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Psychologie du développement

et
psychologie différentielle
Nouveau cours
de
psychologie
Sous la direction de
Serban lonescu
et
Alain Blanchet

Psychologie
du développement
et psychologie
différentielle

Volume coordonné
par Jacques Lautrey

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


ISBN 978-2-13-056584-0
Dépôt légal — I" édition : 2006, novembre
2' édition corrigée : 2007, novembre
3' tirage : 2009, octobre

CD Presses Universitaires de France, 2006


6, avenue Reille, 75014 Paris
Liste des auteurs

Josie BERNICOT Professeure de psychologie du développement, Université de Poitiers


Alain BERT-ERBOUL Ingénieur CNRS, Université de Poitiers
Jacqueline BIDEAUD Professeure émérite, Université Charles-de-Gaulle, Lille III
Agnès BLAYE Professeure de psychologie du développement, Université de Provence
Michèle CARTIER Professeure de psychologie différentielk, Université de Provence et Institut Univer-
sitaire de France
Xavier CAROFF Maître de conférences en psychologie différentielle, Université Paris-Descartes
Georges COGNET Responsable pédagogique de la formation des psychologues scolaires, Université
Paris-Descartes
Michel DELEAU Professeur de psychologie du développement, Université Rennes 2
Anne-Marie FONTAINE Maître de conférences en psychologie du développement, Université Paris 10 -
Nanterre
Pierre-Yves Gn Professeur de psychologie de l'orientation, Université de Provence
Michel HUTEAU Professeur émérite, Conservatoire national des arts et métiers (Institut national
d'étude du travail et d'orientation professionnelle)
Jacques LAUTREY Professeur émérite, Université Paris-Descartes
Henri LEHALLE Professeur de psychologie du développement, Université Paul-Valéry, Montpel-
lier III
Claire MELJAC Psychologue, Unité de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent (UPPEA),
Centre hospitalier spécialisé Sainte-Anne, Paris
Marie-Germaine PÊCHEUX Directeur de recherche, CNRS et Université Paris-Descartes
Vincent ROGARD Professeur de psychologie du travail, Université Paris-Descartes
Arlette STRERI Professeure de psychologie du développement, Université Paris-Descartes
Chantal ZAOUCHE-GAUDRON Professeure de psychologie du développement, Université Toulouse II - Le Mirait'
AVANT-PROPOS

L'attrait qu'exerce la psychologie fait que les publications qui lui sont consacrées — des magazines
«grand public » aux ouvrages scientifiques — connaissent, souvent, de réels succès de librairie. En même
temps, de nombreuses personnes de tous âges sont tentées par les études universitaires de pechologie. Les
plus motivées et... endurantes vont jusqu'à l'obtention du titre de psychologue !
En 1990, l'Université Paris 8 - Vincennes à Saint-Denis a ouvert un programme d'enseignement
à distance de la psychologie. La création, en 1997, de l'Institut d'enseignement à distance de
l'Université Paris 8 a contribué de manière significative au développement de ce programme. Ainsi, au
cours de l'année universitaire 2005-2006, 3 859 étudiants de 56 pays (en plus de la France et
des DOM-TOM) ont suivi les cours dispensés par l'Institut d'enseignement à distance.
Parmi les outils pédagogiques utilisés dans les enseignements à distance, une place importante est
occupée par les manuels mis à la disposition des étudiants. Cette année, l'Institut d'enseignement à dis-
tance lance un Nouveau cours de psychologie qui prend la relève du Cours publié, dans les
années 1990, sous la direction des F Rodolphe Ghiglione et jean-François Richard.
Le Nouveau cours de psychologie comprend quatre volumes destinés aux étudiants de licence
et trois volumes (qui paraîtront en 2007) à l'usage des étudiants des masters de psychologie. Chaque
volume est coordonné par un ou deux spécialistes du champ sous-disciplinaire auquel il est consacré. À
l'élaboration des quatre premiers volumes du Nouveau cours de psychologie ont collaboré 61 col-
lègues de 19 universités françaises mais aussi de l'étranger (de Suisse, du Canada et des États-Unis),
ainsi que des chercheurs du CNRS et des praticiens-chercheurs de plusieurs Centres hospitaliers
universitaires.
Le présent volume — consacré à la psychologie du développement et à la psychologie différentielle —
a été coordonné par Jacques Lautrey, professeur-émérite de l'Université René-Descartes - Paris 5. Les
coauteurs proviennent de l'Université Charles-de-Gaulle - Lille III, de l'Université Paul-Valéry - Mont-
pellier III, des Universités René-Descartes - Paris 5 et Paris 10 - Nanterre, des Universités de Poitiers,
de Provence, de Rennes 2 et de Toulouse II Le Mirail, du Conservatoire national des arts et métiers
-

(Institut national d'étude du travail et d'orientation professionnelle) et du Centre hospitalier spécialisé


Sainte-Anne de Paris.
Tout au long du travail d'élaboration des volumes du Nouveau cours de psychologie, notre
souci permanent a été d'articuler connaissances « classiques » et actualités, d'utiliser un style aussi
2 I Psychologie du développement et psychologie différentielle

didactique que possible, d'assurer, en présentant (sans dogmatisme) les bases théoriques, une ouverture
du côté de la pratique.
L'édition du Nouveau cours de psychologie aux Presses Universitaires de France situe cet
ouvrage dans la perspective des grandes séries de publications qui ont tant contribué à la formation uni-
versitaire des psychologues en France, dont les repères majeurs sont constitués par les grands Traités
parus aux Presses Universitaires de France, les traités de Fraisse et Piaget (de psychologie expérimen-
tale), de Reuchlin (de psychologie appliquée) de Daval, Bourricaud, Delamotte et Doron (de psychologie
sociale) ou de Widb)cher (de psychopathologie). Nous espérons que ce nouvel ouvrage sera à la hauteur
de ceux qui l'ont précédé !
Serban Ionescu et Alain Blanchet,
Saint-Denis, août 2006.
INTRODUCTION

Ce volume couvre le programme de la licence de psychologie dans deux sous-


disciplines, la psychologie du développement et la psychologie différentielle. La psycho-
logie du développement a pour objectif de décrire et d'expliquer l'évolution des condui-
tes avec l'âge. Bien que son champ d'étude s'étende maintenant aux changements qui
se produisent tout au long de la vie, y compris lors du vieillissement, seul le développe-
ment dans la période de l'enfance sera abordé dans ce volume. La psychologie différen-
tielle a pour objectif de mesurer, décrire et expliquer les différences stables entre les
individus. Chacune de ces deux sous-disciplines a donc un objet d'étude particulier.
Chacune a aussi, de ce fait, des méthodes, des théorisations et des applications qui lui
sont propres. Néanmoins, chacune contribue, avec l'approche qui lui est spécifique, à la
recherche fondamentale en psychologie et tend de plus en plus à intégrer ses thèmes de
recherche dans le cadre conceptuel général de la psychologie cognitive (cf. le volume de
psychologie cognitive de ce cours). C'est ce mouvement d'intégration au sein de la psy-
chologie cognitive qui rapproche ces deux sous-disciplines et les rend complémentaires,
notamment dans l'étude du développement et du fonctionnement cognitifs, thèmes pri-
vilégiés dans ce volume. D'autres aspects du développement et des différences, notam-
ment ceux qui relèvent de la pathologie, sont abordés dans le volume de psychologie
clinique et pathologique de ce manuel.
La première partie de l'ouvrage traite de la psychologie du développement. Les
trois premiers chapitres fournissent les outils méthodologiques et conceptuels nécessaires
pour aborder cette sous-discipline. Le chapitre 1 en retrace l'histoire et l'évolution, le
chapitre 2 en présente les théories et le chapitre 3 les méthodes. Les chapitres suivants
font le point sur ce que nous savons du développement de l'enfant dans la compréhen-
sion et la maîtrise de trois grands domaines de la connaissance, celle du monde phy-
sique (chap. 4), celle du monde social (chap. 5) et celle du langage (chap. 6).
La seconde partie traite de la psychologie différentielle. Elle débute par une pré-
sentation de l'histoire et de l'évolution de cette sous-discipline (chap. 7) et de la
méthode des tests qui joue un rôle central dans l'évaluation des différences entre les
individus (chap. 8). Les chapitres suivants illustrent les apports de l'approche différen-
tielle sur trois thèmes classiques, celui de l'évaluation de l'intelligence (chap. 9), celui de
4 I Psychologie du développement et psychologie différentielle

l'évaluation de la personnalité (chap. 10) et celui des rôles respectifs des facteurs généti-
ques et environnementaux dans la genèse des différences entre les individus (chap. 11).
Enfin, la troisième partie de l'ouvrage décrit les professions auxquelles préparent
plus particulièrement les spécialisations en psychologie du développement ou en psy-
chologie différentielle. Deux des professions auxquelles peut conduire une spécialisation
en psychologie du développement sont présentées dans le chapitre 12, celle de psycho-
logue scolaire et celle de psychologue de l'enfance dans les institutions de santé. Deux
des professions auxquelles peut conduire une spécialisation en psychologie différentielle
sont ensuite présentées dans le chapitre 13, celle de conseiller d'orientation et celle de
psychologue du travail. Il a en effet paru utile d'introduire dès ce niveau du cursus les
informations sur les débouchés professionnels qui sont déterminantes pour le choix
entre les différents masters de psychologie offerts après la licence.
Différents outils destinés à faciliter le travail ont été inclus dans ce volume. Tout
d'abord, chaque chapitre se termine par une rubrique « lectures conseillées » dans
laquelle l'auteur du chapitre indique quelques articles ou ouvrages particulièrement
recommandés pour aller plus loin sur le thème qui vient d'être abordé. Les cours ne
peuvent suffire pour se former à la psychologie du développement et à la psychologie
différentielle. Ils ont pour objectif de fournir les bases conceptuelles et méthodologiques
qui permettent ensuite d'étudier par soi-même les thèmes abordés. La rubrique « lectu-
res conseillées » fournit les pistes par lesquelles ce travail personnel d'approfondisse-
ment peut être amorcé.
La bibliographie beaucoup plus conséquente qui se trouve à la fin de l'ouvrage
liste les publications citées dans les différents chapitres. Ces références plus ponctuelles
permettent de se reporter, le cas échéant, aux sources des travaux qui sont mentionnés
dans le cours et de se faire sa propre opinion sur telle ou telle étude dont le commen-
taire a particulièrement intéressé ou intrigué. Il ne faut en effet pas se contenter des
connaissances de seconde main fournies dans les manuels et faire, chaque fois que pos-
sible, la démarche d'aller aux sources de l'information présentée pour en faire sa
propre lecture.
Pour faciliter l'accès direct à des points précis du programme traité, on trouvera
aussi en fin d'ouvrage un index des auteurs cités et un index des thèmes abordés. Les
auteurs et les thèmes y sont classés dans l'ordre alphabétique et, en face de chacun,
sont indiquées les pages où il a été abordé. La table des matières détaillée qui se trouve
également en fin d'ouvrage donne par ailleurs une vue d'ensemble des thèmes traités.
Un lexique figure aussi en fin d'ouvrage. On y trouvera les définitions de certains ter-
mes dont les auteurs ont pensé qu'ils n'étaient peut-être pas connus de l'ensemble des
lecteurs. Ces termes sont signalés dans le texte par un astérisque.
Bonne lecture !
Jacques Lautrey.
première partie

PSYCHOLOGIE
DU DÉVELOPPEMENT
1 histoire et évolution
de la psychologie du développement

PAR HENRI LEHALLE

La psychologie du développement constitue l'une des grandes spécialités de la psycho-


logie. Elle a pour objet l'étude de l'ontogenèse psychologique, c'est-à-dire de l'évolution psy-
chologique individuelle tout au long de la vie. À partir du xixe siècle, la psychologie du
développement s'est construite à la fois comme une branche particulière de la psycho-
logie scientifique et comme une pratique cherchant à répondre aux demandes sociales et
aux difficultés psychologiques que les enfants et les milieux éducatifs peuvent rencontrer.
Faire l'histoire d'une discipline scientifique, c'est aussi en faire l'épistémologie*. En
effet, si l'on dépasse la simple chronologie événementielle pour chercher à montrer
comment se sont progressivement constituées les connaissances en psychologie du déve-
loppement, la démarche est simultanément historique et épistémologique. C'est pour-
quoi le plan adopté permettra tout d'abord de retracer la construction de la psycho-
logie du développement, selon trois points de vue complémentaires : celui de l'objet
d'étude, celui des méthodes et celui des théorisations. Mais l'évolution d'une discipline scienti-
fique ne résulte pas simplement d'un progrès rationnel des connaissances. Des détermi-
nants sociaux orientent ou limitent cette évolution. La quatrième partie de ce chapitre
illustrera par conséquent, sous diverses formes, les influences sociales qui ont déterminé
l'évolution des recherches en psychologie du développement et façonné nos représenta-
tions actuelles de la discipline. Le tableau 1, à la fin du chapitre, permet de situer chro-
nologiquement les principaux auteurs.

A - LA CONSTRUCTION DE L'OBJET D'ÉTUDE :


DES PRÉOCCUPATIONS ÉDUCATIVES
À L'IDÉE D'UNE ONTOGENÈSE PSYCHOLOGIQUE

Quelles furent au cours des siècles passés les conceptions de l'enfance ? Comment
ces conceptions se sont-elles spécifiées jusqu'à ce que le développement de l'enfant
devienne un objet d'étude scientifique ? Comment cet objet d'étude a-t-il évolué de
8 I Psychologie du développement

façon plus récente ? Telles sont les questions qui seront abordées dans cette première
partie où l'on remontera le temps jusqu'aux périodes lointaines du Moyen Âge et de
l'Antiquité.

I - L'enfance et l'idée d'enfance dans l'Antiquité

Les analyses de Philippe Ariès (1973) ont longtemps façonné notre représentation
historique de l'enfance. La thèse défendue par Ariès était que la croyance en des parti-
cularités enfantines différentes de l'adulte ne serait apparue que tardivement, à l'époque
moderne (xvie et xvir siècles). Mais les historiens actuels (Becchi et Julia, 1996/1998)
nous proposent une vision plus nuancée de cette évolution historique. Ils nous obligent
à dépasser une conception linéaire des changements historiques et à moduler les repré-
sentations schématiques que l'on peut avoir de l'Antiquité et du Moyen Âge.
À commencer par l'Antiquité (Becchi, dans Becchi et Julia, 1996), aussi bien dans
le monde grec (Sparte et Athènes) que latin (Rome), l'enfant est considéré dès sa nais-
sance comme un membre de la cité et comme un sujet du pouvoir politique. Les préoc-
cupations éducatives sont donc essentielles car il s'agit de former l'enfant selon les
valeurs et les aspirations du groupe. Mais des différences apparaissent selon les lieux (la
cité guerrière de Sparte opposée à la cité civile d'Athènes), les périodes historiques et les
milieux sociaux. Des différences doivent également être soulignées selon les âges de
l'enfance. En latin, Infant signifie littéralement « celui qui ne parle pas » et désigne le
jeune enfant... jusqu'à 7 ans car, pensait-on à l'époque, si la parole n'est pas encore
« signifiante », ce n'est pas vraiment « parler » (Varron, cité par Néraudau, dans Becchi
et Julia, 1996). Après 7 ans, l'enfant est appelé puer ; la fin de l'enfance se marque à
17 ans par l'entrée dans la classe des iuniores : ceux que l'on peut mobiliser militaire-
ment ; cet âge fut défini pour éviter d'envoyer à la guerre de trop jeunes gens. Sur un
plan juridique, le petit romain est placé sous l'autorité paternelle qui médiatise la loi de
l'État. Cela commence dès la naissance car le père devait reconnaître l'enfant en le
relevant de terre et signifier ainsi une prise en charge éducative. Mais il pouvait aussi le
rejeter, le vendre, le donner en adoption ou le faire « exposer » (i.e. abandonner l'enfant
dans un lieu désert, rendant ainsi sa mort très probable).
Nous n'avons que peu d'indications sur la manière dont les Anciens « théori-
saient » l'enfance. L'importance de l'enfance et de l'éducation était cependant
reconnue. Cela amène paradoxalement Platon à penser qu'il convient de chasser de la
cité tous les individus âgés de plus de 10 ans si l'on veut créer une République véritable-
ment nouvelle ! Mais les discours sur l'enfance sont rares, centrés sur des questions de
physiologie (chez Aristote, qui a pourtant fondé le Lycée) ou de pédiatrie (Hippocrate)
et il n'y a guère de traces historiques manifestant une réflexion psychologique sur
l'enfance. Toutefois, comme toujours, certains marginaux anticipent les évolutions futu-
res. Ainsi, Quintilien (cité par Becchi, dans Becchi et Julia, 1996) déplorait le recours
aux châtiments corporels et avait déjà l'idée d'une nature spécifique à l'enfance. Il
recommandait aux parents et aux enseignants d'en noter les caractéristiques (prompti-
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 9

tude intellectuelle, vivacité de la mémoire, capacité à imiter) et de les utiliser. Ce type


de discours sur l'enfance, suscité par une préoccupation éducative, ne cessera de
s'amplifier jusqu'à l'époque moderne.

Il - Les discours sur l'enfance liés aux discours sur l'éducation

Un peu à la manière de Quintilien, les discours sur l'enfance ont longtemps été
motivés par des préoccupations éducatives. Ces discours restent relativement rares au
Moyen Âge mais ils se généraliseront au moment de la Renaissance. Au Moyen Âge
(Becchi, dans Becchi et Julia, 1996), la représentation de l'enfance est marquée par la
culture chrétienne : l'enfant est par nature situé entre le bien et le mal et participe à la
fois de ces extrêmes. D'un point de vue social, l'éducation familiale est, au fil des siè-
cles, de plus en plus concernée par l'avenir professionnel et s'appuie sur l'école et
l'atelier Mais l'éducation scolaire a connu une longue éclipse entre les dernières écoles
constituées sur le modèle romain (fin du V' siècle) et les premières écoles religieuses tant
vantées par Charlemagne et qui commencent à prendre leur essor au Ixe siècle.
Concernant le Moyen Âge, il faut insister, là aussi, sur la variabilité de la condition
enfantine. En effet, à certaines époques ou dans certaines régions, les difficultés de la
vie obligent à l'indifférence et même à l'abandon d'enfants « exposés », comme dans
l'Antiquité, ou « donnés » aux institutions religieuses (les « oblats »). Beaucoup d'enfants
doivent travailler et de ce fait, dès l'âge de 7 ans, ils deviennent socialement « adultes »
et sont considérés comme tels. À la fin du xiRr siècle, le travail chez les artisans (à par-
tir de 7 ans pour les garçons et de 6 ans pour les filles) est réglementé par un contrat
obligeant le patron à fournir nourriture, vêtement et formation au métier. Cela suggère
quelles pouvaient être les conditions de vie de certains enfants auparavant.
Au moment de la Renaissance, le souci éducatif arrive au premier plan des repré-
sentations de l'enfance. C'est tout à fait manifeste dans l'oeuvre d'Érasme (1469-1536).
À la suite d'autres auteurs (principalement l'Allemand Petrus Schade, dit Mosellanus),
Érasme met à l'honneur le principe des « colloques scolaires » : recueils de petites
comédies dialoguées mettant en scène des enfants d'une façon vivante et réaliste. Ces
« colloques » avaient comme objectif de manifester le beau langage et de fournir des
modèles de comportements sociaux (ou à l'inverse des exemples à ne pas imiter !). Une
formule d'Érasme (« On ne naît pas homme, on le devient », dans De Fueris) est restée
dans notre mémoire collective. Elle paraît relever déjà d'une approche développemen-
tale de l'enfant jusqu'à l'âge adulte. Mais, du point de vue de son auteur, elle manifeste
plus probablement la nécessité des interventions éducatives qui seules permettent à
l'enfant de devenir « homme », autrement dit : sans éducation, pas d'humanité...
C'est une position tout à fait différente qui se manifeste au xvine siècle avec Rous-
seau (1712-1778). Les préoccupations éducatives reposent cette fois sur le souci de res-
pecter les tendances naturelles et de préserver les enfants des influences de la société
adulte. Éduquer ce n'est pas socialiser mais c'est laisser l'enfant s'exprimer selon sa
nature et dans la nature. Le principe est de respecter en tout les lois naturelles, l'enfant
10 I Psychologie du développement

étant plus proche de la nature que l'adulte. Mais il faut se garder d'imaginer
l'éducation rousseauiste comme idyllique et totalement sans contraintes. Par exemple, à
propos des nouveau-nés, Rousseau se mobilise contre l'emmaillotement des bébés car la
motricité du bébé doit pouvoir s'exprimer librement, mais un peu plus loin, sans réfé-
rence directe au nouveau-né, il invite à se modeler sur les exigences que nous impose la
nature : « Voilà la règle de la nature. Pourquoi la contrariez-vous ? (...) L'expérience
apprend qu'il meurt encore plus d'enfants elevés delicatement que d'autres. Pourvû que
l'on ne passe pas la mesure de leurs forces, on risque moins à les employer qu'à les
ménager. Exercez-les donc aux atteintes qu'ils auront à supporter un jour. Endurcissez
leur corps aux intempéries des saisons, des climats, des élémens ; à la faim, à la soif, à
la fatigue ; trempez-les dans l'eau du Stix » (1762/1999, p. 96 ; NB l'orthographe est
celle du texte original). Alors, si le pédagogue doit respecter la nature enfantine, il lui
faut la mieux connaître. Voilà pourquoi l'ouvrage de Rousseau, Émile ou De l'éducation
(1762), est rédigé en suivant une description des phases successives de l'enfance.
Cette constitution du développement en objet d'étude ne fera pas disparaître les
préoccupations éducatives chez les psychologues du développement. On peut suivre au
contraire la continuité de ces préoccupations chez des auteurs comme Claparède (1931,
L'éducation fonctionnelle), Wallon (cf. le fameux plan éducatif proposé par la commission
présidée par Langevin et Wallon, à la fin de la Seconde Guerre mondiale), ou Piaget
(et ses contributions aux travaux de l'uNEsco). Mais l'objet de la psychologie du déve-
loppement est désormais bien distingué de l'objet de la pédagogie.

III - La centration sur l'enfant en développement

L'invention du développement psychologique comme objet spécifique de


l'investigation scientifique se fait dans la seconde moitié du xixe siècle. Deux ouvrages
nous permettent d'apprécier le contexte de cette évolution : celui de G. Canguilhem,
G. Lapassade, J. Piquemal et J. Ulmann (1962/2003) et celui de Ottavi (2001) qui, à ce
propos, s'appuie en grande partie sur le premier.
Pour l'essentiel, il faut comprendre que les chercheurs du xix' siècle se sont inter-
rogés sur la nature des changements à trois niveaux d'échelle : l'évolution des espèces
(la phylogenèse, terme apparu en 1874), l'évolution des sociétés (la sociogenèse, selon la ter-
minologie employée par Cellerier et Ducret en 1992), l'évolution de l'individu (l'ontoge-
nèse, terme apparu en 1874 et d'abord limité au développement de l'embryon). Notons
que le terme de « sociogenèse » est également employé pour désigner le caractère social
de l'ontogenèse (voir les théories socioculturelles, chap. 2, II).
À considérer tout d'abord les relations entre phylogenèse et ontogenèse, Ottavi
(2001, p. 40) rappelle que plusieurs auteurs ont inventé à peu près simultanément la
fameuse loi de « récapitulation » que l'on attribue habituellement à Ernst Haeckel
(1866). Cette loi, d'abord formulée à propos de l'embryon, stipule que, au cours de son
développement, l'individu reproduirait en raccourci temporel la succession des formes
d'évolution de son espèce. Quant à l'évolution des sociétés, il est véritablement surpre-
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 11

nant de relire les textes de l'époque où l'idée d'une hiérarchie entre les « races » appa-
raît comme une évidence qui n'a même pas besoin d'être discutée. L'enfant en dévelop-
pement est alors assimilé au « primitif» qui est lui aussi considéré comme « moins
développé ». Par exemple Herbert Spencer écrit en 1876 (p. 47) : « On comprendra les
différences qui existent entre les races selon que la structure de leur cerveau est plus ou
moins développée, si l'on se rappelle quelles sont au milieu de nous les dissemblances
entre l'intelligence d'un enfant et celle d'un homme fait, dissemblances qui représentent
si bien la différence existant entre l'intelligence des sauvages et celle des hommes civili-
sés. » Cette croyance en la possibilité de situer les groupes sociaux sur une échelle
d'évolution perdurera fort longtemps. Dans le manuel de psychologie de l'enfant coor-
donné par Leonard Carmichael (1946/1952), on trouve encore un chapitre intitulé
« Recherches sur les enfants primitifs », c'est-à-dire sur les enfants des sociétés encore
qualifiées de « primitives », et ce chapitre est rédigé par... Margaret Mead que l'on ne
peut soupçonner d'ethnocentrisme. De nos jours, si l'on parle de « sociogenèse » (en
particulier sous la plume de Cellerier et Ducret, 1992) c'est pour désigner les transfor-
mations culturelles inhérentes à toute société mais sans hiérarchisation évaluative.
Comme on le verra, le concept d'ontogenèse suivra une évolution analogue.
Revenons au xixe siècle, où les comparaisons que l'on vient d'évoquer ne sont pas
simplement descriptives. Elles s'insèrent au contraire dans des débats théoriques dont
on peut rappeler trois aspects. Le premier aspect a tout d'abord concerné
l'embryologie. Il oppose, depuis la fin du )(vile siècle les préformationnistes aux théories
épigénétiques du développement de l'embryon. Selon les premiers, tout l'individu se
trouve déjà présent soit dans l'ceuf (pour certains) soit dans le spermatozoïde (pour les
autres), et ce « germe » n'a plus qu'à grandir. Pour les partisans d'une « épigenèse »
(terme apparu en 1625), des formes nouvelles apparaissent au cours du développement
de l'embryon. Clairement, au xlxe siècle, la théorie épigénétique l'emporte sur celle de
la préformation.
De ce fait, un second débat se greffe sur le premier et s'étend à tous les niveaux
d'évolution : celui des espèces, celui des sociétés et celui des individus au-delà de la
période embryonnaire. La question ici est de savoir si les évolutions sont « continues »
(dans ce cas, les changements sont quantitatifs) ou si elles sont « discontinues » (on pri-
vilégie alors les différences de nature entre les moments successifs). Ainsi, comme le
rapportent Canguilhem et al. (1962/2003, p. 60), Spencer estime que la notion de déve-
loppement doit être distinguée de la notion de croissance. La première est liée à des
changements qualitatifs, à des modifications de structure, tandis que la seconde corres-
pond aux changements quantitatifs. Le terme d'évolution recouvre alors, pour Spencer,
les deux types de changement : développement et croissance.
Mais comment apprécier les changements de structure ? La solution proposée fait
l'objet du troisième aspect théorique. À cette époque, de nombreux auteurs se représen-
tent le développement comme une différenciation. C'est la fameuse « loi de von Baer »
(un embryologiste allemand), loi reprise par Haeckel et bien d'autres (comme Spencer).
Cette loi établit que se développer, c'est passer de l'homogène à l'hétérogène, de
l'indifférencié au différencié, du général au particulier (voir l'encadré 1.1). Et, là
encore, tous les niveaux de développement paraîtront illustrer cette loi générale.
12 I Psychologie du développement

ENCADRÉ 1.1

L'observation scientifique du comportement d'un enfant


par Hippolyte Taine 11876)

C'est dans le tout premier numéro de la Revue philosophique de la France et de l'étranger


(1876), dirigée par Théodule Ribot, que Hippolyte Taine publie sa « Note sur l'acquisition du
langage chez les enfants et dans l'espèce humaine ».
La première partie de l'article est essentiellement descriptive. Elle consiste à suivre le
développement du langage chez sa propre fille « une petite fille dont le développement a été
ordinaire, ni précoce, ni tardif ». Orientées sur la question du langage, les observations de
Taine n'ont pas manqué, cependant, de s'intéresser aux activités préverbales, aux sons pré-
verbaux (qualifiés de « ramage », ancêtre terminologique du « babillage »), aux explorations
enfantines ( « Chacun peut remarquer qu'à partir du cinquième ou sixième mois, pendant
deux ans et davantage, les enfants emploient tout leur temps à faire des expériences de phy-
sique. (...) toute la journée, l'enfant dont je parle (12 mois) tâte, palpe, retourne, fait tomber,
goûte, expérimente ce qui tombe sous sa main. (...) » ) Au même âge de 12 mois, Taine note
ce qu'il appelle un fait décisif : « Cet hiver, on la portait tous les jours chez sa grand-mère, qui
lui montrait très souvent une copie peinte d'un tableau de Luini où est un petit Jésus tout nu ;
on lui disait en lui montrant le tableau : "Voilà le bébé". Depuis huit jours, quand dans une
autre chambre, dans un autre appartement, on lui dit d'elle-même : "Où est le bébé ?" elle se
tourne vers les tableaux, quels qu'ils soient, vers les gravures quelles qu'elles soient. Bébé
signifie donc pour elle quelque chose de général, ce qu'il y a de commun pour elle entre tous
les tableaux et gravures de figures et de paysages, c'est-à-dire, si je ne me trompe, quelque
chose de bariolé dans un cadre luisant » (les soulignements sont de l'auteur). Suivent des
observations montrant comment se précisent progressivement le sens des mots comme oua-
oua, cola (chocolat), etc.
Des questions développementales se trouvent théorisées dans la seconde partie de
l'article, où Taine cite les analyses du linguiste Max Müller. On y retrouve des comparaisons
hardies, entre les races « bien douées » ( « comme les Grecs d'Homère et les Aryens des
Védas » ) et les races « mal douées » ( « comme les Australiens et les Papous » ), mais aussi
entre les hommes et les animaux. « Ainsi le singe est sur la même échelle que l'homme, mais
à beaucoup d'échelons en dessous, sans que jamais l'exemple ou l'éducation puisse le faire
monter jusqu'à l'échelon où arrive un Australien, le dernier des hommes. » Et l'article se ter-
mine par des considérations terribles sur la supériorité humaine : « Si l'on cherche la condi-
tion psychologique de cette supériorité, on la trouvera dans une plus grande aptitude aux
idées générales. Si l'on en cherche la condition physiologique, on la trouvera dans un déve-
loppement plus grand et une structure plus fine de l'encéphale. La preuve en est que, si cette
double condition manque, l'homme ne peut acquérir le langage ni les talents distinctifs dont
on a parlé ; il s'arrête au-dessous de l'échelon humain ; c'est le cas pour les crétins, les idiots,
et, en général, pour les encéphales enrayés dans le cours de leur développement ou dont le
poids n'atteint pas mille grammes. »
Il est assez affligeant de constater à quel point les premières observations pertinentes
sur le développement des enfants se sont trouvées mêlées à des considérations idéologiques
qui, aujourd'hui, nous font frémir.

C'est dans ce contexte théorique que, tout naturellement, les premières observa-
tions d'enfants ont été menées dans le but explicite de faire avancer la connaissance
scientifique du développement. À vrai dire, la première observation scientifique d'un
enfant fut publiée en 1787 par le philosophe allemand F. Tiedeman (cité par Reuchlin,
1957/1961). Mais c'est l'article de Hyppolite Taine (1876, voir l'encadré 1.1) qui, en
raison des interrogations théoriques de l'époque, a suscité l'intérêt de la communauté
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 13

scientifique. Très vite, des publications analogues se sont multipliées. Les plus célèbres
sont celles de Darwin et de Preyer. Darwin avait pris des notes sur les trois premières
années de la vie de son fils (né en 1839), mais il ne les publie qu'en 1877, après avoir
pris connaissance de la traduction anglaise de l'article de Taine ; les observations de
Darwin étaient orientées sur l'évolution des manières de s'exprimer chez l'enfant :
expression émotionnelle et communication. Wilhelm Preyer a lui aussi suivi le dévelop-
pement de son fils pendant les trois premières années ; son projet était de saisir
l'évolution des capacités humaines, au travers de la variété des activités individuelles et
volontaires. Il publie en 1882 L'âme de l'enfant (1887, pour la première publication en
français... et 2005 pour la plus récente).
II y eut à l'époque bien d'autres observations effectuées sur les premières années
de la vie des enfants. On désigne souvent ces monographies par les termes de « biogra-
phies de bébés ». Elles témoignent de la constitution du développement psychologique
en objet d'étude scientifique. Mais la représentation de cet objet ne cessera pas
d'évoluer par la suite.

IV - L'évolution du concept de développement

Tout au long du )0(e siècle, la conception du développement psychologique, en


tant qu'objet d'étude scientifique, s'est beaucoup transformée. Cette évolution peut être
appréhendée, schématiquement, sous quatre aspects.
Un premier aspect a consisté en une prise de conscience progressive de la nécessité
de différencier des dimensions du développement. Au lieu d'analyser le développement
en grandes périodes successives, les auteurs se sont attachés à différencier des domaines
fonctionnels relativement homogènes. En 1973, Wohlwill théorise cette évolution. Il
s'efforce en particulier de définir des critères susceptibles de caractériser telle ou telle
« fonction développementale ». Toute fonction développementale est une manière de
relier des observables spécifiques à une variable temporalisée (comme l'âge chronolo-
gique) ; mais pour que l'on puisse véritablement parler d'une fonction en développe-
ment, il faut, en suivant Wohlwill, ajouter des conditions restrictives comme : la possibi-
lité de relier les moments de la genèse (ce qui se passe au temps t est bien dans le
prolongement de ce qui s'est passé aux temps t— 1, t— 2, etc.) ou l'existence d'une
forme d'évolution commune à tous les individus au-delà des différences interindivi-
duelles. Cette préoccupation de définir des domaines d'évolution (la motricité, le lan-
gage, les émotions, la socialisation, etc.) reste très présente dans les théorisations actuel-
les. Retenons de cette conception différenciée du développement qu'il est impossible de
li miter notre objet d'étude à l'évolution des capacités cognitives et de l'intelligence.
C'est en réalité tous les domaines du fonctionnement psychologique qui se trouvent
concernés par une approche développementale.
Une seconde évolution du concept de développement a été de ne plus se limiter à
la période de l'enfance et de l'adolescence. Selon Reese (1993), cette extension de pers-
pective à la vie entière débute à la charnière des années 1960 et 1970. On peut noter
14 I Psychologie du développement

cependant que c'est dans un article daté de 1950 (et regroupé avec d'autres articles
dans Adolescence et crise, 1968/1972) qu'Erikson a décrit « le cycle de la vie », comme une
succession de crises développementales auxquelles l'individu doit faire face depuis la
naissance jusqu'à la vieillesse. Dès 1976, Huston-Stein et Baltes ont discuté les implica-
tions théoriques et méthodologiques de la perspective développementale sur la vie
entière. Ils estiment en particulier que cette perspective manifeste la nécessité de distin-
guer les changements développementaux (ontogenèse) des différences observées entre
des groupes d'âge mais pour des raisons liées à des changements historiques ; en effet,
des personnes d'âges différents n'ont pas forcément eu les mêmes expériences ni les
mêmes formes de socialisation.
Mais l'objet des études développementales ne s'est pas seulement étendu en suivant
les niveaux d'âge (englobant l'âge adulte et la vieillesse), il s'est également étendu en
interaction avec d'autres domaines de la psychologie. Ainsi, en 1984, un numéro spécial
de la revue Child Development a été consacré à la psychopathologie développementale.
L'éditorial de Cicchetti retrace l'émergence de ce domaine d'étude dans les années 1970,
avec des racines qui remontent jusqu'à Sigmund Freud, puisque l'un des principes de la
théorie psychanalytique était précisément de postuler que le vécu des événements passés
détermine le futur. Dans les années 1970 ou 1980, ce n'est pas une idée nouvelle de pen-
ser que l'étude des enfants en difficulté et celle des enfants normaux peuvent s'enrichir
mutuellement. En revanche, il est novateur de considérer la dimension développemen-
tale des évolutions pathologiques et des interventions thérapeutiques. « Toute pathologie
est, strictement parlant, un processus. En tant que processus, l'évolution pathologique se
déroule dans le temps et doit donc être comprise dans une perspective temporelle. Et
comme toute pathologie peut être envisagée comme une perturbation, une distorsion ou
une dégénérescence du fonctionnement normal, il en résulte que, si l'on veut mieux com-
prendre la pathologie, il faut mieux comprendre le fonctionnement normal qui sert de
référence pour définir la pathologie » (Ciccetti, 1984, p. 2). Plus récemment, Karmiloff-
Smith (1998) poursuit ce type d'analyse en affirmant que « le développement lui-même
est la clé pour comprendre les troubles du développement ». Elle invite de plus à la cons-
titution d'une neuropsychologie développementale puisque les modèles neuropsychologi-
ques adultes ne peuvent suffire à expliquer les données cliniques et expérimentales
recueillies auprès des jeunes enfants (Reilly et Bernicot, 2003). Ainsi, l'objet de la psycho-
logie du développement se trouve étendu à la fois en direction de la psychopathologie et
de la neuropsychologie.
De ce fait, à la fin du )0C siècle et sous l'influence des modélisations dynamiques
non linéaires (qui seront évoquées plus loin), c'est le concept même de développement
qui s'est trouvé modifié. Au lieu de considérer les changements développementaux
comme devant obligatoirement conduire à des évolutions « majorantes » (i.e. toujours
dans la direction d'un progrès) comme c'était le cas depuis le xixe siècle, l'idée de tra-
jectoires multiples et différenciées selon les domaines d'exercice finit par s'imposer.
Étudier le développement psychologique revient donc à étudier toutes les formes
d'évolution individuelle, à court terme (microgenèse, voir le chap. 3) ou à long terme
(macrogenèse), c'est-à-dire toutes les manières de réagir à des environnements potentiel-
lement divers. Si des développements apparaissent semblables c'est que les individus
ont réagi de la même manière à des environnements analogues. Si des développements
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 15

sont différents dans des environnements différents ou en raison de conditions initiales


différentes, il s'agit toujours d'ontogenèse. Ainsi, la distinction opérée par Huston-Stein
et Baltes en 1976 entre « différences » et « développement » n'a plus de justification.

V - Conclusion et transition

Cette première partie nous a permis de suivre la constitution du développement


psychologique en objet d'étude scientifique. En présentant ces changements historiques,
les débats théoriques qui les accompagnaient ont été évoqués, mais la question des
méthodes d'étude n'a été qu'effleurée. C'est que, jusqu'à présent, la notion d'objet
d'étude n'a pas été discutée. Elle fut employée de façon naïve pour désigner globale-
ment un domaine d'investigation : l'individu en développement (ontogenèse). Mais,
d'un point de vue épistémologique, l'objet scientifique n'est pas défini de cette manière.
L'objet scientifique, c'est ce qui informe le scientifique. Par conséquent, il n'y a pas
d'objet sans méthode. Et donc, faire l'histoire de la psychologie du développement, c'est
aussi s'intéresser à l'évolution des méthodes utilisées.

B - L'ÉVOLUTION DES MÉTHODES :


DES CHRONIQUES DISCURSIVES
AUX TECHNIQUES PRODUCTRICES DE PHÉNOMÈNES

Ce qui informe le psychologue du développement (son objet d'étude) résulte des


méthodes d'investigation utilisées. De ce point de vue, l'évolution historique peut être
suivie en distinguant quatre ensembles de méthodes : l'observation, les questionnaires et
la mesure, l'expérimentation, la modélisation et la simulation du développement.

I - L'observation et la catégorisation des comportements

Comme on l'a vu avec Taine, Darwin et Preyer, les premières observations


d'enfants au xixe siècle sont des chroniques discursives : il s'agit de noter au jour le jour
les comportements de l'enfant observé. Mais comme il est impossible de tout noter,
l'observateur retient dans ses observations ce qui répond aux questions qu'il se pose :
l'acquisition du langage chez Taine, l'expression des émotions chez Darwin, le dyna-
misme de l'activité chez Preyer. C'est pourquoi, la toute première observation d'un
enfant, réalisée au début du )(vue siècle par Jean Héroard ne fait pas vraiment partie de
l'histoire de notre discipline. En tant que médecin, Héroard était en charge de la santé
du futur Louis XIII, fils de Henri IV. De ce fait, il a scrupuleusement et quotidienne-
ment noté les faits et gestes du jeune prince. Mais la quantité d'informations recueillies
intéresse plus les historiens que les psychologues... et encore ! Julia (dans Becchi et Julia,
16 I Psychologie du développement

1996, t. 1) cite Michelet qualifiant ce texte de « journal des digestions de Louis XIII »
et rapporte un exemple d'anecdote qui peut faire sourire, ou inquiéter, à propos de la
« survalorisation du sexe royal » : « Le roi lui-même stimule l'organe de son fils en le
faisant déshabiller et mettre au lit avec lui : au sortir d'un de ces jeux, il [Louis] dit "des
mots nouveaux et paroles honteuses et indignes de telle nourriture. 'Celle de papa e
bien plus longue que la mienne, ell'e aussi longue que cela', montrant la moitié de son
bras" » (p. 375, l'orthographe est celle du texte original).
Comme on le voit, dans la longue chronique de Héroard, l'observation reste à
faire, car observer c'est sélectionner et catégoriser. C'est bien ce que feront Taine, Dar-
win ou Preyer. Une observation particulière n'a de sens que si elle illustre un type de
comportement. Cette méthode des chroniques n'a pas cessé d'être employée depuis le
xpe siècle. Elle fut par exemple utilisée par Piaget, observant les activités sensori-
motrices et sémiotiques de ses trois enfants (Jacqueline, Lucienne et Laurent). Récem-
ment encore, le projet GHILDES, initié par Mac Whinney et Snow dans les années 1980
et consultable sur Internet, met à la disposition des chercheurs des corpus présentant
l'évolution de l'expression orale d'enfants suivis longitudinalement.
Mais avec Piaget, l'observation n'est plus un simple recueil d'événements tels qu'ils
se présentent « naturellement ». Dès l'observation de ses propres enfants (dans les
années 1920), il intervient pour orienter l'activité et placer l'enfant dans des situations
présentant un problème à résoudre (par exemple, chercher un objet que l'on vient de dis-
simuler sous un cache). À la même époque, en interrogeant des enfants plus âgés, Piaget
met au point sa méthode clinique d'exploration critique (voir le chap. 3). Wallon a égale-
ment observé des enfants de différents âges dans des situations d'entretiens. En 1941,
dans L'évolution psychologique de l'enfant, il résume parfaitement le fait que toute observation
est une catégorisation déterminée par les attentes de l'observateur (encadré 1.2).

ENCADRÉ 1.2

Observer, c'est sélectionner, catégoriser et référer


Extrait de L'évolution psychologique de l'enfant, H. Wallon (1941, p. 18)

« À proprement parler, il n'y a pas d'observation qui soit un décalque exact et complet de la
réalité. À supposer, d'ailleurs, qu'il en fût de telles, le travail d'observation serait encore tout
entier à entreprendre. Bien que déjà, par exemple, l'enregistrement cinématographique d'une
scène réponde à un choix souvent très poussé : choix de la scène elle-même, du moment, du
point de vue, etc., c'est seulement sur le film, dont le mérite est de rendre permanente une
suite de détails qui auraient échappé au spectateur le plus attentif et sur lequel il lui devient
loisible de revenir à volonté, que va pouvoir commencer le travail direct d'observation. Il n'y a
pas d'observation sans choix ni sans une relation, implicite ou non. Le choix est commandé
par les rapports qui peuvent exister entre l'objet ou l'événement et notre attente, en d'autres
termes notre désir, notre hypothèse ou même nos simples habitudes mentales. Ses raisons
peuvent être conscientes ou intentionnelles, mais elles peuvent aussi nous échapper, car elles
se confondent avant toutes choses avec notre pouvoir de formulation mentale. Ne peuvent
être choisies que les circonstances à soi-même exprimables. Et, pour les exprimer, il nous faut
les ramener à quelque chose qui nous soit familier ou intelligible, à la table des références
dont nous nous servons soit à dessein, soit sans le savoir. »
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 17

Dans les années 1920 et 1930, c'était une méthode très répandue que de catégori-
ser des comportements enfantins et d'apprécier l'évolution, selon l'âge, de la fréquence
de ces catégories. Le très célèbre ouvrage de Luquet sur le dessin (1927) repose sur ce
principe méthodologique. Un autre exemple nous est donné par les travaux de Parten
réalisés à la même époque et cités par Hurtig, Hurtig et Paillard (1971). Parten
observait les jeux des enfants et s'intéressait au degré de participation sociale qu'ils
manifestent.
Par la suite, les observations des psychologues ont bénéficié des progrès techni-
ques apportés par les magnétoscopes. Ainsi, dans les années 1970, Brazelton enregistre
simultanément les comportements du nourrisson et ceux de sa mère (ou d'un autre
adulte) devant interagir avec lui. Les comportements de l'enfant et de son partenaire
sont codés seconde après seconde et ce codage permet de suivre le déroulement de
l'interaction et le degré d'accord entre les protagonistes (Brazelton, 1981). Les travaux
d'Izard sur les émotions illustrent également l'évolution méthodologique. La technique
élaborée par Izard en 1979 est un codage extrêmement précis du changement de
l'expression faciale (voir Izard et Read, 1986).
Ainsi, au cours des années, les observations ont pu devenir beaucoup plus fines,
plus objectives et plus précises. Les procédures comme
Xie
celles de Brazelton ou Izard sont
bien différentes des chroniques descriptives du siècle. Elles sont actuellement com-
plétées par l'utilisation de techniques informatiques qui facilitent le codage des enregis-
trements comportementaux. Cependant, ce qu'écrivait Wallon sur l'observation (enca-
dré 1.2) reste tout à fait d'actualité. L'utilisation d'un magnétoscope ou d'un
caméscope ne fait que reporter la réalisation de l'observation en tant que telle, et ne
garantit pas à elle seule son objectivité ni sa pertinence.

Il - Les questionnaires, la mesure et l'évaluation


d'un niveau de développement

G. Stanley Hall (1844-1924) est principalement connu pour son rôle de pionnier
de la psychologie aux États-Unis et pour avoir écrit le premier ouvrage de synthèse sur
l'adolescence (1904). Il n'a pas inventé la méthode des questionnaires mais il l'a fait
connaître aux États-Unis et il l'a utilisée pour obtenir des informations statistiques et
descriptives sur les connaissances des enfants, comparant garçons et filles, citadins et
ruraux, etc.
Cette méthode n'a pas cessé d'être utilisée pour obtenir de telles données descrip-
tives et comparatives. Au besoin, si l'enfant est trop jeune pour répondre, ce sont les
parents ou les enseignants qui sont interrogés à propos des comportements et manières
d'être des enfants. Mais, progressivement les questionnaires se sont spécifiés pour deve-
nir des instruments d'évaluation de variables individuelles ou environnementales : styles
éducatifs, difficultés comportementales, traits de personnalité, estime de soi, etc. De ce
fait, leur utilité en psychologie du développement s'est trouvée liée aux approches cor-
rélationnelles qui cherchent à dégager des liens entre variables, par exemple entre
18 I Psychologie du développement

l'estime de soi et la réussite scolaire ou entre les styles éducatifs dans les familles et les
difficultés comportementales des adolescents. L'évolution des recherches en ce domaine
a donc suivi le progrès des techniques statistiques : analyse factorielle, régression mul-
tiple, modèle d'équation structurale (sEm : Structural Equation Modeling). Ce dernier type
de modélisation cherche à dégager des relations entre tout un ensemble de variables et
à identifier des dépendances « en chaîne » entre plusieurs variables qu'il est tentant
d'interpréter comme des déterminations causales. En 1987, un numéro spécial de Child
Development (coordonné par Connell et Tanaka) a été consacré à cette question.
Avec la méthode des questionnaires, c'est plus généralement la question de
l'évaluation et de la mesure qui se trouve posée. Et, si on se représente le développe-
ment comme un progrès systématique des fonctions psychologiques, on cherchera à
situer chaque enfant par rapport au développement habituel des autres enfants et selon
une progression strictement ordonnée. Cette démarche d'évaluation est ancienne. La
première échelle du développement de l'intelligence a été créée par Alfred Binet et
Théodore Simon aux environs de 1900 et publiée en 1905. L'objectif était de repérer
les enfants en difficulté scolaire, puisque l'enseignement en France était obligatoire
depuis la loi Jules Ferry (1882). Le modèle sous-jacent à cette échelle est un modèle
ordinal : chaque âge chronologique est caractérisé par des items qui sont réussis à partir
de cet âge ; et donc, selon ce modèle, être « en avance » ou « en retard », c'est progres-
ser plus ou moins vite sur une dimension de développement (sur les adaptations ulté-
rieures de l'échelle de Binet et Simon, voir le chap. 7).
De nombreux instruments d'évaluation du développement ont été construits selon
le même principe. On peut citer par exemple l'échelle de Vineland (élaborée à l'origine
par Edgard Doll en 1935, et adaptée en France par M.-C. Hurtig et Zazzo, voir Zazzo,
1958/1969) ; dans sa version française, cette échelle mesure l'autonomie, l'intégration
sociale et l'intelligence sociale. Un autre exemple bien connu est le test du dessin du
bonhomme (Florence L. Goodenough, 1925/1956).
On aura compris que l'une des préoccupations essentielles des développementa-
listes est d'identifier des séquences, c'est-à-dire des successions comportementales liées à
l'âge ou à tout autre indice de changement temporalisé, que ces successions soient
nécessaires ou simplement majoritaires lors de comparaisons interindividuelles. C'est
pourquoi, la méthode de l'analyse hiérarchique (échelles de Guttman) est une méthode
particulièrement bien adaptée aux questions que se posent les chercheurs en développe-
ment et pour la construction d'outils évaluatifs. Cette méthode détermine dans quelle
mesure l'ordination de comportements ou celle de la réussite à différents items se
retrouvent bien à l'identique chez tous les enfants en développement. Les travaux de
Longeot (1969) élaborant une Échelle individuelle de la pensée logique (EH), fondée sur le
modèle piagétien classique, illustrent l'utilisation de ce modèle hiérarchique. Actuelle-
ment, cette direction d'analyse se poursuit avec les modélisations Rasch (du nom du
mathématicien Georg Rasch) que Bond et Fox (2001) présentent explicitement comme
une manière de mesurer, sur une même dimension sous-jacente de développement, à la
fois des items et les performances individuelles à ces items, tout en repérant les enfants
ou les items qui se situent mal dans cette hiérarchie.
En France, peu d'ouvrages se sont fixé comme objectif de présenter une variété
d'épreuves d'évaluation du développement. À la fin des années 1950 et dans les
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 19

années 1960, Zazzo a toutefois coordonné les deux tomes du Manuel pour l'examen psycho-
logique de l'enfant (1958/1969). Aux États-Unis, Jerome M. Sattler actualise régulière-
ment son Assessment of Children (2002, pour la e édition en deux volumes).

III - Expérimentation et comparaisons

Au sens strict, expérimenter c'est encore étudier des relations entre variables, mais
dans des situations contrôlées. Cette approche du développement, en termes
d'hypothèses, de plan d'expérience, etc., est relativement récente en comparaison des
méthodes déjà évoquées (observation, questionnaires, échelles). Reese (1993) estime que
la psychologie expérimentale de l'enfant n'a débuté que vers le milieu des années 1950.
Très vite, elle s'est étendue à tous les domaines fonctionnels et à tous les âges de
l'enfance et de l'adolescence. Il faut souligner en particulier à quel point l'invention de
nouvelles procédures expérimentales a complètement modifié, dans les années 1960
et 1970, notre conception de la psychologie des bébés (voir les chap. 3 et 4) en mon-
trant les possibilités très précoces de réaction à des différences de stimulation. La psy-
chologie piagétienne s'est également intégrée à la psychologie expérimentale puis aux
approches strictement cognitives (voir le chap. 2), mais en réalité sans Piaget lui-même.
Comme le souligne et le regrette Gréco (1985), Piaget, dans les années 1970, a voulu
étudier les processus de développement (la généralisation, la dialectique, etc.) avec la
même méthode d'entretien qui lui avait permis de baliser le développement conceptuel (la
logique, le nombre, les connaissances physiques, etc.), c'est-à-dire sans adopter une
méthodologie expérimentale.
La démarche expérimentale se retrouve dans les approches comparatives. D'un
point de vue méthodologique, l'approche « comparative » consiste à comparer des
groupes réels. Il ne peut s'agir par conséquent que de « quasi-expérimentation » car il
est impossible, ici, d'isoler certaines variables en contrôlant les autres : les groupes étant
des groupes réels, ils se différencient selon tout un ensemble de variables indissociables.
La réflexion expérimentale est cependant possible. Ainsi, comparer des groupes d'âge
(selon des plans transversaux, voir chap. 3) relève déjà d'une « quasi-expérimentation »
puisque les groupes d'âges sont des groupes « naturels » et non pas des groupes artifi-
ciellement créés. Comme on l'a vu, d'autres comparaisons entre groupes « naturels »
ont toujours été menées en psychologie du développement : comparaisons entre le nor-
mal et le pathologique, comparaisons entre les groupes culturels.
La dimension culturelle de l'ontogenèse n'a pas échappé aux psychologues du
développement (voir les théories socioculturelles, chap. 3), en particulier à Erikson
(Enfance et société, 1950/1974). Mais les comparaisons interculturelles dans des situations
expérimentales n'ont véritablement débuté que dans les années 1960, sous l'impulsion
de Bruner (Bruner, Olver et Greenfield, 1966), de Frijda et Jahoda (1966) et de Piaget
(1966). L'ouvrage de Dasen, Inhelder, Lavallée et Retschitzki (1978) sur le développe-
ment sensori-moteur et sémiotique des enfants Baoulé de Côte-d'Ivoire, constitue un
bon exemple de ce type d'étude. À la même époque, le LCHC (Laboratou of Comparative
20 I Psychologie du développement

Human Cognition) aux États-Unis, s'attachait à étudier la cognition dans la diversité des
contextes culturels ; les recherches menées par des auteurs comme Michael Cole, Sylvia
Scribner, Patricia Greenfield ou Jean Lave, ont des prolongements actuels (Greenfield
et Nunes, 2003).

IV - Modèles et simulations du développement

Le dernier ensemble de méthodes s'est développé de façon récente. Modéliser,


c'est utiliser des outils logiques ou mathématiques pour représenter un phénomène.
Ainsi, le structuralisme de Piaget est une modélisation structurale car il s'agit d'utiliser
des structures algébriques ou logiques — comme les groupes, l'algèbre de Boole, la
logique des propositions — d'en fabriquer au besoin (les « groupements ») pour repré-
senter de façon précise les connaissances et les contraintes inhérentes à l'activité cogni-
tive, et cela aux différents niveaux de développement. À ce titre, le structuralisme est
bien une méthode ou une ascèse (Gréco, 1965/1991).
Un autre type de modélisation ambitionne de rechercher quelle équation mathé-
matique (et dynamique par définition) serait susceptible de décrire les changements
développementaux et leur variabilité interindividuelle (Newell et Molenaar, 1998).
L'être en développement est alors considéré comme un système complexe en perpé-
tuelle transformation.
Une approche voisine et tout aussi récente consiste à tenter de reproduire artifi-
ciellement la forme des changements développementaux. Ainsi, dans les années 1990,
des simulations connexionnistes du développement ont été proposées. Elles consistent à
s'appuyer sur un modèle du fonctionnement neuronal pour simuler des acquisitions
psychologiques, grâce aux techniques actuelles de calcul informatique. Deux ouvrages
du même groupe d'auteurs apparaissent typiques de ce moment historique : l'un est
théorique (Elman, Bates, Johnson, Karmiloff-Smith, Parisi et Plunkett, 1996), l'autre est
méthodologique et pratique (Plunkett et Elman, 1997).

V - Conclusion et transition

À la fin du premier paragraphe de ce chapitre, il est apparu impossible de définir


l'objet de la psychologie du développement sans considérer les méthodes qui le produi-
sent. À la fin de ce paragraphe sur l'évolution historique des méthodes, c'est le cadre
théorique qui devient nécessaire pour tirer les leçons des informations acquises par telle
ou telle méthode.
Ainsi, relisons ce qu'écrivait Gréco (1965/1991, p. 245) à propos des ouvrages de
Arnold Gesell, longuement réédités en France, où se trouvent rassemblées quantité
d'observations : « À 2 ans et demi, nous dit-on, l'enfant "saisit et relâche trop brusque-
ment", et "aime regarder de loin passer les trains". Six mois plus tard, il "peut mettre
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 21

ses chaussures et déboutonner ses boutons", et se plaît maintenant "à regarder travailler
des ouvriers et à voir fonctionner un excavateur à vapeur ou un malaxeur à ciment".
Ajoutons que tous ces traits pittoresques figurent à la rubrique des "caractéristiques
motrices", sous-rubrique : "les yeux et les mains" (Gesell, 1949, p. 240). Fort bien. Mais
peut-être aimerions-nous comprendre s'il existe un lien non contingent entre les mala-
dresses préhensives et les goûts ferroviaires, et quel progrès réel présente l'évolution des
intérêts, du train au malaxeur. »
L'évolution de cette psychologie descriptive à la Gesell vers une psychologie expé-
rimentale à la Wynn (1992) ne dispense pas pour autant d'une réflexion théorique. Bien
au contraire. Ce qui est expérimentalement « prouvé » reste toujours très limité. Dans
le cas des bébés, on aura montré par exemple (voir les chap. 3 et 4) une réaction à la
nouveauté (mais nouveauté de quoi ?) ou des différences de temps de fixation (mais
pourquoi ?). Ces « preuves expérimentales » n'ont de sens que par rapport aux interpré-
tations théoriques possibles et rarement univoques. Or, précisément, les théorisations
du développement ont elles-mêmes évolué.

C - LES THÉORISATIONS DU DÉVELOPPEMENT :


DÉPASSER LES ANCRAGES TRADITIONNELS

Lorsqu'il s'agit d'interpréter les données factuelles ou de chercher à rendre compte


des changements ontogénétiques, les psychologues du développement ont fait appel à
trois grands types d'explication que l'on désignera ici par les termes de préformisme,
associationnisme, constructivisme. Curieusement, ces types d'explication ne se sont pas
historiquement succédé sous la pression des évidences expérimentales, mais ils ont plu-
tôt alterné au cours du temps, sous des formes et des labels divers, ou bien encore ils se
sont affrontés dans des débats théoriques dont on commence seulement à envisager le
dépassement. L'ouvrage de Richardson (1998) expose très clairement ces orientations
théoriques et leurs origines historiques. Il inclut également une présentation des théories
sociocognitives et des tentatives actuelles de renouvellement et d'intégration (connexion-
nisme, systèmes dynamiques).

I - Les trois positions traditionnelles et leurs origines historiques :


préformisme, associationnisme, constructivisme

Le caractère le plus général de la position préformiste est de considérer le dévelop-


pement psychologique comme prédéterminé. Si le développement se déroule dans le
temps et sur plusieurs armées, les déterminants de cette évolution existent en réalité dès
le départ. Cette prédétermination peut s'entendre de deux manières. On peut tout
d'abord la concevoir comme une programmation de l'organisme. Dans ce cas, le temps
22 I Psychologie du développement

du développement, c'est celui de la maturation biologique. Par conséquent, cette


conception n'exclut pas le fait que des fonctions psychologiques nouvelles puissent
apparaître tardivement, mais ces nouveautés sont le produit de transformations prépro-
grammées, ce qui revient à dire que toute fonction nouvelle existe « en germe » dès le
départ. Une autre manière d'envisager la prédétermination est de postuler que des
connaissances sont effectives avant toute expérience et toute action dans le milieu envi-
ronnant, et qu'elles sont donc susceptibles de guider les acquisitions à venir. Cette posi-
tion « nativiste » a des origines philosophiques lointaines. On remonte habituellement
jusqu'à Platon qui tenait de son maître Socrate une réelle méfiance vis-à-vis des infor-
mations provenant des organes sensoriels et qui considérait l'apprentissage comme une
démarche de l'esprit (pas de l'expérience) qui doit prendre conscience de ce qu'il sait
déjà de façon latente.
À la période moderne, l'explication du développement par la maturation biolo-
gique est fréquente. On la trouve par exemple chez Gesell (Gesell et Ilg, 1946/1972,
p. 10), et aussi chez Wallon et Piaget où elle se mêle à d'autres facteurs explicatifs. Plus
récemment, certains cognitivistes expliquent le développement des compétences chez
l'enfant par le progrès endogène des capacités de la mémoire, ce progrès permettant un
traitement simultané d'un plus grand nombre d'éléments d'une situation (voir le
chap. 2 et l'un des aspects des modèles « néo-piagétiens »).
Quant aux théories nativistes, elles sont tout d'abord illustrées par les psycholin-
guistes qui ont travaillé dans le prolongement ou à la suite des propositions théoriques
du linguiste Noam Chomsky. Mais elles se sont étendues à bien d'autres domaines que
celui du langage, en particulier le domaine des connaissances numériques (Gelman et
Gallistel, 1978). Elles ont entraîné, à partir des années 1970, la réalisation d'un très
grand nombre d'études dont l'objectif était de montrer la précocité et, par là même,
l'universalité des connaissances chez les bébés et de valider ainsi la prédétermination du
développement (« Nous naissons avec un patrimoine déterminé et donc avec l'aptitude
à l'exprimer. Naître humain signifie naître pour atteindre un certain état stable »,
Mehler et Dupoux, 1990/1995, p. 249).
À l'opposé du préformisme, l'associationnisme accorde un poids déterminant à
l'expérience. Selon ce point de vue, les connaissances sont issues des informations
perçues et des liens qui s'établissent entre elles. L'origine de cette conception
remonte là aussi à l'Antiquité. C'est Aristote (élève de Platon) qui, parmi de nom-
breuses autres avancées scientifiques, a proposé que des associations se créent au tra-
vers de la régularité de l'expérience et qu'elles se maintiennent en mémoire. Mais ce
sont les empiristes anglo-saxons des xvne et xviir siècles (l'Anglais John Locke,
1632-1704 ; l'Écossais David Hume, 1711-1776) qui ont radicalisé cette position en
faisant des associations le fondement même de la pensée. L'image de la « tabula
rasa », attribuée à Locke, est dans toutes les mémoires : à la naissance, l'esprit est
comme une table de cire vierge sur laquelle s'inscrivent et se relient les informations
perceptives. Toutefois, « l'expérience » chez Locke a une double nature : elle est
constituée des sensations (perception du monde sensible) et de la réflexion (percep-
tion de notre activité mentale interne). Le courant associationniste n'a pas cessé jus-
qu'à aujourd'hui avec, au xixe siècle, John Stuart Mill (1806-1873) puis Williams
James (1842-1910).
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 23

À l'époque moderne, l'associationnisme est représenté sous des formes très diver-
ses : théories béhavioristes (le développement se fait par un renforcement de liens entre
stimulations et réponses et ce renforcement dépend des conséquences, favorables ou
défavorables, qui suivent les réponses), réseaux sémantiques (les concepts sont des agré-
gats de propriétés qui se constituent en réseaux), etc. Même le connexionnisme peut
être considéré comme une forme actuelle d'associationnisme. Mais alors, comme le sou-
ligne Richardson (1998), il s'agit d'un « néo-associationnisme » qui s'est éloigné de
l'empirisme en acceptant l'idée de processus cognitifs innés ou, tout au moins, en
posant l'existence d'une architecture neuronale de départ (Elman et al., 1996).
Le constructivisme constitue le troisième pôle théorique de la psychologie du déve-
loppement. Il ne faut pas considérer cette orientation explicative comme un « juste
milieu » ou un « consensus mou » entre les deux premières. Il s'agit d'une démarche
d'analyse originale qui, elle aussi, a des racines anciennes. Le constructivisme établit,
dans sa caractéristique la plus générale (qui ne se limite pas aux fonctions intellec-
tuelles), que le développement psychologique résulte des réactions de l'organisme aux sol-
licitations de l'environnement. C'est encore chez Aristote que l'on en trouve les prémi-
ces. En effet, non seulement Aristote propose le principe des associations, mais il
valorise aussi l'intelligence, la « raison » qui permet de tirer les leçons de l'expérience.
Bien plus tard, Emmanuel Kant (1724-1804) exprimera des idées analogues : « Que
notre connaissance commence avec l'expérience, cela ne soulève aucun doute. (...) Mais
si toute notre connaissance débute avec l'expérience, cela ne prouve pas qu'elle dérive
toute de l'expérience, car il se pourrait bien que même notre connaissance par expé-
rience fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que
notre propre pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions sensibles)
produit de lui-même » (1781 / 1961, p. 38). Le constructivisme a également ses racines
dans le concept d'épigenèse, utilisé en embryologie pour caractériser la construction de
formes physiologiques nouvelles au cours de l'ontogenèse.
Mais c'est incontestablement James-Mark Baldwin (1861-1934) qui a forgé les
concepts du constructivisme moderne. Dans le chapitre 2 de son ouvrage de 1985,
Case nous montre à quel point Baldwin anticipe Piaget sur le plan des concepts, de la
terminologie employée et même des situations d'observation (par exemple, Baldwin a
observé l'un de ses enfants, bébé, retrouvant un trousseau de clés dissimulé sous une
couverture...). Clairement, avec Baldwin, l'enfant construit ses connaissances, dès le
niveau sensori-moteur, par le jeu de l'assimilation (qui active des schèmes d'action) et
de l'accommodation (qui recherche des schèmes ou les coordonne lorsque l'assimilation
a échoué). Ainsi, la position de Kant se trouve modifiée, car les outils de connaissance
(« l'entendement » et la « raison » chez Kant) doivent eux-mêmes être construits. C'est
également l'une des thèses principales de Piaget.
Les conceptions de Piaget (voir le chap. 2) ont profondément influencé la psycho-
logie du développement au point d'en constituer pendant longtemps la théorie domi-
nante et de promouvoir du même coup le constructivisme au rang de référence obligée
(Bideaud, 1999). Piaget s'intéressait essentiellement aux adaptations actives des organis-
mes à leur milieu. Étudier la construction des connaissances chez l'enfant était pour lui
une manière de cerner ces adaptations actives puisque l'intelligence a pour fonction
d'élaborer des solutions rationnelles aux problèmes qui se posent dans la vie quoti-
24 I Psychologie du développement

dienne. C'est ainsi qu'est née 1' «épistémologie génétique» (terminologie déjà présente chez
Baldwin, selon Case, 1985) : étude du développement des connaissances objectives. À
l'époque de Piaget, on parlait volontiers de « psychologie génétique », le terme de
« génétique » étant entendu au sens de « genèse ». Mais chez Piaget la psychologie
génétique est aussi, selon son propre vocabulaire, une « méthode génétique », car elle per-
met de mieux connaître les fonctions psychologiques par le biais de leur construction
chez l'enfant. Le coffret de deux CD «Jean Piaget. Cheminement dans l'oeuvre scienti-
fique » (distribué par Delachaux et Niestlé) constitue une mine d'informations histori-
ques sur Piaget.

Il - Le débat constructivisme/nativisme/évolutionnisme

C'est délibérément que les trois principales orientations explicatives — préfor-


misme, associationnisme, constructivisme — ont été présentées séparément dans le para-
graphe précédent. Mais, comme on peut s'en douter, des interactions conflictuelles ont
existé entre ces trois options théoriques. Ainsi, le constructivisme piagétien, tout comme
le cognitivisme au sens strict, s'est en partie constitué contre le béhaviorisme qui est une
forme d'associationnisme. De même, c'est essentiellement contre le constructivisme pia-
gétien que le nativisme moderne a émergé dans les années 1960 et 1970.
La controverse opposant Mehler et Bever (1967, 1968) à Piaget (1968) est une
bonne illustration de ce moment historique où débutent les discussions entre nativistes
et constructivistes. En s'inspirant de la tâche classique de conservation du nombre
(voir le chap. 2) Mehler et Bever ont montré que les enfants de 2 à 4 ans peuvent
déjà choisir la collection de bonbons la plus nombreuse (6 bonbons contre 4 dans
l'autre collection) sans tenir compte de la disposition spatiale. À l'époque, ce résultat
paraissait contredire les thèses piagétiennes Mais dans sa critique présentée l'année
suivante, Piaget (qui entre-temps a refait des observations dans des situations analo-
gues) ne manque pas de souligner la labilité des réponses des jeunes enfants. Surtout,
il dénie la qualité de « conservation » aux épreuves de Mehler et Bever, et considère
comme non pertinente l'invocation de structures innées pour expliquer la précocité
des « réussites ». En réponse, Mehler et Bever expriment leur accord sur l'ina-
déquation du terme de « conservation » et, dans leur conclusion, ils affinent leur posi-
tion théorique d'une manière tout à fait instructive pour la suite de l'Histoire. En
effet, en déclarant : « Nous n'avons jamais eu l'intention d'argumenter exclusivement
en faveur d'une structure innée par opposition à des processus innés susceptibles de
dégager une structure à partir de l'expérience » (NB les soulignements sont des
auteurs), ils pointent effectivement le coeur du débat jusqu'à aujourd'hui : peut-on par-
ler de connaissances innées ou de mécanismes innés permettant de construire des connais-
sances ? Et pour finir, ils précisent que leur objectif est de chercher à mieux connaître
les stratégies et les intuitions des très jeunes enfants, c'est-à-dire le point de départ du
développement cognitif et ils annoncent ainsi l'un des thèmes majeurs des recherches
qui vont suivre.
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 25

ENCADRÉ 1.3

Théories du langage et théories de l'apprentissage


Le débat entre Jean Piaget, Noam Chomsky... et quelques autres,
à l'abbaye de Royaumont du 10 au 13 octobre 1975

En octobre 1975, Piaget a 79 ans et Chomsky 46 ans. Ils sont tous les deux connus internatio-
nalement par leurs propositions théoriques qui ont déjà inspiré un très grand nombre d'études
empiriques. C'est au Centre Royaumont pour une science de l'homme que les deux hommes
se rencontrent pour un colloque organisé par Massimo Piattelli-Palmarini.
L'ouvrage issu de ce débat, remarquablement coordonné par Piatellini-Palmarini (1979),
nous offre une occasion rare de côtoyer la réflexion scientifique en train de s'élaborer. L'enjeu
est de chercher les réponses à des questions philosophiques anciennes, antérieurement for-
mulées comme une opposition entre « empiristes » et « rationalistes » (au sens de Kant), mais
qui prennent ici la forme d'une opposition entre l'innéisme ou nativisme de Chomsky (qui peut
apparaître comme un rationalisme kantien revisité) et le constructivisme de Piaget. Y a-t-il un
noyau fixe de connaissances innées et spécifiques à l'espèce humaine, et quelle en est la
nature ? Les connaissances et les outils de connaissance sont-ils au contraire construits, par
autorégulation", au travers des expériences et des actions dans un environnement physique
et social ? Quelles données factuelles sont ou seraient susceptibles de fournir des arguments
décisifs pour répondre aux deux questions précédentes ?
Piaget et Chomsky ne sont pas seuls à débattre. 23 chercheurs de renommée internatio-
nale sont à leur côté et participent aux discussions passionnées : des psychologues et des lin-
guistes, bien sûr, mais aussi des biologistes, des anthropologues, des mathématiciens, des
logiciens et philosophes de la connaissance, etc. C'est que les réponses aux questions posées
relèvent obligatoirement de disciplines variées. Ce type de collaboration était une habitude à
Genève, au Centre international d'épistémologie génétique créé par Piaget. On retrouve
actuellement cette démarche dans la constitution des sciences cognitives.
Dans le débat de 1975, retenons deux thèmes de discussion parmi bien d'autres possi-
bles. Tout d'abord, parmi les arguments rendant plausible l'hypothèse innéiste, Chomsky
avance le constat d'universalité, tandis que l'absence d'universalité invaliderait cette hypo-
thèse. Pour lui, s'il est possible de mettre en évidence, structuralement et par des comparaisons
interlangues, une « grammaire universelle », c'est-à-dire une organisation de base commune
aux diverses langues, alors cette organisation témoigne d'un noyau fixe que l'on peut considé-
rer comme inné. Mais Piaget a beau jeu de répondre que la généralité ne se confond pas avec
l'innéité et Cellerier ajoute (p. 137) : « Prendre l'universalité comme critère de l'innéité ne paraît
pas suffisant selon les normes de la biologie contemporaine. Tous les organismes suivent les
lois de la gravitation, néanmoins, nous n'en concluons pas que ces lois sont innées. L'anémie
hémolytique congénitale n'est pas universelle, cependant nous la tenons pour innée. En un
mot, l'universalité n'est même pas une condition nécessaire •..). » Et pourtant, encore
aujourd'hui, ce type d'argumentation innéiste est avancé dans le domaine du langage comme
dans d'autres domaines comme ceux de la quantification numérique et de la théorie de l'esprit.
Un autre thème de discussion est celui du statut développemental de l'intelligence sen-
sori-motrice. Chomsky semble ignorer cette période de développement ou refuse même de la
considérer, alors qu'elle est au contraire fondamentale pour Piaget car elle assure la continuité
du développement jusqu'à la fonction sémiotique et le langage. L'idée d'un agent, c'est-à-dire
d'un sujet auteur d'une action, pourrait venir de cette construction sensori-motrice antérieure
au langage.
Le débat est loin de se clore le 13 octobre 1975. Dans l'ouvrage qui en rend compte, des
textes sont ajoutés et de nouveaux échanges trouvent leur place à la fin du volume. Ainsi, la
discussion finale entre Piaget et le mathématicien René Thom annonce l'émergence des
modèles dynamiques d'auto-organisation* tels qu'ils ont été tout particulièrement développés
aux Pays-Bas. Ce n'est donc pas surprenant qu'un travail de réexamen du débat de 1975 ait été
mené à Groningen en intégrant les données factuelles plus récentes (de Graaf, 1999).
26 I Psychologie du développement

En effet, à partir des années 1960 et 1970, le recours à des hypothèses nativistes,
bien illustré dans le débat historique entre Piaget et Chomsky (voir l'encadré 1.3), a de
beaucoup contribué au succès de deux grandes orientations de recherche. Selon la pre-
mière orientation, comme dans Mehler et Bever (1967), il s'agit de simplifier les tâches
piagétiennes de manière à en montrer la résolution possible par des enfants plus jeunes
que ceux observés par Piaget, ce qui souligne alors la précocité des compétences cogni-
tives et va dans le sens du nativisme. Une orientation complémentaire a suscité
l'invention de nouvelles procédures permettant d'évaluer des connaissances et compé-
tences cognitives chez les bébés. De ce fait, pendant quelques décennies, ce fut une
sorte de course à la mise en évidence expérimentale de la plus extrême précocité
possible.
Mais la position constructiviste ne s'en est pas trouvée déstabilisée pour autant. En
effet, la précocité d'une compétence n'implique pas obligatoirement que cette compé-
tence n'aurait pas été construite. Et surtout, la simplification des procédures et
l'invention de nouveaux paradigmes expérimentaux changent complètement la nature
de ce qui est évalué et ne remettent donc pas en cause les bornes développementales
identifiées antérieurement. Ainsi, paradoxalement, les recherches motivées par des
préoccupations nativistes ont abouti dialectiquement à une meilleure connaissance non
seulement des états initiaux du développement (ce que souhaitaient Mehler et Bever)
mais aussi du déroulement de la construction des connaissances depuis l'état initial jus-
qu'aux niveaux balisés par Piaget. C'est bien ce qui semble se passer actuellement à
propos du nombre. Les synthèses actuelles en ce domaine (Mix, Huttenlocher et
Levine, 2002 ; Bideaud, 2002 ; Bideaud, Lehalle et Vilette, 2004) invitent plutôt à
considérer que si les bébés réagissent à des différences de numérosité c'est en tenant
compte d'indices perceptifs qui covarient avec la numérosité (étendue, densité, etc.), et
non pas en ayant abstrait la numérosité pour elle-même.
Par ailleurs, il est habituel de souligner que les interprétations nativistes ne font
que repousser à l'échelle phylogénétique l'explication des nouveautés structurales. Il est
donc tout à fait compréhensible que, dans les années 1980, une nouvelle « psychologie
évolutionniste » se soit constituée en renouant ainsi avec les préoccupations théoriques
du )(lx' siècle. Cette psychologie évolutionniste se différencie en deux aspects. Le pre-
mier consiste à appliquer à l'ontogenèse les principes darwiniens que l'on invoque habi-
tuellement pour rendre compte de l'évolution des espèces ; selon ce point de vue, le
développement peut se concevoir comme une sélection adaptative à partir d'une plura-
lité de fonctionnements préalables (Siegler, 1984). Le second aspect est une consé-
quence du nativisme. Il consiste à supposer que des modes de fonctionnement ont été
constitués à l'échelle phylogénétique selon des processus darwiniens et qu'ils se retrou-
vent préformés à l'échelle ontogénétique où ils se manifestent directement, sans appren-
tissage, comme des modules de traitements spécifiques au domaine fonctionnel consi-
déré (Sperber, 2002). Mais, comme l'a fait remarquer Gottlieb (2002), en citant à ce
propos Mivart (1871), la sélection phylogénétique n'opère pas directement sur des gènes
mais sur des gènes exprimés dans un environnement (phénotype). Autrement dit, les
comportements utiles à l'espèce préexistent obligatoirement à leur sélection naturelle, et
par conséquent le développement phénotypique de compétences (la variabilité) est un
préalable nécessaire pour que la sélection puisse opérer.
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 27

En résumé, le nativisme moderne s'est constitué contre le constructivisme, tout


particulièrement celui de Piaget, mais il conduit obligatoirement à une psychologie évo-
lutionniste qui en définitive ne peut ignorer le développement, ce qui nous ramène au
constructivisme. Cette circularité de l'explication invite à rechercher de nouveaux
modèles explicatifs de l'ontogenèse : a) en retenant du nativisme la nécessité de mieux
connaître les états initiaux et de les décrire en positif et non pas comme des manques
par rapport aux fonctionnements ultérieurs, b) en gardant du constructivisme l'idée de
transformations produisant à plus ou moins long terme des connaissances et des outils
de connaissance nouveaux, e) en reprenant de la psychologie évolutionniste l'évidence
de mécanismes d'acquisition caractéristiques de l'espèce.

III - L'évolution des concepts : exemple de la notion de stade

Le concept de stade est l'un des plus caractéristiques des approches théoriques du déve-
loppement. Pendant longtemps, chez Luquet (1927) par exemple, les descriptions en stades
de développement n'avaient pas directement de visée explicative. C'était une manière de
souligner les changements qualitatifs qui se manifestent au cours de l'ontogenèse et de ras-
sembler sous la forme de caractéristiques générales les propriétés communes de comporte-
ments observés à un moment du développement. Cependant, déjà chez Baldwin (Case,
1985), les « stades » (que Baldwin désigne par le terme « d'époques » / « epochs ») sont
conçus comme une séquence universelle de transformations nécessaires.
Mais avec Wallon et Piaget, l'analyse des relations entre stades successifs devient
plus explicite et, de ce fait, les systèmes de stades progressent dans la direction d'une
recherche d'explication : préciser les relations entre stades successifs devient une
manière d'approcher le processus même du développement. Dans son Histoire de la psy-
chologie, Reuchlin (1957/1961) ne manque pas de relever les différences qui apparaissent
entre la conception de Wallon et celle de Piaget. Chez Piaget, le processus de dévelop-
pement est progressif et continu mais il aboutit cependant à des constructions cognitives
qualitativement nouvelles qui intègrent les précédentes. Chez Wallon, les changements
se manifestent par des crises, des conflits, des discontinuités, et par exemple la « loi
d'alternance fonctionnelle » stipule que le passage d'un stade à un autre se traduit par
un changement d'orientation, avec une « alternance » entre la centration sur la cons-
truction personnelle interne et intime, et la centration sur les échanges avec le monde
extérieur. Quelques années après Reuchlin, Tran-Thong (1967/1971) s'est attaché,
dans un volumineux ouvrage, à la comparaison systématique de quatre systèmes de sta-
des : ceux de Wallon et de Gesell (qu'il considère comme relevant d'une approche
« concrète et multidimensionnelle » p. 416), et ceux de Freud et de Piaget (dont les
approches seraient « abstraites et unidimensionnelles »).
À vrai dire, si les psychologues du développement ont multiplié les descriptions en
stades, chacun n'hésitant pas à proposer son propre système, sous la forme de stades
généraux ou à propos de domaines fonctionnels spécifiques, ils ont beaucoup plus rare-
ment réfléchi à la notion même de stade et rarement confronté leur point de vue sur ce
concept. Le symposium de 1955 à Genève fait figure d'exception (voir l'encadré 1.4).
28 I Psychologie du développement

ENCADRÉ 1.4

« Le problème des stades en psychologie de l'enfant »


Symposium de l'APSLF, Genève 1955

En 1955, l'APSLF ( Association de psychologie scientifique de langue française) se réunit à


Genève pour un symposium sur « Le problème des stades en psychologie génétique »
( Osterrieth, Piaget, de Saussure, Tanner, Wallon, Zazzo, Inhelder et Rey, 1956). Comme le
précise Piaget (qui présidait l'APSLF cette année-là), tous les auteurs en psychologie du déve-
loppement sont obligés de décrire des stades car le développement est pensé en termes de
délimitations qualitatives et de succession dans le temps, mais « il se trouve que, par une
sorte d'anarchie juvénile démontrant combien notre science elle-même est restée jeune,
autant il y a d'auteurs, autant existe-t-il de systèmes de stades, comme si les psychologues
ne se lisaient pas entre eux ou n'éprouvaient pas le besoin de coordonner leurs efforts »
(1956, p. 2). De fait, Osterrieth précise (p. 44) qu'en rassemblant les 18 systèmes de stades
qu'il a analysés, on aboutit à distinguer 61 périodes de développement... C'est un peu
beaucoup.
Pour répondre à ces interrogations, des rapports ont été confiés à des spécialistes de
divers domaines de développement : le développement somatique (J. M. Tanner), le dévelop-
pement affectif ( R. de Saussure), la personnalité ( H. Wallon, représenté à Genève par
R. Zazzo), l'intelligence (J. Piaget) ; et Osterrieth devait assurer un rapport de synthèse.
Malheureusement, les rapporteurs n'ont fait que présenter les évolutions en stades dans
leur domaine respectif, et il n'y a que Piaget qui a fait précéder sa description en stades de la
définition de critères qui restreignent et précisent le concept de stade.
Par conséquent, c'est la partie « discussion » du symposium qui nous éclaire sur les
débats de l'époque. On en retiendra deux aspects, en raison de leur importance historique
ultérieure. Le premier est illustré par une remarque de F. Bresson : « On peut se demander si
vraiment la notion de stade est indispensable. Il y a déjà le risque de voir les publications de
vulgarisation "réaliser" ces stades et les transformer en principes explicatifs. Mais surtout,
comme l'a dit M. Piaget, les stades ne sont que des principes de classification (...) l'essentiel
est de se poser le problème des processus, qui permettent à un moment donné telle ou telle
opération » (p. 106). En effet, étiqueter des comportements par un stade, puis « expliquer »
ensuite les comportements par le stade ainsi défini est une démarche circulaire trop fréquente
dont il faut se garder ; cependant, une description en stades permet d'avancer dans
l'explication si elle permet d'inférer les lois du déroulement de l'ontogenèse (les « processus
formateurs », selon l'expression de Piaget, p. 56). Par ailleurs la remarque de Bresson annonce
l'étude du fonctionnement psychologique « en situation » (les processus fonctionnels),
au-delà de l'assimilation de tel comportement à tel stade.
Le second aspect est celui de l'architecture du psychisme. Si des stades sont décrits dans
différents domaines, comment se représenter le développement dans son ensemble ? Or, clai-
rement, il est apparu impossible de décrire des organisations d'ensemble qui gouverneraient,
en quelque sorte, tous les domaines de fonctionnement. Comme le déclare Piaget, contredi-
sant en cela l'image que l'on a souvent de lui, « Le problème principal est sans doute celui-ci :
existe-t-il des stades généraux qui englobent toutes les fonctions mentales et physiologiques
de la croissance ? Or, je n'y ai jamais cru ( NB: Piaget ajoute en note "ce qui attristait mon
maître P. Janet") et la conclusion qui me paraît ressortir à l'évidence de nos confrontations est
l'absence pour le moment, de tels stades généraux. (...) L'unité structurale, je ne l'ai vue nulle
part, à aucun stade dans le développement de l'enfant. Je ne la vois pas non plus chez la plu-
part des adultes. Je suis moi-même une personnalité multiple, divisée et contradictoire. Dans
certains cas, je m'efforce d'être un homme sérieux comme dans les situations profession-
nelles. Mais dans d'autres situations, je suis infantile ou me conduis comme un adolescent »
(p. 57 58).
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 29

L'idée habituelle que l'on se fait de la notion de stade est celle d'une généralisation
quasi automatique du fonctionnement caractéristique d'un stade, à toutes les situations
relevant du même domaine fonctionnel. Un enfant serait «dans» un stade et, de ce fait,
il « devrait » toujours se comporter selon les critères relatifs à ce stade. Faute de quoi, la
théorie considérée serait à revoir. Dans un contexte piagétien, on parle de « décalage
horizontal » pour désigner l'absence de synchronie dans l'accès à un stade selon les
domaines fonctionnels, et cette absence de synchronie est souvent jugée comme une
invalidation du modèle piagétien. Mais il faut rappeler que c'est Piaget lui-même qui a
proposé et défini la notion de décalage horizontal dès 1941, et parmi les critères de la
notion de stade qu'il a exposés au symposium de 1955, il distingue pour chaque stade
une période de préparation et une période d'achèvement (généralisation). Il est donc
normal qu'un enfant ne fonctionne pas toujours au même stade. Il est normal égale-
ment qu'un niveau d'achèvement dans un domaine fonctionnel ne s'observe pas néces-
sairement chez tous les adultes, bien que ce niveau puisse constituer l'aboutissement
nécessaire du développement pourvu que celui-ci ait l'occasion de se poursuivre dans le
domaine considéré.
Ainsi, contrairement à l'opinion commune, les spécialistes du développement
coordonnent désormais la notion de stade avec celle de variabilité intra- et interindivi-
duelle. C'est très clair dans la modélisation de Walker et Taylor (1991) à propos des
stades du jugement moral (d'après Kohlberg, 1969). Selon ces conceptions, les répon-
ses d'un enfant donné, à un moment donné de son développement, se distribuent
entre plusieurs stades, mais pas n'importe comment : il y a un stade modal (le plus fré-
quent), mais quelques réponses sont d6à au-dessus de ce stade modal et quelques
réponses sont encore au-dessous ; le développement se traduit alors par un « glisse-
ment » de cette distribution des réponses en suivant la séquence de stades. Plus géné-
ralement, l'introduction d'une approche différentielle en psychologie du développe-
ment est très largement une contribution française ou « franco-suisse ». Cette « French
connection» postpiagétienne a fait l'objet d'une série de commentaires dans Child Deve-
lopment, à la suite d'un article de Larivée, Normandeau et Parent (2000) où se trou-
vent présentés les travaux de J. Bideaud, J. Lautrey, F. Longeot, M. Reuchlin, A. de
Ribaupierre, L. Rieben.
Parallèlement à cette prise en compte des variabilités, de nouvelles descriptions du
développement n'ont pas cessé d'être proposées. Ainsi, le groupe des « néo-piagétiens »
(Demetriou, 1988 ; et le chap. 2) a beaucoup fait évoluer notre représentation du déve-
loppement cognitif : nouvelles descriptions en stades (avec, dans certains systèmes, la
réitération de la même succession de « sous-stades » à tous les « grands » stades distin-
gués), tout en intégrant la variabilité, surtout chez Fischer.
En définitive, les systèmes de stades actuels traduisent toujours les contraintes de
l'ontogenèse. L'idée de succession nécessaire est maintenue. Mais puisque les change-
ments développementaux apparaissent désormais comme dépendant des contextes ou
même comme véritablement construits dans chaque contexte, la succession néces-
saire exprimée par un système de stades s'accorde avec le constat des variabilités
individuelles.
30 I Psychologie du développement

I V - Les incertitudes et ouvertures actuelles

Les analyses actuelles du développement ne se réfèrent plus à une théorie domi-


nante comme cela pouvait sembler être le cas dans les années 1960 avec la psychologie
piagétienne. Nous assistons plutôt à l'émergence de directions nouvelles de modélisation
qui intègrent les descriptions en stades et sont compatibles avec le renouvellement de
l'intérêt pour les déterminants sociaux du développement (voir le chap. 2).
Le premier type de modélisation utilise les concepts et la méthodologie du
connexionnisme. Comme illustré par Elman et al. (1996) l'idée est de construire des
réseaux de neurones « formels » dont le fonctionnement est susceptible de simuler les
acquisitions réelles. Cela revient à calculer informatiquement, selon des règles plausibles
d'un point de vue neuronal, l'évolution des liens entre des « situations-problème » et les
« réponses » du réseau. L'intérêt théorique de ces simulations est de montrer que des
changements développementaux complexes peuvent se produire à partir d'interactions
entre éléments relativement simples et sans avoir besoin de postuler des connaissances
préalables.
Les simulations connexionnistes produisent des évolutions « non linéaires », avec
des périodes d'accroissement rapide et des périodes de stabilisation. Plus généralement,
les modèles dynamiques non linéaires (Newell et Molenaar, 1998) consistent à recher-
cher des équations mathématiques susceptibles de décrire la forme (non linéaire) des
évolutions psychologiques à plus ou moins long terme (l'adjectif « dynamique » signifie
simplement « au cours du temps »). Dans ce cas, les « stades » peuvent être considérés
comme des « attracteurs », c'est-à-dire des équilibres provisoires, ce qui prolonge la
conception piagétienne. A priori toutes les descriptions développementales sont suscepti-
bles d'une modélisation dynamique et par exemple Van Geert (1994) a proposé une
reformulation dynamique des conceptions de Vygotski. Par ailleurs, ces modélisations
intègrent la variabilité puisque des changements de paramètres dans une même équa-
tion dynamique sont susceptibles de produire des évolutions très différentes, pas tou-
jours majorantes mais où le futur dépend toujours du passé.
Connexionnisme et modélisations dynamiques conduisent à penser le développe-
ment en termes d'auto-organisation. Cette approche est susceptible de constituer un
nouveau paradigme dominant intégratif (Lewis, 2000). Cependant, à un niveau
d'approche plus directement significatif, les modélisations structurales gardent tout leur
intérêt, ne serait-ce que pour « baliser le développement » en vue d'une modélisation
dynamique qui relierait les moments repérés. Actuellement, les modèles structuraux
visent à décrire des organisations cognitives en coordonnant le niveau fonctionnel
(i.e., en situation) et le niveau conceptuel, et cela aux différents moments du développe-
ment (voir par exemple Rittle-Johnson et Siegler, 1998, à propos des activités
numériques).
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 31

V - Conclusion et transition

En résumé, l'histoire des théorisations du développement nous invite à dépasser les


ancrages traditionnels comme celui qui oppose « nativisme » et « constructivisme ».
Certes, ces deux conceptions sont a priori incompatibles et il convient de bien repérer de
telles incompatibilités explicatives.
Mais, au-delà de ces oppositions historiques, l'évolution des conceptions théoriques
en psychologie du développement aboutit à différencier des types d'interrogations déve-
loppementales pour en montrer la complémentarité. En définitive, théoriser le dévelop-
pement, c'est coordonner trois types d'interrogation (Lehalle et Mellier, 2002/2005) :
une interrogation sur le processus du développement (son déroulement en micro- et en
macrogenèse), une interrogation sur les mécanismes qui produisent les changements
(mécanismes innés et « neuronaux », mais sans postuler pour autant des connaissances
innées), une interrogation sur les déterminants du développement, les déterminants
sociaux en particulier, qui sollicitent les mécanismes et produisent le déroulement déve-
loppemental tout en le différenciant.
Toutefois, les débats théoriques, méthodologiques et conceptuels en psychologie du
développement ne suffisent pas à en expliquer l'histoire, et il nous faut pour finir suggé-
rer l'impact des déterminants sociaux.

D - LES DÉTERMINANTS SOCIOHISTORIQUES


DE L'ÉVOLUTION DES CONNAISSANCES

L'évolution des connaissances scientifiques ne repose pas seulement sur une ana-
lyse rationnelle du passé. Des déterminants sociohistoriques sont toujours en cause et
les conditions de la recherche dépendent de l'idéologie ambiante. Souvenons-nous que
les femmes n'ont été admises à la Sotie of Experimental Pechologists (États-Unis)
qu'en 1929, après la mort de son fondateur E. B. Titchener en 1927...
Ainsi, pour des raisons sociologiques, des nouveautés peuvent rester dans l'ombre
et revenir ultérieurement sur le devant de la scène. On assiste également à des effets de
mode et à des emballements provisoires. Rittle-Johnson et Siegler (1998) parlent à ce
propos « du critère de la grand-mère » : les résultats d'une expérience auprès des
enfants ont peu de chances d'avoir un impact médiatique s'ils vont dans le sens de ce
que pourrait dire n'importe quelle grand-mère ; en revanche, s'ils contredisent, même
provisoirement, les idées reçues (dire par exemple qu'un bébé de 5 mois peut déjà faire
des calculs arithmétiques) ils seront largement repris et discutés !
Dans les paragraphes qui vont suivre, on illustrera quelques types de détermina-
tion sociale des évolutions historiques de la psychologie du développement.
32 I Psychologie du développement

I - Les circonstances historiques : hasard et nécessité

Il est arrivé que des circonstances historiques extérieures à la psychologie du déve-


loppement influencent son évolution, dans un sens négatif comme dans un sens positif.
Ainsi, les propositions théoriques de Lev Vygotski (1896-1934) sont restées très
longtemps ignorées de la communauté scientifique internationale. Vergnaud (2000) rap-
pelle la vie dramatique de Vygotski qui fut mis à l'écart par la hiérarchie communiste
en URSS, alors qu'il était un marxiste convaincu et bien qu'il ait jeté les bases d'une psy-
chologie « historico-culturelle ». Vygotski avait lu les premiers ouvrages de Piaget. En
revanche, Piaget n'a pris connaissance des travaux de Vygotski qu'à l'occasion de la
première publication en anglais de Pensée et langage (en 1962) qui comporte des « com-
mentaires » de Piaget. On imagine, avec Vergnaud, ce qu'aurait pu produire une ren-
contre entre ces deux personnages qui n'ont jamais pu débattre directement. Vygotski
fut « redécouvert » dans les années 1960, bien après sa mort prématurée, et sa pensée
inspire actuellement de nombreux psychologues et pédagogues (flot, 1999/2002 ;
Schneuwly et Bronckart, 1985 ; Vergnaud, 2000).
C'est une tout autre histoire que celle de Baldwin qui fut obligé de s'expatrier des
États-Unis. D'après l'encyclopédie Wikipedia (qui cite un article de Horley, 2001), Bald-
win aurait été surpris par une descente de police dans une maison close ; Beach et Vas-
salo (2004) précisent (à partir de l'ouvrage de Valsiner et Van der Veer, 2000) que Bald-
win y menait une « visite d'étude exploratoire» (p. 154). De ce fait, Baldwin se trouvait à Paris
au moment où le jeune Piaget y séjournait également (de 1919 à 1921). Il est difficile
d'imaginer que l'exil à Paris de Baldwin n'ait pas eu, directement ou indirectement, une
influence sur l'élaboration des conceptions piagétiennes. Dans son monumental ouvrage
(en deux volumes) sur la genèse de la pensée de Piaget, Ducret (1984) ne manque pas de
citer Baldwin, aux côtés de Janet, Brunschvicg, Lalande, Claparède et bien d'autres.

Il - Les rencontres et confrontations délibérées

Le progrès des connaissances dans un domaine scientifique est une œuvre collec-
tive qui va bien au-delà du succès médiatique auquel aspirent quelques personnalités
fortes. Cet aspect collectif est bien illustré par les diverses modalités de confrontation ou
d'échanges qui constituent autant de traces historiques pour garder en mémoire les
orientations pertinentes et pour éviter de retracer des chemins déjà balisés.
Deux rencontres historiques ont déjà été citées dans ce chapitre : celle de 1955 sur
les stades et celle de 1975 entre Piaget et Chomsky. Il y en eut bien d'autres. Par
exemple, de 1953 à 1955, quatre conférences de psychobiologie du développement ont
été organisées à Genève par Inhelder et Tanner. Elles ont été publiées chez Tavistock
sous le titre Discussions on Child Development. Quelques noms parmi les participants à ces
conférences suffisent à montrer la qualité et l'ouverture des débats : John Bowlby
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 33

(l'auteur principal de la théorie de l'attachement), Konrad Lorenz (éthologiste), Marga-


ret Mead (anthropologie culturelle), René Zazzo (psychologue d'orientation wallo-
nienne), J. W. M. Whiting (comparaisons interculturelles), E. H. Erikson (psychanalyste
du développement), L. von Bertalanffy (Théorie générale des systèmes).
Plus récemment, la constitution du groupe des « néo-piagétiens » (voir le chap. 2)
s'est probablement cristallisée lors d'un symposium du Congrès international d'Acapulco
en 1984. Une série d'articles a suivi dans le Journal international de psychologie (1987), articles
réédités par Demetriou (1988). Toutefois, le label « néo-piagétien » avait déjà été
employé dès 1974 (du vivant de Piaget !) par Pascual-Leone (voir Pascual-Leone, dans
Demetriou, 1988). Mais il faut souligner que bon nombre de « post-piagétiens », comme
Leslie Smith ou Trevor Bond, ne sont pas en accord avec le groupe « néo-piagétien », si
bien qu'il est plus exact de parler de « l'après-Piaget » (Meljac, Voyazopoulos et Hatwell,
1998) pour désigner l'ensemble des courants issus de l'école piagétienne.
Dans le même ordre d'idées, les associations et sociétés savantes jouent un rôle
d'incitation et de mémoire. Ottavi (2001) rappelle l'importance de la société libre pour
l'étude psychologique de l'enfant (SLPEPE), fondée en 1899 par Ferdinand Buisson, auquel
succéda Binet en 1902. De nombreuses associations continuent aujourd'hui de promou-
voir la recherche et les discussions entre chercheurs. Au niveau international, on peut
citer : PESDP (European Society for Developmental Pgchology),l'issBD (International Society for the
Study of Behavioral Development), la JPS (jean Piaget Society, voir le site internet « Pia-
get.org »). Des revues sont associées à ces sociétés savantes.
En langue française, deux revues ont accompagné l'histoire de la psychologie du
développement : Les archives de psychologie, fondée en 1901 par Théodore Flournoy et
Édouard Claparède, puis animée par Piaget et ses collaborateurs, et la revue Enfance
fondée en 1948 par H. Wallon, avec H. Gratiot-Alphandéry.
Enfin, plusieurs séries d'ouvrages constituent une mine d'information sur l'évolution
des débats théoriques et méthodologiques en psychologie du développement. Citons en
premier lieu les 37 volumes des Études d'épistémologie génétique publiés de 1957 à 1980. Ils
rassemblent les travaux genevois réalisés sous la direction de Piaget mais ils manifestent
également la pensée originale et créatrice des personnalités que Piaget avait su motiver.
Actuellement, la JPS publie chaque année, chez Erlbaum, des volumes à thème qui res-
semblent aux Études. Cette «Jean Piaget Symposium Series » comporte 23 volumes ; le dernier
en 2005 reprend le titre d'un ouvrage de Piaget (Biology & Knowledge) et précise en sous-
titre : « From neurogenesis to psychogenesis ». Par ailleurs, Hayne W. Reese a coordonné
de 1969 à 2000 les Advances in Child Development (Academic Press) qui présentent chaque
année, et encore aujourd'hui, des articles de synthèse sur des thèmes d'actualité.

III - Les demandes sociales

La psychologie du développement se doit également de répondre aux demandes


sociales, et les réponses qu'elle donne, ou les tentatives de réponse, ont beaucoup
influencé sa propre évolution. On a vu par exemple que le test de Binet et Simon
34 I Psychologie du développement

TABLEAU 1. 1. —Chronologie de quelques auteurs essentiels,


dont certains n'ont pas pu être cités dans le chapitre.
Les astérisques indiquent la date des principales publications de ces auteurs,
sous la ligne continue représentant leur vie.
Pour éviter des choix difficiles, aucun auteur contemporain
(i.e. encore vivant) n'a été représenté dans ce tableau

1855 I 1865 I 1875 1 1885 I 1895 1 1905 1 1915 I 192571935 I 1945 I 1955 I 1965 I 1975 1 1985 I 1995 12005
Wilhelm Preyer .
1841-1897
G. Stanley Hall
1844-1924
Sigmund Freud . . •
1856-1939
Alfred Binet •• • . . ...
1857-1911
J. M. Baldwin . • . •
1861-1934 • •
Ed. Claparède . • «
1873-1940
Henri Wallon • • . ... .
1879-1962
Arnold Gesell • ..
1880-1961
F. Goodenough • •
1886-1959
René A. Spitz • •
1887-1974
Heinz Werner
1890-1964
Anna Freud .. «
1895-1982 « « «
Lev Vygotski
1896-1934
Jean Piaget .. . .. . ..... 3 .......**.
1896-1980
Nancy Bayley .. .
1899-1994
Erik H. Erikson •
1902-1994
Maurice Debesse • •
1903-1998
John Bowlby • •• • «• • .
1907-1990
Irène Lézine .• • •
1909-1985 «
René Zazzo • . . *
1910-1995
Bârbel Inhelder .. • • • .• • •
1913-1997
Mary Ainsworth •
1913-1999 ••
Pierre Oléron • •« • • •
1915-1995
Pierre Gréco ....... • • •••
1927-1988
L. Kohlberg • .. •
1927-1987 ...
Esther Thelen • • • ••••• .
1941-2004
Robbie Case • .•
1945-2000
Histoire et évolution de la psychologie du développement I 35

(1905) a été motivé par le souci de repérer les enfants en difficulté scolaire. Dans un
tout autre domaine, Zazzo (1974) rappelle que la théorie de l'attachement est en partie
issue des observations sur les troubles psychologiques manifestés par les nourrissons
séparés de leur mère. Actuellement, des études développementales sont encore motivées
par des demandes sociales de natures très diverses : éducation (techniques de remédia-
tion, didactique des disciplines), prise en charge des handicaps, problèmes de socialisa-
tion, etc.

E - CONCLUSION :
SITUER LA PSYCHOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT

En définitive, la psychologie du développement apparaît comme une discipline


scientifique autonome, avec un objet d'étude spécifique, des méthodes qu'elle partage
avec d'autres disciplines mais qui peuvent aussi lui être particulières, des théorisations
qui ne cessent d'évoluer.
Elle ouvre sur les autres spécialités de la psychologie avec lesquelles elle entretient
des rapports étroits et une problématique en partie commune : psychologie différen-
tielle, psychologie cognitive, psychologie sociale, neuropsychologie, psychopathologie.
C'est aussi une méthode, comme l'a bien montré Piaget, car étudier le développe-
ment peut contribuer à répondre à des questions que l'on se pose en psychologie géné-
rale. Actuellement, la question de la modularisation* des traitements cognitifs en est un
bon exemple.
C'est enfin un champ d'intervention professionnelle susceptible de répondre aux
demandes sociales (dans les secteurs de l'enfance mais pas seulement) avec une
approche qui se caractérise par des modes de prise en charge particuliers, essentielle-
ment fondés sur les principes théoriques du constructivisme.

LECTURES CONSEILLÉES

Becchi, E., & Julia, D. (Eds.) (1996). Histoire de l'enfance en Occident. T. 1 : De l'Antiquité au
xvii. siècle. T. 2 : Du xVfir siècle à nos jours. Paris : Le Seuil, 1998 pour la traduction
française.
Canguilhem, G., Lapassade, G., Piquemal, J., & Ulmann, J. (1962). Du développement à l'évolution
au nr siècle. Paris : PUF, « Quadrige », 2003.
Ottavi, D. (2001). De Darwin à Piaget. Pour une histoire de la psychologie de l'enfant. Paris : CNRS Édi-
tions.
Richardson, K. (1998). Models of Cognitive Development. Hove, UK : Psychology Press.
2 quelques grandes théories
du développement cognitif

Il n'est pas possible de présenter l'ensemble des théories qui ont été proposées pour
rendre compte du développement cognitif. Dans ce chapitre, l'accent est mis sur deux
des grands courants théoriques qui ont marqué le domaine, l'approche constructiviste
et l'approche historico-culturelle. L'approche constructiviste est illustrée par la théorie
de Piaget et les théories néo-piagétiennes. Piaget est l'initiateur du courant constructi-
viste et sa théorie est celle qui a le plus profondément marqué le domaine. Les théories
néo-piagétiennes, qui lui ont succédé, en ont conservé l'orientation constructiviste, mais
se sont appuyées sur les modèles du traitement de l'information pour résoudre certains
des problèmes auxquels se heurtait la théorie piagétienne. L'approche historico-
culturelle est illustrée par la théorie de Vygotski et les théories néo-vygotskiennes qui
s'en sont inspirées et l'ont précisée ou modifiée.

A - LA THÉORIE PIAGÉTIENNE, par Jacqueline Bideaud

La théorie piagétienne a investi le champ de la psychologie de l'enfant et de


l'adolescent pendant plus d'un demi-siècle. C'est avant tout une théorie du développe-
ment de l'intelligence humaine et des structurations logiques qui assurent son adapta-
tion à l'environnement. Œuvre féconde, elle a suscité une littérature scientifique abon-
dante de thuriféraires comme de contradicteurs. Œuvre poursuivie au sein d'une
équipe, l'École de Genève, mais surtout oeuvre d'un chercheur éminent, Jean Piaget,
dont un aperçu de la trajectoire intellectuelle permet de mieux comprendre la
démarche.
Jean Piaget est né à Neuchâtel, en 1896. Très tôt, le jeune Piaget s'enthousiasme
pour l'histoire naturelle et publie à 11 ans, dans une revue régionale, ses observations
d'un moineau albinos, ce qui lui vaut d'être admis au Muséum d'histoire naturelle de la
ville pour classer et étudier les collections de fossiles. À 16 ans, il publie un article très
38 I Psychologie du développement

sérieux sur les petits mollusques des eaux douces et salées, suivi d'une quinzaine d'autres
articles où il tente d'expliquer les variations anatomiques des mollusques observés en
fonction des variations des milieux. En 1918, Piaget soutient un doctorat de Sciences
naturelles. Mais préoccupé tout autant par l'évolution de l'intelligence que par celle des
formes biologiques, il se rend la même année à Zurich pour suivre une formation de psy-
chologie expérimentale, puis à Paris où il suit un triple enseignement : psychologie, his-
toire des sciences et logique. C'est là que se dessine ce qui sera son champ de recherche :
construire une théorie de l'instrument même de la connaissance en étudiant, à travers
l'ontogenèse des conduites, les formes successives de la logique qui structurent
l'intelligence humaine. Il en commence l'étude à Paris au laboratoire fondé par Binet en
étudiant le développement des classifications chez l'enfant. Il la poursuit à Neuchâtel,
Lausanne et surtout Genève où il enseigne l'histoire des sciences et la psychologie et
dirige avec Barba Inhelder une équipe éminente de chercheurs. En 1955, Piaget fonde à
Genève le Centre international d'epistémologie génétique, lieu inégalé de rencontres
pour les chercheurs de disciplines diverses du monde entier. La production intellectuelle
piagétienne se développe et reste extraordinairement féconde. Entre 1907, date du pre-
mier écrit, et la mort de Piaget en 1980, on compte plus de 700 publications (1 322 avec
les traductions) auxquelles il faut ajouter trois ouvrages posthumes.
Ce bref aperçu nous renseigne sur l'intérêt porté par Piaget aux questions de
l'évolution des connaissances dans l'histoire des sciences, de l'insertion de l'intelligence
dans l'évolution biologique des espèces et de l'importance des structurations logiques
dans son développement. Ce sont les trois points d'ancrage de la théorie.

I - Les trois ancrages de la théorie

a. L'ancrage épistémologique

Piaget s'est défendu d'être seulement un psychologue dans la mesure où il est aussi
un théoricien de la connaissance. Ce qui l'intéresse vivement c'est la constatation
« épistémologique » de l'accroissement infini des connaissances scientifiques dans
l'histoire des sciences. Comment les connaissances s'accroissent-elles ? Ou si l'on peut
traduire la question d'une manière cavalière : « Comment est-on passé de la brouette à
la fusée sur la Lune ? » Quels sont les mécanismes qui permettent l'émergence de la
nouveauté ? La réponse à ces questions ne peut être abordée qu'à trois conditions : étu-
dier le développement historique des connaissances ; procéder à une analyse de
l'intelligence qui précise les instruments logico-mathématiques dont elle dispose ; et sur-
tout étudier son développement dans un raccourci saisissant, chez l'enfant. L'enfant
expert en développement et l'homme expert scientifique s'expliquent mutuellement. La
psychologie de l'intelligence sera dite génétique dans la mesure où elle étudie la genèse
des mécanismes responsables de l'accroissement des connaissances. Et puisqu'il s'agit de
mécanismes très généraux, le sujet-enfant ne sera pas le sujet individuel mais un sujet
« épistémique » conçu « comme l'ensemble des mécanismes communs à tous les sujets
d'un même niveau » (Piaget, 1968, p. 58).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 39

b. L'ancrage biologique

Dans le bref aperçu donné du cursus intellectuel de Piaget, il est clair que l'intérêt
pour l'évolution des formes biologiques a précédé celui pour les formes de l'intelligence.
Mais un pont est jeté de l'une à l'autre. L'intelligence humaine s'inscrit dans l'évolution
générale de la vie à travers ses diverses formes, ce qui conduit à créditer l'intelligence
humaine de deux fonctions fondamentales : l'adaptation et l'organisation. L'adaptation
est le produit d'une interaction entre l'assimilation et l'accommodation. L'assimilation
renvoie au processus par lequel un objet de connaissance est appréhendé par
l'organisation actuelle du sujet. L'instrument de l'assimilation est le schème défini comme
la structure ou l'organisation d'une action telle qu'elle se transfère lors de la répétition
en des circonstances semblables. Considérons, par exemple, la suite des gestes à effec-
tuer pour accrocher son propre chapeau à une patère : lever le bras, prendre le cha-
peau sur la tête, allonger le bras, accrocher le chapeau. Cette suite de gestes est un
schème qui se reproduira dans les mêmes circonstances. L'accommodation est l'activité
par laquelle l'organisation actuelle se modifie, par exemple lorsqu'il s'agira d'une
écharpe au lieu d'un chapeau. Un autre exemple peut être donné avec le schème de
succion du bébé : le mouvement des lèvres, la pression, se modifient en fonction de
l'objet à téter ou à sucer (sein, biberon, pouce). L'organisation des conduites est alors
l'aspect externe, fonctionnel, résultant de l'interaction assimilation-accommodation dont
le schème est l'instrument. Le développement de l'intelligence sera celui de ces structu-
rations successives d'actions puis d'opérations (actions intériorisées et réversibles), qui se
construisent à partir des structures initiales : les schèmes réflexes des bébés. En bref, ce
qui est inné ce sont les processus d'adaptation et d'organisation à partir des schèmes
réflexes ; ce qui se construit ce sont les organisations des actions et opérations du sujet
dans une interaction constante avec l'environnement.

c. L'ancrage logique

L'une des conditions de la compréhension des mécanismes d'accroissement des


connaissances concerne l'étude précise des instruments logiques dont dispose
l'intelligence humaine. L'hypothèse développée est celle d'une liaison étroite entre les
structures normatives utilisées dans la démarche scientifique et les structures logiques
qui se développent chez l'enfant. « La logique est une axiomatique de la raison dont la
psychologie de l'intelligence est la science expérimentale correspondante (Piaget, 1947,
p. 37). Les structures d'actions et/ou d'opérations qui se développent tendront à se rap-
procher des formes étudiées et utilisées par les logiciens et mathématiciens. La construc-
tion d'un certain type de structure va déterminer un stade de développement et son
achèvement constituera la borne supérieure du stade. C'est principalement dans cet
ancrage logique et dans le rôle majeur donné aux actions et opérations du sujet que
réside l'originalité essentielle de la théorie piagétienne. Son objet est en fait l'étude des
instruments rationnels de la connaissance avec comme terrain expérimental la genèse
de l'intelligence chez l'enfant ou psychologie génétique.
40 I Psychologie du développement

Il - Les stades de développement

Le décours du développement est décrit sous forme d'étapes successives ou stades.


La notion de stade étant définie dans le premier chapitre de l'ouvrage, seules ses carac-
téristiques principales sont rappelées : 1 / l'ordre de succession des stades est constant
mais peut varier chronologiquement ; 2 / un stade est spécifié par une structure
d'ensemble des actions ou opérations du sujet ; 3 / les structures d'un stade deviennent
partie intégrante de celles du stade suivant. Trois étapes sont ainsi proposées : le stade
sensori-moteur, le stade de préparation et de mise en place des opérations concrètes, le
stade des opérations formelles.

a. Le stade sensori moteur


-

C'est la période de l'intelligence sensori-motrice qui s'étend de la naissance à


l'acquisition du langage, vers 2 ans. Elle a été décrite par Piaget, à partir des observa-
tions effectuées sur ses propres enfants (Jacqueline, Lucienne et Laurent) dans trois
ouvrages remarquables : La naissance de l'intelligence chez l'enfant (1936), La construction du
réel chez l'enfant (1937) et La formation du symbole chez l'enfant (1945). Le maître-mot est ici
le schème, outil primordial et primitif du développement, défini comme « la structure
ou l'organisation des actions, telles qu'elles se transfèrent ou se généralisent lors de la
répétition de cette action en des circonstances semblables ou analogues » (Piaget et
Inhelder, 1975, p. 11). L'étape sensori-motrice se divise en 6 sous-stades qui sont résu-
més ci-dessous du point de vue du développement des schèmes d'action, de celui des
significations et de la construction de l'objet.

— Sous-stades 1 et 2. L'exercice des réflexes et les premières habitudes (0 à 4 mois environ).


Les réflexes ne sont pas conçus comme de simples réponses isolées, mais comme des
activités spontanées et totales de l'organisme. Ceux d'entre eux, qui ont un avenir parti-
culier (succion et préhension) donnent lieu à un exercice réflexe qui les consolide (assi-
milation reproductrice) permet la généralisation à d'autres objets, le pouce par exemple
(assimilation généralisatrice) et la distinction entre objets à sucer (assimilation recogni-
tive). Ces réactions circulaires expriment la réalité des schèmes assimilateurs, de leur
coordination et de leur accommodation aux objets. Elles sont dites primaires parce que
uniquement orientées sur le corps propre pour la saisie des objets.
Concernant les significations, les impressions sensorielles deviennent des signaux-
indices avec un progrès de la prévision. Par exemple, une certaine position dans les bras
de la mère déclenche la succion. Quant à l'objet, il ne susciterait au départ que des
réflexes d'évitement ou d'attraction suivies au deuxième sous-stade par la reconnaissance
de tableaux sensoriels et la persévération brève de réactions de recherche d'agrippement.

— Sous-stade 3. Les réactions circulaires secondaires et les procédés destinés à prolonger les évé-
nements intéressants (4 mois - 8 mois). Les réactions circulaires sont dites ici secondaires dans
Quelques grandes théories du développement cognitif I 41

la mesure où elles deviennent des comportements orientés vers les objets. Cette orienta-
tion est permise par la coordination vision-préhension qui s'établit au début de cette
étape. Les schèmes s'appliquent alors aux objets saisis (frapper, secouer, frotter, etc.).
Piaget (1936, p. 155) donne l'exemple « des secousses du berceau ». Le bébé en
secouant son berceau déclenche l'oscillation des hochets suspendus. Il recommence les
secousses pour obtenir le même résultat et les recommence aussi lorsqu'on lui présente
les hochets ou lorsqu'on agite uniquement le toit du berceau où ils sont accrochés. Il
s'agit alors d'une assimilation réciproque des schèmes moteurs et visuels qui implique
de la part du bébé une activité de coordination et de mise en relation.
La découverte de résultats heureux entraîne une différenciation après coup entre
moyens et buts et permet aux moyens de prendre un caractère de prévision, d'indices
intermédiaires (Laurent, 4 mois et demi, pleure lorsqu'on lui met la serviette qui annonce
sa potion). Concernant l'objet Piaget distingue cinq types de conduite (schèmes) :
1 / l'accommodation visuelle aux mouvements rapides ; 2 / la préhension interrompue ;
3 / la réaction circulaire différée (reprise d'une recherche d'objets interrompue par
l'adulte) ; 4 / la reconstitution d'un tout invisible à partir d'une fraction visible ; 5 / la
suppression des obstacles empêchant la perception.

Sous-stade 4. La coordination des schèmes secondaires (8-9 mois - 12 mois).


L'application des schèmes à des situations nouvelles aboutit à une subordination des
moyens aux buts posés d'avance Ainsi Jacqueline ouvre la bouche devant la cuillère de
jus de fruits et la ferme devant la cuillère de soupe. C'est le niveau de l'indice vrai (prévi-
sion d'un événement indépendamment de l'action). C'est aussi le niveau d'une
recherche active de l'objet caché derrière un écran. La recherche qui n'était poursuivie
que si le bébé avait esquissé un geste vers l'objet avant sa disparition se poursuit main-
tenant sans cette condition, mais il ne tient pas encore compte de la succession des
déplacements visibles derrière des écrans alignés.

— Sous-stade 5. La réaction circulaire tertiaire et la découverte de moyens nouveaux (12 mois -


18 mois). Le bébé réalise des expériences pour voir (chute et translation d'objets) et
découvre activement des moyens nouveaux (conduite du support de la ficelle ou du
bâton qui sert à attirer un objet éloigné). La capacité de prévision s'enrichit et la
recherche de l'objet disparu tient compte des déplacements visibles. Mais au plus
simple des déplacements invisibles (en cachette), le bébé se trouble et cherche l'objet à
sa place antérieure.

— Sous-stade 6. L'invention des moyens nouveaux par combinaison mentale (12 mois -
18 mois). La combinaison mentale est le trait d'union entre l'intelligence pratique et
l'intelligence représentative. Piaget cite l'exemple de sa fille Lucienne qui ouvre la
bouche pour mimer l'ouverture d'une boîte d'où elle veut extraire une chaîne de
montre, prévoyant ainsi en la symbolisant l'action à effectuer. On assiste ici à une dif-
férenciation nette entre le signifié (l'ouverture de la boîte) et le signifiant (l'ouverture
de la bouche). Au niveau de l'objet, l'enfant tient compte des déplacements visibles et
invisibles derrière les écrans : il peut se représenter, en son absence, l'objet et son
devenir.
42 I Psychologie du développement

Ainsi s'achève le stade sensori-moteur par l'avènement de la représentation des


objets et des actions au moyen de symboles et par l'achèvement d'une structuration des
actions. Selon Piaget et Inhelder, les déplacements et localisations des objets par le sujet
s'organisent « ... en une structure fondamentale qui constitue la charpente de l'espace
pratique (1966, p. 17). C'est ainsi qu'un déplacement AB peut être inversé en un dépla-
cement BA (conduite de retour) ; la composition de ces deux déplacements donne un
déplacement nul AA; les déplacements sont associatifs : dans la suite ABCD,
AB + BD = AC + CD, ce qui veut dire que si les trajets ne sont pas en ligne droite, un
même point D peut être atteint par des chemins différents. Or cette structure corres-
pond au groupe de déplacement de Poincaré étudié par les géomètres. Cette description sous
forme de structure permet "d'unifier" des conduites diverses telles la recherche de
l'objet disparu, les conduites d'atteintes d'objets, d'allers et retours, de détours. Elle sou-
ligne que » la construction du schème de l'objet permanent est solidaire de
l'organisation spatiotemporelle de l'univers pratique » (ibid., p. 16). On touche du doigt
ici le sens même de l'approche piagétienne selon laquelle les outils cognitifs développés
par l'enfant s'apparentent progressivement à ceux étudiés et utilisés dans la démarche
scientifique.

b. Le stade de préparation et de mise en place des opérations concrètes

La capacité de pouvoir représenter quelque chose, le signifié, à l'aide d'un signi-


fiant différencié (symbole ou signe) est la fonction sémiotique, marque fondamentale de
cette période. Cette fonction se manifeste vers 18 mois - 2 ans dans l'image mentale qui
est une action intériorisée, l'imitation différée (reproduire un geste ou un événement
passé), le jeu symbolique (jouer à l'oiseau, à la maman, etc.) et le dessin. L'imitation et
le jeu symbolique sont étudiées finement par Piaget dans l'ouvrage : La formation du sym-
bole chez l'enfant (Piaget, 1968). À cet âge également apparaît le langage qui représente
les objets et les événements par des signes arbitraires et permet donc de s'en distancier.
Mais dans la mesure où le langage existe préalablement, où il est « donné » par
l'environnement social et non construit par l'enfant, son intérêt pour le développement
est négligé par Piaget, ce qui lui a été vivement reproché. En revanche, la démarche
piagétienne privilégie fortement l'action du sujet, moteur du développement cognitif,
dont l'avènement de la fonction sémiotique renforce le pouvoir en assurant son intério-
risation. L'action intériorisée pourra alors se coordonner avec d'autres actions intériori-
sées et réversible sous forme de structure. L'outil cognitif se perfectionne. Au « groupe-
ment des actions pratiques » s'ajoute le « groupement des opérations concrètes » qui
permet à l'intelligence d'opérer sur le réel indépendamment des contraintes spatio-
temporelles immédiates. Ces opérations sont dites concrètes dans la mesure où elles
s'appliquent à des représentations d'objets et non à des hypothèses énoncées verbale-
ment. Les opérations retenues pour étudier le développement cognitif à ce stade de
développement, sont très générales, communes à tous les individus. Elles renvoient
principalement aux notions de conservation des quantités, de classifications, de sériation
et à l'élaboration du nombre.
Quelques grandes théories du développement cognitif I 43

1 / La conservation des petits ensembles discrets

La notion de conservation connote un processus très général qui assure la perma-


nence de l'objet dès le stade sensori-moteur et, au stade des opérations concrètes, la
permanence des quantités continues et discontinues en dépit de transformation appa-
rentes. Les épreuves qui testent cette conservation comprennent toujours trois phases.
Voici un exemple portant sur la quantité continue. Deux boulettes identiques de pâte à
modeler sont présentées : 1 / l'enfant doit convenir de l'égalité des deux boulettes ;
2 / l'examinateur transforme l'une des boulettes (étirement, aplatissement ou morcelle-
ment) ; 3 / la question d'égalité est de nouveau posée. La même procédure est utilisée
pour la conservation des liquides où, après égalisation dans deux récipients identiques,
l'eau de l'un d'eux est transvasée dans un récipient de forme différente, et pour les
conservations du poids et du volume. Un autre exemple, celui de la conservation des
petits ensembles numériques (quantité discontinue), permet de décrire au plus près le
passage de l'étape de préparation à celle de mise en place des opérations concrètes
(cf. fig. 2.1).

•• •• •• •• •• •• ••
(a) Disposition des jetons avant déplacement

•••••••
(b) Disposition des jetons après déplacement

• • •• • ••
FIG. 2.1. — Épreuve piagétienne de conservation
des petits ensembles discrets

L'expérimentateur aligne sur la table 6 à 8 jetons bleus et demande à l'enfant de


composer une collection numérique équivalente à partir d'un tas de jetons. Trois
conduites de résolution sont observées entre 3 et 5-6 ans.

1 / Absence de correspondance terme à terme. l'enfant construit sa rangée en serrant les


pions, le seul but étant d'obtenir une rangée de même longueur que le première. Selon
Piaget, il s'agit ici de régulations « intuitives, » analogues sur le plan de la représenta-
tion à ce que sont les régulations perceptives sur le plan sensori-moteur « (1966,
p. 155).

2 / Correspondance terme à terme sans conservation. Le schème de correspondance est


assez élaboré pour que la correspondance terme à terme s'effectue. Mais si
l'expérimentateur écarte les pions de l'une des rangées ou les resserre, l'équivalence
44 I Psychologie du développement

quantitative n'est plus reconnue. Les régulations « intuitives », préopératoires sont deve-
nues assez souples pour que s'élabore une correspondance exacte mais elles restent
limitées faute de mobilité réversible.

3 / Conservation non durable puis conservation justifiée. Les réponses de conservation sont
correctes mais labiles et varient en fonction des transformations opérées sur l'une des
rangées (allongement, rétrécissement ou regroupement). La conservation devient ensuite
solide (vers 5-6 ans) et justifiée par l'un des arguments suivants : argument d'identité
( « c'est pareil, on a rien enlevé ni ajouté ») ; argument de réversibilité ( « c'est toujours
pareil, on peut resserrer les jetons pour avoir la même longueur » ) ; de compensation
( « c'est pareil, la rangée ici et plus longue mais les pions sont moins serrés ; l'autre est
plus courte mais c'est plus serré » ).
Dans le deuxième type de conduite l'enfant, qui échappe à la prégnance spatiale
de la longueur combine en pensée l'action d'allonger la rangée avec celle de la resser-
rer, ce qui détruit la transformation apparente. Mais il ne peut le faire que lorsque la
prégnance perceptive de cette transformation n'est pas trop forte. L'existence d'une
conservation solide, justifiée, témoigne de la construction d'une structure d'actions inté-
riorisées telle que : « 1 / deux actions successives peuvent se coordonner en une seule ;
2 / le schème d'action déjà à l'oeuvre dans la pensée intuitive préopératoire devient
réversible ; 3 / le retour au point de départ permet de retrouver celui-ci identique à lui-
même. Ce sont les trois opérations principales (directe, inverse et identique), constitu-
tives du groupement des opérations concrètes, dont l'élaboration sous-tend également le
développement des classifications et des sériations. »
Il faut noter qu'un décalage temporel est observé dans l'atteinte des différentes
conservations. La conservation des petits ensembles numériques est acquise vers 6 ans,
celle de la substance solide et liquide à partir de 7 ans, vers 9 ans celle du poids et vers
11 ans celle du volume. Ce décalage, dit horizontal, témoigne d'une absence de syn-
chronie dans l'apparition des conduites d'un même niveau structural et révèle les limi-
tes de la généralisation de la structure de groupement des opérations concrètes. On
peut alors se demander si une structure mentale peut se définir en dehors de son
contenu et si les contenus n'ont pas un rythme de développement qui leur est propre.
Le décalage vertical contrairement au décalage horizontal réfère à l'aspect diachronique
du développement. Il connote une rupture, avec reconstruction à un niveau supérieur
des acquis antérieurs.

2 / Les classifications, sériations et nombre

Piaget et Inhelder, dans La genèse des structures logiques élémentaires (1959) se réfèrent,
pour étudier le développement des classifications, à la logique algébrique de Boole. Un
système de classes logiques existe pour un sujet lorsqu'il peut distinguer et coordonner
en compréhension (ou intension) et en extension les classes en présence. Soit par
exemple un ensemble de fleurs, 10 marguerites et 2 roses. Appelons B la classe des
fleurs, A celle des marguerites et A' celle des roses. L'extension de B, c'est l'ensemble
des fleurs, ici 10 marguerites et 2 roses ; les extensions de A et de A' sont respective-
ment les 10 marguerites et les 2 roses. La compréhension renvoie aux propriétés qui
Quelques grandes théories du développement cognitif I 45

définissent les membres d'une classe avec leurs caractéristiques pertinentes. Pour la
classe B, c'est « être des fleurs » (quelle que soit la fleur) ; pour la classe A c'est « être
des fleurs-marguerites » et pour la classe A' « être des fleurs-roses ». On conçoit facile-
ment que dans la mesure où les roses et les marguerites ont aussi la caractéristique
« fleurs », leur extension respective est incluse dans celle de la classe B des fleurs. La
coordination de l'extension et de la compréhension établit ainsi des rapports de subor-
dination entre la classe B et A et A' qui deviennent les sous-classes de B. Cela se traduit
par la formule A + A' = B B — = A. L'objectif piagétien est de montrer comment,
lors d'épreuves de classification, les conduites des enfants vont se rapprocher de ce
« modèle ».
L'observation des conduites d'enfants de 2 à 10 ans, auxquels on demande de clas-
ser soit des objets, soit des formes géométriques, permet de discerner trois étapes de
développement. La première est celle des collections fzgurales (2 à 4 ans) : les enfants dispo-
sent les objets non selon leur ressemblance et différence individuelle mais selon des cri-
tères de convenance ou d'usage (triangle sur un carré pour figurer une maison) ; c'est la
juxtaposition spatiale qui tient lieu d'extension. La seconde étape est celle des collections
non figurales (vers 4 ans) : l'enfant rassemble les éléments en petits tas selon les seuls cri-
tères de ressemblance et de différence, tas qui sont ensuite divisés en sous-ensembles, ce
qui témoigne d'un progrès dans la classification hiérarchique (coordination extension-
compréhension). Au cours de la troisième étape (vers 7-8 ans), les classifications d'objets
se hiérarchisent plus finement (parfois réalisation de tables à double entrée). Il est diffi-
cile cependant, selon les auteurs, de conclure à l'observation d'une conduite réellement
logique, opératoire, d'où l'adjonction d'une épreuve verbale qui porte sur l'inclusion des
classes.
L'exemple classique de cette épreuve est la question suivante posée devant 10 mar-
. guerites et 2 roses : « Y a-t-il plus de marguerites ou plus de fleurs ? » Avant 7-8 ans,
l'enfant répond habituellement : « Il y a plus de marguerites parce qu'il n'y a que
2 roses. » Cette réponse fausse renvoie à un défaut de différenciation et de coordination
des classes en présence. C'est la raison pour laquelle l'enfant ne parvient pas à conser-
ver la classe emboîtante, les fleurs, pendant qu'il lui soustrait l'une de ses sous-classes,
les marguerites, pour la lui comparer ; il compare alors, les marguerites et les roses,
d'où la réponse : « plus de marguerites ». La réponse correcte et argumentée : « Il y a
plus de fleurs que de marguerites parce que les roses c'est aussi des fleurs », révèle que
les classes sont bien définies en fonction des propriétés de leurs éléments et emboîtées.
Cette bonne réponse, qui apparaît vers 7 ans, témoignerait d'une organisation cognitive
isomorphe au groupement additif des classes : composition des opérations directe
A + A' = B et inverse B — A' = A. Les A sont alors compris comme des B non A' et
les A', comme des B non A. Ainsi compréhension et extension sont-elles bien défmies et
coordonnées. On retrouve ici le groupement des opérations concrètes (directe, inverse
et identique) déjà invoqué au sujet des conservations et qui est aussi impliqué dans la
sériation des longueurs. Mais si après des réponses correctes, stables et justifiées, on
pose à l'enfant la question suivante. « Est-ce qu'on peut faire quelque chose pour qu'il
y ait plus de marguerites que de fleurs ? », les enfants de 7 ans répondent : « Il faut
rajouter des marguerites. » La réponse correcte : « On ne peut rien faire, il y aura tou-
jours plus de fleurs que de marguerites, puisque les roses sont aussi des fleurs. » Le pro-
46 I Psychologie du développement

blème de la généralisation de la structure de groupement se pose ici comme elle se pose


pour les conservations.
Dans l'épreuve piagétienne de sériation, 10 baguettes (de 9 à 16,5 cm avec des
variations de 0,6 cm) sont présentées à l'enfant à qui l'on demande de les ranger de
la plus petite à la plus grande (ou inversement). Quatre niveaux de résolution sont
observés : 1 / entre 4 et 5 ans, échec à la série totale (couples coordonnés, trios, ligne
des sommets correcte mais base non alignée...) ; 2 / vers 5 ans, réussite par tâtonne-
ments avec échec à l'intercalation de nouvelles baguettes ; 3 / réussite opératoire à
partir de 6 ans avec l'utilisation d'une méthode systématique (recherche du plus grand
ou du plus petit), les éléments intercalaires étant bien placés. L'utilisation d'une
méthode systématique exhaustive implique la compréhension que tout élément d'une
série ascendante est à la fois plus grand que le précédent et plus petit que le suivant,
ce qui sous-entend la transitivité : A < C si A < B et B < C. Cette conduite relève-
rait du « groupement des relations asymétriques transitives » où la réversibilité n'est
pas la négation, comme dans le cas des classifications, mais la réciprocité : relative-
ment à l'élément B, A et C sont réciproques (leurs relations avec B sont de sens
inverse).
Outre leur intérêt intrinsèque dans les activités de l'enfant, les structures de classi-
fication et de sériation revêtent une grande importance dans la mesure où, selon une
première position de Piaget : « la construction simultanée des groupements de
l'emboîtement des classes et de la sériation qualitative entraîne l'apparition du système
des nombres » (1966, p. 173). La suite numérique est considérée comme une classe
sériée (1 < 2 < 3 < 4 avec 1 inclus dans 2, 3 et 4). L'existence d'un parallélisme étroit,
observé et rapporté par Piaget et Szeminska dans La genèse du nombre (1941), entre le
« nombre » évalué à l'aide de l'épreuve de conservation numérique (le nombre pour
exister doit se conserver), les classifications et les sériations, milite en faveur de cette
hypothèse. À la suite de travaux conduits à l'École de Genève (principalement Gréco,
Grize, Papert et Piaget, 1960), Piaget module sa position. Les trois structures
s'élaboreraient concurremment, avec indifférenciation initiale puis synthèse progressive.
Le comptage, l'apprentissage des procédures ont certes une incidence sur la construc-
tion du nombre. Mais dans la mesure où, comme le langage, ce sont des facteurs exter-
nes, leur importance est bien moindre que celle des processus internes qui conduisent
aux relations logiques sous-jacentes.
Les conservations numériques, les classifications, les sériations et le nombre portent
sur des objets discrets (discontinus). Mais il existe aussi des objets continus : l'espace et
le temps. Les structures qui les régissent sont isomorphes à celles des groupements
d'opérations logiques avec les mêmes lois de composition, à la différence qu'elles sont
fondées sur des rapports de voisinage et de séparation et non sur les différences, ressem-
blances ou équivalences entre leurs éléments. Ces opérations sont appelées par Piaget
« infralogiques » non parce qu'elles seraient antérieures ou inférieures aux opérations
logiques, mais parce qu'elles portent sur un autre niveau de réalité.
Il ressort de l'ensemble de ces travaux et interprétations piagétiennes une constata-
tion évidente : la pensée de l'enfant ne devient « logique » que lorsque s'organise un
système d'opérations régi par des lois communes de composition et de réversibilité.
C'est dire que les notions et relations ne se construisent pas séparément mais en paral-
Quelques grandes théories du développement cognitif I 47

lélisme et/ou en solidarité. Ce nouvel outil cognitif, le groupement des opérations


concrètes, assure une assimilation mentale bien supérieure à celle des schèmes sensori-
moteurs et un équilibre plus adéquat entre assimilation et accommodation dans les inte-
ractions du sujet avec son environnement (Piaget, 1964, p. 68). Il faut encore souligner
que les notions et les relations étudiées à ce stade, et qui concernent les activités de ran-
gement, de discrimination d'identification, de conservation, de mesure spatio-
temporelle, sont les conditions de possibilité de tout échange intellectuel avec le milieu,
qu'il s'agisse des expériences de la vie courante ou de la vie scientifique. On retrouve là
en filigrane la démarche épistémologique de Piaget et son intérêt pour les processus
d'accroissement des connaissances.

c. Le stade des opérations formelles

Vers 11-12 ans débute le stade des opérations formelles caractérisé par
l'avènement du raisonnement hypothético-déductif. On a vu que le propre des opéra-
tions concrètes est de porter sur les objets, leur réunion, sériation et nombre. Les
enfants de ce stade sont en quelque sorte prisonniers du contenu, de ses représentations
immédiates et perdent pied s'ils doivent raisonner sur un énoncé purement verbal ou
sur des hypothèses. Piaget donne l'exemple de la question : « Édith a les cheveux plus
foncés que Lili ; Édith est plus claire que Suzanne. Laquelle des trois a les cheveux les
plus foncés ? » Or les enfants de 9 et 10 ans, qui savent cependant sérier parfaitement
les couleurs, échouent à cette question. La réponse habituelle : « Lili est la plus foncée,
Suzanne la plus claire et Édith entre les deux », témoigne d'une sériation par couples
non coordonnés qui est celle des enfants de 5 ans dans l'épreuve classique (couple :
Édith plus foncée que Lily et couple : Édith plus claire que Suzanne). Cela révèle qu'à
l'âge de 9-10 ans l'enfant ne peut encore raisonner qu'à partir d'une observation réelle
et non à partir d'objets fictifs qui ont le statut d'hypothèses. On touche ici aux limites
des opérations concrètes. L'épreuve est réussie lorsque l'enfant sera capable « ... non
plus seulement d'appliquer des opérations à des objets, autrement dit d'exécuter en
pensée des actions possibles sur ces objets, mais de "réfléchir" ces opérations indépen-
damment des objets et de remplacer ceux-ci par de simples propositions. Cette
"réflexion" est donc une pensée au second degré : la pensée concrète est la représentation d'une
action possible et la pensée formelle la représentation d'une représentation d'actions possibles »' (1964,
p. 78-79). Mais raisonner sur la forme et non plus sur le seul contenu suppose le déve-
loppement de nouvelles structures d'opérations qui s'ancrent dans les précédentes en les
complétant : la combinatoire et le groupe des deux réversibilités. La combinatoire est
une classification des classifications et le groupe des deux réversibilités réunit en une
seule structure la réversibilité propre aux classifications et la réciprocité propre aux
sériations. Cette naissance de la pensée formelle est étudiée, à partir d'épreuve ingé-
nieuses et diverses, dans l'ouvrage d'Inhelder et Piaget, De la logique de l'enfant à la logique
de l'adolescent (1955).

1. Souligné par nous.


48 I Psychologie du développement

1 / La combinatoire

À partir du moment où la forme se détache du contenu, la classification est libérée


de ses liens spatiotemporels Il devient alors possible de construire n'importe quelle
classe ou relation avec des éléments quelconques, ce qui fait de la combinatoire sous ses
deux aspects complémentaires, combinatoire des objets et combinatoire des proposi-
tions, une classification généralisée.

Combinatoire des objets. L'épreuve consiste à demander simplement à l'enfant de


combiner deux par deux, trois par trois (ou plus), des jetons de différentes couleurs et
de les permuter selon les ordres possibles. Au stade des opérations concrètes les combi-
naisons demeurent toujours incomplètes, l'enfant procédant par tâtonnements empiri-
ques. Il réussit vers 12 ans (un peu plus tard pour la permutation) avec une méthode
systématique exhaustive. La réussite et surtout la méthode employée témoignent d'un
système qui prend en compte tous les possibles, ce qui revient à une sorte de classifica-
tion des classifications possibles. Une épreuve d'Inhelder et Piaget, la combinaison des
corps chimiques, est très suggestive à cet égard (1955, p. 98-107). On présente à
l'enfant cinq flacons remplis d'un liquide incolore et inodore, 1, 2, 3, 4, et g. Le
mélange 1 + 3 + g donne une couleur jaune, le 2 contient de l'eau et le 4 un décolo-
rant. Ayant vu la couleur mais non la manière de l'obtenir, l'enfant doit retrouver le
procédé avec les cinq flacons et préciser le rôle de 2 et 4. Au stade préopératoire les
enfants associent les flacons deux par deux et au hasard en donnant des explications
phénoménistes de leur échec (la couleur a fondu, la couleur a disparu au fond). Au
stade des opérations concrètes, la conduite spontanée fréquente est celle de l'association
de g avec tous les autres flacons mais sans autres combinaisons... Si l'on suggère
d'autres combinaisons, on obtient quelques tâtonnements sans plus. Ces enfants qui
savent, selon les auteurs, effectuer des classifications logiques sont cependant incapables
de construire des combinaisons systématiques deux à deux... Vers 9 ans on observe
quelques combinaisons 2 à 2 effectuées par tâtonnements sans découverte du système.
À l'étape formelle vers 12-13 ans, apparaît une méthode systématique de combinaison
des flacons et la compréhension que la couleur est due à la combinaison comme telle.
Les progrès qui suivent résident dans la plus grande rapidité des combinaisons et dans
l'union plus étroite entre les méthodes de découvertes et les recherches de preuves.
Selon les auteurs, cette expérience révèle l'étroite corrélation entre la construction des
opérations combinatoires, et la logique des propositions : « ... en même temps que le
sujet combine les éléments ou les facteurs donnés dans le contexte expérimental, il com-
bine les énoncés propositionnels qui expriment les résultats de ces combinaisons de faits
et construit par cela même le système des opérations binaires de conjonctions, disjonc-
tions, exclusions, etc. » (ibid., p. 109).

— La logique des propositions. Au dernier stade de réussite dans l'épreuve de combi-


naison des corps chimiques, les conduites des enfants révèlent l'utilisation d'une combi-
natoire des propositions, généralisation de la combinatoire des objets. Piaget et Inhelder
se réfèrent à la logique algébrique de Boole qui précise les propriétés des propositions
du seul point de vue de leur vérité ou de leur fausseté. Reprenons ici l'exemple donné
Quelques grandes théories du développement cognitif I 49

par Piaget et Inhelder (1966, p. 106) : « Soit p une proposition, non-p sa négation,
q une autre proposition et non-q sa négation. On peut les grouper multiplicativement,
ce qui donne [p. q] (par exemple : cet animal est un cygne et est blanc), [non-p. q] (ce
n'est pas un cygne mais il est blanc), [p non-q] (c'est un cygne mais non blanc) et [non-p
non-q] (il n'est ni cygne ni blanc). » Ces quatre associations de base (groupement multi-
plicatif) sont comprises au stade des opérations concrètes. Ce n'est pas le cas de leur
combinaison 1 à 1, 2 à 2, 3 à 3, et 4 à 4, qui conduisent aux 16 opérations et à
l'épuisement de l'univers possible de l'association initiale entre p et q et leur négation.
Ces combinaisons constituent des opérations nouvelles, les opérations propositionnelles
qui sous-tendent le raisonnement hypothético-déductif et libèrent des contraintes
concrètes, leur seule valeur de vérité ou de fausseté étant prise en compte. Ce sont ces
opérations qu'Inhelder et Piaget (1955) tentent de mettre en évidence en décryptant les
verbalisations d'adolescents au cours de tâches dont la résolution exige une dissociation
de facteurs, la construction d'hypothèses et l'exclusion des hypothèses non pertinentes.
L'expérience des « oscillations du pendule » est particulièrement intéressante quand il
s'agit des opérations d'exclusion.
Dans cette expérience un solide suspendu à une ficelle est présenté. Tout ce qui
peut faire varier la longueur de la ficelle, le poids des objets suspendus, l'amplitude des
oscillations, est mis à la disposition de l'enfant. Le problème est de trouver les facteurs
qui conditionnent la fréquence de l'oscillation du pendule : longueur de la ficelle, poids,
hauteur de chute ou élan imprimé. Le premier facteur (la longueur) étant le seul res-
ponsable, il doit être dissocié des trois autres qui sont alors exclus. Avant 7 ans (étape
préopératoire), les actions matérielles priment et presque toutes les explications invo-
quent l'élan imprimé par l'enfant. Vers 8 ans les enfants sont capables de sérier les lon-
gueurs, les hauteurs de chute, les différences de poids, et de juger objectivement des dif-
férences de fréquence observées. Les sujets sont en possession de toutes les formes de
sériation et de correspondance permettant de faire varier les quatre facteurs et d'assurer
la lecture du résultat de ces variations. Mais ils ne manient que les opérations les plus
faciles, par exemple les implications vraies fondées sur la transitivité (du modèle A < C
si A < B et B < C) et « échouent lorsqu'il s'agit de celles qui excluent ce qui n'est pas et
nient les explications fausses... Il est donc évident qu'il manque encore à ces sujets
quelque instrument logique pour interpréter les données de l'expérience » (ibid., p. 65).
Au niveau suivant (14-15 ans), les adolescents dissocient tous les facteurs en jeu en n'en
faisant varier qu'un seul à la fois, toutes choses étant égales par ailleurs. Les choix opé-
rés dans les facteurs à retenir momentanément et les triages successifs des facteurs à
exclure « ... constituent la combinaison formelle fondée sur "l'ensemble des parties",
tandis que les opérations concrètes reviennent simplement à construire les correspon-
dances dont sont composées ces combinaisons de base » (ibid., p. 72).

2/ Le groupe des deux réversibilités ou groupe INRC

Cette nouvelle structure coordonne les deux réversibilités, N (inversion par néga-
tion) et R (réciprocité), avec l'opération nulle ou identique I, et l'opération corréla-
tive C inverse de la réciprocité. On rappelle que les deux réversibilités existent déjà à
l'étape concrète mais qu'elles ne sont pas mises en relation, N étant impliquée dans la
50 I Psychologie du développement

classification et R dans la sériation. Ce nouveau groupe d'opérations sous-tend le rai-


sonnement qui conduit à la réussite dans les situations qui exigent la coordination des
inverses et des réciproques. Le problème de l'escargot en est un exemple (Piaget, 1964,
p. 169).

&rue nu identique settede


R reiiproque
,e, pugut de refeene.e.

FIG. 2 . 2. Problème de l'escargot sur sa planchette

Imaginons un escargot qui se déplace sur une planchette (cf. fig. 2.2). Lorsqu'il
avance, il réalise une opération directe, I. S'il recule, il effectue l'opération inverse N.
Mais un expérimentateur facétieux avance la planchette dans le sens de I : I n'est plus
alors annulé par N mais par ce mouvement réciproque R (par rapport au point de réfé-
rence situé à gauche hors de la planchette). L'inverse de R est alors C, corrélative de I,
puisque les parcours I et C se cumulent. Au stade des opérations concrètes l'enfant rai-
sonne sur chacun des deux systèmes : parcours de l'escargot sur la planchette et par-
cours de la planchette sur la table. Mais il ne comprend pas que l'avancée de l'escargot
peut être compensée par un recul de la planchette, ce qui rend l'ensemble immobile
par rapport au point de référence. Ce n'est qu'à partir de 12-13 ans qu'il coordonne les
deux systèmes.
L'expérience de la balance apporte des informations qui vont dans le même sens.
Il s'agit ici de trouver la règle de l'équilibre des bras de la balance en fonction des poids
et de la distance des poids à l'axe. Le dispositif est une balance dont les bras sont percés
de trous auxquels on peut attacher différents poids à distances régulières du pivot
(cf. fig. 2.3).
L'équilibre peut être atteint en agissant simultanément sur le poids et sur la dis-
tance du poids au pivot. Il existe une proportionnalité inverse entre le poids et la lon-
gueur que l'enfant doit découvrir : diminuer le poids en augmentant la longueur équi-
vaut à augmenter le poids en diminuant la longueur. La balance étant en équilibre,
l'augmentation du poids (opération I) produit un déséquilibre (N). Si le poids est enlevé
l'équilibre est rétabli (N X I). Si le poids est rapproché du centre un déséquilibre est
Quelques grandes théories du développement cognitif I 51

FIG. 2.3. — Représentation de la balance

provoqué (R) ; mais le poids déplacé vers l'extrémité rétablit l'équilibre (R x C). Pour
trouver la règle de l'équilibre, il faut, comme dans le problème de l'escargot, composer
x
les deux systèmes (I N et R x C), ce qui correspond au groupe INRC. Inhelder et Pia-
get (1955, p. 144-158) décrivent les étapes de cette structuration.
Entre 3 et 5 ans les enfants ne parviennent pas à assurer l'équilibre par une
simple distribution des poids. Entre 5 et 7-8 ans ils comprennent qu'il faut un poids
de chaque côté pour assurer l'équilibre et même que les poids doivent être à peu près
égaux. Mais s'ils parviennent à ajouter et à enlever du poids, les tentatives
d'égalisation sont imprécises : il s'agit de régularisations et non d'opérations réversi-
bles. À partir de 7 ans, les égalisations des poids sont exactes. Les enfants commen-
cent à comprendre par tâtonnements que l'équilibre est possible entre un poids plus
petit accroché à une plus longue distance et un poids plus grand accroché à plus
petite distance ; mais ils ne généralisent pas encore ces constatations. Vers 12-13 ans,
le jeune adolescent comprend la règle, l'utilise et peut l'expliquer. Ses verbalisations
témoignent de l'existence d'opérations qui correspondent au groupe INRC, mais elles
révèlent aussi comment ce schème général se différencie par la construction de pro-
portions. Les adolescents qui ont compris le problème partent des deux transforma-
tions qui ont chacune leur inverse : augmenter ou diminuer le poids (P) et augmenter
ou diminuer la longueur (L). Ils découvrent ensuite que l'inverse de l'une (– P) peut
être remplacée par l'inverse de l'autre (– L) par compensation et non par annulation
comme dans la première transformation, en aboutissant au même résultat, ce qui
revient à comprendre l'équivalence de deux rapports. Si + P (augmenter le poids) est
considéré comme le point de départ (I) et – P son inverse (N), alors – L est la réci-
proque (R) de + P, et + L sa corrélative (C). On est en présence de deux couples de
transformations directes et inverses et d'une relation d'équivalence et non d'identité,
ce qui définit un système de proportions : I/R = C/N d'où IN = RC. La proportion-
nalité est tirée du groupe des deux réversibilités.
Ces opérations propositionnelles, combinatoire et groupe INRC, sous-tendent le
raisonnement hypothético-déductif lequel, dans un problème à résoudre, organise les
possibles dont le réel devient un cas particulier. Elles ne peuvent se réduire à une
nouvelle manière de décrire les faits. Elles ne peuvent non plus être confondues sans
plus avec le modèle logique explicatif. Elles constituent une vraie logique du sujet qui
se greffe sur la logique des opérations concrètes antérieures qu'elles prolongent et
généralisent.
52 I Psychologie du développement

III - L'équilibration des structures et les mécanismes du développement

Les stades dont il vient d'être question sont des descriptions d'un certain décours
du développement. Chacun d'eux renvoie à un groupement d'opérations spécifiques
(groupe pratique des déplacements, groupement des opérations concrètes puis groupe
des opérations formelles) qui sont au sens large des systèmes présentant des lois ou des
propriétés de totalité en tant que systèmes. Ces systèmes ou structures ont une genèse et
un développement de telle manière qu'à tous les niveaux elles sont préfigurées par des
structures plus faibles. Piaget (1964, p. 120) écrit : « Toutes nos recherches, depuis des
années, ont abouti à montrer, non pas qu'il y a de la logique partout, ce qui serait
absurde, mais qu'il existe à tous les niveaux des structures qui ébauchent la
logique et qui, en s'équilibrant progressivement aboutissent aux structures logico-
mathématiques. » La question est alors de savoir comment s'effectue le passage d'une
structuration incomplète, faible ou instable, au palier supérieur d'une structure
d'opérations plus efficaces. La maturation, l'exercice, l'influence du milieu ne sont pas
des facteurs qui doivent être sous-estimés, mais ils sont insuffisants. Piaget postule
l'existence d'un processus interne au sujet connaissant actif qui l'incite à transformer les
formes de connaissance dans le sens de l'optimisation. Ce processus est l'équilibration des
structures cognitives, manifestation des tendances fondamentales d'assimilation et
d'accommodation qui régissent tout système organique et cognitif. Il ne s'agit pas ici
tant d'un retour à l'équilibre que d'une équilibration majorante dans la mesure où les
structures sont toujours en devenir : devenir de formes et/ou d'applications optimales.
Piaget a présenté successivement deux modèles de l'équilibration, le premier inspiré de
la thermodynamique, le second de la cybernétique. C'est ce dernier qui est exposé dans
l'ouvrage, L'équilibration, problème central du développement (Piaget, 1975).

a. L'équilibration et ses mécanismes

Compensation et régulation sont les maîtres-mots du dernier modèle retenu. Des


perturbations (obstacles à l'assimilation) produisent un déséquilibre et suscitent de ce
fait des autorégulations compensatrices qui rétablissent l'équilibre ou génèrent de nou-
velles constructions. Les perturbations peuvent être externes (obstacles divers) ou inter-
nes (sentiment de lacune, difficulté d'utiliser des connaissances, d'appliquer une
règle, etc.). Les régulations rétroactives ou anticipatrices, qui sont les mécanismes fon-
damentaux du processus d'équilibration, reposent sur les compensations. Trois types de
compensation sont considérés :

1 / La perturbation est annulée par une action et le système reste stable : par
exemple lors d'une classification l'enfant retire un rond bleu qu'il avait placé avec les
rectangles bleus (compensation par négation).

2 / L'élément perturbateur est intégré dans le système qu'il modifie. Prenons


l'exemple d'une classification réalisée : des jetons ronds, rouges et bleus rangés selon la
Quelques grandes théories du développement cognitif I 53

couleur. La présentation de nouveaux objets à classer, carrés et losanges rouges et


bleus, constitue une « perturbation ». L'enfant peut alors, soit construire de nouvelles
collections les unes à côté des autres, soit construire une seule classification nouvelle en
intégrant les éléments perturbateurs selon les critères de couleur ou de forme. Des pro-
cessus rétroactifs entrent alors en jeu couplés avec des remaniements partiels jusqu'à la
réorganisation complète dans un système de classes emboîtées.

3 / Anticipation des variations possibles qui, devenant prévisibles, perdent leur


caractère perturbateur. Piaget donne l'exemple de sujets en possession de structures de
perspectives, pour lesquels la projection d'une ombre ou d'un cône lumineux ne pro-
voque pas de perturbation puisque cela fait partie des transformations qui peuvent être
inférées (1975, p. 73-74).
Ce sont les trois degrés d'équilibre que l'on retrouve au cours du développement :
équilibre instable et de champ restreint pour la première compensation ; déplacement
d'équilibre selon des formes multiples pour la seconde d'où possibilité de passage d'un
niveau à un autre ; équilibre mobile mais stable pour la troisième, ce qui permet
« d'engager » et « d'équilibrer » les reconstructions antérieures. Seul le second type de
compensation introduit une équilibration majorante : dans l'exemple donné des classifica-
tions, elle permet l'élaboration d'opérations (hiérarchie et inclusion des classes) portant
sur les précédentes (classification simple), d'où l'accès à un palier supérieur. Ces com-
pensations jouent à l'intérieur de trois systèmes ou formes d'équilibre : l'équilibre des
rapports entre le sujet et les objets (assimilation des objets aux schèmes d'actions et
accommodation des schèmes aux objets) qui conduit aux connaissances physiques ou
expérimentales ; l'équilibre entre schèmes et sous-systèmes de schèmes (assimilation et
accommodation interschèmes) qui conduit aux connaissances logico-mathématiques et
l'équilibre entre la totalité du système cognitif et ses parties qui oriente la finalité des
actions.

b. Les processus d'abstraction

Comme on l'a vu plus haut la seconde forme de compensation majorante intègre


l'élément perturbateur ce qui aboutit à une reconstruction. Pour préciser les modalités
de cette reconstruction, Piaget introduit l'abstraction réfléchissante en tant que méca-
nisme de développement qu'il distingue de l'abstraction empirique. L'abstraction empi-
rique consiste à dégager les propriétés des objets (couleur, poids, forme) ou les proprié-
tés de l'action sur les objets (force ou direction). Elle renvoie à l'équilibre entre le sujet
et l'objet et donc aux connaissances physiques et expérimentales. L'abstraction réflé-
chissante n'est tirée ni des objets ni de l'action immédiate, mais des coordinations
d'actions. Reprenons l'exemple des classifications donné plus haut. La réalisation d'une
classification hiérarchique avec les couleurs en colonnes (bleu et rouge), et les formes
(ronds, carrés, losanges) en ligne, ce qui constitue une table à double entrée, exige la
coordination, d'une part, entre l'extension du critère couleur et celle du critère forme,
et d'autre part, entre ces deux extensions et la compréhension (qualités des éléments) de
chaque sous-classe (ronds bleus et rouges, carrés bleus et rouges, etc.). H s'agit ici de
schèmes et de l'équilibration entre schèmes et sous-schèmes qui conduit aux opérations
54 I Psychologie du développement

logiques. Cette abstraction est dite réfléchissante sous deux aspects complémentaires : le
réfléchissement ou transposition sur un plan supérieur de conceptualisation de ce qui
est dégagé d'un palier précédent ; la reconstruction à ce nouveau plan de ce qui a été
dégagé (réflexion au sens propre). La notion de décalage vertical rend compte du résul-
tat de cette reconstruction. L'abstraction réfléchissante est dite pseudo-empirique dans
la mesure où les nouvelles coordinations dégagées sont tirées d'activités qui ont besoin
d'objets pour s'exercer. C'est le cas de la classification qui vient d'être citée. Piaget en
donne un autre exemple : « ... aligner des cailloux et découvrir que leur nombre est le
même en procédant de gauche à droite et de droite à gauche (ou en cercle, etc.) ; en ce
cas, ni l'ordre ni la somme numérique n'appartiennent aux cailloux avant qu'on les
ordonne ou qu'on les compte et la découverte que la somme est indépendante de
l'ordre a consisté à abstraire cette constatation des actions elles-mêmes de dénombrer et
ordonner, quoique la "lecture" de l'expérience ait porté sur les objets » (1969, p. 62).
Piaget souligne qu'il s'agit bien d'un cas particulier de l'abstraction réfléchissante et
nullement d'un dérivé de l'abstraction empirique, bien que les objets lui soient un sup-
port nécessaire. L'abstraction réfléchissante évolue en se détachant de ses appuis
concrets. Lorsque le sujet devient conscient de ses propres opérations, elle devient
réfléchie, et cela indépendamment du niveau de développement.

c. Continuité et discontinuité du développement

Les trois formes de compensation-régulation, comme les différentes formes


d'abstraction sont retrouvées dès l'étape sensori-motrice. S'agissant des abstractions,
Piaget rappelle « ... que toutes deux existent à tous les niveaux du développement, des
paliers sensori-moteurs et même organiques jusqu'aux formes les plus élevées de la
pensée scientifique » (1977, p. 318). Aux états initiaux, les abstractions empiriques sont
beaucoup plus nombreuses que les abstractions réfléchissantes. Au cours du développe-
ment, la proportion s'inverse et l'on assiste à une subordination croissante des premiè-
res aux secondes, ce qui renforce leur pouvoir d'adaptation au réel. Les compensations
majorantes associées à l'abstraction réfléchissante rendent compte des reconstructions
intégratives à un nouveau palier du développement. Équilibration et abstraction sont
deux formes complémentaires et peut-être même deux manières différentes de décrire
le processus de la psychogenèse, stratégie endogène qui organise toutes les acquisitions
« en les subordonnant à "l'inclusion du dépassé dans le dépassant" avec réorganisation
corrélative du dépassé » (Cellérier et Ducret, 1992, p. 230). Le développement apparaît
donc à la fois continu et discontinu. La continuité est assurée par ces mécanismes de la
psychogenèse présents dès la naissance : assimilation et accommodation sur lesquels se
greffent l'équilibration et les abstractions. La continuité apparaît encore si l'on consi-
dère que toute structuration nouvelle s'appuie sur une construction antérieure. En
témoigne, par exemple, le groupe des deux réversibilités qui intègre la négation et la
réciprocité déjà présentes dans les opérations concrètes. Mais les nouvelles structura-
tions produisent toujours des sauts qualitatifs et des outils cognitifs nouveaux plus per-
formants et donc des ruptures. On ne peut donc parler sans plus de continuité fonc-
tionnelle et de discontinuité structurale. Si la discontinuité est bien structurale, la
continuité est à la fois fonctionnelle et structurale.
Quelques grandes théories du développement cognitif I 55

Équilibration et abstraction réfléchissante synthétisent les aspects fondamentaux de


la démarche piagétienne. Tout d'abord le choix du constructivisme avec un rôle pré-
pondérant donné à l'action du sujet. Équilibration (autorégulations) et/ou abstraction
sont des mécanismes endogènes, c'est-à-dire propres à l'organisme du sujet actif qui les
produit. La maturation, les transmissions sociales sont intégrées et réglées par ces méca-
nismes internes. Dans l'interaction entre le sujet et l'environnement c'est l'activité du
sujet qui est structurante et l'on sait que les connaissances physiques (équilibration entre
le sujet et l'objet) sont subordonnées aux structurations logiques actuelles issues des
seules coordinations d'actions. En second lieu l'ancrage biologique est évident dans la
mesure où l'équilibration et l'abstraction sont les manifestations des deux tendances
fondamentales, l'assimilation et l'accommodation, propres à tout organisme vivant.
Enfin équilibration et abstraction sont les mécanismes de l'accroissement des connais-
sances chez l'enfant comme chez le scientifique (abstraction réfléchie) et l'on rejoint
alors la préoccupation épistémologique.

IV - Limites et apports de la théorie

Nous ne pouvons connaître l'univers physique et l'univers psychologique qu'à


l'aide de ces représentations que sont les modèles et les théories, avec l'incertitude et les
limites qui leur sont intrinsèques. Les théories nous délivrent des approximations
appuyées certes par des faits, mais des faits étroitement dépendants du cadre théorique
sous-jacent, qui les filtre au niveau de l'observation comme à celui des interprétations.
Les limites d'une théorie sont inhérentes au cadre d'analyse choisi et à l'objectif
sélectionné.
L'analyse structurale de Piaget s'emploie à mettre à jour ce qui se passe de plus
général au cours du développement et cela n'est pas à réfuter. Elle donne les points de
repères du décours et les paliers que le sujet épistémique doit franchir pour atteindre
l'une ou l'autre notion ou organisation cognitive. Mais le sujet qui résout les épreuves
piagétiennes est un sujet bien réel, un sujet-en-contexte, qui prend des libertés à l'égard
de son double épistémique. Il s'en « décale horizontalement ». Il « conserve » les petits
ensembles numériques et la substance solide et liquide vers 7 ans, mais il n'est que bien
plus tard conservant du poids et du volume. Il répond très correctement et fermement à
la question d'inclusion des fleurs : « Il y a plus de fleurs que de marguerites parce que les
marguerites sont aussi des fleurs », mais convient aussitôt que pour avoir plus de margue-
rites que de fleurs, il suffit d'ajouter beaucoup de marguerites. Or les réponses correctes
aux épreuves classiques de conservation et d'inclusion des classes sont censées relever
d'une même structure d'opérations. Il est alors évident que la structure établie à un
niveau intermédiaire ne se généralise pas. Et si elle ne se généralise pas pour une même
notion, la conservation, elle ne peut guère se généraliser quand il s'agit des classifications,
des sériations et du nombre. La structure de groupement apparaît seulement comme le
moyen d'évaluer les écarts et les rapprochements entre le modèle très général qu'elle pro-
pose et les conduites réelles en contexte. Elle décrit aussi un achèvement qu'elle n'a pas
56 I Psychologie du développement

produit. À un niveau donné, il n'existe pas de structuration générale de l'intelligence qui


sous-tende de manière identique les processus de résolution de problèmes, quel que soit
le contexte. Il y a des contextes qui activent différemment les compétences actuelles et
des compétences qui s'expriment différemment en fonction des contextes. On peut sous-
crire entièrement à ce qu'écrit Lehalle (à paraître) : « ... comme les compétences en elles-
mêmes n'ont pas de réalité psychologique indépendante des contextes qui les manifes-
tent, la nouveauté structurale hors contexte ne peut être invoquée pour expliquer les
sauts qualitatifs en contexte, pas plus que la généralisation structurale ne peut rendre
compte de la synchronie. Par conséquent..., des explications non structurales doivent être
recherchées pour mieux cerner en contexte les compétences décrites structurellement... »
Ces explications non structurales sont proposées par les théoriciens et chercheurs néo-
piagétiens qui mettent l'accent sur les processus de résolution de problèmes du sujet en
fonction des contextes (voir le chap. 3 de cette seconde partie). Lehalle (ibid.), préconise
une analyse plus fine des processus de développement à travers une pluralité de modes
de fonctionnement analogues ou différenciés selon les contextes.
Une autre limite de la théorie est propre à son objectif : l'étude du développement
des outils cognitifs logiques de l'intelligence. Ce n'est pas l'objectif en soi qui est en
cause. Tout chercheur a le droit de se polariser sur telle ou telle question. C'est la pola-
risation excessive sur les seuls facteurs endogènes du développement étudié qui est
gênante et, de plus, sur les seuls facteurs cognitifs. Les facteurs endogènes affectifs (émo-
tion, motivation, émulation...) sont sous-estimés au même titre que les facteurs externes
issus de la pression sociale. Certes, on peut toujours invoquer que deux plus deux font
toujours quatre quel que soit l'état émotionnel dans lequel on se tient, la motivation et
l'émulation n'étant que des adjuvants. Mais il n'en est pas de même pour la pression
sociale qui, par le biais de la transmission éducative familiale et scolaire, fournit des sor-
tes de logiciels tout prêts. Un exemple en est donné avec le nombre (Bideaud, Lehalle
et Vilette, 2004). L'apprentissage des mots-nombres permet au jeune enfant de « nom-
mer » le discret à l'aide de signes verbaux, et donc de l'isoler du contexte spatio-
temporel où il était jusqu'alors englué. Les procédures de calcul (addition, soustrac-
tion, etc.) sont à apprendre et non pas à construire de toute pièce et les mécanismes en
cause ne sont pas les mêmes. De plus, procédures et conceptualisation interagissent et
se soutiennent mutuellement tout au long du développement. Les processus
d'apprentissage ont été sous-estimés tout autant que les variations inter- et intra-
individuelles qui, en révélant les écarts et les similitudes en fonction des contextes,
aident à préciser les mécanismes du développement.
En dépit de ces restrictions, l'apport de la théorie reste considérable. Tout d'abord
par son pouvoir heuristique de susciter les réflexions et les discussions porteuses de nou-
velles hypothèses. On ne peut plus compter les travaux qui ont cherché, et qui cherchent
encore, soit à la mettre en question, soit à l'approfondir, soit à l'ajuster. Dans l'histoire de
la psychologie de l'enfant, on peut dire qu'il y a « l'avant- » et « l'après »-Piaget. « Piaget,
c'est un de ces géants dans les jardins de l'enfance sur les épaules duquel nul ne peut se
dispenser de monter pour voir plus loin » (Vonèche, 2001, p. 260).
Un autre mérite est d'avoir mis l'accent sur la structuration logique de
l'intelligence humaine. Si la logique classique — et même la logique tout court — n'est
pas l'unique règle de la vie psychologique, elle existe assurément. Toute la démarche de
Quelques grandes théories du développement cognitif I 57

Piaget procède d'une interrogation sur les raisons de l'accroissement des connaissances
scientifiques, gage d'une meilleure adaptation de l'homme à son environnement phy-
sique. Or cette adaptation requiert le raisonnement logique. Après tout, on n'est pas
allé sur la Lune en tapant seulement avec un marteau sur des clous ! Il y a fallu, et cela
même pour la partie matérielle de l'aventure, une somme incroyable de raisonnements
et de calculs complexes. L'histoire du nombre à travers l'histoire de l'humanité nous
révèle une lente montée de l'abstraction et l'opiniâtreté de la rationalité humaine sur-
montant tous les obstacles dans sa recherche d'instruments de connaissance qui permet-
tront de dépasser ses limites physiques (cf. Bideaud et al., 2004). Et ces instruments
logico-mathématiques, étonnants moyens de comprendre l'univers, sont issus des struc-
turations étudiées par Piaget chez l'enfant. La fascination de Piaget pour le « devenir »,
la science en train de se faire et non les états de connaissance, explique sa démarche.
Elle explique aussi que son sujet soit l'enfant, l'homme « en devenir » qui s'approprie
l'univers en construisant ses outils cognitifs de plus en plus performants.
Un autre mérite de la théorie est son constructivisme qui repose sur l'activité du sujet
dans son environnement. C'est le sujet qui, par son action, élabore les instruments mêmes
de son intelligence en construisant, ou mieux en reconstruisant, ses objets de connais-
sance. Les structures normatives de la connaissance qui fondent simultanément
l'objectivité et la subjectivité sont des structures d'opérations du sujet. Le modèle de la vie
psychologique n'est pas l'animal comme chez les behavioristes. Ce n'est pas non plus le
champ de forces de la théorie de la Gestalt, ni la machine à calculer de la théorie de
l'information. C'est l'intelligence en marche chez l'enfant qui rend compte de
l'intelligence en marche du logicien et du mathématicien. L'enfant expert en développe-
ment et l'homme expert scientifique s'expliquent mutuellement. On ne sort pas du sujet
humain auteur, acteur-constructeur de l'objet. Ce rôle majeur de l'action, qui a été cri-
tiquée fortement, est de nouveau remis en évidence. Berthoz (1993, 1996), dans sa leçon
inaugurale au Collège de France, propose de supprimer la dissociation entre perception
et action. « La perception — dit-il — est une action simulée » (1993, p. 16) et l'action
influence la perception à sa source. Il est convaincu « que la cognition humaine est issue
d'un raffinement des fonctions sensori-motrices » (ibid., p. 9) et„ que le cerveau peut être vu
comme un simulateur d'actions. Piaget n'a rien dit d'autre et s'en réjouirait lui qui écri-
vait : «J'ai la conviction illusoire ou fondée (et dont l'avenir montrera la part de vérité ou
de simple ténacité orgueilleuse) d'avoir dégagé une ossature générale à peu près évidente
mais pleine de lacunes, de telle sorte qu'en les comblant on sera conduit à en différencier
de multiples manières les articulations sans contredire pour autant les grandes lignes du
système mais en les intégrant en de nouvelles interprétations » (1976, p. 223).

LECTURES CONSEILLÉES

Bideaud, J., Houdé, O., & Pédinielli, J.-F. (2004). L'homme en développement. Paris : PUF (1" éd.,
1993).
Lehalle, H., Mellier, D. (2002). Psychologie du développement. Enfance et adolescence. Paris : Dunod.
Mallet, P., Meljac, C., Bauder, A., & Cuisinier, F. (2003). Puchologie du développement. Enfance et
adolescence. Paris : Belin.
58 I Psychologie du développement

B - CULTURE ET DÉVELOPPEMENT COGNITIF :


LES THÉORIES NÉO-VYGOTSKIENNES, par Michel Deleau

I - Le statut des variables sociales, historiques et culturelles


dans l'analyse du développement

Il faut faire un premier constat : toutes les grandes théories fondatrices du dévelop-
pement psychologique admettent que le développement humain se réalise dans un envi-
ronnement qui comporte de nombreux aspects sociaux et que ces aspects peuvent
contribuer à différencier, à faciliter ou à entraver certaines activités psychologiques.
Piaget lui-même, à qui l'on reproche souvent (de façon d'ailleurs souvent non perti-
nente) de ne pas tenir compte de l'environnement social, a consacré à plusieurs reprises
des pages entières à souligner par exemple le rôle joué par les interactions entre enfants
dans le développement du raisonnement logique.
Pour autant, si les variables d'origine sociale ont un effet différentiel sur
l'expression du développement, ces mêmes variables n'ont pas de statut théorique fort
dans le modèle piagétien. Parmi les facteurs invoqués par Piaget (maturation, expé-
rience, transmission sociale), c'est en effet l'équilibration, processus interne à l'individu
même s'il est commun à toute l'espèce, qui assure la coordination de l'ensemble des
influences et constitue le processus de transformation de l'organisation cognitive.
Les modèles classiques de l'apprentissage ou du conditionnement n'accordent pas
non plus de statut particulier aux contraintes d'origine sociale : l'association d'un côté,
le conditionnement de l'autre, sont des processus qui fonctionnement à tous les niveaux
de complexité des organismes et, surtout pour ce qui nous concerne ici, avec tous les
types de stimulations (même si le cas particulier du langage a conduit Pavlov à dévelop-
per l'idée d'un « second système de signalisation » et les behavioristes de la seconde
génération à entreprendre des travaux sur la « médiation verbale »).
Par contraste avec ce qui précède, une troisième perspective met explicitement la
culture au centre de ses préoccupations. Historiquement, elle est référée aux noms de
Baldwin, de Janet, de Vygotski ou de Wallon pour ce qui est des « pères fondateurs »
de la Psychologie du développement. Ces auteurs — et leurs continuateurs contempo-
rains dont on parlera dans ce chapitre — ont en commun l'introduction des phénomè-
nes sociaux et historiques comme une matrice dans laquelle se construit l'organisation
psychologique.
Cette perspective prend appui sur trois grands thèmes qui ont été travaillés depuis
le xvin siècle dans l'histoire des idées en Europe occidentale.
Le concept d'adaptation tel qu'il est issu de la vision darwinienne et qui rompt
avec la perspective créationniste et linéaire de Lamarck puis de Spencer (cf. ce volume,
le chapitre « Histoire et évolution de la psychologie du développement », § 1.3 pour
une présentation de la thèse de la récapitulation). Le concept d'adaptation, base de la
conception de Piaget sur les invariants fonctionnels que sont l'assimilation et
Quelques grandes théories du développement cognitif I 59

l'accommodation cognitives, prolongeant l'assimilation et l'accommodation biologiques,


est présent aussi chez Wallon ou Vygotski qui défendent que l'espèce humaine a pour
caractéristique un mode d'adaptation particulier, sociotechnique, incluant des pratiques
sociales et des artefacts.
Le second thème est celui de l'historicité humaine. Les tableaux historiques du
devenir de l'humanité chez Vico, Condorcet ou Comte par exemple ont été, eux aussi,
marqués par l'idée d'un progrès linéaire. C'est toutefois la pensée de Hegel puis celles
de Marx et d'Engels qui ont le plus fortement marqué la réflexion sur l'historicité au
xixe siècle. Du point de vue de la Psychologie, deux thématiques importantes vont se
développer en appui plus ou moins fort sur ces apports. Celle de la construction sociale
de la personne à travers des crises et des réorganisations dans les relations sociales, de
même que le rôle du socius dans les prises de conscience qui sont présents au coeur des
théories psychologiques de Baldwin, Janet ou Wallon (cf. ce volume, chap. 5, le rôle
affectif et cognitif des interactions sociales). L'autre thématique est celle du rôle structu-
rant de l'environnement social sur le système cognitif, fortement argumenté autant par
Vygotski que par Wallon qui tous deux pointent en particulier le rôle de l'organisation
des activités sociales et des produits de cette activité.
Le troisième thème est celui des rapports du langage, de la pensée et de la culture.
Il est amorcé par Herder qui, en 1770, défendait l'idée que l'homme a en propre de
multiples manières de penser qui ne peuvent être atteintes qu'à travers l'étude des grou-
pes singuliers : les peuples. C'est le début de la Viilkerpechologie qui atteindra sa plénitude
avec les travaux du Laboratoire de Wundt à Leipzig vers 1900. La réflexion sur le lan-
gage va se poursuivre chez Alexander von Humboldt. Celui-ci entend en effet étudier
la mentalité des peuples par l'analyse de leurs systèmes linguistiques. La pensée sou-
tient-il s'achève en s'incarnant dans un langage ; le contenu conceptuel est en partie
dépendant de la forme. Humboldt introduit aussi le concept de forme intérieure du lan-
gage, forme qui permet de générer les pensées mais aussi, plus largement les « vision du
monde » (sprachliche Weltansichts) caractéristiques des différents peuples. Ce thème sera
une des bases de réflexion pour Vygotski (la notion d'outils sémiotiques et celle de lan-
gage intérieur) comme pour Wallon (instruments de pensée, espace mental). Elles seront
aussi ultérieurement à la base de la thèse de Whorf-Sapir selon laquelle la structure de
la langue est un puissant organisateur de la représentation.
Le thème « culture et développement psychologique » a donc de multiples ramifi-
cations et de multiples développements possibles. Les limites de ce chapitre ne permet-
tent évidemment pas de couvrir un tel ensemble (que de surcroît on découvrirait vite
incomplet lui-même), nous avons donc fait le choix de ne traiter que le dernier thème :
le rôle structurant de l'environnement social sur le développement cognitif, et de pré-
senter les travaux contemporains qui contribuent théoriquement et à travers des recher-
ches empiriques à instruire cette question en référence à Vygotski (voir encadré 2.1)
mais aussi en relation avec les approches contemporaines de l'anthropologie de la
cognition, de la pragmatique et du développement humain. Nous avons retenu deux
thèmes particulièrement actifs aujourd'hui : celui des activités sociales (3) et celui des
médiations sémiotiques (4) avant de conclure brièvement (5). Auparavant, il nous faut
cependant spécifier en quoi ce que nous allons présenter relève d'une psychologie
« culturelle ».
60 I Psychologie du développement

Il - Psychologie interculturelle ou psychologie culturelle ?

Dans les travaux contemporains, on peut distinguer schématiquement deux sous-


ensembles contrastés par la façon dont ils traitent les aspects universels et les variations
culturelles du développement humain, et dont on trouve une illustration bien argu-
mentée en particulier dans la psychologie nord-américaine. La question conceptuelle
centrale qui à la fois unit et contraste ces deux sous-ensembles est celle-ci : que consi-
dère-t-on comme universel dans le développement ?

a. La réponse de la psychologie interculturelle

Une première réponse est apportée par les travaux classiques portant sur les com-
paraisons interculturelles : les contrastes culturels permettent d'analyser ce qui est indé-
pendant de la culture et, ainsi, d'isoler ce qui est universel dans les constructions
psychologiques.
On y prend comme cible de recherche des constructions psychologiques dont on a
déjà, en général, largement validé l'existence par des travaux psychologiques « classi-
ques », et on cherche à évaluer comment ces constructions psychologiques peuvent être
infléchies par des contraintes propres à telle ou telle culture.
Berry, Poortinga et al. (1992) par exemple définissent la Psychologie interculturelle
comme « l'étude des similarités et des différences relatives au fonctionnement psycholo-
gique individuel dans des groupes sociaux et ethniques divers ; des relations entre les
variables psychologiques et socioculturelles, écologiques et biologiques ; et aux change-
ments qui modifient ces variables » (p. 2).
Cette approche, souvent utilisée a été aussi souvent critiquée sur plusieurs points.
La plus ancienne critique est sans doute le reproche d'ethnocentricité qui se manifeste
entre autres dans le choix des cibles. Celles-ci sont le plus souvent reprises aux tra-
vaux occidentaux comme si c'étaient là les accomplissements de référence du dévelop-
pement psychologique et comme si les variations constatées devaient être jugées à
cette aune... L'assomption fondatrice est que les processus psychologiques basiques
« occidentaux » sont basiques partout dans le monde. Et la comparaison entre les
cultures sert seulement à éclairer en quoi « la culture » peut influencer en plus ou en
moins tel processus psychologique basique (Vinden et Astington, 2000). On peut en
trouver des illustrations dans les débats sur l'universalité du complexe d'OEdipe, des
invariants opératoires, ou des Théories de l'esprit pour prendre des exemples dans
trois générations successives.
Par ailleurs, nombre de psychologues qui pratiquent la Psychologie interculturelle
considèrent la culture comme un ensemble de variables indépendantes et l'individu
comme un complexe de variables dépendantes. Ils utilisent le plus souvent des disposi-
tifs quantitatifs portant sur des comparaisons entre groupes, ce qui conduit par exemple
Rogoff et Angelillo (2002) à considérer que même s'ils se défendent d'ethnocentrisme
Quelques grandes théories du développement cognitif I 61

d'un point de vue théorique, la façon de procéder de ces psychologues dénature ce


qu'est une culture et biaise leurs analyses.
Cela nous conduit à la ligne de clivage entre l'approche interculturelle et celle que
j'appellerai par commodité la Psychologie culturelle (traduction de Cultural Pechology).

b. La réponse de la psychologie culturelle

Une autre critique, plus fondamentale, consiste à mettre en question le postulat


fondateur que ce qui est universel, ce sont certains produits du développement. À ce pos-
tulat, on peut en opposer un autre, celui sur lequel s'appuie la Psychologie culturelle :
ce qui est universel — et fondamental pour le développement psychologique — ce ne sont
pas les produits du développement mais c'est un mode de fonctionnement, une certaine façon
d'engager des processus formateurs en relation directe avec l'environnement social et
culturel.
Ce second postulat est au coeur de la Psychologie « culturelle ». Shweder le for-
mule ainsi : « Aucun environnement culturel n'existe ou n'a d'identité indépendam-
ment de la manière dont les êtres humains se saisissent de ses significations et de ses
ressources, cependant que, d'un autre côté, la subjectivité et la vie mentale de chaque
être humain sont altérées par le fait de saisir les significations et les ressources d'un
environnement culturel et de les utiliser » (1991, p. 74).
La Psychologie culturelle prend donc en compte le processus d'enculturation
comme un processus dynamique et interactif : « Les individus sont des systèmes dyna-
miques au développement continuel, de même que les groupes sociaux, les communau-
tés et les institutions dans lesquels ils sont intriqués » (Voisiner, 1995, p. 7). Elle consi-
dère que les processus psychologiques sont liés de façon fondamentale aux
représentations et aux pratiques sociales.
Dans ses études empiriques, elle se focalise le plus souvent sur une seule culture et
prend en compte des processus multiples (historiques, communautaires...) qui construi-
sent le développement individuel et que, réciproquement, celui-ci fait évoluer constam-
ment.
Les paragraphes qui suivent présentent quelques illustrations qui concernent, d'une
part, les évolutions conceptuelles et, d'autre part, les stratégies de recherche empirique
s'inscrivant dans le cadre de la psychologie culturelle telle qu'on vient de la situer.

III - Le rôle des activités sociales

Le choix de l'expression activités sociales en lieu et place de l'expression plus usitée


d'interaction sociale n'est pas neutre. Il correspond à l'élargissement par de nombreux
auteurs contemporains de la notion même d'interactions sociales au-delà des seules
interactions face à face, le plus souvent dyadiques. C'est le concept même de zone
proximale de développement qui est ainsi réévalué. Avant d'entrer plus avant dans
cette discussion, il convient de rappeler ici l'essentiel de la contribution de Vygotski.
62 I Psychologie du développement

a. La conception de Vygotski

La question fondamentale pour Vygotski est de rendre compte du développement


et du fonctionnement des fonctions mentales supérieures (pensée conceptuelle, pensée
technique, représentations symboliques, langage, interaction sociale...). Il aborde cette
question en combinant les méthodes comparatives impliquant enfant/adulte ;
homme/animal ; normal/pathologique.
On peut résumer en trois thèses principales sa contribution à l'étude du dévelop-
pement mental.
La première thèse est que la psychologie doit étudier les processus mentaux supérieurs dans
leur spécificité. Vygotski refuse toute forme de réductionnisme : ni le préformisme (c'est-à-
dire le maturationnisme de Gesell ou de Blonski ou la Gestalttheorie de Koffka), ni le
réductionnisme (la réflexologie de Bekhterev ou Pavlov ou le behaviorisme de Watson)
ne sont acceptables. Il fustigeait régulièrement les deux attitudes intellectuelles en décla-
rant par exemple « autrefois captive de la botanique, la Psychologie est maintenant
mesmérisée par la zoologie » (1927/1978).
La seconde thèse est que les activités humaines sont médiatisées par les outils et les systèmes
de signes. Les processus mentaux supérieurs ne sont pas directement issus des processus
biologiques élémentaires, ils sont médiatisés par les outils culturels, et « situés » histori-
quement. Les signes sont des « outils psychologiques » : ils agissent sur le monde
humain comme les outils matériels agissent sur le monde physique, et comme eux ils
transforment l'activité mentale de celui qui les utilise.
La troisième thèse est que les systèmes sémiotiques sont issus de l'activité des groupes
humains et appropriés dans l'interaction sociale. Les systèmes sémiotiques ont des utilités socia-
les et évoluent en fonction des besoins sociaux globaux : le langage écrit par exemple
n'est pas universel et ses fonctions ont été diverses dans l'histoire. Ils sont appropriés
dans l'interaction : le langage oral lui-même a une fonction initiale de régulation de
l'activité interpersonnelle au cours de l'ontogenèse humaine, avant même que l'enfant
ne l'utilise comme un outil de désignation ou de représentation. Le langage prend aussi,
au bout de quelques années, une fonction d'autodirection de la conduite (cf. ci-dessous
la controverse à propos du langage égocentrique de Piaget).
C'est dans ce contexte que Vygotski formule sa loi générale du développement mental:
« Toute fonction dans le développement culturel de l'enfant apparaît deux fois ou sur
deux plans. D'abord elle apparaît au plan social et ensuite au plan psychologique.
D'abord elle se manifeste entre les personnes comme une catégorie interpsychologique
et puis en l'enfant comme une catégorie intrapsychologique » (Vygotski, 1935/1962).

b. La Zone proximale de développement

Dans le contexte théorique que l'on vient de rappeler, Vygotski a introduit le


concept de Zone proximale de développement (ZPD) qu'il définit comme « la distance
entre le niveau de développement actuel tel qu'il est déterminé par la capacité de
résoudre seul un problème donné et le développement potentiel tel qu'on peut le déter-
miner par la résolution d'un problème sous la guidance de l'adulte ou en coopération
Quelques grandes théories du développement cognitif I 63

avec des pairs plus capables » (1927/1978, p. 86, trad. pers.). Avant d'examiner les tra-
vaux auxquels le concept a donné lieu à la fin du XXe siècle, il est nécessaire d'en faire
une brève analyse.
Le concept de ZPD est tardif dans la pensée de Vygotski. Il a été élaboré initiale-
ment dans le cadre des débats autour de la « pédologie », c'est-à-dire de l'étude des
enfants dans une perspective éducative. Selon Valsiner et van der Veer (1993), on en
trouve la première trace dans une conférence datant de 1933 dont le titre est : « À pro-
pos de l'analyse pédologique du processus pédagogique. »
Il s'agit là de contribuer à un diagnostic utile pour des pédagogues, c'est-à-dire qui
leur indique ce vers quoi l'enfant peut être conduit, qu'il ne connaît pas encore. C'est
un concept descriptif qui souligne l'importance à accorder à l'éducation des fonctions
psychologiques en cours de construction par contraste avec celles qui sont déjà dévelop-
pées et fonctionnent de façon autonome. Au début des années 1930 en effet commen-
cent à émerger des oppositions idéologiques majeures à la psychométrie, et l'analyse
critique propre de Vygotski le conduit à prendre du recul par rapport à ce que les tests
peuvent apporter (pour plus d'information sur ce débat, voir Zazzo, 1968).
Toutefois, le concept a aussi une articulation forte avec la loi générale_du dévelop-
pement mental formulée par Vygotski. Le passage de l'interpsychologique à
l'intrapsychologique s'effectue en effet dans cette zone dans laquelle on peut utilement
aider l'enfant à construire ses fonctions psychologiques émergentes. Il permet de
conceptualiser de processus développemental qui mène le système psychologique de
l'organisation actuelle vers son organisation future.
La notion de ZPD a donc chez Vygotski lui-même une valeur plus heuristique que
proprement explicative. Il est évident que son décès prématuré ne lui a guère laissé de
temps pour l'élaborer. De surcroît, elle restera pratiquement lettre morte jusqu'au
début des années 1960 lorsque l'oeuvre de Vygotski sortira de la mise à l'index qui
l'avait frappée dès le milieu des années 1930 et commencera d'être publiée dans
d'autres langues (Vygotski, 1962 ; voir aussi le chapitre « Histoire et évolution de la
psychologie du développement » dans ce volume).
L'impact du concept — les développements auxquels il a donné lieu, et tout autant
sa critique — s'est fait sentir depuis ce temps dans plusieurs directions que nous exami-
nons ci-dessous.

ENCADRÉ 2.1

Lev Semionovitch Vygotski

Biographie
Vygotski est né à Orsha, près de Minsk (Belarus) en 1896 et mort à Moscou en 1934.
Il fait des études de droit et de lettres à l'Université de Moscou. Il étudie aussi l'histoire,
la philosophie et la psychologie à l'Université Shaniavskii. En 1917, il obtient un doctorat rela-
tif à « La Psychologie de l'art ». C'est au cours de cette période qu'il développe ses relations
avec les formalistes russes et construit sa conception de la sémiotique.
Sa carrière se déroule tout d'abord à Glomel (Belarus) où il est professeur de lettres et de
littérature russe entre 1917 et 1924, puis il enseigne à l'Institut de psychologie de l'Université
de Moscou de 1924 jusqu'à sa mort. Il fonde plusieurs instituts de psychologie (Kharkov,
64 I Psychologie du développement

Leningrad, Institut de défectologie à Moscou). Il collabore avec — ou forme de nombreux psy-


chologues majeurs (Luria, Leont'ev, El'Konin, Galperin, Rubinstein...).
Il fait traduire et publie des analyses critiques de Piaget, Koffka, Freud, Bühler... Il publie
lui-même de très nombreux articles et ouvrages (18 en 1933, 17 en 1934).
À l'intensité de son action durant cette brève période succédera une mise à l'index
en 1936 au motif officiel de « pédologie » et d'usage de tests. Son influence demeurera occulte
jusqu'en 1956. À partir de 1957, Luria et Leont'ev, ses plus proches collaborateurs tentent de le
faire connaître en Occident et c'est en 1962 que Jérôme Bruner fait publier une version par-
tielle de Pensée et langage.

Les grands thèmes d'investigation


Les fonctions mentales supérieures, formation des concepts, mémoire, raisonnement, le
rôle du langage, les effets de la scolarisation sur le fonctionnement intellectuel.
Déficiences, développement et éducation ; les fonctions mentales dans la schizophrénie.

Publications
Ses oeuvres complètes sont publiées en russe à partir de 1982, en allemand (1985) et en
anglais (1987).
En français, 7 ouvrages sont actuellement disponibles :
Schneuwly, B., & Bronckart, J. P. (1985). Vygotski aujourd'hui, Neuchatel : Delachaux & Niestlé.
Cet ouvrage comporte plusieurs textes de Vygotski.
Vygotski, L. S. (textes originaux parus entre 1927 et 1935). Défectologie et déficience mentale,
Neuchatel : Delachaux & Niestlé, 1994.
Vygotski, L. S. (1931). Théorie des émotions, trad. fr., Paris : L'Harmattan, 1998.
Vygotski, L. S. (1934). Pensée et langage, trad. fr., Paris : La Dispute, 1999.
Vygotski, L. S. (1927). La signification historique de la crise en Psychologie, trad. fr ., Neucha-
tel : Delachaux & Niestlé, 1999.
Vygotski, L. S. (1930). Conscience, inconscient, émotions, trad. fr ., Paris : La Dispute, 2003.
Vygotski, L. S. (1917). Psychologie de l'art, trad. fr ., Paris : La Dispute, 2005.

c. ZPD et interactions de tutelle

C'est certainement, en France en tout cas, la dimension la plus connue et la plus


travaillée d'une exploitation possible du concept de ZPD. La définition même de la ZPD
fait bien référence à l'existence d'activités partagées puisque la borne « supérieure » de
la zone est indiquée par ce que l'enfant peut assumer dans une interaction finalisée
Toutefois, Vygotski lui-même n'a pas envisagé concrètement une étude empirique de
ces activités partagées.
C'est Wood qui le premier en a introduit l'analyse. Il a montré tout d'abord avec
Middleton que, engagées dans une tâche pratique avec leur jeune enfant (construire un
puzzle tridimensionnel) les mères interviennent dans une zone de sensibilité de l'enfant
(évaluée par les modifications manifestées dans la conduite de l'enfant subséquemment
à l'intervention maternelle) et que les mères diffèrent entre elles de façon importante
quant à leur propre sensibilité aux difficultés de l'enfant. Reprenant le même dispositif
mais avec des enfants d'âges différents selon un plan transversal (voir chap. 3 : « Les
méthodes »), Wood, Ross et Bruner (1976/1983) ont confirmé et étendu ce résultat
dans une étude qui a inspiré ensuite de nombreux travaux portant sur des interactions
à des âges différents (bébés, âge préscolaire, âge scolaire), mettant en jeu des acteurs
divers (parents, professionnels, pairs d'âge) et portant sur des activités de niveaux variés
Quelques grandes théories du développement cognitif I 65

(conduites attentionnelles précoces, maîtrise du langage, activités constructives, résolu-


tion de problèmes opératoires ou autres).
Un des résultats essentiels de ces analyses est que, au fil des interactions de tutelle
dans la même activité de résolution de problème, l'adulte offre à l'enfant un « étayage »
de son activité propre qui se réduit à mesure que l'enfant est capable de participer
davantage de façon autonome.
La question doit être posée ici de savoir ce qu'apportent la notion d'étayage et
celle d'interactions de tutelle à la compréhension du concept. À cet égard, on peut
avancer deux remarques. Tout d'abord, le ciblage sur les interactions de tutelle en
elles-mêmes correspond bien en première approche à l'idée vygotskienne que la cible
pour l'étude du développement « à venir » est l'analyse des situations sociales
d'interaction. Les interactions de tutelle sont un matériau empirique de choix pour
une étude concrète des activités partagées. Et les fonctions d'étayage rendent compte
de ce qu'il y a d'intersubjectif dans la mesure où l'adulte en interaction avec l'enfant
procède à des ajustements auxquels l'enfant répond, partageant de façon plus ou
moins complète des buts qui deviennent communs, et dont l'atteinte peut rétroagir sur
les capacités de l'enfant de mener à son terme de façon autonome l'activité
concernée.
La notion d'interactions de tutelle ne suffit pas toutefois pour procéder à une ana-
lyse de la ZPD. D'une part, en effet les interactions dyadiques asymétriques (adulte-
enfant) ne sont pas les seules. Il existe par exemple des interactions symétriques dont les
modalités peuvent être d'ailleurs diverses, et dont on a montré les effets positifs sur le
développement (Gilly, 1989). La notion d'étayage doit donc être étendue à un ensemble
de situations d'interactions sociales qui dépassent le cadre dyadique et même le cadre
des interactions interpersonnelles effectives.
D'autre part, les enfants sont le plus souvent engagés dans des activités sociales qui
n'impliquent pas d'abord des interactions interpersonnelles ou bien qui sont elles-
mêmes une condition de possibilité pour que ces interactions s'organisent. Les interac-
tions dyadiques ne se déroulent pas dans un vide social : elles sont elles-mêmes en
grande partie déterminées par la valeur sociale des situations d'échanges et le statut
des interactants. Les interactions dyadiques sont intrinsèquement affectées par
l'interprétation de la tâche. Celle-ci fait varier la représentation des buts de l'interaction
chez l'adulte — par exemple selon que la tâche est conçue comme « didactique » ou
« ludique ». Elle agit de même sur l'enfant. Par exemple la demande de confirmation
d'une réponse à une question dans une tâche opératoire piagétienne peut entraîner un
changement de réponse de l'enfant dans la mesure où celui-ci utilise en situation expé-
rimentale les contrats de communication standards ( « si on me redemande alors que
j'ai parlé suffisamment fort, c'est sûrement que je me suis trompé») qui, précisément
ne sont pas ceux d'une situation expérimentale (Siegal, 1999).
L'intégration des interactions de tutelle dans un cadre social plus large apparaît
comme une nécessité pour certains auteurs contemporains. Nous verrons ci-dessous la
contribution de deux d'entre eux pour qui la ZPD est une coconstruction sociale plus
complexe.
66 I Psychologie du développement

d. La ZPD : où culture et cognition se créent mutuellement

Le titre de ce paragraphe est emprunté à un article de Michael Cole (1985) où il


défend l'idée que la ZPD est « la structure de l'activité conjointe dans tout contexte où il
existe des participants qui exercent des responsabilités différentes en fonction de leurs
différents niveaux d'expertise ».
Cole (1992) oppose aux modèles de développement classiques de type bifactoriel
(maturation et environnement, incluant l'interaction entre les deux) un modèle à trois
facteurs : biologique, environnemental et historique, c'est-à-dire impliquant des caracté-
ristiques de l'environnement qui résultent de l'activité historique des groupes humains,
empruntant pour cela à Leonte'v (1974) des concepts issus de la Théorie de l'Activité.
Ce troisième facteur occupe une position prééminente dans la mesure où il média-
tise les deux autres. Citant Geertz (1973) Cole insiste sur le rôle constitutif de la culture
dans son ensemble : « La culture est plus qu'une aide à l'extension, au développement
ou à la supplémentation de capacités logiques fondées dans la biologie et qui lui
seraient génétiquement antérieures, elle apparaît comme un ingrédient de ces capacités
elles-mêmes » (Geertz, 1973, p. 68).
En invoquant les caractéristiques historiquement spécifiées de l'environnement
Cole ne fait pas l'impasse sur la dimension interactionnelle, mais il resitue les interac-
tions dans un cadre plus large, celui de l'activité conjointe. Il prend ainsi en compte
deux aspects importants du fonctionnement cognitif en situation. Tout d'abord, les
interactions sociales ne peuvent être réduites aux interactions face à face : que l'enfant
soit confronté à une activité de tissage ou de poterie artisanales, qu'il soit devant un
ordinateur ou bien encore qu'il soit au sein de l'école, il se trouve toujours inclus dans
un cadre d'activités collectives. Celles-ci comportent des rôles, des statuts, des règles
tacites ou explicites de fonctionnement qui exercent des contraintes sur son activité et
font d'elle une activité sociale au plein sens du mot : on a beau faire ses devoirs seul,
l'activité de « faire ses devoirs » est une activité prescrite qui a sa sanction — positive ou
négative, qui a ses conséquences non seulement sur l'humeur du Maître ou sur « les
résultats » mais, au-delà, sur les phénomènes de comparaison sociale réels ou imaginés
dont on connaît les effets en termes d'engagement dans les activités « scolaires » (Mon-
teil, Brunot et Huguet, 1996).
Dans ce contexte, la ZPD n'est pas une caractéristique individuelle, ce que pouvait
laisser à penser le lien du concept avec les questions de pédologie. C'est une métaphore
relative à l'organisation des activités auxquelles l'enfant va prendre une part active et
au sein desquelles il va pouvoir réorganiser son propre système cognitif. Le niveau de
développement d'un individu peut ainsi être caractérisé par les activités conjointes aux-
quelles il est associé et les responsabilités stratégiques qu'il est appelé à y assumer. Dans
ce contexte, permettre les changements dans la participation c'est ipso facto créer les
conditions d'une évolution individuelle, d'un changement dans les pratiques sociales et
d'une transformation correspondante des règles tacites puis des règles explicites qui
organisent les cadres de la vie sociale.
Une des contributions empiriques importante de Cole est la conception
d'environnements complexes, avec une forte composante virtuelle, permettant le déve-
Quelques grandes théories du développement cognitif I 67

loppement d'activités individuelles et collectives, ainsi que l'évolution de l'envi-


ronnement complexe lui-même sous l'effet de l'activité des participants. Cet environne-
ment est connu sous le nom de 5' Dimension (on en trouvera une présentation
intéressante sur le site de l'implantation de Fifth Dimension à Whittier, Californie :
http://www.whittierfiftlidimension.org ).

ENCADRÉ 2.2

La 5' Dimension

Cet environnement éducatif est implanté dans diverses institutions aux États-Unis et ailleurs
( Mexique, Australie, Russie...) et s'articule autour de trois buts principaux :
— offrir un système complexe et viable d'activités qui se développent dans un réseau virtuel,
et susceptibles d'être implantées dans des environnements institutionnels variés ;
— proposer aux enfants un environnement éducatif et d'instruction leur permettant de maîtri-
ser des connaissances et savoir-faire liés à la scolarisation (lecture, numération) ;
— analyser en permanence comment les activités et le développement des enfants se créent
mutuellement (introduction par les enfants de changements dans les activités et change-
ments chez les enfants en relation avec la modification des activités).

Du point de vue des enfants, la 5D est un système d'activité qui combine jeu, éducation,
interaction sociale et affiliation.
Le coeur du dispositif d'activités a la forme d'un labyrinthe divisé en 20 chambres. Cha-
cune d'elles offre deux types d'activités : avec ou sans usage d'ordinateur. Selon les règles
de 5D (qui sont formulées selon une charte que l'enfant reçoit et à laquelle il souscrit explicite-
ment) les enfants progressent dans 5D en maîtrisant les tâches associées aux différentes
chambres et avec l'assentiment du Maître de 5D (ce Maître reçoit des dénominations diffé-
rentes selon les lieux d'implantation, en Floride où se trouve le site d'origine, il est nommé
The Wizard.

La participation de l'enfant
Les premiers pas sont accomplis lorsque l'enfant décide des premiers buts à atteindre.
Ensuite, les enfants doivent décider par où ils vont commencer leur voyage dans le labyrinthe.
Un « guide d'aventures » leur donne les informations nécessaires pour jouer. Les progrès de
chaque enfant sont consignés dans un « cahier d'aventures ».
Le choix des chambres successives dépend du niveau de maîtrise atteint lors du jeu ou
de l'activité choisis. Avant de se rendre à la chambre suivante, un « défi » (adventure task) doit
être relevé.
Le choix des défis donne l'occasion d'écrire au Maître, à des correspondants, de rédiger
un journal personnel, conserver des informations, faire une activité artistique, à propos des
stratégies utilisées ou des connaissances accumulées lors de l'activité précédente choisie.
Dans la mesure où les enfants doivent réaliser le défi lié à une chambre avant d'accéder la sui-
vante, ils sont constamment confrontés à la nécessité de formuler et de réfléchir sur ce qu'ils
font et de le communiquer aux autres dans la communauté 5D.

e. Rogoff et le concept de participation guidée

La critique d'une restriction à la dyade du concept de ZPD est au centre de la


contribution de Barbara Rogoff (1990, 2003). Pour elle, l'analyse de l'impact de la
culture doit inclure « les efforts explicites pour guider l'enfant en son développement
autant que les communications tacites et les "arrangements" qui sont enchâssés pour lui
68 I Psychologie du développement

dans les pratiques et les routines de la vie quotidienne qui ne sont pas focalisées sur
l'instruction ou la guidance » (1990).
Pour rendre compte du processus développemental qui conduit le système psycho-
logique de son organisation actuelle vers son organisation future, elle propose le
concept de participation guidée. Ce faisant elle étend le concept de ZPD et met l'accent
« sur l'interrelation des rôles de l'enfant et de ses partenaires adultes et autres
compagnons, et de l'importance de l'interaction sociale tacite et à distance au-delà des
face-à-face explicites dans la participation guidée » (1990, p. 16). Elle prend ainsi en
compte deux aspects importants du fonctionnement cognitif en situation.

1 / La cognition est socialement située

Des ethnologues curieux de comprendre les formations techniques ont montré


que l'acquisition des savoir et des savoir-faire techniques est réalisée dans des condi-
tions très variables d'une culture à l'autre, mais qu'elle comporte toujours
l'engagement du jeune dans une communauté qui comprend des novices et des
experts, des instruments spécifiques, des règles et des rites, et des formes progressive-
ment élargies de mise en situation d'agir, ce que Lave et Wenger appellent une « par-
ticipation périphérique légitimée ». Par exemple, l'entrée en apprentissage pour un
jeune tailleur Vai du Liberia est un acte social complexe : le plus souvent, le jeune
quitte sa famille ; il est pris en charge par le maître tailleur qui l'héberge et le forme
durant cinq années avec un curriculum spécifique : apprendre à coudre à la main
puis à la machine des parties de vêtements, à les couper, à faire des chapeaux puis
des sous-vêtements d'enfants, des vêtements complets et pour terminer des vêtements
d'apparat. « L'apprenti » est impliqué dans un ensemble de réseaux de relations de
compétences et de pouvoir, de relations entre fournisseur de service et clients, de rela-
tions entre novices et experts, de relations entre membres de la communauté, elles-
mêmes plus ou moins fortement ritualisées. Le développement des compétences est le
fruit d'un compagnonnage (apprenticeship).

2/ Les besoins de la communauté déterminent les buts des interactions dyadiques

Les tâches dans lesquelles se déroulent les interactions dyadiques sont issues de
contraintes macrosociales. Ainsi, Rogoff et Angelillo (2002) relèvent que chez les mères
de classes moyennes nord-américaines, il existe de nombreuses interactions de jeu et
des conversations comportant des activités de leçon ou des formats de discours appa-
rentés aux formats de l'éducation scolaire, au contraire de ce que l'on observe dans des
familles rurales indiennes du Mexique. Dans cette seconde culture, les opportunités
qu'ont les enfants d'observer des activités adultes et d'y participer rendent superflue
l'offre de situations d'apprentissage centrées sur l'enfant (comme le discours instruction-
nel) ou d'activités préparatoires à l'accomplissement de rôles adultes (dans des situations
de jeu « dirigé »).
Les auteures mettent en relation ces différences avec le contraste des environne-
ments sociaux globaux qui font que, dans les communautés indiennes étudiées, il y a
peu de besoins de maîtriser les fonctions associées à une économie fondée sur le com-
Quelques grandes théories du développement cognitif I 69

merce de biens. Elles s'attendent aussi à ce que les changements macroéconomiques


modifient à terme les interactions elles-mêmes.
Ce point de vue est corroboré par Greenfield, Maynard et Childs (2003) et Green-
field (2004) qui montrent, en revenant trente ans après dans le même village Zinacan-
tec du Chiapas au Mexique, en quoi le désenclavement du village a contribué à trans-
former l'économie et comment les productions de tissage, jusque-là inscrites dans une
tradition technique et sociale forte et plutôt figée se sont diversifiées, et s'accompagnent
d'une plus grande créativité cognitive ainsi que d'une plus grande flexibilité dans les
interactions de tutelle liées au tissage.

IV - Médiations sémiotiques et développement de la pensée

L'idée majeure avancée par Vygotski dans son analyse de la ZPD est que la per-
sonne se libère elle-même des confinements de son univers actuel à travers des média-
tions sémiotiques et des actes instrumentaux. Toutefois, cette libération se produit en
deux temps. Dans un premier temps, l'enfant participe à des tâches qui impliquent des
aînés et cette participation oriente son développement à travers le partage des buts et
l'appropriation des moyens d'accomplir les tâches. On est donc dans un cadre
d'interactions sociales à proprement parler. Cependant, Vygotski affirme aussi qu'au-
delà d'un certain seuil (que nous illustrerons ci-dessous par la controverse avec Piaget
sur le « langage égocentrique ») c'est le langage intérieur et l'activité imaginaire de
l'enfant qui prennent le relais et achèvent l'autonomisation d'un plan de la représenta-
tion et des capacités d'autodirection de la conduite. Nous examinerons dans ce qui suit
la façon dont cette question est traitée aujourd'hui.

a. Le statut du langage dans le développement cognitif

Un aspect central chez Vygotski et d'autres psychologues russes de cette époque


est l'affirmation selon laquelle les structures de l'activité externe et celles de l'activité
interne sont différentes et pourtant sont en interrelation. Cette relation intrinsèque est
d'ordre développemental pour Vygotski : la question est de savoir comment les répon-
ses externes sont transformées pour créer un processus interne. L'internalisation n'est
pas « le transfert d'une activité externe à un plan de conscience interne de préexistant :
c'est le processus au sein duquel ce plan est constitué » (Leont'ev, cité par Wertsch et
Stone, 1985).
Pour Vygotski donc, comme pour Wallon (1942) le langage a un statut spécifique
dans ses relations avec la cognition. Il est un médium par lequel la pensée non seule-
ment s'actualise mais se constitue. La pensée est fondamentalement discursive pour l'un
comme pour l'autre, et l'enfant doit être initié aux usages du langage pour que ceux-ci
deviennent les instruments de sa pensée. On trouvera dans Deleau (1990) une discus-
sion détaillée des différences entre les modèles sémiotiques respectifs de Wallon, Piaget
et Vygotski.
70 I Psychologie du développement

La controverse entre Vygotski et Piaget à propos du « Langage égocentrique »


éclaire bien cette dimension « instrumentale » et les fonctions du langage dans le déve-
loppement de la pensée (voir encadré 2.3).

ENCADRÉ 2.3

La controverse Vygotski - Piaget à propos du langage égocentrique

C'est en 1932 que paraît en russe, sous l'impulsion de Vygotski la thèse de Piaget publiée
en 1923 sous le titre le langage et la pensée chez l'enfant. C'est après cette parution et celle de
l'ouvrage le jugement et le raisonnement chez l'enfant que Vygotski va critiquer la notion de
langage égocentrique.

Les observations de Piaget


Vers l'âge de 5-6 ans les enfants, même lorsqu'ils sont en groupe, produisent beaucoup
de propos qui ne sont pas véritablement adressés à autrui : ce sont en particulier des répéti-
tions écholaliques et des monologues (« tiens, je vais mettre le vert », dit un enfant en faisant
un dessin sans s'adresser à quiconque et sans avoir autour de lui un autre enfant en état de
l'écouter). Piaget considère ces propos comme « égocentriques », c'est-à-dire orientés vers
soi-même, par contraste avec les propos « socialisés » tels que production d'informations
adaptées (retenir l'attention, transmettre une consigne ou une information), critiques, ordres,
requêtes, menaces, questions, réponses... Ils sont particulièrement fréquents vers 5-6 ans :
pour l'un des enfants (LEV) ils représentent 47 % des propos relevés (39 % si on ôte les répon-
ses) et 43 % pour PIE (37 % si on ôte les réponses). Ils sont aussi relativement permanents :
ainsi si on regroupe tous les propos tenus durant un mois et qu'on les analyse par tranche de
100 énoncés, la proportion de « langage égocentrique » varie de 40 à 57 %.

L'interprétation piagétienne et les termes de la controverse


L'interprétation de Piaget est suffisamment connue pour qu'on se contente ici de la résu-
mer. Il met en relation l'évolution des formes de langage avec l'évolution des formes de
pensée :

Pensée autistique Pensée égocentrique Pensée socialisée


Symbolisme privé Langage égocentrique Langage socialisé

À la pensée « autistique » (c'est-à-dire enfermée sur elle-même, le sens de « autistique »


est à mettre en relation avec le lexique des années 1920) correspond le symbolisme privé :
symboles, images mentales qui n'ont de significations qu'implicites et propres au sujet. À la
pensée égocentrique, le langage égocentrique et à la pensée « socialisée », c'est-à-dire
décentrée, correspond enfin le langage socialisé.
L'évolution des formes de symbolisme et les opérations sur les symboles sont le reflet
pour Piaget des changements dans l'organisation cognitive et ne jouent pas de rôle comme
tels dans les changements cognitifs eux-mêmes.

La controverse tient précisément à ce que Vygotski accorde à Piaget la réalité des


faits mais récuse l'ensemble de sa théorisation sur les rapports entre le langage et la
pensée.
Il souligne tout d'abord que, empiriquement, le langage est socialisé dès son entrée
en scène sur un fond de communication préverbale. Il soutient ensuite que l'on peut
retrouver des formes de langage « égocentrique » bien après l'âge ciblé par Piaget : il
suffit de mettre des adultes seuls en face d'un problème à résoudre pour voir très vite
Quelques grandes théories du développement cognitif I 71

réapparaître des propos non adressés à autrui mais qui sont associés à l'activité du sujet
dans la phase de résolution du problème. Le langage « égocentrique » dont parle Piaget
n'est donc pas un simple épiphénomène de l'activité de pensée. Il a une fonction
propre, celle de contribuer à la résolution du problème.
Pour comprendre comment les activités langagières parviennent à prendre cette
fonction, deux autres points sont à prendre en compte. L'analyse des propos « égocentri-
ques » montre que ceux-ci correspondent à des remarques, des consignes, des observa-
tions que l'on trouve habituellement dans la bouche des adultes qui accompagnent les
enfants dans des tâches diverses (faire un puzzle, faire la cuisine...) : le moment où le lan-
gage égocentrique est à son acmé correspond au moment où l'enfant devient capable de
prendre en charge le guidage de sa propre activité cognitive. H peut désormais être à la
fois l'émetteur et le destinataire de propos à fonction de régulation cognitive.
Le second point à prendre en compte est le devenir du Langage égocentrique lui-
même. Chez Piaget, il disparaît pour faire place au langage socialisé. Pour Vygotski au
contraire il persiste mais sous une autre forme. C'est un moment de transition, car
ensuite ces formulations explicites s'intérioriseront en « langage intérieur », et l'activité
imaginaire soutenue par les ressources du langage intérieur prendra le relais de ce que
furent les interactions enfant-adulte durant toute la période préscolaire : elle deviendra
une ressource pour l'autodéveloppement.
Cette thématique a alimenté un courant de travaux relatifs au développement et
aux fonctions du « langage privé » selon l'expression forgée par Flavell (1966) pour
rompre avec le terme égocentrique, trop connoté par la perspective piagétienne. Afin
de rester dans les limites de ce chapitre, nous ne le développerons pas ici ce point mais
le lecteur intéressé pourra se reporter à Diaz et Beck (1992).

b. Quelles unités d'analyse pour la médiation sémiotique 7

Le coeur de la controverse précédente est la question de l'articulation entre activi-


tés langagières et cognition. Cette question est toujours d'actualité et motive des tra-
vaux dont on présentera maintenant quelques exemples. Au plan théorique, leur trait
commun est la recherche d'unités d'analyse qui se situent, au-delà du mot et de la
phrase, dans le discours en contexte et critiquent la centration de Vygotski sur le mot.
Au plan empirique, ils cherchent par des voies diverses à mettre en évidence les liens
entre le développement cognitif et l'engagement dans des activités interdiscursives.

1 /La contribution de Bruner

Bruner a donné une impulsion décisive aux études postvygotskiennes relatives aux
relations entre développement cognitif et usages du langage en montrant l'importance
de la dimension pragmatique du fonctionnement langagier (Bruner, 1983).
L'unité d'analyse ici n'est pas le mot, mais l'acte de langage (speech act) introduit
par des linguistes tels que Austin ou Searle. Lorsque je dis quelque chose, je fais aussi
quelque chose : je donne un ordre, j'adresse une requête (directif), j'affirme l'existence
de quelque chose (assertif), je promets, je jure (promissif), je décrète, je déclare (le pré-
venu coupable) (déclaratif), je fais un voeu, je souhaite (expressif). Tout énoncé com-
72 I Psychologie du développement

porte ainsi un contenu propositionnel (ce qui est affirmé) : c'est l'aspect « locutoire » ;
une dimension d'action sur autrui (je demande avec plus ou moins d'insistance, tu
réponds... ou non) : c'est l'aspect « illocutoire » ; un effet (attendu ou non : tu ne satis-
fais pas à ma requête, tu crois en ma promesse, le prévenu devenu condamné va en
prison...) c'est l'aspect « perlocutoire ».
Ce type d'analyse a deux particularités : d'une part, il dépasse le mot et la phrase,
unités classiques de la linguistique, pour inclure des unités plus larges, de nature interlo-
cutive (les actes de langage s'enchaînent au cours des dialogues) ; d'autre part, il
s'appuie sur une dimension intrinsèquement intersubjective et sociale : la situation
d'interlocution est toujours socialement située.
Les actes de langage ont une dimension instrumentale : ce sont des « pratiques »
qui mettent en relation une intention et un but. Et ces pratiques associent indissoluble-
ment une action de communication et une action de représentation. Les propos énon-
cés peuvent être utilisés en relation avec le contexte extra-linguistique (les objets, les
lieux, les personnes, les intentions) c'est là une fonction déictique (les termes comme çà,
ici ou demain en sont des exemples, ils ne sont déterminés qu'en fonction de la situation
de celui qui parle), les propos peuvent être utilisés pour référer au contexte linguistique
lui-même (par exemple un pronom peut se rapporter à un référent introduit antérieure-
ment par un syntagme nominal) : c'est la fonction intralinguistique ; enfin ils peuvent
porter sur les relations entre les énonciations et les contextes de l'énonciation (fonction
métapragmatique) comme dans les propos rapportés (exemple : il m'a dit que...) ou dans
cette recommandation empruntée au chanteur belge Julos Beaucarne : « Dans le cadre
de la quinzaine du beau langage, ne disez pas disez, Bisez dites. »
Dans ses interactions quotidiennes, l'enfant est ainsi conduit, pour Bruner, à
découvrir et utiliser ces différentes fonctions dans la mesure où ce qu'il dit est interprété
par autrui, et à se représenter à lui-même ses propres représentations. Il « devient ainsi
capable d'effectuer par lui-même les actions qu'il ne pouvait pas effectuer sans l'étayage
de l'adulte auparavant » (1983, p. 291). En d'autres termes il devient capable
d'autodirection de la conduite grâce à une internalisation des pratiques langagières :
c'est cette transition que marque l'apparition du langage « privé » qui contribue à
transformer des représentations acte en représentations déclaratives.

2 / La contribution de Wertsch

À la recherche lui aussi d'une unité d'analyse plus appropriée que le mot, Jim
Wertsch (1991) emprunte à Bakhtin les notions de voix et de dialogisme. Le terme voix ne
fait pas référence à la voix physique mais au point de vue ou à la perspective du locuteur
dans le contexte de profération (à ses intentions, à ses croyances, à sa vision du
monde...). Le second concept, celui de dialogisme est associé à l'affirmation selon laquelle
toute énonciation est « adressée », c'est-à-dire incorpore d'emblée une représentation de
la perspective attribuée à autrui par le locuteur. Selon les occasions et les types de mes-
sages, autrui peut être un interlocuteur singulier (comme dans une conversation de la
vie quotidienne), ou une communauté circonscrite de spécialistes dans un domaine par-
ticulier, un public plus ou moins différencié (groupe ethnique, groupe de même opi-
nion, d'opposants ou d'ennemis...).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 73

3/La contribution de Bronckart


Jean-Paul Bronckart (1996) souligne que Vygotski a oscillé entre plusieurs candi-
dats possibles au statut d'unité d'analyse : la signification du mot, la conduite instru-
mentale ou la notion d'activité médiatisée par les signes. Suivant l'élaboration déve-
loppée par Leont'ev (1974) à la suite de Vygotski, Bronckart choisit l'activité comme
unité intégratrice.
Il appuie son analyse sur deux autres propositions fondatrices. La première est
que c'est l'activité dans les formations sociales (unité sociologique) qui constitue le
principe explicatif des actions imputables à une personne (unités psychologiques). La
seconde est « le statut à accorder au langage dans ses rapports à l'activité sociale
et aux actions ». Au mot, on doit substituer une autre unité d'analyse. Cette autre
unité, Bronckart la reprend aussi de Bakhtin, c'est le genre de discours. Le genre est une
unité discursive du niveau de l'activité : démonstratif, délibératif, didactique ou judi-
ciaire par exemple chaque « genre » est associé à une ou plusieurs finalités de la vie
sociale.
C'est dans un cadre textuel/discursif qu'un statut peut être conféré aux unités de
niveau inférieur (phrase, mot ou signe). Du point de vue de la construction des repré-
sentations, c'est au niveau de l'action qu'il convient de se. référer. L'action en effet a un
double aspect. Pour un observateur, elle est « cette » part « de l'activité sociale imputée
à un humain singulier » (p. 39). Elle peut se définir d'un autre côté comme l'ensemble
des représentations construites par cet humain singulier à propos de sa participation à
l'activité, représentations qui érigent ce dernier en un organisme conscient de son faire
et de ses capacités de faire, c'est-à-dire un agent (ibid.).
Les représentations rationnelles sont donc un produit issu de la mise en oeuvre des
pratiques langagières : « Dans l'ontogenèse humaine, les activités et les productions ver-
bales de l'entourage jouent donc un rôle premier ; ce sont elles qui réorientent le déve-
loppement proprement biologique des organismes humains dans la direction d'une
pensée consciente, d'abord dépendant des contextes d'action puis s'en détachant pro-
gressivement. D'un point de vue génétique, les capacités de représentation logique du
monde constituent donc un produit tardif; second ou encore dérivé des pratiques action-
nelles et langagières » (Bronckart, 1996, souligné par l'auteur).
La notion de médiation sémiotique reçoit ainsi dans les travaux contemporains
une conceptualisation assez radicalement renouvelée lorsqu'on met en relation l'analyse
du fonctionnement cognitif avec les concepts linguistiques qui permettent d'analyser les
pratiques langagières. Bien entendu, chacune de ces contributions a des caractéristiques
propres et donne lieu à des développements spécifiques. Retenons simplement ici ce
qu'elles ont en commun : elles offrent des concepts propres à établir que la pensée
dirigée est le produit d'une sémiotisation de l'activité psychique. Dans les trois cas les
pratiques langagières fournissent à la fois le matériau (linguistique) et les pratiques
(conversationnelles intégrées dans les activités conjointes) qui permettent à l'enfant de se
représenter les situations ainsi que ses propres représentations.
74 I Psychologie du développement

c. Quelles approches empiriques développementales ?

Pour terminer cette présentation on donnera trois exemples de thématiques de


recherches empiriques qui analysent les relations entre développement cognitif et prati-
ques conversationnelles dans des contextes et avec des objectifs différents. Elles permet-
tront, nous l'espérons, d'illustrer la richesse des chantiers qui sont ainsi ouverts dans
l'analyse des relations entre langage, culture et pensée.

1 / Les effets de l'explication : l'exemple de l'effet tuteur


-

La notion d'effet-tuteur correspond selon Perret-Clermont au « bénéfice personnel


qu'un enfant peut tirer d'un enseignement qu'il donne lui-même à ses camarades ».
L'effet a été étudié systématiquement par Barnier (1989). Il met en présence des dyades
asymétriques où l'un des enfants (âgés de 7-8 ans c'est-à-dire au début de la construc-
tion des opérations concrètes) est mis en présence d'un enfant plus jeune, de niveau
préopératoire, dans des tâches spatiales.
On sait en effet que vers 6 ans, les enfants distinguent Droite et Gauche de façon
absolue. Au contraire, les enfants de 7-8 ans commencent à indexer D/G et
devant/derrière de façon relative sans pouvoir encore coordonner les deux dimensions.
Reprenant le schéma classique des tâches de conflit sociocognitif, Barnier met les
enfants de 7-8 ans en position de tuteur dans une tâche de rangement d'un « garage »
dont le support pour la réponse a subi une rotation de 180° par rapport au modèle
offert. On s'attend donc à ce que se développent des conflits sociocognitifs entre les
deux enfants, mais le plus avancé a été institué en position de tuteur : il doit expliquer à
l'autre enfant ce qui ne va pas et pourquoi cela ne va pas. Toutefois il n'a pas le droit
de manipuler ni de « montrer » ce qu'il faut faire.
Les résultats des 12 enfants de 7-8 ans placés en position de tuteur sont comparés
avec ceux de 12 enfants du même âge ayant travaillé seuls et avec 12 autres n'ayant
reçu que le pré- et le post-test. La supériorité du groupe d'enfants mis en situation de
tuteurs est attestée dès le premier post- test (immédiat) et confirmée lors du second (dif-
féré d'une semaine).
Les données supportent l'interprétation suivante : la tâche du tuteur est finalisée
par l'explication qu'il doit fournir à un novice sur les erreurs que celui-ci commet. La
situation est d'abord sociocognitive : le tuteur doit expliquer, mais ce faisant elle le
contraint à rendre explicite ses propres représentations (métacognition) et à les réorga-
niser (développement cognitif).

2 / L'effet de l'argumentation collective :


un exemple dans le contexte scolaire

L'interrogation sur les effets de l'immersion de l'enfant dans un environnement


scolaire formel est ancienne et complexe. De façon plus limitée, les discussions en
contexte scolaire offrent toutefois un point d'entrée pour l'étude du rôle des pratiques
conversationnelles sur la mise en oeuvre et l'apprentissage de nouvelles conduites de rai-
sonnement. Ces discussions prennent appui sur des savoir-faire maîtrisés en général
Quelques grandes théories du développement cognitif I 75

avant l'entrée à l'école. Ce que les enfants doivent apprendre à faire, c'est « orienter ces
savoir-faire vers les buts du discours instructionnel ». Se référant explicitement à la
notion de médiation sémiotique, Pontecorvo analyse comment les enfants d'âge scolaire
s'approprient les procédures et les raisonnements spécifiques à différents domaines de la
connaissance (sciences naturelles, histoire) dans le cadre de discussions scolaires.
Le travail de l'historien implique deux grands types de composant : des procédures
méthodologiques et métacognitives de haut niveau dédiées à l'analyse de la valeur des
informations dont il dispose (l'ensemble de documents relatifs à un événement histo-
rique) et des procédures dédiées à l'explication-interprétation (il cherche à catégoriser
les acteurs sociaux, à situer chronologiquement les événements, à interpréter les inten-
tions et les actions, à relier les acteurs et les actions aux contextes historiques...).
Dans l'étude de Pontecorvo et Girardet (1993) le travail cognitif sur ces caractéris-
tiques est étudié à travers des discussions portant sur le jugement formulé par
Ammiano Marcellino, un historien romain du ive siècle, sur les Huns : « Ils ont des
habitudes similaires à celles de bêtes. » Ces discussions concernent 30 enfants de 9-
10 ans répartis en 6 groupes de discussion (au total près de 4 h 30 de discussions enre-
gistrées), ces discussions ayant lieu après dix heures de classe dédiées à l'étude des rela-
tions entre les Romains et les « barbares ».
L'analyse des discussions (dans lesquelles nous n'entrerons pas ici) indique que les
enfants se situent principalement dans deux types de questions-cadres : le jugement de
l'historien est-il acceptable ? (que veut dire « comme des bêtes » ? quelles étaient les
conduites concernées ?) ; quelles sont l'authenticité et la fiabilité des sources : est-ce que
l'historien avait une bonne information ? d'où la tenait-il ?, et qu'ils accomplissent plus
ou moins partiellement certaines procédures d'évaluation des sources et d'explication-
interprétation, outils et pratiques propres au domaine scientifique considéré.
Évidemment, cette étude microgénétique (voir chap. 3 : « Les méthodes ») est
insuffisante en elle-même pour établir un lien de causalité, et les auteures concluent
elles-mêmes au besoin de combiner celle-ci avec d'autres études, longitudinales et
transversales. Cependant cette recherche montre l'importance de créer des situations
propices à la coélaboration à travers des discussions de représentations, en relation avec
un domaine cognitif spécifique (voir aussi Dumas-Carré et al. (2003) pour d'autres
domaines).

3/ L'effet des pratiques conversationnelles :


l'exemple de la représentation des croyances

La conversation, dans ses diverses formes, présente actuellement un grand intérêt


pour de nombreux auteurs (voir par exemple Bernicot et al., 2002 ; Veneziano, 1999).
Parmi ces études beaucoup sont d'ordre microgénétique : on étudie la façon dont les
interlocuteurs élaborent des références conjointes, enchaînent leurs proférations, modi-
fient leur positionnement, etc.
Mais les effets des pratiques langagières peuvent aussi être abordés en recourant à
des comparaisons qui prennent en compte des variations dans l'environnement conver-
sationnel et qui analysent comment ces variations dans l'expérience conversationnelle
sous-tendent la construction des savoir-faire et des connaissances des sujets considérés.
76 I Psychologie du développement

L'évolution récente des travaux relatifs à l'attribution à autrui d'états mentaux par
l'enfant (l'élaboration des « théories de l'esprit ») en fournit une illustration par laquelle
nous terminerons (voir encadré 2.4).

ENCADRÉ 2.4

La notion de fausse-croyance

Voici un schéma classique des protocoles qui étudient la « fausse croyance ». On joue devant
l'enfant une saynète qui comporte deux protagonistes : Sally et Ann (Baron-Cohen et al.,
1985). Devant chaque poupée se trouve un petit panier avec un couvercle. Dans un premier
temps les poupées arrivent, Sally apporte avec elle une bille qu'elle range dans son panier en
disant qu'elle revient tout de suite pour jouer avec la bille mais qu'avant elle doit encore « dire
quelque chose à une copine ». Pendant que Sally est partie, Ann change la bille de place en
remettant bien les couvercles.
Enfin Sally rentre et l'expérimentateur demande à l'enfant « où Sally va-t-elle aller cher-
cher sa bille ? ».
Avant l'âge de 4 ans environ les enfants disent : « là » en montrant le panier où la bille se
trouve réellement. Au-delà, ils déclarent le plus souvent « dans le panier » (où elle l'a laissée)
et peuvent ajouter parfois « parce qu'elle sait pas » (que sa bille a été déplacée). Ceux-là sont
capables de prendre en compte que Sally croit à tort ( « fausse croyance » ) que la bille est
dans sa propre boîte ; et ils prédisent que Sally va se conduire en fonction de cette fausse
croyance et non de la situation telle qu'elle est réellement. Ils comprennent que notre esprit
est constitué de — et notre conduite animée par des représentations de la réalité.

Une question qui préoccupe de nombreux psychologues depuis une vingtaine


d'années est de comprendre comment s'élabore ce concept de croyances. On a cherché
d'abord à évaluer le caractère local ou universel de cette élaboration en recourant à des
comparaisons interculturelles. Les résultats sont ambigus. Plusieurs études ont confirmé
dans d'autres cultures les changements importants relevés dans les travaux occidentaux
classiques autour du 4 e anniversaire (l'enfant devient capable de prédire la conduite
d'autrui en fonction des croyances de celui-ci ; il distingue entre apparence et réalité...),
d'autres études montrent au contraire que l'élaboration de la notion de croyance diffère
entre cultures selon des paramètres variés, en particulier selon l'organisation du lexique
de la communauté et la légitimité de solliciter un jugement sur ce que pense autrui
(pour une synthèse, voir Vinden, 1999). L'élaboration de la notion de croyance et, plus
largement, celle d'états mentaux « privés » n'est donc pas universelle ; elle se constitue
dans des contextes culturels spécifiques, en fonction de la disponibilité de certaines pra-
tiques et de certaines représentations collectives dont, par exemple, la fixation d'un
lexique « mental » est l'une des traces.
D'autres comparaisons menées cette fois au sein d'une même culture conduisent à
des conclusions du même type. On a pu mettre ainsi en évidence l'importance des pra-
tiques conversationnelles dans le développement des capacités de concevoir et
d'attribuer des états mentaux, qu'il s'agisse des capacités de l'enfant à initier et pour-
suivre une conversation ou de la fréquence et de la diversité des référents dans le dis-
cours maternel (pour une synthèse, voir Le Sourn-Bissaoui et Deleau, 2001).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 77

D'autres études, utilisant des comparaisons fines entre sourds et entendants


conduisent à une vision analogue du rôle de l'expérience conversationnelle précoce : les
enfants sourds signeurs ne présentent pas les retards habituellement relevés dans les
tâches d'attribution de croyance (Courtin, 1999), toutefois à niveau de maîtrise syn-
taxique comparable, les enfants sourds signeurs de naissance ont un net avantage par
rapport aux sourds signeurs tardifs (Woolfe, Want et Siegal, 2002). Les bases de la
représentation des croyances seraient donc à chercher dans les processus associés à
l'appropriation des pratiques langagières dans la langue maternelle et non pas dans
l'atteinte d'un niveau de représentation syntaxique en tant que tel.

V - Conclusion : portée et limites actuelles de la perspective

Les contributions précédentes élargissent donc le concept de ZPD dans deux direc-
tions. La première est une plus large prise en compte des cadres de l'activité conjointe.
Les travaux contemporains, après avoir introduit les interactions de tutelle comme une
contrepartie indispensable au concept de ZPD, ont replacé celles-ci dans un cadre plus
large. Tout d'abord les interactions face à face ne sont qu'une petite partie de ce qui
constitue les activités conjointes auxquelles l'enfant prend part. En second lieu, les acti-
vités « d'apprentissage » ne se réduisent pas à des situations formelles d'enseignement
ou d'instruction, l'instruction n'apparaît ici que comme une forme particulière que
peuvent prendre les interactions sociales dans la formation des outils cognitifs.
Au-delà de ces enrichissements de l'analyse des façons dont se manifestent les
contraintes culturelles, ces contributions laissent néanmoins en suspens une question cen-
trale pour le psychologue du développement. En déplaçant la focalisation vers la partici-
pation sociale et les changements sociaux comme source du développement, Rogoff,
comme Cole, considèrent de facto qu'il suffit d'assurer la participation sociale de l'enfant
pour que se développe la cognition, faisant l'impasse sur les ressources intra-individuelles
dont l'enfant lui-même doit disposer pour tirer bénéfice de ses participations sociales. À
cette difficulté répondent en partie les travaux qui mettent en évidence les moyens dont
disposent les enfants pour comprendre l'intentionnalité des conduites et plus largement
pour comprendre les états mentaux (Astington, 1999 ; Tomasello, 2004).
Le second élargissement est le remplacement du mot par des unités plus larges
pour rendre compte des changements cognitifs associés à l'acquisition du langage. Dans
cette perspective, on constate une évolution qui aboutit à mettre en relation de façon
opérationnelle des modèles de développement psychologique et des modèles issus de la
linguistique ou de la philosophie du langage d'inspiration pragmatique, c'est-à-dire por-
tant sur les usages du langage en relation avec les contextes sociaux et les buts des
acteurs : ce sont les activités langagières qui deviennent le moteur des changements cogni-
tifs. C'est dans ce contexte que les travaux empiriques relevant de la pragmatique déve-
loppementale prennent tout leur sens.
Il faut souligner cependant que les évolutions que l'on vient de rappeler et
l'émergence même de la « Psychologie culturelle » sont en relation avec l'évolution de
78 I Psychologie du développement

la pensée anthropologique. À la conception de la culture comme une entité intangible,


susceptible d'être décrite objectivement et fournissant un contexte relativement stable
au développement (celle de Durkheim ou de Radcliffe-Brown), les anthropologues
contemporains ont substitué une vision plus interactive de la culture (davantage en lien
avec Malinowski) où l'analyse des échanges est fondamentale et où les interactions entre
les membres, les pratiques et les institutions de cette culture produisent des change-
ments qui en fin de compte affectent la communauté des membres dans leur organisa-
tion psychologique.
Alors que l'anthropologie a souvent exprimé ses liens avec la psychologie (Mauss,
1924/1960, Schwartz et al., 1992) la réciproque commence seulement à se manifester.
L'analyse des liens entre culture et cognition nous y a amené et, plus largement, le
développement d'une Psychologie culturelle en est le témoignage.

LECTURES RECOMMANDÉES

Bernicot, J., Trognon, A., Guidetti, M., & Musiol M. (Eds.) (2002). Pragmatique et psychologie.
Nancy : PUN.
Berry, J., Poortinga, Y. H., & Pandey, J. (1997). Handbook of Cross-Cultural Pychology. Boston :
Allyn & Bacon, Second Edition.
Bronckart, J. P. (1996). Activité langagière, textes et discours. Pour un interactionnisme sociodiscursif. Lau-
sanne : Delachaux & Niestlé.
Clot Y. (Ed.) (2002). Avec Vygotski. Paris : La Dispute.
Danis, A., Schubauer-Leoni, M.-L., Weil-Barais, A. (Eds.) (2003). Interaction, acquisition des
connaissances et développement, Bulletin de psychologie, 56, numéro thématique.
Greenfield, P. M. (2004). Weaving Générations Together. Evolving Creativibl in the Maya of Chiapas.
Santa Fe : School of American Research.
Rogoff, B. (2003). 77te Cultural Nature of Human Development. Oxford : Oxford University Press.
Tomasello, M. (2004). Aux origines de la cognition humaine. Paris : Retz.
Veneziano, E. (Ed.) (1999). La conversation, instrument, objet et source de connaissances. Paris :
L'Harmattan.

C - LES THÉORIES NÉO-PIAGÉTIENNES, par Jacques Lautrey

Les années 1970 ont vu la multiplication des critiques adressées à la théorie de


Piaget. Une des critiques majeures portait sur l'idée que toute situation nouvelle puisse
être assimilée par un système universel d'opérations logiques formant, à chaque stade
du développement, une structure de portée générale. L'ampleur des décalages « hori-
zontaux » observés entre des acquisitions faisant en principe appel à une même struc-
ture opératoire, mais portant sur des contenus différents, mettait sérieusement en ques-
tion la généralité de ces structures (Tuddenham, 1971). Les cas de décalages dont le
sens était différent selon les individus (par exemple, stade de développement dans le
domaine de l'espace plus avancé que le stade de développement dans le domaine de la
Quelques grandes théories du développement cognitif I 79

logique chez certains, alors que le décalage était de sens inverse chez d'autres), met-
taient en question le caractère universel du cheminement développemental (Lautrey,
Rieben et de Ribaupierre, 1986). Une autre critique fondamentale adressée à la théorie
était de décrire une succession de structures cognitives de plus en plus puissantes, mais
d'échouer à expliquer comment une structure plus puissante pouvait être construite en
s'appuyant sur une structure moins puissante (Fodor, 1979).
La recherche de solutions aux problèmes auxquels la théorie de Piaget était
confrontée a donné naissance à de nombreux modèles alternatifs du développement qui
se sont inspirés d'autres courants théoriques, notamment celui du traitement de
l'information qui émergeait précisément dans les années 1970. Parmi ces modèles alter-
natifs, la particularité de ceux qui sont dits « néo-piagétiens » est d'avoir conservé cer-
tains concepts qui jouent un rôle central dans la théorie de Piaget, notamment l'option
constructiviste et la notion de stade, tout en proposant d'autres interprétations des faits.
Leur point commun est de rendre compte des stades du développement par la
contrainte qu'une capacité limitée de traitement de l'information exerce sur l'ensemble
du fonctionnement cognitif.
La cristallisation de ces modèles en un courant dit « néo-piagétien » date d'un
symposium' dont les conférences ont été publiées dans un numéro spécial de P Internatio-
nal Journal of Psychology en 1987 et reprises dans un ouvrage collectif (Demetriou, 1988).
Il n'est pas possible de présenter l'ensemble des modèles néo-piagétiens du développe-
ment dans un texte aussi court. Deux d'entre eux, assez représentatifs de cet ensemble,
seront détaillés ici, celui de Robbie Case et celui de Juan Pascual-Leone.

I - La théorie de Pascual Leone


-

Juan Pascual Leone est le pionnier du courant néo-piagétien. Après une formation
-

en neuropsychiatrie, il est arrivé à Genève en 1960 avec l'objectif de compléter sa for-


mation en suivant les enseignements de psychologie et en préparant une thèse de doc-
torat sous la direction de Piaget.
Pour comprendre la position critique que Pascual-Leone a assez rapidement
adoptée vis-à-vis de la théorie piagétienne, il faut s'arrêter un instant sur une des
caractéristiques des situations imaginées par Piaget pour étudier le développement
cognitif. Il s'agit le plus souvent de situations-pièges qui activent chez l'enfant un
schème trompeur (misleading). L'épreuve de conservation où le liquide contenu dans
un verre A est versé dans un verre B plus étroit en est un exemple classique. La
montée du liquide à un niveau plus élevé en B qu'en A active un schème figuratif
prégnant qui pousse les enfants les plus jeunes à conclure qu'après le transvasement il
y a plus de liquide en B qu'en A. Ce schème trompeur est le produit de l'expérience
acquise dans les situations où l'enfant a pu observer — avec des verres qui ont généra-

1. Ce symposium avait été organisé dans le cadre du congrès de l'Association américaine pour la recherche
en éducation (AERA) qui s'est tenu à Washington en 1987.
80 I Psychologie du développement

lement la même largeur — que la quantité est fonction de la hauteur du liquide.


Généralement pertinent pour évaluer la quantité dans la vie courante, ce schème est
trompeur dans l'épreuve de conservation, car ici les verres sont de diamètres diffé-
rents. Il s'agit d'une situation-piège dans la mesure où ce schème trompeur y est plus
fortement activé que les schèmes pertinents (centration sur la largeur des verres,
représentation de l'action inverse, etc.). Ce type de conflit, dans lequel un schème
trompeur est davantage activé que le(s) schème(s) pertinent(s) se retrouve dans la plu-
part des épreuves piagétiennes, car Piaget pensait, à juste titre, que les situations les
plus propices à l'observation de l'évolution des structures cognitives sont celles où
l'enfant se trompe et doit donc inventer des solutions nouvelles.
La critique que Pascual-Leone adressait à la théorie de Piaget au début des
années 1960 était de décrire les stades du développement cognitif mais de ne pas expli-
quer par quels mécanismes l'enfant passe d'un stade à l'autre et, notamment, de ne pas
expliquer pourquoi les schèmes trompeurs cessent d'être dominants à un certain
moment. Si comme le disait Piaget, « tout schème d'assimilation tend à s'alimenter,
c'est-à-dire à s'incorporer les éléments extérieurs à lui et compatibles avec sa nature »
(1975, p. 13), alors, raisonnait Pascual-Leone (1969, 1987), les schèmes trompeurs aussi
bien que les schèmes pertinents sont automatiquement déclenchés par les aspects de la
situation qu'ils peuvent assimiler. Lorsque les schèmes trompeurs sont dominants, les
schèmes pertinents ne peuvent l'emporter que si le sujet dispose d'une ressource cogni-
tive lui permettant d'activer ces derniers plus fortement que les schèmes trompeurs. Ce
raisonnement l'a conduit à faire l'hypothèse que l'activation délibérée de schèmes qui
ne sont pas automatiquement déclenchés par la situation requiert une sorte de puis-
sance mentale (mental power, cf. Pascual-Leone, 1970). Le passage d'un stade de dévelop-
pement au suivant s'expliquerait alors par l'augmentation de cette puissance mentale
avec la maturation du système nerveux central : en permettant l'activation simultanée
d'un nombre croissant de schèmes, l'accroissement de la puissance mentale permettrait
la maîtrise de situations de plus en plus complexes'. Il faut souligner qu'au début des
années 1960, les modèles du traitement de l'information n'étaient pas encore nés.
Parmi les concepts qui lui ont à l'époque inspiré cette notion de puissance mentale,
Pascual-Leone (1987) cite entre autres la notion d'énergie mentale chez Spearman,
celle de niveau d'énergie chez Luria, celle d'énergie psychique chez Freud et aussi les
travaux de l'époque en neurologie sur le rôle de la formation réticulée dans le maintien
de la vigilance. Cette notion d'énergie mentale M (pour Mental power), antérieure aux
modèles du traitement de l'information, peut néanmoins être interprétée dans les
termes de ces modèles comme une ressource attentionnelle (voir le chapitre sur
l'attention dans le volume de psychologie cognitive).

I. Pascual-Leone (Cardellini et Pascual-Leone, 2004) raconte qu'en 1963 il soumit à Piaget un mémoire dans
lequel il exposait ces vues. Face au désintérêt de Piaget vis-à-vis de cette proposition d'aménagement de sa
théorie, Pascual-Leone envoya son projet de recherche à Witkin en lui demandant s'il accepterait de
l'accueillir dans son laboratoire à New York. Witkin accepta la proposition et la thèse de Pascual-Leone,
dont le directeur restait néanmoins Piaget, fut préparée chez Witkin et néanmoins soutenue à Genève
en 1969. Le désaccord persistant de Piaget avec les aménagements de sa théorie proposés par Pascual-
Leone conduisit ce dernier à forger le terme « néo-piagétien » dans la première publication présentant son
modèle (Pascual-Leone, 1970).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 81

a. L'architecture du système cognitif

Selon cette théorie, le système cognitif comporte deux grands niveaux, celui des
schèmes et celui des opérateurs (Pascual-Leone, 1987 ; Pascual-Leone et Johnson,
2005).
Comme chez Piaget, l'unité cognitive élémentaire est le schème. Les schèmes sont
stockés en mémoire à long terme et tendent à s'appliquer aux aspects de la situation
qu'ils peuvent assimiler. Plusieurs types de schèmes sont distingués : comme dans la
théorie de Piaget, des schèmes opératifs (impliqués dans la représentation des transfor-
mations) et des schèmes figuratifs (impliqués dans la représentation des états), mais aussi
de nouveaux types de schèmes, les schèmes affectifs (qui orientent les conduites) et des
schèmes exécutifs (qui assurent la planification et le contrôle de l'activité cognitive).
Le second niveau est celui des opérateurs. Ceux-ci correspondent à des ressources
cognitives de portée générale, indépendantes des contenus. Il s'agit de mécanismes
fonctionnels qui ne sont pas directement observables (c'est la raison pour laquelle Pas-
cual-Leone qualifie parfois ces opérateurs de « cachés » ou de « silencieux ») mais dont
l'effet sur les schèmes détermine les possibilités du système cognitif, un peu comme les
caractéristiques du hardware d'un ordinateur, par exemple la capacité de la mémoire
vive ou la cadence du processeur, en déterminent les possibilités. Quatre de ces opéra-
teurs sont impliqués dans la gestion de l'attention : M (comme Mental power) dont il a
déjà été question, I (comme Interruption ou Inhibition centrale), F (comme Field qui en
anglais signifie champ) et les schèmes E (comme Exécutifs). L'opérateur M correspond
à la capacité attentionnelle. Sa fonction est d'activer des schèmes pertinents que la
situation ne déclenche pas ou de maintenir l'activation de schèmes pertinents lorsque
celle-ci tend à décliner. La capacité attentionnelle est supposée dépendre essentielle-
ment de la maturation du système nerveux central et elle détermine le nombre de schè-
mes distincts qui peuvent être activés simultanément. L'opérateur I correspond aux
mécanismes d'inhibition qui permettent d'interrompre l'activation des schèmes trom-
peurs ou simplement non pertinents pour la tâche en cours. L'opérateur F renvoie aux
mécanismes par lesquels certains schèmes sont automatiquement coactivés, ce qui se
traduit par des effets de champ comme ceux mis en évidence par la Gestalt dans le
domaine de la perception (voir le passage sur la Gestalt dans le volume de psychologie
cognitive, chapitre sur la perception). Enfin, l'opérateur E est constitué par l'ensemble
des schèmes exécutifs assurant la planification et le contrôle de la tâche en cours'.
L'ensemble formé par l'interaction de ces quatre opérateurs constitue le système
de gestion de l'attention mentale. Dans une situation nouvelle, ce sont d'abord les schè-
mes affectifs qui définissent l'objectif vers lequel orienter la conduite et qui activent les
schèmes exécutifs en charge de la planification des opérations mentales à mettre en
oeuvre pour atteindre cet objectif. L'opérateur E (c'est-à-dire l'ensemble des schèmes

I. Dans la distinction que fait cette théorie entre deux niveaux de l'architecture cognitive, celui des schèmes
et celui des opérateurs, les schèmes exécutifs ont un double statut. Ils font bien partie des schèmes stockés
en mémoire à long terme, mais à un niveau plus abstrait de la description du fonctionnement cognitif,
l'ensemble des schèmes exécutifs en charge du contrôle de la tâche en cours fonctionne comme un opéra-
teur et c'est cet ensemble de schèmes qui constitue l'opérateur E (Pascual-Leone, communication person-
nelle du 10 avril 2006).
82 I Psychologie du développement

exécutifs activés par la tâche en cours) détecte les schèmes pertinents ou trompeurs eu
égard aux objectifs et mobilise les ressources attentionnelles (opérateur M) pour activer
les schèmes pertinents, ainsi que les ressources fournies par l'opérateur I pour inhiber
les schèmes non pertinents et les schèmes trompeurs. Les schèmes automatiquement
coactivés par l'opérateur F peuvent, selon les cas, faciliter la tâche et donc alléger la
charge de l'opérateur M, ou la rendre plus difficile en activant des schèmes non perti-
nents ou trompeurs, ce qui alors accroît la charge des opérateurs M et I. Une des sour-
ces d'inspiration du concept d'opérateur F est le style cognitif de dépendance-
indépendance à l'égard du champ mis en évidence par Witkin' (cf. Huteau, 1980). La
partie du système de gestion de l'attention mentale constituée par les opérateurs M, I,
et E correspond à ce qui, dans d'autres théories, est appelé système superviseur (Shal-
lice, 1995, chap. 14) ou système exécutif central (Baddeley et Hitch, 1974) et elle est
supposée être localisée dans les lobes préfrontaux du cerveau. L'opérateur F contribue
aussi à l'activation des schèmes mais ne fait pas partie du système exécutif; il est sup-
posé correspondre aux mécanismes d'inhibition latérale* que l'on trouve dans
l'ensemble des régions du cerveau.
À côté des quatre opérateurs (E, M, I et F) formant le système de l'attention men-
tale, la théorie en prévoit d'autres qui ne seront pas détaillés ici (voir Pascual-Leone et
Johnson, 2005). Mentionnons seulement les deux opérateurs qui sont en charge de
l'apprentissage, l'opérateur C (contenu) et l'opérateur L (logico-structural). Le premier
correspond aux mécanismes en jeu dans l'apprentissage graduel de contenus par asso-
ciation, tandis que le second correspond à l'apprentissage délibéré par la coactivation
attentionnelle de schèmes initialement non liés.

b. Capacité attentionnelle et développement cognitif

L'opérateur M a un rôle central dans l'explication du développement cognitif.


C'est également celui qui a donné lieu au plus grand nombre d'études expérimentales
visant à vérifier les prédictions de la théorie. C'est donc sur cet opérateur que se
concentrera la suite de l'exposé. La théorie postule que la capacité attentionnelle aug-
mente avec la maturation du système nerveux central au cours de l'enfance. Plus préci-
sément, le nombre de schèmes pouvant être activés simultanément par l'opérateur M
est supposé passer de 1 vers 3 ans, à un maximum de 7 vers 16 ans, par l'accroissement
d'un schème tous les deux ans environ. Le tableau 2.1 donne la correspondance entre

1. En utilisant certaines situations expérimentales inspirées des travaux de la Gestalt, par exemple des tâches
dans lesquelles le sujet doit trouver une figure simple qui est intriquée dans une figure complexe, Witkin a
montré qu'il existe des différences individuelles importantes dans la dépendance à l'égard du champ per-
ceptif que constitue ici la figure complexe (H. Witkin, R. B. Dyk, H. F. Faterson, D. R. Goodnenough,
S. A. Karp, 1962). Dans ce type de tâche, la perception de la bonne forme que constitue la figure globale
(schème trompeur dans cette tâche) est si prégnante que la perception de la figure simple (schème perti-
nent) devient difficile. Les sujets dépendants du champ sont ceux qui ne parviennent pas à activer la
représentation de la figure simple plus fortement que celle de la figure complexe. Le concept
d'opérateur F correspond aux effets de champ qui sont à l'origine de ce style cognitif et les généralise. Il
introduit donc dans la théorie développementale de Pascual-Leone des aspects différentiels qui étaient
inexistants dans celle de Piaget. Les travaux de Witkin sur la dépendance à l'égard du champ sont une des
sources d'inspiration de la théorie de Pascual-Leone (voir note 1, p. 80).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 83

les âges et la puissance d'activation maximale de l'opérateur M, ainsi que la correspon-


dance entre ces différents niveaux de M et les stades piagétiens. Dans la formule e + k,
e désigne la partie de la capacité attentionnelle qui est utilisée pour activer les schèmes
exécutifs. Celle-ci est supposée constante au cours du développement après 3 ans. La
lettre k correspond au nombre de schèmes pouvant être activés avec la capacité atten-
tionnelle restante, celle-ci est par contre supposée augmenter avec l'âge.

TABLEAU 2. 1. — Valeurs prédites de la puissance M en fonction de l'âge et correspondance


entre ces valeurs et la séquence des sous-stades piagétiens
(d'après Pascual-Leone et Baillargeon, 1994, p. 167)

Puissance M Âge chronologique


(e + k) Sous-stade piagétien (années)

e+ 1 Préparation du stade préopératoire 3-4


e+2 Achèvement du stade préopératoire 5-6
e+3 Préparation du stade concret 7-8
e+4 Achèvement du stade concret 9-10
e+5 Stade préformel 11-12
e+6 Stade formel A 13-14
e+ 7 Stade formel B 15-16

Les stades ne correspondent pas ici, comme c'était le cas dans la théorie de Piaget,
à des structures qualitativement différentes, mais à un accroissement quantitatif du
nombre maximal de schèmes pouvant être activés par l'enfant, quelle que soit la nature
des relations entre ces schèmes. La chronologie est par contre conservée : les stades du
tableau 2.1 correspondent aux étapes qui étaient des sous-stades dans la théorie de Pia-
get et sont atteints aux mêmes âges.
La théorie fait une distinction nette entre le développement et l'apprentissage. La
source du développement est un processus endogène de maturation qui ouvre de nou-
velles possibilités en accroissant la capacité attentionnelle et donc le nombre de schèmes
distincts pouvant être activés simultanément. La source de l'apprentissage est
l'expérience qui, par l'intermédiaire des opérateurs C et L, exploite ces nouvelles possi-
bilités pour former de nouveaux assemblages de schèmes. Une des conséquences de ce
partage des tâches est qu'il n'existe pas dans cette théorie de stade comportemental
dont le contenu soit universel. La nature des schèmes assemblés lorsqu'une nouvelle
possibilité est ouverte dépend de l'expérience et de l'environnement dans lequel a lieu
cette expérience.

c. Exemples d'expériences visant à valider la théorie

Deux des hypothèses relatives à l'opérateur M ont été plus particulièrement


ciblées. La première est celle qui postule qu'au cours de l'enfance et de l'adolescence,
l'accroissement de la capacité attentionnelle avec l'âge permet d'activer un schème de
plus tous les deux ans (cf. tableau 2.1). La seconde est celle qui postule que, dans un
84 I Psychologie du développement

contexte trompeur, une tâche ne peut être résolue par un enfant que si sa capacité M
est égale ou supérieure à la demande M de cette tâche (c'est-à-dire au nombre de schè-
mes pertinents distincts qui doivent être activés simultanément pour résoudre cette
tâche). Un préalable à la vérification de ces hypothèses est évidemment la mesure de la
capacité M (voir encadré 2.5).

ENCADRÉ 2.5

Un exemple d'épreuve conçue pour mesurer la capacité M

Une épreuve destinée à mesurer la capacité M doit activer des schèmes trompeurs car, selon
Pascual-Leone, c'est seulement dans ce contexte que le sujet est contraint de mobiliser sa
capacité attentionnelle pour activer les schèmes pertinents. L'épreuve doit par ailleurs faire
appel à des schèmes très simples, de telle sorte que la difficulté ne se situe pas dans
l'activation de tel ou tel des schèmes requis par la tâche, mais bien dans le maintien de
l'activation simultanée de ces schèmes.
La plus étudiée de ces épreuves est la Figurai Intersection Task (Fr), dont un item est
représenté dans la figure 2.4.

FIG. 2.4. — Exemple d'item du test FIT qui inclut cinq figures simples (à droite)
dont il faut trouver l'intersection totale (à gauche)
(d'après Pascual-Leone et Baillargeon, 1994, p. 171)

La tâche du sujet est d'abord de placer un point à l'intérieur de chacune des figures sim-
ples situées du côté droit de la page (cela vise seulement à s'assurer que toutes les figures
simples ont bien été considérées), puis de placer à l'intérieur de la figure composée située à la
gauche de la page un unique point à l'intersection totale de toutes les figures simples. Les
schèmes trompeurs sont ceux qui correspondent aux intersections partielles, dont le nombre
augmente avec la complexité de la tâche. Les schèmes pertinents – qui doivent être activés
délibérément pour l'emporter sur les schèmes trompeurs – sont ceux qui correspondent à la
représentation des figures simples dont il faut vérifier, pour chacune, qu'elle englobe bien le
point situé à l'intersection totale. La demande en M de la tâche est fonction du nombre de figu-
res simples composant la figure complexe. L'item de la figure 2.4 est ainsi un item dont la
demande en M est estimée à e + 5, qui devrait donc être réussi en moyenne vers 11-12 ans
(cf. tableau 2.1). Le lecteur intéressé par l'analyse détaillée de la demande en M de cette tâche
– en réalité plus complexe que ce qui peut en être dit ici – pourra la trouver ailleurs (Pascual-
Leone et Baillargeon, 1994).
Quelques grandes théories du développement cognitif I 85

La figure 2.5 présente les résultats d'une expérience dans laquelle trois épreuves
différentes destinées à mesurer la capacité M ont été passées par trois groupes d'enfants
d'âge moyen 7-8 ans, 9-10 ans et 11-12 ans. L'une de ces épreuves est la Frr (cf. enca-
dré 2.5), les deux autres sont la Compound Stimuli Visual Information Task (csvi) et
l'épreuve du Clown, dont la description peut être trouvée dans l'article d'où est tirée
cette figure (Pascual-Leone et Johnson, 2005).

7
6
Score M moyen

5-
4- ❑ FIT
CSVI
3-
■ Clown
2-
1

7a - 8a 9a -10a 11a -12a


Groupe d'âge
FIG. 2.5. Scores M moyens en fonction du groupe d'âge pour les trois mesures de la
capacité M : Figurai. Intersection Task (FIT), Compound Stimuli Visual Information Task (csvi),
et Clown Task (Clown) (figure adaptée de Pascual-Leone et Johnson, 2005, p. 195, reproduite
avec l'autorisation de Sage Publications).

Les histogrammes de la figure 2.5 indiquent le score moyen évaluant la capa-


cité M dans chacune de ces trois épreuves pour chacun des trois groupes d'âge. Les
valeurs moyennes de la capacité M à ces trois niveaux d'âge, environ 3, 5 à 7-8 ans,
4, 5 à 9-10 ans et 5, 5 à 11-12 ans augmentent bien d'environ une unité tous les deux
ans (cela est moins marqué pour l'épreuve clown que pour les deux autres). En outre, la
comparaison de ces valeurs aux valeurs attendues figurant dans le tableau 2.1 (respecti-
vement 3, 4 et 5) montre qu'elles sont un peu supérieures, mais néanmoins pas très
éloignées. Enfin, les trois épreuves, qui portent cependant sur des contenus différents,
donnent des évaluations moyennes de M assez proches. Pour Pascual-Leone et Johnson
(2005) cela valide l'hypothèse selon laquelle la capacité M est une ressource cognitive
générale, indépendante des contenus. Toutefois, la comparaison des moyennes ne suffit
pas pour tirer cette conclusion, il faut aussi vérifier que chaque sujet est bien situé au
même niveau dans les trois épreuves. Cette information est donnée par les corrélations,
or celles-ci ne sont pas très élevées (.54 entre FIT et csvi, .36 entre Frr et Clown, et .49
86 I Psychologie du développement

entre CSVI et Clown). Il est donc possible qu'une partie de la variance des épreuves de
capacité M soit en fait spécifique au domaine auquel chacune appartient', mais cette
étude ne permet pas de le vérifier (Lautrey, 2002).
Le second exemple d'expérience de validation porte sur l'hypothèse selon laquelle
une tâche ne peut être résolue par un sujet que si celui-ci dispose d'une capacité M supé-
rieure ou au moins égale à la demande M de cette tâche. La vérification de cette hypo-
thèse suppose une méthode d'analyse de la tâche qui permette d'évaluer le nombre
maximum de schèmes qui doivent être activés simultanément pour la réussir. Le pro-
blème qui a été soumis aux enfants dans cette expérience est celui de l'équilibre de la
balance (voir encadré 2.6). Les stades de la résolution de ce problème ont déjà été décrits
à propos du stade des opérations formelles dans la, partie de ce chapitre consacrée à la
théorie de Piaget. Les processus de résolution correspondant à ces différents stades ont
par ailleurs été formalisés sous formes de règles de production par Siegler (1976).

ENCADRÉ 2.6

Le problème de l'équilibre de la balance

Le matériel est analogue à celui qui est représenté dans la partie de ce chapitre consacrée à la
théorie de Piaget : une balance qui comporte, sur chacun de ses deux bras, des tiges verticales
équidistantes sur lesquelles peuvent être enfilées des rondelles toutes identiques. Ce disposi-
tif permet de présenter des configurations-problèmes variées en jouant sur le nombre de ron-
delles placées de chaque côté du pivot (les poids) et sur l'éloignement des tiges sur lesquelles
les rondelles sont placées par rapport au pivot (les distances). En outre, dans la partie de
l'épreuve qui nous intéresse ici, des cales bloquent le dispositif en position horizontale et la
tâche du sujet est, pour chaque configuration, de prédire de quel côté pencherait la balance si
on enlevait les cales. Les configurations-problèmes varient selon quatre dimensions perti-
nentes : les poids P et P' placés de part et d'autre de l'axe et les distances D et D' auxquelles
ils sont situés.
La théorie de Pascual-Leone a été appliquée à l'analyse de la demande M de cette tâche
à ses différents niveaux de résolution (de Ribaupierre et Pascual-Leone, 1979). Thomas, Pons
et de Ribaupierre (1996) ont adopté une approche un peu différente de cette analyse, dans
laquelle ils ont distingué six niveaux correspondant à des conduites de résolution de
complexité croissante. Chacun de ces six niveaux est illustré ci-dessous par un exemple
de réponse à un même item dans lequel il y avait, pour le bras de gauche 5 poids sur la
deuxième tige en partant du pivot (P5 D2) et pour le bras de droite 3 poids sur la cinquième
tige (P'3 D'5) :

1 / Les enfants prennent en compte une seule variable (le poids), mais dissocient les
deux bras de la balance : « Ici (P5 D2), ce n'est pas le même nombre que là (P'3 D'5). Ce côté
(P5 D2) va descendre et ce côté (P'3 D'5) va rester horizontal. »

2 / Les enfants prennent en compte une seule variable (le poids) correctement : « Ça va
descendre ici (P5 D2) parce qu'il y a plus de poids. »

3 / Les enfants prennent en compte les deux variables (poids et distance), mais ne par-
viennent pas à les coordonner : « Ça va normalement descendre ici (P'3 D'5) mais il y a plus de
poids ici (P5 D2), ça va descendre ici (P5 D2). »

1. Cela est tout à fait compatible avec la théorie, qui postule que la performance est toujours déterminée par
un ensemble de facteurs, y compris de facteurs de contenus, mais montre que cela s'applique aussi aux
épreuves destinées à la mesure de la capacité M.
Quelques grandes théories du développement cognitif I 87

4 / Les enfants coordonnent poids et distances, mais seulement qualitativement : « Ça va


rester horizontal parce que ici (P5 D2), c'est lourd et près (du pivot) et ici (P'3 D'51, c'est plus
léger et plus loin (du pivot). »

5 / Les enfants coordonnent la différence entre les poids avec la différence entre les dis-
tances : « Ça va desçendre ici (P'3 D'5) parce qu'il y a seulement deux poids de moins que là
(P'3 au lieu de P5) mais il y a trois tiges de plus (D'5 au lieu de D2). »

6 / Les enfants coordonnent les produits des poids et des distances : « Ça va descendre
ici (P'3 D'5) parce que 3 fois 5 font 15 et 5 fois 2 (P5 D2) font 10 » (adapté de Thomas, Pons et
de Ribaupierre, 1996, appendice 1).

Dans une étude longitudinale, Thomas, Pons et de Ribaupierre (1996) ont fait pas-
ser une épreuve de capacité M (csvi) et l'épreuve de la balance à des enfants qui
avaient 6,7,8 et 9 ans lors de la première passation (à raison de 30 enfants dans chacun
de ces quatre groupes d'âge) et un an de plus lors de la seconde passation. Le niveau de
résolution du problème de la balance a été évalué comme indiqué dans l'encadré 2.6. Le
tableau 2.2 met en relation le niveau de la capacité M évaluée avec le csvi (en ligne) et
le niveau de la conduite observée dans l'épreuve de la balance (en colonne) lors du pre-
mier et du second examen (tableaux 2.2 a et 2.2 b respectivement).

TABLEAU 2.2. — Niveau de conduite observé dans la résolution du problème


de la balance en fonction du score au CSVI
lors de la première (2 a) et de la seconde (2 b) administration des épreuves
(adapté de Thomas, Pons et de Ribaupierre, 1996, appendice 2)

TABLEAU 2.2 a TABLEAU 2.2 b

1" administration (N= 105) 2' administration (N= 104)


Balance Balance
CSVI 1 2 3 4 5 6 CSVI 1 2 3 4 5 6

1 1 1
2 2 24 2 2
3 23 4 3
4 1 8 8 4 2 4
5 4 3 1 5
>5 1 5 6 1 >5

Si l'hypothèse énoncée plus haut est correcte, on ne doit pas trouver de sujets met-
tant en oeuvre, dans la résolution du problème de la balance, un niveau de conduite
plus élevé que le nombre maximal de schèmes qu'il est capable d'activer simultanément
(capacité M). Dans le tableau 2.2, cela doit se traduire par l'absence de sujets dans les
cases qui se situent au-dessus de la diagonale', ce qui correspond à une relation

1. À l'exception de la case située à l'intersection de la ligne 3 et de la colonne 4, car ces deux niveaux de
conduite n'ont pas pu être clairement distingués dans cette expérience.
88 I Psychologie du développement

d'implication entre les deux variables. On peut voir que les résultats sont globalement
compatibles avec cette relation d'implication, mais plus nettement lors du premier exa-
men, où seulement 4 enfants sur 105 sont dans les cases au-dessus de la diagonale, que
lors de la seconde passation où ils sont 15 sur 104. Les auteurs font l'hypothèse que
quelques enfants ont peut-être fait un apprentissage de la tâche d'une passation à
l'autre et pu mettre ainsi en oeuvre des stratégies de résolution réduisant la complexité
du problème à résoudre.
Les résultats de cette expérience illustrent bien une idée centrale que l'on
retrouve dans toutes les théories néo-piagétiennes du développement cognitif, à savoir
que la capacité de traitement (ici la capacité attentionnelle) est une condition néces-
saire mais non suffisante pour la maîtrise d'une tâche de complexité donnée. Les
nombreux sujets qui se situent plus bas que la diagonale dans les tableaux 2.2 a
et 2.2 b attestent que cette condition n'est en effet pas suffisante : le nombre de schè-
mes qu'ils ont été capables d'activer dans la résolution du problème de la balance se
situe en dessous — et même parfois très en dessous — du nombre de schèmes que leur
capacité attentionnelle leur permettrait d'activer. Le développement de la capacité
attentionnelle ne fait qu'ouvrir des possibilités mais celles-ci ne donnent lieu à des
changements comportementaux que dans les domaines où l'expérience et
l'apprentissage permettent au sujet d'identifier les variables en jeu et de former, par le
jeu des opérateurs C et L, des schèmes plus élaborés que ceux dont ils disposaient
jusqu'alors.
Les cas de violation de la relation d'implication entre le niveau de conduite et la
capacité M (sujets au-dessus de la diagonale), plus nombreux lors de la seconde pas-
sation (cf. tableau 2.2 b) appellent aussi quelques commentaires. Dans la théorie de
Pascual-Leone comme dans toutes les théories néo-piagétiennes, l'analyse du niveau
de complexité d'une tâche suppose que celle-ci soit nouvelle pour la personne exa-
minée. Dès lors que cette personne a pu acquérir une expérience de la tâche, elle a
pu élaborer de nouvelles stratégies pour en alléger la complexité, par exemple en
constituant des « chunks »* ou en segmentant le traitement. C'est ce qui rend
l'analyse de la complexité de la tâche si problématique et fait qu'il n'y a pas de sens
à vouloir en définir la complexité « objective ». La complexité d'une tâche ne peut
être évaluée que relativement aux processus, stratégies, mis en oeuvre par un sujet
donné pour la résoudre. Pour la même raison, il serait erroné de conclure qu'un
enfant dont la capacité de traitement permet d'activer n schèmes ne peut pas maîtri-
ser une tâche dont la demande en M est de n + 1. Cela ne vaut que si la tâche est
nouvelle pour lui. Avec l'apprentissage et les différentes formes de réorganisation aux-
quelles celui-ci peut donner lieu, un enfant peut maîtriser des tâches dont le niveau
de complexité théorique excède ses capacités brutes de traitement. L'idée, assez
répandue, selon laquelle les apprentissages devraient se limiter aux tâches dont le
niveau théorique de complexité est inférieur ou égal à celui de l'enfant est un contre-
sens, car la capacité de traitement (ici la capacité attentionnelle) n'est pas le seul fac-
teur en jeu dans les apprentissages.
Quelques grandes théories du développement cognitif I 89

Il - La théorie de Case

La théorie du développement cognitif que Robbie Case a élaborée à partir des


années 1980 se situe au confluent de plusieurs courants de recherche. La théorie piagé-
tienne bien sûr, la théorie de Pascual-Leone, dont Case a été un temps le disciple, les
modèles du traitement de l'information et, plus tard, les approches modularistes de
l'esprit. De la théorie de Piaget, Case a conservé l'option constructiviste et la notion de
structure, de la théorie de Pascual-Leone, il a conservé la notion de capacité limitée de
traitement. Des modèles de traitement de l'information il a tiré son modèle de la réso-
lution de problème, le concept de mémoire de travail et la notion de structure de con-
trôle. Enfin, les approches modularistes de l'esprit, lui ont inspiré, plus tardivement,
l'adjonction de la notion de structure conceptuelle centrale à celle de structure de
contrôle. Cette évolution plus récente de sa théorie a été interrompue brutalement par
son décès en 2000, à l'âge de 55 ans. Nous présentons ci-dessous les grandes lignes de
sa théorie, notamment les concepts de structure de contrôle et de structure conceptuelle
centrale.

a. La notion de structure de contrôle

Case assimile le fonctionnement cognitif à une activité de résolution de problème.


Il considère que, dans toute situation, le sujet a un but et donc une représentation de
l'objectif à atteindre, une représentation de la situation actuelle et une représentation
des stratégies qui peuvent éventuellement lui permettre de passer de la situation actuelle
à la situation souhaitée. Comme dans la théorie de Piaget et dans celle de Pascual-
Leone, les unités élémentaires du système cognitif sont les schèmes stockés en mémoire
à long terme, les schèmes figuratifs qui permettent la représentation des états et les
schèmes opératifs qui permettent la représentation des transformations. La représenta-
tion de l'état initial et celle de l'état final (le but) relèvent donc des schèmes figuratifs,
tandis que la représentation de la stratégie à mettre en oeuvre pour passer d'un état à
l'autre relève des schèmes opératifs.
Ce modèle général de fonctionnement est illustré concrètement dans la
figure 2.6 pour deux niveaux de résolution du problème de la balance (voir enca-
dré 2.6). Les deux niveaux de conduite pris ici comme exemple sont celui dans lequel
l'enfant ne prend en considération qu'une des dimensions des variations des configu-
rations-problèmes, le poids, et celui où il commence à prendre en considération la
seconde dimension, la distance, mais seulement lorsque les poids sont égaux'. Le for-
mat de la figure 2.6 est celui adopté par Case (1985, 1987) pour analyser le niveau
de complexité cognitive des conduites de résolution de problème aux différents stades
du développement.

1. Ces deux niveaux de résolution du problème de la balance correspondent respectivement aux règles I et II
dans le modèle de Siegler (1976).

90 I Psychologie du développement

SITUATION PROBLÈME OBJECTIFS


• Balance avec une pile d'objets ► • Prédire de quel côté
de chaque côté la balance va descendre

• Chaque pile est composée d'un • Déterminer le côté qui a


certain nombre d'unités identiques le plus grand nombre d'unités
STRATÉGIE
1. Compter chaque ensemble d'unités et noter celui qui a le plus grand nombre.
2. Indiquer que celui qui a le plus grand nombre pèse le plus (et donc descend).
FIG. 2.6 a. Stade dimensionnel, sous-stade 1 : coordination opératoire (5-7 ans)

SITUATION PROBLÈME OBJECTIFS


• Balance avec une pile d'objets • Prédire de quel côté
de chaque côté la balance va descendre

• Chaque pile est composée • Déterminer le côté qui a


d'un certain nombre d'unités identiques le plus grand nombre d'unités

• Chaque pile est à une certaine • Déterminer côté où la pile


distance du pivot est à la plus grande distance
STRATÉGIE
1. Compter chaque ensemble d'unités et noter celui qui a le plus grand nombre.
2. Répéter 1 pour la distance entre les tiges et le pivot.
3. Si poids égaux, prédire que le côté avec la plus grande distance descendra, sinon prédire
que le côté avec le plus grand poids descendra.
FIG. 2.6 b. — Stade dimensionnel, sous-stade 2 : coordination bifocale (7-9 ans)
FIG. 2.6. — Diagramme représentant les étapes du déroulement
du processus de traitement de l'information dans la résolution du problème
de la balance aux sous-stades 1 (fig. 2.6 a) et 2 (fig. 2.6 b) du stade dimensionnel
(adaptée de Case, 1985, p. 103, avec l'autorisation des éditions Elsevier)

Dans le système de stades de la théorie de Case, qui sera décrit un peu plus loin, le
modèle de résolution représenté en figure 2.6 a correspond au sous-stade 1 du stade
dimensionnel (correspondant à la période 5-7 ans). La démarche intellectuelle du sujet
est symbolisée par un parcours indiqué par les flèches. Elle commence par l'analyse des
caractéristiques de la situation problème (il s'agit d'une balance sur laquelle on a placé,
de chaque côté du pivot, une pile d'objets). Cette analyse conduit à un objectif, qui est
d'ailleurs spécifié explicitement par l'expérimentateur dans cette situation (prédire de
quel côté la balance va pencher si on retire les cales). La représentation de cet objectif
guide à son tour une analyse plus précise de la situation pour y chercher des caractéristi-
ques sur lesquelles s'appuyer pour l'atteindre (chaque pile de rondelles placées sur les
tiges est faite de rondelles identiques). Cette caractéristique donne prise au schème opé-
ratif de dénombrement et détermine donc un sous-but qui peut être atteint en activant
de schème. Cette analyse de la tâche, en termes de buts et sous-buts, détermine la stra-
Quelques grandes théories du développement cognitif I 91

tégie qui va pouvoir être employée pour atteindre d'abord le premier sous-but (étape 1 :
compter chaque ensemble d'unités et noter le côté qui a le plus grand nombre), puis le
but (indiquer que le côté qui a le plus grand nombre d'unités est le plus lourd et est donc
celui qui va descendre lorsque les cales seront retirées). On remarquera que dans le
schéma de la figure 2.6 a, l'ordre des étapes de la stratégie est l'ordre inverse de celui des
buts et sous-buts, puisque la stratégie enchaîne les schèmes opératifs qui permettent de
remonter des sous-buts au but. On remarquera aussi l'indentation du sous-but par rap-
port au but : chaque sous-but est indiqué en retrait du but qu'il permet d'atteindre.
La même forme d'analyse peut maintenant être appliquée au processus de résolu-
tion qui caractérise le sous-stade suivant et est schématisé par la figure 2 . 6 b. Du côté
de la représentation de la situation, une caractéristique supplémentaire de la situation
est maintenant prise en compte (chaque objet est à une certaine distance du pivot), ce
qui donne lieu à un nouveau sous-but (déterminer le côté où la tige est à la plus grande
distance) et donc à une étape supplémentaire dans la stratégie (répéter l'étape 1 pour
compter à quelle distance se trouvent les tiges sur lesquelles sont les poids). À ce sous-
stade, qui correspond à la période 7-9 ans, l'enfant n'est pas encore capable de coor-
donner de façon élaborée les variations qu'il est capable d'observer sur les deux dimen-
sions prises en compte et ne peut utiliser ses observations sur la distance que lorsque les
poids sont égaux.
La comparaison de la liste des buts et sous-buts à gérer selon que la résolution se
situe au sous-stade 1 (fig. 2.6 a) ou au sous-stade 2 (fig. 2.6 b) du stade dimensionnel
montre que l'enfant doit gérer un sous-but supplémentaire au sous-stade 2. Selon Case,
cela n'est possible que si l'enfant peut stocker un élément de plus en mémoire de travail
pendant la résolution du problème. Cet exemple va permettre de préciser maintenant la
relation que fait la théorie de Case entre l'empan de la mémoire de travail et le niveau de
complexité qui peut être atteint dans la résolution de problème.

b. Mémoire de travail et développement

La mémoire de travail est une forme de mémoire à capacité limitée, dont la fonc-
tion est de gérer simultanément le traitement en cours et le stockage temporaire des
informations nécessaires à ce traitement (pour une présentation plus détaillée, voir la
section consacrée à la mémoire de travail dans le chapitre « Mémoire » du volume de
psychologie cognitive).

ENCADRÉ 2.7

Un exemple d'épreuve de mémoire de travail : l'empan de comptage

L'épreuve d'empan de comptage (counting span) est une des épreuves mises au point par
Case pour étudier le développement de la mémoire de travail chez l'enfant. Elle est adaptée à
la période d'âge correspondant à l'école élémentaire. Le matériel est un jeu de cartes sur les-
quelles sont collées des gommettes. Le nombre de ces gommettes varie selon les cartes et
peut aller de 1 à 9. Les cartes sont présentées une par une à l'enfant dont la tâche est de comp-
ter le nombre de gommettes collées sur chacune, de mémoriser ce nombre pendant qu'il
compte les gommettes de la carte suivante, etc., jusqu'à la dernière carte, après laquelle il doit
92 I Psychologie du développement

rappeler, dans l'ordre, la série de nombres correspondant aux différentes cartes. Les items
comportent un nombre croissant de cartes et l'empan de la mémoire de travail est évalué par
le nombre de cartes dont le nombre de gommettes peut être rappelé correctement dans ces
conditions. Il s'agit bien d'une épreuve de mémoire de travail puisque, pour chaque nouvelle
carte rencontrée, il faut simultanément compter le nombre de gommettes qu'elle comporte
(opération de traitement) et maintenir activés en mémoire les nombres obtenus en comptant
les gommettes des cartes précédentes (stockage).
L'utilisation de cette tâche dans une étude transversale réalisée avec des enfants de 5 à
11 ans a permis de montrer que la capacité de la mémoire de travail augmente régulièrement
avec l'âge : elle était de 2,5 dans le groupe de 5 à 7 ans (une opération et 1,5 nombre rappelé),
de 3,3 dans le groupe de 7à 9 ans et de 3,8 dans le groupe de 9 à 11 ans (Case, 1985,
tableau 14.3).

Comment la capacité de la mémoire de travail contraint-elle le niveau de com-


plexité qui peut être maîtrisé dans la résolution de problème ? Au sous-stade 1
(cf. fig. 6.2 a), lorsque l'enfant effectue l'opération de traitement qui correspond à la
première étape de sa stratégie (compter les poids de chaque côté), il doit garder en
mémoire le but en vue duquel il effectue cette opération (prédire de quel côté la
balance va pencher). Lorsqu'il s'engage dans l'opération de traitement qui correspond à
la deuxième étape (prédire de quel côté la balance va descendre), il doit garder en
mémoire le résultat de l'opération précédente, c'est-à-dire le nombre d'unités qui ont
été comptées. La stratégie qui correspond au sous-stade 1 requiert donc, à chacune de
ses deux étapes, une capacité de la mémoire de travail dont la taille permette de gérer
simultanément une opération de traitement et le stockage d'une unité d'information (à
la première étape, le but, et à la seconde étape, un résultat intermédiaire).

Exercice : appliquez la même analyse à la stratégie qui caractérise les enfants du sous-
stade 2 pour trouver la capacité de la mémoire de travail nécessaire pour appliquer cette
stratégie'.

La métaphore utilisée pour décrire la place en mémoire de travail est celle d'un
espace limité, partagé entre l'espace dévolu à l'opération de traitement en cours, appelé
operating space (os), et l'espace dévolu au stockage temporaire des informations, appelé
Short Term Storage Space (sTss). La capacité totale de la mémoire de travail, « Total
Processing Space » (TPs), est égale à la somme de l'espace de traitement et de l'espace
de stockage : TPS = OS + STSS. Dans notre exemple, la capacité de la mémoire de tra-
vail (TPs) est de 2 au sous-stade 1 et de 3 au sous-stade 2. Le traitement et le stockage
sont en compétition pour les mêmes ressources, donc tout gain dans l'espace occupé
par l'opération traitement libère des ressources pour le stockage. Selon Case (1985) la
capacité totale de la mémoire de travail n'augmente pas avec l'âge mais l'espace de
stockage (sTss) augmente au fur et à mesure que diminue la place prise par l'opération
de traitement (os). On trouvera dans l'encadré 2.8 un exemple d'expérience testant
cette hypothèse.

1. La réponse est : une opération de traitement et le stockage de deux unités d'information.


Quelques grandes théories du développement cognitif I 93

ENCADRÉ 2.8

Un exemple d'expérience réalisée pour tester l'hypothèse de la relation


entre la vitesse de traitement et l'empan de la mémoire de travail

Case et Kurland ont fait passer l'épreuve d'empan de comptage à des groupes d'enfants
d'âge croissant allant du degré 1 au degré 6 de l'école élémentaire (âges moyens de 6 à
11 ans) et ils ont aussi chronométré le temps mis par ces enfants pour effectuer l'opération
de traitement qui, dans cette épreuve, consiste à compter les gommettes sur les cartes. Les
résultats de cette étude (Case, 1985, p. 361) ont montré qu'il existe une relation linéaire
entre l'augmentation de l'empan moyen de la mémoire de travail, tel qu'il est évalué par
l'épreuve d'empan de comptage, et la diminution du temps de traitement, évalué par le
temps moyen de comptage par gommette. Le temps moyen de comptage passait de 400 à
200 millisecondes de 6 à 11 ans pendant que, de façon concomitante, l'empan moyen pas-
sait de 2,3 à 3,5.
Cette liaison entre les deux variables ne suffit cependant pas pour démontrer qu'il s'agit
d'une relation causale. Les deux évolutions observées peuvent toutes deux dépendre d'une
cause commune, l'accroissement de l'âge, sans pour autant dépendre l'une de l'autre. Pour
vérifier l'hypothèse d'une relation causale entre la diminution du temps de traitement et
l' augmentation de l'empan de stockage en mémoire de travail indépendamment de l'âge,
Case et Kurland ont par ailleurs fait passer à des adultes une épreuve d'empan de comptage
dans laquelle ceux-ci devaient utiliser, pour le dénombrement, des noms de nombres dont ils
n'avaient aucune expérience et dont ils n'avaient donc pas pu automatiser l'usage. Cela avait
pour but de placer ces adultes dans une situation en principe comparable à celle des enfants
du degré 1 qui commencent seulement à maîtriser les nombres avec lesquels ils effectuent le
dénombrement des gommettes. Le nouveau langage de comptage de 1 à 10 était rab, sliff,
dak, leet, raok, taid, fap, flim, moof, zeer. Les adultes apprenaient d'abord ce nouveau langage
numérique jusqu'à être capables d'en réciter la suite sans se tromper. Ils passaient ensuite
l'épreuve d'empan de nombre dans cette nouvelle langue et, comme dans l'expérience avec
les enfants, leur temps moyen de comptage par gommette était chronométré. Leur temps
moyen de traitement par gommette était en effet comparable à celui des enfants de 6 ans,
ainsi que leur empan moyen (2,5).

Le résultat de l'expérience résumée dans l'encadré 2.8 met l'accent sur le rôle de
l'expérience et de l'automatisation des procédures dans l'augmentation de l'empan de
la mémoire de travail avec l'âge. D'autres expériences ont néanmoins montré les limites
de l'exercice dans le gain de vitesse de l'opération de traitement. En faisant acquérir à
des enfants une pratique massive de l'opération de comptage (vingt minutes par jour
pendant trois mois), leur temps moyen de comptage n'a que peu diminué par rapport à
celui d'enfants du même âge n'ayant pas cet entraînement et est resté supérieur à celui
d'enfants sans entraînement mais ayant un an de plus (Case, 1985, p. 372). Cc second
résultat met l'accent sur le rôle de la maturation dans l'augmentation de la vitesse de
traitement. De cet ensemble d'expériences, Case a conclu que l'augmentation de la
vitesse de traitement avec l'âge — et donc l'augmentation de la capacité de stockage en
mémoire de travail qui, selon lui, en résulte — devait faire appel aux deux facteurs à la
fois : d'une part, l'automatisation des opérations de traitement avec l'expérience et,
d'autre part, la maturation du système nerveux central (une des hypothèses étant que la
myélinisation, qui se prolonge pendant toute l'enfance, accroît la vitesse de transmission
de l'influx nerveux et donc la vitesse de traitement de l'information).
94 I Psychologie du développement

c. Les stades du développement cognitif

Comme la théorie de Piaget, celle de Case décrit quatre grands stades de dévelop-
pement qui correspondent à des structures qualitativement différentes et, à l'intérieur
de chacun de ces grands stades, trois sous-stades qui correspondent à des étapes inter-
médiaires dans la construction de ces structures. Les quatre grands stades diffèrent ici
par la nature des schèmes sur lesquels porte la structuration et non par les lois de com-
position entre ces unités mentales comme c'était le cas chez Piaget.
Au stade sensori-moteur, il s'agit d'opérations coordonnant des schèmes sensori-
moteurs pour atteindre un but, par exemple écarter un obstacle (sous-but) pour
atteindre un objet (but).
Au stade interrelationnel, les enfant peuvent manipuler des relations qualitatives
entre les objets : « ici il y a beaucoup, là, il y a peu », ou bien « celui-ci est lourd,
celui-ci est léger », mais pas encore les grandeurs relatives du type « plus grand que »
ou « plus lourd que ». Ils apprennent aussi à maîtriser le schème du comptage, sans
toutefois comprendre que la quantité (beaucoup ou peu) peut être précisément déter-
minée par le nombre qui correspond au dernier objet compté (le cardinal de la collec-
tion). La coordination de ces deux opérations interrelationnelles, celle par laquelle sont
comparées les quantités (beaucoup, peu) et celle de comptage (un, deux, trois...), aboutit
à la compréhension du dénombrement qui va permettre de quantifier les relations et
donc de comparer les objets sur des dimensions quantifiables.
C'est alors le début du stade dimensionnel, où la coordination porte précisément
sur des dimensions quantifiables. Les opérations de ce stade ont été illustrées plus haut
avec le problème de la balance, dans lequel les deux dimensions quantifiables à coor-
donner sont le poids et la distance.
Le stade vectoriel correspond à la capacité d'établir des rapports entre les varia-
tions sur les dimensions considérées et à comparer ces rapports, c'est-à-dire à com-
prendre les rapports de proportions. Cette capacité correspond au stade formel de la
théorie de Piaget et plus particulièrement à la structure INRC.
Plus généralement, les quatre grands stades de construction des structures de
contrôle, sensori-moteur, interrelationnel, dimensionnel et vectoriel correspondent, aussi
bien du point de vue des âges (cf. fig. 2.7) que du point de vue des comportements, aux
quatre grandes périodes distinguées par Piaget, respectivement sensori-motrice, pré-
opératoire, opératoire concrète et opératoire formelle. Le changement des dénomina-
tions souligne toutefois que l'interprétation des comportements et des structures sous-
jacentes est différente.
L'examen de la figure 2. 7, qui résume ce système de stades, montre que les trois
sous-stades de chaque stade ont toujours la même forme. À la fin de chaque stade, la
structure de contrôle complexe qui a été construite au cours de ce stade et qui, dans le
sous-stade le plus élevé, a demandé une capacité en mémoire de travail de 4 unités
(gestion simultanée d'une opération et du stockage à court terme de trois unités
d'information), est compactée, et réétiquetée A ou B. Elle devient ainsi l'unité de base
du stade suivant qui, en tant qu'opération d'une nouvelle nature, occupe encore à ce
moment-là toute la place en mémoire de travail. À la fin de ce stade — qui est en même
Quelques grandes théories du développement cognitif I 95

Stade vectoriel
Substade IV.3 A, — B, MT
X M = e 7 }Structures
Relations (15.5-19 ans) Az— Be 4 opératoires formelles
de e Substade N. 2 A,—B,
ordre
M=e*6
(13-15.5 ans) At— B2 3
Substade IVA
Stade dimensionnel A—B 2 M-e , F 5
(11-13 ans)
Substade A,—B, MT
X M = e 4 ) Structures opérai ires concrêtes
Relations (9-11 ans) A,—B2 4
de 3' Substade 1112 A,— B,
ordre M=e*3
(7-9 ans) A r-. 6x 3
Substade 111.1
Stade interrelationnel A—B 2 M =et- 2
(5-7 ans)
Substade 11.3 —B, MT
X Me = 7 <==> M = e 1 ) &ru tures préopératoires
Relations (3,55 ans) —Be 4
del' Substade 11.2 —
ordre Me = 6
(2-3,5 ans) qa —132 3
Substade 11.1
Stade sensori-moteur A—B 2 Me = 5
(1,5-2 ans)
Substade 1.3 A, — B, MT
X Me = 4 ) Structures sensori-motrices
Relations (12-18 mois) A,—B, 4
de 1 « Substade 1.2 A, —
ordre Me = 3
(8-12 mois) Ae—B2 3
Substade 1.1
A—B 2 Me = 2
,(4-8 mois)
Substade 1.0
AouB 1 Me = 1
(1-4 mois)

FIG. 2.7. Les stades et sous-stades du développement cognitif dans la théorie de Case (le
terme « substade », moins employé, a été retenu dans cette figue, car il n'y avait pas une place
suffisante pour écrire « sous-stade »). A la droite des cases correspondant aux différents sous-
stades du modèle de Case est aussi mentionnée la capacité M qui leur correspond dans la théorie
de Pascual-Leone, selon Pascual-Leone et Johnson (2005). La partie qui va du sous-stade 11.3
(M = e + 1) au sous-stade IV.3 (M = e + 7) correspond aux étapes du développement de la capa-
cité M telles qu'elles ont été spécifiées dans le tableau I. La partie qui va du sous-stade I.0
(Me = 1) au sous-stade 11.3 (Me = 7) correspond au développement de la capacité M au stade
sensori-moteur, un point qui n'a pas été traité dans ce chapitre (voir Pascual-Leone et Johnson,
1991).
La figure 2.7 est une adaptation de la figure 11.1, p. 184 de Pascual-Leone et Johnson
(2005), elle-même adaptée de la figure 6, p. 98 de Case (1987). Figure reproduite avec
l'autorisation de Sage Publications.

temps le début du suivant — il n'y a donc place en mémoire de travail que pour une
opération de cette nouvelle nature (dans la figure 2 . 7, la place requise en mémoire de
travail pour chaque sous-stade est indiquée à la droite de chaque case, dans la
colonne MT). Au fur et à mesure de l'automatisation de cette nouvelle opération et de
son compactage, celle-ci va libérer de la place en mémoire de travail pour le stockage
96 I Psychologie du développement

d'une unité d'information, puis de 2, puis de 3 (ce qui correspond à des capacités de
la MT qui sont respectivement de 2, 3 et 4). Au sous-stade 1 du nouveau stade (appelé
coordination unifocale), cela permet de former une nouvelle structure de contrôle en
connectant sous la forme A-B deux des schèmes A et B issus du stade précédent, puis
au sous-stade 2 (coordination bifocale), de commencer à coordonner deux des nouvelles
structures ainsi formées, par exemple A 1 — B 1 avec A2 — B2, et enfin au sous-stade 3, de
compléter cette coordination (coordination élaborée). À la fin de ce cycle, une nouvelle
structure de contrôle est constituée qui, après compactage, réétiquetage et automatisa-
tion, devient à son tour l'unité de base sur laquelle sera construite la structure de
contrôle du stade suivant. La construction des structures de contrôle est donc un pro-
cessus cyclique et récursif dans lequel la structure complexe obtenue à la fin d'un stade
devient l'unité élémentaire dans la construction de la structure du stade suivant.

ENCADRÉ 2.9

Illustration du modèle des stades avec l'exemple de la balance

Dans l'exemple de la construction de la structure de contrôle mise en oeuvre pour résoudre le


problème de la balance au stade dimensionnel, dont deux étapes ont été détaillées dans la
figure 2.6, les deux schèmes A et B construits au stade précédent - donc au stade interrela-
tionnel - sont, d'une part, celui qui permet de comprendre le fonctionnement de la balance (si
on met un objet lourd d'un côté de la balance et un objet léger de l'autre côté, elle penche du
côté de l'objet lourd) et, d'autre part, celui de dénombrement (le nombre correspondant au
dernier objet compté indique la quantité). La coordination de ces deux schèmes sous la forme
d'une nouvelle structure A-B donne naissance à une nouvelle opération qui permet de quanti-
fier le poids sur une dimension continue et de résoudre le problème de la balance au sous-
stade 1 (compter le nombre de poids de chaque côté pour trouver de quel côté la balance va
pencher). Ainsi est constituée l'unité mentale de base qui donne son nom à ce stade, la dimen-
sion. Au sous-stade 2, une place de plus en mémoire de travail permet de commencer à coor-
donner les variations sur deux dimensions, le poids (A, - B 1 , et la distance (A, - B 2 ). Il s'agit
d'une coordination encore partielle qui n'est efficace que lorsqu'une des deux dimensions est
tenue constante (si les distances sont égales, alors la balance penchera du côté du poids les
plus importants). Au sous-stade 3, une place de plus en mémoire de travail ouvre la possibilité
de construire une structure de contrôle plus élaborée permettant de coordonner des variations
sur les deux dimensions (par exemple faire à la fois la différence entre les poids et entre les
distances et comparer ces différences). Cette nouvelle opération de mise en relation des varia-
tions sur deux dimensions, qui ne permet pas encore de traiter les rapports de proportionna-
lité, sera l'unité de base de la structure de contrôle du stade suivant, le stade vectoriel, où le
problème de la balance sera résolu au niveau le plus élevé en comparant le rapport entre les
poids au rapport entre les distances.

d. La notion de structure conceptuelle centrale

L'introduction de la notion de structure conceptuelle centrale (scc), dans les


années 1990, marque un tournant dans la théorie de Case. Jusque-là, celle-ci visait
essentiellement à montrer comment la contrainte exercée par la capacité de la mémoire
de travail détermine des stades généraux de développement sans pour autant entraîner
le synchronisme des acquisitions, mais elle ne cherchait pas à rendre compte de la spé-
Quelques grandes théories du développement cognitif I 97

cificité du développement dans des domaines différents. Dans la même période, un


autre courant de recherche apportait, cependant, de nombreux arguments en faveur du
caractère modulaire du développement. Sans forcément partager l'hypothèse que de
tels modules soient véritablement préspécifiés dès la naissance pour le traitement de tel
ou tel type d'information — comme l'a soutenu Chomsky (1957) à propos du développe-
ment du langage — beaucoup d'auteurs ont contribué à montrer le caractère précoce de
structures cognitives spécifiques à un domaine. La raison de cette spécificité tiendrait à
la forme particulière de causalité qui contribue à structurer les concepts d'un domaine
et à leur donner leur sens. Pour ne prendre qu'un exemple, les enfants considèrent très
tôt comme normal que les personnes se déplacent de façon autonome, et comme anor-
mal qu'un objet se déplace de manière autonome. Très tôt aussi, ils comprennent que
les actions des personnes s'expliquent par des états mentaux comme les intentions, les
désirs, les croyances, alors que les mouvements des objets s'expliquent par les chocs et
les poussées d'autres objets. Les systèmes de dépendance entre les événements sont
donc assez différents dans le domaine de la matière et dans celui de l'esprit. La spécifi-
cité du développement en fonction des domaines a été montrée notamment à propos
de la formation des concepts relatifs à la matière, aux organismes vivants, à l'esprit et
au nombre. Pour une synthèse de ces recherches, voir Wellman et Gelman (1998) et,
pour un exemple précis, voir dans ce volume, p. 144, la présentation de la notion de
« Core knowledge » dans la section consacrée au développement de la représentation
des objets.
Ce qui importe pour notre propos, c'est que les contraintes qui structurent un
domaine de connaissance sont de nature sémantique et donc tout à fait différentes de
celles qui tiennent aux limites dans la capacité de la mémoire de travail. Est-il possible
d'intégrer ces deux sources de structuration cognitive dans la même théorie ? C'est ce
qu'a voulu faire Case en complétant la notion de structure de contrôle par celle de
structure conceptuelle centrale (sec). Ses recherches et celles de ses collaborateurs se
sont donc concentrées, à partir des années 1990, sur l'analyse du développement
conceptuel dans des domaines différents, notamment ceux du nombre, de la théorie de
l'esprit et de l'espace (Case, 1992, 1998). Dans chacun de ces domaines, les structures
conceptuelles peuvent être décrites sous la forme de réseaux sémantiques, dont les
noeuds et les relations sont spécifiés.
Dans le domaine numérique, par exemple, Case observe que, vers 4 ans, les
enfants disposent, d'une part, d'un schéma global d'évaluation de la quantité, qui per-
met de comprendre qu'on passe de beaucoup à peu en enlevant des objets à la collection
initiale et de peu à beaucoup en ajoutant des objets. Ils disposent aussi d'un schéma de
comptage consistant à pointer un objet du doigt en disant « un », puis à pointer l'objet
suivant en disant « deux », etc. Toutefois, ces deux schémas sont encore des « fichiers »
séparés en ce sens que le nombre n'est pas encore représenté, en lui-même, comme une
quantité (les enfants ne savent pas encore répondre si on leur demande lequel des deux
nombres, 4 et 5 par exemple, est le plus grand). L'intégration de ces deux schémas,
vers 6 ans donne naissance à la ligne mentale du nombre, qui est la structure concep-
tuelle centrale autour de laquelle va s'organiser le domaine du quantitatif. À une des
bornes de cette ligne mentale, il y a la notion peu (ou léger, ou petit, selon la nature de
la quantité à évaluer) et à l'autre borne, il y a la notion beaucoup (ou lourd, ou grand).
98 I Psychologie du développement

Entre ces deux bornes, un réseau de relations connecte différentes représentations rela-
tives à la quantité (le mot désignant le nombre, le pointage de l'objet désigné par ce
nombre, la configuration des doigts correspondant à ce nombre, l'écriture de celui-ci).
Chacune de ces représentations est structurée par une relation de transformation qui
fait passer d'un élément au suivant en ajoutant 1 ou au précédent en retirant 1. Cette
organisation horizontale de la séquence, propre à chacune des représentations, est mise
en correspondance terme à terme, verticalement, avec celle de chacune des autres
représentations : l'enfant comprend que le passage du mot 1 au mot 2 dans la représen-
tation verbale coïncide avec le passage du pointage du premier objet au suivant, et
coïncide aussi avec le passage, à l'écrit, du chiffre 1 au chiffre 2, etc. Cette structure
conceptuelle va se complexifier par la suite mais dès ce niveau, elle va permettre
d'évaluer les quantités sur un nombre varié de dimensions (distance, temps, poids,
monnaie, etc.) comme nous l'avons vu dans l'exemple de la balance.
Dans le domaine social les enfants de 4 ans comprennent que les autres ont des
représentations mentales et que celles-ci peuvent être modifiées par les événements. Ils
comprennent aussi la façon dont s'enchaînent les événements dans des scènes familières
et peuvent faire une description verbale de ces « scripts ». Toutefois, ces deux
« fichiers » ne sont pas encore intégrés. Leur coordination vers 5 à 6 ans donne nais-
sance, selon Case, à la structure conceptuelle de la narration, qui joue un rôle central
dans le domaine social. Dans cette structure conceptuelle, le script fournit la ligne orga-
nisatrice de la représentation des comportements : il comporte un début, qui est un cer-
tain état de la situation, appelons-le état 1, suivi d'une action 1 qui cause la transforma-
tion de l'état 1 en état 2, lui-même suivi de l'action 2, etc., et il comporte aussi une fin.
La possibilité de faire se correspondre terme à terme les deux séquences, d'une part,
celle des événements et actions décrits par le script, d'autre part, celle des états men-
taux du personnage qui participe à ces événements et effectue ces actions, les intègre
dans un même réseau de relations qui fonde la ligne mentale de la narration. D'abord
uni-intentionnelle cette structure se complique ensuite en devenant bi-intentionnelle,
c'est-à-dire en coordonnant les intentions de deux personnages, puis en intégrant de
façon plus élaborée les interactions entre deux ou plusieurs personnages animés par des
intentions différentes.
La comparaison des étapes de développement de ces deux scc fait ressortir leurs
ressemblances et leurs différences. Du point de vue de la ressemblance, on trouve dans
les deux cas l'intégration de deux schémas jusque-là séparés (schéma d'évaluation glo-
bale de la quantité et schéma de comptage pour le domaine quantitatif, script et théorie
de l'esprit pour le domaine social). Dans les deux cas, cette intégration donne lieu à une
structure dimensionnelle (la ligne mentale du nombre dans le domaine quantitatif, la
ligne mentale de la narration dans le domaine social). Cette structure d'abord unidi-
mensionnelle se complexifie ensuite en permettant dans un premier temps de prendre
en compte deux dimensions et, au cours de l'étape suivante, d'intégrer ces deux dimen-
sions. La correspondance entre ces étapes dans la formation des scc et celles du
modèle des stades (cf. les sous-stades correspondant à la coordination unifocale, bifocale
puis élaborée du stade dimensionnel dans la figure 2.7) permet à Case à conclure que
dans tous les domaines, le niveau de complexité des SCC qui peuvent être construites est
contraint par le niveau de développement de la capacité de la MT.
Quelques grandes théories du développement cognitif I 99

Du point de vue des différences par contre, les réseaux sémantiques constituant
chacune de ces scc se construisent à partir de relations de nature différente et ont, de
ce fait, leur propre dynamique. La compréhension des états mentaux, qui joue un rôle
essentiel dans la structure conceptuelle relative au domaine social, n'en a aucun dans la
structure conceptuelle relative au domaine quantitatif. Il n'y a donc pas de raison qu'un
apprentissage améliorant la compréhension des états mentaux se transfère au domaine
quantitatif. Par contre, on peut s'attendre à ce que cet apprentissage se transfère aux
situations du domaine social, où cette compréhension joue un rôle central. En consé-
quence, le synchronisme du développement devrait être plus important au sein de cha-
cun des domaines qu'entre domaines.
Ces prédictions ont été mises à l'épreuve dans deux études (Case et Okamoto,
1996). L'une a porté sur la prédiction relative au synchronisme du développement.
Douze épreuves ont été administrées à des enfants de grande section d'école maternelle
et du premier degré de l'école élémentaire, six de ces épreuves relevaient du domaine
quantitatif et six du domaine social. Dans chacune, les scores pouvaient aller de 1 à 4,
correspondant à des conduites allant du sous-stade prédimensionnel au sous-stade bidi-
mensionnel élaboré. Les corrélations entre les épreuves d'un même domaine se sont
effectivement avérées plus fortes que les corrélations entre les deux domaines. Une ana-
lyse factorielle de ces corrélations a permis d'extraire deux facteurs corrélés mais nette-
ment distincts, l'un correspondant aux six épreuves relevant du domaine quantitatif et
l'autre aux six épreuves relevant du domaine social (Case et Okamoto, 1996, chap. III).
La seconde étude a porté sur la comparaison du transfert d'apprentissage à l'intérieur
d'un domaine versus entre deux domaines. Elle a montré qu'un apprentissage portant
sur l'une ou l'autre de ces deux scc, ligne mentale du nombre ou ligne mentale de la
narration, se transfère à des épreuves relevant du même domaine (quantitatif pour le
premier et social pour le second) mais pas entre domaines (Case et Okamoto, 1996,
chap. IV).
Les scc ne sont donc pas des structures générales qui s'appliqueraient aux différents
domaines de la connaissance, comme c'était le cas des structures opératoires de Piaget.
Ce sont des structures locales, élaborées de façon relativement indépendante dans cha-
cun des domaines, et auxquelles s'appliquent les contraintes générales qu'impose la capa-
cité de la mémoire de travail. Selon Case (1998), la dynamique de leur développement
repose sur une boucle d'interaction entre les deux formes d'apprentissage distinguées
dans la théorie de Pascual-Leone, l'apprentissage C (apprentissage associatif de contenus)
et l'apprentissage L (apprentissage contrôlé dirigé par les concepts). Comme cela a été
mis en évidence par le courant historico-culturel (voir la section précédente de ce cha-
pitre), cet apprentissage est tributaire des transmissions culturelles qui se font par les dif-
férentes formes d'interactions sociales, notamment celles qui sont à l'oeuvre dans
l'instruction (la structure conceptuelle du nombre ne pouvait évidemment pas connaître
le même développement à l'époque de l'homme de Cro-Magnon).
Ces dernières évolutions de la théorie montrent que le projet qui animait Robbie
Case était de concilier et d'intégrer dans un même modèle les principaux acquis
d'approches jusque-là séparées du développement cognitif, celle de la théorie de Piaget,
celle du traitement de l'information, celle de l'approche modulaire de l'esprit et celle du
courant historico-culturel.
100 I Psychologie du développement

III - Discussion

Pour une présentation en langue française de l'ensemble des théories néo-


piagétiennes, le lecteur est renvoyé à la revue critique publiée par de Ribaupierre
(1997). Une présentation plus complète des théories qui n'ont pu être abordées dans ce
chapitre peut être trouvée dans les publications les plus synthétiques de leurs auteurs,
par exemple, Demetriou et al. (1993), Halford (1993), Fischer et Bidell (2006). Les deux
théories présentées ci-dessus sont cependant suffisamment représentatives du courant
néo-piagétien pour que l'on puisse généraliser les conclusions tirées de leur comparai-
son à l'ensemble des théories néo-piagétiennes.

a. Les principaux points communs

Comme la théorie de Piaget, ces théories visent à dégager des principes et une
séquence de stades qui soient généraux, en ce sens qu'ils s'appliquent à l'ensemble des
domaines de la connaissance. Toutefois, l'isomorphisme du développement dans les dif-
férents domaines n'est plus attribué à la construction, à chaque stade, d'une structure
logique de portée générale, comme le pensait Piaget. Il est attribué à la contrainte
qu'exerce, sur l'ensemble du fonctionnement cognitif, une capacité centrale de traite-
ment. La limite de cette capacité, qui évolue avec l'âge chez l'enfant, détermine le
niveau maximal de complexité cognitive qu'un individu est capable d'appréhender dans
la résolution d'une tâche nouvelle. L'accroissement de cette capacité au cours de
l'enfance ouvre de nouvelles possibilités de mise en relation des informations disponi-
bles mais ne détermine ni la nature ni les lois de composition de ces relations qui res-
tent spécifiques à chacun des domaines de la connaissance.
Tous les auteurs néo-piagétiens s'accordent à reconnaître un rôle important, mais
non exclusif, à la maturation du système nerveux central dans l'accroissement de la
capacité de traitement au cours de l'enfance. Néanmoins, tous s'inscrivent dans
l'approche constructiviste ouverte par Piaget en considérant que si la maturation ouvre
de nouvelles possibilités de mises en relation, elle n'actualise pas pour autant des struc-
tures cognitives préformées qui seraient restées latentes jusque-là. Ces nouvelles structu-
res, de nature sémantique, sont à construire par l'enfant dans chacun des domaines
dans lesquels il peut acquérir de l'expérience.

b. Les principales divergences

Comme on a pu le voir à propos des conceptions de Case et de Pascual-Leone, il


y a des désaccords importants sur la nature exacte de cette capacité centrale. Pour
Case, il s'agit de la mémoire de travail, conçue comme une structure particulière de la
mémoire, dans laquelle le traitement et le stockage temporaire des informations néces-
saires à ce traitement sont en compétition. Pour Pascual-Leone, par contre, il s'agit du
système de gestion de l'attention mentale, responsable de l'activation ou de
Quelques grandes théories du développement cognitif I 101

l'interruption des schèmes — pertinents ou trompeurs — stockés en mémoire à long


terme. Il y a désaccord aussi sur le développement de cette capacité. Pour Case, ce
n'est pas la capacité totale de la mémoire de travail qui augmente, mais seulement
l'espace de stockage, au fur et à mesure que l'espace occupé par le traitement diminue
(du fait de l'augmentation de sa vitesse) en fonction de la maturation et de l'exercice. Il
y a, enfin, désaccord sur le système de stades lui-même puisqu'il s'agit chez Case d'un
système cyclique et récursif avec des changements dans le format des représentations
d'un stade à l'autre, alors que chez Pascual-Leone il s'agit d'un simple accroissement
quantitatif du nombre de schèmes pouvant être activés simultanément. Cela n'empêche
pas pour autant d'établir des correspondances entre les deux systèmes de stades,
comme on peut le voir dans la figure 2.7, ni d'établir des correspondances entre ces
deux systèmes de stades et celui de Piaget. Le désaccord ne porte donc pas sur les faits
ni sur leur chronologie, mais sur le découpage des unités mentales utilisées pour mesu-
rer la complexité cognitive des tâches, désaccord qui lui-même résulte du désaccord sur
les mécanismes sous-jacents à la capacité centrale de traitement et sur le type d'analyse
de tâche utilisé. De nouveau, ces divergences ne sont pas propres aux deux théories qui
ont été présentées, elles peuvent être généralisées à l'ensemble des théories néo-
piagétiennes.

c. Les perspectives

L'origine de ces divergences tient probablement pour une bonne part aux condi-
tions dans lesquelles ces théories ont émergé. Elles sont nées dans une période où les
connaissances sur le système exécutif étaient encore très lacunaires. Les néo-piagétiens
ont joué un rôle pionnier dans l'étude du rôle du système exécutif dans le fonctionne-
ment cognitif et — en l'absence de cadre théorique consensuel — chacun a privilégié un
des aspects de ce système (limitation dans la capacité de traitement, de stockage,
d'attention, d'inhibition, de vitesse, etc.), dont on commence à comprendre à quel point
il est complexe. Il est symptomatique, à cet égard, que dans Intellectual Development — Birth
to Adulthood, ouvrage publié en 1985 dans lequel Case exposait sa théorie sur le rôle des
limites de la mémoire de travail sur le développement intellectuel, il n'y ait pas une
seule référence au modèle de la mémoire de travail de Baddeley et Hitch, dont la pre-
mière publication remonte pourtant à 1974. Cette omission n'a pourtant rien de très
surprenant car, à cette époque, les recherches de psychologie expérimentale sur la
mémoire de travail portaient essentiellement sur les systèmes « esclaves » de cette struc-
ture, d'abord la boucle phonologique et, plus tard, le calepin visuo-spatial. Baddeley et
Hitch considéraient alors le système exécutif central comme terra incognita. Or c'est pré-
cisément sur le développement du système exécutif central que portaient les travaux de
Case.
Cette situation a changé rt la recherche sur le fonctionnement du système exécutif
central est devenue très active en psychologie expérimentale, en neuropsychologie, aussi
bien qu'en psychologie développementale et en psychologie différentielle. La mémoire
de travail est de plus en plus conçue comme la partie activée de la mémoire à long
terme,ce qui intègre les mécanismes attentionnels dans son fonctionnement (voir par
exemple Engle et aL, 1999). Il existe maintenant, de ce fait, davantage de convergences
102 I Psychologie du développement

entre les modèles de la mémoire de travail en psychologie cognitive et les modèles néo-
piagétiens du développement ; la ressemblance entre le concept de limite du focus
attentionnel chez Cowan (1999) et le concept de limite de la capacité M chez Pascual-
Leone en est un exemple.
Cette nouvelle interaction entre psychologie cognitive, neuropsychologie et psy-
chologie développementale dans les recherches sur le système exécutif et en particulier
sur la mémoire de travail, ouvre de nouvelles perspectives aux théories néo-piagétiennes
et devrait faciliter leur intégration en leur offrant des modèles plus précis des différents
processus sous-jacents au fonctionnement de ce système. Les contraintes induites par les
limites dans la capacité de l'exécutif central ne touchent cependant qu'à un des aspects
du développement cognitif. Une autre perspective théorique intéressante réside dans
l'intégration par le courant néo-piagétien d'autres approches du développement,
comme Case l'a commencée avec la notion de structure conceptuelle centrale. Ce fai-
sant, la spécificité des théories néo-piagétiennes devrait disparaître au fur et à mesure
qu'elles s'intégreront dans l'effort de reconstruction d'une théorie générale du dévelop-
pement. La pierre la plus importante que ces théories auront apportée à cet effort de
reconstruction sera sans doute d'avoir été les premières à mettre le doigt sur le rôle cen-
tral que joue le développement du système exécutif dans l'ordonnancement du dévelop-
pement cognitif.

LECTURES CONSEILLÉES

Case, R. (1998). The development of conceptual structures. In W. Damon, D. Kuhn, &


R. S. Siegler (Eds.), Handb000k of Child Psychology (5th edition). Vol. 2 : Cognition, perception,
and language (pp. 745-800). New York : John Wiley & Sons, Inc.
Demetriou, A. (Ed.) (1988). The Neo-Piagetian 77zeories of Cognitive Development: Toward an Integra-
tion. Amsterdam : North : Holland.
Fischer, K. W., & Bidell, T. R. (2006). Dynamic development of action, thought and emo-
tion. In W. Damon, & R. M. Lerner (Eds.), Theoretical Models of Human Development. Hand-
book of Child Psychology (6th edition, vol. 1, pp. 313-399). New York : Wiley.
Pascual-Leone, J., & Johnson, J. (2005). A dialectical constructivist view of developmental
intelligence. In O. Wilhelm & R. Engle (Eds.), Handbook of Understanding and Measuring
Intelligence. Londres : Sage Pulications.
de Ribaupierre, A. (1997). Les modèles néo-piagétiens : Quoi de nouveau ? Psychologie française,
42, 9-21.
de Ribaupierre, A. (2007). Modèles néo-piagétiens du développement cognitif et perspective
psychométrique de l'intelligence : y a-t-il convergence ? L'Année psychologique, 107,
257-302.
3 les méthodes de la psychologie
du développement

PAR MARIE-GERMAINE PÊCHEUX

L'approche développementale du fonctionnement cognitif prend évidemment appui sur


les méthodes générales d'étude en psychologie et, en particulier, la méthode expérimen-
tale. Mais elle a ses spécificités : des aménagements sont nécessaires, à la fois dans
l'organisation temporelle du recueil des données et dans leur organisation interne, selon
les thèmes concernés. Dans ce chapitre, nous examinerons successivement comment
étudier le changement, objet de la psychologie développementale, et comment aména-
ger les situations expérimentales pour étudier une population que la psychologie du
développement ne peut ignorer, celle des très jeunes enfants.
Pour pouvoir parler de changement, il est nécessaire de disposer de données
concernant au moins 2 points dans le temps. À partir de telles données, le changement
peut être apprécié sous deux angles différents et complémentaires : la fonction dévelop-
pementale, qui décrit les variations avec l'âge des performances moyennes ; et les corré-
lations interâges, qui mettent en évidence les liaisons entre différents comportements, et
évaluent la stabilité des performances individuelles.
La fonction développementale P z--- fA), où P est la performance, A l'âge, et f la
fonction qui relie ces deux variables, s'exprime clairement dans un graphique qui
donne les performances moyennes de groupes de sujets (axe des y, variable dépendante)
en fonction de leur âge (axe des x, variable indépendante). Par exemple la performance
est d'autant plus élevée que les sujets sont plus âgés, ce qu'on observe très souvent dans
les étalonnages des tests d'efficience. Mais une fonction monotone* croissante n'est pas
la seule possible, on observe aussi des courbes monotones décroissantes, et des courbes
en U (d'abord décroissante, puis croissante) ou en U inversé (cf. encadré 3.1).
Les corrélations interâges rendent compte du lien qui peut exister entre la perfor-
mance d'un sujet à un âge Al et la performance du même sujet à un âge A2. Par
exemple on recherchera si un bébé très stimulé par sa mère à 3 mois est également très
stimulé par sa mère à 5 mois (cf. encadré 3.2). On remarquera, dans cet exemple, que le
« sujet » dont on étudie la stabilité des performances peut être une dyade mère-enfant.
On le voit, les deux approches ne fournissent pas les mêmes informations. Ainsi
Honzik (1957) trouve une corrélation significative de .38 (cf. n. 1, p. 105) entre le QI
d'enfants adoptés et le QI de leurs parents biologiques cependant que la corrélation est
nulle entre enfants adoptés et parents adoptifs. Il est faux de conclure, sur ces seules
104 I Psychologie du développement

données, à une absence d'effet des parents adoptifs ; en effet, le QI moyen des enfants
adoptés est supérieur de 21 points à celui de leurs parents biologiques, et égal à celui
des parents adoptifs. La conclusion correcte de cette étude, qui prend en compte les
deux types de données, est que les différences individuelles de QI sont peut-être asso-
ciées à des aspects génétiques (à l'intérieur des groupes, les enfants ont tendance à se
classer comme leurs parents biologiques) cependant que le QI moyen du groupe est
davantage influencé par les facteurs environnementaux.
La première partie de ce chapitre détaille les méthodes utilisées pour étudier ces
deux aspects du développement.

ENCADRÉ 3.1

Exemples de fonctions développementales

Pour étudier comment se développent les capacités attentionnelles à l'âge préscolaire, on a


étudié 7 groupes d'âge espacés de 6 mois en 6 mois, de 2 ans et demi à 5 ans et demi (axe
des x du graphique). On a présenté aux enfants, sur ordinateur, une série de 60 images pour
une seconde chacune, séparées par un délai variant entre 1,1 et 1,6 seconde. La consigne
demande d'appuyer sur la barre d'espacement lorsqu'apparaît une image de chat, et exclusi-
vement pour le chat. On a relevé à combien de cibles chaque enfant a bien répondu (maxi-
mum 15). À chaque âge, on a partagé les enfants en trois groupes :
— A : ceux qui ne font jamais deux oublis consécutifs ;
— B : ceux qui font au moins deux oublis consécutifs, mais parviennent ensuite à reprendre le
rythme, en donnant au moins deux réponses consécutives correctes ;
— C: ceux qui font au moins deux oublis consécutifs, et ne parviennent pas à reprendre le
rythme.
Le graphique ci-dessous donne pour chaque groupe d'âge les pourcentages de sujets
dans chacun des trois groupes (axe des y du graphique).

100

90

80

70

60

50 -c- A : jamais 2 oublis


,̀2
B : 2 oublis mais récupératior
0_ 40 C : 2 oublis sans récupération

30

20

10

GROUPES D'AGE

FIG. 3 . 1. — Pourcentages des sujets classés dans chacun


des trois groupes A, B, et C, en fonction de l'âge
Les méthodes de la psychologie du développement I 105

Les enfants classés en C (deux oublis sans récupération) sont de moins en moins nom-
breux avec l'âge (fonction décroissante).
Les enfants classés en A (jamais deux oublis consécutifs) sont de plus en plus nombreux
avec l'âge (fonction croissante).
Le pourcentage des enfants classés en B (deux oublis mais récupération) passe par un
maximum à 3 ans et demi (fonction en U inversé). Cette fonction apparaît souvent à propos de
comportements plus élaborés que les comportements plus précoces (ici, C) mais disparaissant
avec l'âge au profit de comportements encore plus élaborés (ici, A).
On trouvera dans l'encadré 3.3 un exemple de courbes en U et de son interprétation.

ENCADRÉ 3.2

Corrélations interâges

Exemple : les interactions libres au sein de dyades dont chacune était composée d'une mère et
de son bébé ont été étudiées à la maison quand les bébés avaient 3 mois, puis lorsque ces
mêmes bébés avaient 5 mois.
La lecture des enregistrements vidéo a permis de calculer les indices listés dans la
2e colonne du tableau ci-dessous. Pour chaque indice on a calculé la corrélation entre sa fré-
quence à 3 mois et sa fréquence à 5 mois' (3' colonne).

TABLEAU 3.1. — Corrélations entre les fréquences avec lesquelles


différents comportements des bébés
et de leurs mères sont observés à 3 mois et à 5 mois

Indices r de Bravais Pearson

Bébé Durée totale du regard sur objets .27


Durée de regard sur la mère .46**
Mère Mobilisation de l'attention – .05
Dyade Soins .53**
Jeu autour d'objets .02
Jeu sans objets .07
Enfant seul .52**

Les corrélations significatives sont marquées par des petites étoiles. Par exemple sur la
ligne 2 on lit .46**, ce qui veut dire que les bébés qui regardent longtemps leur mère à 3 mois
sont aussi ceux qui regardent longtemps leur mère à 5 mois. Par contre sur la ligne 3 on
lit – .05, ce qui veut dire qu'il n'y a pas de lien entre la fréquence des mobilisations de
l'attention du bébé par la mère à 3 mois et la fréquence des mobilisations à 5 mois. Exercez-
vous à comprendre les r des 4 lignes suivantes, qui concernent les différentes activités com-
munes aux deux membres de la dyade.

1. Rappel : une corrélation est calculée sur un groupe de sujets, en mettant en correspondance les indices
individuels de la première série de données avec les indices individuels de la deuxième série. Le r de Bra-
vais Pearson varie entre – 1 (corrélation négative, les valeurs les plus élevées de la première série vont avec
les valeurs les plus faibles de la deuxième série) et + 1 (corrélation positive, les valeurs les plus élevées de la
première série vont avec les valeurs les plus élevées de la deuxième série). Si le r est statistiquement diffé-
rent de (1 (cc qui dépend de la valeur du r et du nombre de sujets sur lequel il a été calculé), on dit qu'il y
a un lien significatif, positif ou négatif, entre les deux séries de mesures. Une corrélation correspond à une
part de variance commune entre les deux séries de mesures, en général très inférieure à 100 5/0, ce qui
laisse la place pour des variations dues à d'autres facteurs.
106 I Psychologie du développement

A - MESURER LE DÉVELOPPEMENT

I - Méthode transversale et méthode longitudinale

Puisqu'il s'agit de prendre en compte ce qui se passe à différents âges, une


méthode simple consiste à examiner à une même date différents groupes d'âge : c'est la
méthode transversale (en anglais cross-sectional). On postule qu'il est équivalent d'étudier
des groupes indépendants d'âges différents à un moment T ou un seul groupe vu à dif-
férents moments Tl, T2, T3..., Tn (méthode longitudinale, cf. infra). Pour chaque
groupe, indépendant des autres, on peut calculer la moyenne et l'écart type de la
variable dépendante étudiée. On obtient ainsi la fonction développementale P =f(A) ;
si, pour un âge donné, la dispersion des performances est plus grande qu'à d'autres
âges, on peut penser qu'un changement important se produit aux alentours de cet âge
(cf. III, p. 112).
Cette méthode a l'avantage de permettre le recueil rapide de données, puisqu'on
peut observer en même temps les différents groupes. Toutefois, elle présente en même
temps un certain nombre d'inconvénients :
elle permet de fixer des repères, de situer quand se produisent des changements,
mais non d'analyser les mécanismes par lesquels se fait le changement ;
elle ne suit pas un sujet sur plusieurs niveaux d'âges, et donc ne permet pas l'étude
corrélationnelle des continuités/discontinuités ;
l'extrapolation de la fonction développementale à partir des points obtenus peut se
révéler abusive si on modifie l'écart d'âge entre les groupes (cf. encadré 3.3).

C'est pourquoi il est admis, en principe', qu'une autre méthode est préférable
pour étudier le développement : la méthode longitudinale. Dans ce cas les mêmes
sujets sont vus plusieurs fois, à différents moments de leur développement, en temps
réel. Avec un tel plan expérimental on peut effectivement évaluer la fonction dévelop-
pementale — avec les mêmes précautions que pour la méthode transversale —, et étu-
dier si un sujet donné se situe de la même façon par rapport aux autres aux diffé-
rents âges. Ainsi les chercheurs mentionnés dans l'encadré 3.3 ont complété les
recherches transversales par une recherche longitudinale, qui suit les mêmes enfants
de la naissance à 5 mois, et ils retrouvent au niveau individuel la courbe en U
moyenne.
Si la méthode longitudinale paraît bien répondre aux questions posées par la psy-
chologie du développement, elle présente aussi des inconvénients bien réels, sur des
plans très différents :

1. En principe, parce que l'approche longitudinale, très lourde à mettre en oeuvre, est assez rarement
utilisée.
Les méthodes de la psychologie du développement I 107

ENCADRÉ 3.3

Une courbe développementale peut en cacher une autre

Dans les tests de développement pour bébés, la capacité à s'orienter vers une cible auditive
latérale apparaît pendant le 5' mois (Brunet-Lézine, 1997). Des mesures faites en laboratoire,
dans une situation bien contrôlée (entre autres, sans stimulation visuelle concomitante), véri-
fient cet étalonnage : pour un groupe d'enfants de 4 mois et demi il y a rotation de la tête vers
la cible, gauche ou droite, dans plus de 90 % des essais (Muir, 1985). Les résultats obtenus
dans les mêmes conditions expérimentales avec des bébés nouveau-nés montrent des résul-
tats à peine moins bons : entre 70 et 80 % de « bonnes réponses ». À partir de ces deux grou-
pes indépendants, peut-on considérer que la capacité à s'orienter vers une cible auditive
existe déjà à la naissance, et devient plus systématique avec l'âge ? En d'autres termes, peut-
on extrapoler, à partir des deux points étudiés, un développement linéaire ?
Si l'on ajoute au plan précédent un groupe d'enfants de 2 mois, on constate une baisse
significative des performances, ce qui laisse penser qu'en fait la fonction développementale
correspond à une courbe en U. Les courbes individuelles, obtenues par une approche longitu-
dinale, vérifient ce pattern en U. On peut alors se demander si les mécanismes de réponse ne
sont pas différents à la naissance et 4 mois et demi. Les chercheurs ont observé que les répon-
ses des nouveau-nés sont lentes, sans habituation (cf. infra) cependant que les réponses des
4 mois et demi sont rapides et tendent à disparaître avec la répétition s'il n'y a pas de cible
visuelle associée à la cible auditive. Ces résultats ont mené à penser que les réponses des nou-
veau-nés seraient réflexes, et gérées au niveau sous-cortical, cependant que les réponses des
enfants plus âgés correspondraient à une recherche de l'émetteur et seraient gérées au niveau
cortical (Clifton et ai., 1984).
On voit qu'il peut être faux d'extrapoler entre deux points de la courbe développemen-
tale obtenus par la méthode transversale ou longitudinal avec des grands écarts d'âge. Un tel
résultat pose le problème difficile de l'écart d'âge entre groupes d'âge indépendants, crucial
pour le problème posé.

Sur le plan pratique, la méthode longitudinale est très lourde pour


l'expérimentateur comme pour les sujets. Les premiers doivent assurer des examens
répétés, les seconds ne pas disparaître en cours de route ; la collecte des données
peut ainsi prendre plusieurs années. De plus, il est difficile de suivre des sujets très
nombreux'.
Sur le plan théorique, l'approche longitudinale, telle que nous l'avons décrite,
confond trois variables qu'il peut être important de distinguer :
l'âge chronologique : par exemple on étudie l'évolution des capacités mnésiques
entre 70 et 90 ans ;
la date de la recherche : pour suivre le même exemple, la même mesure au même
âge n'aura pas le même sens dans les années 1970 ou après l'an 2000, sur des
cohortes* qui seront nées en 1900 ou en 1930 ;
la date des examens : le chercheur (un tantinet dans les nuages...) qui aurait fait ce
genre de mesure au moment de la canicule de 2003 aurait probablement eu des
surprises.

I. On ajoute en général que l'approche longitudinale ne permet pas un rythme de publication soutenu (puis-
qu'il faut attendre la fin de la recherche pour en rendre compte), ce qui est en général mal vu des ins-
tances évaluant l'activité des chercheurs. Mais il s'agit là d'une raison qui n'a rien de scientifique.
108 I Psychologie du développement

On peut alors recourir à des méthodes mixtes, combinant plusieurs groupes indé-
pendants qui sont chacun étudiés de manière longitudinale. Des comparaisons partielles
permettent alors d'évaluer le poids de chacune des trois variables (cf. encadré 3.4). En
particulier, un plan longitudinal simple ne permet pas d'évaluer le poids des retests
(effet d'apprentissage dû à la répétition du même test à plusieurs reprises) et, par consé-
quent, des groupes contrôle vus pour la première fois aux âges successifs de l'approche
longitudinale sont nécessaires. Par exemple on comparerait, en 2005, des enfants de
4 ans vus pour la première fois avec des enfants de 4 ans examinés à 3 ans l'année pré-
cédente ; si les performances du second groupe sont différentes de celles du premier
pour des enfants nés la même année (pas d'effet de cohorte) on peut penser que le pre-
mier examen, à 3 ans, a des effets à long terme (cf. encadré 3.5).

ENCADRÉ 3.4

Des plans mixtes, mêlant approche transversale


et approche longitudinale
(d'après Wohlwill, 1973)

Le tableau 3.2 montre des exemples de plans mixtes, permettant de contrôler les variables
âge, cohorte et date de la mesure. Dans chaque cellule du tableau, l'âge auquel sont examinés
les sujets cette année-là ; en lignes, les cohortes (année de naissance) et en colonnes l'année
de la mesure.

TABLEAU 3.2. — Exemples de plans mixtes croisant l'année de naissance


ou cohorte (en lignes),
l'année de la mesure (en colonnes) et l'âge (indiqué dans chaque cellule du tableau)

Cohorte Année de la mesure

Année de
naissance 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011

2000 ----
I "r -
2001 6

2002 3 4 5 6 7

2003 3 4 5 6

2004 3 4 5 6 '-„
----1- - - - - - - - -
2005 3 4

2006 - ----_

Dans le plan croisant la variable Âge avec la variable Cohorte (parallélogramme horizon-
tal, en pointillés) le plan longitudinal classique est répété sur 3 cohortes différentes. Ce plan
donne des indications sur les différences entre âges (groupes indépendants) et les change-
ments avec l'âge (aspect longitudinal) ; il suppose qu'il n'y a pas d'effet de l'année de mesure.
C'est le plan le plus exigeant (sept ans de collecte des données l).
Dans le plan croisant la variable Âge avec la variable Année de mesure (parallélo-
gramme vertical, en traitillés) on a un plan transversal classique (5 groupes d'âge indépen-
Les méthodes de la psychologie du développement I 109

dants vus chaque année), reproduit 3 fois (en 2007,2008 et 20091. Il permet d'étudier les diffé-
rences entre âges (groupes indépendants) et les changements avec l'âge (aspect
longitudinal) ; il suppose qu'il n'y a pas d'effet de la cohorte. C'est le plan le plus économique
(relativement !).
Avec le plan croisant la variable Année de la mesure (3 mesures) avec la variable
Cohorte (3 mesures) (rectangle en trait plein) on a des informations sur ces deux variables et
on suppose qu'il n'y a pas d'effet d'âge.
On mesure l'ampleur du travail. Le choix du plan dépendra de la question posée. Par
exemple on n'a guère de raisons théoriques de penser que le développement sensori-moteur
varie selon les cohortes, et on peut alors ne pas prendre ce facteur en considération. Par
contre si l'on étudie les attitudes des adolescents envers la sexualité avec un seul plan longitu-
dinal, les résultats peuvent varier selon les cohortes considérées.
Le point important ici, c'est qu'il ne faut pas « oublier » des variables qui pourraient se
révéler cruciales après coup, lorsque les données auront été collectées, et que donc il sera trop
tard pour modifier le plan d'expérience.

ENCADRÉ 3.5

Approche longitudinale et retest

L'effet de retest est peut-être plus puissant qu'on ne l'imagine, comme le montre un résultat
inattendu de Perris et al. (1990). Pour une recherche portant sur la localisation auditive
entre 18 et 30 mois, ces auteurs ont réexaminé des bébés déjà observés à 6 mois et demi, ainsi
que des bébés « naïfs », qui n'étaient jamais venus au laboratoire. Les deux sous-groupes se
sont révélés très différents : les bébés expérimentés ont donné plus de réponses exactes, et
n'avaient pas besoin de consignes ! Dans la mesure où il n'est pas facile de recruter des bébés
expérimentaux, il est tentant de faire appel à ceux qui ont déjà participé à une expérimenta-
tion, dont on sait qu'ils sont d'accord sur le principe de la participation. Mais les résultats de
Perris et al. montrent que les bébés ont plus de mémoire qu'on ne le croit d'ordinaire.

Certes, la méthode longitudinale permet à la fois de suivre la fonction développe-


mentale et la stabilité du classement des sujets dans le groupe du point de vue étudié.
De multiples méthodes d'analyse des données ont été développées, et informatisées, qui
permettent de tester des modèles de développement. Par exemple l'étude des corréla-
tions interâges peut mener à l'établissement de pistes causales (cf. Grand Dictionnaire
Larousse de la psychologie, 1999). Mais ces traitements sont d'un abord assez difficile. Ce
qu'on veut souligner ici, c'est qu'il ne suffit pas de se lancer dans un plan expérimental,
encore faut-il prévoir dès le début les traitements qu'il permettra.
Le temps n'est plus des études longitudinales aventureuses (comme la New York Lon-
gitudinal Study, commencée en 1956, et qui continue encore), mais on peut penser que des
études longitudinales bien ciblées et courtes par exemple sur les très jeunes enfants, dont
le développement est rapide — peuvent être menées à moindre coût (à condition de ne pas
oublier que les bébés ont une mémoire). Ce disant, on rejoint le problème, soulevé à pro-
pos de la méthode transversale, de l'écart entre les examens : sur quels critères décide-t-on
des âges à examiner ? On verra plus loin (cf. III, p. 112) comment cette question théorique
amène à étudier le développement différemment. Mais auparavant un détour par Piaget
nous permettra de mieux évaluer les enjeux du problème.
110 I Psychologie du développement

Il - La méthode critique piagétienne

Piaget, on le sait (cf. chap. 2, I) n'était pas un expérimentaliste pur et dur. À la


sécurité (peut-être illusoire) d'un plan d'expérience, il préférait la souplesse d'un interro-
gatoire visant à expliciter les comportements et les verbalisations des enfants. Quand
Piaget commence ses recherches personnelles, dans les années 1920, il a d'une part
l'expérience des entretiens avec des malades (vus à l'hôpital Sainte-Anne dans le service
de Dumas) et d'autre part l'expérience des tests avec des enfants (dans le laboratoire de
Binet et Simon). D'emblée la méthode des tests, dont les consignes doivent être soi-
gneusement suivies pour que le sujet examiné se trouve bien dans la même situation
que les sujets de l'étalonnage, ne le satisfait pas. Il adopte alors une méthode qui, dans
un premier temps, sera dénommée « méthode clinique ».
Clinique, cette méthode l'est bien en ce qu'elle considère des cas individuels — et
une grande part des livres de Piaget est consacrée à la description des entretiens avec
les enfants que lui ou ses collaborateurs ont examinés (cf. encadré 3.6) : « L'examen cli-
nique participe de l'expérience en ce sens que le clinicien se pose des problèmes, fait
des hypothèses, fait varier les conditions en jeu, et enfin contrôle chacune des ses hypo-
thèses au contact des réactions provoquées par la conversation. Mais l'examen clinique
participe aussi de l'observation directe, en ce sens que le bon clinicien se laisse diriger
tout en dirigeant, et qu'il tient compte de tout le contexte mental au lieu d'être victime
"d'erreurs systématiques" comme c'est souvent le cas du pur expérimentateur » (Piaget,
1926 (in Bang, 1966, p. 71)). Pourtant, le but de cette méthode est très différent de celui
de l'approche clinique classique : il ne s'agit pas d'étudier un sujet dans sa totalité, mais
de réveiller le sujet épistémique (cf. chap. 2, I) qui somnole en chacun de nous. Adaptés
à chaque enfant, ces entretiens sont destinés à induire « le maximum possible de prise
de conscience et de formulations de ses propres attitudes mentales » (Piaget, 1947, p. 7).
Mais c'est bien Piaget qui propose le thème de l'entretien, pose les questions qui sont
pertinentes pour lui, fournissant suggestions et contre-suggestions. On peut remarquer
qu'il ne dit rien de sa relation à l'enfant, et ne commente pas une situation qui est
pourtant à l'évidence sociale. Vingt ans après avoir parlé de méthode clinique, Piaget
préférera le terme de méthode critique, moins ambigu.

ENCADRÉ 3.6

Exemple d'entretien clinique de Piaget

Pour étudier la connaissance que les enfants ont de la notion d'ordre linéaire, Piaget et Inhel-
der (1948, chap. III) leur proposent 2 « cordes à linge » et des « pièces de lessive » en papier,
en doubles exemplaires. Ils donnent comme exemples les scripts suivants :
Eli (3;7) connaît tous les noms des linges et en suspend lui-même sept à côté l'un de
l'autre. Prié de copier son propre modèle sur la corde inférieure et en regard, il replace tous les
mêmes éléments (7 sur un choix de 12) mais sans aucun ordre. « C'est tout à fait juste ? - Oui
- Il n'y a rien à changer ? - Non. - La robe est à côté de la chemise sur cette corde (modèle) ?
- Oui - Et ici ? - Non. [...] Alors essaie de faire comme tu as fait ici. » Eli recommence, mais à
Les méthodes de la psychologie du développement I 111

nouveau sans ordre, un seul voisinage est respecté, mais fortuitement (p. 106). Une contre-
suggestion, « un autre enfant m'a dit tout à l'heure que ça n'était pas pareil, parce que les
habits n'étaient pas à côté pareil » est sans effet.
Lil (5;4). On essaie d'emblée avec un décalage sur la droite (des deux cordes) : Lil réus-
sit AB mais ne peut continuer. On met la corde inférieure sous la corde supérieure : réussite de
l'ordre avec oubli du 6° élément sur 7, puis correction en suivant du doigt terme à terme. Nou-
veaux essais avec décalage de la seconde corde vers la droite : d'abord ADCE, puis repousse E
sur la droite et donne ABCFE... (p. 112).
On constate que :
— même si l'enfant est mis en présence d'un matériel concret, les échanges entre
l'expérimentateur et l'enfant sont essentiellement verbaux, et Eli se borne à des réponses
monosyllabiques. Les verbalisations ne sont pas retranscrites pour Lil, et on ne sait pas si
c'est l'enfant lui-même qui met en oeuvre le terme à terme, ou s'il le fait sur suggestion ;
— l'accent est mis sur la rationalité de la pensée de l'enfant, et l'intérêt pragmatique des situa-
tions étudiées n'est pas considéré, même si cela peut amener à des erreurs. Ainsi un enfant
de 5 ans persiste, malgré toutes les suggestions, à disposer au hasard les pièces de lessive,
sans aucune tentative de reproduire l'ordre proposé par l'expérimentateur ; et il finit par
expliquer, avec une certaine condescendance : « Tu sais, on peut les mettre n'importe com-
ment, ils sécheront I » ;
— signalons que la psychologie sociale du développement cognitif (Doise & Mugny, 1981),
née de la problématique constructiviste piagétienne, considère les variables sociales
comme aussi importantes que les variables individuelles.

Si, dans un premier temps, Piaget utilise principalement les verbalisations des
enfants, il est vite amené, précisément pour poser à l'enfant les problèmes qui
l'intéressent lui, à « instituer quelques petites expériences de physique » utilisant un
matériel concret : des boules de pâte à modeler, des baguettes de différentes longueurs,
des oeufs et des coquetiers, etc. Assurément les études qu'il a menées sur ses propres
enfants lorsqu'ils étaient bébés ne pouvaient utiliser le langage, mais ses « observa-
tions », quelquefois issues de remarques fortuites, sont déjà le plus souvent soigneuse-
ment planifiées, conduites comme de véritables expériences avec hypothèse explicite,
variation systématique des conditions, etc. « ... l'étude de la pensée verbale fournit l'un
des aspects seulement du problème de la construction des structures logiques... Nous
avons donc totalement renoncé à la méthode de pure et simple conversation à la suite
de nos recherches sur les deux premières années du développement, pour adopter une
méthode mixte... Au lieu d'analyser d'abord les opérations symboliques de la pensée,
nous partirons d'opérations effectives et concrètes : de l'action elle-même » (1947, p. 7).
La méthode est critique en ceci que les affirmations du sujet sont systématiquement
mises en question, non pour mesurer la solidité de ses convictions, mais pour saisir son
activité logique profonde, la structure caractéristique d'un stade de développement.
On peut remarquer que, dans ses principaux ouvrages, Piaget ne tire pas parti de
la méthode longitudinale (même lorsqu'il observe ses propres enfants jour après jour), et
propose en fait des observations transversales. Pourquoi, dès lors, lui consacrer une
rubrique spéciale ? Deux raisons à cela : d'une part, la méthode utilisée est fondée sur
une théorie très structurée, qui justifie la méthodologie choisie ; d'autre part, elle préfi-
gure une approche plus récente, la méthode microgénétique, qu'on détaillera plus loin
(cf. III, p. 112).
112 I Psychologie du développement

On a vu (cf. chap. 2, I) que Piaget propose une théorie du développement cognitif


caractérisée par l'existence de stades (sensori-moteur, intuitif, formel) dans lesquels on
peut distinguer des sous-stades. Ce que Piaget recherche, grâce à sa méthode critique,
ce sont des exemples qui vérifient cette cohérence logique. À examiner comment les
exemples sont présentés, sous un titre annonçant à quel stade ou sous-stade ils corres-
pondent, on voit que c'est bien en termes de réussite ou d'échec qu'il les analyse. Ceci
pose le problème, que nous avons éludé jusqu'à présent, de la transition entre stades. Si
c'est bien le changement qu'on veut étudier il ne suffit pas de situer des périodes de
relatif équilibre, mais il faut également examiner le pourquoi et le comment des chan-
gements ; Piaget, on le sait, n'a pas sous-estimé le problème, et fait appel aux mécanis-
mes généraux de l'assimilation et de l'accommodation. Mais c'est bien de ses analyses
fouillées qu'est issu le courant actuel qui tend à se focaliser sur les transitions et à consi-
dérer que l'enfant est en perpétuel changement.

III - La méthode microgénétique

Nous avons plusieurs fois fait allusion à la difficulté à saisir les mécanismes du
changement avec l'âge, et au problème qui en découle des écarts temporels entre âges
étudiés. Siegler (2000), entre autres auteurs, suggère que la majorité des recherches en
psychologie développementale ne font qu'inférer* la manière dont un changement s'est
produit, en comparant les comportements avant et après le changement. De manière
plus ou moins explicite les théories du développement par stades envisagent des pério-
des de relative stabilité, caractérisées par une manière de penser, et séparées par des
reconfigurations rapides insaisissables. Pour Siegler, ces postulats à la base des métho-
des transversales et longitudinales sont contestables : l'enfant est tout le temps en chan-
gement, dans un domaine ou un autre, il utilise souvent plusieurs stratégies pour
résoudre un problème, et les changements qui apparaissent à l'échelle d'un examen
approfondi ne sont qualitativement pas différents des changements sur de plus grandes
échelles de temps. En conséquence, il faut étudier le changement au moment où il se
produit, pour répondre à cinq questions le concernant :
— Dans quelle direction se fait le changement : quand un enfant commence-t-il à
utiliser une nouvelle stratégie ? Les stratégies brièvement utilisées pendant les périodes
de transition apparaissent-elles peu de temps avant la nouvelle stratégie ? La nouvelle
stratégie remplace-t-elle une méthode particulière antérieurement utilisée ou contribue-
t-elle à abaisser le pourcentage d'emploi de toutes les autres méthodes ?
— Quelle est la vitesse du changement ? Par exemple, à quelle vitesse une nouvelle
stratégie finit-elle par être régulièrement utilisée après l'avoir été une première fois ?
Quelle est l'ampleur du changement ? Par exemple, lorsqu'un enfant acquiert
une nouvelle stratégie, l'applique-t-il immédiatement à tous les problèmes sur lesquels
elle paraît applicable ?
— Quelle est la variabilité des patrons individuels de changement ?
— Quelles sont les sources du changement ?
Les méthodes de la psychologie du développement I 113

Pour répondre à ces questions, Siegler propose la méthode dite microgénétique,


qui présente trois caractéristiques :
les observations des mêmes enfants ont lieu pendant des périodes de changements
rapides, depuis leur début jusqu'à leur achèvement ;
— la densité des observations est élevée par rapport au rythme de changement du phé-
nomène étudié ;
les données sont d'abord analysées au niveau individuel, essai par essai, au niveau
qualitatif aussi bien que quantitatif.

Pour expliciter ces différents points on présentera deux exemples. Le premier


(cf. encadré 3.7) est particulièrement démonstratif du point de vue de l'analyse des
données : ce n'est pas le fait qu'à la fin de l'activité les enfants réussissent qui importe,
mais l'éventuelle maîtrise des différentes étapes, et les deux sujets présentés en exemple
montrent bien l'intérêt d'une analyse pas à pas. Par contre il n'y a pas d'étude à plus
long terme qu'une observation (et on peut se demander comment l'un et l'autre sujet
auraient ultérieurement évolué). De plus, deux cas seulement, certes exemplaires, sont
présentés, mais il ne faudrait pas en conclure que la méthode microgénétique se limite
à des études de cas.

ENCADRÉ 3.7

La construction de l'autocontrôle de l'activité

Wertsch & Hickmann (1987) étudient comment se construit chez le jeune enfant l'autocontrôle
de l'activité. Dans cette intention, ils proposent à des dyades mère-enfant une situation de
puzzle : pour construire un camion d'après un modèle (cf. fig. 3.2) il faut poser les pièces cons-
tituant le véhicule (ce qui est relativement facile aux âges étudiés) et la cargaison, constituée
de triangles associés en 6 carrés (ce qui est nettement plus difficile, d'autant plus que des piè-
ces inutiles, d'autres couleurs, sont aussi proposées).
••
1
violet •e
♦♦ 3
blanc

,r.
•••
5
noir
et
. oet

er
e ♦ .
e
e

♦•
te
■ II
2 ' 4 ♦ 6
• s

• •
7
jaune

♦♦
• 9
bleu

• /
♦ ♦ 11
orange /

♦ ♦
♦• e •
e
••

et ♦ t
e

♦♦ 8 ♦♦ 9 .♦ 10

2r5
.— /TT\

FIG. 3.2. — La tâche de Wertsch et Hickmann


114 I Psychologie du développement

Les dyades organisent leur activité à leur convenance. Pour chaque carré la difficulté est
de bien poser le premier triangle (triangles 1, 3, 5, 7, 9 et 11), et cette pose implique 6 étapes
stratégiques. Pour chaque étape on décide, en regardant les vidéos, qui de la mère (M) ou de
l'enfant (E), ou des deux (ME), a initié le contrôle (avec des critères très précis que nous ne
détaillerons pas ici). Les tableaux ci-dessous synthétisent les résultats pour deux enfants.

TABLEAU 3.3. — Répartition, entre la mère et l'enfant, du contrôle


du comportement dans la construction d'un puzzle,
avec un garçon de 3 ans et demi (tableau 3.3a)
et avec une fille de 4 ans et demi (tableau 3.3 b)

3 . 3 a : Garçon de 3 ans 1/2 Contrôle de l'étape pour chacun des carrés

Étapes stratégiques 1 3 5 7 9 11

1 Regarder le modèle M M E M M M
2 Regarder la pièce-modèle M M E M M M
3 Choisir une pièce E E E M M M
4 Regarder la copie M M E M M E
5 Regarder la place de la pièce M M ME M M ME
6 Mettre la pièce à sa place E ME E ME ME ME

3 . 3 b : Fille de 4 ans 1/2 Contrôle de l'étape pour chacun des carrés

Étapes stratégiques 1 3 5 7 9 11

1 Regarder le modèle M M M M E E
2 Regarder la pièce-modèle M M ME ME ME E
3 Choisir une pièce M M E E E E
4 Regarder la copie M M E E E E
5 Regarder la place de la pièce M M E ME E E
6 Mettre la pièce à sa place E E E ME E E

Les deux dyades arrivent au même résultat (réussite complète) mais par des moyens
très différents : pour l'enfant le plus âgé on voit le contrôle passer progressivement de la mère
à l'enfant, qui réalise entièrement seule le triangle 11. Par contre pour le plus jeune enfant on
n'observe pas de transition d'un contrôle exogène (la mère) vers un autocontrôle.
Cette recherche, qui étudie le passage de la régulation interpsychologique à la régulation
intrapsychologique, est un bel exemple de la théorie de Vygotsky (cf. chap. 2, II).

Le second exemple (cf. encadré 3.8), qui concerne la conservation du nombre, est
beaucoup plus complet : il comprend unc phase de prétest, sans feedback, pour sélec-
tionner des enfants « non conservants » et une phase d'apprentissage durant deux
semaines dans 3 conditions possibles, chaque groupe comprenant 15 enfants. Il est inté-
ressant de noter que dans l'exposé de la procédure il est précisé que l'expérimentateur
est une expérimentatrice de 42 ans, ce qui sous-entend que l'aspect relationnel de la
situation est pris en compte. Les réponses des enfants sont analysées au niveau du
groupe, et au niveau individuel, en ce qui concerne les réussites, les échecs et leurs
justifications.
Les méthodes de la psychologie du développement I 115

On voit qu'il ne s'agit en rien d'une méthode approximative. Chaque étape est
mûrement pesée. Cependant que Piaget acceptait un type de réponse et ses justifica-
tions, Siegler propose à chaque enfant toutes les solutions possibles et recherche des
patterns de réponses, et leur évolution au cours de séances successives. Les justifications
sont systématiquement demandées, et codées de manière univoque. Cette planification
minutieuse de l'expérience repose sur tout ce qui a été acquis auparavant par les cher-
cheurs, et va plus loin en étudiant réellement les changements.

ENCADRÉ 3.8

La conservation du nombre (Siegler, 1995)

Siegler reprend la situation piagétienne dite des oeufs et des coquetiers: deux rangées de
jetons comportent, au départ, un nombre égal de jetons, puis on fait subir une transformation
à une rangée, et on demande à l'enfant s'il y a ou non le même nombre de jetons dans les
deux rangées.
La procédure présente les caractéristiques suivantes :
1 / Conformément à la théorie du développement microgénétique, qui considère qu'à un
moment donné les enfants disposent de différentes règles de résolution de tels problèmes,
divers types de transformations sont proposés, indiqués dans le tableau 3.4.

TABLEAU 3.4. — Les différents types de transformations opérés


sur les configurations de jetons à comparer

Type de problème Configuration initiale Opération Configuration finale

1. Égalité 0000 Aller et retour 0000


• • • • • • • •

2. Longueur 0 0 0 0 Ajouter ou soustraire 00000


• • • • • • • •

3. Densité 0000 Ajouter ou soustraire OOO


• • • • • • • •

4. Conflit-longueur 0 0 0 0 Ajouter ou soustraire OOO


• • • • • • • •

5. Conflit-densité 0000 Ajouter ou soustraire 00000


• • • • • • • •

6. Conflit-égalité 0 0 0 0 Allonger ou raccourcir 0 0 0 0


• • • • • • • •

On voit que selon les règles que les enfants se donnent, ils accepteront ou non l'égalité
pour chaque type de problème. À chaque séance on présente à l'enfant 12 problèmes, deux de
chaque type.
2 / Une première phase de prétest comprend 4 séances et permet de sélectionner, dans
un groupe de 97 enfants entre 4 ans et demi et 6 ans, les 45 enfants qui ne réussissent pas
(avec un critère précis).
3 / Les 45 enfants sont partagés en trois groupes pour la phase d'apprentissage, qui
comprend 4 séances :
— A : Pour le premier groupe, après chaque problème on indique à l'enfant si sa réponse est
juste ou non (feedback).
116 I Psychologie du développement

— B : Pour le second groupe, après feedback, on demande à l'enfant d'expliciter sa propre


réponse.
— C: Pour le troisième groupe on demande à l'enfant de justifier le feedback de
l'expérimentateur.
4/On voit qu'au niveau des groupes, les résultats peuvent être traités par une analyse
de variance classique avec le groupe et les différentes étapes comme variables indépen-
dantes. La figure 3.3 illustre un des tout premiers résultats de groupe : ce sont les enfants à
qui on a demandé d'expliquer le feedback de l'expérimentateur qui progressent le plus.

100 -
—0— Feed back
-■ Expliquer le raisonnement de l'expérimentation
-

Expliquer son propre raisonnement


Pourcentage de réponses correctes

80 -

- -
u
)11- -
I
60 - ■

40 -

20 -

0
PRETEST 1 3 4

SESSION

FIG. 3.3. — Pourcentages de réponses correctes lors du prétest


et des sessions-test selon le type de feedback (Siegler, 1995)

Mais des analyses sont également faites au niveau individuel, pour observer la dyna-
mique du changement ; elles montrent, entre autres, la variabilité des stratégies utilisées au
prétest, et le lien entre cette variabilité et les changements de stratégies induits par les diffé-
rents feedback.

Même si elles se déroulent sur des semaines plutôt que sur des années (comme la
plupart des études longitudinales), de telles expérimentations sont lourdes, et encore
relativement rares. Il semble pourtant que le jeu en vaille la chandelle, parce qu'elles
fournissent des données originales sur le développement. Une telle approche peut être
utilisée dans de nombreux domaines (Bassano et Van Geert, 2006 ; Granott et Parziale,
2002). Une dernière remarque : que penseraient des cliniciens de cette méthode ? Peut-
on espérer, après des dizaines d'années de séparation, que des cliniciens et des expéri-
mentalistes partagent les mêmes préoccupations ?
Les méthodes de la psychologie du développement I 117

I V - Conclusion

De ce survol des méthodes d'étude en psychologie du développement ressortent


trois points très importants.
Tout d'abord, une méthode repose sur une théorie. Toute recherche doit donc
s'inscrire dans une théorie explicite du développement. On est passé, dans ce chapitre,
de théories très floues et générales à des théories plus locales mais plus précises. En
même temps, on a vu qu'une approche du changement bénéficie de tous les repères
acquis par les recherches précédentes, éventuellement anciennes. Il n'est pas difficile
d'obtenir expérimentalement une fonction développementale croissante, il est beaucoup
plus difficile de comprendre ce qu'elle signifie.
Ensuite quand on prévoit une expérimentation il faut en envisager dès le début les
différentes étapes, qui ne sont pas indépendantes les unes des autres. Ainsi le traitement
des données est conditionné par le plan d'expérience, et c'est avant leur collecte qu'il
faut être au clair sur le traitement qu'on leur appliquera.
Enfin, une situation expérimentale est une situation d'interaction, même si
l'expérimentateur s'efforce d'intervenir au minimum. La question d'un jeune homme de
6 ans lors d'une recherche à l'école « T'es qui, toi ? » devrait pousser les expérimenta-
teurs à ne pas minimiser cet aspect. Nous allons voir, dans le chapitre suivant, que même
les tout-petits, à leur façon, posent cette question, et se conduisent en conséquence.

B - ÉTUDIER LE DÉVELOPPEMENT AVANT 3 ANS

À de rares exceptions près, les recherches expérimentales sur les jeunes enfants
sont apparues relativement tardivement, dans les années 1960. Auparavant c'est au tra-
vers d'observations de cas isolés qu'on a étudié cette population (cf. ci-dessus, Piaget). Il
est habituel de considérer que des progrès techniques, comme l'apparition de la vidéo,
ont joué un rôle important dans ce développement : la possibilité de revenir autant de
fois que nécessaire sur une observation permet de pallier l'éventuelle subjectivité d'une
observation unique. Cependant, le poids d'autres facteurs ne doit pas être minimisé : la
baisse de la mortalité infantile, la maîtrise de la conception ont modifié les théories
explicites et implicites qu'on avait des bébés (cf. chap. 1). En particulier, on a mis en
doute l'idée que l'environnement a peu de prise sur le développement du bébé et que le
développement dépend principalement de la maturation. Quand Fantz, en 1958,
montre que certaines conduites du nourrisson — en l'occurrence, le comportement
visuel — n'apparaissent pas au hasard et obéissent à des règles précises, les bases de la
psychologie expérimentale du bébé sont jetées.
Cependant la mise en oeuvre d'une procédure expérimentale chez de très jeunes
sujets pose des problèmes difficiles : le recours à une consigne, précisant ce qu'on
demande à l'enfant, est exclu. On va aménager la situation de manière à maximiser les
118 I Psychologie du développement

chances d'apparition des comportements qu'on veut observer, par exemple placer le
bébé dans une semi-obscurité cependant que le champ visuel à explorer est très lumi-
neux. L'expérience montre que cela n'empêche pas forcément le bébé de s'intéresser
aux pompons de ses chaussons. On peut alors imaginer de masquer le bas du corps du
bébé, et ses mains, par une bavette (cf. infra, p. 131-132) : mais à partir de 4-5 mois, en
fonction du développement de la coordination visuo-manuelle, les bébés expriment
énergiquement leur désaccord avec cette situation étrange... Bref, le contrôle des varia-
bles indépendantes demande souvent des trésors d'ingéniosité, et surtout un sens cri-
tique très aiguisé, pour être sûr que des variables autres que celles qu'on veut étudier
ont un poids sinon négligeable, du moins connu (cf. encadré 3.9).
Un certain nombre de paradigmes expérimentaux sont maintenant devenus classi-
ques, que nous détaillerons plus loin. Mais nous examinerons d'abord un problème plus
général : quels comportements des jeunes enfants peuvent être considérés comme des
réponses aux modifications expérimentales de l'environnement ?

ENCADRÉ 3.9

Des variables parasites qu'on ne peut éliminer


et dont il faut tenir compte

Un exemple classique concerne le niveau de vigilance des bébés. Ainsi pour mener des études
sur des nouveau-nés il faudra saisir les moments, relativement rares, où ils sont éveillés, mais
où ils ne pleurent pas. Même si ce problème devient moins aigu quand le bébé grandit, sa
solution n'est pas évidente. S'il est relativement facile de distinguer entre veille et sommeil, il
est plus difficile de distinguer, si l'on n'a pas les moyens d'apprécier l'état tonique de l'enfant,
entre veille calme et veille active (Brazelton, 1973). On voit sur cet exemple qu'un chercheur en
« bébologie » ne peut pas être spécialiste d'un domaine particulier, mais doit tenir compte du
bébé comme une unité fonctionnelle.
Un autre exemple concerne la posture. Dans la plupart des études sur l'activité visuelle
on installe les bébés dans un siège auto, en sorte que, selon les canons de la bonne expéri-
mentation, « toutes choses soient égales par ailleurs ». Mais cette posture semi-redressée ne
demande pas le même effort pour des bébés de 3 mois et des bébés de 5 mois. On peut alors
décider de laisser la mère réguler cette posture en tenant le bébé sur les genoux, mais en
toute rigueur on ne peut pas comparer les résultats obtenus avec le siège auto et les genoux
maternels...

I - Le répertoire des réponses

Trois aspects des comportements des bébés semblent empêcher d'utiliser le para-
digme classique stimulus —> réponse : le nombre de réponses différentes paraît, au pre-
mier abord, extrêmement restreint et simultanément, ces réponses sont peu différen-
ciées ; enfin, il est difficile d'évaluer dans quelle mesure ces comportements sont
contrôlées par le bébé, voire volontaires. L'avancée des recherches a montré qu'en fait
les réponses possibles sont plus nombreuses et plus différenciées qu'il y paraît. Quant au
niveau de fonctionnement cognitif qu'elles impliquent, il fait actuellement l'objet de
débats théoriques intenses (Lécuyer, 2004).
À la naissance, deux comportements sont fonctionnels, même si leur développement
n'est pas achevé : la succion et l'activité oculaire. La notion de « réflexe de succion » a
Les méthodes de la psychologie du développement I 119

disparu avec les travaux qui montrent les modulations possibles de ce comportement.
Ces modulations peuvent prendre deux formes. D'une part l'activité de succion est sus-
ceptible de conditionnement (cf. infra, p. 133-136) : de très jolies recherches sur la percep-
tion des sons de parole chez les nouveau-nés utilisent l'intensité de la succion non nutri-
tive, et son évolution dans le temps, en fonction des sons proposés, ce qui amène à
conclure que les bébés discriminent la voix de leur mère, ou des mélodies auxquelles ils
ont été familiarisés in utero. D'autre part, les nouveau-nés ne réagissent pas de la même
façon à un contact péribuccal d'origine externe (le doigt de l'expérimentateur, ou la
tétine) et d'origine interne (la main du bébé). Tout se passe comme si une certaine dis-
tinction entre soi et le monde extérieur existait très précocement (cf. chap. 5, I).
S'agissant de l'activité oculaire, on sait que même si l'acuité visuelle et l'accommodation
sont loin d'avoir atteint leur niveau adulte à la naissance, le regard est attiré par des
contrastes ; ainsi en proposant des trames (alternances de barres sombres et de barres
claires) de fréquence spatiale variable (autrement dit plus ou moins fines) on peut évaluer
précisément l'acuité visuelle. L'activité visuelle est exercée dès la naissance, avec une
grande fréquence, et on peut rechercher comment elle s'organise, spatialement et tempo-
rellement, en fonction de stimulus divers. De plus elle porte certes sur des objets, mais
également sur des personnes, et le contact oeil à oeil est un indice précoce de l'interaction
adulte-enfant. Nous verrons plus loin des exemples d'utilisation de cet indice.
Si le contrôle de l'activité motrice de la tête et de la main est difficile pendant les
premiers mois, du fait de l'hypotonie* de l'axe du corps et de l'hypertonie* des mem-
bres, il est acquis au cours des 5-6 premiers mois. On a vu (cf. encadré 3.3) qu'en four-
nissant au nouveau-né un soutien adéquat de la tête l'orientation vers une cible auditive
latérale est possible. Les études sur le développement de la préhension, extrêmement
nombreuses, montrent comment la main devient un outil de connaissance, et comment
les manipulations deviennent de plus en plus fines et différenciées. Plus tard, la locomo-
tion autonome permet de mettre en évidence la perception de la profondeur. Signalons
enfin que si on ne peut pas attendre des réponses verbales d'un nourrisson — et le terme
anglais infant, issu du latin infans, exprime précisément cette incapacité — l'examen
attentif d'une interaction mère-bébé montre que les vocalisations du bébé alternent
avec les verbalisations maternelles, constituant ainsi une véritable protoconversation.
On voit, sur ces quelques exemples, non exhaustifs, que l'expérimentateur n'est
pas aussi démuni qu'il peut sembler au premier abord et qu'il est passionnant de
découvrir, au-delà d'une apparente inorganisation, les règles de fonctionnement des
bébés. Il ne s'agit pas, bien évidemment, d'entrer dans le détail de toutes les procédures
utilisées : sur les quatre exemples que nous allons considérer, nous voudrions
qu'apparaissent les principales difficultés qui peuvent être rencontrées en expérimen-
tant' sur les bébés, et les moyens d'y remédier. Tout d'abord, peut-on réellement
dépasser le stade de l'observation, fût-elle armée' ?

1. Un mot à ne pas prononcer devant les parents, étant donné ses connotations intrusives. On parlera tou-
jours d'observation. Si l'on envisage d'utiliser des techniques électrophysiologiques (rythme cardiaque,
potentiels évoqués), les choses se compliquent... Nous ne détaillons pas ici les aspects déontologiques de
l'étude des jeunes enfants, dont l'importance est évidente.
2. Terme consacré pour désigner les situations aménagées par l'expérimentateur (cf ci-dessus, Piaget), sans
aucune connotation militariste, sinon dans l'inconscient des chercheurs.
120 I Psychologie du développement

Il - L'observation

On a vu plus haut que Piaget a observé ses propres enfants quand ils étaient bébés
mais que, ce faisant, il leur proposait des petits problèmes correspondant à ses hypo-
thèses : par exemple il attache une ficelle au jouet suspendu au berceau, pour examiner
quels schèmes d'action l'enfant va mettre en oeuvre pour éventuellement saisir le jouet.
Sur cet exemple on voit que la limite est floue entre observation et expérimentation.
Toutes deux supposent des hypothèses et impliquent une intervention. Tous les cher-
cheurs ne seraient sans doute pas d'accord sur ce point : dans certaines perspectives cli-
niques on insiste sur la nécessité que l'observateur soit naïf et ne se laisse pas influencer
par des présupposés. Pour nous, cette position n'est pas tenable, tout observateur mène
son observation avec un but, qui ne peut que gagner à être explicité. De même, la
simple présence d'un observateur, même s'il n'intervient pas, n'échappe pas à l'enfant,
et peut modifier son comportement (cf. encadré 3. 10).

ENCADRÉ 3.10

L'expérimentateur est toujours présent

Dans une recherche sur la catégorisation à 13 et 16 mois, on proposait à l'exploration des


enfants, une à une, des petites figurines en plastique (animaux, véhicules, etc., cf. chap. 4, III).
La situation a été filmée et on a ultérieurement recherché dans ces vidéos la présence de com-
portements sociaux de la part de l'enfant. Non seulement les enfants regardaient leur mère et
l'expérimentateur pendant un cinquième du temps, ce qui n'est pas négligeable, mais encore
bien souvent ils tentaient de les enrôler dans un jeu d'échanges et de taquinerie. Peut-on, dans
ces conditions, considérer exclusivement les temps de regard à l'objet ?
Dans une autre recherche sur l'attention chez des enfants d'âge préscolaire (cf. enca-
dré 3.1) on a également filmé les enfants pendant qu'ils regardaient des images pour détecter
l'apparition du chat. Même les plus jeunes enfants (3 ans) concentrent leur attention sur la
tâche, mais après chaque réponse ils se tournent vers l'expérimentateur pour quêter son
approbation, ce qui détourne leur attention de la tâche. Là encore peut-on « oublier » ces com-
portements ?

Nous considérons donc qu'aucune observation n'est neutre, ni ne « décrit » sans


une part d'interprétation. L'éthologie humaine, qui a tenté d'établir des catalogues de
tous les « comportements unités » sans poser de questions, a échoué : toute observation
est guidée par une question, qui justifie la prise en compte d'un nombre limité de com-
portements précis. Certes il n'est pas facile de sélectionner les comportements perti-
nents : si, par exemple, on veut étudier les interactions mère-enfant, faut-il limiter les
observations aux moments où les deux membres de la dyade sont ensemble, ou tenir
compte de ce que l'enfant peut rester seul ?
Supposons donc que nous avons défini une question précise, en fonction de l'état
de la littérature, par exemple : comment changent avec l'âge les stimulations mater-
Les méthodes de la psychologie du développement I 121

nelles envers un bébé' ? Nous décidons d'observer des bébés de 3, 5 et 8 mois à la mai-
son, pendant une heure où ils sont éveillés. Que nous utilisions ou non la vidéo 2 , il nous
faut définir strictement, avant la collecte des données, les comportements qui seront
étudiés. Cela est évident lors d'une observation directe (cf. Clarke-Stewart, 1973), où
l'observateur a déjà fort à faire pour remplir les cases prévues (cf. encadré 3.11) ; mais
c'est tout aussi évident lorsque l'observation est filmée : la prise de vue dépend de ce
qu'on veut pouvoir évaluer. Dans notre exemple, il faut à la fois des plans larges pour
filmer la mère et le bébé, et des plans serrés pour saisir l'expression émotionnelle des
bébés. C'est dire qu'il ne s'agit pas de planter la caméra et de lui faire confiance. Celui
qui filme doit savoir quoi filmer, et pouvoir décider que faire en cas d'exigences contra-
dictoires. Si l'on n'a pas prévu de tenir compte de la présence de la mère avant de fil-
mer, on n'arrivera pas à décider valablement, a posteriori, quand elle est là et quand elle
est absente.

ENCADRÉ 3.11

Une grille d'observation de l'interaction mère-enfant

Les différents comportements prévus dans la grille sont donnés dans la colonne 1 du
tableau 3.5. Après chaque échantillon temporel de 30 secondes on utilise les 30 secondes sui-
vantes pour mettre des croix dans les cases correspondant aux comportements effectivement
observés.

TABLEAU 3.5. — Comportements observés en utilisant une grille de codage


distinguant 13 comportements (en ligne)
et portant sur 12 échantillons temporels (en colonne)

Échantillons temporels (30 sec)


Total sur
Comportements observés El E2 E3 E4 E5 E6 E7 E8 E9 E10 El 1 E12 etc. 12 échantillons

BB regarde sa mère + + + 3

BB regarde un objet + + + + + + + + 8

BB regarde l'observateur + + 2

BB vocalise (détresse) + + 2

BB vocalise + + + 3

BB tient un objet + + + + + 5

BB manipule + + + etc.

....

Mère absente + + + + +

1. Si bizarre que cela paraisse, cette question n'a été, jusqu'à présent, que peu traitée de manière développe-
mentale.
2. La vidéo permet de revenir sur les enregistrements autant de fois que nécessaire ; néanmoins, la suspicion
de subjectivité est si forte qu'on demande toujours aux chercheurs un double codage des comportements
observés par deux juges indépendants.
122 I Psychologie du développement

Échantillons temporels (30 sec)


Total sur
Comportements observés El E2 E3 E4 E5 E6 E7 E8 E9 El0 El1 E12 etc. 12 échantillons

Mère proche + + + + +

Mère parle + +

Mère parle bébé + +

Mère donne objet + +

Mère pointe objet +

...

Exercez vous à repérer ce qui s'est passé pendant ces 12 échantillons.


Remarques :
— il faut avoir un moyen qui indique toutes les trente secondes (un bip enregistré, ou l'option
« échantillons temporels » prévue dans le logiciel) ;
— on mettra une croix quel que soit le nombre ou la durée d'un comportement pendant les
trente secondes ;
— pendant qu'on regarde le film, on mémorise les items qu'il faudra cocher. Il ne faut donc
pas qu'il y en ait trop ! ;
— il faut remettre sa mémoire à 0 entre deux échantillons ;
— bref, cela nécessite une concentration certaine.

Donc il faut établir, avant enregistrement, une grille de codage incluant tous les
comportements cibles. On voit que l'idée d'une grille universelle, si tentante soit-elle,
est un leurre : les comportements cibles dépendent de la question posée. Bien évidem-
ment, le chercheur peut s'inspirer de grilles existant dans la littérature ; il trouvera sans
doute que certains aspects des grilles antérieures lui conviennent, que d'autres man-
quent, et qu'il n'a plus qu'à relever ses manches et créer lui-même sa propre grille. Ni
la caméra, ni les logiciels qui existent pour faciliter le codage et le traitement des don-
nées ne feront le travail à sa place. Pire, les logiciels refusent tous d'intégrer en cours de
route dans le codage des événements imprévus. Notons par ailleurs que le degré de
définition d'un item dépend lui aussi du but de l'observation : dans notre exemple « sai-
sit un objet » regroupe l'ensemble des mouvements, qu'il faudrait distinguer si on vou-
lait mener une étude fine de la préhension. Il faut établir, avant la collecte des données,
le codage qui va réduire le flux comportemental, en utilisant un lexique précis, sur la
base de définitions opérationnelles où il est vain de vouloir distinguer entre constat et
interprétation.
Mais une observation ne se limite pas à saisir l'occurrence d'un comportement
cible — comme on relèverait une « réponse » dans une situation expérimentale — la
durée et l'organisation séquentielle des événements peuvent avoir un grand intérêt pour
la question posée. Dès lors il faut définir la durée de l'observation, et la segmentation
temporelle qui va en être faite. Dans la grille proposée dans l'encadré 3. 11 les compor-
tements cibles sont listés dans la première colonne, et les unités de temps correspondent
aux colonnes suivantes. On a utilisé ici la technique des échantillons temporels, c'est-à-
Les méthodes de la psychologie du développement I 123

dire qu'on a observé le film pendant trente secondes, puis consacré les trente secondes
suivantes à cocher dans la colonne correspondante les comportements qui ont été
observés auparavant. La technique est économique — la durée du codage est celle du
film — mais elle peut paraître bien grossière : que l'enfant ait, par exemple, regardé sa
mère deux secondes ou vingt-huit secondes, le codage sera le même. On peut préférer
une mesure exacte des durées, en repérant image par image le début et la fm des
occurrences, pour établir le nombre d'occurrences d'un comportement, leurs durées, et
la durée totale de présence du comportement cible. Mais cette précision est-elle néces-
saire pour la question posée ? Sur des données correspondant à notre exemple les deux
types de codage — échantillons temporels et codage en temps réel — ont été réalisés, et
on a observé des corrélations aux alentours de .80 entre les deux types de mesure, ce
qui plaide en faveur de la méthode la moins lourde.
Toutefois on peut envisager non plus l'organisation temporelle d'un comporte-
ment, mais les relations temporelles entre les occurrences de deux comportements : par
exemple le bébé regarde-t-il sa mère lorsqu'elle lui parle, la regarde-t-il plus lorsqu'elle
« parle bébé » que sur un mode adulte ? Qui prend des initiatives, comment sont-elles
suivies, comment se structurent des routines interactives ? Ce type de traitement des
données suppose bien que les dates exactes des occurrences des comportements concer-
nés soient détectées. Il est difficile, car la diversité des ordres possibles entre événements
croît de manière exponentielle avec le nombre d'événements et les séquences rigides
sont rares dans les comportements humains. On va rechercher si des séquences ayant
une signification apparaissent à une fréquence supérieure à celle que permet de prévoir
le hasard, étant donné les fréquences respectives des comportements concernés.
L'encadré 3.12 donne un exemple d'un tel traitement.
Des logiciels ont été développés qui permettent de détecter des séquences selon les
hypothèses des chercheurs. Ils ne sont pas d'un abord facile et supposent que le cher-
cheur soit au clair sur la signification de ce qu'il considère. Par exemple la durée entre
deux événements doit-elle être prise en compte, de même que les événements qui se
produisent entre ces deux limites ?
On voit, sur ces quelques remarques, que l'observation n'est en rien une méthode
floue, et non scientifique. Bien des problèmes cruciaux du développement ne peuvent
être traités sans y recourir. Nos exemples ont souvent concerné de très jeunes bébés,
mais l'observation ne leur est pas réservée : entre 1 et 3 ans il est extrêmement difficile
d'amener les enfants à prendre en compte une consigne, cependant que le répertoire
comportemental se diversifie. Pour étudier l'attention dans ce groupe d'âge, Ruff et
Capozzoli (2003) adoptent une situation de jeu autour d'objets, et des distracteurs sous
forme de clips apparaissent en périphérie ; l'enfant est filmé, et différents indices
d'attention sont dérivés des vidéos. Lors même qu'il est évident que le développement
est intense avant 3 ans, on manque cruellement de données à ces âges si on rejette ce
qui est obtenu par observation.
Notons par ailleurs qu'il existe des situations standardisées d'observation, comme
la Situation étrange d'Ainsworth (1979) qui étudie, dans le cadre de la théorie de

1. La vidéo numérique, traitée par des logiciels ad hoc, est ici un grand progrès par rapport à la vidéo analo-
gique. Mais qu'on ne se fasse pas d'illusions : le codage de films est un travail très lourd.
124 I Psychologie du développement

l'attachement, les réactions des petits à un certain nombre d'événements (arrivée d'un
observateur, départ de la mère, etc.). Bradley et Caldwell (1976) ont mis au point une
grille de lecture du comportement spontané des enfants à la maison (échelle HOME), qui
peut servir à comparer des populations différentes. De tels outils sont utiles parce qu'ils
sont devenus universellement utilisés. Étant donné les difficultés et le coût des observa-
tions, il est toujours utile de rechercher ce qui déjà été fait et validé, pour combiner le
sens clinique du chercheur et ses capacités à objectiver et communiquer ce qu'il a
observé.

ENCADRÉ 3.12

Le bébé répond-il à sa mère ?

On reprend ici une recherche de Kaye et Fogel (19130), qui ont étudié dans quelle mesure la
manifestation d'un comportement de « salutation ), du bébé (yeux grands ouverts, sourire,
bouche ouverte, vocalisations) dépend ou non de ce que la mère présente le même comporte-
ment. Le codage commence quand l'enfant regarde sa mère, et se poursuit pendant 4 tranches
de 2 secondes.
Pour chaque tranche on détermine, sur l'ensemble des dyades d'un âge donné, le
nombre de fois où les mères ont salué ou non, et la proportion de ces saluts auxquels les
bébés ont répondu. Par exemple à 6 semaines, pour la tranche 0-2 secondes, on a sur 43 dya-
des 34 occurrences de salut maternel, avec 4 réponses des bébés, soit une fréquence
de 4/34 ..12 ; au même âge et pour la même tranche on a 356 non-saluts « maternels, cepen-
dant que les bébés saluent dans 16 cas, soit avec une fréquence 16/356 = .045.
Les graphiques ci-dessous présentent les valeurs obtenues selon l'âge et la tranche,
selon que les mères ont salué (ligne pleine) ou non (ligne pointillée). On retrouve, à 6 semai-
nes, pour la première tranche, les valeurs calculées ci-dessus. On a examiné, à l'aide de chi2,
si les différences entre les deux courbes sont significatives.

si la mère "salue"
l' enfant
- - - . si la mère ne "salue"
2
pas l'enfant

I
0-2 2-4 4-6 6 -8 01 2 2-4 46 6-8 0- 2 2 -4 4- 6 6- 8
Secondes depuis que Secondes depuis que Secondes depuis que
l'enfant regarde sa mère l'enfant regarde sa mère l'enfant regarde sa mère
34 30 40 50 85 68 44 36 78 60 41 21
356 247 173 119 767 351 1 62 76 659 286 103 46

6 semaines (N = 43) 13 semaines (N = 47) 26 semaines (N = 43)

FIG. 3.4. — Fréquences des « saluts » des bébés en fonction du comportement maternel, du délai
à partir du moment où le bébé regarde sa mère et de l'âge du bébé (Kaye et Fogel, 1980).
Les deux lignes de nombres (au-dessus de l'âge) donnent les nombres bruts
de comportements maternels pour chaque point des courbes
Les méthodes de la psychologie du développement I 125

Les auteurs commentent ces résultats de la manière suivante :


— à 6 semaines les comportements de salut du bébé sont rares (en fréquence absolue) et,
s'ils surviennent, c'est après que la mère a salué (ligne pleine) ;
— à 13 semaines les réponses (ligne pleine) sont plus fréquentes que les saluts spontanés,
mais la fréquence de ceux-ci est nettement plus élevée qu'à 6 semaines ;
— à 26 semaines (soit 6 mois) il n'y a pas plus de réponses que de comportements spontanés,
les bébés savent prendre l'initiative du salut.
Remarque : ces commentaires sont faits sur les 4 tranches regroupées.
Cette recherche utilise des groupes transversaux, et c'est donc à partir des valeurs
moyennes qu'on peut décrire les changements observés pendant les six premiers mois de vie.

III - Le temps de fixation relatif

Nous examinerons maintenant quelques paradigmes expérimentaux devenus clas-


siques pour l'étude du fonctionnement cognitif des bébés, en insistant moins sur la col-
lecte des variables dépendantes que sur l'organisation temporelle des stimulations. Dans
de telles recherches, le temps de fixation est considéré comme une évaluation du temps
de traitement de l'information.
Technique utilisée par Fantz pour ses premières recherches, qui montrent que le
regard du bébé n'erre pas de manière incoordonnée, elle postule, puis démontre, que le
bébé oriente préférentiellement son regard vers certaines cibles dont il est important de
préciser les caractéristiques. On présente donc au bébé deux cibles visuelles, l'une à
gauche et l'autre à droite', et on enregistre pendant une durée donnée, par exemple
trente secondes, les directions successives du regard. La détection de celles-ci se fait
grâce au reflet cornéen : la cible regardée se reflète dans l'oeil du bébé, et par un petit
trou entre les deux cibles on repère ou filme la direction du regard. On conçoit que
l'écart angulaire entre les cibles joue ici un rôle important, compte tenu de ce que dans
les premières semaines la vision fovéale* est moins développée que la vision péri-
fovéale. Les cibles présentées peuvent être identiques ou différentes. Sur les cibles iden-
tiques on constate que très souvent, les très jeunes enfants n'en regardent qu'une seule,
surtout si l'écart entre les cibles implique un mouvement de tête pour passer d'une cible
à l'autre. Le nombre de passages intercibles croît avec l'âge, « comme si » le bébé com-
parait les cibles : mais il est clair que sur ces seules données on ne peut pas décider du
niveau cognitif de la comparaison ; au mieux, on peut se dire que les allers et retours
sont susceptibles de la favoriser. De plus, on peut comparer le nombre de mouvements
intercibles lorsque les cibles sont identiques à celui correspondant à des cibles diffé-
rentes. Mais que faire si, sur des paires différentes, une seule des cibles est explorée ? Il
est nécessaire de faire plusieurs essais sur chaque paire de stimuli, en contrebalançant la
position des cibles, c'est-à-dire en présentant chaque cible autant de fois à gauche et à
droite. Par exemple Fantz (1963) montre ainsi que les bébés de 3 mois « préfèrent » sys-
tématiquement un schéma de visage humain à des cibles géométriques et, prudemment,
il parle de discrimination, sans préjuger du niveau de la préférence, même si les inter-
prétations les plus « cognitives » sont tentantes.

1. Les balayages horizontaux sont les plus fréquents dans l'activité oculo-motrice des nourrissons.
126 I Psychologie du développement

La situation de Fantz peut être aménagée pour contrôler la familiarité des cibles :
pendant un nombre d'essais déterminé (phase de familiarisation) on présente deux
cibles identiques puis, quand une durée fixée est atteinte (fixée selon des critères qu'il
importe d'expliciter), on passe à la phase test, où l'une des cibles est remplacée par une
cible nouvelle (avec les contrebalancements d'usage). Si, dans ces conditions, les bébés
regardent plus la nouvelle cible que l'ancienne, on parle de préférence visuelle, et on
interprète cette différence comme l'effet d'une capacité du bébé à discriminer les deux
cibles. La plupart des travaux sur les perceptions des nourrissons, qui montrent que
leur monde visuel est beaucoup plus différencié qu'on ne le croyait (Vurpillot, 1972 a) ,
ont utilisé ce type de méthode. On peut aussi, pour étudier les capacités mnémoniques
des bébés, établir un délai entre familiarisation et test (ce que Fagan (1977) appelle
mémoire de reconnaissance).
Même avec des aménagements, la méthode des Temps de fixation relatifs présente
néanmoins des inconvénients. D'une part, si des durées de fixation différentes peuvent
être interprétées comme des indices de différenciation, des durées égales ne permettent
pas de conclure à une absence de différenciation : précisément une comparaison systé-
matique de deux cibles différentes mène à des durées égales passées sur les deux cibles
(Vurpillot, 1972 b, chap. IX). Tous les résultats « négatifs » sont donc ininterprétables.
D'autre part l'idée d'une « réaction à la nouveauté », séduisante au premier abord, s'est
révélée assez complexe : selon le niveau de familiarité du premier stimulus on a observé,
aux mêmes âges et sur les mêmes stimuli, pendant la phase test, aussi bien des « préféren-
ces pour l'ancien » que des « préférences pour le nouveau ». Cet aspect pose de difficiles
problèmes théoriques que nous ne faisons qu'évoquer (Lécuyer, 1989). Ces deux incon-
vénients ont amené à la mise au point de méthodes plus satisfaisantes, comme
l'habituation ; il n'en reste pas moins que pour tester l'équivalence entre stimuli la
méthode du temps de fixation relatif est un outil simple et satisfaisant.

IV - L'habituation

On désigne par le terme d'habituation le phénomène suivant : lorsqu'on présente


un stimulus de manière répétée, l'ampleur de la réponse tend à diminuer avec les pré-
sentations. Ce phénomène est clairement adaptatif : progressivement un stimulus connu
n'a plus valeur de signal, et il n'est plus nécessaire d'y réagir ; comme on pouvait s'y
attendre à partir d'une telle interprétation, l'habituation n'apparaît pas pour des stimu-
lations douloureuses.
L'habituation existe à tous les niveaux de l'échelle animale. Par exemple elle peut
être mise en évidence chez l'aplysie, qui est un mollusque dont le système nerveux est
simple : une stimulation au bord du manteau provoque un retrait (réaction de défense)
qui disparaît avec la répétition. Chez le sujet humain l'habituation à des stimulations
sensorielles est interprétée en termes cognitifs : une trace en mémoire se construit qui, à
chaque essai, est comparée au stimulus ; quand trace et stimulus coïncident le sujet est
habitué, et l'intensité de la réponse décroît jusqu'à une valeur plancher. L'habituation
Les méthodes de la psychologie du développement I 127

on
stim
off

regarde
bébé
regarde pas —

temps sec
essai 1 essai 2 essai 3
Dans cet exemple un essai dure 15 secondes, avec un intervalle
inter-essai de 5 secondes.
A l'essai 1 il y a une fixation qui dure 11 secondes ;
A l'essai 2 il y a 2 fixations, la durée totale est 6 secondes ;
A l'essai 3 la seule fixation est interrompue par la disparition du stimulus.

a. Présentation du stimulus et regard du bébé


dans la procédure à essais fixes.
Durée de fixation en secondes

1 5 6 7 8
Essais

b. Une courbe d'habituation par la procédure à essais fixes.

FIG. 3.5. Habituation — la procédure à essais fixes


128 I Psychologie du développement

existe dès la naissance, pour toutes les modalités sensorielles ; la modalité visuelle a été
la plus étudiée, et c'est dans ce domaine que nous choisirons nos exemples. Notons que
les études utilisant l'habituation chez le bébé, très nombreuses, peuvent être menées
dans deux intentions très différentes : d'une part pour comprendre le phénomène lui-
même, et d'autre part comme moyen de mettre en évidence des discriminations, en
proposant un stimulus nouveau après l'habituation.
Examinons en détail une telle procédure, pour montrer tout ce à quoi un expéri-
mentateur doit penser, et tout d'abord définissons un essai. Dans la logique des appro-
ches expérimentales classiques, on a d'abord utilisé N essais de durée fixe, par exemple
8 essais de vingt secondes, et on a enregistré combien de temps les bébés regardent le
stimulus à chaque essai (fig. 3.5 a). Cela permet de calculer le pourcentage de temps
passé sur la cible à chaque essai, et de moyenner les valeurs individuelles correspondant
toutes au même nombre d'essais (fig. 3.5 b) . Mais on rencontre aussi un certain nombre
de difficultés. Tout d'abord à fixer le nombre d'essais et leur durée : pour un stimulus
donné on veut obtenir une habituation en fin de présentation. D'autre part à mettre en
correspondance stimulation et regard, puisque les stimulations sont délivrées automati-
quement : l'enfant peut faire plusieurs fixations à l'intérieur d'un essai, où il peut com-
mencer de regarder en fin d'essai, dont l'interruption viendra tronquer sa fixation. Pour
dépasser cette difficulté, on peut modifier la procédure en commençant la présentation
du stimulus quand l'enfant regarde dans la bonne direction ; mais alors les intervalles
interessais sont inégaux, éventuellement très longs, plus longs que ne le permettent les
capacités mnémoniques des enfants...
Une autre procédure a été proposée, qui asservit la présentation des stimuli au
comportement de l'enfant (infant control procedure) : le stimulus apparaît quand l'enfant
regarde dans la bonne direction, et disparaît quand l'enfant s'est détourné (fig. 3.6 a).
La durée d'un essai varie donc avec l'activité de l'enfant, et on s'attend à ce qu'elle
décroisse. Si cette procédure résout un problème, elle en soulève d'autres. D'une part,
la question des durées interessais reste posée, comme dans l'autre procédure : que faire
lorsque l'enfant s'abîme dans la contemplation de ses mains ? D'autre part, quand arrê-
ter la présentation du stimulus ? Il faut définir un critère d'habituation. L. B. Cohen
(1976) propose que la présentation soit interrompue quand deux ou trois essais sont
moitié moins longs que la moyenne des 2 ou 3 premiers essais, prise comme référence
(fig. 3.6 b). La plupart des chercheurs utilisant l'habituation adoptent ce critère, qui
permet de considérer que tous les bébés sont habitués dans la même proportion, quelle
que soit la valeur absolue de la référence.
Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines : au niveau individuel les courbes
d'habituation sont loin d'être systématiquement décroissantes, et il se peut que les essais
les plus longs ne soient pas les premiers ; si les essais pris comme référence sont très
courts, le critère à atteindre sera très sévère, et difficile à atteindre. La grande variabi-
lité interindividuelle des valeurs de référence pose de plus un problème théorique
sérieux : peut-on identifier durée de fixation et durée de traitement de l'information, et
parler de « proportion d'habituation égale », quand les références de certains sujets
valent dix fois, voire plus, les références d'autres sujets ? Ces considérations sont parti-
culièrement importantes lorsqu'on veut étudier les mécanismes fins de l'habituation.
Lorsqu'on utilise l'habituation pour rechercher si les enfants sont capables de discrimi-
Les méthodes de la psychologie du développement I 129

essai 1 essai 2 essai 3

bébé
regarde
regarde pas — TF
on
stim
off

temps sec

A l'essai 3 un bref coup d'oeil hors-cible,qui n'interrompt pas l'essai

a. Regard du bébé et présentation du stimulus


dans la procédure contrôlée par l'enfant.

20

18

16
Durée de fixation en secondes

14

12

10

0
FIX1 FIX2 FIX3 FIX FIX_N FIX N
FIXATIONS

b. Une courbe d'habituation par la procédure contrôlée par l'enfant.

FIG. 3.6. — Habituation — la procédure contrôlée par l'enfant


20

18

16
Durée de fixation en secondes

14

12

10

0
FIX1 FIX2 FIX_N_l FIX_N FAM1 NOLV1 FAM2 NOUV2 FAM3 NOUV3
HABITUATION REACTION A LA NOUVEAUTE

a. Procédure contrôlée par l'enfant et réaction à la nouveauté : plan intragroupe.

Tracé Curviligne (HABNOU'V2 STA 8e3c)


20

18

16
Durée de fixation en seondes

14
Groupe 1 - Stimulus nouveau
12

10

4
Groupe 2 - Poursuite de l'habituation

2
WARMUP FIX2 FIX_ N FAMNOUV2
FIX1 FIX_N_1 FAMNOUV1 FATIGUE
FIXATIONS

b. Procédure contrôlée par l'enfant et réaction à la nouveauté : plan intergroupes.

FIG. 3.7. — Réaction à la nouveauté et procédure contrôlée par l'enfant


Les méthodes de la psychologie du développement I 131

nation, ou de catégorisation, la même procédure doit être mise en oeuvre pour tous les
sujets, ce qui peut amener à ne pas inclure dans les groupes expérimentaux certains
sujets qui ne suivent pas le modèle d'habituation prévu.
Pour tester les capacités de discrimination il faut présenter, après habituation, un sti-
mulus test. La discrimination se manifestera par un accroissement de l'attention (réaction
à la nouveauté), mais un certain nombre de précautions doivent être prises. Tout d'abord
les deux stimuli, pour l'habituation et le test, doivent être également attirants ; pour véri-
fier ce point, on compare deux groupes de sujets, l'un habitué sur le stimulus A et testé sur
le stimulus B, l'autre habitué sur le stimulus B et testé sur A et on s'assure que les durées
moyennes des références ne sont pas différentes. D'autre part, la comparaison entre essais
critères (ou essais de fin d'habituation, pour la procédure à essais fixes) et essais tests est
discutable : certes on fait l'hypothèse que l'attention continue de décroître lors d'essais
posthabituation, mais il est plus propre de le vérifier, soit en alternant stimulus test et sti-
mulus d'habituation (avec tous les contrebalancements d'usage..) soit en comparant les
essais tests d'un groupe avec des essais post habituation dans un autre groupe (fig. 3.7).
Encore faut-il tester qu'il ne s'agit pas d'un désintérêt général pour la situation.
Pour ce faire on proposera deux essais, sur un stimulus très différent du stimulus
d'habituation, qui encadrent celui-ci : avant habituation, un stimulus d' « échauffe-
ment » (warming up) 1 et le même stimulus en contrôle après les essais de réaction à la
nouveauté ; s'il n'y a pas fatigue, la réaction au stimulus de contrôle, après habituation,
sera aussi intense que la réaction primitive au stimulus d' « échauffement »
(cf. fig. 3.7 b). Cet aspect est important si l'on ne constate pas de réaction à la nou-
veauté, mais cela n'étant pas assuré avant que l'expérimentation ne soit réalisée, la pré-
caution doit être prise pour tous les sujets.
L'habituation a également été utilisée pour étudier les capacités de catégorisation.
Si on présente, pendant la phase d'habituation, des stimuli (également attirants) que le
bébé considère comme différents, il n'y aura pas habituation ; si, par contre, il leur
trouve des propriétés communes il peut y avoir habituation, mais plus lentement que
sur un stimulus unique. La phase test comprend deux types de stimuli : d'une part des
stimuli de la même catégorie que les stimuli d'habituation, pour lesquels on s'attend à
ce qu'il n'y ait pas réaction à la nouveauté, et des stimuli d'une catégorie différente
pour lesquels on prévoit une réaction à la nouveauté (cf. encadré 3.13).
Nous avons détaillé la situation d'habituation visuelle, mais l'habituation peut surve-
nir pour d'autres modalités, par exemple pour la modalité tactile (Streri, 1991) : si on place
de manière répétée un petit objet dans la main d'un bébé, il le lâche de plus en plus vite, et
si l'on présente à ce moment-là une forme que le bébé « juge » tactilement différente on
observe une réaction à la nouveauté tactile. Par exemple des bébés de 3 mois différencient
l'étoile de la fleur et même les nouveaux-nés s'en révèlent capables à la naissance. Cette
habituation tactile, combinée à des temps de fixation relatifs visuels, permet l'étude des
capacités de transfert intermodal 2 . L'habituation dans la modalité tactile (les mains étant
1. Le premier essai, sur un stimulus attirant, permet de familiariser l'enfant avec la situation ( « là où on m'a
mis, un stimulus apparaît sur l'écran devant moi » ).
2. Le bébé peut-il utiliser dans une modalité ce qu'il a perçu dans une autre modalité ? Meltzoff et Moore
(1979) trouvent ainsi que des bébés de 1 mois regardent plus la cible qu'ils ont préalablement explorée par
la bouche.
132 I Psychologie du développement

dissimulées par une bavette) a été utilisée pour mettre en évidence des discriminations et
des transferts intermodaux, mais on ne dispose pas d'étude systématique des mécanismes
fins de l'habituation tactile. Sans doute l'habituation auditive existe-t-elle, mais il est diffi-
cile de la mettre en évidence, parce qu'elle n'est pas systématiquement associée à un com-
portement observable (mais cf. encadré 3.3). Pour tourner la difficulté on associe la présen-
tation de sons (par exemple des sons du langage) avec un conditionnement de succion non
nutritive : quand le bébé est habitué au son, celui-ci perd son pouvoir renforçateur et
l'amplitude de la succion décroît, pour croître à nouveau quand on présente un son
perçu comme différents. D'autres recherches utilisent comme comportement opérant le
regard vers une cible (discrimination/catégorisation des rythmes, Demany, 1979).

ENCADRÉ 3.13

Habituation et catégorisation

Dans une recherche sur la catégorisation (cf. encadré 3 . 10) on proposait à l'exploration
d'enfants de 13 et 16 mois, des petites figurines en plastique, par exemple des animaux et des
petites voitures. La procédure était la suivante.
Pendant la phase d'habituation on présentait 4 animaux différents 3 fois chacun, soit un
total de 12 essais (H1 à H12 sur le graphique ci-dessous). L'ordre de présentation était au
hasard avec deux conditions : chaque animal est présenté une fois dans les essais 1 à 4, 5 à 8
et 9 à 12, et aucun animal n'est présenté deux fois à la suite.
Pendant la phase test, on a trois essais : l'un sur un animal nouveau (soit un élément
nouveau de la catégorie sur laquelle a porté l'habituation, indiqué TM sur le graphique de la
figure 3. 8), une petite voiture (soit un élément d'une nouvelle catégorie, indiqué TD) et enfin
un élément très différent (un bonhomme, TDD).

30
28
26
24
Durée d'exploration en secondes

13 mois
22
-cl - 16 mois
20
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
H1 H2 H3 H4 H5 H6 H7 H8 H9 H10 H11 H12 TM TD TDD
ESSAIS

FIG. 3.8. — Durée d'exploration visuelle et tactile des objets


présentés à des bébés de 13 mois et de 16 mois
dans une expérience utilisant le paradigme d'habituation
pour évaluer leurs capacités de catégorisation de ces objets
Les méthodes de la psychologie du développement I 133

Le graphique de la figure 3.8 donne la durée moyenne d'examen visuel et tactile, essai
par essai, pour deux groupes d'âge comprenant 8 enfants chacun. Deux remarques :
— même en moyennant les résultats de 8 sujets on obtient des courbes d'habituation qui ne
sont pas systématiquement décroissantes ;
— à aucun âge il n'y a de réaction à la nouveauté pour l'élément nouveau de la même caté-
gorie (essai TM). Par contre l'intérêt des enfants est plus grand pour un élément d'une
autre catégorie (TD) et surtout pour TDD.

V - Le conditionnement

On pourrait être tenté de mettre Pavlov et Skinner au musée, et de considérer


cette perspective théorique comme obsolète. Nous allons voir ici que des chercheurs
contemporains ont renouvelé cette problématique, en montrant que, même si le condi-
tionnement ne rend pas compte de toutes les acquisitions des bébés, il intervient dans
un certain nombre d'entre elles et joue un rôle important dans le développement. En
conséquence, c'est une méthode efficace d'étude du bébé.
On sait que le principe du conditionnement est le suivant : il existe chez tous les
organismes vivants des réponses réflexes, dites inconditionnelles (Ri) à des stimuli incon-
ditionnels (si). Par exemple une stimulation de la lèvre (si) entraîne des mouvements de
succion (RI). On associe au si un stimulus conditionnel sc (par exemple un son) ; initia-
lement ce Sc est neutre, c'est-à-dire qu'il n'entraîne pas une réponse réflexe.
L'association est une contiguïté temporelle, le Sc survenant avant le si. Après un certain
nombre de présentations (phase d'acquisition), la présentation du sc (ici le son) suffit
pour que la réponse (ici le mouvement de succion) soit donnée. Si, cependant, on cesse
de renforcer le sc il y a extinction de la réponse.
Dans un premier temps on a recherché dans quelles conditions il est possible
de conditionner des nourrissons, voire des nouveau-nés. Pour ce faire on a utilisé
toutes sortes de réponses réflexes (succion, mouvements de la paupière, du
corps, etc. et de stimulus conditionnels positifs ou aversifs (sons, lumières, jet
d'air, etc.). Contrairement à ce que prévoyaient les behavioristes purs et durs, on ne
peut pas coupler n'importe quel sc avec n'importe quel si, il faut qu'existent entre
les deux des relations fonctionnelles. Les théories récentes du conditionnement clas-
sique (également appelé conditionnement répondant) insistent sur la relation de
contingence entre si et sc : l'un et l'autre peuvent survenir isolément et le bébé
apprend que la probabilité que si apparaisse après le sc est supérieure à sa probabi-
lité d'occurrence lorsqu'il est isolé : on parle alors de transfert de contrôle de la
réponse du si au sc.
Bien évidemment il faut vérifier que c'est bien l'association sc-si qui entraîne les
modifications du comportement. Par exemple il se peut que l'occurrence du sc entraîne
une augmentation du niveau de vigilance, qui entraîne à son tour une augmentation du
niveau d'activité. Pour contrôler cette possibilité, on compare le groupe expérimental,
soumis à la procédure ci-dessus, à un groupe contrôle qui reçoit la même quantité
totale de stimulation (Sc + SI sur n essais), mais sans contingence entre SC et SI (écarts
134 I Psychologie du développement

de durée et de sens variables)`. On peut également suspecter que la simple occurrence


du si provoque un accroissement du niveau de vigilance, et donc inclure dans le plan
expérimental un autre groupe contrôle, qui ne reçoit que des si. Si des relations fonc-
tionnelles existent entre sc et si (bruit annonçant le biberon par exemple) on devrait
observer que seul le groupe expérimental montre une modification stable du comporte-
ment (par exemple une augmentation nette du rythme de succion).
Sur la figure 3.9, pour le groupe expérimental, le rythme de succion augmente,
par rapport à une ligne de base préliminaire, pendant la phase d'acquisition, et tend à
ralentir pendant la phase d'extinction où le SC n'est plus présenté ; pendant une
seconde phase de conditionnement le rythme de succion augmente à nouveau, pour
ralentir pendant une seconde phase d'extinction. Pour le groupe contrôle, le rythme de
succion décroît régulièrement.

ligne conditionnement extinction recond. ext.


de base
% moyen du rythme de base

130
groupe expérimental

110

.
90 _ '

70
groupe contrôle 'o,,,

50 , . 1
1 -7 1-5 6-10 1-5 6-10 1-5 1-4
ESSAIS

FIG. 3.9. — Les différentes étapes d'une procédure de conditionnement répondant

Cette procédure de conditionnement classique a beaucoup été utilisée pour analy-


ser les mécanismes du conditionnement ; mais elle permet également d'étudier les dis-
criminations entre stimulus conditionnels : en présentant, après que le critère de condi-
tionnement a été atteint, un son différent, par exemple, y a-t-il généralisation du
conditionnement ou réaction à la nouveauté ? On peut aussi considérer les capacités de
rétention à long terme des réponses conditionnées, pour étudier les capacités mnémoni-
ques des jeunes enfants : s'il y a rétention, on peut penser que la nouvelle acquisition
du conditionnement après un délai sera plus rapide que l'acquisition primitive. Certes
la procédure est assez lourde, et l'on retrouve ici le problème du nombre d'essais, fixe

1. Cette comparaison n'est pas facile à planifier, puisque la quantité de sc et de SI dans le groupe expéri-
mental dépend de la vitesse de conditionnement de chaque sujet, et ne peut être fixée a priori. La solution
consiste à apparier les sujets des deux groupes, chaque sujet du groupe contrôle étant soumis au même
régime que le sujet correspondant du groupe expérimental, ce que les Anglo-Saxons appellent yoking (de
yoke= joug).
Les méthodes de la psychologie du développement I 135

ou dépendant d'un critère, que nous avons rencontré à propos de l'habituation. Con-
trairement aux rats blancs, sujets d'élite pour l'étude du conditionnement animal, on ne
peut pas affamer les bébés pour s'assurer qu'ils ne s'endormiront pas...
Mais le conditionnement répondant n'est pas la seule forme de conditionnement,
et les travaux récents considèrent surtout les capacités de conditionnement opérant
chez les bébés. Dans cc cas, un comportement spontané reçoit un renforcement, ce qui
a pour effet d'augmenter sa fréquence d'apparition. Par exemple l'enfant reçoit quel-
ques gouttes d'eau sucrée s'il tourne la tête à droite tandis que s'il tourne la tête à
gauche il ne reçoit aucun renforcement. Rovee-Collier (cf. encadré 3.14) attache un
cordon à la cheville du bébé, pour que les mouvements de pédalage actionnent un
mobile situé dans son champ visuel. Ici, c'est donc le mouvement du mobile, spectacle
intéressant, qui constitue le renforcement du mouvement initialement spontané qu'est
le pédalage. Bien sûr des groupes contrôles sont nécessaires pour tester qu'il y a bien
association entre la réponse opérante (pédalage) et le renforcement (mouvements du
mobile). Au début de ses recherches, Rovee-Collier a montré qu'il n'y avait pas condi-
tionnement opérant si le mobile bouge de manière non contingente aux mouvements
du bébé, ou si des stimulations visuelles non contingentes s'ajoutent à des stimulations
kinesthésiques.

ENCADRÉ 3.14

Le conditionnement opérant comme méthode d'étude


de la mémoire chez le bébé : les travaux de Rovee-Collier

La procédure de Rovee-Collier pour étudier la mémoire à long terme chez le bébé suppose
deux étapes, l'une de stockage de l'information, l'autre de test de la rétention :
1 / Apprentissage : cette étape comprend deux sessions identiques séparées par vingt-
quatre heures, l'expérience prouvant qu'une seule session, déjà longue pour un bébé de
3 mois, n'est pas suffisante pour assurer une mémorisation à long terme. Deux supports de
mobiles sont fixés aux bords du berceau, un mobile étant fixé à un seul d'entre eux. Un ruban
permet de relier un pied de l'enfant à l'un ou l'autre support. Une session complète dure
quinze minutes, et comprend trois phases :
a) Mesure du niveau d'activité de référence (baseline) pendant trois minutes. Le ruban
est fixé au support sans mobile, pour que l'enfant ait les mêmes feedback somesthésiques et
kinesthésiques que pendant la phase de renforcement (tension du ruban, etc.). On compte le
nombre de coups de pied par minute en l'absence de renforcement (indice P, en moyenne 6-
8).
b) Phase d'apprentissage avec renforcement conjugué (neuf minutes) : le ruban est fixé
au support avec mobile, le mouvement du mobile correspond au rythme et à la vigueur des
coups de pied, dont la fréquence croît au fur et à mesure de l'apprentissage, pour atteindre en
moyenne une valeur double ou triple de l'activité de référence.
c) Phase testant la rétention immédiate (trois minutes) : dans cette phase test il n'y a
plus de renforcement ; l'indice A est le nombre de coups de pied par minute.
2 / Phase test : après le délai prévu par l'expérimentation pour étudier la rétention à long
terme, la phase test utilise la même procédure qu'en phase 1 b d'apprentissage, l'indice B est
le nombre de coups de pied par minute.
La rétention à long terme est appréciée à partir de deux indices :
— le taux d'accroissement B/P, rapport entre la fréquence des coups de pied pendant la phase
test et leur fréquence pendant la phase de référence : si B/P est significativement supérieur
à 1 (au niveau d'un groupe) il y a rétention.
136 I Psychologie du développement

— Le taux de rétention B/A : il y a oubli si ce rapport est significativement inférieur à 1.


L'utilisation de rapports permet d'annuler les différences interindividuelles dans le
niveau moyen d'activité.
Rovee-Collier et son équipe ont réalisé de nombreuses expérimentations en utilisant
cette procédure, et il est intéressant, sur ce corpus de données, de voir comment des cher-
cheurs avancent en contrôlant systématiquement un certain nombre de variables.

Comme pour le conditionnement répondant, la contingence entre événements et


l'intérêt des éventuelles acquisitions sont importants pour l'établissement d'un condi-
tionnement opérant : pour que le conditionnement soit possible, il faut que le coût
énergétique de la réponse opérante soit inférieur au bénéfice du renforcement. C'est un
tel mécanisme qui, pour Ainsworth et Bell (1972), explique que les réponses maternelles
aux pleurs des bébés, loin de leur donner de « mauvaises habitudes », leur permettent
de développer des moyens de communication moins coûteux que les cris. De plus, Wat-
son (1985) observe qu'un renforcement systématique de la réponse opérante conduit à
une extinction, alors qu'un taux de renforcement plus faible, 70 %, voire 50 %, main-
tient le niveau de production du comportement opérant, comme si le bébé était motivé
par l'incertitude, et prenait la situation comme un problème à résoudre'.
On considère actuellement que le conditionnement opérant est un mécanisme très
important des premiers apprentissages des bébés, aussi bien avec le monde physique
qu'avec leur environnement social : pour Lamb (1981) le bébé développerait ainsi le sen-
timent de sa propre efficacité (ou non-efficacité) sur son environnement'. On voit par de
tels exemples que la perspective associationniste stricte, qui prétendait associer n'importe
quel stimulus à n'importe quelle réponse, est passée aux poubelles de l'Histoire : on
étudie comment l'enfant construit un contrôle de la situation. Dans cette interprétation
récente des phénomènes de conditionnement, la prise de conscience joue un rôle clé.
Classique ou opérante, la procédure de conditionnement, relativement lourde
parce qu'elle peut impliquer un grand nombre d'essais, est moins utilisée que d'autres
paradigmes pour étudier des phénomènes cognitifs comme les discriminations et les
catégorisations. Mais les problèmes théoriques, et donc méthodologiques, qu'elle pose,
et le fait qu'elle repose fondamentalement sur les possibilités d'apprentissage, en font un
outil très puissant du développement social aussi bien que cognitif du bébé.

VI - Conclusion

Au terme de ce chapitre, nous soulignerons deux points importants.


D'une part, quand on prévoit une recherche, il est nécessaire de la penser le plus
loin possible. Le choix du plan d'expérience, des variables dépendantes, et de leur trai-

1. Watson fait l'hypothèse que pour le bébé un renforcement à 100 % caractérise l'activité du bébé lui-
même, cependant que les objets ne renforcent pas, ou peu, et que les renforcements intermédiaires sont
typiques des relations sociales ; il suggère même qu'en fonction de l'ajustement (en anglais responsiveness) du
milieu aux comportements du bébé, celui-ci développe un taux de renforcement préféré.
2. D'où les ravages des environnements non prédictibles, où le bébé ne sait jamais à quoi s'attendre.
Les méthodes de la psychologie du développement I 137

tement, est fonction du problème posé (et donc des hypothèses formulées). Il ne s'agit
pas de se précipiter parce que l'on a un terrain d'expérimentation et que les enfants
vieillissent vite : tous les essais préliminaires sont aussi nécessaires et aussi scientifiques
(voire plus !) que la collecte propre des données définitives. Dans certains domaines il
est certes difficile de formuler des hypothèses et l'on devra se contenter de questions
plus ouvertes : ce que nous avons dit de la méthode microgénétique visait à montrer
dans quelle direction un développementaliste tend à aller, partant de repères pour
aboutir à des mécanismes.
D'autre part, nous avons plusieurs fois rappelé que la situation expérimentale est
une situation sociale. S'agissant d'adultes, ou de grands enfants, la consigne donnée
précise le contrat entre sujet et expérimentateur, et de façon plus ou moins explicite
limite le domaine qu'on étudie. Avec les plus jeunes sujets la tâche est beaucoup plus
difficile ; la solution qui consiste à éliminer des sujets qui, pour des raisons diverses, ne
se situent pas dans l'espace de problème prévu, n'empêche pas de réfléchir aux raisons
d'une telle décision.

LECTURES CONSEILLÉES

Bang, V. (1966). La méthode clinique et la recherche en psychologie de l'enfant. In Psychologie


et épistémologie génétiques, thèmes piagétiens (pp. 67-81), Paris : Dunod.
Pêcheux, M.-G. & Lécuyer, R. (1999). Les méthodes d'étude du nourrisson. In
J. P. Rossi (Ed.), La méthode expérimentale en psychologie (pp. 105-176), Paris : Dunod.
Siegler, R. S., & Crowley, K. (1991). The microgeneticmethod. A direct means for studying
cognitive development. American Psychologist, 46, 606-620.
Tourrette, C. (1999). La méthode longitudinale en psychologie développementale. In
J. P. Rossi (Ed.), La méthode expérimentale en psychologie (pp. 177-237). Paris : Dunod.
4 le développement
des représentations
du monde physique

Le monde des objets obéit aux lois de la physique. Un adulte sait qu'un objet ne peut
être à deux endroits en même temps, qu'il occupe une certaine position dans l'espace,
qu'il continue d'exister même lorsqu'on ne le voit plus, qu'il tombe lorsqu'il n'a pas de
support, etc. Comment les enfants découvrent-ils ces propriétés des objets ? De quel
équipement disposent-ils à la naissance pour adapter leur comportement aux contrain-
tes du monde physique dans lequel ils arrivent ? Par quel cheminement parviennent-ils
à comprendre les règles auxquelles obéissent les objets, à se représenter l'espace dans
lequel les objets et eux-mêmes se déplacent ?
L'objectif de ce chapitre est de faire le point des connaissances actuelles sur les
aspects du développement cognitif qui sont spécifiques à la représentation des objets.
La première partie traite de la genèse de la représentation des objets, en particulier
chez le bébé, la seconde de la genèse de la représentation de l'espace, et la troisième de
la formation des catégories d'objets.

A - DÉVELOPPEMENT DE LA REPRÉSENTATION
DES OBJETS, par Arlette Streri

I - Définition et propriétés des objets

Les objets sont des entités perceptibles dont le contour est clairement défini et qui
possèdent des propriétés physiques intrinsèques. Ils obéissent à des règles spatio-
temporelles contraignantes qui régissent leur déplacement dans l'espace et dans le
temps. Cette définition exclut un grand nombre d'entités perceptibles comme les liqui-
des, les gaz, ou non perceptibles comme les molécules, les atomes, les microbes, etc.
Elle exclut aussi les entités trop grandes pour être « embrassées » d'un regard comme
140 I Psychologie du développement

les montagnes ou dont le contour est mal défini, comme un trou. Elle exclut également
les objets qui n'évoluent pas sur notre planète comme les astres, les étoiles, etc.
Les objets possèdent diverses propriétés dont la connaissance perceptive dépend de
la modalité sensorielle (toucher, vision, audition, odorat, goût...) qui les capte. Les objets
sont multimodaux. En effet, tout objet se caractérise visuellement par sa couleur, sa taille,
son volume, sa texture, etc. Au contact manuel, il est aussi tangible et est plus ou moins
lourd, dur ou froid. On peut savoir s'il émet des sons grâce à notre ouïe et s'il est comes-
tible et odorant par le goût et l'olfaction. Comment le très jeune enfant parvient-il à don-
ner une cohérence et une unité aux objets lorsqu'il les explore compte tenu de cette mul-
timodalité ? C'est la question des coordinations intersensorielles qui est ici posée (cf. II, p. 140).
Il existe d'autres propriétés des objets qui ne sont pas immédiatement perceptibles
par nos sens mais que l'on infère par le fait même qu'ils sont situés dans un
espace/temps commun. Les objets ont une cohésion, et lorsqu'ils se déplacent, ils conser-
vent leur unité, leur contour. Ils ne s'évanouissent pas, ne s'effritent pas. Ils ont une
continuité car ils ne peuvent disparaître et réapparaître à volonté et empruntent un che-
min continu. Ils ne peuvent se déplacer seuls mais suite au contact d'autres objets ou
individus. Ils ne peuvent rester suspendus sans support car soumis à la gravité. Enfin, ils
ont une permanence et une fois cachés, ils continuent d'exister. Néanmoins, ces propriétés
ne leur confèrent pas une unicité (les objets peuvent exister en de multiples exemplaires)
ni même une identité sauf celle qu'un individu leur donne pour les différencier les uns
des autres. Comment un très jeune enfant arrive-t-il à comprendre les contraintes spa-
tio-temporelles imposées aux objets ? C'est la connaissance de ces règles qui lui permet
d'avoir une représentation des objets dans l'espace et dans le temps.
Piaget a été le premier à étudier cette question. Il a décrit les étapes successives de la
construction de la représentation des objets chez le bébé. Les situations piagétiennes ont
été le point d'ancrage des recherches actuelles. C'est la raison pour laquelle, nous décri-
rons d'abord la perspective piagétienne (cf. III, p. 143), puis nous développerons les
apports récents de la psychologie du nourrisson à cette problématique (cf. IV, p. 144).

Il - Les coordinations intersensorielles

Nos sens sont des interfaces remarquables entre le monde et notre cerveau afin
que nous puissions comprendre et mémoriser cette complexité externe. Ils sont très spé-
cialisés et même assez performants dans leur fonctionnement. Les yeux captent les
ondes électromagnétiques (la lumière) et leur champ d'exploration est vaste tandis que
la peau est sensible aux déformations (grâce aux pressions) exercées par les objets à son
contact. Elle réagit à la température. Nos oreilles canalisent les ondes sonores (les sons)
qui nous proviennent parfois de très loin tandis que le goût et l'odorat sont sensibles
aux substances (molécules chimiques) qui stimulent leurs récepteurs. Mais comment
sait-on que le bébé perçoit des éléments de son environnement ? On utilise la méthode
d'habituation et de réaction à la nouveauté (cf. la partie consacrée aux méthodes de la
psychologie du développement — chap. 3). Par ce moyen, nous apprenons que le nour-
Le développement des représentations du monde physique I 141

risson est capable, grâce à ses systèmes sensoriels même peu développés, de détecter des
invariants, des régularités dans son environnement. Si les stimulations changent, il réa-
git à ces irrégularités. Cette méthode permet de mettre en évidence de telles conduites
quelle que soit la modalité sensorielle stimulée.
Cette procédure a permis de montrer que le monde du bébé, dès la naissance,
n'est pas confus, mais organisé. Cependant, le nourrisson a un curieux paradoxe à
résoudre : comment accorde-t-il aux objets une unité, une cohérence sachant que
chaque sens ne peut capter qu'une partie de l'information sur l'objet et que les systèmes
sensoriels fonctionnent comme des « modules », c'est-à-dire comme des systèmes étan-
ches. Ce paradoxe a été étudié dans les situations de transfert d'information entre deux
modalités comme le toucher et la vision, ou d'appariement intermodal entre l'audition
et la vision. Ces situations traitent principalement d'informations amodales, c'est-à-dire
pouvant être captées par deux modalités sensorielles, comme la forme ou la texture
pour la vision et le toucher, par opposition aux informations spécifiques captées seule-
ment par un seul sens, comme la couleur pour la vision. Nous devons à E. J. Gibson
(1969) la théorie selon laquelle les bébés viennent au monde avec des systèmes percep-
tifs unifiés qui détectent des informations invariantes amodales.

a. Le transfert intermodal

Dans la vie quotidienne, lorsque vous cherchez dans votre sac, lumière éteinte, les
clés de votre porte d'appartement parmi plusieurs, vous savez dès le premier contact
quelle est la bonne clé et vous la reconnaissez une fois la lumière revenue. Cette situa-
tion de transfert intermodal implique plusieurs processus cognitifs : une phase
d'encodage des informations par une modalité (le toucher), une phase de mémorisation
et une phase de décodage dans l'autre modalité (la vision). Les transferts sont haute-
ment adaptatifs et confèrent une économie d'apprentissage puisqu'il n'est pas nécessaire
de réapprendre dans la seconde modalité ce qui a été appris dans la première. Étudiée
chez le bébé, cette forme d'intégration intersensorielle nécessite une méthodologie spéci-
fique, proche de notre expérience quotidienne (cf. Streri, 2003).

ENCADRÉ 4.1

Le transfert intermodal entre le toucher et la vision consiste à donner un objet dans la main du
bébé sans qu'il puisse le voir. Après une phase de familiarisation, on présente visuellement au
bébé l'objet avec lequel il a été familiarisé dans la modalité tactile et un objet nouveau qui dif-
fère par une propriété, par exemple la forme. Un transfert est obtenu si le bébé regarde signifi-
cativement plus longtemps l'objet de forme nouvelle que la forme familière. En effet, par ce
comportement, on en déduit qu'il a « reconnu » la forme préalablement palpée et qu'il s'en
désintéresse.

Par cette méthode (cf. encadré), on a pu montrer que le nouveau-né de moins de


trois jours est capable d'une performance similaire à celle de l'adulte (Streri et Gentaz,
2003), c'est-à-dire qu'il accorde une unité à l'objet perçu tactilement et visuellement. Le
142 I Psychologie du développement

nouveau - né vit dans un monde stable et unifié. Néanmoins, les relations entre ces deux
modalités ne sont pas complètes. Le transfert est rarement réversible. Il est surtout effi-
cace du toucher à la vision. Il dépend de la complexité des objets, de la durée de fami-
liarisation, du degré de prématurité de l'enfant, voire de facteurs socio-économiques.
Cette capacité cognitive, hautement adaptative, est donc sensible aux effets de
l'environnement.

b. L'appariement intermodal

Notre environnement est constitué de nombreux objets sonores (train, réveil, voi-
ture, fontaine, orchestre...). Beaucoup d'objets rentrent en contact avec d'autres, un son
étant émis au moment de l'impact (chute d'un verre sur le sol). L'expression d'une émo-
tion est souvent visuelle et auditive. Quasiment tout notre environnement est à la fois
visuel et sonore. Pour étudier cette intégration intersensorielle entre ces deux modalités
chez le bébé, on adopte une méthode appelée technique de choix préférentiel (cf. Streri, 2003).

ENCADRÉ 4.2

La technique de choix préférentiel consiste à présenter à gauche et à droite du bébé deux


scènes visuelles. Face à lui, un magnétophone émet une série de sons compatibles avec soit la
scène de gauche soit celle de droite. On enregistre l'orientation du regard du bébé pour
chaque série de sons émis. Si le bébé regarde plus souvent la scène visuelle qui correspond
aux sons émis (préférence pour le familier), on en déduit qu'il a associé les deux événements
visuel et auditif'.

1. Notez que selon la méthode, Transfert intermodal (TI) ou Technique de choix préférentiel (TCP), la
préférence du bébé change (nouveau vs familier). Dans le TI, le bébé catégorise le monde (connu / pas
connu) dans la TCP, il rétablit une cohérence du monde.

Les nouveau-nés orientent leurs yeux et/ou leur tête dans la direction d'un son émis
par un hochet ou un flux de paroles. Cette conduite atteste d'un début de coordination
entre l'audition et la vision. Mais la capacité des nourrissons à apparier des scènes visuel-
les et des sons s'améliore avec l'âge en fonction de deux formes de relations temporelles
amodales, la synchronie (le rythme, régulier ou irrégulier, et le tempo, lent ou rapide),
dès l'âge de 3 semaines, et la structure, vers 7 semaines. L'apprentissage du langage est
également à la base d'une intégration visuo-auditive et le bébé de 5 mois apparie correc-
tement des voyelles avec le visage qui les prononce. Barick (2004) a montré que les bébés
détectent d'abord les relations amodales globales sur la base de la synchronie temporelle
puis des informations plus spécifiques des objets telles que la substance, la structure, la
composition ou le nombre. Les associations arbitraires comme couleur et température,
ou timbre d'une voix et visage d'une personne ne sont acquises que plus tardivement et
cet apprentissage est guidé par la détection d'informations amodales synchrones.
Ainsi, le bébé possède les capacités de donner une stabilité, une unité, un sens à
son environnement en appareillant sur la base d'informations perceptibles des événe-
ments visuels, auditifs et tactiles. Mais, comment le nourrisson parvient-il à se représen-
Le développement des représentations du monde physique I 143

ter des événements qui impliquent le déplacement des objets, leur contact, l'obstruction
d'objets par d'autres, événements qui ne sollicitent pas seulement sa perception mais
également son intelligence ?

III La permanence de l'objet dans la théorie de Piaget


-

Nous relatons brièvement les faits qui montrent le développement de la représen-


tation de l'objet chez l'enfant selon Piaget. En ce qui concerne la théorie, le lecteur se
reportera au chapitre 2 de ce volume (J. Bideaud). Sous le concept de permanence, il faut
comprendre le fait qu'une personne accorde une existence aux choses « extérieures au
moi, persévérant dans l'être lorsqu'elles n'affectent pas directement la perception » Pia-
get (1937, p. 11). Le bébé se représente-t-il les objets qu'il ne voit plus ? Pour répondre
à cette question, Piaget a retracé six étapes qui décrivent les conduites des jeunes
enfants en réaction à la disparition d'objets.

ENCADRÉ 4.3

stade (1-2 mois) : Absence de réaction à l'objet disparu. L'observateur agite un jouet devant
les yeux du nourrisson qui le fixe mais ne le cherche pas ni ne manifeste de réaction émotion-
nelle à sa disparition.
2. stade (2-4 mois) : Réactions émotionnelles à la disparition de l'objet, mais aucune
ébauche de recherche.
3° stade (5-7 mois) : Émergence d'une permanence pratique liée à l'action du bébé et non
à l'objet lui-même. Le bébé est capable de revenir à un objet dont on l'a distrait, il anticipe le
point de chute d'un objet. Mais si on cache l'objet sous un linge, le bébé ne soulève pas le
cache pour prendre l'objet sauf si c'est lui-même qui l'y a mis. L'objet n'a pas d'existence
encore pour l'enfant en dehors de son action propre. Par contre, il est capable de retirer le
cache si l'objet est partiellement visible et si la partie visible a une signification pour lui,
comme la tête de sa girafe.
4' stade (8-10 mois) : Apparition d'un changement important dans la conduite du bébé. Il
recherche systématiquement l'objet non visible de lui parce que caché derrière un écran ou
sous un linge. Mais cette recherche ne marque pas l'aboutissement de la notion d'objet.
L'enfant recherche l'objet caché là où il l'a précédemment trouvé et non pas nécessairement là
où il a disparu. Cette erreur de localisation est mise en évidence dans la situation suivante.
L'enfant est face à deux écrans A et B. On cache l'objet derrière un écran A, l'enfant va le
rechercher en A. Cet essai est répété plusieurs fois. Si devant ses yeux, on cache maintenant
l'objet derrière l'écran B, l'enfant ira de nouveau le rechercher en A. Il commet ce qu'on a
appelé « l'erreur du stade IV » ou l'erreur A non B.
5° stade (11-12 mois) : Résolution du problème précédent mais si les déplacements de
l'objet sont perçus, non s'ils sont invisibles. Par exemple, un observateur place un objet dans
sa main et la présente fermée à l'enfant. L'enfant prend l'objet sans problème en ouvrant la
main de l'observateur. Celui-ci renouvelle sa conduite mais cette fois-ci met au préalable sa
main fermée sous un coussin où il place l'objet à l'insu de l'enfant. L'enfant va à nouveau cher-
cher l'objet en ouvrant la main de l'observateur, et est alors surpris de ne plus voir l'objet.
Cependant, l'enfant ne tente aucune recherche sous le coussin.
6, stade (à partir de 12 mois jusqu'à environ 18 mois) : Réussite du problème précédent.
Le bébé est capable de retrouver l'objet à sa position finale, même si celui-ci a subi des dépla-
cements invisibles.
144 I Psychologie du développement

Cette construction relativement longue marque une étape fondamentale dans le


développement cognitif de l'enfant. L'objet acquiert une permanence, une existence subs-
tantielle (un invariant), fondement essentiel de l'acquisition des conservations de la
matière, du poids, du nombre (autres invariants), etc. ultérieurement construites par
l'enfant d'âge scolaire.

IV - L'apport des recherches récentes sur le nourrisson

Nous savons maintenant que le nourrisson a d'autres moyens de connaître son


environnement qu'en agissant « sur » et « dans » le monde, comme le proposait Piaget :
Le nourrisson perçoit, mais est-il capable également de comprendre des événements et
de raisonner ? Comment sait-on qu'il raisonne ? Basée sur la méthode d'habituation, les
chercheurs ont inventé la méthode de « transgression des attentes » (cf. encadré).

ENCADRÉ 4.4

La méthode de transgressions des attentes ( -ma) consiste à présenter aux nourrissons un évé-
nement conforme à leurs attentes (événement considéré comme possible par un adulte) et un
événement qui transgresse une loi physique (solidité, cohésion de l'objet, gravité, etc.), et
donc leurs attentes (événement impossible pour un adulte). La logique de l'expérience est la
suivante : si les bébés sont surpris par la transgression, la durée de leur regard sur
l'événement inattendu sera plus longue que celle sur l'événement attendu. Assortis
d'expériences de contrôle supplémentaires, les résultats obtenus permettent alors de conclure
que le bébé connaît la règle transgressée.

a. La théorie du « Core knowledge »' de Elizabeth Spelke (2003)

La théorie du « Core knowledge » postule que la cognition humaine dépend de


systèmes qui opèrent de manière spécifique sur des domaines spécifiques, et sont relati-
vement encapsulés, c'est-à-dire indépendants de connaissances externes ou apprises. Par
exemple, il existe des systèmes qui sont à la base de notre connaissance des lieux, des
objets, des agents, des nombres. Chaque système est un module cognitif (Fodor, 1983)
largement partagé par les individus au cours de la phylogenèse et de l'ontogenèse et qui
constitue le fondement de l'intelligence humaine. En plus des systèmes spécifiques et
encapsulés du « Core knowledge », les humains possèdent au moins deux systèmes
généraux d'apprentissage, un système d'apprentissage associatif, commun à l'homme et
l'animal, et un système symbolique unique aux humains. Seule, la manière dont les
bébés accèdent à la représentation spatio-temporelle des objets matériels sera envisagée.
Spelke a défini plusieurs principes spatio-temporels qui contraignent le monde des
objets (cf. Spelke, Breinlinger, Macomber et Jacobson, 1992). 1 / Le principe de cohésion

1. Difficilement traduisible en français, l'expression « core knowledge » renvoie aux connaissances de base
innées de l'individu humain.
Le développement des représentations du monde physique I 145

propose que tout objet en déplacement conserve son unité, ne s'effrite pas comme un
ch de sable ou n'explose pas comme un feu d'artifice. 2 / Le principe de solidité
stipule que les objets tangibles occupent une place et ne peuvent être traversés par un
au objet. 3 / Les déplacements des objets sont régis par le principe de continuité selon
let tout objet en mouvement trace un chemin continu ; ils ne peuvent sauter d'une
place à l'autre. 4 / Le principe de contact signifie qu'un objet n'est affecté dans sa situa-
tic que s'il est touché par un second objet ; il n'existe pas de contact à distance.
5 et 6 / Le principe de gravité (en l'absence de support, tout objet tombe) et le principe
d'inertie (un objet en mouvement ne change pas sa direction abruptement et spontané-
ment) limitent également le déplacement des objets. Certains principes sont opération-
ne très tôt chez le bébé, les deux derniers sont compris plus tardivement. Nous
n'illustrerons ici que les quatre premiers principes.

1 / Le principe de cohésion est illustré par l'expérience de Kellman et Spelke (1983),


devenue célèbre. Le bébé de 4 mois est habitué à regarder une scène dans laquelle un
bâton est animé d'un mouvement de translation derrière un bloc de bois. Seules les
extrémités du bâton sont visibles par le bébé (cf. fig. 4.1). Après la phase d'habituation,
le bébé voit deux événements tests : un bâton entier ou les deux parties visibles du
bâton. La logique de l'expérience est la suivante : si le bébé se représente, pendant la
phase d'habituation, le déplacement d'un bâton unique, il doit regarder plus longtemps
les deux morceaux de bâton (événement nouveau pour lui) que le bâton unique. Inver-
sement, si le bébé ne se fie qu'à sa stimulation rétinienne, il doit regarder plus long-

Habituation visuelle Test Résultats

Mouvement du bâton une unité

Mouvement contingent

-- i

du bloc et du bâton

-4— —1. ou .4— —.


-1

Mouvement du bloc –
\
seul

Pas de mouvement ...

FIG. 4.1. Illustration du principe de cohésion (perception


de l'unité de l'objet), d'après Kellman et Spelke (1983)
146 I Psychologie du développement

temps le bâton unique que les deux morceaux visibles. Une condition de contrôle
montre les deux événements tests sans phase de familiarisation préalable. L'analyse des
temps de regard sur chaque événement test révèle que les bébés de 4 mois regardent
plus longtemps les deux extrémités du bâton vues pendant la phase d'habituation plutôt
que le bâton unique (dans la condition de contrôle, le bébé ne montre aucune préfé-
rence pour l'une ou l'autre cible). Ainsi, lorsque le bébé voit un bâton partiellement
caché, il le considère comme entier. Le bâton conserve son unité quel que soit le mou-
vement qui l'anime, mais non lorsqu'il est stationnaire. Il s'agit bien d'un mécanisme de
pensée et non d'un mécanisme uniquement visuel puisqu'il a été mis en évidence égale-
ment dans la modalité haptique* (Streri et Spelke, 1988). Cette habileté apparaît
présente en visuel chez le nouveau-né (Valenza, Zulian, Leo, 2005).

2 / Le principe de solidité est illustré par l'expérience de Baillargeon, Spelke et


Wasserman (1985) devenue également célèbre et qui reprend la problématique de la
permanence de l'objet. Dans cette situation, le bébé de 5 mois voit un écran qui
effectue une série de rotations de 180° vers l'avant et vers l'arrière sur sa base
(cf. fig. 4.2). Après habituation, un cube est placé derrière l'écran et le bébé voit alter-
nativement deux situations tests. L'écran effectue sa rotation, cache le cube et stoppe
son mouvement dès qu'il atteint le cube puis retourne à son point de départ (événe-
ment possible) ; l'écran effectue une rotation de 180° et ainsi « anéantit » le cube puis
inverse son mouvement de rotation et le cube réapparaît (événement impossible). Le

Fti

Evénements test

Possible

FIG. 4 . 2. — Illustration du principe de solidité


d'après Baillargeon, Spelke et Wasserman (1985)
Le développement des représentations du monde physique I 147

bébé regarde plus longtemps l'événement test jugé impossible que l'événement possible.
Ce résultat est important à plusieurs égards. Tout d'abord, le bébé comprend que le
cube est tangible et qu'un autre objet ne peut le traverser ou occuper sa place au même
moment (principe de solidité). Mais le résultat le plus important est que cette expé-
rience montrait pour la première fois qu'un objet caché continue d'exister pour un
bébé aussi jeune que 5 mois. L'expérience a été reproduite chez des bébés de 3 mois
confirmant ce résultat. Ainsi, le concept de permanence de l'objet est opérationnel
beaucoup plus tôt que ne le pensait Piaget.

3 / Le principe de continuité suggère que les objets en mouvement poursuivent leur


chemin tant qu'ils ne rencontrent pas d'obstacles qui entravent leur route. Un objet ne
peut traverser ces obstacles ou occuper une place déjà occupée par un autre objet. Pour
illustrer ce principe, le bébé de 2 mois et demi est habitué à regarder une scène où une
balle roule et continue sa course derrière un écran pour stopper contre un mur
(cf. fig. 4.3). Après une habituation visuelle à cet événement, le bébé est confronté à
deux événements nouveaux. Une barrière est placée à l'avant du mur offrant ainsi un
nouvel obstacle. La balle roule derrière l'écran et une fois l'écran levé, le bébé
voit 1 / un événement possible où la balle est arrêtée par la barrière et 2 / un événe-
ment impossible où la balle est située contre le mur. Cette seconde situation suggère
que la balle a traversé la barrière. Elle est regardée plus longtemps par le bébé, dont on
suppose donc qu'il est surpris par l'incongruité de la situation.

FIG. 4.3. — Illustration du principe de continuité


d'après Spelke, Breinlinger, Macomber et Jacobson (1992)
148 I Psychologie du développement

4 / Le principe de contact est lié au principe de causalité. Il permet de plus d'établir


une claire distinction entre les principes qui gouvernent le déplacement des êtres ani-
més (humains ou animaux) et ceux spécifiques aux inanimés (les objets). Les objets sont
soumis au principe de contact en ce sens qu'ils ne peuvent se mouvoir que s'ils ont été
en collision avec d'autres objets ou personnes, il n'y a pas de « contact à distance »,
tandis que les êtres animés ne sont pas soumis à cette contrainte. Dès 1973, Ball avait
trouvé que les bébés, dès 9 semaines, étaient capables de réagir, en regardant plus long-
temps, le déplacement d'une balle sans collision préalable comparé à son déplacement
après collision avec une autre balle. Les événements étaient présentés aux bébés cachés
derrière un écran. Les jeunes bébés sont ainsi sensibles à la continuité spatio-temporelle
des événements. Ces études sur la causalité ont été étudiées de manière approfondie
par Leslie (1984).
Bien que ces expériences n'aient pas été réalisées à la naissance, il n'en demeure
pas moins vrai, qu'à 2 mois et demi, le nourrisson possède des rudiments de connais-
sances (des principes) qui guident sa compréhension d'événements impliquant des rela-
tions spatio-temporelles non totalement perçues entre objets. Ces principes sont consi-
dérés comme innés.

b. Apprentissage et raisonnement (Renée Baillargeon, 2004)

R. Baillargeon (2004) a approfondi les notions de continuité et solidité dans des


situations d'objets cachés selon trois types de relation spatiale : 1 / être caché derrière un
écran (situation d'occultation) ; 2 / être caché dans un contenant (situation d'inclusion) ;
3 / être caché sous un couvercle (situation de recouvrement). Ces différentes situations
d'objets cachés constituent des catégories d'événements pour lesquelles le bébé va
devoir identifier une série de variables ou règles qui lui permettront de prédire de mieux
en mieux les résultats de ces événements. Ces variables sont acquises au cours du déve-
loppement soit par identification progressive des propriétés des objets, forme
d'apprentissage perceptif de la manière dont ils se comportent, soit par un enseigne-
ment adapté aux nourrissons.
Prenons par exemple l'identification de variables dans les événements
d'occultation (cf. fig. 4.4). Les bébés de 2 mois et demi réalisent qu'un objet caché
continue d'exister après sa disparition derrière un cache mais doit être visible lorsqu'il
n'est plus derrière le cache. Si un pantin va et vient derrière deux écrans, les bébés
s'attendent à ce qu'il soit visible entre les écrans (fig. 4.4 a). Cependant, si les écrans
sont connectés en haut ou en bas, les bébés les conçoivent comme formant un seul
cache et ne sont plus surpris de ne plus voir le pantin passer. Les bébés ne détectent
cette transgression qu'à 3 mois (fig. 4.4 b) quand les écrans sont rattachés par le haut et
seulement à 3 mois et demi lorsque les écrans sont connectés par le bas (fig. 4.4 c). Ils
tiennent compte alors de la hauteur de l'objet et s'attendent à ce que les objets de grande
taille soient partiellement visibles derrière le cache et non les objets de petite taille. À
cet âge, les bébés tiennent compte aussi de la largeur relative de l'objet par rapport au
cache (fig. 4.4 d). Ce n'est que vers 7 mois et demi que les bébés prennent en compte
la transparence du cache et s'attendent à ce qu'un objet caché derrière un écran transpa-
rent soit visible (fig. 4.4 e). Ces expériences révèlent que, au cours du développement,
Le développement des représentations du monde physique I 149

Age auquel
la variable est détectée

4a - Variable
2 mois et demi
Derrière le eec
ou non

4b - Variable
3 mois Discontinuité du bord
bas du cache

4e - Variable
3 mois et demi hauteur relative
de l'objet et
du cache

4e - Variable
7 mois et demi Transparence
du cache

FIG. 4.4. Identification des variables


dans diverses situations d'occlusion d'objets,


d'après Baillargeon (2004)

les bébés prennent en compte de mieux en mieux les différentes propriétés physiques de
l'objet et du cache.
Cependant, les bébés ne généralisent pas les variables perçues dans les événements
d'occultation à ceux d'inclusion ou de recouvrement. Pour ces différentes catégories,
des décalages importants peuvent apparaître. Par exemple, les bébés prennent en
compte la variable hauteur vers 3 mois et demi dans les événements d'occultation, aux
environs de 7 mois et demi pour l'inclusion et vers 12 mois pour le recouvrement.
Cependant, il est possible de faire apprendre aux bébés à tenir compte de cette
variable, qu'ils connaissent déjà, mais qu'ils n'appliquent pas aux situations de recou-
vrement par exemple. Il suffit de montrer aux bébés, sur plusieurs essais, des événe-
ments dans lesquels un couvercle haut et large recouvre totalement l'objet tandis qu'un
150 I Psychologie du développement

couvercle petit et étroit ne peut le faire. Grâce à cet apprentissage perceptif discrimina-
tif, les bébés âgés de 9 mois réussissent à tenir compte de la hauteur du cache dans les
tâches de recouvrement.
Ainsi, sur la base des deux principes généraux de continuité et solidité, révélés
dans différentes catégories d'événements d'objets cachés (occultation, inclusion et recou-
vrement), les bébés, dès l'âge de 2 mois et demi, apprennent à avoir des attentes spécifi-
ques pour chaque catégorie d'événements.
Les études sur le très jeune enfant ont fait faire une révolution copernicienne à nos
connaissances sur le développement. Le nourrisson perçoit et raisonne dès le début de
ses échanges avec le monde. La représentation des objets est un prérequis et n'est plus
à construire au cours d'un long processus interactionnel entre les activités du bébé et les
propriétés du monde physique. Cependant, ces études n'expliquent pas pourquoi le
nourrisson échoue à rechercher manuellement un objet sous un coussin ou derrière un
écran (stade III), alors qu'il « sait » que cet objet existe, ni pourquoi à 9 mois, le bébé
échoue encore à trouver l'objet lors de son déplacement visible sous plusieurs caches
(stade IV). Coordonner une succession de gestes moteurs serait-il plus complexe que
comprendre visuellement des événements ? (cf. V et VI, p. 150 et 153).

V - Rechercher un objet caché

a. L'émergence de l'intentionnalité

Rechercher un objet caché sous un tissu implique la planification de plusieurs éta-


pes motrices. Tout d'abord, avoir un but « prendre l'objet » et connaître le moyen de le
faire « retirer le cache ». Cependant, la réussite de l'action finale « atteindre et prendre
l'objet » a un préalable nécessaire qui est la réussite de l'action initiale, le retrait du
cache. Ainsi, la recherche d'un objet caché implique la distinction moyen/but qui fait
défaut, selon Piaget, à l'enfant âgé de moins de 8/9 mois. L'enfant doit simultanément
produire un comportement dirigé par un but et connaître les relations moyen-but pour
y parvenir. Cette connaissance marque le début de l'intentionnalité. Plusieurs situations
impliquent ce type de relation et sont néanmoins réussies plus précocement. Par
exemple, tirer une couverture pour attraper un objet hors d'atteinte posé dessus. Mais
ces comportements n'impliquent pas d'obstacles majeurs car l'objet désiré est visible.
Baillargeon, Graber, Devos et Blak (1990) ont montré que l'enfant de 5 mois pos-
sède néanmoins la connaissance nécessaire pour prendre un objet caché. Les enfants
voient d'abord une scène dans laquelle un objet est placé sous une couverture. Puis un
écran se lève cachant la scène. Une main retire alors l'objet derrière l'écran après avoir
retiré la couverture (événement possible) ou retire l'objet sans avoir au préalable retiré
la couverture (événement impossible). Les bébés regardent plus longtemps l'événement
impossible que possible montrant ainsi qu'ils comprennent la séquence appropriée
d'événements. Cependant, cette connaissance n'implique pas que le bébé soit capable
de produire pour autant cette même séquence d'actions. Ainsi voir faire n'implique pas
qu'on sache faire.
Le développement des représentations du monde physique I 151

Plusieurs hypothèses sont évoquées pour expliquer ce décalage. Vers environ


6/7 mois, l'atteinte d'un objet est visuellement guidée et cette attention portée au geste
d'atteinte interfère avec l'attention portée à l'objectif à atteindre. Quand le geste
d'atteinte devient plus automatique et visuellement déclenché, les enfants de 9 mois
peuvent focaliser leur attention sur la coordination des comportements moyen-but.
Cette hypothèse est invalidée par le fait que l'enfant de 6 mois persiste à attraper un
objet, une fois plongé dans l'obscurité (Clifton, Rochat, Litovsky et Perris, 1991). Une
autre hypothèse suggère qu'il y a un conflit entre le sous-but (enlever la couverture) et
le but (prendre l'objet). Si l'objet est attaché à la couverture, le conflit semble résolu.
Cependant, dans ce type de tâche, l'objet est pris au hasard, parce que attaché au
cache, et l'intention sous-jacente à la prise de l'objet est manquante.
P. Willatts (1999), dans une série d'études longitudinales, a essayé de comprendre
les difficultés que pose ce problème à l'enfant. Il existe avant l'âge de 9 mois des com-
portements transitoires de coordination moyen-but, mais il faut pouvoir distinguer les
comportements intentionnels de ceux qui ne le sont pas ou dont la réussite dépend du
hasard. L'auteur a enregistré les comportements de recherche d'un objet caché sous un
tissu chez des bébés âgés de 6 mois vus tous les mois pendant trois mois. L'émergence
du comportement intentionnel est évaluée à partir de plusieurs indices minutieusement
codés, le comportement avec le tissu, la durée de fixation dès le contact avec l'objet et
le comportement avec l'objet. Les résultats ont montré que la conduite de l'enfant
change considérablement entre 6 et 8 mois. À 6 mois, les enfants montrent peu
d'intention de trouver l'objet, ils prennent le tissu et jouent avec, puis éventuellement
portent une attention à l'objet. À 7 mois, les enfants sont plus rapides à retirer le tissu
et à saisir l'objet et montrent plus de comportements intentionnels qu'un mois plus tôt.
À 8 mois, cette intention est plus nette et les enfants ajustent leur comportement de
« moyen-fin » à la distance qui les sépare de l'objet. Ainsi entre 6 et 7 mois, on assiste à
un changement entre un comportement fortuit et un comportement intentionnel dans
lequel le moyen et le but sont clairement articulés.

b. L'apport du connexionisme

Si l'approche de Willatts (1999) révèle bien l'émergence de l'intentionnalité chez le


bébé dans la planification d'une succession d'actions, elle n'explique pas pour autant
pourquoi les nourrissons de 3 mois, dans des expériences d'occultation d'objets, com-
prennent plusieurs principes physiques, alors qu'il faut attendre 8 mois pour qu'ils
recherchent un objet caché sous un tissu. Elle n'explique pas non plus pourquoi le bébé
de 5 mois est capable de retrouver un objet derrière un écran transparent et non der-
rière un écran opaque (Bower et Wishart, 1972) ou persiste à attraper un objet plongé
dans l'obscurité (Clifton et al., 1991). Pourquoi les bébés simultanément échouent ou
réussissent différentes tâches impliquant pourtant la même connaissance ?
Munakata, McClelland, James, Johnson et Siegler (1997) tentent d'expliquer ces
différents résultats en partant de l'idée que les chercheurs font des inférences sur le
savoir des bébés à partir de leur comportement, sans analyser ce qu'est ce savoir. D'une
manière générale, en s'appuyant sur les données des neurosciences cognitives dévelop-
pementales, l'approche des processus adaptatifs (Munakata et al., 1997) propose l'hypothèse
152 I Psychologie du développement

que l'émergence des conduites vient de l'activation d'unités de traitement neuronales


exigées par la tâche. Cette activation est liée à la force des connexions reliant les unités.
De telles connexions sont calibrées par nature et évoluent progressivement en fonction
de l'expérience. Cette approche insiste sur la possibilité que le traitement soit guidé par
des représentations que le système apprend à construire par l'expérience. Elle admet
aussi le principe de représentations innées analogues à celles proposées dans la théorie
du « core knowledge ».
Concernant la question de la permanence de l'objet, les auteurs considèrent
qu'elle ne peut être tenue comme présente ou absente chez le bébé. Ils proposent que
cette capacité dépend de la force des connexions entre les neurones impliqués dans la
tâche et du processus de renforcement de ces connexions. Ainsi la performance des
bébés dépend principalement du niveau de représentation de l'objet que le bébé pos-
sède à un âge donné.
Pour développer leurs arguments, Munakata et al. (1997) entreprennent une série
d'expériences dans lesquelles les bébés doivent résoudre des problèmes « moyen-fin ».
Les bébés âgés de 7 mois sont encouragés par l'adulte à tirer une couverture sur
laquelle se trouve (ou non) un objet derrière un écran opaque (ou transparent). Quatre
conditions sont créées : un écran opaque derrière lequel se trouve un objet, un écran
opaque sans objet (condition de contrôle), un écran transparent derrière lequel un objet
est visible et un écran transparent sans objet. L'apprentissage se réalise sur 28 essais au
cours desquels les conditions sont présentées au hasard. Après cette phase
d'apprentissage, le bébé doit, à la phase test, tirer la couverture dans le but éventuel de
retrouver l'objet derrière l'écran opaque ou transparent. Chaque essai test est limité à
vingt secondes. Comme prédit, les bébés réussissent mieux dans la condition « écran
transparent » que dans la condition « écran opaque ». Les réussites sont aussi plus nom-
breuses dans les conditions avec objet que sans objet, notamment dans la condition
écran transparent, non dans la condition écran opaque. Ces résultats révèlent bien qu'il
ne s'agit pas d'un déficit d'habiletés « moyen-fin » puisque dans tous les cas le bébé sait
tirer la couverture, mais du statut de l'écran (opaque vs transparent). À l'argument
selon lequel les bébés pourraient considérer l'écran opaque comme un mur et donc
inhiber leurs réponses, les auteurs refont une seconde expérience où les enfants doivent
appuyer sur un bouton pour recevoir un objet placé derrière un écran (opaque ou
transparent). L'écran se lève et l'objet glisse sur une pente au bas de laquelle le bébé
peut le prendre. Après une phase d'apprentissage similaire à la précédente, les bébés, à
la phase test, doivent réussir à obtenir l'objet. Des résultats similaires à l'expérience pré-
cédente sont obtenus.
Ainsi, l'échec des enfants à retrouver un objet derrière un écran opaque, alors
qu'ils réussissent lorsque l'écran est transparent, ne peut pas être interprété comme un
déficit de coordination moyen-fin. La théorie connexionniste propose que le bébé pos-
séderait encore à 7 mois une représentation peu solide de l'objet caché qui serait la
cause de cet échec. Cette interprétation postule que le processus de représentation de
l'objet est continu au cours du développement de l'enfant et s'améliore en fonction des
connexions neuronales renforcées par les expériences du sujet. L'hypothèse d'une conti-
nuité ontogénétique a également été proposée récemment par Spelke et Hespos (2002).
Elle présente l'avantage de comprendre des comportements apparemment contradic-
Le développement des représentations du monde physique I 153

toires obtenus dans des conditions qui impliquent les mêmes processus sous-jacents ou
le même savoir. Cependant, une fois que l'enfant est capable de retrouver un objet
caché, pourquoi au même âge échoue-t-il à nouveau lorsque l'objet est déplacé d'un
cache à un autre et que ces déplacements sont visibles de lui ?

VI - L'erreur du stade IV ou erreur A non B

La littérature concernant l'erreur du stade IV est tellement abondante que les


chercheurs font une méta-analyse* régulièrement tous les quinze ans environ afin de
comprendre les facteurs responsables de cette conduite. En effet, les chercheurs propo-
sent plusieurs interprétations pour expliquer l'erreur du stade IV, autres que celle liée à
une difficulté conceptuelle pour comprendre les propriétés de l'objet désiré (Piaget,
1937 ; Harris, 1983). Certains auteurs insistent sur des déficits en mémoire à court
terme combinés ou non avec une absence de contrôle inhibiteur du geste. D'autres esti-
ment qu'il n'est pas nécessaire d'invoquer un processus cognitif, le bébé réitérant son
geste initial en retournant vers l'écran A, conduite de persévération due au renforce-
ment en A (cf. Marcovitch et Zelazo, 1999, pour une revue).
Pour départager ces différentes hypothèses, les chercheurs ont proposé plusieurs
variantes du paradigme classique. Par exemple, pour éliminer l'hypothèse selon laquelle
les enfants recherchent au hasard (il y a deux caches), les chercheurs ont utilisé plu-
sieurs caches. Ils ont aussi fait varier la distance entre les caches ou fait en sorte que
chaque cache soit bien identifié par l'enfant ; le délai entre le moment où l'objet est
caché et la réponse de l'enfant a été modulé selon les expériences ; les essais en A ont
été limités ou non ; enfin des enfants plus âgés que 9 mois ont été interrogés. Ces diffé-
rences dans la présentation de la tâche rendent difficile la comparaison entre études,
c'est la raison pour laquelle, dans les méta-analyses, les auteurs utilisent des outils statis-
tiques complexes. La synthèse de Marcovitch et Zelazo (1999) porte sur environ une
trentaine d'études. Les auteurs ont défini six variables permettant de prédire le compor-
tement A ou B de l'enfant : l'âge (de 9 à 45 mois), le nombre de caches (entre 2 et 7), la
distance entre les caches (faible ou grande), le délai entre la présentation du problème
et la réponse de l'enfant (entre 0 et 10 s.), le nombre d'essais A (jusqu'à 3), les caracté-
ristiques des caches (distincts ou similaires)
Il ressort de cette analyse que l'âge, le délai, le nombre d'essais en A et la distance
entre les caches seraient des facteurs prédictifs du pourcentage d'enfants qui recher-
chent correctement l'objet (en B). Le nombre de caches est un facteur qui prédit le
pourcentage d'enfants qui recherchent avec persévération (en A) tout en ne prédisant
pas le pourcentage d'enfants qui recherchent correctement l'objet. En résumé, au cours
du développement le nombre de recherches correctes augmente mais ce nombre
diminue lorsque le délai entre le cache et la réponse augmente (déficit de mémoire). Il
peut y avoir un effet du nombre d'essais en A qui s'explique par la force de l'habitude
et le nombre d'essais correctement renforcés (conditionnement). Plus le nombre de
caches augmente, plus les enfants ont tendance à rechercher avec persévération en A
154 t Psychologie du développement

tandis que le nombre de réponses correctes B ne changent pas. Par exemple, Diamond,
Cruttenden et Neiderman (1994) ont présenté 7 caches aux enfants, le cache A était
en 2' position et le cache B en 5 e position. Les recherches incorrectes étaient plus pro-
ches (localisations 3 et 4) que éloignées de A (localisations 6 et 7). Diamond et al. (1994)
expliquent ce résultat à la fois en termes d'un déficit de mémoire et d'incapacité à inhi-
ber une action renforcée.
En résumé, il apparaît qu'un accord sur une ou plusieurs variables est loin d'être
réalisé et que vraisemblablement plusieurs facteurs sont conjointement responsables de
cette énigmatique erreur du stade IV. Une autre hypothèse serait de considérer que,
contrairement aux humains qui sont uniques, les objets peuvent exister en de multiples
exemplaires qu'on peut trouver sous n'importe quel cache (cf. VII, p. 154). Comment
savoir si dans ces situations d'objets cachés, le bébé pense qu'il s'agit d'un seul et
unique objet ou de deux objets identiques ? Prend-il en compte les propriétés des objets
dans son raisonnement ? Combien d'objets distincts sont impliqués, pour lui, dans les
événements impliquant des objets cachés ? (cf. VIII, p. 162).

VII - Individualisation vs Identité des objets

a. L'utilisation des propriétés des objets dans des tâches de raisonnement

On sait que, très précocement, le bébé utilise des critères spatio-temporels pour
individualiser les objets. Dès 4 mois et demi, il semble utiliser les propriétés physiques
des objets pour déterminer le nombre d'entités dans des tâches d'occlusion, dans les-
quelles ils disparaissent et réapparaissent derrière un écran. Cependant, quelle propriété
le bébé utilise-t-il préférentiellement dans son raisonnement sur les objets cachés ? Il ne
s'agit donc pas ici de déterminer s'il différencie la forme, la taille ou la couleur, le motif
ou la texture des objets, mais quelle propriété il considère pour savoir si les situations
d'occlusion impliquent un ou plusieurs objets. Or, certaines recherches révèlent que les
propriétés des objets sont prises en considération dès 4/5 mois, tandis que d'autres
études n'aboutissent à des résultats positifs qu'à des âges plus tardifs comme 10, voire
12 mois. Pourquoi cette contradiction dans les résultats ? Quels sont les mécanismes de
ce développement ? Pour comprendre la différence de résultats obtenus dans des situa-
tions apparemment similaires et relevant de la même obédience théorique, les cher-
cheurs ont été conduits à identifier deux types de situation expérimentale qui semblent
être à l'origine de ce décalage : la situation « event-monitoring » et la situation « event-
mapping ».
Les études de Baillargeon et de ses collègues utilisent des situations « event-
monitoring » dans lesquelles les bébés doivent détecter des inconsistances dans un évé-
nement sans avoir à comparer leur représentation mentale à la solution possible ou
impossible proposée. Dans ces expériences, une seule propriété comme la taille, la
forme, la couleur, etc. diffère entre objets. Par exemple, Wilcox (1999) a étudié la ques-
tion de savoir quelle propriété les bébés âgés de 4 mois et demi à 11 mois et demi utili-
sent pour individualiser les objets. Elle considère quatre propriétés, la forme, la taille, le
Le développement des représentations du monde physique I 155

motif et la couleur. Les deux premières sont considérées comme caractérisant l'aspect
volumétrique des objets tandis que les deux dernières caractérisent les surfaces. Les
bébés voient un objet passer derrière un écran et en ressortir sous un aspect différent
selon la propriété étudiée. L'écran est étroit et donc la situation ne peut impliquer
qu'un objet. La situation proposée est alors impossible et doit déclencher un temps de
regard plus long. Au contraire, l'écran est large et peut impliquer la présence de deux
objets ; la situation devient alors possible (cf. fig. 4.5). Les résultats révèlent que,
lorsque les objets vus de chaque côté de l'écran diffèrent par la taille ou la forme, les
bébés utilisent cette différence pour conclure qu'il y a deux objets distincts. Au con-
traire, quand les objets varient selon le motif, il faut attendre 7 mois et demi pour que
les bébés comprennent la situation. Ce n'est qu'à 11 mois et demi que les bébés utili-
sent l'information sur la couleur pour raisonner à propos du nombre d'objets.

71111101011,11MOMMOM1

Situation impossible Situation possible

FIG. 4.5. — Exemple d' « event-monitoring » pour la taille des objets,


d'après Wilcox (1999)

Les études de Xu, Carey, Spelke, etc. utilisent des situations « event-mapping » dans
lesquelles les bébés doivent comparer leur représentation mentale de l'événement avec la
solution possible ou impossible proposée. Ces situations portent alors sur le concept d'objet
et non sur ses propriétés et apparaissent exiger de l'enfant un traitement cognitif plus éla-
boré. En effet, les concepts catégoriels fournissent des critères pour individualiser les
objets, c'est-à-dire permettent de connaître la frontière entre deux objets connexes
(savoir où l'un se termine et l'autre commence), d'identifier les objets (savoir si un objet
est le même que celui qu'on a vu en différentes occasions). Ces concepts sont lexicalisés
dans le langage par des noms communs comme « chien », « voiture », « eau », etc. Le
156 I Psychologie du développement

mot « chien » permet de savoir si on est en présence d'un ou deux chiens, si on les a déjà
vus à différentes occasions dans le passé et lequel est devant nous.
Par exemple, dans l'étude de Xu et Carey (1996), les bébés de 10 et 12 mois voient
deux écrans clairement séparés (cf. fig. 4.6). Un objet (un canard) sort de l'écran sur la
droite puis y retourne. Apparaît ensuite à la gauche de l'écran une balle qui ensuite
retourne derrière l'écran. Après avoir répété ces événements plusieurs fois, on soulève les
écrans et apparaît la solution possible (le canard et la balle) ou la solution impossible (le
canard ou la balle). Les bébés de 10 mois échouent à tirer des inférences sur l'événement
tandis qu'à 12 mois, ils réussissent. Ce n'est donc pas avant 12 mois que les bébés utili-
sent l'information catégorielle pour réussir cette tâche. Elle consiste à identifier le canard
avec ses propriétés physiques comme représentant un élément de la classe des canards
distinct de la balle vue comme représentant un élément de la catégorie balle.

1 SITUATIONS ÉCRAN

Objet 1
2
sort de l'écran

Objet 1
3
retourne derrière l'écran

Objet 2
sort de l'écran

Objet 2
5
retourne derrière l'écran

Situations 2 à 5 sont répétées


SITUATIONS TEST SANS ÉCRAN

6 Solution attendue

Solution inattendue

FIG. 4.6. — Exemple d' « event-mapping », d'après Xu et Carey (1996)


Le développement des représentations du monde physique I 157

Cependant, si la distinction entre deux classes de situations éclaire le type de rai-


sonnement nécessaire pour comprendre la situation, elle ne permet pas de comprendre
pourquoi les bébés détectent des différences dans les propriétés des objets très précoce-
ment, voire dès la naissance, alors qu'ils ne semblent pas prêter attention à ces proprié-
tés dans des tâches d'occlusion. À quel âge les enfants arrivent-ils à intégrer l'ensemble
des informations pour identifier un objet ? deux hypothèses sont proposées. La pre-
mière s'appuie sur les neurosciences tandis que la seconde propose le langage comme
support d'intégration des informations.

b. L'apport des neurosciences : le if what » et le « where »


Les expériences de Wilcox (1999) suggèrent que les représentations des bébés sont
par nature basées sur des informations spatiales et temporelles plutôt que sur les carac-
téristiques des objets. Or, si toutes ces propriétés appartiennent au même objet, elles
sont traitées différemment dans le cerveau. En effet, il est maintenant admis qu'à partir
du Corps genouillé latéral (cGL), il existe deux voies pour traiter les informations préle-
vées sur les propriétés des objets dans la modalité visuelle. Une voie est formée à partir
des couches parvo-cellulaires du CGL (voie ventrale) et projette les informations du cor-
tex visuel au cortex temporal. L'autre voie provient des couches magno-cellulaires (voie
dorsale) du cGt, et projette les informations du cortex visuel au lobe pariétal. Il y a des
_ raisons de penser que les deux voies extraient les informations sur la forme des objets,
mais l'une le réalise à partir du contour tandis que l'autre le fait à partir du mouve-
ment. Au contraire, seul le système parvo-cellulaire est sensible à la couleur. Plus préci-
sément, la voie magno-cellulaire traite de manière privilégiée les informations spatio-
temporelles permettant le guidage de l'action (localisation, mouvement, taille, forme
grossière pour l'agrippement, mais pas la couleur ou des informations sur le visage),
autrement dit le « where ». Au contraire, la voie parvo-cellulaire (voie ventrale) traite
des informations pertinentes pour identifier des objets (couleur, information sur les visa-
ges) et aussi la taille, la forme, autrement dit le « what », mais pas la localisation
(cf. Milner et Goodale, 1995).
Peu de choses sont encore connues concernant la maturation de ces deux systè-
mes, mais il semblerait que les deux voies maturent à des vitesses différentes. Johnson
(1990) a proposé que le système magno-cellulaire deviendrait fonctionnellement mature
aux environs de 2 mois chez le bébé, tandis que le système parvo-cellulaire deviendrait
fonctionnellement mature entre 3 et 6 mois. Sur ce constat, Mareschal, Plunkett &
Harris (1999) ont suggéré l'hypothèse que les jeunes enfants auraient des difficultés à
intégrer les informations qui sont traitées séparément par les voies dorsale et ventrale,
notamment lorsque les bébés sont confrontés à des tâches d'occlusion. En effet, lorsque
les objets sont cachés, les bébés doivent non seulement maintenir en mémoire les infor-
mations sur les caractéristiques des objets et leur localisation, mais également le lien
entre les deux représentations traitées par des systèmes corticaux différents. Cette argu-
mentation semble s'appliquer également aux tâches de recherche manuelle d'objets.
Pour valider cette hypothèse, Mareschal et Johnson (2003) ont proposé aux bébés
de 4 mois une tâche d'occlusion d'événements entièrement contrôlés et réalisés par
ordinateur. Pendant cinq essais de familiarisation, les bébés voient deux cibles visuelles
158 I Psychologie du développement

différentes qui se déplacent derrière deux écrans et il n'y a aucune ambiguïté quant au
nombre de cibles dont la localisation est affectée à chaque écran (cf. fig. 4.7). Après la
phase de familiarisation, les bébés voient quatre phases tests qui consistent à lever les
deux écrans. Dans la première phase test (condition de contrôle), les bébés voient les
deux cibles montrées en phase d'habituation. Dans la seconde phase test (condition de
violation de traits de surface), les bébés voient une des deux cibles familières tandis que
l'autre a changé de forme, de couleur, etc. Dans la troisième phase test, la règle spatio-
temporelle est violée et les deux cibles familières se trouvent ensemble derrière un des
deux écrans, soit le gauche soit le droit ; enfin dans la quatrième phase test, le lien spa-
tial qui unit la cible à l'écran dans la phase d'habituation est violée, et la cible qui se
cachait derrière l'écran de droite se trouve à gauche et inversement pour l'autre cible.
Les auteurs ont également fait varier le type de cibles et ont présenté pendant la phase
de familiarisation soit des visages de femmes, soit des astérisques de différentes couleurs,
soit des dessins de jouets manipulables ou non manipulables. Si l'on compare chaque
condition test à la condition de contrôle, les résultats montrent que lorsque les cibles
sont des visages ou des astérisques, les bébés réagissent de manière significative au test
de violation de traits alors que dans le cas d'objets manipulables ou non manipulables,
les bébés réagissent surtout au test de violation de la règle spatio-temporelle.
L'inversion de la localisation des cibles à la phase test n'entraîne aucune réaction chez
le bébé.

Essais de familiarisation Essais test

Condition de
contôle

Violation des traits


de surface

Violation
spatio-temporelle

Violation
du lien

FIG. 4.7. — Illustration de l'expérience de Marshall et Johnson (2003)


Le développement des représentations du monde physique I 159

Or, les visages et les couleurs sont traités par le système ventral tandis que le sys-
tème dorsal véhicule les représentations liées à la localisation et à l'action. Ainsi, lorsque
les objets cachés sont des visages de femme ou des figures non significatives, les bébés
réagissent aux changements de traits de surface (identité et couleur) mais non à la nou-
veauté spatiale, au changement de localisation. Lorsque les cibles sont des images
d'objets manipulables ou non, les bébés réagissent au changement spatio-temporel et
non aux traits de surface (identité ou couleur). Ainsi, l'hypothèse selon laquelle les
bébés de 4 mois peuvent traiter les informations soit par la voie dorsale ou par la voie
ventrale mais ont des difficultés à coordonner les informations véhiculées par les deux
voies paraît validée.
Cependant, il existe une contradiction entre ces résultats obtenus à 4 mois et ceux
de Wilcox (1999) ou Xu et Carey (1996) qui ont montré que ce n'est pas avant 10,
voire 12 mois que les bébés prennent en compte l'identité et les caractéristiques des
objets (couleur, forme) dans les tâches d'occlusion. Selon Mareschal et Johnson (2003)
ce décalage est vraisemblablement dû au fait qu'ils utilisent des représentations bi-
dimensionnelles des visages ou des objets tandis que les précédents auteurs utilisent des
objets réels. En résumé, toutes ces études révèlent que les bébés encodent la localisation
et les propriétés des objets séparément et que ces deux sources d'information devien-
nent intégrées vers la fin de la première année. Des recherches sur le singe macaque
rhésus (Rao, Rainer et Miller, 1997) ont montré que le cortex préfrontal est le lieu de
cette intégration.

c. Le rôle du langage

Le langage peut jouer un rôle dans cette intégration des informations relevant du
« what » et celles du « where » et permettre d'identifier clairement les objets qui sont
impliqués dans les tâches d'occlusion (cf. Xu, 1999 ; Spelke, 2003). Cette hypothèse
pose clairement la relation entre langage et pensée. Pour conforter cette hypothèse, Xu
(2002) propose à des bébés âgés de 9 mois un étiquetage verbal des objets qui se
cachent ou apparaissent derrière les écrans. Reprenant la situation « event-mapping »
de Xu et Carey (1996), l'auteur met les bébés dans trois conditions : 1 / (condition deux
mots) les bébés entendent dès l'apparition du canard ou de la balle, le nom des objets
« regarde, une balle » ou « regarde, un canard » ; 2 / (condition un mot) les bébés
entendent dès l'apparition d'un des deux objets « regarde, un jouet » ; 3 / une condi-
tion de contrôle sans mot permet de tester la préférence intrinsèque pour l'un ou l'autre
objet. Les résultats révèlent que dès 9 mois, les bébés comprennent qu'il y a deux objets
distincts dans la situation où deux mots sont prononcés comparée aux deux autres
situations. Des expériences de contrôle avec un son ou deux sons similaires ou différents
permettent de conforter ce premier résultat.

d. Le fichier d'objets et les petits nombres

Une autre manière d'interroger les bébés sur l'identité des objets est de savoir
s'ils connaissent le nombre d'objets cachés. Ces dernières années, la question des com-
pétences numériques du nourrisson a fasciné les chercheurs et produit une explosion
160 I Psychologie du développement

de faits et de polémiques inattendus. Toutes les recherches concernant l'identité des


objets dans des tâches d'occlusion posent aussi la question du nombre d'objets cachés.
Il n'y en a pas plus de deux. Néanmoins, depuis la recherche de Wynn (1992), on sait
que les bébés réussissent des opérations d'addition et de soustraction (cf. fig. 4.8) et
peuvent compter jusqu'à trois. Dans l'opération d'addition, des nourrissons de 5 mois
voient un Mickey dans un théâtre de marionnettes. Un écran se lève cachant le per-
sonnage et une main introduit un second Mickey derrière l'écran. L'écran se baisse et
le bébé est alors confronté à deux situations : n'apparaît qu'un Mickey (situation
impossible) ou apparaissent deux Mickeys (situation possible). Le bébé regarde plus
longtemps la situation impossible manifestant ainsi des compétences numériques. Dans
l'opération de soustraction, deux Mickeys sont présents, l'écran se lève et une main
vient enlever un Mickey. De même, le bébé voit comme résultat soit deux Mickeys
(situation impossible) soit un Mickey (situation possible). La réaction de surprise du
nourrisson à la présentation de la situation impossible révèle, là encore, qu'il a
« opéré » correctement.

Evénement 1+1=1 ou 2

1. Placement 2. Rotation de 3. Ajout d'un 4. La main


d'un objet l'écran second objet repart vide
1
0 111. 1 1
Ensuite soit : résu tat possible soit : résultat impossible
5. L'écran s'abaisse révélant 2 objets 5. L'écran s'abaisse révélant 1 objet

Evénement 2-1=1 ou 2
1. Placement de 2. Rotation de 3. Une main 4. Retrait

11 ,..
2 objets l'écran vide entre d'un objet
w

I ■
Ensuite soit : résu tat possible soit : résultat impossible
5. L'écran s'abaisse révélant 1 objet 5. L'écran s'abaisse révélant 2 objets

FIG. 4.8. Protocole expérimental utilisé dans l'expérience de Wynn (1992)


Le développement des représentations du monde physique I 161

Cette expérience a été de nombreuses fois reproduite, avec d'autres personnages,


en modifiant leur apparence physique, le mode de présentation, etc. Des résultats
identiques ont été trouvés. Cette expérience a été alors contestée, non dans les faits,
mais dans leur interprétation. Une explication a été élaborée par Simon (1997). Il
s'interroge sur la nature cognitive de la situation et considère que la réaction de
l'enfant proviendrait plutôt de sa compréhension de l'impossibilité physique de la
situation que du résultat d'un comptage arithmétique (cf. fig. 4.9). Par exemple, dans
l'opération d'addition, à chaque entité présentée, le bébé crée et maintient en
mémoire une représentation de l'objet. Donc, avant la présentation des événements
tests, le bébé a deux « fichiers » d'objet en mémoire. La confrontation de l'événement
impossible à ses représentations déclencherait ainsi une réaction révélant que les
attentes du bébé ne sont pas satisfaites plutôt que ne correspondant pas à son « calcul
mental ».

Présentation de l'événement «1+1»

Le bébé crée une représentation abstraite de l'objet qu'on lui présente (1) sous forme
de token, qui reste en mémoire quandl' écran se lève (2). Le placement d'un deuxième
objet derrière l'écran (3) donne lieu à la création d'un nouveau token

Test de situation impossible

L
L'un des objets est retiré du dispositif à l'insu du bébé (4). Lorsque l'écran s'abaisse, ne
révélant qu'un seul objet (5), le bébé crée une nouvelle représentation mentale de la scène
intégrant un seul token.

Le bébé compare la nouvelle représentation par correspondance terme à terme avec la


représentation qu'il avait précédemment en mémoire. Un défaut d'appariement provoque
alors une réaction de surprise de la part du bébé (6).

FIG. 4 . 9. Modèle de « fichiers d'objets » d'après Simon (1997)


interprétant l'expérience de Winn (1992)
162 I Psychologie du développement

Cependant, cette interprétation ne doit pas totalement effacer les capacités numé-
riques du nourrisson. La discrimination de quantités discrètes (deux vs trois points) est
réalisée dès la naissance par la méthode d'habituation/réaction à la nouveauté (Antell
et Keating, 1983). Mais de manière fondamentale, l'accès aux quantités n'est pas spéci-
fiquement visuel ou de nature perceptive, il est amodal et cognitif. En utilisant la tech-
nique de choix préférentiel, Starkey, Gelman et Spelke (1983) ont montré que les bébés
âgés de 6 à 8 mois sont capables d'apparier deux vs trois objets à deux vs trois sons. En
utilisant le paradigme de transfert intermodal entre le toucher et la vision, Féron, Gen-
taz, Streri (2006) ont également montré que les bébés sont capables d'identifier le
nombre (2 vs 3) d'objets qu'ils ont reçus dans leur main et de reconnaître cette informa-
tion visuellement. Ainsi, même sous forme de fichiers d'objet l'accès aux petites quanti-
tés est possible très précocement.

VIII - Conclusions

Si les recherches de Piaget ont été et demeurent encore le point d'ancrage pour
l'étude de la cognition du bébé, elles ont considérablement été enrichies par des
savoirs nouveaux, clairement insoupçonnés il y a quelques décennies. La représenta-
tion des objets existe dès la naissance et n'est plus le résultat d'une construction et
d'une interaction avec l'environnement. Cette représentation repose sur des principes
de base, comme la notion d'espace-temps ou d'objet préexistante à toute expérience.
La représentation de l'objet s'affine, s'élabore grâce aux expériences multiples du
sujet avec l'environnement et elle s'améliore, voire se consolide à l'apparition du lan-
gage. Il reste maintenant d'autres questions à résoudre pour les chercheurs. Pourquoi
les enfants de 2 ou 3 ans échouent aux mêmes tâches que les nourrissons réussissent
pourtant ? Comment concilier dans un ensemble cohérent les recherches de Piaget
sur l'enfant en période d'apprentissage scolaire et celles du nourrisson ? Les neuro-
sciences ou les théories connexionnistes paraissent apporter des solutions possibles
pour comprendre le développement des connaissances sur une période courte, une
microgenèse, mais elles ne sont pas suffisantes pour comprendre l'évolution de la
pensée de l'enfant sur plusieurs années. Dans cette évolution, quelle est la part du
noyau de connaissances qui demeure inchangée et quels sont les facteurs qui
contribuent de manière profonde à son enrichissement, sa complexité, voire sa
transformation ?

LECTURES CONSEILLÉES

Baillargeon, R. (2004). Le raisonnement des bébés à propos des objets cachés : des principes
généraux et des attentes spécifiques. In R. Lécuyer (Ed.), Le développement du nourrisson.
Paris : Dunod, 221-270.
Piaget, J. (1937). La construction du réel chez l'enfant. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
Le développement des représentations du monde physique I 163

Spelke, E. S. (2003). Core knowledge. In N. Kanwisher et J. Duncan (Eds.), Attention and


Performance, vol. 20 : Functional neuroimaging of visual cognition. Oxford University Press,
29-55.
Streri, A. (2003). L'fntermodalité. Une introduction à la psychologie des perceptions. In
A. Delorme et M. Flückiger (Eds.), Perception et réalité. Chap. 9. Gaétan Morin Éditeur,
197-221.

B - LE DÉVELOPPEMENT DES REPRÉSENTATIONS DE L'ESPACE,


par Marie-Germaine Pêcheux

Si l'on considère les activités habituelles aux enfants, on constate que les caracté-
ristiques spatiales y jouent un rôle important : non seulement pour la lecture et
l'écriture, la géographie et le dessin, mais également les jeux de construction, les décou-
pages, les jeux de plein air (ballon, vélo), et les jeux vidéo, que les enfants pratiquent de
plus en plus précocement, et on pourrait allonger la liste. Nous avons vu, dans le cha-
pitre précédent, comment les caractéristiques spatiales sont prises en compte dans la
connaissance des objets, et il est clair que la forme des objets est liée à leur usage. Ici
nous considérerons les relations spatiales entre objets, jusqu'à la constitution de l'espace
euclidien abstrait. On précisera d'abord comment le traitement des informations spa-
tiales présente des caractéristiques originales, pour tenter ensuite de décrire la trajec-
toire du développement des connaissances spatiales.

I - La spécificité des traitements spatiaux

Dans la mesure où, jusqu'à l'adolescence, l'aspect concret des opérations dont
l'enfant est capable implique ipso facto l'espace, on peut se demander s'il y a un sens à
isoler la connaissance de l'espace des autres types de connaissances. D'emblée, au
niveau des tâches qu'on peut proposer pour étudier la cognition spatiale, on voit qu'on
peut distinguer entre activités spatialisées et activités spatiales (Mayer, Bullinger et
Kaufmann, 1979) : dans le premier cas les composantes spatiales ont un rôle de sup-
port, et dans le second elles constituent l'objet même de la tâche Ainsi la catégorisation
d'un ensemble d'animaux s'exprime par des localisations différentes des différentes clas-
ses dans l'espace de jeu, mais les localisations n'ont en soi pas d'importance et
n'interviennent pas dans la solution du problème ; quand, par contre, l'enfant entre-
prend de construire une file rectiligne d'animaux allant d'un point à un autre, alors il
s'agit bien d'une tâche spatiale. La distinction est à prendre plus comme un continuum
que comme une opposition tranchée. Lorsqu'on considère des tâches, on s'intéresse en
fait à l'interaction entre un problème à résoudre et le sujet qui y est confronté : saisir
un objet est une tâche spatiale pour un bébé de 4 mois, pour qui le réglage de la direc-
tion et de l'amplitude du geste est encore problématique ; par contre, une situation
164 I Psychologie du développement

impliquant des manipulations d'objets par des enfants de 6 ans est pour eux une tâche
spatialisée. Dans ce chapitre, ce sont les tâches spatiales que nous considérerons.
Quatre types d'arguments peuvent être évoqués pour soutenir le point de vue
d'une spécificité des traitements spatiaux.

a. Les modèles géométriques

De nombreux travaux ont étudié la prise en compte des caractéristiques spatiales


en comparant une description géométrique de l'espace, considérée comme objective, et
la description dans les mêmes termes des comportements observés. Piaget prend ainsi
appui sur la hiérarchie de certaines géométries pour interpréter les performances spa-
tiales des enfants (fig. 4.10).

Groupe Propriétés Figure


GEOMETRIES principal de minimales initiale Figure transformée Niveaux d'équivalence
transformations conservées F1 F2 entre H et F2

TOPOLOGIQUE Hcméanorphies continuité


voisinage Topciogique
séparation
ordre
A U
PROJECTIVE Projectivités droite
Topd. + Projectif

A U
AFFINE Affinités parallélisme
Topd. + Prcj. + Affine

A U
EUCLIDIENNE Similitudes ange
Topd. + Prq. + P. + Euclidien

A U
METRIQUE Isométries distance
Topd. + Prcj. + Af. + Eucl. +
Métrique

A
Relations de subordination entre géométrie .
U Relations d'inclusions entre groupes de transformation.

FIG. 4.10. — La hiérarchie des géométries selon Piaget


Le développement des représentations du monde physique I 165

Selon les postulats qui les fondent, et les équivalences que ces postulats autorisent,
les géométries peuvent être hiérarchisées de la moins contraignante (la géométrie topo-
logique) à la plus contraignante (la géométrie métrique). Ainsi pour la géométrie topolo-
gique les transformations autorisées (homéomorphies) conservent les continuités, les voi-
sinages, les séparations et les ordres : un carré est équivalent à une pomme de terre,
mais deux figures en contact par un point restent en contact. La géométrie projective
conserve les droites, et dans cette géométrie tous les quadrilatères sont équivalents. De
même la géométrie affine conserve les parallélismes, et les carrés sont équivalents aux
parallélogrammes ; le raisonnement est le même pour les géométries euclidienne et
métrique. On voit dans la dernière colonne de la figure 10 que les équivalences entre
figures sont de plus en plus exigeantes. Comme on peut s'y attendre, Piaget montre que
les enfants accèdent progressivement aux géométries les plus contraignantes : ils tien-
nent d'abord compte des caractéristiques topologiques puis seulement après un délai
des caractéristiques projectives, etc.
Cette perspective appelle plusieurs remarques. D'une part elle n'intègre pas
d'autres géométries, comme la géométrie algébrisée, et cela rappelle que les géométries
sont des théories et non pas des descriptions objectives. D'autre part les faits expéri-
mentaux ne vérifient pas toujours l'acquisition hiérarchique : quand un enfant cherche
à reproduire un carré et trace d'abord un angle, il tient compte d'un aspect projectif;
mais si ensuite il ne parvient pas à fermer la figure s'agit-il vraiment d'un échec topolo-
gique ? De manière plus générale l'espace connu n'est pas isotrope* : les représentations
des zones et des objets familiers sont organisées selon des règles projectives ou métri-
ques, cependant que les espaces flous ou contingents qui les relient ne sont appréhendés
qu'au niveau topologique.

b. Les opérations spatiales et le raisonnement infralogique

On connaît l'importance des opérations dans la théorie piagétienne du développe-


ment (cf. la théorie constructiviste de Piaget, chap. 2, I). Pour Piaget, les opérations
portant sur l'espace diffèrent qualitativement des opérations logiques parce que l'espace
est continu. L'espace étant un « schème unique englobant en seul bloc tous les éléments
qui le composent » (Piaget et Inhelder, 1948), les opérations spatiales sont « formatrices
de la notion d'objet comme telle, cependant qu'une classe logique est un ensemble
d'éléments discontinus » (cf. le développement des concepts et de la catégorisation
d'objets, chap. 4, III). Les opérations spatiales sont dites infralogiques, non pas parce
qu'elles seraient moins logiques, mais parce qu'elles fonctionnent sur un plan différent,
celui de la construction de la continuité • dans l'esprit de Piaget, l'infralogique traite des
relations entre les parties d'objet (objet étant pris en un sens général et pouvant être un
espace) et se situe donc en dessous du niveau de l'objet, alors que la logique traite des
relations entre les objets et se situe donc au-dessus du niveau de l'objet.
Ainsi un segment de droite peut être vu comme une partie d'un segment plus
grand, ce dernier comme une partie d'un contour entier, etc. De même, une surface
peut être isolée dans une surface plus étendue. Les opérations infralogiques sont des
partitions et des réunions. Elles sont analogues à des emboîtements de classes logiques à
plusieurs niveaux, mais les premières portent sur du continu, cependant que les secon-
166 I Psychologie du développement

des portant sur du discontinu. De même, il y a une analogie entre un ordre linéaire,
construit par des compositions de voisinages de proche en proche, et les relations asy-
métriques (sériations) dans le domaine logique. Il y a une rupture qualitative quand on
passe des partitions / réunions aux emboîtements / sériations, par exemple en réunis-
sant dans une même classe logique tous les objets discontinus que sont les quadrilatères,
une fois identifiés comme tels. Au stade formel, où les raisonnements portent sur des
propositions, les raisonnements spatiaux ne se différencient plus des autres raisonne-
,

ments. Et c'est donc aux stades précédents (sensori-moteur et intuitif) qu'il nous faudra
étudier la construction de l'espace continu.

c. La perception de l'espace

On peut remarquer que les ordinateurs — êtres logiques s'il en fut — ont du mal à
traiter des données spatiales que, précisément, ils discrétisent' alors que l'être humain
dans son environnement peut percevoir le continu spatial de manière globale 2 . Bien
que la maîtrise ultime de l'espace se manifeste par la possibilité d'opérations mentales
portant sur des représentations spatiales en l'absence d'objets (anticiper des transforma-
tions de forme, etc.), dans de très nombreux problèmes spatiaux les caractéristiques à
prendre en compte sont présentes et peuvent être perçues. Les apports perceptifs jouent
un rôle important dans les rapports des hommes à l'espace, au point qu'on peut se
demander s'il est nécessaire d'aider les enfants à structurer l'espace : ils n'ont qu'à bien
regarder. En comparant, au niveau perceptif, les buts et les performances, on peut réa-
juster son activité. Les différentes modalités sensorielles interviennent dans la perception
des relations spatiales. Certes, la vision joue un rôle prépondérant, parce qu'elle permet
de percevoir simultanément tout le champ visuel, mais l'audition, le tact, la kinesthésie*
et l'olfaction apportent également des informations, plus séquentielles. Les lois
d'organisation perceptive décrites par les théoriciens de la Gestalt (proximité, bonne
. continuation, destin commun, cf. Grand Dictionnaire Larousse de la psychologie, 1999) fonc-
tionnent très précocement (fig. 4.11).
Pour Piaget, ce sont les activités du sujet qui construisent ses connaissances, les
perceptions ne servent que de support et, en l'absence d'opérations, peuvent être sour-
ces d'erreurs (cf. les illusions perceptives) : « L'intuition de l'espace n'est pas une lecture
des propriétés des objets, mais, dès le début, une action exercée sur eux » (Piaget et
Inhelder, 1948). C'est dire que, pour Piaget, il ne suffit pas de regarder... Mais la
théorie de la perception directe, élaborée par Gibson (1966) propose un point de vue
très différent.
Selon Gibson, les informations fournies par l'environnement sont suffisamment
riches pour qu'on puisse percevoir directement des caractéristiques spatiales comme la
forme ou la distance. Les transformations spatiales induites par les mouvements des
objets ou de l'observateur permettent la construction d'invariants spatiaux : par
exemple le gradient de texture renseigne sur l'orientation d'une surface (fig. 4.12) et la
vitesse de déplacement d'un objet dans le champ visuel donne des indications directes

1. C'est-à-dire qu'ils décomposent l'espace en pixels discontinus.


2. On dit aussi « holistique ».
Le développement des représentations du monde physique I 167

A 2\ 1 2
A
3
A
4

FIG. 4.11. — Une loi de la Gestalt, la loi de bonne continuation


Cette loi prévoit que des éléments tendent à être regroupés en fonction d'une communauté
de direction ; en fonction de cette loi, dans la figure, c'est le triangle 1, parmi les 4 éléments
1 à 4, qui est perceptivement la plus proche de la figure supérieure.
Pour tester l'utilisation de cette loi par les bébés, on utilise une méthode de conditionne-
ment opérant (cf. chap. « Méthodes ») et on observe que la réponse conditionnée est généralisée
pour le triangle 1 et pas pour les trois autres.

sur son excentricité par rapport à l'axe du regard. Selon Gibson, les nourrissons n'ont
pas besoin d'apprendre à interpréter des indices et, par exemple, ils perçoivent très pré-
cocement la profondeur.
Mais Piaget et Gibson s'accordent sur le rôle des transformations de l'objet dans la
construction des connaissances spatiales. Transformations produites par le sujet pour

FIG. 4.12. — La texture permet la perception directe de l'orientation (Gibson)


Une surface se caractérise par une texture (à gauche). Une rotation du plan frontal vers un
plan incliné introduit une transformation systématique de l'apparence perçue (gradient de tex-
ture, à droite). De même, les modifications de texture renseignent directement sur l'éloignement
ou le rapprochement.
168 I Psychologie du développement

Piaget, observées pour Gibson, mais pour l'un et l'autre cruciales pour détecter des
invariants'. Cela appelle deux remarques. D'une part les perceptions globales de confi-
gurations statiques, régies par les lois de Gestalt, n'apportent pas autant que les percep-
tions de relations spatiales dynamiques (et l'on sait que les cibles en mouvement inté-
ressent particulièrement les bébés). D'autre part, les transformations spatiales
qu'expérimentent les enfants sont loin d'être toutes sous leur contrôle, et leur interpré-
tation n'est pas évidente : par exemple comment les enfants interprètent-ils les divers
angles de prise de vue sous lesquels est filmé un match à la télévision ?
Le rôle des perceptions dans la connaissance de l'espace est donc contradictoire ;
elles apportent beaucoup d'informations, mais elles sont loin de suffire à garantir une
connaissance exacte. Les données présentes, perçues, interviennent dans l'organisation
qui est faite de l'espace, mais l'imagerie spatiale joue également un rôle crucial.

d. Les représentations spatiales

Nous partirons ici la définition que Piaget et Inhelder (1948) donnent de la repré-
sentation : elle est, comme la perception, un mécanisme figuratif de la connaissance
parce qu'elle considère des états et non des transformations. Mais — et c'est là toute sa
puissance — elle permet l'évocation d'objets absents. Elle est « une imitation intériorisée,
qui procède de la motricité et aboutit à une figuration calquée sur les données sensi-
bles ». Ainsi, par exemple, les enfants de moins de 6 ans ont du mal à reproduire un
losange, car certaines caractéristiques ne sont pas prises en compte par la représenta-
tion qu'ils en construisent, même si elles sont données dans le modèle ; le « pointu »
supérieur est souvent tracé en premier, après quoi on assiste à des tentatives de fermer
la figure en bas. La représentation peut informer la perception, en y faisant intervenir
des éléments absents ; ainsi les jugements portés sur la taille d'objets habituels tiennent
compte de ce qui a été appris à leur sujet : les papas sont dessinés plus grands que les
enfants même quand ceux-ci ont dépassé leurs parents.
Toute représentation met en jeu la fonction symbolique, qui permet simultané-
ment de distinguer et de mettre en relation des signifiants (les symboles) et des signifiés
(la réalité à symboliser). Cependant, les relations particulières qui existent entre réalité
et représentations spatiales donnent à cette dernière une spécificité importante : dans le
cas de l'espace il y a homogénéité entre le symbolisé constitué par les opérations spa-
tiales et le symbolisant imagé qui est également spatial : aucune forme particulière de
représentation ne s'impose pour symboliser une classification (un arbre, des emboîte-
ments), ou pour faire correspondre un mot à son référent, l'image d'un losange par
contre reprend des caractéristiques spatiales de cet objet.
L'image spatiale a donc un statut particulier, intermédiaire, à la charnière entre
perception et opération. L'ouvrage de Piaget et Inhelder (1948), La représentation de
l'espace chez l'enfant, démontre pas à pas que l'espace représenté n'est pas une simple
copie de l'espace perçu, mais qu'il se construit, tout au long de l'enfance, sous la dépen-
dance des capacités opératoires ; simultanément, l'homogénéité entre espace et image

I. Quelles propriétés se conservent lors d'une transformation dans une géométrie donnée ? Par exemple la
rectilinéarité des côtés d'un solide se conserve lors de rotations.
Le développement des représentations du monde physique I 169

spatiale peut fournir un support figuratif fiable aux opérations spatiales. Dans cette
perspective, il est clair qu'il ne suffit pas de regarder ; mais il est possible d'apprendre à
regarder, en particulier en s'appuyant sur les opérations spatiales qui permettent de
passer d'un état à un autre'.

e. Conclusion : les codages spatiaux

On a donc plusieurs raisons de penser que les mécanismes de traitement des don-
nées spatiales ont leur originalité propre. Mais en même temps, pour une tâche spatiale
donnée, il est très difficile d'analyser la part des opérations spatiales, des perceptions et
des représentations. Certes, on peut contrôler quelles données peuvent être perçues,
mais on ne peut pas atteindre directement les représentations (c'est la raison pour
laquelle la perspective behavioriste refusait de parler de représentations) ; quant aux
opérations, encore faut-il qu'elles soient concrétisées dans l'activité du sujet. Nous ver-
rons plus loin qu'un changement apparemment minime peut modifier profondément le
niveau de réussite des enfants : ainsi, accroître la discriminabilité et la prégnance des
indices perceptifs peut grandement faciliter la tâche.
À la suite de Piaget, la psychologie cognitive et les neurosciences ont défini les
représentations comme des codages*. Plusieurs codages du signifié spatial sont possibles,
qui peuvent être utilisés isolément ou simultanément, se prêtent différemment à divers
traitements, et qui sont acquis à différents niveaux de développement (Stiles-Davis,
Kritchevsky et Bellugi, 1988).
Le codage sensoriel des données spatiales paraît assuré dès la naissance Ainsi un
nouveau-né de quelques minutes tourne la tête vers un stimulus auditif latéral
(cf. chap. 3 : « Les méthodes de la psychologie du développement ») ; mais cette
réponse, apparemment réflexe, disparaît aux alentours de 2-3 mois pour laisser place à
une recherche de l'objet qui produit le son, donc, vraisemblablement à un codage diffé-
rent. De même on a pu mettre en évidence chez des bébés de quelques jours une com-
pensation posturale au déplacement antéro-postérieur du champ visuel : dans cette
expérience, la tête du bébé reposait sur des capteurs de pression et des trames verticales
produites sur des écrans de téléviseur latéraux se déplaçaient par exemple vers l'avant
de l'enfant ; dans cette situation, les adultes et les enfants ont tendance à tomber en
avant, et la poussée de la tête des bébés sur les capteurs a montré qu'ils présentaient
aussi cette compensation posturale d'un mouvement apparent (Jouen et al., 2000). Autre
exemple : la projection rétinotopique, c'est-à-dire la projection sur la rétine de l'image
de l'objet perçu, assure, dès la naissance, la représentation du champ visuel dans le sys-
tème visuel : les relations spatiales entre éléments du champ se retrouvent au niveau
rétinien, puis sous formes de « cartes » aux différents niveaux du système nerveux'.
Les différentes théories de la perception attribuent des statuts divers au codage
perceptif. On a vu que pour Gibson la perception est directe ; cependant le percept est

1. Par exemple les enfants apprennent beaucoup sur l'espace projectif en recherchant en fonction de quels
paramètres varie la longueur des ombres quand on a le soleil couchant dans le dos.
2. Assurément le mot représentation désigne des réalités très diverses, et par exemple Blades et Spencer
(1994) proposent de réserver ce terme aux cartes et utilisent l'expression « pensée spatiale » pour désigner
ce que Piaget appelle représentation.
170 I Psychologie du développement

indépendant des modalités sensorielles à partir desquelles il est acquis. À l'extrême


opposé, Bruner considère que toute perception est une classification : les attentes du
sujet, et ses connaissances antérieures se combinent toujours aux données sensorielles.
Dans cette perspective, la distinction entre perception et connaissance s'efface.
Le codage posturo-cinétique* joue un rôle important pendant l'enfance, quand les
pratiques de l'espace se traduisent par des actes : Pinol-Douriez (1975) montre que des
enfants de 4 ans reproduisent mieux un trajet en le parcourant à nouveau plutôt qu'en
le dessinant. De même la forme d'une lettre, au moment de l'apprentissage de la lec-
ture, est codée par le mouvement que son tracé requiert (cf. Bara, Gentaz et Colé,
2004). Dans notre culture l'éducation tend à restreindre les mouvements, et à promou-
voir l'intériorisation et l'abstraction, mais en cas d'évocation difficile, et à tous les âges,
le codage posturo-cinétique reste un moyen sûr : pour indiquer un chemin dans la rue,
on s'oriente sans y penser dans la direction adéquate, par rapport à laquelle se définis-
sent la gauche et la droite. Certes Piaget envisage avec une surprenante sérénité qu'au
point ultime du développement de la connaissance de l'espace, le sujet se conçoit
comme un point quelconque de l'espace infini', mais nous verrons plus loin que les sys-
tèmes corporels de référence ont la vie très dure.
Le codage verbal de l'espace est une arme à double tranchant, à la fois parce qu'il
permet des opérations formelles, ce qui est une incontestable force, et que le vocabu-
laire spatial est relativement pauvre. On ne dispose que de peu de mots pour désigner
des formes, au-delà des termes géométriques, et les prépositions exprimant des positions
relatives (sous, sur, etc.) sont très liées au codage postural. Le codage verbal suppose
que soit introduite une certaine discontinuité, cependant que, nous l'avons vu, l'espace
se caractérise par sa continuité. En géométrie, le problème est résolu en utilisant un
vocabulaire spécifique : « La façon la plus élégante, la plus profonde, la plus rapide de
définir l'espace est de le définir comme un espace vectoriel sur R 2 à trois dimensions,
muni du produit scalaire », mais il n'est pas sûr que cette définition élégante soit utile
pour prendre l'autobus.
Il ressort de ce bref exposé des différents codages spatiaux qu'ils ne sont pas
équivalents et que, selon les tâches à résoudre, ils seront plus ou moins économiques.
Les individus, adultes ou enfants, qui sont les plus performants dans le domaine spa-
tial sont peut-être ceux qui savent combiner au mieux les différents codages, et en
particulier aller et venir entre continu et discontinu'. Pour conclure, il paraît impor-
tant de souligner que si certains codages spatiaux sont inscrits dans l'organisme des
espèces étudiées (et le retour au gîte d'un blaireau implique bien d'une manière ou
d'une autre, un codage posturo-cinétique), d'autres ne peuvent pas être élaborés indi-
viduellement. L'accès aux différents modes de codage, ainsi que l'accès aux informa-
tions spatiales à coder, ne dépendent pas exclusivement des capacités sensorielles, per-
ceptives, motrices et cognitives des enfants : ils sont pris en charge par les processus

1. À quelles conditions un être humain peut-il parvenir à ce point de sublimation ?


2. R ensemble des nombres réels.
3. ll n'existe pas d'ouvrages consacrés aux rapports des adultes à l'espace, même si de nombreux chapitres
examinent par le menu certains mécanismes en jeu. Dans le même ordre d'idée, il est rare que des trou-
bles uniquement spatiaux soient détectés et pris en charge à l'âge adulte. Ce n'est pas le lieu de discuter
ces constatations troublantes, qui méritent pourtant qu'on y réfléchisse.
Le développement des représentations du monde physique I 171

d'intégration (et de non-intégration) des enfants au monde des adultes. Les apports,
les aides, les sollicitations, les attentes et les interdictions dont les enfants sont l'objet
pèsent lourd dans la construction de leurs rapports à l'espace. Ce point de vue
s'oppose assez radicalement à celui pour lequel, pourvu que les systèmes sensoriels et
le système nerveux soient intacts, la prise en compte des informations spatiales, essen-
tiellement perçues, ne fait pas problème. Dans la seconde partie de ce chapitre,
l'étude développementale des référentiels spatiaux nous permettra de justifier notre
point de vue.

Il - La multiplicité des référentiels spatiaux

Nous examinerons ici par quels mécanismes les objets, englobés dans l'espace
continu, y sont situés et repérés. Situer un objet, c'est établir des relations entre lui et
un système de référence. On peut remarquer ici que la partition que nous avons pré-
sentée comme allant de soi au début de ce chapitre, à savoir la partition entre objets et
relations entre objets, pose un sérieux problème dès lors qu'on parle d'orientation : à la
fois une orientation canonique peut être liée à l'objet lui-même (l'ouverture d'un vase
en haut de celui-ci) et cette orientation se définit par rapport à un référentiel extérieur
(la verticale). Dans ce qui va suivre, on va souvent considérer la façon dont un point
matériel est localisé dans un système de référence, mais on verra qu'en fonction des
objets à situer les référentiels utilisés peuvent varier.
Nous distinguerons trois grandes classes de référentiels : les référentiels corporels,
les objets comme référentiels, et les référentiels abstraits. Nous nous interrogerons
ensuite sur les rapports qu'ils entretiennent au cours du développement et sur leurs
conditions d'acquisition et d'utilisation.

a. Les référentiels corporels

N'en déplaise à Piaget (cf. supra), il n'est pas possible à un être humain de sortir
physiquement de l'espace, et le corps propre constitue un repère toujours présent. Pour
un neurophysiologiste comme Paillard (1971), « la machine biologique génère son uni-
vers spatial ».
Le corps humain présente, au niveau morphologique et au niveau fonctionnel, une
organisation qui impose certains mécanismes de repérage et de saisie d'information. Au
niveau de sa morphologie, le corps présente un pôle antérieur et un pôle postérieur, un
devant et un derrière, et deux côtés symétriques. Au niveau fonctionnel, les mouve-
ments se produisent sur la base d'une mise en position du corps : les activités cinétiques
de transport, du corps tout entier, d'un segment corporel ou d'un objet tenu, doivent
être distinguées des positionnements par rapport à la gravité et aux événements
extérieurs.

1. Chez l'homme la posture érigée n'est pas acquise d'emblée, et elle est nécessaire pour parler de « haut » et
« bas ».
172 I Psychologie du développement

Cette double organisation, morphologique et fonctionnelle, détermine pour une


grande part les systèmes de référence utilisés, en liaison avec les mécanismes de capture
d'information. Paillard décrit ainsi différents référentiels coordonnés (fig. 4.13) :
— le référentiel gravitaire, qui comprend le référentiel géocentrique de l'oreille interne,
le référentiel céphalocentrique, le référentiel de l'axe du corps et le référentiel de la
surface d'appui sur le sol ;
les référentiels centrés sur les organes de capture, bouche, oeil et main.

Selon Paillard, et en accord avec Piaget, c'est l'activité sensori-motrice qui permet
de constituer à la fois l'invariance perceptive de l'espace physique et les invariants réfé-
rentiels. En particulier le mouvement conditionne les recalibrations exigées par la crois-

R.Ce.C.

RGe.C.

FIG. 4.13. — Représentation schématique des divers référentiels corporels


(Paillard, 1971)
R.Ge.C. : Référentiel géocentrique de l'oreille interne.
R.Ce.C. : Référentiel céphalocentrique constitué par la tête
R.Or.C. : Référentiel orocentrique constitué par la bouche solidaire de la tête.
R.Oc.C. : Référentiel oculocentrique constitué par la surface rétinienne repérée par rapport
à la fovea.
R.Ma.C. : Référentiel manuocentrique constitué par la surface cutanée de la main.
R.Ax. : Référentiel de l'axe du corps.
R.S.A. : Référentiel de la surface d'appui du corps sur le sol.
Notons qu'en fonction des référentiels corporels l'espace personnel se structure en fonction
de trois plans orthogonaux : le plan horizontal (qui définit la distinction haut-bas), le plan frontal
(qui définit la distinction devant-derrière) et le plan sagittal (qui définit la distinction droite-
gauche).
Le développement des représentations du monde physique I 173

sance corporelle chez l'enfant : ainsi, la distance entre les deux yeux se modifie notable-
ment au cours de l'enfance, et on peut se demander si la maladresse des adolescents
n'est pas une conséquence de la rapidité de leur croissance.
Deux conséquences de ce modèle théorique demandent réflexion. Si, d'une part,
l'organisation posturale sous-tend l'activité cinétique, elle ne doit pas être oubliée dans
l'étude des mouvements. Deux exemples viennent à l'appui de ce point de vue. Le pre-
mier concerne la perception de l'élévation d'un son, c'est-à-dire la perception de sa
direction dans un plan vertical. Les bébés de quelques mois détectent cette localisation
moins précisément que dans le plan horizontal ; on peut faire l'hypothèse (qui n'est pas
encore testée expérimentalement) que les variations de posture* des nourrissons, entre
la posture couchée et la posture érigée, et hors du contrôle de l'enfant, compliquent sin-
gulièrement le repérage d'invariants. Le second exemple concerne l'espace graphique :
il s'agit d'un espace restreint, où se déploient la motricité du bras et des doigts, mais qui
est ancré sur l'espace postural ; au cours de son apprentissage, la participation axiale*
et les informations apportées par les modifications de posture, jouent sans doute un rôle
important.
D'autre part, le rôle de l'activité motrice dans la construction des référentiels est
un thème récurrent dans l'étude des rapports des jeunes enfants à l'espace. La
recherche active d'information pour localiser un objet ou se représenter un chemin
apparaît d'autant plus nécessaire que les enfants sont plus jeunes, parce qu'ils n'ont pas
encore construit de référentiels abstraits. On ne peut réaliser avec des enfants la même
expérience qu'avec des petits chats (cf. encadré 4.5) mais on peut sans doute en extra-
poler les résultats : l'activité motrice, par opposition aux mouvements et déplacements
passifs, permet l'organisation spatiale. On peut alors s'interroger sur les conséquences
— sur le développement de la connaissance de l'espace — de la restriction de l'activité
motrice (parce qu'il y a des voisins en dessous, ou parce que l'enfant est vissé à sa
console de jeux) et des déplacements passifs en voiture.

ENCADRÉ 4.5

Déplacement actif, déplacement passif et performances spatiales


(Held et Hein, 1963) 1

Des chatons sont élevés dans l'obscurité, sauf pendant des périodes où ils sont placés, par
couples, à l'intérieur d'un cylindre dont la surface est texturée par des rayures. Une barre hori-
zontale est fixée par son milieu à un axe central ; l'un des chatons est relié à l'une des extrémi-
tés de la barre par un harnais, de façon à ce qu'il puisse marcher ; l'autre chaton est placé dans
une corbeille, et entraîné par son frère dans le mouvement tournant ; les deux chatons ont
donc les mêmes stimulations visuelles.
Après quelques semaines de ce régime, on teste la capacité des chatons à poser précisé-
ment et rapidement leurs pattes avant sur des petites cibles. Le chaton actif y parvient sans
problèmes, le chaton passif échoue lamentablement, ce qui montre bien le rôle structurant du
mouvement actif. Qu'on se rassure : quelques jours dans un environnement normal (pour un
chat) suffisent à ce que le chaton passif rattrape son infériorité.

1. Il s'agit certes d'une recherche ancienne. Mais il n'empêche que, comme d'autres recherches véné-
rables, elle établit solidement des connaissances qui restent vraies à l'heure actuelle.
174 I Psychologie du développement

b. Égocentrisme et allocentrisme*

On vient de voir que le corps constitue un référentiel puissant, déjà complexe, et


qui est utilisé très précocement, pour situer un objet à saisir par exemple. Mais la cen-
tration sur soi-même, efficace dans certains cas, peut mener à des erreurs, en cas de
déplacement par exemple. Pour Piaget et Inhelder (1948), les enfants ne se dégagent
que tardivement de ce qu'ils appellent leur égocentrisme* initial : ils ne peuvent envisa-
ger le point de vue d'autrui, qu'il s'agisse d'espace ou de communication (Beaudichon
et Bideaud, 1979).
Piaget et Inhelder fondent leur théorie sur les réponses d'enfants à la situation des
trois montagnes (fig. 4.14) : le dispositif comprend trois montagnes de tailles et de cou-
leurs différentes sur un plan horizontal ; l'enfant est par exemple situé en A, et il doit
choisir, parmi les dessins présentés (droite de la figure), ce que voit une poupée située
aux différents points B à F, ou positionner la poupée pour qu'elle voie ce qu'indique un
dessin donné.
La situation a été reprise dans maintes recherches, variant la discriminabilité des
montagnes, les possibilités de déplacement, etc. et il a été montré que la situation est
maîtrisée à des âges très variables, entre 4 et 10 ans. En particulier la nécessité est
apparue de distinguer entre capacité à concevoir qu'autrui peut avoir un point de vue
différent (ce que vise la notion d'égocentrisme), et l'élaboration exacte du point de vue

dessins au choix

A A
A
.
B
...à. .
C
,

, 'A /\1 ' d ■ .


D E F

A
G H I

FIG. 4. 14. — La situation des trois montagnes


Si par exemple la poupée est située en D, elle verra la montagne rouge à sa gauche, la
montagne bleue à sa droite et la montagne jaune au fond au milieu, ce que l'on voit à droite
dans la case D. Pour déterminer où la poupée doit être pour voir le dessin représenté dans la
case C, elle doit avoir la montagne rouge à sa gauche, la montagne bleue à sa droite, la mon-
tagne jaune étant cachée derrière la montagne bleue (cf. gauche du dessin). On remarquera que
les dessins H et I sont impossibles étant donné la disposition des montagnes, ce que, bien évidem-
ment, on ne dit pas à l'enfant...
Le développement des représentations du monde physique I 175

d'autrui, ce qui suppose des calculs spatiaux plus ou moins complexes entre les posi-
tions devant-derrière et droite-gauche. Liben a ainsi montré qu'un enfant de 2 ans sait
très bien que, s'il a des lunettes vertes et son copain des lunettes roses, lui verra un rond
blanc vert et que le copain verra le même rond rose : à 2 ans les enfants ne seraient pas
égocentriques, pourvu que le calcul de la réponse correcte soit simple ; inversement, en
cas de calculs complexes, l'enfant est sûr au moins d'une chose : la situation telle qu'il
la voit existe, ce qui l'entraîne à donner une réponse « égocentrique ».
La position piagétienne a été sérieusement mise à mal par les recherches sur les
bébés menées par Acredolo, en utilisant le dispositif de la figure 15 : on apprend au
bébé à tourner la tête pour voir apparaître sa mère à la fenêtre F1 quand une son-
nerie retentit (conditionnement répondant, cf. chapitre « Méthodes ») ; une fois le
conditionnement acquis, on déplace l'enfant de la position S1 à la position S2, par
une rotation de 180° autour de la table. S'il juge de la position de la fenêtre renforcée
par rapport à lui-même (égocentrisme), il attendra l'apparition de sa mère à la
fenêtre F2. S'il tient compte de son déplacement dans l'espace de la chambre expéri-
mentale, il changera sa réponse motrice et ira regarder F1. Dans ces conditions, les
bébés de 6 mois donnent des réponses égocentriques, même si on ajoute des repères
individualisant F1 ; par contre les bébés de 9 mois commencent à tenir compte des
repères, et à 16 mois les bébés « mettent à jour » (update) leurs références spatiales
quand on les déplace. On remarquera qu'entre les deux âges extrêmes les bébés
apprennent à se déplacer seuls, et qu'ils font donc maintes fois l'expérience de la
nécessité d'une « mise à jour ».

S1

FENÊTRE F1 FENÊTRE F2

BUZZER

S2

FIG. 4.15. — Égocentrisme et allocentrisme chez le bébé (Acredolo)

L'utilisation d'objets à des fins de localisation (repérage allocentré) est donc préco-
cement possible, et ce d'autant plus qu'il existe des repères prégnants. Simultanément,
un repérage égocentré peut rester efficace et économique même si, dans d'autres cir-
constances, d'autres systèmes de référence peuvent être utilisés.
176 I Psychologie du développement

c. Espace et schéma corporel

L'opposition référentiel égocentré / référentiel allocentré doit être modulé par un


phénomène dont Lurçat (1976) a montré l'importance : la projection du schéma corpo-
rel vers les objets.
La notion de schéma corporel a été élaborée par Schilder à partir de la patho-
logie : elle rend compte de l'unité du corps vécu, connue et utilisée dans les rapports
avec le monde extérieur (cf. encadré 4.6). Cette unité implique la coordination des
référentiels corporels décrits par Paillard. Selon Wallon, le schéma corporel se construit
à partir des passages entre espace postural et espace environnant, et ces passages peu-
vent prendre différentes formes.

ENCADRÉ 4.6

Le schéma corporel et son développement

Le Dictionnaire Larousse de la psychologie définit le schéma corporel comme « la représenta-


tion plus ou moins consciente du corps – en action ou immobile –, de sa position dans l'espace
ainsi que de la position des différents segments corporels ».
Ajuriaguerra distingue entre :
— « une notion sensori-motrice du corps, ou notion du corps agissant, se découpant dans un
espace pratique ou agi, grâce à l'organisation progressive de l'action sur le monde exté-
rieur ;
— « une notion préopératoire du corps, assujettie à la perception, qui se découpe dans un
espace en partie représenté, mais encore centré sur le corps propre, notion qui repose déjà
sur une activité symbolique ;
— « une notion opératoire du corps, qui se découpe soit dans l'espace objectif représenté,
soit dans l'espace euclidien, et qui est directement liée à l'opérativité en général et à
l' objectivité dans le domaine spatial en particulier. »
On voit qu'Ajuriaguerra se situe d'emblée dans une perspective développementale, en
liaison avec la théorie piagétienne.

À une centration exclusive sur le corps correspond ce que Lurçat désigne par pro-
jection par rayonnement : les plans et axes relatifs à la morphologie corporelle détermi-
nent seuls les orientations et les partitions de l'espace environnant (fig. 4.16). Le corps

Devant

FIG. 4.16. — La projection du schéma corporel par rayonnement


Le développement des représentations du monde physique I 177

propre est alors le centre d'une unique carte locale dont l'étendue est probablement
limitée. Ce système de repérage reste valide tant que le sujet est immobile.
Mais une autre organisation entre corps propre et espace apparaît quand il y a
projection du schéma corporel par transfert dans un objet extérieur. Ce transfert se fait
différemment selon que l'objet en question est orienté ou non.
S'agissant d'un objet non orienté, intrinsèquement (une balle) ou du point de vue
du sujet, la projection institue un système de référence ancré sur la relation sujet/objet.
Ce transfert relativement à l'objet peut prendre différentes formes : ce peut être une
translation (fig. 4.17 a) où il y a glissement des axes corporels sur l'objet, une rotation
de 180° par rapport au milieu du segment sujet/objet (fig. 4.17 b) , ou enfin une
réflexion par rapport au plan frontal (fig. 4.17 c) . Il s'agit là de conventions liées à la
culture qui sont loin d'être explicites pour les enfants (nous fonctionnons par réflexion,
mais certaines ethnies africaines fonctionnent par translation)'.

a. Tra nslation

b. Rotation

c. Réflexion

FIG. 4. 17. — Projection du schéma corporel sur un objet non orienté

1. Remarquons par ailleurs qu'il ne s'agit pas seulement de dénommer des régions de l'espace. Ici on peut
voir que de tels référentiels sont également nécessaires pour, par exemple, placer un objet de telle façon
que le sujet ne le voit pas, ce qui est acquis aux alentours de 3 ans.
178 I Psychologie du développement

S'agissant d'un objet orienté, la projection du schéma corporel transpose sur


l'objet les systèmes de référence corporels (fig. 4.18). Cette transposition peut être
immédiate si l'objet est un congénère (la mère, par exemple) ou un être vivant à
symétrie sagittale. Mais elle peut aussi être consécutive à une projection anthropomor-
phique dans l'objet, où les parties de l'objet sont identifiées à des parties du corps : on
parle du bec d'un pichet ou de la tête d'un train. Cette transposition conduit à cons-
truire deux cartes locales, celle du sujet et celle de l'objet, avec des conflits qui sont
constructifs pour élaborer le caractère relatif et non absolu de tous ces repérages.

FIG. 4.18. — Projection du schéma corporel sur un objet orienté

Les distinctions proposées par Lurçat montrent bien pourquoi le repérage


droite/gauche est problématique. Un être vivant ou un objet n'ont une droite et une
gauche que s'ils ont un pôle antérieur et un pôle postérieur. Le repérage de ces pôles, le
plus souvent bien différenciés, est acquis précocement. En revanche, la symétrie sagittale
souligne l'équivalence possible entre gauche et droite. Dans notre culture le transfert par
réflexion est la règle pour les objets non orientés (la gauche de l'objet est à ma gauche)
mais la gauche d'un objet orienté est déterminé par l'orientation de son axe antéro-
postérieur : pour identifier la gauche d'un tel objet, il faut prendre en compte le fait qu'il
est orienté et se mettre à sa place. On conçoit, dans ces conditions, que la projection par
transfert dans l'objet soit la plus tardivement acquise : entre la partition de l'espace
d'action en deux sous-espaces de part et d'autre du plan sagittal, et la maîtrise de la
logique des relations dans l'épreuve classique de Piaget (cf. encadré 4.7), bien des pièges
devront être déjoués, d'autant plus perfides qu'il s'agit d'évidences pour les adultes.

ENCADRÉ 4.7

L'épreuve droite-gauche de Piaget

A B C A B C
• 9 9 9

Sujet Sujet

L'enfant est devanttrois objets et doit répondre à une série de six questions : A est à gauche
ou à droite de B, à droite ou à gauche de C ?, etc. Si les objets sont non orientés (dessin de gauche)
la bonne réponse est « B est à droite de A ». Si les objets sont orientés (dessin de droite) la bonne
réponse est « B est à gauche de A ». Que donnerait cette épreuve chez des adultes ?
Le développement des représentations du monde physique I 179

De plus, certains objets orientés — la mère par exemple — sont simultanément des
repères très puissants (cf. les travaux sur l'attention conjointe dans la section consacrée
aux théories socioculturelles), et extrêmement mobiles. Tout au long de son développe-
ment, l'enfant va apprendre qu'il n'existe pas un système de référence intrinsèquement
meilleur qu'un autre : le point crucial est l'invariance des repérages qu'ils autorisent, en
liaison avec l'économie de leur mise en oeuvre. L'évolution avec l'âge des référentiels
spatiaux ne se fait pas par le remplacement de référentiels « primitifs » par des systèmes
plus « élaborés » : le répertoire des référentiels disponibles s'élargit, en même temps que
les conditions de validité de chacun sont précisées.

d. Systèmes de référence et géométries

Nous avons vu, au début de ce chapitre, que Piaget propose une description géo-
métrique des comportements spatiaux des enfants et que, d'autre part, il distingue radi-
calement entre perception et conceptualisation. Si, au cours de la période sensori-
motrice, le bébé va passer de la prise en compte des caractéristiques topologiques aux
caractéristiques métriques, notamment dans l'ajustement de ses gestes, la hiérarchie
topologique /projectif /métrique va réapparaître lors de la construction des concepts
spatiaux, pendant les stades préopératoire et opératoire concret. Dans cette perspective,
les enfants, entre 3 et 8 ans, ne tiennent compte que de caractéristiques topologiques
quand il s'agit de définir la place d'un objet. Après les descriptions piagétiennes des
comportements individuels, un ensemble de travaux a systématiquement testé cette
hypothèse.
Ainsi De Loache (cf. DeLoache et Smith, 1999 ; Marzolf et DeLoache, 1997) a
étudié dans quelle mesure des jeunes enfants de 2 et 3 ans sont capables d'utiliser une
« carte » pour retrouver un objet caché. Elle a fait varier, entre autres variables indé-
pendantes, l'échelle de la carte et l'orientation relative entre carte et environnement.
Au seuil d'une pièce réelle contenant 6 meubles différents, on montrait au sujet une
maquette de cette pièce contenant les maquettes des meubles, en lui expliquant que la
maquette était la même que la pièce ; on cachait un chien miniature sous l'un des meu-
bles de la maquette, et on lui demandait de retrouver dans la pièce un chien caché à
l'emplacement correspondant. Bien que tous les sujets se soient montrés capables de
retrouver le chien miniature dans la maquette (c'est-à-dire qu'ils se souvenaient bien de
la cachette), seuls les enfants de 3 ans ont correctement retrouvé le grand chien dans la
pièce. DeLoache en conclut que les enfants de 3 ans comprennent bien que la
maquette représente la pièce.
Blades et Spencer (1994) objectent à cette conclusion que les enfants ont pu repé-
rer la correspondance des objets sans tenir compte des relations spatiales. Un autre
résultat de DeLoache vient à l'appui de ce point de vue : 24 heures après l'expérience
décrite ci-dessus, on dispose les meubles de la grande pièce de façon différente, et on
cache le grand chien soit au même endroit de la pièce, soit sous le même meuble que la
veille. Les enfants n'ont jamais recherché à l'emplacement où ils avaient trouvé le chien
la veille, mais toujours sous le même meuble. La conclusion est la suivante : quand les
enfants de 3 ans réussissent à la tâche standard, ils le font apparemment sur la base de
correspondances objet/objet : l'emplacement du jouet caché est codé par l'objet.
180 I Psychologie du développement

■ ■
b ffl •

•M Il

e •

u
Chaise Lit Armoire

FIG. 4.19. — Correspondance des emplacements et correspondance des objets


(Blades et Spencer, 1994)

Pour avancer sur cette question, Blades et Spencer (1994) proposent à des enfants
de 3 à 5 ans une situation et une tâche analogue à celle de DeLoache, à une impor-
tante différence près : les pièces contiennent un lit, une armoire, et deux chaises identi-
ques' (fig. 4.19). Quand l'objet cible est caché sous un objet unique (le lit ou l'armoire)
tous les enfants le retrouvent ; quand il est caché sous l'une des chaises les enfants de

1. DeLoache ayant montré que plus les deux espaces correspondants sont à la même échelle, mieux les
enfants réussissent, Blades et Spencer présentent deux maquettes de même dimension, dans la même
orientation ou avec une rotation de 180°.
Le développement des représentations du monde physique I 181

3 ans semblent choisir au hasard, les enfants de 4 ans sélectionnent l'emplacement cor-
rect quand les deux maquettes sont alignées (fig. 4.19 a), mais n'y parviennent pas en
cas de rotation (fig. 4.19 b) , seuls les enfants de 5 ans réussissent dans les deux condi-
tions. Les auteurs ont alors proposé des maquettes où la position des chaises était plus
ou moins individualisée : plus près des angles (fig. 4.19 c), plus près des éléments uni-
ques (fig. 4.19 d), ou l'une proche d'un angle et l'autre proche d'un meuble unique
(fig. 4.19 e). Même dans la situation (e), qui paraît intuitivement la plus facile, les
enfants de 4 ans ne distinguent pas entre les deux chaises. Il semble donc qu'il faille
attendre 5 ans pour que, dans ce type de tâche, les enfants prennent en compte les
emplacements et non seulement les objets.
Les mêmes auteurs s'interrogent alors sur le repérage d'emplacements en l'absence
de contenu. Le matériel utilisé est donné dans la figure 20. Dans un premier temps, on
utilise deux cercles comportant, sur leur pourtour, 6 couples associant un point noir et
un point coloré, tous les points colorés étant différents ; on pose un jeton sur un point
coloré et on prie l'enfant de poser un autre jeton au même point sur l'autre cercle (qui
est toujours orienté différemment) : tous les enfants de 4 à 6 ans réussissent cette phase
sans problèmes. Dans un second temps on propose à l'enfant la même tâche, mais en
posant le jeton sur un cercle noir (repérable par sa proximité d'un cercle coloré
unique). On considère que les enfants qui réussissent cette phase ont réussi le prétest, et
on passe alors au test : on utilise maintenant des cercles de 12 points, 6 noirs et 6 de
différentes couleurs en alternance et à égale distance, et la tâche est la même, repérer
les points noirs correspondants ; deux types de réponses sont possibles : ou l'enfant ne
prend qu'un repère (par exemple « à côté du point jaune ») auquel cas il a 50 chances
sur 100 de donner la bonne réponse, ou il situe le point noir entre deux repères colorés
et donne toujours la bonne réponse. La figure 20 c donne les résultats obtenus.
On voit que seuls les enfants de 6 ans utilisent la relation « entre » ; les enfants de
5 ans tiennent compte d'un seul repère, et la majorité des enfants de 4 ans ne réussit
pas le prétest. Ces résultats sont cohérents avec la trajectoire développementale pro-
posée par Piaget : il s'agit bien ici de relations topologiques qui, étant donné la rotation
entre les deux espaces, ne peuvent pas être perceptivement mises en correspondance et
doivent être reconstruites au niveau conceptuel. Par contre la distinction entre couples
proches et points équidistants (deux premières phases vs phase test) relève bien de la
géométrie métrique, mais au niveau perceptif.

e. Les référentiels abstraits

Nous avons considéré jusqu'ici la localisation par rapport à soi-même ou par rap-
port à des objets présents, repères tout relatifs, et problématiques s'ils sont mobiles ou
absents. Si, pour adopter la perspective euclidienne, on considère l'espace comme un
contenant vide universel, il faut utiliser des référentiels non matérialisés, indépendants
des objets et fonctionnant pour n'importe quel point.
Les systèmes d'axes euclidiens constituent de tels référentiels, arbitraires et géné-
raux : trois axes x, y et z se coupant en un point origine quelconque, munis d'une unité
de mesure, permettent le repérage univoque de n'importe quel point de l'espace. Pour
Piaget, la construction de l'espace euclidien se fait tardivement, sous l'impulsion des
182 I Psychologie du développement

a Prétest b. Test

I I 4 ans
Ei5ans
MM 6 ans
À côté Entre

FIG. 4.20. — Le repérage d'un emplacement entre 4 et 6 ans

opérations, puisque c'est bien d'un espace de transformation qu'il s'agit. Ajuriaguerra
(cf. encadré 4.6) souligne que les coordonnées corporelles (verticale de l'axe, horizon-
tale de la surface d'appui, plan sagittal, etc.) sont des données cruciales pour la cons-
truction de référentiels euclidiens. Mais cette construction implique qu'il y ait abstrac-
tion réfléchissante, c'est-à-dire « reconstruction d'un système d'actions sur un nouveau
plan ».
Mais il devient très difficile, à ce niveau, d'ignorer tout ce que la scolarisation
apporte (ou n'apporte pas). Les recherches en didactique des mathématiques montrent
bien que c'est l'articulation entre opérations•concrètes et opérations formelles qui fait
problème. Plutôt que de souligner les ruptures et de mettre au panier les certitudes
Le développement des représentations du monde physique I 183

empiriques, il est sans doute plus constructif d'expliquer comment les opérations for-
melles, constituant l'espace comme un continu abstrait, s'appuient sur les opérations
concrètes ; les généralisations ne sont jamais banales et immédiates, même si — et sur-
tout si — un support concret soulève autant de questions qu'il en résout.
La maîtrise de la mesure suppose que soient dépassées certaines difficultés. « La
mesure spatiale est essentiellement un mouvement consistant à appliquer le mesurant
sur le mesuré, et à le reporter autant de fois que la partie choisie comme unité entre
dans le tout à évaluer » (Piaget, Inhelder et Szeminska, 1948). On entrevoit les étapes à
franchir : la partition du continu spatial, la conservation d'une longueur lors d'une
translation, le décompte et les changements d'unités. Toutes acquisitions qui sont cen-
sées être faites à l'école primaire. Dans le même ordre d'idée, il y aurait beaucoup à
dire sur l'acquisition des notions de latitude et de longitude, qui sont enseignées alors
que les notions sous-jacentes (verticale d'un lieu, angle dièdre) ne sont pas encore acqui-
ses (Pêcheux, 1990, chap. 9)... Est-il sûr que la majorité des adultes maîtrise de telles
notions ?

III - Conclusion

On vient de voir très rapidement, avec l'exemple des référentiels spatiaux, que la
construction des rapports à l'espace tout au long de l'enfance passe à la fois par
l'activité du sujet et par des pratiques culturellement marquées. Pour conclure, on trou-
vera ici trois axes de réflexion.
Tout d'abord il n'existe pas de trajectoire développementale stricte des rapports à
l'espace, au-delà de la perspective piagétienne où la hiérarchie des géométries est
croisée avec la distinction des stades sensori-moteur et intuitif-concret. En fonction des
données perceptives et de l'activité demandée aux enfants, l'âge de réussite varie large-
ment. De plus, on observe le plus souvent d'importantes différences interindividuelles :
on a pu voir, sur la figure 20 c, qu'il existe des enfants de 4 ans qui maîtrisent la rela-
tion « entre » typique des 6 ans. Au-delà de cet âge, on considère facilement qu'il y a
des enfants que les problèmes spatiaux intéressent, et d'autres auxquels mieux vaut ne
pas demander des exploits spatiaux, comme sortir seul dans la rue. On a longtemps
considéré comme acquis que les garçons sont plus performants que les filles à des
épreuves spatiales : une telle différence est souvent constatée à l'adolescence, mais pas
avant, et les mécanismes qui les expliquent se révèlent exemplaires de l'interaction
gènes/milieu.
D'autre part il n'y a probablement aucun sens à rechercher une trajectoire déve-
loppementale sans tenir compte des pratiques d'espace proposées par l'environnement.
Par exemple de nombreuses activités spatiales sont proposées à l'école maternelle, aussi
bien au niveau de l'espace agi que de l'espace représenté, cependant qu'à l'école pri-
maire de tels exercices se font beaucoup plus rares. Les enfants apprennent-ils quelque
chose de l'espace en jouant avec leurs parents, et avec leurs frères et soeurs ? Nous
avons commencé ce chapitre en justifiant une approche particulière des rapports à
184 I Psychologie du développement

l'espace, mais l'état actuel des travaux dans ce domaine suggère que pour continuer
d'avancer il faut maintenant tenir compte des liens avec d'autres domaines, par
exemple la mémoire et le langage.
Enfin nous avons considéré, tout au long de ce chapitre, les mécanismes cognitifs
en jeu dans les rapports des enfants à l'espace. On doit pourtant s'interroger sur le
degré d'autonomie des aspects cognitifs dans le fonctionnement global de l'individu, et
tout particulièrement lorsqu'il s'agit d'espace. Wallon a été le premier à montrer
qu'entre espace corporel et monde extérieur il existe une zone d'indécision, marge de
sécurité où le bébé ressent déjà les intrusions, comme sur son corps même. Les études
sur l'espace personnel ont développé cette perspective. À examiner toutes les méta-
phores spatiales qui sont utilisées pour parler de rapports humains (par exemple se sen-
tir proche de quelqu'un), on mesure à quel point les rapports spatiaux sont empreints
de signification.
Les pratiques humaines de l'espace vont bien au-delà d'une connaissance aseptisée
d'un espace vide, infini et isotrope. Si l'on s'installe pour jouer au beau milieu de
l'appartement, de préférence dans le chemin, on reste en contact avec sa famille ;
quand une heure de cours saute au collège, et qu'on peut explorer le quartier sans
qu'un retard soit immédiatement détectable, on devient un grand. Plus : expérimenter
des transformations spatiales permet d'entrevoir qu'on peut changer quelque chose au
monde comme il est, commencer de mettre en cause l'ordre établi. Peut-on considérer
alors que les outils cognitifs se construisent par élimination progressive de significations
parasites, qui freinent les acquisitions ? Dans une perspective dynamique du développe-
ment, il paraît plus probable que l'acquisition des outils de la connaissance spatiale
repose sur des tentatives de maîtrise de l'espace, un plaisir certain à en examiner tous
les aspects possibles, ou un besoin vital de dépasser l'angoisse de la séparation. Peut-il y
avoir développement de la connaissance sans étayage par un désir ?

LECTURES CONSEILLÉES

Pêcheux, M.-G. (1990). Le développement des rapports des enfants à l'espace. Paris : Nathan.
Stiles-Davis, J., Kritchevsky, M. & Bellugi, U. (Eds.) (1988). Spatial cognition, brain bases and deve-
lopment. Hillsdale, 1\1, Lawrence Erlbaum Associates.
:

C - LE DÉVELOPPEMENT DES CATÉGORIES D'OBJETS, par Agnès Blaye

La catégorisation constitue l'une des fonctions de notre système cognitif dont la


valeur adaptative est incontestable. Sans catégorisation, chaque nouvel objet perçu nous
apparaîtrait totalement étrange et impliquerait un nouvel apprentissage afin de savoir
comment interagir avec lui. La catégorisation consiste à regrouper mentalement des
objets différents que l'on considère équivalents d'un certain point de vue (Neisser,
Le développement des représentations du monde physique I 185

1987), ainsi elle permet de mettre de l'ordre dans notre environnement. Ce faisant, le
coût de traitement d'objets nouveaux s'en trouve réduit grâce à un processus de géné-
ralisation des propriétés partagées par les exemplaires déjà connus de la catégorie.
Ainsi, bien que vous n'ayez encore jamais croisé le pitbull qui avance seul sur le trottoir
dans votre direction, le fait que vous l'ayez très rapidement catégorisé comme un pit-
bull vous incitera probablement à ne pas faire de gestes susceptibles de lui paraître
menaçants au moment où il va passer à votre hauteur... Vous avez donc automatique-
ment généralisé des propriétés attribuées à la catégorie des pitbulls, à ce nouvel exem-
plaire inconnu de vous. La catégorisation est susceptible de se fonder sur des informa-
tions de nature diverse. Elle peut s'appuyer sur des indices perceptifs comme dans
l'exemple ci-dessus. Toutefois, des informations conceptuelles interviennent parfois.
Alors qu'un objet rond et plat de 6 cm de diamètre est jugé globalement plus ressem-
blant à une pièce de monnaie qu'à une pizza, les adultes interrogés considèrent majori-
tairement qu'il doit s'agir d'une sorte de pizza. Il semble donc que le jugement
d'appartenance catégorielle soit fondé sur la double connaissance (a) du caractère
normé de la taille des pièces de monnaie dans un pays donné et (b) du caractère
variable du diamètre d'une pizza. L'étude du développement des catégories d'objets
chez l'enfant a consisté notamment à clarifier le poids relatif de ces différents types
d'informations dans la catégorisation d'objets au cours du développement.
Dans cette section, nous allons tout d'abord rappeler brièvement la vision de
Rosch concernant les différents niveaux possibles de catégorisation des objets. Nous
nous intéresserons ensuite à la catégorisation chez le bébé. Nous aborderons tour à tour
la question du niveau de catégorisation plus ou moins global employé par les bébés et
celle des types d'information sur lesquels ils prennent appui pour catégoriser. Sera alors
posée la question de la filiation développementale entre catégories perceptives et caté-
gories conceptuelles fondées sur des significations. Nous nous demanderons ensuite
dans quelle mesure le développement du lexique est susceptible d'interagir avec la for-
mation des catégories. La deuxième moitié de cette section mettra l'accent sur la diver-
sité des organisations catégorielles manipulées par les enfants. Nous verrons par
exemple que ces organisations sont susceptibles de différer selon que l'on catégorise des
êtres vivants ou des objets fabriqués, qu'elles peuvent associer des objets de même sorte
ou au contraire des objets différents qui relèvent d'une même situation ou d'un même
événement. Cela nous conduira, pour finir, à aborder la question de la gestion adaptée
ou non de ces diverses formes de catégorisation par les enfants.

I - Différents niveaux de catégorisation :


la vision de Eleanor Rosch

Le pitbull évoqué plus haut peut certes être catégorisé comme un pitbull mais
aussi comme un chien ou plus généralement comme un animal. Différents niveaux plus
ou moins spécifiques de découpage du réel sont ainsi possibles. Rosch (1976) a mis
l'accent sur trois niveaux hiérarchisés qualifiés respectivement de niveaux sous-ordonné,
186 I Psychologie du développement

de base et surordonné. Les catégories de chaque niveau sont incluses dans les catégories
de niveau supérieur (le pitbull est une sorte de chien qui est une sorte d'animal) Rosch
a montré l'existence d'une préférence pour un découpage au niveau intermédiaire de
spécificité, le niveau de base (chien vs chats par exemple). Le niveau de base est le
niveau qui optimise simultanément la similitude intracatégorielle — les exemplaires
d'une catégorie de niveau de base ont en commun un grand nombre de propriétés — et
la distinctivité intercatégorielle — ils ont peu de propriétés communes avec ceux des
autres catégories. (Les chiens présentent entre eux de fortes similitudes et diffèrent clai-
rement des oiseaux par exemple.) Le statut privilégié de ce niveau résulterait de
l'économie cognitive qu'il permet de réaliser. Une catégorisation au niveau surordonné
fait perdre, comparativement au niveau de base, énormément d'informations (savoir
qu'un objet est un animal est tellement moins informatif que savoir qu'il s'agit d'un
chien), et une catégorisation au niveau sous-ordonné (pitbull ou caniche) multiplie le
nombre de catégories pour un gain relativement faible en information. Par ailleurs, de
nombreuses études ont montré (Cordier, 1994) que la très grande majorité des premiers
noms acquis par les jeunes enfants ainsi que de ceux employés par les adultes lorsqu'ils
s'adressent à eux, désigne des catégories de niveau de base (pomme, chien, plutôt que
fruit ou animal). Sur le plan développemental, Rosch a proposé que le niveau de base
serait premier. Le statut privilégié du niveau de base chez les jeunes enfants a été établi
notamment dans des tâches d'appariement d'objets à un objet cible (cf. encadré 4.9).
Les enfants de 3 ans acceptaient d'associer à un objet cible (par exemple une image de
chien) un autre objet appartenant à une même catégorie de niveau de base (ici, un
autre chien) en présence d'un distracteur (une poire), mais seulement la moitié appariait
deux objets d'une même catégorie surordonnée (ici un poisson appartenant à la même
catégorie des animaux que le chien). Si la pertinence de la distinction de ces différents
niveaux est aujourd'hui incontestée, la primauté d'une catégorisation au niveau de base
semble en revanche contredite lorsqu'on analyse les conduites de catégorisation des
nourrissons.

Il - Catégorisation chez le bébé

La première partie du chapitre a permis de mieux comprendre comment les bébés


parvenaient à isoler les objets les uns par rapport aux autres dans un flot continu
d'informations sensorielles. La question posée ici consiste à se demander dans quelle
mesure, ils parviennent à traiter comme équivalents des objets qu'ils différencient.

a. Des catégories globales qui se différencient progressivement

L'étude des premières manifestations de conduites catégorielles chez le nourrisson


tend aujourd'hui à invalider l'hypothèse de Rosch en termes de primauté du niveau de
base au cours du développement. Un des dispositifs le plus fréquemment utilisé, est
fondé sur la procédure de temps de fixation relatif (cf. encadré 4.8). Quinn et ses colla-
Le développement des représentations du monde physique I 187

boratcurs (Quinn, 2002) ont ainsi montré chez des bébés de 2 mois qu'une catégorisa-
tion au niveau global opposant mammifères et meubles précédait une catégorisation au
niveau de base opposant la catégorie des chats à d'autres catégories de mammifères
(chiens, lapins et éléphants). Il faut attendre l'âge de 6-7 mois pour observer cette caté-
gorisation au niveau de base. On parle ici de niveau global plutôt que surordonné afin
de bien marquer qu'il ne s'inscrit pas dans la hiérarchie inclusive des trois niveaux pro-
posés par Rosch mais qu'il correspond plus probablement à une forme prédominante à
un moment du développement où les niveaux plus spécifiques de catégorisation sont
encore indifférenciés.
On considère que les conduites de catégorisation inférées à partir de ce type de
dispositif manifestent des catégories construites pendant le temps même de l'expérience,
sur la base des régularités perceptives extraites à partir des différentes photographies
d'objets présentées. Nous allons maintenant considérer plus précisément les types
d'informations perceptives prises en compte par les bébés dans leurs activités de catégo-
risation au cours de la première et deuxième année de vie.

ENCADRÉ 4.8

Procédures d'étude de la catégorisation chez le nourrisson

A - Temps de fixation relatif

Phase 1 : Familiarisation
Présentation séquentielle d'un nombre (fixé à l'avance) de paires de photographies repré-
sentant chacune un exemplaire différent de la catégorie (ex. paires de photos de chats tous
différents).

Phase 2 : Deux essais tests


Les nourrissons sont confrontés à une nouvelle paire constituée d'un nouvel élément de
la catégorie familiarisée et d'un élément d'une catégorie nouvelle (nouveau chat-chien). La
paire est présentée deux fois.

Mesure et interprétation
En phase test, calcul de la proportion moyenne (sur les 2 essais) du temps de fixation sur
l'élément de la nouvelle catégorie par rapport au temps de fixation total des deux photogra-
phies. Si le bébé a construit une catégorie avec les photographies de la phase de familiarisa-
tion, alors le nouvel exemplaire de cette catégorie (nouveau chat) doit lui apparaître moins
nouveau, donc moins « intéressant » à regarder que celui de la nouvelle catégorie (chien). Il y
a catégorisation si l'élément de la catégorie nouvelle est fixé plus de 50 % du temps total.

Contrôles nécessaires
1 / S'assurer que les participants n'ont pas une préférence a priori pour l'exemplaire hors
catégorie.
2 / S'assurer que les participants discriminent bien les différents exemplaires de la caté-
gorie familiarisée.

B - Exploration manuelle (utilisable avec des bébés de plus de 5-6 mois)

Principe similaire à la procédure de temps de fixation relatif, mais ici exploration


manuelle de figurines tridimensionnelles.
188 I Psychologie du développement

Phase 1 : Familiarisation
Présentation séquentielle de quatre figurines représentant des exemplaires différents
d'une même catégorie (par exemple, chien, chat, oiseau, poisson pour la catégorie des ani-
maux). Cette présentation est répétée une fois.

Phase 2: Deux essais tests


Présentation d'un nouvel exemplaire de la catégorie familiarisée puis d'un exemplaire
d'une autre catégorie (par ex., camion).

Mesure et interprétation
Mesure du temps d'exploration manuelle des deux nouveaux objets. On considère qu'il
y a exploration manuelle lorsque l'objet est manipulé sous le contrôle visuel du bébé. Si le
bébé e catégorisé, le temps d'exploration de l'objet hors catégorie doit être supérieur à celui
de l'objet familiarisé.

C - Touchers séquentiels (utilisables tout particulièrement avec des bébés de 12 à 30 mois)

Présentation simultanée de huit figurines (quatre exemplaires d'une catégorie A (A1, A2,
A3, A4) et quatre d'une catégorie B (B1, B2, B3, B4)). On incite le jeune enfant à interagir avec
ces objets.

Mesure et interprétation
On enregistre l'ordre des touchers successifs des objets de A et de B. Si une séquence de
touchers porte sur des objets d'une même catégorie plus souvent qu'on ne l'attendrait dans
une séquence aléatoire, alors on considère que le participant a reconnu une certaine équiva-
lence entre ces objets, donc formé une catégorie.

b. Des catégories perceptives

1/ Des indices statiques

Quinn et ses collaborateurs se sont demandé quelles étaient les zones critiques du
corps prises en compte dans la catégorisation au niveau de base de deux catégories
d'animaux, chiens et chats. Pour ce faire, ils ont utilisé la procédure de temps de fixa-
tion relatif et ont comparé les taux de préférence visuelle dans trois conditions de
présentation :
les paires d'images présentaient les animaux en entier (condition contrôle) ;
les paires d'images ne présentaient que les corps (la tête étaient masquée par un
cache) ;
— les paires d'images ne présentaient que les têtes.

Les bébés ont catégorisé les images dans la condition contrôle et dans la condition
« tête seulement » mais pas dans la condition « corps seulement ». Plus récemment, ces
chercheurs ont pu préciser que si la perception de la tête est critique pour la catégorisa-
tion, le contour de la tête est une information perceptive suffisante chez des bébés de 3
à 4 mois.
Une voie de recherche particulièrement éclairante des processus de catégorisation
mis en oeuvre par les bébés est celle de la modélisation connexionniste. Mareschal,
Le développement des représentations du monde physique I 189

French et Quinn (2000) ont ainsi réussi à simuler les conduites des nourrissons. Ils ont
notamment établi que la réduction du degré de variabilité perceptive entre les exem-
plaires présentés en phase de familiarisation facilitait la catégorisation. Les traits percep-
tifs manipulés étaient par exemple, pour la catégorisation chiens/chats, la largeur et la
longueur de la tête, des oreilles, du nez, la distance séparant les yeux. Il reste que dans
leur expérience quotidienne, les bébés sont très souvent confrontés à des objets en mou-
vement. On peut donc se demander si les nourrissons peuvent utiliser des propriétés
perceptives dynamiques dans leurs activités de catégorisation.

2/Des indices dynamiques

Poulin-Dubois, Lepage et Ferland (1996) ont montré chez des bébés entre 9 et
12 mois que la nature de l'engagement dans le mouvement (autopropulsé us provoqué
par une intervention extérieure) était susceptible de constituer un indice permettant
d'opposer objets animés (humains par exemple) et objets inanimés (un robot, dans cette
étude). Les bébés manifestaient diverses réactions de surprise lorsque le robot semblait
s'engager de manière autonome dans un mouvement, ce qui n'était pas le cas lors de
l'observation d'un mouvement humain.
Plus récemment, Arterberry et Bornstein (2001) ont étudié la capacité de bébés
de 3 mois à catégoriser au niveau global des animaux par rapport à des véhicules sur
la base d'une représentation de leur mouvement. Des exemplaires de chacune des
deux catégories avaient été préalablement filmés en mouvement avec un ensemble de
points lumineux disposés en des points critiques du corps ou de la carrosserie. Les
auteurs ont utilisé une procédure comportant une phase d'habituation au cours de
laquelle les sujets se voyaient présenter tour à tour de courtes séquences de déplace-
ments lumineux correspondant au mouvement de neuf animaux différents (ou 9 véhi-
cules, selon la condition) puis, en phase test, deux déplacements de nouveaux ani-
maux et deux déplacements de véhicules leur étaient proposés. Si l'information
lumineuse sur les déplacements constitue à elle seule un indice de catégorisation, on
attend un temps de fixation plus long pour les exemplaires de la catégorie non
habituée qui doivent alors surprendre par la différence de nature du déplacement.
C'est en effet ce qu'ont manifesté ces bébés de 3 mois. Ainsi, des indices perceptifs sur
la nature des mouvements sont pris en compte très tôt dans le développement et
pourraient constituer le fondement d'une catégorisation très globale entre deux grands
domaines, celui des objets fabriqués d'une part et des objets vivants (humains, ani-
maux) d'autre part.
Si les bébés catégorisent manifestement sur la base d'indices perceptifs divers,
sont-ils pour autant limités à la production de catégories perceptives. Si tel est le cas,
comment alors rendre compte de l'émergence des catégories observées chez les
enfants plus âgés et les adultes, catégories que l'on qualifie de conceptuelles. De telles
catégories sont fondées sur le partage de propriétés non évidentes perceptivement,
comme par exemple, le fait de respirer, de posséder un appareil digestif, etc., pour la
catégorie des animaux. On peut envisager que cette évolution soit rendue possible par
un enrichissement progressif des indices perceptifs pris en compte grâce au développe-
ment des capacités attentionnelles, perceptives, motrices mais aussi langagières des
190 I Psychologie du développement

jeunes enfants. Il semble de plus que les jeunes enfants soient capables très tôt,
d'établir des relations causales liant certains aspects perceptifs à des aspects plus
conceptuels conduisant à la catégorisation.

c. Au-delà des indices perceptifs :


l'accès à des catégories conceptuelles ?

Rakison et Butterworth (1998) ont mis en évidence, par une tâche de touchers
séquentiels (cf. encadré 4.8) la prise en compte par des bébés de 14 à 22 mois,
d'indices perceptifs tels que des parties fonctionnellement pertinentes des exemplaires
(des pattes pour les mammifères, des roues pour les véhicules). Afin de tester dans
quelle mesure ces indices étaient sélectionnés pour leur statut causal dans le mode de
déplacement des objets, les auteurs ont proposé les mêmes indices mais placés sur le
corps des objets de telle façon qu'ils ne puissent plus avoir un rôle dans le déplacement.
La catégorisation est alors échouée, confortant ainsi l'hypothèse d'une véritable prise en
compte de la relation de causalité. Nazzi et Gopnik (2003) ont étudié le développement
du traitement de relations causales dans la catégorisation d'objets chez des enfants
entre 2 et 4 ans. Ils ont montré que dès 30 mois, les jeunes enfants parviennent à oppo-
ser deux catégories d'objets sur la base de leur capacité à provoquer ou non l'éclairage
d'un dispositif. Ce résultat a été obtenu alors même qu'au sein de chaque catégorie, les
objets remplissant cette fonction étaient très dissemblables entre eux.
La capacité à envisager les liens de causalité entre aspects perceptifs et aspects
caractérisant la nature même des objets est susceptible de contribuer à la transforma-
tion de catégories d'abord purement perceptives en des catégories conceptuelles. Pour-
tant, certains auteurs, dont Mandler (2003), refusent d'envisager une continuité entre
ces deux formes de catégorie. Mandler postule une différence fondamentale de nature
entre les deux types de catégorie. Alors que les catégories perceptives résulteraient d'un
traitement automatique permettant de regrouper les objets qui se ressemblent, les caté-
gories conceptuelles seraient la conséquence d'un traitement attentionnel de ce qui a
été perçu et conduirait à des regroupements fondés sur la signification des objets, sur la
« sorte de chose » que sont les objets. Afin d'étayer son point de vue, elle s'est attachée
à montrer que des catégories non fondées sur la ressemblance perceptive peuvent être
manifestes avant la fin de la première année.
Selon Mandler, pour que s'engage le mécanisme d'analyse perceptive conduisant à
une représentation conceptuelle de la catégorie, il faut donner aux bébés la possibilité
d'explorer manuellement les objets. Les mesures de temps de fixation visuelle seraient,
selon elle, seulement à même de révéler les catégories perceptives. En utilisant une pro-
cédure d'exploration manuelle (cf. encadré 4.8), cet auteur a confirmé une primauté
des catégorisations à un niveau global (animaux/véhicules) chez des bébés de 7, 9 et
11 mois. L'évolution développementale montre ensuite une opposition entre animaux
marins et terrestres avant de réussir une catégorisation au niveau de base. De manière
intéressante, dès 9 mois, les bébés excluaient une figurine d'avion de la catégorie des
oiseaux alors même que l'oiseau présenté en phase test avait été sélectionné de façon à
maximiser la ressemblance perceptive de forme avec l'avion. Ce résultat pourrait étayer
l'hypothèse du caractère conceptuel des catégories ainsi produites et donc la moindre
Le développement des représentations du monde physique I 191

importance des ressemblances perceptives. On peut toutefois remarquer qu'une inter-


prétation en termes perceptifs reste envisageable : si l'on admet par exemple (comme
on l'a vu à propos de la catégorisation chats vs chiens) que les bébés s'appuient sur un
traitement de la région du visage : l'absence de visage dans le cas de l'avion peut suffire
à le faire apparaître comme très dissemblable d'un oiseau même si le contour global
des deux types d'objets est similaire.
Mandler a également utilisé une procédure de touchers séquentiels (cf. enca-
dré 4.8) chez des bébés de 14 et 20 mois. Les enfants se voyaient présentés quatre
objets de la cuisine et quatre objets de la salle de bain. Notons que les objets d'une
même catégorie étaient ici très dissemblables entre eux du point de vue perceptif (gant
de toilette, brosse à dent, verre...). Pour les auteurs, la catégorisation ne pouvait donc
résulter que d'un traitement conceptuel conduisant à associer des objets sur la base de
leur signification. Toutefois, chaque catégorie ne regroupait pas des objets de même
sorte comme dans les exemples vus jusqu'ici, mais des objets que l'on rencontre
ensemble dans des événements routiniers (cf. § V pour une définition de cet autre type
de catégorie conceptuelle que l'on qualifie de thématique). Les observations ont révélé
une capacité de catégorisation thématique chez une majorité des enfants de 20 mois.

1 / Généralisation de propriétés chez le bébé

Dans cette perspective radicalement discontinuiste, les catégories perceptives sont


conçues comme servant essentiellement à l'identification des objets alors que les caté-
gories conceptuelles seules sous-tendraient la généralisation de propriétés. Un dispositif
ingénieux a permis d'étudier ces capacités de généralisation chez des bébés avant le
langage. La procédure, qualifiée d'imitation généralisée, se déroule en deux temps.
On présente d'abord au bébé la réalisation d'une action à l'aide d'une figurine 3D
(par exemple, donner à boire à un chien à l'aide d'une tasse). On tend ensuite la tasse
(objet permettant de réaliser l'action) au bébé mais au lieu du chien, on lui fournit
deux objets, l'un appartenant à la même catégorie que celui sur lequel l'action a été
modélisée (par exemple un éléphant) et l'autre appartenant à une autre catégorie (par
exemple une voiture). On incite le bébé à s'engager dans l'imitation d'action. On ana-
lyse ensuite dans quelle mesure l'imitation reproduit l'action modélisée préférentielle-
ment sur l'objet de même catégorie que celle de l'objet utilisé par l'adulte. Mandler et
ses collaborateurs ont ainsi montré que dès 14 mois, les bébés respectent les frontières
de catégories globales (animaux vs véhicules) lorsqu'il s'agit de généraliser des proprié-
tés spécifiques à chacune des catégories (boire pour les animaux ; démarrer à l'aide
d'une clé pour les véhicules). Bien qu'elles ne résolvent pas le débat sur l'exis-
tence d'une continuité ou non entre catégories perceptives et conceptuelles, ces don-
nées suggèrent, qu'au moins au cours de la deuxième année de vie, les bébés ont une
certaine connaissance de propriétés fonctionnelles attachées aux catégories globales
familières.
Nous avons considéré jusqu'ici des conduites de catégorisation dans des contextes
où les objets n'étaient jamais nommés. Or, la dénomination constitue, pour nous adul-
tes, un critère essentiel de catégorisation des objets qui nous sont inconnus. Ainsi, si
nous ne parvenons pas à catégoriser un objet nouveau, nous demandons d'emblée son
192 I Psychologie du développement

nom. On sait qu'un aspect important des échanges mère-enfant autour des livres
d'images, consiste pour la mère à dénommer les objets représentés. Par ailleurs, la plu-
part des études soulignent la forte proportion de noms communs dans les premières
dizaines de mots acquises par les jeunes enfants. On peut dès lors envisager des influen-
ces réciproques précoces entre dénomination et catégorisation d'objets.

III Catégorisation d'objets et lexique


-

Dans cette partie nous examinerons d'abord dans quelle mesure la désignation par
autrui de différents objets par un même nom constitue un indice de catégorisation pour
l'enfant. Ensuite, on se demandera si inversement, les connaissances sur l'appartenance
catégorielles des objets (on a vu que les bébés étaient capables de catégorisation bien
avant la production des premiers mots) guide les hypothèses de l'enfant sur la significa-
tion de noms nouveaux.

a. Le langage : outil de catégorisation

Sandra Waxman (2002) a étudié dans quelle mesure la dénomination d'objets pré-
sentés à des bébés facilitait la formation de catégories d'objets associés au même nom.
Pour ce faire, elle a présenté successivement pendant une phase de familiarisation, une
série d'images correspondant aux mêmes objets d'une catégorie de niveau de base (par
exemple, des dinosaures), puis en phase test, elle a présenté tour à tour deux paires
d'images constituées d'un nouvel exemplaire de la catégorie familiarisée (un nouveau
dinosaure) et d'un exemplaire d'une catégorie nouvelle (par exemple, un oiseau). Elle a
comparé deux conditions : l'une où les items présentés en phase de familiarisation
étaient systématiquement dénommés ( « un cheval ») et l'autre où les mêmes items
étaient présentés sans dénomination. Dans la condition avec dénomination, les bébés
dès 9 mois manifestent un intérêt plus grand pour l'objet nouveau de la catégorie qui
n'a pas été familiarisée, traduisant ainsi une formation de la catégorie familière.
L'hypothèse interprétative est que le nom commun à plusieurs objets orienterait
l'attention du bébé vers la recherche de communautés entre ces objets et ce faisant,
l'aiderait à se les représenter comme relevant d'une même catégorie. Ainsi très tôt, le
nom commun à plusieurs objets inconnus peut devenir critère de catégorisation. La
dénomination commune peut-elle également servir de critère dans la généralisation de
propriétés ?

1/Dénomination et généralisation de propriétés

Gelman et Markman (1987) ont évalué les capacités de généralisation de proprié-


tés non familières auprès d'enfants de 3 et 4 ans. La procédure employée consistait à
énoncer une propriété (par exemple, « il voit la nuit ») à propos de l'image d'un objet
cible (un chat) et de présenter aussitôt, de manière successive quatre nouvelles images
Le développement des représentations du monde physique I 193

sélectionnées à partir de deux critères : ressemblance à l'image cible {oui, non} et


même catégorie que l'image cible {oui, non}. Pour chacune des quatre images (autre
chat de même couleur et dans la même position que la cible, autre chat de couleur dif-
férente et dans une position le rendant globalement dissemblable, mouffette de même
couleur et de même position que la cible, dinosaure) l'enfant devait indiquer si l'objet
représenté possédait ou non la propriété énoncée pour l'objet cible. Trois conditions de
présentation étaient comparées :
image + mot : chacun des objets présentés, y compris la cible est désigné par son
nom au niveau de base (voici un chat, voici une mouffette, voici un dinosaure) ;
image seulement : aucune image n'est dénommée ;
mot seulement : l'image cible est masquée aux yeux des sujets. L'expérimentateur
donne seulement son nom. Chacune des 4 images associées est ensuite présentée et
dénommée.

Les résultats n'ont pas révélé de différences développementales entre 3 et 4 ans.


Dès 3 ans, les enfants ont généralisé les propriétés en fonction de l'appartenance caté-
gorielle lorsqu'ils ne disposaient que du nom de la cible. De même, dans la condition
« image + mot » où il était possible de s'appuyer sur la ressemblance perceptive tout
autant que sur l'appartenance catégorielle dénotée par le nom commun, les enfants
bien qu'influencés par la ressemblance perceptive, ont privilégié les objets de même
catégorie pour leur généralisation. Des résultats similaires ont été obtenus chez des
enfants de 2 ans. Plus récemment, d'autres auteurs (Graham, Kilbreath et Welder,
2004), ont montré grâce à une procédure d'imitation d'actions que des bébés
de 13 mois généralisaient une propriété non visible (par ex. émission d'un son si l'on
presse sur l'objet) préférentiellement à l'objet portant le même nom que l'objet cible
plutôt qu'à un objet davantage ressemblant mais portant un nom différent.
L'étude de la généralisation de propriétés suggère donc que la dénomination favo-
rise un raisonnement catégoriel sur des catégories conceptuelles, sur la sorte de chose
que sont les objets plutôt que sur leur similitude perceptive. De manière complémen-
taire, nous allons nous demander si l'acquisition de mots nouveaux prend appui sur les
connaissances catégorielles des tout jeunes enfants.

b. Généralisation de noms nouveaux : quels critères?

Pour étudier cette question, les chercheurs utilisent une procédure d'appariement
en choix forcé (cf. encadré 4.9). Le mot nouveau est le plus souvent un mot sans signi-
fication que l'adulte applique à un objet cible (Ceci est un... DAx). On propose alors diffé-
rents objets tests entretenant différents types de relations catégorielles avec l'objet cible,
et l'enfant doit indiquer quel objet est un autre DAX. On peut ainsi évaluer sur quel
type de critère (perceptifs ou conceptuels) se fondent les hypothèses d'extension d'un
mot nouveau. L'utilisation d'un nom nouveau, le plus souvent un mot sans significa-
tion, est essentielle si l'on veut pouvoir interpréter les réponses obtenues. Il est impor-
tant en effet que le participant ait eu à prendre appui sur la relation que chaque objet
candidat entretenait avec l'objet cible pour prendre sa décision. Si le nom proposé était
194 I Psychologie du développement

familier à l'enfant, il lui suffirait d'appliquer ce qu'il sait de sa signification sans avoir à
se référer à l'objet cible.
Chez des enfants de 3 et 4 ans, Markman et Hutchinson (1984) ont comparé deux
conditions d'une tâche d'appariement en choix forcé :
Sans nom : tu vois cet objet (cible), peux-tu en trouver un autre qui soit le même ?
— Avec nom : tu vois ce biv (cible), peux-tu en trouver un autre qui soit le même que
ce biv?

Les enfants avaient le choix entre un objet de même sorte que l'objet cible (soit au
niveau de base : pour la cible chien, un autre chien, soit au niveau surordonné, un
autre animal) et un objet de même catégorie thématique (par ex. un os, cf. § V).
Au niveau de base, la dénomination de l'image cible, a orienté les choix des enfants
vers l'associé de même sorte (choix taxonomique). Au niveau surordonné, on retrouve la
même tendance mais seulement chez les enfants de 4 ans. De tels résultats sont compati-
bles avec une interprétation en termes d'orientation de l'attention par l'étiquette linguis-
tique vers la recherche de propriétés communes entre les objets désignés de la même
façon. Toutefois, le débat entre chercheurs est vif concernant plus précisément le type
d'indices catégoriels sur lequel se fait la généralisation d'un nom nouveau.

ENCADRÉ 4.9

Procédures d'étude de la catégorisation chez l'enfant

A - Tri libre
Présentation simultanée d'un ensemble d'objets (ou images d'objets) appartenant à des caté-
gories différentes.
On demande à l'enfant de « mettre ensemble les objets qui vont bien ensemble ».
Enregistrement de l'extension des « tas » ainsi produits. Confrontation à la catégorisa-
tion attendue.

B Appariement en choix forcé


-

Exemple d'un essai dans une procédure d'appariement en choix forcé. Les noms repré-
sentent les images présentées aux enfants. Chaque participant est confronté à une série
d'essais.
Objet cible

Pomme Golden

Taxonomique Taxonomique
surordonné Thématique Non associé Niveau de base

Raisin Couteau Lunettes Pomme Grany

L'enfant doit choisir parmi les options de réponses proposées, celle qu'il estime devoir
associer à l'objet cible en fonction de la consigne qui lui a été donnée. La nature et le nombre
des options varient selon les études (au moins deux options). La consigne généralement uti-
lisée est : « Trouve celui qui va le mieux avec celui-ci » (on montre l'objet cible). Au fil du cha-
pitre, vous découvrirez diverses consignes en fonction des objectifs de chaque étude particu-
lière.
Le développement des représentations du monde physique I 195

Adaptation de ces procédures pour l'étude de la multicatégorisation


Tri libre

Soit le matériel suivant : vache, poule, oursin, moule, voilier, paquebot, tracteur,
camionnette.
Après avoir obtenu un premier tri selon la procédure ci-dessus, on mélange à nouveau
les images et on demande « une autre façon de mettre ensemble les images qui vont bien
ensemble ». Deux tris sont attendus : Taxonomique {animaux} vs {véhicules}; Thématique
{objets de la ferme} vs {objets de la mer}.

Appariement en choix forcé


Après l'obtention d'un premier appariement, on demande si une autre image « va très
bien aussi avec » l'objet cible. La présence d'une option de réponse non associée à la cible est
ici très importante pour repérer d'éventuelles réponses au hasard parmi les images restantes.

2/ Biais taxonomique ou biais de forme ?

Deux hypothèses interprétatives s'opposent. Selon l'hypothèse du « biais taxono-


mique », la généralisation de nom s'appuierait sur l'hypothèse implicite selon laquelle
les objets portant le même nom doivent être de la même sorte (même catégorie taxono-
mique, cf. § V). Selon l'hypothèse du « biais de forme », l'extension des noms serait
basée sur la forme : deux objets portant le même nom doivent présenter une similitude
de forme. Il faut noter que ce dernier principe est généralement tout à fait pertinent,
notamment pour tous les termes servant à désigner les objets au niveau de base
(pomme, chien, table...). Dans cette perspective, l'acquisition des mots nouveaux chez le
très jeune enfant serait fondée sur un mécanisme strictement associatif entre le nom et
la forme. L'étude de Markman et Hutchinson ne permet pas de trancher entre ces
deux hypothèses interprétatives car, de fait, les deux objets de même sorte (deux chiens
différents par exemple) se ressemblent davantage que les deux objets appartenant à une
même catégorie thématique (chien et os). Plus récemment, différentes études ont tenté,
dans des dispositifs similaires, de manipuler expérimentalement appartenance catégo-
rielle (objets de même sorte ou non que l'image cible) et ressemblance perceptive (res-
semblant ou non à l'image cible) afin de trancher entre ces deux hypothèses. À 4 ans,
en condition « avec nom » les choix portent aussi fréquemment sur l'associé ressem-
blant que sur l'associé taxonomique faiblement ressemblant. Il faut attendre 7 ans pour
que, dans cette condition, les choix taxonomiques soient majoritaires. De tels résultats
suggèrent donc qu'à 4 ans, le biais de forme serait au moins aussi prégnant que la
contrainte taxonomique.
Si des considérations sur la sorte de chose que sont les objets interviennent effecti-
vement dans la généralisation de noms nouveaux, on peut envisager que les critères de
généralisation soient susceptibles de différer selon les domaines d'appartenance des
objets. En effet, si la forme d'un objet est souvent prédictrice de sa fonction pour un
objet fabriqué (par exemple, la présence de dents pour une fourchette), c'est moins le
cas pour les objets vivants (animaux par exemple qui peuvent présenter des formes très
hétérogènes mais qui en revanche possèdent des propriétés communes de texture (ani-
196 I Psychologie du développement

maux à plumes, à poils) ou des propriétés non directement perceptibles (avoir un coeur,
constitués de cellules...). Si la généralisation reflète un strict biais de forme en revanche,
on ne devrait pas observer de différences interdomaines.

I V - Catégorisation d'objets fabriqués,


catégorisation d'objets vivants : rôle des domaines

Dans cette partie, nous allons examiner d'éventuelles différences interdomaines en


ce qui concerne la généralisation de noms nouveaux tout d'abord, puis nous illustrerons
des différences de croyances et de connaissances concernant les propriétés définitoires
des catégories selon ces domaines. Sur la base de ces résultats, nous évoquerons
l'hypothèse de voies différenciées de développement selon les domaines.

a. Objets vivants, objets fabriqués :


quels critères de généralisation du nom ?

Landau, Smith et Jones (1998) se sont attachés à montrer que l'apprentissage des
premiers mots était fondé sur le biais de forme. Des informations sur la sorte de chose
qu'est l'objet, notamment des informations sur la fonction de l'objet ne seraient prises
en compte que plus tard dans le développement. Ainsi, ces auteurs ont montré à propos
d'objets fabriqués non familiers (objets fabriqués pour l'occasion par l'expérimentateur)
qu'en l'absence d'information sur la fonction des objets cibles, les enfants de 2, 3 et
5 ans ainsi que les adultes généralisent le nom d'un objet cible à des objets de forme
similaire plutôt qu'à des objets de même matériau mais de forme différente. Dans une
condition où l'expérimentateur réalisait une démonstration de la fonction de l'objet
cible, fonction dépendant dans cette étude du matériau dans lequel était fabriqué
l'objet (par exemple, éponger de l'eau), les adultes ont alors généralisé le nom majoritai-
rement sur l'objet de même matériau, témoignant ainsi du fait qu'ils privilégiaient la
fonction. Les enfants de 2 et 3 ans en revanche ont continué à généraliser en fonction
de la forme tandis que les enfants de 5 ans présentaient un pattern de réponses inter-
médiaire De tels résultats suggèrent donc une évolution développementale, encore en
cours à 5 ans, conduisant d'une interprétation de l'extension des noms d'objets fabri-
qués exclusivement basée sur la forme, à la prise en compte de la fonction des objets.
Pourtant, d'autres auteurs ont réussi à obtenir une généralisation de noms nouveaux
sur la base de la fonction plutôt que de la forme et ce, déjà chez des enfants de 2 ans
(Kemler Nelson, Russel, Dukes et Jones, 2000) en situation de choix forcé. Il semble que
ces résultats contradictoires puissent être dus au type de fonction testée dans les deux
types d'étude. Alors que les fonctions utilisées par Landau et al. sont assez peu spécifiques,
celles testées par Kemler-Nelson réferent en revanche à des aspects très spécifiques qui
rendent plus saillante l'intention du créateur de l'objet (par exemple « permet de tracer
quatre lignes en même temps lorsqu'on le trempe dans de l'encre »). Cette hypothèse
défendue par Diesendruck et Bloom repose sur l'idée que le biais de forme n'est pas
Le développement des représentations du monde physique I 197

nécessairement la manifestation d'une ignorance de la fonction. En fait, les jeunes


enfants généraliseraient très tôt le nom d'objets fabriqués en fonction d'un critère de
catégorisation conceptuel qui, plutôt que la fonction possible de l'objet, serait l'intention de
fonction poursuivie par le créateur de l'objet. Dès lors, la généralisation sur le critère de
forme ou de fonction dépendrait de ce qui, aux yeux de l'enfant, aurait la meilleure
valeur diagnostique de l'intention du créateur de l'objet. Gelman et Bloom (2000) ont
montré que dès 3 ans, les enfants désignaient un objet plutôt à partir de sa forme que de
sa substance lorsque cet objet était présenté comme ayant été créé avec une certaine
intention (par exemple, un pliage de papier décrit comme réalisé intentionnellement et
ayant la forme d'un chapeau, était désigné par le mot chapeau). Ce n'était plus le cas
lorsque le même objet était présenté comme ayant pris sa forme par accident (le même
objet — chapeau en papier — était alors désigné comme « papier »). C'est donc dans la
mesure où la forme globale est perçue comme un bon indicateur de ce pour quoi a été
fabriqué l'objet qu'elle est un critère souvent utilisé lors de la généralisation des noms
d'objets fabriqués. Qu'en est-il de la généralisation de noms d'objets vivants ?
Booth et Waxman (2002) ont établi l'influence des domaines conceptuels sur les
critères de généralisation de noms nouveaux à propos d'objets de forme non familière.
Elles ont comparé deux conditions de présentation des objets cibles. Dans une des
conditions, l'objet cible était associé à une présentation orale lui donnant statut d'objet
vivant « il a un papa et une maman qui l'aiment beaucoup et qui lui font des baisers le
soir avant qu'il s'endorme ». Dans l'autre condition, la présentation incitait à traiter la
cible comme un objet fabriqué « c'est un astronaute qui l'a fabriqué parce que ça lui
sert à plein de choses lorsqu'il va sur la lune ». Les enfants de 3 ans ont généralisé le
nom de l'objet cible préférentiellement aux objets de même forme pour les artefacts et
de même forme ou même texture pour les objets vivants. Récemment, ces auteurs ont
adapté le même dispositif à des enfants de 2 ans et ont confirmé que les domaines
d'appartenance des objets cibles modifiaient les critères de généralisation des noms
nouveaux. Les jeunes enfants semblent ainsi avoir des attentes différentes concernant la
façon dont les objets fabriqués d'une part, les objets vivants d'autre part s'organisent en
catégories. Explorons plus avant cette spécificité des croyances selon les domaines.

b. Des organisations catégorielles différentes selon les domaines

1 /Fonction des objets fabriqués, essence des objets vivants

Nous avons vu que les enfants accordaient très tôt une importance particulière à la
fonction des objets fabriqués ou même, plus précisément, à l'intention de fonction de
leur créateur. Un certain nombre de travaux suggèrent que pour le domaine des objets
vivants, les enfants développeraient assez tôt la croyance en l'existence d'une essence
forgeant l'identité des objets (on parle alors d'essentialisme psychologique, cf. Gelman,
2004 pour une synthèse). L'essence, dont l'enfant ne sait d'ailleurs pas nécessairement
préciser la nature, renvoie à un ensemble de propriétés non directement perceptibles
partagées par tous les membres d'une catégorie. Ces propriétés seraient conçues
comme définitoires de l'identité de l'objet.
198 I Psychologie du développement

Keil (1989) a proposé un dispositif ingénieux permettant d'étudier le développe-


ment des représentations de ce qui définit l'identité des exemplaires de deux catégories,
d'une part, les animaux, d'autre part, les objets fabriqués. Il a présenté à des enfants
de 5 à 9 ans, des paires de photographies supposées représenter un même objet avant
et après une transformation (photo d'un cheval ; photo d'un zèbre). Il expliquait alors
au participant qu'une transformation avait été réalisée. Il confrontait l'influence du type
de transformation sur les réponses des enfants concernant le changement ou non de
nature de l'objet après transformation (c'est — ou non — maintenant un zèbre). Keil
opposait en particulier une transformation de surface (changement de l'aspect percep-
tif) : « On a peint des rayures noires sur tout son corps et voilà ce qu'il est devenu » et
des changements portant sur des aspects non perceptibles, susceptibles de toucher à ce
qui pourrait constituer l'essence des objets vivants à savoir une intervention modifiant
les parties internes de l'animal : « Le vétérinaire des chevaux fait une piqûre à chaque
animal à la naissance. Pour l'un des bébés chevaux, le médecin s'est trompé de piqûre
et voici ce qu'il est devenu en grandissant (présentation de la photo du zèbre). » Alors
que la modification perceptive résultant de la transformation était identique pour les
deux types d'intervention, les enfants dès 5 ans (plus jeunes enfants de l'étude) ont
considéré que l'animal n'avait pas changé d'identité dans le cas d'un changement de
surface. En revanche, les enfants ont répondu que l'identité a été modifiée dans le cas
d'une modification interne (par le biais de l'injection). Concernant les objets fabriqués,
la modification des propriétés perceptives caractéristiques des objets est considérée
comme les transformant réellement en un autre type d'objet. Ainsi une théière, dont on
coupe l'anse et le bec verseur, soude le couvercle, perce une ouverture sur le côté et
dans laquelle on place de la nourriture pour oiseau, devient effectivement une « man-
geoire à oiseau ». Ces résultats confortent la place centrale donnée à la fonction de
l'objet fabriqué dans la détermination de son identité. Ils éclairent le rôle de croyances
implicites dans la catégorisation des objets vivants.

2 / Des hiérarchies de propriétés différentes selon les domaines

Outre des résultats tels que ceux que nous venons d'évoquer, un argument empi-
rique fort en faveur des différences interdomaines provient des observations de patients
adultes présentant des lésions cérébrales spécifiques. Les chercheurs ont en effet observé
un phénomène de double dissociation entre le domaine des objets vivants et celui des
objets fabriqués. Certains patients ont des performances très altérées dans le domaine
du vivant (dénomination, reconnaissance d'animaux, fruits, légumes) tout en conservant
une bonne efficience dans le domaine des objets fabriqués, alors que d'autres (moins
nombreux) présentent le profil inverse (Caramazza et Shelton, 1998). Les débats sont
vifs pour rendre compte de telles dissociations. Parmi les hypothèses, celle d'une pondé-
ration différente des propriétés perceptives (notamment visuelles) et fonctionnelles dans
la définition des catégories selon les domaines, paraît digne d'intérêt.
Lorsque l'on demande à des adultes de donner une définition d'une catégorie
d'objets, ils produisent une majorité de propriétés référant à des aspects perceptifs dans le
cas de la définition de concepts d'objets vivants (plantes, animaux) et des propriétés fonc-
tionnelles et perceptives lors de la définition de concepts d'objets fabriqués. Récemment,
Le développement des représentations du monde physique I 199

Hughes, Woodcock et Funnel ont de la même façon enregistré les propriétés générées par
des enfants de 3 à 11 ans en réponse à des noms d'entités vivantes (animaux et
fruits/légumes) et non vivantes (outils et véhicules). Les concepts vivants sont principale-
ment définis par des termes surordonnés (ex., « une vache est un animal ») et des proprié-
tés perceptives ( « une girafe a un long cou ») alors que les items non vivants reçoivent
une majorité d'attributs fonctionnels (un tire-bouchon sert à ouvrir les bouteilles de vin).
Ces différences sont susceptibles d'êtres liées à un développement plus précoce des
catégories de niveau surordonné dans le domaine du vivant par rapport au domaine
des objets fabriqués. Ainsi, dans le domaine du vivant, les propriétés perceptives com-
munes sont nombreuses et souvent associées à des propriétés biologiques très générales
(avoir des yeux et voir....) partagées à un niveau de catégorisation très global. Les pro-
priétés perceptives distinctives ne sont pas en général associées à des fonctions spécifi-
ques (ainsi les rayures du tigre, par exemple). Dans le cas des objets fabriqués, les pro-
priétés perceptives distinctives sont au contraire très souvent prédictrices de la fonction
(comme les dents de la fourchette) Boyer, Bedoin et Honoré (2000) ont obtenu des
résultats en situation de généralisation de propriétés avec des enfants de 3-4 ans allant
dans ce sens : une généralisation limitée au niveau de base pour les objets fabriqués et
une généralisation au niveau surordonné pour les animaux.
Bonthoux suggère que les voies développementales de construction des catégories
dans les deux domaines pourraient être différenciées (pour de premiers résultats compa-
tibles avec cette hypothèses, cf. Scheuner et Bonthoux, 2004). Ainsi, dans la mesure où
nous interagissons avec les objets fabriqués notamment en les utilisant dans des contex-
tes variés, la formation des catégories correspondantes serait largement fondée sur les
propriétés fonctionnelles et donc sur les contextes d'utilisation de ces objets. Les catégo-
ries d'objets vivants s'ancreraient davantage sur les propriétés perceptives rapidement
enrichies par un ensemble d'informations conceptuelles.
Cette hypothèse soulève un point, non encore présenté jusqu'ici, celui de
l'importance des contextes de rencontre avec les objets. La communauté de contexte
est pourtant un facteur de regroupement important qui nous conduit par exemple à
trouver légitime l'association d'un lapin et d'une carotte alors qu'il s'agit manifestement
d'objets de nature différente. Nous allons maintenant examiner plus avant comment
différentes formes de catégories conceptuelles, taxonomiques — associant des objets de
même sorte — et thématiques — associant des objets entretenant des relations de conti-
guïté spatio-temporelle dues à leur appartenance à un même contexte, scène ou événe-
ment —, peuvent coexister au cours du développement.

V - Catégories taxonomiques, catégories thématiques :


différentes formes d'organisations conceptuelles

a. Hypothèse développementale de Nelson

Dans les années 1980, Katherine Nelson (1985) a mis l'accent sur le fait que la
centration sur les seules catégories conceptuelles regroupant des objets de « même
sorte », catégories que l'on qualifie de taxonomiques, ignore un aspect essentiel dans le
200 I Psychologie du développement

développement des représentations catégorielles. De fait, notre expérience commune ne


nous conduit pas à rencontrer les objets triés par catégorie dans des casiers de range-
ment. Bien au contraire, nous rencontrons les objets dans des contextes où ils interagis-
sent avec d'autres objets de diverses sortes mais qui leur sont liés en fonction du but des
actions en cours. Par exemple, le jeune enfant qui se trouve confronté à une assiette de
purée, rencontrera très probablement dans la même situation, une cuillère, un bavoir et
probablement l'adulte qui l'aide à manger. On conviendra que ces objets ne sont pas
de même sorte ; en effet, ils n'appartiennent pas à la même catégorie taxonomique. En
revanche, ces objets sont liés thématiquement parce que l'enfant va les retrouver très
fréquemment dans une séquence d'actions qu'il va peu à peu constituer en schéma
(appelé script), le schéma du repas Ainsi, les catégories thématiques associent des objets
entretenant entre eux des liens de proximité spatio-temporelle. La proposition dévelop-
pementale avancée par Nelson consiste donc à envisager que les premières catégories
d'objets seraient des catégories thématiques trouvant leur origine dans les représenta-
tions schématisées d'événements routiniers. Les catégories taxonomiques surordonnées
ne seraient véritablement construites que vers 7-8 ans. Le chemin développemental
conduisant des catégories thématiques aux catégories taxonomiques surordonnées serait
jalonné par une étape intermédiaire, celle des catégories « slot-filler » (littéralement
catégories d'objets pouvant occuper une même case d'un schéma). Ces dernières caté-
gories regrouperaient des objets susceptibles de jouer la même fonction dans un schéma
(ainsi la tartine de beurre, le croissant ou la biscotte peuvent constituer une catégorie
remplissant la case « aliment accompagnant la boisson du petit déjeuner »). Dans les
catégories slot-filler, comme dans les catégories taxonomiques surordonnées, on a bien
affaire à un groupement d'objets de même sorte. Toutefois, alors que les premières res-
tent contextualisées, car elles se définissent par rapport à un schéma (dans l'exemple,
celui du petit déjeuner européen), les secondes sont supposées décontextualisées. Selon
Nelson, cette décontextualisation s'opérerait au cours du développement grâce à
l'intervention déterminante du langage permettant la prise de conscience progressive de
la fusion possible en une seule catégorie indépendante des contextes, des multiples caté-
gories slot-filler rassemblant en fait, des objets de même sorte (dans notre exemple,
prise de conscience du fait que ce que l'on mange pour le petit déjeuner, ce que l'on
mange pour goûter, ce que l'on mange pour le dessert de la cantine..., constituent une
seule catégorie, celle des « aliments »).

b. Coexistence des catégories thématiques et taxonomiques


au cours du développement

Contrairement à ce que peut suggérer l'approche de Nelson, organisations thé-


matiques et organisations taxonomiques ne doivent pas être considérées comme deux
étapes dans le développement des catégories conceptuelles. D'une part, les recherches
chez l'adulte suggèrent que les catégories thématiques, loin de disparaître, peuvent
être plus facilement activées dans certains contextes que des catégories taxonomiques
(Barsalou, 1983 ; Lin et Murphy, 2001). D'autre part, les travaux chez les nourrissons,
présentés plus haut, ont établi que ceux-ci pouvaient faire preuve de formes de caté-
gorisation globales assimilables, par leur degré de généralité, à des catégories taxono-
Le développement des représentations du monde physique I 201

miques surordonnées, même si, on l'a vu, les significations associées à ces catégories
ne sont probablement pas équivalentes à celles observées chez les sujets plus âgés.
Concernant les catégories thématiques, leur formation va dépendre tout particulière-
ment des occasions d'interaction du sujet avec les objets en contexte. Nous avons cité
(cf. § c, p. 191) des résultats montrant une catégorisation thématique au cours de la
deuxième année, dans une tâche de touchers séquentiels. Ainsi, divers dispositifs expé-
rimentaux permettent de révéler une coexistence très précoce de ces deux formes de
catégorisation conceptuelle.
Chez des enfants plus âgés (4 à 7 ans), différentes études ont montré (par exemple,
Blaye, Bernard-Peyron et Bonthoux, 2000) que les catégorisations thématiques étaient
prédominantes dans des tâches d'appariement en choix forcé lorsque sont mises en
concurrence des options de réponse thématique et taxonomique surordonnée. En
revanche, les mêmes enfants à qui l'on a proposé une tâche de tri libre (Blaye et al.,
ibid.) ont produit en égales proportions des tris taxonomiques et thématiques. Ainsi, il
apparaît que le type de catégorisation privilégié dépend, pour une part au moins, des
tâches proposées. Nous avons également vu plus haut que pour un même type de
tâche, la forme prise par la consigne modifiait sensiblement les réponses catégorielles
obtenues (cf. § b, p. 193)
De plus, pour une même tâche, les choix catégoriels varient en fonction des objets
(ou images) proposés. Ainsi Waxman et Namy (1997) ont proposé une série d'essais
d'appariement en choix forcé à des enfants de 3 et 4 ans au cours desquels les enfants
devaient choisir entre un associé thématique et un associé taxonomique pour chaque
image cible. Avec une consigne peu contraignante quant à la nature de la relation à
privilégier ( « Trouve l'image qui va avec... l'image cible») la majorité des enfants a
produit les deux types de choix au cours de la série. Ainsi, d'un essai à l'autre, c'est un
type d'associé ou un autre qui se trouvait privilégié. Il semble que les enfants aient,
dans cette situation, un fonctionnement guidé par les objets eux-mêmes (raisonnement
bottom-up ou ascendant) plutôt que par un projet fondé sur le critère catégoriel (thé-
matique ou taxonomique) à appliquer d'un essai au suivant. Une étude récente (Scheu-
ner, Bonthoux, Cannard et Blaye, 2004) a montré que la force relative des associations
entre image cible et chaque candidat à l'appariement était déterminante des choix. Les
enfants ont eu tendance à choisir l'image la plus fortement associée à l'objet cible ; cela
les a de fait, conduits à mettre en oeuvre, selon les essais, des appariements thématiques
ou taxonomiques.
Au terme de cette présentation, il apparaît que les enfants disposent tout au long
de leur développement d'une palette de modes de catégorisation possibles des objets qui
les entourent. Dès lors, on peut s'interroger sur le développement de la capacité à sélec-
tionner de manière adaptée les diverses appartenances catégorielles d'un même objet :
ainsi, pour un sportif qui part à l'entraînement, le ballon est membre de la catégorie
thématique des « objets pour jouer au football » et de ce fait se devra d'être associé à
une paire de chaussures à crampons ; si en revanche, il s'agit d'anticiper l'organisation
des objets dans le coffre à bagages d'une voiture, la forme ronde du ballon peut devenir
un critère de catégorisation critique, enfin dans la perspective d'organisation d'une
journée récréative pour des enfants le ballon doit être considéré dans la catégorie des
« jouets » au même titre qu'un jeu de cartes.
202 I Psychologie du développement

VI - Développement de la flexibilité catégorielle

La capacité à envisager un même objet comme membre de catégories multiples a


une valeur adaptative fondamentale dans la mesure où, comme le suggèrent les exem-
ples ci-dessus, chaque appartenance suscite des inférences différentes dont la pertinence
peut varier en fonction des situations. La flexibilité catégorielle a été évaluée chez
l'enfant soit par des tâches de pluricatégorisation dans lesquelles le participant est expli-
citement invité à catégoriser un même objet de différentes façons (cf. encadré 4.9), soit
par des tâches où l'on mesure la capacité des participants à s'adapter à des change-
ments de consigne de catégorisation à propos d'un même matériel ; on parle alors de
flexibilité relationnelle. Nous allons examiner tour à tour les évolutions développemen-
tales révélées par ces deux types de situation.
Une des manifestations possibles de la flexibilité catégorielle réside dans
l'acceptation ou la production de plusieurs noms pour un même objet : « Pataud »,
« un chien », « un animal » peuvent constituer trois dénominations possibles de la
même entité. Certains auteurs (Markman, 1989) défendent l'hypothèse selon laquelle
les jeunes enfants se donneraient une contrainte implicite dans l'apprentissage des noms
d'objets, une contrainte d' « exclusivité mutuelle ». Selon cette hypothèse, chaque objet
ne porte qu'un seul nom. Dès lors, un nom nouveau prononcé en présence d'un objet
familier et d'un objet non familier, désignerait nécessairement le second. Cette con-
trainte semble particulièrement efficace pour permettre rapidement un appariement
entre les nouveaux mots entendus et leurs référents. Toutefois, des travaux plus récents
(Waxman et Hatch, 1992) suggèrent qu'à certaines conditions, les enfants dès 3 ans
peuvent produire plusieurs dénominations pour un même objet et font preuve ce fai-
sant, d'une forme de flexibilité catégorielle. Il suffit de les y inciter en posant successive-
ment plusieurs questions contrastives à propos du même objet conduisant respective-
ment à une dénomination de niveau de base, surordonné ou sous-ordonné. Par
exemple, à propos d'une paire de baskets, on a demandé tour à tour : Est-ce une robe ?
(La question suscite alors la réponse « Non, c'est une chaussure ») ; Est-ce un meuble ?
(Non, c'est un vêtement/habit) ? Est-ce une paire de bottes ? (Non, des baskets).
Blaye, Bernard-Peyron et Bonthoux (2000) ont évalué le développement de la
flexibilité catégorielle dans un contexte où le même ensemble d'images d'objets devait
être trié successivement de différentes façons (cf. encadré 4.9). Le matériel se prêtait à
un tri taxonomique, thématique et slot-filler. Les enfants sont parvenus en majorité à
produire au moins deux tris corrects du même matériel, seulement à partir de 9 ans.
Cette situation laisse donc apparaître un développement relativement tardif de la flexi-
bilité catégorielle lorsqu'elle implique d'envisager des appartenances catégorielles rele-
vant d'organisations conceptuelles différentes (thématique vs taxonomique, ici).
L'analyse de la pluricatégorisation avec la tâche d'appariement en choix forcé (cf. enca-
dré 4.9) conduit à des conclusions similaires. Chez des enfants de 3 à 6 ans, la propor-
tion d'images donnant lieu à des appariements multiples ne dépasse pas un tiers (Bon-
thoux, Berger et Blaye, 2004). Il est cependant possible d'améliorer le niveau de
Le développement des représentations du monde physique I 203

flexibilité catégorielle en manipulant le niveau d'activation des différentes associations


catégorielles. Cela peut se faire, par exemple, en mettant l'objet cible en scène de façon
à rendre saillante la représentation catégorielle que l'on veut faire produire (par
exemple, une scène de chasse incite à associer un chien avec un fusil pour leur apparte-
nance commune au schéma de la chasse). On qualifie de flexibilité relationnelle (pour
la différencier de la pluricatégorisation évoquée ci-dessus) la capacité à suivre successi-
vement des consignes différentes de catégorisation s'appliquant aux mêmes objets. Un
des dispositifs utilisés consiste à présenter aux enfants, une série de planches constituées
chacune d'une image cible et de plusieurs associés. La série est présentée une première
fois avec une consigne incitant à des appariements sur un critère de catégorisation per-
ceptif de couleur par exemple (mettre ensemble les deux images de la même couleur), puis une
deuxième fois avec une consigne incitant à des appariements sur un critère perceptif de
forme (mettre ensemble les deux images de même forme). Ce type de dispositif permet
de révéler deux facettes de la flexibilité catégorielle : d'une part, la capacité à maintenir
un critère d'appariement au fil des planches alors même que l'utilisation d'un autre cri-
tère est possible et, d'autre part, la capacité de bascule entre deux critères
d'appariements entre la première et la deuxième présentation de la série de planches.
Nous avons montré que le maintien est plus précoce que la réussite de la bascule toute-
fois les niveaux de réussite varie de 3 à 8 ans selon la nature des règles d'appariement
proposés. Ainsi, les enfants de 3 ans parviennent à maintenir une règle perceptive lors
de la première présentation mais leurs performances chutent dramatiquement lors de la
deuxième présentation. Dès 4 ans, les enfants réussissent la bascule avec des règles per-
ceptives, mais il faut attendre 5 ans pour observer une flexibilité relationnelle entre des
règles sémantiques spécifiques (par exemple, « les animaux » puis « les choses du
cirque ») et 8 ans pour une flexibilité relationnelle entre une règle incitant à des appa-
riements taxonomiques et une règle incitant à des appariements thématiques. Il semble
ainsi que deux classes de facteurs soient susceptibles de contraindre le niveau de flexibi-
lité catégorielle des enfants : a) Des facteurs d'ordre conceptuel : par exemple, l'effet du
type de règle en jeu dans la flexibilité relationnelle suggère que la possibilité de concep-
tualisation des règles est déterminante ; b) des aspects d'autorégulation de l'activité
s'avèrent également critiques. Parmi ces aspects, on peut souligner la capacité à inhiber
une première représentation de l'objet ( « c'est un rouge ») pour basculer vers une
autre représentation du même objet ( « c'est un camion » ), chacune de ces représenta-
tions conduisant à un appariement différent.

VII - Pour conclure

Une double conclusion s'impose. D'une part, il n'existe pas une, mais de multiples
façons de catégoriser. D'autre part, il faut définitivement renoncer à une vision hiérar-
chique du développement des catégories, où chaque étape développementale corres-
pondrait de manière bi-univoque à un mode de catégorisation. Nous avons ainsi souli-
gné à la fois le caractère premier des catégories perceptives et la probable coexistence
204 I Psychologie du développement

au moins dès la deuxième année de catégories conceptuelles fondées sur la signification


des objets. La diversité des procédures expérimentales utilisées, si elle a l'inconvénient
de rendre parfois difficile la confrontation des données de différentes études, a en
revanche permis de révéler une palette large de compétences, notamment en ce qui
concerne les capacités d'induction de propriétés chez les très jeunes enfants et les
enfants préscolaires.
La pluralité des conduites dans des contextes expérimentaux divers doit alerter sur
le fait que l'activité de catégorisation est fondamentalement à considérer en contexte.
On a vu comment l'expérience avec les objets, par le biais des forces d'association ou
des domaines, mais aussi le contexte lexical (dénomination des objets) influent sur la
catégorisation. Dès lors, on peut regretter le très petit nombre de travaux récents chez
l'enfant étudiant la catégorisation dans des situations plus écologiques où elle ne serait
plus une réponse à une consigne de l'expérimentateur mais une stratégie sélectionnée
au service d'un but (catégoriser pour mémoriser par exemple, pour quelques exemples,
cf. Bonthoux, Berger et Blaye, 2004).
Enfin la prise en compte de la diversité des conduites de catégorisation ouvre la
voie à deux grands types de questionnement non encore complètement élucidés : celui
de la diversité ou de l'unité des chemins développementaux produisant ces différentes
conduites et celui de la sélection adaptée de telle ou telle de ces conduites dans chaque
situation.

LECTURES CONSEILLÉES

Bonthoux, F., Berger, C., & Blaye, A. (2004). Naissance et développement des concepts chez l'enfant;
catégoriser pour comprendre. Paris : Dunod.
Cordier, F. (1994). Représentation cognitive et langage : une conquête progressive. Paris : Armand Colin.
Gelman, S. A. (2004). Psychological essentialism in children. Trends in Cognitive Science, 8, 404-
409.
Mandler, J. M. (2003). Conceptual categorization. In D. H. Rakison & L. M. Oakes (Eds.),
Early Categop, and Concept Development (pp. 103-131). Oxford : Oxford University Press.
Nelson, K. (1985). Le développement de la représentation sémantique chez l'enfant. Psychologie
française, 30, 261-268.
Quinn, P. C. (2002). Early categorization : A new synthesis. In U. Goswami (Ed.), Blackwell
Handbook of Childhood Cognitive Development (pp. 84-101). Oxford : Blackwell Publishing.
Rosch, E. (1976). Classifications d'objets du monde réel : origines et représentations dans la
cognition. Bulletin de psychologie, numéro spécial Mémoire sémantique, 242-250.
Waxman, S. R. (2002). Early word learning and conceptual development : Everything had a
name, and each name give birth to a new thought. In U. Goswami (Ed.), Blackvell
Handbook of Childhood Cognitive Development (pp. 102-126). Oxford : Blackwell Publishing.
5 genèse de l'identité
et rôle des interactions sociales

Les interactions sociales obéissent à des lois bien différentes de celles dont il a été ques-
tion dans le chapitre précédent à propos des interactions entre les objets. Les comporte-
ments des personnes s'expliquent en effet par des intentions, des états mentaux, des
émotions, toutes choses étrangères aux comportements _des objets. C'est donc un autre
grand domaine du développement qui sera abordé dans ce chapitre, celui qui a trait
aux relations entre les personnes et plus particulièrement aux relations entre soi et les
autres. Une des composantes fondamentales de la formation des relations sociales est la
capacité de l'enfant à se représenter sa propre personne et à construire sa propre iden-
tité. C'est la raison pour laquelle la première partie de ce chapitre traite de la genèse de
la représentation de soi. La seconde partie porte sur le rôle des interactions sociales
dans le développement, en particulier sur le rôle des interactions parents-enfants et sur
le rôle des interactions entre pairs.

A - LE DÉVELOPPEMENT DE LA REPRÉSENTATION DE SOI


ET DE L'IDENTITÉ, par Anne-Marie Fontaine

I - Une expérience phare :


l'identification de l'image visuelle de soi

a. L'identification de soi dans le miroir

Classiquement on parle de « reconnaissance » de soi dans le miroir (self recognition),


or comme l'a souligné Zazzo (1993), c'est fondamentalement une illusion d'adulte qui,
tous les matins, se « reconnaît » effectivement dans son miroir, parce qu'il « connaît »
son visage. Et pourtant, personne n'a jamais vu et ne verra jamais son visage directe-
ment. La connaissance visuelle que nous en avons est une image apprise dans le miroir,
206 I Psychologie du développement

sans cesse réapprise (et parfois désapprise dans certaines affections neurologiques ou
mentales). C'est la longue fréquentation de cette image particulière (de face et muette)
qui explique probablement le malaise ressenti devant certaines photos ou séquences
vidéo, dont les angles de vue, de profil ou en mouvement, nous dérangent car ils ne
nous sont pas familiers. Chacun de nous a donc « appris » son visage. Comment le
jeune enfant fait-il cette découverte ?

1 /À la recherche de l'âge de la reconnaissance de soi

Dès les débuts de la psychologie de l'enfant, vers 1890, les réactions devant le
miroir font l'objet d'observations. Vers 1930 elles apparaissent dans les premières échel-
les d'intelligence. Elles ne sont pas étudiées pour elles-mêmes, mais comme exemples
des capacités d'intelligence ou d'imitation. On cherche l'âge de la reconnaissance de
soi, et selon les auteurs on le trouve, mais à des âges étonnamment divers : à 6 mois
pour Lacan, parce que l'enfant jubile devant le miroir, à 9 mois pour Darwin parce
qu'il associe l'appel de son nom au miroir, à 12 mois pour Piaget parce qu'il se
retourne vers un objet vu dans le miroir, à 12 mois pour Guillaume parce qu'il touche
un chapeau sur sa tête en se regardant, à 17 mois pour Preyer parce qu'il fait des gri-
maces, à 24 mois et plus pour les échelles d'intelligence parce que l'enfant nomme son
reflet par son prénom. Tout se passe comme si chaque observateur s'était arrêté au
premier signe trouvé, pris peut-être par l'illusion que la reconnaissance de soi apparaît
brusquement un jour chez l'enfant comme une illumination. Les premières observations
longitudinales vers 1950 mettent en évidence qu'il faut bien deux ans pour que l'enfant
arrive à identifier solidement son image. Tous les enfants semblent passer par les
mêmes étapes, parmi lesquelles on retrouve la jubilation, le retournement vers les per-
sonnes, les grimaces, la désignation par le nom, toutes conduites considérées autrefois
comme des signes isolés de la reconnaissance de soi et qui se révèlent n'être que les
jalons, les étapes, d'un long processus de construction.

2/ Les étapes de la construction de l'image visuelle de soi

À partir de 1970, stimulées par des observations faites sur les animaux, les recher-
ches sur les réactions des enfants devant le miroir se multiplient, en France comme aux
États-Unis, et deviennent plus rigoureuses. Elles fournissent des données convergentes qui
permettent actuellement de décrire les principales étapes de l'identification de l'image du
miroir (Fontaine, 1992 ; Zazzo, 1993). S'identifier dans le miroir, c'est déjouer un double
piège : découvrir le rapport de l'image à sa source, homologuer l'image et le corps propre,
puis dénier toute réalité à l'image, comprendre qu'il n'y a pas deux enfants, mais un seul.
On peut classer les réactions de l'enfant en trois grands types :
— l'enfant semble ne faire aucun lien entre l'image et sa source, il se comporte envers
l'image comme envers des personnes ou des objets réels ;
— il découvre et explore activement les liens qui unissent l'image à sa source ;
— il cesse ses explorations, il indique que l'image du miroir est la sienne et dénie toute
réalité propre à l'image.
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 207

Miroir ou vitre ? L'illusion de la réalité.


L'illusion de la présence d'un autre enfant (6 à 12 mois). À partir de 2-3 mois, mais sur-
tout de 6 mois, le bébé adresse à l'image du miroir des sourires, des vocalises, il
l'embrasse, lui offre un jouet. Tout se passe comme s'il réagissait à la vue d'un autre
enfant. Pour tester cette hypothèse, Zazzo imagine de comparer les réactions de
l'enfant face à son reflet et face à un bébé du même âge et du même sexe placé der-
rière une vitre. Pour que la comparaison soit la plus parfaite possible, il fait l'expérience
avec des jumeaux monozygotes (même apparence physique) et dizygotes (apparence
physique différente). Les enfants observés ont entre 6 mois et 3 ans. Avant 12 mois les
bébés sourient, vocalisent, tapent sur la surface, aussi bien vers leur reflet que vers
l'autre enfant derrière la vitre. Après 12 mois les réactions se différencient très nette-
ment, les réactions de « communication » diminuent devant le miroir alors que de part
et d'autre de la vitre les enfants continuent de taper, de rire, de faire des jeux de
« main sur main », « nez sur nez », « bouche sur bouche ».
L'illusion de la profondeur (6 à 15 mois). À partir de 6 mois, le bébé touche
l'emplacement de son reflet, le tape, y colle sa bouche. Parfois il frotte l'image, ou la
gratte, et si le miroir est manipulable, ou non fixé au mur, il passe la main derrière le
miroir et attrape le vide, ou bien va regarder derrière.
Ce premier ensemble de comportements montre l'enfant entièrement focalisé sur
l'image, la traitant comme une réalité avec laquelle il essaie de rentrer en contact. Ces
réactions s'observent entre 4 et 15 mois, avec une phase plus intense entre 6 et
12 mois. Dans toutes les recherches on note la disparition des réactions de communica-
tion après 15 mois (le sourire s'efface aussi, mais réapparaît plus tard). Les explorations
tactiles et les recherches derrière le miroir ne disparaissent pas vraiment, car elles se
transforment en explorations systématiques.

La découverte des rapports entre l'image et sa source. — À partir de 9 mois, les enfants se
montrent de plus en plus intrigués et cherchent à comprendre ce qui se passe avec le
miroir. Ils se lancent dans toutes sortes de jeux répétitifs, et puis, progressivement, ils
changent d'humeur devant leur reflet, deviennent sérieux, voire craintifs.
Découverte de la similitude des perceptions. C'est pour les personnes familières qui se
regardent en même temps que lui dans le miroir que le bébé remarque d'abord la simi-
litude entre ce qu'on voit dans le miroir et devant. Le retournement vers une personne
silencieuse qui le tient dans les bras ou se tient proche de lui est noté vers 9-10 mois.
L'enfant a-t-il compris que l'image était un reflet ? Lorsque le miroir n'est pas fixé au
mur, on le voit, au même âge, chercher sa mère derrière le miroir ! Et ce comporte-
ment « contradictoire » persiste jusque vers 16 mois. C'est également vers 9-10 mois
que l'enfant s'intéresse au reflet des objets qu'il voit dans le miroir, mais il se retourne
spontanément vers eux beaucoup plus tard que vers ses parents : à 15 mois pour des
objets posés à côté de lui, et pas avant 18 mois pour des objets situés loin derrière lui et
qu'il voit brusquement dans le miroir.
Découverte de la synchronisation des mouvements du corps et du reflet. Vers 9 mois, on
observe des « réactions d'arrêt » dans les mouvements de l'enfant devant le miroir :
tout à coup il s'immobilise, regarde le reflet de sa main arrêtée, puis la bouge plus
lentement en fixant alternativement sa main et son reflet. Dans les mois qui suivent
208 I Psychologie du développement

ces réactions deviennent des expérimentations systématiques et longuement répétées :


l'enfant colle et décolle sa main, bouge ses doigts au ralenti, glisse lentement ses mains
de haut en bas sur le miroir, frotte ou tape répétitivement le pied, etc. Les « jeux de
main et de pied » sont une des occupations principales des enfants devant le miroir
entre 9 et 18 mois, avec un intérêt maximum autour de 15 mois. C'est donc d'abord
pour les parties visibles de son corps que l'enfant découvre les liens entre lui et le
miroir, par un double procédé : une comparaison visuelle des deux mouvements, celui
du reflet et le sien, perçus en même temps ou alternativement (comparaison du même
type que celle qu'il peut faire pour les autres personnes, avec référence possible au
modèle) et une coordination visuo-kinesthésique, entre le mouvement ressenti et le
mouvement vu simultanément (l'enfant se sent et se voit bouger). C'est la constance
de ces coordinations qui construit peu à peu l'homologation du corps propre et de
son image visuelle. On voit parfois, vers 15 mois, l'enfant vérifier, semble-t-il, le
« terme à terme » de son corps et de son image : faire coïncider sa semelle de chaus-
sure ou le dessin de son tee-shirt sur le reflet, ou coller son visage, son corps tout
entier contre le miroir.
À partir de 18 mois, mais surtout vers 24 mois, les expérimentations des mouve-
ments se concentrent sur le visage et la tête : l'enfant cligne des yeux, fronce les sour-
cils, ouvre et ferme la bouche, remue la tête, fait des grimaces. Il passe de longs
moments à se regarder manger devant le miroir ou le doigt dans la bouche. La sensa-
tion tactile du doigt ou de la nourriture dans la bouche renforce sans doute la prise de
conscience des rapports entre la bouche « ressentie » et la bouche « vue ».
L'homologation du visage ne peut se construire que sur la coordination visuo-
kinesthésique, ou visuo-proprioceptive, ce qui différencie fondamentalement cette expé-
rience de l'homologation du reflet des autres personnes ou des parties visibles du corps
propre avec leurs modèles.
Réactions de fascination et d'évitement. À partir de 15 mois, les réactions de plaisir
devant le miroir diminuent : souvent l'enfant s'immobilise, reste à distance, voire se
recule. Cette attitude s'accompagne d'une conduite du regard curieuse, soit de « fasci-
nation », l'enfant se regardant très fixement, soit d' « évitement », l'enfant se regardant
de côté, ou en baissant la tête. Si on insiste, il refuse de se regarder et s'en va. Ces
conduites sont très fréquentes entre 18 et 24 mois et ne se produisent pas dans la situa-
tion vitre, que l'enfant en face soit familier ou inconnu. Chez les animaux ce comporte-
ment existe aussi : l'évitement du regard a été observé chez le macaque, et chez le
jeune chien on observe des allers et retours devant le miroir, et à partir de 6 mois, des
symptômes de peur (gémissements, grognements). Gallup (1968) note que le miroir, sti-
mulus « supra-normal » qui imite sur le champ tous les mouvements, produit des réac-
tions en chaîne atypiques pour l'animal, entraînant soit une excitation de ses comporte-
ments (comme les attaques répétées), soit une immobilisation totale (comme chez
certains oiseaux). À la lumière de ces observations chez des espèces animales inférieures
aux primates, Zazzo élimine l'hypothèse de l'évitement comme indice d'identification
de l'image de soi et fait une autre hypothèse : le malaise dans le miroir signifierait que
l'enfant ou l'animal devient capable de discerner un faux partenaire d'un vrai, et signa-
lerait donc plutôt les progrès de la conscience d'autrui, et la perturbation de réactions
sociales attendues. L'image du miroir serait perçue, selon la formule de Zazzo, comme
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 209

« un autre pas comme les autres ». Il faut noter que, chez l'enfant, ces réactions appa-
raissent juste avant ou en même temps que l'identification de sa propre image.

Identifzcation du corps comme modèle de l'image. — Entre 15 et 24 mois, les va-et-vient


que fait l'enfant entre son reflet et son corps s'intensifient et montrent clairement qu'il a
conscience de la partie du corps qui sert de modèle à l'image : il touche son corps à
l'endroit qu'il a regardé sur le reflet (une poche, un dessin sur ses vêtements). Pour le
visage et la tête, cela commence plus tard, vers 18 mois : l'enfant se regarde puis touche
ses cheveux, ou ce qu'il a dans la bouche. Après 2 ans, et pendant toute la troisième
année, l'enfant fait de grands gestes devant le miroir, il fait le clown, prend des attitu-
des ; le corps tout entier est en jeu, y compris le visage. L'enfant ne fait plus de va-et-
vient entre lui et son image, il la « contrôle » des yeux pendant qu'il bouge, le sourire
est revenu. Parallèlement, l'illusion de profondeur régresse. Dans l'étude qui utilise un
miroir manipulable, les enfants cessent, vers 16 mois, de passer la main derrière le
miroir ou de le retourner après y avoir vu leur mère, ils font de même vers 22 mois
pour une personne non familière, et vers 24 mois pour leur propre image (50 % seule-
ment). Dans les recherches qui utilisent un miroir en pied contournable, on observe
encore des enfants qui regardent derrière le miroir entre 2 et 3 ans.
Vers 2 ans et demi, la grande majorité des enfants est capable d'identifier verbale-
ment son reflet. Mis devant le miroir, l'enfant dit d'emblée « c'est Mathieu », « c'est
moi ». À 3 ans, le miroir commence à devenir utilitaire, l'enfant vient se regarder lors-
qu'il a quelque chose de neuf, ou un déguisement, le miroir n'est plus intéressant pour
lui-même.

3/ Les critères de l'identification

L'accord s'est fait, à travers les différentes recherches, pour considérer trois
conduites comme critères de la consolidation du processus d'identification, parce
qu'elles montrent que le reflet est clairement rapporté à soi : toucher son propre visage
à partir d'une information vue sur le miroir, désigner l'image par son prénom ou
« moi », cesser de contourner le miroir en se regardant. Un quatrième critère, celui du
retournement vers les personnes ou les objets vus dans le miroir a longtemps été consi-
déré aussi comme un critère de l'identification de « soi », mais son interprétation
semble aujourd'hui plus complexe (Fontaine, 1996).
Ces conduites, repérées par l'observation du répertoire spontané des enfants
devant le miroir, ne se produisent pas toujours. Les chercheurs ont donc essayé de trou-
ver des procédures qui permettent de les observer systématiquement chez tous les
enfants, en les provoquant.

Toucher la tache sur le visage. — Le succès de ce test d'identification du reflet tient à


deux choses : d'une part, à ce qu'il a été inventé à la même période pour les enfants
(Amsterdam, 1972), et pour les chimpanzés (Gallup, 1970), d'autre part, à ce qu'il four-
nissait enfin un critère non verbal d'identification du reflet. Hors du miroir, on
applique une tache de couleur sur la joue de l'enfant, à son insu, puis on le place
devant le miroir. Les résultats des différentes recherches concordent : de 9 à 15 mois,
210 I Psychologie du développement

aucun enfant ne touche la tache, la plupart essaient de l'attraper sur le miroir, les
toutes premières réussites sont observées à partir de 15 mois, elles deviennent majoritai-
res entre 21 et 24 mois (70 o/ en moyenne) et se généralisent chez tous les enfants vers
30 mois. Repris par toutes les recherches ultérieures, le test de la tache est un déclen-
cheur qui permet de départager clairement les comportements dirigés vers l'image
(essayer de prendre la tache sur le miroir), de ceux dirigés vers soi (toucher la tache sur
son propre visage). La réussite au test n'est possible que si l'enfant peut rapporter la
« bizarrerie » du visage vu dans le miroir à son propre visage. Cela suppose qu'il sache
à quoi il ressemble « normalement », donc qu'il ait construit une représentation men-
tale visuelle de lui-même, englobant les parties invisibles de son corps.

Dire son prénom ou «Moi ». L'enfant étant placé devant le miroir, on lui demande
« Qu'est-ce qu'on voit ? », « Qui est-ce ? », en montrant le miroir. Parfois il arrive que
l'enfant se nomme spontanément, ou se désigne indirectement : « C'est ma robe. » Les
réussites apparaissent vers 24 mois, elles deviennent majoritaires à 30 mois.

Cesser de contourner le miroir. — Zazzo est le seul à avoir étudié cette réaction, la plu-
part des études américaines ayant utilisé des miroirs fixés dans le mur. À la question
« où est Thomas ? » posée à l'enfant qui se regarde devant un miroir en pied contour-
nable, et quelle que soit la réponse, Zazzo ajoute la provocation suivante : « Va le cher-
cher » ! Avant 24 mois, presque tous les enfants vont voir derrière le miroir, parfois
même spontanément. Entre 24 et 30 mois, certains le font encore, même s'ils touchent
déjà la tache sur leur visage ; après 30 mois les enfants résistent bien à la provocation,
ils regardent l'adulte d'un air embarrassé, mais sans bouger, ou se touchent le corps, ou
rient en disant « je peux pas ! » – « pourquoi ? » – « parce que je suis là, moi ! » (en se
touchant le corps).

b. L'identification des autres doubles visuels : vidéo, photo, ombre

À partir de 1975, on s'intéresse à l'identification d'autres types d'image de soi que


le reflet (Lewis et Brooks-Gunn, 1979) et la perspective change. La question centrale
devient celle du processus de l'identification de l'image visuelle de soi : à partir de quels
indices, de quelles informations de l'image l'enfant arrive-t-il à s'identifier ? La compa-
raison des réactions de l'enfant à différents types d'image permet de tester séparément
le rôle de deux variables que le miroir ne permet pas de distinguer : le synchronisme
des mouvements de l'image et du sujet et les caractéristiques figurales de l'image.

1/ La perception du synchronisme des mouvements

Réactions aux images vidéo de soi, synchrones ou désynchronisées. — Les études sont améri-
caines, elles portent sur des enfants de 9 à 36 mois, assis devant un écran de télévision,
et regardant des vidéos d'eux, en direct ou en différé. On note les réactions d'attention,
les mimiques, les vocalisations, le jeu avec la synchronie de l'image. La comparaison
entre les deux situations montre qu'à partir de 12 mois, et très nettement entre 15 et
24 mois, l'enfant fait la différence entre l'image de lui synchrone et l'image de lui dif-
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 211

férée : la première suscite plus de réactions positives. Des recherches analogues, menées
avec des bébés de 5 mois montrent que la sensibilité au synchronisme est déjà présente
a cet âge, mais les jeunes bébés préfèrent au contraire l'image non synchrone.

Réactions aux images fixes, synchrones, désynchronisées. — Avec 11 enfants suivis en longi-
tudinale, Bigelow (1981) trouve que l'enfant identifie verbalement le miroir vers
22 mois, la vidéo en direct vers 22 mois, la vidéo en différé vers 24 mois, et la photo-
graphie (pointer sa propre photo au milieu d'autres photos) vers 25 mois. Malgré la dif-
férence de critère d'identification on constate que l'image fixe ou différée est identifiée
plus tard que l'image synchrone.

2 / La perception de l'apparence physique

Les caractéristiques figurales de l'image paraissent jouer un rôle pour


l'identification du corps visible, puisqu'on voit en effet l'enfant faire des comparaisons
visuelles terme à terme, dans le miroir, entre ses mains et leur image, entre ses vête-
ments et leur reflet, avant de pouvoir identifier son visage.

Réactions à l'image vidéo différée de soi et d'un autre enfant. — On présente successive-
ment, à des enfants de 9 à 36 mois, des images en différé d'eux ou d'un autre enfant de
même âge et de même sexe. La différenciation de l'image de soi, sur la base de
l'apparence physique (de son visage surtout, car les enfants sont assis) ne semble appa-
raître que vers 21 mois mais reste faible jusqu'à 30 mois.

Réactions à l'image photographique de soi et d'un autre enfant gézéquel, 1983). — Deux
types de procédures sont utilisées : soit la présentation successive de diapositives, soit la
présentation simultanée de plusieurs photos sur un album ou un présentoir, dont celle
de l'enfant. Avec les indices spontanés d'attention et de mimiques, on voit apparaître
des différences vers 21 mois : les enfants sourient plus à leur propre photo qu'à celle
d'un autre enfant inconnu, mais pas plus qu'à celle d'un enfant connu. Avec les critères
d'identification, on obtient les résultats suivants : fixation visuelle de sa photo parmi les
autres, vers 22 mois, pointage du doigt sur sa photo, à la question « où il est (pré-
nom) » ? vers 24 mois, désignation verbale vers 30 mois. On peut donc dire que la dif-
férenciation de l'apparence physique de soi et d'un autre enfant est possible sur des
photographies à partir de 21 mois.

Réaction à l'ombre et au reflet de soi (Fontaine, 1992). — La comparaison ombre-reflet


permet d'analyser la perception de deux images du corps qui ont en commun d'être
synchrones avec les mouvements de l'enfant, mais diffèrent par la richesse des informa-
tions figurales (deux dimensions pour l'ombre, disparition des détails du visage ou des
vêtements, silhouette noire). L'identification de l'ombre est plus tardive que celle du
reflet : 33 mois au lieu de 24 mois pour le critère gestuel du mouvement vers le visage
(le stimulus équivalent à la tache sur la joue est ici une plume cousue à son insu sur le
bonnet que porte l'enfant). Par contre la désignation verbale se fait à peu près au
même âge, entre 30 et 36 mois. L'analyse comparée des réactions spontanées aux deux
212 I Psychologie du développement

types d'image montre que, dès 9 mois, les enfants sont sensibles à l'appauvrissement des
caractéristiques figurales de l'ombre (forte diminution des comparaisons visuelles et tac-
tiles entre eux et leur image). L'aspect plat de l'ombre qui supprime le piège de
l'illusion de profondeur du miroir en crée un autre : l'impression que l'ombre est collée
sur l'écran, d'où la persistance des tentatives pour « prendre » l'image jusqu'à 30 mois.
L'ombre au sol, qui déforme les contours du corps, est identifiée encore un peu plus
tard que l'ombre verticale, à 36 mois. L'enfant est intrigué, puis irrité par le point
d'attache de l'ombre à ses pieds, il cherche activement à s'en débarrasser entre 24 et
30 mois, et ne supporte pas, au même âge, qu'on marche sur son ombre. Ce n'est qu'à
3 ans que l'enfant joue à « maîtriser » son ombre.

TABLEAU 5.1. — Chronologie comparée de l'identification des différentes images de soi.


Critères non verbaux : toucher la tache (miroir, Tv)
ou la plume (ombre), ou montrer la photo

Réussite Miroir TV direct TV différé Photo Ombre verticale Ombre au sol

Début 18 mois 18 mois 18 mois 18 mois 18 mois 24 mois


> 50 % 21 mois 22 mois 24 mois 25 mois 30 mois 33 mois
100 % 24 mois ? ? 28 mois 36 mois > 36 mois

ENCADRÉ 5.1

Chronologie de l'exploration
par l'enfant de ses doubles visuels (miroir, photo, vidéo, ombre)

— À 9 mois se situe l'exploration active du synchronisme de l'image. Depuis plusieurs mois


le bébé est capable de détecter ce synchronisme, mais à partir de 9-12 mois, il l'expérimente
volontairement. Il apprend ainsi, dans l'action, à quoi ressemble son corps visible, en établis-
sant une homologation progressive entre lui et l'image qu'il voit.
— À partir de 18 mois, l'homologation englobe le corps tout entier, et surtout le visage,
ce que manifeste la réussite au test de la tache, vers 21 mois. Toucher la tache sur soi, sans
avoir jamais vu son visage en direct, signifie que l'enfant sait à quoi ressemble son visage
« intact », qu'il en possède donc une image mentale. Malgré ce progrès décisif, il existe encore
bien des contradictions dans le comportement de l'enfant : il a des réactions de malaise, il se
cherche encore derrière le miroir, regarde au dos de la photo, ou gratte l'ombre... L'identité
émerge, mais n'est pas encore détachée du contexte ou de l'action d'où elle se dégage.
— À partir de 21-24 mois, un deuxième niveau d'identification s'installe, dégagé de
l'action immédiate, l'enfant s'identifie sans l'aide du synchronisme, sur des photos ou des
i mages vidéo en différé. Il connaît son apparence physique et se différencie d'un autre enfant
qui lui ressemble.
— Vers 30 mois s'observe une consolidation de l'identification : l'enfant identifie aussi
son ombre verticale, malgré l'absence de visage, il cesse de se chercher derrière le miroir ou
de vouloir décoller l'ombre de ses pieds. Il peut donner un nom unique, le sien, à toutes les
variations visuelles de lui-même.
— Vers 3 ans, l' ombre au sol est identifiée, malgré l'absence de visage et les déforma-
tions. L'enfant se sert du miroir pour faire le clown ou s'admirer, et il rit si on marche sur son
ombre. Tous les éléments séparés de son identité physique sont intégrés en un tout, ses sen-
sations, son apparence visuelle, l'espace qu'il occupe, et son nom.
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 213

c. Les conditions de l'identification de l'image visuelle de soi

I / L'expérience des miroirs

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'expérience des miroirs ne joue pas


beaucoup dans la capacité à s'identifier. On n'a pas trouvé de rapport entre la réussite
au test de la tache et la fréquence avec laquelle on met les enfants devant le miroir. Il
faut d'ailleurs peu de temps aux chimpanzés qui n'ont jamais vu de miroir pour com-
mencer à explorer leur corps par son intermédiaire (deux ou trois jours seulement). Il
en faut encore moins aux enfants bédouins élevés sans miroir, pour toucher la tache sur
leur visage au même âge que les petits citadins israéliens, français ou américains : sept
minutes seulement en moyenne ! L'expérience des miroirs joue, par contre, pour en
apprendre les propriétés réfléchissantes, notamment pour se retourner vers les per-
sonnes ou les objets vus dans le miroir (Priel et de Schonen, 1986).

2 / Les capacités cognitives

Si l'identification de soi ne semble pas liée à une grande fréquentation des miroirs,
elle semble par contre en étroite liaison avec les progrès des capacités intellectuelles
générales. C'est vers 9 mois que les expérimentations des liens de l'enfant avec ses dou-
bles visuels s'intensifient, à l'âge où il construit la permanence des objets et des person-
nes, et c'est à 18 mois que l'on voit apparaître les premiers mouvements vers la tache
devant le miroir, ceux vers la plume devant l'ombre, et la désignation gestuelle des
photos. C'est aussi un âge clé pour le développement intellectuel, celui de la représenta-
tion mentale qui permet d'évoquer en pensée ou par le langage des choses ou des per-
sonnes absentes, d'imiter, de jouer à faire semblant. Les études menées avec des enfants
trisomiques ou autistes montrent qu'ils parviennent à toucher la tache sur leur visage à
condition d'avoir un âge mental minimum de deux ans. Chez les animaux, seuls les sin-
ges supérieurs, chimpanzés et orangs-outans, arrivent à toucher la tache, alors que les
autres singes s'en montrent incapables, même après des milliers d'heures passées devant
le miroir. Les premiers psychologues n'avaient donc pas tort de considérer les réactions
devant le miroir comme un test de développement mental.

3 / Le miroir des autres

Autre constat d'importance : on a fondamentalement besoin des autres pour


s'identifier. On peut d'abord constater, et ce pour tous les types d'images, que ce sont les
autres, les personnes de son entourage, que l'enfant identifie en premier dans le miroir, et
cela très tôt, vers 6 ou 8 mois. C'est encore grâce à elles qu'il découvre vers 9-10 mois
l'étonnant lien de similitude qui unit les personnes et leurs images. De nombreux psycho-
logues, et en particulier Wallon pensent que le premier « miroir » de l'enfant, c'est
d'abord sa mère ou les personnes qui s'occupent de lui, symbiose vitale au départ qui va
permettre peu à peu une différenciation. Sans cette enveloppe sociale le bébé parvien-
drait-il à s'identifier ? La réponse nous vient des animaux : de jeunes chimpanzés élevés
214 I Psychologie du développement

en isolement social complet se montrent incapables, une fois confrontés au miroir de tou-
cher la tache sur eux. Mais si on les réintègre ensuite dans un groupe, puis que l'on
renouvelle le test de la tache après trois mois de cette expérience avec des compagnons,
alors ils réussissent ! La fréquentation des autres est donc une condition indispensable à la
construction de l'image de soi. S'identifier, c'est d'abord se concevoir semblable aux
autres pour pouvoir ensuite se considérer différent et unique.

Il - De l'identification visuelle
à un modèle intégratif de la conscience de soi

Peut-on réduire le développement de la conscience de soi chez l'enfant à la cons-


truction de son identité physique dans le miroir ? Aucun des auteurs concernés par ces
recherches ne le soutient, mais ils parlent de la confrontation de l'enfant à ses doubles
visuels comme d'un « révélateur » (Wallon), d'une « fenêtre » (Lewis et Brooks-Gunn),
ou d'un « paradigme expérimental contraignant » (Harter), utile pour comprendre le
processus selon lequel pourrait se développer la conscience de soi à ses débuts.

a. La perspective de Wallon

C'est à Wallon (1934, 1954) que nous devons la première réflexion d'envergure
sur les réactions de l'enfant devant le miroir et la signification à donner à cette
expérience.
Pour que l'enfant arrive à avoir une notion de son corps cohérente et unifiée dit
Wallon, il faut qu'il distingue entre « ce qui doit être attribué au monde extérieur et ce
qui peut être attribué au corps propre, comme le définissant sous ses différents aspects »
(1934, p. 186). La kinesthésie joue, à cet égard, un rôle important, plus particulièrement
les combinaisons entre l'espace corporel (espace kinesthésique) et l'espace des objets et
des personnes (espace optique). Le corps propre, entendu, palpé et regardé est d'abord
traité par l'enfant comme un objet étranger, dont les frontières avec les autres objets se
construisent peu à peu. Manipulé et regardé par l'entourage, le corps kinesthésique de
l'enfant reçoit et sollicite d'autrui une « empreinte visuelle » : l'enfant s'attribue les effets,
vus en autrui lors d'une situation commune, dans le même temps qu'il prête à autrui sa
sensibilité kinesthésique. C'est dans ce double jeu de reflets que l'enfant sort de la sym-
biose primitive et commence à prendre une conscience plus objective de lui-même, qu'il
se constitue « un corps kinesthésique et un corps visuel dont les images autonomes puis-
sent se correspondre au point d'être susceptibles de se substituer entre elles comme équi-
valentes» (1954, p. 64). La conscience objective du corps est donc l'aboutissement de
tout un processus qui consiste pour l'enfant à se voir comme un objet parmi les objets. La
donnée visuelle étant pour le corps très imparfaite, elle se trouve complétée par le miroir,
et de plus présentée d'une manière extérieure au corps. La reconnaissance comme sienne
de l'image du miroir signale une étape importante de ce processus, l'accès à une repré-
sentation mentale du corps. C'est dans cette perspective que Wallon est amené à préciser
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 215

le statut du miroir. Pour l'enfant, le miroir n'est qu'un « procédé plus ou moins épiso-
dique, parmi ceux qui lui servent à se faire entrer, lui et ses appartenances les plus immé-
diates, au nombre des choses et des gens » (1934, p. 228). Pour le psychologue, les réac-
fions de l'enfant devant le miroir sont une « contre-épreuve qui montre avec une netteté
parfaite par quels degrés et par quelles difficultés doit passer l'enfant avant de parvenir à
réduire dans une intuition d'ensemble tout ce qui se rapporte à sa personnalité phy-
sique » (p. 218). Le miroir est donc un révélateur d'une construction de soi qui se fait
dans la vie quotidienne de l'enfant, et à laquelle il ne participe que de façon épisodique.
Le miroir ne crée pas la conscience de soi, il en révèle l'existence.
Confronté au miroir, l'enfant doit faire se correspondre la perception de l'image et
celle du modèle. Pour l'image d'autrui c'est facile, car les deux perceptions appartien-
nent au même espace optique ; pour l'image de soi, il y a « hétéronomie » entre
l'espace corporel (tactile, proprioceptif, kinesthésique) et l'espace optique de l'image.
Wallon fait l'hypothèse de deux phases dans l'appropriation de l'image de soi : une pre-
mière phase où l'enfant se construit une image extériorisée de lui, comme il en a des
choses et des personnes (il n'y a de représentation possible qu'à ce prix, dit-il), et une
deuxième phase où il doit réduire le dédoublement spatial des deux perceptions, et
dénier toute réalité à l'image. L'identification de soi dans le miroir signale donc l'accès
à une représentation mentale du corps, visuelle et spatiale. Pour Wallon, ce double pro-
cessus d'extériorisation en images concrètes des impressions dispersées de la sensibilité
brute, puis d'intégration dans une représentation stable est applicable à la conscience
de soi en général.
Dans la suite de sa réflexion sur la conscience de soi, Wallon (1934, 3' partie)
étend explicitement le processus dégagé pour l'individualisation du corps à la cons-
cience de l'individualité psychique. Pourtant, il ne met pas en regard le développement
des deux séries, celle de l'individualisation du psychisme et celle des réactions devant le
miroir, sans doute faute de données d'observation suffisantes à son époque. Son analyse
de la différenciation moi-autrui sous l'angle de la recherche ou du dégagement du
« double » (double émotionnel ou double postural) est pourtant tout à fait originale et
s'est montrée très féconde pour des opérationnalisations ultérieures.

b. La perspective de James : le « Je » et le « Moi »

En 1979, Lewis et Brooks-Gunn présentent un ensemble de données d'observation


sur l'identification de différentes images visuelles de soi (sauf les études françaises qui
sont contemporaines) en l'intégrant dans une réflexion plus générale sur le développe-
ment précoce du « soi » (self) qui reprend la conception initialement proposée par Wil-
liam James en 1890. Plus d'un siècle après, cette conception est reprise par de nom-
breux auteurs et permet d'intégrer les recherches antérieures comme les plus récentes.
Elle distingue deux composantes du soi, le « I » et le « Me », le «Je » et le « Moi ».

1/La dualité du « soi »

Le « je » est le soi comme « sujet », acteur de son expérience. — Pour James, le « je » se


caractérise par la conscience de soi (self-awareness) qui concerne les besoins internes,
216 I Psychologie du développement

pensées et émotions, le sens d'être l'auteur de ses pensées et actions (self-agen9 ,), le sens
de rester la même personne à travers le temps (self-continuip)), le sens d'être une entité
unique, cohérente (self-coherence). Lewis et Brooks-Gunn (1979) le nomment « soi exis-
tentiel », ou « subjectif», Case (1991) le nomme « soi implicite » ou « intuitif ». Toutes
ces appellations soulignent que ce premier niveau de conscience de soi se construit dans
les sensations et dans l'action de l'expérience de soi. Neisser (1991) distingue deux che-
mins qui, dès la naissance, constituent les racines du «Je » le « soi écologique » et le
« soi interpersonnel ». Le soi écologique se construit dans les interactions avec
l'environnement physique qui permettent de différencier le soi du non-soi en expéri-
mentant le fait d'être un agent actif dans cet environnement. De même le soi interper-
sonnel se construit dans les premières interactions sociales, permettant au bébé de se
différencier du non-soi que sont les autres. Ce premier niveau n'implique pas de repré-
sentation ou d'objectivation de soi. Il s'ancre principalement sur la perception de soi.

Le « Moi » est le soi comme « objet » de connaissance ou d'évaluation. — Selon James, les
composantes du « Moi » sont : le soi matériel (soi corporel et possessions propres), le
soi social (les caractéristiques de soi reconnues par les autres), le soi spirituel. Damon
et Hart (1982) en distinguent quatre aspects : le moi physique (caractéristiques
du corps, possessions matérielles, attributs physiques), le moi actif (capacités), le moi
social (relations, rôles, personnalité), le moi spirituel (préférences, aversions, pensées,
croyances).
Lewis et Brooks-Gunn le nomment « soi catégoriel » ou « objectif ». Il permet à
l'enfant de se définir dans des catégories dont certaines restent fixes tout au long de la
vie (le sexe, le nom), mais dont d'autres changent (la taille, les compétences) ou appa-
raissent à certains âges. Les définitions que l'enfant peut donner de lui peuvent donc
varier en fonction de ses compétences cognitives ou de ses relations sociales.
Case parle de soi « explicite », Neisser de soi « réfléchi » ou « conceptuel », Rochat
et Goubet (2000) de soi « identifié ». Pour Neisser, c'est dès la fm de la première année
qu'on pourrait voir émerger le « soi réfléchi », donc une ébauche de « Moi », lorsque
l'enfant prend conscience qu'il est un objet d'attention pour les autres personnes. Il y
aurait une capacité pour le bébé de se prendre comme objet de pensée avant même
d'avoir accès au langage et à la fonction symbolique, par la prise de conscience du
regard et de l'attention des autres à soi. Vers 3 ans, selon Neisser apparaîtrait un autre
niveau de conscience, le « soi vécu », lorsque l'enfant est capable de parler de ce qu'il
vit et d'évoquer des souvenirs, puis, vers 4-5 ans, le « soi intime », lorsque l'enfant peut
évoquer ses sentiments et ses intentions, en même temps qu'il devient capable de le
faire pour les autres.
Il y a un consensus très fort sur le fait que le «Je » se construit avant le « Moi ».
Chez le jeune enfant, l'expérience de soi, le sens de soi, précède et construit la cons-
cience de soi comme objet. Les deux composantes se développent ensuite en interaction
tout au long de la vie. Une très importante littérature, existe de longue date, sur le
développement et les caractéristiques du « Moi », du soi comme objet de connaissance
et d'évaluation (concept de soi, estime de soi), le plus souvent référé au terme de « Self
concept ». Le soi-sujet a été par contre très peu étudié jusqu'à ces dernières années où
les recherches sur les très jeunes enfants se sont fortement intensifiées.
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 217

2 / Le « Je » et le « Moi » dans l'identification visuelle de soi

Pour Lewis et Brooks, l'identification visuelle de soi n'est qu'un aspect de la cons-
truction de la conscience de soi, peut-être la plus tardive, pensent-ils, par rapport à
d'autres modalités sensorielles (pratiquement pas explorées).
— Le premier niveau d'identification est lié à l'action, à partir des correspondan-
ces synchronisées que l'enfant expérimente dans les mouvements de l'image et de son
corps (entre 9 et 18 mois), qui l'amènent à l'identification des images synchrones (reflet
et vidéo en direct) entre 18 et 21 mois. Ce premier niveau, tributaire du contexte et des
confirmations que fournit l'action témoigne de la mise en place du soi existentiel.
— Le second niveau, à partir de 21 mois, permet d'identifier des images sans
feed-back kinesthésique, à partir des caractéristiques figurales (photo, vidéo en différé).
Il marque l'accès à une représentation mentale de soi détachée du contexte, et l'accès
au soi catégoriel en ce qui concerne l'apparence physique.

c. La perspective de Harter :
un modèle intégratif de la conscience de soi

En 1983, Harter constatait, pour la période de la petite enfance, l'existence de


deux champs hétérogènes et parallèles : les données d'observation sur l'identification
visuelle de soi et l'ensemble des données théoriques concernant la différenciation soi-
autrui, centrés surtout sur la différenciation mère-enfant (approches psychanalytiques,
éthologiques, recherches sur l'attachement). Vingt ans après (2003), l'intégration des
deux champs lui paraît possible, grâce aux avancées des recherches qui ont repris et
développé deux conceptions pionnières de la psychologie de l'enfant : la conception de
la dualité du soi de James, et la conception des premiers interactionnistes.

1 /L'héritage de James et des interactionnistes

On ne reviendra pas sur l'héritage de James dont la conception vient d'être


exposée (§ b, p. 215).
Pour les interactionnistes, et en particulier Baldwin (1895), le soi est une construc-
tion sociale. Ils soulignent le rôle de « miroir social» joué par l'entourage pour cons-
truire une « idée de soi ». Pour Baldwin, la connaissance de soi et la connaissance des
autres se construisent réciproquement dans la petite enfance. Il souligne l'importance
des processus d'imitation chez les jeunes enfants, qui internalisent les actions, les pen-
sées, les attitudes des adultes, mais aussi projettent sur eux leurs désirs et leur sens de
soi en espérant qu'ils soient reconnus. L'imitation façonne en même temps le sens de
soi et le sens des autres. Mead (1934) différencie deux stades chez les enfants, celui qu'il
appelle « play » quand l'enfant imite dans ses jeux différents rôles d'adultes (le parent,
le docteur, le pirate, etc.), et celui qu'il appelle « game » quand l'enfant peut successive-
ment passer d'un rôle à l'autre et modifier son action en conséquence. De nombreuses
recherches sont venues confirmer le rôle fondamental des premières interactions adulte-
enfant dans la construction du soi, tout autant que la fonction organisatrice du soi sur
la conduite actuelle et future du jeune enfant.
218 I Psychologie du développement

2/ Le soi comme une construction cognitive et sociale :


« la théorie de soi »

Selon Harter, le soi est à la fois une construction cognitive et sociale qui permet de
se faire une « théorie » du monde et de donner du sens aux expériences que fait le
sujet. Le développement du Je détermine les formes du Moi comme objet. Ce dévelop-
pement est maintenant conçu comme un processus continu tout au long de la vie.
Le soi est une construction cognitive : les différents niveaux et contenus de
structuration du « Moi-objet » à différents âges dépendent des capacités du « Je-sujet »,
en particulier des capacités cognitives qu'il peut utiliser pour faire ses expériences.
Ainsi, les changements dans le développement cognitif vont influencer la nature de la
« théorie de soi » que l'enfant va construire. Les progrès cognitifs affectent deux carac-
téristiques de la structure du soi : les niveaux de différenciation et d'intégration que les
individus peuvent évoquer pour étayer leur « théorie de soi ». La différenciation permet
de concevoir qu'on a des compétences différentes dans divers domaines, ou qu'il y a
des différences entre les compétences réelles et idéales. L'intégration est la capacité de
construire des généralisations à propos de soi à partir de plusieurs secteurs de compé-
tence, d'avoir une appréciation globale de soi et une évaluation de soi.
Le soi est une construction sociale : les interactions avec les parents, les diffé-
rents types de maternage, les interactions avec les pairs, les professeurs, etc., influencent
le contenu et l'évaluation des représentations de soi. Les facteurs de socialisation, qui
créent l'expérience du «Je » affecteront le « Moi » et sont la cause de différences indivi-
duelles importantes dans le contenu des représentations de soi. Le soi a des fonctions
d'organisation, de motivation, de protection de l'individu, qui vont se développer diffé-
remment selon qu'il est estimé négativement ou positivement.

III - Le développement de la conscience de soi


dans la petite enfance

a. Le soi écologique et le soi corporel

Jusqu'à la période d'explosion des travaux sur le nourrisson, dans les années 1990,
on en restait globalement à la conception des pionniers de la psychologie du développe-
ment et des psychanalystes, pour qui les premiers mois du bébé se caractérisent par un
état de confusion, d'égocentrisme, de symbiose, de non-différenciation avec son envi-
ronnement. Or les avancées des travaux récents permettent de penser que les débuts du
«Je » se situent peut-être dès la naissance, voire même dès la période foetale. Quelles
sont les données qui permettent d'avancer cette hypothèse ? Nous présenterons ici la
synthèse qu'en fait Rochat (2000, 2004). Reprenant la conception de Neisser de
l'existence d'un « soi écologique » développé implicitement par le bébé dans ses rela-
tions avec les objets et les humains, Rochat souligne l'ancrage de cette conception dans
celle de Gibson (1979) pour qui la perception du monde est toujours en même temps
une coperception de soi. Toute action donne des informations extéroceptives et intéro-
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 219

ceptives. Si le bébé touche un objet, il en a des sensations tactiles, visuelles, auditives,


mais il ressent en même temps ses muscles bouger et voit les conséquences de son
action. Selon Rochat (2000, p. 277), « dès la naissance, le gain perceptif sur les choses
et les gens est indissociable d'un gain perceptif sur soi-même. Si l'on accepte ce prin-
cipe, et dans la mesure où l'on accepte aussi que le nourrisson n'est pas seulement un
être sensible mais aussi un être percevant et agissant (capable d'explorer activement son
environnement), alors il est nécessaire de postuler que très tôt le nourrisson développe
une connaissance de soi ». Dans les actions que fait le bébé en s'orientant vers des sons,
vers des personnes ou des objets, en essayant de les toucher, le bébé construit une pre-
mière connaissance de son corps. Cette connaissance repose sur les perceptions inter-
modales du corps en mouvement, dont sont capables les bébés dès la naissance et
même déjà à la période foetale.

1 /Le corps différencié

Quelles sont les expériences qui permettent au bébé de se différencier de son envi-
ronnement ?
La frontière du corps : l'être humain est spatialement défini par les limites de la
peau. C'est un contenant qui reste relativement invariant malgré la croissance (Samuels,
1986). Cette constance est sans doute une source importante d'information sur soi.
Les expériences de « double toucher » : toucher un objet donne une sensation
tactile au point de contact, toucher son corps donne deux sensations tactiles, une active
et une passive. Dès la naissance, le bébé différencie les stimulations dont l'origine est
extérieure à son corps, par exemple celle du doigt d'un adulte autour de sa bouche
(allo-stimulation) des stimulations qui viennent de son corps, son propre doigt autour
de sa bouche (autostimulation). Le réflexe de fouissement et la protusion de la langue
que provoque ce genre de stimulation sont plus forts avec le doigt d'autrui (Rochat et
Hespos, 1997).
— Le mouvement et le flux du champ perceptif : le mouvement crée un phéno-
mène d'expansion visuelle des objets, soit vertical, soit horizontal. Ce mouvement
optique invariant permet de savoir si l'on est en mouvement ou pas. Le bébé a des
réactions différentes quand il est mobile dans un environnement stable, ou au contraire
stable dans un environnement mobile (Jouen et Gapenne, 1995), cela lui permet de dif-
férencier où se passe l'action, dans son corps ou à l'extérieur. Le bébé a des réactions
d'évitement à l'approche d'objets dans sa direction. Cette connaissance implicite d'un
corps différencié pourrait être le produit d'un apprentissage prénatal, comme le sont
d'autres connaissances perceptives précoces (la reconnaissance de la voix maternelle ou
de son odeur). Cet apprentissage perceptif d'un corps différencié serait l'un des fonde-
ments du soi corporel.

2 / Le corps situé

Très tôt les bébés sont intéressés par les objets et essaient de les saisir, dès le
deuxième mois, pour les porter à la bouche ou pour les explorer manuellement (voir le
chap. 4 : « La représentation du monde physique »). L'apprentissage des actions possi-
220 I Psychologie du développement

bles sur les objets est indissociable d'une connaissance implicite, pour le bébé, de ses
propres capacités d'action, ou de ses incapacités. Vers 5-6 mois, le bébé ajuste ses gestes
selon la distance de l'objet : il renonce à le prendre s'il est trop loin et que le geste lui
fait perdre l'équilibre, ou bien modifie sa prise. Pour Samuels (1986) les interactions
avec les adultes qui s'occupent du bébé l'informent aussi sur la localisation de son
corps. Quand on s'adresse à lui, on lui envoie des signaux particuliers : on le regarde
au visage, souvent aux yeux, on le prend où il est. La régularité de ces émissions visuel-
les et tactiles vers lui est probablement importante pour l'établissement du soi existen-
tiel. Samuels évoque aussi l'invariant perceptif que représente l'axe du nez, toujours
présent dans le champ visuel perceptif du bébé.

3/ Le corps agent

Le bébé expérimente que les autres bougent et agissent à un rythme différent du


sien et que ses propres actions ont une efficacité différente de celle des autres.
Dès 2 mois, le bébé est attentif aux conséquences de ses actions sur les choses et répète
les actions qui produisent des sensations tactiles, visuelles, auditives. Il développe ce que
Piaget a appelé les réactions circulaires secondaires. Dès la naissance, le bébé peut
même se servir de son corps pour obtenir certains résultats : c'est cette capacité
qu'utilisent les chercheurs en lui proposant une tétine reliée à un capteur. On voit ainsi
les bébés utiliser cette tétine de façon particulière pour entendre la voix ou voir le
visage de leur mère plutôt que ceux d'une autre femme. À 2 mois, ils peuvent aussi
exercer des succions différentes pour provoquer des sons proportionnels à la pression de
la tétine plutôt que des sons aléatoires.

4/ La connaissance du corps propre

Streri (1996) propose d'ajouter un « soi corporel » aux deux premiers chemins du
«Je » de Neisser (soi écologique et soi interpersonnel). Cela implique un premier niveau
de représentation du corps chez le bébé, même si celle-ci n'est pas encore consciente.
Le « soi corporel » permettrait au bébé de se construire un « schéma corporel », fonde-
ment de la distinction entre soi et les autres. La sensibilité propre au corps est la pro-
prioception (perception des informations venues des muscles, des tendons, des articula-
tions, du système vestibulaire), la kinesthésie est le sens de la position et des
mouvements du corps. C'est la constante coordination de ces informations internes,
spécifiques du soi, avec les autres informations sensorielles externes qui construit le
schéma corporel. Lors d'une piqûre au talon, les nouveau-nés réagissent par la douleur,
par des pleurs ou une accélération du rythme cardiaque, mais aussi par un frottement
de l'autre jambe sur celle qui a reçu la piqûre. Vers 2 mois, le bébé explore ses mains,
ses pieds, les possibilités de sa voix, le corps propre devient un objet d'exploration. Une
expérience présente à des bébés de 3 mois deux vidéos de leurs jambes en train de bou-
ger, l'une en direct, correspondant à leur perception habituelle, et l'autre inversée
droite-gauche, ou bien désynchronisée : ils regardent plus l'image non habituelle. Par
contre, devant l'image habituelle de leurs jambes, ils les agitent plus, comme pour
explorer les correspondances visuo-proprioceptives de leur corps. On a dans ces expé-
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 221

riences les prémisses des expérimentations du synchronisme que l'on observe devant le
miroir quelques mois plus tard.
Citons encore une observation dans le domaine auditif : les nouveau-nés en train
de pleurer se calment immédiatement si on leur passe un enregistrement de leurs pro-
pres pleurs alors qu'ils ne se calment pas en écoutant ceux d'un autre enfant (Martin et
Clark, 1982). Le bébé, dit Streri, est donc capable d'extraire des invariants dans ses
mouvements, ses productions vocales, il les mémorise et construit dans les six premiers
mois les bases de son schéma corporel.

b. Le soi interpersonnel et la « co conscience de soi »


-

Très tôt après la naissance, on a montré que le bébé était capable d'imiter les
mouvements d'ouverture de la bouche et de protusion de la langue d'un adulte (lUelt-
zoff et Moore, 1994). Comme plus tard dans l'identification du visage vu dans le
miroir, il s'agit d'un appariement entre des modalités sensorielles externes (visuelles) et
internes (proprioceptives). Ces coordinations intermodales sont spécifiques des expérien-
ces du corps propre et sont donc très précoces. L'intersubjectivité qui se met en place
dans les interactions du bébé et des adultes construit dès les premiers mois les bases
d'un « soi interpersonnel », d'abord à partir du sourire social vers 6 semaines, puis des
interactions du bébé avec son entourage qui sont majoritairement basées sur des jeux
imitatifs mutuels ou des expériences de « protoconversations » (Stem, 1985). Entre 2 et
7 mois le bébé développe des attentes sociales dans ses rapports de réciprocité avec
autrui. Ce développement semble culminer vers 8 mois lorsque l'enfant tend à manifes-
ter de façon nouvelle de l'anxiété dans ses rencontres avec des personnes non familières
(voir ce chapitre, § c., p. 229).
Vers 9 mois, le bébé commence à manifester une attention partagée avec autrui,
les échanges sociaux deviennent non seulement réciproques mais aussi référentiels aux
choses et aux événements de l'environnement. Les capacités d'attention conjointe du
bébé (regarder ce que la mère regarde, ou attirer l'attention de la mère sur ce qu'il
désire) qui se développent à partir de 9 mois paraissent importantes pour le développe-
ment de la conscience de soi et de la conscience de l'autre.
Vers 14-15 mois, plusieurs comportements du bébé témoigneraient de ce que
Rochat appelle la « coconscience de soi » : l'enfant demande de l'aide si une action lui
résiste, montrant qu'il devient conscient de ses propres limites, et il est attiré par un
adulte qui imite ses actions. C'est aussi à partir de cette période que les interactions
avec les autres enfants se développent, sur la base de l'imitation simultanée et réci-
proque (Nadel, 1986). La fin de la deuxième année apparaît donc comme une période
cruciale pour le développement de la conscience de soi, l'enfant paraissant pouvoir se
reconnaître dans les actions d'autrui (voir ce chapitre, § c, p. 238).
Entre 9 et 18 mois l'enfant développe de plus en plus d'attention partagée avec
autrui, de collaborations, et de coconscience, il devient capable de s'approprier le
regard d'autrui et de l'intégrer au sien. Cette étape ouvre les portes du développement
de la pensée symbolique. Elle permet à l'enfant d'entrer dans les processus
d'apprentissage guidés par l'adulte.
222 I Psychologie du développement

c. Le développement de la conscience de soi de 0 à 30 mois

Dans sa synthèse de 1998, Harter souligne les grands progrès qui ont été réalisés
pour comprendre comment les facteurs cognitifs, sociaux et affectifs se combinent pour
permettre l'émergence du Je et du Moi. Le point qui lui paraît le plus important est le
rôle crucial des adultes qui s'occupent de l'enfant et en particulier celui des expériences
partagées. Nous proposons ci-dessous un résumé de cette synthèse qui intègre aussi les
approches psychanalytiques et les recherches sur l'attachement.

ENCADRÉ 5.2

Le développement de la conscience de soi


de 0 à 30 mois (Harter, 1998)

0-4 mois
Les recherches récentes vont à l'encontre de l'idée que le bébé est totalement inorganisé, et
dans un état d'indifférenciation, comme le pensaient les psychanalystes. Les interactions avec
les adultes lui permettent de faire des liens entre ses expériences isolées et d'extraire des
invariants concernant le soi et les autres (régulations physiologiques, psychologiques qui
conduisent à des séquences d'action coordonnées). Les bébés peuvent transférer des expé-
riences perceptives d'une modalité dans l'autre. Ils construisent un soi « écologique ».
Les capacités d'imitation sont présentes dès la naissance et montrent que les bébés
détectent les similarités entre soi et les autres (si l'autre produit la même conduite que je pro-
duis quand je ressens une certaine émotion, alors peut-être que l'autre a la même émotion ?).
Les conduites de « pré-attachement » sont présentes dans les signaux que les bébés envoient
aux adultes pour maintenir la proximité avec eux.

4-10 mois
L'enfant se différencie de plus en plus des adultes et développe le soi interpersonnel.
C'est le début du processus de séparation-individuation pour les psychanalystes, la construc-
tion du lien d'attachement. Le sens du soi « agent » se développe, l'enfant devient conscient
de l'effet de ses actions, par exemple l'effet de ses mouvements dans le miroir, mais surtout
dans ses jeux où il exerce le plaisir de la maîtrise des objets. Il prend conscience d'être une
entité physique, avec des frontières et un lieu d'action.
Les jeux traditionnels avec les adultes ( « je t'attrape », « coucou » ), contribuent par leur
répétition à identifier les invariants venant de soi et des autres. C'est d'abord l'adulte qui pro-
pose et s'ajuste, mais vers 6-7 mois l'enfant prend des initiatives d'échanges réciproques. Les
routines interactives culminent dans un plaisir mutuel, cette émotion partagée devenant cons-
titutive des représentations de l'enfant sur son expérience.

10-15 mois
La différenciation soi-autre augmente, l'enfant supporte mieux les séparations et explore
activement l'environnement de façon autonome. Nombre de recherches soulignent l'impor-
tance majeure des expériences partagées : partage de l'attention, où l'enfant réalise que son
intérêt peut être partagé par quelqu'un d'autre (il montre ce qu'il regarde ou ce qu'il veut, il
regarde ce qu'on lui montre), partage d'intentions (développement des requêtes non verbales
ou verbales), partage d'états affectifs (l'enfant guette la réaction de l'adulte avant d'agir).
L'imitation est aussi une expérience partagée importante : les bébés aiment quand leurs
parents ou leurs pairs imitent leurs actions ou leurs vocalises. Ces expériences leur font décou-
vrir à quoi ressemblent leurs actions et renforcent leur conscience de soi comme agent. Ces
interactions créent un « Nous-Soi » qui se construit en même temps que le Je. Ce « Nous » fait
prendre conscience à l'enfant de capacités qu'il pourra développer quand il sera seul.
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 223

15-18 mois
Cette période voit le tout début de l'émergence du « Moi » comme objet de connais-
sance. Les recherches sur la reconnaissance visuelle dans le miroir montrent les premières
réussites, ce qui permet de supposer que l'enfant a construit un modèle perceptif, une repré-
sentation interne de lui qu'il peut comparer avec l'image externe du miroir. Les autres sont
reconnus bien plus tôt, mais le bébé peut les voir de l'extérieur, ce qui n'est pas le cas pour
soi. Le bébé affirme ses buts propres, commence à s'opposer à ses parents. Les frustrations à
son désir de toute-puissance sont sources de colère et de conduites agressives. La détresse
aux séparations est fréquente. Il comprend que soi et les autres sont des agents indépendants
qui peuvent ne pas avoir les mêmes activités.

18-30 mois
Les enfants développent des représentations de soi et des autres. Ils comprennent les
facteurs qui influencent le comportement de leur mère et les stratégies qui vont la faire céder
selon leurs désirs. À partir de 2 ans ils tolèrent beaucoup mieux les séparations. Les conflits
avec les parents peuvent être dépassés et les relations restaurées après une bêtise, ce qui
montre que le sens de soi est conservé malgré les circonstances. Le langage qui se développe
permet l'apparition des expressions verbales concernant le Moi (pronoms personnels appro-
priés pour soi et les autres, noms propres). Les capacités linguistiques et symboliques permet-
tent la représentation du Moi objectif, de soi comme un objet. Les règles et interdits des
parents peuvent être intériorisés et permettre aux enfants de juger si leur conduite est
appropriée. Quand un enfant pleure parce qu'il n'arrive pas à réaliser une conduite requise par
les adultes, il montre qu'il se mesure à la norme attendue.

IV - Le développement de la représentation de soi


dans l'enfance (2-11 ans)

Pour Harter, on l'a vu, la « théorie de soi » que l'enfant développe est à la fois une
construction cognitive et une construction sociale. Les progrès du «Je », abordés ici
sous l'angle du développement cognitif, vont affecter le « Moi », le contenu et la struc-
ture des représentations que l'enfant a de lui et que reflète la façon dont il se décrit. Le
« Moi » est également tributaire des relations sociales de l'enfant, qui vont affecter le
contenu et l'évaluation plus ou moins positive des représentations de soi en lui fournis-
sant des occasions de comparaisons et de feedback qu'il intègre dans ce qu'il pense de
lui.
Quel « portrait » de lui peut-il faire d'âge en âge ? Quelle évaluation a-t-il de lui-
même ? Quelles prises en compte de l'observation ou de l'opinion des autres sur lui
peut-il intégrer dans l'idée qu'il se fait de lui-même ? Harter (2003) propose de décrire
les changements des représentations de soi en six stades, trois dans l'enfance et trois
dans l'adolescence. Nous ne présenterons ici que les trois premiers.

2 4 ans
-

L'enfant construit des représentations concrètes de lui-même (je connais les lettres,
je sais compter, je cours vite, j'habite dans une grande maison), il se réfère à des caté-
gories concernant l'aspect physique (j'ai les yeux bleus), l'activité (je joue au ballon), le
plan social (j'ai 2 soeurs) ou psychologique (je suis heureux). Ce sont des représentations
224 I Psychologie du développement

isolées. Les limitations cognitives empêchent l'enfant de coordonner ces appréciations


de soi dans un « portrait » global. Impossible aussi pour lui de se penser bon pour un
trait et mauvais pour un autre, ou gai pour une chose et triste pour une autre.
Les évaluations de soi sont positives, de façon non réaliste, par incapacité à sépa-
rer l'idéal de soi souhaité du soi réel. Les limitations cognitives empêchent les compa-
raisons sociales. Les enfants se mettent dans la même catégorie que le parent du même
sexe auquel ils s'identifient.
Vers 2 ans les enfants peuvent anticiper les réactions des adultes, chercher des
retours positifs à leurs conduites, ou éviter les retours négatifs, ils peuvent changer leurs
actions pour plaire aux adultes. Ils comprennent aussi que leur conduite a un impact
sur les autres. Avec le langage vient la capacité de « raconter sa vie », de faire un por-
trait de soi. La mémoire autobiographique vient vers 3 ans et demi. À cet âge, l'enfant
peut coconstruire les souvenirs de sa petite enfance que ses parents lui ont racontés, en
faisant une sélection personnelle. Les parents fournissent aussi des descriptions à
l'enfant (tu es un grand garçon, tu es beau) ou des évaluations (tu as bien mangé, bien
réussi...) que l'enfant reprend à son compte. Mais le «Je » ne peut pas encore évaluer
le « Moi ».

5-7 ans
Les concepts de soi, compartimentés auparavant, commencent à se coordonner.
L'enfant peut dire « je suis bon pour courir, et aussi pour sauter, et pour grimper ».
Dans les descriptions de soi et des autres, il utilise des attributs en tout ou rien : « bon »
et « mauvais ». En ce qui le concerne, il se perçoit toujours « bon », mais les autres
peuvent être jugés « mauvais ». Les attributs ou les affects de valence plus subtile,
comme « super » et « moyen » ne peuvent pas être utilisés. Un changement dans les
capacités de perception des autres influence le développement de soi : l'enfant com-
mence de réaliser que les autres l'évaluent, et le point de vue des autres peut commen-
cer de guider sa conduite.
Concernant l'interaction entre les capacités cognitives et l'environnement social,
on voit que la capacité à faire des comparaisons sociales apparaît, et d'abord par rap-
port à soi plus jeune (quand j'étais petit je ne savais pas faire ça), plutôt que par rapport
aux pairs. Cela contribue à forger une évaluation positive de soi. Les comparaisons
avec les autres sont surtout centrées sur un but précis : par exemple s'assurer qu'on a
bien reçu la même chose que les autres (justice d'un partage).

8-11 ans
La principale avancée à cette période est la capacité à coordonner des représenta-
tions de soi antérieurement différenciées ou considérées comme opposées. On est « bon
à l'école » parce qu'on a des succès à la fois en français et en maths. On est « bête »
parce qu'on n'est pas bon en maths et en sciences. L'enfant peut construire une hié-
rarchie de caractéristiques, avec deux niveaux. Il peut se concevoir à la fois timide avec
les gens inconnus et « chahuteur » avec ses amis. Cela lui permet de s'évaluer à la fois
positivement et négativement. Cette pensée bidimensionnelle s'applique aussi aux émo-
tions (je peux être heureux de faire du sport et triste si l'équipe ne gagne pas). L'enfant
s'évalue de façon plus nuancée, il peut se décrire avec ses limites, en se rapprochant de
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 225

ce que les autres pourraient dire de lui objectivement. L'expérience et les comparaisons
sociales viennent renforcer cet acquis (j'ai eu 2 en maths et 15 en français, X... a eu
plus que moi). Pour que ces comparaisons conduisent à une évaluation de soi, il faut
que l'enfant puisse comparer ses performances avec celles d'un autre, simultanément.
Avec l'âge il pourra faire un classement par ordre de compétence de ses camarades.
Cette capacité de se comparer aux autres peut fragiliser le concept de soi. À cet âge, les
évaluations négatives de soi peuvent même s'installer comme un trait de personnalité
durable, au-delà des conduites particulières.
Les avancées de cette période concernent aussi les processus de miroir de soi que
renvoient les autres. Les enfants commencent de se concevoir comme des « person-
nes », avec l'émergence du concept d'estime de soi. L'enfant peut dire « le type de per-
sonne que les autres souhaiteraient qu'il soit ». Il peut alors incorporer ces attentes
comme guide de conduite. Il intègre les normes et les opinions des personnes signi-
fiantes pour lui, ce qui permet au «Je » d'évaluer le « Moi ».
À partir de 12 ans commence l'adolescence. Sur le plan cognitif le développement
de la pensée abstraite va considérablement enrichir les capacités de se représenter les
autres et soi-même. Quant aux autoportraits, à partir de cet âge ils font en premier lieu
référence aux interactions sociales et aux attentes sociales. Pour un complément sur
cette période, nous invitons le lecteur à se reporter au travail de Harter (2003).

V - Conclusion

Le champ des recherches sur le développement de la conscience de soi chez


l'enfant et l'adolescent a beaucoup évolué dans les quinze dernières années. Les travaux
antérieurs étaient massivement centrés sur les processus conscients qui permettent, en
particulier à travers le langage, de se décrire soi-même (travaux sur la perception, la
description, la représentation de soi) et de s'évaluer (travaux sur le sentiment de compé-
tence, d'estime de soi), souvent référés au terme de « self-concept ». Les recherches sur
les très jeunes enfants étaient rares, et principalement centrées sur l'identification de
l'image de soi dans le miroir, considérée comme le premier jalon de la représentation
de soi, vers 2 ans. L'extraordinaire avancée des recherches sur les nourrissons, autant
sur leurs capacités de perception et de discrimination, que sur les interactions précoces
mère-enfant a fait voler en éclats l'idée longtemps partagée par les grandes théories
classiques de l'état de confusion et de non-différenciation qui caractériserait les bébés
pendant de nombreux mois après la naissance. Deux théories anciennes, celle de la
dualité du soi, de James (le «Je » et le « Moi »), et celle des interactionnistes (le rôle de
miroir que jouent les autres) se sont trouvées confortées et nourries par l'apport de ces
recherches. Un premier niveau de connaissance de soi, n'impliquant pas encore une
conscience réflexive a commencé d'être décrit, indiquant les premiers chemins de la
construction du «Je » chez le bébé, la construction d'un soi corporel et écologique et
d'un soi interpersonnel ancré dans des expériences de coconscience et d'inter-
subjectivité, partagées avec les adultes. Tout au long de la vie ce «Je » nourri des expé-
226 I Psychologie du développement

riences sociales de l'enfant et doté de capacités cognitives qui évoluent, va construire le


« Moi », conçu maintenant comme une « théorie de soi » cognitive et sociale qui se
modifie d'âge en âge. Ce champ de recherche renouvelé et passionnant appelle encore
de nombreuses investigations pour comprendre les différentes phases du processus et
leurs transitions.

LECTURES CONSEILLÉES

Fontaine, A.-M. (1992). L'enfant et son image. Paris : Nathan.


Fontaine, A.-M. (1996). Qu'est-ce qu'un miroir ? Enfance, 2, 244-253.
Harter, S. (2003). The development of self-representations during childhood and adolescence.
In M. R. Leary & J. P. Tangney (Ed.), Handbook of Self and Identip) (pp. 610-642).
Rochat, P., Goubet, N. (2000). Connaissance implicite du corps au début de la vie. Enfance, 3,
275-285.
Rochat, P. (2004). Connaissance de soi. In R. Lécuyer (Ed.), Le développement du nourrisson
(pp. 371-386). Paris : Dunod.
Streri, A. (1996), La connaissance de soi. In R. Lécuyer, A. Streri & M. G. Pécheux (Ed.). Le
développement cognitif du nourrisson, t. 2 (pp. 68-81). Paris : Nathan.
Wallon, H. (1934). Les origines du caractère chez l'enfant, 6e éd., 1976. Paris : PUF.
Wallon, H. (1954). Kinesthésie et image visuelle du corps propre chez l'enfant, Bulletin de Psy-
chologie, 1954, rééd. Enfance, 1959, 3, 252-263.
Zazzo, R. (1993). Reflets de miroir et autres doubles. Paris : PUF.

B - RÔLE AFFECTIF ET COGNITIF DES INTERACTIONS SOCIALES,


par Chantal Zaouche-Gaudron

I - Données introductives :
rôle de l'autre, affect et cognition

Le nourrisson, quand il vient au monde, se trouve dans une dépendance à l'égard


des autres, au sein de sa famille notamment : il a besoin d'être nourri, protégé, entouré,
aimé... « L'individu est essentiellement social. Il l'est, non par suite de contingences
extérieures mais par suite d'une nécessité intime » (Wallon, 1946, 284). L'enfant est
donc un être totalement orienté vers la société même s'il n'en a pas encore pleinement
conscience ; de ce fait, la question du social amène et souligne d'emblée la dimension
interpersonnelle (Wallon, 1934).
Ainsi, dès sa naissance, le rôle de(s) l'autre(s) revêt une place fondamentale dans la
genèse et l'évolution des interactions sociales et dans le processus de socialisation de
l'enfant. Plusieurs auteurs tels Wallon, Bruner et Vygotski, avec les particularités qui
leur sont propres, envisagent la psychogenèse de l'enfant selon ses aspects, biologique,
affectif, cognitif et social, avec interconstruction de ces facteurs et registres de détermi-
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 227

nation réciproque. Ces auteurs fondamentaux en psychologie du développement exami-


nent le développement de l'enfant dans l'intégration et l'articulation de ce que sont les
émotions, la motricité, l'affectivité, l'intelligence... Affects et cognitions sont étroitement
liés et s'insèrent dans des cadres sociaux, eux-mêmes enracinés dans la culture et les
œuvres qui la constituent. Le social réfère ainsi à l'interpersonnel mais aussi à
l'institutionnel et à la culture d'appartenance.
Pour ces auteurs, le social n'est pas extérieur au sujet, il lui est intimement lié,
dans un premier temps pour l'aider à faire face à son immaturité puis, dans un second
temps, pour l'aider à se construire et à s'insérer dans les milieux et groupes auxquels il
appartient. Autrement dit, les liens sociaux sont essentiels dans l'organisation, la cons-
truction et le devenir de la personne aux plans affectif et cognitif.
Le rôle de l'autre — au début maternel — puis des autres différenciés et différencia-
teurs eux-mêmes situés dans des systèmes sociaux et culturels (le père, la fratrie, les
grands-parents, les pairs, les autres adultes moins familiers...) est de contribuer à la psy-
chogenèse des conduites sociales de l'enfant. La confrontation à ces autrui, aux plans
affectif et cognitif, individualise l'enfant en même temps qu'elle le nourrit dans son sen-
timent d'être, dans ses désirs d'affirmation de soi, dans sa quête d'autonomie, dans le
développement de ses habiletés sociales et cognitives.
Les différents autres, appartenant à des milieux et des groupes spécifiques (famille,
crèche, institution scolaire...), avec qui l'enfant entre en relation au fur et à mesure de
sa maturation affective et cognitive, participent, chacun à leur manière, à sa construc-
tion. Ce faisant, la socialisation s'accomplit dans le rapport que l'enfant instaure avec
des autrui identifiés puis intériorisés par des déplacements sur les positions d'autrui et
des dépassements successifs (Malrieu, 1976).

Il - Genèse des relations sociales

a. Rôle des émotions

Le nourrisson dispose, dès sa naissance, d'un répertoire d'expressions émotion-


nelles telles que les cris, les pleurs, les sourires, le tonus musculaire et l'activité posturale
qui expriment des états internes. Ces émotions primaires ont au moins trois fonctions :
une fonction adaptative dans la mesure où les expressions émotionnelles du bébé susci-
tent des réactions immédiates dans son entourage (par exemple si l'enfant pleure, les
parents chercheront à en comprendre la raison et proposeront de le nourrir ou de le
bercer ; une fonction de liquidation de la tension musculaire (les pleurs de l'enfant vont
entraîner une hytertonicité corporelle qui cédera, par exemple, dès l'obtention du bibe-
ron) ; enfin et surtout, une fonction de communication qui permet à l'enfant de faire
comprendre ses états internes et d'y faire participer autrui.
Par ailleurs, nous savons que le bébé est lui-même sensible à l'expression émotion-
nelle d'autrui. Le dispositif du visage impassible ( still face » ) où il est demandé à
l'adulte d'interrompre la communication sociale avec son enfant démontre que, dès
6 semaines, le bébé est sensible au caractère négatif de cette rupture sociale et affective.
228 I Psychologie du développement

Plus récemment, l'expérience de la double vidéo relatée par Nadel (2001) met le nour-
risson en face à face télévisé avec sa mère au cours duquel la communication est soit en
direct (les réponses maternelles sont alors en phase avec les comportements du bébé),
soit en différé (les réponses sociales de la mère ne sont plus adaptées aux comporte-
ments du bébé). Les résultats montrent que, dès 9 semaines, le bébé repère la commu-
nication différée avec sa mère et y réagit négativement, voire violemment (par des cris
ou des pleurs). Les travaux récents menés par le Centre d'étude de la famille à Lau-
sanne dans la situation du Lausanne Triadic Play ( «LTP ») (Frascarolo, 2005)
soutiennent l'hypothèse de l'activité sociale du bébé. Dès l'âge de 3 mois, le bébé diffé-
rencie les deux parents en alternant regard et sourire. Face au comportement inattendu
de l'un des deux parents, le bébé « consulte » l'autre parent, étonné d'une telle pertur-
bation. Enfin, lors d'une version modifiée du LTP dans laquelle il est demandé à la mère
de prendre un visage impassible, l'enfant exprime surprise, détournement et colère et se
tourne vers son père pour essayer de comprendre la situation.
Ces différents éléments démontrent, d'une part, le caractère indispensable des
émotions à la survie de l'enfant aux plans physiologique et psychologique, et soulignent,
d'autre part, que le jeune enfant se montre capable, très précocement, d'anticipations
sociales et de comprendre le caractère intentionnel des conduites humaines. Les avan-
cées dans le champ de la psychologie des émotions amènent des éléments fondamen-
taux pour mieux comprendre comment s'expriment les émotions et comment elles
s'organisent, comment l'enfant devient capable de se représenter les situations émotion-
nelles et comment il y réagit. Comme le soulignent Lehalle et Mellier (2002), les émo-
tions ont longtemps été considérées comme un phénomène parasite du fonctionnement
cognitif et comme des éléments trop subjectifs pour être évalués. Cependant, les déve-
loppements récents dans ce domaine accréditent les hypothèses princeps de Wallon
notamment celle de la capacité à lire les émotions d'autrui et d'y réagir. Lehalle et Mel-
lier (2002) relatent ainsi la capacité du bébé de 3 jours de discriminer et d'imiter des
expressions faciales telles que la joie, la surprise et la tristesse, la possibilité, dès l'âge de
3 mois, de répondre différemment à un visage souriant ou renfrogné ou encore la diffé-
renciation, dès 5 mois, des expressions émotionnelles négatives et positives.

b. Compétences précoces

Prouvées par de nombreuses recherches mises en œuvre dès les années 1970, nous
savons que le nourrisson dispose de capacités sensorielles étonnantes qui lui permettent
de développer des compétences à communiquer (Deleau, 1999). Certaines d'entre elles
concernent la modalité visuelle, en particulier celle de distinguer des visages humains :
dès l'âge de 1 mois, les bébés peuvent différencier le visage de leur mère de celui d'une
étrangère, et à 4 mois ils ont des réactions différentes au vu de diapositives représentant
leur mère ou une autre personne. D'autres recherches orientées vers les capacités audi-
tives du nourrisson indiquent que les nouveau-nés préfèrent la voix maternelle à celle
d'une autre femme, sont sensibles à la prosodie maternelle et révèlent que la voix
humaine suscite des sourires plus fréquemment que d'autres stimulations sonores chez
un nourrisson de quelques jours. Les premiers travaux réalisés dans les années 1970
démontrent la précocité des compétences olfactives du bébé. Montagner (1988) les a
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 229

confirmées par l'expérience du mouchoir humecté du lait maternel : la tête du nou-


veau-né de 3 jours est encadrée par un tampon de gaze imprégné de l'odeur mater-
nelle, et d'un autre, porteur de l'odeur d'une autre mère inconnue du bébé ; les résul-
tats montrent que le nouveau-né recherche le tampon imprégné de l'odeur du sein
maternel.
Nous savons donc par maints travaux que le nourrisson possède un équipement
sensoriel et perceptif qui l'éloigne de la position « végétative » dans laquelle il était mis
dans les années 1950. Le plus intéressant sans doute est que ces possibilités précoces
confèrent à autrui un intérêt particulier lié aux spécificités de sa voix, de son odeur, de
son visage ou encore de sa posture (cf. le dialogue tonique de Ajuriaguerra). Le nou-
veau-né possède donc des compétences précoces qui lui permettent d'entretenir de
façon efficace et active des relations sociales avec son environnement. Son activité
s'inscrit dans des interactions le plaçant d'emblée dans une expérience sociale.

c. Intersubjectivité et intentionnalité

À un âge où l'enfant n'a pas encore établi les limites de son corps, des objets, de
l'autre, il exprime, par le jeu des émotions, qu'il est bien un être d'action tourné vers
autrui. Entre 3 et 12 mois, au cours du stade émotionnel (Wallon, 1941), les premières
expressions intentionnelles du bébé se traduisent, en particulier, au travers du tonus
musculaire et des variations posturales que l'enfant adopte. Les émotions que le bébé
exprime vont agir sur autrui qui, en retour, lui répond. Il s'agit d'un système de signifi-
cations données par la mère (ou un autre adulte) pour que l'enfant se structure. Ainsi,
les processus émotionnels orientent des modalités de sociabilités élémentaires qui consti-
tuent des préludes à l'élaboration du sentiment de soi.
C'est au travers des émotions que s'institue, pour Wallon, le lien fondateur entre
l'organique et le social. Dans les premiers mois de la vie, le bébé dispose de ces moyens
d'expression qui, grâce aux réponses de l'entourage, vont se diversifier et se complexi-
fier. Les différentes fonctions que nous avons évoquées montrent bien que les émotions
expriment aux autres les états subjectifs et participent aux préludes de la relation réci-
proque de deux sujets. Elles ne sont pas seulement « dans le sujet », elles impliquent un
caractère de réciprocité de celui qui les reçoit, les analyse et les comprend. Elles consti-
tuent ainsi les premiers états intersubjectifs.
Trevarthen (1977) a décrit cette période d'intersubjectivité primaire pendant laquelle
les communications émotionnelles se mettent en place. Les émotions fondent cette
intersubjectivité primaire qui implique une activité mutuelle de type interaction dans le
premier semestre de vie. Vers 7-8 semaines, des interactions s'organisent soit en syn-
chronie, soit en alternance entre la mère et le bébé. L'adaptation du comportement
(verbal et non verbal) de la mère à celui de l'enfant et cette alternance en miroir consti-
tuent une des bases de l'intersubjectivité. C'est un ajustement mutuel des deux parte-
naires à leurs états subjectifs respectifs qui évolue en fonction de la maturation de
l'enfant et des moyens fonctionnels dont il dispose. L'accession à cette intersubjectivité,
c'est la possibilité pour l'enfant de se représenter la vie d'autrui et la sienne.
Émotions et compétences précoces ont donc un rôle essentiel et constructif dans le
développement de l'enfant et dans la genèse des interactions sociales.
230 I Psychologie du développement

III - Milieux et interactions parents-enfants

a. Ancrage affectif : les relations d'attachement

1 / Hypothèses princeps

Bien qu'étant disciple de Freud et donc psychanalyste, Bowlby (1958, 1969) va se


détacher de ce courant de pensée et va élaborer la fameuse théorie de l'attachement.
L'attachement va avoir une double fonction : une fonction essentielle de protection aussi
importante et nécessaire que le comportement alimentaire avec sa fonction de nutrition
et le comportement sexuel avec sa fonction de reproduction ; une fonction de socialisation
indispensable dans la structuration de la personnalité de l'enfant et dans son adaptation
au groupe. Pour cela il faut, d'une part, que l'enfant ait la certitude de trouver sa mère
quand il veut et où il veut et que, d'autre part, s'établisse une authentique concordance
entre les demandes de l'enfant et la capacité d'y répondre de sa mère, autrement dit
qu'elle soit disponible et accessible. À l'instar de Freud, Bowlby reconnaît l'existence de
besoins premiers comme la nourriture mais affirme que l'attachement est aussi une
nécessité primaire qui ne dérive d'aucune autre : c'est un fait, un système qui n'est pas
appris. Dans le colloque imaginaire organisé par Zazzo en 1974, Bowlby soutient
l'hypothèse que le lien mère-enfant ne peut être uniquement expliqué par la satisfaction
de la faim. En effet, l'enfant manifeste toutes sortes de stratégies comportementales visant
à maintenir ou à augmenter la proximité avec sa mère (et avec d'autres adultes significa-
tifs pour lui). La mère et les adultes familiers encouragent cette proximité par des gestes
et des mimiques, tels que le sourire par exemple. Cette théorie rompt de ce fait avec
l'idée prégnante de l'apprentissage, faisant passer l'enfant d'un état biologique à un statut
d'être social. Pour Bowlby, dès la naissance, l'enfant est orienté vers l'autre, orientation
inscrite en quelque sorte dans son équipement biologique.

2/ Perspectives actuelles

Au plan des méthodes. — Depuis la fameuse « situation étrange » imaginée par


Ainsworth et al. (1978) (cf. encadré 5.3), d'autres méthodes ont été conçues par les
chercheurs.

ENCADRÉ 5.3

Typologies d'attachement

La situation expérimentale conçue par Ainsworth et ses collaborateurs (1978), appelée la


« situation étrange », fait vivre à l'enfant des séparations et des réunions avec sa mère (ou
avec son père) et une personne étrangère au cours de 7 séquences de 3 min chacune. Elle per-
met de définir trois types d'enfants : le groupe B représente le groupe des enfants sécurisés,
c'est-à-dire ceux qui réagissent positivement à la séparation, acceptent d'être séparés pour un
temps et réagissent positivement au fait d'être réunis avec la figure d'attachement (2/3) ; le
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 231

groupe A nommé « anxieux-évitant » : les enfants ne paraissent pas affectés par la séparation
et, lors des réunions, au lieu de vouloir être avec la mère, ils tendent à l'éviter ou même
l'ignorent complètement (22 %) ; le groupe C nommé « anxieux-résistant ou ambivalent » : au
retour de la mère, les enfants sont désireux d'être près d'elle bien que contrariés qu'elle soit
partie et lui en veulent d'être partie (12 %).
Un dernier groupe D appelé « désorganisé-désorienté » par Main (1998) a été proposé
pour les bébés dits « inclassables » : ce sont des enfants qui ont eu des comportements en
adéquation avec les catégories B ou C pour appeler leur mère lorsque celle-ci était absente ou
ont tenté d'ouvrir la porte, puis, dès les retrouvailles, sont devenus silencieux et ont évité ou
ignoré leur mère.

Les travaux de Main et al. (1985) ont eu pour objectif d'explorer les représenta-
tions d'attachement, et plus précisément, d'opérationnaliser la notion de « Modèles
internes opérants » (mio). Les mio sont « des représentations mentales, conscientes et
inconscientes, du monde extérieur et de soi à l'intérieur de ce monde, à partir desquel-
les l'individu perçoit les événements, entrevoit le futur et construit ses plans » (Bowlby,
1973). Dans une perspective transgénérationnelle, Main (1998) a créé un instrument
appelé « Adult Attachment Interview ou AAI » (cf. encadré 5.4) pour étudier la trans-
mission du psychisme de la mère à l'enfant. Quatre principales classifications à l'AAI ont
été identifiées et ont été corrélées avec les types correspondants de comportement des
enfants dans la situation étrange. Dans la même perspective, Pierrehumbert et al. (1996)
ont élaboré le Ca-Mir. d'utilisation plus simple que l'AAI. Il s'agit d'un autoquestion-
flaire en format Q 7 Sort que les adultes remplissent et dont le but est de décrire les stra-
tégies d'attachement et d'identifier les modèles de relations.

ENCADRÉ 5.4

Adult Attachment Interview

« Il est demandé au sujet de décrire et d'évaluer les relations d'attachement pendant l'enfance,
la perte des figures d'attachement, la séparation et les effets de ces expériences sur son déve-
loppement et sur sa propre personnalité (George, Kaplan et Main, 1996). Il leur est demandé,
par exemple, de donner cinq adjectifs pour qualifier la relation avec chacun des parents,
durant l'enfance, puis de rapporter des souvenirs d'événements spécifiques sur lesquels ils se
seraient appuyés pour le choix des adjectifs » (Main, 1998, 20). Cet entretien dure environ une
heure. Cette procédure permet d'évaluer la capacité de l'individu à élaborer un discours coo-
pérant et cohérent à propos de ses relations dans l'enfance et de leur influence possible.

Afin d'investiguer les mio chez les enfants dès l'âge de 3-4 ans, Bretherton, Ridge-
way et Cassidy (1990) ont conçu le test « des histoires à compléter » dont les thèmes ont
pour visée de pouvoir évaluer le type de stratégie d'attachement, notamment la sécu-
rité/insécurité des modèles internes opérants concernant les figures d'attachement.
L'expérimentateur propose à l'enfant six amorces d'histoires en mettant en scène des
figurines représentant la famille. Les débuts d'histoires suggèrent à l'enfant la représen-
tation d'émotions liées à sa figure d'attachement maternelle ou paternelle lors de situa-
232 I Psychologie du développement

tions stressantes, de séparation ou de réunion. L'expérimentateur demande à l'enfant


de terminer chaque histoire dans le but d'analyser les compétences narratives et les
capacités empathiques des enfants. La session de jeu est filmée afin de coter les répon-
ses. Pierrehumbert et ses collaborateurs ont complété cette technique en introduisant les
« Cartes pour le complètement d'histoires » ou CCH comme système de cotation (Milj-
kovitch et al., 2003).
Ces procédures originales ont ouvert de nouvelles perspectives, d'une part, pour
opérationnaliser la notion de modèles internes opérants, et d'autre part, pour l'étude de
la transmission intergénérationnelle des modèles d'attachement.

Évolution des paradigmes. Nous évoquerons ici deux perspectives de recherche


parmi les plus documentées : le père comme figure d'attachement et la transmission
intergénérationnelle.
La théorie initiale de l'attachement rend compte du lien spécifique qui unit
l'enfant à sa mère en termes de monotropie. Cependant, différents travaux témoignent de
la capacité du père à être une figure d'attachement précoce et à entretenir des relations
singulières avec son enfant. Les études pionnières de Lamb, réalisées dans les
années 1970, montrent que, dès l'âge de 8 mois, les jeunes enfants manifestent un lien
d'attachement envers le père et envers la mère, expriment même davantage de com-
portements affiliatifs distaux en faveur du père (sourire, vocaliser...) alors que la venue
d'une personne étrangère entraîne, chez les enfants, plus de conduites d'attachement à
l'égard de leur mère. Au cours de la deuxième année, les enfants témoignent une préfé-
rence à l'égard de leur père, avec des comportements d'attachement plus fréquents en
sa présence, et ce, de façon plus marquée pour les garçons. Depuis, plusieurs études
mettent en évidence que les deux parents sont utilisés comme figures d'attachement
mais à des degrés différents. Une dizaine d'années plus tard, Main et Weston (1981)
soutiennent l'hypothèse que le père représente un contexte social différent de la mère.
Ils observent 61 enfants des deux sexes, 46 enfants avec leurs mères et 15 avec leurs
pères à 12 mois et avec l'autre parent à 18 mois, au cours de la situation étrange. Cette
étude indique notamment que certains enfants peuvent se révéler sécurisés avec leur
mère et insécurisés avec leur père, et inversement. Dans les années 1990, le travail ori-
ginal de Kromelow et al. (1990) confirme l'existence d'un contexte social différent, lié
cette fois-ci au sexe de l'enfant. Les auteurs s'appuient sur la notion de « Modèle
interne opérant » pour expliciter que les mécanismes par lesquels l'enfant s'attache à la
mère ne sont pas les mêmes que ceux par lesquels il s'attache au père. En effet, le
concept de modèle interne est basé sur l'hypothèse que les représentations de son père
et de sa mère, élaborées par l'enfant, diffèrent l'une de l'autre en dépit d'une grande
similitude d'attachement à chacun d'entre eux. Les écarts dans ces représentations
seraient probablement issus des différences dans la quantité, la qualité et le contexte des
interactions. Ces travaux amènent à considérer que les attachements mère-enfant et
père-enfant ne peuvent pas être conceptualisés comme des relations redondantes, et
qu'ils se basent sur des styles particuliers d'interaction.
Les paradigmes actuels examinent aussi la transmission intergénérationnelle,
c'est-à-dire le lien entre les modèles internes opérants des parents et les styles
d'attachement des enfants. L'étude pionnière de Main et al. (1985) montre une forte
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 233

association entre l'AAI de la mère (désactivé, préoccupé, autonome) et la classification


d'attachement mère-enfant selon la procédure de la situation étrange (évitant, ambiva-
lent, sécurisé). Van Ijzendoorn (1995) ou Pierrehumbert (1998) trouvent respective-
ment 75 °A.. et 70 % de concordance entre la représentation d'attachement parentale et
la qualité de la relation d'attachement de l'enfant. Certains auteurs affirment que la
représentation d'attachement maternelle serait déterminante dans les styles
d'attachement des enfants obtenus lors de la situation étrange et parlent d' « effet pri-
maire » de la figure maternelle d'attachement. Pour d'autres, comme Pierrehum-
bert et al. (1999), chacun des deux parents participe à la construction d'un « soi auto-
biographique » de l'enfant mais avec deux niveaux d'organisation. La mère soutient la
formation du soi autobiographique par un niveau d'organisation émotionnelle, les
auteurs parlent alors d'un « soi épisodique ». Le père a, quant à lui, un rôle à un
niveau d'organisation « sémantique », dans la mesure où il désigne l'enfant dans son
rôle, son sexe et sa génération. Il s'agit, pour les auteurs, d'un soi « affiliatif».

b. Ancrage social du développement cognitif

La notion de « milieu » se divise de façon schématique en milieu « physique » et


en milieu « humain » constitué d'objets et de pratiques culturels et dans lequel la
médiation d'autrui revêt une dimension fondamentale. Rappelons avant de développer
notre propos que Piaget s'est intéressé à la genèse et à la construction des connaissances
de l'enfant, définissant une approche structurale du développement cognitif et que son
objet de recherche concernait le sujet épistémique et non l'influence du milieu extérieur
sur le développement de l'intelligence comme le rappelle à juste titre Pêcheux (2004, in
Lécuyer, 2004). En ce sens, le milieu physique est la source du développement des
connaissances, il y joue un rôle central et déterminant. Pour Bruner et Vygotski tout
comme Wallon, la dimension culturelle est fondamentale dans la mesure où apprendre
et penser sont toujours culturellement situés de même que les significations accordées
par autrui à ces activités.

1 /Perspective historico culturelle de Vygotski


-

La conception historico-culturelle développée par Vygotski met en exergue la


transmission sociale, les fonctions de médiation et de tutelle assurées par les adultes et
les médiations sémiotiques nécessaires à leur réalisation. Le concept de « Zone proxi-
male de développement » (zPD) défini comme la zone où l'enfant est sollicité par
l'adulte au-delà de ce qu'il peut faire tout seul alimente la thèse défendue par l'auteur
d'un mouvement qui va de l'inter- (avec les adultes notamment) vers l'intrapsychique
(intériorisation) dans le développement de l'enfant. Sous cette hypothèse, il s'agit d'une
corésolution de problèmes qui dépasse l'approche cognitive relative aux seuls résultats
et performances obtenus par l'enfant. Ainsi, l'adulte fournit à l'enfant une aide dans
laquelle le langage joue un rôle crucial d'instrument psychologique. Apprendre permet
de se développer ou, dit autrement, les processus mentaux supérieurs trouvent leur ori-
gine dans les rapports sociaux médiatisés par des systèmes de signes au premier rang
desquels se situe le langage. Ces systèmes sémiotiques sont des élaborations artificielles,
234 I Psychologie du développement

socialement élaborées et transmises. La notion d'outils psychologiques que l'enfant


trouve dans son environnement social et culturel est centrale pour Vygotski (de même
chez Wallon avec celle d'instruments intellectuels). Ces instruments psychologiques non
naturels et collectifs (comme par exemple, le langage, les oeuvres d'art...), à la fois outils
culturels et outils sociaux, servent à transformer l'activité mentale et nécessitent média-
tion interprétative et guidage de la part de l'adulte. L'interprétation, voire l'anticipation
réalisées par l'adulte dans des contextes interactifs asymétriques offre à l'enfant un sys-
tème de significations qui permettra l'appropriation de ces systèmes de signe. Par
exemple, pour Vygotski, seule la réponse de l'adulte peut transformer un geste de saisie
de l'enfant en geste d'indication, de même pour Bruner (1983), la mère interprète les
actions de l'enfant et y voit une intention d'action.

2 / Formats, routines, interactions de tutelle

Bruner (1983) adopte le point de vue interactionniste et culturaliste développé par


Vygotski. Poursuivant les hypothèses princeps de Vygotski, Bruner considère que
l'enfant est d'emblée inséré dans un tissu interprétatif. Ce tissu interprétatif dans lequel
les pratiques de communication langagières jouent un rôle fondamental sert de cadre à
ses propres conduites vis-à-vis d'autrui. Bruner met l'accent sur le milieu social, les par-
tenaires de l'enfant, comme « médiateur culturel » du développement cognitif. En ce
sens, il se détache, tout comme ses prédécesseurs Wallon et Vygotski, de la théorie ini-
tiale de Piaget dans laquelle les processus de signification ne sont pas considérés comme
fondamentaux dans le développement des connaissances de l'enfant.
Bruner s'est distingué par sa mise en perspective des interactions entre les mères et
les enfants et l'analyse novatrice qu'il en a faites. Pour cet auteur, les mères sont
« didactiques » dans le sens où elles engagent des conduites actives qui guident l'enfant
et visent à l'instruire. L'étayage lié au concept de ZPD, développé par Vygotski, désigne
« l'ensemble des interactions d'assistance de l'adulte permettant à l'enfant d'apprendre
à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu'il ne savait pas
résoudre au départ ». Dans ce cas, il s'agit « d'interactions asymétriques » au cours des-
quelles la mère « guide » l'enfant dans ses apprentissages. Ce rôle de guidage ou d'étayage
est essentiel pour le développement cognitif de l'enfant, pour l'aider à résoudre une
tâche qu'il n'aurait pu faire seul. En sus d'enseigner, ces interactions servent de support
à la transmission de normes, de valeurs, de croyances, en ce sens, elles transmettent de
la culture. « Une culture est une sorte de boîte à outils, où l'homme trouve des prothèses
dont il a besoin pour dépasser et parfois redéfinir les "limites naturelles" de son fonc-
tionnement. Tous les outils humains, qu'ils soient matériels ou intellectuels, répondent à
ce besoin » (Bruner, 1991, 37). Bruner (1983) définit trois conditions de maintien de
l'activité qui s'articulent autour de six actions : la première relève de « l'enrôlement »
dans la tâche, il engage l'intérêt et l'adhésion de l'enfant ; « la prise en charge »,
deuxième condition, est déterminée par quatre actions : la réduction des degrés de
liberté (par simplification de la tâche), le maintien de l'orientation, la signalisation des
caractéristiques déterminantes et pertinentes pour la réalisation de la tâche, la démons-
tration ; enfin, la mise en confiance réalise la dernière condition et permet le contrôle
de la frustration (cf. encadré 5.5).
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 235

ENCADRÉ 5.5

Interaction de tutelle
(Wood, Bruner et Ross, 1976, in Bruner, 1983, 266-267)

L'étude comprend 30 enfants, distribués en trois groupes égaux d'âge de 3, 4 et 5 ans égale-
ment répartis en fonction du sexe. L'activité proposée était « excitante et provocante pour
l'enfant tout en s'avérant suffisamment complexe pour assurer au cours de la séance une pos-
sibilité de développement et de modification de sa conduite ». Wood a conçu une pyramide en
bois à six niveaux constituée de 21 blocs. En dehors de celui du sommet en forme de carré
plein avec une cavité circulaire, chaque niveau est composé de quatre blocs constitués de
deux paires qui s'enclenchent l'une à l'autre. Les interventions de la tutrice sont classées en
trois catégories : aide directe, suggestions verbales d'erreurs et effort verbal direct pour inciter
l'enfant à faire davantage de constructions.
Les principales conclusions émises sont les suivantes : « la différence d'âge se marque
non seulement par la réussite mais par l'émergence de séquences imbriquées plus complexes
d'opérations et par le développement de techniques intuitives plus précises pour ajuster les
blocs les uns aux autres » 1...] Cependant, « ils ont été exactement aussi experts que (les plus
âgés) pour reconnaître' un assemblage adéquat quand ils en rencontraient un ». En ce qui
concerne la relation de tutelle, « vis-à-vis de l'enfant de 3 ans, le tuteur a pour tâche initiale
d'enrôler l'enfant comme partenaire de tutelle » [...] auprès des enfants de 4 ans, la tutrice agit
« comme stimulatrice verbale et rectificatrice », pour les enfants de 5 ans, elle est qualifiée de
« validatrice ou vérificatrice des constructions » [...) « C'est en ce sens que nous pouvons
parler d'une fonction de soutien. »

1. Souligné par l'auteur.

Bruner (1983, 171) définit les formats « comme des échanges habituels qui fournis-
sent un cadre pour l'interprétation concrète de l'intention de communication ». Les for-
mats d'interaction prennent racine dans des échanges routiniers (situations sociales
telles que la famille ou l'école). Ces routines interactives ou scénarii interactifs sont des
« situations microsociales organisées selon des règles constitutives autonomes » (Delcau,
1990, 86) au sein desquelles se développe une coconstruction des significations parta-
gées. Quelques exemples sont fournis par des situations quotidiennes et routinières de
soins (repas, toilette...) ou de jeux tels que « donner-prendre » ou « coucou me voilà »
(cf. encadré 5.6). Ces routines nécessitent à la fois de la régularité — des rites — dans le
déroulement de l'interaction mais aussi des échanges contingents au cours desquels
chaque acte de l'un dépend de l'acte de l'autre. La structure ne se transforme pas
même si le contenu en est modifié.

ENCADRÉ 5.6

« L'apprentissage des structures de règles » (Bruner, 1983, 238)

« Coucou le voilà » : « L'étude se fonde sur une investigation intensive couvrant une période
de dix mois et prenant pour sujets six jeunes enfants observés entre 7 et 17 mois » E...] « La
phase initiale correspond à un épisode de focalisation réciproque d'attention, épisode qui
semble constituer un invariant bien que la forme puisse varier » E...] « La seconde phase
coïncide avec la dissimulation du visage » [...I La phase cruciale du jeu est : « l'enlèvement
de l'objet dissimulant le visage et la réapparition de celui-ci » 1...] « La mise à découvert du
236 I Psychologie du développement

visage est suivie d'un autre rituel relativement constant : le rétablissement du contact »...
(op. cit., 240).
Au cours de l'interaction « coucou le voilà », dès l'instant où la réponse est apparue une
fois, « un ensemble d'attentes réciproques se construit rapidement chez l'enfant et la mère et
commence à modifier et conventionnaliser l'interaction. Au départ, c'est un ensemble lui-
même conventionnel et habituel de conduites ludiques de la mère qui conduit la convention-
nalisation [—] Cependant, ce qui marque par la suite, c'est précisément l'introduction systéma-
tique de variations contraintes par les règles fixes [...] Il semble que l'enfant ne soit pas simple-
ment en train d'apprendre les règles fondamentales mais qu'il apprenne en même temps la
marge de variations possible à l'intérieur du cadre fourni par l'ensemble de règles » (op. cit.,
248).

C'est à l'intérieur de ces formes – de ces formats d'interaction – que l'enfant, grâce
à l'étayage de l'adulte, pourra s'autonomiser vers des conduites de résolution. Plusieurs
auteurs tels que Wallon, Vygotski et Bruner mentionnent le langage de l'adulte, en parti-
culier maternel, comme un facteur primordial du développement de la pensée enfantine.
L'interaction entre partenaires est porteuse d'une dynamique de coconstruction.

3/ Milieu familial et cognitions

Deux illustrations (Pourtois, 1979 ; Lautrey, 1980) mettent en évidence le rôle de


l'autre (adulte) comme essentiel du point de vue de la structuration cognitive (stimula-
tion, apport de nouveauté, incertitude, obstacles face à une tâche, etc.).
Pourtois (1979) dans son ouvrage Comment les mères enseignent à leurs enfants a étudié le
style éducatif des mères et la réussite scolaire d'enfants de 5-6 ans. Il choisit d'observer
les comportements didactiques maternels dans des situations d'enseignement. Les prin-
cipales conclusions révèlent, d'une part, que les comportements de la mère durant la
phase expérimentale reflètent les pratiques éducatives maternelles en général. D'autre
part, si la mère encourage l'enfant à explorer par lui-même tout en structurant son rai-
sonnement elle favorise les performances cognitives de l'enfant. Le niveau affectif est
aussi souligné dans la mesure où l'auteur précise que la valorisation maternelle du com-
portement et des productions de l'enfant sont favorables à son développement cognitif.
Lautrey (1980), à partir de la théorie piagétienne du développement cognitif, a
transposé les caractéristiques de l'environnement physique (en référence aux processus
d'assimilation-accomodation) à l'environnement familial. Sa thèse porte sur la structu-
ration du milieu familial et l'intelligence des enfants âgés de 10 ans. Si dans le milieu
physique coexistent des perturbations et des régularités, dans le milieu familial, ces
caractéristiques peuvent être ou non présentes. L'auteur propose d'étudier trois types
possibles d'environnement familial :
« structuration faible » avec plus de perturbations que de régularités ;
— « structuration rigide » avec plus de régularités que de perturbations ;
— « structuration souple » avec alternance de régularités et de perturbations.

Son étude révèle qu'à une nécessaire « régularité » doit correspondre une propor-
tion suffisante de « perturbations » pour être source de progrès et de développement.
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 237

Ainsi, une structuration souple est associée à une meilleure réussite aux épreuves cogni-
tives qu'une structuration rigide. Les différences se situent aussi bien au niveau dévelop-
pemental (les enfants qui bénéficient de cet environnement atteignent plus tôt les diffé-
rents stades du développement cognitif) qu'au niveau fonctionnel (ces enfants
réorganisent plus facilement leurs schèmes opératoires pour dépasser une perturbation).
Lautrey (1980) différencie aussi le milieu populaire porteur d'une structuration rigide
qui privilégie la soumission et le contrôle externe de l'enfant, du milieu favorisé qui
amène une structuration souple et valorise les qualités personnelles, l'initiative et
l'autonomie de l'enfant et alterne régularités et perturbations. Une autre élément
d'importance est relevé par l'auteur : si le milieu socioculturel est élevé alors le système
de valeurs prime sur le type de structuration et inversement si le milieu est populaire.
Les conclusions soulignent, d'une part, qu'il faut être attentif à l'attribution causale des
résultats obtenus, et d'autre part, qu'ils doivent aussi être interprétés en fonction du
contexte socio-économique dans lesquels ils se situent.
Ce que l'enfant élabore dans l'interaction avec autrui l'amène donc à développer
des compétences cognitives. En réciprocité, il va mettre à profit les compétences cogni-
tives acquises pour stimuler son partenaire ou introduire des variations dans
l'interaction, et expérimenter les schèmes d'interactions avec d'autres partenaires dans
de nouveaux milieux. Dans une approche socioconstructiviste, l'analyse du développe-
ment cognitif nécessite donc celle du rôle des interactions sociales et de la médiation
d'autrui.

I V - Interactions entre pairs

a. Ancrage affectif des interactions entre pairs

La problématique des relations entre pairs s'appuie de façon schématique sur deux
conceptions différentes. La première présuppose que les relations entre pairs sont
subordonnées aux relations parents-enfants (notamment mère-enfant) et dépendent
d'elles pour une large part. Dans cette perspective, la famille étant le creuset des pre-
mières interactions sociales, les relations entre pairs sont envisagées comme un prolon-
gement des relations intrafamiliales ou tout au moins en lien très étroit avec elles.
Bowlby (1969) avait développé l'idée qu'attachement et conduite exploratoire
étaient deux systèmes comportementaux fonctionnellement différents mais en équilibre
dynamique : les comportements d'attachement assurent la proximité mère-enfant et
donc la protection, les comportements d'exploration assurent la connaissance de
l'environnement et l'adaptation à ses variations. Dans le but d'étudier le lien entre la
relation d'attachement et l'interaction sociale entre enfants, Vandell et al. (1988) ont
montré que dès 6 mois, les dyades considérées comme sécurisées semblent plus interac-
tives que celles désignées comme insécurisées, entre eux et avec un autre enfant non
familier. L'hypothèse généralement admise est qu'un attachement sécurisé est néces-
saire pour que les enfants soient libres d'explorer le monde environnant, base néces-
saire pour la conquête de leur autonomie future. La relation entre l'attachement et
238 I Psychologie du développement

l'interaction entre pairs nécessite cependant l'intervention d'autres facteurs, à recher-


cher notamment dans l'histoire précoce des interactions mère-enfant. Ce faisant, les
caractéristiques des relations d'attachement et de la compétence sociale entre pairs peu-
vent aussi être modulées par le tempérament de l'enfant ou son sexe d'appartenance.
La seconde perspective appréhende, quant à elle, les relations entre pairs de façon
autonome, dans sa dimension horizontale, avec des fonctionnements qui leur sont pro-
pres, que nous allons développer.

b. Différenciation objet humain - non humain

Gouin-Decarie et Ricard (1982), dans une recherche portant sur des enfants
de 9-10 mois, analysent les comportements face à l'objet social (l'humain) et à l'objet
non humain (l'objet physique). Pour ces auteurs, l'enfant déploie les mêmes stratégies
cognitives pour acquérir l'identité de l'objet social et celle de l'objet physique, mais il
existe par contre des différences dans la façon de l'aborder, en particulier dans les
modes interactifs. Avec l'objet social, l'enfant reste à bonne distance, recherche peu les
contacts physiques et a recours à un type d'approche affectif basé sur des sourires et des
contacts visuels fréquents. Par contre, il se dirige vers l'objet sans hésitation et le mani-
pule de façon active. Il semble donc que l'enfant comprend quelque chose concernant
la nature du stimulus social et non social.
Dès l'instant où l'enfant opère une discrimination objet-personne, sa sociabilité
peut commencer à s'élaborer. À partir des échanges fortuits initiaux, des séquences
d'interaction sociale s'organisent et débouchent sur la réciprocité des rôles déterminant
le concept de contingence interpersonnelle. Les premiers contacts permettent la perception de
la contingence de l'autre que Flament (1983) interprète « comme des structures dialo-
guées élémentaires qui conduisent aux interactions sociales vraies quand la contingence
concerne un partenaire bien différencié des objets » (op. cit., 78).
Le processus d'intersubjectivité secondaire qui intervient plus tard, entre 9 et
18 mois, implique désormais un triangle dont les trois sommets sont identifiés par le
sujet, l'alter et l'objet. L'intersubjectivité secondaire implique une activité conjointe,
c'est-à-dire que les conduites des partenaires incluent, à présent, l'objet commun auquel
ils font référence. C'est un véritable partage d'attention : soi et l'autre sont attentifs au
même objet ou au même événement par le regard ou le pointé du doigt par exemple.
Par la coorientation visuelle et la référence sociale, l'accent est mis sur le thème de la
coréférence, c'est-à-dire sur l'objet (Deleau, 1999).

c. Découverte du partenaire

L'approche éthologique, grâce à l'analyse des répertoires comportementaux, a


révélé l'existence de comportements élémentaires nécessaires à l'élaboration des premières
interactions et communications entre enfants. Ainsi, des actes sociaux apparaissent très
tôt, dès l'âge de 9 mois, tels que des comportements d'attention au visage ou des souri-
res, et certains d'entre eux peuvent être qualifiés de complexes tels les offrandes, les sol-
licitations, les gestes de saisie ou les conflits. Ces actes qui s'accompagnent de vocalises
ou de regards se complexifient au fur et à mesure que l'enfant grandit. De façon géné-
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 239

rale, la littérature distingue les comportements affiliatifs et agonistiques. Quel que soit
leur âge, les enfants présentent davantage de comportements de type affiliatifs que
d'attitudes conflictuelles. Ces compétences sociales précoces permettent à l'enfant
d'entretenir de façon active une relation avec l'environnement dans lequel les pairs ont
une place essentielle.
La découverte du partenaire implique aussi que les échanges entre pairs peuvent
présenter des tonalités particulières. Le plaisir et la sympathie émotionnelle se retrou-
vent dans la plupart des activités communes entre enfants. Plusieurs études démontrent
que les enfants comprennent les sentiments et les intentions de leur compagnon. De ce
fait, ils s'engagent dans de nombreuses interactions réciproques, basées sur le contact
physique, les vocalisations, les sourires et les jeux d'alternance. Rayna (1985) confirme à
l'aide d'un document monographique concernant deux bébés de 5 mois, l'existence
d'un intérêt social primaire dont l'objet est le pair qui témoigne de la ténacité et du plaisir
dont ces enfants font preuve pour maintenir des échanges intenses et prolongés. Espi-
noza (1993) s'est intéressée plus précisément à la qualité des échanges entre enfants (13
à 19 mois) selon leur degré de familiarité, voire d'amitié. Elle observe que les conduites
affiliatives et altruistes, les affects positifs, la qualité du jeu social augmentent lorsque les
deux partenaires sont amis et les conflits semblent aussi moins fréquents et moins vio-
lents. Ces comportements témoignent de la maîtrise des compétences sociales précoces
dans le sens où les enfants ne forment pas des couples de partenaires au hasard ; ainsi
les partenaires enfantins ne sont ni interchangeables ni équivalents.
Cette tonalité amicale entre enfants soulignée par plusieurs chercheurs n'est pas
anecdotique, elle revêt aussi une importance toute particulière dans les interactions
sociocognitives comme nous le verrons plus loin.

d. Conduites imitatives

L'étude des relations entre pairs a permis de mettre en évidence l'intérêt et les
fonctions des imitations réciproques entre enfants (cf. Winnykamen, 1990). Les condui-
tes imitatives permettent d'apprendre, de réaliser et de maîtriser de nouveaux savoirs.
Chez les enfants entre 2 et 4 ans, elles permettent d'expérimenter des modes de com-
munication, d'appeler l'autre pour entrer en relation avec lui. L'étude de Nadel (1986)
illustre, de façon exemplaire, la fonction essentielle de l'imitation comme instrument de
communication. Quand on place des enfants de 2 à 3 ans, dans une situation qui pré-
voit des objets en nombre identique à celui des enfants, l'imitation permet la prise de
contact social et permet d'établir un dialogue particulier : celui « d'imiter » et « d'être
imité ». L'imitation, initiatrice de relations sociales entre pairs, va permettre à l'enfant
d'apprendre de nouvelles conduites sociales. Elle est à la fois la source et le cadre de
développement des relations sociales. Nadel (1986) insiste sur le rôle essentiel de
l'imitation comme interpellation du partenaire et pas seulement comme objet
d'interaction. Pour cet auteur, l'imitation synchrone et directe entre enfants de 24 à
36 mois est aussi une base de communication. L'imitation peut servir à provoquer une
interaction parce que « l'imitation attire l'attention du modèle sur l'imitateur » (op. cit.,
229). Pour Winnykamen (1990), l'enfant servant de modèle initie des conduites sociales
240 I Psychologie du développement

après avoir été lui-même cible de l'imitation. Ce qui atteste bien que les imitations ini-
tient des interactions.
Ce mode d'échanges va diminuer au fur et à mesure que se développent les com-
pétences langagières de l'enfant. Ainsi, entre 3 et 6 ans, les jeunes enfants vont
s'engager dans des « jeux de rôle » au cours desquels ils mettent en scène des rôles
familiaux ( « papa, maman » ), des rôles professionnels ( « le docteur », « la mar-
chande ») ou encore des rôles sexués. Ces savoir-faire se modifient avec l'âge notam-
ment par les capacités de « faire semblant » (qui existe cependant dès la seconde année)
et par l'acquisition et la maîtrise du langage. Ces nouveaux jeux impliquent, d'une part,
la connaissance de ces rôles sociaux mais aussi la capacité de l'enfant à se déplacer vers
une position autre que la sienne. « Dans sa fonction instrumentale, l'imitation permet
ou facilite l'acquisition de savoir-faire nécessaires à la vie relationnelle ; dans sa fonction
de relation, elle crée et maintient les situations interpersonnelles indispensables à certai-
nes acquisitions » (op. cit., 326).
Parmi les facteurs qui déterminent les échanges entre enfants, de nombreuses
recherches rendent compte de la place des jouets dans les interactions horizontales. Il
semble difficile de dire si le jouet inhibe ou favorise l'échange social. Nadel et Baudon-
nière (1985) émettent l'hypothèse qu'il y aurait peut-être compétition entre l'intérêt
pour l'objet et celui pour le pair et que « la situation sans objet plus difficile à maintenir
peut produire artificiellement une augmentation de la fréquence des interactions entre
pairs ou les comportements sociaux » (op. cit., 148). D'autres auteurs proposent que
l'interaction entre pairs et l'interaction avec les objets représentent les deux pôles d'un
système unitaire qui permettrait à l'enfant de consolider et d'acquérir différentes sortes
de connaissances (Verba et Musatti, 1989). Les interactions avec objets facilitent d'une
certaine manière les interactions entre pairs ou les incitent à naître, à évoluer, à se
transformer. Mentionnons, à cet égard, la recherche récente de Fontaine (2005) dont
l'objectif est d'examiner les échanges entre pairs âgés de 19 à 38 mois à la crèche en
fonction des matériels de jeux proposés. Les résultats indiquent que l'utilisation des
jouets moteurs (ballons, engins roulants...) initient davantage d'interactions entre
enfants que les jeux de manipulation (puzzles, jeux d'encastrement...) avec notamment
plus d'interactions positives et amicales, en particulier chez les plus grands de 30 à
38 mois.
Ce faisant, Nadel et Baudonnière (1985) soulignent que l'objet fournit un moyen
avantageux pour opérationnaliser les compétences à interagir et à communiquer. Les
activités exploratoires d'objets permettent l'organisation d'échanges sociaux qui plon-
gent leurs racines dans des processus d'interactions imitatives et organisatrices.
Durant la période du « transitivisme » (18-24 mois à 36 mois) décrite par Wallon,
les conduites imitatives, sources et cadres des relations interpersonnelles, permettent à
l'enfant non seulement de communiquer mais induisent aussi une découverte de soi et
d'autrui, l'incitent à percevoir et concevoir l'existence de rapports réciproques bipolai-
res (le pôle de l'enfant et celui de l'autre), suscitent sa curiosité pour lui-même / objet
de l'action et pour autrui / qui accomplit l'action, et lui permettent enfin de construire
et consolider des savoirs et des savoir-faire sociaux.
Les conduites imitatives déterminent ainsi une organisation spécifique, une matrice
d'élaboration, dans laquelle l'enfant pourra être sujet parmi les autres reconnus eux-
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 241

mêmes comme sujets, et se différencier d'autrui par sa relation à autrui. L'imitation des
caractéristiques et des traits de l'autre est une façon de « faire comme » l'autre afin de
mieux se séparer de lui, pour s'affirmer soi-même. L'enfant se confirme en se différen-
ciant de l'autre. Cette conception wallonienne situe la différenciation moi/autrui consti-
tutive du processus de personnalisation comme une des fonctions essentielles des
conduites imitatives.

e. Interactions sociocognitives

1 /Interactions de tutelle entre enfants

Le « guidage par l'adulte » analysé par Vygotski et repris plus tard par Bruner est
un concept majeur du développement cognitif. Nous l'avons évoqué précédemment.
Les travaux réalisés sur les interactions de tutelle entre pairs montrent aussi l'intérêt
d'examiner la façon dont les enfants collaborent entre eux et participent de façon spéci-
fique à leur structuration cognitive. Pour Winnykamen (1990, 125), les interactions de
guidage-tutelle « sont des formes d'organisation des échanges dissymétriques, en situa-
tion de construction, d'acquisition et de transmission de connaissances sous certaines
conditions : les interventions d'un sujet (l'expert ou tuteur) permettent à l'autre (le
novice ou le tutoré) de progresser dans la résolution du problème ». L'enfant tuteur est
non seulement un expert mais aussi celui qui aide l'enfant novice à résoudre une tâche, à
atteindre un savoir-faire ou un savoir. Asymétrie (dissymétrie) des compétences, engage-
ment/enrôlement des partenaires et convergence des buts constituent les trois caracté-
ristiques fondamentales des interactions de tutelle. Être enfant-tuteur signifie être
capable de penser ses propres savoir, savoir-faire et points de vue afin de les trans-
mettre au novice par différentes aides et interventions. Le novice est l'enfant qui,
a priori, est moins compétent que l'autre lors d'une situation de résolution de problème.
Au cours de l'interaction de tutelle, sont analysés les effets de l'asymétrie de compé-
tences, de connaissance et de savoir-faire.
Dans la recherche réalisée par Verba et Winnykamen (1992), la population est
composée de 36 enfants âgés de 6,5 ans. La moitié est considérée comme « très compé-
tente » (ce sont les « bons élèves »), l'autre « peu compétente » (ce sont les « mauvais
élèves »). 18 dyades sont constituées d'un enfant de chaque groupe de même sexe. La
tâche consiste à réaliser la construction d'un pont et d'une voiture avec 20 pièces en
bois de taille différente. Dans la moitié de ces dyades, l'enfant compétent est rendu
expert vis-à-vis de la tâche, le peu compétent étant novice, dans l'autre moitié
l'appariement est inversé. Les auteurs estiment que dans le premier cas, il s'agit de
dyade à asymétrie renforcée, dans le second de dyade à asymétrie contrebalancée. Au cours de
la phase d'entraînement, l'adulte explique à l'enfant comment résoudre cette tâche
complexe tout seul. La phase interactive correspond à la résolution de la tâche par la
dyade expert-novice. Trois catégories de modes interactifs sont décrits : l'imitation, la
coopération et la tutelle. Les résultats indiquent une coopération plus importante dans
les dyades à asymétrie contrebalancée et une tutelle (guidage tutoring) plus fréquente dans
-

les dyades à asymétrie renforcée. Les séquences de construction interactive sont aussi
242 I Psychologie du développement

plus fréquentes dans le premier cas. Ainsi, les modes d'organisation interactifs sont liés
au degré d'asymétrie des dyades mais aussi au statut du partenaire, ce qui illustre « la
flexibilité du système interactif dans les contextes d'acquisition » (op. cit., 69).

2/Conflit sociocognitif

Théorie du conflit sociocognitif. — La théorie du conflit sociocognitif, développée depuis


plus de trois décennies par des chercheurs suisses – Doise, Mugny et Perret-Clermont
notamment –, articule, dans la continuité des travaux de Piaget et Vygotski, approche
constructiviste et structuraliste piagétienne et approche interactionniste (Doise, Mugny et
Perret-Clermont, 1975). Cette conception qualifiée de socioconstructiviste amène à exa-
miner une construction sociale de l'intelligence. En ce sens, l'intervention de variables
sociales est nécessaire au développement cognitif individuel, car elle intervient dans le
mécanisme même de cette construction. Les auteurs qui soutiennent cette théorie insis-
tent bien sur le fait que ces variables sociales ne doivent pas être considérées comme des
facteurs extrinsèques mais comme des éléments constitutifs du mécanisme cognitif lui-
même. En conséquence, cette perspective « psychosociale » et pas seulement psycholo-
gique défend l'hypothèse selon laquelle la construction cognitive de chacun s'organise
dans un cadre social. Gilly (1988) définit le conflit sociocognitif comme une « dynamique
interactive, caractérisée par une coopération active, avec prise en compte de la réponse
ou du point de vue d'autrui, et recherche, dans la confrontation cognitive d'un dépasse-
ment des différences et contradictions pour parvenir à une réponse commune ».
De façon générale, les auteurs présentent les interactions entre pairs comme source
de progrès cognitif quand elles suscitent des conflits sociocognitifs. Le déséquilibre inter-
individuel de nature sociale qu'engendre une tâche complexe à réaliser entraîne un
nouvel équilibre et une réorganisation cognitive intra-individuelle.
Dans cette approche, le conflit est structurant dans la mesure où à partir d'un conflit
de communication entre les sujets émerge une coopération cognitive à partir des répon-
ses verbales et non verbales produites, qu'elles soient justes ou erronées. La perturbation
amenée par un(des) partenaire(s) social(aux) affecte les structures cognitives de l'enfant.
La production de réponses, de point de vue contradictoires amène les sujets à se décen-
trer de leur point de vue propre et à prendre en compte celui d'autrui. La perturbation
sociale entraîne donc un déséquilibre cognitif qui amène les sujets à se dépasser et à éla-
borer d'autres structures cognitives. L'intériorisation de ces coordinations, de ces cocons-
tructions amène la production de nouveaux outils mentaux.
Ce conflit n'est bénéfique qu'à condition que l'enfant se situe à une phase de son
développement qui nécessite l'élaboration d'une nouvelle notion (passage du stade pré-
opératoire au stade opératoire) pour accéder à une réorganisation cognitive, que l'écart
d'âge entre les pairs ne soit pas trop important, et que le problème à résoudre soit suffi-
samment complexe pour que la tâche donne lieu à une perturbation qui nécessite une
réelle confrontation dans les productions de réponses émises et qui ne soit pas réducti-
bles à de la complaisance ou de la soumission (obéissance).
Au total, une situation d'interaction sociale entre deux ou plusieurs partenaires
peut enclencher des progrès cognitifs individuels si la perturbation est forte, si
s'expriment des réponses contradictoires au problème posé, si les enfants acceptent
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 243

d'exposer leur point de vue, et enfin si une réponse commune et coordonnée émerge.
Sous ces conditions, l'interaction sociale entre pairs via le déséquilibre de nature sociale
influence les élaborations cognitives de chacun, par « intériorisation des instruments
cognitifs collectivement élaborés » (Carugati et Mugny, 1991, in Sorsana, 1999, 37).
Pour Perret-Clermont (1996), les résultats qu'elle a obtenus plaident en faveur
d'un développement des structures cognitives lors d'une interaction sociale et contredi-
sent la thèse de l'imitation des conduites d'un autrui comme seule source des progrès
cognitifs dans un contexte de résolution de tâche dans la mesure où, d'une part, les
enfants devenus conservants en post-tests fournissent des explications différentes de
celles émises par leurs compagnons lors de l'interaction, et d'autre part, les enfants
progressent entre les deux post-tests (cf. encadré 5.7).

ENCADRÉ 5.7

Perret-Clermont (1996)

L'échantillon est constitué de 93 enfants pour l'ensemble de la situation expérimentale. Leur


âge est compris entre 5;6 ans et 7;5 ans. L'épreuve de conservation de la quantité lors du trans-
vasement des liquides (cf. la théorie de Piaget, chap. 2) représente la tâche à réaliser par les
enfants. Trois verres identiques A, A', A", un verre C plus large et plus bas que les A, un verre D
plus mince et plus haut que les A et une bouteille opaque contenant du sirop constituent le
matériel utilisé. L'expérimentateur donne le verre A à l'enfant, prend A' et y verse du sirop. Il
demande à l'enfant de verser du sirop dans son propre verre de telle sorte que tous deux aient
la même quantité. Une fois l'égalité établie, l'expérimentateur verse A' dans C et demande : « Et
maintenant, comment c'est ? pour boire, est-ce qu'on a la même chose beaucoup à boire ou pas
la même chose ou qu'est-ce que tu en penses ? » Avant de verser le contenu de C dans A', il
demande à l'enfant d'anticiper le retour. Au cours de cette phase du prétest, trois groupes
d'enfants sont constitués : les « non-conservants » (38 NO, les « intermédiaires » (11 Int) et les
« conservants » (44 C). Au cours de la phase d'entraînement (2 à 3 semaines plus tard), l'adulte
réunit des groupes de 3 enfants (2 C — S1 et S2 — et 1 NC ou Int — S3).
Ale (S1) : « Verse des niveaux égaux de sirop en A et D. »
Mo (S3) : « Ge va en avoir plus. »
Ge (S2) : « Verse en D en A', fait constater l'inégalité entre A et A', demande à Si
d'égaliser les niveaux et verse A' en D. »
Exp (aux trois) : « Est-ce qu'il y a la même chose ? »
Ge (S2) : « Oui. »
Exp : « Pourquoi ? »
Ge (S2) : « On a regardé. »
Exp : « Vous êtes d'accord ? »
Ala (S1) et Mo (S3) : « Oui. »
Ge (S2) : « On avait mis dans le grand verre, après on a mis dans le petit c'était la même
chose. »
Mo (S3) : « Dans celui-ci (D) est plus grand. L'autre (A) est un peu plus bas mais plus
gros... »
Ge (S2) : « Non le verre, c'est pas magique. On en a autant. Il est plus haut. »
Mo (S3) : « Plus haut mais moins rond... »
Deux post-tests sont réalisés, l'un une semaine plus tard et l'autre un mois après ce der-
nier. Un groupe contrôle est soumis au pré- et post-test immédiat en passation individuelle.
Les résultats indiquent que les enfants NC et Int en situation dyadique progressent de façon
significative entre le pré- et post-test et cette progression perdure un mois plus tard ce qui
n'est pas le cas pour le groupe contrôle soumis aux pré- et post-tests en situation individuelle.
244 I Psychologie du développement

Perspective procédurale. — Dans la théorie du conflit sociocognitif, l'accent est mis sur
la dynamique des interactants qui suppose un engagement actif dans cette confrontation
cognitive, « tributaire de la volonté des sujets à dépasser les oppositions sur un mode
sociocognitif, c'est-à-dire en acceptant de coopérer activement à la recherche d'une
solution commune » (Sorsana, 1999, 36). La théorie du conflit sociocognitif renvoie
aussi au mécanisme explicatif générateur du progrès, c'est-à-dire au passage du conflit
social interindividuel au progrès cognitif intra-individuel.
Cependant, si cette théorie amène bien à concevoir la nature sociale de
l'interaction comme potentiellement porteuse de progrès cognitifs, elle n'explicite pas
vraiment le contenu de l'interaction et examine davantage les résultats obtenus que la
façon dont les procédures de résolution sont mises en oeuvre.
La perspective procédurale proposée notamment par Gilly (et l'équipe de cher-
cheurs à Aix-en-Provence) essaye de dépasser les limites invoquées et amène plusieurs
éléments importants à prendre en considération (Gilly, 1993) : elle s'intéresse à la cons-
truction des compétences et donc aux procédures mises en oeuvre par les enfants, elle met
l'accent sur la déstabilisation au cours de l'interaction qui provoque des changements de
procédure et de représentations au moment même de la résolution de problème plus
que sur les résultats obtenus, et sur le contrôle des interventions qui s'expriment de dif-
férentes façons par les enfants. Par ailleurs, ce sont les fonctionnements cognitifs initiaux
qui sont pris en compte et non les niveaux initiaux. Elle défend ainsi l'idée de systèmes,
c'est-à-dire les rapports qui existent entre mode de représentation de la tâche à
résoudre, fonctionnement cognitif intra-individuel et fonctionnement sociocognitif
(Gilly, 1995).

ENCADRÉ 5.8

Gilly, Fraisse et Roux (1988, in Gilly, 1995)

Cette illustration a pour objectif de montrer comment une corésolution peut favoriser la cons-
truction d'une représentation adéquate de la tâche.
« Des enfants de 12-13 ans ont devant eux huit cubes identiques et une pseudo-balance
faite de deux soucoupes. Il leur est dit que les huit cubes ont le même poids (ce qui est vrai)
mais que l'on va faire comme si l'un d'entre eux était plus léger que l'autre. La tâche
consiste à trouver une manière de faire, en faisant comme si on avait une vraie balance,
pour être sûr de trouver le cube le plus léger. Le problème a bien sûr plusieurs solutions
possibles (dont une très économique en pesées) mais une première difficulté rencontrée par
les enfants a été de considérer qu'il n'y avait effectivement pas de cube plus léger et qu'il fal-
lait trouver un procédé, par des pesées successives, permettant de tester toutes les hypothè-
ses possibles. » L'analyse du début de la première séquence interactive entre deux sujets
montre « que ce soit en dyade ou individuellement, les sujets ont été nombreux à aborder le
problème comme s'il existait vraiment un poids plus léger que les autres. Alors que
cette représentation erronée a persisté, parfois très longtemps, chez les sujets travaillant
seuls, elle a par contre été abandonnée très rapidement chez les sujets travaillant à deux »
(op. cit., 88).
Gilly (1995, 150), à partir de cet exemple, souligne que « les effets bénéfiques de diffé-
rents types de dynamiques interactives observées sont liées à deux grandes fonctions des
interventions réciproques des partenaires : la déstabilisation et le contrôle » et que « les
échanges peuvent contribuer à améliorer la représentation de la tâche ».
Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales I 245

Enfm, pour Sorsana (1999), si la dynamique sociocognitive est bien tributaire de


prérequis cognitifs et sociaux, l'analyse des mécanismes serait incomplète si les prére-
quis « affectivo-relationnels » n'étaient pas pris en compte. Ainsi a-t-elle montré que,
lors d'une situation de corésolution de problèmes (Tour de Hanoï), des conduites diffé-
renciées entre dyades d'enfants âgés de 6 à 8 ans « affines » (amies) et « non affines »
(non amies). Les premières obtiennent de meilleures performances que les secondes
dans un climat relationnel serein et riche avec notamment des échanges réciproques,
une attention soutenue, une acceptation des suggestions et des points de vue d'autrui et
un respect de ces points de vue, une qualité des négociations, et une plus grande auto-
nomie envers l'adulte. Ses résultats plaident en faveur de la prise en considération de la
qualité de la relation entre les enfants, de la nature de cette relation et de son effet sur
les constructions cognitives. Ces prérequis affectivo-relationnels montrent, d'une part,
que les sujets ne sont pas interchangeables au cours du protocole expérimental sans
conséquence sur les résultats obtenus. D'autre part, si les variables sociales sont bien
constitutives du conflit sociocognitif, leur qualité, leur fonctionnement, leur nature doi-
vent être prises en compte par le chercheur pour analyser les nouvelles organisations
cognitives qui résultent du déséquilibre social. Au total, si la variable dépendante a tou-
jours pour visée d'étudier l'évolution des performances des enfants entre pré- et post-
tests, la variable indépendante en prenant en compte la nature des relations entre
enfants amène une nouvelle façon d'envisager cette variable sociale.

V - Conclusion

Tout au long de son développement, l'enfant doit s'inscrire dans le monde social
et culturel dans lequel il baigne, agit et reçoit, il doit aussi s'adapter et interagir avec
lui. Nous avons ainsi souligné le rôle des émotions et les compétences précoces de
l'enfant qui introduisent les premières relations intersubjectives et expressions intention-
nelles, elles-mêmes en lien avec les grandes fonctions sociales et mentales. Nous avons
aussi mentionné l'étayage affectif parental à partir duquel l'enfant pourra se construire
et se développer. Même si l'on peut considérer que la famille joue un rôle essentiel dans
les conduites sociales ultérieures (Zaouche-Gaudron, 2002), on ne peut sous-estimer
l'importance des relations qui se nouent entre pairs, notamment dans notre pays qui
porte une marque particulière quant aux institutions — structures d'accueil de la petite
enfance et institutions scolaires — que le jeune enfant rencontre dès son plus jeune âge.
Ces différents groupes sociaux peuvent être aussi considérés comme agents, sources et
cadres de socialisation au sein desquels les pairs nouent des liens singuliers aux plans de
leur nature, structure et fonction. Nous avons donc précisé la place à accorder aux
pairs et le rôle constructif des interactions entre enfants sur le registre de l'affectivité,
dans le développement des compétences sociales et dans le développement cognitif.
Nous avons enfin montré comment et pourquoi les interactions sociales sont essentielles
sur le registre des acquisitions d'outils cognitifs nouveaux.
L'approche multidimensionnelle des interactions sociales s'avère nécessaire pour
mieux comprendre comment l'enfant se développe en relation étroite avec l'autre, et
246 I Psychologie du développement

comment cet autre, en tant que médiateur social, participe à l'activité enfantine. Le
social n'est pas ce qui vient au sujet mais ce dans et par quoi il se constitue tant sur le
plan des relations affectives que sur le registre du développement cognitif. L'autre
— adulte et enfant — a ainsi une fonction d'organisateur affectif et cognitif du psychisme
de l'enfant. Est mise ainsi en perspective la valeur fondatrice de l'affectivité et de
l'activité cognitive de l'enfant.

LECTURES RECOMMANDÉES

Bruner, J. S. (1983). Le développement de l'enfant, savoir faire, savoir dire. Paris : PUF.
Deleau, M. (1999) (Ed.). Psychologie du développement. Rosny : Bréal, coll. « Grand amphi ».
Doise, W., & Mugny, G. (1997). Psychologie sociale et développement cognitif. Paris : Armand Colin.
Gilly, M. (1993). Psychologie sociale des constructions cognitives : perspectives européennes.
Bulletin de psychologie, t. XLVI, 412, 671-683.
Perret-Clermont, A. N. (1996). La construction de l'intelligence dans l'interaction sociale. Berne
P. Lang (1" éd., 1979).
Sorsana, C. (1999). Psychologie des interactions cognitives. Paris : Armand Colin, coll. « Synthèse ».
Vygotski, L. S. (1985/1934). Pensée et langage. Paris : Éditions Sociales.
Wallon, H. (1946). Le rôle de « l'autre » dans la conscience du « moi ». Enfance, numéro spé-
cial, 1985, 279-286.
Winnykamen, F. (1991). Apprendre en imitant ? Paris : PUF.
Zaouche-Gaudron, C. (2002). Le développement social de l'enfant (du bébé à l'âge scolaire). Paris :
Dunod, Topos.
6 développement de la communication
et du langage

PAR JOSIE BERNICOT ET ALAIN BERT ERBOUL -

Introduction

Communiquer c'est transmettre de l'information d'une source vers un destinataire,


d'un système à un autre, d'une personne à une autre. Les modes de communication et
de transmission de l'information sont multiples. Chez l'homme, la forme de communi-
cation qui domine repose sur le langage verbal, bien que d'autres formes de communi-
cation, par exemple gestuelle, existent entre la naissance et l'âge de deux ans et au-delà
parallèlement au langage.
L'étude du langage et de la communication chez l'enfant conduit à poser des
questions théoriques et pratiques cruciales pour l'être humain (Berko Gleason, 2001).
Pourquoi le langage apparaît-il vers l'âge de 2 ans ? Est-ce vraiment mystérieux ou
magique ? Comment et pourquoi l'enfant acquiert-il une grammaire complexe ? Les
primates peuvent-ils aussi acquérir le langage ? Existe-t-il des théories qui rendent
compte de l'acquisition du langage ? Est-ce que le langage correspond à une capacité
séparée ou bien est-il l'un des aspects d'une compétence cognitive générale ? Quel est le
rôle des interactions sociales ?
Ces questions qui intriguent les chercheurs sont abordées à travers quatre parties
principales : l'histoire des recherches, les méthodes utilisées, les étapes du développe-
ment de la communication et du langage et les théories explicatives.

A - QUELQUES REPÈRES HISTORIQUES

I - Le langage

Les recherches les plus importantes à propos du développement de la communica-


tion et du langage chez l'enfant sont récentes, elles datent essentiellement de la seconde
248 I Psychologie du développement

moitié du xxe siècle. Cependant, on cite souvent une anecdote rapportée par l'historien
grec Hérodote (vers 500 av. J.-C.) qui serait la plus ancienne « étude » concernant
l'acquisition du langage. Le pharaon Psammétique aurait fait élever deux enfants sans
contact avec le monde humain (parmi les chèvres d'un berger dont on avait coupé la
langue) pour déterminer les premiers mots prononcés par les enfants dans cette situa-
tion. La question était alors politique : déterminer la langue la plus ancienne. La cons-
tatation par le pharaon lui-même de la prononciation par les enfants du mot « bécos »,
qui signifie « pain » en phrygien lui fit admettre l'antériorité de la langue phrygienne
sur la langue égyptienne. On peut aussi remarquer la proximité phonologique entre
« bécos » et le cri des chèvres. Ce questionnement autour de l'origine du langage s'est
poursuivi à travers les siècles, on en trouve des traces avec des grands monarques en
Allemagne au xne siècle (Frederick II), en Angleterre au xV- siècle (James IV) et en
Inde au xvle siècle (Akbar le Grand) (Crystal, 1997).
Aux xvine et xlxe siècles, apparaissent les précurseurs des études scientifiques.
Parmi ces travaux on peut noter ceux de Tiedemann (1787) et de Darwin (1877)
qui ont observé leurs propres enfants. L'intérêt pour le langage a aussi été marqué
par la découverte d'un jeune enfant « sauvage », supposé être resté sans contact
humain jusqu'au début de l'adolescence : Victor de l'Aveyron, étudié par Itard (1801).
Dans le domaine de l'anatomie cérébrale, la mise en évidence par Broca en 1861 de
zones spécifiques du cerveau liées au langage articulé a constitué une avancée
cruciale.
La psychologie scientifique née dans les années 1870-1880 marque le début des
recherches réalisées sur une base expérimentale : elle exclut de son champ
d'investigation les problèmes philosophiques et métaphysiques. Le domaine du langage
suit cette orientation. On peut, en particulier, citer Taine (1870) pour son livre De
l'intelligence et un article en 1876 consacré à « l'acquisition du langage chez les enfants et
les peuples primitifs ». Notons aussi Egger avec Le développement de l'intelligence et du langage
chez l'enfant paru en 1879, et de La Calle pour son essai sur « la glossologie, essai sur la
science expérimentale du langage » en 1881 : il réalise une observation assez précise de
la variété et de la valeur sémantique des premiers phonèmes prononcés par l'enfant au
cours des premiers mois. Dans la seconde édition (1882) de son livre La psychologie de
l'enfant, Bernard Perez présente un chapitre intitulé « L'expression et le langage chez
l'enfant » dans lequel il décrit l'évolution du langage en l'intégrant souvent dans un
contexte de vie quotidienne.
Un tournant capital dans les études sur le développement de l'enfant (incluant le
domaine du langage) a été accompli par le psychologue Alfred Binet au début du
xxe siècle avec L'étude expérimentale de l'intelligence en 1903, et L'échelle métrique de l'intelligence
en collaboration avec Théodore Simon (1905 et 1908). En France, pour l'école de la
République, l'apprentissage du langage oral et surtout écrit avait une importance fon-
damentale. Binet proposa une méthode connue aujourd'hui sous le terme de « tests
mentaux » : on mesure le niveau intellectuel en utilisant une batterie d'épreuves dont
on a défini l'âge de réussite par des enfants tout-venant. Le trait de génie de Binet fut
d'utiliser ces épreuves pour déterminer un âge mental rapporté à un âge chronolo-
gique. Ces travaux ont abouti à la définition du Quotient intellectuel (QI = âge men-
tal / âge chronologique) qui permet de définir un niveau global de développement voir
Développement de la communication et du langage I 249

sur ce point le chapitre 7). Parmi les épreuves proposées certaines sont verbales et per-
mettent d'estimer le niveau de langage de l'enfant.
Pendant la même période, la linguistique naissante a permis le développement
d'observations de jeunes enfants consistant en prises de notes journalières et régulières
des productions langagières. On peut citer les travaux de Grégoire (1937, 1947) pour le
français, Pavlovitch (1920) pour le français et le serbe, Gvozdev (1949) pour le russe et
Léopold (1939, 1947, 1949) pour l'anglais. Ces études ont fourni les premières informa-
tions précieuses permettant de déterminer les étapes de l'acquisition du langage.
Au milieu du xx' siècle, le rapprochement de trois disciplines différentes (la psy-
chologie de l'apprentissage de tradition behavioriste, la linguistique structurale et la
théorie de l'information) permet l'émergence d'un nouveau domaine : la psycholinguis-
tique. Cette nouvelle approche pluridisciplinaire, née d'une critique très sévère de la
perspective behavioriste concernant l'acquisition du langage par le linguiste Noam
Chomsky (1957), va devenir dominante à partir des années 1960 et consacrer l'étude de
la structure du langage chez l'enfant dans une perspective innéiste.
Les études sur le développement de l'enfant réalisées par Piaget (à partir de 1923)
et son équipe à Genève vont offrir une nouvelle vision de la psychologie de l'enfant et
une théorisation des relations entre développement cognitif et développement langagier.
Dans la perspective piagétienne le développement du langage est subordonné à celui de
la pensée et l'activité de l'enfant lui-même est essentielle dans le processus d'ontogenèse.
Un grand débat sur le problème de l'inné et de l'acquis dans le langage sera organisé
entre Piaget et Chomsky lors d'un colloque à l'abbaye de Royaumont en 1975 (Piatelli-
Palmarini, 1979). Les retombées de ce débat sur les recherches ultérieures ont été de
façon directe ou indirecte très importantes.

Il - La communication

La communication est définie d'une façon générale dans Le grand dictionnaire de la


psychologie (Larousse, 1991) comme « la transmission de l'information d'un point à un
autre, c'est-à-dire d'une source à un destinataire ». Le dictionnaire souligne l'existence
d'aspects verbaux et non verbaux en ajoutant que la communication est : « ensemble
des relations entre les aspects verbaux de la communication humaine, ses aspects non
verbaux (en particulier, le regard et la gestualité) et les variables psychologiques et
sociales impliquées dans le processus communicatif». Pour l'espèce humaine la com-
munication verbale est prépondérante, mais il existe d'autres formes de communica-
tion : les gestes, les expressions faciales, le regard et toutes les manifestations corporelles.
Ces formes non verbales jouent un rôle très important dans la régulation de la commu-
nication au cours des premières années de la vie de l'enfant.
C'est Durkheim (1893) en sociologie qui le premier a défini la communication
comme une interaction dans un réseau où s'échangent et se partagent des représenta-
tions collectives.
En psychologie, la théorie de l'information développée pour rendre compte de cer-
tains problèmes liés aux télécommunications par Shannon et Weaver en 1949 a
250 I Psychologie du développement

influencé les études sur la communication verbale. C'est un modèle de transmission de


l'information relativement simple : un émetteur (source) transmet (codage) par un canal
un message à un récepteur qui doit décoder le message. Le récepteur du message peut
à son tour devenir émetteur, etc. Dans ce système toute information est codée suivant
un système binaire. Il a été utilisé en psychologie pour deux raisons.
a) Il présente une certaine analogie avec le système de codage de l'information
chez l'homme. En effet, toute source d'information perceptuelle (visuelle, auditive, tac-
tile ou gustative) est transformée au niveau des récepteurs (oeil, oreille, toucher ou
bouche) en signaux nerveux (influx nerveux) qui peuvent être assimilés à des signaux
binaires. En fonction des stimuli, les récepteurs sont activés ou non et la transmission se
fait par un canal qui est constitué par des réseaux de neurones. Ces derniers vont acti-
ver certaines zones du cerveau. Celui-ci, à son tour va répondre en envoyant des mes-
sages qui décodés vont activer une réponse motrice : un mouvement d'un membre, un
clignement de une rotation de la tête vers un signal sonore, une réponse ver-
bale, etc.
b) Dans ce schéma, l'information est quantifiée. Une information est d'autant plus
grande (quantifiable, mesurable) qu'elle est improbable. Lorsqu'il y a répétition,
l'information est déjà connue, elle est redondante donc moins importante et moins inté-
ressante. Le langage est aussi un système qui apporte de l'information que l'on peut
quantifier et qui présente aussi une certaine redondance. Dans un énoncé, le premier
mot apporte une information maximale mais les suivants dépendent des précédents et
apportent moins d'information. Dans une phrase simple commençant par l'article
défini « le », la probabilité qu'il soit suivi d'un adjectif ou d'un nom masculin est très
grande, la possibilité d'un verbe est quasi nulle ; si on ajoute le nom « chat », le mot
suivant a une forte probabilité d'être un verbe comme par exemple « boit ». Si la suite
de la phrase comprend « du lait », l'information apportée est très probable donc peu
informative par rapport à une suite beaucoup plus improbable comme « le chat boit
avec une paille un verre d'orangeade ». On peut donc, dans une certaine mesure,
quantifier l'information dans des énoncés, la mesurer et déterminer la redondance de
l'information. On constate souvent que cette redondance est nécessaire pour bien com-
prendre un énoncé. Les énoncés qui ne sont pas redondants sont beaucoup plus diffi-
ciles à comprendre, c'est le cas par exemple des énoncés mathématiques.
Cette approche du langage purement quantitative ne prend pas en compte ni le
caractère interactif de la communication verbale, ni ses dimensions sociales. D'autre
part, si l'on peut effectivement déduire une chaîne probable de mots dans un énoncé :
sujet, adjectif, verbe, complément, etc., suivant les structures grammaticales de la
phrase en français, il est beaucoup plus difficile de quantifier l'information apportée par
la signification des mots eux mêmes. C'est en partie à cause de ces limites que les appli-
cations du modèle de la théorie de l'information dans le domaine de l'apprentissage
sont restées très restreintes.
Dans le domaine de l'éthologie, les systèmes de communication chez l'animal ont
été étudiés dès le début du xxe siècle, avec les observations sur les abeilles par Von
Frisch et Lorenz sur les mammifères, les oiseaux et les poissons. Cette perspective a
conduit à la mise au point de méthodes et en particulier de techniques d'observation
aussi utilisées dans les recherches concernant l'être humain. Les travaux de Cosnier et
Développement de la communication et du langage I 251

collaborateurs (1982) illustrent cette perspective pour l'étude de la communication non


verbale chez l'homme.
Les recherches spécifiques concernant la communication chez l'enfant sont très
récentes. Elles sont liées à la question des processus de socialisation : l'intégration de
l'enfant dans sa culture passe par l'acquisition de modes de pensée et de comporte-
ments. La communication est un outil essentiel pour leur transmission d'une génération
à l'autre. Parallèlement au développement de l'enfant la communication se socialise.
Les études sont basées sur les travaux des deux grands psychologues du développement
du début du xxe siècle Piaget (1923) d'une part, et Vygotski (19975. Piaget (1923)
n'étudie pas la communication en tant que telle mais comme une voie d'accès aux pro-
cessus de pensée. En cohérence avec l'ensemble de sa théorie, ses observations mon-
trent que les enfants de moins de 7 ans (avant la décentration et avant la conservation)
transmettent des informations elliptiques et incomplètes qui ne peuvent pas être réelle-
ment comprises par leur interlocuteur. Ils monologuent autant qu'ils dialoguent, et dans
un échange entre pairs c'est l'illusion de comprendre ou d'être compris qui domine. Ce
point de vue piagétien a été « réévalué » par Flavell (1993) en travaillant sur la distinc-
tion apparence/réalité (ex. : on présente à l'enfant une éponge qui a l'apparence d'une
pierre) : des modifications qualitatives des représentations permettant d'échapper aux
pièges des apparences apparaissent déjà entre 3 et 4 ans. Dans le raisonnement piagé-
tien, la communication ne constitue qu'un élément parmi d'autres dans la trajectoire
vers la décentration cognitive (c'est la relation sujet/objet) qui est le socle du développe-
ment). La communication peut être importante comme étant à l'origine de perspectives
différentes chez un même sujet. Au sein de la perspective vygotskienne, développée par
Bruner (1983), la communication est vraiment au centre de la théorie : c'est la commu-
nication avec un interlocuteur plus expert qui permet à l'enfant d'acquérir de nouvelles
connaissances et capacités. La médiation exercée par l'expert (qui stimule, montre,
aide, etc.) entre le sujet et l'objet est déterminante pour le développement de l'enfant.
La communication est alors un outil majeur de socialisation et d'acquisition (cf. pour
des positions similaires Doise et Mugny, 1985 ; Winnykamen, 1990). Ce point de vue
soulignant l'ancrage social du développement a donné lieu à un ensemble d'études
récentes mettant l'accent sur les usages sociaux du langage (cf. Bernicot, Trognon, Gui-
detti et Musiol, 2002).
Les progrès techniques, à partir des années 1970, ont permis l'éclosion de recher-
ches centrées sur la communication. L'utilisation de magnétophones, de films, de vidéos
puis de vidéos couplées à des ordinateurs a permis de développer de nouveaux paradig-
mes (Beaudichon, 1982) : situations-problèmes où les possibilités d'interaction sont
absentes ou gênées versus situations aussi naturelles que possibles. Par exemple, on uti-
lise un circuit de télévision relié à un magnétoscope pour analyser les communications
avec des dyades d'enfants qui ne se connaissent pas. Les enfants âgés de 3 ans 6 mois à
5 ans 6 mois sont mis en situation de jeux libres. Plusieurs indices verbaux et non ver-
baux sont utilisés pour évaluer leurs capacités de communication. L'auteur montre que
ces capacités se mettent en place avant l'âge de 4 ans.

1. Les travaux de Vygotski ont été réalisés entre 1925 et 1934.


252 I Psychologie du développement

L'histoire des études scientifiques concernant le langage et la communication chez


l'enfant est à la fois très courte (une centaine d'années) et déjà très riche. Les progrès
théoriques, technologiques et méthodologiques réalisés pendant cette courte période
vont permettre de faire évoluer l'objet des recherches d'unités microscopiques (la syl-
labe ou le mot) vers des unités plus larges (la phrase, le tour de parole, le discours) et de
développer des conceptions intégrées prenant en compte à la fois les aspects structuraux
et sociaux du langage et de la communication. Les études ethnographiques, existant
depuis les années 1930, s'insèrent parfaitement dans ce courant intellectuel : elles
ouvrent une perspective nouvelle sur l'approche des sociétés humaines et relativisent
nos certitudes sur l'apprentissage des comportements humains. Pour la question de la
socialisation et du langage dans différentes cultures les travaux de Rabain (1979) et
Schieffelin et Ochs (1986) sont fondateurs.

B LES MÉTHODES DE RECHERCHE


-

Les méthodes d'investigation dans l'étude du développement du langage et de la


communication sont multiples et variées. Elles permettent d'appréhender la perception,
la compréhension et la production du langage. Elles varient en fonction de l'âge des
enfants : on n'utilise pas les mêmes techniques pour étudier la perception des phonèmes
chez le bébé de quelques mois et la production langagière d'un enfant de 8 ans.
Sans prétendre être exhaustif, nous présenterons quelques méthodes d'investiga-
tion parmi les plus significatives et caractéristiques de chaque période de développe-
ment. En fonction des questions scientifiques à résoudre, on utilise soit des méthodes
d'observation dans des situations naturelles ou quasi naturelles (dans les familles, à la
crèche, à l'école), soit des méthodes expérimentales en laboratoire lorsqu'un matériel
particulier ou des conditions spécifiques de recueil des données sont nécessaires.

- Caractéristiques communes des méthodes


pour l'étude du langage et de la communication

Classiquement dans les études développementa les, on distingue la méthode longi-


tudinale et la méthode transversale (voir chap. 3). 11 en est de même pour les études
consacrées au langage et à la communication.
Avec la méthode longitudinale, un groupe d'enfants est suivi au cours de son déve-
loppement pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. On dispose ainsi du dévelop-
pement particulier de chaque enfant. Cependant, cette méthode est très lourde et très
longue à mettre en oeuvre. Certains chercheurs (Piaget, 1923 ; Halliday, 1975) ont ainsi
suivi le développement de leurs propres enfants pendant plusieurs années. Brown (1973)
a étudié (entre 16 et 44 mois) le développement du langage chez trois enfants de langue
Développement de la communication et du langage I 253

anglaise : les enregistrements des productions langagières des enfants se déroulaient à


leur domicile une fois par mois. Ils étaient ensuite analysés suivant des critères précis :
morphologie, syntaxe et lexique. Dans le domaine de la communication, on a appliqué
une technique d'analyse des conduites à l'aide d'un circuit de télévision fermé avec trois
enfants, pendant onze mois à raison de deux séquences d'une demi-heure.
On préfère souvent la méthode transversale qui consiste à comparer des groupes
d'enfants d'âges différents. Il est alors nécessaire de disposer de groupes d'enfants
homogènes que l'on peut sélectionner sur des critères précis comme l'âge, le genre, le
milieu social, etc. Cette méthode permet un recueil de données rapide avec un nombre
important d'enfants. Cependant, elle ne permet pas de mettre en évidence les courbes
individuelles de développement.

Il - Caractéristiques des méthodes pour l'étude du langage

On distingue les méthodes qui permettent d'étudier la compréhension de celles qui


concernent la production verbale.
La compréhension chez l'enfant : à la suite d'un stimulus oral, on demande à
l'enfant de produire une réponse comportementale ou orale. Cette réponse est notée sur
une grille de dépouillement adaptée ou enregistrée avec différents moyens techniques
(magnétophone, caméscope ou ordinateur). On peut aussi enregistrer le délai de cette
réponse par rapport à la présentation du stimulus dans le but d'inférer les différentes éta-
pes cognitives nécessaires pour parvenir à la réponse. Notons que ces méthodes chrono-
métriques sont peu utilisées chez l'enfant, car les temps recueillis sont sujets à une très
forte variabilité. Les épreuves de compréhension peuvent être suivies d'un volet métalin-
guistique ou métapragmatique où l'on demande à l'enfant de réfléchir sur la tâche qui lui
a été proposée et d'expliquer sa réponse (Gombert, 1990 ; Bernicot, 1992).
La production chez l'enfant : en situations naturelles ou suite à une consigne, les
productions langagières de l'enfant sont enregistrées. Ces enregistrements sont transcrits
puis codés selon des règles qui dépendent des questions scientifiques posées par les
chercheurs.
Les méthodes utilisées varient en fonction de l'âge des enfants. Pendant la période
de la petite enfance (avant l'âge de 2 ans lorsque 1' « infans »' ne parle pas), les cher-
cheurs sont contraints d'utiliser des méthodes indirectes pour évaluer les capacités de
perception du langage. En particulier, au cours de la première année de vie, on utilise,
chez le bébé, la méthode de l'habituation pour déterminer dans quelle mesure il est
capable de distinguer les sons de sa langue maternelle. Le principe consiste à présenter
au bébé une stimulation auditive répétitive, une même syllabe, par exemple « ba ». Le
bébé est installé avec une tétine reliée à un dispositif qui permet d'enregistrer le
nombre de succions (non nutritive). Le rythme de succion est un indice de l'état physio-

1. D'un point de vue étymologique « infans » désigne d'abord celui qui ne parle pas (in, privatif et fan;
parler).
254 I Psychologie du développement

logique. Lorsque ce rythme se stabilise, on considère que le bébé est habitué au son
produit, on change alors de syllabe en présentant un nouveau son (par exemple « ga »)
et on note la variation du rythme de succion après la présentation de ce nouveau sti-
mulus. Si l'enfant réagit par une succion plus rapide, on considère alors qu'il est
capable de distinguer le nouveau son du précédent. Les expériences ont été réalisées
avec des groupes de phonèmes différents de façon à comprendre quelles oppositions de
phonèmes l'enfant est capable de distinguer. Avec le même principe de base, il existe
des variantes de cette méthode qui utilisent d'autres indices physiologiques comme la
durée de fixation visuelle (des caméras enregistrent la direction du regard de l'enfant)
(cf. Kail et Bassano (2000) ; et Laval (2002) pour une présentation des paradigmes de
rotation de la tête, de préférence visuelle et de réaction à la nouveauté ; cf. Houdé et
Meljac (2000) pour le paradigme de transgression des attentes).
Chez les très jeunes enfants (8 mois - 3 ans), le développement précoce de la pro-
duction fait aussi l'objet d'une méthode indirecte spécifique : un questionnaire adressé
aux parents à propos du langage de leur enfant. Cet instrument mis au point par des
chercheurs américains est connu sous le nom de « Mac Arthur Communicative Deve-
lopment Inventories » ou CDI (Fenson, Dale, Reznick, Thal, Bates, Hartung, Pethick et
Reilly, 1993). Il est composé de deux questionnaires standardisés. Le premier évalue les
premières étapes du développement du langage : compréhension, habiletés gestuelles
communicatives pour les enfants entre 8 et 16 mois. Le second questionnaire évalue la
production des mots et l'émergence de la grammaire pour les enfants de 16 à 30 mois.
Le CDI est actuellement adapté dans 35 langues dont le français (Kern, 1998, 2003). Au
total, il a été étalonné sur plusieurs dizaines de milliers d'enfants, ce qui confère à cet
instrument une très bonne validité.
À partir de l'âge de 12 mois : les premières productions linguistiques sont aussi
étudiées de façon directe.
De façon pionnière, pour mesurer le développement syntaxique, Brown (1973) a
introduit une mesure connue sous le nom de longueur moyenne des énoncés (Mean
Length Utterance) ou MLU. Cette mesure est basée sur le nombre de morphèmes (plus
petite unité grammaticale porteuse de signification) composant la production des
enfants à un âge donné, et donne une indication de la compétence syntaxique de
l'enfant. Cette mesure varie avec le développement, du stade I où la MLU est comprise
entre 1 et 2, jusqu'au stade V ou la MLU varie de 3,5 à 4. Au-delà, cette mesure cesse
de constituer un indicateur satisfaisant de la compétence syntaxique. L'âge d'atteinte du
stade V est variable d'un enfant à l'autre (entre 2 et 4 ans).
Pour étudier les productions naturelles chez les enfants un autre chercheur améri-
cain Mac Whinney (1991, 2003) a mis au point un système informatisé destiné à gérer
la transcription, le codage et l'analyse des données, connu sous le nom de CHILDES
(Child Language Data Exchange System). Ce système est composé de trois modules qui
fournissent : 1 / les instructions pour gérer la transcription des données ; 2 / les instruc-
tions pour faire l'analyse automatique des transcriptions ; 3 / des données en différentes
langues. L'accès aux corpora (ensembles de productions linguistiques) est libre : la base
de données fonctionne sur le principe du partage de données entre chercheurs. La base
qui s'accroît progressivement est alimentée par les chercheurs qui acceptent d'y déposer
les corpora qu'ils ont recueillis. Ce principe permet de disposer d'un ensemble impor-
Développement de la communication et du langage I 255

tant de corpora standardisés à partir desquels on peut vérifier de nouvelles hypothèses


concernant le développement du langage. CHILDES permet le calcul de tous les indices
classiques utilisés pour les analyses linguistiques : longueurs moyennes des énoncés,
nombre total de mots (tokens), nombre de mots racines (types), richesse du vocabulaire,
occurrence des différents mots, nombre de tours de parole, etc. Le système CHILDES
permet d'analyser le langage des très jeunes enfants comme celui des adultes.
À partir de l'âge de 3 ans : les tests standardisés et les tâches expérimentales.
Les tests standardisés — Dans la lignée des travaux de Binet au début du xxe siècle,
de nombreux tests mentaux standardisés ont été créés. La plupart d'entre eux compren-
nent des items verbaux qui permettent d'évaluer le niveau de production ou de compré-
hension du langage. On peut citer en particulier le wisc (Wechsler Intelligence Scale for
Children, Wechsler, 1991, 1996) et le K-ABC (Kaufman et Kaufman, 1993). Il existe aussi
des tests standardisés uniquement focalisés sur l'évaluation du langage : ils permettent
d'évaluer la production et la compréhension et tous les aspects du langage (phonologie,
morphosyntaxe, sémantique/lexique et pragmatique) (pour une présentation et une syn-
thèse, cf. Chevrie-Muller et Narbona, 1996). On peut souligner l'intérêt d'une Épreuve
de compréhension Syntaxico-sEmantique : l'ECossE (Lecocq, 1996). Ce test comporte
trois parties : une épreuve de vocabulaire, une épreuve de compréhension et une de véri-
fication de vocabulaire. Il correspond à l'adaptation française d'une épreuve anglaise :
TROG (Test for Reception of Grammar) très utilisée dans la littérature internationale.
Notons que Piérart (2005) a présenté un ensemble d'instruments d'évaluation (destinés
au diagnostic) basés sur des recherches récentes : l'ouvrage concerne tous les aspects du
langage et comprend une réflexion méthodologique concernant la construction des ins-
truments et leur adaptation dans des langues différentes.
Les tâches expérimentales : les chercheurs ont inventé un grand nombre de
tâches expérimentales impliquant des poupées et des jouets (petites voitures, des ani-
maux en plastique, ferme, cirque, cow-boys, etc.). Ce type de matériel permet de
« simuler » des situations réelles. On demande par exemple aux enfants de dire si
l'organisation des jouets présentée correspond ou ne correspond pas à une phrase pro-
noncée (ex. : le chien est devant la voiture rouge et derrière le camion). Ils peuvent
aussi mimer des actions (ex. : la fille est embrassée par le garçon). Les aspects structu-
raux du langage (voix passive, relatives en « qui » et en « que » ou prépositions spatia-
les) ont souvent été étudiés avec ce type de tâches. Des épreuves de complètement
d'histoires permettent d'évaluer la compréhension des actes de langage (demandes et
promesses) : les enfants doivent compléter une « histoire » présentée sous forme de
bande dessinée en choisissant la fin parmi deux ou trois images (cf. Laval, 2004).
Depuis quelques années, de nouveaux paradigmes utilisant l'ordinateur ont conduit à la
fois à une meilleure standardisation des passations et à une meilleure simulation des
situations réelles. Le matériel verbal et/ou imagé comprenant des personnages interac-
tifs est présenté sur un écran d'ordinateur, pour répondre l'enfant utilise soit le clavier,
soit donne directement une réponse verbale qui est enregistrée (cf. Laval et Chami-
naud, 2005).
Les méthodes présentées ci-dessus utilisent des variables dépendantes comporte-
mentales ou verbales. On doit y ajouter les techniques de plus en plus utilisées qui per-
mettent d'enregistrer l'activité cérébrale lors du traitement du langage (Potentiels évo-
256 I Psychologie du développement

qués pour le décours temporel de l'activité électrique cérébrale ou imagerie cérébrale


fonctionnelle - nue pour déterminer avec précision les zones cérébrales activées).
L'électroencéphalogramme permet d'enregistrer l'activité électrique du cortex cérébral.
Cette méthode n'est pas agressive et tout à fait indolore. Des électrodes sont disposées
sur un casque positionné sur la tête du participant. Des différences de potentiel de quel-
ques microvolts sont mesurées entre des paires d'électrodes données. Cette technique a
été utilisée pour étudier le fonctionnement d'enfants bilingues. L'imagerie cérébrale
fonctionnelle - iRmf est réalisée grâce à la tomographie par émission de positrons (TEP)
qui apporte des images du cerveau en activité. Cette méthode est invasive, car
l'injection d'une solution radioactive dans la circulation sanguine est nécessaire (elle
doit donc être appliquée avec un respect strict des règles d'éthique en vigueur). Il y a
émission de positrons partout où circule le sang. On détermine l'activité des différentes
parties du cerveau en fonction de la modulation du débit sanguin cérébral. La tomo-
graphie par émission de positrons (TEP) a surtout été appliquée chez l'adulte pour déter-
miner les aires impliquées dans les différentes activités linguistiques (production, com-
préhension, syntaxe, lexique) et dans le cadre d'études concernant le bilinguisme et la
langue des signes chez des personnes sourdes.

III - Caractéristiques des méthodes d'étude de la communication

Pour étudier la communication, on utilise toutes les méthodes précédentes en


s'intéressant en plus à des indices verbaux et non verbaux qui définissent une commu-
nication efficace ou qui permettent de repérer une communication qui échoue.
Dans la petite enfance, on considère essentiellement des comportements sui-
vants dont on fournit une liste non exhaustive ci-dessous (cf. Marcos, 1998) :
les gestes : comme pointer vers un objet, attraper, laisser tomber, déplacer, etc. ;
le regard : tourner le regard vers une personne, un objet, un animal, un bruit, ou
au contraire détourner la tête, capter l'intérêt d'une personne, d'un autre enfant,
regarder la même chose ou regarder dans la même direction que son interlocu-
teur, etc. ;
les expressions faciales : la colère, les sourires, les pleurs, la peur, l'étonnement, etc. ;
les déplacements : aller vers une personne, un objet, etc. ;
les conduites d'imitation : dire bonjour, au revoir, imiter l'action d'un autre
enfant, etc. ;
l'interaction avec l'autre : qui peut être un enfant, un parent, un inconnu ; l'enfant
peut accepter, rejeter ou être indifférent à l'échange qui lui est proposé ;
les jeux avec des objets : avec un adulte ou un autre enfant ; ils peuvent donner lieu
à des interactions collaboratives (ex. : donner, échanger) ou compétitives (ex. :
prendre de force).

Avec des enfants plus âgés (après 3 ans), d'autres paradigmes sont utilisés : deux
illustrations sont présentées ci-dessous.
Développement de la communication et du langage I 257

L'imitation — Le paradigme mis au point par Nadel (1986) est destiné à montrer
que, pendant la troisième année, le contact social avec un pair peut s'organiser et se
structurer selon un mode de communication basé sur l'imitation immédiate. Seize
enfants sont placés dans un espace expérimental comprenant dix jouets en deux
exemplaires (parapluies, chapeaux, lunettes, etc.). Le lendemain, l'espace expéri-
mental comprend vingt jouets en un seul exemplaire. Les séances sont filmées. Le
relevé individuel des données indique la durée du port et le moment de l'abandon de
chaque objet, l'orientation des comportements, le type d'activité engagée avec le par-
tenaire, les émissions vocales et verbales et les émissions émotionnelles. L'imitation
immédiate est mesurée par la fréquence et la durée des ports simultanés d'objets
identiques.
La communication référentielle : le principe de ces expériences (Beaudichon, 1982,
1999) consiste à faire communiquer verbalement des couples d'enfants afin de réaliser
un objet complexe (puzzle en bois en trois dimensions). Un des membres du couple est
préalablement entraîné à construire cet objet qui se compose de plusieurs parties qu'il
faut imbriquer les unes dans les autres. Lorsque l'apprentissage est terminé, il doit
transmettre son savoir au deuxième membre de la paire. Les deux enfants sont séparés
par un écran. Le premier doit donc communiquer verbalement avec le second pour
qu'il puisse réaliser la construction. Chaque point critique de la construction est défini
verbalement. On peut donc déterminer la quantité d'information requise pour cons-
truire entièrement l'objet. On peut définir la précision des termes, l'adaptation du dis-
cours à l'interlocuteur qui doit construire l'objet.
Le langage et la communication chez l'enfant sont étudiés avec des méthodes très
variées qui impliquent, en laboratoire comme sur le terrain, une part d'aspects techno-
logiques de plus en plus importante pour le recueil, la transcription, le codage des don-
nées. Le choix des méthodes, dont aucune n'est meilleure que l'autre intrinsèquement,
est guidé par les questions scientifiques.

C - LES ÉTAPES DU DÉVELOPPEMENT


DE LA COMMUNICATION ET DU LANGAGE

Nous présentons un tableau du développement pour les quatre niveaux d'analyse


du langage : phonologique, morphosyntaxique, sémantique et pragmatique. D'une
façon générale il existe un décalage de quelques mois (quatre à cinq mois) entre la com-
préhension et la production du langage. Les enfants comprennent avant de pouvoir
produire des mots, ce décalage a été mis en évidence par les recherches menées par
Bates et son équipe (Bates, Benigni, Bretherton, Camaioni et Voltera, 1979). Nous
commençons dans l'ordre chronologique par la petite enfance, période particulière où
la communication non verbale domine.
258 I Psychologie du développement

I - La communication pendant la petite enfance (0-1 an)

Avant la naissance, les systèmes sensoriels et le cerveau du foetus sont déjà sensi-
bles au monde extérieur. Après la naissance, au cours des premiers mois, le bébé déve-
loppe rapidement des capacités qui permettent une interaction avec l'environnement
social (dans la plupart des cas, en premier lieu avec la mère'). Ainsi, on a pu montré en
utilisant la méthode de succion non nutritive, que les nouveau-nés sont plus réceptifs à
la voix de leur mère qu'aux autres voix étrangères. Ils sont également plus réceptifs aux
sons de leur langue qu'aux sons d'une autre langue (Mehler, Lambertz, Jusczyck, et
Amiel-Tison, 1986 ; Nazzi, Bertoncini, et Mehler, 1998).
Dès les premiers instants de la vie, s'instaure une communication entre la mère et
l'enfant ; cette communication passe par le canal vocal mais aussi par le regard et le
toucher. L'enfant même s'il est, biologiquement, totalement dépendant de l'adulte joue
un rôle actif dans la construction du circuit de communication. Ce sont les cris, les
pleurs ou les gestes du bébé qui alertent la mère à propos des besoins de l'enfant et
l'amènent à y répondre de façon de plus en plus appropriée.
La mère interagit avec son bébé Gosse et Robin, 1981) avec des gestes et des voca-
lisations comme s'il s'agissait d'une véritable conversation. La mère utilise « le parler
bébé » dans lequel les traits prosodiques (relatifs à la prononciation et à l'accentuation
des mots) de la parole sont accentués avec des variations plus marquées que dans le
langage normal. C'est l'intonation de la voix plus que les mots eux-mêmes qui tentent
de faire passer un message. C'est la première manifestation du Langage adressé à
l'enfant (LAE) dont le rôle quant à la facilitation de l'acquisition du langage par l'enfant
est discuté (Veneziano, 2000). La mère communique aussi avec le regard en fixant le
bébé dans les yeux ou en dirigeant son regard dans la même direction que celui de
l'enfant. Le bébé utilise aussi le regard ainsi que les gestes avec les mains et notamment
le geste de pointage vers un objet extérieur et cela dès 2 mois ; ce geste ne devient
intentionnel qu'à partir de 1 an. Il s'instaure un code commun entre la mère et l'enfant
où la communication est réalisée à travers un système de gestes et de vocalisations
(nommées aussi gazouillis, babil, vocalises ou lallations). Ce code prélinguistique qui
permet les premiers échanges partage certaines caractéristiques fonctionnelles (attirer
l'attention, exprimer une émotion, faire faire à l'autre, etc.) avec le code linguistique
utilisé ultérieurement (Marcos, 1998).
C'est vers 6 mois que les enfants deviennent plus attentifs aux objets du monde
extérieur, et vers 9-12 mois que l'enfant commence à utiliser le geste de pointer pour
attirer l'attention de l'adulte sur un objet. Ce geste peut être accompagné d'un regard
en direction de l'adulte. À cet âge, les enfants montrent un intérêt visuel et une volonté
de manipulation pour les objets. Cet intérêt se double bien souvent par des vocalisa-
tions. Les mères qui encouragent la manipulation des objets et les nomment avec une
attention particulière facilitent l'acquisition linguistique ultérieure. Cette attitude est

1. La littérature anglo-saxonne utilise le terme général de caregieer (« celui qui donne les soins » ).
Développement de la communication et du langage I 259

encore plus efficace si l'enfant lui-même est à l'origine de l'intérêt initial pour l'objet.
On appelle « attention conjointe » (Bruner, 1983) le fait que la mère et l'enfant focali-
sent leur attention sur le même objet, le même aspect du monde extérieur. On consi-
dère qu'elle joue un rôle fondamental dans le développement de la communication pré-
linguistique et linguistique.
À partir des propositions de Vygotski, Bruner (1983) a montré comment la commu-
nication se développe dans des situations structurées entre la mère et le jeune enfant. Il a
développé le concept de format d'interaction défini comme la structure de base d'un
échange social prototypique. Il s'agit souvent de jeux (de type routines) avec l'enfant (le
jeu de « coucou », « jouer au cheval » sur les genoux, « dire au revoir », etc.) au cours
desquels l'enfant interagit avec des gestes, des regards, des sourires, des mimiques et des
vocalisations. Une des caractéristiques du format est sa répétition : c'est-à-dire
l'occurrence fréquente de la même structure de base d'un échange donné (par exemple,
4 à 5 fois dans un temps très court). Il est important de considérer qu'un format, rudi-
mentaire au départ, s'enrichit ensuite d'éléments nouveaux. Les formats sont intégrés en
tant que sous-routines dans des routines plus larges. La structure du dialogue peut égale-
ment constituer un format (Deleau, 1990), par exemple à partir d'un livre d'images où
l'enfant et la mère vont successivement interagir devant les dessins et où l'enfant va peu à
peu apprendre à reconnaître les images et les dénommer avec l'aide de la mère.
À la fin de la première année, l'enfant est capable d'exprimer ses intentions com-
municatives à travers un système de gestes et de vocalisations au sein d'échanges com-
municatifs structurés avec un partenaire adulte. C'est le socle indispensable pour ses
relations interpersonnelles futures et pour l'acquisition du langage.

Il - Le développement phonologique : l'apprentissage des sons


et des patterns de sons (vers les premiers mots)

Les phonèmes sont les éléments de la parole les plus petits qui contribuent à la
signification des mots. Il est important de noter que les phonèmes ne sont pas exacte-
ment la même chose que les lettres de l'alphabet. Par exemple si le mot « bébé » se
décompose en quatre phonèmes /b/ /e/ /b/ /e/, le mot chat se décompose en deux
phonèmes notés /f/ /a/.
L'alphabet phonétique du français contient 36 phonèmes (17 consonnes, 16 voyel-
les, 3 semi-consonnes) (cf. tableau 6.1). Les phonèmes se composent en syllabes :
groupe de consonnes et de voyelles. La plus petite unité de signification dans le langage
est le morphème qui peut être composé de une ou de plusieurs syllabes (pour plus de
détails voir Martinet, 1960).
La mise en évidence de la reconnaissance par le bébé des phonèmes est réalisée
avec la méthode de succion non nutritive. Eimas, Siqueland, Jusczyk et Vigorito (1971)
ont montré que des enfants âgés de 1 mois sont capables de percevoir la distinction
entre les sons /b/ et /p/ dans les syllabes /ba/ et /pa/. Les bébés ont des capacités
très importantes pour discriminer les sons de toutes les langues existantes, mais
260 I Psychologie du développement

TABLEAU 6.1. — Les phonèmes de la langue française

Voyelles orales Consonnes Voyelles nasales

[i] chimie [p] pain [É] matin


cygne plein
île bien
timbre
pain
[e] jouer [t] net [à] quand
nez thé vent
été toute champ
temps
[r] aimer [k] corps [5] bon
pleine kilo comble
complet qui
tête accord
modèle cinq
noël
[a] mal [b] beau [ce] lundi
femme parfum
[a] bas [d] doux
mâle
alors [g] figue Semi-consonnes
donner agrégat
[o] mot [s] samedi pied
eau scène yeux
gauche celui travail
tôt ça paille
garçon
nation
[u] tout [f] faire [w] oui
physique sandwich
[y] étude [J] poche [1-1] huile

[0] peu [v] ville
wagon
[ce] peur [z] rose
soeur zéro
maison
[5] petit [3] jeune
gifler
léger
[I] nouvel
[R] rue
[m] mère
[n] nouveau
automne
[p] montagne
Développement de la communication et du langage I 261

l'exposition progressive à leur propre langue fait disparaître peu à peu cette capacité au
profit des contrastes particuliers de leur langue maternelle. L'enfant devient de plus en
plus sensible à l'écoute de son propre nom.
Jusqu'à 6 mois, l'enfant produit une gamme de phonèmes qui dépasse largement
celle de sa langue maternelle. Puis, à partir de cet âge, ses productions vocales com-
mencent à se rapprocher de cette langue (Boysson-Bardies, 1996). La production de syl-
labes simples constituées d'une consonne et d'une voyelle comme « pa », « ba », « ma »,
répétées plusieurs fois (vocalisations), se produit entre 6 et 9 mois ; cependant, il ne
s'agit pas encore de la production de mots.
L'âge de la production des premiers mots est variable : il se situe généralement
entre 9 et 11 mois environ. La caractéristique de cette période de développement est la
production de mots isolés comme par exemple « marna », « papa », « a'voir » (pour au
revoir), « pati » (pour parti), constitués de deux syllabes simples. On a longtemps consi-
déré que l'enfant commençait par nommer des objets concrets animés ou inanimés.
Cependant, d'après les observations de Bloom (1973), ces noms joueraient un rôle rela-
tivement mineur dans une première phase. À 16 mois ce sont plutôt des prépositions,
négations, adverbes et verbes qui sont employés. Bloom (1973) a également montré
l'importance des noms de personne pendant cette même période. Dans un premier
temps, les enfants les utilisent pour nommer quelqu'un qui entre en scène, pour saluer
quelqu'un, et pour l'appeler. Puis il les utilise pour désigner des objets appartenant à la
personne nommée. Enfin, on note l'utilisation des noms de personne pour nommer
l'agent d'une action prévue et imminente. Pour Nelson (1973) (ce résultat n'a pas tou-
jours été confirmé), les enfants ne parleraient pas tous pour dire la même chose. Chez
certains enfants, les énoncés sont plutôt référentiels, c'est-à-dire orientés vers les objets ;
chez d'autres, au contraire ces premiers énoncés sont plutôt expressifs, c'est-à-dire
orientés vers la communication : demande, refus, appel, etc. D'autres travaux réalisés
en langue anglaise, espagnole ou française vont dans le même sens en soulignant la pré-
sence des bruits et des sons d'animaux, les jouets, les parties du corps ou la nourriture
que l'enfant manipule, les noms de personnes et les jeux et routines.
D'une façon générale, ces mots isolés produits sont interprétés par son entourage
familial comme ayant des significations relativement complexes comparables à celles
d'une phrase. Cette période de production des premiers mots est appelée holophras-
tique. Notons que leur prononciation est souvent simplifiée et peut varier d'une occur-
rence à la suivante et que la première syllabe des mots multisyllabiques est souvent
omise ou simplifiée, ainsi pour dire gâteau l'enfant va prononcer « tato », « ato » ou
« kato »... Théoriquement, ces premiers mots des enfants ont une signification indéter-
minée ou ambiguë : en effet, en produisant « papa » l'enfant peut vouloir dire : « voilà
papa », « papa, viens m'aider », « papa a un nouveau pull », etc. Dans la pratique, ces
énoncés sont cependant interprétés sans problème à partir de la situation de communi-
cation et permettent des interactions satisfaisantes entre l'enfant et son entourage. Les
premières productions de l'enfant ne prennent donc leur sens que par l'interprétation
qu'en font les adultes. Ce phénomène est pleinement pris en compte par la perspective
interactionniste proposée par Vygotski (1997) et Bruner (1983, 1991).
Le tableau 6.2 donne un exemple de dialogue illustrant la réalité des productions
des jeunes enfants.
262 I Psychologie du développement

III - Le développement de la morphologie et de la syntaxe :


apprendre à mettre les mots ensemble

La production des premiers mots s'accroît d'abord lentement et s'accélère au cours


de la seconde année. Nelson (1973, 1975) a suivi la croissance du vocabulaire de
18 enfants (anglophones) et montré que ceux-ci produisaient en moyenne : 10 mots à
l'âge de 15 mois, 50 mots à l'âge de 20 mois et possédaient un vocabulaire de près de
200 mots vers 24 mois. Les données recueillies à partir de questionnaires adressés aux
parents (MacArthur Communicative Development Inventories — cm) fournissent des
estimations comparables mais un peu plus élevées. Le développement du vocabulaire
varie d'un enfant à l'autre et ne se déroule pas d'une manière linéaire : il existe des
accélérations notamment à partir de 18-20 mois. On note, à partir de cet âge, une
brusque prise de conscience de la capacité à nommer les objets et à pouvoir les catégo-
riser. L'enfant peut apprendre plusieurs mots par jour.
Dès que plusieurs mots peuvent être combinés au sein d'un même énoncé se pose
le problème de leur organisation selon la fonction, c'est-à-dire le problème de la
syntaxe. En français, en anglais, mais aussi dans de nombreuses autres langues il est
important d'ordonner correctement les énoncés de façon à assurer le succès de la com-
munication. À partir de 2 ans, l'enfant produit des énoncés de deux mots que l'on a
qualifiés de « langage télégraphique » : ils sont essentiellement composés d'un nom et
d'un verbe ou de deux noms, en l'absence de mots de fonction (adverbe, préposition,
conjonction) (cf. tableau 6.2).

TABLEAU 6.2. Exemple de productions d'enfant


et de dialogue adulte-enfant présentés par Kern (2005).
Dialogue entre Emma à l'âge de 2 ans et sa mère
(à propos de l'histoire de Blanche-Neige)

Mère Ça c'est quoi dis-nous ?


Enfant Sosère (sorcière)
Mère Ah la sorcière...
Enfant E ti sa ? (c'est qui ça ?)
Mère Bah c'est quoi ça ?
Enfant Le pop (la pomme)
Mère Et après...
Enfant A chou (grincheux)
Mère Oui c'est grincheux. Et là qu'est-ce qu'elle fait la sorcière
Enfant E ton (elle tombe)
Mère Et là, oh !
Enfant E dodo (elle dort)
Mère Eh oui elle dort. Qui c'est qui fait dodo ?
Enfant Groka ? (pourquoi ?)
Mère Pourquoi c'est Blanche-Neige qui fait dodo, pourquoi elle fait dodo ?
Enfant E zeu (grincheux)
Mère Oui grincheux
Enfant I peur (il pleurt)
Mère Il pleurt
Développement de la communication et du langage I 263

Enfant Mh...
Mère Et qu'est-ce qui y a autour d'eux ? Qui c'est ça ?
Enfant Tateu (une tortue)
Mère Une tortue, et là?
Enfant Kouga ? (pourquoi ?)
Mère Et là?
Enfant Quoi ?
Mère Qu'est-ce que c'est là comme animal ?
Enfant Le poul (la poule)
Mère Ah bon ?
Enfant Non
Mère Et là qui c'est là?
Enfant Pince (prince)
Mère Il lui fait un bisou
Enfant Mh... E nain (le nain). E le na o (il est là-haut)
Mère Les nains là-haut, oui là-haut

On définit ce stade de la production de l'enfant par une grammaire que l'on


appelle « grammaire pivot » mise en évidence par Braine (1963). Dans cette gram-
maire, on distingue deux classes de mots : la classe pivot (P) et la classe ouverte (0). Les
énoncés peuvent prendre deux formes : P + O ou O + P ; chaque enfant privilégie
l'une des deux formes (cf. Oléron, 1976 ; Hurtig et Rondal, 1981 ; Berko-Gleason,
2001). Le tableau 6.3 présente quelques exemples de production de cette grammaire
en langue française et anglaise.

TABLEAU 6.3. Exemples de production


au stade de la grammaire pivot en langue française et anglaise

P+ 0 Mot pivot Mot ouvert

Français encore banane


Français encore manger
Anglais Bye-bye Calico
Anglais Bye-bye car
Anglais Mommy bear
Anglais Mommy do
O+P Mot ouvert Mot pivot
Français auto ama (à moi)
Français ballon ama (à moi)
Anglais outside more
Anglais no more
Français auto broum-broum
Français moto broum-broum
Français camion broum-broum

Pour les énoncés composés de deux noms, l'un des noms sert de verbe ou tout à la
fois de nom et de verbe, comme « maman lait » pour dire « maman je veux du lait ».
Les mots de la classe pivot sont moins nombreux que ceux de la classe ouverte. La
264 I Psychologie du développement

grammaire pivot est une réponse originale au problème de l'ordre des mots dans la
mesure où elle est fondée sur des règles qui n'existent pas dans la grammaire adulte. Le
mot pivot et le mot ouvert entretiennent différentes catégories de relations sémantiques
importantes comme l'existence, la disparition, l'attribution, la localisation, etc. Cette
association de deux mots est universelle, on la retrouve chez tous les enfants dans toutes
les cultures et toutes les langues. Cependant, cette grammaire bien que fonctionnelle est
une impasse : elle est rapidement abandonnée par l'enfant, car elle ne correspond pas
aux règles syntaxiques de la langue adulte.
Pendant cette période, la mesure du développement syntaxique est basée sur la
longueur moyenne des énoncés (Mean Length Utterance, mi.u) proposée par Brown
(1973). Le calcul est réalisé en morphèmes à partir d'au moins une centaine de produc-
tions et selon des règles très précises. L'évolution de la MLU est variable d'un enfant à
l'autre : elle atteint une valeur de 3,5 à 4 entre 2 et 4 ans.
L'enfant à partir de 2 ans et demi commence à combiner les mots pour former des
phrases suivant un ordre qui correspond à la grammaire de sa langue maternelle. La
phrase est définie canoniquement comme un énoncé de plus de deux mots contenant
ce que l'on appelle un syntagme nominal (sN), correspondant au groupe du nom et un
syntagme verbal (sv) correspondant au groupe du verbe. Le syntagme nominal peut se
décomposer en article + nom, article + nom + adjectif, etc. Le syntagme verbal se
décomposer en verbe + syntagme nominal, etc. « La diva chante faux » ou « les dino-
saures mangent souvent » constituent des exemples de phrases construites selon le
schéma canonique.
Le schéma (sN) + (sv) peut se complexifier avec la prise en compte des temps et
des modes des verbes, de la négation, de la passivation, de l'interrogation, des articles,
des adjectifs, des pronoms, adverbes, prépositions, etc. La forme classique de la phrase
en français correspond à ce qu'on appelle l'ordre sujet + verbe + objet (svo) qui est
aussi celui de l'agent, action, objet. La fonction syntaxique de sujet correspond au rôle
sémantique de l'agent (actant) suivi de l'action désignée par le verbe pratiquée par
l'actant sur l'objet (patient). Il y a donc correspondance entre la forme syntaxique de la
phrase, tout au moins dans ces phrases canoniques, et sa valeur sémantique. Mais cette
structure (svo) n'est pas universelle. D'autres langues utilisent des ordres différents
(Greenberg, 1963). Le japonais par exemple utilise l'ordre (sov), l'arabe l'ordre (vso).
Par contre, on ne trouve jamais l'ordre (osv) ou (ovs). 44 % des langues préfere
l'ordre (sov), 35 % l'ordre (svo), 19 % l'ordre (vso) et 2 % pour l'ordre (vos). Le sujet
précède l'objet dans 79 % des cas. Dans certaines langues, comme le serbo-croate et le
turc, plusieurs ordres des mots dans la phrase sont possibles.
L'apprentissage par l'enfant de la grammaire évolue rapidement avec la prise en
compte des différents éléments de la phrase (cf. Hurtig et Rondal, 1981). Pour le syntagme
nominal, il faut considérer : le nom, les pronoms, les articles, les adjectifs, les prépositions
et les adverbes. Pour le syntagme verbal, on prend en compte l'utilisation des différents
temps et modes du verbe. L'ordre canonique de la phrase est correctement produit par les
enfants vers 30 mois. Les aspects syntaxiques de la phrase (ordre des mots) sont acquis
avant les aspects morphologiques (temps du verbe, accord du pronom avec le verbe, etc.).
L'acquisition des principaux éléments du syntagme nominal est réalisée entre 2 et
6 ans. Le tableau 6.4 présente quelques aspects de cette évolution.
Développement de la communication et du langage I 265

TABLEAU 6.4. — Chronologie de l'apparition des principaux constituants du syntagme nominal

Catégories grammaticales

Âges (mois) Articles Pronoms personnels Pronoms possessifs Prépositions et adverbes

24 Moi Prépositions mar-


quant la posses-
sion et le
bénéfice
30 Indéfinis Je, tu, toi (à, de, pour)
Accord en genre avec Il
36 le nom déterminé Elle, le, la Mon, mien Adverbes de lieux
Définis Vous, me, te, Ton, tien (dedans, dessus,
42 Accord en nombre Nous, on Son, sien devant, derrière)
avec le nom
déterminé Préposions de lieux
(à, dans, sur, sous,
près de, en) :
48 Autres pronoms Avec (exprimant
Les indéfinis tendent personnels l'accompagne-
à être employés ment)
en lieu et place Avec (exprimant
des définis l'instrumentation)

60 Adverbes de temps
(aujourd'hui, hier,
66 Le mien demain, mainte-
Le tien nant, tout de
suite, d'abord,
tout à
l'heure, etc.)
72 Emploi correct des Le sien
articles Le nôtre
Le vôtre
Le leur
Prépositions de
temps
(avant, après,
pendant)

La maîtrise du syntagme verbal correspond à la conjugaison : l'utilisation des diffé-


rents temps et mode du verbe se fait aussi de façon progressive et est acquise entre 4 et
6 ans. La forme la plus précocement utilisée est la copule « est » (le gâteau est bon) sou-
vent avant 2 ans et demi. Ensuite les auxiliaires être et avoir, Les formes de l'infinitif,
de l'indicatif présent et du passé indéfini sont acquises entre 2 ans et demi et 4 ans. Les
premières formes du futur apparaissent vers 4 ans : il s'agit du futur périphrastique
(ex. : il va venir, ça va être mon anniversaire). Le futur simple apparaît plus tard. Les
formes de l'imparfait et du conditionnel sont les plus tardives et n'apparaissent qu'entre
5 et 6 ans.
266 I Psychologie du développement

À 5 ans l'enfant utilise la plupart des formes du verbe. Il est cependant important
de noter qu'il ne les utilise pas essentiellement pour marquer la place de l'action dans le
temps (passé-présent-futur). En cela, le comportement de l'enfant diffère clairement de
celui de l'adulte. En effet, dans les productions de l'enfant jusqu'à l'âge de 6 ans, les dif-
férentes formes du verbe désignent surtout l'aspect de l'action, c'est-à-dire des caracté-
ristiques indépendantes de sa chronologie (Bronckart, 1976). Quelques exemples de
caractéristiques aspectuelles de l'action sont indiqués ci-dessous :
— la distinction action en cours / action intemporelle : « Elle est en train de prendre
sa leçon de piano » / « elle prend des leçons de piano » ;
la distinction déroulement de l'action / résultat de l'action : « Il mangeait du
caviar » / « il a mangé du caviar » ;
la convention dans l'imaginaire : «J'étais le gendarme et toi le voleur » ;
l'expression du souhait : « Ça va être mon anniversaire bientôt. »

Un certain nombre de recherches se sont intéressées à la compréhension des for-


mes actives et passives dans les phrases. Bever (1970) a utilisé des phrases sémantique-
ment réversibles dans lesquelles les deux noms peuvent servir d'agent : à la forme
active on dit « la fille embrasse le garçon » ou « le garçon embrasse la fille », et à la
forme passive « le garçon est embrassé par la fille » ou « la fille est embrassée par le
garçon ». Dans les phrases non réversibles comme « le cheval tire la charrette » un
seul nom peut servir d'agent (la forme passive « la charrette est tirée par le cheval »
existant aussi). Les phrases sont réversibles lorsque l'inversion de l'agent et du patient
correspond à une phrase sémantiquement acceptable. Elles sont dites non réversibles
lorsque cette inversion est impossible sur le plan sémantique. La compréhension des
phrases passives non réversibles est réalisée plus précocement que celles des passives
réversibles.
Ségui et Léveillé (1977) ont repris le problème des phrases réversibles ou non avec
des phrases relatives utilisant les pronoms « qui » et « que ».
Exemples de phrases relatives en « qui » :
Le président qui salue la foule (réversible).
La foule qui salue le président (réversible).
Le chat qui mange la souris (non réversible).
Exemples de phrases relatives en « que » :
Le président que salue la foule (réversible).
La foule que salue le président (réversible).
La souris que mange le chat (non réversible).

En français, les relatives en « qui » n'altèrent pas l'ordre canonique agent-action-


patient : celui qui fait l'action apparaît en premier, puis l'action et enfin celui sur lequel
porte l'action. Les relatives en « que » modifient cet ordre canonique : celui sur lequel
porte l'action apparaît en premier puis l'action et enfin celui qui la réalise. La compré-
hension des relatives en « qui » (qu'elles soient réversibles ou non) ne pose pas plus de
problème que celle des phrases actives : on obtient entre 3 ans 7 mois et 4 ans 8 mois
100 % de bonnes réponses. La compréhension des relatives en « que » n'apparaît pas
Développement de la communication et du langage I 267

au même âge pour les phrases non réversibles (3 ans 7 mois) et pour les réversibles
(10 ans 6 mois). Pour les relatives en « que » non réversibles les enfants utilisent donc
une stratégie (Oléron, 1979) basée sur les informations sémantiques. Pour les relatives
en « que » réversibles, la séquence n'amène pas à une interprétation basée sur l'ordre
canonique qui les conduit à une interprétation erronée jusqu'à un âge (10-11 ans) rela-
tivement tardif.
Le cheminement qui mène à la construction de la phrase est complexe et subtil :
les énoncés avec des conjonctions de coordination comme « et » sont acquis bien avant
ceux avec des pronoms relatifs comme « que » et « qui ». Même si certaines phrases
relatives (en « qui ») peuvent être comprises précocement, leur production dans des nar-
rations est tardive (Jisa et Kern, 1998).
Le tableau chronologique succinctement tracé donne les grandes étapes de déve-
loppement et quelques points de repère qui d'un point de vue général concernent
toutes les langues. Certaines différences importantes doivent cependant être notées. Par
exemple, dans certaines langues non indo-européennes (ex. : Sesotho), la forme passive
est très fréquente : elle est alors comprise dès l'âge de 2 ans, et utilisée dès 4 ans.

IV - Le développement sémantique : l'apprentissage


de la signification des mots

Le développement sémantique concerne l'acquisition de la signification des mots


ainsi que leur mise en rapport pour constituer la signification complexe de la phrase.
Le langage à deux fonctions essentielles : la fonction de représentation et la fonction
de communication. La fonction de représentation permet de décrire la réalité du
monde. Les mots sont alors des instruments pour découper cette réalité et représenter
cognitivement le monde. La fonction de communication permet de transmettre cette
représentation à un interlocuteur. Le langage est alors défini par un ensemble de
règles, de conventions et de connaissances partagées qui sous-tendent non seulement
les communications verbales mais aussi toutes les activités sociales dans chaque
communauté.
Sur le plan linguistique le langage se distingue des autres formes de communica-
tion par sa double articulation suivant deux axes défmis par Saussure (1916) : l'axe syn-
tagmatique et l'axe paradigmatique. Le premier axe syntagmatique est celui de la suc-
cession des unités dans un énoncé et de leur organisation linéaire suivant les règles de
la syntaxe. Le second axe paradigmatique concerne la possibilité se substituer une unité
de cet énoncé (un mot) par une autre unité (cf. l'exemple du tableau 6.5).
Saussure (1916) distingue également deux éléments pour chaque signe linguis-
tique : le signifiant et le signifié. Le signifiant est l'image acoustique correspondant à la
production d'un mot, et le signifié le concept qui est associé au mot. Entre les deux le
lien est arbitraire et univoque (tableau 6.6). L'image acoustique ne dépend en rien du
concept. Entre le signifiant et ce que signifie un mot, il n'y a qu'une convention sociale
et la maîtrise de cette convention est nécessaire si l'on veut se comprendre.
268 I Psychologie du développement

TABLEAU 6.5. —La double articulation du langage : représentation


des axes syntagmatique et paradigmatique


Clément
Alain À son tour
également

axe
Barbara parle aussi français 41

syntagmatique
chante
mange espagnol
russe

Il existe une définition triadique du signe qui permet de prendre en compte la


relation entre le signe linguistique et ses utilisateurs humains (Peirce, 1867-1908 ; pré-
sentation française par Deledalle en 1978 ; Morris, 1946). Les trois éléments de cette
définition sont : le REPRESENTAMEN, l'OBJET et l'INTERPRÉTANT. Le REPRESENTAMEN est
l'image sonore ou visuelle du signe (par exemple GRENADE). L'INTERPRÉTANT est le
signe équivalent ou plus développé qui est créé chez celui à qui s'adresse le
REPRESENTAMEN (arme, fruit, ville). L'OBJET est ce qui correspond au signe (par
exemple la ville de GRENADE) (tableau 6.6). Lorsqu'on parle devant diverses personnes
d'une grenade, l'interprétant variera de l'une à l'autre selon son métier ou ses préoccu-
pations : le soldat pensera « armes », la ménagère « fruit » et le voyageur « ville ». La
définition triadique du signe permet de rendre compte de la polysémie des mots extrê-
mement fréquente, même dans le vocabulaire courant.
L'enfant acquiert des mots qui correspondent à des référents dans le monde. Pour
certains mots particuliers il y a une relation non pas arbitraire mais analogique entre le
signifiant et le signifié. C'est le cas par exemple pour les « cris » des animaux comme
« houa, houa » pour le chien, « miaou » pour le chat. Ces cris sont d'ailleurs produits
très précocement par les enfants qui les utilisent comme désignant l'animal lui-même,
c'est-à-dire considéré comme signifié.
L'un des premiers apprentissages de l'enfant est celui des concepts catégoriels : par
exemple le mot chien réfère non seulement au chien de la maison, mais aussi à tous les
animaux de la classe chien. Comment est réalisée cette acquisition ? Quels indices
Développement de la communication et du langage I 269

TABLEAU 6.6. Représentation du signe linguistique


Représentation saussurienne dyadique du signe

SIGNIFIE CONCEPT

SIGNIFIANT IMAGE ACOUSTIQUE DINOSAURE

Représentation peircéenne triadique du signe


OBJET
« réel, imaginable ou inimaginable »
Par exemple, la ville de Grenade

REPRESENTAMEN f INTERPRÉTANT
Image sonore ou visuelle Image mentale associée (Ville)
d'un mot (Grenade)

ayant ayant

une si ication indéterminée une signification reçue qui détermine


ou incomplète ou incomplète

l'enfant prend-il en compte pour comprendre qu'un mot peut définir une classe
d'objets, de personnes ou d'animaux, ou au contraire restreindre l'appartenance à un
seul membre ?
Une première proposition fut celle de la théorie des traits sémantiques développée
par Clark (1973). Le postulat de base de cette théorie est que la définition d'un mot est
composée d'unités minimales de sens, des traits que les enfants apprendraient pour
chaque concept catégoriel. Par exemple le mot « chat » peut être compris comme
l'animal qui est à la maison, mais aussi, c'est le mot qui désigne tous les animaux qui pos-
sèdent un certain nombre de caractéristiques communes, quatre pattes ou de longs poils.
Suivant cette approche, la définition d'un mot est composée d'unités de sens correspon-
dant à des traits sémantiques. Plusieurs hypothèses ont été développées à partir de cette
théorie qui a fait l'objet de vérifications expérimentales. Avec l'hypothèse de la surexten-
sion, on prédit que l'enfant va nommer « chat » d'autres animaux qu'il va rencontrer
(par exemple des lapins) sur la base de similarités, comme des traits perceptifs communs
ou des traits fonctionnels. Il va dire « atta » pour l'ouverture et la fermeture des portes,
toute disparition d'objet ou soulever le couvercle d'une boîte. Mais l'enfant peut aussi
restreindre la signification d'un mot, c'est l'hypothèse de la sous-extension. Le mot est
alors uniquement employé que dans une situation spécifique (par exemple, « voiture »
pour désigner la voiture de la famille et non pas les autres voitures). On observe que
l'utilisation d'un même mot pour signifier plusieurs choses est liée au développement du
vocabulaire de l'enfant. Plus l'enfant dispose de mots de vocabulaire, moins nombreuses
270 I Psychologie du développement

sont les surextensions. Les restrictions dans l'utilisation d'un mot correspondent avec
l'apparition d'un vocabulaire plus différencié. L'hypothèse de composition de traits
conduit à considérer que les traits sémantiques sont acquis par adjonctions et combinai-
sons de traits successives. Celle des traits généraux et des traits spécifiques précise que les
traits composant la signification d'un mot sont acquis des plus généraux aux plus particu-
liers. Un certain nombre de recherches ont été menées sur l'acquisition des verbes (Ber-
nicot, 1981). Par exemple le verbe « prendre » (transmission d'un objet) est acquis avant
« acheter » (transmission d'un objet + transmission d'argent) et dans un premier temps
l'enfant attribue à « acheter » la signification de « prendre ».
Une autre approche considère que l'on acquiert d'abord les éléments prototypi-
ques d'une catégorie (Rosh, 1973) avant les membres moins typiques. Dans cette pers-
pective, il existe pour chaque catégorie un élément typique (ou niveau de base) qui per-
met de représenter cette catégorie. Cette typicalité est objectivée par la fréquence des
réponses (et leur faible variation interindividuelle) lorsque l'on interroge des sujets en
leur demandant des « bons » exemples pour une catégorie. Dans un milieu urbain occi-
dental, l'enfant acquiert « pomme » avant « figue » parce que « pomme » est plus
caractéristique, représentatif des fruits que « figue » (pour la même raison dans la caté-
gorie chien, l'enfant acquiert « caniche » avant « pékinois »).
Le développement sémantique représente un phénomène complexe qui ne peut être
expliqué qu'en prenant en compte un ensemble d'éléments comme : le développement
cognitif, les caractéristiques de la langue maternelle, le langage de l'adulte adressé à
l'enfant, le milieu social et culturel de l'enfant. En grandissant l'enfant continue à acqué-
rir de nouveaux mots entre lesquels il construit des relations sémantiques. 11 est sensible
aux similitudes phonologiques. Il apprend à reconnaître les mots qui ont des significa-
tions similaires et ceux qui ont des significations contrastées, et ceux qui constituent des
hiérarchies de subordinations (ex : verbes de mouvement ou de transmission de posses-
sion). De plus à partir de l'âge de 6 ans, l'enfant développe des capacités métalinguisti-
ques qui lui permettent de réfléchir explicitement sur la signification des mots et de les
définir (Berthoud-Papandropoulou et Kilcher, 1987). Les réseaux sémantiques, à partir
du premier vocabulaire, sont en constante réorganisation tout au long de la vie.

V - Le développement de la pragmatique :
apprendre à utiliser le langage en contexte

En psychologie cognitive, la pragmatique a permis d'aborder la question de la


construction du sens d'un énoncé par un être humain dans un contexte particulier (Ber-
nicot, 1992, 2004). La signification transmise par un énoncé ne correspond pas toujours
à celle que l'on pourrait déduire de sa structure formelle. C'est le cas, par exemple,
pour les métaphores (lorsqu'on dit de quelqu'un « c'est un âne », ou « cet homme est
un lion »), ainsi que pour les formes idiomatiques ( « vider son sac ») ou l'ironie ou
encore très quotidiennement les implicatures conversationnelles (cf. exemple ci-dessous).
Locuteur A : Est-ce que tu veux une tasse de café ?
Locuteur B : je veux pouvoir dormir tôt.
Développement de la communication et du langage I 271

Ce que dit le locuteur B (il a peur de ne pas dormir) est différent de ce qu'il signifie (il
ne veut pas de café). La signification transmise ne correspond pas à la signification littérale
de l'énoncé. La pragmatique se donne pour objectif de définir et d'étudier l'utilisation
du langage. Il s'agit de déterminer le rapport qui existe entre un énoncé, son contexte
de production et les utilisateurs du langage.
La psychologie développementale pragmatique a été initiée par Ervin-Tripp et
Mitchell-Keman (1977). Ninio et Snow (1996) ont déterminé un ensemble (non exhaus-
tif) de sept thèmes.
a) L'acquisition des intentions communicatives et le développement de leurs
expressions linguistiques. Ce thème inclut l'émergence du langage et de l'étude des
vocalisations et des gestes.
b) Le développement des capacités conversationnelles.
c) Le développement des systèmes linguistiques gérant la cohésion du discours et le
type de discours.
d) Le développement de la mise en rapport d'une forme linguistique et de sa fonc-
tion sociale (études des fonctions du langage et des actes de langage).
e) L'acquisition des règles de politesse et autres règles culturelles déterminées par
l'utilisation du langage.
J) L'acquisition des termes déictiques.
g) Les facteurs pragmatiques influençant l'acquisition du langage comme le
contexte d'interaction dans la petite enfance ou les conduites d'étayage.
Comme le souligne Oléron (1979), « tous les auteurs qui ont étudié les premières
productions de l'enfant, y compris certaines productions préverbales, ont reconnu
l'importance de leurs aspects communicatifs ». Cependant les premiers cris de l'enfant,
qu'ils soient de faim, de douleur ou de satisfaction ne sont pas toujours considérés comme
des actes communicatifs même si l'entourage y répond. Il est nécessaire que se mette en
place ce que Veneziano (2000) appelle « les ingrédients » de la communication : c'est-à-
dire une conduite volontaire adressée à quelqu'un avec l'intention d'avoir un effet sur le
partenaire. Les travaux de Halliday (1975) comme ceux de Bates (Bates, 1976 ; Bates,
Benigni, Bretherton, Camaioni et Voltera, 1979) mettent en lumière que les productions
gestuelles et/ou vocales des enfants de moins de 2 ans ont des fonctions communicatives
(impératives ou déclaratives). On peut illustrer cette perpective en présentant les six fonc-
tions communicatives des productions verbales et non verbales de Nigel (Halliday, 1975)
âgé de 9 mois à 22 mois et demi : 1 / la fonction instrumentale vise à obtenir quelque
chose de l'interlocuteur ; 2 / la fonction régulatoire vise au contrôle du comportement
d'autrui ; 3 / la fonction interactionnelle concerne les salutations, les marques de politesse
et la prise de contact avec autrui ; 4 / la fonction personnelle concerne l'expression de
soi, de ses intérêts, de sa satisfaction, de sa non-satisfaction, etc. ; 5 / la fonction heuris-
tique vise à l'augmentation du savoir ; 6 / la fonction imaginative concerne l'expression
de sa propre conception de l'environnement et du monde.
On prend en compte des indices qui sont plus « macroscopiques » que le mot ou
la phrase simple SVO : tels que les tours de parole, les formes de politesse, les marques
de la cohérence du discours comme les anaphores, etc. On s'intéresse aussi à l'efficacité
de la communication référentielle. Beaudichon (1982) a étudié comment des enfants se
font comprendre d'autrui dans des situations où l'on doit communiquer à autrui un
272 I Psychologie du développement

savoir (le montage d'un objet complexe). La quantité d'information transmise par
l'informateur croît avec l'âge entre 8 et 10 ans. La réussite du montage de l'objet croît
aussi avec l'âge. La communication devient donc plus efficace. On note l'utilisation de
nombreuses répétitions à la demande du récepteur. La façon d'utiliser l'information
varie d'un couple d'enfants à l'autre. Certains récepteurs attendent d'avoir une certaine
quantité d'information pour réaliser les manipulations concernant le montage, d'autres
réalisent les opérations après chaque transmission d'information. À tous les âges on
remarqué que les interlocuteurs tentent d'ajuster leur dialogue pour se comprendre.
Dans cette perspective, on s'intéresse à l'évolution avec l'âge, mais aussi et surtout aux
variations en fonction des situations de communication.
En linguistique, Morris (1946) a défini la pragmatique comme l'étude de la rela-
tion entre les signes et les interprètes. Cette perspective conduit à considérer qu'un
énoncé comprend trois composantes (cf. Austin, 1962 ; traduit en français en 1969).
— L'acte locutoire est défini par la production de mots, de morphèmes, de phra-
ses dans une langue donnée. Il est aussi définit par le fait que le locuteur réfère à
quelque chose : par exemple à un objet ; il prédique à propos de cet objet.
L'acte illocutoire est défini par l'acte social posé intentionnellement par le locu-
teur lors de la production de l'énoncé.
L'acte perlocutoire est défini par l'effet intentionnel ou non produit par le
locuteur sur le destinataire du message.
Searle (1972, 1982) puis Searle et Vanderveken (1985), ont proposé une taxonomie
des actes illocutoires : tout énoncé produit dans une situation de communication corres-
pond à la réalisation d'un acte social appelé « acte de langage ». Vanderveken (1992) à
partir des classifications élaborées par Austin et Searle propose de distinguer cinq types
d'actes de langage. Les assertifs, comme par exemple affirmer, témoigner ou supposer, et
qui engagent la responsabilité du locuteur sur l'existence d'un état de choses, sur la vérité
d'une proposition exprimée. Les directifs, comme par exemple demander, questionner,
ordonner ou suggérer, et qui sont des tentatives de la part du locuteur de faire faire
quelque chose à l'auditeur. Les engagements ou promissifs, comme par exemple pro-
mettre, menacer, faire un voeu, un serment et qui obligent le locuteur à adopter une cer-
taine conduite future. Les expressifs tels que les excuses, les remerciements, les félicita-
tions qui consistent pour le locuteur à exprimer un état psychologique (comme la
satisfaction ou la crainte) à propos d'un état du monde. Les déclaratifs qui provoquent
par leur accomplissement effectif la mise en correspondance de leur contenu avec la réa-
lité (comme par exemple pour un chef d'entreprise dire à une personne qu'elle est
engagée, pour un enseignant dire à un étudiant qu'il est reçu). Chaque acte de langage
est défini par un ensemble de règles de réalisation dont le respect permet aux interlocu-
teurs de se comprendre : par exemple lorsqu'on adresse une demande à quelqu'un on
souhaite qu'elle soit réalisée et on pense que l'auditeur est en mesure de la réaliser.
Le modèle théorique de Grice (1979) offre aussi une contribution importante à
l'explication de la compréhension entre interlocuteurs et plus particulièrement à la des-
cription des principes de la conversation. Selon cet auteur, la conversation est régie par
un principe fondamental, mutuellement présupposé par les interlocuteurs : le Principe de
coopération. Ce principe est défini par quatre Maximes : une maxime de quantité « que
votre contribution soit aussi informative qu'il est requis », une maxime de qualité
Développement de la communication et du langage I 273

« n'affirmez pas ce pour quoi vous manquez de preuves », une maxime de relation « par-
lez à propos » et une maxime de modalité « soyez clair ». Le respect du Principe de Coo-
pération à travers celui des Maximes garantit donc la réussite de la communication. Ce
modèle et les travaux auxquels il a ouvert la voie (Noveck et Sperber, 2004), ont permis
de définir les caractéristiques du fonctionnement de la communication naturelle.
Ces différentes théorisations et classifications ont permis de donner un cadre précis
aux recherches et de réaliser des études systématiques dans le domaine de l'acquisition.
Plusieurs actes de langage ont pu faire l'objet d'études développementales (les directifs
assimilés aux demandes, les engagements avec la compréhension des promesses, les
assertifs). Il existe aussi des recherches sur la compréhension des états mentaux, la com-
préhension du langage non littéral, la maîtrise des registres et l'organisation discursive
(cf. Bernicot, 1992, 2000 ; Hickmann, 2000 pour une revue de question détaillée).
Pour les directifs, on distingue les demandes directes et les demandes indirectes.
Une demande est directe en cas de coïncidence parfaite entre les caractéristiques for-
melles de l'énoncé et l'acte social réalisé : le locuteur « dit » ce qu'il « signifie »
(exemple : « Donne-moi le stylo »). Une demande est indirecte lorsqu'il n'y a pas coïn-
cidence parfaite entre les caractéristiques formelles de l'énoncé et l'acte social réalisé : le
locuteur « signifie » autre chose que ce qui est « dit » (ex. : « peux-tu me donner le
stylo ? », « ton stylo marche encore ? » ou « je n'ai rien pour écrire... »). Les études
montrent que si les enfants dès leur plus jeune âge (1 an et demi, 2 ans) comprennent
les demandes directes, ils répondent aussi aux demandes indirectes simples lorsque cel-
les-ci on un caractère conventionnel et un lien étroit avec le contexte de la demande.
En ce qui concerne la production, on constate des variations avec l'interlocuteur. Par
exemple l'enfant est moins direct avec son père qu'avec sa mère, avec des visiteurs
qu'avec ses parents. La production des demandes et leur caractère direct ou indirect
dépend donc d'un certain nombre de caractéristiques liées à la situation de communi-
cation comme le contenu de la demande (action, information, droit, faveur) et de
l'interlocuteur en fonction de son statut social (père, mère, enfant, etc.). L'ensemble de
ces règles d'ajustement est réalisé entre 3 et 6 ans.
Les engagements, ou promissifs, sont également une catégorie importante d'actes
de langage dans les interactions quotidiennes entre enfants et adultes. Ils sont définis
par l'obligation contractée par le locuteur d'adopter une certaine conduite future (par
exemple : promettre, jurer, prêter serment, accepter, consentir, etc.). Bernicot et Laval
(1997) ont étudié la compréhension des promesses chez des enfants de langue mater-
nelle française âgés de 3 à 10 ans. Les enfants doivent compléter des histoires présen-
tées sous forme de bandes dessinées comprenant deux personnages. Les histoires
varient en fonction du temps du verbe (futur périphrastique, futur simple ou passé com-
posé) et le contexte de production de l'énoncé (contexte spécifique respectant la condi-
tion préparatoire ou contexte neutre). Les enfants de 3 à 6 ans fondent leur interpréta-
tion des promesses en priorité sur les caractéristiques contextuelles de la situation de
communication. À partir de 6 ans, en l'absence d'informations contextuelles caractéris-
tiques de la promesse, ils prennent en compte les marques temporelles de l'énoncé (uni-
quement dans le cas du futur périphrastique). C'est seulement vers 10 ans que les
enfants fondent leur interprétation des promesses sur les caractéristiques temporelles de
l'énoncé.
274 I Psychologie du développement

Les études concernant les assertifs sont peu nombreuses car difficiles à opération-
naliser sur le plan méthodologique. On s'intéresse essentiellement aux capacités des
enfants à reformuler leurs énoncés assertifs (« le ciel est bleu») en cas d'échec de la com-
munication. Les reformulations sont considérées comme un indice de la compréhension
par l'enfant de l'état mental de l'interlocuteur. Les assertifs (destinés à partager un état
mental) sont réputés plus difficiles que les directifs (destinés à obtenir quelque chose).
Cependant, après une demande de clarification de l'adulte ( « quoi ? », « où ? » ), les
enfants de 2 ans et demi reformulent leurs assertions dans 84 % des cas et les directifs
dans 94 % des cas. De plus, une recherche de Marcos et Bernicot (1997) montre que
pour les assertifs comme pour les directifs, le type de reformulation varie avec le type
d'attitude de l'adulte (clarification ou refus). La reformulation n'est donc pas systéma-
tique ou mécanique.
Le langage non littéral (ironie, sarcasmes, expressions idiomatiques, implicatures
conversationnelles) a fait l'objet d'un ensemble récent d'études. Le point commun de
toutes ces expressions est qu'elles doivent être interprétées pour être comprises puis-
qu'elles « signifient » autre chose que ce qu'elles « disent ». Dans le cas de l'ironie, le
locuteur va jusqu'à transmettre l'inverse de ce qu'il dit. Le principe des recherches est
de faire varier la forme des énoncés, le contexte et l'intonation. Le sens des résultats
(cf. Laval, 1999 ; Laval et Bert-Erboul, 2005), trop complexes pour être rapportés ici,
suggère que les enfants les plus jeunes prennent d'abord en compte les éléments contex-
tuels (versus forme des énoncés) pour interpréter le langage non littéral. Le rôle impor-
tant de l'intonation apparaît à 5 ans pour le sarcasme.
Un registre langagier est défini par l'ensemble des marques langagières structurales
appropriées dans une situation sociale donnée (ex. : on ne parle pas de la même façon à
un « copain » et à un adulte non familier). L'adéquation marques structurales / situa-
tion sociale est conventionnellement définie. Le registre est défini par l'adéquation entre
la situation de communication et le système linguistique (Gayraud, Jisa et Viguié,
2001). L'acquisition des registres est nécessaire à la maîtrise subtile de la langue mater-
nelle. Andersen (1986) a utilisé la méthode des jeux de rôle pour étudier ce type
d'acquisition chez des enfants de 4 à 8 ans.
La pragmatique, perspective récente en psychologie du développement, est définie
comme l'étude cognitive, sociale et culturelle du langage et de la communication. Elle
se donne pour objectif de répondre à la question : comment définir et étudier
l'utilisation du langage ? (Verschueren, 1999).

D - LES THÉORIES DU DÉVELOPPEMENT


DE LA COMMUNICATION ET DU LANGAGE

Après avoir présenté les faits, c'est-à-dire les étapes de l'acquisition du langage
sous ses différents aspects, il est nécessaire d'expliquer ces faits. Pour expliquer
l'acquisition du langage, les théories mettent l'accent sur les spécificités humaines biolo-
Développement de la communication et du langage I 275

gigues ou cognitives, sur l'expérience de l'individu, sur la cognition comme résultante


des spécificités biologiques humaines et de l'activité de l'individu et sur les interactions
sociales. Les points de vue sont de moins en moins dogmatiques et exprimés plutôt en
termes de priorité que de cause unique.

I - Les bases biologiques du langage

Les relations entre cerveau et langage sont complexes : il est établi que des lésions
cérébrales provoquent des troubles du langage, mais il existe aussi des troubles du lan-
gage sans lésions cérébrales avérées. En lien avec la maturation progressive du cerveau,
il existe une période critique d'acquisition du langage qui se situe avant l'âge de 12 ans.
Enfin, on s'est interrogé sur la capacité des singes à apprendre un langage humain : ils
représentent une base biologique différente de celle des êtres humains (tout en étant les
plus proches de l'homme dans le règne animal).

a. Les relations entre cerveau et langage

La preuve d'une localisation du langage dans le cerveau a été constatée pour la


première fois par le chirurgien Paul Broca en 1861. On a pu définir plusieurs types
d'aphasies correspondant à des troubles différents du langage associés à des lésions bien
précises de l'hémisphère gauche (cf. chap. de Nicole Fiori, « Les bases neurophysiologi-
ques du fonctionnement cognitif »). Des études récentes suggèrent que l'hémisphère
droit joue aussi un rôle important, notamment en cas de lésion, il peut dans une cer-
taine mesure compenser les déficiences du cerveau gauche. De plus, son rôle est crucial
pour la production et la compréhension du langage en contexte : actes de langage, lan-
gage non littéral et conversation (Dardier, 2004).
Il est important de souligner qu'il existe des difficultés de la compréhension et de la
production du langage sans lésion avérée. Ces troubles du développement du langage
sont regroupés, en langue française, sous le terme de dysphasies (ou Specific Language
Impairement en langue anglaise). Ils concernent principalement la phonologie et la mor-
phosyntaxe, mais aussi la sémantique et la pragmatique, alors que les composantes cogni-
tives et l'intelligence sont intactes. On note un retard dans l'apparition du langage et un
développement très lent de celui-ci. Ce trouble touche davantage les garçons que les filles.
Pour une présentation des études francophones, on peut se référer à Piérart (2004, 2005).
De plus, le langage est beaucoup plus difficile à acquérir, voire impossible dans cer-
tains cas particuliers après la puberté : les premières années de la vie constituent une
période critique pour cette acquisition (Lenneberg, 1967). Le cas de « l'enfant sauvage »
Victor de l'Aveyron étudié par Itard dans les premières années du X.De siècle (Itard,
1801 ; voir aussi Maison, 1964) constitue la référence dans le domaine. L'enfant proba-
blement abandonné à un très jeune âge a vécu sans environnement humain pendant plu-
sieurs armées et donc sans environnement linguistique. Recueilli vers l'âge de 12 ans,
Victor a appris à produire certains sons et à utiliser correctement quelques mots ; cepen-
276 I Psychologie du développement

dant sa maîtrise du langage est restée très peu élaborée et incomplète. D'autres cas
d'enfants analogues à celui de Victor ou n'ayant pas été initialement éduqués dans des
conditions habituelles de socialisation (Genie aux États-Unis, cf Crystal, 1997) ont aussi
échoué dans leur tentative d'acquisition du langage même avec un environnement édu-
catif renforcé. Ces cas particuliers ont été beaucoup discutés dans la mesure où il est
impossible de savoir si ces enfants présentaient ou non dès la naissance un déficit particu-
lier ou un retard mental. D'autres approches fournissent des preuves plus solides à pro-
pos d'une période critique pour l'acquisition. C'est le cas de l'étude des lésions du cer-
veau à différents âges. On constate que si la lésion intervient à l'âge adulte, la
récupération est beaucoup plus difficile que si la lésion se produit plus précocement.
Dans ce dernier cas, d'autres aires du cerveau prennent le relais. Avec l'aide des métho-
des d'imagerie cérébrale, on peut aussi montrer que dans le cas de l'apprentissage d'une
seconde langue, ce ne sont pas les mêmes aires du cerveau qui sont sollicitées en fonction
de la période de l'apprentissage : après quatre ans l'hémisphère gauche est moins solli-
cité. Toutes les connections entre les neurones du cerveau ne sont pas réalisées à la nais-
sance, mais se constituent progressivement dans les premières années. Donc, en cas de
lésions précoces, de nouvelles aires du cerveau peuvent prendre le relais grâce à l'apport
de nouvelles connections entre les neurones. Par contre, à l'âge adulte lorsque les
connections sont constituées, il est beaucoup plus difficile, voire impossible, d'en créer
des nouvelles. La plasticité du cerveau est plus importante pendant la période critique.

b. L'apprentissage du langage par les singes

Si nous savons dater avec précision l'apparition de l'écriture en Mésopotamie et


en Égypte vers 3300-3100 av. J.-C., nous ignorons tout de l'apparition du langage oral
chez l'homme. On peut faire l'hypothèse que cette apparition pourrait remonter au
moins à 100 000 ans av. J.-C. : en effet, la fabrication d'outils relativement complexes
est beaucoup plus ancienne et suppose déjà des capacités cognitives et symboliques
importantes pour être réalisée. Seuls les êtres humains possèdent le langage articulé ; on
ne trouve pas à l'état naturel cette capacité chez les animaux. Les singes sont, sur le
plan biologique, les animaux les plus proches de l'homme et on a tenté depuis le début
du xx' siècle de leur faire apprendre le langage humain.
Les premières essais pour faire apprendre le langage oral à des chimpanzés (Yer-
kes et Learned, 1925) furent un échec total : les chimpanzés n'ont pas la même configu-
ration du palais et du système de cordes vocales que l'homme. Ils n'ont pas non plus le
contrôle des lèvres et de la langue pour produire les sons qui caractérisent le langage
oral. Puisque les singes ne pouvaient produire les mêmes sons que l'homme, dans les
années 1960, Béatrice et Roger Gardner eurent l'idée de faire apprendre à une jeune
guenon appelée Washoe la langue des signes, utilisée par les sourds (Gardner, 1969).
Cette langue est réalisée essentiellement avec l'aide des mains, des doigts et des bras.
Les capacités motrices des chimpanzés étant bien développées, ce choix présentait un
certain nombre d'avantages. Washoe commença à apprendre la langue des signes amé-
ricaine (AsL) à partir de 1 an. À l'âge de 4 ans, Washoe disposait d'un vocabulaire de
plus d'une centaine de signes. Comme les enfants, elle a d'abord utilisé des mots sim-
ples, la combinaison de deux gestes est venue au bout de dix mois après le début de
Développement de la communication et du langage I 277

l'apprentissage, c'est-à-dire entre 18 et 24 mois. Elle a construit des « phrases de deux


mots » comme « Washoe désolée », « plus fruit », « donne fleur », « Roger chatouiller »,
et aussi des phrases avec plusieurs mots comme « tu chatouilles moi ». Elle pouvait
poser des questions et y répondre et faire des assertions simples. Comme les jeunes
enfants elle faisait des surextensions et des sous-extensions, elle pouvait aussi par
exemple utiliser le verbe ouvrir pour dire « ouvrir la boîte », mais aussi « ouvrir le robi-
net » pour demander à boire. La comparaison de Washoe avec les jeunes enfants ne
peut se faire que par comparaison avec des jeunes sourds qui apprennent aussi la
langue des signes. Les enfants sont plus rapides et si les acquisitions de Washoe ne sont
pas négligeables, elles ne correspondent qu'à une maîtrise très limitée de la langue des
signes. Les expériences se sont poursuivies en pointant la question de l'acquisition d'un
langage arbitraire (ce qui n'est pas totalement le cas de la langue des signes) et en étant
très vigilant sur les questions de méthodologie. Premack (1976) appris à lire et à écrire à
un chimpanzé femelle (Sarah) avec des plaquettes de plastiques de formes, de taille, de
texture et de couleurs différentes. Chaque plaquette représente un objet, un verbe ou
un attribut : ainsi une plaquette triangulaire bleue représente une pomme, etc. Sarah
apprit à produire et à comprendre des phrases complexes comme « Sarah met la
banane dans le panier et la pomme dans l'assiette ». D'autres tentatives avec un gorille
et avec un orang-outang ont été entreprises toujours avec des succès limités. Savage-
Rumbaugh (1990) a utilisé un clavier spécial : un écran d'ordinateur tactile sur lequel il
y a des cases correspondant à des symboles. Chaque symbole correspond à un mot.
Savage-Rumbaugh enseigna à un bonobo, chimpanzé pygmé nommé Kanzi, à utiliser
ce dispositif pour communiquer avec l'homme. Kanzi a montré qu'il était capable de
produire et de comprendre des phrases comme « va dans le réfrigérateur prendre une
tomate », « Kanzi, s'il te plaît porte la boisson fraîche à Penny », « je cache une sur-
prise dans ma chaussure ». Greenfield et Savage-Rumbaugh (1993) ont mis en évidence
que des bonobos élevés de la même façon que Kanzi utilisent les répétitions dans les
dialogues de la même façon que les jeunes enfants.
Ces tentatives, jamais pleinement réussies, pour faire apprendre un langage
humain aux singes renforcent l'idée que l'existence du langage est liée aux particularités
biologiques des êtres humains. La nature du langage humain est très complexe et le
résultat d'une très lente évolution. Cependant, il est important de noter que ces tentati-
ves ne correspondent pas non plus à un échec : Washoe, Sarah et Kanzi ont atteint des
niveaux linguistiques analogues à ceux d'enfants de 3 à 5 ans en fonction des indices
considérés. Êtres humains et singes peuvent donc partager un code et établir une com-
munication dans une situation sociale.

Il - La perspective behavioriste

Les découvertes de Pavlov au début du xxe siècle concernant les réflexes condi-
tionnés chez l'animal ont eu une profonde influence sur les théories de l'apprentissage
d'une façon générale, mais aussi sur les théories de l'apprentissage du langage chez
278 I Psychologie du développement

l'enfant. Pour les behavioristes, dont les théories sont profondément inspirées par
les études des réflexes conditionnés, l'explication des comportements langagiers
(réponses) doit se faire à partir des conditions environnementales observables (stimuli)
sans passer par les processus mentaux internes qui ne sont pas accessibles à
l'observation. Les behavioristes ne nient pas l'existence de mécanismes mentaux, mais
la possibilité de les étudier directement. Il faut dire que les recherches réalisées à la
fin du xix' siècle pour expliquer les processus mentaux complexes (par l'introspection)
furent plutôt un échec, alors que les découvertes de Pavlov eurent un grand impact
pour les théories de l'apprentissage. D'autre part, les behavioristes ne considèrent pas
le langage comme une capacité de nature différente d'autres aptitudes humaines ou
animales. Suivant cette perspective le langage est acquis à partir de trois mécanismes
(Le Ny, 1961).

1 / Le conditionnement classique : par exemple le mot « lait » peut être appris de


la façon suivante. Le lait, stimulus inconditionnel, donné à un enfant qui a faim pro-
voque une réponse physiologique qui constitue la réponse inconditionnelle. La mère en
prononçant le mot « lait » devient stimulus conditionnel. Avec les répétitions, l'enfant
associe le mot « lait » et le référent correspondant.

2 / Le conditionnement opérant : il permet d'expliquer selon les behavioristes la


production du langage. Lorsque le bébé produit des sons, ceux-ci se rapprochent plus
ou moins des mots de sa langue : quand il prononce les sons les plus proches de sa
langue son comportement est récompensé. Les parents et la mère tout particulièrement
vont renforcer les sons qui sont les plus proches des mots par des sourires, des caresses,
en répétant le mot de l'enfant. Ainsi les comportements qui sont récompensés tendent à
être répétés. D'autres au contraire ne seront pas encouragés, mais plutôt sanctionnés,
refusés. Par récompense et sanction, on facilite certains apprentissages et on en inhibe
d'autres.

3 / L'imitation : quelques behavioristes expliquent l'acquisition du langage par


l'imitation. Dans les situations avec des livres d'images par exemple la mère tout en
montant une image va prononcer le mot correspondant et l'enfant aura tendance à imi-
ter la prononciation de la mère. La production de l'enfant va être renforcée de la
même manière que pour le conditionnement précédent par une récompense si le mot
est bien prononcé. Les parents dans nos sociétés sont très proches des enfants et à
chaque instant prêts à corriger les erreurs, à préciser ce qu'il faut dire et ne pas dire.
L'enfant va donc par l'imitation, le conditionnement et les récompenses, acquérir
petit à petit toute la complexité du langage. En fait, les behavioristes se sont essentielle-
ment intéressés aux processus d'apprentissage, de mémorisation et d'oubli d'une
manière générale dans des situations expérimentales de laboratoire bien contrôlées, plu-
tôt qu'au développement du langage chez l'enfant dans des situations naturelles. Les
situations d'apprentissage et de mémorisation ont été construites le plus souvent avec
du matériel sans signification (syllabes sans signification) qui ne pouvait en aucun cas
apporter une véritable explication à l'acquisition complexe du langage. Miller (1965)
avait souligné que le nombre de phrases possibles dans le langage est infini et qu'il est
Développement de la communication et du langage I 279

impossible de les acquérir à partir des lois de l'association dans l'environnement quoti-
dien. Mais la critique la plus radicale contre la perspective behavioriste allait venir du
linguiste Noam Chomsky à l'origine d'une nouvelle approche nativiste.

III - La perspective linguistique nativiste

À partir de la théorie de Chomsky (1957 ; 1981), McNeill (1970) fait l'hypothèse


que les règles de l'organisation de la grammaire sont trop complexes pour être apprises
directement ou découvertes simplement par le jeune enfant ; la structure de la gram-
maire est indépendante de son utilisation. La grammaire est constituée d'un ensemble
fini de règles, partagé par les locuteurs d'une même langue, qui permet de générer un
nombre infini de phrases correctes. La grammaire n'est pas apprise par l'enfant, elle est
inscrite dans son potentiel génétique, elle est innée (perspective nativiste). Elle est géné-
rative dans la mesure où elle permet de créer une infinité de phrases grammaticalement
bien construites : en utilisant les règles grammaticales de sa langue on peut produire et
comprendre des phrases jamais rencontrées antérieurement. Chomsky prend soin de
distinguer les potentialités innées du locuteur constituées par les règles de la grammaire
qui lui permettent de construire l'ensemble des phrases correctes possibles (la compé-
tence), de ce qu'il produit réellement (la performance). La langue est une grammaire
dont la théorie fournit un modèle formel. L'apprentissage du langage par l'enfant cor-
respond à l'apprentissage de cette grammaire.
Les enfants disposeraient d'un système d'acquisition du langage inné (LAD • Lan-
guage Acquisition Device) (McNeill, 1970). Ce système comprend des universaux du
langage, comme le sujet, le prédicat, l'objet et les modificateurs, et n'est donc pas spéci-
fique d'une langue particulière. Le LAD permet aux enfants de présupposer l'existence
de classes grammaticales (comme les noms, les verbes, etc. : ces classes de mots existent
dans toutes les langues et sont acquises relativement précocement chez l'enfant.
L'enfant peut être comparé à un linguiste face à une langue étrangère : il fait des hypo-
thèses relatives à la grammaire de la langue qu'il entend. Une première hypothèse
consiste pour l'enfant à supposer qu'une phrase est un mot : l'enfant s'exprime alors
par énoncé d'un seul mot. La grammaire pivot constitue une seconde hypothèse qui
sera à son tour abandonnée pour une grammaire plus complexe. Les productions lin-
guistiques de l'environnement de l'enfant lui permettent de vérifier les hypothèses qu'il
formule sur la base du LAD.
Quelques études expérimentales (Mehler, 1963) ont permis de valider, en partie,
cette approche théorique. Suivant la proposition de Chomsky (1957), les phrases sim-
ples affirmatives sont traitées plus aisément que les phrases complexes qui demandent
plusieurs transformations. Plus il y a de transformations de la phrase affirmative (néga-
tion, passivation, interrogation) plus le traitement de la phrase est complexe et long, et
plus l'acquisition est tardive. On a également trouvé que ce n'était pas la forme de sur-
face de la phrase avec ses transformations qui est le plus souvent retenue, mais la struc-
ture profonde, c'est-à-dire la signification générale de base de la phrase qui est
280 I Psychologie du développement

conservée en mémoire. Comprendre une phrase implique donc de la traiter suivant des
règles grammaticales dans un certain ordre afin d'obtenir une structure de base qui en
donne la signification.
Par l'intermédiaire des études interculturelles, Slobin (1982) a également tenté de
valider cette position. Il a comparé le développement linguistique d'enfants issus de
cultures différentes : cultures occidentales, samoanes, kaluki, mayas, etc. D'une société à
l'autre, le comportement des parents à l'égard de l'apprentissage du langage varie beau-
coup. Certaines sociétés considèrent l'enfant comme un être doué pour la communication
verbale et d'autres ne se posent pas la question. Il apparaît que quelle que soit l'attitude
des parents, entraînement spécifique ou inattention à l'égard du langage, cette acquisition
se réalise suivant les mêmes principes. Slobin (1982) a constaté que quel que soit l'ordre
des mots dans la phrase pour la langue considérée, les jeunes enfants utilisaient préféren-
tiellement l'ordre sujet-objet. De plus, quelle que soit la langue ou la culture d'origine des
enfants les acquisitions linguistiques sont réalisées dans le même ordre.
Du point de vue du développement de l'enfant, on considère que la structure du
langage dérive d'une certaine façon des principes généraux de la cognition. Par
exemple, l'ordre Sujet-Verbe-Objet correspond à l'ordre de l'expérience quotidienne :
celui qui fait l'action, l'action et l'objet à laquelle on l'applique. C'est cette analogie
entre principe cognitif déjà connu par l'enfant et structures grammaticales qui permet-
trait l'apprentissage rapide du langage. L'enfant est sensible aux marques linguistiques
qui reflètent des catégories cognitives qu'il possède déjà. Pour apprendre la langue il
faut connaître ce que la langue décrit.

I V - La perspective cognitive : le constructivisme


et le traitement de l'information

Le courant générativiste et innéiste est à l'origine du grand domaine interdiscipli-


naire de la psycholinguistique cognitive moderne où les principes initiaux sont, en fonc-
tion des auteurs, modulés ou réinterprétés. Le constructivisme et le traitement de
l'information sont emblématiques de ce domaine.

a. Le constructivisme

La perspective élaborée par Jean Piaget à Genève au début du xxe siècle garde
une actualité à travers différentes perspectives néo-piagétiennes. Pour Piaget (cf. Piaget
et Inhelder, 1966), le langage est une aptitude humaine parmi d'autres qui se construit
au cours du développement de l'enfant. L'acquisition du langage est dépendante du
développement de la cognition qui est réalisée de façon progressive et interactive avec
le monde physique. L'enfant passe par différents stades de développement (cf. chap. 2).
Ces stades déterminent l'émergence progressive des aptitudes cognitives et des compé-
tences langagières. La perspective piagétienne est donc constructiviste dans la mesure
où elle pose que la connaissance s'élabore progressivement à partir des capacités anté-
rieures. L'enfant agit sur le monde physique et développe peu à peu ses compétences
cognitives à travers cette interaction.
Développement de la communication et du langage I 281

Ainsi, selon Piaget (1926), la première période de développement de l'enfant


appelé stade sensori-moteur, entre la naissance et 24 mois, est décrite comme prélin-
guistique, car l'enfant n'a pas encore acquis les représentations mentales nécessaires à
l'usage symbolique des mots. L'enfant perçoit le monde uniquement au travers des sen-
sations directes et des actions instinctives, il ne distingue pas encore l'existence perma-
nente des objets comme objet individualisé. Les objets cessent d'exister lorsqu'ils ne
sont pas directement perçus visuellement ou avec les mains. C'est à partir de la seconde
année que l'enfant acquiert la notion de permanence de l'objet. L'objet revêt alors une
existence et une identité indépendantes de la perception immédiate. Ainsi, l'enfant
recherche un objet caché, ou anticipe le déplacement de l'objet en mouvement derrière
un écran grâce à la construction d'une représentation mentale de l'objet absent. Avec
cette acquisition de la permanence de l'objet, l'enfant utilise un symbole (l'image men-
tale) pour représenter l'objet absent qui est le précurseur de la fonction symbolique du
langage. Pour Piaget l'acquisition des premiers mots est liée à l'acquisition de la perma-
nence de l'objet.
Ce sont les recherches de Sinclair de Zwart (1967) qui représentent le mieux la
perspective constructiviste de l'acquisition du langage. Ces travaux montrent comment
l'acquisition cognitive (les opérations de la pensée) sous-tend l'acquisition progressive
du langage. L'acquisition de la notion de conservation par exemple fait partie de ces
acquisitions progressives. Avant 5 ans, l'enfant n'admet pas qu'une boule de pâte à
modeler dont on change l'apparence (à partir d'une grosse boule on en fait plusieurs
petites, ou en l'étirant elle devient un long fil) contient la même quantité de pâte
qu'avant la transformation. Lorsqu'on prend deux groupes d'enfants, un groupe ayant
acquis la notion de conservation et l'autre étant encore non conservant, et qu'on leur
demande de décrire des couples d'objets différents variant quant à leur taille (un petit
et un grand bâton), leur nombre (un ensemble de deux billes et un ensemble de cinq
billes, etc.), il apparaît que le langage des deux groupes diffère. Les enfants non
conservants utilisent des formes linguistiques comme « celui-là un grand », « celui-là
un petit », « celui-là a beaucoup », « celui-là pas beaucoup ». Ils considèrent les objets
de façon indépendante et non l'un par rapport à l'autre, ils ne prennent en compte
qu'une dimension à la fois. Les enfants conservants emploient des formes linguistiques
qui tiennent compte des deux dimensions comme « celui-là est plus grand que l'autre,
« celui-là en a plus que l'autre », ils comparent donc les deux objets, et prennent en
compte deux dimensions à la fois. Ce type de résultat et d'autres qui vont dans le
même sens, montre que le langage se constitue à partir de l'acquisition des structures
cognitives de l'enfant, et non de façon indépendante. Le système cognitif est envisagé
comme un précurseur nécessaire au développement du langage et comme un compo-
sant de cette activité.

b. Le traitement de l'information

Le paradigme du traitement de l'information élaboré dans les années 1960, a eu


un impact important sur les recherches faites en psychologie principalement dans les
domaines de la mémoire, la perception ou la résolution de problème (cf. Lindsay et
Norman, 1977, trad. franç., 1980).
282 I Psychologie du développement

L'un des principes de cette approche est de considérer des systèmes de traitement
de l'information indépendamment les uns des autres, chaque système fonctionnant de
façon autonome comme un module. Le langage, est alors aussi conçu comme modu-
laire (Fodor, 1983). Les modules sont spécifiques de domaines bien particuliers et ne
peuvent traiter l'information que dans leur domaine de compétence. Le langage est
considéré comme la résultante et l'intégration de plusieurs sous-systèmes qui fonction-
nent à différents niveaux. Il existerait un module phonologique, un module morpholo-
gique, un module sémantique et un module pragmatique.
Cette conception modulaire du traitement de l'information apporte aussi un cadre
méthodologique pour l'étude du langage. Cette conception a donné naissance à deux
approches récentes, complémentaires l'une de l'autre : le modèle de compétition éla-
boré par Bates et Mac Whinney (1989), et le modèle PDP (Parallel Distibuted Processors
de McLelland et Rummelhart (1981).
Le modèle de compétition met l'accent sur les structures du langage mais aussi sur
les fonctions. Les auteurs se réfèrent au modèle PDP pour présenter leur approche en
définissant la connaissance linguistique non pas à partir d'un ensemble de règles gram-
maticales, mais plutôt comme un réseau faisant intervenir à la fois formes et fonctions.
Les fonctions sémantique d'agent, d'action, d'objet sont appariées aux différentes for-
mes lexicales, syntaxiques, morphologiques et prosodiques selon un système complexe.
Ces correspondances peuvent varier d'une langue à l'autre.
Ce qui change dans cette nouvelle approche, par rapport aux autres conceptions
c'est la façon de traiter l'information. Dans les modèles antérieurs, l'information linguis-
tique était traitée de façon sérielle ou séquentielle. Chaque opération était la résultante
ou la précédente d'une nouvelle opération. Ce qui distingue le modèle PDP, c'est le trai-
tement en parallèle, plusieurs opérations peuvent se faire simultanément. Ce type de
réseau est inspiré des réseaux de neurones (comme dans le cerveau) dans lesquels il
existe de nombreuses connections entre chaque neurone : plusieurs opérations et déci-
sions sont réalisées en même temps. La constitution des connections n'est pas donnée
une fois pour toute, elle se construit par l'intermédiaire de connections relais et par
apprentissage afin d'atteindre une certaine stabilité. Ces modèles sont également appe-
lés connexionnistes.
Dans l'apprentissage du langage ce sont les opérations simultanées qui vont être
renforcées et apprises et qui ont donc une certaine probabilité d'apparaître.
L'apprentissage se fait à partir des probabilités qui se réalisent entre forme et fonction.
Ce qui est plus fréquent est appris plus rapidement que ce qui est rare. Ainsi, l'ordre
des mots dans la phrase qui est important en anglais est acquis plus précocement dans
cette langue qu'en italien où cet ordre n'est pas un bon indicateur. Ce qui est pris en
compte, n'est plus simplement la forme syntaxique, la fonction sémantique, etc., mais
un indice de probabilité qui tient compte de l'appariement entre plusieurs sources. Un
ensemble de recherches réalisées chez l'enfant a apporté quelques éléments de valida-
tion partielle de cette approche (cf. Kail, 2000).
La conception du langage dans ce modèle est très différente des précédentes, et le
rapprochement avec le fonctionnement des réseaux de neurones en fait tout l'intérêt.
Développement de la communication et du langage I 283

V - La perspective interactionniste sociale

Les théories nativistes, constructivistes et du traitement de l'information sont


basées sur la dépendance du langage par rapport à la cognition. D'autres théories,
mettent l'accent sur l'importance des interactions sociales pour l'acquisition comme
pour le fonctionnement du langage (Bernicot, 2004 ; Bernicot, 2006). La théorie de
Vygotski est fondatrice de cette perspective. La publication en 1962 de la traduction
américaine de son ouvrage Langage et pensée préfacée par Bruner a permis la diffusion de
ses idées. Les textes de Vygotski ont été écrits en russe entre 1925 et 1934. Les linguis-
tes, qui ont donné un statut à la pragmatique comme Peirce (1867-1908, présentation
française par Deledalle en 1978) et Morris (1946), puis ceux qui ont développé les théo-
ries des actes de langage (Austin, 1969 ; Searle, 1972) ont permis de consolider d'un
point de vue théorique cette approche. Les tenants de cette perspective sont au carre-
four des grands courants théoriques de la psychologie du développement. Ils sont pro-
ches du behaviorisme car ils considèrent que le rôle de l'expérience est important, mais
ils s'en écartent en introduisant des fonctions mentales comme les intentions ou les
croyances refusées par le behaviorisme comme étant impossible à tester. Ils sont égale-
ment proches des nativistes en mettant en avant une capacité spécifique à l'espèce
humaine ; mais ils s'en écartent dans la mesure où cette capacité n'est pas celle de
générer des structures grammaticales universelles, mais celle de représenter par des
signes conventionnels (quels qu'ils soient) des significations partagées avec autrui.
Comme le cognitivisme, ils accordent une importance fondamentale aux processus
cognitifs sous-jacents au fonctionnement et à l'évolution des comportements ; cepen-
dant, ils s'en écartent dans la mesure où ces processus cognitifs reposent sur des struc-
tures ayant des contenus et non pas sur des structures dont les éléments sont définis par
des caractéristiques extrêmement générales.
Pour Vygotski (1997) un signe linguistique est toujours, à l'origine, un moyen uti-
lisé dans un but social, un moyen d'influencer autrui. La fonction essentielle du lan-
gage, chez l'adulte comme chez l'enfant, c'est la communication, et le langage de
l'enfant est purement social. La signification d'un mot n'est pas immuable, elle se
modifie avec le développement, elle se construit en interaction avec un interlocuteur. À
partir du concept vygotskien de zone proximale de développement, et du passage d'une
phase interpsychologique à une phase intrapsychologique, Bruner (1983) a développé
les notions de relation d'aide, d'étayage, de ritualisation et la notion de format
d'interaction qui permettent d'expliquer les comportements communicatifs d'enfants
de 0 à 2 ans, mais aussi au-delà les acquisitions langagières. En ce qui concerne le lan-
gage et la communication, la phase interpsychologique correspond à une période de
construction du code commun avec un interlocuteur, et la phase intrapsychologique
correspond à l'utilisation par l'enfant de ce code pour lui-même. D'une façon générale,
la zone proximale de développement est définie comme « la distance entre le niveau de

1. Notons l'hypothèse inverse de Sapir et Whorf élaborée dans les années 1950: l'enfant percevrait le monde
qui l'entoure à travers le filtre imposé par sa langue (pour une présentation plus détaillée, cf. Jisa, 2005).
284 I Psychologie du développement

développement actuel tel qu'on peut le déterminer à travers la façon dont l'enfant
résout des problèmes seul et le niveau de développement potentiel tel qu'on peut le
déterminer à travers la façon dont l'enfant résout des problèmes lorsqu'il est assisté par
un adulte ou collabore avec d'autres enfants plus avancés » (Vygotski, 1997). Le rôle
essentiel de l'adulte est d'interpréter les productions de l'enfant, lui renvoyant ainsi la
signification sociale de son énoncé. C'est l'interprétation de l'adulte qui donne un sens
à la production de l'enfant et cela correspond à la phase interpsychologique de
l'acquisition du langage. Lors de la phase intrapsychologique, l'enfant est devenu
capable de faire référence pour lui-même à la réalité extralinguistique à l'aide des
signes linguistiques. Et ainsi de proche en proche le développement du langage se cons-
truit à travers l'interaction entre « novice » et « expert ».
Dans cette perspective, parler, c'est être engagé dans un comportement régi par
des règles, qui ne sont pas uniquement structurales comme pour les tenants de la pers-
pective nativiste ou cognitiviste, mais aussi sociales. Comme l'ont déjà souligné Schneu-
wly et Bronckart (1985), et Deleau (1990) il existe une convergence entre les proposi-
tions de Vygotski et les théories pragmatiques en particulier en ce qui concerne la
nature sociale du signe linguistique et l'intérêt pour l'étude de la conscience ou de
l'intention. Par exemple pour Searle (1972), l'un des buts de la perspective des actes de
langage est de théoriser les conventions extralinguistiques qui régissent l'usage du lan-
gage dans des contextes donnés et de distinguer ce qui est dit, de ce que cela veut dire.
Rien ne rappelle plus l'affirmation de Vygotski (1997) : « Une seule et même pensée
peut être exprimée par des phrases différentes, comme une même phrase peut servir
d'expression à des pensées différentes. » La question principale à résoudre est : com-
ment l'enfant devient-il sensible aux correspondances existant entre la forme des énon-
cés et les contextes de communication ?
Cette conception fournit un cadre théorique pour expliquer toutes les situations de
communication dans lesquelles l'interprétation des énoncés dépend du contexte et
requièrent la mise en oeuvre d'inférences chez le locuteur comme chez l'auditeur. Le fait
que le langage dans de très nombreuses situations ne soit pas transparent, c'est-à-dire
qu'il existe un décalage entre ce qui est dit et ce qui est signifié, demande à être expliqué.
La perspective interactionniste prend en compte cet aspect fondamental du langage à
travers l'opérationnalisation des règles de la pragmatique élaborées par les linguistes.
Certaines conditions de compréhension et de production des énoncés ont fait
l'objet de recherches expérimentales qui apportent des résultats convaincants. Une
théorie de l'usage du langage chez l'enfant passe par l'élaboration de catégories de buts
sociaux des énoncés, de locuteurs et d'auditeurs, de contexte, et d'unités d'analyse du
discours qui permettront d'élaborer des modèles locaux. La définition d'un domaine est
réalisée à travers une fonction sociale (la demande, la promesse, l'assertion, etc.) ou une
forme linguistique (l'ironie, les formes idiomatiques). Ces modèles locaux sont multidi-
mensionnels et non linéaires. Ils sont multidimensionnels dans la mesure où des para-
mètres structuraux variés du langage peuvent être pris en compte : par exemple (la
syntaxe mais aussi la prosodie, la sémantique et l'organisation du discours). Ils sont non
linéaires parce que l'hypothèse cruciale n'est pas une augmentation de la complexité
des énoncés produits et compris avec l'âge, mais une variation de la forme des énoncés
en fonction des caractéristiques de la situation de communication.
Développement de la communication et du langage I 285

VI - Conclusion

L'étude du développement de la communication et du langage est un domaine


très vivant en constante évolution dont tous les aspects n'ont pas été présentés dans ce
chapitre. On a peu abordé le rôle important de l'input dans le cadre des interactions
sociales (Veneziano, 2000 ; Chouinard et Clark, 2003 ; Bernicot, Salazar Orvig et
Hudelot, 2006). On a peu souligné le rôle de l'environnement défini par la classe
sociale (Bernstein, 1975 ; Labov, 1978), le rang dans la fratrie (Bernicot et Roux, 1998),
le mode de garde (Marcos, Salazar Orvig, Bernicot, Guidetti, Hudelot et Préneron,
2004) ou la culture (Rabain-Jamin, 1998). Dans les domaines nouveaux, on peut citer
en particulier : le développement du langage oral tout au long de la vie (Berko Gleason,
2001), la langue écrite chez les adolescents (Berman, 2005) la communication média-
tisée par ordinateur, les relations entre le développement du langage et la théorie de
l'esprit (Thommen et Rimbert, 2005) ou encore une application de la proposition de
développement par inhibition au langage (Houdé, 2004).
L'étude de la communication et du langage chez l'enfant devient de plus en plus
un domaine interdisciplinaire pouvant inclure la psychologie, la linguistique,
l'anthropologie, la neuropsychologie ou la génétique. Les données issues de situations
naturelles font l'objet d'un nombre croissant d'analyses permettant ainsi d'élaborer des
théories intégrées de la communication, du langage et du contexte social.

LECTURES CONSEILLÉES

Berko Gleason, J. (2001). The Development of Language. Needham Heights : Allyn and Bacon
(5' éd.).
Bernicot, J., Trognon, A., Guidetti, M., & Musiol, M. (2002). Pragmatique et psychologie. Nancy :
PUN.
Crystal, D_ (1997). The Cambridge En9clopedia of Language. Cambridge Cambridge University
Press.
Hombert, J. M. (Ed.) (2005). Aux origines des langues et du langage. Paris : Fayard.
Kail, M., & Fayol M. (Eds.) (2000). L'acquisition du langage (t. 1 et 2). Paris : PUF.
deuxième partie

PSYCHOLOGIE DIFFÉRENTIELLE
7 origines et évolution
de la psychologie différentielle

PAR MICHEL HUTEAU

La réflexion sur le psychisme humain, dans ses aspects généraux et différentiels, est très
ancienne. Dans la culture occidentale on la fait remonter à l'Antiquité grecque. Elle se
manifeste en littérature, en philosophie et en médecine. Si la médecine est entrée dans
le domaine des disciplines scientifiques, la création littérature et la réflexion philoso-
phique continuent à produire une certaine psychologie. Celle-ci a peu en commun avec
celle qui est enseignée dans les universités. La psychologie moderne, apparue dans la
seconde moitié du xixe siècle, se veut scientifique. Elle se propose d'expliquer bien plus
que de comprendre intuitivement et elle a répudié toute préoccupation métaphysique.
Les faits qu'elle utilise sont aussi précis, contrôlés et reproductibles que possible. Leur
fonction n'est plus l'illustration de points de vue préalables mais ils sont à la base de
théories qui doivent être publiquement vérifiées. L'émergence de ce nouveau point de
vue a été facilitée par les développements de la philosophie empiriste et par les progrès
de la physiologie.
En opposition à René Descartes (1596-1650) pour qui les idées sont innées, le phi-
losophe anglais Thomas Hobbes (1588-1679) affirme que la sensation est à l'origine des
connaissances. On peut donc étudier à partir de faits sensoriels la formation des idées.
Dans ce cadre, une psychologie empirique, expérimentale est non seulement possible,
mais elle paraît nécessaire. Cette nouvelle théorie de la connaissance sera illustrée et
développée de la fin du xvne siècle au début du >axe par John Locke (1632-1704),
David Hume (1711-1776), Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780), James Mill (1773-
1836). Elle donnera naissance à l'associationnisme, théorie psychologique très générale
qui inspirera les premiers travaux de psychologie objective.
En France, tout au long du xixe siècle, soutenu par les découvertes des physiolo-
gistes, se développe un point de vue matérialiste qui affirme que la base des fonctions
psychologiques se trouve dans le cerveau. La phrénologie de Franz Joseph Gall (1758-
1828) est une manifestation forte de ce courant. Pour Gall, il existe une trentaine de
facultés d'autant plus développées que l'est la partie du cerveau qui leur correspond. Le
cerveau imprimant son empreinte sur le crâne, en le palpant on peut découvrir les
facultés dominantes. Erronée, cette théorie, qui vise notamment à rendre compte des
différences individuelles, renferme cependant une idée juste qui aura beaucoup
290 I Psychologie différentielle

d'avenir, celle des localisations cérébrales. Ce courant s'oppose à la psychologie spiri-


tualiste de Victor Cousin (1792-1867), alors dominante, pour qui la méthode idéale du
psychologue est l'observation par introspection de ses propres états de conscience et
leur analyse au moyen du raisonnement inductif et déductif. Cette méthode doit per-
mettre d'atteindre non seulement une connaissance psychologique mais aussi des vérités
métaphysiques. Lorsqu'elle se constituera, la psychologie objective s'inspirera des
méthodes de la physiologie.

A - LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE ET SOCIAL


À LA FIN DU XIXe SIÈCLE

I - Le contexte scientifique : l'associationnisme

À la fin du xixe siècle, tous les psychologues qui veulent se démarquer de la psy-
chologie philosophique et constituer une psychologie objective adhèrent au paradigme
associationniste. Sensibles à la critique radicale de l'introspection formulée par Auguste
Comte (1798-1857), ils souhaitent utiliser des méthodes proches de celles des sciences
naturelles. Le paradigme associationniste se situe dans le prolongement direct de la phi-
losophie empiriste anglaise. Celle-ci est principalement représentée au xixe siècle par
Herbert Spencer (1820-1903), Alexander Bain (1818-1903) et John Stuart Mill (1806-
1873). Les travaux anglais seront popularisés en France par Théodule Ribot (1839-
1916), qui publie en 1870 La psychologie anglaise contemporaine. En France, l'auteur qui
développe le plus systématiquement les thèses associationnistes est Hippolyte Taine
(1828-1893) qui publie, en 1870 également, un gros traité de psychologie intitulé De
l'intelligence, traité qui sera réédité à de nombreuses reprises. Tant les anglais que Taine
et Ribot n'ont aucune pratique expérimentale. Les théories associationnistes sont diver-
ses mais toutes ont en commun quelques principes de base (ce qui justifie leur regrou-
pement dans le cadre d'un même paradigme).
Tout d'abord les associationnistes considèrent que la psychologie a pour objet les
états de conscience. La conscience est ce qui caractérise fondamentalement les phéno-
mènes psychologiques (de même que la physiologie est la physique plus la vie, la psy-
chologie est la vie plus la conscience). Les philosophes — psychologues, pensent la même
chose. Mais tandis que les philosophes considèrent des états de conscience complexes,
ceux qui sont fournis par introspection dans les circonstances de la vie quotidienne, les
psychologues associationnistes s'intéresseront à des états de conscience élémentaires — la
conscience ou non d'une stimulation par exemple — accessibles à la mesure et donc,
pense-t-on, scientifiquement abordables. Les états de conscience élémentaires peuvent
être plus ou moins intenses, avoir une tonalité affective, ils tendent à s'objectiver
(l'image paraît réelle) et à s'associer. Les associationnistes acceptent trois principes qui
constituent le coeur du paradigme. Ce sont des empiristes, des réductionnistes et des
mécanistes.
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 291

Ils considèrent, premier principe, que toute connaissance provient de l'expérience


sensorielle. Le second principe, le plus important, consiste à affirmer que les phénomè-
nes psychologiques les plus complexes sont réductibles à des phénomènes élémentaires.
« Les phénomènes les plus élevés sont les effets d'une complication qui, par degrés
insensibles, est sortie des éléments les plus simples » (Spencer) ; « les phénomènes les
plus abstraits de l'esprit sont formés de phénomènes plus simples et plus élémentaires »
(J. Stuart Mill). C'est par la combinaison, l'association, des phénomènes élémentaires
que sont produits les phénomènes complexes. Les phénomènes élémentaires sont les
sensations et les images (traces en mémoire des sensations).
« Ce que l'observation démêle au fond de l'être pensant (...), ce sont outre les sensa-
tions, des images de diverses sortes, primitives ou consécutives, douées de certaines tendan-
ces, et modifiées dans leur développement par le concours ou l'antagonisme d'autres images
simultanées ou contiguës. De même que le corps vivant est un polypier de cellules mutuelle-
ment dépendantes, de même l'esprit agissant est un polypier d'images mutuellement dépen-
dantes, et l'unité, dans l'un comme dans l'autre, n'est qu'une harmonie ou un effet »
(Taine, 1870, p. 124).

Taine écrit encore que tous les faits psychologiques ne sont que les répétitions
« plus ou moins transformées et déguisées » (ibid., p. 163) de la sensation et que les lois
des idées se ramènent aux lois des images « puisque nos idées se ramènent à des ima-
ges » (ibid., p. 71). Les lois de l'association sont donc fondamentales et John Stuart Mill
n'hésite pas à les comparer aux lois de la gravitation en astronomie. Alors que la
théorie des facultés ne fournit qu'une classification des phénomènes psychologiques la
théorie associationniste apporte une explication.
Le troisième principe de la théorie associationniste est le mécanisme. Le processus
d'association est totalement déterminé de l'extérieur. Il dépend des propriétés des élé-
ments qui vont s'associer (sensations, images, idées) et d'elles seules. Le sujet est passif et
on ne lui attribue aucune capacité de contrôle ou d'initiative.
Une conséquence importante de l'adoption du paradigme associationniste est la
centration sur les phénomènes psychologiques élémentaires. Certes, on étudie aussi
l'association d'idées et la mémoire (c'est-à-dire la conservation des associations), mais
l'étude des sensations est privilégiée car elles sont la véritable base du psychisme. Elles
présentent aussi le gros avantage de pouvoir être étudiées avec des méthodes voisines
de celles que les physiologistes mettent en oeuvre, ce qui est un gage de la scientificité
recherchée.

Il - Le contexte social

La fin du XIX e siècle est marquée par des changements sociaux tout à fait notables.
La révolution industrielle, avec la mécanisation, accentue la division du travail et boule-
verse les modalités habituelles de sa reproduction. De nouvelles qualifications et nou-
veaux métiers apparaissent en même temps qu'évolue l'organisation du travail. D'où
une série de problèmes relatifs à la formation et au recrutement de la main-d'oeuvre.
292 I Psychologie différentielle

Du fait de l'augmentation de la mobilité professionnelle beaucoup d'enfants ne peuvent


plus exercer le même métier que leur père et l'on commence à se poser le problème de
l'orientation professionnelle des jeunes. Ces questions se poseront avec une force parti-
culière dans le contexte de la reconstruction du pays au lendemain de la Première
Guerre mondiale.
Avec la constitution de la classe ouvrière apparaît la question sociale.
L'industrialisation se faisant dans le cadre d'un libéralisme sauvage les conditions de vie
des ouvriers, pour beaucoup récemment transplantés de la campagne, sont misérables.
Leurs revenus sont faibles et instables et le travail des enfants nécessaire. Cette situation
à deux conséquences qui paraissent dangereuses pour la société. La première est poli-
tique : dans cette classe ouvrière naissante se développent le mouvement syndical et
divers courants anarchistes et socialistes. La seconde conséquence est sociale. La pau-
vreté, en même temps que la rupture des liens sociaux traditionnels, conduit à une crise
morale dont les symptômes sont la prostitution, la délinquance, l'alcoolisme.
À la fin du xpçe siècle, l'enseignement primaire qui avait progressé régulièrement
tout au long du siècle, se généralise dans tous les pays industrialisés. D'où, là encore,
une série de problèmes : absentéisme, abandons, faible rendement... L'un de ces problè-
mes consiste à fournir un enseignement aux enfants qui, du fait d'un handicap, le plus
souvent mental, ne peuvent suivre les enseignements communs. Aussi, un peu partout,
envisage-t-on la création d'un enseignement spécial.
Plusieurs des problèmes que pose l'évolution de la société sont relatifs au diagnos-
tic de caractéristiques individuelles : sélection professionnelle, sélection pour des forma-
tions, orientation professionnelle, recrutement pour l'enseignement spécial. Ils concer-
nent donc directement la psychologie différentielle. Peut-on dire pour autant qu'il y a
une demande sociale en matière d'instruments de diagnostic, demande à laquelle tente-
rait de répondre la psychologie différentielle naissante ? Pas vraiment. En fait, les
acteurs sociaux ne demandent rien aux psychologues. Ce sont les psychologues qui pro-
posent leurs services — avec peu de succès dans un premier temps. Un exemple illustre
cette situation. En 1900, Édouard Toulouse écrit au ministre du Commerce Alexandre
Millerand pour demander la création d'un « Laboratoire de recherches biologiques et
sociales » qui serait chargé notamment d'étudier et de mettre en place des procédures
de sélection, dans un premier temps dans les administrations publiques, ensuite dans les
entreprises privées, et de définir les conditions optimales de l'orientation et de la forma-
tion professionnelles. Le ministre concerné n'a pas jugé utile de soutenir ce projet, ses
successeurs non plus.
A priori, la solution de la question sociale ne relève pas de la psychologie des
différences individuelles. Pourtant, des auteurs comme Toulouse et Binet pensent
qu'elle peut contribuer à la paix sociale, notamment au moyen de l'orientation
professionnelle.
Les psychologues sont convaincus de l'intérêt social des techniques de description
des différences individuelles qu'ils se proposent d'élaborer. Bien qu'ils ne soient guère
suivis, le souci d'application jouera cependant un rôle important dès les débuts de la
psychologie différentielle. Après la Première Guerre mondiale, et bien plus encore après
la Seconde, bien qu'inégale selon les pays, on verra alors apparaître et se développer
une véritable demande sociale.
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 293

B - LES FONDATEURS DE LA PSYCHOLOGIE DIFFÉRENTIELLE

À l'heure actuelle la manière de concevoir la psychologie est quasiment la même


dans tous les pays et l'on étudie partout les mêmes problèmes de la même manière. Ce
n'était pas le cas à la fin du xixe siècle où les traditions nationales étaient fortement
marquées. La psychologie différentielle a été fondée par Francis Galton, en Angleterre,
et, indépendamment et sur des bases différentes, par Alfred Binet en France. Cepen-
dant, les travaux réalisés en Allemagne et aux États-Unis ont aussi contribué à ses pre-
miers développements

I - Autour de Wundt, en Allemagne

L'Allemagne est manifestement la terre d'élection de la psychologie expérimen-


tale avec, dans la seconde moitié du xtxe siècle, les recherches de Gustav Fechner
(1801-1897) en psychophysique et de Hermann Von Helmholtz (1821-1894) sur la
physiologie et la psychologie des sensations. C'est cependant Wilhelm Maximilian
Wundt (1832-1920) qui est le plus souvent désigné comme le fondateur de la psycho-
logie expérimentale. Il créé à Leipzig en 1879 le premier laboratoire de psychologie
où viendront se former aux méthodes de la psychologie expérimentale de nombreux
étudiants européens et nord-américains. Wundt ne se réfère pas explicitement à
l'associationnisme mais il en adopte les principes. Il pense qu'il faut « résoudre les
phénomènes psychologiques en leurs éléments les plus simples » qui sont les sensa-
tions. Dans le laboratoire de Wundt on étudie beaucoup les seuils portant sur la per-
ception d'un stimulus ou sur les différences entre deux stimuli et les temps de réac-
tions plus ou moins complexes.
Le propos de Wundt est de découvrir des lois générales et il ne manifeste aucun
intérêt pour les différences individuelles. Celles-ci sont « neutralisées » en calculant des
moyennes et en ne se préoccupant pas de la dispersion autour de ces moyennes, pra-
tique qui sera celle de générations de psychologues expérimentalistes. La variabilité
inter-individuelle est ainsi considérée comme une erreur de mesure et traitée comme
telle. Mais certains élèves de Wundt sont frappés par l'importance de cette variabilité
et, après fréquentation de Galton, ils en feront leur objet d'étude principal. C'est le cas
de l'Américain James McKeen Candi et de l'Anglais Charles Spearman.
En 1900, William Stem (1871-1938), bien plus influencé par Binet que par
Wundt, publie une sorte de bilan des travaux de psychologie différentielle. Ce livre sera
actualisé et enrichi en 1911 et 1921 sous le titre Différentielle Psychologie in ihren methodi-
schen Grundlagen. Pour Stem la psychologie différentielle est autant concernée par les dif-
férences entre les groupes que par les différences entre les individus. Elle doit préciser la
nature et l'étendue des différences individuelles, les facteurs qui les déterminent et les
affectent. Il examine les diverses méthodes d'évaluation de ces différences : introspec-
294 I Psychologie différentielle

tion, mesures objectives, données historiques et culturelles. C'est à Stem que l'on doit
l'expression « psychologie différentielle » (en 1900). On lui doit aussi l'invention du
quotient intellectuel comme rapport entre l'âge mental et l'âge chronologique (1911).

Il - Galton en Angleterre

Francis Galton (1822-1911) est un des derniers savants indépendants. Après une
éducation davantage tournée vers les humanités que vers les sciences et un début
d'études médicales, sa fortune personnelle lui permet de conduire les recherches qui
l'inspirent en dehors de toute inscription universitaire. Ses intérêts sont d'une grande
diversité et il a apporté des contributions notables dans plusieurs domaines : géo-
graphie, mécanique, optique, météorologie, anthropométrie, criminologie, psychologie
générale (étude des sensations, des images mentales, de l'association d'idées) et surtout
psychologie différentielle, branche de la psychologie dont il est le fondateur.

a. La théorie de la sélection naturelle

Galton est le cousin germain de Charles Darwin (1809-1882). Leur grand-père est
le physiologiste et poète Erasmus Darwin. Galton a suivi la genèse de l'ouvrage princi-
pal de Darwin publié en 1859, L'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte
pour l'existence dans la nature, et il adhère sans réserves aux thèses avancées. Étant en
contact, Galton et Darwin ont d'ailleurs collaboré dans plusieurs recherches expérimen-
tales. La psychologie différentielle de Galton se présente comme une application à
l'espèce humaine de la théorie darwinienne de l'évolution (une autre application de la
théorie darwinienne, développée par Darwin lui-même, est la psychologie comparée).
La variabilité interindividuelle d'origine héréditaire, on le sait, est au coeur de cette
théorie. Alors que l'évolutionnisme de Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) considé-
rait que l'évolution des espèces provenait de l'adaptation des individus aux conditions
de leur milieu, les caractères acquis devenant héréditaires, le mécanisme imaginé par
Darwin est tout différent. Il considère, et il montre à partir de nombreuses observa-
tions, qu'il y a une variabilité entre les individus d'origine héréditaire que l'on peut
admettre aléatoire. Du fait de ce potentiel héréditaire, certains individus sont mieux
adaptés que d'autres aux conditions du milieu : ils ont plus de chances que d'autres de
survivre et de se reproduire. En d'autres termes, le milieu exerce une sélection. Les
caractères héréditaires favorables à l'adaptation tendent donc progressivement à se fixer
au détriment de ceux qui le sont moins et c'est ainsi que les espèces évoluent.
Pour Galton, l'application de la théorie de l'évolution à l'espèce humaine pose
deux grands problèmes : monter qu'il y a une forte variabilité entre les individus et
monter que cette variabilité est héréditaire. Pour traiter les données recueillies Galton
invente des outils statistiques qui sont à la base de toute la statistique descriptive (le
coefficient de corrélation notamment). Il pense aussi que la théorie de l'évolution per-
met le contrôle de l'évolution de l'espèce humaine (de la « race » comme on disait
alors) et donne l'opportunité de l'améliorer.
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 295

b. La description de la variabilité entre les individus


Galton souhaite des mesures précises des caractéristiques individuelles, aussi préci-
ses que celles de la physique, de la chimie et de la physiologie. Il adopte le point de vue
anthropométrique comme quoi les caractéristiques psychologiques peuvent être appré-
hendées à partir de mesures corporelles. Il adopte aussi le point de vue associationniste
qui conduit à s'intéresser prioritairement aux phénomènes élémentaires et plus particu-
lièrement aux phénomènes sensoriels. Ces deux sources d'inspiration permettent de
comprendre le choix des caractères dont il étudie la variabilité. En 1884, Galton profite
d'une exposition internationale qui se tient à Londres pour recueillir des observations
sur un nombre important de sujets. Les visiteurs, à qui l'on demande une contribution
de trois pence (!), sont mesurés sur les variables suivantes (on leur indique que les résul-
tats de ces mesures les renseigneront sur leurs possibilités et sur d'éventuels retards de
développement) :
1 / couleur des yeux et des cheveux ;
2 / acuité visuelle ;
3 / discrimination des couleurs ;
4 / estimation des longueurs ;
5 / acuité auditive ;
6 / fréquence maximale audible ;
7 / capacité respiratoire ;
8 / rapidité de mouvement ;
9 / force (pour tirer et pour exercer une pression) ;
10 / envergure ;
11 / taille ;
12 / poids.

Ces variables ont été choisies, écrit Galton, car elles représentent des constantes
personnelles et correspondent à des activités familières (afin de contrôler les effets de
l'apprentissage). Les mesures des dimensions de la tête, jugées importantes, n'ont pas
été effectuées pour des raisons pratiques (tenant notamment au bonnet et au chignon
des femmes !). D'autres appareils, pour explorer le domaine de la sensibilité tactile
notamment, sont seulement présentés. Près de 9 000 personnes seront ainsi mesu-
rées. À la fin de l'exposition le matériel de Galton est transféré dans un laboratoire
anthropométrique où les mesures de l'exposition continueront à être réalisées
jusqu'en 1890.
Toujours en 1884, Galion plaide pour l'ouverture d'un laboratoire à l'Université
de Cambridge qui serait destiné à l'évaluation des « facultés humaines », les exemples
de facultés qu'il indique sont identiques à celles qui sont mesurées à l'Exposition. À
cette époque, Galton a déjà réalisé d'importants travaux sur l'imagerie mentale
(en 1879 notamment) mais, contrairement à ce que suggérera Binet, il n'éprouve pas le
besoin d'introduire des mesures d'imagerie mentale dans ses tests. Par la suite, Galton
introduira de nouvelles variables psychologiques, issues notamment du laboratoire de
Wundt, mais elles concerneront toujours des phénomènes élémentaires. Ce type de tes-
ting, même lorsqu'il ne comportait plus que des variables psychologiques, a été qualifié
296 I Psychologie différentielle

d' « anthropométrique ». Les principales contributions de Galton à la mesure de la


variabilité interindividuelle ont été rassemblées dans Inquiries into Human Faculp and its
Development (1883).

c. L'origine héréditaire des différences individuelles

Pour monter que la variabilité interindividuelle est héréditaire, Galton utilise plu-
sieurs méthodes : étude sur les jumeaux (si les jumeaux qui se ressemblent beaucoup
pendant l'enfance continuent à se ressembler beaucoup à l'âge adulte alors qu'ils ne
sont plus dans le même milieu, cela plaide, dit Galton, pour une forte influence des fac-
teurs héréditaires), étude des relations entre les caractères des ascendants et des descen-
dants, arbres généalogiques. Ce sont des résultats obtenus avec cette dernière méthode
dont Galton rend compte en 1869 dans Hereditary genius, ouvrage qu'admirait beaucoup
Darwin. Galton montre que parmi les parents de personnes ayant un haut niveau de
compétence intellectuelle, personnes « éminentes », on rencontre davantage de person-
nes également hautement compétentes que dans la population générale. La compétence
est définie par la réputation attestée par une enquête directe lorsque c'est possible,
sinon à partir de documents dont des biographies. Il examine 300 familles sur plusieurs
générations (les juges de 1660 à 1768, des hommes d'État, des grands artistes...). Il
observe par exemple que lorsque les juges sont éminents, 26 % de leurs pères, 35 % de
leurs frères et 36 % de leurs fils le sont également. Il observe aussi, toujours lorsque les
juges sont éminents, que 15 % de leurs grands-pères, 18 `)/0 de leurs oncles, 19 % de
leurs petits-enfants et 19 % de leurs neveux, 11 % de leurs cousins, 4 % de leurs
grands-oncles et 2 o/ de leurs arrière-grand-parents le sont également. Il y a manifeste-
ment plus de personnes éminentes dans les familles ou il y a déjà une personne émi-
nente que dans la population (une pour 4 000). Galton en déduit, manifestement un
peu rapidement et il s'en rend compte, que l'éminence est un trait familial héréditaire.

d. Les statistiques

Tant pour traiter ses nombreuses données que pour étudier les relations entre
ascendants et descendants Galton a besoin d'outils statistiques. Dans ce domaine Gal-
ton va se montrer particulièrement créatif. Il est à l'origine des étalonnages normalisés.
Dans Hereditag Genius il définit 14 niveaux de compétence, de l'idiotie au génie, qui se
distribuent selon une courbe normale, celle qu'Adolphe Quételet (1796-1874) vient de
mettre en évidence à propos de la distribution des tailles. Avec Galton, qui cependant
ne voit pas le caractère conventionnel de la démarche, apparaît l'idée que l'on peut
définir une métrique à partir de fréquences : la distribution normale est utilisée pour
déterminer les fractions successives de la population qui doivent être utilisées afin de
définir des échelons équidistants (voir chap. 8).
Galton est aussi l'inventeur du coefficient de corrélation de Bravais-Pearson
aujourd'hui universellement utilisé (voir Huteau, 2006). Dans ses recherches sur
l'hérédité, Galton recherche la loi qui relie les caractères des ascendants à ceux des des-
cendants (loi de l'hérédité « ancestrale »). Il étudie d'abord cette question à propos de la
taille de graines de pois, puis à propos des tailles humaines. Dans un premier temps
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 297

Galton découvre le phénomène de régression vers la moyenne : la valeur moyenne d'un


caractère chez les descendants est inférieure à sa valeur chez les ascendants (enca-
dré 7.1). Galton s'aperçoit ensuite qu'on observe le même phénomène si on examine
les moyennes des caractères des ascendants pour un caractère donné des descendants.
Il se rend alors compte que pour décrire la liaison il faut tenir compte des deux droites
de régression. Il montre que l'on peut décrire les ellipses qui résument le tableau de
corrélation à partir de trois paramètres : la dispersion des deux variables considérées
dans la population générale et un paramètre r, moyenne géométrique des coefficients
angulaires des deux droites de régression, qui est une mesure de la force de la liaison
entre les deux variables (1888), Galton est également le précurseur des techniques
d'analyse factorielle.

ENCADRÉ 7.1

La première droite de régression


hérédité de la taille des graines de pois (Galton, 1877)

Moyenne
des
descendants

20 21 22

Diamètre des graines des ascendants


(en centième de pouce)

FIG. 7.1
En abscisse : diamètres des graines des ascendants, en ordonnée : diamètre des graines des descen-
dants (en centièmes de pouces).
Galton observe que lorsque la taille des graines des ascendants est par exemple 21 centièmes (écart à
la moyenne de 3 centièmes), celle des descendants est seulement de 17,5 centièmes de pouces en moyenne
(écart à la moyenne d'environ 1,2 centième seulement). Il y a donc eu « régression » vers la moyenne de la
taille des descendants.

e. L'eugénisme

Dès la publication d'Hereditapi Genius, Galton envisage les applications sociales de


ses résultats. Si c'est bien lui qui propose le terme eugenics en 1883 (il fondera en 1907
un laboratoire d'eugénisme), il n'est pas pour autant l'inventeur de l'eugénisme qui est
un courant de pensée extrêmement répandu, notamment dans les milieux médicaux,
298 I Psychologie différentielle

tout au long du xix' siècle. Par contre, il cherche à donner à l'eugénisme des bases
scientifiques en l'arrimant à la théorie darwinienne de l'évolution. Pour Galton, il ne
faut pas se contenter de lutter contre le déclin de l'espèce humaine (selon lui, celui-ci
provient de la plus grande fécondité des classes inférieures qui se caractérisent par de
moindres capacités intellectuelles ; comme ces capacités intellectuelles sont héréditai-
res, le niveau moyen de la population ne peut que décliner) il faut aussi l'améliorer
(eugénisme positif). Sans trop entrer dans le détail il propose des mariages sélectifs, un
abandon des attitudes charitables et une révision des politiques sociales (il faudrait,
écrit-il dans son autobiographie, en 1908, que les « indésirables » ne soient pas les
seuls à bénéficier de l'aide morale et matérielle apportée par la société mais que les
« désirables » en bénéficient également). Aujourd'hui, après les crimes du national-
socialisme, de telles propositions sont bien sûr choquantes et condamnables. Il serait
cependant erroné de faire de Galton un précurseur du nazisme. Ses positions sont
celles de la plupart des médecins, des biologistes et des bourgeois « éclairés » de son
époque.

III - Deux élèves de Wundt et de Galton :


Cattell aux États-Unis et Spearman en Angleterre

a. Cattell

James McKeen Cattell (1860-1944) passe trois années à Leipzig (1883-1886) où il


devint le premier assistant de Wundt. Il y réalise une série de travaux sur les temps
de réaction dont il devient un spécialiste reconnu. À l'issue de son séjour en Alle-
magne il se rend en Angleterre où il rencontre Galton avec qui il était en correspon-
dance. Galton était intéressé par les temps de réaction qu'il voyait comme des indices
de l'efficacité neuronale et il se proposait de les intégrer dans sa batterie de mesures
des caractéristiques individuelles. De retour aux États-Unis, Cattell décide de se
consacrer à l'étude des différences individuelles et il a un programme : construire un
test d'intelligence à partir des situations expérimentales du laboratoire de Wundt.
Plusieurs psychologues américains ont le même objectif. Galton suit de près ces
entreprises auxquelles il collabore (à la fin du xne siècle, la psychologie est plus déve-
loppée aux États-Unis qu'en Europe ; en 1892, 22 universités ont leur laboratoire de
psychologie).
En 1890, dans un article où est utilisée pour la première fois l'expression mental test
pour désigner des épreuves psychologiques courtes, Cattell propose une série de 10 tests
(encadré 7.2). La plupart de ces tests font appel à des processus élémentaires. Ils sont
appliqués à de nombreux étudiants de l'Université Colombia à New York. Cattell
pense qu'ils permettront l'étude du développement psychologique et celle de la relation
entre l'hérédité et le milieu. Il est également persuadé qu'ils seront utiles pour l'aide
pédagogique aux étudiants et leur orientation professionnelle.
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 299

ENCADRE 7.2

Les tests de Cattell (1890)

1 / Pression dynamométrique.
2 / Vitesse de mouvement (vitesse maximum d'un mouvement du bras du repos à une dis-
tance de 50 cm).
3 / Zones sensitives (distance minimale entre deux points de la peau afin que leur excitation
donne encore naissance à deux sensations ; l'endroit choisi est la face dorsale de la main
entre les tendons de l'index et du médius dans le sens longitudinal).
4 / Pression douloureuse (seuil de perception de la douleur consécutive à une pression).
5 / Seuil différentiel de poids (plus petite différence perceptible pour un poids de 100 g).
6 / Temps de réaction auditif simple.
7 / Temps de dénomination de couleurs.
8 / Bissection d'une ligne de 50 cm.
9 / Reproduction d'une durée de dix secondes.
10 / Nombre de lettres retenues après une audition.

En 1901, Clark Wissler (1870-1947), un assistant de Cattell, calcule les corrélations


entre les tests de Cattell et les corrélations entre ces tests et les notes académiques obte-
nues par les étudiants. Les unes et les autres sont très faibles et inconsistantes. C'est tout
le programme de Cattell qui était ainsi ruiné. Cattell cessa de s'intéresser aux tests
mentaux. Wissler quitta la psychologie et il devint un anthropologue réputé... Cet épi-
sode marque la fin du « testing anthropométrique » aux États-Unis. La centration sur les
processus élémentaires n'ouvrait manifestement aucune perspective.
Si l'oeuvre scientifique de Cattell n'a pas eu de prolongements il est certainement
le psychologue qui a le plus contribué à l'institutionnalisation de la psychologie : organi-
sation des cursus, création de revues, d'associations professionnelles, de la première
entreprise de conseil et de commercialisation de produits psychologiques.

b. Spearman

Abandonnant des études de philosophie qui ne le satisfont pas, Charles Edward


Spearman (1863-1945) entre dans l'armée britannique à 22 ans. Après douze ans de
bons et loyaux services, il s'installe auprès de Wundt à Leipzig (1897). En 1900, au
moment de la guerre des Boers, il est rappelé en activité et est nommé commandant
militaire de Guernesey. De 1902 à 1907 il est à nouveau à Leipzig. Par la suite il occu-
pera divers postes universitaires en Angleterre.
Spearman n'est pas seulement influencé par Wundt qu'il admire, il s'est aussi initié
aux méthodes statistiques de Galton développées par Karl Pearson. Bien qu'il conteste
un des postulats de la théorie associationniste (la passivité du sujet), Spearman reste
attaché à l'élémentarisme qui la caractérise. Mais il est conscient des limites de la psy-
chologie de Wundt qui ne débouche pas sur la vie « réelle ». Il veut relier l'étude des
processus élémentaires, qui, à ses yeux, sont les seuls qui permettent une approche
scientifique, à des appréciations beaucoup plus globales de l'intelligence. Son intérêt
pour les différences individuelles et les corrélations (il qualifie sa psychologie de « corré-
300 I Psychologie différentielle

lationnelle ») l'éloigne aussi de Wundt. Spearman va reprendre l'idée de Galton selon


laquelle la corrélation entre deux variables s'explique par une cause commune.
En 1904 Spearman publie deux volumineux articles. Le premier est consacré à la
mesure des corrélations. Il y présente la théorie, devenue classique, de la fidélité et des
modalités de correction des corrélations afin de tenir compte de leur infidélité (voir
chap. 8). Le second article analyse les corrélations entre trois mesures de discrimination
sensorielle (discrimination des fréquences auditives, des intensités lumineuses et des
poids) et plusieurs mesures d'intelligence dite « quotidienne » (notes scolaires dans les
diverses matières, estimation des professeurs et d'autres élèves). Ces mesures sont rele-
vées sur plusieurs groupes d'écoliers de Guernesey. Spearman connaît les résultats de
Wissler mais il n'est pas découragé pour autant. Il est convaincu que les corrélations
entre processus élémentaires et processus globaux, si elles sont convenablement mesu-
rées et corrigées pour l'infidélité des mesures, doivent être élevées. Contre toute attente,
Spearman observe, après correction, des corrélations élevées entre la discrimination
sensorielle et l'intelligence quotidienne. « L'élément commun et essentiel de
l'intelligence, écrit-il, coïncide complètement avec l'élément commun et essentiel des
fonctions sensorielles. » De tels résultats n'ont jamais été confirmés et ils sont très vrai-
semblablement la conséquence d'erreurs dans l'observation au niveau même du recueil
des données.
Si la contribution de Spearman se limitait à ces résultats erronés elle ne présente-
rait guère d'intérêt. Mais dans son second article de 1904 Spearman jette les bases
d'une méthode d'analyse des conduites à partir de l'analyse des corrélations qui aura
des développements conséquents : l'analyse factorielle. Constatant que les corrélations
observées, bien que très élevées, ne sont pas parfaites Spearman introduit les notions de
facteur général et de facteur spécifique : « Toutes les branches de l'activité intellectuelle,
écrit-il, ont en commun une fonction fondamentale (ou un groupe de fonctions), tandis
que les éléments restants ou spécifiques de l'activité semblent être totalement différents
les uns des autres. »

IV - Binet en France

De toute évidence, avec Galton, Cattell et Spearman, la psychologie différentielle


est dans une impasse. Prisonniers des postulats associationnistes, ces auteurs sont
convaincus que l'approche scientifique des conduites passe nécessairement par l'étude
des processus élémentaires mais ils échouent à mettre en évidence la relation attendue
entre ces processus et des conduites plus globales. Alfred Binet (1857-1911) va sortir la
psychologie différentielle de cette impasse.
Après des études de droit et un début d'études de médecine, Binet se consacre à la
psychologie. Un peu schématiquement, on peut distinguer trois périodes dans sa car-
rière qui correspondent à trois lieux : la Salpêtrière, la Sorbonne et l'école de la Rue de
la Grange-aux-Belles à Paris. Dès 1882, et pendant sept ans, Binet travaille auprès de
Jean-Martin Charcot à l'asile de la Salpêtrière. Il observe les hystériques qu'il prend
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 301

comme sujets de ses expériences et il utilise l'hypnose comme méthode. Il fréquente


aussi à partir de 1888 le laboratoire d'embryologie du Collège de France et en 1894 il
soutiendra une thèse sur « le système nerveux sous-intestinal des insectes ». En 1891 il
rejoint le Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne créé deux ans plus
tôt par un physiologiste, Henri Beaunis. En 1894, il en devient le directeur. En 1895, il
fonde L'Année psychologique. Au début des années 1900 Binet se désintéresse du labora-
toire de la Sorbonne et se rend de plus en plus fréquemment à l'école primaire de la
Rue de la Grange-aux-Belles, à Paris, pour observer des écoliers. En 1906, un labora-
toire de pédagogie expérimentale sera créé dans cette école.

a. La psychologie individuelle

L'oeuvre de Binet est abondante et diversifiée. Il n'est guère de domaine de la psy-


chologie auquel il n'a pas apporté sa contribution. Voici un échantillon des thèmes
qu'il aborde : le comportement des insectes, la circulation sanguine en rapport avec les
phénomènes psychologiques, la céphalométrie, les sensations (tactiles, auditives, muscu-
laires...), la perception (des longueurs, de l'espace, de la durée, les illusions perceptives),
le raisonnement, l'imagerie mentale, la mémoire, le langage, la suggestibilité, le mouve-
ment, la force musculaire, l'émotion, le sens moral, l'écriture et la graphologie, les alté-
rations de la personnalité, l'intelligence, la psychologie des grands calculateurs, des
joueurs d'échecs, des prestidigitateurs... Ajoutons qu'il fait des incursions dans la méta-
physique et qu'il écrit des pièces de théâtre pour le Grand Guignol.
Binet s'est exprimé à plusieurs reprises sur cette grande diversité d'intérêts. Quels
que soient les problèmes abordés, l'idée constante de Binet est de construire une « psy-
chologie individuelle », c'est-à-dire une psychologie qui correspond à ce que nous appe-
lons aujourd'hui la psychologie différentielle. Pour Binet, la psychologie individuelle est
confrontée à deux grands types de problèmes. Il s'agit, d'une part, d'étudier la variabi-
lité interindividuelle d'une fonction, ou une dimension. « Étudier comment varient les
processus psychiques suivant les individus, quelles sont les propriétés variables de ces
processus et jusqu'à quel point ils varient », écrit-il, avec Victor Henri, en 1895. Il s'agit
aussi d'étudier l'organisation des diverses fonctions chez un même individu : « Étudier
dans quel rapport chez un même individu les différents processus psychiques se trou-
vent entre eux. » Binet insiste sur la portée pratique de l'étude des différences entre
les individus et des différences entre groupes d'individus, notamment dans quatre
domaines : « L'étude des races, l'étude des enfants, l'étude des malades, l'étude des
criminels. »

b. Les processus psychologiques supérieurs


Quelles fonctions, ou quelles dimensions privilégier ? Binet note que les tentatives
les plus nombreuses ont porté sur l'étude des sensations. Il conteste fortement cette ten-
dance pour deux raisons. Ces processus ne sont pas les plus pertinents et ce ne sont pas
ceux où la variabilité interindividuelle est la plus forte. « Les processus qui a priori et
d'après notre observation et analyse journalière, paraissent être les plus importants, et
qui marquent le mieux les différences entre les individus, sont les processus les plus
302 I Psychologie différentielle

intellectuels » (1895). Certes, Binet n'ignore pas que ces processus sont plus difficiles à
mesurer ( « Les processus qui peuvent le mieux être déterminés par les expériences sont
ceux qui nous servent le moins pour distinguer les individus ») mais comme ils sont
l'objet d'une plus grande variabilité, les exigences de précision peuvent être moindres.
Binet et Henri proposent en 1895 une liste de dix processus qui, selon eux, doivent
prioritairement être pris en compte dans la construction des tests d'intelligence (enca-
dré 7.3). Il suffit de comparer cette liste à celle des dix tests de Cattell présentés quel-
ques années plus tôt (encadré 2) pour s'apercevoir qu'il n'y a que très peu de recouvre-
ment entre elles. Avec Binet, c'est l'objet même de la psychologie qui change.

ENCADRÉ 7.3

Le programme de Binet et Henri :


les processus à privilégier dans l'étude de l'intelligence (1895)

1 / La mémoire.
2 / La nature des images mentales.
3/ L'imagination.
4 / L'attention.
5/ La faculté de comprendre.
6 / La suggestibilité.
7 / Le sentiment esthétique.
8 / Les sentiments moraux.
9 / La force musculaire et la force de la volonté.
10/L'habileté et le coup d'oeil.

c. Le dépassement de l'associationnisme

Dans ces propositions l'associationnisme n'est pas directement mis en question.


D'ailleurs, au début de sa carrière et dans ses premiers travaux, Binet se réclamait tout
à fait explicitement de l'associationnisme, celui de Taine notamment (le seul maître
qu'il se soit reconnu est John Stuart Mill). À partir du début des années 1900, Binet,
non seulement se démarque de l'associationnisme, mais il propose un paradigme alter-
natif : il déplace l'objet de la psychologie, montre que la théorie est infondée et renou-
velle la méthodologie expérimentale. Pour Binet, la psychologie doit étudier l'activité
du sujet et non ses états de conscience. « Comprendre, comparer, rapprocher, affirmer,
nier, sont, à proprement parler, des actes intellectuels et non des images » (1903). La
découverte d'une pensée sans image ruine la théorie associationniste. « Toute la logique
de la pensée échappe à l'imagerie » (1903). En 1909, Binet proposera une théorie de
l'intelligence qui met l'accent sur la régulation de l'action et qui ignore totalement les
lois de l'association. Dès lors, le privilège accordé à l'étude des processus supérieurs est
justifié théoriquement.
Binet juge que la conception dominante de l'expérimentation, limitée à l'étude de
l'effet d'un excitant physique sur la sensation, est trop étroite et il met en pratique une
introspection expérimentale. Il ne juge pas très pertinent de calquer la mesure des
caractères psychologiques sur celle des caractères physiques et, avec l'âge mental, il
introduit un repérage qui est en fait une mesure de niveau ordinal (voir chap. 2).
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 303

d. L'échelle métrique de l'intelligence

Souvenons-nous qu'il y a deux volets dans la psychologie individuelle de Binet (§ a,


p. 301). Les travaux réalisés sur la fonction intellectuelle ont eu une influence nettement
plus importante que ceux réalisés sur l'organisation des fonctions. Pour étudier
l'organisation des fonctions Binet a cherché à mettre en évidence des types intellectuels,
à partir de la description d'images, de la sensibilité tactile, de l'attention, de la création
littéraire... Cette catégorie de recherches culmine avec l'Étude expérimentale de l'intelligence,
en 1903, où Binet traite de l'idéation : « Rechercher à quoi pense une personne, com-
ment elle passe du mot à l'idée, comment sa pensée se développe, par quels caractères
précis sa pensée lui est personnelle et différente de celle d'un autre individu. » Synthéti-
sant un vaste ensemble d'observations réalisées sur ses deux filles, il montre que l'une
est « subjectiviste » tandis que l'autre est « objectiviste ».
Pour étudier la fonction intellectuelle, Binet a recherché dans toutes les directions
des signes de l'intelligence (dans la perception des longueurs, des nombres, des couleurs,
dans l'interprétation des dessins, la définition d'objets, la description des sensations inter-
nes, la mémoire des mots et des phrases, des mesures céphalométriques, dans la sensibi-
lité tactile, dans l'attention, dans l'écriture, dans la forme de la main...). Cette recherche
des signes de l'intelligence a donné naissance à l' « Échelle métrique de l'intelligence »
construite en collaboration avec Théodore Simon (elle est connue aussi sous l'appellation
« test Binet-Simon »). L'échelle métrique ne comporte que des signes psychologiques. Les
items qui la composent, et qui sont représentatifs d'un âge, ont été retenus après de nom-
breuses comparaisons entre enfants d'âges différents, entre bons et mauvais élèves, entre
normaux et débiles. Il existe trois versions de l'échelle métrique : 1905, 1908 et 1911. La
version de 1908 est très différente de celle de 1905 qui est une simple esquisse et elle per-
met le calcul d'un âge mental. La version de 1905 était conçue pour la détection des
débiles mentaux, celle de 1908 permet le classement de toute la population scolaire. La
version de 1911, établie sans la collaboration de Simon, est très proche de celle de 1908.
L'échelle métrique est un test radicalement différent de ceux qui avaient été jus-
qu'alors proposés. Elle fait appel à des fonctions diverses mais qui concernent toutes des
processus psychologiques supérieurs. La notion d'âge mental permet un classement des
individus sur des bases nouvelles. Si son application peut se révéler délicate elle ne
nécessite pas le matériel habituellement utilisé dans les laboratoires de psychologie.
Enfin, elle permet des pronostics de la réussite scolaire des écoliers (voir dans
l'encadré 7.4 quelques items de la version de 1908).

ENCADRÉ 7.4

Les items de la version de 1908


de l'Échelle métrique de l'intelligence de Binet et Simon
pour les âges de 3 ans, 6 ans, 9 ans et 12 ans

3 ans
Montrer nez, yeux, bouche
Énumérer les éléments d'une gravure
Répéter deux chiffres
304 I Psychologie différentielle

Répéter une phrase de 6 syllabes


Donner son nom de famille

6ans
Répéter une phase de 16 syllabes
Comparer deux figures au point de vue esthétique
Définir par l'usage des objets familiers
Exécuter trois commissions
Donner son âge
Distinguer matin et soir

9 ans
Donner la date du jour complète
Énumérer les jours de la semaine
Donner des définitions supérieures à l'usage
Conserver 6 souvenirs après lecture d'un fait divers
Rendre 4 sous sur 20 sous
Ordonner 5 poids

12 ans
Répéter 7 chiffres
Trouver 3 rimes
Répéter une phrase de 26 syllabes
Interpréter des gravures

La nouveauté et l'originalité du test de Binet et Simon apparaissent clairement si


on le compare aux épreuves que proposent Édouard Toulouse, Nicolas Vaschide et
Henri Piéron au même moment. Toulouse avait publié en 1896 une monographie sur
Émile Zola mais il n'était pas satisfait de ses méthodes d'observation qu'il jugeait peu
adaptées. Aussi, dans le laboratoire de psychologie expérimentale qu'il a créé à l'asile
de Villejuif en 1897, laboratoire bien plus actif que celui de Binet, travaille-t-il, avec
Vaschide et Piéron, à l'élaboration de nouveaux tests. Ces tests sont publiés en 1904
dans un ouvrage intitulé Technique de psychologie expérimentale. Ils sont destinés à être des
outils de recherche mais on envisage aussi leur utilisation à des fins pratiques. Ils doi-
vent permettre de « discerner ce qui caractérise l'individu propre à telle ou telle fonc-
tion ». Toulouse et ses collaborateurs restent attachés à la théorie associationniste dont
ils présentent d'ailleurs un exposé en préambule à leur ouvrage. Parmi les épreuves
proposées une large place est faite à l'observation des sensations. Ils distinguent 12 caté-
gories de sensations externes qui sont mesurées au moyen d'un appareillage sophistiqué
qui évoque le laboratoire de Wundt. Les processus supérieurs sont bien pris en compte
mais la place qui leur est attribuée est modeste et les indications pour leur mesure som-
maires : une soixantaine de pages sont consacrées aux sensations (autant à la mémoire
dont on distingue 10 aspects) et une vingtaine seulement aux processus supérieurs (affi-
nité créatrice, abstraction, jugement, raisonnement). Notons qu'aucun étalonnage n'est
présenté. Beaucoup trop lourds à appliquer et manquant de pertinence, les tests de
Toulouse, dans leur version de 1904, n'auront pas de succès. Certains d'entre eux
cependant, ceux qui évaluent les processus supérieurs, seront repris par Henri Piéron
en 1930.
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 305

C - LES DÉVELOPPEMENTS DE LA PSYCHOLOGIE DIFFÉRENTIELLE :


DU DÉBUT DES ANNÉES 1920 AUX ANNÉES 1960

Avec le Binet-Simon les tests deviennent crédibles et les applications de la psycho-


logie au moyen de tests de plus en plus fréquentes. Le terme « psychotechnique » (pro-
posé par W. Stem en 1903), aujourd'hui tombé en désuétude, désignait à l'origine tou-
tes les applications de la psychologie. Très vite il n'a plus désigné que celles réalisées au
moyen de tests. Pendant la période qui va en gros des années 1920 aux années 1960, la
psychologie différentielle, si elle n'est pas que cela, est d'abord une psychologie
appliquée (voir Reuchlin, 1971). Le développement des applications et celui des tests,
qu'il s'agisse de tests construits dans la perspective d'applications particulières ou de
tests plus généralistes, sont étroitement intriqués. Pour plus de clarté nous en traiterons
cependant séparément. Nous passerons d'abord rapidement en revue les principaux
domaines d'application de la psychologie différentielle. Nous traiterons ensuite (§ II,
p. 310) du développement des tests en soulignant le rôle moteur du Binet-Simon et en
nous demandant pourquoi, paradoxalement, c'est en France que son influence a été la
plus faible. Finalement, nous évoquerons quelques questions de psychologie différen-
tielle qui ne relèvent pas des applications.

I - Les applications de la psychologie différentielle

Pour la France le pionnier des applications de la psychologie différentielle est


manifestement Édouard Toulouse (encadré 7.5). Dès le début du siècle il milite pour
que les résultats de la psychologie soient appliqués à l'école pour améliorer la péda-
gogie et faciliter l'orientation professionnelle, à l'asile, dans les ateliers et les usines
(Huteau, 2002 a) . Il peut être considéré comme le leader d'une « École française de
psychotechnique » dont les principaux représentants sont Henri Piéron, Jean-Maurice
Lahy et Henri Laugier. C'est dans le cadre de ces premières applications
qu'apparaissent les premiers professionnels de la psychologie (Huteau, 2002 b).

ENCADRÉ 7.5

Édouard Toulouse (1865-1947)

Après des études médicales, Édouard Toulouse se spécialise en médecine mentale et devient
aliéniste (médecin fonctionnaire en poste dans ces institutions publiques que sont les asiles
d'aliénés). Nommé médecin-chef à l'asile de Villejuif en 1897, il y crée dès son arrivée un labo-
ratoire d'anatomie comparée et un laboratoire de psychologie expérimentale où seront for-
més Henri Piéron et Jean-Maurice Lahy qui joueront un rôle important respectivement en
orientation professionnelle et en psychologie du travail. En 1922, Toulouse, qui avait toujours
milité pour la libéralisation et l'ouverture des asiles, fonde le premier service de psychiatrie
ouvert auquel il adjoint plusieurs laboratoires de biologie et de psychologie, il le dirigera jus-
306 I Psychologie différentielle

qu'en 1935. Toulouse a réalisé des travaux de recherche en psychologie et psychopathologie,


mais il est avant tout un réformateur social. Pour faire avancer ses idées il crée diverses asso-
ciations (Ligue d'hygiène mentale en 1920, Association d'études sexologiques en 1931...) et
écrit de nombreux articles dans la grande presse. Il veut rendre la société plus rationnelle et
plus juste. Inspiré par le positivisme il est persuadé que des politiques inspirées par les résul-
tats des sciences de la vie (la biocratie) permettront d'atteindre ces objectifs.

a. L'éducation

Nous avons vu qu'avec la création d'un enseignement spécial pour les débiles
mentaux se posait le problème du diagnostic de la débilité mentale. Nous avons vu éga-
lement comment Binet, avec l'Échelle métrique de l'intelligence avait proposé un élé-
ment de solution. Les méthodes de Binet seront mises en pratique à grande échelle aux
États-Unis. Au début du xxe siècle, des psychologues, Édouard Claparède (1873-1940)
à Genève notamment, pensent, comme Binet, et aussi comme Cattell un peu plus tôt,
que la prise en compte des différences individuelles objectivement mesurées est suscep-
tible de permettre une meilleure individualisation de l'enseignement pour tous les élèves
et ils travaillent dans ce sens. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sera créé
en France un service de psychologie scolaire destinée à faciliter l'adaptation de l'enfant
à l'école et l'adaptation de l'école à l'enfant (voir chap. 12).
L'orientation scolaire vers des établissements et des types d'enseignement particu-
liers est un autre problème qui relève du diagnostic des différences individuelles. Dès la
fin du xixe siècle, et avec beaucoup plus de force à partir des années 1930, on montre
que les évaluations scolaires traditionnelles ne sont pas objectives et manquent de perti-
nence. Aux États-Unis on utilise très tôt les tests pour repérer les « surdoués » et leur
faire bénéficier, eux aussi, d'un enseignement spécial. On les utilise également pour
constituer des classes homogènes, une forte homogénéité des classes étant alors consi-
dérée comme un facteur favorable aux apprentissages. En 1926, les universités améri-
caines commencent à utiliser pour recruter leurs étudiants, le Scholastic Aptitude Test.
Constamment révisé, ce test est toujours en usage. Dans les pays européens, et plus par-
ticulièrement en France, avec une exception notable, l'Angleterre, les réalisations sont
beaucoup plus modestes. En Angleterre, en 1913, les responsables londoniens de
l'éducation confient d'importantes missions à Cyril Burt, qui est parfois considéré
comme le premier psychologue scolaire : dépistage des débiles, détection des élèves en
difficulté et proposition de remédiation, orientation scolaire au moyen de tests, enquête
sur l'état du système d'enseignement.

b. La psychopathologie

Dès la fin du xixe siècle des élèves de Wundt utilisent ses situations expérimentales
en vue d'améliorer la caractérisation des troubles mentaux. Des laboratoires sont créés
au sein même des hôpitaux (1893 aux États-Unis, 1897 en France avec Toulouse) afin
d'étudier des méthodes d'observation et de les appliquer systématiquement aux mala-
des. Ces premières applications ont une portée limitée qui provient à la fois de l'état de
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 307

la psychologie qui demeure centrée sur l'observation des processus élémentaires et sur
celui de la psychiatrie qui commence seulement à différencier les troubles mentaux.
Nous avons déjà évoqué la question de la débilité mentale qui se situe aux frontières de
l'éducation et de la psychopathologie.

c. L'orientation professionnelle

L'orientation professionnelle en fonction des aptitudes est certainement la grande


question de la psychologie appliquée (voir Huteau et Lautrey, 1979). Le premier
congrès de psychologie appliquée (organisé à Genève par Claparède en 1920) est inti-
tulé « conférence internationale d'orientation professionnelle ». Les deux congrès sui-
vants (1921 et 1922) seront des « conférence internationale de psychotechnique
appliquée à l'orientation professionnelle ». Le premier office d'orientation profession-
nelle est créé à Boston, dans un but philanthropique, en 1907, par Frank Parsons.
En 1909, Parsons publie le premier manuel d'orientation professionnelle dans lequel il
recommande, parmi d'autres techniques, l'usage de tests. En Europe quelques consulta-
tions d'orientation professionnelle sont ouvertes dans les années qui précèdent la Pre-
mière Guerre mondiale. Mais c'est au lendemain de cette guerre que se multiplient les
offices ou centres d'orientation professionnelle.
Ces institutions, qui, en France, seront mises sous la tutelle du ministère de
l'Instruction publique en 1922 (alors que dans d'autres pays elles sont mises sous la
tutelle des ministères du Commerce ou de l'Industrie), visent à satisfaire un besoin
social ancien mais qui se manifeste avec une force particulière lors de l'effort de recons-
truction qui suit la guerre : bien orienter les élèves afin d'améliorer la formation profes-
sionnelle. Alors que Toulouse et ses élèves, par souci de rationalité et de justice, souhai-
taient, que l'orientation concerne tous les élèves, celle-ci s'adresse uniquement aux
élèves de l'école primaire envisageant de devenir employés ou ouvriers par la voie de
l'apprentissage. Dans leur très grande majorité, les responsables des offices d'orientation
ne s'inspiraient pas de la psychologie différentielle, ils y étaient même plutôt hostiles. Ils
pensaient qu'il était suffisant de se référer à la psychologie du sens commun et que
pour évaluer les aptitudes des élèves à tel ou tel métier il suffisait de discuter avec eux,
avec leurs parents et éventuellement avec leur instituteur. Ne cherchant qu'un place-
ment raisonné des apprentis ils jugeaient inutilement coûteux le détour par une
recherche de fondements scientifiques.
Les psychologues voyaient les choses tout autrement. Pour eux les aptitudes doi-
vent être définies avec précision et mesurées au moyen de tests. De plus, ils pensent que
l'orientation professionnelle doit contribuer à la réduction des inégalités sociales alors
que la majorité des praticiens ne se préoccupe pas de cette question. Ce n'est que pro-
gressivement qu'ils vont faire valoir leur point de vue et que la pratique des tests va se
développer. En France une première étape importante est la création en 1928 de
l'Institut national d'orientation professionnelle (INOP). Dirigé par des disciples de Tou-
louse, Henri Piéron et Henri Laugier, et par un des rares praticiens ayant reçu une for-
mation psychologique (à Genève), Julien Fontègne, cet Institut enseigne une conception
de l'orientation professionnelle fondée sur la psychologie différentielle. En 1938, la for-
mation dispensée à l'iNoP devient obligatoire pour exercer le métier de conseiller
308 I Psychologie différentielle

d'orientation professionnelle. Dès lors les conditions sont remplies pour que l'usage de
la psychologie différentielle et des tests en orientation se généralise. Et il se généralisera
effectivement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (voir chap. 13).

d. La sélection professionnelle

L'idée d'utiliser des épreuves objectives pour caractériser les aptitudes professionnel-
les des individu afin de décider, en conséquence, s'il sont plus ou moins aptes à occuper
un poste ou un emploi particulier est ancienne et on la trouve déjà chez Galton. Mais il
faut attendre le début des années 1910 pour voir apparaître des réalisations effectives.
Celles-ci sont précédées de travaux de laboratoire où l'on cherche à déceler les aptitudes
pertinentes (« les signes de la supériorité professionnelle », disait Toulouse) en comparant
des travailleurs efficients et d'autres qui le sont moins. Le premier qui se lance dans cette
voie est Hugo Münsterberg, un élève dissident de Wundt installé aux États-Unis. En
France, Jean-Maurice Lahy (1872-1943), dans le laboratoire de Toulouse, étudie les apti-
tudes des dactylographes (1905) et des conducteurs de tramways (1908).
Les premières applications sur le terrain sont conduites par Münsterberg en 1913
et elles concernent la sélection des conducteurs de tramways (cet intérêt pour les
conducteurs de tramways s'explique par les nombreux accidents dans lesquels ce moyen
de locomotion était impliqué et aussi par la relative facilité apparente de l'identification
des caractéristiques personnelles pertinentes). Pour la France, il semble que ce soit Tou-
louse lui-même qui, à partir des travaux antérieurs de Lahy, ait conduit la première
opération de sélection, également sur les conducteurs de tramways, pendant la Pre-
mière Guerre mondiale (voir son témoignage dans l'encadré 7.6). La première entre-
prise française à se doter d'un laboratoire psychotechnique, en 1924, fut la Société des
transports en commun de la région parisienne (l'ancêtre de la RATP). Les études préala-
bles furent effectuées par Lahy qui supervisa aussi la mise en place du laboratoire.
Comparativement à ce qui se fait aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les développe-
ments de la sélection professionnelle au moyen de techniques psychométriques sont
lents et laborieux. À la veille de la Seconde Guerre mondiale on compte sur les doigts
d'une main les entreprises qui possèdent un service psychotechnique. La situation chan-
gera et deviendra beaucoup plus favorable à la psychotechnique au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale.

ENCADRÉ 7.6

La première opération de sélection professionnelle en France.


Le témoignage d'Édouard Toulouse (1920)

« J'ai, pendant la guerre, été amené à faire la sélection des femmes wattmans pour une com-
pagnie de tramways. Il s'agissait de choisir les candidates présentant une attention stable,
résistant aux perturbations d'ordre émotif.
« Dans mon enquête préalable, je me rendis compte que les accidents sont souvent dus
à ce que, devant la menace soudaine d'une collision, le wattman qui doit immédiatement cou-
per le courant tourne, dans l'émotion, la manette en sens inverse, ce qui augmente la vitesse
au lieu de la diminuer.
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 309

« L'épreuve principale que j'établis portait sur les temps de réaction, c'est-à-dire
l'intervalle — évalué en centièmes de seconde — compris entre un excitant auditif ou lumineux
et la réaction de la main du sujet dans le sens voulu.
« La candidate était en outre prévenue que, si elle tardait à réagir, elle recevrait dans la
main une décharge électrique désagréable. Cette attente tendait à développer un état affectif
qui perturbait les temps de réaction.
« Les bons sujets avaient des réactions courtes et régulières. Le choix opéré par ces
méthodes eut pour résultat que les femmes quoique inférieures aux hommes par la résistance
et l'émotivité au danger physique, n'ont pas causé plus d'accidents que les hommes choisis
par des moyens uniquement médicaux. »

Jusqu'à la Première Guerre mondiale la psychotechnique européenne, et plus par-


ticulièrement française, s'affiche comme progressiste. L'orientation professionnelle doit
corriger les inégalités sociales et se faire, pour tous, en fonction des aptitudes et non
plus en fonction de l'origine sociale. Sur les questions du travail, les psychotechniciens
ne doivent pas être au service exclusif des entrepreneurs (ce qu'ils reprochent à Taylor)
mais, experts au-dessus des classes sociales, ils doivent prendre en compte les intérêts
des ouvriers. Après la Seconde Guerre mondiale, la psychotechnique se développe en
France, mais, en même temps, elle perd ses spécificités. Elle n'affiche plus beaucoup ses
ambitions progressistes et quand elle le fait encore ce n'est plus avec la même assu-
rance. Les tests utilisés sont de plus en plus des adaptations de tests américains et les
tests construits en France semblent de plus en plus l'être sous licence américaine.

e. La diversification des applications

Si les applications de la psychologie différentielle ont été les plus nombreuses, et


vraisemblablement le sont encore aujourd'hui, elles n'ont jamais été les seules. Binet se
préoccupait des méthodes d'enseignement, Toulouse accordait une grande importance
à l'étude des conditions de travail, Lahy réalisait des travaux d'ergonomie... Mais ce
genre de préoccupations pouvait paraître relativement marginal. Or, progressivement,
les applications non différentielles de la psychologie se sont développées et les praticiens
de la psychologie ont cessé d'être systématiquement caractérisés par l'usage des techni-
ques psychotechniques. En psychopathologie, s'ils continuent souvent à contribuer au
diagnostic, ils contribuent aussi activement au processus psychothérapeutique. En orien-
tation professionnelle, si l'on continue à utiliser des tests dans certains secteurs, leur
usage a quasiment été abandonné dans d'autres où l'activité du conseiller est devenue
une activité d'accompagnement. Dans le domaine du travail, la sélection professionnelle
fait toujours largement appel aux tests mais les psychologues qui travaillent dans ce sec-
teur se consacrent aussi à l'étude des conditions de travail, aux problèmes posés par la
formation, à la conception des dispositifs techniques, au climat social de l'entreprise.
De ce point de vue les années 1950 marquent un tournant. C'est en 1955 que les
congrès internationaux de psychotechnique deviennent des congrès de psychologie
appliquée. La curieuse organisation du Traité de psychologie appliquée que dirige Piéron et
qui est publié de 1949 à 1959 témoigne à la fois de la prégnance de la psychotechnique et
de la présence tout à fait notable d'autres types d'application. Le premier volume est
310 I Psychologie différentielle

consacré à la psychologie différentielle (le rôle de l'hérédité, les aptitudes, l'individualité et


le problème des types), le second à la méthodologie psychotechnique et le troisième à
l'utilisation des aptitudes (orientation professionnelle, classement et sélection). Les quatre
volumes suivants traitent de sujets dont les liens avec la psychologie différentielle sont plus
indirects, ou même inexistants (la formation éducative, le maniement humain, l'hygiène
mentale et les règles de vie, les domaines sociaux d'application). Une vingtaine d'années
plus tard le Traité de psychologie appliquée que publie Reuchlin (1971-1974) est organisé tout
différemment et les applications de la psychologie différentielle, certes, toujours les plus
nombreuses, n'apparaissent plus que comme des applications parmi d'autres.

Il - Les tests

Nous venons de voir comment avaient évolué les applications de la psychologie


différentielle. Revenons maintenant au début des années 1920 et examinons comment
ont évolué les techniques qui leur sont étroitement associées, les tests.

a. L'introduction du Binet-Simon aux États-Unis


C'est un peu par hasard que le test de Binet est introduit aux États-Unis. Les uni-
versitaires américains qui travaillent sur les tests d'intelligence, et ils sont nombreux
(en 1910, 11 des 13 anciens présidents de l'American Psychological Association (APA) sont
connus pour leurs travaux sur les tests), connaissent les travaux de Binet, mais, impré-
gnés d'élémentarisme, ils ne perçoivent pas la nouveauté de l'Échelle métrique. Celle-ci
sera introduite aux États-Unis par un obscur psychologue d'une institution pour débiles
mentaux, Henry H. Goddard (1866-1957). En 1908, Goddard entreprend un voyage
d'étude en Europe afin de se documenter sur ce qui se fait en matière de diagnostic et
de traitement de la débilité mentale. Après un passage à Paris, où Pierre Janet, qui lui
non plus n'avait pas vu l'intérêt de l'Échelle métrique, le dissuade de rencontrer Binet,
c'est à Bruxelles, au cours d'un entretien avec Ovide Decroly, qu'il découvre le test de
Binet et Simon dans sa version de 1905.
De retour aux États-Unis, Goddard applique le test aux débiles de son institution.
Il le trouve remarquable et en devient un ardent propagandiste. Il réalisera en 1911
une adaptation de la version de 1908 de l'Échelle métrique. Goddard agit d'abord sur
le personnel des établissements qui accueillent des débiles mentaux et son institution
devient un véritable centre de formation aux méthodes de Binet et Simon. Il réussit à
réaliser de vastes enquêtes sur plusieurs milliers d'écoliers et promeut l'idée d'un dépis-
tage systématique de la débilité. En 1913 il applique le Binet-Simon à des émigrants et
il est le premier psychologue, en 1914, à faire état des résultats à des tests devant une
Cour de justice. Le mouvement des tests était lancé.

b. La diversification des tests


Par la suite, les tests d'intelligence, en même temps que leur nombre augmente,
vont se développer dans deux directions, la première, avec Lewis M. Terman (1877-
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 311

1956), est fidèle à la tradition de Binet, la seconde, avec notamment R. M. Yerkes


(1876-1956), s'en éloigne. En 1916, Terman publie son adaptation de l'Échelle
métrique (le Terman-Stanford), en 1937, il publiera, en collaboration avec Maud A. Mer-
rill, une autre adaptation. Ces adaptations américaines du test français seront traduites
pour être utilisées en France... Comme l'Échelle métrique, le Terman-Stanford est un test
individuel et Terman, comme le faisait Binet, insiste sur les précautions à prendre pour
l'application et l'interprétation des résultats. Par rapport au Binet-Simon, le Terman-
Stanford comporte un plus grand nombre d'items, certains sont destinés à caractériser les
adultes selon plusieurs niveaux, il permet le calcul d'un Quotient intellectuel de déve-
loppement (rapport entre l'âge mental et l'âge chronologique). Le Terman-Stanford,
encore utilisé aujourd'hui, sous une forme très différente il est vrai de sa version initiale,
a été longtemps retenu comme critère pour la validation de nouveaux tests. En 1939,
David Wechsler présente la première version de son échelle d'intelligence pour adultes
(la Wechsler — Bellevue Intelligence Scale), qui deviendra en 1955 la Wechsler Adult Intelligence
Scale (wAis), échelle encore largement utilisée aujourd'hui (après plusieurs révisions). Les
items ne sont plus représentatifs d'un âge. Le « quotient » intellectuel n'est plus un quo-
tient, il indique seulement le rang du sujet dans une population de référence, ce qui
permet de dépasser deux problèmes posés par le QI de développement : la définition
du QI des adultes et les différences de dispersion des QI d'un âge à l'autre. Selon les
mêmes principes Wechsler proposera en 1949 un test pour enfants, lui aussi encore lar-
gement utilisé aujourd'hui, la Wechsler Intelligence Scale for Children (wisc).
La seconde direction de développement des tests concerne les tests collectifs. Les
premiers tests collectifs, un test verbal (army alpha) et un test non verbal pour les illettrés
et ceux qui ne parlent pas anglais (anny beta), sont élaborés par un comité présidé par
Robert Mearns Yerkes (1876-1956) à l'occasion de l'examen des conscrits de l'armée
américaine en 1917 (au cours des années 1917 et 1918 ces tests furent appliqués à près
de deux millions de conscrits). Avec les tests collectifs, la standardisation s'accentue et
les possibilités d'observation clinique disparaissent : on ne recueille plus, comme c'est
fréquemment le cas avec le Terman ou avec les échelles de Wechsler, une réponse libre
du sujet qu'il faut coder, mais les items, qui ne sont plus représentatifs d'un âge, se pré-
sentent souvent sous forme de questions à choix multiples (QCM). Le sujet n'est plus
caractérisé par un âge mental correspondant au niveau des items réussis, mais par un
nombre de points qui correspond au nombre d'items réussis. En référence aux perfor-
mances de groupe d'âges différents, ce nombre de points peut être transformé en âge
mental (on dira par exemple qu'un adulte a un âge mental de 12 ans si le nombre de
points qu'il a obtenu est celui qu'obtiennent en moyenne les enfants de 12 ans). Cette
manière de procéder sera vite abandonnée et l'on se contentera de situer la perfor-
mance des sujets par apport à un ou des groupes de référence.
Pendant longtemps, malgré les tentatives de Galton et Cattell d'évaluer la person-
nalité au moyen de questionnaires, l'observation des différences individuelles a
concerné essentiellement le domaine de la cognition (et également celui de la psycho-
motricité). Vers la fin des années 1910, on commence à construire des tests destinés à
évaluer divers aspects de la personnalité. Le premier questionnaire de personnalité est
dû à R. S. Woodworth et il a été construit à l'occasion du testing des conscrits de 1917.
Il vise à situer les sujets par rapport à des troubles psychopathologiques. Le plus célèbre
312 I Psychologie différentielle

des questionnaires de personnalité fondés sur ce principe est le Minnesota Multiphasic Per-
sonalip, Inventog (MMPI) dont la première version date de 1940. La plupart des question-
naires de personnalité sont fondés sur un autre principe : ils décrivent l'individu sur une
série de traits (le plus souvent mis en évidence par l'analyse factorielle). Les premiers
tests objectifs de personnalité, c'est-à-dire basés sur l'observation effective du comporte-
ment et non plus sur l'autodescription au moyen de questionnaires, datent de la fin des
années 1920 avec les travaux de H. Hartshorne et M. A. May sur des traits comme
l'honnêteté ou la coopération. Le premier questionnaire d'intérêts professionnels est
présenté par Edward. K. Stong en 1927. Un peu plus tard on proposera des procé-
dures d'évaluation des opinions, des attitudes et des valeurs. Pour compléter ce pano-
rama, signalons que l'origine des tests projectifs n'est pas américaine mais européenne
avec les recherches sur les associations libres de Galton (1879) et de Carl G. Jung
(1.910) et le test d'interprétation des taches d'encre d'Hermann Rorschah (1921).

c. Le faible impact de l'Échelle métrique en France

Dans tous les pays où la psychologie avait atteint un développement significatif, le


Binet-Simon fut adapté et il servit de locomotive à la construction de nouveaux tests.
Paradoxalement, c'est en France que l'influence de l'Échelle métrique fut la moins
marquée.
Binet avait sévèrement critiqué les conceptions et les méthodes de diagnostic de
l'arriération mentale des aliénistes et des psychiatres. De plus, il affirmait que le diagnos-
tic de la débilité mentale dans les écoles ne relevait pas de la compétence du médecin.
Aussi, l'hostilité du milieu médical est-elle compréhensible. Plus étonnante est celle des
psychologues expérimentalistes qui gravitent autour de Toulouse. Binet ayant renoncé
aux méthodes de laboratoire pour mesurer l'intelligence, ils en déduisent qu'il ne sert
plus la cause de la psychologie objective. Mise au point rapidement pour le recrutement
des classes de perfectionnement, l'Échelle métrique a été très peu utilisée à cette fin.
Un facteur important du faible impact de l'Échelle métrique en France est
l'apparition d'une théorie de l'intelligence alternative présentée par Henri Piéron
en 1929. Henri Piéron (1880-1964) fut à partir des années 1920, et pour une quaran-
taine d'années, le leader incontesté de la psychologie expérimentale en France (ses tra-
vaux principaux ont porté sur la psychologie et la psychophysiologie des sensations).
Piéron adresse deux critiques radicales à l'échelle de Binet et Simon. Elle est, dit-il, un
bon test de développement, mais un mauvais test d'intelligence, car les différences
d'intelligence doivent se manifester à un niveau de développement constant. C'est la
mise en cause de l'idée de base de Binet selon laquelle la mesure de l'intelligence doit
se faire en référence à des niveaux moyens de développement. La seconde critique
porte sur le caractère unidimensionnel de l'échelle. Certes, pour Binet l'intelligence est
une constellation de fonctions mais, en fin de compte, on aboutit à un score unique :
l'âge mental. Piéron juge « dangereuse » la conception unidimensionnelle de
l'intelligence qui, dit-il, est issue de « cette psychologie hiérarchisante qui traîne dans le
langage ». Il affirme que l'intelligence est une constellation d'aptitudes et que chacune
doit être évaluée. Ce refus des évaluations unidimensionnelles est une originalité de la
psychotechnique française et il sera un obstacle à l'introduction du QI en France (qui ne
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 313

deviendra fréquent qu'après la Seconde Guerre mondiale). Sur ce point, Piéron est en
avance : un trait marquant de l'évolution des tests d'intelligence est précisément
l'abandon des évaluations unidimensionnelles pour des évaluations multidimensionnel-
les. Piéron et son épouse ont construit, en 1930, un test qui permet de classer les sujets
sur un profil en 21 points. C'est ce test qu'appliquaient les quelques conseillers
d'orientation qui, dans les années 1930, appliquaient des tests (à la même époque, leurs
homologues anglais utilisaient l'adaptation du Binet-Simon mise au point par Burt...).

III - Les thèmes de recherche

Si, pendant la période considérée, la psychologie différentielle est surtout une psy-
chologie appliquée, elle traite cependant également de problèmes plus généraux dont
les applications éventuelles n'apparaissent pas toujours immédiates.

a. L'organisation des conduites

Charles Spearman, on s'en souvient (§ b, p. 299), se proposait de mettre en évi-


dence de fortes liaisons entre des processus sensoriels et des estimations globales de
l'intelligence des écoliers comme leurs notes scolaires. Ce faisant il a jeté les bases d'une
méthode d'analyse de l'organisation des conduites — l'analyse factorielle — et d'une
théorie de l'intelligence — la théorie bifactorielle. La théorie et la méthode sont étroite-
ment intriquées. La méthode permet de montrer que les corrélations observées
s'expliquent très bien si on reconstitue les notes observées en combinant et en pondé-
rant deux notes « en facteur », des notes non observables mais calculables : une note
qui caractérise chaque sujet quelles que soient les tâches ou les tests proposés, c'est la
note en facteur général (g) et une note qui caractérise chaque sujet pour chaque
tâche (s), c'est la note en facteur spécifique. Pour réussir certaines tâches il faut un score
élevé en g, elles sont fortement « saturées en g ». Pour en réussir d'autres il faudra sur-
tout avoir un score élevé dans le facteur s qui leur correspond. La théorie, dite « bifac-
torielle », interprète les facteurs. Dans sa version finale elle fait de g une énergie men-
tale qui s'investit dans différentes structures neurologiques dont les propriétés
définissent les facteurs spécifiques. Cette théorie fournit une bonne justification de la
pratique de Binet qui consistait à évaluer l'intelligence à partir d'items très variés. On
évalue ce qu'ils ont en commun, c'est-à-dire g.
Dans les années 1920 les techniques d'analyse factorielle ont franchi l'Atlantique et
elles ont notamment été reprises par un psychologue américain qui avait reçu une for-
mation d'ingénieur en électricité, Louis Leon Thurstone (1887-1955). Avec Thurstone
(1931) la méthode se dissocie de la théorie. Il recherche la structure factorielle d'une
matrice de corrélations sans préjuger de l'existence d'un facteur général. Il marque
même une prédilection pour des facteurs de groupe qui saturent plusieurs variables,
mais pas toutes. Afin de mettre en évidence des structures « simples », il s'autorise à
maintenir des corrélations entre les facteurs. La solution de Spearman (un facteur g et
314 I Psychologie différentielle

des facteurs s) apparaît alors comme un cas particulier que l'on ne rencontre qu'avec
un choix de tests particulier (notamment ne pas utiliser de tests qui se ressemblent,
sinon les facteurs spécifiques deviennent des facteurs de groupe). Thurstone, dans ses
analyses, mettait généralement en évidence six à huit facteurs de groupes qu'il appelait
des « aptitudes mentales primaires ».
On était donc en présence de deux conceptions de l'intelligence qui paraissaient
s'exclure mutuellement. On a montré par la suite, en construisant des « modèles hiérar-
chiques » (C. Burt et P. E. Vernon en 1952, R. B. Cattell et J. L. Horn en 1966) que
ces deux approches n'étaient pas contradictoires (voir chap. 9). Dans ces modèles on
trouve au sommet de la hiérarchie un facteur g (du fait que les facteurs de groupe ne
sont pas indépendants) ; puis, aux étages intermédiaires, des facteurs de groupe larges et
des facteurs de groupe plus restreints ; enfin, à la base de la pyramide, il y a les facteurs
spécifiques. Par la suite les méthodes d'analyse factorielle se sont perfectionnées (et elles
sont devenues d'usage courant dans toutes les disciplines scientifiques). Elles fournissent
un tableau des principales dimensions du fonctionnement cognitif et de la personnalité
(l'analyse factorielle a été utilisée pour étudier la structure des tests de personnalité
dès 1914). De nombreux tests cognitifs (tests de facteur g ou tests d'aptitudes) et ques-
tionnaires de personnalité (on assimile alors trait et facteur) sont construits au moyen de
la technique de l'analyse factorielle (voir chap. 9).

b. Hérédité et milieu

Pour Galton, nous l'avons vu, la variabilité interindividuelle est, pour une part,
d'origine héréditaire. Nous avons vu également comment il avait tenté de le montrer
(voir § II, p. 294). La plupart des psychologues qui s'intéressent à la variabilité entre les
individus sont convaincus de la forte influence de l'hérédité et ils le font savoir (avec des
exceptions notables : Binet et Spearman, par exemple, ne s'expriment pas sur cette
question). Beaucoup pensent que les lois de Mendel, passées inaperçues en 1865 et
redécouvertes en 1900, fournissent la base théorique la plus satisfaisante pour la psy-
chologie différentielle. Les Américains (Goddard, Terman, Yerkes) constatent des diffé-
rences en comparant des noirs et des blancs, des émigrants et des natifs du pays, ou
encore des personnes nées en ville et à la campagne, et ils considèrent, dans les
années 1920, sans justifications, qu'elles s'expliquent principalement par des facteurs
héréditaires (par la suite plusieurs d'entre eux reviendront sur ce point de vue). De
nombreux psychologues de l'école anglaise, avec notamment Cyril Burt, Raymond
B. Cattell (1905-1998), qui fera quasiment toute sa carrière aux États-Unis, et Hans
J. Eysenck (1916-1997), marqués par l'héritage galtonien, ont également de solides
convictions héréditaristes (celles-ci conduiront Burt, à la fin de sa vie, à falsifier ses don-
nées pour les rendre plus convaincantes).
Au début du )(Xe siècle, et plus particulièrement dans les années 1920-1930, les
méthodes d'étude destinées à montrer le rôle de l'hérédité et à estimer son poids se
diversifient. En 1905 on compare la ressemblance entre jumeaux et la ressemblance
entre frères et soeurs. En 1928 on commence à comparer la ressemblance des jumeaux
monozygotes à celle des jumeaux dizygotes. Dès 1925 on s'intéresse aux jumeaux
monozygotes élevés séparément et en 1933 on comparera des jumeaux monozygotes
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 315

élevés ensemble et élevés séparément. La première étude sur les enfants adoptés où l'on
compare la ressemblance entre les parents et leurs enfants naturels et la ressemblance
entre les parents adoptifs et leurs enfants adoptés est publié en 1928. Dans les
années 1930 se développent aussi les études sur l'animal au moyen de croisements
sélectifs. Il ressort de ces premiers travaux que l'hérédité et l'environnement sont à
l'ceuvre mais on attribue un poids plus grand à l'hérédité (de 60 à 80 %). On ne pren-
dra conscience que bien plus tard des ambiguïtés et de la signification réelle de ces
coefficients d'héritabilité (voir chap. 11). À partir des années 1920, en même temps que
se développent les études sur les jumeaux et les enfants adoptés, on étudie aussi la rela-
tion entre les conditions de vie des parents et le niveau intellectuel des enfants : compa-
raisons en fonction du niveau socio-économique de la famille, de la durée et des moda-
lités de la scolarisation.
Finalement, bien que les facteurs héréditaires soient le plus souvent considérés
comme les plus importants, c'est un point de vue interactionniste qui domine. Voici
comment héron l'exprime en 1949 au moyen d'une métaphore agricole (on remar-
quera qu'il relativise les mesures d'héritabilité en montrant qu'elles dépendent de la dis-
persion des facteurs héréditaires et des facteurs environnementaux) :
« On sait que dans un même terrain, au même moment, des graines sélectionnées de
blé venant de souches différentes présentent des inégalités de rendement, d'origine génoty-
pique ; mais des graines provenant d'une même souche, semées dans des terrains divers,
soumis à des conditions climatiques variées, donneront des rendements inégaux, avec des
écarts dont la grandeur dépendra de l'importance des différences favorables ou défavorables
que comportent les conditions de milieu. Et, avec des graines de souches multiples et en des
terrains variés, les différences de rendement seront conditionnées en partie par les structures
génotypiques, en partie par les influences paratypiques avec une inégale participation, dans
la variance, des deux facteurs, en fonction de la grandeur d'écart, pour chacun d'eux, par
rapport à une certaine valeur moyenne.
« Il n'en va pas autrement pour les organismes, quels qu'ils soient, et pour l'homme
en particulier, les caractères psychologiques se comportant exactement comme tous les
caractères observables. »

Le problème hérédité-milieu a été totalement renouvelé avec les progrès de la


génétique (identification des gènes et des mécanismes de transmission des caractères) et
l'on s'est aperçu que les relations entre le patrimoine génétique et les conduites étaient
beaucoup plus complexes que ce que l'on imaginait (voir chap. 11).

c. Les autres thèmes

La psychologie différentielle, surtout aux États-Unis où son développement était le


plus avancé, traitait également d'autres thèmes. Ceux-ci sont exposés dans le volumineux
traité de psychologie différentielle que publie Anne Anastasi en 1937. Certains d'entre
eux, tant pour des raisons scientifiques, que pour des raisons tenant à l'évolution de la
société, ont cessé d'être cultivés, notamment celui des types psychosomatiques, celui des
différences entre le monde urbain et le monde rural, celui des différences entre groupes
« raciaux ». Les biologistes ayant montré l'inconsistance de la notion de race, on se limite
désormais à des comparaisons de groupes culturels ou ethniques qui sont l'objet d'une
autre branche de la psychologie : la psychologie interculturelle.
316 I Psychologie différentielle

D - PSYCHOLOGIE DIFFÉRENTIELLE ET PSYCHOLOGIE GÉNÉRALE

L'élément le plus marquant de l'évolution de la psychologie différentielle depuis les


cinquante dernières années est certainement son rapprochement avec la psychologie
générale.

I - Le divorce entre la psychologie générale


et la psychologie différentielle

Le point de vue différentiel et le point de vue général ont toujours eu du mal à


coexister. Si l'on pense qu'il n'y a de science que du général, la variabilité interindivi-
duelle est effectivement gênante. Pourtant, à l'origine, la psychologie différentielle et la
psychologie générale n'étaient pas deux branches distinctes de la psychologie. Binet se
préoccupe à la fois d'analyser le processus intellectuel, en recherchant comment se
coordonnent les grandes fonctions qui le caractérisent, et de mesurer l'intelligence. Il
n'y avait pas d'opposition entre l'analyse du fonctionnement cognitif et la mesure de
son efficience. Mais cette situation n'a pas duré.
En réponse à une demande sociale, la psychologie différentielle, nous venons de le
voir, s'est tournée très vite, « trop vite peut-être », note Reuchlin, vers les applications.
Cela a eu des conséquences positives : le développement de la méthodologie psychomé-
trique et la centration sur des phénomènes psychologiques supérieurs et socialement
significatifs (les aptitudes intellectuelles, la personnalité). Mais aussi des conséquences
négatives : un certain désintérêt pour les problèmes théoriques. Pour être jugée perti-
nente, l'utilisation des tests à des fins d'affectation sociale suppose des épreuves permet-
tant de bons pronostics. À la limite, peu importe la validité théorique pourvu que la
validité empirique soit satisfaisante. D'où le reproche fait quelquefois à la psychologie
différentielle classique de n'être qu'une technologie des tests (nous avons vu qu'en fait
elle n'était pas que cela).
En même temps que la psychologie différentielle évoluait vers les applications, la
psychologie générale, tout en conservant ses a priori quant à la variabilité interindivi-
duelle, évoluait dans un sens peu favorable à un rapprochement avec la psychologie dif-
férentielle. Sous l'influence du behaviorisme, elle s'intéressait principalement, dans le
cadre du laboratoire, à des phénomènes psychologiques relativement élémentaires en
étudiant de grandes fonctions (perception, apprentissage, mémoire) sans se préoccuper
du rôle qu'elles pouvaient jouer dans l'adaptation du sujet aux conditions de la vie quoti-
dienne. Notons que dans la perspective behavioriste les différences entre individus peu-
vent être faites et défaites à volonté, ce qui n'incite guère à les prendre en considération.
Cette situation a conduit à un véritable divorce entre ces deux branches de la
psychologie. Divorce d'autant plus étrange que, de toute évidence, ce sont les mêmes
individus qui manifestent leur singularité et qui ont une conduite qui obéit à certaines
régularités.
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 317

Il - L'interaction entre dispositions et situations

Dans les années 1950-1960 plusieurs auteurs ont pris conscience du caractère inte-
nable de cette situation et ont travaillé au rapprochement du point de vue général et du
point de vue différentiel. Un tel rapprochement supposait que la psychologie différen-
tielle se décentre des applications. Il supposait aussi que la psychologie expérimentale
s'intéresse à des conduites de niveau supérieur, ce qui fut permis par les développe-
ments de la psychologie cognitive.
On a d'abord montré que ces deux points de vue étaient complémentaires. Il y a
tout intérêt pour la psychologie différentielle à s'inspirer de la psychologie expérimentale
pour éprouver la validité théorique des tests (voir chap. 8). Et il y a aussi tout intérêt pour
la psychologie expérimentale à ne plus traiter des variables isolées, mais des familles de
variables dont on connaît la structure comme le fait couramment la psychologie différen-
tielle. Dans un second temps, on a montré qu'il était avantageux de considérer simulta-
nément, et en interaction, les caractéristiques individuelles et les facteurs situationnels.

a. Les interactions aptitudes-traitements

Lee J. Cronbach (1916-2001) est certainement celui qui a insisté le premier, et le


plus, sur l'intérêt de cette approche interactionniste. Pour Cronbach (1957), toute
caractéristique individuelle stable est une « aptitude » et toute intervention visant à
modifier les sujets est un « traitement ». Dans le domaine des applications les objectifs
des interventions de la psychologie expérimentale et de la psychologie différentielle
(Cronbach, comme Spearman, parle de « psychologie corrélationnelle »), ces « deux
disciplines de la psychologie scientifique », divergent. Dans la perspective de la psycho-
logie expérimentale, on considérera que la population est fixée et l'on cherchera le trai-
tement le plus efficace, c'est-à-dire celui qui, en moyenne, sera le plus efficace, avec si pos-
sible une faible variance dans la mesure de cette efficacité. Dans la perspective de la
psychologie différentielle, on considérera que c'est le traitement qui est fixé et l'on
recherchera les caractéristiques individuelles qui sont les plus favorables à l'efficacité
recherchée. Dans le premier cas, on comparera des groupes et la technique statistique
privilégiée sera l'analyse de la variance. Dans le second on évaluera la force de
l'association entre variables en calculant des corrélations. Ces deux approches sont tout
à fait légitimes, mais chacune n'aborde qu'un aspect de la question et Cronbach pense
qu'il faut les utiliser conjointement.
Prenons par exemple une question que l'on rencontre fréquemment dans le
domaine de l'enseignement : quels sont les facteurs de la réussite ? Dans la perspective
de la psychologie expérimentale on recherchera la meilleure méthode d'enseignement.
Dans la perspective de la psychologie différentielle on recherchera les caractéristiques
individuelles propices à la réussite. Imaginons une expérience où deux méthodes péda-
gogiques (traitements) sont utilisées (A et B) et caractérisons les sujets par une variable
prédictive (aptitude) de l'efficience (x). La méthode A et la méthode B sont appliquées à
318 I Psychologie différentielle

des groupes de sujets équivalents dans lesquels il y a une forte variabilité sur x. On
mesure l'efficience des sujets à l'issue de l'application des méthodes (y).
Les résultats peuvent avoir des configurations diverses. Deux d'entre elles sont
indiquées sur la figure 7.2. En 7.2 a, il y a une liaison positive entre la variable prédic-
trice et l'efficience, la force de cette liaison est la même quelle que soit la méthode et la
méthode A est supérieure à la méthode B. Il n'y a pas d'interaction aptitude-traitement.
En 7.2 b, il y a encore une liaison positive entre la variable prédictrice et l'efficience,
mais elle est plus forte dans le groupe A que dans le groupe B. On ne peut plus dire
qu'une méthode est supérieure à l'autre : B est supérieure lorsque la performance sur x
est faible, A est supérieure lorsqu'elle est moyenne ou forte. Il y a interaction entre
l'aptitude et le traitement. Des résultats ayant cette dernière forme ont été observés : les
méthodes pédagogiques laissant beaucoup d'initiative à l'élève, comme dans
l'enseignement traditionnel (méthode A) sont plus efficaces que les méthodes où l'élève
est guidé et contrôlé (définitions d'objectifs, évaluations au cours même de
l'apprentissage) (méthode B) pour les élèves ayant des performances moyennes ou éle-
vées dans les épreuves d'intelligence fluide et moins efficaces pour ceux qui ont des
scores faibles dans ces épreuves.

V Y

C
C

X X
Aptitude Aptitude

FIG. 2. Interaction aptitude-traitement


a) Pas d'interaction.
b) Interaction.

b. La question de la cohérence de la conduite

Dans les années 1960-1970, avec le développement des théories sociocognitives de


l'apprentissage, une controverse a opposé « personnologistes » et « situationnistes » (voir
Huteau, 1985). Pour les premiers, dans lesquels on reconnaîtra ceux qui se réclament
de la tradition différentielle, nos conduites sont principalement déterminées par des dis-
positions internes tandis que pour les seconds elles sont la conséquence d'apprentissages
dans des situations ayant une forte spécificité. Existe-t-il, par exemple, une disposition
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 319

générale « agressivité » qui pourrait être une manifestation du tempérament, ou les


conduites agressives sont-elles apprises dans des contextes particuliers ? Cette contro-
verse est la reprise d'une controverse qui s'était déroulée dans les armées 1920-1930,
période d'extension du behaviorisme. Pour les personnologistes il y a une cohérence
assez large de la conduite lorsque les situations varient : ceux qui sont agressifs sur les
terrains de sports auront aussi tendance à l'être dans les relations familiales. Pour les
situationnistes cette cohérence est plus problématique : l'agressivité peut être encou-
ragée sur les terrains de sport et ne pas l'être dans les relations familiales.
Cette controverse a généré de nombreux travaux (y compris en psychologie cli-
nique où les inférences sur la personnalité des sujets sont fréquentes). Certains ont été
conduits dans le style de la psychologie différentielle. On a calculé les corrélations entre
conduites observées (tests objectifs de personnalité ou observation du comportement)
sensées être sous la dépendance d'une même disposition. Ces corrélations sont plus fai-
bles que ce qu'on imaginait (de l'ordre de .30). Dans d'autres travaux, d'allure plus
expérimentale, on a observé les conduites des sujets censées relever d'un même trait
dans plusieurs situations et l'on a décomposé la variance totale en une part attribuable
au facteur situation, une part attribuable au facteur sujet et une part attribuable à
l'interaction sujet x situation (analyse de la variance à deux facteurs). Le poids du fac-
teur sujet est plutôt faible, mais celui du facteur situation l'est tout autant. C'est
l'interaction sujet x situation qui, a le plus grand poids.
Ces résultats peuvent être interprétés à partir du schéma de Cronbach : les situa-
tions sont les traitements et le trait de personnalité est l'aptitude. Dans la perspective
personnologique on attend une forte corrélation entre l'aptitude et les mesures de la
conduite dans chaque situation, ce n'est pas le cas dans la perspective situationniste.
En fait la cohérence de la conduite, cependant bien réelle, a souvent été sures-
timée et la notion de trait doit être relativisée. Les traits sont des catégories descriptives
assez grossières. On peut les préciser en les définissant relativement à des classes de
situations. Prenons l'exemple de l'anxiété. Il existe des questionnaires d'anxiété géné-
rale, mais il existe aussi des questionnaires qui permettent de calculer plusieurs scores
d'anxiété : anxiété face à des situations dangereuses, face à des situations d'évaluation
sociale, face à des situations ambiguës. Ces scores ne sont pas redondants. Finalement,
l'intérêt principal de la controverse entre personnologistes et situationnistes a été de
mettre l'accent sur la variabilité intra-individuelle des conduites.

III - L'intégration entre le point de vue général


et le point de vue différentiel

Dans les approches précédentes il y a plutôt juxtaposition des approches générale


et différentielle et non véritable intégration. Certaines variables semblent être générales
par nature (les traitements, les situations), d'autres différentielles (les aptitudes, les traits).
Un mouvement vers une véritable intégration est apparu aux États-Unis avec les
recherches sur l'analyse des processus dans les tests d'intelligence et en France à partir
des réflexions de Maurice Reuchlin.
320 I Psychologie différentielle

a. La psychologie cognitive et les tests d'intelligence

Par rapport à la psychologie behavoriste antérieure, la psychologie cognitive se


caractérise par un intérêt pour les processus psychologiques supérieurs. Cet intérêt ne
pouvait que la conduire vers les tests d'intelligence et vers la variabilité inter-
individuelle qu'ils révèlent. La psychologie cognitive est aussi une psychologie du traite-
ment de l'information. Elle se propose de décrire l'activité mentale en montrant com-
ment des représentations sont modifiées par l'application d'opérations. Le stimulus est
toujours à l'origine de l'activité mais il a cessé d'être omniprésent. Les psychologues qui
souhaitaient non seulement enregistrer les différences de performances intellectuelles
mais aussi les expliquer ne pouvaient être que séduits par la psychologie cognitive. Les
conditions étaient donc remplies pour une rencontre entre la psychologie différentielle
et la psychologie cognitive (voir Huteau et Lautrey, 2003).
Les recherches dans ce domaine se sont déroulées en trois temps.
— Dans un premier temps (approche corrélationnelle) on s'est contenté de calcu-
ler les corrélations entre l'efficience dans les tests et l'efficience dans certains processus
élémentaires basiques mis en évidence par la psychologie cognitive. On restait au
niveau de la juxtaposition des deux approches.
— Dans un second temps (approche composantielle), afin de sélectionner des pro-
cessus élémentaires pertinents, on est parti du test lui-même et l'on a construit, a priori,
des modèles de résolution des items. Ces modèles étaient constitués d'une série
d'opérations relativement élémentaires à effectuer dans un certain ordre. Il est arrivé
que l'on construise plusieurs modèles sans exclure l'idée que des modèles différents pui-
sent décrire des individus différents mais cette voie n'a guère été exploitée. Il est arrivé
aussi que l'on fasse appel à des variables plus globales que les processus élémentaires :
des stratégies. La validation des modèles passe par l'estimation de leurs paramètres et, à
partir de cette estimation, à la prévision de la performance au test. Dans ce type de
recherche on peut considérer qu'il y a intégration entre le point de vue différentiel et le
point de vue général puisqu'on explique une partie de la performance au test par la
variabilité interindividuelle sur les paramètres du modèle. Il n'y a plus des variables qui
seraient différentielles et des variables qui seraient générales.
— Dans un troisième temps (modélisation de la dynamique du traitement de
l'information), plutôt que de construite des modèles a priori on observe le déroulement
de la conduite du sujet en temps réel. Les données recueillies permettront à une étape
ultérieure de simuler cette conduite. Dans ce type de recherche la distinction entre
l'approche différentielle et l'approche générale ne se manifeste pas. L'observateur
recueille à la fois des données différentielles et des données générales.

b. Les processus vicariants

En France, sous l'impulsion de Maurice Reuchlin (né en 1920), un mouvement


très fort d'intégration de la psychologie générale et de la psychologie différentielle s'est
dessiné. Il a donné naissance à ce que certains ont appelé « l'école française de psycho-
logie différentielle ». Pour Reuchlin, les différences individuelles ne peuvent être expli-
Origines et évolution de la psychologie différentielle I 321

quées que par des lois générales et ces lois ne peuvent être qualifiées de générales que si
elles se montrent capables d'expliquer ces différences.
En 1978, Reuchlin a proposé un cadre général d'analyse permettant d'aborder
conjointement les aspects généraux et les aspects différentiels des conduites. Dans beau-
coup de situations, et notamment dans des situations complexes, il n'y a pas un proces-
sus unique d'élaboration de la réponse mais plusieurs processus qui peuvent se substi-
tuer l'un à l'autre et qui remplissent la même fonction (c'est en ce sens qu'ils sont
vicariants). Cette vicariance a une valeur adaptative. Chaque individu dispose donc
d'un répertoire de processus vicariants lui permettant de s'adapter aux situations. Tous
ces processus ne sont pas également disponibles et il y a une hiérarchie d'évocabilité qui
n'est pas la même chez tous les individus (elle varie en fonction de la constitution géné-
tique, de l'histoire personnelle et de l'interaction entre ces deux catégories de facteurs).
Certaines propriétés des situations rendent plus probable l'activation de certains pro-
cessus. Si les processus vicariants remplissent la même fonction, ils ne la remplissent
pas forcément avec la même efficacité et le coût de leur mise en oeuvre peut être
très variable. Dans ce cadre, le phénomène général est la variabilité des processus
adaptatifs.
Cette idée générale fut d'abord spécifiée et éprouvée à propos du développement
de l'intelligence tel qu'il est décrit dans la théorie piagétienne, théorie qui ne se préoc-
cupe pas des différences individuelles (voir Larivée et al., 1996). Jacques Lautrey, après
avoir analysé la variabilté intraindividuelle dans les épreuves de développement opéra-
toire et les modifications de la conduite au cours du développement, a proposé un
modèle multidimensionnel et pluraliste du développement cognitif qui reprend l'idée de
vicariance. Deux modes de traitement vicariants sont distingués : le traitement proposi-
tionnel (qui correspond au domaine des opérations logico-mathématiques) et le traite-
ment analogique (qui correspond au domaine des opérations infralogique). Leur inte-
raction permet de rendre compte de l'allure générale du développement et de sa
singularité.
Le rapprochement de la psychologie générale et de la psychologie différentielle, là
où il s'est réalisé, a eu deux conséquences majeures. D'une part, la psychologie différen-
tielle traite maintenant des mêmes problèmes que la psychologie générale. L'époque où
elle n'était qu'une psychologie appliquée est bien terminée. D'autre part, les applica-
tions sont de mieux en mieux fondées théoriquement.

LECTURES CONSEILLÉES

Afin de situer l'histoire de la psychologie différentielle dans l'histoire de la psychologie,


on pourra consulter Reuchlin (1994), Nicolas (2001, 2002).
On trouvera des compléments sur l'histoire de la psychologie différentielle dans Reuch-
lin (1971, 1997), Martin (1997), Lautrey (1999), Huteau (2002), Huteau et Lautrey (2003).
8 la méthode des tests

PAR MICHEL HUTEAU

Les tests sont des dispositifs d'observation qui permettent de mettre en évidence des dif-
férences entre les individus. Ils peuvent être utilisés à des fins de recherche (vérifier des
hypothèses, décrire des groupes...) ou d'application, ils sont alors un élément des exa-
mens psychologiques.
Les tests sont très nombreux (les répertoires spécialisés en recensent plusieurs mil-
liers, en 2006, le catalogue des Éditions du centre de psychologie appliquée, le premier
éditeur français de tests, en présentait plus d'une centaine). Certains portent sur
l'observation des conduites. On peut distinguer :
— les tests d'aptitudes : ce sont des tests qui portent sur des aspects globaux ou analyti-
ques du fonctionnement intellectuel, de son développement et de son efficience ou
des tests psychomoteurs. On appelle aussi « tests d'aptitude » des tests construits
afin de voir si un individu possède les caractéristiques permettant de penser qu'il
réussira ( « qu'il sera apte») dans une formation ou une activité généralement pro-
fessionnelle (on parlera par exemple d'aptitude à la programmation ou aux métiers
de la vente) ;
— les tests de personnalité, qui comportent des tests dits « objectifs », dans lesquels, à
partir de conduites observées, on repère des manières habituelles de se comporter et
les tests projectifs où en structurant un matériel ambigu le sujet « projette » sa per-
sonnalité ;
— à ces grandes catégories de tests psychologiques on peut ajouter les tests de connais-
sances, scolaires ou professionnelles.

On peut aussi adopter un point de vue plus large et inclure dans les tests les ques-
tionnaires de personnalité et les inventaires d'intérêts et de valeurs. Au moyen de ces
instruments on n'observe plus des conduites mais on recueille, sous une forme qui jus-
tifie la dénomination de tests, la description que le sujet se fait de lui-même.
Les tests peuvent être appliqués individuellement ou collectivement. En général les
tests qui supposent la manipulation d'un matériel sont individuels. Les tests collectifs
sont dans l'immense majorité des cas des tests où le sujet fournit sa réponse par écrit
(tests « papier-crayon »).
324 I Psychologie différentielle

Le plus souvent on caractérise les individus en les situant sur des dimensions (apti-
tudes, traits de personnalité, intérêts...). On pense qu'ils sont d'emblée comparables et
le point de vue adopté est « nomothétique ». Il existe cependant quelques tests où, dans
un premier temps, on caractérise les individus sans référence à d'autres en cherchant à
décrire leur singularité. On trouvera dans l'encadré 8.1 un exemple de cette approche
qui est dite « idiographique » (pour d'autres exemples, voir Huteau, 2006). Dans le
domaine des tests ces deux approches, que l'on qualifie parfois aussi de « normative » et
d' « ipsative », ne sont pas radicalement opposées et l'on procède fréquemment à des
comparaisons entre individus à partir des données de l'approche idiographique.

ENCADRÉ 8.1

Le Q sort
-

Le 0 - sort est constitué d'une série de descripteurs de la personnalité (souvent une centaine)
dont le contenu dépend des objectifs poursuivis. Le sujet doit indiquer si ces descripteurs le
décrivent plus ou moins bien. On impose un nombre d'échelons. Le nombre de descripteurs
pour chaque échelon est également imposé. Prenons par exemple un 0 -sort de 100 items avec
9 échelons (1 / cette proposition ne me décrit absolument pas... 9 / cette proposition me décrit
parfaitement). Le sujet doit placer 4 propositions sur les échelons 1 et 9, 7 propositions sur les
échelons 2 et 8, 12 propositions sur les échelons 3 et 7, 17 propositions sur les échelons 4 et 6
et 20 propositions sur l'échelon 5. La distribution du nombre de propositions par échelons cor-
respond à une distribution normale. Les propositions sont inscrites sur des fiches et le sujet
doit les placer sur un tableau qui indique le nombre de propositions pour chaque échelon. Un
des intérêts du 0- sort est qu'il permet une mesure de la ressemblance entre deux descrip-
tions. Chaque descripteur se voit attribuer un score de 1 à 9 dans chaque description et la cor-
rélation entre les deux séries de scores est une mesure de la proximité des descriptions.

Tous ces instruments respectent plus ou moins certaines des règles d'une méthodo-
logie propre qui constitue la psychométrie. Les méthodes psychométriques, apparues au
mixe siècle avec la psychophysique, ont été développées tout au long du xx' siècle, prin-
cipalement à propos des tests collectifs. Les principes de cette méthodologie sont assez
contraignants. Ils portent sur la standardisation de l'observation, la définition des
dimensions, les conditions de la mesure et sa fiabilité. Les individus étant décrits, reste,
bien sûr, à s'interroger sur la signification pratique ou théorique de cette description.
C'est la grande question de la validité.

A - OBSERVATION ET MESURE

I - Une observation standardisée

Les procédures d'observation peuvent être placées sur un continuum avec à l'un
un pôle l'observation libre et à l'autre une observation contrainte. Dans l'observation
libre, l'observateur n'a pas de règles, les conditions de l'observation et les indications
La méthode des tests I 325

qui sont données au sujet dépendent des circonstances et peuvent être très variables, on
peut observer 'des choses très différentes que l'on ne soupçonnait pas, la manière de
caractériser la conduite du sujet relève de la décision de l'observateur. Dans
l'observation contrainte qui correspond à la situation de test il en va tout autrement : la
situation est bien définie, les consignes spécifiées à l'avance et le mode de caractérisa-
tion du sujet explicité. Toutes les indications concernant ces trois points figurent dans le
manuel qui accompagne le test. Lorsqu'on modifie quelques paramètres de la situation
on construit la plupart du temps un nouveau test.
Cette standardisation est poussée à son maximum avec les tests de groupe utilisant
des questions à choix multiples (Qcm). Les sujets sont alors dans des conditions rigou-
reusement identiques et la correction se limite au relevé des bonnes réponses. Il en va
de même lorsque les tests (passation et correction) sont informatisés. Dans les tests indi-
viduels où les réponses sont libres la standardisation est moins stricte. Prenons par
exemple un test de vocabulaire où le sujet doit fournir des définitions de mots. Certes,
un barème, accompagné de nombreux exemples, permet de coter les réponses fournies.
Mais il n'est pas toujours aisé de faire entrer dans une catégorie du barème une
réponse particulière. Par ailleurs on n'indique pas jusqu'où l'observateur doit aller pour
faire préciser une définition ou donner la possibilité au sujet de modifier sa réponse.
Mais même dans ces cas la standardisation est très poussée, beaucoup plus que dans les
évaluations scolaires, par exemple, où les études docimologiques ont régulièrement
montré depuis maintenant soixante-dix ans que les désaccords entre correcteurs dans
l'évaluation d'une même copie étaient beaucoup plus importants que ce que l'on ima-
gine habituellement et que ce que les enseignants sont prêts à concéder. La standardisa-
tion des tests projectifs, et plus particulièrement la cotation des réponses, est générale-
ment moins poussée. Il existe cependant pour ces épreuves des procédures parfaitement
objectives (voir, par ex., pour le test de Rorschach la méthode proposée par Exner,
1993).
La standardisation n'entraîne pas forcément un comportement stéréotypé de
l'observateur. Prenons l'exemple de la consigne dans un test d'intelligence. Selon les cas
elle doit apporter des informations, suggérer des méthodes de résolution des problèmes
proposés, indiquer la finalité de l'action. L'essentiel est que la consigne remplisse sa fonc-
tion et cet objectif n'est pas nécessairement atteint en adressant à tous les individus un
exposé rigoureusement identique. Dans le cadre d'une observation standardisée il est
possible de prévoir un questionnement afin de tenir compte du contexte mental de la
réponse et de préciser sa signification. C'est ainsi, par exemple, que dans des tests inspi-
rés de la théorie de Piaget, afm de savoir quelles sont les structures logiques sous-jacentes
à la conduite, il est prévu que l'observateur non seulement interroge le sujet sur les rai-
sons de sa réponse mais aussi procède à des suggestions et à des contre-suggestions (voir
chap. 3, II, p. 110). Les interventions de l'observateur s'adaptent alors aux réponses des
sujets selon les principes de la méthode « critique » (ou « clinique ») de Piaget.
Cette standardisation a une fonction unique : permettre la comparabilité des sujets
ou, en d'autres termes, s'assurer que les différences entre les sujets ne relèvent pas des
aléas de la situation ou de la subjectivité de l'observateur. L'observation standardisée
est dite « objective » en ce sens qu'elle permet l'accord entre les observateurs (ce qui ne
signifie pas qu'elle est « vraie », il existe des erreurs collectives !).
326 I Psychologie différentielle

Il - Les items

Dans certains tests le sujet est mis en présence d'une seule situation. Il peut avoir à
résoudre une tâche compliquée, par exemple copier et mémoriser une figure complexe
(encadré 8.2). Il peut aussi avoir à effectuer de manière répétitive une tâche élémen-
taire, comme dans un test psychomoteur où il faut le plus rapidement possible placer
des tiges dans des trous. Mais le plus souvent les tests sont constitués d'une série de
questions ou de problèmes, les items. (On appelle également « tests » des échelles ou
des batteries qui sont des ensembles de tests, les tests qui les constituent sont alors des
sous-tests ou des subtests.)

ENCADRÉ 8.2

La figure complexe de Rey (d'après A. Rey, 1959)

FIG. 8.1

En 1942, le psychologue suisse André Rey, afin d'évaluer les déficits mnésiques de sujets
atteints de troubles cérébraux, a proposé une épreuve consistant d'abord à copier la figure
ci-dessus (figure sans signification, assez facile à réaliser graphiquement et complexe, c'est-à-
dire supposant une activité perceptive analytique et organisatrice), puis à la reproduire de
mémoire. Il se proposait ainsi de dissocier ce qui relève du déficit mnésique proprement dit et
ce qui relève de l'insuffisance de l'organisation perceptive.
Dans la consigne on indique qu'il n'est pas nécessaire de faire une copie rigoureuse du
modèle mais qu'il faut cependant faire attention aux proportions et ne rien oublier. On indique
aussi qu'il n'est pas utile de se hâter. Le sujet commence le dessin de mémoire trois minutes
après la fin de la copie. Tant pour la copie que pour l'épreuve de mémoire, et afin que l'on
puisse reconstituer la dynamique de reconstruction de la figure, le sujet utilise au fil du temps
des crayons de couleur différente.
La méthode des tests I 327

Dans le manuel de l'épreuve, deux systèmes de cotation des productions sont indiqués.
Ils valent pour la copie et la mémorisation. (On mesure aussi les temps de réalisation.)
1 / Sept manières de réaliser le dessin sont décrites, de la plus primitive (gribouillage, on ne
reconnaît aucun des éléments du modèle ni sa forme globale) à la plus élaborée (construc-
tion à partir du grand rectangle central qui sert d'armature et autour duquel les autres élé-
ments viennent se grouper). Ces descriptions types, dont on connaît la répartition par âge,
ont beau être précises elles ne permettent pas une évaluation parfaitement objective.
2 / La figure est décomposée en 18 parties constituant des unités (par exemple, la croix au coin
gauche en haut, le cercle avec les trois points dans le secteur supérieur droit du grand rec-
tangle). Chaque unité correctement reproduite vaut 2 points si elle est bien placée, 1 point
si elle est mal placée, chaque unité déformée mais reconnaissable vaut 1 point si elle est
bien placée et 0,5 point si elle ne l'est pas. La somme des points fournit un score global. Ce
mode de cotation est plus objectif que le précédent.
La correction de la figure de Rey a été automatisée. Le sujet reproduit la figure au moyen
d'un stylet sur une table à digitaliser. Ses conditions de travail sont très proches des condi-
tions habituelles. La table à digitaliser, qui permet le recueil d'informations spatiales (précision
du dixième de millimètre) et temporelles (précision du centième de seconde) est reliée à un
ordinateur qui traite les informations recueillies. Les productions du sujet sont caractérisées
selon de nombreux paramètres relatifs notamment à l'aspect global de la figure (taille et
forme du grand rectangle...) et à la maîtrise du tracé (nombre des traits, courbure des traits...).
Le logiciel actuel ne prend en compte que les aspects statiques du tracé mais on peut envisa-
ger des logiciels qui traiteraient de la vitesse et des accélérations et ralentissements. On peut
disposer d'une reproduction de la production du sujet aux divers moments de sa réalisation
(ce qui est plus précis que ce que l'on peut appréhender à partir des changements de couleur
du tracé). Enfin, on peut disposer d'informations inaccessibles avec le mode de passation
habituelle (pression, inclinaison du stylet). Ce mode de cotation est parfaitement objectif
(Amara et al., 2002).

Le choix des items d'un test dépend des objectifs visés par le constructeur et de ses
conceptions psychologiques, il obéit aussi à certaines considérations pratiques. Les
objectifs peuvent être très divers : évaluer l'efficience dans un secteur particulier du
fonctionnement cognitif (capacité verbale, visualisation...), évaluer le niveau scolaire des
élèves, identifier la source de certaines difficultés d'apprentissage, sélectionner du per-
sonnel, caractériser le sujet sur plusieurs traits de personnalité... La définition de
l'objectif circonscrit la population des items possibles, les conceptions psychologiques du
constructeur vont la restreindre encore. S'il ne dispose pas de théories, le contenu des
items ne pourra provenir que de la psychologie commune. Par contre, s'il dispose d'une
théorie, et quelle que soit sa nature, celle-ci donnera des indications sur la nature des
items à retenir. Si le constructeur veut construire un test d'introversion-extraversion et
se réfère à la théorie structurale de Hans J. Eysenck (cf. chap. 10, B, p. 394), celle-ci le
guidera dans le choix des items en lui indiquant qu'il y a cinq facettes dans
l'extraversion : sociabilité, impulsivité, activité, entrain, excitabilité. S'il souhaite cons-
truire un test de développement de la pensée logique en se référant à la théorie géné-
tique de Piaget (cf. chap. 2, A, p. 37), celle-ci lui indiquera non seulement les étapes de
ce développement mais aussi les types de structures logiques dont les items du test
devront révéler l'existence (par exemple, conservation, transitivité, inclusion des classes
pour le passage au stade des opérations concrètes). S'il souhaite construire un test
328 I Psychologie différentielle

d'intelligence abstraite, la théorie cognitive du fonctionnement intellectuel lui indiquera


que la mémoire de travail est une pièce essentielle de ce fonctionnement et il inclura
une série d'items destinés à évaluer la capacité de cette mémoire. Dans le cas des tests
scolaires, le choix des items sera déterminé par les programmes et par les textes qui
indiquent les objectifs et les finalités de l'enseignement.
Il faudra aussi veiller à ce que l'épreuve ne soit pas trop longue, qu'elle n'implique
pas la mise en oeuvre d'un matériel coûteux et sophistiqué et, si possible, qu'elle soit
attrayante.
Les items peuvent se présenter sous différents formats.
Dans certains cas le sujet produit librement sa réponse. On peut lui demander de
dire ce qu'il voit sur une image et analyser son discours afin de décider s'il procède
à une énumération, une description ou une interprétation ; on peut encore lui pré-
senter plusieurs images et lui demander de les ordonner afin qu'elles racontent une
histoire, il suffit alors de vérifier si l'ordre produit est correct.
Dans quasiment tous les tests papier-crayon on propose au sujet plusieurs réponses
et il doit choisir la bonne. Les mauvaises réponses proposées sont des distracteurs
(voir dans l'encadré 8.3 quelques exemples d'items pris dans le domaine des aptitu-
des cognitives). Lorsque le sujet ne connaît pas la bonne réponse il a deux possibili-
tés : ne pas répondre ou répondre au hasard, dans ce cas il aura quelques bonnes
réponses. On peut alors corriger son score en estimant le nombre de réponses justes
obtenues par hasard. Supposons par exemple un test constitué d'items où il y a
quatre possibilités de réponses et un sujet qui a douze mauvaises réponses. On peut
considérer qu'en cas de réponse au hasard il y a trois mauvaises réponses pour une
bonne. Il est donc probable que notre sujet a obtenu quatre bonnes réponses par
hasard et on peut les soustraire de son score. Ce mode de correction est cependant
approximatif. Les réponses sont loin d'être toujours données parfaitement au
hasard, certaines sont plus plausibles que d'autres. Et puis on peut être plus ou
moins chanceux.

ENCADRÉ 8.3

Exemples d'items dans le domaine des aptitudes cognitives

A. Tests verbaux
— Compréhension de phrases. On présente un dessin et six courtes phrases, trouver parmi
elles celle qui est exacte.

o ■■
FIG. 8.2 a

1 / Il y a plus de ronds que de carrés.


2 / Le carré noir est plus grand que le carré blanc.
3/Tous les carrés sont blancs.
4 / Il y a deux ronds.
5/11 y a plus de dessins noirs que de dessins blancs.
6/ Il y a plus de dessins blancs que de dessins noirs.
La méthode des tests I 329

— Proverbes. Trouver la phrase qui correspond le mieux au sens d'un proverbe.


METTRE LA CHARRUE AVANT LES BOEUFS se dit :

1 /d'un laboureur qui fait reculer ses boeufs ;


2 / d'une personne qui a beaucoup d'ordre dans son travail ;
3 / d'un enfant qui s'amuse au lieu de travailler ;
4 /de quelqu'un qui commence son travail par où il devrait le finir ;
5 / d'un paysan qui utilise un tracteur pour tirer une charrue.

— Analogies verbales. On donne trois mots et il faut choisir le quatrième de telle sorte qu'il
soit au troisième comme le second est au premier.
LIÈVRE est à RAPIDITÉ comme TORTUE est à...
1 / lenteur, 2 / retard, 3/ vélocité, 4 / exactitude, 5 / régularité, 6/ acharnement.

B. Tests spatiaux
— Soustractions géométriques. On découpe dans la figure située à gauche un morceau sem-
blable au petit dessin à sa droite. Chercher parmi les cinq dessins reproduits à droite du
trait vertical ce qui reste du dessin de gauche après que l'on ait découpé la figure placée à
sa droite.

A B C D

,J7
FIG. 8 . 2 b

— Développements. Le dessin situé à gauche représente un morceau de papier blanc devant


et noir derrière. Quelle figure obtient-on si on déroule le papier à plat ?

A
B
B
C

FIG. 8 . 2 c

— Briques. Imaginez que vous êtes derrière le tas de briques et que vous le regardez dans le
sens de la flèche. Que verriez-vous ?

E F G H
r
E
{F
1
I I G
H

FIG. 8 . 2 d

C. Tests de raisonnement non verbal


— Classement. Pour que les dessins des trois cases de gauche et les dessins des trois cases
de droite aient quelque chose en commun il suffit d'intervertir deux cases. Lesquelles ?

2 3 4 5 6

FIG. 8.2 e
330 I Psychologie différentielle

— Figures opposées. Chercher parmi les quatre figures ABCD celle qui est la plus différente
de la figure placée à gauche.

E G H E

• • G
H

FIG. 8.2 f

— Matrices. Trouver parmi les cinq dessins qui se trouvent à droite celui qui manque dans le
coin inférieur droit du carré.

K L M N O

0 A
o FIG. 8 . 2 g

Dans les questionnaires d'intérêts, de personnalité ou de valeurs, on demande sou-


vent au sujet d'estimer son degré d'accord (tout à fait d'accord, plutôt d'accord...)
ou la fréquence de certaines de ses conduites (toujours, très souvent...) avec une pro-
position sur une échelle en plusieurs points (échelle de Likert). La définition des
échelons de l'échelle est évidemment un problème et l'on est rarement assuré que
chacun les comprend de la même manière. Dans le cas d'échelles dichotomiques,
l'échelle est brutalement réduite à sa plus simple expression (deux échelons). En face
d'une proposition le sujet doit indiquer si elle décrit ou non, si elle vraie ou fausse,
s'il est d'accord ou non avec elle.

III - Les tendances de réponse

Dans les questionnaires, les réponses des sujets sont souvent biaisées par des ten-
dances de réponse : la tendance à l'acquiescement, qui consiste à répondre plutôt oui
que non, plutôt vrai que faux ou plutôt d'accord que pas d'accord en cas d'incertitude
et la tendance à donner des réponses socialement désirables. Il est relativement aisé de
contrôler la tendance à l'acquiescement : il suffit par exemple de formuler les items de
telle sorte que la réponse « oui » indique pour la moitié d'entre eux que le sujet se situe
plutôt à un pôle de la dimension et que la réponse « non » indique pour l'autre moitié
des items qu'il se situe au même pôle de la dimension.
Le contrôle de la tendance à donner des réponses socialement désirables est plus
délicat. Deux méthodes sont classiquement utilisées. L'une consiste à mesurer la force de
la tendance en construisant des « échelles de mensonge » (dénomination discutable dans
la mesure où la tendance à donner des réponses socialement désirables n'est pas toujours
consciente) constituées d'items où quasiment tout le monde devrait répondre de manière
La méthode des tests I 331

identique et dans un sens non socialement désirable (par exemple quasiment tout le
monde devrait admettre qu'il lui est déjà arrivé de mentir). Le score sur une échelle de ce
type est donc une indication de la force de la tendance et, s'il dépasse un certain seuil, les
réponses du sujet seront invalidées. La seconde méthode consiste à construire des items
« à choix forcé ». Dans le cas le plus simple, on présentera au sujet deux adjectifs dont on
aura vérifié au préalable l'égale désirabilité sociale et on lui demandera de choisir celui
qui le décrit le mieux. Ce faisant on modifie le cadre de la mesure en passant d'une
mesure normative à une mesure ipsative (comme dans le cas du Q sort de l'encadré 8. 1).
-

Prenons par exemple les traits « timidité » et « anxiété ». On peut demander à chaque
sujet s'il est timide (ou plus ou moins timide) ou anxieux (ou plus ou moins anxieux).
Cette mesure normative permet de le situer sur les traits timidité et anxiété et de le com-
parer à d'autres (en réalité, nous le verrons ci-dessous, il faudrait non seulement plusieurs
items mais aussi que plusieurs autres conditions soient remplies). On peut aussi (choix
forcé) vérifier que l'anxiété et la timidité ont une désirabilité sociale voisine (plutôt néga-
tive) et demander ensuite au sujet s'il est plutôt anxieux ou plutôt timide. Cette mesure
ipsative ne nous permet plus de le situer sur un trait : il peut être plus timide que anxieux
en étant très timide et très anxieux ou en étant très peu timide et très peu anxieux.

IV - Niveau de difficulté des items

Les items sont caractérisés par leur niveau de difficulté. Celui-ci est classiquement
défini par la fréquence de réussite dans une population. Lorsque les items sont très faciles
ou très difficiles, ils ne permettent pas une bonne différenciation des individus (ou en
d'autres termes de construire un test sensible). C'est avec des items de difficulté moyenne
(environ 50 % de réussite) que la différenciation interindividuelle est la plus forte. En vue
d'usages particuliers d'un test, dans des situations de sélection sévère notamment, on
peut cependant être amené à retenir des items très difficiles. Le niveau de difficulté n'est
pas toujours le facteur retenu pour différencier les sujets. Dans certains tests on propose
des tâches très simples (exécuter des opérations arithmétiques élémentaires, barrer une
lettre dans un texte) mais qui doivent être exécutées rapidement et c'est sur la vitesse
d'exécution bien plus que sur l'exactitude des réponses que sont différenciés les sujets.
Ces tests sont dits « de vitesse » alors que ceux où la différenciation des individus résulte
de la difficulté des items sont dits « de puissance ». Si tous les tests psychologiques visent
à différencier les sujets, ce n'est pas le cas de tous les tests pédagogiques. Si le test vise à
évaluer les acquis à l'issue d'une formation, il n'y a pas de raison pour que les individus
se différencient fortement et il serait même souhaitable que les objectifs de la formation
soient atteints par tous et donc qu'ils ne se distinguent plus.

V - Les dimensions

La pratique courante consiste à ajouter les scores de chaque item (avec éventuelle-
ment des pondérations) et de caractériser le sujet par un score global. Cette pratique
332 I Psychologie différentielle

suscite trois types de questions : Est-il justifié de calculer un score global ? Quel est le
statut métrique du score ainsi obtenu ? Comment l'utiliser pratiquement ?
Pour répondre à la première question plusieurs méthodes sont possibles (méthodes
d'analyse d'items). Toutes sont fondées sur la recherche de corrélations entre les scores
aux items et les scores au test ou de corrélations entre les scores d'items. Des corréla-
tions substantielles permettent de penser que les items appartiennent à une même
dimension et qu'il est donc possible de les sommer.
On peut d'abord se demander si chaque item permet une bonne discrimination
entre ceux qui réussissent bien et ceux qui réussissent mal à l'ensemble des items. Pour
cela on calcule un indice de discrimination de la manière suivante. On considère
les 30 % (ou les 25 %) qui réussissent le mieux au test et les 30 % (ou les 25 %) qui réus-
sissent le moins bien. On examine ensuite dans chacun de ces deux groupes les pourcen-
tages de sujets qui réussissent à un item particulier et de ceux qui échouent à cet item. La
différence de ces deux pourcentages mesure le pouvoir discriminant de l'item. Si l'item
discrimine bien, les bons au test réussiront nettement plus fréquemment à l'item que les
mauvais au test. L'indice de discrimination est lié à la difficulté de l'item. Avec des items
très faciles ou très difficiles la discrimination est mauvaise. Elle est potentiellement maxi-
male avec des taux de difficulté de l'ordre de .50. Dans la mesure où il intervient dans le
niveau de difficulté, le choix des distracteurs agit aussi sur l'indice de discrimination.
On peut aussi calculer directement la corrélation entre chaque item et le test (cor-
rélation item-test). Cet indice est moins ambigu que l'indice de discrimination dans la
mesure où il indique la part de variance commune au test et à l'item (par ex. 25
avec une corrélation item-test de .50). Ces deux méthodes postulent l'existence de la
dimension et l'on vérifie que chaque item en est bien un indicateur. Si tel n'est pas le
cas il reste à éliminer l'item ou à le reformuler.
Une autre méthode consiste à calculer les intercorrélations entre tous les items. Si
celles-ci sont suffisantes on pourra considérer que la dimension existe. Dans le prolon-
gement de ces calculs d'intercorrélations on peut procéder à une analyse factorielle de
la matrice des intercorrélations. Si tous les items sont saturés notablement dans un
même facteur (c'est-à-dire en corrélation avec une variable hypothétique, le facteur), on
considérera que la dimension existe et que leur sommation est justifiée. Là encore, on
pourra être amené à reformuler ou à éliminer certains items. Ces procédures peuvent
être généralisées à plusieurs dimensions. On recherchera alors des groupes d'items avec
des corrélations relativement fortes entre les items à l'intérieur des groupes (clusters) et
des corrélations faibles entre des items appartenant à des groupes différents. Dans le
langage de l'analyse factorielle on cherchera à montrer que certains items sont saturés
dans un facteur alors que d'autres le sont dans un autre (encadré 8.4).
Il serait bien sûr souhaitable que les corrélations item-test soient fortes, que les
intercorrélations entre items le soient également et que, par voie de conséquence, les
saturations des items dans les facteurs représentant les dimensions soient élevées. Mais
pour observer des corrélations item-test ou des corrélations item-item élevées il faut que
le contenu des items soit proche et donc que l'on s'intéresse à des dimensions assez
étroites concernant une gamme peu étendue de conduites. Aussi le choix du seuil qui
permet de dire qu'une corrélation• est substantielle résulte-t-il d'un compromis entre des
exigences contradictoires.
La méthode des tests I 333

ENCADRÉ 8.4

Analyse factorielle des items des dimensions introversion-extraversion


et névrosisme de l'Inventaire de personnalité d'Eysenck
(d'après Huteau, 1983)

L'inventaire de personnalité de Hans J. Eysenck EPI (Eysenck Personality lnventory) est destiné
à mesurer les deux dimensions de base de la théorie de Eysenck : l'introversion-extraver-
sion (E) et le névrosisme (N) (stabilité émotionnelle et faible anxiété à un pôle, faible stabilité
émotionnelle et forte anxiété à l'autre). Chaque dimension est repérée par 24 items dichotomi-
ques où le sujet doit indiquer si une proposition le décrit ou non. (Le questionnaire comporte
également une échelle de mensonge.) Le questionnaire a été appliqué à des élèves de termi-
nale et à des étudiants de première année d'université. On a procédé à l'analyse factorielle des
matrices d'intercorrélations entre les items. Si l'existence des dimensions est fondée, les items
de l'échelle E doivent être saturés dans un facteur et les items de l'échelle N dans un autre fac-
teur. La figure ci-dessous représente les résultats pour un groupe de filles.

items E

❑ items N

FIG. 8.3
334 I Psychologie différentielle

On voit apparaître deux groupes d'items au voisinage de chacun des axes orthogonaux.
À quelques exceptions près ces groupes d'items correspondent aux items E et N. On peut
donc parler de facteur « E » et de facteur « N ». Bien que la position de certains items soit
ambiguë (quelques items E ont une saturation plus forte dans le facteur « N » que dans le fac-
teur « E ») et qu'ils devraient donc être révisés, les traits postulés par l'EPI sont assez bien éta-
blis. On remarquera que les items N sont plus groupés que les items E (meilleure homogé-
néité de l'échelle de névrosisme) et que la majorité des items E sont saturés négativement
dans le facteur « N » (corrélation légèrement négative entre l'échelle E et l'échelle N).

Les propriétés des items et leur relation au score au test peuvent être figurées sur
les « courbes caractéristiques des items ». Ces courbes sont construites en plaçant en
ordonnée la difficulté de l'item définie par le pourcentage de réussite et en abscisse les
scores au test. On peut voir sur la figure 8.4 a que les items 1 à 4 sont peu discrimi-
nants car trop faciles. Les items 5, 6, 7 et 10 sont plus faciles que les items 8, 9, 11
et 12, les uns et les autres permettent une bonne discrimination.
Dans le cadre de l'analyse d'items, des modèles de mesure particuliers, les « modè-
les de réponses à l'item », ont été développés. Leur présentation sortant du cadre de ce
chapitre on se limitera à quelques remarques sommaires (pour un exposé complet voir
Dickes et al., 1997, p. 186-201). D'une manière très générale les modèles de mesure
définissent des règles formelles de correspondance entre des variables observables et des
variables latentes (l'analyse factorielle est un modèle de mesure). Les modèles de
réponse à l'item postulent que la réussite d'un sujet à un item dépend de sa position sur
une variable latente et des caractéristiques de l'item (qui sont des paramètres des modè-
les). Dans les modèles de réponse à l'item les courbes caractéristiques des items sont
définies a priori (et non plus à partir d'observations), elles décrivent la relation entre la
probabilité de réussir à un item (et non plus la fréquence des réussites dans un groupe)
et la position du sujet sur une variable latente (et non plus la note observée à un test).
Cette relation a la forme d'une fonction sigmoïde (la probabilité de réussite progresse
en fonction du score du sujet sur la variable latente, faiblement lorsqu'il est fort ou
faible, plus rapidement dans la zone intermédiaire) Les items sont caractérisés par plu-
sieurs paramètres qui doivent être estimés afin de permettre la validation du modèle
(fig. 8.4 b). Les modèles de réponse à l'item permettent l'échelonnement des items, dont
la difficulté n'est plus définie relativement à une population, et des sujets sur une
dimension. Bien que quelques réserves puissent être faites sur leur usage les modèles de
réponse à l'item se sont révélés utiles notamment pour la constitution de banques
d'items dont les propriétés sont connues (en éducation), pour le testing adaptatif (ou sur
mesure) qui consiste à repérer la zone de compétence du sujet avant de procéder à une
évaluation fine, pour des comparaisons de populations.

VI - Le statut métrique de la mesure

Lorsque, après s'être assuré que cette procédure était justifiée, on a sommé les items
d'un test, le sujet se trouve caractérisé par un nombre. Quel est le statut de ce nombre ?
La méthode des tests I 335

100 1

% de réussite pour chaque item


2
4

75

50

5
6
25 7
10
12
8
9
11

5 11 12
Score total
a) Courbes caractéristiques des 12 items de la série 1 des Standard progressives matrices de
Raven.
Probabilité de réussite à l'item

-4 -3 -2 -1 0 1 2 3 4
Aptitude

b) Courbes caractéristiques de 4 items dans le cas d'un modèle de réponse à l'item à deux
paramètres.

FIG. 8.4. — Courbes caractéristiques de quelques items

Mesurer, c'est attribuer des nombres aux choses. Mais pour que l'on puisse transférer
aux choses les propriétés des nombres faut-il encore que les correspondances entre les
unes et les autres soient fondées. Depuis les travaux de Stevens (dans le domaine de la
psychophysique) on considère qu'il existe des niveaux de mesures qui peuvent être hié-
rarchisés : au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie on prend en compte des
336 I Psychologie différentielle

propriétés des nombres supplémentaires, ce qui permet l'usage de techniques statistiques


nouvelles (Stevens, 1951 ; Reuchlin, 1963, 1976). Trois niveaux de mesure sont perti-
nents en psychologie : celui des échelles nominales, ordinales et d'intervalles.
Les échelles nominales. Lorsque le psychologue regroupe ses observations en clas-
ses d'équivalence (toute observation va dans une classe et une seule, toutes les observa-
tions d'une même classe sont équivalentes) et ne fait que cela, il peut désigner par un
nombre chaque classe. Ce faisant il utilise uniquement la propriété que les nombres ont
d'être des symboles distincts et il y aurait aucun sens à ordonner les classes. L'usage de
signes ou de symboles quelconques ferait aussi bien l'affaire pourvu qu'ils soient diffé-
rents. On peut, par exemple, et c'est ce que fait la Sécurité sociale, distinguer les indivi-
dus selon leur sexe et désigner par 1 la classe des hommes et par 2 celle des femmes.
Ce niveau de la mesure, qui est celui des échelles nominales, est très faible et l'on peut
se demander s'il est bien légitime d'employer pour le désigner le terme « mesure ». Il
existe cependant à ce niveau des techniques statistiques permettant de décrire les obser-
valions : le mode, classe qui a l'effectif le plus élevé, peut être considéré comme un
indice de tendance centrale dans la mesure où il représente le mieux l'ensemble des
classes ; l'entropie, qui est une mesure des écarts d'effectifs entre les classes, est un
indice de dispersion ; le degré de liaison entre deux variables nominales peut être éva-
lué par des indices comme le chi carré.
Les échelles ordinales. Si le psychologue peut établir un ordre entre les classes,
c'est-à-dire montrer que leurs relations sont antisymétriques (si A > B, alors B > A est
impossible) et transitives (si A > B et B > C, alors A > C), les nombres qui désignent les
classes acquièrent une nouvelle propriété : ce sont alors des symboles ordonnés et l'on
se situe au niveau des échelles ordinales. Si les classes sont ordonnées, les distances qui
les séparent sont quelconques et les représentations graphiques que l'on peut donner
des distributions sont conventionnelles. Certaines de leurs propriétés sont cependant
repérables : on peut remarquer par exemple que les effectifs des classes vont croissants
puis décroissants, on pourra parler du centre de la distribution ou de ses extrémités. Le
médian (ou la médiane) sera un indice de tendance centrale ; on pourra avoir une idée
de la dispersion en calculant la proportion d'observations se situant entre une classe et
le médian. Il existe également des statistiques permettant de mesurer le degré de liaison
entre deux variables ordinales (tau de Kendall par exemple).
Pour fonder la mesure au niveau ordinal on peut prendre en compte l'efficience.
Les individus seront ordonnés par exemple à partir du nombre d'items qu'ils réussis-
sent. Celui qui réussit 10 items sera situé avant celui qui en réussit 9 et celui-ci avant
celui qui en réussit 8, mais rien ne nous permet de penser que l'écart qui sépare le pre-
mier du second est identique à l'écart qui sépare ce second du troisième. On peut éga-
lement prendre en compte le temps, les sujets sont alors ordonnés en fonction de leur
rapidité. Enfin, on peut se référer à l'âge : les sujets peuvent alors être ordonnés à partir
de l'équivalence entre leur performance et celle de groupes d'enfants de différents âges
ou, en d'autres termes à partir de leur âge mental. Là encore les âges mentaux ne four-
nissent qu'un ordre : si les écarts d'un an d'âge chronologique sont équivalents il n'en
va pas de même des écarts d'âge mental.
Léon Guttman a proposé au début des années 1950 un modèle de mesure parfai-
tement adapté au niveau ordinal. Il a été largement utilisé pour la mesure des attitudes
La méthode des tests I 337

sociales et du développement cognitif. Prenons l'exemple d'une épreuve évaluant le


niveau de développement cognitif et constituée de quatre items destinés chacun à repé-
rer un niveau de développement : a pour le niveau le plus élevé, b pour le niveau sui-
vant, etc. (en réalité il faudrait plus d'un item par niveau). Considérons que le dévelop-
pement est linéaire (tout le monde passe par les mêmes étapes) et cumulatif (il n'y a pas
de régression à un niveau inférieur). Dans ces conditions, seuls les patrons de réponses
suivants sont théoriquement possibles, ils correspondent aux sujets hypothétiques A, B,
C, D et E (1 : réussite à l'item, 0: échec) :

A B C D E
Item a 1 0 0 0 0
Item b 1 1 0 0 0
Item c 1 1 1 0 0
Item d 1 1 1 1 0

Si l'on donne 1 point par item, le sujet C, par exemple, a 2 points. Mais ceux-ci
ne peuvent être obtenus (selon le modèle théorique) qu'en réussissant les items c et d.
La mesure est fondée au niveau ordinal lorsque les observations sont compatibles
avec ce modèle théorique. Notons qu'en procédant ainsi on adopte une démarche plus
contraignante que celle qui consiste à inférer l'ordre simplement à partir du nombre
d'items réussis sans se préoccuper des patrons de réussite.
Les échelles d'intervalles. Si le psychologue réussit à définir des distances entre les
classes, c'est-à-dire un intervalle-unité tel que, par ajouts successifs, l'on puisse définir
de nouveaux intervalles (concaténation), les nombres qui désignent les classes acquiè-
rent alors de nouvelles propriétés. À ce niveau de la mesure l'origine est arbitraire et les
unités sont conventionnelles, toutes les transformations de la distribution qui conservent
l'ordre et le rapport des distances entre les classes (de la forme y = ax + b) sont donc
légitimes. C'est à ce niveau de mesure seulement que les opérations arithmétiques sont
justifiées et que l'on peut calculer une moyenne, une variance, ou un coefficient de cor-
rélation de Bravais-Pearson.
En psychophysique on peut fonder la définition d'intervalles mais ce n'est pas le
cas dans le domaine couvert par les tests mentaux. Celle-ci résulte d'une convention.
Il découle de cela que la forme de la distribution des caractéristiques psychologiques
est conventionnelle elle aussi. Si une convention d'intervalles définit la forme de la
distribution, réciproquement la convention d'une forme de la distribution définit les
intervalles. On dit parfois que l'intelligence se distribue selon la loi normale (distribu-
tion de Laplace-Gauss). Métriquement cette affirmation n'est pas fondée. Certains ont
aussi pensé que l'intelligence était héréditaire et déterminée par plusieurs gènes et
donc qu'elle devait se distribuer normalement. Mais la relation entre les gènes et les
conduites intellectuelles est loin d'être directe, elle est notamment fonction
d'interactions avec des facteurs environnementaux (voir chap. 11). Si l'on observe que
la distribution des scores à un test est approximativement normale, c'est parce que le
constructeur du test a procédé de telle sorte pour qu'il en soit ainsi (par exemple en
n'incluant pas dans le test trop d'items faciles ou difficiles). La convention la plus fré-
quemment adoptée consiste à postuler la normalité des distributions, car cela présente
certains avantages.
338 I Psychologie différentielle

VII - Les étalonnages

Le score global qui permet de caractériser un sujet (nombre d'items réussis, temps
de résolution d'un problème...) est une donnée brute dont la signification est ambiguë
tant qu'elle n'est pas comparée aux scores des sujets d'une population de référence.
Dire qu'un enfant a obtenu 25 points à un test n'apprend rien ; dire que ce score le
situe dans les 10 % supérieurs des enfants de son âge est plus informatif. Deux systèmes
d'étalonnage, le quantilage et les échelles normalisées, permettent de situer les sujets
dans des groupes de références.
La distribution des notes brutes à un test peut être fractionnée en une série de
classes de même effectif dont les limites sont des quantiles. Avec 100 catégories les limi-
tes sont des centiles (ou des percentiles), avec 10 catégories des déciles, avec 4 catégories
des quartiles, ces termes (centiles, déciles, quartiles) désignent aussi parfois les intervalles
entre les limites. Si l'on considère que les intervalles entre ces limites sont égaux, on
postule des distributions de forme rectangulaire La construction de tels étalonnages est
très simple : si l'on prend le cas d'un test d'efficience et du décilage, les 10 % les plus
efficients seront dans le premier interdécile, les 10 % suivants dans le second, etc. On
pourra ainsi aisément situer un sujet nouveau (ayant passé le même test dans les mêmes
conditions) : il sera dans le premier interdécile, dans le second, etc. On peut utiliser la
même méthode pour procéder à un centilage, mais il faut alors une distribution avec
un grand nombre de classes et de sujets. On peut aussi se contenter de transformer
l'échelle des scores bruts en une échelle de rangs exprimée en pourcentages. Supposons
un sujet qui est 3e sur 40. Il a donc 2 personnes devant lui et 37 derrière. On considé-
rera qu'il y a 2,5 personnes au-dessus de lui et 37,5 au-dessous. Puisque 37,5 est 94 %
de 40, on dira que son rang-percentile (ou centile) est 94. Avec cette méthode le sujet
qui est juste au centre de la distribution est au rang-percentile 50 (ou au centile 50).
Avant d'examiner les échelles normalisées examinons les propriétés de la distribu-
tion normale. Considérons une distribution normale de moyenne 0 et d'écart type 1. On
sait que la quasi-totalité des valeurs de la distribution (99 %) se situent dans un intervalle
de 5 écarts types centré sur la moyenne. Si on définit une première classe par un inter-
valle d'l a centré sur la moyenne (ses limites sont + 0,5 a et — 0,5 a), elle compor-
tera 38,2 % des sujets (lecture de la table de la loi normale réduite). Les deux classes adja-
centes, de part et d'autre de la classe centrale, définies également par un intervalle de 1 a
(limites + 0,5 a et + 1,5 a pour l'une et — 0,5 a et — 1,5 a pour l'autre), comporteront cha-
cune 24,2 % des sujets. Les deux classes restantes, aux extrémités de la distribution com-
porteront chacune 6,7 % de la population. Pour construire une échelle normalisée en
5 classes on regroupe les scores bruts de telle sorte que les pourcentages de sujets dans
chaque classe correspondent aux proportions qui viennent d'être indiquées.
L'histogramme de la distribution des notes ainsi regroupées correspond à la distribution
normale (fig. 8.5 a) . Les notes brutes peuvent aussi être transformées en notes normalisées
dont on peut décider de la moyenne et de l'écart type = 0, a = 1 dans les scores z ;
m = 50 et a = 10 dans les scores T ; m = 100 et a = 15 dans les scores de QI) (fig. 8.5 b) .
La méthode des tests I 339

2
a) Échelle normalisée en 5 classes.

Pourcentage d'observation
dans les diverses parties
de la distribution normale

0,13 % 2,14 % 13,59 % 34,13 % 34,13 % 13,59 % 2,14 % 0,13 %

i
Ecarts types -4G -3a -2a -la Oa e 2a 3a 4

I I I I
Pourcentages 0,1 % 2,3 % 15,9 % 50,0 % 84,1 % 97,7 % 99,9 %
cumulés 2% 16% 50% 84% 98%

Percentiles
Déciles I
1 5
I 10
1 III III1 I
20 30 40 50 6070 80 90 95
I 99
Quartiles
Q Md Q3
I
I
I I I I 1 1 I
Scores z -4,0 -3,0 -2,0 -1,0 0 +1,0 +2,0 +3,0 +4 ,0
Scores normalisés

I ■ I . I I ■ I 1 I ■ I I I
Scores T 20 30 40 50 60 70 80

Scores z
I ■ I . I ■ I ■ I I . I . I I
QI 55 70 85 100 115 130 145
I I I I I I I I I

b) Correspondance entre divers types d'étalonnages.

FIG. 8.5

Si la plupart du temps le sujet est situé en référence à un groupe, c'est-à-dire par


rapport à une moyenne, ce n'est cependant pas toujours le cas. Le sujet peut être situé
par rapport à un niveau ou à des attentes définies a priori (tests à référence critérielle).
Dans un test piagétien, on peut caractériser le sujet par son stade de développement
sans nécessairement le comparer à d'autres sujets. Dans un test pédagogique, on peut
340 I Psychologie différentielle

caractériser l'élève par sa distance aux objectifs visés (on dira par exemple que 80 %
des objectifs ont été atteints) sans pour autant comparer ses acquisitions à celles de ses
camarades.

B - LA FIABILITÉ DES MESURES

I - Le coefficient de fidélité

Une mesure est dite fiable, ou fidèle, lorsqu'elle n'est pas entachée d'erreurs trop
importantes. On distingue deux types d'erreurs de mesure : les erreurs systématiques et
les erreurs aléatoires. Lorsque l'on répète la mesure, l'erreur systématique continue à se
manifester dans le même sens et avec la même intensité (exemples : un sujet anxieux
peut être inhibé en situation de test et ses compétences sous estimées, un sujet dont
l'acuité visuelle est déficiente peut échouer à des tests spatiaux sans que ses capacités de
visualisation ou d'organisation perceptive soient en cause, un appareil peut être mal
réglé...). Pour éviter les erreurs systématiques il est nécessaire d'analyser soigneusement
les conditions de l'observation et de s'assurer que le test ne mesure pas autre chose que
ce qu'il est censé mesurer, ou, en d'autres termes, qu'il est valide. Lorsque l'on répète la
mesure l'erreur aléatoire se manifeste avec des forces différentes et pas toujours dans le
même sens d'une passation à l'autre. La théorie classique de la fidélité, dont les bases
ont été jetées par Charles Spearman au début du xxe siècle, traite uniquement des
erreurs aléatoires.
Cette théorie postule que toute mesure observée est décomposable en une
« mesure vraie » et une « erreur » et que ces deux composantes sont indépendantes :
X = V + E.
La mesure vraie n'est pas observable, elle peut être estimée par la moyenne des
mesures observées pourvu que celles-ci soient assez nombreuses.
Du fait de l'indépendance entre la mesure vraie et l'erreur, la variance des scores
observés est égale à la somme de la variance des notes vraies et de la variance des
erreurs (variance vraie et variance d'erreur) :
2 x (52 (5 2E .
6

Le coefficient de fidélité (rxx) est le rapport entre la variance vraie et la variance


observée :
r„„ =17 2 y / cr 2 x.
Dire qu'un test a un coefficient de fidélité de ,90 signifie que 90 % de sa variance
est attribuable à la mesure vraie. Lorsque l'erreur est peu importante relativement à la
mesure vraie le coefficient de fidélité est proche de 1 ; lorsque, au contraire, l'erreur est
très importante relativement à la mesure vraie le coefficient de fidélité est proche de O.
La méthode des tests I 341

Pour calculer r,,, on pourrait estimer directement la variance d'erreur en répétant


de nombreuses fois la mesure sur de nombreux sujets. Une telle pratique, outre qu'elle
serait très coûteuse, ne serait pas très fondée. Dans la mesure où elle sollicite son acti-
vité, l'observation modifie le sujet. Aussi est-il sage de se limiter à une seule répétition
de la mesure. Pratiquement, le coefficient de fidélité est la corrélation entre une série de
mesure et sa répétition. On montre que, dans le cas de deux mesures (une répétition),
ce coefficient de corrélation est rigoureusement identique au rapport de la variance
vraie et de la variance observée.
r = E X 1 X2 / Na„, 6x2
X1 : notes centrées à la première application.
X2 : notes centrées à la seconde application.

Il - La stabilité ou constance

On peut distinguer trois grands modes de répétition de la mesure qui correspon-


dent à trois grandes sources d'erreur :
on peut répéter la mesure à deux moments différents. Les facteurs d'erreur pris en
compte correspondent alors à des événements qui se manifestent différemment
d'une passation à l'autre ;
on peut répéter la mesure en faisant varier le contenu de la situation qui concep-
tuellement demeure identique. Les facteurs d'erreurs sont alors relatifs aux décisions
prises lors de l'opérationnalisation des idées sur lesquelles est fondé le test, ou, en
d'autres termes, à l'échantillonnage des items ;
on peut aussi demander à deux personnes différentes d'évaluer une même conduite.
Les facteurs d'erreur proviennent alors de la subjectivité de l'observateur. Cette
source d'erreur est neutralisée dans les tests par la standardisation de la procédure
d'application et de cotation. C'est d'ailleurs sa fonction essentielle.

Pour prendre en compte les erreurs dues au moment de l'observation, on utilise la


méthode test-retest qui consiste à appliquer le même test à un même groupe d'individus
à deux moments différents. Le coefficient de corrélation entre les deux séries de mesu-
res obtenues est le coefficient de constance ou de stabilité. Peut-il être interprété comme
un coefficient de fidélité ? Pour une part les différences de classement d'une passation à
l'autre s'expliquent par des fluctuations aléatoires de l'état du sujet qui peuvent être
considérées comme des erreurs de mesure. Un sujet peut être malade ou contrarié à
une passation et pas à l'autre, un autre peut être particulièrement confiant à un
moment et non à un autre, un autre encore peut être plus attentif à certaines périodes-
qu'à d'autres. Il peut se faire aussi que des événements fortuits ne se manifestent que
lors d'une passation et n'aient pas les mêmes effets sur tous les sujets (un conflit collectif
avant la passation par exemple).
Mais pour expliquer la corrélation non parfaite entre le test et le retest on peut
évoquer d'autres facteurs qu'il est difficile de considérer comme des erreurs aléatoires.
342 I Psychologie différentielle

Lorsque l'observation sollicite l'activité du sujet, ce qui est le cas dans les tests, celui-ci,
nous l'avons déjà noté, se modifie. En passant un test le sujet apprend au moins à pas-
ser ce test et les scores à la seconde passation sont toujours plus élevés. Cet apprentis-
sage étant plus ou moins marqué selon les individus, il contribuera à la réduction du
coefficient de stabilité. Lorsque les sujets passent le test pour la seconde fois on leur
propose une tâche déjà connue et certains d'entre eux peuvent ne plus être très motivés
ce qui contribuera aussi à la réduction du coefficient de stabilité. Si l'intervalle entre le
test et le retest est long les sujets ont été soumis à des apprentissages différents et ils se
sont développés à des rythmes divers et dans des directions différentes et les coefficients
de stabilité ne peuvent pas être interprétés comme des coefficients de fidélité. Le coeffi-
cient de stabilité est donc un indice ambigu qui ne nous renseigne sur le poids des
erreurs aléatoires que lorsque l'intervalle entre le test et le retest est court (de l'ordre de
quelques mois pour les adultes, moins pour les enfants).

III - L'équivalence et l'homogénéité

Le constructeur d'un test a généralement une idée précise de la dimension sur


laquelle il cherche à ordonner les sujets. Cette idée peut donner naissance à des items
très nombreux dont le contenu sera variable. Est-ce que le choix d'items effectué cor-
respond bien à l'idée que l'on se faisait de la dimension, ou, en d'autres termes, ce
choix n'a-t-il pas introduit un biais ? Pour répondre à cette question on peut construire
deux versions d'un même test (formes parallèles), les appliquer à un même groupe et
calculer la corrélation entre les deux séries de mesures. Si le coefficient obtenu — le
coefficient d'équivalence — est élevé, c'est que les choix d'items opérés n'ont pas eu
d'incidence sur le classement des sujets, il n'y a donc pas là une source d'erreur. Par
contre, si tel n'est pas le cas, la mesure a été déterminée par les choix d'items et elle est
donc relative à ces choix ; elle est entachée d'erreur. Pour illustrer cette démarche, ima-
ginons un test de vocabulaire où le sujet doit définir des mots. Bien que l'on puisse se
fixer des règles précises (à partir de leur fréquence d'usage par exemple), il y a beau-
coup d'arbitraire dans le choix des mots finalement retenus. Il se pourrait que certains
sujets ou groupes de sujets soient avantagés ou désavantagés avec certains mots sans
que cela soit compensé par d'autres mots. La méthode des formes parallèles permet de
détecter ce genre de distorsion.
Satisfaisante dans son principe, cette méthode pose cependant quelques problè-
mes. Les formes parallèles ne pouvant être appliquées que successivement, le coefficient
d'équivalence prend également en compte des erreurs dues au moment. Par ailleurs, il
est coûteux de construire des formes parallèles et il n'y a que quelques tests ou ques-
tionnaires dont il existe deux versions. Afin de répondre à ces critiques on a proposé
d'utiliser un seul test et de considérer que la moitié des items, les items pairs le plus
souvent, constituait un test et que l'autre moitié des items, les items impairs, consti-
tuaient l'autre test (méthode du partage par moitié - split key. On suppose donc que le
test initial était constitué de deux formes parallèles intriquées. Le coefficient de corréla-
La méthode des tests I 343

tion entre les deux moitiés du test est un indice d'homogénéité. On voit qu'il y a une
parenté étroite entre cette mesure de l'homogénéité et les méthodes présentées anté-
rieurement et destinées à vérifier l'existence d'une dimension.
Mais cette solution conduit à de nouveaux problèmes : pourquoi privilégier un
type de partition plutôt qu'un autre ? La fidélité d'un test est-elle celle de la fidélité
d'une de ses moitiés (voir ci-dessous le rapport entre la fidélité et la longueur du test) ?
Afin de ne pas privilégier une partition par rapport aux autres, l'idéal serait de procé-
der à toutes les partitions possibles, de calculer à chaque fois un coefficient
d'homogénéité et de faire la moyenne des coefficients observés. Bien qu'à l'heure
actuelle la lourdeur des calculs ne soit plus un problème, d'autres solutions ont été rete-
nues. La méthode la plus répandue d'estimation de l'homogénéité est le coefficient oc
proposé par Lee J. Cronbach en 1951 (encadré 8.5).

ENCADRÉ 8.5

Calcul du coefficient a de Cronbach

Ce coefficient est obtenu par l'application de la formule suivante :


= (j/j – 1) (1 – 1 al / a 2 X)
: nombre d'items

a 2j : variance d'un item


E cr 2j : somme des variances des j items
(7'x: variance des scores aux tests.
Pour comprendre le fonctionnement de cette formule il faut avoir à l'esprit la relation
qui relie la variance d'une somme à la variance de chacun de ses éléments. On montre facile-
ment que :
= 6 + a", + 2 r, b ce a,.
Pour plus de simplicité considérons que le test est constitué de deux items.
— Si les deux items sont indépendants (homogénéité nulle), la variance du test serait égale à
la somme de la variance des items et « = O.
— Lorsque deux items sont associés, c'est-à-dire ont en commun une part de leur variance, la
somme de leur variance (var. de a + var. de b) est inférieure à la variance de leur somme
(var. de a+ b), et cela d'autant plus qu'ils sont en forte corrélation. Donc, plus leurs inter-
corrélations seront fortes, plus se réduira l'écart entre la variance totale et la variance de
chaque item, et plus « sera grand.
— Prenons maintenant le cas extrême où les items seraient en corrélation positive parfaite. La
variance de la somme des deux items est le double de la somme de leur variance totale
et « = 1.
(Cronbach postule que tous les items sont de même variance.)

IV - La généralisabilité

Nous avons considéré dans ce qui précède qu'il y a deux sources d'erreur essen-
tielles (relatives au moment de l'observation et à l'échantillonnage des items) et nous
les avons examinées séparément. Or, on peut imaginer d'autres sources d'erreur, et
344 I Psychologie différentielle

plus généralement de variabilité, et les examiner simultanément. La théorie de la


généralisabilité, due à Cronbach et al. (1963, voir aussi Cardinet et Tourneur, 1985),
qui est une extension de la théorie du score vrai, vise à restituer cette complexité de
la notion de fidélité : elle permet d'évaluer les poids respectifs des diverses sources
d'erreur.
Prenons par exemple un enfant qui résout un problème de mathématique particu-
lier, un jour particulier et qui est évalué par un observateur particulier. Chacune de ces
conditions est extraite d'un univers particulier des conditions de même nature : univers
des jours, univers des problèmes, univers des observateurs, univers des sujets aussi. Pour
chacun de ces univers on peut définir un « score d'univers » qui est l'équivalent du
score vrai. Les scores d'univers ne peuvent être estimés qu'en répétant la mesure :
moyenne obtenue à des jours nombreux et différents, avec des problèmes nombreux et
différents, avec des observateurs nombreux et différents, et aussi par des sujets diffé-
rents. La théorie de la généralisabilité indique la précision des généralisations que l'on
peut effectuer à partir d'une observation.
Les estimations de la généralisabilité reposent sur l'analyse de variance. Chaque
condition est un facteur de classification et les coefficients de généralisabilité sont des
rapports de variance (comme les coefficients de fidélité). Ces coefficients permettent de
déterminer le poids d'une contribution par rapport à une autre ou par rapport à toutes
les autres.

V - L'erreur type de mesure

Les coefficients de fidélité fournissent bien une indication sur l'importance des
erreurs de mesure (celle-ci est d'autant plus grande que les coefficients sont faibles) mais
ils n'indiquent pas directement une zone d'incertitude autour de la note observée qui
permettrait d'appréhender plus directement la précision de la note. Si l'on répétait un
grand nombre de fois la mesure, nous l'avons vu, on observerait une distribution des
notes observées normale (du fait du caractère aléatoire de l'erreur) ayant pour moyenne
la note vraie et dont l'écart type serait celui de la distribution des erreurs. Cet écart
type est appelé erreur type ou erreur standard de mesure (a,). Il n'est pas possible, nous
l'avons vu également, de répéter un grand nombre de fois la mesure mais il possible de
calculer l'erreur type de mesure à partir du coefficient de fidélité. On montre que :
a, — r„

(a, est l'écart type de la distribution des notes observées et r,„ le coefficient de fidélité du
test).
Prenons par exemple un test de QI de moyenne 100 et d'écart type 15 avec un
coefficient de fidélité (homogénéité) de .90. Si le « QI vrai » est 95, la distribution des
notes observées, dans l'hypothèse de nombreuses répétitions, serait normale, de
moyenne 95 et d'écart type voisin de 5 (15 1 (fig. 8.6).
Dans la pratique on ne dispose que d'une seule mesure observée et le problème est
La méthode des tests I 345

Distribution des mesures Distribution des mesures


répétées sur un même sujet répétées sur un groupe

130

FIG. 8.6. — Distribution des scores à un test de QI (sur un groupe)


et distribution des mesures répétées (sur un même sujet)
L'écart type de la distribution hachurée est l'erreur type de mesure

de définir un intervalle de confiance à l'intérieur duquel la note vraie a une probabilité


connue de se trouver. Si le QI observé est 110 :
— il y a 99 % de chances pour que le « QI vrai » se situe entre 110 + 2,5 (i-e
et 110 – 2,5 o-e, soit entre 122,5 et 97,5 (calculs arrondis) ;
— il y a 68 % de chances pour qu'il se situe entre 110 + 1 <se et 110 – 1 ae, soit
entre 115 et 105.

On voit qu'avec une fidélité pourtant relativement élevée (.90), et en ne prenant


en compte qu'une seule source d'erreur, l'incertitude sur la note est relativement
importante. On prend conscience du caractère illusoire de la précision du « chiffre QI »
lorsqu'on l'exprime en tenant compte de la fidélité. Les connotations ne sont pas les
mêmes lorsque l'on dit qu'un sujet a un QI de 110 et lorsque l'on dit qu'il y a deux
chance sur 3 pour que son QI se situe entre 105 et 115...

VI - Les facteurs qui affectent la fidélité

Plusieurs facteurs affectent la fidélité d'un test, notamment l'homogénéité du


groupe sur lequel elle a été estimée et sa longueur. On évoquera aussi le cas particulier
de la fidélité des scores de différence.
Dans les groupes hétérogènes, par définition pourrait-on dire, la variabilité interin-
dividuelle est plus importante et les individus sont mieux différenciés les uns des autres.
Il est donc probable que, relativement à des groupes plus homogènes, la fraction de
variance attribuable à l'erreur sera plus faible. Prenons un exemple : si l'on souhaite
mesurer la fidélité d'un test au niveau du collège, deux démarches sont possibles : on
346 I Psychologie différentielle

peut évaluer la fidélité du test à chacun des quatre niveaux du collège (6 e , 5 e , 4 e , 3 e), on
peut aussi traiter les collégiens comme un seul groupe et calculer un seul coefficient. Le
coefficient de fidélité sera plus élevé dans le second cas. La fidélité est certes une pro-
priété du test, mais relativement à une population.
Toutes choses étant égales par ailleurs, un test long est plus fidèle qu'un test court.
La théorie du score vrai permet de comprendre ce phénomène. La fidélité d'un score
composite est plus élevé que celle d'un score élémentaire, car en sommant les erreurs
aléatoires on réduit leur poids. (C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles la plu-
part des tests sont constitués d'une série d'items.) Lorsqu'on estime la fidélité d'un test
par la corrélation entre deux de ses moitiés on estime la fidélité d'un test de 50 % plus
court et l'on sous-estime donc la fidélité du test initial. La formule de Spearman et
Brown permet d'estimer les gains de fidélité lorsqu'on allonge un test :

r -= kr „ / 1 + (k — 1) r„
r„ : fidélité de la version initiale
: fidélité de la nouvelle version
k : rapport entre le nombre d'items de la nouvelle version
et celui de la version initiale.

Lorsque k augmente r„ tend vers 1. Mais il ne suffit pas d'augmenter de quelques


items un test de fidélité médiocre pour en faire un test de bonne fidélité. Supposons un
test de 30 items et de fidélité .50, combien faudra-t-il d'items pour que sa fidélité
atteigne .90 ? 270, ce qui est un nombre déraisonnable ! Le plus souvent on utilise cette
formule pour estimer le gain de fidélité que l'on peut obtenir en augmentant raisonna-
blement la longueur du test.
Il arrive que l'on soit amené à calculer la différence entre deux scores et que l'on
utilise cette différence comme une nouvelle variable. Prenons par exemple le cas d'une
expérience pédagogique où après un prétest, on a appliqué un traitement quelconque à
un groupe expérimental (et pas de traitement à un groupe contrôle), puis un post-test.
Si l'on constate que les gains entre le prétest et le post-test sont très variables d'un indi-
vidu à l'autre dans le groupe expérimental, on peut, afin de mieux les comprendre,
examiner les relations qu'ils entretiennent avec d'autres variables. La fidélité d'un score
de différence dépend de la fidélité des scores sur lesquels on calcule la différence et de
leur corrélation : elle augmente quand les fidélités augmentent et diminue quant la cor-
rélation augmente :

= + r„ — 2r, / 2 — 2r,
: fidélité du score de différence x —y
r.: fidélité de la variable x
r, : fidélité de la variable y.

Dans le cas des expériences pédagogiques que nous évoquions il arrive que les
fidélités du prétest et du post-test soient de l'ordre de .80 et que la corrélation entre le
prétest et le post-test soit également de l'ordre de .80. Dans ce cas la fidélité du score
de gain est... nulle. On voit que les scores de différence doivent être utilisés avec beau-
coup de prudence.
La méthode des tests I 347

C - LA VALIDITÉ DES OBSERVATIONS

On dit qu'un test est valide lorsqu'il permet d'atteindre de manière satisfaisante les
objectifs poursuivis par son constructeur ou son utilisateur, ou, en d'autres termes, qu'il
mesure bien ce qu'il est censé mesurer. Relative aux objectifs et aux usages de
l'observation, la validité est certainement la propriété la plus importante des tests.
Comme ces objectifs et ces usages sont divers la validité n'est pas un concept unitaire. De
la même manière qu'il y a plusieurs fidélités il y a plusieurs validités. Un test peut très
bien être valide relativement à un objectif et ne pas l'être relativement à un autre. On dis-
tingue trois grands types de validité : la validité de contenu, la validité critérielle (relative
à un critère) et la validité théorique (relative à un concept ou une théorie psychologique).
On parle parfois de validité apparente (ou de façade, ou de conviction) lorsque le
test, à première vue et sans que l'on dispose de la moindre preuve, paraît valide. Cette
propriété est peu intéressante, car il n'y a pas de lien nécessaire entre cette validité
apparente et la validité réelle, elle contribue cependant à l'acceptabilité des tests par le
public et, dans certaines conditions, permet d'augmenter la motivation de ceux qui les
passent. On emploie parfois le terme validité interne (ou factorielle) d'un test pour dési-
gner l'homogénéité des items qui le constituent.

I - La validité de contenu

La validité de contenu indique dans quelle mesure le contenu des items d'un test
(et plus généralement les propriétés du dispositif d'observation) est représentatif du
domaine visé par l'évaluation. Étudier la validité de contenu suppose donc que l'on
puisse définir un univers de référence, c'est-à-dire une population d'items dont le test
serait un échantillon. Il est souhaitable, bien sûr, que cet univers de référence ait des
frontières bien définies et qu'il soit structuré.
Dans certains cas, les univers de référence sont relativement bien définis et ils
s'imposent. C'est le cas par exemple dans le domaine de l'évaluation de l'instruction où
il existe des programmes fixant la liste des acquisitions visées et des textes officiels expo-
sant les objectifs de l'enseignement. Dans le domaine de l'évaluation des intérêts profes-
sionnels, l'univers de référence est l'ensemble des métiers. Celui-ci est très vaste puis-
qu'il existe plusieurs dizaines de milliers de termes décrivant les activités
professionnelles mais il est bien structuré dans les nomenclatures professionnelles. Dans
de très nombreux cas l'univers de référence doit être défini par le constructeur du test.
Il se réfère alors à une théorie structurale du domaine en question qui organise
l'univers de référence (voir l'exemple de la construction d'un questionnaire
d'introversion-extraversion d'après la théorie de Eysenck, cité p. 327).
Il n'existe pas de procédures statistiques permettant d'évaluer la validité de
contenu d'une épreuve. Celle-ci n'est cependant pas évaluée subjectivement comme la
348 I Psychologie différentielle

validité apparente mais elle fait l'objet d'un travail approfondi de groupes d'experts.
Les préoccupations relatives à la validité de contenu sont présentes dès la première
étape de la construction d'un test. Celle-ci consiste à définir aussi précisément que pos-
sible l'univers de référence. De cette définition on tire une série d'items dont le contenu
est soigneusement examiné. On veille également à ce que le test comporte des items
correspondant aux diverses facettes de l'univers de référence et dans les mêmes propor-
tions. Cette démarche est généralement collective et les désaccords fréquents entre
experts montrent bien qu'elle n'a rien d'évident.
On souligne de plus en plus souvent que le contenu des items n'est pas le seul
paramètre à prendre en compte dans la validation de contenu du test et dans la défini-
tion de l'univers de référence. Interviennent également le format des items, la présenta-
tion de la consigne, le mode de recueil de la réponse. Prenons par exemple une
épreuve de connaissances professionnelles, on ne peut se limiter à la définition du
contenu des items, le choix d'un test papier-crayon ou d'une situation simulant les
conditions de la vie professionnelle revêt une importance cruciale.

Il - La validité critérielle

On dit qu'un test a une bonne validité critérielle lorsqu'il corrèle notablement
avec un critère, c'est-à-dire avec une autre variable jugée à un titre ou à un autre
intéressante. La validité critérielle est parfois qualifiée d' « empirique » quand la liai-
son test-critère n'est pas expliquée. Les décisions que l'on peut être amené à prendre
à partir des résultats à un test, relatives à un diagnostic ou à un pronostic, sont fon-
dées sur la validité critérielle (en fait les résultats au test ne sont qu'un des éléments
sur lesquels se fonde la décision, ce qui ne retire rien à l'exigence de validité les
concernant). Le test est alors un prédicteur puisqu'à partir de lui on peut faire une
prédiction sur le critère. Selon les problèmes que l'on aborde les critères peuvent être
très divers. Dans le domaine de la sélection professionnelle on retient souvent des
indices de productivité, les appréciations de la hiérarchie, l'absentéisme, plus rarement
des indices de satisfaction. Dans le domaine de la psychologie scolaire les critères
pourront être des indices de réussite scolaire, d'adaptation à l'école, des signes de dif-
ficultés spécifiques, ou encore des syndromes psychopathologiques. La validité crité-
rielle est susceptible de degrés, elle est d'autant meilleure que la corrélation entre le
test et le critère, qui est le coefficient de validité, est élevée. Lorsque le critère est une
variable dichotomique on évalue fréquemment la validité critérielle en comparant
deux groupes. Si, par exemple, le critère est un syndrome psychopathologique, on
constituera deux groupes de sujets, l'un constitué de sujets présentant le syndrome et
l'autre de sujets ne le présentant pas, et l'on examinera si le score moyen au test est
différent dans chacun des groupes, le test sera d'autant plus valide qu'il permettra une
bonne différenciation des deux groupes (on pourrait tout aussi bien constituer des
groupes hiérarchisés sur la base de la réussite au test et se demander si la fréquence
du syndrome est la même dans chacun d'eux).
La méthode des tests I 349

On distingue deux grands types de validité critérielle : la validité prédictive et la


validité concurrente (ou concourante, ou concomitante). Avec la validité prédictive un
intervalle de temps sépare la mesure du prédicteur et celle du critère. Si l'on souhaite
par exemple prédire la réussite scolaire en troisième à partir des résultats à un test (ou à
une batterie de tests) passé en sixième, on appliquera le test en sixième, on attendra
que les élèves soient en troisième et l'on procédera alors à la mesure sur le critère. Si le
coefficient de validité est jugé satisfaisant et s'il n'y a pas eu de changements majeurs
dans le système éducatif, on pourra alors utiliser ces résultats sur une population com-
parable et pronostiquer la réussite en troisième à partir des résultats au test en sixième
(voir l'encadré 8.6 pour un exemple d'utilisation de validité prédictive dans le domaine
scolaire).
Avec la validité concurrente la mesure sur le prédicteur et la mesure sur le test sont
effectuées au même moment. On appliquera par exemple aux élèves de troisième le test
en même temps que l'on relèvera leur efficience scolaire. On utilise parfois, pour des rai-
sons d'économie, la validité concurrente comme substitut de la validité pronostique.
Mais ces deux notions ne sont pas équivalentes et ne fournissent pas des informations de
même nature. La notion de validité concurrente est utile lorsque l'on souhaite remplacer
une procédure d'observation coûteuse par une procédure d'observation plus économique
sans perdre trop en précision. Est-ce que, par exemple, les jugements formulés à l'issue
d'une procédure standardisée, peuvent être équivalents aux jugements formulés par des
experts ayant une longue expérience du domaine en question ? Pour en décider on peut
considérer que les jugements des experts sont le critère et les jugements à l'issue de la
procédure standardisée le prédicteur. Si la validité concurrente est jugée satisfaisante on
pourra remplacer la procédure coûteuse par la procédure économique.

ENCADRÉ 8.6

La prévision des difficultés d'apprentissage


de la lecture (d'après A. Inizan, 2000)

André Inizan a construit une « batterie prédictive de l'apprentissage de la lecture » destinée à


être appliquée en grande section d'école maternelle. Elle est composée de 6 épreuves collecti-
ves et de 4 épreuves individuelles. Chacune de ces épreuves cherche à repérer des processus
à rceuvre dans l'apprentissage de la lecture (organisation perceptive, structuration du temps,
conscience phonologique...).
Les épreuves collectives :
— copie de figures géométriques ;
— discrimination visuelle ;
— mémoire de dessins ;
— rythme (pendant la copie) ;
— discrimination phonologique ;
— compréhension du langage.
Les épreuves individuelles :
— rythme (reproduction de rythmes) ;
— articulation de la parole ;
— expression langagière ;
— reproduction de cubes.
On peut calculer un score total.
350 I Psychologie différentielle

Parallèlement, Inizan a construit une « batterie de lecture » destinée à évaluer le niveau


d'apprentissage de la lecture. Elle est appliquée en fin de cours préparatoire. La batterie de
lecture est composée de trois épreuves :
— orthographe-combinatoire ;
— compréhension en lecture silencieuse ;
— vitesse de lecture orale.
On peut aussi calculer un score total.
Inizan rapporte des corrélations de .35, .50 et .62, selon diverses études réalisées, dans
des contextes scolaires différents, entre le score à la batterie prédictive et le score à la batterie
de lecture. Les difficultés d'apprentissage de la lecture sont donc prévisibles. Sur la base des
résultats de la batterie prédictive, dans les contextes où elle a une bonne validité, et sur la
base d'informations supplémentaires, il est donc possible de désigner des élèves qui risquent
d'éprouver des difficultés sérieuses dans l'apprentissage de la lecture. Pour Inizan, qui se pro-
pose de généraliser la réussite scolaire, il faut utiliser cette information afin de personnaliser
l'enseignement de la lecture : en adaptant le début de l'apprentissage à chaque élève, en indi-
vidualisant son rythme, en proposant avant l'apprentissage, des activités destinées à harmoni-
ser ou développer les ressources cognitives de chacun. On peut aussi utiliser la batterie pré-
dictive pour constituer des groupes relativement homogènes.
La démarche proposée par Inizan est tout à fait logique (il vaut mieux prévenir que gué-
rir !), elle doit cependant être mise en oeuvre avec précaution car elle peut entraîner des effets
pervers. Par exemple, en désignant des élèves « à risque » il est possible que l'on induise chez
certains enseignants de moindres attentes de réussite pour ces élèves et donc une moindre
réussite effective.

La corrélation entre le test et le critère est représentée par un diagramme de cor-


rélation. On peut aussi la représenter sous la forme d'une table d'expectation. On a
calculé sur plusieurs milliers de sujets la corrélation entre le score (de 1 à 9) à une bat-
terie de tests d'aptitudes destinée à évaluer la capacité des sujets à suivre une formation
de pilote et la réussite à cette formation. La corrélation observée est .49. Ces résultats
peuvent être présentés sur une table indiquant pour chaque score au test la fréquence
de réussite à l'apprentissage (fig. 8.7).

III - L'erreur de pronostic

Lorsque la corrélation entre le prédicteur et le critère n'est pas parfaite, ce qui est
toujours le cas, le pronostic s'accompagne d'une erreur de pronostic. Sur les données
de la figure 8.7 on peut prédire que les sujets qui ont la note 9 réussiront la formation
et que ceux qui ont la note 1 échoueront, mais on se trompera dans 5,5 0/» des cas pour
les premiers et dans 17,6 ')/0 des cas pour les seconds. Le coefficient de validité est une
mesure de la précision du pronostic. L'erreur de pronostic est d'autant plus grande qu'il
est faible. Mais il est sans doute plus parlant d'exprimer la précision du pronostic en
définissant une zone d'incertitude autour de la note pronostiquée. On dispose d'une
solution à ce problème lorsque le critère est une variable continue et que quelques
autres conditions sont remplies.
La méthode des tests I 351

Pourcentage de réussite Effectifs pour chaque niveau


en formation de réussite au test

9 94,5 722

8 85,3 696

7 81,2 1 274
Niveau de réussite au test

6 72,8 1 701

5 83,7 1 8' 7

4 52,4 1 707

3 42,3 1 043

2 30,6 553

1 17 6 250

FIG. 8.7. — Pourcentage de réussite à la formation de pilotes


en fonction du niveau de réussite au test
(d'après R. M. Thorndike et al., 1991)
On voit que le pourcentage de réussite à la formation est de plus en plus fréquent lorsque la
note au test s'élève (17,6 % des sujets dont la note au test est 1 réussissent la formation, ils
sont 30,6 % lorsque la note est 2, etc.).

Examinons le diagramme de corrélation entre un test (prédicteur) et un critère


représenté figure 8.8 a. Pour chaque score au test on peut considérer une distribution
partielle des notes au critère (par ex. : la distribution partielle des notes au critère pour
ceux qui ont 2 au test). Cette distribution peut être caractérisée par sa moyenne et sa
dispersion. La droite qui ajuste les moyennes des distributions partielles est la droite de
régression du critère sur le prédicteur (corrélation linéaire) (fig. 8.8 b). Il existe aussi une
droite de régression du prédicteur sur le critère (elle est indiquée en pointillé sur la
figure 8 b).
Étant donné une note au test, le meilleur pronostic est la moyenne de la distribu-
tion partielle du critère pour cette note (ou la note au critère prédite à partir de la note
au test au moyen de l'équation de la droite de régression). On montre que l'écart type
de cette distribution partielle (cry que l'on appelle erreur type ou erreur standard
d'estimation, et que l'on postule identique pour toutes les valeurs du prédicteur, est
fonction de la dispersion des notes au critère (a),) et du coefficient de validité (7-,) :

a
Y•
= aY re

En admettant que les distributions partielles se distribuent normalement, on peut


définir, centrées sur la note pronostiquée, un intervalle tel que l'on puisse indiquer la
proportion d'observations qui se trouvent à l'intérieur (fig. 8.8 c).
352 I Psychologie différentielle

Scores au critère 10 1

9 1 1 1

8 1 2 1

7 1 4 4 6 2

6 7 5 7 2 1

5 1 4 2 9 4 2

4 1 1 2 5 1

3 1 3 1 1

2 2

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Scores au prédicteur (test)

a) Diagramme de corrélation entre un test et un critère.

10

5 9 --I

w 8
o
cf)o
7

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Scores au prédicteur (test)

b) Droite de régression du critère sur le test.


La méthode des tests I 353

2 3 4 5 6 7 8 9 10
Scores au prédicteur (test)

c) Intervalles de confiance autour de la note pronostiquée.

FIG. 8 . 8

Illustrons cela à partir des données du diagramme de corrélation de la


figure 8.8 a. L'écart type de la distribution des notes au critère est 2,2. La corrélation
entre le test et le critère est .78. L'erreur type d'estimation est donc : 1,4. Pour le sujet
qui a la note 3 au test on pronostique (d'après l'équation de la droite de régression) une
note de 4 au critère. 68 % des notes au critère (pour cette note au prédicteur) se situent
dans un intervalle compris entre + 1 a et — la, soit entre 5,4 et 2,6. On peut donc dire
que lorsque le sujet a 3 au test il y a 68 % de chances pour que sa note au critère se
situe entre 5,4 et 2,6. Cet intervalle est représenté sur la figure 8.8 c où 68 % des sujets
se situent dans la zone ombrée. On peut, bien sûr, choisir des intervalles plus ou moins
étendus.

IV - Facteurs affectant la validité critérielle

Deux facteurs affectent la validité critérielle : la restriction de la variabilité sur le


prédicteur et la fidélité du prédicteur et du critère. Pour examiner le premier facteur
plaçons-nous dans le cas de la sélection professionnelle. On applique un test (prédic-
teur) à tous les candidats à un emploi. Pour les besoins d'une bonne étude de validité il
serait souhaitable... de retenir tous les candidats et de les évaluer plus tard sur le critère
354 I Psychologie différentielle

retenu. Si la corrélation entre le test et le critère était jugée satisfaisante on pourrait


alors, et alors seulement, utiliser le test à des fins de sélection. Il est inutile de s'attarder
sur le caractère irréaliste d'un tel projet d'expérience. En réalité on procédera à une
sélection sur la base du test, ou sur des variables associées au test, et on examinera
ensuite, uniquement sur les sujets sélectionnés, donc sur un groupe plus homogène que
le groupe initial, la corrélation entre le test et le critère. Le coefficient de validité calculé
sera plus faible que celui que l'on aurait obtenu si l'on avait retenu tous les candidats.
Ce phénomène se manifeste, avec plus ou moins de force, dans tous les cas où une
sélection est opérée entre la mesure du prédicteur et celle du critère, à partir du prédic-
teur lui-même ou de variables qui lui sont associées. Il existe des méthodes permettant
d'estimer l'effet de cette réduction de variabilité et de « corriger » le coefficient de vali-
dité obtenu.
La corrélation entre deux variables est affectée par leur fidélité. D'après la théorie
du score vrai (le score observé se décompose entre le score vrai et un score d'erreur
aléatoire) on conçoit que la corrélation entre deux variables ne puisse résulter que de la
corrélation de leurs scores vrais (puisque l'erreur est aléatoire). Cette corrélation ne
peut être parfaite que si les fidélités sont parfaites également et elle sera d'autant plus
« atténuée » que les fidélités seront faibles. On montre que :
-
=r F xx ryy

coefficient de validité.
r„,, : corrélation entre les scores vrais.
rxx : coefficient de fidélité du prédicteur.
rJi•• coefficient de fidélité du critère.

Connaissant les fidélités du prédicteur et du critère on peut ainsi calculer ce que


serait la corrélation en l'absence d'erreur de mesure (corrélation corrigée). Supposons
que l'on observe un coefficient de validité de .50 avec un prédicteur dont la fidélité
est .81 et un critère dont la fidélité est .49. Si les fidélités étaient parfaites on observerait
un coefficient de validité de .79 (coefficient corrigé). On voit que la validité n'est pas
une propriété du test mais tout autant une propriété du critère.

V - La validité théorique

Un premier aspect de la validité théorique est la validité de « construit » (construct


validip). Les tests visent à situer les sujets sur des dimensions assez abstraites
(l'intelligence, la sociabilité) qui sont des construits (constructs). S'intéresser à la validité
de construit d'un test, c'est se demander s'il y a une bonne adéquation entre le cons-
truit et le test dont il est une opérationnalisation. Tout au long du processus de cons-
truction du test le souci d'une bonne validité de construit est présent. Le test étant éla-
boré on s'attend à ce qu'il corrèle notablement avec certaines variables proches du
construit (validité convergente) et faiblement avec certaines autres variables éloignées
du construit (validité divergente). Lorsqu'on procède à l'analyse factorielle d'un
La méthode des tests I 355

ensemble de variables convenablement choisies, dont le test qui est l'objet d'une étude
de validité de construit, on recueille des informations sur la validité convergente (cer-
tains tests sont saturés dans les mêmes facteurs) et sur la validité divergente (certains
tests ne sont pas saturés dans les mêmes facteurs).
La méthode « multi-trait multi-méthode » (Campbell et Fiske, 1959) est fréquem-
ment utilisée dans les études de validation de construit. On caractérise les sujets sur plu-
sieurs traits au moyen de plusieurs méthodes. On pourra par exemple, avec des enfants,
retenir les traits honnêteté, agressivité et intelligence et recueillir les données en appli-
quant un test, en procédant à des observations de comportement, en relevant les juge-
ments des enseignants. Les sujets sont alors caractérisés par 9 variables. L'analyse de la
table d'intercorrélations entre ces variables permet de répondre à plusieurs questions
relatives à la validité de construit : observe-t-on de fortes corrélations entre les mesures
du même trait évalués par la même méthode ? et par des méthodes différentes ?
observe-t-on de faibles corrélations entre traits différents évalués par la même
méthode ? et par des méthodes différentes ?
La notion de validation conceptuelle est beaucoup plus générale que celle de vali-
dité de construit. Toute information nouvelle sur ce que mesure le test enrichit sa vali-
dité conceptuelle. Il peut s'agir d'informations provenant de la validité critérielle. Savoir
par exemple qu'une supériorité marquée du QI performance sur le QI verbal dans les
échelles de Wechsler peut être associée à une scolarisation irrégulière ou à des troubles
de l'apprentissage de la lecture, contribue à la validité du test. Les informations prove-
nant de l'analyse de la conduite du sujet au cours des épreuves sont également utiles.
Découvrir, par exemple, qu'il y a deux composantes dans le QI performance des échel-
les de Wechsler — le raisonnement perceptif et la mémoire de travail — augmente la
validité conceptuelle du test.
Les tests sont fréquemment utilisés au cours de l'examen psychologique et intégrés
à une démarche clinique. La prise en compte de leurs résultats est d'autant plus justifiée
qu'ils ont une bonne validité conceptuelle. Ils fournissent alors des informations qui
incitent à penser que certaines causes des difficultés rencontrées par le sujet sont plus
probables que d'autres. Le test est aussi jugé comme une situation propice à l'analyse
de la relation entre le psychologue et le sujet. Il permet également des observations
annexes ayant une signification clinique. (On trouvera des exemples d'utilisation des
tests au cours de l'examen psychologique dans Arbisio, 2003, et Gardey et al., 2003.)

LECTURES CONSEILLÉES

En langue anglaise il existe de très nombreux ouvrages sur la méthode des tests. Citons
Cronbach, 1990 ; Thorndike et al., 1996 ; Murphy et Davidshofer, 2000.
En langue française on pourra consulter notamment Guillevic et Vauthier, 1998 ;
Huteau et Lautrey, 2003, 2006 ; Beech et Harding, 1994 ; Lavault et Grégoire, 1997 ;
Dickes et al., 1994.
9 l'approche différentielle
de l'intelligence

PAR JACQUES LAUTREY

En 1921, les éditeurs du Journal of Educational Psychology demandèrent à 17 chercheurs


reconnus dans le domaine de la psychologie de donner une définition de l'intelligence.
La variété des réponses, dont quelques exemples sont donnés dans l'encadré 9.1, mon-
trait l'absence de consensus sur ce point.

ENCADRÉ 9.1

— « La capacité à apprendre ou à profiter de l'expérience » (W. F. Dearborn).


— « La capacité à acquérir des connaissances ainsi que l'usage des connaissances acquises »
(B. A. Henmon).
— « L'aptitude à s'adapter de façon adéquate aux situations relativement nouvelles rencon-
trées dans la vie » (R. Pintner).
— « Un individu est intelligent en proportion de sa capacité à élaborer une pensée abstraite »
(L. M. Terman).
— « a) La capacité à inhiber une adaptation instinctive, b) La capacité à redéfinir l'adaptation
inhibée à la lumière des essais et erreurs d'expériences imaginaires, c) La capacité à tra-
duire de façon délibérée cette modification de l'adaptation dans un comportement qui soit
à l'avantage de l'individu en tant qu'animal social » (L. L. Thurstone).

Les réponses à la même question, posée soixante-cinq ans plus tard à 24 cher-
cheurs considérés comme experts en psychologie de l'intelligence, ont montré qu'il n'y
avait guère plus de consensus en 1986 qu'en 1921 (Sternberg et Detterman, 1986).
Néanmoins, lorsque les attributs du concept d'intelligence mentionnés à ces deux
époques sont comparés, comme l'ont fait Sternberg et Berg (1986), il ressort que quel-
ques-uns d'entre eux sont cités de façon récurrente, notamment la capacité à s'adapter
à son environnement, à résoudre des problèmes nouveaux, à apprendre, à abstraire. Il
y a aussi une certaine permanence dans les points de désaccord, notamment sur la
question de savoir s'il y a une intelligence ou s'il faut en distinguer plusieurs. Enfin, cer-
tains des attributs cités en 1986 ne l'étaient jamais en 1921, notamment la capacité à
358 I Psychologie différentielle

contrôler ses propres processus cognitifs (les processus par lesquels un individu contrôle
ses propres processus cognitifs sont appelés métacognitifs, ou exécutifs). Dans la période
récente, l'intelligence est aussi plus souvent défmie comme relative à un contexte cultu-
rel : « The purposive adaptation to, selection of, and shaping of real-word environments
relevant to one's life and abilities » (Sternberg, 1988, p. 65). Dans cette définition, diffi-
cile à traduire de façon exacte en français, il faut relever l'extension de la notion
d'adaptation : celle-ci n'est en effet pas forcément l'adaptation de l'individu à un envi-
ronnement qui serait considéré comme un donné intangible, elle peut aussi consister,
pour cet individu, à sélectionner un autre environnement qui convienne mieux à ses
dispositions, ou encore à transformer son environnement pour l'adapter à ses propres
capacités, valeurs, ou intérêts. Il faut aussi relever l'introduction de la notion de perti-
nence attachée à l'environnement dans lequel vit un individu : l'intelligence ne peut
être appréciée qu'au regard de ce qui est pertinent, de ce qui a du sens, du point de
vue de la vie de chacun dans le monde réel auquel il est confronté. Autrement dit,
même si une définition universelle de l'intelligence peut être recherchée, il faut avoir
constamment à l'esprit que ses manifestations sont toujours relatives au contexte cultu-
rel dans lequel les individus se développent (voir la partie consacrée aux théories socio-
culturelles du développement cognitif dans le chapitre 2). En conséquence, il faut préci-
ser d'entrée de jeu que les tests d'intelligence dont il sera question dans ce chapitre ont
été conçus pour l'évaluation du développement et du fonctionnement cognitifs de per-
sonnes qui ont été élevées dans le contexte culturel de la société occidentale et n'ont de
sens que lorsqu'ils sont utilisés dans ce contexte.
Cela étant précisé, que conclure de la difficulté à parvenir à un consensus sur la
définition de l'intelligence ? Une conclusion possible est que cette notion est trop vague,
trop générale, pour donner prise à une approche scientifique. Une autre conclusion
possible — la nôtre — est que l'intelligence est une fonction dont la finalité peut être
atteinte de multiples façons. La finalité est l'adaptation du comportement aux situations
nouvelles et cette finalité est atteinte grâce à une propriété essentielle du système cogni-
tif, celle de s'automodifier en fonction de l'expérience. Cette capacité est sous-tendue
par la plasticité du cerveau, mais elle se manifeste à tous les niveaux d'organisation du
système cognitif — celui des connexions neuronales, celui des représentations et celui des
comportements. C'est cette propriété d'automodification qui donne son unité à la
notion d'intelligence. La multiplicité des mécanismes par lesquels elle peut s'opérer est
par contre à l'origine de la multiplicité des facettes de l'intelligence.
La recherche des lois générales auxquelles obéit l'intelligence peut s'appuyer sur
les différentes sortes de variation du comportement qui peuvent être observées dans les
tâches intellectuelles : ses variations en fonction de la situation (celles que provoque la
psychologie expérimentale pour étudier la résolution de problèmes), en fonction de
l'âge (celles qu'étudie la psychologie développementale pour comprendre l'ontogenèse*
de l'intelligence) ou en fonction des individus (celles qu'étudie la psychologie différen-
tielle pour dégager les dimensions de l'intelligence). C'est cette dernière approche de
l'intelligence, celle de la psychologie différentielle, qui fait l'objet du présent chapitre.
L'analyse des différences individuelles dans les performances à des tâches intellec-
tuelles a été utilisée pour mettre au point des instruments d'évaluation de l'intelligence,
les tests, mais aussi pour mieux comprendre la structure de l'intelligence. Curieusement,
L'approche différentielle de l'intelligence I 359

ces deux courants de recherche, le premier plus tourné vers les applications et le second
plus tourné vers la recherche fondamentale, sont restés assez longtemps cloisonnés.
Toutefois, dans l'un et l'autre, et de façon relativement indépendante, on est passé, au
cours du siècle qui nous sépare de l'invention du premier test d'intelligence, de modèles
unidimensionnels à des modèles multidimensionnels de l'intelligence. L'analyse de cette
évolution est la ligne directrice autour de laquelle ce chapitre est organisé.

A - LES MODÈLES UNIDIMENSIONNELS DE L'INTELLIGENCE :


BINET ET SPEARMAN

Les premières tentatives d'évaluation objective de l'intelligence, celle de Binet et


celle de Spearman, s'appuyaient sur des méthodes fort différentes mais opérationnali-
saient toutes deux une conception unidimensionnelle de l'intelligence.

I - Le Binet-Simon

La construction de l'échelle métrique imaginée par Alfred Binet (1857-1911) pour


« mesurer » l'intelligence s'appuyait sur quelques idées directrices qui ont permis à
Binet de sortir les recherches sur les tests mentaux de l'impasse où Francis Galton et
James McKeen Cattell les avaient engagées (voir le chapitre 7 sur l'histoire de la psy-
chologie différentielle).
Contrairement à Galton et Cattell, qui pensaient pouvoir évaluer l'intelligence en
mesurant l'efficience des processus sensoriels — les seuls processus psychologiques que
l'on savait mesurer à l'époque — Binet était persuadé que la mesure devait porter priori-
tairement sur les activités mentales supérieures. Il a varié dans la liste de ces activités
mentales mais toutes se situaient à un niveau élevé d'intégration des informations : la
mémoire, l'imagination, l'attention, la faculté de comprendre (Binet et Henri, 1895) ; le
bon sens, le sens pratique, l'initiative, la faculté de s'adapter (Binet et Simon, 1905) ; la
compréhension, l'invention, la direction, la censure (Binet, 1911 a). Mais si le choix des
processus supérieurs résolvait un problème, il en créait aussitôt un autre, car si on
savait, à l'époque, mesurer les seuils sensoriels, on ne voyait par contre pas du tout
comment mesurer objectivement des processus mentaux aussi généraux que ceux cités
plus haut.
C'est une autre idée nouvelle qui a permis à Binet de surmonter cet obstacle, celle
de prendre appui sur les différences entre les individus pour fonder la mesure. Ce sont
d'abord les comparaisons entre des individus considérés comme normalement intelli-
gents et des individus considérés comme retardés mentaux, qui ont permis de définir les
niveaux d'intelligence distingués dans la première version de l'échelle métrique (Binet et
Simon, 1905). Ce sont ensuite les comparaisons entre enfants d'âges différents qui ont
360 I Psychologie différentielle

permis d'affiner ces niveaux d'intelligence dans la seconde version de l'échelle (Binet et
Simon, 1908). L'échelle des âges auxquels les différents problèmes ou items étaient nor-
malement réussis permettait de définir le « niveau mental » de ceux-ci. Par exemple,
Binet avait observé qu'à 3 ans, la plupart des enfants peuvent répéter deux chiffres,
qu'à 7 ans ils peuvent en répéter cinq et que vers 12 ans ils peuvent en répéter sept.
Répéter cinq chiffres est donc une tâche caractéristique de 7 ans ; en répéter sept est
caractéristique de 12 ans. Plus précisément, pour être caractéristique d'un âge, par
exemple 12 ans, un item doit être encore échoué par une majorité des enfants
de 11 ans, il doit être réussi par la plupart des enfants de 13 ans et par environ 50 %
des enfants de 12 ans. Le travail de Binet et de Simon a donc consisté à trouver,
pour chacun des processus supérieurs jugés pertinents (jugement, raisonnement,
mémoire, etc.), des items caractéristiques de chaque âge. C'est ainsi qu'ils ont élaboré
l'échelle de 1908, dont le contenu a été enrichi dans la troisième et dernière version de
cette échelle (Binet, 1911 b). En cherchant à varier autant que possible les processus
auxquels les items faisaient appel, ils ont retenu pour chacun des âges de 3 à 16 ans,
quatre ou cinq items caractéristiques de cet âge (une liste des items qui constituaient
l'échelle de 1908 est donnée dans le chapitre 7, p. 303 (encadré 7.4). La trouvaille
consistait à utiliser l'échelle des âges pour définir un ordre développemental des items
et établir, du même coup, l'ordre de complexité cognitive de ces items : un item carac-
téristique de 12 ans correspond à une étape plus avancée du développement de
l'intelligence qu'un item caractéristique de 10 ans et, de cela, on peut inférer qu'il se
situe à un niveau de complexité cognitive plus élevé, même sans savoir exactement à
quoi tient cette différence de complexité cognitive. L'ordre des niveaux de complexité
des items permettait à son tour d'ordonner les sujets, y compris ceux de même âge
chronologique, en fonction du « niveau mental » des items réussis. Ce sont donc les dif-
férences entre individus qui fournissaient le principe de la « mesure » de l'intelligence et
Binet était parfaitement conscient que cette mesure se situait au niveau ordinal (pour la
définition des niveaux de mesure, voir le chapitre 8, p. 334 à 337) : « Le mot mesure
n'est pas pris ici au sens mathématique : il n'indique pas le nombre de fois qu'une
quantité est contenue dans une autre. L'idée de mesure se ramène pour nous à celle de
classement hiérarchique » (Binet, 1911 a, p. 135).
La troisième idée qui a joué un rôle important dans la genèse de l'échelle métrique
est celle qui consistait à considérer l'intelligence comme la résultante des différentes
activités mentales évaluées dans l'échelle. C'est ce qui, dans l'esprit de Binet, justifiait
l'addition des mois d'âge mental attribués aux différents items : « Un test particulier,
isolé de tout le reste, ne vaut pas grand-chose... ce qui donne une force démonstrative,
c'est un faisceau de tests, un ensemble dont on conserve la physionomie moyenne. »
Chaque item, quel qu'il soit, était donc crédité d'un certain nombre de mois (s'il y
avait, par exemple, 4 items caractéristiques d'un âge donné, chacun rapportait
12 mois / 4 = 3 mois) et l'âge mental était calculé en ajoutant tous les mois correspon-
dant aux items réussis. Le calcul de l'âge mental se faisait donc en effectuant la somme
non pondérée des items réussis, ou plus exactement des nombres de mois dont chacun
était crédité.
C'est William Stern, un psychologue allemand, qui suggéra en 1912 de pondérer
l'âge mental par l'âge chronologique en faisant le quotient du premier par le second.
L'approche différentielle de l'intelligence I 361

Ainsi, un enfant qui a un âge mental de 12 ans et un âge chronologique de 10 ans a un


quotient de 12 / 10 = 1,2. L'avantage de ce quotient est de pondérer l'écart (ici une
avance de 2 ans) par l'âge chronologique (ici 10 ans). Cette pondération fait qu'un
écart donné n'a pas la même signification aux différents âges chronologiques : ce même
écart de 2 ans chez un enfant de 4 ans se traduirait par un quotient de 6 / 4 = 1,5.
Calculé ainsi, le quotient intellectuel est un indicateur de la vitesse du développement
intellectuel chez l'enfant. Lorsqu'il publia en 1916 l'adaptation américaine du Binet-
Simon qu'il avait réalisée à l'Université de Stanford, Terman multiplia ce quotient
par 100 pour éviter les décimales. Un QI de 1,2 devint donc un QI de 120, prenant
ainsi l'ordre de grandeur que nous lui connaissons actuellement.
En sommant indistinctement les réussites à tous les types d'items de l'échelle, quel
que soit le domaine dont ceux-ci relèvent, la procédure de calcul de l'âge mental défi-
nissait une dimension unique de développement de l'intelligence sur laquelle un indica-
teur chiffré unique, le QI, ordonnait les individus de façon univoque.

Il - Le facteur g de Spearman

Un an avant que Binet et Simon publient la première version de leur échelle


métrique de l'intelligence, un psychologue anglais, Charles Spearman (1863-1945)
publie un article intitulé « L'intelligence générale objectivement déterminée et
mesurée » (Spearman, 1904). Le problème qui préoccupe Spearman est celui de la rela-
tion entre les activités psychiques élémentaires, comme la discrimination sensorielle
qu'il a appris à mesurer dans le laboratoire de psychologie expérimentale de Wundt, et
les activités psychiques complexes qui sont en jeu hors du laboratoire, à l'école ou dans
la vie professionnelle (voir le chapitre 7 sur l'histoire de la psychologie différentielle).
Contrairement à Binet, Spearman pense que ces deux sortes d'activité psychique font
appel à l'intelligence. Si l'on a échoué à le montrer c'est, pense-t-il, parce que
l'intelligence se manifeste probablement à des degrés différents dans ces différents types
d'activité psychique. Pour apprécier le degré de relation entre ces activités, il propose
de calculer leurs corrélations, une méthode de quantification des relations entre deux
séries de mesures, dont le principe a été inventé par Galton quelques années aupara-
vant. Si on trouve une corrélation entre les performances dans des tâches de discrimi-
nation sensorielle et les performances dans des tâches intellectuelles plus complexes,
pense-t-il, c'est que les variations des performances observées dans ces deux domaines
obéissent à une cause commune. Selon lui, cette cause commune pourrait être
l'intelligence générale. Spearman a baptisé cette approche « psychologie corrélation-
nelle ». Elle consiste à s'appuyer sur les différences individuelles pour analyser, par le
calcul de corrélations, la structure des relations entre les variables.
Mettant ces idées en pratique, Spearman a donc recueilli les notes scolaires
d'élèves des écoles environnantes, leur a fait passer des épreuves de discrimination
sensorielle, et a calculé les corrélations entre les scores des élèves à toutes ces épreu-
ves. Trouvant des corrélations positives, mais d'intensité variable entre ces différentes
362 I Psychologie différentielle

épreuves, il a mis au point une méthode d'analyse de la table de corrélations per-


mettant de séparer, dans ces corrélations, la part de variance commune à toutes les
épreuves, de celle qui est spécifique à chaque épreuve. C'est ainsi qu'il a extrait le
facteur commun de variation sous-jacent à ces corrélations et qu'il a pu évaluer
le degré auquel chacune des variables était affectée par ce facteur commun de
variation (sa saturation dans le facteur). La première méthode d'analyse factorielle
était née.
Spearman a interprété ce facteur commun, qu'il a désigné par la lettre g, comme
étant un facteur général d'intelligence intervenant, avec un poids variable, dans toutes
les tâches intellectuelles, ce qu'il formulait ainsi : « Toutes les branches de l'activité
intellectuelle ont en commun une fonction fondamentale » (1904, p. 284). Il appelait sa
théorie « bifactorielle », car elle expliquait la variance des scores dans chaque tâche
intellectuelle par deux facteurs : le facteur g et un facteur de variation spécifique à la
tâche. Dans le cadre de ce modèle bifactoriel, le score d'un sujet dans une tâche intel-
lectuelle x est une fonction linéaire du score dans le facteur général et du score dans le
facteur spécifique à la tâche, ce qui, du point de vue mathématique, s'écrit de la
manière suivante :
x = + gs + e
où x est le score dans la tâche, a le coefficient de saturation de la tâche en g (le poids du
facteur général dans cette tâche, exprimé par la corrélation entre la tâche et le facteur,
qui varie donc de — 1 à + 1), g le score en facteur général, (3 le coefficient de saturation
de la tâche dans le facteur qui est spécifique à cette tâche, s le score en facteur spéci-
fique, et e l'erreur de mesure.
Spearman a plus tard interprété le facteur général comme correspondant à
l'énergie mentale, une métaphore empruntée à la physique. Il en a aussi proposé une
interprétation en termes de processus en observant que les tâches les plus saturées en g
étaient celles qui exigeaient « l'appréhension de relations » (on dirait aujourd'hui le
codage*), « l'éduction de relations » (on dirait aujourd'hui l'inférence : étant donnés
deux termes, par exemple, gant et chaussure, trouver la relation qui les lie) et
« l'éduction de corrélats » (on dirait aujourd'hui l'application : étant donné un terme et
une relation, par exemple le terme « gant » et la relation « protège une partie du
corps », trouver un second terme qui soit dans cette relation avec le premier). Comme
on le verra plus loin, l'interprétation de g est encore problématique aujourd'hui mais la
contribution essentielle de Spearman est d'avoir montré comment l'analyse mathéma-
tique de la matrice des corrélations observées dans un ensemble de variables manifestes
peut permettre d'identifier une dimension latente (un facteur théorique) susceptible
d'être la source commune des différences mesurées sur cet ensemble de variables (on
appelle variables manifestes celles qui sont observées, les notes dans les tests par
exemple, et variables latentes celles qui sont inférées, théoriques, et que l'on suppose
être à la source des variations observées dans les variables manifestes). La limite de la
contribution de Spearman est, comme nous allons le voir, d'avoir réduit à une seule
dimension, le facteur g l'explication des différences individuelles observées dans les
tâches intellectuelles (voir fig. 9.1 a la représentation graphique de la structure facto-
rielle correspondant à ce modèle unidimensionnel).
L'approche différentielle de l'intelligence I 363

etc.

.-etc. I T1I

—etc.

.. .etc.

FIG. 9.1. — Principales étapes de l'évolution des modèles de la structure factorielle de


l'intelligence : 1 a) le modèle du facteur général de Spearman, 1 b) le modèle des aptitudes men-
tales primaires de Thurstone (PMA = Primary Mental Abilities), 1 c) le modèle hiérarchique de
Candi et Horn, 1 d) le modèle de Carroll.
Les cercles représentent les facteurs latents, les carrés représentent les mesures manifestes
(tests Tl, T2, etc.). Les flèches unidirectionnelles représentent les saturations des facteurs, les
flèches bidirectionnelles incurvées représentent les corrélations entre les facteurs.

B - DES MODÈLES UNIDIMENSIONNELS


AUX MODÈLES MULTIDIMENSIONNELS DE L'INTELLIGENCE

Binet et Spearman ont posé les bases de deux approches différentes de


l'évaluation de l'intelligence. La première, issue des travaux de Binet est la construc-
tion d'échelles d'intelligence donnant lieu au calcul d'un QI, la seconde, issue des tra-
vaux de Spearman, est l'élaboration de batteries de tests dits « factoriels ». Cette der-
nière approche ne s'est cependant pas limitée à la mise au point de tests, elle est
devenue en même temps une méthode de recherche fondamentale sur la structure de
l'intelligence.
Au cours du siècle qui nous sépare des travaux de Binet et de Spearman, ces deux
conceptions sont longtemps restées cloisonnées. Il est d'autant plus frappant d'observer
que, par des voies différentes, l'une et l'autre ont progressivement abandonné le modèle
unidimensionnel de l'intelligence qui sous-tendait les travaux de Binet et de Spearman
pour aller vers des modèles multidimensionnels. Nous commencerons par retracer les
grandes lignes de l'évolution des modèles factoriels pour en venir, dans un second
temps, à l'évolution des échelles de QI.
364 I Psychologie différentielle

I - L'évolution des modèles factoriels

a. Thurstone et les aptitudes primaires

Plusieurs auteurs ont critiqué la théorie bifactorielle de Spearman en cherchant à


montrer que le facteur général n'épuisait pas la variance commune s'exprimant dans les
corrélations, notamment Thorndike dès 1909, Thomson, dès 1916 et Kelley en 1928,
mais Spearman résistait à l'idée qu'entre le facteur général et les facteurs spécifiques, il
y ait place pour d'autres facteurs. Le modèle de l'intelligence unidimensionnelle a com-
mencé à être sérieusement ébranlé lorsqu'un psychologue américain, Louis Leon
Thurstone (1887-1955), a proposé une nouvelle méthode d'analyse factorielle, dite mul-
tiple, dont l'objectif était d'aboutir à une structure factorielle aussi « simple » que pos-
sible. Dans son langage, une structure simple était une structure dans laquelle chaque
groupe de variables plus corrélées entre elles qu'avec les autres était représenté par son
propre facteur commun. La procédure qu'il utilisait rendait ces différents facteurs indé-
pendants et permettait que chacun de ces groupes de variables soit saturé par un seul
facteur (et ait donc des saturations nulles sur les autres facteurs). En appliquant cette
procédure à l'analyse factorielle des corrélations entre les scores d'un échantillon impor-
tant de sujets (240 étudiants volontaires) qui avaient passé un grand nombre de tests
mentaux (56 tests variés, dont beaucoup mis au point pour l'occasion), Thurstone ne
trouvait pas de facteur général d'intelligence, mais une douzaine de facteurs indépen-
dants dont sept étaient interprétables : « Pour autant que nous puissions le déterminer
pour l'instant, les tests qui ont été supposés être saturés par le facteur général divisent
leur variance entre des facteurs primaires qui ne sont pas présents dans tous les tests.
Nous ne pouvons rapporter aucun facteur commun général dans la présente étude »
(Thurstone, 1938, p. lx).
L'interprétation d'un facteur se fait en examinant le contenu des tests qui sont
saturés par ce facteur et en cherchant ce qu'ils ont en commun. Trois des sept fac-
teurs interprétables pouvaient être indexés en référence au contenu des tests qu'ils
saturaient (verbal, numérique ou spatial), trois autres en référence aux fonctions mises
en oeuvre (mémoire, induction et déduction'), et le dernier en référence à la fois à un
contenu et à un processus (Fluidité verbale 2). Thurstone considérait que ces sept fac-
teurs correspondaient à des aptitudes primaires ( « Primary Mental Abilities ») et
selon lui, la structure simple à laquelle il aboutissait démontrait que ces différentes
aptitudes étaient indépendantes. En conséquence, il recommandait que chaque indi-
vidu soit décrit par son profil d'aptitudes plutôt que par un unique indicateur de
l'intelligence : voir figure 9.1 b la représentation graphique de ce premier modèle
multidimensionnel de l'intelligence.

1. Thurstone a dénommé ce facteur « Relations verbales », mais l'inspection des tests les plus saturés conduit
aujourd'hui à l'interpréter comme un facteur commun aux tests de raisonnement axés sur la déduction.
2. Dans les tests de fluidité verbale, le sujet doit trouver en un temps limité, par exemple deux minutes, le
maximum de mots commençant par une lettre donnée, par exemple commençant par un S.
L'approche différentielle de l'intelligence I 365

La controverse entre Spearman et Thurstone sur le caractère unitaire ou multiple


de l'intelligence a marqué le début d'un débat qui se prolonge encore sous d'autres for-
mes : existe-t-il une forme unique d'intelligence, à l'oeuvre dans toutes les tâches cogni-
tives, ou plusieurs formes d'intelligence indépendantes dont chacune est spécifique à un
domaine de compétence ? Il a fallu quelques temps à Spearman et Thurstone, ainsi
qu'à leurs partisans respectifs, pour réaliser, puis admettre, que l'existence d'un facteur
général et celle de facteurs plus spécifiques à des domaines n'étaient pas contradictoires.

b. Les modèles factoriels hiérarchiques

La solution de la contradiction apparente a été trouvée en élaborant des modèles


factoriels hiérarchiques. Contrairement à ce que pensait Thurstone, du moins au début
de ses travaux, les facteurs correspondant aux aptitudes primaires sont en général cor-
rélés entre eux. Par conséquent, il est possible de faire une analyse factorielle de ces fac-
teurs primaires (on appelle cela une analyse factorielle de second ordre) et d'extraire un
ou plusieurs facteurs de second ordre rendant compte de la variance commune aux fac-
teurs de premier ordre. Dans ce modèle factoriel hiérarchique, la variance des scores
dans les tests peut donc être fractionnée en plusieurs parts : par exemple, une part de
variance correspondant à un facteur général, des parts de variance correspondant à des
facteurs larges correspondant à de grands domaines, et des parts de variance spécifiques
à chacune des épreuves (correspondant aux facteurs s de Spearman).
Les plus influents de ces modèles hiérarchiques ont été celui de Burt-Vernon et
celui de Cattell-Horn. Burt était Anglais, disciple de Spearman et donc convaincu de
l'importance du facteur général. Il a formulé le principe d'une analyse hiérarchique qui
consisterait à extraire d'abord la variance commune à l'ensemble des tests, correspon-
dant donc au facteur g, puis à analyser la matrice des corrélations résiduelles pour en
extraire, à un niveau inférieur, les facteurs larges communs à des groupes d'épreuves
seulement, puis à extraire, à un niveau encore inférieur, la variance spécifique à cha-
cune des épreuves. Philip E. Vernon (1905-1987), disciple de Burt, a appliqué cette
méthode d'analyse à une batterie de tests cognitifs (Vernon, 1950). Il a effectivement
trouvé un facteur général d'intelligence puis, une fois la variance de celui-ci extraite, il
a trouvé deux grands facteurs de groupe. L'un, dénommé verbal-éducationnel (V-Éd)
saturait surtout les tests du domaine verbal et les tests de connaissances scolaires,
l'autre, dénommé kinesthésique-moteur (K-M), saturait surtout les tests des domaines
pratique, mécanique, spatial et physique. Une fois la variance de ces deux facteurs
larges extraite, l'analyse des corrélations résiduelles permettait d'extraire des facteurs
plus étroits analogues aux aptitudes primaires de Thurstone.
Raymond B. Cattell (1905-1998), à ne pas confondre avec James McKeen Cattell
dont il a été question dans le chapitre sur l'histoire de la psychologie différentielle, était
lui aussi d'origine anglaise, il a soutenu sa thèse sous la direction de Spearman en 1929,
mais il a émigré aux États-Unis en 1937 pour rejoindre le laboratoire de Thorndike,
dont on se souvient qu'il était un des premiers opposants au facteur général cher à
Spearman. Quelques années après, Cattell a défendu la thèse selon laquelle le facteur g
ne suffisait pas et a proposé de distinguer deux facteurs généraux au lieu d'un seul, un
facteur général d'intelligence fluide (désigné par le sigle Gf et correspondant à la capa-
366 I Psychologie différentielle

cité de raisonnement dans les situations nouvelles ne faisant que très peu appel à des
connaissances antérieures) et un facteur général d'intelligence cristallisée (désigné par le
sigle Gc et correspondant à la capacité à acquérir de nouvelles connaissances en
s'appuyant sur les connaissances anciennes et des stratégies familières). Il a par la suite
précisé cette théorie, longtemps appelée théorie Gf-Gc, et l'a étayée en faisant l'analyse
factorielle hiérarchique de plusieurs batteries de tests (Cana, 1963, 1971). La procé-
dure d'analyse hiérarchique qu'utilisait Cattell était différente de celle de Vernon. Elle
s'inspirait de celle que Thurstone avait le premier employée et — sachant que pour
Thurstone, c'étaient les facteurs primaires qui étaient jugés les plus importants — elle
procédait de bas en haut. La technique de Thurstone était d'abord utilisée pour
extraire les facteurs primaires, puis, dans la mesure où ces facteurs primaires étaient
corrélés, une analyse factorielle de second ordre était entreprise pour extraire le ou les
facteurs communs à ces facteurs primaire. Par cette méthode, Cattell trouvait au pre-
mier niveau les facteurs correspondant aux aptitudes primaires de Thurstone, à cela
près qu'ils étaient plus nombreux, et au second niveau, deux facteurs généraux corres-
pondant à l'intelligence fluide et à l'intelligence cristallisée. En enrichissant les batteries
de tests, Horn, un disciple de Cattell, a par la suite, d'abord en collaboration avec Cat-
tell, puis seul, étendu le nombre des facteurs primaires et le nombre des facteurs géné-
raux de second ordre. Dans les années 1960, il a ajouté aux deux facteurs généraux de
second ordre initiaux Gf et Gc des facteurs généraux de visualisation (Gv), de récupéra-
tion en mémoire à long terme Gr, et de vitesse cognitive (Gs). Dans les années 1990,
Horn a porté à 9 le nombre de ces facteurs de second ordre (Horn, 1994). Ni Cattell ni
Horn n'ont jamais véritablement admis l'existence d'un facteur général de troisième
ordre rendant compte des corrélations entre les facteurs de second ordre (voir la
figure 9.1 c pour une représentation graphique de ce modèle).
Si le modèle factoriel hiérarchique de l'intelligence a permis une première forme
de consensus dans la controverse sur le nombre des intelligences, une ou plusieurs, des
divergences subsistaient, on le voit, quant à la structure précise de ce modèle hiérar-
chique. Le modèle de Burt-Vernon comportait trois étages et un facteur général, celui
de Cattell-Horn seulement deux étages et plusieurs facteurs généraux. Pourquoi ces
discordances entre les modèles factoriels de l'intelligence ?

c. Les raisons des discordances


Pour comprendre les nombreuses controverses qui ont émaillé l'histoire des modè-
les factoriels de l'intelligence, il faut garder à l'esprit que dans une analyse factorielle,
les facteurs que l'on trouve sont toujours relatifs. Relatifs à quoi ?
D'abord relatifs à l'échantillonnage des tests sur lesquels porte l'analyse factorielle.
Il est clair qu'aucun facteur spatial ne pourra apparaître si l'on n'a pas mis d'épreuves
de résolution de problèmes spatiaux dans la batterie de tests ou si l'on n'en a mis qu'un
seul (pour trouver une part de variance commune il faut au moins deux épreuves du
même domaine). Mais comment savoir si l'on a bien mis toutes les tâches qui sont sus-
ceptibles de faire apparaître un facteur de l'intelligence ? Cela supposerait que
l'échantillonnage des tâches intellectuelles soit guidé par une théorie aboutie de
l'intelligence. En l'absence d'une telle théorie, la constitution des batteries de tests sur
L'approche différentielle de l'intelligence I 367

lesquelles des analyses factorielles ont été effectuées a toujours été assez empirique. La
liste des tests mentaux et celle des facteurs se sont allongées avec le temps et les recher-
ches, mais comment savoir si des variables essentielles n'ont pas été oubliées, et com-
ment savoir si leur introduction ne modifierait pas la structure qui fait maintenant
consensus ?
Les facteurs sont aussi relatifs à l'échantillonnage des personnes à qui est adminis-
tré l'échantillon de tests retenus. Un test qui est discriminant avec un échantillon de
personnes peut ne pas l'être avec un autre échantillon. Pour prendre un exemple trivial,
un test de raisonnement logique qui est discriminant avec un échantillon de sujets tout-
venant risque de ne pas l'être avec un échantillon de logiciens. S'il n'est pas discrimi-
nant ou s'il l'est trop peu, c'est-à-dire si tous les sujets ont à peu près le même score, il
ne pourra corréler avec aucune autre variable et la structure factorielle en sera
changée.
Les facteurs sont enfin relatifs à la méthode d'analyse factorielle adoptée. De nom-
breuses options sont possibles et les chercheurs n'ont compris que progressivement les
relations entre les différentes méthodes possibles et les différentes options possibles au
sein de chaque méthode. C'était évidemment une des raisons du désaccord entre
Spearman et Thurstone. C'était aussi une des raisons du désaccord entre les modèles
hiérarchiques de Burt-Vernon et de Cattell-Horn. Les uns et les autres faisaient certes
une analyse factorielle hiérarchique mais les premiers la faisaient en procédant de haut
en bas (extraction du facteur g d'abord), tandis que les seconds la faisaient de bas en
haut (extraction des facteurs primaires d'abord). Pour des raisons qui seront expliquées
un peu plus loin, cette différence de méthode peut expliquer que les uns aient trouvé
trois étages et les autres seulement deux.
Toutes les analyses factorielles qui ont été évoquées jusqu'ici étaient des analyses
dites « exploratoires ». Dans ce type d'analyse, on recherche de façon empirique une
structure qui résume les données au mieux. L'inconvénient est que dans cette situation,
ni le nombre de facteurs, ni les relations entre ces facteurs (sont-ils ou non corrélés ?), ni
les saturations de ces facteurs dans les différentes épreuves, ne peuvent être spécifiés au
départ. Cela fait beaucoup d'inconnues, beaucoup trop pour que l'on puisse arriver à
une solution unique, complètement déterminée. On aboutit une famille de solutions
possibles, qui peuvent être équivalentes du point de vue mathématique mais ne le sont
pas nécessairement du point de vue psychologique. Une partie des incohérences entre
les différents modèles factoriels de l'intelligence vient donc de l'indétermination inhé-
rente à l'analyse factorielle exploratoire.
Le développement, dans les dernières décennies, de modèles structuraux comme,
par exemple, le modèle LISREL 1 (JSreskog et Siirbom, 1993), a doté les chercheurs de
méthodes d'analyse factorielle dites « confirmatoires » permettant de dépasser ces limi-
tations. Dans l'approche confirmatoire, le chercheur peut mettre un modèle hypothé-
tique de structure factorielle à l'épreuve. Ses hypothèses de départ lui permettent de
fixer certains des paramètres de l'analyse (par exemple le nombre de facteurs, les rela-
tions entre les facteurs, les épreuves saturées par chacun des facteurs, etc.) ce qui réduit
d'autant le nombre des inconnues et permet de déterminer une solution unique. Une

1. Linear Structural RELationships.


368 I Psychologie différentielle

fois que cette solution est déterminée, le modèle est testé en calculant l'écart entre la
matrice de corrélations de départ (celle qui a été observée sur les données) et la matrice
de corrélations d'arrivée (celle qui a pu être recomposée en appliquant ce modèle hypo-
thétique des relations entre les variables latentes et manifestes). Cette procédure permet
d'accepter ou de rejeter le modèle selon que l'écart entre les deux matrices de corréla-
tions est ou non significatif, elle permet aussi de comparer des modèles concurrents et
de les départager en fonction de la qualité de leur adéquation aux données (pour une
présentation synthétique des deux logiques de l'analyse factorielle — exploratoire versus
confirmatoire — voir Dickes, 1996).

d. Vers un consensus : le modèle Cattell- Horn - Carroll (cHc)

Malgré les difficultés signalées plus haut, un consensus assez général s'est fait, dans
la période récente, autour du modèle proposé par John B. Carroll (1916-2003). En
ré-analysant les données de 460 analyses factorielles de tests d'intelligence disponibles
dans la littérature, Carroll (1993) a montré que toutes étaient compatibles avec une
même structure factorielle générale. En appliquant la même méthode à toutes ces don-
nées, qui intégraient toute la variété des échantillons de tests et de sujets observés jus-
qu'alors, on peut penser que Carroll a neutralisé une partie des problèmes de méthode
et d'échantillonnage signalés plus haut (une partie seulement car même si cette
approche lui a permis d'élargir considérablement l'échantillon des tests pris en compte
rien ne permet de dire que ceux-ci forment un échantillon représentatif de l'univers des
tests d'intelligence possibles).
En gardant ces limites en tête, venons-en maintenant à la description de la struc-
ture factorielle dans laquelle Carroll a pu intégrer toutes les données qu'il a ré-ana-
lysées. Il s'agit d'une structure hiérarchique composée de trois strates (cf. fig. 9.1 I.
La première strate, qui constitue la base de la pyramide, est composée d'une quaran-
taine de facteurs primaires, qui correspondent à des domaines trop spécifiques pour
être détaillés ici (mais voir fig. 9.2). Comme ces facteurs primaires entretiennent des
corrélations — variables — entre eux, une analyse de second ordre permet d'extraire
une seconde strate de huit facteurs larges qui rendent compte des parts de variance
communes à des groupes de facteurs primaires. Puis, comme ces huit facteurs larges
d'ordre 2 sont aussi corrélés, une analyse de troisième ordre permet d'extraire, au
niveau de la troisième strate, un unique facteur général. Après orthogonalisation des
facteurs extraits dans ces trois strates de l'analyse (c'est-à-dire en les rendant indépen-
dants, de façon que chacun n'explique que la part de variance qui lui est propre), la
variance observée dans les scores à un test d'intelligence peut être fractionnée en
quatre parties distinctes : une partie qui est spécifique à ce test, et n'est donc pas très
intéressante pour notre propos, une partie qui est commune à ce test et à un petit
groupe d'autres tests couvrant le même champ étroit, par exemple le petit groupe des
tests de rotation mentale (strate I), une partie commune à ce test et à un ensemble
plus large de tests qui couvrent le même domaine de la cognition, par exemple, tous
les tests d'aptitude spatiale (strate II). Enfin, une partie commune à tous les tests
d'intelligence, du moins à tous ceux qui ont été inclus dans les études ré-analysées par
Carroll (strate III).
L'approche différentielle de l'intelligence I 369

Strate III Strate II Strate I

Raisonnement général
Intelligence Intelligence Induction
générale fluide Raisonnement quantitatif
Raisonnement piagétien
Développement du langage
Compréhension verbale
Intelligence
Connaissance lexicale
cristalisée
Compréhension de lecture
Codage phonétique

Empan mnémonique
Mémoire
Mémoire associative
et apprentissage
Mémoire visuelle

Visualisation
Représentation Relations spatiales
visuo-spatiale Vitesse de clôture
Flexibilité de structuration

Discrimination auditive
Représentation
Jugement musical
auditive
Mémoire des sons

Originalité / créativité
Récupération Fluidité idéationnelle
en MLT Fluidité d'association
Fluidité verbale

Rapidité Facilité numérique


cognitive Vitesse perceptive

Temps de réaction
Vitesse
Vitesse de comparaison
de traitement
mentale

DG. 9.2. Liste des facteurs figurant dans les trois strates de la structure factorielle hiérar-
chique du modèle de Carroll (adaptée de Carroll, 1993, p. 626). Dans la strate I, les noms en
caractères normaux désignent les facteurs de puissance et les noms en caractères italiques les fac-
teurs de vitesse.

Ce modèle est de plus en plus souvent dénommé CHC (McGrew, 2005), car il fait
la synthèse du modèle de Cattell-Horn (fig. 9.1 c) et de celui de Carroll (fig. 9.1 d). Les
facteurs trouvés par Carroll sont en effet, pour l'essentiel, les mêmes que ceux du
modèle de Cattell-Horn, la seule différence importante étant que Carroll trouve, dans
toutes les études qu'il a ré-analysées, un facteur général qui constitue la strate III de son
modèle. Horn et Cattell n'ont jamais extrait ce facteur, car ils ont toujours été réticents
sur son interprétation, mais ils ont toujours reconnu les corrélations existant entre leurs
différents facteurs généraux (cf. fig. 9.1 c).
370 I Psychologie différentielle

Le détail des facteurs trouvés dans les trois strates du modèle (clic) est donné dans
la figure 9.2. Le commentaire se limitera ici aux huit facteurs « larges » de la strate II.
Dans la figure 9.2, ils sont placés dans l'ordre d'importance de leur saturation en fac-
teur général, telle qu'elle a été estimée par Carroll en prenant en compte l'ensemble
des données qu'il a ré-analysées. Les saturations les plus fortes sont celles des facteurs
d'intelligence fluide (Gf) et d'intelligence cristallisée (Gc). Comme on peut le voir, sur la
figure 9.2, chacun des facteurs de la strate II sature à son tour un certain nombre de
facteurs de la strate I (aptitudes primaires, dont la liste s'est considérablement allongée
depuis les travaux de Thurstone).
Une présentation brève de l'interprétation des différents facteurs de la strate II du
modèle de Carroll est donnée dans l'encadré 9.2, en indiquant, pour chacun, le sigle
par lequel il est le plus souvent désigné. Des exemples d'items de tests saturés par ces
différents facteurs pourront être trouvés ailleurs (Huteau et Lautrey, 2003, p. 151-161).

ENCADRÉ 9.2

— Intelligence fluide (GO : sature les tests qui font appel au raisonnement et, plus générale-
ment, à des opérations mentales contrôlées, pour résoudre des problèmes nouveaux fai-
sant peu appel aux connaissances.
— Intelligence cristallisée ( Gc) : sature les tests faisant appel à la connaissance du langage, de
l'information et des concepts spécifiques à une culture et/ou à l'application de cette
connaissance.
— Mémoire et apprentissage ( Gm) : correspond à l'efficience de la mémoire à court terme et
de la mémoire de travail, mais le contenu de ce facteur est assez flou dans la mesure où ces
différents aspects de la mémoire n'étaient pas clairement distingués dans les études
ré-analysées par Carroll.
— Représentation visuo - spatiale ( Gv) : sature les tests faisant appel à la capacité à générer,
retenir, retrouver et transformer des images visuelles.
— Représentation auditive ( Ga) : sature les tests faisant appel à la capacité à analyser, mani-
puler, comprendre et synthétiser des éléments sonores, des groupes de sons ou des pat-
terns sonores.
— Récupération en mémoire à long terme ( Gr) : capacité à stocker l'information nouvelle en
mémoire à long terme et à la retrouver plus tard de façon flexible. Ce facteur sature notam-
ment les tests de fluidité verbale et de créativité.
— Rapidité cognitive ( Gs) : capacité à effectuer de façon automatique et rapide des tâches
relativement faciles ou surapprises.
— Vitesse de traitement ( Gt) : capacité à réagir ou à décider rapidement en réponse à des sti-
muli simples, comme c'est le cas dans les tâches évaluant le temps de réaction ou le temps
d'inspection.

e. L'interprétation du facteur général

S'il y a un relatif consensus sur l'interprétation des facteurs de la strate II,


l'interprétation et l'existence même du facteur général qui figure dans la strate III res-
tent problématiques. Le désaccord ne porte pas sur la possibilité d'extraire un facteur
général de la matrice des corrélations observées dans une batterie de tests cognitifs. Du
fait que l'on observe toujours des corrélations positives entre les performances observées
dans un ensemble de tests cognitifs, il est techniquement possible d'extraire un facteur
général rendant compte de la variance commune à tous les tests, qui correspond à cette
L'approche différentielle de l'intelligence I 371

réalité statistique. C'est l'interprétation psychologique de cette réalité statistique que


Cafta et Horn ont toujours contestée. Selon eux, cette part de variance commune à
tous les tests peut tenir à ce qu'il n'existe pas de tâche cognitive complexe qui soit pure,
au sens où elle ne ferait intervenir qu'un seul des processus ciblés par les facteurs de la
strate II ; toutes font intervenir, à des degrés divers, plusieurs de ces processus (par ex.
inférence, langage, mémoire, vitesse de traitement, etc.). Auquel cas, la variance com-
mune à toutes les épreuves pourrait être due au chevauchement des différents processus
déjà pris en compte par les facteurs de la strate II. Pour démontrer la spécificité psy-
chologique du facteur g, il faudrait démontrer qu'il rend compte d'une variance qui lui
est spécifique, qu'il ne partage donc avec aucun des autres facteurs, et que l'on puisse
interpréter en termes de processus psychologique. Selon Horn et Blankson (2005), ces
exigences ne sont pas remplies.
Allant dans le même sens, certains auteurs avancent que la variance expliquée
par g serait en fait la même que celle expliquée par Gf. Cette hypothèse est notamment
étayée par les résultats d'une étude de Gustaffson (1984). Cet auteur a testé par une
méthode d'analyse factorielle confirmatoire un modèle factoriel hiérarchique compor-
tant, dans la strate I, 10 facteurs primaires corrélés entre eux, dans la strate II, trois fac-
teurs de second ordre également corrélés entre eux (les facteurs Gc, Gf et Gv), et un
facteur général coiffant l'ensemble dans la strate III (cf. fig. 9.1 d). Les données sur les-
quelles ce modèle a été testé ont été obtenues en faisant passer 16 tests (2 par facteur
primaire) à 1 000 élèves du sixième degré en Suède. Il s'est avéré que le meilleur
modèle factoriel pour recomposer les corrélations observées était bien le modèle hiérar-
chique en trois strates de Carroll (fig. 9.1 d). Mais un résultat très intéressant de cette
étude est que ce modèle hiérarchique n'a pu être identifié qu'en spécifiant une satura-
tion de 1 (c'est-à-dire une corrélation parfaite) entre g et Gf, autrement dit en posant
que la variance expliquée par g est la même que celle expliquée par Gf. L'identité de g
et Gf laisse alors le choix entre un modèle à trois strates dans lequel il existe un fac-
teur g dans la strate III et pas de facteur Gf dans la strate II, ou un modèle à deux
strates, dans lequel il n'existe pas de facteur g dans la strate III mais un facteur Gf dans
la strate II, ce second modèle étant en fait celui de Cattell-Horn (cf. fig. 9.1 c).
Ouvrons une parenthèse pour revenir au désaccord signalé plus haut entre les
modèles de Burt-Vernon et de Cattell-Horn. On se souvient que Vernon trouvait une
structure factorielle à trois strates avec un facteur général dans la strate III et, dans la
strate II, deux facteurs larges, Verbal-Éducationnel et Kinesthésique-Moteur, dont les
contenus sont en fait très proches, respectivement, des facteurs Gc et Gv du modèle de
Cattell-Horn. Par contre, Vernon ne trouvait pas, dans la strate II, de facteur analogue
au facteur Gf de Cattell-Horn (qui, eux, ne trouvaient pas de facteur général). À la
lumière de l'étude de Gustaffson, on peut faire l'hypothèse que le désaccord entre ces
deux modèles était dû à la différence de méthode dans l'analyse factorielle hiérar-
chique. Si dans ces études également la variance expliquée par g et par Gf était la
même, cela pourrait expliquer qu'en procédant de haut en bas, c'est-à-dire en com-
mençant par extraire le facteur g, Vernon ne trouvait pas de variance correspondant au
facteur Gf dans la strate suivante. Réciproquement, il n'est pas surprenant qu'en procé-
dant de bas en haut Cattell et Horn n'aient pas trouvé de variance spécifique au
facteur g après avoir extrait le facteur Gf dans la strate II.
372 I Psychologie différentielle

L'assimilation de g à Gf ne fait cependant pas l'unanimité. Dans les données qu'il a


ré-analysées, Carroll trouve que Gf est certes le facteur de la strate II le plus fortement
saturé par g mais qu'il n'épuise pas pour autant toute la variance de g et c'est la raison
pour laquelle Carroll maintient g distinct de Gf et donc la strate III de son modèle.
Si l'interprétation de g reste problématique (voir Sternberg et Grigorenko (2002)
pour une vue d'ensemble des interprétations en compétition et du débat à ce sujet), celle
de Gf a davantage progressé dans la période récente. Pour beaucoup d'auteurs, le fac-
teur Gf correspond à l'efficience de la mémoire de travail (sur la mémoire de travail, voir
le volume de psychologie cognitive, chapitre mémoire). La première recherche à avoir
montré l'importance de ce lien entre l'intelligence fluide et la mémoire de travail est celle
de Kyllonnen et Christal (1990). Ces auteurs ont réalisé plusieurs expériences dans les-
quelles de larges échantillons de sujets ont passé des épreuves variées de mémoire de tra-
vail et des tests variés de raisonnement (dont on connaît la forte saturation par le fac-
teur Gf). Les analyses factorielles confirmatoires effectuées sur ces données ont permis,
dans chacune de ces expériences, d'extraire un facteur commun aux épreuves de raison-
nement (Gf) et un facteur commun aux épreuves de mémoire de travail. La corrélation
entre ces deux facteurs variait entre .80 et .88 selon les études. Kyllonen et Christal en
concluaient que l'aptitude au raisonnement pouvait, à peu de choses près, être assimilée
à la capacité de la mémoire de travail. Engle, Tuholski et al. (1999) ont montré une rela-
tion forte entre le facteur général des épreuves de mémoire de travail et le facteur
d'intelligence fluide. En incluant des épreuves de mémoire à court terme et des épreuves
de vitesse cognitive dans leurs batteries, Conway, Cowan et al. (2002) ont précisé ce résul-
tat en montrant que la relation forte entre la capacité de la mémoire de travail et le fac-
teur Gf ne pouvait être expliquée ni par l'empan de la mémoire à court terme (corres-
pondant à la seule capacité de stockage), ni par la vitesse de traitement.
Compte tenu du fort recouvrement entre le facteur Gf et le facteur g, peut-on
expliquer Gf, et donc une part importante de g, par l'efficience de la mémoire de tra-
vail et plus généralement par l'efficience des processus exécutifs ? Beaucoup de recher-
ches vont actuellement dans ce sens (voir à ce propos le chapitre 2, section C, de ce
volume sur les théories néo-piagétiennes). Il faut cependant avoir conscience que le
concept de mémoire de travail est lui-même très général et qu'avant de comprendre
comment l'efficience de la mémoire de travail influence la performance dans les tests
d'intelligence il faudra mieux comprendre comment les différents processus cognitifs
intervenant dans la mémoire de travail s'orchestrent au cours de l'exécution d'une
tâche cognitive complexe (Lautrey, 2005 a ; Süss et al., 2002).

Il - L'évolution des échelles d'intelligence :


l'exemple des échelles de Wechsler

La première adaptation américaine du Binet-Simon, celle que Terman a effectuée


à l'Université de Stanford et publiée en 1916, était fidèle au principe de construction
adopté par Binet et au mode de calcul du QI préconisé par Stern (quotient de l'âge
L'approche différentielle de l'intelligence I 373

mental sur l'âge chronologique). Les premiers changements dans le principe de cons-
truction des échelles d'intelligence sont dus à Wechsler. Les échelles de Wechsler étant
à l'heure actuelle celles qui sont les plus utilisées en France et dans le monde pour
l'évaluation individuelle, ce sont elles que nous prendrons comme exemple pour illus-
trer l'évolution des tests de QI.
David Wechsler (1896-1981) était psychologue à la consultation d'adultes de
l'hôpital Bellevue, un hôpital psychiatrique new-yorkais. Le Terman-Stanford (devenu
ensuite Binet-Stanford) étant mal adapté à l'évaluation de l'intelligence d'adultes,
Wechsler a entrepris d'élaborer une nouvelle échelle d'intelligence destinée à cette
population. C'est ainsi qu'est née l'échelle dite Wechsler-Bellevue, publiée en 1939 et
modifiée ensuite pour devenir en 1955 la Wechsler Adult Intelligence Scale (wAis). Le
succès de l'échelle d'intelligence pour adultes a conduit Wechsler à élaborer sur les
mêmes principes une nouvelle échelle adaptée aux enfants de 6 à 16 ans, la Wechsler
Intelligence Scale for Children (wisc) qui fut publiée en 1949. Enfm, une échelle
adaptée aux enfants d'âge préscolaire, elle aussi bâtie sur les mêmes principes, la Wech-
sler Preschool and Primary Intelligence Scale (wPPsi) a été éditée nettement plus tard,
en 1967. Ces différentes échelles ont été révisées régulièrement : pour la WAIS, en 1981
(wAIs-R) et en 1997 (wAis ; pour la wisc, en 1974 (wisc-R), en 1991 (wisc in) et
en 2003 (wisc Iv) ; pour la WPPSI, en 1989 (wPPsi-R) et en 2002 (wPPsi ni). Chaque
révision de ces échelles a été suivie d'une adaptation française de la version américaine.
Wechsler avait une approche pragmatique de l'évaluation de l'intelligence et parta-
geait, dans les grandes lignes, les idées de Binet sur la question. Lui aussi considérait
l'intelligence comme une capacité globale faite d'un ensemble d'aptitudes spécifiques
auxquelles elle ne se réduit cependant pas. Il la définissait ainsi : « L'intelligence est
déterminée de façon multiple et a des facettes multiples. Ce à quoi elle fait toujours appel
n'est pas une aptitude particulière mais une compétence d'ensemble ou capacité globale
qui, d'une façon ou d'une autre, permet à un individu sensible de comprendre le monde
et de réagir efficacement à ses défis » (Wechler, 1981, p. 8). Pour évaluer cette capacité
globale, Wechsler, comme Binet, s'est attaché à varier autant que possible la nature des
subtests de l'échelle et, pour ce faire, il s'est davantage appuyé sur son expérience cli-
nique que sur une théorie précise de l'intelligence. II s'est par contre écarté des principes
de construction de l'échelle de Binet-Simon sur deux points importants. Le premier est
d'avoir abandonné la notion d'âge mental pour lui préférer le rang auquel la perfor-
mance d'un individu situe celui-ci dans son groupe d'âge. Le second est d'avoir amorcé
le fractionnement de la notion d'intelligence en permettant d'évaluer séparément un QI
verbal et un QI de performance. Nous verrons plus loin que cette évolution des échelles
de Wechsler vers une conception multidimensionnelle de l'intelligence s'est encore
accentuée plus récemment, notamment avec la publication de la wisc w, en s'inspirant
du modèle factoriel CHC. Cette tendance n'est pas propre aux échelles de Wechsler, elle
caractérise l'évolution de toutes les échelles d'intelligence dans la période récente.

a. L'abandon de la notion d'âge mental et du quotient

La pratique consistant à évaluer l'intelligence en faisant le quotient de l'âge mental


sur l'âge chronologique posait deux problèmes. Le premier tenait à ce que le calcul de
374 I Psychologie différentielle

ce quotient dans une échelle destinée à l'évaluation de l'intelligence d'adultes conduisait


à une absurdité. L'âge mental plafonne vers la fin de l'adolescence alors que l'âge chro-
nologique augmente tout au long de la vie. En conséquence, à partir de la fin de
l'adolescence, un QI calculé ainsi diminuerait régulièrement au fur et à mesure que
l'âge chronologique augmente. L'âge chronologique auquel survient ce plafond dans les
performances aux tests d'intelligence peut varier selon les individus et la nature des
épreuves, mais il est en général atteint entre 15 et 25 ans et va de pair avec la fin de la
maturation du système nerveux central. Cela ne signifie évidemment pas que les capa-
cités intellectuelles cessent alors d'évoluer, mais seulement que leur progression ne
continue que dans les domaines où l'accroissement de la performance repose sur
l'accroissement des connaissances et de l'expertise. Or l'objectif des tests d'intelligence
n'est pas d'évaluer les connaissances scolaires ou le degré d'expertise professionnelle
(c'est l'objet des tests de connaissances), il est d'évaluer la capacité à apprendre, à
s'adapter à des situations nouvelles. Le plafond atteint dans cette capacité vers la fin de
l'adolescence rend l'utilisation de la notion d'âge mental, et donc du quotient de l'âge
mental sur l'âge chronologique, inadaptée chez l'adulte.
Le second problème rencontré avec le quotient de l'âge mental sur l'âge chronolo-
gique tenait à ce que sa dispersion n'était pas la même aux différents âges chronologi-
ques. L'écart type du QI pouvait être, par exemple, de 12 à un certain âge et de 18 à
un autre, de telle sorte qu'un même QI n'avait pas exactement la même signification
selon l'âge auquel il était calculé.
La solution adoptée par Wechsler pour régler ces deux problèmes a consisté à
caractériser la performance de la personne examinée par le rang auquel se situe sa
note brute dans la distribution des notes brutes observées dans son groupe d'âge (la
note brute dans un test est calculée en faisant la somme des points obtenus aux
items réussis). Lors de l'étalonnage du test, un échantillon de personnes représentatif
de la population est examiné pour chacun des groupes d'âge que l'on souhaite consti-
tuer. Avec cet étalonnage, la performance de chaque nouvelle personne examinée
peut être située par rapport à celles des personnes de son âge. Par exemple, on
pourra dire que la note brute obtenue par une personne est dépassée par 16 % des
notes brutes observées dans l'échantillon d'étalonnage (ou dépasse 84 % de ces notes).
Wechsler aurait pu en rester à cette caractérisation de la personne, C'est-à-dire au
rang auquel son score la classe dans son groupe d'âge. Il a cependant voulu faire res-
sembler ce mode de caractérisation à un QI et a pour cela appliqué à ce rang deux
transformations.
La première transformation s'appuie sur les propriétés de la distribution normale.
Si on normalise la distribution des notes brutes (voir chap. 8, les étalonnages et la
mesure), celles-ci peuvent être transformées en écarts à la moyenne exprimés en pre-
nant pour unité l'écart type (cf. chap. 8, fig. 8.5 b) . Ainsi, la note dépassée par 16 %
des personnes correspond à un écart type au-dessus de la moyenne ; la note dépassée
par seulement 2,5 % des personnes correspond à deux écarts types au-dessus de la
moyenne, etc. Cette transformation fait passer d'un niveau de mesure ordinal (le rang
auquel sa note brute situe la personne dans l'échantillon) à une échelle d'intervalle
dotée d'une origine (le zéro correspond à la moyenne) et d'une unité (l'écart type). Sur
cette nouvelle échelle en écarts réduits, la note brute dépassée par 16 % des individus
L'approche différentielle de l'intelligence I 375

devient un score de + 1 écart type, la note brute dépassée par 2,5 % des individus
devient un score de + 2 écarts types, etc.
Ces scores en écarts réduits n'étant pas très commodes à manier, Wechsler les a
transformés en les multipliant par 15 et en ajoutant 100, de telle sorte que la moyenne
devienne 100 au lieu de 0 et l'écart type 15 au lieu de 1. Pourquoi ces nombres ? Parce
que cette transformation donne aux scores le même ordre de grandeur que les QI qui,
avec les échelles de type Binet-Simon, étaient calculés en faisant le quotient de l'âge
mental sur l'âge chronologique. Le QI de 100 correspond au cas où la note brute
obtenue est la moyenne du groupe d'âge considéré, ce qui correspond aussi au cas où
l'âge mental est égal à l'âge chronologique. L'écart type de 15 est celui que l'on obser-
vait, en moyenne — mais avec les variations signalées plus haut — dans les QI au Binet-
Stanford. Wechsler a baptisé QI le score ainsi transformé, de moyenne 100 et d'écart
type 15. Par ce tour de passe-passe, la note brute dépassée par 16 % des individus du
groupe d'âge considéré devient un QI de 115 (si la moyenne est 100 et l'écart type 15,
un score situé à un écart type de la moyenne est de 100 + 15), la note brute dépassée
par 2,5 % de l'échantillon devient un QI de 130, etc.
Contrairement au quotient de l'âge mental sur l'âge chronologique, ce nouveau
mode de calcul du QI peut s'appliquer aux adultes aussi bien qu'aux enfants. D'abord
adopté pour l'échelle destinée aux adultes (wAis) il a été étendu aux échelles pour
enfants (vvisc et wPPsi). 11 résout également le problème que posait la variabilité de
l'écart type du QI de type Stern selon les âges puisque, par construction, l'écart type est
ici de 15 à tous les âges. Wechsler a également appliqué cette procédure de transforma-
tion à la note brute obtenue dans chacun des subtests de l'échelle. Dans ce cas la note
brute est transformée en une note standard de moyenne 10 et d'écart type 3. Les notes
standard obtenues dans les différents subtests par un même individu deviennent ainsi
strictement comparables (une note standard de 7 signifie que la note brute se situe à un
écart type en dessous de la moyenne, quel que soit le subtest). Ces différents avantages
expliquent sans doute que ce nouveau mode de calcul du QI ait été adopté par la suite
dans toutes les échelles d'intelligence, y compris dans le Binet-Stanford. Dans ce qui
suit, le terme QI employé sans autre spécification renverra donc au QI de type Wech-
sler, tandis que le quotient de l'âge mental sur l'âge chronologique sera dénommé QI de
type Stern.
Le QI de type Wechsler n'est donc pas un quotient. Dans les échelles pour enfants
(wisc et wPPsi), ce QI peut, comme le QI de type Stem, être interprété comme une éva-
luation de la vitesse de développement mais celle-ci n'est plus quantifiée de la même
manière : c'est ici le rang auquel sa performance situe un enfant dans son groupe d'âge
qui renseigne sur le degré d'avance ou de retard de son développement par rapport à
celui des enfants de son âge. Toutefois, pour les raisons expliquées plus haut, ce même
indicateur ne peut être interprété comme une évaluation de la vitesse du développe-
ment dans les échelles pour adultes.
Les transformations par lesquelles on passe du rang de la note brute à un QI ne
doivent pas faire illusion. Elles ne transforment pas l'échelle ordinale dont on est parti
(le rang) en une échelle d'intervalle. Comme cela a déjà été précisé à propos de la
méthode des tests (voir chap. 8, les étalonnages) il n'y a pas de sens à parler de la forme
de la distribution d'une variable de niveau ordinal. La forme normale de la distribution
376 I Psychologie différentielle

des notes brutes, sur laquelle on s'appuie pour passer du rang dans le groupe d'âge à
un score exprimé en écarts types, n'est pas une propriété de la mesure de l'intelligence.
Elle est purement conventionnelle. Quelle est alors son utilité ? L'adoption de cette
convention est généralement justifiée par la volonté de faire des discriminations plus
fines aux extrêmes de la distribution que dans la zone moyenne, ou par le fait qu'une
distribution normale permet d'utiliser les méthodes statistiques qui postulent la norma-
lité de la distribution. La transformation d'échelle qui permet ensuite d'utiliser un indi-
cateur de moyenne 100 et d'écart type 15 relève, elle aussi, de la simple commodité.
Ces « arrangements » ne doivent pas faire perdre de vue que le niveau de mesure le
plus puissant sur lequel les psychologues puissent fonder leurs évaluations de
l'intelligence est le niveau ordinal : ils peuvent ordonner les sujets en fonction de leurs
performances dans les tests d'intelligence (nombre d'items réussis) et ils peuvent aussi
ordonner les items de ces tests en fonction de leur niveau de difficulté (nombre de sujets
qui réussissent chaque item). Le QI auquel on aboutit après les transformations qui
viennent d'être décrites ne traduit donc rien d'autre que le rang auquel sa note dans le
test situe une personne dans son groupe d'âge et il serait souhaitable de s'en tenir à
cette information, la seule dont les fondements scientifiques soient solides.

b. Le fractionnement du concept d'intelligence

Le second point sur lequel Wechsler s'est écarté des principes de construction du
Binet-Simon est le fractionnement des subtests de l'échelle en deux sous-échelles, l'une
verbale, l'autre de performance. Là encore, ce ne sont pas des considérations théori-
ques qui ont inspiré ces modifications à Wechsler, mais plutôt son expérience de prati-
cien. Il avait fait partie de la cohorte de jeunes psychologues enrôlés pour faire passer
les tests Army alpha et Army beta aux jeunes recrues de l'armée américaine lors de la
Première Guerre mondiale (voir chap. 7, p. 311). Il avait pu observer à cette occasion
l'intérêt de disposer d'un test non verbal, l'Army beta pour l'examen du niveau intellec-
tuel d'adultes qui, pour une raison ou une autre, ont des difficultés dans l'utilisation du
langage. Sa pratique clinique ultérieure à l'hôpital Bellevue l'a conforté dans cette idée
et il a donc fait en sorte que puissent être évalués deux QI distincts, l'un pour la partie
verbale de l'échelle et l'autre pour la partie de performance.
Dans toutes les échelles de Wechsler, la sous-échelle verbale était constituée des
sous-tests suivants : information (questions d'information générale de difficulté graduée),
mémoire des chiffres (répéter en ordre direct ou en ordre inverse des séries de chiffres
de longueur croissante), vocabulaire, arithmétique, compréhension (expliquer des obser-
vations de la vie quotidienne ou des proverbes), et similitudes (dire en quoi deux choses
différentes se ressemblent, par ex. pomme et prune). La sous-échelle de performance
était constituée des sous-tests suivants : complètement d'images (trouver la partie qui
manque dans des images), arrangement d'images (réordonner des séries d'images de
façon à ce que leur séquence corresponde au déroulement de l'histoire qu'elles racon-
tent), cubes (des figures géométriques sont présentées et elles doivent être reproduites
avec des cubes dont certaines faces sont unicolores et d'autres bicolores), assemblage
d'objets (assembler des morceaux de carton découpé présentés en désordre, de telle
sorte qu'ils reconstituent un objet familier), et code (avec un modèle de code dans
L'approche différentielle de l'intelligence I 377

lequel les chiffres sont remplacés par des signes arbitraires, remplacer le plus grand
nombre possible de chiffres par leur code dans un temps limité). Ces différents sous-
tests étaient bien entendu de niveaux de difficulté différents dans les échelles pour
enfants et dans l'échelle pour adultes.
Dans les subtests de la partie verbale, les réponses étaient données oralement, en
temps libre, l'évaluation ne portant que sur leur justesse. Il s'agissait de définitions,
d'énoncés, d'explications. Dans les subtests de la partie performance, les réponses étaient
non verbales. Il s'agissait d'actions consistant à positionner des cubes, pointer une partie
manquante, réarranger des images, etc. Les épreuves de performance étaient, par ail-
leurs, chronométrées et dans cette partie de l'échelle, l'efficience était appréciée à la fois
par la justesse de la réponse et par sa vitesse. Par ailleurs, les problèmes à résoudre étaient
ici de nature visuo-spatiale, ce qui n'était pas le cas dans la partie verbale de l'échelle.
Autrement dit, si la partition opérée par Wechsler dans son échelle d'intelligence
permettait bien de distinguer deux aspects de l'intelligence, il s'agissait d'une distinction
assez empirique et encore très globale. Les deux sous-échelles différaient à la fois, on
vient de le voir, par le format de représentation des items proposés (verbal versus spa-
tial), le mode d'expression de la réponse (verbal versus moteur) et l'aspect de la perfor-
mance pris en compte (justesse versus justesse et vitesse). Il n'était donc pas facile
d'interpréter les différences trouvées entre le QI verbal et le QI performance lorsqu'il y
en avait. D'autant plus que chacune des sous-échelles mêlait des aspects de
l'intelligence correspondant à des dimensions différentes dans le modèle factoriel de
l'intelligence (le raisonnement, la représentation visuo-spatiale et la vitesse de traitement
dans la sous-échelle de performance ; les connaissances, la compréhension verbale et la
mémoire de travail dans la sous-échelle verbale).
Pendant plus d'un demi-siècle, les échelles de Wechsler n'ont cependant pas varié.
Les révisions successives ont porté sur l'actualisation des contenus et de la difficulté des
items, mais pas sur la nature des subtests ni la structure de l'échelle. C'est seulement
récemment, déjà avec les révisions qui ont donné lieu à la Wise III et la WAIS III, mais
surtout avec la révision qui a donné lieu en 2003 à la wisc IV que la nature des subtests
et la structure de l'échelle ont été modifiés pour tenir compte des apports de l'approche
factorielle de l'intelligence et de la psychologie cognitive. C'est ainsi un pas de plus vers
une évaluation multidimensionnelle de l'intelligence qui a été effectué. Cette dernière
évolution sera illustrée avec l'exemple de la wisc

c. Vers des échelles d'intelligence plus clairement


multidimensionnelles : l'exemple de la w1SC iv

1 /Les principes de construction

Un des objectifs de la révision de la wisc IV (Wechsler, 2005 a, 2005 b) était de


permettre une évaluation plus claire de certaines des dimensions du modèle CHC, en
particulier des facteurs d'intelligence cristallisée, d'intelligence fluide et de vitesse de
traitement. Un autre objectif était de permettre l'évaluation de l'efficience de la
mémoire de travail pour prendre en compte les travaux ayant montré les relations
entre la capacité de la mémoire de travail et l'intelligence (voir plus haut, et aussi, dans
378 I Psychologie différentielle

le chap. 2, les théories néo-piagétiennes). Cela a conduit à fractionner l'échelle en


quatre sous-échelles évaluant les performances sur quatre dimensions distinctes du
développement cognitif, la compréhension verbale, le raisonnement perceptif, la
mémoire de travail et la vitesse de traitement, chacune donnant lieu au calcul d'un
indice factoriel de développement.
L'indice de compréhension verbale (fcv) correspond au facteur d'intelligence cristallisée
du modèle CHC. Il est évalué par trois des sous-tests qui composaient la sous-échelle
verbale des anciennes versions de la wisc : similitudes, vocabulaire et compréhension. Les
autres subtests qui faisaient traditionnellement partie de la sous-échelle verbale, infor-
mation et arithmétique, ont été retirés. Ces deux subtests étaient ceux qui faisaient le
plus appel aux connaissances. En les retirant, l'objectif est de centrer l'évaluation sur la
compréhension verbale en diminuant autant que faire se peut le poids des acquisitions
de type scolaire.
L'indice de raisonnement perceptif (IRP) se rapproche du facteur d'intelligence fluide
du modèle CHC. Il est évalué par trois subtests : cubes, identification de concepts et matrices.
Par rapport aux subtests qui composaient la sous-échelle de performance dans
l'ancienne version de la wisc, seul le subtest cubes a été conservé. Deux nouveaux sub-
tests, dont le contenu sera précisé plus loin ont été introduits : d'une part, l'épreuve des
matrices, conçue sur le même principe que le test des Matrices progressives de Raven,
dont on sait qu'il est fortement saturé par le facteur d'intelligence fluide, d'autre part,
l'épreuve d'identification de concepts qui fait appel à la catégorisation, l'abstraction et
la formation de concepts. Les subtests qui ont été retirés sont par contre ceux qui fai-
saient fortement appel à la représentation visuo-spatiale (assemblage d'objets, arrange-
ment d'images, complètement d'images) et à la vitesse de traitement (code). Par ailleurs,
les réponses ne sont plus chronométrées. En somme, alors que les subtests de la sous-
échelle de performance des anciennes versions de la wisc évaluaient indistinctement le
raisonnement, la représentation visuo-spatiale et la vitesse de traitement, ceux qui
entrent dans le calcul de l'indice de raisonnement perceptif de la wisc iv sont plus net-
tement focalisés sur le raisonnement, dont on sait qu'il est fortement saturé par le fac-
teur d'intelligence fluide.
L'indice de vitesse de traitement (IvT) correspond au facteur de vitesse cognitive dans le
modèle CHC. Il est évalué par les subtests code et symbole. La vitesse de traitement, qui
était auparavant évaluée indistinctement dans tous les subtests de la sous-échelle de per-
formance est maintenant évaluée avec deux épreuves spécifiques dont l'une (code) faisait
auparavant partie de la sous-échelle de performance, tandis que l'autre (symboles) est
nouvelle et a été introduite pour renforcer l'évaluation de cette dimension spécifique.
L'indice de mémoire de travail (Imr) évalue la capacité de la mémoire de travail à
partir des subtests mémoire des chies et séquence lettres-chiffres. Le subtest de mémoire des
chiffres figurait auparavant dans la sous-échelle verbale de la wisc mais n'était pas une
bonne évaluation de la mémoire de travail, car il mêlait indistinctement des items où la
séquence de chiffres énoncés par le psychologue devait être répétée à l'endroit et des
items où celle-ci devait être répétée à l'envers. Le premier type d'items, qui ne requiert
que le stockage des informations évalue en fait la mémoire à court terme et seul le
second, qui requiert simultanément un stockage et un traitement (pour réordonner les
chiffres en sens inverse), fait appel à la mémoire de travail.
L'approche différentielle de l'intelligence I 379

En résumé, la wisc Iv marque l'abandon d'un fractionnement empirique et assez


grossier de l'échelle entre une partie verbale et une partie dite de performance, pour se
rapprocher d'un modèle multidimensionnel de type CHC intégrant aussi les apports de
la psychologie cognitive sur le rôle de la mémoire de travail. Quatre dimensions diffé-
rentes sont maintenant évaluées, chacune étant plus clairement centrée sur un facteur
du modèle CHC (intelligence cristallisée, intelligence fluide, vitesse de traitement) ou un
processus (mémoire de travail). Chaque dimension est évaluée avec plusieurs épreuves
(3 pour icv et IRP, 2 pour VT et MT), car il faut au minimum deux épreuves pour
extraire un facteur commun.

2 / La composition de l'échelle
Compréhension verbale (Icv).
— Similitudes (23 items). Une paire de mots est énoncée oralement à l'enfant qui
doit trouver la similitude entre les deux objets ou les deux concepts. Exemple : en quoi
rouge et bleu se ressemblent ? Les processus ciblés sont le raisonnement verbal et la
formation de concepts.
— Vocabulaire (36 items). La tâche de l'enfant est de donner la définition des mots
énoncés. Exemple : qu'est-ce qu'une lampe ? On évalue ainsi la connaissance du
lexique, la formation de concepts verbaux, la structuration de la mémoire à long terme
et le développement du langage.
Compréhension (21 items). On demande à 'enfant de dire ce qu'il comprend de
situations sociales et de principes généraux. Exemple : pourquoi faut-il s'habiller le
matin ? Ce subtest évalue plus particulièrement la compréhension et l'expression ver-
bales, la connaissance des conventions comportementales et des normes sociales.

Raisonnement perceptif (IRP).


Cubes. L'enfant utilise des cubes bicolores (blanc/rouge) pour reproduire une
construction dont le modèle lui est présenté sur une image. C'est principalement la
capacité à analyser et à synthétiser des stimuli abstraits qui est évaluée par ce subtest.
— Identification de concepts (28 items). Des images disposées sur deux ou trois ran-
gées (et dont le nombre varie avec le niveau de difficulté des items) sont présentées à
l'enfant. Sa tâche est de choisir une image dans chaque rangée pour constituer une
catégorie s'articulant autour d'un concept commun. L'exemple d'entraînement est une
planche comportant une trompette et un chêne dans la première rangée, et un vase et
un sapin dans la seconde rangée. La bonne réponse est le choix du chêne et du sapin.
Les processus visés sont le raisonnement catégoriel et le raisonnement abstrait.
— Matrices (35 items). L'enfant observe une matrice incomplète et sélectionne la
case manquante parmi cinq possibilités de réponse présentées en-dessous. Les processus
ciblés sont l'inférence, le raisonnement analogique, qui sont fortement saturés par le
facteur d'intelligence fluide et le facteur général d'intelligence.
.

Mémoire de travail.
— Mémoire des chiees (8 items). On lit une série de chiffres que l'enfant doit répéter
dans l'ordre direct pour la première partie de l'épreuve et dans l'ordre inverse pour la
380 I Psychologie différentielle

seconde partie. La longueur de la série de chiffres va de 2 au premier item à 8 au der-


nier item (chaque item comporte deux essais).
— Séquence lettres chies (10 items). On lit au rythme d'un élément par seconde une
séquence mélangeant des lettres et des chiffres. L'enfant doit en restituer les éléments
en commençant par les chiffres en ordre croissant, puis les lettres en ordre alphabé-
tique. Exemple : l'item énoncé 3 – M – 2 – C doit être restitué 2 – 3 – C – M. Les
séquences vont de deux éléments pour les items les plus faciles à huit éléments pour les
plus difficiles. Comme dans la répétition de chiffres à l'envers, cette épreuve requiert la
gestion simultanée du stockage et du traitement de l'information (ici le réarrangement
des chiffres et des lettres dans leurs ordres respectifs), ce qui est la caractéristique des
épreuves de mémoire de travail.

Vitesse de traitement.
— Code. La tâche consiste à substituer des symboles sans signification à des nom-
bres. L'enfant a à sa disposition un modèle donnant la correspondance entre les nom-
bres et les signes qui les représentent dans le code. Il doit compléter ensuite la feuille de
réponse aussi vite qu'il le peut en mettant sous chaque nombre le signe qui lui
correspond.
— Symboles. La tâche de l'enfant est de parcourir des lignes de symboles et
d'indiquer, pour chaque ligne, si oui ou non un des symboles cibles qui sont placés à
gauche se trouve dans la ligne. La consigne est de vérifier ainsi le maximum de lignes
en temps limité.
En plus de la vitesse de traitement, ces deux épreuves font notamment appel à
l'attention soutenue, à la mémoire à court terme et à l'apprentissage. Le code, qui
demande la copie de signes arbitraires appariés à des nombres évalue en outre la coor-
dination visuo-motrice.

3/ Les principes de cotation

Le manuel précise, pour chaque subtest, le nombre de points accordés pour la


réussite de chaque item. Lorsque qu'il s'agit d'items dont les réponses sont ouvertes,
comme dans les subtests de vocabulaire ou de compréhension, des exemples de bonnes
réponses cotées 2 points, de réponses intermédiaires cotées 1 point et de mauvaises
réponses cotées 0 point sont fournies dans le manuel pour limiter la part de subjectivité
dans la cotation. Cette cotation des réponses étant faite, la somme des points donne la
note brute obtenue dans chacun des dix subtests.
L'exemple de protocole qui figure dans le manuel d'administration de la wisc
(cf fig. 9.3) permet de suivre les étapes de la cotation. Le calcul de l'âge de l'enfant est
la première opération à faire (partie A). Cela permet de se reporter à la table dans
laquelle figure la distribution des notes brutes observées dans le groupe d'âge de cet
enfant lors de l'étalonnage du test. Dans cet exemple, l'enfant fictif Pierre Martin ayant
12 ans 3 mois, on se reporte à la table du manuel dans laquelle figurent les distribu-
tions des notes brutes aux différents subtests pour la tranche d'âge allant de 12 ans à
12 ans 3 mois. Cette table indique, pour chaque score brut, le score standard qui lui
correspond dans une distribution normalisée en 19 classes de moyenne 10 et d'écart
L'approche différentielle de l'intelligence I 381

Cahier de passation
ECHCLLE D'inattilcichtoo vilictistut
POUF1 EMFANT:...) N
Profil des notes standard

MARTIN p ré nom Pierre Compréhension Raisonnement Mémoire de Vitecao de


Nom


Verbale Perceptif Travail Traitement
eseue clasue . 97 Aie 12 ans ém ois 51M VOC. ti1M (MD : 'a CLB Int: MAT ICIDO CR $1,C (Aal COD SI t SARF
Etshihnernern Collège Jules Ferry 12 vii12 98 eal 10 w 09 8 9
19

<
Psychologue C Durand

• • ******** • • * • • • • • •
18
17
16
Calcul de l'âge de l'enfant 15
1 Ai Année Moi@ Jour 14
13
Date de patutnt ion 2004 fig. 05 Je 42 12
Date de naissance 1992 02 18 11
Age 12 03 24 10
9
B Conversion d estes brutes en note andard
8
7
Sablait') Note@ 6
brutes 5
Cubes 38 9 4
Similitudes 3
2
Aléatoire des chiffre@ 10 10 1
8
I& I Fi
Mentit de concepts
Code Profil des notes i.omposites
Vocabulaire rfirram 'CV IRP IMT IVT
mgr=
Matrices
20 fill
9 9
Fil
160
114 90 103 90
QIT
101
Compreheasien 26 UMM
Symboles FEI 8 8 8 150
1111111 M1
(Complet. d'images)
Eri=1111111111111 84 11311
140

(Information) arriming
va 10
130
10 )
(Ref.:imminent verbal) mue® MEC 120

ICI Sommes des notes standard


FlilFZilF111E1511
Verte
es. Vit. vo si
M
Tom Trait.
101 110

ID 1
100
Conversion des sommes des notes situ dard
en notes composites
90
Somme Noir
_5,
eang
Edtelle des notes . , ,n Interv “alle de 80
enen—e
standard cœee -°-
" "` P mutisme
Compréhension Verbale 37 @w 114 82 104-121 70
Ituseneement Peeeptif 26 inr 90 25 82-100
60
Memoire &Travail 21 mn 103 58 94-112
Vitesse de Traitement 17 rot 90 25 82-101 50
Totale 101 le 101 53 94-108
40

FIG. 9.3. — Page de garde du cahier de passation de la wisc


où sont reportés et synthétisés les résultats
(d'après le Manuel d'administration de la WISC IV, p. 50 ;
figure reproduite avec l'autorisation des ECPA)
382 I Psychologie différentielle

type 3 (cf. plus haut la procédure de transformation des scores bruts en scores stan-
dards). Dans la partie B du protocole reproduit en figure 9.3, ces notes standard figu-
rent à la droite des notes brutes. Dans les colonnes grisées suivantes, elles sont réparties
entre les colonnes correspondant aux quatre indices (compréhension verbale, raisonne-
ment perceptif, mémoire de travail et vitesse de traitement) avec, en bas du tableau, la
somme des notes standard pour chaque indice (les notes obtenues aux deux épreuves
optionnelles données dans ce cas, barrage et arithmétique, sont mises entre parenthèses,
car elles n'entrent pas dans le calcul des indices ni dans le calcul du QI total).
La transformation suivante consiste — en se reportant à nouveau à la table
appropriée dans le manuel — à passer de ces sommes de notes standard aux notes com-
posites de moyenne 100 et d'écart type 15. Cette seconde transformation est destinée à
rendre ces notes directement comparables (et aussi, comme nous l'avons vu plus haut, à
leur donner une échelle de grandeur comparable à celle des anciens QI de type Stern).
On trouve dans la première colonne de la partie D du protocole les sommes de notes
standard correspondant aux différents indices et au total. Dans la colonne suivante, on
trouve les notes composites de moyenne 100 et d'écart type 15 qui leur correspondent.
La somme totale des notes composites est appelée QI total, ce QI total est ici de 101. La
troisième colonne du tableau D donne l'équivalence de ces notes composites en percen-
files (voir chap. 8, étalonnages). Cette indication est sans doute celle qui situe le plus
clairement le niveau de la performance auquel correspond la note puisqu'elle indique le
pourcentage de sujets qui ont eu une note inférieure à celle-ci dans l'échantillon de
référence (ici, 82 % pour la note de compréhension verbale et 25 % pour la note de
raisonnement perceptif). La dernière colonne du tableau D indique l'intervalle de
confiance de chaque note (cf. chap. 7, l'erreur type). Cela signifie qu'au seuil de risque
de 5 %, on peut estimer que le score vrai de compréhension verbale devrait se situer
quelque part entre 104 et 121.
Les tableaux qui sont à droite permettent de tracer, sur l'échelle des notes allant
de 1 à 19, les profils reliant, dans chaque catégorie d'épreuves, les notes standard obte-
nues dans les différents subtests (partie E du protocole) et, sur une échelle de
moyenne 100 et d'écart type 15, le profil des notes composites obtenues sur les quatre
dimensions de l'intelligence distinguées dans l'échelle ainsi que le QI total. Les auteurs du
manuel indiquent que le QI total peut être considéré comme une approximation du fac-
teur général d'intelligence. Ce n'en est qu'une approximation grossière, car il est obtenu
en faisant la simple somme des notes dans les différents indices factoriels alors que, si un
score en facteur général était calculé, chacune des dimensions y interviendrait avec un
poids correspondant à sa saturation en facteur général. À titre d'exemple, on sait que la
vitesse de traitement contribue peu au facteur général alors que la mémoire de travail y
contribue beaucoup. Si l'on calculait un score en facteur général, la note de vitesse de
traitement n'y contribuerait donc qu'avec un poids réduit, tandis que celle de mémoire
de travail y contribuerait avec un poids important. Par contre, avec la procédure adoptée
ici, les notes de vitesse de traitement et celles de mémoire de travail sont ajoutées avec le
même poids. Les auteurs de la révision du wisc iv ne sont donc pas allés jusqu'au bout
de l'approche multidimensionnelle de l'intelligence : ils ont adopté la logique factorielle
pour définir les dimensions correspondant aux facteurs de groupe, mais ils sont restés
dans la logique du QI global pour définir le QI total.
L'approche différentielle de l'intelligence I 383

Les profils tracés dans les parties E et F de la feuille permettent de visualiser les
écarts de performance entre les différents subtests d'une même dimension et entre les
dimensions. Ces écarts renseignent sur les forces et les faiblesses relatives, mais ne doi-
vent cependant pas être interprétés sans précautions. Deux informations doivent être
prises en compte avant de se lancer dans l'interprétation d'une différence entre deux
notes ; d'une part, la valeur critique pour laquelle cette différence est significative à un
seuil de risque raisonnable, d'autre part, la fréquence avec laquelle cette différence a
été observée dans l'éclgantillon de référence. Ces deux informations peuvent être trou-
vées dans les tables qui figurent en annexe du manuel d'administration. Ainsi, la valeur
critique des différences entre indices se situant aux alentours de 15, seules les différen-
ces ICV-IRP et ICV-IVT sont significatives au seuil de .05 dans le protocole de la
figure 9.3. Des différences égales ou supérieures à celles-ci sont observées dans
l'échantillon de référence dans seulement 5,7 % et de 9,9 % des cas respectivement.
C'est seulement une fois l'ensemble de ces opérations de cotation réalisées que
commence le vrai travail du psychologue qui est celui d'interprétation de toutes ces
données chiffrées. Il s'appuie alors pour cela sur ses connaissances théoriques,
l'expérience clinique accumulée tout au long de sa pratique, et l'ensemble des autres
éléments d'information recueillis sur la personne examinée au cours de l'épreuve et
dans les autres composantes de l'examen psychologique. Une indication chiffrée seule,
qu'il s'agisse d'une note d'indice ou un QI n'a en elle-même aucune signification.

4/ Les qualités métriques de l'échelle

Les fidélités. — La consistance interne de l'adaptation française a été évaluée en uti-


lisant la méthode pair-impair (voir chap. 7, les fidélités). Le coefficient de corrélation
pair impair est de .94 pour l'échelle totale et varie de .84 à .89 pour les quatre notes
composites d'indice factoriel. Le coefficient de stabilité test-retest, avec un intervalle
d'environ un mois entre les deux passations, est de .91 pour le QI total et va de .78
à .88 pour les quatre indices factoriels. La fiabilité de l'échelle est donc satisfaisante.

Les validités. — La publication de l'adaptation française étant encore très récente


au moment où ces lignes sont écrites, les seuls indices de validité critérielle dont on dis-
pose à son sujet sont les corrélations avec d'autres échelles d'intelligence. Pour ce qui
concerne le QI total, la corrélation entre la wisc IV et la WPPSI (estimée avec un échan-
tillon de 60 enfants de 6-7 ans qui ont passé les deux échelles) est de .84. La corrélation
avec la WATS III (estimée avec un échantillon de 55 adolescents de 16 ans) est de .83. La
corrélation avec la wisc III (la version précédente de la wisc) est de .78. Cette corréla-
tion plus basse s'explique sans doute par les changements opérés dans la composition
de l'échelle : l'indice de compréhension verbale conserve une corrélation forte avec
le QI verbal de la wisc ni (.82), tandis que l'indice de raisonnement perceptif corrèle
plus faiblement avec le Qj de performance de la wisc III (.62). Les corrélations avec
les Qj d'une autre échelle d'intelligence pour enfants, le K-ABC se situent aux environs
de .70. La wisc rv mesure donc à peu près la même chose que les autres échelles
d'intelligence, mais il y aurait un risque évident de circularité à ne valider chaque
échelle d'intelligence que par sa corrélation avec les autres échelles d'intelligence.
384 I Psychologie différentielle

Ce risque de circularité est moindre en prenant d'autres critères que les tests
d'intelligence. La réussite scolaire est un des critères fréquemment utilisés pour les
échelles d'intelligence qui sont conçues pour les enfants d'âge scolaire. Avec les versions
précédentes de la wisc, les corrélations entre le QI total et la réussite scolaire variaient
de .65 à .75 (Zhu et Weiss, 2005). Ces informations ne sont pas encore disponibles pour
la wisc iv mais il sera intéressant d'examiner les corrélations entre les différents indices
,

que cette échelle permet de calculer et la réussite scolaire.


La validité théorique ou validité « de construit » (voir chap. 7, la validité des
observations) est ici évaluée par les méthodes d'analyse factorielle. Le test est jugé
valide si l'analyse factorielle des subtests donne bien lieu aux quatre facteurs attendus et
si chacun des subtests a bien sa saturation la plus forte dans le facteur dont il est censé
relever.

TABLEAU 9.1. - Saturation factorielle des subtests principaux dans l'échantillon


de l'adaptation française (d'après le manuel d'interprétation
de la wisc iv, Wechsler, 2005, tableau 5.3, p. 47)

nus âges (N= 1103) Facteurs

Compréhension Raisonnement Mémoire Vitesse de


Subtests verbale perceptif de travail traitement

Similitudes .71 .11 .01 .00


Vocabulaire .76 .04 .03 .02
Compréhension .70 - .05 .00 .01
Cubes - .03 .54 - .01 .12
Identification de concepts -.03 .54 - .01 .12
Matrices -.01 .64 .07 -.04
Mémoire des chiffres .03 .03 .63 .05
Séquence Lettres-Chiffres .01 -.03 .64 .09
Code .01 - .02 .01 .66
Symboles .01 .06 .02 .65

L'examen du tableau 9.1, qui donne le résultat de l'analyse factorielle exploratoire


de l'adaptation française montre que cette exigence est satisfaite. Il est par contre dom-
mage que le manuel, dans l'état actuel des choses, ne spécifie pas les corrélations entre
ces facteurs.

d. Discussion

L'évolution qui a été ci-dessus illustrée à partir de l'exemple des échelles de Wech-
sler a pris la même forme pour toutes les échelles d'intelligence. Toutes ont été progres-
sivement modifiées pour se calquer, plus ou moins rapidement et à un degré plus ou
moins important, sur le modèle CHC de la structure de l'intelligence. La révision
de 1986 du Stanford-Binet avait déjà introduit une évaluation distincte de trois des
dimensions du modèle, l'intelligence fluide, l'intelligence cristallisée et la mémoire à
L'approche différentielle de l'intelligence I 385

court terme. La révision de 2003 a élargi à 5 le nombre de dimensions évaluées à la


fois dans le domaine verbal et dans le domaine non verbal (Gf, Gc, Gy, Gq et mémoire
de travail). L'échelle de Woodcock-Johnson est celle qui a joué le rôle pionnier dans
cette évolution (cf. McGrew, 2005). Sa structure a été entièrement repensée lors de la
révision de 1989, en la calquant sur celle du modèle CHC (Carroll et Horn ont participé
à cette révision) : les huit dimensions correspondant aux huit facteurs de la strate II du
modèle CHC y étaient évaluées par deux tests chacune. La révision de 2001 a enrichi
cette structure multidimensionnelle en incluant des tests correspondant à deux ou trois
des facteurs étroits de la strate I pour chacun des facteurs de la strate II. Il n'existe pas
d'adaptation française de ces deux échelles américaines. Par contre, il existe une adap-
tation française du K-ABC, une échelle initialement construite en s'inspirant de la dis-
tinction de Luria entre processus séquentiels et simultanés, dont la dernière révision,
le K-ABC II, donne la possibilité d'interpréter les résultats dans le cadre du modèle CHC.
Par ailleurs, dans toutes ces échelles comme dans celles de Wechsler des subtests per-
mettant d'évaluer l'efficience de la mémoire de travail ont été inclus. L'évolution des
échelles d'intelligence vers une évaluation multidimensionnelle de l'intelligence est donc
bien un mouvement de fond.

III Conclusion
-

Les premières échelles de QI, celle de Binet et celles de Wechsler reposaient sur
une conception empirique et pragmatique de l'intelligence. En faisant porter
l'évaluation sur les processus supérieurs et en situant les performances d'une personne
par rapport aux performances observées dans son groupe d'âge, ces pionniers ont mis
le doigt sur une procédure efficace de comparaison des productions du système cognitif.
Sous réserve que la personne examinée ait bien baigné dans le milieu culturel pour
lequel le test a été conçu, ces productions du système cognitif renseignent, indirecte-
ment, sur le fonctionnement global de ce système sans qu'il soit nécessaire pour cela
d'en comprendre les mécanismes. Si un enfant a acquis en temps et en heure les
connaissances et les habiletés qui sont d'habitude acquises par la plupart des enfants à
cet âge-là, c'est que son cerveau fonctionne normalement et on peut pronostiquer que,
sauf accident, il acquerra en temps et en heure les connaissances et habiletés cognitives
plus complexes. Cette forme d'évaluation globale de l'efficience intellectuelle a rendu
de nombreux services. Elle a, par exemple, permis de diagnostiquer les retards ou les
avances dans le développement intellectuel ou de pronostiquer les chances de réussite
dans tel ou tel type d'apprentissage. Fortes de ces succès, qui reposaient pour une
bonne part sur leur approche pragmatique de l'évaluation, les échelles de QI sont res-
tées pendant longtemps inchangées et insensibles aux évolutions théoriques sur
l'intelligence. Les théories passaient, mais les tests restaient (Lautrey, 2001). La limite de
cette forme d'évaluation globale était cependant de ne fournir que des indications très
limitées lorsqu'il s'agissait d'analyser les raisons pour lesquelles le fonctionnement
cognitif d'une personne était déficient. L'analyse plus poussée des performances au test
386 I Psychologie différentielle

devait alors s'appuyer sur l'expérience clinique du psychologue, qui ne reposait pas
toujours sur des fondements solides.
L'évolution qui a été décrite dans ce chapitre correspond au passage de cette
conception empirique et pragmatique de l'évaluation de l'intelligence à la prise en
compte, dans la conception même des échelles d'évaluation, des apports de deux cou-
rants théoriques qui ont contribué à faire évoluer les idées sur l'intelligence au cours du
siècle dernier : l'approche factorialiste et la psychologie cognitive. Le premier de ces
deux courants a contribué à mettre à jour les différentes dimensions de l'intelligence et
à en catégoriser les principaux aspects, du moins ceux sur lesquels les individus se diffé-
rencient le plus nettement. Le second a contribué à mettre à jour certains des processus
sous-jacents aux différents facteurs de l'intelligence, la relation trouvée entre l'efficience
de la mémoire de travail et le facteur d'intelligence fluide en est l'exemple le plus net.
La poursuite de cette évolution, qui n'en est qu'à ses débuts, devrait doter les psycholo-
gues praticiens d'instruments d'évaluation donnant des fondements plus solides à leur
analyse clinique des points forts et des points faibles du fonctionnement cognitif des
personnes examinées ainsi qu'à la conception des méthodes de remédiation. Le QI,
indicateur chiffré unique avec lequel on a cru pouvoir caractériser l'intelligence d'une
personne, était une notion qui correspondait à la conception unidimensionnelle de
l'intelligence. Il n'est plus adapté à la conception multidimensionnelle qui prévaut
maintenant et devrait donc être remplacé par des indicateurs plus appropriés (voir Lau-
trey, 2005 b) .

LECTURES CONSEILLÉES

Grégoire, J. (2004). L'examen clinique de l'intelligence de l'adulte. Sprirnont : Mardaga.


Huteau, M., & Lautrey, J. (2003). Évaluer l'intelligence — psychométrie cognitive. Paris : PUF.
Wechsler, D. (2005 a). wisc iv. Manuel d'interprétation. Paris : Éditions du centre de psychologie
appliquée.
Wechsler, D. (2005 b). wiSc Manuel d'administration et de cotation. Paris : Éditions du centre de
psychologie appliquée.
10 l'approche différentielle
de la personnalité

PAR PIERRE-YVES GILLES

Introduction

Le terme personnalité est d'un usage courant : il est employé lorsque l'on cherche à
décrire une personne, du point de vue de ses comportements (nerveux, appliqué,
curieux...), de ses modes de réaction (émotif, impulsif, calme...), ou encore de ce que
l'on pense pouvoir prédire de sa conduite dans une certaine situation (optimiste, atten-
tif, énergique...). De telles « évaluations » des personnes qui nous entourent, à titre
privé, professionnel, ou dans le contexte sociétal sont un fait quasi quotidien. Elles
sont assez souvent basées sur des théories implicites de la personnalité, associées à
des indicateurs flous, qu'il a paru utile de présenter dans une première partie de ce
chapitre.
Mais le terme personnalité est également central pour la psychologie scientifique :
on trouve dans toutes ses sous-disciplines des modèles et méthodes visant à définir,
expliquer, ou mesurer la personnalité. Après avoir donné un aperçu sur deux appro-
ches, une présentation plus détaillée de la perspective différentielle sera faite, du point
de vue de ses démarches de modélisation et d'évaluation. Il y sera vu que tout en pour-
suivant un même objectif, plusieurs perspectives peuvent être adoptées pour étudier les
différences individuelles. Pour les préciser, il a été choisi dans ce chapitre de présenter
successivement les travaux de deux auteurs qui constituent des références dans ce
domaine. La partie consacrée à H. J. Eysenck permettra ainsi d'exposer trois grandes
conceptions différentielles de la personnalité : les types, les processus, les traits. Les tra-
vaux de R. B. Cattell seront ensuite présentés pour illustrer la démarche lexicale, dont
un aboutissement est le modèle consensuel des cinq grands traits de personnalité. La
dernière partie de ce chapitre sera centrée sur la question des liens entre la personna-
lité, les intérêts et l'intelligence.
388 I Psychologie différentielle

A - CONCEPTS ET MÉTHODES
DANS L'ÉTUDE DE LA PERSONNALITÉ

I - Conceptions communes et préscientifiques

a. Premières définitions

L'examen des définitions de la personnalité données dans les dictionnaires (par


exemple Le Petit Larousse) permet de dégager trois acceptions générales :
1 / ensemble des comportements qui constituent l'individualité d'une personne ;
2 / énergie, originalité qui constitue le caractère de quelqu'un (dans le langage courant,
on utilise l'expression avoir une forte personnalité) ;
3 / personne connue en raison de ses fonctions, de son influence.

Sur le Web, il ressort un nombre impressionnant de références en entrant «per-


sonnalité » sur un moteur de recherche. On peut y trouver : des éléments de définition,
concernant notamment les troubles de la personnalité ; des « tests » la mesurant, ou
d'autres techniques censées la mesurer ; des articles relatifs au projet de carrière, au
recrutement, ce qui souligne l'intérêt de ce terme pour le terrain.
Ces informations ne s'inscrivent pas toujours dans le champ d'une psychologie
scientifique, à laquelle il appartient de proposer des modèles théoriques et des méthodes
valides pour expliquer et prévoir des conduites de l'individu.
Dans le langage courant, le terme personnalité est souvent pris comme synonyme
de tempérament ou de caractère. Il est d'ailleurs à noter que l'utilisation de ces différents
termes est généralement associée à un aspect évaluatif (forte personnalité, avoir du
caractère, du tempérament). Ces notions comportent cependant des nuances : le tempé-
rament réfère plutôt à l'aspect constitutionnel (d'ordre biologique), tandis que le carac-
tère s'intéresse aux aspects comportementaux (d'ordre psychologique). On pourrait
considérer que ces deux termes « encadrent » la personnalité, le tempérament étant à la
source, le caractère révélant les caractéristiques de la personnalité. Mais les distinctions
entre tempérament, caractère et personnalité jalonnent aussi l'évolution des conceptions
et des méthodes d'investigation.

b. La mesure : les tentatives préscientifiques

Si l'hypothèse commune de la stabilité des conduites s'appuie sur la répétition de


comportements immédiatement observables (expressions motrices, émotivité visible par
des expressions de visage, manière de s'exprimer...), elle est parfois étayée par des
approches et des données dont la validité scientifique reste à prouver. Ces tentatives
sont nombreuses, elles reposent sur des conceptions naïves de la personnalité, souvent
déterministes. Leur succès tient au fait qu'elles répondent à des demandes sociales, et
que les descriptions de la personnalité qu'elles proposent sont généralement syncréti-
ques* (Bernaud, 1998).
L'approche différentielle de la personnalité I 389

C'est ainsi que l'astrologie semble dresser des portraits relativement convaincants.
Un ensemble de recherches menées par Jan Van Rooij (1999) plaide en faveur du fait
que les sujets adhèrent aux portraits attachés aux signes du zodiaque par une intériori-
sation des caractéristiques plus ou moins typiques qui leur sont attachées (bélier-
impulsifs, taureau-conservateur, gémeaux-versatile, etc.), et ce d'autant plus que les per-
sonnes ont des connaissances en astrologie.
Le même auteur s'est également intéressé à la graphologie (Van Rooij et Hazelzet,
1997), à propos de laquelle on pourra consulter l'ouvrage de Michel Huteau (2004)
pour une revue de la question. Les descriptions de la personnalité par la graphologie
sont assez souvent acceptées par les individus, car elles s'appliquent à tout le monde
(phénomène appelé effet Barnum) : elles sont généralement positives, vagues, banales
( « vous souhaitez que votre vie ne soit pas trop monotone » ), ou encore à double sens
( « vous êtes généralement joyeux mais il vous arrive d'être triste » ).
Une autre manière de chercher à caractériser la personnalité est de s'appuyer sur
l'apparence physique. C'est ainsi que Kretschmer (1888-1964) a proposé de répartir les
individus en trois catégories, sur la base de l'étude clinique de la constitution physique :
les leptosomes (personnes minces et élancées), les picniques (personnes de forte corpu-
lence) et les athlétiques (musclés). Ces caractéristiques ont ensuite été mises en relations
avec deux grandes psychoses fonctionnelles, la schizophrénie et la psychose maniaco-
dépressive : la première serait plutôt associée aux leptosomes ou aux athlétiques, la
seconde au type pycnique. À la même époque, Sheldon (1888-1968) poursuivait un
objectif similaire et est parvenu à peu près aux mêmes résultats. Les travaux de
Kretschmer et de Sheldon sont à considérer avec la plus grande prudence. On peut à la
limite y trouver un intérêt historique, avec la préfiguration de démarches quantitatives et
qualitatives conduisant à l'établissement de types et à la construction de traits (cf. § c,
p. 391). Mais les conclusions de ces travaux sont critiquables sur au moins deux points ;
d'une part, les résultats ne rendent pas compte de tous les individus : les sujets atypiques
sont plus fréquents que les types purs ; d'autre part, tout repose sur le postulat selon lequel
la personnalité serait la conséquence de phénomènes biologiques, ce qui reste à prouver.
Sur un plan plus général et très problématique, les approches pseudo-scientifiques
sont parfois utilisées à des fins de recrutement. Une enquête de PAPEC mentionne
ainsi 97 % d'utilisation de la graphologie et 25 % de « techniques magiques » (Jouve et
Massoni, 1996). Il n'est sans doute pas inutile de rappeler que les candidats à un poste
de travail sont en droit de demander sur quels critères s'opère la sélection et d'être
informés sur leur validité...

Il - L'étude de la personnalité en psychologie

a. Définitions du concept

La personnalité, tout comme l'intelligence, reçoit de multiples définitions en psy-


chologie. Mais de la même manière que pour l'intelligence, il est possible de dégager
quelques lignes de consensus au-delà de la multiplicité des définitions. La personnalité
390 I Psychologie différentielle

est ainsi définie dans les dictionnaires de psychologie comme la « caractéristique relati-
vement stable et générale de la manière d'être d'une personne dans sa façon de réagir
aux situations dans lesquelles elle se trouve » (Reuchlin, in Bloch et al., 1991) ou
« l'unité stable et individualisée des conduites » (Huteau, 1985 ; Doron et Parot, 1991).
Elle est aussi « ce qui permet une prédiction de ce que va faire un individu dans une
situation donnée » (Cattell, 1955). Les définitions soulignent parfois l'importance de la
structure de la personnalité, définie « comme un ensemble organisé, et non seulement
aggloméré, des caractéristiques psychiques de chaque être humain, perçu comme une
totalité » (Morin et Bouchard, 1997, p. 3). Stabilité, prédiction et structure pourront
cependant s'inscrire dans des modèles théoriques multiples, voire contradictoires, en
fonction des paradigmes* de chaque sous-discipline de la psychologie.

b. Une pluralité d'approches et de modèles psychologiques

La multiplicité des questions soulevées par la personnalité est telle qu'à peu près
tous les champs de la psychologie s'y sont intéressés. S'il n'est pas possible d'en dresser
ici un panorama exhaustif', on peut mentionner deux grands courants qui peuvent être
spécifiés du point de vue de leurs propositions en termes de structures, de fonctions et
de démarches.
L'approche clinique semble incontournable puisque la personnalité fait mention de
l'individualité. Au niveau théorique, le cadre psychanalytique est largement adopté.
L'aspect structural de la personnalité repose sur l'existence de trois systèmes (ça, moi,
surmoi), et l'hypothèse selon laquelle un certain type de personnalité est lié à une fixa-
tion au cours du développement est formulée. Le point de vue fonctionnel se caracté-
rise par l'expression de forces et de conflits entre les systèmes, les mécanismes de
défense permettant de réduire ces tensions. L'évaluation de la personnalité, souvent
opérée par entretien, peut être doublée de l'utilisation d'épreuves standardisées. Les
épreuves projectives font ainsi partie des outils mis à la disposition des psychologues cli-
niciens : figure parmi elles le très célèbre test de Rorschach, où le sujet indique ce qu'il
perçoit d'une tache d'encre. Les productions des sujets sont quantifiées en fonction de
réponses qui peuvent rendre compte d'une impression globale de la tache, ou au
contraire des réponses centrées sur des détails. Ces données, auxquelles s'ajoutent les
investigations menées au cours de la passation, sont interprétées en termes de mécanis-
mes de défense. Les praticiens peuvent aussi s'appuyer sur des questionnaires, tels que
le MMPI (Minnesota Multiphasic Personality Inventory) : cette échelle vise à identifier
d'éventuels problèmes de personnalité, dont l'interprétation peut être fondée sur les
modèles dynamiques issus de la psychanalyse (Bisson, 1997).
Dans une tout autre perspective, les conceptions issues du behaviorisme* ont
tenté de dégager des lois générales de la construction de la personnalité. Dans la
théorie de l'apprentissage social proposée par Banclura, les différences de personnalité
découlent des variations dans les expériences de l'individu. Le comportement des gens
est constant dans la mesure où les situations qu'ils rencontrent et les rôles qu'on leur

1. Cf. les lectures conseillées pour des exposés plus développés sur cette question.
L'approche différentielle de la personnalité I 391

assigne restent relativement stables. Le système de relations stimulus-réponse corres-


pond ici à l'aspect structural. Ce système se construit par apprentissage, grâce à
l'observation, ou avec renforcement. Le comportement d'une personne dépend ainsi
des caractéristiques spécifiques de la situation, lesquelles entrent en interaction avec
l'évaluation que l'individu fait de la situation et de ses expériences de renforcement
(aspect fonctionnel). Le développement de ces recherches a été adossé à l'approche
expérimentale.
Les exemples de travaux qui viennent d'être mentionnés sont complémentaires : ils
sont centrés soit sur l'individu singulier, soit sur un sujet épistémique* dont on cherche
à dégager les lois générales de construction de la personnalité. L'approche différentielle
se situe à une position intermédiaire entre ces deux approches.

c. La prise en compte des différences individuelles

La personnalité vise à décrire et expliquer des différences de conduites. Dans une


approche généraliste, celles-ci sont étudiées en faisant varier les situations : à titre
d'exemple, des phénomènes de leadership peuvent être analysés en fonction des contex-
tes (attitudes dans des réunions de travail, de loisirs, familiales, etc.). Mais ces phénomè-
nes peuvent tout aussi bien être envisagés du point de vue des caractéristiques des indi-
vidus qui composent les groupes : dans l'exemple, une approche différentielle consistera
à dresser une liste organisée de qualificatifs susceptibles d'expliquer les différences com-
portementales (ascendance, inhibition sociale...). Une façon de procéder consistera à
compléter le plus possible cette liste, par référence à l'image que l'on se fait du « leader
typique » (bavard, dirigiste, se met en avant...). On construit ainsi un type, appelé type
modal (ou empirique), correspondant à une description qualitative censée représenter la
moyenne d'un groupe de personnes assez peu différentes les unes des autres. Le classe-
ment des individus est parfois réalisé sur la base de types idéaux, correspondant à des
groupes situés aux extrêmes de dimensions (par exemple, les personnes situées sur les
pôles « très forte vs très faible » inhibition sociale).
Les différences individuelles de personnalité peuvent aussi être décrites en termes
de traits, variables latentes* supposées expliquer le fait qu'une même réaction, une
même attitude soit observée face à des situations identiques ou voisines. Pour y parve-
nir, et de la même manière que ce qui a été vu dans le domaine cognitif; on part d'un
ensemble de comportements élémentaires dont les corrélations permettront de faire
émerger un trait : ainsi, le fait d'être réservé, d'éviter les groupes, de préférer les
ambiances calmes, pourraient être corrélés et correspondre au trait inhibition sociale.
La construction de traits est donc une démarche quantitative ; elle permet de dresser le
profil de personnalité de chaque individu. Cette approche est dite nomothétique*, par
opposition à l'approche idiographique*, où l'on cherche à comprendre l'individu par
une étude détaillée de la personne, comme le fait la psychologie clinique. La construc-
tion des traits constitue l'un des grands objectifs de la psychologie différentielle. Nous
verrons que les questions portent sur leur nombre et leur contenu, qui varient d'un
auteur à l'autre.
La question du nombre de traits conduit à la délimitation du domaine étudié. On
opère généralement une distinction entre trois sphères touchant aux différences indivi-
392 I Psychologie différentielle

duelles : cognitive (référant au traitement des informations et décrite en termes


d'aptitudes et intelligence), affective (comportant les différentes manières d'être de la
personne, ce qu'elle ressent) et motivationnelle (correspondant au déclenchement, au
maintien et à l'arrêt de l'activité). S'il est vrai que la personnalité couvre potentielle-
ment ces différents champs, elle est le plus souvent centrée sur des phénomènes conatifs
(relevant de l'affectivité et de la motivation), mais plus rarement cognitifs. Cette délimi-
tation du domaine est avérée dans la répartition des tests proposée par les éditeurs.

III - L'évaluation de la personnalité

a. Les test édités

Les éditeurs de tests proposent diverses techniques d'investigation de la personna-


lité, qui permettent de compléter les données issues d'entretiens. À côté des épreuves
projectives mentionnées plus haut, il existe bon nombre de questionnaires et inventaires
de personnalité. Ceux-ci sont en général construits sur le même principe : un ensemble
d'items est proposé au sujet, qui indique s'ils correspondent ou non à la description
qu'il ferait de lui-même. Les réponses aux questions sont ensuite résumées en addition-
nant celles qui mesurent un même trait.
Les questionnaires basés sur cette méthode peuvent toutefois être dérivés de modè-
les différents : outre le MMPI cité plus haut, qui permet de diagnostiquer des patholo-
gies, nous verrons le MBTI (Cauvin et Cailloux, 1994) qui vise à déterminer le type
auquel un sujet peut être affecté, et le NEO-PI (Costa et McCrae, 1998) qui permet de
dresser un profil à partir de la position sur les traits de personnalité.
Les questionnaires posent un certain nombre de problèmes. Du fait qu'ils consis-
tent à demander au sujet de s'auto-évaluer, des biais sont susceptibles de s'introduire.
Les principaux concernent la sincérité de la réponse, les sujets pouvant chercher à se
présenter sous un jour plus favorable, notamment lorsqu'il y a des enjeux (par exemple
en situation de recrutement). Ce phénomène dit de désirabilité sociale* peut être sur-
monté, en insérant par exemple des échelles de mensonge. Mais le problème persiste
dans la mesure où la déformation peut être faite sciemment (hétéro-duperie), ou en
toute bonne foi, le sujet ayant du mal à s'auto-évaluer (autoduperie).
Pour surmonter ces problèmes, certaines épreuves ont été construites pour procé-
der à une évaluation objective de la personnalité. C'est le cas par exemple des tests de
dépendance-indépendance à l'égard du champ visuel. La mesure de cette dimension est
faite en demandant aux sujets d'identifier une forme géométrique simple dans une
configuration complexe. Les sujets les plus performants, appelés indépendants à l'égard
du champ visuel, sont réputés également indépendants des contextes interpersonnels :
ils sont moins influençables. On a donc ici la possibilité d'évaluer la personnalité par un
score de performance à une épreuve qui, à dire vrai, n'a pas été initialement conçue
pour cela.
L'approche différentielle de la personnalité I 393

b. Les paradigmes de recherche

Questionnaires et épreuves objectives sont aussi utilisés dans les recherches sur la
personnalité, ce qui n'est pas surprenant puisqu'ils en sont issus. Leur validation peut
reposer sur diverses méthodes de recueil, qui ont été formalisées par Cattell.
Une grande distinction porte sur le type de données recueillies. Le type L (Life
data) correspond à des hétéro-descriptions : une personne est décrite par un membre de
sa famille, un enseignant, un psychologue.... Le type Q (Questionnaire) réfère à des
autodescriptions : le sujet remplit un questionnaire, dans lequel il lui est demandé de
dire si une phrase lui correspond ou non ( « vous êtes généralement ponctuel » ), ou
répond à un inventaire dans lequel il choisit les adjectifs qui le décrivent mieux. Les
données de type T (Test), enfin, proviennent de mesures objectives, sur des tâches per-
ceptives (les variables pouvant être des temps de réaction) et physiologiques (en enregis-
trant par exemple les variations du rythme cardiaque lors de situations expérimentales).
Une autre distinction a trait aux modes de passation. La situation classique consiste à
faire passer plusieurs épreuves par un échantillon de sujets ; mais il est possible aussi
d'utiliser des mesures répétées (où un sujet donné répond à plusieurs reprises à un ques-
tionnaire), ou encore de proposer la passation de plusieurs épreuves à plusieurs reprises
à un même échantillon de sujets.
La diversité de ces méthodes est à l'image de la complexité des recherches portant
sur la personnalité. Leur utilisation dépend du courant dans lequel elles s'inscrivent : les
recherches lexicales sont adossées à l'utilisation de questionnaires et inventaires, tandis
que la recherche de processus s'appuiera davantage sur des méthodes expérimentales.
La liste présentée ci-dessus n'est pas exhaustive, et il est probable que l'essor actuel des
neurosciences contribuera à l'enrichissement des techniques d'investigation de la
personnalité.

IV - Résumé

Les études psychologiques de la personnalité visent à décrire, expliquer et prédire


les manières d'être et de réagir des individus. Elles s'appuient sur des modèles et
méthodes qui les distinguent des conceptions naïves .de la personnalité. Toutes les sous-
disciplines de la psychologie contribuent au développement de ce concept ; en psycho-
logie différentielle, l'objectif principal est de construire des modèles généraux (car sus-
ceptibles d'être applicables à tout individu) qui puissent rendre compte de l'individualité
(le profil de chaque personne pouvant être dressé à partir de la position qu'elle occupe
sur les dimensions). L'étude des différences individuelles peut porter sur la mise en évi-
dence de types, de traits, ou de processus, au moyen de méthodes corrélationnelles ou
expérimentales. Ces trois approches sont présentes dans les oeuvres scientifiques de
Hans Eysenck et de Raymond Cattell, dont les modèles ont dominé la seconde moitié
du )0(e siècle. La plupart des recherches actuelles se situent dans le prolongement de
l'un ou l'autre de ces deux auteurs. Certaines sont centrées sur la recherche de proces-
sus et l'explication biologique de la personnalité, suivant la conception de Eysenck, tan-
394 I Psychologie différentielle

dis que d'autres cherchent à produire l'organisation de traits de personnalité qui semble
la plus pertinente, à partir d'études lexicales, suivant ainsi la voie tracée par Cattell.
Ces travaux vont être développés dans la suite de ce chapitre.

B - H. J. EYSENCK : LA PERSONNALITÉ DÉCRITE


EN TERMES DE TYPES, DE TRAITS ET DE PROCESSUS

I - Cadre général des travaux de H. J. Eysenck (1916-1997)

Trois étapes jalonnent la carrière scientifique de Hans Eysenck. Psychologue dans


un hôpital psychiatrique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Eysenck a
commencé par synthétiser les observations consignées dans les dossiers de ses patients et
modéliser la personnalité en termes de types et de traits. Ces éléments de description
étant faits, le second objectif de Eysenck a alors été de démontrer expérimentalement
les caractéristiques associées à ces différences individuelles. Son but ultime a été ensuite
de trouver les supports neurophysiologiques de la personnalité. Ces différentes appro-
ches sont illustrées figure 10.1.
Dans cette partie, la présentation des travaux de Eysenck va ainsi permettre
d'illustrer les trois manières complémentaires d'aborder la question des différences indi-
viduelles dans le domaine de la personnalité. La typologie qu'il propose est inspirée de
celle de Jung, qui sera brièvement exposée. Le modèle physiologique de Eysenck a sus-
cité de nombreux travaux de recherche, conduisant à des modèles concurrents tel que
celui de Gray, qui fera l'objet d'une rapide présentation.

NIVEAU 1. Déterminants génétiques


de la personnalité : ADN
Antécédents

NIVEAU 2. Intermédiaires biologiques :


réticulée, système limbique

el
NIVEAU 3. Traits de personnalité :
Personnalité
extraversion, névrosisme, psychotisme

NIVEAU 4. Études expérimentales :


vigilance, perception, mémoire...

NIVEAU 5. Comportements sociaux :


délinquance, psychopathologies, créativité

Fig. 10.1. — Représentations schématiques des 5 niveaux d'étude


de la personnalité (d'après Eysenck, 1997)
L'approche différentielle de la personnalité I 395

Il - Approche typologique

Eysenck avait à sa disposition les dossiers de 700 soldats hospitalisés, à partir des-
quels il a extrait 39 items tels que la dépendance, l'anxiété, l'intelligence, l'alcoolisme...
Frappé par la constante récurrence des modèles de description de la personnalité, sou-
vent basée sur 2 grands types de sujets, Eysenck traite ces 39 items par analyse facto-
rielle pour identifier la ou les dimensions qui polarisent la personnalité. Les résultats
aboutissent à l'extraction de 4 facteurs dont 2 seuls ont été retenus.
Un premier ensemble de termes reflète un manque général d'intégration de la per-
sonnalité, d'adaptabilité et d'effort général. Ces termes sont associés à l'anormalité
avant la maladie, l'anormalité des parents, ou encore le peu d'énergie. Eysenck propose
le terme Névrosisme (IV) pour désigner une hyperréaction émotionnelle générale et la pré-
disposition à la dépression nerveuse sous l'effet d'un stress. Les items de Névrosisme
concernent donc la stabilité-instabilité émotionnelle ; ceux qui ont une note élevée tolè-
rent mal les agressions (douleur par exemple), et leur conduite se désorganise dans les
situations de conflit ou de frustration. Le second ensemble de termes oppose des symp-
tômes tels que les hystéries de conversions et les anomalies sexuelles à l'apathie et la
dépression. Cet ensemble, dénommé Extraversion (E) vs Introversion), désigne les tendan-
ces à l'extériorisation, la non-inhibition, les tendances impulsives et sociales d'un sujet.
Névrosisme et Extraversion sont issues de données quantitatives ; mais étant poussées à
une condensation maximale, Eysenck préférera le terme de type à celui de trait. C'est
ainsi que l'extraverti typique est décrit comme étant sociable, aimant les réunions,
ayant beaucoup d'amis, n'aimant pas lire ou travailler seul, hardi, impulsif, aimant le
changement, optimiste, préférant agir à réfléchir.
Dans la représentation du modèle de Eysenck (fig. 10.2) les deux dimensions N
et E sont indépendantes : le fait qu'un individu soit extraverti ne préjuge donc pas du
fait qu'il soit stable ou instable. La combinaison des deux grandes dimensions permet
alors de caractériser la personne par l'un des adjectifs mentionnés à la périphérie (par
exemple, un sujet très instable et plutôt introverti sera anxieux). Dans cette représenta-
tion, Eysenck mentionne également, dans la zone centrale, quatre types empruntés à
Galien. Ces termes constituent en quelque sorte un résumé de l'ensemble des adjectifs
proposés à la périphérie : le mélancolique correspond ainsi au type regroupant le fait
d'être maussade, anxieux, rigide... insociable, tranquille. En résumé, cette figure rend
compte, à plusieurs niveaux, de l'aspect typologique du modèle de Eysenck.

ENCADRÉ 10.1

Une autre typologie : le modèle


de Carl G. Jung et le test man

Eysenck propose le concept d'Extraversion en faisant référence au modèle de Jung, qui dis-
tingue des types généraux d'attitude et d'orientation de l'énergie : l'Introversion (I) correspond
ainsi à une énergie tournée vers l'intérieur ; l'Extraversion (E) à une énergie tournée vers
l'extérieur (lien avec autrui, communication, expression ► .
396 I Psychologie différentielle

Jung propose par ailleurs quatre types fonctionnels : sensation, intuition, pensée, senti-
ments. Les deux premiers opposent deux manières de percevoir l'environnement. Pour cer-
tains sujets, la perception est analytique : appelée sensation (S), elle caractérise les individus
qui ont un intérêt pour les faits, le présent ; ils sont réalistes, concrets, pratiques, convention-
nels. À l'opposé, d'autres sujets auront un type de perception globale, appelée intuition (N):
ces sujets cherchent à saisir les significations, les relations, ils ont un attrait pour la nouveauté,
l'originalité, et laissent libre cours à leur imagination. Les deux autres types fonctionnels décri-
vent la manière de juger et de prendre des décisions. Celle-ci peut s'appuyer sur la pensée (T),
correspondant aux raisonnements logiques, l'analyse, la détermination, la prévision. Dans le
cas contraire, le jugement peut s'appuyer sur les sentiments (F): la décision sera alors guidée
par les émotions, les valeurs, la subjectivité. Les sujets ayant ce type de fonction dominante
ont un intérêt pour les personnes.
Le MBTI (Myers Briggs Types Inventory) est un questionnaire dérivé du modèle de Jung
pour évaluer les types généraux et fonctionnels. Il permet de classer l'individu dans l'une des
16 catégories issues du croisement de l'attitude dominante (E ou I) avec les types fonctionnels
(S ou N, et T ou F) et la prise en compte de la fonction dominante (perception vs jugement).
Chaque type est alors décrit au moyen d'un portrait qualitatif : à titre d'exemple, les ISTJ (Intro-
verti, percevant par la Sensation, jugeant par la Pensée, et privilégiant le Jugement à la Per-
ception) seront qualifiés d'observateurs extrêmement attentifs, calmes, méthodiques, réser-
vés, ayant le sens des responsabilités... (cf. Cauvin et Cailloux, 1994, pour une description des
types).

Anxiété

I mpulsivité

Fig. 10.2. — Les types de Galien et les dimensions des modèles de Eysenck
(d'après H. J. Eysenck et S. B. G. Eysenck, 1971).
Ont été ajoutées l'ANxiÉTÉ et l'IMPULSIVITÉ, issues du modèle de Gray (cf. III)
L'approche différentielle de la personnalité I 397

Que ce soient celles de Eysenck ou de Jung, ces typologies ne sont pas sans poser
problème. Tout d'abord, la répartition des personnes dans des catégories peut assez vite
devenir caricaturale, des différences interindividuelles intratype existant. D'autre part,
des nuances doivent être faites quant à la définition même des types, l'Extraversion-
Introversion n'ayant pas le même sens ici que dans le modèle de Eysenck : cela sera
également retrouvé dans d'autres modèles de description de la personnalité, présentés
plus bas, où il se trouve qu'un même terme peut correspondre à des définitions
différentes.

III - Approche physiologique

Eysenck a été très influencé par les conceptions anciennes de la personnalité.


Outre la typologie de Jung que l'on vient de voir, il s'est aussi intéressé aux travaux
d'Hippocrate ou Galien. Pour ce dernier, la répartition des individus en quatre types
était associée à la prédominance d'une humeur particulière (par exemple, le « colé-
rique » se caractérisait par un « excès de bile jaune »). Cette conception rejoint la
notion de tempérament, que Eysenck va chercher à expliquer par des modèles plus
actuels, issus de la physiologie (niveau 2 de la figure 10.1). Il prolonge l'hypothèse de
Pavlov selon laquelle les réactions d'un individu à son environnement sont tributaires
des systèmes nerveux central et autonome.
Selon Eysenck, l'Extraversion-Introversion est liée aux caractéristiques de la
« boucle cortico-réticulaire ». La réticulée est un centre de vigilance : elle reçoit tout

CV = Cerveau viscéral
VAA = Voies afférentes ascendantes
SRAA = Système réticulaire activateur ascendant

FIG. 10.3. — Les boucles cortico-réticulaires et réticulo-limbique


du modèle de Eysenck (d'après Zuckerman, 2003)
398 I Psychologie différentielle

un ensemble d'informations provenant des organes sensoriels (vue, ouie...) et de


l'organisme (par exemple le rythme cardiaque). Ces informations sont ensuite trans-
mises au cortex, et cette activation corticale provoque en retour une inhibition par-
tant du cortex vers la réticulée. Eysenck formule l'hypothèse selon laquelle les sujets
Extravertis ont des potentiels d'excitation corticale plus faibles et plus lents (ainsi que
des potentiels d'inhibition plus forts et plus rapides) que les Introvertis. Ces derniers
éviteraient donc les situations susceptibles de provoquer une trop forte activité corti-
cale : ils préfèrent les ambiances calmes, se retrouver seuls, ce qui correspond à la
description classique de l'Introverti typique (niveau 5 de la fig. 10.1). Ces hypothèses
ont été éprouvées par le biais de tâches de laboratoire (niveau 4 de la fig. 10.1) : les
sujets Extravertis ayant une excitation corticale plus faible et une inhibition plus
forte, il est attendu, de façon générale, qu'ils soient moins vigilants que les Introver-
tis. Ainsi, leurs performances sont moins bonnes sur des tâches monotones : dans des
épreuves de tapping (taper à rythme régulier sur une plaque à l'aide d'un stylet), ils
font plus de pauses involontaires. Dans des tâches de vigilance perceptive (où l'on
présente des chiffres au rythme d'un/seconde et où le sujet doit noter ces chiffres
par groupe de 3), leurs performances se dégradent plus vite que celles des Introver-
tis. Les difficultés à maintenir l'attention se manifestent aussi dans des problèmes
plus complexes : Eysenck (1994) donne ainsi les résultats d'une expérience où les
participants ont à compléter 60 suites logiques de chiffres (épreuve de raisonne-
ment) : sur les 45 premiers items les performances sont identiques pour les sujets
Introvertis et Extravertis, puis ces derniers ont une vitesse de résolution beaucoup
plus lente et abandonnent plus fréquemment la résolution sur les 15 derniers items.
Ces résultats pourraient faire penser que l'Extraversion est préjudiciable au fonction-
nement cognitif : cette remarque évoque les relations entre personnalité et intelli-
gence qui seront développées à la fm de ce chapitre. À la vérité, il faut être plus
nuancé, car certaines situations sont favorables aux sujets Extravertis : ainsi, le chro-
nométrage des épreuves, qui exerce une pression sur la vigilance, leur permet
d'améliorer leurs performances.
Eysenck propose par ailleurs de modéliser le Névrosisme par une boucle joignant
la formation réticulaire au système limbique, centre du contrôle des émotions. Le
Névrosisme reflète donc l'excitabilité de ce système, qui pourrait agir indirectement
sur la vigilance. Les tâches expérimentales permettent en effet de montrer que les
sujets émotionnellement instables sont distraits par des interférences entre les informa-
tions internes (pensées préoccupantes) et les informations externes (traitement des sti-
muli), et qu'ils sont également sensibles aux stimuli négatifs. Ce modèle est moins
développé que pour l'Extraversion ; il fait actuellement l'objet de prolongements
qui accordent plus d'importance à la recherche de processus cognitifs que biologiques
(§ d, p. 412).
Le modèle psychophysiologique de Eysenck rencontre encore un assez vif succès,
car il permet de passer des descriptions typologiques à leur explicitation donnée en ter-
mes de mécanismes sous-jacents, et aussi d'aborder les relations entre personnalité et
fonctionnements cognitifs. Certaines différences de performances entre sujets Extraver-
tis et Introvertis pourraient de plus être liées à des différences de stratégies, les sujets
Introvertis traitant beaucoup les informations (propension à inspecter), tandis que les
L'approche différentielle de la personnalité I 399

sujets Extravertis auraient des traitements plus superficiels (propension à répondre). Ces
différences reviennent donc à passer ostensiblement de l'Extraversion vers l'Impulsivité,
ce que proposent d'autres auteurs tels que Gray (cf. encadré 10.2).

ENCADRÉ 10.2

Un autre modèle physiologique : le modèle de Gray

Gray propose de substituer au couple Extraversion/Névrosisme le couple Impulsivité/Anxiété.


Il y parvient en opérant une rotation des axes de la solution factorielle retenue par Eysenck
(fig. 10.2). Sa description de la personnalité repose donc sur le même nombre très restreint de
traits, mais en changeant le contenu.
Comme Eysenck, Gray étaye son modèle sur des composantes du système nerveux cen-
tral. L'Impulsivité est ainsi portée par un système d'approche ( Behavioral Approach System,
BAS). Au niveau comportemental, les sujets Impulsifs sont sensibles aux récompenses et sont
généralement d'humeur positive. Prompts à répondre, ils commettent plus de fausses alarmes
dans des tâches de détection du signal* (réponse oui alors qu'il faut répondre non). Le second
système relatif à l'Anxiété est inhibiteur ( Behavioral Inhibition System, sis). Les sujets anxieux
diffèrent leurs réponses par crainte des échecs. Les dimensions Impulsivité et Anxiété étant
orthogonales, il est concevable que les deux systèmes BAS et Eus soient simultanément activés :
en d'autres termes, que dans certaines situations les sujets soient partagés entre la recherche
de gains et la crainte de perdre.
Ce modèle donne actuellement lieu à d'importants développements théoriques et
méthodologiques, associés à la construction d'outils d'évaluation visant à mesurer les deux
systèmes. L'échelle de Carver et White (1994) comporte ainsi une vingtaine d'items. Sept
d'entre eux sont saturés dans le facteur BIS (exemple d'item : « J'ai toujours peur de com-
mettre des erreurs »). Les autres items sont saturés sur le facteur BAS qui est décliné en trois
sous-dimensions : l'aptitude à la gratification ( « je suis très excité quand je gagne une compé-
tition » ) ; le dynamisme ( « je fais tout ce qu'il faut pour obtenir ce que je veux ») et la
recherche de sensations ( « je fais souvent des choses sans autre raison que l'amusement » I.

Les modèles psychophysiologiques permettent donc, dans une certaine mesure,


d'expliquer l'origine des différences de conduite, et en ce sens leur intérêt est indé-
niable puisqu'ils dépassent le niveau descriptif. Des limites sont toutefois à souligner.
D'une part, leur validation empirique reste à faire, en vue de juger par exemple de la
meilleure proposition entre le modèle de Eysenck et celui de Gray. Ces modèles psy-
chophysiologiques sont probablement trop simplifiés, basés sur des théories trop géné-
rales ; de plus, ils s'appuient sur des mesures peu diversifiées (des électroencéphalo-
grammes, par exemple, constitueraient des mesures plus directes de ces théories). Il se
trouve d'autre part que l'Extraversion a reçu plus d'attention que le Névrosisme, alors
que l'on pourrait s'attendre à ce que cette dimension, proche de l'anxiété, soit au
centre des recherches. Enfin, il reste à poser la question de l'utilité de ce type de
modèle pour le psychologue praticien : si les conduites sont « prédéterminées » par le
système nerveux central, quelle prise en charge le psychologue peut-il envisager pour
aider les personnes mises en difficulté par telle ou telle caractéristique de la personna-
lité ? Outre les modèles « explicatifs » qui ont été posés dans le cadre des approches
cliniques, on verra que des modèles cognitifs sont également proposés, dont celui de
Mickael W. Eysenck.
400 I Psychologie différentielle

I V - Approche structuraliste : des types aux 1:raits

Eysenck étant parti de l'étude de dossiers de patients séjournant en hôpital psy-


chiatrique, ses résultats auraient été difficilement généralisables s'ils n'avaient été suivis
d'autres, issus de l'application de questionnaires à des populations tout venant (Mauds-
ley Medical Questionnaire, 1950 ; Maudsley Personality Inventory, 1959 ; Eysenck Per-
sonality Inventory, 1964). Ces épreuves comportent deux groupes de questions, susci-
tant chacune des réponses cohérentes, correspondant à l'Extraversion-Introversion,
d'une part, et au Névrosisme d'autre part. Ces « types » selon la dénomination de
Eysenck se situent au sommet d'une structure hiérarchique qui comporte 4 niveaux
(fig. 10.4). À la base se trouvent des réactions spécifiques (répondre positivement à une
invitation, engager la conversation avec une personne non connue, aller à la fète de la
musique...). Au second niveau se trouvent les réactions habituelles, correspondant à la
généralisation de certaines réactions spécifiques (répondre généralement oui à une invi-
tation, engager assez souvent la conversation, aimer aller à des manifestations culturel-
les ou sportives...). Le troisième niveau est celui des traits issus des inter-corrélations
significatives entre les réactions habituelles : le trait sociabilité correspond ainsi au fait

recherche de sensations

vivant

actif

répond généralement
EXTRAVERSION

affirmé oui aux invitations

sociable engage souvent la


conversation

insouciant
aime les manifestations
débordant d'énergie culturelles

dominant

entreprenant

(4) Type (3) Traits (2) Réactions habituelles (1) Réactions ponctuelles

FIG. 10.4. — Les 4 niveaux de description de l'Extraversion


(d'après H. J. Eysenck et S. B. G. Eysenck, 1971)
L'approche différentielle de la personnalité I 401

d'aimer sortir, de faire connaissance avec d'autres personnes, etc. Le dernier niveau
correspond donc aux types E et N dégagés des inter-corrélations entre traits : sociabi-
lité, rigidité, vivacité, énergie pour l'Extraversion ; anxiété, agitation, susceptibilité, pour
le Névrosisme.
Le modèle est resté en l'état pendant une trentaine d'années, à l'issue desquelles
il s'est enrichi du Psychotisme (présent dans le Eysenck Personality Questionnaire). Le
Psychotisme correspond à des sujets froids, impersonnels, hostiles, non émotifs, peu
enclins à aider autrui. Venant un peu après coup, ce type n'a pas eu le même déve-
loppement théorique que les deux autres. Cette évolution du modèle de Eysenck pose
donc la question du nombre de dimensions nécessaires et suffisantes pour donner une
représentation satisfaisante de la personnalité. La défense de ce modèle très synthé-
tique, inscrit dans le courant britannique, l'a fait opposer à Raymond B. Cattel,
auteur américain qui a modélisé la personnalité sur la base d'un nombre considérable
de travaux. Le modèle de Eysenck (en 3 traits) et celui de Cattell (en 16 traits) se sont
maintenus dans un contexte évoluant vers une structure intermédiaire en cinq fac-
teurs, sur lequel un consensus s'opère à l'heure actuelle. C'est ce qui va être présenté
dans la prochaine partie.

C - CATTELL, LES APPROCHES LEXICALES


ET LE MODÈLE EN CINQ FACTEURS

I - Les travaux de Cattell (1905-1998)

a. Cadre général des travaux de Cattell

Cattell est principalement connu pour ses approches factorielles, tant d'ailleurs
dans les domaines cognitifs que non cognitifs. Concernant la personnalité, ce succès est
lié à la construction d'un questionnaire visant à dresser des profils de personnalité en
16 facteurs. Ce modèle, plus complexe que celui de Eysenck, est issu d'analyses lexica-
les qui consistent à partir du langage courant pour en extraire les termes susceptibles de
décrire la personnalité.
Comme cela a été mentionné plus haut, on trouve également dans la très abon-
dante production scientifique de Cattell les tentatives d'une évaluation plus objective de
la personnalité. Il a ainsi procédé au recueil de « données de type T » (Tests, épreuves
objectives de personnalité) : ce sont principalement des tâches perceptives et des mesu-
res physiologiques, telles que les variations du rythme cardiaque ou la sudation pal-
maire. On retrouve donc la diversité des approches mises en oeuvre par Eysenck, mais
dans une perspective différente : pour Cattell, il s'agit davantage de conforter un
modèle de traits de personnalité, par le biais de méthodes complémentaires, que d'en
fournir une explication grâce aux expérimentations.
402 I Psychologie différentielle

Ainsi, le but ultime de Cattell était plutôt d'éprouver les modèles psychanalyti-
ques par des données quantitatives. Plusieurs éléments attestent de cet intérêt. D'une
part, bon nombre de traits de personnalité empruntent leur dénomination aux
concepts dynamiques : force du moi, force du surmoi et autres néologismes faisant
plus ou moins référence aux topiques freudiennes. D'autre part, les données de type T
permettent de dégager des ergs, définis comme des « dispositions psychophysiques qui
permettent à son possesseur d'acquérir la réactivité (attention, reconnaissance) à cer-
taines classes d'objets plus rapidement qu'à d'autres, d'éprouver une émotion spéci-
fique à leur propos ». Ces traits dynamiques sont la sexualité, l'instinct grégaire, le
besoin de protéger, le besoin d'exploration, le besoin de sécurité, le besoin de
s'affirmer, etc. Une autre sorte de trait dynamique est proposée : les sentiments définis
d'après les objets désirés (sentiments envers la religion, les idées, les parents, etc.),
acquis à partir des ergs et marqués par l'environnement socioculturel. On peut retrou-
ver ici aussi des sources psychanalytiques, les sentiments définis par Cattell ayant une
forte ressemblance avec l'un des types fonctionnels proposés par Jung. Ergs et senti-
ments illustrent ainsi l'objectif de Cattell de s'acheminer vers une « psychanalyse
quantitative ».

6. L'approche lexicale et le 16 PF

L'hypothèse lexicale, selon laquelle toutes les différences humaines notables


dans les traits de personnalité se trouvent encodées dans le langage par des mots iso-
lés, a été énoncée par Galton dès 1884. « Les différences individuelles qui ont la plus
forte portée dans les transactions quotidiennes des personnes entre elles finissent par
être codées dans leur langage sous la forme de mots. Plus une différence de ce type
est importante, plus les personnes la remarqueront et souhaiteront en parler et, en
conséquence, inventeront éventuellement un mot pour l'exprimer » (Rolland, 2004,
p. 44).
Allport et Odbert ont été les premiers à établir le catalogue des termes du dic-
tionnaire anglais pouvant se rapporter à la personnalité. Ils ont ainsi dégagé
18 000 mots parmi lesquels 4 500 réfèrent à des aspects stables de la conduite. Par-
tant de leurs résultats, Cattell a poursuivi ces synthèses pour parvenir à la constitution
de 171 groupes de synonymes, appelés variables descriptives. Par différentes méthodes
associant des calculs de corrélations et des jugements plus subjectifs de similarité, il
établit ensuite 35 regroupements, correspondant à des traits de surface : on y
trouve par exemple « assurance - humilité », « dur, cynique - gentil », « sociable, cha-
leureux - solitaire, timide » (ces traits sont au même niveau de généralité que les
conduites habituelles du modèle de Eysenck). Procédant enfin par analyses factorielles
réalisées sur des données de type L (description d'une personne par des tiers), il en
dégage 12 dimensions appelées des traits de source (ils correspondent aux traits du
modèle de Eysenck). Ces dimensions ont été retrouvées lors d'analyses de réponses
fournies par questionnaires d'auto-évaluation, cette technique conduisant par ailleurs à
extraire 4 nouveaux facteurs (notés Q1 à Q4). Ce sont donc 16 traits de source que
l'on peut évaluer par le questionnaire qui en a tiré son nom, le 16 PF (16 Personality
Factors ; tableau 1).
TABLEAU 1. - Les traits primaires et les facteurs secondaires du modèle 16 PF de Cattell

Facteurs primaires Signification des notes basses Signification des notes élevées

A Cordialité-chaleur Réservé, impersonnel, distant, Chaleureux, communicatif, attentif


détaché aux autres, ouvert
B Raisonnement Concret Abstrait
C Stabilité émotionnelle Réactif, émotionnellement Émotionnellement stable, capable
changeant de s'adapter, mature
E Dominance Respectueux, coopérant, Dominant, énergique, compétitif,
évite les conflits se montre affirmatif, autoritaire
F Vivacité Sérieux, retenu, posé Vif, enjoué, naturel, spontané
G Conscience et respect Prend des libertés avec les Respecte les conventions,
des conventions conventions, non conformiste conformiste, scrupuleux
H Assurance en société Timide, timoré, hésitant, mal Assuré en société, audacieux,
à l'aise en société téméraire
I Sensibilité Esprit utilitaire, objectif, peu Sensible, sentimental, sens esthétique
enclin au sentimentalisme
L Vigilance Confiant, non soupçonneux, Vigilant, suspicieux, sceptique,
crédule méfiant
M Imagination-distraction Pratique, terre à terre, orienté Imaginatif, distrait, orienté vers
vers la réalisation la conception
N Intériorisation Extériorisé, sincère, direct Intériorisé, discret, secret
O Inquiétude, appréhension Sûr de soi, serein, content de soi Inquiet, doutant de soi, soucieux,
anxieux
Q1 Ouverture au changement Attaché aux traditions, aux Ouvert aux changements, tolérant
méthodes éprouvées, devant la nouveauté, innovateur
conservateur
Q2 Autonomie à l'égard Orienté vers le groupe, besoin Autonome à l'égard du groupe,
du groupe d'être avec d'autres solitaire, individualiste
Q3 Perfectionnisme Tolérant le désordre, peu Perfectionniste, organisé, auto-
exigeant, souple discipliné
Q4 Tension Détendu, patient, paisible Tendu, impatient, nerveux

Facteurs secondaires Signification des notes basses Signification des notes élevées

Extraversion introverti, socialement inhibé extraverti, socialement participatif


— .3 A (chaleureux) + .3 F (enjoué) + .2 H (audacieux) — .3 N (direct) — .3 Q2 (orienté vers le groupe) + 4,4

Anxiété anxiété faible, imperturbable anxiété forte, émotif


— .4 C (réactif) + .3 L (suspicieux) + .4 O (inquiet) + .4 Q4 (nerveux) + 1,6

Durété-Intransigeance réceptif, ouverture d'esprit, intuitif dur, intransigeant, résolu, intolérant


— .2 A (réservé) — .5 L (confiant) — .3 M (pratique) — .5 Q1 (conservateur) + 13,8

Indépendance accommodant, agréable, désintéressé indépendant, persuasif; volontaire


.6 E (autoritaire) + .3 H (audacieux) + .2 L (suspicieux) + .3 QI (conservateur) — 2.2

Contrôle de soi impulsif; s'emporte facilement contrôlé, pondéré


— .2 F (sérieux) + .4 G (conformiste) — .3 M (pratique) + .4 Q3 (autodiscipliné) + 3,8
404 I Psychologie différentielle

c. Les 5 facteurs secondaires


On peut s'interroger sur la proposition d'un modèle en 16 facteurs lorsque 2 ou
3 dimensions seraient suffisantes selon Eysenck. Il apparaît d'ailleurs que certains traits
de ces deux modèles peuvent être rapprochés, tels que C (Cattell) et N (Eysenck), E (Cat-
tell) et E (Eysenck). Il est aussi à noter que différents traits de Cattell semblent couvrir des
notions proches, tels que C (émotif), O (anxieux), et Q4 (tendu). Le point positif du
modèle de Cattell serait donc de pouvoir dresser des profils comportant des nuances inté-
ressantes tant sur le plan théorique que pratique ; mais l'examen des corrélations entre
traits permet toutefois d'extraire des dimensions plus larges. Il est alors possible de trou-
ver l'équation de régression multiple de chacun de ces facteurs de second ordre (les coef-
ficients de ces équations permettent de déterminer le sens et le poids de chaque facteur
primaire* dans la prédiction de chaque facteur secondaire* ; tableau 1).
Les 16 facteurs reliés par 5 facteurs de second ordre constituent ainsi un modèle
hiérarchique, permettant de dépasser les oppositions de la même manière que ceci s'est
produit dans le domaine cognitif. Il est ainsi proposé, dans la cinquième version
du 16 PF, de dresser le profil de personnalité sur la base des 16 traits primaires et des
5 facteurs de second ordre : Extraversion, Anxiété, Dureté-Intransigeance, Indépen-
dance, Contrôle de soi.

Il - Le modèle des Big Five

a. L'émergence d'un consensus

Les modèles de Eysenck et de Cattell ont dominé de nombreuses années le champ


de la personnalité. Ils divergent sur le nombre de traits et la place de certains d'entre
eux dans la structure (l'anxiété et le névrosisme, par exemple, se trouvant à des niveaux
différents). Ils ont toutefois pour point commun de proposer des modèles hiérarchiques
rendant leurs propositions compatibles. Au fil des années, le modèle de Eysenck s'est
enrichi en passant de 2 à 3 traits, celui de Cauca a admis l'existence de dimensions en
nombre plus restreint, dans un contexte scientifique où le modèle en cinq facteurs (dit
Big Five ou Five Factors Model selon les auteurs) est devenu dominant.
S'imposant à la fin des années 1980, ce modèle était en fait proposé dès les
années 1930 par McDougall et Thurstone. Beaucoup d'années et de travaux de
recherche ont été nécessaires pour parvenir à un consensus. Les raisons du succès de ce
modèle proviennent, d'après Rolland (2004) : de sa validité critérielle (réussite scolaire
et professionnelle) ; de sa possibilité de diagnostiquer les troubles de la personnalité
du DSM IV* ; de sa validité interculturelle ; de la possibilité d'extraire les 5 facteurs des
principaux questionnaires de personnalité. Il semble en effet que l'on soit arrivé au
point où bon nombre de modèles de description de la personnalité peuvent être revus
après coup pour être intégrés dans les modèles en cinq facteurs (tableau 2).
Outre les qualités intégratives du modèle qui a permis de dépasser le chaos termi-
nologique dans ce domaine, il est à noter que le modèle en cinq facteurs semble dépas-
L'approche différentielle de la personnalité I 405

ser la critique faite aux approches lexicales, par la caractérisation des traits en termes
de systèmes de régulation, définis comme des fonctions motivationnelles et adaptatives
particulières. Par ailleurs, il semble aussi que l'on passe d'une interprétation bipolaire
des traits à une interprétation en termes de présence/absence de caractéristique. « Ces-
ser de penser par opposition et rompre ainsi avec l'habitude qui consiste à lier des ter-
mes tels que malheureux/heureux, amical/hostile, sociable/timide permet de nouvelles
découvertes dans le domaine de la personnalité » (J.-P. Rolland, manuel du NEO-PI de
Costa et McCrae, 1998, p. 15).

TABLEAU 2. — Relations entre différents modèles de personnalité


et les Big Five (d'après Gendre et al., 1996)

Auteur/ origine Ouverture Conscience Extraversion Agréabilité Névrosisme

Freud (Ev) Obsessionnel Narcissique Érotique (ça)


(surmoi) (moi)
Eysenck (As/Ems) Extraversion Psychotisme Névrosisme
Jung (Ey/Ems) Intuition Pensée Extraversion Sensation Sentiment
Hippocrate (Ev) Flegmatique Sanguin Colérique Mélancolique
C attell (As) Indépen- Contrôle Extraversion Dureté- Anxiété
dance de soi intransigeance
Holland Artistique Conventionnel Entrepre- Social Réaliste,
(Ev/Eus) neurial intellectuel
Maslow (Ev) Cognitif et Sécurité et Estime Appartenance Réalisation
esthétique physiologie de soi
Chakras Sensation Sécurité Pouvoir Détachement Puissance,
indiens (Ev) pleinitude
EV : « évaluation à vue » proposée par les auteurs ; AF : résultats d'analyses factorielles ; EMP : données
empiriques.

b. Définition des cinq grands traits

Quantité d'articles sont consacrés aux modèles en cinq facteurs, en vue d'en préci-
ser la structure. Le but est de définir chacun des traits grâce à la liste des caractéristi-
ques qui le composent, et d'expliciter en quoi chaque trait se distingue bien des autres.
L'objectif de ce modèle est, rappelons-le, de proposer une structure dont les éléments
couvrent le champ de la personnalité en évitant les redondances. Les définitions don-
nées ci-dessous se limitent à quelques caractéristiques essentielles, extraites du manuel
du NEO-PI et de l'ouvrage de J.-P. Rolland (2004), auquel il est conseillé de se reporter
pour plus de précisions.

1 / Névrosisme

Le Névrosisme, dont les extrêmes correspondent à l'instabilité vs stabilité, réfère à


un état chronique d'irritabilité et de prédisposition à la détresse psychique, indépen-
dante des conditions objectives. Il correspond à la tendance générale à éprouver des
406 I Psychologie différentielle

affects négatifs (peur, tristesse, gêne) et à se focaliser sur les aspects négatifs de la réalité.
Les sujets ayant un score élevé sur cette dimension ont aussi tendance à nourrir des
idées irrationnelles, à moins maîtriser les pulsions, à mal gérer le stress et éprouver un
sentiment d'insécurité. Pour autant cette dimension n'est pas forcément liée à des trou-
bles psychiatriques. Les sujets ayant des scores faibles sont calmes, d'humeur égale,
détendus. Ce trait serait associé à un système de régulation conduisant à des conduites
d'évitement : on retrouve ici la proposition de Gray avec le système d'inhibition (ms).

2 / Extraversion
Les sujets extravertis sont sociables, dynamiques et ressentent des émotions positi-
ves : sûrs d'eux, actifs, loquaces, gais, énergiques, optimistes... sont les qualificatifs habi-
tuellement utilisés pour les décrire. L'Extraversion se manifeste par la recherche de sti-
mulations : associée à un système de régulation des conduites d'approche (à rapprocher
du Behavioral Approach System de Gray), elle comporte donc une composante relative à
l'ascendance dans les relations sociales, et à l'impulsivité de façon plus générale.
L'Introversion est plus l'absence d'Extraversion que son opposé : les sujets introvertis ne
ressentent pas nécessairement des émotions négatives ; ils sont plutôt réservés
qu'inamicaux, constants et réguliers plutôt que paresseux et apathiques.

3 / Ouverture
La curiosité intellectuelle, l'imagination active, l'originalité, la sensibilité esthétique,
l'attention prêtée à ses propres sentiments ont souvent tenu une place importante dans
la description de la personnalité, mais leur intégration dans un seul domaine est un
apport essentiel des modèles en cinq facteurs. Ceux-ci comportent une dimension
Ouverture à l'expérience (cognitive et non cognitive), qui se manifeste par des intérêts
larges, une capacité à vivre (ou à rechercher) des expériences nouvelles et inhabituelles.
On peut cependant noter que se produisent des débats à propos de cette dimension
parfois appelée Intellect. McCrae et Costa (1997), auteurs d'un outil de référence dans
l'évaluation des Big Fice (le NEO PI), avancent au moins trois types d'arguments pour pri-
-

vilégier le terme Ouverture : 1 / elle écarte la confusion qu'il pourrait y avoir avec le
terme Intelligence ; 2 / elle rend compte d'une dimension plus large que l'Intellect car
intégrant des aspects motivationnels ; 3 / en même temps, elle est plus spécifique car
indépendante du facteur Consciencieux.
Les sujets Ouverts sont curieux de tout ce qui provient de leur univers interne et
externe et leur vie est riche en expériences. Le système de régulation des conduites a
trait à la recherche de nouveauté. Les notes basses à O reflètent la recherche de situa-
tions familières, le caractère conventionnel, le conservatisme ; pour autant les sujets
ayant des scores faibles en Ouverture ne sont pas forcément autoritaires ou dogmati-
ques, caractéristiques qui relèvent plutôt de l'Agréabilité.

4 / Agréabilité

Cette dimension est relative aux tendances interpersonnelles, le système de régula-


tion associé en donnant la tonalité. Les personnes ayant un score élevé sont foncière-
L'approche différentielle de la personnalité I 407

ment altruistes, dociles, et se soumettent à l'avis d'autrui. Ceux qui ont des scores fai-
bles sont hostiles, égocentriques, doutent des intentions d'autrui et entrent plus
facilement en compétition qu'en coopération. Tandis que l'Extraversion concerne
l'individu lui-même, les stimulations qui lui sont nécessaires, et les émotions positives
qu'il en retire, l'Agréabilité concerne la nature des relations avec autrui, la tonalité de
coopération vs de compétition. Cette dimension s'approche donc du Psychotisme du
point de vue des relations à autrui, d'autres traits du Psychotisme faisant plutôt réfé-
rence au caractère Consciencieux.

5 / Consciencieux

Cette dimension est composée d'éléments dynamiques et contrôlés de la conduite.


Elle comporte des composantes dynamiques (besoin de réussite et l'implication dans le
travail) et des aspects d'inhibition (caractère scrupuleux et méticuleux). Le caractère
Consciencieux est composé de traits tels que le caractère responsable, organisé, soi-
gneux, fiable, minutieux, persévérant et orienté vers la tâche. Le système de régulation
dirige les conduites orientées vers un but et l'acceptation des contraintes. Sur le versant
positif, ce trait participe à la réussite scolaire et professionnelle ; sur le plan négatif, il
peut amener à une exigence exagérée et pénible, un besoin compulsif d'ordre et de
propreté, un surmenage dans le travail. Dans le cadre général de l'étude de la person-
nalité comme signe de la maîtrise des pulsions, C correspond à un processus actif de
planification, d'organisation et de mise à exécution des tâches, alors que N renvoie à
l'incapacité à résister à ses pulsions et aux tentations.

Chaleur, G rég a rité, Assertivité


Anxiété
Activité, Recherche de Sensations
Colère
Émotions positives
Dépression
Timidité sociale
I mpulsivité
Rêveries
Vulnérabilité
Esthétique
Sentiments
N Actions
Idées
Valeurs
Compétence
Ordre Confiance
Sens du devoir Droiture
Recherche de Altruisme
réussite Compliance
Autodiscipline Modestie
Délibération Sensibilité

FIG. 10.5. Modèle des Big Five et des Small Thiry


(d'après Costa et McCrae, 1998)
408 I Psychologie différentielle

III - Les facettes de la personnalité

a. La question du nombre de facettes

Les définitions des cinq grands traits s'appuient sur la déclinaison d'un ensemble
de qualificatifs qui rappellent les structures hiérarchiques proposées par Eysenck et par
Cattell. Par voie de conséquence, les outils visant à évaluer la personnalité en cinq fac-
teurs proposent généralement un certain nombre de facettes. Il est ainsi possible de dis-
tinguer au moins deux aspects de l'Extraversion (sociabilité et impulsivité), ou du carac-
tère Consciencieux (sens du devoir, ambition). C'est à peu près ce que l'on trouve dans
le test Alter Ego (Vittorio, Barbaranelli et Borgogni, 1994) où deux facettes sont propo-
sées pour chacun des traits : dynamisme et dominance pour E (appelée énergie) ; coo-
pération et attitude amicale pour A (amabilité) ; méticulosité et persévérance pour C ;
contrôle de l'émotion et contrôle des impulsions pour N ; ouverture à la culture et
ouverture à l'expérience pour O.
Cette proposition est argumentée par le principe de parcimonie. Mais d'autres
questionnaires visent à davantage de précision. C'est le cas du NEO-PI (Costa et
McCrae, 1998), fortement utilisé au niveau international, où chaque trait comporte
6 facettes pour parvenir au modèle des Big Five and Small Thirty. L'intérêt de ces derniè-
res est de : spécifier le domaine couvert par chacun des 5 traits ; rendre compte des
dimensions les plus variées possible ; permettre une vérification interne des conclusions
(diagnostic) ; étudier le profil de variabilités intra-individuelles ; analyser plus finement
des personnes ou des groupes ; approfondir les aspects théoriques (Rolland, 2004).
Comme pour les traits, les facettes sont à considérer comme unipolaires : une note
basse sur un trait signifie que les caractéristiques d'un pôle sont absentes (par exemple,
une note basse en timidité sociale ne signifiera pas la prestance, mais l'absence de
gêne).

b. Les Small Thirty

1 / Facettes du Névrosisme

Il n'est pas surprenant de voir figurer l'anxiété parmi les facettes de N. Elle couvre
tout un ensemble de sentiments de crainte, à l'égard de diverses situations physiques ou
sociales ; ces dernières se retrouvent plus explicitement dans la facette timidité sociale. Ces
craintes sont associées à une vulnérabilité face aux situations stressantes, pouvant
conduire à la dépression, qui marque un sentiment d'impuissance. La réaction face au
stress peut également se manifester par une incapacité à maîtriser ses désirs (comporte-
ments alimentaires, tabac), dite impulsivité, ou encore un sentiment de colère. Les facettes
du Névrosisme correspondent ainsi à la gestion des émotions, en particulier négatives.
Elles couvrent un ensemble de ressentis : la colère-hostilité exprimées relève de
l'Agréabilité, et l'Impulsivité au sens de spontanéité de l'Extraversion.
L'approche différentielle de la personnalité I 409

2/ Facettes de l'Extraversion

Les facettes de ce domaine permettent de souligner les caractéristiques du compor-


tement social de la personne extravertie, leur préférence pour les situations de groupes
par rapport à l'isolement (grégarité). Les relations sont chaleureuses, caractéristique qui
pourrait se rattacher au domaine de l'Agréabilité, mais qui correspond ici à une atti-
tude plus active, voire même à une position de leader telle que l'indique la facette asser-
tivité. Au-delà des aspects interpersonnels, l'Extraversion comporte des facettes référant
à l'énergie et l'optimisme (activité, recherche de sensations, émotions positives).

3/ Facettes de l'Ouverture

Le domaine Ouverture peut être scindé en deux aspects, objectif vs subjectif.


Les facettes relatives aux aspects objectifs se trouvent dans l'ouverture aux actions,
idées et valeurs. Elles reflètent l'attrait pour la nouveauté, la curiosité vis-à-vis de phéno-
mènes externes, concrets (activités, lieux) ou abstraits (idées non conventionnelles,
remise en cause de valeurs). C'est une attitude tournée vers l'extérieur dans un but
d'apprentissage, de découverte (tandis que l'Extraversion est tournée vers l'extérieur
dans un but d'expression et d'action).
Les facettes d'Ouverture aux rêveries, aux sentiments relèvent du domaine subjectif.
Le but n'est pas de fuir la réalité mais de se créer un monde intérieur intéressant, une
vie riche et créative, de se laisser aller aux sentiments et émotions propres.
L'Ouverture à l'esthétique comporte des aspects objectifs (par le souhait d'accroître
ses connaissances dans le domaine artistique) et subjectifs (par le fait d'être plus réceptif
aux émotions produites par des oeuvres d'art).

4 /Facettes de l'Agréabilité

L'Agréabilité couvre le domaine de la tonalité des relations interpersonnelles dans


lequel se mêlent des éléments d'altruisme « authentique » et d'aspects davantage liés à
une certaine obséquiosité. C'est ainsi que sur le pôle des scores faibles les traits confiance
et droiture rassemblent les termes cynisme, flatterie, hypocrisie. La complaisance et la
modestie réfèrent davantage à la faible affirmation de soi, au fait de se soumettre à
l'opinion des autres, ou au contraire de tenter d'imposer son point de vue. Ceci n'est
pas nécessairement synonyme de manque de confiance en soi. La sensibilité marque les
attitudes de sympathie et de préoccupation pour les autres.

5/Facettes du caractère Consciencieux

Les facettes du domaine Consciencieux permettent de distinguer ce qui est du


maintien de l'activité, fut-elle ennuyeuse, et d'autres marquant davantage des objectifs
que le sujet cherche à atteindre. Concernant le maintien de l'activité, les facettes sens du
devoir et autodiscipline évaluent l'application dans la réalisation de tâches ; les scores fai-
bles correspondent davantage à la difficulté de réaliser les tâches qu'à l'impulsivité. Les
facettes délibération («réfléchir avant d'agir ») et ordre font état de la manière dont le
410 I Psychologie différentielle

sujet accomplit les tâches et s'organise, planifie. Les traits compétence et recherche de réussite,
enfin, explicitent les buts, ceux-ci pouvant être (subjectivement) plus ou moins accessi-
bles, en fonction de l'estime de soi.

IV - Au-delà des facettes :


l'exemple des déclinaisons de l'Anxiété

Les modèles de description de la personnalité en termes de traits présentent


l'intérêt de préciser les caractéristiques qui semblent essentielles pour dresser le profil
des individus. En ce sens, ils répondent à la question de la cohérence des conduites et
de la prédiction des comportements. Il se pose alors des problèmes relatifs au caractère
réputé universel de ces traits, et de leur stabilité. Celle-ci peut être étudiée du point de
vue de la stabilité temporelle : peut-on considérer qu'un individu est extraverti tout au
long de sa vie, voire même sur des périodes relativement courtes ? Mais cette stabilité
peut aussi être analysée du point de vue des situations : un sujet extraverti le sera-t-il
quel que soit le contexte dans lequel il se trouve ?
Le passage des traits aux facettes ne permet pas de traiter de l'impact des situa-
tions sur la personnalité : les uns et les autres supposent que les caractéristiques sont
« universelles » : quel que soit le contexte, une personne serait Extravertie ; et, toujours
quel que soit le contexte, elle serait chaleureuse, grégaire, assertive, active, etc. La pré-
sentation de différents modèles de l'anxiété va permettre de voir dans quelle mesure
cette dimension peut être redéfinie pour dépasser les problèmes liés à la trop forte géné-
ralité des traits de personnalité.

a. La stabilité temporelle : Anxiété trait vs Anxiété état

La question de la stabilité temporelle de l'anxiété revient à poser celle de la fidélité


de la mesure. Celle-ci est généralement traitée en termes de stabilité relative, par le biais
de coefficients de corrélations : si l'on classe les sujets du plus anxieux au moins anxieux
lors d'une observation réalisée à l'instant fi, ce classement devrait être sensiblement
conservé lors d'une observation ultérieure à l'instant t2. Ceci ne préjuge pas pour
autant de la stabilité absolue, qui compare le niveau d'anxiété entre deux observations. Si
l'on compare par exemple les niveaux d'anxiété d'un ensemble de sujets entre deux
situations, d'une part avant une séance de travaux dirigés et d'autre part avant un exa-
men, la stabilité relative pourra être bonne (les plus anxieux dans la situation 1 tendent
à être aussi les plus anxieux dans la situation 2), mais il est probable que la stabilité
absolue ne le soit pas (l'anxiété moyenne avant le ID sera sans doute moins forte
qu'avant l'examen). Afin de distinguer l'anxiété trait et l'anxiété état, Spielberger a pro-
posé un questionnaire comportant les deux évaluations. Celles-ci comportent sensible-
ment les mêmes items, le sujet devant indiquer si une proposition (par exemple « avoir
peur ») le décrit bien « en général » (pour le trait) ou « en ce moment » (pour l'état). La
corrélation moyenne entre les deux évaluations est de .65, ce qui signifie que les sujets
L'approche différentielle de la personnalité I 411

ayant un haut niveau d'anxiété-trait ont aussi un niveau d'anxiété-état élevé, même en
situation neutre. Les corrélations sont plus élevées encore en situation stressante, ce qui
rappelle le fait que l'anxiété est associée à des émotions négatives et une plus grande
difficulté à faire face au stress.
Ces questions de stabilité temporelle, vues ici en termes de trait vs état, donnent
lieu à de très nombreuses recherches dans le cadre des émotions*. Celles-ci sont généra-
lement définies comme des phénomènes transitoires (ce serait ici la peur), les humeurs*
correspondant à des manifestations de plus longue durée (ce serait ici la tristesse).

b. L'Anxiété liée à certaines situations

La distinction qui a été faite ci-dessus à propos de la stabilité relative et absolue


conduit à s'interroger sur l'impact différentiel que peuvent avoir divers contextes sur les
individus. Il apparaît en effet que certaines situations peuvent être anxiogènes pour une
partie seulement de la population (par exemple conduire en ville), alors qu'une autre
situation pourra faire élever le niveau d'anxiété d'autres personnes (par exemple
prendre la parole en public). En termes psychométriques, ceci revient à poser le pro-
blème des domaines de validité de ces mesures. Une manière de répondre à cette ques-
tion a été proposée par Endler (Endler et Parker, 1992) : la perspective est dite interac-
tionniste, car elle étudie les interactions entre les caractéristiques des sujets et des
situations. Ces auteurs distinguent quatre domaines susceptibles de générer de
l'anxiété : l'évaluation sociale, le danger physique, les situations ambiguës, et les situa-
tions de la vie quotidienne. Les corrélations entre ces diverses formes d'anxiété vont de
très faible à modérée (.03 entre danger physique et situations de la vie quotidienne ; .43
entre évaluations sociales et danger physique) : cela conduit donc à nuancer le concept
d'anxiété générale. On trouve dans la littérature d'autres spécifications de l'anxiété,
notamment en situation d'évaluation : anxiété vis-à-vis des mathématiques (Beasley,
Long et Natali, 2001), anxiété en sports (Zeidner et Matthews, 2005). Il est possible,
dans cette perspective, d'envisager des sous-domaines susceptibles de voir apparaître
des niveaux d'anxiété corrélés entre eux, et non corrélés à d'autres domaines : en bref,
de dresser « la carte des anxiétés ».

c. Les manifestations de l'Anxiété

L'anxiété peut se manifester sous diverses formes, dont la déclinaison permet aussi
d'en préciser la nature. C'est ainsi que des échelles permettent d'évaluer l'anxiété mani-
feste : l'une d'elles est dérivée du MMPI, dont il existe une adaptation pour enfants
(cmAs ; Reynolds et Richmond, 1999). Dans cette épreuve, les réponses sont traitées
suivant trois composantes : l'anxiété physiologique correspond aux manifestations soma-
tiques de l'anxiété (troubles du sommeil, nausées, fatigue) ; l'inquiétude/hypersensibilité
réfère à des préoccupations obsessionnelles, mal définies, doublées de la peur d'être
blessé ou isolé affectivement ; les préoccupations sociales / concentration témoignent de
l'existence de pensées périphériques, de peurs à caractère social ou interpersonnel qui
conduisent à des difficultés d'attention et de concentration. Ces trois composantes sont
en corrélations moyennes (tableau 4).
412 I Psychologie différentielle

Ces distinctions sont intéressantes car elles permettent de mieux cerner la nature
des problèmes consécutifs à l'anxiété. Elles permettent aussi de préciser l'impact que
peut avoir l'anxiété sur le fonctionnement cognitif.

TABLEAU 4. - Corrélations entre les facettes des manifestations de l'anxiété

Préoccupations
Anxiété Inquiétude, sociales,
physiologique hypersensibilité concentration

Inquiétude, hypersensibilité .49


Préoccupations sociales .51 .53

Total .80 .86 .79

d. Retour sur la question des processus :


le modèle de M. W. Eysenck

Dans les années 1980, Beck et Bower (cités par de Bonis, 1996) ont tenté
d'expliquer des phénomènes affectifs et motivationnels par la cognition. Pour Beck,
l'anxiété peut être comprise comme une certaine manière de traiter les informations,
l'accessibilité maximale étant sur les aspects négatifs. Pour Bower, le rappel depuis la
mémoire à long terme est facilité lorsqu'il y a congruence des tonalités émotionnelles à
l'encodage et au rappel (on se rappelle mieux de moments de bonheur lorsque l'on est
heureux).
Le même sens de causalité de la cognition vers la conation est présent chez Mic-
kael W Eysenck. Ses travaux ont commencé par la proposition d'un modèle cognitif de
l'anxiété, dit théorie de l'hypervigilance (Eysenck, 1992). Les sujets anxieux traiteraient
les informations issues de leur environnement de manière automatique, orientée vers la
recherche de stimuli susceptibles de représenter un danger. L'hypervigilance serait ainsi
associée à une grande distractibilité, à un balayage visuel de l'environnement et à une
attention à champ large, qui peut se focaliser assez vite sur un stimulus considéré
comme menaçant. Dans un second ouvrage, Eysenck (1997) précise dans son modèle
les biais de traitement des informations liés à l'activité physiologique, aux comporte-
ments, ou à l'inquiétude, via la base de connaissances en mémoire à long terme et le
système cognitif pré-attentionnel (fig. 10.6). Le modèle de Eysenck permet d'étudier
l'impact de l'anxiété sur le fonctionnement cognitif; en s'appuyant sur le modèle de la
mémoire de travail* de Baddeley (1990). Ainsi, l'inquiétude associée à des pensées
intrusives pourrait fournir des informations parasites traitées par la boucle verbo-
phonologique*, provoquant une surcharge de cette composante (sur le modèle des
tâches interférentes*). L'anxiété physiologique ne semble pas avoir d'impact sur le fonc-
tionnement cognitif.
L'approche différentielle de la personnalité I 413

Schémas
(danger en MLT)

2 3 4

Stimulus Activité
physiologique
émotionnel —11>

el
Tendances Expériences
Évaluation comportementales émotionnelles
cognitive

Cognitions
inquiétude

FIG. 10.6. — Modèle cognitif de l'Anxiété (M. W. Eysenck, 1997)


Les numéros correspondent à des biais dans le traitement des informations : 1 / phobies
spécifiques ; 2 / désordres paniques ; 3 / phobies sociales ; 4 / troubles obsessionnels compulsifs.

D - TRAITS DE PERSONNALITÉ
ET AUTRES DIMENSIONS DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES

I - Personnalité et intérêts

L'approche des différences individuelles dans la sphère motivationnelle s'est beau-


coup développée, à l'instar de celle des aptitudes et de la personnalité, dans la perspec-
tive d'établir les dimensions pertinentes pour décrire ces différences interindividuelles et
prédire ce vers quoi les sujets sont attirés ou en aversion. La question des liens entre
motivation et personnalité se pose d'emblée lorsque l'on considère un trait tel que
l' Ouverture : outre une manière d'être, n'est-ce pas là une caractérisation des centres
d'intérêts de l'individu ? Plus largement, dans le champ des intérêts professionnels, cer-
tains auteurs vont développer des théories selon lesquelles le choix d'une profession par
un individu donné serait guidé par sa représentation de la personnalité des personnes
qui l'exercent. On abordera dans cette partie les modèles visant à décrire les différences
individuelles dans la sphère motivationnelle, pour ensuite s'intéresser aux relations entre
les dimensions de ces modèles et les traits de personnalité (pour une présentation
détaillée de ces aspects, voir l'ouvrage de Vrignaud et Bernaud, 2005).

a. Définitions
Les intérêts sont définis dans les dictionnaires de psychologie comme des « varia-
bles hypothétiques rendant compte de la disposition positive plus ou moins intense des
individus à l'égard des divers objets de l'environnement, ainsi que de leurs dispositions
414 I Psychologie différentielle

à l'égard d'activités, de professions et de domaines de connaissance divers » (Reuchlin,


in Bloch et al., 1991) ; ou encore comme « les tendances ou dispositions relativement
stables orientées vers différents objets, activités, ou expériences » (Doron et Parot,
1991).
Les intérêts sont toujours spécifiés par référence à un contenu « concret » (objets,
activités ; ce sont assez souvent des activités professionnelles). Pour définir l'attraction
ou l'aversion vis-à-vis d'objets plus abstraits, on utilise le concept de valeur (économi-
ques, altruistes...). Les valeurs sont sous jacentes à la manifestation des intérêts, ou en
d'autres termes les intérêts sont un moyen d'atteindre les valeurs.

b. Modèles

1 / La structure des intérêts

L'étude des intérêts a été principalement centrée sur le domaine professionnel et


dans une moindre mesure sur les activités de loisirs. L'établissement de dimensions dans
l'un et l'autre de ces domaines parvient à des résultats assez proches : pour décrire le
profil d'intérêts d'une personne, une douzaine de dimensions semblent pertinentes.
L'atteinte de ce résultat est issue de la démarche suivante : on propose aux sujets
des listes de professions (ou d'activités) qu'il s'agit de classer par ordre de préférence. Le
cadre théorique de cette démarche repose sur le fait que les différents métiers sont
ordonnés en fonction de représentations stéréotypées, permettant de classer chaque
profession dans des grandes catégories. Les réponses permettent de dégager les intérêts
plus ou moins marqués sur les domaines suivants : bureau (travaux routiniers qui requiè-
rent précision et exactitude) ; calcul (maniement des chiffres) ; esthétique (désir de créer
des choses présentant des qualités artistiques) ; littéraire (lecture, écriture, récréation litté-
raire) ; musical (j ouer, écouter, chanter) ; plein air (activités extérieures avec rejet du tra-
vail régulier et routinier) ; pratique (construction, fabrication, réparation) ; mécanique (tra-
vail comportant machines, instruments et dispositifs techniques) ; scient que (analyse et
investigations pour l'expérimentation et les sciences) ; médical (soins, soulagement de
malades) ; social (aider et guider les autres, comprendre autrui) ; contacts personnels (discu-
ter, argumenter, se mêler aux autres).
Ces intérêts ne sont pas tous indépendants ; les corrélations observées attestent de
la proximité des métiers « calculs » et « bureau », tous deux opposés à des intérêts
« esthétiques ». Ces corrélations permettent de dégager des facteurs de second ordre
interprétables en termes de valeurs (les intérêts « médicaux » et « sociaux » pouvant
être associés, par exemple, à des valeurs altruistes).

2 / Le modèle de Holland

Une autre manière d'évaluer les intérêts est de s'attacher à la caractérisation des
différents environnements professionnels. Cette approche a été initiée par Strong de
manière empirique, à partir d'un questionnaire comportant des listes de métiers,
d'études, d'activités, de caractéristiques personnelles. Appliqué à des groupes profes-
L'approche différentielle de la personnalité I 415

Arts et
littérature

Gens

Fig. 10.7. — Modèle de Holland et dimensions des intérêts


(d'après Capel et Descombes, 1996)
Les caractères en gras désignent les pôles d'intérêts d'après analyse factorielle du Néo-
Kuder ; les mots situés dans le cercle désignent les 8 types d'intérêts du modèle de Roe ; les som-
mets de l'hexagone désignent les types d'intérêts selon Holland ; les axes perpendiculaires (en
pointillés) correspondent aux résultats de Prediger, définissant 4 « ordinations fondamentales »
des intérêts de l'homme occidental vivant en milieu industrialisé. La position exacte des axes
représentant les facteurs issus du Néo-Kuder ne peut pas se déduire des résultats chiffrés, est
donc partiellement intuitive.

sionnels variés, il est postulé que les items choisis de façon significative par une profes-
sion sont considérés comme représentatifs des intérêts de ce groupe professionnel : il
s'agit donc d'avoir des items différenciateurs d'un groupe professionnel particulier par
rapport à la population générale. Les intérêts d'un sujet donné sont évalués en rappro-
chant ses réponses de celles des différents groupes professionnels.
Cette procédure a été reprise et théorisée par Holland. Celui-ci considère que les
choix professionnels constituent une extension de la personnalité et une tentative
d'actualiser des styles de comportement particuliers dans le cadre de la vie profession-
nelle. Il établit donc une correspondance entre typologie des personnes et typologie des
environnements professionnels, dont une évaluation peut être faite par questionnaire.
L'Inventaire Personnel de Holland (IPH) comporte quatre parties : auto description
(image de soi, aptitudes, personnalité, identification à un héros, capacités, performan-
ces) ; activités scolaires, professionnelles, de loisirs ; aspirations et choix professionnels
(objectifs et valeurs) ; personnes jugées sympathiques. II permet de dresser le profil des
sujets et de dégager leur type préférentiel, parmi les 6 suivants, proposés dans le
416 I Psychologie différentielle

modèle : Réaliste : activité concrètes (coordination motrice, efforts physiques), évitement


des relations interpersonnelles ; Investigateur : intellectuel, prédominance de la pensée
sur les actions, besoin de comprendre, évitement des comportements interpersonnels ;
Artistique : expression de soi, relations directes avec autrui, expression des émotions ;
Social : besoin d'enseigner et soigner, recherche de relations interpersonnelles, évite-
ment des problèmes intellectuels ; Entrepreneurial relations interpersonnelles avec ten-
dance à manipuler ou dominer ; goût du pouvoir ; Conventionnel : goût des règles,
recherche de relations interpersonnelles et professionnelles où les structures sont bien
définies.
Ce modèle s'est imposé et les inventaires professionnels tendent maintenant à inté-
grer les dimensions et les types de Holland. Le NEO Kuder (fig. 10.7) ou l'iRmR (Inven-
taire de Rothwell Miller, Bernaud et Prioux, 1993) en offrent de bons exemples.

Il - Les relations entre intérêts et personnalité

Les modèles d'intérêts, de valeurs, et plus encore les typologies de ce domaine


comportent des caractéristiques qui semblent très proches de la personnalité. La ques-
tion des relations entre ces deux sphères est récurrente et a donné lieu à des méta-
analyses récentes. Celle de Barrick et ses collègues (2003) porte sur les travaux recensés
entre 1967-1999. Ils ont relevé sur cette période 21 études, réalisées auprès de plus de
11 500 sujets. Ces données sont traitées sur la base d'hypothèses préalables établies sur
la base de travaux empiriques et des proximités conceptuelles. Celles-ci font attendre
des liens positifs entre : l'Extraversion et les types Entrepreneurial et Social ;
l'Agréabilité et le type Social ; le caractère Consciencieux et le type Conventionnel ;
l' Ouverture et les types Artistique et Investigateur (il n'y a pas d'hypothèse concernant
le Névrosisme). Le tableau 4 comporte les coefficients de régression multiple prenant ici
les traits de personnalité comme prédicteurs et chacun des types de Holland comme
critère. Les valeurs vont globalement dans le sens attendu : on trouve par exemple des
liens non négligeables entre l'Extraversion et deux types de Holland (Social et Entre-
preneurial). Les valeurs restent cependant modestes, ce qui conduit les auteurs à consi-
dérer que les deux sphères sont relativement autonomes.

TABLEAU 4. - Relations entre les dimensions du modèle des Big Five


et du modèle de Holland (d'après Barrick et al., 2003)

E A C N 0 R2

R .02 .08 .02 .10 .03 .01


I - .09 - .06 .02 - .10 .27 .07
A - .03 - .02 - .10 - .06 .44 .18
S .26 .15 .04 -.14 -.01 .10
E .52 - .24 .05 .06 .15 .22
C .09 .01 .23 - .04 - .21 .07
L'approche différentielle de la personnalité I 417

III - Personnalité et intelligence

Il n'est pas rare pour un psychologue praticien de supposer que des variables
externes, non cognitives, pourraient être à l'origine de la faiblesse (ou de la force) des
performances. Ceci est fréquent lors de l'application d'échelles d'intelligence, pour les-
quelles Wechsler (1950) mentionne lui-même la participation des aspects cognitifs,
conatifs et non-intellectifs : « l'intelligence générale ne peut être identifiée aux capacités
intellectuelles, mais doit être considérée comme une manifestation de la personnalité
dans son ensemble ». Cette hypothèse est reprise dans les manuels consacrés au wisc
(Grégoire, 1999 ; Kaufman, 1994), où se trouvent des tableaux croisant les subtests et
différents facteurs non cognitifs susceptibles de moduler les différences de performances.
Il apparaît ainsi que toutes les épreuves ne sont pas soumises à l'effet de telles variables
conatives : à titre d'exemple, seuls les subtests Mémoire des Chiffres, Codes, Cubes,
Assemblage d'objets et Symboles pourraient voir leurs performances infléchies par
l'anxiété.
Des recherches plus systématiques ont été menées pour dégager les corrélations
éventuelles entre les traits de personnalité et les dimensions de l'intelligence. R. B. Gauen
(1971) trouve ainsi des corrélations significatives, bien que modestes (.20/.30), entre les
scores obtenus dans des tests d'intelligence, et deux traits du 16 PF : Q2 (autonomie à
l'égard du groupe) et G (conscience et respect des conventions). Dans le manuel du NEO.
PI (Costa et McCrae, 1998), les liaisons apparaissent, comme on pouvait s'y attendre,
entre l'intelligence cristallisée et l'Ouverture. Cette dimension serait la seule à être en
corrélation avec l'intelligence et d'autres aptitudes (Mac Crae et Costa, 1997), le Carac-
tère Consciencieux entretenant plutôt des liens avec l'apprentissage et les performances
académiques, dont il constituerait même la ressource essentielle (De Raad et Schouwen-
bourg, 1996). Ces travaux, et bien d'autres (135 recherches), ont été répertoriés dans une
méta-analyse réalisée par Ackerman et Heggestad (1997). Les traits qui présentent le plus
souvent les liens avec la cognition sont : 1 / l'Ouverture, sur de nombreuses aptitudes ;
2 / la réaction au stress (Névrosisme), sur l'intelligence générale et les aptitudes Numéri-
ques ; 3 / le caractère Consciencieux sur des performances pédagogiques.

ANXIÉTÉ-TEST
------------- h.... Intelligence,A OUVERTURE
CONSCIENCIEUX .1. le- générale g --•
I ."`" ....
I i ■ ...
. •..
...
/ ..., .....

Entrepreneurial

Fig. 10.8. Relations entre personnalité, intérêts et intelligence


(d'après Ackerman et Heggestad, 1997)
418 I Psychologie différentielle

L'ensemble des corrélations observées entre intelligence, personnalité, et intérêts,


a conduit Ackerman et Heggestadt à la proposition d'un modèle hiérarchique articu-
lant les dimensions des trois sphères (fig. 10.8). On remarquera que deux facteurs
généraux, l'anxiété en situation d'examen et l'intelligence générale, sont connectés à
tout un ensemble d'autres variables. On peut remarquer aussi que les relations sont
toutes orientées de la conation vers la cognition, ce qui ne va pas forcément de soi.
Des recherches plus récentes (Chamorro-Premuzic et Furnham, 2004) émettent en
effet l'hypothèse selon laquelle le sens des relations entre intelligence et personnalité
dépend des dimensions considérées (à titre d'exemple, il y aurait influence de
l'ouverture sur l'intelligence cristallisée, et influence de l'intelligence fluide sur le
caractère consciencieux). Ceci montre que les relations entre les dimensions de
l'intelligence et de la personnalité constituent un réseau complexe dans lequel il faut
éviter de considérer globalement l'impact d'un système sur un autre, pour étudier les
relations dans un sens ou dans un autre selon les dimensions considérées. Dans le
même ordre d'idée, plutôt que d'envisager globalement les relations entre personnalité
et intelligence, il est préférable de repérer les sous-ensembles dans lesquels variables
cognitives et conatives interagissent. Ackerman et Heggestad proposent ainsi quatre
« complexes d'aptitudes », sur la base des plus fortes corrélations entre les dimensions :
social (extraversion, entrepreneurial, social), conventionnel (consciencieux ; convention-
nel, vitesse perceptive) ; scientifique (intelligence fluide, perception visuelle, réaliste,
investigateur), et intellectuel-culturel (intelligence cristallisée, fluidité idéationnelle ;
ouverture artistique, investigateur). Ces deux derniers complexes sont en intersection.
Ceci permet donc, en fonction de ce que l'on étudie, de sélectionner de façon plus
étayée le choix de certaines dimensions (aptitudes, traits de personnalité, intérêts) pour
en dégager les relations.

E - Conclusion

Ce chapitre consacré à l'approche différentielle de la personnalité a permis


d'exposer différents modèles et méthodes, partant des travaux de Hans Eysenck et de
Raymond Cattell.
Pour ces deux auteurs, la personnalité peut être décrite par le biais de modèles
hiérarchiques : le sommet est constitué de traits larges (ou types), la base de comporte-
ments dont la répétition et la cohérence permettent de faire émerger les caractéristiques
de niveau supérieur. Le désaccord quant au nombre de traits semble dépassé : la com-
munauté des chercheurs est maintenant assez consensuelle sur le fait que 5 grands traits
soient nécessaires et suffisants pour décrire la personnalité de tout individu (Névrosisme,
Extraversion, Ouverture, Agréabilité, Consciencieux).
Eysenck et Cattell ont aussi partagé le souci d'atteindre la personnalité par divers
procédés : les questionnaires et l'expérimentation sont présents dans l'oeuvre scienti-
fique de l'un et de l'autre. Cette pluralité des méthodes est apparue pour atteindre le
même but : dépasser la description de la personnalité faite au moyen de traits pour
L'approche différentielle de la personnalité I 419

passer à leur explication en termes de processus. Cet objectif général n'a cependant
pas pris la même direction, Eysenck ayant cherché à expliciter des processus physiolo-
giques, Cattell des processus psychodynamiques. Sur ce point, Eysenck a eu un
impact plus important, et un nombre non négligeable de travaux s'appuie sur ses
conceptions, ainsi que les prolongements qui en sont dérivés : les systèmes d'activation
et d'inhibition apportent un renouvellement de cette perspective, tant sur le plan fon-
damental que des applications qui pourraient résulter de la construction de nouveaux
questionnaires. Il reste à voir comment cette piste des corrélats physiologiques évo-
luera, dans un contexte scientifique où les neurosciences progressent rapidement. Le
projet de « psychanalyse quantitative » de Cattell n'a pas vraiment abouti, mais on
peut voir des évolutions qui n'en sont peut-être pas très éloignées : la recherche de
processus cognitifs permettant de modéliser les phénomènes d'anxiété et de dépres-
sion, par exemple, est en partie liée aux modèles et prises en charge dans certains
domaines de la psychopathologie. Le fait que ces dimensions de la personnalité puis-
sent être considérées comme le produit de traitements biaisés des informations offre
des perspectives de recherche prometteuses.
L'entrée de processus cognitifs dans la sphère affective et motivationnelle conduit à
revisiter les relations entre intelligence et personnalité. Là aussi, les travaux se sont mul-
tipliés, grâce à l'aboutissement des modèles cognitifs (Carroll) et conatifs (Costa et
McCrae). Les résultats issus de ces recherches ont permis de repositionner le rôle de
variables et l'endroit où celles-ci interagissent. Ils incitent à préciser la nature de certai-
nes d'entre elles, des variables comme l'anxiété, par exemple, paraissant trop globales
pour dégager empiriquement des relations stables, et pour expliciter les mécanismes
sous-jacents à ces relations. Il semble d'ailleurs que d'autres variables intermédiaires
doivent être prises en compte : les propositions de Furnham et son équipe (Chamorro
Premuzic et Furnham, 2004) vont dans le même sens, soulignant l'intérêt de prendre en
compte les auto-évaluations faites par les sujets. Ces perspectives sont voisines de
concepts tels que l'estime de soi, ou l'estimation a priori de réussite, variables qui
seraient à rapprocher d'ailleurs des traits de personnalité. Car des modèles tels que les
Big Five, visant à décrire exhaustivement la personnalité, aident à juger de l'intérêt de
nouvelles variables différentielles qui tendent parfois à proliférer.
Pour conclure, il reste à mentionner que les modèles présentés ici sont synchroni-
ques, et qu'une étude plus complète de la personnalité pourrait comprendre des aspects
développementaux. Le modèle des Big Five s'applique aux enfants et aux adolescents.
Mais il reste beaucoup à faire pour préciser le développement de ces structures. Plus
modestement se pose aussi la question des variations en fonction des contextes. La plas-
ticité de la personnalité permettrait d'envisager des programmes visant à infléchir celle-
ci si certaines caractéristiques posent problème au sujet. Ces interventions posent toute-
fois des problèmes éthiques et déontologiques complexes à ne pas sous-estimer. S'ils
peuvent être résolus, on peut voir ici comment, à partir d'un modèle descriptif de la
personnalité, il serait possible d'en trouver des prolongements permettant de mieux
comprendre les mécanismes, et par là de fournir aux psychologues des cadres concep-
tuels et méthodologiques étayant leurs pratiques.
420 I Psychologie différentielle

LECTURES CONSEILLÉES

Bernaud, J. L. (1998). Les méthodes d'évaluation de la personnalité. Paris : Dunod.


De Bonis, M. (1996). Connaître les émotions humaines. Liège : Mardaga.
Hansenne, M. (2005). Pychologie de la personnalité. Louvain la Neuve : De Boeck.
Huteau, M. (1985). Les conceptions cognitives de la personnalité. Paris : PUF.
Huteau, M. (2004). Écriture et personnalité. Approche critique de la graphologie. Paris : Dunod.
Nuttin, J. (1985). La structure de la personnalité. Paris : PUF.
Morin, P.-C., & Bouchard, S. (1997). Introduction aux théories de la personnalité. Montréal : Gaétan
Morin.
Rolland, J.-P. (2004). L'évaluation de la personnalité. Le modèle en cinq facteurs. Liège : Mardaga.
Vrignaud, P., & Bernaud, J.-L. (2005). L'évaluation des intérêts professionnels. Liège : Mardaga.
Zuckerman, M. (2003). La HP révolution du cerveau. Psychobiologie de la personnalité. Paris : Payot.
11 cognition et génétique :
vieux débats et nouvelles perspectives
à la lumière du séquençage
du génome humain

PAR MICHÈLE CARLIER

A - INTRODUCTION

Il est impossible d'aborder le thème de ce chapitre sans évoquer les débats souvent vio-
lents sur l'origine génétique ou environnementale des différences dans « l'intelligence »
qui ont marqué les xixe et xx' siècles. En effet, l'idée que l'intelligence pouvait être
héréditaire ou uniquement liée à l'environnement a eu des conséquences sociales
comme probablement peu d'idées touchant à la psychologie en ont eues. Sur ce sujet
on trouve d'excellentes analyses en français dans les livres de Gérard Lemaine et Ben-
jamin Matalon (1985), de Geneviève Paicheler (1992) et plus récemment Pierre Rou-
bertoux (2004).
Dans ce chapitre nous décrirons les méthodes utilisées, principalement par les psy-
chologues, au cours du )0(' siècle pour tenter de répondre à la question suivante : les
différences observées dans l'intelligence — ou dans des traits cognitifs moins globaux —
dépendent-ils des gènes transmis par les parents ou bien dépendent-ils des environne-
ments que les parents procurent à leurs descendants ? Nous verrons les limites de ces
méthodes et montrerons comment les découvertes de la génétique moléculaire avec le
séquençage des génomes animaux, et plus particulièrement des mammifères, ont trans-
formé la discipline. Cette transformation risque d'ailleurs de faire glisser ce champ de la
psychologie différentielle hors de la psychologie, si les chercheurs en psychologie n'y
prennent pas garde. En effet, au cours du 30e siècle, la plupart des chercheurs travail-
lant dans le champ de la « génétique comportementale » (traduction de l'anglais de
Behavior Genetics) avait une formation initiale en psychologie avec, souvent, un goût pro-
noncé pour les statistiques. Se joignaient à eux des chercheurs venus de la psychiatrie,
de l'éthologie et de la psychologie comparée, ces derniers utilisant le modèle animal
(rats, souris, mouche). N'oublions pas cependant qu'au milieu du )0C siècle, les thèses
en psychologie dite expérimentale portaient fréquemment sur des rongeurs (rats, souris)
ou des oiseaux (pigeons). II n'y a donc rien d'étonnant à ce que les chercheurs en psy-
chologie n'aient pas hésité à utiliser le modèle animal pour leurs expériences en géné-
422 I Psychologie différentielle

tique comportementale. Dans les années 1970, la situation en France se présentait de


manière similaire, sauf que peu de laboratoires s'intéressaient à ce domaine de
recherche. On voit des chercheurs en psychologie autour de Maurice Reuchlin, à Paris,
et des éthologistes ou physiologistes autour de Jean Médioni, à Toulouse. L'évolution
de la discipline vers des techniques lourdes de génétique a conduit certains chercheurs
à abandonner le sujet et d'autres à introduire ces techniques dans leur recherche, soit
en complétant leur formation et devenant généticien, soit en apprenant à travailler avec
des généticiens.
À la lecture de cette introduction le lecteur étudiant en psychologie ou le futur
psychologue doit comprendre que sans une connaissance minimale de la génétique, il
ne pourra pas comprendre les données des travaux récents, ni leurs enjeux. Or ces
résultats peuvent avoir un impact important dans la pratique du psychologue. On en
verra des exemples au cours de ce chapitre. C'est d'ailleurs pourquoi ce chapitre trouve
tout naturellement sa place dans ce volume. Dans la mesure du possible nous pren-
drons soin de définir les termes de génétique que nous utiliserons mais nous conseillons
vivement au lecteur de voir (ou revoir) les notions fondamentales de génétique en se
reportant, par exemple, au chapitre de Pierre Roubertoux, Michèle Carlier et Isabelle
Le Roy, intitulé L'information génétique : nature, expression, transmission (2005). Pour
les définitions de termes on peut se reporter aussi au site InfoBiogen : http://www.info-
biogen.fr/glossaire/.

B - LES MÉTHODES « CLASSIQUES » VISANT


À METTRE EN ÉVIDENCE (ET À DISSOCIER)
LES FACTEURS GÉNÉTIQUES ET LES FACTEURS D'ENVIRONNEMENT

À chaque fois que nous présenterons une de ces méthodes, nous indiquerons s'il y
a lieu, comment elle s'insère dans les travaux les plus récents,

I - Méthode du risque

a. Mise en évidence du caractère familial d'un trait

La première étape consiste à se demander si le trait auquel on s'intéresse présente


un caractère familial. Si une personne est gauchère, la probabilité d'observer des gau-
chers dans sa famille est-elle plus élevée que dans des familles prises au hasard dans la
population générale ? Si une personne présente une déficience intellectuelle, la probabi-
lité de voir des déficients intellectuels dans sa famille est-elle plus élevée que dans la
population générale ? La personne qui sert de point de départ à l'analyse de la famille
s'appelle le « cas index ». On s'attend à ce que la probabilité, pour une personne de la
Cognition et génétique I 423

famille, de porter le trait présent chez le cas index soit d'autant plus grande que la proxi-
mité génétique, entre ce cas index et la personne de sa famille, soit grande. Par exemple,
les enfants d'un cas index doivent avoir une plus forte probabilité de présenter le même
trait que les petits-enfants ou les cousins de ce cas index. Ceci n'implique évidemment
pas que le trait soit sous contrôle génétique ou même « héréditaire » puisque la proximité
génétique s'accompagne d'une proximité environnementale : on dira que les deux fac-
teurs sont confondus. Pour savoir si le trait est sous contrôle génétique il faut pouvoir
aller plus loin. On verra comment avec l'analyse de pedigree présenté plus loin.
L'idée que les deux facteurs (génétique et environnement) puisse être confondus
quand on étudie les familles paraît probablement évidente au lecteur du xxr siècle
mais elle ne l'était pas du tout pour certains au cours du xx` siècle. Sinon comment
expliquer le succès des « généalogies catastrophiques » pour reprendre les termes de
Lemaine et Matalon (1985), généalogies largement utilisées aux États-Unis d'Amérique
pour justifier des pratiques eugéniques — voir encadré 11.1. Ainsi, en 1907, l'Indiana
est le premier État à faire voter une loi rendant obligatoire la stérilisation des « crimi-
nels, idiots, violeurs » résidents dans les institutions de l'État, lorsque la recommanda-
tion est faite par un conseil d'experts.

ENCADRÉ 11.1

Un exemple célèbre de généalogie catastrophique :


la famille Kallikak, décrite en 1913 par le psychologue Goddard

Un soldat courageux de la guerre d'indépendance américaine, et intelligent, commet « une


faute » avec une débile mentale. Un enfant illégitime naît de cette union. Plus tard ce soldat
épouse une jeune fille quaker, bien sous tous les rapports et, en particulier, intelligente. On
compare les « deux lignées », celle de l'enfant illégitime né d'une débile mentale et celle des
enfants légitimes nés de l'épouse intelligente. Dans le premier cas on a une longue histoire de
dégradation et d'immoralité, dans l'autre des hommes médecins, juristes, etc.
« Même menée sans parti pris et avec les critères de l'époque, cette recherche relève de
la haute fantaisie mais elle sera citée avec faveur par des générations d'eugénistes et elle
apparaît encore dans le manuel de Psychologie générale de Garrett publié en 1955 » (Lemaine
et Matalon (1985), P. 38 ).
Notons qu'on fait peu de cas ici de l'apport génétique du père !

Il serait naïf de penser que les abus ne sont venus que des héréditaristes. On citera
pour mémoire les positions du psychanalyste Bettelheim sur les « causes » de l'autisme
infantile qui ont culpabilisé des générations de mères et ont freiné le développement de
la recherche et de la prise en charge, et aussi l'histoire « des enfants volés des Aborigè-
nes Australiens » (voir Roubertoux, 2004, p. 157-160).

b. Étude des pedigrees

Une manière simple de voir si un trait présente un caractère familial est de dresser
l'arbre généalogique de la famille. La figure 11.1 illustre l'exemple d'une famille dans
laquelle plusieurs personnes présentent une déficience intellectuelle.
424 I Psychologie différentielle

Homme non déficient ■ Homme déficient

O Femme non porteuse Femme transmettrice

FIG. 11 . 1. — Pedigree dans le cas d'une transmission familiale d'une déficience intellectuelle
liée au chromosome X. Les numéros permettent de repérer
les personnes dans le commentaire du texte

Il s'agit d'un cas très proche de ceux que nous avons rencontrés dans notre colla-
boration avec des médecins généticiens. La femme n° 1 vient consulter parce que ses
fils (nos 6, 7 et 8) présentent des retards de développement intellectuel. L'examen psy-
chologique avec une échelle de Wechsler montre que leurs QI sont inférieurs à 50. La
mère présente, elle-même, une déficience légère et a, de tout évidence, des difficultés à
pouvoir prendre en charge ses fils. La fille de cette mère (5) ne présente pas de déficit
intellectuel mais a un garçon déficient (10). Le père du garçon (10) a un autre fils (9)
avec une autre femme (3) ; tous deux ont un développement intellectuel normal.
Ce pedigree se présente typiquement comme un cas de transmission liée à l'X,
c'est-à-dire qu'une mutation* située sur le chromosome* X est transmise d'une généra-
tion à une autre, ici, par les femmes (1 et 5). Les femmes porteuses de la mutation sont
moins atteintes que les hommes porteurs de la mutation car elles possèdent deux chro-
mosomes X. Si l'un porte la mutation, l'autre ne la porte pas et des phénomènes de
compensation peuvent intervenir. On retrouvera ce point plus loin quand on parlera de
l'X fragile. La psychologue qui a examiné les garçons 6, 7 et 8 avait conclu à des débi-
lités d'origine psychosociale. Une analyse moléculaire des chromosomes X des person-
nes de ce pedigree a montré qu'il s'agissait bien d'un retard mental lié à une mutation
génétique, mutation au demeurant très rare. Dans un tableau familial présentant plu-
sieurs cas de retards mentaux, il est fortement conseillé au psychologue de diriger la
famille vers une consultation génétique. En effet, on découvre d'année en année de
nouvelles mutations qui ont pour conséquence des retards mentaux. Il y a quelques
années on estimait qu'il y en avait environ 900. Dans une revue de la littérature
publiée en 2004, Jennifer Inlow et Linda Restifo concluent que 282 gènes liés à des
retards mentaux ont été identifiés par la génétique moléculaire. Ces auteurs admettent
qu'il y en a beaucoup d'autres à découvrir.
Cognition et génétique I 425

La difficulté réside dans le fait que certaines de ces mutations sont extrêmement
rares et non symptomatiques (c'est-à-dire que les patients ne présentent pas de caracté-
ristiques physiques ou médicales qui permettent de porter facilement un diagnostic,
comme dans le cas de la trisomie 21).
L'analyse des pedigrees est connue depuis des décennies. Avec les progrès de la
connaissance du génome humain on a l'avantage de pouvoir tester rapidement des
hypothèses touchant à des mécanismes génétiques précis (ici la recherche d'une muta-
tion particulière). Il faut cependant avoir des hypothèses car il est exclu de rechercher
dans l'ensemble du génome et il faut aussi que le trait considéré soit sous la dépendance
de peu de gènes. Dans les cas où de nombreux gènes sont impliqués, d'autres méthodes
sont envisageables, comme le criblage extensif du génome, mais les applications sont
loin d'être immédiates, comme on le verra plus loin.

c. Estimation de la ressemblance entre parents


dans les scores d'intelligence par le coefficient de corrélation

En ce qui concerne l'intelligence dans toute sa distribution et non pas seulement


les niveaux caractérisant la déficience, on a calculé la ressemblance entre parents et
enfants ou entre germains (frères et soeurs) à partir des notes obtenues dans les tests
d'intelligence (le plus souvent des notes de QI). La corrélation entre parents et enfants
est d'environ 0,50, comme celle entre germains. Par contre elle est plus faible si on
considère des demi germains et encore plus faible pour des enfants sans liens de
parenté élevés ensemble. Les résultats se présentent bien selon une forme attendue si on
se place du point de vue de la génétique mais il faut noter qu'ils s'écartent notoirement
de ceux attendus par un modèle d'hérédité mendélienne de l'intelligence. Ces écarts au
modèle peuvent s'interpréter en faisant intervenir des variables d'environnement et/ou
des modèles génétiques complexes ou encore des interactions entre le génotype et
l'environnement.
La difficulté d'interprétation des données des études familiales quand le trait étudié
ne se transmet pas selon un modèle simple (comme la mutation liée au chromosome X
de la figure 11.1) a conduit à rechercher des situations où on pouvait dissocier les fac-
teurs d'environnement et les facteurs génétiques. Il s'agit respectivement de la méthode
des adoptions et de la méthode des jumeaux. On va voir que ces méthodes présentent
également des limites.

Il - Méthode des adoptions

a. Principes généraux

Constater qu'une population d'enfants ressemble à leurs parents conduit à


s'interroger sur les causes de la ressemblance. Comme on l'a vu précédemment, ascen-
dants et descendants ont en commun une partie de leur patrimoine génétique (les enfants
héritent de chacun de leurs parents la moitié de leur patrimoine génétique) et une partie
426 I Psychologie différentielle

de leur environnement (par environnement il faut entendre aussi bien l'environnement


social que physique ou biologique). D'où l'idée, ancienne, de disjoindre ce qui relève du
génotype et de l'environnement, en étudiant une population d'enfants séparés de leurs
géniteurs. On ignore tout du patrimoine génétique de ces enfants, on sait seulement
qu'ils sont séparés de leurs géniteurs. Ascendants et descendants directs ont, en probabi-
lité, 50 % de leurs gènes identiques par transmission. En comparaison, les enfants adop-
tés et leurs parents adoptifs ont un pourcentage de gènes en commun qui dépend du taux
de consanguinité de la population dont ils sont extraits.
L'idée générale de la méthode des adoptions peut se résumer dans les propositions
suivantes :
le trait analysé (ici l'intelligence) est lié aux gènes ; on s'attend donc à ce que les
descendants adoptés ressemblent à leurs parents biologiques ;
le trait n'est pas lié aux gènes ; les descendants adoptés et leurs parents biologiques
ne se ressemblent pas plus que des individus pris au hasard dans la population à
laquelle ils appartiennent ;
le trait est lié à des variables d'environnement parental ; les enfants adoptés ressem-
blent à leurs parents adoptifs ;
le trait n'est pas lié à des variables d'environnement parental ; les enfants adoptés
ne ressemblent pas plus à leurs parents adoptifs qu'à n'importe quels parents pris
dans la population à laquelle ils appartiennent.

On peut aussi bien entendu entrevoir des positions intermédiaires et se demander


auquel des deux types de parents (biologiques ou adoptifs) les enfants ressemblent le
plus.
Une fois ce canevas très général dressé il faut entreprendre une recherche. Et là les
difficultés s'accumulent. En effet, pour que les données soient facilement interprétables
il faut que certains critères méthodologiques soient respectés. Or n'oublions pas qu'on
ne travaille pas dans une situation expérimentale où le chercheur choisit de placer les
participants dans telle ou telle situation. Cependant tout écart aux critères méthodologi-
ques va mettre le chercheur en difficulté lorsqu'il va devoir interpréter ses données.
Comme dans ce champ de recherche les opinions s'affrontent, les mêmes données vont
être utilisées par un camp ou par un autre selon que l'écart à l'idéal méthodologique
sera perçu comme important ou non. Quelles conditions doivent-elles être remplies
pour que les données s'interprètent sans ambiguïté ? On en a relevé quatre principales :
— les enfants doivent être abandonnés très tôt par leurs parents biologiques, pour évi-
ter tout effet de l'environnement parental post-natal ;
les enfants doivent être adoptés très tôt par les parents adoptifs et, bien entendu,
rester très peu de temps en institution ;
— le placement des enfants dans les familles adoptives doit se faire au hasard : les
familles adoptives ne doivent pas être choisies en fonction de leurs caractéristiques
pour ne pas créer artificiellement une ressemblance entre enfants adoptés et parents
adoptifs, via les caractéristiques des parents biologiques ;
— on doit avoir un maximum d'informations sur les caractéristiques des parents
biologiques.
Cognition et génétique I 427

À la lecture de ces conditions il est aisé de comprendre que peu d'études vont les
remplir complètement. Si un certain nombre d'enfants sont effectivement abandonnés
dès la naissance, très peu sont adoptés immédiatement. De plus les agences d'adoption
ont, souvent, une politique de placement sélectif. Au risque de choquer, il faut rappeler
que certaines pratiquent (ou ont pratiqué) un choix des parents tendant à placer les
enfants qu'elles considéraient comme les « meilleurs » dans les familles les « meilleures ».
Enfin, si la mère est pratiquement toujours connue, du moins par les services d'adoption,
le père est souvent inconnu. Quand on travaille en génétique c'est évidemment très
ennuyeux puisque ce dernier fournit la moitié du patrimoine génétique de l'enfant.
Malgré ces difficultés, la méthode des adoptions a apporté des renseignements pré-
cieux sur le rôle des facteurs d'environnement dans les différences en matière
d'intelligence (ou QI). Les premières études ont été réalisées aux États-Unis d'Amérique
dans le premier tiers du xxe siècle. On citera par exemple les travaux de Barbara Burks
(1928) et de Alice Leahy (1937). Plus tard (1976) Sandra Scarr étudie ce qu'elle désigne
comme « des adoptions trans-raciales », c'est-à-dire des adoptions portant sur des
enfants issus de la communauté noire, adoptés par des personnes de la communauté
blanche. En France, il faut saluer le travail des chercheurs autour de Michel Duyme,
qui ont publié quatre études indépendantes entre 1973 et 1999.

b. Premier exemple : l'étude de Mary Skodak et Henry Skeels

En 1949 Skodak et Skeels publient les analyses finales d'une étude longitudinale
qui a marqué la discipline à cause de résultats apparemment contradictoires. À partir
de 1936 ces auteurs suivent 180 enfants blancs placés avant six mois dans des familles
adoptives. Ces enfants vont êtres testés cinq fois. La première passation de test est faite
après que l'enfant ait passé au moins un an dans la famille adoptive. La dernière est
faite environ dix ans après. Entre chaque passation, les auteurs « perdent » des enfants
(refus des familles de continuer à coopérer avec les chercheurs, déménagements, etc.).
Dans la publication de 1945 (3 e passation de test) les enfants ne sont plus que 139.
Dans la dernière publication (1949) ils ne sont plus que 100. Les e et 5 e passations de
test se font au même âge mais avec deux formes différentes du même test. Le test avait
été révisé et les auteurs font passer aux enfants la forme ancienne (celle de 1916) et la
forme nouvelle (celle de 1937). La fonte de l'effectif d'une passation à l'autre pose évi-
demment le problème de la représentativité de l'échantillon final par rapport à celui de
départ. De fait, à la première passation, il n'y a pas de différence significative entre
l'échantillon des enfants « qui vont être perdus » et l'échantillon final. Les auteurs con-
cluent qu'il n'y a pas eu de perte différentielle des enfants entre la première et la der-
nière évaluation.
Les auteurs pratiquent deux types d'analyse statistique. Ils comparent les QI
moyens des enfants aux QI moyens des mères biologiques. Malheureusement ils ne pos-
sèdent cette information que pour 63 des mères de l'échantillon final. Le QI moyen de
ces mères est égal à 85,7 (a = 15,75). Ensuite, ils calculent les corrélations entre le QI
des enfants et le niveau d'éducation des mères biologiques, entre le QI des enfants et
le QI des mères biologiques, enfin entre le QI des enfants et le niveau d'éducation des
mères adoptives.
428 I Psychologie différentielle

Le tableau 11.1 résume les résultats.

TABLEAU 11 . 1. - Étude de Skodak et Skills (1949).


Caractéristiques des enfants au moment de chacune
des 5 évaluations, corrélations entre les QI des enfants
et les w ou les niveaux d'éducation de leurs mères biologiques ou adoptives

r entre QI r entre QI
r entre Q! enfant adopté de l'enfant adopté
Âges des enfants enfant adopté et w de la et le niveau
au moment et niv. Éduc. mère biologique d'éducation de
des évaluations QI moyen * Mère biologique (63 enfants) la mère adoptive

2,2 ans 117 0,04 0,00 —0,03


4,3 ans 112 0,31* 0,28* 0,04
7,0 ans (139 enfants) 115 0,37* 0,35* 0,10
13,6 ans (100 enfants) 107 0,31* 0,38* 0,04
Forme 1916
13,6 ans 117 0,32* 0,44* 0,02
(100 enfants)
Forme 1937
+ Les écarts types varient entre 13,2 et 15,5.
* Corrélations significatives à p < 0,05.

De ces résultats deux conclusions peuvent être tirées :


d'abord les enfants abandonnés ont des QI moyens largement supérieurs à celui de
leurs mères biologiques (107 ou 117, selon la forme du test, comparé à 85,7). Cette
différence peut s'interpréter en termes d'effet de l'environnement parental et de
l'environnement socioculturel fourni par les parents adoptifs ;
ensuite, le QI des enfants est corrélé positivement et significativement à celui des
mères biologiques, à partir de l'âge de 4,3 ans. Les corrélations entre les QI des
enfants et les niveaux d'éducation des mères adoptives sont toutes proches de zéro.
On observe la même chose si on considère le père adoptif (ces données ne figurent
pas dans le tableau 11.1). On peut donc conclure à un effet des parents biologiques
(rôle des facteurs génétiques et/ou de l'environnement prénatal) et pas d'effet du
milieu fourni par les parents adoptifs.

L'apparente contradiction entre les données corrélationnelles et les données des


moyennes de QI a beaucoup perturbé les auteurs de la recherche : ils s'attendaient à
observer des corrélations entre les QI des enfants et les caractéristiques des parents adop-
tifs puisque le QI moyen des enfants était plus élevé que ceux de leurs mères biologiques.
De fait, au niveau statistique, il n'y a pas de contradiction entre les données puisqu'à par-
tir d'une corrélation on ne peut pas savoir si les moyennes des groupes sont proches ou
éloignées (on ne change pas la valeur d'une corrélation si on augmente de 10 points tous
les scores d'une des deux variables mises en corrélation). Ceci dit, il faut bien reconnaître
que les résultats auraient été plus faciles à interpréter si on avait observé une corrélation
positive et significative entre les QI des enfants et les niveaux d'éducation de leurs parents
Cognition et génétique I 429

adoptifs. Quoiqu'il en soit, l'étude montre à la fois une influence des parents biologiques
et des parents adoptifs. Peut-on aller plus loin dans l'interprétation ?
En 1977, Robert Plomin et coll. réanalysent les données de Skodak et Skills. Ils
constituent a posteriori quatre groupes d'enfants à partir des informations qu'ils possèdent
sur le niveau d'éducation des mères biologiques et adoptives. Leur démarche est très
intéressante car elle illustre parfaitement les glissements qui ont été opérés à partir des
données sur les enfants adoptés. En effet, pour pouvoir constituer leurs groupes, ils
admettent : a) que le génotype des enfants adoptés peut-être estimé à partir des scores
d'intelligence des parents biologiques (ici la mère) : les enfants au « génotype élevé » ont
des mères aux QI élevés, les enfants au « génotype bas » ont des mères aux QI bas ; b) que
l'environnement dans lequel les enfants adoptés sont placés peut être estimé à partir
des QI des parents adoptifs. Comme ils ne connaissent pas le QI des parents adoptifs, et
que le QI de certaines mères biologiques n'est pas disponible, la constitution des groupes
se fait en fonction des niveaux d'éducation. Ils coupent en deux la population des mères
biologiques à partir de la distribution de leur niveau d'éducation ; ils coupent en deux la
distribution des mères adoptives à partir de la distribution de leur niveau d'éducation. À
partir de là on peut constituer quatre groupes d'enfants en croisant les caractéristiques
des mères biologiques et des mères adoptives, puis calculer le QI moyen de chaque
groupe d'enfants. Les données figurent dans le tableau 11.2.

TABLEAU 11.2. — Réanalyse des données


de Skodak et Skills par Plomin et coll. (1977) (QI moyen des enfants)

«Environnement
des mères adoptives»

«Génotype des mères biologiques» Bas Élevé Moyenne des lignes

Bas 111,8 106,3 109,4


Élevé 122,15 121,4 121,9
Moyenne des colonnes 116,6 115,4

On voit que les enfants au « génotype bas » ont des QI moyens plus bas, indépen-
damment de l'environnement dans lequel ils ont vécu (109,4 versus 121,9) et ceci est vrai
quel que soit l'environnement (111,8 < 122,15 et 106,3 < 121,4). Par contre,
« l'environnement » qu'il soit bas ou élevé ne s'accompagne pas de différence de QI
moyens importante. Après analyse de la variance, les auteurs concluent à une absence
d'interaction entre le génotype et l'environnement.
Indépendamment des résultats, ce type d'analyse mérite qu'on s'y arrête. En effet,
plusieurs glissements ont été opérés par Plomin et coll. pour arriver aux données du
tableau 11.2. D'abord ils ont pris le niveau d'éducation comme estimation du QI. Or
on sait que la corrélation entre les niveaux d'éducation et les QI ne dépasse guère 0,50 ;
donc les mesures ne sont pas du tout équivalentes. Plus grave, ils prennent le niveau
d'éducation des mères biologiques comme mesure de leur génotype. L'erreur consiste à
oublier qu'on ignore tout du patrimoine génétique des mères et donc qu'il est impos-
430 I Psychologie différentielle

cible d'affirmer que les mères aux QI plus bas diffèrent génétiquement des mères aux QI
plus élevés. Le tableau 11.2 aurait donc dû être construit en croisant les lignes
« Niveau d'éducation des mères biologiques » et « Niveau d'éducation des mères adop-
tives » et non pas « Génotype des mères biologiques » et « Environnement des mères
adoptives ».
Une dernière remarque s'impose. Au vu du tableau 11.2 on pourrait conclure
qu'il n'y a pas d'effet de l'environnement adoptif puisque les QI moyens des enfants
sont très proches, qu'ils soient élevés par des mères adoptives de niveau d'éducation bas
ou élevé. Or on a vu précédemment que les enfants adoptés avaient un QI moyen lar-
gement supérieur à celui de leurs mères biologiques, cette différence ayant été attribuée
à l'action des parents adoptifs. Ces deux types de résultats ne sont qu'en apparente con-
tradiction. Dans un premier cas on compare les enfants adoptés à leurs mères biologi-
ques et le raisonnement consiste à penser que s'ils étaient restés dans leur milieu
d'origine, ils auraient probablement eu un QI moyen proche de celui de leurs mères
biologiques. Dans le second cas on cherche à savoir si des différences entre les parents
adoptifs s'accompagnent de différences entre les enfants adoptés. Or la distribution
des QI des mères biologiques est décalée vers le bas (les mères qui abandonnent leurs
enfants ne sont pas représentatives des mères tout venant) et la distribution des niveaux
d'éducation des mères adoptives est, elle, décalée vers le haut (les mères adoptives ne
sont pas représentatives des mères tout venant). Dans une étude française, Duyme
montre que l'adoption en soi favorise le développement d'enfants qui, s'ils étaient restés
dans leur milieu familial, auraient vécu dans un environnement peu stimulant. Par ail-
leurs, si les différences entre les mères adoptives ne sont pas très importantes, il y a peu
de chances qu'on puisse faire apparaître des différences entre les QI moyens des enfants.
Pour répondre à ce type d'interrogation, Christiane Capron et Michel Duyme ont
réalisé, en France, l'unique étude permettant de construire a priori (et non pas a poste-
riori, ce qui pose toujours des problèmes) un tableau identique au tableau 11.2.

c. Deuxième exemple : l'étude de Christiane Capron


et Michel Duyme (1989)

À partir des fichiers d'adoption, les auteurs constituent quatre groupes d'enfants
adoptés en croisant les niveaux d'éducation et de niveau socio-économique, suivant la
classification suivante :
— le niveau d'éducation bas (–) : entre cinq et neuf années d'études (soit scolarisation
jusqu'à la 3', au plus) ;
— le niveau d'éducation élevé (+) : entre une année d'études universitaires et la thèse ;
le niveau socio-économique bas (–) : travailleur sans qualification, ouvrier, paysan
de petite exploitation ;
— le niveau socio-économique élevé (+) : étudiant, médecin, cadre, agriculteur de
grosse exploitation.

Pour être dans la catégorie des « – », les parents doivent avoir, à la fois, un niveau
d'éducation bas et un niveau socio-économique bas. Pour être classés « + », les parents
doivent avoir, à la fois, un niveau d'éducation élevé et un niveau socio-économique élevé.
Cognition et génétique I 431

Les adoptés sont testés à l'âge moyen de 14 ans. Ils ont été abandonnés à la nais-
sance et placés avant six mois dans les familles adoptives. Le tableau 11.3 présente
les QI moyens, calculés à partir d'une échelle de Wechsler (wisc-R), en fonction des
caractéristiques des parents biologiques et adoptifs.

TABLEAU 11.3. QI moyens des enfants adoptés en fonction


des niveaux d'éducation et socio-économiques des parents biologiques et adoptifs
(d'après Capron et Duyme, 1989).
Toutes les cases comprennent 10 enfants sauf la case B+ / A— qui en comprend 8.
La première ligne de chaque case donne le QI moyen,
la seconde l'écart type et la troisième l'étendue des notes

Niveau d'éducation
et niveau socio-économique
Niveau d'éducation des parents adoptifs
et niveau socio-économique
des parents biologiques Élevé (A+) Bas (A) Moyenne des lignes

Élevé (B+) 119,60 107,50


(12,25) (11,94) 113,55
99-136 91-124
Bas (B—) 103,60 92,40
(12,71) 15,41 98,0
91-125 68-116
Moyenne des colonnes 111,6 99,95

Les auteurs effectuent une analyse de la variance et montrent :


un effet des caractéristiques des parents biologiques (113,55 > 98,0), et ceci, quel
que soit le niveau des parents adoptifs (119,6 > 107,5 et 103,6 > 92,4) ;
un effet des caractéristiques des parents adoptifs (103,60 > 92,40), et ceci, quel que
soit le niveau des parents biologiques (119,60 > 103,60 et 107,50 > 92,40) ;
l'interaction entre les deux facteurs n'est pas significative : la différence entre les A+
et A— est du même ordre quel que soit le niveau de B et vice versa.

Comment interpréter les résultats ? Il est assez facile d'interpréter les différences
entres les groupes A+ et A—, compte tenu de ce qu'on sait des différences entre QI
moyens des enfants en fonction du niveau socio-économique des parents.
L'interprétation des différences entre B+ et B— est plus délicate. Les auteurs ont la
sagesse de refuser de conclure que la différence entre les groupes B+ et B— soit une
différence due au patrimoine génétique. En effet, tout comme dans la recherche de
Skodak et Skills, on ne sait rien des caractéristiques génétiques des parents biologi-
ques. Reste que des variables liées à la naissance des enfants, comme le poids de
naissance, la durée de gestation, les troubles pré ou néo-natals ne permettent pas
de distinguer les quatre groupes d'enfants adoptés. Le mystère reste donc entier et
on touche là aux limites de la méthode des adoptions quand on s'intéresse à la
génétique.
432 I Psychologie différentielle

d. Pour conclure sur la méthode des adoptions

La méthode des adoptions est très riche d'informations sur l'effet des variables
socio-économiques sur le développement intellectuel : les enfants adoptés ont un
niveau (intellectuel, éducatif) plus élevé que s'ils étaient restés dans leur milieu
d'origine, lorsque celui-ci est « défavorisé ». On sait aussi que l'adoption a un effet
bénéfique, même si elle est tardive (après 4 ans). 11 faut mieux être adopté que rester
dans des familles d'accueil même si les parents adoptifs sont de niveau socio-
économique modeste. Ceci montre que, parmi les variables d'environnement qui
caractérisent les parents adoptifs, on ne doit pas tenir compte que des niveaux
d'éducation ou des niveaux socio-économiques. La stabilité de la relation parent-
enfant créée par la situation d'adoption est probablement un facteur clé pour le déve-
loppement de l'enfant. Toutefois la méthode des adoptions est non informative si on
s'intéresse à la génétique. Elle permet, tout au plus, de conclure que les caractéristi-
ques des parents biologiques sont liées aux caractéristiques de leurs descendants mais
elle ne permet pas de dissocier les effets du génotype de tous les événements qui pré-
cèdent ou entourent la naissance. En particulier, elle ne permet pas de dissocier les
effets du génotype des effets des environnements maternels prénatals. Or on sait que
des variables d'environnement maternel prénatal peuvent rendre compte, en partie,
des différences individuelles. Ceci a été montré en combinant, chez l'animal, la
méthode des adoptions avec des greffes d'ovaires ou des transferts d'embryons (Car-
lier, Roubertoux, 1999).

Ill - La méthode des jumeaux

a. Les jumeaux monozygotes et les jumeaux dizygotes

Voici dix ans, Élisabeth Spitz et moi publiions une revue de question sur la
méthode des jumeaux. Une remarque s'imposait : la littérature sur le sujet était très
abondante. Elle l'est toujours. La démarche générale n'ayant pas changé, il est recom-
mandé au lecteur particulièrement intéressé par cette question de se reporter à notre
revue de question (Spitz et Carlier, 1996) et bien entendu de lire l'ouvrage de Zazzo
(1960) qui est réédité régulièrement.
On attribue souvent à Galton d'avoir décrit pour la première fois la méthode des
jumeaux en 1875. En réalité il faudra attendre le premier quart du xxe siècle pour
qu'on pense à comparer les jumeaux monozygotes (MZ) et les jumeaux dizygotes (Dz). Il
faut dire qu'à l'époque de Galion on ignorait ce qu'étaient les monozygotes et les
dizygotes.
On évalue à environ 1 % les grossesses gémellaires et, parmi elles, on compte 30
à 40 % de naissances mz. Les jumeaux mz sont issus de la division d'un ovule fécondé
par un spermatozoïde dans les jours qui suivent cette fécondation (entre 1 et 10 jours).
Si la division est précoce (avant le 4, jour) les enveloppes placentaires ne sont pas
encore développées et chaque embryon va former son chorion (enveloppe externe) et
Cognition et génétique I 433

son amnios (enveloppe interne). On dira que les jumeaux mz sont dichorioniques et
diamniotiques (MZ DC DA). Si la division est plus tardive (entre 4 et 7 jours après la
fécondation), les jumeaux partagent le même chorion mais se développent chacun dans
un amnios. Ils sont mz dichorioniques monoamniotique (MZ DC MA). Si la division est
encore plus tardive, les jumeaux se développent dans le même amnios. Ils sont monozy-
gotes, monochorioniques, monoamniotiques (mz MC MA). Ces cas sont rares et repré-
sentent environ 1 % des grossesses mz MC.
Les jumeaux mz ont le même patrimoine génétique à de rares exceptions près.
S'ils se développent dans le même chorion, des échanges sanguins entre co-jumeaux
vont pouvoir se faire via leur placenta commun. On parle d'anastomoses placentaires.
Les grossesses mz mc sont surveillées car les échanges sanguins entre co-jumeaux peu-
vent être déséquilibrés, ce qui peut entraîner la mort d'un des deux foetus. Si les co-
jumeaux ont chacun leur chorion ils sont reliés chacun à un placenta et ont une ali-
mentation indépendante. Environ 70 % des jumeaux mz sont monochorioniques, les
autres étant dichorioniques.
Les jumeaux dizygotes sont issus de la fécondation de deux ovules par deux sper-
matozoïdes. Du point de vue génétique, ils sont comme des germains. Chaque
embryon fabriquant ses enveloppes, ils sont dichorioniques diamniotiques. En consé-
quence il n'y a pas d'échange sanguins entre les co-jumeaux et donc moins de risque
pour les foetus. À la naissance, il n'est possible de conclure à une grossesse mz que s'il y
a un seul placenta puisque la présence de deux placentas ne permet pas de distinguer
entre les mz et les DZ.
Pour éviter des erreurs de vocabulaire en parlant de jumeaux, n'oubliez pas de lire
l'encadré 11.2.

ENCADRÉ 11.2

Les jumeaux, une question de vocabulaire

1 / Il vaut mieux éviter les expressions « vrais jumeaux » et « faux jumeaux » pour parler des
jumeaux ne et oz. La deuxième expression est désobligeante pour les jumeaux oz et de
toute évidence, fausse. Jumeau désigne des personnes nées d'un même accouchement.
Donc les DZ sont aussi « vrais » que les en.
2 / Les jumeaux mz sont souvent appelés, à tort, jumeaux homozygotes, les oz devenant des
hétérozygotes. Ces mots viennent du grec. Dans monozygote « mono » veut dire « un,
seul » ; le « di » de dizygote voulant dire « deux ». Dans homozygote, « homo » veut dire
« pareil, semblable » et le « hétéro » d'hétérozygote veut dire « autre, différent ». Les ter-
mes monozygote et dizygote se rapportent aux jumeaux. Les termes homozygote et hété-
rozygote se rapportent aux formes alléliques (séquences alternatives possibles) que peut
prendre un gène sur les deux chromosomes homologues. Si pour un gène donné, une per-
sonne porte le même allèle sur les deux chromosomes homologues, on dit qu'elle est
homozygote pour le gène en question. Si cette personne porte deux allèles différents, on
dit qu'elle est hétérozygote pour le gène en question.
Les jumeaux roz sont bien évidemment hétérozygotes pour un grand nombre de leurs
gènes (comme tout un chacun). Toutefois si un jumeau est hétérozygote pour un gène, son co-
jumeau le sera aussi pour le même gène, puisque les jumeaux mz d'une même paire ont le
même patrimoine génétique.
434 I Psychologie différentielle

b. La comparaison entre les jumeaux mz et les jumeaux bz

Les statistiques utilisées sont différentes suivant que le trait étudié se distribue de
manière continue ou discontinue. Pour l'intelligence, on a affaire le plus souvent à un
trait continu. On va donc présenter ici les cas où le trait se mesure de façon continue
(pour des traits discontinus, comme dans le cas de la maladie mentale, se reporter à
Carlier, Roubertoux, 2006).
Soit un groupe de jumeaux mz (comprenant 18 paires) et un groupe de jumeaux DZ
(comprenant également 18 paires de jumeaux). On peut évaluer leur ressemblance en
calculant la moyenne des différences intra-paire ou en calculant la corrélation intra-
paire. Le tableau 11.4 présente un exemple fictif (mais vraisemblable) et la démarche des
calculs. Il est aisé de refaire ces calcul à partir du tableur Excel en entrant les scores des
jumeaux 1 dans une colonne, ceux du jumeaux 2 dans une autre et enfin la différence (en
valeur absolue car les jumeaux sont numérotés 1 ou 2 au hasard, à l'intérieur d'une
paire) dans une troisième ; ceci pour chaque type de jumeaux (tableau 11.4).

TABLEAU 11.4. Notes en QI de 18 paires de jumeaux mz


et de 18 paires de jumeaux Dz. Différence absolue entre les co-jumeaux

A4Z DZ

Différence Différence
Paires Jumeau 1 Jumeau 2 absolue Jumeau 1 Jumeau 2 absolue

1 100 105 5 75 100 25


2 85 100 15 78 86 8
3 130 120 10 140 100 40
4 142 130 12 149 102 47
5 121 115 6 94 43 51
6 113 100 13 100 60 40
7 100 95 5 102 101 1
8 112 110 2 96 110 14
9 77 50 27 115 129 14
10 85 70 15 105 116 11
11 78 90 12 98 88 10
12 72 90 18 115 80 35
13 102 112 10 99 106 7
14 112 116 4 110 78 32
15 95 102 7 100 108 8
16 89 90 1 86 86 0
17 89 99 10 79 106 27
18 95 100 5 86 78 8
Moyenne (a) 9,83 21
6,41 16,32

On voit que la moyenne des différences intra-paires est plus petite chez les
jumeaux mz que chez les jumeaux DZ (9,83 < 21). La différence est significative au seuil
de 0,01 et l'écart entre les moyennes est important : 11,17 points. On voit aussi que
Cognition et génétique I 435

l'écart type des différences est plus grand chez les jumeaux DZ que chez les
jumeaux MZ. En clair, les co-jumeaux mz se ressemblent plus dans leurs scores
d'intelligence que les co-jumeaux DZ.
Une autre manière de représenter cette ressemblance est de calculer le coefficient
de corrélation intra-classe. Pour ce, il faut passer par l'analyse de la variance. La
variable dépendante est le score en QI et il y a autant de groupes indépendants que de
paires de jumeaux. Ici pour les jumeaux mz comme pour les jumeaux DZ on a 18 pai-
res, donc 18 groupes.
Pour les jumeaux mz, on veut savoir si la variance intra-paire de jumeaux est plus
faible que la variance inter-paire de jumeaux ; si cela est vrai, cela veut dire que les co-
jumeaux se ressemblent plus que des gens pris au hasard dans la population. On se
posera la même question pour les jumeaux DZ.
Les sorties Excel des analyses de variances sont données dans les tableaux 11.5
et 11.6.

TABLEAU 11.5. — Analyse de variance des notes en QI


des 18 paires de jumeaux MZ

Somme Degré Moyenne


Source des variations des carrés de liberté des carrés F Probabilité

Entre groupes 10 662,25 17 627,19 9,25 0,00001


À l'intérieur des groupes 1 220,5 18 67,81

Total 11 882,75 35

TABLEAU 11.6. — Analyse de variance des notes en QI, des 18 paires de jumeaux DZ

Somme Degré Moyenne


Source des variations des carrés de liberté des carrés F Probabilité

Entre Groupes 8 180 17 481,18 1,4 0,25


À l'intérieur des groupes 6 234 18 346,33

Total 14 414 35

Le calcul de la corrélation intra-classe s'effectue à partir de l'équation suivante :


r = moyenne des carrés intra /
(moyenne des carrés intra + moyenne des carrés inter).

Soit :
rmz = 627,19 / 627,19 + 67,81) = 0,90.
rp z = 481,18 / 481,18 + 346,33 = 0,58.
436 I Psychologie différentielle

On voit que les jumeaux mz se ressemblent plus à l'intérieur des paires que les
jumeaux DZ, ce que nous avions déjà conclu à partir des différences intra-paires.
Notons que les valeurs des corrélations intra-classes trouvées ici correspondent tout à
fait aux valeurs observées dans la littérature. La corrélation est significative dans le
groupe des mz (au seuil de 0,00001), celle du groupe de DZ ne l'est pas. Si l'effectif
des DZ avait été plus élevé, en obtenant une valeur similaire, on aurait obtenu une cor-
rélation significative.

c. L'héritabilité : un calcul simple, une notion difficile


à comprendre et à manipuler avec prudence

À partir des corrélations intra-classes on peut aisément passer au calcul de


l'héritabilité. Il suffit d'utiliser l'équation suivante (coefficient de Falconer) :
e 2(rmz - rijz).
Soit dans notre exemple, h 2 = 2(0,90 – 0,58) = 0,64, soit 64 %.
Plus l'écart entre les corrélations des mz et des DZ est grand, plus h2 est grand.
Par exemple si rmz = 0,69 et rDz = 0,27, alors h 2 = 0,84 (84 %) et pourtant la valeur
de la corrélation intra-paire des mz est plus petite, ici, et donc les jumeaux mz se res-
semblent moins.
Qu'est-ce donc que cette héritabilité ?
L'héritabilité est une estimation de la part de variance d'un trait imputable à la
variation génétique de la population dans laquelle le trait a été évalué. Plus précisément
ici, il s'agit de la part de variation imputable aux différences entre les allèles portés par
les individus de la population en question. Par définition, comme c'est une part de
variance, le modèle d'analyse statistique est additif. Donc on doit pouvoir également
estimer la part de variance due aux variations de l'environnement dans lequel se trouve
cette population. Ainsi, si l'héritabilité est égale à 0,80, il ne reste que 0,20 pour
l'environnement !
Des modèles de décomposition plus fins de la variance ont été proposés, dont le
très fameux modèle ACE largement utilisé dans la littérature.
On distingue :
— la variance additive (A), celle qui est imputable aux variations entre allèles ;
c'est h2 ;
— la variance due à l'environnement commun (C), environnement partagé par les
membres d'une même famille mais non partagé par des membres de familles diffé-
rentes ;
la variance due à l'environnement non commun (E), environnement non partagé
par les membres des familles plus variance erreur, donc l'infidélité des mesures. On
dénomme aussi cette variance, variance d'erreur.

Le modèle permet de tester l'adéquation des données à différentes solutions alter-


natives faisant intervenir l'une ou l'autre de ces variances et peut-être toutes.
Cognition et génétique I 437

d. L'héritabilité un exemple expérimental. La publication


de Stephanie van den Berg, Danielle Posthuma et Dorret Boomsma (2004)

La recherche porte sur un total de 997 adultes qui sont tous des jumeaux ou des
germains de jumeaux. Une partie de l'échantillon (217) est testée deux fois, à environ
six ans d'intervalle. On fait passer une épreuve de vocabulaire dans laquelle le partici-
pant doit trouver des synonymes d'une série de mots. Le tableau 11.7 présente une
partie des résultats sachant qu'on a beaucoup simplifié.

TABLEAU 11 . 7. — Corrélations infra-classe pour les jumeaux et leurs germains


lors des deux évaluations de connaissance de vocabulaire,
et décomposition de la variance selon k modèle ACE
(d'après van den Berg et coll. (2004))

Décomposition de la variance.
Corrélations intra-paires Les valeurs sont données en %,
et nombre de paires avec entre parenthèses les intervalles
entre parenthèses de confiance des estimations

mZ Dz Germains A

Évaluation 1 0,58 0,41 34 (0-67) 24 (0-53) 42 (31-57)


(94) (119)
Évaluation 2 0,67 0,34 0,18 63 (51-72) 0 (0-7) 37 (28-47)
(144) (172)

Lors de la première évaluation, ni la variance additive (A), ni la variance


d'environnement commun (C) ne diffèrent significativement de zéro. Toutefois le
modèle d'analyse où seul l'environnement non commun est testé (E) ne s'ajuste pas aux
données. Les auteurs concluent que le pouvoir statistique des tests n'est pas suffisant
pour arriver à une décomposition satisfaisante de la variance. Le pouvoir des tests sta-
tistiques est une indication de la probabilité que l'on a de rejeter une hypothèse nulle
dans le cas où on aurait raison de la rejeter (Howell, 1998). Il dépend de la taille des
échantillons. Remarquez qu'il y a pourtant 94 paires de jumeaux mz et 119 paires de
jumeaux DZ, effectifs déjà conséquents. Pourtant cela ne suffit pas. Lors de la deuxième
évaluation, les auteurs ont plus de participants et donc le pouvoir des tests statistiques
est meilleur.
Lors de la seconde évaluation on voit que la variance due à l'environnement com-
mun (C) est nulle, ce qui veut dire que la ressemblance entre les co-jumeaux mz ou DZ,
ou entre les germains, n'est pas attribuable au fait qu'ils partagent un même environne-
ment. D'où la conclusion des auteurs : « These results suggest that resemblance in voca-
bulary scores among family members can be attributed entirely to their sharing of
genes » (p. 288 — en français : ces résultats suggèrent que la ressemblance entre les
membres d'une même famille dans les scores de vocabulaire semble pouvoir être entiè-
rement attribuée au fait qu'ils partagent des gènes).
438 I Psychologie différentielle

Comment expliquer qu'une partie de la variation des scores de vocabulaire soit


attribuable à des variables d'environnement non partagé au sein des familles (E) ? Les
auteures suggèrent que le fait de regarder certaines émissions de télévision, de lire
certains journaux plutôt que d'autres pourrait constituer des exemples de sources
de variation non spécifiques aux familles mais ayant des effets sur la connaissance du
vocabulaire.
Dans leur conclusion, les auteurs remarquent que le plan de la recherche ne per-
met de tester ni les effets d'interaction entre le génotype et l'environnement, ni les
effets de corrélation entre le génotype et l'environnement, la variance due à ces effets
étant incluse dans la variance génétique. Ce point limite sérieusement la portée des
résultats.

e. L'héritabilité, que conclure ?

Dans notre revue de question sur la méthode des jumeaux (Spitz et Carlier, 1996)
nous avons montré combien les valeurs de l'héritabilité sont dépendantes des variables
incluses dans l'analyse. Par exemple, selon qu'on fasse intervenir ou non une variable
caractérisant le développement prénatal chez les jumeaux mz (le fait d'avoir été mono-
chorionique ou dichorionique) on observe des valeurs tout à fait différentes du coeffi-
cient d'héritabilité — voir encadré 11.3.

ENCADRÉ 11.3

Des valeurs d'héritabilité qui dépendent


du contrôle des variables d'environnement,
ici d'une variable de l'environnement maternel prénatal

La ressemblance intra-paire de jumeaux mz n'est pas forcément la même suivant que les
jumeaux sont monochorioniques ou dichorioniques. En particulier, on a observé que les
jumeaux mz se ressemblaient moins s'ils s'étaient développés chacun dans un chorion
(jumeaux dichorioniques) que s'il s'étaient développés dans un seul chorion (jumeaux mono-
chorioniques) - Spitz et Cartier, 1996.
Une étude portant sur une large population de jumeaux (161 mz mc et 80 mz oc) a été
entreprise par une équipe belge pour tester l'ampleur du phénomène (Jacobs et coll., 2001).
Les jumeaux sont évalués avec le test WISC-R. Puisqu'il y a deux types de jumeaux mz,
l'héritabilité peut se calculer deux fois : la première en comparant les mz mc aux oz, la seconde
en comparant les mz oc aux oz. Notons que la comparaison la plus juste est celle qui prend
les Mz DC comme terme de comparaison puisque les oz sont toujours dichorioniques : ce fai-
sant on compare deux groupes de jumeaux ayant vécu durant leur vie prénatale dans des
conditions similaires - du moins pour la variable chorion.
Pour les sous-tests Arithmétique et Vocabulaire, les mz mc se ressemblent plus que
les MZ oc. Comme on peut s'y attendre, le coefficient cl'héritabilité baisse quand on le calcule à
partir de rmz oc plutôt qu'avec rmz „ c . Pour le sous test d'Arithmétique il passe de 67 % à 54 % et
pour le sous test Vocabulaire il passe de 82 % à 73 %. Les auteurs concluent : « This suggests
that when analyzing a trait that is under influence of chorion type, the composition of the mz
group could be important for the accuracy of the heritability estimate » (en français : ceci sug-
gère que quand on analyse un trait sous influence du type de chorion, la composition du
groupe des mz peut être importante pour l'estimation juste de l'héritabilité).
Cognition et génétique I 439

La valeur de l'héritabilité telle qu'on peut la trouver dans un article est donc
dépendante des caractéristiques de la recherche dont cet article rend compte (test uti-
lisé, population testée, conditions sur recueil des données, variables environnementales
contrôlées, etc.). L'héritabilité n'est donc pas la caractéristique d'un trait. Dire que
« l'intelligence est héritable à 70 °A) » est un non sens. Pire, dire que l'intelligence est
héritée à 70 o/ est une absurdité. Car héritabilité ne veut pas dire hérédité. Dans une
population où la variance génétique est nulle ou presque, un trait peut être totalement
hérité. Si on applique à la présence du nez la formule de calcul de l'héritabilité
donnée plus haut (h 2 = 2(r> — rp z), son héritabilité est nulle... De fait, la variation
porte sur la forme du nez mais pas sur le fait d'avoir un nez ou pas. Et pourtant le
fait d'avoir un nez est bien dû aux gènes que nous avons hérités de nos parents. Tout
ceci est bien connu des spécialistes qui utilisent le modèle de décomposition de la
variance. Mais les difficultés commencent dès qu'on sort du petit monde des spé-
cialistes et on voit fleurir les erreurs d'interprétation de ce trop fameux coeffi-
cient d'héritabilité, y compris chez des personnes dont par ailleurs la compétence
est réelle en psychologie ou en neurosciences, pour ne citer que les spécialités qui
intéressent ici.

f. La méthode des jumeaux passé et avenir

En ce qui concerne l'intelligence et plus généralement ce que recouvrent les ter-


mes processus cognitifs, la quasi-totalité des données montre que les jumeaux MZ se res-
semblent davantage que les jumeaux DZ. Et ceci reste vrai même si les jumeaux ont été
séparés très jeunes. Les corrélations intra-paire mz dépassent souvent 0,60 et peuvent
atteindre 0,90. Les corrélations intra-paire DZ, elles, sont nettement plus faibles
(entre 0,40 et 0,55). Il y a là un fait qu'il faut prendre en compte et il est normal
d'essayer d'en comprendre les causes. Les données issues de la méthode des jumeaux
permettent de penser que la variabilité génétique joue un rôle dans la mise en place des
différences individuelles dans la cognition. Pourrait-il d'ailleurs en être autrement ?
Elles ont aussi permis de mettre en évidence le rôle de certaines variables
d'environnement auxquelles le psychologue ne pense pas forcément spontanément,
comme les facteurs liés aux groupes (classe, école, région). Ce n'est pas ces conclusions
qui sont sujettes à caution mais l'acharnement de certains à vouloir à tout prix estimer
un pourcentage de variance « vraie » rendant compte des effets génétiques — ou des
effets d'environnement. Les progrès de la génétique moléculaire ouvrent la voie à
d'autres méthodologies qui permettent de poser des questions beaucoup plus directes :
existe-t-il des gènes dont les variations alléliques soient liées aux variations d'intelligence
ou de traits cognitifs ? Les chercheurs s'intéressant aux jumeaux l'ont d'ailleurs bien
compris comme l'atteste le récent changement de titre de la revue officielle de la Inter-
national Society for Twin Studies qui est passé de « Twin Research» à « Twin Research and
Hainan Genetics
440 I Psychologie différentielle

C - LE SÉQUENÇAGE DU GÉNOME HUMAIN


ET LE RENOUVEAU DE LA PROBLÉMATIQUE :
PASSAGE DE L'HÉRITABILITÉ AUX GÈNES DE SUSCEPTIBILITÉ

I - Recherche de gènes liés à des traits quantitatifs


(ou méthode de QTL, de l'anglais Quantitative Trait Loci)

a. Le premier criblage du génome pour la recherche


de zones chromosomiques liées à des différences de Cil

En février 2002, deux équipes publiaient dans les revues .Nature et Science les résul-
tats du premier séquençage du génome humain. Ils estimaient que celui-ci comprenait
environ 40 000 gènes. Ce chiffre était largement en dessous des prévisions puisque
quinze ans auparavant on pensait que le génome humain possédait 500 000 gènes. Sur
ces 40 000 gènes, 20 % s'exprimeraient dans le cerveau (Roubertoux, 2004). Le séquen-
çage du génome permet de découvrir la position des gènes. On n'en connaît pas pour
autant leur fonction. La protéomique est la recherche de cette fonction. On peut toute-
fois utiliser la connaissance du génome humain pour trouver des marqueurs* pour les-
quels on sait qu'il existe plusieurs allèles. On va alors rechercher la liaison entre la pos-
session d'un allèle plutôt qu'un autre et les scores dans un test d'intelligence.

b. La recherche des QTL. Quelques explications sur la méthode

La présentation qui va suivre est très simplifiée. Elle n'a pas d'autre but que de
donner une idée de la méthode. Pour un approfondissement on peut se reporter à Rou-
bertoux (2004).
Pour un trait T, on explore la contribution possible de trois régions chromosomi-
ques indépendantes qui se trouvent sur le même chromosome, chacune incluant un
marqueur (A, B ou C). Par marqueur il faut comprendre un locus connu pour ses diffé-
rentes formes alléliques. Supposons qu'on attende deux formes alléliques par marqueur
(indiquées en majuscule ou en minuscule) et qu'on obtienne les moyennes suivantes
pour chaque génotype.
AA = 2,5 ; Aa = 2,51 ; aa = 2,48 (non significatif)
BB = 3,2 ; Bb = 3,5 ; bb = 3,6 (non significatif)
CC -= 2,1 ; Cc = 4,5 ; cc = 8,1 < 0,01)
On compare ensuite ces valeurs par une analyse de la variance. On voit que seules
les valeurs de la troisième ligne diffèrent. Cette différence indique que la substitution
d'allèles aux locus A (c'est-à-dire le fait qu'à ce locus on ait la forme A ou la forme a)
n'entraîne pas une modification significative des moyennes ; on observe le même phé-
nomène au locus B mais pas au locus C. Par ailleurs, on constate que le génotype hété-
rozygote Cc a une valeur intermédiaire entre CC et cc (on parle d'iso-dominance).
Cognition et génétique I 441

Ce résultat indique qu'un des QTL lié au trait se situe dans la région chromoso-
mique incluant C. Ensuite il reste beaucoup à faire ; en particulier, il faut rechercher
dans la région chromosomique C les gènes connus susceptibles de rendre compte des
différences comportementales observées.
Les résultats se présentent sous une forme graphique dont un exemple est donné
dans la figure 11.2.

s)
o(.)
o
0

FIG. 11.2. — Représentation schématique d'un Q:11.

En abscisse se trouvent les marqueurs du chromosome dont on connaît la distance


au centromère (position 0). L'unité de mesure de distance sur un chromosome est, rap-
pelons le, le centiMorgan (1 cM est égal à 1 % d'enjambement). En abscisse, on donne
la valeur du LOD score. On peut le définir comme le logarithme du rapport entre la
probabilité d'une liaison entre le trait et le marqueur d'ADN' et la probabilité d'une non
liaison. Plus la courbe s'élève (plus le LOD score est élevé), plus la probabilité d'avoir
détecté une région chromosomique liée au trait est grande. On voit que le LOD score
est d'environ 5, pour des marqueurs se trouvant une région chromosomique située à
une distance d'environ 170 cM du centromère. Cribler l'ensemble du génome revient à
faire le même type d'analyse pour tous les chromosomes.

c. Les premiers criblages du génome pour l'intelligence générale.


Des résultats plutôt décevants pour leurs auteurs

1/ La recherche de Robert Plomin et de ses collaborateurs (Angleterre)

Plomin et coll. (2001) ont choisi la stratégie qui consiste à rechercher des QTL en
sélectionnant des participants au score d'intelligence très élevé. Le score en QI est cal-
culé soit à partir des échelles de Wechsler (wlsc-R ou WAIS-III, selon l'âge des personnes)

1. ADN : Acide désoxyribonucléique ; support de l'information génétique.


442 I Psychologie différentielle

soit à partir du SAT (Scholatic Aptitude Test). La recherche est extensive : un premier
groupe de 101 participants au QI > 130 fait d'abord l'objet de l'étude génétique ;
1 842 marqueurs d'ADN sont testés sur l'ensemble des chromosomes (le groupe de com-
paraison est constitué de 101 personnes au QI moyen, soit 100). Les analyses montrent
que sur les 1 842 marqueurs, 108 discriminent les très hauts QI des QI moyens. Un
second groupe de 96 personnes est ensuite utilisé pour valider les résultats. Le QI est
encore plus élevé (> 160) — le groupe de comparaison a toujours un QI moyen. Cette
fois-ci l'ADN est analysé chez chaque individu. Sur les 6 marqueurs testés, 4 discrimi-
nent les hauts QI des QI moyens. Un troisième groupe est composé de 196 trios com-
prenant les deux parents biologiques et leurs enfants (les enfants ayant un QI élevé) avec
lesquels les auteurs cherchent des déséquilibres de transmission pour les allèles qui ont
été détectés avec les deux précédents groupes. On teste les 4 marqueurs qui restent à
l'issue de la seconde étape. Aucun n'est significatif. Les auteurs remarquent, avec jus-
tesse, que les critères qu'ils ont choisi pour conclure à l'existence d'un QTL sont extrê-
mement sévères et que peu d'études utilisent une telle stratégie. Finalement, en 2004
Plomin et son équipe publient un article montrant l'existence d'une association entre
un gène et les hauts scores en QI. Il est important de noter que cette association
explique une faible part de variance des hauts QI.

2 / Étude de Danielle Posthuma, Dorret Boosma, Nicholas Martin


et leurs collaborateurs (Pays Bas et Australie)

L'équipe néerlandaise dont on a présenté la recherche sur les jumeaux un peu plus
haut vient de s'illustrer en réalisant, conjointement avec des chercheurs australiens la
première étude de criblage du génome pour l'intelligence évaluée dans des populations
tout venant. Les caractéristiques des deux échantillons sont présentées dans le
tableau 11.8.
Le test d'intelligence est la WAIS III-R pour les néerlandais et un test informatisé
très proche du test de Wechsler pour les australiens. Les deux échantillons diffèrent par
plusieurs points : les australiens sont des jumeaux DZ et leurs germains (on ne peut pas
inclure les paires mz dans la mesure où, à l'intérieur d'une paire, ils ont le même patri-
moine génétique), les néerlandais ne sont pas des jumeaux. Les australiens sont plus
nombreux et plus jeunes que les néerlandais. Le niveau intellectuel des australiens est
plus élevé. Si on regarde maintenant les valeurs de l'héritabilité, elles sont plus élevées
dans l'échantillon néerlandais.
Les marqueurs d'ADN (appelés aussi microsatellites) testés se répartissent sur tous
les autosomes (chromosomes non sexuels). On en compte entre 211 et 790 par per-
sonne, ce qui est nettement moins que dans l'étude précédente ; toutefois ici l'ADN de
chaque participant est analysé alors que dans l'étude précédente, les ADN des personnes
à hauts QI avaient été mêlés, tout comme ceux des personnes à QI moyens, lors de la
première étape. Le but était évidemment de faire des économies non seulement en
temps mais en argent.
Les auteurs analysent séparément les deux populations ; comme ils n'observent pas
d'hétérogénéité entre les résultats des deux groupes, ils mêlent les données. Ceci leur
permet d'augmenter le pouvoir des tests statistiques.
Cognition et génétique I 443

TABLEAU 11.8. — Caractéristiques des personnes australiennes et néerlandaises


qui ont participé au criblage du génome dans la recherche de QI/. pour l'intelligence
(d'après Posthuma et coll. (2005))

Caractéristiques Échantillon australien Échantillon néerlandais

Nombre de familles 329 100


Nombre de paires de germains 475 159
Nombre de personnes 725 225
Âge (années) 16,4 39,6
QI total 112,6 94,2
QI verbal 111,0 92,4
QI performance 112,4 98,3
Héritabilité du QI total 0,69 0,86
Héritabilité du QI verbal 0,72 0,85
Héritabilité du QI performance 0,59 0,69

Au final on observe une liaison significative entre le QI Performance et une région


du chromosome 2. Cette région est tout particulièrement intéressante, pour les auteurs
de la recherche, car des travaux portant sur l'autisme infantile ont conclu à l'existence
de liaison entre cette partie du chromosome 2 et la présence de troubles de la lecture
ou d'autisme.
On observe aussi une liaison probable du QI total avec une zone du chromo-
some 6, zone elle aussi intéressante car elle semble impliquée dans les troubles de la
lecture.

3/ Les criblages extensifs des génomes pour le al. Que conclure ?

Pour les auteurs des recherches citées plus haut, les résultats sont, bien sûr, assez
décevants : il est très difficile de faire apparaître des résultats significatifs. La raison
principale est que si on travaille dans la marge de variation normale des scores
d'intelligence, on ne peut pas espérer trouver des régions chromosomiques, ou mieux
des gènes, qui expliquent une part importante de la variance du trait. Le gène du QI
n'existe pas ! Or on peut estimer que pour mettre en évidence un effet de petite taille
(0,5 % de la variance du QI) avec un pouvoir du test de 80 % et un seuil de rejet de
l'hypothèse nulle de 0,01, il faut avoir un échantillon de 1 000 individus. Pour un effet
encore plus petit (0,2 o/) il faudrait 2 500 individus. On imagine aisément le coût de
ces recherches tant à cause du recueil de données que de l'analyse de génétique
moléculaire.
C'est pourquoi Plomin et ses collaborateurs ont proposé deux méthodes
alternatives.
La première concerne l'analyse biologique. Dans un premier temps, on mêle
les ADN de personnes présentant certains scores en QI : hauts QI pour la recherche pré-
sentée plus haut, ou QI dans la marge des retards mentaux légers pour une autre
recherche. Ensuite une analyse individuelle est réalisée sur un échantillon restreint de
personnes pour confirmer les premiers résultats.
444 I Psychologie différentielle

La seconde concerne l'évaluation psychologique. Plomin et son équipe proposent


d'évaluer le niveau intellectuel par téléphone. C'est ce qu'ils développent dans un
article publié en 2002 dans la revue Intelligence (Petrill et coll., 2002). Comme la tech-
nique a été effectivement appliquée dans des publications récentes, elle mérite qu'on s'y
arrête. Le gain en temps est considérable : la passation par téléphone du test
d'intelligence, tel qu'il a été adapté, dure une trentaine de minutes et, bien entendu, il
n'y a pas de déplacement ni pour le psychologue ni pour la personne qui doit être
testée. Pour la version téléphone, un score composite est calculé à partir de trois épreu-
ves adaptées du wisc-ni et d'une épreuve adaptée du test de McCarthy, soit deux tests
verbaux et deux tests non verbaux. Pour permettre la passation des tests non verbaux,
un matériel a été envoyé préalablement aux parents avec pour consigne de ne pas
ouvrir le paquet avant le rendez-vous téléphonique. Pour la version test passée selon les
normes habituelles (passation en tête à tête), c'est le score global du test Stanford Binet
qui est utilisé. La corrélation entre ces deux scores globaux est égale à 0,72. Les auteurs
concluent que si on ne peut pas utiliser les scores des sous tests qui soutiennent des cor-
rélations trop faibles avec les scores du Stanford Binet, on peut néanmoins utiliser le
score global. Notons qu'une corrélation de 0,72 calculée sur un échantillon assez petit
(52 enfants) peut paraître élevée. N'oublions pas toutefois que la part de variance com-
mune entre le test version téléphonique et le Stanford Binet n'est que de 52 1)/0 (0,72 2).
Peut-on vraiment conclure qu'on mesure la même chose ? Probablement pas. On peut
facilement imaginer que des variables différentes (liées au contexte de la passation)
soient la cause de différences individuelles. Dans ce cas comment interpréter les résul-
tats des analyses génétiques ?

Il - La recherche de gènes candidats

a. La méthode et une brève synthèse des liaisons


entre des gènes candidats et des fonctions cognitives

Une autre stratégie, qui peut s'avérer complémentaire, est la recherche de gènes
candidats. Ici on ne va pas « à la pêche » comme dans la situation précédente. On part de
l'hypothèse que les variations d'un gène connu sont liées à des différences dans des tests
cognitifs. Terry Goldberg et Daniel Weinberger (2004) présentent une synthèse des don-
nées de ces dernières années. On reprend les principaux éléments dans le tableau 11.9.
La localisation chromosomique indique le numéro du chromosome où se trouve le gène.
La lettre q désigne le bras long du chromosome, la lettre p désigne le bras court.
Les gènes présentés dans le tableau 11.9 s'expriment tous dans le cerveau. On
peut facilement comprendre que les chercheurs ciblent des gènes dont on connaît
l'action sur le système nerveux. Il faut aussi, bien entendu, choisir des épreuves présen-
tant de bonnes qualités psychométriques : fidélité et validité. Par exemple, pour évaluer
les fonctions exécutives, on a utilisé le test de Classement de cartes du Wisconsin (ECPA,
2002 — voir le site des ECPA http://www.ecpa.fr/) . Un exemple de recherche est pré-
senté dans l'encadré 11.4.
Cognition et génétique I 445

TABLEAU 11.9. — Gènes candidats liés à la cognition


(d'après Goldberg et Weinberger (2004))

Localisation
Domaine de la cognition Nom du gène Abréviation chromosomique'

Attention Récepteur nicotinique Alpha 7 CHRNA7 15 q


Récepteur à la dopamine de type 4 DRD4 11 p
Transporteur de la dopamine DATI 5p
Monoanime oxidase A MAOA Xp
Fonctions exécutives Catécholamine-O-méthyl transférase COMT 22 q
Mémoire épisodique Récepteur 2A de la sérotonine 5HT2A 13 q
Dérivé des facteurs neurotrophiques BDIVF 11 p
du cerveau
q (partie longue) et p (partie courte) désignent la partie du chromosome sur lequel se trouve la muta-
tion, par rapport au centromère.

ENCADRÉ 11.4

Recherche de gène candidat. Un exemple expérimental

Mark Bellgrove et coll. (2005) testent l'hypothèse d'une relation entre les formes alléliques du
gène COMT et les performances attentionnelles chez des jeunes (enfants et adolescents) pré-
sentant un diagnostic d'hyperactivité.
Pourquoi une telle hypothèse ? L'enzyme catécholamine 0-méthyltransférase
(gène COM7) est la principale enzyme impliquée dans la dégradation de la dopamine. Ce
gène, situé sur le chromosome 22 s'exprime tout particulièrement, dans le cortex frontal. La
région codante du gène COMT présente un polymorphisme fonctionnel au codon 158: une
substitution de nucléotides aboutit à une substitution de la méthionine (allèle met) en valine
(allèle val). On a observé, en présence de l'allèle met, et à la température du corps humain,
une diminution de l'activité de l'enzyme et un ralentissement de la dégradation de la dopa-
mine. On s'attend donc à ce que les porteurs de deux allèles met (porteurs homozygotes) pré-
sentent une inactivation plus lente de la dopamine, que des porteurs homozygotes de l'allèle
val. En conséquence, dans des épreuves connues pour faire intervenir le cortex préfrontal,
les homozygotes pour l'allèle met devraient avoir de meilleures performances que les
porteurs homozygotes pour l'allèle val. C'est ce qui a été effectivement observé dans plusieurs
recherches.
Les personnes hyperactives présentent des déficits dans les fonctions exécutives. Les
auteurs émettent alors l'hypothèse que les porteurs des allèles val seraient désavantagés
comparés aux porteurs des allèles met, et ce tout particulièrement là où ils sont déficitaires
c'est-à-dire l'attention soutenue et le contrôle attentionnel. Par contre ces auteurs n'attendent
pas d'effet du gène COMT sur l'attention sélective.
L'échantillon comprend 61 personnes âgées de 6 à 16 ans diagnostiquées comme hyper-
actives. Leur ni moyen au égal 97,7. La répartition des génotypes est la suivante :
met/met : 9 personnes ; val/met : 38 ; val/val : 14. Les 3 groupes ne diffèrent pas pour l'âge,
le ni et le genre. Les traitements médicamenteux sont supprimés au moins 24 heures avant
l'examen psychologique.
La figure 11.3 donne un aperçu des résultats pour un des tests d'attention soutenue.
Plus la performance est bonne, plus la note est élevée. On montre que les 3 groupes diffèrent
significativement au seuil de 0,058. Les auteurs concluent donc que le gène COMT a un effet
significatif sur les scores d'attention.
446 I Psychologie différentielle

8-
Moyenne dans le test d'attention

7-
6-
5-
4-
3.-
2-
1 -

o
met/ met met/val val/val Génotype

5,7 4,9 6,9 Moyenne

met : variant méthionine, val : variant valine

FIG. 11.3. — Différences observées entre enfants ou adolescents


présentant un diagnostic d'hyperactivité, en fonction de leur génotype
pour le gène COMT (d'après Bellgrove et coll. (20051)

Regardez bien la figure 11.3. Que voyez-vous ? Les résultats ont-il la forme attendue ?
Comment les expliquer ?
On voit que, si les groupes diffèrent significativement, les résultats ne se présentent pas
sous la forme attendue. En effet, ce sont les porteurs homozygotes pour l'allèle val qui ont les
meilleures performances alors qu'au vu de la littérature on attendrait l'inverse. Plusieurs hypo-
thèses sont envisageables pour rendre compte de ces résultats.
a) Les auteurs ont rejeté l'hypothèse nulle avec un risque de 0,058. Ils ont eu tort de le
faire et les différences entre les groupes sont dues au hasard.
b) Les auteurs ont eu raison de rejeter H o : avec un plus grand effectif et en admettant
que les écarts entre les groupes restent à peu près identiques, ils auraient eu un seuil de signi-
ficativité plus bas. On peut donc imaginer qu'il se passe quelque chose de particulier dans la
population des hyperactifs, comparée aux autres populations déjà étudiées (personnes en
bonne santé ou personnes schizophrènes). Mais quoi ? Est-ce l'action des médicaments ingur-
gités par les patients au cours de leur vie, qui aurait un effet, en interaction avec une forme
allèle plutôt qu'une autre ? On sait que l'hyperactivité est probablement liée à des facteurs
génétiques. Ces facteurs interagiraient-ils avec les allèles du gène COMT?
c) Pour des raisons qu'on ignore, la composition génétique des familles avec qui les
chercheurs ont travaillé est particulière. Celle-ci affecte le résultat.
Il est évident qu'en l'état actuel de la recherche, on ne peut pas savoir laquelle des hypo-
thèses est vraie. Il faut donc poursuivre l'étude.

b. Conclusion

Les recherches sur les gènes candidats en liaison avec des traits cognitifs n'en sont
qu'à leur début. Le tableau 11.10 permet de se faire une idée des résultats. Il faut
cependant savoir que les études publiées n'aboutissent pas toujours aux mêmes résul-
tats, comme l'a montré l'exemple sur l'hyperactivité. Ceci n'a rien d'étonnant. Il se
passe la même chose dans n'importe quel champ de la recherche. Reste qu'en géné-
tique, on sait qu'on travaille avec des populations qui peuvent différer pour les fréquen-
Cognition et génétique I 447

ces de certains gènes, par exemple à cause d'un isolement géographique relatif – ainsi,
on sait qu'il existe des différences pour la fréquence de certains allèles chez les asiati-
ques et chez les européens. Ce fait complique sérieusement les choses parce que des
résultats contradictoires ne sont pas forcément attribuables à des variations aléatoires
non contrôlées.
Avant de tester l'effet d'un gène candidat sur un trait cognitif, un minimum de
précautions doit être prises. Il faut :
— s'assurer que le gène dont on va chercher la liaison avec le trait psychologique
s'exprime dans le cerveau ;
— si possible en connaître la fonction ;
— choisir un trait psychologique bien défini et qui a déjà fait l'objet d'étude en géné-
tique ; le fait que ces études aient montré que ce trait avait une héritabilité élevée
est « un plus » mais n'est pas obligatoire ;
utiliser un instrument de mesure fidèle et valide ;
avoir une population de participants aussi large que possible.

D - LES INTERACTIONS ENTRE LES GÈNES


ET LES ENVIRONNEMENTS, LES INTERACTIONS ENTRE GÈNES

I - L'interaction génotype environnement

a. Définition et exemples

Pour définir la notion d'interaction entre le génotype et l'environnement ou


l'interaction entre gènes on peut prendre la définition utilisée dans le cadre de l'analyse
de la variance : il y a interaction entre deux variables indépendantes lorsque la relation
entre la première variable indépendante et la variable dépendante change en fonction
du niveau pris par la seconde variable indépendante (voir des exemples dans Howell,
1998). Rapporté à l'interaction génotype environnement, cela devient : il y a interaction
entre le génotype et l'environnement lorsque des génotypes différents réagissent diffé-
remment aux modifications de l'environnement. On peut dire aussi : il y a interaction
génotype environnement lorsque des modifications de l'environnement n'ont pas le
même effet sur des génotypes différents.
Depuis le début de ce chapitre nous avons évoqué par deux fois la notion
d'interaction entre le génotype et l'environnement. C'était dans la partie sur les adop-
tions. Lorsque Plomin et coll. (1977) analysent les données de Skodak et Skills, ils
disent vouloir tester l'interaction entre le génotype et l'environnement
(cf. tableau 11.2). Nous avons vu qu'il n'en est rien, dans la mesure où ils ne contrô-
lent pas le génotype des mères biologiques. Cependant les données peuvent faire
l'objet d'une analyse de variance et faire ressortir ou non une interaction statistique
448 I Psychologie différentielle

(dans le cas du tableau 11.2, comme dans celui du tableau 11.4, les interactions
étaient non significatives).
Dans les travaux avec les personnes humaines, il est assez difficile de faire appa-
raître de véritables interactions génotype environnement parce qu'on ne peut évidem-
ment pas « manipuler », au sens expérimental du terme, les génotypes et les environne-
ments. Ceci ne veut pas dire que ces interactions n'existent pas mais tout simplement
que les méthodes les plus efficaces pour les faire ressortir ne sont pas envisageables avec
des humains. Les recherches avec des animaux, et en particulier avec la souris, sont
riches d'exemples expérimentaux qui mettent en évidence de telles interactions (voir
l'encadré 11.5).

ENCADRÉ 11.5

Un exemple d'interaction génotype environnement.


Les effets à long terme de la congélation des embryons chez la souris.
L'étude des équipes de Pierre Roubertoux et de Maurice Auroux (1995)

La congélation des embryons est une technique largement utilisée en agronomie et en méde-
cine pour la procréation médicale assistée. La question à laquelle les équipes veulent
répondre est la suivante : la technique qui consiste à congeler puis décongeler les embryons,
pour les réimplanter dans un utérus, est-elle complètement neutre et ceci quel que soit le
patrimoine génétique des embryons ?
Pour répondre à la question, voici le plan d'expérience qui est suivi. On prend deux
génotypes de souris constitués à partir du croisement de deux lignées consanguines (lignées
dans lesquelles les individus ont le même patrimoine génétique). Ce sont les génoty-
pes C57BL6/CBA (issus du croisement des lignées C56BL6 et CBA - en abrégé BC)
et C3H/DBA2 (issus du croisement des lignées C3H et DBA2 - en abrégé CD). Soulignons qu'à
l'intérieur de chacun des génotypes, les individus ont le même patrimoine génétique.
On a deux conditions d'environnement : la congélation ou la non congélation.
Pour contrôler les effets d'environnement maternel prénatal et postnatal, on transplante
les embryons dans des utérus de femelles d'une même lignée.
On a donc un plan d'analyse qui peut se représenter dans un tableau à 4 cases avec
2 entrées en lignes et en colonnes et 4 groupes de sujets indépendants. Dans le tableau 11.10
on présente des résultats sur une variable du développement sensoriel et moteur : l'âge
d'ouverture des yeux. Le point zéro est le jour du transfert de l'embryon dans l'utérus de la
femelle, embryon qui a été soit congelé puis décongelé soit non congelé - pour mémoire, la
durée d'une gestation chez la souris est d'environ vingt et un jours.

TABLEAU 11.10. - Plan d'expérience permettant de faire apparaître


une interaction génotype environnement
(d'après Dulioust et coll. (1995))

Environnement

Génotype Non congélation Congélation

BC 33,21 ± 0,06 33,10 ± 0,13


CD 32,77 ± 0,11 33,97 ± 0,27
Cognition et génétique I 449

L'analyse de la variance montre que :


— la différence entre les 2 génotypes n'est pas significative (indépendamment de l'en-
vironnement) ;
— la différence entre les 2 environnements (indépendamment des génotypes) est significative
au seuil de P < 0,001 ;
— l'interaction entre le génotype et l'environnement est significative au seuil de P < 0,001.
Cette interaction peut se représenter comme dans la figure 11.4.

34 -
Ouverture des yeux

Génotype
33,5
CD
—B—BC
33

32,5

32
NON OUI Congélation

FIG. 11. 4. — Représentation d'une interaction entre le génotype et l'environnement


(d'après les données de Dulioust et coll., 1995)
En abscisse les modalités de la variable indépendante, environnement ; en ordonnée la variable
dépendante (âge, en jours, au moment de l'ouverture de yeux) ; les droites permettent de visualiser les
moyennes obtenues par les deux génotypes.

On voit que l'effet de la congélation n'est pas le même suivant que l'embryon est du
génotype CD ou es : pour le génotype co, la performance est presque la même que l'embryon
ait été congelé ou non. Pour le génotype BC, la congélation de l'embryon s'accompagne d'un
retard de développement (les yeux s'ouvrent un peu plus d'un jour plus tard).

b. Conclusion

Dans la recherche sur les effets de la congélation des embryons, de nombreuses


interactions ont été mises à jour sur des variables touchant au développement sensoriel
et moteur et sur l'apprentissage à l'âge adulte. La conclusion la plus simple de cette
recherche est que la congélation, du moins chez la souris, n'est pas une technique
neutre, comme on le pensait. Toutefois, ces effets sont imprévisibles puisqu'ils dépen-
dent du génotype de l'embryon. Enfin, les effets ne provoquent pas de pathologie, du
moins chez les embryons qui survivent à la décongélation.
Si on considère la littérature dans son ensemble, de nombreux articles ont conclu à
l'existence d'interaction génotype environnement même si parfois les plans d'expérience
pour les mettre en évidence sont très lourds (voir Carlier et Roubertoux, 1999). On a
ainsi montré voici longtemps, toujours chez l'animal, que l'environnement d'élevage
enrichi, peut modifier les performances d'apprentissage, ces modifications dépendant du
450 I Psychologie différentielle

patrimoine génétique de l'animal. On peut expliquer le phénomène en faisant intervenir


des variables biologiques : on sait depuis cinquante ans que l'environnement enrichi
entraîne des modifications structurales et biochimiques du cerveau ; tout récemment, on
a montré qu'il modifie l'expression des gènes. La recherche sur les effets des environne-
ments prénatal et post natal a également fait apparaître des interactions génotype envi-
ronnement (Roubertoux, 2004 ; Carlier et Roubertoux, 1999).

Il - Les interactions entre gènes

Lorsque l'effet d'un gène est modulé par la forme que peut prendre un autre gène,
on parle d'épistasie. L'existence de telles interactions est connue depuis des décennies,
mais sans la connaissance du génome humain il était difficile d'en comprendre le méca-
nisme. On sait que ces interactions ne touchent pas que l'ADN nucléaire (situé dans le
noyau de la cellule) mais qu'elles touchent aussi l'ADN mitochondrial (situé dans les
mitochondries qui, elles, se trouvent, dans le cytoplasme de la cellule) — se reporter à
Roubertoux, Carlier, Le Roy, 2006 ; Roubertoux, 2004.

III - Conclusion

Les interactions entre le génotype et l'environnement, les interactions entre gènes


sont des phénomènes dont la fréquence a été largement sous-estimée. Ceci tient à la
faiblesse des méthodes pour les mettre en évidence et non au fait que le phénomène
biologique existe ou n'existe pas. En particulier, si l'usage du coefficient d'héritabilité a
été si fortement critiqué dans l'espèce humaine, c'est justement parce qu'avec les
méthodes de génétique quantitative, il est très difficile de dissocier la part de variance
qui revient aux effets additifs des gènes de la part qui revient à leurs interactions et aux
interactions entre gène et environnement.

E - ÉTUDES DE PERSONNES PORTEUSES


DE MALADIES GÉNÉTIQUES

I - Principe général

Une autre façon de rechercher des liens entre les gènes et la cognition est
d'analyser les profils psychologiques et neuropsychologiques de personnes porteuses de
maladies génétiques. Les publications sur ce thème sont extrêmement nombreuses ces
Cognition et génétique I 451

dernières années et illustrent parfaitement les collaborations que peuvent entretenir psy-
chologues et généticiens.
La méthode est corrélationnelle : on part d'une anomalie génétique connue et on
en observe le phénotype psychologique ou neuropsychologique des patients. Différentes
situations peuvent se présenter : la maladie est due à la mutation d'un gène unique, à
une courte délétion sur un des deux chromosomes homologues (on parle de délétion
hémizygote), ou encore à la duplication d'un chromosome complet (on parle de tri-
somie). L'analyse du profil psychologique et neuropsychologique du patient permet de
s'interroger sur l'existence d'une causalité entre l'anomalie génétique et le phénotype de
ce patient. Dans de nombreux cas, l'anomalie génétique s'accompagne d'une déficience
intellectuelle. Pour aller plus loin, il convient alors de rechercher des spécificités dans
les profils psychologiques des patients. Si de telles spécificités existent, le chemin reste
toutefois encore long, car il faut comprendre par quels processus biologiques on passe
de l'anomalie génétique à la cognition.

Il - Des profils psychologiques différents.


L'exemple de la trisomie 21, des syndromes de Williams,
de DiGeorge et de l'X fragile
(Cartier, Doyen, 2003 ; Cartier, Roubertoux 2005 ; Cartier, Ayoun 2007)

Le tableau 11.11 présente quelques caractéristiques de patients porteurs


d'anomalies génétiques. Il faut le lire comme une illustration du type de données qui
ont été recueillies et ne pas le prendre à la lettre. En effet, il existe une forte variabilité
intra-groupe et il serait dangereux de penser qu'à partir d'un diagnostic, qui peut être
posé à la naissance, on puisse prédire l'avenir d'un patient. Il n'est cependant pas rai-
sonnable de laisser croire aux parents que l'enfant se développera sans aucune difficulté
(ne serait-ce qu'à cause de complications médicales qui sont fréquentes).
On voit dans le tableau 11.11 que les caractéristiques des patients diffèrent tant
du point de vue médical (quand il y a des malformations cardiaques, ce ne sont pas les
mêmes d'une colonne à l'autre) que du point de vue psychologique.
Le tableau 11.11 ne donne qu'un tout petit aperçu de l'avancée des recherches
génétiques dans ce domaine. En effet, on l'a signalé dans la partie 1, voici quelques
mois, on comptait 282 gènes identifiés liés à la présence de retard mental chez les
patients (on parle de gènes de retard mental — Inlow et Restif°, 2004). Ce retard men-
tal est plus ou moins prononcé et la variabilité intra-groupe est très élevée. À noter que
beaucoup de ces mutations sont très rares. Cependant plus le retard mental est sévère,
plus est élevée la probabilité que le patient soit porteur d'une anomalie génétique. Il
serait utile que le psychologue soit averti de ce fait. Ceci n'exclut évidemment pas
l'existence de facteurs environnementaux aggravants. Toutefois, principalement dans
les familles où plusieurs cas de retards mentaux sont détectés, il est sage de conseiller à
la famille de consulter un service de génétique médicale. Le fait qu'un diagnostic soit
posé peut avoir des conséquences non seulement sur le conseil génétique, mais aussi le
suivi médical et, on peut l'espérer, le suivi psychologique.
452 I Psychologie différentielle

TABLEAU 11.11. — Un exemple de l'existence de profils psychologiques différents


chez des patients porteurs d'anomalies génétiques

Syndrome Syndrome
Trisomie 21 de Williams Beuren Fragile X de Di George

Fréquence 1/700 1/20000 Garçons : 1/4000 1/5000


Filles : 1/6000
Génétique Trisomie du Courte délétion Mutation sur le Courte délétion
chromosome 21 hémizygote sur chromosome X hémizygote
le chromo- (en X q 27.3) sur un chro-
some 7 mosome 22
(en 7 q 11.23) (en 22 q 11)
Retard mental QI moyen < 55 QI moyen Chez les garçons, Du normal
entre 60 et 70 QI moyen < 55. au retard
Plus élevé mental léger
. chez les filles
Caractéristiques Tête plus petite Face « d'elfe », Face étroite, Cardiopathie
physiques et (volume céré- malformation anomalies congénitale
médicales bral réduit, nez cardiaque des oreilles
petit et aplati,
yeux bridés)
Problèmes de
santé nombreux
Langage Grandes difficultés Force relative Force relative Peu de données
Cognition spatiale Force relative Grandes difficultés Difficultés Peu de données
Troubles psychia- Troubles du Hyperacousie Traits autistiques Schizophrénie
triques ou du comportement Hyperactivité
comportement
Personnalité Affectueux Hypersociable Anxiété Timidité

F - CONCLUSION GÉNÉRALE

L'intelligence, et plus généralement la cognition, sont sous la dépendance de


gènes. On l'a imaginé voici des décennies. On en a la preuve maintenant. Un nombre
important de ces gènes ont des effets pathologiques (ils sont liés à la présence de retard
mental plus ou moins accentué chez le patient). Grâce aux recherches sur les profils
psychologiques de ces patients, pour certaines maladies on a pu dépasser le simple
constat du retard mental évalué par les échelles globales de type Wechsler. Beaucoup
reste cependant à faire dans ce domaine et en particulier les psychologues doivent créer
des outils standardisés permettant de mettre en évidence des différences plus fines dans
les bas niveaux : dans les tests d'intelligence, les patients atteints de retards mentaux
obtiennent fréquemment les scores les plus bas (QI égal à 45, par exemple, dans
la WAIS in). Or quiconque fréquente ces personnes est frappé par les différences entre
patients ayant ce score plancher. On voit dans les articles scientifiques que des épreuves
Cognition et génétique I 453

ciblant plus spécifiquement une fonction sont utilisées par les chercheurs, mais on
manque d'étalonnages qui permettraient de comparer les études entre elles.
La compréhension des mécanismes génétiques conduisant de la mutation au
retard mental est grandement facilitée par l'apport du modèle animal. On en trouvera
des exemples dans les lectures conseillées. Par chance, nombre des gènes détectés sont
également présents dans d'autres espèces animales.
Si on regarde maintenant ce qui se passe pour la marge de variation normale de
l'intelligence, on peut également conclure qu'on a mis en évidence des gènes qui sont
liés à des différences de scores dans des épreuves cognitives. Les travaux dans ce
domaine n'en sont qu'à leur début. Il est très important de souligner ici qu'il s'agit de
gènes de susceptibilité. On est dans un modèle probabiliste. La présence d'une forme
allèle plutôt qu'une autre augmente la probabilité que le porteur ait un score plus élevé
dans une épreuve. La pensée déterministe est, ici, totalement à rejeter.
Pour terminer on rappellera ce qui a été dit à diverses reprises dans ce chapitre :
trouver des gènes n'implique nullement que les facteurs d'environnement ne jouent pas.
La recherche des facteurs d'environnement est un champ complémentaire de la géné-
tique qu'il est absolument nécessaire d'investiguer.

LECTURES CONSEILLÉES

Carlier, M., & Ayoun, C. (2007). Les déficiences et incapacités intellectuelles. Décrire, comprendre, intégrer
à la société. Wacre, Belgique : Mardaga.
Carlier, M., & Doyen, A. L. (2003). Génétique et cognition. En ligne site http:///www.tema-
tice.fr ; via « résultats de programmes », « AGI Ecole et Sciences cognitives ». 100 pages.
Carlier, M., & Roubertoux, P. L. (2005). Des gènes à la cognition. In J. Lautrey, F. Richard
(sous la dir. de). Traité des sciences cognitives. L'intelligence. Paris : Lavoisier, p. 229-242.
Carlier, M., & Roubertoux, P. L. (1999). L'origine des différences individuelles. In P.-Y. Gil-
les, Pychologie différentielle. Rosny-sous-Bois : Grand Amphi, p. 276-325.
Howell, D. (1998). Méthodes statistiques en sciences humaines. Traduit de l'anglais. Bruxelles :
DeBoeck.
Infobiogen : http://www.infobiogen.fr/ Pour informations sur la génétique, sur la définition
de mots médicaux (cliquer dans « Documents » puis dans « Glossaire bioinfo-
biotechnologies »).
http://www.orpha.net/ Orphanet INSERM SC1 1 Bases de données sur les maladies rares.
Roubertoux, P. L. (2004). Existe-t-il des gènes du comportement ? Paris : Odile Jabob.
Roubertoux, P. L., Carlier, M., & Le Roy, I. (2005). L'information génétique : nature, expres-
sion, transmission. In J. C. Orsini et J. Pellet (sous la dir. de). Introduction biologique à la
psychologie. Rosny sous Bois : Grand Amphi, p. 90-145.
Spitz, E, & Carlier, M. (1996). La méthode des jumeaux de 1875 à nos jours. Psychiatrie de
l'enfant, XXXIX, 1, 137-159.
Zazzo, R. (1960, ln> éd.). Le couple et la personne. Paris : PUF.
troisième partie

LES PROFESSIONS

Deux sous-disciplines de la psychologie ont été présentées dans ce volume, la psy-


chologie du développement et la psychologie différentielle. Vers quels débouchés pro-
fessionnels peut conduire une spécialisation dans l'une ou l'autre de ces sous-
disciplines ? C'est une question qu'il faut se poser au moment du choix d'un master, et
l'objectif de cette troisième partie du volume est d'apporter les éléments d'information
susceptibles d'éclairer ce choix.
La spécialisation en psychologie du développement conduit à des professions de
psychologue de l'enfance et de l'éducation. Dans cette spécialité, les deux principales
professions sont celle de psychologue scolaire et celle de psychologue de l'enfance dans
les institutions de santé. Toutes deux sont décrites dans le chapitre 12.
La spécialisation en psychologie différentielle conduit de son côté à des professions
de psychologue de l'adolescent et de l'adulte en rapport avec l'orientation et le travail.
Il s'agit notamment de la profession de conseiller d'orientation et de la profession de
psychologue du travail, qui sont décrites dans le chapitre 13.
12 les professions
de la psychologie de l'enfance

A - LES PSYCHOLOGUES SCOLAIRES, par Georges Cognet

I - Les débuts de la psychologie scolaire

C'est dans l'urgence et l'enthousiasme de la fin de la seconde guerre mondiale que naît
la psychologie scolaire. Le samedi 26 août 1944, le général de Gaulle entre dans Paris
et organise un gouvernement provisoire représentant toutes les tendances de la résis-
tance. Henri Wallon est nommé Secrétaire de l'éducation nationale par le Conseil national de la
résistance (Zazzo, 2000). Il appelle à son cabinet René Zazzo et le charge de la jeunesse
et des sports. Il lui donne aussitôt le feu vert pour réaliser le projet de création de la
psychologie scolaire.
Ainsi, alors que les combats de rue se poursuivent jusqu'au 24 août, que la
deuxième division blindée du général Leclerc entre à Paris le 25 août et qu'une fusil-
lade éclate encore le 26 sur le parvis de Notre-Dame, deux intellectuels courageux, qui
se sont illustrés dans la résistance, mettent en oeuvre un projet qu'ils mûrissaient depuis
plusieurs années.

a. Les prémices

Le premier contact de René Zazzo avec la psychologie scolaire ou plus exacte-


ment avec un psychologue scolaire a lieu aux États-Unis, à New-Haven, dans l'État du
Connecticut. En 1934, à l'occasion d'une année passée à l'université de Yale, il ren-
contre Arnold Gesell' qui lui parle de la School pechology et lui fait partager sa « convie-

1. Arnold Gesell (1880-1961), médecin américain et directeur de la Clinique du développement de l'enfant


(Yale, États-Unis), est le premier psychologue à avoir étudié, au moyen d'une caméra de cinéma, le déve-
loppement de l'enfant de la naissance à 16 ans. Il a créé des échelles d'évaluation du développement du
bébé.
458 I Les professions

tion profonde que la présence constante d'un psychologue dans les écoles serait béné-
fique. Un psychologue qui ne s'occupe pas spécialement des cas graves d'inadaptation,
mais de tous les écoliers. Bref, une activité d'orientation, de prévention et non de psy-
chopathologie » (Zazzo, 1996).
À la même époque, d'autres expériences de psychologie à l'école apparaissent en
Europe. On peut citer Cyril Burt à Londres en 1913, Hans Laemmerman en 1922 à
Mannheim, et Andréa Jadoulle à Angleur près de Liège (1928) dont Zazzo s'inspirera
fidèlement.
Henri Wallon est sensibilisé à la psychologie scolaire par sa rencontre directe avec
l'institution scolaire. En 1923, il ouvre son premier et modeste laboratoire dans une
école de Boulogne-Billancourt. Le directeur de l'établissement met à sa disposition un
vestiaire désaffecté où il peut recevoir et observer minutieusement des écoliers.

b. Les pionniers

Ils ne sont au départ que quelques-uns qui croisent la route de René Zazzo. Ber-
nard Andrey, instituteur, est de ceux-ci. Le 15 juin 1945, René Zazzo lui écrit pour lui
parler d'une proposition d'Henri Wallon : il s'agit de créer, à Grenoble, le premier
poste de psychologue scolaire. Les circonstances sont favorables, l'Inspecteur
d'Académie de l'Isère est ouvert à cette expérience qui débute dès la rentrée suivante.
En 1946 on compte 14 psychologues scolaires pour Paris et la proche banlieue.
Chacun a la charge d'un groupe scolaire d'environ 600 à 800 élèves.
En 1947 le terme de psychologie scolaire apparaît pour la première fois en France
dans le projet de réforme de l'enseignement, connu sous le nom de plan Langevin-
Wallon, qui ne sera jamais appliqué. Cette réforme prévoit « qu'en cas d'insuccès sco-
laire, le psychologue scolaire doit en rechercher les causes, démêler s'il s'agit de raisons
personnelles, de santé, de famille, de caractère ou des raisons liées à certaines incom-
préhension des matières enseignées ».
Hélène Gratiot-Alphandéry, collaboratrice de René Zazzo est chargée de dévelop-
per la psychologie scolaire dans les lycées. En 1948 on compte des psychologues scolai-
res affectés dans huit lycées parisiens. Pour la plupart ce sont des professeurs de philo-
sophie ou de français qui ont acquis une formation en psychologie.
L'activité de ces premiers psychologues scolaires consiste à examiner les élèves
« perdant pied », à intervenir en conseil de classe (partage de classe, orientation) et à
participer aux recherches initiées par René Zazzo au laboratoire de Henri Wallon à
l'INETOP, au 41, rue Gay Lussac à Paris.
-

Ces psychologues scolaires de la première génération sont des précurseurs, par la


chronologie des événements, mais surtout des pionniers par l'esprit qui les anime. Ils
souhaitent mettre en place, en France, une nouvelle réflexion et une pratique à destina-
tion de l'enfant au travail à l'école. Ils sont mieux armés par l'enthousiasme, leurs gran-
des capacités de travail, d'adaptation et leurs qualités relationnelles que par leur forma-
tion en psychologie qui reste encore sommaire. Avant la première licence de
psychologie, il n'existe que le certificat de psychologie appartenant à la licence de phi-
losophie ou les cours de Henri Wallon au Collège de France et les travaux pratiques de
Les professions de la psychologie de l'enfance I 459

René Zazzo au laboratoire de la rue Gay-Lussac (Mialaret, 2000). Ce n'est qu'en


juin 1948 qu'est délivrée la première licence de psychologie à la Sorbonne.
Hélas, cette première expérience de psychologie scolaire, aussi enthousiasmante
fût-elle, est arrêtée en septembre 1954' sur ordre du Directeur des enseignements de la
Seine. Wallon et Zazzo ne s'étaient guère préoccupés de définir un statut administratif
à ceux qui avaient été choisis par leurs soins pour devenir les premiers psychologues
scolaires. Ces derniers avaient gardé leur statut administratif d'origine : instituteur ou
professeur. Prétextant un manque d'enseignants, ils furent remis dans leur classe.
Tous ne retournèrent pas dans leurs écoles ou dans leurs lycées. Très engagés dans
leur nouveau métier, beaucoup poursuivront comme psychologues dans les nouveaux
centres psychopédagogiques ou deviendront universitaires.
À l'issue de cette première mise en oeuvre de la psychologie scolaire, René Zazzo
en tire un premier bilan très positif • dans les écoles où exerce un psychologue scolaire,
le pourcentage des redoublements est réduit de 50 à 17 ' )/0. Dans les cours préparatoires
le taux de redoublements passe de 22 à 8 'Vo.

c. Le développement de la psychologie scolaire

Après quatre années d'arrêt, la psychologie scolaire réapparaît discrètement,


en 1958, dans la Réforme éducative proposée par le ministre de l'Éducation nationale,
J. M. Berthoin 2 . La renaissance est confirmée par une circulaire' signée du recteur
Lebettre en 1960. Ce texte définit les conditions d'emploi et les missions du « maître
psychologue scolaire ». Ce dernier doit contribuer, par exemple, au bon fonctionne-
ment des établissements spécialisés pour « caractériels, débiles, déficients sensoriels » et
apporter son concours à la Commission médico-pédagogique. Zazzo en regrette les dérives,
par rapport à son projet initial. Il dénonce particulièrement une évolution des « services
de psychologie scolaire » vers « des services de dépistage dépendant des inspecteurs de
l'Enfance inadaptée ». Cette époque est, en effet, celle de la multiplication des classes
ségrégatives (Hervé, 1995) et de l'inflation des demandes de « dépistage », d'expertise
en vue d'une orientation spécialisée.
En 1970, sont créés les Groupes d'aide psycho pédagogique (GAPP) 4 sur le modèle
des CMPP5 (Centres médico-psychopédagogiques). La circulaire définissant les GAPP
évoque « une équipe, constituée par un psychologue et des rééducateurs, qui a la
charge d'un ou plusieurs groupes scolaires et veille à l'adaptation des élèves en partici-
pant à l'observation continue ». Ces nouvelles entités, malgré leur déploiement sur tout
le territoire national, ne rencontreront jamais la confiance des enseignants, ni des res-
ponsables de l'Éducation nationale.

1. À noter, que cette même année, l'Unesco réunit à Hambourg ses experts afin d'élaborer des recommanda-
tions sur la psychologie scolaire, en s'inspirant de l'expérience franç aise.
2. Berthoin Jean-Marie (1893, 1977), il est par deux fois ministre de l'Education nationale (septembre 1954 -
février 1956 ; juin 1958 - janvier 1959).
3. Circulaire n° 205 du 8 novembre 1960, Conditions d'emploi comme psychologues scolaires des instituteurs ou institutri-
ces titulaires d'un diplôme de psychologue scolaire.
4. Circulaire n° W-70-83 du 9 février 1970.
5. Les centre psychopédagogiques ont été fondés par H. Wallon.
460 I Les professions

Parallèlement, le paradoxe déjà pointé par Zazzo s'amplifie : alors que la psycho-
logie scolaire se développe (1 500 psychologues scolaires en poste en 1975), celle-ci
apparaît souvent comme une psychologie disqualifiée. Le psychologue scolaire est asso-
cié, le plus souvent, à un « psychologue testeur » dont l'utilité sociale se résume à détec-
ter et à orienter vers les établissements et classes spécialisées les enfants présentant des
déficits ou des troubles.
Les effectifs des psychologues scolaires continuent cependant de croître jusqu'à la
fin des années 1980 où l'on comptabilise un peu plus de 3 000 postes.
La vraie reconnaissance vient en 1989 lorsque Lionel Jospin, ministre de
l'Éducation nationale fait voter au parlement la loi d'orientation sur l'éducation dont le
préambule précise que « l'éducation est la première priorité nationale. Le service public
d'éducation [...] contribue à l'égalité des chances ». Cette loi reconnaît officiellement les
psychologues scolaires comme faisant partie de l'équipe pédagogique'. Cette même
armée voit la création du Diplôme d'état de psychologie scolaire (DEPS) et l'année suivante la
création des Réseaux d'aides aux enfants en difficultés (RAsED), nouveau cadre de fonctionne-
ment des psychologues scolaires.
Pendant cette même période, la profession tout entière bénéficie d'une réelle
avancée législative à travers la loi du 25 juillet 1985, Relative à la protection du titre de psy-
chologue. Pour la première fois en France, la profession de psychologue est protégée et
du même coup, les usagers de la psychologie. Il est écrit dans la loi que « l'usage du
titre de psychologue, accompagné ou non d'un qualificatif, est réservé aux titulaires
d'un diplôme, certificat ou titre sanctionnant une formation fondamentale et appliquée
de haut niveau en psychologie [...] ». Suit quelques années plus tard un décret
(22 mars 1990) indiquant la liste des diplômes permettant de faire usage professionnel
du titre de psychologue. Le Diplôme d'état de psychologie scolaire (DEPS) est parmi ceux-ci.
En 2005, un relevé du ministère de l'Éducation nationale fait état de 3 624 postes
de psychologues scolaires pour la France et les Dom-Tom. Tous ne sont pas effective-
ment pourvus pas un psychologue titulaire. La note du ministère estime à presque
10 % le nombre de postes vacants.

Il - Le psychologue scolaire

Les missions des psychologues scolaires sont principalement définies par une circu-
laire parue le 10 avril 1990 intitulée « Les missions et les activités des psychologues sco-
laires à l'école maternelle et élémentaire ». D'emblée l'accent, mis sur la relation entre
processus psychologiques et capacités d'apprentissage, rappelle l'inscription dans l'école
de la psychologie scolaire. Cependant, certaines mentions et certains termes employés,
« examens cliniques », « suivi psychologique » sortent le psychologue de ce tête-à-tête
avec la seule pédagogie et le positionnent clairement comme un psychologue de
l'enfance exerçant à l'école.

1. Tous les acteurs du système éducatif sont concernés par la difficulté scolaire. Celle-ci n'est plus réservée
aux seuls personnels spécialisés.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 461

a. Ses missions

1 /Les actions en faveur des enfants en difficultés

C'est évidemment une des fonctions essentielles du psychologue scolaire. Il est


interpellé directement par les enseignants mais aussi par les familles, et plus rarement
par les médecins de l'Éducation nationale ou les autres partenaires, pour des enfants
qui présentent une difficulté transitoire ou persistante à l'école. Le symptôme d'appel
mis en avant est le plus souvent une difficulté dans les apprentissages scolaires, une pro-
blématique comportementale ou une souffrance psychique. Il ne s'agit à ce stade que
d'une demande encore peu élaborée. Toute une partie du travail du psychologue
consiste à préciser le symptôme initial mis en avant.
Évidemment, des difficultés d'apprentissage persistantes, des comportements ina-
daptés peuvent recouvrir des problématiques sous-jacentes très différentes que le psy-
chologue doit savoir prendre en compte.

2/ Le suivi psychologique

Il s'agit d'une activité qui pourrait s'apparenter à une prise en charge thérapeu-
tique si elle ne se situait dans le cadre de l'école. En effet, cette dernière ne peut pas
être un lieu de soin. Son objet même, l'apprentissage scolaire, s'y oppose et le fonction-
nement des psychologues scolaires, pour la plupart intégrés au sein des établissements
scolaires, interdit l'organisation d'un cadre thérapeutique. En revanche, de nombreuses
situations invitent le psychologue scolaire à mettre en place des entretiens, plus ou
moins réguliers, avec l'enfant en situation de crise ou qui présente, dans le cadre sco-
laire, des anxiétés spécifiques entravant son investissement de la scolarité.
Des entretiens de guidance peuvent aussi être menés avec les familles ou les ensei-
gnants dans le but d'ajuster les conduites éducatives.

3/ La scolarisation des élèves handicapés

Chaque école doit accueillir tous les enfants qui relèvent de son secteur de recrute-
ment et par conséquent les enfants handicapés. Le psychologue scolaire a pour mission
d'apporter ses compétences, son éclairage spécifique, afin d'aider l'équipe éducative à
réussir cet accueil, important pour l'enfant et sa famille mais aussi pour les enseignants.
Cette intégration qui fut trop longtemps une possibilité à la discrétion des équipes
pédagogiques, est devenue avec la loi du 11 février 2005, une absolue nécessité. Dans
son préambule, la loi rappelle que « [..] l'action poursuivie vise à assurer l'accès de
l'enfant, [...] aux institutions ouvertes à l'ensemble de la population et son maintien
dans un cadre ordinaire de scolarité [...]. Elle garantit l'accompagnement et le soutien
des familles et des proches des personnes handicapées »'.

1. Loi n° 2005 102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des per-
-

sonnes handicapées.
462 I Les professions

4/La prévention

Intervenir le plus tôt possible, tout au long de la scolarité, avant que les difficultés
ne s'enkystent ou même apparaissent, a toujours représenté un idéal pédagogique.
Cette prévention incombe à l'équipe éducative et, bien entendu, au psychologue sco-
laire qui en fait partie. Elle « consiste en un ensemble de démarches qui visent à éviter
l'apparition d'une difficulté, son installation ou son amplification »i. Le psychologue
scolaire apporte son expertise des cas singuliers mais aussi du développement de
l'enfant pour, le cas échéant, participer à la construction « d'indicateurs de risque » ou
d'évaluations collectives.

5/ Participation à l'organisation, au fonctionnement


et à la vie des écoles

Le psychologue scolaire intervient dans un champ spécifique qu'il ne peut, évi-


demment, ignorer. Sa position, qui lui permet la connaissance de cas singuliers, de leur
évolution sur plusieurs années, fait de lui un interlocuteur incontournable lors des réu-
nions éducatives qui étudient et décident du parcours scolaire d'un enfant.

6/ Activités d'études et de formation

Comme le prévoit la circulaire définissant ses missions, le psychologue scolaire


peut-être appelé à participer à des actions de formation initiale ou continue destinées
aux professeurs des écoles ou à ses collègues psychologues.

b. Le réseau d'aides spécialisées aux enfants en difficultés (Rased)

Nommé « dispositif ressource » dans la circulaire' qui le définit, il est le cadre qui
accueille l'activité du psychologue scolaire ainsi que celles des enseignants chargés
d'aides spécialisées à dominante rééducative 3 ou pédagogique'.
Les missions assignées au Rased, par la circulaire de 2002, sont toujours complé-
mentaires de celles de l'équipe pédagogique : d'une part elles consistent à promouvoir
des actions de prévention des difficultés préjudiciables à la bonne scolarisation de
l'élève dans le cursus scolaire et d'autre part à développer, si les difficultés
d'apprentissage ou d'adaptation persistent, des remédiations appropriées.
Les interventions du Rased peuvent prendre plusieurs formes. Il y a celles qui relè-
vent plus spécifiquement du psychologue scolaire et celles qui incombent aux ensei-
gnants spécialisés. Ces dernières se divisent en deux grands types : d'une part, les aides
spécialisées à dominante pédagogique qui sont « adaptées aux situations dans lesquelles
les élèves manifestent des difficultés avérées à comprendre et apprendre alors même
que leurs capacités de travail mental sont satisfaisantes » (circulaire du 30 avril 1902).

1. Circulaire du 30 avril 2002, Les dispositifs de l'adaptation et de l'intégration scolaires dans le premier degré.
2. Circulaire du 20 avril 2002 Les dispositifs de l'adaptation et de l'intégration scolaires dans le premier degré.
3. Enseignant titulaire du CAPSAIS ou du CAPA- SH, option G.
4. Enseignant titulaire du CAPSAIS ou du CAPA- SH, option E.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 463

Et d'autre part les aides spécialisées à dominante rééducative plus indiquées pour « res-
taurer l'investissement scolaire ou aider à son instauration » (ibid.). La première aide
concerne plutôt les élèves qui éprouvent des difficultés dans la réalisation de leur désir
d'apprendre alors que la seconde concerne les enfants dont les particularités environne-
mentales ou plus personnelles entravent l'émergence de ce désir.

III - Un psychologue de l'enfance à l'école :


spécificités de sa fonction

Une particularité forte de la psychologie en milieu scolaire concerne


l'interpellation du psychologue. Le plus souvent, il s'agit de l'enseignant qui, inquiet
face à des difficultés d'apprentissage, à un comportement perturbé, à une souffrance
psychique, propose à la famille de demander l'intervention du psychologue scolaire.
Les familles elles-mêmes sont de plus en plus nombreuses à solliciter directement le
psychologue de leur école.

a. Qui demande ?

La prise en compte de la demande nécessite toujours plusieurs rencontres. Ren-


contre avec l'enseignant, s'il est le demandeur, entretien préalable avec la famille dans
tous les cas. Ces entretiens ont pour but premier, de permettre l'émergence de la
demande, de faire la part entre ce qu'elle comporte d'explicite et d'implicite. Une
demande banale peut masquer une inquiétude d'un tout autre ordre. Des parents
demandent, par exemple, un examen intellectuel pour leur fils qui présente de très for-
tes capacités intellectuelles. Très vite, l'entretien met à jour un questionnement anxieux
autour d'une possible évolution pathologique. Les retraits observés, les colères clasti-
ques, l'absence de relations avec les pairs sont-ils des symptômes secondaires à un déve-
loppement intellectuel précoce ou les prémices d'une évolution psychopathologique ?
Une autre demande concernant une difficulté d'apprentissage peut amener,
lorsque le motif réel, sous-jacent, se précise peu à peu, à l'émergence d'un vécu de mal-
traitance. Ce peut-être l'enfant qui, très directement fait une « révélation », mais aussi
la mère qui évoque les brutalités dont elle est l'objet de la part de son compagnon. Vio-
lences qui retentissent, secondairement, sur la capacité à apprendre de l'enfant. Le
motif explicite de la demande, la difficulté d'apprentissage dans notre exemple, a une
fonction d'écran qui masque la vraie demande, aux yeux mêmes du sujet demandeur.
Les demandes directes des enfants sont rares et se heurtent à la nécessité déontolo-
gique d'obtenir, avant toute intervention, l'autorisation de ses responsables légaux.

b. Les entretiens

De nombreux intervenants de l'école ou du champ social, enseignant, directeur,


assistant social, pratiquent des entretiens avec les familles. Très différents sont les entre-
tiens réalisés par les psychologues. Ils se caractérisent par une prise en compte de
464 I Les professions

l'autre comme « sujet », c'est-à-dire comme être autonome, désirant, capable de penser
par lui-même et d'élaborer, peut-être après plusieurs rencontres, des solutions qui sont
adaptées à son problème et à ses capacités. Cette position ne signifie pas que le psycho-
logue se refuse à toute intervention mais « elle comporte le refus de juger, l'acceptation
de tout entendre sans parti pris et sans critique » (Emmanuelli, 1997).
Le corollaire de cette position est l'obligation de garder pour chacun, enfant
comme adulte, un espace de confidentialité, voire de secret'.
L'entretien prend des formes différentes selon les interlocuteurs. La première ren-
contre avec la famille — le plus souvent c'est la mère seule qui fait la démarche — est
avant tout un entretien où le psychologue scolaire s'intéresse à l'histoire de vie de
l'enfant, dans sa famille, à l'école. Écouter les inquiétudes, les angoisses des parents,
quelquefois leurs critiques de l'école, expliquer le cadre, les modalités de l'intervention,
sont aussi des étapes nécessaires du premier entretien.
Les entretiens avec l'enfant comprennent deux volets. L'un consiste, après avoir su
créer un bon contact et l'avoir mis à l'aise, à lui rappeler le motif de la rencontre, à lui
faire comprendre plutôt que lui expliquer, le rôle du psychologue et lui donner quel-
ques règles qui définissent le cadre de l'intervention : modalités des rencontres, respect
de la confidentialité mais aussi définition de ce qui, dans le champ spécifique de l'école,
pourra être dit à la famille et à l'enseignant. L'autre volet de l'entretien avec l'enfant,
qui se développe au fil des rencontres, est centré sur l'enfant : a-t-il conscience de ses
difficultés ? Quelles sont ses caractéristiques de fonctionnement psychique (processus de
pensée, mécanismes de défense, représentations et affects) ?

c. L'examen psychologique

L'examen psychologique est un acte important de l'activité du psychologue de


l'enfance. Il permet, s'il est bien mené, de faire le point, le bilan, de comprendre le
fonctionnement complexe et global de l'enfant tant sur le plan de sa vie affective, de ses
compétences cognitives et, bien entendu, de ses rapports à son premier environnement,
sa famille.
Ce bilan ne peut jamais se résumer à une activité de psychométrie. Les termes
d'examen ou de bilan ne doivent pas nous amener à l'illusion d'une objectivation
entière de l'autre, à savoir l'enfant, à la manière d'un examen sous imagerie médicale.
Il s'agit, tout au contraire, d'une rencontre entre deux subjectivités, celle de l'enfant et
celle du clinicien, médiatisée par certains supports qui peuvent être des tests d'efficience
intellectuelle, des épreuves de personnalité, des dessins, des jeux, etc.
L'oublier, pour s'en tenir à une approche purement technicienne, serait un grave
contresens, préjudiciable pour l'enfant. Par exemple, à la demande de l'évaluation
du QI, par une famille qui soupçonne une précocité intellectuelle chez son enfant, le
psychologue ne peut répondre que par une intervention globale et complexe. En effet,
un surinvestissement des activités intellectuelles peut masquer une souffrance réelle chez
l'enfant, qui est souvent ignorée par la famille.

1. Code de déontologie des psychologues, titre I, article 1 : « Le psychologue préserve la vie privée des per-
sonnes en garantissant le respect du secret professionnel, y compris entre collègues. »
Les professions de la psychologie de l'enfance I 465

D. Lagache parle, à l'occasion du bilan psychologique, d'observation « armée »


qu'il oppose à l'observation « à mains nues ». Si le terme d'observation ne nous paraît
plus pertinent pour évoquer l'examen psychologique, nous retenons la partition entre
une clinique du fonctionnement psychique s'appuyant sur des outils et une clinique
s'appuyant sur les seuls entretiens.
L'examen psychologique, ainsi défini, comprend deux phases principales qui ne
sont jamais vraiment indépendantes l'une de l'autre. La première correspond à la ren-
contre avec l'enfant médiatisée par des tests. À cette occasion, le psychologue fait
preuve de ses compétences dans la passation des tests psychologiques et de ses qualités
d'étayage, d'écoute et d'empathie. La seconde est celle de l'interprétation des données
où le clinicien fait alors appel à ses qualités théorico-cliniques (Debray, 2000).

1 /L'examen selon l'âge de l'enfant

Si l'examen psychologique, que nous concevons comme un acte essentiel voire


fondateur de l'identité du psychologue scolaire, possède son cadre, ses méthodes, sa
temporalité propre, il ne saurait s'exonérer d'un rapport constant, complexe avec le
sujet de cet examen : le jeune enfant ou celui de la phase de latence.
Pratiquer l'examen psychologique nécessite, avant toute chose, une connaissance
approfondie du sujet auquel il s'applique.
Il est tentant de définir l'enfant jeune par ce qu'il n'est pas : déjà, ce n'est plus le
très jeune enfant encore en grande partie dépourvu d'autonomie, mais ce n'est pas
encore celui de la phase de latence. Cette période qui va de deux à cinq ou six ans
– avec bien entendu des sous-périodes – est celle de la conquête de l'autonomie et de
l'essor des grandes fonctions ou, selon la terminologie d'A. Freud, des lignes du déve-
loppement. Le développement pendant cette période est le plus souvent discontinu
selon les circonstances environnementales, différentiel selon les fonctions sollicitées. La
dysharmonie du développement devient la règle. Il faut alors aux psychologues savoir
reconnaître les dysharmonies simples car « elles font partie d'un développement nor-
mal » (D. Widliicher) des dysharmonies d'évolution où le trouble « instrumental »
s'inscrit dans une organisation psychopathologique globale de la personnalité.
Pour l'enfant un peu plus âgé, celui dit de la phase de latence, l'examen psycholo-
gique poursuit un autre objectif. Pour R. Debray, il permet de répondre à une question
cruciale : « Le développement psychique est-il toujours possible ou bien l'énergie pul-
sionnelle s'épuise-t-elle dans des conflits ou aménagements défensifs stérilisants. » En
effet, l'enfant est maintenant confronté aux apprentissages de l'école élémentaire et au
premier d'entre eux, la lecture. Cette période de la phase de latence qui est assez
courte, représente un « âge d'or » pour engranger des connaissances. Tout arrêt,
entrave, inhibition, des capacités d'apprentissage peut entraîner rapidement des consé-
quences sociales très dommageables et durables pour l'enfant.
L'examen se compose le plus souvent :
— d'une épreuve généraliste d'intelligence, wisc-iv (Épreuve d'intelligence pour enfant de
Wechsler), K-ABC (Batterie pour l'examen psychologique de l'enfant de Kaufman) ou NEMI-2
(Échelle d'évaluation de l'intelligence de Cognet) ;
466 I Les professions

d'une épreuve plus spécifique, UDN-II (Utilisation du nombre de Meljac), Figure de Rey
ou épreuve d'analyse de la lecture,
d'épreuves projectives (Patte noire, CAT, TAT, Rorschach...),
d'épreuves de dessin (Dame de Fay, dessin du bonhomme, de la famille, dessin
libre).

d. Les comptes rendus


À l'issue d'un examen psychologique, le psychologue rend compte de ses observa-
tions auprès de ses différents partenaires. Le plus souvent, le compte rendu est oral. Le
premier destinataire est évidemment l'enfant avec lequel il est presque toujours possible
de rappeler la demande initiale, d'évoquer la situation d'examen, certains résultats
obtenus, et les prolongements que le psychologue souhaite proposer à la famille et à
l'enseignant. Cette restitution à l'enfant se doit d'être soutenante et ouverte vers des
perspectives plus positives.
Avec la famille, le psychologue rappelle aussi la demande initiale, le déroulement
de l'examen, le mode de fonctionnement cognitif de l'enfant, ses points faibles et les
points forts sur lesquels s'appuyer mais en aucun cas, il ne divulgue le QI'. Bien
entendu, et c'est là un point essentiel, le clinicien évoque avec la famille le développe-
ment psychique et affectif de l'enfant et, le cas échéant, l'existence d'une souffrance, la
présence d'angoisse, une possible dépression, les capacités de reprise, de résilience, etc.
Autant d'éléments qui amènent à une prise en compte globale de l'enfant dans son
existence, dans sa vie psychique.
Avec l'enseignant, toujours dans le respect de la confidentialité due à l'enfant et à
sa famille, il est nécessaire d'envisager les attitudes dans la relation pédagogique, les
remédiations et les aménagements nécessaires à la bonne évolution de l'enfant.
Des comptes rendus écrits peuvent être, à la demande des familles, adressés à des
partenaires extérieurs (centres spécialisés, orthophonistes, confrères, etc.). Ils sont, bien
entendu, adaptés à leurs destinataires.

e. Les partenaires extérieurs


Par sa place dans le système éducatif, le psychologue scolaire est naturellement
amené à être un médiateur entre l'école et ses collègues qui exercent dans des centres
ou services extérieurs à l'école (cAmsP2 , SESSAD 3 , CMP4 , CMPP5 , IME 6 , Hôpital de jour,
Hôpital pédiatrique, etc.).
Il conseille aux familles des consultations dans ces différents services et participe,
souvent, aux réunions de suivi des enfants dont il a la charge.

I. Le QI est une notion complexe qui ne peut être comprise que par des personnes expertes. Son expression
nécessite la communication d'un intervalle de confiance, sa stabilité n'est que statistique (il peut évoluer
chez un même sujet) et il condense, en un seul nombre, des données issues de processus cognitifs très diffé-
rents.
2. Centre d'action médico-social précoce.
3. Service de soins spécialisés à domicile.
4. Centre médico-psychologique.
5. Centre médico-psychopédagogique.
6. Institut médico-pédagogique.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 467

IV - Un psychologue expert

Il s'agit d'une activité importante du psychologue scolaire. Certains, exerçant dans


des secteurs trop vastes, se plaignent d'y consacrer l'essentiel de leur temps. L'expertise
du psychologue est cependant essentielle au bon fonctionnement des diverses instances
qui interviennent dans l'orientation des élèves : Équipes de suivi de la scolarisation, Commis-
sion des droits et de l'autonomie (cDA), Commission départementale de l'orientation (030), etc.
Chaque « usager », famille et enfant, du service public d'éducation est en droit
d'obtenir l'expertise professionnelle d'un psychologue lorsque se pose la question d'un
aménagement du parcours scolaire, d'une orientation ou de l'obtention d'une Allocation
d'éducation spéciale (AEs). Évidemment, toute expertise nécessite des compétences en psy-
chologie clinique, une bonne connaissance du système éducatif et du secteur médico-
social.
Le psychologue scolaire écrit un rapport d'expertise à l'attention d'un collègue
psychologue qui le représente dans les différentes commissions. Seul, ce qui est utile à
la commission et à l'intérêt de l'enfant doit être communiqué. Bien entendu, les élé-
ments de la vie privée, les confidences ou les secrets confiés par l'enfant ou la famille
n'ont pas à être divulgués.

V - Devenir psychologue scolaire

a. La formation
Au moment où cet ouvrage est mis sous presse, des modifications des modalités de
recrutement des psychologues scolaires sont à l'étude. Le site du ministère de
l'Éducation nationale (http://www.education.gouv.fr/) ou celui de l'Association fran-
çaise des psychologues scolaires (http://www.afps.info/) sont en mesure d'informer le
lecteur, le cas échéant, sur ces éventuelles modifications.

1 / Le recrutement
Depuis la création du Diplôme d'état de psychologie scolaire, en 1989, les conditions
nécessaires pour intégrer la formation sont triples :
— être instituteur ou professeur des écoles titulaire ;
— justifier de la licence de psychologie avant la date d'entrée en formation' ;
— avoir effectué avant l'entrée dans le cycle de formation trois années de services
effectifs d'enseignement dans une classe.

1. 11 est à noter qu'à l'entrée en formation préparant au DEPS, les stagiaires ont souvent un diplôme plus
élevé que la licence de psychologie et qu'après leur formation initiale beaucoup, une majorité, poursuit un
cursus universitaire de 3' cyde.
468 I Les professions

2/La formation
Elle a une durée d'une année pendant laquelle le futur psychologue scolaire est en
stage tout en conservant son salaire de fonctionnaire. Il s'agit d'une formation dense
qui comporte un volume important de cours théoriques, de travaux dirigés et la réalisa-
tion d'un mémoire d'étude et de recherche. Un stage d'une journée par semaine
et d'un mois entier auprès d'un psychologue scolaire maître de stage complète la
formation.
Celle-ci prend des couleurs différentes selon les centres de formation et les options
des universités qui les accueillent. Ici, la formation met plus l'accent sur la psychologie
des apprentissages, là les approches sont mixtes, ailleurs elle s'appuie plus sur la
clinique.

Les centres de formation


Aix-en-Provence
Centre de formation des psychologues scolaires, Université Aix-Marseille I, UFR de psychologie et
des sciences de l'éducation, 29, av. R. Schumann, 13621 Aix-en-Provence,
Tél. 04 42 93 39 91, fax 04 42 38 91 70.
Bordeaux
Centre de formation des psychologues scolaires, Université Bordeaux II, UFR des sciences sociales
et psychologiques, 3 ter, place de la Victoire, 33076 Bordeaux Cedex,
Tél. 05 57 57 18 63, fax 05 57 57 19 77.
Grenoble
Centre de formation des psychologues scolaires, Université Grenoble II, UFR des sciences de
l'homme et de la société, domaine universitaire de Saint-Martin d'Hères, BP 47 X, 38040 Grenoble
Cedex,
Tél. 04 76 82 59 50 et 04 56 52 85 01, fax 04 76 82 56 65.
Lille
Centre de formation des psychologues scolaires, Université Lille III, UFR de pechologie, domaine
universitaire littéraire et juridique, Pont-de-Bois, 59653 Villeneuve-d'Ascq,
Tél. 03 20 41 63 29, fax 03 20 41 63 24.
Lyon
Centre de formation des psychologues scolaires, Université Lyon II, UFR de psychologie,
5, av. Pierre-Mendès-France, 69676 Bron Cedex,
Tél. 04 78 77 23 23, fax 04 78 77 44 57.
Paris
Centre de formation des psychologues scolaires, Université Paris V, UFR de pechologie, Centre
universitaire de Boulogne, 71, avenue É.-Vaillant, 92100 Boulogne-Billancourt,
Tél. 01 55 20 58 22, fax 01 55 20 59 84.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 469

b. Le diplôme d'état de psychologie scolaire

Ce diplôme, délivré à l'issue de l'année de formation donne le titre de psychologue


et permet donc aux psychologues scolaires de s'inscrire sur les listes ADELI I .
Le Décret n° 90-255 du 22 mars 1990 énonce :
« Ont le droit en application du I de l'article 44 de la loi du 25 juillet 1985 sus-
visée de faire usage professionnel du titre de psychologue en le faisant suivre, le cas échéant,
d'un qual atif, les titulaires :
1 / De la licence et de la maîtrise en psychologie qui justifient, en outre, de l'obtention :
a) Soit d'un diplôme d'études supérieures spécialisées en psychologie ;
b) Soit d'un diplôme d'études approfondies en psychologie comportant un stage
professionnel.
2 / De diplômes étrangers reconnus équivalents aux diplômes mentionnés au 1° par k ministre
chargé de l'enseignement supérieur après avis d'une commission dont la composition est fixée par arrêté
de ce ministre.
3 / Du diplôme d'État de psychologie scolaire.
4 / Du diplôme de psychologue du travail délivré par le Conservatoire national des arts et métiers.
5 / Du diplôme de psychologue délivré par l'école des psychologues praticiens de l'institut catho-
lique de Paris. »
Une polémique naît suite au décret n° 90-255 du 22 mars 1990 qui attribue le
titre de psychologue aux titulaires du DEPS. Certains souhaitaient voir limiter le titre des
psychologues exerçant à l'école en les obligeant à accoler le qualificatif scolaire au subs-
tantif psychologue. Le Conseil d'État, par un arrêté daté du 22 février 1995, a tranché
cette querelle en affirmant que « le pouvoir réglementaire [ne peut] légalement imposer
aux titulaires du diplôme d'État de psychologie scolaire de ne faire usage du titre de
psychologue qu'assorti du qualificatif scolaire ».

c. Le statut

Le psychologue scolaire n'a pas de statut spécifique. Il est administrativement


considéré comme un Professeur des écoles (même statut, même salaire). Si la reconnais-
sance de ses compétences spécifiques est réelle, cette absence de statut est cependant
très pénalisante.

VI - L'avenir de la psychologie scolaire

Depuis cinquante ans, les psychologues scolaires ont presque toujours eu des
inquiétudes quant à la pérennité de leur fonction. Trois raisons principales participent à
cette incertitude : le « traumatisme » issu de l'abandon de la psychologie scolaire

1. Listes départementales des personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue et des professions
réglementées par le Code de la santé publique, de la famille et de l'aide sociale.
470 I Les professions

en 1954, l'absence de statut qui, réellement, les protège d'un « retour » dans les classes
et la formation professionnelle initiale qui semble insuffisante (le DEPS est obtenu en un
an après la licence) et quelquefois les disqualifie auprès de leurs collègues libéraux ou
de la Santé.
Si ces restrictions sont bien réelles, les psychologues scolaires ont cependant su, au
fil des ans, imposer leur présence et la rendre indispensable au sein du système éducatif
français. Leurs compétences et leurs missions leur ont conféré une légitimité et une
reconnaissance sans réserve de l'institution mais aussi des différents partenaires et des
familles.
Dans un monde où l'enfant est précieux, placé au centre du système éducatif,
l'école ne peut se passer des psychologues scolaires. À ceux-ci de défendre leur spécifi-
cité, à savoir celle d'un psychologue clinicien, spécialiste de l'enfance, ayant par ailleurs
une compréhension fine de la relation pédagogique et des situations scolaires
complexes.

LECTURE CONSEILLÉE

Besse, J. M. (2005). Des psychologues à l'école. Paris : Retz.

B - LES PSYCHOLOGUES DE L'ENFANCE


DANS LES INSTITUTIONS DE SANTÉ, par Claire Meljac

- La santé des enfants : un monde qui fascine

Une bonne partie des étudiants en psychologie qui se spécialisent dès l'abord dans
le champ de l'enfance ont, d'une façon ou d'une autre, sur un mode explicite ou impli-
cite, conscient ou inconscient, un intérêt pour les aspects psycho-pathologiques du
développement.
S'il en était autrement, en effet, ils ne choisiraient pas d'emblée la voie de la psy-
chologie (étant donné la représentation qu'on s'en fait habituellement, surtout sur les
bancs du lycée) mais passeraient d'abord par celle de l'éducation, de l'orientation sco-
laire ou de l'enseignement : nombre de psychologues connus dans le champ des recher-
ches sur le développement ont, par exemple, commencé leur carrière en exerçant quel-
ques années comme professeurs des écoles (ce qu'on appelait, naguère, instituteurs).
Ils se sont ensuite découverts une vocation pour la psychologie : leur but était de
mieux comprendre la population avec laquelle ils travaillaient et les processus mentaux
auxquels se trouvaient confrontés tant les apprenants que les enseignants.
Ceux ou celles qui, au sortir du baccalauréat (ou, comme c'est fréquent, à la suite
du début peu satisfaisant d'une carrière dans un champ autre que le développement ou
Les professions de la psychologie de l'enfance I 471

l'éducation) se veulent « psychologues de l'enfant » répondent, bien souvent, à des


motivations différentes : elles correspondent à un désir de réparation. On comprend
alors pourquoi les psychologues de l'enfance ont très souvent l'ambition de travailler
dans le domaine de la santé, sans toutefois, dans la plupart des cas, avoir mené leurs
réflexions jusqu'au terme.

Il - Du rêve à la réalité : quelques informations

Comme c'est justement à ce type d'étudiants que ce chapitre d'informations a


l'ambition de s'adresser, les quelques pages qui suivent voudraient pouvoir leur fournir
un certain nombre d'éléments qui devraient les aider à affiner leurs projets.
— Première constatation : les institutions dites « de santé » n'ont affaire à celle-ci
qu'indirectement puisque, si la santé physique et mentale des consultants est bien expli-
citement recherchée et constitue le but de l'activité de tels secteurs, ceux-ci, dans les
faits, s'occupent d'individus... malades. Dès qu'on mentionne, en psychologie, les « ins-
titutions de santé », le « domaine de la santé mentale » ou encore une spécialisation
ayant trait « à l'amélioration de la santé », chacun sait qu'il est question de psychopa-
thologie : en conséquence, les titulaires de ce genre de postes seront choisis, par prio-
rité... et peut-être en raison de l'ignorance de certains « décideurs », non pas chez ceux
qui peuvent se prévaloir d'un cursus garantissant des compétences dans le champ de
l'enfance, mais parmi les étudiants qui ont bénéficié de ce qu'on appelle en France une
formation « clinique », avec toutes les ambiguïtés que comporte ce terme.
La conséquence logique de cette situation est l'absence, selon certains travaux
recensés (Almodovar et Fontaine, 1997), des psychologues de l'enfance' dans des struc-
tures où les problèmes posés par les pathologies, quelles qu'en soient les modalités,
apparaissent au premier plan. Les auteurs insistent, ainsi, sur le très faible taux
d'emploi des psychologues de l'enfance dans les consultations de type CMPP ou dans
les services de pédo-psychiatrie où l'on rencontre pourtant, justement, des enfants.
Il semble que cette information capitale doit retenir l'attention de tous les psycho-
logues en formation dans le domaine de l'enfance : leur rêve d'actions réparatrices
risque de tourner court et leurs espérances seront probablement déçues s'ils
n'élargissent pas significativement leurs perspectives. Répétons-le : même si ce qui cons-
tituait jusqu'à maintenant le DESS traitant de l'enfance et de l'adolescence était consi-
déré comme aussi « qualifiant », sur le plan académique, que le DESS consacré à la cli-
nique, il n'offrait pas toujours, en fait, une garantie suffisante d'emploi dans les
institutions de santé. II est par ailleurs un peu trop tôt pour dire, à la date où nous rédi-
geons ce chapitre, si le remplacement des DESS par des Masters professionnels dans le
cadre de la réforme dite LMD changera cet état de fait. Pour l'instant, comme la
concurrence est rude et que des centaines de candidats se présentent parfois pour un
seul poste dans ce secteur, certains espoirs n'ont pas toujours pu se réaliser.

1. L'étude porte particulièrement sur les psychologues formés dans le cadre de l'Université de Paris X - Nan-
terre mais ses résultats sont certainement généralisables. Consulter aussi — pour l'ensemble des DESS de la
même université — Colette et Lelard (2000).
472 I Les professions

Il est vrai qu'une deuxième enquête, selon le bilan interne effectué par Fontaine
(2004) un des deux auteurs précédent, portant sur 14 promotions de diplômés — DESS —
dans le domaine de l'enfance, est nettement plus encourageante. Au total 99 % des
emplois occupés se trouvent en rapport avec la psychologie, et parmi ceux-ci, sur
290 emplois (soit 53 % des diplômés), ils travaillent dans les « secteurs attendus »,
c'est-à-dire des organisations relevant d'instances de soins (voir plus bas) auxquelles on
peut ajouter le secteur social et éducatif (24 o/). Beaucoup correspondent au profil clas-
sique de « psychologue clinicien », surtout pour les promotions récentes.

ENCADRÉ 12.1

D'après les derniers recensements, il existe en France une trentaine de Masters 2 préparant les
étudiants en psychologie à travailler dans le domaine de l'enfance. Ils se présentent sous diffé-
rents titres et peuvent adopter des orientations théoriques ou pratiques variées : de la psycha-
nalyse à la neuropsychologie, de la clinique à la recherche.
Ces spécialisations sont réparties dans l'ensemble de l'Hexagone et ont des capacités
d'accueil pour environ 1 000 étudiants, ce qui, compte tenu du nombre des postes de travail
disponibles à la sortie, semble tout à fait exagéré. La concurrence sera donc rude et les étu-
diants devront, à cette occasion aussi, bien cibler leurs choix et leurs orientations.
(Renseignements fournis par la Fédération française des psychologues et de la psycho-
logie — FFPP — et Benoît Schneider, Université de Nancy 2, président de l'Association des ensei-
gnants de psychologie des universités. Nous adressons nos plus vifs remerciements à ces col-
lègues.)

III - Dérive ou itinéraire raisonné ?

Cette enquête offre peut-être un début d'indice, semblant en faveur d'un certain
retour dans les consciences de pans importants concernant l'histoire générale de la psy-
chologie et de la psychologie de l'enfant, en particulier. C'est, en effet, justement dans
le terrain des troubles de l'adaptation observables chez les enfants, comme des caracté-
ristiques de leur croissance intellectuelle et de leur personnalité, qu'ont oeuvré trois
grands psychologues français mondialement connus, à savoir Alfred Binet (voir, par
exemple 1911), au début du siècle, Henri Wallon (voir, par exemple, 1942), ensuite et,
enfin, son continuateur, René Zazzo (voir, par exemple, 1999).
Tout en poursuivant leurs travaux fondamentaux, tous les trois ont recherché à
s'implanter solidement dans les institutions de soins : hôpital de Perray-Vaucluse, dans
la région parisienne pour Binet' (par l'entremise de son collaborateur, le Dr Théodore
Simon), consultations de 1'1mm, rue Gay-Lussac, à Paris (Laboratoire de psycho-
biologie), pour Wallon qui a formé des générations d'étudiants à l'observation clinique
des enfants perturbés, Hôpital Henri-Rousselle (dans l'hôpital Sainte-Anne, Paris) pour
Zazzo. Ce dernier a maintenu, pendant des décennies, son enseignement sur deux
fronts : les amphithéâtres de l'Université et les salles réservées à l'examen psychologique

1. Ironie du sort : un célèbre centre de consultations et de thérapies, très peu inspiré, dans les faits, par
l'ceuvre d'Alfred Binet, porte pourtant son nom.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 473

dans le cadre de l'hôpital où il recevait, en plus de couples de jumeaux (son sujet de


thèse), des enfants atteints par les pathologies les plus diverses'.
C'est à partir des travaux de ces personnalités prestigieuses que la psychologie de
l'enfant a pu accomplir en France des progrès significatifs, validant par la pathologie
des modèles développementaux et vice versa. On ne peut donc que regretter la scission
qui semble s'être produite entre plusieurs types d'enseignement et nourrir l'espoir que
les réformes en cours parviendront à aider les professionnels de la santé à se forger une
juste appréciation des compétences variées acquises par les psychologues de l'enfant
dûment qualifiés.

IV - Propositions provisoires de formation à l'intention d'étudiants


désirant se spécialiser dans le domaine de la santé mentale de l'enfant

Pour pouvoir aborder de la façon la plus ouverte et la plus large possible l'étude
de l'enfant « en difficultés », et pris en charge pour ces raisons par une institution de
santé, il nous semble indiqué de dresser d'abord une esquisse générale de ce « sujet de
soins ». C'est à partir de cet ensemble qu'on reprendra sous forme synthétique les lignes
directrices inspirant les nouvelles maquettes de formation proposées à un étudiant (une
étudiante) désirant travailler dans ce champ.

a. Oui s'adresse à un organisme de santé et pourquoi ?

D'abord un constat tout simple, aux conséquences desquelles on n'a, en général,


pas assez réfléchi.
Les adultes qui prennent contact avec un centre de santé (mentale) sont, la plupart
du temps, incités à le faire par des malaises d'ordre personnel ressentis comme extrê-
mement gênants et constituant autant de sources de souffrance (ils présentent, par
exemple, des bouffées d'angoisse, des tics irrépressibles, des impossibilités à s'adapter à
leur poste de travail, à leur vie de famille, etc.). Il n'en est pas de même des enfants qui
n'ont, en général, jamais l'idée de consulter qui que ce soit pour leurs difficultés parti-
culières et ne verbalisent aucune demande d'aide.
Quand ceux-ci expriment des besoins ou recherchent un interlocuteur, un soutien,
c'est de façon indirecte, le plus souvent indécelable. Les demandeurs (de soins) se trou-
vent alors être les parents qui s'adressent à une instance de santé pour des raisons qui
les affectent, eux, parents : ils ont entendu dire (par un voisin, une assistante sociale, un
médecin, des membres de la famille et surtout l'école) qu'elles sont prises en compte
dans de tels endroits.

1. Nous ne mentionnerons pas ici l'immense figure de Jean Piaget qui, quoique francophone, n'était pas
Français, puisque Suisse. N'oublions pas, cependant, son rôle central dans l'étude du développement de
l'enfant et la richesse de ses apports (voir Houdé et Meljac, 2000). À ceux qui objecteraient son peu
d'intérêt pour la pathologie, on pourrait répliquer que sa distance envers les troubles mentaux était parfois
feinte et qu'en tout cas ses premières observations sur la non-conservation des invariants ont été effectuées
dans le cadre de... l'hôpital de la Salpêtrière, à Paris. On lira sur ce point Vidal (1994) ainsi que Houdé et
Meljac (2000).
474 I Les professions

Il peut alors s'agir de troubles importants du développement (retards mentaux,


autisme), de comportements agités, violents, difficiles à supporter, ou des conséquences
d'atteintes somatiques — souvent génétiques — diverses. On relève surtout (selon la
nature des centres, mais globalement autour de 80 % des demandes d'intervention) des
plaintes portant sur des cas d'échecs scolaires plus ou moins permanents, généraux ou
spécifiques : impossibilités d'apprendre à lire, par exemple, fautes d'orthographe sévères
et persistantes, graphisme illisible ou refus pur et simple d'écrire, incompréhensions
massives en calcul, agitation en classe rendant tout apprentissage hasardeux, etc.).
La plupart des enseignants apprécient « l'expertise » des psychologues (et des profes-
sions associées avec lesquelles ils travaillent) concernant de telles manifestations. Comme
celles-ci perturbent profondément l'organisation d'une classe, ils n'hésitent pas à conseil-
ler aux parents un contact avec une instance réputée en la matière. C'est le cas, par
exemple, de services reconnus comme « centres de référence » pour tout ce qui concerne
les troubles de l'apprentissage. Il s'agit donc d'un domaine électif où les psychologues de
l'enfance devraient être légitimement appelés à faire valoir leurs formations.

b. Connaissances indispensables

La formation des psychologues intervenant dans ces domaines se rapportera à


leurs champs d'action.
Tout psychologue abordant les difficultés d'apprentissage, qu'elles soient légères ou
sévères, aura étudié.
Sur le plan théorique :
les modalités du développement et ses caractéristiques ;
les habiletés requises pour la maîtrise des différentes disciplines (par exemple, com-
ment s'acquiert la lecture, quelles sont les étapes cognitives par lesquelles passe
l'apprenti mathématicien ?) ;
les modèles anciens ou actuels qui en rendent compte, les recherches en cours ten-
tant d'identifier les facteurs d'échecs ou de réussites en cause dans les différents
tableaux présentés par divers types d'écoliers (aspects cognitifs, neuro-
psychologiques, mais aussi sociologiques, affectifs, et pédagogiques) ;
enfin les bases de la méthode des tests devront être parfaitement maîtrisées.

Sur le plan pratique :


les psychologues ont été intensivement entraînés à tous les aspects de l'observation
et du contact avec les enfants et leurs familles qui forment leur milieu de vie, ainsi
que les institutions amenées à les encadrer ;
ils sont aussi censés connaître l'organisation des différentes instances réglant la vie
des enfants et savent identifier leurs rôles variés et leurs spécificités ;
enfin, l'application des différentes techniques d'examens leur sera devenue totale-
ment familière, de même que la rédaction de courriers, comptes rendus et autres
documents cliniques ou administratifs.

Les nombreux stages dont ils auront pu bénéficier leur auront procuré des occa-
sions de travail personnel mais contrôlé et leur auront fourni une expertise reconnue,
Les professions de la psychologie de l'enfance I 475

sanctionnée par un diplôme les désignant comme des professionnels à part entière, en
mesure d'assumer d'importantes responsabilités.
Centrées sur les différents obstacles que rencontrera éventuellement un sujet en
développement, dont les écarts avec la « norme » de référence sont susceptibles de
variations plus ou moins importantes, dotées de caractéristiques propres, de telles prati-
ques reposent sur des synthèses personnelles acquises au fil de pratiques raisonnées. La
solide formation de base des psychologues de l'enfance devra, d'ailleurs, se poursuivre
tout au long de l'exercice professionnel. Dans le domaine de la santé de l'enfant, diffé-
rents organismes, dépendant ou non directement de l'Université, ont mis au point des
programmes variés, selon l'âge, le niveau, et le tableau psychopathologique présenté
par la population avec laquelle travaille le psychologue. Elles prennent aussi en compte,
évidemment, ses modalités d'intervention.
Les employeurs consentent souvent à financer ces formations continues mais ce
n'est pas toujours le cas et les psychologues doivent se préparer à assumer des frais per-
sonnels.

V - Les lieux principaux d'intervention du psychologue

Étant donné la grande mobilité des lieux d'intervention, leur polyvalence (sou-
haitée ou subie), le flou qui règne parfois dans leurs définitions et leurs rôles, nous
offrons ici un survol général des principales institutions (plus ou moins rattachées au
secteur santé) susceptibles d'employer des psychologues.

a. Travail à visée sociale, éducative et thérapeutique

Il se pratique dans diverses institutions de l'enfance dont les missions sont à la fois
sociales et thérapeutiques, de telle sorte qu'il devient difficile de distinguer entre ces
deux aspects, d'autant plus qu'ils dépendent du contexte et des inflexions particulières
des tâches assignées à tel ou tel établissement, relayées par la direction et le projet
qu'elle porte. Il peut s'agir de structures dépendant de la Direction de l'Action sanitaire
et sociale (DAss), Direction départementale de l'action sanitaire et sociale (DDASS), Aide
Sociale à l'Enfance (ASE, assurant souvent un travail social et médical), Protection judi-
ciaire de la jeunesse (p11). On peut ajouter à cette liste les Instituts médico-
pédagogiques (IMP), médico-éducatifs (B4E), et médico-professionnels (imPro), les Unités
de prévention et d'action sociale (uPA) accueillant des enfants présentant diverses patho-
logies rendant leur scolarisation (et leur formation professionnelle) particulièrement dif-
ficile. Des CAT (Centres d'aide par le travail) reçoivent certains d'entre eux lorsqu'ils
sont plus âgés.
Dans ces établissements, le « plateau technique » ne comporte pas obligatoirement
de psychologues', mais de tels besoins se font toutefois souvent sentir. Il peut alors s'agir
de postes à mi-temps ou même moins.

1. En effet, l'exercice de la psychologie ne fait pas à proprement parler partie du domaine professionnel de la
santé, comme l'analyse, avec beaucoup de subtilité juridique, Durmarque (2006).
476 I Les professions

Quelques-unes de ces institutions fonctionnent sur le mode de l'internat. Une des


premières insertions possibles des psychologues de l'enfance peut ne pas s'effectuer en
fonction de leur titre spécifique : il arrive, ainsi, dans un certain nombre de cas, que le
psychologue soit recruté au titre d' « éducateur spécialisé » dans le cadre de l'internat.
La difficulté sera alors de se faire pleinement reconnaître. Les tactiques diffèrent selon
les personnalités : certains se servent de ce premier poste comme d'un tremplin pour
postuler ailleurs en faisant valoir une expérience réussie qui leur a permis d'enrichir
leur palette propre ; d'autres mettent au point des stratégies pour se voir offrir de plus
larges responsabilités au sein d'un ensemble où l'on apprécie déjà leurs qualités. Les
enquêtes effectuées (voir articles cités) insistent sur la fréquence de ces « postes de tran-
sition ». On peut regretter qu'une formation initiale complète, qui se veut de qualité, ne
permette pas aux jeunes psychologues d'accéder directement à la pratique de la profes-
sion qu'ils ont choisie.
La réussite à un concours est indispensable pour un grand nombre de postes à res-
ponsabilités dans quelques-unes de ces institutions : ces concours s'avèrent, le plus sou-
vent, rares et très exigeants. Les chances de succès sont minces quand « l'impétrant »
n'a pas acquis d'expérience professionnelle personnelle.
Des formations supplémentaires (par exemple dans le domaine administratif) peu-
vent s'imposer. L'effort à fournir est alors considérable. Des collaborations à des publi-
cations dans des livres ou revues spécialisées sont, en général, considérées avec faveur.
Ajoutons, enfin, le rôle essentiel joué par des Associations (par exemple associa-
tions de parents) susceptibles de gérer des établissements éducatifs conçus à l'intention
de telles ou telles pathologies. À l'origine, ces créations étaient plutôt rares et ne four-
nissaient qu'une aide partielle ; aujourd'hui elles détiennent un pouvoir important et
inspirent des initiatives dans tous les champs. La collaboration avec de telles structures
exige de grandes qualités de la part du professionnel sollicité.

b. Travail directement clinique

Il s'exerce principalement dans des Centres médico-pédagogiques (CMP, relevant


directement de l'État), des Centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP dont le finance-
ment est plutôt d'ordre associatif), des services hospitaliers (hôpitaux généraux, hôpitaux
psychiatriques, services dépendant de secteurs psychiatriques), et des associations diverses.
Les activités des psychologues sont alors très variables et relèvent le plus souvent
de leur formation spécifique : accueil des patients (enfants et familles) examens psycho-
logiques approfondis (collaboration au diagnostic), soutien et prises en charge', activités
d'animation d'ateliers.
Il faudrait aussi mentionner ici les activités proprement thérapeutiques (psychothé-
rapies presque exclusivement psychanalytiques) exercées bien souvent par les psycholo-

1. Ce secteur demeure très insuffisamment investi par les psychologues. On ne peut que le déplorer alors
qu'il devrait offrir une multitude de possibilités. Ainsi, les remédiations dans le domaine logico-
mathématique, inconnues de la plupart des psychologues, correspondent bien à leur formation initiale
(à enrichir, bien évidemment), plus, en tout cas, qu'à celle d'autres professionnels. Ces derniers ne
s'emparent de ce « créneau » que parce qu'il se trouve déserté par ceux qui auraient les qualifications
pour défricher un terrain encore relativement vierge.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 477

gues : il s'agit d'un problème très délicat impossible à traiter dans le cadre de ce cha-
pitre. Précisons cependant :
que la formation des psychothérapeutes fait actuellement l'objet de très vives discus-
sions à l'échelon parlementaire ;
que l'Université n'enseigne pas, à proprement parler, les techniques psychothérapi-
ques. Elles font l'objet de formations complémentaires ;
que le travail des psychologues se confond, hélas, dans nombre d'institutions avec
celui de thérapeutes à plein temps. Ce « glissement » s'effectue aux dépens
d'activités nombreuses et variées qui ne sont, alors, plus assurées.

c. Travail en relation avec les organismes de recherche


dans le domaine des soins

Il ne s'agit pas là d'une possibilité entièrement négligeable bien qu'il ne s'agisse, en


grande majorité, que d'emplois partiels et provisoires.
Ainsi, des hôpitaux, des organismes officiels de recherche (comme l'Institut natio-
nal de la santé et de la recherche médicale, INSERM, ou le Centre national de la
recherche scientifique, CNRS, ou encore des grandes entreprises, comme des laboratoi-
res médicaux) sont susceptibles d'employer des psychologues de l'enfant, bien souvent
en tant qu'auxiliaires, dans le cadre de recherches portant sur les caractéristiques de tels
ou tels patients, le déroulement de certaines maladies, l'apparition de symptômes iden-
tifiés, le type de conduites à tenir et d'informations à diffuser pour mieux informer la
population, etc. Il s'agit là d'activités toujours formatrices, même si elles ne sont pas
forcément bien rémunérées. On a rappelé, plus haut, le rôle que des publications de ce
type pouvait jouer dans un processus d'embauche.
On peut répéter, en ce qui concerne les emplois cliniques, ce qui a été mentionné
dans la rubrique précédente au sujet des concours : la plupart des titularisations sont
obtenues à l'issue de telles procédures dont les modalités sont essentiellement variables
et les résultats hasardeux. Ce domaine, encore plus que d'autres, recense beaucoup
d'appelés et peu d'élus.

d. Consultations privées (travail en libéral)

Un certain nombre de psychologues, enfin, désespérés de ne pas trouver assez vite


un poste de travail à leur goût ou, plus rarement, par choix direct, prennent l'initiative,
qu'ils croient prometteuse, de se lancer dans le travail indépendant et d'ouvrir un cabi-
net de consultations pour enfants.
Ce genre de création, si elle émane de débutants, aboutit le plus souvent à des
catastrophes, pour plusieurs raisons :
— exercer selon cette modalité exige la prise de très graves responsabilités que les jeu-
nes diplômés sont, en général, totalement incapables d'assumer lorsqu'ils travaillent
dans des conditions d'absolue solitude, même si certains se rassemblent dans des
groupes d'études et de réflexions sur les pratiques, aussi bien que dans des associa-
tions professionnelles ;
478 I Les professions

les praticiens se trouvent alors entraînés dans une série de compromissions et peu-
vent même, dans certains cas, trahir l'éthique de leur profession ;
l'organisation d'un cabinet entraîne de très nombreux frais (achat du matériel indis-
pensable, cotisations sociales, etc.) cependant que les consultants ne sont pas rem-
boursés par la Sécurité Sociale, d'où d'immenses problèmes financiers ;
certaines erreurs parfois commises ne contribuent pas à renforcer l'image de la pro-
fession auprès des autres praticiens dans le domaine de la santé.

C'est pourquoi il nous semble nécessaire d'émettre cette mise en garde.

VI - Profils d'activités professionnelles des psychologues

Dans l'article antérieurement cité (Almodovar et Fontaine, 1997), les auteurs, à


partir de questionnaires, dressent la liste des types de tâches remplies par les anciens
étudiants qui considèrent qu'ils occupent effectivement un emploi de psychologues.
Nous reprendrons ci-dessous leurs classements en opérant des distinctions selon la fré-
quence des tâches énumérées.

a. Tâches fréquentes

Elles rassemblent les activités centrées sur le client :


entretiens individuels avec des adultes (c'est une des surprises de l'enquête) ;
rédaction de comptes rendus ;
soutien psychologique ;
coordination avec les structures extérieures ;
entretien avec les familles.

b. Tâches moins fréquentes

Ce sont des activités centrées sur l'institution ou l'équipe :


animation de réunions ;
activités d'organisation de l'équipe ;
analyse des dysfonctionnements de l'institution ;
formation du personnel ;
suivi psycho-pédagogique des stagiaires ;
représentation de l'employeur à l'extérieur.

Si la passation des « tests psychométriques » apparaît bien comme un attribut spé-


cifique des psychologues, elle n'est pourtant pas citée parmi les tâches les plus fré-
quentes : les débutants semblent, d'ailleurs, pratiquer plus l'examen psychologique que
les psychologues chevronnés.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 479

c. Activités rares

Parmi celles-ci, concernant le secteur de la santé, on mentionnera les expertises,


les psychothérapies, la mise au point d'instruments psychométriques, les enquêtes, la
relaxation, les thérapies familiales et le psychodrame.

d. Degré de satisfaction concernant la formation

Les psychologues de l'enfance étudiés dans l'article cité (rappelons qu'il s'agissait
du DESS de Paris X - Nanterre mais que les résultats exposés sont, sans doute, en
grande partie, généralisables) se sentent particulièrement bien formés pour les activités
suivantes :
observation ;
passation de tests psychométriques (hors projectifs) ;
rédaction de comptes rendus ;
recherche de documentation ;
entretiens individuels enfants ;
analyse des dysfonctionnements de l'institution ;
soutien psychologique.

La nouvelle organisation des Universités est éventuellement susceptible de modifier


cette distribution.

ENCADRÉ 12.2

L'exemple de Ceindra C..., 29 ans

Ceindra est née en Guadeloupe où elle a fait toutes ses études. Elle a obtenu un baccalauréat
littéraire en 1995.
En septembre 1995, elle traverse l'Atlantique et s'inscrit à Nantes (Faculté des sciences
humaines, département de psychologie). Elle suit l'ensemble du cursus dans cette Université,
du DEUG jusqu'au DESS de psychologie du développement (en 20021. Elle vient alors à Paris,
dans le cadre de ce DESS, faire un stage à plein temps pendant la moitié de l'année universi-
taire. Elle est acceptée comme psychologue stagiaire dans un centre référent travaillant sur les
difficultés d'apprentissages. Cette orientation lui convient : elle a, en même temps que pour la
psychologie, manifesté des intérêts pour l'orthophonie.
Dès 2003, jeune diplômée, elle est à la recherche d'un emploi qu'elle ne trouve pas
d'emblée. Elle décide alors de prolonger son stage dans le centre référent et se perfectionne
dans différentes techniques. Elle approfondit, en particulier, sa pratique des remédiations en
lecture et se spécialise dans la passation de différents outils d'évaluation (K. ABC, WISC, UDN 2).
En novembre 2004, elle retourne en Guadeloupe où on lui propose rapidement de tra-
vailler (2 mi-temps), en tant que psychologue, dans le cadre de l'APISEG ( Association pour la
prévention et l'insertion socio-éducative de la Guadeloupe). Elle rejoint l'équipe dirigeant un
internat pour garçons âgés de 9 à 14 ans.
Ses tâches sont les suivantes : évaluation psychologique (passation de divers tests
cognitifs et cliniques), entretiens psychologiques, remédiations en lecture, participation aux
réunions d'équipe, rédaction de rapports pour le juge des enfants.
Elle travaille en principe 35 heures par semaine - en fait, plus, car elle rédige souvent des
dossiers chez elle. Elle a, toutefois, obtenu le « temps FIR » (tiers de temps, propre aux psycho-
480 I Les professions

logues, prévu pour la formation, l'information et la recherche). C'est une organisation dont
elle a absolument besoin, car elle est souvent confrontée à des cas dont elle n'a pas entendu
parler dans le cadre de ses études (par exemple : enfants « abusés »). Sur ces points elle a
absolument besoin de se documenter et de se former.
Dans l'ensemble, elle considère que c'est elle qui, avec l'accord de sa direction, a défini
son poste de travail. Avant son arrivée, la plupart des fonctions qu'elle exerce n'existaient sim-
plement pas. Les responsables n'avaient entendu parler que de « clinique », et dans un sens
extrêmement vague. L'examen psychologique n'existait pas, non plus que les remédiations et
toute l'activité qui s'y rattache. Son souci principal, actuellement, est d'obtenir les instruments
de travail dont elle a besoin.
Hélas, elle aura sûrement à recommencer des démarches de recherche d'emploi. En
effet, Ceindra se marie prochainement : elle aura à traverser l'Atlantique encore une fois et
devra se mettre en quête d'un nouveau travail dans l'Hexagone. Elle s'estime, toutefois, beau-
coup mieux préparée que lors de ses essais précédents et pourra faire état de sa réussite dans
son poste actuel.
Son salaire est présentement d'environ 2000 € par mois.
Dans la fonction publique, elle aurait été embauchée à l'indice 348 (environ 1 500 C),
avec une progression rapide et régulière, tout au moins au début, à condition de ne pas hésiter
à faire le siège de l'Administration qui a une certaine tendance à « oublier » les psychologues,
auxquels elle n'est pas vraiment accoutumée'.

1. Un petit exemple comique, parmi d'autres. Pendant longtemps, malgré ses réclamations, une psy-
chologue a été payée non pas d'après l'indice auquel son poste se rattachait, mais selon le numéro de son
arrêté de nomination. L'administration avait confondu les deux, au désavantage, bien sûr, de la psychologue,
i mpuissante, qui a mis des mois à comprendre la situation. Il est vrai qu'elle était la seule de son espèce dans
l'établissement... Pour finir, au moment du calcul des sommes que l'institution se trouvait encore à lui
devoir, la responsable des relations humaines l'a félicitée pour les économies qu'elle avait ainsi pu faire...
sans l'avoir voulu.

VII - En conclusion

Il semble indispensable d'insister, à l'issue de ce chapitre, sur les points suivants.


Les psychologues, sortant d'une formation enfance, rencontreront certainement,
comme tous les autres psychologues, de grandes difficultés à trouver un poste : cette
quête s'étendra sans doute pendant plusieurs années et ils traverseront des étapes inter-
médiaires, pendant lesquelles leur emploi ne sera qu'à temps partiel et/ou assumeront
des tâches qui ne seront pas considérées comme appartenant en propre au champ de la
psychologie (mais s'en rapprocheront plus ou moins). Dans ces conditions, seuls des
professionnels très motivés, parfaitement au clair avec leur identité et prêts à fournir
des efforts supplémentaires, se révéleront susceptibles de se qualifier à long terme et
d'obtenir les postes qu'ils convoitent légitimement.
Tout au long de cette course bien souvent impitoyable, les femmes ne seront pas
forcément avantagées. Elles forment l'essentiel des étudiants dans la discipline, alors
qu'il est bien évident que les institutions de soins ont besoin, pour pouvoir poursuivre
leur tâche auprès d'enfants, le plus souvent marqués par l'absence paternelle, de la col-
laboration de figures masculines. C'est un des problèmes posés par ce type de spéciali-
sation, auquel on n'accorde pas forcément une attention suffisante.
Les professions de la psychologie de l'enfance I 481

Ceux qui désireraient, malgré tout, se lancer dans l'aventure auront donc tout
intérêt :
— à s'interroger sur le « sérieux » de leur vocation ;
— à ne pas trop appréhender des années forcément difficiles et précaires ;
à ne pas négliger les occasions de formations complémentaires parfois très prenan-
tes ;
— à participer à des travaux de groupe donnant lieu à d'éventuelles publications (point
important, pris en considération lors des sélections ou des concours, nous l'avons
déjà dit) ;
— à ne jamais rompre le contact avec leurs milieux de travail antérieurs, leurs profes-
seurs, leurs lieux de stage : c'est par leur intermédiaire qu'ils auront des informa-
tions propres à les orienter sur des offres d'emploi ;
et enfin, conseil peut-être le plus important, les psychologues qui font partie d'une
profession jeune, dont le champ d'action demeure encore aujourd'hui très mal
connu, auront toujours intérêt à jouer un rôle actif, en prenant des initiatives (bien
préparées), quels que soient le domaine et l'endroit où ils travaillent.

Il appartient aux jeunes psychologues d'inventer leur propre possibilité d'emploi.


C'est à eux que revient le rôle leader dans la création et la définition de postes. Ils ne
devront donc jamais hésiter à lancer des projets innovants.
La psychologie, encore fort mal organisée comme secteur d'activités et dont les
associations professionnelles demeurent très dispersées, a besoin de pionniers et non de
consommateurs passifs.
13 les professions de la psychologie
de l'adolescent et de l'adulte

A - LES CONSEILLERS D'ORIENTATION, par Michel Huteau

L'orientation professionnelle des jeunes est un thème de réflexion très ancien. Ce n'est
cependant qu'à la fin du xixe siècle que l'on commence à penser que cette orientation
devrait être organisée. On prend alors conscience que l'industrialisation a pour consé-
quence une plus grande division du travail et une augmentation de la mobilité profes-
sionnelle et que, de ce fait, les mécanismes habituels de l'orientation qui conduisent le
jeune à choisir le métier de son père ou un métier présent dans son entourage immé-
diat, sont souvent défaillants. C'est à partir de ces préoccupations économiques, aux-
quelles viennent souvent s'ajouter des intentions philanthropiques, que sont créées dans
les pays développés, à la veille de la première guerre mondiale, les premières institu-
tions d'orientation (centres, offices, bureaux...).
Au lendemain de la guerre, dans le cadre de l'effort de reconstruction qui suppose,
notamment, un développement de la formation professionnelle, ces institutions vont se
multiplier. En France, elles seront mises sous la tutelle du ministère de l'Éducation
nationale. Les premiers conseillers d'orientation professionnelle sont souvent issus des
services municipaux de placement. Leur fonction principale est l'orientation des élèves
arrivés en fin de scolarité primaire vers un apprentissage conduisant à des métiers
d'ouvriers ou d'employés. Progressivement, les conseillers se professionnalisent (en 1938
une formation à dominante psychologique est obligatoire) et fondent leurs interventions
sur les données et les techniques de la psychologie différentielle (voir chap. 7). En 1950,
on compte environ 400 conseillers d'orientation professionnelle (ils représentent alors
les deux tiers de l'effectif des psychologues).
Au fil du temps ce service public d'orientation va s'étoffer et ses missions vont être
redéfmies. Dans les années qui suivent la seconde guerre mondiale, la scolarisation se
développe. La scolarité obligatoire passe à 16 ans (1959). On créé les collèges, d'abord
avec trois filières (1963), puis le collège unique (1975). Dans ces conditions, l'activité des
conseillers se déplace, d'abord vers la fin du cours moyen qui devient un palier
484 I Les professions

d'orientation, puis vers les élèves scolarisés dans le premier cycle secondaire. L'orien-
tation professionnelle devient « scolaire et professionnelle » et les conseillers d'orientation
professionnelle deviennent des « conseillers d'orientation scolaire et professionnelle »
(en 1961), puis des « conseillers d'orientation » (en 1972) ; depuis 1991, ils sont « conseil-
lers d'orientation-psychologues ». Les centres d'orientation professionnelle sont devenus
des « Centres d'information et d'orientation » (cm). À ce changement de publics a cor-
respondu un changement dans les pratiques : aux examens psychologiques ponctuels
s'est substituée une aide à la préparation des choix qui se veut éducative et continue.

- La diversification des métiers du conseil en orientation

Dans les années 1970, les conseillers d'orientation du ministère de l'Éducation


nationale représentaient la quasi-totalité des conseillers d'orientation. Cette situation a
radicalement changé à la suite de la crise des années 1970, qui marque la fm des
« trente glorieuses ». Le chômage s'accroît et il frappe principalement les jeunes non
qualifiés. On met alors en place des politiques destinées à faciliter l'insertion profession-
nelle des jeunes (l'emploi du terme « insertion » date de cette période). On voit alors
apparaître de nouvelles institutions (les Missions locales) avec de nouveaux conseillers
ayant pour fonction de favoriser l'insertion des jeunes. En même temps, la même mis-
sion est confiée à des psychologues appartenant à d'autres institutions (AFPA). Un peu
plus tard, afin de faciliter la mobilité professionnelle des adultes, rendue nécessaire par
le développement de l'économie et sa mondialisation (on parle « d'orientation tout au
long de la vie »), ont été créés des Centres de bilan avec leurs propres conseillers. Les
services de l'ANPE ont aussi modifié leurs pratiques en accordant une place plus impor-
tante à l'orientation.
À la suite de ces évolutions, le paysage des métiers de l'orientation s'est trouvé
considérablement modifié et est devenu assez confus. Les conseillers d'orientation sont
devenus de plus en plus nombreux. Ils ne sont plus tous des psychologues. Leurs forma-
tions, leurs modes de recrutement et leurs statuts sont très divers. Ils appartiennent à
des institutions différentes ciblant chacune des publics particuliers. La distinction entre
la fonction d'orientation proprement dite et les fonctions connexes que sont la forma-
tion et le placement s'est affaiblie. Assez souvent, au cours de modules de longue durée,
orientation et formation sont intriquées. Assez souvent aussi, le placement est précédé
d'un véritable travail d'orientation. Dans ces conditions, et pour des raisons plus fonda-
mentales que l'imprécision habituelle des données statistiques, le décompte des profes-
sionnels de l'orientation devient problématique et l'on rencontre des estimations qui
varient du simple au triple ! Il n'y a pas un métier de conseiller d'orientation mais plu-
sieurs métiers avec chacun leur identité plus ou moins marquée.
On rencontre des conseillers dans des institutions très diverses. Nous retiendrons
les plus importantes et traiterons successivement des conseillers d'orientation-
psychologues du ministère de l'Éducation nationale qui sont les descendants des
conseillers d'orientation professionnelle d'antan, des conseillers en insertion profession-
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 485

nelle des Missions locales et des PAIO, des psychologues du travail de l'AFPA, des conseil-
lers professionnels des CIBC. Nous évoquerons aussi les conseillers à l'emploi de l'ANPE.
La multiplication des institutions a conduit à inciter les conseillers à travailler en réseau
et à créer des lieux où ils sont présents conjointement et où ils collaborent : maisons de
l'information sur la formation et l'emploi dont la Cité des métiers, à Paris, est un proto-
type, espaces accueil-orientation, maisons de l'orientation et de l'insertion, point-relais
pour la validation des acquis de l'expérience...
Pour chaque groupe de conseillers nous préciserons le contexte institutionnel dans
lequel ils exercent leur activité et les missions qui leurs sont confiées. Nous fournirons
quelques éléments descriptifs de leur activité. Enfin, nous donnerons quelques informa-
tions sur leur statut et sur les modalités de leur formation et de leur recrutement.
L'exposé des méthodes utilisées par les conseillers sort du cadre de ce chapitre.
Parmi elles, certaines sont utilisées par tous les conseillers : l'entretien d'orientation (enca-
dré 13.1), les questionnaires d'intérêts professionnels (encadré 13.2), les méthodes
d'information. Certaines méthodes sont utilisées préférentiellement avec certains publics :
les méthodes d'analyse des compétences, par exemple, avec l'usage de référentiels, sont
plus pertinentes chez des adultes à la recherche d'emploi, du fait de la diversité de leurs
expériences et de leurs besoins au moment du bilan, que chez les adolescents scolarisés.
L'usage des tests est le plus utile lorsque l'entrée en formation est proche et qu'il faut esti-
mer les chances d'une bonne adaptation, il l'est moins lorsque l'insertion est lointaine.

Il - Les conseillers d'orientation-psychologues


du ministère de l'Éducation nationale

Le ministère de l'Éducation nationale gère un réseau de près de 600 Centres


d'information et d'orientation (cfo), anciens centres d'orientation professionnelle. Envi-
ron la moitié des cio sont financés par l'État, l'autre moitié, beaucoup mieux dotée, est
financée par les départements. Les conseillers d'orientation - psychologues (CO-P) sont
affectés dans les cio. Le directeur du cio est toujours un ancien CO-P. La hiérarchie
administrative de l'orientation est calquée sur celle de l'enseignement. Au niveau dépar-
temental il existe des Inspecteurs de l'éducation nationale — inspecteur de
l'orientation (IEN-io). Ils jouent davantage un rôle de conseiller de l'inspecteur
d'académie qu'un rôle de contrôle et d'animation des cio. Ils sont généralement issus
du corps des CO-P. Au niveau académique, il y a un chef du service académique
d'information et d'orientation (csAio).
En 2005, il y avait 4 300 (4 302 exactement) CO-P et directeurs de CIO en poste
dans les cio (d'autres CO-P et directeurs sont affectés à d'autres services, services régio-
naux de l'Office national d'information sur les études et les professions — ONISEP —
notamment). Il y a en moyenne huit CO-P par cio. Aucun poste n'a été créé depuis les
années 1980 et, aussi bizarre que cela puisse paraître compte tenu de la croissance des
besoins en matière d'orientation dans le système scolaire et de leur insatisfaction
criante, les effectifs des conseillers sur le terrain ont baissé.
486 I Les professions

Les missions des CO-P sont nombreuses, diverses et non hiérarchisées. Voici com-
ment un rapport de l'Inspection générale du ministère de l'Éducation nationale (2005)
présente les principales (car il y en a beaucoup d'autres, on demande aussi aux CO-P,
par exemple, de faciliter la réussite scolaire des élèves) :
* « Répondre aux besoins de la population du district considéré dans son
ensemble : accueillir tout public (...) et intervenir de façon particulière au profit :
— « des élèves de classes au niveau desquelles s'effectuent des choix scolaires ou pro-
fessionnels (...) ;
« des élèves susceptibles de sortir de l'appareil éducatif sans formation profession-
nelle (...) ;
« des jeunes adultes en quête de moyens de reconversion, de perfectionnement ou
de promotion professionnels ;
« des publics scolaires à besoins spécifiques ;
«* Informer sur les études, les formations professionnelles, les qualifications et les
professions, avec pour objet (...) de favoriser, à plus ou moins long terme, l'insertion
sociale et professionnelle du jeune.
«* Écouter et conseiller, en entretien individuel, la personne, afin de l'aider à
mieux se connaître, à retenir les informations utiles, à organiser les éléments du choix.
«* Observer et analyser les transformations du système éducatif et les évolutions
du marché du travail et produire des documents de synthèse à destination des équipes
éducatives et des élèves.
«* Animer des échanges et des réflexions entre les partenaires du système éducatif,
les parents, les jeunes, les décideurs locaux et les responsables économiques. »
Les CO-P partagent leur temps de travail entre le cio où ils tiennent des perma-
nences et des établissements scolaires (un peu moins de 50 % du temps est passé
au CIO). Comme il y a en moyenne un CO-P pour 1 500 élèves chaque conseiller a en
charge deux ou trois établissements. Le conseiller intervient plus fréquemment au
niveau des paliers d'orientation : en troisième d'abord, en terminale ensuite, puis en
seconde. Il est davantage présent dans les collèges et dans les lycées d'enseignement
général et technologique que dans les lycées professionnels.
Une enquête conduite en 2004-2005 par l'Association des conseillers d'orientation-
psychologues de France et l'Institut national d'étude de travail et d'orientation profes-
sionnelle (INET0P) apporte des informations sur les pratiques des CO-P. Voici comment
se répartit leur temps de travail auprès des jeunes :
Entretien sans instrumentation : 48
Entretien avec instrumentation : 13 'Vo
Examen psychologique : 9 0/0
Accompagnement documentaire : 10
Séances d'information collective : 13 %
Ateliers en petits groupes : 8%
Le CO-P participe aux conseils de classe et à diverses commissions et il est le
conseiller technique du chef d'établissement pour tout ce qui concerne l'orientation.
Les CO-P sont des fonctionnaires de l'état (en 2004-2005, la proportion des non
titulaires était de l'ordre de 3 %). Ils sont recrutés par concours parmi les titulaires
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 487

d'une licence de psychologie (un concours interne est réservé aux fonctionnaires et aux
personnels non titulaires des cio ayant au moins trois ans d'ancienneté). Les concours
comportent deux épreuves écrites d'admissibilité (psychologie et questions relatives à
l'orientation, au travail et à l'emploi) et deux épreuves orales (questions d'éducation et
de formation, entretien avec le jury sur les études et les expériences du candidat). Les
admis sont fonctionnaires stagiaires et reçoivent une formation de deux ans à l'INETOP
à Paris ou dans des centres universitaires agréés (en 2005-2006: Aix-Marseille I,
Lille III et Rennes II). À l'issue de ces deux ans ils passent le Diplôme d'état de conseil-
ler d'orientation - psychologue qui est l'équivalent d'un master de psychologie et leur
permet (depuis 1991) de bénéficier du titre de psychologue. L'obtention de ce diplôme
vaut titularisation.
Il existe dans chaque université, placée sous l'autorité de son président, une cellule
d'information et d'orientation (Service commun universitaire d'information et
d'orientation — sccio). Elle s'adresse aux futurs bacheliers et aux étudiants tout au long
de leur cursus pour les informer et leur fournir une assistance pour la construction de
leurs projets d'études, professionnel et d'insertion. On trouve dans chaque cellule des
documentalistes, des conseillers en formation et des conseillers d'orientation -
psychologues. Ces derniers, le plus souvent, exercent aussi une part de leur activité
en cm.

ENCADRÉ 13.1

L'entretien d'orientation

Les entretiens d'orientation sont toujours centrés sur des choix d'études, de carrières ou
d'emploi. Ils sont toujours semi-directifs. Ils se distinguent des entretiens centrés sur la
connaissance de soi ( « existentiels ») qui sont généralement non directifs. Il y a cependant
des rapports étroits entre les deux types d'entretiens dans la mesure où la réflexion sur soi
évoque nécessairement des questions relatives à l'orientation, dans la mesure également où
la réflexion sur son orientation passe également nécessairement par une réflexion sur soi.
On considère que le consultant a un problème à résoudre et les étapes de l'entretien cor-
respondront aux étapes de sa résolution, résolution souvent partielle et provisoire, surtout
lorsqu'il s'agit d'un premier entretien. En général on considère trois étapes :
1/ L'identification du problème. Au cours de cette étape, on définit une « alliance de travail » :
un accord est établi, dans un climat de confiance, entre le consultant et le conseiller sur les
buts à atteindre et les moyens les plus adaptés pour y parvenir. Le consultant doit expliciter
les raisons qui l'on conduit à demander ou à accepter un entretien. Le rôle du conseiller
consiste à faciliter cette explicitation. Il doit avoir une attitude ouverte, faire preuve
d'empathie et se garder de toute interprétation.
2 / La clarification du problème. Le problème étant posé, il s'agit maintenant de l'analyser. La
clarification porte sur le vécu du consultant : comment ressent-il affectivement son pro-
blème, comment le situe-t-il dans les différents contextes où il interagit ? La clarification
porte aussi sur les ressources que le consultant peut mobiliser : ressources personnelles
(savoirs, compétences, traits de personnalité...) et ressources environnementales (famille,
amis...). Enfin, la clarification porte aussi sur les valeurs et croyances en rapport avec le
problème.
3 / L'établissement d'objectifs. Au cours de cette dernière étape le conseiller aide le consultant
à définir des objectifs réalistes, et les moyens de les atteindre, qui permettront de progres-
ser dans la résolution du problème posé.
488 I Les professions

III - Les conseillers en insertion professionnelle


des Missions locales et des Permanences d'accueil
et d'information (PAIO)

En 1982, suite à un rapport de Bertrand Schwartz de 1981, le gouvernement, afin


de faciliter l'insertion professionnelle des jeunes sortis du système scolaire, crée les Mis-
sions locales et les PAIO, et les place sous la tutelle du ministère chargé du travail et de
l'emploi. À l'origine, l'objectif des PAIO était plus limité que celui des Missions locales.
Elles devaient se consacrer uniquement à l'orientation des jeunes de 16-18 ans vers les
stages d'insertion qui se mettaient alors en place. Les missions locales avaient des objec-
tifs plus généraux et étaient d'emblée concernéeS, comme aujourd'hui, par tout ce qui
concerne l'insertion sociale et professionnelle des jeunes de 16 à 25 ans (les problèmes
de formation et d'emploi, bien sûr, mais aussi ceux relatifs à la santé, au logement, à la
culture, aux loisirs). Très vite les objectifs des PAIO sont devenus identiques à ceux des
Missions locales et elles aussi ont pris en charge les jeunes de 16 à 25 ans. L'existence
de deux structures séparées n'avait donc plus aucune justification. Elles ont cependant
continué à coexister. Mais les PAIO sont incitées à se transformer en Missions locales ou
à fusionner avec des Missions locales.
Ces institutions ont connu un développement rapide. En 1982: 61 missions locales
et 850 PAIO ; en 2004: 403 missions locales et 112 PAIO (avec environ 3 000 points
d'accueil). Les missions locales sont de plus grande taille que les PAIO (20 personnes en
moyenne). En 1990, environ 500 000 jeunes bénéficiaient des services offerts par les
Missions locales et les PAIO, ils étaient plus d'un million en 2005.
Les Missions locales (ou les PAIO) s'adressent à des jeunes sortis du système sco-
laire, à la recherche d'un emploi ou d'une formation et sans contrat de travail (ou en
contrat d'apprentissage). En gros, leur public est composé pour un tiers de jeunes qui
ont quitté le collège en troisième ou avant, pour un tiers de jeunes dont le niveau est
voisin du CAP ou du BEP, et d'un tiers de jeunes ayant approximativement le niveau du
baccalauréat ou un niveau supérieur. Neuf jeunes accueillis sur dix ont moins de 22 ans
et 60 ()/0 ont moins de 19 ans (en 2004).
Missions locales et PAIO ont, pour la plupart d'entre elles, un statut associatif (loi
de 1901). Chaque mission locale a son conseil d'administration constitué de quatre col-
lèges : élus des collectivités territoriales, représentants de services de l'état et des orga-
nismes publics, partenaires économiques et sociaux (syndicats ouvriers et patronaux,
chambres consulaires) et représentants d'associations se consacrant à l'insertion. Le
conseil d'administration élit un bureau où les quatre collèges sont représentés. Ce
bureau élabore le budget et pilote l'activité du directeur et de son équipe technique
permanente. La Mission locale est toujours présidée par un élu. Le financement est
assuré pour une part par l'état (un peu moins de la moitié) et pour la part restante par
les collectivités locales (surtout la région et les communes). Progressivement des instan-
ces de coordination et d'animation du réseau constitué par les Missions locales et
les PAIO ont été mises en place (associations régionales, conseil national des Missions
locales, union nationale des Missions locales...).
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 489

Les conseillers en insertion professionnelle des Missions locales sont parfois appelés
conseillers en insertion professionnelle et sociale, correspondants, conseillers-référents,
conseillers professionnels... La convention collective de 2002, qui précise leurs condi-
tions d'emploi distingue les chargés d'accueil, les conseillers, les conseillers chargés de
projet, les chargés d'animation, les chargés de documentation et les chargés
d'information et de communication.
La double mission des Missions locales et des PAIO est présentée dans le texte sui-
vant qui est extrait du « Protocole 2000 des Missions locales » (établi entre l'état,
l'Association des régions de France et le Conseil national des missions locales) :
« 1 / Construire et accompagner le parcours d'insertion des jeunes. Elles ont pour
objet d'aider les jeunes à résoudre l'ensemble des problèmes que pose leur insertion
professionnelle et sociale en assurant des fonctions d'accueil, d'information,
d'orientation et d'accompagnement. Fondée sur une démarche qui fait appel à la res-
ponsabilisation et à la participation des jeunes, leur fonction prioritaire consiste en un
accompagnement personnalisé de ceux qui rencontrent des difficultés importantes, jus-
qu'à leur accès à l'autonomie professionnelle et sociale.
« Elles contribuent aussi à la mise en œuvre des politiques d'insertion initiées par
l'état, les régions et les autres collectivités territoriales : programme de lutte contre les
exclusions, programmes régionaux de formation professionnelle continue et d'appren-
tissage, programmes de développement de l'emploi et politique de la ville.
« 2 / Développer le partenariat local au service des jeunes en difficulté d'insertion.
Elles apportent leur concours à l'évolution de l'offre de services pour l'insertion profes-
sionnelle et sociale à partir de leur travail d'analyse de la demande et des besoins des
jeunes et de leur fonction d'accompagnement des parcours individualisés.
« Elles mènent des actions en faveur des jeunes des quartiers prioritaires de la poli-
tique de la ville en lien avec les équipes des contrats de ville. »
Le jeune qui prend contact avec une Mission locale peut être seulement à la
recherche d'une information. Mais dans la grande majorité des cas la demande va au-
delà. En 2004, neuf jeunes sur 10 reçus dans les Missions locales ont bénéficié au moins
d'un entretien ou d'un atelier collectif. On commence à analyser la demande du jeune.
On l'aide ensuite à élaborer un projet de formation ou d'insertion. Il est soutenu dans
sa recherche d'emploi (bilan des atouts, connaissance de l'entreprise, analyse des offres
d'emploi, aide à la rédaction de cv...) et il peut bénéficier d'un suivi lors de sa période
d'intégration à une entreprise. Un certain nombre de prestations sont proposées : infor-
mation en libre accès ou accompagnée (individuellement ou en groupe), modules col-
lectifs de première orientation (série d'exercices et de mises en situation, avec des entre-
tiens et des discussions de groupe, destinés à faciliter l'émergence de projets)... Les
Missions locales sont également mobilisées pour les différents plans d'aide à l'emploi
des jeunes qui en sont le plus éloignés, notamment pour le programme « Trajet d'accès
à l'emploi » (TRACE). Ce programme, mis en place en application de la loi de lutte
contre les exclusions de 1998, consiste en un « accompagnement individualisé » et un
« parcours de formation individualisé » pouvant aller jusqu'à dix-huit mois. Il com-
prend des actions de bilan, de dynamisation, de mise en situation professionnelle et de
formation visant l'acquisition des connaissances de base ou une qualification
professionnelle.
490 I Les professions

En 2004, 9 500 personnes travaillaient dans le réseau des Missions locales et


des PAIO, 8 500 étaient des salariés directs et 1 000 des personnels mis à disposition par
l'ANPE ou les collectivités locales. Sur cet effectif on compte environ 6 300 conseillers en
insertion professionnelle (800 personnes sont chargées de l'information et de la commu-
nication, 1 400 de la gestion administrative et un millier ont des fonctions
d'encadrement).
Les conditions de travail et d'emploi des personnels des Missions locales et PAIO
(salaires, congés payés, périodes d'essai, indemnités de licenciement...) sont définis dans
une convention collective (arrêté du 27 décembre 2001, Journal officiel du 1" jan-
vier 2002). Le recrutement se fait sous le contrôle du conseil d'administration de
chaque Mission locale. On trouve parmi les conseillers beaucoup de diplômés de psy-
chologie (surtout au niveau master). Les CDD représentaient en 2004 15 % de l'effectif.

IV - Les psychologues du travail de l'AFPA

Créée en 1945 (on parlait alors des centres de FPA), L'Association nationale pour la
formation des adultes (AFPA) est le premier organisme de formation qualifiante en
Europe pour les demandeurs d'emploi et les salariés. Placée sous la tutelle du ministère
chargé du travail et de l'emploi, sa gestion est tripartite : dans ses instances de consulta-
tion et de décision siègent des représentants des services publics, des organisations syn-
dicales de salariés et des organisations d'employeurs. Sur ses 265 sites, elle employait,
en 2004, 12 000 salariés parmi lesquels 800 psychologues du travail. Cette même
année 2004 elle a formé, dans ses 340 formations qualifiantes, 255 000 personnes
et 271 000 ont bénéficié d'une aide à l'orientation. Ses services ne s'adressent pas seule-
ment aux particuliers, mais aussi aux entreprises (orientation, formation, validation,
ingénierie pédagogique), aux collectivités locales et à tous les organismes concernés par
l'emploi. L'AFPA et l'ANPE collaborent étroitement au sein du Service public de l'emploi.
Les psychologues du travail sont répartis dans 175 « services d'orientation profes-
sionnelle ».
Les psychologues du travail de l'AFPA étaient chargés autrefois de la sélection des
stagiaires. Leur fonction a évolué et ils sont maintenant des conseillers d'orientation.
Leur activité principale est l'aide à l'élaboration de parcours de formation devant facili-
ter le retour à l'emploi. Ils reçoivent en entretien les candidats à une formation (généra-
lement envoyés par l'ANPE), veillent à développer leur implication, évaluent leurs chan-
ces de réussite dans les formations et précisent les conditions de cette réussite. Ils
utilisent des épreuves psychométriques. Les candidats peuvent être orientés vers des for-
mations AFPA ou des formations extérieures. Ce type d'intervention représente envi-
ron 80 % de leur activité (en 2005).
Ils participent aussi au reclassement professionnel des travailleurs handicapés, réa-
lisent des bilans de compétences, assurent un suivi pédagogique des stagiaires en forma-
tion. Il leur arrive aussi d'aider à des projets de reconversion, à la constitution des dos-
siers de validation des acquis de l'expérience et d'accompagner dans l'emploi les
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 491

salariés bénéficiaires de contrats aidés ou de contrats de professionnalisation. Les psy-


chologues définissent leurs modalités d'intervention en liaison avec un bureau d'études
national interne à l'AFPA.
Les psychologues de l'AFPA ont le statut des cadres de l'AFPA. Ils sont recrutés sur
la base d'un master en psychologie du travail.

ENCADRÉ 13.2

Les questionnaires d'intérêts professionnels

Souvent informatisés, ils sont construits à partir des règles de la méthodologie psychomé-
trique. Les questions posées portent sur des préférences pour des activités de loisirs, des
matières scolaires, des personnages historiques, des activités décrites par des verbes ou
directement sur des noms de métiers. L'analyse des covariations entre réponses permet de
mettre en évidence de grandes dimensions d'intérêts qui indiquent, pour chaque individu, les
forces d'attrait respectives de grands secteurs d'activités professionnelles (voir chap. 10). La
typologie la plus utilisée est due à John Holland. Elle permet de construire un profil d'intérêt
en six points. Les intérêts peuvent être réalistes (goût pour les choses concrètes et techni-
ques), investigateur, artistiques, sociaux, « entrepreneuriaux » ou conventionnels (goût pour
l'organisation et le travail de bureau). Cette typologie repose sur une double opposition : per-
sonnes vs choses et idées vs faits. Les questionnaires d'intérêts sont utilisés au cours des
entretiens d'orientation et des bilans comme outils d'aide à la connaissance de soi. Les inté-
rêts ne se stabilisent que vers la fin de l'adolescence et la liaison entre la force de l'intérêt pour
un domaine et l'efficience dans ce domaine est faible.

V - Les conseillers bilan


des Centres interinstitutionnels de bilans de compétences

Les premiers centres de bilan ont été mis en place en 1986 par le ministère chargé
du travail et de l'emploi. Les Centres interinstitutionnels de bilan de compétences (CIBC)
ont été généralisés en 1991, en même temps qu'était promulguée une loi sur le droit au
bilan. Chaque salarié, s'il a au moins cinq années d'ancienneté, dont une dans
l'entreprise, peut bénéficier d'un bilan d'une durée maximale de 24 heures. Il dispose
pour cela d'un congé et le financement est assuré par des organismes paritaires. La créa-
tion des centres de bilan fait partie de l'ensemble des politiques visant à faciliter la mobi-
lité de la main-d'œuvre et à améliorer sa qualification. Par la suite, le droit au bilan sera
étendu à d'autres catégories de personnes, les demandeurs d'emploi notamment.
On peut entreprendre volontairement une démarche de bilan pour diverses rai-
sons : évoluer dans son entreprise, préparer une reconversion, élaborer un projet de for-
mation ou un projet d'évolution professionnelle, préparer une validation des acquis de
l'expérience, reprendre une activité professionnelle après une période d'interruption
plus ou moins longue, découvrir ses atouts et potentialités. À l'origine d'une demande
de bilan par un salarié, il y a toujours une insatisfaction professionnelle.
Le plus souvent les CIBC sont organisés sous la forme d'associations (loi de 1901),
comme les Missions locales. Le conseil d'administration des CIBC est constitué de trois
492 I Les professions

collèges : représentants des salariés, représentants des employeurs, représentants de


l'état (avec, notamment l'ANPE). Ils reçoivent une part de leur financement de l'état.
En 2003, il y avait 110 CIBC mobilisant environ 900 intervenants désignés comme
conseillers bilan, accompagnateurs de bilan, chargés de bilan, responsables de bilan. Ce
sont les CIBC qui réalisent le plus grand nombre de bilans mais ils ne sont pas les seuls
prestataires : en 2000 ils ont effectué 60 % des bilans alors qu'ils ne représentaient
que 10 % des organismes prestataires. Les organismes prestataires de bilan non CIBC
sont publics ou privés (un peu moins de la moitié), ils proposent aussi d'autres types de
bilan et des services en matière de formation, de recrutement et de conseil.
Les bilans font l'objet d'une convention tripartite entre le bénéficiaire, l'organisme
qui finance et le centre de bilan. Ils durent en moyenne de 16 à 24 heures et ils sont en
général étalés sur plusieurs semaines. La conduite du bilan est réglementée. Il se
déroule en trois phases :
Phase d'accueil. Le bénéficiaire est informé sur le bilan de compétences et sur les
méthodes qui seront utilisées. On vérifie que le bilan est bien susceptible de
répondre aux besoins et aux attentes de la personne.
Phase d'investigation. Au cours de cette phase, qui est la plus longue du bilan,
diverses méthodes sont mises en oeuvre pour permettre au bénéficiaire d'acquérir
une meilleure connaissance de lui-même (compétences diverses, générales et spécifi-
ques, motivations, intérêts...). II acquiert aussi une meilleure connaissance de
l'environnement professionnel (métiers, entreprises, secteurs d'activité, marché du
travail...). C'est au cours de cette phase que des projets s'esquissent et, éventuelle-
ment, se précisent.
Phase de conclusion. Le conseiller examine avec le bénéficiaire les conditions de
réalisation des projets et les étapes de leur mise en oeuvre. Un document de syn-
thèse confidentiel est remis au bénéficiaire.

Cette forme de bilan concerne d'abord les salariés et c'est à leur initiative que la
procédure de bilan est engagée.
D'autres formes de bilan ont vu le jour. Bien que leur allure générale soit voisine
de ce que nous venons d'indiquer ils s'en distinguent cependant sur plusieurs points : la
finalité n'est plus la même, le volontariat n'est plus la règle, la confidentialité n'est plus
respectée. Certains bilans de compétences sont réalisés dans le cadre du plan de forma-
tion de l'entreprise qui les finance. Ils sont alors des outils de gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences ou de gestion des carrières. Cette forme de bilan est encore
peu fréquente. Les « bilans de compétences approfondis » ont été mis en place dans le
cadre du Plan d'aide au retour à l'emploi (PARE) en 2001. Ils sont réservés aux deman-
deurs d'emploi, sont réalisés à la demande de l'ANPE, sont d'une durée plus brève que
les précédents et ont pour but un retour à l'emploi le plus rapide possible. Ce type de
bilan est de loin celui qui est aujourd'hui le plus pratiqué et il est en progression
rapide. 155 000 ont été réalisés en 2003, alors qu'il n'y a eu que 50 000 bilans à
l'initiative des salariés ou des entreprises.
Les CIBC proposent aux entreprises des prestations autres que les bilans : aide à la
mobilité, évolution de carrière, évaluation préalable à des formations, identification de
potentiel, repérage et valorisation des compétences.
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 493

Dans les organismes prestataires de bilans de compétences, plus de la moitié du


personnel a reçu une formation de psychologue et le niveau des intervenants est géné-
ralement celui du master. Dans les cmc, ce sont près de sept personnes sur dix qui ont
une formation de psychologie au niveau du master. Le reste du personnel est plutôt
diplômé dans les domaines des ressources humaines et de l'ingénierie de la formation.
Le recrutement est fait sous le contrôle du conseil d'administration. Beaucoup de
conseillers bilans ont un statut précaire : en 2003, dans les CIBC, près de 30 % d'entre
eux étaient embauchés sur un contrat à durée déterminée.

VI - Les conseillers à l'emploi de l'Agence nationale pour l'emploi

Créée en 1967, l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) a pris la suite des « Servi-
ces extérieurs du travail et de la main-d'oeuvre » mis en place au lendemain de la
seconde guerre mondiale. La mission de l'ANPE est de recenser les offres d'emploi, ce
qui suppose une prospection active, et de faciliter l'accès à l'emploi des demandeurs
d'emploi. D'autres organismes remplissent la même fonction pour des publics particu-
liers, par exemple l'Association pour l'emploi des cadres (APEc) ou l'Association pour
l'emploi des cadres et des techniciens de l'agriculture (APECITA). Dans ses 1 000 lieux
d'implantation, l'ANPE employait en 2004 2 300 conseillers adjoints à l'emploi,
11 700 conseillers à l'emploi et 7 100 conseillers principaux à l'emploi.
Les prestations d'orientation offertes par l'ANPE sont de trois types :
L'accompagnement. Les actions d'accompagnement, bien structurées, visent à four-
nir une aide personnalisée et continue. Certaines sont relativement légères, « Objec-
tif emploi formation », par exemple, consiste en douze entretiens répartis sur trois
mois ». D'autres sont beaucoup plus lourdes, « Dynamique - formation - insertion »
par exemple s'adresse aux jeunes de 16-25 ans en grande difficulté et, sur plus de
mille heures, se propose de leur faire acquérir les connaissances générales de base et
de les aider à construire un projet d'insertion qui sera validé en entreprise. Les
Bilans de compétences approfondis (voir ci-dessus) sont comptabilisés dans les
actions d'accompagnement.
Les Ateliers. D'une durée d'une demi-journée, les ateliers visent à faire le point sur
les questions diverses que se posent les demandeurs d'emploi : comment identifier
ses atouts, comment rechercher des informations sur un secteur d'activités, com-
ment créer une entreprise, comment préparer un entretien d'embauche, comment
utiliser ses relations...
Les évaluations professionnelles. Elles permettent au demandeur d'emploi de faire
le point sur l'état de ses compétences professionnelles. Il est mis en situation de tra-
vail, dans une situation réelle ou une situation simulée. Son comportement profes-
sionnel et ses résultats sont observés, évalués et comparés à des référentiels
d'emploi. Ces évaluations se déroulent dans des organismes de formation ou en
entreprise.
494 I Les professions

La plupart de ces prestations, surtout celles qui sont lourdes, sont externalisées
et souvent confiées à des organismes privés. Pour l'année 2004, les actions
d'accompagnement ont touché un million de personnes, les ateliers 1,4 million et les
évaluations professionnelles 300 000.
Le statut des conseillers à l'emploi est celui de la fonction publique d'état avec quel-
ques singularités introduites en 2003 (prime à la performance, avancement au mérite,
indices de qualité...). Les recrutements se font sur concours. Le niveau requis est bac à
bac plus deux pour les conseillers adjoints, bac plus trois pour les conseillers. La majorité
des candidats viennent du droit et de la gestion. Parmi eux il y a 10-15 % de diplômés de
psychologie. Il existe aussi des concours fondés sur l'examen de l'expérience profession-
nelle. Les nouveaux recrutés bénéficient d'une formation en alternance.

B - LE PSYCHOLOGUE DU TRAVAIL, par Xavier Caroff et Vincent Rogard

- Bref historique de la psychologie du travail en France

L'histoire de la psychologie du travail n'est, d'une certaine manière et pour


l'essentiel, que celle d'un double reflet. Reflet, d'abord, de l'évolution de la nature du
travail humain puisque la charge physique et les contraintes physiologiques de la tâche
deviendront tout au long du xxe siècle moins prégnantes alors que ses composantes
psychologiques (aussi bien cognitives qu'émotionnelles) prendront de l'importance. Les
années 1890 verront ainsi le passage d'une physiologie du travail à une psychophysio-
logie du travail. Les premières études expérimentales sur la charge physique du travail
et sa pénibilité intégreront alors, peu à peu, des facteurs psychologiques. En témoignent
les premières recherches conduites au CNAM par Jean-Marie Lahy au sein du Laboratoire
de recherche sur le travail musculaire professionnel'. Reflet, ensuite, de l'émergence sur la fin du
'axe siècle d'une psychologie scientifique dégagée de l'emprise de la philosophie.
D'abord essentiellement psychologie de Laboratoire, elle aura à répondre à grande
échelle à des demandes sociales accompagnant notamment la transformation en pro-
fondeur des systèmes de production.
Les besoins de spécialistes sécrétés par la Première Guerre mondiale ouvriront à la
psychologie du travail le champ d'application privilégié que constitue encore
aujourd'hui la sélection professionnelle. Car si Friedrich Winslow Taylor avait men-
tionné la sélection scientifique des ouvriers comme un des quatre principes fondamen-
taux de son système de direction scientifique des entreprises, l'empirisme restait encore

1. Jean-Marie Lahy qui a étudié dès 1913 le travail des dactylographes note ainsi en 1930: « Tandis que nos
connaissances de la psychophysiologie des gestes volontaires automatisés des dactylographes progressaient,
nous avons recherché quelles étaient les modifications techniques à apporter à la machine à écrire pour
qu'elle soit construite de manière à tenir compte des possibilités psychologiques de ceux qui l'emploient.
Nous avons demandé que le facteur psychologique entrât en ligne de compte dans le calcul des
machines. »
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 495

majoritairement de mise. Avec la naissance de la psychotechnique, projet social autant


que scientifique, seront posés les fondements d'une approche quasi expérimentale de la
sélection. Car si l'on pouvait détecter à l'aide de tests les élèves qu'il convenait de
regrouper dans des classes spéciales, alors il devait être possible de mettre au point des
batteries d'épreuves permettant de recruter les individus les plus adaptés pour un poste
de travail donné. Psychologie des aptitudes, certes, dans son schéma initial, mais psy-
chologie ancrée dans le terrain et voulant servir l'équité. L'analyse psychologique du
travail qui n'est, rappelons-le, que partie d'une analyse du travail trouvait ainsi tout à la
fois son paradigme scientifique et un terrain majeur d'application la mettant directe-
ment en prise avec les entreprises.
L'histoire de la psychologie du travail en France ne peut pour autant se réduire à
celle de la psychotechnique. En effet, sous l'impulsion, voire l'influence, de la psychoso-
ciologie nord-américaine, de nouvelles thématiques se développaient à partir des
années 1950. La motivation et la satisfaction des individus au travail devenaient, par
exemple, des questions d'autant plus importantes que le mouvement d'enrichissement
des tâches pointait les limites d'une organisation scientifique du travail dénaturant les
intuitions initiales du Taylorisme. Parce qu'elle accompagne les évolutions de la société
et qu'elle est assez intimement liée aux fluctuations de la valeur du travail, la psycho-
logie du travail actuelle est encore en mouvement. Elle enregistre notamment l'intérêt
nouveau pour le rôle des émotions au travail et se préoccupe de faire rentrer des indivi-
dus dans le marché du travail en les accompagnant dans leur parcours qui est parfois,
pour certains, de véritable reconstruction.

Il - Diversité des débouchés professionnels

De par sa formation et son expérience professionnelle, le psychologue du travail


est normalement compétent pour intervenir dans différents domaines liés à la vie des
entreprises. La spécificité de ses interventions réside alors dans les théories et concepts
qui guident son activité et dans les méthodes qu'il met en oeuvre.

a. Un domaine privilégié : la sélection des personnels

L'objectif de la sélection des personnels est, dans la mesure du possible, d'assurer


un niveau optimal de performance des employés sur leur poste de travail. Prévoir la
performance d'un futur employé est, par conséquent, l'une des fonctions cruciales assi-
gnées à toute procédure de sélection. On distingue habituellement plusieurs étapes dans
ces procédures : la description du poste, le premier tri des candidatures, l'examen
approfondi des candidatures, la décision de recrutement et l'embauche.

1 / Méthodes de sélection

Principes de la sélection des personnels. La sélection des personnels poursuit un objec-


tif assez simple, mais en apparence seulement, puisqu'il s'agit de prévoir quelle pourrait
496 I Les professions

être la performance professionnelle de futurs collaborateurs à partir des caractéristiques


des candidats évaluées en sélection. Au sens large, le terme de performance désigne glo-
balement l'activité des individus ; de façon plus restreinte, il désigne le rendement de
cette activité professionnelle. On distingue, au moins sur un plan conceptuel, les varia-
bles qui permettent de décrire les caractéristiques des candidats en sélection (prédic-
teurs de la performance) de celles qui décrivent l'activité des employés sur leur poste
(critères de réussite). Les grandes catégories de prédicteurs utilisées en sélection sont la
formation et l'expérience professionnelle du candidat, ses connaissances et compétences
professionnelles, ses caractéristiques personnelles (niveau intellectuel, aptitudes, traits de
personnalité, motivations, intérêts et valeurs, etc.) et, au besoin, certaines caractéristi-
ques spécifiques imposées par le poste (telles que la disponibilité, la mobilité géogra-
phique, etc.). Dans une procédure de recrutement, le rôle du psychologue du travail est
donc de participer activement à la phase de sélection des candidats en apportant, plus
particulièrement, ses compétences en matière d'évaluation des personnes.
On a constaté, à partir des années 1950, une très nette évolution de la logique de
prédiction sur laquelle repose la sélection du personnel. D'une démarche pragmatique,
où les prédicteurs de la performance étaient identifiées à partir des liaisons statistiques
qu'ils entretenaient avec les critères de réussite professionnelle, on est progressivement
passé à une approche plus scientifique. Cette dernière repose en fait sur deux logiques
différentes mais complémentaires (Roe et Greuter, 1991). La première postule qu'il
existe des relations bien établies entre certaines caractéristiques individuelles et des
facettes de l'activité professionnelle. On a montré, par exemple, qu'une dimension de
personnalité – l'extraversion – était significativement reliée à la performance pour des
postes de vendeur (Barrick, Mount et Strauss, 1994). Par conséquent, il est fort pro-
bable qu'un candidat présentant un niveau élevé d'extraversion pourrait se révéler être
un bon vendeur s'il était recruté. Dans la pratique, cette approche se caractérise surtout
par l'utilisation de tests psychologiques. Par comparaison, la seconde approche repose
sur un principe de généralisation. Si, en situation d'évaluation, le candidat se comporte
de façon attendue ou présente les compétences pertinentes, on peut supposer alors qu'il
se comportera pareillement dans telle ou telle situation de travail analogue. C'est sur un
tel principe que reposent les épreuves de simulation professionnelle auxquelles recou-
rent parfois les psychologues pour évaluer les candidats en sélection.

L'analyse du travail.
— Dans une démarche de recrutement, le simple bon sens
impose de chercher à établir quelles caractéristiques doivent être évaluées auprès des
candidats avant même de concevoir une procédure de sélection (est-ce toujours le
cas ?). Aussi, dans les pratiques liées à la sélection, doit-on chercher à distinguer, plus
nettement que cela n'est fait habituellement, deux sortes de démarches : la description
de poste ou de fonction et l'analyse du travail. La première relève plus de la gestion des
ressources humaines en entreprise puisqu'elle consiste à établir la liste des tâches, des
responsabilités et des conditions de travail pour un poste. La seconde reflète plus direc-
tement les préoccupations du psychologue. Elle consiste en une analyse systématique de
l'activité liée au poste. L'objectif est de permettre au psychologue de formuler des
hypothèses quant aux caractéristiques qui sous-tendent la performance professionnelle
(critères) pour inférer ensuite les caractéristiques qui doivent être recherchées auprès des
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 497

candidats (prédicteurs). Pour ce faire, il dispose de différentes méthodes, telles que


l'entretien avec le supérieur hiérarchique ou le titulaire du poste, la méthode des « inci-
dents critiques » de Flanagan (1954), l'observation directe de l'activité, l'analyse de la
documentation existante (littérature scientifique, rapports, manuels de formation...) et
l'utilisation de questionnaires (par exemple, le FIAS ; Fleishman et Reilly, 1992) ou
autres techniques systématiques.

Les principales techniques d'évaluations. Lorsque le psychologue a déterminé sur


quelles caractéristiques doit porter la sélection des candidats, il peut alors choisir, ou
construire, les techniques d'évaluations pertinentes qui composeront la procédure de
sélection. H dispose de différentes catégories d'outils :
L'entretien de sélection. Il remplit plusieurs fonctions dans une procédure de sélection,
dont celle d'évaluation. Deux techniques d'entretien différentes peuvent êtes utili-
sées en sélection. L'entretien « classique », le plus répandu, vise à évaluer les princi-
pales caractéristiques du candidat. Selon la dynamique de l'entretien, le psycho-
logue peut être amené à poser des questions différentes à chaque candidat. Par
contraste, l'entretien « structuré » ou « situationnel » est plutôt centré sur les compé-
tences et comportements professionnels attendus sur le poste. Pour cette raison, il
nécessite qu'une analyse systématique du travail ait été préalablement réalisée. En
outre, les questions sont relativement standardisées d'un candidat à l'autre. Elles
peuvent être de deux sortes : celles qui incitent le candidat à décrire son comporte-
ment ou ses réactions dans une situation particulière (questions de type : « Qu'avez-
vous fait dans telle situation ? »), ou bien des questions de « mise en situation » (de
type : « Que feriez-vous dans telle situation ? » ou encore « Que faut-il faire dans
telle situation ? »). Toutefois, quelle que soit la technique d'entretien utilisée,
l'évaluation du candidat est toujours fortement marquée par la subjectivité du
consultant. Elle comporte donc de nombreux biais.
Les tests psychologiques'. Ces tests proposent des situations d'évaluation standardisées :
les questions posées et les règles de cotation des réponses sont rigoureusement iden-
tiques pour tous les candidats. Selon les caractéristiques psychologiques pertinentes
pour la sélection des personnels, le psychologue pourra utiliser des tests
d'intelligence générale, d'aptitudes élémentaires, de personnalité, d'intérêts, de
valeurs, ou encore d'attitudes. Une grande variété de tests est disponible. Le psy-
chologue doit donc s'assurer des compétences de l'éditeur de tests et de la qualité
de ces derniers avant toute acquisition.
Les épreuves de simulation professionnelle. Cette catégorie regroupe des épreuves de for-
mes bien différentes : des présentations orales (le candidat doit préparer puis présen-
ter oralement, devant un jury, un exposé sur un thème particulier en s'appuyant sur
le matériel qui lui est proposé), des discussions de groupe (plusieurs candidats tra-
vaillent en groupe pour aboutir à une décision consensuelle concernant un pro-
blème particulier), des études de cas (le candidat prend connaissance d'un matériel
écrit à partir duquel il devra rédiger une synthèse), des « in basket » (le candidat

1. Voir le chapitre consacré à la méthode des tests dans le présent ouvrage.


498 I Les professions

doit réaliser différentes tâches à partir de plusieurs documents qu'il pourrait trouver
dans son casier à courrier : notes de service, courriers, rapports...), etc. Toutes ces
épreuves reposent cependant sur le même principe. Elles proposent des situations
standardisées plus ou moins complexes, mais réalistes par rapport au poste et qui
sollicitent des comportement ou des compétences reliés à l'activité professionnelle.

2/Questions de pratiques professionnelles

Pour choisir quelles techniques d'évaluation utiliser en sélection, le psychologue


doit s'appuyer sur les conclusions de l'analyse du travail sans oublier pour autant les
nombreuses contraintes imposées par l'entreprise. Durant la sélection, sa pratique de
l'évaluation devra se conformer aux principes énoncés dans le Code de déontologie des
psychologues'. En particulier, il ne doit jamais perdre de vue que les méthodes
d'évaluation employées doivent répondre « aux motifs de ses interventions, et à eux
seulement » (art. 6) et que les modalités techniques de l'exercice professionnel sont
scrupuleusement encadrées'. Qu'en est-il réellement des pratiques liées à l'évaluation
des candidats ?
Dans une enquête menée auprès de 60 cabinets-conseils et de 42 services de recru-
tement d'entreprises privées et nationalisées, Bruchon-Schweitzer et Ferrieux (1991) ont
cherché à établir l'importance relative des différentes techniques d'évaluation utilisées
pour la sélection du personnel en France. Si les résultats de cette enquête sont assez
anciens, force est de constater que le tableau qu'ils brossent de l'évaluation en sélection
reste d'actualité. Les auteurs constataient tout d'abord que seulement 44 % des consul-
tants interrogés avaient une formation en psychologie et que ce pourcentage variait
selon les organismes de recrutement (cabinets : 49 'Vo, entreprises privées : 23 % et
entreprises nationalisées : 50 %). Ce constat n'est pas surprenant en soi. Par contre, le
fait que les « techniques d'évaluation psychologique, exigeant pour la plupart un niveau
élevé de qualification, soient utilisées de moins en moins par les psychologues eux-
mêmes et de plus en plus utilisées par des consultants sans aucune formation psycholo-
gique » (ibid., p. 76-77) est bien plus inquiétant.
En outre, selon les résultats de cette même enquête, les fréquences d'utilisation des
différentes techniques d'évaluation pour l'examen approfondi des candidatures établis-
sent une hiérarchie assez nette. Ainsi, tous types de services de recrutement confondus,
l'entretien et l'analyse graphologique sont utilisés dans plus de 90 % des cas ; viennent
ensuite les tests d'aptitude ou d'intelligence et les tests de personnalité (plus de 60 O/),
puis les épreuves de simulation professionnelle (34 %). Les techniques projectives et les
épreuves parapsychologiques sont plus rarement utilisées. Mais le résultat le plus inté-

I. Disponible sur le site de la Fédération française des psychologues et de la psychologie :


http://www.ffp.net/.
2. Article 17 : « La pratique du psychologue ne se réduit pas aux méthodes et aux techniques qu'il met en
oeuvre. Elle est indissociable d'une appréciation critique et d'une mise en perspective théorique de ces
techniques. » Article 18 : « Les techniques utilisées par le psychologue pour l'évaluation, à des fins directes
de diagnostic, d'orientation ou de sélection, doivent avoir été scientifiquement validées. » Article 19 : « Le
psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il ne tire pas de conclusions
réductrices ou définitives sur les aptitudes ou la personnalité des individus, notamment lorsque ces conclu-
sions peuvent avoir une influence directe sur leur existence. »
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 499

ressant est que l'importance relative des différentes techniques varie selon trois caracté-
ristiques des services de recrutement. Tout d'abord, les entreprises nationalisées utilise-
raient relativement moins la graphologie et les autres techniques parapsychologiques,
mais davantage les tests psychologiques classiques ; au contraire, les cabinets-conseils
recourent proportionnellement plus souvent aux techniques irrationnelles. Ensuite, les
très gros services de recrutement utiliseraient plus souvent les tests d'aptitudes et les
épreuves de simulation. Pour finir, les services de recrutement ne comportant que des
psychologues utilisent plus les tests d'aptitudes et moins les techniques parapsychologi-
ques que les services ne comportant aucun psychologue.
Si des différentes techniques d'évaluation n'ont pas la même importance dans la
sélection du personnel en France, il est bien connu qu'elles n'offrent pas non plus les
mêmes garanties de validité'. À titre d'illustration, le tableau 13.1 (d'après Schmidt et
Hunter, 1998) présente la validité des plus couramment utilisées en sélection, par rap-
port à deux sortes de critères : la performance professionnelle et le niveau de réussite
à l'issue d'une formation professionnelle. Or, Bruchon-Schweitzer et Ferrieux (1991)
constataient que « de très bonnes méthodes (...) ne sont employées en France que très
rarement et généralement pas de la façon la plus efficace » (p. 87). Il est fort pro-
bable, hélas, que ce constat soit toujours d'actualité. Et que dire de l'usage de la gra-
phologie dans la sélection ? Qu'il s'agit d'une spécificité française et rappeler qu'un
ouvrage récent concluait qu'elle « n'est pas une science et (qu')il n'y a quasiment pas
de faits avérés en sa faveur » (Huteau, 2004, p. 245). Il est préférable d'insister sur le
décalage existant entre certaines pratiques d'évaluation en sélection et l'état des
connaissances scientifiques en psychologie du travail. Deux exemples illustrent parfai-
tement un tel décalage. La technique de l'entretien « situationnel » est connue des
chercheurs depuis plus de vingt ans et sa supériorité sur l'entretien traditionnel n'est
plus à démontrer. Néanmoins, les consultants en recrutement, y compris psycholo-
gues, continuent à lui préférer une technique d'entretien non standardisée et centrée
sur des caractéristiques personnelles plus ou moins pertinentes pour le recrutement.
Autre exemple, les épreuves de simulation ont été développées dès la seconde guerre
mondiale. Avec les tests d'intelligence générale, les évaluations qu'elles fournissent les
situent parmi les meilleurs prédicteurs de la réussite au travail (tableau 13.1). Or,
dans une enquête portant sur les pratiques liées à la simulation professionnelle, nous
avons récemment constaté que seulement 31 % des entreprises et 11 % des cabinets
consultés déclarent utiliser systématiquement des épreuves de simulation depuis 1990
(Rogard, Caroff, Bouteiller et Mercier, 2001). Si une analyse de poste est effective-
ment réalisée avant la construction de l'épreuve de simulation, elle consiste le plus
souvent en un simple entretien ; des techniques plus systématiques ne sont apparem-
ment pas utilisées. En outre, cette analyse porte indifféremment sur les caractéristiques
du poste ou les compétences requises. Dans de telles conditions, il est permis de dou-
ter que les épreuves de simulation soient réellement développées avec toute la rigueur
méthodologique nécessaire.

1. Pour une présentation de cette notion et des différentes techniques de validation, voir le chapitre consacré
à la méthode des tests.
500 I Les professions

TABLEAU 13.1. — Validité des principales méthodes d'évaluation utilisées en sélection

Techniques d'évaluation Performance professionnelle Formation professionnelle

Tests de simulation .54


Tests d'intelligence générale .51 .56
Entretien (structuré) .51 .35
Tests de connaissances professionnelles .48
Entretien (non structuré) .38 .35
Assessment centers .37
Tests de personnalité .31 .30
Évaluation des intérêts .10 .18
Graphologie .02

b. Autres domaines d'intervention du psychologue du travail

Si l'évaluation des adultes dans la sélection et le recrutement reste l'un des domai-
nes d'application privilégié de la psychologie du travail, l'accroissement des personnes
en difficulté dans leur vie professionnelle a conduit les psychologues à répondre à des
besoins nouveaux. Il en est ainsi de l'intervention des psychologues du travail dans
l'aide à l'insertion professionnelle et la formation des adultes. Il ne s'agit pas, à propre-
ment parler, de préoccupations totalement nouvelles pour eux, mais dans une société
ayant un fort taux de chômage résiduel, elles ont pris une plus grande importance. Les
deux dernières décennies enregistrent ainsi un rééquilibrage dans les types de fonctions
ouvertes aux psychologues du travail.

1 /Insertion professionnelle

S'il fallait à tout prix caractériser le champ de l'insertion professionnelle dans notre
pays, on pourrait à juste tire mettre l'accent sur sa diversité :
diversité des publics visés (allocataires du Revenu Minimum d'Insertion, jeunes avec
ou sans qualification, quinquagénaires sans emploi, personnes handicapées...) ;
diversité des structures (Mission locale pour l'emploi, agences de l'ANPE, Associa-
tions, Centres interinstitutionnels de bilan de compétences (clac)...) qui doivent
coordonner leurs interventions auprès des personnes ;
diversité des intervenants (psychologues, travailleurs sociaux, chargés de mission
économique...) qui travaillent de plus en plus en réseau ;
diversité des démarches et dispositifs mis en oeuvre pour favoriser l'entrée ou le
reclassement dans le monde du travail (Bilans de compétences, bilan de compéten-
ces approfondi de l'ANPE, contrats de qualifications...).

Notons, en outre, que la conception de l'insertion professionnelle n'est pas sta-


tique. Au service de politiques publiques, elle est, au gré des circonstances et de la
situation du marché du travail, soumise à des interprétations divergentes. Ainsi, dans les
années ayant suivi la mise en place du Revenu Minimum d'Insertion, l'insertion était-
elle synonyme de retour à l'emploi tandis qu'aujourd'hui beaucoup d'acteurs du
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 501

domaine s'accordent à considérer qu'elle couvre tout autant des actions d'insertion
sociale : actions de remise à niveau préalables à un retour à l'emploi, activités substituti-
ves, occupationnelles et « d'assistances ».
De fait, le psychologue doit considérer que l'insertion professionnelle est le résultat
d'un processus qui peut suivre des étapes d'importance et de durée variable selon les
individus. Dès l'évaluation initiale, le bénéficiaire est ainsi invité à prospecter les oppor-
tunités qui s'ouvrent à lui dans une démarche d'introspection rétrospective et prospec-
tive. En témoignent certaines approches théoriques qui intègrent ce caractère dyna-
mique de l'insertion dès la phase d'élaboration d'un projet d'orientation.

ENCADRÉ 13.3

Les quatre phases de la théorie de l'Activation


du développement vocationnel de la personne (Pelletier et coll., 19741

1 /Exploration
La personne doit générer le maximum d'informations nouvelles sur elles-mêmes, inventorier
tous les possibles dans un objectif général de découverte.
2 / Cristallisation
La personne va organiser et interpréter les différents éléments d'information et se forger
une idée générale de son orientation.
3 / Spécification
La personne va retenir un ou plusieurs projets en tenant compte de ce qui est apparu
précédemment comme probable et désirable.
4 / Réalisation
C'est l'étape de passage de l'intention au réel.

Il existe différents types de bilan (évaluation, orientation, compétences...) portant


des appellations variées selon les organismes qui en assurent le financement ou la mise en
oeuvre. Leurs objectifs ne se recouvrent pas totalement, mais la situation du marché du
travail tend à brouiller les pistes. Exemplaire, de ce point de vue, est l'évolution des
bilans de compétences'. Nés de l'accord interprofessionnel du 3 juillet 1991 sur la forma-
tion professionnelle afin de favoriser les évolutions de carrières, voire les changements
radicaux de sphères professionnelles, ils ont peu à peu changé de public. Ainsi, près
de 50 % des bilans de compétences qui sont proposés aujourd'hui s'adressent à des
primo demandeurs d'emploi sans réelle expérience professionnelle. La difficulté du psy-
chologue du travail est alors d'aider la personne à formuler un projet alors même qu'elle
est nourrie essentiellement de représentations partielles des métiers et professions. Cette
élaboration qui est au coeur de l'insertion professionnelle passe par trois étapes incon-
tournables (analyse et diagnostic de la situation, esquisse d'un projet possible, définition
d'une stratégie de réalisation) et s'appuie sur une grande variété d'outils.

1. Sur les bilans de compétences voir le chapitre consacré aux conseillers d'orientation.
502 I Les professions

Le psychologue du travail intervenant dans le domaine de l'insertion ne peut donc


faire l'économie d'un certain nombre de thèmes de réflexion que nous évoquerons ici
pour mémoire faute de pouvoir les développer :
sa position en tant qu'acteur social au sein de politiques publiques alors même que
sa simple intervention et son action peuvent générer des motivations qu'il saura ne
pouvoir être satisfaites ;
les limites de sa spécialisation en psychologie dès lors que des personnes fragilisées
cumulant parfois les difficultés pour ne pas dire handicaps font voler en éclats la
pertinence des découpages sous-disciplinaires ;
les limites inhérentes à des outils d'évaluation trop marqués culturellement ou
conçus pour des contextes d'intervention et des populations radicalement différents.

2/ Formation professionnelle

L'ingénierie de formation qui couvre toutes les étapes menant de l'identification


des besoins à la conception et mise en oeuvre d'actions de formation offre des possibili-
tés d'emploi aux psychologues du travail. Comme le rappelle la section consacrée aux
conseillers d'orientation dans ce même chapitre, c'est d'ailleurs au sein de PAFPA (Asso-
ciation nationale de formation professionnelle des adultes) que l'on retrouve la plus
forte densité de psychologues du travail en exercice. L'intervention du psychologue
dans le champ de la formation consiste alors le plus fréquemment à englober
l'identification des besoins de formation des personnes dans une évaluation plus glo-
bale. L'action de formation est ici au service d'une stratégie de développement profes-
sionnel, un moyen d'atteindre des objectifs. Au-delà du bilan psychotechnique indivi-
duel et de la formalisation d'entretiens d'orientation, l'analyse du travail en préalable à
la formation reste pourtant largement à systématiser. C'est notamment vrai au sein des
grandes entreprises où l'on recherche des profils nécessitant qualités d'écoute et rigueur
pour une fonction souvent de début de carrière. Ces collaborateurs qui pourraient très
bien être des psychologues doivent aller à la rencontre des utilisateurs de la formation
pour analyser les besoins et ajuster l'offre de formation. Mais l'image du psychologue
dans la formation professionnelle, telle qu'abordée par les grandes entreprises, souffre
encore d'un certain nombre de handicaps. Ce qui est mis en cause, c'est d'ailleurs
moins la psychologie en tant que discipline que l'usage qui en a été fait par des consul-
tants qui l'ont parfois réduite à des aventures douteuses.
L'accompagnement plus individualisé des collaborateurs dans la construction et le
déroulement de leur parcours de formation offre pourtant de nouvelles opportunités
aux psychologues du travail. Les dévelopment centers i qui s'inscrivent dans la filiation des
assesment centers en vue d'améliorer les performances des collaborateurs ouvrent, en effet,
une opportunité aux psychologues. Pour la saisir, ils doivent justifier d'une expertise
confirmée par le terrain dans l'accompagnement des personnes et savoir opposer la
qualité de leur formation aux « coachs » de tous poils.

1. Le Development Center est un processus global fondé en grande partie sur des mises en situation. L'objectif
est de donner au collaborateur un feed-back lui permettant de mieux comprendre ce que l'entreprise
attend de lui, et pour celle-ci, de favoriser et mettre en place les conditions de cet ajustement au moyen
d'un plan de développement personnalisé.
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 503

Une seconde opportunité réside dans la constitution d'équipes de formateurs inter-


nes qui vont au-delà de la simple compétence technique en formation. Ainsi, par
exemple, on fait de plus en plus appel à des collaborateurs qui assurent le lien entre les
différents intervenants (externes ou internes à l'entreprise) de la formation. Ces collabo-
rateurs doivent posséder des aptitudes relationnelles et le goût du travail en groupe, de
même qu'ils doivent asseoir leur crédibilité sur le terrain face à des publics aguerris.
Des compétences dans le décodage des situations, la capacité à aller au-delà des énon-
cés premiers et à fournir des interprétations sont requises pour ce type de poste. Autant
d'exigences auxquelles peuvent très bien répondre les psychologues du travail.

III - La formation des psychologues du travail

Dans le champ de la psychologie du travail comme dans celui d'autres sous-


disciplines de la psychologie, les vingt dernières années ont été marquées par un déve-
loppement considérable de l'offre de formation et notamment de spécialisatiori au
niveau cinq. La carte de l'offre de formations (fig. 1) traduit désormais une bonne cou-

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FIG. 1. — Carte de l'offre des formations supérieures en psychologie du travail


504 I Les professions

verture géographique des diplômes nationaux en psychologie du travail. Ces diplômes


sont principalement délivrés dans la plupart des Unités de Formation et Recherche en
Psychologie des universités.

a. Les compétences du psychologue du travail

L'objectif de formation universitaire est de permettre aux étudiants d'acquérir et


de développer des compétences professionnelles. La notion de compétence s'est pro-
gressivement imposée au monde de l'entreprise dans de nombreux domaines liés à la
gestion des ressources humaines. Toutefois, parce qu'il n'existe pas de définition
consensuelle de la compétence, pas plus chez les chercheurs que chez les praticiens,
cette notion reste ambiguë. De façon générale, on peut considérer cependant qu'une
compétence est la capacité acquise, par l'expérience ou la formation professionnelles,
de réaliser une tâche de façon adéquate. Roe (2002) a proposé un modèle de compé-
tences pour les psychologues du travail (tableau 13.2) qui permet de préciser les rela-
tions qu'entretient cette notion avec d'autres caractéristiques psychologiques mieux
connues. Selon l'auteur, certaines caractéristiques personnelles, relativement stables
(traits de personnalité et aptitudes, par exemple), seraient plus élémentaires ; les autres,
dont les compétences, seraient acquises et se développeraient au cours de la formation
professionnelle ou bien à travers l'expérience professionnelle.

TABLEAU 13.2. — Profil de compétences pour les psychologues du travail


(d'après Roe, 2002)

Caractéristiques élémentaires
Aptitudes : Traits de personnalité : Autres caractéristiques :
– Raisonnement analytique – Stabilité émotionnelle – Expérience professionnelle
– Raisonnement verbal – Conscience – Intérêt pour autrui
– Fluidité verbale – Amabilité – Intérêt pour les environne-
- Attention distribuée – flexibilité ments de travail
– Intelligence émotionnelle – Confiance en soi – Valeurs démocratiques
– Absence de psychopatho-
logie

Caractéristiques acquises
Connaissances : Capacités : Attitudes :
– Théories de la psychologie – Analyse de problème – Respect d'autrui
cognitive – Observation – Ouverture à la critique
– Théories de la personnalité – Communication orale – Implication
– Théories de la performance – Expression écrite – Orientation client
professionnelle – Travail en équipe – Intégrité
– Théories de la gestion
de carrière
– Théories liées à la
conception de poste
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 505

Compétences

Sous-compétences : Compétences générales :


– Conduite de l'entretien – Identification des besoins du client
– Testing – Évaluation des personnes
– Analyse du travail – Analyse des postes de travail
– Consultation – Conception de procédures de sélection
– Actualiser la documentation – Développement des organisations

b. L'accès aux formations et leur contenu

On peut aujourd'hui estimer entre 400 et 450 le nombre des étudiants validant
annuellement un Master dans le champ de la psychologie du travail. Ce nombre reste
très raisonnable si l'on considère la variété des postes et missions accessibles à partir
d'une formation dans ce secteur. Dans la plupart des cas, l'entrée dans les Masters spé-
cialisés en psychologie du travail est réservée aux titulaires d'une licence de psychologie.
L'accès à la première année du Master n'étant pour l'heure pas contingenté, c'est
encore à l'issue de cette première année qu'une sélection souvent sévère permet de
limiter les effectifs et de les adapter à la réalité du marché de l'emploi. La réforme LMD
(Licence-Master-Doctorat) devrait permettre de mettre fin à cet anachronisme qui
conduit à bloquer des étudiants en milieu de formation.
L'examen des descriptifs des différents diplômes permet de dégager des éléments
de formation que l'on retrouve peu ou prou dans la grande majorité des Masters. Ces
contenus qui constituent un ensemble d'acquisitions partagées par les psychologues
du travail sont d'abord d'ordre théorique (théories sur l'individu qui sous-tendent les
outils – notamment dans le champ de la psychologie différentielle –, théories
de l'organisation...). Ces apports s'inscrivent, souvent pour les compléter, dans la conti-
nuité des acquis antérieurs avec deux objectifs : permettre à l'étudiant de disposer des
connaissances théoriques les plus actualisées ; relier les théories aux problématiques de
terrain et montrer comment les outils du psychologue du travail s'appuient sur des
conceptions théoriques.
Mais c'est sans doute dans la formation aux méthodes et techniques que les Mas-
ters de psychologie du travail partagent le plus de contenus. Ainsi, les diplômes propo-
sent-ils pour la plupart des formations aux :
méthodes d'évaluation des adultes ;
— techniques et outils d'analyse psychologique et ergonomique du travail ;
— méthodes de conception et conduite d'actions de formation ;
— techniques d'analyse organisationnelle.

Enfin, un dernier volet de formation semble commun aux Masters. Il s'agit de


celui qui permet aux étudiants d'acquérir des connaissances pratiques de base dans des
domaines autres que la psychologie mais indispensables au futur psychologue du travail.
C'est le cas notamment du droit du travail et des relations sociales, de l'économie et la
gestion, des dispositifs sociojuridiques encadrant la formation continue. Les futurs psy-
chologues abordent ici, dans le cadre d'une initiation, des disciplines et matières sou-
506 I Les professions

vent nouvelles pour eux. L'objectif est de leur permettre d'acquérir une formation mini-
male et de repérer les outils de connaissance dont ils auront besoin en tant que
professionnels. Ces enseignements aident, en outre, à identifier les acteurs avec lesquels
l'étudiant diplômé devra coopérer et à appréhender les contextes dans lesquels il devra
évoluer.

c. Débouchés et salaires

Les résultats des différentes enquêtes (Rogard, 2004) d'insertion montrent que les
étudiants rejoignent des fonctions variées mais bien identifiées (chargé de recrutement
ou de formation, conseiller bilan, chargé de mission insertion, chargé d'orientation...).
Le cadre de l'emploi est lui aussi très variable : entreprises privées ou nationalisées de
différentes tailles, cabinets-conseils, organismes publics ou para-publics (clac, Mission
locale pour l'emploi...), associations oeuvrant dans le domaine de la formation et
l'insertion professionnelle. On touche là à une caractéristique centrale des formations
en psychologie du travail : leur ouverture vers des activités et des cadres d'action diver-
sifiés peuvent correspondre à des tempéraments différents. Le salaire moyen en début
de carrière des diplômés en Psychologie du travail est nettement plus élevé que dans
d'autres secteurs de la psychologie. Les données qui sont présentées dans le Gra-
phique 1 se rapportent aux diplômés de Paris V qui se sont déclarés en emploi dans les
six mois suivant la fin de leurs études.

0760 C et moins
760 à 1 067
■ de 1 067 à 1 372
E de 1 372 à 1 830
,plus de 1 830

GRAPHIQUE 1. Salaire mensuel net primes incluses dans le premier emploi


des diplômés en psychologie du travail de Paris V


(promotions 1997 à 2004)

d. L'internationalisation des formations

La formation initiale des psychologues du travail ne peut aujourd'hui rester stricte-


ment franco-française. C'est bien à l'échelle de l'Europe qu'il convient désormais de
penser cette formation en vue de permettre la mobilité géographique non seulement
des étudiants mais des professionnels. La disparité des cursus et dispositifs conduisant à
la qualification en tant que psychologue du travail relevée par Carruthers et Schmidt-
Bral3e (1999) s'estompera dans le futur pour au moins trois raisons majeures. D'abord
les contenus de formation se rapprocheront en s'aidant de modèles de référence déve-
loppés au sein des réseaux regroupant les enseignants du domaine. Ensuite, par sa

1. Ainsi du travail entrepris de longue date au sein du Réseau européen de psychologie du travail et des
organisations (ENOP).
Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte I 507

généralisation, le schéma LMD issu des accords de Bologne offre la possibilité de réels
parcours européens de formation prenant en compte les points forts des universités
européennes. La mobilité européenne des étudiants et enseignants ira donc croissante
au travers des programmes spécifiques de l'Union européenne et l'intensification des
actions particulières comme les Universités d'été européennes. On notera ainsi que
l'unique Master Erasmus Mundus en Psychologie retenu par la Commission Euro-
péenne dans son programme d'excellence est un Master de Psychologie du travail, des
organisations et du personnel'. Cinq universités Européennes y ont uni leurs efforts
pour proposer un cursus intégré où la mobilité géographique sert les projets profes-
sionnels des étudiants. Enfin, une véritable qualification à l'échelle européenne des
psychologues est en cours d'établissement que sanctionnera le Diplôme européen de
psychologue.
Les psychologues du travail ne sont donc pas indifférents à cette construction de
l'espace d'enseignements supérieur européen et aux nouvelles perspectives de formation
ainsi offertes. Ils sont même sans doute sur ce point en avance sur d'autres secteurs de
la psychologie, ce qui est gage d'avenir pour une spécialité qui doit sans cesse prendre
en compte l'évolution de la société.

1. Le site Internet de ce Master (http://www.erasmuswop.org ) présente de manière très détaillée cette forma-
tion à l'échelle européenne.
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lexique

Allocentrisme : repérage spatial s'appuyant sur la prise en compte d'éléments extérieurs au


sujet.
Auto-organisation : émergence spontanée, au cours du développement, de formes d'adaptation
complexes, à partir d'interactions entre éléments plus simples.
Autorégulation : aspects fonctionnels de l'adaptation des organismes aux circonstances actuelles
et éventuellement nouvelles.
Axiomatique : ensemble de propositions premières (axiomes) admises sans démonstration.
Behaviorisrne : conception de la psychologie comme science du comportement observable, sans
référence à la conscience.
Boucle verbo-phonologique : composante de la mémoire de travail spécialisée dans le traite-
ment des codes verbaux (le langage).
Chromosome : élément en forme de bâtonnet qui porte d'information génétique. Dans l'espèce
humaine il y a 43 paires de chromosomes dont les chromosomes sexuels X et Y.
Chunk : un chunk est une collection d'éléments qui sont suffisamment associés entre eux pour
être compactés et mémorisés comme une seule unité d'information. Par exemple, les quatre
lettres DLCT sont des éléments d'information qui pour la plupart des gens sont indépendants
et constituent donc quatre unités d'information distinctes à mémoriser, alors que les quatre
lettres SNCF n'en constituent qu'une.
Cinétique : qui concerne le mouvement.
Codage : transformation systématique de données en vue de leur transmission ou de leur traite-
ment.
Cohorte : groupe de sujets nés la même année.
Comportemental (répertoire) : un répertoire comportemental se construit à partir d'unités de
comportements observables souvent définis par un verbe d'action (par exemple :
« prendre », « regarder », « mordre », « donner »).
Comportements affiliatifs : comportements visant à se faire apprécier par une autre per-
sonne, à lui plaire, et à lui prouver son affection (par exemple : offrande, sollicitation).
Comportements agonistiques : comportements observés lors de situations conflictuelles
(par ex. : menace et agression).
Conatives (variables) : non cognitives, affectives, motivationnelles.
Conduites : ce sont des activités externes observables (comportements) et des phénomènes inter-
nes inobservables qui sont supposés être concomitants (par exemple, la motivation, les
objectifs, les émotions...).
Dépendance-indépendance à l'égard du champ visuel : style cognitif relatif aux modes de
traitement de l'information (global vs analytique en particulier).
532 I Psychologie du développement et psychologie différentielle

Désirabilité sociale : tendance de réponse visant à donner une image plus favorable de soi lors
d'une autodescription.
Diachronique : qualifie une évolution temporelle ; s'oppose à synchronique qui se dit d'un point
de vue où les faits envisagés se passent dans un intervalle de temps approximativement
identique.
DSM IV (Diagnosis and Statistical Manual of Mental Disorders): manuel proposé par
l'association américaine de psychiatrie pour établir un diagnostic après l'examen d'un
malade mental, se référant à une classification des syndromes.
Égocentrisme : repérage spatial s'appuyant sur la prise en compte exclusive du point de vue du
sujet.
Émotions : constellation de réponses de forte intensité qui comportent des manifestations
expressives, physiologiques et subjectives typiques (peur, joie, colère...).
Endogène : qualifie ce qui est d'origine interne, sans concours des influences de l'environnement
extérieur ; s'oppose à exogène qui se dit de tout processus ou événement dont la causalité
relève du champ extérieur à l'organisme du sujet.
Épistémique (sujet) : sujet quelconque, ayant les caractéristiques communes à tous les sujets
d'un même niveau de développement.
Épistémologie : analyse critique des connaissances scientifiques, de leurs formes et de leurs
procédés.
Épistémologie : étude des sciences qui a pour but la définition des raisonnements qui fondent
leur développement et leur réussite.
Éthologie : science des comportements des espèces animales dans leur environnement naturel.
Facteur primaire : variable latente issue directement des corrélations entre variables observées.
Facteur secondaire : variable dégagée des corrélations entre facteurs primaires.
Format Q sort: chaque item d'un questionnaire est transcrit sur une carte. On distribue
-

ensuite ces cartes en trois piles (vrai, je ne sais pas, faux) puis en 9 piles ordonnées du plus
« vrai » au plus « faux » en ne laissant sur chaque pile qu'un nombre déterminé de cartes
afin de normaliser la distribution (distribution forcée).
Fovéale (vision) : vision à partir de la zone centrale de la rétine.
Haptique : terme anglais, admis couramment en français, qui se substitue à tactilo-
kinesthésique : résultat d'un couplage entre sensibilité tactile et kinesthésie (ou mouvement),
ce terme est utilisé lorsque l'exploration manuelle de l'objet est active et implique des mou-
vements des mains et des doigts.
Humeur : ensemble de dispositions affectives et instinctives qui déterminent la tonalité fonda-
mentale de l'activité psychique (tristesse, humeur positive vs négative).
Hypertonie : faible degré du tonus musculaire
Hypotonie : degré élevé du tonus musculaire.
Idiographique : relatif à l'étude de cas.
Inférer : passer d'une vérité à une autre jugée telle en raison de son lien avec la première
Inhibition latérale : mécanisme par lequel l'activation d'un neurone provoque l'inhibition, par
celui-ci, de neurones voisins ou concurrents.
Isotrope : ayant les mêmes propriétés en tous ses points.
Kinesthésique : qui concerne la perception de ses mouvements par un sujet.
Locus : localisation d'un gène, d'un marqueur, ou d'une base sur un chromosome.
Marqueur génétique : n'importe quel endroit du génome du moment qu'on y observe de la
variabilité (variations des allèles). On parle de « marqueur anonyme » lorsque les variations
des allèles n'ont pas d'effet repérable au niveau phénotypique.
Mémoire de travail : système à capacités limitées qui gère à la fois les activités de stockage à
court terme et le traitement de l'information.
Méta-analyse : synthèse, analyse et commentaires réalisés par des chercheurs sur des recher-
ches effectuées par d'autres et dont les résultats semblent contradictoires pour une même
problématique.
Modularisation : Annette Karmlloff-Smith désigne par ce terme le fait que les modules de trai-
tement cognitif spécifiques à un domaine fonctionnel n'existent pas à la naissance sous leur
Lexique I 533

forme tardive (chez l'enfant déjà grand ou chez l'adulte) et qu'ils sont par conséquent acquis
au cours du développement.
Monotone : qui varie toujours dans le même sens.
Monotropie : dans la théorie initiale de l'attachement développée par Bowlby, ce terme rend
compte du lien spécifique qui unit l'enfant à sa mère.
Mutation : modification du génotype à un endroit précis du génome. Si la mutation touche les
cellules germinales, elle est transmissible aux descendants.
Nomothétique : démarche quantitative visant à établir des réseaux de relations entre variables.
Ontogenèse : ensemble des processus du développement d'un individu depuis l'oeuf fécondé jus-
qu'à l'état adulte.
Paradigme : mode d'explication dominant adopté par un chercheur ou une communauté scien-
tifique (par ex. : le behaviorisme, le cognitivisme, le connexionnisme).
Participation axiale : un mouvement périphérique, de la main par exemple, peut faire interve-
nir des mouvements de l'axe du corps (colonne vertébrale).
Plan sagittal : plan abstrait partageant le corps en deux hémicorps symétriques, et donc définis-
sant la distinction droite-gauche.
Posture : position du corps à partir de laquelle se font les mouvements. Exemple : posture assise,
posture érigée.
Posturo-cinétique (codage) : la position du corps et ses mouvements reproduisent les caracté-
ristiques spatiales à prendre en compte. Exemple : en regardant une statue de Giacometti,
un enfant de 4 ans adopte la posture de la statue.
Prosodie : la prosodie renvoie à l'impression musicale que fournit l'énoncé (intonation, accen-
tuation, rythme, débit, pause).
Sémiotique : étude des systèmes de signes qui s'intéresse aux relations entre signes et signifiés et
à l'utilisation de ces signes. Dans la perspective piagétienne, la fonction sémiotique renvoie
à la fois aux symboles et aux signes.
Syncrétisme : appréhension globale et indifférenciée qui précède la perception et la pensée par
objets nettement distincts les uns des autres.
Tâches de détection du signal : le sujet doit dire si oui ou non un signal apparaît ; l'analyse
des erreurs se fait en distinguant les fausses alarmes (réponse oui alors que le signal est
absent) et les oublis (réponse non alors que le signal est présent).
Tâches interférentes : paradigme expérimental utilisé notamment pour l'étude des capacités
de la mémoire de travail (le sujet doit traiter simultanément les informations utiles à la réso-
lution d'une tâche principale et d'autres informations liées à une tâche secondaire).
Variable latente : dans une analyse factorielle, variable issue des corrélations entre observa-
tions (réponse à un ensemble d'items par exemple).
index des auteurs

Ackerman, 417-418. Case, 23-24, 27, 79, 89-102, 216.


Almodovar, 471, 478. Cattell J. McK., 293, 298-300, 306, 311.
Amsterdam, 209. Cattell R. B., 314, 365-366, 387, 393, 401-404,
Ariès, 8. 417-418
Astington J. W., 60, 77. Cellérier, 54.
Chomsky N., 22, 25-26, 32, 97, 249, 279.
Baddeley, 82, 101, 412. Cicchetti, 14.
Baillargeon, 84, 146, 148, 150, 154. Claparède, 10, 32-33, 306-307.
Bakhtin M. M., 72-73. Clark E. V., 221, 269, 285, 299.
Baldwin, 23-24, 27, 32, 58-59, 217. Cole M., 20, 66, 77.
Barick, 142. Colette, 471.
Bates E., 20, 254, 257, 271, 282. Conway, 372.
Beaudichon J., 174, 251, 257, 271. Cordier, 186.
Becchi, 8-9, 15. Costa, 392, 405-406, 408, 417, 419.
Bernaud, 388, 413, 416. Cowan, 102, 372.
Bernicot J., 14, 75, 251, 253, 270, 273-274, 283, Cronbach L. J., 317, 319, 343-344.
285.
Berry H., 60. Damon, 216.
Berthoz, 57. Darwin, 13, 15-16, 206, 248, 294, 296.
Bever T. G., 24, 26, 266. Dasen, 19.
Bideaud, 23, 26, 29, 56-57, 174. de Ribaupierre, 29, 79, 86-87, 100.
Bigelow, 211. de Schonen, 213.
Binet A., 18, 193, 248, 255, 292, 295, 300-306, Deleau M., 69, 76, 228, 235, 238, 259, 284.
309-314, 359-361, 472. DeLoache J. S., 179-180.
Blades M., 169, 179-180. Demetriou, 29, 33, 79, 100.
Blaye, 201-202, 204. Diamond, 154.
Bloom L., 196, 261. Dickes, 334, 368.
Bonthoux, 199, 201-202, 204. Doise W., 111, 242, 251.
Braire M. D. S., 263. Doll, 18.
Brazelton, 17, 118. Ducret, 10-11, 32, 54.
Broca P., 248, 275. Duyme, 427, 430.
Bronckart J.-P., 32, 64, 73, 266, 284.
Brown R., 78, 252, 254, 264, 346. Endler, 411.
Bruner J. S., 19, 64, 71-72, 170, 226, 233-236, Engle, 101, 372.
241, 251, 259, 261, 283. Érasme, 9.
Eysenck H. J., 400.
Capron, 430.
Carey, 155-156, 159. Fantz R. L., 117, 125-126.
Cailler, 422, 432, 434, 438, 449-450. Fenson L., 254.
Carroll, 363, 368-370, 372, 385, 419. Fischer, 29, 100.
536 I Psychologie du développement et psychologie différentielle

Flavell J. H., 71, 251. Laval V., 254-255, 273-274.


Fontaine, 206, 209, 211, 240, 471-472, 478. Lavallée, 19.
Furnham, 418-419. Lehalle, 26, 31, 56, 228.
Lewis, 30, 210, 214-217, 310.
Gallup, 208-209. Locke ; 22, 289.
Galton F., 293-300, 308, 311, 314, 359, 361, 402, Longeot, 18, 29.
432. Luquet, 17, 27.
Gapenne, 219.
Gelman, 22, 97, 162, 192, 197. Mac Whinney B., 282.
Gesell, 20-22, 27, 62, 457. Mandler, 190-191.
Gibson J. J., 141, 166-167, 169, 218. Mareschal, 157, 159, 188.
Gilly M., 65, 242, 244. Markman, 192, 195, 202.
Goddard H. H., 310, 314. Martin, 221, 300, 380, 468.
Goodenough, 18. McCrae, 392, 405-406, 408, 417, 419.
Gopnik, 190. McGrew, 369, 385.
Gray, 394, 399, 406. McNeill D., 279.
Gréco, 20, 46. Mead, 11, 33, 217.
Greenfield P. M., 19, 69, 277. Mehler, 22, 24, 26, 258, 279.
Grégoire, 249, 417. Meljac, 33, 254, 466, 473.
Grice P. H., 272. Meltzoff, 131, 221.
Grize, 46. Milner, 157.
Guttman L., 18, 336. Moore, 131, 221.
Morris G., 268, 272, 283.
Haeckel, 10-11. Mugny G., 111, 242-243, 251.
Halford, 100. Munakata, 151-152.
Hall, 17.
Hart, 216.
Harter, 214, 218, 222-223, 225. Nadell., 221, 228, 239-240, 257.
Hérodote, 248. Nazzi, 190, 258.
Hom, 314, 363, 365-367, 369, 371, 385. Neisser, 184, 216, 218, 220.
Houdé, 254, 285, 473. Nelson K., 196, 199-200, 261-262.
Hume, 22, 289.
Huteau, 82, 296, 305, 307, 318, 320, 324, 370, Ottavi, 10, 33.
389-390, 499.
Paillard J., 17, 171-172, 176.
Inhelder B., 19, 28, 32, 38, 40, 42, 44, 47-48, 51, Papert, 46.
110, 165-166, 168, 174, 183, 280. Parten, 17.
Itard J. M., 248, 275. Peirce C. S., 268, 283.
Izard, 17. Perez B., 248.
Piaget J., 16, 19, 23-25, 27, 37-58, 62, 64, 69-
James, 22-23, 151, 215-217, 225, 248, 289, 293, 70, 110-112, 140, 143-144, 147, 150, 153, 162,
298, 359, 365. 164-168, 170-174, 178-183, 249, 251-252, 280,
Jézéquel, 211. 473.
Johnson, 20, 30-31, 81-82, 85, 95, 151, 157, 159, Piéron H., 304-305, 307, 309, 312, 315.
385. Plomin, 429, 441, 443-444, 44 7.
Preskog, 367. Preyer, 13, 15-16, 206.
Jouen, 169, 219. Priel, 213.
Julia, 8-9, 15.
Jung, 312, 394-397, 402, 405.
Quinn, 186, 188-189.
Kant, 23, 25. Quintilien, 8-9.
Keil, 198.
Kellman, 145. Rakison, 190.
Kemler Nelson, 196. Retschitzki, 19.
Kohlberg, 29. Reuchlin M., 12, 27, 29, 305, 310, 316, 320-321,
Kyllonen, 372. 336, 390, 414, 422.
Richardson, 21, 23.
Lahy J.-M., 305, 308-309, 494. Rochat, 151, 216, 218-219, 221.
Lautrey, 29, 79, 86, 236-237, 307, 320-321, 370, Rogoff B., 60, 67-68, 77.
372, 385-386. Rolland, 402, 404-405, 408.
Index des auteurs I 537

Rosch, 185-186. Tomasello M., 77.


Rosh E., 270. Toulouse E., 292, 304-309, 312, 422.
Roubertoux, 421-423, 432, 434, 440, 449-450.
Rousseau, 9. Valsiner J., 32, 61, 63.
Vanderveken D., 272.
Samuels, 219-220. Vergnaud, 32.
Sattler, 19. Vidal, 473.
Saussure de F., 28, 267. Vilette, 26, 56.
Shannon C. E., 249. Vrignaud, 413.
Shweder R., 61. Vygotski L. S., 32, 58-59, 61-64, 69-71, 226, 233-
Siegler R. S., 26, 30-31, 112-113, 115-116, 151. 234, 236, 241-242, 251, 259, 261, 283-284.
Simon, 18, 110, 161, 248, 303-305, 310-312, 359, Wallon H., 16, 27, 214, 226, 228-229, 233-234,
361, 372-373, 375-376, 472. 236, 240, 459, 472.
Sinclair de Zwart H., 281. Waxman, 192, 197, 201-202.
Skeels, 427. Weaver W., 249.
Skodak, 427-429, 431, 447. Wechsler D., 255, 311, 355, 373-377, 384-385,
Slobin D. I., 280. 417, 424, 431, 441-442, 452, 465.
Sorsana C., 243-245. Wertsch J. V., 69, 72, 113.
Spearman C., 80, 293, 299-300, 313-314, 317, Wilcox, 154, 157, 159.
340, 346, 359, 361-365. Willatts, 151.
Spelke, 144-146, 152, 155, 159, 162. Winnykamen F., 239, 241, 251.
Spencer C., 11, 58, 169, 179-180, 290-291. Wohlwill, 13.
Sperber, 26, 273. Wood D., 64, 235.
Spielberger, 410. Wundt W. M., 59, 293, 295, 298-299, 304, 306,
Starkey, 162. 308, 361.
Stem, 221, 293, 305, 360, 372, 375, 382. Wynn, 21, 160.
Sternberg, 357, 372.
Streri A., 131, 141-142, 146, 162, 220-221. Xu, 155-156, 159.
Stiss, 372.
Szeminska, 46, 183. Yerkes R. M., 276, 311, 314.
Zaouche-Gaudron C., 245.
Taine, 12, 15-16, 248, 290-291, 302. Zazzo R., 18-19, 28, 33, 35, 63, 205-208, 210,
Terman L. M., 310-311, 314, 357, 361, 372-373. 230, 432, 457-460, 472.
Thurstone L. L., 313, 357, 363-366, 370, 404. Zelazo, 153.
index thématique

5' Dimension, 67. Cognition située, 68.


Abstraction, 53. Cohésion (principe de), 144-145.
Actes de langage, 71, 255, 271-275, 283-284. Communication référentielle, 257, 271.
Activité conjointe, 77. Comparaisons interculturelles, 19.
Activités sociales, 59, 61, 65. Compétences, 228, 232, 237, 239-245.
Adaptation, 58. Compte rendu, 466.
Adoption, 425. Conatif, 392.
Affect, 226, 239. Concepts, 64, 66, 73.
Âge mental, 360-361, 372-373. Concept/catégorie, 143, 147, 155.
Agréabilité, 405-406, 408-409, 416. Conditionnement, 133-136, 278.
Analyse d'items, 332, 334. Conflit sociocognitif, 242, 244.
Analyse factorielle, 297, 300, 312-314, 332-334, Connexionnisme, 30.
354. Connexionniste, 152, 162.
Analyse hiérarchique, 18. Conscience de soi, 216, 218, 221.
Anthropologie, 59, 78. Conscience du corps, 214.
Antiquité, 8-9. Consciencieux, 406-409, 416-417.
Anxiété, 399-401, 403-405, 408, 410-412. Conseiller à l'emploi, 485, 493494.
Appariement, 186, 193. Conseiller bilan, 491-493.
Appariement intermodal, 141. Conseiller d'orientation-psychologue, 485, 487.
Architecture, 28. Conseiller en insertion professionnelle, 488-490.
Argumentation, 74. Constance, 341.
Associationnisme, 21-24, 289, 293, 302. Constructivisme, 23, 25, 280.
Attachement, 230-232, 237. Contact (principe de), 145, 148.
Attention conjointe, 259. Continuité (principe de), 145, 147, 150.
Auto-organisation, 30. Coordination intersensorielle, 140.
Core Knowledge, 144, 152.
Behaviorisme, 283. Critères de l'identification devant le miroir, 209.
Biais de forme, 195. Croyances, 75.
Biais taxonomique, 195.
Biographies de bébés, 13.
Décalage horizontal, 29.
Capacité attentionnelle, 81-82. Demande, 459, 461, 463-464.
Caractère, 388. Demandes sociales, 35.
Catégorie perceptive, 188. Dialogisme, 72.
Catégorie slot filler, 200.
- Différenciation, 11.
Catégorie taxonomique, 195, 199-200. Diplôme d'État de psychologie scolaire (DEPS), 460.
Catégorie thématique, 191, 201. Domaine, 197,
Catégorisation, 16, 184. Domaines fonctionnels, 13.
GHILDES, 254-255. Double articulation, 267.
Circonstances historiques, 32. Doubles visuels, 212-214.
Co-conscience de soi, 221. Dualité du soi / le Je et le Moi, 217.
540 I Psychologie du développement et psychologie différentielle

Échelle métrique de l'intelligence, 303, 306. Imitation, 191, 239-243, 256-257, 278.
Échelles de Wechsler, 372-373. Inertie (principe de), 145.
Échelles, 18. Informations/relations amodales/spécifiques, 141-
Éducation, 9. 142.
Effet-tuteur, 74. Innéisme, 25.
Égocentrisme, 174-175. Intelligence, 357.
Élèves handicapés, 461. Intelligence sensori-motrice, 25.
Émotions, 229. Intentionnalité, 150-151.
Empiristes, 22. Interactions dyadiques, 65, 68.
Énergie mentale, 80. Interaction génotype-environnement, 438, 447.
Entretien, 461, 463. Interactions sociales, 59, 61, 65-66, 69, 77.
Épigenèse, 11. Interactions de tutelle, 64.
Épistémologie, 38. Intérêts, 413-418.
Épistémologie génétique, 24. Intérêts professionnels, 485, 491.
Équilibration, 52. Intersubjectivité, 229.
Équivalence, 336, 342. Invariants, 141, 144.
Erreur de pronostic, 350.
Erreur type de mesure, 344-345. Jumeaux, 432.
Essence, 197-198.
Étalonnages, 338-339. Langage égocentrique, 62, 69-71.
Étayage, 65, 72. Loi générale du développement mental, 62-63.
Évaluation, 17.
Event-mapping situation, 154-159. Maladies génétiques, 450.
Event-monitoring situation, 154. Marqueurs (génétiques), 441-442.
Examen psychologique, 464, 466. Maturation biologique, 22.
Expérimentation, 19. MBTI, 392, 395.
Explication, 74. Médiations sémiotiques, 69.
Exploration manuelle, 187. Mémoire, 155, 157, 161.
Extraversion-introversion, 395, 397-400, 404-409, Mémoire de travail, 91, 377-379.
416. Méthodes, 15.
Méthode critique, 110-112.
Facteur g, 361. Méthode d'habituation, 253.
Famille, 235, 245. Méthode de questionnaire, 254, 262.
Fausse-croyance, 76. Méthode génétique, 24.
Fidélité, 340-347, 353-354, 383. Méthode longitudinale, 106-109, 111, 252.
Flexibilité catégorielle, 202. Méthode microgénétique, 112-116.
Fonction développementale, 103-107, 117. Méthode transversale, 106-109, 112, 252-253.
Fonctionnement psychologique, 28. MMPI, 390, 392, 411.
Fonctions mentales supérieures, 62. Modalité sensorielle, 140-141.
Format (des items), 348. Modèle de compétition, 282.
Format d'interaction, 259, 283. Modèle d'équation structurale, 18.
Modèle factoriel, 364-366.
Généralisabilité, 343-344. Modèle de réponse à l'item, 335.
Généralisation de propriétés, 185, 191-192. Modélisation dynamique, 14, 30.
Gènes candidats, 444, 446. Modélisation Rasch, 18.
Genre de discours, 73. Moyen Âge, 9.
Géométries, 164, 170, 179, 183. Mutation (génétique), 424.
Grammaire générative, 279.
Grammaire pivot, 263 - 264, 279. Nativisme, 24-25.
Gravité (principe de), 145. NEO - PI, 392, 405, 408.
Néo-piagétiens, 29, 33.
Habituation, 126-133, 140, 144-145, 147, 158. Neuropsychologie développementale, 14.
Hérédité, 296-298, 310, 314-315. Névrosisme, 395, 398-400, 404-405, 408, 416.
Héritabilité, 436-439. Niveau de mesure, 337.
Historicité, 59. Niveau de base, 186.
Homogénéité, 334, 342-345, 347. Nombre et objet / Fichier d'objet, 155, 159, 161-
162.
Identification visuelle de soi / identification de
l'image du miroir, 206, 217. Observation, 15, 117, 120-125.
Identité (objet), 140, 154, 159. Ontogenèse, 10.
Index thématique I 541

Opérateur M, 81. Social, 226-227, 233, 239, 242-245.


Opérations concrètes, 43. Sociétés savantes, 33.
Opérations formelles, 47. Sociogenèse, 10.
Opérations spatiales, 165, 168. Soi corporel, 216, 225.
Orientation professionnelle, 392, 307-310, 483- Soi écologique, 218.
486, 490. Soi interpersonnel, 216, 225.
Outils psychologiques, 62. Solidité (principe de), 145-146, 148.
Ouverture, 403-409, 413, 416. Stabilité, 333, 341-342.
Stade sensori-moteur, 40.
Pairs, 237-242. Stades, 27-28, 78-80, 94.
Participation guidée, 67-68. Standardisation, 324-325, 341.
Pedigree, 423-425. Structuralisme, 20.
Perception, 166, 168-169. Structure conceptuelle centrale, 96.
Période critique, 275-276. Structure de contrôle, 89.
Permanence (objet), 140, 143-144, 146-147, 152. Système complexe, 20.
Persévération, 153. Système de référence spatiale, 171, 177, 179.
Phonème, 248, 252, 254, 259-261. Système exécutif, 101.
Phrase canonique, 264. Système magno-cellulaire/parvo-cellulaire, 157.
Phrase réversible, 266-267.
Phylogenèse, 10. Technique de choix préférentiel, 142, 162.
Pragmatique, 59, 71, 77, 270-272, 274-275, 282- Tempérament, 388, 397.
284. Temps de fixation relatif; 125-126, 186-188.
Préformisme, 21. Tendances de réponse, 330.
Procédurale, 244. Test d'intelligence, 358, 368, 372-376.
Production holophrastique, 261. Théorie de l'esprit, 285.
Psychologie culturelle, 60-61. Théorie de l'information, 249-250.
Psychologie évolutionniste, 26. Théories nativistes, 22.
Psychologie individuelle, 301, 303. Touchers séquentiels, 188.
Psychologie interculturelle, 60. Trait sémantique, 269-270.
Psychologue du travail, 494. Traitement de l'information, 280-283.
Psychopathologie développementale, 14. Traits (de surface, de source), 402.
Transfert intermodal, 141, 162.
QI, 361, 363, 372, 385, 424-431, 443. Transgression des attentes, 144.
Q-,sort, 324, 331. Tri libre, 194.
QTL, 440-441, 443. Troubles du langage, 275.
Questionnaires, 17. Tutelle, 233-234, 241.
Type (modal ; idéal, général, fonctionnel), 391,
Rased, 462. 395-396, 402.
Reconnaissance de soi dans le miroir, 206.
Renaissance, 9. Unicité (objet), 140.
Représentation de soi, 223. Universalité, 25.
Représentation spatiale, 168.
Retards mentaux, 424, 443, 451. Valeurs, 414, 416.
Routines, 234. Validité, 383-384.
Validité critérielle, 347-349, 353.
Schéma corporel, 176-177. Validité de contenu, 347-348.
Schème, 79-83. Validité théorique, 347, 354.
Sélection naturelle (théorie de la), 294. Variabilité, 29.
Sélection professionnelle, 308-309. Vicariants (processus), 320.
Sémantique, 264, 266-270, 275-284. Vie entière, 13.
Signifiant, 267-269. Vitesse de traitement, 93, 370, 377-378.
Signification littérale, 271.
Signifié, 267-268, 284. What et where, 157-159.
Simulations connexionnistes, 20.
Singes (langage), 275-277. Zone proximale de développement, 61-62, 283.
table des matières

Avant-propos 1
par Serban lonescu et Alain Blanchet

Introduction 3
par Jacques Lautrey

PREMIÈRE PARTIE
Psychologie du développement

1. Histoire et évolution de la psychologie du développement 7


par Henri Lehalle

A - La construction de l'objet d'étude : des préoccupations éducatives à


l'idée d'une ontogenèse psychologique 7
I - L'enfance et l'idée d'enfance dans l'Antiquité 8
Il - Les discours sur l'enfance liés aux discours sur l'éducation 9
III - La centration sur l'enfant en développement 10
IV - L'évolution du concept de développement 13
V - Conclusion et transition 15

B - L'évolution des méthodes : des chroniques discursives aux techniques


productrices de phénomènes 15
I - L'observation et la catégorisation des comportements 15
Il - Les questionnaires, la mesure et l'évaluation d'un niveau de
développement 17
III - Expérimentation et comparaisons 19
IV - Modèles et simulations du développement 20
V - Conclusion et transition 20

C - Les théorisations du développement : dépasser les ancrages tra-


ditionnels 21
I - Les trois positions traditionnelles et leurs origines historiques :
préformisme, associationnisme, constructivisme 21
544 I Psychologie du développement et psychologie différentielle

Il - Le débat constructivisme/nativisme/évolutionnisme 24
III - L'évolution des concepts : exemple de la notion de stade 27
IV - Les incertitudes et ouvertures actuelles 30
V - Conclusion et transition 31

D - Les déterminants sociohistoriques de l'évolution des connaissances 31


I - Les circonstances historiques : hasard et nécessité 32
Il - Les rencontres et confrontations délibérées 32
III - Les demandes sociales 33

E - Conclusion : situer la psychologie du développement 35

2. Quelques grandes théories du développemenit cognitif 37

A - La théorie piagétienne 37
par Jacqueline Bideaud
I - Les trois ancrages de la théorie 38
Il - Les stades de développement 40
III - L'équilibration des structures et les mécanismes du développe-
ment 52
IV - Limites et apports de la théorie 55

B - Culture et développement cognitif : les théories néo-vygotskiennes 58


par Michel Deleau
I - Le statut des variables sociales, historiques et culturelles dans
l'analyse du développement 58
Il - Psychologie interculturelle ou psychologie culturelle ? 60
III - Le rôle des activités sociales 61
IV - Médiations sémiotiques et développement de la pensée 69
V - Conclusion : portée et limites actuelles de la perspective 77

C - Les théories néo-piagétiennes 78


par Jacques Lautrey
I - La théorie de Pascual-Leone 79
Il - La théorie de Case 89
III - Discussion 100

3. Les méthodes de la psychologie du développement 103


par Marie-Germaine Pêcheux

A- Mesurer le développement 106


I - Méthode transversale et méthode longitudinale 106
Il - La méthode critique piagétienne 110
III - La méthode microgénétique 112
IV - Conclusion 117

B - Étudier le développement avant 3 ans 117


I - Le répertoire des réponses 118
Il - L'observation 120
III - Le temps de fixation relatif 125
Table des matières I 545

IV - L'habituation 126
V - Le conditionnement 133
VI - Conclusion 136

4. Le développement des représentations du monde physique 139

A - Développement de la représentation des objets 139


par Arlette Streri
- Définition et propriétés des objets 139
Il - Les coordinations intersensorielles 140
III - La permanence de l'objet dans la théorie de Piaget 143
IV - L'apport des recherches récentes sur le nourrisson 144
V - Rechercher un objet caché 150
VI - L'erreur du stade IV ou erreur A non B 153
VII - Individualisation vs Identité des objets 154
VIII - Conclusions 162

B - Le développement des représentations de l'espace 163


par Marie-Germaine Pêcheux
I - La spécificité des traitements spatiaux 163
Il - La multiplicité des référentiels spatiaux 171
III - Conclusion 183

C - Le développement des catégories d'objets 184


par Agnès Blaye
I - Différents niveaux de catégorisation : la vision de Eleanor Rosch 185
Il - Catégorisation chez le bébé 186
III - Catégorisation d'objets et lexique 192
IV - Catégorisation d'objets fabriqués, catégorisation d'objets vi-
vants : rôle des domaines 196
V - Catégories taxonomiques, catégories thématiques :
différentes formes d'organisations conceptuelles 199
VI - Développement de la flexibilité catégorielle 202
VII - Pour conclure 203

5. Genèse de l'identité et rôle des interactions sociales 205

A - Le développement de la représentation de soi et de l'identité 205


par Anne-Marie Fontaine
- Une expérience phare : l'identification de l'image visuelle de soi 205
Il - De l'identification visuelle à un modèle intégratif de la conscience
de soi 214
III - Le développement de la conscience de soi dans la petite enfance 218
IV - Le développement de la représentation de soi dans l'enfance (2-
11 ans) 223
V - Conclusion 225

B - Rôle affectif et cognitif des interactions sociales 226


par Chantal Zaouche-Gaudron
- Données introductives : rôle de l'autre, affect et cognition 226
Il - Genèse des relations sociales 227
546 I Psychologie du développement et psychologie différentielle

III - Milieux et interactions parents-enfants 230


IV - Interactions entre pairs 237
V - Conclusion 245

6. Développement de la communication et du langage 247


par Josie Bernicot et Alain Bert-Erboul
Introduction 247

A - Quelques repères historiques 247


I - Le langage 247
Il - La communication 249

B - Les méthodes de recherche 252


I - Caractéristiques communes des méthodes pour l'étude du lan-
gage et de la communication 252
Il - Caractéristiques des méthodes pour l'étude du langage 253
III - Caractéristiques des méthodes d'étude de la communication 256

C - Les étapes du développement de la communication et du langage 257


I - La communication pendant la petite enfance (0-1 an) 258
Il - Le développement phonologique : l'apprentissage des sons et
des patterns de sons (vers les premiers mots) 259
III - Le développement de la morphologie et de la syntaxe :
apprendre à mettre les mots ensemble 262
IV - Le développement sémantique : l'apprentissage de la significa-
tion des mots 267
V - Le développement de la pragmatique : apprendre à utiliser le lan-
gage en contexte 270

D - Les théories du développement de la communication et du langage 274


I - Les bases biologiques du langage 275
Il - La perspective behavioriste 277
III - La perspective linguistique nativiste 279
IV - La perspective cognitive : le constructivisme et le traitement de
l'information 280
V - La perspective interactionniste sociale 283
VI - Conclusion 285

DEUXIÈME PARTIE
Psychologie différentielle

7. Origines et évolution de la psychologie différentielle 289


par Miche! Huteau

A - Le contexte scientifique et social à la fin du xixe siècle 290


I - Le contexte scientifique : l'associationnisme 290
Il - Le contexte social 291
Table des matières I 547

B - Les fondateurs de la psychologie différentielle 293


I - Autour de Wundt, en Allemagne 293
Il - Galton en Angleterre 294
III - Deux élèves de Wundt et de Galton : Cattell aux États-Unis et
Spearman en Angleterre 298
IV - Binet en France 300

C - Les développements de la psychologie différentielle : du début des


années 1920 aux années 1960 305
I - Les applications de la psychologie différentielle 305
Il - Les tests 310
III - Les thèmes de recherche 313

D - Psychologie différentielle et psychologie générale 316


I - Le divorce entre la psychologie générale et la psychologie
différentielle 316
Il - L'interaction entre dispositions et situations 317
III - L'intégration entre le point de vue général et le point de vue
différentiel 319

8. La méthode des tests 323


par Miche! Huteau

A - Observation et mesure 324


I - Une observation standardisée 324
Il - Les items 326
III - Les tendances de réponse 330
IV - Niveau de difficulté des items 331
V - Les dimensions 331
VI - Le statut métrique de la mesure 334
VII - Les étalonnages 338

B - La fiabilité des mesures 340


I - Le coefficient de fidélité 340
Il - La stabilité ou constance 341
III - L'équivalence et l'homogénéité 342
IV - La généralisabilité 343
V - L'erreur type de mesure 344
VI - Les facteurs qui affectent la fidélité 345

C - La validité des observations 347

I - La validité de contenu 347


Il - La validité critérielle 348
III - L'erreur de pronostic 350
IV - Facteurs affectant la validité critérielle 353
V - La validité théorique 354
548 I Psychologie du développement et psychologie différentielle

9. L'approche différentielle de l'intelligence 357


par Jacques Lautrey

A - Les modèles unidimensionnels de l'intelligence : Binet et Spearman 359


I - Le Binet-Simon 359
Il - Le facteur g de Spearman 361
B - Des modèles unidimensionnels aux modèles multidimensionnels de
l'intelligence 363
I - L'évolution des modèles factoriels 364
Il - L'évolution des échelles d'intelligence : l'exemple des échelles de
Wechsler 372
III - Conclusion 385

10. L'approche différentielle de la personnalité 387


par Pierre-Yves Gilles

Introduction 387
A - Concepts et méthodes dans l'étude de la personnalité 388
I - Conceptions communes et préscientifiques 388
Il - L'étude de la personnalité en psychologie 389
III - L'évaluation de la personnalité 392
IV - Résumé 393
B - H. J. Eysenck : la personnalité décrite en termes de types, de traits et
de processus 394
I - Cadre général des travaux de H. J. Eysenck (1916-1997) 394
Il - Approche typologique 395
III - Approche physiologique 397
IV - Approche structuraliste : des types aux traits 400
C - Cattell , les approches lexicales, et le modèle en cinq facteurs 401
I - Les travaux de Cattell (1905-1998) 401
Il - Le modèle des Big Five 404
III - Les facettes de la personnalité 408
IV - Au delà des facettes : l'exemple des déclinaisons de l'Anxiété 410
D - Traits de personnalité et autres dimensions des différences indi-
viduelles 413
I - Personnalité et intérêts 413
Il - Les relations entre intérêts et personnalité 416
III - Personnalité et intelligence 417
IV - Conclusion 418

11. Cognition et génétique 421


par Michèle Carlier

A - Introduction 421

B - Les méthodes « classiques » visant à mettre en évidence (et à disso-


cier) les facteurs génétiques et les facteurs d'environnement 422
I - Méthode du risque 422
Il - Méthode des adoptions 425
III - La méthode des jumeaux 432
Table des matières I 549

C - Le séquençage du génome humain et le renouveau de la probléma-


tique : passage de l'héritabilité aux gènes de susceptibilité 440
I - Recherche de gènes liés à des traits quantitatifs (ou méthode
de QTL, de l'anglais Quantitative Trait Loci) 440
Il - La recherche de gènes candidats 444
D - Les interactions entre les gènes et les environnements, les interactions
entre gènes 447
I - L'interaction génotype environnement 447
Il - Les interactions entre gènes 450
III - Conclusion 450
E - Études de personnes porteuses de maladies génétiques 450
- Principe général 450
Il - Des profils psychologiques différents 451
F - Conclusion générale 452

TROISIÈME PARTIE
Les professions

12. Les professions de la psychologie de l'enfance 457

A - Les psychologues scolaires 457


par Georges Cognet
- Les débuts de la psychologie scolaire 457
Il - Le psychologue scolaire 460
III - Un psychologue de l'enfance à l'école : spécificités de sa fonction 463
IV - Un psychologue expert 467
V - Devenir psychologue scolaire 467
VI - L'avenir de la psychologie scolaire 469

B - Les psychologues de l'enfance dans les institutions de santé 470


par Claire Meljac
- La santé des enfants : un monde qui fascine 470
Il - Du rêve à la réalité : quelques informations 471
III - Dérive ou itinéraire raisonné ? 472
IV - Propositions provisoires de formation à l'intention d'étudiants
désirant se spécialiser dans le domaine de la santé mentale de
l'enfant 473
V - Les lieux principaux d'intervention du psychologue 475
VI - Profils d'activités professionnelles des psychologues 478
VII - En conclusion 480

13. Les professions de la psychologie de l'adolescent et de l'adulte 483

A - Les conseillers d'orientation 483


par Michel Huteau
- La diversification des métiers du conseil en orientation 484
Il - Les conseillers d'orientation-psychologues du ministère de
l'éducation nationale 485
550 I Psychologie du développement et psychologie différentielle

III - Les conseillers en insertion professionnelle des Missions locales


et des Permanences d'accueil et d'information (PAIO) 488
IV - Les psychologues du travail de l'AFPA 490
V - Les conseillers bilan des Centres interinstitutionnels de bilans de
compétences 491
VI - Les conseillers à l'emploi de l'Agence nationale pour l'emploi 493

B - Le psychologue du travail 494


par Xavier Caroff et Vincent Rogard
I Bref historique de la psychologie du travail en France
- 494
Il - Diversité des débouchés professionnels 495
III - La formation des psychologues du travail 503

Bibliographie 509

Lexique 531

Index des auteurs 534

Index thématique 534


Cet ouvrage a été mis en pages
par MD Impressions
41100 Vendôme

Imprimé en France
par CPI France quercy
Z.A. des Grands Camps
46090 Mercuès

Numéro d'impression : 91635/C


Dépôt légal : octobre 2009

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