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Rêves de voyages....

Les sortilèges du Queensland


CAIRNS (QUEENSLAND) ENVOYÉE SPÉCIALE

Ils ont de l'eau presque jusqu'au cou. Assis sur des chaises en plastique, ils prennent le frais, tout
habillés. Seuls leurs chapeaux de cow-boy sont au sec. Mais pourquoi donc n'ont-ils pas retiré leurs
vêtements avant de se plonger dans le cours d'eau ? "On a eu la flemme !", répond l'un
nonchalamment, une bière dans une main, un paquet de chips dans l'autre. D'une pichenette, il
envoie à son compère le sachet qui glisse sur l'eau comme une araignée. Le copain opine et ajoute :
"Et puis, avec la chaleur, on aura séché en moins d'un quart d'heure."

Bienvenue au royaume de l'insolite. Le campement de Jowalbinna, dans le nord du Queensland, est


à l'image de toute l'Australie : hors normes. Les kangourous y prolifèrent comme des lapins. Pas de
routes goudronnées, mais des pistes réservées aux 4×4 et aux petits avions, en cas d'urgence. Avant
de se poser, les pilotes font un passage en rase-mottes pour dégager le terrain des wallabies et du
bétail (des troupeaux de vaches brahmanes croisées de zébus).
Perchés dans les arbres, les kookaburras, oiseaux de la famille des martins-pêcheurs, lâchent leurs
interminables rires en cascade. La terre, tour à tour rouge ou orange, est parsemée de sculptures
qu'on dirait abandonnées dans la nature par un artiste de génie. Ce sont des termitières géantes.
Elles peuvent atteindre jusqu'à sept mètres de hauteur.
"ADOPTER" UN CASOAR
Mais la principale curiosité, ce sont les peintures et les gravures rupestres. Personne ne peut les
dater avec précision. On sait seulement qu'il y a 37 000 ans, cet endroit, le Quinkan Rock Art, était
occupé par les Aborigènes, les premiers habitants de l'Australie. Chassés ou exterminés à la fin du
XIXe siècle par les chercheurs d'or européens et chinois, ils ne sont plus que quelques milliers dans
la région aujourd'hui.

Sur les parois des falaises et dans des grottes, les Aborigènes ont dessiné des hommes, des femmes,
des animaux et des totems (légumes, boomerangs...). Les peintures, de couleur rouge, ocre ou
blanche, représentent des personnages de face, sans nez, sans bouche mais avec des seins et des
pénis souvent surdimensionnés. Les serpents, poissons-chats, tortues d'eau douce, crocodiles, ibis,
wallabies ou chauves-souris ont, eux aussi, des tailles démesurées.
A quoi correspondent ces tableaux du passé que l'on approche, incrédule, jusqu'à pouvoir les
toucher ? Difficile à dire. S'y mêlent sans doute la religion, la spiritualité et même la magie. Les
imjim (esprits maléfiques) ont des allures de crabe, et parfois, les humains se transforment en
bêtes... On doit à un original de talent, Percy Trezise, à la fois aviateur, artiste peintre et
archéologue, d'avoir redécouvert ces oeuvres d'art au milieu des années 1960 et de les avoir portées
à l'attention du public.
Vous voulez "adopter" un morceau de forêt humide ? C'est possible, et même tout à fait
recommandé. Sauvegarde de la nature oblige ! Il vous en coûtera 1 dollar australien (0,5 euro
environ) le mètre carré. Si vous préférez "adopter" un casoar, vous devrez débourser 1 000 dollars
(510 euros) !
Non, le casoar n'est pas un mythe ! Spectacle étonnant que cet énorme oiseau - le plus grand du
monde - qui ne vole pas et court comme une autruche. Il mesure 1,70 m, pèse jusqu'à 60 kg et,
surtout, est doté d'un cou ahurissant, de couleur bleu et rouge vifs. A croire qu'un plaisantin y a mis
un coup de pinceau. En mars 2006, le cyclone Larry a fait disparaître presque la moitié des
cassowaries.
Ces animaux protégés ne sont plus qu'un millier à parcourir les forêts humides du nord du
Queensland, en particulier le parc national Daintree.
Situé à moins de deux heures des gravures rupestres du Quinkan Rock Art, le Daintree, classé au
patrimoine mondial depuis 1988, est l'un des plus beaux parcs d'Australie. Fougères, lianes,
mangroves, eucalyptus et ficus étrangleurs (des arbres qui asphyxient leurs congénères en les
recouvrant de leurs racines tentaculaires...) n'ont tous qu'un seul but : se hisser vers la lumière,
atteindre le ciel... Pas de risque d'incendie, ici. "L'humidité est si forte qu'elle étoufferait le feu
aussitôt, explique Russell Boswell, guide certifié "protecteur et interprète de l'Outback". La forêt
tropicale a besoin d'au moins deux mètres d'eau par an. Et la pluie, quand elle tombe, atteint
rarement le sol. Soit elle est happée par le sommet des arbres, soit elle s'évapore en cours de
route." Les forêts tropicales humides sont des colonisatrices redoutables : si les conditions
pluviométriques sont bonnes, elles avancent d'un mètre par an en moyenne. Dans un tel contexte,
les crocodiles pullulent. On ne se baigne pas dans les cours d'eau et les cascades du Daintree. Trop
dangereux.
"PAS BESOIN DE MÉDECIN"
"Moi, je me baigne. Il ne m'arrive rien !", affirme crânement Kathleen Walker. Quel âge a cette
femme corpulente, à la peau foncée et aux cheveux coupés très court ? 40 ans ? 50 ans ? Impossible
de le savoir. Kathleen est une Bama (Aborigène), comme elle se définit. Avec deux de ses soeurs,
elle vit dans une communauté de 580 personnes, au milieu du Daintree, et fait office de guide
pendant la saison sèche. Pendant la saison des pluies, elle est vendeuse à la supérette de son village.
Kathleen n'a presque plus de dents. "Je n'ai pas besoin de médecin ni de dentiste, lâche-t-elle,
péremptoire. Dans la forêt, je trouve tous les médicaments que je veux !" Et la voilà qui attrape une
feuille, une écorce, ou un bout de bois, et se met à les mastiquer.
Quelques minutes plus tard, elle s'approche, triomphante. Dans sa main se tortille une boule de
fourmis vertes. "On en fait des cataplasmes pour les femmes qui viennent d'accoucher. Ça leur fait
venir le lait", affirme-t-elle, indifférente à la morsure des bestioles qui courent sur son bras. "Et
puis, ajoute-t-elle sur le ton de la confidence, tout en en croquant une, on en avale quand on a un
peu trop bu. Ça dégage !"
Francès, sa soeur, intervient d'un air désolé : "L'alcool ! Tous nos problèmes, à nous les Aborigènes,
viennent de là. Mais ça va mieux maintenant ! Revenez nous voir et dites partout que le
Queensland, ce n'est pas seulement la Grande Barrière et la plongée ! Nous sommes là, nous, ainsi
que le bush !"
Florence Beaugé
Mauritanie : pèlerinage à Nimjat, au milieu des
dunes
NIMJAT (MAURITANIE) ENVOYÉ SPÉCIAL
C'est un pèlerinage hors du temps. Il se déroule chaque année dans le désert du Sahara, au milieu
des dunes de sable, quelque part au sud de la Mauritanie, à deux heures de piste du Sénégal. Etalé
sur trois jours, il ne commence pas à date fixe, mais s'achève traditionnellement le jour de la fête de
l'Aïd, qui clôt le mois de jeûne des musulmans.
La célébrité du pèlerinage de Nimjat, le minuscule village où il a lieu, tient à son cimetière qui
abrite la tombe du chef d'une confrérie, le cheikh Saad Bouh, un marabout décédé en 1917.
L'homme était pieux. On lui attribue quantité de miracles - certains de son vivant. Et c'était un poète
à ses heures. Il a écrit des louanges au prophète Mohamed que ses fidèles chantent sans discontinuer
lors du pèlerinage.
Le marabout a vécu l'essentiel de sa vie au Sénégal. Et c'est donc du pays voisin, où les confréries
prospèrent, que vient l'essentiel des cohortes de pèlerins.
Ni la violence de quelques groupes armés islamistes ni la récente prise du pouvoir par les militaires
ne les ont découragés de faire, cette année encore, le déplacement. En taxi brousse, en bus, en
voiture particulière, ils étaient au rendez-vous, début octobre, pour célébrer le souvenir du
marabout. "Il y a de plus en plus de monde", assure l'un des petits-fils du marabout, le cheikh
Khalifa.
A Nimjat, il n'y a pas grand-chose. Une poignée de maisons ocre, mais aucun commerce. Une
mosquée, mais pas d'école. On vient donc - en famille - en faisant suivre les ustensiles de cuisine,
sans oublier une chèvre ou un mouton, et une immense tente qui sert de dortoir, de salle à manger,
de lieu de rencontre et parfois d'échoppe. "On dirait un camp de réfugiés", observe un Mauritanien
au spectacle de ces centaines de tentes montées à touche-touche parmi les dunes.

Pour les pèlerins, le séjour à Nimjat se résume à des va-et-vient entre le cimetière et la mosquée, sur
fond de chants religieux que des haut-parleurs diffusent sans interruption, y compris la nuit.
Le dernier jour est le plus remarquable. Le matin, très tôt, les pèlerins commencent par se rendre, en
famille ou seuls, sur la tombe du marabout à l'écart du village. Saad Bouh repose au côté de ses
proches dans un mausolée très simple blanchi à la chaux. Aucune décoration à l'intérieur, hormis
une plaque portant le nom du cheikh, dont le cercueil est surélevé. Des pèlerins tournent autour en
l'embrassant. D'autres préfèrent rester à l'extérieur et prier. Mais tous ou presque repartent avec, à la
main, une bouteille de plastique pleine du sable ocre ramassé dans le cimetière.
Ensuite, en fin de matinée, ce sera l'ultime prière et le prêche de l'imam, non pas à la mosquée, trop
exiguë pour accueillir la foule, mais à deux pas, en plein air, sur une place improvisée. Cérémonie
haute en couleur avec les petits-fils de Saad Bouh convergeant les uns derrière les autres vers la
place grouillante de monde. En habit de cérémonie, les bijoux hérités du grand-père en sautoir sur la
poitrine, ils ont fière allure lorsqu'ils s'approchent sous d'immenses parasols multicolores que
tiennent les fidèles pour les protéger du soleil.
La foule est dense, l'ambiance bon enfant et le service d'ordre efficace. De jeunes volontaires,
reconnaissables à leur tee-shirt kaki et aux fines lunettes de soleil qu'ils arborent, forment un
premier cercle que complète une escouade de gendarmes mauritaniens casqués.
Les descendants du marabout défunt sont légion. Ce sont eux les grands bénéficiaires du pèlerinage.
Car, pendant les trois jours, chaque fidèle y va de son offrande à l'un ou à l'autre des petits-fils de
Saad Bouh. Certains viennent, discrètement, leur donner de l'argent. D'autres des objets - tissus,
bijoux... "Il y a une concurrence entre les petits-enfants du cheikh pour recueillir les dons", raconte
Abdallah, dont l'épouse est apparentée à la famille du cheikh. Mais de cela personne ne parle
ouvertement à Nimjat.
Jean-Pierre Tuquoi

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