progresser dans les différents domaines de la vie et sont ainsi mieux
protégés face aux évènements négatifs, qu’ils n’attribuent pas à des traits
fixes et immuables. La théorie incrémentielle permet en effet à l’élève
d’interpréter les situations difficiles sans remettre en cause ses propres
capacités. Cet état psychologique constitue probablement un facteur de
protection contre le risque de troubles émotionnels tels que les troubles
anxieux ou dépressifs. Ainsi, Da Fonseca et al. (2007) ont démontré que pour
un élève avec une faible estime de soi, plus sa théorie de l’entité sera faible,
moins il aura de risque de développer un trouble dépressif. Enfin, Rudolph
(2010) a également constaté que les enfants avec une théorie incrémentielle et
victimes de violence par les pairs présentaient moins de symptômes
dépressifs que les enfants avec une théorie de l’entité.
Ces différentes études confirment bien que l’état d’esprit de développement
permet de vivre une vie moins stressante et plus accomplie.

2. Comment se développent les théories


implicites ?
Selon Dweck (2000), les théories implicites s’élaborent chez l’enfant par un
long processus de socialisation et par la confrontation répétée à divers
facteurs environnementaux et culturels dans lesquelles les enfants sont
plongés depuis leur naissance.
Pendant de nombreuses années, nous avons supposé que lorsque les parents
et les enseignants ont une théorie incrémentielle, ils transmettent cet état
d’esprit aux enfants à travers leurs comportements (Haimovitz & Dweck,
2017). Moorman et Pomerantz (2010) ont proposé à des enfants une tâche
difficile en la décrivant aux parents soit comme une tâche qui mesurait la
capacité fixe de leur enfant, soit comme une tâche qui testait une capacité qui
pouvait s’accroître avec la pratique. En réponse aux difficultés de leur enfant,
les mères dans la condition incrémentielle avaient moins d’affects négatifs et
de comportements axés sur la performance et de contrôle que les mères dans
la condition fixe ce qui pourrait potentiellement communiquer cet état
d’esprit.
Cependant, dans d’autres études, les théories implicites des enfants ne
semblent pas découler naturellement de celles des adultes. Plusieurs études
concernant des enfants de 7 à 12 ans ne retrouvent pas en effet de relation
significative entre les théories implicites des parents et celles de leurs enfants
(Gunderson et al., 2013 ; Haimovitz & Dweck, 2016). De la même manière,
plusieurs études démontrent que les théories implicites des enseignants ne
semblent pas prédire celle de leurs élèves (Park, Gunderson, Tsukayama,
Levine, & Beilock, 2016 ; Hooper, Yeager, Haimovitz, Wright, & Murphy,
2016).
Si les théories implicites des adultes n’influencent pas directement celles
des enfants, il semble en revanche que certains comportements adultes tels
que la nature de leurs commentaires face à un succès ou à un échec ait un
impact plus significatif. Ainsi, plusieurs études se sont intéressées à la
manière dont les adultes valorisent leurs enfants face à un succès et à son
impact sur leur motivation.
Mueller et Dweck (1998) ont ainsi présenté à des enfants ayant réussi
plusieurs tâches différents types de feedback. Tous les enfants ont d’abord
entendu des éloges sur les résultats : « Wow, tu as très bien réussi ces
problèmes. C’est un score vraiment élevé. » Ensuite, un groupe a reçu des
éloges sur l’intelligence (« tu dois être intelligent pour avoir résolu ces
problèmes »), un groupe des éloges sur les processus (« tu as dû travailler dur
pour réussir ces problèmes ») et le dernier groupe (témoin) n’a reçu aucun
commentaire supplémentaire. Les enfants loués pour leur intelligence avaient
tendance à considérer leur intelligence comme un trait fixe. Confrontés à des
problèmes plus difficiles, ces enfants étaient plus susceptibles de voir que
leurs difficultés reflétaient leur intelligence. Si le succès signifiait qu’ils
étaient intelligents, l’échec impliquait qu’ils ne l’étaient pas. Paradoxalement,
l’éloge de l’intelligence a conduit les enfants à faire pire que ceux des autres
groupes. En revanche, les enfants qui ont été félicités pour leur travail
acharné ont considéré leur intelligence comme quelque chose qu’ils
pouvaient développer. Lorsque les enfants se sont vu confier une tâche très
difficile, ils n’ont pas remis en question leurs capacités. Ils ont plus
persévéré, apprécié la tâche et mieux réussi que les autres groupes.
Plusieurs études ont retrouvé des résultats similaires à tous les âges (de la
maternelle au jeune adulte), en utilisant différentes méthodes expérimentales
(Brummelman et al., 2014 ; Skipper & Douglas, 2012).
Certaines études suggèrent également que même les étiquettes concernant
d’autres enfants telles qu’« Arthur est un génie en math » peuvent amener les
enfants à développer des croyances plus fixes sur leurs propres capacités
(Cimpian, 2010). De même, dans le domaine des relations sociales, il
convient également d’être très attentif aux messages laissés aux enfants
notamment par les parents et les enseignants. Les adultes peuvent en effet
utiliser des étiquettes fixes pour réconforter les adolescents exclus (« Ne
t’inquiète pas, tu es une bonne personne ») et pour décrire l’agressivité des
camarades (« Ils sont de mauvaises personnes »). Si l’intention initiale de ces
messages peut paraître bienveillante, ils peuvent renforcer des conceptions
peu malléables des caractéristiques humaines et induire des réponses à type
de vengeance lorsque l’adolescent est confronté à un conflit (Rattan, Good, &
Dweck, 2012).
Plus récemment, d’autres études ont également démontré l’impact à long
terme des différents types de feedback reçus par les enfants (Gunderson
et al., 2013 ; Pomerantz & Kempner, 2013). Par exemple, Gunderson et al.
(2013) ont constaté que la quantité d’éloges des parents sur les processus vs.
sur la personne chez des enfants de 3 ans pouvaient prédire leurs théories
implicites 5 ans plus tard. De même, Pomerantz et Kempner (2013) ont
retrouvé un effet six mois après l’évaluation chez des enfants de 8 à 10 ans.
Ces résultats qui peuvent paraître surprenants peuvent expliquer comment
les adultes ayant des théories implicites incrémentielles peuvent induire sans
le vouloir des conceptions fixes chez leurs enfants. De nombreux parents et
enseignants pensent en effet que louer l’intelligence et les capacités des
enfants est le meilleur moyen pour améliorer la confiance et l’estime de soi
des enfants. Malheureusement, l’utilisation des éloges centrées sur la
personne semble favoriser une conception fixe de leurs capacités et
augmenter le sentiment de honte pour leurs mauvais résultats ultérieurs, et
cela est particulièrement vrai pour les enfants ayant une faible estime de soi.
À l’inverse, lorsque les adultes font l’éloge des processus ayant mené au
succès comme le travail acharné ou les stratégies, les élèves ont tendance à
croire que l’intelligence et les capacités peuvent être développées. Ce focus
sur les stratégies semble particulièrement utile lorsqu’une tâche devient
difficile (Haimovitz & Dweck, 2017).
Tout comme les éloges peuvent affecter les croyances des enfants, les
critiques face à un échec semblent avoir également un impact important.
Kamins et Dweck (1999) ont démontré que les enfants ayant reçu des
critiques centrées sur la personne développaient une conception fixe des
qualités et réagissaient avec moins de résilience aux revers ultérieurs. Ceux
qui avaient reçu des critiques axées sur les processus développaient une
théorie incrémentielle, des stratégies d’adaptation plus résilientes, plus
d’affect et d’autoévaluations positives ainsi qu’une plus grande persévérance.
Selon Haimovitz et Dweck (2016), les croyances des parents concernant
l’échec semblent également prédire les théories implicites des enfants. Ces
auteurs ont démontré que les parents qui considèrent l’échec comme quelque
chose qui motive l’apprentissage, la performance et la croissance favorisent
une théorie incrémentielle. Face à un échec, ils mettent l’accent sur le
processus d’apprentissage en demandant aux enfants ce qu’ils pourraient
apprendre de cet échec pour s’améliorer. Ces parents semblent logiquement
avoir moins d’inquiétudes concernant les performances et les capacités de
leurs enfants contrairement aux parents ayant une croyance selon laquelle
l’échec est considéré comme quelque chose qui nuit à l’apprentissage et au
développement.
Dans une étude réalisée auprès de 40 professeurs de mathématiques et plus
de 3 100 collégiens Sun (2015) a tenté de déterminer l’impact des pratiques
pédagogiques des enseignants sur les théories implicites. Cet auteur a
constaté que les enseignants qui encourageaient une théorie incrémentielle
utilisent des pratiques centrées sur les processus d’apprentissage de leurs
élèves plutôt que sur leurs capacités personnelles en leur demandant par
exemple d’expliquer leur processus de réflexion, d’approfondir leur
compréhension et en valorisant leurs progrès. Enfin, ces enseignants
insistaient sur l’importance des erreurs dans les processus d’apprentissage.
En revanche, les enseignants qui favorisent une conception fixe des capacités
ont tendance à regrouper les élèves en fonction du niveau de réussite initial et
à avoir des attentes moindres pour les élèves initialement moins performants
et des attentes élevées uniquement pour les élèves plus performants. Ils
qualifient certains étudiants de « rapides » ou « intelligents », ce qui implique
que d’autres sont lents ou moins intelligents. Enfin, ils ont une forte tendance
à comparer les élèves au lieu de se concentrer sur les progrès individuels au
fil du temps.
Comme nous l’avons souligné, plus que les théories implicites des adultes,
ce sont surtout les commentaires réalisés au quotidien par l’environnement
social des enfants en situations d’échec ou de réussite qui semblent jouer un
rôle particulièrement important dans la construction des théories implicites de
la personnalité. Il serait par conséquent intéressant de sensibiliser très
sérieusement les parents et enseignants sur l’impact de leurs réactions face au
succès et à l’échec dans l’élaboration des croyances des enfants (Haimovitz
& Dweck, 2017).

3. Comment modifier les théories


implicites ?
Bien que les théories implicites soient supposées stables, elles sont
également susceptibles d’être modifiées (Hughes, 2015). Dans son livre,
Changer d’état d’esprit (2010), Carol Dweck montre qu’il est possible
d’induire une théorie incrémentielle en expliquant qu’une capacité peut être
apprise ou en faisant lire un article scientifique. Les élèves ayant lu cet article
montraient des comportements plus adaptés que ceux qui avaient lu la théorie
de l’entité.
Ainsi, les interventions qui enseignent directement la théorie incrémentielle
peuvent améliorer les résultats des élèves au fil du temps, suggérant le rôle
causal de ces mentalités dans le renforcement de la motivation et de la
réussite. Sous forme d’ateliers ou de programmes en ligne, ces interventions
enseignent comment le cerveau des élèves et donc les capacités peuvent se
développer avec le temps en acceptant des tâches difficiles et en persévérant.
Ces programmes en ligne ont des effets significatifs sur les performances des
élèves, en particulier pour ceux confrontés à des transitions difficiles ou à des
difficultés académiques (Paunesku et al., 2015 ; Yeager, Romero, et al.,
2016 ; Yeager, Walton et al., 2016).
Dans le domaine des relations sociales, Yeager et al. (2011) ont utilisé une
brève expérience pour modifier les théories implicites des adolescents vers
une vision plus malléable, et ont montré que la théorie incrémentielle
réduisait la croyance qu’un pair hypothétique qui les intimidait avait des
qualités personnelles négatives ce qui réduisait le désir de vengeance. Ces
stratégies semblent bien constituer des solutions prosociales supplémentaires
particulièrement intéressantes.
Cette même équipe a réalisé une étude longitudinale qui proposait une brève
induction incrémentielle (deux séances en classe) et mesurait les attributions
d’intention hostile et les désirs de vengeance. Les participants du groupe
expérimental, qui ont appris au cours du premier mois d’école que les gens
ont le potentiel de changer, étaient significativement moins susceptibles de
penser que l’intention d’un pair hypothétique était négative à la fin de l’année
scolaire. De manière intéressante, ils ont également démontré par rapport au
groupe témoin un désir de vengeance beaucoup plus faible 8 mois après
l’expérimentation (Yeager et al., 2013).
De même, l’induction d’une théorie incrémentielle a réduit la honte et la
haine après un scénario d’intimidation, mais n’a pas réduit la colère ou la
tristesse (Yeager et al., 2011). Ainsi, une théorie incrémentielle ne fait pas
oublier l’injustice d’être ciblé en tant que victime. Cependant, elle aide les
adolescents à éviter les émotions destructrices comme la honte et la haine
(King, 2012).
Ces différentes études confirment la possibilité de réduire les attributions
hostiles en modifiant les théories implicites des adolescents. Les théories
implicites peuvent donc accentuer ou diminuer la vulnérabilité aux réactions
négatives des adolescents victimes d’intimidation. Ces croyances relatives
aux caractéristiques humaines jouent bien un rôle majeur dans la manière de
comprendre, d’interpréter et de réagir face aux situations sociales.
Former les jeunes à adopter des théories incrémentielles plutôt que d’entité
sur leurs traits personnalité – leur intelligence, leur personnalité et leur
sociabilité – peut aussi renforcer leur confiance et leur motivation en leur
démontrant qu’un changement positif est possible. Cette approche semble
augmenter leur investissement dans des stratégies pour gérer les facteurs de
stress du quotidien, prévenir ou atténuer la détresse et développer des
compétences nécessaires pour une meilleure adaptation.
Ainsi, les théories implicites peuvent dans un certain nombre de domaines
être des cibles d’intervention prometteuses pour les jeunes confrontés à un
vaste éventail de problèmes de santé mentale, comme l’anxiété et la
dépression.
Da Fonseca et al. (2008) ont réalisé une étude afin de tester l’induction
d’une théorie implicite sur la performance et l’anxiété des adolescents atteints
de trouble d’anxiété généralisée. L’induction de la théorie incrémentielle se
faisait en leur faisant lire les phrases suivantes : « Dans de nombreuses
études, les scientifiques ont montré que (1) tout le monde a un certain niveau
de capacité, mais il y a beaucoup de façons de le changer, (2) ce type de
capacité ne dépend pas de dons, (3) si l’on fait un effort, on peut changer son
niveau d’habileté, et (4) ce type de capacité est modifiable. » Les participants
dans la condition de la théorie incrémentielle ont obtenu de meilleurs
résultats et étaient également moins anxieux que ceux dans la condition
témoin. En outre, d’autres études ont montré que lorsque les tâches
deviennent difficiles, les théoriciens incrémentaux semblent ressentir moins
d’anxiété. Enfin, des interventions telles que celles étudiées par Yeager et al.
(2011) montrent que la promotion d’une théorie incrémentielle aide à réduire
la dépression et l’agressivité à court terme.

Conclusion
Comme nous l’avons souligné, les croyances telles que les théories
implicites de la personnalité semblent jouer un impact majeur dans notre
quotidien en nous donnant un cadre pour interpréter et donner du sens aux
comportements d’autrui et à nos propres comportements. Ces théories dites
« naïves » déterminent également nos émotions et nos réactions en particulier
en situation d’échec. Ainsi, nous pouvons mieux comprendre pourquoi dans
les situations sociales difficiles, certains peuvent juger autrui de manière très
sévère alors que d’autres prennent le temps de comprendre malgré les
difficultés vécues.
Nous avons vu ensuite comment ces théories implicites se développent
depuis le plus jeune âge et comment la valorisation des réussites par les
adultes pouvait paradoxalement, malgré leurs bonnes intentions, générer des
croyances fixes et des comportements d’évitement face à aux échecs
ultérieurs. Pour autant, ces croyances et les interprétations qui en découlent
ne sont pas figées et peuvent évoluer si les parents ou les enseignants aident
l’enfant à modifier ses croyances en se focalisant sur les processus
d’apprentissage plutôt que sur ses performances, en se concentrant sur l’envie
d’approfondir ses connaissances plutôt que se comparer aux autres et montrer
ses capacités.
De manière surprenante notre système éducatif et notre société en général
semblent toujours miser sur la compétition et la performance alors que toutes
les études démontrent que cet état d’esprit génère des conséquences plutôt
négatives et de plus mauvaises performances. Ainsi, des enfants dès leur plus
jeune âge succombent à des crises de panique, à des affects dépressifs et
développent une phobie de l’échec peu propice au bien-être et à un
développement harmonieux. Il est donc urgent à la lumière de tous ces
travaux de sensibiliser et de former les enseignants ainsi que les parents pour
favoriser des climats favorables au développement et permettre d’assurer une
éducation de qualité pour tous qui maintienne et optimise leur motivation
malgré les échecs.

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1. Par David Da Fonseca, Clara Ankri et Flora Bat.
Partie 4
Psychologie positive
et organisations
Chapitre 28
Le rôle de la passion
dans le fonctionnement optimal
et la résilience
en contexte organisationnel1

Sommaire
1. La psychologie de la passion
2. Certaines conséquences de la passion
3. Passion et résilience
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
La passion est une force motivationnelle pouvant mener au
fonctionnement optimal et à la résilience en contexte
organisationnel. Toutefois, si l’engagement est obsessif, plutôt
qu’harmonieux, celui-ci peut mener à des conséquences moins
adaptées. Ce chapitre explore les différentes retombées de la
passion, harmonieuse et obsessive, en milieu organisationnel.
Résumé long
La passion est une force motivationnelle qui, selon le modèle
dualiste de la passion, se présente sous deux différentes formes
d’engagement : harmonieux et obsessif. La passion harmonieuse,
de par sa flexibilité et son ouverture, favorise le fonctionnement
optimal. En effet, elle permet à la personne de vivre sa vie à plein
régime et d’en récolter les bienfaits sur plusieurs dimensions, y
compris aux niveaux des cognitions, des émotions, du bien-être
psychologique, des relations interpersonnelles, de la performance
et de la résilience. La passion obsessive, quant à elle, se
caractérise par un engagement rigide et des conflits entre les
différentes sphères de vie de l’individu. Par conséquent, elle
entraîne plutôt des conséquences négatives nuisant au
fonctionnement optimal et à la résilience. Une passion dirigée vers
l’une des activités les plus centrales de notre existence, soit le
travail, revêt ainsi un rôle d’une grande importance dans le
fonctionnement des travailleurs.

Mots-clés : passion, fonctionnement optimal, résilience,


motivation, organisation, émotions positives.
Questions
• Quelles sont les caractéristiques des deux types de passion
(harmonieuse et obsessive) ?
• Quel est le processus psychologique par lequel la passion
harmonieuse mène au bien-être psychologie, aux relations
interpersonnelles positives et à la résilience face à l’adversité ?
• Quelles sont les caractéristiques des deux voies (harmonieuse et
obsessive) menant à la performance ?

L’un des buts fondamentaux de la psychologie positive des organisations


consiste à identifier de façon scientifique les facteurs permettant de
promulguer un fonctionnement optimal en contexte organisationnel. En 2003,
dans une première série d’études sur le concept de passion, Vallerand et ses
collaborateurs démontraient que celle-ci avait le potentiel de contribuer au
fonctionnement optimal de l’être humain (Vallerand et al., 2003). La même
année, Vallerand et Houlfort démontraient que la même conclusion
s’appliquait également au milieu organisationnel. Plusieurs centaines
d’études ont suivi et ont confirmé cette position autant dans la vie de tous les
jours (voir Curran et al., 2015 ; Vallerand, 2015 ; Vallerand & Paquette, sous
presse) qu’en contexte organisationnel (voir Vallerand & Houlfort, 2019 pour
un ouvrage à cet effet).
Le présent chapitre a pour but de démontrer la pertinence du concept de
passion pour une meilleure compréhension du fonctionnement optimal de
l’être humain dans les organisations. Nous débutons avec une brève
introduction au concept de passion, puis enchaînons avec une présentation du
modèle dualiste de la passion (Vallerand, 2010, 2015). Par la suite, nous
présentons de façon non exhaustive certaines recherches portant sur diverses
conséquences importantes en psychologie positive et notamment en milieu de
travail. Suivent quelques recherches portant sur la passion et la résilience.
Enfin, une conclusion vient clore le chapitre.

1. La psychologie de la passion
1.1 Le concept de la passion
Pour paraphraser Christopher Peterson (2010), le concept de passion a un
long passé, mais une courte histoire ! En effet, le concept de passion a suscité
de nombreuses réflexions notamment en philosophie, le tout ayant mené à
l’émergence de trois perspectives principales (Vallerand, 2015). La première,
en lien avec la perspective des philosophes grecs, postule que la passion
implique une perte de raison et de contrôle (par exemple, Platon, 429-347
avant J.-C. et Spinoza, 1632-1677), menant à un assouvissement à la passion.
La seconde perspective souligne les propriétés positives de la passion, avec
les écrits de philosophes romantiques pour qui les passions sont nécessaires à
l’atteinte de niveaux élevés d’accomplissement (Hegel, 1770-1831) et même
pour vivre une vie satisfaisante (Kiekegaard, 1813-1855). Ces deux
perspectives mettent en lumière la dualité inhérente au concept de la passion,
selon laquelle l’atteinte de conséquences adaptatives et mésadaptatives
peuvent en découler. Enfin, au début du XXe siècle, quelques essais non
expérimentaux en psychologie (Joussain, 1928 ; Ribot, 1907), on fait ressortir
la possibilité d’une troisième perspective sur la passion. Dans celle-ci, les
passions pouvaient être adaptatives ou non, selon diverses caractéristiques
associées à la nature de l’activité.
Passion
La passion se définit comme une forte inclination vers une activité (ou un
objet, une idéologie, une personne) que l’on aime, que l’on trouve
importante et porteuse de sens, dans laquelle on investit de grandes
quantités de temps et d’effort, et par laquelle on se définit.
Peu d’écrits ont porté sur la psychologie de la passion suite à ceux de
Joussain et Ribot. Certains articles empiriques ont porté sur la passion
amoureuse (par exemple, Hatfield & Walster, 1978), et non celle envers des
activités telles que le travail. De plus, les seules études ayant traité de la
passion au travail l’ont d’ailleurs principalement conceptualisée en termes
d’amour ressenti envers son travail (Baum & Locke, 2004 ; Cardon, 2008 ;
Cardon et al., 2009 ; Lam & Pertulla, 2008). Or, bien que l’amour pour
l’activité (travail) soit une composante importante de la passion, comme nous
le verrons dans le présent chapitre, elle n’en constitue cependant pas la seule.
De plus, aucune recherche n’avait su aborder la dualité de la passion. C’est
avec l’article de Vallerand et ses collègues (2003) que les premières études
empiriques ont été réalisées sur la passion envers les activités. Ces études
s’inscrivaient dans le cadre du modèle dualiste de la passion (MDP)
permettant d’expliquer et de prédire les effets adaptatifs et mésadaptatifs de
la passion.

1.2 Le modèle dualiste de la passion


Le MDP (Vallerand, 2008, 2010, 2015 ; Vallerand et al., 2003, 2014 ;
Vallerand & Houlfort, 2003, 2019) définit la passion comme une forte
inclination vers une activité (ou un objet, une idéologie, une personne) que
l’on aime, que l’on trouve importante et porteuse de sens, dans laquelle on
investit de grandes quantités de temps et d’effort, et par laquelle on se définit.
De concert avec la théorie de l’autodétermination (TAD ; Deci & Ryan,
2000) et sur la prémisse du fait que la nature humaine implique un penchant
vers le développement de soi s’exprimant par un soi aux tendances
intrinsèques et intégratives (Ryan & Deci, 2003), le MDP postule que les
activités tel le travail (ou les loisirs, les relations avec les autres) que les
individus aiment, valorisent et dans lesquelles ils trouvent un sens auront
tendance à être intériorisées dans le soi et dans l’identité (Aron et al., 1992 ;
Csikszentmihalyi et al., 1993). Cette intériorisation peut se faire de façon
autonome ou contrôlée (Deci et al., 1994 ; Sheldon, 2002 ; Vallerand, Fortier,
& Guay, 1997), donnant ainsi naissance respectivement à une passion dite
« harmonieuse » ou « obsessive ».
Passion harmonieuse
Elle résulte d’une intériorisation autonome de l’activité dans l’identité et
le Soi d’un individu. L’engagement dans l’activité passionnante est libre,
flexible, pleinement conscient et en harmonie avec les différentes sphères
de vie de l’individu. Ce dernier est en contrôle de sa passion.
Passion obsessive
Elle résulte de pressions intrapersonnelles (par exemple une excitation
incontrôlable à s’engager dans l’activité) ou interpersonnelles (par
exemple contingences rattachées à l’activité). L’engagement est rigide et
entraîne des conflits dans les différentes sphères de vie de l’individu. Ce
dernier est « contrôlé » par sa passion.
La passion harmonieuse résulte d’une intériorisation autonome de l’activité
dans l’identité et le soi d’un individu. Une telle intériorisation se produit
lorsque les individus ont librement accepté l’importance de l’activité en elle-
même et pour elle-même. Autrement dit, avec la passion harmonieuse, le Soi
authentique et intégratif (Deci & Ryan, 2000 ; Ryan & Deci, 2003) est à
l’œuvre, engendrant une motivation à s’engager librement dans l’activité avec
un sens de volition et d’endossement personnel, permettant ainsi à l’individu
de pleinement prendre part à l’activité passionnante d’une façon flexible
(Vallerand et al., 2021a) et avec pleine conscience (mindfulness ; St-Louis
et al., 2018). Avec la passion harmonieuse, les gens demeurent en contrôle de
leur passion. Ils sont alors en mesure de décider quand s’engager dans
l’activité, de pleinement s’y concentrer, de vivre des conséquences positives
pendant (par exemple flow) et après (par exemple satisfaction) s’y être
engagés et d’en limiter les sources de conflits (par exemple travail-famille).
En outre, lorsque passionnés de façon harmonieuse, les gens devraient être en
mesure de bien s’adapter à la situation et de mobiliser leur attention et leurs
énergies dans les tâches devant être réalisées.
En revanche, la passion obsessive résulte d’une intériorisation contrôlée de
l’activité passionnante dans l’identité et le soi de l’individu. Une telle
intériorisation naît de pressions intra et/ou interpersonnelles généralement
dues à des contingences rattachées à l’activité (par exemple Lafrenière et al.,
2011 ; Mageau et al., 2011), ou à une excitation incontrôlable retirée de
l’engagement dans l’activité passionnante. Ce type d’intériorisation mène,
dans le meilleur des cas, à une intériorisation partielle et fragmentée des
valeurs et des régulations associées à l’activité. Par conséquent, la passion
obsessive mène à un désir incontrôlable de s’engager dans l’activité que les
gens aiment, au risque de faire de lourds sacrifices en son nom, de vivre
davantage de conflits avec d’autres aspects de leur vie et de vivre davantage
de conséquences négatives (affectives, cognitives et comportementales)
avant, pendant et après leur engagement dans leur activité passionnante. La
passion obsessive rend en quelque sorte les gens « esclaves de la passion qui
les contrôle », mène à une persistance rigide (Vallerand et al., 2021a) et à une
certaine forme de dépendance envers l’activité, résultant de processus ego-
investis du Soi plutôt qu’intégratifs (Mageau et al., 2011). Bien que la
passion obsessive découle d’un amour pour l’activité passionnante et qu’elle
puisse mener à certaines conséquences adaptatives (par exemple le
développement de l’expertise dans le cadre de l’activité), elle peut aussi
engendrer d’importants coûts pour l’individu (par exemple émotions
négatives et épuisement professionnel), comme nous le verrons
ultérieurement. En outre, ce type de passion peut susciter de la frustration et
de la rumination lorsqu’empêchée de suivre son cours.
Par exemple, à la fin de la journée de travail, un cadre passionné pour son
travail est confronté au choix de continuer la programmation de la semaine de
travail de ses employés ou d’aller rejoindre sa famille pour l’heure du souper.
S’il est passionné obsessif envers son travail, il se peut qu’il soit incapable de
résister à la tentation de poursuivre sa programmation, tout en sachant que
cela risque de causer des problèmes familiaux. Il se peut alors qu’il se sente
coupable et anxieux, le tout provoquant de la difficulté à se concentrer sur
son travail. De plus, même s’il réussissait à s’empêcher de continuer sa
rédaction, il serait probablement victime de ses propres ruminations et
tourments d’avoir passé à côté d’une opportunité de faire progresser sa
programmation. Cependant, si sa passion est harmonieuse envers son travail,
il saurait choisir de cesser son travail, tout en prenant des notes précieuses sur
ses idées de sorte à pouvoir reprendre le travail dès le lendemain matin là où
il était rendu. Ainsi, il pourrait fermer la porte de son bureau sans sentiment
de culpabilité et commencer à entrevoir les plaisirs de la soirée familiale qui
l’attend.

1.3 L’Échelle de la passion et sa prévalence


Les travaux initiaux de Vallerand et ses collègues (2003, Étude 1) portant
sur la passion avaient deux principaux objectifs : (1) développer une échelle
mesurant la passion et tester la validité de ses composantes et (2) déterminer
la prévalence de la passion pour une activité. L’échelle de la passion
comporte deux sous-échelles de six items mesurant chacune l’un des deux
types de passion, soit harmonieuse (par exemple : « Cette activité
s’harmonise bien avec les autres aspects de ma vie ») ou obsessive (par
exemple : « J’ai presque un sentiment obsessif pour cette activité »). Ces
deux sous-échelles sont accompagnées d’une autre sous-échelle de cinq items
mesurant les critères de la passion permettant de distinguer les passionnés des
non-passionnés. Ces critères sont :
1. l’amour pour l’activité ;
2. l’importance de l’activité ;
3. l’investissement en temps et en énergie ;
4. l’inclusion de l’activité dans l’identité ;
5. la perception de l’activité comme étant une « passion ».
Les passionnés envers une activité démontrent une moyenne de 4 et plus sur
une échelle de 7 sur les différents critères.
Les qualités psychométriques de l’échelle de passion sont excellentes (voir
Marsh et al., 2013 ; Vallerand, 2015 ; Vallerand & Rahimi, sous presse).
Ainsi, plus d’une vingtaine d’études menées dans une multitude de contextes
différents, dont celui du travail, ont démontré l’excellente structure
factorielle, la cohérence interne (alphas de Cronbach de .75 et plus) et la
stabilité test-retest de cette échelle mesurant la passion (corrélations pour des
périodes de quatre à six semaines de .80 et plus ; Rousseau et al., 2002). De
plus, l’échelle de passion démontre aussi une invariance (ou équivalence de
l’échelle) selon le sexe, la langue (anglais et français) et le type d’activités
impliquées (Marsh et al., 2013). Enfin, une série de résultats ont révélé que
les deux types de passion étaient liés aux critères de la passion et corrélaient
de façon distincte à de nombreuses conséquences adaptatives, comme
mésadaptatives, telles que les hypothèses du MDP le proposent (voir
Vallerand et al., 2003, Étude 1). Ces résultats offrent un appui aux validités
convergente et divergente des deux types de passion ainsi qu’à l’expression
de sa dualité.
En ce qui a trait à la prévalence de la passion chez les individus en général,
plusieurs études (par exemple Philippe, Vallerand, & Lavigne, 2009 ;
Vallerand et al., 2003, Étude 1) ont soulevé qu’entre 75 % et 84 % des
individus sont passionnés pour au moins une activité dans leur vie (échelle
des critères de la passion de 4 et plus sur 7 en moyenne), qu’ils pratiquent des
activités passionnantes variées depuis de nombreuses années et qu’ils y
investissent en moyenne plus de 8 heures par semaine (et beaucoup plus, bien
sûr, en ce qui concerne le travail). Ce niveau de prévalence élevé de la
passion au Québec a été reproduit dans d’autres pays (voir Liu, Chen, & Yao,
2011 ; Stenseng, 2008). Il en va de même pour la passion au travail. Bien que
les études réalisées en milieu organisationnel ne soient pas des études de
prévalence en tant que tel, les résultats démontrent des niveaux de passion
relativement élevés, et ce, pour toute une variété d’emplois, dont
l’enseignement (90 % de passionnés ; Carbonneau, Vallerand, Fernet, &
Guay, 2008) et la gestion (par exemple, 78 % ; Vallerand & Houlfort, 2003).
Il semble donc que malgré une grande variabilité probablement due aux
caractéristiques spécifiques de certains emplois, les niveaux de prévalence de
la passion au travail semblent relativement élevés. Ainsi, la passion au travail,
tout comme la passion envers d’autres activités, n’est pas un phénomène isolé
ne s’appliquant qu’à une poignée d’individus, mais bien un concept pertinent
pour la majorité des individus.

2. Certaines conséquences de la passion


Plusieurs recherches ont mis l’accent sur le rôle des deux types de passion
dans diverses conséquences importantes en psychologie positive. Sans être
exhaustif, faute d’espace, nous présentons ci-dessous certaines de ces
recherches, notamment celles concernant les émotions, les processus
cognitifs, le bien-être psychologique, les relations interpersonnelles et la
performance. Nous soulignons certaines recherches en contexte
organisationnel.

2.1 La passion et les émotions


Selon le MDP, puisque les activités passionnantes sont des activités
fortement valorisées par ceux qui les pratiquent, il serait attendu qu’elles
puissent générer des émotions importantes chez eux. Toutefois, les deux
types de passion devraient être liés de façon différente aux émotions. De par
son investissement autonome et volontaire dans l’activité, la passion
harmonieuse devrait permettre à l’individu de profiter pleinement de
l’activité et donc de ressentir des affects positifs lors de la pratique de
l’activité passionnante. De plus, puisqu’elle n’entre pas en conflit avec les
autres activités pratiquées par l’individu, la passion harmonieuse devrait aussi
permettre de maximiser la durée des émotions positives ainsi que leurs effets
bénéfiques. La passion harmonieuse devrait donc être liée à un large éventail
d’affects positifs, d’intensité motivationnelle faible comme élevée, et devrait
permettre de protéger l’individu contre les affects négatifs. À l’inverse, sous
l’influence d’une passion obsessive, l’individu s’engage dans la pratique de
son activité de manière défensive et appréhensive, ce qui l’empêche de vivre
pleinement les émotions positives associées à la pratique de l’activité
passionnante. De plus, le désir incontrôlable de s’engager dans l’activité
passionnante, présent avec la passion obsessive, favorise l’apparition de
conflits entre cette activité et les autres sphères de la vie de l’individu, ce qui
devrait avoir un impact négatif sur les émotions vécues hors du contexte de
l’activité passionnante. La passion obsessive, lorsque liée à des affects
positifs, devrait être principalement liée à des affects d’intensité
motivationnelle élevée ou ayant trait au soi, en raison de son caractère ego-
investi et envahissant.
Plusieurs études menées en divers contextes (y compris en contexte
organisationnel ; voir Vallerand & Houlfort, 2019) soutiennent ces
hypothèses. Plus spécifiquement, il fut démontré que la passion harmonieuse
favorise l’expérience d’émotions positives pendant et après la pratique de
l’activité passionnante (pour une méta-analyse à ce sujet, voir Curran et al.,
2015). De plus, la passion harmonieuse prévient généralement le vécu
d’émotions négatives après l’engagement dans l’activité passionnante et
lorsque l’individu est empêché de s’y engager (par exemple Philippe et al.,
2010 ; Vallerand et al., 2003). Cet effet protecteur de la passion harmonieuse
contre les affects négatifs devrait cependant être investigué davantage,
puisqu’il ne se retrouve pas dans toutes les études menées sur le sujet (par
exemple Vallerand, 2015 ; Vallerand et al., 2014 ; Vallerand & Houlfort,
2019). La passion obsessive, quant à elle, est associée positivement aux
émotions négatives, et pas ou peu associée significativement aux émotions
positives. On notera que l’ensemble de ces émotions sont vécues pendant et à
la suite de l’engagement dans l’activité passionnante ainsi que lorsqu’une
personne est empêchée de s’y engager (Mageau et al., 2005 ; Philippe et al.,
2009, Étude 1 ; Ratelle et al., 2004, 2010 ; Vallerand et al., 2006, Études 2 et
3). En somme, la passion harmonieuse mène à une vie affective plus positive
que la passion obsessive et ce, autant au travail que dans d’autres domaines
de vie.

2.2 La passion et les processus cognitifs


Le MDP postule que la passion harmonieuse met en œuvre des processus
intégratifs du Soi menant ainsi à une ouverture favorisant les expériences de
pleine conscience, de concentration et de flow (ou d’immersion profonde
dans l’activité ; Csikszentmihalyi, 1978 ; Csikszentmihalyi, Rathunde, &
Whalen, 1993) dans la pratique de l’activité passionnante. La passion
obsessive, quant à elle, met plutôt en œuvre des processus de soi ego-investis.
Ceux-ci sont plutôt gages d’une attention divisée entre la tâche et ses
contingences, d’une orientation généralement plus défensive (estime de soi
fragile et contingente ; Lafrenière et al., 2013 ; Mageau et al., 2011) et donc
d’un investissement de moindre qualité dans l’activité (Hodgins & Knee,
2002) ne facilitant pas ou moins les épisodes de pleine conscience, de
concentration et de flow. Une passion harmonieuse devrait donc
généralement favoriser des processus cognitifs adaptatifs que la passion
obsessive ne devrait que peu ou pas favoriser.
De nombreuses études réalisées dans une grande variété de domaines, y
compris celui du travail, offrent un soutien empirique à ces hypothèses en ce
qui concerne la concentration (Forest et al., 2011 ; Ho et al., 2011 ; Philippe
et al., 2009 ; Stenseng, 2008 ; Vallerand et al., 2003) et ce, dans plusieurs
pays et cultures (Canada, États-Unis, Norvège et Chine). De plus, de
nombreuses études menées dans divers contextes (y compris celui du travail),
ont révélé que la passion harmonieuse est liée positivement au flow et à
l’absorption cognitive alors que la passion obsessive n’y est pas ou peu liée
(par exemple Forest et al., 2011 ; Lavigne et al., 2012, Études 1 et 2 ;
Philippe et al., 2009, Étude 2 ; Vallerand et al., 2003, Étude 1). En outre, les
résultats d’une étude longitudinale réalisée par Lavigne et ses collègues
(2012, Étude 2) en contexte de travail ont démontré à l’aide d’analyses de
schèmes à devis temporel croisé (cross-lagged panel design) que la passion
harmonieuse envers le travail prédisait les augmentations d’expériences de
flow vécues au travail sur une période de six mois, tandis que la passion
obsessive ne prédisait que marginalement les expériences de flow (p < .10).
De plus, alors que la passion prédisait le changement de flow, ce dernier ne
prédisait pas les changements dans la passion. Ces résultats suggèrent un lien
de causalité entre la passion et certaines variables résultantes telles que le
flow.

2.3 La passion et le bien-être psychologique


Vallerand (2012, 2015) a proposé que l’engagement dans une activité
passionnante sur une base régulière puisse non seulement permettre d’amener
une augmentation du bien-être psychologique chez l’individu passionné, mais
aussi de mener au maintien de tels gains. Essentiellement, en fonction du type
de passion à l’œuvre (notamment avec la passion harmonieuse), l’individu
passionné est amené à vivre de nombreuses expériences affectives positives
(par exemple émotions positives, satisfaction dans la tâche) et même à
bénéficier d’un effet protecteur contre certaines expériences négatives (par
exemple épuisement émotionnel). En accord avec la « théorie expansion et
construction » (Fredrickson, 2001), de telles expériences affectives positives
facilitent le bien-être psychologique en élargissant le répertoire d’habiletés
des individus s’inscrivant dans le Soi. De plus, puisque la passion représente
une importante force motivationnelle qui mène l’individu à s’engager dans
une activité sur une base régulière et récurrente, elle devrait permettre de
conserver les gains en bien-être pouvant découler de l’engagement dans cette
activité passionnante.
Les résultats d’études menées dans une variété de contextes extérieurs à
celui du travail soutiennent cette analyse. Ainsi, ces recherches démontrent
que la passion harmonieuse mène effectivement au bien-être psychologique
(par exemple Rousseau & Vallerand, 2003 ; Vallerand et al., 2007, Études 1
et 2 ; Vallerand et al., 2008, Étude 2) alors que la passion obsessive n’y est
soit pas reliée (Vallerand et al., 2007, Étude 1 ; Vallerand et al., 2008,
Étude 2), soit liée de façon négative (Rousseau & Vallerand, 2008 ;
Vallerand et al., 2007, Étude 2). De plus, il a été démontré que cet effet
positif de la passion harmonieuse sur le bien-être psychologique se produit
par l’entremise d’expériences émotionnelles positives (Rousseau &
Vallerand, 2008) ou de satisfaction des besoins psychologiques (Houlfort
et al., 2015). D’autre part, d’autres études ont démontré qu’en plus de
favoriser le bien-être psychologique, la passion harmonieuse envers le travail
pouvait aussi agir en guise de facteur de protection contre diverses formes de
mal-être psychologique telles que l’anxiété et la dépression, tandis que la
passion obsessive ne faisait que favoriser de telles formes de mal-être
(Rousseau & Vallerand, 2003 ; Vallerand, 2012).
Il est important de noter que ces résultats ont été reproduits en contexte
organisationnel dans de nombreuses études (par exemple Carbonneau et al.,
2008 ; Forest et al., 2011 ; Houlfort et al., 2014, Études 1 et 2 ; Houlfort
et al., 2015 ; Lavigne et al., 2012, Études 1 et 2). Par exemple, Forest et ses
collègues (2011) ont, quant à eux, soulevé que, en lien avec les postulats du
MDP et de la théorie de l’autodétermination, la satisfaction des trois besoins
psychologiques fondamentaux (compétence, autonomie, affiliation sociale)
médiait, au même titre que les expériences émotives positives, la relation
entre la passion harmonieuse et le bien-être psychologique. De plus, Houlfort
et ses collègues (2015) ont reproduit ces résultats dans le cadre de deux
études sur le rôle de la passion au travail dans une retraite réussie. Les
résultats ont démontré que les employés avec une passion harmonieuse pour
leur travail étaient plus heureux 6 ans plus tard à leur retraite que ceux ayant
une passion obsessive !
D’autres études sur la passion au travail se sont penchées sur un thème lié
au mal-être au travail, soit l’épuisement professionnel. Tel que mentionné
précédemment, selon le MDP, sous l’influence de la passion obsessive,
l’individu ressent une nécessité incontrôlable à s’engager dans son activité
passionnante, nuisant à son désengagement mental ou physique de l’activité
et favorisant l’apparition de conflits avec d’autres dimensions de sa vie
(Vallerand & Houlfort, 2019). Ceci l’empêcherait éventuellement de
pleinement récupérer dans la poursuite de ses autres objectifs et le
prédisposerait, avec le temps, à certaines formes de mal-être (Vallerand et al.,
2010) tel que l’épuisement professionnel. La passion harmonieuse, quant à
elle, favorise une certaine flexibilité dans l’engagement au sein de l’activité
passionnante, permettant sa mise de côté temporaire et une immersion
complète dans les autres activités de l’individu sans conflit (Carpentier et al.,
2012). Ce type de passion facilite les expériences affectives positives, tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur de l’activité passionnante, protégeant de ce fait
l’individu contre le mal-être (par exemple épuisement professionnel).
Plusieurs études appuient cette hypothèse en ce qui concerne l’épuisement
professionnel. Par exemple, les résultats d’une étude de Lavigne et ses
collègues (2012, Étude 2) ont démontré que la passion harmonieuse prédisait
une augmentation des expériences de flow, qui à leur tour menaient à une
réduction des symptômes d’épuisement professionnel chez des fonctionnaires
du gouvernement provincial du Québec. En revanche, la passion obsessive
prédisait l’épuisement émotionnel. De plus, deux autres études menées auprès
d’infirmières de France et du Québec (Vallerand, Paquet, Philippe, &
Charest, 2010, Études 1 et 2) ont démontré que la passion obsessive
prédisposait les travailleurs aux expériences d’épuisement professionnel via
son influence sur les conflits entre le travail et les autres sphères de vie (par
exemple famille). La passion harmonieuse, quant à elle, protégeait les
travailleurs contre les conflits et favorisait la satisfaction au travail, ce qui
avait un effet protecteur – contre l’épuisement professionnel. D’autres
résultats démontrent que les effets de protection de la passion harmonieuse se
produisent également par un engagement dans des activités de récupération
(Donahue et al., 2012) et ce, notamment, lorsque ces activités sont réalisées
avec une passion harmonieuse (Lopes & Vallerand, 2020).

2.4 La passion et les relations


interpersonnelles
Le MDP postule aussi que la passion qu’un individu entretient envers son
travail devrait aussi avoir un impact sur la qualité des relations
interpersonnelles qu’il développera et maintiendra tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur de son travail. Les travaux de Waugh et Fredrickson (2006)
avaient démontré l’impact favorable des affects positifs et l’impact
défavorable des affects négatifs sur la connexion positive avec autres. En
conséquence, le MDP postule que la passion harmonieuse devrait alors mener
à de meilleures relations interpersonnelles au travail que la passion obsessive
via leur impact différentiel sur les émotions positives et négatives.
Plusieurs études (par exemple Lafrenière et al., 2008 ; Philippe et al., 2010 ;
Utz et al., 2012), dont certaines menées en contexte organisationnel, offrent
un soutien empirique aux précédentes hypothèses. Dans ces études, la passion
harmonieuse est positivement corrélée à la qualité des relations
interpersonnelles vécues dans le cadre de l’activité passionnante, tandis que
la passion obsessive ne l’est pas. De plus, les émotions jouent un rôle
médiateur des effets de la passion sur les relations interpersonnelles. Par
exemple, dans une étude longitudinale d’une durée de quatre mois menée
dans des équipes d’étudiants par Philippe et ses collègues (2010, Étude 4), il
a été démontré que la passion harmonieuse prédisait positivement les
émotions positives et négativement les émotions négatives. En retour, les
émotions positives et négatives prédisaient, respectivement positivement et
négativement, la qualité de nouvelles relations interpersonnelles développées
en contexte de travail d’équipe.
Globalement, ces études soulignent le rôle de la passion harmonieuse dans
le développement (Philippe et al., 2010, Étude 4) et le maintien (Philippe
et al., 2010, Étude 1) des relations interpersonnelles en contexte
organisationnel. De plus, les effets positifs de la passion harmonieuse sur les
relations entre collègues ont été reproduits en ce qui concerne les relations
entre superviseurs et subordonnés (par exemple Lafrenière et al., 2008,
Études 1 et 2). Cependant, davantage de recherches devraient être menées
pour confirmer l’effet causal de la passion harmonieuse sur les relations.
Enfin, notons que de concert avec la littérature sur le conflit travail-famille,
plusieurs résultats démontrent qu’un tel conflit est vécu surtout par ceux
ayant une passion obsessive. En effet, la passion obsessive pour une activité
(telle que le travail) induit un conflit entre cette activité et les relations
interpersonnelles à l’extérieur de celle-ci telle qu’avec la relation amoureuse
avec le/la conjoint-e (Séguin-Lévesque et al., 2003 ; Vallerand, Ntoumanis
et al., 2008, Étude 3).

2.5 La passion et la performance


Le MDP propose que les deux types de passion facilitent la performance de
haut niveau, notamment par une implication soutenue dans des activités ayant
pour but d’améliorer l’acquisition d’habiletés nécessaires à une performance
élevée. Toutefois, on retrouve deux voies privilégiées vers la performance,
soit les voies harmonieuse (plus adaptative) et obsessive (moins adaptative).
La voie de la passion harmonieuse est caractérisée par la poursuite de buts
visant l’amélioration (c’est-à-dire des buts de maîtrise), favorisant
l’engagement en pratique délibérée et menant à des niveaux de performance
élevés à long terme. De plus, de par l’expérience de facteurs positifs (par
exemple le flow, la concentration et les affects positifs), la passion
harmonieuse devrait aussi mener à de hauts niveaux de performance à court
terme toute en favorisant le bien-être psychologique. La voie obsessive, quant
à elle, est caractérisée par la poursuite de certains buts adaptatifs (c’est-à-dire
les buts de maîtrise), mais surtout celle de buts mésadaptatifs (par exemple
les buts d’éviter de réaliser une performance inférieure aux autres), et par
l’absence de lien avec certains facteurs expérientiels positifs, le tout menant à
des niveaux moins élevés de bien-être psychologique. Donc, bien que la
passion obsessive puisse mener à des niveaux élevés de performance, le
niveau de bien-être ressenti pendant cette quête de réussite est relativement
faible.
Plusieurs études réalisées dans divers secteurs tels que le sport (Vallerand,
Mageau et al., 2008, Étude 1), les études (Vallerand et al., 2007, Étude 2), les
arts et la musique (Bonneville-Roussy et al., 2011 ; Vallerand, et al., 2007a,
Étude 1), procurent un appui empirique à ce modèle. De plus, certaines
études démontrent que contrairement à la passion harmonieuse, la passion
obsessive peut aussi à l’occasion diminuer la performance, notamment en
contexte de travail (Ho et al., 2011 ; Liu et al., 2011 ; Vallerand & Houlfort,
2019). On notera aussi que dans la plupart de ces études, des mesures
objectives de performance ont été utilisées. Davantage de recherches
devraient cependant être menées sur le sujet pour approfondir ces recherches,
et ce surtout concernant la performance à court terme.

3. Passion et résilience
Le concept de résilience est généralement défini comme une adaptation
relativement réussie malgré un contexte ou des situations difficiles (Bonanno
et al., 2005). Les chercheurs ont surtout essayé de comprendre pourquoi et
comment certains individus réussissent à surmonter les épreuves auxquelles
ils font face avec peu ou pas de séquelles psychologiques. Ceci peut être le
cas d’enfants vivant dans des contextes à risque (par exemple pauvreté,
maltraitance, deuil parental ; Draper & Hancock, 2011 ; Garmezy, 1993 ;
Wingo et al., 2010), des adultes affrontant des événements stressants (par
exemple mort d’un être cher, attaques terroristes ; Carr et al., 1997 ; Bonanno
et al., 2005 ; Fredrickson et al., 2003) ou encore des adultes faisant face à des
stresseurs quotidiens (par exemple adversité au travail, stress académique ;
Jackson, Firtko, & Edenborough, 2007 ; Wilks & Spivey, 2010).
En ce qui a trait à ce dernier cas, deux types de recherche ont été réalisés
auprès des adultes. Dans un premier temps, les chercheurs ont essayé
d’identifier les variables individuelles permettant aux gens de faire face à des
stresseurs importants. C’est le cas entre autres de certains traits de
personnalité tel le trait de résilience (Block & Block, 1980 ; Block &
Kremen, 1996) ou encore l’estime de soi (Kidd & Shahar, 2008). Le second
type de recherche a mis l’accent sur le processus de résilience en tant que tel
(Fredrickson et al., 2003). Ce type d’études cherche à identifier les
mécanismes psychologiques utilisés par les individus démontrant de la
résilience. Par exemple, Fredrickson et ses collègues (2003) ont démontré
que les individus qui vivent des émotions positives pendant des situations
stressantes font preuve d’adaptation psychologique.
Cette présentation malheureusement trop rapide des recherches sur la
résilience nous amène à formuler trois constats. Premièrement, la grande
majorité des études a mesuré la résilience comme l’absence de problème. Or,
comme nous l’avons vu en psychologie positive, on ne peut conclure au
fonctionnement optimal par l’absence de problème (Vallerand, 2015). Afin
de s’assurer qu’il y a résilience, nous proposons qu’il faille mesurer la
présence de conséquences positives suite à l’événement stressant (voir
Almedom & Glandon, 2007). Deuxièmement, la plupart des études ont mis
l’accent sur un seul indicateur de résilience. Par exemple, un vendeur
échouant lors d’une vente importante serait vu comme résilient s’il réussit
lors de la prochaine vente. Toutefois, être résilient dans un secteur (le travail)
ne garantit pas l’être dans d’autres secteurs de sa vie (par exemple la vie
familiale). En mesurant la résilience de façon multidimensionnelle, il serait
alors possible de mesurer l’étendue de la résilience pouvant aller d’aucune
résilience à une résilience partielle dans un secteur mais pas dans d’autres, à
une résilience complète dans toutes les sphères de vie. Enfin, aucune étude à
ce jour n’a étudié la résilience des personnes passionnées. À la lumière de ce
qui a été présenté dans ce chapitre (et aussi dans le chapitre 1), on devrait
s’attendre à ce que les individus passionnés démontrent un certain niveau de
résilience. Toutefois, ceci pourrait être davantage le cas avec la passion
harmonieuse, qui mène généralement à des conséquences adaptatives, que la
passion obsessive, menant ainsi à des précisions quant aux processus
motivationnels favorisant la résilience.
Nous avons récemment mené un nombre important de recherches sur le rôle
de la passion dans la résilience. Ces études ont été réalisées dans divers
contextes tels que le travail, l’éducation, le sport et l’activité physique. Ces
études ont porté sur le rôle de la passion comme déterminant des différences
individuelles au niveau du trait de résilience et comme déterminant des
processus mis en opération durant une situation stressante. Nous présentons
sommairement les résultats de certaines de ces études.

3.1 La passion comme déterminant du trait de


résilience
Plusieurs études ont démontré que la passion harmonieuse permettait à la
personne de d’avoir accès aux processus adaptatifs du soi tels que la pleine
conscience (mindfulness ; St-Louis et al., 2018), la régulation émotionnelle
de type réévaluation positive (St-Louis et al., 2020), le coping focusant sur la
tâche à réaliser et les buts de maîtrise (Vallerand et al., 2007, 2008 ; Verner-
Filion et al., 2014) et l’évaluation de la situation comme étant un défi plutôt
qu’une menace (Lavoie et al., 2021). En revanche, la passion obsessive est
généralement négativement reliée à ces divers processus adaptatifs (à
l’exception des buts de maîtrise) et positivement liée à des indices moins
adaptatifs comme la perception de menace (Lavoie et al., 2021) ainsi que le
coping et les buts d’évitement (Vallerand et al., 2007, 2008 ; Verner-Filion
et al., 2014). On pourrait donc s’attendre à ce que la passion harmonieuse soit
positivement reliée au trait de résilience, alors que ce serait un moindre cas
pour la passion obsessive. Qu’en est-il dans les faits ?
Deux études ont été réalisées à cet effet. Dans une première étude menée
auprès de travailleurs, nous avons étudié le rôle de la passion dans le trait de
résilience au travail et le rôle de ce dernier dans le bien-être psychologique
(Vallerand et al., 2021b, Étude 1). Les résultats d’une analyse acheminatoire
ont démontré que la passion harmonieuse au travail menait au trait de
résilience. La passion obsessive quant à elle, démontrait un lien négatif avec
la résilience. À son tour, le trait de résilience prédisait positivement le bien-
être psychologique. Ces résultats soutiennent donc le rôle plus adaptatif de la
passion harmonieuse que la passion obsessive dans la résilience des
travailleurs et le rôle de cette dernière dans le bien-être psychologique.
Les résultats ci-haut sont intéressants et soutiennent nos hypothèses.
Toutefois, cette première étude avait été réalisée en général et non en
situation de stress en tant que tel. Les résultats obtenus dans cette première
étude seraient-ils reproduits dans une situation stressante ? C’est ce que nous
avons vérifié dans une seconde étude (Vallerand et al., 2021b, Étude 2). Dans
cette étude, nous avons demandé à des travailleurs de se souvenir et de
décrire un événement stressant vécu au travail. Ils ont également complété
des échelles mesurant la passion au travail, le trait de résilience au travail et
la croissance post-traumatique suite à l’événement stressant. L’échelle de
croissance post-traumatique est particulièrement intéressante, car elle mesure
le fait de se sentir mieux après qu’avant l’événement stressant. Les résultats
d’une analyse acheminatoire ont démontré que la passion harmonieuse
menait positivement (et la passion obsessive menait négativement) au trait de
résilience qui prédisait positivement la croissance post-traumatique. En
d’autres termes, la passion harmonieuse au travail donne accès au trait de
résilience qui amène les gens à se sentir mieux suite à un événement
stressant ! Les résultats de la première étude ont donc été reproduits dans le
cadre de l’étude 2 réalisée en situation stressante et soulignent le rôle de la
passion harmonieuse comme déterminant du trait de résilience et ses
conséquences adaptatives.

3.2 Passion et le processus de résilience lors


d’un événement stressant
Dans une étude dorénavant classique, Fredrickson et ses collègues (2003)
ont identifié certains des processus permettant aux personnes résilientes de
faire face aux événements négatifs et/ou stressants. Dans cette étude, portant
sur la résilience suite aux événements fatidiques du 11 septembre 2001 qui
avaient coûté la vie à environ 3,000 Américains, Fredrickson avait démontré
que ce sont les émotions positives vécues suite aux événements du
11 septembre 2001 qui permettent de promouvoir le bien-être psychologique
face aux situations difficiles. Les émotions négatives, quant à elles, diminuent
le bien-être. Ces résultats suggèrent donc que les émotions sont au cœur du
processus psychologique de la résilience. Ces résultats ont été reproduits dans
diverses recherches (Cohn et al., 2009 ; Fredrickson et al., 2003 ; Galatzer-
Levy et al., 2013 ; Gloria et al., 2013 ; Ong et al., 2006 ; Ong et al., 2010 ;
Tugade & Fredrickson, 2004). Or les travaux de Fredrickson n’ont pas mis
l’accent sur les déterminants des émotions positives et ceux prévenant les
émotions négatives. Nous croyons que la passion harmonieuse peut jouer ce
rôle.
Comme nous l’avons vu précédemment, nos travaux ont démontré à
plusieurs reprises que la passion harmonieuse permet de vivre plus
d’émotions positives et même parfois permet d’enrayer l’expérience
d’émotions négatives, alors que les relations inverses sont obtenues avec la
passion obsessive (Curran et al., 2015 ; Vallerand, 2015 ; Vallerand &
Houlfort, 2019). On devrait donc s’attendre à ce que la passion harmonieuse
enclenche le processus de résilience par le biais des émotions positives, alors
que ce ne serait pas le cas pour la passion obsessive. De plus, en mesurant des
conséquences dans le domaine de l’activité passionnante ainsi que dans des
sphères externes à celle-ci, il serait possible de déterminer si le processus de
résilience est complet ou partiel. Les recherches antérieures démontrent que
la passion harmonieuse prédit positivement les conséquences adaptatives
dans le cadre de l’activité passionnante et dans le reste de la vie de la
personne alors que ce n’est pas le cas de la passion obsessive (Vallerand &
Rapaport, 2017). On devrait donc s’attendre à ce que la passion harmonieuse
mène à une résilience complète, alors que la passion obsessive devrait mener
à une résilience qui serait au mieux partielle.
Dans une première série de trois études réalisées en contexte académique
(Paquette & Vallerand, 2021), nous nous sommes intéressés à la résilience
des étudiants face aux examens de fin de session. Dans une première étude,
nous avons mesuré la passion envers les études des étudiants, leurs émotions
positives et négatives ressenties juste avant la période des examens de fin de
session et diverses conséquences vécues à ce moment comme la satisfaction
dans leurs études, leur évaluation de leur performance dans leurs études ainsi
que dans leur vie en général. Une analyse acheminatoire a soutenu le modèle
proposé de la résilience. Plus spécifiquement, la passion harmonieuse et la
passion obsessive ont toutes deux prédit positivement les émotions positives
(la passion harmonieuse plus fortement que la passion obsessive), alors que la
passion obsessive a également prédit positivement les émotions négatives. À
leur tour, les émotions positives ont prédit positivement les trois
conséquences. Les émotions négatives, quant à elles, étaient liées
négativement à la satisfaction dans les études et à la perception d’une vie
réussie. Elles ont donc nui à la résilience dans les études et dans la vie en
général. Une étude longitudinale suivant les étudiants universitaires avant et
après les examens de fin d’année (Paquette & Vallerand, Étude 3) a
également répliqué ces résultats. Ces deux études ont démontré que face à
une situation stressante, la passion harmonieuse mène à une résilience
complète (c’est-à-dire dans l’activité passionnante et dans la vie en général)
alors que la passion obsessive mène à une résilience partielle (dans les études
mais non dans la vie en général).
Une autre étude a également examiné le rôle de la passion et des émotions
dans la résilience pendant une situation stressante (une étude en ligne
mesurant la performance objective ; Paquette & Vallerand, Étude 2). Les
résultats ont démontré cette fois-ci que seulement la passion harmonieuse
prédisait les émotions positives, alors que la passion obsessive menait aux
émotions négatives. Tout comme dans les autres études, les émotions
positives ont favorisé, et les émotions négatives ont enrayé, les conséquences
adaptatives dans le cadre des études et dans la vie de la personne. Cette étude
a donc démontré que la passion harmonieuse avait mené à une résilience
complète alors que la passion obsessive n’avait mené à aucune résilience.
Dans l’ensemble, les résultats des trois études démontrent que face à une
situation stressante, la passion harmonieuse mène à la résilience complète par
le biais des émotions positives (Études 1, 2 et 3) et en diminuant la présence
d’émotions négatives (Études 1 et 3). En revanche, la passion obsessive mène
à une résilience partielle en contribuant beaucoup moins aux émotions
positives (Études 1 et 3) tout en favorisant toujours l’expérience des émotions
négatives (Études 1, 2 et 3) qui elles contribuent négativement à la résilience.

3.3 Passion et le processus de résilience à la


suite d’un échec
Parfois l’événement stressant peut s’avérer un échec. Les effets sont-ils les
mêmes que ceux d’un événement stressant ? De plus, les études présentées
précédemment ont mis l’accent sur le bien-être et n’ont pas mesuré la
performance en tant que tel. Le rôle de la passion et des émotions est-il le
même suite à un échec que lors d’un événement stressant ? Afin de répondre
à ces questions, une étude en ligne a été réalisée (Rahimi & Vallerand, 2021).
Dans celle-ci, des étudiants universitaires ont répondu à l’échelle de passion
pour leurs études et ils ont réalisé une tâche académique en ligne présentée
comme une mesure fiable de leur capacité académique (les matrices de
Raven). À la suite de cette tâche, les participants ont été aléatoirement
assignés à une condition de succès ou d’échec. Puis leurs émotions positives
et négatives ont été mesurées et ils ont eu l’opportunité de réaliser encore une
fois des figures différentes de la même tâche académique ainsi qu’une tâche
de loisir (tâche des mots communs). Les résultats d’une analyse
acheminatoire ont révélé que la passion harmonieuse a prédit positivement les
émotions positives et négativement les émotions négatives alors que la
passion obsessive a uniquement prédit positivement les émotions négatives.
Comme dans les autres études, les émotions positives ont prédit positivement
une augmentation de la performance académique (entre les deux réalisations
de la tâche), mais elles n’ont eu aucun effet sur la performance de loisir.
Quant à elles, les émotions négatives ont prédit négativement les deux
indicateurs de performance. La passion harmonieuse semble donc contribuer
à tout le moins à une résilience partielle, en facilitant une expérience
émotionnelle positive. En revanche, la passion obsessive n’a mené à aucune
résilience, notamment par son influence sur les émotions négatives qui ont
diminué la performance sur les deux tâches.

Conclusion
La psychologie positive apporte une nouvelle vision du monde qui nous
entoure. Ainsi, selon celle-ci, le virage « positif » implique de considérer les
facteurs favorisant un fonctionnement optimal de la personne et non
seulement l’amélioration des conséquences négatives (Chénard-Poirier &
Vallerand, 2021 ; Pawelski, 2011). Nous croyons que l’un de ces facteurs est
la passion harmonieuse pour une activité significative dans la vie de la
personne tel le travail. En effet, comme nous l’avons démontré dans ce
chapitre, une telle passion permet à la personne de vivre sa vie à plein régime
et d’en récolter les bienfaits au niveau des cognitions, des émotions, du bien-
être psychologique, des relations interpersonnelles, de la performance et de la
résilience. Qui plus est, si cette passion harmonieuse est dirigée vers l’une
des activités les plus centrales de notre existence, tel le travail, les
conséquences adaptatives pourraient en être décuplées. Dans ce cadre, les
recherches futures sur la passion en contexte organisationnel pourraient
s’avérer d’une grande importance.

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1. Par Robert J. Vallerand et Virginie Paquette.
Chapitre 29
L’appreciative inquiry,
une technique d’accompagnement
qui donne vie aux entreprises ?1

Sommaire
1. Les formes d’AI
2. Objectif du chapitre
3. Vers un développement de la vitalité
organisationnelle ?
4. Impacts de l’AI en milieu organisationnel et
mécanismes engagés
5. Une mise en œuvre complexe
6. L’AI, approche révolutionnaire de l’accompagnement
au changement ou pratique qui questionne ?
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Qu’est-ce qui donne vie à une organisation ? Ce chapitre présente
l’approche appréciative, une méthodologie d’accompagnement au
changement organisationnel ; les impacts qu’elle peut avoir au
sein d’une organisation y sont discutés.
Résumé long
Qu’est-ce qui donne vie à une organisation ? Ce chapitre présente
l’approche appréciative, une méthodologie d’accompagnement au
changement organisationnel ; les impacts qu’elle peut avoir au
sein d’une organisation y sont discutés. L’approche appréciative
est basée sur le postulat que chaque organisation possède en elle
quelque chose qui fonctionne bien et statue qu’il est possible de
rechercher, de trouver et de développer ses sources de vitalité.
Les impacts en milieu organisationnel d’une telle intervention sont
présentés en quatre catégories : la générativité, l’engagement et la
performance, la coopération et l’épanouissement. Une réflexion est
proposée quant à l’implantation du changement durant la phase de
déploiement, en s’appuyant sur les plus récentes théories de la
gestion du changement organisationnel.

Mots-clés : À compléter idem autres chapitres


Questions
• Qu’est-ce que l’appréciative inquiry ?
• Quels sont les impacts de l’appréciative inquiry en milieu
organisationnel ?
• Comment développer la vitalité organisationnelle ?

L’approche appréciative (appreciative inquiry, AI) est à la fois un outil et


une philosophie d’accompagnement au changement dans les organisations
(Cooperrider et al., 2008). Elle est fondée sur le postulat que chaque
organisation possède en elle quelque chose qui fonctionne bien et qu’il est
possible de rechercher, de trouver et développer ses sources de vitalité
(Whitney & Cooperrider, 2011). Ainsi, questionner les forces, les ressources
et les expériences positives des individus composant l’organisation permet
d’identifier le noyau positif, ce qui donne vie à l’entreprise (Cooperrider &
Whitney, 2001). Utiliser un questionnement positif permettant de
conscientiser les bonnes pratiques au sein de l’organisation permet ainsi de
les accroître. Ce phénomène est nommé le principe de simultanéité, stipulant
que l’exploration et le changement sont simultanés. L’exploration devient
alors une intervention en tant que tel. Les germes du changement se situent
déjà dans cette quête du noyau positif, générant de l’énergie et de
l’enthousiasme mais également des idées et des images positives du futur
(Whitney & Trosten-Bloom, 2010).
Le noyau – ou cœur – positif de l’organisation constitue l’un de ses
gisements de ressources principal. Ce sont les sources de vitalité du système,
son potentiel positif. Des exemples de ce dont peut être constitué ce noyau
positif sont listés dans le tableau 29.1.
Tableau 29.1 – Noyau positif de l’organisation (adapté de Whitney &
Cooperrider, 2011)
Émotions positives Réalisations Capital social Ressources relationnelles

Compétences Atouts stratégiques Connaissances Fidélité des clients

Forces Capital technique Capital financier Meilleures pratiques professionnelles

Bonnes pratiques Innovations Vision des futurs positifs Macrotendances positives

Valeurs Réflexions inspirantes Alliances et partenariats Qualité des produits

L’AI représente une alternative à la traditionnelle résolution de problème,


fondée sur l’identification des défaillances et des faiblesses du système afin
de les corriger. Elle s’appuie sur des sources de vitalité et du potentiel positif
de l’organisation et des individus qui la composent afin d’innover. Ces deux
paradigmes, résumés dans le tableau 29.2, sont donc complémentaires.
Tableau 29.2 – La résolution de problème et l’approche appréciative
(Whitney & Cooperrider, 2011)
Paradigme 1 : La résolution de problèmes Paradigme 2 : L’approche appréciative

Identification du problème. Apprécier « ce qui est ».

Analyse des causes. Imaginer « ce qui pourrait être ».

Hypothèses de solutions. Échanger « comment cela pourrait être ».

Plan d’action. Innover « ce qui sera ».

Ce nouveau paradigme de changement est né dans les années 1980, lors du


doctorat de David Cooperrider (Bushe, 2012). Ce dernier a été amené à
étudier le leadership des médecins à la clinique de Cleveland, en Ohio. En
questionnant les trois cents docteurs de l’organisation, Cooperrider a été de
plus en plus enthousiasmé par les différents processus organisationnels et les
formes de gouvernance existants, ces derniers étant particulièrement
fructueux. Avec son directeur de recherche, Suresh Srivastva, il a décidé de
focaliser son attention sur ce qui donne vie à l’organisation. Il l’a appelé
« l’analyse appréciative ». Par la suite, accompagné d’autres chercheurs tels
que Frank Barrett et Ron Fry, ils ont exploré le pouvoir des questions
appréciatives, et ont remarqué que l’orientation positive de ces dernières
engrangeait le changement. Ils ont réfléchi ensemble à la nature déficitaire de
la plupart des questions et ont conceptualisé l’enquête appréciative comme
moteur de changement. Aujourd’hui, l’approche est d’une popularité
grandissante et est enseignée et pratiquée à travers le monde (Lewis et al.,
2016).

1. Les formes d’AI


L’AI peut se déployer de diverses manières, étant plus qu’une simple et
unique méthodologie (Whitney & Trosten-Bloom, 2010). La forme la plus
utilisée est celle des 5D, incluant les phases de définition, découverte,
devenir, décision et déploiement (voir Whitney & Cooperrider, 2011). Le
processus consiste alors à définir une orientation positive, découvrir les
forces et les ressources constituant le noyau positif, rêver à ce que
l’organisation pourrait devenir, décider de manière collaborative des
changements à mettre en place et les déployer. Ce processus peut s’étendre
sur plusieurs jours à toute une organisation (Whitney & Trosten-Bloom,
2010). Il s’appelle alors le sommet AI. Dans ce cas, il inclut au maximum
toutes les parties prenantes du système : leaders, employés, clients, etc.
Lorsque le sommet va au-delà de l’organisation, comme ce fut le cas à
Chicago où toute une ville fut incluse, il se nomme alors l’enquête
appréciative de masse. Un autre moyen d’utiliser l’AI est de créer un réseau
de changement positif interne, incluant des employés volontaires formés à
l’AI et pouvant ensuite polliniser leurs départements à travers – par exemple
– de la formation et du conseil. L’AI peut également être mise en place à
travers des réunions progressives, sur un projet au long cours. Les 5D
peuvent être expérimentés par un groupe d’employés sur une durée d’un an, à
raison d’une réunion par mois. Ainsi, l’AI est une approche très malléable et
adaptable aux besoins de l’entreprise. Cela constitue à la fois sa force, mais
également sa lacune, la rendant plus difficile à étudier sur le plan
expérimental (Verleysen et al., 2015). En effet, quelle forme l’AI doit-elle
prendre ? Doit-elle être standardisée ou adaptée à chaque situation ?
2. Objectif du chapitre
Les résultats des nombreuses études qualitatives révèlent dans leur essentiel
que l’AI a un effet dans l’accompagnement du changement en entreprise.
Cependant, force est de constater les lacunes de la littérature en termes
d’études à devis (quasi) expérimentaux ou randomisées contrôlées (ERC)
étayant ces données qualitatives. Par conséquent, de nombreux points
d’interrogation demeurent. L’objectif du présent chapitre est d’apporter des
éléments de réponse aux interrogations qui demeurent, de proposer une
réflexion quant au cœur de l’approche, qui est le développement de la vitalité
organisationnelle (Lewis et al., 2016) et de faire le bilan des recherches
portant sur l’AI en milieu organisationnel. Le concept de vitalité
organisationnelle ainsi que sa résonance avec l’AI seront présentés. Puis, un
inventaire des impacts de l’AI dans les organisations sera effectué et étayé
selon quatre catégories : la générativité, l’engagement et la performance, la
coopération et l’épanouissement. Une critique quant à la mise en œuvre de
l’approche dans les organisations sera réalisée et des suggestions visant à
pallier ce manque seront proposées. Enfin, des implications pratiques ainsi
que des directions futures seront précisées.

3. Vers un développement de la vitalité


organisationnelle ?
Qu’est-ce qui donne vie aux organisations ? Dans son article intitulé « Créer
des organisations en se basant sur le postulat que la vie compte »
(« Designing Organizations as if Life Matters », 2007) Diana Whitney, une
des expertes de l’AI décrit cette nouvelle conceptualisation de l’entreprise.
Elle propose de repenser le concept d’organisation actuellement basé sur des
hypothèses mécanistes en proposant une vision de l’organisation comme
système conçu pour affirmer, entretenir et maintenir la vie. Les pratiques
développant la vitalité organisationnelle incluent la quête d’une unicité
harmonieuse par le biais de relations positives valorisant l’inclusion et la
diversité à travers la mise en place d’un climat positif et la bienveillance
(Whitney, 2007). La participation, l’autonomie, la communication ouverte et
la créativité sont décrites comme autant de pratiques amenant davantage de
vie au sein des organisations (Whitney, 2008).
Vitalité organisationnelle
Tout ce qui donne vie (dynamisme, vigueur, énergie) à l’organisation.

3.1 L’AI, une approche centrée sur la vitalité


Les pratiques permettant d’affirmer, d’entretenir et de maintenir la vie
répondent au principe héliotropique défini par Cooperrider (1990), stipulant
que les systèmes humains ont un caractère largement héliotrope. Cela signifie
qu’ils présentent une tendance observable et largement automatique à évoluer
dans le sens de ce qui est « lumineux », c’est-à-dire qu’ils sont alimentés par
l’espoir et les images positives du futur. À l’image de nombreuses variétés de
plantes qui ont tendance à pousser dans la direction de la lumière du soleil
(symbolisée par le dieu grec Hélios), un processus analogue existerait dans
tous les systèmes humains qui cherchent à développer ainsi leur vitalité.
Questionnement appréciatif
Questions visant à conscientiser les forces et les ressources.
À travers l’AI, plusieurs éléments clefs participent à l’amplification de ce
principe, tels que le questionnement appréciatif ou encore l’élévation. Le
questionnement appréciatif est un moyen de débloquer le potentiel positif de
l’individu. Il génère des états d’esprit positifs – tels que la confiance, le
courage ou l’acceptation – essentiels à un haut niveau de performance
(Whitney, Trosten-Bloom, & Rader, 2010). Des exemples de
questionnements appréciatifs sont présentés dans le tableau 29.3.
Tableau 29.3 – Exemple de questionnements appréciatifs selon l’objet
(Whitney, Trosten-Bloom, & Rader, 2010)
Quels sont vos espoirs et vos rêves les plus fous… ?
Quoi ? Si vous aviez 3 souhaits pour améliorer la santé et la vitalité de votre organisation, quels seraient-ils ?
Quelles sont les meilleures opportunités pour réaliser vos espoirs et vos rêves ?

Qui a besoin d’être impliqué pour que nous réussissions ?


Qui d’autre a un intérêt dans l’avenir que nous créons ?
Qui ?
De qui pouvons-nous apprendre ?
Qui a les atouts qui complètent le mieux nos atouts ?

Où pouvons-nous tirer parti de nos atouts pour atteindre des résultats encore meilleurs ?
Où ?
Où allons-nous commencer ?
Quand ? Quand avons-nous été à notre meilleur ?

Comment puis-je vous aider à réaliser vos espoirs et vos rêves les plus fous ?
Comment ?
Comment puis-je vous soutenir maintenant ?

Questionner de manière appréciative permet de développer la vitalité au sein


des organisations en mobilisant des gisements de ressources positives. Ces
dernières constituent les matières premières dans la construction d’un futur
positif.
Pour Cooperrider et Godwin (2015), le pouvoir du changement s’ancre
également dans ce qu’ils nomment « l’élévation ». À l’image d’une grue qui
élève une charge, l’élévation est définie comme le fait de mobiliser les forces
et les atouts d’un système, inspirant le collectif à devenir meilleur. L’individu
et son système sont donc plus aptes au changement lorsqu’ils sont plus forts,
connectés à leurs forces individuelles et collectives, à leurs collègues, et aux
possibilités futures positives. Les ressources individuelles (cognitives et
affectives) ainsi que les ressources collectives (relationnelles et
environnementales) deviennent alors le socle du changement. Cooperrider et
Godwin définissent une équation du changement présentée dans la
figure 29.1.

Figure 29.1 – Équation du changement (Cooperrider & Godwin, 2015)

Le succès du changement est prédit par l’expérience collective d’élévation,


divisée par l’expérience du déficit. Les exemples de pratiques permettant
l’élévation sont décrits dans l’encadré 29.1.
Encadré 29.1

Exemples de pratiques élévatrices (Whitney, Trosten-Bloom, &


Rader, 2010)
Chercher le meilleur des individus, des situations, des
organisations.
Partager des histoires des meilleures pratiques.
Associer les sujets selon leurs forces pour davantage de
collaboration.
4. Impacts de l’AI en milieu organisationnel
et mécanismes engagés
La littérature scientifique au sujet de l’AI, principalement constituée
d’études de cas, indique que cette approche est susceptible d’occasionner une
variété d’impacts positifs en milieu de travail (voir Bushe & Kassam, 2005 ;
Bushe & Paranjpey, 2014 ; Verleysen et al., 2015). Ceux-ci peuvent être
regroupés en quatre grandes catégories de conséquences et de mécanismes :
la générativité, l’engagement et la performance, la coopération et
l’épanouissement.

4.1 Générativité
L’AI est présenté comme un processus décuplant la générativité (Bushe &
Kassam, 2005 ; Bushe & Paranpjey, 2015 ; Cooperrider, 2013 ; Powley et al.,
2004).
Générativité
L’émergence de nouvelles idées amenant de nouvelles actions.
En premier lieu, l’AI est génératrice d’idées (Bushe, 2010), c’est-à-dire
qu’au cours du processus, une ou plusieurs idées nouvelles surgissent et
amènent les individus à agir de manière novatrice et bénéfique tant pour eux
que pour autrui. La génération d’idées amène une vision novatrice du futur,
notamment à travers les images mentales (Bushe, 2007). Aux phases de
découverte et de devenir, une vision collective du futur se crée (Ruhe et al.,
2011 ; Trajkovski et al., 2015). Imaginer un futur collectif positif et possible
permet alors de nourrir l’espoir des participants (Barrett & Fry, 2005) et de
limiter les commentaires négatifs (Finegold et al., 2002 ; Gonzales & Leroy,
2011). L’AI est également génératrice d’émotions positives telles que la fierté
(Cooperrider & McQuaid, 2012), la satisfaction (Gonzales & Leroy, 2011) ou
encore l’espoir (Cooperrider & Barrett, 2002). Enfin, l’AI est aussi
génératrice d’énergie positive (Baker et al., 2009 ; Berrisford, 2005 ;
Cooperrider & McQuaid, 2012) et d’excitation de travailler dans un
environnement hautement collaboratif (Bright, Cooperrider, & Galloway,
2006). Cet élan facilite la mobilisation de l’énergie nécessaire à la mise en
place de nouvelles actions au sein de l’entreprise (Egan & Lancaster, 2005).
4.2 Engagement et performance
L’AI promeut l’engagement et la performance à travers la création d’images
et d’actions positives (Baker et al., 2009). En visant l’inclusion d’un
maximum de parties prenantes, elle permet de créer des ponts entre les
individus (Baker et al., 2009 ; Cooperrider & McQuaid, 2012 ; Mantel &
Ludema, 2004) et génère de l’engagement (Ruhe et al., 2011). L’AI permet
également de développer la conviction collective que l’équipe possède les
connaissances et les compétences nécessaires pour accomplir les tâches et
développe davantage d’identification au groupe (Peele, 2006).
L’apprentissage se fait plus rapidement (Ridley-Duff & Duncan, 2015 ;
Trajkovski et al., 2013), l’attention et l’efficacité étant stimulées (Bright
et al., 2006 ; Cooperrider & McQuaid, 2012). Les prises d’initiative sont plus
nombreuses (Cooperrider & McQuaid, 2012), et la performance est accrue
par l’amplification du pouvoir décisionnel ainsi que le développement d’un
sentiment de responsabilité et d’autonomie (Conkright, 2011 ; Finegold et al.,
2002 ; Powley et al., 2004).

4.3 Coopération
Par son processus inclusif et rassembleur, l’AI promeut la coopération entre
les participants (Baker et al., 2009 ; Egan & Lancaster, 2005 ; Falk, 2014 ;
Trajkovski et al., 2015). Les actions altruistes envers le groupe – liées au
développement d’un sentiment d’unité – sont plus fréquentes, décuplant
l’efficacité groupale (Egan & Lancaster, 2005 ; Falk, 2014 ; Gonzales &
Leroy, 2011 ; Powley et al., 2004). Ce phénomène prend racine dans la
création de partenariats tout au long de l’intervention (Finegold et al., 2002 ;
Trajkovski et al., 2015) et dans une forme d’approche qui se veut inclusive
(Cooperrider & McQuaid, 2012). L’AI est aussi le terrain fertile
d’interactions respectueuses (Ruhe et al., 2011), permettant la création rapide
d’un sentiment d’intimité entre les participants et une identité de groupe plus
forte (Baker et al., 2009 ; Jones, 1998). Elle accroît les comportements
positifs envers le groupe, tels que la participation, la confiance dans les
capacités de l’équipe, la prise de décision et la satisfaction à l’égard des
membres (Bushe & Coetzer, 1995). Davantage d’actions altruistes sont
engagées, dans un climat plus détendu où le rire est présent (Stefaniak, 2007).
Les conversations tendant alors à converger (Egan & Lancaster, 2005 ;
Mantel & Ludema, 2004). Le dialogue étant utilisé comme stratégie de
groupe, les participants se montrent plus ouverts à recevoir et donner du
feedback positif (Clarke & Thornton, 2014 ; Stefaniak, 2007), ainsi qu’à
nommer des éléments demandant du courage (Baker et al., 2009). Les
relations positives se créent sur une base d’honnêteté et de confiance
(Cooperrider & McQuaid, 2012 ; Watkins, Dewar, & Kennedy, 2016), de
respect (Shendell-Falik et al., 2007), et d’empathie (Cooperrider & McQuaid,
2012).

4.4 Épanouissement
L’AI favorise l’épanouissement humain à la fois en développant les
meilleures pratiques humaines en entreprise et les échanges de groupe (Baker
et al., 2009 ; Clarke & Thornton, 2014 ; Stefaniak, 2007). Comme il se sent
entendu, le participant peut mieux se connecter à ses émotions (Berrisford,
2005). La focalisation sur les bonnes pratiques permet un sentiment de fierté
(Cooperrider & McQuaid, 2012), davantage de confiance en soi et de
satisfaction (Gonzales & Leroy, 2011) ainsi que le développement de
l’espoir, de l’optimisme et de la résilience (Verleysen et al., 2015). Selon
Cooperrider et Barrett (2002) l’AI, par l’étude des succès et les échanges
subséquents, élève le niveau de conscience et inspire les individus, tout en
développant l’humilité. Un changement d’attitude et de langage survient ; une
attitude plus positive se manifeste (Clarke & Thornton, 2014 ; Finegold et al.,
2002). Ces éléments font partie de ceux qui développent la vitalité
organisationnelle.

5. Une mise en œuvre complexe


L’AI est une approche qui, indéniablement, suscite engagement,
enthousiasme et mobilisation lors de l’intervention (Bushe & Paranjpey,
2014 ; Cooperrider & McQuaid, 2012). Cependant, tant dans la littérature que
dans la pratique, il apparaît qu’un point central reste encore nébuleux et
mérite d’être davantage approfondi et concrétisé : la phase de déploiement
(Creede & Nashman, 2019).
La phase de déploiement est définie comme la mise en place des activités et
de projets permettant de réaliser la vision préalablement définie et
collectivement choisie (Cooperrider, 2012). L’AI est décrite comme
transformatrice pour l’organisation lorsque la phase de déploiement se fait sur
un mode improvisationniste (Bushe & Kassam, 2005). C’est-à-dire qu’elle
fonctionne lorsque différentes idées du changement sont librement mises en
œuvre par divers acteurs de l’organisation simultanément, à travers des
initiatives locales. Cependant, le mode d’implémentation – décrit comme la
poursuite d’un changement spécifique défini par les décideurs puis transmis
au reste de l’organisation dans une approche verticale descendante – n’est
que peu étudié. Il s’avère pour sa part beaucoup plus ardu puisqu’il implique
un suivi et un maintien du momentum créé par le processus de l’AI dans la
durée (Creede & Nashman, 2019). L’implantation du changement étant une
étape tant cruciale que complexe, détailler davantage cette dernière étape tout
en s’inspirant de théories du changement existantes semble central.
Stouten (2018) émet une critique quant aux approches de gestion de
changement organisationnel, incluant l’approche appréciative, dans son
analyse de la littérature : l’opinion des experts serait davantage citée que les
données scientifiques. De ce fait, les organisations contemporaines ont ainsi
souvent de la difficulté à créer des changements significatifs et durables. De
plus, la recherche en psychologie organisationnelle, bien qu’abondante,
demeure fragmentaire à l’égard des processus de gestion du changement
organisationnel. Dans une revue de littérature approfondie, Stouten cherche à
pallier ce manque en détaillant dix étapes du changement ancrées dans les
données probantes. Ces dernières visent à cadrer les interventions afin
d’optimiser les chances d’obtenir une transformation durable in fine. Les dix
étapes sont les suivantes :
1. évaluer le problème motivant le changement ;
2. créer et soutenir une coalition au changement ;
3. définir une vision claire et convaincante ;
4. communiquer la vision ;
5. mobiliser l’énergie pour le changement ;
6. donner les moyens d’agir ;
7. développer les connaissances et les compétences nécessaires au
changement ;
8. identifier les gains à court terme et les utiliser comme renforcement
positif ;
9. évaluer et renforcer le processus de changement ;
10. institutionnaliser le changement dans la culture d’entreprise.
Selon Stouten (2018), ces étapes sont partiellement incluses dans l’AI. La
première étape correspond à celle de la découverte, la troisième celle du
devenir, la cinquième celle de la décision et la sixième celle du déploiement.
L’AI pourrait donc être bonifiée par les étapes supplémentaires décrites par
l’auteur. Ainsi, la phase finale de déploiement pourrait s’appuyer sur les
étapes 6 à 10 et en intégrer les principaux éléments afin d’accroître ses
chances de succès. Cela englobe les pratiques reconnues d’accompagnement
à la mise en œuvre du changement, par exemple en maintenant les équipes
informées des suites à venir, en développant les connaissances et les
compétences nécessaires au changement, en impliquant les employés en
continu, en donnant accès aux ressources et en soutenant dans la résolution
des problèmes.
Dans ce contexte, le rôle du manager revêt par ailleurs une importance
primordiale. Celui-ci doit faire preuve de perspicacité et adapter son
leadership de manière à anticiper et résoudre certains « blocages
psychologiques » potentiels que les employés peuvent avoir à l’égard du
changement. Dans son article « Démystifier la résistance au changement »,
Bareil (2008) identifie sept phases de préoccupation pouvant entraver le
processus de changement et suggère des actions adaptatives pour les
managers. Ces dernières sont décrites dans le tableau 29.4.
Tableau 29.4 – Les 7 phases de préoccupation et leurs actions adaptatives
(Bareil, 2008)
Phases de
Expressions courantes Priorité de gestion
préoccupations

« Je doute que ce changement me Communiquer de façon précise et donner de


Aucune préoccupation
concerne » l’importance au changement

Préoccupations
centrées sur le « Que va-t-il m’arriver ? » Écouter et soutenir
destinataire

Démontrer le sérieux et les raisons du


Préoccupations
« Est-ce que le changement est là pour changement et illustrer les moyens engagés
centrées sur
durer ? » par l’organisation pour la réussite du
l’organisation
changement

Préoccupations
« Qu’est-ce au juste que ce Communiquer le plan d’action, les ressources
centrées sur le
changement ? » « Comment fait-on ? » et faire participer
changement
Préoccupations Faciliter le transfert des nouveaux acquis :
« Est-ce que je vais être capable de… ? »
centrées sur formation, accompagnement, temps
l’expérimentation d’adaptation

Préoccupations « Qui pourrait-on réunir pour qu’on


Faciliter les échanges entre destinataires et
centrées sur la collabore à trouver des solutions et
devenir une organisation apprenante en
collaboration avec auprès de qui transférer notre récent
changement
autrui savoir ? »

Préoccupations
centrées sur
« Comment pourrait-on faire mieux ce Laisser émerger des pistes d’amélioration du
l’amélioration
qu’on fait bien avec le changement ? » changement
continue du
changement

Une fois les préoccupations considérées, les managers peuvent appuyer les
réussites à court terme, afin de transmettre un sentiment de progrès dans la
mise en place du changement. Des buts et objectifs clairs doivent être
spécifiés et redéfinis tout au long du processus. Le changement peut être
évalué et renforcé positivement tout au long de la mise en œuvre. Enfin,
l’institutionnalisation du changement permet la création d’une nouvelle
norme. Cela consiste à intégrer le changement dans les activités journalières,
de même que d’expliciter et communiquer les résultats du changement aux
employés pour les rendre visibles. Audet (2010) suggère de valoriser les
microchangements tout au long du processus, afin de continuer à donner un
sens à la vision définie et de supporter l’émergence de nouvelles initiatives.

6. L’AI, approche révolutionnaire de


l’accompagnement au changement ou
pratique qui questionne ?
De l’ensemble des arguments théoriques et pratiques qui précèdent, il est
aisé de conclure que l’AI se positionne comme la technique
d’accompagnement au changement à privilégier. Pourtant, est-ce vraiment le
cas ? Pourquoi une AI n’est-elle pas systématiquement mise en place dès lors
qu’il est question de changement en entreprise ? Que devient la remarque de
Stouten (2018) ? En effet, de nombreuses études de cas portant sur l’AI en
montrent la pertinence. Cependant, les études à devis (quasi) expérimentaux
ou ERC restent rares. Autrement dit, où sont les données quantitatives
permettant d’appuyer les études de cas témoignant de l’efficacité de
l’approche ? Ces questions sont fondamentales parce qu’au regard de la
littérature développée ici, tout semble effectivement se passer comme si l’AI
était une technique d’intervention particulièrement efficace. Seulement où est
la plus-value par rapport à d’autres approches ? Cette question pourrait
sembler saugrenue or à la lecture des travaux scientifiques portant sur l’AI en
milieu organisationnel, il semble que seules quatre études à devis (quasi)
expérimentaux aient fait de cette question de recherche leur axe central
(e. g. Miglianico, Dubreuil, Miquelon, Bakker, & Martin-Krumm, soumis).
La question n’est pas de savoir si l’AI « marche » (ce dont témoignent les
études de cas) mais de savoir ce qu’elle apporte en plus d’une approche qui
ne serait fondée que sur les forces par exemple ou sur la résolution de
problème. Dans la même veine, en termes de durabilité des effets sur les
salariés, sur l’entreprise ou sur sa performance, quelle est la plus-value de
l’AI ? Ces différentes questions demeurent, à notre connaissance, sans
réponses. Des études révèlent un changement entre des prétests et des post-
tests, mais qu’est-ce qui permet d’attester que c’est bien l’AI qui en est à
l’origine et qu’il n’est pas question d’effet Hawthorne par exemple ? Ces
quelques questions montrent combien il convient d’être prudent. Autant l’AI
peut susciter l’enthousiasme chez les professionnels de l’accompagnement au
changement en entreprise, autant elle pose par la même occasion de très
nombreuses questions de recherche aux scientifiques afin de préciser sans
doute en premier lieu sa plus-value mais aussi les processus qu’elle engage
chez les salariés ainsi que la durabilité de ses effets.

Conclusion
En somme, en explorant les forces et les ressources du système, en générant
le changement par le biais d’idées nouvelles s’inscrivant dans une vision d’un
futur positif ou encore en élevant le collectif, l’AI développe la vitalité
organisationnelle. Elle s’inscrit dans ce principe héliotropique et accroît la
générativité, l’engagement et la performance, la coopération et
l’épanouissement des employés. L’AI est à la fois une philosophie et un outil
d’accompagnement au développement organisationnel, qui suscite
immanquablement la mobilisation des systèmes concernés. Il semble
toutefois que la phase de déploiement de l’AI gagnerait à être bonifiée en y
intégrant des composantes supplémentaires issues des plus récentes théories
du changement organisationnel. Par ailleurs, des recherches s’avèrent
indispensables afin d’en évaluer la plus-value, d’identifier les processus
engagés et de mesurer la durabilité des effets.

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1. Par Marine Miglianico, Philippe Dubreuil, Paule Miquelon et Charles Martin-Krumm.
Chapitre 30
Comment l’approche
par les forces favorise-t-elle
le fonctionnement optimal
des collaborateurs ? Une
explication par la théorie
de l’autodétermination1

Sommaire
1. Problématique et objectif
2. Les bienfaits de l’approche par les forces
3. Les ressources que l’approche par les forces offre aux
travailleurs
4. Les mécanismes explicatifs de la relation entre les
ressources de l’approche par les forces, le bien-être et
la performance au travail
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Les bienfaits de l’approche par les forces sont bien connus. Cette
approche novatrice en milieu de travail favorise notamment le
bien-être et la performance au travail. Pourtant, les mécanismes
explicatifs qui sous-tendent la relation entre l’approche par les
forces, le bien-être et la performance restent inconnus. Le présent
chapitre propose un cadre théorique pour pallier cette limite.
Résumé long
Ce chapitre présente l’approche par les forces, une intervention
positive et développementale en milieu de travail qui valorise le
potentiel humain. Les bienfaits de l’approche par les forces sont
largement démontrés dans la documentation scientifique,
notamment en ce qui a trait à l’augmentation de la performance et
du bien-être au travail. Toutefois, à ce jour, les mécanismes
explicatifs potentiellement à la base de ces bienfaits observés
restent largement sous-étudiés. Le chapitre qui suit est divisé en
trois sections, chacune expliquant pourquoi l’approche par les
forces augmente le bien-être et la performance au travail. Il débute
avec une recension des écrits qui traite des bienfaits de cette
approche dite d’« abondance ». Ensuite, il examine les ressources
clefs que l’approche par les forces offre aux travailleurs. Ces
ressources sont tant personnelles (i. e. la connaissance des forces
et l’utilisation des forces) que contextuelles (i. e. le soutien
organisationnel à l’utilisation des forces et la rétroaction axée sur
la promotion). Enfin, il conclut avec la proposition d’un cadre
théorique fondé sur la théorie de l’autodétermination qui explique
la relation entre les ressources de l’approche par les forces, la
performance et le bien-être au travail.

Mots-clefs : approche par les forces, théorie de


l’autodétermination, bien-être psychologique, performance au
travail.
Questions
• Quels sont les bienfaits de l’approche par les forces ?
• Quelles ressources l’approche par les forces offre-t-elle aux
travailleurs ?
• Quels sont les mécanismes pouvant expliquer la relation entre
l’approche par les forces, le bien-être et la performance au
travail ?
1. Problématique et objectif
1.1 Présentation de la problématique
Afin de contribuer au développement professionnel de l’employé, les
psychologues en milieu de travail proposent des interventions (e. g. plan de
compétences, plan de carrière, gestion des talents, évaluation de la
performance). Communément intitulées réduction des faiblesses ou
correction des déficits au travail, ces interventions visent habituellement à
diminuer l’impact de ses faiblesses sur l’expérience de travail (Van Woerkom
et al., 2016).
D’une part, la réduction des faiblesses permet de réduire l’anxiété associée à
l’exécution d’une tâche non maîtrisée (e. g. Brouwers & Tomic, 2000 ;
Maslach, Schaufeli, & Leiter, 2001). D’autre part, elle a peut-être pour effet
de sous-utiliser le plein potentiel des travailleurs (e. g. Alder et al., 2016 ;
Hodges & Clifton, 2004 ; Peterson & Seligman, 2002). Selon les
psychologues s’identifiant à l’approche de la psychologie positive, la
réduction des faiblesses ne tient pas compte des forces, des caractéristiques et
des capacités individuelles qui, lorsqu’elles sont utilisées, permettent à une
personne de se surpasser (Linley & Harrington, 2006 ; Wood, Linley, &
Maltby, 2006). Ces auteurs vont donc préconiser une approche
complémentaire à l’approche de diminution des faiblesses (i. e. une approche
dite « de déficit ») avec celle qui mise sur les forces au travail (i. e. une
approche dite « d’abondance »). Une force peut être définie comme « une
capacité naturelle à se comporter, à penser ou à ressentir d’une manière qui
permet un fonctionnement et une performance optimaux dans la recherche de
résultats » (Linley et al., 2006, p. 88). En somme, l’approche par les forces
insiste sur l’importance de développer en premier lieu les forces des individus
pour favoriser leur épanouissement (Peterson & Seligman, 2002).
Une approche visant à augmenter l’utilisation des forces comprend de
nombreux bienfaits, notamment pour faciliter le bien-être (e. g. Littman-
Ovadia & Steger, 2010 ; Forest, Mageau et al., 2012) et la performance
(e. g. Dubreuil et al. 2016 ; Lavy & Littman-Ovadia, 2011). Toutefois, une
limite souvent adressée à l’approche par les forces est que, si les théories sont
bien définies pour expliquer son contenu, cette approche reste toutefois moins
bien appuyée par des cadres théoriques expliquant les processus à la base des
effets observés (Bakker & al. 2018 ; Ghielen et al., 2017 ; Miglianico et al.,
2019 ; Quinn et al., 2012). Ce chapitre a ainsi pour ambition de pallier cette
limite en proposant des mécanismes explicatifs qui sous-tendent la relation
entre une approche par les forces, le bien-être et la performance au travail.

1.2 Les objectifs du présent chapitre


Le premier objectif est de décrire en profondeur les bienfaits de l’approche
par les forces, notamment en ce qui a trait à la performance et au bien-être en
milieu de travail. Le deuxième objectif est d’identifier les ressources clefs à
l’origine de l’approche par les forces ainsi que de leurs bienfaits. Le troisième
objectif est de proposer un cadre théorique pour expliquer la relation entre les
ressources de l’approche par les forces et leurs bienfaits.

2. Les bienfaits de l’approche par les forces


2.1 Les forces, le bien-être et la performance
du travailleur
2.1.1 L’utilisation des forces et le bien-être
Selon Seligman (2004), le bien-être psychologique s’explique par une vie
heureuse, engagée et pleine de sens. Il semble que l’utilisation des forces
contribue au bien-être psychologique des travailleurs, car, en premier lieu,
celle-ci contribue à une évaluation satisfaisante de son expérience de travail.
En effet, Forest et collaborateurs (2012), après avoir mis sur pied une
intervention par les forces auprès d’un échantillon, ont observé une
augmentation significative du bien-être psychologique au travail dans le
groupe expérimental (et ce par rapport au groupe contrôle). À plus forte
raison, les employés qui mobilisent leurs forces dans leur travail rapportent
un plus haut niveau de satisfaction envers la vie en général (Forest et al.,
2012 ; Harzer & Ruch, 2016 ; Littman-Ovadia & Steger, 2010). C’est
probablement pour cette raison qu’en utilisant leurs forces, les personnes
vivent une croissance personnelle et attribuent davantage un sens à leur vie et
à leur travail (Dik & Steger, 2013 ; Littman-Ovadia & Steger, 2010). Par
ailleurs, l’utilisation des forces entraîne une orientation motivationnelle saine
envers le travail (Dubreuil et al., 2014 ; Forest et al., 2012). En somme,
l’utilisation des forces contribue à l’évaluation satisfaisante et positive de son
expérience de travail.
L’utilisation des forces est également liée au caractère hédoniste et
subjectif du bien-être (Deci & Ryan, 2008). D’abord, l’utilisation des forces
stimule les émotions positives (Littman-Ovadia et al., 2017 ; Harzer & Ruch,
2013 ; Meyer & van Woerkom, 2016). Ceci est soutenu par le modèle de
l’activité positive qui suggère qu’entreprendre des activités positives, telles
qu’utiliser ses forces, déclenche l’expérience d’une gamme d’émotions
positives (Lyubomirsky & Layous, 2013). En effet, Meyer et van Woerkem
(2016) ont démontré que l’utilisation des forces s’accompagne d’une
augmentation significative, à court terme, des états affectifs positifs tels que
l’excitation, l’intérêt, l’enthousiasme et la fierté. Cela s’observe même par
une hausse d’énergie ; selon l’étude de Forest et collaborateurs (2012), les
personnes qui utilisent leurs forces plus intensément rapportent plus de
vitalité, une dimension particulière de l’engagement au travail (work
engagement ; Schaufeli & Bakker, 2004).
2.1.2 L’utilisation des forces et la performance
Le concept général de performance peut se concevoir à l’aide de deux
composantes. Il y a tout d’abord la performance intra-rôle qui représente les
activités qui transforment les matières premières en biens et services
(Motowidlo et al., 1994). Aussi, la performance peut être extra-rôle, souvent
reliée à l’environnement organisationnel, social et psychologique dans lequel
le noyau technique doit opérer (Motowidlo et al., 1994). Ce type de
performance est souvent étudié sous le prisme des comportements de
citoyenneté organisationnelle, caractérisés par des contributions individuelles
qui vont au-delà des exigences de l’emploi (Organ & Ryan, 1995).
En premier lieu, l’utilisation des forces est associée à la performance liée à
la tâche (Dubreuil et al., 2014, 2016 ; Harzer & Ruch, 2014 ; Littman et al.,
2017 ; Woerkom et al., 2016). Cela peut s’expliquer en partie par le fait que
l’utilisation des forces favorise l’efficacité dans la résolution de problème
(Macaskill & Denovan, 2013), notamment en stimulant la créativité (Cable
et al., 2015 ; Lee et al., 2016).
Ensuite, plusieurs études ont été réalisées pour vérifier si l’utilisation des
forces contribue à la performance extra-rôle (Harzer & Ruch, 2014 ; Kong &
Ho, 2016 ; Littman-Ovadia et al., 2017 ; van Woerkom & Meyers, 2015). Par
exemple, Lavy et Littman-Ovadia (2017) ont observé que l’utilisation des
forces favorise la présence de comportements de citoyenneté
organisationnelle (Lavy & Littman-Ovadia, 2017), plus spécifiquement, les
comportements qui détiennent une orientation prosociale (e. g. altruisme ;
Harzer & Ruch, 2014 ; Kong & Ho, 2016). En d’autres mots, plus les
employés utilisent leurs forces au travail, plus ils ont tendance à s’entraider,
ce qui améliore les performances de tous et de chacun.

3. Les ressources que l’approche par les


forces offre aux travailleurs
Selon Van Woerkom et Bakker (2018), pour mieux comprendre la portée de
l’approche par les forces, il faut d’abord identifier les ressources qu’elle offre
aux travailleurs. Autant personnelles que contextuelles, les ressources sont
des aspects du travail « positifs » qui peuvent faciliter la réalisation des
objectifs, augmenter la performance ou même stimuler la croissance et le
développement personnels (Schaufeli & Taris, 2014).

3.1 Les ressources personnelles


Une première ressource qu’offre l’approche par les forces est la
connaissance de ses propres forces. Le livre Forces et vertus de caractère
édité par Christopher Peterson et Martin Seligman (2005) décrit la
classification VIA (« Values in Action ») des forces et des vertus du
caractère. Cette classification comprend vingt-quatre forces de caractère
divisées en six catégories distinctes appelées vertus.
Le tableau 30.1 présente plus en détail ces vingt-quatre forces.
Tableau 30.1 – L’inventaire des forces VIA par Peterson et Seligman (2004)
Les vertus (6) Les forces (24)

Créativité
Curiosité
Sagesse Ouverture d’esprit
Amour de l’apprentissage
Perspective

Authenticité
Bravoure
Courage La persévérance
Zest

Gentillesse
Humanité L’amour
L’intelligence sociale

Justice
Justice Leadership
Esprit d’équipe

Pardon
Modestie
Tempérance
Prudence
L’autorégulation

Appréciation de la beauté et de l’excellence


Gratitude
Transcendance Espoir
Humour
Spiritualité

Cet outil permet d’ordonnancer les 24 forces à l’intérieur d’une personne, de


la plus présente à la moins présente, et ce afin d’identifier les 5 forces
prédominantes. Ces 5 forces les plus présentes sont dites forces « signatures »
car elle représente l’empreinte, la trace, la touche personnelle, nommément la
« signature » de la présence de l’existence d’une personne sur terre.
L’utilisation fréquente, intense et durable de ces forces semble grandement
faciliter le fonctionnement optimal de l’individu (e. g. Meyer & Van
Woerkom, 2017).
Bien que des outils soient mis au point pour identifier les forces (e. g. VIA ;
Peterson & Seligman, 2005), il s’agit surtout de l’utilisation des forces, quels
que soient les moyens de les identifier, qui conduit à des résultats positifs au
travail (bien-être et performance ; Harzer & Ruch, 2013 ; Keenan & Mostert,
2013 ; Wood et al., 2011). Utiliser ses forces dans son travail fait référence à
un comportement proactif, à l’instar de la recherche proactive de rétroaction
(Ashford, Blatt, & VandeWalle, 2003) et de la redéfinition (job crafting) du
travail (Wrzesniewski & Dutton, 2001). En d’autres mots, elle désigne une
initiative entreprise par les employés pour améliorer leur situation actuelle en
créant des circonstances favorables à l’atteinte d’objectifs, plutôt que de
s’adapter passivement aux conditions actuelles (van Woerkom et al., 2016).
En somme, l’identification des forces est une ressource cognitive de
l’approche par les forces (i. e. des connaissances ; Govindji & Linley, 2007)
tandis que l’utilisation des forces correspond à une ressource
comportementale de celle-ci.
3.2 Les ressources contextuelles
Des auteurs arguent que, pour pouvoir mobiliser ses forces dans son travail,
il faut d’abord que l’environnement soutienne leur utilisation en offrant des
ressources au travail (Dubreuil et al., 2016 ; van Mostert et al., 2016). L’une
se situe au niveau organisationnel, le soutien organisationnel perçu, et l’autre
provient du contexte relationnel, la qualité de la rétroaction offerte à
l’employé.
Le soutien organisationnel perçu se réfère aux convictions générales des
employés concernant la mesure dans laquelle leur organisation valorise leurs
contributions et se soucie de leur bien-être (Eisenberger et al., 1986). Les
employés peuvent percevoir différentes formes de soutien organisationnel
(e. g. au développement personnel ; Henkin & Davis, 1991, Hung, 2004).
Dans ce chapitre, il sera question de deux formes de soutien au
développement, à savoir le soutien à l’utilisation des forces et le soutien à la
correction du déficit.
Le soutien organisationnel à l’utilisation des forces est perçu lorsque les
employés ont la conviction que l’organisation les soutient activement dans
l’application de leurs forces au travail (Keenan & Mostert, 2013). Par
exemple, les organisations peuvent aider leurs employés à utiliser leurs forces
en modifiant la répartition des tâches en fonction des forces de chacun
(Linley & Harrington, 2006). En retour, les employés améliorent leur
performance envers la tâche (van Woerkom et al., 2016), et ils rapportent un
plus haut niveau d’engagement au travail (work engagement en anglais ;
Schaufelli & Bakker, 2004), et ce sur le long terme (Els, Mostert, & van
Woerkom, 2018).
Le soutien organisationnel perçu (e. g. le soutien à l’utilisation des forces)
se distingue du soutien à l’autonomie, un concept souvent discuté en
psychologie du travail et des organisations (e. g. Gagné, 2003). Le premier se
réfère à une perception globale du soutien qu’offre l’organisation, tandis que
le deuxième réside dans la relation avec le superviseur (Gillet et al., 2013).
Pour soutenir l’autonomie de leurs employés, les superviseurs doivent entre
autres fournir une rétroaction de qualité (Carpentier & Mageau, 2013, 2016).
La rétroaction vise à transmettre à l’émetteur la façon dont ses actions ont été
reçues ou interprétées, ainsi que les conséquences qu’elles ont eues (St-Onge,
2012).
La rétroaction peut prendre différentes formes, mais en général elle est soit
positive (e. g. communiquer les forces d’une personne) ou soit négative
(e. g. communiquer les faiblesses d’un individu ; Deci, Koestner, & Ryan,
1999 ; Kluger & DeNisi, 1996). Carpentier et Mageau (2013, 2016) ont en
fait suggéré que les termes « rétroaction axée sur la promotion » et
« rétroaction axée sur le changement » soient favorisés, car ils font une
meilleure distinction entre les objectifs et les conséquences de la rétroaction.
D’une part, la rétroaction axée sur la promotion a pour fonction de confirmer
ou de renforcer les comportements désirables (i. e. rétroaction positive), et
elle serait un élément clef d’une approche par les forces (Bakker & van
Woerkom, 2018). D’autre part, la rétroaction axée sur le changement
(i. e. rétroaction négative) indique que la performance est insuffisante et que
les comportements doivent être modifiés pour atteindre les objectifs attendus.
Cette dernière est surtout communiquée dans une option de réduction des
déficits au travail.

4. Les mécanismes explicatifs de la relation


entre les ressources de l’approche par les
forces, le bien-être et la performance au
travail
4.1 La théorie de l’autodétermination
La théorie de l’autodétermination (TAD) est une macrothéorie de la
motivation humaine appliquée depuis 45 ans dans plusieurs domaines,
notamment l’éducation, le sport ainsi que dans le monde du travail (Deci &
Ryan, 1985 ; Ryan & Deci, 2017). La TAD postule que la satisfaction de
besoins psychologiques innés, universels et fondamentaux influence la
qualité des motivations des personnes.
4.1.1 Les besoins psychologiques
Deci et Ryan (2000) définissent le concept de « besoin » selon deux
composantes. Premièrement, les besoins sont des nécessités intrinsèques,
organiques, plutôt que des acquis. En d’autres mots, les besoins ne sont pas
appris, ils ont une composante phylogénétique, et c’est pour cette raison
qu’ils sont universels nonobstant la culture (Ryan & Deci, 2017).
Deuxièmement, la théorie de l’autodétermination situe les besoins sur le plan
psychologique plutôt que physiologique. Ainsi, les besoins spécifient des
déterminants psychologiques innés essentiels au maintien de la croissance
psychologique, de l’intégrité et du bien-être. Tous les êtres humains
possèdent au moins trois besoins psychologiques : l’autonomie, la
compétence et l’affiliation sociale.
• Le besoin d’autonomie équivaut à la faim d’authenticité, au désir d’exercer
son libre arbitre pour agir en accord avec l’image que l’on a de soi-même, et
ce à l’intérieur des limites et règles de la société.
• Le besoin de compétence correspond au besoin d’impact, à la tendance que
l’on a de vouloir produire un effet sur son environnement et à obtenir les
résultats souhaités.
• Le besoin d’affiliation sociale est l’importance de se sentir connecté, lié,
attaché, uni aux autres, non pas dans le sens de la dépendance aux autres,
mais dans le sens de l’affiliation à la communauté et de l’interdépendance.
La théorie de l’autodétermination stipule que les humains recherchent
activement des situations qui leur permettront de satisfaire ces trois besoins.
La qualité de la motivation des employés est donc liée à la satisfaction du
besoin d’autonomie, de compétence, de relation. Les motivations sont issues
de deux grandes catégories différentes selon la TAD. Des besoins satisfaits
entraînent des motivations dites autonomes et, au contraire, des besoins
insatisfaits ou frustrés occasionnent des motivations dites contrôlées. Les
personnes qui démontrent une motivation de type autonome sont plus
performantes et rapportent un plus grand bien-être psychologique que ceux
qui témoignent d’une motivation de type contrôlée (Baard et al., 2004 ;
Gagné & Deci, 2005 ; Olafsen et al., 2017 ; Ryan & Deci, 2017).
4.1.2 La qualité des motivations
Selon Deci et collaborateurs (2017), la motivation autonome se caractérise
par le fait que les personnes sont engagées dans une activité avec une
profonde volonté. Souvent, les activités régulées de manière autonome sont
intrinsèquement motivées, c’est-à-dire que les personnes sont motivées par le
simple plaisir et la satisfaction inhérente que procure l’activité (motivation
intrinsèque). Toutefois, une régulation externe des comportements peut
également, dans certaines circonstances, provenir d’une motivation
autonome. Cela se produit lorsque la motivation est issue d’une
internalisation de la valeur d’un comportement en lien avec l’atteinte d’un
objectif personnel (motivation identifiée). L’activité est alors valorisée et
jugée importante par la personne, qu’elle soit plaisante ou non. L’individu
estime qu’il n’est pas obligé d’adopter le comportement, mais qu’il est
important pour lui de la faire. Compte tenu du fait que l’individu estime qu’il
a le choix d’adopter ou non le comportement, ce dernier s’avère
autodéterminé (Gagné & Deci, 2005).
La motivation contrôlée est constituée des formes de motivation qui sont
moins ou pas du tout autodéterminées. La forme la plus évidente est la
motivation extrinsèque par régulation externe, c’est-à-dire que le
comportement est principalement contrôlé par des contingences externes, que
celles-ci soient matérielles ou sociales (i. e. récompenses ou punitions ;
Gagné & Deci, 2005). Une seconde sous-composante renvoie à la motivation
introjectée. Dans ce cas, l’individu s’engage dans une activité afin de ne pas
se sentir coupable, anxieux ou, encore, pour prouver aux autres sa valeur. Ce
type de motivation se distingue de la motivation extrinsèque par régulation
externe dans la mesure où les pressions proviennent de l’individu lui-même et
non de l’environnement (Gagné & Deci, 2005).

4.2 La théorie de l’autodétermination et


l’approche par les forces
La théorie de l’autodétermination offre un cadre théorique motivationnel
permettant de mieux cerner les mécanismes psychologiques en cause entre
plusieurs facteurs (environnementaux ou internes), les satisfactions et
frustrations de besoins psychologiques, les motivations, la performance et le
bien-être des personnes au travail. Elle peut donc soutenir la relation entre les
ressources de l’approche par les forces, la performance et le bien-être.
Si cette relation est évoquée par certains auteurs (Bakker et al., 2018 ;
Ghielen et al., 2017 ; Miglianico et al., 2019), il semble que seulement deux
études l’ont testée, et notamment une seule dans le contexte du travail. Linley
et ses collaborateurs (2010) ont observé que l’utilisation des forces, en
contexte clinique, favorise la satisfaction des besoins psychologiques des
patients et, par ricochet, le bien-être de ces derniers. Par ailleurs, Kong et Ho
(2016) ont démontré une association positive et significative entre
l’utilisation des forces et la motivation intrinsèque au travail, ce qui contribue
à la performance liée à la tâche et la performance contextuelle.
Trépanier et ses collègues (2015) ont proposé que les ressources contribuent
à la satisfaction des besoins psychologiques et, par conséquent, à la
motivation autonome, ce qui favorise ensuite le bien-être et la performance au
travail. En ce qui concerne le présent chapitre, pour que les ressources de
l’approche par les forces engendrent des résultats positifs, il faut d’une part
qu’elles contribuent à la satisfaction des besoins psychologiques et, par
conséquent, à la présence d’une motivation autonome (e. g. Fernet et al.,
2012). D’autre part, il faut qu’elles réduisent la frustration desdits besoins et
la motivation contrôlée.

Figure 30.1 – Les ressources de l’approche par les forces,


les besoins psychologiques et la motivation des travailleurs

4.3 Cinq propositions pour constituer le


modèle théorique des bienfaits de
l’approche par les forces
Pour commencer, l’association théorique de l’approche par les forces et la
satisfaction des besoins psychologiques de base (autonomie, compétence,
affiliation sociale) semblent soutenues dans la documentation (e. g. Linley
et al., 2010 ; Miglianico et al., 2019). Nous proposons que le soutien à
l’utilisation des forces, la rétroaction axée sur la promotion, la connaissance
des forces et l’utilisation des forces soient des ressources qui contribuent à la
satisfaction des besoins psychologiques et qui réduisent la frustration de ces
derniers.
Proposition 1 : le soutien à l’utilisation des forces, la rétroaction axée sur la
promotion, la connaissance des forces et l’utilisation des forces sont
positivement associés à la satisfaction des besoins de compétence,
d’autonomie, d’affiliation sociale.
Proposition 2 : le soutien à l’utilisation des forces, la rétroaction axée sur la
promotion et utilisation des forces sont négativement associés à la frustration
des besoins de compétence, d’autonomie, d’affiliation sociale.
Ensuite, en cohérence avec les postulats de la théorie de
l’autodétermination, le modèle propose que l’approche par les forces
contribue de manière indirecte à la motivation, par le truchement d’une
augmentation de la satisfaction des besoins psychologique et d’une réduction
de la frustration de ceux-ci (Trépanier et al., 2016).
Proposition 3 : la satisfaction des besoins psychologiques de base est une
variable médiatrice dans la relation les ressources de l’approche par les forces
et la motivation autonome.
Proposition 4 : la réduction de la frustration des besoins psychologiques de
base est une variable médiatrice dans la relation les ressources de l’approche
par les forces et la motivation contrôlée.
Pour conclure le modèle, les bienfaits démontrés de l’approche par les
forces sont généralement perçus sur le bien-être psychologique (Forest,
Mageau et al., 2012 ; Harzer, 2016 ; Peterson & Seligman, 2004 ; Littman-
Ovadia & Steger 2010 ; Lavy & Littman-Ovadia, 2011) et la performance au
travail (Lavy & Littman, 2017 ; Littman et al., 2017 ; Woerkom et al., 2016).
De ce fait, le modèle que nous proposons sera accompagné de résultats
positifs en ce qui a trait à ces trois indicateurs de fonctionnement optimal au
travail.
Proposition 5 : le bien-être et la performance au travail sont des
conséquences favorisées par la motivation autonome. La figure 30.2 illustre
le cadre conceptuel proposé.
Figure 30.2 – Cadre conceptuel

Conclusion
Le présent chapitre résume la situation d’une approche novatrice en matière
de développement, celle qui mise sur les forces des personnes au travail.
Miser sur les forces des collaborateurs apparaît comme une stratégie éclairée
pour maximiser la performance et le bien-être au travail, nommément le
fonctionnement optimal au travail. L’approche par les forces se manifeste
d’une part au niveau individuel (i. e. identification et utilisation des forces) et,
d’autre part, au niveau du contexte du travail (i. e. la perception d’un soutien
organisationnel à l’utilisation des forces et la rétroaction axée sur la
promotion). Comment l’approche par les forces contribue-t-elle au
fonctionnement optimal des collaborateurs ? La théorie de
l’autodétermination offre un cadre motivationnel pour répondre à cette
question. En effet, en s’appuyant sur celle-ci, le modèle théorique proposé
dans ce chapitre soutient que l’approche par les forces favorise possiblement
la satisfaction de besoins psychologiques fondamentaux et, parallèlement,
réduit la frustration de ces derniers. Ce qui contribue au maintien d’une
orientation motivationnelle dite autonome envers le travail. Par conséquent,
la performance et le bien-être sont donc les conséquences de la motivation
automne que génère l’approche par les forces.
Pour terminer, la psychologie positive insiste sur l’importance de
développer en premier lieu les forces des individus pour favoriser leur
épanouissement, en plus de tenir compte de leurs
limites/faiblesses. Évidemment, la correction des faiblesses permet de réduire
l’anxiété associée à des tâches non maîtrisées. Reliée à la théorie de
l’autodétermination, imaginons qu’une approche visant la réduction des
faiblesses au travail réduit la frustration des besoins d’autonomie, de
compétence et d’affiliation sociale au travail, tandis que l’approche par les
forces augmente leur satisfaction. Bien sûr, des recherches sur le terrain sont
nécessaires afin d’appuyer les propositions théoriques de ce chapitre par des
observations empiriques.

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1. Par Marc-Antoine Gradito Dubord, Dominique Lavoie et Jacques Forest.
Chapitre 31
L’économie du bien-être
subjectif1

Sommaire
1. La place du bonheur dans l’économie
2. Quels sont les déterminants principaux du bien-être
subjectif ?
3. Comment le bien-être subjectif influence-t-il nos
comportements et nos décisions ?
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Les mesures de bien-être subjectif sont de plus en plus
couramment utilisées dans la recherche en économie. Ce chapitre
présente les résultats considérés comme canoniques ainsi que
quelques questions importantes encore ouvertes.
Résumé long
Depuis une trentaine d’années, la science économique s’est saisie
des mesures de bien-être subjectif. D’une part, en tant
qu’indicateur agrégé, le bien-être subjectif est désormais considéré
comme une mesure de bien-être et de progrès sociétal. D’autre
part, au cours des trois dernières décennies, la recherche a mis au
jour un certain nombre de déterminants du bien-être subjectif
individuel, tel que le revenu, le statut dans l’emploi ou les relations
sociales, notamment conjugales. D’autres relations sont plus
ambiguës ou paradoxales. Le recours à ce type de mesure a
permis de valider des hypothèses anciennes mais difficiles à
illustrer empiriquement, telles que le caractère relatif et temporaire
de la satisfaction issue du revenu ainsi que d’autres interactions
sociales hors marché. Enfin, des résultats récents illustrent le
pouvoir prédictif du bien-être subjectif sur les comportements
individuels.

Mots-clés : économie, bien-être subjectif, bonheur, utilité.


Questions
• Quel rôle pour le bien-être subjectif en économie ?
• Quels sont les déterminants principaux du bien-être subjectif ?
• Comment le bien-être subjectif influence-t-il nos comportements
et nos décisions ?

1. La place du bonheur dans l’économie


Le bien-être subjectif s’est progressivement imposé comme une nouvelle
métrique du progrès social, à côté des indicateurs économiques plus
traditionnels que sont le revenu par habitant et l’emploi. Dans le même
mouvement, la recherche économique a permis d’identifier les principaux
déterminants du bien-être subjectif individuel. Elle a également montré que
les comportements et les décisions des personnes étaient eux-mêmes
influencés par leur niveau de bien-être subjectif.
Si en principe, la maximisation de l’utilité est la base de tout comportement
économique, il est difficile de ne pas voir derrière ce concept d’utilité la
notion de bien-être ou de bonheur. Quasiment tous les philosophes
occidentaux ont supposé que la quête du bonheur (quelle que soit sa
définition) était le motif ultime de toute initiative humaine. Une expérience
montre que dans l’immense majorité des cas, les gens tranchent effectivement
en faveur des choix susceptibles de les rendre heureux plutôt qu’en vue
d’autres critères (Benjamin et al., 2012). Dans cette optique, Kahneman et al.
(1997) distinguent l’utilité ex ante, decision utility, qui préside au choix, et
l’utilité ex post, experienced utility, définie comme la satisfaction issue du
choix. Lorsque les deux concepts coïncident, c’est que les choix des individus
ont été judicieux, c’est-à-dire propices à leur plus grand bien-être.
Pour autant, l’économie du bonheur est-elle utilitariste, au sens de Bentham
(1789), qui proposait de maximiser la somme des plaisirs d’une population,
déduction faite des peines ? C’est ce que suggère, encore une fois, l’article
précité de Kahneman, Wakker et Sarin, intitulé, « Back to Bentham ».
Pourtant, à la différence de l’approche utilitariste classique qui envisage le
bien-être collectif, sans distinguer les situations individuelles, l’économie du
bonheur cherche à comprendre les relations typiques entre conditions de vie
et bonheur, au niveau individuel.
L’intérêt pour la mesure du bien-être subjectif repose sur deux motivations
liées. La première est l’insatisfaction vis-à-vis du PIB (produit intérieur brut)
par tête, autrement dit du revenu par habitant, devenu après la Seconde
Guerre mondiale le principal indicateur de bien-être et de progrès à l’usage
des décideurs publics. Les critiques adressées à ces métriques sont connues,
depuis le discours de George Kennedy en 1968 jusqu’au rapport Stiglitz, Sen,
Fitoussi de 2009 : non prise en compte des activités non marchandes, des
externalités (positives comme négatives) ou de l’épuisement des stocks de
richesse naturelle, etc. Surtout, si l’objectif de la politique publique est le
bien-être de la population, comme c’est certainement le cas depuis l’après-
guerre, le revenu national ne vaut qu’en tant que cible intermédiaire
présentant l’avantage d’être observable et mesurable. Or, depuis les
années 1970, de grandes enquêtes nationales et internationales interrogent les
citoyens sur leur satisfaction dans la vie et leur bonheur. Pourquoi alors se
priver d’une mesure disponible et plus immédiatement proche de la cible ?
C’est précisément en essayant de vérifier la corrélation entre revenu national
et bonheur que les économistes ont ouvert la bouteille à encre de ce champ de
recherche. Dès 1974, le démographe et économiste Richard Easterlin, montre
qu’en tendance, sur longue période, un accroissement continu du PIB par
habitant ne provoque pas de hausse du bien-être moyen (Easterlin, 1974,
1995, 2001). Ce résultat surprenant remet en cause la croissance économique
comme finalité sociale. Il semble également contredire la rationalité
économique entendue comme recherche de la meilleure adéquation entre les
ressources disponibles et les objectifs : si les efforts nécessaires à la
croissance ne sont pas porteurs de bien-être, c’est qu’ils ne sont pas
réellement au service de l’intérêt bien compris de leurs auteurs. Le socle de
légitimité de la science économique et de l’économie de marché se voit
affaibli. En ce sens, l’économie du bien-être subjectif est partie prenante de
l’économie comportementale, au sens où elle soumet l’hypothèse classique
de rationalité à l’épreuve de l’observation empirique.
Les mesures de bien-être subjectif sont aujourd’hui utilisées de diverses
manières par les décideurs publics. La Grande-Bretagne a pris une avance
considérable sur les autres pays, en la matière, grâce à son enquête massive
Understanding Society et son projet What Works Wellbeing. L’OCDE publie,
depuis une dizaine d’années, un rapport (Comment va la vie ?) visant à
décrire l’évolution d’un ensemble de mesures de bien-être, dont des mesures
autodéclarées. En 2018, les gouvernements de l’Écosse, de l’Islande et de la
Nouvelle-Zélande ont mis en place le Wellbeing Economy Government visant
à évaluer systématiquement les politiques publiques selon les critères du
bien-être et de la soutenabilité. En France, la loi Sas2 de 2015 prévoit « un
rapport présentant […] de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des
indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable… ».
L’étude de l’évolution du bien-être subjectif des populations, à des échelles
plus ou moins vastes, est ainsi un exercice de plus en plus pratiqué. Les
mesures de bien-être subjectif servent également à évaluer les politiques
publiques. Ainsi, en ayant recours à des données longitudinales françaises,
Lepinteur (2019) montre que la mise en place de la réduction du temps de
travail en 2000, plus connue sous le nom des « 35 heures », a
significativement amélioré le niveau de bien-être déclaré par les travailleurs
du secteur privé affectés par la réforme. Apouey et al. (2018) évaluent les
conséquences des placements en maison de retraite sur le bien-être des
personnes âgées dépendantes et de leurs aidants. Apouey et al. (2019)
montrent que le passage à la retraite occasionne des chocs de santé positifs,
c’est-à-dire une évolution de la santé des personnes plus favorable qu’elles ne
l’avaient anticipé.
Lorsqu’une évaluation par le marché est difficile, voire impossible, les
mesures de bien-être subjectif peuvent également être mobilisées. Dans une
récente contribution, Dolan et al. (2019) mettent en évidence un effet
légèrement positif des jeux Olympiques de Londres (2012) sur le bien-être
des Londoniens, en comparaison avec les Parisiens et les Berlinois.
2. Quels sont les déterminants principaux
du bien-être subjectif ?
L’identification des sources du bien-être subjectif est un champ de
recherche extrêmement actif depuis une trentaine d’années. Parmi les facteurs
le plus souvent étudiés, certains sont liés au niveau de bien-être individuel de
manière univoque, tandis que d’autres entretiennent une relation plus
ambiguë avec le bonheur autodéclaré.

2.1 Le revenu
Le principal sujet d’investigation de la littérature consacrée au bien-être
subjectif concerne le revenu. De quelle manière le bonheur individuel est-il
lié au revenu individuel, au revenu national, à la croissance de ce dernier et
aux inégalités de revenu ?
Ces questionnements prennent leur source dans le paradoxe d’Easterlin
évoqué plus haut, à savoir l’absence de relation, en tendance longue, entre le
niveau de bien-être subjectif moyen déclaré par les habitants d’un pays (sur
une échelle graduée de 0 à 10 par exemple) et la croissance économique. Ce
« fait stylisé » est d’autant plus paradoxal qu’il entre en contradiction avec la
solide corrélation systématiquement observée entre revenu et bonheur en
coupe transversale : au sein d’un pays, les riches se déclarent plus heureux
que les pauvres, et les habitants des pays riches se déclarent plus heureux que
ceux des pays pauvres (Easterlin, 2001, 2005 ; Blanchflower & Oswald,
2004 ; di Tella, et al., 2003). Ce double paradoxe constituera l’aporie majeure
de ce champ de recherche (Senik, 2005, 2014), et demeure d’ailleurs objet de
controverse (Stevenson & Wolfers, 2008, 2013).
Les explications proposées par Richard Easterlin lui-même ont ouvert les
voies de recherche les plus explorées au sein de ce domaine. Il s’agit
d’hypothèses ayant retenu l’attention des sciences sociales depuis longtemps,
mais dont il restait difficile de fournir des preuves empiriques. L’idée
générale est que l’utilité (ou le bonheur) dépend, non pas du niveau de la
grandeur considérée comme source de satisfaction – le revenu par exemple,
mais de son rapport à un seuil de comparaison. Celui-ci peut être constitué
par le revenu d’autrui ou par le revenu atteint par l’individu considéré dans le
passé.
Dans le premier cas, ce sont les comparaisons sociales à un groupe de
référence qui réduisent, ou anéantissent, l’effet de la croissance économique
sur le bonheur. À la limite, si la satisfaction que les personnes retirent de
revenu est totalement relative, la croissance du revenu national ne peut être
qu’un jeu à somme nulle. Un très grand nombre de travaux empiriques ont
cherché à vérifier cette hypothèse et à identifier la composition des groupes
de référence pertinents, qu’il s’agisse des collègues, amis, membres de la
famille ou anciens camarades de classe3.
L’autre explication, l’hypothèse d’adaptation, a été moins souvent illustrée
(Clark, 1999 ; Grund & Sliwka, 2007 ; Di Tella et al., 2010), quoique plus
précocement, par l’école dite « de Leyden » dans les années 1970 (voir van
Praag & Ferrer-i-Carbonell, 2004), qui montre, par exemple, que
l’augmentation du revenu d’une personne exerce un effet positif sur sa
satisfaction subjective, mais que deux tiers de cet effet se seront dissipés au
terme de deux années.

2.2 Avoir un emploi


Le statut d’emploi est la caractéristique la plus étudiée, après le revenu.
Malgré l’hypothèse théorique classique selon laquelle le travail est source de
désutilité et n’est entrepris qu’en vue de la consommation qu’il autorise, les
études empiriques révèlent unanimement que ceteris paribus le chômage
exerce un effet négatif sur le bien-être subjectif, indépendamment de la perte
de revenu qu’il occasionne, certainement du fait du chômage et de la
désocialisation qu’il occasionne (Clark et Oswald, 1994 ; Winkelmann et
Winkelmann, 1998 ; Dolan et al., 2008 ; Kassenboehmer et Haisken-DeNew,
2009 ; Frey et Stutzer, 2010). Même passé, un épisode de chômage affecte le
bien-être des anciens chômeurs (Clark et al., 2001 ; Bell et Blanchflower,
2011 ; Clark et Lepinteur, 2019). L’effet stigmatisant du chômage est
d’ailleurs illustré par le fait que son impact négatif sur le bien-être d’une
personne est d’autant moins fort que d’autres (conjoints, entourage local) sont
également touchés (Clark, 2003).
Si avoir un emploi est une source de bien-être indéniable, la qualité de
l’emploi est également importante. Sécurité de l’emploi (Clark, 2001 ;
Georgieff et Lepinteur, 2018), temps de travail (Loog et Collewet, 2014 ;
Lepinteur, 2019 ; Booth et Van Ours, 2008 ; Collewet et al., 2017 ; Flèche
et al., 2018 ; Lepinteur, à paraître), climat social dans l’entreprise,
perspectives de carrière : ces aspects « procéduraux » comptent parfois autant
que le salaire lui-même (Senik, 2020).

2.3 La santé
L’état de santé subjectif des individus est quasiment indiscernable de la
notion de bien-être. De fait, empiriquement, les deux variables se révèlent
extrêmement corrélées. Lorsque l’on peut suivre les individus au long de leur
cycle de vie, on observe que la santé constitue le facteur majeur de leur bien-
être (Shields et Price, 2005 ; Dolan et al., 2008 ; Layard et al., 2014 ; Clark
et al., 2019). Oswald et Powdthavee (2008) montrent ainsi que, contrairement
à ce que des travaux antérieurs avaient suggéré, la dégradation de la santé
d’une personne (handicap, maladie) entraîne un déclin irréversible de son
bonheur. Par ailleurs, vivre avec un partenaire en mauvaise santé est aussi
une source de baisse de bien-être individuel (Clark et al., 2019).

2.4 Être entouré


Comme le souligne régulièrement le Rapport sur le bien-être dans le
monde, l’isolement ou, à l’inverse, le fait d’être entouré, jouent un rôle de
premier plan dans le bien-être subjectif.
Le fait de vivre en couple apparaît ainsi systématiquement associé à un
niveau de bien-être plus élevé. Il ne s’agit pas d’un pur effet d’autosélection
car si les personnes destinées à se marier sont déjà plus heureuses, tôt dans
leur vie, que celles qui resteront plus tard célibataires, le mariage leur apporte
également un surcroît de bonheur (Stutzer et Frey, 2006). Si l’effet du
mariage, en tant que sacrement, s’estompe au terme de quelque trois années
(Clark et Georgellis, 2013), aucun phénomène d’adaptation ne dissipe le
bienfait de vivre avec un partenaire.
L’impact des relations sociales au sens large est également positif. John
Helliwell et ses coauteurs ont abondamment illustré le rôle positif du capital
social et de la confiance – deux notions indissociables – sur la satisfaction au
travail et la satisfaction dans la vie (Helliwell et Huang, 2010 ; Helliwell
et al., 2010). La confiance dans les institutions et le gouvernement sont elles
aussi une partie intégrale du bien-être (Helliwell et al., 2016b). La densité des
relations sociales locales est, elle aussi, une condition du bonheur, et à
l’inverse, le dépeuplement et la désertification de l’environnement local est
une source de mal-être (Helliwell et al., 2016b ; Algan, et al., 2020).

2.5 Les anticipations


Phénomènes psychologiques plus difficile à objectiver, l’espoir et la
projection concernant l’avenir constituent un aspect essentiel du bonheur.
Ainsi, concernant la notion de revenu de référence évoquée plus haut, on a pu
montrer que cette grandeur ne représentait pas uniquement une aune de
comparaison, mais également une source d’espoir de progression (Senik,
2004 ; 2008a, Clark et al., 2009). Ce phénomène est connu sous le nom
d’effet d’information, ou effet tunnel à la suite de Hirschman (1973) : dans
certains cas, l’accroissement du revenu d’autrui peut être interprété comme
un signal de la possibilité de s’enrichir soi-même. Il se pourrait même que la
plupart des individus aient une préférence pour des trajectoires de niveau de
vie ascendantes, c’est-à-dire pour la progression en tant que telle (Senik,
2005).
Au-delà de ces relations stables et univoques, d’autres associations se
révèlent plus ambiguës et paradoxales. Il s’agit notamment du niveau
d’éducation, du genre et de l’âge.

2.6 Le niveau d’éducation


Il est difficile de mettre en évidence l’effet propre de l’éducation sur le bien-
être subjectif dans la mesure où la quasi-totalité de son effet passe par le
revenu qui en découle (Blanchflower et Oswald, 2004 ; Stutzer, 2004 ; Clark
et Jung, 2017). Pourtant, le niveau d’éducation exerce une influence positive
sur un ensemble de comportements et de choix, au-delà du revenu
(Oreopoulos et Salvanes, 2011). Si le lien entre éducation et bonheur est ténu,
c’est aussi parce que l’éducation ne donne pas uniquement accès à de
meilleurs emplois mieux rémunérés, mais augmente également les attentes et
aspirations (Clark et al., 2015 ; Nikolaev, 2016).

2.7 L’âge
La relation entre l’âge et le bonheur est sans doute la plus paradoxale. Elle
suit en effet une courbe en U, où le bonheur autodéclaré diminue avec l’âge
jusqu’à atteindre un point minimal aux alentours de cinquante ans, pour
remonter ensuite. C’est cette remontée qui étonne, dans la mesure où elle est
contre-intuitive et ne correspond à aucune prédiction de la théorie
économique. Pourtant, elle constitue l’un des faits empiriques les plus stables
de l’économie du bien-être (Gerdtham et Johannesson, 2001 ; Blanchflower
et Oswald, 2004). Plusieurs explications ont été proposées à ce phénomène :
maturité, ajustement des anticipations au tournant de la vie, allègement des
charges et responsabilités pesant sur les adultes, etc. À ce jour, aucune ne
permet de trancher définitivement le sujet.

2.8 Être une femme


2.8.1 Le sexe
Concernant la question du genre, les femmes déclarent souvent des niveaux
de satisfaction au travail, de satisfaction dans la vie et de bonheur supérieurs
à ceux des hommes (Clark, 1997 ; Helliwell et al., 2016a ; Graham et
Chattopadhyay, 2013). Mais, elles expriment également des niveaux de mal-
être émotionnel et de stress plus élevés (Nolen-Hoeksema et Rusting, 1999 ;
Kahneman et Deaton, 2010). L’explication réside peut-être dans le fait que
les femmes nourrissent des attentes en moyenne inférieures à celles des
hommes, en matière de réussite professionnelle. Cet état de fait pourrait donc
s’estomper à mesure que l’égalité hommes-femmes s’instaure sur le marché
du travail. Précisément, certaines études récentes montrent que cet avantage
des femmes en matière de satisfaction s’affaiblit au cours du temps
(Stevenson et Wolfers, 2009), voire tend à disparaître (Green et al., 2018).
L’étude des différences de bien-être entre les genres reste un domaine à
explorer (Senik, 2017).
2.8.2 L’inégalité des revenus
Si certaines variables macroéconomiques sont liées au bonheur de manière
univoque, notamment le taux de chômage et l’inflation (Di Tella et al. 2003),
il n’en va pas de même du rapport entre inégalité de revenu et bien-être. Le
célèbre article d’Alesina et al. (2004) montre que contrairement aux
Européens, le bonheur autodéclaré par les Américains est indifférent à
l’accroissement de l’inégalité des revenus au sein de leur État au cours du
temps. La relation dépend de l’interprétation de l’inégalité par les citoyens,
entre frustration et espoir de mobilité ascendante. Des problèmes de mesure,
notamment le caractère peu volatil des indices de Gini, rendent difficile la
mise en évidence d’une relation entre ces grandeurs. Un article récent montre
cependant que lorsque la part du revenu national accaparé par les 1 % les plus
riches augmente au sein d’un pays, le bonheur national moyen diminue
(Powdthavee et al., 2017).

3. Comment le bien-être subjectif influence-


t-il nos comportements et nos décisions ?
L’économie du bien-être subjectif ne se réduit pas à l’identification de ses
déterminants, elle se penche aussi sur ses conséquences. Le fait que le bien-
être ressenti par un individu exerce une influence sur ses choix et ses actions
futures constitue d’ailleurs l’un des modes de validation de ce concept. De
fait, la littérature a mis en évidence le pouvoir prédictif de la mesure du bien-
être subjectif.
Tout d’abord, les individus dont les niveaux de bien-être sont plus élevés
aujourd’hui connaissent bien souvent de meilleurs niveaux de santé dans le
futur (Diener et Chan, 2011 ; Banks et al., 2012 ; Steptoe et al., 2015). Le
bien-être est logiquement également positivement corrélé avec l’espérance de
vie (Danner et al., 2001). L’une des études les plus couramment citées dans
ce domaine est la « Nun Study », dans laquelle il est montré qu’au moment
de rejoindre le couvent, les jeunes sœurs ayant écrit les biographies les plus
positives sont celles dont la probabilité d’être toujours en vie 60 ans plus tard
est la plus élevée.
Le bien-être subjectif d’une personne et de son conjoint, et même l’écart
entre les deux, influence également le risque de divorce (Senik, 2012).
Le bien-être subjectif modifie également les comportements sur le marché
du travail. Les travailleurs les plus heureux aujourd’hui sont ceux dont la
probabilité de perdre leur emploi dans le futur est la plus faible (O’Connor, à
paraître). De même, à caractéristiques objectives de l’emploi données, un
faible niveau de satisfaction vis-à-vis de son emploi aujourd’hui prédit une
plus grande probabilité de quitter ce dernier plus tard. De manière
symétrique, les personnes dont le bien-être chute le plus lorsqu’elles se
retrouvent au chômage sont celles qui retrouvent le plus rapidement un
nouvel emploi (Mavridis, 2015).
Enfin, le bien-être et l’optimisme sont de puissants prédicteurs du
comportement électoral des personnes (Liberini et al., 2017 ; Algan et al.,
2018, 2019 ; Ward, 2020), les plus heureux et les plus optimistes étant plus
favorables aux gouvernements en place, ou aux partis dits « de
gouvernement », et moins attirés par les partis extrêmes.
Certains articles mettent en évidence la chaîne causale liant choc exogène,
bien-être et réactions comportementales. Ainsi, Bellet (2019) montre qu’aux
États-Unis, la satisfaction des personnes relativement à leur logement décroît
avec la surface des maisons construites dans le voisinage depuis leur
installation. Or cette concurrence conduit à une augmentation générale de la
taille des logements ainsi qu’à la contraction de nouveaux crédits
immobiliers. Autrement dit, la nature relative de la satisfaction vis-à-vis du
logement nourrit la bulle immobilière.
Dans un autre registre, Clark et Lepinteur (à paraître) montrent que la baisse
de la satisfaction concernant la sécurité de l’emploi (à la suite d’une réforme)
réduit la fécondité des travailleurs.

Conclusion
L’économie du bien-être subjectif a permis de mettre en évidence un certain
nombre de relations stables entre les conditions de vie des individus et leur
bonheur autodéclaré. D’autres relations restent plus ambiguës et indiquent
des voies de recherche à explorer.
En recueillant des évaluations subjectives, déclaratives, l’économie du
bonheur étend la méthode économique qui reposait auparavant sur les
préférences révélées par l’action. Elle permet de mettre en évidence des
phénomènes d’interactions sociales hors marché telles que les comparaisons,
l’interdépendance informationnelle, ou l’aversion à l’inégalité, ainsi que les
sources du bien-être au travail au-delà du salaire. Au total, l’économie du
bonheur contribue à la discipline en objectivant des grandeurs et des relations
inobservables.

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3. Clark & Oswald, 1996 ; Sloane & Williams, 2000 ; McBride, 2001 ; Blanchflower & Oswald, 2004 ;
Senik, 2004, 2008b, 2009 ; Ferrer-i-Carbonell, 2005 ; Luttmer, 2005 ; Clark & Senik, 2010, Card et al.,
2012 ; Godechot & Senik, 2015 ; Cullen et Perez-Truglia, 2018 ; Perez-Truglia, 2020 ; voir Clark,
Frijters, & Shields, 2008.
Chapitre 32
Les théories du contrôle au
travail1

Sommaire
1. Contrôle, stress et bien-être au travail
2. Contrôle, motivation et passion au travail
Conclusion et perspectives
Bibliographie
Résumé court
Le contrôle et l’autonomie sont deux notions très présentes dans
plusieurs domaines dont le travail. Ce chapitre présente les
relations entre ces notions, le stress et les processus
motivationnels tels que la motivation autodéterminée et la passion
dans le contexte du travail.
Résumé long
Les théories du contrôle sont nombreuses et variées mais jouent
un rôle important dans de nombreux domaines de vie comme le
travail. Ce chapitre présente les relations entre le contrôle et
l’autonomie en lien tout d’abord avec le stress. Le modèle général
du stress de Lazarus et Folkman sera d’abord présenté puis les
modèles de Karazek et Spector spécifique au travail seront
détaillés. La partie suivante sera consacrée aux relations avec les
processus motivationnels. Les liens avec la motivation
autodéterminée et les besoins fondamentaux seront abordés dans
un premier temps. Dans un second temps, les relations entre
contrôle, passion au travail et ses conséquences seront
présentées. Chacune de ces deux parties est conclue par
quelques perspectives d’application permettant d’améliorer le bien-
être au travail.

Mots-clés : contrôle, autonomie, stress, motivation, bien-être,


travail.
Questions
• En quoi le contrôle contribue à améliorer la relation perturbante
liée aux situations de stress au travail et ainsi améliorer le bien-
être de l’employé ?
• Quelle place joue le contrôle dans la motivation au travail et ses
conséquences sur le bien-être ?
• La passion est un élément moteur important dans les domaines
de vie et particulièrement au travail. En quoi avoir du contrôle sur
sa passion est bénéfique ?

Les théories du contrôle sont nombreuses et variées (pour une recension


voir Paquet, 2009). Néanmoins leurs implications sont importantes dans de
nombreux domaines de vie. La sphère professionnelle représente un domaine
d’application important des théories du contrôle sur l’individu. L’univers
professionnel recèle quantité de questionnements en matière d’autonomie ou
de contrôle sur son activité. Qui ne supporte plus le contrôle exercé par ses
supérieurs dans son travail ? Le contrôle est donc un élément majeur du bien-
être au travail.
Contrôle
Perception que nous pouvons agir sur la situation ou notre environnement
Très tôt les théories du stress, que ce soit dans son acception physiologique
(Weiss, 1971) ou davantage psychologique (Lazarus & Folkman, 1984)
accordent une place importante au contrôle. De la même manière, les travaux
de Spector (1982, 2009) ou encore de Karazek (1979) placent le contrôle au
centre du bien-être en entreprise. La première partie de ce chapitre aura pour
objectif de présenter les liens entre contrôle/autonomie, stress et bien-être en
général et plus particulièrement au travail.
La notion de contrôle n’est pas seulement présente dans les processus de
stress mais elle a également une place importante dans les processus
motivationnels. Ainsi la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 1985)
ou encore la théorie de la passion (Vallerand et al., 2003) accordent une place
importante au contrôle lié à des motivations autodéterminées ou à une
passion harmonieuse, et par conséquent au bien-être. La seconde partie de ce
chapitre sera donc consacrée aux relations entre processus motivationnels
(motivation et passion), contrôle, et leur impact sur le bien-être de l’employé.

1. Contrôle, stress et bien-être au travail


1.1 Le contrôle dans le modèle du stress de
Lazarus et Folkman
À la suite des travaux princeps de Selye (1936, 1946, 1950), qui
considéraient, dans un premier temps, la notion de stress comme une
agression physique produisant une réaction non spécifique
neuroendocrinienne et, éventuellement, des manifestations
physiopathologiques, la notion de stress a évolué vers la notion de stress
psychologique. Selye y a inclus des manifestations psychopathologiques
et/ou physiopathologiques. Cependant ce modèle du stress est rapidement
remis en cause notamment sur le fait que les réponses au stress n’étaient pas
stéréotypées. Ainsi, en 1966, Lazarus précise que le stress ne peut pas être
envisagé comme une simple relation de cause à effet, mais qu’il est
nécessaire d’en saisir l’aspect dynamique qui demeure essentiellement
individuel, c’est-à-dire fonction de la personnalité du sujet et de ses
expériences passées.
Stress
Relation particulière entre la personne et son environnement évalué par la
personne comme excédant ses capacités et mettant en danger son bien-être
(Lazarus & Folkman, 1984).
Depuis quelques décennies, un consensus semble donc apparaître sur la
conception transactionniste du stress : le stress serait donc « une relation
particulière entre la personne et son environnement évalué par la personne
comme excédant ses capacités et mettant en danger son bien-être » (Lazarus
& Folkman, 1984). Dans cette définition, le stress dépendrait donc, en partie,
de l’évaluation, « signification subjective de ce qu’il se passe » (Lazarus,
1998), que fait l’individu de la situation. Ainsi, différents facteurs liés aux
caractéristiques de la situation et aux caractéristiques de l’individu
influenceraient cette évaluation et seraient à l’origine de modifications de
cette réponse au stress. Parmi ces facteurs, le contrôle joue un rôle essentiel
sur l’évaluation du stress et le bien-être de l’individu. En effet, pour la plupart
des auteurs, le sujet qui perçoit une situation potentiellement stressante
comme contrôlable minimise le danger et évalue positivement ses ressources
personnelles (Nuissier, 1994). Cependant, il semblerait que ce ne soit pas
toujours le cas. Déjà Rotter (1966) ou Averill (1973) montrent qu’un fort
contrôle de la situation peut être néfaste. Il convient donc de rester prudent
quant à la généralisation de ces résultats. En effet, tous les individus ne
souhaitent pas forcément maîtriser la situation, notamment si elle présente
des caractéristiques menaçantes (pour plus de détails, voir Paquet, 2019).
L’émergence de cette conception du stress, associée à l’importance du
contrôle dans cette relation, a amené des auteurs comme Karazek (1979) ou
Spector (1982, 2009) à élaborer des modèles de stress et bien-être au travail
où le contrôle et l’autonomie jouent un rôle essentiel.

1.2 Le modèle « exigences/contrôle » de


Karazek
Le modèle « exigences/contrôle » développé par Karazek repose sur la
notion de job redesign, développé par Hackman et Lawler (1971), puis par
Hackman et Oldman (1976), où l’impact du contrôle et de l’autonomie dont
dispose le travailleur sur sa performance au travail va être essentiel. Ce
modèle repose sur deux variables essentielles : les exigences de la situation et
la latitude décisionnelle ou le contrôle dont dispose le travailleur. Les
exigences peuvent être définies comme « les stresseurs psychologiques
impliqués dans la réalisation de la charge de travail, les stresseurs liés aux
tâches inattendues et les stresseurs provenant des conflits personnels au
travail ». Ces exigences vont alors mettre le travailleur sous tension dont
l’impact sera différent en fonction du contrôle dont il dispose. Ainsi le
contrôle, encore appelé latitude décisionnelle dans ce modèle va venir
modifier l’influence de cette tension. Cette seconde variable du modèle
renvoie aux possibilités de l’individu de prendre des décisions de façon
autonome ou encore d’utiliser ses compétences. Ainsi en fonction des
exigences faibles ou élevées et du contrôle faible ou élevé les effets sur
l’individu ne sont pas les mêmes (voir figure 32.1).

Figure 32.1 – Modèle « exigences/contrôle » (Truchot, 2010 ; d’après Karasek, 1979)

L’interaction des deux variables du modèle Contrôle/Exigences de Karasek


est donc essentielle. Dans le cas d’une exigence forte et d’un faible contrôle,
les tensions seront élevées engendrant des conséquences physiques et
psychologiques négatives. À l’inverse, dans le cas d’une exigence forte mais
d’un fort contrôle, les tensions seront associées avec une mise en activité
favorisant, entre autres, le maintien d’un certain niveau de bien-être du
travailleur. Wall, Jackson, Mullarkey et Parker ont testé en 1996, au
Royaume-Uni, l’effet de cette interaction sur la satisfaction au travail et la
dépression. Après avoir interrogé 1 451 employés de diverses entreprises,
Wall et ses collaborateurs ont catégorisé le niveau d’exigences et de contrôle
allant de – 2 (très faible contrôle ou exigences) à + 2 (contrôle ou exigences
très élevés). L’impact de l’interaction entre ces deux variables a ensuite été
testé sur la satisfaction au travail et la dépression (voir figure 32.2).
Figure 32.2 – Résultats de l’interaction contrôle/exigences sur la dépression
et la satisfaction au travail (d’après Wall et al., 1996)

La figure 32.2 illustre bien les résultats issus du modèle de Karazek :


lorsque les exigences sont élevées et le contrôle est faible, la satisfaction au
travail est faible et la dépression élevée ; à l’inverse lorsque les exigences
sont élevées et le contrôle élevé, la satisfaction au travail est élevée et la
dépression est faible. Néanmoins, même si ce modèle reste parmi les plus
utilisés dans le domaine du travail, Spector (1982, 2009) émet quelques
réserves notamment liées au concept d’évaluation (appraisal, Lazarus, 1991,
1998) et souligne l’importance de la perception et de l’interprétation des
conditions. Il propose alors un modèle plus complet du contrôle dans les
processus de stress au travail.

1.3 Le modèle du contrôle dans les processus


de stress au travail de Spector
Le modèle du contrôle dans les processus de stress au travail proposé par
Spector (1982, 2009) (voir figure 3.32) repose sur une différence principale
entre critères environnementaux et entre critères perçus. Selon Spector, « les
premiers concernent le degré des choix donnés à un individu, soit par la
situation, soit par ses supérieurs ; les seconds concernent par contre la
quantité de choix qu’un individu pense avoir ». La perception que fait
l’individu de la part de contrôle ou d’autonomie accordée au travail jouerait
un rôle majeur. Autrement dit, le ressenti des personnes à propos de leur
travail affecte inévitablement leur perception de ce travail ; la quantité de
contrôle dont elles disposent, faisant partie de cette perception. En effet, si,
par exemple, les employés ne font pas confiance en leurs supérieurs, il est
possible que la part de contrôle ou d’autonomie qui leur est accordée soit
perçue comme basse ou inexistante. Ainsi pour Spector, le contrôle perçu
(variable modératrice entre les stresseurs environnementaux et le stress
perçu) serait modulé par des variables dispositionnelles du contrôle et par le
contrôle environnemental.
Autonomie
Se sentir à l’origine de nos comportements, pouvoir faire des choix entre
plusieurs pistes d’action.
Figure 32.3 – Le modèle du contrôle dans le processus de stress

Parmi les variables dispositionnelles du contrôle, on retrouve le locus de


contrôle (Rotter, 1966) ou le sentiment d’efficacité personnelle (Bandura,
1997). Ces variables dispositionnelles du contrôle, nombreuses et variées,
sont décrites par Paquet (2009). Concernant le locus de contrôle au travail,
plusieurs échelles spécifiques ont été développées comme celle de Spector
(1988) ou celle de Paquet, Lavigne et Vallerand (2014). Les études décrivent
en général le locus de contrôle interne comme un facteur bénéfique. Ainsi,
Storms et Spector (1987) montrent que le locus de contrôle interne
modérerait la relation entre frustration et comportement contre-productif.
Concernant le sentiment d’efficacité personnelle, son impact sur le stress a
également été montré dans différentes études. Nelson et Sutton (1990), par
exemple, montrent que les individus qui avaient un sentiment d’efficacité
personnelle élevé au travail présentaient des niveaux moins élevés de stress.
Le contrôle environnemental peut quant à lui être défini par le contrôle qui
est mis à disposition par l’environnement. Autrement appelées « moyens de
contrôle » (Paquet, 2009), on peut distinguer trois grandes catégories de
contrôle qui peuvent être données à l’individu : le contrôle comportemental
(action directe sur l’environnement pour influencer un événement menaçant),
le contrôle cognitif (lié à l’interprétation de l’événement menaçant) et le
contrôle décisionnel (lié à l’opportunité de faire des choix). Cependant, il
pourrait exister un écart entre ce que le supérieur donne comme moyen de
contrôle, ce qui est perçu par l’employé et les besoins de ce dernier. Cet écart
modifierait alors la relation bénéfique du contrôle sur le stress.
Pour résumer, selon Spector (1982, 2009), les variables dispositionnelles du
contrôle et le contrôle environnemental constitueraient le contrôle perçu par
l’individu. C’est ce contrôle perçu qui jouerait le rôle modérateur entre les
stresseurs environnementaux et la réponse émotionnelle (elle-même
influencée par les prédispositions émotionnelles de chacun comme l’anxiété-
trait ou encore l’affectivité négative) créant des tensions comportementales,
physiologiques ou psychologiques plus ou moins importantes. En s’appuyant
sur ce modèle, Spector (2009) propose des perspectives d’application au
travail.

1.4 Quelques perspectives d’application liées


aux relations entre contrôle/stress/bien-être
au travail (Spector, 2009)
Partant d’une interaction complexe entre facteurs dispositionnels et
environnementaux, il suggère que la question du contrôle doit se pencher
simultanément sur les aspects du travail (par exemple de la tâche) et les
aspects de la personne. Or il est fréquent, lorsqu’on s’intéresse au stress au
travail, qu’il y ait une focalisation sur le travailleur et non sur les aspects de
l’environnement. Il serait donc nécessaire d’intervenir à la fois sur les aspects
environnementaux et individuels.
Il ne s’agit pas d’accroître indistinctement le contrôle général dont dispose
l’employé mais bien de repérer « le » facteur de stress précis et de donner
alors un pouvoir d’action, c’est-à-dire du contrôle sur cette facette
particulière de la situation de travail. Ainsi, par exemple, si l’employé se
déclare stressé par la surcharge de travail, le doter d’un plus grand pouvoir
décisionnel en lui permettant de participer aux décisions serait contre-
productif. Il s’agira plutôt ici de lui donner du contrôle sur les missions qui
lui sont confiées et surtout sur la cadence à laquelle il peut réaliser son
travail. Y compris sur des situations de travail très contraintes, voire
cadencées, un juste contrôle peut être identifié et donné à l’opérateur. Par
exemple, les ergonomes Coutarel, Danielou et Dugué (2003) ont montré sur
des chaînes de production que, pour une même cadence imposée, il reste
possible d’augmenter la marge de manœuvre des opérateurs, en élargissant
notamment l’espace alloué à chaque opérateur de la chaîne. L’espace permet
alors à l’opérateur d’anticiper sur la pièce suivante, ou de suivre un peu plus
longtemps une pièce plus délicate. Sans remettre en question le rythme
imposé par la cadence de la chaîne, l’opérateur dispose alors d’une possibilité
d’action plus grande sur ce qui constitue son facteur de stress. Ainsi, une fois
que « le » facteur a été identifié, il est également souhaitable de repérer « la »
solution spécifique. Dans l’exemple relatif à une surcharge de travail, une
piste de solution peut également venir d’une formation qui serait proposée à
l’employé afin qu’il acquière des compétences lui facilitant la tâche, tout en
visant parallèlement à l’amélioration de son équipement.
Il s’agit également de former des responsables d’équipe dans
l’accompagnement des personnels au travers d’entretiens qui auraient pour
finalité de leur apprendre à identifier concrètement leurs problèmes au travail
et à envisager eux-mêmes des solutions. Aujourd’hui le management orienté
empowerment, très valorisé à l’heure actuelle dans la formation des
manageurs comme levier de lutte contre les risques psychosociaux, consiste
ainsi à créer des conditions de travail où les collaborateurs acquièrent le
pouvoir de prendre des initiatives et d’exploiter leur plein potentiel. Cet
empowerment des travailleurs de l’entreprise est considéré comme générateur
de valeur pour l’entreprise et favorable à la bonne santé des collaborateurs. Il
va de soi que cet accompagnement n’est possible que s’il existe une relation
de confiance entre les protagonistes. Ainsi ce type d’échanges et de relation
entre encadrants et collaborateurs pourraient aboutir à des stratégies efficaces
s’appuyant sur les individus mais visant à minimiser les facteurs
environnementaux.
Des stratégies mises en place dans les organisations peuvent également
améliorer le contrôle comme cela a, par exemple, été montré par les travaux
du Tavistock Institute au début des années 1960 au Royaume-Uni auprès
d’équipes de mineurs : après un conflit fort avec la direction d’une mine,
Emery et Trist (1960) ont observé la mise en place spontanée d’un mode
d’organisation du travail original, une équipe semi-autonome permettant à la
fois d’augmenter le besoin en productivité et de préserver la qualité de vie au
travail. Ainsi, la création de groupe de travail autonome, la mise en place
d’interventions ergonomiques destinées à reconcevoir l’organisation du
travail ou encore l’appui à des groupes d’échange existants tels que les
groupes de codeveloppement, les groupes d’échange sur les pratiques ou
même parfois des groupes « qualité » dans le cas d’organisation impliquées
dans un processus de lean management – lieux permettant d’échanger et
discuter des problèmes au travail – constituent autant de pistes
organisationnelles pour améliorer le contrôle dont disposent des opérateurs.
Enfin, « il est également essentiel que l’individu ait le contrôle de son
contrôle » (Spector, 2009). Il n’est donc pas souhaitable de proposer
davantage de contrôle à un employé qui n’en veut pas. Comme évoqué
auparavant, avoir du contrôle est en effet généralement bénéfique mais le
choix des moyens de contrôle et la quantité de contrôle à donner à l’employé
sont d’autant plus importants et devront nécessairement être individualisés.
Pour conclure, le contrôle joue un rôle essentiel dans les processus de stress
et bien-être au travail mais le rôle du contrôle au travail n’est pas seulement
lié au stress. En effet, il rentre en compte dans d’autres processus tels que la
motivation ou la passion.

2. Contrôle, motivation et passion au travail


2.1 La place du contrôle dans la motivation et
ses conséquences au travail
Il existe de nombreuses théories de la motivation. Fenouillet (2016) en
dénombre plus d’une centaine. Parmi toutes ces théories, la théorie de
l’autodétermination est actuellement la plus utilisée (Deci et Ryan, 1985).
Cette théorie est une théorie sociocognitive de la motivation traitant de
l’influence du contexte social sur la motivation des individus. Deci et Ryan
(1985) considérant que la dichotomie entre la motivation intrinsèque et la
motivation n’est pas suffisamment explicative des phénomènes
motivationnels, proposent l’existence d’un continuum d’autodétermination
permettant de considérer les différentes formes de motivation en fonction de
leur niveau d’autodétermination. Ce continuum d’autodétermination serait le
reflet de la perception de causalité ou de contrôle de l’individu. Ce locus
perçu de causalité refléterait le degré avec lequel les individus estiment être à
l’origine de leur propre comportement (voir figure 32.4). Il irait d’un contrôle
impersonnel à un contrôle interne en passant par un contrôle externe.
Motivation
L’aspect dynamique et directionnel (sélectif ou préférentiel) du
comportement (Nuttin, 1985)

Figure 32.4 – Le continuum d’autodétermination (d’après Biddle, Chatzisarantis et Hagger, 2001, p.


28)

Ce lien entre contrôle et les différentes forment de la motivation a été vérifié


dans différents domaines dont le sport (Paquet, Berjot et Gillet, 2009) ou le
travail (Paquet, Vallerand et Lavigne, 2014). Ainsi dans leur étude de 2014,
Paquet et ses collaborateurs, après avoir validé une échelle de locus de
contrôle spécifique au travail, ont regardé les liens entre contrôle, motivation,
satisfaction au travail et intégration sociale. Les résultats montrent tout
d’abord que plus l’employé a du contrôle sur son travail, plus la motivation
est intrinsèque (conformément à la figure 32.4), plus il ressent de satisfaction
au travail et d’intégration sociale. Par ailleurs, les résultats montrent que le
contrôle exercé par le supérieur est aussi bien associé à la régulation externe
qu’à la motivation intrinsèque. Cependant, il est associé plus fortement à la
satisfaction au travail et l’intégration sociale. Le contrôle que peut jouer le
supérieur aurait donc également un rôle déterminant. Cette idée rejoint la
notion de climat motivationnel soutenant les besoins fondamentaux défendus
dans la théorie de l’autodétermination. En effet, pour s’épanouir, la
satisfaction de trois besoins fondamentaux est essentielle à l’individu :
1. Le besoin d’autonomie : se sentir à l’origine de nos comportements,
pouvoir faire des choix ;
2. Le besoin de compétence : se sentir efficace dans les interactions avec
notre environnement ;
3. Le besoin d’affiliation : se sentir connecté aux autres et soutenu par les
autres.
Ainsi, le soutien organisationnel joue un rôle déterminant dans la motivation
et le bien-être de l’employé. Gillet, Gagné, Sauvagère et Fouquereau (2013)
confirment cette idée dans une étude auprès de 735 travailleurs et montrent
que les facteurs contextuels (soutien organisationnel et soutien à l’autonomie
du superviseur) sont liés à une motivation au travail autonome. De plus, le
soutien organisationnel perçu et la motivation autonome au travail seraient
positivement associés à la satisfaction au travail. Le contrôle de l’individu
mais également celui de son superviseur jouent donc un rôle essentiel dans sa
motivation au travail et son bien-être. Plus que motivés, nombreux employés
sont également passionnés par leur travail et là encore le contrôle joue un rôle
important dans l’impact de la passion sur les conséquences positives ou
négatives au travail.

2.2 La place du contrôle dans la passion et ses


conséquences au travail
Passion
Forte inclinaison envers un objet, une activité, un concept ou une personne
que les individus aiment, trouvent importante et dans laquelle ils
investissent temps et énergie (Vallerand et al., 2003)
Le concept de la passion développé par Vallerand et al. (2003) a connu un
développement important dans un ensemble d’activités comme le sport,
l’écologie, les jeux vidéo, l’éducation ou encore les relations amoureuses
(voir le chapitre 28 de cet ouvrage). Le travail est aussi un domaine où
peuvent se réaliser des études sur la passion. Afin de mieux comprendre, il
nous faut tout d’abord définir la passion selon Vallerand et al. (2003)
considérée comme une forte inclinaison envers un objet, une activité, un
concept ou une personne que les individus aiment, trouvent importante et
dans laquelle ils investissent temps et énergie. Le modèle dualiste de la
passion proposé par Vallerand et al. (2003) repose sur la différenciation entre
deux types de passion :
1. la passion harmonieuse qui se caractérise par une intériorisation
autonome de l’activité dans l’identité de la personne, l’individu choisit
alors librement de s’engager ou non dans l’activité ;
2. la passion obsessive qui se caractérise par une intériorisation contrôlée de
l’activité dans l’identité de la personne, l’individu ressent alors une envie
incontrôlable de s’engager dans l’activité passionnante (Lalande,
Carbonneau et Vallerand, 2016).
D’un point de vue du contrôle, la passion obsessive se traduit par une perte
de contrôle de l’activité préférée et mène à des conséquences beaucoup moins
adaptatives que la passion harmonieuse, où l’individu garde le contrôle de
son activité (Vallerand, Lavigne, et Carbonneau, 2009). Mais quelles sont les
conséquences de ces études lorsqu’on les applique à la sphère
professionnelle ?
De nombreuses études ont été menées sur la passion au travail. Ainsi, par
exemple, Vallerand, Paquet, Philippe et Charest (2010) montrent que la
passion harmonieuse prédit une plus grande satisfaction au travail et réduit
les risques du burnout, à l’inverse de la passion obsessive associée à
davantage de conflits et plus de burnout. Laframboise, Laurent et Houlfort
(2016) présentent un ensemble de conséquences de la passion harmonieuse
au travail comme le bien-être psychologique (e. g. Carbonneau, Vallerand,
Fernet & Guay 2008), de meilleures relations interpersonnelles
(e. g. Philippe, Vallerand, Houlfort, Lavigne & Donahue, 2010) ou encore
une meilleure concentration ou attention (Forest, Mageau, Sarrazin et Morin,
2011). Ainsi, pour conclure, une passion harmonieuse qui conserve à
l’individu ses possibilités de contrôle mène à des nombreuses conséquences
adaptatives au travail alors qu’une relation caractérisée par une passion
obsessive, se traduisant alors par une perte de contrôle mènera davantage à
des conséquences maladaptatives.
2.3 Quelques perspectives d’application liées
aux relations entre
contrôle/motivation/passion/bien-être au
travail
La satisfaction des trois besoins psychologiques apparaît au cœur des
relations entre la question du contrôle 1) dans l’environnement, 2) le type de
passion et 3) le type de motivation, le contrôle apparaissant à la fois comme
un antécédent et une conséquence de la satisfaction de ces trois besoins :
1. Le support à l’autonomie de l’environnement (ou style supportant
l’autonomie, Vallerand & Losier, 1999) fait partie des conditions favorisant
le développement sain, la satisfaction des besoins étant le processus
(Bartholomew, Ntoumanis & Thøgersen-Ntoumani, 2011).
2. La passion harmonieuse, caractérisée par un désir contrôlable de s’engager
dans l’activité, est liée positivement à la santé mentale et au flow, à la
vitalité et à l’engagement affectif, relation médiatisée par la satisfaction des
besoins fondamentaux (Forest, Mageau, Sarrazin & Morin, 2011). Il y a sur
ce point un travail parfois complexe à faire par le salarié et son entourage
professionnel afin de conserver cet équilibre fragile en matière
d’investissement.
3. Selon la TAD, la satisfaction des trois besoins est la clé de voûte de la
motivation autonome au travail (Stone, Deci & Ryan, 2008). Le support
aux besoins apporté par les managers est relié positivement aux besoins
fondamentaux des employés et la satisfaction des besoins entraîne une
motivation autonome à travailler (Olafsen, Deci & Halvari, 2018). Là
encore, un certain équilibre sera à rechercher avec d’autres sphères
extraprofessionnelles : imaginons un salarié pour lequel seule l’activité
professionnelle ou seul le groupe d’appartenance professionnel seraient
centraux dans son identité personnelle. Qu’adviendrait-il s’il devait cesser
l’activité et quitter ce groupe social, comme cela arrive dans une vie
professionnelle ?

Conclusion et perspectives
À partir des liens entre le contrôle et le stress, ce chapitre a élargi l’étude
des relations du contrôle au travail aux domaines de la motivation et de la
passion. De même, un glissement conceptuel s’est opéré passant de la relation
entre contrôle et stress à celle entre contrôle et bien-être de l’employé
(Paquet, 2019). A notre connaissance, les travaux en ce sens sont plus récents
et témoignent à la fois d’un regain d’intérêt pour la notion de contrôle et des
riches apports de la psychologie positive. Par exemple, Spector et al. (2002)
soulignent les effets salutaires universels du contrôle perçu sur le bien-être au
travail. Gabriel, Erickson, Diefendorff et Krantz (2020) montrent que le
contrôle perçu est lié positivement à la vitalité psychologique et que le
contrôle prédit en partie le bien-être de l’individu. Ainsi, le contrôle via son
rôle tampon du stress et son influence sur la motivation et la passion de
l’employé jouerait un rôle important sur les conséquences adaptatives de
celui-ci. Le modèle Job Demand-Ressources (Bakker et al., 2003 ; Demerouti
et al., 2001) propose une intégration pertinente de l’ensemble des concepts
évoqués dans ce chapitre (autonomie, demandes, ressources, motivation…).
Ce modèle est présenté dans le chapitre suivant, néanmoins le rôle du
contrôle dans les différentes étapes de ce modèle reste encore à mettre en
valeur.

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1. Par Yvan Paquet et Benjamin Paty.
Chapitre 33
L’approche ludique du travail :
une approche positive
des tâches professionnelles1

Sommaire
1. L’approche ludique du travail : un nouveau concept
2. Jouer pendant le travail
3. Un comportement proactif au travail
4. L’approche ludique du travail
5. Mesurer l’approche ludique du travail
6. D’autres preuves empiriques issues d’études de
journaux de bord
7. Implications pratiques
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Ce chapitre présente le concept d’approche ludique du travail, ses
fondements théoriques et la relation avec les résultats sur le lieu
de travail. Nous abordons également les principaux mécanismes
théoriques qui expliquent comment le concept d’approche ludique
du travail influence l’expérience au travail. Le chapitre se conclura
par des implications pratiques.
Résumé long
Ce chapitre présente le concept d’approche ludique du travail, le
processus par lequel les employés créent de manière proactive
des conditions de travail orientées vers le plaisir et le challenge
sans modifier la définition de leur poste lui-même. Nous
présentons en premier lieu la théorie du jeu et les motivations qui
poussent à jouer pendant le travail. Nous nous appuyons ensuite
sur la littérature consacrée au comportement proactif au travail
pour défendre l’idée que les individus peuvent prendre des
initiatives personnelles afin d’améliorer leur adéquation à leur
emploi. En combinant ces littératures, nous fournissons un cadre
théorique à l’approche ludique du travail. Puis, nous présentons le
développement et la validation d’un instrument d’évaluation de
cette approche, et passons en revue les études récentes pour
déterminer ses effets psychologiques et ses résultats possibles.
Enfin, nous en exposons brièvement les implications pratiques.

Mots-clés : théorie JD-R, enjouement, approche ludique du


travail, comportement proactif au travail, engagement au travail.
Questions
• Qu’est-ce que le concept d’approche ludique du travail ?
• Quels sont les conséquences possibles du concept d’approche
ludique du travail ?
• Comment le concept d’approche ludique du travail modifie-t-il la
signification du travail ?
• Quels sont les principaux mécanismes théoriques ?

1. L’approche ludique du travail : un


nouveau concept
Le travail constitue une source importante de sens dans la vie de
nombreuses personnes mais qu’en est-il lorsqu’il implique des tâches
répétitives, monotones ou fastidieuses ? Comment les guides touristiques qui
font le même circuit tous les jours, restent-ils engagés dans leur travail ? Que
peuvent faire les livreurs de plats préparés pour maintenir leur niveau
d’énergie tout en essayant d’effectuer le plus grand nombre possible de
livraisons dans le délai le plus court ? Comment les employés de bureau
peuvent-ils maintenir leur bonne humeur au travail alors qu’ils croulent
chaque jour sous une avalanche d’e-mails ? Dans ce chapitre, nous défendons
l’idée que le jeu est un moteur important de la motivation au travail, et que
dans un large éventail d’emplois, les individus pourraient prendre en main
leur travail de manière proactive et ludique afin de gagner en dynamisme et
en enthousiasme (c’est-à-dire être pleinement engagés dans leur travail).
L’objectif principal de ce chapitre est de présenter le concept d’« approche
ludique du travail », le processus par lequel les employés créent de manière
proactive des conditions de travail orientées vers le plaisir et le défi sans
changer leur travail en lui-même (Bakker et van Woerkom, 2017 ; Scharp
et al., 2019). En premier lieu, nous présentons la théorie du jeu et les
motivations qui incitent les individus à jouer au travail. En second lieu, en
nous appuyant sur la littérature consacrée au comportement proactif au
travail, nous défendons l’idée que les individus ont la possibilité de prendre
des initiatives personnelles pour changer leur situation ou se changer eux-
mêmes afin d’améliorer leur vécu professionnel. En troisième lieu, nous
combinons les littératures consacrées au jeu et au comportement proactif au
travail pour présenter le concept d’approche ludique du travail. Puis, nous
présentons la mise au point et la validation d’un instrument permettant
d’évaluer l’approche ludique du travail. Nous passons ensuite en revue
plusieurs études récentes afin d’expliquer les effets psychologiques de cette
approche et ses résultats potentiels. Enfin, nous en exposons brièvement les
implications pratiques.

2. Jouer pendant le travail


Selon van Vleet et Feeney (2015), le jeu est une activité ou un
comportement comportant trois caractéristiques principales. Premier aspect
essentiel, le jeu est une activité réalisée pour le plaisir et/ou par défi (voir
Csikszentmihalyi, 1975 ; Mainemelis et Ronson, 2006). L’accent mis sur
l’amusement et le défi explique pourquoi les activités ludiques sont souvent
volontaires et axées sur le processus, et pourquoi les individus sont
intrinsèquement motivés pour jouer (Petelczyc et al., 2018). Deuxième
caractéristique, le jeu implique une attitude enthousiaste et ancrée dans le
moment présent. Lorsque les individus jouent, ils se détachent des facteurs de
stress extérieurs et sont complètement absorbés par l’activité
(Csikszentmihalyi, 1975 ; Huizinga, 1949). Troisième élément essentiel du
jeu, il s’agit d’une activité hautement interactive (van Vleet et Feeney, 2015).
Cette interaction peut se produire avec l’activité elle-même ou avec d’autres
personnes qui participent à l’activité. Ainsi, les activités agréables et
captivantes qui sont passives et ne nécessitent pas d’initiative personnelle –
comme lire un livre ou regarder la télévision – ne sont pas considérées
comme du jeu (Petelczyc et al., 2018). Inversement, une partie de solitaire
(activité individuelle) ainsi que l’échange de plaisanteries entre deux amis
(activité interpersonnelle) sont des activités hautement interactives où le
joueur peut générer une grande variété d’actions. La littérature décrit
généralement deux types de jeu : le jeu ludique et le jeu agonistique. Le jeu
ludique est récréatif, arbitraire et irrationnel et se concentre sur l’utilisation de
l’humour et de l’imagination, à l’image des jeux de rôle, des taquineries bon
enfant et des plaisanteries (par exemple, Barnett, 2007 ; Martin et Ford,
2018). En revanche, le jeu agonistique est plus sérieux, rationnel et obéit à
des règles. Le jeu agonistique se concentre sur les défis et les règles, il s’agit
par exemple du sport, des jeux et de la compétition (voir par exemple
Abramis, 1990 ; Csikszentmihalyi, 1975).
Plusieurs motivations peuvent pousser des employés à s’adonner à des
activités ludiques sur leur lieu de travail. En premier lieu, Petelczyc et al.
(2018) ont défini le jeu comme un comportement de recherche de
stimulation, par lequel les individus évitent l’ennui et accroissent le plaisir en
augmentant leur niveau de stimulation. Deuxièmement, Csikszentmihalyi
(1975) a avancé que les individus sont intrinsèquement motivés à pratiquer
des activités ludiques (par exemple, l’escalade, la danse, les échecs) qui
concilient le challenge et un certain niveau de compétence. De telles activités
sont susceptibles de générer un état de flow qui crée une sensation de contrôle
ainsi qu’une perte du sentiment de conscience de soi (voir Heutte, chapitre 20
du présent ouvrage). Troisièmement, selon la perspective cathartique du jeu,
le fait de jouer procure un soulagement à la personne (DesCamp et Thomas,
1993). Le jeu est un moyen de récupérer face aux exigences auxquelles les
employés sont confrontés dans le cadre de leur travail. En quatrième et
dernier lieu, selon les perspectives du traitement social et cognitif du jeu
pendant le travail (consulter à ce sujet Webster et Martocchio, 1993), le fait
de désigner et d’encadrer les tâches de travail en tant que jeux permettrait
d’améliorer les performances de chacun, car le jeu a une connotation plus
positive que le travail. Qualifier de jeu une tâche de travail peut donc
améliorer l’attitude de la personne vis-à-vis cette tâche et, par conséquent,
augmenter les efforts qu’elle y consacre.
Les recherches ont en effet montré que la participation à des jeux a des
répercussions importantes sur le vécu professionnel, comme le suggèrent les
motivations susmentionnées. Il a été démontré que le jeu réduit l’ennui
lorsqu’on est confronté à un travail monotone (Roy, 1959). Il a également été
reconnu que le jeu augmente la satisfaction au travail et le sentiment de
compétence (Abramis, 1990), et qu’il réduit le stress et l’épuisement
professionnel (selon par exemple DesCamp et Thomas, 1993). Ces
conclusions soulèvent la question de savoir si les employés peuvent modifier
de manière proactive leur vécu au travail pour le rendre plus ludique. Ils
pourraient ainsi donner plus de sens à leur travail et améliorer leur bien-être.
Nous discuterons d’abord de l’intérêt d’un comportement proactif au travail,
puis nous passerons à l’approche ludique du travail.

3. Un comportement proactif au travail


Lorsque les individus sont proactifs, ils remettent en question le statu quo
au lieu de s’adapter passivement aux conditions existantes (Crant, 2000). Les
personnes proactives prennent des initiatives pour améliorer leur situation
actuelle, elles imaginent et planifient un avenir différent en modifiant leur
propre personne ou leur environnement (Parker et Collins, 2010). Prendre en
charge l’amélioration des méthodes de travail, rechercher de manière
proactive des retours sur son action, négocier un arrangement personnalisé
concernant son emploi et résoudre les problèmes de manière proactive sont
des exemples de comportements proactifs au travail. Des études récentes ont
montré que les employés optimisent également de manière proactive leur
vitalité (leur « soi ») en s’engageant consciemment dans des activités qui leur
donnent de l’énergie et de la motivation, par exemple en se promenant
régulièrement, en buvant un café et en échangeant avec leurs collègues, ou en
utilisant les escaliers au travail (Op den Kamp et al., 2018). En outre, la
dernière décennie a vu une forte augmentation du nombre d’études sur le job
crafting ou façonnage de son poste à son goût, qui consiste pour les salariés à
prendre l’initiative de modifier les caractéristiques de leur propre poste
(Rudolph et al., 2017).
Le modèle des exigences/ressources propres au travail (Jobs Demands-
Resources Theory [JD-R] de Bakker et Demerouti, 2017) définit les cas où
les employés ont une bonne raison d’adopter un comportement professionnel
proactif. Cette théorie repose sur l’idée que les salariés se sentent
particulièrement stressés lorsqu’ils sont continuellement exposés à des
niveaux élevés d’exigences professionnelles (c’est-à-dire des aspects du
travail qui demandent un effort considérable) combinés à des niveaux faibles
de ressources professionnelles (c’est-à-dire des aspects du travail qui aident à
atteindre les objectifs professionnels et stimulent la croissance personnelle).
En revanche, les employés s’ennuient lorsqu’ils ne sont pas assez challengés
alors qu’ils disposent d’abondantes ressources professionnelles (Bakker et
Oerlemans, 2011). Dans les deux cas, les employés ont de bonnes raisons de
modifier de manière proactive le sens de leur travail et d’améliorer leur bien-
être au travail. Cela peut se faire (1) en s’engageant de manière proactive
dans des activités énergisantes (gestion proactive de la vitalité), (2) en
optimisant de manière proactive les exigences du travail ou les ressources
(façonnage de son emploi/job crafting) ou (3) en changeant de manière
proactive son approche du travail et le vécu qui l’accompagne (approche
ludique du travail).

4. L’approche ludique du travail


L’approche ludique du travail désigne le processus par lequel les employés
créent de manière proactive au sein de leurs activités professionnelles des
conditions qui favorisent le plaisir et les défis sans modifier la conception du
travail lui-même (Bakker et van Woerkom, 2017). Grâce à l’approche ludique
du travail, les employés optimisent leur expérience personnelle du travail. Vu
la dualité du jeu, ils peuvent le faire de deux manières différentes. Soit ils
s’engagent dans des jeux ludiques pour rendre leur activité professionnelle
plus amusante, par exemple, en recadrant une situation professionnelle d’une
manière divertissante pour soi et les autres (Barnett, 2007). Soit ils recourent
au jeu agoniste et abordent leur travail de manière ludique en créant une
forme de compétition avec eux-mêmes, par exemple en essayant de courir
contre la montre lors de l’exécution d’une tâche. En rendant les activités
professionnelles plus ludiques, les individus augmentent leur motivation et
leur créativité intrinsèques (Mainemelis et Ronson, 2006), créent un
sentiment d’appartenance (Sandelands, 2010) et stimulent leur énergie
(Barnett, 2007).
Lors d’entretiens et d’ateliers, nous avons demandé aux employés ce qu’ils
faisaient pour rendre leur travail plus ludique. Un comptable a confié :
« J’essaie de réduire le nombre d’e6mails en envoyant un e-mail de moins
que la veille, et je fais cela tous les jours. » Un pilote a raconté : « J’essaie
souvent d’économiser du carburant en cherchant à minimiser l’impact des
vents, des turbulences, et d’autres phénomènes naturels qui augmentent la
consommation de carburant de mon avion. J’essaie également de me
renseigner sur les meilleures stratégies pour entrer et sortir des aéroports. »
Un responsable des ressources humaines a indiqué : « Lorsque je dois
travailler sur une tâche administrative ennuyeuse, je la rends plus amusante
en y intégrant des tâches annexes. J’essaie par exemple de remplir un
formulaire en utilisant le moins de mots possible tout en traitant l’intégralité
du contenu qui doit être abordé. Cela devient un défi d’écriture et c’est tout
de suite plus intéressant. »
L’approche ludique du travail naît de la synergie entre la littérature sur
l’enjouement et celle sur le comportement proactif au travail. L’enjouement
(playfulness) désigne la capacité à transformer presque n’importe quelle
situation en une situation amusante et divertissante (Barnett, 2007). Selon
Petelczyc et al. (2018), plusieurs motivations incitent les individus à jouer au
travail : (1) éviter l’ennui, (2) augmenter leur état de flow et (3) diminuer leur
stress au travail. Un comportement proactif au travail implique une action
anticipative et une initiative personnelle visant à changer soit la situation, soit
soi-même (Bindl et Parker, 2010). Prendre en main l’amélioration des
méthodes de travail, rechercher proactivement des feedbacks et résoudre les
problèmes manière proactive en sont des exemples. Les employés qui
aménagent leur travail de manière plus ludique prennent des initiatives
personnelles pour rendre leurs tâches professionnelles plus amusantes et/ou
plus compétitives. En rendant leurs tâches plus ludiques, les employés
redéfinissent leurs activités professionnelles pour les rendre plus engageantes,
plus divertissantes et plus riches de sens. Comme le façonnage de son emploi
à son goût (le job crafting), l’approche ludique du travail permet de rendre les
tâches professionnelles plus stimulantes. Toutefois, il existe des différences
importantes. Le job crafting (réinventer son travail pour l’ajuster à son
écologie personnelle) consiste à rechercher activement de nouvelles
ressources professionnelles (par exemple, en demandant un retour
d’information et un soutien), et à rechercher activement de nouvelles tâches
et de nouveaux projets distincts du travail habituel de l’employé. L’approche
ludique du travail désigne une orientation comportementale proactive vis-à-
vis du travail qui privilégie l’amusement et la compétition en appliquant les
qualités expérientielles du jeu à un travail existant (Scharp et al., 2019). Le
job crafting cognitif est plus étroitement lié à l’approche ludique du travail
que les autres formes de job crafting, en raison de l’accent qu’il met sur le
recadrage. Toutefois, alors que le job crafting cognitif consiste à élargir la
perception des limites des tâches ou à concentrer les perceptions sur les
tâches les plus significatives (Berg et al., 2013), l’approche ludique du travail
consiste à modifier de manière proactive la façon de mener les activités
professionnelles en redéfinissant ces activités de manière qu’elles soient plus
amusantes ou plus compétitives.
Nos travaux suggèrent que l’approche ludique du travail peut être appliquée
à diverses tâches professionnelles, en particulier les tâches répétitives,
monotones et fastidieuses. Bien que certaines tâches semblent à première vue
moins appropriées à une approche ludique du travail (par exemple, une
opération chirurgicale), elles peuvent néanmoins s’y prêter. Csikszentmihalyi
(1975, p. 156) cite un chirurgien ophtalmologiste, qui illustre que
l’imagination permet d’aborder même une intervention chirurgicale de
manière ludique : « Vous utilisez des instruments fins et précis. C’est un
exercice artistique. Tout repose sur la précision et l’art avec lesquels vous
pratiquez l’opération. » Cependant, l’approche ludique du travail peut
s’avérer indésirable ou inefficace lorsque les tâches professionnelles sont très
éprouvantes sur le plan cognitif ou déjà amusantes et stimulantes (par
exemple, une séance de thérapie par un psychiatre ; la rédaction d’un article
par un scientifique). Il est intéressant de noter que le concept de redéfinition
ludique peut également s’appliquer à des activités extérieures au domaine du
travail. Par exemple, suivre des études et les entraînements sportifs est – d’un
point de vue psychologique – comparable au travail. Les études et le
sport/l’exercice physique sont eux aussi structurés, orientés vers un but,
exigent du temps et sont, dans une large mesure, obligatoires. Ces deux
domaines se prêtent à merveille à une approche ludique.

5. Mesurer l’approche ludique du travail


Un nouveau questionnaire destiné à mesurer l’approche ludique du travail a
été élaboré en utilisant une approche inductive (Scharp, Bakker, et al., 2020).
Nous avons mis au point 200 items grâce aux contributions de participants à
des ateliers consacrés à l’approche ludique du travail. À l’étape suivante, des
experts ont sélectionné les éléments qui reflétaient le mieux l’approche
ludique du travail (ALT), pour aboutir à 32 éléments, qui ont été testés dans
deux échantillons réunissant diverses professions (N = 428, N = 302). Un
instrument en douze points et en deux dimensions a ainsi vu le jour, qui
comprend des items tels que : « Je cherche des moyens de rendre mon travail
plus amusant » et « J’aborde mes tâches de manière créative pour les rendre
plus intéressantes » (approche amusante/designing fun) et tels que : « J’essaie
de réaliser mes tâches en un temps record » et « Je me mets en situation de
compétition contre moi-même au travail, non pas par obligation, mais par
plaisir » (approche compétitive/designing competition). La cohérence interne
des sous-échelles était satisfaisante, avec des coefficients alpha de Cronbach
de .75 et .80 pour l’approche amusante (designing fun), et de .73 et .75 pour
l’approche compétitive (designing competition). La solution à deux facteurs
s’est révélée bien adaptée aux données des deux échantillons, et les données
se sont mieux ajusté que le modèle à un facteur, ce qui indique une structure
factorielle robuste.
L’étude de la validité convergente a révélé que les employés manifestant un
niveau élevé d’initiative personnelle, de curiosité, d’ouverture, d’enjouement,
d’humour, de personnalité créative, de compétitivité, de poursuite du succès
et d’imagination, et peu de rigidité, étaient plus susceptibles de s’engager
dans une approche ludique du travail (Scharp, Bakker, et al., 2020). En outre,
l’approche ludique du travail était plus répandue dans les environnements de
travail caractérisés par un niveau d’autonomie plus élevé et une valorisation
du plaisir. Néanmoins, les auteurs affirment que l’approche ludique du travail
fonctionne relativement indépendamment des caractéristiques de l’emploi. En
raison de la nature cognitive inhérente à l’approche ludique du travail, les
individus peuvent réinventer leur travail de manière ludique dans une grande
variété de contextes. Par exemple, si les chauffeurs de bus manquent
d’autonomie en ce qui concerne leurs itinéraires, ils peuvent concevoir
chaque trajet comme un jeu dont le but est de réduire au minimum les
décélérations. Ainsi, la conception ludique du travail est une stratégie
ascendante qui est initiée par l’employé. Cela dit, il est toujours possible que
les organisations facilitent l’approche ludique du travail (par une démarche
descendante), par exemple en encourageant l’autonomie et en proposant des
formations. Compte tenu de la structure à deux facteurs et de la validité
divergente, l’approche amusante est plus fortement corrélée avec les traits
ludiques (c’est-à-dire l’enjouement, l’humour et la personnalité créative) que
l’approche compétitive, tandis que l’approche compétitive est plus fortement
corrélée avec les traits agonistiques (c’est-à-dire la compétitivité et la
recherche de la réussite) que l’approche amusante. En outre, l’approche
ludique du travail s’est révélée faiblement (ou pas du tout) associée à la
procrastination, au cynisme et à la paresse, et positivement associée à
l’engagement professionnel. Ces résultats montrent que les employés sont
plus susceptibles d’adopter une approche ludique de leur travail lorsqu’ils ont
une nature enjouée et proactive, ce qui les aide à s’impliquer avec
enthousiasme dans leur travail.

6. D’autres preuves empiriques issues


d’études de journaux de bord
Comme l’approche ludique du travail est liée à des tâches spécifiques, elle
fluctue considérablement au cours d’une journée et d’un jour à l’autre. Afin
d’étudier dans quelles conditions ce comportement proactif est le plus
efficace, nous avons mené trois études quantitatives sur des journaux de bord.
Dans la première étude, nous avons cherché à savoir si une approche
ludique du travail quotidien serait plus efficace pour les employés ayant une
personnalité enjouée et ouverte (Scharp et al., 2019). Selon la théorie de
l’activation des traits, les employés bénéficient intrinsèquement de conditions
de travail qui satisfont les besoins personnels stables enracinés dans leur
personnalité (Tett et Burnett, 2003). Par conséquent, ils chercheront des
situations de travail qui activent leurs traits. Les résultats de l’étude ont
montré que les employés étaient plus engagés dans leur travail et plus créatifs
les jours où ils utilisaient une approche plus ludique de leur travail. De plus,
l’impact de l’approche ludique du travail visant davantage d’amusement était
plus fort chez les personnes très ouvertes, et l’impact de l’approche ludique
du travail visant davantage de compétitivité était plus fort chez les personnes
très enjouées. Ces résultats confirment l’affirmation selon laquelle les
employés qui sont très ouverts à différentes expériences et au jeu sont ceux
qui profitent le plus de l’approche ludique du travail.
Dans la deuxième étude (Scharp, Breevaart, et al., 2020), nous avons essayé
de savoir si l’approche ludique du travail pouvait être utilisée pour traiter de
manière proactive les demandes professionnelles entravantes au quotidien,
c’est-à-dire les tâches et les conditions de travail qui demandent des efforts et
de l’énergie, mais qui n’offrent pas de potentiel de croissance (Lepine et al.,
2005). Nous avons émis l’hypothèse que les employés adoptent une approche
centrée sur l’amusement pour faire face à un travail émotionnellement
épuisant, et recourent à une approche compétitive pour faire face à un travail
facile et sans intérêt. Les résultats ont révélé que les employés étaient moins
engagés et moins performants (plus faible performance intra-rôle et extra-
rôle) les jours où ils étaient confrontés à ces deux types de demandes
entravantes. Cependant, comme prévu, le travail émotionnellement épuisant a
beaucoup moins sapé l’enthousiasme et l’énergie des employés les jours où
ils ont abordé leur travail de manière proactive pour le rendre plus amusant.
En outre, les tâches faciles et sans intérêt ont beaucoup moins réduit
l’engagement vis-à-vis du travail les jours où les employés les ont abordées
de manière proactive pour être plus compétitifs. Ces résultats montrent
clairement que l’approche ludique du travail peut être utilisée pour protéger
l’engagement et les performances des employés au travail.
Dans la troisième étude de journal de bord (Bakker et al., 2020), nous avons
examiné la validité prédictive de l’approche ludique du travail par rapport au
job crafting, et nous avons également cherché à savoir quand ces deux
comportements proactifs étaient les plus efficaces. Nous avons émis
l’hypothèse que les individus sont plus performants les jours où ils
recherchent des ressources et des défis professionnels, allègent les exigences
du travail ou envisagent leur travail de manière ludique. Nous avons en outre
avancé l’idée que la recherche de ressources et d’allègement des exigences
seraient plus efficaces lorsque la pression au travail est élevée, et que les
comportements de recherche de stimuli, tels que la recherche de défis
croissants et l’approche ludique du travail, seraient plus efficaces lorsque la
pression au travail est faible. Les résultats ont montré que la recherche de
ressources professionnelles, la recherche de défis et l’approche ludique du
travail étaient toutes positivement liées à l’évaluation des performances
professionnelles par les collègues. En revanche, l’allègement des exigences
professionnelles était négativement lié aux performances. Comme on l’a
supposé, la recherche de défis et l’approche ludique du travail étaient plus
efficaces lorsque la pression professionnelle était faible plutôt que forte.

7. Implications pratiques
Nos recherches révèlent que les employés utilisent l’approche ludique du
travail pour un large éventail de tâches, et que ce comportement fluctue d’un
jour à l’autre. En outre, les résultats suggèrent que l’approche ludique du
travail entraîne des conséquences importantes en pratique, car elle a un
impact sur l’engagement et les performances des employés. La mesure de
l’approche ludique du travail pourrait être utilisée dans les organisations pour
évaluer la prévalence de ce comportement proactif et pour trouver les
employés qui abordent leur travail de la manière la plus ludique. En
interrogeant les employés qui sont naturellement les plus aptes à aborder le
travail de manière ludique, les organisations peuvent se faire une idée plus
précise des différentes manières dont les employés peuvent repenser leurs
tâches et leurs activités. Cela semble particulièrement important dans les
organisations où les demandes entravantes sont élevées et où la pression au
travail est faible. Les exemples d’approche ludique du travail recueillis lors
d’entretiens peuvent ensuite être utilisés dans des interventions de formation
pour apprendre aux autres employés comment ils pourraient optimiser leur
vécu professionnel afin de rester engagés et performants. La formation
devrait idéalement être combinée avec la fixation d’objectifs et/ou du
coaching pour aider les employés à mettre en œuvre leurs nouvelles stratégies
d’approche du travail dans leur pratique quotidienne.

Conclusion
Les individus sont naturellement enclins à jouer, car le jeu est
intrinsèquement gratifiant et satisfaisant. Sur la base de ce principe, nous
pensons que les employés pourraient créer de manière proactive des
modalités de travail ludiques en incorporant des touches amusantes et
compétitives à leurs tâches professionnelles. Les premières études sur
l’approche ludique du travail indiquent que ce comportement proactif a des
conséquences positives sur le bien-être, la créativité et les performances des
employés – en particulier pour les personnes à la personnalité ouverte et
enjouée. L’approche ludique du travail rend le travail intrinsèquement
motivant et aide à gérer les tâches épuisantes et fastidieuses. Nous espérons
que cet article suscitera de futurs travaux de recherche sur l’approche ludique
du travail et ses applications pratiques.

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publication]. Center of Excellence for Positive Organizational Psychology, Erasmus
University Rotterdam.
Scharp, Y.S., Breevaart, K., & Bakker, A.B. (2020). Daily playful work design : Negating
hindrance job demands and promoting work performance [Manuscript submitted for
publication]. Center of Excellence for Positive Organizational Psychology, Erasmus
University Rotterdam.
Scharp, Y.S., Breevaart, K., Bakker, A.B., & van der Linden, D. (2019). Daily playful work
design : A trait activation perspective. Journal of Research in Personality, 82,
article 103850.
Tett, R.P., & Burnett, D.D. (2003). A personality trait-based interactionist model of job
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Van Vleet, M., & Feeney, B.C. (2015). Young at heart : A perspective for advancing research
on play in adulthood. Perspectives on Psychological Science, 10, 639-645.
Webster, J., & Martocchio, J. J. (1993). Turning work into play : Implications for
microcomputer software training. Journal of Management, 19, 127-146. (93) 90049-S
1. Par Arnold B. Bakker, Yuri S. Scharp, Kimberley Breevaart et Juriena D. de Vries. Cet article a été
publié dans une revue, en langue anglaise : Bakker, A.B., Scharp, Y.S., Breevaart, K., & de Vries, J.D.
(2020). Playful work design : Introduction of a new concept. The Spanish Journal of Psychology, 23.
e19. https://www.meta.org/papers/playful-work-design-introduction-of-a-new/32618541
Chapitre 34
Activité physique et bien-être
au travail :
mécanismes psychologiques
explicatifs et interventions
sur le lieu de travail1

Sommaire
1. Quels sont les liens entre l’AP et le bien-être au
travail ?
2. Quels sont les mécanismes impliqués dans la relation
entre l’AP et le bien-être au travail ?
3. Quels sont les résultats des interventions visant
l’amélioration du bien-être professionnel par l’AP ?
4. Quelles sont les limites et les perspectives des
recherches sur les liens entre l’AP et le bien-être au
travail ?
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
On estime à 490 000 le nombre annuel de cas de souffrances
psychiques liées au travail. L’activité physique pourrait constituer
un facteur protecteur et améliorer le bien-être professionnel.
Plusieurs mécanismes psychologiques peuvent expliquer cette
relation. Ils doivent être pris en considération lors de la conception
de programmes d’activité physique.
Résumé long
En France, la mission parlementaire sur le burnout (2016) a estimé
à 490 000, le nombre annuel de cas de souffrances psychiques
liées au travail. L’activité physique (AP) fait partie des stratégies
qui ont été identifiées pour promouvoir le bien-être au travail. Ce
chapitre a pour objectif de présenter les relations qui existent entre
le bien-être au travail et l’AP, ainsi que les mécanismes qui sous-
tendent cette relation, afin de pouvoir élaborer des interventions
efficaces destinées à promouvoir le bien-être au travail. La
première partie de ce chapitre portera sur la conceptualisation du
bien-être au travail, sa définition et ses liens avec l’AP. La
deuxième partie s’intéressera aux mécanismes explicatifs qui
sous-tendent la relation entre l’AP et le bien-être au travail. Enfin,
la dernière partie développera les interventions destinées à
promouvoir le bien-être au travail grâce à l’AP et proposera des
suggestions pour les futures recherches interventionnelles.

Mots-clés : activité physique, burnout, motivation, récupération,


vigueur.
Questions
• Quelles sont les relations entre l’activité physique et le bien-être
au travail à court et à long terme ?
• Par quel(s) mécanisme(s) l’activité physique influence-t-elle le
bien-être au travail ?
• Quelle(s) intervention(s) peut-on mettre en place afin de
promouvoir le bien-être au travail grâce à l’activité physique ?

En 2016, la mission parlementaire sur le burnout a estimé à 490 000, le


nombre annuel de cas de souffrances psychiques liées au travail. Autrement
dit, environ 2 % de la population active âgée de plus de 15 ans (chômeurs
compris) seraient concernés par ce problème. L’étude française Héraclès
publiée récemment (Rivière et al., 2018), dépeint une situation encore plus
préoccupante. Selon celle-ci, la prévalence de la détresse psychologique liée
au travail s’élèverait à 25 % des actifs. Ce constat alarmant a été pris au
sérieux par les pouvoirs publics, notamment dans le cadre du troisième Plan
de santé au travail (PST) qui insiste sur les effets délétères des risques
psychosociaux sur le bien-être des individus. Dans la continuité du PST,
différentes stratégies de prévention du mal-être au travail ont été proposées.
Parmi celles-ci, on trouve l’activité physique (AP) dont la pratique est
susceptible d’atténuer les effets négatifs du stress chronique et d’améliorer le
bien-être au travail (Gerber & Pühse, 2009). Si l’AP semble constituer une
voie prometteuse pour améliorer le bien-être au travail, plusieurs questions
demeurent : quels sont les liens entre l’AP et le bien-être au travail ? Quels
sont les mécanismes impliqués dans cette relation ? Comment promouvoir le
bien-être au travail grâce à l’AP ? Autant de questions auxquelles nous allons
tenter de répondre dans ce chapitre, en mobilisant les résultats des études
empiriques conduites ces dernières années sur ce thème.

1. Quels sont les liens entre l’AP et le bien-


être au travail ?
1.1 Comment caractériser le bien-être au
travail ?
En psychologie du travail et des organisations, la majorité des travaux ont
mesuré le bien-être professionnel à travers les états affectifs ressentis par les
employés (Bakker & Oerlemans, 2011). Parmi ceux-ci, le burnout et la
vigueur professionnels sont ceux ayant reçu le plus d’attention. Ces deux
états affectifs permettent de déterminer le bien-être professionnel d’un
employé, le burnout représentant un indicateur négatif, et la vigueur un
indicateur positif de celui-ci. Les premières études ont cherché à comprendre
et prédire les symptômes spécifiques à la dégradation du bien-être
professionnel, représentée par le burnout. Ce phénomène a très largement été
examiné dans la littérature depuis le début des années 1980, et a longtemps
été considéré comme l’indicateur le plus pertinent pour mesurer le bien-être
professionnel (Schaufeli, 2017). Shirom (1989, 2003) a proposé de définir le
burnout comme un état affectif consécutif à un stress professionnel,
caractérisé par une diminution graduelle des ressources énergétiques
individuelles, se manifestant au niveau émotionnel (i. e. manque d’énergie
pour faire preuve d’empathie envers ses pairs), physique (i. e. sentiment de
fatigue et de faible niveau d’énergie) et cognitif (i. e. diminution de l’agilité
mentale).
En lien avec les postulats de la psychologie positive (Seppälä et al., 2009),
le bien-être au travail peut être caractérisé non seulement par l’absence
d’affects négatifs (e. g. le burnout), mais aussi par la présence d’un niveau
élevé d’affects positifs. C’est précisément ce que recouvre le concept de
vigueur, proposé par Shirom (2011). Il définit ce construit comme la
sensation de posséder un niveau élevé de ressources énergétiques dans trois
domaines : la force physique (i. e. l’exécution des tâches quotidiennes au
travail), l’énergie émotionnelle (i. e. la capacité de s’investir
émotionnellement dans les relations avec les clients, patients et/ou collègues)
et la vivacité cognitive (i. e. les capacités mentales permettant de réfléchir
rapidement à des choses complexes et de faire preuve de créativité).
Selon la théorie de la conservation des ressources (Hobfoll, 1989 ; Hobfoll
et al., 2018), les individus cherchent naturellement à obtenir, conserver,
renforcer et protéger les ressources auxquelles ils attachent une grande
importance. En s’appuyant sur cette théorie, le burnout et la vigueur
permettent conjointement de caractériser le bien-être au travail des employés,
en renseignant sur l’état de leurs ressources énergétiques personnelles. Alors
que le burnout permet de rendre compte de l’épuisement des ressources des
individus au travail, la vigueur permet de caractériser une situation où
l’individu possède assez, voire plus de ressources que nécessaire, pour
évoluer dans son environnement professionnel.
Burnout
État affectif consécutif à un stress professionnel, caractérisé par une
diminution graduelle des ressources énergétiques individuelles, se
manifestant au niveau émotionnel (i. e. manque d’énergie pour faire
preuve d’empathie envers ses pairs), physique (i. e. sentiment de fatigue et
de faible niveau d’énergie) et cognitif (i. e. diminution de l’agilité
mentale) (Shirom, 1989, 2003).

1.2 Quels liens existe-t-il entre l’AP et le bien-


être au travail ?
Plusieurs revues de littérature démontrent les bienfaits de l’AP pour
promouvoir le bien-être au travail (e. g. Abdin, Welch, Byron-Daniel, &
Meyrick, 2018 ; Naczenski, de Vries, van Hooff, & Kompier, 2017).
Certaines études ont eu recours à des devis corrélationnels transversaux pour
examiner les associations entre les niveaux de bien-être au travail et les
habitudes d’AP des employés. Elles mettent généralement en évidence
l’existence d’une relation négative entre l’AP autorapportée et les niveaux de
burnout (e. g. Gerber, Jonsdottir, Lindwall, & Ahlborg, 2014 ; Gerber,
Lindwall, Lindegård, Börjesson, & Jonsdottir, 2013) : plus les individus
pratiquent de l’AP et moins leur niveau de burnout est élevé. Néanmoins, ces
devis transversaux ne permettent pas d’affirmer que c’est la pratique plus
importante d’une AP qui « cause » une amélioration du bien-être au travail.
Afin d’examiner la dynamique de la relation entre l’AP et le bien-être au
travail, des études ont tenté de prédire l’évolution du bien-être en fonction
des niveaux d’AP, que ce soit sur des périodes de temps courtes (i. e. d’un
jour/d’une semaine à l’autre) ou longues (i. e. plusieurs mois/années). Dans
l’ensemble, les études qui ont examiné les fluctuations quotidiennes ont
fourni des preuves empiriques de l’effet bénéfique des AP journalières sur les
indicateurs positifs du bien-être au travail (e. g. Demerouti, Bakker, Geurts,
& Taris, 2009 ; Ménard, Foucreault, Stevens, Trépanier, & Flaxman, 2016 ;
Oerlemans, Bakker, & Demerouti, 2014). En ce qui concerne les indicateurs
négatifs, les résultats sont plus nuancés. Si certaines études montrent que la
pratique d’une AP en soirée est négativement associée aux affects négatifs
(Stevens et al., 2016) et à la sensation de fatigue (Sonnentag & Zijlstra,
2006), d’autres n’ont pas identifié d’associations significatives entre l’AP
pratiquée durant la soirée et les affects négatifs liés au travail (Feuerhahn
et al., 2014) ou le burnout (Ginoux, Isoard-Gautheur, Chalabaev, Cheval, &
Sarrazin, en revision ; Oerlemans et al., 2014) mesurés au coucher. En
complément de ces résultats, des études se sont intéressées aux variations
d’AP d’une journée sur l’autre et de ses relations avec les affects liés au
travail mesurés le lendemain. Elles ont mis en évidence que quand l’AP était
plus importante en soirée, les individus reportaient une plus grande vigueur
(ten Brummelhuis & Bakker, 2012), ainsi qu’un burnout plus faible (Nägel &
Sonnentag, 2013 ; Ten Brummelhuis & Trougakos, 2014) le lendemain
matin.
Vigueur
État affectif que les individus associent à leur travail (et à son contexte),
composé de trois dimensions : la force physique (i. e. sentiment de
posséder un niveau élevé d’énergie dans l’exécution des tâches
quotidiennes au travail), l’énergie émotionnelle (i. e. sentiment d’avoir la
capacité de s’investir émotionnellement dans les relations avec les clients,
patients et/ou collègues) et la vivacité cognitive (i. e. sentiment d’avoir
des capacités mentales afin de réfléchir rapidement à des choses
complexes et de faire preuve de créativité) (Shirom, 2005).
Les études qui se sont intéressées aux effets de l’AP pratiquée pendant le
week-end sur l’évolution du bien-être au travail entre le vendredi soir et le
lundi, n’ont pas toujours rapporté des résultats consistants. Si une première
étude a montré que les employés reportaient une plus grande amélioration du
bien-être les week-ends où ils pratiquaient le plus d’AP (van Hooff et al.,
2007), trois études récentes n’ont pas mis en évidence de relation directe
significative entre l’AP et les changements de bien-être au cours du week-end
(Cho & Park, 2018 ; Ginoux, Isoard-Gautheur, & Sarrazin, en révision ;
Ragsdale & Beehr, 2016). Des médiateurs (Ginoux et al., en révision ;
Ragsdale & Beehr, 2016) ou des modulateurs (Cho & Park, 2018)
psychologiques semblent intervenir dans la relation « AP du week-end –
Bien-être professionnelle » (voir infra).
D’autres études ont investigué les liens entre l’AP et l’évolution du bien-
être au travail sur de longues périodes de temps. Les résultats de ces études
montrent que plus les employés sont actifs physiquement, plus leur niveau de
burnout diminue au cours des mois (de Vries et al., 2016) ou des années
suivantes (Lindwall et al., 2014). Il n’existe à notre connaissance qu’une
étude qui ait examiné la relation entre l’AP et la vigueur au travail (Isoard-
Gautheur et al., 2018). Celle-ci ne rapporte pas de relation significative entre
l’AP initiale et l’évolution de la vigueur deux mois plus tard. Les résultats
suggèrent cependant l’existence d’une relation inverse : une vigueur initiale
élevée prédit le temps consacré aux AP durant le temps libre mesuré deux
mois après. Si cette étude ne soutient pas le lien présumé entre l’AP et la
vigueur au travail, d’autres travaux sont néanmoins nécessaires avant de tirer
des conclusions définitives. Il est possible que la relation entre ces deux
variables soit plus ou moins forte en fonction du niveau de fatigue/vigueur
initial, ou de la durée de la séquence temporelle entre les deux mesures.

2. Quels sont les mécanismes impliqués


dans la relation entre l’AP et le bien-être au
travail ?
Dans l’ensemble, une grande partie des études citées précédemment ont
montré que l’AP était bénéfique pour le bien-être au travail. Toutefois, après
avoir constaté l’existence d’une relation modeste, des travaux se sont
intéressés aux mécanismes par l’intermédiaire desquels l’AP était susceptible
d’affecter le bien-être professionnel, à savoir : (1) les expériences de
récupération psychologique, (2) les mécanismes motivationnels et (3) les
mécanismes physiologiques d’adaptation au stress.

2.1 Les expériences de récupération


psychologique
À partir des recherches sur la régulation des humeurs (Parkinson &
Totterdell, 1999), Sonnentag et Fritz (2007) ont suggéré que les expériences
qui contribuaient à l’amélioration des humeurs pourraient constituer la base
des mécanismes de récupération. Autrement dit, les activités pratiquées
pendant le temps libre, comme les AP, sont susceptibles d’améliorer le bien-
être au travail parce qu’elles procurent des expériences de récupération
psychologiques. Quatre expériences spécifiques ont été mises en évidence par
Sonnentag et Fritz (2007) :
• le détachement psychologique (i. e. expérience de distanciation
psychologique à l’égard du travail, éprouvée lors d’une activité pratiquée
durant le temps libre) ;
• la relaxation (i. e. état psychologique et physique de faible activation du
système nerveux sympathique, obtenu par des exercices ad hoc ou par des
activités de loisir qui calment le corps et l’esprit) ;
• la maîtrise (i. e. expérience liée à la pratique d’une activité
extraprofessionnelle qui fournit des opportunités d’apprendre quelque chose
ou de relever un défi) ;
• le contrôle sur le temps de loisir (i. e. expérience d’autodétermination
pendant le temps de loisir qui englobe le sentiment de décider soi-même de
ce qu’on va faire pendant son temps libre, ainsi que du moment, de la
manière et avec qui on va le faire).
Détachement psychologique
Expérience de distanciation psychologique (i. e. de « décrochage » ou de
« déconnexion ») à l’égard du travail, éprouvée lors d’une activité
pratiquée durant le temps libre ; il s’agit d’une des expériences qui sous-
tend le processus de récupération (Sonnentag & Fritz, 2007).
Relaxation
État psychologique et physique, lié à une faible activation du système
nerveux sympathique, obtenu par des exercices ad hoc (e. g. méditation ou
yoga) ou par des activités de loisir qui calment le corps et l’esprit
(e. g. musique classique) ; il s’agit d’une des expériences qui sous-tend le
processus de récupération (Sonnentag & Fritz, 2007)
Maîtrise
Expérience liée à la pratique d’une activité extraprofessionnelle qui
fournit des opportunités d’apprendre quelque chose ou de relever un défi
(e. g. apprendre une langue étrangère ou un nouveau hobby, réussir un
défi sportif) ; il s’agit d’une des expériences qui sous-tend le processus de
récupération (Sonnentag & Fritz, 2007).
Contrôle
Expérience d’autodétermination pendant le temps de loisir qui englobe le
sentiment de décider soi-même de ce qu’on va faire pendant son temps
libre, ainsi que du moment, du lieu, de la manière et avec qui on va le
faire ; il s’agit d’une des expériences qui sous-tend le processus de
récupération (Sonnentag & Fritz, 2007).
Les études empiriques réalisées ces dernières années soulignent
l’importance de ces expériences de récupération dans l’amélioration du bien-
être professionnel. Selon ces études, les employés :
1. qui font l’expérience d’un niveau élevé de détachement psychologique,
sont ceux qui rapportent les niveaux de burnout les plus faibles (Fritz,
Yankelevich, Zarubin, & Barger, 2010 ; Siltaloppi, Kinnunen, & Feldt,
2009) et les niveaux de vigueur les plus élevés (Kinnunen et al., 2010) ;
2. qui expérimentent des niveaux élevés de relaxation rapportent des affects
positifs plus importants (e. g. Fritz, Sonnentag, Spector, & McInroe, 2010 ;
Ragsdale, Beehr, Grebner, & Han, 2011), un burnout plus faible et une
vigueur plus élevée (Ginoux et al., en révision) ;
3. qui déclarent avoir fait l’expérience d’une maîtrise importante lors de leur
temps libre rapportent des niveaux plus faibles de burnout (Siltaloppi et al.,
2009) et plus élevés de vigueur (de Bloom, Kinnunen, & Korpela, 2015 ;
Kinnunen et al., 2010) ;
4. et enfin qui estiment avoir un contrôle et une autonomie importants durant
leur temps libre rapportent des niveaux plus élevés de bien-être au travail
(e. g. Dettmers, Bamberg, & Seffzek, 2016 ; Ginoux et al., en révision ;
Siltaloppi et al., 2009).
Si plusieurs études ont confirmé les relations présumées entre les
expériences de récupération et le bien-être professionnel, d’autres ont
examiné si l’AP pratiquée pendant les loisirs était associée à de telles
expériences. Dans l’ensemble, ces études ont démontré que l’AP était liée à
des niveaux élevés de détachement psychologique (e. g. Sonnentag, Venz, &
Casper, 2017), de relaxation (ten Brummelhuis & Bakker, 2012), de maîtrise
(e. g. Ginoux et al., en révision ; Ragsdale & Beehr, 2016 ; Rook & Zijlstra,
2006) et de contrôle (Ragsdale et al., 2011).
Récupération
D’une manière générale, la récupération désigne le fait de retrouver
quelque chose qui a été perdu et de retourner à un état initial. Dans le
domaine de la psychologie des organisations, il est admis que le travail
puisse être une source d’états affectifs négatifs élevés (e. g. fatigue,
colère) et de faibles états affectifs positifs (vigueur). La récupération fait
référence aux processus de restauration ou de régénération par lesquels
des états négatifs sont réduits et des états positifs sont renforcés
(Sonnentag et al., 2012).
Seules deux études ont testé le rôle médiateur des expériences de
récupération entre l’AP et le bien-être professionnel. Les résultats de la
première (Ragsdale & Beehr, 2016) ont fait ressortir une relation significative
entre les activités physiques pratiquées durant le week-end et les expériences
de maîtrise ressenties par les participants durant le week-end. Cependant, ces
expériences ne se sont pas avérées prédire l’évolution du bien-être
professionnel au cours du week-end. L’étude de Ginoux, Isoard-Gautheur, et
Sarrazin (en révision) est plus concluante. Elle montre qu’après avoir
contrôlé les contraintes professionnelles, les changements de burnout et de
vigueur au cours du week-end sont prédits par les expériences de
récupération vécues durant le week-end. En outre, plusieurs activités du
week-end étaient reliées aux expériences de récupération, que ce soit
positivement (i. e. les activités sociales, physiques et créatives) ou
négativement (i. e. les activités liées au travail). Des analyses
complémentaires ont montré que l’expérience de récupération était un
médiateur complet des relations entre les activités du week-end et le
changement dans la vigueur entre le vendredi et le lundi. Ces résultats
confirment l’importance conjointe des activités de loisir – dont l’AP –
pratiquées pendant le week-end et des expériences de récupération qu’elles
procurent, pour améliorer le bien-être au travail.

2.2 Les mécanismes motivationnels


Parallèlement aux expériences de récupération, d’autres mécanismes sont
susceptibles d’expliquer l’effet bénéfique de l’AP sur le bien-être au travail.
Les travaux réalisés dans le cadre de la théorie de l’autodétermination
(e. g. Ryan & Deci, 2017 ; Sarrazin, Pelletier, Deci, & Ryan, 2011) ont mis
en évidence de manière consistante le rôle de la satisfaction des trois besoins
psychologiques fondamentaux (i. e. compétence, autonomie, et proximité
sociale) et des formes de motivation autodéterminées (i. e. motivation
intrinsèque, régulation intégrée et identifiée) comme antécédents du bien-être
des individus (voir Sarrazin, Cheval, & Isoard-Gautheur, 2016, pour une
revue de littérature).
2.2.1 La satisfaction des besoins pendant l’AP
La satisfaction du besoin de compétence, qui peut se définir comme le
sentiment d’efficacité dans ses interactions avec l’environnement (Sarrazin
et al., 2016), est conceptuellement proche de l’expérience de maîtrise dont
nous avons parlé dans le chapitre précédent. De manière similaire, la
satisfaction du besoin d’autonomie est conceptuellement proche de
l’expérience du contrôle éprouvée pendant le temps de loisir, dont nous avons
parlé précédemment. Enfin, concernant la satisfaction du besoin de proximité
sociale, des études (e. g. Gillet, Fouquereau, Forest, Brunault, & Colombat,
2012 ; Gillet, Fouquereau, Huyghebaert, & Colombat, 2016) ont observé des
liens positifs entre la satisfaction de ce besoin pendant le travail et le bien-
être. Sachant que la pratique d’une AP est souvent associée positivement à la
proximité sociale (e. g. Edmunds et al., 2008 ; Feuerhahn et al., 2014), il est
possible de penser qu’en pratiquant une AP (notamment en groupe), on
maximise les chances de renforcer le bien-être général des individus, un état
affectif qui pourrait s’étendre au contexte professionnel. En effet, des
recherches ont démontré que les affects ressentis en dehors du travail
pouvaient influencer ceux ressentis au travail, et inversement. Cet effet de
« débordement émotionnel » (emotional spillover effect ; Edwards &
Rothbard, 2000) suggère que les affects positifs ressentis lors du temps de
loisir peuvent perdurer dans le temps de travail consécutif à celui-ci, et
influencer les affects ressentis dans ce nouveau contexte.
Outre cet « effet de débordement » constaté au niveau des affects positifs
entre l’AP durant les loisirs et ceux ressentis dans le contexte professionnel,
des auteurs ont observé un rôle protecteur de l’AP à l’égard des affects
négatifs éprouvés dans le domaine professionnel. Par exemple, Gerber et al.
(2018) ont examiné l’interaction entre le stress perçu, l’AP autorapportée et la
satisfaction des besoins psychologiques sur les symptômes de burnout. La
conclusion de leur travail révèle l’existence d’un rôle tampon de l’AP : quand
l’employé évolue dans un environnement stressant, la pratique d’une AP
durant le temps libre atténue les effets délétères du stress sur le burnout
professionnel. Cet effet tampon semble d’autant plus fort parmi les employés
qui éprouvent une grande satisfaction des besoins psychologiques dans leur
vie en général. Autrement dit, dans un environnement professionnel stressant,
l’employé sera davantage protégé du burnout s’il pratique une AP durant son
temps libre et si ses besoins psychologiques fondamentaux sont satisfaits.
2.2.2 La motivation à pratiquer l’AP
Outre la satisfaction des besoins psychologiques, des travaux se sont
intéressés à la motivation qui sous-tend la pratique d’une AP, l’idée étant que
toutes les raisons de pratiquer une AP durant le temps libre n’ont pas les
mêmes effets bénéfiques sur le bien-être et la régénération des ressources. La
théorie de l’autodétermination (Ryan & Deci, 2017 ; Sarrazin et al., 2011)
permet d’expliquer comment la motivation intrinsèque pour l’AP pratiquée
en dehors du travail peut augmenter le potentiel récupérateur de celle-ci. Les
personnes intrinsèquement motivées (i. e. quand elles font une activité pour le
plaisir et la satisfaction qu’elle procure), sont plus absorbées par l’AP (Deci
et al., 2017), ce qui les rend davantage susceptibles d’oublier le travail et
d’inhiber les facteurs de stress. Autrement dit, les ressources personnelles qui
contribuent à la récupération devraient être plus nombreuses quand on
pratique une AP pour des raisons intrinsèques.
Conformément à ces suppositions, Ten Brummelhuis et Trougakos (2014)
ont mis en évidence une relation positive d’autant plus prononcée entre les
activités de loisirs et la récupération mesurée le lendemain matin, que les
employés avaient une motivation intrinsèque élevée pour ces activités. Dans
la continuité de ce travail, nous avons mis en évidence une relation complexe
entre l’AP, le degré de motivation intrinsèque pour celle-ci et le stress
professionnel, sur le burnout (Isoard-Gautheur et al., 2019). Si l’AP et/ou la
motivation ne semble pas reliée au burnout quand l’employé évolue dans un
environnement peu stressant, la situation est toute autre quand son
environnement professionnel est stressant. Dans ce cas, une forte motivation
intrinsèque pour pratiquer une AP durant le loisir a un effet tampon sur le
burnout, et ce, quelle que soit la quantité d’AP pratiquée. À l’inverse, une
faible motivation intrinsèque à pratiquer une AP est associée à un burnout
plus élevé, et ce d’autant plus que la quantité d’AP pratiquée est peu
importante. Autrement dit, les risques de burnout sont maximaux quand
l’employé fait peu d’AP et qu’il en fait pour des raisons extrinsèques.

2.3 Les mécanismes physiologiques


d’adaptation au stress
La littérature a aussi mis en avant certaines modifications physiologiques
induites par l’AP susceptibles d’expliquer son effet sur le bien-être
professionnel. Selon l’hypothèse de l’adaptation aux facteurs de stress (cross-
stressor adaption hypothesis ; Sothmann et al., 1996), l’AP régulière induit
des adaptations biologiques qui réduisent les réactions physiologiques à tous
les facteurs de stress, qu’ils soient liés à l’AP ou plus généraux. Selon cette
hypothèse, l’AP aide le corps à réguler l’activité de certaines structures
neurophysiologiques impliquées dans la réponse au stress physiologique. Des
revues et méta-analyses ont démontré que la sensibilité au stress était
effectivement plus faible après une AP (pour une revue, voir Ramirez &
Wipfli, 2013). Dans le domaine de la psychologie du travail, des travaux ont
tenté de vérifier si cette hypothèse pouvait expliquer les effets de l’AP sur le
bien-être professionnel. Ces études ont démontré que les individus qui
avaient une meilleure capacité cardiorespiratoire étaient ceux (1) qui avaient
le plus de facilités à faire face aux facteurs de stress dans leur environnement
de travail et (2) qui rapportaient les symptômes de dépression et de burnout
les plus faibles (Gerber et al., 2013). Même si d’autres études sont
nécessaires pour confirmer ce résultat, les modifications physiologiques
consécutives à la pratique régulière d’une AP (mesurables via l’amélioration
de la capacité cardiorespiratoire) pourraient expliquer l’effet à long terme de
l’AP sur le bien-être professionnel.

3. Quels sont les résultats des interventions


visant l’amélioration du bien-être
professionnel par l’AP ?
Dans la continuité des travaux mettant en évidence les bienfaits de l’AP sur
le bien-être au travail, quelques études ont cherché à tester l’efficacité
d’interventions visant à promouvoir l’AP dans l’entreprise pour améliorer le
bien-être des employés (e. g. Bretland & Thorsteinsson, 2015 ; de Vries, van
Hooff, Geurts, & Kompier, 2017 ; Thøgersen-Ntoumani, Loughren, Duda, &
Fox, 2014 ; Tsai et al., 2013). La plupart de ces interventions ont été réalisées
auprès d’employés présentant des niveaux élevés d’épuisement professionnel
(e. g. de Vries et al., 2017) ou insuffisamment actifs physiquement
(e. g. Brethland & Thorsteinsson, 2015 ; Thøgersen-Ntoumani et al., 2014).
Dans l’ensemble, les résultats de ces études soulignent l’efficacité de telles
interventions, que ce soit pour diminuer le stress (Brethland & Thorsteinsson,
2015), l’épuisement général (de Vries et al., 2017 ; Tsai et al., 2013), le
burnout professionnel (Brethland & Thorsteinsson, 2015 ; de Vries et al.,
2017 ; Thøgersen-Ntoumani et al., 2014 ; Tsai et al., 2013), ou améliorer les
affects positifs (Brethland & Thorsteinsson, 2015) ou la vitalité subjective
(Thøgersen-Ntoumani et al., 2014).
Il est difficile de définir la « dose » requise d’AP (i. e. durée des
programmes et des séances, fréquence, intensité et nature des séances)
nécessaire à l’obtention de ces effets positifs, car celle-ci est très différente
d’une étude à l’autre, tout comme les indicateurs de bien-être utilisés. En
effet, la durée des interventions pouvait varier de 4 semaines (Brethland &
Thorsteinsson, 2015) à 4 mois (Thøgersen-Ntoumani et al., 2014). D’autre
part, la fréquence et la durée des séances fluctuaient également largement,
entre une (Tsai et al., 2013) à trois (e. g. Thøgersen-Ntoumani et al., 2014)
séances par semaine, d’une durée de 30 minutes à une heure. Par ailleurs, les
AP proposées et l’intensité de celles-ci variaient largement d’une étude à
l’autre, de la marche (Thøgersen-Ntoumani et al., 2014) à des exercices
proches de l’intensité maximale aérobie (Brethland & Thorsteinsson, 2015),
en passant par une combinaison d’exercices d’intensité variée (Tsai et al.,
2013).
Quelques études ont essayé d’apporter une réponse à cette question, en
comparant certains des paramètres de la dose d’AP. L’étude de Bretland et
Thorsteinsson (2015) a comparé l’efficacité d’un programme de quatre
semaines à base d’AP aérobies versus anaérobies, à raison de trois fois
30 minutes par semaine. Si les deux types d’AP semblaient efficaces pour
améliorer le bien-être des employés, les AP aérobies ont amélioré quatre
indicateurs du bien-être, contre trois pour les AP anaérobies. Par ailleurs,
l’étude de Tsai et al. (2013) a mis en évidence un effet bénéfique d’un
programme de 12 semaines d’AP, qu’il soit à fréquence faible (i. e. une fois
par semaine) ou élevée (i. e. deux fois par semaine). Néanmoins, les effets
étaient plus importants dans le groupe à fréquence élevée.
Seules deux études se sont intéressées aux mécanismes par l’intermédiaire
desquels l’AP pourrait affecter le bien-être (cf. supra). L’étude de Vries et al.
(de Vries, van Hooff, Geurts, & Kompier, 2015 ; de Vries et al., 2017) a
proposé un programme de six semaines d’AP, composé de séances de course
à pied supervisées, à raison de deux à trois séances par semaine. Plusieurs
caractéristiques du programme ont été adaptées afin de nourrir le
détachement psychologique et le plaisir, deux modulateurs présumés du lien
positif entre l’AP et le bien-être au travail. Les résultats de cette étude
indiquent un effet bénéfique de ce programme d’AP sur le bien-être au
travail, d’autant plus fort que les employés prenaient du plaisir et se
détachaient du travail pendant les séances d’AP (de Vries et al., 2020). Une
seconde étude s’est focalisée sur la satisfaction des besoins psychologiques
pendant la pratique d’une AP sur le lieu de travail (Thøgersen-Ntoumani,
Loughren, Duda, Fox, & Kinnafick, 2010 ; Thøgersen-Ntoumani et al., 2014).
L’intervenant qui animait les séances d’AP (de la marche nordique) était
formé pour soutenir les besoins psychologiques des personnes dont il avait la
charge, conformément aux principes de la théorie de l’autodétermination.
Dans ce qu’ils ont d’essentiel, les résultats révèlent une diminution de la
fatigue liée au travail et une amélioration des affects comme l’enthousiasme
au cours de la pause déjeuner, mais uniquement les jours où les employés
estimaient que l’intervenant avait soutenu leur besoin d’autonomie lors de la
séance (Thøgersen-Ntoumani et al., 2014).

4. Quelles sont les limites et les


perspectives des recherches sur les liens
entre l’AP et le bien-être au travail ?
Tout d’abord, il paraît indispensable de souligner que la majorité des études
réalisées ont utilisé des indicateurs « négatifs » du bien-être au travail
(e. g. affects négatifs, burnout). Bien que certaines aient considéré les
indicateurs positifs comme la vigueur, il sera nécessaire à l’avenir de mesurer
conjointement ces deux types d’indicateurs pour comprendre le rôle de l’AP
dans la prévention, mais aussi la promotion, du bien-être au travail.
Beaucoup d’études ont examiné les liens entre l’AP et le bien-être au travail
en utilisant un plan de recherche transversal. Ce type de devis ne permet pas
de conclure en l’existence d’une relation de cause à effet et d’affirmer qu’une
AP élevée améliore le bien-être au travail. Une relation positive entre ces
deux variables peut aussi signifier que la pratique d’une AP est d’autant plus
importante que les individus éprouvent un bien-être élevé, et réciproquement.
En d’autres termes, il est possible d’envisager que les employés qui
éprouvent un mal-être professionnel soient moins enclins que les autres à
s’adonner à une activité physique pourtant susceptible de remédier à leur état
affectif, ce qui les placerait dans un cercle vicieux néfaste. Un constat
similaire dénommé « paradoxe de la récupération » a été fait récemment par
Sonnentag (2018). Elle a constaté que les employés qui évoluaient dans des
conditions et des environnements de travail exigeants et générateurs de stress
chronique, étaient ceux qui s’engageaient le moins dans des activités
récupératrices, alors qu’ils seraient ceux qui pourraient en tirer le plus de
profit. Compte tenu de ces implications théoriques et pratiques, il est
important que les études futures utilisent des devis longitudinaux et/ou
expérimentaux pour démêler plus finement le sens des relations entre l’AP et
le bien-être au travail (e. g. Isoard-Gautheur et al., 2018).
Par ailleurs, les études longitudinales ayant examiné les liens entre l’AP et
le bien-être professionnel sur des périodes de temps courtes ou longues, ont
fait état d’une relation significative, mais d’un poids relativement modeste.
L’examen des médiateurs ou des modulateurs de cette relation – comme les
mécanismes de récupération, motivationnels, et physiologiques – est à
présent nécessaire pour faire progresser les connaissances, en précisant les
mécanismes et les conditions limites de la relation entre activité physique et
bien-être professionnel. Autrement dit, cette ligne de recherches permet de
préciser, comment, pour qui et/ou dans quelles circonstances, l’AP est
susceptible d’affecter le bien-être professionnel. Cette perspective devra être
étendue dans le futur, notamment en utilisant des méthodologies permettant
aux employés de rapporter directement leur ressenti après les activités
pratiquées, afin d’obtenir des informations sur les expériences vécues
pendant la pratique, limitant ainsi les biais de remémoration.
Enfin, le nombre d’études réalisées à ce jour pour tester l’efficacité d’un
programme visant à encourager la pratique d’une AP sur le lieu de travail
pour améliorer le bien-être professionnel, est peu important. Ces études se
caractérisent également par une grande hétérogénéité des paramètres
déterminant la « dose » d’AP et des indicateurs utilisés afin de mesurer le
bien-être au travail, ce qui rend complexe la comparaison de l’efficacité de
ces programmes. D’autre part, seules deux études ont cherché à mesurer les
médiateurs ou les modulateurs de la relation entre l’AP et le bien-être
professionnel. Les futures recherches devront s’appuyer sur les différents
modèles théoriques permettant d’identifier les mécanismes par
l’intermédiaire desquels l’AP est susceptible d’améliorer le bien-être
professionnel (e. g. de Vries et al., 2015 ; Ginoux, Isoard-Gautheur, &
Sarrazin, 2019 ; Thøgersen-Ntoumani et al., 2010). Cette précaution
permettra non seulement de faire avancer les connaissances théoriques, mais
également de définir plus précisément les conditions à respecter pour mettre
en œuvre des interventions efficaces pour la promotion du bien-être au
travail.
Conclusion
En France, la mission parlementaire sur le burnout a révélé en 2016 que 2 %
de la population active seraient concernée par le burnout. D’autres travaux
rapportent que 25 % des actifs présentent une détresse psychologique liée au
travail (Rivière et al., 2018). La pratique d’une AP constitue une stratégie
pertinente susceptible d’atténuer les effets négatifs du stress professionnel et
d’améliorer le bien-être au travail. Les travaux réalisés sur cette thématique
ces quinze dernières années, ont permis de confirmer cette relation positive.
Néanmoins, comme beaucoup de phénomènes psychologiques, la relation
n’est probablement pas unidirectionnelle mais réciproque. Autrement dit, si
l’AP peut améliorer le bien-être, un niveau de bien-être professionnel élevé
semble bénéfique à l’engagement dans une AP. À l’inverse, un faible niveau
d’AP pourrait être néfaste au bien-être professionnel, tout comme un faible
niveau de bien-être pourrait être préjudiciable à un engagement soutenu dans
une AP.
Certains travaux plus récents ont également corroboré l’existence de
médiateurs et modulateurs de la relation entre activité physique et bien-être
professionnel, comme les expériences de récupération, la satisfaction des
besoins psychologiques, ainsi que la motivation qui sous-tend l’engagement
dans l’AP. Il existe néanmoins encore des zones d’ombre importantes qui
devraient nourrir des travaux dans les prochaines années et qui permettront de
mieux définir les contenus et ingrédients actifs des programmes d’AP qui
promeuvent le bien-être professionnel.

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1. Par Sandrine Isoard-Gautheur, Clément Ginoux et Philippe Sarrazin.
Chapitre 35
Mindfulness et entreprise1

Sommaire
1. Cadre général
2. La pleine conscience
3. Bénéfices de la pleine conscience en entreprise
4. Management et pleine conscience
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
La méditation et la pleine conscience constituent des moteurs
personnels et organisationnels pertinents pour influencer
positivement le bien-être au travail, l’engagement de chacun
envers son travail, l’optimisation des compétences managériales,
et in fine la performance individuelle et collective.
Résumé long
La méditation et la pleine conscience sont aujourd’hui des
concepts et méthodes éprouvés qui pourraient apporter des
éléments de réponse à de nombreuses difficultés auxquelles les
entreprises sont confrontées. Bien que les expérimentations en
entreprise soient peu nombreuses, elles donnent des résultats
dignes d’intérêt, notamment comme méthode d’intervention en
gestion du stress et du burnout. Si elles ciblent particulièrement le
secteur médical, les études se développent progressivement dans
l’ensemble des secteurs d’activité. De même, les résultats de
vingt-cinq ans de recherche et de recul scientifique dans un
contexte thérapeutique permettent d’envisager des
expérimentations professionnelles nouvelles sur la souffrance au
travail, le bien-être et l’épanouissement des salariés et le
développement des compétences managériales. La méditation et
la pleine conscience se posent comme des leviers pour permettre
aux entreprises et à leurs membres de progresser positivement et
de s’épanouir et constituent un cadre de recherche qui s’intègre
pleinement dans la psychologie positive appliquée au travail.

Mots-clés : pleine conscience, méditation, entreprise, managers,


salariés, éthique.
Questions
• Quelle est l’avancée de la recherche sur la pleine conscience en
entreprise ?
• La méditation s’applique-t-elle à l’ensemble des secteurs et des
salariés ?
• Quelle est la cible la plus étudiée des recherches conduites sur la
méditation et la pleine conscience en entreprise ?

1. Cadre général
La méditation et la pleine conscience (mindfulness) existent depuis plus de
2 000 ans. Si la recherche émergeant de la rencontre des disciplines et
traditions méditatives avec la psychologie occidentale a traversé une période
d’ignorance mutuelle puis d’incompréhension, la relation est actuellement
constructive au point que la méditation est aujourd’hui la méthode
psychothérapeutique la plus étudiée au monde (Walsh et Shapiro, 2006,
p. 227). La littérature dans le champ est fortement transdisciplinaire rendant
néanmoins son corpus encore fragmenté. Un état des lieux de cette littérature
souligne que les recherches témoignent davantage des effets thérapeutiques
que des mécanismes d’action physiologiques et neurobiologiques ou des
processus psychologiques mis en jeu. C’est notamment un des objets de la
psychologie positive que d’étudier comment la pleine conscience comme
ressources et la méditation comme intervention positive améliorent le
fonctionnement de l’individu.
La méditation et la pleine conscience dans le monde de l’entreprise
constituent, quant à elles, un sujet neuf dans son approche scientifique
contemporaine. Là encore, la littérature se résume principalement aux études
ciblant l’évaluation des bénéfices de la pleine conscience pour le travailleur,
et dans une moindre mesure pour l’entreprise. La psychologie positive
appliquée au travail offre néanmoins un cadre d’étude pour appréhender les
processus par lesquelles la pleine conscience et la méditation peuvent
permettre aux entreprises et à leurs membres de progresser positivement et de
s’épanouir (Boniwell et Chabanne, 2017). Les chercheurs de ce domaine
s’attachent à étudier le rôle de l’intelligence émotionnelle des collaborateurs
et des leaders dans les entreprises et montrent que le succès et la performance
ne dépendent pas des seules capacités cognitives. Cette intelligence se
manifeste à travers des comportements journaliers favorisant la considération
individuelle ou la gratitude. Les études conduites dans ce champ se
cristallisent autour de plusieurs concepts phares en interaction : les moteurs
personnels et organisationnels influencent le bien-être au travail ; ils
s’associent pour agir positivement sur l’engagement de chacun dans son
travail et in fine ils participent à l’amélioration de la performance individuelle
et collective. La pleine conscience y est encore peu opérationnalisée.
La psychologie positive appliquée au travail
Discipline qui s’attache à étudier les leviers permettant aux entreprises et à
leurs membres de progresser positivement et de s’épanouirDeux écueils au
minimum sont à souligner quand on interroge la pleine conscience en
entreprise. Un premier vient de l’effet de mode qui entoure ce sujet créant
un biais de perception important entre engouement sociomédiatique,
réalité de la diffusion des pratiques de pleine conscience dans les
organisations et approche scientifique de la pleine conscience au travail.
Un second est la tentation par certains de mobiliser des résultats de
publications démontrant l’efficacité de la pleine conscience comme
argument d’autorité souvent décontextualisé et injonctif. Ces écueils
portent le risque de dévoyer l’objet pleine conscience per se et in fine
l’enjeu humaniste qu’il porte.

2. La pleine conscience
Définir la pleine conscience, c’est tenter d’énoncer la nature d’un mode de
fonctionnement de l’esprit, les qualités d’une manière d’être-au-monde et les
propriétés d’une qualité de la conscience. Nous en tiendrons aux définitions
suivantes. La méditation peut être définie comme un ensemble de techniques
qui permettent de développer la pleine conscience qui peut se définir elle-
même comme une focalisation de l’attention sur l’expérience du moment
présent dans une attitude de non-jugement (Salmon et al., 2004). Cet état de
pleine conscience se traduit par une plus grande acceptation de la réalité,
instant après instant, ainsi que des capacités accrues d’adaptation aux
situations.
La méditation
C’est un ensemble de techniques qui permettent de développer la pleine
conscience.
Elle est originellement introduite en tant que pratique méditative laïque par
Kabat-Zinn (2003), à partir de son expérience du bouddhisme ; elle sera par
la suite utilisée pour développer des techniques thérapeutiques de réduction
du stress (mindfulness-based stress reduction, MBSR) et une thérapie
cognitive pour le traitement de la dépression (mindfulness-based cognitive
therapy for depression, MBCT) (« Qu’est-ce que la pleine conscience ? »
s. d. ; « Pleine conscience » 2020), pour se développer finalement hors de la
sphère clinique, se diffusant dans la sphère privée comme dans la sphère
professionnelle. En parallèle de l’émergence des pratiques méditatives et
thérapeutiques basées sur la mindfulness, celle-ci fait l’objet d’un
développement dans le champ de la psychologie et de la psychométrie, en
tant que concept à double forme : l’état (mindfulness-state) qui caractérise et
le trait (mindfulness-trait ou disposition de pleine conscience) (Brown et
Ryan 2003). Selon Brown et Ryan (2003), la pleine conscience est aussi une
capacité innée à être conscients et à maintenir de façon soutenue son attention
à ce qui se produit dans le présent qui est présente chez tous les individus à
des « niveaux » divers.
La pleine conscience
Focalisation de l’attention sur l’expérience du moment présent dans une
attitude de non-jugement.
Indépendamment de la manière dont la pleine conscience émerge, la pleine
conscience fait appel à quatre compétences distinctes développées par les
pratiques méditatives (Dekeyser et al., 2008, p. 1236) :
1. observer de manière consciente et attentive les phénomènes intérieurs et
extérieurs (pensées, émotions, sons, odeurs…) ;
2. agir en conscience en s’engageant dans une activité avec une attention
pleine et entière ;
3. accepter sans jugement l’instant présent de manière non discriminante et
non évaluative ;
4. rendre compte de l’expérience vécue de manière immédiate et non
conceptuelle.
Ces compétences se cristallisent autour de l’expérience vécue du moment
présent. Elles s’opposent au « pilotage automatique » (ou mindlessness), qui
caractérise ces situations « où l’on est ailleurs ». Elles soulignent en miroir
comment nos habitudes, nos expériences du passé et nos anticipations
parasitent le quotidien. Nos expériences du passé font le lit de nos
ruminations et nos pensées anticipatrices nous conduisent trop souvent à être
en réaction face aux situations rencontrées, et ce particulièrement dans la
sphère professionnelle. Le monde du travail et le contexte actuel poussent
chacun d’entre nous à pro-agir faisant la part belle à nos réactions
anticipatrices. Ces réactions anticipatrices activent nos peurs et nos préjugés
quant aux événements à venir et ce, particulièrement lorsque l’on est anxieux.
Plus que les autres, les individus anxieux se caractérisent par un biais
d’estimation faisant qu’ils surestiment les dangers potentiels de leur
environnement et qu’ils sous-estiment leur possibilité de sécurité. Ce biais
génère de l’anxiété et conduit à l’injonction de répondre dans l’urgence. Ces
conséquences s’expriment dans des situations concrètes de la vie de tous les
jours, mais aussi dans les situations ambiguës ou incertaines, particulièrement
présentes en milieu professionnel. La répétition de ces situations favorise
l’émergence d’un cercle vicieux qui construit, maintient, entretient les
structures et processus responsables des réactions anticipatrices anxieuses.
Dans tous ces cas, le stress est présent, la satisfaction limitée, voire absente,
la sensation de bien-être rare si ce n’est inexistante. Si la performance
demeure présente, c’est bien souvent avec des efforts douloureux qui obèrent
de son maintien à terme.
La pleine conscience, dans son approche ancestrale et contemporaine, n’est
pas une absence de pensées ou d’émotions, mais une conscience des pensées
et émotions en cours afin de pouvoir les accepter et les reconnaître
uniquement comme des pensées ou des émotions, c’est-à-dire des
phénomènes transitoires. Elle réduit les perturbations liées aux filtres de
perception, améliore les capacités de concentration d’un esprit qui n’est pas
préoccupé et favorise la flexibilité mentale et l’ouverture à l’environnement
et aux autres. La pleine conscience porte son attention sur le présent pour
permettre une présence entière de l’individu à l’instant qui se déroule en lui et
hors de lui, c’est-à-dire son environnement. Son développement vise à
conduire l’individu à laisser sur le chemin les réactions automatiques, les
réactions incontrôlées face aux événements : « Pourquoi ne l’ai-je pas dit ? »,
les ruminations plus ou moins jugeantes : « Je n’ai pu me retenir, c’était plus
fort que moi ! », pour laisser la place à une observation sans jugement des
enjeux et responsabilités pour une réponse en conscience et engagée aux
demandes de l’environnement.
La pleine conscience permet de limiter le « pilotage automatique » et de ne
pas rester prisonnier de nos habitudes, de nos expériences du passé et de nos
anticipations qui parasitent le quotidien. « Ni dans la culpabilité d’un raté ou
d’un “trop tard”, ni dans l’angoisse d’un “à venir” » (Steiler, 2012).

3. Bénéfices de la pleine conscience en


entreprise
Les bénéfices des approches basées sur la pleine conscience sur la santé sont
nombreux et nous disposons d’un recul et d’un nombre d’études suffisants
chez le sujet sain et le sujet en souffrance pour leur accorder tout le crédit
nécessaire. Dans le champ de l’entreprise, les données sont moins
nombreuses, bien que plus d’une centaine d’articles soient disponibles dans la
littérature. Ils sont majoritairement en langue anglaise et publiés le plus
souvent dans des revues appartenant au champ de la médecine ou de la
psychologie. Il ne s’agit pas ici de présenter une revue exhaustive s’inscrivant
dans les canons méthodologiques de la revue de question mais de proposer un
panorama suffisamment large pour démontrer l’intérêt de la question au
regard des données disponibles. Notons cependant que parmi les articles
recensés pour ce chapitre, nous n’avons identifié que cinq méta-analyses ou
revues, témoignant du champ récent d’application de la pleine conscience
(Allen et al., 2015 ; Burton et al., 2016 ; Hyland et al., 2015 ; Irving et al.,
2009 ; Spinelli et al., 2019). Elles impliquent principalement des soignants
(Irving et al., 2009 ; Burton et al., 2016 ; Spinelli et al., 2019).
Les populations étudiées s’inscrivent dans différents secteurs d’activité,
avec un nombre important d’études dans le secteur médical, incluant des
échantillons variés en termes de métiers (médecins, psychologues, infirmiers,
aides-soignants, maïeuticiens, kinésithérapeutes) et d’environnements
professionnels (différents services hospitaliers, hôpitaux de jours, cliniques
spécialisées). Les autres secteurs d’activités étudiés sont les enseignants et le
domaine universitaire et enfin les professions à risque du domaine de la
protection/défense. Notons enfin que dans le domaine des entreprises, les
employés sont la catégorie la plus fréquemment étudiée alors que les
managers font l’objet de moins d’études.
Les études réalisées ciblent principalement les bénéfices de la méditation,
un faible nombre s’intéressant à ceux de la disposition de pleine conscience.
Ce constat souligne le fait que la pleine conscience en entreprise est avant
tout prise en compte comme une pratique et un apprentissage plutôt que
comme une disposition associée à des compétences. Il témoigne également
que ces pratiques sont opérationnalisables dans les organisations. Parmi les
programmes de méditation, le programme mindfulness based stress reduction
développé par Kabat-Zinn (2003) est le plus utilisé, mais d’autres
programmes, certains « faits maison » sont également évalués. Les
programmes « maisons » sont construits sur mesure pour s’adapter au
contexte professionnel. Ils intègrent à un programme classique souvent
d’autres éléments : autres formes de méditation, exercices de psychologie
positive, yoga, codéveloppement, coaching, contenus didactiques. Ils sont de
durées et d’intensité très variables et ne se déroulent pas toujours en
présentiel. S’ils se justifient par l’ambition de facilité la possibilité de la mise
en œuvre des programmes, ils compliquent les comparaisons possibles entre
les études. Sur les designs de recherche, les essais contrôlés randomisés
(ERC) sont majoritairement utilisés avec des méthodologies quantitatives,
qualitatives ou mixtes.
Les données de la littérature apportent des éléments de preuve d’un intérêt
de la pleine conscience dans au moins six grandes catégories.
Une première catégorie regroupe les études ciblant le bien-être et la santé au
travail. Une partie de ces études apportent une accumulation de résultats
convergents montrant l’efficacité de la méditation en termes de diminution du
stress, du burnout ou de la souffrance au travail et d’amélioration de la santé
perçue. Un bas niveau de disposition de pleine conscience est également
décrit comme un prédicteur de l’épuisement professionnel et du burnout
(Narayanan et Moynihan, 2006 ; Taylor et Millear, 2016). Une autre partie
des études de cette catégorie s’attache à identifier les composantes qui
permettent d’agir plus spécifiquement sur le bien-être et les affects positifs au
travail. L’étude de Fredrickson et al. (2008) montre le rôle de la présence aux
émotions positives dans les processus en jeu en implémentant dans une
entreprise la méditation de la bienveillance chez des salariés. Cet effet serait
« dose dépendant » au sens où la quantité de pratique rend compte de
l’importance des bénéfices observés (Fredrickson et al., 2017). L’étude de
McCracken et Yang (2008) montre qu’il existe un lien dynamique et vertueux
entre pleine conscience, valeurs et acceptation de la réalité face aux situations
stressantes des soignants. Les études intégrant des mesures physiologiques à
l’évaluation des bénéfices sur la santé sont assez rares. Citons une ERC
conduite chez des militaires qui observe une amélioration du fonctionnement
physiologique (biomarqueurs cardiaques du stress) concomitante à
l’amélioration de la santé physique subjective (Johnson et al., 2014). Cette
amélioration suggère que les mécanismes biologiques sous-tendant le ressenti
des sujets peuvent également être améliorés par la pratique de la méditation.
Enfin, une étude a mis en évidence un impact positif sur les coûts de santé et
d’arrêts maladie des salariés (Klatt et al., 2016).
Des études ciblent également les bénéfices de la méditation en termes de
récupération. Elles montrent un impact positif sur la capacité à mobiliser et
régénérer au quotidien un niveau de ressources et d’énergie suffisant pour
faire face aux enjeux professionnels. Ce bénéfice pourrait s’expliquer par une
amélioration du sommeil. Ainsi, la qualité du sommeil s’améliore chez des
instituteurs à l’issue d’un programme de méditation (rapidité
d’endormissement, sentiment de repos, diminution des insomnies) et leur
somnolence diurne diminue (Crain, Schonert-Reichl et Roeser, 2016).
Hülsheger et al. (2014) observent par ailleurs que ce bénéfice sur le sommeil
est médié par un processus de détachement psychologique. Ce détachement
favoriserait le pouvoir récupérateur des pauses en milieu professionnel
(Marzuq et Drach-Zahavy, 2012). Enfin, ces bénéfices sur la récupération
pourraient se maintenir dans le temps (Querstret et al., 2016).
Un troisième groupe de bénéfices de la pleine conscience concerne le
rapport au travail. Les études montrent que la méditation globalement
améliore la satisfaction générale vis-à-vis du travail, l’équilibre des sphères
de vie, l’engagement, l’implication et la motivation. La pratique de la pleine
conscience augmente l’engagement professionnel perçu (Malinowski et Lim,
2015 ; West et al., 2014) alors même qu’elle pourrait impliquer davantage les
salariés dans leur travail sur le plan affectif (Zivnuska et al., 2016). Ces deux
champs de bénéfices (satisfaction et engagement) suggèrent que c’est
l’ensemble de l’expérience travail qui est améliorée. Cette nouvelle
expérience du travail pourrait participer à un rapport plus équilibré au travail
et d’un meilleur équilibre entre sphères de vies rendant compte que la pleine
conscience comme pratique et comme trait contribue à un meilleur équilibre
perçu entre vie privée et vie professionnelle (Allen et Kiburz, 2012 ; Crain,
et al., 2016).
Des études sur l’impact de la pleine conscience sur la performance en
entreprise ont également été réalisées. Elles ciblent le niveau individuel et
dans une moindre mesure le niveau collectif et intègrent des critères
d’efficacité hétérogènes entre les méthodologies d’évaluation. Ces travaux
indiquent néanmoins que l’impact de la méditation est globalement positif sur
différents aspects de la performance. Ainsi, sur le plan individuel, plusieurs
travaux pointent une amélioration de la performance en termes
d’accomplissement des tâches (Dane, 2010 ; Reb et al., 2015), d’organisation
(Roeser et al., 2013) ; Flook et al., 2013) et d’attention (Roeser et al., 2013 ;
Flook et al., 2013). Sur le plan de l’attention, il a été montré notamment une
diminution des troubles attentionnels chez les militaires lors d’entraînements
intenses, associée à de meilleures performances aux épreuves (Jha et al.,
2010, 2015). Dans les environnements complexes à haut niveau d’exigence
(salles de contrôle de centrales nucléaires), l’amélioration de l’attention à
l’issue d’un programme de pleine conscience est bénéfique pour les
comportements de sécurité sauf lorsque les environnements de travail sont de
faible exigence (Zhang et al., 2013 ; Zhang et Wu, 2015). Sur le plan
collectif, il a été observé que la qualité de services ou de soins suite à un
programme de méditation s’améliore (Beach et al., 2013 ; Singh, 2006). Dans
ce cadre, la performance des managers a été évaluée comme améliorée par
leurs collaborateurs à l’issue d’un programme de leadership intégrant de la
mindfulness (Shonin et Gordon, 2015). Notons enfin, qu’à notre
connaissance, aucune étude n’a étudié le lien entre pleine conscience et
performance économique de l’entreprise.
Les comportements au travail s’améliorent globalement en termes de
relations interpersonnelles et en termes de comportements organisationnels,
bien que ces derniers soient bien moins étudiés. Sur le plan de la qualité
relationnelle, des améliorations ont été notées dans la relation soignant-
patient (Beach et al., 2013 ; Beckman et al., 2012 ; Horner et al., 2014 ;
Shapiro et al., 2007). Cette amélioration pourrait s’expliquer par une
augmentation des compétences empathiques (Fulton et Cashwell, 2015).
Elles sont également observées dans les situations de conflits interpersonnels,
ces bénéfices ayant été étudiés essentiellement en secteur médical (Gold,
2010). Sur le plan des comportements organisationnels, les données pointent
une amélioration des comportements de citoyenneté organisationnelle (Reb
et al., 2015), une orientation plus éthique des comportements au profit de
l’organisation (Kong, 2016). La pleine conscience limiterait également les
ruminations et émotions négatives des salariés face aux situations d’injustice
(Long et Christian, 2015) et développerait l’humilité (Verdorfer, 2016). Si les
résultats sur les comportements interpersonnels sont assez nombreux, ils
restent encore très généraux et parcellaires dans les critères d’évaluation
utilisés. Ils indiquent néanmoins une tendance de la pleine conscience à
induire des comportements positifs au travail.
Les bénéfices de la pleine conscience ont enfin été étudiés dans la
réalisation de soi. Un premier champ d’études concerne le développement
personnel. Cette cible est logique au regard du contenu des programmes de
méditation qui interviennent sur l’être plutôt que sur le faire et visent la
dimension professionnelle autant que personnelle (Baker, 2016). Notamment,
des bénéfices en post-programmes de méditation ont été soulignés sur
l’authenticité des participants (Cayer et Baron, 2006 ; Leroy et al., 2013). Un
second champ concerne l’impact des programmes sur le développement
émotionnel avec une réduction des affects négatifs et une augmentation des
affects positifs (Craigie et al., 2016 ; Shapiro et al., 2007 ; Malinovski et
Lim, 2015). Plus précisément, une diminution des sentiments d’hostilité
(irritation, colère) a été décrite (Krishnakumar et Robinson, 2015).
4. Management et pleine conscience
La question émerge d’abord du constat de l’importance du mal-être au
travail, et de son corollaire le bien-être. Le management et le manageur qui
l’exercent sont de fait au cœur de ces préoccupations comme le souligne le
rapport d’information du Sénat « Le mal-être au travail : passer du diagnostic
à l’action » (Dériot, 2010). Ce rapport incrimine les nouveaux modes
d’organisation du travail, ses formes de management pathogéniques et la
pression de la performance relayée par le management. Les managers
cristallisent finalement plusieurs problèmes en ce qu’ils sont souvent
victimes, causes et solutions du mal-être au travail et des risques
psychosociaux qui en découlent. Ils sont eux-mêmes salariés et subissent
comme leurs collègues les conséquences de ce qu’ils relaient et sont censés
dans le même temps juguler : pression, isolement, sentiment d’enfermement
dans le travail et de perte de sens.
L’importance de la formation des manageurs dans la prévention du stress au
travail fait partie des recommandations de ce rapport. La méditation et la
pleine conscience s’inscrivent en réponse à ce besoin autour de trois cibles
d’action : les risques psycho-sociaux (RPS), la responsabilité sociale
d’entreprise (RSE) et le leadership.
Les RPS sont un enjeu majeur des entreprises devenues également en
quelques années un champ de recherche important en gestion. Les approches
basées sur la pleine conscience pourraient présenter un intérêt à trois niveaux
au moins. Le premier niveau d’action est celui du management du stress au
travail et de la réduction des symptômes de burnout. Les résultats présentés
précédemment soulignent un effet réel sur la réduction du stress et des
symptômes de burnout, notamment chez les personnes à haut niveau de
stress, ainsi qu’une augmentation des capacités des personnes à trouver des
solutions positives aux situations problématiques. Le deuxième niveau
d’action est celui d’aide à la gestion de la souffrance et des situations de
détresse au travail en accompagnant les salariés vers une meilleure gestion
émotionnelle et cognitive des situations. Un troisième niveau s’inscrit dans la
prévention de l’absentéisme pour maladie. Les approches basées sur la pleine
conscience montrent leur efficacité dans la prise en charge des douleurs
chroniques (McCracken et al., 2004) et du mal de dos (Morone et al., 2008)
suggérant qu’elles pourraient réduire le nombre d’arrêts, ou leur durée, pour
les troubles liés musculaires et les troubles liés aux postures assises
prolongées. Au-delà, les études soulignent l’amélioration globale de l’état
physique général et le sentiment chez les sujets d’être moins malade (cf.
supra).
La RSE fait reposer une responsabilité philanthropique sur les entreprises.
Ces nouvelles contraintes définissent cette responsabilité comme une manière
de gérer l’entreprise « de telle façon qu’elle soit profitable économiquement,
qu’elle respecte la loi et qu’elle respecte l’éthique » (Carroll, 1983). La RSE
est intégrée dans les actions des managers par exemple dans le cadre de la
responsabilité qui leur est donnée de gestion audits sociaux. Cette
responsabilité du manageur dans la RSE se traduit par la formalisation de
codes de conduites pour les managers ainsi que des formations appropriées.
Les approches basées sur la pleine conscience pourraient avoir une approche
facilitatrice à deux niveaux. Le premier niveau est celui de la promotion et du
développement de la santé et du bien-être au travail comme en témoignent les
données présentées précédemment sur les bénéfices des programmes de
pleine conscience sur la santé, le bien-être, la régulation du comportement, et
des qualités relationnelles. Les pratiquants semblent devenir plus
authentiques et plus humbles (cf. supra). Ils ont également une plus grande
prise de conscience d’eux-mêmes, et sont plus sensibles aux situations de
conflits moraux. Un deuxième niveau cible le constat de l’amélioration de
l’équilibre vie privée/vie professionnelle. La pleine conscience se poserait
comme une solution philanthropique que l’entreprise pourrait proposer pour
concilier performance entrepreneuriale et facteur d’équilibre familial et de
segmentation des sphères de vie.
Enfin, la performance des managers et le développement de leurs
compétences comportementales et de leadership sont des enjeux forts des
entreprises qui cherchent de nouvelles méthodes de formation et
d’accompagnement. Si la liste des formations disponibles est longue
(e. g. coaching, le serious game, le théâtre…), il semble que les méthodes
basées sur la pleine conscience constituent des leviers de leadership
pertinents. D’une part, la performance des leaders est reconnue comme
impliquant fortement l’intelligence émotionnelle (Boyatzis et McKee, 2005).
La pleine conscience pourrait améliorer le développement des comportements
prosociaux et des phénomènes de socialisation comme le suggèrent certaines
études évaluant certaines formes de méditation. La méditation de l’amour-
tendresse améliore les émotions sociales positives et réduit l’isolement
(Hutcherson et al., 2008). La méditation de la bienveillance permet une
augmentation des émotions positives et des bénéfices associés (pleine
conscience, but dans la vie, sociabilité) (Fredrickson et al., 2008). La pleine
conscience participe au développement des capacités d’attention d’une
manière ajustée aux demandes toujours plus grandes du monde du travail.
Face à l’hyperconnexion, l’augmentation du flux d’information et
l’injonction du temps réel, des capacités d’attention nouvelles et des temps de
concentration et de déconnexion de plus en plus courts sont imposés. La
méditation qui améliore l’attention focalisée dans une tâche et une moindre
réduction des efforts dans les tâches habituelles (Jha et al., 2015). La pleine
conscience est associée à une meilleure qualité d’attention partagée pour
détecter le signal pertinent dans le flux ambiant d’information (Morrison
et al., 2014 ; Mrazek, Franklin, Phillips, et al., 2013). Elle développe la
flexibilité attentionnelle (Moore et Malinowski, 2009).
Face à ce constat et ces besoins, force est de constater que les études portant
sur la pleine conscience dans le monde de l’entreprise ne s’intéressent que
faiblement aux manageurs. Nous avons recensé moins d’une dizaine
d’études. La première remonte à 2006 (Cayer et Baron, 2006) et intègre des
exercices de pleine conscience dans un programme complet de formation
managériale. Notons que la disposition de pleine conscience a fait l’objet de
deux études chez les manageurs visant à évaluer l’influence de cette
disposition sur leur performance (Shao et Skarlicki, 2009) et sur leur bien-
être (Roche, Haar et Luthans, 2014). Enfin, un programme de leadership
dérivé de l’acceptance and commitment therapy s’est attaché à évaluer son
impact sur l’authenticité des leaders (Baron, 2016). Dans un travail de thèse
(Françoise, 2016), la pleine conscience est étudiée comme est un construit
psychologique doublement bénéfique aux managers : d’une part en soutenant
un rapport plus équilibré au travail, d’autre part en favorisant l’adoption de
comportements de leadership plus positifs et performants (leadership
transformationnel, authentique ou servant).

Conclusion
La pleine conscience, concept plurimillénaire fondamental dans les
traditions méditatives, a fait irruption dans les organisations et les entreprises.
Les données de la littérature récentes dressent un panorama globalement
positif de ses bénéfices dans de nombreux champs du fonctionnement de
l’entreprise. Néanmoins, l’intérêt de la pleine conscience sur les pratiques de
management a fait l’objet d’un nombre de recherches bien plus limité.
Si la méditation de pleine conscience revêt indéniablement de grandes
promesses, il convient pour autant de rester prudents quant aux pièges tendus
par son implantation dans le contexte professionnel. La pleine conscience en
entreprise doit trouver sa place entre une vision orientée « business »,
priorisant la performance économique et financière, et une vision éthique de
l’entreprise qui se doit de contribuer notamment au bien-être de la société.
L’écueil de la première est de confiner la pleine conscience à
une technicisation de la vie intérieure. L’écueil de la seconde est de lui
attribuer le rôle de panacée2.
Il est nécessaire de poursuivre les recherches en mobilisant des
méthodologies scientifiques éprouvées dans le champ entrepreneurial et
managérial pour mieux discerner les enjeux et les effets du déploiement de la
pleine conscience dans le monde professionnel. Notamment il convient de
s’interroger sur la place des pratiques méditatives, à mi-chemin entre
formation, développement personnel, thérapie et coaching, dans les
programmes de « formation » des entreprises et sur les leviers de
dissémination à privilégier.

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1. Par Marion Trousselard.
2. Remède universel ; formule par laquelle on prétend résoudre tous les problèmes.
Chapitre 36
La communauté comme
ressource dans le parcours de
vie1

Sommaire
1. Méthodologie
2. Résultats
3. Synthèse conclusive de l’étude de cas
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
Ce chapitre envisage la communauté comme ressource dans le
développement personnel et social des personnes. Pour cela, il est
fait référence aux cadres de la psychologie communautaire (Saïas
& Teulade, 2014).
Résumé long
Ce chapitre aborde l’intérêt de l’étude des communautés sociales
en tant que ressource mobilisée par la personne. L’étude d’un cas,
membre d’une communauté sociale, traitée avec la méthode de
l’Investigateur multistade de l’identité sociale (IMIS) (Zavalloni &
Louis-Guérin, 1984), permet de mettre en lumière la manière dont
l’appartenance communautaire contribue au sens de la vie, à
cultiver des valeurs humanistes et à cheminer dans son
épanouissement personnel en vue d’un bonheur authentique.
Mots-clés : communauté sociale, sens de la vie, égo-écologie,
investigateur multistade de l’identité sociale (IMIS).
Questions
• Comment la communauté constitue-t-elle une ressource ?
• Comment son appartenance communautaire est-elle susceptible
d’affecter sa perception du soi par la valorisation de ses qualités
et de ses valeurs existentielles ?
• Comment son appartenance communautaire permet-elle de
développer le bien-être ?

Ce chapitre s’attache à montrer, par une étude de cas, la portée de


l’approche communautaire comme une ressource pour donner du sens à sa
vie. Saïas et Teulade (2014, p. 227) dans le domaine de la psychologie
communautaire avaient déjà reconnu la psychologie positive comme « l’un
de ses modèles de référence pour promouvoir le développement des
communautés et des individus dans leur communauté ». Aujourd’hui, l’objet
de cette contribution s’attache à décrire comment la communauté contribue à
trouver un sens à sa vie et à s’épanouir ? L’intention, à travers l’étude d’un
cas membre d’une communauté sociale, est de comprendre d’une part
comment son appartenance communautaire est susceptible d’affecter sa
perception du Soi par la valorisation de ses qualités et de ses valeurs et
d’autre part, comment son appartenance communautaire contribue à
améliorer son rapport à la vie et à s’épanouir.
Sens de la vie
« Processus psychologique qui implique nécessairement pour les individus
de ressentir que leur vie a une importance, de donner un sens à leur vie et
de déterminer un but plus général pour leur vie » (Steger, 2012, p. 177).
La communauté sur laquelle est porté l’objet d’étude est une communauté
sociale nommée « l’Accorderie ». Son principe repose sur un système
d’échange, non monétaire mais comptabilisé en temps, de services solidaires
entre des membres issus d’un même quartier. Ces échanges concrets peuvent
se réaliser au domicile ou bien au sein du local de l’Accorderie. Leurs natures
sont très diverses allant de l’accompagnement pour des rendez-vous, à la
garde d’enfants, l’aide à l’utilisation d’outils informatiques, au transport de
matériel, à des travaux, à des activités sportives, artistiques, culturelles,
culinaires, etc. La plupart des échanges sont organisés par une mise en
relation directe entre les membres grâce à l’outil de recherche d’offres
proposé dans l’espace membre du site Internet de l’Accorderie. Une fois le
service accompli, un chèque-temps est rempli pour payer le membre. La
valeur de ce temps est reportée au crédit de ce dernier sur son compte et au
débit pour celui qui a usé du service rendu.

1. Méthodologie
Deux critères principaux ont été déterminants pour choisir d’appliquer la
méthode égo-écologique (Zavalloni & Louis-Guérin, 1984). Le premier
critère porte sur l’objet même d’étude de l’égo-écologie, l’environnement
intérieur opératoire d’un individu. Il est étudié la manière dont l’individu
construit sa réalité sociale dans sa conscience individuelle selon ses
représentations du soi (identité personnelle subjective), d’alter et de la société
(identité sociale). Cette compréhension du rapport au monde passe
inévitablement par l’identité dans laquelle se rencontre le psychologique et
les appartenances sociales. L’instrument d’analyse utilisé pour s’interroger
sur la dynamique et les modalités interactives de ces deux environnements
individuel et social se nomme l’Investigateur multistade de l’identité sociale
(IMIS). Il comporte trois phases qui permettent pour chacune d’elles de
répondre à trois objectifs principaux « entrer dans l’espace des
représentations que se fait une personne des divers groupes sociaux et
découvrir les contextes multiples où elles se déploient », « observer leur
genèse et leur mode de fonctionnement en ciblant des éléments biographiques
importants et les états psychologiques associés aux représentations sociales »
et « explorer les éléments symboliques et affectifs de la pensée sociale et leur
ancrage dans le système identitaire » (Zavalloni, 2007, p. 37).
Égo-écologie
« Une analyse de l’interaction entre les dimensions personnelles
(intrapsychiques) et les dimensions collectives (interpsychiques) d’une
identité » (Zavalloni & Louis-Guérin, 1984, p. 103).
Le second critère est que l’analyse IMIS relève d’une science naturaliste et
descriptive dont le produit cognitif émane directement de l’individu sans
qu’il soit spécifié en amont par les chercheurs d’hypothèses. En d’autres
termes, l’environnement intérieur opératoire d’un répondant est exploré
comme construit empirique et non hypothétique (Jacquin & Juhel, 2013 ;
Mary & Costalat-Founeau, 2016 ; Misantrope & Costalat-Founeau, 2016).
L’utilisation de cette méthode qualitative est exempte de l’analyse qualité
métrologique classique (Bernaud, 2014 ; Guba & Lincoln, 1982 ; Goldman,
1990 ; Morrow, 2005 ; Schilling, 2006) comme le précise Louis-Guérin et
Zavalloni (2005, p. 65) « l’égo-écologie se situant essentiellement au niveau
des significations vécues par une personne, il est incongru de se poser ici la
question de la validité et de la fidélité des indicateurs et encore plus de savoir
si quelque chose d’objectif correspond ou non aux significations données par
la personne ».

1.1 Présentation du participant à l’étude


« Floraline » est le pseudonyme choisi par le répondant de la communauté
sociale. Afin que celui-ci devienne plus familier quelques caractéristiques
individuelles sont présentées succinctement. Il s’agit d’une femme âgée de
63 ans, divorcée, deux enfants, de nationalité française, résidente en France
métropolitaine, plus particulièrement en Île-de-France. Floraline est diplômée
d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) dans le domaine de
l’esthétique. Aujourd’hui elle exerce un tout autre métier que sa formation
initiale, celui de secrétaire-standardiste dans un notariat.
Le consentement recueilli du participant répondant à la cible définie dans le
cadre de cette recherche a fait l’objet, en amont, de plusieurs démarches
auprès de la communauté de l’Accorderie. Effectivement, suite à des
échanges courriels avec différentes Accorderies situées à Paris puis, quelques
rencontres au sein de la communauté, le projet de recherche a été retenu
notamment par la responsable de l’Accorderie du 14e arrondissement. Une
annonce « appel à projet » a pu être diffusée, via leur réseau interne, auprès
des 400 membres de la communauté pour celles et ceux volontaires.
« Floraline », adulte volontaire, active et membre de l’Accorderie (Paris, 14e)
depuis 2013, présentait tous les critères requis pour constituer l’exemplarité
de l’échantillon (Dépelteau, 2013).
La communauté
« Un groupe social formel et/ou informel dont l’individu est membre, uni
autour d’échanges communs pluriels et d’organisations d’actions,
partageant des intérêts, des aspirations et des valeurs communes »
(Moisseron-Baudé, 2020).

2. Résultats
Le guide d’entretien établi est fidèle au modèle en trois phases de l’IMIS
proposé par Zavalloni et Louis-Guérin (1984) avec pour unique variation la
limitation de l’exploration à cinq groupes. Ces cinq groupes ont pu être
identifiés grâce aux questions formulées lors de la première phase relative au
recueil du répertoire sémantique de l’identité et de l’altérité, à savoir :
1. Quelle est votre profession actuelle ou votre occupation principale ?
2. À quelle communauté appartenez-vous ?
3. Quelle est la communauté opposée à la vôtre ? Si vous essayez de penser
aux gens de cette communauté, que vous vient-il à l’esprit ?
4. Comment vous définiriez-vous dans cette communauté ?
5. Il y a certainement des groupes, des communautés auxquels vous
appartenez (autres que ceux/celles déjà mentionné.e.s) qui sont importants
dans votre vie et vos orientations. Lesquels ?
Floraline a spécifié les représentations qu’elle s’en fait en précisant pour
chaque groupe choisi, à savoir :
1. les standardistes ;
2. les accordeurs ;
3. les membres de l’Accorderie (Paris, 14e) ;
4. les randonneurs, au moins cinq mots ou courtes phrases pour les qualifier
en termes de « Nous » et de « Eux ».
Jusqu’à dix unités représentationnelles (UR) ont été collectées par groupe à
l’exception du groupe d’altérité qu’elle n’a pas souhaité renseigner car « pour
moi une communauté, je ne dirais pas que c’est dans l’amour, mais c’est dans
la bienveillance des uns et des autres… C’est un peu comme si vous faisiez
partie aussi d’une chorale ou quelque chose, ce sont des choses qui se font
tous ensemble donc là, je ne sais pas ! Je ne pense pas ». Ces données du
premier niveau recueillies aident à la fois à structurer le guide d’entretien, à
servir de stimuli pour générer les données du second degré de l’IMIS et à
favoriser l’ouverture, la confiance du répondant par le réemploi notamment
de leurs propres mots. Au total, douze heures et huit minutes d’entretien en
face-à-face ont été nécessaires pour traiter les trois phases de la
méthode IMIS. Sept rencontres, espacées d’au moins une semaine, sont
organisées de préférence dans un des bureaux du laboratoire, conscients que
l’environnement agit sur « le contenu et le style du discours produit »
(Blanchet & Gotman, 2014, p. 69). Les entretiens ont été entièrement
transcrits pour procéder à l’analyse égo-écologique de l’environnement
intérieur opératoire de Floraline.
Pour soutenir la problématique posée dans ce chapitre, un focus spécifique
sur quatre UR est développé et ce, pour trois raisons principales. La première
raison est qu’une analyse IMIS traitée dans son intégralité est substantielle et
mêle différents enjeux égo-écologique qui dépassent le champ de la
problématique soulevée dans ce chapitre. Toutefois, celle-ci peut être
consultée dans sa version originale (Moisseron-Baudé, 2020). La deuxième
raison émane des résultats signifiants obtenus à travers ces quatre UR pour
évoquer le sens des communautés. Ils corroborent avec le fait qu’atteindre le
bien-être, nécessite de faire face à des aspects personnels plus négatifs et ne
repose pas uniquement sur la valorisation des traits positifs. La troisième et
dernière raison s’apprécie également à la lumière des résultats qui montrent la
manière dont l’appartenance communautaire renforce les valeurs humanistes,
développe les qualités situationnelles extrinsèques et les vertus humaines.

2.1 Signification sémantique et différentielle


des UR de Floraline
La phase deux de l’IMIS est consacrée à l’élucidation du sens des
représentations en s’appuyant sur les réponses obtenues lors de la première
phase. Les résultats du niveau trois qui amorcent le passage entre la phase
deux et la phase trois sont présentés. Ils portent sur une double analyse, une
première relative à la signification sémantique de chaque UR déterminant les
référents (sous-groupes, personnes qui incarnent la réalité du groupe comme
modèle ou prototype) et une deuxième relative à la signification différentielle
de l’UR pour soi et pour alter.
L’UR « altruistes » est choisie par Floraline pour qualifier « Nous, les
accordeurs ». Le sens de cette UR évoque pour elle « aider l’autre, apporter
quelque chose à l’autre. Je trouve, d’ailleurs, quand on passe par des services
comme ça, donc sans argent, c’est déjà je pense qu’il faut déjà avoir une idée
de l’aide qu’on peut apporter à l’autre. Parce que si on n’a pas envie de
partager, d’aider ou d’être dans la convivialité, enfin… C’est montrer que
l’autre est là aussi et qu’on peut faire des choses pour lui ». Pour Floraline,
être altruiste est une qualité particulière qu’elle valorise positivement « on
donne vraiment de soi-même » et qui s’applique un peu à elle mais qu’elle
estime assez importante : « D’ailleurs, quand j’avais fait un bilan de
compétences, je ne sais pas si je vous l’avais dit, ça, le dernier bilan de
compétences que j’ai fait, ça doit être en 2011 et c’était très bien fait,
d’ailleurs. C’est dommage, la dame, elle ne le fait plus. Donc, j’avais eu 60 %
de plein air, une partie d’esthétique et une partie d’altruisme. Que je ne
soupçonnais pas vraiment chez moi. » Selon elle, il n’y a pas de différence
connotative de l’UR lorsqu’elle s’applique au soi et au groupe. Elle reconnaît
que la communauté des accordeurs contribue à développer l’altruisme « et
puis, celui qui tient l’Accorderie. Et ça peut peut-être amener, justement, des
gens qui ne le sont pas vraiment, qui arrivent à découvrir dans des échanges
de services ».
L’UR « bienveillants » est choisie par Floraline pour qualifier « Nous, les
accordeurs ». Le sens de cette UR évoque pour elle : « En fait, l’Accorderie,
voilà, c’est comme ça, c’est qu’il y a toutes sortes de gens et même si les
gens sont différents de vous, où s’ils se comportent différemment de vous,
bon, je ne dirais pas de passer l’éponge, mais bon, d’accepter. Après, il y a
des gens qui peuvent avoir un sale caractère, ou… Quelquefois, c’est
difficile. » Pour Floraline, être bienveillant est une qualité particulière qu’elle
valorise positivement et qui s’applique un peu à elle mais qu’elle estime assez
importante. Par ailleurs, comme elle le souligne, être bienveillant n’est pas
« évident » mais elle pense « qu’il faut essayer » de l’être. Selon elle, il y a
une différence connotative de l’UR lorsqu’elle s’applique au soi et au groupe.
Elle s’attribue cette qualité et introduit une notion de « curseur » qui est un
critère pour évaluer alter : « C’est-à-dire que ça devrait. Ça devrait être de la
bienveillance pour tous. Ça devrait, mais… peut-être pas toujours. » Floraline
pense qu’être membre de l’Accorderie aide à cheminer dans le sens de la
bienveillance.
L’UR « chaleureux » est choisie par Floraline pour qualifier « eux, les
membres de l’Accorderie (Paris, 14e) ». Le sens de cette UR évoque pour elle
des moments communautaires vécus ensemble : « On fait le partage
alimentaire ou des réunions, comme ça, où finalement, chacun fait enfin, s’il
a quelque chose à dire, fait des propositions, ou… Toujours ce petit côté…
Moi, je pense que c’est parce que j’ai manqué de chaleur humaine, aussi,
dans la famille, donc tout ce côté-là qui fait que quand on fait des choses
ensemble comme ça, ça donne quand même de la chaleur humaine. Surtout
quand on fait des pique-niques. Et puis même, ce que je vous disais pour les
randos, même si on n’est que deux, trois… il y a quelque chose. Vous n’êtes
pas tout seul. » Pour Floraline, être chaleureux est une qualité particulière
qu’elle valorise et qu’elle estime assez importante. Le soi partage avec le
groupe le même sens commun. Toutefois, elle indique que cette UR ne
s’applique pas à elle (non-soi) mais qu’elle s’attache à y travailler
personnellement : « Je ne sais pas l’extérioriser et on m’a toujours dit que je
paraissais une femme froide. D’ailleurs, je vous l’ai dit l’autre fois, j’ai
changé de lunettes […] Bon, je peux l’être, autoritaire, mais il y a aussi autre
chose que les gens ne voient pas. Il faut vraiment bien me connaître pour
savoir et puis, c’est une protection. Qu’on ne s’aperçoit pas, qu’on fait au fil
des années, c’est un masque. Un masque de protection, par rapport à des gens
qui ont pu vous faire du mal, ou qui pourraient vous faire du mal. »
L’UR « communicatifs » est choisie par Floraline pour qualifier « nous, les
randonneurs ». Le sens de cette UR évoque pour elle : « Quand on voit des
belles choses, on en parle : “Tu as vu cette fleur ?” Et puis, évidemment,
quand on a un guide, en plus, qui nous parle des montagnes, il nous explique
tout ce qui se passe, qu’on soit d’ailleurs, dans la campagne ou dans la
montagne, on communique enfin, on se dit les choses qu’on voit ou je ne sais
pas, j’allais dire un truc tout bête, il y a un escargot qui est là, on va le
déplacer pour ne pas qu’il se fasse marcher dessus. Des choses qu’on voit, on
n’est pas habitué à voir, je ne sais pas, moi, parler d’un arbre, qui va être
reconnaissable avec ses feuilles qui sont comme ci, l’écorce, il y a toujours
plein de choses qu’on voit dans la nature si vous êtes curieux. » Pour
Floraline, être communicatif est une qualité particulière qu’elle valorise
positivement, qui s’applique assez à elle et qu’elle estime assez importante.
Selon elle, il n’y a pas de différence connotative de l’UR lorsqu’elle
s’applique au soi et au groupe. Elle reconnaît que la communauté des
randonneurs favorise l’échange, le partage de connaissances les uns avec les
autres.
Ce niveau d’analyse intermédiaire est, certes, partiel puisque centré sur
quatre URs mais permet d’esquisser objectivement les représentations d’une
partie de la matrice sociale de « Floraline » dans son rapport avec ses groupes
d’appartenance. Ces données dessinent son propre système référentiel et
expérientiel (connaissances, émotions, croyances, désirs, etc.) présent dans sa
mémoire à long terme grâce à l’activation du sens signifié des URs décrivant
ses groupes sociaux. La phase trois de l’IMIS qui suit, fait émerger les
réseaux cognitifs et affectifs. Non conscients explicitement à l’esprit de
Floraline, ces réseaux accompagnent sa « pensée de fond » qu’elle exprime
sur soi, sur alter et sur la société qui donne à son discours le sens de sa réalité
tel qu’il est pensé et ressenti.

2.2 Sens des UR dans la dynamique


sociomotivationnelle de Floraline
La phase trois de l’IMIS est consacrée à l’analyse du réseau associatif en
s’appuyant sur les données recueillies en phase deux. Les résultats du
déploiement de l’environnement intérieur opératoire qui amorce le passage
du social au privé sont présentés. Ils portent sur une double analyse, une
première relative à la description du contexte sous-jacent (passé, présent et
futur) des représentations pour chaque UR telle qu’elle est considérée dans la
mémoire collective et individuelle de « Floraline » en y associant la charge
émotionnelle et une deuxième relative aux relations qui se forment autour de
thèmes regroupant plusieurs URs qui renvoient à un même champ de
signification de son vécu.
L’UR « altruistes » est située dans une zone de satisfaction du soi valorisé et
rayonne dans ses différents groupes d’appartenance. L’altruisme est pour
Floraline une qualité situationnelle extrinsèque, d’origine externe, acquise
récemment : « Non, je dirais que c’est plutôt nouveau ça, un peu dans les
dernières années là. C’est-à-dire que je m’en rends compte. Je ne m’en
rendais peut-être pas compte avant. » Elle reconnaît ne pas être encore
« vraiment » en accord avec son milieu et comprise par son entourage : « Je
ne crois pas. » Au sein de sa communauté, les membres de l’Accorderie, elle
considère cette qualité comme importante : « J’allais dire c’est sympa mais…
Ça fait du bien… » C’est un jugement externe qu’elle a entendu dire d’une
part sur elle lorsqu’elle a effectué son bilan de compétences et par ses
collègues et, d’autre part sur le groupe par les membres eux-mêmes ainsi que
les médias. En décrivant les membres de l’Accorderie comme étant altruistes,
l’exemple qui lui vient à l’esprit est : « Je pense à [X], une femme avec qui
j’ai fait le troc, qui a quand même soixante-douze ans, qui se donne beaucoup
de mal, qui donne beaucoup de son temps à l’Accorderie et qui, en même
temps, s’occupe avec d’autres, mais du truc de son immeuble. » L’UR
traverse sa sphère de vie interpersonnelle et sociale : « Je ne sais pas, on
travaille sur sa propre conscience, aussi. Si jamais, enfin, je ne sais pas, je
pense que je ne dis pas tous les jours, mais on a toujours, à un moment donné
on a envie d’aider quelqu’un. »
L’UR « bienveillants » est située dans une zone de satisfaction du soi
valorisé et rayonne dans ses différents groupes d’appartenance. La
bienveillance est pour Floraline une qualité situationnelle extrinsèque,
d’origine externe, acquise récemment : « Non, ça ne fait pas longtemps. J’ai
encore du boulot ! » Elle reflète également un projet en tant qu’aspiration
exprimant sa motivation existentielle : « Je ne le suis pas toujours, moi […] il
faut que j’apprenne. » Elle reconnaît ne pas être encore « vraiment » en
accord avec son milieu, éventuellement « son milieu professionnel » et
comprise par son entourage « non pas sûr ». Au sein de sa communauté, les
membres de l’Accorderie, elle considère cette qualité comme importante.
C’est un jugement externe qu’elle a entendu dire d’une part sur elle par des
amis, son entourage et, d’autre part sur le groupe par les membres eux-
mêmes. En décrivant les membres de l’Accorderie comme étant bienveillants,
l’exemple qui lui vient à l’esprit est : « Je pense que celle qui s’en occupe,
[X], qui fait partie de l’Accorderie, là, enfin. Elle est comme ça, il faut être
comme ça, il faut être bienveillant, parce que si on veut faire passer des
messages, avec beaucoup de diplomatie, d’ailleurs, il faut être bienveillant
avec les uns, les autres. Parce que ça ne doit pas toujours être facile de gérer
toutes sortes de personnes, même social, parce qu’il y a beaucoup de social,
dans son truc, là. » L’UR traverse sa sphère de vie privée-personnelle et
sociale : « Je pense qu’il faut apprendre à se corriger et à se remettre en
question. »
L’UR « chaleureux » est située à la fois dans une zone de gratification et de
frustration d’Alter valorisé. En effet, cohabite pour cette UR deux zones
existentielles opposées. Dans la première zone, chaleureux est perçu par
Floraline comme exerçant une action de support, d’aide apportée par la
communauté des accordeurs et des randonneurs : « Ça met tout de suite une
bonne ambiance. Je trouve ça vraiment agréable. Ça fait chaud au cœur quand
il y a des gens comme ça. » Dans la deuxième zone, chaleureux est vécu par
Floraline comme un trait personnel manquant. Lorsqu’Alter manifeste cette
qualité, elle est désirée et enviée par Floraline qui ne se reconnaît pas comme
chaleureuse : « Non, ce serait nouveau et encore je ne sais même pas. » Elle
convient toutefois qu’elle y travaille : « Je ne pense pas que je suis une nature
très chaleureuse. Je pense qu’il y en a beaucoup qui peuvent le penser, ça. Et
ça, ce manque de chaleur et de froideur, qui transparaît à moi, c’est autre
chose, c’est de la timidité, c’est un manque de confiance en soi et il y a une
barrière qui s’est installée depuis mon enfance, pour me protéger et ce n’est
pas parti. Et après, je ne peux être chaleureuse qu’avec des gens que je
connais depuis longtemps, que je connais bien. » Au sein de la communauté
de l’Accorderie, elle considère cette qualité comme une caractéristique
positive différenciée, c’est-à-dire en accord avec ses propres valeurs : « C’est
vrai que quand on est comme ça, chaleureux, ça coule. Je ne dirais pas qu’on
se fait des amis, mais si, quand même, quelque part. Il y a tout de suite un
groupe de gens qui… Vous n’êtes pas seule. Quand vous êtes chaleureuse,
vous n’êtes pas seule. Mais en même temps, moi, je me dis que quand on est
chaleureux, on n’a pas peur. C’est ça, en fait, on n’a pas peur des gens qui
vont nous approcher. Moi je dis que ceux qui sont comme ça, ils sont bien
avec eux-mêmes. » C’est un jugement externe qu’elle a entendu dire sur les
membres de l’Accorderie et « c’est ce que l’on constate, c’est-à-dire, quand
on va à des réunions, quand on va, par exemple là ils vont faire un pique-
nique… ».
L’UR « communicatifs » est située dans une zone de satisfaction du Soi
valorisé et rayonne dans ses différents groupes d’appartenance. Être
communicatif est pour Floraline une qualité situationnelle extrinsèque,
d’origine externe, acquise récemment : « Oui, je fais des efforts. C’est tout
bête en fait, c’est avoir confiance en soi et s’aimer. » Elle reconnaît ne pas
être encore « vraiment » en accord avec son milieu et comprise partiellement
par son entourage « pas tous ». Au sein du groupe, les randonneurs, elle
considère cette qualité comme relativement importante : « Il y en a qui n’ont
pas envie de parler, ce que je peux concevoir. Des fois moi non plus, je n’ai
pas envie de parler. » C’est un jugement externe qu’elle a entendu dire sur le
groupe par eux-mêmes : « C’est un constat » et un jugement personnel
qu’elle porte sur elle. En décrivant les randonneurs comme étant
communicatifs, l’exemple qui lui vient à l’esprit est : « Ils se parlent tout le
temps, enfin, je veux dire, même s’il y en a qui ne parlent pas et tout ça, mais
on entend tout le temps les gens qui se parlent. Ce n’est jamais dans le
silence, il y a toujours une recherche de communiquer avec l’un ou l’autre. »
L’UR traverse sa sphère de vie interpersonnelle et sociale : « Je trouve que
c’est important, de parler. D’ailleurs, si je rencontre quelqu’un, moi, je veux
qu’il soit communicatif. »

3. Synthèse conclusive de l’étude de cas


Ces résultats aboutissent in fine à la représentation d’une partie de la
dynamique identitaire psychosociale de Floraline. Ce focus sur les quatre
URs sélectionnées met en exergue la manière dont son identité se recompose
et s’actualise à travers l’influence de ses communautés (Accorderie et
randonneurs). Il apparaît que ses interactions et sa confrontation avec ses
communautés sociales activent dans son environnement intérieur opératoire
le soi, alter et la société qui sont à la fois acteurs et les cibles de l’action.
Cette rencontre de l’individuel et du collectif génère chez Floraline de
nouvelles connaissances et motivations existentielles. Elles se manifestent par
la volonté de dépasser certains troubles psychologiques et comportementaux,
par le souhait de rompre avec sa solitude et par le besoin de développer son
bien-être psychologique. Lever les obstacles (peurs, angoisses, solitude,
timidité) qui freinent son épanouissement et sa confiance en elle, relève
actuellement de ses aspirations. Par ailleurs, ses efforts personnels investis
émanent des conditions favorables mises en place par ces communautés. Ces
dernières reconnaissent et valorisent autant ses qualités intrinsèques que ces
compétences. Un des services qu’elle propose par exemple au sein de
l’Accorderie est l’organisation de randonnées. L’Accorderie lui offre la
possibilité d’actualiser ses compétences et de conjuguer avec son « amour
pour la nature ». La communauté joue un rôle vital au sens qu’elle souhaite
donner à sa vie. En effet, ces quatre UR sont intégrées dans un de ses trois
noyaux dynamiques sociomotivationnels identifié « sens des communautés ».
Ces noyaux de signification ont la caractéristique de concentrer les
dimensions centrales de Floraline qui agissent comme des filtres à travers
lesquels elle code tous les éléments, toutes les informations venant de
l’extérieur et de l’intérieur. Le noyau « sens des communautés » représente
ses communautés qui participent à son épanouissement et au développement
de ses liens sociaux. « Altruistes » qui correspond pour Floraline à l’esprit de
solidarité, à un travail sur sa conscience personnelle, « bienveillants » qui
sous-tend pour elle d’accepter les défauts des autres et « communicatifs » qui
est équivalent pour elle au premier pas vers l’autre sont trois UR incluses
dans le thème « sens des communautés » présent dans l’espace du Soi
valorisé en relation de « contiguïté » avec ses deux autres thèmes relatifs au
« sens des responsabilités » et au développement/enrichissement de ses
« habiletés et connaissances ». Ces relations marquent la présence de sens
proche entre les thématiques mais non identiques qui se renforcent les unes
par rapport aux autres. Les trois UR se distinguent des autres dans le thème
« sens des communautés » car ce sont des qualités récemment acquises par
Floraline et qu’elle développe à leur contact. « Chaleureux » est une UR
ambiguë pour Floraline présente dans l’espace d’alter valorisé. D’un côté,
l’UR est en relation de « complémentarité » avec le thème « sens des
communautés » dans le sens où l’UR inscrite dans le champ valorisé d’Alter
complète le thème du champ valorisé du soi en agissant comme le
complément d’un état manquant à Floraline. D’un autre côté, l’UR est en
relation de « différenciation » plus précisément, de « différence positive
asymétrique » avec le thème « sens des communautés » dans le sens où l’UR
renvoie à Floraline ce qu’elle désire, envie, chez Alter, sans pouvoir encore le
posséder. À plusieurs reprises Floraline évoque sa souffrance face à la
solitude vécue sur le plan personnel ainsi que certains traits de personnalité
comme « discrète » qui peuvent la desservir. Le développement d’une
nouvelle qualité « chaleureux », soutenu et porté grâce aux partages présents
au sein de ses communautés, l’aide à avoir une force de caractère
supplémentaire nécessaire pour oser vaincre sa timidité, pour combler
certains manques et pour gagner en confiance.

Conclusion
Si la tâche paraît fastidieuse d’améliorer les forces de caractère à l’échelle
individuelle, il semble plus réaliste et moins coûteux en temps de s’appuyer
sur les communautés sociales qui en plus de cultiver le lien aux autres
permettent aux individus de développer le sens de leur vie, leurs valeurs
humanistes et leurs vertus.

Bibliographie
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Blanchet, A., & Gotman, A. (2014). L’entretien : L’enquête et ses méthodes (2e éd.). Paris :
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Zavalloni, M., & Louis-Guérin, C. (1984). Identité et conscience. Introduction à l’égo-écologie.
Presses de l’Université de Montréal.
1. Par Mathilde Moisseron-Baudé et Jean-Luc Bernaud.
Chapitre 37
La rémunération (n’)est (pas)
une question d’argent1

Sommaire
1. La théorie de l’autodétermination (TAD) et ses
postulats
2. Les implications de la TAD pour les significations et
l’utilisation de l’argent
3. L’argent et le point de satiété
4. Les différentes significations de l’argent et ce que
nous pouvons faire pour les améliorer
5. Devrait-il y avoir une différenciation entre les salaires
(ou pas) ?
6. Et les bonus ?
7. L’avenir de la rémunération
Conclusion
Bibliographie
Résumé court
L’argent et le salaire ont des pouvoirs motivationnels limités, et ce
même en contexte organisationnel. La théorie de
l’autodétermination peut jeter un éclairage novateur et judicieux
sur les effets positifs et négatifs des différentes significations de
l’argent et du salaire. Les recherches récentes sur les aspects
informatif et/ou contrôlant des bonus, des raisons à vouloir faire de
l’argent, des iniquités et de la transparence salariale permettent de
mieux comprendre quand et comment l’argent peut être moins
nocif. Le présent chapitre propose un cadre théorique intégrateur
pour les communautés de chercheurs et de praticiens s’intéressant
aux pratiques de rémunération.
Résumé long
La rémunération vise à récompenser les employés pour leur temps
et leurs efforts, ainsi que pour les compétences qu’ils apportent
dans une organisation et dans leurs tâches au travail.
Traditionnellement, la théorie de l’agence économique (agency
theory) a soutenu l’idée selon laquelle l’utilisation de l’argent
favorise, en tout temps, la motivation ainsi que la performance des
employés. Découlant de cette perspective, les organisations ont
consacré beaucoup de temps, d’énergie, ainsi que des ressources
humaines et financières aux différentes stratégies et programmes
de rémunération. Pourtant, plus de 76 % des personnes admettent
qu’elles continueraient à travailler même si elles n’avaient pas
besoin d’argent (Paulsen, 2008). Par conséquent, un élément
important à remettre en question est le pouvoir motivationnel de
l’argent, qui semble fort limité. Qui plus est, les gens surestiment
considérablement l’impact de leur revenu sur leur satisfaction de
vie (Aknin et al., 2009). La recherche nous montre en effet que
l’argent ne contribue que dans une mesure très limitée au
bonheur, et ce principalement en réduisant la tristesse au
quotidien, sans toutefois augmenter le bonheur (Kushlev et al.,
2015). La recherche suggère également qu’il existe une telle
chose que « suffisamment d’argent », c’est-à-dire un point de
satiété où un revenu supplémentaire n’entraîne pas de grande
différence dans le niveau de bonheur déclaré (Jebb et al., 2018).
Est-ce à dire que la différenciation salariale doit être minimisée ou
supprimée si les gens ne bénéficient pas autant d’un revenu plus
élevé ?
Le but de ce chapitre est de discuter l’utilisation de l’argent comme
outil de motivation, en se concentrant sur des questions telles que
1) le point de satiété des individus, 2) les conséquences des
iniquités salariales et 3) les récompenses financières telles que les
bonus, ainsi que 4) les différentes significations de l’argent. En
abordant ces points sous l’angle de la théorie de
l’autodétermination (SDT ; Ryan & Deci, 2017) et en examinant les
recherches pertinentes sur la rémunération, nous soutenons que,
d’une part, l’égalité salariale dans sa forme la plus stricte peut
avoir certains aspects démotivants, mais qu’à l’autre extrémité du
spectre, des écarts de rémunération trop importants et
injustifiables peuvent également être préjudiciables au niveau
individuel, organisationnel et sociétal. Notre point de vue est donc
que l’égalité salariale pour tous n’est pas une solution souhaitable,
mais que la différenciation salariale doit être connue de tous
(transparente), et ce à l’intérieur de limites explicables et
équitables. Dans la section suivante, nous présentons le cadre de
la théorie de l’autodétermination (TAD) avant de revoir ses
implications pour les pratiques en rémunération.

Mots-clés : théorie de l’autodétermination, rémunération,


(in)justices, équité, transparence salariale.
Questions
• L’argent est-il un élément motivant puissant au travail ?
• Comment s’assurer que les pratiques de rémunération aient plus
d’impacts positifs et moins d’impacts négatifs sur les
collaborateurs ?
• Quels sont les avantages d’avoir une transparence salariale
complète couplée à une dispersion salariale faible sur le bien-être
et la performance des collaborateurs ?

1. La théorie de l’autodétermination (TAD) et


ses postulats
Pour la plupart des gens (e. g. Heath, 1999), il semble évident que les
humains travaillent pour l’argent et certains chercheurs affirment même que
rien n’est aussi puissant que l’argent comme outil de motivation (Locke
et al., 1980). De plus, une grande proportion de gestionnaires et de cadres a
tendance à percevoir la motivation comme un concept unidimensionnel
définissant la quantité d’énergie dont un individu dispose au travail, sans
égard à sa qualité. En d’autres termes, la motivation est considérée comme un
concept unidimensionnel, compris uniquement par sa présence ou son
absence chez quelqu’un. Cette façon de voir les choses accorde donc peu
d’attention quant à la qualité de l’énergie investie.
C’est précisément là que la théorie de l’autodétermination (TAD) peut être
utile. Cette théorie, testée dans divers domaines (comme le sport, la santé,
l’éducation et le travail) au cours des quarante-cinq dernières années, affirme
que la qualité de l’énergie investie dans différents domaines, y compris le
travail, est plus importante que sa quantité (voir Deci et al., 2017 ;
Manganelli et al., 2018 ainsi que Rigby & Ryan, 2018 pour des recensions
exhaustives). Cette théorie suggère quatre gradients de qualité de motivation,
qui vont de complètement autodéterminés (aussi appelée motivation
autonome) à non autodéterminés (appelée motivation contrôlée). L’absence
de motivation est, quant à elle, appelée démotivation ou amotivation. Le
tableau 37.1 présente les cinq différents types de motivation, ainsi que leurs
définitions, leurs principales caractéristiques, des exemples d’items de
mesure et des exemples pertinents.
Le Multidimensional Work Motivation Scale (MWMS ; Gagné et al., 2015)
est l’un des outils les plus largement utilisés pour mesurer les qualités des
motivations au travail selon la TAD. Cet outil fournit des exemples
opérationnels des cinq types de motivation et est maintenant traduit en vingt-
six langues différentes.
Tableau 37.1 – Définitions, caractéristiques, items de mesure et exemples des
cinq différents types de motivation selon la TAD
Intrinsèque Identifiée Introjectée Extrinsèque Démotivation

Faire une Faire une tâche Chercher des Rechercher des Absence
tâche pour le conforme à ses récompenses récompenses externes d’énergie,
plaisir et la valeurs internes (par (par exemple une manque de
joie qu’elle personnelles ou exemple, la fierté, voiture de fonction, des volonté et
procure. C’est encore faire un l’ego, la réputation) bonus en espèces, un d’autorégulation.
Définition une travail jugé et éviter les salaire plus élevé) et
satisfaction important, qui a punitions internes éviter les sanctions
inhérente qui une utilité (par exemple, la externes (par exemple
s’entretient sociale et un culpabilité, la un licenciement ou
elle-même. impact positif. honte). recevoir un plus petit
bonus).
L’amusement, Accomplir des Protéger et/ou La recherche avide de L’apathie, le
la tâches renforcer l’estime salaires plus élevés et désengagement,
Caractérisé concentration, importantes de soi, éviter d’avantages tangibles l’impuissance, le
par le flow, les (agréables ou l’autocritique et externes. Actions pour manque de
émotions non) qui encourager le éviter d’être perçu€ direction et de
positives. correspondent à développement de négativement par les clarté, un travail
ses valeurs l’ego. autres. non significatif.
profondes.

Le travail que Mon travail Je dois me prouver D’autres ne me Je fais peu, car je
je fais est correspond à à moi-même que je récompenseront ne pense pas que
intéressant mes valeurs suis capable financièrement que si je ce travail vaille
Je m’amuse à personnelles Autrement je me fais des efforts dans la peine
Items
faire mon Ce travail a une sentirais mal par mon travail J’ai vraiment
travail signification rapport à moi- Pour éviter d’être l’impression de
personnelle même critiqué par les autres perdre mon
pour moi temps au travail

Un professeur Une infirmière Un jeune adulte qui Par peur d’être licencié, Un téléphoniste
a du plaisir à qui valorise le se force à étudier un comptable est prêt à d’un centre
enseigner et confort des dans une discipline mentir sur le bilan de d’appels se
ne voit pas le patients donne qu’il n’aime pas, à l’entreprise pour questionne à
Exemple jour passer. un bain avec l’université, pour augmenter savoir si son
soin à son rendre ses parents artificiellement la valeur emploi est
patient, qu’il fiers de lui et aussi des actions à la bourse. vraiment utile.
s’agisse. ne pas ressentir de
honte à leur égard.

L’avantage de la TAD par rapport à d’autres théories de la motivation est


qu’elle peut – en grande partie – expliquer quand et comment les domaines
d’activité et les environnements peuvent favoriser un fonctionnement optimal
ou sous-optimal. Ce cadre conceptuel couvre des facteurs contextuels et
organisationnels (e. g. la rémunération, les relations interpersonnelles, le
leadership et la conception des tâches), en passant par des processus de
motivation individuels (c’est-à-dire les besoins psychologiques et la qualité
de la motivation) pour finalement prédire toute une gamme de conséquences
psychologiques, émotionnelles, comportementales et économiques
individuelles (voir la figure 37.1 pour un aperçu).
Figure 37.1 – Aperçu de la TAD appliquée au monde du travail
(inspirée de Deci et al., 2017 ; Manganelli et al., 2018 ; Rigby & Ryan 2018)

Les recherches sur les conséquences des types de motivation montrent que
les motivations intrinsèque et identifiée ont tendance à entraîner des
conséquences plus positives et moins négatives, tandis que le portrait est
atténué, voire inversé, pour les motivations introjectée et extrinsèque. C’est
particulièrement le cas dans le domaine du travail (voir Gagné et al., 2015
pour des exemples, de même que Gagné & Deci, 2005). En conséquence, une
distinction fondamentale peut être établie entre la motivation autonome
(c’est-à-dire les motivations identifiées et la motivation intrinsèque) et la
motivation contrôlée (c’est-à-dire les motivations introjectée et extrinsèque).
Une vaste recherche empirique effectuée simultanément dans plus de cent
trente-deux pays (voir Tay & Diener, 2011, par exemple) démontre qu’il
existe trois principaux besoins psychologiques qui comptent universellement,
pour toutes et tous à travers le monde, à tout moment et en toutes
circonstances. Ces trois besoins psychologiques, innés et universels, sont
ceux d’autonomie (définie comme la volonté intérieure d’agir conformément
à ses valeurs et de percevoir des choix à l’intérieur de certaines règles et
limites spécifiques), de la compétence (définie comme le besoin de se sentir
efficace et capable de relever des défis) et de l’affiliation sociale (définie
comme le besoin de se sentir connecté avec les autres et de faire partie d’un
collectif ou d’un groupe). Lorsque ces besoins psychologiques sont satisfaits,
cela augmente le plaisir et le sens pendant le travail (c’est-à-dire la
motivation autonome), ce qui augmente ensuite la probabilité de vivre des
conséquences positives. Au contraire, lorsque ces besoins sont frustrés, cela
augmente la présence de motifs compensatoires tels que les objectifs orientés
vers l’ego, le matérialisme et la motivation contrôlée, ce qui entraîne
principalement des conséquences négatives au travail, souvent avec des
débordements dans d’autres sphères de vie.

2. Les implications de la TAD pour les


significations et l’utilisation de l’argent
En tant que théorie de la motivation humaine, la TAD est bien adaptée pour
fournir une compréhension plus fine des pratiques de rémunération.
Néanmoins, l’une des principales raisons pour laquelle la TAD n’a pas été
couramment utilisée en psychologie industrielle et organisationnelle, en
comportement organisationnel ni en recherche en ressources humaines est
basée sur une incompréhension de la validité écologique de certaines des
premières recherches (réalisées au début des années 1970) sur l’effet de
négatif des récompenses tangibles sur la motivation intrinsèque (aussi appelé
l’effet de justification excessive et de crowding-out ou éviction). Ces
recherches (Deci, 1972a, 1972b) montraient que le fait de payer des gens
pour une tâche intéressante telle que faire un puzzle diminuait par la suite la
motivation intrinsèque d’un individu à faire cette même tâche. Les critiques
de ces résultats, en contexte de travail, ont déclaré qu’il y avait peu de
validité écologique entre faire des casse-tête et un travail « dans la vie réelle »
et qu’un « vrai » travail avait tendance à susciter des orientations
motivationnelles différentes (c’est-à-dire gagner de l’argent) que d’autres
sphères de vie telles que les loisirs, les passe-temps et les sports (activités
faites principalement pour s’amuser) par exemple. Ce sujet a été vivement
débattu dans différents domaines (en éducation, dans le cadre de pratiques
parentales et pour les modalités de rémunération pour en nommer quelques-
uns), jusqu’à ce qu’une méta-analyse montre que les récompenses tangibles
mènent effectivement à une diminution de la motivation intrinsèque (Deci
et al., 1999).
Bien que le débat semblât clos en 1999 et qu’un modèle théorique ait été
proposé en 2008 pour étudier la rémunération selon la TAD (Gagné & Forest,
2008), les subtilités des processus motivationnels mis de l’avant par la TAD
semblent encore omises dans certains travaux de recherche (voir Gerhart &
Fang, 2015). Des recherches empiriques récentes (Cerasoli, Nicklin, & Ford,
2014 ; Thibault Landry et al., 2017, 2019a, 2019b) ont ajouté quelques
nuances à cette question générale. Nos recherches (corroborées par celles de
plusieurs autres équipes de recherche à travers le monde) ont montré que ce
sont les raisons pour lesquelles un individu désire gagner de l’argent
(Thibault Landry et al., 2017), le sens que les individus attribuent aux
récompenses qu’ils reçoivent (Kuvaas et al., 2020 ; Thibault Landry et al.,
2017, 2020a, 2020b), la justice perçue (Olafsen, Halvari, Deci, & Forest,
2015) ainsi que la manière dont les individus dépensent leur argent
(Manganelli & Forest, 2020a, 2020b) qui ont un effet sur le comportement et
les attitudes des individus, au-delà du montant qu’ils gagnent.
Nous approfondissons sur ces trois points dans les prochaines sections en
commençant par une discussion sur la satiété financière et de la signification
et de l’usage de l’argent. Nous continuons avec une discussion sur les
perceptions de justice à travers les questions de dispersion de salaire et de
transparence sur l’information salariale. Nous finissons avec une discussion
de l’utilisation des bonus comme forme de rémunération variable.

3. L’argent et le point de satiété


D’un point de vue historique, l’argent a été inventé comme un outil pour
remplacer le troc lorsque les transactions sont devenues trop importantes pour
être gérées facilement. Dans cette optique, dès son origine, la monnaie était
une commodité, un moyen de faciliter les échanges, et donc une
représentation symbolique de la valeur d’un objet, chose ou autre. Par
conséquent, depuis longtemps, le papier-monnaie est une représentation
substituée d’un métal précieux (que ce soit l’or ou l’argent) stocké dans un
espace sûr.
Beaucoup semblent partager l’opinion selon laquelle avoir plus d’argent est
toujours mieux. Cette question de satiété de l’argent (« À partir de quel
montant en a-t-on suffisamment ? ») n’est jamais posée dans le domaine de la
gestion de la rémunération. Toutefois, la recherche, incluant celle réalisée en
dehors du cadre de la TAD, suggère que cette question devrait être examinée
plus attentivement.
Prolongeant les résultats de recherche de deux lauréats du prix Nobel
d’économie, Daniel Kahneman et Angus Deaton (2010), qui ont été les
premiers à mettre de l’avant cette idée de satiété financière, c’est-à-dire de
point où le revenu supplémentaire fournit peu ou pas de valeur bénéfique
pour le bien-être des individus, Jebb et ses collègues (2018) ont en outre
répondu à cette question essentielle en utilisant des données provenant
d’échantillons stratifiés représentatifs dans plus de cent soixante-quatre pays.
Tout en contrôlant statistiquement pour les facteurs démographiques tels que
le genre et l’âge, ils ont montré que le revenu avait un effet optimal lorsqu’il
se situait entre 60 000 dollars US2 et 75 000 dollars US pour le bien-être
émotionnel (simultanément plus d’émotions positives et moins d’émotions
négatives), et jusqu’à 95 000 dollars US pour la satisfaction globale à l’égard
de la vie, telle que mesurée par l’échelle de Cantril3. Plus important encore
est le fait que, passé ce point de satiété, un revenu supplémentaire semble
avoir un effet néfaste sur le bien-être et la satisfaction de la vie. Par
conséquent, il semblerait que la notion d’avoir « assez d’argent » existe. En
d’autres mots, la satiété financière semble se situer quelque part dans cette
fourchette allant de 60 000 dollars US à 95 000 dollars US (dans 164 pays à
tout le moins).
Pour mieux comprendre l’effet que l’obtention d’argent peut avoir sur le
bien-être, nous devons nous pencher sur les raisons pour lesquelles les gens
veulent avoir de l’argent et également savoir ce qu’ils comptent en faire. Des
recherches récentes se sont penchées sur ces questions.
4. Les différentes significations de l’argent
et ce que nous pouvons faire pour les
améliorer
Nous avons commencé ce chapitre en disant que l’argent est une
représentation psychologique d’une valeur. Un examen rapide des langues
telles que l’anglais, le français ou l’espagnol indique qu’il existe une
multitude de termes pour représenter l’argent (voir le livre de Furnham et
Argyle 1998 pour plusieurs exemples comme : foin, blé, bacon, tune,
pognon, etc.), ce qui soutient l’idée selon laquelle l’argent est une commodité
qui peut prendre différentes significations.
Une critique adressée à la TAD est que la motivation extrinsèque, qui
comprend le désir de faire de l’argent, sous forme de salaire par exemple, est
souvent présentée comme étant uniquement négative ou trop simpliste, car
elle ne tient pas compte des raisons pour lesquelles les gens veulent de
l’argent, ni la façon dont ils le dépensent. Pour y remédier, Thibault Landry et
ses collègues (2016) ont demandé aux gens pourquoi ils voulaient gagner de
l’argent, plutôt que simplement s’ils voulaient gagner de l’argent. Cela a
conduit à l’identification de cinq catégories de motivations autodéterminées
(i. e. qui satisfont les besoins psychologiques) à savoir la charité (par
exemple, « pour donner de l’argent à ceux qui en ont besoin »), la valeur
marchande (par exemple, « pour recevoir une compensation équitable pour
mon travail), la liberté (par exemple, « pour diriger ma propre vie sans
aucune interférence de qui que ce soit »), les loisirs (par exemple, « pour
consacrer du temps et de l’argent à mes loisirs »), la fierté/signe
d’accomplissement (par exemple, « pour savoir que je peux relever les défis
de la vie »), et trois catégories de motifs non autodéterminés (i. e. qui
frustrent les besoins psychologiques), à savoir l’impulsivité (par exemple,
« pour dépenser de l’argent impulsivement »), la comparaison sociale (par
exemple, « pour avoir une maison et des voitures plus agréables que mes
voisins ») et surmonter les doutes personnels (par exemple, « pour prouver
que je ne suis pas aussi stupide que les gens le pensent »). Quant à eux, les
motifs de famille (par exemple, « pour s’occuper de l’éducation collégiale de
mes enfants ») et de sécurité (par exemple « pour maintenir un solde bancaire
raisonnable en cas d’urgence ») se regroupent ensemble, tout en n’ayant pas
d’effet sur la satisfaction des besoins psychologiques (voir Howell et al.,
2012, pour des résultats quelque peu différents sur le statut socio-
économique, le besoin de satisfaction et la sécurité). Les résultats ont montré
que les motifs autodéterminés pour gagner de l’argent amènent plus de bien-
être grâce à la satisfaction des besoins psychologiques tandis que les motifs
non autodéterminés de gagner de l’argent conduisaient à plus de mal-être par
le biais de la frustration des besoins psychologiques.
Sachant que les différents motifs de gagner de l’argent entraînent des
conséquences positives et/ou négatives, la prochaine étape logique consiste à
évaluer les différentes conséquences des habitudes de dépenses des individus.
Des travaux ont été menés pour tester les objectifs ou les raisons pour
lesquels les gens tentent d’atteindre lorsqu’ils dépensent de l’argent (par
exemple, voir Zhang et al., 2013), un programme de recherche a été proposé
par Dunn et Weidman (2015) et diverses actions utilisant de l’argent pour
augmenter les indicateurs de fonctionnement optimaux (e. g. émotions
positives, concentration, souvenirs durables, bienveillance et impact positif
sur soi et les autres, etc.) ont été testés (le livre Happy Money de Dunn et
Norton, 2014, en est un bon exemple). Des données empiriques récentes
(Manganelli & Forest, 2020a) montrent que le fait de dépenser de l’argent
pour aider les autres, profiter d’une activité de loisir et accroître le
développement personnel, encourage les individus à satisfaire leurs besoins
psychologiques, ce qui les conduit à vivre un plus grand bien-être. Ces
dépenses peuvent prendre une forme matérielle (se procurer un bien matériel
comme un meuble), prosociale (donner de l’argent à une œuvre de charité) ou
expérientielle (se payer un billet de remontée mécanique pour une journée de
ski). Ces nouveaux résultats mettent en lumière les mécanismes sous-jacents
de ce que l’argent peut (et ne peut pas) faire. Cela signifie donc que certains
types de dépenses ou d’objectifs sous-jacents à ces dépenses répondent
davantage aux besoins psychologiques que d’autres.
Finalement, les motifs pour gagner de l’argent sont-ils immuables ou
peuvent-ils être modulés par des interventions ? Kasser et ses collègues
(2014) ont été en mesure de réduire les aspirations matérialistes (se
concentrer sur l’accumulation de biens matériels et d’argent comme principe
de vie) d’adolescent(e)s en augmentant la pleine conscience tandis que Lekes
et ses collègues (Lekes et al., 2012) ont pu augmenter les motivations
autodéterminées en demandant aux participants d’écrire sur leurs motivations
positives et saines. Il semble donc possible de réduire le matérialisme et
d’augmenter les motivations autodéterminées, ce qui est encourageant. Dans
ce même ordre d’idées, Manganelli et Forest (2020b) ont testé une
intervention visant à augmenter les motifs autodéterminés pour gagner de
l’argent – ce qui satisfait les besoins psychologiques – et à diminuer les
motivations non autodéterminés – c’est-à-dire ceux qui frustrent les besoins.
En comparant le groupe expérimental (qui a participé à un atelier de 2 heures
expliquant les niveaux de motifs autodéterminés et non-autodéterminés ainsi
que les effets psychologiques que peuvent avoir leurs présences relatives) au
groupe témoin (qui n’a pas reçu l’intervention), il a été démontré que les
motifs non-autodéterminés diminuaient mais que l’intervention n’augmentait
pas les motifs autodéterminés. En d’autres termes, leurs motifs négatifs ont
diminué tandis que leurs motifs positifs sont restés les mêmes.
Étant donné les travaux récents montrant que les significations et
l’utilisation de l’argent peuvent être influencées par des interventions, nous
ne pouvons qu’espérer que des interventions efficaces et positives, comme
celles-ci, deviennent courantes et étendues à un public plus large. Cette
section montre que l’argent n’est pas une modalité d’échange inanimée et
uniquement économique ; elle a différentes significations qui peuvent être
positives et/ou négatives et, surtout, modifiables.
En plus de considérer le montant d’argent obtenu par le travail et de
considérer comment cet argent sera utilisé, l’équité des pratiques de
rémunération semble un élément crucial. En d’autres mots, d’autres aspects
que le montant d’argent sont également importants à prendre en considération
afin de favoriser une rémunération équitable (fondée sur des différences
justifiables et justifiées), mais pas nécessairement égale (où tous obtiennent
le même montant). Pour approfondir sur cette problématique, nous nous
penchons sur les recherches concernant la différenciation et la transparence
salariale.

5. Devrait-il y avoir une différenciation entre


les salaires (ou pas) ?
Le rapport 2018 de l’organisme OXFAM a montré que les vingt-six
personnes les plus riches de la planète possèdent autant de richesses que les
3,5 milliards de personnes les plus pauvres (ce nombre était de quarante-deux
personnes en 2017 et de soixante et une en 2016). Cela nous amène à la
question suivante de la dispersion des salaires, c’est-à-dire la différenciation
de salaires et des richesses. L’argument usuel est que le salaire (qu’il s’agisse
du salaire de base, des primes ou de la rémunération incitative) devrait être
utilisé pour différencier les « meilleurs » employés de ceux considérés
comme « moyens » (voir Gerhart, 2017, à ce sujet). Dans cette optique, une
question managériale importante à se poser est la suivante : Combien de
différenciation entre les salaires est suffisante et/ou insuffisante ?
Aborder cette question importante implique que nous déterminions d’abord
si la différenciation des salaires est souhaitable en contexte de travail, puis le
niveau optimal de différenciation. Sur ce dernier point, des résultats
intéressants, tant dans le domaine des affaires que du sport, montrent que,
partout dans le monde, à mesure que la dispersion des salaires augmente, la
performance et les intentions de rester dans son domaine diminuent, ce qui
semble contre-intuitif d’un point de vue managérial, mais est logique selon
les préceptes de la TAD (voir par exemple Bloom, 1999 ; Bloom & Michael,
2002 ; White & Sheldon, 2014). Alors que certains chercheurs en gestion
affirment qu’une plus grande différenciation mène nécessairement à une plus
grande motivation pour les « meilleurs », la TAD déclare que ce n’est pas
tant la somme d’argent qui est « motivante » ou démotivante, mais que c’est
plutôt l’équité et la justice perçue qui amène un sens (e. g. Olafsen et al.,
2015). Si nous prenons par exemple les joueurs de la Ligue de baseball
majeure aux États-Unis (voir Bloom, 1999), le salaire le plus élevé pour 2019
est de 38,3 millions de dollars (soit 814 fois le salaire américain moyen).
Pourtant, ces salaires ne mènent pas systématiquement ces joueurs à être les
meilleurs, comme le montrent les statistiques réelles de jeu. À l’inverse, plus
il y a de dispersion dans les équipes, moins il y a de coopération et plus la
performance de l’équipe est mauvaise. Ainsi, même avec ces salaires
stratosphériques, l’augmentation de la différenciation et de la dispersion
(donc l’iniquité en d’autres termes) affecte négativement la performance.
D’un point de vue historique (Piketty, 2019) et épidémiologique (Wilkinson
& Pickett, 2011), il a été démontré que lorsque la dispersion des salaires
augmente dans une société donnée, plus il y a de mortalité infantile, de
crimes violents, de grossesses non désirées chez les adolescentes, d’émission
de CO2, de peines de prison sévères, d’obésité, de consommation de
substances licites et illicites, tandis que, parallèlement, la mobilité sociale et
la confiance, les compétences en mathématiques et en littératie et l’espérance
de vie diminuent (voir Weinstein et al., 2019, pour une explication de la TAD
sur ce résultat spécifique). Si une dispersion excessive ou injustifiée est
négative, alors comment devrait-on limiter la différenciation des
rémunérations au sein d’un système social spécifique ?
En utilisant des données provenant de plus de 55 000 personnes dans
quarante pays différents, la recherche montre que le rapport idéal entre la
personne et la moins payée et la personne la mieux payée (que ce soit dans
une organisation privée ou dans une organisation publique) est de 7:1
(Kiatpongsan & Norton, 2014). Au-delà de ce seuil, il semble que des
inégalités et des injustices soient perçues et que la différence de salaire ne
soit pas justifiable. Par exemple, cela signifie que, au Québec, si le salaire
minimum est de 12,50 dollars CAN4 de l’heure, l’équivalent d’un salaire
annuel à temps plein de 25 000 dollars CAN, le plus haut salarié de la
province ne devrait pas gagner plus de 175 000 dollars CAN selon la règle du
7:1. Ce ratio idéal de 7:1 semblerait s’appliquer peu importe les convictions
politiques (de droite ou de gauche), les groupes démographiques et les
croyances personnelles dans les facteurs déterminant le salaire. En somme,
non seulement les humains semblent avoir un point de satiété pour la quantité
d’argent, mais il semble également y avoir un ratio idéal et universel d’écart
de rémunération.
Cependant, cela ne veut pas dire que tout le monde devrait être payé
exactement le même salaire. C’est là que la justice distributive (combien une
personne reçoit), la justice procédurale (l’utilisation de règles cohérentes et
transparentes et l’opportunité d’expression) entrent en jeu et la justice
informationnelle et interpersonnelle (l’accès facile et permis à tous aux
informations sur les procédures et le montant donné ; voir Galipeau et al.,
2020). Olafsen et ses collègues (2015) ont démontré que la justice
procédurale avait un effet sur la satisfaction des besoins psychologiques, mais
pas la justice distributive, tandis que Hartmann et Planičar (2012) ont
démontré que la justice distributive est importante lorsque la transparence sur
les salaires est élevée. Cela signifie que les critères utilisés pour déterminer
qui obtient combien (c’est-à-dire, la justice procédurale) sont légèrement plus
importants que qui obtient combien (la justice distributive). Cela signifie
qu’il doit y avoir une justification, une raison ou une certaine logique pour
expliquer la différence, qui ne doit pas être trop élevée au risque de devenir
« inexplicable » et perçue comme injuste. En corollaire, il semble également
que payer tout le monde le même salaire ne soit pas une bonne idée non plus,
car cela serait perçu comme étant aussi injuste (certaines personnes méritent
en effet plus que d’autres et il est juste de les payer plus que d’autres) qu’une
trop grande différenciation.
En revanche, certaines recherches démontrent que la transparence peut
mener à plus de comparaison entre les employés et réduire la coopération
(Bamberger & Belogovsky, 2010), ce qui pourrait favoriser la motivation
externe ou introjectée. Donc, les moyens pris pour augmenter les perceptions
de justice procédurale peuvent être à double tranchant. Il est donc important
que le message derrière les informations fournies sur la distribution des
salaires souligne les contributions et valeurs de chacun sans toutefois créer de
compétition. Cela pourrait dépendre de la contingence entre la performance et
le salaire reçu, donc il est important de traiter du sujet de l’utilisation de la
rémunération variable, notamment les bonus.

6. Et les bonus ?
L’une des pratiques les plus couramment utilisées dans le domaine de la
rémunération est l’utilisation de primes pour inciter et stimuler la
performance chez les employés. Le bonus étant en effet l’un des principaux
moyens d’augmenter la différenciation salariale entre les employés, c’est-à-
dire que les « meilleurs » employés reçoivent plus d’argent et de bonus que
ceux dits moins performants, nommément pour différencier leurs
contributions. Par extension, pour essayer d’établir une perception d’équité
dans ce processus de différenciation, la TAD suggère que les récompenses
contingentes à la performance peuvent avoir un effet néfaste sur les
motivations intrinsèque et identifiée et augmenter les motivations externe et
introjectée. Ceci se produit parce que ces récompenses peuvent réduire la
satisfaction du besoin d’autonomie. En revanche, il est possible qu’une
récompense contingente puisse constituer une source de rétroaction sur la
performance qui pourrait augmenter la satisfaction du besoin de compétence.
Pour expliquer ces multiples effets des récompenses contingentes, la TAD
propose la notion de sens fonctionnel ou de signification des récompenses,
qui peuvent être soit informatives soit contrôlantes. Les remises salariales
peuvent être informatives lorsqu’elles sont utilisées pour valoriser et
encourager le travail des employés, et ainsi fournir une rétroaction positive,
empathique et authentique, transmettant alors un message selon lequel
l’organisation se soucie vraiment de ses employés (Thibault Landry et al.,
2018). D’un autre côté, les récompenses salariales peuvent également être
contrôlantes lorsqu’elles sont perçues comme contingentes, manipulatrices et
uniquement utilisées pour « inciter » et rendre important un ensemble limité
de tâches (Kuvaas et al., 2020 ; Papachristopoulos & Zanthopoulou, 2019).
Les messages accompagnant les primes jouent conséquemment un rôle
important dans l’effet des récompenses sur la motivation (Ryan et al., 1983).
Bien que les primes et bonus puissent augmenter la quantité des
performances, elles ne sont généralement pas efficaces si l’on tient également
compte de la qualité des performances (Cerasoli et al., 2014 ; Gagné & Forest
2008), et les conséquences psychologiques négatives (e. g. anxiété, fatigue)
sur la santé des individus (Parker et al., 2019). Un exemple des dommages
collatéraux des bonus est illustré par une étude réalisée près de 32 000
employés à temps plein dans plus de 1 300 organisations et qui a révélé que
la mise en place d’un programme de rémunération au rendement augmentait
l’utilisation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques de 4 % (Dahl & Pierce,
2019). De plus, des recherches ont découvert que l’utilisation de la
rémunération variable peut promouvoir des motifs pour faire de l’argent qui
sont moins satisfaisantes pour les besoins psychologiques, entraînant des
conséquences pour le bien-être (DeVoe, 2019 ; DeVoe & Pfeffer 2007,
2010 ; Pfeffer & DeVoe 2012). D’autres inconvénients incluent également
des conséquences sociales telles qu’une diminution de la collaboration et de
la confiance entre les coéquipiers (par exemple, White et Sheldon, 2014) et
un désengagement moral qui cause des comportements déviants et immoraux
(Beaudoin et al. 2015 ; Glaeser & Van Quaquebeke, 2019 ; Kouchaki et al.,
2013). Les recherches empiriques confirment l’idée que, lorsqu’elles sont
interprétées comme des obstacles (i. e. des demandes difficiles et ardues), les
primes diminuent en fait les performances contextuelles et les comportements
altruistes et prosociaux (Parker et al., 2019). Ces résultats peuvent être
expliqués, du point de vue de la TAD, en lien avec les types de motivation
qui sont activés par de tels systèmes de rémunération. En effet, il a été
démontré que la rémunération au rendement annuelle et trimestrielle diminue
la motivation autonome et augmenter la motivation contrôlée, ce qui
augmente ensuite les intentions de quitter des employés (Kuvaas et al., 2016).
Par conséquent, alors que les entreprises utilisent souvent des primes dans
l’espoir de conserver les meilleures performances, la recherche montre que
c’est exactement le contraire qui est stimulé.
Du point de vue de la TAD, la rémunération devrait être utilisée de manière
à contribuer positivement à la motivation autonome des employés. S’ils sont
soigneusement conçus et mis en œuvre, les primes et autres formes de
rémunération conditionnelle peuvent possiblement contribuer à cet objectif.
La rémunération conditionnelle informative peut être un moyen de rémunérer
les plus performants, signalant ainsi le travail bien fait et contribuant en
conséquence à la satisfaction de leur besoin de compétence. De plus, les
perceptions d’équité et de justice lors de l’utilisation de telles incitations
financières sont également importantes à prendre en considération. Si les
primes sont équitablement réparties, cela peut conduire à la satisfaction des
besoins de compétence et d’autonomie, ce qui favorise en retour la
motivation autonome (Thibault Landry, Gagné et al., 2017).

7. L’avenir de la rémunération
En outre, étant donné qu’il existe un point de bascule quant à l’efficacité du
salaire sur le bien-être, nous pensons que la pleine transparence des salaires
(voir figure 37.2) est un moyen de réduire les écarts injustifiés et
inéquitables. Cela permettrait de remettre en question des différences non
justifiées.
Figure 37.2 – Les cinq niveaux de transparence salariale

Jamais dans l’histoire de l’humanité n’avons-nous été aussi riches


collectivement, avec des milliards de dollars dans les coffres des institutions
financières du monde entier. Nous avons donc les moyens et le potentiel
d’augmenter le bien-être de toute l’humanité. En ce sens, une action qui
semble probable dans les décennies à venir est la mise en place, à travers le
monde (ou du moins dans une vaste portion de la planète), d’un revenu de
base universel inconditionnel (RUBI ; voir Bergman 2018 ainsi que Van
Parijs & Vanderborgth, 2017). Des efforts de recherche bien organisés, tels
que ceux fédérés par le Basic Income Earth Network (BIEN), pourraient unir
les forces vives à celles des chercheurs de la TAD afin de tirer le meilleur
parti des capitaux publics et privés disponibles, et ce dans le but de répartir
notre capital (Piketty, 2019) de manière plus juste et équilibrée et satisfaire
globalement les besoins psychologiques de l’humanité en matière de
compétence, d’autonomie et d’affiliation sociale.

Conclusion
Nous avons vu qu’il semble y avoir un point de satiété financière universel
pour l’argent (qui se situe entre 60 000 dollars US et 95 000 dollars US) ainsi
qu’un ratio universel pour les perceptions d’équité et de justice (7:1). Par
conséquent, à partir de ces chiffres, nous sommes maintenant à la croisée des
chemins dans la mesure où nous savons à partir de combien un salaire est
suffisant et aussi quel doit être le différentiel de salaire entre les moins payés
et les plus payés au sein d’un même système social. Concernant la gestion
interne de la rémunération, nous devons également prendre en considération
la gestion de la performance pour gérer les perceptions de justice, ainsi que
les décisions quant à la transparence de l’information. De plus, les
organisations doivent décider si l’utilisation de primes leur apporte un retour
sur cet investissement au niveau de la performance désirée et la rétention de
personnel. Finalement, notre société doit se pencher sur les motifs pour faire
de l’argent de la population qui a des conséquences sur le bien-être, motifs
qui sont souvent promulgués à travers notre culture et nos médias. La TAD
apporte un cadre pour évaluer chacune de ces problématiques à travers la
proposition de trois besoins psychologiques fondamentaux. Ce cadre peut
nous aider à avancer dans nos connaissances et apporter des solutions.

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1. Par Jacques Forest, Anja Hagen Olafsen, Anaïs Thibault Landry et Marylène Gagné.
2. Il est mentionné dans l’article que « le revenu mensuel des ménages était indiqué en monnaie locale.
Cela a été converti en une mesure du revenu annuel en dollars internationaux en utilisant les ratios de
parité du pouvoir d’achat privé de la Banque mondiale (voir
http://data.worldbank.org/indicator/PA.NUS.PPP). Ces ratios représentent le nombre d’unités de
monnaie locale égal au pouvoir d’achat d’un dollar américain aux États-Unis (le pays de référence) »
(traduction libre). Le taux de change au moment d’écrire le chapitre est de 1 dollar US = 0,84 euro.
3. L’échelle de Cantril est une échelle qui demande aux participants de se positionner sur une échelle
allant de 0 à 10, où 0 est leur pire vie possible et 10 représente leur meilleure vie possible. Cette échelle
est utilisée dans le Rapport sur le bonheur mondial, réalisé chaque année par les Nations unies, dans
164 pays.
4. 1 euro équivaut environ à 0,64 euro CAN. Les montants sont donc de 10,53 euros (12,50 dollars
CAN) pour le salaire minimum, de 16 008 euros (25 000 dollars CAN) pour la limite inférieure et de
112 053 euros (170 000 dollars CAN) pour la limite supérieure.
Chapitre 38
Capital psychologique positif
et performance au travail1

Sommaire
1. Les ressources qui constituent le capital
psychologique
2. Les caractéristiques scientifiquement établies du
capital psychologique
3. Les résultats du capital psychologique
4. Les mécanismes du capital psychologique
5. Implications pratiques
Bibliographie
Résumé court
Ce chapitre présente le capital psychologique (PsyCap), ses
fondements scientifiques, les quatre ressources psychologiques
positives qui le constituent, sa relation avec la performance au
travail et les mécanismes théoriques clés qui le sous-tendent. Le
chapitre se conclut par les implications pratiques du capital
psychologique.
Résumé long
Fondé sur des théories bien établies, en appui sur des mesures
validées, le capital psychologique est un concept
multidimensionnel de niveau supérieur qui réunit quatre
ressources psychologiques positives : l’optimisme, le sentiment
d’efficacité, l’espoir et la résilience, repris dans l’acronyme OSER
(en anglais HERO, pour Hope, Efficacy, Resilience, Optimism).
Des formations à l’efficacité prouvée permettent d’accroître ce
capital psychologique, qui se révèle être un état malléable, ouvert
au développement. Il est associé à de nombreux comportements,
attitudes et performances désirables au travail, ainsi qu’au succès
dans d’autres domaines de la vie et au bien-être en général. Outre
les études corrélationnelles, des études expérimentales et
longitudinales confirment que le PsyCap n’est pas seulement un
prédicteur de ces résultats positifs, il en est également un facteur
explicatif. Il met en jeu des mécanismes conatifs, cognitifs, affectifs
et sociaux. Sont abordés enfin les aspects pratiques du
développement du PsyCap en contexte professionnel.

Mots-clés : capital psychologique, sentiment d’efficacité, espoir,


optimisme, résilience.
Questions
• Qu’est-ce que le capital psychologique ?
• Quels sont à ce jour les résultats empiriques du PsyCap dans le
domaine du travail ?
• Comment fonctionne le PsyCap ?
• Quels sont ses principaux mécanismes et processus
théoriques ?

Le mouvement de la psychologie positive (Seligman et Csikszentmihalyi,


2000, 2011) a rapidement fait son chemin dans le monde du travail grâce à
l’émergence de la recherche organisationnelle positive ou ROP (en anglais
POS pour positive organizational scholarship ; Cameron, Dutton et Quinn,
2003 ; Cameron et Spreitzer, 2012), du comportement organisationnel positif
ou COP (en anglais POB pour positive organizational behavior ; Luthans,
2002), et du capital psychologique (PsyCap ; Luthans, Luthans et Luthans,
2004 ; Luthans et Youssef, 2004 ; Luthans, Youssef-Morgan et Avolio,
2015 ; Luthans, et Youssef-Morgan, 2017). Le comportement organisationnel
positif (COP) se concentre sur des forces individuelles et des ressources
psychologiques qui sont basées sur des recherches scientifiques, peuvent être
développées par des formations, sont mesurables de manière valide et fiable,
ont un impact positif sur les performances et autres résultats professionnels
(Luthans, 2002). Cette validation scientifique (Luthans & Youssef-Morgan,
2017) permet de distinguer le COP, en tant que domaine de recherche et
d’applications pratiques, d’autres approches positives moins rigoureuses, que
l’on trouve souvent dans la littérature populaire de développement personnel
et de conseil en gestion. Les quatre construits qui remplissent le mieux ces
critères sont l’optimisme, le sentiment d’efficacité, l’espoir et la résilience,
réunis dans l’acronyme OSER (en anglais HERO pour Hope, Efficacy,
Resilience, Optimism ; Luthans, 2012). Ces derniers ont été réunis d’un point
de vue empirique et conceptuel en un modèle multidimensionnel de niveau
supérieur, le capital psychologique, ou PsyCap (Luthans, Avolio, Avey et
Norman, 2007 ; Luthans, et Youssef, 2007).
Le PsyCap représente « un état psychologique positif où l’individu :
1. a confiance en ses capacités à mobiliser l’effort nécessaire pour réussir des
tâches difficiles (sentiment d’efficacité personnelle) ;
2. s’attribue sa réussite actuelle et future (optimisme) ;
3. persévère dans la poursuite de ses objectifs et, si nécessaire, modifie sa
trajectoire pour les atteindre (espoir) ;
4. maintient le cap face aux problèmes et à l’adversité, rebondit et parvient
même à se dépasser pour atteindre le succès (résilience) » (Luthans et al.,
2015, p. 2).
Les quatre ressources constitutives du capital psychologique, à savoir
l’espoir, le sentiment d’efficacité, la résilience et l’optimisme, partagent un
thème principal sous-jacent : « une évaluation positive des circonstances et
des probabilités de succès fondée sur un effort motivé et sur la persévérance »
(Luthans et al., 2007, p. 550). Nous aborderons ce sujet et d’autres
mécanismes sous-jacents plus loin dans ce chapitre, après avoir présenté les
ressources constitutives et les résultats du PsyCap.

1. Les ressources qui constituent le capital


psychologique
L’espoir se définit comme « un état de motivation positive qui repose sur un
sentiment de réussite dérivé de manière interactive (1) de l’agentivité (énergie
orientée vers un objectif) et (2) de la détermination des chemins à emprunter
(planification en vue d’atteindre les objectifs) » (Snyder, Irving, & Anderson,
1991, p. 287). L’espoir est un état positif dans lequel l’agentivité (ou volonté,
en anglais willpower) et la planification de la voie à suivre (ou carte de route
mentale, en anglais waypower) sont conjuguées au service de la poursuite des
objectifs (Snyder, 1994). L’agentivité désigne la détermination à agir pour
atteindre ses objectifs. La planification du chemin à suivre ou carte de route
mentale (waypower) représente la capacité à générer de multiples alternatives
et plans d’action en vue d’atteindre les objectifs et de surmonter les obstacles.
L’agentivité et la capacité à imaginer les chemins vers la réussite sont toutes
les deux indispensables. Sans capacité à envisager les chemins à suivre,
l’agentivité mènera probablement à l’échec et au désespoir. Sans agentivité,
les chemins ne seront probablement pas empruntés.
Le sentiment d’efficacité personnelle se définit comme « la conviction (ou
la confiance) qu’a une personne en sa capacité à mobiliser la motivation, les
ressources cognitives et les efforts nécessaires pour exécuter avec succès une
tâche spécifique dans un contexte donné » (Stajkovic et Luthans, 1998,
p. 66). Issu de la théorie sociale cognitive (Bandura, 1997), le sentiment
d’efficacité personnelle est à la base de l’agentivité, car il favorise
l’apprentissage à partir du comportement passé de la personne (autoréflexion)
et du comportement des autres (observation), ainsi que la vision d’un avenir
différent (prévision) fondée sur un effort motivé et la poursuite d’un objectif.
À cet égard, les individus ne sont pas seulement les produits de leur
environnement, mais ils sont également capables de le modifier et de créer un
meilleur avenir pour eux-mêmes et pour les autres.
La résilience se définit comme « la capacité de rebondir ou de se remettre de
l’adversité, des conflits, des échecs, voire des événements positifs, des
progrès et des responsabilités accrues » (Luthans, 2002, p. 702). La résilience
ne consiste pas seulement à rebondir, mais aussi, au-delà de la guérison, à
apprendre et à grandir à travers les difficultés et les revers. En outre, la
résilience implique une capacité d’adaptation efficace aux événements tant
positifs que négatifs. Il s’agit d’une ressource psychologique mobilisée de
manière réactive, qui peut être renforcée et optimisée par une évaluation
positive des atouts et facteurs de risque de la personne, au moyen de
processus d’adaptation efficaces (Masten, 2001). En d’autres termes, en cas
de revers, les personnes résilientes sont capables de déployer leurs atouts et
ressources physiques, sociales et psychologiques pour atténuer les risques
encourus, et ainsi s’adapter aux situations traversées et en sortir grandies.
L’optimisme est considéré à la fois comme un point de vue positif global
sur la vie et comme un style explicatif positif qui attribue les événements
favorables à des causes personnelles, permanentes et générales, et les
événements défavorables à des causes externes, temporaires et liées à la
situation (Seligman, 1998). En d’autres termes, les personnes optimistes
posent un regard positif sur la vie en intériorisant les événements positifs et
en externalisant les événements négatifs. Cette façon de voir la vie les
protège des effets néfastes des événements négatifs, tels que la rumination et
le sentiment de culpabilité, tout en accentuant les effets des événements
positifs, tels qu’une vision positive de l’avenir et une image de soi favorable.
L’optimisme, le pessimisme et l’impuissance sont tous basés sur des modèles
mentaux appris qui peuvent être enseignés et modifiés au fil du temps. Il
s’agit par exemple d’adopter un discours positif sur soi-même, de se
pardonner les erreurs passées, d’apprécier les aspects positifs de son présent
et de se concentrer sur les possibilités futures (Schneider, 2001).

2. Les caractéristiques scientifiquement


établies du capital psychologique
Le PsyCap suscite un intérêt considérable et continu de la part des
universitaires et des praticiens du monde entier, en grande partie dû à ses
fondements prouvés scientifiquement. Le capital psychologique s’appuie sur
plusieurs théories reconnues, notamment la théorie sociale cognitive
(Bandura, 1997), la théorie de l’élargissement et de la construction
(Fredrickson, 2001), la théorie de la préservation des ressources (Hobfoll,
2002). Nous détaillerons ces théories plus loin. Il existe désormais de
multiples mesures validées du PsyCap, à savoir le questionnaire sur le capital
psychologique en vingt-quatre items (PCQ-24 ; Luthans et al., 2007), la
version courte en douze items (PCQ-12 ; Avey, Avolio et Luthans, 2011) et
la mesure implicite du PsyCap (I-PCQ, Harms, Krasikova et Luthans, 2018 ;
Harms et Luthans, 2012 ; Harms, Vanhove et Luthans, 2017). Ces outils de
mesure, en particulier le PCQ-12, ont été traduits dans de nombreuses
langues, et ces traductions validées sont facilement accessibles aux
chercheurs gratuitement (consulter www.mindgarden.com pour accéder à ces
outils et obtenir les autorisations d’utilisation). Une importante étude de
Wernsing (2014) a testé l’invariance des mesures entre les cultures pour la
plupart des éléments du PCQ-12.
Le capital psychologique n’est pas un trait fixe, mais plutôt un état
malléable qui peut être géré et développé. C’est là l’une de ses
caractéristiques essentielles. Dans le continuum trait-état, le capital
psychologique n’est pas aussi volatil que les humeurs et les émotions, mais il
est plus malléable que les traits de personnalité (Luthans et al., 2007 ;
Luthans et Youssef, 2007). Cette caractéristique développementale du
PsyCap le rend particulièrement pertinent dans les domaines du travail et de
la santé mentale, où les programmes de développement des employés et des
patients sont fréquemment basés sur de courtes interventions de formation.
Des actions de développement du capital psychologique ont été mises en
œuvre avec succès dans plusieurs études expérimentales, ce qui a permis de
prouver la malléabilité du concept (Dello Russo et Stoykova, 2015 ;
Demerouti, van Eeuwijk, Snelder et Wild, 2011 ; Ertosun, Erdil, Deniz et
Alpkan, 2015 ; Luthans, B., Luthans, K., et Avey, 2014 ; Luthans et al.,
2006 ; Luthans, Avey, Avolio et Peterson, 2010 ; Luthans, Avey et Patera,
2008 ; Stratman et Youssef-Morgan, 2019).
Enfin, aspect important scientifiquement prouvé, le capital psychologique
est associé à de nombreux résultats désirables dans le contexte professionnel.
Ces associations ont été établies de façon corrélationnelle (Avey, Reichard,
Luthans et Mhatre, 2011), longitudinale (Avey, Luthans, Smith et Palmer,
2010 ; Peterson, Luthans, Avolio, Walumbwa et Zhang, 2011) et, comme
nous l’avons mentionné plus haut, de façon expérimentale dans les études de
développement du capital psychologique. Autre atout important, il a été
démontré que le PsyCap génère un retour sur investissement substantiel
(RSI ; Luthans et al., 2015 ; Youssef et Luthans, 2007), ce qui, associé au
coût relativement faible et à la courte durée des interventions de
développement du PsyCap, rend celui-ci très pertinent et attrayant pour la
gestion des ressources humaines dans tous les contextes professionnels et, de
plus en plus, dans les domaines du développement personnel, de l’éducation
auprès des étudiants, de la santé mentale auprès des patients, du sport auprès
des athlètes et de leurs familles.

3. Les résultats du capital psychologique


Le PsyCap a particulièrement attiré l’attention des universitaires et des
spécialistes en gestion et en leadership, en raison de sa relation clairement
démontrée avec la performance au travail. Une méta-analyse a confirmé cette
relation en examinant les performances d’employés évaluées par eux-mêmes,
par leurs superviseurs et mesurées objectivement (Avey, Reichard et al.,
2011). Elle a également été démontrée aux niveaux d’analyse du groupe et de
l’organisation (Clapp-Smith, Vogelgesang et Avey, 2009 ; Mathe, Scott-
Halsell, Kim et Krawczyk, 2014 ; McKenny, Short et Payne, 2013 ; Peterson
et Zhang, 2011). On a également constaté que le capital psychologique
favorise certains types de performance, comme la créativité (Sweetman,
Luthans, Avey et Luthans, 2011), la résolution de problèmes et l’innovation
(Luthans, Youssef et Rawski, 2011), ainsi que la performance académique
(Luthans, Luthans et Jensen, 2012 ; Luthans, Luthans et Chaffin, 2019 ;
Martinez, Youssef-Morgan, Chambel et Marques-Pinto, 2019).
Outre la performance, le capital psychologique est relié de manière positive
à des attitudes et comportements souhaitables chez les employés. La méta-
analyse réalisée par Avey, Reichard, et al., (2011) montre que le capital
psychologique entretient des liens positifs avec la satisfaction au travail,
l’engagement organisationnel, le bien-être et les comportements de
citoyenneté des employés, et une relation négative avec l’anxiété, le stress, le
cynisme, les intentions de quitter son emploi et la déviance. Avey, Luthans,
& Youssef (2010) ont montré que le capital psychologique est un meilleur
prédicteur des attitudes et des comportements au travail, que les traits de
personnalité, et l’adéquation de la personne à l’organisation et à son emploi.
La positivité, c’est-à-dire les ressources et les évaluations positives des
situations actuelles et des perspectives d’avenir qu’offre le capital
psychologique, génère des attitudes positives et réduit les attitudes négatives,
ce qui engendre des comportements propices et aboutit finalement à la
performance. Par exemple, Alessandri, Consiglio, Luthans et Borgogni
(2018) ont montré que les niveaux absolus de capital psychologique, ainsi
que son développement au fil du temps, prédisaient l’augmentation de
l’engagement au travail, qui à son tour prédisait l’accroissement de la
performance au travail. En outre, Stratman et Youssef-Morgan (2019) ont
démontré que le capital psychologique et le développement de celui-ci
diminuaient le cynisme, ce qui avait pour effet de réduire les comportements
dangereux. De même, Schulz, Luthans et Messersmith (2014) ont établi que
le capital psychologique de camionneurs était lié positivement à leur
satisfaction au travail, à leur engagement dans leur entreprise et négativement
à leur intention de démissionner. Dans le même ordre d’idées, Chen et Lim
(2012) ont constaté que le PsyCap favorisait chez des employés licenciés
économiques de bonnes stratégies de coping, qui à leur tour généraient des
comportements efficaces de recherche d’emploi. Dans le commerce de détail,
Clapp-Smith et ses collègues (2009) ont observé que le capital psychologique
des employés et leur appréciation du leadership authentique de leurs
dirigeants renforçaient leur confiance dans leurs supérieurs, qui à son tour
prédisait l’augmentation des ventes dans leurs unités.
On a également découvert que le PsyCap se propage des leaders vers ceux
qui les suivent. Par exemple, Avey, Avolio et al. (2011) ont constaté que le
capital psychologique d’un dirigeant augmentait celui de ses subordonnés,
ainsi que leur performance. Dans le même ordre d’idées, Story, Youssef,
Luthans, Barbuto et Bovaird (2013) ont découvert que le capital
psychologique des dirigeants mondiaux des multinationales du classement
« Fortune 100 » était lié au capital psychologique de leurs subordonnés
malgré la distance et la faible fréquence des interactions, et que le PsyCap des
dirigeants amortissait les effets négatifs de ces circonstances moins
qu’optimales.
Les facteurs organisationnels contribuent également de manière importante
à la relation entre le capital psychologique et les résultats en matière
d’attitude, de comportement et de performance. Par exemple, Luthans,
Norman, Avolio et Avey (2008) ont découvert que le PsyCap était lié aux
attitudes et à la performance des employés, et qu’il permettait d’établir un
lien entre certains de ces résultats et un climat organisationnel encourageant.
Norman, Avey, Nimnicht et Pigeon (2010) ont constaté que l’identité
organisationnelle est un modérateur des relations entre le capital
psychologique et les comportements de déviance et de citoyenneté
organisationnelle des employés.
L’importance de l’impact du PsyCap sur la performance au travail, mais
aussi sur le bien-être, est de plus en plus reconnue. Dans une perspective
holistique, il a été démontré, tant sur le plan conceptuel qu’empirique, que le
capital psychologique favorise la réussite et le bien-être dans divers domaines
de la vie en dehors du travail, tels que la santé et les relations, ainsi que la
satisfaction globale à l’égard de la vie (Luthans, Youssef, Sweetman et
Harms, 2013 ; Youssef et Luthans, 2010, 2013 ; Youssef-Morgan et Luthans,
2013, 2015). Baron, Franklin et Hmieleski (2016) ont également constaté que
le PsyCap des entrepreneurs contribue à réduire leur stress et à accroître leur
bien-être. Avey et al., (2010) ont prouvé l’impact du capital psychologique
sur le bien-être de manière longitudinale. Krasikova, Lester et Harms (2015)
ont montré que le PsyCap des soldats avant leur déploiement était
négativement lié aux diagnostics de troubles mentaux et de toxicomanie post-
déploiement. Ainsi, au-delà des effets proximaux du capital psychologique
sur les attitudes et le comportement au travail, ainsi que sur la performance au
travail et dans les domaines importants de la vie, le PsyCap se révèle essentiel
au bien-être au fil du temps. Nous allons ensuite démontrer comment
fonctionne le capital psychologique, à savoir les mécanismes et les processus
théoriques sous-jacents qui étayent les résultats favorables du PsyCap.

4. Les mécanismes du capital


psychologique
Le PsyCap ne prédit pas seulement des attitudes, des comportements et des
résultats favorables dans le contexte professionnel. On a beaucoup progressé
dans l’explication du fonctionnement du capital psychologique. Plusieurs
mécanismes clés et processus sous-jacents ont été utilisés pour expliquer le
fonctionnement du PsyCap. Fait important, ces mécanismes s’appuient sur
des cadres théoriques établis, ce qui dote le capital psychologique de
perspectives scientifiquement prouvées, un thème que nous soulignons tout
au long de ce chapitre. Quatre mécanismes clés ont été identifiés dans la
littérature consacrée au capital psychologique : les mécanismes conatifs,
cognitifs, affectifs et sociaux (Luthans et Youssef-Morgan, 2017 ; Youssef et
Luthans, 2013 ; Youssef-Morgan & Luthans, 2013).
À la source du premier mécanisme, la conation est « une composante de la
motivation qui est personnelle, intentionnelle, planificatrice, volontaire,
orientée vers un but, dirigée vers le passage à l’action et l’effort. Elle
correspond à l’aspect proactif (par opposition à réactif ou habituel) du
comportement… Elle est étroitement associée au concept de volition, définie
comme l’exercice de la volonté, ou la liberté de décider de ce qu’il faut
faire » (Huitt, 1999). La conation est une composante fondamentale de la
théorie sociale cognitive (Bandura, 1997, 2012). Les ressources du capital
psychologique partagent avec elle un thème commun d’agentivité,
d’intentionnalité et d’exercice d’un contrôle personnel qui contribue à
l’automotivation et à l’effort personnel. Cette pensée conative ne se limite pas
seulement aux cas où la personne est confrontée à des difficultés, des échecs
ou des situations négatives. La conation du capital psychologique stimule
l’orientation de l’énergie vers un but, permettant d’envisager des objectifs
plus élevés et de déployer des efforts motivés pour les atteindre, même en
l’absence d’un problème, d’une défaillance ou d’une situation de crise
nécessitant une action immédiate. Par exemple, les employés au capital
psychologique élevé se fixeront probablement des objectifs plus ambitieux et
se motiveront pour les atteindre. Ils se percevront comme très performants ou
aspireront à une promotion accélérée, plutôt que de se contenter de répondre
aux attentes normales ou de remplir les quotas. Ils se montreront pleins
d’espoir, efficaces, résilients et optimistes, c’est-à-dire qu’ils puiseront dans
leur capital psychologique, qu’ils seront capables d’OSER poursuivre ces
objectifs et aspirations plus ambitieux. Ils seront capables de se motiver eux-
mêmes à investir les efforts nécessaires pour les atteindre, même en l’absence
d’une menace extérieure ou d’une cause imposée les contraignant à se
dépasser.
Dans le deuxième mécanisme, la cognition, les évaluations cognitives
positives permettent de recadrer mentalement les situations sous un angle
positif (Luthans et al., 2007). Les évaluations cognitives positives ne
s’appliquent pas seulement à l’évaluation d’une situation ou d’un événement
qui s’est déjà produit dans le passé ou le présent, mais aussi aux ressources
disponibles, aux efforts et à la motivation de la personne pour une action
future. En d’autres termes, les personnes au capital psychologique élevé
évaluent leur situation plus favorablement. Elles considèrent également que
leurs capacités, ainsi que leurs ressources personnelles, sociales et
psychologiques, sont plus abondantes. Selon les théories des ressources, des
« caravanes » de ressources psychologiques fonctionnent conjointement pour
engendrer réussite, bien-être et adaptation (Hobfoll, 2002). Ainsi, en
s’appuyant sur leur espoir, leur sentiment d’auto-efficacité, leur résilience et
leur optimisme, c’est-à-dire en étant capables d’OSER, les personnes à
capital psychologique élevé s’auto-évaluent comme étant débrouillardes,
capables d’automotivation et énergiques dans la poursuite de leurs objectifs.
Ainsi, elles ont tendance à poursuivre des buts plus ambitieux, à persévérer
plus longtemps et avec plus d’enthousiasme, même lorsqu’elles sont
confrontées à des obstacles et des revers.
Le troisième mécanisme se concentre sur l’affect, plus précisément sur les
émotions positives. Ce mécanisme s’inspire de la théorie de l’élargissement
et de la construction des émotions positives (Fredrickson, 2001, 2009). Selon
cette théorie, les émotions positives élargissent les répertoires de pensée et
d’action d’une personne, l’amenant à ouvrir sa perspective et sa capacité à
concevoir davantage de plans d’action. Les émotions positives permettent
également de construire et de restaurer des réservoirs de ressources
physiques, sociales et psychologiques, qui sont généralement épuisées lors
des périodes de négativité. En tant que ressource positive, le capital
psychologique favorise les émotions positives (Avey, Wernsing et Luthans,
2008). Il facilite donc l’élargissement et la construction des effets de ces
émotions positives. Par exemple, les employés au capital psychologique élevé
sont généralement plus optimistes et manifestent davantage d’émotions
positives, ce qui renforce leur créativité, leur bien-être et leur positivité,
lesquels se propagent à leur entourage.
Enfin, le capital psychologique met aussi en jeu des mécanismes sociaux. Il
ne s’agit pas seulement d’une ressource individuelle internalisée. Elle peut
aussi influencer les autres et être influencée par eux. Le soutien social joue un
rôle reconnu dans le développement des ressources constitutives du PsyCap
(Bandura, 1997 ; Masten, 2001). Comme mentionné précédemment, le capital
psychologique produit des effets de contagion et est influencé par des
facteurs liés au groupe et aux organisations. En accord avec la théorie sociale
cognitive, le PsyCap est influencé par l’environnement de la personne, et
réciproquement, entraînant des spirales ascendantes de positivité et de
réussite.

5. Implications pratiques
Le PsyCap est une ressource psychologique positive multidimensionnelle
qui peut être mesurée de manière fiable, et développée efficacement chez les
cadres et les employés à un coût relativement faible, par des interventions de
formation courtes et ciblées. Nous allons donc axer notre exposé sur le
développement du PsyCap. Les interventions de développement du capital
psychologique ne durent généralement que 2 à 3 heures, et elles ont été mises
en œuvre avec succès en ligne (Luthans, et al., 2008), pas seulement en face-
à-face. Elles intègrent des approches reconnues pour développer en synergie
chacune des quatre ressources psychologiques. Sin et Lyubomirsky (2009,
p. 483) parlent d’une « approche tous azimuts », qui s’est avérée plus efficace
que le développement d’une seule ressource et/ou l’utilisation d’une seule
activité (Seligman, Steen, Park, & Peterson, 2005). Comme nous l’avons déjà
expliqué, les ressources du PsyCap partagent des thèmes communs et des
mécanismes sous-jacents. Ainsi, le développement d’une ressource aide
souvent à renforcer les autres, ce qui permet aux formations sur le capital
psychologique d’accroître de multiples ressources de manière efficace et
synergique.
Une intervention typique de développement du capital psychologique fixe
des objectifs mesurables qui sont pertinents et significatifs pour les
participants, définit les chemins à suivre et prévoit des plans de secours pour
anticiper les obstacles et concevoir des moyens de les surmonter. Les
participants sont encouragés à privilégier une démarche d’approche des
objectifs (« Je vais accomplir ceci ») plutôt que d’évitement (« Je vais arrêter
de faire cela »). Ils sont également entraînés à décomposer leurs objectifs en
sous-objectifs et en jalons, et à reconnaître et célébrer les réussites
intermédiaires. Réalisées à la fois individuellement et en petits groupes, les
activités aident à développer simultanément l’espoir, l’efficacité, la résilience
et l’optimisme. Elles ont été adaptées à de nombreuses organisations et
contextes, et à de différents types de participants. En contexte professionnel,
elles sont parvenues à développer le capital psychologique chez de hauts
dirigeants, comme chez des employés en contact avec le public.
Enfin, implication pratique importante : les dirigeants devraient se donner
pour priorité d’apprendre et de mettre en application des pratiques de gestion
scientifiquement validées en général, et en particulier dans le domaine de la
positivité. Il est très courant dans les milieux organisationnels d’investir dans
des approches et des interventions de développement professionnel dénuées
de fondements scientifiques, de preuves et de résultats. La question est
particulièrement pertinente dans le champ de la positivité, où de nombreuses
interventions proposent des activités amusantes, mais sans aucun résultat
objectif, viable et durable. Le capital psychologique s’appuie depuis environ
deux décennies sur des recherches et des mesures scientifiques rigoureuses
pour produire des résultats tangibles et un retour sur investissement
substantiel. Au-delà du capital psychologique, nous encourageons les
dirigeants d’organisations à évaluer leurs autres investissements potentiels de
développement des ressources humaines en fonction des normes que nous
avons établies pour le capital psychologique, à savoir des fondements
scientifiques et théoriques, des mesures valides et fiables, la puissance
prédictive et explicative de résultats souhaités tangibles.

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1. Par Carolyn M. Youssef-Morgan, Fred Luthans et Justin Carter.
Partie 5
L’avenir de la psychologie
positive
Chapitre 39
La psychologie positive
du futur : plaidoyer pour
une harmonieuse complexité1

Sommaire
1. L’avenir approche à grands pas
2. La psychologie positive est la psychologie normale
3. Complexité et fondements de la psychologie positive
4. La complexité : principal catalyseur, facteur de stress
universel et facteur essentiel d’adaptation
5. Apprendre : accroître simultanément la complexité et
l’équilibre
6. La nature complexe de la complexité
7. Évolution et croissance de la complexité
8. Vers trop de tout, ou simplement vers l’abondance ?
9. La complexité harmonieuse comme principe directeur
pour la recherche et ses applications
Bibliographie
Résumé court
Ce chapitre offre une perspective sur l’avenir de la psychologie
positive (PP) et plaide pour l’utilisation de la théorie de la
complexité dans un cadre théorique intégré pour comprendre le
bien-être, les qualités de vie et l’épanouissement. Cette idée a été
proposée par Csikszentmihalyi en 1993, bien avant la création de
la psychologie positive en tant que domaine d’étude distinct, mais
il semble que, à ce jour, elle ait surtout servi d’inspiration, n’ayant
donné lieu qu’à un nombre plutôt limité de travaux. La psychologie
positive ayant mûri, un changement s’impose. Ce chapitre
développe l’idéal de la complexité harmonieuse (Csikszentmihalyi,
1993, 1996, 2020 ; Csikszentmihalyi & Knoop, 2008), en tant que
principe fondamental pour guider l’avenir de la psychologie
positive.
Résumé long
Alors qu’elle entre dans sa troisième décennie, la psychologie
positive arrive à maturité. Elle mûrit en tant que science, elle est
testée et appliquée dans de nombreux domaines différents de la
société globalisée, et elle doit à son tour assumer les
responsabilités qui accompagnent le fait de grandir et de gagner
en influence. De nombreuses connaissances ont été acquises, des
praticiens du monde entier l’utilisent dans leur travail.
Pourtant, la psychologie positive fait toujours l’objet de critiques.
Les débats sur ses mérites se poursuivent, et ils sont d’ailleurs
importants non seulement pour faire valoir le point de vue des
critiques, mais aussi pour la discipline elle-même. La psychologie
positive a beaucoup à apprendre des critiques constructives.
Toutefois, dans ces débats, il est souvent assez difficile de
déterminer si la motivation première des parties en présence
relève du pouvoir politique ou de la recherche de la vérité. En effet,
il faut garder à l’esprit que, selon certaines écoles de pensée, le
pouvoir et la vérité sont fondamentalement entrelacés, voire
inséparables, dans le monde universitaire comme dans la vie
politique.
Alors comment des convictions scientifiques, éthiques ou
politiques différentes, parfois frontalement opposées, comme
celles auxquelles la psychologie positive est confrontée, peuvent-
elles être comprises et mises à profit à l’avenir – c’est-à-dire de
manière à procurer des avantages à tous ? Sera-t-il même
possible d’unir les individus autour d’idéaux scientifiques, éthiques
et politiques communs au sujet du bien-être humain ou existe-t-il
des différences irréconciliables ?
Le présent chapitre plaide en faveur de réponses positives à ces
questions. Il explore les perspectives scientifiques, éthiques et
politiques de l’avenir de la psychologie positive, en s’inspirant de
l’idéal de la complexité harmonieuse, qu’a proposé
Csikszentmihalyi (1993, 1996, 2020) et qu’ont élaboré
Csikszentmihalyi et Knoop (2008).

Mots-clés : auto-organisation, complexité harmonieuse,


différenciation, intégration, évolution, bien-être, épanouissement.
Questions
• Selon votre expérience, quelles sont les principales sources qui
vous permettent de vous sentir bien et de bien fonctionner ?
• Dans votre expérience, dans quelles situations trouvez-vous la
complexité particulièrement stimulante ? Et quand vous frustre-t-
elle vraiment ?
• Quelles sont vos expériences les plus inspirantes de complexité
harmonieuse dans votre vie quotidienne ? Ont-elles lieu dans la
nature ou dans des bâtiments ?
• Êtes-vous généralement seul(e) lorsque vous vivez ces
expériences, ou êtes-vous avec d’autres personnes ? Pouvez-
vous identifier les causes principales qui conduisent à ces
expériences, ou semblent-elles plutôt se produire au hasard ?
• Si vous pouviez créer quelque chose de nouveau et d’utile que
les gens trouveraient à la fois harmonieux et complexe, et donc
presque par définition intéressant et utile, qu’est-ce que ce
serait ? Préféreriez-vous le créer seul(e) ou plutôt avec d’autres ?

1. L’avenir approche à grands pas


Le cofondateur de la psychologie positive, Mihaly Csikszentmihalyi (2020),
a récemment fait trois déclarations sur des questions connexes que la
psychologie positive pourrait choisir d’examiner à l’avenir :
• Nous sommes responsables de nos vies, donc : comment apprendre à vivre
une vie plus heureuse et plus chargée de sens ?
• Nous sommes les façonneurs de notre avenir, donc : dans quelles directions
devrions-nous orienter notre évolution ?
• Nous sommes les gardiens de notre monde, donc : comment parvenir à une
harmonie durable sur la planète ?
En examinant ce que la psychologie positive a déjà produit (voir Donaldson
et al., 2020, par exemple), on pourrait affirmer que ces questions ont déjà fait
l’objet d’une attention considérable et que de nombreuses réponses ont été
apportées. Pourtant, il reste encore beaucoup à apprendre, et le rythme
accéléré des bouleversements technologiques rend de plus en plus difficile les
prévisions à long terme, sans parler d’une collaboration sur la base de celles-
ci. Cependant, pour s’épanouir, les individus doivent être capables d’agir
judicieusement à tout moment, d’où l’importance de principes directeurs
simples pour penser et agir, en particulier dans des circonstances complexes
où cela semble difficile. Au niveau sociétal, ce fait est reconnu depuis la
complexification massive de la société engendrée par les Lumières et l’ère
industrielle, et dix domaines différents de la société ont adopté leurs propres
codes directeurs. En science, le code est devenu vérité-non-vérité, en
technologie efficace-non-efficace, en politique pouvoir-non-pouvoir, en
affaires l’argent est devenu la clé et ainsi de suite (voir par exemple
Luhmann, 1997). Au fur et à mesure que la psychologie positive mûrit, les
principes conduisant au bien-être et à l’épanouissement peuvent également se
révéler universellement unificateurs. D’ailleurs, un des enseignements
importants à tirer de la pandémie de coronavirus, c’est la force de la voix des
sciences de la santé. Tout le monde se mobilise autour de l’idéal d’éviter la
propagation irraisonnée de maladies, et on pourrait affirmer la même chose
au sujet des maladies mentales. En tant que science de l’épanouissement et du
bien-être mental, la psychologie positive est donc en mesure de fournir à la
société des principes directeurs fondés sur la santé, qui peuvent également
être mis en application, quelle que soit la complexité des circonstances.
L’un des principes les plus fondamentaux et les plus universels qui
prédisent une vie digne d’être vécue est l’expérience de la complexité
harmonieuse. Nous exposons ci-dessous les bases sur lesquelles s’appuient
cette affirmation et ses conséquences pratiques pour l’avenir de la
psychologie positive, en commençant par positionner rapidement la
psychologie positive dans le paysage scientifique plus large.

2. La psychologie positive est la


psychologie normale
En 1962, l’historien des sciences Thomas Kuhn a publié un ouvrage très
influent, La Structure des révolutions scientifiques, dans lequel il soutient que
la science progresse en deux phases alternées : des phases normales et des
phases extraordinaires. Au cours des phases normales, la communauté
scientifique s’accorde largement sur les faits, les méthodes, les instruments et
les problèmes pertinents. Les variations dans un domaine donné sont donc
principalement quantitatives et concernent la rapidité de la recherche.
Cependant, lorsque les hypothèses et les observations ne s’alignent plus,
lorsque les faits ne correspondent pas aux théories, le paradigme est remis en
question et l’on évolue progressivement vers une phase extraordinaire. Les
phases normales et extraordinaires de la science ne diffèrent pas seulement en
termes de vitesse des découvertes, mais elles impliquent aussi des approches
fondamentalement différentes de la recherche et du travail scientifique.
Les phases normales sont fondées sur des lois de la nature, des théories, des
méthodologies et des outils d’étude communément acceptés, et bien que tous
ces éléments soient constamment affinés, la base de ce qui est amélioré n’est
pas rejetée. Kuhn appelle cela une matrice disciplinaire ou plus souvent un
paradigme, au sein duquel les scientifiques résolvent des énigmes,
s’accordant sur les définitions des faits, l’utilisation des instruments et le
choix des problèmes. Selon ses propres termes :
« Le paradigme fournit une carte dont les détails sont élucidés par les travaux
scientifiques plus avancés. Et comme la nature est trop complexe et variée pour être
explorée au hasard, cette carte est aussi essentielle au développement continu de la
science que l’observation et l’expérimentation. Par l’intermédiaire des théories qu’ils
incorporent, les paradigmes se trouvent donc être un élément constituant de l’activité
de recherche » (Kuhn, 1962, p. 108).

La phase extraordinaire, cependant, se produit lorsqu’une anomalie


survient : les pièces du puzzle ne s’emboîtent pas et les règles du puzzle
doivent être modifiées. Selon les termes de Kuhn (ibid., p. 82.) :
« Quand… une anomalie semble être plus qu’une énigme de la science normale, la
transition vers la crise et le passage à la science extraordinaire ont commencé.
L’anomalie elle-même commence à être plus généralement reconnue comme telle
par les divers spécialistes. Les plus éminentes [personnalités] de la spécialité sont de
plus en plus nombreuses à lui consacrer une attention croissante. »

Alors, faut-il considérer la psychologie positive comme étant en phase


normale ou extraordinaire au sein de la psychologie ? Dans la mesure où la
psychologie positive utilise une méthodologie standard en psychologie, c’est-
à-dire en principe ouverte à toute méthodologie pertinente, dans le but de
créer une base de preuves aussi solide que possible concernant le bien-être et
l’épanouissement des forces humaines, elle peut être considérée comme une
phase normale de la psychologie. Le fait qu’elle tourne davantage les
projecteurs vers le meilleur de notre nature, les côtés les plus sains de notre
constitution et les expériences les plus enrichissantes que ne l’a fait la
majeure partie de la psychologie depuis un siècle ne contredit pas ce point.
Ainsi, le domaine d’étude de la psychologie positive est bien ancré dans la
psychologie au sens large.
Cependant, on le sait, la psychologie en général reste quelque peu
fragmentée en paradigmes qui ont souvent du mal à maintenir un noyau
commun de recherche avec les différentes hypothèses ontologiques et
épistémologiques qui les entourent. La psychologie positive s’est en partie
inspirée du paradigme de la psychologie humaniste, mais en mettant
davantage l’accent sur les méthodologies empirique, quantitative et
expérimentale que ne le fait la psychologie humaniste. La psychologie
positive se trouve donc en quelque sorte assise entre deux chaises. Cela dit, je
maintiens que la psychologie positive n’est pas un nouveau paradigme, mais
simplement une nouvelle priorité scientifique axée sur les points forts, le
bien-être, l’épanouissement, le bien-être au travail, des institutions positives
et la manière dont la PP peut, en tant que science de la santé, aider les
sociétés à prospérer. En d’autres termes, dans l’ensemble, la psychologie
positive utilise les pratiques standards de la recherche en psychologie, avec
une acceptation éclectique de toute théorie ou méthodologie pouvant être
justifiée scientifiquement dans le cadre de la psychologie dans son ensemble.
3. Complexité et fondements de la
psychologie positive
Lors de sa création, la psychologie positive a proposé trois niveaux d’étude :
les forces humaines, les expériences humaines qui font que la vie vaut la
peine d’être vécue, et les structures institutionnelles les plus susceptibles de
renforcer les forces humaines et de promouvoir l’épanouissement des êtres
humains (Seligman et Csikszentmihalyi, 2000). Ces trois niveaux peuvent
être considérés comme directement liés dans la mesure où l’état expérientiel
d’une personne émerge (au moins en partie) du déploiement de ses capacités
(y compris ses points forts), en partie grâce aux institutions existantes qui, en
leur temps, ont émergé des efforts conjugués de la créativité humaine.
Si l’idéal d’étudier les trois niveaux avec la même rigueur était clair dès le
départ, il faut admettre que les forces individuelles et les composantes
individuelles du bien-être ont été prioritaires au cours des deux premières
décennies d’existence de la psychologie positive (Donaldson et al., 2015,
2020 ; Lomas et al., 2020). En outre, on identifie deux « vagues »
essentiellement axées sur l’individu, la première couvrant largement la
première décennie et se concentrant sur les traits et les états positifs, et la
seconde examinant de plus près la relation entre les états positifs et négatifs, à
partir du tournant de la deuxième décennie (Lomas et al., 2020). Plus
récemment cependant, un intérêt renouvelé pour les approches systémiques
est apparu, suggérant que la psychologie positive doit être mieux intégrée
théoriquement aux approches structurelles et institutionnelles pour
comprendre le bien-vivre (Kern et al., 2019 ; Lomas et al., 2020). De ce point
de vue, les auteurs suggèrent que cette troisième vague de la psychologie
positive soit définie comme un « élargissement vers la complexité », c’est-à-
dire le troisième niveau, mentionné ci-dessus.
Dans ce qui suit, je plaiderai en faveur d’une approche complémentaire des
systèmes d’application et de la théorie de la complexité pour l’avenir de la
psychologie positive. Si j’admets tout à fait que l’approche de l’élargissement
vers la complexité est valable, voire nécessaire, la complexité envisagée
uniquement en tant que structure n’utilise pas ce qui est sans doute l’une des
plus intéressantes caractéristiques de la théorie de la complexité : le fait
qu’elle unifie l’auto-organisation dans le temps, l’émergence au-delà de
l’échelle, et le processus de croissance optimal défini par l’équilibre des
forces de différenciation et d’intégration. Csikszentmihalyi a fait un pas
important et précoce vers l’incorporation dans la psychologie de cette
analyse/conception dans son œuvre maîtresse intitulée The Evolving Self: A
Psychology for The Third Millennium (1993), qui fut la pierre angulaire de la
fondation de la psychologie positive, de concert avec les travaux fondateurs
de Csikszentmihalyi sur le flow (1975, 1991, 2014).

4. La complexité : principal catalyseur,


facteur de stress universel et facteur
essentiel d’adaptation
Si la notion de complexité s’avère plutôt compliquée (déroutante) en soi,
elle semble avoir une grande valeur explicative dans de nombreuses
situations et contextes, notamment en mettant en évidence les idéaux
universels, tant processuels que structurels, de manière à éviter un
réductionnisme excessif. Pour commencer, la complexité est un terme
difficile à manier car il est utilisé avec des valences opposées.
Dans un sens positif, la croissance de la complexité est à la base de toutes
les dimensions du progrès humain. Lorsque la population sort de la pauvreté,
c’est généralement grâce à des inventions telles que l’éducation, la
contraception, les systèmes juridiques et les moyens d’obtenir de l’eau
propre, pour n’en citer que quelques-unes. Ces inventions sont efficaces
parce qu’elles offrent de nouvelles possibilités, tout en étant fonctionnelles
dans le contexte qui existait avant l’intervention. En d’autres termes, les
interventions réussies différencient et intègrent simultanément la culture ou la
société donnée. Le résultat peut être défini comme une harmonieuse
complexité ou simplement une complexité (Csikszentmihalyi, 1993 ;
Csikszentmihalyi et Knoop, 2008).
Depuis que la renaissance scientifique des Lumières et l’ère industrielle les
ont permis, des progrès historiques ont été réalisés dans presque tous les
domaines de l’activité humaine, bien qu’ils soient largement sous-estimés par
les médias (Bailey et Tupy, 2020 ; Pinker, 2018 ; Ridley, 2010 ; Rosling,
2020). D’importants exemples illustrent cette affirmation : le monde est cent
fois plus riche qu’il y a deux siècles, la prospérité est de plus en plus
également répartie et il y a de bonnes chances que le premier des objectifs de
développement durable des Nations unies, à savoir l’éradication de l’extrême
pauvreté dans le monde, soit atteint d’ici 2030 (Penciakova, Ledlie et
Chandy, The Brookings Institution, 2013 ; Pinker, 2018) ; nous avons
tendance à vivre plus longtemps à mesure que nous nous enrichissons (Roser,
2018) ; la longévité moyenne de l’humanité a doublé au cours du siècle
dernier (Riley, 2011 ; Roser, 2020 ; Rosling, 2015), et nous pouvons nous
attendre à vivre plus longtemps et en meilleure santé (OurWorldinData,
2020) ; la satisfaction à l’égard de la vie tend à augmenter à mesure que nous
nous enrichissons (rapport sur le bonheur dans le monde, 2017) ; l’incidence
mondiale du travail des enfants diminue rapidement (Roser, 2018) ; le
nombre de démocraties dans le monde augmente (Pinker, 2018) ; le taux de
décès au combat a fortement diminué depuis la Seconde Guerre mondiale
(Upsala Conflict Data, 2018) ; le nombre d’attentats terroristes et le nombre
de personnes tuées dans ces attentats sont bien inférieurs à ceux des
années 1970, 1980 et 1990 (Datagraver, 2016) ; la violence est à son niveau
le plus bas (Pinker, 2011, 2018) ; le nombre d’enfants dans le monde
n’augmente plus (Rosling, 2015) ; 9 enfants sur 10 (garçons et filles) vont à
l’école, ce qui se traduit par un taux d’alphabétisation en constante
augmentation (OCDE et Unesco, 2016), enfin, les données satellites montrent
que la superficie des forêts s’étend depuis 1982 et que les ressources
naturelles sont de moins en moins chères et de plus en plus abondantes
(Bailey et Tupy, 2020). Pour paraphraser Pinker (2018) : le monde a fait des
progrès spectaculaires dans tous les domaines du bien-être humain, mais très
peu le savent, car les progrès sont trop lents pour être considérés comme des
actualités, et les médias préfèrent généralement les mauvaises nouvelles aux
bonnes, selon l’adage « si le sang coule, le sujet sera porteur. »
Dans une acception négative, la complexité est souvent utilisée comme un
terme générique pour désigner un ensemble de causes qui conduisent au
stress et à la maladie mentale. Lorsque les contextes sociaux, culturels ou
professionnels se complexifient, ils apparaissent souvent comme écrasants, ce
qui suscite de l’anxiété. Comme l’anxiété est stressante et qu’un stress
prolongé est malsain, un sentiment permanent de complexité accablante
conduit à la maladie mentale (et indirectement physique). Ce sentiment de
complexité vécu comme une caractéristique de la réalité qui nous submerge
est ressenti à tous les niveaux de la société actuelle. Une heure sur Facebook
suffit pour convaincre même le plus grand optimiste, qu’obtenir une vue
d’ensemble complète est un objectif du passé, à moins, bien sûr, que vous ne
soyez une intelligence artificielle entièrement équipée pour exploiter les
possibilités de l’univers numérique qui croît de façon exponentielle – un
Homo Deus selon les termes de l’historien Yuval Noah Harari (2016). Ce qui
n’est pas le cas. Pour l’instant, aucun d’entre nous n’est capable de telles
prouesses divines, et l’explosion de l’information, des connaissances et de la
technologie représente un défi pour les individus et les réseaux sociaux, à
tous les niveaux psychologiques. Par exemple, nos capacités de traitement de
l’information sont déjà dépassées par les ordres de grandeur des ordinateurs ;
le monde numérique est rempli de distracteurs potentiels visant à contrôler
notre attention sans que nous en ayons conscience, voire exerce souvent une
exploitation ciblée de nos faiblesses (voir à ce sujet The Social Dilemma,
2020) ; notre capacité sociale est estimée à environ cent cinquante personnes
plutôt qu’à des milliers d’amis sur Facebook, sans parler des collègues
dispersés dans le monde entier (Hattie et Yates, 2014) ; nos attentes sont
susceptibles d’augmenter de façon spectaculaire lorsque nous nous
comparons aux capacités et aux performances de classe mondiale des
célébrités continuellement sous les feux de la rampe, alors qu’il est
pratiquement impossible d’être le meilleur en quoi que ce soit dans un
contexte de concurrence mondiale, ce qui implique un sentiment croissant
d’infériorité, une inhibition de la régulation émotionnelle et donc un nombre
croissant d’émotions négatives ; les boucliers de protection sociale sont
inadéquats alors que les contenus numériques préjudiciables ne disparaissent
jamais complètement ; notre mémoire, c’est-à-dire notre mémoire personnelle
totale est proche de zéro par rapport à la capacité de stockage de Google,
Facebook, Microsoft et Apple, qui, il faut le noter, est accessible par des
algorithmes qui s’améliorent constamment plutôt que par la fragile capacité
de récupération dont nous disposons ; l’idée même de voyager dans le monde
pour l’aventure (la surprise) peut être compromise par la possibilité d’avoir
accès à des séquences vidéo en temps réel de la destination avant le voyage ;
et nos systèmes de récompense sont systématiquement ciblés par des logiciels
contrôlés par l’intelligence artificielle et optimisés pour attirer autant
d’attention et de temps que possible.
5. Apprendre : accroître simultanément la
complexité et l’équilibre
Tout en reconnaissant ces sens opposés du terme « complexité » lorsqu’il
est utilisé en relation avec l’environnement physique et social, il est
réconfortant de comprendre que chaque fois que la complexité extérieure
nous submerge au point de nous stresser, une option adaptative apparaît :
apprendre, c’est-à-dire développer des compétences/capacités/complexités
intérieures. En effet, lorsque nous apprenons et développons ainsi notre
complexité intérieure, le monde devient plus compréhensible et donc
potentiellement moins stressant. La complexité intérieure réduit donc
l’impression d’être submergé par la complexité extérieure. Le monde peut
même paraître plus simple, mais pas forcément, car au fur et à mesure que
nous apprenons, nous acquérons aussi la capacité d’apprécier davantage de
nuances, c’est-à-dire davantage de complexité. Quel que soit le cas, la
discussion dépasse le cadre de ce chapitre, qui vise essentiellement à montrer
que la complexité est un élément central non seulement de notre perception
mais aussi de notre adaptation au monde.
Ce sont des sujets qui, à mon avis, joueront un rôle majeur dans le
développement de la psychologie positive à l’avenir, non seulement entre les
échelles mais aussi au sein des échelles, pour ainsi dire. En d’autres termes, je
pense qu’un effort de recherche florissant sera consacré à la compréhension
de la manière dont les individus en tant que systèmes et les systèmes sociaux
plus larges interagissent avec leur environnement, mais aussi de la manière
dont les individus sont capables de bien fonctionner eux-mêmes dans
différents systèmes sociaux, et de la manière dont les systèmes sociaux qui
fonctionnent bien s’organisent et se développent. J’y reviendrai à la fin du
chapitre.
En employant la théorie de la complexité, comment appréhender au mieux
la complexité perçue afin de rester inspirés, ou du moins suffisamment
intrigués par elle ? Et comment optimiser notre adaptation en développant des
compréhensions et des identités complexes afin de prospérer ?
Pour répondre à ces questions, nous commencerons par examiner de plus
près la complexité telle qu’elle est comprise scientifiquement, bien que la
portée de ce chapitre ne permette pas non plus d’en rendre compte de manière
exhaustive.

6. La nature complexe de la complexité


« Donc, je ne peux pas traiter le maire de singe ? – Cela devrait être clair d’après la
sentence que vous venez de recevoir ! – Mais puis-je appeler un singe maire ? – Ce
n’est pas interdit. – Alors, au revoir, Monsieur le Maire » Storm P.

Pour bien fonctionner, nous acquérons toujours plus de connaissances sur le


monde, sur la vie et sur nous-mêmes, lesquelles invitent à leur propre
contradiction. Lorsque par exemple une nouvelle théorie sur les universaux
humains est proposée, qui met en évidence les points communs à tous les
êtres humains, cela suscite immédiatement le souhait de clarifier également
les caractéristiques uniques qui rendent chaque individu spécial, et donc
intéressant pour les autres. Si l’on étudie la psyché humaine afin de dégager
des schémas universels, comme l’a fait par exemple le béhaviorisme, peu de
temps après apparaît le désir de saisir ce qu’il y a de qualitatif, d’unique et de
multifacettes dans l’expérience humaine, car le béhaviorisme n’a presque rien
à dire à ce sujet. De même, si des normes sont imposées à un système, une
école par exemple, un besoin d’autonomie se fait immédiatement sentir, afin
d’éviter le sentiment d’être réduit à un clone programmé. D’autre part, le
savoir sur les différences interpersonnelles, sur l’individualité et sur les
conflits, rend la nécessité du commun très claire aussi.
En outre, dans le cas qui nous occupe, lorsque la discipline de la
psychologie est devenue trop rigide ou biaisée en faveur de certaines
tendances telles que l’accent mis sur la pathologie et la victimisation, il était
probable qu’un courant tel que la psychologie positive émerge. Et lorsqu’un
domaine d’étude aussi différent apparaît, on peut aisément s’attendre à ce que
des forces agissent pour mettre le nouveau venu en conformité afin de
maintenir et de préserver l’ordre commun général.
Alors qu’elle entre dans sa troisième décennie, la psychologie positive qui a
su affirmer sa différence et exercer son influence au sein de la psychologie,
gagnerait à employer la théorie des systèmes et les concepts liés à la
complexité afin que sa croissance continue soit en phase avec la psychologie
au sens large, voire intégrée à celle-ci.
7. Évolution et croissance de la complexité
Comme indiqué ci-dessus, en termes populaires, la complexité renvoie
généralement à quelque chose d’assez confus, difficile à appréhender et qui
nous dépasse. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont travaillé à la définir avec
précision. Ainsi, bien que le physicien Stephen Hawking estime que le
XXIe siècle sera le « Siècle de la complexité », la science n’est pas encore
parvenue à un consensus sur ce qu’est la complexité, et encore moins sur la
façon de la mesurer. Certes, en physique et en chimie, il existe des définitions
assez claires de l’ordre et du désordre, où l’ordre (négentropie) est le terme
qui désigne des substances homogènes composées de molécules identiques
bien configurées dans des structures uniformes, et où le désordre est une
masse hétérogène de molécules réparties au hasard. Dans la continuité, on
s’accorde à dire que la complexité est quelque chose qui se situe entre l’ordre
total et le chaos total – quelque chose qui, certes, a des « poches d’ordre »,
mais un ordre qui est constamment remis en question par le monde extérieur
chaotique et aléatoire – et qui est donc en constante transformation, distribuée
entre de petites transformations, un moindre nombre de moyennes et très peu
de grandes (Bak, 1996 ; Kurzweil, 1999, 2004).
Dans une édition spéciale de la revue Science (1999), les définitions
suivantes de la complexité ont été énumérées, et elles sont toutes en accord
avec ce qui précède tout en ajoutant des nuances :
• un système complexe est un système très structuré, qui présente une
structure et des variations (Goldenfeld et Kadanoff) ;
• un système complexe est un système dont l’évolution est très sensible aux
conditions initiales ou à de petites perturbations, un système dans lequel le
nombre de composants indépendants en interaction est important, ou un
système qui peut évoluer en suivant de multiples voies (Whitesides et
Ismagilov) ;
• un système complexe est un système qui, de par sa conception ou sa
fonction, ou les deux, est difficile à comprendre et à vérifier (Weng, Bhalla
et Iyengar) ;
• un système complexe est un système dans lequel il existe de multiples
interactions entre de nombreux éléments différents (Rind) ;
• les systèmes complexes sont des systèmes en développement qui évoluent
et se déploient constamment au fil du temps (W. Brian Arthur).
Toutes ces définitions correspondent évidemment à des systèmes
biologiques, psychologiques et sociaux, mais une fois de plus, malgré de
nombreuses tentatives de création de théories unificatrices, il n’y a toujours
pas de consensus sur ce qu’est l’essence de la complexité ou sur la façon de
la mesurer. Ce qui est quelque peu paradoxal car, fondamentalement, la
science consiste à comprendre notre monde complexe en cartographiant les
éléments, les objets, les lois et les relations. En effet, tout bon apprentissage
peut être considéré comme une complexification des capacités de l’apprenant.
Ainsi, en paraphrasant Piaget, lorsque nous apprenons quelque chose, cela
implique la combinaison de la compréhension des différences là où il n’y
avait auparavant que des similitudes, et de la compréhension des similitudes
là où il n’y avait auparavant que des différences. Tout comme la création
d’une technologie toujours plus complexe/avancée implique une disposition
aussi harmonieuse que possible des composants, qui cache même souvent la
majeure partie de la complexité derrière des interfaces utilisateur simples et
intuitives.
Le manque de compréhension est évidemment une source universelle de
problèmes car il implique des difficultés à prévoir et à contrôler les choses, y
compris son propre moyen de subsistance pour survivre et prospérer. Le fait
de savoir que dans les organismes vivants, l’interaction simultanée et
incroyablement complexe entre des billions de cellules est également la clé
de l’adaptabilité individuelle et donc, en fin de compte, de la survie de notre
espèce, donne une leçon d’humilité. Selon les termes des technologues
Danny Hillis et Alan Kay (Kelly et Levy, 1994) :
« Tout interagit avec tout en biologie, mais d’une certaine manière, cela semble
rendre le système robuste au lieu de le fragiliser… Il est difficile d’imaginer que
quelqu’un qui s’intéresse à la complexité ne commence pas par celle de la biologie,
parce que rien d’autre ne s’en approche. Les mathématiques classiques se révèlent
en quelque sorte inopérantes lorsque l’on aborde des phénomènes non linéaires,
voire de simples fonctions récursives. Certaines civilisations disposaient de briques
pendant toute leur existence mais n’ont jamais imaginé l’arche, parce que l’arche est
une organisation non linéaire de briques […] Il est vraiment intéressant de constater
qu’en matière de complexité, l’architecture domine le matériau. »

Le sociologue Niklas Luhmann (1997) a exprimé quelque chose de similaire


en considérant la société comme un système social qui, dans un certain sens,
tend également à devenir plus stable en augmentant les degrés de liberté de
ses citoyens et en rendant ainsi plus difficile son contrôle par une autorité
uniforme. Pourtant, que l’on étudie la biologie, la psyché ou la société, il est
clair que les cellules, les individus et les agents agissant en parallèle doivent
suivre des principes directeurs si l’on veut qu’un système donné se
maintienne et évolue.
Ainsi, malgré les difficultés à déterminer l’essence précise de la complexité,
il semble qu’on dispose d’un certain nombre de bonnes approches de ce
qu’elle peut, au moins en partie, supposer. En outre, les désaccords actuels ne
permettent évidemment pas de prédire s’il sera possible de s’entendre sur des
définitions et des mesures adéquates à l’avenir. Si, par exemple, les principes
généraux relatifs au comportement et à la culture humaine définis par la
théorie des systèmes ne sont pas considérés comme plus que cela – des
principes généraux apparents – et si des efforts ciblés sont déployés pour
éviter que les idées générales ne réduisent la richesse merveilleuse de la
conscience individuelle, des différentes communautés et cultures, il y a lieu
d’être optimiste à cet égard. Par exemple, on peut simplement définir la
complexité comme la diversité des composantes d’un système multipliée par
le nombre de niveaux du système ou, plus simplement encore, le nombre de
relations au sein du système, et dans cet esprit des propositions assez
fascinantes ont déjà été faites il y a plusieurs décennies. L’une de ces
propositions vient du physicien belge Francis Heylighen (1996) qui écrit :
« En définissant la complexité comme la combinaison de la distinction (variété) et de
la connexion (dépendance) dans au moins les dimensions spatiales [et] temporelles
[…] nous avons pu redéfinir la complexification comme la combinaison de la
différenciation et de l’intégration dans ces dimensions… »

En d’autres termes, cette approche considère alors la complexité comme une


variation d’éléments interdépendants, et la croissance de la complexité
comme une combinaison de différenciation et d’intégration dans le temps et
dans l’espace. Csikszentmihalyi (1996, p. 362.) a proposé un cadre de
compréhension assez similaire :
« La complexité est une caractéristique de tous les systèmes, des amibes les plus
simples à la culture humaine la plus sophistiquée. Lorsque nous affirmons que
quelque chose est complexe, nous voulons dire qu’il s’agit d’un système très
différencié – qui comporte de nombreuses parties distinctes – et aussi qu’il s’agit d’un
système très intégré – les différentes parties fonctionnent ensemble sans problème.
Un système différencié mais non intégré est compliqué mais pas complexe – il sera
chaotique et déroutant. Un système intégré mais non différencié est rigide et
redondant mais pas complexe. L’évolution semble favoriser les organismes qui sont
complexes, c’est-à-dire à la fois différenciés et intégrés. »

Heylighen (1996) explique plus en détail comment l’évolution biologique


génère la complexité sur cette base :
« Les mécanismes fondamentaux de l’évolution sont la variation, qui produit une
différenciation spatiale des systèmes, et la sélection sur la base de l’aptitude
(relative), qui produit une intégration structurelle en créant des liens plus nombreux et
plus forts entre les différents systèmes. Ensemble, ils engendrent l’augmentation de
la complexité structurelle, caractérisée par le développement de hiérarchies
imbriquées de sous-systèmes et de super-systèmes. Ce processus de
complexification tend à s’autorenforcer, car le remplissage d’une niche par un
système supplémentaire (c’est-à-dire la création d’un lien) crée d’autres niches (c’est-
à-dire des possibilités de liens supplémentaires)… Les mécanismes proposés ne
visent pas à montrer que l’évolution suit un cours préétabli vers une sorte de point
Oméga [référence à l’idée du paléontologue et théologien Teilhard de Chardin (1965,
1975)] de complexité maximale. On suppose plutôt que l’évolution est largement
imprévisible et dépend d’une foule de facteurs incontrôlables, qui peuvent orienter
son cours dans un nombre infini de directions. Toutefois, il est à noter que les
directions dans lesquelles la complexité augmente sont généralement préférées »

ainsi que Csikszentmihalyi (1993, p. 20-21) :


« Le processus que nous en sommes venus à appeler évolution existe parce que rien
ne reste jamais pareil. Il n’y a que deux choix possibles pour les êtres vivants et non
vivants : soit laisser l’entropie prendre le dessus, soit essayer de déjouer le système.
L’évolution est la seconde de ces deux alternatives… L’évolution nous est imposée
par le fait que les systèmes s’effondrent avec le temps, à moins qu’ils ne deviennent
plus efficaces. Nous ne pouvons pas nous arrêter et rester au même endroit ; même
pour rester, nous devons avancer. »

Pour la psychologie positive, ces principes fondamentaux constituent à eux


seuls des raisons suffisantes pour accorder une attention égale à
l’individualité et à la communauté, aux besoins d’autonomie et aux besoins
de responsabilité, aux libertés et aux droits civils dans les sociétés, si l’on
veut que les êtres humains vivent ensemble harmonieusement.

8. Vers trop de tout, ou simplement vers


l’abondance ?
Les approches ci-dessus soulignent que la croissance de la complexité est
une caractéristique omniprésente de l’évolution biologique, bien qu’il ne
s’agisse pas d’une caractéristique généralement donnée mais de ce vers quoi
tend l’évolution. Et il semble naturel de rechercher des analogies dans le
développement et l’évolution de la culture et de la société, à la fois parce que
la culture et la société constituent une seconde nature et parce que la
complexité culturelle et sociale qui s’accroît rapidement met déjà gravement
à l’épreuve nos capacités cognitives et sociales. En effet, le monde numérique
fournit à lui seul des quantités d’informations et des vitesses de traitement de
l’information qui dépassent nos capacités psychologiques et sociales dans
presque tous les domaines, comme nous l’avons déjà décrit, mais aussi de
nombreuses autres manières plus traditionnelles. Il y a trop d’émissions de
télévision à regarder, trop de livres intéressants qu’on ne trouvera jamais le
temps de lire, trop de données pertinentes à traiter, même dans son domaine
de compétence, trop de membres de la famille et d’amis à suivre, trop de
choses à faire sur le bureau avant de rentrer chez soi, trop d’outsiders qui
cherchent à se faire une place au travail, trop de décisions prises sans une vue
d’ensemble appropriée des options, trop de conséquences de décisions à
prendre en compte judicieusement. Et tout cela nous plonge dans la tyrannie
du choix, selon l’expression de Barry Schwartz (2008).
Ironiquement, le seul facteur qui exerce la plus grande influence sur
l’augmentation de la complexité est l’augmentation de la complexité en elle-
même. Chaque nouvelle génération d’inventeurs qui commence sa carrière
peut, pour ainsi dire, partir sur les épaules des géants précédents, et à mesure
que ces épaules se développent, les possibilités se multiplient. L’inventeur
Ray Kurzweil, qui a étudié en détail la croissance de la complexité et de
l’ordre pendant des décennies, est convaincu qu’une caractéristique
essentielle de cette croissance est son caractère exponentiel, c’est-à-dire
qu’elle se produit à un rythme toujours plus rapide, et que cette vitesse elle-
même augmente de manière exponentielle. Son raisonnement de base suit
trois principes :
« (1) L’évolution exerce une rétroaction positive en ce sens que les méthodes plus
performantes résultant d’une étape du progrès évolutif sont utilisées pour créer
l’étape suivante. Chaque époque de l’évolution a progressé plus rapidement en
s’appuyant sur les produits de l’étape précédente. (2) L’évolution fonctionne de
manière indirecte : l’évolution a créé les humains, les humains ont créé la
technologie. Les humains travaillent désormais avec des technologies de plus en
plus avancées pour créer de nouvelles générations de technologie. En conséquence,
le taux de progression d’un processus évolutif augmente de manière exponentielle
dans le temps. (3) Avec le temps, “l’ordre” des informations intégrées dans le
processus évolutif (c’est-à-dire la mesure dans laquelle l’information répond à un
objectif, qui, en évolution, correspond à la survie) augmente… » (Kurzweil, 2003)

Il est important de noter que ce ne sont pas toujours les informations les plus
complexes qui servent le mieux l’objectif donné, et que les explications
simples sont souvent meilleures que les complexes. Les sciences naturelles
illustrent bien à quel point la recherche est animée par une ambition
réductionniste, c’est-à-dire l’idéal de parvenir à des explications aussi simples
et élégantes que possible (mais pas plus simples, selon le célèbre bon mot
d’Einstein). Et l’idéal scientifique de réduction de la complexité est présent à
la fois dans des domaines scientifiques particuliers et dans des domaines
guidés par l’idéal de consilience par exemple (Wilson, 1998), sans toutefois
vouloir réduire la qualité expérientielle de la nature ou diminuer de quelque
manière que ce soit l’immense variété de la nature, ce qui est un risque
souvent redouté.
Dans une synthèse théorique de la tendance à la complexité croissante et de
l’idéal de simplicité, le physicien Charles H. Bennett (1985, 1990) a proposé
de définir la complexité par sa profondeur logique, c’est-à-dire par le travail
effectué par un émetteur d’informations et que le récepteur n’a pas à faire.
Cette définition peut être bonne tant qu’elle n’implique pas l’hypothèse que
l’information est transmise de manière linéaire dans la communication entre
les organismes vivants, ce qui est rarement le cas, voire jamais.
Fondamentalement, les différents organismes sont essentiellement des
perturbations les uns pour les autres, chacun s’auto-organisant et autotraitant
son apport sensoriel.
Pour tenter de rassembler ces différents comptes rendus de la complexité, le
modèle 1 a été développé. Il illustre comment des organismes biologiques
viables, la psyché humaine, ainsi que la culture et la société humaines,
peuvent être compris comme des systèmes complexes, adaptatifs et auto-
organisés, dans lesquels les forces de différenciation et d’intégration sont
suffisamment équilibrées pour éviter qu’un système donné ne tombe dans le
chaos (surdifférenciation) ou la rigidité (surintégration) et reste donc capable
de s’adapter en réponse aux perturbations. Au fil du temps, cet équilibre a
porté de nombreux noms, allant du plus ordinaire comme « harmonie » et
« santé » (par exemple Csikszentmihalyi, 1991, 1993) au plus exotique
« bord du chaos » (Waldrop, 1992 ; Knoop, 2002, 2004) et « criticalité auto-
organisée » (Bak, 1996). Le terme « bord du chaos » est utilisé en partie
parce que la complexité, comme indiqué ci-dessus, peut se définir comme
quelque chose qui se produit entre l’ordre total et le chaos total, et parce que
l’évolution d’un nouvel ordre se produit en réponse aux perpétuelles
perturbations de l’environnement. Le terme de « criticalité auto-organisée » a
été inventé par le physicien Per Bak (1996), qui a observé comment les
systèmes ouverts tendent fondamentalement à s’établir dans un état
« critique », où les changements sont le plus susceptibles de se produire. Un
exemple évident est la psyché humaine, qui préfère les changements
qu’impliquent « l’expérience » à aucun changement et aucune expérience.

Figure 39.1 – Modèle 1. Croissance de la complexité dans la nature, la culture et la personne


individuelle. Le corridor illustre la croissance d’un système simple vers un système plus complexe, et
peut être appelé « le bord du chaos » ou « un état de criticalité auto-organisée ». Pour être réussie et
durable, la croissance doit équilibrer les forces, les facteurs et les processus de différenciation et
d’intégration.

Le modèle 1 (figure 39.1) permet de visualiser donc comment l’harmonie


présuppose un équilibre entre les différences (distinctions) et les similitudes,
et un équilibre entre la perturbation de l’existant (différenciation) et la
consolidation de l’existant (intégration). Comprendre la nature
complémentaire des opposés de cette manière pourrait se révéler d’une
grande importance dans le monde social, où des conflits stériles surviennent
si souvent lorsque les gens incarnent un pôle ou l’autre et se méprisent les
uns les autres pour les mêmes raisons. Les batailles entre politiciens qui
débattent pour savoir s’il faut privilégier la liberté plutôt que l’égalité
(comme le font souvent les gens de droite) ou l’égalité plutôt que la liberté
(comme le préfèrent les gens de gauche) en sont des exemples évidents, alors
que tous les êtres humains ont besoin de liberté ainsi que de la communauté
pour s’épanouir. En d’autres termes, une compréhension, meilleure et
partagée, de la nature de la complexité harmonieuse pourrait contribuer à de
meilleurs processus démocratiques en montrant clairement comment la liberté
personnelle (différenciation sociale) sans unité (égalité sociale) est
insoutenable en raison de l’absence de but commun et de l’anxiété, et
comment l’égalité sans liberté est insoutenable en raison de l’étouffement de
la créativité et donc de la responsabilité. Comme le déclarait John Kenneth
Galbraith, « sous le capitalisme, l’homme exploite l’homme alors que sous le
communisme, c’est tout le contraire ». À vrai dire, ni Adam Smith ni Karl
Marx ne seraient d’accord. Pourtant, en plus de nous rappeler l’hypocrisie
humaine, susceptible d’émerger dès qu’un conflit social survient et que
chaque partie a tendance à traiter les siens mieux que les autres, Galbraith fait
directement référence au risque de voir le capitalisme offrir la liberté sans une
égalité suffisante pour maintenir la liberté des moins fortunés, alors que le
communisme impose l’égalité, en inhibant gravement par là même la liberté
individuelle. Aucune de ces alternatives ne répond aux besoins
psychologiques fondamentaux nécessaires pour un optimisme réaliste, une
communauté libératrice et une liberté responsable (Deci & Ryan, 2017).

9. La complexité harmonieuse comme


principe directeur pour la recherche et ses
applications
En employant l’idéal de la complexité harmonieuse, nous pouvons
systématiquement concevoir des travaux de recherche basés sur l’interaction
complémentaire entre les variables différenciatrices et intégratrices. Lorsque,
par exemple, on étudie les capacités des élèves à respecter les normes
académiques (intégration culturelle), on pourrait/devrait accorder une
attention égale à l’originalité des élèves (différenciation culturelle). Ou,
lorsque l’on étudie la responsabilité sociale des minorités ethniques
(intégration culturelle), il serait intéressant d’y joindre l’étude de la liberté
telle que ces groupes la vivent (différenciation culturelle).
De même, lors de l’application pratique de la science fondée sur des
données probantes, le principe de la complexité harmonieuse peut être
diffusé comme un simple principe directeur dans l’ensemble d’un système
social. Si, par exemple, un producteur de vaccins veut organiser les lieux de
travail en conséquence, il pourra systématiquement tenir compte des forces
complémentaires de différenciation et d’intégration, à mesure qu’il élabore
son objectif et ses stratégies globales. Voici un exemple d’organisation,
suggéré à l’origine par Csikszentmihalyi et Knoop (2008), qui se sont
inspirés de Peter Senge et al. (1994).
Si nous partons du principe que la fondation d’une organisation se compose
de quatre éléments principaux, à savoir :
• des idées directrices sensées et claires ;
• des compétences complémentaires en termes de théorie, de méthodes et
d’outils ;
• des infrastructures innovantes assurant un équilibre entre la stabilité et la
dynamique nécessaires ;
• ainsi que le développement personnel continu au travail de chaque
employé ;
alors chacune de ces composantes peut être nourrie et développée en suivant
l’idéal de la complexité harmonieuse. Voici un exemple complet de la
manière dont cela peut être fait.
Des idées directrices pertinentes et claires peuvent être formulées sous la
forme :
• d’un ensemble complexe de valeurs communes – qui préservent à la fois les
intérêts de la communauté et ceux de l’individu ;
• de visions complexes communes – qui offrent une tension créative
conjointe tout en maintenant une ouverture vers l’imprévisible et le
surprenant ;
• d’objectifs complexes et de critères de qualité communs – de
principes/règles complexes communs – pour un comportement efficace et
responsable ;
• de principes complexes de dialogue – qui assurent une élaboration et une
sélection positives des idées ;
• de principes de gestion complexes – catalysant des degrés optimaux de
« liberté sous responsabilité » ;
• de principes méthodologiques complexes – qui encouragent l’utilisation de
méthodes pratiques et correctes, et qui visent le transfert méthodique de
compétences méthodologiques à d’autres contextes.
• de principes d’évaluation complexes – fondés sur des normes solides ainsi
que sur le respect de l’individualité des personnes.
• des plans complexes communs – qui assurent la réalisation des idées
directrices, et qui semblent suffisamment libérateurs pour ceux qui mettent
en œuvre ces idées.
Il est possible de définir des compétences complémentaires pour que les
employés et les dirigeants
• aient une compréhension claire des idées directrices
• soient bien armés du point de vue théorique
• soient bien armés du point de vue méthodologique
• soient bien armés en ce qui concerne l’utilisation des outils
• soient capables de communiquer et de collaborer efficacement et dans le
respect
• soient capables de combiner les vertus de l’ouverture et du scepticisme à
l’égard des nouvelles idées et pratiques.
Des infrastructures innovantes et efficaces peuvent être définies pour
permettre
• une communication efficace et respectueuse
• un retour d’information et une évaluation efficaces, motivants et sensés
• la canalisation efficace des ressources pertinentes
• une collaboration complexe
• le choix des styles de travail personnels préférés
Le développement personnel au travail implique que les employés et les
dirigeants :
• développent leur complexité personnelle par la créativité et par un
apprentissage stimulant et utile
• parviennent à une compréhension approfondie pour permettre
l’identification, le développement et la communication de leurs propres
modèles mentaux
• acquièrent une compréhension approfondie du fonctionnement général des
systèmes et de la manière d’agir en conséquence
• se considèrent comme de précieux contributeurs à un ensemble plus vaste
• fassent l’expérience du flow pendant la majeure partie du temps, sans être
enfermés dans l’anxiété ou l’ennui
• puissent s’identifier aux idées directrices de manière motivée et
constructive
En outre, en appliquant ces principes/idéaux, les chances d’obtenir un
travail de haute qualité, tant sur le plan technique, éthique que personnel, sont
généralement bonnes (Knoop, 2007). Les dirigeants et les travailleurs
peuvent être à la fois libérés et unis par ces principes et, selon les mots de
Peter Senge (1990, p. 340) être « responsables de la création d’organisations
où les individus développent continuellement leurs capacités à comprendre la
complexité, à clarifier leur vision et à améliorer les modèles mentaux
partagés – c’est-à-dire… responsables d’apprendre ».
En laissant le mot de la fin au physicien M. Mitchell Waldrop (1992, p. 12),
j’espère que la psychologie positive trouvera dans les profondeurs de la
complexité harmonieuse une puissante source d’inspiration pour son avenir :
« …Tous ces systèmes complexes ont en quelque sorte acquis la capacité d’amener
l’ordre et le chaos à un équilibre d’un genre particulier. Ce point d’équilibre – souvent
appelé le bord du chaos – est le point où les composants d’un système ne se
verrouillent jamais tout à fait en place, et pourtant ne se dissolvent jamais tout à fait
non plus dans les turbulences. C’est au bord du chaos que les nouvelles idées et les
génotypes innovants grignotent sans cesse les limites du statu quo, et que la vieille
garde la plus enracinée finira par être renversée. Le bord du chaos se trouve là où
des siècles d’esclavage et de ségrégation cèdent soudainement la place au
mouvement des droits civils des années 1950 et 1960 ; où soixante-dix ans de
communisme soviétique cèdent soudainement la place au soulèvement et au ferment
politiques ; où des éons de stabilité évolutive cèdent soudainement la place à une
transformation globale des espèces. Le bord du chaos est la zone de combat en
constante fluctuation entre la stagnation et l’anarchie, le seul endroit où un système
complexe peut être spontané, adaptable et vivant. »

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1. Par Hans Henrik Knoop.
Chapitre 40
Les risques idéologiques
de la psychologie positive1

Sommaire
1. Définition et trajectoire de la psychologie positive
2. Psychologie positive et psychologie critique
3. Un regard vers l’avenir… positif
Bibliographie
Résumé court
Bien que certaines critiques de la psychologie positive soient
parfois scientifiquement totalement injustifiées, il semble opportun,
au sein de la communauté des chercheurs se réclamant de ce
courant de recherche, d’initier une réflexion épistémologique en
vue d’investiguer les risques idéologiques de la psychologie
positive.
Résumé long
Depuis une vingtaine d’années, l’émergence de la psychologie
positive a été suivie d’une croissance spectaculaire, imprégnant
pratiquement tous les domaines ouverts à un mouvement
intellectuel, universitaire et psychologique. Cependant, force est de
constater que le contexte culturel qui a conduit à son émergence
n’est pas neutre et qu’il fait l’objet de critiques parfois virulentes.
Même si certaines de ces critiques ressemblent plus à des
polémiques qu’à de réelles controverses scientifiques, elles ne
sont pas nécessairement toutes injustifiées. Aussi, il semble
opportun, au sein de la communauté des chercheurs se réclamant
du courant de la psychologie positive, d’initier une réflexion
épistémologique s’inspirant des perspectives de la psychologie
critique, en vue d’investiguer les risques idéologiques de la
psychologie positive. Il s’agit notamment d’examiner le plus
objectivement possible si ces risques proviennent uniquement
d’erreurs de jeunesse ou s’ils sont fondamentalement intrinsèques
à ce champ de recherche. Quoi qu’il en soit, cette investigation
permet de réaffirmer que la psychologie positive s’inscrit
résolument dans le champ des sciences empiriques, en cohérence
avec des méthodes permettant l’exposition à la réfutation, tout en
soulignant que les perspectives européennes de ce champ de
recherche scientifique s’émancipent progressivement de l’emprise
de la culture de ses fondateurs historiques.

Mots-clés : Réflexion épistémologique, psychologie positive,


critiques, controverses scientifiques, perspectives européennes
Questions
• Quelles sont les origines de l’intérêt pour l’étude scientifique du
développement humain optimal ? Qui en sont les auteurs
préceptes ?
• Qu’est-ce que la psychologie critique ? Qui en sont les auteurs
préceptes ?
• Quelles sont les critiques récurrentes (historique) de la
psychologie en tant que discipline scientifique (qui ne sont donc
pas spécifiques à la psychologie positive) ? Qui en sont les
auteurs principaux ?
• Quels sont les risques idéologiques spécifiques majeurs de la
psychologie positive ?
• Quelles sont les postures épistémologiques émergentes qui
témoignent de l’émancipation progressive de l’emprise de la
culture et des habitus des fondateurs de la psychologie positive ?

Il est désormais admis que l’article cosigné par Seligman et


Csikszentmihalyi (2000) dans le premier numéro du millénaire de la revue
American Psychologist constitue sans doute l’acte scientifique fondateur de
ce qui peut être considéré comme quatrième vague de la psychologie (Heutte,
2019a)2 : l’étude empirique du fonctionnement humain optimal. Selon les
auteurs, dans l’introduction de ce numéro spécial, l’étude de la pathologie
aurait dominé le monde de la psychologie depuis la seconde guerre mondiale
alors qu’une science de l’expérience subjective positive pourrait permettre
d’améliorer la qualité de la vie. Effectivement la psychologie s’est longtemps
intéressée à la prise en charge et à la psychométrie. En revanche, peu de
travaux, jusqu’au début des années 2000, se sont intéressés aux émotions
positives, à l’épanouissement ou au bien-être. Certes il est possible de relever
ceux d’Ed Diener sur le bien-être subjectif ou d’autres sur l’optimisme par
exemple mais pour Ben-Shahar (2007), le ratio dans les revues scientifiques
va jusqu’à 21 publications ayant fait de la dépression, de l’anxiété ou du
stress leur objet de recherche pour une seule sur le fonctionnement optimal.
Les travaux développés dans le champ de la psychologie positive auraient,
selon cet auteur, permis de contrebalancer ce déséquilibre. Ce qui est décrit
par Ben-Shahar ainsi que dans la publication de Seligman et
Csikszentmihalyi (2000) ne vaut-il qu’aux États-Unis ou est-il possible de
l’étendre à d’autres points du monde ?
Tout semble se passer comme si la société nord-américaine ici, avait été à
maturité pour se centrer plus sur le bien-être, l’épanouissement, au
fonctionnement optimal. Mais force est de constater que s’engager dans une
telle voie exposerait également les populations à ne plus pouvoir bénéficier
de prises en charge « modernes », issues de la recherche dès lors que celle-ci
serait focalisée sur le fonctionnement optimal. Autrement dit, le risque serait
que les pathologies soient moins bien prises en charge. Par ailleurs, penser
vivre dans un monde duquel seraient exclues toutes formes de maladies,
selon une vision des choses nord-américaine qui plus est, ne manquerait pas
de poser problème lorsqu’il s’agirait de transposer ces éléments à d’autres
cultures, la nôtre entre autres. De plus, s’intéresser ainsi à la qualité de vie de
l’individu pourrait provoquer un glissement vers une société individualiste.
L’objet de ce chapitre sera tout d’abord de rappeler comment la psychologie
positive est définie par les acteurs du champ et comment il a émergé. S’il
s’agissait de reconnaître la paternité de ce courant à Seligman et
Csikszentmihalyi, il s’agira également de situer son émergence dans un
contexte général. Ensuite, il s’agira de situer les critiques vis-à-vis de la
psychologie positive dans le contexte plus large de la psychologie critique.
Pour finir, l’aspect positif de cette psychologie sera précisé.

1. Définition et trajectoire de la psychologie


positive
1.1 Psychologie positive, de quoi parle-t-on ?
Gable et Haidt ont proposé en 2005 une définition de la psychologie
positive qui est probablement la plus citée, dans sa version traduite en
français : « l’étude des conditions et processus qui contribuent à
l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des individus, des groupes et
des institutions » (Gable & Haidt, 2011, p. 30). Il découle de cette définition
que la psychologie positive ne relève certainement pas d’une conception
égocentrique, caractérisée par la quête quasi exclusive de l’épanouissement et
du développement personnel mais qu’elle s’intéresse beaucoup plus
largement aussi aux groupes et aux institutions. Autrement dit, trois niveaux
d’intérêt qui se retrouvent dans les recherches issues du champ. Au niveau de
l’individu, tout d’abord les états (e. g. les émotions), les traits
(e. g. l’optimisme), au niveau du groupe (e. g. appreciative inquiry comme
technique d’accompagnement au changement en entreprise) et/ou des
institutions ou des pays (e. g. Baromètre de l’espoir – voir le chapitre 17 de
Krafft du présent volume).
Pourtant, dans la communauté française et francophone, ce champ de
recherche semble porteur de nombreux malentendus. Afin de lever certains
doutes, sans pour autant en occulter les critiques et controverses, les
fondements épistémologiques de la psychologie positive en tant que champ
de recherche empirique concernant l’expérience positive subjective vont être
précisés.

1.2 Psychologie positive, d’où viens-tu ?


En 1999 a été créé à Akumal (Mexique), le Positive Psychology Steering
Commitee constitué par Mihaly Csikszentmihalyi, Ed Diener, Kathleen Hall
Jamieson, Chris Peterson et George Vaillant. Mais avant, la légende veut que
la genèse de la psychologie positive soit liée à une rencontre totalement
fortuite entre Csikszentmihalyi et Seligman en janvier 1997, sur la plage de
Kona à Hawaï, pendant leurs vacances (Seligman, 2002). C’est l’histoire qui
permet de comprendre la principale focalisation de la psychologie sur la prise
en charge. En effet, la problématique relevait plutôt du soin et de la
psychothérapie que du développement optimal. Les points de vue qu’il est
possible de qualifier rétrospectivement d’humanistes remontent aux origines
modernes de la psychologie et se retrouvent notamment dans les travaux de
James, Dewey, Rogers, Adler ou encore Maslow. Adler, par exemple,
s’intéressait déjà aux capacités et aux forces des patients plutôt qu’à la
maladie et aux symptômes au lendemain de la première guerre mondiale.
C’est ce qui amène certains auteurs à considérer que la psychologie positive
s’inscrit dans une perspective néo-adlérienne (Watts & Ergüner-Tekinalp,
2017). James, plus tôt encore, a fait valoir que pour étudier en profondeur le
fonctionnement humain optimal, il faut tenir compte de l’expérience
subjective d’un individu. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est
considéré par certains comme « le premier psychologue positif de
l’Amérique » (Taylor, 2001). Selon Rathunde (2001), les approches
expérientielles de James, Dewey et Maslow sont conformes aux philosophies
du pragmatisme (Peirce, 1877 ; Peirce & Hetzel, 1878), de l’existentialisme
(Kierkegaard, 1843 ; Heidegger, 1927 ; Sartre, 1943) et de la
phénoménologie (Husserl, 1913). Chacune d’entre elles insiste sur l’intense
subjectivité de l’expérience immédiate et constitue donc un défi de taille pour
les conceptions traditionnelles de la méthode scientifique. Cette combinaison
de méthodologie positiviste et phénoménologique était connue sous le nom
d’empirisme radical. Non seulement James (1890) s’intéressait à ce qui était
objectif et observable, mais aussi à ce qui était subjectif. Le
28 décembre 1904, dans son allocution présidentielle à l’occasion du congrès
annuel de l’American Psychological Association (APA), James se demandait
pourquoi certaines personnes étaient capables d’utiliser leurs ressources à
leur pleine capacité et d’autres pas. Comme le souligne Rathunde (2001), à sa
façon, James affirmait déjà à l’époque tout l’intérêt de l’étude du
fonctionnement optimal de l’être humain et de son rapport à l’expérience : un
fil conducteur tissé en commun dans toute la littérature actuelle de
psychologie positive. Mais à l’époque, l’idée du fonctionnement optimal n’a
pas été reprise puisqu’il a fallu attendre l’avènement de la psychologie
positive pour qu’elle le soit. Pour quelles raisons ? Idéologiques ?
Historiques ? Technologiques ? Force est de constater que le début et la
première moitié du XXe siècle ont été marqués par des conflits en tous genres,
des épidémies (grippe espagnole par exemple), ou des problèmes de société.
Ainsi, selon Seligman et Csikszentmihalyi (2000), avant la Seconde Guerre
mondiale, la psychologie avait trois missions principales :
1. guérir la maladie mentale ;
2. améliorer la vie normale des personnes ;
3. identifier et cultiver les talents.
Cependant, les deux dernières tâches se sont perdues jusqu’à assez
récemment, concentrant principalement les travaux sur la première. Cela était
lié d’une part à la réduction brutale des financements par les organismes
gouvernementaux (en raison des priorités de la reconstruction), et d’autre part
au besoin de faire face à une crise psychique de très grande ampleur
(notamment concernant les vétérans du Vietnam), toutes les ressources
disponibles ont été consacrées à l’apprentissage et au traitement des troubles
psychologiques et à la psychopathologie. Bien entendu, cela s’est fortement
ressenti au niveau des publications scientifiques : suite à une recherche via la
base de données Psycinfo, sur la période entre 1967 et 2000, Myers (2000)
constate par exemple que 54 040 articles ont été publiés sur la dépression et
41 416 sur l’anxiété, mais seulement 1 710 sur le bonheur et 2 582 sur la
satisfaction à l’égard de l’existence. Sur la durée, ce déséquilibre n’a pas été
sans conséquence sur les modèles théoriques élaborés par les chercheurs,
entre autres la concentration de la production scientifique sur les troubles
psychiques et les maladies mentales, pendant plusieurs décennies. Afin de
pouvoir mieux situer l’émergence du courant de la psychologie positive, il
semble intéressant de revisiter les vagues précédentes qui ont marqué son
histoire.

1.3 La psychologie, une histoire en quatre


actes
Il pourrait être possible de faire remonter le début du développement de la
psychologie à Freud. Pour lui, les raisons du comportement échappent le plus
souvent à la conscience. Au travers ses idées et ses publications, il a
incontestablement marqué l’histoire de la psychologie. Mais il convient aussi
de prendre en compte le développement de la psychologie avec Wundt au
laboratoire de Leipzig. Pratiquement, à la même époque, Janet est nommé à
clinique neuropsychiatrique de la Salpêtrière dirigée par Charcot. Force est de
constater que lors de cette période, fin XIXe et début XXe, la psychologie est en
plein essor. Le premier souci est de soigner les personnes. À ce premier acte
succède le second, avènement du béhaviorisme dans la lignée des travaux de
Pavlov, Watson ou Skinner. L’introspection est rejetée au profit du concept
de conditionnement fondé tout d’abord sur le principe du renforcement
négatif puis positif sous l’impulsion de Skinner. Le troisième acte, celui de la
psychologie humaniste, sous l’impulsion de Maslow à qui revient le terme
« psychologie positive », s’est joué à partir des années 1950. Poursuivant la
voie ouverte par James en son temps, Rogers s’intéresse comme Maslow au
fonctionnement optimal de l’être humain, même si leurs conceptions n’en
représentent pas réellement les mêmes points de vue (Heutte, 2019b). On
pourrait considérer que le quatrième acte est celui de l’avènement de la
psychologie positive, porté à ses débuts par Seligman et Csikszentmihalyi
(2000) et relayé maintenant par de nombreux chercheurs en Amérique du
Nord certes, mais plus largement à l’échelle de la planète et donc bien sûr
aussi par des chercheurs français.
Il semble incontestable maintenant qu’il faille attribuer la paternité de la
psychologie positive à Seligman et Csikszentmihalyi. Toutefois, il convient
aussi de considérer que si ce courant de la psychologie a pu se développer,
c’est aussi lié à de nombreuses raisons liées au contexte. Tout d’abord, la
société en général et la communauté scientifique étaient prêtes pour associer
la psychologie à autre chose que la prise en charge. Cela ne veut pas dire que
cet aspect était devenu secondaire mais que l’heure était venue de la faire
évoluer vers aussi vers les deux autres objectifs envisagés par Seligman et
Csikszentmihalyi, améliorer le quotidien des personnes et identifier et
cultiver les talents. À vrai dire, il est tout à fait envisageable de considérer
que ce contexte en Amérique du Nord prévalait également en Europe par
exemple, ou en France en particulier. Dès lors, la psychologie positive aurait
tout aussi pu être française avec les travaux précurseurs de Guy Missoum par
exemple avec les études qu’il a menées sur les stratégies mentales de réussite
à la fin des années 1980 comme elle aurait pu être allemande, belge,
suisse, etc. (Martin-Krumm, 2021). Pourquoi la psychologie positive se voit-
elle attribuée à la culture nord-américaine et pas française par exemple ? Il est
possible de considérer que Seligman a non seulement bénéficié d’un contexte
mais qu’il s’est aussi montré opportuniste. En effet, rappelons que, à partir de
1998, il est président de l’APA. Il bénéficie donc de la plus grosse caisse de
résonance qui soit pour la psychologie. Ces deux conditions ont suffi pour
que la psychologie positive connaisse l’essor qu’elle connaît actuellement. Ce
contexte contribue en retour aux critiques qu’elle subit.
La longue citation qui suit précise le postulat de base Seligman et
Csikszentmihalyi à la suite des critiques plus ou moins justifiées qu’ils ont pu
émettre concernant les trois premiers actes de la psychologie :
« Quelles qu’en soient leurs origines, les convictions des acteurs du champ vont
maintenant dans le sens d’une psychologie qui ne soit plus seulement centrée sur
l’étude des pathologies, des manques ou des traumatismes, mais aussi l’étude des
forces et des vertus. Le traitement ne consiste pas uniquement à déterminer ce qui
ne va pas, il cherche aussi à développer le meilleur. La psychologie n’est pas
seulement une branche de la médecine orientée vers la maladie ou la santé, il s’agit
aussi de travail, d’éducation, de compréhension de soi, d’amour, de développement
et de jeu. Et quant à la question de savoir ce qui est le mieux, il ne s’agit pas en
psychologie positive de prendre ses désirs pour des réalités, de confiance aveugle ou
de manies. Il s’agit d’adapter le meilleur des méthodes scientifiques aux problèmes
spécifiques que présente le comportement humain. C’est la prévention que cette
approche met au premier plan. On ne chasse pas un passé malencontreux ; on est
tiré et attiré vers un avenir prometteur » (Seligman & Csikszentmihalyi, 2011, p. 26).

S’il est incontestable d’attribuer à Seligman et Csikszentmihalyi (2000) la


paternité de la psychologie positive, il convient de considérer que c’est en
grande partie lié à une opportunité (l’accession de Seligman à la présidence
de l’APA), ainsi qu’à un contexte scientifique, comme sociétal,
particulièrement favorable. Ceci étant, la psychologie positive aurait tout
aussi pu être française, suite par exemple aux travaux précurseurs de Guy
Missoum dès la fin des années 1980, comme elle aurait pu être allemande,
belge, suisse, etc. (Martin-Krumm, 2021).

2. Psychologie positive et psychologie


critique
Historiquement, la critical psychology a émergé à la Freie Universität de
Berlin dans les années 1970, notamment sous l’influence d’Irmingard
Staeuble et de Klaus Holzkamp. Leur critique de la psychologie dominante
de l’époque n’était pas très éloignée de la critique actuelle concernant la
psychologie positive. Ils soulignaient l’insuffisance de prise en compte de la
nature, essentiellement politique, de la science, qui a, entre autres, conduit les
universités allemandes à une certaine compromission avec les idéaux de la
période la plus noire de l’Allemagne. Ils remettaient en question la supposée
neutralité de la science, qui renvoie l’engagement dans la Cité à la seule
responsabilité des consciences individuelles, sans tenir compte des influences
des contextes socio-économique, politique, groupal, etc. Cette supposée
neutralité masque le fait que la science n’existe que dans des intérêts
multiples et contradictoires, si bien que les faits de conscience sont toujours
médiatisés par des contextes complexes, sociaux et historiques.
Pour Holzkamp, les psychologues, qui refusaient d’en tenir compte dans
leurs travaux, se mettaient, purement et simplement, au service des idéologies
prévalentes (actuellement néolibérale). En effet, selon eux, les principaux
champs d’exercice de la psychologie – santé, travail, école, armée, études de
marché, publicité, économie, etc. – sont historiquement et politiquement
situés, aussi, la neutralité du chercheur reste un leurre et une erreur
méthodologique. Toute psychologie, qui ne tient pas compte d’une telle
insertion sociale et culturelle, ne peut que nier une partie des faits observés et,
ce faisant, contribuer à la stabilisation des idéologies néolibérales, aux idéaux
d’efficience et/ou à la conformité sociale (Jaeger & Staeuble, 1978 ;
Holzkamp, 1991 ; Tolman, 1994). Pour leur part, Austin et Prilleltensky
(2001) établissent un lien entre les origines de la psychologie critique et la
théologie de la libération sud-américaine et, à son tour, la psychologie de la
libération : des mouvements de base qui ont contesté la pauvreté et l’injustice
sociale généralisées, en refusant de les accepter.
À notre connaissance, Brown, Lomas et Eiroa-Orosa (2017) sont les
premiers à avoir souhaité solliciter des collègues chercheurs se réclamant du
courant de la psychologie positive pour initier une réflexion épistémologique
s’inspirant des perspectives de la psychologie critique, initialement
développée dans le champ de la psychologie de la santé, pour examiner les
deux disciplines ensemble. Cette initiative constitue une tentative de
convergence créative de deux disciplines (psychologie critique et psychologie
positive) considérées toutes deux comme une forme de rééquilibrage des
perspectives de ce qu’il est convenu d’appeler la psychologie dominante
(Worth & Smith, 2017).
2.1 La psychologie positive et ses risques
idéologiques
L’émergence de la psychologie positive à la fin du XXe siècle a été suivie
d’une croissance spectaculaire aux États-Unis. La psychologie positive a
imprégné pratiquement tous les domaines ouverts à un mouvement
intellectuel, universitaire et psychologique (Hart & Sasso, 2011). Elle a été
massivement présente dans la presse générale et scientifique, dans les
manuels académiques et non académiques, dans les associations, dans les
nouvelles lignes de recherche, dans les conférences générales et spécialisées,
et dans le soutien reçu de toutes sortes d’organisations. Cette évolution
tumultueuse s’est accompagnée de plusieurs excès et échecs. Selon Moreno-
Jiménez et Aguirre-Camacho (2017), la question pertinente est de savoir si
ces erreurs proviennent uniquement de la croissance quasi incontrôlée du
domaine, ou si elles sont internes et fondamentalement intrinsèques à
l’ensemble de la psychologie positive. Bien entendu selon ces deux auteurs,
la réponse est plus complexe que ces deux seules options.
Bien qu’il y ait eu des descriptions narratives historiques (Jørgensen &
Nafstad, 2004 ; Seligman, 1999), une histoire du terrain conceptuel et des
conditions sociales qui ont conduit à son émergence reste à faire. Cabanas et
Sanchez (2012) ont affirmé que l’origine de la psychologie positive provient
de la culture religieuse traditionnelle nord-américaine, qui attend des gens
qu’ils s’améliorent par leurs propres efforts, dans le cadre de la pensée
positive et de la culture populaire d’auto-assistance. Selon les études
lexicographiques menées par Cabanas et Huertas (2014), la psychologie
positive et la culture d’auto-assistance partagent des sujets et des objectifs
très similaires. Cette position est bien sûr critiquable et surtout, en admettant
une part de réalité, elle est incomplète. Rappelons qu’elle est aussi née afin de
contrebalancer une vision centrée sur la maladie et le symptôme telle que
proposée dans le DSM ou la CIM. Cela dit, quelle que soit l’option retenue,
le temps est sans doute arrivé de faire de la psychologie positive un objet
d’études à part entière, de comprendre ce qui a fait que ce courant a connu un
tel essor. Par contre, force est de constater qu’il peine à être reconnu en
France. Pourquoi ? Quelles peuvent en être les raisons ? Sont-elles justifiées ?

2.2 Une psychologie positive à la française


Comme le souligne Bouffard (2019), la critique, si importante et utile en
science, devient parfois suspicieuse, notamment lorsqu’elle se présente
comme un procès à charge qui rejette tout d’un courant en en présentant une
vision caricaturale très éloignée de la réalité. Ainsi, par exemple, les critiques
de Cabanas et Illouz (2018) ne tiennent souvent absolument pas compte des
résultats des études pour mettre en avant ce qu’en font des personnes qui sont
animées par des objectifs autres que la recherche. Il n’est pas possible
d’attribuer à un chercheur quel qu’il soit les travers de l’exploitation que
d’aucuns font de son travail ! « L’appel à la prudence du côté du “marché du
bonheur” est, certes, bienvenu, mais cette invitation dégénère en paranoïa,
comme s’il y avait anguille sous roche ou complot en la demeure »
(Bouffard, 2019, p. 294). Les critiques vis-à-vis de la psychologie positive
sont clairement parfois excessives ; il convient pourtant d’être vigilant. En
effet, importer massivement des cadres, ceux issus des recherches en
psychologie positive aux États-Unis, à une autre culture est délicat et justifie
pleinement cette vigilance.
Les origines contextuelles de la psychologie positive font allusion au
contexte économique libéral des États-Unis. Dans cette perspective, la
psychologie positive américaine s’est développée selon les normes des
organisations modernes, caractérisées par leur orientation vers le marché,
leurs initiatives entrepreneuriales et leurs multiples partenariats avec de
grandes associations et entreprises (Prieto-Ursúa, 2006 ; Binkley, 2011). Tout
cela a favorisé son développement, mais il lui a probablement manqué la
capacité d’écouter et de réfléchir sur ses fondements conceptuels et sa propre
logique de justification. « La psychologie positive nord-américaine, et (donc)
dans une large mesure toute la psychologie positive, a été plus attentive au
contexte de la découverte, l’eurêka de son intuition originelle, qu’au contexte
de la justification » (Moreno-Jiménez & Aguirre-Camacho, 2017, p. 121,
traduction Heutte, 2020). La psychologie positive n’a probablement pas
suffisamment réfléchi sur sa propre base scientifique (Lazarus, 2003a) ce qui
a déjà été évoqué par Lalande et Vallerand (2011). Quel est le cadre intégratif
de la psychologie positive ? Trouve-t-on du positif dans toute psychologie ou
son cadre est-il clairement identifié dans le champ ? Force est de constater
que, comme cela a pu être souligné en introduction, la question posée par
Lalande et Vallerand demeure, avec sans doute de plus en plus de complexité
eu égard aux avancées récentes liées aux problématiques et méthodologies
abordées. Le futur annoncé en 2011 par Lalande et Vallerand tend sans aucun
doute à se réaliser. De nouvelles perspectives, de nouveaux cadres, certes,
mais quel cadre intégratif ? Celui de l’élargissement constructif des émotions
positives ? La théorie de l’autodétermination ? Celui du modèle dualiste de la
passion ? Et ce cadre intégratif peut-il être le même quelle que soit la
culture ? Et il devient d’autant plus difficile à imaginer que les outils à
disposition des chercheurs sont de plus en plus sophistiqués. À l’instar des
grandes organisations, la psychologie positive a surtout mis l’accent sur les
résultats. Son accueil enthousiaste dans la société au sens large et dans le
milieu universitaire nord-américain, peut y avoir contribué. En revanche,
force est de constater que le milieu académique français s’est révélé
particulièrement imperméable à ses idées jusqu’à récemment. C’était peut-
être dû au nombre d’ouvrages de vulgarisation ou de magazines la présentant
comme une psychologie naïve. Peut-être également au manque d’ouvrages
académiques. Cela l’a sans doute desservie. Mais très clairement, ce manque
est de plus comblé eu égard les ouvrages dédiés qui sont maintenant
disponibles en langue française (e. g. Martin-Krumm & Tarquinio, 2011,
2019 ; Martin-Krumm, Tarquinio, & Shaar, 2013 ; Shankland, 2019 ; Heutte,
2019b). L’ouverture de cursus universitaires dédiés est le signe incontestable
que choses évoluent, des Diplômes Universitaires ont été ouverts dans
plusieurs universités en France métropolitaine (e. g. Metz, Tours, Grenoble)
et à La Réunion. Des masters commencent à ouvrir (e. g. La Réunion,
Nanterre Paris-X). Des professeurs des Universités dont l’implication dans le
champ est incontestable ont été récemment recrutés (e. g. Charles Martin-
Krumm à Paris en 2018, Jean Heutte à Lille, ou Rebecca Shankland à Lyon
en 2020). C’est le signe que le monde universitaire français s’ouvre petit à
petit aux idées de la psychologie positive.

2.3 Les critiques demeurent


Parallèlement à l’engagement d’un certain nombre de chercheurs de
renommée nationale ou internationale dans le champ de la psychologie
positive, notamment ceux qui contribuent au présent ouvrage, ou à sa
reconnaissance scientifique (Vázquez, 2013), il y a eu un certain nombre de
critiques fortes à son égard. Certains ont notamment remis en cause ses
revendications scientifiques (e. g. Pérez-Álvarez, 2013). Frawley (2015)
considère la psychologie positive comme une « mauvaise science »,
autrement dit une science qui ne s’attacherait pas à l’administration de la
preuve. Il la considère comme du « scientisme », une formulation idéologique
présentée comme de la science alors qu’elle ne l’est pas vraiment. Cependant,
la situation est plus complexe qu’un rejet total ou une approbation
enthousiaste. Actuellement, la psychologie positive couvre de vastes
domaines d’étude (voir l’éventail des méthodologies abordées dans les
différentes contributions de cet ouvrage). Dans tous les cas, l’acquisition du
statut de science est un processus qui demande du temps, car la science est un
processus lent.
Selon Moreno-Jiménez et Aguirre-Camacho (2017), la lutte pour faire de la
science en utilisant les méthodes les plus rigoureuses avec une nouvelle
théorie ou proposition, lorsqu’elle est en période de développement, peut
conduire à l’erreur, voire à l’imposture. Cela n’est pas propre à la
psychologie positive mais plutôt à la recherche en général. Il y a parfois des
effets d’opportunisme à l’instar des nombreuses recherches qui ont été
développées durant la période COVID avec son cortège de méthodologies ou
publications douteuses (e. g. notamment celle dans Asian Journal of
Medicine and Health de septembre 2020). La formule de ce qui constitue le
bonheur peut en être un exemple (Lyubomirsky, 2008 ; Seligman, 2002).
L’application de méthodes rigoureuses n’assure pas le développement
scientifique, qui nécessite principalement une maturation théorique préalable,
autrement dit, on en revient aux positions de Lalande et Vallerand (2011).
Sans doute la psychologie positive est-elle encore trop jeune pour pouvoir
proposer un cadre intégrateur révélateur de cette maturation. C’est pourtant
indispensable parce que la seule application de méthodes rigoureuses peut au
contraire conduire à la tromperie (Brown, Sokal, & Friedman, 2013) : « Des
revendications excessives peuvent glisser vers une approche idéologique en
revendiquant une vérité catégorique pour ce qui est, en fait, encore
controversé. En d’autres termes, il y a des enthousiasmes qui mènent à
l’idéologie » (Moreno-Jiménez & Aguirre-Camacho, 2017, p. 122 trad.
Heutte, 2020).

2.4 Psychologie positive, une erreur de


casting lors du baptême ?
Le terme « psychologie positive », bien que contesté à l’origine par ses
partisans (Hervás, 2009), renvoie essentiellement à l’étude des émotions
positives, des traits de personnalité positifs et des institutions positives.
Seulement cette position révèle en fait un paradoxe quant aux champs
couverts par la psychologie positive. En effet, d’un côté le but direct de la
psychologie positive est d’améliorer ces trois éléments, en particulier les
deux premiers, afin de fonctionner de manière optimale, de développer nos
dispositions et nos compétences. Ce faisant, la psychologie positive est
l’héritière d’une longue tradition qui a proposé l’amélioration de soi comme
but et objectif principal de la personne (Maslow, 1954 ; Rogers, 1961). D’un
autre côté, la psychologie positive n’est ni que positive, ni que psychologie et
ne s’intéresse pas qu’à l’individu ! Ce constat ne peut que nourrir une grande
confusion à son égard.
Revenons d’abord sur ce qui vient d’être évoqué. Pas que positive,
pourquoi ? La psychologie positive n’est pas que positive parce que de
nombreux travaux issus du champ traitent également de la prise en charge. En
cela elle n’est donc pas que positive. Pas que psychologie ? À l’instar des
chapitres présentés dans cet ouvrage, de nombreux travaux traitent également
de la sociologie, de l’économie, de la médecine par exemple, et bien sûr aussi
de psychologie. La revue scientifique incarnant le plus cette vision intégrative
est sans doute Journal of Happiness Studies qui est une revue Q1 (classée
dans le quart des revues en psychologie qui ont le facteur d’impact le plus
élevé). Pas qu’à l’individu ? La raison est toute simple ici, comme cela a déjà
été mentionné plus haut, certains des travaux sont dédiés à
l’accompagnement au changement en entreprise par exemple (voir
chapitre 29 de Miglianico et al. du présent ouvrage par exemple) ou aux
éléments qui peuvent permettre de comprendre les différences de niveau
d’espoir, ses déterminants et ses conséquences, dans des populations de
nations européennes (voir chapitre 17 de Krafft du présent ouvrage par
exemple). Ces différents éléments permettent de battre en brèche bon nombre
de critiques. Toutefois, si on n’y prend pas garde, comme l’a exprimé
Lazarus, « ce mouvement présente une version presque Pollyanna3 de la
notion du jardin d’Éden de la bonne vie et des bonnes personnes, tout en se
faisant passer pour un esprit dur et scientifique » (Lazarus, 2003b, p. 173,
trad. Heutte, 2020).
Au final, comme l’a reconnu Biswas-Diener (2011, p. V, trad. Heutte, 2020),
et c’est sans doute la critique majeure, « la psychologie positive est
profondément ancrée dans la culture occidentale ». En effet, il est difficile
d’imaginer le développement de la psychologie positive en dehors d’une
société d’abondance, comme aux États-Unis ou ailleurs, où le bonheur n’est
qu’un produit de consommation parmi d’autres. Selon cet angle de vue,
l’extension de la psychologie positive à d’autres contextes socio-
économiques pourrait ainsi être considérée plus comme un produit
d’exportation coloniale que de diffusion académique. Un exemple de cela est
le fait que la définition du bonheur peut être radicalement différente d’un
pays à l’autre (Frawley, 2015 ; Joshanloo & Weijers, 2014). D’ailleurs,
George Steiner, l’une des références mondiales en matière de littérature
comparée, a suggéré qu’aucune langue n’est capable d’exprimer la recherche
du bonheur et l’optimisme face à la vie autant que l’anglais (Steiner & Adler,
2014). Selon Steiner, l’anglais (américain) transmet l’espoir et désavoue
l’expérience du désespoir, l’apocalypse et la vision métaphysique qui
condamnent la condition humaine. Ainsi, Steiner met en évidence que
l’anglais américain est intrinsèquement optimisé pour décrire la psychologie
positive. Il s’agit là à l’évidence d’un tropisme fondateur de nombreuses
idéologies avec le risque de l’identification des éléments de l’identité
référentielle comme étant universelle. Comme cela semble être le cas pour un
aspect aussi central de la psychologie positive que la recherche du bonheur.
Forcément, dans une culture comme la culture française, de grosses
différences ne manqueront pas d’apparaître en raison de cette différence de
sensibilité.

2.5 La psychologie positive, les ressources et


les forces de caractère
L’un des axes forts de la psychologie positive c’est sans doute le
changement de paradigme qu’elle implique, de la centration sur les manques,
sur la maladie ou sur le problème à une centration sur le déjà-là ou sur les
ressources psychologiques (voir le chapitre 12 de Csillik dans le présent
ouvrage). Dès lors, l’un des thèmes centraux de la psychologie positive est la
construction d’un ensemble de forces humaines. Dans sa proposition initiale,
l’inventaire des forces humaines proposé par Peterson et Seligman (2004)
consiste en un ensemble de six grandes vertus et vingt-quatre forces de
caractère même si différents cadres théoriques peuvent être recensés à l’heure
actuelle (voir Miglianico, Dubreuil, Miquelon, Bakker, & Martin-Krumm,
2019, pour une revue). Il peut bien entendu sembler parfaitement légitime de
vouloir établir une psychologie des vertus, de la même manière qu’il existe
une philosophie des vertus (Comte-Sponville, 1995), ou, sur la même base,
une psychologie des péchés capitaux ou des grands vices de l’histoire
(Blackburn, 2004 ; Dyson, 2006 ; Thurman, 2005 ; Tickle, 2004). Ainsi,
l’ensemble des forces humaines présenté par Peterson et Seligman (2004)
peut être lu davantage comme un code de comportement éthique que comme
une description objective des traits de caractère. Il s’agit notamment d’un
ensemble de traits de caractère vertueux qui s’inscrivent dans l’hypothèse que
la pratique de la vertu conduit au bonheur. En revanche, c’est aussi ce
changement de paradigme consistant à prendre en considération les
ressources et l’épanouissement des individus qu’a pu émerger le concept de
santé mentale positive (voir Paucsik et al. dans cet ouvrage).

2.6 Psychologie positive, bonheur,


fonctionnement optimal, forces de caractère
et valeurs morales, les critiques
Moreno-Jiménez et Aguirre-Camacho (2017) soulèvent des questions qui
permettent d’identifier le problème de base : la psychologie positive est-elle
une forme de morale déguisée, ou y a-t-il une confusion initiale sur ce que la
psychologie peut dire en tant que science ? L’hypothèse du bonheur est-elle
une composante nécessaire de la psychologie positive, ou n’est-elle qu’un
résultat contingent de son cadre conceptuel qui, en l’état, reste à imaginer ?
Le caractère décrit par l’inventaire des forces humaines (Peterson &
Seligman, 2004) est-il le résultat d’une vision du monde temporaire qui peut
être modifiée, ou est-il la conséquence d’une idéologie qui doit établir un lien
de cause à effet entre la vertu et le bonheur ? Toute proposition et défense
d’une forme de comportement moral par un mouvement intellectuel et
académique conduit inévitablement à la confusion. Il semble nécessaire ici de
rappeler la critique de Marx et Engels concernant la fausse conscience, et de
rappeler les expositions de Nietzsche dans On the Genealogy of Morality
(1887/1998). « La récupération des valeurs et des vertus, quelles qu’elles
soient, est une confusion de tâches entre une approche scientifique et un
choix moral ; ce dernier est, bien sûr, une entreprise pleinement légitime,
mais pas scientifique » (Moreno-Jiménez & Aguirre-Camacho, 2017, p. 125,
traduction Heutte, 2020). Alors entre questions, critiques, avancées, quel
regard porter sur l’avenir ?

3. Un regard vers l’avenir… positif


La psychologie positive est un mouvement intellectuel, universitaire et
scientifique qui a une vingtaine d’années dans les faits, mais qui en réalité est
le fruit d’une maturation d’idées bien antérieures. En tant que tel, il faut
s’attendre à ce que ses développements internes et à ce que ses antagonismes
externes entraînent de nombreux changements par rapport à son statut actuel,
bien qu’il soit difficile de dire quelle forme prendront ces changements. Une
propriété fondamentale du développement du discours scientifique est qu’il
demande du temps et de la patience, et exige la capacité d’éviter d’être
emporté par l’excitation de la vision aux dépens de la rigueur et des
exigences des idées et de la méthodologie. Un principe formel pourrait être
énoncé : la perte de l’excitation initiale est inévitable dans les mouvements
scientifiques. Dans la forme actuelle de la psychologie positive, il existe de
nombreux éléments scientifiquement porteurs et une nouvelle perspective
pour l’étude de la psychologie humaine, bien qu’il y ait aussi quelques
aspects que la recherche devra affiner et clarifier.
Nombre des critiques formulées à l’encontre de la psychologie positive
visaient auparavant la psychologie en général, en tant que discipline
scientifique. La philosophie des sciences française, par exemple, a
sévèrement critiqué la psychologie dans son ensemble. L’épistémologie
française des sciences a deux points de départ fondamentaux. D’une part, elle
se fonde sur l’analyse de la société et de l’économie de Marx, et d’autre part,
elle s’appuie fortement sur les approches phénoménologiques de Husserl
(1931/1999). Elles nient toute objectivation possible du sujet psychologique.
Sous ces deux influences, l’épistémologie française a refusé, chez certains de
ses auteurs les plus représentatifs, la possibilité de faire de la psychologie une
science. Des auteurs tels que Canguilhem (1943), Foucault (1954) et
Althusser (1963) se sont unis dans une critique commune de la psychologie,
la considérant comme une fausse science. Ce rejet a eu une longue influence
et est toujours présent en France.
Les risques conceptuels de la psychologie positive ne sont pas nouveaux ou
particuliers à la psychologie positive ; ils sont plutôt présents dans la
formulation de la psychologie en tant que discipline théorique et pratique
(Kristjánsson, 2010). Des critiques de ses aspects idéologiques ont été
formulées à l’encontre de la psychologie en général et de certaines écoles et
sous-disciplines en particulier. Chomsky (1972), dans un article bien connu
au titre provocateur La Psychologie comme idéologie, considérait le
behaviorisme comme une manifestation de l’idéologie capitaliste. Les
critiques adressées à certaines disciplines comme la psychologie cognitive
(Sampson, 1981), la psychologie sociale (Jussim, Crawford, Anglin, &
Stevens, 2015) ou la neurobiologie (Rose & Rose, 1973) ont été légèrement
plus nuancées. Ces critiques soulignent la différence entre ce qui est dit, ce
qui est fait, et les fonctions sociales implicites et réelles des cadres
conceptuels respectifs. Une forte critique de la psychologie dans son
ensemble découle de la psychologie critique (Fox & Prilleltensky, 1997 ;
Holzkamp, 1991 ; Martín-Baró, 1998 ; Montero, 2004 ; Parker, 2007), fondée
sur l’accusation radicale que la psychologie est individualiste et ne tient pas
suffisamment compte du contexte et des processus sociaux qui conduisent à
des situations telles que la violence, la pauvreté, l’inégalité, le malaise et
l’impuissance humaine, expériences dans lesquelles les effets sociaux et
psychologiques se confondent. Nombre de ces critiques peuvent être
facilement étendues au mouvement de la psychologie positive. Bien que la
psychologie critique et la psychologie positive soient toutes deux chargées de
valeurs, les valeurs en jeu et les positions morales qui en résultent diffèrent
profondément entre elles.
Selon Moreno-Jiménez et Aguirre-Camacho, « la psychologie positive est
une approche de la psychologie qui a eu une production académique énorme
dans les quelques années de son existence. Au fur et à mesure que le nouveau
domaine mûrit, certaines questions et certains sujets se consolideront, tandis
que d’autres disparaîtront complètement. Certains des domaines d’étude et
des approches théoriques actuels seront considérés comme des terrains
vagues. C’est la nature de l’évolution de la science » (2017, p. 128, traduction
Heutte, 2020).
Pour notre part, totalement conscients de ces limites à l’objectivité, nous
considérons que dans l’adolescence de la psychologie positive, dans le souci
de se démarquer de la psychologie humaniste et aussi du fait des habitus
culturels de la recherche nord américaine en psychologie (très marqués par
l’empirisme de la recherche médicale, notamment de l’evidence-based
research), il peut être compréhensible que certains excès de jeunesse aient été
commis. Cependant, il faut savoir que progressivement de nombreux
chercheurs « non nord américains », notamment en Europe, souhaitent
s’émanciper de l’emprise de la culture des fondateurs de la psychologie
positive. Il est ainsi intéressant de noter que sur le portail de l’European
Network for Positive Psychology (ENPP), il est clairement indiqué que
l’utilisation de divers modèles de recherche épistémologique qualitative
(Hefferon, Ashfield, Waters, & Synard, 2017) ou mixte est plus largement
acceptée en Europe (qu’en Amérique du Nord), et cette tendance est de plus
en plus accessible à travers le monde. Suite à l’appel d’Antonella Delle Fave
(2013) lors du premier congrès francophone de psychologie positive organisé
à Metz, de nombreuses initiatives de la communauté des chercheurs français
et francophones s’inscrivent dans ces perspectives européennes, notamment
en revendiquant une conception plus sociale et moins individualiste de
l’individu (e. g. Bouffard, 2017 ; Csillik, 2017 ; Fenouillet, 2016 ; Gendron,
2018 ; Heutte, 2019b ; Martin-Krumm, & Tarquinio, 2019 ; Masson, 2018 ;
Shankland, 2019 ; Vallerand, 2015).
De tous ces éléments, il ressort qu’une deuxième vague a vu le jour (Ivtzan,
Lomas, Hefferon, & Worth, 2015), plus nuancée, explorant les complexités
philosophiques et conceptuelles de l’idée même du positif et du négatif,
développant une compréhension plus subtile de la nature dialectique de
l’épanouissement. Les approches adoptées sont plus équilibrées et les seules
approches quantitatives ne sont plus autant valorisées au profit d’approches
combinant quantitatif et qualitatif selon des approches mixtes.

3.1 Conclure sans conclure


In fine, nous estimons que la levée de certaines ambiguïtés et/ou
incompréhensions permet, si cela était nécessaire, de réaffirmer que l’ancrage
épistémologique de la psychologie positive s’inscrit résolument dans le
champ des sciences empiriques. Il est fondé sur des méthodes de recueil de
données et de traitements permettant l’exposition à la réfutation, en
cohérence avec les méthodes issues de la psychologie scientifique
contemporaine. Les perspectives européennes tendent à s’émanciper
progressivement de l’emprise de la culture des fondateurs. Cela doit
permettre de clairement distinguer la psychologie positive de ce qu’en font
des vendeurs de « trucs et astuces du bonheur » qui surfent avec intérêt sur la
médiatisation excessive de la marchandisation du bien-être et de la crédulité
naïve de ceux qui y sont un peu trop réceptifs.

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1. Par Charles Martin-Krumm, Jean Heutte et Cyril Tarquinio.
2. Les trois premières vagues étant, respectivement, le modèle de la maladie (notamment la
psychanalyse), le behaviorisme et la psychologie humaniste.
3. Pollyanna est un roman pour la jeunesse de l’écrivaine américaine Eleanor H. Porter, publié en 1913
aux États-Unis.
Conclusion1
Conclure un ouvrage comme celui-ci est loin d’être une chose aisée. La
psychologie positive s’avère en effet être une discipline complexe,
interdisciplinaire et intégrative ce qui sans doute n’aura échappé à personne.
Elle est complexe car depuis son origine elle a tenté de problématiser des
objets nouveaux à partir de modèles théoriques souvent novateurs qui
n’existaient pas avant l’avènement de cette discipline. La psychologie
positive ne souhaite pas s’imposer comme une conception univoque de la
discipline bien au contraire. Elle souhaite s’inscrire dans une démarche
dialectique nouvelle qui permettra de mettre les orientations théoriques en
dispute afin de contribuer à une vision plus heuristique de notre discipline. La
psychologie positive est complexe parce qu’elle ne se définit pas comme une
approche hors sol. Elle se caractérise par une volonté assumée de prendre en
compte la réalité des individus dans leur contexte personnel, sociale,
organisationnel, éducationnel et sociétal. Elle est l’une des rares orientations
de la psychologie qui pense ces différents niveaux de manière intégrée.
Même la psychologie sociale a parfois renoncé à une telle posture
épistémologique se limitant trop souvent à une volonté de faire de
l’expérimentation là où il s’agirait de saisir les objets dans leur contexte
naturel avec les biais que cela peut impliquer. C’est cela aussi la force de la
psychologie positive, à savoir articuler sans jugement les méthodes
d’investigation qui vont d’une approche expérimentale à une approche
observationnelle. La psychologie dans son ensemble a trop souvent voulu
faire « science » à partir d’une production de données et d’observations qui se
devait de répondre à des canons expérimentaux sans véritable portées
explicatives sur ce que sont le réel et le social. La psychologie positive à
l’inverse dispose de cette capacité à transcender les méthodologies en allant
d’une psychologie dite rigoureuse qui apporte son lot de résultats à une
psychologie de terrain plus écologique et multidéterminée.
La psychologie positive doit aussi être envisagée comme une approche
interdisciplinaire. Si à son origine on pouvait la considérer comme
pluridisciplinaire la psychologie positive a de ce point de vue évolué. On peut
considérer la pluridisciplinarité comme une rencontre de chercheurs et de
praticiens autour de thèmes issus de disciplines distinctes mais où chacun
conserve sa spécificité, ses concepts et ses méthodes. Il s’agit donc alors
d’approches parallèles qui tendent par addition des contributions à saisir les
problématiques qu’elles étudient. L’interdisciplinarité quant à elle suppose un
niveau d’intégration plus important et plus assumé. Il s’agit d’un dialogue,
d’un échange de connaissances, d’analyses convergentes et d’un processus
interactif qui conduit à des enrichissements mutuels entre les orientations. De
toute évidence c’est à ce stade de maturité que la psychologie positive est
parvenue. Notre ouvrage ne réunit-il pas des psychologues, des sociologues,
des économistes, des spécialités des sciences de l’éducation, de l’activité
physique, des philosophes, des biologistes, des médecins ou encore des
spécialistes des entreprises ? Connaissez-vous beaucoup de disciplines
capables d’un tel rassemblement ? Sans doute même que la psychologie
positive a dépassé ce stade de la dynamique interdisciplinaire. Ne crée-t-on
pas de nouveaux savoirs sans se soucier des frontières et dont l’origine est
difficilement situable d’un point de vue disciplinaire ? Lorsque c’est le cas il
convient de parler de dimension intégrative de la discipline et selon toute
vraisemblance la psychologie positive est en train d’atteindre un tel stade qui
de notre point de vue sera sur le plan épistémologique le stade le plus riche et
le plus constructif.
1. Par Cyril Tarquinio et Charles Martin-Krumm.
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