Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
et
psychologie différentielle
Nouveau cours
de
psychologie
Sous la direction de
Serban lonescu
et
Alain Blanchet
Psychologie
du développement
et psychologie
différentielle
Volume coordonné
par Jacques Lautrey
L'attrait qu'exerce la psychologie fait que les publications qui lui sont consacrées — des magazines
«grand public » aux ouvrages scientifiques — connaissent, souvent, de réels succès de librairie. En même
temps, de nombreuses personnes de tous âges sont tentées par les études universitaires de pechologie. Les
plus motivées et... endurantes vont jusqu'à l'obtention du titre de psychologue !
En 1990, l'Université Paris 8 - Vincennes à Saint-Denis a ouvert un programme d'enseignement
à distance de la psychologie. La création, en 1997, de l'Institut d'enseignement à distance de
l'Université Paris 8 a contribué de manière significative au développement de ce programme. Ainsi, au
cours de l'année universitaire 2005-2006, 3 859 étudiants de 56 pays (en plus de la France et
des DOM-TOM) ont suivi les cours dispensés par l'Institut d'enseignement à distance.
Parmi les outils pédagogiques utilisés dans les enseignements à distance, une place importante est
occupée par les manuels mis à la disposition des étudiants. Cette année, l'Institut d'enseignement à dis-
tance lance un Nouveau cours de psychologie qui prend la relève du Cours publié, dans les
années 1990, sous la direction des F Rodolphe Ghiglione et jean-François Richard.
Le Nouveau cours de psychologie comprend quatre volumes destinés aux étudiants de licence
et trois volumes (qui paraîtront en 2007) à l'usage des étudiants des masters de psychologie. Chaque
volume est coordonné par un ou deux spécialistes du champ sous-disciplinaire auquel il est consacré. À
l'élaboration des quatre premiers volumes du Nouveau cours de psychologie ont collaboré 61 col-
lègues de 19 universités françaises mais aussi de l'étranger (de Suisse, du Canada et des États-Unis),
ainsi que des chercheurs du CNRS et des praticiens-chercheurs de plusieurs Centres hospitaliers
universitaires.
Le présent volume — consacré à la psychologie du développement et à la psychologie différentielle —
a été coordonné par Jacques Lautrey, professeur-émérite de l'Université René-Descartes - Paris 5. Les
coauteurs proviennent de l'Université Charles-de-Gaulle - Lille III, de l'Université Paul-Valéry - Mont-
pellier III, des Universités René-Descartes - Paris 5 et Paris 10 - Nanterre, des Universités de Poitiers,
de Provence, de Rennes 2 et de Toulouse II Le Mirail, du Conservatoire national des arts et métiers
-
didactique que possible, d'assurer, en présentant (sans dogmatisme) les bases théoriques, une ouverture
du côté de la pratique.
L'édition du Nouveau cours de psychologie aux Presses Universitaires de France situe cet
ouvrage dans la perspective des grandes séries de publications qui ont tant contribué à la formation uni-
versitaire des psychologues en France, dont les repères majeurs sont constitués par les grands Traités
parus aux Presses Universitaires de France, les traités de Fraisse et Piaget (de psychologie expérimen-
tale), de Reuchlin (de psychologie appliquée) de Daval, Bourricaud, Delamotte et Doron (de psychologie
sociale) ou de Widb)cher (de psychopathologie). Nous espérons que ce nouvel ouvrage sera à la hauteur
de ceux qui l'ont précédé !
Serban Ionescu et Alain Blanchet,
Saint-Denis, août 2006.
INTRODUCTION
l'évaluation de la personnalité (chap. 10) et celui des rôles respectifs des facteurs généti-
ques et environnementaux dans la genèse des différences entre les individus (chap. 11).
Enfin, la troisième partie de l'ouvrage décrit les professions auxquelles préparent
plus particulièrement les spécialisations en psychologie du développement ou en psy-
chologie différentielle. Deux des professions auxquelles peut conduire une spécialisation
en psychologie du développement sont présentées dans le chapitre 12, celle de psycho-
logue scolaire et celle de psychologue de l'enfance dans les institutions de santé. Deux
des professions auxquelles peut conduire une spécialisation en psychologie différentielle
sont ensuite présentées dans le chapitre 13, celle de conseiller d'orientation et celle de
psychologue du travail. Il a en effet paru utile d'introduire dès ce niveau du cursus les
informations sur les débouchés professionnels qui sont déterminantes pour le choix
entre les différents masters de psychologie offerts après la licence.
Différents outils destinés à faciliter le travail ont été inclus dans ce volume. Tout
d'abord, chaque chapitre se termine par une rubrique « lectures conseillées » dans
laquelle l'auteur du chapitre indique quelques articles ou ouvrages particulièrement
recommandés pour aller plus loin sur le thème qui vient d'être abordé. Les cours ne
peuvent suffire pour se former à la psychologie du développement et à la psychologie
différentielle. Ils ont pour objectif de fournir les bases conceptuelles et méthodologiques
qui permettent ensuite d'étudier par soi-même les thèmes abordés. La rubrique « lectu-
res conseillées » fournit les pistes par lesquelles ce travail personnel d'approfondisse-
ment peut être amorcé.
La bibliographie beaucoup plus conséquente qui se trouve à la fin de l'ouvrage
liste les publications citées dans les différents chapitres. Ces références plus ponctuelles
permettent de se reporter, le cas échéant, aux sources des travaux qui sont mentionnés
dans le cours et de se faire sa propre opinion sur telle ou telle étude dont le commen-
taire a particulièrement intéressé ou intrigué. Il ne faut en effet pas se contenter des
connaissances de seconde main fournies dans les manuels et faire, chaque fois que pos-
sible, la démarche d'aller aux sources de l'information présentée pour en faire sa
propre lecture.
Pour faciliter l'accès direct à des points précis du programme traité, on trouvera
aussi en fin d'ouvrage un index des auteurs cités et un index des thèmes abordés. Les
auteurs et les thèmes y sont classés dans l'ordre alphabétique et, en face de chacun,
sont indiquées les pages où il a été abordé. La table des matières détaillée qui se trouve
également en fin d'ouvrage donne par ailleurs une vue d'ensemble des thèmes traités.
Un lexique figure aussi en fin d'ouvrage. On y trouvera les définitions de certains ter-
mes dont les auteurs ont pensé qu'ils n'étaient peut-être pas connus de l'ensemble des
lecteurs. Ces termes sont signalés dans le texte par un astérisque.
Bonne lecture !
Jacques Lautrey.
première partie
PSYCHOLOGIE
DU DÉVELOPPEMENT
1 histoire et évolution
de la psychologie du développement
Quelles furent au cours des siècles passés les conceptions de l'enfance ? Comment
ces conceptions se sont-elles spécifiées jusqu'à ce que le développement de l'enfant
devienne un objet d'étude scientifique ? Comment cet objet d'étude a-t-il évolué de
8 I Psychologie du développement
façon plus récente ? Telles sont les questions qui seront abordées dans cette première
partie où l'on remontera le temps jusqu'aux périodes lointaines du Moyen Âge et de
l'Antiquité.
Les analyses de Philippe Ariès (1973) ont longtemps façonné notre représentation
historique de l'enfance. La thèse défendue par Ariès était que la croyance en des parti-
cularités enfantines différentes de l'adulte ne serait apparue que tardivement, à l'époque
moderne (xvie et xvir siècles). Mais les historiens actuels (Becchi et Julia, 1996/1998)
nous proposent une vision plus nuancée de cette évolution historique. Ils nous obligent
à dépasser une conception linéaire des changements historiques et à moduler les repré-
sentations schématiques que l'on peut avoir de l'Antiquité et du Moyen Âge.
À commencer par l'Antiquité (Becchi, dans Becchi et Julia, 1996), aussi bien dans
le monde grec (Sparte et Athènes) que latin (Rome), l'enfant est considéré dès sa nais-
sance comme un membre de la cité et comme un sujet du pouvoir politique. Les préoc-
cupations éducatives sont donc essentielles car il s'agit de former l'enfant selon les
valeurs et les aspirations du groupe. Mais des différences apparaissent selon les lieux (la
cité guerrière de Sparte opposée à la cité civile d'Athènes), les périodes historiques et les
milieux sociaux. Des différences doivent également être soulignées selon les âges de
l'enfance. En latin, Infant signifie littéralement « celui qui ne parle pas » et désigne le
jeune enfant... jusqu'à 7 ans car, pensait-on à l'époque, si la parole n'est pas encore
« signifiante », ce n'est pas vraiment « parler » (Varron, cité par Néraudau, dans Becchi
et Julia, 1996). Après 7 ans, l'enfant est appelé puer ; la fin de l'enfance se marque à
17 ans par l'entrée dans la classe des iuniores : ceux que l'on peut mobiliser militaire-
ment ; cet âge fut défini pour éviter d'envoyer à la guerre de trop jeunes gens. Sur un
plan juridique, le petit romain est placé sous l'autorité paternelle qui médiatise la loi de
l'État. Cela commence dès la naissance car le père devait reconnaître l'enfant en le
relevant de terre et signifier ainsi une prise en charge éducative. Mais il pouvait aussi le
rejeter, le vendre, le donner en adoption ou le faire « exposer » (i.e. abandonner l'enfant
dans un lieu désert, rendant ainsi sa mort très probable).
Nous n'avons que peu d'indications sur la manière dont les Anciens « théori-
saient » l'enfance. L'importance de l'enfance et de l'éducation était cependant
reconnue. Cela amène paradoxalement Platon à penser qu'il convient de chasser de la
cité tous les individus âgés de plus de 10 ans si l'on veut créer une République véritable-
ment nouvelle ! Mais les discours sur l'enfance sont rares, centrés sur des questions de
physiologie (chez Aristote, qui a pourtant fondé le Lycée) ou de pédiatrie (Hippocrate)
et il n'y a guère de traces historiques manifestant une réflexion psychologique sur
l'enfance. Toutefois, comme toujours, certains marginaux anticipent les évolutions futu-
res. Ainsi, Quintilien (cité par Becchi, dans Becchi et Julia, 1996) déplorait le recours
aux châtiments corporels et avait déjà l'idée d'une nature spécifique à l'enfance. Il
recommandait aux parents et aux enseignants d'en noter les caractéristiques (prompti-
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 9
Un peu à la manière de Quintilien, les discours sur l'enfance ont longtemps été
motivés par des préoccupations éducatives. Ces discours restent relativement rares au
Moyen Âge mais ils se généraliseront au moment de la Renaissance. Au Moyen Âge
(Becchi, dans Becchi et Julia, 1996), la représentation de l'enfance est marquée par la
culture chrétienne : l'enfant est par nature situé entre le bien et le mal et participe à la
fois de ces extrêmes. D'un point de vue social, l'éducation familiale est, au fil des siè-
cles, de plus en plus concernée par l'avenir professionnel et s'appuie sur l'école et
l'atelier Mais l'éducation scolaire a connu une longue éclipse entre les dernières écoles
constituées sur le modèle romain (fin du V' siècle) et les premières écoles religieuses tant
vantées par Charlemagne et qui commencent à prendre leur essor au Ixe siècle.
Concernant le Moyen Âge, il faut insister, là aussi, sur la variabilité de la condition
enfantine. En effet, à certaines époques ou dans certaines régions, les difficultés de la
vie obligent à l'indifférence et même à l'abandon d'enfants « exposés », comme dans
l'Antiquité, ou « donnés » aux institutions religieuses (les « oblats »). Beaucoup d'enfants
doivent travailler et de ce fait, dès l'âge de 7 ans, ils deviennent socialement « adultes »
et sont considérés comme tels. À la fin du xiRr siècle, le travail chez les artisans (à par-
tir de 7 ans pour les garçons et de 6 ans pour les filles) est réglementé par un contrat
obligeant le patron à fournir nourriture, vêtement et formation au métier. Cela suggère
quelles pouvaient être les conditions de vie de certains enfants auparavant.
Au moment de la Renaissance, le souci éducatif arrive au premier plan des repré-
sentations de l'enfance. C'est tout à fait manifeste dans l'oeuvre d'Érasme (1469-1536).
À la suite d'autres auteurs (principalement l'Allemand Petrus Schade, dit Mosellanus),
Érasme met à l'honneur le principe des « colloques scolaires » : recueils de petites
comédies dialoguées mettant en scène des enfants d'une façon vivante et réaliste. Ces
« colloques » avaient comme objectif de manifester le beau langage et de fournir des
modèles de comportements sociaux (ou à l'inverse des exemples à ne pas imiter !). Une
formule d'Érasme (« On ne naît pas homme, on le devient », dans De Fueris) est restée
dans notre mémoire collective. Elle paraît relever déjà d'une approche développemen-
tale de l'enfant jusqu'à l'âge adulte. Mais, du point de vue de son auteur, elle manifeste
plus probablement la nécessité des interventions éducatives qui seules permettent à
l'enfant de devenir « homme », autrement dit : sans éducation, pas d'humanité...
C'est une position tout à fait différente qui se manifeste au xvine siècle avec Rous-
seau (1712-1778). Les préoccupations éducatives reposent cette fois sur le souci de res-
pecter les tendances naturelles et de préserver les enfants des influences de la société
adulte. Éduquer ce n'est pas socialiser mais c'est laisser l'enfant s'exprimer selon sa
nature et dans la nature. Le principe est de respecter en tout les lois naturelles, l'enfant
10 I Psychologie du développement
étant plus proche de la nature que l'adulte. Mais il faut se garder d'imaginer
l'éducation rousseauiste comme idyllique et totalement sans contraintes. Par exemple, à
propos des nouveau-nés, Rousseau se mobilise contre l'emmaillotement des bébés car la
motricité du bébé doit pouvoir s'exprimer librement, mais un peu plus loin, sans réfé-
rence directe au nouveau-né, il invite à se modeler sur les exigences que nous impose la
nature : « Voilà la règle de la nature. Pourquoi la contrariez-vous ? (...) L'expérience
apprend qu'il meurt encore plus d'enfants elevés delicatement que d'autres. Pourvû que
l'on ne passe pas la mesure de leurs forces, on risque moins à les employer qu'à les
ménager. Exercez-les donc aux atteintes qu'ils auront à supporter un jour. Endurcissez
leur corps aux intempéries des saisons, des climats, des élémens ; à la faim, à la soif, à
la fatigue ; trempez-les dans l'eau du Stix » (1762/1999, p. 96 ; NB l'orthographe est
celle du texte original). Alors, si le pédagogue doit respecter la nature enfantine, il lui
faut la mieux connaître. Voilà pourquoi l'ouvrage de Rousseau, Émile ou De l'éducation
(1762), est rédigé en suivant une description des phases successives de l'enfance.
Cette constitution du développement en objet d'étude ne fera pas disparaître les
préoccupations éducatives chez les psychologues du développement. On peut suivre au
contraire la continuité de ces préoccupations chez des auteurs comme Claparède (1931,
L'éducation fonctionnelle), Wallon (cf. le fameux plan éducatif proposé par la commission
présidée par Langevin et Wallon, à la fin de la Seconde Guerre mondiale), ou Piaget
(et ses contributions aux travaux de l'uNEsco). Mais l'objet de la psychologie du déve-
loppement est désormais bien distingué de l'objet de la pédagogie.
nant de relire les textes de l'époque où l'idée d'une hiérarchie entre les « races » appa-
raît comme une évidence qui n'a même pas besoin d'être discutée. L'enfant en dévelop-
pement est alors assimilé au « primitif» qui est lui aussi considéré comme « moins
développé ». Par exemple Herbert Spencer écrit en 1876 (p. 47) : « On comprendra les
différences qui existent entre les races selon que la structure de leur cerveau est plus ou
moins développée, si l'on se rappelle quelles sont au milieu de nous les dissemblances
entre l'intelligence d'un enfant et celle d'un homme fait, dissemblances qui représentent
si bien la différence existant entre l'intelligence des sauvages et celle des hommes civili-
sés. » Cette croyance en la possibilité de situer les groupes sociaux sur une échelle
d'évolution perdurera fort longtemps. Dans le manuel de psychologie de l'enfant coor-
donné par Leonard Carmichael (1946/1952), on trouve encore un chapitre intitulé
« Recherches sur les enfants primitifs », c'est-à-dire sur les enfants des sociétés encore
qualifiées de « primitives », et ce chapitre est rédigé par... Margaret Mead que l'on ne
peut soupçonner d'ethnocentrisme. De nos jours, si l'on parle de « sociogenèse » (en
particulier sous la plume de Cellerier et Ducret, 1992) c'est pour désigner les transfor-
mations culturelles inhérentes à toute société mais sans hiérarchisation évaluative.
Comme on le verra, le concept d'ontogenèse suivra une évolution analogue.
Revenons au xixe siècle, où les comparaisons que l'on vient d'évoquer ne sont pas
simplement descriptives. Elles s'insèrent au contraire dans des débats théoriques dont
on peut rappeler trois aspects. Le premier aspect a tout d'abord concerné
l'embryologie. Il oppose, depuis la fin du )(vile siècle les préformationnistes aux théories
épigénétiques du développement de l'embryon. Selon les premiers, tout l'individu se
trouve déjà présent soit dans l'ceuf (pour certains) soit dans le spermatozoïde (pour les
autres), et ce « germe » n'a plus qu'à grandir. Pour les partisans d'une « épigenèse »
(terme apparu en 1625), des formes nouvelles apparaissent au cours du développement
de l'embryon. Clairement, au xlxe siècle, la théorie épigénétique l'emporte sur celle de
la préformation.
De ce fait, un second débat se greffe sur le premier et s'étend à tous les niveaux
d'évolution : celui des espèces, celui des sociétés et celui des individus au-delà de la
période embryonnaire. La question ici est de savoir si les évolutions sont « continues »
(dans ce cas, les changements sont quantitatifs) ou si elles sont « discontinues » (on pri-
vilégie alors les différences de nature entre les moments successifs). Ainsi, comme le
rapportent Canguilhem et al. (1962/2003, p. 60), Spencer estime que la notion de déve-
loppement doit être distinguée de la notion de croissance. La première est liée à des
changements qualitatifs, à des modifications de structure, tandis que la seconde corres-
pond aux changements quantitatifs. Le terme d'évolution recouvre alors, pour Spencer,
les deux types de changement : développement et croissance.
Mais comment apprécier les changements de structure ? La solution proposée fait
l'objet du troisième aspect théorique. À cette époque, de nombreux auteurs se représen-
tent le développement comme une différenciation. C'est la fameuse « loi de von Baer »
(un embryologiste allemand), loi reprise par Haeckel et bien d'autres (comme Spencer).
Cette loi établit que se développer, c'est passer de l'homogène à l'hétérogène, de
l'indifférencié au différencié, du général au particulier (voir l'encadré 1.1). Et, là
encore, tous les niveaux de développement paraîtront illustrer cette loi générale.
12 I Psychologie du développement
ENCADRÉ 1.1
C'est dans ce contexte théorique que, tout naturellement, les premières observa-
tions d'enfants ont été menées dans le but explicite de faire avancer la connaissance
scientifique du développement. À vrai dire, la première observation scientifique d'un
enfant fut publiée en 1787 par le philosophe allemand F. Tiedeman (cité par Reuchlin,
1957/1961). Mais c'est l'article de Hyppolite Taine (1876, voir l'encadré 1.1) qui, en
raison des interrogations théoriques de l'époque, a suscité l'intérêt de la communauté
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 13
scientifique. Très vite, des publications analogues se sont multipliées. Les plus célèbres
sont celles de Darwin et de Preyer. Darwin avait pris des notes sur les trois premières
années de la vie de son fils (né en 1839), mais il ne les publie qu'en 1877, après avoir
pris connaissance de la traduction anglaise de l'article de Taine ; les observations de
Darwin étaient orientées sur l'évolution des manières de s'exprimer chez l'enfant :
expression émotionnelle et communication. Wilhelm Preyer a lui aussi suivi le dévelop-
pement de son fils pendant les trois premières années ; son projet était de saisir
l'évolution des capacités humaines, au travers de la variété des activités individuelles et
volontaires. Il publie en 1882 L'âme de l'enfant (1887, pour la première publication en
français... et 2005 pour la plus récente).
II y eut à l'époque bien d'autres observations effectuées sur les premières années
de la vie des enfants. On désigne souvent ces monographies par les termes de « biogra-
phies de bébés ». Elles témoignent de la constitution du développement psychologique
en objet d'étude scientifique. Mais la représentation de cet objet ne cessera pas
d'évoluer par la suite.
cependant que c'est dans un article daté de 1950 (et regroupé avec d'autres articles
dans Adolescence et crise, 1968/1972) qu'Erikson a décrit « le cycle de la vie », comme une
succession de crises développementales auxquelles l'individu doit faire face depuis la
naissance jusqu'à la vieillesse. Dès 1976, Huston-Stein et Baltes ont discuté les implica-
tions théoriques et méthodologiques de la perspective développementale sur la vie
entière. Ils estiment en particulier que cette perspective manifeste la nécessité de distin-
guer les changements développementaux (ontogenèse) des différences observées entre
des groupes d'âge mais pour des raisons liées à des changements historiques ; en effet,
des personnes d'âges différents n'ont pas forcément eu les mêmes expériences ni les
mêmes formes de socialisation.
Mais l'objet des études développementales ne s'est pas seulement étendu en suivant
les niveaux d'âge (englobant l'âge adulte et la vieillesse), il s'est également étendu en
interaction avec d'autres domaines de la psychologie. Ainsi, en 1984, un numéro spécial
de la revue Child Development a été consacré à la psychopathologie développementale.
L'éditorial de Cicchetti retrace l'émergence de ce domaine d'étude dans les années 1970,
avec des racines qui remontent jusqu'à Sigmund Freud, puisque l'un des principes de la
théorie psychanalytique était précisément de postuler que le vécu des événements passés
détermine le futur. Dans les années 1970 ou 1980, ce n'est pas une idée nouvelle de pen-
ser que l'étude des enfants en difficulté et celle des enfants normaux peuvent s'enrichir
mutuellement. En revanche, il est novateur de considérer la dimension développemen-
tale des évolutions pathologiques et des interventions thérapeutiques. « Toute pathologie
est, strictement parlant, un processus. En tant que processus, l'évolution pathologique se
déroule dans le temps et doit donc être comprise dans une perspective temporelle. Et
comme toute pathologie peut être envisagée comme une perturbation, une distorsion ou
une dégénérescence du fonctionnement normal, il en résulte que, si l'on veut mieux com-
prendre la pathologie, il faut mieux comprendre le fonctionnement normal qui sert de
référence pour définir la pathologie » (Ciccetti, 1984, p. 2). Plus récemment, Karmiloff-
Smith (1998) poursuit ce type d'analyse en affirmant que « le développement lui-même
est la clé pour comprendre les troubles du développement ». Elle invite de plus à la cons-
titution d'une neuropsychologie développementale puisque les modèles neuropsychologi-
ques adultes ne peuvent suffire à expliquer les données cliniques et expérimentales
recueillies auprès des jeunes enfants (Reilly et Bernicot, 2003). Ainsi, l'objet de la psycho-
logie du développement se trouve étendu à la fois en direction de la psychopathologie et
de la neuropsychologie.
De ce fait, à la fin du )0C siècle et sous l'influence des modélisations dynamiques
non linéaires (qui seront évoquées plus loin), c'est le concept même de développement
qui s'est trouvé modifié. Au lieu de considérer les changements développementaux
comme devant obligatoirement conduire à des évolutions « majorantes » (i.e. toujours
dans la direction d'un progrès) comme c'était le cas depuis le xixe siècle, l'idée de tra-
jectoires multiples et différenciées selon les domaines d'exercice finit par s'imposer.
Étudier le développement psychologique revient donc à étudier toutes les formes
d'évolution individuelle, à court terme (microgenèse, voir le chap. 3) ou à long terme
(macrogenèse), c'est-à-dire toutes les manières de réagir à des environnements potentiel-
lement divers. Si des développements apparaissent semblables c'est que les individus
ont réagi de la même manière à des environnements analogues. Si des développements
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 15
V - Conclusion et transition
1996, t. 1) cite Michelet qualifiant ce texte de « journal des digestions de Louis XIII »
et rapporte un exemple d'anecdote qui peut faire sourire, ou inquiéter, à propos de la
« survalorisation du sexe royal » : « Le roi lui-même stimule l'organe de son fils en le
faisant déshabiller et mettre au lit avec lui : au sortir d'un de ces jeux, il [Louis] dit "des
mots nouveaux et paroles honteuses et indignes de telle nourriture. 'Celle de papa e
bien plus longue que la mienne, ell'e aussi longue que cela', montrant la moitié de son
bras" » (p. 375, l'orthographe est celle du texte original).
Comme on le voit, dans la longue chronique de Héroard, l'observation reste à
faire, car observer c'est sélectionner et catégoriser. C'est bien ce que feront Taine, Dar-
win ou Preyer. Une observation particulière n'a de sens que si elle illustre un type de
comportement. Cette méthode des chroniques n'a pas cessé d'être employée depuis le
xpe siècle. Elle fut par exemple utilisée par Piaget, observant les activités sensori-
motrices et sémiotiques de ses trois enfants (Jacqueline, Lucienne et Laurent). Récem-
ment encore, le projet GHILDES, initié par Mac Whinney et Snow dans les années 1980
et consultable sur Internet, met à la disposition des chercheurs des corpus présentant
l'évolution de l'expression orale d'enfants suivis longitudinalement.
Mais avec Piaget, l'observation n'est plus un simple recueil d'événements tels qu'ils
se présentent « naturellement ». Dès l'observation de ses propres enfants (dans les
années 1920), il intervient pour orienter l'activité et placer l'enfant dans des situations
présentant un problème à résoudre (par exemple, chercher un objet que l'on vient de dis-
simuler sous un cache). À la même époque, en interrogeant des enfants plus âgés, Piaget
met au point sa méthode clinique d'exploration critique (voir le chap. 3). Wallon a égale-
ment observé des enfants de différents âges dans des situations d'entretiens. En 1941,
dans L'évolution psychologique de l'enfant, il résume parfaitement le fait que toute observation
est une catégorisation déterminée par les attentes de l'observateur (encadré 1.2).
ENCADRÉ 1.2
« À proprement parler, il n'y a pas d'observation qui soit un décalque exact et complet de la
réalité. À supposer, d'ailleurs, qu'il en fût de telles, le travail d'observation serait encore tout
entier à entreprendre. Bien que déjà, par exemple, l'enregistrement cinématographique d'une
scène réponde à un choix souvent très poussé : choix de la scène elle-même, du moment, du
point de vue, etc., c'est seulement sur le film, dont le mérite est de rendre permanente une
suite de détails qui auraient échappé au spectateur le plus attentif et sur lequel il lui devient
loisible de revenir à volonté, que va pouvoir commencer le travail direct d'observation. Il n'y a
pas d'observation sans choix ni sans une relation, implicite ou non. Le choix est commandé
par les rapports qui peuvent exister entre l'objet ou l'événement et notre attente, en d'autres
termes notre désir, notre hypothèse ou même nos simples habitudes mentales. Ses raisons
peuvent être conscientes ou intentionnelles, mais elles peuvent aussi nous échapper, car elles
se confondent avant toutes choses avec notre pouvoir de formulation mentale. Ne peuvent
être choisies que les circonstances à soi-même exprimables. Et, pour les exprimer, il nous faut
les ramener à quelque chose qui nous soit familier ou intelligible, à la table des références
dont nous nous servons soit à dessein, soit sans le savoir. »
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 17
Dans les années 1920 et 1930, c'était une méthode très répandue que de catégori-
ser des comportements enfantins et d'apprécier l'évolution, selon l'âge, de la fréquence
de ces catégories. Le très célèbre ouvrage de Luquet sur le dessin (1927) repose sur ce
principe méthodologique. Un autre exemple nous est donné par les travaux de Parten
réalisés à la même époque et cités par Hurtig, Hurtig et Paillard (1971). Parten
observait les jeux des enfants et s'intéressait au degré de participation sociale qu'ils
manifestent.
Par la suite, les observations des psychologues ont bénéficié des progrès techni-
ques apportés par les magnétoscopes. Ainsi, dans les années 1970, Brazelton enregistre
simultanément les comportements du nourrisson et ceux de sa mère (ou d'un autre
adulte) devant interagir avec lui. Les comportements de l'enfant et de son partenaire
sont codés seconde après seconde et ce codage permet de suivre le déroulement de
l'interaction et le degré d'accord entre les protagonistes (Brazelton, 1981). Les travaux
d'Izard sur les émotions illustrent également l'évolution méthodologique. La technique
élaborée par Izard en 1979 est un codage extrêmement précis du changement de
l'expression faciale (voir Izard et Read, 1986).
Ainsi, au cours des années, les observations ont pu devenir beaucoup plus fines,
plus objectives et plus précises. Les procédures comme
Xie
celles de Brazelton ou Izard sont
bien différentes des chroniques descriptives du siècle. Elles sont actuellement com-
plétées par l'utilisation de techniques informatiques qui facilitent le codage des enregis-
trements comportementaux. Cependant, ce qu'écrivait Wallon sur l'observation (enca-
dré 1.2) reste tout à fait d'actualité. L'utilisation d'un magnétoscope ou d'un
caméscope ne fait que reporter la réalisation de l'observation en tant que telle, et ne
garantit pas à elle seule son objectivité ni sa pertinence.
G. Stanley Hall (1844-1924) est principalement connu pour son rôle de pionnier
de la psychologie aux États-Unis et pour avoir écrit le premier ouvrage de synthèse sur
l'adolescence (1904). Il n'a pas inventé la méthode des questionnaires mais il l'a fait
connaître aux États-Unis et il l'a utilisée pour obtenir des informations statistiques et
descriptives sur les connaissances des enfants, comparant garçons et filles, citadins et
ruraux, etc.
Cette méthode n'a pas cessé d'être utilisée pour obtenir de telles données descrip-
tives et comparatives. Au besoin, si l'enfant est trop jeune pour répondre, ce sont les
parents ou les enseignants qui sont interrogés à propos des comportements et manières
d'être des enfants. Mais, progressivement les questionnaires se sont spécifiés pour deve-
nir des instruments d'évaluation de variables individuelles ou environnementales : styles
éducatifs, difficultés comportementales, traits de personnalité, estime de soi, etc. De ce
fait, leur utilité en psychologie du développement s'est trouvée liée aux approches cor-
rélationnelles qui cherchent à dégager des liens entre variables, par exemple entre
18 I Psychologie du développement
l'estime de soi et la réussite scolaire ou entre les styles éducatifs dans les familles et les
difficultés comportementales des adolescents. L'évolution des recherches en ce domaine
a donc suivi le progrès des techniques statistiques : analyse factorielle, régression mul-
tiple, modèle d'équation structurale (sEm : Structural Equation Modeling). Ce dernier type
de modélisation cherche à dégager des relations entre tout un ensemble de variables et
à identifier des dépendances « en chaîne » entre plusieurs variables qu'il est tentant
d'interpréter comme des déterminations causales. En 1987, un numéro spécial de Child
Development (coordonné par Connell et Tanaka) a été consacré à cette question.
Avec la méthode des questionnaires, c'est plus généralement la question de
l'évaluation et de la mesure qui se trouve posée. Et, si on se représente le développe-
ment comme un progrès systématique des fonctions psychologiques, on cherchera à
situer chaque enfant par rapport au développement habituel des autres enfants et selon
une progression strictement ordonnée. Cette démarche d'évaluation est ancienne. La
première échelle du développement de l'intelligence a été créée par Alfred Binet et
Théodore Simon aux environs de 1900 et publiée en 1905. L'objectif était de repérer
les enfants en difficulté scolaire, puisque l'enseignement en France était obligatoire
depuis la loi Jules Ferry (1882). Le modèle sous-jacent à cette échelle est un modèle
ordinal : chaque âge chronologique est caractérisé par des items qui sont réussis à partir
de cet âge ; et donc, selon ce modèle, être « en avance » ou « en retard », c'est progres-
ser plus ou moins vite sur une dimension de développement (sur les adaptations ulté-
rieures de l'échelle de Binet et Simon, voir le chap. 7).
De nombreux instruments d'évaluation du développement ont été construits selon
le même principe. On peut citer par exemple l'échelle de Vineland (élaborée à l'origine
par Edgard Doll en 1935, et adaptée en France par M.-C. Hurtig et Zazzo, voir Zazzo,
1958/1969) ; dans sa version française, cette échelle mesure l'autonomie, l'intégration
sociale et l'intelligence sociale. Un autre exemple bien connu est le test du dessin du
bonhomme (Florence L. Goodenough, 1925/1956).
On aura compris que l'une des préoccupations essentielles des développementa-
listes est d'identifier des séquences, c'est-à-dire des successions comportementales liées à
l'âge ou à tout autre indice de changement temporalisé, que ces successions soient
nécessaires ou simplement majoritaires lors de comparaisons interindividuelles. C'est
pourquoi, la méthode de l'analyse hiérarchique (échelles de Guttman) est une méthode
particulièrement bien adaptée aux questions que se posent les chercheurs en développe-
ment et pour la construction d'outils évaluatifs. Cette méthode détermine dans quelle
mesure l'ordination de comportements ou celle de la réussite à différents items se
retrouvent bien à l'identique chez tous les enfants en développement. Les travaux de
Longeot (1969) élaborant une Échelle individuelle de la pensée logique (EH), fondée sur le
modèle piagétien classique, illustrent l'utilisation de ce modèle hiérarchique. Actuelle-
ment, cette direction d'analyse se poursuit avec les modélisations Rasch (du nom du
mathématicien Georg Rasch) que Bond et Fox (2001) présentent explicitement comme
une manière de mesurer, sur une même dimension sous-jacente de développement, à la
fois des items et les performances individuelles à ces items, tout en repérant les enfants
ou les items qui se situent mal dans cette hiérarchie.
En France, peu d'ouvrages se sont fixé comme objectif de présenter une variété
d'épreuves d'évaluation du développement. À la fin des années 1950 et dans les
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 19
années 1960, Zazzo a toutefois coordonné les deux tomes du Manuel pour l'examen psycho-
logique de l'enfant (1958/1969). Aux États-Unis, Jerome M. Sattler actualise régulière-
ment son Assessment of Children (2002, pour la e édition en deux volumes).
Au sens strict, expérimenter c'est encore étudier des relations entre variables, mais
dans des situations contrôlées. Cette approche du développement, en termes
d'hypothèses, de plan d'expérience, etc., est relativement récente en comparaison des
méthodes déjà évoquées (observation, questionnaires, échelles). Reese (1993) estime que
la psychologie expérimentale de l'enfant n'a débuté que vers le milieu des années 1950.
Très vite, elle s'est étendue à tous les domaines fonctionnels et à tous les âges de
l'enfance et de l'adolescence. Il faut souligner en particulier à quel point l'invention de
nouvelles procédures expérimentales a complètement modifié, dans les années 1960
et 1970, notre conception de la psychologie des bébés (voir les chap. 3 et 4) en mon-
trant les possibilités très précoces de réaction à des différences de stimulation. La psy-
chologie piagétienne s'est également intégrée à la psychologie expérimentale puis aux
approches strictement cognitives (voir le chap. 2), mais en réalité sans Piaget lui-même.
Comme le souligne et le regrette Gréco (1985), Piaget, dans les années 1970, a voulu
étudier les processus de développement (la généralisation, la dialectique, etc.) avec la
même méthode d'entretien qui lui avait permis de baliser le développement conceptuel (la
logique, le nombre, les connaissances physiques, etc.), c'est-à-dire sans adopter une
méthodologie expérimentale.
La démarche expérimentale se retrouve dans les approches comparatives. D'un
point de vue méthodologique, l'approche « comparative » consiste à comparer des
groupes réels. Il ne peut s'agir par conséquent que de « quasi-expérimentation » car il
est impossible, ici, d'isoler certaines variables en contrôlant les autres : les groupes étant
des groupes réels, ils se différencient selon tout un ensemble de variables indissociables.
La réflexion expérimentale est cependant possible. Ainsi, comparer des groupes d'âge
(selon des plans transversaux, voir chap. 3) relève déjà d'une « quasi-expérimentation »
puisque les groupes d'âges sont des groupes « naturels » et non pas des groupes artifi-
ciellement créés. Comme on l'a vu, d'autres comparaisons entre groupes « naturels »
ont toujours été menées en psychologie du développement : comparaisons entre le nor-
mal et le pathologique, comparaisons entre les groupes culturels.
La dimension culturelle de l'ontogenèse n'a pas échappé aux psychologues du
développement (voir les théories socioculturelles, chap. 3), en particulier à Erikson
(Enfance et société, 1950/1974). Mais les comparaisons interculturelles dans des situations
expérimentales n'ont véritablement débuté que dans les années 1960, sous l'impulsion
de Bruner (Bruner, Olver et Greenfield, 1966), de Frijda et Jahoda (1966) et de Piaget
(1966). L'ouvrage de Dasen, Inhelder, Lavallée et Retschitzki (1978) sur le développe-
ment sensori-moteur et sémiotique des enfants Baoulé de Côte-d'Ivoire, constitue un
bon exemple de ce type d'étude. À la même époque, le LCHC (Laboratou of Comparative
20 I Psychologie du développement
Human Cognition) aux États-Unis, s'attachait à étudier la cognition dans la diversité des
contextes culturels ; les recherches menées par des auteurs comme Michael Cole, Sylvia
Scribner, Patricia Greenfield ou Jean Lave, ont des prolongements actuels (Greenfield
et Nunes, 2003).
V - Conclusion et transition
ses chaussures et déboutonner ses boutons", et se plaît maintenant "à regarder travailler
des ouvriers et à voir fonctionner un excavateur à vapeur ou un malaxeur à ciment".
Ajoutons que tous ces traits pittoresques figurent à la rubrique des "caractéristiques
motrices", sous-rubrique : "les yeux et les mains" (Gesell, 1949, p. 240). Fort bien. Mais
peut-être aimerions-nous comprendre s'il existe un lien non contingent entre les mala-
dresses préhensives et les goûts ferroviaires, et quel progrès réel présente l'évolution des
intérêts, du train au malaxeur. »
L'évolution de cette psychologie descriptive à la Gesell vers une psychologie expé-
rimentale à la Wynn (1992) ne dispense pas pour autant d'une réflexion théorique. Bien
au contraire. Ce qui est expérimentalement « prouvé » reste toujours très limité. Dans
le cas des bébés, on aura montré par exemple (voir les chap. 3 et 4) une réaction à la
nouveauté (mais nouveauté de quoi ?) ou des différences de temps de fixation (mais
pourquoi ?). Ces « preuves expérimentales » n'ont de sens que par rapport aux interpré-
tations théoriques possibles et rarement univoques. Or, précisément, les théorisations
du développement ont elles-mêmes évolué.
À l'époque moderne, l'associationnisme est représenté sous des formes très diver-
ses : théories béhavioristes (le développement se fait par un renforcement de liens entre
stimulations et réponses et ce renforcement dépend des conséquences, favorables ou
défavorables, qui suivent les réponses), réseaux sémantiques (les concepts sont des agré-
gats de propriétés qui se constituent en réseaux), etc. Même le connexionnisme peut
être considéré comme une forme actuelle d'associationnisme. Mais alors, comme le sou-
ligne Richardson (1998), il s'agit d'un « néo-associationnisme » qui s'est éloigné de
l'empirisme en acceptant l'idée de processus cognitifs innés ou, tout au moins, en
posant l'existence d'une architecture neuronale de départ (Elman et al., 1996).
Le constructivisme constitue le troisième pôle théorique de la psychologie du déve-
loppement. Il ne faut pas considérer cette orientation explicative comme un « juste
milieu » ou un « consensus mou » entre les deux premières. Il s'agit d'une démarche
d'analyse originale qui, elle aussi, a des racines anciennes. Le constructivisme établit,
dans sa caractéristique la plus générale (qui ne se limite pas aux fonctions intellec-
tuelles), que le développement psychologique résulte des réactions de l'organisme aux sol-
licitations de l'environnement. C'est encore chez Aristote que l'on en trouve les prémi-
ces. En effet, non seulement Aristote propose le principe des associations, mais il
valorise aussi l'intelligence, la « raison » qui permet de tirer les leçons de l'expérience.
Bien plus tard, Emmanuel Kant (1724-1804) exprimera des idées analogues : « Que
notre connaissance commence avec l'expérience, cela ne soulève aucun doute. (...) Mais
si toute notre connaissance débute avec l'expérience, cela ne prouve pas qu'elle dérive
toute de l'expérience, car il se pourrait bien que même notre connaissance par expé-
rience fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que
notre propre pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions sensibles)
produit de lui-même » (1781 / 1961, p. 38). Le constructivisme a également ses racines
dans le concept d'épigenèse, utilisé en embryologie pour caractériser la construction de
formes physiologiques nouvelles au cours de l'ontogenèse.
Mais c'est incontestablement James-Mark Baldwin (1861-1934) qui a forgé les
concepts du constructivisme moderne. Dans le chapitre 2 de son ouvrage de 1985,
Case nous montre à quel point Baldwin anticipe Piaget sur le plan des concepts, de la
terminologie employée et même des situations d'observation (par exemple, Baldwin a
observé l'un de ses enfants, bébé, retrouvant un trousseau de clés dissimulé sous une
couverture...). Clairement, avec Baldwin, l'enfant construit ses connaissances, dès le
niveau sensori-moteur, par le jeu de l'assimilation (qui active des schèmes d'action) et
de l'accommodation (qui recherche des schèmes ou les coordonne lorsque l'assimilation
a échoué). Ainsi, la position de Kant se trouve modifiée, car les outils de connaissance
(« l'entendement » et la « raison » chez Kant) doivent eux-mêmes être construits. C'est
également l'une des thèses principales de Piaget.
Les conceptions de Piaget (voir le chap. 2) ont profondément influencé la psycho-
logie du développement au point d'en constituer pendant longtemps la théorie domi-
nante et de promouvoir du même coup le constructivisme au rang de référence obligée
(Bideaud, 1999). Piaget s'intéressait essentiellement aux adaptations actives des organis-
mes à leur milieu. Étudier la construction des connaissances chez l'enfant était pour lui
une manière de cerner ces adaptations actives puisque l'intelligence a pour fonction
d'élaborer des solutions rationnelles aux problèmes qui se posent dans la vie quoti-
24 I Psychologie du développement
dienne. C'est ainsi qu'est née 1' «épistémologie génétique» (terminologie déjà présente chez
Baldwin, selon Case, 1985) : étude du développement des connaissances objectives. À
l'époque de Piaget, on parlait volontiers de « psychologie génétique », le terme de
« génétique » étant entendu au sens de « genèse ». Mais chez Piaget la psychologie
génétique est aussi, selon son propre vocabulaire, une « méthode génétique », car elle per-
met de mieux connaître les fonctions psychologiques par le biais de leur construction
chez l'enfant. Le coffret de deux CD «Jean Piaget. Cheminement dans l'oeuvre scienti-
fique » (distribué par Delachaux et Niestlé) constitue une mine d'informations histori-
ques sur Piaget.
Il - Le débat constructivisme/nativisme/évolutionnisme
ENCADRÉ 1.3
En octobre 1975, Piaget a 79 ans et Chomsky 46 ans. Ils sont tous les deux connus internatio-
nalement par leurs propositions théoriques qui ont déjà inspiré un très grand nombre d'études
empiriques. C'est au Centre Royaumont pour une science de l'homme que les deux hommes
se rencontrent pour un colloque organisé par Massimo Piattelli-Palmarini.
L'ouvrage issu de ce débat, remarquablement coordonné par Piatellini-Palmarini (1979),
nous offre une occasion rare de côtoyer la réflexion scientifique en train de s'élaborer. L'enjeu
est de chercher les réponses à des questions philosophiques anciennes, antérieurement for-
mulées comme une opposition entre « empiristes » et « rationalistes » (au sens de Kant), mais
qui prennent ici la forme d'une opposition entre l'innéisme ou nativisme de Chomsky (qui peut
apparaître comme un rationalisme kantien revisité) et le constructivisme de Piaget. Y a-t-il un
noyau fixe de connaissances innées et spécifiques à l'espèce humaine, et quelle en est la
nature ? Les connaissances et les outils de connaissance sont-ils au contraire construits, par
autorégulation", au travers des expériences et des actions dans un environnement physique
et social ? Quelles données factuelles sont ou seraient susceptibles de fournir des arguments
décisifs pour répondre aux deux questions précédentes ?
Piaget et Chomsky ne sont pas seuls à débattre. 23 chercheurs de renommée internatio-
nale sont à leur côté et participent aux discussions passionnées : des psychologues et des lin-
guistes, bien sûr, mais aussi des biologistes, des anthropologues, des mathématiciens, des
logiciens et philosophes de la connaissance, etc. C'est que les réponses aux questions posées
relèvent obligatoirement de disciplines variées. Ce type de collaboration était une habitude à
Genève, au Centre international d'épistémologie génétique créé par Piaget. On retrouve
actuellement cette démarche dans la constitution des sciences cognitives.
Dans le débat de 1975, retenons deux thèmes de discussion parmi bien d'autres possi-
bles. Tout d'abord, parmi les arguments rendant plausible l'hypothèse innéiste, Chomsky
avance le constat d'universalité, tandis que l'absence d'universalité invaliderait cette hypo-
thèse. Pour lui, s'il est possible de mettre en évidence, structuralement et par des comparaisons
interlangues, une « grammaire universelle », c'est-à-dire une organisation de base commune
aux diverses langues, alors cette organisation témoigne d'un noyau fixe que l'on peut considé-
rer comme inné. Mais Piaget a beau jeu de répondre que la généralité ne se confond pas avec
l'innéité et Cellerier ajoute (p. 137) : « Prendre l'universalité comme critère de l'innéité ne paraît
pas suffisant selon les normes de la biologie contemporaine. Tous les organismes suivent les
lois de la gravitation, néanmoins, nous n'en concluons pas que ces lois sont innées. L'anémie
hémolytique congénitale n'est pas universelle, cependant nous la tenons pour innée. En un
mot, l'universalité n'est même pas une condition nécessaire •..). » Et pourtant, encore
aujourd'hui, ce type d'argumentation innéiste est avancé dans le domaine du langage comme
dans d'autres domaines comme ceux de la quantification numérique et de la théorie de l'esprit.
Un autre thème de discussion est celui du statut développemental de l'intelligence sen-
sori-motrice. Chomsky semble ignorer cette période de développement ou refuse même de la
considérer, alors qu'elle est au contraire fondamentale pour Piaget car elle assure la continuité
du développement jusqu'à la fonction sémiotique et le langage. L'idée d'un agent, c'est-à-dire
d'un sujet auteur d'une action, pourrait venir de cette construction sensori-motrice antérieure
au langage.
Le débat est loin de se clore le 13 octobre 1975. Dans l'ouvrage qui en rend compte, des
textes sont ajoutés et de nouveaux échanges trouvent leur place à la fin du volume. Ainsi, la
discussion finale entre Piaget et le mathématicien René Thom annonce l'émergence des
modèles dynamiques d'auto-organisation* tels qu'ils ont été tout particulièrement développés
aux Pays-Bas. Ce n'est donc pas surprenant qu'un travail de réexamen du débat de 1975 ait été
mené à Groningen en intégrant les données factuelles plus récentes (de Graaf, 1999).
26 I Psychologie du développement
En effet, à partir des années 1960 et 1970, le recours à des hypothèses nativistes,
bien illustré dans le débat historique entre Piaget et Chomsky (voir l'encadré 1.3), a de
beaucoup contribué au succès de deux grandes orientations de recherche. Selon la pre-
mière orientation, comme dans Mehler et Bever (1967), il s'agit de simplifier les tâches
piagétiennes de manière à en montrer la résolution possible par des enfants plus jeunes
que ceux observés par Piaget, ce qui souligne alors la précocité des compétences cogni-
tives et va dans le sens du nativisme. Une orientation complémentaire a suscité
l'invention de nouvelles procédures permettant d'évaluer des connaissances et compé-
tences cognitives chez les bébés. De ce fait, pendant quelques décennies, ce fut une
sorte de course à la mise en évidence expérimentale de la plus extrême précocité
possible.
Mais la position constructiviste ne s'en est pas trouvée déstabilisée pour autant. En
effet, la précocité d'une compétence n'implique pas obligatoirement que cette compé-
tence n'aurait pas été construite. Et surtout, la simplification des procédures et
l'invention de nouveaux paradigmes expérimentaux changent complètement la nature
de ce qui est évalué et ne remettent donc pas en cause les bornes développementales
identifiées antérieurement. Ainsi, paradoxalement, les recherches motivées par des
préoccupations nativistes ont abouti dialectiquement à une meilleure connaissance non
seulement des états initiaux du développement (ce que souhaitaient Mehler et Bever)
mais aussi du déroulement de la construction des connaissances depuis l'état initial jus-
qu'aux niveaux balisés par Piaget. C'est bien ce qui semble se passer actuellement à
propos du nombre. Les synthèses actuelles en ce domaine (Mix, Huttenlocher et
Levine, 2002 ; Bideaud, 2002 ; Bideaud, Lehalle et Vilette, 2004) invitent plutôt à
considérer que si les bébés réagissent à des différences de numérosité c'est en tenant
compte d'indices perceptifs qui covarient avec la numérosité (étendue, densité, etc.), et
non pas en ayant abstrait la numérosité pour elle-même.
Par ailleurs, il est habituel de souligner que les interprétations nativistes ne font
que repousser à l'échelle phylogénétique l'explication des nouveautés structurales. Il est
donc tout à fait compréhensible que, dans les années 1980, une nouvelle « psychologie
évolutionniste » se soit constituée en renouant ainsi avec les préoccupations théoriques
du )(lx' siècle. Cette psychologie évolutionniste se différencie en deux aspects. Le pre-
mier consiste à appliquer à l'ontogenèse les principes darwiniens que l'on invoque habi-
tuellement pour rendre compte de l'évolution des espèces ; selon ce point de vue, le
développement peut se concevoir comme une sélection adaptative à partir d'une plura-
lité de fonctionnements préalables (Siegler, 1984). Le second aspect est une consé-
quence du nativisme. Il consiste à supposer que des modes de fonctionnement ont été
constitués à l'échelle phylogénétique selon des processus darwiniens et qu'ils se retrou-
vent préformés à l'échelle ontogénétique où ils se manifestent directement, sans appren-
tissage, comme des modules de traitements spécifiques au domaine fonctionnel consi-
déré (Sperber, 2002). Mais, comme l'a fait remarquer Gottlieb (2002), en citant à ce
propos Mivart (1871), la sélection phylogénétique n'opère pas directement sur des gènes
mais sur des gènes exprimés dans un environnement (phénotype). Autrement dit, les
comportements utiles à l'espèce préexistent obligatoirement à leur sélection naturelle, et
par conséquent le développement phénotypique de compétences (la variabilité) est un
préalable nécessaire pour que la sélection puisse opérer.
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 27
Le concept de stade est l'un des plus caractéristiques des approches théoriques du déve-
loppement. Pendant longtemps, chez Luquet (1927) par exemple, les descriptions en stades
de développement n'avaient pas directement de visée explicative. C'était une manière de
souligner les changements qualitatifs qui se manifestent au cours de l'ontogenèse et de ras-
sembler sous la forme de caractéristiques générales les propriétés communes de comporte-
ments observés à un moment du développement. Cependant, déjà chez Baldwin (Case,
1985), les « stades » (que Baldwin désigne par le terme « d'époques » / « epochs ») sont
conçus comme une séquence universelle de transformations nécessaires.
Mais avec Wallon et Piaget, l'analyse des relations entre stades successifs devient
plus explicite et, de ce fait, les systèmes de stades progressent dans la direction d'une
recherche d'explication : préciser les relations entre stades successifs devient une
manière d'approcher le processus même du développement. Dans son Histoire de la psy-
chologie, Reuchlin (1957/1961) ne manque pas de relever les différences qui apparaissent
entre la conception de Wallon et celle de Piaget. Chez Piaget, le processus de dévelop-
pement est progressif et continu mais il aboutit cependant à des constructions cognitives
qualitativement nouvelles qui intègrent les précédentes. Chez Wallon, les changements
se manifestent par des crises, des conflits, des discontinuités, et par exemple la « loi
d'alternance fonctionnelle » stipule que le passage d'un stade à un autre se traduit par
un changement d'orientation, avec une « alternance » entre la centration sur la cons-
truction personnelle interne et intime, et la centration sur les échanges avec le monde
extérieur. Quelques années après Reuchlin, Tran-Thong (1967/1971) s'est attaché,
dans un volumineux ouvrage, à la comparaison systématique de quatre systèmes de sta-
des : ceux de Wallon et de Gesell (qu'il considère comme relevant d'une approche
« concrète et multidimensionnelle » p. 416), et ceux de Freud et de Piaget (dont les
approches seraient « abstraites et unidimensionnelles »).
À vrai dire, si les psychologues du développement ont multiplié les descriptions en
stades, chacun n'hésitant pas à proposer son propre système, sous la forme de stades
généraux ou à propos de domaines fonctionnels spécifiques, ils ont beaucoup plus rare-
ment réfléchi à la notion même de stade et rarement confronté leur point de vue sur ce
concept. Le symposium de 1955 à Genève fait figure d'exception (voir l'encadré 1.4).
28 I Psychologie du développement
ENCADRÉ 1.4
L'idée habituelle que l'on se fait de la notion de stade est celle d'une généralisation
quasi automatique du fonctionnement caractéristique d'un stade, à toutes les situations
relevant du même domaine fonctionnel. Un enfant serait «dans» un stade et, de ce fait,
il « devrait » toujours se comporter selon les critères relatifs à ce stade. Faute de quoi, la
théorie considérée serait à revoir. Dans un contexte piagétien, on parle de « décalage
horizontal » pour désigner l'absence de synchronie dans l'accès à un stade selon les
domaines fonctionnels, et cette absence de synchronie est souvent jugée comme une
invalidation du modèle piagétien. Mais il faut rappeler que c'est Piaget lui-même qui a
proposé et défini la notion de décalage horizontal dès 1941, et parmi les critères de la
notion de stade qu'il a exposés au symposium de 1955, il distingue pour chaque stade
une période de préparation et une période d'achèvement (généralisation). Il est donc
normal qu'un enfant ne fonctionne pas toujours au même stade. Il est normal égale-
ment qu'un niveau d'achèvement dans un domaine fonctionnel ne s'observe pas néces-
sairement chez tous les adultes, bien que ce niveau puisse constituer l'aboutissement
nécessaire du développement pourvu que celui-ci ait l'occasion de se poursuivre dans le
domaine considéré.
Ainsi, contrairement à l'opinion commune, les spécialistes du développement
coordonnent désormais la notion de stade avec celle de variabilité intra- et interindivi-
duelle. C'est très clair dans la modélisation de Walker et Taylor (1991) à propos des
stades du jugement moral (d'après Kohlberg, 1969). Selon ces conceptions, les répon-
ses d'un enfant donné, à un moment donné de son développement, se distribuent
entre plusieurs stades, mais pas n'importe comment : il y a un stade modal (le plus fré-
quent), mais quelques réponses sont d6à au-dessus de ce stade modal et quelques
réponses sont encore au-dessous ; le développement se traduit alors par un « glisse-
ment » de cette distribution des réponses en suivant la séquence de stades. Plus géné-
ralement, l'introduction d'une approche différentielle en psychologie du développe-
ment est très largement une contribution française ou « franco-suisse ». Cette « French
connection» postpiagétienne a fait l'objet d'une série de commentaires dans Child Deve-
lopment, à la suite d'un article de Larivée, Normandeau et Parent (2000) où se trou-
vent présentés les travaux de J. Bideaud, J. Lautrey, F. Longeot, M. Reuchlin, A. de
Ribaupierre, L. Rieben.
Parallèlement à cette prise en compte des variabilités, de nouvelles descriptions du
développement n'ont pas cessé d'être proposées. Ainsi, le groupe des « néo-piagétiens »
(Demetriou, 1988 ; et le chap. 2) a beaucoup fait évoluer notre représentation du déve-
loppement cognitif : nouvelles descriptions en stades (avec, dans certains systèmes, la
réitération de la même succession de « sous-stades » à tous les « grands » stades distin-
gués), tout en intégrant la variabilité, surtout chez Fischer.
En définitive, les systèmes de stades actuels traduisent toujours les contraintes de
l'ontogenèse. L'idée de succession nécessaire est maintenue. Mais puisque les change-
ments développementaux apparaissent désormais comme dépendant des contextes ou
même comme véritablement construits dans chaque contexte, la succession néces-
saire exprimée par un système de stades s'accorde avec le constat des variabilités
individuelles.
30 I Psychologie du développement
V - Conclusion et transition
L'évolution des connaissances scientifiques ne repose pas seulement sur une ana-
lyse rationnelle du passé. Des déterminants sociohistoriques sont toujours en cause et
les conditions de la recherche dépendent de l'idéologie ambiante. Souvenons-nous que
les femmes n'ont été admises à la Sotie of Experimental Pechologists (États-Unis)
qu'en 1929, après la mort de son fondateur E. B. Titchener en 1927...
Ainsi, pour des raisons sociologiques, des nouveautés peuvent rester dans l'ombre
et revenir ultérieurement sur le devant de la scène. On assiste également à des effets de
mode et à des emballements provisoires. Rittle-Johnson et Siegler (1998) parlent à ce
propos « du critère de la grand-mère » : les résultats d'une expérience auprès des
enfants ont peu de chances d'avoir un impact médiatique s'ils vont dans le sens de ce
que pourrait dire n'importe quelle grand-mère ; en revanche, s'ils contredisent, même
provisoirement, les idées reçues (dire par exemple qu'un bébé de 5 mois peut déjà faire
des calculs arithmétiques) ils seront largement repris et discutés !
Dans les paragraphes qui vont suivre, on illustrera quelques types de détermina-
tion sociale des évolutions historiques de la psychologie du développement.
32 I Psychologie du développement
Le progrès des connaissances dans un domaine scientifique est une œuvre collec-
tive qui va bien au-delà du succès médiatique auquel aspirent quelques personnalités
fortes. Cet aspect collectif est bien illustré par les diverses modalités de confrontation ou
d'échanges qui constituent autant de traces historiques pour garder en mémoire les
orientations pertinentes et pour éviter de retracer des chemins déjà balisés.
Deux rencontres historiques ont déjà été citées dans ce chapitre : celle de 1955 sur
les stades et celle de 1975 entre Piaget et Chomsky. Il y en eut bien d'autres. Par
exemple, de 1953 à 1955, quatre conférences de psychobiologie du développement ont
été organisées à Genève par Inhelder et Tanner. Elles ont été publiées chez Tavistock
sous le titre Discussions on Child Development. Quelques noms parmi les participants à ces
conférences suffisent à montrer la qualité et l'ouverture des débats : John Bowlby
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 33
1855 I 1865 I 1875 1 1885 I 1895 1 1905 1 1915 I 192571935 I 1945 I 1955 I 1965 I 1975 1 1985 I 1995 12005
Wilhelm Preyer .
1841-1897
G. Stanley Hall
1844-1924
Sigmund Freud . . •
1856-1939
Alfred Binet •• • . . ...
1857-1911
J. M. Baldwin . • . •
1861-1934 • •
Ed. Claparède . • «
1873-1940
Henri Wallon • • . ... .
1879-1962
Arnold Gesell • ..
1880-1961
F. Goodenough • •
1886-1959
René A. Spitz • •
1887-1974
Heinz Werner
1890-1964
Anna Freud .. «
1895-1982 « « «
Lev Vygotski
1896-1934
Jean Piaget .. . .. . ..... 3 .......**.
1896-1980
Nancy Bayley .. .
1899-1994
Erik H. Erikson •
1902-1994
Maurice Debesse • •
1903-1998
John Bowlby • •• • «• • .
1907-1990
Irène Lézine .• • •
1909-1985 «
René Zazzo • . . *
1910-1995
Bârbel Inhelder .. • • • .• • •
1913-1997
Mary Ainsworth •
1913-1999 ••
Pierre Oléron • •« • • •
1915-1995
Pierre Gréco ....... • • •••
1927-1988
L. Kohlberg • .. •
1927-1987 ...
Esther Thelen • • • ••••• .
1941-2004
Robbie Case • .•
1945-2000
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 35
(1905) a été motivé par le souci de repérer les enfants en difficulté scolaire. Dans un
tout autre domaine, Zazzo (1974) rappelle que la théorie de l'attachement est en partie
issue des observations sur les troubles psychologiques manifestés par les nourrissons
séparés de leur mère. Actuellement, des études développementales sont encore motivées
par des demandes sociales de natures très diverses : éducation (techniques de remédia-
tion, didactique des disciplines), prise en charge des handicaps, problèmes de socialisa-
tion, etc.
E - CONCLUSION :
SITUER LA PSYCHOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT
LECTURES CONSEILLÉES
Becchi, E., & Julia, D. (Eds.) (1996). Histoire de l'enfance en Occident. T. 1 : De l'Antiquité au
xvii. siècle. T. 2 : Du xVfir siècle à nos jours. Paris : Le Seuil, 1998 pour la traduction
française.
Canguilhem, G., Lapassade, G., Piquemal, J., & Ulmann, J. (1962). Du développement à l'évolution
au nr siècle. Paris : PUF, « Quadrige », 2003.
Ottavi, D. (2001). De Darwin à Piaget. Pour une histoire de la psychologie de l'enfant. Paris : CNRS Édi-
tions.
Richardson, K. (1998). Models of Cognitive Development. Hove, UK : Psychology Press.
2 quelques grandes théories
du développement cognitif
Il n'est pas possible de présenter l'ensemble des théories qui ont été proposées pour
rendre compte du développement cognitif. Dans ce chapitre, l'accent est mis sur deux
des grands courants théoriques qui ont marqué le domaine, l'approche constructiviste
et l'approche historico-culturelle. L'approche constructiviste est illustrée par la théorie
de Piaget et les théories néo-piagétiennes. Piaget est l'initiateur du courant constructi-
viste et sa théorie est celle qui a le plus profondément marqué le domaine. Les théories
néo-piagétiennes, qui lui ont succédé, en ont conservé l'orientation constructiviste, mais
se sont appuyées sur les modèles du traitement de l'information pour résoudre certains
des problèmes auxquels se heurtait la théorie piagétienne. L'approche historico-
culturelle est illustrée par la théorie de Vygotski et les théories néo-vygotskiennes qui
s'en sont inspirées et l'ont précisée ou modifiée.
sérieux sur les petits mollusques des eaux douces et salées, suivi d'une quinzaine d'autres
articles où il tente d'expliquer les variations anatomiques des mollusques observés en
fonction des variations des milieux. En 1918, Piaget soutient un doctorat de Sciences
naturelles. Mais préoccupé tout autant par l'évolution de l'intelligence que par celle des
formes biologiques, il se rend la même année à Zurich pour suivre une formation de psy-
chologie expérimentale, puis à Paris où il suit un triple enseignement : psychologie, his-
toire des sciences et logique. C'est là que se dessine ce qui sera son champ de recherche :
construire une théorie de l'instrument même de la connaissance en étudiant, à travers
l'ontogenèse des conduites, les formes successives de la logique qui structurent
l'intelligence humaine. Il en commence l'étude à Paris au laboratoire fondé par Binet en
étudiant le développement des classifications chez l'enfant. Il la poursuit à Neuchâtel,
Lausanne et surtout Genève où il enseigne l'histoire des sciences et la psychologie et
dirige avec Barba Inhelder une équipe éminente de chercheurs. En 1955, Piaget fonde à
Genève le Centre international d'epistémologie génétique, lieu inégalé de rencontres
pour les chercheurs de disciplines diverses du monde entier. La production intellectuelle
piagétienne se développe et reste extraordinairement féconde. Entre 1907, date du pre-
mier écrit, et la mort de Piaget en 1980, on compte plus de 700 publications (1 322 avec
les traductions) auxquelles il faut ajouter trois ouvrages posthumes.
Ce bref aperçu nous renseigne sur l'intérêt porté par Piaget aux questions de
l'évolution des connaissances dans l'histoire des sciences, de l'insertion de l'intelligence
dans l'évolution biologique des espèces et de l'importance des structurations logiques
dans son développement. Ce sont les trois points d'ancrage de la théorie.
a. L'ancrage épistémologique
Piaget s'est défendu d'être seulement un psychologue dans la mesure où il est aussi
un théoricien de la connaissance. Ce qui l'intéresse vivement c'est la constatation
« épistémologique » de l'accroissement infini des connaissances scientifiques dans
l'histoire des sciences. Comment les connaissances s'accroissent-elles ? Ou si l'on peut
traduire la question d'une manière cavalière : « Comment est-on passé de la brouette à
la fusée sur la Lune ? » Quels sont les mécanismes qui permettent l'émergence de la
nouveauté ? La réponse à ces questions ne peut être abordée qu'à trois conditions : étu-
dier le développement historique des connaissances ; procéder à une analyse de
l'intelligence qui précise les instruments logico-mathématiques dont elle dispose ; et sur-
tout étudier son développement dans un raccourci saisissant, chez l'enfant. L'enfant
expert en développement et l'homme expert scientifique s'expliquent mutuellement. La
psychologie de l'intelligence sera dite génétique dans la mesure où elle étudie la genèse
des mécanismes responsables de l'accroissement des connaissances. Et puisqu'il s'agit de
mécanismes très généraux, le sujet-enfant ne sera pas le sujet individuel mais un sujet
« épistémique » conçu « comme l'ensemble des mécanismes communs à tous les sujets
d'un même niveau » (Piaget, 1968, p. 58).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 39
b. L'ancrage biologique
Dans le bref aperçu donné du cursus intellectuel de Piaget, il est clair que l'intérêt
pour l'évolution des formes biologiques a précédé celui pour les formes de l'intelligence.
Mais un pont est jeté de l'une à l'autre. L'intelligence humaine s'inscrit dans l'évolution
générale de la vie à travers ses diverses formes, ce qui conduit à créditer l'intelligence
humaine de deux fonctions fondamentales : l'adaptation et l'organisation. L'adaptation
est le produit d'une interaction entre l'assimilation et l'accommodation. L'assimilation
renvoie au processus par lequel un objet de connaissance est appréhendé par
l'organisation actuelle du sujet. L'instrument de l'assimilation est le schème défini comme
la structure ou l'organisation d'une action telle qu'elle se transfère lors de la répétition
en des circonstances semblables. Considérons, par exemple, la suite des gestes à effec-
tuer pour accrocher son propre chapeau à une patère : lever le bras, prendre le cha-
peau sur la tête, allonger le bras, accrocher le chapeau. Cette suite de gestes est un
schème qui se reproduira dans les mêmes circonstances. L'accommodation est l'activité
par laquelle l'organisation actuelle se modifie, par exemple lorsqu'il s'agira d'une
écharpe au lieu d'un chapeau. Un autre exemple peut être donné avec le schème de
succion du bébé : le mouvement des lèvres, la pression, se modifient en fonction de
l'objet à téter ou à sucer (sein, biberon, pouce). L'organisation des conduites est alors
l'aspect externe, fonctionnel, résultant de l'interaction assimilation-accommodation dont
le schème est l'instrument. Le développement de l'intelligence sera celui de ces structu-
rations successives d'actions puis d'opérations (actions intériorisées et réversibles), qui se
construisent à partir des structures initiales : les schèmes réflexes des bébés. En bref, ce
qui est inné ce sont les processus d'adaptation et d'organisation à partir des schèmes
réflexes ; ce qui se construit ce sont les organisations des actions et opérations du sujet
dans une interaction constante avec l'environnement.
c. L'ancrage logique
— Sous-stade 3. Les réactions circulaires secondaires et les procédés destinés à prolonger les évé-
nements intéressants (4 mois - 8 mois). Les réactions circulaires sont dites ici secondaires dans
Quelques grandes théories du développement cognitif I 41
la mesure où elles deviennent des comportements orientés vers les objets. Cette orienta-
tion est permise par la coordination vision-préhension qui s'établit au début de cette
étape. Les schèmes s'appliquent alors aux objets saisis (frapper, secouer, frotter, etc.).
Piaget (1936, p. 155) donne l'exemple « des secousses du berceau ». Le bébé en
secouant son berceau déclenche l'oscillation des hochets suspendus. Il recommence les
secousses pour obtenir le même résultat et les recommence aussi lorsqu'on lui présente
les hochets ou lorsqu'on agite uniquement le toit du berceau où ils sont accrochés. Il
s'agit alors d'une assimilation réciproque des schèmes moteurs et visuels qui implique
de la part du bébé une activité de coordination et de mise en relation.
La découverte de résultats heureux entraîne une différenciation après coup entre
moyens et buts et permet aux moyens de prendre un caractère de prévision, d'indices
intermédiaires (Laurent, 4 mois et demi, pleure lorsqu'on lui met la serviette qui annonce
sa potion). Concernant l'objet Piaget distingue cinq types de conduite (schèmes) :
1 / l'accommodation visuelle aux mouvements rapides ; 2 / la préhension interrompue ;
3 / la réaction circulaire différée (reprise d'une recherche d'objets interrompue par
l'adulte) ; 4 / la reconstitution d'un tout invisible à partir d'une fraction visible ; 5 / la
suppression des obstacles empêchant la perception.
— Sous-stade 6. L'invention des moyens nouveaux par combinaison mentale (12 mois -
18 mois). La combinaison mentale est le trait d'union entre l'intelligence pratique et
l'intelligence représentative. Piaget cite l'exemple de sa fille Lucienne qui ouvre la
bouche pour mimer l'ouverture d'une boîte d'où elle veut extraire une chaîne de
montre, prévoyant ainsi en la symbolisant l'action à effectuer. On assiste ici à une dif-
férenciation nette entre le signifié (l'ouverture de la boîte) et le signifiant (l'ouverture
de la bouche). Au niveau de l'objet, l'enfant tient compte des déplacements visibles et
invisibles derrière les écrans : il peut se représenter, en son absence, l'objet et son
devenir.
42 I Psychologie du développement
•• •• •• •• •• •• ••
(a) Disposition des jetons avant déplacement
•••••••
(b) Disposition des jetons après déplacement
• • •• • ••
FIG. 2.1. — Épreuve piagétienne de conservation
des petits ensembles discrets
quantitative n'est plus reconnue. Les régulations « intuitives », préopératoires sont deve-
nues assez souples pour que s'élabore une correspondance exacte mais elles restent
limitées faute de mobilité réversible.
3 / Conservation non durable puis conservation justifiée. Les réponses de conservation sont
correctes mais labiles et varient en fonction des transformations opérées sur l'une des
rangées (allongement, rétrécissement ou regroupement). La conservation devient ensuite
solide (vers 5-6 ans) et justifiée par l'un des arguments suivants : argument d'identité
( « c'est pareil, on a rien enlevé ni ajouté ») ; argument de réversibilité ( « c'est toujours
pareil, on peut resserrer les jetons pour avoir la même longueur » ) ; de compensation
( « c'est pareil, la rangée ici et plus longue mais les pions sont moins serrés ; l'autre est
plus courte mais c'est plus serré » ).
Dans le deuxième type de conduite l'enfant, qui échappe à la prégnance spatiale
de la longueur combine en pensée l'action d'allonger la rangée avec celle de la resser-
rer, ce qui détruit la transformation apparente. Mais il ne peut le faire que lorsque la
prégnance perceptive de cette transformation n'est pas trop forte. L'existence d'une
conservation solide, justifiée, témoigne de la construction d'une structure d'actions inté-
riorisées telle que : « 1 / deux actions successives peuvent se coordonner en une seule ;
2 / le schème d'action déjà à l'oeuvre dans la pensée intuitive préopératoire devient
réversible ; 3 / le retour au point de départ permet de retrouver celui-ci identique à lui-
même. Ce sont les trois opérations principales (directe, inverse et identique), constitu-
tives du groupement des opérations concrètes, dont l'élaboration sous-tend également le
développement des classifications et des sériations. »
Il faut noter qu'un décalage temporel est observé dans l'atteinte des différentes
conservations. La conservation des petits ensembles numériques est acquise vers 6 ans,
celle de la substance solide et liquide à partir de 7 ans, vers 9 ans celle du poids et vers
11 ans celle du volume. Ce décalage, dit horizontal, témoigne d'une absence de syn-
chronie dans l'apparition des conduites d'un même niveau structural et révèle les limi-
tes de la généralisation de la structure de groupement des opérations concrètes. On
peut alors se demander si une structure mentale peut se définir en dehors de son
contenu et si les contenus n'ont pas un rythme de développement qui leur est propre.
Le décalage vertical contrairement au décalage horizontal réfère à l'aspect diachronique
du développement. Il connote une rupture, avec reconstruction à un niveau supérieur
des acquis antérieurs.
Piaget et Inhelder, dans La genèse des structures logiques élémentaires (1959) se réfèrent,
pour étudier le développement des classifications, à la logique algébrique de Boole. Un
système de classes logiques existe pour un sujet lorsqu'il peut distinguer et coordonner
en compréhension (ou intension) et en extension les classes en présence. Soit par
exemple un ensemble de fleurs, 10 marguerites et 2 roses. Appelons B la classe des
fleurs, A celle des marguerites et A' celle des roses. L'extension de B, c'est l'ensemble
des fleurs, ici 10 marguerites et 2 roses ; les extensions de A et de A' sont respective-
ment les 10 marguerites et les 2 roses. La compréhension renvoie aux propriétés qui
Quelques grandes théories du développement cognitif I 45
définissent les membres d'une classe avec leurs caractéristiques pertinentes. Pour la
classe B, c'est « être des fleurs » (quelle que soit la fleur) ; pour la classe A c'est « être
des fleurs-marguerites » et pour la classe A' « être des fleurs-roses ». On conçoit facile-
ment que dans la mesure où les roses et les marguerites ont aussi la caractéristique
« fleurs », leur extension respective est incluse dans celle de la classe B des fleurs. La
coordination de l'extension et de la compréhension établit ainsi des rapports de subor-
dination entre la classe B et A et A' qui deviennent les sous-classes de B. Cela se traduit
par la formule A + A' = B B — = A. L'objectif piagétien est de montrer comment,
lors d'épreuves de classification, les conduites des enfants vont se rapprocher de ce
« modèle ».
L'observation des conduites d'enfants de 2 à 10 ans, auxquels on demande de clas-
ser soit des objets, soit des formes géométriques, permet de discerner trois étapes de
développement. La première est celle des collections fzgurales (2 à 4 ans) : les enfants dispo-
sent les objets non selon leur ressemblance et différence individuelle mais selon des cri-
tères de convenance ou d'usage (triangle sur un carré pour figurer une maison) ; c'est la
juxtaposition spatiale qui tient lieu d'extension. La seconde étape est celle des collections
non figurales (vers 4 ans) : l'enfant rassemble les éléments en petits tas selon les seuls cri-
tères de ressemblance et de différence, tas qui sont ensuite divisés en sous-ensembles, ce
qui témoigne d'un progrès dans la classification hiérarchique (coordination extension-
compréhension). Au cours de la troisième étape (vers 7-8 ans), les classifications d'objets
se hiérarchisent plus finement (parfois réalisation de tables à double entrée). Il est diffi-
cile cependant, selon les auteurs, de conclure à l'observation d'une conduite réellement
logique, opératoire, d'où l'adjonction d'une épreuve verbale qui porte sur l'inclusion des
classes.
L'exemple classique de cette épreuve est la question suivante posée devant 10 mar-
. guerites et 2 roses : « Y a-t-il plus de marguerites ou plus de fleurs ? » Avant 7-8 ans,
l'enfant répond habituellement : « Il y a plus de marguerites parce qu'il n'y a que
2 roses. » Cette réponse fausse renvoie à un défaut de différenciation et de coordination
des classes en présence. C'est la raison pour laquelle l'enfant ne parvient pas à conser-
ver la classe emboîtante, les fleurs, pendant qu'il lui soustrait l'une de ses sous-classes,
les marguerites, pour la lui comparer ; il compare alors, les marguerites et les roses,
d'où la réponse : « plus de marguerites ». La réponse correcte et argumentée : « Il y a
plus de fleurs que de marguerites parce que les roses c'est aussi des fleurs », révèle que
les classes sont bien définies en fonction des propriétés de leurs éléments et emboîtées.
Cette bonne réponse, qui apparaît vers 7 ans, témoignerait d'une organisation cognitive
isomorphe au groupement additif des classes : composition des opérations directe
A + A' = B et inverse B — A' = A. Les A sont alors compris comme des B non A' et
les A', comme des B non A. Ainsi compréhension et extension sont-elles bien défmies et
coordonnées. On retrouve ici le groupement des opérations concrètes (directe, inverse
et identique) déjà invoqué au sujet des conservations et qui est aussi impliqué dans la
sériation des longueurs. Mais si après des réponses correctes, stables et justifiées, on
pose à l'enfant la question suivante. « Est-ce qu'on peut faire quelque chose pour qu'il
y ait plus de marguerites que de fleurs ? », les enfants de 7 ans répondent : « Il faut
rajouter des marguerites. » La réponse correcte : « On ne peut rien faire, il y aura tou-
jours plus de fleurs que de marguerites, puisque les roses sont aussi des fleurs. » Le pro-
46 I Psychologie du développement
Vers 11-12 ans débute le stade des opérations formelles caractérisé par
l'avènement du raisonnement hypothético-déductif. On a vu que le propre des opéra-
tions concrètes est de porter sur les objets, leur réunion, sériation et nombre. Les
enfants de ce stade sont en quelque sorte prisonniers du contenu, de ses représentations
immédiates et perdent pied s'ils doivent raisonner sur un énoncé purement verbal ou
sur des hypothèses. Piaget donne l'exemple de la question : « Édith a les cheveux plus
foncés que Lili ; Édith est plus claire que Suzanne. Laquelle des trois a les cheveux les
plus foncés ? » Or les enfants de 9 et 10 ans, qui savent cependant sérier parfaitement
les couleurs, échouent à cette question. La réponse habituelle : « Lili est la plus foncée,
Suzanne la plus claire et Édith entre les deux », témoigne d'une sériation par couples
non coordonnés qui est celle des enfants de 5 ans dans l'épreuve classique (couple :
Édith plus foncée que Lily et couple : Édith plus claire que Suzanne). Cela révèle qu'à
l'âge de 9-10 ans l'enfant ne peut encore raisonner qu'à partir d'une observation réelle
et non à partir d'objets fictifs qui ont le statut d'hypothèses. On touche ici aux limites
des opérations concrètes. L'épreuve est réussie lorsque l'enfant sera capable « ... non
plus seulement d'appliquer des opérations à des objets, autrement dit d'exécuter en
pensée des actions possibles sur ces objets, mais de "réfléchir" ces opérations indépen-
damment des objets et de remplacer ceux-ci par de simples propositions. Cette
"réflexion" est donc une pensée au second degré : la pensée concrète est la représentation d'une
action possible et la pensée formelle la représentation d'une représentation d'actions possibles »' (1964,
p. 78-79). Mais raisonner sur la forme et non plus sur le seul contenu suppose le déve-
loppement de nouvelles structures d'opérations qui s'ancrent dans les précédentes en les
complétant : la combinatoire et le groupe des deux réversibilités. La combinatoire est
une classification des classifications et le groupe des deux réversibilités réunit en une
seule structure la réversibilité propre aux classifications et la réciprocité propre aux
sériations. Cette naissance de la pensée formelle est étudiée, à partir d'épreuve ingé-
nieuses et diverses, dans l'ouvrage d'Inhelder et Piaget, De la logique de l'enfant à la logique
de l'adolescent (1955).
1 / La combinatoire
par Piaget et Inhelder (1966, p. 106) : « Soit p une proposition, non-p sa négation,
q une autre proposition et non-q sa négation. On peut les grouper multiplicativement,
ce qui donne [p. q] (par exemple : cet animal est un cygne et est blanc), [non-p. q] (ce
n'est pas un cygne mais il est blanc), [p non-q] (c'est un cygne mais non blanc) et [non-p
non-q] (il n'est ni cygne ni blanc). » Ces quatre associations de base (groupement multi-
plicatif) sont comprises au stade des opérations concrètes. Ce n'est pas le cas de leur
combinaison 1 à 1, 2 à 2, 3 à 3, et 4 à 4, qui conduisent aux 16 opérations et à
l'épuisement de l'univers possible de l'association initiale entre p et q et leur négation.
Ces combinaisons constituent des opérations nouvelles, les opérations propositionnelles
qui sous-tendent le raisonnement hypothético-déductif et libèrent des contraintes
concrètes, leur seule valeur de vérité ou de fausseté étant prise en compte. Ce sont ces
opérations qu'Inhelder et Piaget (1955) tentent de mettre en évidence en décryptant les
verbalisations d'adolescents au cours de tâches dont la résolution exige une dissociation
de facteurs, la construction d'hypothèses et l'exclusion des hypothèses non pertinentes.
L'expérience des « oscillations du pendule » est particulièrement intéressante quand il
s'agit des opérations d'exclusion.
Dans cette expérience un solide suspendu à une ficelle est présenté. Tout ce qui
peut faire varier la longueur de la ficelle, le poids des objets suspendus, l'amplitude des
oscillations, est mis à la disposition de l'enfant. Le problème est de trouver les facteurs
qui conditionnent la fréquence de l'oscillation du pendule : longueur de la ficelle, poids,
hauteur de chute ou élan imprimé. Le premier facteur (la longueur) étant le seul res-
ponsable, il doit être dissocié des trois autres qui sont alors exclus. Avant 7 ans (étape
préopératoire), les actions matérielles priment et presque toutes les explications invo-
quent l'élan imprimé par l'enfant. Vers 8 ans les enfants sont capables de sérier les lon-
gueurs, les hauteurs de chute, les différences de poids, et de juger objectivement des dif-
férences de fréquence observées. Les sujets sont en possession de toutes les formes de
sériation et de correspondance permettant de faire varier les quatre facteurs et d'assurer
la lecture du résultat de ces variations. Mais ils ne manient que les opérations les plus
faciles, par exemple les implications vraies fondées sur la transitivité (du modèle A < C
si A < B et B < C) et « échouent lorsqu'il s'agit de celles qui excluent ce qui n'est pas et
nient les explications fausses... Il est donc évident qu'il manque encore à ces sujets
quelque instrument logique pour interpréter les données de l'expérience » (ibid., p. 65).
Au niveau suivant (14-15 ans), les adolescents dissocient tous les facteurs en jeu en n'en
faisant varier qu'un seul à la fois, toutes choses étant égales par ailleurs. Les choix opé-
rés dans les facteurs à retenir momentanément et les triages successifs des facteurs à
exclure « ... constituent la combinaison formelle fondée sur "l'ensemble des parties",
tandis que les opérations concrètes reviennent simplement à construire les correspon-
dances dont sont composées ces combinaisons de base » (ibid., p. 72).
Cette nouvelle structure coordonne les deux réversibilités, N (inversion par néga-
tion) et R (réciprocité), avec l'opération nulle ou identique I, et l'opération corréla-
tive C inverse de la réciprocité. On rappelle que les deux réversibilités existent déjà à
l'étape concrète mais qu'elles ne sont pas mises en relation, N étant impliquée dans la
50 I Psychologie du développement
Imaginons un escargot qui se déplace sur une planchette (cf. fig. 2.2). Lorsqu'il
avance, il réalise une opération directe, I. S'il recule, il effectue l'opération inverse N.
Mais un expérimentateur facétieux avance la planchette dans le sens de I : I n'est plus
alors annulé par N mais par ce mouvement réciproque R (par rapport au point de réfé-
rence situé à gauche hors de la planchette). L'inverse de R est alors C, corrélative de I,
puisque les parcours I et C se cumulent. Au stade des opérations concrètes l'enfant rai-
sonne sur chacun des deux systèmes : parcours de l'escargot sur la planchette et par-
cours de la planchette sur la table. Mais il ne comprend pas que l'avancée de l'escargot
peut être compensée par un recul de la planchette, ce qui rend l'ensemble immobile
par rapport au point de référence. Ce n'est qu'à partir de 12-13 ans qu'il coordonne les
deux systèmes.
L'expérience de la balance apporte des informations qui vont dans le même sens.
Il s'agit ici de trouver la règle de l'équilibre des bras de la balance en fonction des poids
et de la distance des poids à l'axe. Le dispositif est une balance dont les bras sont percés
de trous auxquels on peut attacher différents poids à distances régulières du pivot
(cf. fig. 2.3).
L'équilibre peut être atteint en agissant simultanément sur le poids et sur la dis-
tance du poids au pivot. Il existe une proportionnalité inverse entre le poids et la lon-
gueur que l'enfant doit découvrir : diminuer le poids en augmentant la longueur équi-
vaut à augmenter le poids en diminuant la longueur. La balance étant en équilibre,
l'augmentation du poids (opération I) produit un déséquilibre (N). Si le poids est enlevé
l'équilibre est rétabli (N X I). Si le poids est rapproché du centre un déséquilibre est
Quelques grandes théories du développement cognitif I 51
provoqué (R) ; mais le poids déplacé vers l'extrémité rétablit l'équilibre (R x C). Pour
trouver la règle de l'équilibre, il faut, comme dans le problème de l'escargot, composer
x
les deux systèmes (I N et R x C), ce qui correspond au groupe INRC. Inhelder et Pia-
get (1955, p. 144-158) décrivent les étapes de cette structuration.
Entre 3 et 5 ans les enfants ne parviennent pas à assurer l'équilibre par une
simple distribution des poids. Entre 5 et 7-8 ans ils comprennent qu'il faut un poids
de chaque côté pour assurer l'équilibre et même que les poids doivent être à peu près
égaux. Mais s'ils parviennent à ajouter et à enlever du poids, les tentatives
d'égalisation sont imprécises : il s'agit de régularisations et non d'opérations réversi-
bles. À partir de 7 ans, les égalisations des poids sont exactes. Les enfants commen-
cent à comprendre par tâtonnements que l'équilibre est possible entre un poids plus
petit accroché à une plus longue distance et un poids plus grand accroché à plus
petite distance ; mais ils ne généralisent pas encore ces constatations. Vers 12-13 ans,
le jeune adolescent comprend la règle, l'utilise et peut l'expliquer. Ses verbalisations
témoignent de l'existence d'opérations qui correspondent au groupe INRC, mais elles
révèlent aussi comment ce schème général se différencie par la construction de pro-
portions. Les adolescents qui ont compris le problème partent des deux transforma-
tions qui ont chacune leur inverse : augmenter ou diminuer le poids (P) et augmenter
ou diminuer la longueur (L). Ils découvrent ensuite que l'inverse de l'une (– P) peut
être remplacée par l'inverse de l'autre (– L) par compensation et non par annulation
comme dans la première transformation, en aboutissant au même résultat, ce qui
revient à comprendre l'équivalence de deux rapports. Si + P (augmenter le poids) est
considéré comme le point de départ (I) et – P son inverse (N), alors – L est la réci-
proque (R) de + P, et + L sa corrélative (C). On est en présence de deux couples de
transformations directes et inverses et d'une relation d'équivalence et non d'identité,
ce qui définit un système de proportions : I/R = C/N d'où IN = RC. La proportion-
nalité est tirée du groupe des deux réversibilités.
Ces opérations propositionnelles, combinatoire et groupe INRC, sous-tendent le
raisonnement hypothético-déductif lequel, dans un problème à résoudre, organise les
possibles dont le réel devient un cas particulier. Elles ne peuvent se réduire à une
nouvelle manière de décrire les faits. Elles ne peuvent non plus être confondues sans
plus avec le modèle logique explicatif. Elles constituent une vraie logique du sujet qui
se greffe sur la logique des opérations concrètes antérieures qu'elles prolongent et
généralisent.
52 I Psychologie du développement
Les stades dont il vient d'être question sont des descriptions d'un certain décours
du développement. Chacun d'eux renvoie à un groupement d'opérations spécifiques
(groupe pratique des déplacements, groupement des opérations concrètes puis groupe
des opérations formelles) qui sont au sens large des systèmes présentant des lois ou des
propriétés de totalité en tant que systèmes. Ces systèmes ou structures ont une genèse et
un développement de telle manière qu'à tous les niveaux elles sont préfigurées par des
structures plus faibles. Piaget (1964, p. 120) écrit : « Toutes nos recherches, depuis des
années, ont abouti à montrer, non pas qu'il y a de la logique partout, ce qui serait
absurde, mais qu'il existe à tous les niveaux des structures qui ébauchent la
logique et qui, en s'équilibrant progressivement aboutissent aux structures logico-
mathématiques. » La question est alors de savoir comment s'effectue le passage d'une
structuration incomplète, faible ou instable, au palier supérieur d'une structure
d'opérations plus efficaces. La maturation, l'exercice, l'influence du milieu ne sont pas
des facteurs qui doivent être sous-estimés, mais ils sont insuffisants. Piaget postule
l'existence d'un processus interne au sujet connaissant actif qui l'incite à transformer les
formes de connaissance dans le sens de l'optimisation. Ce processus est l'équilibration des
structures cognitives, manifestation des tendances fondamentales d'assimilation et
d'accommodation qui régissent tout système organique et cognitif. Il ne s'agit pas ici
tant d'un retour à l'équilibre que d'une équilibration majorante dans la mesure où les
structures sont toujours en devenir : devenir de formes et/ou d'applications optimales.
Piaget a présenté successivement deux modèles de l'équilibration, le premier inspiré de
la thermodynamique, le second de la cybernétique. C'est ce dernier qui est exposé dans
l'ouvrage, L'équilibration, problème central du développement (Piaget, 1975).
1 / La perturbation est annulée par une action et le système reste stable : par
exemple lors d'une classification l'enfant retire un rond bleu qu'il avait placé avec les
rectangles bleus (compensation par négation).
logiques. Cette abstraction est dite réfléchissante sous deux aspects complémentaires : le
réfléchissement ou transposition sur un plan supérieur de conceptualisation de ce qui
est dégagé d'un palier précédent ; la reconstruction à ce nouveau plan de ce qui a été
dégagé (réflexion au sens propre). La notion de décalage vertical rend compte du résul-
tat de cette reconstruction. L'abstraction réfléchissante est dite pseudo-empirique dans
la mesure où les nouvelles coordinations dégagées sont tirées d'activités qui ont besoin
d'objets pour s'exercer. C'est le cas de la classification qui vient d'être citée. Piaget en
donne un autre exemple : « ... aligner des cailloux et découvrir que leur nombre est le
même en procédant de gauche à droite et de droite à gauche (ou en cercle, etc.) ; en ce
cas, ni l'ordre ni la somme numérique n'appartiennent aux cailloux avant qu'on les
ordonne ou qu'on les compte et la découverte que la somme est indépendante de
l'ordre a consisté à abstraire cette constatation des actions elles-mêmes de dénombrer et
ordonner, quoique la "lecture" de l'expérience ait porté sur les objets » (1969, p. 62).
Piaget souligne qu'il s'agit bien d'un cas particulier de l'abstraction réfléchissante et
nullement d'un dérivé de l'abstraction empirique, bien que les objets lui soient un sup-
port nécessaire. L'abstraction réfléchissante évolue en se détachant de ses appuis
concrets. Lorsque le sujet devient conscient de ses propres opérations, elle devient
réfléchie, et cela indépendamment du niveau de développement.
Piaget procède d'une interrogation sur les raisons de l'accroissement des connaissances
scientifiques, gage d'une meilleure adaptation de l'homme à son environnement phy-
sique. Or cette adaptation requiert le raisonnement logique. Après tout, on n'est pas
allé sur la Lune en tapant seulement avec un marteau sur des clous ! Il y a fallu, et cela
même pour la partie matérielle de l'aventure, une somme incroyable de raisonnements
et de calculs complexes. L'histoire du nombre à travers l'histoire de l'humanité nous
révèle une lente montée de l'abstraction et l'opiniâtreté de la rationalité humaine sur-
montant tous les obstacles dans sa recherche d'instruments de connaissance qui permet-
tront de dépasser ses limites physiques (cf. Bideaud et al., 2004). Et ces instruments
logico-mathématiques, étonnants moyens de comprendre l'univers, sont issus des struc-
turations étudiées par Piaget chez l'enfant. La fascination de Piaget pour le « devenir »,
la science en train de se faire et non les états de connaissance, explique sa démarche.
Elle explique aussi que son sujet soit l'enfant, l'homme « en devenir » qui s'approprie
l'univers en construisant ses outils cognitifs de plus en plus performants.
Un autre mérite de la théorie est son constructivisme qui repose sur l'activité du sujet
dans son environnement. C'est le sujet qui, par son action, élabore les instruments mêmes
de son intelligence en construisant, ou mieux en reconstruisant, ses objets de connais-
sance. Les structures normatives de la connaissance qui fondent simultanément
l'objectivité et la subjectivité sont des structures d'opérations du sujet. Le modèle de la vie
psychologique n'est pas l'animal comme chez les behavioristes. Ce n'est pas non plus le
champ de forces de la théorie de la Gestalt, ni la machine à calculer de la théorie de
l'information. C'est l'intelligence en marche chez l'enfant qui rend compte de
l'intelligence en marche du logicien et du mathématicien. L'enfant expert en développe-
ment et l'homme expert scientifique s'expliquent mutuellement. On ne sort pas du sujet
humain auteur, acteur-constructeur de l'objet. Ce rôle majeur de l'action, qui a été cri-
tiquée fortement, est de nouveau remis en évidence. Berthoz (1993, 1996), dans sa leçon
inaugurale au Collège de France, propose de supprimer la dissociation entre perception
et action. « La perception — dit-il — est une action simulée » (1993, p. 16) et l'action
influence la perception à sa source. Il est convaincu « que la cognition humaine est issue
d'un raffinement des fonctions sensori-motrices » (ibid., p. 9) et„ que le cerveau peut être vu
comme un simulateur d'actions. Piaget n'a rien dit d'autre et s'en réjouirait lui qui écri-
vait : «J'ai la conviction illusoire ou fondée (et dont l'avenir montrera la part de vérité ou
de simple ténacité orgueilleuse) d'avoir dégagé une ossature générale à peu près évidente
mais pleine de lacunes, de telle sorte qu'en les comblant on sera conduit à en différencier
de multiples manières les articulations sans contredire pour autant les grandes lignes du
système mais en les intégrant en de nouvelles interprétations » (1976, p. 223).
LECTURES CONSEILLÉES
Bideaud, J., Houdé, O., & Pédinielli, J.-F. (2004). L'homme en développement. Paris : PUF (1" éd.,
1993).
Lehalle, H., Mellier, D. (2002). Psychologie du développement. Enfance et adolescence. Paris : Dunod.
Mallet, P., Meljac, C., Bauder, A., & Cuisinier, F. (2003). Puchologie du développement. Enfance et
adolescence. Paris : Belin.
58 I Psychologie du développement
Il faut faire un premier constat : toutes les grandes théories fondatrices du dévelop-
pement psychologique admettent que le développement humain se réalise dans un envi-
ronnement qui comporte de nombreux aspects sociaux et que ces aspects peuvent
contribuer à différencier, à faciliter ou à entraver certaines activités psychologiques.
Piaget lui-même, à qui l'on reproche souvent (de façon d'ailleurs souvent non perti-
nente) de ne pas tenir compte de l'environnement social, a consacré à plusieurs reprises
des pages entières à souligner par exemple le rôle joué par les interactions entre enfants
dans le développement du raisonnement logique.
Pour autant, si les variables d'origine sociale ont un effet différentiel sur
l'expression du développement, ces mêmes variables n'ont pas de statut théorique fort
dans le modèle piagétien. Parmi les facteurs invoqués par Piaget (maturation, expé-
rience, transmission sociale), c'est en effet l'équilibration, processus interne à l'individu
même s'il est commun à toute l'espèce, qui assure la coordination de l'ensemble des
influences et constitue le processus de transformation de l'organisation cognitive.
Les modèles classiques de l'apprentissage ou du conditionnement n'accordent pas
non plus de statut particulier aux contraintes d'origine sociale : l'association d'un côté,
le conditionnement de l'autre, sont des processus qui fonctionnement à tous les niveaux
de complexité des organismes et, surtout pour ce qui nous concerne ici, avec tous les
types de stimulations (même si le cas particulier du langage a conduit Pavlov à dévelop-
per l'idée d'un « second système de signalisation » et les behavioristes de la seconde
génération à entreprendre des travaux sur la « médiation verbale »).
Par contraste avec ce qui précède, une troisième perspective met explicitement la
culture au centre de ses préoccupations. Historiquement, elle est référée aux noms de
Baldwin, de Janet, de Vygotski ou de Wallon pour ce qui est des « pères fondateurs »
de la Psychologie du développement. Ces auteurs — et leurs continuateurs contempo-
rains dont on parlera dans ce chapitre — ont en commun l'introduction des phénomè-
nes sociaux et historiques comme une matrice dans laquelle se construit l'organisation
psychologique.
Cette perspective prend appui sur trois grands thèmes qui ont été travaillés depuis
le xvin siècle dans l'histoire des idées en Europe occidentale.
Le concept d'adaptation tel qu'il est issu de la vision darwinienne et qui rompt
avec la perspective créationniste et linéaire de Lamarck puis de Spencer (cf. ce volume,
le chapitre « Histoire et évolution de la psychologie du développement », § 1.3 pour
une présentation de la thèse de la récapitulation). Le concept d'adaptation, base de la
conception de Piaget sur les invariants fonctionnels que sont l'assimilation et
Quelques grandes théories du développement cognitif I 59
Une première réponse est apportée par les travaux classiques portant sur les com-
paraisons interculturelles : les contrastes culturels permettent d'analyser ce qui est indé-
pendant de la culture et, ainsi, d'isoler ce qui est universel dans les constructions
psychologiques.
On y prend comme cible de recherche des constructions psychologiques dont on a
déjà, en général, largement validé l'existence par des travaux psychologiques « classi-
ques », et on cherche à évaluer comment ces constructions psychologiques peuvent être
infléchies par des contraintes propres à telle ou telle culture.
Berry, Poortinga et al. (1992) par exemple définissent la Psychologie interculturelle
comme « l'étude des similarités et des différences relatives au fonctionnement psycholo-
gique individuel dans des groupes sociaux et ethniques divers ; des relations entre les
variables psychologiques et socioculturelles, écologiques et biologiques ; et aux change-
ments qui modifient ces variables » (p. 2).
Cette approche, souvent utilisée a été aussi souvent critiquée sur plusieurs points.
La plus ancienne critique est sans doute le reproche d'ethnocentricité qui se manifeste
entre autres dans le choix des cibles. Celles-ci sont le plus souvent reprises aux tra-
vaux occidentaux comme si c'étaient là les accomplissements de référence du dévelop-
pement psychologique et comme si les variations constatées devaient être jugées à
cette aune... L'assomption fondatrice est que les processus psychologiques basiques
« occidentaux » sont basiques partout dans le monde. Et la comparaison entre les
cultures sert seulement à éclairer en quoi « la culture » peut influencer en plus ou en
moins tel processus psychologique basique (Vinden et Astington, 2000). On peut en
trouver des illustrations dans les débats sur l'universalité du complexe d'OEdipe, des
invariants opératoires, ou des Théories de l'esprit pour prendre des exemples dans
trois générations successives.
Par ailleurs, nombre de psychologues qui pratiquent la Psychologie interculturelle
considèrent la culture comme un ensemble de variables indépendantes et l'individu
comme un complexe de variables dépendantes. Ils utilisent le plus souvent des disposi-
tifs quantitatifs portant sur des comparaisons entre groupes, ce qui conduit par exemple
Rogoff et Angelillo (2002) à considérer que même s'ils se défendent d'ethnocentrisme
Quelques grandes théories du développement cognitif I 61
a. La conception de Vygotski
avec des pairs plus capables » (1927/1978, p. 86, trad. pers.). Avant d'examiner les tra-
vaux auxquels le concept a donné lieu à la fin du XXe siècle, il est nécessaire d'en faire
une brève analyse.
Le concept de ZPD est tardif dans la pensée de Vygotski. Il a été élaboré initiale-
ment dans le cadre des débats autour de la « pédologie », c'est-à-dire de l'étude des
enfants dans une perspective éducative. Selon Valsiner et van der Veer (1993), on en
trouve la première trace dans une conférence datant de 1933 dont le titre est : « À pro-
pos de l'analyse pédologique du processus pédagogique. »
Il s'agit là de contribuer à un diagnostic utile pour des pédagogues, c'est-à-dire qui
leur indique ce vers quoi l'enfant peut être conduit, qu'il ne connaît pas encore. C'est
un concept descriptif qui souligne l'importance à accorder à l'éducation des fonctions
psychologiques en cours de construction par contraste avec celles qui sont déjà dévelop-
pées et fonctionnent de façon autonome. Au début des années 1930 en effet commen-
cent à émerger des oppositions idéologiques majeures à la psychométrie, et l'analyse
critique propre de Vygotski le conduit à prendre du recul par rapport à ce que les tests
peuvent apporter (pour plus d'information sur ce débat, voir Zazzo, 1968).
Toutefois, le concept a aussi une articulation forte avec la loi générale_du dévelop-
pement mental formulée par Vygotski. Le passage de l'interpsychologique à
l'intrapsychologique s'effectue en effet dans cette zone dans laquelle on peut utilement
aider l'enfant à construire ses fonctions psychologiques émergentes. Il permet de
conceptualiser de processus développemental qui mène le système psychologique de
l'organisation actuelle vers son organisation future.
La notion de ZPD a donc chez Vygotski lui-même une valeur plus heuristique que
proprement explicative. Il est évident que son décès prématuré ne lui a guère laissé de
temps pour l'élaborer. De surcroît, elle restera pratiquement lettre morte jusqu'au
début des années 1960 lorsque l'oeuvre de Vygotski sortira de la mise à l'index qui
l'avait frappée dès le milieu des années 1930 et commencera d'être publiée dans
d'autres langues (Vygotski, 1962 ; voir aussi le chapitre « Histoire et évolution de la
psychologie du développement » dans ce volume).
L'impact du concept — les développements auxquels il a donné lieu, et tout autant
sa critique — s'est fait sentir depuis ce temps dans plusieurs directions que nous exami-
nons ci-dessous.
ENCADRÉ 2.1
Biographie
Vygotski est né à Orsha, près de Minsk (Belarus) en 1896 et mort à Moscou en 1934.
Il fait des études de droit et de lettres à l'Université de Moscou. Il étudie aussi l'histoire,
la philosophie et la psychologie à l'Université Shaniavskii. En 1917, il obtient un doctorat rela-
tif à « La Psychologie de l'art ». C'est au cours de cette période qu'il développe ses relations
avec les formalistes russes et construit sa conception de la sémiotique.
Sa carrière se déroule tout d'abord à Glomel (Belarus) où il est professeur de lettres et de
littérature russe entre 1917 et 1924, puis il enseigne à l'Institut de psychologie de l'Université
de Moscou de 1924 jusqu'à sa mort. Il fonde plusieurs instituts de psychologie (Kharkov,
64 I Psychologie du développement
Publications
Ses oeuvres complètes sont publiées en russe à partir de 1982, en allemand (1985) et en
anglais (1987).
En français, 7 ouvrages sont actuellement disponibles :
Schneuwly, B., & Bronckart, J. P. (1985). Vygotski aujourd'hui, Neuchatel : Delachaux & Niestlé.
Cet ouvrage comporte plusieurs textes de Vygotski.
Vygotski, L. S. (textes originaux parus entre 1927 et 1935). Défectologie et déficience mentale,
Neuchatel : Delachaux & Niestlé, 1994.
Vygotski, L. S. (1931). Théorie des émotions, trad. fr., Paris : L'Harmattan, 1998.
Vygotski, L. S. (1934). Pensée et langage, trad. fr., Paris : La Dispute, 1999.
Vygotski, L. S. (1927). La signification historique de la crise en Psychologie, trad. fr ., Neucha-
tel : Delachaux & Niestlé, 1999.
Vygotski, L. S. (1930). Conscience, inconscient, émotions, trad. fr ., Paris : La Dispute, 2003.
Vygotski, L. S. (1917). Psychologie de l'art, trad. fr ., Paris : La Dispute, 2005.
ENCADRÉ 2.2
La 5' Dimension
Cet environnement éducatif est implanté dans diverses institutions aux États-Unis et ailleurs
( Mexique, Australie, Russie...) et s'articule autour de trois buts principaux :
— offrir un système complexe et viable d'activités qui se développent dans un réseau virtuel,
et susceptibles d'être implantées dans des environnements institutionnels variés ;
— proposer aux enfants un environnement éducatif et d'instruction leur permettant de maîtri-
ser des connaissances et savoir-faire liés à la scolarisation (lecture, numération) ;
— analyser en permanence comment les activités et le développement des enfants se créent
mutuellement (introduction par les enfants de changements dans les activités et change-
ments chez les enfants en relation avec la modification des activités).
Du point de vue des enfants, la 5D est un système d'activité qui combine jeu, éducation,
interaction sociale et affiliation.
Le coeur du dispositif d'activités a la forme d'un labyrinthe divisé en 20 chambres. Cha-
cune d'elles offre deux types d'activités : avec ou sans usage d'ordinateur. Selon les règles
de 5D (qui sont formulées selon une charte que l'enfant reçoit et à laquelle il souscrit explicite-
ment) les enfants progressent dans 5D en maîtrisant les tâches associées aux différentes
chambres et avec l'assentiment du Maître de 5D (ce Maître reçoit des dénominations diffé-
rentes selon les lieux d'implantation, en Floride où se trouve le site d'origine, il est nommé
The Wizard.
La participation de l'enfant
Les premiers pas sont accomplis lorsque l'enfant décide des premiers buts à atteindre.
Ensuite, les enfants doivent décider par où ils vont commencer leur voyage dans le labyrinthe.
Un « guide d'aventures » leur donne les informations nécessaires pour jouer. Les progrès de
chaque enfant sont consignés dans un « cahier d'aventures ».
Le choix des chambres successives dépend du niveau de maîtrise atteint lors du jeu ou
de l'activité choisis. Avant de se rendre à la chambre suivante, un « défi » (adventure task) doit
être relevé.
Le choix des défis donne l'occasion d'écrire au Maître, à des correspondants, de rédiger
un journal personnel, conserver des informations, faire une activité artistique, à propos des
stratégies utilisées ou des connaissances accumulées lors de l'activité précédente choisie.
Dans la mesure où les enfants doivent réaliser le défi lié à une chambre avant d'accéder la sui-
vante, ils sont constamment confrontés à la nécessité de formuler et de réfléchir sur ce qu'ils
font et de le communiquer aux autres dans la communauté 5D.
dans les pratiques et les routines de la vie quotidienne qui ne sont pas focalisées sur
l'instruction ou la guidance » (1990).
Pour rendre compte du processus développemental qui conduit le système psycho-
logique de son organisation actuelle vers son organisation future, elle propose le
concept de participation guidée. Ce faisant elle étend le concept de ZPD et met l'accent
« sur l'interrelation des rôles de l'enfant et de ses partenaires adultes et autres
compagnons, et de l'importance de l'interaction sociale tacite et à distance au-delà des
face-à-face explicites dans la participation guidée » (1990, p. 16). Elle prend ainsi en
compte deux aspects importants du fonctionnement cognitif en situation.
Les tâches dans lesquelles se déroulent les interactions dyadiques sont issues de
contraintes macrosociales. Ainsi, Rogoff et Angelillo (2002) relèvent que chez les mères
de classes moyennes nord-américaines, il existe de nombreuses interactions de jeu et
des conversations comportant des activités de leçon ou des formats de discours appa-
rentés aux formats de l'éducation scolaire, au contraire de ce que l'on observe dans des
familles rurales indiennes du Mexique. Dans cette seconde culture, les opportunités
qu'ont les enfants d'observer des activités adultes et d'y participer rendent superflue
l'offre de situations d'apprentissage centrées sur l'enfant (comme le discours instruction-
nel) ou d'activités préparatoires à l'accomplissement de rôles adultes (dans des situations
de jeu « dirigé »).
Les auteures mettent en relation ces différences avec le contraste des environne-
ments sociaux globaux qui font que, dans les communautés indiennes étudiées, il y a
peu de besoins de maîtriser les fonctions associées à une économie fondée sur le com-
Quelques grandes théories du développement cognitif I 69
L'idée majeure avancée par Vygotski dans son analyse de la ZPD est que la per-
sonne se libère elle-même des confinements de son univers actuel à travers des média-
tions sémiotiques et des actes instrumentaux. Toutefois, cette libération se produit en
deux temps. Dans un premier temps, l'enfant participe à des tâches qui impliquent des
aînés et cette participation oriente son développement à travers le partage des buts et
l'appropriation des moyens d'accomplir les tâches. On est donc dans un cadre
d'interactions sociales à proprement parler. Cependant, Vygotski affirme aussi qu'au-
delà d'un certain seuil (que nous illustrerons ci-dessous par la controverse avec Piaget
sur le « langage égocentrique ») c'est le langage intérieur et l'activité imaginaire de
l'enfant qui prennent le relais et achèvent l'autonomisation d'un plan de la représenta-
tion et des capacités d'autodirection de la conduite. Nous examinerons dans ce qui suit
la façon dont cette question est traitée aujourd'hui.
ENCADRÉ 2.3
C'est en 1932 que paraît en russe, sous l'impulsion de Vygotski la thèse de Piaget publiée
en 1923 sous le titre le langage et la pensée chez l'enfant. C'est après cette parution et celle de
l'ouvrage le jugement et le raisonnement chez l'enfant que Vygotski va critiquer la notion de
langage égocentrique.
réapparaître des propos non adressés à autrui mais qui sont associés à l'activité du sujet
dans la phase de résolution du problème. Le langage « égocentrique » dont parle Piaget
n'est donc pas un simple épiphénomène de l'activité de pensée. Il a une fonction
propre, celle de contribuer à la résolution du problème.
Pour comprendre comment les activités langagières parviennent à prendre cette
fonction, deux autres points sont à prendre en compte. L'analyse des propos « égocentri-
ques » montre que ceux-ci correspondent à des remarques, des consignes, des observa-
tions que l'on trouve habituellement dans la bouche des adultes qui accompagnent les
enfants dans des tâches diverses (faire un puzzle, faire la cuisine...) : le moment où le lan-
gage égocentrique est à son acmé correspond au moment où l'enfant devient capable de
prendre en charge le guidage de sa propre activité cognitive. H peut désormais être à la
fois l'émetteur et le destinataire de propos à fonction de régulation cognitive.
Le second point à prendre en compte est le devenir du Langage égocentrique lui-
même. Chez Piaget, il disparaît pour faire place au langage socialisé. Pour Vygotski au
contraire il persiste mais sous une autre forme. C'est un moment de transition, car
ensuite ces formulations explicites s'intérioriseront en « langage intérieur », et l'activité
imaginaire soutenue par les ressources du langage intérieur prendra le relais de ce que
furent les interactions enfant-adulte durant toute la période préscolaire : elle deviendra
une ressource pour l'autodéveloppement.
Cette thématique a alimenté un courant de travaux relatifs au développement et
aux fonctions du « langage privé » selon l'expression forgée par Flavell (1966) pour
rompre avec le terme égocentrique, trop connoté par la perspective piagétienne. Afin
de rester dans les limites de ce chapitre, nous ne le développerons pas ici ce point mais
le lecteur intéressé pourra se reporter à Diaz et Beck (1992).
Bruner a donné une impulsion décisive aux études postvygotskiennes relatives aux
relations entre développement cognitif et usages du langage en montrant l'importance
de la dimension pragmatique du fonctionnement langagier (Bruner, 1983).
L'unité d'analyse ici n'est pas le mot, mais l'acte de langage (speech act) introduit
par des linguistes tels que Austin ou Searle. Lorsque je dis quelque chose, je fais aussi
quelque chose : je donne un ordre, j'adresse une requête (directif), j'affirme l'existence
de quelque chose (assertif), je promets, je jure (promissif), je décrète, je déclare (le pré-
venu coupable) (déclaratif), je fais un voeu, je souhaite (expressif). Tout énoncé com-
72 I Psychologie du développement
porte ainsi un contenu propositionnel (ce qui est affirmé) : c'est l'aspect « locutoire » ;
une dimension d'action sur autrui (je demande avec plus ou moins d'insistance, tu
réponds... ou non) : c'est l'aspect « illocutoire » ; un effet (attendu ou non : tu ne satis-
fais pas à ma requête, tu crois en ma promesse, le prévenu devenu condamné va en
prison...) c'est l'aspect « perlocutoire ».
Ce type d'analyse a deux particularités : d'une part, il dépasse le mot et la phrase,
unités classiques de la linguistique, pour inclure des unités plus larges, de nature interlo-
cutive (les actes de langage s'enchaînent au cours des dialogues) ; d'autre part, il
s'appuie sur une dimension intrinsèquement intersubjective et sociale : la situation
d'interlocution est toujours socialement située.
Les actes de langage ont une dimension instrumentale : ce sont des « pratiques »
qui mettent en relation une intention et un but. Et ces pratiques associent indissoluble-
ment une action de communication et une action de représentation. Les propos énon-
cés peuvent être utilisés en relation avec le contexte extra-linguistique (les objets, les
lieux, les personnes, les intentions) c'est là une fonction déictique (les termes comme çà,
ici ou demain en sont des exemples, ils ne sont déterminés qu'en fonction de la situation
de celui qui parle), les propos peuvent être utilisés pour référer au contexte linguistique
lui-même (par exemple un pronom peut se rapporter à un référent introduit antérieure-
ment par un syntagme nominal) : c'est la fonction intralinguistique ; enfin ils peuvent
porter sur les relations entre les énonciations et les contextes de l'énonciation (fonction
métapragmatique) comme dans les propos rapportés (exemple : il m'a dit que...) ou dans
cette recommandation empruntée au chanteur belge Julos Beaucarne : « Dans le cadre
de la quinzaine du beau langage, ne disez pas disez, Bisez dites. »
Dans ses interactions quotidiennes, l'enfant est ainsi conduit, pour Bruner, à
découvrir et utiliser ces différentes fonctions dans la mesure où ce qu'il dit est interprété
par autrui, et à se représenter à lui-même ses propres représentations. Il « devient ainsi
capable d'effectuer par lui-même les actions qu'il ne pouvait pas effectuer sans l'étayage
de l'adulte auparavant » (1983, p. 291). En d'autres termes il devient capable
d'autodirection de la conduite grâce à une internalisation des pratiques langagières :
c'est cette transition que marque l'apparition du langage « privé » qui contribue à
transformer des représentations acte en représentations déclaratives.
2 / La contribution de Wertsch
À la recherche lui aussi d'une unité d'analyse plus appropriée que le mot, Jim
Wertsch (1991) emprunte à Bakhtin les notions de voix et de dialogisme. Le terme voix ne
fait pas référence à la voix physique mais au point de vue ou à la perspective du locuteur
dans le contexte de profération (à ses intentions, à ses croyances, à sa vision du
monde...). Le second concept, celui de dialogisme est associé à l'affirmation selon laquelle
toute énonciation est « adressée », c'est-à-dire incorpore d'emblée une représentation de
la perspective attribuée à autrui par le locuteur. Selon les occasions et les types de mes-
sages, autrui peut être un interlocuteur singulier (comme dans une conversation de la
vie quotidienne), ou une communauté circonscrite de spécialistes dans un domaine par-
ticulier, un public plus ou moins différencié (groupe ethnique, groupe de même opi-
nion, d'opposants ou d'ennemis...).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 73
avant l'entrée à l'école. Ce que les enfants doivent apprendre à faire, c'est « orienter ces
savoir-faire vers les buts du discours instructionnel ». Se référant explicitement à la
notion de médiation sémiotique, Pontecorvo analyse comment les enfants d'âge scolaire
s'approprient les procédures et les raisonnements spécifiques à différents domaines de la
connaissance (sciences naturelles, histoire) dans le cadre de discussions scolaires.
Le travail de l'historien implique deux grands types de composant : des procédures
méthodologiques et métacognitives de haut niveau dédiées à l'analyse de la valeur des
informations dont il dispose (l'ensemble de documents relatifs à un événement histo-
rique) et des procédures dédiées à l'explication-interprétation (il cherche à catégoriser
les acteurs sociaux, à situer chronologiquement les événements, à interpréter les inten-
tions et les actions, à relier les acteurs et les actions aux contextes historiques...).
Dans l'étude de Pontecorvo et Girardet (1993) le travail cognitif sur ces caractéris-
tiques est étudié à travers des discussions portant sur le jugement formulé par
Ammiano Marcellino, un historien romain du ive siècle, sur les Huns : « Ils ont des
habitudes similaires à celles de bêtes. » Ces discussions concernent 30 enfants de 9-
10 ans répartis en 6 groupes de discussion (au total près de 4 h 30 de discussions enre-
gistrées), ces discussions ayant lieu après dix heures de classe dédiées à l'étude des rela-
tions entre les Romains et les « barbares ».
L'analyse des discussions (dans lesquelles nous n'entrerons pas ici) indique que les
enfants se situent principalement dans deux types de questions-cadres : le jugement de
l'historien est-il acceptable ? (que veut dire « comme des bêtes » ? quelles étaient les
conduites concernées ?) ; quelles sont l'authenticité et la fiabilité des sources : est-ce que
l'historien avait une bonne information ? d'où la tenait-il ?, et qu'ils accomplissent plus
ou moins partiellement certaines procédures d'évaluation des sources et d'explication-
interprétation, outils et pratiques propres au domaine scientifique considéré.
Évidemment, cette étude microgénétique (voir chap. 3 : « Les méthodes ») est
insuffisante en elle-même pour établir un lien de causalité, et les auteures concluent
elles-mêmes au besoin de combiner celle-ci avec d'autres études, longitudinales et
transversales. Cependant cette recherche montre l'importance de créer des situations
propices à la coélaboration à travers des discussions de représentations, en relation avec
un domaine cognitif spécifique (voir aussi Dumas-Carré et al. (2003) pour d'autres
domaines).
L'évolution récente des travaux relatifs à l'attribution à autrui d'états mentaux par
l'enfant (l'élaboration des « théories de l'esprit ») en fournit une illustration par laquelle
nous terminerons (voir encadré 2.4).
ENCADRÉ 2.4
La notion de fausse-croyance
Voici un schéma classique des protocoles qui étudient la « fausse croyance ». On joue devant
l'enfant une saynète qui comporte deux protagonistes : Sally et Ann (Baron-Cohen et al.,
1985). Devant chaque poupée se trouve un petit panier avec un couvercle. Dans un premier
temps les poupées arrivent, Sally apporte avec elle une bille qu'elle range dans son panier en
disant qu'elle revient tout de suite pour jouer avec la bille mais qu'avant elle doit encore « dire
quelque chose à une copine ». Pendant que Sally est partie, Ann change la bille de place en
remettant bien les couvercles.
Enfin Sally rentre et l'expérimentateur demande à l'enfant « où Sally va-t-elle aller cher-
cher sa bille ? ».
Avant l'âge de 4 ans environ les enfants disent : « là » en montrant le panier où la bille se
trouve réellement. Au-delà, ils déclarent le plus souvent « dans le panier » (où elle l'a laissée)
et peuvent ajouter parfois « parce qu'elle sait pas » (que sa bille a été déplacée). Ceux-là sont
capables de prendre en compte que Sally croit à tort ( « fausse croyance » ) que la bille est
dans sa propre boîte ; et ils prédisent que Sally va se conduire en fonction de cette fausse
croyance et non de la situation telle qu'elle est réellement. Ils comprennent que notre esprit
est constitué de — et notre conduite animée par des représentations de la réalité.
Les contributions précédentes élargissent donc le concept de ZPD dans deux direc-
tions. La première est une plus large prise en compte des cadres de l'activité conjointe.
Les travaux contemporains, après avoir introduit les interactions de tutelle comme une
contrepartie indispensable au concept de ZPD, ont replacé celles-ci dans un cadre plus
large. Tout d'abord les interactions face à face ne sont qu'une petite partie de ce qui
constitue les activités conjointes auxquelles l'enfant prend part. En second lieu, les acti-
vités « d'apprentissage » ne se réduisent pas à des situations formelles d'enseignement
ou d'instruction, l'instruction n'apparaît ici que comme une forme particulière que
peuvent prendre les interactions sociales dans la formation des outils cognitifs.
Au-delà de ces enrichissements de l'analyse des façons dont se manifestent les
contraintes culturelles, ces contributions laissent néanmoins en suspens une question cen-
trale pour le psychologue du développement. En déplaçant la focalisation vers la partici-
pation sociale et les changements sociaux comme source du développement, Rogoff,
comme Cole, considèrent de facto qu'il suffit d'assurer la participation sociale de l'enfant
pour que se développe la cognition, faisant l'impasse sur les ressources intra-individuelles
dont l'enfant lui-même doit disposer pour tirer bénéfice de ses participations sociales. À
cette difficulté répondent en partie les travaux qui mettent en évidence les moyens dont
disposent les enfants pour comprendre l'intentionnalité des conduites et plus largement
pour comprendre les états mentaux (Astington, 1999 ; Tomasello, 2004).
Le second élargissement est le remplacement du mot par des unités plus larges
pour rendre compte des changements cognitifs associés à l'acquisition du langage. Dans
cette perspective, on constate une évolution qui aboutit à mettre en relation de façon
opérationnelle des modèles de développement psychologique et des modèles issus de la
linguistique ou de la philosophie du langage d'inspiration pragmatique, c'est-à-dire por-
tant sur les usages du langage en relation avec les contextes sociaux et les buts des
acteurs : ce sont les activités langagières qui deviennent le moteur des changements cogni-
tifs. C'est dans ce contexte que les travaux empiriques relevant de la pragmatique déve-
loppementale prennent tout leur sens.
Il faut souligner cependant que les évolutions que l'on vient de rappeler et
l'émergence même de la « Psychologie culturelle » sont en relation avec l'évolution de
78 I Psychologie du développement
LECTURES RECOMMANDÉES
Bernicot, J., Trognon, A., Guidetti, M., & Musiol M. (Eds.) (2002). Pragmatique et psychologie.
Nancy : PUN.
Berry, J., Poortinga, Y. H., & Pandey, J. (1997). Handbook of Cross-Cultural Pychology. Boston :
Allyn & Bacon, Second Edition.
Bronckart, J. P. (1996). Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionnisme sociodiscursif. Lau-
sanne : Delachaux & Niestlé.
Clot Y. (Ed.) (2002). Avec Vygotski. Paris : La Dispute.
Danis, A., Schubauer-Leoni, M.-L., Weil-Barais, A. (Eds.) (2003). Interaction, acquisition des
connaissances et développement, Bulletin de psychologie, 56, numéro thématique.
Greenfield, P. M. (2004). Weaving Générations Together. Evolving Creativibl in the Maya of Chiapas.
Santa Fe : School of American Research.
Rogoff, B. (2003). 77te Cultural Nature of Human Development. Oxford : Oxford University Press.
Tomasello, M. (2004). Aux origines de la cognition humaine. Paris : Retz.
Veneziano, E. (Ed.) (1999). La conversation, instrument, objet et source de connaissances. Paris :
L'Harmattan.
logique chez certains, alors que le décalage était de sens inverse chez d'autres), met-
taient en question le caractère universel du cheminement développemental (Lautrey,
Rieben et de Ribaupierre, 1986). Une autre critique fondamentale adressée à la théorie
était de décrire une succession de structures cognitives de plus en plus puissantes, mais
d'échouer à expliquer comment une structure plus puissante pouvait être construite en
s'appuyant sur une structure moins puissante (Fodor, 1979).
La recherche de solutions aux problèmes auxquels la théorie de Piaget était
confrontée a donné naissance à de nombreux modèles alternatifs du développement qui
se sont inspirés d'autres courants théoriques, notamment celui du traitement de
l'information qui émergeait précisément dans les années 1970. Parmi ces modèles alter-
natifs, la particularité de ceux qui sont dits « néo-piagétiens » est d'avoir conservé cer-
tains concepts qui jouent un rôle central dans la théorie de Piaget, notamment l'option
constructiviste et la notion de stade, tout en proposant d'autres interprétations des faits.
Leur point commun est de rendre compte des stades du développement par la
contrainte qu'une capacité limitée de traitement de l'information exerce sur l'ensemble
du fonctionnement cognitif.
La cristallisation de ces modèles en un courant dit « néo-piagétien » date d'un
symposium' dont les conférences ont été publiées dans un numéro spécial de P Internatio-
nal Journal of Psychology en 1987 et reprises dans un ouvrage collectif (Demetriou, 1988).
Il n'est pas possible de présenter l'ensemble des modèles néo-piagétiens du développe-
ment dans un texte aussi court. Deux d'entre eux, assez représentatifs de cet ensemble,
seront détaillés ici, celui de Robbie Case et celui de Juan Pascual-Leone.
Juan Pascual Leone est le pionnier du courant néo-piagétien. Après une formation
-
1. Ce symposium avait été organisé dans le cadre du congrès de l'Association américaine pour la recherche
en éducation (AERA) qui s'est tenu à Washington en 1987.
80 I Psychologie du développement
I. Pascual-Leone (Cardellini et Pascual-Leone, 2004) raconte qu'en 1963 il soumit à Piaget un mémoire dans
lequel il exposait ces vues. Face au désintérêt de Piaget vis-à-vis de cette proposition d'aménagement de sa
théorie, Pascual-Leone envoya son projet de recherche à Witkin en lui demandant s'il accepterait de
l'accueillir dans son laboratoire à New York. Witkin accepta la proposition et la thèse de Pascual-Leone,
dont le directeur restait néanmoins Piaget, fut préparée chez Witkin et néanmoins soutenue à Genève
en 1969. Le désaccord persistant de Piaget avec les aménagements de sa théorie proposés par Pascual-
Leone conduisit ce dernier à forger le terme « néo-piagétien » dans la première publication présentant son
modèle (Pascual-Leone, 1970).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 81
Selon cette théorie, le système cognitif comporte deux grands niveaux, celui des
schèmes et celui des opérateurs (Pascual-Leone, 1987 ; Pascual-Leone et Johnson,
2005).
Comme chez Piaget, l'unité cognitive élémentaire est le schème. Les schèmes sont
stockés en mémoire à long terme et tendent à s'appliquer aux aspects de la situation
qu'ils peuvent assimiler. Plusieurs types de schèmes sont distingués : comme dans la
théorie de Piaget, des schèmes opératifs (impliqués dans la représentation des transfor-
mations) et des schèmes figuratifs (impliqués dans la représentation des états), mais aussi
de nouveaux types de schèmes, les schèmes affectifs (qui orientent les conduites) et des
schèmes exécutifs (qui assurent la planification et le contrôle de l'activité cognitive).
Le second niveau est celui des opérateurs. Ceux-ci correspondent à des ressources
cognitives de portée générale, indépendantes des contenus. Il s'agit de mécanismes
fonctionnels qui ne sont pas directement observables (c'est la raison pour laquelle Pas-
cual-Leone qualifie parfois ces opérateurs de « cachés » ou de « silencieux ») mais dont
l'effet sur les schèmes détermine les possibilités du système cognitif, un peu comme les
caractéristiques du hardware d'un ordinateur, par exemple la capacité de la mémoire
vive ou la cadence du processeur, en déterminent les possibilités. Quatre de ces opéra-
teurs sont impliqués dans la gestion de l'attention : M (comme Mental power) dont il a
déjà été question, I (comme Interruption ou Inhibition centrale), F (comme Field qui en
anglais signifie champ) et les schèmes E (comme Exécutifs). L'opérateur M correspond
à la capacité attentionnelle. Sa fonction est d'activer des schèmes pertinents que la
situation ne déclenche pas ou de maintenir l'activation de schèmes pertinents lorsque
celle-ci tend à décliner. La capacité attentionnelle est supposée dépendre essentielle-
ment de la maturation du système nerveux central et elle détermine le nombre de schè-
mes distincts qui peuvent être activés simultanément. L'opérateur I correspond aux
mécanismes d'inhibition qui permettent d'interrompre l'activation des schèmes trom-
peurs ou simplement non pertinents pour la tâche en cours. L'opérateur F renvoie aux
mécanismes par lesquels certains schèmes sont automatiquement coactivés, ce qui se
traduit par des effets de champ comme ceux mis en évidence par la Gestalt dans le
domaine de la perception (voir le passage sur la Gestalt dans le volume de psychologie
cognitive, chapitre sur la perception). Enfin, l'opérateur E est constitué par l'ensemble
des schèmes exécutifs assurant la planification et le contrôle de la tâche en cours'.
L'ensemble formé par l'interaction de ces quatre opérateurs constitue le système
de gestion de l'attention mentale. Dans une situation nouvelle, ce sont d'abord les schè-
mes affectifs qui définissent l'objectif vers lequel orienter la conduite et qui activent les
schèmes exécutifs en charge de la planification des opérations mentales à mettre en
oeuvre pour atteindre cet objectif. L'opérateur E (c'est-à-dire l'ensemble des schèmes
I. Dans la distinction que fait cette théorie entre deux niveaux de l'architecture cognitive, celui des schèmes
et celui des opérateurs, les schèmes exécutifs ont un double statut. Ils font bien partie des schèmes stockés
en mémoire à long terme, mais à un niveau plus abstrait de la description du fonctionnement cognitif,
l'ensemble des schèmes exécutifs en charge du contrôle de la tâche en cours fonctionne comme un opéra-
teur et c'est cet ensemble de schèmes qui constitue l'opérateur E (Pascual-Leone, communication person-
nelle du 10 avril 2006).
82 I Psychologie du développement
exécutifs activés par la tâche en cours) détecte les schèmes pertinents ou trompeurs eu
égard aux objectifs et mobilise les ressources attentionnelles (opérateur M) pour activer
les schèmes pertinents, ainsi que les ressources fournies par l'opérateur I pour inhiber
les schèmes non pertinents et les schèmes trompeurs. Les schèmes automatiquement
coactivés par l'opérateur F peuvent, selon les cas, faciliter la tâche et donc alléger la
charge de l'opérateur M, ou la rendre plus difficile en activant des schèmes non perti-
nents ou trompeurs, ce qui alors accroît la charge des opérateurs M et I. Une des sour-
ces d'inspiration du concept d'opérateur F est le style cognitif de dépendance-
indépendance à l'égard du champ mis en évidence par Witkin' (cf. Huteau, 1980). La
partie du système de gestion de l'attention mentale constituée par les opérateurs M, I,
et E correspond à ce qui, dans d'autres théories, est appelé système superviseur (Shal-
lice, 1995, chap. 14) ou système exécutif central (Baddeley et Hitch, 1974) et elle est
supposée être localisée dans les lobes préfrontaux du cerveau. L'opérateur F contribue
aussi à l'activation des schèmes mais ne fait pas partie du système exécutif; il est sup-
posé correspondre aux mécanismes d'inhibition latérale* que l'on trouve dans
l'ensemble des régions du cerveau.
À côté des quatre opérateurs (E, M, I et F) formant le système de l'attention men-
tale, la théorie en prévoit d'autres qui ne seront pas détaillés ici (voir Pascual-Leone et
Johnson, 2005). Mentionnons seulement les deux opérateurs qui sont en charge de
l'apprentissage, l'opérateur C (contenu) et l'opérateur L (logico-structural). Le premier
correspond aux mécanismes en jeu dans l'apprentissage graduel de contenus par asso-
ciation, tandis que le second correspond à l'apprentissage délibéré par la coactivation
attentionnelle de schèmes initialement non liés.
1. En utilisant certaines situations expérimentales inspirées des travaux de la Gestalt, par exemple des tâches
dans lesquelles le sujet doit trouver une figure simple qui est intriquée dans une figure complexe, Witkin a
montré qu'il existe des différences individuelles importantes dans la dépendance à l'égard du champ per-
ceptif que constitue ici la figure complexe (H. Witkin, R. B. Dyk, H. F. Faterson, D. R. Goodnenough,
S. A. Karp, 1962). Dans ce type de tâche, la perception de la bonne forme que constitue la figure globale
(schème trompeur dans cette tâche) est si prégnante que la perception de la figure simple (schème perti-
nent) devient difficile. Les sujets dépendants du champ sont ceux qui ne parviennent pas à activer la
représentation de la figure simple plus fortement que celle de la figure complexe. Le concept
d'opérateur F correspond aux effets de champ qui sont à l'origine de ce style cognitif et les généralise. Il
introduit donc dans la théorie développementale de Pascual-Leone des aspects différentiels qui étaient
inexistants dans celle de Piaget. Les travaux de Witkin sur la dépendance à l'égard du champ sont une des
sources d'inspiration de la théorie de Pascual-Leone (voir note 1, p. 80).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 83
Les stades ne correspondent pas ici, comme c'était le cas dans la théorie de Piaget,
à des structures qualitativement différentes, mais à un accroissement quantitatif du
nombre maximal de schèmes pouvant être activés par l'enfant, quelle que soit la nature
des relations entre ces schèmes. La chronologie est par contre conservée : les stades du
tableau 2.1 correspondent aux étapes qui étaient des sous-stades dans la théorie de Pia-
get et sont atteints aux mêmes âges.
La théorie fait une distinction nette entre le développement et l'apprentissage. La
source du développement est un processus endogène de maturation qui ouvre de nou-
velles possibilités en accroissant la capacité attentionnelle et donc le nombre de schèmes
distincts pouvant être activés simultanément. La source de l'apprentissage est
l'expérience qui, par l'intermédiaire des opérateurs C et L, exploite ces nouvelles possi-
bilités pour former de nouveaux assemblages de schèmes. Une des conséquences de ce
partage des tâches est qu'il n'existe pas dans cette théorie de stade comportemental
dont le contenu soit universel. La nature des schèmes assemblés lorsqu'une nouvelle
possibilité est ouverte dépend de l'expérience et de l'environnement dans lequel a lieu
cette expérience.
contexte trompeur, une tâche ne peut être résolue par un enfant que si sa capacité M
est égale ou supérieure à la demande M de cette tâche (c'est-à-dire au nombre de schè-
mes pertinents distincts qui doivent être activés simultanément pour résoudre cette
tâche). Un préalable à la vérification de ces hypothèses est évidemment la mesure de la
capacité M (voir encadré 2.5).
ENCADRÉ 2.5
Une épreuve destinée à mesurer la capacité M doit activer des schèmes trompeurs car, selon
Pascual-Leone, c'est seulement dans ce contexte que le sujet est contraint de mobiliser sa
capacité attentionnelle pour activer les schèmes pertinents. L'épreuve doit par ailleurs faire
appel à des schèmes très simples, de telle sorte que la difficulté ne se situe pas dans
l'activation de tel ou tel des schèmes requis par la tâche, mais bien dans le maintien de
l'activation simultanée de ces schèmes.
La plus étudiée de ces épreuves est la Figurai Intersection Task (Fr), dont un item est
représenté dans la figure 2.4.
FIG. 2.4. — Exemple d'item du test FIT qui inclut cinq figures simples (à droite)
dont il faut trouver l'intersection totale (à gauche)
(d'après Pascual-Leone et Baillargeon, 1994, p. 171)
La tâche du sujet est d'abord de placer un point à l'intérieur de chacune des figures sim-
ples situées du côté droit de la page (cela vise seulement à s'assurer que toutes les figures
simples ont bien été considérées), puis de placer à l'intérieur de la figure composée située à la
gauche de la page un unique point à l'intersection totale de toutes les figures simples. Les
schèmes trompeurs sont ceux qui correspondent aux intersections partielles, dont le nombre
augmente avec la complexité de la tâche. Les schèmes pertinents – qui doivent être activés
délibérément pour l'emporter sur les schèmes trompeurs – sont ceux qui correspondent à la
représentation des figures simples dont il faut vérifier, pour chacune, qu'elle englobe bien le
point situé à l'intersection totale. La demande en M de la tâche est fonction du nombre de figu-
res simples composant la figure complexe. L'item de la figure 2.4 est ainsi un item dont la
demande en M est estimée à e + 5, qui devrait donc être réussi en moyenne vers 11-12 ans
(cf. tableau 2.1). Le lecteur intéressé par l'analyse détaillée de la demande en M de cette tâche
– en réalité plus complexe que ce qui peut en être dit ici – pourra la trouver ailleurs (Pascual-
Leone et Baillargeon, 1994).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 85
La figure 2.5 présente les résultats d'une expérience dans laquelle trois épreuves
différentes destinées à mesurer la capacité M ont été passées par trois groupes d'enfants
d'âge moyen 7-8 ans, 9-10 ans et 11-12 ans. L'une de ces épreuves est la Frr (cf. enca-
dré 2.5), les deux autres sont la Compound Stimuli Visual Information Task (csvi) et
l'épreuve du Clown, dont la description peut être trouvée dans l'article d'où est tirée
cette figure (Pascual-Leone et Johnson, 2005).
7
6
Score M moyen
5-
4- ❑ FIT
CSVI
3-
■ Clown
2-
1
entre CSVI et Clown). Il est donc possible qu'une partie de la variance des épreuves de
capacité M soit en fait spécifique au domaine auquel chacune appartient', mais cette
étude ne permet pas de le vérifier (Lautrey, 2002).
Le second exemple d'expérience de validation porte sur l'hypothèse selon laquelle
une tâche ne peut être résolue par un sujet que si celui-ci dispose d'une capacité M supé-
rieure ou au moins égale à la demande M de cette tâche. La vérification de cette hypo-
thèse suppose une méthode d'analyse de la tâche qui permette d'évaluer le nombre
maximum de schèmes qui doivent être activés simultanément pour la réussir. Le pro-
blème qui a été soumis aux enfants dans cette expérience est celui de l'équilibre de la
balance (voir encadré 2.6). Les stades de la résolution de ce problème ont déjà été décrits
à propos du stade des opérations formelles dans la, partie de ce chapitre consacrée à la
théorie de Piaget. Les processus de résolution correspondant à ces différents stades ont
par ailleurs été formalisés sous formes de règles de production par Siegler (1976).
ENCADRÉ 2.6
Le matériel est analogue à celui qui est représenté dans la partie de ce chapitre consacrée à la
théorie de Piaget : une balance qui comporte, sur chacun de ses deux bras, des tiges verticales
équidistantes sur lesquelles peuvent être enfilées des rondelles toutes identiques. Ce disposi-
tif permet de présenter des configurations-problèmes variées en jouant sur le nombre de ron-
delles placées de chaque côté du pivot (les poids) et sur l'éloignement des tiges sur lesquelles
les rondelles sont placées par rapport au pivot (les distances). En outre, dans la partie de
l'épreuve qui nous intéresse ici, des cales bloquent le dispositif en position horizontale et la
tâche du sujet est, pour chaque configuration, de prédire de quel côté pencherait la balance si
on enlevait les cales. Les configurations-problèmes varient selon quatre dimensions perti-
nentes : les poids P et P' placés de part et d'autre de l'axe et les distances D et D' auxquelles
ils sont situés.
La théorie de Pascual-Leone a été appliquée à l'analyse de la demande M de cette tâche
à ses différents niveaux de résolution (de Ribaupierre et Pascual-Leone, 1979). Thomas, Pons
et de Ribaupierre (1996) ont adopté une approche un peu différente de cette analyse, dans
laquelle ils ont distingué six niveaux correspondant à des conduites de résolution de
complexité croissante. Chacun de ces six niveaux est illustré ci-dessous par un exemple
de réponse à un même item dans lequel il y avait, pour le bras de gauche 5 poids sur la
deuxième tige en partant du pivot (P5 D2) et pour le bras de droite 3 poids sur la cinquième
tige (P'3 D'5) :
1 / Les enfants prennent en compte une seule variable (le poids), mais dissocient les
deux bras de la balance : « Ici (P5 D2), ce n'est pas le même nombre que là (P'3 D'5). Ce côté
(P5 D2) va descendre et ce côté (P'3 D'5) va rester horizontal. »
2 / Les enfants prennent en compte une seule variable (le poids) correctement : « Ça va
descendre ici (P5 D2) parce qu'il y a plus de poids. »
3 / Les enfants prennent en compte les deux variables (poids et distance), mais ne par-
viennent pas à les coordonner : « Ça va normalement descendre ici (P'3 D'5) mais il y a plus de
poids ici (P5 D2), ça va descendre ici (P5 D2). »
1. Cela est tout à fait compatible avec la théorie, qui postule que la performance est toujours déterminée par
un ensemble de facteurs, y compris de facteurs de contenus, mais montre que cela s'applique aussi aux
épreuves destinées à la mesure de la capacité M.
Quelques grandes théories du développement cognitif I 87
5 / Les enfants coordonnent la différence entre les poids avec la différence entre les dis-
tances : « Ça va desçendre ici (P'3 D'5) parce qu'il y a seulement deux poids de moins que là
(P'3 au lieu de P5) mais il y a trois tiges de plus (D'5 au lieu de D2). »
6 / Les enfants coordonnent les produits des poids et des distances : « Ça va descendre
ici (P'3 D'5) parce que 3 fois 5 font 15 et 5 fois 2 (P5 D2) font 10 » (adapté de Thomas, Pons et
de Ribaupierre, 1996, appendice 1).
Dans une étude longitudinale, Thomas, Pons et de Ribaupierre (1996) ont fait pas-
ser une épreuve de capacité M (csvi) et l'épreuve de la balance à des enfants qui
avaient 6,7,8 et 9 ans lors de la première passation (à raison de 30 enfants dans chacun
de ces quatre groupes d'âge) et un an de plus lors de la seconde passation. Le niveau de
résolution du problème de la balance a été évalué comme indiqué dans l'encadré 2.6. Le
tableau 2.2 met en relation le niveau de la capacité M évaluée avec le csvi (en ligne) et
le niveau de la conduite observée dans l'épreuve de la balance (en colonne) lors du pre-
mier et du second examen (tableaux 2.2 a et 2.2 b respectivement).
1 1 1
2 2 24 2 2
3 23 4 3
4 1 8 8 4 2 4
5 4 3 1 5
>5 1 5 6 1 >5
Si l'hypothèse énoncée plus haut est correcte, on ne doit pas trouver de sujets met-
tant en oeuvre, dans la résolution du problème de la balance, un niveau de conduite
plus élevé que le nombre maximal de schèmes qu'il est capable d'activer simultanément
(capacité M). Dans le tableau 2.2, cela doit se traduire par l'absence de sujets dans les
cases qui se situent au-dessus de la diagonale', ce qui correspond à une relation
1. À l'exception de la case située à l'intersection de la ligne 3 et de la colonne 4, car ces deux niveaux de
conduite n'ont pas pu être clairement distingués dans cette expérience.
88 I Psychologie du développement
d'implication entre les deux variables. On peut voir que les résultats sont globalement
compatibles avec cette relation d'implication, mais plus nettement lors du premier exa-
men, où seulement 4 enfants sur 105 sont dans les cases au-dessus de la diagonale, que
lors de la seconde passation où ils sont 15 sur 104. Les auteurs font l'hypothèse que
quelques enfants ont peut-être fait un apprentissage de la tâche d'une passation à
l'autre et pu mettre ainsi en oeuvre des stratégies de résolution réduisant la complexité
du problème à résoudre.
Les résultats de cette expérience illustrent bien une idée centrale que l'on
retrouve dans toutes les théories néo-piagétiennes du développement cognitif, à savoir
que la capacité de traitement (ici la capacité attentionnelle) est une condition néces-
saire mais non suffisante pour la maîtrise d'une tâche de complexité donnée. Les
nombreux sujets qui se situent plus bas que la diagonale dans les tableaux 2.2 a
et 2.2 b attestent que cette condition n'est en effet pas suffisante : le nombre de schè-
mes qu'ils ont été capables d'activer dans la résolution du problème de la balance se
situe en dessous — et même parfois très en dessous — du nombre de schèmes que leur
capacité attentionnelle leur permettrait d'activer. Le développement de la capacité
attentionnelle ne fait qu'ouvrir des possibilités mais celles-ci ne donnent lieu à des
changements comportementaux que dans les domaines où l'expérience et
l'apprentissage permettent au sujet d'identifier les variables en jeu et de former, par le
jeu des opérateurs C et L, des schèmes plus élaborés que ceux dont ils disposaient
jusqu'alors.
Les cas de violation de la relation d'implication entre le niveau de conduite et la
capacité M (sujets au-dessus de la diagonale), plus nombreux lors de la seconde pas-
sation (cf. tableau 2.2 b) appellent aussi quelques commentaires. Dans la théorie de
Pascual-Leone comme dans toutes les théories néo-piagétiennes, l'analyse du niveau
de complexité d'une tâche suppose que celle-ci soit nouvelle pour la personne exa-
minée. Dès lors que cette personne a pu acquérir une expérience de la tâche, elle a
pu élaborer de nouvelles stratégies pour en alléger la complexité, par exemple en
constituant des « chunks »* ou en segmentant le traitement. C'est ce qui rend
l'analyse de la complexité de la tâche si problématique et fait qu'il n'y a pas de sens
à vouloir en définir la complexité « objective ». La complexité d'une tâche ne peut
être évaluée que relativement aux processus, stratégies, mis en oeuvre par un sujet
donné pour la résoudre. Pour la même raison, il serait erroné de conclure qu'un
enfant dont la capacité de traitement permet d'activer n schèmes ne peut pas maîtri-
ser une tâche dont la demande en M est de n + 1. Cela ne vaut que si la tâche est
nouvelle pour lui. Avec l'apprentissage et les différentes formes de réorganisation aux-
quelles celui-ci peut donner lieu, un enfant peut maîtriser des tâches dont le niveau
de complexité théorique excède ses capacités brutes de traitement. L'idée, assez
répandue, selon laquelle les apprentissages devraient se limiter aux tâches dont le
niveau théorique de complexité est inférieur ou égal à celui de l'enfant est un contre-
sens, car la capacité de traitement (ici la capacité attentionnelle) n'est pas le seul fac-
teur en jeu dans les apprentissages.
Quelques grandes théories du développement cognitif I 89
Il - La théorie de Case
1. Ces deux niveaux de résolution du problème de la balance correspondent respectivement aux règles I et II
dans le modèle de Siegler (1976).
•
90 I Psychologie du développement
Dans le système de stades de la théorie de Case, qui sera décrit un peu plus loin, le
modèle de résolution représenté en figure 2.6 a correspond au sous-stade 1 du stade
dimensionnel (correspondant à la période 5-7 ans). La démarche intellectuelle du sujet
est symbolisée par un parcours indiqué par les flèches. Elle commence par l'analyse des
caractéristiques de la situation problème (il s'agit d'une balance sur laquelle on a placé,
de chaque côté du pivot, une pile d'objets). Cette analyse conduit à un objectif, qui est
d'ailleurs spécifié explicitement par l'expérimentateur dans cette situation (prédire de
quel côté la balance va pencher si on retire les cales). La représentation de cet objectif
guide à son tour une analyse plus précise de la situation pour y chercher des caractéristi-
ques sur lesquelles s'appuyer pour l'atteindre (chaque pile de rondelles placées sur les
tiges est faite de rondelles identiques). Cette caractéristique donne prise au schème opé-
ratif de dénombrement et détermine donc un sous-but qui peut être atteint en activant
de schème. Cette analyse de la tâche, en termes de buts et sous-buts, détermine la stra-
Quelques grandes théories du développement cognitif I 91
tégie qui va pouvoir être employée pour atteindre d'abord le premier sous-but (étape 1 :
compter chaque ensemble d'unités et noter le côté qui a le plus grand nombre), puis le
but (indiquer que le côté qui a le plus grand nombre d'unités est le plus lourd et est donc
celui qui va descendre lorsque les cales seront retirées). On remarquera que dans le
schéma de la figure 2.6 a, l'ordre des étapes de la stratégie est l'ordre inverse de celui des
buts et sous-buts, puisque la stratégie enchaîne les schèmes opératifs qui permettent de
remonter des sous-buts au but. On remarquera aussi l'indentation du sous-but par rap-
port au but : chaque sous-but est indiqué en retrait du but qu'il permet d'atteindre.
La même forme d'analyse peut maintenant être appliquée au processus de résolu-
tion qui caractérise le sous-stade suivant et est schématisé par la figure 2 . 6 b. Du côté
de la représentation de la situation, une caractéristique supplémentaire de la situation
est maintenant prise en compte (chaque objet est à une certaine distance du pivot), ce
qui donne lieu à un nouveau sous-but (déterminer le côté où la tige est à la plus grande
distance) et donc à une étape supplémentaire dans la stratégie (répéter l'étape 1 pour
compter à quelle distance se trouvent les tiges sur lesquelles sont les poids). À ce sous-
stade, qui correspond à la période 7-9 ans, l'enfant n'est pas encore capable de coor-
donner de façon élaborée les variations qu'il est capable d'observer sur les deux dimen-
sions prises en compte et ne peut utiliser ses observations sur la distance que lorsque les
poids sont égaux.
La comparaison de la liste des buts et sous-buts à gérer selon que la résolution se
situe au sous-stade 1 (fig. 2.6 a) ou au sous-stade 2 (fig. 2.6 b) du stade dimensionnel
montre que l'enfant doit gérer un sous-but supplémentaire au sous-stade 2. Selon Case,
cela n'est possible que si l'enfant peut stocker un élément de plus en mémoire de travail
pendant la résolution du problème. Cet exemple va permettre de préciser maintenant la
relation que fait la théorie de Case entre l'empan de la mémoire de travail et le niveau de
complexité qui peut être atteint dans la résolution de problème.
La mémoire de travail est une forme de mémoire à capacité limitée, dont la fonc-
tion est de gérer simultanément le traitement en cours et le stockage temporaire des
informations nécessaires à ce traitement (pour une présentation plus détaillée, voir la
section consacrée à la mémoire de travail dans le chapitre « Mémoire » du volume de
psychologie cognitive).
ENCADRÉ 2.7
L'épreuve d'empan de comptage (counting span) est une des épreuves mises au point par
Case pour étudier le développement de la mémoire de travail chez l'enfant. Elle est adaptée à
la période d'âge correspondant à l'école élémentaire. Le matériel est un jeu de cartes sur les-
quelles sont collées des gommettes. Le nombre de ces gommettes varie selon les cartes et
peut aller de 1 à 9. Les cartes sont présentées une par une à l'enfant dont la tâche est de comp-
ter le nombre de gommettes collées sur chacune, de mémoriser ce nombre pendant qu'il
compte les gommettes de la carte suivante, etc., jusqu'à la dernière carte, après laquelle il doit
92 I Psychologie du développement
rappeler, dans l'ordre, la série de nombres correspondant aux différentes cartes. Les items
comportent un nombre croissant de cartes et l'empan de la mémoire de travail est évalué par
le nombre de cartes dont le nombre de gommettes peut être rappelé correctement dans ces
conditions. Il s'agit bien d'une épreuve de mémoire de travail puisque, pour chaque nouvelle
carte rencontrée, il faut simultanément compter le nombre de gommettes qu'elle comporte
(opération de traitement) et maintenir activés en mémoire les nombres obtenus en comptant
les gommettes des cartes précédentes (stockage).
L'utilisation de cette tâche dans une étude transversale réalisée avec des enfants de 5 à
11 ans a permis de montrer que la capacité de la mémoire de travail augmente régulièrement
avec l'âge : elle était de 2,5 dans le groupe de 5 à 7 ans (une opération et 1,5 nombre rappelé),
de 3,3 dans le groupe de 7à 9 ans et de 3,8 dans le groupe de 9 à 11 ans (Case, 1985,
tableau 14.3).
Exercice : appliquez la même analyse à la stratégie qui caractérise les enfants du sous-
stade 2 pour trouver la capacité de la mémoire de travail nécessaire pour appliquer cette
stratégie'.
La métaphore utilisée pour décrire la place en mémoire de travail est celle d'un
espace limité, partagé entre l'espace dévolu à l'opération de traitement en cours, appelé
operating space (os), et l'espace dévolu au stockage temporaire des informations, appelé
Short Term Storage Space (sTss). La capacité totale de la mémoire de travail, « Total
Processing Space » (TPs), est égale à la somme de l'espace de traitement et de l'espace
de stockage : TPS = OS + STSS. Dans notre exemple, la capacité de la mémoire de tra-
vail (TPs) est de 2 au sous-stade 1 et de 3 au sous-stade 2. Le traitement et le stockage
sont en compétition pour les mêmes ressources, donc tout gain dans l'espace occupé
par l'opération traitement libère des ressources pour le stockage. Selon Case (1985) la
capacité totale de la mémoire de travail n'augmente pas avec l'âge mais l'espace de
stockage (sTss) augmente au fur et à mesure que diminue la place prise par l'opération
de traitement (os). On trouvera dans l'encadré 2.8 un exemple d'expérience testant
cette hypothèse.
ENCADRÉ 2.8
Case et Kurland ont fait passer l'épreuve d'empan de comptage à des groupes d'enfants
d'âge croissant allant du degré 1 au degré 6 de l'école élémentaire (âges moyens de 6 à
11 ans) et ils ont aussi chronométré le temps mis par ces enfants pour effectuer l'opération
de traitement qui, dans cette épreuve, consiste à compter les gommettes sur les cartes. Les
résultats de cette étude (Case, 1985, p. 361) ont montré qu'il existe une relation linéaire
entre l'augmentation de l'empan moyen de la mémoire de travail, tel qu'il est évalué par
l'épreuve d'empan de comptage, et la diminution du temps de traitement, évalué par le
temps moyen de comptage par gommette. Le temps moyen de comptage passait de 400 à
200 millisecondes de 6 à 11 ans pendant que, de façon concomitante, l'empan moyen pas-
sait de 2,3 à 3,5.
Cette liaison entre les deux variables ne suffit cependant pas pour démontrer qu'il s'agit
d'une relation causale. Les deux évolutions observées peuvent toutes deux dépendre d'une
cause commune, l'accroissement de l'âge, sans pour autant dépendre l'une de l'autre. Pour
vérifier l'hypothèse d'une relation causale entre la diminution du temps de traitement et
l' augmentation de l'empan de stockage en mémoire de travail indépendamment de l'âge,
Case et Kurland ont par ailleurs fait passer à des adultes une épreuve d'empan de comptage
dans laquelle ceux-ci devaient utiliser, pour le dénombrement, des noms de nombres dont ils
n'avaient aucune expérience et dont ils n'avaient donc pas pu automatiser l'usage. Cela avait
pour but de placer ces adultes dans une situation en principe comparable à celle des enfants
du degré 1 qui commencent seulement à maîtriser les nombres avec lesquels ils effectuent le
dénombrement des gommettes. Le nouveau langage de comptage de 1 à 10 était rab, sliff,
dak, leet, raok, taid, fap, flim, moof, zeer. Les adultes apprenaient d'abord ce nouveau langage
numérique jusqu'à être capables d'en réciter la suite sans se tromper. Ils passaient ensuite
l'épreuve d'empan de nombre dans cette nouvelle langue et, comme dans l'expérience avec
les enfants, leur temps moyen de comptage par gommette était chronométré. Leur temps
moyen de traitement par gommette était en effet comparable à celui des enfants de 6 ans,
ainsi que leur empan moyen (2,5).
Le résultat de l'expérience résumée dans l'encadré 2.8 met l'accent sur le rôle de
l'expérience et de l'automatisation des procédures dans l'augmentation de l'empan de
la mémoire de travail avec l'âge. D'autres expériences ont néanmoins montré les limites
de l'exercice dans le gain de vitesse de l'opération de traitement. En faisant acquérir à
des enfants une pratique massive de l'opération de comptage (vingt minutes par jour
pendant trois mois), leur temps moyen de comptage n'a que peu diminué par rapport à
celui d'enfants du même âge n'ayant pas cet entraînement et est resté supérieur à celui
d'enfants sans entraînement mais ayant un an de plus (Case, 1985, p. 372). Cc second
résultat met l'accent sur le rôle de la maturation dans l'augmentation de la vitesse de
traitement. De cet ensemble d'expériences, Case a conclu que l'augmentation de la
vitesse de traitement avec l'âge — et donc l'augmentation de la capacité de stockage en
mémoire de travail qui, selon lui, en résulte — devait faire appel aux deux facteurs à la
fois : d'une part, l'automatisation des opérations de traitement avec l'expérience et,
d'autre part, la maturation du système nerveux central (une des hypothèses étant que la
myélinisation, qui se prolonge pendant toute l'enfance, accroît la vitesse de transmission
de l'influx nerveux et donc la vitesse de traitement de l'information).
94 I Psychologie du développement
Comme la théorie de Piaget, celle de Case décrit quatre grands stades de dévelop-
pement qui correspondent à des structures qualitativement différentes et, à l'intérieur
de chacun de ces grands stades, trois sous-stades qui correspondent à des étapes inter-
médiaires dans la construction de ces structures. Les quatre grands stades diffèrent ici
par la nature des schèmes sur lesquels porte la structuration et non par les lois de com-
position entre ces unités mentales comme c'était le cas chez Piaget.
Au stade sensori-moteur, il s'agit d'opérations coordonnant des schèmes sensori-
moteurs pour atteindre un but, par exemple écarter un obstacle (sous-but) pour
atteindre un objet (but).
Au stade interrelationnel, les enfant peuvent manipuler des relations qualitatives
entre les objets : « ici il y a beaucoup, là, il y a peu », ou bien « celui-ci est lourd,
celui-ci est léger », mais pas encore les grandeurs relatives du type « plus grand que »
ou « plus lourd que ». Ils apprennent aussi à maîtriser le schème du comptage, sans
toutefois comprendre que la quantité (beaucoup ou peu) peut être précisément déter-
minée par le nombre qui correspond au dernier objet compté (le cardinal de la collec-
tion). La coordination de ces deux opérations interrelationnelles, celle par laquelle sont
comparées les quantités (beaucoup, peu) et celle de comptage (un, deux, trois...), aboutit
à la compréhension du dénombrement qui va permettre de quantifier les relations et
donc de comparer les objets sur des dimensions quantifiables.
C'est alors le début du stade dimensionnel, où la coordination porte précisément
sur des dimensions quantifiables. Les opérations de ce stade ont été illustrées plus haut
avec le problème de la balance, dans lequel les deux dimensions quantifiables à coor-
donner sont le poids et la distance.
Le stade vectoriel correspond à la capacité d'établir des rapports entre les varia-
tions sur les dimensions considérées et à comparer ces rapports, c'est-à-dire à com-
prendre les rapports de proportions. Cette capacité correspond au stade formel de la
théorie de Piaget et plus particulièrement à la structure INRC.
Plus généralement, les quatre grands stades de construction des structures de
contrôle, sensori-moteur, interrelationnel, dimensionnel et vectoriel correspondent, aussi
bien du point de vue des âges (cf. fig. 2.7) que du point de vue des comportements, aux
quatre grandes périodes distinguées par Piaget, respectivement sensori-motrice, pré-
opératoire, opératoire concrète et opératoire formelle. Le changement des dénomina-
tions souligne toutefois que l'interprétation des comportements et des structures sous-
jacentes est différente.
L'examen de la figure 2. 7, qui résume ce système de stades, montre que les trois
sous-stades de chaque stade ont toujours la même forme. À la fin de chaque stade, la
structure de contrôle complexe qui a été construite au cours de ce stade et qui, dans le
sous-stade le plus élevé, a demandé une capacité en mémoire de travail de 4 unités
(gestion simultanée d'une opération et du stockage à court terme de trois unités
d'information), est compactée, et réétiquetée A ou B. Elle devient ainsi l'unité de base
du stade suivant qui, en tant qu'opération d'une nouvelle nature, occupe encore à ce
moment-là toute la place en mémoire de travail. À la fin de ce stade — qui est en même
Quelques grandes théories du développement cognitif I 95
Stade vectoriel
Substade IV.3 A, — B, MT
X M = e 7 }Structures
Relations (15.5-19 ans) Az— Be 4 opératoires formelles
de e Substade N. 2 A,—B,
ordre
M=e*6
(13-15.5 ans) At— B2 3
Substade IVA
Stade dimensionnel A—B 2 M-e , F 5
(11-13 ans)
Substade A,—B, MT
X M = e 4 ) Structures opérai ires concrêtes
Relations (9-11 ans) A,—B2 4
de 3' Substade 1112 A,— B,
ordre M=e*3
(7-9 ans) A r-. 6x 3
Substade 111.1
Stade interrelationnel A—B 2 M =et- 2
(5-7 ans)
Substade 11.3 —B, MT
X Me = 7 <==> M = e 1 ) &ru tures préopératoires
Relations (3,55 ans) —Be 4
del' Substade 11.2 —
ordre Me = 6
(2-3,5 ans) qa —132 3
Substade 11.1
Stade sensori-moteur A—B 2 Me = 5
(1,5-2 ans)
Substade 1.3 A, — B, MT
X Me = 4 ) Structures sensori-motrices
Relations (12-18 mois) A,—B, 4
de 1 « Substade 1.2 A, —
ordre Me = 3
(8-12 mois) Ae—B2 3
Substade 1.1
A—B 2 Me = 2
,(4-8 mois)
Substade 1.0
AouB 1 Me = 1
(1-4 mois)
FIG. 2.7. Les stades et sous-stades du développement cognitif dans la théorie de Case (le
terme « substade », moins employé, a été retenu dans cette figue, car il n'y avait pas une place
suffisante pour écrire « sous-stade »). A la droite des cases correspondant aux différents sous-
stades du modèle de Case est aussi mentionnée la capacité M qui leur correspond dans la théorie
de Pascual-Leone, selon Pascual-Leone et Johnson (2005). La partie qui va du sous-stade 11.3
(M = e + 1) au sous-stade IV.3 (M = e + 7) correspond aux étapes du développement de la capa-
cité M telles qu'elles ont été spécifiées dans le tableau I. La partie qui va du sous-stade I.0
(Me = 1) au sous-stade 11.3 (Me = 7) correspond au développement de la capacité M au stade
sensori-moteur, un point qui n'a pas été traité dans ce chapitre (voir Pascual-Leone et Johnson,
1991).
La figure 2.7 est une adaptation de la figure 11.1, p. 184 de Pascual-Leone et Johnson
(2005), elle-même adaptée de la figure 6, p. 98 de Case (1987). Figure reproduite avec
l'autorisation de Sage Publications.
temps le début du suivant — il n'y a donc place en mémoire de travail que pour une
opération de cette nouvelle nature (dans la figure 2 . 7, la place requise en mémoire de
travail pour chaque sous-stade est indiquée à la droite de chaque case, dans la
colonne MT). Au fur et à mesure de l'automatisation de cette nouvelle opération et de
son compactage, celle-ci va libérer de la place en mémoire de travail pour le stockage
96 I Psychologie du développement
d'une unité d'information, puis de 2, puis de 3 (ce qui correspond à des capacités de
la MT qui sont respectivement de 2, 3 et 4). Au sous-stade 1 du nouveau stade (appelé
coordination unifocale), cela permet de former une nouvelle structure de contrôle en
connectant sous la forme A-B deux des schèmes A et B issus du stade précédent, puis
au sous-stade 2 (coordination bifocale), de commencer à coordonner deux des nouvelles
structures ainsi formées, par exemple A 1 — B 1 avec A2 — B2, et enfin au sous-stade 3, de
compléter cette coordination (coordination élaborée). À la fin de ce cycle, une nouvelle
structure de contrôle est constituée qui, après compactage, réétiquetage et automatisa-
tion, devient à son tour l'unité de base sur laquelle sera construite la structure de
contrôle du stade suivant. La construction des structures de contrôle est donc un pro-
cessus cyclique et récursif dans lequel la structure complexe obtenue à la fin d'un stade
devient l'unité élémentaire dans la construction de la structure du stade suivant.
ENCADRÉ 2.9
Entre ces deux bornes, un réseau de relations connecte différentes représentations rela-
tives à la quantité (le mot désignant le nombre, le pointage de l'objet désigné par ce
nombre, la configuration des doigts correspondant à ce nombre, l'écriture de celui-ci).
Chacune de ces représentations est structurée par une relation de transformation qui
fait passer d'un élément au suivant en ajoutant 1 ou au précédent en retirant 1. Cette
organisation horizontale de la séquence, propre à chacune des représentations, est mise
en correspondance terme à terme, verticalement, avec celle de chacune des autres
représentations : l'enfant comprend que le passage du mot 1 au mot 2 dans la représen-
tation verbale coïncide avec le passage du pointage du premier objet au suivant, et
coïncide aussi avec le passage, à l'écrit, du chiffre 1 au chiffre 2, etc. Cette structure
conceptuelle va se complexifier par la suite mais dès ce niveau, elle va permettre
d'évaluer les quantités sur un nombre varié de dimensions (distance, temps, poids,
monnaie, etc.) comme nous l'avons vu dans l'exemple de la balance.
Dans le domaine social les enfants de 4 ans comprennent que les autres ont des
représentations mentales et que celles-ci peuvent être modifiées par les événements. Ils
comprennent aussi la façon dont s'enchaînent les événements dans des scènes familières
et peuvent faire une description verbale de ces « scripts ». Toutefois, ces deux
« fichiers » ne sont pas encore intégrés. Leur coordination vers 5 à 6 ans donne nais-
sance, selon Case, à la structure conceptuelle de la narration, qui joue un rôle central
dans le domaine social. Dans cette structure conceptuelle, le script fournit la ligne orga-
nisatrice de la représentation des comportements : il comporte un début, qui est un cer-
tain état de la situation, appelons-le état 1, suivi d'une action 1 qui cause la transforma-
tion de l'état 1 en état 2, lui-même suivi de l'action 2, etc., et il comporte aussi une fin.
La possibilité de faire se correspondre terme à terme les deux séquences, d'une part,
celle des événements et actions décrits par le script, d'autre part, celle des états men-
taux du personnage qui participe à ces événements et effectue ces actions, les intègre
dans un même réseau de relations qui fonde la ligne mentale de la narration. D'abord
uni-intentionnelle cette structure se complique ensuite en devenant bi-intentionnelle,
c'est-à-dire en coordonnant les intentions de deux personnages, puis en intégrant de
façon plus élaborée les interactions entre deux ou plusieurs personnages animés par des
intentions différentes.
La comparaison des étapes de développement de ces deux scc fait ressortir leurs
ressemblances et leurs différences. Du point de vue de la ressemblance, on trouve dans
les deux cas l'intégration de deux schémas jusque-là séparés (schéma d'évaluation glo-
bale de la quantité et schéma de comptage pour le domaine quantitatif, script et théorie
de l'esprit pour le domaine social). Dans les deux cas, cette intégration donne lieu à une
structure dimensionnelle (la ligne mentale du nombre dans le domaine quantitatif, la
ligne mentale de la narration dans le domaine social). Cette structure d'abord unidi-
mensionnelle se complexifie ensuite en permettant dans un premier temps de prendre
en compte deux dimensions et, au cours de l'étape suivante, d'intégrer ces deux dimen-
sions. La correspondance entre ces étapes dans la formation des scc et celles du
modèle des stades (cf. les sous-stades correspondant à la coordination unifocale, bifocale
puis élaborée du stade dimensionnel dans la figure 2.7) permet à Case à conclure que
dans tous les domaines, le niveau de complexité des SCC qui peuvent être construites est
contraint par le niveau de développement de la capacité de la MT.
Quelques grandes théories du développement cognitif I 99
Du point de vue des différences par contre, les réseaux sémantiques constituant
chacune de ces scc se construisent à partir de relations de nature différente et ont, de
ce fait, leur propre dynamique. La compréhension des états mentaux, qui joue un rôle
essentiel dans la structure conceptuelle relative au domaine social, n'en a aucun dans la
structure conceptuelle relative au domaine quantitatif. Il n'y a donc pas de raison qu'un
apprentissage améliorant la compréhension des états mentaux se transfère au domaine
quantitatif. Par contre, on peut s'attendre à ce que cet apprentissage se transfère aux
situations du domaine social, où cette compréhension joue un rôle central. En consé-
quence, le synchronisme du développement devrait être plus important au sein de cha-
cun des domaines qu'entre domaines.
Ces prédictions ont été mises à l'épreuve dans deux études (Case et Okamoto,
1996). L'une a porté sur la prédiction relative au synchronisme du développement.
Douze épreuves ont été administrées à des enfants de grande section d'école maternelle
et du premier degré de l'école élémentaire, six de ces épreuves relevaient du domaine
quantitatif et six du domaine social. Dans chacune, les scores pouvaient aller de 1 à 4,
correspondant à des conduites allant du sous-stade prédimensionnel au sous-stade bidi-
mensionnel élaboré. Les corrélations entre les épreuves d'un même domaine se sont
effectivement avérées plus fortes que les corrélations entre les deux domaines. Une ana-
lyse factorielle de ces corrélations a permis d'extraire deux facteurs corrélés mais nette-
ment distincts, l'un correspondant aux six épreuves relevant du domaine quantitatif et
l'autre aux six épreuves relevant du domaine social (Case et Okamoto, 1996, chap. III).
La seconde étude a porté sur la comparaison du transfert d'apprentissage à l'intérieur
d'un domaine versus entre deux domaines. Elle a montré qu'un apprentissage portant
sur l'une ou l'autre de ces deux scc, ligne mentale du nombre ou ligne mentale de la
narration, se transfère à des épreuves relevant du même domaine (quantitatif pour le
premier et social pour le second) mais pas entre domaines (Case et Okamoto, 1996,
chap. IV).
Les scc ne sont donc pas des structures générales qui s'appliqueraient aux différents
domaines de la connaissance, comme c'était le cas des structures opératoires de Piaget.
Ce sont des structures locales, élaborées de façon relativement indépendante dans cha-
cun des domaines, et auxquelles s'appliquent les contraintes générales qu'impose la capa-
cité de la mémoire de travail. Selon Case (1998), la dynamique de leur développement
repose sur une boucle d'interaction entre les deux formes d'apprentissage distinguées
dans la théorie de Pascual-Leone, l'apprentissage C (apprentissage associatif de contenus)
et l'apprentissage L (apprentissage contrôlé dirigé par les concepts). Comme cela a été
mis en évidence par le courant historico-culturel (voir la section précédente de ce cha-
pitre), cet apprentissage est tributaire des transmissions culturelles qui se font par les dif-
férentes formes d'interactions sociales, notamment celles qui sont à l'oeuvre dans
l'instruction (la structure conceptuelle du nombre ne pouvait évidemment pas connaître
le même développement à l'époque de l'homme de Cro-Magnon).
Ces dernières évolutions de la théorie montrent que le projet qui animait Robbie
Case était de concilier et d'intégrer dans un même modèle les principaux acquis
d'approches jusque-là séparées du développement cognitif, celle de la théorie de Piaget,
celle du traitement de l'information, celle de l'approche modulaire de l'esprit et celle du
courant historico-culturel.
100 I Psychologie du développement
III - Discussion
Comme la théorie de Piaget, ces théories visent à dégager des principes et une
séquence de stades qui soient généraux, en ce sens qu'ils s'appliquent à l'ensemble des
domaines de la connaissance. Toutefois, l'isomorphisme du développement dans les dif-
férents domaines n'est plus attribué à la construction, à chaque stade, d'une structure
logique de portée générale, comme le pensait Piaget. Il est attribué à la contrainte
qu'exerce, sur l'ensemble du fonctionnement cognitif, une capacité centrale de traite-
ment. La limite de cette capacité, qui évolue avec l'âge chez l'enfant, détermine le
niveau maximal de complexité cognitive qu'un individu est capable d'appréhender dans
la résolution d'une tâche nouvelle. L'accroissement de cette capacité au cours de
l'enfance ouvre de nouvelles possibilités de mise en relation des informations disponi-
bles mais ne détermine ni la nature ni les lois de composition de ces relations qui res-
tent spécifiques à chacun des domaines de la connaissance.
Tous les auteurs néo-piagétiens s'accordent à reconnaître un rôle important, mais
non exclusif, à la maturation du système nerveux central dans l'accroissement de la
capacité de traitement au cours de l'enfance. Néanmoins, tous s'inscrivent dans
l'approche constructiviste ouverte par Piaget en considérant que si la maturation ouvre
de nouvelles possibilités de mises en relation, elle n'actualise pas pour autant des struc-
tures cognitives préformées qui seraient restées latentes jusque-là. Ces nouvelles structu-
res, de nature sémantique, sont à construire par l'enfant dans chacun des domaines
dans lesquels il peut acquérir de l'expérience.
c. Les perspectives
L'origine de ces divergences tient probablement pour une bonne part aux condi-
tions dans lesquelles ces théories ont émergé. Elles sont nées dans une période où les
connaissances sur le système exécutif étaient encore très lacunaires. Les néo-piagétiens
ont joué un rôle pionnier dans l'étude du rôle du système exécutif dans le fonctionne-
ment cognitif et — en l'absence de cadre théorique consensuel — chacun a privilégié un
des aspects de ce système (limitation dans la capacité de traitement, de stockage,
d'attention, d'inhibition, de vitesse, etc.), dont on commence à comprendre à quel point
il est complexe. Il est symptomatique, à cet égard, que dans Intellectual Development — Birth
to Adulthood, ouvrage publié en 1985 dans lequel Case exposait sa théorie sur le rôle des
limites de la mémoire de travail sur le développement intellectuel, il n'y ait pas une
seule référence au modèle de la mémoire de travail de Baddeley et Hitch, dont la pre-
mière publication remonte pourtant à 1974. Cette omission n'a pourtant rien de très
surprenant car, à cette époque, les recherches de psychologie expérimentale sur la
mémoire de travail portaient essentiellement sur les systèmes « esclaves » de cette struc-
ture, d'abord la boucle phonologique et, plus tard, le calepin visuo-spatial. Baddeley et
Hitch considéraient alors le système exécutif central comme terra incognita. Or c'est pré-
cisément sur le développement du système exécutif central que portaient les travaux de
Case.
Cette situation a changé rt la recherche sur le fonctionnement du système exécutif
central est devenue très active en psychologie expérimentale, en neuropsychologie, aussi
bien qu'en psychologie développementale et en psychologie différentielle. La mémoire
de travail est de plus en plus conçue comme la partie activée de la mémoire à long
terme,ce qui intègre les mécanismes attentionnels dans son fonctionnement (voir par
exemple Engle et aL, 1999). Il existe maintenant, de ce fait, davantage de convergences
102 I Psychologie du développement
entre les modèles de la mémoire de travail en psychologie cognitive et les modèles néo-
piagétiens du développement ; la ressemblance entre le concept de limite du focus
attentionnel chez Cowan (1999) et le concept de limite de la capacité M chez Pascual-
Leone en est un exemple.
Cette nouvelle interaction entre psychologie cognitive, neuropsychologie et psy-
chologie développementale dans les recherches sur le système exécutif et en particulier
sur la mémoire de travail, ouvre de nouvelles perspectives aux théories néo-piagétiennes
et devrait faciliter leur intégration en leur offrant des modèles plus précis des différents
processus sous-jacents au fonctionnement de ce système. Les contraintes induites par les
limites dans la capacité de l'exécutif central ne touchent cependant qu'à un des aspects
du développement cognitif. Une autre perspective théorique intéressante réside dans
l'intégration par le courant néo-piagétien d'autres approches du développement,
comme Case l'a commencée avec la notion de structure conceptuelle centrale. Ce fai-
sant, la spécificité des théories néo-piagétiennes devrait disparaître au fur et à mesure
qu'elles s'intégreront dans l'effort de reconstruction d'une théorie générale du dévelop-
pement. La pierre la plus importante que ces théories auront apportée à cet effort de
reconstruction sera sans doute d'avoir été les premières à mettre le doigt sur le rôle cen-
tral que joue le développement du système exécutif dans l'ordonnancement du dévelop-
pement cognitif.
LECTURES CONSEILLÉES
données, à une absence d'effet des parents adoptifs ; en effet, le QI moyen des enfants
adoptés est supérieur de 21 points à celui de leurs parents biologiques, et égal à celui
des parents adoptifs. La conclusion correcte de cette étude, qui prend en compte les
deux types de données, est que les différences individuelles de QI sont peut-être asso-
ciées à des aspects génétiques (à l'intérieur des groupes, les enfants ont tendance à se
classer comme leurs parents biologiques) cependant que le QI moyen du groupe est
davantage influencé par les facteurs environnementaux.
La première partie de ce chapitre détaille les méthodes utilisées pour étudier ces
deux aspects du développement.
ENCADRÉ 3.1
100
90
80
70
60
30
20
10
GROUPES D'AGE
Les enfants classés en C (deux oublis sans récupération) sont de moins en moins nom-
breux avec l'âge (fonction décroissante).
Les enfants classés en A (jamais deux oublis consécutifs) sont de plus en plus nombreux
avec l'âge (fonction croissante).
Le pourcentage des enfants classés en B (deux oublis mais récupération) passe par un
maximum à 3 ans et demi (fonction en U inversé). Cette fonction apparaît souvent à propos de
comportements plus élaborés que les comportements plus précoces (ici, C) mais disparaissant
avec l'âge au profit de comportements encore plus élaborés (ici, A).
On trouvera dans l'encadré 3.3 un exemple de courbes en U et de son interprétation.
ENCADRÉ 3.2
Corrélations interâges
Exemple : les interactions libres au sein de dyades dont chacune était composée d'une mère et
de son bébé ont été étudiées à la maison quand les bébés avaient 3 mois, puis lorsque ces
mêmes bébés avaient 5 mois.
La lecture des enregistrements vidéo a permis de calculer les indices listés dans la
2e colonne du tableau ci-dessous. Pour chaque indice on a calculé la corrélation entre sa fré-
quence à 3 mois et sa fréquence à 5 mois' (3' colonne).
Les corrélations significatives sont marquées par des petites étoiles. Par exemple sur la
ligne 2 on lit .46**, ce qui veut dire que les bébés qui regardent longtemps leur mère à 3 mois
sont aussi ceux qui regardent longtemps leur mère à 5 mois. Par contre sur la ligne 3 on
lit – .05, ce qui veut dire qu'il n'y a pas de lien entre la fréquence des mobilisations de
l'attention du bébé par la mère à 3 mois et la fréquence des mobilisations à 5 mois. Exercez-
vous à comprendre les r des 4 lignes suivantes, qui concernent les différentes activités com-
munes aux deux membres de la dyade.
1. Rappel : une corrélation est calculée sur un groupe de sujets, en mettant en correspondance les indices
individuels de la première série de données avec les indices individuels de la deuxième série. Le r de Bra-
vais Pearson varie entre – 1 (corrélation négative, les valeurs les plus élevées de la première série vont avec
les valeurs les plus faibles de la deuxième série) et + 1 (corrélation positive, les valeurs les plus élevées de la
première série vont avec les valeurs les plus élevées de la deuxième série). Si le r est statistiquement diffé-
rent de (1 (cc qui dépend de la valeur du r et du nombre de sujets sur lequel il a été calculé), on dit qu'il y
a un lien significatif, positif ou négatif, entre les deux séries de mesures. Une corrélation correspond à une
part de variance commune entre les deux séries de mesures, en général très inférieure à 100 5/0, ce qui
laisse la place pour des variations dues à d'autres facteurs.
106 I Psychologie du développement
A - MESURER LE DÉVELOPPEMENT
C'est pourquoi il est admis, en principe', qu'une autre méthode est préférable
pour étudier le développement : la méthode longitudinale. Dans ce cas les mêmes
sujets sont vus plusieurs fois, à différents moments de leur développement, en temps
réel. Avec un tel plan expérimental on peut effectivement évaluer la fonction dévelop-
pementale — avec les mêmes précautions que pour la méthode transversale —, et étu-
dier si un sujet donné se situe de la même façon par rapport aux autres aux diffé-
rents âges. Ainsi les chercheurs mentionnés dans l'encadré 3.3 ont complété les
recherches transversales par une recherche longitudinale, qui suit les mêmes enfants
de la naissance à 5 mois, et ils retrouvent au niveau individuel la courbe en U
moyenne.
Si la méthode longitudinale paraît bien répondre aux questions posées par la psy-
chologie du développement, elle présente aussi des inconvénients bien réels, sur des
plans très différents :
1. En principe, parce que l'approche longitudinale, très lourde à mettre en oeuvre, est assez rarement
utilisée.
Les méthodes de la psychologie du développement I 107
ENCADRÉ 3.3
Dans les tests de développement pour bébés, la capacité à s'orienter vers une cible auditive
latérale apparaît pendant le 5' mois (Brunet-Lézine, 1997). Des mesures faites en laboratoire,
dans une situation bien contrôlée (entre autres, sans stimulation visuelle concomitante), véri-
fient cet étalonnage : pour un groupe d'enfants de 4 mois et demi il y a rotation de la tête vers
la cible, gauche ou droite, dans plus de 90 % des essais (Muir, 1985). Les résultats obtenus
dans les mêmes conditions expérimentales avec des bébés nouveau-nés montrent des résul-
tats à peine moins bons : entre 70 et 80 % de « bonnes réponses ». À partir de ces deux grou-
pes indépendants, peut-on considérer que la capacité à s'orienter vers une cible auditive
existe déjà à la naissance, et devient plus systématique avec l'âge ? En d'autres termes, peut-
on extrapoler, à partir des deux points étudiés, un développement linéaire ?
Si l'on ajoute au plan précédent un groupe d'enfants de 2 mois, on constate une baisse
significative des performances, ce qui laisse penser qu'en fait la fonction développementale
correspond à une courbe en U. Les courbes individuelles, obtenues par une approche longitu-
dinale, vérifient ce pattern en U. On peut alors se demander si les mécanismes de réponse ne
sont pas différents à la naissance et 4 mois et demi. Les chercheurs ont observé que les répon-
ses des nouveau-nés sont lentes, sans habituation (cf. infra) cependant que les réponses des
4 mois et demi sont rapides et tendent à disparaître avec la répétition s'il n'y a pas de cible
visuelle associée à la cible auditive. Ces résultats ont mené à penser que les réponses des nou-
veau-nés seraient réflexes, et gérées au niveau sous-cortical, cependant que les réponses des
enfants plus âgés correspondraient à une recherche de l'émetteur et seraient gérées au niveau
cortical (Clifton et ai., 1984).
On voit qu'il peut être faux d'extrapoler entre deux points de la courbe développemen-
tale obtenus par la méthode transversale ou longitudinal avec des grands écarts d'âge. Un tel
résultat pose le problème difficile de l'écart d'âge entre groupes d'âge indépendants, crucial
pour le problème posé.
I. On ajoute en général que l'approche longitudinale ne permet pas un rythme de publication soutenu (puis-
qu'il faut attendre la fin de la recherche pour en rendre compte), ce qui est en général mal vu des ins-
tances évaluant l'activité des chercheurs. Mais il s'agit là d'une raison qui n'a rien de scientifique.
108 I Psychologie du développement
On peut alors recourir à des méthodes mixtes, combinant plusieurs groupes indé-
pendants qui sont chacun étudiés de manière longitudinale. Des comparaisons partielles
permettent alors d'évaluer le poids de chacune des trois variables (cf. encadré 3.4). En
particulier, un plan longitudinal simple ne permet pas d'évaluer le poids des retests
(effet d'apprentissage dû à la répétition du même test à plusieurs reprises) et, par consé-
quent, des groupes contrôle vus pour la première fois aux âges successifs de l'approche
longitudinale sont nécessaires. Par exemple on comparerait, en 2005, des enfants de
4 ans vus pour la première fois avec des enfants de 4 ans examinés à 3 ans l'année pré-
cédente ; si les performances du second groupe sont différentes de celles du premier
pour des enfants nés la même année (pas d'effet de cohorte) on peut penser que le pre-
mier examen, à 3 ans, a des effets à long terme (cf. encadré 3.5).
ENCADRÉ 3.4
Le tableau 3.2 montre des exemples de plans mixtes, permettant de contrôler les variables
âge, cohorte et date de la mesure. Dans chaque cellule du tableau, l'âge auquel sont examinés
les sujets cette année-là ; en lignes, les cohortes (année de naissance) et en colonnes l'année
de la mesure.
Année de
naissance 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
2000 ----
I "r -
2001 6
2002 3 4 5 6 7
2003 3 4 5 6
2004 3 4 5 6 '-„
----1- - - - - - - - -
2005 3 4
2006 - ----_
Dans le plan croisant la variable Âge avec la variable Cohorte (parallélogramme horizon-
tal, en pointillés) le plan longitudinal classique est répété sur 3 cohortes différentes. Ce plan
donne des indications sur les différences entre âges (groupes indépendants) et les change-
ments avec l'âge (aspect longitudinal) ; il suppose qu'il n'y a pas d'effet de l'année de mesure.
C'est le plan le plus exigeant (sept ans de collecte des données l).
Dans le plan croisant la variable Âge avec la variable Année de mesure (parallélo-
gramme vertical, en traitillés) on a un plan transversal classique (5 groupes d'âge indépen-
Les méthodes de la psychologie du développement I 109
dants vus chaque année), reproduit 3 fois (en 2007,2008 et 20091. Il permet d'étudier les diffé-
rences entre âges (groupes indépendants) et les changements avec l'âge (aspect
longitudinal) ; il suppose qu'il n'y a pas d'effet de la cohorte. C'est le plan le plus économique
(relativement !).
Avec le plan croisant la variable Année de la mesure (3 mesures) avec la variable
Cohorte (3 mesures) (rectangle en trait plein) on a des informations sur ces deux variables et
on suppose qu'il n'y a pas d'effet d'âge.
On mesure l'ampleur du travail. Le choix du plan dépendra de la question posée. Par
exemple on n'a guère de raisons théoriques de penser que le développement sensori-moteur
varie selon les cohortes, et on peut alors ne pas prendre ce facteur en considération. Par
contre si l'on étudie les attitudes des adolescents envers la sexualité avec un seul plan longitu-
dinal, les résultats peuvent varier selon les cohortes considérées.
Le point important ici, c'est qu'il ne faut pas « oublier » des variables qui pourraient se
révéler cruciales après coup, lorsque les données auront été collectées, et que donc il sera trop
tard pour modifier le plan d'expérience.
ENCADRÉ 3.5
L'effet de retest est peut-être plus puissant qu'on ne l'imagine, comme le montre un résultat
inattendu de Perris et al. (1990). Pour une recherche portant sur la localisation auditive
entre 18 et 30 mois, ces auteurs ont réexaminé des bébés déjà observés à 6 mois et demi, ainsi
que des bébés « naïfs », qui n'étaient jamais venus au laboratoire. Les deux sous-groupes se
sont révélés très différents : les bébés expérimentés ont donné plus de réponses exactes, et
n'avaient pas besoin de consignes ! Dans la mesure où il n'est pas facile de recruter des bébés
expérimentaux, il est tentant de faire appel à ceux qui ont déjà participé à une expérimenta-
tion, dont on sait qu'ils sont d'accord sur le principe de la participation. Mais les résultats de
Perris et al. montrent que les bébés ont plus de mémoire qu'on ne le croit d'ordinaire.
ENCADRÉ 3.6
Pour étudier la connaissance que les enfants ont de la notion d'ordre linéaire, Piaget et Inhel-
der (1948, chap. III) leur proposent 2 « cordes à linge » et des « pièces de lessive » en papier,
en doubles exemplaires. Ils donnent comme exemples les scripts suivants :
Eli (3;7) connaît tous les noms des linges et en suspend lui-même sept à côté l'un de
l'autre. Prié de copier son propre modèle sur la corde inférieure et en regard, il replace tous les
mêmes éléments (7 sur un choix de 12) mais sans aucun ordre. « C'est tout à fait juste ? - Oui
- Il n'y a rien à changer ? - Non. - La robe est à côté de la chemise sur cette corde (modèle) ?
- Oui - Et ici ? - Non. [...] Alors essaie de faire comme tu as fait ici. » Eli recommence, mais à
Les méthodes de la psychologie du développement I 111
nouveau sans ordre, un seul voisinage est respecté, mais fortuitement (p. 106). Une contre-
suggestion, « un autre enfant m'a dit tout à l'heure que ça n'était pas pareil, parce que les
habits n'étaient pas à côté pareil » est sans effet.
Lil (5;4). On essaie d'emblée avec un décalage sur la droite (des deux cordes) : Lil réus-
sit AB mais ne peut continuer. On met la corde inférieure sous la corde supérieure : réussite de
l'ordre avec oubli du 6° élément sur 7, puis correction en suivant du doigt terme à terme. Nou-
veaux essais avec décalage de la seconde corde vers la droite : d'abord ADCE, puis repousse E
sur la droite et donne ABCFE... (p. 112).
On constate que :
— même si l'enfant est mis en présence d'un matériel concret, les échanges entre
l'expérimentateur et l'enfant sont essentiellement verbaux, et Eli se borne à des réponses
monosyllabiques. Les verbalisations ne sont pas retranscrites pour Lil, et on ne sait pas si
c'est l'enfant lui-même qui met en oeuvre le terme à terme, ou s'il le fait sur suggestion ;
— l'accent est mis sur la rationalité de la pensée de l'enfant, et l'intérêt pragmatique des situa-
tions étudiées n'est pas considéré, même si cela peut amener à des erreurs. Ainsi un enfant
de 5 ans persiste, malgré toutes les suggestions, à disposer au hasard les pièces de lessive,
sans aucune tentative de reproduire l'ordre proposé par l'expérimentateur ; et il finit par
expliquer, avec une certaine condescendance : « Tu sais, on peut les mettre n'importe com-
ment, ils sécheront I » ;
— signalons que la psychologie sociale du développement cognitif (Doise & Mugny, 1981),
née de la problématique constructiviste piagétienne, considère les variables sociales
comme aussi importantes que les variables individuelles.
Si, dans un premier temps, Piaget utilise principalement les verbalisations des
enfants, il est vite amené, précisément pour poser à l'enfant les problèmes qui
l'intéressent lui, à « instituer quelques petites expériences de physique » utilisant un
matériel concret : des boules de pâte à modeler, des baguettes de différentes longueurs,
des oeufs et des coquetiers, etc. Assurément les études qu'il a menées sur ses propres
enfants lorsqu'ils étaient bébés ne pouvaient utiliser le langage, mais ses « observa-
tions », quelquefois issues de remarques fortuites, sont déjà le plus souvent soigneuse-
ment planifiées, conduites comme de véritables expériences avec hypothèse explicite,
variation systématique des conditions, etc. « ... l'étude de la pensée verbale fournit l'un
des aspects seulement du problème de la construction des structures logiques... Nous
avons donc totalement renoncé à la méthode de pure et simple conversation à la suite
de nos recherches sur les deux premières années du développement, pour adopter une
méthode mixte... Au lieu d'analyser d'abord les opérations symboliques de la pensée,
nous partirons d'opérations effectives et concrètes : de l'action elle-même » (1947, p. 7).
La méthode est critique en ceci que les affirmations du sujet sont systématiquement
mises en question, non pour mesurer la solidité de ses convictions, mais pour saisir son
activité logique profonde, la structure caractéristique d'un stade de développement.
On peut remarquer que, dans ses principaux ouvrages, Piaget ne tire pas parti de
la méthode longitudinale (même lorsqu'il observe ses propres enfants jour après jour), et
propose en fait des observations transversales. Pourquoi, dès lors, lui consacrer une
rubrique spéciale ? Deux raisons à cela : d'une part, la méthode utilisée est fondée sur
une théorie très structurée, qui justifie la méthodologie choisie ; d'autre part, elle préfi-
gure une approche plus récente, la méthode microgénétique, qu'on détaillera plus loin
(cf. III, p. 112).
112 I Psychologie du développement
Nous avons plusieurs fois fait allusion à la difficulté à saisir les mécanismes du
changement avec l'âge, et au problème qui en découle des écarts temporels entre âges
étudiés. Siegler (2000), entre autres auteurs, suggère que la majorité des recherches en
psychologie développementale ne font qu'inférer* la manière dont un changement s'est
produit, en comparant les comportements avant et après le changement. De manière
plus ou moins explicite les théories du développement par stades envisagent des pério-
des de relative stabilité, caractérisées par une manière de penser, et séparées par des
reconfigurations rapides insaisissables. Pour Siegler, ces postulats à la base des métho-
des transversales et longitudinales sont contestables : l'enfant est tout le temps en chan-
gement, dans un domaine ou un autre, il utilise souvent plusieurs stratégies pour
résoudre un problème, et les changements qui apparaissent à l'échelle d'un examen
approfondi ne sont qualitativement pas différents des changements sur de plus grandes
échelles de temps. En conséquence, il faut étudier le changement au moment où il se
produit, pour répondre à cinq questions le concernant :
— Dans quelle direction se fait le changement : quand un enfant commence-t-il à
utiliser une nouvelle stratégie ? Les stratégies brièvement utilisées pendant les périodes
de transition apparaissent-elles peu de temps avant la nouvelle stratégie ? La nouvelle
stratégie remplace-t-elle une méthode particulière antérieurement utilisée ou contribue-
t-elle à abaisser le pourcentage d'emploi de toutes les autres méthodes ?
— Quelle est la vitesse du changement ? Par exemple, à quelle vitesse une nouvelle
stratégie finit-elle par être régulièrement utilisée après l'avoir été une première fois ?
Quelle est l'ampleur du changement ? Par exemple, lorsqu'un enfant acquiert
une nouvelle stratégie, l'applique-t-il immédiatement à tous les problèmes sur lesquels
elle paraît applicable ?
— Quelle est la variabilité des patrons individuels de changement ?
— Quelles sont les sources du changement ?
Les méthodes de la psychologie du développement I 113
ENCADRÉ 3.7
Wertsch & Hickmann (1987) étudient comment se construit chez le jeune enfant l'autocontrôle
de l'activité. Dans cette intention, ils proposent à des dyades mère-enfant une situation de
puzzle : pour construire un camion d'après un modèle (cf. fig. 3.2) il faut poser les pièces cons-
tituant le véhicule (ce qui est relativement facile aux âges étudiés) et la cargaison, constituée
de triangles associés en 6 carrés (ce qui est nettement plus difficile, d'autant plus que des piè-
ces inutiles, d'autres couleurs, sont aussi proposées).
••
1
violet •e
♦♦ 3
blanc
•
,r.
•••
5
noir
et
. oet
er
e ♦ .
e
e
•
♦•
te
■ II
2 ' 4 ♦ 6
• s
• •
7
jaune
♦
♦♦
• 9
bleu
•
• /
♦ ♦ 11
orange /
♦
♦ ♦
♦• e •
e
••
•
et ♦ t
e
♦♦ 8 ♦♦ 9 .♦ 10
2r5
.— /TT\
Les dyades organisent leur activité à leur convenance. Pour chaque carré la difficulté est
de bien poser le premier triangle (triangles 1, 3, 5, 7, 9 et 11), et cette pose implique 6 étapes
stratégiques. Pour chaque étape on décide, en regardant les vidéos, qui de la mère (M) ou de
l'enfant (E), ou des deux (ME), a initié le contrôle (avec des critères très précis que nous ne
détaillerons pas ici). Les tableaux ci-dessous synthétisent les résultats pour deux enfants.
Étapes stratégiques 1 3 5 7 9 11
1 Regarder le modèle M M E M M M
2 Regarder la pièce-modèle M M E M M M
3 Choisir une pièce E E E M M M
4 Regarder la copie M M E M M E
5 Regarder la place de la pièce M M ME M M ME
6 Mettre la pièce à sa place E ME E ME ME ME
Étapes stratégiques 1 3 5 7 9 11
1 Regarder le modèle M M M M E E
2 Regarder la pièce-modèle M M ME ME ME E
3 Choisir une pièce M M E E E E
4 Regarder la copie M M E E E E
5 Regarder la place de la pièce M M E ME E E
6 Mettre la pièce à sa place E E E ME E E
Les deux dyades arrivent au même résultat (réussite complète) mais par des moyens
très différents : pour l'enfant le plus âgé on voit le contrôle passer progressivement de la mère
à l'enfant, qui réalise entièrement seule le triangle 11. Par contre pour le plus jeune enfant on
n'observe pas de transition d'un contrôle exogène (la mère) vers un autocontrôle.
Cette recherche, qui étudie le passage de la régulation interpsychologique à la régulation
intrapsychologique, est un bel exemple de la théorie de Vygotsky (cf. chap. 2, II).
Le second exemple (cf. encadré 3.8), qui concerne la conservation du nombre, est
beaucoup plus complet : il comprend unc phase de prétest, sans feedback, pour sélec-
tionner des enfants « non conservants » et une phase d'apprentissage durant deux
semaines dans 3 conditions possibles, chaque groupe comprenant 15 enfants. Il est inté-
ressant de noter que dans l'exposé de la procédure il est précisé que l'expérimentateur
est une expérimentatrice de 42 ans, ce qui sous-entend que l'aspect relationnel de la
situation est pris en compte. Les réponses des enfants sont analysées au niveau du
groupe, et au niveau individuel, en ce qui concerne les réussites, les échecs et leurs
justifications.
Les méthodes de la psychologie du développement I 115
On voit qu'il ne s'agit en rien d'une méthode approximative. Chaque étape est
mûrement pesée. Cependant que Piaget acceptait un type de réponse et ses justifica-
tions, Siegler propose à chaque enfant toutes les solutions possibles et recherche des
patterns de réponses, et leur évolution au cours de séances successives. Les justifications
sont systématiquement demandées, et codées de manière univoque. Cette planification
minutieuse de l'expérience repose sur tout ce qui a été acquis auparavant par les cher-
cheurs, et va plus loin en étudiant réellement les changements.
ENCADRÉ 3.8
Siegler reprend la situation piagétienne dite des oeufs et des coquetiers: deux rangées de
jetons comportent, au départ, un nombre égal de jetons, puis on fait subir une transformation
à une rangée, et on demande à l'enfant s'il y a ou non le même nombre de jetons dans les
deux rangées.
La procédure présente les caractéristiques suivantes :
1 / Conformément à la théorie du développement microgénétique, qui considère qu'à un
moment donné les enfants disposent de différentes règles de résolution de tels problèmes,
divers types de transformations sont proposés, indiqués dans le tableau 3.4.
On voit que selon les règles que les enfants se donnent, ils accepteront ou non l'égalité
pour chaque type de problème. À chaque séance on présente à l'enfant 12 problèmes, deux de
chaque type.
2 / Une première phase de prétest comprend 4 séances et permet de sélectionner, dans
un groupe de 97 enfants entre 4 ans et demi et 6 ans, les 45 enfants qui ne réussissent pas
(avec un critère précis).
3 / Les 45 enfants sont partagés en trois groupes pour la phase d'apprentissage, qui
comprend 4 séances :
— A : Pour le premier groupe, après chaque problème on indique à l'enfant si sa réponse est
juste ou non (feedback).
116 I Psychologie du développement
100 -
—0— Feed back
-■ Expliquer le raisonnement de l'expérimentation
-
80 -
- -
u
)11- -
I
60 - ■
40 -
20 -
0
PRETEST 1 3 4
SESSION
Mais des analyses sont également faites au niveau individuel, pour observer la dyna-
mique du changement ; elles montrent, entre autres, la variabilité des stratégies utilisées au
prétest, et le lien entre cette variabilité et les changements de stratégies induits par les diffé-
rents feedback.
Même si elles se déroulent sur des semaines plutôt que sur des années (comme la
plupart des études longitudinales), de telles expérimentations sont lourdes, et encore
relativement rares. Il semble pourtant que le jeu en vaille la chandelle, parce qu'elles
fournissent des données originales sur le développement. Une telle approche peut être
utilisée dans de nombreux domaines (Bassano et Van Geert, 2006 ; Granott et Parziale,
2002). Une dernière remarque : que penseraient des cliniciens de cette méthode ? Peut-
on espérer, après des dizaines d'années de séparation, que des cliniciens et des expéri-
mentalistes partagent les mêmes préoccupations ?
Les méthodes de la psychologie du développement I 117
I V - Conclusion
À de rares exceptions près, les recherches expérimentales sur les jeunes enfants
sont apparues relativement tardivement, dans les années 1960. Auparavant c'est au tra-
vers d'observations de cas isolés qu'on a étudié cette population (cf. ci-dessus, Piaget). Il
est habituel de considérer que des progrès techniques, comme l'apparition de la vidéo,
ont joué un rôle important dans ce développement : la possibilité de revenir autant de
fois que nécessaire sur une observation permet de pallier l'éventuelle subjectivité d'une
observation unique. Cependant, le poids d'autres facteurs ne doit pas être minimisé : la
baisse de la mortalité infantile, la maîtrise de la conception ont modifié les théories
explicites et implicites qu'on avait des bébés (cf. chap. 1). En particulier, on a mis en
doute l'idée que l'environnement a peu de prise sur le développement du bébé et que le
développement dépend principalement de la maturation. Quand Fantz, en 1958,
montre que certaines conduites du nourrisson — en l'occurrence, le comportement
visuel — n'apparaissent pas au hasard et obéissent à des règles précises, les bases de la
psychologie expérimentale du bébé sont jetées.
Cependant la mise en oeuvre d'une procédure expérimentale chez de très jeunes
sujets pose des problèmes difficiles : le recours à une consigne, précisant ce qu'on
demande à l'enfant, est exclu. On va aménager la situation de manière à maximiser les
118 I Psychologie du développement
chances d'apparition des comportements qu'on veut observer, par exemple placer le
bébé dans une semi-obscurité cependant que le champ visuel à explorer est très lumi-
neux. L'expérience montre que cela n'empêche pas forcément le bébé de s'intéresser
aux pompons de ses chaussons. On peut alors imaginer de masquer le bas du corps du
bébé, et ses mains, par une bavette (cf. infra, p. 131-132) : mais à partir de 4-5 mois, en
fonction du développement de la coordination visuo-manuelle, les bébés expriment
énergiquement leur désaccord avec cette situation étrange... Bref, le contrôle des varia-
bles indépendantes demande souvent des trésors d'ingéniosité, et surtout un sens cri-
tique très aiguisé, pour être sûr que des variables autres que celles qu'on veut étudier
ont un poids sinon négligeable, du moins connu (cf. encadré 3.9).
Un certain nombre de paradigmes expérimentaux sont maintenant devenus classi-
ques, que nous détaillerons plus loin. Mais nous examinerons d'abord un problème plus
général : quels comportements des jeunes enfants peuvent être considérés comme des
réponses aux modifications expérimentales de l'environnement ?
ENCADRÉ 3.9
Un exemple classique concerne le niveau de vigilance des bébés. Ainsi pour mener des études
sur des nouveau-nés il faudra saisir les moments, relativement rares, où ils sont éveillés, mais
où ils ne pleurent pas. Même si ce problème devient moins aigu quand le bébé grandit, sa
solution n'est pas évidente. S'il est relativement facile de distinguer entre veille et sommeil, il
est plus difficile de distinguer, si l'on n'a pas les moyens d'apprécier l'état tonique de l'enfant,
entre veille calme et veille active (Brazelton, 1973). On voit sur cet exemple qu'un chercheur en
« bébologie » ne peut pas être spécialiste d'un domaine particulier, mais doit tenir compte du
bébé comme une unité fonctionnelle.
Un autre exemple concerne la posture. Dans la plupart des études sur l'activité visuelle
on installe les bébés dans un siège auto, en sorte que, selon les canons de la bonne expéri-
mentation, « toutes choses soient égales par ailleurs ». Mais cette posture semi-redressée ne
demande pas le même effort pour des bébés de 3 mois et des bébés de 5 mois. On peut alors
décider de laisser la mère réguler cette posture en tenant le bébé sur les genoux, mais en
toute rigueur on ne peut pas comparer les résultats obtenus avec le siège auto et les genoux
maternels...
Trois aspects des comportements des bébés semblent empêcher d'utiliser le para-
digme classique stimulus —> réponse : le nombre de réponses différentes paraît, au pre-
mier abord, extrêmement restreint et simultanément, ces réponses sont peu différen-
ciées ; enfin, il est difficile d'évaluer dans quelle mesure ces comportements sont
contrôlées par le bébé, voire volontaires. L'avancée des recherches a montré qu'en fait
les réponses possibles sont plus nombreuses et plus différenciées qu'il y paraît. Quant au
niveau de fonctionnement cognitif qu'elles impliquent, il fait actuellement l'objet de
débats théoriques intenses (Lécuyer, 2004).
À la naissance, deux comportements sont fonctionnels, même si leur développement
n'est pas achevé : la succion et l'activité oculaire. La notion de « réflexe de succion » a
Les méthodes de la psychologie du développement I 119
disparu avec les travaux qui montrent les modulations possibles de ce comportement.
Ces modulations peuvent prendre deux formes. D'une part l'activité de succion est sus-
ceptible de conditionnement (cf. infra, p. 133-136) : de très jolies recherches sur la percep-
tion des sons de parole chez les nouveau-nés utilisent l'intensité de la succion non nutri-
tive, et son évolution dans le temps, en fonction des sons proposés, ce qui amène à
conclure que les bébés discriminent la voix de leur mère, ou des mélodies auxquelles ils
ont été familiarisés in utero. D'autre part, les nouveau-nés ne réagissent pas de la même
façon à un contact péribuccal d'origine externe (le doigt de l'expérimentateur, ou la
tétine) et d'origine interne (la main du bébé). Tout se passe comme si une certaine dis-
tinction entre soi et le monde extérieur existait très précocement (cf. chap. 5, I).
S'agissant de l'activité oculaire, on sait que même si l'acuité visuelle et l'accommodation
sont loin d'avoir atteint leur niveau adulte à la naissance, le regard est attiré par des
contrastes ; ainsi en proposant des trames (alternances de barres sombres et de barres
claires) de fréquence spatiale variable (autrement dit plus ou moins fines) on peut évaluer
précisément l'acuité visuelle. L'activité visuelle est exercée dès la naissance, avec une
grande fréquence, et on peut rechercher comment elle s'organise, spatialement et tempo-
rellement, en fonction de stimulus divers. De plus elle porte certes sur des objets, mais
également sur des personnes, et le contact oeil à oeil est un indice précoce de l'interaction
adulte-enfant. Nous verrons plus loin des exemples d'utilisation de cet indice.
Si le contrôle de l'activité motrice de la tête et de la main est difficile pendant les
premiers mois, du fait de l'hypotonie* de l'axe du corps et de l'hypertonie* des mem-
bres, il est acquis au cours des 5-6 premiers mois. On a vu (cf. encadré 3.3) qu'en four-
nissant au nouveau-né un soutien adéquat de la tête l'orientation vers une cible auditive
latérale est possible. Les études sur le développement de la préhension, extrêmement
nombreuses, montrent comment la main devient un outil de connaissance, et comment
les manipulations deviennent de plus en plus fines et différenciées. Plus tard, la locomo-
tion autonome permet de mettre en évidence la perception de la profondeur. Signalons
enfin que si on ne peut pas attendre des réponses verbales d'un nourrisson — et le terme
anglais infant, issu du latin infans, exprime précisément cette incapacité — l'examen
attentif d'une interaction mère-bébé montre que les vocalisations du bébé alternent
avec les verbalisations maternelles, constituant ainsi une véritable protoconversation.
On voit, sur ces quelques exemples, non exhaustifs, que l'expérimentateur n'est
pas aussi démuni qu'il peut sembler au premier abord et qu'il est passionnant de
découvrir, au-delà d'une apparente inorganisation, les règles de fonctionnement des
bébés. Il ne s'agit pas, bien évidemment, d'entrer dans le détail de toutes les procédures
utilisées : sur les quatre exemples que nous allons considérer, nous voudrions
qu'apparaissent les principales difficultés qui peuvent être rencontrées en expérimen-
tant' sur les bébés, et les moyens d'y remédier. Tout d'abord, peut-on réellement
dépasser le stade de l'observation, fût-elle armée' ?
1. Un mot à ne pas prononcer devant les parents, étant donné ses connotations intrusives. On parlera tou-
jours d'observation. Si l'on envisage d'utiliser des techniques électrophysiologiques (rythme cardiaque,
potentiels évoqués), les choses se compliquent... Nous ne détaillons pas ici les aspects déontologiques de
l'étude des jeunes enfants, dont l'importance est évidente.
2. Terme consacré pour désigner les situations aménagées par l'expérimentateur (cf ci-dessus, Piaget), sans
aucune connotation militariste, sinon dans l'inconscient des chercheurs.
120 I Psychologie du développement
Il - L'observation
On a vu plus haut que Piaget a observé ses propres enfants quand ils étaient bébés
mais que, ce faisant, il leur proposait des petits problèmes correspondant à ses hypo-
thèses : par exemple il attache une ficelle au jouet suspendu au berceau, pour examiner
quels schèmes d'action l'enfant va mettre en oeuvre pour éventuellement saisir le jouet.
Sur cet exemple on voit que la limite est floue entre observation et expérimentation.
Toutes deux supposent des hypothèses et impliquent une intervention. Tous les cher-
cheurs ne seraient sans doute pas d'accord sur ce point : dans certaines perspectives cli-
niques on insiste sur la nécessité que l'observateur soit naïf et ne se laisse pas influencer
par des présupposés. Pour nous, cette position n'est pas tenable, tout observateur mène
son observation avec un but, qui ne peut que gagner à être explicité. De même, la
simple présence d'un observateur, même s'il n'intervient pas, n'échappe pas à l'enfant,
et peut modifier son comportement (cf. encadré 3. 10).
ENCADRÉ 3.10
nelles envers un bébé' ? Nous décidons d'observer des bébés de 3, 5 et 8 mois à la mai-
son, pendant une heure où ils sont éveillés. Que nous utilisions ou non la vidéo 2 , il nous
faut définir strictement, avant la collecte des données, les comportements qui seront
étudiés. Cela est évident lors d'une observation directe (cf. Clarke-Stewart, 1973), où
l'observateur a déjà fort à faire pour remplir les cases prévues (cf. encadré 3.11) ; mais
c'est tout aussi évident lorsque l'observation est filmée : la prise de vue dépend de ce
qu'on veut pouvoir évaluer. Dans notre exemple, il faut à la fois des plans larges pour
filmer la mère et le bébé, et des plans serrés pour saisir l'expression émotionnelle des
bébés. C'est dire qu'il ne s'agit pas de planter la caméra et de lui faire confiance. Celui
qui filme doit savoir quoi filmer, et pouvoir décider que faire en cas d'exigences contra-
dictoires. Si l'on n'a pas prévu de tenir compte de la présence de la mère avant de fil-
mer, on n'arrivera pas à décider valablement, a posteriori, quand elle est là et quand elle
est absente.
ENCADRÉ 3.11
Les différents comportements prévus dans la grille sont donnés dans la colonne 1 du
tableau 3.5. Après chaque échantillon temporel de 30 secondes on utilise les 30 secondes sui-
vantes pour mettre des croix dans les cases correspondant aux comportements effectivement
observés.
BB regarde sa mère + + + 3
BB regarde un objet + + + + + + + + 8
BB regarde l'observateur + + 2
BB vocalise (détresse) + + 2
BB vocalise + + + 3
BB tient un objet + + + + + 5
BB manipule + + + etc.
....
Mère absente + + + + +
1. Si bizarre que cela paraisse, cette question n'a été, jusqu'à présent, que peu traitée de manière développe-
mentale.
2. La vidéo permet de revenir sur les enregistrements autant de fois que nécessaire ; néanmoins, la suspicion
de subjectivité est si forte qu'on demande toujours aux chercheurs un double codage des comportements
observés par deux juges indépendants.
122 I Psychologie du développement
Mère proche + + + + +
Mère parle + +
...
Donc il faut établir, avant enregistrement, une grille de codage incluant tous les
comportements cibles. On voit que l'idée d'une grille universelle, si tentante soit-elle,
est un leurre : les comportements cibles dépendent de la question posée. Bien évidem-
ment, le chercheur peut s'inspirer de grilles existant dans la littérature ; il trouvera sans
doute que certains aspects des grilles antérieures lui conviennent, que d'autres man-
quent, et qu'il n'a plus qu'à relever ses manches et créer lui-même sa propre grille. Ni
la caméra, ni les logiciels qui existent pour faciliter le codage et le traitement des don-
nées ne feront le travail à sa place. Pire, les logiciels refusent tous d'intégrer en cours de
route dans le codage des événements imprévus. Notons par ailleurs que le degré de
définition d'un item dépend lui aussi du but de l'observation : dans notre exemple « sai-
sit un objet » regroupe l'ensemble des mouvements, qu'il faudrait distinguer si on vou-
lait mener une étude fine de la préhension. Il faut établir, avant la collecte des données,
le codage qui va réduire le flux comportemental, en utilisant un lexique précis, sur la
base de définitions opérationnelles où il est vain de vouloir distinguer entre constat et
interprétation.
Mais une observation ne se limite pas à saisir l'occurrence d'un comportement
cible — comme on relèverait une « réponse » dans une situation expérimentale — la
durée et l'organisation séquentielle des événements peuvent avoir un grand intérêt pour
la question posée. Dès lors il faut définir la durée de l'observation, et la segmentation
temporelle qui va en être faite. Dans la grille proposée dans l'encadré 3. 11 les compor-
tements cibles sont listés dans la première colonne, et les unités de temps correspondent
aux colonnes suivantes. On a utilisé ici la technique des échantillons temporels, c'est-à-
Les méthodes de la psychologie du développement I 123
dire qu'on a observé le film pendant trente secondes, puis consacré les trente secondes
suivantes à cocher dans la colonne correspondante les comportements qui ont été
observés auparavant. La technique est économique — la durée du codage est celle du
film — mais elle peut paraître bien grossière : que l'enfant ait, par exemple, regardé sa
mère deux secondes ou vingt-huit secondes, le codage sera le même. On peut préférer
une mesure exacte des durées, en repérant image par image le début et la fm des
occurrences, pour établir le nombre d'occurrences d'un comportement, leurs durées, et
la durée totale de présence du comportement cible. Mais cette précision est-elle néces-
saire pour la question posée ? Sur des données correspondant à notre exemple les deux
types de codage — échantillons temporels et codage en temps réel — ont été réalisés, et
on a observé des corrélations aux alentours de .80 entre les deux types de mesure, ce
qui plaide en faveur de la méthode la moins lourde.
Toutefois on peut envisager non plus l'organisation temporelle d'un comporte-
ment, mais les relations temporelles entre les occurrences de deux comportements : par
exemple le bébé regarde-t-il sa mère lorsqu'elle lui parle, la regarde-t-il plus lorsqu'elle
« parle bébé » que sur un mode adulte ? Qui prend des initiatives, comment sont-elles
suivies, comment se structurent des routines interactives ? Ce type de traitement des
données suppose bien que les dates exactes des occurrences des comportements concer-
nés soient détectées. Il est difficile, car la diversité des ordres possibles entre événements
croît de manière exponentielle avec le nombre d'événements et les séquences rigides
sont rares dans les comportements humains. On va rechercher si des séquences ayant
une signification apparaissent à une fréquence supérieure à celle que permet de prévoir
le hasard, étant donné les fréquences respectives des comportements concernés.
L'encadré 3.12 donne un exemple d'un tel traitement.
Des logiciels ont été développés qui permettent de détecter des séquences selon les
hypothèses des chercheurs. Ils ne sont pas d'un abord facile et supposent que le cher-
cheur soit au clair sur la signification de ce qu'il considère. Par exemple la durée entre
deux événements doit-elle être prise en compte, de même que les événements qui se
produisent entre ces deux limites ?
On voit, sur ces quelques remarques, que l'observation n'est en rien une méthode
floue, et non scientifique. Bien des problèmes cruciaux du développement ne peuvent
être traités sans y recourir. Nos exemples ont souvent concerné de très jeunes bébés,
mais l'observation ne leur est pas réservée : entre 1 et 3 ans il est extrêmement difficile
d'amener les enfants à prendre en compte une consigne, cependant que le répertoire
comportemental se diversifie. Pour étudier l'attention dans ce groupe d'âge, Ruff et
Capozzoli (2003) adoptent une situation de jeu autour d'objets, et des distracteurs sous
forme de clips apparaissent en périphérie ; l'enfant est filmé, et différents indices
d'attention sont dérivés des vidéos. Lors même qu'il est évident que le développement
est intense avant 3 ans, on manque cruellement de données à ces âges si on rejette ce
qui est obtenu par observation.
Notons par ailleurs qu'il existe des situations standardisées d'observation, comme
la Situation étrange d'Ainsworth (1979) qui étudie, dans le cadre de la théorie de
1. La vidéo numérique, traitée par des logiciels ad hoc, est ici un grand progrès par rapport à la vidéo analo-
gique. Mais qu'on ne se fasse pas d'illusions : le codage de films est un travail très lourd.
124 I Psychologie du développement
l'attachement, les réactions des petits à un certain nombre d'événements (arrivée d'un
observateur, départ de la mère, etc.). Bradley et Caldwell (1976) ont mis au point une
grille de lecture du comportement spontané des enfants à la maison (échelle HOME), qui
peut servir à comparer des populations différentes. De tels outils sont utiles parce qu'ils
sont devenus universellement utilisés. Étant donné les difficultés et le coût des observa-
tions, il est toujours utile de rechercher ce qui déjà été fait et validé, pour combiner le
sens clinique du chercheur et ses capacités à objectiver et communiquer ce qu'il a
observé.
ENCADRÉ 3.12
On reprend ici une recherche de Kaye et Fogel (19130), qui ont étudié dans quelle mesure la
manifestation d'un comportement de « salutation ), du bébé (yeux grands ouverts, sourire,
bouche ouverte, vocalisations) dépend ou non de ce que la mère présente le même comporte-
ment. Le codage commence quand l'enfant regarde sa mère, et se poursuit pendant 4 tranches
de 2 secondes.
Pour chaque tranche on détermine, sur l'ensemble des dyades d'un âge donné, le
nombre de fois où les mères ont salué ou non, et la proportion de ces saluts auxquels les
bébés ont répondu. Par exemple à 6 semaines, pour la tranche 0-2 secondes, on a sur 43 dya-
des 34 occurrences de salut maternel, avec 4 réponses des bébés, soit une fréquence
de 4/34 ..12 ; au même âge et pour la même tranche on a 356 non-saluts « maternels, cepen-
dant que les bébés saluent dans 16 cas, soit avec une fréquence 16/356 = .045.
Les graphiques ci-dessous présentent les valeurs obtenues selon l'âge et la tranche,
selon que les mères ont salué (ligne pleine) ou non (ligne pointillée). On retrouve, à 6 semai-
nes, pour la première tranche, les valeurs calculées ci-dessus. On a examiné, à l'aide de chi2,
si les différences entre les deux courbes sont significatives.
si la mère "salue"
l' enfant
- - - . si la mère ne "salue"
2
pas l'enfant
I
0-2 2-4 4-6 6 -8 01 2 2-4 46 6-8 0- 2 2 -4 4- 6 6- 8
Secondes depuis que Secondes depuis que Secondes depuis que
l'enfant regarde sa mère l'enfant regarde sa mère l'enfant regarde sa mère
34 30 40 50 85 68 44 36 78 60 41 21
356 247 173 119 767 351 1 62 76 659 286 103 46
FIG. 3.4. — Fréquences des « saluts » des bébés en fonction du comportement maternel, du délai
à partir du moment où le bébé regarde sa mère et de l'âge du bébé (Kaye et Fogel, 1980).
Les deux lignes de nombres (au-dessus de l'âge) donnent les nombres bruts
de comportements maternels pour chaque point des courbes
Les méthodes de la psychologie du développement I 125
1. Les balayages horizontaux sont les plus fréquents dans l'activité oculo-motrice des nourrissons.
126 I Psychologie du développement
La situation de Fantz peut être aménagée pour contrôler la familiarité des cibles :
pendant un nombre d'essais déterminé (phase de familiarisation) on présente deux
cibles identiques puis, quand une durée fixée est atteinte (fixée selon des critères qu'il
importe d'expliciter), on passe à la phase test, où l'une des cibles est remplacée par une
cible nouvelle (avec les contrebalancements d'usage). Si, dans ces conditions, les bébés
regardent plus la nouvelle cible que l'ancienne, on parle de préférence visuelle, et on
interprète cette différence comme l'effet d'une capacité du bébé à discriminer les deux
cibles. La plupart des travaux sur les perceptions des nourrissons, qui montrent que
leur monde visuel est beaucoup plus différencié qu'on ne le croyait (Vurpillot, 1972 a) ,
ont utilisé ce type de méthode. On peut aussi, pour étudier les capacités mnémoniques
des bébés, établir un délai entre familiarisation et test (ce que Fagan (1977) appelle
mémoire de reconnaissance).
Même avec des aménagements, la méthode des Temps de fixation relatifs présente
néanmoins des inconvénients. D'une part, si des durées de fixation différentes peuvent
être interprétées comme des indices de différenciation, des durées égales ne permettent
pas de conclure à une absence de différenciation : précisément une comparaison systé-
matique de deux cibles différentes mène à des durées égales passées sur les deux cibles
(Vurpillot, 1972 b, chap. IX). Tous les résultats « négatifs » sont donc ininterprétables.
D'autre part l'idée d'une « réaction à la nouveauté », séduisante au premier abord, s'est
révélée assez complexe : selon le niveau de familiarité du premier stimulus on a observé,
aux mêmes âges et sur les mêmes stimuli, pendant la phase test, aussi bien des « préféren-
ces pour l'ancien » que des « préférences pour le nouveau ». Cet aspect pose de difficiles
problèmes théoriques que nous ne faisons qu'évoquer (Lécuyer, 1989). Ces deux incon-
vénients ont amené à la mise au point de méthodes plus satisfaisantes, comme
l'habituation ; il n'en reste pas moins que pour tester l'équivalence entre stimuli la
méthode du temps de fixation relatif est un outil simple et satisfaisant.
IV - L'habituation
on
stim
off
regarde
bébé
regarde pas —
temps sec
essai 1 essai 2 essai 3
Dans cet exemple un essai dure 15 secondes, avec un intervalle
inter-essai de 5 secondes.
A l'essai 1 il y a une fixation qui dure 11 secondes ;
A l'essai 2 il y a 2 fixations, la durée totale est 6 secondes ;
A l'essai 3 la seule fixation est interrompue par la disparition du stimulus.
1 5 6 7 8
Essais
existe dès la naissance, pour toutes les modalités sensorielles ; la modalité visuelle a été
la plus étudiée, et c'est dans ce domaine que nous choisirons nos exemples. Notons que
les études utilisant l'habituation chez le bébé, très nombreuses, peuvent être menées
dans deux intentions très différentes : d'une part pour comprendre le phénomène lui-
même, et d'autre part comme moyen de mettre en évidence des discriminations, en
proposant un stimulus nouveau après l'habituation.
Examinons en détail une telle procédure, pour montrer tout ce à quoi un expéri-
mentateur doit penser, et tout d'abord définissons un essai. Dans la logique des appro-
ches expérimentales classiques, on a d'abord utilisé N essais de durée fixe, par exemple
8 essais de vingt secondes, et on a enregistré combien de temps les bébés regardent le
stimulus à chaque essai (fig. 3.5 a). Cela permet de calculer le pourcentage de temps
passé sur la cible à chaque essai, et de moyenner les valeurs individuelles correspondant
toutes au même nombre d'essais (fig. 3.5 b) . Mais on rencontre aussi un certain nombre
de difficultés. Tout d'abord à fixer le nombre d'essais et leur durée : pour un stimulus
donné on veut obtenir une habituation en fin de présentation. D'autre part à mettre en
correspondance stimulation et regard, puisque les stimulations sont délivrées automati-
quement : l'enfant peut faire plusieurs fixations à l'intérieur d'un essai, où il peut com-
mencer de regarder en fin d'essai, dont l'interruption viendra tronquer sa fixation. Pour
dépasser cette difficulté, on peut modifier la procédure en commençant la présentation
du stimulus quand l'enfant regarde dans la bonne direction ; mais alors les intervalles
interessais sont inégaux, éventuellement très longs, plus longs que ne le permettent les
capacités mnémoniques des enfants...
Une autre procédure a été proposée, qui asservit la présentation des stimuli au
comportement de l'enfant (infant control procedure) : le stimulus apparaît quand l'enfant
regarde dans la bonne direction, et disparaît quand l'enfant s'est détourné (fig. 3.6 a).
La durée d'un essai varie donc avec l'activité de l'enfant, et on s'attend à ce qu'elle
décroisse. Si cette procédure résout un problème, elle en soulève d'autres. D'une part,
la question des durées interessais reste posée, comme dans l'autre procédure : que faire
lorsque l'enfant s'abîme dans la contemplation de ses mains ? D'autre part, quand arrê-
ter la présentation du stimulus ? Il faut définir un critère d'habituation. L. B. Cohen
(1976) propose que la présentation soit interrompue quand deux ou trois essais sont
moitié moins longs que la moyenne des 2 ou 3 premiers essais, prise comme référence
(fig. 3.6 b). La plupart des chercheurs utilisant l'habituation adoptent ce critère, qui
permet de considérer que tous les bébés sont habitués dans la même proportion, quelle
que soit la valeur absolue de la référence.
Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines : au niveau individuel les courbes
d'habituation sont loin d'être systématiquement décroissantes, et il se peut que les essais
les plus longs ne soient pas les premiers ; si les essais pris comme référence sont très
courts, le critère à atteindre sera très sévère, et difficile à atteindre. La grande variabi-
lité interindividuelle des valeurs de référence pose de plus un problème théorique
sérieux : peut-on identifier durée de fixation et durée de traitement de l'information, et
parler de « proportion d'habituation égale », quand les références de certains sujets
valent dix fois, voire plus, les références d'autres sujets ? Ces considérations sont parti-
culièrement importantes lorsqu'on veut étudier les mécanismes fins de l'habituation.
Lorsqu'on utilise l'habituation pour rechercher si les enfants sont capables de discrimi-
Les méthodes de la psychologie du développement I 129
bébé
regarde
regarde pas — TF
on
stim
off
temps sec
20
18
16
Durée de fixation en secondes
14
12
10
0
FIX1 FIX2 FIX3 FIX FIX_N FIX N
FIXATIONS
18
16
Durée de fixation en secondes
14
12
10
0
FIX1 FIX2 FIX_N_l FIX_N FAM1 NOLV1 FAM2 NOUV2 FAM3 NOUV3
HABITUATION REACTION A LA NOUVEAUTE
18
16
Durée de fixation en seondes
14
Groupe 1 - Stimulus nouveau
12
10
4
Groupe 2 - Poursuite de l'habituation
2
WARMUP FIX2 FIX_ N FAMNOUV2
FIX1 FIX_N_1 FAMNOUV1 FATIGUE
FIXATIONS
nation, ou de catégorisation, la même procédure doit être mise en oeuvre pour tous les
sujets, ce qui peut amener à ne pas inclure dans les groupes expérimentaux certains
sujets qui ne suivent pas le modèle d'habituation prévu.
Pour tester les capacités de discrimination il faut présenter, après habituation, un sti-
mulus test. La discrimination se manifestera par un accroissement de l'attention (réaction
à la nouveauté), mais un certain nombre de précautions doivent être prises. Tout d'abord
les deux stimuli, pour l'habituation et le test, doivent être également attirants ; pour véri-
fier ce point, on compare deux groupes de sujets, l'un habitué sur le stimulus A et testé sur
le stimulus B, l'autre habitué sur le stimulus B et testé sur A et on s'assure que les durées
moyennes des références ne sont pas différentes. D'autre part, la comparaison entre essais
critères (ou essais de fin d'habituation, pour la procédure à essais fixes) et essais tests est
discutable : certes on fait l'hypothèse que l'attention continue de décroître lors d'essais
posthabituation, mais il est plus propre de le vérifier, soit en alternant stimulus test et sti-
mulus d'habituation (avec tous les contrebalancements d'usage..) soit en comparant les
essais tests d'un groupe avec des essais post habituation dans un autre groupe (fig. 3.7).
Encore faut-il tester qu'il ne s'agit pas d'un désintérêt général pour la situation.
Pour ce faire on proposera deux essais, sur un stimulus très différent du stimulus
d'habituation, qui encadrent celui-ci : avant habituation, un stimulus d' « échauffe-
ment » (warming up) 1 et le même stimulus en contrôle après les essais de réaction à la
nouveauté ; s'il n'y a pas fatigue, la réaction au stimulus de contrôle, après habituation,
sera aussi intense que la réaction primitive au stimulus d' « échauffement »
(cf. fig. 3.7 b). Cet aspect est important si l'on ne constate pas de réaction à la nou-
veauté, mais cela n'étant pas assuré avant que l'expérimentation ne soit réalisée, la pré-
caution doit être prise pour tous les sujets.
L'habituation a également été utilisée pour étudier les capacités de catégorisation.
Si on présente, pendant la phase d'habituation, des stimuli (également attirants) que le
bébé considère comme différents, il n'y aura pas habituation ; si, par contre, il leur
trouve des propriétés communes il peut y avoir habituation, mais plus lentement que
sur un stimulus unique. La phase test comprend deux types de stimuli : d'une part des
stimuli de la même catégorie que les stimuli d'habituation, pour lesquels on s'attend à
ce qu'il n'y ait pas réaction à la nouveauté, et des stimuli d'une catégorie différente
pour lesquels on prévoit une réaction à la nouveauté (cf. encadré 3.13).
Nous avons détaillé la situation d'habituation visuelle, mais l'habituation peut surve-
nir pour d'autres modalités, par exemple pour la modalité tactile (Streri, 1991) : si on place
de manière répétée un petit objet dans la main d'un bébé, il le lâche de plus en plus vite, et
si l'on présente à ce moment-là une forme que le bébé « juge » tactilement différente on
observe une réaction à la nouveauté tactile. Par exemple des bébés de 3 mois différencient
l'étoile de la fleur et même les nouveaux-nés s'en révèlent capables à la naissance. Cette
habituation tactile, combinée à des temps de fixation relatifs visuels, permet l'étude des
capacités de transfert intermodal 2 . L'habituation dans la modalité tactile (les mains étant
1. Le premier essai, sur un stimulus attirant, permet de familiariser l'enfant avec la situation ( « là où on m'a
mis, un stimulus apparaît sur l'écran devant moi » ).
2. Le bébé peut-il utiliser dans une modalité ce qu'il a perçu dans une autre modalité ? Meltzoff et Moore
(1979) trouvent ainsi que des bébés de 1 mois regardent plus la cible qu'ils ont préalablement explorée par
la bouche.
132 I Psychologie du développement
dissimulées par une bavette) a été utilisée pour mettre en évidence des discriminations et
des transferts intermodaux, mais on ne dispose pas d'étude systématique des mécanismes
fins de l'habituation tactile. Sans doute l'habituation auditive existe-t-elle, mais il est diffi-
cile de la mettre en évidence, parce qu'elle n'est pas systématiquement associée à un com-
portement observable (mais cf. encadré 3.3). Pour tourner la difficulté on associe la présen-
tation de sons (par exemple des sons du langage) avec un conditionnement de succion non
nutritive : quand le bébé est habitué au son, celui-ci perd son pouvoir renforçateur et
l'amplitude de la succion décroît, pour croître à nouveau quand on présente un son
perçu comme différents. D'autres recherches utilisent comme comportement opérant le
regard vers une cible (discrimination/catégorisation des rythmes, Demany, 1979).
ENCADRÉ 3.13
Habituation et catégorisation
Dans une recherche sur la catégorisation (cf. encadré 3 . 10) on proposait à l'exploration
d'enfants de 13 et 16 mois, des petites figurines en plastique, par exemple des animaux et des
petites voitures. La procédure était la suivante.
Pendant la phase d'habituation on présentait 4 animaux différents 3 fois chacun, soit un
total de 12 essais (H1 à H12 sur le graphique ci-dessous). L'ordre de présentation était au
hasard avec deux conditions : chaque animal est présenté une fois dans les essais 1 à 4, 5 à 8
et 9 à 12, et aucun animal n'est présenté deux fois à la suite.
Pendant la phase test, on a trois essais : l'un sur un animal nouveau (soit un élément
nouveau de la catégorie sur laquelle a porté l'habituation, indiqué TM sur le graphique de la
figure 3. 8), une petite voiture (soit un élément d'une nouvelle catégorie, indiqué TD) et enfin
un élément très différent (un bonhomme, TDD).
30
28
26
24
Durée d'exploration en secondes
13 mois
22
-cl - 16 mois
20
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
H1 H2 H3 H4 H5 H6 H7 H8 H9 H10 H11 H12 TM TD TDD
ESSAIS
Le graphique de la figure 3.8 donne la durée moyenne d'examen visuel et tactile, essai
par essai, pour deux groupes d'âge comprenant 8 enfants chacun. Deux remarques :
— même en moyennant les résultats de 8 sujets on obtient des courbes d'habituation qui ne
sont pas systématiquement décroissantes ;
— à aucun âge il n'y a de réaction à la nouveauté pour l'élément nouveau de la même caté-
gorie (essai TM). Par contre l'intérêt des enfants est plus grand pour un élément d'une
autre catégorie (TD) et surtout pour TDD.
V - Le conditionnement
130
groupe expérimental
110
.
90 _ '
70
groupe contrôle 'o,,,
50 , . 1
1 -7 1-5 6-10 1-5 6-10 1-5 1-4
ESSAIS
1. Cette comparaison n'est pas facile à planifier, puisque la quantité de sc et de SI dans le groupe expéri-
mental dépend de la vitesse de conditionnement de chaque sujet, et ne peut être fixée a priori. La solution
consiste à apparier les sujets des deux groupes, chaque sujet du groupe contrôle étant soumis au même
régime que le sujet correspondant du groupe expérimental, ce que les Anglo-Saxons appellent yoking (de
yoke= joug).
Les méthodes de la psychologie du développement I 135
ou dépendant d'un critère, que nous avons rencontré à propos de l'habituation. Con-
trairement aux rats blancs, sujets d'élite pour l'étude du conditionnement animal, on ne
peut pas affamer les bébés pour s'assurer qu'ils ne s'endormiront pas...
Mais le conditionnement répondant n'est pas la seule forme de conditionnement,
et les travaux récents considèrent surtout les capacités de conditionnement opérant
chez les bébés. Dans cc cas, un comportement spontané reçoit un renforcement, ce qui
a pour effet d'augmenter sa fréquence d'apparition. Par exemple l'enfant reçoit quel-
ques gouttes d'eau sucrée s'il tourne la tête à droite tandis que s'il tourne la tête à
gauche il ne reçoit aucun renforcement. Rovee-Collier (cf. encadré 3.14) attache un
cordon à la cheville du bébé, pour que les mouvements de pédalage actionnent un
mobile situé dans son champ visuel. Ici, c'est donc le mouvement du mobile, spectacle
intéressant, qui constitue le renforcement du mouvement initialement spontané qu'est
le pédalage. Bien sûr des groupes contrôles sont nécessaires pour tester qu'il y a bien
association entre la réponse opérante (pédalage) et le renforcement (mouvements du
mobile). Au début de ses recherches, Rovee-Collier a montré qu'il n'y avait pas condi-
tionnement opérant si le mobile bouge de manière non contingente aux mouvements
du bébé, ou si des stimulations visuelles non contingentes s'ajoutent à des stimulations
kinesthésiques.
ENCADRÉ 3.14
La procédure de Rovee-Collier pour étudier la mémoire à long terme chez le bébé suppose
deux étapes, l'une de stockage de l'information, l'autre de test de la rétention :
1 / Apprentissage : cette étape comprend deux sessions identiques séparées par vingt-
quatre heures, l'expérience prouvant qu'une seule session, déjà longue pour un bébé de
3 mois, n'est pas suffisante pour assurer une mémorisation à long terme. Deux supports de
mobiles sont fixés aux bords du berceau, un mobile étant fixé à un seul d'entre eux. Un ruban
permet de relier un pied de l'enfant à l'un ou l'autre support. Une session complète dure
quinze minutes, et comprend trois phases :
a) Mesure du niveau d'activité de référence (baseline) pendant trois minutes. Le ruban
est fixé au support sans mobile, pour que l'enfant ait les mêmes feedback somesthésiques et
kinesthésiques que pendant la phase de renforcement (tension du ruban, etc.). On compte le
nombre de coups de pied par minute en l'absence de renforcement (indice P, en moyenne 6-
8).
b) Phase d'apprentissage avec renforcement conjugué (neuf minutes) : le ruban est fixé
au support avec mobile, le mouvement du mobile correspond au rythme et à la vigueur des
coups de pied, dont la fréquence croît au fur et à mesure de l'apprentissage, pour atteindre en
moyenne une valeur double ou triple de l'activité de référence.
c) Phase testant la rétention immédiate (trois minutes) : dans cette phase test il n'y a
plus de renforcement ; l'indice A est le nombre de coups de pied par minute.
2 / Phase test : après le délai prévu par l'expérimentation pour étudier la rétention à long
terme, la phase test utilise la même procédure qu'en phase 1 b d'apprentissage, l'indice B est
le nombre de coups de pied par minute.
La rétention à long terme est appréciée à partir de deux indices :
— le taux d'accroissement B/P, rapport entre la fréquence des coups de pied pendant la phase
test et leur fréquence pendant la phase de référence : si B/P est significativement supérieur
à 1 (au niveau d'un groupe) il y a rétention.
136 I Psychologie du développement
VI - Conclusion
1. Watson fait l'hypothèse que pour le bébé un renforcement à 100 % caractérise l'activité du bébé lui-
même, cependant que les objets ne renforcent pas, ou peu, et que les renforcements intermédiaires sont
typiques des relations sociales ; il suggère même qu'en fonction de l'ajustement (en anglais responsiveness) du
milieu aux comportements du bébé, celui-ci développe un taux de renforcement préféré.
2. D'où les ravages des environnements non prédictibles, où le bébé ne sait jamais à quoi s'attendre.
Les méthodes de la psychologie du développement I 137
tement, est fonction du problème posé (et donc des hypothèses formulées). Il ne s'agit
pas de se précipiter parce que l'on a un terrain d'expérimentation et que les enfants
vieillissent vite : tous les essais préliminaires sont aussi nécessaires et aussi scientifiques
(voire plus !) que la collecte propre des données définitives. Dans certains domaines il
est certes difficile de formuler des hypothèses et l'on devra se contenter de questions
plus ouvertes : ce que nous avons dit de la méthode microgénétique visait à montrer
dans quelle direction un développementaliste tend à aller, partant de repères pour
aboutir à des mécanismes.
D'autre part, nous avons plusieurs fois rappelé que la situation expérimentale est
une situation sociale. S'agissant d'adultes, ou de grands enfants, la consigne donnée
précise le contrat entre sujet et expérimentateur, et de façon plus ou moins explicite
limite le domaine qu'on étudie. Avec les plus jeunes sujets la tâche est beaucoup plus
difficile ; la solution qui consiste à éliminer des sujets qui, pour des raisons diverses, ne
se situent pas dans l'espace de problème prévu, n'empêche pas de réfléchir aux raisons
d'une telle décision.
LECTURES CONSEILLÉES
Le monde des objets obéit aux lois de la physique. Un adulte sait qu'un objet ne peut
être à deux endroits en même temps, qu'il occupe une certaine position dans l'espace,
qu'il continue d'exister même lorsqu'on ne le voit plus, qu'il tombe lorsqu'il n'a pas de
support, etc. Comment les enfants découvrent-ils ces propriétés des objets ? De quel
équipement disposent-ils à la naissance pour adapter leur comportement aux contrain-
tes du monde physique dans lequel ils arrivent ? Par quel cheminement parviennent-ils
à comprendre les règles auxquelles obéissent les objets, à se représenter l'espace dans
lequel les objets et eux-mêmes se déplacent ?
L'objectif de ce chapitre est de faire le point des connaissances actuelles sur les
aspects du développement cognitif qui sont spécifiques à la représentation des objets.
La première partie traite de la genèse de la représentation des objets, en particulier
chez le bébé, la seconde de la genèse de la représentation de l'espace, et la troisième de
la formation des catégories d'objets.
A - DÉVELOPPEMENT DE LA REPRÉSENTATION
DES OBJETS, par Arlette Streri
Les objets sont des entités perceptibles dont le contour est clairement défini et qui
possèdent des propriétés physiques intrinsèques. Ils obéissent à des règles spatio-
temporelles contraignantes qui régissent leur déplacement dans l'espace et dans le
temps. Cette définition exclut un grand nombre d'entités perceptibles comme les liqui-
des, les gaz, ou non perceptibles comme les molécules, les atomes, les microbes, etc.
Elle exclut aussi les entités trop grandes pour être « embrassées » d'un regard comme
140 I Psychologie du développement
les montagnes ou dont le contour est mal défini, comme un trou. Elle exclut également
les objets qui n'évoluent pas sur notre planète comme les astres, les étoiles, etc.
Les objets possèdent diverses propriétés dont la connaissance perceptive dépend de
la modalité sensorielle (toucher, vision, audition, odorat, goût...) qui les capte. Les objets
sont multimodaux. En effet, tout objet se caractérise visuellement par sa couleur, sa taille,
son volume, sa texture, etc. Au contact manuel, il est aussi tangible et est plus ou moins
lourd, dur ou froid. On peut savoir s'il émet des sons grâce à notre ouïe et s'il est comes-
tible et odorant par le goût et l'olfaction. Comment le très jeune enfant parvient-il à don-
ner une cohérence et une unité aux objets lorsqu'il les explore compte tenu de cette mul-
timodalité ? C'est la question des coordinations intersensorielles qui est ici posée (cf. II, p. 140).
Il existe d'autres propriétés des objets qui ne sont pas immédiatement perceptibles
par nos sens mais que l'on infère par le fait même qu'ils sont situés dans un
espace/temps commun. Les objets ont une cohésion, et lorsqu'ils se déplacent, ils conser-
vent leur unité, leur contour. Ils ne s'évanouissent pas, ne s'effritent pas. Ils ont une
continuité car ils ne peuvent disparaître et réapparaître à volonté et empruntent un che-
min continu. Ils ne peuvent se déplacer seuls mais suite au contact d'autres objets ou
individus. Ils ne peuvent rester suspendus sans support car soumis à la gravité. Enfin, ils
ont une permanence et une fois cachés, ils continuent d'exister. Néanmoins, ces propriétés
ne leur confèrent pas une unicité (les objets peuvent exister en de multiples exemplaires)
ni même une identité sauf celle qu'un individu leur donne pour les différencier les uns
des autres. Comment un très jeune enfant arrive-t-il à comprendre les contraintes spa-
tio-temporelles imposées aux objets ? C'est la connaissance de ces règles qui lui permet
d'avoir une représentation des objets dans l'espace et dans le temps.
Piaget a été le premier à étudier cette question. Il a décrit les étapes successives de la
construction de la représentation des objets chez le bébé. Les situations piagétiennes ont
été le point d'ancrage des recherches actuelles. C'est la raison pour laquelle, nous décri-
rons d'abord la perspective piagétienne (cf. III, p. 143), puis nous développerons les
apports récents de la psychologie du nourrisson à cette problématique (cf. IV, p. 144).
Nos sens sont des interfaces remarquables entre le monde et notre cerveau afin
que nous puissions comprendre et mémoriser cette complexité externe. Ils sont très spé-
cialisés et même assez performants dans leur fonctionnement. Les yeux captent les
ondes électromagnétiques (la lumière) et leur champ d'exploration est vaste tandis que
la peau est sensible aux déformations (grâce aux pressions) exercées par les objets à son
contact. Elle réagit à la température. Nos oreilles canalisent les ondes sonores (les sons)
qui nous proviennent parfois de très loin tandis que le goût et l'odorat sont sensibles
aux substances (molécules chimiques) qui stimulent leurs récepteurs. Mais comment
sait-on que le bébé perçoit des éléments de son environnement ? On utilise la méthode
d'habituation et de réaction à la nouveauté (cf. la partie consacrée aux méthodes de la
psychologie du développement — chap. 3). Par ce moyen, nous apprenons que le nour-
Le développement des représentations du monde physique I 141
risson est capable, grâce à ses systèmes sensoriels même peu développés, de détecter des
invariants, des régularités dans son environnement. Si les stimulations changent, il réa-
git à ces irrégularités. Cette méthode permet de mettre en évidence de telles conduites
quelle que soit la modalité sensorielle stimulée.
Cette procédure a permis de montrer que le monde du bébé, dès la naissance,
n'est pas confus, mais organisé. Cependant, le nourrisson a un curieux paradoxe à
résoudre : comment accorde-t-il aux objets une unité, une cohérence sachant que
chaque sens ne peut capter qu'une partie de l'information sur l'objet et que les systèmes
sensoriels fonctionnent comme des « modules », c'est-à-dire comme des systèmes étan-
ches. Ce paradoxe a été étudié dans les situations de transfert d'information entre deux
modalités comme le toucher et la vision, ou d'appariement intermodal entre l'audition
et la vision. Ces situations traitent principalement d'informations amodales, c'est-à-dire
pouvant être captées par deux modalités sensorielles, comme la forme ou la texture
pour la vision et le toucher, par opposition aux informations spécifiques captées seule-
ment par un seul sens, comme la couleur pour la vision. Nous devons à E. J. Gibson
(1969) la théorie selon laquelle les bébés viennent au monde avec des systèmes percep-
tifs unifiés qui détectent des informations invariantes amodales.
a. Le transfert intermodal
Dans la vie quotidienne, lorsque vous cherchez dans votre sac, lumière éteinte, les
clés de votre porte d'appartement parmi plusieurs, vous savez dès le premier contact
quelle est la bonne clé et vous la reconnaissez une fois la lumière revenue. Cette situa-
tion de transfert intermodal implique plusieurs processus cognitifs : une phase
d'encodage des informations par une modalité (le toucher), une phase de mémorisation
et une phase de décodage dans l'autre modalité (la vision). Les transferts sont haute-
ment adaptatifs et confèrent une économie d'apprentissage puisqu'il n'est pas nécessaire
de réapprendre dans la seconde modalité ce qui a été appris dans la première. Étudiée
chez le bébé, cette forme d'intégration intersensorielle nécessite une méthodologie spéci-
fique, proche de notre expérience quotidienne (cf. Streri, 2003).
ENCADRÉ 4.1
Le transfert intermodal entre le toucher et la vision consiste à donner un objet dans la main du
bébé sans qu'il puisse le voir. Après une phase de familiarisation, on présente visuellement au
bébé l'objet avec lequel il a été familiarisé dans la modalité tactile et un objet nouveau qui dif-
fère par une propriété, par exemple la forme. Un transfert est obtenu si le bébé regarde signifi-
cativement plus longtemps l'objet de forme nouvelle que la forme familière. En effet, par ce
comportement, on en déduit qu'il a « reconnu » la forme préalablement palpée et qu'il s'en
désintéresse.
nouveau - né vit dans un monde stable et unifié. Néanmoins, les relations entre ces deux
modalités ne sont pas complètes. Le transfert est rarement réversible. Il est surtout effi-
cace du toucher à la vision. Il dépend de la complexité des objets, de la durée de fami-
liarisation, du degré de prématurité de l'enfant, voire de facteurs socio-économiques.
Cette capacité cognitive, hautement adaptative, est donc sensible aux effets de
l'environnement.
b. L'appariement intermodal
Notre environnement est constitué de nombreux objets sonores (train, réveil, voi-
ture, fontaine, orchestre...). Beaucoup d'objets rentrent en contact avec d'autres, un son
étant émis au moment de l'impact (chute d'un verre sur le sol). L'expression d'une émo-
tion est souvent visuelle et auditive. Quasiment tout notre environnement est à la fois
visuel et sonore. Pour étudier cette intégration intersensorielle entre ces deux modalités
chez le bébé, on adopte une méthode appelée technique de choix préférentiel (cf. Streri, 2003).
ENCADRÉ 4.2
1. Notez que selon la méthode, Transfert intermodal (TI) ou Technique de choix préférentiel (TCP), la
préférence du bébé change (nouveau vs familier). Dans le TI, le bébé catégorise le monde (connu / pas
connu) dans la TCP, il rétablit une cohérence du monde.
Les nouveau-nés orientent leurs yeux et/ou leur tête dans la direction d'un son émis
par un hochet ou un flux de paroles. Cette conduite atteste d'un début de coordination
entre l'audition et la vision. Mais la capacité des nourrissons à apparier des scènes visuel-
les et des sons s'améliore avec l'âge en fonction de deux formes de relations temporelles
amodales, la synchronie (le rythme, régulier ou irrégulier, et le tempo, lent ou rapide),
dès l'âge de 3 semaines, et la structure, vers 7 semaines. L'apprentissage du langage est
également à la base d'une intégration visuo-auditive et le bébé de 5 mois apparie correc-
tement des voyelles avec le visage qui les prononce. Barick (2004) a montré que les bébés
détectent d'abord les relations amodales globales sur la base de la synchronie temporelle
puis des informations plus spécifiques des objets telles que la substance, la structure, la
composition ou le nombre. Les associations arbitraires comme couleur et température,
ou timbre d'une voix et visage d'une personne ne sont acquises que plus tardivement et
cet apprentissage est guidé par la détection d'informations amodales synchrones.
Ainsi, le bébé possède les capacités de donner une stabilité, une unité, un sens à
son environnement en appareillant sur la base d'informations perceptibles des événe-
ments visuels, auditifs et tactiles. Mais, comment le nourrisson parvient-il à se représen-
Le développement des représentations du monde physique I 143
ter des événements qui impliquent le déplacement des objets, leur contact, l'obstruction
d'objets par d'autres, événements qui ne sollicitent pas seulement sa perception mais
également son intelligence ?
ENCADRÉ 4.3
stade (1-2 mois) : Absence de réaction à l'objet disparu. L'observateur agite un jouet devant
les yeux du nourrisson qui le fixe mais ne le cherche pas ni ne manifeste de réaction émotion-
nelle à sa disparition.
2. stade (2-4 mois) : Réactions émotionnelles à la disparition de l'objet, mais aucune
ébauche de recherche.
3° stade (5-7 mois) : Émergence d'une permanence pratique liée à l'action du bébé et non
à l'objet lui-même. Le bébé est capable de revenir à un objet dont on l'a distrait, il anticipe le
point de chute d'un objet. Mais si on cache l'objet sous un linge, le bébé ne soulève pas le
cache pour prendre l'objet sauf si c'est lui-même qui l'y a mis. L'objet n'a pas d'existence
encore pour l'enfant en dehors de son action propre. Par contre, il est capable de retirer le
cache si l'objet est partiellement visible et si la partie visible a une signification pour lui,
comme la tête de sa girafe.
4' stade (8-10 mois) : Apparition d'un changement important dans la conduite du bébé. Il
recherche systématiquement l'objet non visible de lui parce que caché derrière un écran ou
sous un linge. Mais cette recherche ne marque pas l'aboutissement de la notion d'objet.
L'enfant recherche l'objet caché là où il l'a précédemment trouvé et non pas nécessairement là
où il a disparu. Cette erreur de localisation est mise en évidence dans la situation suivante.
L'enfant est face à deux écrans A et B. On cache l'objet derrière un écran A, l'enfant va le
rechercher en A. Cet essai est répété plusieurs fois. Si devant ses yeux, on cache maintenant
l'objet derrière l'écran B, l'enfant ira de nouveau le rechercher en A. Il commet ce qu'on a
appelé « l'erreur du stade IV » ou l'erreur A non B.
5° stade (11-12 mois) : Résolution du problème précédent mais si les déplacements de
l'objet sont perçus, non s'ils sont invisibles. Par exemple, un observateur place un objet dans
sa main et la présente fermée à l'enfant. L'enfant prend l'objet sans problème en ouvrant la
main de l'observateur. Celui-ci renouvelle sa conduite mais cette fois-ci met au préalable sa
main fermée sous un coussin où il place l'objet à l'insu de l'enfant. L'enfant va à nouveau cher-
cher l'objet en ouvrant la main de l'observateur, et est alors surpris de ne plus voir l'objet.
Cependant, l'enfant ne tente aucune recherche sous le coussin.
6, stade (à partir de 12 mois jusqu'à environ 18 mois) : Réussite du problème précédent.
Le bébé est capable de retrouver l'objet à sa position finale, même si celui-ci a subi des dépla-
cements invisibles.
144 I Psychologie du développement
ENCADRÉ 4.4
La méthode de transgressions des attentes ( -ma) consiste à présenter aux nourrissons un évé-
nement conforme à leurs attentes (événement considéré comme possible par un adulte) et un
événement qui transgresse une loi physique (solidité, cohésion de l'objet, gravité, etc.), et
donc leurs attentes (événement impossible pour un adulte). La logique de l'expérience est la
suivante : si les bébés sont surpris par la transgression, la durée de leur regard sur
l'événement inattendu sera plus longue que celle sur l'événement attendu. Assortis
d'expériences de contrôle supplémentaires, les résultats obtenus permettent alors de conclure
que le bébé connaît la règle transgressée.
1. Difficilement traduisible en français, l'expression « core knowledge » renvoie aux connaissances de base
innées de l'individu humain.
Le développement des représentations du monde physique I 145
propose que tout objet en déplacement conserve son unité, ne s'effrite pas comme un
ch de sable ou n'explose pas comme un feu d'artifice. 2 / Le principe de solidité
stipule que les objets tangibles occupent une place et ne peuvent être traversés par un
au objet. 3 / Les déplacements des objets sont régis par le principe de continuité selon
let tout objet en mouvement trace un chemin continu ; ils ne peuvent sauter d'une
place à l'autre. 4 / Le principe de contact signifie qu'un objet n'est affecté dans sa situa-
tic que s'il est touché par un second objet ; il n'existe pas de contact à distance.
5 et 6 / Le principe de gravité (en l'absence de support, tout objet tombe) et le principe
d'inertie (un objet en mouvement ne change pas sa direction abruptement et spontané-
ment) limitent également le déplacement des objets. Certains principes sont opération-
ne très tôt chez le bébé, les deux derniers sont compris plus tardivement. Nous
n'illustrerons ici que les quatre premiers principes.
Mouvement contingent
–
-- i
du bloc et du bâton
Mouvement du bloc –
\
seul
temps le bâton unique que les deux morceaux visibles. Une condition de contrôle
montre les deux événements tests sans phase de familiarisation préalable. L'analyse des
temps de regard sur chaque événement test révèle que les bébés de 4 mois regardent
plus longtemps les deux extrémités du bâton vues pendant la phase d'habituation plutôt
que le bâton unique (dans la condition de contrôle, le bébé ne montre aucune préfé-
rence pour l'une ou l'autre cible). Ainsi, lorsque le bébé voit un bâton partiellement
caché, il le considère comme entier. Le bâton conserve son unité quel que soit le mou-
vement qui l'anime, mais non lorsqu'il est stationnaire. Il s'agit bien d'un mécanisme de
pensée et non d'un mécanisme uniquement visuel puisqu'il a été mis en évidence égale-
ment dans la modalité haptique* (Streri et Spelke, 1988). Cette habileté apparaît
présente en visuel chez le nouveau-né (Valenza, Zulian, Leo, 2005).
Fti
Evénements test
Possible
bébé regarde plus longtemps l'événement test jugé impossible que l'événement possible.
Ce résultat est important à plusieurs égards. Tout d'abord, le bébé comprend que le
cube est tangible et qu'un autre objet ne peut le traverser ou occuper sa place au même
moment (principe de solidité). Mais le résultat le plus important est que cette expé-
rience montrait pour la première fois qu'un objet caché continue d'exister pour un
bébé aussi jeune que 5 mois. L'expérience a été reproduite chez des bébés de 3 mois
confirmant ce résultat. Ainsi, le concept de permanence de l'objet est opérationnel
beaucoup plus tôt que ne le pensait Piaget.
Age auquel
la variable est détectée
4a - Variable
2 mois et demi
Derrière le eec
ou non
4b - Variable
3 mois Discontinuité du bord
bas du cache
4e - Variable
3 mois et demi hauteur relative
de l'objet et
du cache
4e - Variable
7 mois et demi Transparence
du cache
les bébés prennent en compte de mieux en mieux les différentes propriétés physiques de
l'objet et du cache.
Cependant, les bébés ne généralisent pas les variables perçues dans les événements
d'occultation à ceux d'inclusion ou de recouvrement. Pour ces différentes catégories,
des décalages importants peuvent apparaître. Par exemple, les bébés prennent en
compte la variable hauteur vers 3 mois et demi dans les événements d'occultation, aux
environs de 7 mois et demi pour l'inclusion et vers 12 mois pour le recouvrement.
Cependant, il est possible de faire apprendre aux bébés à tenir compte de cette
variable, qu'ils connaissent déjà, mais qu'ils n'appliquent pas aux situations de recou-
vrement par exemple. Il suffit de montrer aux bébés, sur plusieurs essais, des événe-
ments dans lesquels un couvercle haut et large recouvre totalement l'objet tandis qu'un
150 I Psychologie du développement
couvercle petit et étroit ne peut le faire. Grâce à cet apprentissage perceptif discrimina-
tif, les bébés âgés de 9 mois réussissent à tenir compte de la hauteur du cache dans les
tâches de recouvrement.
Ainsi, sur la base des deux principes généraux de continuité et solidité, révélés
dans différentes catégories d'événements d'objets cachés (occultation, inclusion et recou-
vrement), les bébés, dès l'âge de 2 mois et demi, apprennent à avoir des attentes spécifi-
ques pour chaque catégorie d'événements.
Les études sur le très jeune enfant ont fait faire une révolution copernicienne à nos
connaissances sur le développement. Le nourrisson perçoit et raisonne dès le début de
ses échanges avec le monde. La représentation des objets est un prérequis et n'est plus
à construire au cours d'un long processus interactionnel entre les activités du bébé et les
propriétés du monde physique. Cependant, ces études n'expliquent pas pourquoi le
nourrisson échoue à rechercher manuellement un objet sous un coussin ou derrière un
écran (stade III), alors qu'il « sait » que cet objet existe, ni pourquoi à 9 mois, le bébé
échoue encore à trouver l'objet lors de son déplacement visible sous plusieurs caches
(stade IV). Coordonner une succession de gestes moteurs serait-il plus complexe que
comprendre visuellement des événements ? (cf. V et VI, p. 150 et 153).
a. L'émergence de l'intentionnalité
b. L'apport du connexionisme
toires obtenus dans des conditions qui impliquent les mêmes processus sous-jacents ou
le même savoir. Cependant, une fois que l'enfant est capable de retrouver un objet
caché, pourquoi au même âge échoue-t-il à nouveau lorsque l'objet est déplacé d'un
cache à un autre et que ces déplacements sont visibles de lui ?
tandis que le nombre de réponses correctes B ne changent pas. Par exemple, Diamond,
Cruttenden et Neiderman (1994) ont présenté 7 caches aux enfants, le cache A était
en 2' position et le cache B en 5 e position. Les recherches incorrectes étaient plus pro-
ches (localisations 3 et 4) que éloignées de A (localisations 6 et 7). Diamond et al. (1994)
expliquent ce résultat à la fois en termes d'un déficit de mémoire et d'incapacité à inhi-
ber une action renforcée.
En résumé, il apparaît qu'un accord sur une ou plusieurs variables est loin d'être
réalisé et que vraisemblablement plusieurs facteurs sont conjointement responsables de
cette énigmatique erreur du stade IV. Une autre hypothèse serait de considérer que,
contrairement aux humains qui sont uniques, les objets peuvent exister en de multiples
exemplaires qu'on peut trouver sous n'importe quel cache (cf. VII, p. 154). Comment
savoir si dans ces situations d'objets cachés, le bébé pense qu'il s'agit d'un seul et
unique objet ou de deux objets identiques ? Prend-il en compte les propriétés des objets
dans son raisonnement ? Combien d'objets distincts sont impliqués, pour lui, dans les
événements impliquant des objets cachés ? (cf. VIII, p. 162).
On sait que, très précocement, le bébé utilise des critères spatio-temporels pour
individualiser les objets. Dès 4 mois et demi, il semble utiliser les propriétés physiques
des objets pour déterminer le nombre d'entités dans des tâches d'occlusion, dans les-
quelles ils disparaissent et réapparaissent derrière un écran. Cependant, quelle propriété
le bébé utilise-t-il préférentiellement dans son raisonnement sur les objets cachés ? Il ne
s'agit donc pas ici de déterminer s'il différencie la forme, la taille ou la couleur, le motif
ou la texture des objets, mais quelle propriété il considère pour savoir si les situations
d'occlusion impliquent un ou plusieurs objets. Or, certaines recherches révèlent que les
propriétés des objets sont prises en considération dès 4/5 mois, tandis que d'autres
études n'aboutissent à des résultats positifs qu'à des âges plus tardifs comme 10, voire
12 mois. Pourquoi cette contradiction dans les résultats ? Quels sont les mécanismes de
ce développement ? Pour comprendre la différence de résultats obtenus dans des situa-
tions apparemment similaires et relevant de la même obédience théorique, les cher-
cheurs ont été conduits à identifier deux types de situation expérimentale qui semblent
être à l'origine de ce décalage : la situation « event-monitoring » et la situation « event-
mapping ».
Les études de Baillargeon et de ses collègues utilisent des situations « event-
monitoring » dans lesquelles les bébés doivent détecter des inconsistances dans un évé-
nement sans avoir à comparer leur représentation mentale à la solution possible ou
impossible proposée. Dans ces expériences, une seule propriété comme la taille, la
forme, la couleur, etc. diffère entre objets. Par exemple, Wilcox (1999) a étudié la ques-
tion de savoir quelle propriété les bébés âgés de 4 mois et demi à 11 mois et demi utili-
sent pour individualiser les objets. Elle considère quatre propriétés, la forme, la taille, le
Le développement des représentations du monde physique I 155
motif et la couleur. Les deux premières sont considérées comme caractérisant l'aspect
volumétrique des objets tandis que les deux dernières caractérisent les surfaces. Les
bébés voient un objet passer derrière un écran et en ressortir sous un aspect différent
selon la propriété étudiée. L'écran est étroit et donc la situation ne peut impliquer
qu'un objet. La situation proposée est alors impossible et doit déclencher un temps de
regard plus long. Au contraire, l'écran est large et peut impliquer la présence de deux
objets ; la situation devient alors possible (cf. fig. 4.5). Les résultats révèlent que,
lorsque les objets vus de chaque côté de l'écran diffèrent par la taille ou la forme, les
bébés utilisent cette différence pour conclure qu'il y a deux objets distincts. Au con-
traire, quand les objets varient selon le motif, il faut attendre 7 mois et demi pour que
les bébés comprennent la situation. Ce n'est qu'à 11 mois et demi que les bébés utili-
sent l'information sur la couleur pour raisonner à propos du nombre d'objets.
71111101011,11MOMMOM1
Les études de Xu, Carey, Spelke, etc. utilisent des situations « event-mapping » dans
lesquelles les bébés doivent comparer leur représentation mentale de l'événement avec la
solution possible ou impossible proposée. Ces situations portent alors sur le concept d'objet
et non sur ses propriétés et apparaissent exiger de l'enfant un traitement cognitif plus éla-
boré. En effet, les concepts catégoriels fournissent des critères pour individualiser les
objets, c'est-à-dire permettent de connaître la frontière entre deux objets connexes
(savoir où l'un se termine et l'autre commence), d'identifier les objets (savoir si un objet
est le même que celui qu'on a vu en différentes occasions). Ces concepts sont lexicalisés
dans le langage par des noms communs comme « chien », « voiture », « eau », etc. Le
156 I Psychologie du développement
mot « chien » permet de savoir si on est en présence d'un ou deux chiens, si on les a déjà
vus à différentes occasions dans le passé et lequel est devant nous.
Par exemple, dans l'étude de Xu et Carey (1996), les bébés de 10 et 12 mois voient
deux écrans clairement séparés (cf. fig. 4.6). Un objet (un canard) sort de l'écran sur la
droite puis y retourne. Apparaît ensuite à la gauche de l'écran une balle qui ensuite
retourne derrière l'écran. Après avoir répété ces événements plusieurs fois, on soulève les
écrans et apparaît la solution possible (le canard et la balle) ou la solution impossible (le
canard ou la balle). Les bébés de 10 mois échouent à tirer des inférences sur l'événement
tandis qu'à 12 mois, ils réussissent. Ce n'est donc pas avant 12 mois que les bébés utili-
sent l'information catégorielle pour réussir cette tâche. Elle consiste à identifier le canard
avec ses propriétés physiques comme représentant un élément de la classe des canards
distinct de la balle vue comme représentant un élément de la catégorie balle.
1 SITUATIONS ÉCRAN
Objet 1
2
sort de l'écran
Objet 1
3
retourne derrière l'écran
Objet 2
sort de l'écran
Objet 2
5
retourne derrière l'écran
6 Solution attendue
Solution inattendue
différentes qui se déplacent derrière deux écrans et il n'y a aucune ambiguïté quant au
nombre de cibles dont la localisation est affectée à chaque écran (cf. fig. 4.7). Après la
phase de familiarisation, les bébés voient quatre phases tests qui consistent à lever les
deux écrans. Dans la première phase test (condition de contrôle), les bébés voient les
deux cibles montrées en phase d'habituation. Dans la seconde phase test (condition de
violation de traits de surface), les bébés voient une des deux cibles familières tandis que
l'autre a changé de forme, de couleur, etc. Dans la troisième phase test, la règle spatio-
temporelle est violée et les deux cibles familières se trouvent ensemble derrière un des
deux écrans, soit le gauche soit le droit ; enfin dans la quatrième phase test, le lien spa-
tial qui unit la cible à l'écran dans la phase d'habituation est violée, et la cible qui se
cachait derrière l'écran de droite se trouve à gauche et inversement pour l'autre cible.
Les auteurs ont également fait varier le type de cibles et ont présenté pendant la phase
de familiarisation soit des visages de femmes, soit des astérisques de différentes couleurs,
soit des dessins de jouets manipulables ou non manipulables. Si l'on compare chaque
condition test à la condition de contrôle, les résultats montrent que lorsque les cibles
sont des visages ou des astérisques, les bébés réagissent de manière significative au test
de violation de traits alors que dans le cas d'objets manipulables ou non manipulables,
les bébés réagissent surtout au test de violation de la règle spatio-temporelle.
L'inversion de la localisation des cibles à la phase test n'entraîne aucune réaction chez
le bébé.
Condition de
contôle
Violation
spatio-temporelle
Violation
du lien
Or, les visages et les couleurs sont traités par le système ventral tandis que le sys-
tème dorsal véhicule les représentations liées à la localisation et à l'action. Ainsi, lorsque
les objets cachés sont des visages de femme ou des figures non significatives, les bébés
réagissent aux changements de traits de surface (identité et couleur) mais non à la nou-
veauté spatiale, au changement de localisation. Lorsque les cibles sont des images
d'objets manipulables ou non, les bébés réagissent au changement spatio-temporel et
non aux traits de surface (identité ou couleur). Ainsi, l'hypothèse selon laquelle les
bébés de 4 mois peuvent traiter les informations soit par la voie dorsale ou par la voie
ventrale mais ont des difficultés à coordonner les informations véhiculées par les deux
voies paraît validée.
Cependant, il existe une contradiction entre ces résultats obtenus à 4 mois et ceux
de Wilcox (1999) ou Xu et Carey (1996) qui ont montré que ce n'est pas avant 10,
voire 12 mois que les bébés prennent en compte l'identité et les caractéristiques des
objets (couleur, forme) dans les tâches d'occlusion. Selon Mareschal et Johnson (2003)
ce décalage est vraisemblablement dû au fait qu'ils utilisent des représentations bi-
dimensionnelles des visages ou des objets tandis que les précédents auteurs utilisent des
objets réels. En résumé, toutes ces études révèlent que les bébés encodent la localisation
et les propriétés des objets séparément et que ces deux sources d'information devien-
nent intégrées vers la fin de la première année. Des recherches sur le singe macaque
rhésus (Rao, Rainer et Miller, 1997) ont montré que le cortex préfrontal est le lieu de
cette intégration.
c. Le rôle du langage
Le langage peut jouer un rôle dans cette intégration des informations relevant du
« what » et celles du « where » et permettre d'identifier clairement les objets qui sont
impliqués dans les tâches d'occlusion (cf. Xu, 1999 ; Spelke, 2003). Cette hypothèse
pose clairement la relation entre langage et pensée. Pour conforter cette hypothèse, Xu
(2002) propose à des bébés âgés de 9 mois un étiquetage verbal des objets qui se
cachent ou apparaissent derrière les écrans. Reprenant la situation « event-mapping »
de Xu et Carey (1996), l'auteur met les bébés dans trois conditions : 1 / (condition deux
mots) les bébés entendent dès l'apparition du canard ou de la balle, le nom des objets
« regarde, une balle » ou « regarde, un canard » ; 2 / (condition un mot) les bébés
entendent dès l'apparition d'un des deux objets « regarde, un jouet » ; 3 / une condi-
tion de contrôle sans mot permet de tester la préférence intrinsèque pour l'un ou l'autre
objet. Les résultats révèlent que dès 9 mois, les bébés comprennent qu'il y a deux objets
distincts dans la situation où deux mots sont prononcés comparée aux deux autres
situations. Des expériences de contrôle avec un son ou deux sons similaires ou différents
permettent de conforter ce premier résultat.
Une autre manière d'interroger les bébés sur l'identité des objets est de savoir
s'ils connaissent le nombre d'objets cachés. Ces dernières années, la question des com-
pétences numériques du nourrisson a fasciné les chercheurs et produit une explosion
160 I Psychologie du développement
Evénement 1+1=1 ou 2
Evénement 2-1=1 ou 2
1. Placement de 2. Rotation de 3. Une main 4. Retrait
11 ,..
2 objets l'écran vide entre d'un objet
w
I ■
Ensuite soit : résu tat possible soit : résultat impossible
5. L'écran s'abaisse révélant 1 objet 5. L'écran s'abaisse révélant 2 objets
Le bébé crée une représentation abstraite de l'objet qu'on lui présente (1) sous forme
de token, qui reste en mémoire quandl' écran se lève (2). Le placement d'un deuxième
objet derrière l'écran (3) donne lieu à la création d'un nouveau token
L
L'un des objets est retiré du dispositif à l'insu du bébé (4). Lorsque l'écran s'abaisse, ne
révélant qu'un seul objet (5), le bébé crée une nouvelle représentation mentale de la scène
intégrant un seul token.
Cependant, cette interprétation ne doit pas totalement effacer les capacités numé-
riques du nourrisson. La discrimination de quantités discrètes (deux vs trois points) est
réalisée dès la naissance par la méthode d'habituation/réaction à la nouveauté (Antell
et Keating, 1983). Mais de manière fondamentale, l'accès aux quantités n'est pas spéci-
fiquement visuel ou de nature perceptive, il est amodal et cognitif. En utilisant la tech-
nique de choix préférentiel, Starkey, Gelman et Spelke (1983) ont montré que les bébés
âgés de 6 à 8 mois sont capables d'apparier deux vs trois objets à deux vs trois sons. En
utilisant le paradigme de transfert intermodal entre le toucher et la vision, Féron, Gen-
taz, Streri (2006) ont également montré que les bébés sont capables d'identifier le
nombre (2 vs 3) d'objets qu'ils ont reçus dans leur main et de reconnaître cette informa-
tion visuellement. Ainsi, même sous forme de fichiers d'objet l'accès aux petites quanti-
tés est possible très précocement.
VIII - Conclusions
Si les recherches de Piaget ont été et demeurent encore le point d'ancrage pour
l'étude de la cognition du bébé, elles ont considérablement été enrichies par des
savoirs nouveaux, clairement insoupçonnés il y a quelques décennies. La représenta-
tion des objets existe dès la naissance et n'est plus le résultat d'une construction et
d'une interaction avec l'environnement. Cette représentation repose sur des principes
de base, comme la notion d'espace-temps ou d'objet préexistante à toute expérience.
La représentation de l'objet s'affine, s'élabore grâce aux expériences multiples du
sujet avec l'environnement et elle s'améliore, voire se consolide à l'apparition du lan-
gage. Il reste maintenant d'autres questions à résoudre pour les chercheurs. Pourquoi
les enfants de 2 ou 3 ans échouent aux mêmes tâches que les nourrissons réussissent
pourtant ? Comment concilier dans un ensemble cohérent les recherches de Piaget
sur l'enfant en période d'apprentissage scolaire et celles du nourrisson ? Les neuro-
sciences ou les théories connexionnistes paraissent apporter des solutions possibles
pour comprendre le développement des connaissances sur une période courte, une
microgenèse, mais elles ne sont pas suffisantes pour comprendre l'évolution de la
pensée de l'enfant sur plusieurs années. Dans cette évolution, quelle est la part du
noyau de connaissances qui demeure inchangée et quels sont les facteurs qui
contribuent de manière profonde à son enrichissement, sa complexité, voire sa
transformation ?
LECTURES CONSEILLÉES
Baillargeon, R. (2004). Le raisonnement des bébés à propos des objets cachés : des principes
généraux et des attentes spécifiques. In R. Lécuyer (Ed.), Le développement du nourrisson.
Paris : Dunod, 221-270.
Piaget, J. (1937). La construction du réel chez l'enfant. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
Le développement des représentations du monde physique I 163
Si l'on considère les activités habituelles aux enfants, on constate que les caracté-
ristiques spatiales y jouent un rôle important : non seulement pour la lecture et
l'écriture, la géographie et le dessin, mais également les jeux de construction, les décou-
pages, les jeux de plein air (ballon, vélo), et les jeux vidéo, que les enfants pratiquent de
plus en plus précocement, et on pourrait allonger la liste. Nous avons vu, dans le cha-
pitre précédent, comment les caractéristiques spatiales sont prises en compte dans la
connaissance des objets, et il est clair que la forme des objets est liée à leur usage. Ici
nous considérerons les relations spatiales entre objets, jusqu'à la constitution de l'espace
euclidien abstrait. On précisera d'abord comment le traitement des informations spa-
tiales présente des caractéristiques originales, pour tenter ensuite de décrire la trajec-
toire du développement des connaissances spatiales.
Dans la mesure où, jusqu'à l'adolescence, l'aspect concret des opérations dont
l'enfant est capable implique ipso facto l'espace, on peut se demander s'il y a un sens à
isoler la connaissance de l'espace des autres types de connaissances. D'emblée, au
niveau des tâches qu'on peut proposer pour étudier la cognition spatiale, on voit qu'on
peut distinguer entre activités spatialisées et activités spatiales (Mayer, Bullinger et
Kaufmann, 1979) : dans le premier cas les composantes spatiales ont un rôle de sup-
port, et dans le second elles constituent l'objet même de la tâche Ainsi la catégorisation
d'un ensemble d'animaux s'exprime par des localisations différentes des différentes clas-
ses dans l'espace de jeu, mais les localisations n'ont en soi pas d'importance et
n'interviennent pas dans la solution du problème ; quand, par contre, l'enfant entre-
prend de construire une file rectiligne d'animaux allant d'un point à un autre, alors il
s'agit bien d'une tâche spatiale. La distinction est à prendre plus comme un continuum
que comme une opposition tranchée. Lorsqu'on considère des tâches, on s'intéresse en
fait à l'interaction entre un problème à résoudre et le sujet qui y est confronté : saisir
un objet est une tâche spatiale pour un bébé de 4 mois, pour qui le réglage de la direc-
tion et de l'amplitude du geste est encore problématique ; par contre, une situation
164 I Psychologie du développement
impliquant des manipulations d'objets par des enfants de 6 ans est pour eux une tâche
spatialisée. Dans ce chapitre, ce sont les tâches spatiales que nous considérerons.
Quatre types d'arguments peuvent être évoqués pour soutenir le point de vue
d'une spécificité des traitements spatiaux.
A U
AFFINE Affinités parallélisme
Topd. + Prcj. + Affine
A U
EUCLIDIENNE Similitudes ange
Topd. + Prq. + P. + Euclidien
A U
METRIQUE Isométries distance
Topd. + Prcj. + Af. + Eucl. +
Métrique
A
Relations de subordination entre géométrie .
U Relations d'inclusions entre groupes de transformation.
Selon les postulats qui les fondent, et les équivalences que ces postulats autorisent,
les géométries peuvent être hiérarchisées de la moins contraignante (la géométrie topo-
logique) à la plus contraignante (la géométrie métrique). Ainsi pour la géométrie topolo-
gique les transformations autorisées (homéomorphies) conservent les continuités, les voi-
sinages, les séparations et les ordres : un carré est équivalent à une pomme de terre,
mais deux figures en contact par un point restent en contact. La géométrie projective
conserve les droites, et dans cette géométrie tous les quadrilatères sont équivalents. De
même la géométrie affine conserve les parallélismes, et les carrés sont équivalents aux
parallélogrammes ; le raisonnement est le même pour les géométries euclidienne et
métrique. On voit dans la dernière colonne de la figure 10 que les équivalences entre
figures sont de plus en plus exigeantes. Comme on peut s'y attendre, Piaget montre que
les enfants accèdent progressivement aux géométries les plus contraignantes : ils tien-
nent d'abord compte des caractéristiques topologiques puis seulement après un délai
des caractéristiques projectives, etc.
Cette perspective appelle plusieurs remarques. D'une part elle n'intègre pas
d'autres géométries, comme la géométrie algébrisée, et cela rappelle que les géométries
sont des théories et non pas des descriptions objectives. D'autre part les faits expéri-
mentaux ne vérifient pas toujours l'acquisition hiérarchique : quand un enfant cherche
à reproduire un carré et trace d'abord un angle, il tient compte d'un aspect projectif;
mais si ensuite il ne parvient pas à fermer la figure s'agit-il vraiment d'un échec topolo-
gique ? De manière plus générale l'espace connu n'est pas isotrope* : les représentations
des zones et des objets familiers sont organisées selon des règles projectives ou métri-
ques, cependant que les espaces flous ou contingents qui les relient ne sont appréhendés
qu'au niveau topologique.
des portant sur du discontinu. De même, il y a une analogie entre un ordre linéaire,
construit par des compositions de voisinages de proche en proche, et les relations asy-
métriques (sériations) dans le domaine logique. Il y a une rupture qualitative quand on
passe des partitions / réunions aux emboîtements / sériations, par exemple en réunis-
sant dans une même classe logique tous les objets discontinus que sont les quadrilatères,
une fois identifiés comme tels. Au stade formel, où les raisonnements portent sur des
propositions, les raisonnements spatiaux ne se différencient plus des autres raisonne-
,
ments. Et c'est donc aux stades précédents (sensori-moteur et intuitif) qu'il nous faudra
étudier la construction de l'espace continu.
c. La perception de l'espace
On peut remarquer que les ordinateurs — êtres logiques s'il en fut — ont du mal à
traiter des données spatiales que, précisément, ils discrétisent' alors que l'être humain
dans son environnement peut percevoir le continu spatial de manière globale 2 . Bien
que la maîtrise ultime de l'espace se manifeste par la possibilité d'opérations mentales
portant sur des représentations spatiales en l'absence d'objets (anticiper des transforma-
tions de forme, etc.), dans de très nombreux problèmes spatiaux les caractéristiques à
prendre en compte sont présentes et peuvent être perçues. Les apports perceptifs jouent
un rôle important dans les rapports des hommes à l'espace, au point qu'on peut se
demander s'il est nécessaire d'aider les enfants à structurer l'espace : ils n'ont qu'à bien
regarder. En comparant, au niveau perceptif, les buts et les performances, on peut réa-
juster son activité. Les différentes modalités sensorielles interviennent dans la perception
des relations spatiales. Certes, la vision joue un rôle prépondérant, parce qu'elle permet
de percevoir simultanément tout le champ visuel, mais l'audition, le tact, la kinesthésie*
et l'olfaction apportent également des informations, plus séquentielles. Les lois
d'organisation perceptive décrites par les théoriciens de la Gestalt (proximité, bonne
. continuation, destin commun, cf. Grand Dictionnaire Larousse de la psychologie, 1999) fonc-
tionnent très précocement (fig. 4.11).
Pour Piaget, ce sont les activités du sujet qui construisent ses connaissances, les
perceptions ne servent que de support et, en l'absence d'opérations, peuvent être sour-
ces d'erreurs (cf. les illusions perceptives) : « L'intuition de l'espace n'est pas une lecture
des propriétés des objets, mais, dès le début, une action exercée sur eux » (Piaget et
Inhelder, 1948). C'est dire que, pour Piaget, il ne suffit pas de regarder... Mais la
théorie de la perception directe, élaborée par Gibson (1966) propose un point de vue
très différent.
Selon Gibson, les informations fournies par l'environnement sont suffisamment
riches pour qu'on puisse percevoir directement des caractéristiques spatiales comme la
forme ou la distance. Les transformations spatiales induites par les mouvements des
objets ou de l'observateur permettent la construction d'invariants spatiaux : par
exemple le gradient de texture renseigne sur l'orientation d'une surface (fig. 4.12) et la
vitesse de déplacement d'un objet dans le champ visuel donne des indications directes
A 2\ 1 2
A
3
A
4
sur son excentricité par rapport à l'axe du regard. Selon Gibson, les nourrissons n'ont
pas besoin d'apprendre à interpréter des indices et, par exemple, ils perçoivent très pré-
cocement la profondeur.
Mais Piaget et Gibson s'accordent sur le rôle des transformations de l'objet dans la
construction des connaissances spatiales. Transformations produites par le sujet pour
Piaget, observées pour Gibson, mais pour l'un et l'autre cruciales pour détecter des
invariants'. Cela appelle deux remarques. D'une part les perceptions globales de confi-
gurations statiques, régies par les lois de Gestalt, n'apportent pas autant que les percep-
tions de relations spatiales dynamiques (et l'on sait que les cibles en mouvement inté-
ressent particulièrement les bébés). D'autre part, les transformations spatiales
qu'expérimentent les enfants sont loin d'être toutes sous leur contrôle, et leur interpré-
tation n'est pas évidente : par exemple comment les enfants interprètent-ils les divers
angles de prise de vue sous lesquels est filmé un match à la télévision ?
Le rôle des perceptions dans la connaissance de l'espace est donc contradictoire ;
elles apportent beaucoup d'informations, mais elles sont loin de suffire à garantir une
connaissance exacte. Les données présentes, perçues, interviennent dans l'organisation
qui est faite de l'espace, mais l'imagerie spatiale joue également un rôle crucial.
Nous partirons ici la définition que Piaget et Inhelder (1948) donnent de la repré-
sentation : elle est, comme la perception, un mécanisme figuratif de la connaissance
parce qu'elle considère des états et non des transformations. Mais — et c'est là toute sa
puissance — elle permet l'évocation d'objets absents. Elle est « une imitation intériorisée,
qui procède de la motricité et aboutit à une figuration calquée sur les données sensi-
bles ». Ainsi, par exemple, les enfants de moins de 6 ans ont du mal à reproduire un
losange, car certaines caractéristiques ne sont pas prises en compte par la représenta-
tion qu'ils en construisent, même si elles sont données dans le modèle ; le « pointu »
supérieur est souvent tracé en premier, après quoi on assiste à des tentatives de fermer
la figure en bas. La représentation peut informer la perception, en y faisant intervenir
des éléments absents ; ainsi les jugements portés sur la taille d'objets habituels tiennent
compte de ce qui a été appris à leur sujet : les papas sont dessinés plus grands que les
enfants même quand ceux-ci ont dépassé leurs parents.
Toute représentation met en jeu la fonction symbolique, qui permet simultané-
ment de distinguer et de mettre en relation des signifiants (les symboles) et des signifiés
(la réalité à symboliser). Cependant, les relations particulières qui existent entre réalité
et représentations spatiales donnent à cette dernière une spécificité importante : dans le
cas de l'espace il y a homogénéité entre le symbolisé constitué par les opérations spa-
tiales et le symbolisant imagé qui est également spatial : aucune forme particulière de
représentation ne s'impose pour symboliser une classification (un arbre, des emboîte-
ments), ou pour faire correspondre un mot à son référent, l'image d'un losange par
contre reprend des caractéristiques spatiales de cet objet.
L'image spatiale a donc un statut particulier, intermédiaire, à la charnière entre
perception et opération. L'ouvrage de Piaget et Inhelder (1948), La représentation de
l'espace chez l'enfant, démontre pas à pas que l'espace représenté n'est pas une simple
copie de l'espace perçu, mais qu'il se construit, tout au long de l'enfance, sous la dépen-
dance des capacités opératoires ; simultanément, l'homogénéité entre espace et image
I. Quelles propriétés se conservent lors d'une transformation dans une géométrie donnée ? Par exemple la
rectilinéarité des côtés d'un solide se conserve lors de rotations.
Le développement des représentations du monde physique I 169
spatiale peut fournir un support figuratif fiable aux opérations spatiales. Dans cette
perspective, il est clair qu'il ne suffit pas de regarder ; mais il est possible d'apprendre à
regarder, en particulier en s'appuyant sur les opérations spatiales qui permettent de
passer d'un état à un autre'.
On a donc plusieurs raisons de penser que les mécanismes de traitement des don-
nées spatiales ont leur originalité propre. Mais en même temps, pour une tâche spatiale
donnée, il est très difficile d'analyser la part des opérations spatiales, des perceptions et
des représentations. Certes, on peut contrôler quelles données peuvent être perçues,
mais on ne peut pas atteindre directement les représentations (c'est la raison pour
laquelle la perspective behavioriste refusait de parler de représentations) ; quant aux
opérations, encore faut-il qu'elles soient concrétisées dans l'activité du sujet. Nous ver-
rons plus loin qu'un changement apparemment minime peut modifier profondément le
niveau de réussite des enfants : ainsi, accroître la discriminabilité et la prégnance des
indices perceptifs peut grandement faciliter la tâche.
À la suite de Piaget, la psychologie cognitive et les neurosciences ont défini les
représentations comme des codages*. Plusieurs codages du signifié spatial sont possibles,
qui peuvent être utilisés isolément ou simultanément, se prêtent différemment à divers
traitements, et qui sont acquis à différents niveaux de développement (Stiles-Davis,
Kritchevsky et Bellugi, 1988).
Le codage sensoriel des données spatiales paraît assuré dès la naissance Ainsi un
nouveau-né de quelques minutes tourne la tête vers un stimulus auditif latéral
(cf. chap. 3 : « Les méthodes de la psychologie du développement ») ; mais cette
réponse, apparemment réflexe, disparaît aux alentours de 2-3 mois pour laisser place à
une recherche de l'objet qui produit le son, donc, vraisemblablement à un codage diffé-
rent. De même on a pu mettre en évidence chez des bébés de quelques jours une com-
pensation posturale au déplacement antéro-postérieur du champ visuel : dans cette
expérience, la tête du bébé reposait sur des capteurs de pression et des trames verticales
produites sur des écrans de téléviseur latéraux se déplaçaient par exemple vers l'avant
de l'enfant ; dans cette situation, les adultes et les enfants ont tendance à tomber en
avant, et la poussée de la tête des bébés sur les capteurs a montré qu'ils présentaient
aussi cette compensation posturale d'un mouvement apparent (Jouen et al., 2000). Autre
exemple : la projection rétinotopique, c'est-à-dire la projection sur la rétine de l'image
de l'objet perçu, assure, dès la naissance, la représentation du champ visuel dans le sys-
tème visuel : les relations spatiales entre éléments du champ se retrouvent au niveau
rétinien, puis sous formes de « cartes » aux différents niveaux du système nerveux'.
Les différentes théories de la perception attribuent des statuts divers au codage
perceptif. On a vu que pour Gibson la perception est directe ; cependant le percept est
1. Par exemple les enfants apprennent beaucoup sur l'espace projectif en recherchant en fonction de quels
paramètres varie la longueur des ombres quand on a le soleil couchant dans le dos.
2. Assurément le mot représentation désigne des réalités très diverses, et par exemple Blades et Spencer
(1994) proposent de réserver ce terme aux cartes et utilisent l'expression « pensée spatiale » pour désigner
ce que Piaget appelle représentation.
170 I Psychologie du développement
d'intégration (et de non-intégration) des enfants au monde des adultes. Les apports,
les aides, les sollicitations, les attentes et les interdictions dont les enfants sont l'objet
pèsent lourd dans la construction de leurs rapports à l'espace. Ce point de vue
s'oppose assez radicalement à celui pour lequel, pourvu que les systèmes sensoriels et
le système nerveux soient intacts, la prise en compte des informations spatiales, essen-
tiellement perçues, ne fait pas problème. Dans la seconde partie de ce chapitre,
l'étude développementale des référentiels spatiaux nous permettra de justifier notre
point de vue.
Nous examinerons ici par quels mécanismes les objets, englobés dans l'espace
continu, y sont situés et repérés. Situer un objet, c'est établir des relations entre lui et
un système de référence. On peut remarquer ici que la partition que nous avons pré-
sentée comme allant de soi au début de ce chapitre, à savoir la partition entre objets et
relations entre objets, pose un sérieux problème dès lors qu'on parle d'orientation : à la
fois une orientation canonique peut être liée à l'objet lui-même (l'ouverture d'un vase
en haut de celui-ci) et cette orientation se définit par rapport à un référentiel extérieur
(la verticale). Dans ce qui va suivre, on va souvent considérer la façon dont un point
matériel est localisé dans un système de référence, mais on verra qu'en fonction des
objets à situer les référentiels utilisés peuvent varier.
Nous distinguerons trois grandes classes de référentiels : les référentiels corporels,
les objets comme référentiels, et les référentiels abstraits. Nous nous interrogerons
ensuite sur les rapports qu'ils entretiennent au cours du développement et sur leurs
conditions d'acquisition et d'utilisation.
N'en déplaise à Piaget (cf. supra), il n'est pas possible à un être humain de sortir
physiquement de l'espace, et le corps propre constitue un repère toujours présent. Pour
un neurophysiologiste comme Paillard (1971), « la machine biologique génère son uni-
vers spatial ».
Le corps humain présente, au niveau morphologique et au niveau fonctionnel, une
organisation qui impose certains mécanismes de repérage et de saisie d'information. Au
niveau de sa morphologie, le corps présente un pôle antérieur et un pôle postérieur, un
devant et un derrière, et deux côtés symétriques. Au niveau fonctionnel, les mouve-
ments se produisent sur la base d'une mise en position du corps : les activités cinétiques
de transport, du corps tout entier, d'un segment corporel ou d'un objet tenu, doivent
être distinguées des positionnements par rapport à la gravité et aux événements
extérieurs.
1. Chez l'homme la posture érigée n'est pas acquise d'emblée, et elle est nécessaire pour parler de « haut » et
« bas ».
172 I Psychologie du développement
Selon Paillard, et en accord avec Piaget, c'est l'activité sensori-motrice qui permet
de constituer à la fois l'invariance perceptive de l'espace physique et les invariants réfé-
rentiels. En particulier le mouvement conditionne les recalibrations exigées par la crois-
R.Ce.C.
RGe.C.
sance corporelle chez l'enfant : ainsi, la distance entre les deux yeux se modifie notable-
ment au cours de l'enfance, et on peut se demander si la maladresse des adolescents
n'est pas une conséquence de la rapidité de leur croissance.
Deux conséquences de ce modèle théorique demandent réflexion. Si, d'une part,
l'organisation posturale sous-tend l'activité cinétique, elle ne doit pas être oubliée dans
l'étude des mouvements. Deux exemples viennent à l'appui de ce point de vue. Le pre-
mier concerne la perception de l'élévation d'un son, c'est-à-dire la perception de sa
direction dans un plan vertical. Les bébés de quelques mois détectent cette localisation
moins précisément que dans le plan horizontal ; on peut faire l'hypothèse (qui n'est pas
encore testée expérimentalement) que les variations de posture* des nourrissons, entre
la posture couchée et la posture érigée, et hors du contrôle de l'enfant, compliquent sin-
gulièrement le repérage d'invariants. Le second exemple concerne l'espace graphique :
il s'agit d'un espace restreint, où se déploient la motricité du bras et des doigts, mais qui
est ancré sur l'espace postural ; au cours de son apprentissage, la participation axiale*
et les informations apportées par les modifications de posture, jouent sans doute un rôle
important.
D'autre part, le rôle de l'activité motrice dans la construction des référentiels est
un thème récurrent dans l'étude des rapports des jeunes enfants à l'espace. La
recherche active d'information pour localiser un objet ou se représenter un chemin
apparaît d'autant plus nécessaire que les enfants sont plus jeunes, parce qu'ils n'ont pas
encore construit de référentiels abstraits. On ne peut réaliser avec des enfants la même
expérience qu'avec des petits chats (cf. encadré 4.5) mais on peut sans doute en extra-
poler les résultats : l'activité motrice, par opposition aux mouvements et déplacements
passifs, permet l'organisation spatiale. On peut alors s'interroger sur les conséquences
— sur le développement de la connaissance de l'espace — de la restriction de l'activité
motrice (parce qu'il y a des voisins en dessous, ou parce que l'enfant est vissé à sa
console de jeux) et des déplacements passifs en voiture.
ENCADRÉ 4.5
Des chatons sont élevés dans l'obscurité, sauf pendant des périodes où ils sont placés, par
couples, à l'intérieur d'un cylindre dont la surface est texturée par des rayures. Une barre hori-
zontale est fixée par son milieu à un axe central ; l'un des chatons est relié à l'une des extrémi-
tés de la barre par un harnais, de façon à ce qu'il puisse marcher ; l'autre chaton est placé dans
une corbeille, et entraîné par son frère dans le mouvement tournant ; les deux chatons ont
donc les mêmes stimulations visuelles.
Après quelques semaines de ce régime, on teste la capacité des chatons à poser précisé-
ment et rapidement leurs pattes avant sur des petites cibles. Le chaton actif y parvient sans
problèmes, le chaton passif échoue lamentablement, ce qui montre bien le rôle structurant du
mouvement actif. Qu'on se rassure : quelques jours dans un environnement normal (pour un
chat) suffisent à ce que le chaton passif rattrape son infériorité.
1. Il s'agit certes d'une recherche ancienne. Mais il n'empêche que, comme d'autres recherches véné-
rables, elle établit solidement des connaissances qui restent vraies à l'heure actuelle.
174 I Psychologie du développement
b. Égocentrisme et allocentrisme*
dessins au choix
A A
A
.
B
...à. .
C
,
A
G H I
d'autrui, ce qui suppose des calculs spatiaux plus ou moins complexes entre les posi-
tions devant-derrière et droite-gauche. Liben a ainsi montré qu'un enfant de 2 ans sait
très bien que, s'il a des lunettes vertes et son copain des lunettes roses, lui verra un rond
blanc vert et que le copain verra le même rond rose : à 2 ans les enfants ne seraient pas
égocentriques, pourvu que le calcul de la réponse correcte soit simple ; inversement, en
cas de calculs complexes, l'enfant est sûr au moins d'une chose : la situation telle qu'il
la voit existe, ce qui l'entraîne à donner une réponse « égocentrique ».
La position piagétienne a été sérieusement mise à mal par les recherches sur les
bébés menées par Acredolo, en utilisant le dispositif de la figure 15 : on apprend au
bébé à tourner la tête pour voir apparaître sa mère à la fenêtre F1 quand une son-
nerie retentit (conditionnement répondant, cf. chapitre « Méthodes ») ; une fois le
conditionnement acquis, on déplace l'enfant de la position S1 à la position S2, par
une rotation de 180° autour de la table. S'il juge de la position de la fenêtre renforcée
par rapport à lui-même (égocentrisme), il attendra l'apparition de sa mère à la
fenêtre F2. S'il tient compte de son déplacement dans l'espace de la chambre expéri-
mentale, il changera sa réponse motrice et ira regarder F1. Dans ces conditions, les
bébés de 6 mois donnent des réponses égocentriques, même si on ajoute des repères
individualisant F1 ; par contre les bébés de 9 mois commencent à tenir compte des
repères, et à 16 mois les bébés « mettent à jour » (update) leurs références spatiales
quand on les déplace. On remarquera qu'entre les deux âges extrêmes les bébés
apprennent à se déplacer seuls, et qu'ils font donc maintes fois l'expérience de la
nécessité d'une « mise à jour ».
S1
FENÊTRE F1 FENÊTRE F2
BUZZER
S2
L'utilisation d'objets à des fins de localisation (repérage allocentré) est donc préco-
cement possible, et ce d'autant plus qu'il existe des repères prégnants. Simultanément,
un repérage égocentré peut rester efficace et économique même si, dans d'autres cir-
constances, d'autres systèmes de référence peuvent être utilisés.
176 I Psychologie du développement
ENCADRÉ 4.6
À une centration exclusive sur le corps correspond ce que Lurçat désigne par pro-
jection par rayonnement : les plans et axes relatifs à la morphologie corporelle détermi-
nent seuls les orientations et les partitions de l'espace environnant (fig. 4.16). Le corps
Devant
propre est alors le centre d'une unique carte locale dont l'étendue est probablement
limitée. Ce système de repérage reste valide tant que le sujet est immobile.
Mais une autre organisation entre corps propre et espace apparaît quand il y a
projection du schéma corporel par transfert dans un objet extérieur. Ce transfert se fait
différemment selon que l'objet en question est orienté ou non.
S'agissant d'un objet non orienté, intrinsèquement (une balle) ou du point de vue
du sujet, la projection institue un système de référence ancré sur la relation sujet/objet.
Ce transfert relativement à l'objet peut prendre différentes formes : ce peut être une
translation (fig. 4.17 a) où il y a glissement des axes corporels sur l'objet, une rotation
de 180° par rapport au milieu du segment sujet/objet (fig. 4.17 b) , ou enfin une
réflexion par rapport au plan frontal (fig. 4.17 c) . Il s'agit là de conventions liées à la
culture qui sont loin d'être explicites pour les enfants (nous fonctionnons par réflexion,
mais certaines ethnies africaines fonctionnent par translation)'.
a. Tra nslation
b. Rotation
c. Réflexion
1. Remarquons par ailleurs qu'il ne s'agit pas seulement de dénommer des régions de l'espace. Ici on peut
voir que de tels référentiels sont également nécessaires pour, par exemple, placer un objet de telle façon
que le sujet ne le voit pas, ce qui est acquis aux alentours de 3 ans.
178 I Psychologie du développement
ENCADRÉ 4.7
A B C A B C
• 9 9 9
Sujet Sujet
L'enfant est devanttrois objets et doit répondre à une série de six questions : A est à gauche
ou à droite de B, à droite ou à gauche de C ?, etc. Si les objets sont non orientés (dessin de gauche)
la bonne réponse est « B est à droite de A ». Si les objets sont orientés (dessin de droite) la bonne
réponse est « B est à gauche de A ». Que donnerait cette épreuve chez des adultes ?
Le développement des représentations du monde physique I 179
De plus, certains objets orientés — la mère par exemple — sont simultanément des
repères très puissants (cf. les travaux sur l'attention conjointe dans la section consacrée
aux théories socioculturelles), et extrêmement mobiles. Tout au long de son développe-
ment, l'enfant va apprendre qu'il n'existe pas un système de référence intrinsèquement
meilleur qu'un autre : le point crucial est l'invariance des repérages qu'ils autorisent, en
liaison avec l'économie de leur mise en oeuvre. L'évolution avec l'âge des référentiels
spatiaux ne se fait pas par le remplacement de référentiels « primitifs » par des systèmes
plus « élaborés » : le répertoire des référentiels disponibles s'élargit, en même temps que
les conditions de validité de chacun sont précisées.
Nous avons vu, au début de ce chapitre, que Piaget propose une description géo-
métrique des comportements spatiaux des enfants et que, d'autre part, il distingue radi-
calement entre perception et conceptualisation. Si, au cours de la période sensori-
motrice, le bébé va passer de la prise en compte des caractéristiques topologiques aux
caractéristiques métriques, notamment dans l'ajustement de ses gestes, la hiérarchie
topologique /projectif /métrique va réapparaître lors de la construction des concepts
spatiaux, pendant les stades préopératoire et opératoire concret. Dans cette perspective,
les enfants, entre 3 et 8 ans, ne tiennent compte que de caractéristiques topologiques
quand il s'agit de définir la place d'un objet. Après les descriptions piagétiennes des
comportements individuels, un ensemble de travaux a systématiquement testé cette
hypothèse.
Ainsi De Loache (cf. DeLoache et Smith, 1999 ; Marzolf et DeLoache, 1997) a
étudié dans quelle mesure des jeunes enfants de 2 et 3 ans sont capables d'utiliser une
« carte » pour retrouver un objet caché. Elle a fait varier, entre autres variables indé-
pendantes, l'échelle de la carte et l'orientation relative entre carte et environnement.
Au seuil d'une pièce réelle contenant 6 meubles différents, on montrait au sujet une
maquette de cette pièce contenant les maquettes des meubles, en lui expliquant que la
maquette était la même que la pièce ; on cachait un chien miniature sous l'un des meu-
bles de la maquette, et on lui demandait de retrouver dans la pièce un chien caché à
l'emplacement correspondant. Bien que tous les sujets se soient montrés capables de
retrouver le chien miniature dans la maquette (c'est-à-dire qu'ils se souvenaient bien de
la cachette), seuls les enfants de 3 ans ont correctement retrouvé le grand chien dans la
pièce. DeLoache en conclut que les enfants de 3 ans comprennent bien que la
maquette représente la pièce.
Blades et Spencer (1994) objectent à cette conclusion que les enfants ont pu repé-
rer la correspondance des objets sans tenir compte des relations spatiales. Un autre
résultat de DeLoache vient à l'appui de ce point de vue : 24 heures après l'expérience
décrite ci-dessus, on dispose les meubles de la grande pièce de façon différente, et on
cache le grand chien soit au même endroit de la pièce, soit sous le même meuble que la
veille. Les enfants n'ont jamais recherché à l'emplacement où ils avaient trouvé le chien
la veille, mais toujours sous le même meuble. La conclusion est la suivante : quand les
enfants de 3 ans réussissent à la tâche standard, ils le font apparemment sur la base de
correspondances objet/objet : l'emplacement du jouet caché est codé par l'objet.
180 I Psychologie du développement
■ ■
b ffl •
•
•M Il
e •
u
Chaise Lit Armoire
Pour avancer sur cette question, Blades et Spencer (1994) proposent à des enfants
de 3 à 5 ans une situation et une tâche analogue à celle de DeLoache, à une impor-
tante différence près : les pièces contiennent un lit, une armoire, et deux chaises identi-
ques' (fig. 4.19). Quand l'objet cible est caché sous un objet unique (le lit ou l'armoire)
tous les enfants le retrouvent ; quand il est caché sous l'une des chaises les enfants de
1. DeLoache ayant montré que plus les deux espaces correspondants sont à la même échelle, mieux les
enfants réussissent, Blades et Spencer présentent deux maquettes de même dimension, dans la même
orientation ou avec une rotation de 180°.
Le développement des représentations du monde physique I 181
3 ans semblent choisir au hasard, les enfants de 4 ans sélectionnent l'emplacement cor-
rect quand les deux maquettes sont alignées (fig. 4.19 a), mais n'y parviennent pas en
cas de rotation (fig. 4.19 b) , seuls les enfants de 5 ans réussissent dans les deux condi-
tions. Les auteurs ont alors proposé des maquettes où la position des chaises était plus
ou moins individualisée : plus près des angles (fig. 4.19 c), plus près des éléments uni-
ques (fig. 4.19 d), ou l'une proche d'un angle et l'autre proche d'un meuble unique
(fig. 4.19 e). Même dans la situation (e), qui paraît intuitivement la plus facile, les
enfants de 4 ans ne distinguent pas entre les deux chaises. Il semble donc qu'il faille
attendre 5 ans pour que, dans ce type de tâche, les enfants prennent en compte les
emplacements et non seulement les objets.
Les mêmes auteurs s'interrogent alors sur le repérage d'emplacements en l'absence
de contenu. Le matériel utilisé est donné dans la figure 20. Dans un premier temps, on
utilise deux cercles comportant, sur leur pourtour, 6 couples associant un point noir et
un point coloré, tous les points colorés étant différents ; on pose un jeton sur un point
coloré et on prie l'enfant de poser un autre jeton au même point sur l'autre cercle (qui
est toujours orienté différemment) : tous les enfants de 4 à 6 ans réussissent cette phase
sans problèmes. Dans un second temps on propose à l'enfant la même tâche, mais en
posant le jeton sur un cercle noir (repérable par sa proximité d'un cercle coloré
unique). On considère que les enfants qui réussissent cette phase ont réussi le prétest, et
on passe alors au test : on utilise maintenant des cercles de 12 points, 6 noirs et 6 de
différentes couleurs en alternance et à égale distance, et la tâche est la même, repérer
les points noirs correspondants ; deux types de réponses sont possibles : ou l'enfant ne
prend qu'un repère (par exemple « à côté du point jaune ») auquel cas il a 50 chances
sur 100 de donner la bonne réponse, ou il situe le point noir entre deux repères colorés
et donne toujours la bonne réponse. La figure 20 c donne les résultats obtenus.
On voit que seuls les enfants de 6 ans utilisent la relation « entre » ; les enfants de
5 ans tiennent compte d'un seul repère, et la majorité des enfants de 4 ans ne réussit
pas le prétest. Ces résultats sont cohérents avec la trajectoire développementale pro-
posée par Piaget : il s'agit bien ici de relations topologiques qui, étant donné la rotation
entre les deux espaces, ne peuvent pas être perceptivement mises en correspondance et
doivent être reconstruites au niveau conceptuel. Par contre la distinction entre couples
proches et points équidistants (deux premières phases vs phase test) relève bien de la
géométrie métrique, mais au niveau perceptif.
Nous avons considéré jusqu'ici la localisation par rapport à soi-même ou par rap-
port à des objets présents, repères tout relatifs, et problématiques s'ils sont mobiles ou
absents. Si, pour adopter la perspective euclidienne, on considère l'espace comme un
contenant vide universel, il faut utiliser des référentiels non matérialisés, indépendants
des objets et fonctionnant pour n'importe quel point.
Les systèmes d'axes euclidiens constituent de tels référentiels, arbitraires et géné-
raux : trois axes x, y et z se coupant en un point origine quelconque, munis d'une unité
de mesure, permettent le repérage univoque de n'importe quel point de l'espace. Pour
Piaget, la construction de l'espace euclidien se fait tardivement, sous l'impulsion des
182 I Psychologie du développement
a Prétest b. Test
I I 4 ans
Ei5ans
MM 6 ans
À côté Entre
opérations, puisque c'est bien d'un espace de transformation qu'il s'agit. Ajuriaguerra
(cf. encadré 4.6) souligne que les coordonnées corporelles (verticale de l'axe, horizon-
tale de la surface d'appui, plan sagittal, etc.) sont des données cruciales pour la cons-
truction de référentiels euclidiens. Mais cette construction implique qu'il y ait abstrac-
tion réfléchissante, c'est-à-dire « reconstruction d'un système d'actions sur un nouveau
plan ».
Mais il devient très difficile, à ce niveau, d'ignorer tout ce que la scolarisation
apporte (ou n'apporte pas). Les recherches en didactique des mathématiques montrent
bien que c'est l'articulation entre opérations•concrètes et opérations formelles qui fait
problème. Plutôt que de souligner les ruptures et de mettre au panier les certitudes
Le développement des représentations du monde physique I 183
empiriques, il est sans doute plus constructif d'expliquer comment les opérations for-
melles, constituant l'espace comme un continu abstrait, s'appuient sur les opérations
concrètes ; les généralisations ne sont jamais banales et immédiates, même si — et sur-
tout si — un support concret soulève autant de questions qu'il en résout.
La maîtrise de la mesure suppose que soient dépassées certaines difficultés. « La
mesure spatiale est essentiellement un mouvement consistant à appliquer le mesurant
sur le mesuré, et à le reporter autant de fois que la partie choisie comme unité entre
dans le tout à évaluer » (Piaget, Inhelder et Szeminska, 1948). On entrevoit les étapes à
franchir : la partition du continu spatial, la conservation d'une longueur lors d'une
translation, le décompte et les changements d'unités. Toutes acquisitions qui sont cen-
sées être faites à l'école primaire. Dans le même ordre d'idée, il y aurait beaucoup à
dire sur l'acquisition des notions de latitude et de longitude, qui sont enseignées alors
que les notions sous-jacentes (verticale d'un lieu, angle dièdre) ne sont pas encore acqui-
ses (Pêcheux, 1990, chap. 9)... Est-il sûr que la majorité des adultes maîtrise de telles
notions ?
III - Conclusion
On vient de voir très rapidement, avec l'exemple des référentiels spatiaux, que la
construction des rapports à l'espace tout au long de l'enfance passe à la fois par
l'activité du sujet et par des pratiques culturellement marquées. Pour conclure, on trou-
vera ici trois axes de réflexion.
Tout d'abord il n'existe pas de trajectoire développementale stricte des rapports à
l'espace, au-delà de la perspective piagétienne où la hiérarchie des géométries est
croisée avec la distinction des stades sensori-moteur et intuitif-concret. En fonction des
données perceptives et de l'activité demandée aux enfants, l'âge de réussite varie large-
ment. De plus, on observe le plus souvent d'importantes différences interindividuelles :
on a pu voir, sur la figure 20 c, qu'il existe des enfants de 4 ans qui maîtrisent la rela-
tion « entre » typique des 6 ans. Au-delà de cet âge, on considère facilement qu'il y a
des enfants que les problèmes spatiaux intéressent, et d'autres auxquels mieux vaut ne
pas demander des exploits spatiaux, comme sortir seul dans la rue. On a longtemps
considéré comme acquis que les garçons sont plus performants que les filles à des
épreuves spatiales : une telle différence est souvent constatée à l'adolescence, mais pas
avant, et les mécanismes qui les expliquent se révèlent exemplaires de l'interaction
gènes/milieu.
D'autre part il n'y a probablement aucun sens à rechercher une trajectoire déve-
loppementale sans tenir compte des pratiques d'espace proposées par l'environnement.
Par exemple de nombreuses activités spatiales sont proposées à l'école maternelle, aussi
bien au niveau de l'espace agi que de l'espace représenté, cependant qu'à l'école pri-
maire de tels exercices se font beaucoup plus rares. Les enfants apprennent-ils quelque
chose de l'espace en jouant avec leurs parents, et avec leurs frères et soeurs ? Nous
avons commencé ce chapitre en justifiant une approche particulière des rapports à
184 I Psychologie du développement
l'espace, mais l'état actuel des travaux dans ce domaine suggère que pour continuer
d'avancer il faut maintenant tenir compte des liens avec d'autres domaines, par
exemple la mémoire et le langage.
Enfin nous avons considéré, tout au long de ce chapitre, les mécanismes cognitifs
en jeu dans les rapports des enfants à l'espace. On doit pourtant s'interroger sur le
degré d'autonomie des aspects cognitifs dans le fonctionnement global de l'individu, et
tout particulièrement lorsqu'il s'agit d'espace. Wallon a été le premier à montrer
qu'entre espace corporel et monde extérieur il existe une zone d'indécision, marge de
sécurité où le bébé ressent déjà les intrusions, comme sur son corps même. Les études
sur l'espace personnel ont développé cette perspective. À examiner toutes les méta-
phores spatiales qui sont utilisées pour parler de rapports humains (par exemple se sen-
tir proche de quelqu'un), on mesure à quel point les rapports spatiaux sont empreints
de signification.
Les pratiques humaines de l'espace vont bien au-delà d'une connaissance aseptisée
d'un espace vide, infini et isotrope. Si l'on s'installe pour jouer au beau milieu de
l'appartement, de préférence dans le chemin, on reste en contact avec sa famille ;
quand une heure de cours saute au collège, et qu'on peut explorer le quartier sans
qu'un retard soit immédiatement détectable, on devient un grand. Plus : expérimenter
des transformations spatiales permet d'entrevoir qu'on peut changer quelque chose au
monde comme il est, commencer de mettre en cause l'ordre établi. Peut-on considérer
alors que les outils cognitifs se construisent par élimination progressive de significations
parasites, qui freinent les acquisitions ? Dans une perspective dynamique du développe-
ment, il paraît plus probable que l'acquisition des outils de la connaissance spatiale
repose sur des tentatives de maîtrise de l'espace, un plaisir certain à en examiner tous
les aspects possibles, ou un besoin vital de dépasser l'angoisse de la séparation. Peut-il y
avoir développement de la connaissance sans étayage par un désir ?
LECTURES CONSEILLÉES
Pêcheux, M.-G. (1990). Le développement des rapports des enfants à l'espace. Paris : Nathan.
Stiles-Davis, J., Kritchevsky, M. & Bellugi, U. (Eds.) (1988). Spatial cognition, brain bases and deve-
lopment. Hillsdale, 1\1, Lawrence Erlbaum Associates.
:
1987), ainsi elle permet de mettre de l'ordre dans notre environnement. Ce faisant, le
coût de traitement d'objets nouveaux s'en trouve réduit grâce à un processus de géné-
ralisation des propriétés partagées par les exemplaires déjà connus de la catégorie.
Ainsi, bien que vous n'ayez encore jamais croisé le pitbull qui avance seul sur le trottoir
dans votre direction, le fait que vous l'ayez très rapidement catégorisé comme un pit-
bull vous incitera probablement à ne pas faire de gestes susceptibles de lui paraître
menaçants au moment où il va passer à votre hauteur... Vous avez donc automatique-
ment généralisé des propriétés attribuées à la catégorie des pitbulls, à ce nouvel exem-
plaire inconnu de vous. La catégorisation est susceptible de se fonder sur des informa-
tions de nature diverse. Elle peut s'appuyer sur des indices perceptifs comme dans
l'exemple ci-dessus. Toutefois, des informations conceptuelles interviennent parfois.
Alors qu'un objet rond et plat de 6 cm de diamètre est jugé globalement plus ressem-
blant à une pièce de monnaie qu'à une pizza, les adultes interrogés considèrent majori-
tairement qu'il doit s'agir d'une sorte de pizza. Il semble donc que le jugement
d'appartenance catégorielle soit fondé sur la double connaissance (a) du caractère
normé de la taille des pièces de monnaie dans un pays donné et (b) du caractère
variable du diamètre d'une pizza. L'étude du développement des catégories d'objets
chez l'enfant a consisté notamment à clarifier le poids relatif de ces différents types
d'informations dans la catégorisation d'objets au cours du développement.
Dans cette section, nous allons tout d'abord rappeler brièvement la vision de
Rosch concernant les différents niveaux possibles de catégorisation des objets. Nous
nous intéresserons ensuite à la catégorisation chez le bébé. Nous aborderons tour à tour
la question du niveau de catégorisation plus ou moins global employé par les bébés et
celle des types d'information sur lesquels ils prennent appui pour catégoriser. Sera alors
posée la question de la filiation développementale entre catégories perceptives et caté-
gories conceptuelles fondées sur des significations. Nous nous demanderons ensuite
dans quelle mesure le développement du lexique est susceptible d'interagir avec la for-
mation des catégories. La deuxième moitié de cette section mettra l'accent sur la diver-
sité des organisations catégorielles manipulées par les enfants. Nous verrons par
exemple que ces organisations sont susceptibles de différer selon que l'on catégorise des
êtres vivants ou des objets fabriqués, qu'elles peuvent associer des objets de même sorte
ou au contraire des objets différents qui relèvent d'une même situation ou d'un même
événement. Cela nous conduira, pour finir, à aborder la question de la gestion adaptée
ou non de ces diverses formes de catégorisation par les enfants.
Le pitbull évoqué plus haut peut certes être catégorisé comme un pitbull mais
aussi comme un chien ou plus généralement comme un animal. Différents niveaux plus
ou moins spécifiques de découpage du réel sont ainsi possibles. Rosch (1976) a mis
l'accent sur trois niveaux hiérarchisés qualifiés respectivement de niveaux sous-ordonné,
186 I Psychologie du développement
de base et surordonné. Les catégories de chaque niveau sont incluses dans les catégories
de niveau supérieur (le pitbull est une sorte de chien qui est une sorte d'animal) Rosch
a montré l'existence d'une préférence pour un découpage au niveau intermédiaire de
spécificité, le niveau de base (chien vs chats par exemple). Le niveau de base est le
niveau qui optimise simultanément la similitude intracatégorielle — les exemplaires
d'une catégorie de niveau de base ont en commun un grand nombre de propriétés — et
la distinctivité intercatégorielle — ils ont peu de propriétés communes avec ceux des
autres catégories. (Les chiens présentent entre eux de fortes similitudes et diffèrent clai-
rement des oiseaux par exemple.) Le statut privilégié de ce niveau résulterait de
l'économie cognitive qu'il permet de réaliser. Une catégorisation au niveau surordonné
fait perdre, comparativement au niveau de base, énormément d'informations (savoir
qu'un objet est un animal est tellement moins informatif que savoir qu'il s'agit d'un
chien), et une catégorisation au niveau sous-ordonné (pitbull ou caniche) multiplie le
nombre de catégories pour un gain relativement faible en information. Par ailleurs, de
nombreuses études ont montré (Cordier, 1994) que la très grande majorité des premiers
noms acquis par les jeunes enfants ainsi que de ceux employés par les adultes lorsqu'ils
s'adressent à eux, désigne des catégories de niveau de base (pomme, chien, plutôt que
fruit ou animal). Sur le plan développemental, Rosch a proposé que le niveau de base
serait premier. Le statut privilégié du niveau de base chez les jeunes enfants a été établi
notamment dans des tâches d'appariement d'objets à un objet cible (cf. encadré 4.9).
Les enfants de 3 ans acceptaient d'associer à un objet cible (par exemple une image de
chien) un autre objet appartenant à une même catégorie de niveau de base (ici, un
autre chien) en présence d'un distracteur (une poire), mais seulement la moitié appariait
deux objets d'une même catégorie surordonnée (ici un poisson appartenant à la même
catégorie des animaux que le chien). Si la pertinence de la distinction de ces différents
niveaux est aujourd'hui incontestée, la primauté d'une catégorisation au niveau de base
semble en revanche contredite lorsqu'on analyse les conduites de catégorisation des
nourrissons.
boratcurs (Quinn, 2002) ont ainsi montré chez des bébés de 2 mois qu'une catégorisa-
tion au niveau global opposant mammifères et meubles précédait une catégorisation au
niveau de base opposant la catégorie des chats à d'autres catégories de mammifères
(chiens, lapins et éléphants). Il faut attendre l'âge de 6-7 mois pour observer cette caté-
gorisation au niveau de base. On parle ici de niveau global plutôt que surordonné afin
de bien marquer qu'il ne s'inscrit pas dans la hiérarchie inclusive des trois niveaux pro-
posés par Rosch mais qu'il correspond plus probablement à une forme prédominante à
un moment du développement où les niveaux plus spécifiques de catégorisation sont
encore indifférenciés.
On considère que les conduites de catégorisation inférées à partir de ce type de
dispositif manifestent des catégories construites pendant le temps même de l'expérience,
sur la base des régularités perceptives extraites à partir des différentes photographies
d'objets présentées. Nous allons maintenant considérer plus précisément les types
d'informations perceptives prises en compte par les bébés dans leurs activités de catégo-
risation au cours de la première et deuxième année de vie.
ENCADRÉ 4.8
Phase 1 : Familiarisation
Présentation séquentielle d'un nombre (fixé à l'avance) de paires de photographies repré-
sentant chacune un exemplaire différent de la catégorie (ex. paires de photos de chats tous
différents).
Mesure et interprétation
En phase test, calcul de la proportion moyenne (sur les 2 essais) du temps de fixation sur
l'élément de la nouvelle catégorie par rapport au temps de fixation total des deux photogra-
phies. Si le bébé a construit une catégorie avec les photographies de la phase de familiarisa-
tion, alors le nouvel exemplaire de cette catégorie (nouveau chat) doit lui apparaître moins
nouveau, donc moins « intéressant » à regarder que celui de la nouvelle catégorie (chien). Il y
a catégorisation si l'élément de la catégorie nouvelle est fixé plus de 50 % du temps total.
Contrôles nécessaires
1 / S'assurer que les participants n'ont pas une préférence a priori pour l'exemplaire hors
catégorie.
2 / S'assurer que les participants discriminent bien les différents exemplaires de la caté-
gorie familiarisée.
Phase 1 : Familiarisation
Présentation séquentielle de quatre figurines représentant des exemplaires différents
d'une même catégorie (par exemple, chien, chat, oiseau, poisson pour la catégorie des ani-
maux). Cette présentation est répétée une fois.
Mesure et interprétation
Mesure du temps d'exploration manuelle des deux nouveaux objets. On considère qu'il
y a exploration manuelle lorsque l'objet est manipulé sous le contrôle visuel du bébé. Si le
bébé e catégorisé, le temps d'exploration de l'objet hors catégorie doit être supérieur à celui
de l'objet familiarisé.
Présentation simultanée de huit figurines (quatre exemplaires d'une catégorie A (A1, A2,
A3, A4) et quatre d'une catégorie B (B1, B2, B3, B4)). On incite le jeune enfant à interagir avec
ces objets.
Mesure et interprétation
On enregistre l'ordre des touchers successifs des objets de A et de B. Si une séquence de
touchers porte sur des objets d'une même catégorie plus souvent qu'on ne l'attendrait dans
une séquence aléatoire, alors on considère que le participant a reconnu une certaine équiva-
lence entre ces objets, donc formé une catégorie.
Quinn et ses collaborateurs se sont demandé quelles étaient les zones critiques du
corps prises en compte dans la catégorisation au niveau de base de deux catégories
d'animaux, chiens et chats. Pour ce faire, ils ont utilisé la procédure de temps de fixa-
tion relatif et ont comparé les taux de préférence visuelle dans trois conditions de
présentation :
les paires d'images présentaient les animaux en entier (condition contrôle) ;
les paires d'images ne présentaient que les corps (la tête étaient masquée par un
cache) ;
— les paires d'images ne présentaient que les têtes.
Les bébés ont catégorisé les images dans la condition contrôle et dans la condition
« tête seulement » mais pas dans la condition « corps seulement ». Plus récemment, ces
chercheurs ont pu préciser que si la perception de la tête est critique pour la catégorisa-
tion, le contour de la tête est une information perceptive suffisante chez des bébés de 3
à 4 mois.
Une voie de recherche particulièrement éclairante des processus de catégorisation
mis en oeuvre par les bébés est celle de la modélisation connexionniste. Mareschal,
Le développement des représentations du monde physique I 189
French et Quinn (2000) ont ainsi réussi à simuler les conduites des nourrissons. Ils ont
notamment établi que la réduction du degré de variabilité perceptive entre les exem-
plaires présentés en phase de familiarisation facilitait la catégorisation. Les traits percep-
tifs manipulés étaient par exemple, pour la catégorisation chiens/chats, la largeur et la
longueur de la tête, des oreilles, du nez, la distance séparant les yeux. Il reste que dans
leur expérience quotidienne, les bébés sont très souvent confrontés à des objets en mou-
vement. On peut donc se demander si les nourrissons peuvent utiliser des propriétés
perceptives dynamiques dans leurs activités de catégorisation.
Poulin-Dubois, Lepage et Ferland (1996) ont montré chez des bébés entre 9 et
12 mois que la nature de l'engagement dans le mouvement (autopropulsé us provoqué
par une intervention extérieure) était susceptible de constituer un indice permettant
d'opposer objets animés (humains par exemple) et objets inanimés (un robot, dans cette
étude). Les bébés manifestaient diverses réactions de surprise lorsque le robot semblait
s'engager de manière autonome dans un mouvement, ce qui n'était pas le cas lors de
l'observation d'un mouvement humain.
Plus récemment, Arterberry et Bornstein (2001) ont étudié la capacité de bébés
de 3 mois à catégoriser au niveau global des animaux par rapport à des véhicules sur
la base d'une représentation de leur mouvement. Des exemplaires de chacune des
deux catégories avaient été préalablement filmés en mouvement avec un ensemble de
points lumineux disposés en des points critiques du corps ou de la carrosserie. Les
auteurs ont utilisé une procédure comportant une phase d'habituation au cours de
laquelle les sujets se voyaient présenter tour à tour de courtes séquences de déplace-
ments lumineux correspondant au mouvement de neuf animaux différents (ou 9 véhi-
cules, selon la condition) puis, en phase test, deux déplacements de nouveaux ani-
maux et deux déplacements de véhicules leur étaient proposés. Si l'information
lumineuse sur les déplacements constitue à elle seule un indice de catégorisation, on
attend un temps de fixation plus long pour les exemplaires de la catégorie non
habituée qui doivent alors surprendre par la différence de nature du déplacement.
C'est en effet ce qu'ont manifesté ces bébés de 3 mois. Ainsi, des indices perceptifs sur
la nature des mouvements sont pris en compte très tôt dans le développement et
pourraient constituer le fondement d'une catégorisation très globale entre deux grands
domaines, celui des objets fabriqués d'une part et des objets vivants (humains, ani-
maux) d'autre part.
Si les bébés catégorisent manifestement sur la base d'indices perceptifs divers,
sont-ils pour autant limités à la production de catégories perceptives. Si tel est le cas,
comment alors rendre compte de l'émergence des catégories observées chez les
enfants plus âgés et les adultes, catégories que l'on qualifie de conceptuelles. De telles
catégories sont fondées sur le partage de propriétés non évidentes perceptivement,
comme par exemple, le fait de respirer, de posséder un appareil digestif, etc., pour la
catégorie des animaux. On peut envisager que cette évolution soit rendue possible par
un enrichissement progressif des indices perceptifs pris en compte grâce au développe-
ment des capacités attentionnelles, perceptives, motrices mais aussi langagières des
190 I Psychologie du développement
jeunes enfants. Il semble de plus que les jeunes enfants soient capables très tôt,
d'établir des relations causales liant certains aspects perceptifs à des aspects plus
conceptuels conduisant à la catégorisation.
Rakison et Butterworth (1998) ont mis en évidence, par une tâche de touchers
séquentiels (cf. encadré 4.8) la prise en compte par des bébés de 14 à 22 mois,
d'indices perceptifs tels que des parties fonctionnellement pertinentes des exemplaires
(des pattes pour les mammifères, des roues pour les véhicules). Afin de tester dans
quelle mesure ces indices étaient sélectionnés pour leur statut causal dans le mode de
déplacement des objets, les auteurs ont proposé les mêmes indices mais placés sur le
corps des objets de telle façon qu'ils ne puissent plus avoir un rôle dans le déplacement.
La catégorisation est alors échouée, confortant ainsi l'hypothèse d'une véritable prise en
compte de la relation de causalité. Nazzi et Gopnik (2003) ont étudié le développement
du traitement de relations causales dans la catégorisation d'objets chez des enfants
entre 2 et 4 ans. Ils ont montré que dès 30 mois, les jeunes enfants parviennent à oppo-
ser deux catégories d'objets sur la base de leur capacité à provoquer ou non l'éclairage
d'un dispositif. Ce résultat a été obtenu alors même qu'au sein de chaque catégorie, les
objets remplissant cette fonction étaient très dissemblables entre eux.
La capacité à envisager les liens de causalité entre aspects perceptifs et aspects
caractérisant la nature même des objets est susceptible de contribuer à la transforma-
tion de catégories d'abord purement perceptives en des catégories conceptuelles. Pour-
tant, certains auteurs, dont Mandler (2003), refusent d'envisager une continuité entre
ces deux formes de catégorie. Mandler postule une différence fondamentale de nature
entre les deux types de catégorie. Alors que les catégories perceptives résulteraient d'un
traitement automatique permettant de regrouper les objets qui se ressemblent, les caté-
gories conceptuelles seraient la conséquence d'un traitement attentionnel de ce qui a
été perçu et conduirait à des regroupements fondés sur la signification des objets, sur la
« sorte de chose » que sont les objets. Afin d'étayer son point de vue, elle s'est attachée
à montrer que des catégories non fondées sur la ressemblance perceptive peuvent être
manifestes avant la fin de la première année.
Selon Mandler, pour que s'engage le mécanisme d'analyse perceptive conduisant à
une représentation conceptuelle de la catégorie, il faut donner aux bébés la possibilité
d'explorer manuellement les objets. Les mesures de temps de fixation visuelle seraient,
selon elle, seulement à même de révéler les catégories perceptives. En utilisant une pro-
cédure d'exploration manuelle (cf. encadré 4.8), cet auteur a confirmé une primauté
des catégorisations à un niveau global (animaux/véhicules) chez des bébés de 7, 9 et
11 mois. L'évolution développementale montre ensuite une opposition entre animaux
marins et terrestres avant de réussir une catégorisation au niveau de base. De manière
intéressante, dès 9 mois, les bébés excluaient une figurine d'avion de la catégorie des
oiseaux alors même que l'oiseau présenté en phase test avait été sélectionné de façon à
maximiser la ressemblance perceptive de forme avec l'avion. Ce résultat pourrait étayer
l'hypothèse du caractère conceptuel des catégories ainsi produites et donc la moindre
Le développement des représentations du monde physique I 191
nom. On sait qu'un aspect important des échanges mère-enfant autour des livres
d'images, consiste pour la mère à dénommer les objets représentés. Par ailleurs, la plu-
part des études soulignent la forte proportion de noms communs dans les premières
dizaines de mots acquises par les jeunes enfants. On peut dès lors envisager des influen-
ces réciproques précoces entre dénomination et catégorisation d'objets.
Dans cette partie nous examinerons d'abord dans quelle mesure la désignation par
autrui de différents objets par un même nom constitue un indice de catégorisation pour
l'enfant. Ensuite, on se demandera si inversement, les connaissances sur l'appartenance
catégorielles des objets (on a vu que les bébés étaient capables de catégorisation bien
avant la production des premiers mots) guide les hypothèses de l'enfant sur la significa-
tion de noms nouveaux.
Sandra Waxman (2002) a étudié dans quelle mesure la dénomination d'objets pré-
sentés à des bébés facilitait la formation de catégories d'objets associés au même nom.
Pour ce faire, elle a présenté successivement pendant une phase de familiarisation, une
série d'images correspondant aux mêmes objets d'une catégorie de niveau de base (par
exemple, des dinosaures), puis en phase test, elle a présenté tour à tour deux paires
d'images constituées d'un nouvel exemplaire de la catégorie familiarisée (un nouveau
dinosaure) et d'un exemplaire d'une catégorie nouvelle (par exemple, un oiseau). Elle a
comparé deux conditions : l'une où les items présentés en phase de familiarisation
étaient systématiquement dénommés ( « un cheval ») et l'autre où les mêmes items
étaient présentés sans dénomination. Dans la condition avec dénomination, les bébés
dès 9 mois manifestent un intérêt plus grand pour l'objet nouveau de la catégorie qui
n'a pas été familiarisée, traduisant ainsi une formation de la catégorie familière.
L'hypothèse interprétative est que le nom commun à plusieurs objets orienterait
l'attention du bébé vers la recherche de communautés entre ces objets et ce faisant,
l'aiderait à se les représenter comme relevant d'une même catégorie. Ainsi très tôt, le
nom commun à plusieurs objets inconnus peut devenir critère de catégorisation. La
dénomination commune peut-elle également servir de critère dans la généralisation de
propriétés ?
Pour étudier cette question, les chercheurs utilisent une procédure d'appariement
en choix forcé (cf. encadré 4.9). Le mot nouveau est le plus souvent un mot sans signi-
fication que l'adulte applique à un objet cible (Ceci est un... DAx). On propose alors diffé-
rents objets tests entretenant différents types de relations catégorielles avec l'objet cible,
et l'enfant doit indiquer quel objet est un autre DAX. On peut ainsi évaluer sur quel
type de critère (perceptifs ou conceptuels) se fondent les hypothèses d'extension d'un
mot nouveau. L'utilisation d'un nom nouveau, le plus souvent un mot sans significa-
tion, est essentielle si l'on veut pouvoir interpréter les réponses obtenues. Il est impor-
tant en effet que le participant ait eu à prendre appui sur la relation que chaque objet
candidat entretenait avec l'objet cible pour prendre sa décision. Si le nom proposé était
194 I Psychologie du développement
familier à l'enfant, il lui suffirait d'appliquer ce qu'il sait de sa signification sans avoir à
se référer à l'objet cible.
Chez des enfants de 3 et 4 ans, Markman et Hutchinson (1984) ont comparé deux
conditions d'une tâche d'appariement en choix forcé :
Sans nom : tu vois cet objet (cible), peux-tu en trouver un autre qui soit le même ?
— Avec nom : tu vois ce biv (cible), peux-tu en trouver un autre qui soit le même que
ce biv?
Les enfants avaient le choix entre un objet de même sorte que l'objet cible (soit au
niveau de base : pour la cible chien, un autre chien, soit au niveau surordonné, un
autre animal) et un objet de même catégorie thématique (par ex. un os, cf. § V).
Au niveau de base, la dénomination de l'image cible, a orienté les choix des enfants
vers l'associé de même sorte (choix taxonomique). Au niveau surordonné, on retrouve la
même tendance mais seulement chez les enfants de 4 ans. De tels résultats sont compati-
bles avec une interprétation en termes d'orientation de l'attention par l'étiquette linguis-
tique vers la recherche de propriétés communes entre les objets désignés de la même
façon. Toutefois, le débat entre chercheurs est vif concernant plus précisément le type
d'indices catégoriels sur lequel se fait la généralisation d'un nom nouveau.
ENCADRÉ 4.9
A - Tri libre
Présentation simultanée d'un ensemble d'objets (ou images d'objets) appartenant à des caté-
gories différentes.
On demande à l'enfant de « mettre ensemble les objets qui vont bien ensemble ».
Enregistrement de l'extension des « tas » ainsi produits. Confrontation à la catégorisa-
tion attendue.
Exemple d'un essai dans une procédure d'appariement en choix forcé. Les noms repré-
sentent les images présentées aux enfants. Chaque participant est confronté à une série
d'essais.
Objet cible
Pomme Golden
Taxonomique Taxonomique
surordonné Thématique Non associé Niveau de base
L'enfant doit choisir parmi les options de réponses proposées, celle qu'il estime devoir
associer à l'objet cible en fonction de la consigne qui lui a été donnée. La nature et le nombre
des options varient selon les études (au moins deux options). La consigne généralement uti-
lisée est : « Trouve celui qui va le mieux avec celui-ci » (on montre l'objet cible). Au fil du cha-
pitre, vous découvrirez diverses consignes en fonction des objectifs de chaque étude particu-
lière.
Le développement des représentations du monde physique I 195
Soit le matériel suivant : vache, poule, oursin, moule, voilier, paquebot, tracteur,
camionnette.
Après avoir obtenu un premier tri selon la procédure ci-dessus, on mélange à nouveau
les images et on demande « une autre façon de mettre ensemble les images qui vont bien
ensemble ». Deux tris sont attendus : Taxonomique {animaux} vs {véhicules}; Thématique
{objets de la ferme} vs {objets de la mer}.
maux à plumes, à poils) ou des propriétés non directement perceptibles (avoir un coeur,
constitués de cellules...). Si la généralisation reflète un strict biais de forme en revanche,
on ne devrait pas observer de différences interdomaines.
Landau, Smith et Jones (1998) se sont attachés à montrer que l'apprentissage des
premiers mots était fondé sur le biais de forme. Des informations sur la sorte de chose
qu'est l'objet, notamment des informations sur la fonction de l'objet ne seraient prises
en compte que plus tard dans le développement. Ainsi, ces auteurs ont montré à propos
d'objets fabriqués non familiers (objets fabriqués pour l'occasion par l'expérimentateur)
qu'en l'absence d'information sur la fonction des objets cibles, les enfants de 2, 3 et
5 ans ainsi que les adultes généralisent le nom d'un objet cible à des objets de forme
similaire plutôt qu'à des objets de même matériau mais de forme différente. Dans une
condition où l'expérimentateur réalisait une démonstration de la fonction de l'objet
cible, fonction dépendant dans cette étude du matériau dans lequel était fabriqué
l'objet (par exemple, éponger de l'eau), les adultes ont alors généralisé le nom majoritai-
rement sur l'objet de même matériau, témoignant ainsi du fait qu'ils privilégiaient la
fonction. Les enfants de 2 et 3 ans en revanche ont continué à généraliser en fonction
de la forme tandis que les enfants de 5 ans présentaient un pattern de réponses inter-
médiaire De tels résultats suggèrent donc une évolution développementale, encore en
cours à 5 ans, conduisant d'une interprétation de l'extension des noms d'objets fabri-
qués exclusivement basée sur la forme, à la prise en compte de la fonction des objets.
Pourtant, d'autres auteurs ont réussi à obtenir une généralisation de noms nouveaux
sur la base de la fonction plutôt que de la forme et ce, déjà chez des enfants de 2 ans
(Kemler Nelson, Russel, Dukes et Jones, 2000) en situation de choix forcé. Il semble que
ces résultats contradictoires puissent être dus au type de fonction testée dans les deux
types d'étude. Alors que les fonctions utilisées par Landau et al. sont assez peu spécifiques,
celles testées par Kemler-Nelson réferent en revanche à des aspects très spécifiques qui
rendent plus saillante l'intention du créateur de l'objet (par exemple « permet de tracer
quatre lignes en même temps lorsqu'on le trempe dans de l'encre »). Cette hypothèse
défendue par Diesendruck et Bloom repose sur l'idée que le biais de forme n'est pas
Le développement des représentations du monde physique I 197
Nous avons vu que les enfants accordaient très tôt une importance particulière à la
fonction des objets fabriqués ou même, plus précisément, à l'intention de fonction de
leur créateur. Un certain nombre de travaux suggèrent que pour le domaine des objets
vivants, les enfants développeraient assez tôt la croyance en l'existence d'une essence
forgeant l'identité des objets (on parle alors d'essentialisme psychologique, cf. Gelman,
2004 pour une synthèse). L'essence, dont l'enfant ne sait d'ailleurs pas nécessairement
préciser la nature, renvoie à un ensemble de propriétés non directement perceptibles
partagées par tous les membres d'une catégorie. Ces propriétés seraient conçues
comme définitoires de l'identité de l'objet.
198 I Psychologie du développement
Outre des résultats tels que ceux que nous venons d'évoquer, un argument empi-
rique fort en faveur des différences interdomaines provient des observations de patients
adultes présentant des lésions cérébrales spécifiques. Les chercheurs ont en effet observé
un phénomène de double dissociation entre le domaine des objets vivants et celui des
objets fabriqués. Certains patients ont des performances très altérées dans le domaine
du vivant (dénomination, reconnaissance d'animaux, fruits, légumes) tout en conservant
une bonne efficience dans le domaine des objets fabriqués, alors que d'autres (moins
nombreux) présentent le profil inverse (Caramazza et Shelton, 1998). Les débats sont
vifs pour rendre compte de telles dissociations. Parmi les hypothèses, celle d'une pondé-
ration différente des propriétés perceptives (notamment visuelles) et fonctionnelles dans
la définition des catégories selon les domaines, paraît digne d'intérêt.
Lorsque l'on demande à des adultes de donner une définition d'une catégorie
d'objets, ils produisent une majorité de propriétés référant à des aspects perceptifs dans le
cas de la définition de concepts d'objets vivants (plantes, animaux) et des propriétés fonc-
tionnelles et perceptives lors de la définition de concepts d'objets fabriqués. Récemment,
Le développement des représentations du monde physique I 199
Hughes, Woodcock et Funnel ont de la même façon enregistré les propriétés générées par
des enfants de 3 à 11 ans en réponse à des noms d'entités vivantes (animaux et
fruits/légumes) et non vivantes (outils et véhicules). Les concepts vivants sont principale-
ment définis par des termes surordonnés (ex., « une vache est un animal ») et des proprié-
tés perceptives ( « une girafe a un long cou ») alors que les items non vivants reçoivent
une majorité d'attributs fonctionnels (un tire-bouchon sert à ouvrir les bouteilles de vin).
Ces différences sont susceptibles d'êtres liées à un développement plus précoce des
catégories de niveau surordonné dans le domaine du vivant par rapport au domaine
des objets fabriqués. Ainsi, dans le domaine du vivant, les propriétés perceptives com-
munes sont nombreuses et souvent associées à des propriétés biologiques très générales
(avoir des yeux et voir....) partagées à un niveau de catégorisation très global. Les pro-
priétés perceptives distinctives ne sont pas en général associées à des fonctions spécifi-
ques (ainsi les rayures du tigre, par exemple). Dans le cas des objets fabriqués, les pro-
priétés perceptives distinctives sont au contraire très souvent prédictrices de la fonction
(comme les dents de la fourchette) Boyer, Bedoin et Honoré (2000) ont obtenu des
résultats en situation de généralisation de propriétés avec des enfants de 3-4 ans allant
dans ce sens : une généralisation limitée au niveau de base pour les objets fabriqués et
une généralisation au niveau surordonné pour les animaux.
Bonthoux suggère que les voies développementales de construction des catégories
dans les deux domaines pourraient être différenciées (pour de premiers résultats compa-
tibles avec cette hypothèses, cf. Scheuner et Bonthoux, 2004). Ainsi, dans la mesure où
nous interagissons avec les objets fabriqués notamment en les utilisant dans des contex-
tes variés, la formation des catégories correspondantes serait largement fondée sur les
propriétés fonctionnelles et donc sur les contextes d'utilisation de ces objets. Les catégo-
ries d'objets vivants s'ancreraient davantage sur les propriétés perceptives rapidement
enrichies par un ensemble d'informations conceptuelles.
Cette hypothèse soulève un point, non encore présenté jusqu'ici, celui de
l'importance des contextes de rencontre avec les objets. La communauté de contexte
est pourtant un facteur de regroupement important qui nous conduit par exemple à
trouver légitime l'association d'un lapin et d'une carotte alors qu'il s'agit manifestement
d'objets de nature différente. Nous allons maintenant examiner plus avant comment
différentes formes de catégories conceptuelles, taxonomiques — associant des objets de
même sorte — et thématiques — associant des objets entretenant des relations de conti-
guïté spatio-temporelle dues à leur appartenance à un même contexte, scène ou événe-
ment —, peuvent coexister au cours du développement.
Dans les années 1980, Katherine Nelson (1985) a mis l'accent sur le fait que la
centration sur les seules catégories conceptuelles regroupant des objets de « même
sorte », catégories que l'on qualifie de taxonomiques, ignore un aspect essentiel dans le
200 I Psychologie du développement
miques surordonnées, même si, on l'a vu, les significations associées à ces catégories
ne sont probablement pas équivalentes à celles observées chez les sujets plus âgés.
Concernant les catégories thématiques, leur formation va dépendre tout particulière-
ment des occasions d'interaction du sujet avec les objets en contexte. Nous avons cité
(cf. § c, p. 191) des résultats montrant une catégorisation thématique au cours de la
deuxième année, dans une tâche de touchers séquentiels. Ainsi, divers dispositifs expé-
rimentaux permettent de révéler une coexistence très précoce de ces deux formes de
catégorisation conceptuelle.
Chez des enfants plus âgés (4 à 7 ans), différentes études ont montré (par exemple,
Blaye, Bernard-Peyron et Bonthoux, 2000) que les catégorisations thématiques étaient
prédominantes dans des tâches d'appariement en choix forcé lorsque sont mises en
concurrence des options de réponse thématique et taxonomique surordonnée. En
revanche, les mêmes enfants à qui l'on a proposé une tâche de tri libre (Blaye et al.,
ibid.) ont produit en égales proportions des tris taxonomiques et thématiques. Ainsi, il
apparaît que le type de catégorisation privilégié dépend, pour une part au moins, des
tâches proposées. Nous avons également vu plus haut que pour un même type de
tâche, la forme prise par la consigne modifiait sensiblement les réponses catégorielles
obtenues (cf. § b, p. 193)
De plus, pour une même tâche, les choix catégoriels varient en fonction des objets
(ou images) proposés. Ainsi Waxman et Namy (1997) ont proposé une série d'essais
d'appariement en choix forcé à des enfants de 3 et 4 ans au cours desquels les enfants
devaient choisir entre un associé thématique et un associé taxonomique pour chaque
image cible. Avec une consigne peu contraignante quant à la nature de la relation à
privilégier ( « Trouve l'image qui va avec... l'image cible») la majorité des enfants a
produit les deux types de choix au cours de la série. Ainsi, d'un essai à l'autre, c'est un
type d'associé ou un autre qui se trouvait privilégié. Il semble que les enfants aient,
dans cette situation, un fonctionnement guidé par les objets eux-mêmes (raisonnement
bottom-up ou ascendant) plutôt que par un projet fondé sur le critère catégoriel (thé-
matique ou taxonomique) à appliquer d'un essai au suivant. Une étude récente (Scheu-
ner, Bonthoux, Cannard et Blaye, 2004) a montré que la force relative des associations
entre image cible et chaque candidat à l'appariement était déterminante des choix. Les
enfants ont eu tendance à choisir l'image la plus fortement associée à l'objet cible ; cela
les a de fait, conduits à mettre en oeuvre, selon les essais, des appariements thématiques
ou taxonomiques.
Au terme de cette présentation, il apparaît que les enfants disposent tout au long
de leur développement d'une palette de modes de catégorisation possibles des objets qui
les entourent. Dès lors, on peut s'interroger sur le développement de la capacité à sélec-
tionner de manière adaptée les diverses appartenances catégorielles d'un même objet :
ainsi, pour un sportif qui part à l'entraînement, le ballon est membre de la catégorie
thématique des « objets pour jouer au football » et de ce fait se devra d'être associé à
une paire de chaussures à crampons ; si en revanche, il s'agit d'anticiper l'organisation
des objets dans le coffre à bagages d'une voiture, la forme ronde du ballon peut devenir
un critère de catégorisation critique, enfin dans la perspective d'organisation d'une
journée récréative pour des enfants le ballon doit être considéré dans la catégorie des
« jouets » au même titre qu'un jeu de cartes.
202 I Psychologie du développement
Une double conclusion s'impose. D'une part, il n'existe pas une, mais de multiples
façons de catégoriser. D'autre part, il faut définitivement renoncer à une vision hiérar-
chique du développement des catégories, où chaque étape développementale corres-
pondrait de manière bi-univoque à un mode de catégorisation. Nous avons ainsi souli-
gné à la fois le caractère premier des catégories perceptives et la probable coexistence
204 I Psychologie du développement
LECTURES CONSEILLÉES
Bonthoux, F., Berger, C., & Blaye, A. (2004). Naissance et développement des concepts chez l'enfant;
catégoriser pour comprendre. Paris : Dunod.
Cordier, F. (1994). Représentation cognitive et langage : une conquête progressive. Paris : Armand Colin.
Gelman, S. A. (2004). Psychological essentialism in children. Trends in Cognitive Science, 8, 404-
409.
Mandler, J. M. (2003). Conceptual categorization. In D. H. Rakison & L. M. Oakes (Eds.),
Early Categop, and Concept Development (pp. 103-131). Oxford : Oxford University Press.
Nelson, K. (1985). Le développement de la représentation sémantique chez l'enfant. Psychologie
française, 30, 261-268.
Quinn, P. C. (2002). Early categorization : A new synthesis. In U. Goswami (Ed.), Blackwell
Handbook of Childhood Cognitive Development (pp. 84-101). Oxford : Blackwell Publishing.
Rosch, E. (1976). Classifications d'objets du monde réel : origines et représentations dans la
cognition. Bulletin de psychologie, numéro spécial Mémoire sémantique, 242-250.
Waxman, S. R. (2002). Early word learning and conceptual development : Everything had a
name, and each name give birth to a new thought. In U. Goswami (Ed.), Blackvell
Handbook of Childhood Cognitive Development (pp. 102-126). Oxford : Blackwell Publishing.
5 genèse de l'identité
et rôle des interactions sociales
Les interactions sociales obéissent à des lois bien différentes de celles dont il a été ques-
tion dans le chapitre précédent à propos des interactions entre les objets. Les comporte-
ments des personnes s'expliquent en effet par des intentions, des états mentaux, des
émotions, toutes choses étrangères aux comportements _des objets. C'est donc un autre
grand domaine du développement qui sera abordé dans ce chapitre, celui qui a trait
aux relations entre les personnes et plus particulièrement aux relations entre soi et les
autres. Une des composantes fondamentales de la formation des relations sociales est la
capacité de l'enfant à se représenter sa propre personne et à construire sa propre iden-
tité. C'est la raison pour laquelle la première partie de ce chapitre traite de la genèse de
la représentation de soi. La seconde partie porte sur le rôle des interactions sociales
dans le développement, en particulier sur le rôle des interactions parents-enfants et sur
le rôle des interactions entre pairs.
sans cesse réapprise (et parfois désapprise dans certaines affections neurologiques ou
mentales). C'est la longue fréquentation de cette image particulière (de face et muette)
qui explique probablement le malaise ressenti devant certaines photos ou séquences
vidéo, dont les angles de vue, de profil ou en mouvement, nous dérangent car ils ne
nous sont pas familiers. Chacun de nous a donc « appris » son visage. Comment le
jeune enfant fait-il cette découverte ?
Dès les débuts de la psychologie de l'enfant, vers 1890, les réactions devant le
miroir font l'objet d'observations. Vers 1930 elles apparaissent dans les premières échel-
les d'intelligence. Elles ne sont pas étudiées pour elles-mêmes, mais comme exemples
des capacités d'intelligence ou d'imitation. On cherche l'âge de la reconnaissance de
soi, et selon les auteurs on le trouve, mais à des âges étonnamment divers : à 6 mois
pour Lacan, parce que l'enfant jubile devant le miroir, à 9 mois pour Darwin parce
qu'il associe l'appel de son nom au miroir, à 12 mois pour Piaget parce qu'il se
retourne vers un objet vu dans le miroir, à 12 mois pour Guillaume parce qu'il touche
un chapeau sur sa tête en se regardant, à 17 mois pour Preyer parce qu'il fait des gri-
maces, à 24 mois et plus pour les échelles d'intelligence parce que l'enfant nomme son
reflet par son prénom. Tout se passe comme si chaque observateur s'était arrêté au
premier signe trouvé, pris peut-être par l'illusion que la reconnaissance de soi apparaît
brusquement un jour chez l'enfant comme une illumination. Les premières observations
longitudinales vers 1950 mettent en évidence qu'il faut bien deux ans pour que l'enfant
arrive à identifier solidement son image. Tous les enfants semblent passer par les
mêmes étapes, parmi lesquelles on retrouve la jubilation, le retournement vers les per-
sonnes, les grimaces, la désignation par le nom, toutes conduites considérées autrefois
comme des signes isolés de la reconnaissance de soi et qui se révèlent n'être que les
jalons, les étapes, d'un long processus de construction.
À partir de 1970, stimulées par des observations faites sur les animaux, les recher-
ches sur les réactions des enfants devant le miroir se multiplient, en France comme aux
États-Unis, et deviennent plus rigoureuses. Elles fournissent des données convergentes qui
permettent actuellement de décrire les principales étapes de l'identification de l'image du
miroir (Fontaine, 1992 ; Zazzo, 1993). S'identifier dans le miroir, c'est déjouer un double
piège : découvrir le rapport de l'image à sa source, homologuer l'image et le corps propre,
puis dénier toute réalité à l'image, comprendre qu'il n'y a pas deux enfants, mais un seul.
On peut classer les réactions de l'enfant en trois grands types :
— l'enfant semble ne faire aucun lien entre l'image et sa source, il se comporte envers
l'image comme envers des personnes ou des objets réels ;
— il découvre et explore activement les liens qui unissent l'image à sa source ;
— il cesse ses explorations, il indique que l'image du miroir est la sienne et dénie toute
réalité propre à l'image.
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 207
La découverte des rapports entre l'image et sa source. — À partir de 9 mois, les enfants se
montrent de plus en plus intrigués et cherchent à comprendre ce qui se passe avec le
miroir. Ils se lancent dans toutes sortes de jeux répétitifs, et puis, progressivement, ils
changent d'humeur devant leur reflet, deviennent sérieux, voire craintifs.
Découverte de la similitude des perceptions. C'est pour les personnes familières qui se
regardent en même temps que lui dans le miroir que le bébé remarque d'abord la simi-
litude entre ce qu'on voit dans le miroir et devant. Le retournement vers une personne
silencieuse qui le tient dans les bras ou se tient proche de lui est noté vers 9-10 mois.
L'enfant a-t-il compris que l'image était un reflet ? Lorsque le miroir n'est pas fixé au
mur, on le voit, au même âge, chercher sa mère derrière le miroir ! Et ce comporte-
ment « contradictoire » persiste jusque vers 16 mois. C'est également vers 9-10 mois
que l'enfant s'intéresse au reflet des objets qu'il voit dans le miroir, mais il se retourne
spontanément vers eux beaucoup plus tard que vers ses parents : à 15 mois pour des
objets posés à côté de lui, et pas avant 18 mois pour des objets situés loin derrière lui et
qu'il voit brusquement dans le miroir.
Découverte de la synchronisation des mouvements du corps et du reflet. Vers 9 mois, on
observe des « réactions d'arrêt » dans les mouvements de l'enfant devant le miroir :
tout à coup il s'immobilise, regarde le reflet de sa main arrêtée, puis la bouge plus
lentement en fixant alternativement sa main et son reflet. Dans les mois qui suivent
208 I Psychologie du développement
« un autre pas comme les autres ». Il faut noter que, chez l'enfant, ces réactions appa-
raissent juste avant ou en même temps que l'identification de sa propre image.
L'accord s'est fait, à travers les différentes recherches, pour considérer trois
conduites comme critères de la consolidation du processus d'identification, parce
qu'elles montrent que le reflet est clairement rapporté à soi : toucher son propre visage
à partir d'une information vue sur le miroir, désigner l'image par son prénom ou
« moi », cesser de contourner le miroir en se regardant. Un quatrième critère, celui du
retournement vers les personnes ou les objets vus dans le miroir a longtemps été consi-
déré aussi comme un critère de l'identification de « soi », mais son interprétation
semble aujourd'hui plus complexe (Fontaine, 1996).
Ces conduites, repérées par l'observation du répertoire spontané des enfants
devant le miroir, ne se produisent pas toujours. Les chercheurs ont donc essayé de trou-
ver des procédures qui permettent de les observer systématiquement chez tous les
enfants, en les provoquant.
aucun enfant ne touche la tache, la plupart essaient de l'attraper sur le miroir, les
toutes premières réussites sont observées à partir de 15 mois, elles deviennent majoritai-
res entre 21 et 24 mois (70 o/ en moyenne) et se généralisent chez tous les enfants vers
30 mois. Repris par toutes les recherches ultérieures, le test de la tache est un déclen-
cheur qui permet de départager clairement les comportements dirigés vers l'image
(essayer de prendre la tache sur le miroir), de ceux dirigés vers soi (toucher la tache sur
son propre visage). La réussite au test n'est possible que si l'enfant peut rapporter la
« bizarrerie » du visage vu dans le miroir à son propre visage. Cela suppose qu'il sache
à quoi il ressemble « normalement », donc qu'il ait construit une représentation men-
tale visuelle de lui-même, englobant les parties invisibles de son corps.
Dire son prénom ou «Moi ». L'enfant étant placé devant le miroir, on lui demande
« Qu'est-ce qu'on voit ? », « Qui est-ce ? », en montrant le miroir. Parfois il arrive que
l'enfant se nomme spontanément, ou se désigne indirectement : « C'est ma robe. » Les
réussites apparaissent vers 24 mois, elles deviennent majoritaires à 30 mois.
Cesser de contourner le miroir. — Zazzo est le seul à avoir étudié cette réaction, la plu-
part des études américaines ayant utilisé des miroirs fixés dans le mur. À la question
« où est Thomas ? » posée à l'enfant qui se regarde devant un miroir en pied contour-
nable, et quelle que soit la réponse, Zazzo ajoute la provocation suivante : « Va le cher-
cher » ! Avant 24 mois, presque tous les enfants vont voir derrière le miroir, parfois
même spontanément. Entre 24 et 30 mois, certains le font encore, même s'ils touchent
déjà la tache sur leur visage ; après 30 mois les enfants résistent bien à la provocation,
ils regardent l'adulte d'un air embarrassé, mais sans bouger, ou se touchent le corps, ou
rient en disant « je peux pas ! » – « pourquoi ? » – « parce que je suis là, moi ! » (en se
touchant le corps).
Réactions aux images vidéo de soi, synchrones ou désynchronisées. — Les études sont améri-
caines, elles portent sur des enfants de 9 à 36 mois, assis devant un écran de télévision,
et regardant des vidéos d'eux, en direct ou en différé. On note les réactions d'attention,
les mimiques, les vocalisations, le jeu avec la synchronie de l'image. La comparaison
entre les deux situations montre qu'à partir de 12 mois, et très nettement entre 15 et
24 mois, l'enfant fait la différence entre l'image de lui synchrone et l'image de lui dif-
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 211
férée : la première suscite plus de réactions positives. Des recherches analogues, menées
avec des bébés de 5 mois montrent que la sensibilité au synchronisme est déjà présente
a cet âge, mais les jeunes bébés préfèrent au contraire l'image non synchrone.
Réactions aux images fixes, synchrones, désynchronisées. — Avec 11 enfants suivis en longi-
tudinale, Bigelow (1981) trouve que l'enfant identifie verbalement le miroir vers
22 mois, la vidéo en direct vers 22 mois, la vidéo en différé vers 24 mois, et la photo-
graphie (pointer sa propre photo au milieu d'autres photos) vers 25 mois. Malgré la dif-
férence de critère d'identification on constate que l'image fixe ou différée est identifiée
plus tard que l'image synchrone.
Réactions à l'image vidéo différée de soi et d'un autre enfant. — On présente successive-
ment, à des enfants de 9 à 36 mois, des images en différé d'eux ou d'un autre enfant de
même âge et de même sexe. La différenciation de l'image de soi, sur la base de
l'apparence physique (de son visage surtout, car les enfants sont assis) ne semble appa-
raître que vers 21 mois mais reste faible jusqu'à 30 mois.
Réactions à l'image photographique de soi et d'un autre enfant gézéquel, 1983). — Deux
types de procédures sont utilisées : soit la présentation successive de diapositives, soit la
présentation simultanée de plusieurs photos sur un album ou un présentoir, dont celle
de l'enfant. Avec les indices spontanés d'attention et de mimiques, on voit apparaître
des différences vers 21 mois : les enfants sourient plus à leur propre photo qu'à celle
d'un autre enfant inconnu, mais pas plus qu'à celle d'un enfant connu. Avec les critères
d'identification, on obtient les résultats suivants : fixation visuelle de sa photo parmi les
autres, vers 22 mois, pointage du doigt sur sa photo, à la question « où il est (pré-
nom) » ? vers 24 mois, désignation verbale vers 30 mois. On peut donc dire que la dif-
férenciation de l'apparence physique de soi et d'un autre enfant est possible sur des
photographies à partir de 21 mois.
types d'image montre que, dès 9 mois, les enfants sont sensibles à l'appauvrissement des
caractéristiques figurales de l'ombre (forte diminution des comparaisons visuelles et tac-
tiles entre eux et leur image). L'aspect plat de l'ombre qui supprime le piège de
l'illusion de profondeur du miroir en crée un autre : l'impression que l'ombre est collée
sur l'écran, d'où la persistance des tentatives pour « prendre » l'image jusqu'à 30 mois.
L'ombre au sol, qui déforme les contours du corps, est identifiée encore un peu plus
tard que l'ombre verticale, à 36 mois. L'enfant est intrigué, puis irrité par le point
d'attache de l'ombre à ses pieds, il cherche activement à s'en débarrasser entre 24 et
30 mois, et ne supporte pas, au même âge, qu'on marche sur son ombre. Ce n'est qu'à
3 ans que l'enfant joue à « maîtriser » son ombre.
ENCADRÉ 5.1
Chronologie de l'exploration
par l'enfant de ses doubles visuels (miroir, photo, vidéo, ombre)
Si l'identification de soi ne semble pas liée à une grande fréquentation des miroirs,
elle semble par contre en étroite liaison avec les progrès des capacités intellectuelles
générales. C'est vers 9 mois que les expérimentations des liens de l'enfant avec ses dou-
bles visuels s'intensifient, à l'âge où il construit la permanence des objets et des person-
nes, et c'est à 18 mois que l'on voit apparaître les premiers mouvements vers la tache
devant le miroir, ceux vers la plume devant l'ombre, et la désignation gestuelle des
photos. C'est aussi un âge clé pour le développement intellectuel, celui de la représenta-
tion mentale qui permet d'évoquer en pensée ou par le langage des choses ou des per-
sonnes absentes, d'imiter, de jouer à faire semblant. Les études menées avec des enfants
trisomiques ou autistes montrent qu'ils parviennent à toucher la tache sur leur visage à
condition d'avoir un âge mental minimum de deux ans. Chez les animaux, seuls les sin-
ges supérieurs, chimpanzés et orangs-outans, arrivent à toucher la tache, alors que les
autres singes s'en montrent incapables, même après des milliers d'heures passées devant
le miroir. Les premiers psychologues n'avaient donc pas tort de considérer les réactions
devant le miroir comme un test de développement mental.
en isolement social complet se montrent incapables, une fois confrontés au miroir de tou-
cher la tache sur eux. Mais si on les réintègre ensuite dans un groupe, puis que l'on
renouvelle le test de la tache après trois mois de cette expérience avec des compagnons,
alors ils réussissent ! La fréquentation des autres est donc une condition indispensable à la
construction de l'image de soi. S'identifier, c'est d'abord se concevoir semblable aux
autres pour pouvoir ensuite se considérer différent et unique.
Il - De l'identification visuelle
à un modèle intégratif de la conscience de soi
a. La perspective de Wallon
C'est à Wallon (1934, 1954) que nous devons la première réflexion d'envergure
sur les réactions de l'enfant devant le miroir et la signification à donner à cette
expérience.
Pour que l'enfant arrive à avoir une notion de son corps cohérente et unifiée dit
Wallon, il faut qu'il distingue entre « ce qui doit être attribué au monde extérieur et ce
qui peut être attribué au corps propre, comme le définissant sous ses différents aspects »
(1934, p. 186). La kinesthésie joue, à cet égard, un rôle important, plus particulièrement
les combinaisons entre l'espace corporel (espace kinesthésique) et l'espace des objets et
des personnes (espace optique). Le corps propre, entendu, palpé et regardé est d'abord
traité par l'enfant comme un objet étranger, dont les frontières avec les autres objets se
construisent peu à peu. Manipulé et regardé par l'entourage, le corps kinesthésique de
l'enfant reçoit et sollicite d'autrui une « empreinte visuelle » : l'enfant s'attribue les effets,
vus en autrui lors d'une situation commune, dans le même temps qu'il prête à autrui sa
sensibilité kinesthésique. C'est dans ce double jeu de reflets que l'enfant sort de la sym-
biose primitive et commence à prendre une conscience plus objective de lui-même, qu'il
se constitue « un corps kinesthésique et un corps visuel dont les images autonomes puis-
sent se correspondre au point d'être susceptibles de se substituer entre elles comme équi-
valentes» (1954, p. 64). La conscience objective du corps est donc l'aboutissement de
tout un processus qui consiste pour l'enfant à se voir comme un objet parmi les objets. La
donnée visuelle étant pour le corps très imparfaite, elle se trouve complétée par le miroir,
et de plus présentée d'une manière extérieure au corps. La reconnaissance comme sienne
de l'image du miroir signale une étape importante de ce processus, l'accès à une repré-
sentation mentale du corps. C'est dans cette perspective que Wallon est amené à préciser
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 215
le statut du miroir. Pour l'enfant, le miroir n'est qu'un « procédé plus ou moins épiso-
dique, parmi ceux qui lui servent à se faire entrer, lui et ses appartenances les plus immé-
diates, au nombre des choses et des gens » (1934, p. 228). Pour le psychologue, les réac-
fions de l'enfant devant le miroir sont une « contre-épreuve qui montre avec une netteté
parfaite par quels degrés et par quelles difficultés doit passer l'enfant avant de parvenir à
réduire dans une intuition d'ensemble tout ce qui se rapporte à sa personnalité phy-
sique » (p. 218). Le miroir est donc un révélateur d'une construction de soi qui se fait
dans la vie quotidienne de l'enfant, et à laquelle il ne participe que de façon épisodique.
Le miroir ne crée pas la conscience de soi, il en révèle l'existence.
Confronté au miroir, l'enfant doit faire se correspondre la perception de l'image et
celle du modèle. Pour l'image d'autrui c'est facile, car les deux perceptions appartien-
nent au même espace optique ; pour l'image de soi, il y a « hétéronomie » entre
l'espace corporel (tactile, proprioceptif, kinesthésique) et l'espace optique de l'image.
Wallon fait l'hypothèse de deux phases dans l'appropriation de l'image de soi : une pre-
mière phase où l'enfant se construit une image extériorisée de lui, comme il en a des
choses et des personnes (il n'y a de représentation possible qu'à ce prix, dit-il), et une
deuxième phase où il doit réduire le dédoublement spatial des deux perceptions, et
dénier toute réalité à l'image. L'identification de soi dans le miroir signale donc l'accès
à une représentation mentale du corps, visuelle et spatiale. Pour Wallon, ce double pro-
cessus d'extériorisation en images concrètes des impressions dispersées de la sensibilité
brute, puis d'intégration dans une représentation stable est applicable à la conscience
de soi en général.
Dans la suite de sa réflexion sur la conscience de soi, Wallon (1934, 3' partie)
étend explicitement le processus dégagé pour l'individualisation du corps à la cons-
cience de l'individualité psychique. Pourtant, il ne met pas en regard le développement
des deux séries, celle de l'individualisation du psychisme et celle des réactions devant le
miroir, sans doute faute de données d'observation suffisantes à son époque. Son analyse
de la différenciation moi-autrui sous l'angle de la recherche ou du dégagement du
« double » (double émotionnel ou double postural) est pourtant tout à fait originale et
s'est montrée très féconde pour des opérationnalisations ultérieures.
pensées et émotions, le sens d'être l'auteur de ses pensées et actions (self-agen9 ,), le sens
de rester la même personne à travers le temps (self-continuip)), le sens d'être une entité
unique, cohérente (self-coherence). Lewis et Brooks-Gunn (1979) le nomment « soi exis-
tentiel », ou « subjectif», Case (1991) le nomme « soi implicite » ou « intuitif ». Toutes
ces appellations soulignent que ce premier niveau de conscience de soi se construit dans
les sensations et dans l'action de l'expérience de soi. Neisser (1991) distingue deux che-
mins qui, dès la naissance, constituent les racines du «Je » le « soi écologique » et le
« soi interpersonnel ». Le soi écologique se construit dans les interactions avec
l'environnement physique qui permettent de différencier le soi du non-soi en expéri-
mentant le fait d'être un agent actif dans cet environnement. De même le soi interper-
sonnel se construit dans les premières interactions sociales, permettant au bébé de se
différencier du non-soi que sont les autres. Ce premier niveau n'implique pas de repré-
sentation ou d'objectivation de soi. Il s'ancre principalement sur la perception de soi.
Le « Moi » est le soi comme « objet » de connaissance ou d'évaluation. — Selon James, les
composantes du « Moi » sont : le soi matériel (soi corporel et possessions propres), le
soi social (les caractéristiques de soi reconnues par les autres), le soi spirituel. Damon
et Hart (1982) en distinguent quatre aspects : le moi physique (caractéristiques
du corps, possessions matérielles, attributs physiques), le moi actif (capacités), le moi
social (relations, rôles, personnalité), le moi spirituel (préférences, aversions, pensées,
croyances).
Lewis et Brooks-Gunn le nomment « soi catégoriel » ou « objectif ». Il permet à
l'enfant de se définir dans des catégories dont certaines restent fixes tout au long de la
vie (le sexe, le nom), mais dont d'autres changent (la taille, les compétences) ou appa-
raissent à certains âges. Les définitions que l'enfant peut donner de lui peuvent donc
varier en fonction de ses compétences cognitives ou de ses relations sociales.
Case parle de soi « explicite », Neisser de soi « réfléchi » ou « conceptuel », Rochat
et Goubet (2000) de soi « identifié ». Pour Neisser, c'est dès la fm de la première année
qu'on pourrait voir émerger le « soi réfléchi », donc une ébauche de « Moi », lorsque
l'enfant prend conscience qu'il est un objet d'attention pour les autres personnes. Il y
aurait une capacité pour le bébé de se prendre comme objet de pensée avant même
d'avoir accès au langage et à la fonction symbolique, par la prise de conscience du
regard et de l'attention des autres à soi. Vers 3 ans, selon Neisser apparaîtrait un autre
niveau de conscience, le « soi vécu », lorsque l'enfant est capable de parler de ce qu'il
vit et d'évoquer des souvenirs, puis, vers 4-5 ans, le « soi intime », lorsque l'enfant peut
évoquer ses sentiments et ses intentions, en même temps qu'il devient capable de le
faire pour les autres.
Il y a un consensus très fort sur le fait que le «Je » se construit avant le « Moi ».
Chez le jeune enfant, l'expérience de soi, le sens de soi, précède et construit la cons-
cience de soi comme objet. Les deux composantes se développent ensuite en interaction
tout au long de la vie. Une très importante littérature, existe de longue date, sur le
développement et les caractéristiques du « Moi », du soi comme objet de connaissance
et d'évaluation (concept de soi, estime de soi), le plus souvent référé au terme de « Self
concept ». Le soi-sujet a été par contre très peu étudié jusqu'à ces dernières années où
les recherches sur les très jeunes enfants se sont fortement intensifiées.
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 217
Pour Lewis et Brooks, l'identification visuelle de soi n'est qu'un aspect de la cons-
truction de la conscience de soi, peut-être la plus tardive, pensent-ils, par rapport à
d'autres modalités sensorielles (pratiquement pas explorées).
— Le premier niveau d'identification est lié à l'action, à partir des correspondan-
ces synchronisées que l'enfant expérimente dans les mouvements de l'image et de son
corps (entre 9 et 18 mois), qui l'amènent à l'identification des images synchrones (reflet
et vidéo en direct) entre 18 et 21 mois. Ce premier niveau, tributaire du contexte et des
confirmations que fournit l'action témoigne de la mise en place du soi existentiel.
— Le second niveau, à partir de 21 mois, permet d'identifier des images sans
feed-back kinesthésique, à partir des caractéristiques figurales (photo, vidéo en différé).
Il marque l'accès à une représentation mentale de soi détachée du contexte, et l'accès
au soi catégoriel en ce qui concerne l'apparence physique.
c. La perspective de Harter :
un modèle intégratif de la conscience de soi
Selon Harter, le soi est à la fois une construction cognitive et sociale qui permet de
se faire une « théorie » du monde et de donner du sens aux expériences que fait le
sujet. Le développement du Je détermine les formes du Moi comme objet. Ce dévelop-
pement est maintenant conçu comme un processus continu tout au long de la vie.
Le soi est une construction cognitive : les différents niveaux et contenus de
structuration du « Moi-objet » à différents âges dépendent des capacités du « Je-sujet »,
en particulier des capacités cognitives qu'il peut utiliser pour faire ses expériences.
Ainsi, les changements dans le développement cognitif vont influencer la nature de la
« théorie de soi » que l'enfant va construire. Les progrès cognitifs affectent deux carac-
téristiques de la structure du soi : les niveaux de différenciation et d'intégration que les
individus peuvent évoquer pour étayer leur « théorie de soi ». La différenciation permet
de concevoir qu'on a des compétences différentes dans divers domaines, ou qu'il y a
des différences entre les compétences réelles et idéales. L'intégration est la capacité de
construire des généralisations à propos de soi à partir de plusieurs secteurs de compé-
tence, d'avoir une appréciation globale de soi et une évaluation de soi.
Le soi est une construction sociale : les interactions avec les parents, les diffé-
rents types de maternage, les interactions avec les pairs, les professeurs, etc., influencent
le contenu et l'évaluation des représentations de soi. Les facteurs de socialisation, qui
créent l'expérience du «Je » affecteront le « Moi » et sont la cause de différences indivi-
duelles importantes dans le contenu des représentations de soi. Le soi a des fonctions
d'organisation, de motivation, de protection de l'individu, qui vont se développer diffé-
remment selon qu'il est estimé négativement ou positivement.
Jusqu'à la période d'explosion des travaux sur le nourrisson, dans les années 1990,
on en restait globalement à la conception des pionniers de la psychologie du développe-
ment et des psychanalystes, pour qui les premiers mois du bébé se caractérisent par un
état de confusion, d'égocentrisme, de symbiose, de non-différenciation avec son envi-
ronnement. Or les avancées des travaux récents permettent de penser que les débuts du
«Je » se situent peut-être dès la naissance, voire même dès la période foetale. Quelles
sont les données qui permettent d'avancer cette hypothèse ? Nous présenterons ici la
synthèse qu'en fait Rochat (2000, 2004). Reprenant la conception de Neisser de
l'existence d'un « soi écologique » développé implicitement par le bébé dans ses rela-
tions avec les objets et les humains, Rochat souligne l'ancrage de cette conception dans
celle de Gibson (1979) pour qui la perception du monde est toujours en même temps
une coperception de soi. Toute action donne des informations extéroceptives et intéro-
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 219
Quelles sont les expériences qui permettent au bébé de se différencier de son envi-
ronnement ?
La frontière du corps : l'être humain est spatialement défini par les limites de la
peau. C'est un contenant qui reste relativement invariant malgré la croissance (Samuels,
1986). Cette constance est sans doute une source importante d'information sur soi.
Les expériences de « double toucher » : toucher un objet donne une sensation
tactile au point de contact, toucher son corps donne deux sensations tactiles, une active
et une passive. Dès la naissance, le bébé différencie les stimulations dont l'origine est
extérieure à son corps, par exemple celle du doigt d'un adulte autour de sa bouche
(allo-stimulation) des stimulations qui viennent de son corps, son propre doigt autour
de sa bouche (autostimulation). Le réflexe de fouissement et la protusion de la langue
que provoque ce genre de stimulation sont plus forts avec le doigt d'autrui (Rochat et
Hespos, 1997).
— Le mouvement et le flux du champ perceptif : le mouvement crée un phéno-
mène d'expansion visuelle des objets, soit vertical, soit horizontal. Ce mouvement
optique invariant permet de savoir si l'on est en mouvement ou pas. Le bébé a des
réactions différentes quand il est mobile dans un environnement stable, ou au contraire
stable dans un environnement mobile (Jouen et Gapenne, 1995), cela lui permet de dif-
férencier où se passe l'action, dans son corps ou à l'extérieur. Le bébé a des réactions
d'évitement à l'approche d'objets dans sa direction. Cette connaissance implicite d'un
corps différencié pourrait être le produit d'un apprentissage prénatal, comme le sont
d'autres connaissances perceptives précoces (la reconnaissance de la voix maternelle ou
de son odeur). Cet apprentissage perceptif d'un corps différencié serait l'un des fonde-
ments du soi corporel.
2 / Le corps situé
Très tôt les bébés sont intéressés par les objets et essaient de les saisir, dès le
deuxième mois, pour les porter à la bouche ou pour les explorer manuellement (voir le
chap. 4 : « La représentation du monde physique »). L'apprentissage des actions possi-
220 I Psychologie du développement
bles sur les objets est indissociable d'une connaissance implicite, pour le bébé, de ses
propres capacités d'action, ou de ses incapacités. Vers 5-6 mois, le bébé ajuste ses gestes
selon la distance de l'objet : il renonce à le prendre s'il est trop loin et que le geste lui
fait perdre l'équilibre, ou bien modifie sa prise. Pour Samuels (1986) les interactions
avec les adultes qui s'occupent du bébé l'informent aussi sur la localisation de son
corps. Quand on s'adresse à lui, on lui envoie des signaux particuliers : on le regarde
au visage, souvent aux yeux, on le prend où il est. La régularité de ces émissions visuel-
les et tactiles vers lui est probablement importante pour l'établissement du soi existen-
tiel. Samuels évoque aussi l'invariant perceptif que représente l'axe du nez, toujours
présent dans le champ visuel perceptif du bébé.
3/ Le corps agent
Streri (1996) propose d'ajouter un « soi corporel » aux deux premiers chemins du
«Je » de Neisser (soi écologique et soi interpersonnel). Cela implique un premier niveau
de représentation du corps chez le bébé, même si celle-ci n'est pas encore consciente.
Le « soi corporel » permettrait au bébé de se construire un « schéma corporel », fonde-
ment de la distinction entre soi et les autres. La sensibilité propre au corps est la pro-
prioception (perception des informations venues des muscles, des tendons, des articula-
tions, du système vestibulaire), la kinesthésie est le sens de la position et des
mouvements du corps. C'est la constante coordination de ces informations internes,
spécifiques du soi, avec les autres informations sensorielles externes qui construit le
schéma corporel. Lors d'une piqûre au talon, les nouveau-nés réagissent par la douleur,
par des pleurs ou une accélération du rythme cardiaque, mais aussi par un frottement
de l'autre jambe sur celle qui a reçu la piqûre. Vers 2 mois, le bébé explore ses mains,
ses pieds, les possibilités de sa voix, le corps propre devient un objet d'exploration. Une
expérience présente à des bébés de 3 mois deux vidéos de leurs jambes en train de bou-
ger, l'une en direct, correspondant à leur perception habituelle, et l'autre inversée
droite-gauche, ou bien désynchronisée : ils regardent plus l'image non habituelle. Par
contre, devant l'image habituelle de leurs jambes, ils les agitent plus, comme pour
explorer les correspondances visuo-proprioceptives de leur corps. On a dans ces expé-
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 221
riences les prémisses des expérimentations du synchronisme que l'on observe devant le
miroir quelques mois plus tard.
Citons encore une observation dans le domaine auditif : les nouveau-nés en train
de pleurer se calment immédiatement si on leur passe un enregistrement de leurs pro-
pres pleurs alors qu'ils ne se calment pas en écoutant ceux d'un autre enfant (Martin et
Clark, 1982). Le bébé, dit Streri, est donc capable d'extraire des invariants dans ses
mouvements, ses productions vocales, il les mémorise et construit dans les six premiers
mois les bases de son schéma corporel.
Très tôt après la naissance, on a montré que le bébé était capable d'imiter les
mouvements d'ouverture de la bouche et de protusion de la langue d'un adulte (lUelt-
zoff et Moore, 1994). Comme plus tard dans l'identification du visage vu dans le
miroir, il s'agit d'un appariement entre des modalités sensorielles externes (visuelles) et
internes (proprioceptives). Ces coordinations intermodales sont spécifiques des expérien-
ces du corps propre et sont donc très précoces. L'intersubjectivité qui se met en place
dans les interactions du bébé et des adultes construit dès les premiers mois les bases
d'un « soi interpersonnel », d'abord à partir du sourire social vers 6 semaines, puis des
interactions du bébé avec son entourage qui sont majoritairement basées sur des jeux
imitatifs mutuels ou des expériences de « protoconversations » (Stem, 1985). Entre 2 et
7 mois le bébé développe des attentes sociales dans ses rapports de réciprocité avec
autrui. Ce développement semble culminer vers 8 mois lorsque l'enfant tend à manifes-
ter de façon nouvelle de l'anxiété dans ses rencontres avec des personnes non familières
(voir ce chapitre, § c., p. 229).
Vers 9 mois, le bébé commence à manifester une attention partagée avec autrui,
les échanges sociaux deviennent non seulement réciproques mais aussi référentiels aux
choses et aux événements de l'environnement. Les capacités d'attention conjointe du
bébé (regarder ce que la mère regarde, ou attirer l'attention de la mère sur ce qu'il
désire) qui se développent à partir de 9 mois paraissent importantes pour le développe-
ment de la conscience de soi et de la conscience de l'autre.
Vers 14-15 mois, plusieurs comportements du bébé témoigneraient de ce que
Rochat appelle la « coconscience de soi » : l'enfant demande de l'aide si une action lui
résiste, montrant qu'il devient conscient de ses propres limites, et il est attiré par un
adulte qui imite ses actions. C'est aussi à partir de cette période que les interactions
avec les autres enfants se développent, sur la base de l'imitation simultanée et réci-
proque (Nadel, 1986). La fin de la deuxième année apparaît donc comme une période
cruciale pour le développement de la conscience de soi, l'enfant paraissant pouvoir se
reconnaître dans les actions d'autrui (voir ce chapitre, § c, p. 238).
Entre 9 et 18 mois l'enfant développe de plus en plus d'attention partagée avec
autrui, de collaborations, et de coconscience, il devient capable de s'approprier le
regard d'autrui et de l'intégrer au sien. Cette étape ouvre les portes du développement
de la pensée symbolique. Elle permet à l'enfant d'entrer dans les processus
d'apprentissage guidés par l'adulte.
222 I Psychologie du développement
Dans sa synthèse de 1998, Harter souligne les grands progrès qui ont été réalisés
pour comprendre comment les facteurs cognitifs, sociaux et affectifs se combinent pour
permettre l'émergence du Je et du Moi. Le point qui lui paraît le plus important est le
rôle crucial des adultes qui s'occupent de l'enfant et en particulier celui des expériences
partagées. Nous proposons ci-dessous un résumé de cette synthèse qui intègre aussi les
approches psychanalytiques et les recherches sur l'attachement.
ENCADRÉ 5.2
0-4 mois
Les recherches récentes vont à l'encontre de l'idée que le bébé est totalement inorganisé, et
dans un état d'indifférenciation, comme le pensaient les psychanalystes. Les interactions avec
les adultes lui permettent de faire des liens entre ses expériences isolées et d'extraire des
invariants concernant le soi et les autres (régulations physiologiques, psychologiques qui
conduisent à des séquences d'action coordonnées). Les bébés peuvent transférer des expé-
riences perceptives d'une modalité dans l'autre. Ils construisent un soi « écologique ».
Les capacités d'imitation sont présentes dès la naissance et montrent que les bébés
détectent les similarités entre soi et les autres (si l'autre produit la même conduite que je pro-
duis quand je ressens une certaine émotion, alors peut-être que l'autre a la même émotion ?).
Les conduites de « pré-attachement » sont présentes dans les signaux que les bébés envoient
aux adultes pour maintenir la proximité avec eux.
4-10 mois
L'enfant se différencie de plus en plus des adultes et développe le soi interpersonnel.
C'est le début du processus de séparation-individuation pour les psychanalystes, la construc-
tion du lien d'attachement. Le sens du soi « agent » se développe, l'enfant devient conscient
de l'effet de ses actions, par exemple l'effet de ses mouvements dans le miroir, mais surtout
dans ses jeux où il exerce le plaisir de la maîtrise des objets. Il prend conscience d'être une
entité physique, avec des frontières et un lieu d'action.
Les jeux traditionnels avec les adultes ( « je t'attrape », « coucou » ), contribuent par leur
répétition à identifier les invariants venant de soi et des autres. C'est d'abord l'adulte qui pro-
pose et s'ajuste, mais vers 6-7 mois l'enfant prend des initiatives d'échanges réciproques. Les
routines interactives culminent dans un plaisir mutuel, cette émotion partagée devenant cons-
titutive des représentations de l'enfant sur son expérience.
10-15 mois
La différenciation soi-autre augmente, l'enfant supporte mieux les séparations et explore
activement l'environnement de façon autonome. Nombre de recherches soulignent l'impor-
tance majeure des expériences partagées : partage de l'attention, où l'enfant réalise que son
intérêt peut être partagé par quelqu'un d'autre (il montre ce qu'il regarde ou ce qu'il veut, il
regarde ce qu'on lui montre), partage d'intentions (développement des requêtes non verbales
ou verbales), partage d'états affectifs (l'enfant guette la réaction de l'adulte avant d'agir).
L'imitation est aussi une expérience partagée importante : les bébés aiment quand leurs
parents ou leurs pairs imitent leurs actions ou leurs vocalises. Ces expériences leur font décou-
vrir à quoi ressemblent leurs actions et renforcent leur conscience de soi comme agent. Ces
interactions créent un « Nous-Soi » qui se construit en même temps que le Je. Ce « Nous » fait
prendre conscience à l'enfant de capacités qu'il pourra développer quand il sera seul.
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 223
15-18 mois
Cette période voit le tout début de l'émergence du « Moi » comme objet de connais-
sance. Les recherches sur la reconnaissance visuelle dans le miroir montrent les premières
réussites, ce qui permet de supposer que l'enfant a construit un modèle perceptif, une repré-
sentation interne de lui qu'il peut comparer avec l'image externe du miroir. Les autres sont
reconnus bien plus tôt, mais le bébé peut les voir de l'extérieur, ce qui n'est pas le cas pour
soi. Le bébé affirme ses buts propres, commence à s'opposer à ses parents. Les frustrations à
son désir de toute-puissance sont sources de colère et de conduites agressives. La détresse
aux séparations est fréquente. Il comprend que soi et les autres sont des agents indépendants
qui peuvent ne pas avoir les mêmes activités.
18-30 mois
Les enfants développent des représentations de soi et des autres. Ils comprennent les
facteurs qui influencent le comportement de leur mère et les stratégies qui vont la faire céder
selon leurs désirs. À partir de 2 ans ils tolèrent beaucoup mieux les séparations. Les conflits
avec les parents peuvent être dépassés et les relations restaurées après une bêtise, ce qui
montre que le sens de soi est conservé malgré les circonstances. Le langage qui se développe
permet l'apparition des expressions verbales concernant le Moi (pronoms personnels appro-
priés pour soi et les autres, noms propres). Les capacités linguistiques et symboliques permet-
tent la représentation du Moi objectif, de soi comme un objet. Les règles et interdits des
parents peuvent être intériorisés et permettre aux enfants de juger si leur conduite est
appropriée. Quand un enfant pleure parce qu'il n'arrive pas à réaliser une conduite requise par
les adultes, il montre qu'il se mesure à la norme attendue.
Pour Harter, on l'a vu, la « théorie de soi » que l'enfant développe est à la fois une
construction cognitive et une construction sociale. Les progrès du «Je », abordés ici
sous l'angle du développement cognitif, vont affecter le « Moi », le contenu et la struc-
ture des représentations que l'enfant a de lui et que reflète la façon dont il se décrit. Le
« Moi » est également tributaire des relations sociales de l'enfant, qui vont affecter le
contenu et l'évaluation plus ou moins positive des représentations de soi en lui fournis-
sant des occasions de comparaisons et de feedback qu'il intègre dans ce qu'il pense de
lui.
Quel « portrait » de lui peut-il faire d'âge en âge ? Quelle évaluation a-t-il de lui-
même ? Quelles prises en compte de l'observation ou de l'opinion des autres sur lui
peut-il intégrer dans l'idée qu'il se fait de lui-même ? Harter (2003) propose de décrire
les changements des représentations de soi en six stades, trois dans l'enfance et trois
dans l'adolescence. Nous ne présenterons ici que les trois premiers.
2 4 ans
-
L'enfant construit des représentations concrètes de lui-même (je connais les lettres,
je sais compter, je cours vite, j'habite dans une grande maison), il se réfère à des caté-
gories concernant l'aspect physique (j'ai les yeux bleus), l'activité (je joue au ballon), le
plan social (j'ai 2 soeurs) ou psychologique (je suis heureux). Ce sont des représentations
224 I Psychologie du développement
5-7 ans
Les concepts de soi, compartimentés auparavant, commencent à se coordonner.
L'enfant peut dire « je suis bon pour courir, et aussi pour sauter, et pour grimper ».
Dans les descriptions de soi et des autres, il utilise des attributs en tout ou rien : « bon »
et « mauvais ». En ce qui le concerne, il se perçoit toujours « bon », mais les autres
peuvent être jugés « mauvais ». Les attributs ou les affects de valence plus subtile,
comme « super » et « moyen » ne peuvent pas être utilisés. Un changement dans les
capacités de perception des autres influence le développement de soi : l'enfant com-
mence de réaliser que les autres l'évaluent, et le point de vue des autres peut commen-
cer de guider sa conduite.
Concernant l'interaction entre les capacités cognitives et l'environnement social,
on voit que la capacité à faire des comparaisons sociales apparaît, et d'abord par rap-
port à soi plus jeune (quand j'étais petit je ne savais pas faire ça), plutôt que par rapport
aux pairs. Cela contribue à forger une évaluation positive de soi. Les comparaisons
avec les autres sont surtout centrées sur un but précis : par exemple s'assurer qu'on a
bien reçu la même chose que les autres (justice d'un partage).
8-11 ans
La principale avancée à cette période est la capacité à coordonner des représenta-
tions de soi antérieurement différenciées ou considérées comme opposées. On est « bon
à l'école » parce qu'on a des succès à la fois en français et en maths. On est « bête »
parce qu'on n'est pas bon en maths et en sciences. L'enfant peut construire une hié-
rarchie de caractéristiques, avec deux niveaux. Il peut se concevoir à la fois timide avec
les gens inconnus et « chahuteur » avec ses amis. Cela lui permet de s'évaluer à la fois
positivement et négativement. Cette pensée bidimensionnelle s'applique aussi aux émo-
tions (je peux être heureux de faire du sport et triste si l'équipe ne gagne pas). L'enfant
s'évalue de façon plus nuancée, il peut se décrire avec ses limites, en se rapprochant de
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 225
ce que les autres pourraient dire de lui objectivement. L'expérience et les comparaisons
sociales viennent renforcer cet acquis (j'ai eu 2 en maths et 15 en français, X... a eu
plus que moi). Pour que ces comparaisons conduisent à une évaluation de soi, il faut
que l'enfant puisse comparer ses performances avec celles d'un autre, simultanément.
Avec l'âge il pourra faire un classement par ordre de compétence de ses camarades.
Cette capacité de se comparer aux autres peut fragiliser le concept de soi. À cet âge, les
évaluations négatives de soi peuvent même s'installer comme un trait de personnalité
durable, au-delà des conduites particulières.
Les avancées de cette période concernent aussi les processus de miroir de soi que
renvoient les autres. Les enfants commencent de se concevoir comme des « person-
nes », avec l'émergence du concept d'estime de soi. L'enfant peut dire « le type de per-
sonne que les autres souhaiteraient qu'il soit ». Il peut alors incorporer ces attentes
comme guide de conduite. Il intègre les normes et les opinions des personnes signi-
fiantes pour lui, ce qui permet au «Je » d'évaluer le « Moi ».
À partir de 12 ans commence l'adolescence. Sur le plan cognitif le développement
de la pensée abstraite va considérablement enrichir les capacités de se représenter les
autres et soi-même. Quant aux autoportraits, à partir de cet âge ils font en premier lieu
référence aux interactions sociales et aux attentes sociales. Pour un complément sur
cette période, nous invitons le lecteur à se reporter au travail de Harter (2003).
V - Conclusion
LECTURES CONSEILLÉES
I - Données introductives :
rôle de l'autre, affect et cognition
Plus récemment, l'expérience de la double vidéo relatée par Nadel (2001) met le nour-
risson en face à face télévisé avec sa mère au cours duquel la communication est soit en
direct (les réponses maternelles sont alors en phase avec les comportements du bébé),
soit en différé (les réponses sociales de la mère ne sont plus adaptées aux comporte-
ments du bébé). Les résultats montrent que, dès 9 semaines, le bébé repère la commu-
nication différée avec sa mère et y réagit négativement, voire violemment (par des cris
ou des pleurs). Les travaux récents menés par le Centre d'étude de la famille à Lau-
sanne dans la situation du Lausanne Triadic Play ( «LTP ») (Frascarolo, 2005)
soutiennent l'hypothèse de l'activité sociale du bébé. Dès l'âge de 3 mois, le bébé diffé-
rencie les deux parents en alternant regard et sourire. Face au comportement inattendu
de l'un des deux parents, le bébé « consulte » l'autre parent, étonné d'une telle pertur-
bation. Enfin, lors d'une version modifiée du LTP dans laquelle il est demandé à la mère
de prendre un visage impassible, l'enfant exprime surprise, détournement et colère et se
tourne vers son père pour essayer de comprendre la situation.
Ces différents éléments démontrent, d'une part, le caractère indispensable des
émotions à la survie de l'enfant aux plans physiologique et psychologique, et soulignent,
d'autre part, que le jeune enfant se montre capable, très précocement, d'anticipations
sociales et de comprendre le caractère intentionnel des conduites humaines. Les avan-
cées dans le champ de la psychologie des émotions amènent des éléments fondamen-
taux pour mieux comprendre comment s'expriment les émotions et comment elles
s'organisent, comment l'enfant devient capable de se représenter les situations émotion-
nelles et comment il y réagit. Comme le soulignent Lehalle et Mellier (2002), les émo-
tions ont longtemps été considérées comme un phénomène parasite du fonctionnement
cognitif et comme des éléments trop subjectifs pour être évalués. Cependant, les déve-
loppements récents dans ce domaine accréditent les hypothèses princeps de Wallon
notamment celle de la capacité à lire les émotions d'autrui et d'y réagir. Lehalle et Mel-
lier (2002) relatent ainsi la capacité du bébé de 3 jours de discriminer et d'imiter des
expressions faciales telles que la joie, la surprise et la tristesse, la possibilité, dès l'âge de
3 mois, de répondre différemment à un visage souriant ou renfrogné ou encore la diffé-
renciation, dès 5 mois, des expressions émotionnelles négatives et positives.
b. Compétences précoces
Prouvées par de nombreuses recherches mises en œuvre dès les années 1970, nous
savons que le nourrisson dispose de capacités sensorielles étonnantes qui lui permettent
de développer des compétences à communiquer (Deleau, 1999). Certaines d'entre elles
concernent la modalité visuelle, en particulier celle de distinguer des visages humains :
dès l'âge de 1 mois, les bébés peuvent différencier le visage de leur mère de celui d'une
étrangère, et à 4 mois ils ont des réactions différentes au vu de diapositives représentant
leur mère ou une autre personne. D'autres recherches orientées vers les capacités audi-
tives du nourrisson indiquent que les nouveau-nés préfèrent la voix maternelle à celle
d'une autre femme, sont sensibles à la prosodie maternelle et révèlent que la voix
humaine suscite des sourires plus fréquemment que d'autres stimulations sonores chez
un nourrisson de quelques jours. Les premiers travaux réalisés dans les années 1970
démontrent la précocité des compétences olfactives du bébé. Montagner (1988) les a
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 229
c. Intersubjectivité et intentionnalité
À un âge où l'enfant n'a pas encore établi les limites de son corps, des objets, de
l'autre, il exprime, par le jeu des émotions, qu'il est bien un être d'action tourné vers
autrui. Entre 3 et 12 mois, au cours du stade émotionnel (Wallon, 1941), les premières
expressions intentionnelles du bébé se traduisent, en particulier, au travers du tonus
musculaire et des variations posturales que l'enfant adopte. Les émotions que le bébé
exprime vont agir sur autrui qui, en retour, lui répond. Il s'agit d'un système de signifi-
cations données par la mère (ou un autre adulte) pour que l'enfant se structure. Ainsi,
les processus émotionnels orientent des modalités de sociabilités élémentaires qui consti-
tuent des préludes à l'élaboration du sentiment de soi.
C'est au travers des émotions que s'institue, pour Wallon, le lien fondateur entre
l'organique et le social. Dans les premiers mois de la vie, le bébé dispose de ces moyens
d'expression qui, grâce aux réponses de l'entourage, vont se diversifier et se complexi-
fier. Les différentes fonctions que nous avons évoquées montrent bien que les émotions
expriment aux autres les états subjectifs et participent aux préludes de la relation réci-
proque de deux sujets. Elles ne sont pas seulement « dans le sujet », elles impliquent un
caractère de réciprocité de celui qui les reçoit, les analyse et les comprend. Elles consti-
tuent ainsi les premiers états intersubjectifs.
Trevarthen (1977) a décrit cette période d'intersubjectivité primaire pendant laquelle
les communications émotionnelles se mettent en place. Les émotions fondent cette
intersubjectivité primaire qui implique une activité mutuelle de type interaction dans le
premier semestre de vie. Vers 7-8 semaines, des interactions s'organisent soit en syn-
chronie, soit en alternance entre la mère et le bébé. L'adaptation du comportement
(verbal et non verbal) de la mère à celui de l'enfant et cette alternance en miroir consti-
tuent une des bases de l'intersubjectivité. C'est un ajustement mutuel des deux parte-
naires à leurs états subjectifs respectifs qui évolue en fonction de la maturation de
l'enfant et des moyens fonctionnels dont il dispose. L'accession à cette intersubjectivité,
c'est la possibilité pour l'enfant de se représenter la vie d'autrui et la sienne.
Émotions et compétences précoces ont donc un rôle essentiel et constructif dans le
développement de l'enfant et dans la genèse des interactions sociales.
230 I Psychologie du développement
1 / Hypothèses princeps
2/ Perspectives actuelles
ENCADRÉ 5.3
Typologies d'attachement
groupe A nommé « anxieux-évitant » : les enfants ne paraissent pas affectés par la séparation
et, lors des réunions, au lieu de vouloir être avec la mère, ils tendent à l'éviter ou même
l'ignorent complètement (22 %) ; le groupe C nommé « anxieux-résistant ou ambivalent » : au
retour de la mère, les enfants sont désireux d'être près d'elle bien que contrariés qu'elle soit
partie et lui en veulent d'être partie (12 %).
Un dernier groupe D appelé « désorganisé-désorienté » par Main (1998) a été proposé
pour les bébés dits « inclassables » : ce sont des enfants qui ont eu des comportements en
adéquation avec les catégories B ou C pour appeler leur mère lorsque celle-ci était absente ou
ont tenté d'ouvrir la porte, puis, dès les retrouvailles, sont devenus silencieux et ont évité ou
ignoré leur mère.
Les travaux de Main et al. (1985) ont eu pour objectif d'explorer les représenta-
tions d'attachement, et plus précisément, d'opérationnaliser la notion de « Modèles
internes opérants » (mio). Les mio sont « des représentations mentales, conscientes et
inconscientes, du monde extérieur et de soi à l'intérieur de ce monde, à partir desquel-
les l'individu perçoit les événements, entrevoit le futur et construit ses plans » (Bowlby,
1973). Dans une perspective transgénérationnelle, Main (1998) a créé un instrument
appelé « Adult Attachment Interview ou AAI » (cf. encadré 5.4) pour étudier la trans-
mission du psychisme de la mère à l'enfant. Quatre principales classifications à l'AAI ont
été identifiées et ont été corrélées avec les types correspondants de comportement des
enfants dans la situation étrange. Dans la même perspective, Pierrehumbert et al. (1996)
ont élaboré le Ca-Mir. d'utilisation plus simple que l'AAI. Il s'agit d'un autoquestion-
flaire en format Q 7 Sort que les adultes remplissent et dont le but est de décrire les stra-
tégies d'attachement et d'identifier les modèles de relations.
ENCADRÉ 5.4
« Il est demandé au sujet de décrire et d'évaluer les relations d'attachement pendant l'enfance,
la perte des figures d'attachement, la séparation et les effets de ces expériences sur son déve-
loppement et sur sa propre personnalité (George, Kaplan et Main, 1996). Il leur est demandé,
par exemple, de donner cinq adjectifs pour qualifier la relation avec chacun des parents,
durant l'enfance, puis de rapporter des souvenirs d'événements spécifiques sur lesquels ils se
seraient appuyés pour le choix des adjectifs » (Main, 1998, 20). Cet entretien dure environ une
heure. Cette procédure permet d'évaluer la capacité de l'individu à élaborer un discours coo-
pérant et cohérent à propos de ses relations dans l'enfance et de leur influence possible.
Afin d'investiguer les mio chez les enfants dès l'âge de 3-4 ans, Bretherton, Ridge-
way et Cassidy (1990) ont conçu le test « des histoires à compléter » dont les thèmes ont
pour visée de pouvoir évaluer le type de stratégie d'attachement, notamment la sécu-
rité/insécurité des modèles internes opérants concernant les figures d'attachement.
L'expérimentateur propose à l'enfant six amorces d'histoires en mettant en scène des
figurines représentant la famille. Les débuts d'histoires suggèrent à l'enfant la représen-
tation d'émotions liées à sa figure d'attachement maternelle ou paternelle lors de situa-
232 I Psychologie du développement
ENCADRÉ 5.5
Interaction de tutelle
(Wood, Bruner et Ross, 1976, in Bruner, 1983, 266-267)
L'étude comprend 30 enfants, distribués en trois groupes égaux d'âge de 3, 4 et 5 ans égale-
ment répartis en fonction du sexe. L'activité proposée était « excitante et provocante pour
l'enfant tout en s'avérant suffisamment complexe pour assurer au cours de la séance une pos-
sibilité de développement et de modification de sa conduite ». Wood a conçu une pyramide en
bois à six niveaux constituée de 21 blocs. En dehors de celui du sommet en forme de carré
plein avec une cavité circulaire, chaque niveau est composé de quatre blocs constitués de
deux paires qui s'enclenchent l'une à l'autre. Les interventions de la tutrice sont classées en
trois catégories : aide directe, suggestions verbales d'erreurs et effort verbal direct pour inciter
l'enfant à faire davantage de constructions.
Les principales conclusions émises sont les suivantes : « la différence d'âge se marque
non seulement par la réussite mais par l'émergence de séquences imbriquées plus complexes
d'opérations et par le développement de techniques intuitives plus précises pour ajuster les
blocs les uns aux autres » 1...] Cependant, « ils ont été exactement aussi experts que (les plus
âgés) pour reconnaître' un assemblage adéquat quand ils en rencontraient un ». En ce qui
concerne la relation de tutelle, « vis-à-vis de l'enfant de 3 ans, le tuteur a pour tâche initiale
d'enrôler l'enfant comme partenaire de tutelle » [...] auprès des enfants de 4 ans, la tutrice agit
« comme stimulatrice verbale et rectificatrice », pour les enfants de 5 ans, elle est qualifiée de
« validatrice ou vérificatrice des constructions » [...) « C'est en ce sens que nous pouvons
parler d'une fonction de soutien. »
Bruner (1983, 171) définit les formats « comme des échanges habituels qui fournis-
sent un cadre pour l'interprétation concrète de l'intention de communication ». Les for-
mats d'interaction prennent racine dans des échanges routiniers (situations sociales
telles que la famille ou l'école). Ces routines interactives ou scénarii interactifs sont des
« situations microsociales organisées selon des règles constitutives autonomes » (Delcau,
1990, 86) au sein desquelles se développe une coconstruction des significations parta-
gées. Quelques exemples sont fournis par des situations quotidiennes et routinières de
soins (repas, toilette...) ou de jeux tels que « donner-prendre » ou « coucou me voilà »
(cf. encadré 5.6). Ces routines nécessitent à la fois de la régularité — des rites — dans le
déroulement de l'interaction mais aussi des échanges contingents au cours desquels
chaque acte de l'un dépend de l'acte de l'autre. La structure ne se transforme pas
même si le contenu en est modifié.
ENCADRÉ 5.6
« Coucou le voilà » : « L'étude se fonde sur une investigation intensive couvrant une période
de dix mois et prenant pour sujets six jeunes enfants observés entre 7 et 17 mois » E...] « La
phase initiale correspond à un épisode de focalisation réciproque d'attention, épisode qui
semble constituer un invariant bien que la forme puisse varier » E...] « La seconde phase
coïncide avec la dissimulation du visage » [...I La phase cruciale du jeu est : « l'enlèvement
de l'objet dissimulant le visage et la réapparition de celui-ci » 1...] « La mise à découvert du
236 I Psychologie du développement
visage est suivie d'un autre rituel relativement constant : le rétablissement du contact »...
(op. cit., 240).
Au cours de l'interaction « coucou le voilà », dès l'instant où la réponse est apparue une
fois, « un ensemble d'attentes réciproques se construit rapidement chez l'enfant et la mère et
commence à modifier et conventionnaliser l'interaction. Au départ, c'est un ensemble lui-
même conventionnel et habituel de conduites ludiques de la mère qui conduit la convention-
nalisation [—] Cependant, ce qui marque par la suite, c'est précisément l'introduction systéma-
tique de variations contraintes par les règles fixes [...] Il semble que l'enfant ne soit pas simple-
ment en train d'apprendre les règles fondamentales mais qu'il apprenne en même temps la
marge de variations possible à l'intérieur du cadre fourni par l'ensemble de règles » (op. cit.,
248).
C'est à l'intérieur de ces formes – de ces formats d'interaction – que l'enfant, grâce
à l'étayage de l'adulte, pourra s'autonomiser vers des conduites de résolution. Plusieurs
auteurs tels que Wallon, Vygotski et Bruner mentionnent le langage de l'adulte, en parti-
culier maternel, comme un facteur primordial du développement de la pensée enfantine.
L'interaction entre partenaires est porteuse d'une dynamique de coconstruction.
Son étude révèle qu'à une nécessaire « régularité » doit correspondre une propor-
tion suffisante de « perturbations » pour être source de progrès et de développement.
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 237
Ainsi, une structuration souple est associée à une meilleure réussite aux épreuves cogni-
tives qu'une structuration rigide. Les différences se situent aussi bien au niveau dévelop-
pemental (les enfants qui bénéficient de cet environnement atteignent plus tôt les diffé-
rents stades du développement cognitif) qu'au niveau fonctionnel (ces enfants
réorganisent plus facilement leurs schèmes opératoires pour dépasser une perturbation).
Lautrey (1980) différencie aussi le milieu populaire porteur d'une structuration rigide
qui privilégie la soumission et le contrôle externe de l'enfant, du milieu favorisé qui
amène une structuration souple et valorise les qualités personnelles, l'initiative et
l'autonomie de l'enfant et alterne régularités et perturbations. Une autre élément
d'importance est relevé par l'auteur : si le milieu socioculturel est élevé alors le système
de valeurs prime sur le type de structuration et inversement si le milieu est populaire.
Les conclusions soulignent, d'une part, qu'il faut être attentif à l'attribution causale des
résultats obtenus, et d'autre part, qu'ils doivent aussi être interprétés en fonction du
contexte socio-économique dans lesquels ils se situent.
Ce que l'enfant élabore dans l'interaction avec autrui l'amène donc à développer
des compétences cognitives. En réciprocité, il va mettre à profit les compétences cogni-
tives acquises pour stimuler son partenaire ou introduire des variations dans
l'interaction, et expérimenter les schèmes d'interactions avec d'autres partenaires dans
de nouveaux milieux. Dans une approche socioconstructiviste, l'analyse du développe-
ment cognitif nécessite donc celle du rôle des interactions sociales et de la médiation
d'autrui.
La problématique des relations entre pairs s'appuie de façon schématique sur deux
conceptions différentes. La première présuppose que les relations entre pairs sont
subordonnées aux relations parents-enfants (notamment mère-enfant) et dépendent
d'elles pour une large part. Dans cette perspective, la famille étant le creuset des pre-
mières interactions sociales, les relations entre pairs sont envisagées comme un prolon-
gement des relations intrafamiliales ou tout au moins en lien très étroit avec elles.
Bowlby (1969) avait développé l'idée qu'attachement et conduite exploratoire
étaient deux systèmes comportementaux fonctionnellement différents mais en équilibre
dynamique : les comportements d'attachement assurent la proximité mère-enfant et
donc la protection, les comportements d'exploration assurent la connaissance de
l'environnement et l'adaptation à ses variations. Dans le but d'étudier le lien entre la
relation d'attachement et l'interaction sociale entre enfants, Vandell et al. (1988) ont
montré que dès 6 mois, les dyades considérées comme sécurisées semblent plus interac-
tives que celles désignées comme insécurisées, entre eux et avec un autre enfant non
familier. L'hypothèse généralement admise est qu'un attachement sécurisé est néces-
saire pour que les enfants soient libres d'explorer le monde environnant, base néces-
saire pour la conquête de leur autonomie future. La relation entre l'attachement et
238 I Psychologie du développement
Gouin-Decarie et Ricard (1982), dans une recherche portant sur des enfants
de 9-10 mois, analysent les comportements face à l'objet social (l'humain) et à l'objet
non humain (l'objet physique). Pour ces auteurs, l'enfant déploie les mêmes stratégies
cognitives pour acquérir l'identité de l'objet social et celle de l'objet physique, mais il
existe par contre des différences dans la façon de l'aborder, en particulier dans les
modes interactifs. Avec l'objet social, l'enfant reste à bonne distance, recherche peu les
contacts physiques et a recours à un type d'approche affectif basé sur des sourires et des
contacts visuels fréquents. Par contre, il se dirige vers l'objet sans hésitation et le mani-
pule de façon active. Il semble donc que l'enfant comprend quelque chose concernant
la nature du stimulus social et non social.
Dès l'instant où l'enfant opère une discrimination objet-personne, sa sociabilité
peut commencer à s'élaborer. À partir des échanges fortuits initiaux, des séquences
d'interaction sociale s'organisent et débouchent sur la réciprocité des rôles déterminant
le concept de contingence interpersonnelle. Les premiers contacts permettent la perception de
la contingence de l'autre que Flament (1983) interprète « comme des structures dialo-
guées élémentaires qui conduisent aux interactions sociales vraies quand la contingence
concerne un partenaire bien différencié des objets » (op. cit., 78).
Le processus d'intersubjectivité secondaire qui intervient plus tard, entre 9 et
18 mois, implique désormais un triangle dont les trois sommets sont identifiés par le
sujet, l'alter et l'objet. L'intersubjectivité secondaire implique une activité conjointe,
c'est-à-dire que les conduites des partenaires incluent, à présent, l'objet commun auquel
ils font référence. C'est un véritable partage d'attention : soi et l'autre sont attentifs au
même objet ou au même événement par le regard ou le pointé du doigt par exemple.
Par la coorientation visuelle et la référence sociale, l'accent est mis sur le thème de la
coréférence, c'est-à-dire sur l'objet (Deleau, 1999).
c. Découverte du partenaire
rale, la littérature distingue les comportements affiliatifs et agonistiques. Quel que soit
leur âge, les enfants présentent davantage de comportements de type affiliatifs que
d'attitudes conflictuelles. Ces compétences sociales précoces permettent à l'enfant
d'entretenir de façon active une relation avec l'environnement dans lequel les pairs ont
une place essentielle.
La découverte du partenaire implique aussi que les échanges entre pairs peuvent
présenter des tonalités particulières. Le plaisir et la sympathie émotionnelle se retrou-
vent dans la plupart des activités communes entre enfants. Plusieurs études démontrent
que les enfants comprennent les sentiments et les intentions de leur compagnon. De ce
fait, ils s'engagent dans de nombreuses interactions réciproques, basées sur le contact
physique, les vocalisations, les sourires et les jeux d'alternance. Rayna (1985) confirme à
l'aide d'un document monographique concernant deux bébés de 5 mois, l'existence
d'un intérêt social primaire dont l'objet est le pair qui témoigne de la ténacité et du plaisir
dont ces enfants font preuve pour maintenir des échanges intenses et prolongés. Espi-
noza (1993) s'est intéressée plus précisément à la qualité des échanges entre enfants (13
à 19 mois) selon leur degré de familiarité, voire d'amitié. Elle observe que les conduites
affiliatives et altruistes, les affects positifs, la qualité du jeu social augmentent lorsque les
deux partenaires sont amis et les conflits semblent aussi moins fréquents et moins vio-
lents. Ces comportements témoignent de la maîtrise des compétences sociales précoces
dans le sens où les enfants ne forment pas des couples de partenaires au hasard ; ainsi
les partenaires enfantins ne sont ni interchangeables ni équivalents.
Cette tonalité amicale entre enfants soulignée par plusieurs chercheurs n'est pas
anecdotique, elle revêt aussi une importance toute particulière dans les interactions
sociocognitives comme nous le verrons plus loin.
d. Conduites imitatives
L'étude des relations entre pairs a permis de mettre en évidence l'intérêt et les
fonctions des imitations réciproques entre enfants (cf. Winnykamen, 1990). Les condui-
tes imitatives permettent d'apprendre, de réaliser et de maîtriser de nouveaux savoirs.
Chez les enfants entre 2 et 4 ans, elles permettent d'expérimenter des modes de com-
munication, d'appeler l'autre pour entrer en relation avec lui. L'étude de Nadel (1986)
illustre, de façon exemplaire, la fonction essentielle de l'imitation comme instrument de
communication. Quand on place des enfants de 2 à 3 ans, dans une situation qui pré-
voit des objets en nombre identique à celui des enfants, l'imitation permet la prise de
contact social et permet d'établir un dialogue particulier : celui « d'imiter » et « d'être
imité ». L'imitation, initiatrice de relations sociales entre pairs, va permettre à l'enfant
d'apprendre de nouvelles conduites sociales. Elle est à la fois la source et le cadre de
développement des relations sociales. Nadel (1986) insiste sur le rôle essentiel de
l'imitation comme interpellation du partenaire et pas seulement comme objet
d'interaction. Pour cet auteur, l'imitation synchrone et directe entre enfants de 24 à
36 mois est aussi une base de communication. L'imitation peut servir à provoquer une
interaction parce que « l'imitation attire l'attention du modèle sur l'imitateur » (op. cit.,
229). Pour Winnykamen (1990), l'enfant servant de modèle initie des conduites sociales
240 I Psychologie du développement
après avoir été lui-même cible de l'imitation. Ce qui atteste bien que les imitations ini-
tient des interactions.
Ce mode d'échanges va diminuer au fur et à mesure que se développent les com-
pétences langagières de l'enfant. Ainsi, entre 3 et 6 ans, les jeunes enfants vont
s'engager dans des « jeux de rôle » au cours desquels ils mettent en scène des rôles
familiaux ( « papa, maman » ), des rôles professionnels ( « le docteur », « la mar-
chande ») ou encore des rôles sexués. Ces savoir-faire se modifient avec l'âge notam-
ment par les capacités de « faire semblant » (qui existe cependant dès la seconde année)
et par l'acquisition et la maîtrise du langage. Ces nouveaux jeux impliquent, d'une part,
la connaissance de ces rôles sociaux mais aussi la capacité de l'enfant à se déplacer vers
une position autre que la sienne. « Dans sa fonction instrumentale, l'imitation permet
ou facilite l'acquisition de savoir-faire nécessaires à la vie relationnelle ; dans sa fonction
de relation, elle crée et maintient les situations interpersonnelles indispensables à certai-
nes acquisitions » (op. cit., 326).
Parmi les facteurs qui déterminent les échanges entre enfants, de nombreuses
recherches rendent compte de la place des jouets dans les interactions horizontales. Il
semble difficile de dire si le jouet inhibe ou favorise l'échange social. Nadel et Baudon-
nière (1985) émettent l'hypothèse qu'il y aurait peut-être compétition entre l'intérêt
pour l'objet et celui pour le pair et que « la situation sans objet plus difficile à maintenir
peut produire artificiellement une augmentation de la fréquence des interactions entre
pairs ou les comportements sociaux » (op. cit., 148). D'autres auteurs proposent que
l'interaction entre pairs et l'interaction avec les objets représentent les deux pôles d'un
système unitaire qui permettrait à l'enfant de consolider et d'acquérir différentes sortes
de connaissances (Verba et Musatti, 1989). Les interactions avec objets facilitent d'une
certaine manière les interactions entre pairs ou les incitent à naître, à évoluer, à se
transformer. Mentionnons, à cet égard, la recherche récente de Fontaine (2005) dont
l'objectif est d'examiner les échanges entre pairs âgés de 19 à 38 mois à la crèche en
fonction des matériels de jeux proposés. Les résultats indiquent que l'utilisation des
jouets moteurs (ballons, engins roulants...) initient davantage d'interactions entre
enfants que les jeux de manipulation (puzzles, jeux d'encastrement...) avec notamment
plus d'interactions positives et amicales, en particulier chez les plus grands de 30 à
38 mois.
Ce faisant, Nadel et Baudonnière (1985) soulignent que l'objet fournit un moyen
avantageux pour opérationnaliser les compétences à interagir et à communiquer. Les
activités exploratoires d'objets permettent l'organisation d'échanges sociaux qui plon-
gent leurs racines dans des processus d'interactions imitatives et organisatrices.
Durant la période du « transitivisme » (18-24 mois à 36 mois) décrite par Wallon,
les conduites imitatives, sources et cadres des relations interpersonnelles, permettent à
l'enfant non seulement de communiquer mais induisent aussi une découverte de soi et
d'autrui, l'incitent à percevoir et concevoir l'existence de rapports réciproques bipolai-
res (le pôle de l'enfant et celui de l'autre), suscitent sa curiosité pour lui-même / objet
de l'action et pour autrui / qui accomplit l'action, et lui permettent enfin de construire
et consolider des savoirs et des savoir-faire sociaux.
Les conduites imitatives déterminent ainsi une organisation spécifique, une matrice
d'élaboration, dans laquelle l'enfant pourra être sujet parmi les autres reconnus eux-
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 241
mêmes comme sujets, et se différencier d'autrui par sa relation à autrui. L'imitation des
caractéristiques et des traits de l'autre est une façon de « faire comme » l'autre afin de
mieux se séparer de lui, pour s'affirmer soi-même. L'enfant se confirme en se différen-
ciant de l'autre. Cette conception wallonienne situe la différenciation moi/autrui consti-
tutive du processus de personnalisation comme une des fonctions essentielles des
conduites imitatives.
e. Interactions sociocognitives
Le « guidage par l'adulte » analysé par Vygotski et repris plus tard par Bruner est
un concept majeur du développement cognitif. Nous l'avons évoqué précédemment.
Les travaux réalisés sur les interactions de tutelle entre pairs montrent aussi l'intérêt
d'examiner la façon dont les enfants collaborent entre eux et participent de façon spéci-
fique à leur structuration cognitive. Pour Winnykamen (1990, 125), les interactions de
guidage-tutelle « sont des formes d'organisation des échanges dissymétriques, en situa-
tion de construction, d'acquisition et de transmission de connaissances sous certaines
conditions : les interventions d'un sujet (l'expert ou tuteur) permettent à l'autre (le
novice ou le tutoré) de progresser dans la résolution du problème ». L'enfant tuteur est
non seulement un expert mais aussi celui qui aide l'enfant novice à résoudre une tâche, à
atteindre un savoir-faire ou un savoir. Asymétrie (dissymétrie) des compétences, engage-
ment/enrôlement des partenaires et convergence des buts constituent les trois caracté-
ristiques fondamentales des interactions de tutelle. Être enfant-tuteur signifie être
capable de penser ses propres savoir, savoir-faire et points de vue afin de les trans-
mettre au novice par différentes aides et interventions. Le novice est l'enfant qui,
a priori, est moins compétent que l'autre lors d'une situation de résolution de problème.
Au cours de l'interaction de tutelle, sont analysés les effets de l'asymétrie de compé-
tences, de connaissance et de savoir-faire.
Dans la recherche réalisée par Verba et Winnykamen (1992), la population est
composée de 36 enfants âgés de 6,5 ans. La moitié est considérée comme « très compé-
tente » (ce sont les « bons élèves »), l'autre « peu compétente » (ce sont les « mauvais
élèves »). 18 dyades sont constituées d'un enfant de chaque groupe de même sexe. La
tâche consiste à réaliser la construction d'un pont et d'une voiture avec 20 pièces en
bois de taille différente. Dans la moitié de ces dyades, l'enfant compétent est rendu
expert vis-à-vis de la tâche, le peu compétent étant novice, dans l'autre moitié
l'appariement est inversé. Les auteurs estiment que dans le premier cas, il s'agit de
dyade à asymétrie renforcée, dans le second de dyade à asymétrie contrebalancée. Au cours de
la phase d'entraînement, l'adulte explique à l'enfant comment résoudre cette tâche
complexe tout seul. La phase interactive correspond à la résolution de la tâche par la
dyade expert-novice. Trois catégories de modes interactifs sont décrits : l'imitation, la
coopération et la tutelle. Les résultats indiquent une coopération plus importante dans
les dyades à asymétrie contrebalancée et une tutelle (guidage tutoring) plus fréquente dans
-
les dyades à asymétrie renforcée. Les séquences de construction interactive sont aussi
242 I Psychologie du développement
plus fréquentes dans le premier cas. Ainsi, les modes d'organisation interactifs sont liés
au degré d'asymétrie des dyades mais aussi au statut du partenaire, ce qui illustre « la
flexibilité du système interactif dans les contextes d'acquisition » (op. cit., 69).
2/Conflit sociocognitif
d'exposer leur point de vue, et enfin si une réponse commune et coordonnée émerge.
Sous ces conditions, l'interaction sociale entre pairs via le déséquilibre de nature sociale
influence les élaborations cognitives de chacun, par « intériorisation des instruments
cognitifs collectivement élaborés » (Carugati et Mugny, 1991, in Sorsana, 1999, 37).
Pour Perret-Clermont (1996), les résultats qu'elle a obtenus plaident en faveur
d'un développement des structures cognitives lors d'une interaction sociale et contredi-
sent la thèse de l'imitation des conduites d'un autrui comme seule source des progrès
cognitifs dans un contexte de résolution de tâche dans la mesure où, d'une part, les
enfants devenus conservants en post-tests fournissent des explications différentes de
celles émises par leurs compagnons lors de l'interaction, et d'autre part, les enfants
progressent entre les deux post-tests (cf. encadré 5.7).
ENCADRÉ 5.7
Perret-Clermont (1996)
Perspective procédurale. — Dans la théorie du conflit sociocognitif, l'accent est mis sur
la dynamique des interactants qui suppose un engagement actif dans cette confrontation
cognitive, « tributaire de la volonté des sujets à dépasser les oppositions sur un mode
sociocognitif, c'est-à-dire en acceptant de coopérer activement à la recherche d'une
solution commune » (Sorsana, 1999, 36). La théorie du conflit sociocognitif renvoie
aussi au mécanisme explicatif générateur du progrès, c'est-à-dire au passage du conflit
social interindividuel au progrès cognitif intra-individuel.
Cependant, si cette théorie amène bien à concevoir la nature sociale de
l'interaction comme potentiellement porteuse de progrès cognitifs, elle n'explicite pas
vraiment le contenu de l'interaction et examine davantage les résultats obtenus que la
façon dont les procédures de résolution sont mises en oeuvre.
La perspective procédurale proposée notamment par Gilly (et l'équipe de cher-
cheurs à Aix-en-Provence) essaye de dépasser les limites invoquées et amène plusieurs
éléments importants à prendre en considération (Gilly, 1993) : elle s'intéresse à la cons-
truction des compétences et donc aux procédures mises en oeuvre par les enfants, elle met
l'accent sur la déstabilisation au cours de l'interaction qui provoque des changements de
procédure et de représentations au moment même de la résolution de problème plus
que sur les résultats obtenus, et sur le contrôle des interventions qui s'expriment de dif-
férentes façons par les enfants. Par ailleurs, ce sont les fonctionnements cognitifs initiaux
qui sont pris en compte et non les niveaux initiaux. Elle défend ainsi l'idée de systèmes,
c'est-à-dire les rapports qui existent entre mode de représentation de la tâche à
résoudre, fonctionnement cognitif intra-individuel et fonctionnement sociocognitif
(Gilly, 1995).
ENCADRÉ 5.8
Cette illustration a pour objectif de montrer comment une corésolution peut favoriser la cons-
truction d'une représentation adéquate de la tâche.
« Des enfants de 12-13 ans ont devant eux huit cubes identiques et une pseudo-balance
faite de deux soucoupes. Il leur est dit que les huit cubes ont le même poids (ce qui est vrai)
mais que l'on va faire comme si l'un d'entre eux était plus léger que l'autre. La tâche
consiste à trouver une manière de faire, en faisant comme si on avait une vraie balance,
pour être sûr de trouver le cube le plus léger. Le problème a bien sûr plusieurs solutions
possibles (dont une très économique en pesées) mais une première difficulté rencontrée par
les enfants a été de considérer qu'il n'y avait effectivement pas de cube plus léger et qu'il fal-
lait trouver un procédé, par des pesées successives, permettant de tester toutes les hypothè-
ses possibles. » L'analyse du début de la première séquence interactive entre deux sujets
montre « que ce soit en dyade ou individuellement, les sujets ont été nombreux à aborder le
problème comme s'il existait vraiment un poids plus léger que les autres. Alors que
cette représentation erronée a persisté, parfois très longtemps, chez les sujets travaillant
seuls, elle a par contre été abandonnée très rapidement chez les sujets travaillant à deux »
(op. cit., 88).
Gilly (1995, 150), à partir de cet exemple, souligne que « les effets bénéfiques de diffé-
rents types de dynamiques interactives observées sont liées à deux grandes fonctions des
interventions réciproques des partenaires : la déstabilisation et le contrôle » et que « les
échanges peuvent contribuer à améliorer la représentation de la tâche ».
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 245
V - Conclusion
Tout au long de son développement, l'enfant doit s'inscrire dans le monde social
et culturel dans lequel il baigne, agit et reçoit, il doit aussi s'adapter et interagir avec
lui. Nous avons ainsi souligné le rôle des émotions et les compétences précoces de
l'enfant qui introduisent les premières relations intersubjectives et expressions intention-
nelles, elles-mêmes en lien avec les grandes fonctions sociales et mentales. Nous avons
aussi mentionné l'étayage affectif parental à partir duquel l'enfant pourra se construire
et se développer. Même si l'on peut considérer que la famille joue un rôle essentiel dans
les conduites sociales ultérieures (Zaouche-Gaudron, 2002), on ne peut sous-estimer
l'importance des relations qui se nouent entre pairs, notamment dans notre pays qui
porte une marque particulière quant aux institutions — structures d'accueil de la petite
enfance et institutions scolaires — que le jeune enfant rencontre dès son plus jeune âge.
Ces différents groupes sociaux peuvent être aussi considérés comme agents, sources et
cadres de socialisation au sein desquels les pairs nouent des liens singuliers aux plans de
leur nature, structure et fonction. Nous avons donc précisé la place à accorder aux
pairs et le rôle constructif des interactions entre enfants sur le registre de l'affectivité,
dans le développement des compétences sociales et dans le développement cognitif.
Nous avons enfin montré comment et pourquoi les interactions sociales sont essentielles
sur le registre des acquisitions d'outils cognitifs nouveaux.
L'approche multidimensionnelle des interactions sociales s'avère nécessaire pour
mieux comprendre comment l'enfant se développe en relation étroite avec l'autre, et
246 I Psychologie du développement
comment cet autre, en tant que médiateur social, participe à l'activité enfantine. Le
social n'est pas ce qui vient au sujet mais ce dans et par quoi il se constitue tant sur le
plan des relations affectives que sur le registre du développement cognitif. L'autre
— adulte et enfant — a ainsi une fonction d'organisateur affectif et cognitif du psychisme
de l'enfant. Est mise ainsi en perspective la valeur fondatrice de l'affectivité et de
l'activité cognitive de l'enfant.
LECTURES RECOMMANDÉES
Bruner, J. S. (1983). Le développement de l'enfant, savoir faire, savoir dire. Paris : PUF.
Deleau, M. (1999) (Ed.). Psychologie du développement. Rosny : Bréal, coll. « Grand amphi ».
Doise, W., & Mugny, G. (1997). Psychologie sociale et développement cognitif. Paris : Armand Colin.
Gilly, M. (1993). Psychologie sociale des constructions cognitives : perspectives européennes.
Bulletin de psychologie, t. XLVI, 412, 671-683.
Perret-Clermont, A. N. (1996). La construction de l'intelligence dans l'interaction sociale. Berne
P. Lang (1" éd., 1979).
Sorsana, C. (1999). Psychologie des interactions cognitives. Paris : Armand Colin, coll. « Synthèse ».
Vygotski, L. S. (1985/1934). Pensée et langage. Paris : Éditions Sociales.
Wallon, H. (1946). Le rôle de « l'autre » dans la conscience du « moi ». Enfance, numéro spé-
cial, 1985, 279-286.
Winnykamen, F. (1991). Apprendre en imitant ? Paris : PUF.
Zaouche-Gaudron, C. (2002). Le développement social de l'enfant (du bébé à l'âge scolaire). Paris :
Dunod, Topos.
6 développement de la communication
et du langage
Introduction
I - Le langage
moitié du xxe siècle. Cependant, on cite souvent une anecdote rapportée par l'historien
grec Hérodote (vers 500 av. J.-C.) qui serait la plus ancienne « étude » concernant
l'acquisition du langage. Le pharaon Psammétique aurait fait élever deux enfants sans
contact avec le monde humain (parmi les chèvres d'un berger dont on avait coupé la
langue) pour déterminer les premiers mots prononcés par les enfants dans cette situa-
tion. La question était alors politique : déterminer la langue la plus ancienne. La cons-
tatation par le pharaon lui-même de la prononciation par les enfants du mot « bécos »,
qui signifie « pain » en phrygien lui fit admettre l'antériorité de la langue phrygienne
sur la langue égyptienne. On peut aussi remarquer la proximité phonologique entre
« bécos » et le cri des chèvres. Ce questionnement autour de l'origine du langage s'est
poursuivi à travers les siècles, on en trouve des traces avec des grands monarques en
Allemagne au xne siècle (Frederick II), en Angleterre au xV- siècle (James IV) et en
Inde au xvle siècle (Akbar le Grand) (Crystal, 1997).
Aux xvine et xlxe siècles, apparaissent les précurseurs des études scientifiques.
Parmi ces travaux on peut noter ceux de Tiedemann (1787) et de Darwin (1877)
qui ont observé leurs propres enfants. L'intérêt pour le langage a aussi été marqué
par la découverte d'un jeune enfant « sauvage », supposé être resté sans contact
humain jusqu'au début de l'adolescence : Victor de l'Aveyron, étudié par Itard (1801).
Dans le domaine de l'anatomie cérébrale, la mise en évidence par Broca en 1861 de
zones spécifiques du cerveau liées au langage articulé a constitué une avancée
cruciale.
La psychologie scientifique née dans les années 1870-1880 marque le début des
recherches réalisées sur une base expérimentale : elle exclut de son champ
d'investigation les problèmes philosophiques et métaphysiques. Le domaine du langage
suit cette orientation. On peut, en particulier, citer Taine (1870) pour son livre De
l'intelligence et un article en 1876 consacré à « l'acquisition du langage chez les enfants et
les peuples primitifs ». Notons aussi Egger avec Le développement de l'intelligence et du langage
chez l'enfant paru en 1879, et de La Calle pour son essai sur « la glossologie, essai sur la
science expérimentale du langage » en 1881 : il réalise une observation assez précise de
la variété et de la valeur sémantique des premiers phonèmes prononcés par l'enfant au
cours des premiers mois. Dans la seconde édition (1882) de son livre La psychologie de
l'enfant, Bernard Perez présente un chapitre intitulé « L'expression et le langage chez
l'enfant » dans lequel il décrit l'évolution du langage en l'intégrant souvent dans un
contexte de vie quotidienne.
Un tournant capital dans les études sur le développement de l'enfant (incluant le
domaine du langage) a été accompli par le psychologue Alfred Binet au début du
xxe siècle avec L'étude expérimentale de l'intelligence en 1903, et L'échelle métrique de l'intelligence
en collaboration avec Théodore Simon (1905 et 1908). En France, pour l'école de la
République, l'apprentissage du langage oral et surtout écrit avait une importance fon-
damentale. Binet proposa une méthode connue aujourd'hui sous le terme de « tests
mentaux » : on mesure le niveau intellectuel en utilisant une batterie d'épreuves dont
on a défini l'âge de réussite par des enfants tout-venant. Le trait de génie de Binet fut
d'utiliser ces épreuves pour déterminer un âge mental rapporté à un âge chronolo-
gique. Ces travaux ont abouti à la définition du Quotient intellectuel (QI = âge men-
tal / âge chronologique) qui permet de définir un niveau global de développement voir
Développement de la communication et du langage I 249
sur ce point le chapitre 7). Parmi les épreuves proposées certaines sont verbales et per-
mettent d'estimer le niveau de langage de l'enfant.
Pendant la même période, la linguistique naissante a permis le développement
d'observations de jeunes enfants consistant en prises de notes journalières et régulières
des productions langagières. On peut citer les travaux de Grégoire (1937, 1947) pour le
français, Pavlovitch (1920) pour le français et le serbe, Gvozdev (1949) pour le russe et
Léopold (1939, 1947, 1949) pour l'anglais. Ces études ont fourni les premières informa-
tions précieuses permettant de déterminer les étapes de l'acquisition du langage.
Au milieu du xx' siècle, le rapprochement de trois disciplines différentes (la psy-
chologie de l'apprentissage de tradition behavioriste, la linguistique structurale et la
théorie de l'information) permet l'émergence d'un nouveau domaine : la psycholinguis-
tique. Cette nouvelle approche pluridisciplinaire, née d'une critique très sévère de la
perspective behavioriste concernant l'acquisition du langage par le linguiste Noam
Chomsky (1957), va devenir dominante à partir des années 1960 et consacrer l'étude de
la structure du langage chez l'enfant dans une perspective innéiste.
Les études sur le développement de l'enfant réalisées par Piaget (à partir de 1923)
et son équipe à Genève vont offrir une nouvelle vision de la psychologie de l'enfant et
une théorisation des relations entre développement cognitif et développement langagier.
Dans la perspective piagétienne le développement du langage est subordonné à celui de
la pensée et l'activité de l'enfant lui-même est essentielle dans le processus d'ontogenèse.
Un grand débat sur le problème de l'inné et de l'acquis dans le langage sera organisé
entre Piaget et Chomsky lors d'un colloque à l'abbaye de Royaumont en 1975 (Piatelli-
Palmarini, 1979). Les retombées de ce débat sur les recherches ultérieures ont été de
façon directe ou indirecte très importantes.
Il - La communication
1. D'un point de vue étymologique « infans » désigne d'abord celui qui ne parle pas (in, privatif et fan;
parler).
254 I Psychologie du développement
logique. Lorsque ce rythme se stabilise, on considère que le bébé est habitué au son
produit, on change alors de syllabe en présentant un nouveau son (par exemple « ga »)
et on note la variation du rythme de succion après la présentation de ce nouveau sti-
mulus. Si l'enfant réagit par une succion plus rapide, on considère alors qu'il est
capable de distinguer le nouveau son du précédent. Les expériences ont été réalisées
avec des groupes de phonèmes différents de façon à comprendre quelles oppositions de
phonèmes l'enfant est capable de distinguer. Avec le même principe de base, il existe
des variantes de cette méthode qui utilisent d'autres indices physiologiques comme la
durée de fixation visuelle (des caméras enregistrent la direction du regard de l'enfant)
(cf. Kail et Bassano (2000) ; et Laval (2002) pour une présentation des paradigmes de
rotation de la tête, de préférence visuelle et de réaction à la nouveauté ; cf. Houdé et
Meljac (2000) pour le paradigme de transgression des attentes).
Chez les très jeunes enfants (8 mois - 3 ans), le développement précoce de la pro-
duction fait aussi l'objet d'une méthode indirecte spécifique : un questionnaire adressé
aux parents à propos du langage de leur enfant. Cet instrument mis au point par des
chercheurs américains est connu sous le nom de « Mac Arthur Communicative Deve-
lopment Inventories » ou CDI (Fenson, Dale, Reznick, Thal, Bates, Hartung, Pethick et
Reilly, 1993). Il est composé de deux questionnaires standardisés. Le premier évalue les
premières étapes du développement du langage : compréhension, habiletés gestuelles
communicatives pour les enfants entre 8 et 16 mois. Le second questionnaire évalue la
production des mots et l'émergence de la grammaire pour les enfants de 16 à 30 mois.
Le CDI est actuellement adapté dans 35 langues dont le français (Kern, 1998, 2003). Au
total, il a été étalonné sur plusieurs dizaines de milliers d'enfants, ce qui confère à cet
instrument une très bonne validité.
À partir de l'âge de 12 mois : les premières productions linguistiques sont aussi
étudiées de façon directe.
De façon pionnière, pour mesurer le développement syntaxique, Brown (1973) a
introduit une mesure connue sous le nom de longueur moyenne des énoncés (Mean
Length Utterance) ou MLU. Cette mesure est basée sur le nombre de morphèmes (plus
petite unité grammaticale porteuse de signification) composant la production des
enfants à un âge donné, et donne une indication de la compétence syntaxique de
l'enfant. Cette mesure varie avec le développement, du stade I où la MLU est comprise
entre 1 et 2, jusqu'au stade V ou la MLU varie de 3,5 à 4. Au-delà, cette mesure cesse
de constituer un indicateur satisfaisant de la compétence syntaxique. L'âge d'atteinte du
stade V est variable d'un enfant à l'autre (entre 2 et 4 ans).
Pour étudier les productions naturelles chez les enfants un autre chercheur améri-
cain Mac Whinney (1991, 2003) a mis au point un système informatisé destiné à gérer
la transcription, le codage et l'analyse des données, connu sous le nom de CHILDES
(Child Language Data Exchange System). Ce système est composé de trois modules qui
fournissent : 1 / les instructions pour gérer la transcription des données ; 2 / les instruc-
tions pour faire l'analyse automatique des transcriptions ; 3 / des données en différentes
langues. L'accès aux corpora (ensembles de productions linguistiques) est libre : la base
de données fonctionne sur le principe du partage de données entre chercheurs. La base
qui s'accroît progressivement est alimentée par les chercheurs qui acceptent d'y déposer
les corpora qu'ils ont recueillis. Ce principe permet de disposer d'un ensemble impor-
Développement de la communication et du langage I 255
Avec des enfants plus âgés (après 3 ans), d'autres paradigmes sont utilisés : deux
illustrations sont présentées ci-dessous.
Développement de la communication et du langage I 257
L'imitation — Le paradigme mis au point par Nadel (1986) est destiné à montrer
que, pendant la troisième année, le contact social avec un pair peut s'organiser et se
structurer selon un mode de communication basé sur l'imitation immédiate. Seize
enfants sont placés dans un espace expérimental comprenant dix jouets en deux
exemplaires (parapluies, chapeaux, lunettes, etc.). Le lendemain, l'espace expéri-
mental comprend vingt jouets en un seul exemplaire. Les séances sont filmées. Le
relevé individuel des données indique la durée du port et le moment de l'abandon de
chaque objet, l'orientation des comportements, le type d'activité engagée avec le par-
tenaire, les émissions vocales et verbales et les émissions émotionnelles. L'imitation
immédiate est mesurée par la fréquence et la durée des ports simultanés d'objets
identiques.
La communication référentielle : le principe de ces expériences (Beaudichon, 1982,
1999) consiste à faire communiquer verbalement des couples d'enfants afin de réaliser
un objet complexe (puzzle en bois en trois dimensions). Un des membres du couple est
préalablement entraîné à construire cet objet qui se compose de plusieurs parties qu'il
faut imbriquer les unes dans les autres. Lorsque l'apprentissage est terminé, il doit
transmettre son savoir au deuxième membre de la paire. Les deux enfants sont séparés
par un écran. Le premier doit donc communiquer verbalement avec le second pour
qu'il puisse réaliser la construction. Chaque point critique de la construction est défini
verbalement. On peut donc déterminer la quantité d'information requise pour cons-
truire entièrement l'objet. On peut définir la précision des termes, l'adaptation du dis-
cours à l'interlocuteur qui doit construire l'objet.
Le langage et la communication chez l'enfant sont étudiés avec des méthodes très
variées qui impliquent, en laboratoire comme sur le terrain, une part d'aspects techno-
logiques de plus en plus importante pour le recueil, la transcription, le codage des don-
nées. Le choix des méthodes, dont aucune n'est meilleure que l'autre intrinsèquement,
est guidé par les questions scientifiques.
Avant la naissance, les systèmes sensoriels et le cerveau du foetus sont déjà sensi-
bles au monde extérieur. Après la naissance, au cours des premiers mois, le bébé déve-
loppe rapidement des capacités qui permettent une interaction avec l'environnement
social (dans la plupart des cas, en premier lieu avec la mère'). Ainsi, on a pu montré en
utilisant la méthode de succion non nutritive, que les nouveau-nés sont plus réceptifs à
la voix de leur mère qu'aux autres voix étrangères. Ils sont également plus réceptifs aux
sons de leur langue qu'aux sons d'une autre langue (Mehler, Lambertz, Jusczyck, et
Amiel-Tison, 1986 ; Nazzi, Bertoncini, et Mehler, 1998).
Dès les premiers instants de la vie, s'instaure une communication entre la mère et
l'enfant ; cette communication passe par le canal vocal mais aussi par le regard et le
toucher. L'enfant même s'il est, biologiquement, totalement dépendant de l'adulte joue
un rôle actif dans la construction du circuit de communication. Ce sont les cris, les
pleurs ou les gestes du bébé qui alertent la mère à propos des besoins de l'enfant et
l'amènent à y répondre de façon de plus en plus appropriée.
La mère interagit avec son bébé Gosse et Robin, 1981) avec des gestes et des voca-
lisations comme s'il s'agissait d'une véritable conversation. La mère utilise « le parler
bébé » dans lequel les traits prosodiques (relatifs à la prononciation et à l'accentuation
des mots) de la parole sont accentués avec des variations plus marquées que dans le
langage normal. C'est l'intonation de la voix plus que les mots eux-mêmes qui tentent
de faire passer un message. C'est la première manifestation du Langage adressé à
l'enfant (LAE) dont le rôle quant à la facilitation de l'acquisition du langage par l'enfant
est discuté (Veneziano, 2000). La mère communique aussi avec le regard en fixant le
bébé dans les yeux ou en dirigeant son regard dans la même direction que celui de
l'enfant. Le bébé utilise aussi le regard ainsi que les gestes avec les mains et notamment
le geste de pointage vers un objet extérieur et cela dès 2 mois ; ce geste ne devient
intentionnel qu'à partir de 1 an. Il s'instaure un code commun entre la mère et l'enfant
où la communication est réalisée à travers un système de gestes et de vocalisations
(nommées aussi gazouillis, babil, vocalises ou lallations). Ce code prélinguistique qui
permet les premiers échanges partage certaines caractéristiques fonctionnelles (attirer
l'attention, exprimer une émotion, faire faire à l'autre, etc.) avec le code linguistique
utilisé ultérieurement (Marcos, 1998).
C'est vers 6 mois que les enfants deviennent plus attentifs aux objets du monde
extérieur, et vers 9-12 mois que l'enfant commence à utiliser le geste de pointer pour
attirer l'attention de l'adulte sur un objet. Ce geste peut être accompagné d'un regard
en direction de l'adulte. À cet âge, les enfants montrent un intérêt visuel et une volonté
de manipulation pour les objets. Cet intérêt se double bien souvent par des vocalisa-
tions. Les mères qui encouragent la manipulation des objets et les nomment avec une
attention particulière facilitent l'acquisition linguistique ultérieure. Cette attitude est
1. La littérature anglo-saxonne utilise le terme général de caregieer (« celui qui donne les soins » ).
Développement de la communication et du langage I 259
encore plus efficace si l'enfant lui-même est à l'origine de l'intérêt initial pour l'objet.
On appelle « attention conjointe » (Bruner, 1983) le fait que la mère et l'enfant focali-
sent leur attention sur le même objet, le même aspect du monde extérieur. On consi-
dère qu'elle joue un rôle fondamental dans le développement de la communication pré-
linguistique et linguistique.
À partir des propositions de Vygotski, Bruner (1983) a montré comment la commu-
nication se développe dans des situations structurées entre la mère et le jeune enfant. Il a
développé le concept de format d'interaction défini comme la structure de base d'un
échange social prototypique. Il s'agit souvent de jeux (de type routines) avec l'enfant (le
jeu de « coucou », « jouer au cheval » sur les genoux, « dire au revoir », etc.) au cours
desquels l'enfant interagit avec des gestes, des regards, des sourires, des mimiques et des
vocalisations. Une des caractéristiques du format est sa répétition : c'est-à-dire
l'occurrence fréquente de la même structure de base d'un échange donné (par exemple,
4 à 5 fois dans un temps très court). Il est important de considérer qu'un format, rudi-
mentaire au départ, s'enrichit ensuite d'éléments nouveaux. Les formats sont intégrés en
tant que sous-routines dans des routines plus larges. La structure du dialogue peut égale-
ment constituer un format (Deleau, 1990), par exemple à partir d'un livre d'images où
l'enfant et la mère vont successivement interagir devant les dessins et où l'enfant va peu à
peu apprendre à reconnaître les images et les dénommer avec l'aide de la mère.
À la fin de la première année, l'enfant est capable d'exprimer ses intentions com-
municatives à travers un système de gestes et de vocalisations au sein d'échanges com-
municatifs structurés avec un partenaire adulte. C'est le socle indispensable pour ses
relations interpersonnelles futures et pour l'acquisition du langage.
Les phonèmes sont les éléments de la parole les plus petits qui contribuent à la
signification des mots. Il est important de noter que les phonèmes ne sont pas exacte-
ment la même chose que les lettres de l'alphabet. Par exemple si le mot « bébé » se
décompose en quatre phonèmes /b/ /e/ /b/ /e/, le mot chat se décompose en deux
phonèmes notés /f/ /a/.
L'alphabet phonétique du français contient 36 phonèmes (17 consonnes, 16 voyel-
les, 3 semi-consonnes) (cf. tableau 6.1). Les phonèmes se composent en syllabes :
groupe de consonnes et de voyelles. La plus petite unité de signification dans le langage
est le morphème qui peut être composé de une ou de plusieurs syllabes (pour plus de
détails voir Martinet, 1960).
La mise en évidence de la reconnaissance par le bébé des phonèmes est réalisée
avec la méthode de succion non nutritive. Eimas, Siqueland, Jusczyk et Vigorito (1971)
ont montré que des enfants âgés de 1 mois sont capables de percevoir la distinction
entre les sons /b/ et /p/ dans les syllabes /ba/ et /pa/. Les bébés ont des capacités
très importantes pour discriminer les sons de toutes les langues existantes, mais
260 I Psychologie du développement
l'exposition progressive à leur propre langue fait disparaître peu à peu cette capacité au
profit des contrastes particuliers de leur langue maternelle. L'enfant devient de plus en
plus sensible à l'écoute de son propre nom.
Jusqu'à 6 mois, l'enfant produit une gamme de phonèmes qui dépasse largement
celle de sa langue maternelle. Puis, à partir de cet âge, ses productions vocales com-
mencent à se rapprocher de cette langue (Boysson-Bardies, 1996). La production de syl-
labes simples constituées d'une consonne et d'une voyelle comme « pa », « ba », « ma »,
répétées plusieurs fois (vocalisations), se produit entre 6 et 9 mois ; cependant, il ne
s'agit pas encore de la production de mots.
L'âge de la production des premiers mots est variable : il se situe généralement
entre 9 et 11 mois environ. La caractéristique de cette période de développement est la
production de mots isolés comme par exemple « marna », « papa », « a'voir » (pour au
revoir), « pati » (pour parti), constitués de deux syllabes simples. On a longtemps consi-
déré que l'enfant commençait par nommer des objets concrets animés ou inanimés.
Cependant, d'après les observations de Bloom (1973), ces noms joueraient un rôle rela-
tivement mineur dans une première phase. À 16 mois ce sont plutôt des prépositions,
négations, adverbes et verbes qui sont employés. Bloom (1973) a également montré
l'importance des noms de personne pendant cette même période. Dans un premier
temps, les enfants les utilisent pour nommer quelqu'un qui entre en scène, pour saluer
quelqu'un, et pour l'appeler. Puis il les utilise pour désigner des objets appartenant à la
personne nommée. Enfin, on note l'utilisation des noms de personne pour nommer
l'agent d'une action prévue et imminente. Pour Nelson (1973) (ce résultat n'a pas tou-
jours été confirmé), les enfants ne parleraient pas tous pour dire la même chose. Chez
certains enfants, les énoncés sont plutôt référentiels, c'est-à-dire orientés vers les objets ;
chez d'autres, au contraire ces premiers énoncés sont plutôt expressifs, c'est-à-dire
orientés vers la communication : demande, refus, appel, etc. D'autres travaux réalisés
en langue anglaise, espagnole ou française vont dans le même sens en soulignant la pré-
sence des bruits et des sons d'animaux, les jouets, les parties du corps ou la nourriture
que l'enfant manipule, les noms de personnes et les jeux et routines.
D'une façon générale, ces mots isolés produits sont interprétés par son entourage
familial comme ayant des significations relativement complexes comparables à celles
d'une phrase. Cette période de production des premiers mots est appelée holophras-
tique. Notons que leur prononciation est souvent simplifiée et peut varier d'une occur-
rence à la suivante et que la première syllabe des mots multisyllabiques est souvent
omise ou simplifiée, ainsi pour dire gâteau l'enfant va prononcer « tato », « ato » ou
« kato »... Théoriquement, ces premiers mots des enfants ont une signification indéter-
minée ou ambiguë : en effet, en produisant « papa » l'enfant peut vouloir dire : « voilà
papa », « papa, viens m'aider », « papa a un nouveau pull », etc. Dans la pratique, ces
énoncés sont cependant interprétés sans problème à partir de la situation de communi-
cation et permettent des interactions satisfaisantes entre l'enfant et son entourage. Les
premières productions de l'enfant ne prennent donc leur sens que par l'interprétation
qu'en font les adultes. Ce phénomène est pleinement pris en compte par la perspective
interactionniste proposée par Vygotski (1997) et Bruner (1983, 1991).
Le tableau 6.2 donne un exemple de dialogue illustrant la réalité des productions
des jeunes enfants.
262 I Psychologie du développement
Enfant Mh...
Mère Et qu'est-ce qui y a autour d'eux ? Qui c'est ça ?
Enfant Tateu (une tortue)
Mère Une tortue, et là?
Enfant Kouga ? (pourquoi ?)
Mère Et là?
Enfant Quoi ?
Mère Qu'est-ce que c'est là comme animal ?
Enfant Le poul (la poule)
Mère Ah bon ?
Enfant Non
Mère Et là qui c'est là?
Enfant Pince (prince)
Mère Il lui fait un bisou
Enfant Mh... E nain (le nain). E le na o (il est là-haut)
Mère Les nains là-haut, oui là-haut
Pour les énoncés composés de deux noms, l'un des noms sert de verbe ou tout à la
fois de nom et de verbe, comme « maman lait » pour dire « maman je veux du lait ».
Les mots de la classe pivot sont moins nombreux que ceux de la classe ouverte. La
264 I Psychologie du développement
grammaire pivot est une réponse originale au problème de l'ordre des mots dans la
mesure où elle est fondée sur des règles qui n'existent pas dans la grammaire adulte. Le
mot pivot et le mot ouvert entretiennent différentes catégories de relations sémantiques
importantes comme l'existence, la disparition, l'attribution, la localisation, etc. Cette
association de deux mots est universelle, on la retrouve chez tous les enfants dans toutes
les cultures et toutes les langues. Cependant, cette grammaire bien que fonctionnelle est
une impasse : elle est rapidement abandonnée par l'enfant, car elle ne correspond pas
aux règles syntaxiques de la langue adulte.
Pendant cette période, la mesure du développement syntaxique est basée sur la
longueur moyenne des énoncés (Mean Length Utterance, mi.u) proposée par Brown
(1973). Le calcul est réalisé en morphèmes à partir d'au moins une centaine de produc-
tions et selon des règles très précises. L'évolution de la MLU est variable d'un enfant à
l'autre : elle atteint une valeur de 3,5 à 4 entre 2 et 4 ans.
L'enfant à partir de 2 ans et demi commence à combiner les mots pour former des
phrases suivant un ordre qui correspond à la grammaire de sa langue maternelle. La
phrase est définie canoniquement comme un énoncé de plus de deux mots contenant
ce que l'on appelle un syntagme nominal (sN), correspondant au groupe du nom et un
syntagme verbal (sv) correspondant au groupe du verbe. Le syntagme nominal peut se
décomposer en article + nom, article + nom + adjectif, etc. Le syntagme verbal se
décomposer en verbe + syntagme nominal, etc. « La diva chante faux » ou « les dino-
saures mangent souvent » constituent des exemples de phrases construites selon le
schéma canonique.
Le schéma (sN) + (sv) peut se complexifier avec la prise en compte des temps et
des modes des verbes, de la négation, de la passivation, de l'interrogation, des articles,
des adjectifs, des pronoms, adverbes, prépositions, etc. La forme classique de la phrase
en français correspond à ce qu'on appelle l'ordre sujet + verbe + objet (svo) qui est
aussi celui de l'agent, action, objet. La fonction syntaxique de sujet correspond au rôle
sémantique de l'agent (actant) suivi de l'action désignée par le verbe pratiquée par
l'actant sur l'objet (patient). Il y a donc correspondance entre la forme syntaxique de la
phrase, tout au moins dans ces phrases canoniques, et sa valeur sémantique. Mais cette
structure (svo) n'est pas universelle. D'autres langues utilisent des ordres différents
(Greenberg, 1963). Le japonais par exemple utilise l'ordre (sov), l'arabe l'ordre (vso).
Par contre, on ne trouve jamais l'ordre (osv) ou (ovs). 44 % des langues préfere
l'ordre (sov), 35 % l'ordre (svo), 19 % l'ordre (vso) et 2 % pour l'ordre (vos). Le sujet
précède l'objet dans 79 % des cas. Dans certaines langues, comme le serbo-croate et le
turc, plusieurs ordres des mots dans la phrase sont possibles.
L'apprentissage par l'enfant de la grammaire évolue rapidement avec la prise en
compte des différents éléments de la phrase (cf. Hurtig et Rondal, 1981). Pour le syntagme
nominal, il faut considérer : le nom, les pronoms, les articles, les adjectifs, les prépositions
et les adverbes. Pour le syntagme verbal, on prend en compte l'utilisation des différents
temps et modes du verbe. L'ordre canonique de la phrase est correctement produit par les
enfants vers 30 mois. Les aspects syntaxiques de la phrase (ordre des mots) sont acquis
avant les aspects morphologiques (temps du verbe, accord du pronom avec le verbe, etc.).
L'acquisition des principaux éléments du syntagme nominal est réalisée entre 2 et
6 ans. Le tableau 6.4 présente quelques aspects de cette évolution.
Développement de la communication et du langage I 265
Catégories grammaticales
60 Adverbes de temps
(aujourd'hui, hier,
66 Le mien demain, mainte-
Le tien nant, tout de
suite, d'abord,
tout à
l'heure, etc.)
72 Emploi correct des Le sien
articles Le nôtre
Le vôtre
Le leur
Prépositions de
temps
(avant, après,
pendant)
À 5 ans l'enfant utilise la plupart des formes du verbe. Il est cependant important
de noter qu'il ne les utilise pas essentiellement pour marquer la place de l'action dans le
temps (passé-présent-futur). En cela, le comportement de l'enfant diffère clairement de
celui de l'adulte. En effet, dans les productions de l'enfant jusqu'à l'âge de 6 ans, les dif-
férentes formes du verbe désignent surtout l'aspect de l'action, c'est-à-dire des caracté-
ristiques indépendantes de sa chronologie (Bronckart, 1976). Quelques exemples de
caractéristiques aspectuelles de l'action sont indiqués ci-dessous :
— la distinction action en cours / action intemporelle : « Elle est en train de prendre
sa leçon de piano » / « elle prend des leçons de piano » ;
la distinction déroulement de l'action / résultat de l'action : « Il mangeait du
caviar » / « il a mangé du caviar » ;
la convention dans l'imaginaire : «J'étais le gendarme et toi le voleur » ;
l'expression du souhait : « Ça va être mon anniversaire bientôt. »
au même âge pour les phrases non réversibles (3 ans 7 mois) et pour les réversibles
(10 ans 6 mois). Pour les relatives en « que » non réversibles les enfants utilisent donc
une stratégie (Oléron, 1979) basée sur les informations sémantiques. Pour les relatives
en « que » réversibles, la séquence n'amène pas à une interprétation basée sur l'ordre
canonique qui les conduit à une interprétation erronée jusqu'à un âge (10-11 ans) rela-
tivement tardif.
Le cheminement qui mène à la construction de la phrase est complexe et subtil :
les énoncés avec des conjonctions de coordination comme « et » sont acquis bien avant
ceux avec des pronoms relatifs comme « que » et « qui ». Même si certaines phrases
relatives (en « qui ») peuvent être comprises précocement, leur production dans des nar-
rations est tardive (Jisa et Kern, 1998).
Le tableau chronologique succinctement tracé donne les grandes étapes de déve-
loppement et quelques points de repère qui d'un point de vue général concernent
toutes les langues. Certaines différences importantes doivent cependant être notées. Par
exemple, dans certaines langues non indo-européennes (ex. : Sesotho), la forme passive
est très fréquente : elle est alors comprise dès l'âge de 2 ans, et utilisée dès 4 ans.
•
Clément
Alain À son tour
également
axe
Barbara parle aussi français 41
syntagmatique
chante
mange espagnol
russe
SIGNIFIE CONCEPT
REPRESENTAMEN f INTERPRÉTANT
Image sonore ou visuelle Image mentale associée (Ville)
d'un mot (Grenade)
ayant ayant
l'enfant prend-il en compte pour comprendre qu'un mot peut définir une classe
d'objets, de personnes ou d'animaux, ou au contraire restreindre l'appartenance à un
seul membre ?
Une première proposition fut celle de la théorie des traits sémantiques développée
par Clark (1973). Le postulat de base de cette théorie est que la définition d'un mot est
composée d'unités minimales de sens, des traits que les enfants apprendraient pour
chaque concept catégoriel. Par exemple le mot « chat » peut être compris comme
l'animal qui est à la maison, mais aussi, c'est le mot qui désigne tous les animaux qui pos-
sèdent un certain nombre de caractéristiques communes, quatre pattes ou de longs poils.
Suivant cette approche, la définition d'un mot est composée d'unités de sens correspon-
dant à des traits sémantiques. Plusieurs hypothèses ont été développées à partir de cette
théorie qui a fait l'objet de vérifications expérimentales. Avec l'hypothèse de la surexten-
sion, on prédit que l'enfant va nommer « chat » d'autres animaux qu'il va rencontrer
(par exemple des lapins) sur la base de similarités, comme des traits perceptifs communs
ou des traits fonctionnels. Il va dire « atta » pour l'ouverture et la fermeture des portes,
toute disparition d'objet ou soulever le couvercle d'une boîte. Mais l'enfant peut aussi
restreindre la signification d'un mot, c'est l'hypothèse de la sous-extension. Le mot est
alors uniquement employé que dans une situation spécifique (par exemple, « voiture »
pour désigner la voiture de la famille et non pas les autres voitures). On observe que
l'utilisation d'un même mot pour signifier plusieurs choses est liée au développement du
vocabulaire de l'enfant. Plus l'enfant dispose de mots de vocabulaire, moins nombreuses
270 I Psychologie du développement
sont les surextensions. Les restrictions dans l'utilisation d'un mot correspondent avec
l'apparition d'un vocabulaire plus différencié. L'hypothèse de composition de traits
conduit à considérer que les traits sémantiques sont acquis par adjonctions et combinai-
sons de traits successives. Celle des traits généraux et des traits spécifiques précise que les
traits composant la signification d'un mot sont acquis des plus généraux aux plus particu-
liers. Un certain nombre de recherches ont été menées sur l'acquisition des verbes (Ber-
nicot, 1981). Par exemple le verbe « prendre » (transmission d'un objet) est acquis avant
« acheter » (transmission d'un objet + transmission d'argent) et dans un premier temps
l'enfant attribue à « acheter » la signification de « prendre ».
Une autre approche considère que l'on acquiert d'abord les éléments prototypi-
ques d'une catégorie (Rosh, 1973) avant les membres moins typiques. Dans cette pers-
pective, il existe pour chaque catégorie un élément typique (ou niveau de base) qui per-
met de représenter cette catégorie. Cette typicalité est objectivée par la fréquence des
réponses (et leur faible variation interindividuelle) lorsque l'on interroge des sujets en
leur demandant des « bons » exemples pour une catégorie. Dans un milieu urbain occi-
dental, l'enfant acquiert « pomme » avant « figue » parce que « pomme » est plus
caractéristique, représentatif des fruits que « figue » (pour la même raison dans la caté-
gorie chien, l'enfant acquiert « caniche » avant « pékinois »).
Le développement sémantique représente un phénomène complexe qui ne peut être
expliqué qu'en prenant en compte un ensemble d'éléments comme : le développement
cognitif, les caractéristiques de la langue maternelle, le langage de l'adulte adressé à
l'enfant, le milieu social et culturel de l'enfant. En grandissant l'enfant continue à acqué-
rir de nouveaux mots entre lesquels il construit des relations sémantiques. 11 est sensible
aux similitudes phonologiques. Il apprend à reconnaître les mots qui ont des significa-
tions similaires et ceux qui ont des significations contrastées, et ceux qui constituent des
hiérarchies de subordinations (ex : verbes de mouvement ou de transmission de posses-
sion). De plus à partir de l'âge de 6 ans, l'enfant développe des capacités métalinguisti-
ques qui lui permettent de réfléchir explicitement sur la signification des mots et de les
définir (Berthoud-Papandropoulou et Kilcher, 1987). Les réseaux sémantiques, à partir
du premier vocabulaire, sont en constante réorganisation tout au long de la vie.
V - Le développement de la pragmatique :
apprendre à utiliser le langage en contexte
Ce que dit le locuteur B (il a peur de ne pas dormir) est différent de ce qu'il signifie (il
ne veut pas de café). La signification transmise ne correspond pas à la signification littérale
de l'énoncé. La pragmatique se donne pour objectif de définir et d'étudier l'utilisation
du langage. Il s'agit de déterminer le rapport qui existe entre un énoncé, son contexte
de production et les utilisateurs du langage.
La psychologie développementale pragmatique a été initiée par Ervin-Tripp et
Mitchell-Keman (1977). Ninio et Snow (1996) ont déterminé un ensemble (non exhaus-
tif) de sept thèmes.
a) L'acquisition des intentions communicatives et le développement de leurs
expressions linguistiques. Ce thème inclut l'émergence du langage et de l'étude des
vocalisations et des gestes.
b) Le développement des capacités conversationnelles.
c) Le développement des systèmes linguistiques gérant la cohésion du discours et le
type de discours.
d) Le développement de la mise en rapport d'une forme linguistique et de sa fonc-
tion sociale (études des fonctions du langage et des actes de langage).
e) L'acquisition des règles de politesse et autres règles culturelles déterminées par
l'utilisation du langage.
J) L'acquisition des termes déictiques.
g) Les facteurs pragmatiques influençant l'acquisition du langage comme le
contexte d'interaction dans la petite enfance ou les conduites d'étayage.
Comme le souligne Oléron (1979), « tous les auteurs qui ont étudié les premières
productions de l'enfant, y compris certaines productions préverbales, ont reconnu
l'importance de leurs aspects communicatifs ». Cependant les premiers cris de l'enfant,
qu'ils soient de faim, de douleur ou de satisfaction ne sont pas toujours considérés comme
des actes communicatifs même si l'entourage y répond. Il est nécessaire que se mette en
place ce que Veneziano (2000) appelle « les ingrédients » de la communication : c'est-à-
dire une conduite volontaire adressée à quelqu'un avec l'intention d'avoir un effet sur le
partenaire. Les travaux de Halliday (1975) comme ceux de Bates (Bates, 1976 ; Bates,
Benigni, Bretherton, Camaioni et Voltera, 1979) mettent en lumière que les productions
gestuelles et/ou vocales des enfants de moins de 2 ans ont des fonctions communicatives
(impératives ou déclaratives). On peut illustrer cette perpective en présentant les six fonc-
tions communicatives des productions verbales et non verbales de Nigel (Halliday, 1975)
âgé de 9 mois à 22 mois et demi : 1 / la fonction instrumentale vise à obtenir quelque
chose de l'interlocuteur ; 2 / la fonction régulatoire vise au contrôle du comportement
d'autrui ; 3 / la fonction interactionnelle concerne les salutations, les marques de politesse
et la prise de contact avec autrui ; 4 / la fonction personnelle concerne l'expression de
soi, de ses intérêts, de sa satisfaction, de sa non-satisfaction, etc. ; 5 / la fonction heuris-
tique vise à l'augmentation du savoir ; 6 / la fonction imaginative concerne l'expression
de sa propre conception de l'environnement et du monde.
On prend en compte des indices qui sont plus « macroscopiques » que le mot ou
la phrase simple SVO : tels que les tours de parole, les formes de politesse, les marques
de la cohérence du discours comme les anaphores, etc. On s'intéresse aussi à l'efficacité
de la communication référentielle. Beaudichon (1982) a étudié comment des enfants se
font comprendre d'autrui dans des situations où l'on doit communiquer à autrui un
272 I Psychologie du développement
savoir (le montage d'un objet complexe). La quantité d'information transmise par
l'informateur croît avec l'âge entre 8 et 10 ans. La réussite du montage de l'objet croît
aussi avec l'âge. La communication devient donc plus efficace. On note l'utilisation de
nombreuses répétitions à la demande du récepteur. La façon d'utiliser l'information
varie d'un couple d'enfants à l'autre. Certains récepteurs attendent d'avoir une certaine
quantité d'information pour réaliser les manipulations concernant le montage, d'autres
réalisent les opérations après chaque transmission d'information. À tous les âges on
remarqué que les interlocuteurs tentent d'ajuster leur dialogue pour se comprendre.
Dans cette perspective, on s'intéresse à l'évolution avec l'âge, mais aussi et surtout aux
variations en fonction des situations de communication.
En linguistique, Morris (1946) a défini la pragmatique comme l'étude de la rela-
tion entre les signes et les interprètes. Cette perspective conduit à considérer qu'un
énoncé comprend trois composantes (cf. Austin, 1962 ; traduit en français en 1969).
— L'acte locutoire est défini par la production de mots, de morphèmes, de phra-
ses dans une langue donnée. Il est aussi définit par le fait que le locuteur réfère à
quelque chose : par exemple à un objet ; il prédique à propos de cet objet.
L'acte illocutoire est défini par l'acte social posé intentionnellement par le locu-
teur lors de la production de l'énoncé.
L'acte perlocutoire est défini par l'effet intentionnel ou non produit par le
locuteur sur le destinataire du message.
Searle (1972, 1982) puis Searle et Vanderveken (1985), ont proposé une taxonomie
des actes illocutoires : tout énoncé produit dans une situation de communication corres-
pond à la réalisation d'un acte social appelé « acte de langage ». Vanderveken (1992) à
partir des classifications élaborées par Austin et Searle propose de distinguer cinq types
d'actes de langage. Les assertifs, comme par exemple affirmer, témoigner ou supposer, et
qui engagent la responsabilité du locuteur sur l'existence d'un état de choses, sur la vérité
d'une proposition exprimée. Les directifs, comme par exemple demander, questionner,
ordonner ou suggérer, et qui sont des tentatives de la part du locuteur de faire faire
quelque chose à l'auditeur. Les engagements ou promissifs, comme par exemple pro-
mettre, menacer, faire un voeu, un serment et qui obligent le locuteur à adopter une cer-
taine conduite future. Les expressifs tels que les excuses, les remerciements, les félicita-
tions qui consistent pour le locuteur à exprimer un état psychologique (comme la
satisfaction ou la crainte) à propos d'un état du monde. Les déclaratifs qui provoquent
par leur accomplissement effectif la mise en correspondance de leur contenu avec la réa-
lité (comme par exemple pour un chef d'entreprise dire à une personne qu'elle est
engagée, pour un enseignant dire à un étudiant qu'il est reçu). Chaque acte de langage
est défini par un ensemble de règles de réalisation dont le respect permet aux interlocu-
teurs de se comprendre : par exemple lorsqu'on adresse une demande à quelqu'un on
souhaite qu'elle soit réalisée et on pense que l'auditeur est en mesure de la réaliser.
Le modèle théorique de Grice (1979) offre aussi une contribution importante à
l'explication de la compréhension entre interlocuteurs et plus particulièrement à la des-
cription des principes de la conversation. Selon cet auteur, la conversation est régie par
un principe fondamental, mutuellement présupposé par les interlocuteurs : le Principe de
coopération. Ce principe est défini par quatre Maximes : une maxime de quantité « que
votre contribution soit aussi informative qu'il est requis », une maxime de qualité
Développement de la communication et du langage I 273
« n'affirmez pas ce pour quoi vous manquez de preuves », une maxime de relation « par-
lez à propos » et une maxime de modalité « soyez clair ». Le respect du Principe de Coo-
pération à travers celui des Maximes garantit donc la réussite de la communication. Ce
modèle et les travaux auxquels il a ouvert la voie (Noveck et Sperber, 2004), ont permis
de définir les caractéristiques du fonctionnement de la communication naturelle.
Ces différentes théorisations et classifications ont permis de donner un cadre précis
aux recherches et de réaliser des études systématiques dans le domaine de l'acquisition.
Plusieurs actes de langage ont pu faire l'objet d'études développementales (les directifs
assimilés aux demandes, les engagements avec la compréhension des promesses, les
assertifs). Il existe aussi des recherches sur la compréhension des états mentaux, la com-
préhension du langage non littéral, la maîtrise des registres et l'organisation discursive
(cf. Bernicot, 1992, 2000 ; Hickmann, 2000 pour une revue de question détaillée).
Pour les directifs, on distingue les demandes directes et les demandes indirectes.
Une demande est directe en cas de coïncidence parfaite entre les caractéristiques for-
melles de l'énoncé et l'acte social réalisé : le locuteur « dit » ce qu'il « signifie »
(exemple : « Donne-moi le stylo »). Une demande est indirecte lorsqu'il n'y a pas coïn-
cidence parfaite entre les caractéristiques formelles de l'énoncé et l'acte social réalisé : le
locuteur « signifie » autre chose que ce qui est « dit » (ex. : « peux-tu me donner le
stylo ? », « ton stylo marche encore ? » ou « je n'ai rien pour écrire... »). Les études
montrent que si les enfants dès leur plus jeune âge (1 an et demi, 2 ans) comprennent
les demandes directes, ils répondent aussi aux demandes indirectes simples lorsque cel-
les-ci on un caractère conventionnel et un lien étroit avec le contexte de la demande.
En ce qui concerne la production, on constate des variations avec l'interlocuteur. Par
exemple l'enfant est moins direct avec son père qu'avec sa mère, avec des visiteurs
qu'avec ses parents. La production des demandes et leur caractère direct ou indirect
dépend donc d'un certain nombre de caractéristiques liées à la situation de communi-
cation comme le contenu de la demande (action, information, droit, faveur) et de
l'interlocuteur en fonction de son statut social (père, mère, enfant, etc.). L'ensemble de
ces règles d'ajustement est réalisé entre 3 et 6 ans.
Les engagements, ou promissifs, sont également une catégorie importante d'actes
de langage dans les interactions quotidiennes entre enfants et adultes. Ils sont définis
par l'obligation contractée par le locuteur d'adopter une certaine conduite future (par
exemple : promettre, jurer, prêter serment, accepter, consentir, etc.). Bernicot et Laval
(1997) ont étudié la compréhension des promesses chez des enfants de langue mater-
nelle française âgés de 3 à 10 ans. Les enfants doivent compléter des histoires présen-
tées sous forme de bandes dessinées comprenant deux personnages. Les histoires
varient en fonction du temps du verbe (futur périphrastique, futur simple ou passé com-
posé) et le contexte de production de l'énoncé (contexte spécifique respectant la condi-
tion préparatoire ou contexte neutre). Les enfants de 3 à 6 ans fondent leur interpréta-
tion des promesses en priorité sur les caractéristiques contextuelles de la situation de
communication. À partir de 6 ans, en l'absence d'informations contextuelles caractéris-
tiques de la promesse, ils prennent en compte les marques temporelles de l'énoncé (uni-
quement dans le cas du futur périphrastique). C'est seulement vers 10 ans que les
enfants fondent leur interprétation des promesses sur les caractéristiques temporelles de
l'énoncé.
274 I Psychologie du développement
Les études concernant les assertifs sont peu nombreuses car difficiles à opération-
naliser sur le plan méthodologique. On s'intéresse essentiellement aux capacités des
enfants à reformuler leurs énoncés assertifs (« le ciel est bleu») en cas d'échec de la com-
munication. Les reformulations sont considérées comme un indice de la compréhension
par l'enfant de l'état mental de l'interlocuteur. Les assertifs (destinés à partager un état
mental) sont réputés plus difficiles que les directifs (destinés à obtenir quelque chose).
Cependant, après une demande de clarification de l'adulte ( « quoi ? », « où ? » ), les
enfants de 2 ans et demi reformulent leurs assertions dans 84 % des cas et les directifs
dans 94 % des cas. De plus, une recherche de Marcos et Bernicot (1997) montre que
pour les assertifs comme pour les directifs, le type de reformulation varie avec le type
d'attitude de l'adulte (clarification ou refus). La reformulation n'est donc pas systéma-
tique ou mécanique.
Le langage non littéral (ironie, sarcasmes, expressions idiomatiques, implicatures
conversationnelles) a fait l'objet d'un ensemble récent d'études. Le point commun de
toutes ces expressions est qu'elles doivent être interprétées pour être comprises puis-
qu'elles « signifient » autre chose que ce qu'elles « disent ». Dans le cas de l'ironie, le
locuteur va jusqu'à transmettre l'inverse de ce qu'il dit. Le principe des recherches est
de faire varier la forme des énoncés, le contexte et l'intonation. Le sens des résultats
(cf. Laval, 1999 ; Laval et Bert-Erboul, 2005), trop complexes pour être rapportés ici,
suggère que les enfants les plus jeunes prennent d'abord en compte les éléments contex-
tuels (versus forme des énoncés) pour interpréter le langage non littéral. Le rôle impor-
tant de l'intonation apparaît à 5 ans pour le sarcasme.
Un registre langagier est défini par l'ensemble des marques langagières structurales
appropriées dans une situation sociale donnée (ex. : on ne parle pas de la même façon à
un « copain » et à un adulte non familier). L'adéquation marques structurales / situa-
tion sociale est conventionnellement définie. Le registre est défini par l'adéquation entre
la situation de communication et le système linguistique (Gayraud, Jisa et Viguié,
2001). L'acquisition des registres est nécessaire à la maîtrise subtile de la langue mater-
nelle. Andersen (1986) a utilisé la méthode des jeux de rôle pour étudier ce type
d'acquisition chez des enfants de 4 à 8 ans.
La pragmatique, perspective récente en psychologie du développement, est définie
comme l'étude cognitive, sociale et culturelle du langage et de la communication. Elle
se donne pour objectif de répondre à la question : comment définir et étudier
l'utilisation du langage ? (Verschueren, 1999).
Après avoir présenté les faits, c'est-à-dire les étapes de l'acquisition du langage
sous ses différents aspects, il est nécessaire d'expliquer ces faits. Pour expliquer
l'acquisition du langage, les théories mettent l'accent sur les spécificités humaines biolo-
Développement de la communication et du langage I 275
Les relations entre cerveau et langage sont complexes : il est établi que des lésions
cérébrales provoquent des troubles du langage, mais il existe aussi des troubles du lan-
gage sans lésions cérébrales avérées. En lien avec la maturation progressive du cerveau,
il existe une période critique d'acquisition du langage qui se situe avant l'âge de 12 ans.
Enfin, on s'est interrogé sur la capacité des singes à apprendre un langage humain : ils
représentent une base biologique différente de celle des êtres humains (tout en étant les
plus proches de l'homme dans le règne animal).
dant sa maîtrise du langage est restée très peu élaborée et incomplète. D'autres cas
d'enfants analogues à celui de Victor ou n'ayant pas été initialement éduqués dans des
conditions habituelles de socialisation (Genie aux États-Unis, cf Crystal, 1997) ont aussi
échoué dans leur tentative d'acquisition du langage même avec un environnement édu-
catif renforcé. Ces cas particuliers ont été beaucoup discutés dans la mesure où il est
impossible de savoir si ces enfants présentaient ou non dès la naissance un déficit particu-
lier ou un retard mental. D'autres approches fournissent des preuves plus solides à pro-
pos d'une période critique pour l'acquisition. C'est le cas de l'étude des lésions du cer-
veau à différents âges. On constate que si la lésion intervient à l'âge adulte, la
récupération est beaucoup plus difficile que si la lésion se produit plus précocement.
Dans ce dernier cas, d'autres aires du cerveau prennent le relais. Avec l'aide des métho-
des d'imagerie cérébrale, on peut aussi montrer que dans le cas de l'apprentissage d'une
seconde langue, ce ne sont pas les mêmes aires du cerveau qui sont sollicitées en fonction
de la période de l'apprentissage : après quatre ans l'hémisphère gauche est moins solli-
cité. Toutes les connections entre les neurones du cerveau ne sont pas réalisées à la nais-
sance, mais se constituent progressivement dans les premières années. Donc, en cas de
lésions précoces, de nouvelles aires du cerveau peuvent prendre le relais grâce à l'apport
de nouvelles connections entre les neurones. Par contre, à l'âge adulte lorsque les
connections sont constituées, il est beaucoup plus difficile, voire impossible, d'en créer
des nouvelles. La plasticité du cerveau est plus importante pendant la période critique.
Il - La perspective behavioriste
Les découvertes de Pavlov au début du xxe siècle concernant les réflexes condi-
tionnés chez l'animal ont eu une profonde influence sur les théories de l'apprentissage
d'une façon générale, mais aussi sur les théories de l'apprentissage du langage chez
278 I Psychologie du développement
l'enfant. Pour les behavioristes, dont les théories sont profondément inspirées par
les études des réflexes conditionnés, l'explication des comportements langagiers
(réponses) doit se faire à partir des conditions environnementales observables (stimuli)
sans passer par les processus mentaux internes qui ne sont pas accessibles à
l'observation. Les behavioristes ne nient pas l'existence de mécanismes mentaux, mais
la possibilité de les étudier directement. Il faut dire que les recherches réalisées à la
fin du xix' siècle pour expliquer les processus mentaux complexes (par l'introspection)
furent plutôt un échec, alors que les découvertes de Pavlov eurent un grand impact
pour les théories de l'apprentissage. D'autre part, les behavioristes ne considèrent pas
le langage comme une capacité de nature différente d'autres aptitudes humaines ou
animales. Suivant cette perspective le langage est acquis à partir de trois mécanismes
(Le Ny, 1961).
impossible de les acquérir à partir des lois de l'association dans l'environnement quoti-
dien. Mais la critique la plus radicale contre la perspective behavioriste allait venir du
linguiste Noam Chomsky à l'origine d'une nouvelle approche nativiste.
conservée en mémoire. Comprendre une phrase implique donc de la traiter suivant des
règles grammaticales dans un certain ordre afin d'obtenir une structure de base qui en
donne la signification.
Par l'intermédiaire des études interculturelles, Slobin (1982) a également tenté de
valider cette position. Il a comparé le développement linguistique d'enfants issus de
cultures différentes : cultures occidentales, samoanes, kaluki, mayas, etc. D'une société à
l'autre, le comportement des parents à l'égard de l'apprentissage du langage varie beau-
coup. Certaines sociétés considèrent l'enfant comme un être doué pour la communication
verbale et d'autres ne se posent pas la question. Il apparaît que quelle que soit l'attitude
des parents, entraînement spécifique ou inattention à l'égard du langage, cette acquisition
se réalise suivant les mêmes principes. Slobin (1982) a constaté que quel que soit l'ordre
des mots dans la phrase pour la langue considérée, les jeunes enfants utilisaient préféren-
tiellement l'ordre sujet-objet. De plus, quelle que soit la langue ou la culture d'origine des
enfants les acquisitions linguistiques sont réalisées dans le même ordre.
Du point de vue du développement de l'enfant, on considère que la structure du
langage dérive d'une certaine façon des principes généraux de la cognition. Par
exemple, l'ordre Sujet-Verbe-Objet correspond à l'ordre de l'expérience quotidienne :
celui qui fait l'action, l'action et l'objet à laquelle on l'applique. C'est cette analogie
entre principe cognitif déjà connu par l'enfant et structures grammaticales qui permet-
trait l'apprentissage rapide du langage. L'enfant est sensible aux marques linguistiques
qui reflètent des catégories cognitives qu'il possède déjà. Pour apprendre la langue il
faut connaître ce que la langue décrit.
a. Le constructivisme
La perspective élaborée par Jean Piaget à Genève au début du xxe siècle garde
une actualité à travers différentes perspectives néo-piagétiennes. Pour Piaget (cf. Piaget
et Inhelder, 1966), le langage est une aptitude humaine parmi d'autres qui se construit
au cours du développement de l'enfant. L'acquisition du langage est dépendante du
développement de la cognition qui est réalisée de façon progressive et interactive avec
le monde physique. L'enfant passe par différents stades de développement (cf. chap. 2).
Ces stades déterminent l'émergence progressive des aptitudes cognitives et des compé-
tences langagières. La perspective piagétienne est donc constructiviste dans la mesure
où elle pose que la connaissance s'élabore progressivement à partir des capacités anté-
rieures. L'enfant agit sur le monde physique et développe peu à peu ses compétences
cognitives à travers cette interaction.
Développement de la communication et du langage I 281
b. Le traitement de l'information
L'un des principes de cette approche est de considérer des systèmes de traitement
de l'information indépendamment les uns des autres, chaque système fonctionnant de
façon autonome comme un module. Le langage, est alors aussi conçu comme modu-
laire (Fodor, 1983). Les modules sont spécifiques de domaines bien particuliers et ne
peuvent traiter l'information que dans leur domaine de compétence. Le langage est
considéré comme la résultante et l'intégration de plusieurs sous-systèmes qui fonction-
nent à différents niveaux. Il existerait un module phonologique, un module morpholo-
gique, un module sémantique et un module pragmatique.
Cette conception modulaire du traitement de l'information apporte aussi un cadre
méthodologique pour l'étude du langage. Cette conception a donné naissance à deux
approches récentes, complémentaires l'une de l'autre : le modèle de compétition éla-
boré par Bates et Mac Whinney (1989), et le modèle PDP (Parallel Distibuted Processors
de McLelland et Rummelhart (1981).
Le modèle de compétition met l'accent sur les structures du langage mais aussi sur
les fonctions. Les auteurs se réfèrent au modèle PDP pour présenter leur approche en
définissant la connaissance linguistique non pas à partir d'un ensemble de règles gram-
maticales, mais plutôt comme un réseau faisant intervenir à la fois formes et fonctions.
Les fonctions sémantique d'agent, d'action, d'objet sont appariées aux différentes for-
mes lexicales, syntaxiques, morphologiques et prosodiques selon un système complexe.
Ces correspondances peuvent varier d'une langue à l'autre.
Ce qui change dans cette nouvelle approche, par rapport aux autres conceptions
c'est la façon de traiter l'information. Dans les modèles antérieurs, l'information linguis-
tique était traitée de façon sérielle ou séquentielle. Chaque opération était la résultante
ou la précédente d'une nouvelle opération. Ce qui distingue le modèle PDP, c'est le trai-
tement en parallèle, plusieurs opérations peuvent se faire simultanément. Ce type de
réseau est inspiré des réseaux de neurones (comme dans le cerveau) dans lesquels il
existe de nombreuses connections entre chaque neurone : plusieurs opérations et déci-
sions sont réalisées en même temps. La constitution des connections n'est pas donnée
une fois pour toute, elle se construit par l'intermédiaire de connections relais et par
apprentissage afin d'atteindre une certaine stabilité. Ces modèles sont également appe-
lés connexionnistes.
Dans l'apprentissage du langage ce sont les opérations simultanées qui vont être
renforcées et apprises et qui ont donc une certaine probabilité d'apparaître.
L'apprentissage se fait à partir des probabilités qui se réalisent entre forme et fonction.
Ce qui est plus fréquent est appris plus rapidement que ce qui est rare. Ainsi, l'ordre
des mots dans la phrase qui est important en anglais est acquis plus précocement dans
cette langue qu'en italien où cet ordre n'est pas un bon indicateur. Ce qui est pris en
compte, n'est plus simplement la forme syntaxique, la fonction sémantique, etc., mais
un indice de probabilité qui tient compte de l'appariement entre plusieurs sources. Un
ensemble de recherches réalisées chez l'enfant a apporté quelques éléments de valida-
tion partielle de cette approche (cf. Kail, 2000).
La conception du langage dans ce modèle est très différente des précédentes, et le
rapprochement avec le fonctionnement des réseaux de neurones en fait tout l'intérêt.
Développement de la communication et du langage I 283
1. Notons l'hypothèse inverse de Sapir et Whorf élaborée dans les années 1950: l'enfant percevrait le monde
qui l'entoure à travers le filtre imposé par sa langue (pour une présentation plus détaillée, cf. Jisa, 2005).
284 I Psychologie du développement
développement actuel tel qu'on peut le déterminer à travers la façon dont l'enfant
résout des problèmes seul et le niveau de développement potentiel tel qu'on peut le
déterminer à travers la façon dont l'enfant résout des problèmes lorsqu'il est assisté par
un adulte ou collabore avec d'autres enfants plus avancés » (Vygotski, 1997). Le rôle
essentiel de l'adulte est d'interpréter les productions de l'enfant, lui renvoyant ainsi la
signification sociale de son énoncé. C'est l'interprétation de l'adulte qui donne un sens
à la production de l'enfant et cela correspond à la phase interpsychologique de
l'acquisition du langage. Lors de la phase intrapsychologique, l'enfant est devenu
capable de faire référence pour lui-même à la réalité extralinguistique à l'aide des
signes linguistiques. Et ainsi de proche en proche le développement du langage se cons-
truit à travers l'interaction entre « novice » et « expert ».
Dans cette perspective, parler, c'est être engagé dans un comportement régi par
des règles, qui ne sont pas uniquement structurales comme pour les tenants de la pers-
pective nativiste ou cognitiviste, mais aussi sociales. Comme l'ont déjà souligné Schneu-
wly et Bronckart (1985), et Deleau (1990) il existe une convergence entre les proposi-
tions de Vygotski et les théories pragmatiques en particulier en ce qui concerne la
nature sociale du signe linguistique et l'intérêt pour l'étude de la conscience ou de
l'intention. Par exemple pour Searle (1972), l'un des buts de la perspective des actes de
langage est de théoriser les conventions extralinguistiques qui régissent l'usage du lan-
gage dans des contextes donnés et de distinguer ce qui est dit, de ce que cela veut dire.
Rien ne rappelle plus l'affirmation de Vygotski (1997) : « Une seule et même pensée
peut être exprimée par des phrases différentes, comme une même phrase peut servir
d'expression à des pensées différentes. » La question principale à résoudre est : com-
ment l'enfant devient-il sensible aux correspondances existant entre la forme des énon-
cés et les contextes de communication ?
Cette conception fournit un cadre théorique pour expliquer toutes les situations de
communication dans lesquelles l'interprétation des énoncés dépend du contexte et
requièrent la mise en oeuvre d'inférences chez le locuteur comme chez l'auditeur. Le fait
que le langage dans de très nombreuses situations ne soit pas transparent, c'est-à-dire
qu'il existe un décalage entre ce qui est dit et ce qui est signifié, demande à être expliqué.
La perspective interactionniste prend en compte cet aspect fondamental du langage à
travers l'opérationnalisation des règles de la pragmatique élaborées par les linguistes.
Certaines conditions de compréhension et de production des énoncés ont fait
l'objet de recherches expérimentales qui apportent des résultats convaincants. Une
théorie de l'usage du langage chez l'enfant passe par l'élaboration de catégories de buts
sociaux des énoncés, de locuteurs et d'auditeurs, de contexte, et d'unités d'analyse du
discours qui permettront d'élaborer des modèles locaux. La définition d'un domaine est
réalisée à travers une fonction sociale (la demande, la promesse, l'assertion, etc.) ou une
forme linguistique (l'ironie, les formes idiomatiques). Ces modèles locaux sont multidi-
mensionnels et non linéaires. Ils sont multidimensionnels dans la mesure où des para-
mètres structuraux variés du langage peuvent être pris en compte : par exemple (la
syntaxe mais aussi la prosodie, la sémantique et l'organisation du discours). Ils sont non
linéaires parce que l'hypothèse cruciale n'est pas une augmentation de la complexité
des énoncés produits et compris avec l'âge, mais une variation de la forme des énoncés
en fonction des caractéristiques de la situation de communication.
Développement de la communication et du langage I 285
VI - Conclusion
LECTURES CONSEILLÉES
Berko Gleason, J. (2001). The Development of Language. Needham Heights : Allyn and Bacon
(5' éd.).
Bernicot, J., Trognon, A., Guidetti, M., & Musiol, M. (2002). Pragmatique et psychologie. Nancy :
PUN.
Crystal, D_ (1997). The Cambridge En9clopedia of Language. Cambridge Cambridge University
Press.
Hombert, J. M. (Ed.) (2005). Aux origines des langues et du langage. Paris : Fayard.
Kail, M., & Fayol M. (Eds.) (2000). L'acquisition du langage (t. 1 et 2). Paris : PUF.
deuxième partie
PSYCHOLOGIE DIFFÉRENTIELLE
7 origines et évolution
de la psychologie différentielle
La réflexion sur le psychisme humain, dans ses aspects généraux et différentiels, est très
ancienne. Dans la culture occidentale on la fait remonter à l'Antiquité grecque. Elle se
manifeste en littérature, en philosophie et en médecine. Si la médecine est entrée dans
le domaine des disciplines scientifiques, la création littérature et la réflexion philoso-
phique continuent à produire une certaine psychologie. Celle-ci a peu en commun avec
celle qui est enseignée dans les universités. La psychologie moderne, apparue dans la
seconde moitié du xixe siècle, se veut scientifique. Elle se propose d'expliquer bien plus
que de comprendre intuitivement et elle a répudié toute préoccupation métaphysique.
Les faits qu'elle utilise sont aussi précis, contrôlés et reproductibles que possible. Leur
fonction n'est plus l'illustration de points de vue préalables mais ils sont à la base de
théories qui doivent être publiquement vérifiées. L'émergence de ce nouveau point de
vue a été facilitée par les développements de la philosophie empiriste et par les progrès
de la physiologie.
En opposition à René Descartes (1596-1650) pour qui les idées sont innées, le phi-
losophe anglais Thomas Hobbes (1588-1679) affirme que la sensation est à l'origine des
connaissances. On peut donc étudier à partir de faits sensoriels la formation des idées.
Dans ce cadre, une psychologie empirique, expérimentale est non seulement possible,
mais elle paraît nécessaire. Cette nouvelle théorie de la connaissance sera illustrée et
développée de la fin du xvne siècle au début du >axe par John Locke (1632-1704),
David Hume (1711-1776), Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780), James Mill (1773-
1836). Elle donnera naissance à l'associationnisme, théorie psychologique très générale
qui inspirera les premiers travaux de psychologie objective.
En France, tout au long du xixe siècle, soutenu par les découvertes des physiolo-
gistes, se développe un point de vue matérialiste qui affirme que la base des fonctions
psychologiques se trouve dans le cerveau. La phrénologie de Franz Joseph Gall (1758-
1828) est une manifestation forte de ce courant. Pour Gall, il existe une trentaine de
facultés d'autant plus développées que l'est la partie du cerveau qui leur correspond. Le
cerveau imprimant son empreinte sur le crâne, en le palpant on peut découvrir les
facultés dominantes. Erronée, cette théorie, qui vise notamment à rendre compte des
différences individuelles, renferme cependant une idée juste qui aura beaucoup
290 I Psychologie différentielle
À la fin du xixe siècle, tous les psychologues qui veulent se démarquer de la psy-
chologie philosophique et constituer une psychologie objective adhèrent au paradigme
associationniste. Sensibles à la critique radicale de l'introspection formulée par Auguste
Comte (1798-1857), ils souhaitent utiliser des méthodes proches de celles des sciences
naturelles. Le paradigme associationniste se situe dans le prolongement direct de la phi-
losophie empiriste anglaise. Celle-ci est principalement représentée au xixe siècle par
Herbert Spencer (1820-1903), Alexander Bain (1818-1903) et John Stuart Mill (1806-
1873). Les travaux anglais seront popularisés en France par Théodule Ribot (1839-
1916), qui publie en 1870 La psychologie anglaise contemporaine. En France, l'auteur qui
développe le plus systématiquement les thèses associationnistes est Hippolyte Taine
(1828-1893) qui publie, en 1870 également, un gros traité de psychologie intitulé De
l'intelligence, traité qui sera réédité à de nombreuses reprises. Tant les anglais que Taine
et Ribot n'ont aucune pratique expérimentale. Les théories associationnistes sont diver-
ses mais toutes ont en commun quelques principes de base (ce qui justifie leur regrou-
pement dans le cadre d'un même paradigme).
Tout d'abord les associationnistes considèrent que la psychologie a pour objet les
états de conscience. La conscience est ce qui caractérise fondamentalement les phéno-
mènes psychologiques (de même que la physiologie est la physique plus la vie, la psy-
chologie est la vie plus la conscience). Les philosophes — psychologues, pensent la même
chose. Mais tandis que les philosophes considèrent des états de conscience complexes,
ceux qui sont fournis par introspection dans les circonstances de la vie quotidienne, les
psychologues associationnistes s'intéresseront à des états de conscience élémentaires — la
conscience ou non d'une stimulation par exemple — accessibles à la mesure et donc,
pense-t-on, scientifiquement abordables. Les états de conscience élémentaires peuvent
être plus ou moins intenses, avoir une tonalité affective, ils tendent à s'objectiver
(l'image paraît réelle) et à s'associer. Les associationnistes acceptent trois principes qui
constituent le coeur du paradigme. Ce sont des empiristes, des réductionnistes et des
mécanistes.
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 291
Taine écrit encore que tous les faits psychologiques ne sont que les répétitions
« plus ou moins transformées et déguisées » (ibid., p. 163) de la sensation et que les lois
des idées se ramènent aux lois des images « puisque nos idées se ramènent à des ima-
ges » (ibid., p. 71). Les lois de l'association sont donc fondamentales et John Stuart Mill
n'hésite pas à les comparer aux lois de la gravitation en astronomie. Alors que la
théorie des facultés ne fournit qu'une classification des phénomènes psychologiques la
théorie associationniste apporte une explication.
Le troisième principe de la théorie associationniste est le mécanisme. Le processus
d'association est totalement déterminé de l'extérieur. Il dépend des propriétés des élé-
ments qui vont s'associer (sensations, images, idées) et d'elles seules. Le sujet est passif et
on ne lui attribue aucune capacité de contrôle ou d'initiative.
Une conséquence importante de l'adoption du paradigme associationniste est la
centration sur les phénomènes psychologiques élémentaires. Certes, on étudie aussi
l'association d'idées et la mémoire (c'est-à-dire la conservation des associations), mais
l'étude des sensations est privilégiée car elles sont la véritable base du psychisme. Elles
présentent aussi le gros avantage de pouvoir être étudiées avec des méthodes voisines
de celles que les physiologistes mettent en oeuvre, ce qui est un gage de la scientificité
recherchée.
Il - Le contexte social
La fin du XIX e siècle est marquée par des changements sociaux tout à fait notables.
La révolution industrielle, avec la mécanisation, accentue la division du travail et boule-
verse les modalités habituelles de sa reproduction. De nouvelles qualifications et nou-
veaux métiers apparaissent en même temps qu'évolue l'organisation du travail. D'où
une série de problèmes relatifs à la formation et au recrutement de la main-d'oeuvre.
292 I Psychologie différentielle
tion, mesures objectives, données historiques et culturelles. C'est à Stem que l'on doit
l'expression « psychologie différentielle » (en 1900). On lui doit aussi l'invention du
quotient intellectuel comme rapport entre l'âge mental et l'âge chronologique (1911).
Il - Galton en Angleterre
Francis Galton (1822-1911) est un des derniers savants indépendants. Après une
éducation davantage tournée vers les humanités que vers les sciences et un début
d'études médicales, sa fortune personnelle lui permet de conduire les recherches qui
l'inspirent en dehors de toute inscription universitaire. Ses intérêts sont d'une grande
diversité et il a apporté des contributions notables dans plusieurs domaines : géo-
graphie, mécanique, optique, météorologie, anthropométrie, criminologie, psychologie
générale (étude des sensations, des images mentales, de l'association d'idées) et surtout
psychologie différentielle, branche de la psychologie dont il est le fondateur.
Galton est le cousin germain de Charles Darwin (1809-1882). Leur grand-père est
le physiologiste et poète Erasmus Darwin. Galton a suivi la genèse de l'ouvrage princi-
pal de Darwin publié en 1859, L'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte
pour l'existence dans la nature, et il adhère sans réserves aux thèses avancées. Étant en
contact, Galton et Darwin ont d'ailleurs collaboré dans plusieurs recherches expérimen-
tales. La psychologie différentielle de Galton se présente comme une application à
l'espèce humaine de la théorie darwinienne de l'évolution (une autre application de la
théorie darwinienne, développée par Darwin lui-même, est la psychologie comparée).
La variabilité interindividuelle d'origine héréditaire, on le sait, est au coeur de cette
théorie. Alors que l'évolutionnisme de Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) considé-
rait que l'évolution des espèces provenait de l'adaptation des individus aux conditions
de leur milieu, les caractères acquis devenant héréditaires, le mécanisme imaginé par
Darwin est tout différent. Il considère, et il montre à partir de nombreuses observa-
tions, qu'il y a une variabilité entre les individus d'origine héréditaire que l'on peut
admettre aléatoire. Du fait de ce potentiel héréditaire, certains individus sont mieux
adaptés que d'autres aux conditions du milieu : ils ont plus de chances que d'autres de
survivre et de se reproduire. En d'autres termes, le milieu exerce une sélection. Les
caractères héréditaires favorables à l'adaptation tendent donc progressivement à se fixer
au détriment de ceux qui le sont moins et c'est ainsi que les espèces évoluent.
Pour Galton, l'application de la théorie de l'évolution à l'espèce humaine pose
deux grands problèmes : monter qu'il y a une forte variabilité entre les individus et
monter que cette variabilité est héréditaire. Pour traiter les données recueillies Galton
invente des outils statistiques qui sont à la base de toute la statistique descriptive (le
coefficient de corrélation notamment). Il pense aussi que la théorie de l'évolution per-
met le contrôle de l'évolution de l'espèce humaine (de la « race » comme on disait
alors) et donne l'opportunité de l'améliorer.
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 295
Ces variables ont été choisies, écrit Galton, car elles représentent des constantes
personnelles et correspondent à des activités familières (afin de contrôler les effets de
l'apprentissage). Les mesures des dimensions de la tête, jugées importantes, n'ont pas
été effectuées pour des raisons pratiques (tenant notamment au bonnet et au chignon
des femmes !). D'autres appareils, pour explorer le domaine de la sensibilité tactile
notamment, sont seulement présentés. Près de 9 000 personnes seront ainsi mesu-
rées. À la fin de l'exposition le matériel de Galton est transféré dans un laboratoire
anthropométrique où les mesures de l'exposition continueront à être réalisées
jusqu'en 1890.
Toujours en 1884, Galion plaide pour l'ouverture d'un laboratoire à l'Université
de Cambridge qui serait destiné à l'évaluation des « facultés humaines », les exemples
de facultés qu'il indique sont identiques à celles qui sont mesurées à l'Exposition. À
cette époque, Galton a déjà réalisé d'importants travaux sur l'imagerie mentale
(en 1879 notamment) mais, contrairement à ce que suggérera Binet, il n'éprouve pas le
besoin d'introduire des mesures d'imagerie mentale dans ses tests. Par la suite, Galton
introduira de nouvelles variables psychologiques, issues notamment du laboratoire de
Wundt, mais elles concerneront toujours des phénomènes élémentaires. Ce type de tes-
ting, même lorsqu'il ne comportait plus que des variables psychologiques, a été qualifié
296 I Psychologie différentielle
Pour monter que la variabilité interindividuelle est héréditaire, Galton utilise plu-
sieurs méthodes : étude sur les jumeaux (si les jumeaux qui se ressemblent beaucoup
pendant l'enfance continuent à se ressembler beaucoup à l'âge adulte alors qu'ils ne
sont plus dans le même milieu, cela plaide, dit Galton, pour une forte influence des fac-
teurs héréditaires), étude des relations entre les caractères des ascendants et des descen-
dants, arbres généalogiques. Ce sont des résultats obtenus avec cette dernière méthode
dont Galton rend compte en 1869 dans Hereditary genius, ouvrage qu'admirait beaucoup
Darwin. Galton montre que parmi les parents de personnes ayant un haut niveau de
compétence intellectuelle, personnes « éminentes », on rencontre davantage de person-
nes également hautement compétentes que dans la population générale. La compétence
est définie par la réputation attestée par une enquête directe lorsque c'est possible,
sinon à partir de documents dont des biographies. Il examine 300 familles sur plusieurs
générations (les juges de 1660 à 1768, des hommes d'État, des grands artistes...). Il
observe par exemple que lorsque les juges sont éminents, 26 % de leurs pères, 35 % de
leurs frères et 36 % de leurs fils le sont également. Il observe aussi, toujours lorsque les
juges sont éminents, que 15 % de leurs grands-pères, 18 `)/0 de leurs oncles, 19 % de
leurs petits-enfants et 19 % de leurs neveux, 11 % de leurs cousins, 4 % de leurs
grands-oncles et 2 o/ de leurs arrière-grand-parents le sont également. Il y a manifeste-
ment plus de personnes éminentes dans les familles ou il y a déjà une personne émi-
nente que dans la population (une pour 4 000). Galton en déduit, manifestement un
peu rapidement et il s'en rend compte, que l'éminence est un trait familial héréditaire.
d. Les statistiques
Tant pour traiter ses nombreuses données que pour étudier les relations entre
ascendants et descendants Galton a besoin d'outils statistiques. Dans ce domaine Gal-
ton va se montrer particulièrement créatif. Il est à l'origine des étalonnages normalisés.
Dans Hereditag Genius il définit 14 niveaux de compétence, de l'idiotie au génie, qui se
distribuent selon une courbe normale, celle qu'Adolphe Quételet (1796-1874) vient de
mettre en évidence à propos de la distribution des tailles. Avec Galton, qui cependant
ne voit pas le caractère conventionnel de la démarche, apparaît l'idée que l'on peut
définir une métrique à partir de fréquences : la distribution normale est utilisée pour
déterminer les fractions successives de la population qui doivent être utilisées afin de
définir des échelons équidistants (voir chap. 8).
Galton est aussi l'inventeur du coefficient de corrélation de Bravais-Pearson
aujourd'hui universellement utilisé (voir Huteau, 2006). Dans ses recherches sur
l'hérédité, Galton recherche la loi qui relie les caractères des ascendants à ceux des des-
cendants (loi de l'hérédité « ancestrale »). Il étudie d'abord cette question à propos de la
taille de graines de pois, puis à propos des tailles humaines. Dans un premier temps
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 297
ENCADRÉ 7.1
Moyenne
des
descendants
20 21 22
FIG. 7.1
En abscisse : diamètres des graines des ascendants, en ordonnée : diamètre des graines des descen-
dants (en centièmes de pouces).
Galton observe que lorsque la taille des graines des ascendants est par exemple 21 centièmes (écart à
la moyenne de 3 centièmes), celle des descendants est seulement de 17,5 centièmes de pouces en moyenne
(écart à la moyenne d'environ 1,2 centième seulement). Il y a donc eu « régression » vers la moyenne de la
taille des descendants.
e. L'eugénisme
tout au long du xix' siècle. Par contre, il cherche à donner à l'eugénisme des bases
scientifiques en l'arrimant à la théorie darwinienne de l'évolution. Pour Galton, il ne
faut pas se contenter de lutter contre le déclin de l'espèce humaine (selon lui, celui-ci
provient de la plus grande fécondité des classes inférieures qui se caractérisent par de
moindres capacités intellectuelles ; comme ces capacités intellectuelles sont héréditai-
res, le niveau moyen de la population ne peut que décliner) il faut aussi l'améliorer
(eugénisme positif). Sans trop entrer dans le détail il propose des mariages sélectifs, un
abandon des attitudes charitables et une révision des politiques sociales (il faudrait,
écrit-il dans son autobiographie, en 1908, que les « indésirables » ne soient pas les
seuls à bénéficier de l'aide morale et matérielle apportée par la société mais que les
« désirables » en bénéficient également). Aujourd'hui, après les crimes du national-
socialisme, de telles propositions sont bien sûr choquantes et condamnables. Il serait
cependant erroné de faire de Galton un précurseur du nazisme. Ses positions sont
celles de la plupart des médecins, des biologistes et des bourgeois « éclairés » de son
époque.
a. Cattell
ENCADRE 7.2
1 / Pression dynamométrique.
2 / Vitesse de mouvement (vitesse maximum d'un mouvement du bras du repos à une dis-
tance de 50 cm).
3 / Zones sensitives (distance minimale entre deux points de la peau afin que leur excitation
donne encore naissance à deux sensations ; l'endroit choisi est la face dorsale de la main
entre les tendons de l'index et du médius dans le sens longitudinal).
4 / Pression douloureuse (seuil de perception de la douleur consécutive à une pression).
5 / Seuil différentiel de poids (plus petite différence perceptible pour un poids de 100 g).
6 / Temps de réaction auditif simple.
7 / Temps de dénomination de couleurs.
8 / Bissection d'une ligne de 50 cm.
9 / Reproduction d'une durée de dix secondes.
10 / Nombre de lettres retenues après une audition.
b. Spearman
IV - Binet en France
a. La psychologie individuelle
intellectuels » (1895). Certes, Binet n'ignore pas que ces processus sont plus difficiles à
mesurer ( « Les processus qui peuvent le mieux être déterminés par les expériences sont
ceux qui nous servent le moins pour distinguer les individus ») mais comme ils sont
l'objet d'une plus grande variabilité, les exigences de précision peuvent être moindres.
Binet et Henri proposent en 1895 une liste de dix processus qui, selon eux, doivent
prioritairement être pris en compte dans la construction des tests d'intelligence (enca-
dré 7.3). Il suffit de comparer cette liste à celle des dix tests de Cattell présentés quel-
ques années plus tôt (encadré 2) pour s'apercevoir qu'il n'y a que très peu de recouvre-
ment entre elles. Avec Binet, c'est l'objet même de la psychologie qui change.
ENCADRÉ 7.3
1 / La mémoire.
2 / La nature des images mentales.
3/ L'imagination.
4 / L'attention.
5/ La faculté de comprendre.
6 / La suggestibilité.
7 / Le sentiment esthétique.
8 / Les sentiments moraux.
9 / La force musculaire et la force de la volonté.
10/L'habileté et le coup d'oeil.
c. Le dépassement de l'associationnisme
ENCADRÉ 7.4
3 ans
Montrer nez, yeux, bouche
Énumérer les éléments d'une gravure
Répéter deux chiffres
304 I Psychologie différentielle
6ans
Répéter une phase de 16 syllabes
Comparer deux figures au point de vue esthétique
Définir par l'usage des objets familiers
Exécuter trois commissions
Donner son âge
Distinguer matin et soir
9 ans
Donner la date du jour complète
Énumérer les jours de la semaine
Donner des définitions supérieures à l'usage
Conserver 6 souvenirs après lecture d'un fait divers
Rendre 4 sous sur 20 sous
Ordonner 5 poids
12 ans
Répéter 7 chiffres
Trouver 3 rimes
Répéter une phrase de 26 syllabes
Interpréter des gravures
ENCADRÉ 7.5
Après des études médicales, Édouard Toulouse se spécialise en médecine mentale et devient
aliéniste (médecin fonctionnaire en poste dans ces institutions publiques que sont les asiles
d'aliénés). Nommé médecin-chef à l'asile de Villejuif en 1897, il y crée dès son arrivée un labo-
ratoire d'anatomie comparée et un laboratoire de psychologie expérimentale où seront for-
més Henri Piéron et Jean-Maurice Lahy qui joueront un rôle important respectivement en
orientation professionnelle et en psychologie du travail. En 1922, Toulouse, qui avait toujours
milité pour la libéralisation et l'ouverture des asiles, fonde le premier service de psychiatrie
ouvert auquel il adjoint plusieurs laboratoires de biologie et de psychologie, il le dirigera jus-
306 I Psychologie différentielle
a. L'éducation
Nous avons vu qu'avec la création d'un enseignement spécial pour les débiles
mentaux se posait le problème du diagnostic de la débilité mentale. Nous avons vu éga-
lement comment Binet, avec l'Échelle métrique de l'intelligence avait proposé un élé-
ment de solution. Les méthodes de Binet seront mises en pratique à grande échelle aux
États-Unis. Au début du xxe siècle, des psychologues, Édouard Claparède (1873-1940)
à Genève notamment, pensent, comme Binet, et aussi comme Cattell un peu plus tôt,
que la prise en compte des différences individuelles objectivement mesurées est suscep-
tible de permettre une meilleure individualisation de l'enseignement pour tous les élèves
et ils travaillent dans ce sens. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sera créé
en France un service de psychologie scolaire destinée à faciliter l'adaptation de l'enfant
à l'école et l'adaptation de l'école à l'enfant (voir chap. 12).
L'orientation scolaire vers des établissements et des types d'enseignement particu-
liers est un autre problème qui relève du diagnostic des différences individuelles. Dès la
fin du xixe siècle, et avec beaucoup plus de force à partir des années 1930, on montre
que les évaluations scolaires traditionnelles ne sont pas objectives et manquent de perti-
nence. Aux États-Unis on utilise très tôt les tests pour repérer les « surdoués » et leur
faire bénéficier, eux aussi, d'un enseignement spécial. On les utilise également pour
constituer des classes homogènes, une forte homogénéité des classes étant alors consi-
dérée comme un facteur favorable aux apprentissages. En 1926, les universités améri-
caines commencent à utiliser pour recruter leurs étudiants, le Scholastic Aptitude Test.
Constamment révisé, ce test est toujours en usage. Dans les pays européens, et plus par-
ticulièrement en France, avec une exception notable, l'Angleterre, les réalisations sont
beaucoup plus modestes. En Angleterre, en 1913, les responsables londoniens de
l'éducation confient d'importantes missions à Cyril Burt, qui est parfois considéré
comme le premier psychologue scolaire : dépistage des débiles, détection des élèves en
difficulté et proposition de remédiation, orientation scolaire au moyen de tests, enquête
sur l'état du système d'enseignement.
b. La psychopathologie
Dès la fin du xixe siècle des élèves de Wundt utilisent ses situations expérimentales
en vue d'améliorer la caractérisation des troubles mentaux. Des laboratoires sont créés
au sein même des hôpitaux (1893 aux États-Unis, 1897 en France avec Toulouse) afin
d'étudier des méthodes d'observation et de les appliquer systématiquement aux mala-
des. Ces premières applications ont une portée limitée qui provient à la fois de l'état de
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 307
la psychologie qui demeure centrée sur l'observation des processus élémentaires et sur
celui de la psychiatrie qui commence seulement à différencier les troubles mentaux.
Nous avons déjà évoqué la question de la débilité mentale qui se situe aux frontières de
l'éducation et de la psychopathologie.
c. L'orientation professionnelle
d'orientation professionnelle. Dès lors les conditions sont remplies pour que l'usage de
la psychologie différentielle et des tests en orientation se généralise. Et il se généralisera
effectivement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (voir chap. 13).
d. La sélection professionnelle
L'idée d'utiliser des épreuves objectives pour caractériser les aptitudes professionnel-
les des individu afin de décider, en conséquence, s'il sont plus ou moins aptes à occuper
un poste ou un emploi particulier est ancienne et on la trouve déjà chez Galton. Mais il
faut attendre le début des années 1910 pour voir apparaître des réalisations effectives.
Celles-ci sont précédées de travaux de laboratoire où l'on cherche à déceler les aptitudes
pertinentes (« les signes de la supériorité professionnelle », disait Toulouse) en comparant
des travailleurs efficients et d'autres qui le sont moins. Le premier qui se lance dans cette
voie est Hugo Münsterberg, un élève dissident de Wundt installé aux États-Unis. En
France, Jean-Maurice Lahy (1872-1943), dans le laboratoire de Toulouse, étudie les apti-
tudes des dactylographes (1905) et des conducteurs de tramways (1908).
Les premières applications sur le terrain sont conduites par Münsterberg en 1913
et elles concernent la sélection des conducteurs de tramways (cet intérêt pour les
conducteurs de tramways s'explique par les nombreux accidents dans lesquels ce moyen
de locomotion était impliqué et aussi par la relative facilité apparente de l'identification
des caractéristiques personnelles pertinentes). Pour la France, il semble que ce soit Tou-
louse lui-même qui, à partir des travaux antérieurs de Lahy, ait conduit la première
opération de sélection, également sur les conducteurs de tramways, pendant la Pre-
mière Guerre mondiale (voir son témoignage dans l'encadré 7.6). La première entre-
prise française à se doter d'un laboratoire psychotechnique, en 1924, fut la Société des
transports en commun de la région parisienne (l'ancêtre de la RATP). Les études préala-
bles furent effectuées par Lahy qui supervisa aussi la mise en place du laboratoire.
Comparativement à ce qui se fait aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les développe-
ments de la sélection professionnelle au moyen de techniques psychométriques sont
lents et laborieux. À la veille de la Seconde Guerre mondiale on compte sur les doigts
d'une main les entreprises qui possèdent un service psychotechnique. La situation chan-
gera et deviendra beaucoup plus favorable à la psychotechnique au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale.
ENCADRÉ 7.6
« J'ai, pendant la guerre, été amené à faire la sélection des femmes wattmans pour une com-
pagnie de tramways. Il s'agissait de choisir les candidates présentant une attention stable,
résistant aux perturbations d'ordre émotif.
« Dans mon enquête préalable, je me rendis compte que les accidents sont souvent dus
à ce que, devant la menace soudaine d'une collision, le wattman qui doit immédiatement cou-
per le courant tourne, dans l'émotion, la manette en sens inverse, ce qui augmente la vitesse
au lieu de la diminuer.
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 309
« L'épreuve principale que j'établis portait sur les temps de réaction, c'est-à-dire
l'intervalle — évalué en centièmes de seconde — compris entre un excitant auditif ou lumineux
et la réaction de la main du sujet dans le sens voulu.
« La candidate était en outre prévenue que, si elle tardait à réagir, elle recevrait dans la
main une décharge électrique désagréable. Cette attente tendait à développer un état affectif
qui perturbait les temps de réaction.
« Les bons sujets avaient des réactions courtes et régulières. Le choix opéré par ces
méthodes eut pour résultat que les femmes quoique inférieures aux hommes par la résistance
et l'émotivité au danger physique, n'ont pas causé plus d'accidents que les hommes choisis
par des moyens uniquement médicaux. »
Il - Les tests
des questionnaires de personnalité fondés sur ce principe est le Minnesota Multiphasic Per-
sonalip, Inventog (MMPI) dont la première version date de 1940. La plupart des question-
naires de personnalité sont fondés sur un autre principe : ils décrivent l'individu sur une
série de traits (le plus souvent mis en évidence par l'analyse factorielle). Les premiers
tests objectifs de personnalité, c'est-à-dire basés sur l'observation effective du comporte-
ment et non plus sur l'autodescription au moyen de questionnaires, datent de la fin des
années 1920 avec les travaux de H. Hartshorne et M. A. May sur des traits comme
l'honnêteté ou la coopération. Le premier questionnaire d'intérêts professionnels est
présenté par Edward. K. Stong en 1927. Un peu plus tard on proposera des procé-
dures d'évaluation des opinions, des attitudes et des valeurs. Pour compléter ce pano-
rama, signalons que l'origine des tests projectifs n'est pas américaine mais européenne
avec les recherches sur les associations libres de Galton (1879) et de Carl G. Jung
(1.910) et le test d'interprétation des taches d'encre d'Hermann Rorschah (1921).
deviendra fréquent qu'après la Seconde Guerre mondiale). Sur ce point, Piéron est en
avance : un trait marquant de l'évolution des tests d'intelligence est précisément
l'abandon des évaluations unidimensionnelles pour des évaluations multidimensionnel-
les. Piéron et son épouse ont construit, en 1930, un test qui permet de classer les sujets
sur un profil en 21 points. C'est ce test qu'appliquaient les quelques conseillers
d'orientation qui, dans les années 1930, appliquaient des tests (à la même époque, leurs
homologues anglais utilisaient l'adaptation du Binet-Simon mise au point par Burt...).
Si, pendant la période considérée, la psychologie différentielle est surtout une psy-
chologie appliquée, elle traite cependant également de problèmes plus généraux dont
les applications éventuelles n'apparaissent pas toujours immédiates.
des facteurs s) apparaît alors comme un cas particulier que l'on ne rencontre qu'avec
un choix de tests particulier (notamment ne pas utiliser de tests qui se ressemblent,
sinon les facteurs spécifiques deviennent des facteurs de groupe). Thurstone, dans ses
analyses, mettait généralement en évidence six à huit facteurs de groupes qu'il appelait
des « aptitudes mentales primaires ».
On était donc en présence de deux conceptions de l'intelligence qui paraissaient
s'exclure mutuellement. On a montré par la suite, en construisant des « modèles hiérar-
chiques » (C. Burt et P. E. Vernon en 1952, R. B. Cattell et J. L. Horn en 1966) que
ces deux approches n'étaient pas contradictoires (voir chap. 9). Dans ces modèles on
trouve au sommet de la hiérarchie un facteur g (du fait que les facteurs de groupe ne
sont pas indépendants) ; puis, aux étages intermédiaires, des facteurs de groupe larges et
des facteurs de groupe plus restreints ; enfin, à la base de la pyramide, il y a les facteurs
spécifiques. Par la suite les méthodes d'analyse factorielle se sont perfectionnées (et elles
sont devenues d'usage courant dans toutes les disciplines scientifiques). Elles fournissent
un tableau des principales dimensions du fonctionnement cognitif et de la personnalité
(l'analyse factorielle a été utilisée pour étudier la structure des tests de personnalité
dès 1914). De nombreux tests cognitifs (tests de facteur g ou tests d'aptitudes) et ques-
tionnaires de personnalité (on assimile alors trait et facteur) sont construits au moyen de
la technique de l'analyse factorielle (voir chap. 9).
b. Hérédité et milieu
Pour Galton, nous l'avons vu, la variabilité interindividuelle est, pour une part,
d'origine héréditaire. Nous avons vu également comment il avait tenté de le montrer
(voir § II, p. 294). La plupart des psychologues qui s'intéressent à la variabilité entre les
individus sont convaincus de la forte influence de l'hérédité et ils le font savoir (avec des
exceptions notables : Binet et Spearman, par exemple, ne s'expriment pas sur cette
question). Beaucoup pensent que les lois de Mendel, passées inaperçues en 1865 et
redécouvertes en 1900, fournissent la base théorique la plus satisfaisante pour la psy-
chologie différentielle. Les Américains (Goddard, Terman, Yerkes) constatent des diffé-
rences en comparant des noirs et des blancs, des émigrants et des natifs du pays, ou
encore des personnes nées en ville et à la campagne, et ils considèrent, dans les
années 1920, sans justifications, qu'elles s'expliquent principalement par des facteurs
héréditaires (par la suite plusieurs d'entre eux reviendront sur ce point de vue). De
nombreux psychologues de l'école anglaise, avec notamment Cyril Burt, Raymond
B. Cattell (1905-1998), qui fera quasiment toute sa carrière aux États-Unis, et Hans
J. Eysenck (1916-1997), marqués par l'héritage galtonien, ont également de solides
convictions héréditaristes (celles-ci conduiront Burt, à la fin de sa vie, à falsifier ses don-
nées pour les rendre plus convaincantes).
Au début du )(Xe siècle, et plus particulièrement dans les années 1920-1930, les
méthodes d'étude destinées à montrer le rôle de l'hérédité et à estimer son poids se
diversifient. En 1905 on compare la ressemblance entre jumeaux et la ressemblance
entre frères et soeurs. En 1928 on commence à comparer la ressemblance des jumeaux
monozygotes à celle des jumeaux dizygotes. Dès 1925 on s'intéresse aux jumeaux
monozygotes élevés séparément et en 1933 on comparera des jumeaux monozygotes
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 315
élevés ensemble et élevés séparément. La première étude sur les enfants adoptés où l'on
compare la ressemblance entre les parents et leurs enfants naturels et la ressemblance
entre les parents adoptifs et leurs enfants adoptés est publié en 1928. Dans les
années 1930 se développent aussi les études sur l'animal au moyen de croisements
sélectifs. Il ressort de ces premiers travaux que l'hérédité et l'environnement sont à
l'ceuvre mais on attribue un poids plus grand à l'hérédité (de 60 à 80 %). On ne pren-
dra conscience que bien plus tard des ambiguïtés et de la signification réelle de ces
coefficients d'héritabilité (voir chap. 11). À partir des années 1920, en même temps que
se développent les études sur les jumeaux et les enfants adoptés, on étudie aussi la rela-
tion entre les conditions de vie des parents et le niveau intellectuel des enfants : compa-
raisons en fonction du niveau socio-économique de la famille, de la durée et des moda-
lités de la scolarisation.
Finalement, bien que les facteurs héréditaires soient le plus souvent considérés
comme les plus importants, c'est un point de vue interactionniste qui domine. Voici
comment héron l'exprime en 1949 au moyen d'une métaphore agricole (on remar-
quera qu'il relativise les mesures d'héritabilité en montrant qu'elles dépendent de la dis-
persion des facteurs héréditaires et des facteurs environnementaux) :
« On sait que dans un même terrain, au même moment, des graines sélectionnées de
blé venant de souches différentes présentent des inégalités de rendement, d'origine génoty-
pique ; mais des graines provenant d'une même souche, semées dans des terrains divers,
soumis à des conditions climatiques variées, donneront des rendements inégaux, avec des
écarts dont la grandeur dépendra de l'importance des différences favorables ou défavorables
que comportent les conditions de milieu. Et, avec des graines de souches multiples et en des
terrains variés, les différences de rendement seront conditionnées en partie par les structures
génotypiques, en partie par les influences paratypiques avec une inégale participation, dans
la variance, des deux facteurs, en fonction de la grandeur d'écart, pour chacun d'eux, par
rapport à une certaine valeur moyenne.
« Il n'en va pas autrement pour les organismes, quels qu'ils soient, et pour l'homme
en particulier, les caractères psychologiques se comportant exactement comme tous les
caractères observables. »
Dans les années 1950-1960 plusieurs auteurs ont pris conscience du caractère inte-
nable de cette situation et ont travaillé au rapprochement du point de vue général et du
point de vue différentiel. Un tel rapprochement supposait que la psychologie différen-
tielle se décentre des applications. Il supposait aussi que la psychologie expérimentale
s'intéresse à des conduites de niveau supérieur, ce qui fut permis par les développe-
ments de la psychologie cognitive.
On a d'abord montré que ces deux points de vue étaient complémentaires. Il y a
tout intérêt pour la psychologie différentielle à s'inspirer de la psychologie expérimentale
pour éprouver la validité théorique des tests (voir chap. 8). Et il y a aussi tout intérêt pour
la psychologie expérimentale à ne plus traiter des variables isolées, mais des familles de
variables dont on connaît la structure comme le fait couramment la psychologie différen-
tielle. Dans un second temps, on a montré qu'il était avantageux de considérer simulta-
nément, et en interaction, les caractéristiques individuelles et les facteurs situationnels.
des groupes de sujets équivalents dans lesquels il y a une forte variabilité sur x. On
mesure l'efficience des sujets à l'issue de l'application des méthodes (y).
Les résultats peuvent avoir des configurations diverses. Deux d'entre elles sont
indiquées sur la figure 7.2. En 7.2 a, il y a une liaison positive entre la variable prédic-
trice et l'efficience, la force de cette liaison est la même quelle que soit la méthode et la
méthode A est supérieure à la méthode B. Il n'y a pas d'interaction aptitude-traitement.
En 7.2 b, il y a encore une liaison positive entre la variable prédictrice et l'efficience,
mais elle est plus forte dans le groupe A que dans le groupe B. On ne peut plus dire
qu'une méthode est supérieure à l'autre : B est supérieure lorsque la performance sur x
est faible, A est supérieure lorsqu'elle est moyenne ou forte. Il y a interaction entre
l'aptitude et le traitement. Des résultats ayant cette dernière forme ont été observés : les
méthodes pédagogiques laissant beaucoup d'initiative à l'élève, comme dans
l'enseignement traditionnel (méthode A) sont plus efficaces que les méthodes où l'élève
est guidé et contrôlé (définitions d'objectifs, évaluations au cours même de
l'apprentissage) (méthode B) pour les élèves ayant des performances moyennes ou éle-
vées dans les épreuves d'intelligence fluide et moins efficaces pour ceux qui ont des
scores faibles dans ces épreuves.
V Y
C
C
X X
Aptitude Aptitude
quées que par des lois générales et ces lois ne peuvent être qualifiées de générales que si
elles se montrent capables d'expliquer ces différences.
En 1978, Reuchlin a proposé un cadre général d'analyse permettant d'aborder
conjointement les aspects généraux et les aspects différentiels des conduites. Dans beau-
coup de situations, et notamment dans des situations complexes, il n'y a pas un proces-
sus unique d'élaboration de la réponse mais plusieurs processus qui peuvent se substi-
tuer l'un à l'autre et qui remplissent la même fonction (c'est en ce sens qu'ils sont
vicariants). Cette vicariance a une valeur adaptative. Chaque individu dispose donc
d'un répertoire de processus vicariants lui permettant de s'adapter aux situations. Tous
ces processus ne sont pas également disponibles et il y a une hiérarchie d'évocabilité qui
n'est pas la même chez tous les individus (elle varie en fonction de la constitution géné-
tique, de l'histoire personnelle et de l'interaction entre ces deux catégories de facteurs).
Certaines propriétés des situations rendent plus probable l'activation de certains pro-
cessus. Si les processus vicariants remplissent la même fonction, ils ne la remplissent
pas forcément avec la même efficacité et le coût de leur mise en oeuvre peut être
très variable. Dans ce cadre, le phénomène général est la variabilité des processus
adaptatifs.
Cette idée générale fut d'abord spécifiée et éprouvée à propos du développement
de l'intelligence tel qu'il est décrit dans la théorie piagétienne, théorie qui ne se préoc-
cupe pas des différences individuelles (voir Larivée et al., 1996). Jacques Lautrey, après
avoir analysé la variabilté intraindividuelle dans les épreuves de développement opéra-
toire et les modifications de la conduite au cours du développement, a proposé un
modèle multidimensionnel et pluraliste du développement cognitif qui reprend l'idée de
vicariance. Deux modes de traitement vicariants sont distingués : le traitement proposi-
tionnel (qui correspond au domaine des opérations logico-mathématiques) et le traite-
ment analogique (qui correspond au domaine des opérations infralogique). Leur inte-
raction permet de rendre compte de l'allure générale du développement et de sa
singularité.
Le rapprochement de la psychologie générale et de la psychologie différentielle, là
où il s'est réalisé, a eu deux conséquences majeures. D'une part, la psychologie différen-
tielle traite maintenant des mêmes problèmes que la psychologie générale. L'époque où
elle n'était qu'une psychologie appliquée est bien terminée. D'autre part, les applica-
tions sont de mieux en mieux fondées théoriquement.
LECTURES CONSEILLÉES
Les tests sont des dispositifs d'observation qui permettent de mettre en évidence des dif-
férences entre les individus. Ils peuvent être utilisés à des fins de recherche (vérifier des
hypothèses, décrire des groupes...) ou d'application, ils sont alors un élément des exa-
mens psychologiques.
Les tests sont très nombreux (les répertoires spécialisés en recensent plusieurs mil-
liers, en 2006, le catalogue des Éditions du centre de psychologie appliquée, le premier
éditeur français de tests, en présentait plus d'une centaine). Certains portent sur
l'observation des conduites. On peut distinguer :
— les tests d'aptitudes : ce sont des tests qui portent sur des aspects globaux ou analyti-
ques du fonctionnement intellectuel, de son développement et de son efficience ou
des tests psychomoteurs. On appelle aussi « tests d'aptitude » des tests construits
afin de voir si un individu possède les caractéristiques permettant de penser qu'il
réussira ( « qu'il sera apte») dans une formation ou une activité généralement pro-
fessionnelle (on parlera par exemple d'aptitude à la programmation ou aux métiers
de la vente) ;
— les tests de personnalité, qui comportent des tests dits « objectifs », dans lesquels, à
partir de conduites observées, on repère des manières habituelles de se comporter et
les tests projectifs où en structurant un matériel ambigu le sujet « projette » sa per-
sonnalité ;
— à ces grandes catégories de tests psychologiques on peut ajouter les tests de connais-
sances, scolaires ou professionnelles.
On peut aussi adopter un point de vue plus large et inclure dans les tests les ques-
tionnaires de personnalité et les inventaires d'intérêts et de valeurs. Au moyen de ces
instruments on n'observe plus des conduites mais on recueille, sous une forme qui jus-
tifie la dénomination de tests, la description que le sujet se fait de lui-même.
Les tests peuvent être appliqués individuellement ou collectivement. En général les
tests qui supposent la manipulation d'un matériel sont individuels. Les tests collectifs
sont dans l'immense majorité des cas des tests où le sujet fournit sa réponse par écrit
(tests « papier-crayon »).
324 I Psychologie différentielle
Le plus souvent on caractérise les individus en les situant sur des dimensions (apti-
tudes, traits de personnalité, intérêts...). On pense qu'ils sont d'emblée comparables et
le point de vue adopté est « nomothétique ». Il existe cependant quelques tests où, dans
un premier temps, on caractérise les individus sans référence à d'autres en cherchant à
décrire leur singularité. On trouvera dans l'encadré 8.1 un exemple de cette approche
qui est dite « idiographique » (pour d'autres exemples, voir Huteau, 2006). Dans le
domaine des tests ces deux approches, que l'on qualifie parfois aussi de « normative » et
d' « ipsative », ne sont pas radicalement opposées et l'on procède fréquemment à des
comparaisons entre individus à partir des données de l'approche idiographique.
ENCADRÉ 8.1
Le Q sort
-
Le 0 - sort est constitué d'une série de descripteurs de la personnalité (souvent une centaine)
dont le contenu dépend des objectifs poursuivis. Le sujet doit indiquer si ces descripteurs le
décrivent plus ou moins bien. On impose un nombre d'échelons. Le nombre de descripteurs
pour chaque échelon est également imposé. Prenons par exemple un 0 -sort de 100 items avec
9 échelons (1 / cette proposition ne me décrit absolument pas... 9 / cette proposition me décrit
parfaitement). Le sujet doit placer 4 propositions sur les échelons 1 et 9, 7 propositions sur les
échelons 2 et 8, 12 propositions sur les échelons 3 et 7, 17 propositions sur les échelons 4 et 6
et 20 propositions sur l'échelon 5. La distribution du nombre de propositions par échelons cor-
respond à une distribution normale. Les propositions sont inscrites sur des fiches et le sujet
doit les placer sur un tableau qui indique le nombre de propositions pour chaque échelon. Un
des intérêts du 0- sort est qu'il permet une mesure de la ressemblance entre deux descrip-
tions. Chaque descripteur se voit attribuer un score de 1 à 9 dans chaque description et la cor-
rélation entre les deux séries de scores est une mesure de la proximité des descriptions.
Tous ces instruments respectent plus ou moins certaines des règles d'une méthodo-
logie propre qui constitue la psychométrie. Les méthodes psychométriques, apparues au
mixe siècle avec la psychophysique, ont été développées tout au long du xx' siècle, prin-
cipalement à propos des tests collectifs. Les principes de cette méthodologie sont assez
contraignants. Ils portent sur la standardisation de l'observation, la définition des
dimensions, les conditions de la mesure et sa fiabilité. Les individus étant décrits, reste,
bien sûr, à s'interroger sur la signification pratique ou théorique de cette description.
C'est la grande question de la validité.
A - OBSERVATION ET MESURE
Les procédures d'observation peuvent être placées sur un continuum avec à l'un
un pôle l'observation libre et à l'autre une observation contrainte. Dans l'observation
libre, l'observateur n'a pas de règles, les conditions de l'observation et les indications
La méthode des tests I 325
qui sont données au sujet dépendent des circonstances et peuvent être très variables, on
peut observer 'des choses très différentes que l'on ne soupçonnait pas, la manière de
caractériser la conduite du sujet relève de la décision de l'observateur. Dans
l'observation contrainte qui correspond à la situation de test il en va tout autrement : la
situation est bien définie, les consignes spécifiées à l'avance et le mode de caractérisa-
tion du sujet explicité. Toutes les indications concernant ces trois points figurent dans le
manuel qui accompagne le test. Lorsqu'on modifie quelques paramètres de la situation
on construit la plupart du temps un nouveau test.
Cette standardisation est poussée à son maximum avec les tests de groupe utilisant
des questions à choix multiples (Qcm). Les sujets sont alors dans des conditions rigou-
reusement identiques et la correction se limite au relevé des bonnes réponses. Il en va
de même lorsque les tests (passation et correction) sont informatisés. Dans les tests indi-
viduels où les réponses sont libres la standardisation est moins stricte. Prenons par
exemple un test de vocabulaire où le sujet doit fournir des définitions de mots. Certes,
un barème, accompagné de nombreux exemples, permet de coter les réponses fournies.
Mais il n'est pas toujours aisé de faire entrer dans une catégorie du barème une
réponse particulière. Par ailleurs on n'indique pas jusqu'où l'observateur doit aller pour
faire préciser une définition ou donner la possibilité au sujet de modifier sa réponse.
Mais même dans ces cas la standardisation est très poussée, beaucoup plus que dans les
évaluations scolaires, par exemple, où les études docimologiques ont régulièrement
montré depuis maintenant soixante-dix ans que les désaccords entre correcteurs dans
l'évaluation d'une même copie étaient beaucoup plus importants que ce que l'on ima-
gine habituellement et que ce que les enseignants sont prêts à concéder. La standardisa-
tion des tests projectifs, et plus particulièrement la cotation des réponses, est générale-
ment moins poussée. Il existe cependant pour ces épreuves des procédures parfaitement
objectives (voir, par ex., pour le test de Rorschach la méthode proposée par Exner,
1993).
La standardisation n'entraîne pas forcément un comportement stéréotypé de
l'observateur. Prenons l'exemple de la consigne dans un test d'intelligence. Selon les cas
elle doit apporter des informations, suggérer des méthodes de résolution des problèmes
proposés, indiquer la finalité de l'action. L'essentiel est que la consigne remplisse sa fonc-
tion et cet objectif n'est pas nécessairement atteint en adressant à tous les individus un
exposé rigoureusement identique. Dans le cadre d'une observation standardisée il est
possible de prévoir un questionnement afin de tenir compte du contexte mental de la
réponse et de préciser sa signification. C'est ainsi, par exemple, que dans des tests inspi-
rés de la théorie de Piaget, afm de savoir quelles sont les structures logiques sous-jacentes
à la conduite, il est prévu que l'observateur non seulement interroge le sujet sur les rai-
sons de sa réponse mais aussi procède à des suggestions et à des contre-suggestions (voir
chap. 3, II, p. 110). Les interventions de l'observateur s'adaptent alors aux réponses des
sujets selon les principes de la méthode « critique » (ou « clinique ») de Piaget.
Cette standardisation a une fonction unique : permettre la comparabilité des sujets
ou, en d'autres termes, s'assurer que les différences entre les sujets ne relèvent pas des
aléas de la situation ou de la subjectivité de l'observateur. L'observation standardisée
est dite « objective » en ce sens qu'elle permet l'accord entre les observateurs (ce qui ne
signifie pas qu'elle est « vraie », il existe des erreurs collectives !).
326 I Psychologie différentielle
Il - Les items
Dans certains tests le sujet est mis en présence d'une seule situation. Il peut avoir à
résoudre une tâche compliquée, par exemple copier et mémoriser une figure complexe
(encadré 8.2). Il peut aussi avoir à effectuer de manière répétitive une tâche élémen-
taire, comme dans un test psychomoteur où il faut le plus rapidement possible placer
des tiges dans des trous. Mais le plus souvent les tests sont constitués d'une série de
questions ou de problèmes, les items. (On appelle également « tests » des échelles ou
des batteries qui sont des ensembles de tests, les tests qui les constituent sont alors des
sous-tests ou des subtests.)
ENCADRÉ 8.2
FIG. 8.1
En 1942, le psychologue suisse André Rey, afin d'évaluer les déficits mnésiques de sujets
atteints de troubles cérébraux, a proposé une épreuve consistant d'abord à copier la figure
ci-dessus (figure sans signification, assez facile à réaliser graphiquement et complexe, c'est-à-
dire supposant une activité perceptive analytique et organisatrice), puis à la reproduire de
mémoire. Il se proposait ainsi de dissocier ce qui relève du déficit mnésique proprement dit et
ce qui relève de l'insuffisance de l'organisation perceptive.
Dans la consigne on indique qu'il n'est pas nécessaire de faire une copie rigoureuse du
modèle mais qu'il faut cependant faire attention aux proportions et ne rien oublier. On indique
aussi qu'il n'est pas utile de se hâter. Le sujet commence le dessin de mémoire trois minutes
après la fin de la copie. Tant pour la copie que pour l'épreuve de mémoire, et afin que l'on
puisse reconstituer la dynamique de reconstruction de la figure, le sujet utilise au fil du temps
des crayons de couleur différente.
La méthode des tests I 327
Dans le manuel de l'épreuve, deux systèmes de cotation des productions sont indiqués.
Ils valent pour la copie et la mémorisation. (On mesure aussi les temps de réalisation.)
1 / Sept manières de réaliser le dessin sont décrites, de la plus primitive (gribouillage, on ne
reconnaît aucun des éléments du modèle ni sa forme globale) à la plus élaborée (construc-
tion à partir du grand rectangle central qui sert d'armature et autour duquel les autres élé-
ments viennent se grouper). Ces descriptions types, dont on connaît la répartition par âge,
ont beau être précises elles ne permettent pas une évaluation parfaitement objective.
2 / La figure est décomposée en 18 parties constituant des unités (par exemple, la croix au coin
gauche en haut, le cercle avec les trois points dans le secteur supérieur droit du grand rec-
tangle). Chaque unité correctement reproduite vaut 2 points si elle est bien placée, 1 point
si elle est mal placée, chaque unité déformée mais reconnaissable vaut 1 point si elle est
bien placée et 0,5 point si elle ne l'est pas. La somme des points fournit un score global. Ce
mode de cotation est plus objectif que le précédent.
La correction de la figure de Rey a été automatisée. Le sujet reproduit la figure au moyen
d'un stylet sur une table à digitaliser. Ses conditions de travail sont très proches des condi-
tions habituelles. La table à digitaliser, qui permet le recueil d'informations spatiales (précision
du dixième de millimètre) et temporelles (précision du centième de seconde) est reliée à un
ordinateur qui traite les informations recueillies. Les productions du sujet sont caractérisées
selon de nombreux paramètres relatifs notamment à l'aspect global de la figure (taille et
forme du grand rectangle...) et à la maîtrise du tracé (nombre des traits, courbure des traits...).
Le logiciel actuel ne prend en compte que les aspects statiques du tracé mais on peut envisa-
ger des logiciels qui traiteraient de la vitesse et des accélérations et ralentissements. On peut
disposer d'une reproduction de la production du sujet aux divers moments de sa réalisation
(ce qui est plus précis que ce que l'on peut appréhender à partir des changements de couleur
du tracé). Enfin, on peut disposer d'informations inaccessibles avec le mode de passation
habituelle (pression, inclinaison du stylet). Ce mode de cotation est parfaitement objectif
(Amara et al., 2002).
Le choix des items d'un test dépend des objectifs visés par le constructeur et de ses
conceptions psychologiques, il obéit aussi à certaines considérations pratiques. Les
objectifs peuvent être très divers : évaluer l'efficience dans un secteur particulier du
fonctionnement cognitif (capacité verbale, visualisation...), évaluer le niveau scolaire des
élèves, identifier la source de certaines difficultés d'apprentissage, sélectionner du per-
sonnel, caractériser le sujet sur plusieurs traits de personnalité... La définition de
l'objectif circonscrit la population des items possibles, les conceptions psychologiques du
constructeur vont la restreindre encore. S'il ne dispose pas de théories, le contenu des
items ne pourra provenir que de la psychologie commune. Par contre, s'il dispose d'une
théorie, et quelle que soit sa nature, celle-ci donnera des indications sur la nature des
items à retenir. Si le constructeur veut construire un test d'introversion-extraversion et
se réfère à la théorie structurale de Hans J. Eysenck (cf. chap. 10, B, p. 394), celle-ci le
guidera dans le choix des items en lui indiquant qu'il y a cinq facettes dans
l'extraversion : sociabilité, impulsivité, activité, entrain, excitabilité. S'il souhaite cons-
truire un test de développement de la pensée logique en se référant à la théorie géné-
tique de Piaget (cf. chap. 2, A, p. 37), celle-ci lui indiquera non seulement les étapes de
ce développement mais aussi les types de structures logiques dont les items du test
devront révéler l'existence (par exemple, conservation, transitivité, inclusion des classes
pour le passage au stade des opérations concrètes). S'il souhaite construire un test
328 I Psychologie différentielle
ENCADRÉ 8.3
A. Tests verbaux
— Compréhension de phrases. On présente un dessin et six courtes phrases, trouver parmi
elles celle qui est exacte.
o ■■
FIG. 8.2 a
— Analogies verbales. On donne trois mots et il faut choisir le quatrième de telle sorte qu'il
soit au troisième comme le second est au premier.
LIÈVRE est à RAPIDITÉ comme TORTUE est à...
1 / lenteur, 2 / retard, 3/ vélocité, 4 / exactitude, 5 / régularité, 6/ acharnement.
B. Tests spatiaux
— Soustractions géométriques. On découpe dans la figure située à gauche un morceau sem-
blable au petit dessin à sa droite. Chercher parmi les cinq dessins reproduits à droite du
trait vertical ce qui reste du dessin de gauche après que l'on ait découpé la figure placée à
sa droite.
A B C D
,J7
FIG. 8 . 2 b
A
B
B
C
FIG. 8 . 2 c
— Briques. Imaginez que vous êtes derrière le tas de briques et que vous le regardez dans le
sens de la flèche. Que verriez-vous ?
E F G H
r
E
{F
1
I I G
H
FIG. 8 . 2 d
2 3 4 5 6
FIG. 8.2 e
330 I Psychologie différentielle
— Figures opposées. Chercher parmi les quatre figures ABCD celle qui est la plus différente
de la figure placée à gauche.
E G H E
• • G
H
FIG. 8.2 f
— Matrices. Trouver parmi les cinq dessins qui se trouvent à droite celui qui manque dans le
coin inférieur droit du carré.
K L M N O
0 A
o FIG. 8 . 2 g
Dans les questionnaires, les réponses des sujets sont souvent biaisées par des ten-
dances de réponse : la tendance à l'acquiescement, qui consiste à répondre plutôt oui
que non, plutôt vrai que faux ou plutôt d'accord que pas d'accord en cas d'incertitude
et la tendance à donner des réponses socialement désirables. Il est relativement aisé de
contrôler la tendance à l'acquiescement : il suffit par exemple de formuler les items de
telle sorte que la réponse « oui » indique pour la moitié d'entre eux que le sujet se situe
plutôt à un pôle de la dimension et que la réponse « non » indique pour l'autre moitié
des items qu'il se situe au même pôle de la dimension.
Le contrôle de la tendance à donner des réponses socialement désirables est plus
délicat. Deux méthodes sont classiquement utilisées. L'une consiste à mesurer la force de
la tendance en construisant des « échelles de mensonge » (dénomination discutable dans
la mesure où la tendance à donner des réponses socialement désirables n'est pas toujours
consciente) constituées d'items où quasiment tout le monde devrait répondre de manière
La méthode des tests I 331
identique et dans un sens non socialement désirable (par exemple quasiment tout le
monde devrait admettre qu'il lui est déjà arrivé de mentir). Le score sur une échelle de ce
type est donc une indication de la force de la tendance et, s'il dépasse un certain seuil, les
réponses du sujet seront invalidées. La seconde méthode consiste à construire des items
« à choix forcé ». Dans le cas le plus simple, on présentera au sujet deux adjectifs dont on
aura vérifié au préalable l'égale désirabilité sociale et on lui demandera de choisir celui
qui le décrit le mieux. Ce faisant on modifie le cadre de la mesure en passant d'une
mesure normative à une mesure ipsative (comme dans le cas du Q sort de l'encadré 8. 1).
-
Prenons par exemple les traits « timidité » et « anxiété ». On peut demander à chaque
sujet s'il est timide (ou plus ou moins timide) ou anxieux (ou plus ou moins anxieux).
Cette mesure normative permet de le situer sur les traits timidité et anxiété et de le com-
parer à d'autres (en réalité, nous le verrons ci-dessous, il faudrait non seulement plusieurs
items mais aussi que plusieurs autres conditions soient remplies). On peut aussi (choix
forcé) vérifier que l'anxiété et la timidité ont une désirabilité sociale voisine (plutôt néga-
tive) et demander ensuite au sujet s'il est plutôt anxieux ou plutôt timide. Cette mesure
ipsative ne nous permet plus de le situer sur un trait : il peut être plus timide que anxieux
en étant très timide et très anxieux ou en étant très peu timide et très peu anxieux.
Les items sont caractérisés par leur niveau de difficulté. Celui-ci est classiquement
défini par la fréquence de réussite dans une population. Lorsque les items sont très faciles
ou très difficiles, ils ne permettent pas une bonne différenciation des individus (ou en
d'autres termes de construire un test sensible). C'est avec des items de difficulté moyenne
(environ 50 % de réussite) que la différenciation interindividuelle est la plus forte. En vue
d'usages particuliers d'un test, dans des situations de sélection sévère notamment, on
peut cependant être amené à retenir des items très difficiles. Le niveau de difficulté n'est
pas toujours le facteur retenu pour différencier les sujets. Dans certains tests on propose
des tâches très simples (exécuter des opérations arithmétiques élémentaires, barrer une
lettre dans un texte) mais qui doivent être exécutées rapidement et c'est sur la vitesse
d'exécution bien plus que sur l'exactitude des réponses que sont différenciés les sujets.
Ces tests sont dits « de vitesse » alors que ceux où la différenciation des individus résulte
de la difficulté des items sont dits « de puissance ». Si tous les tests psychologiques visent
à différencier les sujets, ce n'est pas le cas de tous les tests pédagogiques. Si le test vise à
évaluer les acquis à l'issue d'une formation, il n'y a pas de raison pour que les individus
se différencient fortement et il serait même souhaitable que les objectifs de la formation
soient atteints par tous et donc qu'ils ne se distinguent plus.
V - Les dimensions
La pratique courante consiste à ajouter les scores de chaque item (avec éventuelle-
ment des pondérations) et de caractériser le sujet par un score global. Cette pratique
332 I Psychologie différentielle
suscite trois types de questions : Est-il justifié de calculer un score global ? Quel est le
statut métrique du score ainsi obtenu ? Comment l'utiliser pratiquement ?
Pour répondre à la première question plusieurs méthodes sont possibles (méthodes
d'analyse d'items). Toutes sont fondées sur la recherche de corrélations entre les scores
aux items et les scores au test ou de corrélations entre les scores d'items. Des corréla-
tions substantielles permettent de penser que les items appartiennent à une même
dimension et qu'il est donc possible de les sommer.
On peut d'abord se demander si chaque item permet une bonne discrimination
entre ceux qui réussissent bien et ceux qui réussissent mal à l'ensemble des items. Pour
cela on calcule un indice de discrimination de la manière suivante. On considère
les 30 % (ou les 25 %) qui réussissent le mieux au test et les 30 % (ou les 25 %) qui réus-
sissent le moins bien. On examine ensuite dans chacun de ces deux groupes les pourcen-
tages de sujets qui réussissent à un item particulier et de ceux qui échouent à cet item. La
différence de ces deux pourcentages mesure le pouvoir discriminant de l'item. Si l'item
discrimine bien, les bons au test réussiront nettement plus fréquemment à l'item que les
mauvais au test. L'indice de discrimination est lié à la difficulté de l'item. Avec des items
très faciles ou très difficiles la discrimination est mauvaise. Elle est potentiellement maxi-
male avec des taux de difficulté de l'ordre de .50. Dans la mesure où il intervient dans le
niveau de difficulté, le choix des distracteurs agit aussi sur l'indice de discrimination.
On peut aussi calculer directement la corrélation entre chaque item et le test (cor-
rélation item-test). Cet indice est moins ambigu que l'indice de discrimination dans la
mesure où il indique la part de variance commune au test et à l'item (par ex. 25
avec une corrélation item-test de .50). Ces deux méthodes postulent l'existence de la
dimension et l'on vérifie que chaque item en est bien un indicateur. Si tel n'est pas le
cas il reste à éliminer l'item ou à le reformuler.
Une autre méthode consiste à calculer les intercorrélations entre tous les items. Si
celles-ci sont suffisantes on pourra considérer que la dimension existe. Dans le prolon-
gement de ces calculs d'intercorrélations on peut procéder à une analyse factorielle de
la matrice des intercorrélations. Si tous les items sont saturés notablement dans un
même facteur (c'est-à-dire en corrélation avec une variable hypothétique, le facteur), on
considérera que la dimension existe et que leur sommation est justifiée. Là encore, on
pourra être amené à reformuler ou à éliminer certains items. Ces procédures peuvent
être généralisées à plusieurs dimensions. On recherchera alors des groupes d'items avec
des corrélations relativement fortes entre les items à l'intérieur des groupes (clusters) et
des corrélations faibles entre des items appartenant à des groupes différents. Dans le
langage de l'analyse factorielle on cherchera à montrer que certains items sont saturés
dans un facteur alors que d'autres le sont dans un autre (encadré 8.4).
Il serait bien sûr souhaitable que les corrélations item-test soient fortes, que les
intercorrélations entre items le soient également et que, par voie de conséquence, les
saturations des items dans les facteurs représentant les dimensions soient élevées. Mais
pour observer des corrélations item-test ou des corrélations item-item élevées il faut que
le contenu des items soit proche et donc que l'on s'intéresse à des dimensions assez
étroites concernant une gamme peu étendue de conduites. Aussi le choix du seuil qui
permet de dire qu'une corrélation• est substantielle résulte-t-il d'un compromis entre des
exigences contradictoires.
La méthode des tests I 333
ENCADRÉ 8.4
L'inventaire de personnalité de Hans J. Eysenck EPI (Eysenck Personality lnventory) est destiné
à mesurer les deux dimensions de base de la théorie de Eysenck : l'introversion-extraver-
sion (E) et le névrosisme (N) (stabilité émotionnelle et faible anxiété à un pôle, faible stabilité
émotionnelle et forte anxiété à l'autre). Chaque dimension est repérée par 24 items dichotomi-
ques où le sujet doit indiquer si une proposition le décrit ou non. (Le questionnaire comporte
également une échelle de mensonge.) Le questionnaire a été appliqué à des élèves de termi-
nale et à des étudiants de première année d'université. On a procédé à l'analyse factorielle des
matrices d'intercorrélations entre les items. Si l'existence des dimensions est fondée, les items
de l'échelle E doivent être saturés dans un facteur et les items de l'échelle N dans un autre fac-
teur. La figure ci-dessous représente les résultats pour un groupe de filles.
items E
❑ items N
FIG. 8.3
334 I Psychologie différentielle
On voit apparaître deux groupes d'items au voisinage de chacun des axes orthogonaux.
À quelques exceptions près ces groupes d'items correspondent aux items E et N. On peut
donc parler de facteur « E » et de facteur « N ». Bien que la position de certains items soit
ambiguë (quelques items E ont une saturation plus forte dans le facteur « N » que dans le fac-
teur « E ») et qu'ils devraient donc être révisés, les traits postulés par l'EPI sont assez bien éta-
blis. On remarquera que les items N sont plus groupés que les items E (meilleure homogé-
néité de l'échelle de névrosisme) et que la majorité des items E sont saturés négativement
dans le facteur « N » (corrélation légèrement négative entre l'échelle E et l'échelle N).
Les propriétés des items et leur relation au score au test peuvent être figurées sur
les « courbes caractéristiques des items ». Ces courbes sont construites en plaçant en
ordonnée la difficulté de l'item définie par le pourcentage de réussite et en abscisse les
scores au test. On peut voir sur la figure 8.4 a que les items 1 à 4 sont peu discrimi-
nants car trop faciles. Les items 5, 6, 7 et 10 sont plus faciles que les items 8, 9, 11
et 12, les uns et les autres permettent une bonne discrimination.
Dans le cadre de l'analyse d'items, des modèles de mesure particuliers, les « modè-
les de réponses à l'item », ont été développés. Leur présentation sortant du cadre de ce
chapitre on se limitera à quelques remarques sommaires (pour un exposé complet voir
Dickes et al., 1997, p. 186-201). D'une manière très générale les modèles de mesure
définissent des règles formelles de correspondance entre des variables observables et des
variables latentes (l'analyse factorielle est un modèle de mesure). Les modèles de
réponse à l'item postulent que la réussite d'un sujet à un item dépend de sa position sur
une variable latente et des caractéristiques de l'item (qui sont des paramètres des modè-
les). Dans les modèles de réponse à l'item les courbes caractéristiques des items sont
définies a priori (et non plus à partir d'observations), elles décrivent la relation entre la
probabilité de réussir à un item (et non plus la fréquence des réussites dans un groupe)
et la position du sujet sur une variable latente (et non plus la note observée à un test).
Cette relation a la forme d'une fonction sigmoïde (la probabilité de réussite progresse
en fonction du score du sujet sur la variable latente, faiblement lorsqu'il est fort ou
faible, plus rapidement dans la zone intermédiaire) Les items sont caractérisés par plu-
sieurs paramètres qui doivent être estimés afin de permettre la validation du modèle
(fig. 8.4 b). Les modèles de réponse à l'item permettent l'échelonnement des items, dont
la difficulté n'est plus définie relativement à une population, et des sujets sur une
dimension. Bien que quelques réserves puissent être faites sur leur usage les modèles de
réponse à l'item se sont révélés utiles notamment pour la constitution de banques
d'items dont les propriétés sont connues (en éducation), pour le testing adaptatif (ou sur
mesure) qui consiste à repérer la zone de compétence du sujet avant de procéder à une
évaluation fine, pour des comparaisons de populations.
Lorsque, après s'être assuré que cette procédure était justifiée, on a sommé les items
d'un test, le sujet se trouve caractérisé par un nombre. Quel est le statut de ce nombre ?
La méthode des tests I 335
100 1
75
50
5
6
25 7
10
12
8
9
11
5 11 12
Score total
a) Courbes caractéristiques des 12 items de la série 1 des Standard progressives matrices de
Raven.
Probabilité de réussite à l'item
-4 -3 -2 -1 0 1 2 3 4
Aptitude
b) Courbes caractéristiques de 4 items dans le cas d'un modèle de réponse à l'item à deux
paramètres.
Mesurer, c'est attribuer des nombres aux choses. Mais pour que l'on puisse transférer
aux choses les propriétés des nombres faut-il encore que les correspondances entre les
unes et les autres soient fondées. Depuis les travaux de Stevens (dans le domaine de la
psychophysique) on considère qu'il existe des niveaux de mesures qui peuvent être hié-
rarchisés : au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie on prend en compte des
336 I Psychologie différentielle
A B C D E
Item a 1 0 0 0 0
Item b 1 1 0 0 0
Item c 1 1 1 0 0
Item d 1 1 1 1 0
Si l'on donne 1 point par item, le sujet C, par exemple, a 2 points. Mais ceux-ci
ne peuvent être obtenus (selon le modèle théorique) qu'en réussissant les items c et d.
La mesure est fondée au niveau ordinal lorsque les observations sont compatibles
avec ce modèle théorique. Notons qu'en procédant ainsi on adopte une démarche plus
contraignante que celle qui consiste à inférer l'ordre simplement à partir du nombre
d'items réussis sans se préoccuper des patrons de réussite.
Les échelles d'intervalles. Si le psychologue réussit à définir des distances entre les
classes, c'est-à-dire un intervalle-unité tel que, par ajouts successifs, l'on puisse définir
de nouveaux intervalles (concaténation), les nombres qui désignent les classes acquiè-
rent alors de nouvelles propriétés. À ce niveau de la mesure l'origine est arbitraire et les
unités sont conventionnelles, toutes les transformations de la distribution qui conservent
l'ordre et le rapport des distances entre les classes (de la forme y = ax + b) sont donc
légitimes. C'est à ce niveau de mesure seulement que les opérations arithmétiques sont
justifiées et que l'on peut calculer une moyenne, une variance, ou un coefficient de cor-
rélation de Bravais-Pearson.
En psychophysique on peut fonder la définition d'intervalles mais ce n'est pas le
cas dans le domaine couvert par les tests mentaux. Celle-ci résulte d'une convention.
Il découle de cela que la forme de la distribution des caractéristiques psychologiques
est conventionnelle elle aussi. Si une convention d'intervalles définit la forme de la
distribution, réciproquement la convention d'une forme de la distribution définit les
intervalles. On dit parfois que l'intelligence se distribue selon la loi normale (distribu-
tion de Laplace-Gauss). Métriquement cette affirmation n'est pas fondée. Certains ont
aussi pensé que l'intelligence était héréditaire et déterminée par plusieurs gènes et
donc qu'elle devait se distribuer normalement. Mais la relation entre les gènes et les
conduites intellectuelles est loin d'être directe, elle est notamment fonction
d'interactions avec des facteurs environnementaux (voir chap. 11). Si l'on observe que
la distribution des scores à un test est approximativement normale, c'est parce que le
constructeur du test a procédé de telle sorte pour qu'il en soit ainsi (par exemple en
n'incluant pas dans le test trop d'items faciles ou difficiles). La convention la plus fré-
quemment adoptée consiste à postuler la normalité des distributions, car cela présente
certains avantages.
338 I Psychologie différentielle
Le score global qui permet de caractériser un sujet (nombre d'items réussis, temps
de résolution d'un problème...) est une donnée brute dont la signification est ambiguë
tant qu'elle n'est pas comparée aux scores des sujets d'une population de référence.
Dire qu'un enfant a obtenu 25 points à un test n'apprend rien ; dire que ce score le
situe dans les 10 % supérieurs des enfants de son âge est plus informatif. Deux systèmes
d'étalonnage, le quantilage et les échelles normalisées, permettent de situer les sujets
dans des groupes de références.
La distribution des notes brutes à un test peut être fractionnée en une série de
classes de même effectif dont les limites sont des quantiles. Avec 100 catégories les limi-
tes sont des centiles (ou des percentiles), avec 10 catégories des déciles, avec 4 catégories
des quartiles, ces termes (centiles, déciles, quartiles) désignent aussi parfois les intervalles
entre les limites. Si l'on considère que les intervalles entre ces limites sont égaux, on
postule des distributions de forme rectangulaire La construction de tels étalonnages est
très simple : si l'on prend le cas d'un test d'efficience et du décilage, les 10 % les plus
efficients seront dans le premier interdécile, les 10 % suivants dans le second, etc. On
pourra ainsi aisément situer un sujet nouveau (ayant passé le même test dans les mêmes
conditions) : il sera dans le premier interdécile, dans le second, etc. On peut utiliser la
même méthode pour procéder à un centilage, mais il faut alors une distribution avec
un grand nombre de classes et de sujets. On peut aussi se contenter de transformer
l'échelle des scores bruts en une échelle de rangs exprimée en pourcentages. Supposons
un sujet qui est 3e sur 40. Il a donc 2 personnes devant lui et 37 derrière. On considé-
rera qu'il y a 2,5 personnes au-dessus de lui et 37,5 au-dessous. Puisque 37,5 est 94 %
de 40, on dira que son rang-percentile (ou centile) est 94. Avec cette méthode le sujet
qui est juste au centre de la distribution est au rang-percentile 50 (ou au centile 50).
Avant d'examiner les échelles normalisées examinons les propriétés de la distribu-
tion normale. Considérons une distribution normale de moyenne 0 et d'écart type 1. On
sait que la quasi-totalité des valeurs de la distribution (99 %) se situent dans un intervalle
de 5 écarts types centré sur la moyenne. Si on définit une première classe par un inter-
valle d'l a centré sur la moyenne (ses limites sont + 0,5 a et — 0,5 a), elle compor-
tera 38,2 % des sujets (lecture de la table de la loi normale réduite). Les deux classes adja-
centes, de part et d'autre de la classe centrale, définies également par un intervalle de 1 a
(limites + 0,5 a et + 1,5 a pour l'une et — 0,5 a et — 1,5 a pour l'autre), comporteront cha-
cune 24,2 % des sujets. Les deux classes restantes, aux extrémités de la distribution com-
porteront chacune 6,7 % de la population. Pour construire une échelle normalisée en
5 classes on regroupe les scores bruts de telle sorte que les pourcentages de sujets dans
chaque classe correspondent aux proportions qui viennent d'être indiquées.
L'histogramme de la distribution des notes ainsi regroupées correspond à la distribution
normale (fig. 8.5 a) . Les notes brutes peuvent aussi être transformées en notes normalisées
dont on peut décider de la moyenne et de l'écart type = 0, a = 1 dans les scores z ;
m = 50 et a = 10 dans les scores T ; m = 100 et a = 15 dans les scores de QI) (fig. 8.5 b) .
La méthode des tests I 339
2
a) Échelle normalisée en 5 classes.
Pourcentage d'observation
dans les diverses parties
de la distribution normale
i
Ecarts types -4G -3a -2a -la Oa e 2a 3a 4
I I I I
Pourcentages 0,1 % 2,3 % 15,9 % 50,0 % 84,1 % 97,7 % 99,9 %
cumulés 2% 16% 50% 84% 98%
Percentiles
Déciles I
1 5
I 10
1 III III1 I
20 30 40 50 6070 80 90 95
I 99
Quartiles
Q Md Q3
I
I
I I I I 1 1 I
Scores z -4,0 -3,0 -2,0 -1,0 0 +1,0 +2,0 +3,0 +4 ,0
Scores normalisés
I ■ I . I I ■ I 1 I ■ I I I
Scores T 20 30 40 50 60 70 80
Scores z
I ■ I . I ■ I ■ I I . I . I I
QI 55 70 85 100 115 130 145
I I I I I I I I I
FIG. 8.5
caractériser l'élève par sa distance aux objectifs visés (on dira par exemple que 80 %
des objectifs ont été atteints) sans pour autant comparer ses acquisitions à celles de ses
camarades.
I - Le coefficient de fidélité
Une mesure est dite fiable, ou fidèle, lorsqu'elle n'est pas entachée d'erreurs trop
importantes. On distingue deux types d'erreurs de mesure : les erreurs systématiques et
les erreurs aléatoires. Lorsque l'on répète la mesure, l'erreur systématique continue à se
manifester dans le même sens et avec la même intensité (exemples : un sujet anxieux
peut être inhibé en situation de test et ses compétences sous estimées, un sujet dont
l'acuité visuelle est déficiente peut échouer à des tests spatiaux sans que ses capacités de
visualisation ou d'organisation perceptive soient en cause, un appareil peut être mal
réglé...). Pour éviter les erreurs systématiques il est nécessaire d'analyser soigneusement
les conditions de l'observation et de s'assurer que le test ne mesure pas autre chose que
ce qu'il est censé mesurer, ou, en d'autres termes, qu'il est valide. Lorsque l'on répète la
mesure l'erreur aléatoire se manifeste avec des forces différentes et pas toujours dans le
même sens d'une passation à l'autre. La théorie classique de la fidélité, dont les bases
ont été jetées par Charles Spearman au début du xxe siècle, traite uniquement des
erreurs aléatoires.
Cette théorie postule que toute mesure observée est décomposable en une
« mesure vraie » et une « erreur » et que ces deux composantes sont indépendantes :
X = V + E.
La mesure vraie n'est pas observable, elle peut être estimée par la moyenne des
mesures observées pourvu que celles-ci soient assez nombreuses.
Du fait de l'indépendance entre la mesure vraie et l'erreur, la variance des scores
observés est égale à la somme de la variance des notes vraies et de la variance des
erreurs (variance vraie et variance d'erreur) :
2 x (52 (5 2E .
6
Il - La stabilité ou constance
Lorsque l'observation sollicite l'activité du sujet, ce qui est le cas dans les tests, celui-ci,
nous l'avons déjà noté, se modifie. En passant un test le sujet apprend au moins à pas-
ser ce test et les scores à la seconde passation sont toujours plus élevés. Cet apprentis-
sage étant plus ou moins marqué selon les individus, il contribuera à la réduction du
coefficient de stabilité. Lorsque les sujets passent le test pour la seconde fois on leur
propose une tâche déjà connue et certains d'entre eux peuvent ne plus être très motivés
ce qui contribuera aussi à la réduction du coefficient de stabilité. Si l'intervalle entre le
test et le retest est long les sujets ont été soumis à des apprentissages différents et ils se
sont développés à des rythmes divers et dans des directions différentes et les coefficients
de stabilité ne peuvent pas être interprétés comme des coefficients de fidélité. Le coeffi-
cient de stabilité est donc un indice ambigu qui ne nous renseigne sur le poids des
erreurs aléatoires que lorsque l'intervalle entre le test et le retest est court (de l'ordre de
quelques mois pour les adultes, moins pour les enfants).
tion entre les deux moitiés du test est un indice d'homogénéité. On voit qu'il y a une
parenté étroite entre cette mesure de l'homogénéité et les méthodes présentées anté-
rieurement et destinées à vérifier l'existence d'une dimension.
Mais cette solution conduit à de nouveaux problèmes : pourquoi privilégier un
type de partition plutôt qu'un autre ? La fidélité d'un test est-elle celle de la fidélité
d'une de ses moitiés (voir ci-dessous le rapport entre la fidélité et la longueur du test) ?
Afin de ne pas privilégier une partition par rapport aux autres, l'idéal serait de procé-
der à toutes les partitions possibles, de calculer à chaque fois un coefficient
d'homogénéité et de faire la moyenne des coefficients observés. Bien qu'à l'heure
actuelle la lourdeur des calculs ne soit plus un problème, d'autres solutions ont été rete-
nues. La méthode la plus répandue d'estimation de l'homogénéité est le coefficient oc
proposé par Lee J. Cronbach en 1951 (encadré 8.5).
ENCADRÉ 8.5
IV - La généralisabilité
Nous avons considéré dans ce qui précède qu'il y a deux sources d'erreur essen-
tielles (relatives au moment de l'observation et à l'échantillonnage des items) et nous
les avons examinées séparément. Or, on peut imaginer d'autres sources d'erreur, et
344 I Psychologie différentielle
Les coefficients de fidélité fournissent bien une indication sur l'importance des
erreurs de mesure (celle-ci est d'autant plus grande que les coefficients sont faibles) mais
ils n'indiquent pas directement une zone d'incertitude autour de la note observée qui
permettrait d'appréhender plus directement la précision de la note. Si l'on répétait un
grand nombre de fois la mesure, nous l'avons vu, on observerait une distribution des
notes observées normale (du fait du caractère aléatoire de l'erreur) ayant pour moyenne
la note vraie et dont l'écart type serait celui de la distribution des erreurs. Cet écart
type est appelé erreur type ou erreur standard de mesure (a,). Il n'est pas possible, nous
l'avons vu également, de répéter un grand nombre de fois la mesure mais il possible de
calculer l'erreur type de mesure à partir du coefficient de fidélité. On montre que :
a, — r„
(a, est l'écart type de la distribution des notes observées et r,„ le coefficient de fidélité du
test).
Prenons par exemple un test de QI de moyenne 100 et d'écart type 15 avec un
coefficient de fidélité (homogénéité) de .90. Si le « QI vrai » est 95, la distribution des
notes observées, dans l'hypothèse de nombreuses répétitions, serait normale, de
moyenne 95 et d'écart type voisin de 5 (15 1 (fig. 8.6).
Dans la pratique on ne dispose que d'une seule mesure observée et le problème est
La méthode des tests I 345
130
peut évaluer la fidélité du test à chacun des quatre niveaux du collège (6 e , 5 e , 4 e , 3 e), on
peut aussi traiter les collégiens comme un seul groupe et calculer un seul coefficient. Le
coefficient de fidélité sera plus élevé dans le second cas. La fidélité est certes une pro-
priété du test, mais relativement à une population.
Toutes choses étant égales par ailleurs, un test long est plus fidèle qu'un test court.
La théorie du score vrai permet de comprendre ce phénomène. La fidélité d'un score
composite est plus élevé que celle d'un score élémentaire, car en sommant les erreurs
aléatoires on réduit leur poids. (C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles la plu-
part des tests sont constitués d'une série d'items.) Lorsqu'on estime la fidélité d'un test
par la corrélation entre deux de ses moitiés on estime la fidélité d'un test de 50 % plus
court et l'on sous-estime donc la fidélité du test initial. La formule de Spearman et
Brown permet d'estimer les gains de fidélité lorsqu'on allonge un test :
r -= kr „ / 1 + (k — 1) r„
r„ : fidélité de la version initiale
: fidélité de la nouvelle version
k : rapport entre le nombre d'items de la nouvelle version
et celui de la version initiale.
= + r„ — 2r, / 2 — 2r,
: fidélité du score de différence x —y
r.: fidélité de la variable x
r, : fidélité de la variable y.
Dans le cas des expériences pédagogiques que nous évoquions il arrive que les
fidélités du prétest et du post-test soient de l'ordre de .80 et que la corrélation entre le
prétest et le post-test soit également de l'ordre de .80. Dans ce cas la fidélité du score
de gain est... nulle. On voit que les scores de différence doivent être utilisés avec beau-
coup de prudence.
La méthode des tests I 347
On dit qu'un test est valide lorsqu'il permet d'atteindre de manière satisfaisante les
objectifs poursuivis par son constructeur ou son utilisateur, ou, en d'autres termes, qu'il
mesure bien ce qu'il est censé mesurer. Relative aux objectifs et aux usages de
l'observation, la validité est certainement la propriété la plus importante des tests.
Comme ces objectifs et ces usages sont divers la validité n'est pas un concept unitaire. De
la même manière qu'il y a plusieurs fidélités il y a plusieurs validités. Un test peut très
bien être valide relativement à un objectif et ne pas l'être relativement à un autre. On dis-
tingue trois grands types de validité : la validité de contenu, la validité critérielle (relative
à un critère) et la validité théorique (relative à un concept ou une théorie psychologique).
On parle parfois de validité apparente (ou de façade, ou de conviction) lorsque le
test, à première vue et sans que l'on dispose de la moindre preuve, paraît valide. Cette
propriété est peu intéressante, car il n'y a pas de lien nécessaire entre cette validité
apparente et la validité réelle, elle contribue cependant à l'acceptabilité des tests par le
public et, dans certaines conditions, permet d'augmenter la motivation de ceux qui les
passent. On emploie parfois le terme validité interne (ou factorielle) d'un test pour dési-
gner l'homogénéité des items qui le constituent.
I - La validité de contenu
La validité de contenu indique dans quelle mesure le contenu des items d'un test
(et plus généralement les propriétés du dispositif d'observation) est représentatif du
domaine visé par l'évaluation. Étudier la validité de contenu suppose donc que l'on
puisse définir un univers de référence, c'est-à-dire une population d'items dont le test
serait un échantillon. Il est souhaitable, bien sûr, que cet univers de référence ait des
frontières bien définies et qu'il soit structuré.
Dans certains cas, les univers de référence sont relativement bien définis et ils
s'imposent. C'est le cas par exemple dans le domaine de l'évaluation de l'instruction où
il existe des programmes fixant la liste des acquisitions visées et des textes officiels expo-
sant les objectifs de l'enseignement. Dans le domaine de l'évaluation des intérêts profes-
sionnels, l'univers de référence est l'ensemble des métiers. Celui-ci est très vaste puis-
qu'il existe plusieurs dizaines de milliers de termes décrivant les activités
professionnelles mais il est bien structuré dans les nomenclatures professionnelles. Dans
de très nombreux cas l'univers de référence doit être défini par le constructeur du test.
Il se réfère alors à une théorie structurale du domaine en question qui organise
l'univers de référence (voir l'exemple de la construction d'un questionnaire
d'introversion-extraversion d'après la théorie de Eysenck, cité p. 327).
Il n'existe pas de procédures statistiques permettant d'évaluer la validité de
contenu d'une épreuve. Celle-ci n'est cependant pas évaluée subjectivement comme la
348 I Psychologie différentielle
validité apparente mais elle fait l'objet d'un travail approfondi de groupes d'experts.
Les préoccupations relatives à la validité de contenu sont présentes dès la première
étape de la construction d'un test. Celle-ci consiste à définir aussi précisément que pos-
sible l'univers de référence. De cette définition on tire une série d'items dont le contenu
est soigneusement examiné. On veille également à ce que le test comporte des items
correspondant aux diverses facettes de l'univers de référence et dans les mêmes propor-
tions. Cette démarche est généralement collective et les désaccords fréquents entre
experts montrent bien qu'elle n'a rien d'évident.
On souligne de plus en plus souvent que le contenu des items n'est pas le seul
paramètre à prendre en compte dans la validation de contenu du test et dans la défini-
tion de l'univers de référence. Interviennent également le format des items, la présenta-
tion de la consigne, le mode de recueil de la réponse. Prenons par exemple une
épreuve de connaissances professionnelles, on ne peut se limiter à la définition du
contenu des items, le choix d'un test papier-crayon ou d'une situation simulant les
conditions de la vie professionnelle revêt une importance cruciale.
Il - La validité critérielle
On dit qu'un test a une bonne validité critérielle lorsqu'il corrèle notablement
avec un critère, c'est-à-dire avec une autre variable jugée à un titre ou à un autre
intéressante. La validité critérielle est parfois qualifiée d' « empirique » quand la liai-
son test-critère n'est pas expliquée. Les décisions que l'on peut être amené à prendre
à partir des résultats à un test, relatives à un diagnostic ou à un pronostic, sont fon-
dées sur la validité critérielle (en fait les résultats au test ne sont qu'un des éléments
sur lesquels se fonde la décision, ce qui ne retire rien à l'exigence de validité les
concernant). Le test est alors un prédicteur puisqu'à partir de lui on peut faire une
prédiction sur le critère. Selon les problèmes que l'on aborde les critères peuvent être
très divers. Dans le domaine de la sélection professionnelle on retient souvent des
indices de productivité, les appréciations de la hiérarchie, l'absentéisme, plus rarement
des indices de satisfaction. Dans le domaine de la psychologie scolaire les critères
pourront être des indices de réussite scolaire, d'adaptation à l'école, des signes de dif-
ficultés spécifiques, ou encore des syndromes psychopathologiques. La validité crité-
rielle est susceptible de degrés, elle est d'autant meilleure que la corrélation entre le
test et le critère, qui est le coefficient de validité, est élevée. Lorsque le critère est une
variable dichotomique on évalue fréquemment la validité critérielle en comparant
deux groupes. Si, par exemple, le critère est un syndrome psychopathologique, on
constituera deux groupes de sujets, l'un constitué de sujets présentant le syndrome et
l'autre de sujets ne le présentant pas, et l'on examinera si le score moyen au test est
différent dans chacun des groupes, le test sera d'autant plus valide qu'il permettra une
bonne différenciation des deux groupes (on pourrait tout aussi bien constituer des
groupes hiérarchisés sur la base de la réussite au test et se demander si la fréquence
du syndrome est la même dans chacun d'eux).
La méthode des tests I 349
ENCADRÉ 8.6
Lorsque la corrélation entre le prédicteur et le critère n'est pas parfaite, ce qui est
toujours le cas, le pronostic s'accompagne d'une erreur de pronostic. Sur les données
de la figure 8.7 on peut prédire que les sujets qui ont la note 9 réussiront la formation
et que ceux qui ont la note 1 échoueront, mais on se trompera dans 5,5 0/» des cas pour
les premiers et dans 17,6 ')/0 des cas pour les seconds. Le coefficient de validité est une
mesure de la précision du pronostic. L'erreur de pronostic est d'autant plus grande qu'il
est faible. Mais il est sans doute plus parlant d'exprimer la précision du pronostic en
définissant une zone d'incertitude autour de la note pronostiquée. On dispose d'une
solution à ce problème lorsque le critère est une variable continue et que quelques
autres conditions sont remplies.
La méthode des tests I 351
9 94,5 722
8 85,3 696
7 81,2 1 274
Niveau de réussite au test
6 72,8 1 701
5 83,7 1 8' 7
4 52,4 1 707
3 42,3 1 043
2 30,6 553
1 17 6 250
a
Y•
= aY re
Scores au critère 10 1
9 1 1 1
8 1 2 1
7 1 4 4 6 2
6 7 5 7 2 1
5 1 4 2 9 4 2
4 1 1 2 5 1
3 1 3 1 1
2 2
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Scores au prédicteur (test)
10
5 9 --I
w 8
o
cf)o
7
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Scores au prédicteur (test)
2 3 4 5 6 7 8 9 10
Scores au prédicteur (test)
FIG. 8 . 8
coefficient de validité.
r„,, : corrélation entre les scores vrais.
rxx : coefficient de fidélité du prédicteur.
rJi•• coefficient de fidélité du critère.
V - La validité théorique
ensemble de variables convenablement choisies, dont le test qui est l'objet d'une étude
de validité de construit, on recueille des informations sur la validité convergente (cer-
tains tests sont saturés dans les mêmes facteurs) et sur la validité divergente (certains
tests ne sont pas saturés dans les mêmes facteurs).
La méthode « multi-trait multi-méthode » (Campbell et Fiske, 1959) est fréquem-
ment utilisée dans les études de validation de construit. On caractérise les sujets sur plu-
sieurs traits au moyen de plusieurs méthodes. On pourra par exemple, avec des enfants,
retenir les traits honnêteté, agressivité et intelligence et recueillir les données en appli-
quant un test, en procédant à des observations de comportement, en relevant les juge-
ments des enseignants. Les sujets sont alors caractérisés par 9 variables. L'analyse de la
table d'intercorrélations entre ces variables permet de répondre à plusieurs questions
relatives à la validité de construit : observe-t-on de fortes corrélations entre les mesures
du même trait évalués par la même méthode ? et par des méthodes différentes ?
observe-t-on de faibles corrélations entre traits différents évalués par la même
méthode ? et par des méthodes différentes ?
La notion de validation conceptuelle est beaucoup plus générale que celle de vali-
dité de construit. Toute information nouvelle sur ce que mesure le test enrichit sa vali-
dité conceptuelle. Il peut s'agir d'informations provenant de la validité critérielle. Savoir
par exemple qu'une supériorité marquée du QI performance sur le QI verbal dans les
échelles de Wechsler peut être associée à une scolarisation irrégulière ou à des troubles
de l'apprentissage de la lecture, contribue à la validité du test. Les informations prove-
nant de l'analyse de la conduite du sujet au cours des épreuves sont également utiles.
Découvrir, par exemple, qu'il y a deux composantes dans le QI performance des échel-
les de Wechsler — le raisonnement perceptif et la mémoire de travail — augmente la
validité conceptuelle du test.
Les tests sont fréquemment utilisés au cours de l'examen psychologique et intégrés
à une démarche clinique. La prise en compte de leurs résultats est d'autant plus justifiée
qu'ils ont une bonne validité conceptuelle. Ils fournissent alors des informations qui
incitent à penser que certaines causes des difficultés rencontrées par le sujet sont plus
probables que d'autres. Le test est aussi jugé comme une situation propice à l'analyse
de la relation entre le psychologue et le sujet. Il permet également des observations
annexes ayant une signification clinique. (On trouvera des exemples d'utilisation des
tests au cours de l'examen psychologique dans Arbisio, 2003, et Gardey et al., 2003.)
LECTURES CONSEILLÉES
En langue anglaise il existe de très nombreux ouvrages sur la méthode des tests. Citons
Cronbach, 1990 ; Thorndike et al., 1996 ; Murphy et Davidshofer, 2000.
En langue française on pourra consulter notamment Guillevic et Vauthier, 1998 ;
Huteau et Lautrey, 2003, 2006 ; Beech et Harding, 1994 ; Lavault et Grégoire, 1997 ;
Dickes et al., 1994.
9 l'approche différentielle
de l'intelligence
ENCADRÉ 9.1
Les réponses à la même question, posée soixante-cinq ans plus tard à 24 cher-
cheurs considérés comme experts en psychologie de l'intelligence, ont montré qu'il n'y
avait guère plus de consensus en 1986 qu'en 1921 (Sternberg et Detterman, 1986).
Néanmoins, lorsque les attributs du concept d'intelligence mentionnés à ces deux
époques sont comparés, comme l'ont fait Sternberg et Berg (1986), il ressort que quel-
ques-uns d'entre eux sont cités de façon récurrente, notamment la capacité à s'adapter
à son environnement, à résoudre des problèmes nouveaux, à apprendre, à abstraire. Il
y a aussi une certaine permanence dans les points de désaccord, notamment sur la
question de savoir s'il y a une intelligence ou s'il faut en distinguer plusieurs. Enfin, cer-
tains des attributs cités en 1986 ne l'étaient jamais en 1921, notamment la capacité à
358 I Psychologie différentielle
contrôler ses propres processus cognitifs (les processus par lesquels un individu contrôle
ses propres processus cognitifs sont appelés métacognitifs, ou exécutifs). Dans la période
récente, l'intelligence est aussi plus souvent défmie comme relative à un contexte cultu-
rel : « The purposive adaptation to, selection of, and shaping of real-word environments
relevant to one's life and abilities » (Sternberg, 1988, p. 65). Dans cette définition, diffi-
cile à traduire de façon exacte en français, il faut relever l'extension de la notion
d'adaptation : celle-ci n'est en effet pas forcément l'adaptation de l'individu à un envi-
ronnement qui serait considéré comme un donné intangible, elle peut aussi consister,
pour cet individu, à sélectionner un autre environnement qui convienne mieux à ses
dispositions, ou encore à transformer son environnement pour l'adapter à ses propres
capacités, valeurs, ou intérêts. Il faut aussi relever l'introduction de la notion de perti-
nence attachée à l'environnement dans lequel vit un individu : l'intelligence ne peut
être appréciée qu'au regard de ce qui est pertinent, de ce qui a du sens, du point de
vue de la vie de chacun dans le monde réel auquel il est confronté. Autrement dit,
même si une définition universelle de l'intelligence peut être recherchée, il faut avoir
constamment à l'esprit que ses manifestations sont toujours relatives au contexte cultu-
rel dans lequel les individus se développent (voir la partie consacrée aux théories socio-
culturelles du développement cognitif dans le chapitre 2). En conséquence, il faut préci-
ser d'entrée de jeu que les tests d'intelligence dont il sera question dans ce chapitre ont
été conçus pour l'évaluation du développement et du fonctionnement cognitifs de per-
sonnes qui ont été élevées dans le contexte culturel de la société occidentale et n'ont de
sens que lorsqu'ils sont utilisés dans ce contexte.
Cela étant précisé, que conclure de la difficulté à parvenir à un consensus sur la
définition de l'intelligence ? Une conclusion possible est que cette notion est trop vague,
trop générale, pour donner prise à une approche scientifique. Une autre conclusion
possible — la nôtre — est que l'intelligence est une fonction dont la finalité peut être
atteinte de multiples façons. La finalité est l'adaptation du comportement aux situations
nouvelles et cette finalité est atteinte grâce à une propriété essentielle du système cogni-
tif, celle de s'automodifier en fonction de l'expérience. Cette capacité est sous-tendue
par la plasticité du cerveau, mais elle se manifeste à tous les niveaux d'organisation du
système cognitif — celui des connexions neuronales, celui des représentations et celui des
comportements. C'est cette propriété d'automodification qui donne son unité à la
notion d'intelligence. La multiplicité des mécanismes par lesquels elle peut s'opérer est
par contre à l'origine de la multiplicité des facettes de l'intelligence.
La recherche des lois générales auxquelles obéit l'intelligence peut s'appuyer sur
les différentes sortes de variation du comportement qui peuvent être observées dans les
tâches intellectuelles : ses variations en fonction de la situation (celles que provoque la
psychologie expérimentale pour étudier la résolution de problèmes), en fonction de
l'âge (celles qu'étudie la psychologie développementale pour comprendre l'ontogenèse*
de l'intelligence) ou en fonction des individus (celles qu'étudie la psychologie différen-
tielle pour dégager les dimensions de l'intelligence). C'est cette dernière approche de
l'intelligence, celle de la psychologie différentielle, qui fait l'objet du présent chapitre.
L'analyse des différences individuelles dans les performances à des tâches intellec-
tuelles a été utilisée pour mettre au point des instruments d'évaluation de l'intelligence,
les tests, mais aussi pour mieux comprendre la structure de l'intelligence. Curieusement,
L'approche différentielle de l'intelligence I 359
ces deux courants de recherche, le premier plus tourné vers les applications et le second
plus tourné vers la recherche fondamentale, sont restés assez longtemps cloisonnés.
Toutefois, dans l'un et l'autre, et de façon relativement indépendante, on est passé, au
cours du siècle qui nous sépare de l'invention du premier test d'intelligence, de modèles
unidimensionnels à des modèles multidimensionnels de l'intelligence. L'analyse de cette
évolution est la ligne directrice autour de laquelle ce chapitre est organisé.
I - Le Binet-Simon
permis d'affiner ces niveaux d'intelligence dans la seconde version de l'échelle (Binet et
Simon, 1908). L'échelle des âges auxquels les différents problèmes ou items étaient nor-
malement réussis permettait de définir le « niveau mental » de ceux-ci. Par exemple,
Binet avait observé qu'à 3 ans, la plupart des enfants peuvent répéter deux chiffres,
qu'à 7 ans ils peuvent en répéter cinq et que vers 12 ans ils peuvent en répéter sept.
Répéter cinq chiffres est donc une tâche caractéristique de 7 ans ; en répéter sept est
caractéristique de 12 ans. Plus précisément, pour être caractéristique d'un âge, par
exemple 12 ans, un item doit être encore échoué par une majorité des enfants
de 11 ans, il doit être réussi par la plupart des enfants de 13 ans et par environ 50 %
des enfants de 12 ans. Le travail de Binet et de Simon a donc consisté à trouver,
pour chacun des processus supérieurs jugés pertinents (jugement, raisonnement,
mémoire, etc.), des items caractéristiques de chaque âge. C'est ainsi qu'ils ont élaboré
l'échelle de 1908, dont le contenu a été enrichi dans la troisième et dernière version de
cette échelle (Binet, 1911 b). En cherchant à varier autant que possible les processus
auxquels les items faisaient appel, ils ont retenu pour chacun des âges de 3 à 16 ans,
quatre ou cinq items caractéristiques de cet âge (une liste des items qui constituaient
l'échelle de 1908 est donnée dans le chapitre 7, p. 303 (encadré 7.4). La trouvaille
consistait à utiliser l'échelle des âges pour définir un ordre développemental des items
et établir, du même coup, l'ordre de complexité cognitive de ces items : un item carac-
téristique de 12 ans correspond à une étape plus avancée du développement de
l'intelligence qu'un item caractéristique de 10 ans et, de cela, on peut inférer qu'il se
situe à un niveau de complexité cognitive plus élevé, même sans savoir exactement à
quoi tient cette différence de complexité cognitive. L'ordre des niveaux de complexité
des items permettait à son tour d'ordonner les sujets, y compris ceux de même âge
chronologique, en fonction du « niveau mental » des items réussis. Ce sont donc les dif-
férences entre individus qui fournissaient le principe de la « mesure » de l'intelligence et
Binet était parfaitement conscient que cette mesure se situait au niveau ordinal (pour la
définition des niveaux de mesure, voir le chapitre 8, p. 334 à 337) : « Le mot mesure
n'est pas pris ici au sens mathématique : il n'indique pas le nombre de fois qu'une
quantité est contenue dans une autre. L'idée de mesure se ramène pour nous à celle de
classement hiérarchique » (Binet, 1911 a, p. 135).
La troisième idée qui a joué un rôle important dans la genèse de l'échelle métrique
est celle qui consistait à considérer l'intelligence comme la résultante des différentes
activités mentales évaluées dans l'échelle. C'est ce qui, dans l'esprit de Binet, justifiait
l'addition des mois d'âge mental attribués aux différents items : « Un test particulier,
isolé de tout le reste, ne vaut pas grand-chose... ce qui donne une force démonstrative,
c'est un faisceau de tests, un ensemble dont on conserve la physionomie moyenne. »
Chaque item, quel qu'il soit, était donc crédité d'un certain nombre de mois (s'il y
avait, par exemple, 4 items caractéristiques d'un âge donné, chacun rapportait
12 mois / 4 = 3 mois) et l'âge mental était calculé en ajoutant tous les mois correspon-
dant aux items réussis. Le calcul de l'âge mental se faisait donc en effectuant la somme
non pondérée des items réussis, ou plus exactement des nombres de mois dont chacun
était crédité.
C'est William Stern, un psychologue allemand, qui suggéra en 1912 de pondérer
l'âge mental par l'âge chronologique en faisant le quotient du premier par le second.
L'approche différentielle de l'intelligence I 361
Il - Le facteur g de Spearman
etc.
.-etc. I T1I
—etc.
.. .etc.
1. Thurstone a dénommé ce facteur « Relations verbales », mais l'inspection des tests les plus saturés conduit
aujourd'hui à l'interpréter comme un facteur commun aux tests de raisonnement axés sur la déduction.
2. Dans les tests de fluidité verbale, le sujet doit trouver en un temps limité, par exemple deux minutes, le
maximum de mots commençant par une lettre donnée, par exemple commençant par un S.
L'approche différentielle de l'intelligence I 365
cité de raisonnement dans les situations nouvelles ne faisant que très peu appel à des
connaissances antérieures) et un facteur général d'intelligence cristallisée (désigné par le
sigle Gc et correspondant à la capacité à acquérir de nouvelles connaissances en
s'appuyant sur les connaissances anciennes et des stratégies familières). Il a par la suite
précisé cette théorie, longtemps appelée théorie Gf-Gc, et l'a étayée en faisant l'analyse
factorielle hiérarchique de plusieurs batteries de tests (Cana, 1963, 1971). La procé-
dure d'analyse hiérarchique qu'utilisait Cattell était différente de celle de Vernon. Elle
s'inspirait de celle que Thurstone avait le premier employée et — sachant que pour
Thurstone, c'étaient les facteurs primaires qui étaient jugés les plus importants — elle
procédait de bas en haut. La technique de Thurstone était d'abord utilisée pour
extraire les facteurs primaires, puis, dans la mesure où ces facteurs primaires étaient
corrélés, une analyse factorielle de second ordre était entreprise pour extraire le ou les
facteurs communs à ces facteurs primaire. Par cette méthode, Cattell trouvait au pre-
mier niveau les facteurs correspondant aux aptitudes primaires de Thurstone, à cela
près qu'ils étaient plus nombreux, et au second niveau, deux facteurs généraux corres-
pondant à l'intelligence fluide et à l'intelligence cristallisée. En enrichissant les batteries
de tests, Horn, un disciple de Cattell, a par la suite, d'abord en collaboration avec Cat-
tell, puis seul, étendu le nombre des facteurs primaires et le nombre des facteurs géné-
raux de second ordre. Dans les années 1960, il a ajouté aux deux facteurs généraux de
second ordre initiaux Gf et Gc des facteurs généraux de visualisation (Gv), de récupéra-
tion en mémoire à long terme Gr, et de vitesse cognitive (Gs). Dans les années 1990,
Horn a porté à 9 le nombre de ces facteurs de second ordre (Horn, 1994). Ni Cattell ni
Horn n'ont jamais véritablement admis l'existence d'un facteur général de troisième
ordre rendant compte des corrélations entre les facteurs de second ordre (voir la
figure 9.1 c pour une représentation graphique de ce modèle).
Si le modèle factoriel hiérarchique de l'intelligence a permis une première forme
de consensus dans la controverse sur le nombre des intelligences, une ou plusieurs, des
divergences subsistaient, on le voit, quant à la structure précise de ce modèle hiérar-
chique. Le modèle de Burt-Vernon comportait trois étages et un facteur général, celui
de Cattell-Horn seulement deux étages et plusieurs facteurs généraux. Pourquoi ces
discordances entre les modèles factoriels de l'intelligence ?
lesquelles des analyses factorielles ont été effectuées a toujours été assez empirique. La
liste des tests mentaux et celle des facteurs se sont allongées avec le temps et les recher-
ches, mais comment savoir si des variables essentielles n'ont pas été oubliées, et com-
ment savoir si leur introduction ne modifierait pas la structure qui fait maintenant
consensus ?
Les facteurs sont aussi relatifs à l'échantillonnage des personnes à qui est adminis-
tré l'échantillon de tests retenus. Un test qui est discriminant avec un échantillon de
personnes peut ne pas l'être avec un autre échantillon. Pour prendre un exemple trivial,
un test de raisonnement logique qui est discriminant avec un échantillon de sujets tout-
venant risque de ne pas l'être avec un échantillon de logiciens. S'il n'est pas discrimi-
nant ou s'il l'est trop peu, c'est-à-dire si tous les sujets ont à peu près le même score, il
ne pourra corréler avec aucune autre variable et la structure factorielle en sera
changée.
Les facteurs sont enfin relatifs à la méthode d'analyse factorielle adoptée. De nom-
breuses options sont possibles et les chercheurs n'ont compris que progressivement les
relations entre les différentes méthodes possibles et les différentes options possibles au
sein de chaque méthode. C'était évidemment une des raisons du désaccord entre
Spearman et Thurstone. C'était aussi une des raisons du désaccord entre les modèles
hiérarchiques de Burt-Vernon et de Cattell-Horn. Les uns et les autres faisaient certes
une analyse factorielle hiérarchique mais les premiers la faisaient en procédant de haut
en bas (extraction du facteur g d'abord), tandis que les seconds la faisaient de bas en
haut (extraction des facteurs primaires d'abord). Pour des raisons qui seront expliquées
un peu plus loin, cette différence de méthode peut expliquer que les uns aient trouvé
trois étages et les autres seulement deux.
Toutes les analyses factorielles qui ont été évoquées jusqu'ici étaient des analyses
dites « exploratoires ». Dans ce type d'analyse, on recherche de façon empirique une
structure qui résume les données au mieux. L'inconvénient est que dans cette situation,
ni le nombre de facteurs, ni les relations entre ces facteurs (sont-ils ou non corrélés ?), ni
les saturations de ces facteurs dans les différentes épreuves, ne peuvent être spécifiés au
départ. Cela fait beaucoup d'inconnues, beaucoup trop pour que l'on puisse arriver à
une solution unique, complètement déterminée. On aboutit une famille de solutions
possibles, qui peuvent être équivalentes du point de vue mathématique mais ne le sont
pas nécessairement du point de vue psychologique. Une partie des incohérences entre
les différents modèles factoriels de l'intelligence vient donc de l'indétermination inhé-
rente à l'analyse factorielle exploratoire.
Le développement, dans les dernières décennies, de modèles structuraux comme,
par exemple, le modèle LISREL 1 (JSreskog et Siirbom, 1993), a doté les chercheurs de
méthodes d'analyse factorielle dites « confirmatoires » permettant de dépasser ces limi-
tations. Dans l'approche confirmatoire, le chercheur peut mettre un modèle hypothé-
tique de structure factorielle à l'épreuve. Ses hypothèses de départ lui permettent de
fixer certains des paramètres de l'analyse (par exemple le nombre de facteurs, les rela-
tions entre les facteurs, les épreuves saturées par chacun des facteurs, etc.) ce qui réduit
d'autant le nombre des inconnues et permet de déterminer une solution unique. Une
fois que cette solution est déterminée, le modèle est testé en calculant l'écart entre la
matrice de corrélations de départ (celle qui a été observée sur les données) et la matrice
de corrélations d'arrivée (celle qui a pu être recomposée en appliquant ce modèle hypo-
thétique des relations entre les variables latentes et manifestes). Cette procédure permet
d'accepter ou de rejeter le modèle selon que l'écart entre les deux matrices de corréla-
tions est ou non significatif, elle permet aussi de comparer des modèles concurrents et
de les départager en fonction de la qualité de leur adéquation aux données (pour une
présentation synthétique des deux logiques de l'analyse factorielle — exploratoire versus
confirmatoire — voir Dickes, 1996).
Malgré les difficultés signalées plus haut, un consensus assez général s'est fait, dans
la période récente, autour du modèle proposé par John B. Carroll (1916-2003). En
ré-analysant les données de 460 analyses factorielles de tests d'intelligence disponibles
dans la littérature, Carroll (1993) a montré que toutes étaient compatibles avec une
même structure factorielle générale. En appliquant la même méthode à toutes ces don-
nées, qui intégraient toute la variété des échantillons de tests et de sujets observés jus-
qu'alors, on peut penser que Carroll a neutralisé une partie des problèmes de méthode
et d'échantillonnage signalés plus haut (une partie seulement car même si cette
approche lui a permis d'élargir considérablement l'échantillon des tests pris en compte
rien ne permet de dire que ceux-ci forment un échantillon représentatif de l'univers des
tests d'intelligence possibles).
En gardant ces limites en tête, venons-en maintenant à la description de la struc-
ture factorielle dans laquelle Carroll a pu intégrer toutes les données qu'il a ré-ana-
lysées. Il s'agit d'une structure hiérarchique composée de trois strates (cf. fig. 9.1 I.
La première strate, qui constitue la base de la pyramide, est composée d'une quaran-
taine de facteurs primaires, qui correspondent à des domaines trop spécifiques pour
être détaillés ici (mais voir fig. 9.2). Comme ces facteurs primaires entretiennent des
corrélations — variables — entre eux, une analyse de second ordre permet d'extraire
une seconde strate de huit facteurs larges qui rendent compte des parts de variance
communes à des groupes de facteurs primaires. Puis, comme ces huit facteurs larges
d'ordre 2 sont aussi corrélés, une analyse de troisième ordre permet d'extraire, au
niveau de la troisième strate, un unique facteur général. Après orthogonalisation des
facteurs extraits dans ces trois strates de l'analyse (c'est-à-dire en les rendant indépen-
dants, de façon que chacun n'explique que la part de variance qui lui est propre), la
variance observée dans les scores à un test d'intelligence peut être fractionnée en
quatre parties distinctes : une partie qui est spécifique à ce test, et n'est donc pas très
intéressante pour notre propos, une partie qui est commune à ce test et à un petit
groupe d'autres tests couvrant le même champ étroit, par exemple le petit groupe des
tests de rotation mentale (strate I), une partie commune à ce test et à un ensemble
plus large de tests qui couvrent le même domaine de la cognition, par exemple, tous
les tests d'aptitude spatiale (strate II). Enfin, une partie commune à tous les tests
d'intelligence, du moins à tous ceux qui ont été inclus dans les études ré-analysées par
Carroll (strate III).
L'approche différentielle de l'intelligence I 369
Raisonnement général
Intelligence Intelligence Induction
générale fluide Raisonnement quantitatif
Raisonnement piagétien
Développement du langage
Compréhension verbale
Intelligence
Connaissance lexicale
cristalisée
Compréhension de lecture
Codage phonétique
Empan mnémonique
Mémoire
Mémoire associative
et apprentissage
Mémoire visuelle
Visualisation
Représentation Relations spatiales
visuo-spatiale Vitesse de clôture
Flexibilité de structuration
Discrimination auditive
Représentation
Jugement musical
auditive
Mémoire des sons
Originalité / créativité
Récupération Fluidité idéationnelle
en MLT Fluidité d'association
Fluidité verbale
Temps de réaction
Vitesse
Vitesse de comparaison
de traitement
mentale
DG. 9.2. Liste des facteurs figurant dans les trois strates de la structure factorielle hiérar-
chique du modèle de Carroll (adaptée de Carroll, 1993, p. 626). Dans la strate I, les noms en
caractères normaux désignent les facteurs de puissance et les noms en caractères italiques les fac-
teurs de vitesse.
Ce modèle est de plus en plus souvent dénommé CHC (McGrew, 2005), car il fait
la synthèse du modèle de Cattell-Horn (fig. 9.1 c) et de celui de Carroll (fig. 9.1 d). Les
facteurs trouvés par Carroll sont en effet, pour l'essentiel, les mêmes que ceux du
modèle de Cattell-Horn, la seule différence importante étant que Carroll trouve, dans
toutes les études qu'il a ré-analysées, un facteur général qui constitue la strate III de son
modèle. Horn et Cattell n'ont jamais extrait ce facteur, car ils ont toujours été réticents
sur son interprétation, mais ils ont toujours reconnu les corrélations existant entre leurs
différents facteurs généraux (cf. fig. 9.1 c).
370 I Psychologie différentielle
Le détail des facteurs trouvés dans les trois strates du modèle (clic) est donné dans
la figure 9.2. Le commentaire se limitera ici aux huit facteurs « larges » de la strate II.
Dans la figure 9.2, ils sont placés dans l'ordre d'importance de leur saturation en fac-
teur général, telle qu'elle a été estimée par Carroll en prenant en compte l'ensemble
des données qu'il a ré-analysées. Les saturations les plus fortes sont celles des facteurs
d'intelligence fluide (Gf) et d'intelligence cristallisée (Gc). Comme on peut le voir, sur la
figure 9.2, chacun des facteurs de la strate II sature à son tour un certain nombre de
facteurs de la strate I (aptitudes primaires, dont la liste s'est considérablement allongée
depuis les travaux de Thurstone).
Une présentation brève de l'interprétation des différents facteurs de la strate II du
modèle de Carroll est donnée dans l'encadré 9.2, en indiquant, pour chacun, le sigle
par lequel il est le plus souvent désigné. Des exemples d'items de tests saturés par ces
différents facteurs pourront être trouvés ailleurs (Huteau et Lautrey, 2003, p. 151-161).
ENCADRÉ 9.2
— Intelligence fluide (GO : sature les tests qui font appel au raisonnement et, plus générale-
ment, à des opérations mentales contrôlées, pour résoudre des problèmes nouveaux fai-
sant peu appel aux connaissances.
— Intelligence cristallisée ( Gc) : sature les tests faisant appel à la connaissance du langage, de
l'information et des concepts spécifiques à une culture et/ou à l'application de cette
connaissance.
— Mémoire et apprentissage ( Gm) : correspond à l'efficience de la mémoire à court terme et
de la mémoire de travail, mais le contenu de ce facteur est assez flou dans la mesure où ces
différents aspects de la mémoire n'étaient pas clairement distingués dans les études
ré-analysées par Carroll.
— Représentation visuo - spatiale ( Gv) : sature les tests faisant appel à la capacité à générer,
retenir, retrouver et transformer des images visuelles.
— Représentation auditive ( Ga) : sature les tests faisant appel à la capacité à analyser, mani-
puler, comprendre et synthétiser des éléments sonores, des groupes de sons ou des pat-
terns sonores.
— Récupération en mémoire à long terme ( Gr) : capacité à stocker l'information nouvelle en
mémoire à long terme et à la retrouver plus tard de façon flexible. Ce facteur sature notam-
ment les tests de fluidité verbale et de créativité.
— Rapidité cognitive ( Gs) : capacité à effectuer de façon automatique et rapide des tâches
relativement faciles ou surapprises.
— Vitesse de traitement ( Gt) : capacité à réagir ou à décider rapidement en réponse à des sti-
muli simples, comme c'est le cas dans les tâches évaluant le temps de réaction ou le temps
d'inspection.
mental sur l'âge chronologique). Les premiers changements dans le principe de cons-
truction des échelles d'intelligence sont dus à Wechsler. Les échelles de Wechsler étant
à l'heure actuelle celles qui sont les plus utilisées en France et dans le monde pour
l'évaluation individuelle, ce sont elles que nous prendrons comme exemple pour illus-
trer l'évolution des tests de QI.
David Wechsler (1896-1981) était psychologue à la consultation d'adultes de
l'hôpital Bellevue, un hôpital psychiatrique new-yorkais. Le Terman-Stanford (devenu
ensuite Binet-Stanford) étant mal adapté à l'évaluation de l'intelligence d'adultes,
Wechsler a entrepris d'élaborer une nouvelle échelle d'intelligence destinée à cette
population. C'est ainsi qu'est née l'échelle dite Wechsler-Bellevue, publiée en 1939 et
modifiée ensuite pour devenir en 1955 la Wechsler Adult Intelligence Scale (wAis). Le
succès de l'échelle d'intelligence pour adultes a conduit Wechsler à élaborer sur les
mêmes principes une nouvelle échelle adaptée aux enfants de 6 à 16 ans, la Wechsler
Intelligence Scale for Children (wisc) qui fut publiée en 1949. Enfm, une échelle
adaptée aux enfants d'âge préscolaire, elle aussi bâtie sur les mêmes principes, la Wech-
sler Preschool and Primary Intelligence Scale (wPPsi) a été éditée nettement plus tard,
en 1967. Ces différentes échelles ont été révisées régulièrement : pour la WAIS, en 1981
(wAIs-R) et en 1997 (wAis ; pour la wisc, en 1974 (wisc-R), en 1991 (wisc in) et
en 2003 (wisc Iv) ; pour la WPPSI, en 1989 (wPPsi-R) et en 2002 (wPPsi ni). Chaque
révision de ces échelles a été suivie d'une adaptation française de la version américaine.
Wechsler avait une approche pragmatique de l'évaluation de l'intelligence et parta-
geait, dans les grandes lignes, les idées de Binet sur la question. Lui aussi considérait
l'intelligence comme une capacité globale faite d'un ensemble d'aptitudes spécifiques
auxquelles elle ne se réduit cependant pas. Il la définissait ainsi : « L'intelligence est
déterminée de façon multiple et a des facettes multiples. Ce à quoi elle fait toujours appel
n'est pas une aptitude particulière mais une compétence d'ensemble ou capacité globale
qui, d'une façon ou d'une autre, permet à un individu sensible de comprendre le monde
et de réagir efficacement à ses défis » (Wechler, 1981, p. 8). Pour évaluer cette capacité
globale, Wechsler, comme Binet, s'est attaché à varier autant que possible la nature des
subtests de l'échelle et, pour ce faire, il s'est davantage appuyé sur son expérience cli-
nique que sur une théorie précise de l'intelligence. II s'est par contre écarté des principes
de construction de l'échelle de Binet-Simon sur deux points importants. Le premier est
d'avoir abandonné la notion d'âge mental pour lui préférer le rang auquel la perfor-
mance d'un individu situe celui-ci dans son groupe d'âge. Le second est d'avoir amorcé
le fractionnement de la notion d'intelligence en permettant d'évaluer séparément un QI
verbal et un QI de performance. Nous verrons plus loin que cette évolution des échelles
de Wechsler vers une conception multidimensionnelle de l'intelligence s'est encore
accentuée plus récemment, notamment avec la publication de la wisc w, en s'inspirant
du modèle factoriel CHC. Cette tendance n'est pas propre aux échelles de Wechsler, elle
caractérise l'évolution de toutes les échelles d'intelligence dans la période récente.
devient un score de + 1 écart type, la note brute dépassée par 2,5 % des individus
devient un score de + 2 écarts types, etc.
Ces scores en écarts réduits n'étant pas très commodes à manier, Wechsler les a
transformés en les multipliant par 15 et en ajoutant 100, de telle sorte que la moyenne
devienne 100 au lieu de 0 et l'écart type 15 au lieu de 1. Pourquoi ces nombres ? Parce
que cette transformation donne aux scores le même ordre de grandeur que les QI qui,
avec les échelles de type Binet-Simon, étaient calculés en faisant le quotient de l'âge
mental sur l'âge chronologique. Le QI de 100 correspond au cas où la note brute
obtenue est la moyenne du groupe d'âge considéré, ce qui correspond aussi au cas où
l'âge mental est égal à l'âge chronologique. L'écart type de 15 est celui que l'on obser-
vait, en moyenne — mais avec les variations signalées plus haut — dans les QI au Binet-
Stanford. Wechsler a baptisé QI le score ainsi transformé, de moyenne 100 et d'écart
type 15. Par ce tour de passe-passe, la note brute dépassée par 16 % des individus du
groupe d'âge considéré devient un QI de 115 (si la moyenne est 100 et l'écart type 15,
un score situé à un écart type de la moyenne est de 100 + 15), la note brute dépassée
par 2,5 % de l'échantillon devient un QI de 130, etc.
Contrairement au quotient de l'âge mental sur l'âge chronologique, ce nouveau
mode de calcul du QI peut s'appliquer aux adultes aussi bien qu'aux enfants. D'abord
adopté pour l'échelle destinée aux adultes (wAis) il a été étendu aux échelles pour
enfants (vvisc et wPPsi). 11 résout également le problème que posait la variabilité de
l'écart type du QI de type Stern selon les âges puisque, par construction, l'écart type est
ici de 15 à tous les âges. Wechsler a également appliqué cette procédure de transforma-
tion à la note brute obtenue dans chacun des subtests de l'échelle. Dans ce cas la note
brute est transformée en une note standard de moyenne 10 et d'écart type 3. Les notes
standard obtenues dans les différents subtests par un même individu deviennent ainsi
strictement comparables (une note standard de 7 signifie que la note brute se situe à un
écart type en dessous de la moyenne, quel que soit le subtest). Ces différents avantages
expliquent sans doute que ce nouveau mode de calcul du QI ait été adopté par la suite
dans toutes les échelles d'intelligence, y compris dans le Binet-Stanford. Dans ce qui
suit, le terme QI employé sans autre spécification renverra donc au QI de type Wech-
sler, tandis que le quotient de l'âge mental sur l'âge chronologique sera dénommé QI de
type Stern.
Le QI de type Wechsler n'est donc pas un quotient. Dans les échelles pour enfants
(wisc et wPPsi), ce QI peut, comme le QI de type Stem, être interprété comme une éva-
luation de la vitesse de développement mais celle-ci n'est plus quantifiée de la même
manière : c'est ici le rang auquel sa performance situe un enfant dans son groupe d'âge
qui renseigne sur le degré d'avance ou de retard de son développement par rapport à
celui des enfants de son âge. Toutefois, pour les raisons expliquées plus haut, ce même
indicateur ne peut être interprété comme une évaluation de la vitesse du développe-
ment dans les échelles pour adultes.
Les transformations par lesquelles on passe du rang de la note brute à un QI ne
doivent pas faire illusion. Elles ne transforment pas l'échelle ordinale dont on est parti
(le rang) en une échelle d'intervalle. Comme cela a déjà été précisé à propos de la
méthode des tests (voir chap. 8, les étalonnages) il n'y a pas de sens à parler de la forme
de la distribution d'une variable de niveau ordinal. La forme normale de la distribution
376 I Psychologie différentielle
des notes brutes, sur laquelle on s'appuie pour passer du rang dans le groupe d'âge à
un score exprimé en écarts types, n'est pas une propriété de la mesure de l'intelligence.
Elle est purement conventionnelle. Quelle est alors son utilité ? L'adoption de cette
convention est généralement justifiée par la volonté de faire des discriminations plus
fines aux extrêmes de la distribution que dans la zone moyenne, ou par le fait qu'une
distribution normale permet d'utiliser les méthodes statistiques qui postulent la norma-
lité de la distribution. La transformation d'échelle qui permet ensuite d'utiliser un indi-
cateur de moyenne 100 et d'écart type 15 relève, elle aussi, de la simple commodité.
Ces « arrangements » ne doivent pas faire perdre de vue que le niveau de mesure le
plus puissant sur lequel les psychologues puissent fonder leurs évaluations de
l'intelligence est le niveau ordinal : ils peuvent ordonner les sujets en fonction de leurs
performances dans les tests d'intelligence (nombre d'items réussis) et ils peuvent aussi
ordonner les items de ces tests en fonction de leur niveau de difficulté (nombre de sujets
qui réussissent chaque item). Le QI auquel on aboutit après les transformations qui
viennent d'être décrites ne traduit donc rien d'autre que le rang auquel sa note dans le
test situe une personne dans son groupe d'âge et il serait souhaitable de s'en tenir à
cette information, la seule dont les fondements scientifiques soient solides.
Le second point sur lequel Wechsler s'est écarté des principes de construction du
Binet-Simon est le fractionnement des subtests de l'échelle en deux sous-échelles, l'une
verbale, l'autre de performance. Là encore, ce ne sont pas des considérations théori-
ques qui ont inspiré ces modifications à Wechsler, mais plutôt son expérience de prati-
cien. Il avait fait partie de la cohorte de jeunes psychologues enrôlés pour faire passer
les tests Army alpha et Army beta aux jeunes recrues de l'armée américaine lors de la
Première Guerre mondiale (voir chap. 7, p. 311). Il avait pu observer à cette occasion
l'intérêt de disposer d'un test non verbal, l'Army beta pour l'examen du niveau intellec-
tuel d'adultes qui, pour une raison ou une autre, ont des difficultés dans l'utilisation du
langage. Sa pratique clinique ultérieure à l'hôpital Bellevue l'a conforté dans cette idée
et il a donc fait en sorte que puissent être évalués deux QI distincts, l'un pour la partie
verbale de l'échelle et l'autre pour la partie de performance.
Dans toutes les échelles de Wechsler, la sous-échelle verbale était constituée des
sous-tests suivants : information (questions d'information générale de difficulté graduée),
mémoire des chiffres (répéter en ordre direct ou en ordre inverse des séries de chiffres
de longueur croissante), vocabulaire, arithmétique, compréhension (expliquer des obser-
vations de la vie quotidienne ou des proverbes), et similitudes (dire en quoi deux choses
différentes se ressemblent, par ex. pomme et prune). La sous-échelle de performance
était constituée des sous-tests suivants : complètement d'images (trouver la partie qui
manque dans des images), arrangement d'images (réordonner des séries d'images de
façon à ce que leur séquence corresponde au déroulement de l'histoire qu'elles racon-
tent), cubes (des figures géométriques sont présentées et elles doivent être reproduites
avec des cubes dont certaines faces sont unicolores et d'autres bicolores), assemblage
d'objets (assembler des morceaux de carton découpé présentés en désordre, de telle
sorte qu'ils reconstituent un objet familier), et code (avec un modèle de code dans
L'approche différentielle de l'intelligence I 377
lequel les chiffres sont remplacés par des signes arbitraires, remplacer le plus grand
nombre possible de chiffres par leur code dans un temps limité). Ces différents sous-
tests étaient bien entendu de niveaux de difficulté différents dans les échelles pour
enfants et dans l'échelle pour adultes.
Dans les subtests de la partie verbale, les réponses étaient données oralement, en
temps libre, l'évaluation ne portant que sur leur justesse. Il s'agissait de définitions,
d'énoncés, d'explications. Dans les subtests de la partie performance, les réponses étaient
non verbales. Il s'agissait d'actions consistant à positionner des cubes, pointer une partie
manquante, réarranger des images, etc. Les épreuves de performance étaient, par ail-
leurs, chronométrées et dans cette partie de l'échelle, l'efficience était appréciée à la fois
par la justesse de la réponse et par sa vitesse. Par ailleurs, les problèmes à résoudre étaient
ici de nature visuo-spatiale, ce qui n'était pas le cas dans la partie verbale de l'échelle.
Autrement dit, si la partition opérée par Wechsler dans son échelle d'intelligence
permettait bien de distinguer deux aspects de l'intelligence, il s'agissait d'une distinction
assez empirique et encore très globale. Les deux sous-échelles différaient à la fois, on
vient de le voir, par le format de représentation des items proposés (verbal versus spa-
tial), le mode d'expression de la réponse (verbal versus moteur) et l'aspect de la perfor-
mance pris en compte (justesse versus justesse et vitesse). Il n'était donc pas facile
d'interpréter les différences trouvées entre le QI verbal et le QI performance lorsqu'il y
en avait. D'autant plus que chacune des sous-échelles mêlait des aspects de
l'intelligence correspondant à des dimensions différentes dans le modèle factoriel de
l'intelligence (le raisonnement, la représentation visuo-spatiale et la vitesse de traitement
dans la sous-échelle de performance ; les connaissances, la compréhension verbale et la
mémoire de travail dans la sous-échelle verbale).
Pendant plus d'un demi-siècle, les échelles de Wechsler n'ont cependant pas varié.
Les révisions successives ont porté sur l'actualisation des contenus et de la difficulté des
items, mais pas sur la nature des subtests ni la structure de l'échelle. C'est seulement
récemment, déjà avec les révisions qui ont donné lieu à la Wise III et la WAIS III, mais
surtout avec la révision qui a donné lieu en 2003 à la wisc IV que la nature des subtests
et la structure de l'échelle ont été modifiés pour tenir compte des apports de l'approche
factorielle de l'intelligence et de la psychologie cognitive. C'est ainsi un pas de plus vers
une évaluation multidimensionnelle de l'intelligence qui a été effectué. Cette dernière
évolution sera illustrée avec l'exemple de la wisc
2 / La composition de l'échelle
Compréhension verbale (Icv).
— Similitudes (23 items). Une paire de mots est énoncée oralement à l'enfant qui
doit trouver la similitude entre les deux objets ou les deux concepts. Exemple : en quoi
rouge et bleu se ressemblent ? Les processus ciblés sont le raisonnement verbal et la
formation de concepts.
— Vocabulaire (36 items). La tâche de l'enfant est de donner la définition des mots
énoncés. Exemple : qu'est-ce qu'une lampe ? On évalue ainsi la connaissance du
lexique, la formation de concepts verbaux, la structuration de la mémoire à long terme
et le développement du langage.
Compréhension (21 items). On demande à 'enfant de dire ce qu'il comprend de
situations sociales et de principes généraux. Exemple : pourquoi faut-il s'habiller le
matin ? Ce subtest évalue plus particulièrement la compréhension et l'expression ver-
bales, la connaissance des conventions comportementales et des normes sociales.
Mémoire de travail.
— Mémoire des chiees (8 items). On lit une série de chiffres que l'enfant doit répéter
dans l'ordre direct pour la première partie de l'épreuve et dans l'ordre inverse pour la
380 I Psychologie différentielle
Vitesse de traitement.
— Code. La tâche consiste à substituer des symboles sans signification à des nom-
bres. L'enfant a à sa disposition un modèle donnant la correspondance entre les nom-
bres et les signes qui les représentent dans le code. Il doit compléter ensuite la feuille de
réponse aussi vite qu'il le peut en mettant sous chaque nombre le signe qui lui
correspond.
— Symboles. La tâche de l'enfant est de parcourir des lignes de symboles et
d'indiquer, pour chaque ligne, si oui ou non un des symboles cibles qui sont placés à
gauche se trouve dans la ligne. La consigne est de vérifier ainsi le maximum de lignes
en temps limité.
En plus de la vitesse de traitement, ces deux épreuves font notamment appel à
l'attention soutenue, à la mémoire à court terme et à l'apprentissage. Le code, qui
demande la copie de signes arbitraires appariés à des nombres évalue en outre la coor-
dination visuo-motrice.
Cahier de passation
ECHCLLE D'inattilcichtoo vilictistut
POUF1 EMFANT:...) N
Profil des notes standard
■
Verbale Perceptif Travail Traitement
eseue clasue . 97 Aie 12 ans ém ois 51M VOC. ti1M (MD : 'a CLB Int: MAT ICIDO CR $1,C (Aal COD SI t SARF
Etshihnernern Collège Jules Ferry 12 vii12 98 eal 10 w 09 8 9
19
<
Psychologue C Durand
• • ******** • • * • • • • • •
18
17
16
Calcul de l'âge de l'enfant 15
1 Ai Année Moi@ Jour 14
13
Date de patutnt ion 2004 fig. 05 Je 42 12
Date de naissance 1992 02 18 11
Age 12 03 24 10
9
B Conversion d estes brutes en note andard
8
7
Sablait') Note@ 6
brutes 5
Cubes 38 9 4
Similitudes 3
2
Aléatoire des chiffre@ 10 10 1
8
I& I Fi
Mentit de concepts
Code Profil des notes i.omposites
Vocabulaire rfirram 'CV IRP IMT IVT
mgr=
Matrices
20 fill
9 9
Fil
160
114 90 103 90
QIT
101
Compreheasien 26 UMM
Symboles FEI 8 8 8 150
1111111 M1
(Complet. d'images)
Eri=1111111111111 84 11311
140
(Information) arriming
va 10
130
10 )
(Ref.:imminent verbal) mue® MEC 120
ID 1
100
Conversion des sommes des notes situ dard
en notes composites
90
Somme Noir
_5,
eang
Edtelle des notes . , ,n Interv “alle de 80
enen—e
standard cœee -°-
" "` P mutisme
Compréhension Verbale 37 @w 114 82 104-121 70
Ituseneement Peeeptif 26 inr 90 25 82-100
60
Memoire &Travail 21 mn 103 58 94-112
Vitesse de Traitement 17 rot 90 25 82-101 50
Totale 101 le 101 53 94-108
40
type 3 (cf. plus haut la procédure de transformation des scores bruts en scores stan-
dards). Dans la partie B du protocole reproduit en figure 9.3, ces notes standard figu-
rent à la droite des notes brutes. Dans les colonnes grisées suivantes, elles sont réparties
entre les colonnes correspondant aux quatre indices (compréhension verbale, raisonne-
ment perceptif, mémoire de travail et vitesse de traitement) avec, en bas du tableau, la
somme des notes standard pour chaque indice (les notes obtenues aux deux épreuves
optionnelles données dans ce cas, barrage et arithmétique, sont mises entre parenthèses,
car elles n'entrent pas dans le calcul des indices ni dans le calcul du QI total).
La transformation suivante consiste — en se reportant à nouveau à la table
appropriée dans le manuel — à passer de ces sommes de notes standard aux notes com-
posites de moyenne 100 et d'écart type 15. Cette seconde transformation est destinée à
rendre ces notes directement comparables (et aussi, comme nous l'avons vu plus haut, à
leur donner une échelle de grandeur comparable à celle des anciens QI de type Stern).
On trouve dans la première colonne de la partie D du protocole les sommes de notes
standard correspondant aux différents indices et au total. Dans la colonne suivante, on
trouve les notes composites de moyenne 100 et d'écart type 15 qui leur correspondent.
La somme totale des notes composites est appelée QI total, ce QI total est ici de 101. La
troisième colonne du tableau D donne l'équivalence de ces notes composites en percen-
files (voir chap. 8, étalonnages). Cette indication est sans doute celle qui situe le plus
clairement le niveau de la performance auquel correspond la note puisqu'elle indique le
pourcentage de sujets qui ont eu une note inférieure à celle-ci dans l'échantillon de
référence (ici, 82 % pour la note de compréhension verbale et 25 % pour la note de
raisonnement perceptif). La dernière colonne du tableau D indique l'intervalle de
confiance de chaque note (cf. chap. 7, l'erreur type). Cela signifie qu'au seuil de risque
de 5 %, on peut estimer que le score vrai de compréhension verbale devrait se situer
quelque part entre 104 et 121.
Les tableaux qui sont à droite permettent de tracer, sur l'échelle des notes allant
de 1 à 19, les profils reliant, dans chaque catégorie d'épreuves, les notes standard obte-
nues dans les différents subtests (partie E du protocole) et, sur une échelle de
moyenne 100 et d'écart type 15, le profil des notes composites obtenues sur les quatre
dimensions de l'intelligence distinguées dans l'échelle ainsi que le QI total. Les auteurs du
manuel indiquent que le QI total peut être considéré comme une approximation du fac-
teur général d'intelligence. Ce n'en est qu'une approximation grossière, car il est obtenu
en faisant la simple somme des notes dans les différents indices factoriels alors que, si un
score en facteur général était calculé, chacune des dimensions y interviendrait avec un
poids correspondant à sa saturation en facteur général. À titre d'exemple, on sait que la
vitesse de traitement contribue peu au facteur général alors que la mémoire de travail y
contribue beaucoup. Si l'on calculait un score en facteur général, la note de vitesse de
traitement n'y contribuerait donc qu'avec un poids réduit, tandis que celle de mémoire
de travail y contribuerait avec un poids important. Par contre, avec la procédure adoptée
ici, les notes de vitesse de traitement et celles de mémoire de travail sont ajoutées avec le
même poids. Les auteurs de la révision du wisc iv ne sont donc pas allés jusqu'au bout
de l'approche multidimensionnelle de l'intelligence : ils ont adopté la logique factorielle
pour définir les dimensions correspondant aux facteurs de groupe, mais ils sont restés
dans la logique du QI global pour définir le QI total.
L'approche différentielle de l'intelligence I 383
Les profils tracés dans les parties E et F de la feuille permettent de visualiser les
écarts de performance entre les différents subtests d'une même dimension et entre les
dimensions. Ces écarts renseignent sur les forces et les faiblesses relatives, mais ne doi-
vent cependant pas être interprétés sans précautions. Deux informations doivent être
prises en compte avant de se lancer dans l'interprétation d'une différence entre deux
notes ; d'une part, la valeur critique pour laquelle cette différence est significative à un
seuil de risque raisonnable, d'autre part, la fréquence avec laquelle cette différence a
été observée dans l'éclgantillon de référence. Ces deux informations peuvent être trou-
vées dans les tables qui figurent en annexe du manuel d'administration. Ainsi, la valeur
critique des différences entre indices se situant aux alentours de 15, seules les différen-
ces ICV-IRP et ICV-IVT sont significatives au seuil de .05 dans le protocole de la
figure 9.3. Des différences égales ou supérieures à celles-ci sont observées dans
l'échantillon de référence dans seulement 5,7 % et de 9,9 % des cas respectivement.
C'est seulement une fois l'ensemble de ces opérations de cotation réalisées que
commence le vrai travail du psychologue qui est celui d'interprétation de toutes ces
données chiffrées. Il s'appuie alors pour cela sur ses connaissances théoriques,
l'expérience clinique accumulée tout au long de sa pratique, et l'ensemble des autres
éléments d'information recueillis sur la personne examinée au cours de l'épreuve et
dans les autres composantes de l'examen psychologique. Une indication chiffrée seule,
qu'il s'agisse d'une note d'indice ou un QI n'a en elle-même aucune signification.
Ce risque de circularité est moindre en prenant d'autres critères que les tests
d'intelligence. La réussite scolaire est un des critères fréquemment utilisés pour les
échelles d'intelligence qui sont conçues pour les enfants d'âge scolaire. Avec les versions
précédentes de la wisc, les corrélations entre le QI total et la réussite scolaire variaient
de .65 à .75 (Zhu et Weiss, 2005). Ces informations ne sont pas encore disponibles pour
la wisc iv mais il sera intéressant d'examiner les corrélations entre les différents indices
,
d. Discussion
L'évolution qui a été ci-dessus illustrée à partir de l'exemple des échelles de Wech-
sler a pris la même forme pour toutes les échelles d'intelligence. Toutes ont été progres-
sivement modifiées pour se calquer, plus ou moins rapidement et à un degré plus ou
moins important, sur le modèle CHC de la structure de l'intelligence. La révision
de 1986 du Stanford-Binet avait déjà introduit une évaluation distincte de trois des
dimensions du modèle, l'intelligence fluide, l'intelligence cristallisée et la mémoire à
L'approche différentielle de l'intelligence I 385
III Conclusion
-
Les premières échelles de QI, celle de Binet et celles de Wechsler reposaient sur
une conception empirique et pragmatique de l'intelligence. En faisant porter
l'évaluation sur les processus supérieurs et en situant les performances d'une personne
par rapport aux performances observées dans son groupe d'âge, ces pionniers ont mis
le doigt sur une procédure efficace de comparaison des productions du système cognitif.
Sous réserve que la personne examinée ait bien baigné dans le milieu culturel pour
lequel le test a été conçu, ces productions du système cognitif renseignent, indirecte-
ment, sur le fonctionnement global de ce système sans qu'il soit nécessaire pour cela
d'en comprendre les mécanismes. Si un enfant a acquis en temps et en heure les
connaissances et les habiletés qui sont d'habitude acquises par la plupart des enfants à
cet âge-là, c'est que son cerveau fonctionne normalement et on peut pronostiquer que,
sauf accident, il acquerra en temps et en heure les connaissances et habiletés cognitives
plus complexes. Cette forme d'évaluation globale de l'efficience intellectuelle a rendu
de nombreux services. Elle a, par exemple, permis de diagnostiquer les retards ou les
avances dans le développement intellectuel ou de pronostiquer les chances de réussite
dans tel ou tel type d'apprentissage. Fortes de ces succès, qui reposaient pour une
bonne part sur leur approche pragmatique de l'évaluation, les échelles de QI sont res-
tées pendant longtemps inchangées et insensibles aux évolutions théoriques sur
l'intelligence. Les théories passaient, mais les tests restaient (Lautrey, 2001). La limite de
cette forme d'évaluation globale était cependant de ne fournir que des indications très
limitées lorsqu'il s'agissait d'analyser les raisons pour lesquelles le fonctionnement
cognitif d'une personne était déficient. L'analyse plus poussée des performances au test
386 I Psychologie différentielle
devait alors s'appuyer sur l'expérience clinique du psychologue, qui ne reposait pas
toujours sur des fondements solides.
L'évolution qui a été décrite dans ce chapitre correspond au passage de cette
conception empirique et pragmatique de l'évaluation de l'intelligence à la prise en
compte, dans la conception même des échelles d'évaluation, des apports de deux cou-
rants théoriques qui ont contribué à faire évoluer les idées sur l'intelligence au cours du
siècle dernier : l'approche factorialiste et la psychologie cognitive. Le premier de ces
deux courants a contribué à mettre à jour les différentes dimensions de l'intelligence et
à en catégoriser les principaux aspects, du moins ceux sur lesquels les individus se diffé-
rencient le plus nettement. Le second a contribué à mettre à jour certains des processus
sous-jacents aux différents facteurs de l'intelligence, la relation trouvée entre l'efficience
de la mémoire de travail et le facteur d'intelligence fluide en est l'exemple le plus net.
La poursuite de cette évolution, qui n'en est qu'à ses débuts, devrait doter les psycholo-
gues praticiens d'instruments d'évaluation donnant des fondements plus solides à leur
analyse clinique des points forts et des points faibles du fonctionnement cognitif des
personnes examinées ainsi qu'à la conception des méthodes de remédiation. Le QI,
indicateur chiffré unique avec lequel on a cru pouvoir caractériser l'intelligence d'une
personne, était une notion qui correspondait à la conception unidimensionnelle de
l'intelligence. Il n'est plus adapté à la conception multidimensionnelle qui prévaut
maintenant et devrait donc être remplacé par des indicateurs plus appropriés (voir Lau-
trey, 2005 b) .
LECTURES CONSEILLÉES
Introduction
Le terme personnalité est d'un usage courant : il est employé lorsque l'on cherche à
décrire une personne, du point de vue de ses comportements (nerveux, appliqué,
curieux...), de ses modes de réaction (émotif, impulsif, calme...), ou encore de ce que
l'on pense pouvoir prédire de sa conduite dans une certaine situation (optimiste, atten-
tif, énergique...). De telles « évaluations » des personnes qui nous entourent, à titre
privé, professionnel, ou dans le contexte sociétal sont un fait quasi quotidien. Elles
sont assez souvent basées sur des théories implicites de la personnalité, associées à
des indicateurs flous, qu'il a paru utile de présenter dans une première partie de ce
chapitre.
Mais le terme personnalité est également central pour la psychologie scientifique :
on trouve dans toutes ses sous-disciplines des modèles et méthodes visant à définir,
expliquer, ou mesurer la personnalité. Après avoir donné un aperçu sur deux appro-
ches, une présentation plus détaillée de la perspective différentielle sera faite, du point
de vue de ses démarches de modélisation et d'évaluation. Il y sera vu que tout en pour-
suivant un même objectif, plusieurs perspectives peuvent être adoptées pour étudier les
différences individuelles. Pour les préciser, il a été choisi dans ce chapitre de présenter
successivement les travaux de deux auteurs qui constituent des références dans ce
domaine. La partie consacrée à H. J. Eysenck permettra ainsi d'exposer trois grandes
conceptions différentielles de la personnalité : les types, les processus, les traits. Les tra-
vaux de R. B. Cattell seront ensuite présentés pour illustrer la démarche lexicale, dont
un aboutissement est le modèle consensuel des cinq grands traits de personnalité. La
dernière partie de ce chapitre sera centrée sur la question des liens entre la personna-
lité, les intérêts et l'intelligence.
388 I Psychologie différentielle
A - CONCEPTS ET MÉTHODES
DANS L'ÉTUDE DE LA PERSONNALITÉ
a. Premières définitions
C'est ainsi que l'astrologie semble dresser des portraits relativement convaincants.
Un ensemble de recherches menées par Jan Van Rooij (1999) plaide en faveur du fait
que les sujets adhèrent aux portraits attachés aux signes du zodiaque par une intériori-
sation des caractéristiques plus ou moins typiques qui leur sont attachées (bélier-
impulsifs, taureau-conservateur, gémeaux-versatile, etc.), et ce d'autant plus que les per-
sonnes ont des connaissances en astrologie.
Le même auteur s'est également intéressé à la graphologie (Van Rooij et Hazelzet,
1997), à propos de laquelle on pourra consulter l'ouvrage de Michel Huteau (2004)
pour une revue de la question. Les descriptions de la personnalité par la graphologie
sont assez souvent acceptées par les individus, car elles s'appliquent à tout le monde
(phénomène appelé effet Barnum) : elles sont généralement positives, vagues, banales
( « vous souhaitez que votre vie ne soit pas trop monotone » ), ou encore à double sens
( « vous êtes généralement joyeux mais il vous arrive d'être triste » ).
Une autre manière de chercher à caractériser la personnalité est de s'appuyer sur
l'apparence physique. C'est ainsi que Kretschmer (1888-1964) a proposé de répartir les
individus en trois catégories, sur la base de l'étude clinique de la constitution physique :
les leptosomes (personnes minces et élancées), les picniques (personnes de forte corpu-
lence) et les athlétiques (musclés). Ces caractéristiques ont ensuite été mises en relations
avec deux grandes psychoses fonctionnelles, la schizophrénie et la psychose maniaco-
dépressive : la première serait plutôt associée aux leptosomes ou aux athlétiques, la
seconde au type pycnique. À la même époque, Sheldon (1888-1968) poursuivait un
objectif similaire et est parvenu à peu près aux mêmes résultats. Les travaux de
Kretschmer et de Sheldon sont à considérer avec la plus grande prudence. On peut à la
limite y trouver un intérêt historique, avec la préfiguration de démarches quantitatives et
qualitatives conduisant à l'établissement de types et à la construction de traits (cf. § c,
p. 391). Mais les conclusions de ces travaux sont critiquables sur au moins deux points ;
d'une part, les résultats ne rendent pas compte de tous les individus : les sujets atypiques
sont plus fréquents que les types purs ; d'autre part, tout repose sur le postulat selon lequel
la personnalité serait la conséquence de phénomènes biologiques, ce qui reste à prouver.
Sur un plan plus général et très problématique, les approches pseudo-scientifiques
sont parfois utilisées à des fins de recrutement. Une enquête de PAPEC mentionne
ainsi 97 % d'utilisation de la graphologie et 25 % de « techniques magiques » (Jouve et
Massoni, 1996). Il n'est sans doute pas inutile de rappeler que les candidats à un poste
de travail sont en droit de demander sur quels critères s'opère la sélection et d'être
informés sur leur validité...
a. Définitions du concept
est ainsi définie dans les dictionnaires de psychologie comme la « caractéristique relati-
vement stable et générale de la manière d'être d'une personne dans sa façon de réagir
aux situations dans lesquelles elle se trouve » (Reuchlin, in Bloch et al., 1991) ou
« l'unité stable et individualisée des conduites » (Huteau, 1985 ; Doron et Parot, 1991).
Elle est aussi « ce qui permet une prédiction de ce que va faire un individu dans une
situation donnée » (Cattell, 1955). Les définitions soulignent parfois l'importance de la
structure de la personnalité, définie « comme un ensemble organisé, et non seulement
aggloméré, des caractéristiques psychiques de chaque être humain, perçu comme une
totalité » (Morin et Bouchard, 1997, p. 3). Stabilité, prédiction et structure pourront
cependant s'inscrire dans des modèles théoriques multiples, voire contradictoires, en
fonction des paradigmes* de chaque sous-discipline de la psychologie.
La multiplicité des questions soulevées par la personnalité est telle qu'à peu près
tous les champs de la psychologie s'y sont intéressés. S'il n'est pas possible d'en dresser
ici un panorama exhaustif', on peut mentionner deux grands courants qui peuvent être
spécifiés du point de vue de leurs propositions en termes de structures, de fonctions et
de démarches.
L'approche clinique semble incontournable puisque la personnalité fait mention de
l'individualité. Au niveau théorique, le cadre psychanalytique est largement adopté.
L'aspect structural de la personnalité repose sur l'existence de trois systèmes (ça, moi,
surmoi), et l'hypothèse selon laquelle un certain type de personnalité est lié à une fixa-
tion au cours du développement est formulée. Le point de vue fonctionnel se caracté-
rise par l'expression de forces et de conflits entre les systèmes, les mécanismes de
défense permettant de réduire ces tensions. L'évaluation de la personnalité, souvent
opérée par entretien, peut être doublée de l'utilisation d'épreuves standardisées. Les
épreuves projectives font ainsi partie des outils mis à la disposition des psychologues cli-
niciens : figure parmi elles le très célèbre test de Rorschach, où le sujet indique ce qu'il
perçoit d'une tache d'encre. Les productions des sujets sont quantifiées en fonction de
réponses qui peuvent rendre compte d'une impression globale de la tache, ou au
contraire des réponses centrées sur des détails. Ces données, auxquelles s'ajoutent les
investigations menées au cours de la passation, sont interprétées en termes de mécanis-
mes de défense. Les praticiens peuvent aussi s'appuyer sur des questionnaires, tels que
le MMPI (Minnesota Multiphasic Personality Inventory) : cette échelle vise à identifier
d'éventuels problèmes de personnalité, dont l'interprétation peut être fondée sur les
modèles dynamiques issus de la psychanalyse (Bisson, 1997).
Dans une tout autre perspective, les conceptions issues du behaviorisme* ont
tenté de dégager des lois générales de la construction de la personnalité. Dans la
théorie de l'apprentissage social proposée par Banclura, les différences de personnalité
découlent des variations dans les expériences de l'individu. Le comportement des gens
est constant dans la mesure où les situations qu'ils rencontrent et les rôles qu'on leur
1. Cf. les lectures conseillées pour des exposés plus développés sur cette question.
L'approche différentielle de la personnalité I 391
Questionnaires et épreuves objectives sont aussi utilisés dans les recherches sur la
personnalité, ce qui n'est pas surprenant puisqu'ils en sont issus. Leur validation peut
reposer sur diverses méthodes de recueil, qui ont été formalisées par Cattell.
Une grande distinction porte sur le type de données recueillies. Le type L (Life
data) correspond à des hétéro-descriptions : une personne est décrite par un membre de
sa famille, un enseignant, un psychologue.... Le type Q (Questionnaire) réfère à des
autodescriptions : le sujet remplit un questionnaire, dans lequel il lui est demandé de
dire si une phrase lui correspond ou non ( « vous êtes généralement ponctuel » ), ou
répond à un inventaire dans lequel il choisit les adjectifs qui le décrivent mieux. Les
données de type T (Test), enfin, proviennent de mesures objectives, sur des tâches per-
ceptives (les variables pouvant être des temps de réaction) et physiologiques (en enregis-
trant par exemple les variations du rythme cardiaque lors de situations expérimentales).
Une autre distinction a trait aux modes de passation. La situation classique consiste à
faire passer plusieurs épreuves par un échantillon de sujets ; mais il est possible aussi
d'utiliser des mesures répétées (où un sujet donné répond à plusieurs reprises à un ques-
tionnaire), ou encore de proposer la passation de plusieurs épreuves à plusieurs reprises
à un même échantillon de sujets.
La diversité de ces méthodes est à l'image de la complexité des recherches portant
sur la personnalité. Leur utilisation dépend du courant dans lequel elles s'inscrivent : les
recherches lexicales sont adossées à l'utilisation de questionnaires et inventaires, tandis
que la recherche de processus s'appuiera davantage sur des méthodes expérimentales.
La liste présentée ci-dessus n'est pas exhaustive, et il est probable que l'essor actuel des
neurosciences contribuera à l'enrichissement des techniques d'investigation de la
personnalité.
IV - Résumé
dis que d'autres cherchent à produire l'organisation de traits de personnalité qui semble
la plus pertinente, à partir d'études lexicales, suivant ainsi la voie tracée par Cattell.
Ces travaux vont être développés dans la suite de ce chapitre.
el
NIVEAU 3. Traits de personnalité :
Personnalité
extraversion, névrosisme, psychotisme
Il - Approche typologique
Eysenck avait à sa disposition les dossiers de 700 soldats hospitalisés, à partir des-
quels il a extrait 39 items tels que la dépendance, l'anxiété, l'intelligence, l'alcoolisme...
Frappé par la constante récurrence des modèles de description de la personnalité, sou-
vent basée sur 2 grands types de sujets, Eysenck traite ces 39 items par analyse facto-
rielle pour identifier la ou les dimensions qui polarisent la personnalité. Les résultats
aboutissent à l'extraction de 4 facteurs dont 2 seuls ont été retenus.
Un premier ensemble de termes reflète un manque général d'intégration de la per-
sonnalité, d'adaptabilité et d'effort général. Ces termes sont associés à l'anormalité
avant la maladie, l'anormalité des parents, ou encore le peu d'énergie. Eysenck propose
le terme Névrosisme (IV) pour désigner une hyperréaction émotionnelle générale et la pré-
disposition à la dépression nerveuse sous l'effet d'un stress. Les items de Névrosisme
concernent donc la stabilité-instabilité émotionnelle ; ceux qui ont une note élevée tolè-
rent mal les agressions (douleur par exemple), et leur conduite se désorganise dans les
situations de conflit ou de frustration. Le second ensemble de termes oppose des symp-
tômes tels que les hystéries de conversions et les anomalies sexuelles à l'apathie et la
dépression. Cet ensemble, dénommé Extraversion (E) vs Introversion), désigne les tendan-
ces à l'extériorisation, la non-inhibition, les tendances impulsives et sociales d'un sujet.
Névrosisme et Extraversion sont issues de données quantitatives ; mais étant poussées à
une condensation maximale, Eysenck préférera le terme de type à celui de trait. C'est
ainsi que l'extraverti typique est décrit comme étant sociable, aimant les réunions,
ayant beaucoup d'amis, n'aimant pas lire ou travailler seul, hardi, impulsif, aimant le
changement, optimiste, préférant agir à réfléchir.
Dans la représentation du modèle de Eysenck (fig. 10.2) les deux dimensions N
et E sont indépendantes : le fait qu'un individu soit extraverti ne préjuge donc pas du
fait qu'il soit stable ou instable. La combinaison des deux grandes dimensions permet
alors de caractériser la personne par l'un des adjectifs mentionnés à la périphérie (par
exemple, un sujet très instable et plutôt introverti sera anxieux). Dans cette représenta-
tion, Eysenck mentionne également, dans la zone centrale, quatre types empruntés à
Galien. Ces termes constituent en quelque sorte un résumé de l'ensemble des adjectifs
proposés à la périphérie : le mélancolique correspond ainsi au type regroupant le fait
d'être maussade, anxieux, rigide... insociable, tranquille. En résumé, cette figure rend
compte, à plusieurs niveaux, de l'aspect typologique du modèle de Eysenck.
ENCADRÉ 10.1
Eysenck propose le concept d'Extraversion en faisant référence au modèle de Jung, qui dis-
tingue des types généraux d'attitude et d'orientation de l'énergie : l'Introversion (I) correspond
ainsi à une énergie tournée vers l'intérieur ; l'Extraversion (E) à une énergie tournée vers
l'extérieur (lien avec autrui, communication, expression ► .
396 I Psychologie différentielle
Jung propose par ailleurs quatre types fonctionnels : sensation, intuition, pensée, senti-
ments. Les deux premiers opposent deux manières de percevoir l'environnement. Pour cer-
tains sujets, la perception est analytique : appelée sensation (S), elle caractérise les individus
qui ont un intérêt pour les faits, le présent ; ils sont réalistes, concrets, pratiques, convention-
nels. À l'opposé, d'autres sujets auront un type de perception globale, appelée intuition (N):
ces sujets cherchent à saisir les significations, les relations, ils ont un attrait pour la nouveauté,
l'originalité, et laissent libre cours à leur imagination. Les deux autres types fonctionnels décri-
vent la manière de juger et de prendre des décisions. Celle-ci peut s'appuyer sur la pensée (T),
correspondant aux raisonnements logiques, l'analyse, la détermination, la prévision. Dans le
cas contraire, le jugement peut s'appuyer sur les sentiments (F): la décision sera alors guidée
par les émotions, les valeurs, la subjectivité. Les sujets ayant ce type de fonction dominante
ont un intérêt pour les personnes.
Le MBTI (Myers Briggs Types Inventory) est un questionnaire dérivé du modèle de Jung
pour évaluer les types généraux et fonctionnels. Il permet de classer l'individu dans l'une des
16 catégories issues du croisement de l'attitude dominante (E ou I) avec les types fonctionnels
(S ou N, et T ou F) et la prise en compte de la fonction dominante (perception vs jugement).
Chaque type est alors décrit au moyen d'un portrait qualitatif : à titre d'exemple, les ISTJ (Intro-
verti, percevant par la Sensation, jugeant par la Pensée, et privilégiant le Jugement à la Per-
ception) seront qualifiés d'observateurs extrêmement attentifs, calmes, méthodiques, réser-
vés, ayant le sens des responsabilités... (cf. Cauvin et Cailloux, 1994, pour une description des
types).
Anxiété
I mpulsivité
Fig. 10.2. — Les types de Galien et les dimensions des modèles de Eysenck
(d'après H. J. Eysenck et S. B. G. Eysenck, 1971).
Ont été ajoutées l'ANxiÉTÉ et l'IMPULSIVITÉ, issues du modèle de Gray (cf. III)
L'approche différentielle de la personnalité I 397
Que ce soient celles de Eysenck ou de Jung, ces typologies ne sont pas sans poser
problème. Tout d'abord, la répartition des personnes dans des catégories peut assez vite
devenir caricaturale, des différences interindividuelles intratype existant. D'autre part,
des nuances doivent être faites quant à la définition même des types, l'Extraversion-
Introversion n'ayant pas le même sens ici que dans le modèle de Eysenck : cela sera
également retrouvé dans d'autres modèles de description de la personnalité, présentés
plus bas, où il se trouve qu'un même terme peut correspondre à des définitions
différentes.
CV = Cerveau viscéral
VAA = Voies afférentes ascendantes
SRAA = Système réticulaire activateur ascendant
sujets Extravertis auraient des traitements plus superficiels (propension à répondre). Ces
différences reviennent donc à passer ostensiblement de l'Extraversion vers l'Impulsivité,
ce que proposent d'autres auteurs tels que Gray (cf. encadré 10.2).
ENCADRÉ 10.2
recherche de sensations
vivant
actif
répond généralement
EXTRAVERSION
insouciant
aime les manifestations
débordant d'énergie culturelles
dominant
entreprenant
(4) Type (3) Traits (2) Réactions habituelles (1) Réactions ponctuelles
d'aimer sortir, de faire connaissance avec d'autres personnes, etc. Le dernier niveau
correspond donc aux types E et N dégagés des inter-corrélations entre traits : sociabi-
lité, rigidité, vivacité, énergie pour l'Extraversion ; anxiété, agitation, susceptibilité, pour
le Névrosisme.
Le modèle est resté en l'état pendant une trentaine d'années, à l'issue desquelles
il s'est enrichi du Psychotisme (présent dans le Eysenck Personality Questionnaire). Le
Psychotisme correspond à des sujets froids, impersonnels, hostiles, non émotifs, peu
enclins à aider autrui. Venant un peu après coup, ce type n'a pas eu le même déve-
loppement théorique que les deux autres. Cette évolution du modèle de Eysenck pose
donc la question du nombre de dimensions nécessaires et suffisantes pour donner une
représentation satisfaisante de la personnalité. La défense de ce modèle très synthé-
tique, inscrit dans le courant britannique, l'a fait opposer à Raymond B. Cattel,
auteur américain qui a modélisé la personnalité sur la base d'un nombre considérable
de travaux. Le modèle de Eysenck (en 3 traits) et celui de Cattell (en 16 traits) se sont
maintenus dans un contexte évoluant vers une structure intermédiaire en cinq fac-
teurs, sur lequel un consensus s'opère à l'heure actuelle. C'est ce qui va être présenté
dans la prochaine partie.
Cattell est principalement connu pour ses approches factorielles, tant d'ailleurs
dans les domaines cognitifs que non cognitifs. Concernant la personnalité, ce succès est
lié à la construction d'un questionnaire visant à dresser des profils de personnalité en
16 facteurs. Ce modèle, plus complexe que celui de Eysenck, est issu d'analyses lexica-
les qui consistent à partir du langage courant pour en extraire les termes susceptibles de
décrire la personnalité.
Comme cela a été mentionné plus haut, on trouve également dans la très abon-
dante production scientifique de Cattell les tentatives d'une évaluation plus objective de
la personnalité. Il a ainsi procédé au recueil de « données de type T » (Tests, épreuves
objectives de personnalité) : ce sont principalement des tâches perceptives et des mesu-
res physiologiques, telles que les variations du rythme cardiaque ou la sudation pal-
maire. On retrouve donc la diversité des approches mises en oeuvre par Eysenck, mais
dans une perspective différente : pour Cattell, il s'agit davantage de conforter un
modèle de traits de personnalité, par le biais de méthodes complémentaires, que d'en
fournir une explication grâce aux expérimentations.
402 I Psychologie différentielle
Ainsi, le but ultime de Cattell était plutôt d'éprouver les modèles psychanalyti-
ques par des données quantitatives. Plusieurs éléments attestent de cet intérêt. D'une
part, bon nombre de traits de personnalité empruntent leur dénomination aux
concepts dynamiques : force du moi, force du surmoi et autres néologismes faisant
plus ou moins référence aux topiques freudiennes. D'autre part, les données de type T
permettent de dégager des ergs, définis comme des « dispositions psychophysiques qui
permettent à son possesseur d'acquérir la réactivité (attention, reconnaissance) à cer-
taines classes d'objets plus rapidement qu'à d'autres, d'éprouver une émotion spéci-
fique à leur propos ». Ces traits dynamiques sont la sexualité, l'instinct grégaire, le
besoin de protéger, le besoin d'exploration, le besoin de sécurité, le besoin de
s'affirmer, etc. Une autre sorte de trait dynamique est proposée : les sentiments définis
d'après les objets désirés (sentiments envers la religion, les idées, les parents, etc.),
acquis à partir des ergs et marqués par l'environnement socioculturel. On peut retrou-
ver ici aussi des sources psychanalytiques, les sentiments définis par Cattell ayant une
forte ressemblance avec l'un des types fonctionnels proposés par Jung. Ergs et senti-
ments illustrent ainsi l'objectif de Cattell de s'acheminer vers une « psychanalyse
quantitative ».
6. L'approche lexicale et le 16 PF
Facteurs primaires Signification des notes basses Signification des notes élevées
Facteurs secondaires Signification des notes basses Signification des notes élevées
ser la critique faite aux approches lexicales, par la caractérisation des traits en termes
de systèmes de régulation, définis comme des fonctions motivationnelles et adaptatives
particulières. Par ailleurs, il semble aussi que l'on passe d'une interprétation bipolaire
des traits à une interprétation en termes de présence/absence de caractéristique. « Ces-
ser de penser par opposition et rompre ainsi avec l'habitude qui consiste à lier des ter-
mes tels que malheureux/heureux, amical/hostile, sociable/timide permet de nouvelles
découvertes dans le domaine de la personnalité » (J.-P. Rolland, manuel du NEO-PI de
Costa et McCrae, 1998, p. 15).
Quantité d'articles sont consacrés aux modèles en cinq facteurs, en vue d'en préci-
ser la structure. Le but est de définir chacun des traits grâce à la liste des caractéristi-
ques qui le composent, et d'expliciter en quoi chaque trait se distingue bien des autres.
L'objectif de ce modèle est, rappelons-le, de proposer une structure dont les éléments
couvrent le champ de la personnalité en évitant les redondances. Les définitions don-
nées ci-dessous se limitent à quelques caractéristiques essentielles, extraites du manuel
du NEO-PI et de l'ouvrage de J.-P. Rolland (2004), auquel il est conseillé de se reporter
pour plus de précisions.
1 / Névrosisme
affects négatifs (peur, tristesse, gêne) et à se focaliser sur les aspects négatifs de la réalité.
Les sujets ayant un score élevé sur cette dimension ont aussi tendance à nourrir des
idées irrationnelles, à moins maîtriser les pulsions, à mal gérer le stress et éprouver un
sentiment d'insécurité. Pour autant cette dimension n'est pas forcément liée à des trou-
bles psychiatriques. Les sujets ayant des scores faibles sont calmes, d'humeur égale,
détendus. Ce trait serait associé à un système de régulation conduisant à des conduites
d'évitement : on retrouve ici la proposition de Gray avec le système d'inhibition (ms).
2 / Extraversion
Les sujets extravertis sont sociables, dynamiques et ressentent des émotions positi-
ves : sûrs d'eux, actifs, loquaces, gais, énergiques, optimistes... sont les qualificatifs habi-
tuellement utilisés pour les décrire. L'Extraversion se manifeste par la recherche de sti-
mulations : associée à un système de régulation des conduites d'approche (à rapprocher
du Behavioral Approach System de Gray), elle comporte donc une composante relative à
l'ascendance dans les relations sociales, et à l'impulsivité de façon plus générale.
L'Introversion est plus l'absence d'Extraversion que son opposé : les sujets introvertis ne
ressentent pas nécessairement des émotions négatives ; ils sont plutôt réservés
qu'inamicaux, constants et réguliers plutôt que paresseux et apathiques.
3 / Ouverture
La curiosité intellectuelle, l'imagination active, l'originalité, la sensibilité esthétique,
l'attention prêtée à ses propres sentiments ont souvent tenu une place importante dans
la description de la personnalité, mais leur intégration dans un seul domaine est un
apport essentiel des modèles en cinq facteurs. Ceux-ci comportent une dimension
Ouverture à l'expérience (cognitive et non cognitive), qui se manifeste par des intérêts
larges, une capacité à vivre (ou à rechercher) des expériences nouvelles et inhabituelles.
On peut cependant noter que se produisent des débats à propos de cette dimension
parfois appelée Intellect. McCrae et Costa (1997), auteurs d'un outil de référence dans
l'évaluation des Big Fice (le NEO PI), avancent au moins trois types d'arguments pour pri-
-
vilégier le terme Ouverture : 1 / elle écarte la confusion qu'il pourrait y avoir avec le
terme Intelligence ; 2 / elle rend compte d'une dimension plus large que l'Intellect car
intégrant des aspects motivationnels ; 3 / en même temps, elle est plus spécifique car
indépendante du facteur Consciencieux.
Les sujets Ouverts sont curieux de tout ce qui provient de leur univers interne et
externe et leur vie est riche en expériences. Le système de régulation des conduites a
trait à la recherche de nouveauté. Les notes basses à O reflètent la recherche de situa-
tions familières, le caractère conventionnel, le conservatisme ; pour autant les sujets
ayant des scores faibles en Ouverture ne sont pas forcément autoritaires ou dogmati-
ques, caractéristiques qui relèvent plutôt de l'Agréabilité.
4 / Agréabilité
ment altruistes, dociles, et se soumettent à l'avis d'autrui. Ceux qui ont des scores fai-
bles sont hostiles, égocentriques, doutent des intentions d'autrui et entrent plus
facilement en compétition qu'en coopération. Tandis que l'Extraversion concerne
l'individu lui-même, les stimulations qui lui sont nécessaires, et les émotions positives
qu'il en retire, l'Agréabilité concerne la nature des relations avec autrui, la tonalité de
coopération vs de compétition. Cette dimension s'approche donc du Psychotisme du
point de vue des relations à autrui, d'autres traits du Psychotisme faisant plutôt réfé-
rence au caractère Consciencieux.
5 / Consciencieux
Les définitions des cinq grands traits s'appuient sur la déclinaison d'un ensemble
de qualificatifs qui rappellent les structures hiérarchiques proposées par Eysenck et par
Cattell. Par voie de conséquence, les outils visant à évaluer la personnalité en cinq fac-
teurs proposent généralement un certain nombre de facettes. Il est ainsi possible de dis-
tinguer au moins deux aspects de l'Extraversion (sociabilité et impulsivité), ou du carac-
tère Consciencieux (sens du devoir, ambition). C'est à peu près ce que l'on trouve dans
le test Alter Ego (Vittorio, Barbaranelli et Borgogni, 1994) où deux facettes sont propo-
sées pour chacun des traits : dynamisme et dominance pour E (appelée énergie) ; coo-
pération et attitude amicale pour A (amabilité) ; méticulosité et persévérance pour C ;
contrôle de l'émotion et contrôle des impulsions pour N ; ouverture à la culture et
ouverture à l'expérience pour O.
Cette proposition est argumentée par le principe de parcimonie. Mais d'autres
questionnaires visent à davantage de précision. C'est le cas du NEO-PI (Costa et
McCrae, 1998), fortement utilisé au niveau international, où chaque trait comporte
6 facettes pour parvenir au modèle des Big Five and Small Thirty. L'intérêt de ces derniè-
res est de : spécifier le domaine couvert par chacun des 5 traits ; rendre compte des
dimensions les plus variées possible ; permettre une vérification interne des conclusions
(diagnostic) ; étudier le profil de variabilités intra-individuelles ; analyser plus finement
des personnes ou des groupes ; approfondir les aspects théoriques (Rolland, 2004).
Comme pour les traits, les facettes sont à considérer comme unipolaires : une note
basse sur un trait signifie que les caractéristiques d'un pôle sont absentes (par exemple,
une note basse en timidité sociale ne signifiera pas la prestance, mais l'absence de
gêne).
1 / Facettes du Névrosisme
Il n'est pas surprenant de voir figurer l'anxiété parmi les facettes de N. Elle couvre
tout un ensemble de sentiments de crainte, à l'égard de diverses situations physiques ou
sociales ; ces dernières se retrouvent plus explicitement dans la facette timidité sociale. Ces
craintes sont associées à une vulnérabilité face aux situations stressantes, pouvant
conduire à la dépression, qui marque un sentiment d'impuissance. La réaction face au
stress peut également se manifester par une incapacité à maîtriser ses désirs (comporte-
ments alimentaires, tabac), dite impulsivité, ou encore un sentiment de colère. Les facettes
du Névrosisme correspondent ainsi à la gestion des émotions, en particulier négatives.
Elles couvrent un ensemble de ressentis : la colère-hostilité exprimées relève de
l'Agréabilité, et l'Impulsivité au sens de spontanéité de l'Extraversion.
L'approche différentielle de la personnalité I 409
2/ Facettes de l'Extraversion
3/ Facettes de l'Ouverture
4 /Facettes de l'Agréabilité
sujet accomplit les tâches et s'organise, planifie. Les traits compétence et recherche de réussite,
enfin, explicitent les buts, ceux-ci pouvant être (subjectivement) plus ou moins accessi-
bles, en fonction de l'estime de soi.
ayant un haut niveau d'anxiété-trait ont aussi un niveau d'anxiété-état élevé, même en
situation neutre. Les corrélations sont plus élevées encore en situation stressante, ce qui
rappelle le fait que l'anxiété est associée à des émotions négatives et une plus grande
difficulté à faire face au stress.
Ces questions de stabilité temporelle, vues ici en termes de trait vs état, donnent
lieu à de très nombreuses recherches dans le cadre des émotions*. Celles-ci sont généra-
lement définies comme des phénomènes transitoires (ce serait ici la peur), les humeurs*
correspondant à des manifestations de plus longue durée (ce serait ici la tristesse).
L'anxiété peut se manifester sous diverses formes, dont la déclinaison permet aussi
d'en préciser la nature. C'est ainsi que des échelles permettent d'évaluer l'anxiété mani-
feste : l'une d'elles est dérivée du MMPI, dont il existe une adaptation pour enfants
(cmAs ; Reynolds et Richmond, 1999). Dans cette épreuve, les réponses sont traitées
suivant trois composantes : l'anxiété physiologique correspond aux manifestations soma-
tiques de l'anxiété (troubles du sommeil, nausées, fatigue) ; l'inquiétude/hypersensibilité
réfère à des préoccupations obsessionnelles, mal définies, doublées de la peur d'être
blessé ou isolé affectivement ; les préoccupations sociales / concentration témoignent de
l'existence de pensées périphériques, de peurs à caractère social ou interpersonnel qui
conduisent à des difficultés d'attention et de concentration. Ces trois composantes sont
en corrélations moyennes (tableau 4).
412 I Psychologie différentielle
Ces distinctions sont intéressantes car elles permettent de mieux cerner la nature
des problèmes consécutifs à l'anxiété. Elles permettent aussi de préciser l'impact que
peut avoir l'anxiété sur le fonctionnement cognitif.
Préoccupations
Anxiété Inquiétude, sociales,
physiologique hypersensibilité concentration
Dans les années 1980, Beck et Bower (cités par de Bonis, 1996) ont tenté
d'expliquer des phénomènes affectifs et motivationnels par la cognition. Pour Beck,
l'anxiété peut être comprise comme une certaine manière de traiter les informations,
l'accessibilité maximale étant sur les aspects négatifs. Pour Bower, le rappel depuis la
mémoire à long terme est facilité lorsqu'il y a congruence des tonalités émotionnelles à
l'encodage et au rappel (on se rappelle mieux de moments de bonheur lorsque l'on est
heureux).
Le même sens de causalité de la cognition vers la conation est présent chez Mic-
kael W Eysenck. Ses travaux ont commencé par la proposition d'un modèle cognitif de
l'anxiété, dit théorie de l'hypervigilance (Eysenck, 1992). Les sujets anxieux traiteraient
les informations issues de leur environnement de manière automatique, orientée vers la
recherche de stimuli susceptibles de représenter un danger. L'hypervigilance serait ainsi
associée à une grande distractibilité, à un balayage visuel de l'environnement et à une
attention à champ large, qui peut se focaliser assez vite sur un stimulus considéré
comme menaçant. Dans un second ouvrage, Eysenck (1997) précise dans son modèle
les biais de traitement des informations liés à l'activité physiologique, aux comporte-
ments, ou à l'inquiétude, via la base de connaissances en mémoire à long terme et le
système cognitif pré-attentionnel (fig. 10.6). Le modèle de Eysenck permet d'étudier
l'impact de l'anxiété sur le fonctionnement cognitif; en s'appuyant sur le modèle de la
mémoire de travail* de Baddeley (1990). Ainsi, l'inquiétude associée à des pensées
intrusives pourrait fournir des informations parasites traitées par la boucle verbo-
phonologique*, provoquant une surcharge de cette composante (sur le modèle des
tâches interférentes*). L'anxiété physiologique ne semble pas avoir d'impact sur le fonc-
tionnement cognitif.
L'approche différentielle de la personnalité I 413
Schémas
(danger en MLT)
2 3 4
Stimulus Activité
physiologique
émotionnel —11>
el
Tendances Expériences
Évaluation comportementales émotionnelles
cognitive
Cognitions
inquiétude
D - TRAITS DE PERSONNALITÉ
ET AUTRES DIMENSIONS DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES
I - Personnalité et intérêts
a. Définitions
Les intérêts sont définis dans les dictionnaires de psychologie comme des « varia-
bles hypothétiques rendant compte de la disposition positive plus ou moins intense des
individus à l'égard des divers objets de l'environnement, ainsi que de leurs dispositions
414 I Psychologie différentielle
b. Modèles
2 / Le modèle de Holland
Une autre manière d'évaluer les intérêts est de s'attacher à la caractérisation des
différents environnements professionnels. Cette approche a été initiée par Strong de
manière empirique, à partir d'un questionnaire comportant des listes de métiers,
d'études, d'activités, de caractéristiques personnelles. Appliqué à des groupes profes-
L'approche différentielle de la personnalité I 415
Arts et
littérature
Gens
sionnels variés, il est postulé que les items choisis de façon significative par une profes-
sion sont considérés comme représentatifs des intérêts de ce groupe professionnel : il
s'agit donc d'avoir des items différenciateurs d'un groupe professionnel particulier par
rapport à la population générale. Les intérêts d'un sujet donné sont évalués en rappro-
chant ses réponses de celles des différents groupes professionnels.
Cette procédure a été reprise et théorisée par Holland. Celui-ci considère que les
choix professionnels constituent une extension de la personnalité et une tentative
d'actualiser des styles de comportement particuliers dans le cadre de la vie profession-
nelle. Il établit donc une correspondance entre typologie des personnes et typologie des
environnements professionnels, dont une évaluation peut être faite par questionnaire.
L'Inventaire Personnel de Holland (IPH) comporte quatre parties : auto description
(image de soi, aptitudes, personnalité, identification à un héros, capacités, performan-
ces) ; activités scolaires, professionnelles, de loisirs ; aspirations et choix professionnels
(objectifs et valeurs) ; personnes jugées sympathiques. II permet de dresser le profil des
sujets et de dégager leur type préférentiel, parmi les 6 suivants, proposés dans le
416 I Psychologie différentielle
E A C N 0 R2
Il n'est pas rare pour un psychologue praticien de supposer que des variables
externes, non cognitives, pourraient être à l'origine de la faiblesse (ou de la force) des
performances. Ceci est fréquent lors de l'application d'échelles d'intelligence, pour les-
quelles Wechsler (1950) mentionne lui-même la participation des aspects cognitifs,
conatifs et non-intellectifs : « l'intelligence générale ne peut être identifiée aux capacités
intellectuelles, mais doit être considérée comme une manifestation de la personnalité
dans son ensemble ». Cette hypothèse est reprise dans les manuels consacrés au wisc
(Grégoire, 1999 ; Kaufman, 1994), où se trouvent des tableaux croisant les subtests et
différents facteurs non cognitifs susceptibles de moduler les différences de performances.
Il apparaît ainsi que toutes les épreuves ne sont pas soumises à l'effet de telles variables
conatives : à titre d'exemple, seuls les subtests Mémoire des Chiffres, Codes, Cubes,
Assemblage d'objets et Symboles pourraient voir leurs performances infléchies par
l'anxiété.
Des recherches plus systématiques ont été menées pour dégager les corrélations
éventuelles entre les traits de personnalité et les dimensions de l'intelligence. R. B. Gauen
(1971) trouve ainsi des corrélations significatives, bien que modestes (.20/.30), entre les
scores obtenus dans des tests d'intelligence, et deux traits du 16 PF : Q2 (autonomie à
l'égard du groupe) et G (conscience et respect des conventions). Dans le manuel du NEO.
PI (Costa et McCrae, 1998), les liaisons apparaissent, comme on pouvait s'y attendre,
entre l'intelligence cristallisée et l'Ouverture. Cette dimension serait la seule à être en
corrélation avec l'intelligence et d'autres aptitudes (Mac Crae et Costa, 1997), le Carac-
tère Consciencieux entretenant plutôt des liens avec l'apprentissage et les performances
académiques, dont il constituerait même la ressource essentielle (De Raad et Schouwen-
bourg, 1996). Ces travaux, et bien d'autres (135 recherches), ont été répertoriés dans une
méta-analyse réalisée par Ackerman et Heggestad (1997). Les traits qui présentent le plus
souvent les liens avec la cognition sont : 1 / l'Ouverture, sur de nombreuses aptitudes ;
2 / la réaction au stress (Névrosisme), sur l'intelligence générale et les aptitudes Numéri-
ques ; 3 / le caractère Consciencieux sur des performances pédagogiques.
ANXIÉTÉ-TEST
------------- h.... Intelligence,A OUVERTURE
CONSCIENCIEUX .1. le- générale g --•
I ."`" ....
I i ■ ...
. •..
...
/ ..., .....
Entrepreneurial
E - Conclusion
passer à leur explication en termes de processus. Cet objectif général n'a cependant
pas pris la même direction, Eysenck ayant cherché à expliciter des processus physiolo-
giques, Cattell des processus psychodynamiques. Sur ce point, Eysenck a eu un
impact plus important, et un nombre non négligeable de travaux s'appuie sur ses
conceptions, ainsi que les prolongements qui en sont dérivés : les systèmes d'activation
et d'inhibition apportent un renouvellement de cette perspective, tant sur le plan fon-
damental que des applications qui pourraient résulter de la construction de nouveaux
questionnaires. Il reste à voir comment cette piste des corrélats physiologiques évo-
luera, dans un contexte scientifique où les neurosciences progressent rapidement. Le
projet de « psychanalyse quantitative » de Cattell n'a pas vraiment abouti, mais on
peut voir des évolutions qui n'en sont peut-être pas très éloignées : la recherche de
processus cognitifs permettant de modéliser les phénomènes d'anxiété et de dépres-
sion, par exemple, est en partie liée aux modèles et prises en charge dans certains
domaines de la psychopathologie. Le fait que ces dimensions de la personnalité puis-
sent être considérées comme le produit de traitements biaisés des informations offre
des perspectives de recherche prometteuses.
L'entrée de processus cognitifs dans la sphère affective et motivationnelle conduit à
revisiter les relations entre intelligence et personnalité. Là aussi, les travaux se sont mul-
tipliés, grâce à l'aboutissement des modèles cognitifs (Carroll) et conatifs (Costa et
McCrae). Les résultats issus de ces recherches ont permis de repositionner le rôle de
variables et l'endroit où celles-ci interagissent. Ils incitent à préciser la nature de certai-
nes d'entre elles, des variables comme l'anxiété, par exemple, paraissant trop globales
pour dégager empiriquement des relations stables, et pour expliciter les mécanismes
sous-jacents à ces relations. Il semble d'ailleurs que d'autres variables intermédiaires
doivent être prises en compte : les propositions de Furnham et son équipe (Chamorro
Premuzic et Furnham, 2004) vont dans le même sens, soulignant l'intérêt de prendre en
compte les auto-évaluations faites par les sujets. Ces perspectives sont voisines de
concepts tels que l'estime de soi, ou l'estimation a priori de réussite, variables qui
seraient à rapprocher d'ailleurs des traits de personnalité. Car des modèles tels que les
Big Five, visant à décrire exhaustivement la personnalité, aident à juger de l'intérêt de
nouvelles variables différentielles qui tendent parfois à proliférer.
Pour conclure, il reste à mentionner que les modèles présentés ici sont synchroni-
ques, et qu'une étude plus complète de la personnalité pourrait comprendre des aspects
développementaux. Le modèle des Big Five s'applique aux enfants et aux adolescents.
Mais il reste beaucoup à faire pour préciser le développement de ces structures. Plus
modestement se pose aussi la question des variations en fonction des contextes. La plas-
ticité de la personnalité permettrait d'envisager des programmes visant à infléchir celle-
ci si certaines caractéristiques posent problème au sujet. Ces interventions posent toute-
fois des problèmes éthiques et déontologiques complexes à ne pas sous-estimer. S'ils
peuvent être résolus, on peut voir ici comment, à partir d'un modèle descriptif de la
personnalité, il serait possible d'en trouver des prolongements permettant de mieux
comprendre les mécanismes, et par là de fournir aux psychologues des cadres concep-
tuels et méthodologiques étayant leurs pratiques.
420 I Psychologie différentielle
LECTURES CONSEILLÉES
A - INTRODUCTION
Il est impossible d'aborder le thème de ce chapitre sans évoquer les débats souvent vio-
lents sur l'origine génétique ou environnementale des différences dans « l'intelligence »
qui ont marqué les xixe et xx' siècles. En effet, l'idée que l'intelligence pouvait être
héréditaire ou uniquement liée à l'environnement a eu des conséquences sociales
comme probablement peu d'idées touchant à la psychologie en ont eues. Sur ce sujet
on trouve d'excellentes analyses en français dans les livres de Gérard Lemaine et Ben-
jamin Matalon (1985), de Geneviève Paicheler (1992) et plus récemment Pierre Rou-
bertoux (2004).
Dans ce chapitre nous décrirons les méthodes utilisées, principalement par les psy-
chologues, au cours du )0(' siècle pour tenter de répondre à la question suivante : les
différences observées dans l'intelligence — ou dans des traits cognitifs moins globaux —
dépendent-ils des gènes transmis par les parents ou bien dépendent-ils des environne-
ments que les parents procurent à leurs descendants ? Nous verrons les limites de ces
méthodes et montrerons comment les découvertes de la génétique moléculaire avec le
séquençage des génomes animaux, et plus particulièrement des mammifères, ont trans-
formé la discipline. Cette transformation risque d'ailleurs de faire glisser ce champ de la
psychologie différentielle hors de la psychologie, si les chercheurs en psychologie n'y
prennent pas garde. En effet, au cours du 30e siècle, la plupart des chercheurs travail-
lant dans le champ de la « génétique comportementale » (traduction de l'anglais de
Behavior Genetics) avait une formation initiale en psychologie avec, souvent, un goût pro-
noncé pour les statistiques. Se joignaient à eux des chercheurs venus de la psychiatrie,
de l'éthologie et de la psychologie comparée, ces derniers utilisant le modèle animal
(rats, souris, mouche). N'oublions pas cependant qu'au milieu du )0C siècle, les thèses
en psychologie dite expérimentale portaient fréquemment sur des rongeurs (rats, souris)
ou des oiseaux (pigeons). II n'y a donc rien d'étonnant à ce que les chercheurs en psy-
chologie n'aient pas hésité à utiliser le modèle animal pour leurs expériences en géné-
422 I Psychologie différentielle
À chaque fois que nous présenterons une de ces méthodes, nous indiquerons s'il y
a lieu, comment elle s'insère dans les travaux les plus récents,
I - Méthode du risque
famille, de porter le trait présent chez le cas index soit d'autant plus grande que la proxi-
mité génétique, entre ce cas index et la personne de sa famille, soit grande. Par exemple,
les enfants d'un cas index doivent avoir une plus forte probabilité de présenter le même
trait que les petits-enfants ou les cousins de ce cas index. Ceci n'implique évidemment
pas que le trait soit sous contrôle génétique ou même « héréditaire » puisque la proximité
génétique s'accompagne d'une proximité environnementale : on dira que les deux fac-
teurs sont confondus. Pour savoir si le trait est sous contrôle génétique il faut pouvoir
aller plus loin. On verra comment avec l'analyse de pedigree présenté plus loin.
L'idée que les deux facteurs (génétique et environnement) puisse être confondus
quand on étudie les familles paraît probablement évidente au lecteur du xxr siècle
mais elle ne l'était pas du tout pour certains au cours du xx` siècle. Sinon comment
expliquer le succès des « généalogies catastrophiques » pour reprendre les termes de
Lemaine et Matalon (1985), généalogies largement utilisées aux États-Unis d'Amérique
pour justifier des pratiques eugéniques — voir encadré 11.1. Ainsi, en 1907, l'Indiana
est le premier État à faire voter une loi rendant obligatoire la stérilisation des « crimi-
nels, idiots, violeurs » résidents dans les institutions de l'État, lorsque la recommanda-
tion est faite par un conseil d'experts.
ENCADRÉ 11.1
Il serait naïf de penser que les abus ne sont venus que des héréditaristes. On citera
pour mémoire les positions du psychanalyste Bettelheim sur les « causes » de l'autisme
infantile qui ont culpabilisé des générations de mères et ont freiné le développement de
la recherche et de la prise en charge, et aussi l'histoire « des enfants volés des Aborigè-
nes Australiens » (voir Roubertoux, 2004, p. 157-160).
Une manière simple de voir si un trait présente un caractère familial est de dresser
l'arbre généalogique de la famille. La figure 11.1 illustre l'exemple d'une famille dans
laquelle plusieurs personnes présentent une déficience intellectuelle.
424 I Psychologie différentielle
FIG. 11 . 1. — Pedigree dans le cas d'une transmission familiale d'une déficience intellectuelle
liée au chromosome X. Les numéros permettent de repérer
les personnes dans le commentaire du texte
Il s'agit d'un cas très proche de ceux que nous avons rencontrés dans notre colla-
boration avec des médecins généticiens. La femme n° 1 vient consulter parce que ses
fils (nos 6, 7 et 8) présentent des retards de développement intellectuel. L'examen psy-
chologique avec une échelle de Wechsler montre que leurs QI sont inférieurs à 50. La
mère présente, elle-même, une déficience légère et a, de tout évidence, des difficultés à
pouvoir prendre en charge ses fils. La fille de cette mère (5) ne présente pas de déficit
intellectuel mais a un garçon déficient (10). Le père du garçon (10) a un autre fils (9)
avec une autre femme (3) ; tous deux ont un développement intellectuel normal.
Ce pedigree se présente typiquement comme un cas de transmission liée à l'X,
c'est-à-dire qu'une mutation* située sur le chromosome* X est transmise d'une généra-
tion à une autre, ici, par les femmes (1 et 5). Les femmes porteuses de la mutation sont
moins atteintes que les hommes porteurs de la mutation car elles possèdent deux chro-
mosomes X. Si l'un porte la mutation, l'autre ne la porte pas et des phénomènes de
compensation peuvent intervenir. On retrouvera ce point plus loin quand on parlera de
l'X fragile. La psychologue qui a examiné les garçons 6, 7 et 8 avait conclu à des débi-
lités d'origine psychosociale. Une analyse moléculaire des chromosomes X des person-
nes de ce pedigree a montré qu'il s'agissait bien d'un retard mental lié à une mutation
génétique, mutation au demeurant très rare. Dans un tableau familial présentant plu-
sieurs cas de retards mentaux, il est fortement conseillé au psychologue de diriger la
famille vers une consultation génétique. En effet, on découvre d'année en année de
nouvelles mutations qui ont pour conséquence des retards mentaux. Il y a quelques
années on estimait qu'il y en avait environ 900. Dans une revue de la littérature
publiée en 2004, Jennifer Inlow et Linda Restifo concluent que 282 gènes liés à des
retards mentaux ont été identifiés par la génétique moléculaire. Ces auteurs admettent
qu'il y en a beaucoup d'autres à découvrir.
Cognition et génétique I 425
La difficulté réside dans le fait que certaines de ces mutations sont extrêmement
rares et non symptomatiques (c'est-à-dire que les patients ne présentent pas de caracté-
ristiques physiques ou médicales qui permettent de porter facilement un diagnostic,
comme dans le cas de la trisomie 21).
L'analyse des pedigrees est connue depuis des décennies. Avec les progrès de la
connaissance du génome humain on a l'avantage de pouvoir tester rapidement des
hypothèses touchant à des mécanismes génétiques précis (ici la recherche d'une muta-
tion particulière). Il faut cependant avoir des hypothèses car il est exclu de rechercher
dans l'ensemble du génome et il faut aussi que le trait considéré soit sous la dépendance
de peu de gènes. Dans les cas où de nombreux gènes sont impliqués, d'autres méthodes
sont envisageables, comme le criblage extensif du génome, mais les applications sont
loin d'être immédiates, comme on le verra plus loin.
a. Principes généraux
À la lecture de ces conditions il est aisé de comprendre que peu d'études vont les
remplir complètement. Si un certain nombre d'enfants sont effectivement abandonnés
dès la naissance, très peu sont adoptés immédiatement. De plus les agences d'adoption
ont, souvent, une politique de placement sélectif. Au risque de choquer, il faut rappeler
que certaines pratiquent (ou ont pratiqué) un choix des parents tendant à placer les
enfants qu'elles considéraient comme les « meilleurs » dans les familles les « meilleures ».
Enfin, si la mère est pratiquement toujours connue, du moins par les services d'adoption,
le père est souvent inconnu. Quand on travaille en génétique c'est évidemment très
ennuyeux puisque ce dernier fournit la moitié du patrimoine génétique de l'enfant.
Malgré ces difficultés, la méthode des adoptions a apporté des renseignements pré-
cieux sur le rôle des facteurs d'environnement dans les différences en matière
d'intelligence (ou QI). Les premières études ont été réalisées aux États-Unis d'Amérique
dans le premier tiers du xxe siècle. On citera par exemple les travaux de Barbara Burks
(1928) et de Alice Leahy (1937). Plus tard (1976) Sandra Scarr étudie ce qu'elle désigne
comme « des adoptions trans-raciales », c'est-à-dire des adoptions portant sur des
enfants issus de la communauté noire, adoptés par des personnes de la communauté
blanche. En France, il faut saluer le travail des chercheurs autour de Michel Duyme,
qui ont publié quatre études indépendantes entre 1973 et 1999.
En 1949 Skodak et Skeels publient les analyses finales d'une étude longitudinale
qui a marqué la discipline à cause de résultats apparemment contradictoires. À partir
de 1936 ces auteurs suivent 180 enfants blancs placés avant six mois dans des familles
adoptives. Ces enfants vont êtres testés cinq fois. La première passation de test est faite
après que l'enfant ait passé au moins un an dans la famille adoptive. La dernière est
faite environ dix ans après. Entre chaque passation, les auteurs « perdent » des enfants
(refus des familles de continuer à coopérer avec les chercheurs, déménagements, etc.).
Dans la publication de 1945 (3 e passation de test) les enfants ne sont plus que 139.
Dans la dernière publication (1949) ils ne sont plus que 100. Les e et 5 e passations de
test se font au même âge mais avec deux formes différentes du même test. Le test avait
été révisé et les auteurs font passer aux enfants la forme ancienne (celle de 1916) et la
forme nouvelle (celle de 1937). La fonte de l'effectif d'une passation à l'autre pose évi-
demment le problème de la représentativité de l'échantillon final par rapport à celui de
départ. De fait, à la première passation, il n'y a pas de différence significative entre
l'échantillon des enfants « qui vont être perdus » et l'échantillon final. Les auteurs con-
cluent qu'il n'y a pas eu de perte différentielle des enfants entre la première et la der-
nière évaluation.
Les auteurs pratiquent deux types d'analyse statistique. Ils comparent les QI
moyens des enfants aux QI moyens des mères biologiques. Malheureusement ils ne pos-
sèdent cette information que pour 63 des mères de l'échantillon final. Le QI moyen de
ces mères est égal à 85,7 (a = 15,75). Ensuite, ils calculent les corrélations entre le QI
des enfants et le niveau d'éducation des mères biologiques, entre le QI des enfants et
le QI des mères biologiques, enfin entre le QI des enfants et le niveau d'éducation des
mères adoptives.
428 I Psychologie différentielle
r entre QI r entre QI
r entre Q! enfant adopté de l'enfant adopté
Âges des enfants enfant adopté et w de la et le niveau
au moment et niv. Éduc. mère biologique d'éducation de
des évaluations QI moyen * Mère biologique (63 enfants) la mère adoptive
adoptifs. Quoiqu'il en soit, l'étude montre à la fois une influence des parents biologiques
et des parents adoptifs. Peut-on aller plus loin dans l'interprétation ?
En 1977, Robert Plomin et coll. réanalysent les données de Skodak et Skills. Ils
constituent a posteriori quatre groupes d'enfants à partir des informations qu'ils possèdent
sur le niveau d'éducation des mères biologiques et adoptives. Leur démarche est très
intéressante car elle illustre parfaitement les glissements qui ont été opérés à partir des
données sur les enfants adoptés. En effet, pour pouvoir constituer leurs groupes, ils
admettent : a) que le génotype des enfants adoptés peut-être estimé à partir des scores
d'intelligence des parents biologiques (ici la mère) : les enfants au « génotype élevé » ont
des mères aux QI élevés, les enfants au « génotype bas » ont des mères aux QI bas ; b) que
l'environnement dans lequel les enfants adoptés sont placés peut être estimé à partir
des QI des parents adoptifs. Comme ils ne connaissent pas le QI des parents adoptifs, et
que le QI de certaines mères biologiques n'est pas disponible, la constitution des groupes
se fait en fonction des niveaux d'éducation. Ils coupent en deux la population des mères
biologiques à partir de la distribution de leur niveau d'éducation ; ils coupent en deux la
distribution des mères adoptives à partir de la distribution de leur niveau d'éducation. À
partir de là on peut constituer quatre groupes d'enfants en croisant les caractéristiques
des mères biologiques et des mères adoptives, puis calculer le QI moyen de chaque
groupe d'enfants. Les données figurent dans le tableau 11.2.
«Environnement
des mères adoptives»
On voit que les enfants au « génotype bas » ont des QI moyens plus bas, indépen-
damment de l'environnement dans lequel ils ont vécu (109,4 versus 121,9) et ceci est vrai
quel que soit l'environnement (111,8 < 122,15 et 106,3 < 121,4). Par contre,
« l'environnement » qu'il soit bas ou élevé ne s'accompagne pas de différence de QI
moyens importante. Après analyse de la variance, les auteurs concluent à une absence
d'interaction entre le génotype et l'environnement.
Indépendamment des résultats, ce type d'analyse mérite qu'on s'y arrête. En effet,
plusieurs glissements ont été opérés par Plomin et coll. pour arriver aux données du
tableau 11.2. D'abord ils ont pris le niveau d'éducation comme estimation du QI. Or
on sait que la corrélation entre les niveaux d'éducation et les QI ne dépasse guère 0,50 ;
donc les mesures ne sont pas du tout équivalentes. Plus grave, ils prennent le niveau
d'éducation des mères biologiques comme mesure de leur génotype. L'erreur consiste à
oublier qu'on ignore tout du patrimoine génétique des mères et donc qu'il est impos-
430 I Psychologie différentielle
cible d'affirmer que les mères aux QI plus bas diffèrent génétiquement des mères aux QI
plus élevés. Le tableau 11.2 aurait donc dû être construit en croisant les lignes
« Niveau d'éducation des mères biologiques » et « Niveau d'éducation des mères adop-
tives » et non pas « Génotype des mères biologiques » et « Environnement des mères
adoptives ».
Une dernière remarque s'impose. Au vu du tableau 11.2 on pourrait conclure
qu'il n'y a pas d'effet de l'environnement adoptif puisque les QI moyens des enfants
sont très proches, qu'ils soient élevés par des mères adoptives de niveau d'éducation bas
ou élevé. Or on a vu précédemment que les enfants adoptés avaient un QI moyen lar-
gement supérieur à celui de leurs mères biologiques, cette différence ayant été attribuée
à l'action des parents adoptifs. Ces deux types de résultats ne sont qu'en apparente con-
tradiction. Dans un premier cas on compare les enfants adoptés à leurs mères biologi-
ques et le raisonnement consiste à penser que s'ils étaient restés dans leur milieu
d'origine, ils auraient probablement eu un QI moyen proche de celui de leurs mères
biologiques. Dans le second cas on cherche à savoir si des différences entre les parents
adoptifs s'accompagnent de différences entre les enfants adoptés. Or la distribution
des QI des mères biologiques est décalée vers le bas (les mères qui abandonnent leurs
enfants ne sont pas représentatives des mères tout venant) et la distribution des niveaux
d'éducation des mères adoptives est, elle, décalée vers le haut (les mères adoptives ne
sont pas représentatives des mères tout venant). Dans une étude française, Duyme
montre que l'adoption en soi favorise le développement d'enfants qui, s'ils étaient restés
dans leur milieu familial, auraient vécu dans un environnement peu stimulant. Par ail-
leurs, si les différences entre les mères adoptives ne sont pas très importantes, il y a peu
de chances qu'on puisse faire apparaître des différences entre les QI moyens des enfants.
Pour répondre à ce type d'interrogation, Christiane Capron et Michel Duyme ont
réalisé, en France, l'unique étude permettant de construire a priori (et non pas a poste-
riori, ce qui pose toujours des problèmes) un tableau identique au tableau 11.2.
À partir des fichiers d'adoption, les auteurs constituent quatre groupes d'enfants
adoptés en croisant les niveaux d'éducation et de niveau socio-économique, suivant la
classification suivante :
— le niveau d'éducation bas (–) : entre cinq et neuf années d'études (soit scolarisation
jusqu'à la 3', au plus) ;
— le niveau d'éducation élevé (+) : entre une année d'études universitaires et la thèse ;
le niveau socio-économique bas (–) : travailleur sans qualification, ouvrier, paysan
de petite exploitation ;
— le niveau socio-économique élevé (+) : étudiant, médecin, cadre, agriculteur de
grosse exploitation.
Pour être dans la catégorie des « – », les parents doivent avoir, à la fois, un niveau
d'éducation bas et un niveau socio-économique bas. Pour être classés « + », les parents
doivent avoir, à la fois, un niveau d'éducation élevé et un niveau socio-économique élevé.
Cognition et génétique I 431
Les adoptés sont testés à l'âge moyen de 14 ans. Ils ont été abandonnés à la nais-
sance et placés avant six mois dans les familles adoptives. Le tableau 11.3 présente
les QI moyens, calculés à partir d'une échelle de Wechsler (wisc-R), en fonction des
caractéristiques des parents biologiques et adoptifs.
Niveau d'éducation
et niveau socio-économique
Niveau d'éducation des parents adoptifs
et niveau socio-économique
des parents biologiques Élevé (A+) Bas (A) Moyenne des lignes
Comment interpréter les résultats ? Il est assez facile d'interpréter les différences
entres les groupes A+ et A—, compte tenu de ce qu'on sait des différences entre QI
moyens des enfants en fonction du niveau socio-économique des parents.
L'interprétation des différences entre B+ et B— est plus délicate. Les auteurs ont la
sagesse de refuser de conclure que la différence entre les groupes B+ et B— soit une
différence due au patrimoine génétique. En effet, tout comme dans la recherche de
Skodak et Skills, on ne sait rien des caractéristiques génétiques des parents biologi-
ques. Reste que des variables liées à la naissance des enfants, comme le poids de
naissance, la durée de gestation, les troubles pré ou néo-natals ne permettent pas
de distinguer les quatre groupes d'enfants adoptés. Le mystère reste donc entier et
on touche là aux limites de la méthode des adoptions quand on s'intéresse à la
génétique.
432 I Psychologie différentielle
La méthode des adoptions est très riche d'informations sur l'effet des variables
socio-économiques sur le développement intellectuel : les enfants adoptés ont un
niveau (intellectuel, éducatif) plus élevé que s'ils étaient restés dans leur milieu
d'origine, lorsque celui-ci est « défavorisé ». On sait aussi que l'adoption a un effet
bénéfique, même si elle est tardive (après 4 ans). 11 faut mieux être adopté que rester
dans des familles d'accueil même si les parents adoptifs sont de niveau socio-
économique modeste. Ceci montre que, parmi les variables d'environnement qui
caractérisent les parents adoptifs, on ne doit pas tenir compte que des niveaux
d'éducation ou des niveaux socio-économiques. La stabilité de la relation parent-
enfant créée par la situation d'adoption est probablement un facteur clé pour le déve-
loppement de l'enfant. Toutefois la méthode des adoptions est non informative si on
s'intéresse à la génétique. Elle permet, tout au plus, de conclure que les caractéristi-
ques des parents biologiques sont liées aux caractéristiques de leurs descendants mais
elle ne permet pas de dissocier les effets du génotype de tous les événements qui pré-
cèdent ou entourent la naissance. En particulier, elle ne permet pas de dissocier les
effets du génotype des effets des environnements maternels prénatals. Or on sait que
des variables d'environnement maternel prénatal peuvent rendre compte, en partie,
des différences individuelles. Ceci a été montré en combinant, chez l'animal, la
méthode des adoptions avec des greffes d'ovaires ou des transferts d'embryons (Car-
lier, Roubertoux, 1999).
Voici dix ans, Élisabeth Spitz et moi publiions une revue de question sur la
méthode des jumeaux. Une remarque s'imposait : la littérature sur le sujet était très
abondante. Elle l'est toujours. La démarche générale n'ayant pas changé, il est recom-
mandé au lecteur particulièrement intéressé par cette question de se reporter à notre
revue de question (Spitz et Carlier, 1996) et bien entendu de lire l'ouvrage de Zazzo
(1960) qui est réédité régulièrement.
On attribue souvent à Galton d'avoir décrit pour la première fois la méthode des
jumeaux en 1875. En réalité il faudra attendre le premier quart du xxe siècle pour
qu'on pense à comparer les jumeaux monozygotes (MZ) et les jumeaux dizygotes (Dz). Il
faut dire qu'à l'époque de Galion on ignorait ce qu'étaient les monozygotes et les
dizygotes.
On évalue à environ 1 % les grossesses gémellaires et, parmi elles, on compte 30
à 40 % de naissances mz. Les jumeaux mz sont issus de la division d'un ovule fécondé
par un spermatozoïde dans les jours qui suivent cette fécondation (entre 1 et 10 jours).
Si la division est précoce (avant le 4, jour) les enveloppes placentaires ne sont pas
encore développées et chaque embryon va former son chorion (enveloppe externe) et
Cognition et génétique I 433
son amnios (enveloppe interne). On dira que les jumeaux mz sont dichorioniques et
diamniotiques (MZ DC DA). Si la division est plus tardive (entre 4 et 7 jours après la
fécondation), les jumeaux partagent le même chorion mais se développent chacun dans
un amnios. Ils sont mz dichorioniques monoamniotique (MZ DC MA). Si la division est
encore plus tardive, les jumeaux se développent dans le même amnios. Ils sont monozy-
gotes, monochorioniques, monoamniotiques (mz MC MA). Ces cas sont rares et repré-
sentent environ 1 % des grossesses mz MC.
Les jumeaux mz ont le même patrimoine génétique à de rares exceptions près.
S'ils se développent dans le même chorion, des échanges sanguins entre co-jumeaux
vont pouvoir se faire via leur placenta commun. On parle d'anastomoses placentaires.
Les grossesses mz mc sont surveillées car les échanges sanguins entre co-jumeaux peu-
vent être déséquilibrés, ce qui peut entraîner la mort d'un des deux foetus. Si les co-
jumeaux ont chacun leur chorion ils sont reliés chacun à un placenta et ont une ali-
mentation indépendante. Environ 70 % des jumeaux mz sont monochorioniques, les
autres étant dichorioniques.
Les jumeaux dizygotes sont issus de la fécondation de deux ovules par deux sper-
matozoïdes. Du point de vue génétique, ils sont comme des germains. Chaque
embryon fabriquant ses enveloppes, ils sont dichorioniques diamniotiques. En consé-
quence il n'y a pas d'échange sanguins entre les co-jumeaux et donc moins de risque
pour les foetus. À la naissance, il n'est possible de conclure à une grossesse mz que s'il y
a un seul placenta puisque la présence de deux placentas ne permet pas de distinguer
entre les mz et les DZ.
Pour éviter des erreurs de vocabulaire en parlant de jumeaux, n'oubliez pas de lire
l'encadré 11.2.
ENCADRÉ 11.2
1 / Il vaut mieux éviter les expressions « vrais jumeaux » et « faux jumeaux » pour parler des
jumeaux ne et oz. La deuxième expression est désobligeante pour les jumeaux oz et de
toute évidence, fausse. Jumeau désigne des personnes nées d'un même accouchement.
Donc les DZ sont aussi « vrais » que les en.
2 / Les jumeaux mz sont souvent appelés, à tort, jumeaux homozygotes, les oz devenant des
hétérozygotes. Ces mots viennent du grec. Dans monozygote « mono » veut dire « un,
seul » ; le « di » de dizygote voulant dire « deux ». Dans homozygote, « homo » veut dire
« pareil, semblable » et le « hétéro » d'hétérozygote veut dire « autre, différent ». Les ter-
mes monozygote et dizygote se rapportent aux jumeaux. Les termes homozygote et hété-
rozygote se rapportent aux formes alléliques (séquences alternatives possibles) que peut
prendre un gène sur les deux chromosomes homologues. Si pour un gène donné, une per-
sonne porte le même allèle sur les deux chromosomes homologues, on dit qu'elle est
homozygote pour le gène en question. Si cette personne porte deux allèles différents, on
dit qu'elle est hétérozygote pour le gène en question.
Les jumeaux roz sont bien évidemment hétérozygotes pour un grand nombre de leurs
gènes (comme tout un chacun). Toutefois si un jumeau est hétérozygote pour un gène, son co-
jumeau le sera aussi pour le même gène, puisque les jumeaux mz d'une même paire ont le
même patrimoine génétique.
434 I Psychologie différentielle
Les statistiques utilisées sont différentes suivant que le trait étudié se distribue de
manière continue ou discontinue. Pour l'intelligence, on a affaire le plus souvent à un
trait continu. On va donc présenter ici les cas où le trait se mesure de façon continue
(pour des traits discontinus, comme dans le cas de la maladie mentale, se reporter à
Carlier, Roubertoux, 2006).
Soit un groupe de jumeaux mz (comprenant 18 paires) et un groupe de jumeaux DZ
(comprenant également 18 paires de jumeaux). On peut évaluer leur ressemblance en
calculant la moyenne des différences intra-paire ou en calculant la corrélation intra-
paire. Le tableau 11.4 présente un exemple fictif (mais vraisemblable) et la démarche des
calculs. Il est aisé de refaire ces calcul à partir du tableur Excel en entrant les scores des
jumeaux 1 dans une colonne, ceux du jumeaux 2 dans une autre et enfin la différence (en
valeur absolue car les jumeaux sont numérotés 1 ou 2 au hasard, à l'intérieur d'une
paire) dans une troisième ; ceci pour chaque type de jumeaux (tableau 11.4).
A4Z DZ
Différence Différence
Paires Jumeau 1 Jumeau 2 absolue Jumeau 1 Jumeau 2 absolue
On voit que la moyenne des différences intra-paires est plus petite chez les
jumeaux mz que chez les jumeaux DZ (9,83 < 21). La différence est significative au seuil
de 0,01 et l'écart entre les moyennes est important : 11,17 points. On voit aussi que
Cognition et génétique I 435
l'écart type des différences est plus grand chez les jumeaux DZ que chez les
jumeaux MZ. En clair, les co-jumeaux mz se ressemblent plus dans leurs scores
d'intelligence que les co-jumeaux DZ.
Une autre manière de représenter cette ressemblance est de calculer le coefficient
de corrélation intra-classe. Pour ce, il faut passer par l'analyse de la variance. La
variable dépendante est le score en QI et il y a autant de groupes indépendants que de
paires de jumeaux. Ici pour les jumeaux mz comme pour les jumeaux DZ on a 18 pai-
res, donc 18 groupes.
Pour les jumeaux mz, on veut savoir si la variance intra-paire de jumeaux est plus
faible que la variance inter-paire de jumeaux ; si cela est vrai, cela veut dire que les co-
jumeaux se ressemblent plus que des gens pris au hasard dans la population. On se
posera la même question pour les jumeaux DZ.
Les sorties Excel des analyses de variances sont données dans les tableaux 11.5
et 11.6.
Total 11 882,75 35
TABLEAU 11.6. — Analyse de variance des notes en QI, des 18 paires de jumeaux DZ
Total 14 414 35
Soit :
rmz = 627,19 / 627,19 + 67,81) = 0,90.
rp z = 481,18 / 481,18 + 346,33 = 0,58.
436 I Psychologie différentielle
On voit que les jumeaux mz se ressemblent plus à l'intérieur des paires que les
jumeaux DZ, ce que nous avions déjà conclu à partir des différences intra-paires.
Notons que les valeurs des corrélations intra-classes trouvées ici correspondent tout à
fait aux valeurs observées dans la littérature. La corrélation est significative dans le
groupe des mz (au seuil de 0,00001), celle du groupe de DZ ne l'est pas. Si l'effectif
des DZ avait été plus élevé, en obtenant une valeur similaire, on aurait obtenu une cor-
rélation significative.
La recherche porte sur un total de 997 adultes qui sont tous des jumeaux ou des
germains de jumeaux. Une partie de l'échantillon (217) est testée deux fois, à environ
six ans d'intervalle. On fait passer une épreuve de vocabulaire dans laquelle le partici-
pant doit trouver des synonymes d'une série de mots. Le tableau 11.7 présente une
partie des résultats sachant qu'on a beaucoup simplifié.
Décomposition de la variance.
Corrélations intra-paires Les valeurs sont données en %,
et nombre de paires avec entre parenthèses les intervalles
entre parenthèses de confiance des estimations
mZ Dz Germains A
Dans notre revue de question sur la méthode des jumeaux (Spitz et Carlier, 1996)
nous avons montré combien les valeurs de l'héritabilité sont dépendantes des variables
incluses dans l'analyse. Par exemple, selon qu'on fasse intervenir ou non une variable
caractérisant le développement prénatal chez les jumeaux mz (le fait d'avoir été mono-
chorionique ou dichorionique) on observe des valeurs tout à fait différentes du coeffi-
cient d'héritabilité — voir encadré 11.3.
ENCADRÉ 11.3
La ressemblance intra-paire de jumeaux mz n'est pas forcément la même suivant que les
jumeaux sont monochorioniques ou dichorioniques. En particulier, on a observé que les
jumeaux mz se ressemblaient moins s'ils s'étaient développés chacun dans un chorion
(jumeaux dichorioniques) que s'il s'étaient développés dans un seul chorion (jumeaux mono-
chorioniques) - Spitz et Cartier, 1996.
Une étude portant sur une large population de jumeaux (161 mz mc et 80 mz oc) a été
entreprise par une équipe belge pour tester l'ampleur du phénomène (Jacobs et coll., 2001).
Les jumeaux sont évalués avec le test WISC-R. Puisqu'il y a deux types de jumeaux mz,
l'héritabilité peut se calculer deux fois : la première en comparant les mz mc aux oz, la seconde
en comparant les mz oc aux oz. Notons que la comparaison la plus juste est celle qui prend
les Mz DC comme terme de comparaison puisque les oz sont toujours dichorioniques : ce fai-
sant on compare deux groupes de jumeaux ayant vécu durant leur vie prénatale dans des
conditions similaires - du moins pour la variable chorion.
Pour les sous-tests Arithmétique et Vocabulaire, les mz mc se ressemblent plus que
les MZ oc. Comme on peut s'y attendre, le coefficient cl'héritabilité baisse quand on le calcule à
partir de rmz oc plutôt qu'avec rmz „ c . Pour le sous test d'Arithmétique il passe de 67 % à 54 % et
pour le sous test Vocabulaire il passe de 82 % à 73 %. Les auteurs concluent : « This suggests
that when analyzing a trait that is under influence of chorion type, the composition of the mz
group could be important for the accuracy of the heritability estimate » (en français : ceci sug-
gère que quand on analyse un trait sous influence du type de chorion, la composition du
groupe des mz peut être importante pour l'estimation juste de l'héritabilité).
Cognition et génétique I 439
La valeur de l'héritabilité telle qu'on peut la trouver dans un article est donc
dépendante des caractéristiques de la recherche dont cet article rend compte (test uti-
lisé, population testée, conditions sur recueil des données, variables environnementales
contrôlées, etc.). L'héritabilité n'est donc pas la caractéristique d'un trait. Dire que
« l'intelligence est héritable à 70 °A) » est un non sens. Pire, dire que l'intelligence est
héritée à 70 o/ est une absurdité. Car héritabilité ne veut pas dire hérédité. Dans une
population où la variance génétique est nulle ou presque, un trait peut être totalement
hérité. Si on applique à la présence du nez la formule de calcul de l'héritabilité
donnée plus haut (h 2 = 2(r> — rp z), son héritabilité est nulle... De fait, la variation
porte sur la forme du nez mais pas sur le fait d'avoir un nez ou pas. Et pourtant le
fait d'avoir un nez est bien dû aux gènes que nous avons hérités de nos parents. Tout
ceci est bien connu des spécialistes qui utilisent le modèle de décomposition de la
variance. Mais les difficultés commencent dès qu'on sort du petit monde des spé-
cialistes et on voit fleurir les erreurs d'interprétation de ce trop fameux coeffi-
cient d'héritabilité, y compris chez des personnes dont par ailleurs la compétence
est réelle en psychologie ou en neurosciences, pour ne citer que les spécialités qui
intéressent ici.
En février 2002, deux équipes publiaient dans les revues .Nature et Science les résul-
tats du premier séquençage du génome humain. Ils estimaient que celui-ci comprenait
environ 40 000 gènes. Ce chiffre était largement en dessous des prévisions puisque
quinze ans auparavant on pensait que le génome humain possédait 500 000 gènes. Sur
ces 40 000 gènes, 20 % s'exprimeraient dans le cerveau (Roubertoux, 2004). Le séquen-
çage du génome permet de découvrir la position des gènes. On n'en connaît pas pour
autant leur fonction. La protéomique est la recherche de cette fonction. On peut toute-
fois utiliser la connaissance du génome humain pour trouver des marqueurs* pour les-
quels on sait qu'il existe plusieurs allèles. On va alors rechercher la liaison entre la pos-
session d'un allèle plutôt qu'un autre et les scores dans un test d'intelligence.
La présentation qui va suivre est très simplifiée. Elle n'a pas d'autre but que de
donner une idée de la méthode. Pour un approfondissement on peut se reporter à Rou-
bertoux (2004).
Pour un trait T, on explore la contribution possible de trois régions chromosomi-
ques indépendantes qui se trouvent sur le même chromosome, chacune incluant un
marqueur (A, B ou C). Par marqueur il faut comprendre un locus connu pour ses diffé-
rentes formes alléliques. Supposons qu'on attende deux formes alléliques par marqueur
(indiquées en majuscule ou en minuscule) et qu'on obtienne les moyennes suivantes
pour chaque génotype.
AA = 2,5 ; Aa = 2,51 ; aa = 2,48 (non significatif)
BB = 3,2 ; Bb = 3,5 ; bb = 3,6 (non significatif)
CC -= 2,1 ; Cc = 4,5 ; cc = 8,1 < 0,01)
On compare ensuite ces valeurs par une analyse de la variance. On voit que seules
les valeurs de la troisième ligne diffèrent. Cette différence indique que la substitution
d'allèles aux locus A (c'est-à-dire le fait qu'à ce locus on ait la forme A ou la forme a)
n'entraîne pas une modification significative des moyennes ; on observe le même phé-
nomène au locus B mais pas au locus C. Par ailleurs, on constate que le génotype hété-
rozygote Cc a une valeur intermédiaire entre CC et cc (on parle d'iso-dominance).
Cognition et génétique I 441
Ce résultat indique qu'un des QTL lié au trait se situe dans la région chromoso-
mique incluant C. Ensuite il reste beaucoup à faire ; en particulier, il faut rechercher
dans la région chromosomique C les gènes connus susceptibles de rendre compte des
différences comportementales observées.
Les résultats se présentent sous une forme graphique dont un exemple est donné
dans la figure 11.2.
s)
o(.)
o
0
Plomin et coll. (2001) ont choisi la stratégie qui consiste à rechercher des QTL en
sélectionnant des participants au score d'intelligence très élevé. Le score en QI est cal-
culé soit à partir des échelles de Wechsler (wlsc-R ou WAIS-III, selon l'âge des personnes)
soit à partir du SAT (Scholatic Aptitude Test). La recherche est extensive : un premier
groupe de 101 participants au QI > 130 fait d'abord l'objet de l'étude génétique ;
1 842 marqueurs d'ADN sont testés sur l'ensemble des chromosomes (le groupe de com-
paraison est constitué de 101 personnes au QI moyen, soit 100). Les analyses montrent
que sur les 1 842 marqueurs, 108 discriminent les très hauts QI des QI moyens. Un
second groupe de 96 personnes est ensuite utilisé pour valider les résultats. Le QI est
encore plus élevé (> 160) — le groupe de comparaison a toujours un QI moyen. Cette
fois-ci l'ADN est analysé chez chaque individu. Sur les 6 marqueurs testés, 4 discrimi-
nent les hauts QI des QI moyens. Un troisième groupe est composé de 196 trios com-
prenant les deux parents biologiques et leurs enfants (les enfants ayant un QI élevé) avec
lesquels les auteurs cherchent des déséquilibres de transmission pour les allèles qui ont
été détectés avec les deux précédents groupes. On teste les 4 marqueurs qui restent à
l'issue de la seconde étape. Aucun n'est significatif. Les auteurs remarquent, avec jus-
tesse, que les critères qu'ils ont choisi pour conclure à l'existence d'un QTL sont extrê-
mement sévères et que peu d'études utilisent une telle stratégie. Finalement, en 2004
Plomin et son équipe publient un article montrant l'existence d'une association entre
un gène et les hauts scores en QI. Il est important de noter que cette association
explique une faible part de variance des hauts QI.
L'équipe néerlandaise dont on a présenté la recherche sur les jumeaux un peu plus
haut vient de s'illustrer en réalisant, conjointement avec des chercheurs australiens la
première étude de criblage du génome pour l'intelligence évaluée dans des populations
tout venant. Les caractéristiques des deux échantillons sont présentées dans le
tableau 11.8.
Le test d'intelligence est la WAIS III-R pour les néerlandais et un test informatisé
très proche du test de Wechsler pour les australiens. Les deux échantillons diffèrent par
plusieurs points : les australiens sont des jumeaux DZ et leurs germains (on ne peut pas
inclure les paires mz dans la mesure où, à l'intérieur d'une paire, ils ont le même patri-
moine génétique), les néerlandais ne sont pas des jumeaux. Les australiens sont plus
nombreux et plus jeunes que les néerlandais. Le niveau intellectuel des australiens est
plus élevé. Si on regarde maintenant les valeurs de l'héritabilité, elles sont plus élevées
dans l'échantillon néerlandais.
Les marqueurs d'ADN (appelés aussi microsatellites) testés se répartissent sur tous
les autosomes (chromosomes non sexuels). On en compte entre 211 et 790 par per-
sonne, ce qui est nettement moins que dans l'étude précédente ; toutefois ici l'ADN de
chaque participant est analysé alors que dans l'étude précédente, les ADN des personnes
à hauts QI avaient été mêlés, tout comme ceux des personnes à QI moyens, lors de la
première étape. Le but était évidemment de faire des économies non seulement en
temps mais en argent.
Les auteurs analysent séparément les deux populations ; comme ils n'observent pas
d'hétérogénéité entre les résultats des deux groupes, ils mêlent les données. Ceci leur
permet d'augmenter le pouvoir des tests statistiques.
Cognition et génétique I 443
Pour les auteurs des recherches citées plus haut, les résultats sont, bien sûr, assez
décevants : il est très difficile de faire apparaître des résultats significatifs. La raison
principale est que si on travaille dans la marge de variation normale des scores
d'intelligence, on ne peut pas espérer trouver des régions chromosomiques, ou mieux
des gènes, qui expliquent une part importante de la variance du trait. Le gène du QI
n'existe pas ! Or on peut estimer que pour mettre en évidence un effet de petite taille
(0,5 % de la variance du QI) avec un pouvoir du test de 80 % et un seuil de rejet de
l'hypothèse nulle de 0,01, il faut avoir un échantillon de 1 000 individus. Pour un effet
encore plus petit (0,2 o/) il faudrait 2 500 individus. On imagine aisément le coût de
ces recherches tant à cause du recueil de données que de l'analyse de génétique
moléculaire.
C'est pourquoi Plomin et ses collaborateurs ont proposé deux méthodes
alternatives.
La première concerne l'analyse biologique. Dans un premier temps, on mêle
les ADN de personnes présentant certains scores en QI : hauts QI pour la recherche pré-
sentée plus haut, ou QI dans la marge des retards mentaux légers pour une autre
recherche. Ensuite une analyse individuelle est réalisée sur un échantillon restreint de
personnes pour confirmer les premiers résultats.
444 I Psychologie différentielle
Une autre stratégie, qui peut s'avérer complémentaire, est la recherche de gènes
candidats. Ici on ne va pas « à la pêche » comme dans la situation précédente. On part de
l'hypothèse que les variations d'un gène connu sont liées à des différences dans des tests
cognitifs. Terry Goldberg et Daniel Weinberger (2004) présentent une synthèse des don-
nées de ces dernières années. On reprend les principaux éléments dans le tableau 11.9.
La localisation chromosomique indique le numéro du chromosome où se trouve le gène.
La lettre q désigne le bras long du chromosome, la lettre p désigne le bras court.
Les gènes présentés dans le tableau 11.9 s'expriment tous dans le cerveau. On
peut facilement comprendre que les chercheurs ciblent des gènes dont on connaît
l'action sur le système nerveux. Il faut aussi, bien entendu, choisir des épreuves présen-
tant de bonnes qualités psychométriques : fidélité et validité. Par exemple, pour évaluer
les fonctions exécutives, on a utilisé le test de Classement de cartes du Wisconsin (ECPA,
2002 — voir le site des ECPA http://www.ecpa.fr/) . Un exemple de recherche est pré-
senté dans l'encadré 11.4.
Cognition et génétique I 445
Localisation
Domaine de la cognition Nom du gène Abréviation chromosomique'
ENCADRÉ 11.4
Mark Bellgrove et coll. (2005) testent l'hypothèse d'une relation entre les formes alléliques du
gène COMT et les performances attentionnelles chez des jeunes (enfants et adolescents) pré-
sentant un diagnostic d'hyperactivité.
Pourquoi une telle hypothèse ? L'enzyme catécholamine 0-méthyltransférase
(gène COM7) est la principale enzyme impliquée dans la dégradation de la dopamine. Ce
gène, situé sur le chromosome 22 s'exprime tout particulièrement, dans le cortex frontal. La
région codante du gène COMT présente un polymorphisme fonctionnel au codon 158: une
substitution de nucléotides aboutit à une substitution de la méthionine (allèle met) en valine
(allèle val). On a observé, en présence de l'allèle met, et à la température du corps humain,
une diminution de l'activité de l'enzyme et un ralentissement de la dégradation de la dopa-
mine. On s'attend donc à ce que les porteurs de deux allèles met (porteurs homozygotes) pré-
sentent une inactivation plus lente de la dopamine, que des porteurs homozygotes de l'allèle
val. En conséquence, dans des épreuves connues pour faire intervenir le cortex préfrontal,
les homozygotes pour l'allèle met devraient avoir de meilleures performances que les
porteurs homozygotes pour l'allèle val. C'est ce qui a été effectivement observé dans plusieurs
recherches.
Les personnes hyperactives présentent des déficits dans les fonctions exécutives. Les
auteurs émettent alors l'hypothèse que les porteurs des allèles val seraient désavantagés
comparés aux porteurs des allèles met, et ce tout particulièrement là où ils sont déficitaires
c'est-à-dire l'attention soutenue et le contrôle attentionnel. Par contre ces auteurs n'attendent
pas d'effet du gène COMT sur l'attention sélective.
L'échantillon comprend 61 personnes âgées de 6 à 16 ans diagnostiquées comme hyper-
actives. Leur ni moyen au égal 97,7. La répartition des génotypes est la suivante :
met/met : 9 personnes ; val/met : 38 ; val/val : 14. Les 3 groupes ne diffèrent pas pour l'âge,
le ni et le genre. Les traitements médicamenteux sont supprimés au moins 24 heures avant
l'examen psychologique.
La figure 11.3 donne un aperçu des résultats pour un des tests d'attention soutenue.
Plus la performance est bonne, plus la note est élevée. On montre que les 3 groupes diffèrent
significativement au seuil de 0,058. Les auteurs concluent donc que le gène COMT a un effet
significatif sur les scores d'attention.
446 I Psychologie différentielle
8-
Moyenne dans le test d'attention
7-
6-
5-
4-
3.-
2-
1 -
o
met/ met met/val val/val Génotype
Regardez bien la figure 11.3. Que voyez-vous ? Les résultats ont-il la forme attendue ?
Comment les expliquer ?
On voit que, si les groupes diffèrent significativement, les résultats ne se présentent pas
sous la forme attendue. En effet, ce sont les porteurs homozygotes pour l'allèle val qui ont les
meilleures performances alors qu'au vu de la littérature on attendrait l'inverse. Plusieurs hypo-
thèses sont envisageables pour rendre compte de ces résultats.
a) Les auteurs ont rejeté l'hypothèse nulle avec un risque de 0,058. Ils ont eu tort de le
faire et les différences entre les groupes sont dues au hasard.
b) Les auteurs ont eu raison de rejeter H o : avec un plus grand effectif et en admettant
que les écarts entre les groupes restent à peu près identiques, ils auraient eu un seuil de signi-
ficativité plus bas. On peut donc imaginer qu'il se passe quelque chose de particulier dans la
population des hyperactifs, comparée aux autres populations déjà étudiées (personnes en
bonne santé ou personnes schizophrènes). Mais quoi ? Est-ce l'action des médicaments ingur-
gités par les patients au cours de leur vie, qui aurait un effet, en interaction avec une forme
allèle plutôt qu'une autre ? On sait que l'hyperactivité est probablement liée à des facteurs
génétiques. Ces facteurs interagiraient-ils avec les allèles du gène COMT?
c) Pour des raisons qu'on ignore, la composition génétique des familles avec qui les
chercheurs ont travaillé est particulière. Celle-ci affecte le résultat.
Il est évident qu'en l'état actuel de la recherche, on ne peut pas savoir laquelle des hypo-
thèses est vraie. Il faut donc poursuivre l'étude.
b. Conclusion
Les recherches sur les gènes candidats en liaison avec des traits cognitifs n'en sont
qu'à leur début. Le tableau 11.10 permet de se faire une idée des résultats. Il faut
cependant savoir que les études publiées n'aboutissent pas toujours aux mêmes résul-
tats, comme l'a montré l'exemple sur l'hyperactivité. Ceci n'a rien d'étonnant. Il se
passe la même chose dans n'importe quel champ de la recherche. Reste qu'en géné-
tique, on sait qu'on travaille avec des populations qui peuvent différer pour les fréquen-
Cognition et génétique I 447
ces de certains gènes, par exemple à cause d'un isolement géographique relatif – ainsi,
on sait qu'il existe des différences pour la fréquence de certains allèles chez les asiati-
ques et chez les européens. Ce fait complique sérieusement les choses parce que des
résultats contradictoires ne sont pas forcément attribuables à des variations aléatoires
non contrôlées.
Avant de tester l'effet d'un gène candidat sur un trait cognitif, un minimum de
précautions doit être prises. Il faut :
— s'assurer que le gène dont on va chercher la liaison avec le trait psychologique
s'exprime dans le cerveau ;
— si possible en connaître la fonction ;
— choisir un trait psychologique bien défini et qui a déjà fait l'objet d'étude en géné-
tique ; le fait que ces études aient montré que ce trait avait une héritabilité élevée
est « un plus » mais n'est pas obligatoire ;
utiliser un instrument de mesure fidèle et valide ;
avoir une population de participants aussi large que possible.
a. Définition et exemples
(dans le cas du tableau 11.2, comme dans celui du tableau 11.4, les interactions
étaient non significatives).
Dans les travaux avec les personnes humaines, il est assez difficile de faire appa-
raître de véritables interactions génotype environnement parce qu'on ne peut évidem-
ment pas « manipuler », au sens expérimental du terme, les génotypes et les environne-
ments. Ceci ne veut pas dire que ces interactions n'existent pas mais tout simplement
que les méthodes les plus efficaces pour les faire ressortir ne sont pas envisageables avec
des humains. Les recherches avec des animaux, et en particulier avec la souris, sont
riches d'exemples expérimentaux qui mettent en évidence de telles interactions (voir
l'encadré 11.5).
ENCADRÉ 11.5
La congélation des embryons est une technique largement utilisée en agronomie et en méde-
cine pour la procréation médicale assistée. La question à laquelle les équipes veulent
répondre est la suivante : la technique qui consiste à congeler puis décongeler les embryons,
pour les réimplanter dans un utérus, est-elle complètement neutre et ceci quel que soit le
patrimoine génétique des embryons ?
Pour répondre à la question, voici le plan d'expérience qui est suivi. On prend deux
génotypes de souris constitués à partir du croisement de deux lignées consanguines (lignées
dans lesquelles les individus ont le même patrimoine génétique). Ce sont les génoty-
pes C57BL6/CBA (issus du croisement des lignées C56BL6 et CBA - en abrégé BC)
et C3H/DBA2 (issus du croisement des lignées C3H et DBA2 - en abrégé CD). Soulignons qu'à
l'intérieur de chacun des génotypes, les individus ont le même patrimoine génétique.
On a deux conditions d'environnement : la congélation ou la non congélation.
Pour contrôler les effets d'environnement maternel prénatal et postnatal, on transplante
les embryons dans des utérus de femelles d'une même lignée.
On a donc un plan d'analyse qui peut se représenter dans un tableau à 4 cases avec
2 entrées en lignes et en colonnes et 4 groupes de sujets indépendants. Dans le tableau 11.10
on présente des résultats sur une variable du développement sensoriel et moteur : l'âge
d'ouverture des yeux. Le point zéro est le jour du transfert de l'embryon dans l'utérus de la
femelle, embryon qui a été soit congelé puis décongelé soit non congelé - pour mémoire, la
durée d'une gestation chez la souris est d'environ vingt et un jours.
Environnement
34 -
Ouverture des yeux
Génotype
33,5
CD
—B—BC
33
32,5
32
NON OUI Congélation
On voit que l'effet de la congélation n'est pas le même suivant que l'embryon est du
génotype CD ou es : pour le génotype co, la performance est presque la même que l'embryon
ait été congelé ou non. Pour le génotype BC, la congélation de l'embryon s'accompagne d'un
retard de développement (les yeux s'ouvrent un peu plus d'un jour plus tard).
b. Conclusion
Lorsque l'effet d'un gène est modulé par la forme que peut prendre un autre gène,
on parle d'épistasie. L'existence de telles interactions est connue depuis des décennies,
mais sans la connaissance du génome humain il était difficile d'en comprendre le méca-
nisme. On sait que ces interactions ne touchent pas que l'ADN nucléaire (situé dans le
noyau de la cellule) mais qu'elles touchent aussi l'ADN mitochondrial (situé dans les
mitochondries qui, elles, se trouvent, dans le cytoplasme de la cellule) — se reporter à
Roubertoux, Carlier, Le Roy, 2006 ; Roubertoux, 2004.
III - Conclusion
I - Principe général
Une autre façon de rechercher des liens entre les gènes et la cognition est
d'analyser les profils psychologiques et neuropsychologiques de personnes porteuses de
maladies génétiques. Les publications sur ce thème sont extrêmement nombreuses ces
Cognition et génétique I 451
dernières années et illustrent parfaitement les collaborations que peuvent entretenir psy-
chologues et généticiens.
La méthode est corrélationnelle : on part d'une anomalie génétique connue et on
en observe le phénotype psychologique ou neuropsychologique des patients. Différentes
situations peuvent se présenter : la maladie est due à la mutation d'un gène unique, à
une courte délétion sur un des deux chromosomes homologues (on parle de délétion
hémizygote), ou encore à la duplication d'un chromosome complet (on parle de tri-
somie). L'analyse du profil psychologique et neuropsychologique du patient permet de
s'interroger sur l'existence d'une causalité entre l'anomalie génétique et le phénotype de
ce patient. Dans de nombreux cas, l'anomalie génétique s'accompagne d'une déficience
intellectuelle. Pour aller plus loin, il convient alors de rechercher des spécificités dans
les profils psychologiques des patients. Si de telles spécificités existent, le chemin reste
toutefois encore long, car il faut comprendre par quels processus biologiques on passe
de l'anomalie génétique à la cognition.
Syndrome Syndrome
Trisomie 21 de Williams Beuren Fragile X de Di George
F - CONCLUSION GÉNÉRALE
ciblant plus spécifiquement une fonction sont utilisées par les chercheurs, mais on
manque d'étalonnages qui permettraient de comparer les études entre elles.
La compréhension des mécanismes génétiques conduisant de la mutation au
retard mental est grandement facilitée par l'apport du modèle animal. On en trouvera
des exemples dans les lectures conseillées. Par chance, nombre des gènes détectés sont
également présents dans d'autres espèces animales.
Si on regarde maintenant ce qui se passe pour la marge de variation normale de
l'intelligence, on peut également conclure qu'on a mis en évidence des gènes qui sont
liés à des différences de scores dans des épreuves cognitives. Les travaux dans ce
domaine n'en sont qu'à leur début. Il est très important de souligner ici qu'il s'agit de
gènes de susceptibilité. On est dans un modèle probabiliste. La présence d'une forme
allèle plutôt qu'une autre augmente la probabilité que le porteur ait un score plus élevé
dans une épreuve. La pensée déterministe est, ici, totalement à rejeter.
Pour terminer on rappellera ce qui a été dit à diverses reprises dans ce chapitre :
trouver des gènes n'implique nullement que les facteurs d'environnement ne jouent pas.
La recherche des facteurs d'environnement est un champ complémentaire de la géné-
tique qu'il est absolument nécessaire d'investiguer.
LECTURES CONSEILLÉES
Carlier, M., & Ayoun, C. (2007). Les déficiences et incapacités intellectuelles. Décrire, comprendre, intégrer
à la société. Wacre, Belgique : Mardaga.
Carlier, M., & Doyen, A. L. (2003). Génétique et cognition. En ligne site http:///www.tema-
tice.fr ; via « résultats de programmes », « AGI Ecole et Sciences cognitives ». 100 pages.
Carlier, M., & Roubertoux, P. L. (2005). Des gènes à la cognition. In J. Lautrey, F. Richard
(sous la dir. de). Traité des sciences cognitives. L'intelligence. Paris : Lavoisier, p. 229-242.
Carlier, M., & Roubertoux, P. L. (1999). L'origine des différences individuelles. In P.-Y. Gil-
les, Pychologie différentielle. Rosny-sous-Bois : Grand Amphi, p. 276-325.
Howell, D. (1998). Méthodes statistiques en sciences humaines. Traduit de l'anglais. Bruxelles :
DeBoeck.
Infobiogen : http://www.infobiogen.fr/ Pour informations sur la génétique, sur la définition
de mots médicaux (cliquer dans « Documents » puis dans « Glossaire bioinfo-
biotechnologies »).
http://www.orpha.net/ Orphanet INSERM SC1 1 Bases de données sur les maladies rares.
Roubertoux, P. L. (2004). Existe-t-il des gènes du comportement ? Paris : Odile Jabob.
Roubertoux, P. L., Carlier, M., & Le Roy, I. (2005). L'information génétique : nature, expres-
sion, transmission. In J. C. Orsini et J. Pellet (sous la dir. de). Introduction biologique à la
psychologie. Rosny sous Bois : Grand Amphi, p. 90-145.
Spitz, E, & Carlier, M. (1996). La méthode des jumeaux de 1875 à nos jours. Psychiatrie de
l'enfant, XXXIX, 1, 137-159.
Zazzo, R. (1960, ln> éd.). Le couple et la personne. Paris : PUF.
troisième partie
LES PROFESSIONS
C'est dans l'urgence et l'enthousiasme de la fin de la seconde guerre mondiale que naît
la psychologie scolaire. Le samedi 26 août 1944, le général de Gaulle entre dans Paris
et organise un gouvernement provisoire représentant toutes les tendances de la résis-
tance. Henri Wallon est nommé Secrétaire de l'éducation nationale par le Conseil national de la
résistance (Zazzo, 2000). Il appelle à son cabinet René Zazzo et le charge de la jeunesse
et des sports. Il lui donne aussitôt le feu vert pour réaliser le projet de création de la
psychologie scolaire.
Ainsi, alors que les combats de rue se poursuivent jusqu'au 24 août, que la
deuxième division blindée du général Leclerc entre à Paris le 25 août et qu'une fusil-
lade éclate encore le 26 sur le parvis de Notre-Dame, deux intellectuels courageux, qui
se sont illustrés dans la résistance, mettent en oeuvre un projet qu'ils mûrissaient depuis
plusieurs années.
a. Les prémices
tion profonde que la présence constante d'un psychologue dans les écoles serait béné-
fique. Un psychologue qui ne s'occupe pas spécialement des cas graves d'inadaptation,
mais de tous les écoliers. Bref, une activité d'orientation, de prévention et non de psy-
chopathologie » (Zazzo, 1996).
À la même époque, d'autres expériences de psychologie à l'école apparaissent en
Europe. On peut citer Cyril Burt à Londres en 1913, Hans Laemmerman en 1922 à
Mannheim, et Andréa Jadoulle à Angleur près de Liège (1928) dont Zazzo s'inspirera
fidèlement.
Henri Wallon est sensibilisé à la psychologie scolaire par sa rencontre directe avec
l'institution scolaire. En 1923, il ouvre son premier et modeste laboratoire dans une
école de Boulogne-Billancourt. Le directeur de l'établissement met à sa disposition un
vestiaire désaffecté où il peut recevoir et observer minutieusement des écoliers.
b. Les pionniers
Ils ne sont au départ que quelques-uns qui croisent la route de René Zazzo. Ber-
nard Andrey, instituteur, est de ceux-ci. Le 15 juin 1945, René Zazzo lui écrit pour lui
parler d'une proposition d'Henri Wallon : il s'agit de créer, à Grenoble, le premier
poste de psychologue scolaire. Les circonstances sont favorables, l'Inspecteur
d'Académie de l'Isère est ouvert à cette expérience qui débute dès la rentrée suivante.
En 1946 on compte 14 psychologues scolaires pour Paris et la proche banlieue.
Chacun a la charge d'un groupe scolaire d'environ 600 à 800 élèves.
En 1947 le terme de psychologie scolaire apparaît pour la première fois en France
dans le projet de réforme de l'enseignement, connu sous le nom de plan Langevin-
Wallon, qui ne sera jamais appliqué. Cette réforme prévoit « qu'en cas d'insuccès sco-
laire, le psychologue scolaire doit en rechercher les causes, démêler s'il s'agit de raisons
personnelles, de santé, de famille, de caractère ou des raisons liées à certaines incom-
préhension des matières enseignées ».
Hélène Gratiot-Alphandéry, collaboratrice de René Zazzo est chargée de dévelop-
per la psychologie scolaire dans les lycées. En 1948 on compte des psychologues scolai-
res affectés dans huit lycées parisiens. Pour la plupart ce sont des professeurs de philo-
sophie ou de français qui ont acquis une formation en psychologie.
L'activité de ces premiers psychologues scolaires consiste à examiner les élèves
« perdant pied », à intervenir en conseil de classe (partage de classe, orientation) et à
participer aux recherches initiées par René Zazzo au laboratoire de Henri Wallon à
l'INETOP, au 41, rue Gay Lussac à Paris.
-
1. À noter, que cette même année, l'Unesco réunit à Hambourg ses experts afin d'élaborer des recommanda-
tions sur la psychologie scolaire, en s'inspirant de l'expérience franç aise.
2. Berthoin Jean-Marie (1893, 1977), il est par deux fois ministre de l'Education nationale (septembre 1954 -
février 1956 ; juin 1958 - janvier 1959).
3. Circulaire n° 205 du 8 novembre 1960, Conditions d'emploi comme psychologues scolaires des instituteurs ou institutri-
ces titulaires d'un diplôme de psychologue scolaire.
4. Circulaire n° W-70-83 du 9 février 1970.
5. Les centre psychopédagogiques ont été fondés par H. Wallon.
460 I Les professions
Parallèlement, le paradoxe déjà pointé par Zazzo s'amplifie : alors que la psycho-
logie scolaire se développe (1 500 psychologues scolaires en poste en 1975), celle-ci
apparaît souvent comme une psychologie disqualifiée. Le psychologue scolaire est asso-
cié, le plus souvent, à un « psychologue testeur » dont l'utilité sociale se résume à détec-
ter et à orienter vers les établissements et classes spécialisées les enfants présentant des
déficits ou des troubles.
Les effectifs des psychologues scolaires continuent cependant de croître jusqu'à la
fin des années 1980 où l'on comptabilise un peu plus de 3 000 postes.
La vraie reconnaissance vient en 1989 lorsque Lionel Jospin, ministre de
l'Éducation nationale fait voter au parlement la loi d'orientation sur l'éducation dont le
préambule précise que « l'éducation est la première priorité nationale. Le service public
d'éducation [...] contribue à l'égalité des chances ». Cette loi reconnaît officiellement les
psychologues scolaires comme faisant partie de l'équipe pédagogique'. Cette même
armée voit la création du Diplôme d'état de psychologie scolaire (DEPS) et l'année suivante la
création des Réseaux d'aides aux enfants en difficultés (RAsED), nouveau cadre de fonctionne-
ment des psychologues scolaires.
Pendant cette même période, la profession tout entière bénéficie d'une réelle
avancée législative à travers la loi du 25 juillet 1985, Relative à la protection du titre de psy-
chologue. Pour la première fois en France, la profession de psychologue est protégée et
du même coup, les usagers de la psychologie. Il est écrit dans la loi que « l'usage du
titre de psychologue, accompagné ou non d'un qualificatif, est réservé aux titulaires
d'un diplôme, certificat ou titre sanctionnant une formation fondamentale et appliquée
de haut niveau en psychologie [...] ». Suit quelques années plus tard un décret
(22 mars 1990) indiquant la liste des diplômes permettant de faire usage professionnel
du titre de psychologue. Le Diplôme d'état de psychologie scolaire (DEPS) est parmi ceux-ci.
En 2005, un relevé du ministère de l'Éducation nationale fait état de 3 624 postes
de psychologues scolaires pour la France et les Dom-Tom. Tous ne sont pas effective-
ment pourvus pas un psychologue titulaire. La note du ministère estime à presque
10 % le nombre de postes vacants.
Il - Le psychologue scolaire
Les missions des psychologues scolaires sont principalement définies par une circu-
laire parue le 10 avril 1990 intitulée « Les missions et les activités des psychologues sco-
laires à l'école maternelle et élémentaire ». D'emblée l'accent, mis sur la relation entre
processus psychologiques et capacités d'apprentissage, rappelle l'inscription dans l'école
de la psychologie scolaire. Cependant, certaines mentions et certains termes employés,
« examens cliniques », « suivi psychologique » sortent le psychologue de ce tête-à-tête
avec la seule pédagogie et le positionnent clairement comme un psychologue de
l'enfance exerçant à l'école.
1. Tous les acteurs du système éducatif sont concernés par la difficulté scolaire. Celle-ci n'est plus réservée
aux seuls personnels spécialisés.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 461
a. Ses missions
2/ Le suivi psychologique
Il s'agit d'une activité qui pourrait s'apparenter à une prise en charge thérapeu-
tique si elle ne se situait dans le cadre de l'école. En effet, cette dernière ne peut pas
être un lieu de soin. Son objet même, l'apprentissage scolaire, s'y oppose et le fonction-
nement des psychologues scolaires, pour la plupart intégrés au sein des établissements
scolaires, interdit l'organisation d'un cadre thérapeutique. En revanche, de nombreuses
situations invitent le psychologue scolaire à mettre en place des entretiens, plus ou
moins réguliers, avec l'enfant en situation de crise ou qui présente, dans le cadre sco-
laire, des anxiétés spécifiques entravant son investissement de la scolarité.
Des entretiens de guidance peuvent aussi être menés avec les familles ou les ensei-
gnants dans le but d'ajuster les conduites éducatives.
Chaque école doit accueillir tous les enfants qui relèvent de son secteur de recrute-
ment et par conséquent les enfants handicapés. Le psychologue scolaire a pour mission
d'apporter ses compétences, son éclairage spécifique, afin d'aider l'équipe éducative à
réussir cet accueil, important pour l'enfant et sa famille mais aussi pour les enseignants.
Cette intégration qui fut trop longtemps une possibilité à la discrétion des équipes
pédagogiques, est devenue avec la loi du 11 février 2005, une absolue nécessité. Dans
son préambule, la loi rappelle que « [..] l'action poursuivie vise à assurer l'accès de
l'enfant, [...] aux institutions ouvertes à l'ensemble de la population et son maintien
dans un cadre ordinaire de scolarité [...]. Elle garantit l'accompagnement et le soutien
des familles et des proches des personnes handicapées »'.
1. Loi n° 2005 102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des per-
-
sonnes handicapées.
462 I Les professions
4/La prévention
Intervenir le plus tôt possible, tout au long de la scolarité, avant que les difficultés
ne s'enkystent ou même apparaissent, a toujours représenté un idéal pédagogique.
Cette prévention incombe à l'équipe éducative et, bien entendu, au psychologue sco-
laire qui en fait partie. Elle « consiste en un ensemble de démarches qui visent à éviter
l'apparition d'une difficulté, son installation ou son amplification »i. Le psychologue
scolaire apporte son expertise des cas singuliers mais aussi du développement de
l'enfant pour, le cas échéant, participer à la construction « d'indicateurs de risque » ou
d'évaluations collectives.
Nommé « dispositif ressource » dans la circulaire' qui le définit, il est le cadre qui
accueille l'activité du psychologue scolaire ainsi que celles des enseignants chargés
d'aides spécialisées à dominante rééducative 3 ou pédagogique'.
Les missions assignées au Rased, par la circulaire de 2002, sont toujours complé-
mentaires de celles de l'équipe pédagogique : d'une part elles consistent à promouvoir
des actions de prévention des difficultés préjudiciables à la bonne scolarisation de
l'élève dans le cursus scolaire et d'autre part à développer, si les difficultés
d'apprentissage ou d'adaptation persistent, des remédiations appropriées.
Les interventions du Rased peuvent prendre plusieurs formes. Il y a celles qui relè-
vent plus spécifiquement du psychologue scolaire et celles qui incombent aux ensei-
gnants spécialisés. Ces dernières se divisent en deux grands types : d'une part, les aides
spécialisées à dominante pédagogique qui sont « adaptées aux situations dans lesquelles
les élèves manifestent des difficultés avérées à comprendre et apprendre alors même
que leurs capacités de travail mental sont satisfaisantes » (circulaire du 30 avril 1902).
1. Circulaire du 30 avril 2002, Les dispositifs de l'adaptation et de l'intégration scolaires dans le premier degré.
2. Circulaire du 20 avril 2002 Les dispositifs de l'adaptation et de l'intégration scolaires dans le premier degré.
3. Enseignant titulaire du CAPSAIS ou du CAPA- SH, option G.
4. Enseignant titulaire du CAPSAIS ou du CAPA- SH, option E.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 463
Et d'autre part les aides spécialisées à dominante rééducative plus indiquées pour « res-
taurer l'investissement scolaire ou aider à son instauration » (ibid.). La première aide
concerne plutôt les élèves qui éprouvent des difficultés dans la réalisation de leur désir
d'apprendre alors que la seconde concerne les enfants dont les particularités environne-
mentales ou plus personnelles entravent l'émergence de ce désir.
a. Qui demande ?
b. Les entretiens
l'autre comme « sujet », c'est-à-dire comme être autonome, désirant, capable de penser
par lui-même et d'élaborer, peut-être après plusieurs rencontres, des solutions qui sont
adaptées à son problème et à ses capacités. Cette position ne signifie pas que le psycho-
logue se refuse à toute intervention mais « elle comporte le refus de juger, l'acceptation
de tout entendre sans parti pris et sans critique » (Emmanuelli, 1997).
Le corollaire de cette position est l'obligation de garder pour chacun, enfant
comme adulte, un espace de confidentialité, voire de secret'.
L'entretien prend des formes différentes selon les interlocuteurs. La première ren-
contre avec la famille — le plus souvent c'est la mère seule qui fait la démarche — est
avant tout un entretien où le psychologue scolaire s'intéresse à l'histoire de vie de
l'enfant, dans sa famille, à l'école. Écouter les inquiétudes, les angoisses des parents,
quelquefois leurs critiques de l'école, expliquer le cadre, les modalités de l'intervention,
sont aussi des étapes nécessaires du premier entretien.
Les entretiens avec l'enfant comprennent deux volets. L'un consiste, après avoir su
créer un bon contact et l'avoir mis à l'aise, à lui rappeler le motif de la rencontre, à lui
faire comprendre plutôt que lui expliquer, le rôle du psychologue et lui donner quel-
ques règles qui définissent le cadre de l'intervention : modalités des rencontres, respect
de la confidentialité mais aussi définition de ce qui, dans le champ spécifique de l'école,
pourra être dit à la famille et à l'enseignant. L'autre volet de l'entretien avec l'enfant,
qui se développe au fil des rencontres, est centré sur l'enfant : a-t-il conscience de ses
difficultés ? Quelles sont ses caractéristiques de fonctionnement psychique (processus de
pensée, mécanismes de défense, représentations et affects) ?
c. L'examen psychologique
1. Code de déontologie des psychologues, titre I, article 1 : « Le psychologue préserve la vie privée des per-
sonnes en garantissant le respect du secret professionnel, y compris entre collègues. »
Les professions de la psychologie de l'enfance I 465
d'une épreuve plus spécifique, UDN-II (Utilisation du nombre de Meljac), Figure de Rey
ou épreuve d'analyse de la lecture,
d'épreuves projectives (Patte noire, CAT, TAT, Rorschach...),
d'épreuves de dessin (Dame de Fay, dessin du bonhomme, de la famille, dessin
libre).
I. Le QI est une notion complexe qui ne peut être comprise que par des personnes expertes. Son expression
nécessite la communication d'un intervalle de confiance, sa stabilité n'est que statistique (il peut évoluer
chez un même sujet) et il condense, en un seul nombre, des données issues de processus cognitifs très diffé-
rents.
2. Centre d'action médico-social précoce.
3. Service de soins spécialisés à domicile.
4. Centre médico-psychologique.
5. Centre médico-psychopédagogique.
6. Institut médico-pédagogique.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 467
IV - Un psychologue expert
a. La formation
Au moment où cet ouvrage est mis sous presse, des modifications des modalités de
recrutement des psychologues scolaires sont à l'étude. Le site du ministère de
l'Éducation nationale (http://www.education.gouv.fr/) ou celui de l'Association fran-
çaise des psychologues scolaires (http://www.afps.info/) sont en mesure d'informer le
lecteur, le cas échéant, sur ces éventuelles modifications.
1 / Le recrutement
Depuis la création du Diplôme d'état de psychologie scolaire, en 1989, les conditions
nécessaires pour intégrer la formation sont triples :
— être instituteur ou professeur des écoles titulaire ;
— justifier de la licence de psychologie avant la date d'entrée en formation' ;
— avoir effectué avant l'entrée dans le cycle de formation trois années de services
effectifs d'enseignement dans une classe.
1. 11 est à noter qu'à l'entrée en formation préparant au DEPS, les stagiaires ont souvent un diplôme plus
élevé que la licence de psychologie et qu'après leur formation initiale beaucoup, une majorité, poursuit un
cursus universitaire de 3' cyde.
468 I Les professions
2/La formation
Elle a une durée d'une année pendant laquelle le futur psychologue scolaire est en
stage tout en conservant son salaire de fonctionnaire. Il s'agit d'une formation dense
qui comporte un volume important de cours théoriques, de travaux dirigés et la réalisa-
tion d'un mémoire d'étude et de recherche. Un stage d'une journée par semaine
et d'un mois entier auprès d'un psychologue scolaire maître de stage complète la
formation.
Celle-ci prend des couleurs différentes selon les centres de formation et les options
des universités qui les accueillent. Ici, la formation met plus l'accent sur la psychologie
des apprentissages, là les approches sont mixtes, ailleurs elle s'appuie plus sur la
clinique.
c. Le statut
Depuis cinquante ans, les psychologues scolaires ont presque toujours eu des
inquiétudes quant à la pérennité de leur fonction. Trois raisons principales participent à
cette incertitude : le « traumatisme » issu de l'abandon de la psychologie scolaire
1. Listes départementales des personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue et des professions
réglementées par le Code de la santé publique, de la famille et de l'aide sociale.
470 I Les professions
en 1954, l'absence de statut qui, réellement, les protège d'un « retour » dans les classes
et la formation professionnelle initiale qui semble insuffisante (le DEPS est obtenu en un
an après la licence) et quelquefois les disqualifie auprès de leurs collègues libéraux ou
de la Santé.
Si ces restrictions sont bien réelles, les psychologues scolaires ont cependant su, au
fil des ans, imposer leur présence et la rendre indispensable au sein du système éducatif
français. Leurs compétences et leurs missions leur ont conféré une légitimité et une
reconnaissance sans réserve de l'institution mais aussi des différents partenaires et des
familles.
Dans un monde où l'enfant est précieux, placé au centre du système éducatif,
l'école ne peut se passer des psychologues scolaires. À ceux-ci de défendre leur spécifi-
cité, à savoir celle d'un psychologue clinicien, spécialiste de l'enfance, ayant par ailleurs
une compréhension fine de la relation pédagogique et des situations scolaires
complexes.
LECTURE CONSEILLÉE
Une bonne partie des étudiants en psychologie qui se spécialisent dès l'abord dans
le champ de l'enfance ont, d'une façon ou d'une autre, sur un mode explicite ou impli-
cite, conscient ou inconscient, un intérêt pour les aspects psycho-pathologiques du
développement.
S'il en était autrement, en effet, ils ne choisiraient pas d'emblée la voie de la psy-
chologie (étant donné la représentation qu'on s'en fait habituellement, surtout sur les
bancs du lycée) mais passeraient d'abord par celle de l'éducation, de l'orientation sco-
laire ou de l'enseignement : nombre de psychologues connus dans le champ des recher-
ches sur le développement ont, par exemple, commencé leur carrière en exerçant quel-
ques années comme professeurs des écoles (ce qu'on appelait, naguère, instituteurs).
Ils se sont ensuite découverts une vocation pour la psychologie : leur but était de
mieux comprendre la population avec laquelle ils travaillaient et les processus mentaux
auxquels se trouvaient confrontés tant les apprenants que les enseignants.
Ceux ou celles qui, au sortir du baccalauréat (ou, comme c'est fréquent, à la suite
du début peu satisfaisant d'une carrière dans un champ autre que le développement ou
Les professions de la psychologie de l'enfance I 471
1. L'étude porte particulièrement sur les psychologues formés dans le cadre de l'Université de Paris X - Nan-
terre mais ses résultats sont certainement généralisables. Consulter aussi — pour l'ensemble des DESS de la
même université — Colette et Lelard (2000).
472 I Les professions
Il est vrai qu'une deuxième enquête, selon le bilan interne effectué par Fontaine
(2004) un des deux auteurs précédent, portant sur 14 promotions de diplômés — DESS —
dans le domaine de l'enfance, est nettement plus encourageante. Au total 99 % des
emplois occupés se trouvent en rapport avec la psychologie, et parmi ceux-ci, sur
290 emplois (soit 53 % des diplômés), ils travaillent dans les « secteurs attendus »,
c'est-à-dire des organisations relevant d'instances de soins (voir plus bas) auxquelles on
peut ajouter le secteur social et éducatif (24 o/). Beaucoup correspondent au profil clas-
sique de « psychologue clinicien », surtout pour les promotions récentes.
ENCADRÉ 12.1
D'après les derniers recensements, il existe en France une trentaine de Masters 2 préparant les
étudiants en psychologie à travailler dans le domaine de l'enfance. Ils se présentent sous diffé-
rents titres et peuvent adopter des orientations théoriques ou pratiques variées : de la psycha-
nalyse à la neuropsychologie, de la clinique à la recherche.
Ces spécialisations sont réparties dans l'ensemble de l'Hexagone et ont des capacités
d'accueil pour environ 1 000 étudiants, ce qui, compte tenu du nombre des postes de travail
disponibles à la sortie, semble tout à fait exagéré. La concurrence sera donc rude et les étu-
diants devront, à cette occasion aussi, bien cibler leurs choix et leurs orientations.
(Renseignements fournis par la Fédération française des psychologues et de la psycho-
logie — FFPP — et Benoît Schneider, Université de Nancy 2, président de l'Association des ensei-
gnants de psychologie des universités. Nous adressons nos plus vifs remerciements à ces col-
lègues.)
Cette enquête offre peut-être un début d'indice, semblant en faveur d'un certain
retour dans les consciences de pans importants concernant l'histoire générale de la psy-
chologie et de la psychologie de l'enfant, en particulier. C'est, en effet, justement dans
le terrain des troubles de l'adaptation observables chez les enfants, comme des caracté-
ristiques de leur croissance intellectuelle et de leur personnalité, qu'ont oeuvré trois
grands psychologues français mondialement connus, à savoir Alfred Binet (voir, par
exemple 1911), au début du siècle, Henri Wallon (voir, par exemple, 1942), ensuite et,
enfin, son continuateur, René Zazzo (voir, par exemple, 1999).
Tout en poursuivant leurs travaux fondamentaux, tous les trois ont recherché à
s'implanter solidement dans les institutions de soins : hôpital de Perray-Vaucluse, dans
la région parisienne pour Binet' (par l'entremise de son collaborateur, le Dr Théodore
Simon), consultations de 1'1mm, rue Gay-Lussac, à Paris (Laboratoire de psycho-
biologie), pour Wallon qui a formé des générations d'étudiants à l'observation clinique
des enfants perturbés, Hôpital Henri-Rousselle (dans l'hôpital Sainte-Anne, Paris) pour
Zazzo. Ce dernier a maintenu, pendant des décennies, son enseignement sur deux
fronts : les amphithéâtres de l'Université et les salles réservées à l'examen psychologique
1. Ironie du sort : un célèbre centre de consultations et de thérapies, très peu inspiré, dans les faits, par
l'ceuvre d'Alfred Binet, porte pourtant son nom.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 473
Pour pouvoir aborder de la façon la plus ouverte et la plus large possible l'étude
de l'enfant « en difficultés », et pris en charge pour ces raisons par une institution de
santé, il nous semble indiqué de dresser d'abord une esquisse générale de ce « sujet de
soins ». C'est à partir de cet ensemble qu'on reprendra sous forme synthétique les lignes
directrices inspirant les nouvelles maquettes de formation proposées à un étudiant (une
étudiante) désirant travailler dans ce champ.
1. Nous ne mentionnerons pas ici l'immense figure de Jean Piaget qui, quoique francophone, n'était pas
Français, puisque Suisse. N'oublions pas, cependant, son rôle central dans l'étude du développement de
l'enfant et la richesse de ses apports (voir Houdé et Meljac, 2000). À ceux qui objecteraient son peu
d'intérêt pour la pathologie, on pourrait répliquer que sa distance envers les troubles mentaux était parfois
feinte et qu'en tout cas ses premières observations sur la non-conservation des invariants ont été effectuées
dans le cadre de... l'hôpital de la Salpêtrière, à Paris. On lira sur ce point Vidal (1994) ainsi que Houdé et
Meljac (2000).
474 I Les professions
b. Connaissances indispensables
Les nombreux stages dont ils auront pu bénéficier leur auront procuré des occa-
sions de travail personnel mais contrôlé et leur auront fourni une expertise reconnue,
Les professions de la psychologie de l'enfance I 475
sanctionnée par un diplôme les désignant comme des professionnels à part entière, en
mesure d'assumer d'importantes responsabilités.
Centrées sur les différents obstacles que rencontrera éventuellement un sujet en
développement, dont les écarts avec la « norme » de référence sont susceptibles de
variations plus ou moins importantes, dotées de caractéristiques propres, de telles prati-
ques reposent sur des synthèses personnelles acquises au fil de pratiques raisonnées. La
solide formation de base des psychologues de l'enfance devra, d'ailleurs, se poursuivre
tout au long de l'exercice professionnel. Dans le domaine de la santé de l'enfant, diffé-
rents organismes, dépendant ou non directement de l'Université, ont mis au point des
programmes variés, selon l'âge, le niveau, et le tableau psychopathologique présenté
par la population avec laquelle travaille le psychologue. Elles prennent aussi en compte,
évidemment, ses modalités d'intervention.
Les employeurs consentent souvent à financer ces formations continues mais ce
n'est pas toujours le cas et les psychologues doivent se préparer à assumer des frais per-
sonnels.
Étant donné la grande mobilité des lieux d'intervention, leur polyvalence (sou-
haitée ou subie), le flou qui règne parfois dans leurs définitions et leurs rôles, nous
offrons ici un survol général des principales institutions (plus ou moins rattachées au
secteur santé) susceptibles d'employer des psychologues.
Il se pratique dans diverses institutions de l'enfance dont les missions sont à la fois
sociales et thérapeutiques, de telle sorte qu'il devient difficile de distinguer entre ces
deux aspects, d'autant plus qu'ils dépendent du contexte et des inflexions particulières
des tâches assignées à tel ou tel établissement, relayées par la direction et le projet
qu'elle porte. Il peut s'agir de structures dépendant de la Direction de l'Action sanitaire
et sociale (DAss), Direction départementale de l'action sanitaire et sociale (DDASS), Aide
Sociale à l'Enfance (ASE, assurant souvent un travail social et médical), Protection judi-
ciaire de la jeunesse (p11). On peut ajouter à cette liste les Instituts médico-
pédagogiques (IMP), médico-éducatifs (B4E), et médico-professionnels (imPro), les Unités
de prévention et d'action sociale (uPA) accueillant des enfants présentant diverses patho-
logies rendant leur scolarisation (et leur formation professionnelle) particulièrement dif-
ficile. Des CAT (Centres d'aide par le travail) reçoivent certains d'entre eux lorsqu'ils
sont plus âgés.
Dans ces établissements, le « plateau technique » ne comporte pas obligatoirement
de psychologues', mais de tels besoins se font toutefois souvent sentir. Il peut alors s'agir
de postes à mi-temps ou même moins.
1. En effet, l'exercice de la psychologie ne fait pas à proprement parler partie du domaine professionnel de la
santé, comme l'analyse, avec beaucoup de subtilité juridique, Durmarque (2006).
476 I Les professions
1. Ce secteur demeure très insuffisamment investi par les psychologues. On ne peut que le déplorer alors
qu'il devrait offrir une multitude de possibilités. Ainsi, les remédiations dans le domaine logico-
mathématique, inconnues de la plupart des psychologues, correspondent bien à leur formation initiale
(à enrichir, bien évidemment), plus, en tout cas, qu'à celle d'autres professionnels. Ces derniers ne
s'emparent de ce « créneau » que parce qu'il se trouve déserté par ceux qui auraient les qualifications
pour défricher un terrain encore relativement vierge.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 477
gues : il s'agit d'un problème très délicat impossible à traiter dans le cadre de ce cha-
pitre. Précisons cependant :
que la formation des psychothérapeutes fait actuellement l'objet de très vives discus-
sions à l'échelon parlementaire ;
que l'Université n'enseigne pas, à proprement parler, les techniques psychothérapi-
ques. Elles font l'objet de formations complémentaires ;
que le travail des psychologues se confond, hélas, dans nombre d'institutions avec
celui de thérapeutes à plein temps. Ce « glissement » s'effectue aux dépens
d'activités nombreuses et variées qui ne sont, alors, plus assurées.
les praticiens se trouvent alors entraînés dans une série de compromissions et peu-
vent même, dans certains cas, trahir l'éthique de leur profession ;
l'organisation d'un cabinet entraîne de très nombreux frais (achat du matériel indis-
pensable, cotisations sociales, etc.) cependant que les consultants ne sont pas rem-
boursés par la Sécurité Sociale, d'où d'immenses problèmes financiers ;
certaines erreurs parfois commises ne contribuent pas à renforcer l'image de la pro-
fession auprès des autres praticiens dans le domaine de la santé.
a. Tâches fréquentes
c. Activités rares
Les psychologues de l'enfance étudiés dans l'article cité (rappelons qu'il s'agissait
du DESS de Paris X - Nanterre mais que les résultats exposés sont, sans doute, en
grande partie, généralisables) se sentent particulièrement bien formés pour les activités
suivantes :
observation ;
passation de tests psychométriques (hors projectifs) ;
rédaction de comptes rendus ;
recherche de documentation ;
entretiens individuels enfants ;
analyse des dysfonctionnements de l'institution ;
soutien psychologique.
ENCADRÉ 12.2
Ceindra est née en Guadeloupe où elle a fait toutes ses études. Elle a obtenu un baccalauréat
littéraire en 1995.
En septembre 1995, elle traverse l'Atlantique et s'inscrit à Nantes (Faculté des sciences
humaines, département de psychologie). Elle suit l'ensemble du cursus dans cette Université,
du DEUG jusqu'au DESS de psychologie du développement (en 20021. Elle vient alors à Paris,
dans le cadre de ce DESS, faire un stage à plein temps pendant la moitié de l'année universi-
taire. Elle est acceptée comme psychologue stagiaire dans un centre référent travaillant sur les
difficultés d'apprentissages. Cette orientation lui convient : elle a, en même temps que pour la
psychologie, manifesté des intérêts pour l'orthophonie.
Dès 2003, jeune diplômée, elle est à la recherche d'un emploi qu'elle ne trouve pas
d'emblée. Elle décide alors de prolonger son stage dans le centre référent et se perfectionne
dans différentes techniques. Elle approfondit, en particulier, sa pratique des remédiations en
lecture et se spécialise dans la passation de différents outils d'évaluation (K. ABC, WISC, UDN 2).
En novembre 2004, elle retourne en Guadeloupe où on lui propose rapidement de tra-
vailler (2 mi-temps), en tant que psychologue, dans le cadre de l'APISEG ( Association pour la
prévention et l'insertion socio-éducative de la Guadeloupe). Elle rejoint l'équipe dirigeant un
internat pour garçons âgés de 9 à 14 ans.
Ses tâches sont les suivantes : évaluation psychologique (passation de divers tests
cognitifs et cliniques), entretiens psychologiques, remédiations en lecture, participation aux
réunions d'équipe, rédaction de rapports pour le juge des enfants.
Elle travaille en principe 35 heures par semaine - en fait, plus, car elle rédige souvent des
dossiers chez elle. Elle a, toutefois, obtenu le « temps FIR » (tiers de temps, propre aux psycho-
480 I Les professions
logues, prévu pour la formation, l'information et la recherche). C'est une organisation dont
elle a absolument besoin, car elle est souvent confrontée à des cas dont elle n'a pas entendu
parler dans le cadre de ses études (par exemple : enfants « abusés »). Sur ces points elle a
absolument besoin de se documenter et de se former.
Dans l'ensemble, elle considère que c'est elle qui, avec l'accord de sa direction, a défini
son poste de travail. Avant son arrivée, la plupart des fonctions qu'elle exerce n'existaient sim-
plement pas. Les responsables n'avaient entendu parler que de « clinique », et dans un sens
extrêmement vague. L'examen psychologique n'existait pas, non plus que les remédiations et
toute l'activité qui s'y rattache. Son souci principal, actuellement, est d'obtenir les instruments
de travail dont elle a besoin.
Hélas, elle aura sûrement à recommencer des démarches de recherche d'emploi. En
effet, Ceindra se marie prochainement : elle aura à traverser l'Atlantique encore une fois et
devra se mettre en quête d'un nouveau travail dans l'Hexagone. Elle s'estime, toutefois, beau-
coup mieux préparée que lors de ses essais précédents et pourra faire état de sa réussite dans
son poste actuel.
Son salaire est présentement d'environ 2000 € par mois.
Dans la fonction publique, elle aurait été embauchée à l'indice 348 (environ 1 500 C),
avec une progression rapide et régulière, tout au moins au début, à condition de ne pas hésiter
à faire le siège de l'Administration qui a une certaine tendance à « oublier » les psychologues,
auxquels elle n'est pas vraiment accoutumée'.
1. Un petit exemple comique, parmi d'autres. Pendant longtemps, malgré ses réclamations, une psy-
chologue a été payée non pas d'après l'indice auquel son poste se rattachait, mais selon le numéro de son
arrêté de nomination. L'administration avait confondu les deux, au désavantage, bien sûr, de la psychologue,
i mpuissante, qui a mis des mois à comprendre la situation. Il est vrai qu'elle était la seule de son espèce dans
l'établissement... Pour finir, au moment du calcul des sommes que l'institution se trouvait encore à lui
devoir, la responsable des relations humaines l'a félicitée pour les économies qu'elle avait ainsi pu faire...
sans l'avoir voulu.
VII - En conclusion
Ceux qui désireraient, malgré tout, se lancer dans l'aventure auront donc tout
intérêt :
— à s'interroger sur le « sérieux » de leur vocation ;
— à ne pas trop appréhender des années forcément difficiles et précaires ;
à ne pas négliger les occasions de formations complémentaires parfois très prenan-
tes ;
— à participer à des travaux de groupe donnant lieu à d'éventuelles publications (point
important, pris en considération lors des sélections ou des concours, nous l'avons
déjà dit) ;
— à ne jamais rompre le contact avec leurs milieux de travail antérieurs, leurs profes-
seurs, leurs lieux de stage : c'est par leur intermédiaire qu'ils auront des informa-
tions propres à les orienter sur des offres d'emploi ;
et enfin, conseil peut-être le plus important, les psychologues qui font partie d'une
profession jeune, dont le champ d'action demeure encore aujourd'hui très mal
connu, auront toujours intérêt à jouer un rôle actif, en prenant des initiatives (bien
préparées), quels que soient le domaine et l'endroit où ils travaillent.
L'orientation professionnelle des jeunes est un thème de réflexion très ancien. Ce n'est
cependant qu'à la fin du xixe siècle que l'on commence à penser que cette orientation
devrait être organisée. On prend alors conscience que l'industrialisation a pour consé-
quence une plus grande division du travail et une augmentation de la mobilité profes-
sionnelle et que, de ce fait, les mécanismes habituels de l'orientation qui conduisent le
jeune à choisir le métier de son père ou un métier présent dans son entourage immé-
diat, sont souvent défaillants. C'est à partir de ces préoccupations économiques, aux-
quelles viennent souvent s'ajouter des intentions philanthropiques, que sont créées dans
les pays développés, à la veille de la première guerre mondiale, les premières institu-
tions d'orientation (centres, offices, bureaux...).
Au lendemain de la guerre, dans le cadre de l'effort de reconstruction qui suppose,
notamment, un développement de la formation professionnelle, ces institutions vont se
multiplier. En France, elles seront mises sous la tutelle du ministère de l'Éducation
nationale. Les premiers conseillers d'orientation professionnelle sont souvent issus des
services municipaux de placement. Leur fonction principale est l'orientation des élèves
arrivés en fin de scolarité primaire vers un apprentissage conduisant à des métiers
d'ouvriers ou d'employés. Progressivement, les conseillers se professionnalisent (en 1938
une formation à dominante psychologique est obligatoire) et fondent leurs interventions
sur les données et les techniques de la psychologie différentielle (voir chap. 7). En 1950,
on compte environ 400 conseillers d'orientation professionnelle (ils représentent alors
les deux tiers de l'effectif des psychologues).
Au fil du temps ce service public d'orientation va s'étoffer et ses missions vont être
redéfmies. Dans les années qui suivent la seconde guerre mondiale, la scolarisation se
développe. La scolarité obligatoire passe à 16 ans (1959). On créé les collèges, d'abord
avec trois filières (1963), puis le collège unique (1975). Dans ces conditions, l'activité des
conseillers se déplace, d'abord vers la fin du cours moyen qui devient un palier
484 I Les professions
d'orientation, puis vers les élèves scolarisés dans le premier cycle secondaire. L'orien-
tation professionnelle devient « scolaire et professionnelle » et les conseillers d'orientation
professionnelle deviennent des « conseillers d'orientation scolaire et professionnelle »
(en 1961), puis des « conseillers d'orientation » (en 1972) ; depuis 1991, ils sont « conseil-
lers d'orientation-psychologues ». Les centres d'orientation professionnelle sont devenus
des « Centres d'information et d'orientation » (cm). À ce changement de publics a cor-
respondu un changement dans les pratiques : aux examens psychologiques ponctuels
s'est substituée une aide à la préparation des choix qui se veut éducative et continue.
nelle des Missions locales et des PAIO, des psychologues du travail de l'AFPA, des conseil-
lers professionnels des CIBC. Nous évoquerons aussi les conseillers à l'emploi de l'ANPE.
La multiplication des institutions a conduit à inciter les conseillers à travailler en réseau
et à créer des lieux où ils sont présents conjointement et où ils collaborent : maisons de
l'information sur la formation et l'emploi dont la Cité des métiers, à Paris, est un proto-
type, espaces accueil-orientation, maisons de l'orientation et de l'insertion, point-relais
pour la validation des acquis de l'expérience...
Pour chaque groupe de conseillers nous préciserons le contexte institutionnel dans
lequel ils exercent leur activité et les missions qui leurs sont confiées. Nous fournirons
quelques éléments descriptifs de leur activité. Enfin, nous donnerons quelques informa-
tions sur leur statut et sur les modalités de leur formation et de leur recrutement.
L'exposé des méthodes utilisées par les conseillers sort du cadre de ce chapitre.
Parmi elles, certaines sont utilisées par tous les conseillers : l'entretien d'orientation (enca-
dré 13.1), les questionnaires d'intérêts professionnels (encadré 13.2), les méthodes
d'information. Certaines méthodes sont utilisées préférentiellement avec certains publics :
les méthodes d'analyse des compétences, par exemple, avec l'usage de référentiels, sont
plus pertinentes chez des adultes à la recherche d'emploi, du fait de la diversité de leurs
expériences et de leurs besoins au moment du bilan, que chez les adolescents scolarisés.
L'usage des tests est le plus utile lorsque l'entrée en formation est proche et qu'il faut esti-
mer les chances d'une bonne adaptation, il l'est moins lorsque l'insertion est lointaine.
Les missions des CO-P sont nombreuses, diverses et non hiérarchisées. Voici com-
ment un rapport de l'Inspection générale du ministère de l'Éducation nationale (2005)
présente les principales (car il y en a beaucoup d'autres, on demande aussi aux CO-P,
par exemple, de faciliter la réussite scolaire des élèves) :
* « Répondre aux besoins de la population du district considéré dans son
ensemble : accueillir tout public (...) et intervenir de façon particulière au profit :
— « des élèves de classes au niveau desquelles s'effectuent des choix scolaires ou pro-
fessionnels (...) ;
« des élèves susceptibles de sortir de l'appareil éducatif sans formation profession-
nelle (...) ;
« des jeunes adultes en quête de moyens de reconversion, de perfectionnement ou
de promotion professionnels ;
« des publics scolaires à besoins spécifiques ;
«* Informer sur les études, les formations professionnelles, les qualifications et les
professions, avec pour objet (...) de favoriser, à plus ou moins long terme, l'insertion
sociale et professionnelle du jeune.
«* Écouter et conseiller, en entretien individuel, la personne, afin de l'aider à
mieux se connaître, à retenir les informations utiles, à organiser les éléments du choix.
«* Observer et analyser les transformations du système éducatif et les évolutions
du marché du travail et produire des documents de synthèse à destination des équipes
éducatives et des élèves.
«* Animer des échanges et des réflexions entre les partenaires du système éducatif,
les parents, les jeunes, les décideurs locaux et les responsables économiques. »
Les CO-P partagent leur temps de travail entre le cio où ils tiennent des perma-
nences et des établissements scolaires (un peu moins de 50 % du temps est passé
au CIO). Comme il y a en moyenne un CO-P pour 1 500 élèves chaque conseiller a en
charge deux ou trois établissements. Le conseiller intervient plus fréquemment au
niveau des paliers d'orientation : en troisième d'abord, en terminale ensuite, puis en
seconde. Il est davantage présent dans les collèges et dans les lycées d'enseignement
général et technologique que dans les lycées professionnels.
Une enquête conduite en 2004-2005 par l'Association des conseillers d'orientation-
psychologues de France et l'Institut national d'étude de travail et d'orientation profes-
sionnelle (INET0P) apporte des informations sur les pratiques des CO-P. Voici comment
se répartit leur temps de travail auprès des jeunes :
Entretien sans instrumentation : 48
Entretien avec instrumentation : 13 'Vo
Examen psychologique : 9 0/0
Accompagnement documentaire : 10
Séances d'information collective : 13 %
Ateliers en petits groupes : 8%
Le CO-P participe aux conseils de classe et à diverses commissions et il est le
conseiller technique du chef d'établissement pour tout ce qui concerne l'orientation.
Les CO-P sont des fonctionnaires de l'état (en 2004-2005, la proportion des non
titulaires était de l'ordre de 3 %). Ils sont recrutés par concours parmi les titulaires
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 487
d'une licence de psychologie (un concours interne est réservé aux fonctionnaires et aux
personnels non titulaires des cio ayant au moins trois ans d'ancienneté). Les concours
comportent deux épreuves écrites d'admissibilité (psychologie et questions relatives à
l'orientation, au travail et à l'emploi) et deux épreuves orales (questions d'éducation et
de formation, entretien avec le jury sur les études et les expériences du candidat). Les
admis sont fonctionnaires stagiaires et reçoivent une formation de deux ans à l'INETOP
à Paris ou dans des centres universitaires agréés (en 2005-2006: Aix-Marseille I,
Lille III et Rennes II). À l'issue de ces deux ans ils passent le Diplôme d'état de conseil-
ler d'orientation - psychologue qui est l'équivalent d'un master de psychologie et leur
permet (depuis 1991) de bénéficier du titre de psychologue. L'obtention de ce diplôme
vaut titularisation.
Il existe dans chaque université, placée sous l'autorité de son président, une cellule
d'information et d'orientation (Service commun universitaire d'information et
d'orientation — sccio). Elle s'adresse aux futurs bacheliers et aux étudiants tout au long
de leur cursus pour les informer et leur fournir une assistance pour la construction de
leurs projets d'études, professionnel et d'insertion. On trouve dans chaque cellule des
documentalistes, des conseillers en formation et des conseillers d'orientation -
psychologues. Ces derniers, le plus souvent, exercent aussi une part de leur activité
en cm.
ENCADRÉ 13.1
L'entretien d'orientation
Les entretiens d'orientation sont toujours centrés sur des choix d'études, de carrières ou
d'emploi. Ils sont toujours semi-directifs. Ils se distinguent des entretiens centrés sur la
connaissance de soi ( « existentiels ») qui sont généralement non directifs. Il y a cependant
des rapports étroits entre les deux types d'entretiens dans la mesure où la réflexion sur soi
évoque nécessairement des questions relatives à l'orientation, dans la mesure également où
la réflexion sur son orientation passe également nécessairement par une réflexion sur soi.
On considère que le consultant a un problème à résoudre et les étapes de l'entretien cor-
respondront aux étapes de sa résolution, résolution souvent partielle et provisoire, surtout
lorsqu'il s'agit d'un premier entretien. En général on considère trois étapes :
1/ L'identification du problème. Au cours de cette étape, on définit une « alliance de travail » :
un accord est établi, dans un climat de confiance, entre le consultant et le conseiller sur les
buts à atteindre et les moyens les plus adaptés pour y parvenir. Le consultant doit expliciter
les raisons qui l'on conduit à demander ou à accepter un entretien. Le rôle du conseiller
consiste à faciliter cette explicitation. Il doit avoir une attitude ouverte, faire preuve
d'empathie et se garder de toute interprétation.
2 / La clarification du problème. Le problème étant posé, il s'agit maintenant de l'analyser. La
clarification porte sur le vécu du consultant : comment ressent-il affectivement son pro-
blème, comment le situe-t-il dans les différents contextes où il interagit ? La clarification
porte aussi sur les ressources que le consultant peut mobiliser : ressources personnelles
(savoirs, compétences, traits de personnalité...) et ressources environnementales (famille,
amis...). Enfin, la clarification porte aussi sur les valeurs et croyances en rapport avec le
problème.
3 / L'établissement d'objectifs. Au cours de cette dernière étape le conseiller aide le consultant
à définir des objectifs réalistes, et les moyens de les atteindre, qui permettront de progres-
ser dans la résolution du problème posé.
488 I Les professions
Les conseillers en insertion professionnelle des Missions locales sont parfois appelés
conseillers en insertion professionnelle et sociale, correspondants, conseillers-référents,
conseillers professionnels... La convention collective de 2002, qui précise leurs condi-
tions d'emploi distingue les chargés d'accueil, les conseillers, les conseillers chargés de
projet, les chargés d'animation, les chargés de documentation et les chargés
d'information et de communication.
La double mission des Missions locales et des PAIO est présentée dans le texte sui-
vant qui est extrait du « Protocole 2000 des Missions locales » (établi entre l'état,
l'Association des régions de France et le Conseil national des missions locales) :
« 1 / Construire et accompagner le parcours d'insertion des jeunes. Elles ont pour
objet d'aider les jeunes à résoudre l'ensemble des problèmes que pose leur insertion
professionnelle et sociale en assurant des fonctions d'accueil, d'information,
d'orientation et d'accompagnement. Fondée sur une démarche qui fait appel à la res-
ponsabilisation et à la participation des jeunes, leur fonction prioritaire consiste en un
accompagnement personnalisé de ceux qui rencontrent des difficultés importantes, jus-
qu'à leur accès à l'autonomie professionnelle et sociale.
« Elles contribuent aussi à la mise en œuvre des politiques d'insertion initiées par
l'état, les régions et les autres collectivités territoriales : programme de lutte contre les
exclusions, programmes régionaux de formation professionnelle continue et d'appren-
tissage, programmes de développement de l'emploi et politique de la ville.
« 2 / Développer le partenariat local au service des jeunes en difficulté d'insertion.
Elles apportent leur concours à l'évolution de l'offre de services pour l'insertion profes-
sionnelle et sociale à partir de leur travail d'analyse de la demande et des besoins des
jeunes et de leur fonction d'accompagnement des parcours individualisés.
« Elles mènent des actions en faveur des jeunes des quartiers prioritaires de la poli-
tique de la ville en lien avec les équipes des contrats de ville. »
Le jeune qui prend contact avec une Mission locale peut être seulement à la
recherche d'une information. Mais dans la grande majorité des cas la demande va au-
delà. En 2004, neuf jeunes sur 10 reçus dans les Missions locales ont bénéficié au moins
d'un entretien ou d'un atelier collectif. On commence à analyser la demande du jeune.
On l'aide ensuite à élaborer un projet de formation ou d'insertion. Il est soutenu dans
sa recherche d'emploi (bilan des atouts, connaissance de l'entreprise, analyse des offres
d'emploi, aide à la rédaction de cv...) et il peut bénéficier d'un suivi lors de sa période
d'intégration à une entreprise. Un certain nombre de prestations sont proposées : infor-
mation en libre accès ou accompagnée (individuellement ou en groupe), modules col-
lectifs de première orientation (série d'exercices et de mises en situation, avec des entre-
tiens et des discussions de groupe, destinés à faciliter l'émergence de projets)... Les
Missions locales sont également mobilisées pour les différents plans d'aide à l'emploi
des jeunes qui en sont le plus éloignés, notamment pour le programme « Trajet d'accès
à l'emploi » (TRACE). Ce programme, mis en place en application de la loi de lutte
contre les exclusions de 1998, consiste en un « accompagnement individualisé » et un
« parcours de formation individualisé » pouvant aller jusqu'à dix-huit mois. Il com-
prend des actions de bilan, de dynamisation, de mise en situation professionnelle et de
formation visant l'acquisition des connaissances de base ou une qualification
professionnelle.
490 I Les professions
Créée en 1945 (on parlait alors des centres de FPA), L'Association nationale pour la
formation des adultes (AFPA) est le premier organisme de formation qualifiante en
Europe pour les demandeurs d'emploi et les salariés. Placée sous la tutelle du ministère
chargé du travail et de l'emploi, sa gestion est tripartite : dans ses instances de consulta-
tion et de décision siègent des représentants des services publics, des organisations syn-
dicales de salariés et des organisations d'employeurs. Sur ses 265 sites, elle employait,
en 2004, 12 000 salariés parmi lesquels 800 psychologues du travail. Cette même
année 2004 elle a formé, dans ses 340 formations qualifiantes, 255 000 personnes
et 271 000 ont bénéficié d'une aide à l'orientation. Ses services ne s'adressent pas seule-
ment aux particuliers, mais aussi aux entreprises (orientation, formation, validation,
ingénierie pédagogique), aux collectivités locales et à tous les organismes concernés par
l'emploi. L'AFPA et l'ANPE collaborent étroitement au sein du Service public de l'emploi.
Les psychologues du travail sont répartis dans 175 « services d'orientation profes-
sionnelle ».
Les psychologues du travail de l'AFPA étaient chargés autrefois de la sélection des
stagiaires. Leur fonction a évolué et ils sont maintenant des conseillers d'orientation.
Leur activité principale est l'aide à l'élaboration de parcours de formation devant facili-
ter le retour à l'emploi. Ils reçoivent en entretien les candidats à une formation (généra-
lement envoyés par l'ANPE), veillent à développer leur implication, évaluent leurs chan-
ces de réussite dans les formations et précisent les conditions de cette réussite. Ils
utilisent des épreuves psychométriques. Les candidats peuvent être orientés vers des for-
mations AFPA ou des formations extérieures. Ce type d'intervention représente envi-
ron 80 % de leur activité (en 2005).
Ils participent aussi au reclassement professionnel des travailleurs handicapés, réa-
lisent des bilans de compétences, assurent un suivi pédagogique des stagiaires en forma-
tion. Il leur arrive aussi d'aider à des projets de reconversion, à la constitution des dos-
siers de validation des acquis de l'expérience et d'accompagner dans l'emploi les
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 491
ENCADRÉ 13.2
Souvent informatisés, ils sont construits à partir des règles de la méthodologie psychomé-
trique. Les questions posées portent sur des préférences pour des activités de loisirs, des
matières scolaires, des personnages historiques, des activités décrites par des verbes ou
directement sur des noms de métiers. L'analyse des covariations entre réponses permet de
mettre en évidence de grandes dimensions d'intérêts qui indiquent, pour chaque individu, les
forces d'attrait respectives de grands secteurs d'activités professionnelles (voir chap. 10). La
typologie la plus utilisée est due à John Holland. Elle permet de construire un profil d'intérêt
en six points. Les intérêts peuvent être réalistes (goût pour les choses concrètes et techni-
ques), investigateur, artistiques, sociaux, « entrepreneuriaux » ou conventionnels (goût pour
l'organisation et le travail de bureau). Cette typologie repose sur une double opposition : per-
sonnes vs choses et idées vs faits. Les questionnaires d'intérêts sont utilisés au cours des
entretiens d'orientation et des bilans comme outils d'aide à la connaissance de soi. Les inté-
rêts ne se stabilisent que vers la fin de l'adolescence et la liaison entre la force de l'intérêt pour
un domaine et l'efficience dans ce domaine est faible.
Les premiers centres de bilan ont été mis en place en 1986 par le ministère chargé
du travail et de l'emploi. Les Centres interinstitutionnels de bilan de compétences (CIBC)
ont été généralisés en 1991, en même temps qu'était promulguée une loi sur le droit au
bilan. Chaque salarié, s'il a au moins cinq années d'ancienneté, dont une dans
l'entreprise, peut bénéficier d'un bilan d'une durée maximale de 24 heures. Il dispose
pour cela d'un congé et le financement est assuré par des organismes paritaires. La créa-
tion des centres de bilan fait partie de l'ensemble des politiques visant à faciliter la mobi-
lité de la main-d'œuvre et à améliorer sa qualification. Par la suite, le droit au bilan sera
étendu à d'autres catégories de personnes, les demandeurs d'emploi notamment.
On peut entreprendre volontairement une démarche de bilan pour diverses rai-
sons : évoluer dans son entreprise, préparer une reconversion, élaborer un projet de for-
mation ou un projet d'évolution professionnelle, préparer une validation des acquis de
l'expérience, reprendre une activité professionnelle après une période d'interruption
plus ou moins longue, découvrir ses atouts et potentialités. À l'origine d'une demande
de bilan par un salarié, il y a toujours une insatisfaction professionnelle.
Le plus souvent les CIBC sont organisés sous la forme d'associations (loi de 1901),
comme les Missions locales. Le conseil d'administration des CIBC est constitué de trois
492 I Les professions
Cette forme de bilan concerne d'abord les salariés et c'est à leur initiative que la
procédure de bilan est engagée.
D'autres formes de bilan ont vu le jour. Bien que leur allure générale soit voisine
de ce que nous venons d'indiquer ils s'en distinguent cependant sur plusieurs points : la
finalité n'est plus la même, le volontariat n'est plus la règle, la confidentialité n'est plus
respectée. Certains bilans de compétences sont réalisés dans le cadre du plan de forma-
tion de l'entreprise qui les finance. Ils sont alors des outils de gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences ou de gestion des carrières. Cette forme de bilan est encore
peu fréquente. Les « bilans de compétences approfondis » ont été mis en place dans le
cadre du Plan d'aide au retour à l'emploi (PARE) en 2001. Ils sont réservés aux deman-
deurs d'emploi, sont réalisés à la demande de l'ANPE, sont d'une durée plus brève que
les précédents et ont pour but un retour à l'emploi le plus rapide possible. Ce type de
bilan est de loin celui qui est aujourd'hui le plus pratiqué et il est en progression
rapide. 155 000 ont été réalisés en 2003, alors qu'il n'y a eu que 50 000 bilans à
l'initiative des salariés ou des entreprises.
Les CIBC proposent aux entreprises des prestations autres que les bilans : aide à la
mobilité, évolution de carrière, évaluation préalable à des formations, identification de
potentiel, repérage et valorisation des compétences.
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 493
Créée en 1967, l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) a pris la suite des « Servi-
ces extérieurs du travail et de la main-d'oeuvre » mis en place au lendemain de la
seconde guerre mondiale. La mission de l'ANPE est de recenser les offres d'emploi, ce
qui suppose une prospection active, et de faciliter l'accès à l'emploi des demandeurs
d'emploi. D'autres organismes remplissent la même fonction pour des publics particu-
liers, par exemple l'Association pour l'emploi des cadres (APEc) ou l'Association pour
l'emploi des cadres et des techniciens de l'agriculture (APECITA). Dans ses 1 000 lieux
d'implantation, l'ANPE employait en 2004 2 300 conseillers adjoints à l'emploi,
11 700 conseillers à l'emploi et 7 100 conseillers principaux à l'emploi.
Les prestations d'orientation offertes par l'ANPE sont de trois types :
L'accompagnement. Les actions d'accompagnement, bien structurées, visent à four-
nir une aide personnalisée et continue. Certaines sont relativement légères, « Objec-
tif emploi formation », par exemple, consiste en douze entretiens répartis sur trois
mois ». D'autres sont beaucoup plus lourdes, « Dynamique - formation - insertion »
par exemple s'adresse aux jeunes de 16-25 ans en grande difficulté et, sur plus de
mille heures, se propose de leur faire acquérir les connaissances générales de base et
de les aider à construire un projet d'insertion qui sera validé en entreprise. Les
Bilans de compétences approfondis (voir ci-dessus) sont comptabilisés dans les
actions d'accompagnement.
Les Ateliers. D'une durée d'une demi-journée, les ateliers visent à faire le point sur
les questions diverses que se posent les demandeurs d'emploi : comment identifier
ses atouts, comment rechercher des informations sur un secteur d'activités, com-
ment créer une entreprise, comment préparer un entretien d'embauche, comment
utiliser ses relations...
Les évaluations professionnelles. Elles permettent au demandeur d'emploi de faire
le point sur l'état de ses compétences professionnelles. Il est mis en situation de tra-
vail, dans une situation réelle ou une situation simulée. Son comportement profes-
sionnel et ses résultats sont observés, évalués et comparés à des référentiels
d'emploi. Ces évaluations se déroulent dans des organismes de formation ou en
entreprise.
494 I Les professions
La plupart de ces prestations, surtout celles qui sont lourdes, sont externalisées
et souvent confiées à des organismes privés. Pour l'année 2004, les actions
d'accompagnement ont touché un million de personnes, les ateliers 1,4 million et les
évaluations professionnelles 300 000.
Le statut des conseillers à l'emploi est celui de la fonction publique d'état avec quel-
ques singularités introduites en 2003 (prime à la performance, avancement au mérite,
indices de qualité...). Les recrutements se font sur concours. Le niveau requis est bac à
bac plus deux pour les conseillers adjoints, bac plus trois pour les conseillers. La majorité
des candidats viennent du droit et de la gestion. Parmi eux il y a 10-15 % de diplômés de
psychologie. Il existe aussi des concours fondés sur l'examen de l'expérience profession-
nelle. Les nouveaux recrutés bénéficient d'une formation en alternance.
1. Jean-Marie Lahy qui a étudié dès 1913 le travail des dactylographes note ainsi en 1930: « Tandis que nos
connaissances de la psychophysiologie des gestes volontaires automatisés des dactylographes progressaient,
nous avons recherché quelles étaient les modifications techniques à apporter à la machine à écrire pour
qu'elle soit construite de manière à tenir compte des possibilités psychologiques de ceux qui l'emploient.
Nous avons demandé que le facteur psychologique entrât en ligne de compte dans le calcul des
machines. »
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 495
1 / Méthodes de sélection
L'analyse du travail.
— Dans une démarche de recrutement, le simple bon sens
impose de chercher à établir quelles caractéristiques doivent être évaluées auprès des
candidats avant même de concevoir une procédure de sélection (est-ce toujours le
cas ?). Aussi, dans les pratiques liées à la sélection, doit-on chercher à distinguer, plus
nettement que cela n'est fait habituellement, deux sortes de démarches : la description
de poste ou de fonction et l'analyse du travail. La première relève plus de la gestion des
ressources humaines en entreprise puisqu'elle consiste à établir la liste des tâches, des
responsabilités et des conditions de travail pour un poste. La seconde reflète plus direc-
tement les préoccupations du psychologue. Elle consiste en une analyse systématique de
l'activité liée au poste. L'objectif est de permettre au psychologue de formuler des
hypothèses quant aux caractéristiques qui sous-tendent la performance professionnelle
(critères) pour inférer ensuite les caractéristiques qui doivent être recherchées auprès des
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 497
doit réaliser différentes tâches à partir de plusieurs documents qu'il pourrait trouver
dans son casier à courrier : notes de service, courriers, rapports...), etc. Toutes ces
épreuves reposent cependant sur le même principe. Elles proposent des situations
standardisées plus ou moins complexes, mais réalistes par rapport au poste et qui
sollicitent des comportement ou des compétences reliés à l'activité professionnelle.
ressant est que l'importance relative des différentes techniques varie selon trois caracté-
ristiques des services de recrutement. Tout d'abord, les entreprises nationalisées utilise-
raient relativement moins la graphologie et les autres techniques parapsychologiques,
mais davantage les tests psychologiques classiques ; au contraire, les cabinets-conseils
recourent proportionnellement plus souvent aux techniques irrationnelles. Ensuite, les
très gros services de recrutement utiliseraient plus souvent les tests d'aptitudes et les
épreuves de simulation. Pour finir, les services de recrutement ne comportant que des
psychologues utilisent plus les tests d'aptitudes et moins les techniques parapsychologi-
ques que les services ne comportant aucun psychologue.
Si des différentes techniques d'évaluation n'ont pas la même importance dans la
sélection du personnel en France, il est bien connu qu'elles n'offrent pas non plus les
mêmes garanties de validité'. À titre d'illustration, le tableau 13.1 (d'après Schmidt et
Hunter, 1998) présente la validité des plus couramment utilisées en sélection, par rap-
port à deux sortes de critères : la performance professionnelle et le niveau de réussite
à l'issue d'une formation professionnelle. Or, Bruchon-Schweitzer et Ferrieux (1991)
constataient que « de très bonnes méthodes (...) ne sont employées en France que très
rarement et généralement pas de la façon la plus efficace » (p. 87). Il est fort pro-
bable, hélas, que ce constat soit toujours d'actualité. Et que dire de l'usage de la gra-
phologie dans la sélection ? Qu'il s'agit d'une spécificité française et rappeler qu'un
ouvrage récent concluait qu'elle « n'est pas une science et (qu')il n'y a quasiment pas
de faits avérés en sa faveur » (Huteau, 2004, p. 245). Il est préférable d'insister sur le
décalage existant entre certaines pratiques d'évaluation en sélection et l'état des
connaissances scientifiques en psychologie du travail. Deux exemples illustrent parfai-
tement un tel décalage. La technique de l'entretien « situationnel » est connue des
chercheurs depuis plus de vingt ans et sa supériorité sur l'entretien traditionnel n'est
plus à démontrer. Néanmoins, les consultants en recrutement, y compris psycholo-
gues, continuent à lui préférer une technique d'entretien non standardisée et centrée
sur des caractéristiques personnelles plus ou moins pertinentes pour le recrutement.
Autre exemple, les épreuves de simulation ont été développées dès la seconde guerre
mondiale. Avec les tests d'intelligence générale, les évaluations qu'elles fournissent les
situent parmi les meilleurs prédicteurs de la réussite au travail (tableau 13.1). Or,
dans une enquête portant sur les pratiques liées à la simulation professionnelle, nous
avons récemment constaté que seulement 31 % des entreprises et 11 % des cabinets
consultés déclarent utiliser systématiquement des épreuves de simulation depuis 1990
(Rogard, Caroff, Bouteiller et Mercier, 2001). Si une analyse de poste est effective-
ment réalisée avant la construction de l'épreuve de simulation, elle consiste le plus
souvent en un simple entretien ; des techniques plus systématiques ne sont apparem-
ment pas utilisées. En outre, cette analyse porte indifféremment sur les caractéristiques
du poste ou les compétences requises. Dans de telles conditions, il est permis de dou-
ter que les épreuves de simulation soient réellement développées avec toute la rigueur
méthodologique nécessaire.
1. Pour une présentation de cette notion et des différentes techniques de validation, voir le chapitre consacré
à la méthode des tests.
500 I Les professions
Si l'évaluation des adultes dans la sélection et le recrutement reste l'un des domai-
nes d'application privilégié de la psychologie du travail, l'accroissement des personnes
en difficulté dans leur vie professionnelle a conduit les psychologues à répondre à des
besoins nouveaux. Il en est ainsi de l'intervention des psychologues du travail dans
l'aide à l'insertion professionnelle et la formation des adultes. Il ne s'agit pas, à propre-
ment parler, de préoccupations totalement nouvelles pour eux, mais dans une société
ayant un fort taux de chômage résiduel, elles ont pris une plus grande importance. Les
deux dernières décennies enregistrent ainsi un rééquilibrage dans les types de fonctions
ouvertes aux psychologues du travail.
1 /Insertion professionnelle
S'il fallait à tout prix caractériser le champ de l'insertion professionnelle dans notre
pays, on pourrait à juste tire mettre l'accent sur sa diversité :
diversité des publics visés (allocataires du Revenu Minimum d'Insertion, jeunes avec
ou sans qualification, quinquagénaires sans emploi, personnes handicapées...) ;
diversité des structures (Mission locale pour l'emploi, agences de l'ANPE, Associa-
tions, Centres interinstitutionnels de bilan de compétences (clac)...) qui doivent
coordonner leurs interventions auprès des personnes ;
diversité des intervenants (psychologues, travailleurs sociaux, chargés de mission
économique...) qui travaillent de plus en plus en réseau ;
diversité des démarches et dispositifs mis en oeuvre pour favoriser l'entrée ou le
reclassement dans le monde du travail (Bilans de compétences, bilan de compéten-
ces approfondi de l'ANPE, contrats de qualifications...).
domaine s'accordent à considérer qu'elle couvre tout autant des actions d'insertion
sociale : actions de remise à niveau préalables à un retour à l'emploi, activités substituti-
ves, occupationnelles et « d'assistances ».
De fait, le psychologue doit considérer que l'insertion professionnelle est le résultat
d'un processus qui peut suivre des étapes d'importance et de durée variable selon les
individus. Dès l'évaluation initiale, le bénéficiaire est ainsi invité à prospecter les oppor-
tunités qui s'ouvrent à lui dans une démarche d'introspection rétrospective et prospec-
tive. En témoignent certaines approches théoriques qui intègrent ce caractère dyna-
mique de l'insertion dès la phase d'élaboration d'un projet d'orientation.
ENCADRÉ 13.3
1 /Exploration
La personne doit générer le maximum d'informations nouvelles sur elles-mêmes, inventorier
tous les possibles dans un objectif général de découverte.
2 / Cristallisation
La personne va organiser et interpréter les différents éléments d'information et se forger
une idée générale de son orientation.
3 / Spécification
La personne va retenir un ou plusieurs projets en tenant compte de ce qui est apparu
précédemment comme probable et désirable.
4 / Réalisation
C'est l'étape de passage de l'intention au réel.
1. Sur les bilans de compétences voir le chapitre consacré aux conseillers d'orientation.
502 I Les professions
2/ Formation professionnelle
1. Le Development Center est un processus global fondé en grande partie sur des mises en situation. L'objectif
est de donner au collaborateur un feed-back lui permettant de mieux comprendre ce que l'entreprise
attend de lui, et pour celle-ci, de favoriser et mettre en place les conditions de cet ajustement au moyen
d'un plan de développement personnalisé.
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 503
41111■
ANNAN LILLE
AMI111 1. CNARLEVILLE
MEZIERES
alifiN BEAUVAIS LAON
CHÂLONSEN. 11.1111
EVREUX 411,701MeGNy CHAMPAGNE . taErz
CAEN
NANTERR JiuIS BAR. tal,
VERSAILLESUfflepe.0-n• LE-DUC NANcy Mie
ALENÇON " . STRASBOURG
S FBELIC EVRT MELUN fp oyE
IMPER MARTRES ÉPINAL.
Mi LAVAI. COLMAR
RENNES . ORLÉANS CHAUMONT
VANNES LE MAN BEL FORT
AU%E RWE
BL045 0 , 0 , VESOUL
LUNE.: E-
SAUNIER
CHÂTEAUROUX
MOULINS TA
GUEPET CON. BOURG. .
MEIRESSE
LIMOGES cLERVONI ANNECY
FEIatieD CHAMBÉRY
ANGOULÈME SAN/-
TULLE É MENNE Mal*
GRENOBLE
aÉReatkEux AUR1LLAC LE
• AU
CAHORS
C'‘DP
1ONE-
LES-BAINS
• eGe MONTAUBAN ROUEZ
MMES AVIGNON
AUCH 41. ALBI
II•1> «Ob
TOULOUSE MONTE` LÉ
TERNES
FOIX
Caractéristiques élémentaires
Aptitudes : Traits de personnalité : Autres caractéristiques :
– Raisonnement analytique – Stabilité émotionnelle – Expérience professionnelle
– Raisonnement verbal – Conscience – Intérêt pour autrui
– Fluidité verbale – Amabilité – Intérêt pour les environne-
- Attention distribuée – flexibilité ments de travail
– Intelligence émotionnelle – Confiance en soi – Valeurs démocratiques
– Absence de psychopatho-
logie
Caractéristiques acquises
Connaissances : Capacités : Attitudes :
– Théories de la psychologie – Analyse de problème – Respect d'autrui
cognitive – Observation – Ouverture à la critique
– Théories de la personnalité – Communication orale – Implication
– Théories de la performance – Expression écrite – Orientation client
professionnelle – Travail en équipe – Intégrité
– Théories de la gestion
de carrière
– Théories liées à la
conception de poste
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 505
Compétences
On peut aujourd'hui estimer entre 400 et 450 le nombre des étudiants validant
annuellement un Master dans le champ de la psychologie du travail. Ce nombre reste
très raisonnable si l'on considère la variété des postes et missions accessibles à partir
d'une formation dans ce secteur. Dans la plupart des cas, l'entrée dans les Masters spé-
cialisés en psychologie du travail est réservée aux titulaires d'une licence de psychologie.
L'accès à la première année du Master n'étant pour l'heure pas contingenté, c'est
encore à l'issue de cette première année qu'une sélection souvent sévère permet de
limiter les effectifs et de les adapter à la réalité du marché de l'emploi. La réforme LMD
(Licence-Master-Doctorat) devrait permettre de mettre fin à cet anachronisme qui
conduit à bloquer des étudiants en milieu de formation.
L'examen des descriptifs des différents diplômes permet de dégager des éléments
de formation que l'on retrouve peu ou prou dans la grande majorité des Masters. Ces
contenus qui constituent un ensemble d'acquisitions partagées par les psychologues
du travail sont d'abord d'ordre théorique (théories sur l'individu qui sous-tendent les
outils – notamment dans le champ de la psychologie différentielle –, théories
de l'organisation...). Ces apports s'inscrivent, souvent pour les compléter, dans la conti-
nuité des acquis antérieurs avec deux objectifs : permettre à l'étudiant de disposer des
connaissances théoriques les plus actualisées ; relier les théories aux problématiques de
terrain et montrer comment les outils du psychologue du travail s'appuient sur des
conceptions théoriques.
Mais c'est sans doute dans la formation aux méthodes et techniques que les Mas-
ters de psychologie du travail partagent le plus de contenus. Ainsi, les diplômes propo-
sent-ils pour la plupart des formations aux :
méthodes d'évaluation des adultes ;
— techniques et outils d'analyse psychologique et ergonomique du travail ;
— méthodes de conception et conduite d'actions de formation ;
— techniques d'analyse organisationnelle.
vent nouvelles pour eux. L'objectif est de leur permettre d'acquérir une formation mini-
male et de repérer les outils de connaissance dont ils auront besoin en tant que
professionnels. Ces enseignements aident, en outre, à identifier les acteurs avec lesquels
l'étudiant diplômé devra coopérer et à appréhender les contextes dans lesquels il devra
évoluer.
c. Débouchés et salaires
Les résultats des différentes enquêtes (Rogard, 2004) d'insertion montrent que les
étudiants rejoignent des fonctions variées mais bien identifiées (chargé de recrutement
ou de formation, conseiller bilan, chargé de mission insertion, chargé d'orientation...).
Le cadre de l'emploi est lui aussi très variable : entreprises privées ou nationalisées de
différentes tailles, cabinets-conseils, organismes publics ou para-publics (clac, Mission
locale pour l'emploi...), associations oeuvrant dans le domaine de la formation et
l'insertion professionnelle. On touche là à une caractéristique centrale des formations
en psychologie du travail : leur ouverture vers des activités et des cadres d'action diver-
sifiés peuvent correspondre à des tempéraments différents. Le salaire moyen en début
de carrière des diplômés en Psychologie du travail est nettement plus élevé que dans
d'autres secteurs de la psychologie. Les données qui sont présentées dans le Gra-
phique 1 se rapportent aux diplômés de Paris V qui se sont déclarés en emploi dans les
six mois suivant la fin de leurs études.
0760 C et moins
760 à 1 067
■ de 1 067 à 1 372
E de 1 372 à 1 830
,plus de 1 830
1. Ainsi du travail entrepris de longue date au sein du Réseau européen de psychologie du travail et des
organisations (ENOP).
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 507
généralisation, le schéma LMD issu des accords de Bologne offre la possibilité de réels
parcours européens de formation prenant en compte les points forts des universités
européennes. La mobilité européenne des étudiants et enseignants ira donc croissante
au travers des programmes spécifiques de l'Union européenne et l'intensification des
actions particulières comme les Universités d'été européennes. On notera ainsi que
l'unique Master Erasmus Mundus en Psychologie retenu par la Commission Euro-
péenne dans son programme d'excellence est un Master de Psychologie du travail, des
organisations et du personnel'. Cinq universités Européennes y ont uni leurs efforts
pour proposer un cursus intégré où la mobilité géographique sert les projets profes-
sionnels des étudiants. Enfin, une véritable qualification à l'échelle européenne des
psychologues est en cours d'établissement que sanctionnera le Diplôme européen de
psychologue.
Les psychologues du travail ne sont donc pas indifférents à cette construction de
l'espace d'enseignements supérieur européen et aux nouvelles perspectives de formation
ainsi offertes. Ils sont même sans doute sur ce point en avance sur d'autres secteurs de
la psychologie, ce qui est gage d'avenir pour une spécialité qui doit sans cesse prendre
en compte l'évolution de la société.
1. Le site Internet de ce Master (http://www.erasmuswop.org ) présente de manière très détaillée cette forma-
tion à l'échelle européenne.
bibliographie
Ackerman, P. L., & Heggestad, E. D. (1997). Intelligence, personality, and interests : Evidence
for overlapping traits. Psychological Bulletin, 121, 2, 219-245.
Ainsworth, M. D. S., Blehar, M. C., Waters, E., & Wall, S. (1978). Patterns of attachment. Hillsdale,
New Jersey : Lawrence Erlbaum Associates.
Almodovar, J. P., & Fontaine, A. M. (1997). D'un projet de formation à son évaluation : le cas
du DESS « Psychologie de l'enfance et de l'adolescence » de l'Université Paris X - Nanterre.
Pratiques psychologiques, 1, 35-51.
Amara, M., Courtellemont, P., & de Brucq, D. (2002). Analyse automatique de la figure de Rey.
In P. Wallon, C. Mesmin, La figure de Rey. Paris : Érès.
Amsterdam, B. (1972). Mirror self image before age two. Developmental Psychology, 5, 297-305.
Anastasi, A. (1937). Differential pechology : Individual and group différences in behaviour. New York :
McMillan.
Andersen, E. (1986). Speaking with style The sociolinguistic skills of children. New York : Routledge.
Arbisio, C. (2003). Le bilan psychologique de l'enfant. Approche clinique du wrsc-III. Paris : Dunod.
Ariès, P. (1973). L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime. Paris : Le Seuil.
Arterberry, M. E., & Bornstein, M. H. (2001). Three-month-old infants' categorization of animais
and vehicles based on stade and dynamic attributes. journal of Expérimental Child Pychology,
80, 333-346.
Astington, J. W. (1999). Comment les enfants découvrent la pensée. Paris : Retz.
Austin, J. L. (1969). Quand dire c'est faire. Paris : Le Seuil (version originale : 1962) : How to do things
with words. Londres : Oxford University Press.
Baddeley, A. (1990). Human memory : Theory and practice. Hillsdale, Nj : Lawrence Erlbaum Asso-
ciates.
Baddeley, A. D., & Hitch, G. J. (1974). Working memory. In G. Bower (Ed.), Récent advances in
learning and motivation (vol. VIII). New York : Academic Press.
Baillargeon, R. (2004). Le raisonnement des bébés à propos des objets cachés : des principes
généraux et des attentes spécifiques. In R. Lécuyer (Ed.), Le développement du nourrisson
(pp. 221-270). Paris : Dunod.
Baillargeon, R., Graber, M., DeVos, J., & Blak, J. (1990). Why do young infants fail to search for
hidden objects ? Cognition, 36, 255-284.
Baillargeon, R., Speike, E. S., & Wasserman, S. (1985). Object permanence in five-month-old
infants. Cognition, 20, 191-208.
Baldwin, J. M. (1895). Mental development of the child and the race: Methods and processes. New York :
McMillan.
Bang, V. (1966). La méthode clinique et la recherche en psychologie de l'enfant. In Psychologie et
épistémologie génétiques, thème piagétien (pp. 67-81). Paris : Dunod.
Bara, F., Gentaz, E., & Cole, P. (2004). Les effets des entraînements phonologiques et multisenso-
riels destinés à favoriser l'apprentissage de la lecture chez les jeunes enfants. Enfance, 56,
387-403.
510 I Bibliographie
Bernicot, J., & Roux, M. (1998). La structure et l'usage des énoncés : comparaison d'enfants uni-
ques et d'enfants seconds-nés. In J. Bernicot, H. Marcos, C. Day, M. Guidetti, V. Laval,
J. Rabain-Jamin & G. Babelot. De l'usage des gestes et des mots chez l'enfant (pp. 157-178). Paris :
A. Colin.
Bernicot, J., Salazar Orvig, A., & Hudelot, C. (Eds.) (2006). La reprise et ses fonctions. La Linguis-
tique, 42 (2).
Bernstein, B. (1975). Langage et classes sociales. Paris : Minuit.
Berry, J. W., Poortinga, Y. H., Segall, M. H., & Dasen, P. R. (1992). Cross-cultural pychology :
Research and applications, Cambridge : Cambridge University Press.
Berthoud-Papandropoulou, I., & Kilcher, H. (1987). Que faire quand on me dit de dire ?
L'enfant messager des paroles d'autrui dans une situation de communication. Archives de Psy-
chologie, 55, 219-239.
Berthoz, A. (1993). Leçon inaugurale, Collège de France, 26 mars 1993.
Berthoz, A. (1996). Le control of gaze. A model for the study of the neural basis of variation and
selection. The growing mind. Genève, 14-18 septembre 1996.
Bever, T. G. (1970). The cognitive basis for linguistic structure. In J. R. Hayes (Ed.), Cognition and
the development of language. New York : Wiley.
Bideaud, J. (1999). Psychologie du développement : les avatars du constructivisme. Psychologie fran-
çaise, 44, 205-220.
Bideaud, J. (2002). Les animaux et les bébés comptent-ils ? In J. Bideaud & H. Lehalle (Eds.), Le
développement des activités numériques (pp. 55-80), Paris : Hermès.
Bideaud, J., Lehalle, H., & Vilette, B. (2004). La conquête du nombre et ses chemins chez l'enfant. Lille :
Presses Universitaires du Septentrion.
Bideaud, J., Lehalle, H., & Vilette, B. (2004). La conquête du nombre et ses chemins chez l'enfant. Ville-
neuve d'Ascq : Presses Universitaires du Septentrion.
Bigelow, A. (1981). The correspondance between self and image movement as a cue to self reco-
gnition for young children. Journal of Genetic Pychology, 139, 11-27.
Binet, A. (1903). L'étude expérimentale de l'intelligence, Paris : L'Harmattan, 2004.
Binet, A. (1905). À propos de la mesure de l'intelligence. L'Année psychologique, 11, 69-82.
Binet, A. (1911 a). Les idées modernes sur les enfants. Paris : Flammarion.
Binet, A. (1911 b). Nouvelles recherches sur la mesure du niveau intellectuel des enfants des
écoles. L'Année psychologique, 17, 141-201.
Binet, A., & Henri, V. (1895). La psychologie individuelle. L'Année psychologique, 2, 411-463.
Binet, A., & Simon, T. (1904-1905). L'élaboration du premier test d'intelligence. Paris : L'Harmattan,
2004.
Binet, A., & Simon T. (1905). Méthodes nouvelles pour le diagnostic du niveau intellectuel des
anormaux. L'Année psychologique, 11, 191-244.
Binet, A., & Simon, T. (1908). Le développement de l'intelligence chez l'enfant. L'Année psycholo-
gique, 14, 1-94.
Binet, A., & Simon, T. (1908). Le développement de l'intelligence chez les enfants. L'Année psycho-
logique, 14, 1-94.
Bisson, T. (1997). Le MMPL Pratique et évolutions d'un test de personnalité. Grenoble : PUG.
Blades, M., & Spencer, C. (1994). The development of children's ability to use spatial representa-
tions. In H. W. Reese & W. Hagen (Eds.), Advances in child development and behaviour (vol. 25,
pp. 157-199). San Diego, CA : Academic Press.
Blaye, A., Bernard-Peyron, V., & Bonthoux, F. (2000). Au-delà des conduites de catégorisation :
le développement des représentations catégorielles entre 5 et 9 ans. Archives de psychologie, 68,
59-82.
Bloch, H., Chemama, R., Gallo, A., Leconte, P., Le Ny, J.-F., Postel, J., Moscovici, S., Reuch-
lin, M., & Vurpillot, E. (sous la dir.) (1991). Grand Dictionnaire de la psychologie. Paris :
Larousse.
Bloom, L. (1973). One word at a time : The use of single-word utterances before syntax. The Hague :
Mouton.
512 I Bibliographie
Bond, T. G., & Fox, C. M. (2001). Applying the Rasch model. Fondamental measurement in the human
sciences. Mahwah H. J.: Lawrence Erlbaum.
Bonthoux, F., Berger, C., & Blaye, A. (2004). Naissance et développement des concepts chez l'enfant; caté-
goriser pour comprendre. Paris : Dunod.
Booth, A. E., & Waxman, S. (2002). Word learning is « smart » : Evidence that conceptual infor-
mation affects preschoolers' extension of novel words. Cognition, 84, B11-B22.
Boutinet, J.-P. (1990). Anthropologie du projet. Paris : PUF.
Boyer, P., Bedoin, N., & Honoré, S. (2000). Relative contributions of kind- and domain-level
concepts to expectations concerning unfamiliar exemplars. Developmental change and
domain differences. Cognitive Development, 15, 457-479.
Boysson-Bardies, B. de (1996). Comment la parole vient aux enfants. Paris : Odile Jacob.
Braine, M. D. S. (1963). The ontogeny of English phrase structure : The first phrase. Language,
39, 3-13.
Brazelton, T. B. (1973). Neonatal Behavioral Assessment Scale. London : Heinemann.
Brazelton, T. B. (1981). Comportement et compétence du nouveau-né. Psychiatrie de l'enfant,
24 (2), 375-396.
Bretherton, I., Ridgeway, D., & Cassidy, J. (1990). Assessing internai working models of the
attachment relationship. An attachment story completion task for 3-year-olds. In M. Green-
berg, D. Cicchetti & E. M. Cummings (Eds.), Attachment during the preschool years. Chicago :
University of Chicago Press.
Broca, P. (1861). Remarques sur le siège de la faculté du langage articulé, suivies d'une observa-
tion d'aphémie (perte de la parole). Bulletin de la Société anatomique, 6, 330-357.
Bronckart, J. P. (1976). Genèse et organisation des formes verbales chez l'enfant. Bruxelles : Dessart
& Mardaga.
Brown, R. (1973). A first language : The earlY stages. Cambridge, MA: Harvard University Press.
Bruchon-Schweitzer, M.-L., & Ferrieux, D. (1991). Les méthodes d'évaluation du personnel utili-
sées pour le recrutement en France. L'Orientation scolaire et professionnelle, 20, 71-88.
Bruner, J. S. (1983). Le développement de l'enfant, savoir faire, savoir dire. Paris : PUF.
Bruner, J. S. (1991). Car la culture donne forme à l'esprit: de la révolution culturelle à la psychologie culturelle.
Paris : Eshel.
Bruner, J. S., Olver, R. R., & Greenfield, P. M. (Eds.) (1966). Studies in cognitive growtk. New York :
John Wiley.
Brunet, O., & Lézine, I. (1997). Échelle de développement psychomoteur de la première enfance. Issy-les-
Moulineaux : Éditions et applications psychologiques.
Campbell, D. T., & Fiske, D. W. (1959). Convergent and discriminant validation by the multi-
trait-multimethod matrix. Pechological Bulletin, 56, 81-105.
Canguilhem, G., Lapassade, G., Piquemal, J., & Ulmann, J. (1962). Du développement à l'évolution au
)(lx' siècle. Paris : PUF, « Quadrige », 2003.
Capel, R., & Descombes, J.-P. (1996). Application de la forme française modernisée de
l'inventaire de Kuder à un groupe d'élèves genevois de niveau secondaire. Revue européenne de
psychologie appliquée, 46, 241-256.
Capron, C., & Duyme, M. (1989). Assessment of effects of socio-économic status on I Q in a full
cross-fostering study. Nature, 340, 6234, 552-554.
Caramazza, A., & Shelton, J. R. (1998). Domain-specific knowledge in the brain : The animate-
inanimate distinction. journal of Cognitive Neuroscience, 10, 1-34.
Cardinet, J., & Tourneur, Y. (1985). Assurer la mesure. Berne : Lang
Carmichael, L. (1946). Manuel de psychologie de l'enfant. Paris : PUF (1952 pour la traduction française).
Carroll, J. B. (1993). Human cognitive abilities. Cambridge : Cambridge University Press.
Carruthers, T., & Schmidt-BraBe, U. (1999). Qualifying as a W/O psychologist in Europe : A
report compiled by the EAWOP task force on professional issues. European journal of Work and
Organizational Pechology, 8, 455-486.
Carver, C. S., & White, T. L. (1994). Behavioral inhibition, behavioral activation, and affective
responses to impending retard and punishment : The BIS/BAS Scales. journal of Personaliy and
Social Pechology, 67, 319-333.
Psychologie du développement et psychologie différentielle I 513
Case, R. (1991). Stages in the development of the young child's first sense of self. Developmental
Review, 11, 210-230.
Case, R. (1985). Intellectual development. Birth to adulthood. Orlando : Academic Press.
Case, R., & Okamoto, Y. (1996). The role of central conceptual structures in the development
of children's thought. Monographs of the Sotie for Research in Child Development, 61 (serial
n° 246).
Case, R. (1987). The structure and process of intellectual development. International Journal of Psy-
chology, 22, 571-607.
Case, R. (1992). The mind's staircase: Exploring the conceptual underpinnings of children's thought and
knowledge. Hillsdale, NJ : Erlbaum.
Case, R. (1998). The development of conceptual structures. In W. Damon, D. Kuhn & R. S. Sie-
gler (Eds.), Handb000k of child psychology (5th ed.). Vol. 2 : Cognition, perception, and language
(pp. 745-800). New York : John Wiley & Sons, Inc.
Case, R., Demetriou, A., Platsidou, M., & Kasi, S. (2001). Integrating concepts and tests of intel-
ligence from differential and developmental traditions. Intelligence, 29, 307-336.
Cattell, J. McK. (1890). Mental tests and measurements. Minci, 15, 373-381 (trad. franç.: Psycho-
logie et histoire, 2000, 1, 151-164).
Cattell, R. B. (1955). La personnalité. T. 1 : Description et mesure pechodynamique et psychosomatique.•
Paris : PUF.
Cattell, R. B. (1963). Theory of fluid and crystallised intelligence : A critical experiment. Journal of
Educational Psychology, 54, 1-22.
Cattell, R. B. (1971). Abilities : 7heir structure, growth and action. Boston : Houghton Mifflin.
Cauvin, P., & Cailloux, G. (1994). Les types de personnalité. Les comprendre et les appliquer avec le /14/377.
Paris : ESF.
Cellérier, G., & Ducret, J.J. (1992). Le constructivisme génétique aujourd'hui. In B. Inhelder
& G. Cellérier (Eds.), Le cheminement des découvertes de l'enfant (pp. 217-253). Neuchâtel : Dela-
chaux & Niestlé.
Chamorro-Premuzic, & Furnham (2004). A possible model for understanding the personality-
intelligence interface. British Journal of Psychology, 95, 249-264.
Chavajay, P., & Rogoff, B. (1999). Cultural variation in management of attention by children
and their caregivers. Developmental Psychology, 35, 1079-1090.
Chevrie-Muller, C., & Narbona, J. (1996). Le langage de l'enfant : aspects normaux et pathologiques.
Paris : Masson.
Chomsky, N. (1957). Syntactic structures. The Hague : Mouton.
Chomsky, N. (1981). Lectures on government and binding : The Pisa lectures. Holland : Foris.
Chouinard, M. M., & Clark, E. V. (2003). Adult reformulations of child errors as negative evi-
dence. Journal of Child Language, 30, 637-669.
Cicchetti, D. (1984). The emergence of developpemental psychopathology. Child Development, 55,
1-7.
Claparède, E. (1931). L'éducation fonctionnelle. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
Clark, E. V. (1973). What's in a word ? On the child's acquisition of semantics in his first lan-
guage. In T. E. Moore (Ed.), Cognitive development and the acquisition of language. New York :
Academic Press.
Clarke-Stewart, A. (1973). Interactions between mothers and their young children : Characteris-
tics and consequences. Monographs of the Society for Research in Child Development, 38 (6-7, serial
n° 153).
Clifton, R. K., Morrongiello, B., & Dowd, J. (1984). A developmental look at auditory illusion :
The precedence effect. Developmental Psychobiology, 17, 519-536.
Clot, Y. (Ed.) (1999). Avec Vygotski. Paris : La Dispute, 2002 (2' éd. augmentée).
Cole, M. (1992). Culture in development. In M. Cole & S. R. Cole (Eds.), Developmental pechology :
An advanced textbook. Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum.
Colette, S., & Lelard, N. (2000). L'insertion professionnelle des diplômes de DFSS à l'Univer-
sité Paris X - Nanterre : de l'Université au Monde du travail. Pratiques psychologiques, 2, 67-79.
514 I Bibliographie
Connell, J. P., & Tanaka, J. S. (1987). Introduction to the special section on Structural Equating
Modeling. Child Development, 58, 2-3.
Conway, A., Cowan, N., Buntig, M. F., Therriault, D. J., & Minkoff, S. R. (2002). A latent
variable analysis of working memory capacity, short term memory capacity, processing
speed, and general fluid intelligence. Intelligence, 30, 163-183.
Cordier, F. (1994). Représentation cognitive et langage : une conquête progressive. Paris : Armand Colin.
Cosnier, J., Coulon, J., Berrendonner, A., & Orecchioni, C. (1982). les voies du langage. Communica-
tions verbales gestuelles et animales. Paris : Dunod.
,
Costa, P. T., & McCrae, R. R. (1998). XEO Personalie Inventoy. Adaptation française J.-P. Rolland.
Paris : ECPA.
Courtin, C. (1999). Le cas des théories de l'esprit chez les enfants sourds : l'impact de la langue
des signes, Enfance, 3, 248-257.
Cowan, N. (1999). An embedded-processes model of working memory. In A. Miyake
& P. Shah (Eds.), Models of working tnemon, (pp. 62-101). Cambridge, UK Cambridge Univer-
:
sity Press.
Cronbach, L. J. (1990). Essentials of pechological testing. New York : Harper.
Cronbach, L. J. (1957). The two disciplines of scientific psychology. The American Pechologist, 12,
671-684 (trad. franç. : Revue française de pechologie appliquée, 1958, 8, 159-187).
Cronbach, L. J., Rajaratman, N., & Gleser, J. C. (1963). Theory of generalizability : A liberaliza-
tion of reliability theory. British Journal of Statistical Psychology, l6, 137-173.
Damon, W., & Hart, D. (1982). The development of self understanding from infancy to adoles-
cence. Child Development, 53, 841-864.
Dardier, V. (2004). Pragmatique et pathologies : comment étudier les troubles de l'usage du langage. Rosny-
sous-Bois : Bréal.
Darwin, C. (1877). A biographical sketch of an infant. Mind, 2, 285-294.
Dasen, P., Inhelder, B., Lavallée, M., & Retschitzki, J. (1978). Naissance de l'intelligence chez l'enfant
Baoulé de Côte-d'Ivoire. Berne : Hans Huber.
De la Calle, M. (1881). La glossologie, essai sur la science expérimentale du langage. Paris : Maisonneuve.
De Raad, B., & Schouwenburg, H. C. (1996). Personality in learning and education : A review.
European Journal of Personality, 10, 301-302.
De Ribaupierre, A., & Pascual-Leone, J. (1979). Formai operations and M-Power : A neo-
piagetian investigation. In D. Kuhn (Ed.), Intellectud development beyond childhood (New Directions
in Child Development) (pp. 1-43). San Fransisco : Jossey-Bass.
De Ribaupierre, A. (1997). Les modèles néo-piagétiens : quoi de nouveau ? Psychologie française, 42,
9-21.
De Ribaupierre, A. (à paraître). Modèles néo-piagétiens du développement cognitif et perspective
psychométrique de l'intelligence : y a-t-il convergence ? L'Année pychologique.
Debray, R. (2000). Examen pychologique de l'enfant à la période de latence. Paris : Dunod.
Deleau, M. (1990). Les origines sociales du développement mental. De la communication et ymboles dans la
première enfance. Paris : A. Colin.
DeLoache, J. S., & Smith, C. M. (1999). Early symbolic representation. In I. E. Sigel (Ed.),
Development of mental representation (pp. 6-86). Mahwah, rrj : Lawrence Erlbaum Associates.
Demany, L. (1979). L'appréhension perceptive des structures temporelles chez le nourrisson. Du
temps biologique au temps pychologique. Symposium de PAPSLF. Paris : PUF.
Demetriou, A. (Ed.). (1988). The neo-piagetian theories of cognitive development : Toward an integration.
Amsterdam : Elsevier Science Publishers BV.
Demetriou, A., Efklidès, A., & Platsidou, M. (1993). The architecture and dynamics of the deve-
loping mind : Experiential structuration as a frame for unifying cognitive developmental
theories. Monographs of the Society for Research in Child Development, 58, n° 234.
Diamond, A., Cruttenden, L., & Niederman, D (1994). AB with multiple wells : 1 : Why are mul-
tiple wells sometimes easier than two wells ? 2 : Memory or memory + inhibition ? Develop-
mental Pechology, 30, 192-205.
Diaz, R. M., & Beck, L. E. (Eds.) (1992). Private speech : From social regulation to self regulation. Hills-
dale, NJ Lawrence Erlbaum.
:
Psychologie du développement et psychologie différentielle I 515
Dickes, P. (1996). L'analyse factorielle linéaire et ses deux logiques d'application. Psychologie fran-
çaise, 41, 9-22.
Dickes, P., Tournois, J., Flieller, A., & Kop, J. L. (1994). La psychométrie. Paris : PUF.
Doise, W., & Mugny, G. (1985). Le développement social de l'intelligence. Paris : InterÉditions.
Doron, F, & Parot, F. (1991). Dictionnaire de psychologie. Paris : PUF.
Ducret, J.-J. (1984). jean Piaget savant et philosophe (vol. I et II). Genève : Librairie Droz.
Dulioust, M., Toyama, K., Busnel, M. C., Moutier, R., Carlier, M., Marchaland, Ducot, B.,
Roubertoux P., & Auroux M. (1995). Long-terni effects of embryo freesing in mice. Procee-
ding of National Academy of Science, 92, 589-593, États-Unis.
Dumas-Carré, A., Weil-Barais, A., Ravanis, K., & Shourcheh, F. (2003). Interactions maîtres-
élèves au cours d'activités scientifiques à l'école maternelle, Bulletin de psychologie, 56, 493-
508.
Durkheim, É. (1893). De la division du travail social. Paris : Alcan.
Durmarque, Y. (2006) : L'insertion du dossier psychologique dans le dossier médical, quelques
réflexions sur un couple imparfait. Pratiques psychologiques, 12, 111-121.
Egger (1879). Le développement de l'intelligence et du langage chez l'enfant. Paris : Picard.
Enflas, P. D., Siqueland, E. R., Jusczyk, P. W., & Vigorito, J. (1971). Speech perception in
infants. Science, 171, 303-306.
Elman, J. L., Bates, E. A., Johnson, M. H., Karmiloff-Smith, A., Parisi, D., & Plunkett, K.
(1996). Rethinking Innateness. Cambridge, MA : The MIT Press.
Emmanuelli, M. (1997). Positions relationnelles. In R. Perron et al., La pratique de la psychologie cli-
nique (pp. 83-114). Paris : Dunod.
Enfiler, N. S., & Parker, J. D. (1992). Interactionism revisited : Reflections on the continuing cri-
sis in the personality area. European Journal of Personality, 6, 177-198.
Engle, R. W., Kane, M. J., & Tuholski, S. W. (1999). Individual differences in working memory
capacity and what they tell us about controlled attention, general fluid intelligence, and
functions of the prefrontal cortex. In A. Miyake & P. Shah (Eds.), Models of working memoy
(pp. 102-134). Cambridge, UK : Cambridge University Press.
Engle, R. W., Tuholski, S. W., Laughlin, J. E., & Conway, A. R. A. (1999). Working memory,
short-terni memory and general fluid intelligence : A latent variable approach. Journal of
Experirnental P.rychology : General, 128, 309-331.
ENOP (1998). European curriculum in W 0 psychology. Reference model and minimal standards. Paris :
Fondation Maison des sciences de l'homme.
Erikson, E. H. (1950). Enfance et société. Neuchatel : Delachaux & Niestlé (1974, 5' éd.).
Erikson, E. H. (1968). Adolescence et crise. La quête de l'identité. Paris : Flammarion, « Champs »,
1972, pour la traduction française.
Ervin-Tripp, S. M., & Mitchell-Kernan, C. (1977). Child discourse. New York : Academic Press.
Exner, J. E. Jr. (1993). Manuel de cotation du Rorschach pour le système intégré. Paris : Éditions Frison-
Roche.
Eysenck, H. J. (1994). Personality and intelligence : Psychometric and experimental approaches.
In R. J. Sternberg & P. Ruzgis (Eds.), Personality and Intelligence (pp. 3-31). Cambridge : Uni-
versity Press.
Eysenck, H. J. (1997). Personality and experimental psychology : The unification of psychology
and the possibility of a paradigm. Journal of Personality and Social Psychology, 73, 6, 1224-
1237.
Eysenck, M. W. (1992). Anxiee r: The cognitive perspective. Hove : Lawrence Erlbaum Associates.
Eysenck, M. W. (1997). Anxiee and cognition : A unified theoy. Hove : Lawrence Erlbaum Associates.
Fantz, R. L. (1958). Pattern vision in young infants. Psychological Record, 58, 43-47.
Fantz, R. L. (1963). Pattern vision in newborn infants. Science, 140, 296-297.
Fenson, L., Dale, P. S., Reznick, J. S., Thal, D., Bates, E., Hartung, J. P., Pethick S. J.,
& Reilly, J. (1993). Mac Arthur communicative development inventories : User's guide and technical
manuaL San Diego : Singular Publishing Group.
Féron, J., Gentaz, E., & Streri, A. (2006). Evidence of amodal representation of small numbers
across visuo-tactile modalities in 5-month-old infants. Cognitive Development (in press).
516 I Bibliographie
Fischer, K. W., & Bidell, T. R. (2006). Dynamic development of action, thought and emotion. In
W. Damon & R. M. Lerner (Eds.), Theoretical models of human development. Handbook of child psy-
chology (6th ed., vol. 1, pp. 313-399). New York : Wiley.
Flament, F. (1983). Peut-on parler d'interactions sociales entre nourrissons de moins de 8 mois ?
Enfance, 1-2, 65-83.
Flanagan, J. C. (1954). La technique de l'incident critique. Revue de psychologie appliquée, 4, 267-295.
Flavell, J. H. (1966). Le langage privé, Bulletin de psychologie, 19, 698-701.
Flavell, J. H. (1993). The development of children's understanding of false belief and the appea-
rence-reality distinction. International Journal of Psychology, 28, 595-604.
Fleishman, E. A., & Reilly, M. E. (1992). Guide d'utilisation du FIAS. Paris : ECPA.
Fodor (1983). The modularig of mind. Cambridge : MIT Press.
Fodor, J. (1979). Fixation de croyances et acquisition de concepts. In M. Piatelli-Palmarini,
Théories du langage, théories de l'apprentissage : le débat entre Jean Piaget et Noam Chomsky. Paris : Le
Seuil.
Fontaine, A.-M. (1992). L'enfant et son image. Paris : Nathan.
Fontaine, A-M. (1996). Qu'est-ce qu'un miroir ? Enfance, 2, 244-253.
Fontaine, A.-M. (2004). Insertion professionnelle des diplômés du DESS de psychologie de l'enfance et de
l'adolescence de Paris X. Document interne au DESS de psychologie de l'enfance et de
l'adolescence.
Fouchet, R., & Leduc, F. (2003). Un modèle de compétences professionnelles pour les psycholo-
gues du travail et des organisations. In N. Delobbe, G. Karnas & Vandenberghe (Eds.),
Évaluation et développement des compétences au travail. Louvain-la-Neuve : Presses universitaires de
Louvain.
Fouchet, R., Barette, G., Jean, S., & Simard, M. (2003). Une recherche empirique sur les compé-
tences des psychologues en milieu de travail. In N. Delobbe, G. Karnas & Vanden-
berghe (Eds.), Évaluation et développement des compétences au travail. Louvain-la-Neuve : Presses
universitaires de Louvain.
Frascarolo, F. (2005). Les compétences du bébé au sein de la triade père-mère-bébé. In Les pères
dans la société contemporaine. La Roche-sur-Yon, 17-18 novembre.
Frijda, N., & Jahoda, G. (1966). On the scope and methods of cross-cultural research. International
journal of Psychology, 1 (2), 109-127.
Gallup, G. G. (1968). Mirror-image stimulation. Psychological Bulletin, 70, 782-793.
Gallup, G. G. (1970). Chimpanzees, self recognition. Science, 167, 86-87.
Galton, F. (1869). Hereditapr genius : An inquiy into its laves and consequences. London : McMillan.
Galton, F. (1883). Inquiries into human faculg and its development. London : McMillan.
Gardey, A-M., Boucherat-Huc, V., & Jumel, B. (2003). Pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle.
Etudes de cas. Paris : Dunod.
Gardner, R. A., & Gardner, B. T. (1969). Teaching sign language to a chimpanze. Science, 165,
664-672.
Gayraud, F., Jisa, H., & Viguié, A. (2001). Utilisation des outils cohésifs comme indice de sensibi-
lité au registre : une étude développementale. AILE, 14, 3-24.
Geertz, C. (1973). The interprétation of cultures. New York : Basic.
Gelman, R., & Gallistel, C. R. (1978). The child's understanding of number. Cambridge, MA : Harvard
University Press.
Gelman, S. A. (2004). Psychological essentialism in children. Trends in Cognitive Science, 8, 404-409.
Gelman, S. A., & Bloom, P. (2000). Young children are sensitive to how an object was created
when deciding what to name it. Cognition, 76, 91-103.
Gelman, S. A., & Markman, E. M. (1987). Young children's inductions from natural kinds : The
role of categories and appearances. Child Development, 58, 1532-1541.
Gendre, F., Dupont, J.-B., Capel, R., & Salanon, A. (1996). Développement d'échelles destinées
à mesurer les cinq grands facteurs de la personnalité à l'aide de l'ACE. de Gough. Psychologie
et pychométrie, 17 (3), 5-32.
Gesell, A., & Ilg, F. L. (1946). L'enfant de 5 à 10 ans. Paris : PUF (1972, 6' éd. franç.).
Gibson E. J. (1979). The ecological approach to visual perception. Boston : Houghton-Mifflin Co.
Psychologie du développement et psychologie différentielle I 517
Gibson, E. J. (1969). Principles of perceptual learning and development. New York : Appleton-Century-
Crofts.
Gibson, J. J. (1966). The senses considered as perceptual ystems. Boston : Houghton Mill%
Gilly, M. (1988). Interaction entre pairs et constructions cognitives : modèles explicatifs. In
A.-N. Perret-Clermont, & M. Nicolet (Eds.), Interagir et connaître. Enjeux et régulations sociales
dans le développement cognitif (pp. 19-28). Causset : DelVal.
Gilly, M. (1989). Mécanismes psychosociaux de constructions cognitives : perspectives de
recherche à l'âge scolaire. In G. Netchine (Ed.), Développement et fonctionnement cognitif: renou-
veau en psychologie de l'enfant. Paris : PUF.
Goldberg, T. E., & Weinberger, D. R. (2004). Genes and the parsing of cognitive processes.
Trends in Cognitive Sciences, 8, 325-335.
Gombert, J. E. (1990). Le développement métalinguistique. Paris : PUF.
Goodenough, F. L. (1925). L'intelligence d'après le dessin. Le test du bonhomme. Paris : PUF, 1956.
Gottlieb, G. (2002). Developmental-behavioral initiation of evolutionary change. Pychological
Review, 109 (2), 211-218.
Graaf, J. W. de (1999). Relating new to ad. A classical controversy in developmental psychology. Grôningen :
University of Grôningen (Doctoral Dissertation).
Graham, S., Kilbreath, C. S., & Welder, A. N. (2004). Thirteen-month-olds rely on shared labels
and shape similarity for inductive inferences. Child Development, 75, 409-427.
Gréco, P., Grize, J.-B., Papert, S., & Piaget, J. (1960). Problèmes de la construction du nombre. Paris :
PUF.
Gréco, P. (1965). Analyse structurale et étude du développement. Psychologie française, 10, 87-100.
Réédité dans P Gréco (1991). Structures et sign ations. Approches du développement cognitif
(pp. 243-257). Paris : Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales.
Gréco, P. (1985). Réduction et construction. Archives de psychologie, 53, 21-35. Réédité dans
P. Gréco (1991). Structures et sign ations. Approches du développement cognitif (pp. 45-59). Paris :
Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales.
Greenberg, J. H. (1963). Some universals of grammar with particular reference to the order of
meaningful elements. In J. H. Greenberg (Ed.), Universals of language. Cambridge : The
MIT Press.
Greenfield, P. M., & Savage-Rumbaugh, E. S. (1993). Comparing communicative competence in
child and chimp : The pragmatics of repetition. journal of Child Language, 20, 1-26.
Greenfield, P. M., Maynard, A. E., & Childs, C. P. (2003). Historical change, cultural learning
and cognitive representations in Zinacantec Maya children. Cognitive Development, 18, 455-
487.
Greenfield, P., & Nunes, T. (Eds.) (2003). The sociocultural construction of implicit knowledge.
Cognitive Development, 18 (4) (Special Issue).
Grégoire, A. (1937, 1947). L'apprentissage du langage (vol. 1, 2). Bibliothèque philosophique et let-
tres. Université de Liège.
Grégoire, J. (1999). L'évaluation clinique de l'intelligence de l'enfant. Bruxelles : Mardaga.
Grice, P. H. (1979). Logique et conversation. Communications, 30, 57-72.
Guichard, J., & Huteau, M. (2005). L'orientation scolaire et professionnelle. Paris : Dunod.
Guichard, J., & Huteau, M. (2006). Psychologie de l'orientation. Paris : Dunod.
Guillevic, C., & Vauthier, S. (1998). Diagnostic et tests psychologiques. Paris : Nathan.
Gvozdev, A. (1949). Formation chez l'enfant de la structure grammaticale de la langue russe. Moscou : Aka-
demia Pedagogica Nauka.
Halford, G. S. (1988). A structure-mapping approach to cognitive development. In A. Deme-
triou (Ed.), The neo-piagetian theories of cognitive development: Toward an integration. Amsterdam :
North Holland.
Halford, G. S., Wilson, W. H., & Phillips, S. (1998). Processing capacity defined by relational
complexity : Implications for comparative, developmental and cognitive psychology. Behavio-
ral and Brain Sciences, 21, 803-864.
Hall, G. S. (1904). Adolescence (vol. I & II). New York : Appleton.
518 I Bibliographie
Halliday, M. A. K. (1975). Learning how to mean : An exploration in the development of language. London :
Arnold.
Harter, S. (1998). The development of self-representations. In W. Damon (Series Ed.) &
N. Eisenberg (Vol. Ed.), Handbook of child psycholog v, vol. 3 : Social, emotionnal, ans personnalip,
development (5th ed., pp. 553-617). New York : Wiley.
Harter, S. (2003). The development of self-representations during childhood and adolescence. In
M. R. Leary & J. P. Tangney (Ed.), Handbook of self and identip,, 610-642.
Hervé, J. (1995). Re-naissance de la psychologie scolaire. Psychologie et éducation, 22, 7-15.
Hickmann, M. (2000). Le développement de l'organisation discursive. In M. Kail
& M. Fayol (Eds.), L'acquisition du langage. Le langage en développement au-delà de 3 ans (pp. 83-
115). Paris : PUF.
Honzik, M. P. (1957). Developmental studies of parent-child resemblance in intelligence. Child
Development, 28, 215-228.
Horn, J. L. (1994). The theory of fluid and crystallised intelligence. In R. J. Sternberg (Ed.), The
encyclopedia of intelligence (pp. 443-451). New York : McMillan.
Hom, J. L., & Blankson, N. (2005). Foundations for better understanding of cognitive abilities. In
D. P. Flanagan & P. L. Harrison (Eds.), Contemporary intelkctual assessment, 2nd ed. (pp. 41-68).
New York : The Guilford Press.
Houdé, 0. (2004). La psychologie de l'enfant. Paris : PUF.
Houdé, 0., & Meljac, C. (2000). L'esprit piagétien : hommage international à jean Piaget. Paris : PUF.
Hughes, D., Woodcock, J., & Funnell, E. (2005). Conceptions of objects across categories : Child-
hood patterns resemble those of adults. British Journal of Psychology, 96, 1-19.
Hurtig, M., & Rondal, J. A. (1981). Introduction à la pychologie de l'enfant. Bruxelles : Mardaga.
Hurtig, M.-C., Hurtig, M., & Paillard, M. (1971). Jeux et activités des enfants de 4 et 6 ans dans
la cour de récréation. I : Formes sociales des activités. Enfance, 23 (1-2), 79-142.
Huston-Stein, A., & Baltes, P. B. (1976). Theory and method in life-span developmental psycho-
log-y : Implications for child development. In H. W. Reese (Ed.), Advances in child development
and behaviour (vol. 11, pp. 169-188). New York : Academie Press.
Huteau, M. (1980). Dépendance-indépendance à l'égard, du champ et pensée opératoire. Archives
de pychologie, 48, 1-40.
Huteau, M. (1983). Les questionnaires de personnalité HSPQ et EPI. L'orientation scolaire et profession-
nelle, 12, 243-260.
Huteau, M. (1985). Les théories cognitives de la personnalité. Paris : PUF.
Huteau, M. (2002 a). Psychologie, pychiatrie et société sous la troisième République. La biocratie d'Édouard-
Toulouse. Paris : L'Harmattan.
Huteau, M. (2002 b). L'évolution de la profession de psychologue en France. Pratiques psycholo-
giques, 2, 81-95.
Huteau, M. (2004). Écriture et personnalité : approche critique de la graphologie. Paris : Dunod.
Huteau, M. (2006). Alfred Binet et la psychologie de l'intelligence. Le journal des psychologues, 234,
24-28.
Huteau, M. (2006). Psychologie différentielle Cours et exercices. Paris : Dunod.
Huteau, M., & Lautrey, J. (1979). Les origines et la naissance du mouvement d'orientation.
L'Orientation scolaire et professionnelle, 8, 2-43.
Huteau, M., & Lautrey, J. (2003). Évaluer l'intelligence - psychométie cognitive. Paris : PUF.
Huteau, M., & Lautrey, J. (2006). Les tests d'intelligence. Paris : La Découverte.
Inhelder, B., & Cellérier, G. (1992). Le cheminement des découvertes de l'enfant. Neuchâtel : Delachaux
& Niestlé.
Inhelder, B., & Piaget, J. (1955). De la logique de l'enfant à la logique de l'adolescent. Paris : PUF.
Inizan, A. (2000). Le temps d'apprendre à lire. Paris : ECPA.
Inlow, J. K., & Restifo, L. L. (2004). Molecular and comparative genetics of mental retardation.
Genetics, 166, 835-881.
Insertion des jeunes (2002). Numéro spécial du Journal des psychologues, octobre, n° 201.
Itard, J. M. (1801). De l'éducation d'un homme sauvage (Les premiers développements physiques et moraux du
jeune sauvage de l'Aveyron). Paris : Goujon.
Psychologie du développement et psychologie différentielle I 519
Izard, C. E., & Read, P. B. (Eds.) (1986). Measuring emotions in infants and children (vol. H). Cam-
bridge : Cambridge University Press.
Jacobs, N., Van Gestel, S., Derom, C., Thiery, E., Vernon P., Derom, R., & Vlietinck, R. (2001).
Heritability estimates of intelligence in twins : Effect of chorion type. Behavior Genetics, 31,
209-217.
James, W. (1981). The principles of pechology (vol. 1). Cambridge, MA : Harvard University Press
(original work published 1890).
Jezequel, J. L. (1983). L'identification de sa photographie chez l'enfant. Thèse de 3' cycle, Université de
Paris X - Nanterre.
Jisa, H. (2005). La langue façonne-t-elle le monde ? In J. M. Hombert (Ed.), Aux origines des langues
et du langage (pp. 254-269). Paris : Fayard.
Jisa, H., & Kern, S. (1998). Relative clauses in French children's narrative texts. journal of Child
Language, 25, 623-652.
Johnson, M. (1990). Cortical maturation and the developmental of visual attention in early
infancy. journal of cognitive neuroscience, 2, 81-95.
preskog, K. C., & Siirbom, D. (1993). Lisrel 8. User's reference guide. Chicago : Scientific Software
International.
Josse, D., & Robin, M. (1981). « Qu'est-ce que tu dis à. maman ? » ou le langage des parents
adressé à l'enfant de la naissance à 10 mois. Enfance, 3, 109-132.
Jouen, F., & Gapenne, 0. (1995). Interactions between the vestibular and the visual systems in
the neonate. In P. Rochat (Ed.), The self in infancy : Theoc) ans research. Amsterdam : Elsevier
Publishers, 277-302.
Jouen, F., Lepecq, J. C., Gapenne, 0., & Berthenthal, B. I. (2000). Optic flow sensitivity in neo-
nates. Infant Behavior and Developmen4 23, 271-284.
Jouve, D., & Massoni, D. (1996). Le recrutement. Paris : PUF.
Kail, M. (2000). Acquisition syntaxique et diversité linguistique. In M. Kail & M. Fayol (Eds.),
L'acquisition du langage. Le langage en développement au-delà de 3 ans. Paris : PUF.
Kail, M., & Bassano, D. (2000). Méthodes d'investigation et démarches heuristiques. In M. Kail
& M. Fayol (Eds.), L'acquisition du langage le langage en émergence. De la naissance à 3 ans. Paris :
PUF.
Kant, E. (1781). Critique de la raison pure. Paris : PUF (1961, Extraits choisis et présentés par Ho-
rence Khodoss, 2' éd.).
Karmlloff-Smith, A. (1998). Development itself is the key to understanding developmental disor-
ders. Trends in Cognitive Sciences, 2 (10), 389-398.
Kaufman, A. S. (1994). Intelligent testing with the WISC HI. New York : Wiley Interscience Publi-
cation.
Kaufman, A-S., & Kaufman, N. L. (1993). K-ABC, batterie pour l'examen psychologique de l'enfant.
Paris : ECPA.
Kaye, K., & Fogel, A. (1980). The temporal structure of face-to-face communication between
mothers and infants. Developmental Psychology, 16, 454-464.
Keil, F. C. (1989). Concepts, kinds, and cognitive development. Cambridge : The MIT Press.
Kellman, P. J., & Spelke, E. S. (1983). Perception of partly occluded objects in infancy. Cognitive
Psychology, 15, 483-524.
Kemler Nelson, D., Russel, R., Duke, N., & Jones, K. (2000). Two-year-olds will name artifacts
by their functions. Child Development, 71, 1271-1288.
Kern, S. (1998). Adaptations françaises des comptes rendus parentaux de Mac Arthur, manuscrits non
p ubliés .
Kern, S. (2003). Le compte rendu parental au service de l'évaluation et de la production lexicale
des enfants français entre 16 et 30 mois. Glossa, 85, 48-61.
Kern, S. (2005). De l'universalité et des spécificités du développement langagier pré-
coce. In J. M. Hombert (Ed.), Aux origines des langues et du langage (pp. 270-291). Paris : Fayard.
Kohlberg, L. (1969). Stage and sequence : The cognitive-developmental approach to socializa-
tion. In D. A. Goslin (Ed.), Handbook of socialization theory and research (pp. 347-480). Chicago :
Rand McNally College Publishing Company.
520 I Bibliographie
Kromelow, S., Harding, C., & Touris, M. (1990). The role of the father in the development of
stranger sociability during the Second Year. Amer. J. Orthopsychiat., 60, 4, 521-530.
Kyllonen, P. C., & Christal, R. E. (1990). Reasoning ability is (little more than) working-memory
capacity ? Intelligence, 14, 389-433.
Labov, W. (1978). Le parler ordinaire: la langue dans les ghettos noirs des États-Unis. Paris : Éditions de
Minuit.
Landau, B., Smith, L., & Jones, S. (1998). Object shape, object function, and object name jour-
nal of Memory and Language, 1-27.
Larivée, S., Normandeau, S., & Parent, S. (2000). The French connection : Some contributions
of French-language research in the post-piagetian era. Child Development, 71 (4), 823-829.
Larivée, S., Normandeau, S., & Parent, S. (1996). La filière francophone de psychologie dévelop-
pementale différentielle. L'Année pechologique, 96, 291-342.
Lautrey, J. (1999). Histoire et évolution de la psychologie différentielle. In P.-Y. Gilles (Ed.), Py-
chologie différentielle. (pp. 17-55) Paris : Bréal.
Lautrey, J. (2001). L'évaluation de l'intelligence : état actuel et tentatives de renouvellement. In
M. Huteau (Ed.), Les figures de l'intelligence (pp. 19-42). Paris : Éditions et applications psycho-
logiques.
Lautrey, J. (2002). Is there a general factor of cognitive development ? In R. J. Sternberg
& E. Grigorenko (Eds.), The general factor of intelligence : How general is it ? (pp. 117-148). Hills-
dale, NJ : Lawrence Erlbaum.
Lautrey, J. (2005 a). La recherche des processus cognitifs caractéristiques de l'intelligence. In
J. Lautrey & J.-F. Richard (Eds.), L'intelligence (pp. 41-57). Paris : Hermès-Lavoisier.
Lautrey, J. (2005 b). Le QI : concept mal compris ou concept dépassé ? ANAE, 17, 146-149.
Lautrey, J., de Ribaupierre, A., & Rieben, L. (1986). Les différences dans la forme du développe-
ment cognitif évalué avec des épreuves piagétiennes : une application de l'analyse des cor-
respondances. Cahiers de psychologie cognitive, 6, 575-613.
Laval, V. (1999). La promesse chez l'enfant. Paris : L'Harmattan.
Laval, V. (2002). La psychologie du développement: théories et méthodes. Paris : Armand Colin.
Laval, V. (2004). Pragmatique et langage non littéral : la compréhension des demandes sarcasti-
ques par les enfants. Psychologie française, 49, 2, 177-192.
Laval, V., & Bert-Erboul, A. (2005). French speaking-children's understanding of saracasm : The
role of intonation and context. journal of Speech, Language and Hearing Research, 48 (3), 610-
620.
Laval, V., & Chaminaud, S. (2005). Comment étudier les capacités pragmatiques des enfants en
situation de compréhension du langage. Tranel, 42, 65-79.
Lavaut, D., & Grégoire, J. (1997). Introduction aux théories des tests en sciences humaines. Bruxelles :
DeBoeck Université.
Le Ny, J. F. (1961). Le conditionnement. Paris : PUF.
Le Sourn-Bissaoui, S., & Deleau, M. (2001). Discours maternel et compréhension des états men-
taux émotionnels et cognitifs dans la quatrième année. Enfance, 4, 329-348.
Lecocq, P. (1996). L'ECOSSE : une épreuve de compréhension entaxico-sémantique. Paris : Presses Universi-
taires du Septentrion.
Lécuyer, E., & Streri, A. (1986). Information intake during habituation in infants : links between
visual and tactual habituation. Cahiers de psychologie cognitive, 6, 565-574.
Lécuyer, R. (1989). Bébés astronomes, bébés pechologues. Bruxelles : Mardaga.
Lécuyer, R. (2004). La représentation va pouvoir commencer. In R. Lécuyer (Ed.), Le développe-
ment du nourrisson (pp. 271-308). Paris : Dunod.
Lehalle, H. (à paraître). Le développement cognitif à la période de l'adolescence. Communication
au symposium de l'APSLF sur l'adolescence, Caen : septembre 2004, à paraître aux Presses
universitaires de Rennes.
Lehalle, H., & Mellier, D. (2002). Psychologie du développement. Enfance et adolescence. Paris : Dunod,
2005 (2' éd. revue et actualisée).
Lemaine, G., & Matalon, B. (1985). Hommes supérieurs, Hommes inferieurs? Les controverse sur l'hérédité
de l'intelligence. Paris : Armand Colin.
Psychologie du développement et psychologie différentielle I 521
Pelletier, D., Noiseux, G., & Bujold, C. (1974). Développement vocationnel et croissance personnelle,
approche opératoire. Montréal : McGraw-Hill.
Perez, B. (1882). La psychologie de l'enfant. Paris : Librairie Germer - Baillière & Cie (2' éd.).
Perris, E. E., Myers, N. A., & Clifton, R. K. (1990). Long-term memory for a single infancy
experience. Child Development, 61, 1796-1807.
Petrill, S. A., Rempell, J., Oliver, B., & Plomin, R. (2002). Testing cognitive abilites by telephone
in a sample of 6- to 8-year olds. Intelligence, 30, 353-360.
Piaget, J., & Inhelder, B. (1948). La représentation de l'espace chez l'enfant. Paris : PUF.
Piaget, J. (1923). Le langage et la pensée chez l'enfant. Paris et Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
Piaget, J. (1926). La représentation du monde chez l'enfant. Paris : Alcan.
Piaget, J. (1936). La naissance de l'intelligence chez l'enfant. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
Piaget, J. (1937). La construction du réel chez l'enfant. Neuchâtel : Delachaux & Niestié.
Piaget, J. (1941). Le mécanisme du développement mental et les lois du groupement des opéra-
tions. Esquisse d'une théorie opératoire de l'intelligence. Archives de psychologie, 28, 215-285.
Piaget, J. (1945). La formation du symbole chez l'enfant. Neuchâtel : Delachaux & Niestié.
Piaget, J. (1947) (3' éd.). Le jugement et le raisonnement chez l'enfant. Paris : PUF.
Piaget, J. (1952). Autobiographie. Cahiers Vilfiedo Paredo, 14, 1-43.
Piaget, J. (1960). La quatrième année d'activité (1958-1959) et le quatrième symposium (22-
26 juin 1959) du Centre international d'épistémologie génétique. In P. Gréco, J.-B. Grize,
S. Papert & J. Piaget, Problèmes de la construction du nombre (pp. 1-68). Paris : PUF.
Piaget, J. (1964). Six études de psychologie. Paris : Éditions Gonthier.
Piaget, J. (1966). La psychologie de l'intelligence. Paris : Armand Colin.
Piaget, J. (1966). Nécessité et signification des recherches comparatives en psychologie. In J. Pia-
get, Psychologie et épistémologie (pp. 59-79). Paris : Denoél (coll. « Médiations »), 1970.
Piaget, J. (1968). Quantification, conservation and nativism. Science, 162, 976-979.
Piaget, J. (1969). Psychologie et pédagogie. Paris : Éditions Denoél.
Piaget, J. (1975). L'équilibration des structures cognitives. Paris : PUF.
Piaget, J. (1976). Postface, Archives de psychologie, 44, 223-228.
Piaget, J. (1977). Recherches sur l'abstraction réfléchissante : 2 / L'abstraction de l'ordre des relations spatiales.
Paris : PUF.
Piaget, J. (1996). Cheminement dans l'oeuvre scientifique. Neuchâtel et Paris : Delachaux & Niestlé (cof-
fret de deux CD réalisés par la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation et le
Service de la recherche en éducation. Université de Genève).
Piaget, J., & Inhelder, B. (1941). Le développement des quantités physiques chez l'enfant. Neuchâtel : Dela-
chaux & Niestlé.
Piaget, J., & Inhelder, B. (1959). La genèse des structures logiques élémentaires. Neuchâtel : Delachaux
& Niestié.
Piaget, J., & Inhelder, B. (1963). Les opérations intellectuelles. In P. Fraisse & J. Piaget (Eds.),
Traité de psychologie expérimentale, Intellectica, 260, t. VII : L'intelligence (pp. 117-165). Paris :
PUF.
Piaget, J., & Inhelder, B. (1966). La psychologie de l'enfant. Paris : PUF.
Piaget, J., & Szeminska, A. (1941). La genèse du nombre chez l'enfant. Neuchâtel : Delachaux & Niestié.
Piatelli-Palmarini, M. (Ed.) (1979). Théories du langage et théories de l'apprentissage. Le débat entre jean
Piaget et Noam Chomsky. Paris : Le Seuil.
Piérart, B. (2005) (Ed.). Le langage de l'enfant. Comment l'évaluer ? Bruxelles : De Boeck.
Piérart, B. (coordonné par) (2004). Les dysphasies chez l'enfant : approche francophone. Enfance
(numéro thématique), I.
Piéron, H. (1929). le développement de l'intelligence. Paris : Alcan.
Piéron, H. (1949-1959) (Ed.). Traité de psychologie appliquée (7 vol.). Paris : PUF.
Piéron, H., & Piéron, Mme H. (1930). Instructions pour l'emploi de la fiche psychologique d'orientation pro-
fessionnelle. Paris : Institut national d'orientation professionnelle.
Pierrehumbert, B., Karmaniola, A., Sieye, A., Meister, C., Miljkovitch, R., & Halfon, 0. (1996).
Les modèles de relations : Développement d'un autoquestionnaire d'attachement pour
adultes. Psychiatrie de l'enfant, 1, 161-206.
Psychologie du développement et psychologie différentielle I 525
Pierrehumbert, B., Miljkovitch R., & Halfon, 0. (1999). Théorie de l'attachement et parentalité,
dans M. Dugnat (Ed.), Devenir père, devenir mère. Naissance et parentalités (pp. 35-51). Ramon-
ville - Saint-Agne : Erès.
Pinol-Douriez, M. (1975). La construction de l'espace. Étude génétique de l'intégration réciproque entre les réa-
lisations posturo-cinétiques et les élaborations sémiotiques. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
Plomin, R., DeFries, J. C., & Loehlin, J. C. (1977). Genotype-environment interaction and corre-
lation in the analysis of human behavior. Psychological Bulletin, 84, 2, 309-322.
Plomin, R , Hill, L., Craig, I. W., McGuffin, P., Purcell, S., Sham, P., Lubinski, D., Thomp-
son, L. A., Fisher, P. J., Turic, D., & Owen, M. J. (2001). A genome-wide scan of 1842 DNA
markers for allelic associations with general cognitive ability : A five stage design using DNA
pooling and extreme selected groups. Behavior Genetics, 31 (6), 497-509.
Plomin, R., Turic, D. M., Hill, I., Turic, D. E., Stephens, M., Williams, J., Owen, M. J.,
& O'Donovan, M. C. (2004). A functionnal polymorphism in the succinate-semialdehyde
dehydrogenase (aldehyde dehydrogenase 5 family member Al) gene is associated with
cognitive ability. Molecular Pechiatp,, 9, 582-586.
Plunkett, K., & Elman, J. L. (1997). Exercices in rethinking innateness. A handbook for connectionist simula-
tions. Cambridge, MA : The MIT Press.
Pontecorvo, C., & Girardet, H. (1993). Arguing and reasoning in understanding historical topics.
Cognition and Instruction, 11, 365-395.
Posthuma, D., Luciano, M., de Geus, E. J. C., Wright, M. J., Slagboom, P. E., Montgo-
mery, G. W., Boosma, D. I., & Martin, N. G. (2005). A genowide scan for intelligence iden-
tifies quantitative trait loci on 2q and 6p. American Journal of Human Genetics, 77, 318-326.
Poulin-Dubois, D., Lepage, A., & Ferland, D. (1996). Infants' concept of animacy Cognitive Deve-
lopment, 11, 19-36.
Premack, D. (1976). Language and intelligence in ape and man. American Scientific, 64, 674-683.
Preyer, W. (1882). L'âme de l'enfant. Observations sur le développement psychique des premières années. Paris :
L'Harmattan, 2005.
Priel, B., & Schonen, S. (de) (1986). A study of a population without mirrors. Journal of Experimen-
tal Child Psychology, 41, 237-250.
Quinn, P. C. (2002). Early categorization : A new synthesis. In U. Goswami (Ed.), Blackwell hand-
book of childhood cognitive development (pp. 84-101). Oxford : Blackwell publishing.
Rabain, J. (1979). L'enfant du lignage. Du sevrage à la classe d'âge chez les Wolof du Sénégal. Paris : Payot
(2' éd., 1994).
Rabain-Jamin, J. (1998). Usage du langage et contexte culturel : le langage de la mère adressé à
l'enfant. In J. Bernicot, H. Marcos, C. Day, M. Guidetti, V. Laval, J. Rabain-Jamin
& G. Babelot, De l'usage des gestes et des mots chez l'enfant (pp. 179-207). Paris : A. Colin.
Rakison, D. H., & Butterworth, G. (1998). Infants' attention to object structure in early categori-
zation. Developmental Psychology, 34, 1310-1325.
Reese, H. W. (1993). Developments in child psychology from the 1960s to the 1990s. Developmen-
tal Review, 13, 503-524.
Reilly, J., & Bernicot, J. (Eds.) (2003). Langage et développements atypiques. Enfance, 55 (3),
numéro thématique.
Reuchlin, M. (1954). Le développement de la psychologie du travail au xx` siècle. Journal de psy-
chologie, 47-51, 209-232.
Reuchlin, M. (1957). Histoire de la psychologie. Paris : PUF, 1961 (3' éd.).
Reuchlin, M. (1963). La mesure en psychologie. In P. Fraisse, J. Piaget (Eds.), Traité de psychologie
expérimentale (vol. 1). Paris : PUF.
Reuchlin, M. (1971). Naissance de la psychologie appliquée. In M. Reuchlin (Ed.), Traité de psy-
chologie appliquée (vol. 1). (pp. 12-52)Paris : PUF.
Reuchlin, M. (1971-1974) (Ed.). Traité de psychologie appliquée (10 vol.). Paris : PUF.
Reuchlin, M. (1976). Précis de statistiques. Paris : PUF.
Reuchlin, M. (1978). Processus vicariants et différences individuelles. journal de psychologie, 75, 133-
145.
Reuchlin, M. (1992). Introduction à la recherche en psychologie. Paris : Colin.
526 I Bibliographie
Schmidt, F. L., & Hunter, J. E. (1998). The validity and utility of selection methods in personnel
psychology : Practical and theoretical implications of 85 years of research findings. Pycholo-
gical Bulletin, 124, 262-274.
,
Schneuwly, B., & Bronckart, J. P. (Eds.) (1985). Vygots19 aujourd'hui. Neuchâtel : Delachaux
& Niestlé.
Schwartz, T., White, G. M., & Lutz, C. A. (Eds.) (1992). New directions in psychological anthropology.
Cambridge : Cambridge University Press.
Searle, J. R., & Vanderveken, D. (1985). Foundations of illocutionnag logis. Cambridge : Cambridge
University Press.
Searle, J. R. (1972). Les actes de langage. Paris : Hermann.
Searle, J. R. (1982). Sens et expressions. Paris : Éditions de Minuit.
Ségui, J., & Léveillé, M. (1977). Une étude sur la compréhension des phrases par l'enfant.
Enfance, 1, 105-115.
Shallice, T. (1995/1988). Symptômes et modèles en neuropsychologie: des schémas aux réseaux. Paris : PUF.
Shannon, C. E., & Weaver, W. (1949). The mathematical theog of communication. Urbana : University
of Illinois Press.
Shewder, R. (1991). Cultural psychology : What is it ? In R. Shewder (Ed.), Thinking through cultu-
res (pp. 73-110). Cambridge, MA : Harvard University Press.
Siegal, M. (1999). Not merely methodology. The significance of conversational awareness in
cognitive development. Developmental Science, 2, 16-18.
Siegler, R. (1976). Three aspects of cognitive development. Cognitive Pychology, 8, 481-520.
Siegler, R. (2000/1996). Intelligences et développement de l'enfant : variations, évolution, modalités. Bruxel-
les : DeBoeck.
Siegler, R. S. (1984). Mechanisms of cognitive growth : Variation and selection. In R. J. Stern-
berg (Ed.), Mechanisms of cognitive development (pp. 142-162). New York : W. H. Freeman and
Company.
Siegler, R. S. (1995). How does change occur : A microgenetic study of number conservation.
Cognitive Pycholog y, 28, 225-273.
Simon, T. J. (1997). Reconceptualizing the origins of number knowledge : A « non-numerical »
account. Cognitive Development, 12, 349-372.
Sinclair de Zwart, H. (1967). Acquisition du langage et développement de la pensée sous-systèmes linguistiques
et opérations concrètes. Paris : Dunod.
Skodak, M., & Skeels, H. M. (1949). A final follow-up on one hundred adopted children. Journal
of Genetic Pychology, 75, 85-125.
Slobin, D. I. (1982). Universal and particular in the acquisition of language. In E. Wanner
& L. Gleitman (Eds.), Language acquisition : The state of the art. Cambridge : Cambridge Univer-
sity Press.
Snow (1977). The development of conversation between mothers and babies. Journal of Child lan-
guage, 4, 1-22.
Spearman, C. E. (1904). « General intelligence » objectively determined and measured. American
Journal of Pychology, 15, 201-293.
Spelke, E. S. (2003). Core knowledge. In N. Kanwisher & J. Duncan (Eds.), Attention and perfor-
mance. Vol. 20 : Functional neuroimaging of visual cognition (pp. 29-55). Oxford : Oxford Univer-
sity Press.
Spelke, E. S., & Hespos, S. (2002). Continuité, compétence et concept d'objet. In
E. Dupoux (Ed.), Les langages du cerveau (pp. 327-342). Paris : O. Jacob.
Spelke, E. S., Breinlinger, K., Macomber, J., & Jacobson, K. (1992). Origins of knowledge. Psy-
chological Review, 99, 605-632.
Spencer, H. (1876). Esquisse d'une psychologie comparée de l'homme. Revue philosophique de la
France et de l'étranger, 1 (1), 45-61.
Sperber, D. (2002). Défense de la modularité massive. In E. Dupoux (Ed.), Les langages du cerveau
(pp. 55-64). Paris : Odile Jacob.
Spielberger, C. (1993). Manuel du test STAL Paris : ECPA.
528 I Bibliographie
Starkey, P., Spelke, E. S., & Gelman, R. (1983). Detection of intermodal numerical correspon-
dences by human infants. Science, 222, 179-181.
Stern, D. (1985). The interpersonal world of the infant. New York : Basis Books.
Sternberg, R. (1988). The triarchic mind : A new theop , of human intelligence. New York : Viking.
Sternberg, R. J., & Berg, C. A. (1986). Quantitative integration : Definitions of intelligence : A com-
parison of the 1921 and 1986 symposia. In R. J. Sternberg & D. K. Detterman (Eds.), What is
intelligence ? Contemporao) viewpoints on its nature and definition (pp. 155-162). Norwood, NJ : Ablex.
Sternberg, R. J., & Detterman, D. K. (1986). What is intelligence ? Contemporau viewpoints on its nature
and definition. Norwood, NJ : Ablex.
Sternberg, R. J., & Grigorenko, E.-L. (Eds.) (2002). The general factor of intelligence. How general is it ?
Mahwah, NJ : Lawrence Erlbaum.
Stevens, S. S. (1951). Mathematics, measurement and psychophysics. In S. S. Strevens (Ed.),
Handbook of experimental psychology. New York : Wiley.
Stiles-Davis, J., Kritchevsky, M., & Bellugi, U..(Eds.) (1988). Spatial cognition, brain bases and develop-
ment. Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum Associates.
Streri, A. (1991). Voir, atteindre, toucher. Paris : PUF.
Streri, A. (1996), La connaissance de soi. In R. Lécuyer, A. Streri & M. G. Pécheux (Ed.), Le déve-
loppement cognitif du nourrisson (t. 2, pp. 68-81). Paris : Nathan.
Streri, A. (2003). L'intermodalité. Une introduction à la psychologie des perceptions. In A. Delorme
& M. Flückiger (Eds.), Perception et réalité (chap. 9, pp. 197-221). Gaétan Morin Editeur.
Streri, A., & Gentaz, E. (2003). Cross-modal recognition of shape from hand to eyes in human
newborns. Somatosensoy & Motor Research, 20 (1), 11-16.
Streri, A., & Spelke, E. S. (1988). Haptic perception of objects. Cognitive Pychology, 20, 1-23.
Süss, H. M., Oberauer, K., Wittmann, W. W., Wilhelm, O., & Schulze, R. (2002). Working
memory capacity explains reasoning ability - and a little bit more. Intelligence, 30, 261-288.
Taine, H. (1870). De l'intelligence. Paris : Hachette.
Taine, H. (1876). Note sur l'acquisition du langage chez les enfants et dans l'espèce humaine.
Revue philosophique de la France et de l'étranger, 1 (1), 5-23.
Thatcher, R. W. (1994). Cyclic cortical reorganization : Origins of human cognitive develop-
ment. In G. Dawson & K. W. Fischer (Eds.), Human behavior and the developing brain (pp. 232-
266). New York : Guilford Press.
Thomas, L., Pons, F., & de Ribaupierre, A. (1996). Attentional capacity and cognitive level in the
balance task. Cahiers de psychologie cognitive - Current Pechology of Cognition, 15, 137-172.
Thommen, E., & Rimbert, G. (2005). L'enfant et les connaissances sur autrui. Paris : Belin.
Thorndike, R. M., Cunnuingham, G. K., Thorndike, R. L., & Hagen, E. P. (1996). Measurement
and evaluation in psychology and education (6th ed.). New York : McMillan.
Thurstone, L. L. (1938). Primat' mental abilities. Chicago Chicago University Press.
Tiedemann, D. (1787). Uber die Entwicklung der Seellenfcihigkeiten bei Kindern. Hessiche Bectragzur Gelehr-
samkeit and Kunst. Reprint in English in Bar-Adon & W. Leopold (Eds.) (1971). Child language :
A book of readings. Englewood Cliffs : Prentice-Hall.
Toulouse, E., Vaschide, N., & Piéron, H. (1904). Technique de psychologie expérimentale. Paris : Douin.
Tran-Thong (1967). Stades et concepts de stade de développement de l'enfant dans la psychologie contemporaine.
Paris : Vrin, 1971 (3' éd.).
Tuddenham, R. D. (1971). Theoretical regularities and individual idiosyncrasies. In D. R. Green,
M. P. Ford, & G. B. Flamer (Eds.), Measurement and Piaget. New York : McGraw-Hill.
Valsiner, J. (1995). Editorial : Culture and psychology. Culture and Pechology, 1, 5-11.
Valsiner, J., & van der Veer, R. (2000). 77ze social mind. Construction of the idea. Cambridge : Cam-
bridge University Press.
Van den Berg, S. M., Posthuma, D., & Boosmsma, D. I. (2004). A longitudinal genetic study of
vocabulary knowledge in adults. Twins Research, 7, 284-291.
Van Geert, P. (1994). Vygotskian dynamics of developrnent. Human Development, 37, 346-365.
Van Ijzendoorn, M. H. (1995). Adult attachment representations, parental responsiveness, and
infant attachment : A meta-analysis on the predictive validity of the Adult Attachment
interview. Psychological Bulletin, 117, 387-403.
Psychologie du développement et psychologie différentielle I 529
Van Rooij, J. (1999). Self-concept in terms of astrological sun-sign traits. Psychological Reports,
84 (2), 541-546.
Van Rooij, Jan J., & Hazelzet, A. (1997). Graphologists' assessment of extraversion compared
with assessment by means of a psychological test. Perceptual and Motor Skills, 85 (3), 919-
928.
Vanderveken, D. (1992). La théorie des actes de discours et l'analyse de la conversation. Cahiers de
linguistique française, 13, 9-61.
Veneziano, E. (2000). Interaction, conversation et acquisition du langage dans les trois premières
années. In M. Kail & M. Fayol (Eds.), L'acquisition du langage : le langage en émergence. De la nais-
sance à 3 ans. Paris : PUF.
Verba, M., & Winnykamen, F. (1992). Interactions expert-novice : influence du statut du parte-
naire. Revue de psychologie de l'éducation, 2, 1, 61-71.
Vergnaud, G. (2000). Lev Vygotski pédagogue et penseur de notre temps. Paris : Hachette Éducation.
Vernon, P. E. (1950). La structure des aptitudes humaines. Paris : PUF.
Verschueren, J. (1999). Understanding pragmatics. London : Arnold.
Vidal, F. (1994). Piaget before Piaget. Cambridge, MA : Harvard University Press.
Vinden, P. G. (1999). Children's understanding of rnind and emotion : A multi-culture study.
Cognition and Emotion, 13, 19-48.
Vinden, P. G., & Astington, J. W. (2000). Culture and understanding others minds. In S. Baron-
Cohen, H. Tager-Flusberg & D. J. Cohen (Eds.), Understanding other minds, perspectives from
developmental cognitive neurosciences (pp. 503-519). Oxford : Oxford University Press.
Vittorio, G., Barbaranelli, C., & Borgogni, L. (1994). Alter Ego. Paris : ECPA.
Vonèche, J. (2001). Commentaires. Intellectica, 33, 260.
Vurpillot, E. (1972). Le monde visuel du jeune enfant. Paris : PUF.
Vurpillot, E. (1972 a). Les perceptions du nourrisson. Paris : PUF.
Vygotski, L. S. (1927/1978). Mind in sotie : 77re development of higher processes. Cambridge, MA :
Harvard University Press.
Vygotski, L. S. (1935/1962). 7hought and language (texte partiel). Cambridge, MA : The MIT Press.
Vygotski, L. S. (1962). Thought and language. Cambridge, MA : The MIT Press.
Vygotski, L. S. (1997). Pensée et langage. Paris : La Dispute.
Walker, L. J., & Taylor, J. H. (1991). Stage transitions in moral reasoning : A longitudinal study
of developmental processes. Developmental Psychology, 27, 330-337.
Wallon, H. (1934). Les origines du caractère chez l'enfant. Paris : PUF, 1976 (6' éd.).
Wallon, H. (1954). Kinesthésie et image visuelle du corps propre chez l'enfant, Bulletin de psycho-
logie, 1954, rééd. Enfance, 1959, 3, 252-263.
Wallon, H. (1941). L'évolution psychologique de l'enfant. Paris : Armand Colin.
Wallon, H. (1942/1970). De l'acte à la pensée. Paris : Flammarion.
Waxman, S. R. (2002). Early word learning and conceptual development : Everything had a
name, and each naine give birth to a new thought. In U. Goswami (Ed.), Blackwell handbook
of childhood cognitive development (pp. 102-126). Oxford : Blackwell Publishing.
Waxman, S., & Hatch, T. (1992). Beyond the basics : Preschool children label objects flexibly at
multiple hierarchical levels. Journal of Child language, 19, 153-166.
Wechsler, D. (1950). Cognitive, conative, and non-intellective intelligence. The American Psycholo-
gist, 78-83.
Wechsler, D. (1981). Wechsler Adult Intelligence Scale - Revised. New York : Psychological Corpora-
tion.
Wechsler, D. (1991). Wechsler Intelligence Scale for Children (3rd ed.). Texas : The Psychological Cor-
poration. Trad. franç. (1996) : wrsc-iti, Échelle d'intelligence de Wechsler pour enfants (3' éd.).
Paris : Les Éditions du Centre de psychologie appliquée.
Wechsler, D. (2005 a). wisc-iv. Manuel d'interprétation. Paris : Éditions du Centre de psychologie
appliquée.
Wechsler, D. (2005 b). wisc-iv. Manuel d'administration et de cotation. Paris : Éditions du Centre de
psychologie appliquée.
530 I Bibliographie
Désirabilité sociale : tendance de réponse visant à donner une image plus favorable de soi lors
d'une autodescription.
Diachronique : qualifie une évolution temporelle ; s'oppose à synchronique qui se dit d'un point
de vue où les faits envisagés se passent dans un intervalle de temps approximativement
identique.
DSM IV (Diagnosis and Statistical Manual of Mental Disorders): manuel proposé par
l'association américaine de psychiatrie pour établir un diagnostic après l'examen d'un
malade mental, se référant à une classification des syndromes.
Égocentrisme : repérage spatial s'appuyant sur la prise en compte exclusive du point de vue du
sujet.
Émotions : constellation de réponses de forte intensité qui comportent des manifestations
expressives, physiologiques et subjectives typiques (peur, joie, colère...).
Endogène : qualifie ce qui est d'origine interne, sans concours des influences de l'environnement
extérieur ; s'oppose à exogène qui se dit de tout processus ou événement dont la causalité
relève du champ extérieur à l'organisme du sujet.
Épistémique (sujet) : sujet quelconque, ayant les caractéristiques communes à tous les sujets
d'un même niveau de développement.
Épistémologie : analyse critique des connaissances scientifiques, de leurs formes et de leurs
procédés.
Épistémologie : étude des sciences qui a pour but la définition des raisonnements qui fondent
leur développement et leur réussite.
Éthologie : science des comportements des espèces animales dans leur environnement naturel.
Facteur primaire : variable latente issue directement des corrélations entre variables observées.
Facteur secondaire : variable dégagée des corrélations entre facteurs primaires.
Format Q sort: chaque item d'un questionnaire est transcrit sur une carte. On distribue
-
ensuite ces cartes en trois piles (vrai, je ne sais pas, faux) puis en 9 piles ordonnées du plus
« vrai » au plus « faux » en ne laissant sur chaque pile qu'un nombre déterminé de cartes
afin de normaliser la distribution (distribution forcée).
Fovéale (vision) : vision à partir de la zone centrale de la rétine.
Haptique : terme anglais, admis couramment en français, qui se substitue à tactilo-
kinesthésique : résultat d'un couplage entre sensibilité tactile et kinesthésie (ou mouvement),
ce terme est utilisé lorsque l'exploration manuelle de l'objet est active et implique des mou-
vements des mains et des doigts.
Humeur : ensemble de dispositions affectives et instinctives qui déterminent la tonalité fonda-
mentale de l'activité psychique (tristesse, humeur positive vs négative).
Hypertonie : faible degré du tonus musculaire
Hypotonie : degré élevé du tonus musculaire.
Idiographique : relatif à l'étude de cas.
Inférer : passer d'une vérité à une autre jugée telle en raison de son lien avec la première
Inhibition latérale : mécanisme par lequel l'activation d'un neurone provoque l'inhibition, par
celui-ci, de neurones voisins ou concurrents.
Isotrope : ayant les mêmes propriétés en tous ses points.
Kinesthésique : qui concerne la perception de ses mouvements par un sujet.
Locus : localisation d'un gène, d'un marqueur, ou d'une base sur un chromosome.
Marqueur génétique : n'importe quel endroit du génome du moment qu'on y observe de la
variabilité (variations des allèles). On parle de « marqueur anonyme » lorsque les variations
des allèles n'ont pas d'effet repérable au niveau phénotypique.
Mémoire de travail : système à capacités limitées qui gère à la fois les activités de stockage à
court terme et le traitement de l'information.
Méta-analyse : synthèse, analyse et commentaires réalisés par des chercheurs sur des recher-
ches effectuées par d'autres et dont les résultats semblent contradictoires pour une même
problématique.
Modularisation : Annette Karmlloff-Smith désigne par ce terme le fait que les modules de trai-
tement cognitif spécifiques à un domaine fonctionnel n'existent pas à la naissance sous leur
Lexique I 533
forme tardive (chez l'enfant déjà grand ou chez l'adulte) et qu'ils sont par conséquent acquis
au cours du développement.
Monotone : qui varie toujours dans le même sens.
Monotropie : dans la théorie initiale de l'attachement développée par Bowlby, ce terme rend
compte du lien spécifique qui unit l'enfant à sa mère.
Mutation : modification du génotype à un endroit précis du génome. Si la mutation touche les
cellules germinales, elle est transmissible aux descendants.
Nomothétique : démarche quantitative visant à établir des réseaux de relations entre variables.
Ontogenèse : ensemble des processus du développement d'un individu depuis l'oeuf fécondé jus-
qu'à l'état adulte.
Paradigme : mode d'explication dominant adopté par un chercheur ou une communauté scien-
tifique (par ex. : le behaviorisme, le cognitivisme, le connexionnisme).
Participation axiale : un mouvement périphérique, de la main par exemple, peut faire interve-
nir des mouvements de l'axe du corps (colonne vertébrale).
Plan sagittal : plan abstrait partageant le corps en deux hémicorps symétriques, et donc définis-
sant la distinction droite-gauche.
Posture : position du corps à partir de laquelle se font les mouvements. Exemple : posture assise,
posture érigée.
Posturo-cinétique (codage) : la position du corps et ses mouvements reproduisent les caracté-
ristiques spatiales à prendre en compte. Exemple : en regardant une statue de Giacometti,
un enfant de 4 ans adopte la posture de la statue.
Prosodie : la prosodie renvoie à l'impression musicale que fournit l'énoncé (intonation, accen-
tuation, rythme, débit, pause).
Sémiotique : étude des systèmes de signes qui s'intéresse aux relations entre signes et signifiés et
à l'utilisation de ces signes. Dans la perspective piagétienne, la fonction sémiotique renvoie
à la fois aux symboles et aux signes.
Syncrétisme : appréhension globale et indifférenciée qui précède la perception et la pensée par
objets nettement distincts les uns des autres.
Tâches de détection du signal : le sujet doit dire si oui ou non un signal apparaît ; l'analyse
des erreurs se fait en distinguant les fausses alarmes (réponse oui alors que le signal est
absent) et les oublis (réponse non alors que le signal est présent).
Tâches interférentes : paradigme expérimental utilisé notamment pour l'étude des capacités
de la mémoire de travail (le sujet doit traiter simultanément les informations utiles à la réso-
lution d'une tâche principale et d'autres informations liées à une tâche secondaire).
Variable latente : dans une analyse factorielle, variable issue des corrélations entre observa-
tions (réponse à un ensemble d'items par exemple).
index des auteurs
Échelle métrique de l'intelligence, 303, 306. Imitation, 191, 239-243, 256-257, 278.
Échelles de Wechsler, 372-373. Inertie (principe de), 145.
Échelles, 18. Informations/relations amodales/spécifiques, 141-
Éducation, 9. 142.
Effet-tuteur, 74. Innéisme, 25.
Égocentrisme, 174-175. Intelligence, 357.
Élèves handicapés, 461. Intelligence sensori-motrice, 25.
Émotions, 229. Intentionnalité, 150-151.
Empiristes, 22. Interactions dyadiques, 65, 68.
Énergie mentale, 80. Interaction génotype-environnement, 438, 447.
Entretien, 461, 463. Interactions sociales, 59, 61, 65-66, 69, 77.
Épigenèse, 11. Interactions de tutelle, 64.
Épistémologie, 38. Intérêts, 413-418.
Épistémologie génétique, 24. Intérêts professionnels, 485, 491.
Équilibration, 52. Intersubjectivité, 229.
Équivalence, 336, 342. Invariants, 141, 144.
Erreur de pronostic, 350.
Erreur type de mesure, 344-345. Jumeaux, 432.
Essence, 197-198.
Étalonnages, 338-339. Langage égocentrique, 62, 69-71.
Étayage, 65, 72. Loi générale du développement mental, 62-63.
Évaluation, 17.
Event-mapping situation, 154-159. Maladies génétiques, 450.
Event-monitoring situation, 154. Marqueurs (génétiques), 441-442.
Examen psychologique, 464, 466. Maturation biologique, 22.
Expérimentation, 19. MBTI, 392, 395.
Explication, 74. Médiations sémiotiques, 69.
Exploration manuelle, 187. Mémoire, 155, 157, 161.
Extraversion-introversion, 395, 397-400, 404-409, Mémoire de travail, 91, 377-379.
416. Méthodes, 15.
Méthode critique, 110-112.
Facteur g, 361. Méthode d'habituation, 253.
Famille, 235, 245. Méthode de questionnaire, 254, 262.
Fausse-croyance, 76. Méthode génétique, 24.
Fidélité, 340-347, 353-354, 383. Méthode longitudinale, 106-109, 111, 252.
Flexibilité catégorielle, 202. Méthode microgénétique, 112-116.
Fonction développementale, 103-107, 117. Méthode transversale, 106-109, 112, 252-253.
Fonctionnement psychologique, 28. MMPI, 390, 392, 411.
Fonctions mentales supérieures, 62. Modalité sensorielle, 140-141.
Format (des items), 348. Modèle de compétition, 282.
Format d'interaction, 259, 283. Modèle d'équation structurale, 18.
Modèle factoriel, 364-366.
Généralisabilité, 343-344. Modèle de réponse à l'item, 335.
Généralisation de propriétés, 185, 191-192. Modélisation dynamique, 14, 30.
Gènes candidats, 444, 446. Modélisation Rasch, 18.
Genre de discours, 73. Moyen Âge, 9.
Géométries, 164, 170, 179, 183. Mutation (génétique), 424.
Grammaire générative, 279.
Grammaire pivot, 263 - 264, 279. Nativisme, 24-25.
Gravité (principe de), 145. NEO - PI, 392, 405, 408.
Néo-piagétiens, 29, 33.
Habituation, 126-133, 140, 144-145, 147, 158. Neuropsychologie développementale, 14.
Hérédité, 296-298, 310, 314-315. Névrosisme, 395, 398-400, 404-405, 408, 416.
Héritabilité, 436-439. Niveau de mesure, 337.
Historicité, 59. Niveau de base, 186.
Homogénéité, 334, 342-345, 347. Nombre et objet / Fichier d'objet, 155, 159, 161-
162.
Identification visuelle de soi / identification de
l'image du miroir, 206, 217. Observation, 15, 117, 120-125.
Identité (objet), 140, 154, 159. Ontogenèse, 10.
Index thématique I 541
Avant-propos 1
par Serban lonescu et Alain Blanchet
Introduction 3
par Jacques Lautrey
PREMIÈRE PARTIE
Psychologie du développement
Il - Le débat constructivisme/nativisme/évolutionnisme 24
III - L'évolution des concepts : exemple de la notion de stade 27
IV - Les incertitudes et ouvertures actuelles 30
V - Conclusion et transition 31
A - La théorie piagétienne 37
par Jacqueline Bideaud
I - Les trois ancrages de la théorie 38
Il - Les stades de développement 40
III - L'équilibration des structures et les mécanismes du développe-
ment 52
IV - Limites et apports de la théorie 55
IV - L'habituation 126
V - Le conditionnement 133
VI - Conclusion 136
DEUXIÈME PARTIE
Psychologie différentielle
Introduction 387
A - Concepts et méthodes dans l'étude de la personnalité 388
I - Conceptions communes et préscientifiques 388
Il - L'étude de la personnalité en psychologie 389
III - L'évaluation de la personnalité 392
IV - Résumé 393
B - H. J. Eysenck : la personnalité décrite en termes de types, de traits et
de processus 394
I - Cadre général des travaux de H. J. Eysenck (1916-1997) 394
Il - Approche typologique 395
III - Approche physiologique 397
IV - Approche structuraliste : des types aux traits 400
C - Cattell , les approches lexicales, et le modèle en cinq facteurs 401
I - Les travaux de Cattell (1905-1998) 401
Il - Le modèle des Big Five 404
III - Les facettes de la personnalité 408
IV - Au delà des facettes : l'exemple des déclinaisons de l'Anxiété 410
D - Traits de personnalité et autres dimensions des différences indi-
viduelles 413
I - Personnalité et intérêts 413
Il - Les relations entre intérêts et personnalité 416
III - Personnalité et intelligence 417
IV - Conclusion 418
A - Introduction 421
TROISIÈME PARTIE
Les professions
Bibliographie 509
Lexique 531
Imprimé en France
par CPI France quercy
Z.A. des Grands Camps
46090 Mercuès