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Distribution : Interforum
I
FOUCAULT AU XXI• SIECLE
son e brandis, branchés, mais il n' ese pas cercain que Foucaulc soic
vraimenc lu et compris autant qu'il ese cité.
Que faite aujourd'hui de cette pensée? QueUe ese sa cohé
rence, sa pertinence, sa portée? Cet ouvrage ese animé par ces
quescions. La plupart des auteurs appartiennent a une nou
veUe génération de chercheurs. Ils n' onc pas connu personnel
lemenc Foucaulc, quelquesuns n'étaient pas nés en 1984. Ils
témoignent de la volonté de lire l'ceuvre de Foucaulc dans toute
son ampleur, ceUe qu' elle apparait aujourd'hui complécée, corri
gée et redessinée. Sans aUégeance ni défiance, désireux seulernenr
de construiré un hilan critique, honnéte et fécond. Acceptons
les clés qu'ils proposenc, ouvrons avec eux La porte de celui qui
fue philosophe, historien, « artificier», Et écoucons ce qu'il peut
a
encore avoir nous dire.
Héloíse Lhérété
I.:HOMME
7
FOUCAULT I;ÉNIGMATIQUE
« Se gouverner soiméme »
Foucault nait a Poitiers, le 15 octobre 1926, daos une
9
L'hommc
10
« avec ce professeur, la philosophie cesse d' erre une spéculation
Fooc..!, '"' ... "'"' +
formelle; elle parrage un destin commun avec la dynamique tra
gique de l'histoire ». 11 vit la khágne comme un choc intellec
tuel et progresse dans toutes les disciplines. Ses maitres louent
sa rigueur malgré une tendance a l'hermétisme , sa force de
travail et son goüt littéraire. En 1946, Foucault integre l'École
normale supérieure de la rue d'Ulm.
Années d'apprentissage
Ses quarre années normaliennes serom diffi.ciles pour
Foucault, « intolerables », confieraril a
son ami Maurice
Pinguer'. Dans la France de l'apresguerre, puritaine, il vit dou
loureusement son homosexualité. I1 commence a fréquenter les
bars gays, mais en ressenc une grande home. Foucault se révele
fragile. Selon son biographe Didier Eribon, « il se dispute avec
rout le monde, il se fache, il déploie tous azimuts une formi
dable agressivicé qui s'ajoute a une cendance assez marquée pour
la mégalomanie ». Mille anecdotes circulent sur ses comporce
rnenrs: un jour, un enseignanc le trouve a rerre, le corse lacéré
a coups de rasoir; une nuit, on l'apercoir poursuivre !'un de ses
condisciples un poignard a la main. Dans son aurobiographie
posthume, Louis Althusser évoque leur cheminement commun
au bord de la folie. Détesté et vul.nérable, Foucaulr fair une ten
tative de suicide en 1948 qui le concluir dans le bureau du Pr.
Delay, a SainteAnne. C'est son premier contact avec l'instiru
tion psychiatrique.
I1 se réfugie dans le travail, lit Hegel, Karl Marx, Edmund
Husserl, Martin Heidegger", passe des diplomes de psychologie.
« Quand Histoire de la folie ese sorcie, rous ceux qui le connais
a
saient ont bien vu que c' était lié son hisroire personnelle »,
témoigne un ancien carnarade". Luimérne admettra, dans une
a
interview de 1975, que! poinr ses propositions théoriques ont
pris terrea u dans ses tourrnents existenriels: « Dans ma vie per
sonnelle, il se trouve que je me suis semi, des l'éveil de ma sexua
lité, exclu, pas vraiment rejeré, mais apparcenanc a la pare d' ombre
de la société. [ ... ] Tres vice, ca s'est transformé en une espéce de
menace psychiatrique: si tu n'es pas comme tour le monde, c'est
que tu es anormal, si tu es anormal, e' esr que cu es malade7• »
A certe époque, il commence a nouer quelques amitiés
durables avec certains de ces condisciples: Paul Veyne, Pierre
Bourdieu,jeanClaudePasseron ... Aprés avoir été recu, en 1951,
a l' agrégacion de philosophie, Foucault commence a enseigner la
psychologie a l'École normale supérieure, puis a l'université de
Lille. 11 fréquence les milieux psychiacriques, suir le séminaire de
Jacques Lacan, s'initie au test de Rorschach et assiste au début
de la révolution des neuroleptiques. Le starut professionnel des
psychologues reste encare flou. Foucault se meut avec liberté
dans une position intermédlaire entre le personnel rnédical et les
patients. Il va rnieux, encame une relarion avec le musicien Jean
Barraqué. Son premier petit livre, Maladie menta/e et personna-
iité, paralt en 1954.
Uhístolre de la folie
Mais Foucault se sene a !' érroit dans l'université francaíse.
Déjá, il a le goür de l'ailleurs (l'arrraír de l'écranger sera tou
jours puissanc chez luí). Les cinq années suivanres sonc marquées
par l'exil. A l'automne 1955, il accepte un poste a l'université
d'Uppsala, en Suede. C' ese la qu'il renconrre l'historien Georges
Dumézil qui deviendra jusqu'á sa more l'un de ses plus proches
amis. Duranc ces annéesIá, le jeune philosophe prend des allures
de dandy. Il conduit une Jaguar blanche, se moncre soigneux de
sa tenue, mondain. 11 donne une série de conférencessur la Iitté
rarure francaise, notammenc Sade, Jean Genet et Chateaubriand
qui sont les auteurs qu'il affectionne. Il travaille en mérne temps
a sa thése sur l'hisroire de la folie, done il envoie les feuillets
a
manuscrits sa mere. « C'ese ma follásserie », lui écritil. .. Il en
achévera la rédaction en Pologne, ou il s'insralle en 1958. Il n'y
resrera pas tres longtemps, La police polonaise, qui s'alarme de
ses travaux et de ses fréquenrations, finit par exiger son déparr
La mort de l'homme
Les Mots et les Choses parait en avril 1966. Foucaulc y soutient
que la pensée ne releve pas d'un sujet mais d'un sysrerne de regles
autonornes. On peut distinguer selon lui trois grandes époques
dans la pensée occidentale, chacune caracrérisée par sa propre
épistbne. Du Moyen Áge jusqu'a la fin du xvr' siécle, l'érude du
monde repose sur la ressemblance et l'interprétation. A partir
du milieu du xvrr síecle s'impose une nouvelle épisrérne, repo
8-lbid.
13
L'hommc
Bouillonnement politique
a
C'est partir de 1967 que l'histoire et la policique viennent
se rappeler a lui. De violentes manifescacions onc lieu a Tunis a
l'occasion de la guerre des Six jours. En posee sur place, Foucaulc
assiste aux émeuces étudiantes. 11 soutient les grévísres, lit Rosa
Luxembourg et les Black Panthers. 11 ese irnpressionné par les
risques que prennenc les jeunes Tunisiens a braver le pouvoir.
Vu de l'aucre coté de la Méditerranée, le mouvernenr francais
14
rooc..,, '"'...
de Mai 1968 lui paralt bien pále. Coté tunisien, il percoít un
t ooe +
authencique esprit de révolte polirlque, coté francais, « un
déchainernent de rhéories, de discussions, d'anarhemes, d'expul
sions, de groupuscularisation ». « Ce que j'ai vu en France en
19681969, e' esr exactement l'inverse de ce qui rn'avait inréressé
en Tunisie en mars 1968 », trancheratil.
Dans le bouillonnement postsoixanruitard se rner en place la
nouvelle université expérimentale de Vincennes. Foucault y est
nornrné professeur de philosophie, tour cornme jeanFrancoís
Lyotard et Gilles Deleuze. Professeurs et éleves s'y tutoient.
Lenseignement se veu ten prise avec l' actualicé politique et sociale.
Cette norninacion vaut a Foucault, pour la premiere fois, une
réputation d'homrne de gauche. Mais il n'y reste pas longternps.
a
De toute évidence, l'agication qui regne Vincennes l'ennuie. Il
a d'autres arnbitions: des 1970, il ese élu professeur au College
de Fcance, l'institurion la plus prestigieuse du corps acadérnique.
Sa chaire s'intitule « Histoire des systernes de pensée ». L'Ordre du
discours, qui paralt en 1971, consticue sa lecon inaugurale.
Les années 1970 sont marquées par une intense réflexion
poli tique. A mesure que ses analyses s'imposent dans !' espace
public, et que ses themes folie, sexualicé ... deviennenc objets
de revendication, il se découvre « incelleccuel dans le siecle ». Sa
fa9on de s' engager reste cependant originale. 11 veur étre « intel
lecruel spécífique », en rnenanc des lurtes concretes, précises,
loin de l' atritude surplornbante et « totalisante » de l'inrelleccuel
engagé. Son cornpagnon D. Deferc, militanr a la Gauche prolé
tarienne, l'ernbarque dans la création du Groupe d'information
sur les prisons (Gip). Le principal objectif consiste a donner la
parole aux prisonniers pour qu'ils puissenc s'exprirner sur les
conditions de leur dérention.
Du point de vue rhéorique aussi, Foucaulc encame un cycle
de travaux aucour de la question carcérale, qui comrnence
avec Moi, Pierre Riviere... (1973), et se conclut en 1982 avec
Le Désordre desfamilles, écrit avec l'hisrorienne Arlecte Farge. Son
livre le plus important sur ce sujet ese Surueilleret Punir (1975).
Plus largement, Foucault cherche sa voie a gauche, ni trots
kiste, ni « rnao », On le trouve au forurn de la « deuxieme
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L'hommc
Le retour a soi
a
Quand il ese en France, Foucault concinue s'appliquer une
a
discipline redoucable: lever l'aube, travail huir heures par jour
a la Bibliotheque nationale de France (BnF). Personne ne doit
le déranger avant 18 heures. 11 répete a ses érudiants: « Si vous
travaillez tous les jours a la mérne heure, vous finirez par pro
duire ! » Le travail intellecruel reste jusqu'au bout le centre de
son exisrence. Il concoit l' écriture de ses livres comme un arti
sanar quoridien, qui doit avoir des effers pratiques sur le monde
social. Lorsque le journalíste RogerPol Droit lui demande s'il se
seor plutór philosophe ou historien, il réplique: « Je suis un arti
ficier. Je fabrique quelque chose qui sert finalemenr a un siége, a
une guerre, a une destruction. Je ne suis pas pour la destruction,
mais je suis pour que l' on puisse passer, pour que l' on puisse
avancer, pour que l' on puisse faire tomber les murs. »
A la fin de sa vie, il prend toutefoís un peu de recul ou die
qu'íl aimeraic en prendre. Il acheve de rédiger les deuxierne et troi
siérne tomes d'Histoire de la sexualité: L'Usage desplaisirs (1976)
a
et Le Souci de soi (1984), consacrés la subjecrivité antique. La
ronalité de ces livres, incerprétée comme un rerour a une phi
losophíe plus spéculative, surprend. 11 laisse parfois encendre
qu'il aimerait repartir de zéro, prendre une valise, voyager, faire
autre chose, ne rien faire peutétre, sinon cultiver son exisrence
comme une oeuvre d'arr, Lídée d'aller s'installer définidvemenr
sur la cóte californíenne le taraude. Mais sa saneé, chancelanre a
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rooc..,, '"'...
parcir de l'hiver 1983, lui interdit couc voyage. Une « mauvaise
t ooe +
grippe » ... Se saitil atteint du sida, ce« cancer gay» done beau
coup se demandent encare s'il n'est pas qu'une légende mora
lisarrice? Il en érnet l'hypothese, répond par la négarive, puis
rechure... Le 2 juin 1984, Foucault fair un malaise et s'évanouit
dans son appartemenc de la rue de Vaugirard. Il est transporté a
l'hópiral de la PitiéSalpétriere ou il s' éteint erais semaines plus
tard, le 25 juin, a l'áge de 57 ans.
« Penser autrement »
« Qu'estce done que la philosophie je veux dire l'activité
philosophique si elle n' ese pas le travail critique de la pensée
sur ellernéme. Et si elle ne consiste pas, au lieu de légitirner ce
a
que l' on sait déja, entreprendre de savoir comment et jusqu' oü
il serait possible de penser autrernent? » Les rnots sont de
Foucaulr, mais ce matinlá, dans une perite cour de l'hópital de
la PiriéSalpérriere, e' ese Gilles Deleuze qui les lit a voix hauce, le
timbre voilé par le chagrín. Laureur des Mots et les Cboses viene
de mourir, laissant la France sidérée. Touc le monde se presse
a la levée du corps. Il y a la Georges Canguilhem, son premier
mairre, Georges Dumézíl, l'ami de toujours, Paul Veyne, Pierre
Bourdieu, Pierre Boulez, Claude Mauriac, Ariane Mnouchkine,
André Glucksmann, [acques Le Goff, Michel Serres, Robert
Badinter, Yves Montand, Simone Signoret...
Visages connus ou anonymes, plus de cinq cenes personnes
accourent pour pleurer la disparition de celui qui apparaít
comme l'un des plus brillancs esprits du siécle. Saluant « l'un des
plus grands philosophes de tous les temps », Gilles Deleuze lance
al' assemblée: « Chacun de nous a des raisons de vivre avec cecee
philosophie bouleversante. »
Avanr de s'en aller, Michel Foucaulc a laissé un restament
a ouvrir « en cas d'accident », comprenanc erais recornman
a
dations : le legs de ses archives son compagnon D. Defert,
« la more, pas l'invalidité » et « Pas de publicacions poschumes ».
Héloíse Lhéréré
17
[INTELLECTUEL SPÉCIFIQUE
Un nouvel art de contester
19
L'hommc
une vision assez claire des raisons de leur lutre. « Les masses n' ont
pas besoin d' eux pour savoir ; elles savem parfairernenr, claire
rnent, beaucoup mieux qu'eux , et elles le disent forr bien2• »
2. Lidée, ensuite, que le fonctionnemenc de la société esr
tissé, non simplement de mécanismes ou d'habitudes aveugles,
mais de stratégies, de systemes de représentarions, de modeles
complexes qu'il importe d' analyser de tres pres sous peine de voir
échouer réforrnes et révoltes: « 11 y a toujours un peu de pensée
mérne dans les institutions les plus sottes3. »
3. La conviction, aussi, qu'un discours n'a pas les rnémes
effers selon les lieux depuis lesquels il se trouve énoncé une
dénonciacion n'a pas la mérne force si elle se die a la troisierne ou
a la prerniere personne, du dessus ou du dedans des institutions.
a
Ainsi Foucaulc peutil écrire, propos du rapporc rédigé en 1972
par Édich Rose, psychiatre de la prison centrale de Toul: « Or
voila que la psychiacre de Toul a parlé. Elle a bousculé le jeu et
franchi le grand rabou. Elle qui érait dans un sysrerne de pou
voir, au lieu d' en critiquer le foncrionnement, elle a dénoncé ce
qui s'y passait, ce qui venait de s'y passer, te! jour, en te! endroic,
dans telles circonscances4 » - perturbanr par sa posirion rnéme
l'oppositíon entre le discours événementiel des journalisres et la
critique abstraite des savants.
4. Lidée, enfin, que l'on a quirté l'áge des théories englo
bantes, et que prétendre remembrer les critiques « régionales »
du monde social sous une perspectíve qui en délivrerait la vériré
en derniere instance n' ese plus ni inrellectuellemenr possible, ni
politiquement souhaitable: « Le marxisme, la psychanalyse [ ... ]
n' ont fourni, je erais, des inscruments localemenc utilísables qu'a
la condition, justernent, que l'unité théorique du discours soit
comme suspendue, en tour cas découpée, tiraillée, mise en char
pie, retournée, déplacée, caricaturée, théátralisée". »
2 M. Foucault, • Les inteUeccuels et le pouvoir • (1972), in Dits et tcrirs, c.11, Gallimard,
1994.
3 M. Poucault, " Estil done imporrant de penser? • {1981), in Dirs et Ecrirs, c. IV,
Gallimard, 1994.
4 M. Foucault, « Le dlscours de Toul • (1972). in Dits et Écrits, c. 11, op. cit.
5 M. Foucault, ll/out difandre la sociiti. Cour: ou Colüge de Franu (1975-1976),
EHESS/Galli.macd/Seuil, 1997.
20
l'<•,-..-f..,
Mathieu PorteBonneville
21
V expérience du Gip
Afin de rendre visibles et audibles les prisonniers et leurs dis
cours, Míchel Foucaulr fondeen 1971, avec des inrellectuels et des
militanrs, le Groupe d'information sur les prisons (Gip).
« Nul de nous n'est sür d'échapper a la prison. Aujourd'hui
moins que jamais. Sur notre vie de tous les jours, le quad.rillage
policier se resserre : dans la rue et sur les routes ; autour des étrangers
et des jeunes [ ... ]. Nous sornrnes sous le signe de la "garde a vue".
On nous dir que la justice est débordée. Nous le voyons bien. Mais
si e'était la poli ce qui !' avait débordée? On nous die que les prisons
sont surpeuplées. Mais si c'était la popularion qui était surernpri
sonnée' ? » Ce sont les prerníeres lignes du Manifcrte du Groupe d'in-
formation sur lesprisons(Gip), dísiribué a la presse le 8 février 1971.
Il cst signé par Michcl Foucauli, Pierre VidalNaquer, l'historicn
rniliranr centre la torture pendan e la guerre d'Algérie, et JeanMarie
Domenach, alors direcreur de la revue Esprit.
Le Gip voit le jour candis que des milirants de la Gauchc pro
létarienne, mouvement d'inspiration maotste, sont emprisonnés
pour avoir continué a vendre le journal La Cause du Peuple apres
la dissolution de leur organisation. A la fin de l'année 1970, les
rnilitants incarcérés entarnent une greve de la faim afin d'obtenir
la reconnaissance de leur statut de prisonniers politiques. C'esr le
compagnon de Foucaulr, Daniel Defert, luiméme militant de la
Gauche prolétarienne, qui luí propose de conduire une enquéte sur
le milíeu carcéral. Foucaulr ese enrhousiasre,
Le collectif du Gíp, rejoinr par nombre d'anonymes et d'inrcl
leccuels Jacques Ranciere, Robert Castel, Gilles Deleuze, JeanPaul
Sartre, Hélene Cixous, Maurice MerleauPoncy, Claude Mauriac ...
, distribue des questionnaires aux familles des prísonniers afin de
recueillir des témoignages sur leurs conditions de vie. Les détenus,
dénonce le Gip, son e pris dans un « double isolement » qu'il entend
briser : « Nous voulons qu'ils puissenc communiquer entre eux, se
transmeruc ce qu'íls savcnc et se parler de prison a prison, de ccllulc
a cellule. Nous voulons qu'ils s'adressent a la population et que la
22
population leur parle" »
De cette enquére émanent quacre brochures parues entre 1971
et 1973 sous le riere commun d'Intolérable. Elles portent sur une
enquéte dans vingt prisons, la « prison modele » de FleuryMérogis,
l'assassinat de George Jackson, milirant du Black Panther Parry, et
les suicides de détenus pendant l'année 1972.
Décembre 1971, des mutineries éclatenr a la centrale Ney de
Toul, puis dans les prisons de Nancy, de Nímes, de Lille, de Fleury
Mérogis. Le Gip accompagne le procés des insurgés. Pour accroirre
la visibilité du Gíp, le théátre du Soleil d'Ariane Mnouchkine met
en scene les minutes du preces des mutins de Nancy dans une píece
daos laquelle Foucault et Deleuze jouent le role de policiers.
Ayant pour objecrif de donner la parole aux détenus puis de
leur passer le relais, le Gip s'autodissout en décembre 1972 au profit
du Comité d'acrion des prisonniers (Cap}, emmené par l'écrivain
rnilitant, cxdérenu, Serge Livrozer. Foucaulr, alors dessaisi, en faic
le theme de ses prochaines recherchcs. Dans La Sociétépunitiue, le
cours qu'il donne au College de France entre 1972 ce 1973, et dans
son ouvcage Surveiller et Punir (1975), il analyse le foncúonnement
du dispositíf carcéral et disciplinaíre, et son role social: « La prison
ne corrige pas; elle rappelle incessamment les mémes, die consti
tue peu a peu une population marginalisée dom on se sert pour
faire pression sur les "irrégularités" ou "illégalisrnes" qu'on ne peut
rolérer''. »
Céline Bagault
23
QUEL PROF ÉTAIT FOUCAULT?
Entretien avec Guillaume Belloo
24
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mal parfois. Foucault tente a plusieurs reprises de recloisonner
+
son propos, d'abord en déplacant ses cours tór le rnarin, puis en
organisant un séminaire auquel il impose une condition d'accés:
les audiceurs doivent produire un travail de recherche et présen
ter leurs propres résultacs. 11 se fait cependant capee sur les doigts
par l'admínistration, car c'est conrraire a l'esprit du College de
France, et il doit revenir au formar inicial. A partir de 1982, il
essaye de merrre en place un systeme de questionsréponses avec
le public, mais il lui arrive de s'énerver malgré tour, quand un
auditeur le tutoie par exemple.
25
L'hommc
27
MÉTAMORPHOSE D'UNE CEUVRE
29
L'O?uvre
33
L'O?uvre
4 A. L. Scoler, L11 Ch11ir de l'empire. Savoirs intimes et pouvain mciaux en rigim• colonial,
La Découverre, 2013.
34
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rage au point de vue des « dominés » ou des « gouvernés », que
+
se développe aujourd'hui une réflexion mondialisée sur la « poli
tique des gouvernés »5•
Ce dernier axe renvoie a un élémenc dé de « l' effet Foucault »
dans les dernieres décennies, autour de la notion de « subjec
tivation ». Foucaulr avait proposé une auto inrerprétarion de
son travail en 1983: « Je n'ai jamais parlé de rien d'autre que
de la subjectivité [ ... ].Le bue de mon travail ces víngr dernieres
années [ ... ] n' a pas été d' analyser les phénomenes de pouvoir
a
[ ... ]. J'ai cherché plutót produire une hisroire des différencs
modes de subjectivation dans notre culture". » Il est manifeste
que Foucault s'écarte, autour des années 19761977, d'une
compréhension du sujec comme pur produir des mécanismes
d'assujetrissernent", Il sonde désormais davantage le « jeu avec
les regles » d'une subjectiviré susceptible de développer des
formes de résistance, de frayer la voie a une éthique et l'hori a
zon d'un gouvernement de soi. De la procede le regain d'intérét
de Foucaulr, dans les années 1980, pour la philosophie grecque
antlque, pour les « sagesses » stoíciennes, épicuriennes er surcouc
pour la « vie en vérité » des cyniques: la recherche d'une éthique
passe íci plutór par l'invencion de regles aussi bien diététiques
qu'esrhétiques que par la prescription d'une morale a préten
tion universelle . Lintérét pour la subjectivation ne s'est pourtant
jamais départi d'une distance a l'égard des artributs d'unité, de
pérennité et de personnalité du sujet, ni pour une fascination
a l'égard des expériences ( qu' il s' agisse de la folie, du sexe selon
Georges Bataille ou de l' écriture selon Maurice Blanchot, mais
peutérre encore du mysticisme zen8) oú I'individu s' oublie,
5 P. Chareerjee, Politique des gou11ernh. Rljkxions sur la politique populairt dans la
majeur« parti« du monde, Amsterdam, 2009, et J.C. Monod, • Qu'escce qu'une "crise
de gouvernementalité"? .•, Lumiéres, nº 8, 2006.
6 M. Foucaulr, • Deux essaís sur le sujer et le pouvoir •, in H. Dreyfus et P. Rabinow
(dir.), Michei Foucnul: Un parcours philosophu¡ue, Gallimard, 1984.
7 M. Poucaulr, L'Origine de l'hermbuurique de soi. Confirmasprononciesa Dartmouth
Colüge (1980), Vein, 2013.
8 Le mysucisme zen cendran a• faire s'auénuer l'individu • par contraste avec la
spirirualicé chrétienne qui chercherait • ce qu'il y a au fond de l'áme •. Voir • Michel
Foucaulc ce le zen: un séjour dans un ccmplc zen •· cncrcácn avec Christian Polac, Umi,
nº 197, aoütsepternbre 1978, repris dans Dits a Écrits, t. Ill, Gallimard, 1994.
35
L'O?uvre
JeanClaude Monod
Foucault a travers ses livres
a
Histoire de lafolie l'áge classique, 1961
Dans son premier ouvrage, Foucaulr reprend les rheses majeures
de son doctorar de philosophie: le « grand renfermernenr » du
milieu du XVII• siecle qui vise a incerner fous, oisifs, délinquancs
et marginaux, et la constitution au XVIII• siecle de la folie comme
maladie mentale,
37
L'O?uvre
Histoire de la sexualité
• T. 1 La Volonté de savoir, 1976
• T. 11 L'Usagcdesplaisirs, 1984
• T. III Le Souci de soi, 1984
Dans Histoirede la sexualité, prévue initialemenr en six tomes,
Foucault passe de la question du pouvoir a celle du souci de soi.
Dans le premier volurne, il décrit l'explosion discursive dont fait
l'objet la sexualité depuis le xvrr' síecle. Ce faisanc, on institue
des formes et des normes de sexualité afin de díscipliner les corps
et de maitriser la vie de l'espece. Dans le second come, Foucaulr
explore les racines grecques et romaines de la sexualité occidencale
et la constitution historique de l'homme cornrne sujet de désirs. Le
dernier volurne, terminé peu avant sa morr, étudie la « culture de
soi », une modération de l'usage des plaisirs présente des l'Antiquité
grecque afin d'acquérir la maitrise de soirnérne. Le souci de soi
ainsi réhabilité par Foucaulr ne donnc pas naissance a un sujer psy
chologiquc, devane se soumertrc a un examen de conscience, mais a
un sujet éthique, dont les actions s'accordenr aux príncipes.
PUBLICATIONS POSTHUMFS
19751976
Ilfo1tt défendre la société, 1997.
Le prernier cours publié, « ll faur défendre la société » marque
une pause dans l'exploracion de Foucault des rechníques d'assujct
rissernenr, Il propose ici d'exarniner les relations de pouvoir sur le
modele de la srratégie guerriere, ll analyse la naissance du racisme
d'Érac acravers l'émergence d'un biopouvoir censé défendre la
société centre les élérnentsdégénérés présents en son sein. Foucault
invite a reconsiclérer la politique, en inversant l'apborisme de
Clausewitz, cornrne la poursuíte de la guerre par d'autres moyens.
38
19741975
Les Anormaux, 1999.
19541988
Dits et Écrits, 1994, rééd. 200 l.
• T 1 19541975
• T 11 19761988
19731974
Le Pouuoirpsycbiatrique,2003.
19781979
Naissancede la biopolitique,2004.
Foucault s'intéresse a la naissance du libéralisme et a la mise en
oeuvre, au XVIII' siécle, d'un nouvel are de gouverner fondé sur la
rarionaliré économique. Comparant les néolibéralismes européen
et arnéricain, il montre que ce dernier étend la logiquc de marché
a des domaincs non économiques tels que la famille, la poliriquc
pénale ou la naralité,
19771978
Séct,rité,territoire,population, 2004.
19821983
Le Gouoernement de soi et desautres, t. 1, 2008.
19831984
Le Gouoemement de soi et des autres, t. 11 Le Courage de la
vérité, 2009.
39
l'O?uvre
19701971
Leeons sur La Voúmtéde sauoir, 2011.
Pour sa premíére année de cours, Foucaulc écudie l'évolurion
de la concepcion de la vérité, depuis la Crece antique. Le désir
de connairre la vérité n'émane pas pour Foucaulc d'une inclinai
son naturelle, concrairement a ce qu'a.ffirmaic Ariscoce, mais ese
construir hiscoriquement et répond a une utilicé politique.
19791980
D» gottvernementdesvivant.s,2012.
19721973
La Sociétépunitioe, 2013
Cours préparatoire a « Surveiller ec Punir», La Sociétépunitiue
questionne ce qui rend la prison évidente au xoc< siecle, comme
réponse a un trop grand écart par rapport a une norme. Pourquoi la
prison devieneelle le chátirnent universel alors que ses dysfonction
nements sont déja pointés du doigt? La réponse ese a chercher, pour
Foucault, du coté de la délinquance qu'elle produit, délinquance
aussitót convertie en instrument de pression sociale.
19801981
S11bjectivitéet vérité, 2014
Les ceuvrcs completes de M. Foucaulc onr éré publiées en
2015, chez Gallirnard, sous la direcrion de Frédéric Gros.
A propos de ...
Hísroire de la folie a l'age classique
Partantde l'imnge du fou a la Renaissance, qui inquiéte et fascine a la
fois, Michel Foucault montre que notre conception tÚ la folie comme
« maladie menta le» est le produit de nutre culture et tÚ notre bistoire.
42
la société. La folie ese désormais réduire
H.to• d, , lol<;
a
r,,. dffl""
la déraison ce se fond de ce
faie avec tour ce qui marque un écarr par rapport a la norme sociale.
+
M. Poucault moncre que l'incernemenr a l'áge classique n'a done pas
une visée médicale, mais un objecrif a la foís moral, social et écono
mique. Pourtant, a la fin du xvnr siécle, la pratique généralisée de
l'internement apparait cornme une erreur économique et l'on décíde
de remettre sur le marché du travail rous ceux qui peuvent l'inrégrer.
Les fous se rerrouvent désormais seuls internés: la médicalisarion de la
folie ese alors possible.
43
L'O?uvre
44
H.to• d, , lol<; r,,. dffl""
pas vraiment part aux rnouvernents et se contentera de les accompa
gner d'un peu loin, de les encourager tour au plus' ».
+
II faut dire que la • capration • du livre par I' anripsychiarrie sirn
plifie grossíerernenr son enjeu. La oü M. Foucaulc avair livré une érude
structurale lia.nt les aspects philosophique, hístoríque, pollrique, éco
nornique et scienrifique, on ne lit plus que ladénonciation de l'oppres
sion exercée par le pouvoir psychiatrique. Mais si certe incerprétation
univoque de la folie froisse quelque peu le texte original, il reste qu' elle
va bien dans le sens de I'évolution de la pensée genérale de l'auteur, Et
d'ailleurs, lorsqu'il revienr sur la psychiauie dans ses cours au Collége
a
de France" la fin de l'année 1973 et au débur de 1974, c'est bien
pour l'analyser comme un savoir qui est un instrurnent de pouvoir du
psychiarre sur le malade.
Gladys Swain et Marce! Gauchet dans La Pratique de l'espri:
humain. L 'institutionasilaire et la réuolution asilaire (Gallimard, 1980)
fonc, pres de vingt ans apres l'Histoire de la folie, une interprétarion
tout a fuir opposée a celle de M. Foucaulr, rnérne s'íls ne s'atraquent
pas cxpllcirernent a lui: ils voicnt dans l'inscauration de l'asile un pro
jet d'intégration et la volonté démocratique et égalítariste de considé
rer les malades mentaux comme des hommcs a pare entiere. On peur
néanmoins se demander si cecee lecrure ese réellemenr moins idéolo
gique que celle de M. Foucaulc ...
Que resretíl alors aujourd'hui de l'HiJtoire tÚ la folie lage a
classique? S'il ese dífflcíle de rnesurer l'impact récl de ce livre sur la
pratique psychiarrique, de nos jours dominée par la pharmacologie,
l' analyse foucaldienne fair dare dans l'hisroire des idécs en remertant
en quesrion des prariques lourdes qui sernblaienr aller de soi. En se
a a
refusanc réduire la folie une manifesration pathologique, il obligea
a a
également la société tour entiére incerroger son rapport la norme et
a ceux que l'on nomme les« malades mentaux ».
Catherine Halpcrn
45
l'O?uvre
Le courant antipsychiatrique
Née au débur des années 1960, l'anripsychiacrie désigne un
vasrc rnouvemcnt inicié par trois Britanniques, David Cooper,
Aaron Esterson et Ronald D. Laing. Ils remertenr en cause la
notion de maladie mencale et, avec elle, toute la psychiacrie tradi
tionnelle, Celleci est en effet accusée de n'étre qu'un instrument
de normalisation au service d'une sociécé conformiste. Diverses
expériences seront done tentées, telle celle menée au Kingsley Hall
dans la banlieue londonienne entre 1965 et 1970, pour changer le
rapport avec les patients qui, selon les antipsychiatres, ont beau
coup a apprendre aux soignants.
On rapproche également de ce mouvement l'Italien Franco
Basaglia, qui refuse pourtant l'appellation d'antipsychiatre. Selon
lui, l'internernent, parce qu'il ne faír qu'aggraver les rroubles rnen
taux, doit étrc supprirné. Sa positíon, souienue par le mouvcmcnt
Psychiacria Democratica, aboutit a la suppression de la loi de 1904
régissanr l'internement en lralie. En France, peu de psychiacres se
rallíerenr a l'antípsychiarrie mérne si elle rcncontra un grand écho
chez les inrellectuels d'extrérne gauche.
Le mouvement antipsychiatrique s'éteinr des le début des
années 1980. S'i! fut beaucoup critiqué pour ses positions extré
mistes, il constitua l' occasion pour les psychiaues de s'interroger
sur leurs propres pratiques et de réévaluer l'institution asilaire.
C.H.
A propos de ...
Surveiller et Punir. Naissance de la prison
Contrále des indiuidus, dmsage des corps, dtveloppement du systém« car-
céral... Pour Micbe! Foucault, lepouvoir des sociétés modernes s 'es:fondé
sur une organisation minutieuse de la discipline.
47
L'O?uvre
48
S,"''"'d Puw
indusrriellc, une véritable poliuque de la punition va permerrre de
conrróler les populations de: plus en plus nombreuses ce nécessaires
oe le "'= +
au développemenc de l'appareíl de producrion. La croissance de l'éco
nomie capiraliste a faic naitre le « pouvoir disciplinaire ». La généra
lisation « des disciplines », comme formules de domination, a alors
cntrainé « la mise sous contróle des moindres parceUes de la vie et
du corps, daos le cadre de l'école, de la caserne, de I'hópieal ou de
l' acelier ... ». Pour prévenir les troubles civils, la sociécé a éré quadrillée
par des inscirucions calquées sur le modele rnilitaire. « La politique,
comme cechnique de la paix et del' ordre intérieurs, a cherché meme a
en oeuvre le dispositif de l'armée parfaíte, de la masse disciplinée, de la
troupe docíle ce ucile. »
L'uropíe d'une société qui assure le contróle parfaie des indívidus
trouve son archécype dans le projet archicecrural imaginé par le phi
losophe anglais Jeremy Bentham (17481832): le « panopticon ». Un
bárirnent circulaire ese divisé en ceUules isolées les unes des autres,
mais virrées, de sorce que chaqué occupant puisse €tre observé depuis
une tour ccntrale, Dans l'anneau périphérique, on ese cotalcment vu
sans jamais voir , daos la tour centrale, on voit tour sans étre vu.
49
L'O?uvre
so
Docume
S,"''"'d Puw
On luí a aussi reproché son analyse tres
oe le "'=
critique de la modcrnité.
Pour lui, le rationalisme des Lurnieres, considéré par bcaucoup commc
+
un processus de civilisarion, n' aurait produit que coercition et assu
jenissement des individus. M. Foucaulr nie les aspects bénéfiques du
progres comme le développement des instirurions démocratiques ou
les avancées des connaissances1. Dans ses analyses du systéme scolaire
ou des établissements de rééducation par exemple est occulté le souci
pédagogique dom onr fair preuve beaucoup d'éducareurs du XIX• sié
ele. Sa théorie du pouvoir réduit I'accroissemenc des savoirs a une aug
memation de la dominarion. Ce faísant, elle converge avec la tradition
critique qui, de Karl Marx aux philosophes de l'école de Prancfort, n'a
cessé de s'interroger sur cec aspect central des cívilisations occidentales
a
contemporaines. L'analyse de M. Foucault propos de la prison a
été également tres discutée. A été critiqué le fonctionnalisme de son
raisonnemenc qui affirme que c'esr la fonction prerniére du systeme
carcéral de produire de la criminaliré, légitimant ainsi le pouvoir des
classes dominantes. En ourre, pour le sociologue Raymond Boudon2,
affirmer que la prison augmente la délinquancc est une hyporhése sans
fondcment et dépourvue de validité scientiflquc. Prochc du marxismc,
par sa critique des classes dominantes et du pouvoir. mais également
proche des structuralisres par son analysc des cadres de pensée d'une
époque, M. Foucaulc s'est toujours défcndu d'apparrenir ces coua
rancs de pensée, Dans Suroeiller et Punir, il a voulu • faire la généalogie
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a
de la morale moderne partir d'une histoire polinque des corps».
Si l'ouvragc a pu faire scandale lors de sa parution, il a aussi éré a
l'orlgine d'une réflexion féconde depuis vingc ans sur la réforme des
institurions hospiralieres, psychíarriques et pénitentiaires3. Dans rous
les cas, Surueilier et Punir ne laísse pas indifférem: on peuc étre séduit
par la force del' analyse et la richesse de l' écriture ou étre irrité par ce
que d'aucuns ont appelé « la rhétoríque foucaldienne ».
Martine Fournier
Humaines
1 Pour une analyse critique de l'oeuvre de M. Poucaulr, voir J.G. Merquior, Fouceulr
011le Nibilisme de la chaire, Puf, 1986; er le dossier « Comprendre Michel Poucaulr •,
Scienca Humaines, n' 44, novembre 1994.
2 R. Boudon, L'fdlologie. Eorigtn« des idlesrtfll<I, Fayard. 1986.
3 Voir le dossier « Michcl Poucault, Surveilkr et Punir: la prison vingc ans apres •,
Sociiti C7 &prisentations, nº 3. novcmbre 1996.
51
l'O?uvre
C.H.
MICROPHYSIQUE DU POUVOIR
53
L'O?uvre
De la punition a la surveillance
Un des objets privílégiés del' analyse de M. Foucaulr concerne
l'histoire de l' exclusion, du controle et de l' enfermement. Dans
Suroeiller et Punir (1975), le philosophe pose la question sui
vante: a quels impératifs répond la naissance des inscicutions
carcérales qui se développent massivernent a partir de la seconde
rnoitié du xvnr' siecle en Euro pe? Pour M. Foucaulr, ce siécle
esr une charniere dans l'histolre de la punition. Jusqu'alors, la
punition ese mise en scene : les exécutions rnélent condamnés et
population, on torture et supplicie sur la place publique. Puis,
a la fin du XVIII• siecle. « la sombre fére punirive ese en rrain
54
de s'éreindre' ». La punition ese désormais pensée comme foyer
~d, poovoir +
de violence; elle deviene, de ce faír, la face cachée du processus
pénal,
Avec le síecle des Lumieres, au cours duque! l'on ne cesse de
célébrer raison et liberté, se mee en place un schéma d'huma
nisation des peines. La punition corporelle est progressivemenc
remplacée par l'emprisonnemenc: il s'agir moins de supplicier
que de corríger, gráce a un systérne d'« orthopédie sociale ».
Cependanc, cette humanisation n'est pas le produit d'une raison
bienveillanre, mais plutót une réaction a l'incapacité de l'Ancien
a
Régime faíre face aux profondes rnutarions qui le tenaillent.
On s' apercoit alors qu'il ese plus efficace de surveiller que de
punir. S'ouvre ainsi l'ere de la normalisation: en instituant des
normes, en produisant la figure du délinquant et en justiflant de
la sorce un controle serré, le XVIIIº siecle accouche d'une forme
inédice de discipline sociale.
Le modele le plus pur de certe approche ese, pour M. Foucaulc,
le panopticon, construction carcérale proposée en 1791 par le
philosophe utilitarisre Jeremy Bentham. 11 s'agir d'un báriment
semicirculaire divisé en cellules. Dans chacune d' elles se trouve
un prisonnier visible depuis une tour cencrale. Les détenus ne
peuvenc savoir, par centre, s'lls sonc ou non observés. Expression
d'une obsession de rationalisarion, le panopticon n' ese qu'une des
formes du systeme d' orrhopédie sociale qui se mee alors en place.
Clémenc Lefranc
2- /bid.
3 lbid.
:CHISTOIRE AU SERVICE
DE LA PHILOSOPHIE
57
L'O?uvre
58
Mieux comprendre le présent
Léclairage historique n'ese pas la pour mémoire: s'il ese
généalogie, e' est qu'il vise a mieux comprendre le présenr pour
pouvoir peutétre s' en affranchir. Ce point de vue hiscorique ese
done toujours en rapport avec notre actualicé: « Ce cravail fait
aux limites de nousmérnes doit d'un cóté ouvrir un domaine
d'enquétes historiques et de l'autre se merrre a l'épreuve de la
réalicé et de l' actualicé, a la fois pour saisir les points oü le chan
gement ese possible et souhaitable, et pour décerrniner la forme
a
précise a donner ce changernenc'. ))
Cecee « ontologie hiscorique de nousmérnes » peuc s' orga
niser selon trois axes: l'axe du savoir, l'axe du pouvoir, l'axe de
a
l' érhique. Elle tente done de répondre trois questions: « Corn
menc nous sornrnesnous constirués comme sujecs de notre
savoir? Cornment nous sornrnesnous constitués cornme sujecs
qui exercent ou subissenc des relations de pouvoir? Commenc
nous sornmesnous constitués comme sujers moraux de nos
accions? »
Du philosophe au militant
On comprend mieux des lors pourquoi Foucault ne se
concencera pas de penser la société, les savoírs, les inscitutions ...
Son passage en 19681969 a l'université de Vincennes, alors
haut lieu de la contestation, le fait enrrer, pour reprendre l'ex
pression de Didier Eribon, « dans la geste gauchisre ». 11 n' ese
plus seulement un penseur qui écrit mais aussi un penseur
qui agit. Désormais, l'universieaire sera aussi milicant. Et peu
importe qu'il entre en 1970 dans la vénérable inscirucion qu'est
le College de France. 11 n'arrétera pas pour aueant de signer des
traces, de rnanifester, d' organiser des rnouvements face certains a
confreres médusés.
En 1971. il fonde, avec jeanPierre Vernant et JeanMarie
Domenach, le Groupe d'informaríon sur les prisons (Gip)
qui marque le début d'une série d'acrions visanc a dénoncer la
sombre réalité pénicenciaire. Foucaulr n'est pas seulement un
philosophe insoumis, il ese insoumis parce que philosophe. La
Carherine Halpern
61
L'O?uvre
62
M. Foucaulc, a partir de cette reconstrucrion du sujer de la psy
~•d. soi +
chologie, tressant par son discours bavard les fils de sa propre
dépendance, et n' obéissant jamáis mieux a un autre que quand
il cherche son identité la. plus intime, voudra faire surgir comme
par contraste un autre sujet: celui de l'éthíque ancienne. Sujet
non plus de la connaissance introspective de soi ou de I'inter
prétation du désir sous conrróle, non plus de la confession sans
fin ou de la constitution de la science du moi et de ses émois,
mais sujet de « l'usage des plaisirs » ou du « souci de soi »2, des
exercices et du travail sur soi, de la maitrise et du gouvernement
des affects.
Ces dernieres années furent done celles du malentendu. On
a cru lire a travers les derniéres recherches l' exaltation d'une
morale individualisce, narcissique, d'une érhique du dandy qui
a
ferair l' éloge des conduires proportion de leur seule valeur
esrhétique (faire de sa vie une oeuvre d'arr), la description d'une
construction soigneuse de soi prise dans le vertige d'une autoré
férence, oublieuse des autres, égoiste et asociale (prendre soin de
soi, érablir de soi a soi un rapport de jouissance er de mairrise
completes, etc.). Que n'aton dit sur ce rerour pervers aux Grecs
qui aurait constitué en fin de compre chez M. Foucaulc un sape
menr nihilisre de la morale universelle?
2 Titres respectifs des deux derniers volumes de L'JIistoirede kt Jtx11aliti, parus en 1984,
année de la mort de M. Foucaulr, aux éditions Gallimard.
63
L'O?uvre
le coman familial, les secrets tus, ecc.), mais d'une regle de vie a
observer (supposant une foule d'exercices prariques: commenr
ne pas se mettre en colere, comment réduire ses passions, erc.). Il
ne s'agít done jamáis, conrrairement au sujet psychologique, de
a
creuser de soi soi la disrance d'une méconnaissance combler, a
mais d'une ceuvre de vie a accomplir. En ceci le sujer éthíque
antique, redécouvert par M. Foucault, ese avant tour prarique.
Il n' ese pas constitué par une intérioriré psychologique pro
fondeurs insondables, intimités secretes oü il lui faudrait jeter
le filet fréle de son discours. Le sujec grécolatin du souci de soi
use autrernent des discours: ils sont, comme on verra, la mesure
de ses actes auxquels il les confronte. Le problerne n'ese pas de
savoir jusqu'á quel point le discours peut refiéter fidélemenr
une richesse incérieure, mais d' exercer le discours informer a
l' extériorité des accions. O' ou la question essencielle: esece que
ces acres ressemblent a
ces paroles, esece que ca vie ese fidele
a des principes, esece que cu ordonnes con existence selon des
maximes que cu re donnes?
Lexemple le plus impressionnanc pour illuscrer ce point
de l'opposition foucaldienne entre le sujet moderne de la psy
chologie et le sujet ancien de l'éthique ese celui de l'exarnen de
conscience, exemple d'autant plus décisíf qu'il s'agit en méme
temps de rnontrer en quoi cet exercice spíriruel antique ne sup
pose évidernment aucune introspection. Daos l' analyse serrée
du lívre III du De ira de Séneque oü cer exercice ese présenté",
M. Foucault montee bien que pour le malrre stoícien, il ne s'agir
en aucune maniere de déchiffrer ou découvrir par cer examen
régulíer quelque chose en luí qui serait comrne une idenrité
secrete, une nacure obscure, mais plutót d'assurer le réglage
entre les príncipes d'action qu'il se donne et ce qu'effectivernent
il accomplic, entre ses discours et ses acres.
Lincerrogarion qui parcourt cet examen ese la suivance:
mes accions d'aujourd'hui correspondentelles aux principes
que je me suis donnés? Et s'il arrive que le sujet n'a pas cor
respondu dans ses fairs et gestes aux logoi (principes discursifs)
65
L'O?uvre
66
~•d. ..
et inscicucionnel: soic l'école d'Épicrere offranc des formacions
+
différenciées et s'adressant a un large public de disciples ou de
gens de passage; soit Séneque qui ne se soucie bien de lui qu'en
entrecenant en lui le regard d' un ami, par la correspondance
(exemple des Lettres a Lucilius). M. Foucault y insiste toujours:
le souci de soi n' ese pas une activité soliraíre, qui couperait du
monde celui qui s'y adonnerait, mais consticue au contraire une
intensification du rapport social. Se construire et se soucier de
soi, ce n' ese pas renoncer au monde et aux a u tres, mais moduler
autrernent cecee relation.
67
L'O?uvre
Frédéric Gros
F.G.
LE CHRISTIANISME
ET :CAVEU DU DÉSIR
Obligation d'avouer
C'ese dans le cours de 1975, Les Anormaux, que se noue pour
la premiere fois le rapporc aveusexualicé. Partant de l'hyporhese
que « la sexualité, en Occidenc, ce n'esc pas [ ... ] ce qu'on ese
obligé de taire, [mais] ce qu'on ese obligé d'avouer », Foucault
retrace a grands trairs « l'histoire de l'aveu de la sexualité »arra
vers l'évolucion du rimel de la pénicence. Lune de ses étapes
2· [bid.
3· P. Vcync, • La famille et l'arnour sous le HaurEmpire romain •, An111&s ESC. vol.
xxxm, nº l. 1978.
4 M. Foucault, « Sexualiré et pouvoir • (1978), in Din et Écrits, t. IIl, Gallimard, 1994.
70
«
L, d..
5 lbid.
71
l'O?uvre
Michel Senellart
Ésotérisme structural
Or le statut de ces analyses « littéraires » a l'intérieur de la
producrion foucaldienne ne va pas de soi. Cellesci semblent en
effecsouvent représencer une sorce de conrrepoinr aux livres que
Foucaulr écrit a la mérne époque: parce que si, en apparence, elles
en redoublenc l' écriture et qu' elles en renforcenc le projet quand
Judith Revel
4 M. Foucault, • Qu'esrce que les Lumieres •, in Dits et Écrits, t. IV, Gallimard. 1994.
LA QUERELLE
DU NÉOLIBÉRALISME
Limiter le pouvoir
De quoi estil question dans le cours de 1979? Foucault corn
menee en analysant l'émergence du libéralísme au XVIn• siecle,
non comme une philosophie politique, mais comme pratique du
« gouvernement frugal », soucieux de ne pas « gouverner trop »,
se servant de l'éconornie polírique comme ouril pour lirniter
l'usage excessíf du pouvoir. Ainsi ces réflexíons prolongent l'ana
lyse de ce que Foucaulr appelait la « gouvernemencalité », cet are
de « conduire la conduire ». Daos cetre optique, il examine les
ordolibéraux, ces économistes allemands qui, aprés 1945, furenr
77
L'O?uvre
78
L, ...... ou .....
« Totalement convaincu »
Pour P. Dardor et C. Laval, Foucault propose incontesta
blemenc une critique du néolibéralisme. Mais s'il s'avérair que
« Foucault, a la fin de sa vie, érait en crain de devenir libé
ral? » C'est la question que se pose le philosophe et sociologue
Geoffroy de Lagasnerie dans La Derniére Leion de Micbel Fou-
cault (2012). G. de Lagasnerie repere les thémes dans le cours
de 1979 qui suggerent que Foucault fue fasciné, rnéme tenté
par ce qu'il découvre chez les néolibéraux: l'éloge de l'hétérogé
néité sociale, la disqualificacion de la souveraineré étarique, une
dérnarche anripsychologisre, une critique radicale de la sociécé
disciplinaire. Touc en récusanr la rhése d'une « adhésion tacite »
du philosophe au « paradigme néolibéral », il soutienr que Fou
caulc voyait dans le néolibéralisme « un insrrumenr critique de
la réaliré »: si Foucaulc ne se rallia pas au néolibéralisme, il osa
au moins prendre au sérieux sa mise en quescion de la sociéré
accuelle.
Le sociologue José Luis Moreno Pestaña va plus loin encore:
il parle de « l' extase » qu'éprouva Foucaulr devane le néoli
béralisme. Dans Foucault, la gauche et la politique (2010),
J.L. Moreno Pestaña documente le preces sans reláche que Fou
cault mena, tout au long de sa carriére, conrre le marxisme et
la gauche classique. Il n'ese done pas surprenant que Foucault
en 1979 soit, selon lui, « totalement convaincu par le discours
néolibéral ». Séduit par la fai;:on done le néolibéralisme sous
a
trait l'indívidu l' emprise des norrnativités, Foucault ne s' était
a aucun moment incerrogé « sur les effers d'inégalicé sociale du
néolibéralisrne »,
Dans cecee querelle, Serge Audier, auceur du monumental
Néolibéralisme(s). Une archéologie intellectuelle(2012), introduit
une dose de bon sens. Le cours de 1979 ne saurair, selon lui, se
comprendre en dehors du « contexte polémique » dans lequel il
79
l'O?uvre
Michael Behrenr
HÉRITAGE ET BILAN CRITIQUE
81
Foucault sur les planches
(Encretien avec Sabrina Baldassarra et Lucie Nicolas)
Les critiques de Poucaulr. D'hier a aujourd'hui
(Michael Behrent)
FOUCAULT I;AMÉRICAIN
83
j'avais été plus jeune, j'aurais émigré aux ÉrarsUnis. » 11 recon
nalr rourefois que cette affection n'ese pas roujours réciproque:
certains Américains voienc en lui « un homme dangereux, un
cryptornarxiste, un irrationaliste, un nihilisre » (en 1970, en
pleine Guerre froide, Foucault avait en effer du mal a obtenir
un visa pour les ÉtatsUnis a cause de son bref passage au Partí
communisce francais dans les années 1950 ... ).
84
fuoo,J, ,,..,,..=·
rnenrs de francaís, voire de lirtérarure comparée ou anglaise (du
+
fait de la fin de nonrecevoir imposée par la plupart des déparre
rnents de philosophie qui, aux EratsUnis, sont majorirairernent
analytiques). Ce que l'on appelle la «french tbeory » ese en fait
un syncrétisme, ou se trouvent mélangés péleméle Foucaulc,
Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Roland Barthes, Jacques Lacan,
Claude LéviSrrauss, Jean Baudrillard, [eanFrancoís Lyorard,
Julia Kristeva, Luce lrigaray... Plusieurs universités fondent
des déparrements ayant pour but de pousser la réflexion sur ces
auteurs, tels les programmes en « modern culture and media» a
a
Brown, ou le Critica! Theory Insrirute Irvine. Le dénominateur
a
commun la french theory est l' étude des représentations: mon
trer que la culture, les relations sociales, les rapports politiques
sane avant tour des phénornénes linguisriques qui peuvene erre
analysés comme rels. Cette approche s'imagine contestaraíre,
voire radicale, dans la mesure ou elle entend dévoiler le carac
rére « socialernenr construir » de phénoménes supposés naturels
méme si, en plein milieu des années Reagan, elle a peu a pro
poser sur le plan concret. A travers ses analyses du discours, des
épistémes, et du « pouvoirsavoir», Foucault deviene l'une des
grandes vedettes de la french theory.
La « Foucaultmania » sur les campus américains, a partir de
la fin des années 1970, ese bien plus qu'un phénomene de mode.
Sa pensée a joué un role primordial dans cetre mise en ques
tion de la culture nationale dominante que l'on appela « identity
politics », qui ese un prolongement des grandes lurtes des années
1960 (droits civiques pour les AfroAméricains, féminísme, etc.).
Si Foucault n'a pas directemene traíté de ces questions, ses idées
sur le pouvoir, sur la normalísation, sur les contraintes imposées
par les discours touchent la carde sensible de nombreux groupes
a
désirant affirmer leur identíté face la culture dominante. Mais
a
tour en conrribuant approfondir la réflexion sur des aspects
importants de sa pensée, ces usagers de Foucault sone rarement
con tenes de la laisser tell e quelle: tour en s'inspirant de lui, on
a
s'acharne le critiquer, le radicaliser, le dépasser.
Prenons l'exemple du féminisme. Foucault joue un role
cié daos le basculemene vers ce que l'on appelle sa « rroisíerne
85
vague », aprés une prerniére vague visanc l' émancipacion poli
cique et une deuxierne vague miliranc pour l'égalíré sociale. Les
féminisres américaines s'intéressent a Foucaulr pour plusieurs
raisons. Sa notion de normalisation et ses analyses de la maniere
done le pouvoir vise le corps s'averent d'une grande urilité
pour penser la construction sociale de la « féminité ». Surtout,
Foucaulr libéra le féminisme de l'« essenrialisme », c'esrádire
de la notion qu'il existe un caractere, une personnalíré, voire une
éthique féminine intrinseques (comme le sourienr notamrnent la
psychologue Caro! Cilligan, selon laquelle les femmes auraienc
une moralicé sensiblemenc différente de celle des hommes).
Mais cecee attraction initíale pour Foucaulc s'estampa rapide
rnent lorsque les férninistes prirent conscience des conséquences
ultimes de sa pensée. Ainsi la phílosophe Nancy Fraser se
demande si le discours critique de Foucaulr, en rejecant tour sou
bassemenc norrnarif peut vraiment guíder un projet d'érnanci
parion (entre autres, des femmes). Nancy Harstock, philosophe
elle aussi, reproche a Foucaulc sa maniere d'appréhender le pou
voir, qui lui semble rrop éclatée pour saisir la spécificíré de la
dominacion patriarcale des femmes. D'aurre pan, la réputation
de Foucault aupres des féminisces ese plutót dégradée par des
propos, cenus lors d'un entretien en 1977, en faveur de la dépé
nalisation du viol, mérne si ces remarques n'onr pas toujours
été saisies dans toute leur spécificité. Si la lecture de Foucaulc
demeure inconcournable pour nombre de féminisresaméricains,
a
des douces quant la pertinence de ses chéories pour l' érnan
ciparion des femmes et des suspicions concernant son possible
« androcentrisme » planenc audessus de son nom.
Un semblable mouvemenc d'attraitrejer dans l'apprécia
cion américaine de Foucault ese apparent dans le « gender » et
la« queer tbeory ». La penseuse qui a le plus marqué ces débats
ese inconresrablement Judich Butler, philosophe de formation er
a
professeure dans le départemenr de rhérorique Berkeley. Dans
son livre Gender Trouble (1990), J. Bucler s'appuie sur Foucaulr
pour développer sa thése: selon elle, le genre, a proprement par
ler, n' existe pas, il ne désigne que des liens arbicraires cissésentre
des fonctions biologiques distincres prescrics par des discours
86
fuoo,J, ,,..,,..=·
normalisaceurs. Elle s'intéresse, dans ce conrexre, aux rexres que
+
Foucault recueillic sur Herculine Babin, cer hermaphrodite du
XIX' síecle que Foucault semble vouloir utiliser pour démontrer
le caractére arbirraíre et répressif des classifications sexuelles.
Toutefois, selon J. Buder, l'analyse que propose Foucault est
ambigué: tout en signalant que l'identité sexuelle ese l' effec de
relarions de pouvoir (il faut impérarivement erre homme ou
femme, et ríen d'autre), Foucaulr suggére, en rnérne temps, que
l'hermaphrodite, du fait mérne de son idenrité problématique,
habite un monde oú les plaisirs charnels ne sont pas réglementés
par les catégories sexuelles, lui donnanc ainsi acces a une « mul
a
tipliciré de plaisirs » exrérieurs l'instance sexuelle. Ainsi, selon
a
J. Butler, Foucault cede l'idée sentimentale, voire rousseauiste
(car invoquanr une nature épurée de toute culture) d'une sexua
lité prédiscursive, « d'avanc la loi ». Ainsi Foucault échoue a
assumer pleinement son intuition fondarnentale, que l'identité
sexuelle n' existe jamais en dehors des discours et des pouvoirs.
87
l' objeccif essentiel de tour « conrrediscours »: mettre au jour les
falsifications des discours hégémoniques. Le psychiatre rnarti
niquais Frantz Fanon, qui fue l'un des fondareurs de la pensée
tiersmondisce, révéle la digniré, la force de la peau noire sous
le masque blanc; pour Foucault, la résistance peut imposer sa
vérité, mais non la vérité. D'aurres représentants du courant
posrcolonial vont jusqu'a soutenir que le travail de Foucault
luimérne, malgré ses apporcs méthodologiques, déborde de pré
supposés eurocentristes. Ainsi l'anthropologue Ann Laura Sto
ler, dans un important essai de 1995 (Race and the Education
of Desire) maintient, dans sa lecture d' Histoire de /.a sexualité,
qu'une lacune faít chanceler le projet dans son ensemble: le refus
de prendre en compte le róle qu' ont joué le contexte colonial et,
surtout, la différence raciale dans la construction de la sexualité
occidencale et de la subjectiviré bourgeoise omission d'ailleurs
frappante, étant donné les réflexions suggestives mais lapidaires
auxquelles Foucault se livre sur la place de la pensée raciale dans
ce qu'il appelle la biopolirique (ces policiques visanr a optimiser
les forces vitales d'une population). A. L. Stoler explique cerre
absence par le faic que, concrairemenc a la prise de conscience
massive des incellectuels américains du caractére racisre de la
sociécé américaine a partir des années 1960, leurs collegues euro
péens, malgré la décolonisation, n'onc jamais entrepris une ana
lyse du racisme de leur propre société, du moins avant les années
1980 (il ese toutefois incéressant que A. L. Sroler ne reconnait
aucunement l'importance de la Tunisie, oü Foucaulc habitait
entre 1966 et 1968, et qu'il a toujours déclarée comme étanc la
cause, bien plus que Mai 68, de son cournant políríque).
a a
En devenant un maitre penser et dépasser de la poli
tique des « identités » des années 19701980, son nom deviene
un point de contestation dans ce qu' on appelle les « culture
toars », cecee « guerre culturelle » qui opposa l'Amérique issue
des luttes des années 1960 aux défenseurs d'une Amérique tra
dicionnelJe (qui soutiennent majorirairernent Ronald Reagan).
Pour ces derniers, Foucaulr deviene un homme a abattre, car
suspect d'incarner le relativisme moral et le refus des valeurs tra
ditionnelles qui, depuis les sixties, menacenc l'incégricé du pays.
88
fuoo,J,
89
l'un des plus célebres pragmatisces: tous deUJC démoncrenc qu'il
esr possible de vivre sans recours a des norions de ratíonaliré,
d'objectíviré ou de vérité. Foucault n'a jamais émigré; il semble
rait pourtant que des milliers de lecreurs américains trouvent,
sous un sryle pourcant bien francaís, un esprit dans lequel ils se
reconnaissent.
Michael Behrenr
DE L'HOMOSEXUALITÉ
AU PROBLEME DU « GENRE »
91
crois tomes publiés entre 1976 et 1984. Comme l'explique le
philosophe Philippe Sabor', ce n' esr pas tanc une hisroire des
pratiques sexuelles qui l'intéressent qu'une analyse des discours
sur le su jet, de leurs effets sur les comportements et les rapporcs
a a
sociaux. Foucaulc contribue ainsi dénaturaliser et políriser la
« sexualité », montrant qu' elle esr porceuse d'injoncríons norma
tives. En toile de fond, l'idée que« le sexe » ri est pas une donnée
empirique audessus de toute critique, intangible, neutre et uni
verselle, sera reprise dans le cadre des gender studies.
Injonction normative
Si Foucault n'aborde pas directernent la problématique du
« genre », il se penche sur des questions connexes qui l'amenent
a en parler l'homosexualicé par exemple. Celleci a changé de
nature vers la fin du XV1Ilº siecle, écritil dans la Vo/Qnté de snuoir
(1976): tant que le pouvoir spiriruel de I'Églíse dorninair, les rela
tions homosexuelles éraient condamnées comme péchés, mais
pas les personnes ellesrnémes. Ce n'ese qu'á partir du xrx' siecle,
lorsque le discours médica! fait autoricé et remplace celui des
clercs, que l'homosexualiré devient une caracrérisrique incarnée
et personnífiée. « Le sodomice écait un relaps, résume Foucaulc,
l'homosexuelese maintenanr une espéce. » Et la principale carac
térístique de celleci sera « une certaine maniere d'intervertir en
soirnéme le masculin et le férninin », « une sorce d'androgynie
intérieure, un hermaphrodisme de l'áme' ».
Foucault s'intéresse plus spécifiquemenr au genre deux ans
plus tard: dans un texte sur « le vrai sexe » - une préface au
récit autobiographique d'un hermaphrodite au XIX' siecle (voir
encadré) , il montre en quoi le droit et la morale contribuent au
XIX' siecle a l'élaboration d'une norme du masculin et du fémi
nin. 11 conclut en appelant de ses voeux « une autre économie du
corps et des plaisirs », voire une indistinction sexuelle baignant
dans « les limbes heureuses de la nonidenrité ». S'il ese difficile
de savoir ce qu'il entendait précisémencpar la, cet essai reste une
référence pour les gender studies.
1 Michel Foucaul» prismte Herculin« Barbin, dite Akxint1 B., posrfsce d'E. Fassin,
Gallimard, 2014.
94
Quel a éré l'impact de cette préface sur les gmder studies anglo
saxonnes?
Elle a été écrire pour l'édirion américaine de 1980, alors que
e' esr seulemenr en 2014 qu' elle figure, pour la premíére foís, dans
!'édition francaíse. Elle ese done plus connue en anglais qu'en
franc;ais rout comme les souvenirs d'Herculine Barbin euxmémes.
Le livre et la préface onc eu un écho imporcanc en anglais: en 1990,
la philosophe Judich Butler en propose une relecture influence dans
Troubledans legenre,pour en souligner l'enjeu chéorique, et pendanc
la décennie qui suit, l'émergence d'un rnouvement intersexe lui
donne une actualicé politique. Reste que la réédition francaise
permet de voir ce qu'efface la langue anglaise: le travail littéraire du
genre, soit commenc Abe! Barbin mee en scéne Herculine en jouant
du féminin ec du masculin.
95
LES TRADUCTIONS DE FOUCAULT
DANS LE MONDE
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97
rARCHIPEL DES HÉRITIERS
99
mier numéro de cecee revue , il est le prernier, dans cer enrretien,
a y introduire le mor de « géopolírique ». Les psychanalysres de
la revue Ornicar, bulletin du champ freudien, suivronr de peu,
relevant quanc a eux, surtout, l'idée que le pouvoir ne s'analyse
pas seulement par ce qu'il limite, borne ou contrainr, mais aussi
a parcir de ce qu'il produit. 11 ne fait pas qu'exclure, dorniner,
réprimer ou refouler, il facilite, limite, élargir et en ce sens pro
duit du réel.
La portée de ce « premier » Foucault se mesure aussi a la
a
maniere done il donne une nouvelle léglrimiré certains objets :
la folie, les processus de normalisatíon, mais peutétre surtout
la prison et la délinquance sont rapidement devenus incontour
nables. En effet, qu'il s'agisse d'étudier l'institurionprison dans
a
son rapport la société ou de comprendre les rapports de pou
voir et de résistance qui se jouenc en rnilieu carcéral, Foucault
propose une nouvelle grille de lecture. 11 dégage un nouvel hori
zon de recherche, quasi inépuisable2, pour les sciences sociales,
en mérne remps qu'il atrise les critiques. Plusieurs hisroriens,
comme Jacques Léonard, lui reprocherenr ses raccourcis (chro
nologiques), le caractére sélecrif de ses sources, ou encore de
n'avoir pas voulu prendre en compre la« vie » réelle et les rnots
clics par les prisonniers pour décrire leur siruation.
2 Voir sur ce point • Survciller er Punir de Michcl Foucauh •, PUCIMEC ainsi que
l'erucmble de la collecrion « Rcgards critiques » qui s'esr chargé pour chaque ouvragc
de Foucault de répertoricr les premierscommemaircset surrour les premierescritiques.
100
L',,d,¡p, des i,;.., +
Ce moment marque un important changemenc dans le rap
porc a l' ceuvre de Foucault, qui deviene plus patrimonial. Si
certains s'occupenc de classer les différencs écrits désormais dis
ponibles, d' a u tres s'inquietent de cerrains usages qui se popula
risenc. C' est le cas, par exemple, du sociologue Pierre Lascoumes
lorsqu'il va réfléchir a l'emploí des concepts foucaldiens et en
a
parriculier celui de « gouvernemencalité » poUI décrire la mise
en ceuvre des politiques environnemencales. Commenc résis
ter au simple effet de mode? Foucault peucil offrir aux cher
cheurs aurre chose que des notions clés en main: des regles pour
construire leur propre objet?
La fin des années 1990 verra se mulriplier les discussions,
parfois ápres, concernanc I'intérér des concepts foucaldiens pour
les sciences sociales. judith Butler, avec Troubles dans le genre
a
(1990), reviene sur I'analytique foucaldienne partir de sa cri
tique de la distinction entre « sexe » et << genre ». Mais ce sonc
aussi, en anrhropologie, les discussions qui s' organisenc avec le
groupe « Matiere a penser », animé par jeanFrancols Bayarc et
JeanPierre Warnier, qui cherche a cendre compre de l'exercice
réel du pouvoir (par le corps et les objets), en particulier dans les
royaucés afrícaines. De son coté, l'anthropologue Marc Abéles,
en allane au cceur d'institutions tres centrales, s'inspire expressé
menc de Foucaulc pour poser comme luí la question du « com
menc » de l' exercice du pouvoir, déplacanr ainsi la représencacion
que l'on peut se faire sponcanémenc du polírique.
Un Foucaulc « diagnosticien de l' actuel » commence a érner
ger. Pour le sociologue Robert Castel, cet usage permec de cendre
compte d'une réalité sociale actuelle a partir de ses transforma
tions historiques. 11 iy attellera luimérne dans LesMétamorphoses
de la question socia/e (1995). Il s'agit, avec Foucault, de prendre
l'actualiré comme point de départ et de réaliser une« hisroire du
présenc », c'esradíre d'analyser la « provenance » de cercaines
de nos prariques, de nos choix, en repérant leurs matrices, leurs
foyers d' émergence, leurs poincs de problématisation.
Mais ce sonc surtout trois notions qui vont plus particuliére
menc essaimer dans l' ensemble des sciences humaines et sociales
(SHS): biopolírique, disposicif et hétérotopie (voir glossaire).
101
Celle de « biopolitíque » va connairre, dans un premier
ternps, de nombreuses interprérations philosophlques de la pare
d'auteurs comme Giorgo Agarnben, Roberto Esposíro mais aussi
Peter Sloterdijk et Toni Negri. Pour les SHS, la notion va per
mertre de requalifier et de fédérer des recherches qui auparavant
étaient isolées et parfois érrangeres les unes aux autres. Aucour
des sociologues Didier Fassin et Dominique Memmi vont se
a
mulciplier les mises l' épreuve de cecee notion dans des « ter
rains » actuels (biomédecine, biotechnologie, contraceprion,
avorternent, procréation, euthanasie ... ). Pour eux, le rapport
qui s'ese engagé depuis le xvm' siecle entre la vie humaine et
le champ d'intervention du pouvoir continue de faire actualicé.
Príncipe de précaution, de bioéthique, de disposicifs de controle,
surveillance électronique ... Le speccre des objecs susceptibles de
relever de la biopolitique ne cesse de s' étendre dans la mesure oü
u suffir qu' elles affectent les condirions de la vie des popularions
hurnaines.
La norion de « disposirif » va, quant a elle, connaitre une
résonance importante en hisroire et en anrhropologie. Elle offre
l'avanrage de saisir que les choix opérés par les acreurs sont
négociés, débatrus, voíre imposés. La citation désormais cano
nique de Foucault serc de base a ces rravaux: le disposírif ese
« un ensemble résolument hérérogene, comportant des discours,
des instirutions, des aménagemencs archirecruraux, des déci
sions réglementaires, des lois, des mesures adminístratives, des
énoncés scientifiques, des proposirions philosophiques, morales,
philanthropiques, bref: du die, aussi bien que du nondír' ».
La chéorie foucaldienne du dispositif se renouvelle depuis une
a
dizaine d'années travers la tradition sociologique commencée
par les rravaux du Centre de sociologie de l'innovacion (autour
entre autres de Madeleine Akrich, Michel Callan, Antaine Hen
nion et Bruno Latour) mais aussi ceux de Science and Technology
Studies (STS). Elle ese aussi entrée dans les sciences de la cornrnu
nication, en permettant d'insister sur le róle des disposirifs tech
niques daos l' organisacion des sociérés. La revue Hermés, dirigée
par Dominique Wolton, en faír un modele alcernacif d'analyse de
104
L',,d,¡p, des i,;.., +
maniere de « faconner les gens » et de gouverner a discance. On
recrouve ici un Foucault « critique » qui cherche a démasquer
les rapports de forces, les stratégies et les agencemencs divers qui
contraignent les individus a se conformer aux regles sociales. Des
travaux qui sont aujourd'hui largement repris dans les études de
sciences de gescion et de management pour mertre en lumiere
l'aspect disciplinaire de 1' organisation des enrrepríses.
Comme toutes les cartographies, celleci ese incomplere,
imparfaíte, tantót trap spécífique, tanrót trap vaste. Elle moncre
cependant que la plupart des auteurs qui cherchenc aujourd'hui
a se loger dans la pensée foucaldienne sonc obligés, en mérne
cemps, de la rravailler de l'intérieur, opérant par déplacemenrs,
déséquilibres, mouvements et reprises. Certains de ces auteurs
ont lu ses textes en profondeur, sont imprégnés de sa pensée et
sont soucieux de la prolonger ou de la discuter, A cela, on peuc
ajourer cous ceux qui décident de s'inspirer forcement de son
rravail sans le citer explicirernenr, ceux qui le dérournenr, ou
ceux qui en fonc un usage plus superficie]. On peut se rallier a
l'analyse de l'historien David Halperin, connu pour ses travaux
sur l'homosexualité, qui déplore une tendance a « l'invocarion
devenue presque rituelle du nom de Michel Foucaulc avec pour
effer de réduire sa pensée a une poignée d'idées et de slogans
aujourd'hui si courants qu'ils rendent parfairemenr accessoire la
Iecrure de ses textes? ». Quoi qu'il en soit, ces usages, dans toure
leur variété, rnettent Foucault a l' épreuve. Un juste retour des
choses?
jeanFrancoís Berc
106
Différences et rémanences
En revanche, faíre retour sur ce qui a effeccivemenc carac
cérisé son cravail a l'incérieur d'une cartographie générale de la
pensée francaise a parcir du début des années 1960 aide pro
bablement les lecteurs que nous sommes a s'oriencer dans un
double paysage. Le premier, cese, nous l'avons rappelé, celui qui
caractérise la philosophie francaise a partir des années 1960 (et
probablemenc, des avant, depuis le milieu des années 1950), et
done rares onc été les tentatíves de repérage et de compréhension
autres que schématiques un peu comme s'il fallaic appeler de
nos voeux aujourd'hui un travail archéologique sur la maniere
done se discribuent et se clivenc les discours de la philosophie et
des sciences humaines en France apres 1945. 11 s'agirait alors de
faire émerger l'épiscéme de ces discours, c'estádire, comme le
dira Foucaulc luimérne pour définir cecee notion qui fue si cen
rrale dans son travail, l' espace de leurs « dífférences » ec de leurs
« rémanences », de leur dísrribution ec de leurs relarions. Mais
il s'agiraic aussi de donner a voir cec aucre paysage lui aussi
exrrémernent riche qui ese celui des leccures ec des usages phi
losophiques de Foucaulc aujourd'hui. Or l'une et l'autre chose
sane probablemenc plus liées qu' on le croic parce que se repro
duisene dans norre propre actualicé les clivages qui onc marqué,
il y a maineenanc plus de quarance ans, les débucs de la recherche
foucaldienne et qui en fonc toute la spécificiré.
Cecee particularicé du travail foucaldien ese en réalité au
moins double. Elle consiste en effec a critiquer de maniere radi
cale le prívilege, jusqu'alors total, d' un sujec hérité de la phi
losophie classique et réaffirmé jusqu'au xx' siecle cecee figure
auconome, aucodonnée, fondatrice et non quesrionnée, et qui
traverse la pensée philosophique « de Descartes a la phénorné
nologie », comme le répétait souvenc Foucault luiméme. Mais
a
elle consiste égalemenc redoubler la critique du coté d'une
représencacion de l'histoire identífiée comme étant de macrice
hégélienne, considérée comme linéaire, continué, dialeccique et
réléologique, et done coure l'encreprise foucaldienne n'aura de
cesse de déconscruire la domination. Cette double destitution
du sujet et de l'histoire , Foucaulc la parcage bien encendu avec
107
d'autres, des le début de son cravail: la proximiré avec le srruc
curalisme (tour d'abord sans doure réelle; puis, une foís qu'elle
aura été remise en cause par Foucault, a parcir de la seconde
moitié des années 1960, malgré tour réaffirrnée, envers et contre
tout, par certaines lectures posrérieures) se fonde sur le premier
aspecc de la critique; quane au second, il nourrira par exemple le
voisinage de Foucaulc avec Deleuze, en particulier a rravers une
commune référence a Friedrich Nietzsche, littéralement utilisé
comme « machine de guerre » conere un hégélianisme consi
a
déré l'époque comme dominan e dans les milieux universitaires
francais.
Le temps de la subjectivité
Pourtant, tour n'esc pas si simple. Parce qu'á la critique du
« a
sujet », Foucaulr ne fair pas suivre, contrairemenr ce que fone
a l' époque les scructuralisces ou, de maniere un peu di.fférence,
Deleuze, la descripcion et l'analyse de « processus sans sujet »,
de strucrures, de dispositifs valanr comme rels en euxrnémes.
Ec que, de la mérne maniere, Foucaulc ne déduic pas de la cri
tique de l'histoire linéaire, continue, dialeccique ec céléologique,
la nécessité pure et simple de se passer de rout gesce d'historici
sacion, ec de penser désormais la philosophíe concre les enquétes
de type hiscorique. Bien au contraire, des le débuc des années
1970, le rerme « subjeccivieé » viene chez lui occuper le terrain
déblayé par la critique de la formesu jet; quane au rapport a
l'hisroire, il ese loin de se condure par son exclusion hors de
l' enereprise philosophique, et caractérise au concraire son cravail,
des les premiers livres, comme une hiscoire une aucre hiseoire
, done il emprunee la figure disconcinue, non linéaire, absolu
mene non dialectique et totalement dépourvue de te/os, de tour
a
bue, tout la foís au travail de Georges Canguilhem, done il ese
a
tres proche, et celui de certains hiseoriens qui lui sont contem
porains et avec lesquels il ne cessera des lors de dialoguer.
Subjeccivacion et hiscoricisacion, en lieu et place du sujet et
de l'hiscoire, done: voila la particularicé de Foucault dans son
propre coneexce. Foucault, par ce rerrne de subjectivacion, encend
non pas un sujet donné hors de toute hiseoire, et qui en devien
108
C.'°'"""' Joo""""' ph1o.opl,..,
109
sur un mode d'étre historique. Bien plus qu'un nierzschéisrne,
ou qu'un srructuralisme dur, on esr ici daos le geste d'historicisa
tion radicale d'une enquéte porranr sur les modes de pensée ce
que Foucaulr, une foís entré au Collége de France, enseignera
comme une « histoire des systemes de pensée », ou si l' on veur,
l' idée d' un constructivisrne historique poussé a l' extreme. 11 ne
s'agir pas pour Foucault de proposer une étude de la maniere
dom un objet constanc (par exemple l'homme) a varié daos l'his
toire, mais bien au contraire une enquéte sur les déterminations
a
historiques qui onc porté ce rnéme objet apparaírre en tant
a
qu' objer, c' esradire étre construir contre (ou en alterna
tive par rapport a) d'autres constructions d'objer, qui l'avaienc
précédé, et daos l'attente, saos doure, d'autres constructions
a
encore , vouées tót ou tard le remplacer.
110
C.'°'"""' Joo""""'
des cours au College de France, d'une pare; celle d'un volume
ph1o.opl,.., +
Foucaulr dans la Pléiade1 -, elle regroupe a la foís des proches ec
des collaborateurs de Foucaulr, et route une seconde génération
qui s' ese formée dans ce formidable laboratoire de lecture dom
l'Associacion pour le centre MichelFoucaulr a éré, des sa fonda
tion, dans la seconde moitié des années 1980, le cceur véritable.
A cette mérne famille appartiennent également en France
comme a l' étranger des chercheurs qui ont choisi de travailler
de maniere « interniste » sur te! ou rel grand livre, sur re! ou tel
moment de la production foucaldienne, et qui tentenr encore
aujourd'hui d' en éclairer la difficíle mais incontestable cohé
rence. On reconnaitra ici, dans une liste qui n'est bien entendu
pas exhaustive, les noms de Frédéric Gros et de Michel Senellart,
de Philippe Artieres et de Francois Ewald, de Philippe Chevallier
et de Daniel Deferr, de Philippe Sabor et de jeanFrancoís Bert,
de Daniele Lorenzini et d'Arnold Davidson; et de tant d'autres
encere, qui, en France comme a l' écranger, « travaillent » le cor
pus dans un rapporc érroit aux textes euxrnérnes.
La seconde grande famille réunic en revanche rous ceux qui
rentent, dans une volonté de prolongemenr et d' actualisation
d'enquétes menées par Foucault luirnéme, d'acrualiser ses ana
lyses, c' estádire d'interroger la maniere done, de son époque a
la nótre, les processus de construction d' objets et de discours, de
représentations et de pratiques, ont pu se transformer,se défaire
et se refaire aurrement, se transformer ou bien disparaitre pure
ment et simplement pour laisser la place a des configurations
nouvelles. Id, les exemples sonr nombreux: de la critique des
identités fortement ébauchée par Foucaulr a partir de la fin des
a
années 1970 I' analyse des dísposítífs de sexualité et l' érner a
gence des chématiques de genre ec de la pensée queer. de l'ana
a
lycique des biopouvoirs la description des variantes contern
poraines du néolibéralisme, de la fascination sans cesse relancée
pour les différents modes (a la fois singuliers et collecrifs) de
a
subjectivation l'idée d'une éthique prarique de l'exisrence, de
la redéfinicion de l'intellectuel comme « inrelleciuel spécifique »
a la généalogie a la fois inquiete et pleine d'espoir des formes de
1 M. Foucault, CEwre.r, t. l. Pléiadc, 2015.
111
rnilirantisme, les champs ressaisis par la phílosophie aujourd'hui
d'apres Foucaulr, sans doute, mais aussi aprés Foucault. 11
s'agít en somme de jouer son travail dans une histoire la nótre
qui est parfois devenue autre que la sienne, et d'appliquer cene
méthode de cartographie « par différenciation » qu'il pratiquait
pour saisir le « bougé » et parfois rnéme le « brisé » qui font de
l'hisroire, selon ses propres termes, l' empilement sans terme de
discontinuités et de différences. Certains des noms de l'approche
« interniste », déjá mentionnés, s'y retrouvent aussi: P. Arrieres
et F. Ewald, par exemple, mais aussi Mathieu PotteBonneville
et Guillaume Le Blanc, Pierre Dardot et Christian Laval, jean
Claude Monod et Paolo Napoli, Antonio Negri/Michael Hardt
et Judich Butler, David Halperin et Donna Haraway, pour ne
cicer la encore que des noms centraux dans le débat francais
actuel.
La rroisierne grande famille comprend cous ceux qui se sonr
saisis de la « boite a outils » foucaldienne pour l'appliquer a des
champs qu'il n'avait pas luirnérne envisagés, a l'extérieur, done,
de sa propre enquéce: un prolongemenr non plus dans l'histoire,
mais par l' exploration de domaines ec de quescions, ec l' expé
rirnentation de problémarisations qui se revendiquenr métho
dologiquement et instrurnentalement de Foucault. Ici, e' ese
bien souvent d'un Foucault inartendu, libéré des contrainres du
commentaire textuel, et rendu paradoxalement auronorne par
rapporc a son pro pre travail, qu'il s' agit; si ce n'est que le double
aspect de la critique foucaldienne par lequel nous commencions
cene breve carrographie encore une fois: nécessité d'une histo
ricisation de l'enquére philosophique en lieu et place d'une phi
losophie de l'histoire; et projec d'une histoire des modes de sub
jectivation en lieu et place d'une philosophie du sujet demeure
malgré tout cenrrale, y compris quand les champs d'applícarion
de la boite a oucils sont totalernent nouveaux. Du coté de la cri
tique d'art et de l'esthétique, des érudes posrcoloniales ec subal
ternes, du cinérna et du théátre, mais aussi dans l'explorarion
de thérnatiques aussi différences que l'enfance, la planification
urbaine, le développement de l'ingénierie généríque, la disci
pline miliraire, l' éthique médícale ou les nouvelles technologíes,
112
C.'°'"""' Joo""""' ph1o.opl,..,
113
des foucaldismes non historiques, fascinés par les devenirs sans
sujets, par les díspositífs et les processus, les paradigmes généraux
et presque structurels (l' état d' exception, pour l'un; I'immunité
pour l'autre), et faísant partouc jouer les mérnes concepts, de
l'Anriquité a la pensée rnédiévale, de la pensée polírique moderne
a notre propre XXI' siecle ...
Alors on <lira: oui, mais la grandeur de Foucault est de ne
pas avoir laissé d'école, et d'avoir ernpéché par avance la for
macion d'une regle: nulle orthodoxie, done, mais des usages et
des essaimages. On aura raison. Sinon que ce qui faír la qualité
d'un geste, c'est aussi la posture qu'il engage; et qu'á trop étre
attentíf aux seuls concepcs, parfois, on oublie qu'ils ont engagé
une attitude philosophique, ce que, a la fin de sa vie, Foucault
nommait une éthique et que cecee éthíquela se laisse difficile
rnenr penser sans historicisarion de ses modes, de ses pratiques
et des formes de subjectivation qu'elle engage.
Judith Revel
« On a trop oublié ses premiers livres »
Le regard de Philippe Raynaud
117
11 me sernble que c'est la une exagération de la nouveauté de ces
savoirs, et de la rupture qu'ils représentent avec ce qui précede. Je
ne crois pas que la naissance du structuralisme ait marqué la fin de
l'homme. Comme souvenc avec les rhéses foucaldiennes, je préfere
les prémisses aux conclusions.
Foucault avait le génie des problernes. J' ai éré amené a relire
ses travaux sur la naissance du néolibéralisme. Il percoír beaucoup
de choses alors que Iorsqu'il écrit, au début des années 1980, le
néolibéralisme est a peine en formation. Il posséde un sens aigu de
la découverte des questions mais je doute qu'il ait une philosophie
originale. Pour moi, il y a une oeuvre de Foucault mais il n'y a pas
de philosophie de Foucault. C'est un nietzschéen parmi d'autres.
Sa maniere de rnetrre en scene les choses, cene combinaison
d'hisrorien et d' écrivain doté d'une grande culture philosophique ese
remarquable. Mais les concepts foucaldiens, rels que"!' épistéme", "le
biopouvoir", ou "la gouvememerualité" sonr davanrage des modeles
d'inccrprécacions de l'histoire que des conccpts philosophiques.
Foucaulc a fourni une ceuvre tres importante mais son originalité
n'esr pas rant phílosophique qu'hístorique. On peuc erre un grand
auceur sans étre un grand philosophc ... »
119
et des examens sonc bien ancérieurs a « l'invenrion » de la pri
son et du systeme panoptique. Mérne si c' esr la moderniré qui a
étendu le regne de l' école dans toute la sociéré, la forme scolaire
elleméme (le systerne des disciplines, des notes et des examens)
doit plus aux rnonasteres et surtout aux colleges des jésuites
de la ContreRéforme qu'á la Révolution et aux Lurnieres. Le
théme de la rupture, essenciel dans le travail de Foucault sur le
grand enfermemem et sur la prison, ne se décline pas de la mérne
maniere dans le cas de l'école. Lexrension, mais pas la créarion,
du regne scolaire s'inscrit dans crois grandes rnurarions : l'instal
larion de régimes démocratiques exigeant la formation d'un sujet
a a
cicoyen la place ou cóté d'un sujet chrétien; la création d'une
nation imposant une culture nationale transrnise par l' école",
la lente substitution d'une société rnérirocratique « ouverte » a
une société « fermée » de casces et d'hérirages. Si l'on raisonne
en termes de travail instirurionnel, de controle, de disciplines et
de morales, on peut dire que l'école s'éloigne progressivemenc
du couvenc sans que la structure symbolique du rravail péda
gogique en ait été forternent affectée". La ruprure moderne ese
dans le concenu des valeurs enseignées a l' école qui passenc de
la religion a la raison, mais certe rupture n'esr pas dans la forme
scolaire ellemérne: rien d' équivalent au passage de la nef des
fous a l'asile ou du supplice a la prison.
La singularicé de 1' école tiene a ce que la discipline scolaire
vise et ne peut que viser le consencement des éléves. Histoirede
la folie et Surueiller et Punir ne disent pas grandchose des fous
et des délinquants; tout se passe comme si les cibles des instiru
tions n' étaient que des représentations et des corps sur lesquels
s'exercent des disciplines. Le pouvoir s'y déploie de facón pure
audelá des srratégies et des intentions des individus qui ne sont
que des passeurs ou de simples supports des systérnes de pouvoir.
Or, les apprentissages scolaires exigenc un consencemenc sub
jectíf une adéquarion des intenrionnalirés, un systeme de sens
partagé, une « conversion » subjecrive des éléves, conversion qui
explique l'emprise des modeles religieux a udela de la sphere reli
6 S. J. Ball (dir.), Foucault and Education, Routledge, 1990. Dcpuis 2000, plusieurs
dizaincs d' ouvragcs sonr consacrés a ce rhérne dans la litrérarure anglosaxonnc.
121
sée par les inégalités éconorniques et culturelles qui dérerrninent
précocement les artitudes, les compérences et les arnbirions des
éleves. Selon Les Héritiers (1964), nous ne sommes pas égaux
devant l'école7• D'un autre coté, la culture scolaire aurait une
forme de « complicité » et de connivence avec la culture des
classes dirigeanres et, par le biais de son idéal rnérirocrarique,
l' école aurait pour fonction de reproduire les inégalités sociales
en les transformant en inégalités scolaires légítímes. Selon La
Reproduction (1970), la fonction cachée de l'école ese la repro
duction masquée des inégalités sociales". Cette double critique
raisonne plus en termes d'inégalités et de dasses sociales qu' en
termes de discipline et de controle social. Lécole « laisse croire »
qu'elle est une institution autonorne placée audessus de la
société alors qu' elle esr complice des inégalités sociales. Si l' école
trahit ses promesses de juscice, c' est parce que le monde social esr
inégalicaire, c' ese parce que les murs du sancruaire scolaire sont
poreux, c'esr parce que nous vivons dans une sociéré de classes.
Le second argument, plus récenr, ese une défense de la voca
tion libérarrice de l' école qui serait menacée par le marché,
l'utilicarisme et l'individualisrne, en un mor par une modernicé
libérale hostile aux fondernents de l'insritution scolaire. Non
seulement cecee derniere critiquen' ese pas foucaldienne mais elle
est presque antifoucaldienne dans la mesure oü elle défend les
régímes de vérité, les pouvoirs et les modes de « gouvernabilité »
les plus sacrés de l'école: la raison, la culture, l'esprit critique, la
nation, le « sanctuaire » scolaire ... Dans cecee perspective, l'école
serait devenue « l'arme des faibles » qui protégeraic centre le mar
ché et les inégalités sociales, celle qui défendraít le vrai mérite
contre l'héricage et le mérite frelaté del' éconornie. Cette critique
exprime le malaise des clercs qui défendent l'image d'une insti
rution procégeant des désordres et de la vulgaricé du monde. En
quelques années, les vices de l' école bourgeoise seraient devenus
les vertus de l' école républicaine. Alors, la culture scolaire doit
122
ro....,, rt '"""
erre défendue comme une forme de résistance de la raison et de
+
!'esprit universel contre les marchands du temple et chaque ten
cacive de réforme scolaire voic renairre la rnéme critique: c' est la
culture qu'on assassine. Au bouc du compre, si l'école est inégali
taire et parait se trahir ellernérne, c'est parce qu' elles'ese o uverte
aux quacre vents du « libéralisme ». Quand Foucault est appelé
a la rescousse, é ese pour nous dire que le pouvoir et la discipline
sont bien pires quand ils se drapent dans les voiles de la liberté et
dans l' apologie de la subjectivité qui définiraienr les pédagogies
nouvelles.
D'autrestraditions intellectuelles
Tour s'est passé comme si les sociologues francais n'avaient
jamais cru véritablement que le travail de Foucault pouvait
concerner l' école. Plus encore, ils sonc profondémenc convain
cus que l' école ne ressemble pas aux usines, aux hópitaux et aux
prisons ... Alors que des cenraines d'enseignements sonr don
nées a l'universicé sur les conceptions foucaldiennes du pouvoir,
du controle et des disciplines, forr peu d'enrre eux porcenr sur
l'école. 11 ese vrai que l'enseignanc qui se livreraic a cec exercice
se metrrait dans une sicuation pour le moins paradoxale. 11 tire
rait son autoricé d'un modele institutionnel done il s'artacherait
a démontrer la vacuité , il développerair une critique qu'il ne
pourrait pas s'adresser a Iuirnéme sans s'invalíder, La plupart
des chercheurs en sciences sociales étant aussi des enseignants
et d'anciens bons éleves, il n'est pas impossible que leur critique
de l' école soit celle des amoureux décus, mais des amoureux
qui croient toujours dans les régimes de vériré de l'école elle
mérne. La critique libercaire de l'école qui aurait pu s'inspirer de
Foucaulc ese restée particulierernenr discréte en France et, sur
a
tout, elle a emprunté d'aucres traditions inrellectuelles.
Je me suis essenciellemenc intéressé au Foucaulc des disci
plines et du controle social, sans erre certain qu'il existe vérita
blemenc une sociologie de l' éducation de ce Foucaulrlá. 11 ese
vrai que Foucaulc luirnérne a éré un mairre adulé done nous
savons qu'il n'a pas eu beaucoup de sympachie pour l'esprir liber
caire de Mai 1968 alors qu'il en fue pourcant une icóne. Le« der
123
nier Foucault », celui de l'échique et de la subjeccivacion9, pour
rait probablement plus intéresser la sociologie de l'éducacion car
il s' ese consacré a l'une des énigmes majeures de la sociologie :
comment expliquer que les acteurs deviennenc des sujets « pour
soi », pour euxmérnes, alors que la socialisacion ec, audelá, l'en
semble de la vie sociale, fonc que rien ne peut échapper au social,
qu'il s'agisse des « mots », du pouvoir ou du controle? Commenc
se faitil que la socialisation nous dissolve dans le social tour en
nous permettant, parfoís, de nous en libérer? Cecee questionlá
ese celle de l'école ellernéme, celle d'une institution qui enferme
et domine pour essayer de libérer des sujets.
Francois Dubet
125
Une phase de critique radicale du droit
Cependanr, dire que ce droit esr inégaliraire n'a de seos que
si la critique esr menée au nom de l'idée d'un droit plus juste.
Or Foucault, daos les années 19721976, pousse a l'extrérne le
refus de la « représentation juridique du pouvoir1 ». ll y oppose
des stratégies de révolte, visant « l'élimination radicale de I'appa
reil de jusrice2 ». D'ou un flirt plutót inquiétant avec le theme,
brandi alors par les maoístes, d'une justice populaire qui liquide
rait les vestiges de l'État de droit ...
Ces prises de position polémiques, daos un contexte done
Foucault dira aprescoup qu'il était marqué par une « hyper
marxisation » et un antijuridisme radical, sont néanmoins loin
d' erre le dernier mor de Foucault sur le droit. Des 197 4, Foucault
porte une artention renouvelée a
l'hlsroire du droit comme
théárre de « techniques de vériré' » - de l'épreuve et du serment,
en vigueur dans la Grece homérique et au Moyen Áge, jusqu'á
l'enquére et aux experrises psychologiques qui renrenr de percer
a jour les intentions et la personnaliré du prévenu moderne ...
Daos cette perspective, Foucault notait qu'avec l'insrirurion de
l'enquére, un individu quelconque peut témoigner centre un
individu de haut rang un berger conrre le roi C&lipe, déjá ...
Le droit s' avere alors un instrument plus souple, daos les rela
tions de pouvoir, qu'un simple dispositíf d'assujettissement.
Peuton envisager un usage « antidisciplinaire » du droit?
Foucaulr en module l'hypothese a la fin des années 1970: sous
la forme d'un « droit des gouvernés' » incernationalement oppo
sable aux abus des gouvernemencs; daos le combar pour des
« droits relationnels » done des individus (ou un mouvemenc
comme le mouvement gay) obtiendraienr la reconnaissance en
ébranlant les normes qui pénalisenr leur mode d'étre ; dans la
réflexion continuée sur le poids persistant de l'aveu dans notre
culture juridique ... Le cours récernment paru Mal faire, dire
126
urai (2012) témoigne du dialogue noué enrre Foucaulr et cer
o.•• b+
raines écoles de criminologie ou de droic qui onc cherché, en
Belgique ou au Canada, a meccre en quescion la superposition
des fonctions, parfois exorbitantes, conférées aux instances juri
diques lorsqu'elles ne prononcent pas seulement des jugements
sur des acces, mais s' adossent a des experrises sur « l'étre » des
délinquants.
Relectures et prolongements
Dans Naissance de la biopolitique (2004), Foucaulc anticipe
aussi un certain nombre de bouleversemencs acruels du droit. 11
diagnostique une érosion de la loi au profit de la norme: l'État
législateur « en majesté », qui fuir le pone, selon La Volonté de
sauoir, entre la représentarion monarchique du pouvoir et sa
représentation démocratíquerépublicaine, le rappel de la loi de
a
rous par la sanccion cédent en faic la place un autre « régime de
vérité », done le paradigme ese !' horno aconomicus et ses intéréts.
11 s'inréresse ainsi a la vision néolíbérale du droir telle qu'elle
s' exprime par exemple dans un anide fameux de l' éconorniste
Gary Becker. Ce qui ese placé au centre de la réflexion néolibé
rale, c' ese I'individu qui doit pouvoir calculer le risque er le coüt
du crime et de la sanction dans ses « anriciparions rarionnelles »,
et le calcul, par la société tour entiére, du coút de ces crimes et
de leur répression. Ces pistes d'interprétation sonc aujourd'hui
largemenc exploicées par les juristes pour analyser des évolutions
tres conremporaines (encrecien cidessous).
Depuis quelques décennies, le modele du marché s'ese écendu
au droit. La souveraineté, cecee forme de pouvoir tendanciel
lemenc présencée par Foucault comme archaíque, renvoyant a
a
l'unité du monarque et la prégnance du rapporc souverain
sujet, s'eseelle cependant évanouie? Une reprise et une mise a
l' épreuve originale des hypotheses de Foucault a ce propos ont
a
été effeccuées par Judich Bucler5 face la siruation créée, aux
ÉratsUnis et dans le monde, par le 11 seprernbre et le Patriot
Acr. J. Buder confronte l'idée foucaldienne d'un déclin de la sou
5 J. Buder, Vie precnire. Les pouuoirs du deuii et de '4 vio/mee ttpm le J J septembr« 200 J,
Amsterdam, 2004.
127
veraineté a une mise en évidence, inspirée par Car! Schmitr, du
poids persisrant de la souveraineté comme pouvoir de suspendre
la loi. La sicuation d' exception, la consrirurion de zones de non
droir extraterritoriales aux ÉtatsUnis (Guantanamo), I'autorisa
tion de la torture, la « guerre concre le terrorisme » sonc autant
de signes que l'histoire de la souveraineré n' ese pas terrninée,
mais qu' elle doit étre aussi compliquée par la prise en compre
des srratégies de « gouvernemencalisacion de l'État » analysées
a
par Foucault: délégation des groupes privés d'anciennes préro
garíves étatiques, réduction de pans de l'administrarion érarique
au nom d' une efficacité pensée sur le modele de 1' entreprise et de
l' économie. . . Ces processus n'empéchent pas le retour soudain
d'un État qui, au nom de la situation exceptionnelle, recourt a
des formes de torture, d'intimidation et d'enfermement que l'on
pouvait croire relever d'un aucre áge de la gouvernemencalicé.
Penser les nouvelles configuracions de la souveraineté étarique
(et milicaire) et de la gouvernemencalité libérale reste une cache
a poursuivre, avec Foucault et parfois centre lui.
jeanClaude Monod avec Ancoine Garapon
« Un visionnaire du droit contemporain »
Le regard d'Antoine Garapon
129
incitées a dénoncer les cornportements délictueux des aucres avec
intéressement sur l'argent récupérable par l'État !
On constate une telle logique aujourd'hui aussi dans le droit
pénal, le droit de la famille ou du rravail. Parrout se confirme la
cendance au concournement des procédures juridiques lourdes
(enquére, érablissement des faits, procédure contradictoire, erc.).
Les condamnés sont invités a négocier leur peine, quiere a renoncer
al' établissement de la vérité voire pour éviter que la vérité éclate !
On a parlé de "contractualisation" du droit mais il vaudrait mieux
parler d'un droit qui contróle par la coopération plutót que par
l' obéissance. On releve ce triornphe du paradigme éconorníco
utilitarlste sur la famille, et notamment le divorce. On s'est d'abord
écarté du discours moral, d'ascendance catholique, sur la "faure",
pour s'appuyer sur un discours venu des sciences hwnaines et de la
psychologie, qui faisait de "l'intérét de l'enfant" la notion cardinale.
Maintcnant, on ese passé a une auire méthode qui consiste a mctrrc
en concurrence le pcrc er la mere ou les deux familles rccornposécs,
era faire de l'enfant l'arbitre du plus offranc. La concurrence deviene
le ressort de l' application du droit.
Cene conversion utilirariste se retrouve dans la mondialisation
juridiquc: l' efficacité prend le pas sur les qucscions de légicimité.
C'est la what works policy: on privilégie ce qui marche, que ce soit
pour choisir un systeme de norrnes comprables qui paralt avantageux
ou pour construire des procédures souples, qui sont censées avoir
faic La preuve de leur efficacité. Dans ce nouveau régime de vérité,
des systémes artificíels, comme la finance, deviennent des réalités
normatives ce qui n'aurait pas manqué d'inréresser Foucault ... »
131
Tactiques et techniques
Ces deux approches réalisceset néoréalisces onc faír l' objer
de crois grandes critiques. Les deux premieres, d'inspirarion
mar:xisce pour l'une, libérale pour l'autre, émergenc dans les
années 1970, la troisieme, parfois dice posrmoderne, au milieu
des années 1980. C'est au sein de cerce rroisieme critique que
les travaux de Foucault ceux aussi de Jacques Derrida, Jean
Baudrillard ou Paul Virilio jouent un róle décisíf Ils vont
coneribuer a plonger 1' écude des relations internacionales dans
une crise épiseémologique done elle ne s'ese jamais relevée.
Parmi les tenants de ce courant critique des Relations
Internacionales figurent par exemple James Der Derian, Nicholas
Onuf, David Campbell ou, dans le monde francophone, Didier
Bigo erjeanFrancois Bayare.De Foucault, ils reríennentl'idéed'un
pouvoir relationnel qui circule sans cesse, non localisable dans les
institurions. Pour Foucaulc, en effer, le pouvoir ne se possede pas.
11 n' ese pas quelque chose que l' on peuc s' approprier. 11 n'ese done
pas « dans » l'Écac, ses appareils policiers ou miliraires. Le pouvoir
ese parcout, il fonccionne ec faic fonctionner. Dire cela, c'est saper
a sa base la conception du pouvoir écacique qui sousrend les
analyses réalisees et néoréalistes des relations internacionales. Pour
Foucaule, « on ne peut parler de I'Étarchose, comme si e' éeaie un
erre se développant a partir de luiméme », il n'ese pas un acceur
unitaire et autonome mais un ensemble de pratiques qui fonc que
l'Éeac ese une maniere pour les hommes de se gouverner. Dans
cette perspective, nulle possibilité done d' érudier la « polítique
incernationale » ou ce que l' on pourrair repérer sous ce nom a
partir de 1' analyse des Écacs compris comme acteurs rarionnels et
détenteurs du pouvoir.
Mais alors, commenc étudier ces phénomenes done on veut
dire qu'ils sonc « internationaux », parce qu'ils s' écabliraienc « au
dela )) des cadres nationaux ou de maniere cransversale eux? a
La critique puise alors dans la microphysique du pouvoir que
Foucaulc développe dans les années 1970i. Si le pouvoir n'esr
pas réductible a
Í'Étar, il fauc s'incéresser a la mulripliciré des
133
Physique des États
Plus que n'importe oü ailleurs dans son ceuvre, c'est dans
ses lecons des 22 et 29 rnars 1978 que Foucault s'approche le
plus du savoir des Relaeions Internationales. Discutant de l'idée
d'Europe telle qu'elle surgie au tournane des XVII' et XVIII' siecles,
il mee en évidence le passage d'un « droit des souverains » a une
« physique des Éeaes »: le disposieif diplomaticomilitaire qui se
forge a cecee époque, explique Foucaulr, va erre mis au service de
la préservation de l'« équilibre européen » en train de naitre. Dans
ceceenouvelle configuracion, « on ne rechercheplus l' accroissemenc
des terricoires, mais la croissance des forces de l'État », non plus
« la combinaison des héritages par alliances dynasriques, mais
la composition des forces étaciques dans des alliances politiques
provisoires ». Pour Foucaulc, ces transformacions signenc al' époque
une profonde rnutation de la pensée politique , rnutation qui, dit
il encore, « nous place pour la premiere foís en présence d'une
pensée politique qui se veut étre en mérne remps une strarégie
et une dynamique des forces». Avec cecee notion de force, la
science poliríque renconcrait le probleme de la dynamique et, plus
largement, de la science physique.
Foucault posait la les bases d'une véricable archéologie du
savoir des RI tels qu'il finira par s'écablir au sein de la science
policique dans le courant du xx' síecle. Peutérre les RI, et
avec elles la science policique (a l'image de Pierre Lascoumes),
gagneraíenrelles a poursuivrecer effort archéologique,as'enrichir
aussi de quelques concepcs foucaldiens et a suivre quelques
unes proposirions rnérhodologiques de Michel Foucault, pour
comprendre les enjeux auxquels la « politique mondiale » semble
appelée a devoir faire face lorsque, par exemple, la violence ne
se laisse plus appréhender par les seuls concepts de crime et de
guerre (terrorisme/antiterrorisme) ou que la figure de l'Écac
s'évanouit derriere celles de ses systernes d'information et de ses
a
cechnologies de renseignement disrance.
Philippe Bondirti
LA SOCIÉTÉ PACE
ASESMALADESMENTAUX
135
rnédicojudiciaire. En 181 O, le Code pénal francais introduit
la notion d'irresponsabiliré pénale. En chéorie, cene avancée
rnajeure permet d'incarcérer un « fou » dans un établissernent
de soin spécialisé plutót que dans une prison qui n'est pas équi
pée pour le soigner mais on sait, dans les faits, qu'aujourd'hui
c'est loin d'étre coujours le cas. Les hópiraux psychiatriques, déjá
a
pleins craquer, ne peuvent pas toujours prendre en charge ce
type d'individus. On estime ainsi que dans les prisons francaíses,
au moins un dérenu sur cinq présenrerait des symptómes de
schizophrénie.
Des a
« monstres » enfermer
Par la forme de leurs acres tour aucanc que l'énormité de leurs
troubles, les « monstres » entrainent l'insraurarion de nouvelles
lois ou le déploíemenr d'expertises médícolégales pluridíscípli
naires. A l' époque, Foucaulc s' étair insurgé contre la création
des quartiers de haute sécurité. Aujourd'hui, note le psychiarre
Daniel Zagury, « il ese frappant de constater a quel point les
arguments de Foucault, dans sa lurte conrre les quartiers de
haute sécurité, sont ceuxlá mémes qui ont éré clamés contre
la rétention de süreté. Désormais, on ne juge plus un homme
pour ce qu'il a fait, mais pour ce qu'il est. On a créé "l'infraccion
psychologique", le "crime de caractere" ». Oc c'est sur cecee dan
gerosité que s'appuíe la loi du 25 février 2008 sur la récention
de süreté. Elle prévoit de laisser enfermées pendant une durée
d'un an renouvelable les personnes en fin de peine qui, suite
a une expertise médicopsychologique, sont jugées comme pré
1 Sur l'analysc foucaldicnnc de la normc, voir S. Legrand, Les Narmes cha: Foucaul»,
Puf. 2007.
136
L, """" ,~ • ses """'"' mente ux
De l'onaniste au pédophile
Troisiéme catégorie d'anormaux identifiée par Foucaulc,
l'onanisce apparait au XVIIIº siecle, en mérne temps que cercaines
rechniques de directíon de conscience oriencées par la lurte
contre la masturbation et ses effers prérendument pachologiques.
De nos jours, a la figure de 1' onanisce semble s'erre subsriruée
celle du crimine! sexuel, parriculierernenr celle du pédophile.
C'ese ce rype de crimine! sexuel qui esr principalement visé par
la loi relative a la récencion de süreté. Entre les ambitions huma
nistes belges (loi de défense nacionale) et le rourrépressif du
modele nordaméricain dom la terrible prison de San Quentin
oü sont enfermés les criminels les plus dangereuxdes ÉcacsUnis
est le paradigrne, la France semble se siruer dans un enrredeux.
A Lyon s'ese ouvert il y a quatre ans un nouveau type de struc
ture, tres controversée, l'Unité hospiraliére spécialement amé
nagée (UHSA), « hópitalprison », oü l'on tente de mener un
travail de soins psychiatriques entre les murs", Mais trente ans
apres la more de Foucaulc, le constar ese toujoursle rnérne: il riy a
aucune solurion idéale et il ese toujours extrémernenr délicat, face
a ces hommes et ces femmesqui, sous l'emprise de la folie, fonc le
mal, de crouver le juste équilibre entre la sanccion et le soin.
Sarah Chiche
4 Il existe désormais six UHSA en France: Lyon, Toulouse, Nancy, Villejuif, Orléans,
Seclin.
138
« Discuter Foucault pied a pied »
Le regard de PierreHenri Castel
139
Je crois tour d'abord qu'il faut atraquer l'idée qu'il n'y aurait rien
de rationnel dans l'acrivité normative de la psychiatrie, que tour,
au fond, n'y serait que l'habillage épisrémologique d'un rapport de
dominarion (mérne si cene dominatíonlá ne recouvre pas la notion
hérirée de Max Weber ou Karl Marx). Je reprends ainsi a nouveaux
fraís la question controversée de l'expertise psychiarrique. Esríl
si sur qu'il n'y ait aucun moyen de défendre objeccivement telle
réponse aux questions du juge plutót que celle aucre? Nageton
dans un arbitraire maquillé de scientisrne? Et s'il existait des usages
jamais pensés a ce jour de l' expertise? Mais plus généralement, est
ce que le concept de norme chez Foucault, sa théorie constante qu'il
n'y a toujours de norme que pour pointer un écart a la norrne, et
pour appliquer toute la puissance répressive du pouvoir (qu'íl soit
micro ou bio) a la résorption de cet écart, esece que cette théorie
faít sens? Je n' en ero is rien. Lídée de surenchere normative enve
loppc des confusions logiques, concepruelles, que l'on pcut rnettrc
en lurnierc, ce done on doir cirer les conséquences.
140
En sornrne, et je crois que plein de chercheurs de la jeune géné
ration me rejoindraient sur ce point (par exemple Stéphane Legrand
ou Julie Mazaleigue), il est essenciel de discurer, voire de cornbartre
Foucaulr en lui demandant si ses concepcs sonr ou non cohérenrs,
si ses raisonnements tiennenr debour, cr s'il n'est pas victime d'illu
sions logiques encore plus tenaces et redoutables que les ficríons
d'archives done il a nous légué le recueil superbe. Mais eres clai
rernenr, sur ce point, ma démarche détonne, parce qu' elle utilise
plutót les instruments de la philosophie "analytique". »
141
GOUVERNER LES VIES
Entretien avec Didier Fassio
1 D. Fassin, «Ccmmenr j'ai écrit certains de mes textes», in Cahim del'Hmie, n" 95, 2011.
2 D. Passin, L'&p,utpolitiq11e de la sanú. Essai tÚ ginta/Qgú, Puf. 1996.
3 D. Fassin ce R. Rechrman, Lllmpir« d11 tmumatisme. Enquhe sur la condition (Ú
victime, Flammarion, 2007.
142
l'incorporation de l'inégalíré, le pouvoir de guérir et le gouver
Goowm,,~,;., +
nement de la vie. Je l'ai reprise dans EEmpir« du traumatisme
avec une temporalicé plus courte pour montrer l' émergence de
la catégorie de traurnarisme, et surrout le basculement moral qui
se produit au cours du xx' síecle, la faisanr passer de la réproba
tion (le traumatisé est un láche ou un sirnulateur) a la Iégírimité
(le traumatisé ese un erre blessé qui rnérite la compassion et la
solidaricé) permettant ainsi la naissance du statut de victime. 11
y a quelque chose de plus radical dans l'approche de Friedrich
Nietzsche lorsqu'il traite de la généalogíe de la morale, puisqu'il
mee en question les fondations rnérnes de cette morale. C' ese dans
cecee voie que je me suis engagé avec La Raison humanitaire4, en
exploran e les sources du gouvernement humanitaire, e' esrádire la
rnobílisarion de sencirnencs moraux dans les poliriques conternpo
a
raines, done les deux piliers, savoir le caractére sacré de la vie et
la valorisation de la souffrance, procedent d'une généalogie chré
tienne. C'est aussi l'approche que j'ai développée dans Punir", en
a
rnontrant que la réponse la violarion de la loi a longrernps éré la
réparation colleccive du dommage causé et que c'esr avec lepas
a
sage d' une logique de la detre une morale de la faure au Moyen
Age, sous l'in.A.u en ce de l'Eglise qu' on en ese ven u a faire reposer
le chátimenr sur l'inflictíon d'une souffrance.
9· D. Fas.sin et al.,Juger, reprimer; accomer: Essai sur IA morale de l'É1111, Seuíl, 2013.
145
ARCHITECTURES
FOUCALDIENNES
Systeme carcéral
Dans Histoire de la folie a l'áge classique (1961), Foucault
monrre en quoi la conception des structures hospiralieres
modernes témoigne d' un changemenc de paradigme: e' est vers
a
le XVII' síecle que 1' on commence pointer du doígt la « margí
nalité » - folie, homosexualité... et a enfermer les « déviants »
dans des bárirnents aux abords des villes. Cecee reconfiguration
a
del' espace ese la foís l'effec et le supporc d'un nouveau type de
regard.
« En examinanc les dífférenrs projets archirecruraux qui ont
suivi le second incendie de l'HórelDieu, poursuit Foucaulr, je
me suis aperc;:u aquel point le problerne de l'enriere visibilicé des
147
labyrinrhiques ... Quiete a essuyer parfois le reproche de batir
des lieux invivables.
« Lorsque P. Eisenman annonce "la fin de l'age classique",
poursuir M. Assennato, il se sirue en rension productive avec
la périodisation proposée par Foucault. » En rnéme remps,
P. Eisenman dénonce ce qu'il considere erre le retard pris par
l'archirecrure, « discipline qui ese restée subordonnée a une
épisrérne fondée sur la représenration, de la Renaissance a nos
jours ». De fait, ce courant de pensée a permis de renouveler
le paysage urbain : P. Eisenman a par exemple réalisé le Centre
culture! de SainrjacquesdeComposrelle ou le mémorial de la
Shoah a Berlín. A Paris, l'architecte suisse Bernard Tschumi,
qui a réalísé le pare de la Villette, s'inscrit dans une mouvance
sirnilaire.
En France, néa.nmoins, l'influence de Foucaulc reste rnineure
dans le domaine architectural. Selon l'archirecte Christian
Girard, ses confreres francais « préferent le plus souvenr rester
sur des positions antiintellectuelles et done ne pas crop frayer
avec les penseurs contemporains », Seul peutérre Paul Virilio
s' ese largemenr inspiré des travaux de Foucaulc sur l' espace et les
lieux, mais mérne lui a délaissé l'architecrure depuis une ving
taine d'années pour se tourner plus généralement vers l'urba
nisme. « C'esr toujours une surprise renouvelée de voir cam
bien les architecces et critiques espagnols, hollandais, japonais,
anglais... sont au fait de la pensée de Derrida, Foucault ou
Deleuze », ironise C. Girard.
148
Ad,""""
Fabien Trécourt
149
FOUCAULT SUR LES PLANCHES
Entretien avec Sabrina Baldassarra et Lude Nicolas
a
Pourquoi choisir de monter des spectacles partir de l'ceuore
de Michel Foucault?
Nous nous sommes renconcrées au comité de lecture du
Jeune rhéátre nacional QTN) et nous sommes regroupées en
collecríf en 2004. Au départ nous étions cinq, puis une sixieme
cornédienne nous a rejointes, Nous ne connaissions alors pas
Foucaulc mais nous avions envíe de travailler sur des sujecs poli
tiques et d' expérirnenter une fa<;on de cravailler en collectíf ou
chacune participerait a l'élaboracion, a la mise en scene, au jeu.
150
""""" ~ les .......
151
Est-on encoré au théátre? Ou bien est-on dans un entre-deux
du théátre et de la philosophie?
Difficile a dire. Il y a un lien évident entre le théárre ec la phi
losophie. Les cragédies grecques, par exemple, posenc la quescion
du rapport de l'homme a la cranscendance. Si le théátre cel que
nous le pratiquons et la philosophie de Foucaulc se sont trouvés
en adéquation, e' ese que nous cherchions une forme de création
collective pour penser ensemble.
152
Un riche héritage artistique
C.B.
153
LES CRITIQUES DE FOUCAULT
D'hier a aujourd'hui
154
«
Les oieoues oe """"'
155
rarion pour ses engagements poliriques (qui finiront par unir les
deux hommes dans la période mouvemencée des années 1970),
Foucaulr voit en Sartre le porreparole d'une pensée périmée; sa
Critique ne serait que « le magnifique et pathérique effort d'un
homme du XIX" síecle pour penser le }O( siécle » ...
156
arbirraire, que le psychologue baprisa «
Les oieoues oe """"'
srrucruralisme sans
+
structures ».
157
son érende son regne. D'aurre part, pour Derrida, Descartes
n' exclut pas la folie mais au contraire joue avec elle, la dompre,
l'apprivoise. En témoigne la radicalisation du doure méthodique
a laquelle procede Descartes, le moment du « malin géníe »
qui oblige a considérer la possibilíté que l' expérience dans son
ensemble soit une illusion. « Ce projer ese fou, sourienr Derrida,
et reconnait la folie comme sa liberté et sa propre possibíliré. »
Lenjeu de cette dispute? On ne saurait, selon Derrida, iden
ti6.er le moment historique oü folie et raison divorcent: la raí
son, la pensée, le lagos représentent ce projet perpéruel et néces
sairement inachevé pour se démarquer, s'émanciper de la folie.
Selon Derrida, « je ne philosophe que dans la terreur, mais dans
la terreur avouée d' étre fou ». Le rapport entre folie et raison
ese celui d'une différance (que Derrida épelle délibérément avec
un «a»): l'une n'existe qu'en se distinguanc inlassablemenr,
rnais toujours de facón provisoire, de l'aurre. Différance done la
déconstrucrion ambitionne de révéler le rravail souterrain.
Foucault attendra jusqu'á 1972 pour répondre. 11 reconnaír
volonciers le caractere « remarquable » de l' essai de Derrida.
Mais la faiblesse facale de l'approche derridienne, selon lui, ese
le fait que malgré sa finesse, elle ne faic que finalemenr prolon
ger une « vieille tradition », cecee « perite pédagogie historique
menr bien déterrninée », qui « enseigne a l' éléve qu'il n'y a rien
hors du cexce ... qu'il n'est done point nécessaire d'aller chercher
ailleurs ». Vu des profondeurs de l' archéologie foucaldienne, la
déconstruction ne serait qu'un petit jeu auquel s'adonnent les
meilleurs éleves de la classe, brillanc mais superficiel.
158
Les oieoues oe """"'
159
modele « internatcaserne » dans l'enseignement achoppenr sur
beaucoup plus de résistance et d'obsracles que l'indique le philo
sophe. D' aurre pare, il succombe a une « renration mécaniste »:
il décrit les mécanismes de pouvoir comme si l'on pouvait se
dispenser de parler de ceux qui exercent le pouvoir. Foucault,
constate I'historien, « fait une consommation énorme et signífi
cative de verbes pronominaux ou réfléchís, du pronom personnel
"on", et de tournures qui escamotent les difficultés: "apparaicre
comme", "fonctionner comrne", "comme si" ... » En somme, si
Léonard reconnaít le talent et mérne la bonne volonté historique
a
du philosophe, il trouve qu'íl ese crop attaché faire valoir ses
idées philosophiques et politiques pour bien cerner le réel.
a
Et si Léonard n'épousait quant lui qu'une « idée bien
maigre » du réel? Telle ese en gros la réplique de Foucaulc a
l'historien, lors d'une cable ronde organisée aucour de Surueiller
et Punir ainsi que dans une réponse a
Léonard, inticulée « La
poussiere et le nuage » (l' ensemble de ces textes seront regrou
pés dans un volume, édité par Michelle Perroc en 1980, intitulé
L1mpossible Príson). Foucault accuse réception des «clichés»
de Léonard sur l'historien qui défendrait « les petits faits vrais
contre les grandes idées vagues ». Selon Foucault, « il n'y a pas
"le" réel qu' on rejoindrait a condition de parler de rout ou de
cercaines choses plus "réelles" que les autres [ ... ] », Le réel se fair,
et la reconstruction de sa genese appartient légitimement a la
pratique historienne. Tel fue, du moins, l'ambirion de Foucault
daos nombre de ses livres.
160
Les oieoues oe """"'
161
su jet, récusant tour ce que la subjecrivité peuc avoir d'universelle
et de norrnative. Foucaulc veut le beurre et l' argent du beurre: la
dimension émancipatrice du sujet (universel, politique, kanrien)
en mérne cemps que l'infranchissable uniciré nierzschéenne.
162
Les oieoues oe """"'
Michael Behrenr
163
D'autres critiques ...
Claude Quétel
Cer historien a publié en 2009 une sorce de concrehisroire de
la folie iHistoire de la folie, de l'Antiquité ti nos jours). Selon luí,
Michel Foucaulc a cordu la vériré de l'hiscoire pour servir sa propre
démonsrracion philosophique. Non seulemenc il a éludé les cenca
tives d'enfermements des fous qui onc existé des l'Antiquité, bien
avant le XVII• siécle, mais il a aussi passé sous silence la visée théra
peutique des asiles pour mettre l'accent sur la normalisation et le
gouvernemenc des esprits. « Je croís étre au rnoins antipsychiacrique
que lui dans mon livre, mais moi je suis entré dans les asiles ... »,
ironise Claude Quécel1.
JeanMarc Mandosio
Ce spécialísre de linérature latine s'est fait polémiste avec un
brülot au riere explicite: Micbel Foucault. Longévité d'une imposture
(2010). II ne passe ríen a Foucaulr, de ses inconscances théoriques
(par exemple sur son rapporr au scrucruralísme), jusqu'á son adrni
rarion pour l'ayarollah Khomeiny au momenc de la révolution
iranienne.
Jacqnes Bouveresse
Professeur au College de Fra.nce, ticulaire de la chaire de philoso
pbie du langage et de la connaissance, Jacques Bouveresse ese un 6n
lecceur des logiciens et de la philosophie analycique anglosaxonne.
C'esr de ce point de vue qu'il cacle Foucault, coupable selon lui
d'avoir une visión toute personnelle de la vérité. U écrit ainsi, dans
La Lettre du College de France, ce commencaire assassin: « En lisant
les Lecons sur la volonté de sauoir, je me suis sen ti obligé, malheureu
sement, de donner souvenc raison a JeanMarc Mandosio, qui écric
que "Poucaulr applique la recctrc tradíríonnclle de l'cssayismc dans
le goüt francais: revisicer de fac;on 'brillante' des lieux communs en
faisanc primer la rhétorique sur l'exactitude" ,,2.
Héloise Lhérété
- 1Entrenen • Pour une autre hiscoire de la folie », La Grands Dossim tÚs scienca
humaines, n• 31, juinjuilletaoür 2013.
2 Enrreríen avec [acques Bouveresse, La Lettre du Co/J;ge tÚ Fmnce, nº 31, 2011.
GLOSSAIRE
165
Michel Fouc.,ult
début du xrx• síecle, qui inaugure notre nous' "· La prarique généalogique sup
modernicé. Depuis le Moyen Af,e. on pose done de collecter patiemmenc des
peuc done dístinguer trois épistémés. savoirs hisroriques épars, et de renoncer
jusqu'á la fin du XVI• siecle, l'étude du a • les filrrer, les hiérarchiser, les ordon
monde repose sur la ressemblance et ner au nom d'une connaissance vraie" »,
l'interprétadon. Un renversernent se Foucault veut voir daos l'histoire non
produit au rnilieu du XVII' síecle: la res une scíence, mais une « insurrection des
semblance n' est plus la base du savoir savoirs ».
car elle peur étre cause d' erreur. Une
nouvelle épísréme apparait, reposant Gouvemementalité
sur la représentation et l'ordre, oü le Cene notion apparatt a partir de 1978
langage occupe une place privilégiée. dans les cours que Foucault donne au
II s'agit désormais de crouver un ordre College de France. ll désigne le nouvel
dans le monde et de répartir les objets art de gouverner. qui apparalt entre
selon des classificacions formelles, ce! la fin du XVII' síecle et le début du
le systeme de Car! von Linné qui s' ar XVIII' siecle, s'appuyant sur une rech
tache a classer les especes animales et nologie politicomilitaíre, une pollee,
végétales. Mais cet ordre va luirnérne et l' enrichissement par le cornmerce.
€ere balayé au debut du XIX' siecle « Par gouvernemenralité, j'enrends l'en
par une autre épistérne, placée sous semble constirué par les institurions, les
le signe de l'hístoire. La phllologie procédures, analyscs et réflexions, les
succede ainsi a la grammaire générale calculs et les cactíques qui permerccnc
candis que la notion d'évolution prend d' exerccr cene forme bien spécifique,
une place centrale, noramment dans bien que complexe, de pouvoir, qui a
l'érude des étres vivanrs ... Lhisroriclré pour cíble principale la populación,
s'est immiscée dans cous les savoirs. pour forme majeure de savoir l'éco
Or cene épistérne de la modernicé nomie politique. pour inscrument
voit apparaitre pour la prerniere foís la technique essentiel les díspositífs de
figure de l'homme dans le champ du sécurité". » Plus qu' au pouvoir dans son
savoir avec les sciences humaines. acception courante, Foucault s'incéresse
a • la renconcre entre les rechniques
Généalogie de domination exercées sur les autrcs
Avec le concept de généalogie, dírec ec les rechníques de soi6 ». A partir du
tement empruncé a la philosophie de XVIII' siécle, e'ese l'Écat luimérne qui se
Friedrich Nietzsche. Foucault rompe « gouverncmencalise• sdon Foucault.
avec l'idéc que le récit historique serair L'appareil ératíque cesse de s'appuyer
unique et continu, qu'il aurait des ori sur la sagesse, la jusrice ou les coucumes
gines et des fins. Paire la généalogie ancestrales, ec repose désorrnais sur la
d'une idée, d'un concept, ou d'une racionalicé.
pratique, ce n'esr jamais en rechercher
l'origine, qui nous ferait • remen
ter le ternps pour rétablir une grande 3 M. Foucault, • Ni<wchc. la gén6tlogic.
continuité pardela la dispersion de l'histoire •, in D11, ,1 Scriu. op. eit;
167
Michel Fouc.,ult
le corps assujerti a cravers lequel on vise un rexte de 1982. Mais l'un ne va pas
le concróle des ámes. •> Nait un véritable sans l'aucre. Pris d.ans un double rap
pouvoir dísciplinaire plianr tour a la port, aux autres ce a luirnérne, le sujet
fois les ámes et les corps, que ce soir a la ese roujours, pour Foucaulr, consrirué
prison mais aussi a l' école, a la caserne, hisroriquemenr et imbriqué dans un
a l'hópical ou a l' ateller, Bien plus. toute ensemble de mécanismes de pouvoir,
relation de pouvoir a pour corrélar la Le sujec n'esr pas libre et aurodéter
consrinuion d'un champ de savoir, miné cornme il pourrait se plaire a le
qui suppose et permet cene relation penser, Méme daos son rapport a son
de pouvoir. La société disciplinaíre a identicé la plus intime, l'étre humain
done ainsi donné naissanceaux sciences esr gouvemé et fasxinné par des savoirs
sociales : psychologie, psychiatrie. cri spécifiques.
minologie, etc. et a instirué « le regne
universel du normatif » avec ses agencs Vécité/Régimede vérité
que sonr le professeur, l' éducateur, le C'est a la lecture de Nieu.sche que Fou
médecin et le policier qui reperenr et cault réalise qu'« il ne suffir pas de faire
isolenr les dévianrs. une histoire de la rationalité, mais l'his
toire méme de la vérité'! "· 11 s'agit d.e
Souci de soi savoir quels cypes de discours un pou
Ce concepr apparatt chez Foucault car voir fa.ir fonctionncr comme éranr des
divement, au début des années 1980. "discours vrais •· Foucaulr introduir
II désígne les techniques que mee en la notion de • régímes de vérité • afin
eeuvre un individu pour se construiré et d'ancrer les savoirs supposés • vrais •
se transformer. Foucaulr, dans Histoire dans lcur époque hisrorique et leur
de la uxualiti (3 tomes, 1976198.+), sociéré. Notre régime de vériré ese,
va montrer la rupcure qui a lieu avec le quam a luí, dominé par les discours
christianisme : le souci de soi dans l'An scíenrífiques saos cesse utilisés par les
tiquité ne vise pasa l'ascétisme en tant pouvoirspoliriques. Dans La Volonti de
que rel mais a l' « apprenríssage de soi sauoir (1976). Foucaulr mee en évídence
par soi ». Plus encoré, loin d'étre source un autre rappon a la vérité : l'incitation
de péchés comme il cendra a l'étre avec depuis le xvnr' siécle de l'Eglise, de
le chrisrianisrne(qui privilégie le renon la méd.ccinc, de la psychiacrie ou de
cement a soi), le souci de soi n'ese pas l'école a« avouer "• c'estádirea confier
alors disjoint du souci des autres. Au la vérité de son désir, de ses pratiques
contraire, pour gouvemer les autres, il sexuelles, de ses inrentíons., . Cerre
fauc déja savoir se gom•ernersoimérne. injonction a dire le vrai lie les deux
themes qui craversenc coure l' ceuvre de
Sujet Foucaulc: le sujet ce le pouvoir.
• Ce n' ese pas le pouvoir, mais le sujer,
qui constirue le rhernc général de mes Hélo1seLhérété ce Céline Bagatúc
recherches'º •, précise Foucault, dans
10 M. Foucault, • le sujct ce le pouvoir,, in 11 • Entreúcn a,·cc Michcl l'oucault•, in DitJ
Dits e: Emu. o¡,. cit. ti.icrits.o¡,. ri~
CONTRJBUTEURS
l.?HOMME
Foucaulc l'énigmatique (Héloi'seLhérétl) 2.
I.:incelleccuel spécifique. Un nouvel are de concescer
(MathieuPotte-Bonneville) 1ª.
I.:expérience du Gip ( CélineBagault) 22
l.?CEUVRE
Métamorphose d'une ceuvre (fean-Claude Monod) ~
Foucau.lt a travers ses livres (Encadré) 37
A propos de Histoire de la.frlie a lííge classique
{{;atb_erineHalperw_ 41
A propos de Surveiller et Punir. Naissancede la prison
(Martine Fournier) 1Z
171
Michel Fouc.,ult
172
Relations internationales. Le tournant critique
T,bk d..~ +
(Philippe Bonditti) ill
La société face a ses malades mencaux
(Sarah Chiche) lli
« Discuter Foucault pied a pied )>
Le regard de Pierre-Henri Castel 139
Glossaire ill
Liste des contributeurs .!..§2
173