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APRÈS LES TRENTE GLORIEUSES

EN ROUTE VERS LE RESTAURANT DURABLE


Nous n'en sommes pas forcément conscients, mais nous sommes entrés dans
une ère totalement nouvelle pour la restauration. Et même si la restauration est
un domaine totalement à la traîne par rapport à d'autres secteurs, le
Développement Durable (DD pour les connaisseurs) commence à intéresser
sérieusement les chaînes de restaurants.
Par Jean-Luc Fessard, directeur du cabinet de formation Le Temps du
Client, et Nelly Rioux

La restauration actuelle est issue des trente glorieuses où les ressources


naturelles semblaient inépuisables. L'énergie était abondante, l'eau quasi
gratuite, la chimie triomphante. Aujourd'hui l'énergie, l'eau deviennent
rares et chères, et les produits chimiques sont suspectés d'être
responsables de la plupart des cancers. Avec l'épuisement des
ressources, le réchauffement climatique, les menaces sur la santé, toutes
les bases de la restauration actuelle vont être bouleversées : le choix de
l'emplacement, le bâtiment, les équipements, les approvisionnements, la
carte, le management des hommes et le comportement des clients.

Jean-Luc
Fessard
Le bon emplacement se situera aux carrefours des transports en
propose une commun
formation qui Un cycle entamé au début des années 1960 s'achève. Lors de voyages
aide les
entreprises à
organisés aux États-Unis pour les dirigeants d'entreprises françaises,
impliquer leursMarcel Fournier, Denis Defforey, Paul Dubrule et Gérard Pélisson vont
collaborateurs rencontrer Eduardo Trujillo qui, avec son slogan favori "No parking, no
dans une
démarche de
shopping", va les convaincre de révolutionner le commerce et l'hôtellerie-
'Développement restauration. À cette époque où l'automobile est reine, l'avenir se trouve
Durable'. à la périphérie des villes. Aujourd'hui, avec le pétrole cher, ce cycle se
termine et le bon emplacement se situera aux carrefours des transports
en commun, des gares et même dans les centres des villes qui devraient se densifier et
se redynamiser (plus de commerces, d'espaces verts…) pour éviter les déplacements.
Un arrêt de tramway, une voie piétonne et un garage à vélos seront préférables à un
immense parking.

Le bâtiment sera de haute qualité environnementale ou ne sera pas


Désormais le bâtiment se devra d'être HQE® (terme déposé signifiant Haute Qualité
Environnementale), et si ce label ne convient pas, il sera néanmoins nécessaire de
construire des bâtiments avec des matériaux bénéfiques pour la planète. À l'intérieur,
on gérera toutes les consommations d'énergie et les productions de déchets. L'insertion
du bâtiment dans le paysage devra être harmonieuse, respectueuse du contexte
architectural et culturel local. Fini le bâtiment aux couleurs criardes qui, dans une
débauche de lumière, drague le chaland. À partir de demain la sobriété primera pour
l'éclairage, le chauffage, la climatisation, la réfrigération, les consommations d'eau, les
émissions de Gaz à effet de serre. À l'instar de Starbucks qui se lance dans son Project
Green Belt, si l'énergie consommée ne peut être réduite elle devra au moins provenir
de sources d'énergies vertes renouvelables.

Les équipements seront économes et performants


Le Syndicat national de l'équipement des grandes cuisines (Syneg) informait
récemment les professionnels des très fortes augmentations des matières premières
liées à la hausse du pétrole. Les équipements vont être tributaires de la rareté des
ressources, mais également d'un contrôle accru de leur origine, par exemple : le bois
devra provenir de forêts certifiées. Enfin de même que pour le bâtiment, ces
équipements devront être sobres en consommation d'énergie, d'eau pour leur
fonctionnement et leur entretien. Ils devront être conçus pour limiter les rejets et
permettre une maîtrise des déchets. Par exemple, tout comme Promocash propose des
seaux pour la récupération des huiles usagées, nous verrons probablement apparaître
des dispositifs encore plus sophistiqués que ce qui existe aujourd'hui, pour permettre la
récupération des eaux de plonge ou des emballages. Quelques exemples ouvrent la voie
comme les premiers fourneaux HQE® (nécessitant 30 % de matières premières en
moins) qui viennent d'être lancés par le constructeur français HMI Thirode. Winterhalter
avec sa nouvelle gamme de lave-vaisselle offre aux utilisateurs la possibilité de faire
des économies de produits lessiviels, mais aussi des économies d'eau et d'énergie.
Enfin, les restaurateurs devront intégrer une bonne fois pour toutes, lors de leurs
achats, la notion d'ACV (Analyse de Cycle de Vie) qui prend en compte l'aspect
environnemental et pas seulement celui des économies d'énergie.

Les approvisionnements seront équitables ou bio


Nous avons tous en tête l'exemple du yaourt aux fraises qui parcourt au travers de ses
différents ingrédients près de 10 000 km avant d'arriver sur la table du consommateur.
Cette époque est révolue. Désormais, pour limiter les émissions de Gaz à effet de serre,
le restaurateur sera bien avisé de s'approvisionner localement auprès de fournisseurs
qui regroupent leurs livraisons. De même, les approvisionnements seront de plus en
plus sous le signe du bio et du commerce équitable. Déjà un traiteur événementiel 'Té'
en fait sa marque de fabrique. Les torréfacteurs proposent maintenant aux
restaurateurs des cafés aux origines reconnues et équitables. Les produits d'entretien et
d'hygiène devront être respectueux de l'environnement tout au long de leur cycle de
vie. Par exemple le groupe Werner & Mertz propose des produits de nettoyage avec le
label Sustainale Cleaning (nettoyage durable). Des petites PME se lancent dans les
produits d'entretien respectueux de l'environnement comme Attila'Net ou JLD
Promotion.

Les bons produits de la carte seront sains, locaux et de saison


Avec une orientation de plus en plus prononcée vers le développement durable, le bon
produit à la carte sera sain, local et de saison. Depuis la maladie de la vache folle, les
restaurateurs sont totalement conscients de l'importance de la garantie d'origine de
leurs produits, mais avec le réchauffement climatique ils devront en plus être, si
possible, locaux et de saison. Selon la Mission Climat, à partir du Bilan Carbone
(Ademe), un menu composé de 1 L d'eau minérale, 150 g de boeuf, 200 g de haricots
verts surgelés et de l'ananas frais de Côte d'Ivoire livré par avion, rejette 10 fois plus
de Gaz à effet de serre qu'un menu composé de 1 L d'eau de ville, une cuisse de poulet,
200 g de haricots verts frais et de l'ananas frais de Côte d'Ivoire livré par bateau. Plus
généralement les productions végétales produisent 10 fois moins de Gaz à effet de
serre que les productions animales, avec des variations importantes selon les espèces :
le poulet en émet 10 fois moins que le boeuf. De même pour la consommation d'eau : il
faut environ 1 000 litres d'eau pour produire 1 kg de blé et 15 fois plus pour 1 kg de
boeuf. Si le réchauffement climatique devient synonyme de pénuries d'eau c'est toute la
composition de nos repas qui devra être reconsidérée. La viande deviendra plus rare et
les recettes végétariennes vont fleurir. Dans les restaurants de demain la carafe d'eau
sera peut-être payante, l'offrir sera un vrai geste commercial. Enfin, puisque nos
produits devront suivre les saisons, les changements de carte se feront au gré des
saisons.

Demain, les équipes comme les clients seront sensibles à une démarche
durable
La mutation que nous évoquons ici se fera avec le soutien et l'adhésion des
collaborateurs qui se sentiront directement concernés par la démarche initiée par leur
entreprise pour être encore plus éthique, écologique et citoyenne. Dans l'hôtellerie,
certaines chaînes intègrent déjà dans les contrats de travail le respect du référentiel
14001 dans les actions quotidiennes. Les enseignes qui mettront le devenir de la
planète au coeur de leurs enjeux développeront la fierté d'appartenance et leur
attractivité. Une génération extrêmement sensibilisée à ces thèmes émerge de nos
grandes écoles. De plus en plus nombreux sont les futurs ingénieurs et cadres qui
effectuent leurs stages de fin d'études dans des entreprises éthiques ou mieux dans des
ONG oeuvrant dans des pays défavorisés.
Les clients, eux, sont de plus en plus sensibles au lien entre la nourriture et la santé.
Cette tendance va non seulement s'amplifier, mais elle va s'élargir de plus en plus à la
qualité de vie sur la planète. Le consommateur deviendra encore plus exigeant. Selon
les spécialistes, nous n'en sommes pas encore au niveau d'actions de boycott collectif,
mais nous le savons, le client "vote avec ses pieds". Bien avisé sera le restaurateur qui,
loin de toute communication artificielle sur son éthique, démontrera quotidiennement
que la qualité de vie de ses clients est sa vraie raison d'être. En revanche, ce sont les
clients qui jugeront si son restaurant est digne d'être durable.

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