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Psychologie
de
la mémoire
Histoire, théories, expériences
© Dunod, Malakoff, nouvelle présentation, 2021
www.dunod.com
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
ISBN 978-2-10-082763-3
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS 1
CHAPITRE 1 HISTORIQUE 5
5 L’oubli 199
5.1 Les interférences 199
5.1.1 L’interférence rétroactive 199
5.1.2 L’interférence proactive 200
5.1.3 Transfert et interférence 201
5.2 Oubli et mécanismes de récupération 204
5.2.1 L’oubli des indices 204
5.2.2 L’oubli des épisodes 207
6 Abstraction et oubli épisodique 207
6.1 Interférence épisodique et facilitation générique 207
6.2 Oubli épisodique et genèse des idées 209
BIBLIOGRAPHIE 277
1. Merci à Catherine Pichot du service de documentation pour cette recherche statistique sur Psy-
Info.
2 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
6 000 mémoire
apprentissage
5 000
Nombre de publications par an
4 000
3 000
2 000
1 000
0
67-77 78-87 88-97 98-04
Figure 1
Évolution explosive du nombre de publications sur la mémoire
et l’apprentissage (années 1967 à 2004)
HISTORIQUE
1 LA MÉMOIRE DANS L’ANTIQUITÉ
est déifiée. Mnémosyne, fille d’Uranus avait un tel charme que Zeus, maître
de l’Olympe, s’unit à elle durant neuf nuits : Zeus « aima encore Mnémosyne
aux beaux cheveux, et c’est d’elle que lui naquirent les neuf Muses au ban-
deau d’or »1. Chacune des muses présidait à un domaine de la connaissance,
Clio pour l’Histoire, Euterpe pour la Musique… Mnémosyne restait près de
Zeus et lui contait les victoires des Dieux contre les Titans ; elle avait une
telle mémoire qu’elle avait la capacité de se souvenir des poèmes et des chansons
1. Merci à ma fille Natacha qui m’a fait connaître le texte d’Hésiode et à Suzanne Allaire, profes-
seur de grec ancien, qui m’a traduit plusieurs termes.
8 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Cette méthode, appelée la méthode des lieux (ou des « loci »), a donc été
la première technique pour aider la mémoire. Cette méthode consiste à trans-
former en images les éléments que l’on doit apprendre et à placer chacune
d’elles dans un lieu selon un itinéraire bien connu et représenté mentalement.
Pour rappeler tous les éléments dans l’ordre, il suffit de refaire mentalement
le trajet et de découvrir l’image qui a été placée en chaque lieu (cf. chap. 4,
§ 7.1.4).
Telle est la méthode qui eut, comme nous le verrons, un immense succès
de l’Antiquité jusqu’à la Renaissance, sauf chez quelques réfractaires comme
le général athénien Thémistocle, vainqueur des Perses à Salamine et qui,
refusant à Simonide sa proposition de lui enseigner l’art de la mémoire, lui
aurait répondu qu’il préférait qu’on lui enseignât l’art de l’oubli !
Cependant, la mnémotechnie était certainement plus ancienne et en tout
cas plus répandue, puisque d’autres témoignages concernent un savant de
l’époque de Simonide et de Socrate (Ve siècle avant notre ère) : Hippias.
Platon nous raconte que Socrate s’écrie à propos d’Hippias « Ah ! j’oubliais,
je crois, la mnémotechnie, dont tu te fais le plus d’honneur ». Hippias était,
en effet, capable de citer cinquante noms dans l’ordre et donnait des confé-
rences à Sparte sur toutes sortes de sujets. L’un de ses procédés, toujours
actuels, était de ramener un mot nouveau à quelque chose de connu par une
association phonétique : « pyrilampe » à « feu » (pyro), ou sémantique :
« Pour le courage, rapporte toi à Arès… » (Simondon, 1982, pp. 184-186).
Les idées sur la mémoire sont plus étendues chez les savants de l’Antiquité.
Le grand philosophe Platon (427-347 av. J.-C.) était opposé à la conception
d’une aide artificielle de la mémoire (les méthodes), car, pour lui, il existe
une connaissance virtuelle, témoin des réalités que l’âme connaissait avant
de prendre une forme matérielle sur terre. Par exemple, l’idée d’égalité n’a
pas été apprise, elle est une réminiscence divine. Toute évocation n’est que
réminiscence d’une vie antérieure de l’âme. On est d’ailleurs frappé par la
similitude entre cette philosophie de Platon et la métempsycose, c’est-à-dire
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
[…]. La même chose est arrivée avec « l’œuf ». Il s’était confondu avec la
blancheur du mur contre lequel il était placé. Comment distinguer un œuf
blanc sur un fond blanc ? C’est ainsi que le dirigeable gris s’était confondu
avec la chaussée grise… En ce qui concerne « l’étendard rouge », je l’avais
appuyé contre le mur du Mossoviet qui est rouge, comme vous le savez et je
ne l’ai pas remarqué en passant… Quant à « poutamené, je ne sais ce que
c’est… c’est un mot très sombre et je n’ai pu le distinguer, le réverbère était
loin… (Luria, 1970, p. 37)
[…] mais il offrira moins d’utilité pour apprendre par cœur les parties d’un
discours suivi. Car les pensées n’ont pas comme les objets des images pro-
pres. » Dans ce conseil, nous verrons que Quintilien est un précurseur de
recherches modernes qui montrent que les mots abstraits sont moins faciles
à mémoriser à cause d’une faible imagerie. Après avoir examiné d’autres
méthodes, apprendre en murmurant, apprendre sur la même page, etc.,
Quintilien conclut en insistant sur l’analyse logique et l’exercice :
Le moyen presque unique, exception faite de l’exercice, le plus puissant de
tous, c’est la division et aussi l’agencement harmonieux des mots… Un dis-
cours est-il trop long pour être confié à la mémoire, on se trouvera bien de
14 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
l’apprendre par parties. Mais que ces parties ne soient pas trop courtes, autre-
ment elles deviendront à leur tour trop nombreuses. Pour ce que nous avons
trop de peine à retenir, il n’est pas inutile d’y attacher quelques marques pour
que le souvenir serve à rafraîchir et à stimuler la mémoire… une ancre si c’est
d’un navire qu’il faut parler, un javelot si c’est d’un combat.
rantisme. Ainsi, Rome détruit en 410 par Alaric roi des Wisigoths, ce n’est
qu’en 1416 que le livre de Quintilien sera retrouvé (Yates, 1975). La pre-
mière Bible étant imprimée par Gutenberg en 1456, le texte de Quintilien
sera publié en 1470. Dans la sombre époque du Moyen Âge, où ne subsis-
taient que des traditions orales, Alcuin, théologien anglo-saxon (735-804)
répond aux questions de Charlemagne sur la mémoire en disant : « La
mémoire est la salle au trésors de toutes les choses » (Yates, 1975). Le plus
souvent, ce sont les hommes d’Église, les moines notamment, qui assurent
par tradition orale, la transmission de quelques connaissances ; les opuscules
les plus anciens sur la mémoire sont les notes du moine franciscain Roger
Bacon datant de 1274 (bibliothèque d’Oxford) et de Bradwardini, évêque de
16 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Figure 1.1
Exemple de rotules utilisées pour crypter des messages secrets
(Steganographia, Trithème, Cologne, 1635)
HISTORIQUE 17
e
m éthé
Pro cure
Mer
s de
ale
nd q ue
t
Sa ban
Le et
haé
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Pa taure
le ne s
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s Go
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cav
La POLLON
S A MA
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RE J
UP
U
RC
ITE
ME
Les 7 piliers de
SAT
DIANE
la maison de la Sagesse
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
LUNE
URNE
de Salomon
Figure 1.2
Théâtre de la mémoire de Giulio Camillo
(d’après Yates, 1975)
la cire). Les Sceaux, parus en Angleterre en 1584, sont une tentative de syn-
thèse de tous les systèmes mnémoniques connus. Il y a trente sceaux : le
sceau n° 1 est la mémoire et l’imagination dont les vastes replis peuvent fournir
des lieux pour les images (c’est la méthode des lieux). Le sceau n° 8 est « le
ciel » : pour pouvoir graver l’ordre et la série des images du ciel, il faut diviser
le ciel en douze parties comme un horoscope ; le sceau de la « chaîne » doit
aller de ce qui précède à ce qui suit (allusion à Aristote), etc.
3 DESCARTES ET L’ASSOCIATIONNISME
ANGLAIS : LE PRIMAT DE L’IDÉE
4 LA MNÉMOTECHNIE
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9
s t n m r l ch k f p
z d gn j gu v b
ç ge qu
Tableau 1.1
Code chiffre lettre d’Aimé Paris (1825)
Remarque : on prononce les sons consonantiques, ex. « je » et non « ji ».
En remplaçant les chiffres par des consonnes selon le code (tab. 1.1) et en
comblant par des voyelles de son choix, on peut coder des nombres par des
mots plus faciles à apprendre. Par exemple, si l’on veut se rappeler la date du
livre d’Ebbinghaus, on pourra coder 85 (les deux derniers chiffres) par
« vieille » et faire la phrase clé « le livre d’Ebbinghaus est la plus vieille
étude de la mémoire ». Le développement de ces procédés a connu un très vif
succès comme en témoigne la parution de nombreux traités ou manuels de
mnémotechnie (Lieury, 1996). Ces procédés ont d’ailleurs un certain intérêt
théorique car ils correspondent à une réalité des mécanismes (ex. indices de
récupération) que les universitaires ont trop mésestimé, à l’instar de Descar-
tes pour l’image. Mais ces procédés ont le tort de privilégier des liaisons pho-
nétiques et jeux de mots (ex. le mot « vieille » n’a qu’un rapport sémantique
très secondaire avec les recherches d’Ebbinghaus), au détriment de la séman-
tique qui apparaît dans les études contemporaines comme l’aspect le plus
important de la mémoire.
5 L’ÉTUDE EXPÉRIMENTALE
DE LA MÉMOIRE
1 115 – 892
--------------------------------- × 100 = 21%
1 115 – ( 85 )*
*85 est le temps de récitation qu’il enlève au dénominateur, puisque les deux
temps de récitation se soustraient au numérateur.
100
Pourcentage d’économie
80
60
40
20
0
0 1j 2j 4j 6j 15 j 31 j
Figure 1.3
Courbe d’oubli d’après les expériences historiques d’Ebbinghaus
sur lui-même par la méthode d’économie
(d’après Ebbinghaus, 1885)
5.2 Le béhaviorisme
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Vers les années 1920, l’Américain John Watson jette les bases d’une psycho-
logie scientifique, opposée à la philosophie, basée sur l’observation des compor-
tements observables et rejetant l’observation des états d’âme, l’introspection.
Ce courant, appelé par Watson le « béhaviorisme » (behavior : comporte-
ment), a pour source d’inspiration le conditionnement. Rejetant le terme de
mémoire, trop mentaliste, les béhavioristes préfèrent celui d’apprentissage
pour désigner la modification du comportement. Le modèle de tout appren-
tissage est le conditionnement qui se présente formellement comme une
association entre stimulus et réponses. De la même manière que le son est
26 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
5.2.1 Le couple
Le couple S-R (stimulus-réponse) est dans cette conception l’association
minimale, l’« atome » de l’apprentissage. Reprenant une technique inventée
par Mary Calkins (cf. infra chap. 6), la méthode des couples (paired associates),
ou paires associées – ce qui est un pléonasme –, sera dès lors utilisée dans des
milliers d’expériences avec des variantes et des raffinements qui tiennent de
l’art des échecs. Le stimulus peut être, à l’instar d’Ebbinghaus, une syllabe
ou un mot, il en va de même pour la réponse avec des complications multiples.
Mais, en fait, le couple n’est ni l’unité de l’apprentissage, ni son mécanisme
le plus simple.
Le couple n’est pas l’unité d’apprentissage, et nous verrons que l’unité de
la mémoire est plutôt un bloc d’éléments supérieur à 2. De même, l’association
par répétition, comme dans le conditionnement, n’est pas le mécanisme le
plus primitif. Le gestaltiste Wolfgang Kohler a critiqué les thèses béhavioristes
en faisant remarquer que, dans l’apprentissage de couples de mots, tels que
« chaussure-assiette, fille-kangourou », le sujet d’expérience imagine des phrases
ou des images, par exemple « une chaussure dans une assiette » ou « une
petite fille donnant à manger à un kangourou ». L’apprentissage n’est donc
pas basé sur des associations conditionnées, mais mobilise des processus
mentaux supérieurs de type linguistique ou imagé (cf. chap. 4 à propos des
mécanismes d’organisation).
Mais une difficulté énorme surgit bientôt : où est le stimulus ? Deux grou-
pes de théoriciens s’affrontent. Les uns pensent que le stimulus est l’élément
(mot ou syllabe) précédent, un élément étant à la fois le stimulus pour l’élé-
ment suivant et la réponse pour l’élément d’avant, c’est l’hypothèse de la
chaîne. Quel est alors le premier stimulus : le contexte (la salle d’expérience,
etc.) ? Pour les autres, le stimulus n’est pas visible, c’est la célèbre distinc-
tion entre stimulus nominal (celui qu’on voit) et stimulus fonctionnel (celui
qui est utilisé dans l’apprentissage sans que le sujet en soit conscient), et c’est
le numéro de l’élément dans la série : c’est l’hypothèse de la position ordi-
nale. Pour les deux théories, l’expérimentation montre de nombreuses invrai-
semblances. Par exemple, dans l’hypothèse de la chaîne, la série devrait être
acquise si l’on fait apprendre toutes les combinaisons stimulus-réponse dans
un apprentissage de paires : XYG-TAG, TAG-ZEM, ZEM-BOP… Mais,
l’apprentissage sériel requiert encore de nombreuses répétitions !
La seconde théorie, « série-ordre » n’est pas plus heureuse. Dans cette
hypothèse, l’apprentissage par moitié devrait être facilitant (transfert dans la
terminologie associationniste) ; par exemple, soit une liste test symbolisée
par des lettres « A, B, C, D, E, F, G, H » et une liste de remplissage symboli-
sée par des chiffres « 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 » : le groupe expérimental apprend
« A, B, C, D, 1, 2, 3, 4, », puis une liste « 5, 6, 7, 8, E, F, G, H », ce qui est le
bon ordre pour la liste test (A à H). L’inverse est fait pour un autre groupe
« 1, 2, 3, 4, A, B, C, D », puis « E, F, G, H, 5, 6, 7, 8 » qui est un mauvais
ordre pour la liste test. Enfin, un groupe contrôle apprend une liste neutre.
Les trois groupes apprennent enfin la liste test. Le groupe expérimental
devrait être supérieur aux deux autres, mais ce n’est pas le cas : le groupe
« ordre inversé » apprend aussi vite que le groupe « bon ordre », les deux
restant supérieurs au groupe contrôle.
Enfin, les deux hypothèses se heurtent à une difficulté insurmontable :
l’asymétrie de la courbe. Ces difficultés seront résolues dans la perspective
du traitement de l’information, lorsque les recherches auront montré que
l’apprentissage en plusieurs essais d’une série repose sur une multiplicité de
mécanismes qu’il faut dissocier.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Abeille Laine
Tableau 1.2
Exemples d’associés au mot associant « abeille »
pour un groupe d’étudiants (n = 297)
(Lieury, Iff et Duris, 1976)
Tableau 1.3
Comparaison de réponses associatives d’enfants et d’adultes
(extrait de Woodworth, 1949)
nismes d’organisation (cf. chap. 4). Mais leur référence au modèle de forces
électriques n’est pas pertinente. Les neurophysiologistes Lashley, Sperry et
Pribram mettent en effet en évidence que des perturbations électriques
(feuilles métalliques, isolants ou substances chimiques) dans le cerveau du
singe n’empêchent ni l’apprentissage ni la rétention de formes visuelles.
Tableau 1.4
Effet de la technique de rappel sur l’évolution du souvenir
(Hanawalt, 1937 ; d’après Woodworth, 1949)
Par ailleurs, l’idée que le souvenir évolue vers des formes d’équilibre
repose parfois sur des erreurs dans la technique de mesure du souvenir. La
stabilité jusqu’à 8 semaines dans le rappel de figures n’apparaît que dans la
technique de reproductions répétées ; comme les mêmes sujets sont utilisés
pour les rappels intermédiaires (1 et 4 semaines), ils remémorisent et « sta-
bilisent » leur propre souvenir en redessinant les figures à chaque rappel.
Mais si l’on utilise une technique de reproduction unique en employant des
groupes de sujets différents pour tester chaque délai de rappel, on constate
que le souvenir s’appauvrit avec le temps (tab. 1.4). On retrouve donc pour
les figures visuelles la même loi d’oubli mise en évidence par Ebbinghaus
pour les syllabes et non une loi d’équilibre.
MÉMOIRE
À COURT TERME
ET MÉMOIRE
DE TRAVAIL
De l’Antiquité à l’époque du béhaviorisme, la mémoire était considérée
comme une seule entité, ce qu’on retrouve bien dans certaines expressions
« j’ai de la mémoire » ou « je n’ai pas de mémoire ». Seule exception, le neu-
rologue Charcot au milieu du XIXe siècle observe que des lésions n’affectent
que des parties de la mémoire, les mots, les images. L’idée que la mémoire
est spécialisée s’impose : c’est la théorie des mémoires partielles, défendue
notamment par Ribot dans les Maladies de la mémoire (1881). Mais cette
théorie française est oubliée, et le béhaviorisme dominant impose l’idée
d’une mémoire constituée d’un unique réseau associatif : de nouveau, il n’y a
qu’une mémoire. Dans cette mémoire, l’apprentissage est progressif, consti-
tué de nombreux essais, mais à l’inverse, l’oubli est lent. De même, on ne se
pose pas de questions sur la capacité de la mémoire, vue comme immense,
ayant comme seule limite le temps d’apprentissage.
Vers les années 1950, des chercheurs, influencés par le traitement de
l’information, mettent en évidence deux grands systèmes de mémoire com-
plètement opposés : la mémoire à court terme, caractérisée par une capacité
limitée de stockage et un oubli rapide, et la mémoire à long terme dont la
capacité est immense avec un oubli progressif, parfois sur plusieurs années
(images par exemple). Norbert Wiener, le fondateur de la cybernétique, est
d’ailleurs le premier à avoir fait cette hypothèse dix ans avant sa démonstra-
tion expérimentale, en comparant le fonctionnement du cerveau à celui de
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
l’ordinateur : « Cette information est stockée sous une forme physique […]
Mais une part l’est sous la forme de mémoires circulantes, avec un support
physique qui s’évanouit lorsque la machine est éteinte […] et une autre partie
sous la forme de mémoires à long terme… » (Wiener, 1948).
36 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
1 LA CAPACITÉ LIMITÉE :
LE NOMBRE MAGIQUE 7
Rappel différé
Rappel immédiat Reconnaissance
(après 2 minutes)
Tableau 2.1
Rappel et reconnaissance sur des mots (moyenne et pourcentages
établis sur 210 lycéens de l’enseignement général)
(Lieury et Pichon, 1991, non publié)
ques secondes. Par exemple, dans l’expérience Peterson, une courte séquence
de 3 consonnes (ex. HBX) est présentée à la cadence de 1 consonne toutes les
demi-secondes, et cette séquence est suivie à la même cadence par un
nombre de 3 chiffres. Le sujet doit compter à rebours, à voix haute, de 3 en 3
au rythme d’un métronome toutes les demi-secondes, par exemple, 357, 354,
351, etc. Cette tâche concurrente (fréquemment appelée « tâche Peterson »)
est destinée à empêcher l’autorépétition, activité spontanée qui consiste à
répéter à voix basse les informations verbales. La durée de la tâche de comp-
tage varie selon les conditions de 0 seconde (c’est le cas particulier du rappel
immédiat) à 18 secondes, chaque séquence de lettres étant différente à
chaque fois.
38 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
100
80
40
20
0
0 3 6 9 12 15 18
Figure 2.1
Oubli à court terme
(d’après Peterson et Peterson, 1959)
4 7
6 1
9 8
0 2
Voici les résultats d’une expérience utilisant cette technique avec des
séquences de 4 chiffres présentés toutes les demi-secondes (Parkinson, 1974).
Le rappel de la séquence « attendue » est rappelé complètement, tandis que
l’oubli apparaît dans la seconde séquence en fonction de la position sérielle
(le 1er, le 2e, etc.) du chiffre dans la séquence « non attendue » :
1er 40 %
2e 45 %
3e 60 %
4e 80 %
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
C’est le début de la séquence qui est le moins bien rappelé, et la fin est
la partie la mieux rappelée. Le premier chiffre a dû rester en mémoire à court
terme plus de temps ; sachant que chaque chiffre est présenté toutes les demi-
secondes, le premier chiffre est « vieux » de 1,5 seconde, puisqu’il y a trois
chiffres qui arrivent après lui (3 fois 0,5 s = 1,5 s) ; de plus, il faut compter le
temps de rappel de la séquence attendue, disons 1 seconde (cf. infra, les
résultats de Fraisse et Smirnov sur le temps de programmation de la réponse
vocale). Au total, le dernier chiffre n’est « vieux » que de 1 seconde, tandis que
le premier chiffre est « vieux » d’au moins 2,5 secondes (1 + 1,5). Le temps
est crucial pour la mémoire à court terme, l’oubli est d’environ 60 % dans un
délai de 2,5 à 3 secondes.
40 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
courbe différée (Waugh et Norman, 1965 ; Martin, 1978), mais ce type d’esti-
mation conduit probablement à sous-estimer la capacité de la mémoire à
court terme, car on peut supposer que les informations de l’effet de primauté
sont à la fois en mémoire à court terme et en mémoire à long terme.
liste 10
Rappel immédiat
liste 20
liste 30
100
Pourcentage de rappel
80
60
40
20
0
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30
Position sérielle
liste 10
Rappel 30 s
liste 20
100 liste 30
Pourcentage de rappel
80
60
40
20
0
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30
Position sérielle
Figure 2.2
Effets sériels en fonction du rappel immédiat ou différé (30 s)
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
correspond à la capacité de la mémoire à court terme, mais que seule une par-
tie, environ 3 à 4 mots, est parallèlement stockée dans un système plus per-
manent, la mémoire à long terme.
120 Libre
Ordre
100
80
Rappel moyen
60
40
20
0
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Position sérielle
Figure 2.3
Modification des effets sériels en rappel libre ou dans l’ordre
(d’après G. Oléron, 1970)
Dans le rappel libre, l’effet de récence est « valorisé », tandis que, dans le
rappel dans l’ordre, c’est l’effet de primauté qui est valorisé. Cela explique
pourquoi dans l’apprentissage sériel des béhavioristes, l’effet de primauté
était plus important, car la consigne était un rappel dans l’ordre, ce qui est de
MÉMOIRE À COURT TERME ET MÉMOIRE DE TRAVAIL 43
Effecteurs
Contrôle
des sorties
Stockage Canal à
Sens Filtre
à capacité limitée
court terme sélectif
Stockage des
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
événements
passés
Figure 2.4
Premier modèle de la mémoire et de l’attention
(d’après D. Broadbent, 1958)
Norman, Lieury, etc.) l’ont par la suite simplifié en ne représentant que deux
systèmes, la mémoire à court terme et la mémoire à long terme, que je quali-
fierai par la suite de modèle des deux mémoires.
L’interprétation des effets sériels se fait bien dans ce modèle simplifié et
adapté à la mémoire (fig. 2.5). Les mots entrent à la file dans la mémoire à
court terme (MCT). Seuls les premiers mots ont le temps d’être enregistrés,
stockés, en mémoire à long terme (MLT), étant donné la vitesse de présenta-
tion (1 à 2 secondes par mot). Au moment du rappel (rappel immédiat), le
sujet n’a dans ses mémoires qu’environ 7 mots (dont 3 sont à la fois en MLT
et MCT) ; en revanche, après un délai de rappel occupé par une tâche annexe,
la mémoire à court terme s’efface et le rappel différé ne repose que sur le
contenu des mots enregistrés à long terme. Reprenant un tel modèle, Mur-
dock, l’inventeur des effets sériels, compare ce processus au tapis roulant qui
amène les bagages dans la soute de l’avion : si le tapis roulant est trop rapide,
les bagages vont être éjectés en bout de course et ne pas être placés dans la
soute (vue comme la mémoire à long terme dans cette analogie).
Entrée des
Informations
Figure 2.5
Interprétation des effets sériels par le modèle des deux mémoires
Dans ce modèle des deux mémoires inspiré de Broadbent, l’idée est que
l’information (ex. une liste de mots) passe d’abord par la mémoire à court
terme, puis est enregistrée en mémoire à long terme. Cependant, le phéno-
mène de reconnaissance (et sa supériorité par rapport au rappel, cf. tab. 2.1)
pose le problème du trajet de l’information en mémoire. En effet, dans la
technique des effets sériels, le rappel immédiat est d’environ 40 % de la liste.
Mais la reconnaissance est en général de 70 %. De même, nous verrons que
MÉMOIRE À COURT TERME ET MÉMOIRE DE TRAVAIL 45
des sujets amnésiques retiennent des informations sans pouvoir les rappeler,
ni les reconnaître (cf. chap. 6 sur la mémoire implicite).
Comment donc expliquer, dans le modèle de Broadbent, que des mots cen-
sés avoir été effacés à court terme ou éjectés, soient « repêchés » en mémoire
à long terme par la technique de reconnaissance (ou par les techniques
de mémoire implicite) ? Une solution est de déplacer le sens du traitement de
l’information, comme l’a proposé le premier Donald Norman de l’université
de Californie à San Diego pour répondre à des problèmes d’attention (cf.
Lieury, 2004). Le modèle est inversé par rapport à Broadbent : l’information
est d’abord traitée puis stockée à long terme, et c’est ensuite que la mémoire
à court terme – et le filtre attentionnel – se situe.
Mémoire explicite
Récupération Reconnaissance
Mémoire
implicite
Organisation
Rappel
Entrée des
informations
Stockage épisodique
(rôle de l’hippocampe)
Figure 2.6
Sens du traitement de l’information dans le modèle des deux mémoires
de la mémoire à long terme pour aboutir dans la mémoire à court terme, qui
a un rôle de planificateur (cf. fig. 2.6). Une fois dans la mémoire à court
terme, les informations sont réarrangées pour repartir en mémoire à long
terme de façon organisée. Le processus de mémorisation consiste donc en
des va-et-vient complexes entre mémoire à court terme et mémoire à long
terme. Sur le plan biologique, l’intervention de l’hippocampe crée une
impression de déjà vu, caractéristique des souvenirs explicites (cf. chap. 6 sur
le vieillissement de la mémoire).
C’est en fonction de son rôle d’organisateur que certains chercheurs don-
nent à la mémoire à court terme le nom de « mémoire de travail » depuis
46 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Simultané Successif
1 200 1 200
900 900
800 800
700 700
600 600
500 500
a 0 1 2 3 4 5
b 0 1 2 3 4 5 6 7 8
Nombre de lettres Nombre de lettres
Successif
Simultané
100 100
Pourcentage de rappel
Pourcentage de rappel
80 80
60 60
40 40
20 20
0 1 2 3 4 5 0 1 2 3 4 5 6 7 8
c Nombre de lettres d
Nombre de lettres
Figure 2.7
Modification de la capacité en fonction du mode de présentation
(adapté d’après Fraisse et Smirnov, 1976)
a. Temps de réaction de la 1re lettre en présentation simultanée
b. Temps de réaction de la 1re lettre en présentation successive
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Les résultats montrent une différence spectaculaire entre les modes de pré-
sentation, simultané ou successif. En successif, on retrouve bien un effet de
« capacité » (qui est ici non pas de 7 mais de 4) visualisé par un plateau sur la
figure (fig. 2.7). Jusqu’à des séries de 4 lettres en successif, les sujets sont
capables de les redonner parfaitement (100 % : fig. 2.7d). Mais, en simul-
tané, ce plateau n’existe pratiquement pas, il n’y a plus de capacité de la
mémoire ! Avec le temps d’émission vocale (temps de réaction de la 1 re lettre
48 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
5 LA MÉMOIRE DE TRAVAIL
case. On mesure l’empan (ou capacité) par le nombre de cases que le sujet est
ainsi capable de mémoriser. Pour l’empan de lettres, on part de deux lettres,
en augmentant d’une à chaque succès. La tâche concurrente spatiale est une
matrice de Brooks (remplir des cases dans un tableau imaginé visuellement).
La tâche concurrente verbale est simplement un calcul arithmétique.
On constate (fig. 2.8) que seules les tâches de même nature se gênent, ce
qui démontre qu’il n’y a pas une seule mémoire à court terme, mais au moins
deux sous-systèmes dans ce cas. Plus récemment, Catherine Loisy et Jean-
Luc Roulin de l’université de Savoie (2003) ont confirmé cette interaction,
en mettant en évidence que le rappel de mots localisés dans les cases d’un
50 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Lettres
100
Visuel
80
Pourcentage de rappel
60
40
20
0
Matrices Comptage
Tâches concurrentes
Figure 2.8
Mise en évidence des deux systèmes esclaves de la mémoire de travail
(d’après Baddeley, 1988)
Tâche principale
Tableau 2.2
Concurrence cognitive entre tâches de ressources variées
(temps de réaction en ms) (d’après Tardieu, 1981)
ment moteur, avec le doigt, on voit qu’il faut 100 ms de plus pour la catégo-
risation sémantique par rapport à la tâche typographique, qui est la plus
simple. Mais ces temps augmentent dès qu’il y a concurrence sauf pour la
tâche typographique (694 et 707 ms ne diffèrent pas significativement dans
un test statistique). La tâche typographique requiert des sous-systèmes qui ne
sont pas utilisés ou peu par l’activité de répétition ou de mémorisation. En
revanche, dès qu’il y a utilisation des aspects phonétiques et plus encore pour
le sémantique (catégorisation), le temps s’allonge jusqu’à 1 087 ms, soit
380 ms de plus lorsqu’il y a mémorisation. Dans la technique de la concur-
rence cognitive, la qualification de « principale » ou de « secondaire » (ou
concurrente) est évidemment conventionnelle, et si l’on s’intéresse à l’inverse
52 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Le fait même que la capacité de la mémoire à court terme soit à peu près
constante, environ 7 dans les conditions usuelles, n’est pas simple à expli-
quer. En réalité, cette constance dépend de la familiarité ; si l’on fait appren-
dre une série de mots à des Asiatiques ne connaissant pas ou peu le français,
le rappel ne sera pas de 7, et inversement, nous serions incapables de repro-
duire 7 mots chinois après une seule présentation. Comme l’a montré Sté-
phane Ehrlich de l’université de Poitiers (1972), le rappel est relativement
constant, quelle que soit la longueur du mot, voire la longueur de la phrase,
dès lors que chaque unité, mot ou phrase, est familière. L’auteur utilise la
technique de la mémoire immédiate et présente des séries de 10 éléments.
Selon différents groupes de sujets, les éléments sont des mots de 2, 3 ou
4 syllabes ou des phrases de 2, 3 ou 4 mots.
Dans tous les cas (tab. 2.3), on observe une relative constance dans le rap-
pel immédiat de mots ou de phrases, alors que le nombre total de syllabes ou
de mots augmente, par exemple jusqu’à environ 24 mots pour les phrases de 4
(6 phrases x 4 mots = 24). Sur le plan pratique, il apparaît donc que la capa-
cité de la mémoire en situation de mémorisation immédiate est plus déterminée
MÉMOIRE À COURT TERME ET MÉMOIRE DE TRAVAIL 53
par le nombre d’unités familières que par des informations strictement défi-
nies. Mais sur le plan théorique, cette capacité tour à tour constante ou élas-
tique constitue évidemment un paradoxe. Une solution est apportée par la
théorie des mécanismes de récupération (cf. chap. 5) : la mémoire à court
terme fonctionnerait comme une mémoire fichier, en ne stockant pas les
informations en soi mais un indice par groupes d’informations. Ce fonction-
nement serait analogue à celui du fichier de la bibliothèque (ou d’un ordina-
teur) qui stocke une fiche par livre. Que le livre comporte cent ou mille
pages, la fiche ne prend qu’une seule place…
2 3 4
Tableau 2.3
Nombre de mots ou phrases rappelés en rappel immédiat
en fonction du nombre de syllabes ou de mots qui les composent
(d’après Ehrlich, 1972)
L’ARCHITECTURE
MODULAIRE
DE LA MÉMOIRE
Entre le moment où les informations sont captées sous forme d’énergie phy-
sique (photons, pressions des molécules de l’air, etc.) et le moment où nous
les rappelons sous forme de souvenirs, ces informations subissent de très
nombreuses transformations que l’on appelle codage, dans la perspective du
traitement de l’information. Les étapes de codage sont extraordinairement
variées, et la mémoire apparaît éclatée en nombreux sous-systèmes à l’instar
de l’ordinateur. Sans entrer dans le détail de codes spécifiques à certaines
activités (lecture ou langage, Jamet, 1997 ; Gineste et Le Ny, 2002), il existe
des grandes étapes de traitement au niveau de sous-systèmes ou modules
caractérisés par quelques grandes catégories de codes, qui vont des codes
sensoriels à des codes plus abstraits comme le code lexical ou sémantique.
Chaque code a ses caractéristiques, en particulier une durée de vie différente,
et tout comme la musique n’a pas les mêmes caractéristiques, par exemple de
fréquence, de durée de vie, de dynamique, sur un disque, une cassette ou un
disque laser, la mémoire au sens d’une conservation de l’information peut
être considérée en définitive comme l’ensemble de toutes les informations
codées.
Les informations sont tout d’abord codées au niveau des systèmes sensoriels,
par exemple la rétine, le thalamus et le cortex occipital pour la vision, et cer-
tains traitements sont assez longs pour produire une durée mesurable, ce sont
les mémoires sensorielles.
58 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
12
Sombre
Total
10
Clair
0
0 1 2 3 4 5
Délai du signal de rappel (s)
Figure 3.1
Le déclin plus ou moins rapide en fonction de l’éclairement
démontre la nature visuelle du stockage
(d’après Averbach et Sperling, 1961)
Report partiel
Report total
Rangée Couleur Phonétique
75 % 67 % 50 % 57 %
Tableau 3.1
Supériorité du report partiel pour les conditions visuelles
(d’après Coltheart et coll., 1974)
60 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Le stockage du report partiel est bien sensoriel et visuel, car le report par-
tiel n’est supérieur au report total que pour l’information de nature visuelle,
rangée spatiale et couleur mais non pour l’information phonétique (tab. 3.1).
Le codage phonétique de l’information ne se fait que dans des étapes ulté-
rieures.
À quel niveau de traitement neurobiologique correspond la mémoire ico-
nique? Certains auteurs l’ont identifié comme étant la rétine en faisant un
parallèle avec la persistance rétinienne (Sakitt, 1976) ; mais les effets consé-
cutifs feraient que l’icône serait de couleur complémentaire (blanc sur noir
pour des lettres noires sur fond blanc), ce qui n’est pas le cas. Une hypo-
thèse de l’implication du cortex cérébral, par une équipe italienne de
l’université de Pise, est plus vraisemblable (Marzi et coll., 1979). Par une
technique particulière, des lettres ou des formes sont présentées dans la tech-
nique de Sperling à un hémichamp visuel. On sait que, du fait du trajet des
fibres optiques, le champ visuel droit (à droite d’un point de fixation) est
traité par l’hémisphère gauche (qui gère également la partie gauche du corps)
et inversement. Or l’hémisphère gauche est dominant pour le langage. Dans
les résultats de l’équipe de Marzi, les résultats montrent en effet une asymé-
trie. Pour les lettres, la supériorité du report partiel est plus grande dans le
champ visuel droit (hémisphère gauche) et inversement pour les formes. Les
auteurs concluent légitimement que la mémoire iconique est liée au cortex
visuel (et non à la rétine ou au thalamus), puisqu’il y a un effet de spéciali-
sation hémisphérique : cerveau gauche pour les lettres, cerveau droit pour les
formes.
L’existence d’une autre mémoire spécialisée, de type auditif, est attestée par
plusieurs effets : l’effet de modalité (auditive), l’effet de similitude auditive
et l’effet de suffixe.
Dans la technique des effets sériels, l’effet de récence est légèrement supé-
rieur, lorsque les mots sont présentés auditivement (à voix haute ou par
casque) plutôt que visuellement (sur écran) : c’est l’effet de modalité. La
comparaison des durées de stockage est plus évidente avec la technique
Peterson (Peterson et Johnson, 1971 ; Kroll, Parkinson et Parks, 1971, etc.).
Afin d’être certain que les sujets ne subvocalisent pas l’information visuelle,
ils doivent répéter à voix haute les chiffres de 1 à 9 ; naturellement, les sujets
font la même chose dans la présentation auditive (l’audition des séquences de
lettres se fait au moyen d’un casque).
L’ARCHITECTURE MODULAIRE DE LA MÉMOIRE 61
100
90
Pourcentage de rappel
80
70
60
50 Auditif
Visuel
40
–3 0 3 6 9 12
Délai de rappel (s)
Figure 3.2
Supériorité de la mémoire auditive pour des délais courts
(d’après Peterson et Johnson, 1971)
Condition normale 32 % 82 %
Suppression de la subvocalisation 19 % 45 %
Tableau 3.2
Effet négatif de la similitude phonétique sur la mémorisation
en présentation auditive (d’après Peterson et Johnson, 1971)
62 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Le même effet a été montré avec les lettres (Peterson et Johnson) en pré-
sentation auditive en comparant la mémorisation de lettres présentant une
haute similitude entre elles (ex. B, C, P, T, V) ou non (ex. K, M, R, S, W).
Que les séquences à apprendre soient présentées normalement ou avec une
suppression de la subvocalisation, on constate que la mémorisation est très
difficile lorsque les lettres sont similaires phonétiquement (tab. 3.2).
30 Lettres (CGHJKLM…)
Voyelles (BOU, BI, BA)
Consonnes (BA, DA, GA)
Avantage produit par la vocalisation
20
10
– 10
0 1 2 3 4 5 6 7
Position sérielle
Figure 3.3
La supériorité auditif/visuel n’existe que
pour les éléments qui diffèrent par des voyelles
(d’après Crowder, 1971)
Similaires 65 82 25 36
Différentes 71 88 51 73
Tableau 3.3
Mémoire des odeurs en fonction de la similitude des odeurs et comparaison
avec des figures visuelles abstraites de même discriminabilité
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Néanmoins, on peut objecter que le pouvoir associatif des odeurs est peu
favorisé avec des chiffres, aussi avons-nous réalisé dans notre laboratoire une
expérience moins technique que celle de Davis mais plus représentative
d’une situation réelle (Lieury, Cerre, Le Claire, Delahaye et Madiec, non publié).
À chacune de 8 odeurs (santal, citron, mandarine, musc…), chaque sujet
devait associer pendant 2 minutes une action (ou séquence d’actions) décrite
par l’expérimentateur, par exemple « ouvrir une porte, la fermer et empiler
trois chaises », « dessiner quelque chose », « lire L’Iliade d’Homère », etc.
Dans une seconde condition, d’autres sujets devaient mémoriser une photo-
graphie associée à chacune des 8 odeurs, par exemple « une femme montrant
la photo de son fils », « un karatéka », « un parachutiste »… Les résultats
sont encore plus décevants que chez Davis (dans son expérience, il y avait
16 essais d’apprentissage, seulement 1 seul dans la nôtre), puisque 1 seul
sujet sur 13 est capable de rappeler après une semaine une action à une odeur,
les autres associations sont erronées. Dans la condition « photos », il y a
11 % d’associations correctes d’une photo à l’odeur spécifique. On est loin
évidemment de ce que suggère l’épisode de la madeleine. Plus que son odeur,
c’est peut-être la vue de la madeleine qui fut efficace !
2 LA MÉMOIRE LEXICALE :
INTERFACE DE LA MÉMOIRE
Erreurs
B P T S N X
Lettres présentées
M 11 31 12 23 512 2
F 2 11 14 488 32 245
Tableau 3.4
Exemple d’erreurs dans la perception auditive (d’après Conrad, 1964)
Remarque : en anglais « X » se prononce « èx ».
auditive). Des séquences de 6 lettres étant présentées sur écran, les sujets
doivent les rappeler sur un carnet avec 6 cases pour écrire les lettres dans
l’ordre. Or l’analyse des erreurs indique curieusement les mêmes confusions
auditives. Paradoxalement, la mémoire visuelle à court terme « donne » des
erreurs auditives ! Afin d’expliquer ces erreurs, Conrad a fait l’hypothèse
que l’information visuelle était recodée grâce à l’activité de subvocalisation
(comme lorsqu’on répète un numéro de téléphone), qu’il appelait « boîte à
écho » (echo-box) et que d’autres désignent d’un nom également très évoca-
teur, « boucle vocale » (verbal loop) ou « boucle articulatoire » (le premier
système esclave de la mémoire de travail de Baddeley).
68 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Mots
Lettres distincts
Pourcentage d’erreurs
Pourcentage d’erreurs
distinctes
20 20
Effet de récence
effacé
Mots
40 40 similaires
Lettres
similaires
60 60
Lettres Mots
Visuel D Visuel S
Auditif D Auditif S
Figure 3.4
Effets différents de la similitude phonétique sur les lettres ou les mots
(adapté d’après Richardson, 1979)
1) La similitude abolit la supériorité de l’auditif sur le visuel
et l’effet de récence pour les lettres mais non pour les mots.
2) De plus, la similitude phonétique diminue le rappel
pour toutes les positions sérielles pour les lettres et pour les mots.
Enfin, dans une autre expérience (exp. 3), l’ajout d’un suffixe en fin de
liste (cf. § 1.2.3) comme « main » diminue bien l’effet de récence pour la
liste de mots, mais il n’y a pas d’effet auditif : le mot présenté par la même
voix (que la voix qui prononce les mots de la liste) ne baisse pas plus l’effet
de récence qu’un suffixe prononcé par une autre voix, alors que Crowder
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
trouvait un tel effet sur les listes de lettres ou chiffres. Le suffixe joue ici un
rôle interférent dans une autre mémoire que le stockage auditif. Il ne s’agit
pas non plus d’une gêne sémantique, car un suffixe significatif (main) ne
gêne pas plus qu’un suffixe non significatif (nam).
Richardson interprète ces effets distinctifs en proposant deux types de
stockage (ou mémoire) : une mémoire auditive (ou code phonologique ou
PAS) qui explique l’effet de modalité sur les lettres et sa disparition en situa-
tion de confusion phonétique (similitude), et une mémoire morphologique
(ou PLS = post lexical storage) ou lexicale (fig. 3.5) qui stocke les unités
reconnues comme mots.
70 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Entrée Entrée
visuelle auditive
Codemorphologique
Code morphologique
(PLS)
(PLS)
Code
Codearticulatoire
articulatoire
Réponse
ou
répétition
Figure 3.5
Modèle distinguant un stockage auditif (PAS)
d’un stockage morphologique ou lexical (PLS)
(adapté d’après Richardson, 1979)
par des questions, diminue peu pour la lecture d’un texte facile mais forte-
ment pour un texte difficile.
Des techniques plus simples, de concurrence vocale permettent également
de supprimer la subvocalisation (ou de l’atténuer considérablement), comme
l’a montré Betty Ann Levy (1971, 1975) de Toronto : on fait répéter à voix
haute au sujet durant la présentation visuelle (lecture) ou auditive (audition),
une séquence vocale répétitive (peu coûteuse sur le plan attentionnel), par
exemple hi-ya (Levy, 1971), les chiffres de 1 à 9 (Peterson et Johnson,
1971), ou « la, la, la » (Lieury et Choukroun, 1975), etc. La suppression de la
subvocalisation baisse fortement la mémoire.
Rappel Reconnaissance
Situation 26 % 73%
Suppression 15 % 59 %
Tableau 3.5
Baisse du rappel et de la reconnaissance de mots
en fonction de la suppression de la subvocalisation
(simplifié, d’après Levy, 1971)
Ainsi dans l’une des nombreuses recherches réalisées par Betty Ann Levy,
le rappel et la reconnaissance de listes de mots sont moins performants lors-
que la subvocalisation a été supprimée dans la phase de mémorisation (les
sujets devaient répéter sans arrêt hi-ya…). La baisse de mémoire provoquée
par la suppression de la subvocalisation est d’environ 20 (reconnaissance) à
40 % (rappel).
L’expérience de Maria Slowiaczek et Charles Clifton (1980) est également
très illustrative, car elle porte sur la lecture d’un texte. La mémoire est ici tes-
tée par plusieurs types de tests de reconnaissance, les sujets devant choisir
quelle est la phrase du texte parmi deux phrases, la phrase originale et une
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Test de reconnaissance
Paraphrase Autres
Lecture normale 59 68 63 44
Suppression
50 45 36 21
subvocalisation
Tableau 3.6
Pourcentage de reconnaissances (bonnes réponses moins erreurs)
en lecture normale ou sans subvocalisation
(d’après Slowiaczek et Clifton, 1980)
80
Pourcentage de rappel
60
40
20 Normal
Suppression
0
1 2 3 4 1 2 3 4 1 2 3 4 4
Position sérielle
Figure 3.6
Effet de la suppression de la vocalisation
en fonction du mode de présentation et de la position sérielle
(d’après Lieury et Choukroun, 1985)
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
2.3.3 L’autorépétition
Similaires
100 Différents
Contrôle
80
Rappel moyen
60
40
20
0
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Position sérielle
Figure 3.7
Décalage de l’effet de primauté en fonction de la désorganisation phonétique
(conditions similaires et différents) par rapport à une condition contrôle
(d’après Lieury et Duris, 1978)
L’ARCHITECTURE MODULAIRE DE LA MÉMOIRE 75
Similaires
5
Différents
Nombre moyen de répétitions
Contrôles
4
2
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
0
1-4 5-8 9-12 13-16
Position sérielle
Figure 3.8
Indépendance entre le système de l’autorépétition et le système lexical :
l’autorépétition est indépendante de la désorganisation phonétique
(d’après Lieury, Bouly et Cicchi, 1980)
76 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
2.4 Le lexique
2.4.1 Accès et temps de recherche dans le lexique interne
L’effet de désorganisation phonétique et la possibilité d’apprendre des nou-
veaux mots (ou des syllabes sans signification) indiquent l’existence d’un
système phonologique (ou phonétique), mais à l’inverse, la mémorisation de
mots connus relève d’un fonctionnement différent, puisque la morphologie
des mots est déjà stockée et récupérable en tant que telle. L’Anglais John
Richardson (1979) a montré ce fonctionnement distinct, en utilisant ce « bis-
touri » des expérimentateurs de la mémoire que représentent les effets sériels
(cf. § 2.2). Dans une expérience non présentée ci-dessus, des séquences de
phonèmes identiques ne produisent pas d’effet de récence, lorsqu’ils sont
présentés comme des lettres « D, G, K, L… », tandis que l’effet de récence
classique est retrouvé, lorsque les mêmes phonèmes sont présentés comme
des mots « dé-jet-cas-aile… » (exp. 2). Les mots existent donc en tant que
tels en mémoire et certains auteurs ont parlé de dictionnaire, ou lexique.
Dans la perspective d’un lexique de « fichiers-mots », Herbert Rubenstein a
lancé un courant de recherche sur les temps d’accès dans le lexique interne
(internal lexicon). Le principe de la technique est de mesurer le temps de
réaction pour décider si un graphisme est ou n’est pas un mot (Rubenstein,
Garfield et Millikan, 1970).
Tableau 3.7
Temps de décision « lexicale » pour décider si un graphisme
est ou n’est pas un mot, en fonction de la fréquence des mots
(d’après Rubenstein et coll., 1970)
L’ARCHITECTURE MODULAIRE DE LA MÉMOIRE 77
Le temps de décision est d’autant plus rapide que le mot est fréquent, ce
qui peut s’interpréter par la présence d’occurrences plus nombreuses des
mots fréquents en mémoire, comme une librairie a des stocks plus importants
pour les livres très demandés. Dans la perspective d’une « recherche » en
mémoire, le temps très long pour les non-mots peut s’interpréter comme
une recherche quasi exhaustive dans le lexique jusqu’à une décision de fin de
recherche.
Non-mots
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Phonologie Graphisme
Tableau 3.8
Temps de décision « lexicale » en fonction
des indices phonétiques
et graphiques (d’après Rubenstein et coll., 1971)
78 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Bien que, dans l’usage courant, nous ayons l’impression que le mot et son
sens sont la même chose, de nombreuses observations ou faits expérimentaux
nous indiquent qu’il existe vraisemblablement deux systèmes séparés, le
code lexical, correspondant à la morphologie du mot (Morton, 1970) et le
code sémantique correspondant aux caractéristiques conceptuelles et abstrai-
tes de l’objet ou de l’idée (cf. chap. 4). Plusieurs observations (ainsi que des
expériences plus complexes) vont dans le sens de cette distinction : le mot sur
le bout de la langue et l’aphasie nominale.
Il arrive fréquemment qu’au moment de donner le nom d’un acteur ou d’un
ami, nous ressentions comme une sorte de blocage. Pourtant, notre impression
de connaître le nom est forte et on dit que ce mot « est sur le bout de la lan-
gue ». Ce phénomène a été étudié par Brown et Mc Neill (1966), et d’autres
auteurs à leur suite, en présentant des définitions de mots rares (ex. bathys-
caphe, sextant). Lorsque le phénomène du « mot sur le bout de la langue » se
produit, les sujets sont invités à donner la première syllabe ou la rime à
laquelle ils pensent, etc. Dans un bon nombre de cas, il s’avère que ces
fragments phonétiques sont exacts. Par exemple, la lettre initiale devinée est
L’ARCHITECTURE MODULAIRE DE LA MÉMOIRE 79
correcte dans 57 %. Puis dans la vie courante comme dans les expériences, le
mot ou le nom peuvent revenir, ce qui prouve que ces mots étaient bien en
mémoire. La capacité de décrire le sens du mot ou le rôle d’un acteur (séman-
tique) prouve également que des informations sont bien disponibles à partir
de la mémoire sémantique. Il y a donc blocage de la mémoire sémantique
vers la mémoire lexicale, ce qui indique leur indépendance. Ce phénomène
se produit de manière plus persistante dans un trouble neuropsychologique,
l’aphasie nominale : le malade peut comprendre à quoi sert un objet sans être
capable de le dénommer, montrant là encore la distinction entre une mémoire
lexicale et une mémoire sémantique.
3 LA MÉMOIRE IMAGÉE
Rappel
(sur 24 actions)
Phrase 6.90
Dessin 9.20
1 photo 8.85
3 photos 10.40
Film 10.40
Tableau 3.9
Supériorité en mémoire d’informations imagées de supports variés
(d’après Denis et de Pouqueville, 1976)
Les mots (16) ou dessins (16) (dessins en couleurs issus d’un imagier pour
enfant) sont présentés en vidéo grâce à un magnétoscope à la vitesse de
2 secondes par item. Typiquement (tab. 3.10), le rappel moyen des mots est
d’environ 7, alors qu’il est de 9 pour les dessins. En reconnaissance (parmi
des pièges), c’est le pourcentage qui est constant, avec environ 70 % de
reconnaissances pour les mots contre 90 % pour les dessins. De même, le
rappel différé (de 2 minutes dans ce test) est plus efficace pour les dessins.
Tableau 3.10
Comparaison du rappel et de la reconnaissance pour des mots et des dessins
(moyenne et pourcentages établis sur 210 lycéens de l’enseignement général)
(Lieury et Pichon, 1991, non publié)
Par ailleurs, la capacité de stockage à long terme des images semble consi-
dérable. Standing, Conezio et Haber (1970) ont présenté jusqu’à 2 560 pho-
tos (il a fallu 4 jours) à des sujets qui, dans un test de reconnaissance portant
sur 280 photos, en ont reconnu en moyenne 90 %, ce qui donne à peu près
2 000 photos stockées en mémoire. Néanmoins, il faut un temps de codage
suffisant, ici 10 secondes par photographie, pour le traitement de tous les
L’ARCHITECTURE MODULAIRE DE LA MÉMOIRE 81
aspects de l’image, détails, couleur, ainsi que les aspects sémantiques et lexi-
caux comme nous allons le découvrir…
100
80
Pourcentage de réponses
60
40
Identification
Reconnaissance
20
0
60 125 250 500 1 000 2 000
Figure 3.9
Temps de stockage et d’identification pour des photographies complexes
(d’après Potter, 1976)
On remarque immédiatement (fig. 3.9) que ce stockage des images est loin
d’être instantané. L’efficacité de la reconnaissance à 125 ms est quasi nulle
(11 %) et ne dépasse les 50 % de reconnaissance qu’avec un temps minimum
de 500 ms pour atteindre les performances extraordinaires de 80 à 90 %
auxquelles nous sommes habitués avec des vitesses de présentation de 1 à
82 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Dessins
Mots
Différents Similaires
Tableau 3.11
Augmentation des erreurs dans le rappel dans l’ordre
de dessins de forme similaire
(d’après Nelson, Reed et McEvoy, 1977)
Lorsque les dessins d’une même séquence sont tous de forme semblable
(rectangulaire : boîte d’allumette, gomme, etc.) ou tous de forme ronde (ballon,
mappemonde…), le rappel dans l’ordre comprend plus d’erreurs (tab. 3.11)
L’ARCHITECTURE MODULAIRE DE LA MÉMOIRE 83
que si les séquences contiennent des dessins de formes variées, ce qui sug-
gère un encodage de caractéristiques physiques.
La perception visuelle n’est pas « panoramique » et elle n’est précise (avec
l’acuité maximale) que dans un champ visuel de 2 degrés environ (cf. Lieury,
2004). Walter Nelson et Geoffrey Lofus de l’université de Washington (1980)
ont donc voulu estimer les détails « vus » dans une seule fixation. Une scène
complexe (quoique stylisée) est présentée pendant 250 ms, le temps moyen
d’une fixation oculaire. Certains « détails » comme dans les jeux « trouver
l’erreur » sont placés au point de fixation ou à quelques degrés d’angle
visuel, par exemple une batte de base-ball appuyée sur une poubelle au coin
d’un immeuble. Puis une scène test est présentée avec ou sans modification,
par exemple, la poubelle mais sans la batte. Les résultats montrent que le
détail n’est perçu et donc stocké que dans un angle visuel de 1 degré, ce qui
confirme que, comme dans la perception visuelle, les images complexes ne
peuvent être stockées avec détails qu’avec un temps d’inspection important
permettant de multiples fixations en différents endroits de la scène.
Une fois l’image stockée, que reste-t-il des détails dans nos souvenirs ?
Pour le savoir, Jean Mandler et Gary Ritchey de l’université de Californie
(1977) présentent pendant un temps suffisant, 10 secondes, 8 scènes schéma-
tiques complexes, comme dans l’exemple ci-dessous :
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Après un délai plus ou moins long (fig. 3.10), allant d’un test immédiat à
un test après 4 mois, les auteurs présentent la cible inchangée ou des dessins
pièges avec différentes modifications dans les scènes : un piège peut être un
objet ajouté ou supprimé (ex. un 2e arbre ou absence de l’avion : c’est l’addi-
tion ou le retrait) ; de même, la taille ou le sens d’un objet peut changer (ex.
la maison est plus grande ou la voiture est dans l’autre sens) ; et enfin la dis-
tance relative entre les objets peut changer (ex. la voiture et le camion, ou les
deux maisons sont plus éloignés). Comme une réponse au hasard donnerait
50 % de réponses correctes, seul le taux de reconnaissance au-dessus de
50 % est considéré comme témoin du souvenir.
84 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
100 Ajout
Cible
Orientation
Distance/taille
Pourcentage de reconnaissance
80
60
50 %
= hasard
40
Immédiat 1 jour 1 semaine 4 mois
Délai de reconnaissance
Figure 3.10
Oubli des détails dans les souvenirs à long terme
(seules la présence ou l’absence d’objets sont vraiment retenues)
(d’après Mandler et Ritchey, 1977)
mémoire la plus efficace. Par ailleurs, il faut remarquer que, dans la plupart
des expériences, les dessins et les mots sont présentés « visuellement », ce
qui implique des premières étapes de traitement communes (perception
visuelle et stockage iconique). C’est donc au niveau d’un code plus abstrait
que les images et les mots diffèrent.
Si le traitement « visuel » n’est pas spécifique de l’image, en revanche, la
dénomination explicite ou implicite est fondamentale, comme l’ont montré
les premiers le Canadien Ducharme et Paul Fraisse du laboratoire de psycho-
logie expérimentale de Paris (1965). L’apprentissage de 25 mots concrets
(panier, bonbon, poire, lion, chaise, etc.) est comparé à l’apprentissage de
dessins équivalents, ainsi qu’à une autre condition où l’on demande de les
dénommer à voix haute (condition dessin + mot).
Tableau 3.12
Supériorité des conditions « dessin » et « dessin + mot » (dénomination)
par rapport à la condition « mot » (d’après Ducharme et Fraisse, 1965)
Les auteurs ont constaté (tab. 3.12) que curieusement, la condition « des-
sin + mot » (dénomination) ne donnait pas de résultats supérieurs à la condi-
tion « dessin seul », ces deux conditions étant supérieures à la condition
« mot ». Les auteurs proposent l’hypothèse suivante : « l’image évoque
immédiatement le mot et, en réalité, la situation où l’on présente l’image
seule est équivalente à celle où l’on présente l’image et le mot ». Le Cana-
dien Allan Paivio a retrouvé de tels résultats et a en outre remarqué que le
rappel de mots abstraits est inférieur à celui des mots concrets : il en a déduit
la théorie du double codage. De même que l’image évoque le mot, le mot
concret évoque une image mentale, ce qui n’est pas le cas du mot abstrait. Le
fait que le dessin est mieux rappelé s’explique par le fait que le mot évoque
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Les mots concrets apparaissent être ceux dont la valeur d’imagerie est la
plus grande.
Mots 25 ms 473 ms
Dessins 21 ms 563 ms
Tableau 3.13
Temps de réaction verbale pour des mots (lecture) et des dessins (dénomination)
de même discriminabilité perceptive (seuil d’identification)
(d’après Fraisse, 1969)
Alors que les seuils d’identification sont du même ordre (21 et 25 ms), ce
qui indique une même discriminabilité perceptive, la dénomination demande
approximativement 100 ms de plus que la lecture, ce qui est assez général
dans les expériences ; par exemple, Fraisse a montré que la même informa-
tion perceptive « O » demande 100 ms de plus dans une situation de dénomi-
nation parmi des figures géométriques (triangle, carré, cercle, losange) par
rapport à une situation de lecture parmi des lettres (X, O, P, T). Comment
expliquer cet allongement du temps pour la dénomination ? Ce n’est pas,
comme on l’a tout d’abord pensé, une question d’ambiguïté des dessins, un
dessin pouvant effectivement être différemment « voilier, bateau, navire ».
En effet, dans certaines expériences, comme celle qui vient d’être décrite, le
sujet est familiarisé avec les dessins et les mots avant l’épreuve de temps de
réaction. Une hypothèse, dans la perspective du traitement de l’information,
est de supposer que dans la lecture, l’accès sémantique se déroule en même
temps que la réponse verbale : c’est la notion de traitement parallèle (Lieury,
1992). Pour les dessins, la correspondance avec une réponse verbale n’est
automatique que dans des cas particuliers : signaux du code de la route, idéo-
grammes chinois ou graphismes des lettres et chiffres de notre alphabet. La
plupart du temps, il n’y a pas de dessin standard pour un concept, et on peut
imaginer toutes sortes de dessins d’un bateau, d’une maison, etc. Il est tout à
fait concevable de penser que, dans le traitement de l’information imagée, il
doit y avoir une identification sémantique avant le codage lexical : dans ce
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
500 ms Réponse
verbale
Code lexical « tortue »
Tortue
Code sémantique
Figure 3.11
Interprétation des différences lecture/dénomination
en terme de processus parallèle ou séquentiel
(Lieury, 1992)
Temps de
SOA = 0 ms SOA = 350 ms cible décision
lexicale
Amorçage panthère
sémantique 350 ms
panthère
Amorçage
phonologique lien
350 ms
lien
Figure 3.12
Exemples d’amorçages sémantique et phonologique
avec deux intervalles amorce-cible (SOA)
(Jamet, 1995)
Temps de
décision
40
lexicale A. sémantique
(ms) A. phonologique
30
Facilitation 20
10
0
0 ms 350 ms SOA
– 10
Inhibition
– 20
– 30
Figure 3.13
Effets d’une amorce « dessin » sur le temps de décision lexical
(d’après Jamet, 1995, exp. 5)
L’amorçage sémantique provoque une facilitation (temps de décision plus rapide).
L’amorçage phonologique provoque une inhibition
(ralentissement du temps de décision).
Dessins
9 M. concrets
M. abstraits
Rappel (moyenne sur 8 essais)
5
200 500
Temps de présentation (ms)
Figure 3.14
Mise en évidence du double codage :
« chute » des dessins au temps de présentation rapide
(d’après Paivio et Csapo, 1969)
D’autres expériences ont confirmé ces résultats sur des phrases (Fraisse,
1974 ; Fraisse et Léveillé, 1975) ou sur une gamme de temps plus variée
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
10
9
Dessins
8
7
Reconnaissance
6 Mots
5
4 D Si
D Co
3
D Amb
2 Mots
1
0 240 480 720
Temps de présentation (ms)
Figure 3.15
Effet de la vitesse sur les composants du stockage des dessins
(d’après Lieury et Calvez, 1986a)
D Si : dessins dénommables par un mot simple, ex. collier.
D Co : dessins dénommables par un mot composé, ex. fer à repasser.
D Amb : dessins ambigus, peu dénommables, ex. mouchoir ou torchon.
Alors que tous les dessins sont supérieurs aux mots à 720 ms (fig. 3.15),
seuls les dessins dénommables par des mots simples (lapin, collier…) sont
nettement mieux reconnus que les mots à 240 ms. Les dessins de mots com-
posés, pourtant aussi simples à percevoir que les dessins de mots simples (ex.
épi de maïs, fer à repasser…), sont moins bien reconnus à 240 ms que les
dessins de mots simples. C’est un effet « lexical » : les mots composés
demandent plus de temps pour être dénommés (lexicalement) que les mots
simples. Enfin, les dessins ambigus (certains dessins peuvent être interprétés
comme « sucrier » ou « sucre », « mouchoir » ou « torchon », etc.) sont encore
moins reconnus à 240 ms, ce qui souligne l’absence d’un recodage, cette fois
sémantique. Au total, on retrouve bien une confirmation d’un double codage
automatique, le codage verbal des dessins comprenant une composante lexicale
et une composante sémantique.
L’ARCHITECTURE MODULAIRE DE LA MÉMOIRE 93
Dessins
6
Mots
5
Rappel
1
240 480 720 240 480 720 240 480 720
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Figure 3.16
Supériorité des dessins en rappel séquentiel lorsqu’il y a vocalisation
ou à l’inverse suppression de la subvocalisation
(d’après Lieury et Calvez, 1986b)
Imagé + + +
Sémantique + + + + + +
Lexicale + + + + + +
Articulatoire + + +
Total 3+ 3+ 4+ 3+ 3+ 2+
Cette interprétation, à l’aide du schéma, rend compte du fait (à 720 ms, cf.
fig. 3.14) que c’est la condition vocalisation pour les dessins qui est la
meilleure, et la condition suppression pour les mots qui est la moins bonne,
les autres conditions étant équivalentes, notamment le rappel des dessins en
condition normale ou suppression. Le traitement séquentiel n’est donc pas
« réservé » au codage verbal.
Ces recherches sur le code imagé, notamment la théorie du double codage,
ont des conséquences importantes sur le plan appliqué (pédagogie, commu-
nication). La mémoire imagée n’est pas contrairement, aux apparences, une
mémoire visuelle ou « photographique ». L’image est meilleure en mémoire
essentiellement grâce à son recodage verbal. En pédagogie, la présentation
d’images seules ne suffit donc pas lorsqu’elles sont complexes, il faut les
commenter et les définir verbalement (ex. schémas de biologie…). Au
contraire, les images étant codées sémantiquement, l’adjonction d’images
simples (objets, animaux) devrait favoriser le traitement sémantique qui n’est
pas automatique chez l’enfant dans la lecture, d’où peut-être l’attrait des
livres d’images et de la bande dessinée.
des petits dessins spécialisés : des graphismes. Cette réalité nous saute aux
yeux, dès que l’on change de système graphique, en particulier avec les lan-
gages asiatiques. Mais certains dessins ont également dans nos civilisations
valeur de signes ou de symboles : ce sont les pictogrammes.
Dans certaines civilisations, les dessins ont été utilisés pour la communi-
cation écrite, le langage oral étant toujours par nature phonétique. À vrai dire,
il n’y a guère que dans les pays asiatiques que de tels systèmes, idéographi-
ques, existent, et même au Japon, le kanji, écriture idéographique, a un équi-
valent phonétique, le kana. Les hiéroglyphes en Égypte ont évolué au cours
des millénaires vers une écriture phonétique. Cependant, on assiste depuis
peu à un développement important de systèmes linguistiques basés sur des
dessins : les pictogrammes ou « pictos ». Ce sont les panneaux de signalisation
routière, les pictogrammes des gares et aéroports, les signes et symboles des
cartes géographiques ou routières, les pictogrammes des appareils ménagers
ou vêtements (repassage, essorage…). Le succès de certains micro-ordinateurs
est fondé sur leurs pictogrammes (plutôt appelés « icônes ») qui représentent
des fonctions qu’on sélectionne avec un pointeur. Les pictogrammes sont-ils
plus efficaces que l’écriture phonétique ?
Niveau informatif
Faible Fort
stylisé réaliste
Pictos
71 % 27 %
initiale syllabe
Logos
40 % 58 %
Tableau 3.14
Efficacité inversée des pictos et logos en fonction de leur richesse informative
(Lieury et Clinet, 1985, non publié)
Les logos sont d’autant plus efficaces qu’ils sont informatifs (tab. 3.13),
les syllabes rappelant plus facilement le mot complet que l’initiale (résultat
connu antérieurement). Mais paradoxalement, c’est l’inverse pour les pictos :
les pictos réalistes sont beaucoup moins efficaces que les pictos stylisés.
Cela rappelle d’ailleurs l’évolution des idéogrammes chinois de dessins,
qui, après avoir été réalistes (tigre ou dragon), sont devenus au fil des millénai-
res des idéogrammes très standardisés (Wang, 1973). Une explication simple
est que la stylisation est en elle-même un trait distinctif qui avertit du rôle
pictographique : le dessin réaliste d’un avion est dénommé « avion », tandis
qu’un dessin très stylisé évoque un aéroport. Il est amusant de constater que
nous refaisons peut-être avec les pictogrammes le chemin pris il y a des mil-
lénaires par les Égyptiens et les Chinois.
nombreux tests (cubes de Kohs, cf. Lieury, 2004), ils ne distinguent pas une
mémoire visuelle d’autres mémoires, encore moins les béhavioristes qui
réduisent l’apprentissage du labyrinthe à une suite de conditionnements des
réponses motrices à chaque carrefour.
Les premiers à avancer l’hypothèse d’une mémoire visuelle spécifique sont
les Canadiens Murray et Francès Newman (1973). Leur technique consiste à
faire mémoriser trois formes géométriques dans un tableau ou grille (3 ran-
gées × 3 colonnes) et à placer, entre la présentation et le rappel, une tâche
interférente. L’oubli de la position des formes est plus important, lorsque la
tâche interférente est visuelle (copie de flèches différemment orientées) plu-
tôt que verbale (comptage).
Ces recherches ont été poursuivies par d’autres, notamment l’Anglais
Allan Baddeley qui s’est spécialisé dans ce domaine. Pour lui, ce système est
à la fois visuel et spatial et il l’intègre à sa théorie de la mémoire de travail
(chap. 2, § 5) sous le nom de « calepin visuospatial » (cf. Monnier et Roulin,
1994). La plupart des expériences (aussi utilisées comme tests) distinguent
deux épreuves d’empan de mémoire :
11 4
Figure 3.17
Exemple de grilles utilisées
(Lorant-Royer et Lieury, 2003a)
Empan visuel : le sujet doit mémoriser et restituer l’ensemble des points.
Empan spatial : le sujet doit écrire par un numéro la position successive
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
par le point à chaque étape ; dans l’exemple de la figure 3.17, le sujet doit
mémoriser 4 positions. L’empan visuel est d’environ 7 (le chiffre magique),
tandis que l’empan spatial est d’environ 4, ce qui souligne que l’épreuve est
plus difficile.
Tableau 3.15
Baisse du rappel (en %) par rapport à l’empan de la condition contrôle
en fonction de la nature de la tâche interférente
(simplifié d’après Lorant-Royer et Lieury, 2003a)
Figure 3.18
Exemple de grille d’images
(d’après Lorant-Royer et Lieury, 2003b)
mémoire imagée) ;
– mémoire visuelle : un facteur correspond au stockage d’informations
visuelles comme la matrice de points dans une grille (.89) ;
– mémoire visuospatiale : un facteur correspondant au traitement spatial,
comme le test de Wechsler qui consiste à se rappeler la place de carrés
dans l’ordre d’apparition (.92) ;
– mémoire de travail : un facteur correspond à la mémoire de travail de la
théorie de Baddeley additionnant l’action du processeur central et du cale-
pin visuospatial (ou mémoire visuospatiale) (ex. le test de Wechsler dans
l’ordre inverse).
100 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Composantes de la mémoire
F1 F4
Double Mémoire
Épreuves codage F2 F3 de travail
(stockage Mémoire Mémoire (calepin
imagé visuelle visuospatiale visuospatial
+ codage + processeur
verbal) central)
Pourcentage de
30.9 19.1 13.6 12.6
variance (en %)
Grilles : moyenne des 4 épreuves (Images familières, Images non familières Noir/Blanc,
Position spatiale d’images familières, Images familières colorisées)
Mémoire imagée : moyenne (rappel et reconnaissance)
Mémoire visuelle : moyenne (position et couleur)
Tableau 3.16
Analyse factorielle d’épreuves visuelles variées
(d’après Lorant-Royer et Lieury, 2003b)
tactile
tactile iconique
Moteur
Moteur kinesthésique iconique
kinesthésique
Mémoire
Mémoire Mémoire
Mémoire
visuelle imagée
imagée
visuelle
(formes,
(formes, (objets, animaux,
(objets, animaux,
Mémoire couleurs)
couleurs) plantes)
Mémoire plantes)
procédurale
Procédurale
Mémoire
Mémoire
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
visuospatiale
Visuospatiale
(localisations,
(localisations,
directions)
directions)
Figure 3.19
Représentation modulaire des mémoires « visuelles »
et de leurs interrelations
(simplifié d’après Lorant-Royer et Lieury, 2003b)
102 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Condition de mémorisation
Reconnaissance noms 85 % 91 %
Reconnaissance photos 67 % 60 %
Erreur de position* 12 % 23 % 14 %
* La maquette faisant au plus 100 cm, l’erreur de position en centimètres est traduite en %.
Tableau 3.17
Reconnaissance des noms et des photos d’immeubles
et reconstitution de leur position sur une maquette
(d’après Pezdek et Evans, 1979, exp. 1)
Cette expérience « réaliste » fournit des résultats assez différents des recher-
ches sur les images (cf. § 3), qui, il faut le rappeler, sont souvent des images
familières (collier, fleur…) facilement dénommables. Dans le cas d’immeu-
bles inconnus, les photos sont un peu moins bien rappelées (67 %) que leur
nom (85 %). Étonnant à première vue, on n’observe pas d’effet de « double
codage » ; au contraire, les photos sont un peu moins bien reconnues (60 %)
dans la condition où elles étaient accompagnées d’un nom, ce qui montre une
légère surcharge d’information ; là aussi, il faut rappeler que dans la mémo-
risation d’images familières (collier, fleur…), le nom est déjà connu et asso-
cié à l’image en mémoire. Quand l’objet n’a pas de nom préalablement
encodé, cela représente une charge en mémoire. Ainsi, nous avons vu que des
L’ARCHITECTURE MODULAIRE DE LA MÉMOIRE 103
5 MÉMOIRE DE L’ACTION
ET MÉMOIRE PROCÉDURALE
60
Pourcentage de rappel
50
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
40
Phrase Dessin Imaginé Action
Type de présentation
Figure 3.20
Efficacité de l’action par rapport à la présentation
verbale, imagée ou imaginative
(d’après Engelkamp et Zimmer, 1986)
104 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Les résultats de multiples expériences révèlent (cf. fig. 3.20) que l’action
permet un meilleur rappel de la liste par rapport aux autres conditions. Dans
ces autres conditions, la présentation imagée (dessin ou imaginative) est
supérieure à la présentation verbale, comme nous l’avons vu auparavant
(cf. § 3). Engelkamp interprète cette efficacité par un supplément de codage
moteur, et s’inspirant de la théorie du double codage, il pense que l’action
bénéficie d’un triple codage : verbal, imagé et moteur.
La présence d’une composante motrice dans l’action réelle est clairement
démontrée dans une technique de temps de décision d’actions ressemblantes.
Une action est présentée sous trois formes différentes selon trois groupes,
verbale, imagination et action, par exemple « tourner une poignée ». La cible
qui déclenche l’horloge de l’ordinateur est une phrase présentée visuellement
comme « remuer la pâte ». Les sujets doivent imaginer l’action impliquée par
la phrase-cible et décider le plus rapidement possible, si les deux actions sont
similaires ou non (les cibles sont mélangées à autant de phrases pièges dont
le mouvement est différent).
1 200
1 160
Temps de décision (ms)
1 120
1 080
1 040
1 000
Phrase Imaginé Action
Type de présentation
Figure 3.21
Rapidité du temps de décision de similitude en fonction du type de présentation
(d’après Engelkamp et Zimmer, 1986)
120
Phrases
100
80
Lettres/mn
60 Mots
Lettres
40
20
0
0 4 8 12 16 20 24 28 32 36
Semaines d’exercice
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Figure 3.22
Courbe d’apprentissage dans la télégraphie :
vitesse de réception de phrases, mots ou lettres
(d’après Bryan et Harter, 1899, cités par Woodworth, 1949)
lettres une à une ne permet pas d’anticiper sur les suivantes, d’où une vitesse
moindre.
20
Contrôle
Théorie
16 Transfert
Erreur moyenne 12
0
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Essais
Figure 3.23
Transfert dans une épreuve à miroir
(d’après Bray, Woodworth, 1949)
Mémoire
Registre sensoriel
Processus de contrôle
• analyse de l’information
• codage
• autorépétition
….
Figure 3.24
Modèle d’Atkinson et de Shiffrin (version de 1969)
L’idée d’une distinction entre stockage sensoriel à très court terme et stoc-
kage à court terme était dérivée de la découverte par Sperling d’un stockage
iconique, mais Atkinson et Shiffrin pensaient qu’il en était de même pour
toutes les modalités sensorielles. Or on l’a vu, cette idée ne s’est pas trouvée
confirmée, soit qu’on ne parvienne pas à mettre en évidence un stockage à
court terme, par exemple pour les odeurs, soit parce que les caractéristiques
temporelles sont différentes entre modalités, par exemple entre le code visuel
et le code auditif. En outre, la distinction de trois systèmes de mémoire – à
très court terme (sensoriel), à court terme et à long terme – ne paraît pas per-
tinente. Craik et Lockhart (1972) en ont fait une critique remarquée en mon-
trant que pour l’information linguistique, les recherches font apparaître que
le traitement de l’information est plus un continuum de « niveaux de traite-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
les codes, d’une part, et le type de stockage, d’autre part. En effet, dans les
précédents modèles, l’idée généralement admise était que le stockage à court
terme est le mode de stockage des codes sensoriels, alors que le stockage à
long terme est le mode de stockage du code sémantique.
Cette idée n’est guère vraisemblable. Richardson (cf. § 2.2) a bien démon-
tré un stockage lexical pour l’effet de récence en montrant des effets sériels
différents pour des lettres ou des mots. De même, les temps d’interprétation
sémantique (Potter pour l’image ; différence lecture/dénomination de 300 ms
interprétée par un codage sémantique) paraissent très courts, environ de 100
à 300 ms, ce qui se confirme dans des expériences de catégorisation sémanti-
que (de l’ordre de 1 seconde mais en comprenant le temps moteur de la
réponse du sujet, cf. chap. 4). Par conséquent, dans les temps usuels de pré-
sentation de l’information, comme dans les effets sériels avec une présenta-
tion de mots familiers toutes les 2 secondes, les mots sont tous identifiés
sémantiquement, et il n’y a pas lieu de penser que les mots de l’effet de
récence ne sont codés que dans un code sensoriel (visuel, auditif). Ainsi, lors-
que Glanzer et Razel (1974) montrent des effets sériels classiques pour des
listes de proverbes, il est difficile de supposer que les proverbes de l’effet de
récence n’ont pas été codés sémantiquement. En revanche, l’effet de moda-
lité (supériorité de l’auditif pour l’effet de récence) peut s’expliquer par un
supplément d’informations auditive ou lexicale du fait d’un « résidu »
d’informations dans les modules de traitement précoce.
À l’inverse, il est logique de penser qu’il existe une forme de stockage à
long terme pour des informations sensorielles. Ainsi, nous l’avons vu, les
odeurs sont reconnues après plusieurs minutes, et nous reconnaissons après
de longs délais des odeurs familières comme celles de la fraise, de la cire,
etc. D’ailleurs, dans le cas contraire, il n’y aurait pas de mémoire sensori-
motrice, de mémoire des graphismes des lettres, de mémoire des sons et des
phonèmes, etc.
Une nouvelle génération de modèles consiste à représenter la mémoire
comme un ensemble de systèmes ou modules de traitement (Anderson et
Bower, 1973 ; Lieury, 1980), caractérisés en propre par un code (ou une
famille de codes ayant des spécificités de capacité, de vitesse, d’oubli). Mais
chaque système a un mode de fonctionnement à court terme et à long terme.
On explique ainsi les différentes capacités d’environ 4 pour la mémoire ico-
nique ou la mémoire visuospatiale, d’environ 7 pour le rappel immédiat de
mots, mais de 9 pour des dessins, etc., avec différentes vitesses d’oubli…
Un modèle modulaire des systèmes de traitement (fig. 4.25) comporte, dans
l’état actuel des connaissances, des systèmes de codes sensoriels (visuel,
auditif) et moteurs (réponses vocales ou motrices), un système lexical et
symétriquement de traitement des images, et une mémoire sémantique. Le
traitement visuel, loin d’être homogène comme nous l’avons vu, regroupe
différents sous-systèmes, images d’objets, animaux et plantes, visages, formes
L’ARCHITECTURE MODULAIRE DE LA MÉMOIRE 111
Mouvements Perceptions
Mémoire
sémantique Double codage
Mémoire
Figure 3.25
Modèle modulaire de la mémoire
(d’après Lieury 1992 ; Lorant et Lieury, 2003)
La mémoire à long terme est très complexe et regroupe de nombreux systèmes spécialisés,
les modules. La mémoire à court terme peut être représentée
comme un « multifenêtrage » sur la mémoire à long terme (Lieury, 1990).
LE
FONCTIONNEMENT
DE LA MÉMOIRE
Dans les années 1950-1960, la plupart des chercheurs ont préféré des modes
explicatifs radicalement distincts de l’explication en terme d’associations des
béhavioristes, en décrivant le fonctionnement de la mémoire sous forme de
modules ou de programmes. Mais une fois que des mémoires spécialisées
sont mises en évidence, il faut bien expliquer le fonctionnement interne de
celles-ci. Personne n’a pensé que les modules étaient des boîtes vides. À
partir des années 1970-1980, les théoriciens ont redécouvert l’intérêt des
explications en terme de réseaux associatifs (reproduisant les réseaux de neu-
rones), si bien que les deux courants d’étude se complètent. D’une part, la
mémoire est décrite comme un ensemble de systèmes spécialisés ou modules
(mémoire iconique, sémantique, à court terme…) s’inspirant de la descrip-
tion de l’ordinateur en sous-systèmes spécialisés : la mémoire vive, le disque
dur, la carte vidéo… D’autre part, le fonctionnement interne des modules est
expliqué par des réseaux associatifs (mémoire sémantique, mémoire des
visages) renouant avec la tradition associationniste. Ceux qui souhaitent se
démarquer de la conception associationniste (notamment dans le domaine de
l’intelligence artificielle) parlent de néoconnexionnisme, le terme de néo-
associationnisme existant déjà.
Abeille
– miel 114
– ruche 37
– pique 11
– reine 9
– bourdonnement, butine 7
☞
Abeille
Tableau 4.1
Exemple d’associations verbales
(Lieury, Iff et Duris, 1976)
Remarque : le nombre d’associés est sur 300.
Les réponses sont très variées. Certaines ne sont évoquées que par un
seul sujet sur 300 ou quelques sujets : ce sont des associations faibles.
D’autres, au contraire, sont très fréquentes, comme miel, ruche : ce sont les
associations fortes. Souvent, ces associations sont stables, ainsi, pour le mot
« abeille », c’est à nouveau le mot « miel » qui est le premier mot associé
près de trente ans plus tard (de La Haye, 2003). Les béhavioristes pensaient
que les associations reflétaient directement des associations apprises par
conditionnement du fait de la contiguïté temporelle des mots dans la lan-
gue. Cependant, de nombreuses études ont montré que les associations
étaient de nature variée. Les associations de contiguïté existent bien, par
exemple « montagne-ski », « visage-barbe », mais ce sont les relations
« logiques » qui apparaissent les plus fréquentes chez l’adulte, par exemple
« animal-lion », « chou-légume », notamment les associations de contraste
(cf. Aristote et Hume, chap. 1) pour les adjectifs « chaud-froid » « dur-
doux ».
Oiseaux
– rouge-gorge 31
– perroquet 28
– moineau, pigeon 22
– aigle, merle 21
– corbeau, pie 20
– rossignol 18
– hirondelle, mésange 15
… …
Tableau 4.2
Exemple d’associations catégorielles (d’après Charles et Tardieu, 1977)
Remarque : le nombre d’associés est sur 54.
2 LA MÉMOIRE SÉMANTIQUE
respire
Animal
mange
vole nage
a des plumes Poisson a des branchies
Oiseau
a des ailes a des écailles
est rose
Canari chante Requin Saumon est comestible
Autruche
est jaune
Figure 4.1
Exemple d’arborescence dans la théorie de Collins et Quillian
(d’après Collins et Quillian, 1969)
D’autre part, le jugement est plus court, lorsque les propositions mettent en
jeu des concepts catégoriels « un canari est un oiseau » plutôt que des pro-
priétés « un canari peut voler » : en effet, les propriétés étant classées avec
les catégories, l’accès aux propriétés exige une étape de plus par rapport à la
catégorie.
Propriété
CANARI
1 600 Concept
1 500
Temps de jugement (en ms)
a de la peau
1 400
vole
1 300
jaune
1 200
Animal
1 100
Oiseau
1 000
Canari
900
D0 D1 D2
Distance sémantique
Figure 4.2
Temps de jugement sémantique en fonction de la distance sémantique
(d’après Collins et Quillian, 1969)
Instances catégorielles
rouge-gorge autruche
perroquet albatros
Oiseau
aigle pélican
merle martinet
rose giroflée
marguerite digitale
Fleur
tulipe edelweiss
œillet renoncule
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Tableau 4.3
Exemple d’associations catégorielles selon leur fréquence
(d’après Charles et Tardieu, 1977)
un poisson rouge
1 240 a une bouche
1 200
un oignon
1 160 a des vitamines
un chêne
1 120
a des glands
TR (ms)
1 080
une oie
a des ailes
1 040 une orange
est comestible
1 000 un banjo
Élevée
a des cordes
960 Moyenne
D1 D2 D3 Basse
Figure 4.3
Économie cognitive et fréquence associative
(d’après Conrad, 1972)
La distance sémantique ne produit des temps plus longs que pour les fré-
quences faibles ou moyennes (un poisson a une bouche) mais pas pour les
fréquences fortes (une orange est comestible). L’idée de Collins et Quillian
d’une inférence pour les distances sémantiques longues, du type « un poisson
est un animal, donc un poisson a une bouche », ne se produit que pour les
propriétés peu (ou jamais) associées au concept (fig. 4.3). Mais, certaines
propriétés, logiquement éloignées sémantiquement, sont néanmoins stoc-
kées, contre tout principe d’économie (« une orange est comestible », « un
pigeon a des ailes », « une truite a des écailles »…). Donc, les propriétés
fréquentes (plumes pour oiseau, etc.) sont vraisemblablement stockées plu-
sieurs fois. Cela peut sembler peu économique, mais l’accès sémantique,
donc la compréhension, est plus rapide…
Nous avons repris, avec Virginie Postal et Moïse Déro, le même principe
que Carole Conrad mais pour des concepts catégoriels afin d’évaluer la géné-
ralité du principe de hiérarchie catégorielle. De nouvelles normes ont été
constituées à partir de 221 catégories, classiques comme les animaux ou les
plantes mais aussi pour des noms propres, comme les films, les musiciens de
rock’n roll, les pièces de théâtre, etc. (Postal et Lieury, 1994). Les proposi-
tions sont, comme chez Collins et Quillian, du type « tourterelle est un
oiseau » pour les mots communs, ou « West Side Story est une comédie musi-
cale » pour les noms propres (fig. 4.4). L’effet de hiérarchie catégorielle ne se
produit que pour les mots fréquents : « pie » est plus rapidement catégorisée
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE 123
1 200 1 200
Forte Comédie musicale
oiseau Faible
1 100 1 100
animal 1 000
1 000
Fil
900 900
TR
TR
800 800
700 700
pie
600 600 Hair
tourterelle West Side Story
500 500
D0 D1 D2 D0 D1 D2
Distance sémantique Distance sémantique
Figure 4.4
Effet de la fréquence (pie) sur la rapidité de catégorisation
pour des noms communs et des noms propres
(d’après Postal, Dero et Lieury, 1996)
comme oiseau que comme animal, ce qui reflète une hiérarchie catégorielle
en mémoire sémantique. Il en va de même, pour les noms propres fréquents
comme « West Side Story » qui est plus rapidement catégorisé comme caté-
gorie spécifique (comédie musicale) que comme catégorie générale. À
l’inverse, cet effet ne marche pas pour les mots moins fréquents, tourterelle
ou Hair, qui sont plus rapidement catégorisés dans la catégorie générale ; on
décide plus rapidement que « Hair » est davantage un film qu’une comédie
musicale ou que « tourterelle » est plus un animal qu’un oiseau. Ces résultats
indiquent que la hiérarchie catégorielle, découverte par Collins et Quillian,
ne fonctionne que pour les concepts très connus.
Paradoxalement les effets de fréquence ont des résultats contraires pour les
catégories et pour les propriétés mais qui s’interprètent facilement en terme
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
de richesse du réseau sémantique. Pour les concepts fréquents (pie, West Side
Story), le réseau sémantique est riche et détaillé :
– l’effet de hiérarchie catégorielle se produit pour les concepts fréquents
pour lesquels il y a des catégories plus fines (comédie musicale, oiseau),
et l’on retrouve l’effet de hiérarchie catégorielle montré par Collins et
Quillian : « un canari est un oiseau ; un oiseau est un animal » ;
– au contraire, les propriétés sont répétées et il n’y a pas d’économie cogni-
tive, comme l’a montré Carole Conrad : la propriété « aile » est stockée
au niveau basique de « pigeon » et pas seulement au niveau élevé de
« oiseau ».
124 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
(réponse non) très rapidement. Ces temps très rapides s’accordent mal à une
théorie de recherche dans une arborescence, car la distance sémantique est
très grande et devrait tout au contraire produire des temps longs (fig. 4.6).
C’est pourquoi d’autres chercheurs, notamment David Meyer (1970, 1976)
et Schaeffer et Wallace (1970), qui ont beaucoup travaillé sur les anomalies
sémantiques, ont proposé un autre modèle en termes de traits sémantiques.
920
Tulipe
880
840 Épagneul
TR (ms)
800
Manganèse
760
720
680
e e
gori gori
até caté
C us-
So
Figure 4.5
Temps de catégorisation d’instances positives ou négatives
en fonction de leur place dans l’arborescence de la mémoire sémantique
(d’après Collins et Quillian, 1970)
sujet serait très performant pour les jugements vrais mais ne détecterait que
très lentement les anomalies, ce qui n’est pas le cas. En s’inspirant du fonc-
tionnement en parallèle des ordinateurs, on peut donc supposer que les deux
types de mécanismes fonctionnent en parallèle en mémoire, quitte à ce que le
plus lent corrige l’autre (quand on se rend compte, par exemple, de notre
erreur à dire qu’une baleine est un poisson).
Chose
Figure 4.6
Carte partielle de la mémoire sémantique
(d’après Collins et Quillian, 1970)
Remarque : les sources de confusion sont figurées en pointillés.
3 ACTIVATION ET INHIBITION
DANS LE RÉSEAU ASSOCIATIF
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
750
Temps de décision lexicale (en ms)
700
650
600
550
500
Amorce Amorce Amorce
liée neutre non liée
Type d’amorce
Figure 4.7
Temps de décision lexicale en fonction du type d’amorce
(d’après Quaireau, 1995)
Un effet de facilitation apparaît lorsque l’amorce et la cible sont liées (SOA=250 ms).
Avez-vous remarqué que dans la vie courante, il est souvent plus facile de
rappeler ce qu’on a dit que d’enregistrer les paroles des autres? Ce phéno-
mène, dénommé « effet de production » (generation effect), a été démontré
de façon expérimentale par l’Américain Norman Slamecka (Slamecka et
Graf, 1978, cités par Charles, 1988). Dans une technique classique, une liste
de couples « contexte-mot cible » est présentée, par exemple « miel-abeille »,
dans la condition contrôle, alors que dans la condition « production », le sujet
doit compléter la cible à partir de lettres « ab-lle ». André Charles de l’uni-
versité de Bordeaux et Hubert Tardieu de l’université Paris-V ont bien étudié
130 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Type d’indice
Exemplaire Caractéristique
guêpe miel
Tableau 4.5
Rappel moyen en fonction du type d’indice
(d’après Charles et Tardieu, 1990, exp. 2)
Les résultats indiquent bien un effet de production pour les deux types
d’indices, mais l’indice le plus efficace est celui qui est caractéristique du
mot cible (miel pour abeille) et l’effet est moins efficace pour un mot séman-
tiquement lié mais appartenant simplement à la même catégorie (guêpe). Un
mécanisme important de l’effet de production pourrait donc être une élaboration
sémantique améliorée par l’activation des associés les plus proches, notam-
ment les traits sémantiques…
Dans le récit de souvenirs, il arrive parfois que l’on invente des circonstan-
ces, dont on est pourtant certain, jusqu’à la confrontation avec des amis ou
des membres de la famille (cf. chap. 6, § 1.5). Ce phénomène des faux souve-
nirs pourrait avoir comme origine un faisceau d’activations de mots associés
sur un même mot, se trouvant alors activé comme s’il avait été réellement
présenté. D’après une technique des années 1950 (Deese, 1959) remise à la
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE 131
mode par Roediger et McDermott (1995, cité par Méric, 2003), une liste de
mots induisant tous un thème, « toile, insecte, velu, tarentule… », est présen-
tée pour une mémorisation. Il se trouve que le mot thématique « araignée »,
qui lui-même n’a pas été présenté, apparaît fréquemment dans le rappel :
c’est un faux souvenir.
Par rapport à la technique ancienne, les chercheurs actuels comme Julie
Méric du laboratoire de psychologie expérimentale de Montpellier font
varier certains paramètres dont le temps de présentation. Il apparaît (fig. 4.8)
que le pourcentage de faux souvenirs est d’autant plus grand que le temps de
présentation est très court ; ainsi le pourcentage de faux souvenirs (araignée)
est de 44 % pour un temps de présentation très rapide de 250 ms, temps où
l’activation est supposée la plus forte (ensuite, il existe des mécanismes de
contrôle de la production associative).
50
40
pièges thématiques
Pourcentage de
30
20
10
0
250 800 Auto
Temps de présentation (ms)
Figure 4.8
Production de faux souvenirs (pièges thématiques) en fonction de la rapidité
de présentation de la liste de mots associés (auto = temps libre)
(d’après Méric, 2003)
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
très longue série de 165 photos (sélectionnées parmi 400 photos extraites de
magazines télévisés : ex. Louis de Funès, Jessie Norman, Carmel, Indira
Gandhi…) est présentée par diapositives à raison de 7 secondes par photo.
Pendant ce temps de présentation, le sujet doit dire s’il connaît ou non le per-
sonnage, et l’expérimentateur repère chaque photo (par son numéro) pour
chaque sujet individuellement. Si le nom du personnage est donné par le
sujet, le visage est classé comme « visage connu », si le sujet identifie
comme familier un personnage sans pouvoir dire son nom (ex. présentateur
de télévision, chanteur), la photo est classée « visage familier » ; enfin, la
photo est classée comme « visage inconnu » dans le cas où il n’y a aucune
réponse. Ce classement dépend des sujets et les résultats de la reconnaissance
à long terme sont analysés pour chaque sujet en fonction de ses réponses dans
la tâche de présentation-identification. Bien que le classement soit individua-
lisé, certains visages sont en moyenne plus connus que d’autres. Le visage de
« Louis de Funès » est identifié à 100 %, alors que seulement 11 % des sujets
(étudiants) connaissent le visage de la chanteuse d’opéra Jessie Norman.
La même série est présentée à trois groupes de sujets qui diffèrent par le
délai du test de reconnaissance, au bout de 2 jours, 1 semaine ou 1 mois.
Pour le test de reconnaissance, 100 photos sont prélevées au hasard parmi les
165 de la liste de présentation et mélangées avec des photos pièges de diffé-
rentes catégories (cette fois d’après le classement des expérimentateurs). La
reconnaissance des visages diffère énormément en fonction du degré de
familiarité (fig. 4.9). Les visages connus, parfaitement dénommables, sont
peu différents des visages familiers, pour lesquels on peut énoncer une carac-
téristique, actrice, chanteur, homme politique. Les scores maximums sont
atteints par les visages connus avec une reconnaissance de plus de 95 %
après 2 jours et un score étonnant de 85 % au bout de 1 mois. En revanche,
les visages inconnus sont beaucoup plus faiblement reconnus, environ 70 %
au bout de 2 jours (c’est le score habituel de la reconnaissance de mots) pour
un score nettement moindre de 50 % au bout de 1 mois. Cette différence très
grande entre visages connus et inconnus suggère l’existence d’un stockage
spécifique, une sorte de « banque de données » pour les visages que nous
avons déjà enregistrés à maintes reprises. Cette hypothèse a été confirmée par
une autre étude (Lieury et coll., 1991) où l’analyse factorielle sur des sujets
de 20 à 80 ans indique un facteur « visages familiers », les visages inconnus
étant moyennement corrélés à la fois avec le facteur « visages familiers » et
avec un facteur « stockage imagé ». Les visages familiers ou connus seraient
donc directement « identifiés » dans un stock spécialisé, tandis qu’un visage
inconnu serait d’abord traité comme un dessin…
D’ailleurs, le grand neurologue français Henri Hécaen a peut-être été le
premier à suggérer une mémoire spécifique pour les visages, en remarquant
chez certains patients une absence de reconnaissance des visages sans qu’elle
soit accompagnée d’agnosie (absence de reconnaissance) d’objets ou de mots
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE 133
100
Pourcentage de reconnaissance
80
60
40 Connus
Familiers
20 Inconnus
0
2 jours 1 semaine 1 mois
Délai de reconnaissance
Figure 4.9
Reconnaissance des visages après différents délais en fonction
du degré de familiarité (d’après Lieury, Pinçon, Roulette,
LeBoulch et Ogier, cités par Lieury, 1992)
(« Visage connu » : le sujet peut dénommer le personnage, « visage familier » : le sujet
peut énoncer une caractéristique (profession), « visage inconnu » : aucune réponse)
cf. tab. 4.6). Dans les deux cas, le temps de réaction pour les visages inconnus
est plus long, ce qui s’interprète à la fois par un temps de « construction » du
visage à partir de traits primitifs dans une mémoire structurale par un temps
de recherche très long (puisqu’il n’y a pas de visages à trouver) dans une
mémoire qui contient les visages connus.
Dans une autre série de recherches, Young et ses collaborateurs dissocient
un code sémantique spécifique au visage du code lexical des noms propres,
en montrant qu’il est plus rapide de décider (temps de réaction) qu’un visage
appartient à une catégorie « sémantique » définie à l’avance, homme politique
ou star de la chanson, que de fournir leur nom (cf. tab. 4.7).
134 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Connus
politiciens ou Inconnus
télévision
Tableau 4.6
Temps de réaction (en ms) pour un jugement de familiarité et pour
un classement dans une catégorie sémantique (politique ou télévision)
(d’après Young et coll., 1986, exp. 1)
Catégorisation Donner
visages le nom
Tableau 4.7
Temps de classement dans une catégorie sémantique (politique ou chanteur)
et temps de dénomination de visages connus
(d’après Young et coll., 1986a, exp. 3)
Codes
d’expression
Unités de Visage connu
sympathique reconnaissance
des visages familiarité
Codes « Superman »
du nom
Figure 4.10
Modèle du traitement des visages
(synthèse d’après Young et coll., 1986b et c)
Remarque : le visage et les exemples sont ajoutés.
Ce modèle des étapes de traitement rend bien compte du fait que l’on
est plus long à donner un nom qu’à identifier une catégorie sémantique.
Dans le cas des visages familiers ou non, le code structural permet l’accès
indépendant à un code expressif, comme le montrent les recherches sui-
vantes.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Les visages ont une spécificité supplémentaire par rapport à la plupart des
images : c’est l’association à une expression émotive. Cela expliquerait, par
exemple, que sur le plan neurologique (Bruyer, 1983), les visages ne semblent
pas stockés dans le cortex occipital (visuel) mais dans les régions pariétale et
temporale (hémisphère droit), plus proches des régions émotives (cf. le noyau
amygdalien, cf. chap. 6, § 3).
136 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Identification Expression
Tableau 4.8
Temps de jugement d’identification ou d’expression
de couples de visages (visages identiques)
(d’après Bruce et Young, 1986)
Type de représentation
Sémantique Lexicale
Fait du pain
Se lève tôt
« Profession »
Nom
boulanger
commun
Travaille avec
un four
Unité reconnaissance
faciale Expression
émotive
Enseignante
Nom
propre Aime le cinéma
Martine
Nœud Boulanger
Sportive
identitaire
Martine
Figure 4.11
Interprétation connexionniste des blocages sur les noms propres
(synthèse d’après Bruce et Young, 1986 ;
Burton et Bruce, 1992 ; Burke et coll., 1991 ; Schacter, 2003)
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
5 ORGANISATION ET MÉMOIRE
Comme l’avaient bien vu certains philosophes, dont John Stuart Mill en Angle-
terre et Henri Bergson en France, les associations n’expliquent pas toute la
mémoire et il existe des phénomènes d’organisation plus complexes. En psy-
chologie, les gestaltistes ont été les premiers à insister sur le rôle de l’organisa-
tion en mémoire, et lorsque les béhavioristes pensaient que des couples de mots
étaient appris selon un mécanisme de conditionnement, Wolfgang Köhler
(1964) pensait à juste titre que les mots d’un couple étaient organisés en une
image, ou une phrase comme une fille donnant à manger à un kangourou pour
apprendre le couple « fille-kangourou », ou l’image d’une chaussure dans une
assiette pour le couple « chaussure-assiette ». Koffka montrait également que
des séquences logiques de chiffres comme 123 456 789 sont évidemment plus
faciles à apprendre que des chiffres au hasard.
C’est Georges Miller (1956) qui mit en évidence, dans le cadre de la théorie
de l’information, le rôle de la capacité limitée et comment l’organisation des
informations permet de la dépasser. Il s’appuya sur une expérience de Smith
qui avait étudié sur lui-même la mémoire immédiate de chiffres binaires. Sa
capacité personnelle était de 12, mais il eut l’idée d’utiliser la correspon-
dance entre le code décimal et le code binaire pour tenter de dépasser sa
capacité personnelle.
Groupe de 2 10 10 00 10 01 11 00 …
2 2 0 2 1 3 0
Tableau 4.9
Recodage de séquences de chiffres binaires en nombres décimaux
(adapté d’après Miller, 1956)
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE 139
0 0
1 1
2 10
3 11
4 100
5 101
etc.
48
36
Rappel
24
12
1 2 3 4 5
Éléments binaires par groupe
Figure 4.12
Nombre d’éléments binaires rappelés en fonction de la taille
du groupement opéré (chunks) dans l’expérience de Smith
(simplifié d’après Miller, 1956)
5.2.1 La catégorisation
Bousfield (1953) avait déjà montré peu avant Miller que si la mémorisation
concerne des listes de mots mélangés mais provenant de catégories concep-
tuelles usuelles, fleurs, oiseaux, métiers, etc., les sujets ont tendance à
reconstituer les catégories au rappel sans qu’on le leur demande : c’est le
phénomène de catégorisation au rappel. La catégorisation est donc apparue à
certains comme une possibilité d’organisation et a donné lieu à de nombreux
travaux. Dans une expérience de Gordon Wood (1969), le rôle des catégories
est étudié dans l’apprentissage (3 essais présentation-rappel), en contrastant
un groupe de sujets qui apprend les 54 mots d’une liste groupés en 18 catégo-
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE 141
ries à un groupe qui apprend la liste avec les mots mélangés (comme chez
Bousfield).
Essais
1 2 3
Mots groupés 17 28 39
Mots au hasard 11 20 29
Tableau 4.10
Supériorité de l’apprentissage en fonction du groupement
des mots par catégories conceptuelles
(d’après Wood, 1969)
Délai de rappel
2 semaines 8 semaines
Phrase 75 55
Mot clé 75 54
Répétition 55 38
Tableau 4.11
Effet intégrateur de la phrase et du mot clé dans la mémorisation
(% de rappel) (d’après Garten et Blick, 1974)
Rappel de 2 mots 53 % 27 % 30 %
Tableau 4.12
Efficacité de l’image en fonction de l’intégration des couples de mots
(d’après Bower, 1970)
L’image a donc, elle aussi, un puissant rôle intégrateur, qui a également été
très utilisé dans les procédés mnémotechniques, mais semble-t-il en attri-
buant cette efficacité à l’image en elle-même et non à l’organisation.
Essai 4,
Etc.
etc.
Dans son livre très original Remembering (1932), sir Frederic Bartlett critique
vivement la conception d’Ebbinghaus d’un apprentissage à partir du néant,
comme il avait l’illusion de le faire avec les syllabes sans signification.
Bartlett pense qu’il n’y a aucune garantie que ce matériel spécial ne soit pas
contaminé par la mémoire de tous les jours, et préfère tout au contraire
employer le matériel « le plus ressemblant à ce qui correspond à la vie
réelle ». Il converge en cela avec des auteurs français originaux comme Janet
pour qui il exprime sa « plus grande admiration » et Halbwachs dont les
conceptions sur la mémoire collective sont assez similaires – nous retrou-
verons ces auteurs à propos des souvenirs anciens (chap. 6).
Bartlett utilise des textes plutôt que des syllabes ou des dessins, emploie
des techniques astucieuses comme la technique de reproduction répétée (jeu
du téléphone), sorte de propagation miniaturisée d’une rumeur, et enfin
s’intéresse à des situations sociales réelles comme son étude du rappel d’une
carte géographique à un an d’écart par un ami géologue ou à la mémoire du
peuple Swazi. Dans de nombreuses expériences, il montre que la mémoire
est d’abord une assimilation, notamment verbale, aux connaissances anté-
rieures, ce qui permet d’expliquer que certains détails sont oubliés et pas
d’autres. Par exemple, des figures abstraites comme des tâches d’encre sont
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE 145
que la main levée – pour régler la circulation – est considérée comme le signe
de salut amical dans l’accueil swazi. Profitant d’un voyage au Swaziland,
Bartlett fit une expérience en situation réelle en questionnant un gardien de
troupeau sur sa mémoire du bétail, pouvant contrôler le récit par les factures
de son ami propriétaire du troupeau. Le gardien était capable de se rappeler
les détails d’une vente ayant eu lieu un an auparavant, par exemple : de
Magama Sikindsa, 1 bœuf noir pour 4 livres ; de Gamboka Likindsa, 1 jeune
bœuf blanc avec quelques petites tâches rouges pour 1 livre ; de Mapsini
Ngomane et Mpohlonde Maseko, 1 vache rouge, 1 génisse noire et un très
jeune taureau pour 3 livres en tout… Au total, le gardien rappela dix noms de
propriétaires, dix prix et décrivit une douzaine de bêtes.
146 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Titre thématique
Tableau 4.13
Efficacité du titre donné avant la mémorisation d’un texte,
en nombre de phrases ou de mots rappelés
(d’après Dooling et Mullet, 1973)
40
Hitler
30
20
10
Gerald Martin
0
neutre faible moy. fort
Une semaine plus tard, les sujets du groupe « Gerald Martin » ne commet-
tent jamais l’erreur de reconnaître cette phrase piège, mais les sujets qui ont
lu exactement le même texte en croyant qu’il s’agissait de la biographie
d’Hitler, reconnaissent à tort cette phrase avec un taux très important de 40 %
(fig. 4.12). Dans cette expérience, on vérifie donc à quel point la mémorisa-
tion est d’une façon générale une intégration, un enrichissement des connais-
sances antérieurement mémorisées, avec l’influence saisissante du titre et du
thème. Comme l’avait bien vu Barlett, il peut y avoir, dans les souvenirs, une
réinterprétation des détails ou une invention de détails pour plus de cohérence.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
mesure que le morceau à retenir s’allonge et que d’autre part la mémoire des
idées y supplée. » Cette transformation du texte littéral en idées plus généra-
les (anticipant sur le recodage du lexical en sémantique) est retrouvée par
Bartlett au cours du temps.
Cette abstraction des récits a pu être quantifiée grâce à l’application ingé-
nieuse de la technique de comparaison de phrases cibles/pièges dans la
reconnaissance. Dooling et Christiaansen (1977) ont sélectionné un texte sur
la biographie de Thomas Jefferson et un sur Roosevelt, présidents des États-
Unis. Un seul texte est lu à un groupe donné (l’autre servant pour le piège sur
le caractère principal), et sur les trois thèmes principaux, deux seulement
sont lus aux sujets de différents groupes (avec variation des thèmes lus ou
non lus), le troisième thème servant de piège, par exemple :
Thomas Jefferson
– carrière universitaire, intérêts divers, éducation : thème lu
– esclavage : thème non lu
– brevets d’inventeur : thème lu
Pièges
Forme lexicale : information stockée sur la forme lexicale de la phrase :
« Jefferson ne prit jamais de brevet pour aucune de ses créations car il désirait
qu’elles soient librement accessibles à tous les citoyens américains. »
Remarque : le sens est le même, seule la forme lexicale est changée ; le choix
de ce piège indique que les sujets se souviennent du sens mais pas des mots
exacts qui ont été lus dans le texte original.
100
Titre
Porcentage de reconnaissances
90
80
Thème
Phrase
70
60
Forme lexicale
50
1 sem. 1 mois 2 mois 8 mois
Délai de rappel
Figure 4.13
L’oubli d’un texte en fonction des niveaux de structuration et du délai de rappel
(d’après Dooling et Christiaansen, 1977)
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
7 MÉMOIRES PRODIGIEUSES
ET MÉMOIRES D’EXPERTS
deux fois le produit de 700 par 55 donne 77 000, l’addition de ces trois résul-
tats aboutissant au carré à chercher (570 025). Cette remarque du rapport de
l’Académie montre donc l’un des mécanismes des grands calculateurs : une
mémoire spécialisée contenant un grand nombre de produits, carrés, etc., et
qui permet de calculer à un autre niveau, un peu comme si l’on rappelait dans
l’ordre les lettres d’une fable de La Fontaine. Mais l’Académie note qu’à
l’inverse, « il a peine à retenir les noms des lieux et des personnes. Il lui est
pareillement difficile de retenir les noms […] des figures […] de géométrie… ».
1. Merci à Mlles Binet, petites-filles d’Alfred Binet, pour m’avoir donné une copie de ce livre précieux.
152 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
■ La puissance de calcul
Jacques Inaudi est un jeune calculateur de 24 ans : « Il est venu au labora-
toire pendant deux années, en 1892 et 1893, toutes les fois que nous le lui
avons demandé ; il nous a accordé une quinzaine de séances. » Né en Italie
dans une famille pauvre, Inaudi passa ses premières années à garder des
moutons. Particularité intéressante, il calcule non sur ses doigts ou avec des
cailloux (calcul vient du latin calculus : cailloux), mais en utilisant les noms
des nombres (que son frère aîné lui avait récités). Déjà à 7 ans, il était capable
de faire des multiplications de 5 chiffres, et son frère l’emmène en Provence
où il aide, sur les marchés, les paysans à faire leurs comptes, tandis que son
frère joue de l’orgue. Lorsque Binet fait sa connaissance, Inaudi se produit au
théâtre et réalise successivement des calculs mentaux (de mémoire comme
le remarque Binet), par exemple une soustraction entre deux nombres de
21 chiffres, le carré d’un nombre de 4 chiffres, la racine cubique d’un
nombre de 9 chiffres, etc. Son imprésario note les chiffres du public sur un
tableau noir, que ne regarde jamais Inaudi ; il lui dicte lentement les chiffres
et il les redit, les répétant à nouveau pour une vérification ou pour lui-même.
Il met dix à douze minutes pour réaliser l’ensemble des calculs. Pendant ce
temps, l’impresario fait les calculs au tableau noir et le total des chiffres
atteint les 300. Lors d’une vérification à la Salpêtrière, où pendant deux
heures « on lui avait posé différents problèmes, on lui fit répéter tous les chif-
fres ; il le fit sans erreurs ; le nombre total était de 230 ». Mais ce qui frappe
encore plus, c’est, comme le note Binet, qu’Inaudi se produit au théâtre tous
les soirs et deux fois le dimanche.
Les autres mémoires d’Inaudi n’ont rien d’exceptionnelles et Binet note
qu’il « paraît ne pas se souvenir d’une manière fidèle des figures, des lieux,
des événements, des airs de musique ». Les dates d’histoire sont mémorisées
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE 153
en tant que nombres mais restent sans connexion avec l’événement et ne rap-
pelle une suite de mots que si elle correspond à l’énoncé d’un problème.
Inaudi a donc essentiellement une mémoire de chiffres que Binet s’attache à
mesurer plus précisément.
■ L’empan de chiffres
Binet mesure le « pouvoir d’acquisition » en une présentation, ce qui corres-
pond dans notre vocabulaire actuel à l’empan. L’un de ses collaborateurs,
M. Gaultier montre que « quand les chiffres sont prononcés avec une voix
monotone : 7 », le fameux nombre magique, toujours actuel nous l’avons vu.
Inaudi lui dit que pour s’entraîner, il a l’habitude de mémoriser 27 chiffres,
mais énoncés par groupe de trois. Binet lui en propose, groupés également par
trois, 36 chiffres (Inaudi les répétant après lui) qu’il redonne en 30 secondes
sans aucune erreur. Et curieusement, Inaudi déclare à Binet qu’il lui est plus
difficile de rappeler cette séquence que de rappeler les 400 chiffres résultant
de différents problèmes chaque soir ! Mais quand Binet veut tester ses limites
en proposant 51 chiffres, Inaudi l’arrête au 26e en lui disant qu’il pense qu’il
oubliera les suivants et, de fait, commet des erreurs sur environ 10 chiffres.
■ Durée de la mémoire
Binet s’intéresse enfin à « l’étendue de la mémoire », nous dirions le rappel
différé à long terme. Il note, par exemple, que les gens ordinaires ayant
mémorisé au maximum 9 chiffres, en les répétant plusieurs fois, les oublient
dès l’apprentissage d’une autre série. Il interroge donc Inaudi sur des séries de
chiffres apprises auparavant, celui-ci est capable de rappeler les 230 chiffres
de la représentation de la veille mais pas ceux des représentations passées,
« le reste a été oublié ».
le vérifier, Binet, avec son grand sens scientifique, invente les techniques de
concurrence ou d’interférences pendant le délai de rappel (cf. chap. 3). Dans
une première expérience, il fait chanter à Inaudi une « voyelle » pendant son
calcul mental : « Cette expérience cause grand embarras à M. Inaudi ; il
conserve encore la faculté de calculer de tête, mais il met deux ou trois fois
plus de temps […] et il fait à voix basse quelques articulations… »
Pour Binet, Inaudi est « un type auditif modèle ». Cependant, avec nos
connaissances modernes, nous savons que le code verbal, dans la répétition,
est complexe (codes auditif, phonologique, lexical, articulatoire) et surtout de
nature lexicale. Ainsi, une réponse à une question de Binet nous montre qu’il
154 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
ne s’agit pas de mémoire vraiment auditive mais d’une mémoire plus abs-
traite : « Inaudi se représente simplement le timbre de sa propre voix ; il
prétend qu’il ne se rappelle pas les voix des personnes du public qui lui dic-
tent les chiffres. » On pourrait, à la lumière des connaissances actuelles, dire
que ses mémoires – lexicale et sémantique – étaient spécialisées pour les
nombres. Par exemple, l’expérience menée par Binet sur l’empan, avec un
groupement par trois, rappelle singulièrement l’expérience de Smith (cf. § 5.1)
dans laquelle il rappelle une séquence dans l’ordre de 40 chiffres binaires
mais groupés mentalement. En fait, on peut penser que pour Inaudi, les chif-
fres sont des lettres et que des séquences de 3 (ou plus) chiffres correspon-
dent à nos mots ; les résultats partiels de calculs sont alors pour lui comme
des déductions que nous faisons à partir de phrases.
L’analyse par Binet de la manière dont Inaudi réalise ses calculs souligne
ses méthodes personnelles : « […] bien que depuis quatre ans qu’il sait lire et
écrire, il ait appris les méthodes ordinaires de calcul, il ne s’en sert pas ».
Pour la soustraction, il opère à nouveau par groupes de trois, ce qui renvoie à
la remarque précédente que les nombres de 3 chiffres sont peut-être l’équiva-
lent pour nous des mots. Et ce qui fait penser à une sémantique du nombre,
par associations, c’est que la base de tous ses calculs est la multiplication.
Pour la division, il procède par des multiplications approximatives pour trou-
ver le quotient (et le reste). De même, pour les racines carrées et les racines
cubiques, il multiplie des nombres jusqu’à trouver celui qui correspond
le mieux (avec un reste). Ces multiplications, elles-mêmes, sont des sommes
de petites multiplications, dont Binet fournit un exemple frappant : « Soit
325 * 638. M. Inaudi calcule ainsi : »
25*600 = 15 000
300*30 = 9 000
300*8 = 2 400
25*30 = 750
25*8 = 200
Tableau 4.14
Inaudi transforme mentalement tout calcul
en une addition de petites multiplications
(d’après Binet, 1894)
que doit arriver le calculateur ; il faut que les deux facteurs d’une multipli-
cation, comme 3 et 6, ne soient point lus comme ils sont : “trois et six”,
mais comme s’ils voulaient dire “dix-huit” […] Semblablement, on peut sup-
poser que, lorsqu’on donne à M. Inaudi une multiplication, par exemple
38 972 * 6 385 346, il a l’impression que le produit sera compris entre tel et
tel nombre ».
Par cette analyse d’une remarquable perspicacité, Binet anticipe, en
l’appelant « inconscient », la mémoire sémantique qui, chez Inaudi, devait
associer des milliers de produits de calcul. De même que pour nous, un
« canari » est un « oiseau » et qu’un oiseau a un bec, la mémoire d’Inaudi
comporte probablement des associations fréquentes entre des milliers de pro-
duits, de carrés, cubes et leurs racines.
sans erreur.
L’histoire de Diamandi montre aussi que les calculateurs ne sont pas des
incultes. Contemporain d’Inaudi, Périclès Diamandi est né en Grèce dans une
famille de commerçants de grains. Sa mère a une excellente mémoire en tou-
tes choses, et sa sœur et son frère partagent ses aptitudes pour le calcul. Il est
toujours premier à l’école en mathématiques, et adulte, il connaît cinq langues,
ce qui le différencie des petits bergers illettrés. Se rendant à l’Académie des
sciences pour montrer ses capacités, celle-ci le renvoie à Binet et à Charcot
pour une étude. Binet complète plus tard cette première étude dans son livre,
dont voici les grandes lignes.
156 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
■ Un tableau mental
Diamandi – et cela captive Binet (et Charcot) – « s’annonce comme un visuel ;
c’est sous la forme visuelle qu’il se représente les nombres, c’est-à-dire que les
nombres lui paraissent écrits sur un tableau mental qu’il regarde, et qu’il lit
quand on lui demande de répéter des chiffres de mémoire ». Binet note après
d’autres que c’est plutôt le cas de tous les calculateurs et qu’Inaudi était le pre-
mier à compter verbalement. À l’époque de Binet, la notion de « schème
numéral » était classique, l’interrogation des « visuels » indiquait qu’il avait
l’impression d’avoir une représentation « visuelle » selon une ligne droite,
courbe, brisée, sinueuse, sous forme d’un escalier, etc.
À sa première visite, Diamandi apporte un grand tableau de 200 chiffres
(40 lignes de 25 chiffres) en disant qu’il peut donner les chiffres de n’importe
quelle position. Questionné par Binet, il dit qu’il ne peut voir le tableau entier
mais par partie en fonction d’un effort d’attention. Mais les expériences de
Binet sur l’étendue d’une liste de chiffres mettent en évidence que cette
mémoire « visuelle » n’est pas simple. Binet lui fait apprendre en temps libre
(mais mesuré) des séries de chiffres pour voir sa limite d’apprentissage, qui
s’avère énorme. Lors d’une première séance, Diamandi apprend sept séries,
entrecoupées de pause, de 10 à 100 chiffres. Ces chiffres sont écrits sur une
seule ligne, la série de 100 sur deux lignes. Diamandi s’en plaint, préférant
qu’ils soient présentés en carré. Cette observation va bien dans le sens d’une
mémoire « visuelle », comme pour effectuer une photographie. Les erreurs
ne sont que d’un chiffre ou deux. La série de 200 occupe un après-midi entier
et le rappel se fait sans erreur. En revanche, les temps d’apprentissage sont de
plus en plus longs (et ceci de façon exponentielle, fig. 4.14), ce qui ne va pas
8 000
7 000
Temps d’apprentissage (en s)
6 000
5 000
4 000
3 000
2 000
1 000
0
15 25 50 20
0
Nombre chiffres appris
Figure 4.14
Temps d’apprentissage de listes de chiffres jusqu’à 200 par Diamandi
(courbe construite d’après le tableau de Binet, 1894, p. 124)
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE 157
10
9
Temps de mémorisation (mn)
8
7
6
5
4
3
2
1
0
C. unique C. multiples
Type de couleur pour les chiffres
Figure 4.15
Temps de mémorisation d’un tableau de 25 chiffres
d’une seule couleur ou de plusieurs couleurs
(histogramme construit d’après les données de Binet, 1894, p. 135)
■ Le match Inaudi-Diamandi
Cependant, Binet semble raisonner par tout ou rien, la mémoire est visuelle ou
elle ne l’est pas. Grâce aux recherches modernes, nous avons vu qu’il existe
une mémoire visuospatiale, mais d’une capacité limitée. Il se pourrait donc
que Diamandi ait une mémoire visuospatiale exceptionnelle, mais pas au point
d’apprendre un tableau de 92 chiffres. Binet réalise une petite étude des per-
formances comparées d’Inaudi et Diamandi, mais pour un tableau de 5 lignes
de 5 colonnes, soit 25 chiffres.
Temps de mémorisation 3 mn 45 s
Tableau 4.15
Comparaison des performances d’Inaudi et de Diamandi pour la mémorisation
d’un tableau de 5 * 5 chiffres (d’après Binet, 1894, p. 147)
160 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
que, après 15 ans, Luria lui demande sans préparation de rappeler une liste,
Vienamin déclare après quelques instants de réflexion : « Oui, c’est bien,
c’était dans votre ancien appartement, vous étiez assis devant la table et moi
dans un fauteuil à bascule. Vous portiez un complet gris et vous me regardiez
comme ça. Voilà ce que vous me disiez… »
Cependant, sa perception est spéciale. Lorsque Luria corrige ses réponses
par « oui » ou par « non », Veniamin prétend voir des taches sur l’image
visuelle du tableau. Ces taches se dilatent pour se transformer en nuages de
vapeur ou éclaboussures qui masquent certaines parties du tableau. Ce type
d’observation traduit bien l’idée que la perception de Veniamin est synesthé-
sique, c’est-à-dire qu’elle mélange différentes modalités sensorielles. Cette
perception synesthésique a lieu surtout lors de la présentation de stimulations
peu significatives : sons, voyelles, chiffres ou graphismes. Pour Veniamin, les
chiffres ont des formes : 1 est un chiffre pointu, 2 est plat, rectangulaire,
blanchâtre. De même, chaque voix fait naître un complexe synesthésique de
sensations gustatives, de couleurs, de lignes, etc.
À l’inverse, les mots déclenchent une imagerie très riche. Un autre psy-
chologue russe Vigotsky lui a donné une liste de mots contenant, entre autres,
plusieurs noms d’oiseaux. Quelques années plus tard, un autre psychologue,
Leontiev, lui fournit une liste contenant plusieurs noms de liquides. Puis on
lui demande de rappeler uniquement les noms d’oiseaux de la première liste
et les noms de liquides de la seconde. Veniamin est incapable de reconstituer
ces deux catégories.
Ainsi, dans le cas de Veniamin, sa mémoire était prodigieusement fidèle ou
prodigieusement déficiente selon les situations. Contrairement à la plupart
des gens qui catégorisent spontanément (§ 5.2.1), Veniamin en était incapable.
En référence aux théories contemporaines, on pourrait avancer l’hypothèse
que chez Veniamin, les mémoires « visuelles », imagée et visuospatiale,
étaient hypertrophiées au détriment de la mémoire sémantique.
■ Un record de mémoire
C’est le même type d’hypothèse que formule un groupe de chercheurs qui
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
bureaux dans leur laboratoire, des chercheurs ont réalisé une expérience avec
sa participation sur la mémoire de la position spatiale et de l’orientation.
L’expérience consiste en la mémorisation de 48 images d’objets, présentées
soit à droite ou à gauche d’un point central (position), soit à l’endroit ou en
miroir (orientation). Par rapport à d’autres sujets, Rajan a une performance
inférieure d’environ 10 % dans la reconnaissance de la position et de l’orien-
tation de ces objets. De même, cinq mois plus tard, sa mémoire paraît tout à
fait ordinaire, car il ne se rappelle que d’un quart de ces objets. Les cher-
cheurs pensent donc que les zones du cerveau habituellement dévolues à la
mémoire spatiale des objets (position et orientation) seraient en partie utilisée
pour la mémorisation spatiale de chiffres. Des performances extraordinaires
sont donc vraisemblablement dues à des différences neurobiologiques.
Dans le cortège des mémoires prodigieuses, les capacités des joueurs d’échecs
représentent un cas fascinant. Rappelons quelques règles pour le lecteur peu
familier. L’échiquier est un carré de 8 rangées par 8 colonnes, les cases étant
noires ou blanches en alternance (fig. 4.16). Chaque joueur a huit pions et huit
pièces, un roi, une reine, deux fous, deux cavaliers et deux tours. Un pion se
déplace d’une case à la fois, le fou en diagonale sur autant de cases voulues, la
tour en ligne droite, le cavalier saute une case en ligne droite et une case en dia-
gonale, la reine va dans toutes les directions sur autant de cases désirées, tandis
que le roi va partout mais une seule case à la fois. Le but du jeu est de mettre le
roi adverse en échec (c’est-à-dire qu’il pourrait être pris le coup d’après), puis
en échec et mat (aucune possibilité de partir). Une partie est jugée élégante,
lorsque l’échec et mat est réalisé en prenant un minimum de pièces.
Différents systèmes de coordonnées ont existé pour décrire la position des
pièces et leurs déplacements. À l’époque de Binet, on disait par exemple, je
déplace le fou de la reine (du côté de la reine). Actuellement, les colonnes
sont numérotées de A à H et les lignes de 1 à 8 (à partir des blancs) : au
départ, la reine blanche est en D1, la reine noire en D8.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Figure 4.16
Exemple d’échiquier avec les coordonnées de déplacement
L’une des prouesses extraordinaires dont sont capables les maîtres d’échecs
est le jeu à l’aveugle. Cette démonstration spectaculaire consiste pour le
joueur à faire la partie le dos tourné à l’échiquier en fonction des positions
164 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
des pièces qui sont annoncées avec leurs coordonnées. Harry Nelson Pillsbury,
champion américain vers 1890, jouait souvent pour se « relaxer » douze par-
ties d’échecs et six parties de dames tout en participant à une partie de bridge
avec ses amis. Mais le champion du monde Alekhine en disputa trente-deux
à Chicago en 1932 ; Koltanowski en joua trente-quatre à Édimbourg en 1937.
Enfin, l’Argentin Najdorf en détient le record mondial depuis 1943, ayant
joué à Rosario quarante parties avec le score de trente-six gagnées, trois perdues
et une nulle en 17 heures 35 minutes.
sans doute reconnu un chiffre très proche du nombre magique 7 (cf. § 5.1).
Puis il essaie de répondre à la question de Binet : « le jeu d’échecs sans voir
procède-t-il exclusivement de la mémoire visuelle ? », comme semblent
l’indiquer quelques témoignages antérieurs : « Mais j’entends, par contre,
dire à M. Rosenthal qu’en jouant sans voir il procédait exclusivement par
calcul et qu’il ne voyait ni échiquiers, ni pièces. Et moi-même [c’est Goetz
qui écrit] qui suis complètement dépourvu de mémoire locale, qui passerais
deux cents fois dans la même rue sans pouvoir me faire plus qu’une idée très
vague, une fois passé, des maisons qui s’y trouvent […] je parviens facile-
ment à jouer ces parties d’échecs sans voir » (p. 343). Avec justesse, Goetz
rapproche le joueur d’échecs d’autres experts : « Demandez donc à un
joueur de cartes pourquoi il ne confond pas pique avec carreau et cœur avec
trèfle ; demandez à un général pourquoi il ne confond pas, dans le plan de
campagne qu’il poursuit dans sa tête, le terrain avec celui d’une bataille
qu’il vient de se remémorer… » Et Goetz montre que les parties d’échecs
sont des organisations qui paraissent très différenciées au grand joueur
« sauf dans le cas où deux parties offriraient des positions d’une grande res-
semblance, ce serait lui faire injure que de supposer qu’il puisse confondre
le russe avec le chinois ou une église avec une pépinière… C’est une erreur
très répandue que de croire que l’on puisse égarer un bon joueur sans voir en
lui jouant des coups bizarres, extraordinaires ». Ces fines observations, ainsi
que les « tiroirs » de Zukertort dont il dit « certainement, cette explication
est bien rudimentaire, et cependant il paraît difficile de dire davantage sur ce
point », peuvent désormais être interprétés en terme de catégories. Pour le
maître d’échecs, certaines parties équivalent pour nous au rangement de
mots dans les catégories « oiseaux, meuble, vêtements… », et une partie
bizarre correspond à un mot unique d’une catégorie, comme le serait un
nom propre dans les catégories précédentes.
Parlant des joueurs qui pensent avoir une mémoire visuelle, il déclare « en
réfléchissant et en cherchant des analogies, cela me paraît de plus en plus
douteux […] nous ne pouvons pas embrasser en une fois un panorama, parce
que notre perception visuelle n’en est guère capable. La mémoire visuelle,
qui n’en est que le corollaire ou le décalque, ne saurait certes en faire davan-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
tage ». Cette remarque est extraordinaire, puisque Goetz anticipe sur les deux
systèmes de la vision (cf. Lieury, 2004) : les recherches modernes sur la per-
ception visuelle attestent, en effet, que notre vue panoramique est floue et
que seule une région centrale (la fovéa) nous permet de voir avec l’acuité
visuelle de 10/10 mais pour une zone de 2 degrés, soit un mot de quatre
lettres ; on ne peut donc voir avec une bonne acuité un échiquier entier. Il
conclut ainsi : « Mais non, c’est la mémoire des conclusions, la mémoire des
raisonnements qui préside exclusivement aux ébats de notre jeu… Oui, mon-
sieur Rosenthal, vous avez mille fois raison quand vous dites procéder exclu-
sivement par le calcul. Il ne pourrait en être autrement. »
166 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
elle est le plus souvent abstraite, c’est-à-dire qu’elle abstrait, qu’elle détache,
qu’elle arrache de l’objet visualisé les seules qualités nécessaires aux combi-
naisons du jeu » (p. 338). Charcot parlait de « mémoire visuelle géométri-
que », ce qui anticipait bien sûr l’idée d’une mémoire visuospatiale, mais on
a vu que les résultats actuels montrent une grande variété de mémoires visuelles,
iconique, visuelle, visuospatiale et imagée.
Test visuospatial
Non-joueurs
17,5
recrues US Navy
Tableau 4.16
Performance dans le test de Wechsler pour des joueurs d’échecs
de différents niveaux (d’après Waters, Gobet et Leyden, 2002)
24
Pas à pas
Milieu de partie
Nombre de pièces rappelées (24)
20 Hasard
16
12
0
Novice Moyen Expert
Niveau de classement aux échecs
Figure 4.17
Performance de mémoire en fonction de la position, stratégique ou au hasard,
des pièces de jeu d’échecs (d’après Frey et Adesman, 1976)
Suivant l’exemple d’Ebbinghaus qui était son propre sujet, Fernand Gobet,
lui-même un grand maître de niveau international devenu psychologue (Gobet
et Simon, 1996, note 6), s’est lancé dans une expérience qui a duré un an.
Fernand Gobet et Herbert Simon (un pionnier de l’intelligence artificielle)
ont supposé, comme dans l’idée évoquée plus haut, qu’une partie d’échecs
est, pour un grand joueur, une structure de haut niveau, retrouvée en mémoire
à l’aide d’indices de récupération. Pour le démontrer, Gobet s’est lancé dans
un entraînement basé, pour lui, sur une variante de la méthode des lieux
(cf. chap. 1). Il connaît par cœur l’ordre des 13 champions du monde d’échecs :
1. Steinitz
2. Lasker
2. […]
5. Euwe
6. Botvinnik
2. […]
10. Spassky
11. Fischer
12. Karpov
13. Kasparov
Tableau 4.17
Exemple de procédé mnémotechnique utilisé
au cours d’un entraînement d’un an par un maître d’échecs
(adapté d’après Gobet et Simon, 1996)
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE 171
120
80
40
0
5 25 50 75 100 125 150
Journées de mémorisation
Figure 4.18
Entraînement à l’aide d’un procédé mnémotechnique (total échiquiers)
par rapport à une condition sans méthode (2 échiquiers)
dans le rappel des pièces de jeu d’échecs
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
1. Émission présentée par Éric Cachart et Marie Montuir sur TF1 le 28 août 1995.
LE FONCTIONNEMENT DE LA MÉMOIRE 173
faut bien une mémoire à long terme exceptionnelle pour stocker toutes ces
parties et stratégies. Mais cela montre bien qu’il ne s’agit pas d’une mémoire
visuelle « photographique ». Une dernière anecdote le montrera, d’après sa
mère, lorsqu’ils partaient en voiture, Éloi et son copain (champion d’échecs
du Maroc) jouaient de tête dans la voiture en parlant par coordonnées, comme
s’il s’agissait d’une simple conversation…
enseignants » qui suivent les études normales de musique pour devenir ensei-
gnants. Les individus de chaque groupe sont étudiés sur le plan biographique et
par différentes estimations du temps passé à la pratique musicale. Les résultats
montrent que tous ces musiciens ont au moins 10 ans de pratique du violon.
Les résultats les plus spectaculaires concernent le temps passé dans l’entraî-
nement. À l’âge de 13 ans, les « meilleurs » s’entraînent 12 heures en moyenne
par semaine contre 8 et 5 heures pour les « bons » et les « élèves ensei-
gnants ». À l’âge de 20 ans, les heures de pratique s’élèvent à près de
30 heures pour les meilleurs, c’est-à-dire autant que chez des professionnels.
Les « bons » s’entraînent de 20 à 25 heures, alors que les « élèves ensei-
gnants » plafonnent autour de 10 heures. Cette différence spectaculaire, du
174 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
double au triple pour les « meilleurs » violonistes, traduit bien pour l’auteur
que ce ne sont pas les capacités innées qui sont déterminantes mais bien
l’entraînement. Sur une très longue période, ces différences cumulées abou-
tissent à des estimations vertigineuses de plus de 10 000 heures de pratique
pour les meilleurs et les professionnels à l’âge de 20 ans, environ 7 500 pour
les bons contre 4 000 chez les élèves enseignants. Victor Hugo avait bien rai-
son : le génie c’est 10 % d’inspiration et 90 % de transpiration !
Chapitre 5
LES PROCESSUS
DE RÉCUPÉRATION
ET L’OUBLI
Dans les ordinateurs, les informations sont munies d’une adresse (par l’inter-
médiaire du nom de fichier ou de programme) pour être retrouvées et récu-
pérées parmi des millions d’informations. Ce mode de fonctionnement,
similaire d’ailleurs à une bibliothèque, a servi de modèle à certains chercheurs
qui ont suggéré que l’oubli pouvait être considéré non pas comme une des-
truction de l’information mais comme l’impossibilité de retrouver une infor-
mation spécifique faute d’adresse.
schéma, l’échec à rappeler les informations peut être imputé à deux types
de cause :
– l’échec peut être dû au codage imparfait ou à la détérioration de l’informa-
tion à l’instar d’une bande magnétique mal enregistrée ou effacée acciden-
tellement ;
– l’échec peut être la non-récupération des informations due à l’emploi
d’une adresse erronée ou incomplète, comme dans la recherche d’un livre
en bibliothèque à l’aide d’un titre erroné.
Dans le stockage des informations en ordinateur, deux systèmes d’adres-
sage sont employés. Le premier, l’adressage par emplacement, consiste à
affecter une information à un emplacement indépendant du contenu de
l’information (par ex. en fonction de sa date). Ce type d’adressage détermine
un accès séquentiel, à la manière d’une bande magnétique qu’il faut dérouler
à partir d’un point de départ jusqu’à ce que l’on « tombe », à l’issue de ce
balayage (en anglais, scanning), sur l’information demandée. Cet accès n’est
pas le plus efficace, car, si l’on n’a pas pris la bonne bande magnétique, il
faut dévider toute la bande avant de s’apercevoir que l’information ne s’y
trouve pas ; dans ce cas, l’accès séquentiel est exhaustif. À l’inverse, dans
l’accès séquentiel, dès que l’information est trouvée, la recherche est arrêtée
à ce point de la bande : la recherche est donc autoterminante (self-termina-
ting). Le second type d’adressage, par contenu, est non exhaustif ; si une
adresse définissant le contenu est programmée, une recherche est entreprise
uniquement dans les emplacements concernés. Le contenu est considéré
comme une liste d’attributs (cf. la mémoire sémantique) et plus l’adresse
contiendra d’attributs, moins le nombre d’emplacements à examiner sera
grand. Ce type d’adressage détermine un accès sélectif, comme dans une
bibliothèque organisée par matières : pour trouver un livre sur les abeilles, on
cherchera successivement dans les parties sciences, zoologie, insectes, etc.
De même, la distribution du courrier s’effectue selon un mode d’accès parfai-
tement sélectif, pays, département, ville, rue, numéro.
Bien que les temps d’accès soient beaucoup plus lents en mémoire –
quelques centaines de ms (millisecondes) en ce qui concerne les mots –, on
retrouve des modes d’accès analogues, séquentiel et sélectif. L’accès
séquentiel en mémoire a été mis en évidence dans une technique inaugurée
par Saul Sternberg (1966, etc.), par la mesure des temps de reconnaissance
en mémoire à court terme. On présente au sujet des listes d’un nombre crois-
sant de chiffres : 3, 4 ou 7 chiffres (une liste à la fois). La liste est présentée
à la cadence d’un chiffre par seconde, puis à la fin de cette phase, un autre
chiffre test est présenté. Le sujet doit appuyer sur un bouton « oui », si le
chiffre appartient à la liste, ou sur un bouton « non » dans le cas contraire.
Dans une technique similaire, Wescourt et Atkinson (l’un des auteurs du
célèbre modèle, cf. chap. 3), présentent des listes de 1 à 4 mots, suivi d’un
mot test.
LES PROCESSUS DE RÉCUPÉRATION ET L’OUBLI 179
650
600
Réponses Non
500
450
400
0 1 2 3 4
Nombre d’éléments
Figure 5.1
Temps de réaction dans la reconnaissance de mots
en fonction des réponses et du nombre de mots dans la liste
(d’après Wescourt et Atkinson, 1973)
Catégorie Catégorie
d’un exemple de quatre exemples
ANIMAL ANIMAL
poule poule
cheval
cochon
canard
Les mots sont présentés un par un toutes les 3 secondes sur un écran de
télévision, groupés par catégorie ; les noms de catégorie sont également pré-
sentés mais ne sont pas à apprendre. Chaque groupe est subdivisé au moment
du rappel : dans un groupe, le rappel est traditionnel, sur une feuille blanche,
c’est le groupe de rappel libre, alors que les sujets de l’autre groupe reçoivent
une feuille de réponse où sont imprimés tous les noms de catégorie, c’est le
groupe de rappel indicé. Ce sont les noms de catégorie qui jouent le rôle
d’indices de récupération. Dans l’ensemble, le rappel indicé est très efficace,
parfois le double du rappel libre (fig. 5.2). L’oubli de certains mots n’est
donc pas une perte définitive mais correspond pour une part importante à un
manque d’indices.
À la suite de Tulving, de nombreuses recherches ont été menées et ont
permis de découvrir que les indices peuvent être de nature variée : indices
associatifs (chaud pour froid), indices phonétiques comme la rime, images.
Les photographies constituent aussi de puissants indices pour « repêcher »
des souvenirs parfois très lointains (cf. chap. 6).
LES PROCESSUS DE RÉCUPÉRATION ET L’OUBLI 181
40
Rappel
36 indicé
32
28
Rappel moyen
24
20
16 Rappel
libre
12
1 2 4 1 2 4 1 2 4 Mots/catégorie
12 24 48 Mots
Figure 5.2
Effet des indices de récupération
(Tulving et Pearlstone, 1966)
Mais Tulving et ses collaborateurs ont découvert qu’un autre facteur était
crucial. Ayant montré, avec Shirley Osler (1968), que des indices faiblement
associants (ex. « terre » pour « froid ») étaient efficaces à condition qu’ils
aient été mémorisés avec le mot cible (mot à rappeler : ici « froid »), Tulving
a énoncé le principe d’encodage spécifique : tout indice n’est efficace que s’il
a été encodé avec la cible au moment de la mémorisation. Au début de ses
recherches, Tulving pensait même que le mécanisme d’encodage spécifique
était le seul vrai mécanisme et il conçut avec Thomson une expérience com-
binant très méthodiquement l’absence d’indices et la présence d’indices,
forts ou faibles au moment de l’encodage et du rappel, soit 9 combinaisons
(avec 9 groupes de sujets).
182 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Indices au rappel
Exemple
terre-FROID sans faible fort
(rappel libre) « terre » « chaud »
sans
Indices à l’encodage
59 46* 79#
FROID
faible
45 65* 58#
terre-FROID
fort
51 38* 84*#
chaud-FROID
* = effet de codage spécifique, # = effet associatif. L’indice est en minuscules (terre),
la cible en majuscules (FROID).
Tableau 5.1
Pourcentages de rappel en fonction de la force associative
des indices au moment de l’encodage et du rappel
(d’après Tulving et Thomson, 1971)
En réalité, les résultats vont dans le sens des deux types de mécanismes.
L’effet d’encodage spécifique est montré par l’efficacité des indices lorsque
ceux-ci sont identiques au rappel et à l’encodage ; en particulier, des indices
faibles apparaissent efficaces (65 %) par rapport au groupe contrôle ayant la
même charge à l’encodage (45 %).
Au contraire, l’effet associatif est démontré par plusieurs résultats :
– par l’efficacité des indices associatifs forts au rappel (tab. 5.1 : colonne de
droite) par rapport aux groupes qui n’ont pas d’indices au rappel (colonne
de gauche), ce que ne prévoit pas l’hypothèse d’encodage spécifique ;
– par la supériorité des indices forts sur les indices faibles, quand il n’y a pas
eu d’indice à l’encodage (première rangée du tableau) ;
– par l’asymétrie des résultats dans les conditions d’encodage spécifique
(diagonales du tableau) ; dans ce cas en effet, les indices forts restent plus
puissants (84 %) que les indices faibles (65 %) ; à l’inverse, lorsque les
indices sont changés (fort à l’encodage et faible au rappel et inversement),
le rappel est moins perturbé avec les indices forts (58 % contre 38 %).
D’autres expériences ont d’ailleurs montré qu’à long terme (Ehrlich et
Philippe, 1976), seules les associations fortes subsistent. Il ne faut donc pas
opposer les deux mécanismes, tous deux sont efficaces. La mémorisation uti-
lise la mémoire à long terme, c’est l’effet associatif, tandis qu’à l’inverse, il
faut bien un mécanisme pour les premières étapes de l’apprentissage (avant
que les associations ne soient fortes), c’est l’effet d’encodage spécifique. La
complémentarité des deux mécanismes est très efficace (84 %).
LES PROCESSUS DE RÉCUPÉRATION ET L’OUBLI 183
2 LA MÉMOIRE ÉPISODIQUE
Pour rendre compte de ces deux mécanismes, la plupart des chercheurs ont
proposé différentes variantes d’une théorie que Tulving a résumée sous le
nom de modèle de l’association-reconnaissance (Tulving et Thomson, 1973).
Ce modèle (fig. 5.3) s’appuie sur l’existence d’un réseau associatif. Lorsqu’on
apprend une liste de mots, ceux-ci sont généralement connus. En quoi
consiste donc la mémorisation ? L’idée de plusieurs chercheurs est que
l’encodage d’un mot cible (ex. froid) produit un « marquage » de son concept
en mémoire.
Froid
Chaud terre
Encodage
+ marquage Reconnaissance
=
Froid recherche du marquage
igloo
Froid
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Figure 5.3
Schématisation du modèle d’association-reconnaissance
Remarque : le marquage est symbolisé par une étoile.
terre-Froid
Désert
train-Noir
Chaud terre
Résumé
Froid ...
igloo
...
Figure 5.4
Schématisation de la théorie de Tulving
d’une mémoire épisodique indépendante de la mémoire sémantique
LES PROCESSUS DE RÉCUPÉRATION ET L’OUBLI 185
Selon cette théorie originale, chaque fois que nous apprenons un mot, un
nouvel épisode est stocké avec son nouveau contexte. Tulving explique ainsi
les effets de fréquence qui seraient fonction du nombre d’épisodes stockés au
cours de notre vie. Si le mot « bateau » est plus fréquent que le mot « bathys-
caphe », c’est que nous avons entendu, lu, écrit, vu un très grand nombre de
fois ce mot ou l’objet qu’il désigne. La théorie de la mémoire épisodique
est donc une théorie qui révolutionne la façon de concevoir la mémoire.
Mais qu’est-ce au juste que cette mémoire ? Tulving pensait plutôt qu’elle
était indépendante et que seuls des « résumés » étaient envoyés en mémoire
sémantique (fig. 5.4).
Tableau 5.2
Mise à l’épreuve du modèle d’association-reconnaissance
(d’après Tulving et Thomson, 1973)
Remarque : les productions des sujets sont signalées en italique.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Technique Tulving
Variante
Tableau 5.3
Effets du changement de contexte d’association (cible ou indice) (Lieury, 1979)
Remarque : les productions des sujets sont signalées en italique.
LES PROCESSUS DE RÉCUPÉRATION ET L’OUBLI 187
associations (fig. 5.6) ; l’association forte serait due au fait qu’il y a un grand
nombre d’épisodes contenant l’adresse des deux mots dans le réseau séman-
tique ; par exemple, de très nombreux épisodes « chaud-froid » créent beau-
coup d’associations entre le concept « chaud » et celui de « froid » dans le
réseau associatif de la mémoire sémantique. Ainsi, les associations sont peut-
être une sorte de jeu de piste dans notre mémoire, les épisodes constituant des
petits messages qui permettraient de cheminer de concept en concept, à
des vitesses de l’ordre de quelques dizaines ou centaines de millisecondes.
À cet égard, il ne faut pas oublier que chaque neurone est en contact avec ses
voisins par 1 000 synapses en moyenne.
188 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Chaud Terre
Terre
Chaud Chaud Froid
Froid Froid
Chaud Chaud
Froid Froid
Froid
Froid
igloo
igloo
Figure 5.5
Modèle d’emboîtement des épisodes dans le réseau sémantique (Lieury, 1979)
Remarque : la force des associations correspond au nombre d’épisodes.
Mots composés
64 % 67 %
chauve-souris
Mots simples
77 % 30 %
petit-souris
Tableau 5.4
Effets des mots composés sur la supériorité rappel/reconnaissance
(d’après Lieury et Roux, 1980)
nom-adjectif
26 103
terre-Froid
adjectif-nom
72 45
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
blanc-Nuage
Tableau 5.5
Effets de la direction syntaxique sur la supériorité rappel/reconnaissance
(d’après Bartling et Thompson, 1977)
Remarque : les taux sont des nombres de mots rappelés ou reconnus.
cible) est très faible par rapport à leur rappel en présence du nom comme
indice. Ce résultat s’accorde bien avec l’idée que l’épisode est plus probable-
ment stocké en référence au nom (ex, froid avec terre) que l’inverse : le rôle
des adjectifs est de « marquer » les noms et non l’inverse.
Au total, la mémoire épisodique, au moins pour l’information sémantique,
paraît emboîtée dans la mémoire sémantique et ne semble pas être une
mémoire indépendante. Endel Tulving a lui-même opté pour cette conception
(Tulving, 1985), en ajoutant que la mémoire sémantique est une sous-partie
de la mémoire procédurale.
Les concepts des mots pourraient être vus comme l’abstraction des pro-
priétés des mots communs à plusieurs épisodes (Schank, 1980 ; Lieury,
1980). Schank remarque, par exemple, que chez un enfant, le mot singe
n’évoque pas une définition générale mais une histoire de singe dans
un zoo qu’il vient de visiter. Dans la genèse d’un apprentissage, en
particulier dans le cadre du développement de l’enfant, les concepts
de la mémoire sémantique sont vus comme l’abstraction progressive à
partir de multiples épisodes (fig. 5.6), ce que j’ai appelé « l’apprentissage
multi-épisodique » (Lieury et Forest, 1994 ; Lieury, 1997).
Oiseau
chante
Canari jaune
Merle
Figure 5.6
Abstraction des concepts de la mémoire sémantique
à partir des épisodes
(Lieury, 1997)
OISEAUX merle
canari rugby
SPORTS aigle tennis
récupération
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
pie judo
FLEURS
natation
rose
stockage
rose
tulipe tulipe
lys
primevère primevère
lys
Figure 5.7
Illustration de la capacité de récupération
dans la condition 3 catégories de 4 mots
192 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
24
Rappel libre
Rappel indicé
20
Reconnaissance
Score moyen/24
16
12
0
1 × 24 2 × 12 4 × 6 8 × 3 12 × 2 24 × 1
Catégories × mots
Figure 5.8
Capacité de la mémoire à court terme et efficacité
de différents modes de récupération (Lieury et Clevede, 1991)
Remarque : le rappel libre est limité et décroît après 4 catégories ;
le rappel indicé devient efficace après la décroissance du rappel libre ;
la reconnaissance n’est pas sensible à la capacité limite.
Minéraux
Métaux Pierres
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Figure 5.9
Exemple d’une planche (sur 4) de mots présentés de façon hiérarchique
(d’après Bower et coll., 1969)
194 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Pour le groupe contrôle, les 112 mots sont mélangés et présentés en colonne
également sur 4 planches.
Essais d’apprentissage
1 2 3 4
Contrôle 21 39 53 70
Tableau 5.6
Nombre de mots rappelés en fonction de la présentation hiérarchique
ou mélangée (contrôle) d’une liste de 112 mots (d’après Bower et coll., 1969)
4 RECONNAISSANCE ET MODULES
DE STOCKAGE
4.1 La reconnaissance
Dans la technique de reconnaissance, les mots cibles sont mélangés à des
pièges pour éviter les réponses au hasard. Mis à part les cas où les pièges sont
ressemblants aux cibles (Tiberghien et Lecocq, 1983), les performances sont
étonnamment élevées pour divers types d’information (Lieury et coll., 1990).
Reconnaissance
11,41
Mots
71 %
13,91
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Dessins
87 %
14,44
Visages familiers
90 %
11,98
Visages non familiers
75 %
Tableau 5.7
Comparaison des scores de reconnaissance en fonction de la nature
de l’information (moyenne et pourcentages établis sur 210 lycéens
de l’enseignement général) (Lieury et Pichon, 1991, non publié)
196 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Contexte de Rappel
reconnaissance indicé
Tableau 5.8
Échecs de reconnaissance en fonction du changement
de contexte phonétique/sémantique
(d’après Tiberghien et coll., cités par Tiberghien, 1983)
pération. Le trajet mixte des fibres optiques fait que toute information présen-
tée dans le demi-champ visuel droit (hémichamp droit) est d’abord traitée
dans l’hémisphère gauche et inversement. Classiquement, le rappel verbal est
très supérieur pour les mots présentés dans l’hémichamp droit, car l’hémis-
phère ou « cerveau » gauche est spécialisé dans le traitement verbal. Or, si le
rappel dépend fortement d’un effet hémisphérique, il n’en est pas de même
pour la reconnaissance (Juan de Mendoza et Grosso, 1980). Juan de Men-
doza interprète cette disparité par une hypothèse de double traitement,
« l’hémisphère gauche traitant préférentiellement les données verbales à
mémoriser selon un mode “linguistique” (sémantique en particulier), alors
que l’hémisphère droit pourrait opérer parallèlement un traitement de type
198 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
“graphique”, lié aux propriétés formelles des mots écrits », d’où son idée de
différencier les modes de récupération.
La présentation de mots imprimés en minuscules s’effectue dans l’hémi-
champ visuel droit ou gauche, mais on change le mode de récupération.
Lorsque le format visuel est identique (minuscules), la reconnaissance est
équivalente, quel que soit l’hémichamp visuel (fig. 5.10). Mais plus le format
de récupération est différent, graphique différent (majuscules), reconnais-
sance auditive des mots ou enfin rappel verbal libre, plus l’écart se creuse
entre les hémichamps visuels de présentation. Les mots passent donc dans
des phases de recodage où l’intervention de l’hémisphère gauche (= hémi-
champ visuel droit) est de plus en plus dominante pour le langage, avec
probablement un recodage lexical pour la reconnaissance auditive et un reco-
dage sémantique pour le rappel verbal. Dans notre laboratoire, nous avons
refait cette expérience fondamentale (avec Nathalie Hervé), en ajoutant une
condition de reconnaissance imagée (on présente les dessins des mots pré-
sentés parmi des pièges) ; nous avons retrouvé les résultats de Juan de Men-
doza, la reconnaissance imagée se situant entre la reconnaissance auditive et
le rappel libre. Identifier des concepts, présentés sous forme de mots, parmi
des dessins, nécessite un transcodage sémantique qui est donc essentielle-
ment assuré par le cerveau gauche (= hémichamp visuel droit). Il n’y aurait
5
Score moyen
4
Champ droit
Champ gauche
3
Rappel Reco Reco Reco
libre Audi Vis.Dif. Vis.Iden.
Mode de récupération
Figure 5.10
Différences de traitement hémisphérique en fonction du mode de récupération
(d’après Juan de Mendoza, 1988)
Remarque : la présentation est visuelle en minuscules (dans l’hémichamp visuel droit ou
gauche) :
– Reco Audi : reconnaissance auditive
– Reco Vis.Dif. : reconnaissance visuelle, graphisme différent (majuscule)
– Reco Vis.Iden. : reconnaissance visuelle identique, graphisme identique (minuscule)
LES PROCESSUS DE RÉCUPÉRATION ET L’OUBLI 199
5 L’OUBLI
Hermann Ebbinghaus est le tout premier dans l’histoire à publier en 1885 les
premières mesures de la mémoire. Son expérience la plus célèbre (chap. 1)
reste la première démonstration quantitative de l’oubli. Mais l’oubli est effroy-
ablement rapide, d’environ 80 % au bout d’un mois (fig. 1.1.). Ce sont les psy-
chologues associationnistes qui trouvèrent l’explication de cet oubli si brutal.
Repos 45
Nombres 37
Syllabes 26
Adjectifs différents 22
Antonymes 18
Synonymes 12
Tableau 5.9
Rôle de la similitude de l’interférence rétroactive
(d’après Mc Geogh et Mc Donald, 1931)
80 Weiss-Margolius
70 Underwood-Richardson
Williams
60
Pourcentage de rappel
50
Underwood
40
Ebbinghaus
Lester
30
Cheng
Hovland
20
Krueger Luh
10
Youtz
0
0 5 10 15 20 25
Figure 5.11
Interférence proactive au bout de 24 heures en fonction du nombre de listes
apprises antérieurement(simplifié d’après Underwood, 1957)
Remarque : j’ai ajouté le pourcentage de rappel d’Ebbinghaus
après le même délai de 24 heures.
Apprentissages
Acquisition Rétention
I II I II I II I II
proaction rétroaction proaction rétroaction
– impossible + – + –
+
Transfert Transfert Facilitation Interférence Facilitation Interférence
positif négatif proactive proactive rétroactive rétroactive
Figure 5.12
Transferts et interférences sont des interactions entre apprentissages
(d’après Lieury, 1975)
LES PROCESSUS DE RÉCUPÉRATION ET L’OUBLI 203
12 80
Apprentissage Rappel 48h
Nombre d'essais pour apprendre
10
Pourcentage de rappel
60
8
6 40
4
20
2
0 0
0 2 4 6 8 10 12 0 2 4 6 8 10 12
Blocs de 3 cycles Blocs de 3 cycles
Figure 5.13
Effets contraires du transfert et des interférences
(simplifié d’après Keppel et coll., 1968)
etc., jusqu’au mot complet ; dans ce cas, puisque c’est une procédure de
reconnaissance, on ajoutera des pièges ; le rappel libre est le cas particulier
où aucun indice n’est fourni.
0 (rappel) 24 %
2 lettres 28 %
3 lettres 56 %
4 lettres 70 %
5 lettres (reconnaissance) 85 %
Tableau 5.10
Variation du rappel (et inversement de l’oubli)
en fonction du nombre d’indices
(d’après Tulving et Watkins, 1973)
Les résultats indiquent (tab. 5.10) que le rappel varie de 24 % (soit 7 mots
sur les 28) à 85 % (reconnaissance), uniquement en fonction des indices
fournis. Symétriquement, l’oubli passe de 76 % à 15 %, mais cet oubli est
presque complètement compensé, lorsque les indices sont donnés (reconnais-
sance). On verra à propos des souvenirs que des indices appropriés permet-
tent une reconnaissance impressionnante quarante ans plus tard.
Dans une situation d’interférence, les indices de récupération ont le même
rôle, et c’est à nouveau Tulving qui fut le premier à le montrer dans une
expérience avec Psotka (1971) sur l’interférence rétroactive avec des listes
catégorisées de 6 catégories de chacune 4 instances catégorielles. Selon
6 groupes, le nombre de listes interférentes augmente de 0 (groupe contrôle)
à 5 listes entre la mémorisation de la liste cible et son rappel.
Le rappel des mots diminue fortement (fig. 5.14) de 70 % dans le groupe
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Rap. libre
100
Mots/Catég.
Catégories
80
Rappel moyen
60
40
20
0
0 1 2 3 4 5
Nombre de listes interférentes
(o = groupe contrôle)
Figure 5.14
L’interférence globale est due à l’oubli des catégories (indices)
(d’après Tulving et Psotka, 1971)
Contrôle 66 % 76 %
Interférentes (moyenne) 42 % 71 %
Tableau 5.11
Compensation de l’interférence rétroactive par les indices de récupération
(d’après Tulving et Psotka, 1971)
LES PROCESSUS DE RÉCUPÉRATION ET L’OUBLI 207
Les indices ne sont pas surpuissants, et leur efficacité est liée à leur spécifi-
cité : si tous les épisodes ont le même indice, celui-ci ne sert plus à rien,
comme si, dans une bibliothèque, tous les livres avaient le même numéro
d’inventaire, ou si tous les gens d’une ville avaient la même adresse. Cepen-
dant, la spécificité n’est pas stricte, car un indice est encore très efficace
jusqu’à 3 ou 4 épisodes. Différentes recherches soulignent que l’efficacité
des indices diminue graduellement en fonction du nombre d’épisodes par
indice et qu’en deçà d’un optimum, le rappel indicé est moins efficace que le
rappel libre. Marcia Earhard (1967) a fait varier systématiquement, dans
8 groupes, le nombre de mots par indice alphabétique ; le nombre de mots
par indice est respectivement de 24, 12, 8, 6, 4, 3, 2 et 1 ; par exemple dans la
condition 6, sachant que la liste contient 24 mots, il y a 6 mots commençant
par la lettre B, 6 par la lettre S, etc. Le rappel diminue graduellement en fonc-
tion du nombre de mots par indices. L’efficacité des indices semble donc
avant tout limitée par la capacité limitée de la mémoire à court terme (cf.
supra la capacité de récupération, § 3.1).
Cet oubli de type épisodique rend bien compte de nombreuses situations
d’oubli de la vie courante. Si je regarde un épisode de la série Friends, je me
rappellerai d’un bon nombre de situations, de gags, des prénoms (Rachel,
Ross), etc., mais à force de regarder les épisodes et les différentes saisons, il
y aura de plus en plus de confusions (interférences). Le même mécanisme
intervient pour les personnes qui vont en vacances au même endroit, ainsi
que dans la mémoire des faits de la vie quotidienne (« où ai-je posé mes
clés ? », « ai-je fermé la porte à clé ? », etc.). On aurait tort d’attribuer systé-
matiquement ce genre d’oubli au vieillissement, car l’âge ici ne joue son rôle
que parce qu’il est une occasion de mémorisation d’un plus grand nombre
d’épisodes…
Catégories différentes 64 % 68 %
Catégories différentes 64 % 98 %
Tableau 5.12
Interférence et facilitation rétroactive en fonction
de la nature des catégories des listes successives
(d’après Zavortink-Strand, 1971)
Dans les deux cas, l’interférence est la même pour le rappel des mots
(tab. 5.12), mais lorsqu’on compte le nombre de catégories rappelées (rappel
d’au moins un mot représentant la catégorie), on s’aperçoit que l’interférence
n’existe que si les listes sont composées de catégories différentes. Lorsque
les catégories sont les mêmes, le rappel est complet (98 %), il y aurait même
probablement facilitation rétroactive par rapport au groupe contrôle si la
performance n’était pas aussi importante (95 %).
Une telle expérience fournit le prototype de la construction des connais-
sances, avec le développement des concepts communs à différents apprentis-
sages. D’ailleurs, lors d’une interview télévisée1, l’actrice Diana Riggs qui
joue Emma dans la série Chapeau melon et bottes de cuir fut bien embarras-
sée lorsque le journaliste lui posa la question : « Quel est votre épisode
préféré ? » Elle lui répondit ainsi : « Je ne l’ai pas vu depuis si longtemps.
Pour moi, c’est comme s’ils étaient fondus en un épisode unique. Parmi les
plus anciens, je me souviens bien des “cybernautes”. C’était l’un des tout
premiers, j’avais le trac, c’est pourquoi je m’en souviens. Pour le reste, il faut
savoir qu’on faisait un épisode tous les dix jours et même les scénarios
étaient parfaits. Ils avaient un moule, c’est donc difficile de faire ressortir un
épisode précis. »
La vie est un grand feuilleton, et notre mémoire fusionne les épisodes pour
extraire des abstractions génériques que sont les mots, les visages de nos pro-
ches, les lieux qui nous sont familiers.
Phrase complexe
La vieille voiture tirant une remorque grimpe la colline escarpée.
Phrases de 1 proposition
– A : la voiture est vieille.
– B : la voiture tire une remorque.
– C : la voiture grimpe la colline.
– D : la colline est escarpée.
Phrases de 2 propositions
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Phrases de 3 propositions
– ABC : la vieille voiture tirant une remorque grimpe la colline.
– ACD : la vieille voiture grimpe la colline escarpée.
– BCD : la voiture tirant une remorque grimpe la colline escarpée.
210 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Type de phrases
4 3 2 1 Inter-idée
Pourcentage de fausses
82 % 80 % 67 % 44 % 1%
reconnaissances
Tableau 5.13
Reconnaissance de phrases jamais présentées
(d’après Singer et Rosenberg, 1973)
SOUVENIRS ANCIENS
ET VIEILLISSEMENT
DE LA MÉMOIRE
1 L’ÉVOLUTION DE LA MÉMOIRE
La mémoire n’est ni innée ni universelle, elle est le produit d’une triple évo-
lution : phylogénétique, historique et développementale. Les possibilités
virtuelles de la mémoire humaine sont déterminées par l’évolution phylo-
génétique, mais c’est l’homme, à travers son histoire, qui, en inventant le
langage, la mesure du temps, etc., a fait la mémoire que nous connaissons. Si,
par exemple, la mémoire des images avait une telle vogue dans l’Antiquité,
c’est probablement parce que la plupart des gens ne savaient ni lire ni écrire,
et si nous pouvons dater nos souvenirs, c’est grâce au calendrier.
des premiers souvenirs sont des images visuelles, parfois précises : il s’agit
d’une vieille porte au fond d’un jardin : « je la vois encore avec ses charnières
de cuir clouées sur un pieu rustique, pourri par l’humidité… ». Les premiers
souvenirs sont souvent associés à des émotions ; l’un des sujets rapporte :
« je viens d’évoquer 12 souvenirs appartenant à une époque très ancienne de
mon existence, vers 6 ans je crois, je ne puis préciser davantage, et je remarque
que ce sont tous des souvenirs émotionnels à une ou deux exceptions près » ;
ces émotions sont la tristesse, la joie, la douleur…
L’essor de la psychanalyse vers les années 1940 a contribué à relancer
l’intérêt pour ce thème aux États-Unis, et différentes recherches confirment
et développent les résultats des Henri. George et Marthe Dudycha (1941) éta-
blissent une synthèse des recherches sur la question et indiquent que l’âge
moyen du premier souvenir se situe entre 3 et 4 ans ; eux-mêmes réalisent
une enquête minutieuse en questionnant l’entourage familial de leurs sujets
afin de vérifier les dates des souvenirs, et retrouvent une date moyenne de
3 ans 7 mois pour le premier souvenir.
En ce qui concerne les émotions ou sentiments associés aux souvenirs, le
résultat général est que les souvenirs agréables prédominent nettement,
comme nous le verrons plus tard (§ 3).
20
18
14
12
10
6 Souvenirs
Vocabulaire
4 Récit
0
0 1 2 3 4 5 6 7 8
Âge en années
Figure 6.1
L’évocation des souvenirs d’enfance
(simplifié d’après Waldfogel, 1948)
Remarque : le maximum pour le vocabulaire est de 2 400 mots,
le maximum pour le rappel du récit est de 45 items rappelés.
6-8 ans 71 5 0 0
9-11 ans 93 64 19 1
12-14 ans 95 71 20 5
15-17 ans 83 65 22 25
Tableau 6.1
Rappel en fin de semaine du menu des jours précédents (%)
pour des enfants de 6 à 17 ans
(Lieury, Pyron et Tanguy, cités par Lieury, 1992)
La mémoire est meilleure avec l’âge (ce qu’on sait depuis Binet, 1911).
Les enfants les plus jeunes, ici 6 à 8 ans, se rappellent seulement ce qu’ils ont
mangé le jour même, ce n’est que chez les adolescents que la mémoire est
fiable avec un rappel de 25 % après quatre jours. Connaissant l’oubli par
interférences (oubli en fonction de l’accumulation des apprentissages), on
s’attendrait à ce que les jeunes subissent moins d’oubli par interférences que
les grands (qui ont enregistré beaucoup plus de menus dans leur vie), ce qui
n’est pas le cas. Ce résultat souligne bien que le déficit se situe au niveau de
l’absence de mécanismes de stockage performants.
Jean Piaget et Bärbel Inhelder (1968) ont montré également que la
mémoire était liée au développement, mais pour Piaget, la mémoire est entiè-
rement subordonnée au développement de l’intelligence qui, pour lui, est
logique (« opératoire ») : les enfants ne rappellent pas ce qu’ils voient mais
ce qu’ils sont capables de coder ; par exemple, une série de baguettes ordon-
nées de la plus petite à la plus grande n’est dessinée par les enfants les plus
jeunes (4-5 ans) que comme une série désordonnée. Cependant, même lors-
que les enfants ne rappellent pas la structure logique, il y a rappel de certai-
nes informations perceptives (qui sont liées à des structures cognitives
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
acquises plus tôt), c’est la raison pour laquelle Piaget et Inhelder établissent
une distinction importante entre les aspects figuratifs et opératifs du souvenir.
Claire Gérard de l’université de Poitiers a réussi à dissocier les composan-
tes figuratives et catégorielles, et a mis en évidence que ces aspects n’ont pas
du tout la même évolution (1974). On présente à des enfants de 3 à 7 ans
6 images d’une même catégorie (ex. moto, avion, camion, vélo, voiture,
bateau). Les caractéristiques figuratives des images sont données par la com-
binaison de la taille (grand-petit) et par la couleur (rouge-jaune). Ainsi dans
un test de reconnaissance de type figuratif, l’enfant devra-t-il reconnaître la
combinaison réellement présentée, par exemple le dessin d’un petit avion
218 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
100
Catégoriel
Pourcentage de bonnes réponses
80
60
Figuratif
40
20
0
2 3 4 5 6
Âge en années
Figure 6.2
Évolution différentielle des aspects figuratifs (couleur et taille)
et conceptuel (avion, train ou robinet)
(d’après Gérard, 1974)
L’évolution des aspects figuratifs et conceptuels est très différente (fig. 6.2),
les capacités conceptuelles évoluent de manière très forte avec l’âge, passant
de 40 % à 100 % de l’âge de 3 ans à 6 ans, tandis que la mémoire des aspects
figuratifs (mémoire visuelle) est pratiquement stable. Ces résultats expli-
quent les aspects très parcellaires et sensoriels des souvenirs d’enfance, telle
personne ne se rappelant que d’éclairs lumineux et de bruits lors des bombar-
dements ou simplement de la sonnerie des cloches à la Libération. Ce n’est
qu’avec l’accroissement du vocabulaire et des capacités de conceptualisation
(catégories et traits) que les souvenirs vont devenir plus riches.
Plus riches mais pas forcément plus exacts, comme l’a montré Bartlett
(cf. chap. 4, § 6.1), car les fragments figuratifs et conceptuels sont assimilés
dans des connaissances plus générales. L’une de mes filles Sabine m’interro-
geait récemment sur le souvenir qu’elle avait, étant petite (environ 10 ans),
d’avoir été invitée avec moi dans un mariage aristocratique où des enfants en
smoking jouaient du violon. L’événement réel était que des amis musiciens
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 219
jeune femme n’a jamais été enceinte, puisqu’elle est encore vierge… Ou
encore, cette jeune aide soignante convaincue, sous hypnose par son théra-
peute, qu’elle a été embrigadée dans une secte satanique qui l’a poussée à
manger des bébés… Elizabeth Loftus décrit ainsi plusieurs cas de patientes
dont les faux souvenirs ont mis en accusation des innocents.
100 E. réels
E. fictifs
80
Pourcentage de sujets
60
40
20
0
1er 2e 3e
Ordre des entretiens
Figure 6.3
Incorporation d’événements fictifs en fonction d’entretiens successifs
(d’après Hyman, cité par Loftus, 1997)
Cette chercheuse avait déjà montré que les souvenirs pouvaient être large-
ment déformés par des événements plus tardifs et notamment par des ques-
tions ultérieures. Ainsi, faisant voir des diapositives relatant un accident de la
circulation, une voiture verte y apparaît, renversant un cycliste pour éviter un
poids lourd. Si l’on pose ce type de question : « Pourquoi la voiture bleue a-
t-elle renversé le cycliste ? » et que plus tard, on demande la couleur de la
voiture, plusieurs « témoins » disent qu’elle était bleue, alors qu’elle était
verte. L’une des raisons de ces faux souvenirs est que nous n’avons pas de
mémoire photographique et que les souvenirs sont construits à partir d’élé-
ments imagés et surtout d’éléments verbaux qui peuvent eux-mêmes se trans-
former en image. Cette construction évolue au cours du temps et peut se
transformer en reconstituant des éléments manquants par associations (cf.
chap. 4, § 3.3), en fonction d’une meilleure logique de l’histoire, ou en
agglomérant des éléments qui proviennent d’autres événements, comme dans
des questions posées par un enquêteur ou un thérapeute.
Ainsi Ira Hyman et ses collaborateurs (cités par Loftus, 1997) ont présenté à
des sujets des histoires concernant leur enfance et racontées par leurs parents ;
mais à ces événements réels étaient ajoutés de faux événements, comme la
venue d’un clown pour leur anniversaire. Lors d’un premier entretien, aucun
sujet ne se rappelle de cet événement ajouté, mais plus tard, lors d’un second
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 221
2 MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE
ET MÉMOIRE COLLECTIVE
Les souvenirs des événements de la vie apparaissent donc comme des com-
plexes d’informations ayant de multiples facettes : figuratives (ou percepti-
ves), conceptuelles, mais également affectives, sociales et temporelles.
lar… »), une série de mots d’activité (« ouvrir, couper, travailler… ») et enfin
une série de mots affectifs (« joyeux, étrange, surpris… »). Le sujet doit évo-
quer une expérience de sa propre vie liée à chaque mot. L’expérimentateur
mesure le temps de réaction entre la présentation du mot évocateur et le début
du récit du souvenir. Ensuite, le sujet doit reprendre ses récits et les dater le
plus précisément possible, en année, mois, jour, heure. Au total, 1 100 récits
sont reportés ; l’âge du souvenir va du jour ou de la semaine en cours à
12 ans auparavant. Les souvenirs sont plus étalés dans le temps pour les mots
d’objets et d’activité (en moyenne 1 à 3 ans) que les souvenirs évoqués par
les mots affectifs qui sont plus récents (5 à 8 mois). L’auteur a réparti les sou-
venirs en cinq classes de précision temporelle : l’année, le mois, la semaine,
222 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
• Vie sentimentale
• – mariage et fiançailles
114 19 %
• – rencontres
• – relations amicales
• Vie familiale
• – mort
94 16 %
• – naissance
• – divers
• Épisodes de la vie
• – premières ou dates mémorables
58 10 %
• – fêtes, soirées, spectacles
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
• – découvertes
• Situation matérielle
• – déménagement, achat maison 41 7%
• – nouvelle voiture, moto
• Santé
34 6%
• – accident, maladie
Tableau 6.2
Thèmes des souvenirs d’événements privés
(simplifié d’après Lieury, Richer et Weeger, 1978)
224 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Les thèmes évoqués en rappel libre (tab. 6.2) sont donc plus variés que
ceux associés à des mots évocateurs. Ainsi Robinson trouvait trois catégories
– par ordre décroissant, les accidents et blessure, les épisodes romantiques et
les premières –, alors que nous trouvons trois grandes catégories regroupant
chacune environ 20 % des souvenirs : les événements liés au travail, ceux
concernant la vie sentimentale (les épisodes romantiques de Robinson) et les
voyages et vacances. Les premiers n’apparaissent que pour 10 % et fort heu-
reusement les accidents (et maladies) que pour 6 % (alors que c’était le pre-
mier thème chez Robinson).
Mais ce qui apparaît très différent de la technique des mots évocateurs,
c’est l’apparition de souvenirs d’événements publics, cependant en moins
grand nombre (18 % du total). Ces événements ont été classés en en trois
catégories générales : les événements politiques, ceux de la vie sociale, tech-
nique et artistique et enfin les événements économiques.
• Événements politiques
• • Guerre, révolution, coup d’état 63 47 %
• • – mai 1968
• • – fin de la guerre au Vietnam
• • – printemps de Prague, etc.
• • Vie politique 46 34 %
• • – mort de Pompidou
• • – mort de de Gaulle
• • – élection de Jimmy Carter
• • – assassinat de Kennedy
• • – Watergate, etc.
• Événements économiques
• – crise économique
11 8%
• – action de l’Opep
• – élargissement de la CEE, etc.
Tableau 6.3
Thème des souvenirs d’événements publics
(simplifié d’après Lieury, Richer et Weeger, 1978)
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 225
Les événements politiques sont de loin le plus souvent évoqués parmi les
souvenirs publics (80 %, tab. 6.3), si bien que nous les avons regroupés en
deux sous-catégories. La plus importante (47 %) concerne des événements
qui affectent profondément la vie de peuples entiers ou de groupes sociaux
importants : ce sont des guerres (ou fin de guerre), révolutions, coups d’État.
L’événement le plus fréquent n’est pas le plus important sur le plan inter-
national, notamment par rapport à la guerre au Vietnam ou à la révolution
portugaise, mais il est français, c’est la crise révolutionnaire de mai 1968
(49 sujets l’ont évoqué et il représente à lui tout seul 36,6 % des souvenirs
publics). La seconde sous-catégorie concerne la vie politique. Dans la mémoire
des sujets interrogés, la vie politique apparaît très personnalisée et concerne
particulièrement la vie et surtout la mort d’hommes politiques connus (près
de la moitié de ces souvenirs concerne la mort de présidents de la république
en France, Pompidou et de Gaulle). Enfin, les événements concernant la vie
économique ou culturelle apparaissent peu nombreux (20 %), l’événement le
plus évoqué étant la conquête spatiale avec les premiers hommes sur la Lune.
L’analyse des souvenirs évoqués librement indique donc une hétérogénéité
frappante des thèmes. Il n’y a guère que 20 % de souvenirs évoquant des
événements publics pour 80 % d’événements privés. Même pour ces événe-
ments « publics », il y a un caractère autobiographique, car ce sont les évé-
nements vécus par le sujet qui sont rappelés : guerre de 1940 pour les sujets
les plus âgés, mai 1968 pour les plus jeunes et guerre d’Algérie pour la géné-
ration intermédiaire.
Dans l’ensemble donc, les gens ne rappellent que ce qui les concerne, y
compris dans les événements publics. Beaucoup d’auteurs avaient signalé ce
caractère égocentrique : Freud le premier dont la formule « sa majesté le
moi » cristallise bien le phénomène, ainsi que d’autres auteurs anciens (pour
une revue, cf. Greenwald, 1981), notamment Édouard Claparède ou le gestal-
tiste Koffka qui parle de système égocentrique.
L’expérimentation a confirmé que la référence à soi facilitait la mémoire
(Kuiper et Rogers, 1979 ; Bower et Gilligan, 1979, etc.), en voici un exemple
frappant avec l’expérience de Gordon Bower et Stephen Gilligan de l’univer-
sité de Stanford. Les sujets devaient noter dans un premier groupe « réfé-
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
rence à soi » si des adjectifs d’une liste (48) les décrivaient eux-mêmes (pour
un groupe de sujets) ou s’appliquaient à un journaliste vedette aux États-Unis
(l’équivalent de Patrick Poivre d’Arvor). Après une tâche de distraction de
dix minutes (calcul), les sujets devaient rappeler le maximum d’adjectifs sans
avoir été prévenus qu’il s’agissait d’une expérience de mémoire.
Le rappel est supérieur (tab. 6.4) pour les mêmes adjectifs, lorsqu’il y a
référence à soi (60 % contre 43 %), aussi les auteurs émettent-ils l’hypothèse
que la référence à soi est un réseau associatif spécialisé de la mémoire qui,
très intégré depuis notre enfance, sert de référence puissante pour l’asso-
ciation de nouveaux événements. On observe, par ailleurs, que les adjectifs
226 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
agréables (amical…) sont toujours mieux rappelés que les adjectifs désa-
gréables (désobéissant…), ce qui nous renvoie à nouveau à la composante
affective des souvenirs.
agréables désagréables
Référence à soi 35 % 25 %
Référence journalistique 26 % 17 %
Tableau 6.4
Rappel incident d’une liste d’adjectifs (48) selon que les adjectifs
étaient censés décrire le sujet ou un journaliste connu
(simplifié d’après Bower et Gilligan, 1979)
enregistre le récit des sujets qui doivent penser à voix haute. Certaines des
stratégies utilisées prennent la forme d’un rappel incident, lorsqu’un nom en
évoque un autre, d’une inférence, lorsque le sujet essaie de déduire l’âge
d’un camarade, etc. Mais les stratégies qui paraissent les plus fréquentes sont
la recherche préliminaire d’un groupe social (groupe de copains), d’une acti-
vité (base-ball, orchestre) et de lieux (inventaire des rues de la ville). L’auteur
déduit de ces observations que la récupération d’événements spécifiques est
précédée de la recherche d’un contexte plus précis dans lequel on a des chan-
ces de trouver l’information demandée.
John Kennedy
Blanc 39 40
assassinat
Malcom X
Noir 1 14
assassinat
Gerald Ford
Blanc 23 16
tentative d’assassinat
Général Franco
Blanc 17 13
mort naturelle
Tableau 6.5
Nombre de souvenirs-flashs en fonction de l’événement
et de la classe sociale (Noirs ou Blancs américains)
(simplifié d’après Brown et Kulik, 1977)
Puis, dans le cadre d’une étude longitudinale, ils ont reposé les mêmes ques-
tions trois ans plus tard aux mêmes sujets. Il apparaît que 40 % des sujets ont
des souvenirs inconsistants avec leurs souvenirs antérieurs, ce qui souligne
que le souvenir-flash n’est pas aussi précis et durable. Mais une étude de
Conway et de ses collaborateurs (Conway, 1995) confirment la justesse du
souvenir-flash en interrogeant les souvenir-flashs liés au départ de Margaret
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Thatcher, soit dans les quinze jours suivants, soit onze mois plus tard, et il
apparaît cette fois que le souvenir reste précis et cohérent. Une étude corré-
lationnelle indique que la précision du souvenir-flash n’intervient qu’en
fonction d’un facteur parmi deux, soit l’importance de l’événement, soit
l’intensité de l’émotion suscitée.
Comme tout souvenir, les souvenirs-flashs peuvent inclure des éléments
erronés (Loftus et Kaufman, cité par Winograd et Neisser, 1992) comme des
erreurs de datation (cf. § 2.3.4), mais ce qui est remarquable, c’est le fait que
le souvenir se détache particulièrement dans la mémoire du sujet, montrant
ainsi l’importance des repères sociaux et de l’émotion dans les souvenirs.
230 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Tableau 6.6
Classement d’événements en mémoire
(d’après Larsen, 1992)
4 Autobiographique
Événement
Contexte
3
Rappel
0
2 4 6 8 10
Délai de rappel (en mois)
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Figure 6.4
Comparaison entre le rappel d’événements de l’actualité,
de leur contexte et de souvenirs autobiographiques
(d’après Larsen, 1992)
Au fil des mois, le rappel baisse selon une classique courbe d’oubli, mais
de façon pratiquement égale pour les événements publics ou autobiographi-
ques. À l’inverse, le contexte des événements publics (autrement dit les sou-
venirs-flashs) n’est jamais bien rappelé, même dans des délais courts. Larsen
en déduit que le souvenir-flash n’est pas un phénomène général.
232 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
14 Sémantique
Épisodique
12
10
Nombre de souvenirs
0
2000 1980 1960 1940 1920
Période de vie
Figure 6.5
Dissociation des souvenirs « sémantiques » et « épisodiques »
chez des personnes âgées de 70 à 79 ans
(simplifié d’après Piolino, Desgranges et Eustache, 2000)
Remarque : les années sont les débuts d’une décennie (ex. 1920 = 1920-1929),
sauf 2000 qui concerne l’année en cours.
Les résultats sont les mêmes, quelles que soient les tranches d’âge (la
figure 6.5 ne présente que la courbe des personnes les plus âgées), et indi-
quent une stabilité étonnante des souvenirs personnels généraux, ce qui peut
s’expliquer par la richesse des liens associatifs de la mémoire sémantique (cf.
la mémoire des visages, chap. 4, § 4.3) ou le mécanisme de catégorisation de
la mémoire (cf. la meilleure rétention des titres, chap. 4, § 6.3). À l’inverse,
les détails de contexte, qui caractérisent les souvenirs épisodiques, sont plus
fragiles ou subissent de nombreuses interférences du fait de la ressemblance
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 233
3 ÉMOTION ET MÉMOIRE
mots affectifs par l’hypothèse que ces mots n’évoquent qu’indirectement les
souvenirs, par des mots d’objet ou d’activité.
D’ailleurs, dès le IVe siècle, saint Augustin observait une certaine indépen-
dance entre ce que nous appelons maintenant cognition et émotion, quand il
remarquait qu’on peut rire d’un événement triste ou, à l’inverse, être triste en
pensant aux épisodes heureux. Stephane Laurens, psychologue social de
l’université de Rennes 2, fait remarquer que le regain d’intérêt pour le domaine
de la mémoire collective pourrait être lié à une nostalgie du passé. Par ce
sentiment fort, « l’individu ou la société se trouvent attachés à leur passé ou
plutôt à une représentation de leur passé. Or cette représentation orientera la
définition, c’est-à-dire l’identité de l’individu ou de la société » (Laurens,
2002). Or comme le notait déjà Halbwachs, le passé est embelli, « les traits
déplaisants sont effacés ou atténués… [l’homme] adopte instinctivement,
vis-à-vis du temps écoulé, l’attitude des grands philosophes grecs qui met-
taient l’âge d’or non à la fin du monde mais au commencement […] un grand
nombre d’entre nous se persuadent que le monde, aujourd’hui, est plus inco-
lore, moins intéressant qu’autrefois, en particulier qu’aux jours de notre
enfance et de notre jeunesse » (Halbwachs, 1925, cité par Laurens, 2002).
Une expérience de Laurens montre de façon frappante ce mécanisme
d’embellissement du passé. Dans un questionnaire, des étudiants doivent
évoquer des événements passés, présents ou même à venir, puis donner un
titre, une date approximative. Enfin, l’auteur mesure, grâce à une échelle en
5 points, les sentiments associés, joie, bonheur, tristesse, peur, regrets, mais
dont il dérive une connotation affective globale (en soustrayant la note des
sentiments négatifs à celle des sentiments positifs). Les événements du passé
très lointain et lointain sont connotés positivement de façon plus forte par
rapport à ceux du passé proche ou du présent.
Mais à quoi est dû cet embellissement du passé ? À une sélection différen-
ciée des événements agréables ou, à l’inverse, à un blocage des souvenirs
désagréables ?
À cet égard, il faut distinguer, comme nous l’avons vu, les souvenirs
d’événements privés (ou autobiographiques) qui sont en général agréables
(tab. 6.2), et ceux d’événements publics (mémoire collective) qui sont essen-
tiellement constitués de morts et de guerres (tab. 6.3). Il est probable que les
événements autobiographiques désagréables sont moins répétés (provoquant
un oubli différentiel). Mais ce n’est pas le cas des événements publics désa-
gréables qui, au contraire, sont enregistrés comme importants sur le plan
politique (ex. changement de gouvernement) mais avec une intensité émo-
tionnelle moindre, comme la mort d’un homme d’État par rapport à la mort
d’un proche…
Pourcentage de
84 81 69
reconnaissance
Tableau 6.7
Effet de l’émotion sur la reconnaissance de photos
(Lieury et coll., cités par Lieury, 1992)
même, une autre étude a montré que les mots grossiers et sexuels comme
« trou du cul, gouine » étaient mieux rappelés que des mots communs
(Lieury et coll., 1997), ce qui ne traduit pas de « censure » spéciale, du moins
chez les étudiants de psychologie du XXe siècle !
Mais comme le suggère Christianson, un chercheur suédois qui s’est spé-
cialisé dans le rôle des émotions dans la mémoire (Chritianson, 1992), les
mémoires émotionnelles ne sont peut-être pas de même nature ou de même
intensité en laboratoire et dans la vie réelle (Christianson, cité par Conway et
coll., 1992) : apprendre des mots grossiers n’est pas la même chose que de se
faire attaquer par des agresseurs armés.
238 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
300 Difficile
Nombre d’essais nécessaires à l’apprentissage
Moyenne
250 Facile
200
150
100
50
0
0 100 200 300 400 500
Figure 6.6
Loi de Yerkes et Dodson (1908)
Optimum
Efficience
de la
mémorisation Augmentation
du niveau émotionnel
Augmentation
de la motivation
Faible Elevée
Figure 6.7
Loi de Yerkes et Dodson (1908) et interactions entre émotion et mémoire.
(adapté d’après Christianson, 1992b)
Des mécanismes cognitifs interviennent aussi pour produire les effets des
souvenirs fortement émouvants ou traumatisants, comme l’ont mis en évidence
différents chercheurs spécialistes des victimes d’agression (Christianson,
1992b). Un phénomène remarqué par beaucoup de chercheurs est la sélection
par les victimes (contrairement aux témoins non victimes) du caractère central
de l’événement plutôt que des détails de la situation. L’attention est évidemment
l’un des mécanismes explicatifs de ce résultat. Si vous êtes attaqué par un
individu armé d’un revolver ou d’un couteau, votre attention va être focalisée
sur l’arme plutôt que sur les habits de l’agresseur.
Cependant, les facteurs perceptifs sont peut-être déterminants, car la
vision n’a une grande acuité que dans un angle de 2 à 4 degrés, et une percep-
tion détaillée n’est possible que par de nombreuses saccades oculaires (cf.
Lieury, 2004). Or de nombreuses recherches sur le phénomène appelé « foca-
lisation sur l’arme » ont montré que les mouvements oculaires, enregistrés
lors de présentation de diapositives d’agression, sont plus nombreux et plus
longs sur certains objets comme les armes. Par conséquent, si le regard est
centré sur l’arme, les informations périphériques restent floues ou invisibles,
d’autant que les agressions sont généralement rapides.
4 TEMPS ET MÉMOIRE
100
Reco 50
Reco 70
Rappel 50
Pourcentage de bonnes réponses
80 Rappel 70
60
Reconnaissance
40
20
Rappel
0
1965 1960 1955 1950 1945
Figure 6.8
Le souvenir des visages de personnalité
(adapté d’après Warrington et Sanders, 1971)
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 243
Tableau 6.8
Pourcentages de rappel et reconnaissance de noms et de photos
de camarades de collège après des délais de 3 mois à 48 ans
(simplifié d’après Bahrick, Bahrick et Wittlinger, 1975)
48 ans. Par contraste (fig. 6.9), les souvenirs des relations amoureuses sont
très présents en mémoire, mais seulement après 3 mois (60 %), l’oubli est
ensuite très rapide pour rejoindre le souvenir des simples camarades, alors
que le souvenir des bons copains demeure très vivace (de 40 % à 50 % de
rappel), même 50 ans plus tard.
100 Camarades
Copains proches
Pourcentage de rappel libre
80 Relations amoureuses
60
40
20
0
3 mois 25 ans 48 ans
Figure 6.9
Pourcentages de rappel en fonction de la relation après des délais
de 3 mois à 48 ans (d’après Bahrick, Bahrick et Wittlinger, 1975)
trouvé, étant âgé alors de près de 60 ans, que 39 % des souvenirs évoqués
étaient antérieurs à l’âge de 22 ans, que 46 % concernaient la vie adulte et
que 15 % seulement étaient des souvenirs d’événements plutôt récents. Mary
Calkins (1898, l’inventeur de la technique des couples) cite les extrêmes de
ces résultats (omettant les 46 % de la vie adulte) et conclut qu’« une large
proportion d’associations de l’enfance (39 %) » a été trouvée contre « seule-
ment un petit nombre (15 %) d’associations avec des événements très
récents ». Pour vérifier ces résultats, elle emploie la même technique avec
des mots évocateurs, tels que « église, mère, poupée, école, tambour ». Des
étudiants (90) évoquent 14,7 % de souvenirs d’enfance et 32,7 % de souvenirs
récents, tandis que, chez des personnes âgées ou d’âge moyen (87 sujets), les
souvenirs d’enfance sont (à peine) plus nombreux avec 33,4 % contre 30,9 %
pour les récents. Ces résultats vont, en première analyse, dans le sens de la
théorie de l’involution, ou régression.
Néanmoins, si ces anciennes expériences étaient originales, elles n’étaient
pas toujours contrôlées ; Ribot cite d’ailleurs, à l’appui de sa théorie, seule-
ment deux observations qui apparaissent avec les données actuelles comme
des cas d’amnésie (notamment une amnésie rétrograde après une chute de
cheval). Plusieurs facteurs sont mal contrôlés dans les expériences sur les
mots évocateurs. La période de temps invoquée est vague, et on ne sait pas
sur combien d’années porte la période d’enfance et la période récente. Par
ailleurs, les mots évocateurs ne sont pas neutres et évoquent des souvenirs
spécifiques. Lorsqu’on contrôle ces deux facteurs, les résultats sont bien dif-
férents de la loi de régression.
La première recherche sur des âges variés est sans doute celle conduite par
Hélène Franklin et Dennis Holding (1977) de l’université de Louisville dans
le Kentucky (célèbre pour ses études sur les jumeaux, cf. Lieury, 2004), qui
utilise la technique des mots évocateurs avec des groupes d’âge, par décen-
nies, de 30 à 70 ans. Contrairement à la loi de régression, l’âge moyen
d’encodage du souvenir augmente avec l’âge (tab. 6.9). En d’autres termes, si
la moyenne des souvenirs rappelés par les « 30 ans » concerne des événe-
ments qui se sont déroulés lorsqu’ils avaient 29 ans en moyenne (= âge
d’encodage), les « 70 ans » rappellent des souvenirs d’événements encodés
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Âge d’encodage 29 35 37 48 57
Tableau 6.9
Âge moyen d’encodage du souvenir selon l’âge actuel
(d’après Frankin et Holding, 1977)
246 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Dans l’une de nos expériences, nous avons opté pour un rappel libre afin
d’éviter le biais éventuel des mots évocateurs (Lieury, Dallet, Demesse et
Queyroux, 1978, cités par Lieury, 1980b). Le rappel des souvenirs était donc
totalement libre, nous demandions aux sujets d’évoquer « les souvenirs qui
les ont le plus marqués dans leur vie tout entière », puis d’indiquer la date ou
l’âge qu’ils avaient au moment de l’événement. Nous avons rangé les souve-
nirs par période de dix ans sauf pour la période d’enfance. En tenant compte
sur le plan pratique qu’il y a peu de souvenirs avant l’âge de 5 ans, la pre-
mière période (10 ans sur la figure) va de 0 à 15 ans ; les autres périodes
durent dix ans (ex. la période de 20 ans va de 16 à 25 ans). Enfin, pour la
dernière période qui se finit inégalement selon l’âge des sujets (ex. un sujet
de 66 ans ou un sujet de 74 ans), nous avons regroupé, pour chaque sujet, les
souvenirs des dix dernières années.
60
50 30 ans
rappelés selon les périodes
Proportion de souvenirs
40
30
20
10 70 ans
0
10 20 30 40 50 60 70
Figure 6.10
Pourcentages de souvenirs rappelés en fonction
de la période de vie et de l’âge des sujets
(Lieury et coll., 1978, cités par Lieury, 1980b)
Dans ce cas (fig. 6.10), les résultats de la vie réelle sont différents des
résultats de laboratoire, puisque nous obtenons des effets sériels inverses
pour les jeunes (30 ans) ; j’emploierai donc le terme de « séries temporel-
les », réservant le terme d’effets sériels pour la courbe en U. Les souvenirs
des personnes âgées (70 ans) ressemblent plus aux effets sériels du labora-
toire, quoiqu’assez plats dans l’ensemble. Lorsqu’on prend la précaution
d’égaliser le nombre d’années des périodes, les premiers souvenirs (10-
15 ans) ne sont pas plus nombreux que les souvenirs des dix dernières
années, contrairement à la théorie de la régression.
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 247
Vie sentimentale 19 15 % 37 19 %
Voyages et vacances 16 13 % 36 18 %
Vie familiale 52 41 % 51 26 %
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Épisodes de la vie 14 11 % 22 11 %
Situation matérielle 2 2% 12 6%
Santé 7 5% 9 4%
Tableau 6.10
Nature des souvenirs en fonction de l’âge des sujets
(Lieury et coll., 1978, cités par Lieury, 1980b)
248 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Dans une autre expérience (Lieury, Aune et Ropars, 1980, cités pat Lieury,
1992), nous avons repris la technique des mots évocateurs de Galton et Calk-
ins avec l’idée que les résultats sont peut-être biaisés par le choix de mots
évocateurs très fréquents comme « église, mère, poupée, école, tambour »,
donc acquis tôt dans l’enfance et pour cette raison associés préférentiel-
lement à des souvenirs d’enfance. Nous avons donc sélectionné des mots
« anciens » de type Calkins « rue, train, orage, chaise, bébé, montagne, église,
fleur… », mais aussi des mots culturellement plus récents comme « télé-
vision, fusée, téléphone, énergie, pollution, parking… ». Nous avons repris
notre méthode de découpage par période chronologique (10 ans, sauf de 0 à
15 ans pour la période d’enfance et les dix dernières années, quel que soit
l’âge pour la période récente). Les personnes devaient situer temporellement
ces souvenirs en donnant l’âge (approximatif) qu’elles avaient au moment de
l’événement. Par exemple, une personne évoque au mot « montagne » un
séjour à la montagne lorsqu’elle avait 32 ans. On situe ce souvenir dans la
période de vie « 30 ans ». Afin d’égaliser les chances d’avoir autant de souve-
nirs dans la dernière période de vie, que les personnes aient 72 ans ou 78 ans,
on compte les souvenirs de la dernière dizaine d’années pour chacun. L’expé-
rience porte sur des sujets « adultes » de 40-50 ans, des personnes âgées de
70 ans vivant chez elles et des sujets du même âge mais vivant en institution.
Les séries temporelles des souvenirs sont très différentes, voire inverses, en
fonction des mots évocateurs. Chez les personnes de 50 ans, les mots anciens
évoquent plus de souvenirs de jeunesse, comme l’avait observé Galton. À
l’inverse, les mots associants récents évoquent de plus en plus de souvenirs
récents. La série temporelle est presque la même chez les personnes de 70 ans
bien portantes, avec une diminution des souvenirs ; les personnes de 70 ans
rappellent même des souvenirs de leurs dix dernières années avec les mots
anciens. Chez les personnes en institution, il y a une grande pauvreté de sou-
venirs, quels que soient la période et le type de mots évocateurs (fig. 6.11).
La « loi » de régression des souvenirs chez les personnes âgées est donc
fausse et dans la technique de Galton, le grand nombre de souvenirs anciens
était dû à des mots anciens, évoquant plus l’enfance que des événements
récents. Pour les personnes âgées (80 ans) et en institution (ayant donc des
pathologies diverses), le rappel des souvenirs est pauvre, quelle que soit la
période. En reprenant une technique similaire de découpage des souvenirs
par période de vie, Pascale Piolino a récemment confirmé (2003) le fait que
la loi de Ribot ne s’observe que dans les pathologiques amnésiques : il n’y a
pas de diminution des souvenirs de la dernière année chez des personnes
âgées bien portantes, alors que des malades, bien identifiés comme Alzheimer
sur le plan neurologique, évoquent environ deux fois moins de souvenirs récents
(dernière année) que de souvenirs d’enfance (0-17 ans). Ce cas, qui correspond
en apparence à la loi de la régression, est dû à une amnésie hippocampique
(cf. § 3.3.2) : l’enregistrement des événements récents ne se faisant plus, il
n’apparaît que les souvenirs enregistrés lorsque l’hippocampe était sain.
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 249
50 ans
2
70 ans
en institution
0
10 20 30 40 50 60 70 80
Périodes de vie (dizaines d’années)
Nombre moyen de souvenirs rappelés
50 ans
3
70 ans
2
1
en institution
0
10 20 30 40 50 60 70 80
Périodes de vie (dizaines d’années)
Figure 6.11
Série temporelle des souvenirs en fonction des mots évocateurs
anciens ou récents et de l’âge des personnes
(d’après Lieury, Aune et Ropartz, cités par Lieury, 1992)
Selon une tradition théorique qui remonte à Aristote (384-322 av. J.-C.), la
mémoire humaine se caractérise par une référence au passé et implique la
capacité d’estimer le temps. Dans son ouvrage, le seul de l’Antiquité qui
nous soit parvenu, De la mémoire et de la réminiscence, il déclare : « C’est
du passé qu’il y a mémoire […] On doit en effet, quand on se souvient en
acte, se dire, à l’intérieur de son propre esprit, qu’on a antérieurement
entendu, ou perçu, ou conçu telle chose. […] Par conséquent, les animaux
qui ont la perception du temps sont les seuls à être doués de mémoire, et
l’organe par lequel nous percevons le temps (le cœur) est aussi celui par
lequel nous nous souvenons » (1951).
250 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
a marqué la date de l’événement (c’est le côté « date »), ainsi qu’une évaluation
(importance, degré d’émotion, etc.). Le rappel consiste, au début de chaque
mois, à essayer de trouver la date des événements, après avoir tenté d’ordonner
temporellement des événements pris deux à deux. Pour cela, les cartons sont
pris du côté du récit. En 20 mois, 2003 événements ont été rassemblés, puis
testés. En ce qui concerne la datation des événements, l’erreur en valeur
absolue va de 0 jour d’erreur pour un événement ancien de 2 à 8 jours, à 10 à
12 jours d’erreur pour les événements anciens de 4 mois à 1 an et demi, ce
qui ne représente que 2 à 3 % d’erreurs. C’est très peu, mais une période de
1 an et demi est finalement très courte au regard d’une vie entière.
demande aux sujets de rappeler à voix haute tous les intermédiaires au moyen
desquels ils retrouvent les souvenirs.
Trois grandes stratégies d’accès apparaissent ainsi : un accès direct (13 %
des souvenirs), un accès indirect en remontant à partir du présent dans un
calendrier subjectif (17 %) et un accès indirect à partir de points de repère,
comme l’avait bien vu Ribot, pour la majorité des souvenirs (70 %) :
Accès direct : le sujet trouve d’emblée le souvenir :
Bernard, 19 ans : « C’est l’année de ma vie… Juillet en Allemagne [souvenirs
très précis], j’étais en troisième, j’appartenais à un club de poésie, Nerval,
Aragon, Eluard… »
Hubert, 23 ans : « J’ai réveillonné chez ce mec qui s’est suicidé, qui a écrit un
bouquin, à Neuilly-sur-Marne. On a discuté, on a bu et rebu du mauvais
whisky que son père avait fait… »
La caractéristique de ces réponses est la présence d’un événement marquant,
parfois fortement émotionnel (club de poésie, déménagement, suicide,
cadeaux…). Selon l’heureuse expression de Brown et Kulik, ce sont des sou-
venirs-flashs.
Calendrier subjectif : les sujets remontent dans le temps selon une sorte de
calendrier subjectif :
Anne, 20 ans : « 1975 cet été, 74 au Portugal avec Jean-Lou, 73 avec Pierre,
72 avec Richard, 71 en Normandie, un mois à Dieppe… plein d’histoires avec
Bruno, c’est là que j’ai rencontré Minou… »
Jean, 50 ans : évoque à rebours ses différents lieux de vacances avant de tom-
ber sur la date de la question : « 1974 en Auvergne, Espagne en 73, Norman-
die en 72, 71 en Espagne, à Yansa, jolies balades, pêche au fusil… »
La caractéristique de ce type de reconstitution est vraiment de remonter le
temps, année après année, à partir du présent. Tout se passe comme si les évé-
nements sont « classés » en mémoire selon un ordre que la personne ne peut
raccourcir (Ribot l’appelait la « méthode régressive ») mais en référence à un
calendrier personnel (les copains pour l’une, les vacances pour l’autre, ou
encore les enfants). C’est pourquoi, j’ai appelé cette stratégie l’accès à partir
d’un calendrier subjectif. Chaque personne a peut-être ainsi son propre calen-
drier subjectif en mémoire.
Accès avec points de repère : le plus souvent (70 %), comme l’avait bien vu
Ribot, la recherche dans le passé se fait à partir de repères temporels indivi-
duels :
Sandra, 21 ans, été 71 : « année qui précède mon départ en Argentine, le
7 août 1972 » ; Noël 72 : « en Argentine […] je suis partie en Méhari avec un
copain à travers le Chili […] tout est précis, le soir de Noël […] des histoires
incroyables… »
Roland, 33 ans : « Je peux partir de la naissance de Bertrand né en 1970…
Richard avait 4 ans, nous sommes allés à Strasbourg, Bertrand avait de
l’eczéma, j’ai fait passer mon premier Capes… pas de stage de voile, cam-
ping… la tente s’est envolée… »
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 253
La nature des événements est très variée, il peut s’agir de niveaux d’études,
d’activités culturelles (stages théâtraux), d’épisodes de la vie de famille
(naissances, dont les anniversaires permettent de se rappeler la date exacte),
d’un accident, d’une rencontre amoureuse…
0,8
Surestimation
0,4
0
Année des événements
Erreur relative de datation
– 0,8
– 1,2
– 1,6
– 2,0
Sous-estimation
– 2,4
Figure 6.12
Erreur temporelle relative dans la datation d’événements publics
(Lieury, Caplain, Jacquet et Jolivet, 1979)
Remarque : l’expérience s’est déroulée en 1977. Surestimation (+) = dilatation
du temps (intervalle jugé plus long), sous-estimation (–) = contraction
(intervalle jugé plus court).
forment sans doute pour la majorité des gens une sorte de calendrier subjectif
public, différent de la référence à soi pour les événements privés.
Comment expliquer que l’erreur temporelle change de sens, passant d’une
contraction à une dilatation du temps ? Dans une théorie de chercheurs tra-
vaillant sur la perception du temps (Fraisse, 1967 ; Ornstein, 1969), le temps
estimé est fonction de la densité des événements perçus. Block (1974) mon-
tre, par exemple, que pour un temps constant de 180 secondes, la durée de
présentation de 60 mots est surestimée par rapport à la durée de présentation
de 30 mots. Ainsi, pour les événements anciens, on conçoit que du fait de
l’oubli, la densité des événements stockés (ou récupérés ?) diminue en fonc-
tion de leur ancienneté et que, relativement, la forte densité de souvenirs dans
une période récente nous fasse apparaître cet intervalle de temps plus long.
Comme disait déjà Ribot, « un déchet d’états de conscience est un déchet de
temps ».
L’Américain David Rubin, l’un des chercheurs les plus actifs dans le
domaine, et ses collègues (Rubin, Wetzler et Nebes, 1986) se sont interrogés
sur la variation du nombre de souvenirs en fonction des périodes de vie.
Réanalysant des résultats antérieurs (ex. Franklin et Holding) avec les leurs,
ils font apparaître que le rappel des souvenirs est une résultante de différents
sous-mécanismes, rappel des événements les plus récents (dernière décennie),
amnésie infantile, etc. Parmi ces sous-mécanismes, le pic de réminiscence
correspond à l’âge d’encodage d’entrée dans la vie adulte, entre 15 et 30 ans.
Comme il a été observé plus haut (cf. § 2.1 sur la nature des souvenirs), les
souvenirs de l’entrée dans la vie adulte (études supérieures, premiers amours,
mariage, premier enfant) sont des événements qui marquent comme des
« premières » et qui sont susceptibles de jouer par la suite le rôle de repères
temporels.
L’âge d’encodage se retrouve bien dans l’étude de Piolino, Desgranges et
Eustache (2000, cf. § 2.1.5) séparant les composantes sémantiques (souvenir
générique : j’ai fait mon service militaire) des souvenirs épisodiques (contex-
tualisés). Cinq à neuf périodes de vie ont été explorées par période de dix ans
de 1920 à 1999 avec des personnes en bonne santé de 40 à 80 ans. Les souve-
nirs sémantiques (non représentés sur la figure) ont un pic d’encodage pour la
période de vie 20-30 ans, suivi d’une stabilité du nombre de souvenirs enre-
gistrés dans les périodes suivantes. Mais, comme chez Rubin, les souvenirs
strictement épisodiques (fig. 6.13) révèlent de grandes variations en fonction
de l’âge d’encodage, qui apparaît toujours entre 20 et 30 ans, mais avec un
« trou » entre 60 et 70 ans (les interférences d’une vie routinière ?) et un effet
de récence des dernières décennies pour les personnes les plus âgées (70-
79 ans).
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 257
12
40-49 ans
70-79 ans
10
Nombre de souvenirs
0
<5 5-9 10-19 20-29 30-39 40-49 50-59 60-69 70-79
Âge d’encodage
Figure 6.13
Âge d’encodage des souvenirs strictement épisodiques
chez des personnes âgées de 40 ou 70 ans
(simplifié d’après Piolino, Desgranges et Eustache, 2000)
2
Surestimation
1
Erreur raltive de datation
–1 70 ans
Sous-estimation
–2
–3 40 ans
Figure 6.14
Effet de génération dans la datation d’événements publics
(Lieury, Nadjar et Rougeaux, 1978, cités par Lieury, 1980)
Remarque : l’expérience s’est déroulée en 1978.
5 LE VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE
à court terme/
Lobe frontal 29 51
de travail
Tableau 6.11
Perte neuronale en fonction de différentes aires du cerveau
entre 18 et 90 ans ou plus
(d’après divers auteurs cités par Robert, 1998)
Remarque : les chiffres indiqués sont des moyennes, lorsque plusieurs estimations sont
données, et j’ai ajouté la fonction supposée de ces régions pour la mémoire.
14
Synapses/neurones (milliers)
12
10
6
4
2
0
Adulte Âgé Alzheimer
Figure 6.15
Diminution du nombre de synapses par neurone dans la région de l’hippocampe
(simplifié d’après Bertoni-Freddari et coll., 1996, cités par Robert, 1998)
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 261
■ La diminution de neurotransmetteurs
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
100
Vieillissement
80
Normal
Quotient mémoire
60
40
Amnésies diverses
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Parkinsoniens
Alcooliques
20
Alzheimer
Pathologique
0
10 20 30 40 50 60 70 80 90
Âge
Figure 6.16
Déclin de la mémoire en fonction de l’âge dans le vieillissement
normal ou pathologique (d’après Lieury et coll., 1990, 1991)
264 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Une diminution des capacités mnésiques apparaît donc, mais celle-ci est gra-
duelle, si les sujets ont un vieillissement normal (Pacaud, 1966 ; Botwinick et
Storandt, 1974 ; cf. supra Warrington et Sanders, 1976 ; Bahrick, Bahrick et
Wittlinger, 1975). Botwinick et Storandt (1974) trouvent, par exemple, que
de 20 à 70 ans, par groupes d’âge de dix ans, la capacité du rappel immédiat
en présentation visuelle, baisse de 7,76 à 7,18 pour des chiffres et de 6,70 à
5,45 pour des lettres, ce qui est une baisse relativement faible.
David Schoenfield (Schoenfield et Robertson, 1966) a été le premier à faire
remarquer que la baisse de mémoire chez les sujets âgés apparaît le plus en
rappel libre, mais s’atténue ou disparaît en présence d’indices de récupération,
en particulier en reconnaissance.
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 265
Rappel Reconnaissance
Pourcentage
Mots Dessins Mots Dessins
Tableau 6.12
Rappel et reconnaissance en fonction de l’âge (%)
(Rabinowitz, Ackerman et Craik, cités par Craik et Byrd, 1982)
2 500
20 ans
70 ans
2 000
Temps de réaction
1 500
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
1 000
500
0
Rappel Reconnaissance
Figure 6.17
Temps de décision en double tâche (rappel et reconnaissance)
en fonction de l’âge (Craik et McDowd, 1987)
266 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Reconnaissance/rappel
14 Reconnaissance/non-rappel
12
10
Reconnaissance
0
25-45 ans 62-70 ans 71-87 ans
Âge
Figure 6.18
Reconnaissance conditionnelle au rappel
(d’après Isingrini, Hauer et Fontaine, 1996)
C’est pourquoi, avec Hervé Allain, neurologue, nous avons voulu compa-
rer un test standard (SM9, Lieury et coll., 1990) et un test dit de mémoire de
vie quotidienne (MVQ) basé sur la mémoire de scénarios de la vie courante
présentés sur un film vidéo (courses dans une épicerie, repas, film ou publi-
cités à la télévision…). Par ailleurs, l’étude avait pour but de confirmer sur
des sujets âgés l’absence de corrélation entre la plainte mnésique et des tests
objectifs démontrés sur de jeunes sujets (Lieury et coll., 1994). Le question-
naire d’auto-estimation est constitué de 36 items (tab. 6.13) dont certains,
concernant la mémoire, sont extraits de celui de MacNair (adaptation fran-
çaise Derouesné et Bakchine, 1984, cités par Derouesné, 1992). Les sujets
devaient répondre aux questions selon l’échelle suivante : jamais, rarement,
parfois, souvent, très souvent, notées de 4 à 0 : plus la note est élevée, plus la
mémoire est hautement estimée, contrairement à l’évaluation originelle du
McNair qui mesure l’intensité de la plainte.
) […]
Tableau 6.13
Extrait du questionnaire d’auto-évaluation de la mémoire
(d’après Lieury et coll., 1996)
Le test standard (SM9, Lieury et coll., 1990) est un test de mémoire conçu
pour des tests de pharmacologie clinique. Présenté en vidéo, il se compose de
9 scores de mémoire : rappel verbal et imagé, immédiat et différé ; reconnais-
sance des mots, images, visages familiers et non familiers et un rappel
sémantiquement organisé. De plus, nous avons élaboré un test original de
mémoire construit pour présenter en vidéo des scénarios de la vie quoti-
dienne, appelé pour cette raison MVQ (mémoire vie quotidienne). Le scéna-
rio de la vidéo retrace une séquence de la vie quotidienne d’un personnage
dont on ne voit pas le visage, du petit déjeuner du matin au repas et à la soirée
devant la télévision avec sa nièce. Au total, les séquences-actions donnent
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 269
2 confiture de cerise
4 boulangerie biscotte
6 shampooing
7 éponge
8 lait
[…]
20 pub B "
21 pub C "
Tableau 6.14
Extrait du scénario et items du test « mémoire de vie quotidienne »
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
courante. Cette corrélation s’observe d’une autre manière par le déclin quasi
identique des performances du test objectif et du MVQ en fonction des grou-
pes d’âge (fig. 6.19) à la différence près que le MVQ est un peu plus facile.
Auto-estimation
100 SM9
MVQ
80
60
Tests
40
20
0
20 50 60 70 80 Amn
Groupes d’âge
Figure 6.19
Scores (en %) dans les deux tests objectifs de mémoire,
MVQ et SM9 et le questionnaire d’auto-estimation, en fonction de l’âge
(Lieury et coll., 1996)
19 h 00 Repas.
Questions
Tableau 6.15
Extrait d’un carnet de vie et questions correspondantes
(Lieury, Pham, Jamey et Allain, 1998)
carnet de vie, montrant la validité écologique d’un tel test. Cette étude
s’ajoute à d’autres pour montrer qu’un questionnaire d’auto-estimation, pro-
posé pour mesurer la plainte mnésique, n’a aucune fiabilité et qu’il faut défi-
nitivement lui préférer des tests objectifs, standard ou basés sur des scénarios
de la vie quotidienne.
la réponse est correcte si les sujets répondent par les mots de la liste comme
« garage ». Alors que le rappel (indicé) ou la reconnaissance sont quasiment
nuls chez les amnésiques, la mémoire implicite reste préservée.
De même, les sujets amnésiques sont capables d’apprentissage moteur, par
essais et par erreurs, mais ils ne se rappellent pas ce qu’ils ont appris. Ainsi
H.M. a pu apprendre le test de l’étoile (suivre avec un crayon le tracé d’une
étoile en regardant son tracé dans un miroir, ce qui inverse le haut et le bas).
L’apprentissage est long et pénible, puisqu’il lui faut deux jours avec dix
essais à chaque fois pour passer de 30 erreurs à 4 erreurs, mais le troisième
jour, la performance se stabilise durablement à une ou deux erreurs. Cepen-
274 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
Mémoire
Figure 6.20
Distinction entre deux systèmes de mémoire :
la mémoire déclarative et la mémoire procédurale
(d’après Squire et Zola-Morgan, 1991)
En synthétisant tous ces faits ainsi que des expériences sur l’animal, le
neuropsychologue américain Larry Squire (Squire et Zola-Morgan, 1991)
proposa la théorie selon laquelle il existe deux systèmes de mémoire diffé-
rents (fig. 6.20) reposant sur des structures neurobiologiques distinctes. La
mémoire déclarative (ou explicite) comprend le rappel et la reconnaissance
consciente de faits ou d’événements, et la mémoire procédurale (ou impli-
cite) concerne les apprentissages sensori-moteurs (faire du vélo, etc.), le
conditionnement, etc.
En simplifiant la représentation de la mémoire à deux mémoires principa-
les (fig. 6.21), on peut interpréter la mémoire implicite comme l’enregistre-
ment dans des systèmes non épisodiques de la mémoire, par exemple les
mémoires sensorielles ou peut-être certains niveaux de la mémoire lexicale,
qui stockent les informations sans contexte, ce qui entraîne une « récupéra-
tion » indirecte sans impression consciente de « déjà vu ». Le fait qu’il y ait
mémoire implicite et reconnaissance (chez les non-amnésiques) de mots qui
ne sont pas rappelés à court terme (rappel immédiat) met bien en évidence
que l’entrée des informations s’effectue d’abord en mémoire à long terme,
contrairement au trajet de l’information imaginé par Broadbent dans son premier
modèle (cf. chap. 2, § 3).
SOUVENIRS ANCIENS ET VIEILLISSEMENT DE LA MÉMOIRE 275
Mémoire
Mémoire à court terme implicite Entrée des
informations
Récupération
Mémoire explicite Rappel &
Stockage
Reconnaissance
Enregistrement épisodique
(rôle de l’hippocampe)
Figure 6.21
Rôle de l’enregistrement épisodique dans la distinction
entre mémoire explicite et mémoire implicite
(65 ans), ainsi que des jeunes (20 ans). La courbe d’apprentissage (fig. 6.22)
traduit clairement la grande difficulté des patients parkinsoniens (pourtant
traités) avec une diminution d’environ 50 % de la performance par rapport à
des sujets jeunes ou du même âge qui ont une efficacité équivalente.
100 20 ans
60
Parkinson
40
20
0
0 2 4 6 8 10 12
Essais d’apprentissage
Figure 6.22
Test d’apprentissage du labyrinthe chez des patients parkinsoniens et contrôles
(d’après Thomas et coll., 1996)
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BIBLIOGRAPHIE 291
A C
accès séquentiel 179 cadres sociaux 226
acétylcholine 273 calculateur 155
activation 127 calendrier subjectif 252
adressage 32 calepin visuospatial 48
capacité
âge d’encodage 256
– de récupération 191
amnésie
– limitée 36
– de Korsakoff 272 carnet de vie 271
– infantile 214 catégorisation 19, 140
amorçage chaîne 26
– phonologique 89 chunking 139
– sémantique 89 codage spécifique 181
amygdale 239, 241 codes 32
apprentissage sensori-moteur 105 concurrence cognitive 51
arborescence 119 confusion phonologique 68
associant 28 contraction du temps 253
associations 10 couple 26
cubes de Kohs 97
– catégorielles 117
– verbales 115 D
associés 28 datation
autorépétition 74 – absolue 253
– des souvenirs 249
B décision lexicale 128
béhaviorisme 25 dénomination 86
boucle articulatoire 48 distance sémantique 122
294 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
modèle simultané 47
– d’association-reconnaissance 183 souvenirs 221
– d’Atkinson et de Shiffrin 108 – d’enfance 214
– de Collins et Quillian 118 – datation 249
– des deux mémoires 43, 108 – faux 219
– modulaires 107
– flashs 228
multifenêtrage 52, 111
– traumatisants 241
N stockage des détails 82
neurotransmetteurs 261 structures 32
nœud d’identité personnelle 136 subvocalisation 70
normes associatives 116 – suppression de la 71
syndrome de Williams 162
O système
organisation 138 – égocentrique 225
– subjective 142 – esclave 48
oubli 199
– à court terme 37 T
P tâche de Wilson 97
perception bilatérale 38 technique
période de vie 246 – Brown-Peterson 37
pictogrammes 94 – d’amorçage 127
plainte mnésique 267 télescopage 255
plan de récupération 193, 194 test
processus – de Wechsler 98
– parallèle 88 – standard 268
– séquentiel 88 théorie
prodiges 150 – de la Gestalt 30
prosopagnosie 133
– du double codage 84
prototypes 124
traitement
Q – de l’information 31
questionnaire d’auto-évaluation de la mé- – hémisphérique 198
moire 268 – séquentiel 93
traits sémantiques 124
R trajet de l’information 43
radicaux libres 262 transfert 201
rappel 191, 265 – d’apprentissage 106
– différé 40
– immédiat 40 V
recherche en mémoire 177 vieillissement
recodage phonologique 66
– de la mémoire 259
reconnaissance 195, 265
– des mécanismes moléculaires 261
réminiscence 9
réseau associatif 27 – des neurones 259
– des synapses 260
S – du cerveau 259
séries temporelles 244 – normal 263
INDEX DES NOMS PROPRES
A C
ALLAIN (H.) 261, 263, 268, 275 CALKINS (M.) 245
ALLARD (M.) 262 CHARCOT (J.-P.) 35
ANDERSON (J.R.) 110, 210 CHARLES (A.) 117, 121, 129
ARISTOTE 10, 115, 249 CHRISTIANSON (S.A.) 241
CICÉRON 13
ATKINSON (R.C.) 46, 108, 179
COLLINS (R.) 118, 124, 126
AURIAT (N.) 255
CONRAD (C.) 67, 123
B CONWAY (M.A.) 228, 229
CORNUÉJOLS (M.) 128
BADDELEY (A.) 48, 61
CRAIK (F.I.M.) 109, 144, 265
BAHRICK (H.) 243 CROWDER (R.) 62
BARTLETT (F.C.) 144, 218
BERGSON (H.) 138, 184 D
BINET (A.) 147, 150, 152, 156, 164 DE LA HAYE (F.) 117
BLONDEL (C.) 226 DEESE (J.) 130
BOURRE 262 DENIS (M.) 79, 82, 86, 127
BOUSFIELD 140 DÉRO (M.) 122
BOWER (G.H.) 110, 142, 193, 194, 210, DEROUESNÉ (C.-H.) 267
225 DESCARTES (R.) 19, 22
DESGRANGES (B.) 232, 247, 256
BROADBENT (D.) 38, 43, 108
DIAMANDI (P.) 155
BROUILLET (D.) 266, 273
DOOLING (J.D.) 146, 148
BROWN (R.) 228, 251
BRUCE (V.) 133, 136 E
BRUYER (R.) 135 EBBINGHAUS (H.) 23, 199, 200
BURTON (M.) 136 EHRLICH (S.) 52, 143
298 PSYCHOLOGIE DE LA MÉMOIRE
F M
FEIGENBAUM (E.A.) 177 MANDLER (G.) 191, 273
FLORÈS (C.) 195 MANDLER (J.) 83
FRAISSE (P.) 85, 86, 251, 255 MARTIN 188
FRANKLIN (H.C.) 245, 256 MCDERMOTT 131
FREUD (S.) 127, 214, 234, 236, 241 MCGAUGH (J.) 240
MCGEOGH (J.) 199
G MCKEEN CATTELL (J.) 86
GAILLARD (J.-P.) 106 MÉRIC 131
GALTON (F.) 28, 116, 221 MILL (J.) 21
GÉRARD (C.) 217 MILLER (G.) 36, 138
GOBET (F.) 167, 170 MORTON (J.) 66
MURDOCK (B.B.) 40
H
HALBWACHS (M.) 214, 223, 226 N
HENRI (C.) 214, 236 NEISSER (U.) 228
HENRI (V.) 147, 214, 236 NELSON (K.) 219
HÉRENNIUS 11 NICOLAS (S.) 273
HOLDING (D.H.) 245, 256 NORMAN 41
HUME (D.) 21
O
I OLÉRON (G.) 42
INAUDI (J.) 152
INSINGRINI (M.) 266 P
PAIVIO (A.) 85, 90, 93
J PAVLOV (I.P.) 26, 127
JANET (P.) 213, 226 PETERSON (L.) 37, 61
JUAN DE MENDOZA (J.-L.) 197 PIAGET (J.) 101, 217
PIOLINO (I.) 232
K PIOLINO (P.) 247, 248, 256
KEPPEL 203 PLATON 9
KOFFKA 30 POSTAL (V.) 117, 122, 173
KÖHLER (W.) 30, 138 POSTMAN 203
KULIK (J.) 228, 251 POTTER (M.) 81
PROUST (M.) 65
L
LARSEN (S.) 230 Q
LAURENS (S.) 214, 234 QUAIREAU (C.) 129
LEDOUX (J.) 240, 241 QUILLIAN (A.) 118, 124, 126
LIEURY (A.) 52, 97, 111, 117, 123, 187, QUINTILIEN 13
190, 222, 246, 247, 251, 253, 255, 258,
268 R
LINTON (M.) 250 RIBOT (T.) 233, 244, 250, 255
LOCKHART (R.S.) 109 RICHARDSON (J.) 68, 69
LOFTUS (E.) 219 ROBINSON (J.A.) 221, 233
INDEX DES NOMS PROPRES 299
S U
SAINT AUGUSTIN 14 UNDERWOOD (B.J.) 200
SALTHOUSE (T.) 262
SCHACTER (D.) 137 V
SCHOENFIELD (D.) 264 VENIAMIN 11, 160
SHIFFRIN (R.) 46, 108
SIMONIDE 8 W
SLAMECKA (N.) 129 WAAGENAR (W.) 230
SPERLING (G.) 58 WALDFOGEL (S.) 215, 236
SQUIRE (L.R.) 107, 250, 274 WARRINGTON (E.K.) 243, 273
STERNBERG (S.) 178 WATSON (J.) 25
STUART MILL (J.) 138 WIENER (N.) 31
SYSSAU (C.) 266, 273 WOODWORTH (R.S.) 105, 107
T Y
TAINE (H.) 250 YATES (F.) 8, 16
TARDIEU (H.) 50, 117, 121 YOUNG (A.) 133, 136