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Fiche de lecture

Informations sur le texte


WOLFE, P., 2006, “Settler Colonialism and the Elimination of the Native,” Journal of Genocide
Studies, 8, 4 :387-409.
Auteur : Wolfe est anthropologue travaillant sur le colonialisme en Australie et a popularisé les
études settler colonial avec la parution en 1999 du livre Settler colonialism and the
transformation of anthropology.
Utilité : ce travail permet de dégager les particularités associées aux logiques d’élimination
présentes dans le settler colonialisme de ce qui est conceptualisé comme un génocide, mais aussi
de comprendre la complexité de chaque cas et donc la difficulté de voir structurer le settler
colonialisme par des étapes clés ou encore des mesures typiques, ce qui les recoupe c’est les
logiques d’élimination et celles-ci varient d’un contexte historique à l’autre.
Lieu concerné : principalement Israël, Australie et États-Unis, mais également des pays
d’Afrique et d’Europe.

Sujet
Réflexions sur les associations entre les logiques d’élimination des autochtones intrinsèques au
settler colonialisme et les génocides à partir d’exemples comparatifs tels que les cas israélien,
étasunien, australien.
Mots-clés : settler colonialism, génocide structurel, logiques d’élimination, mesures
d’assimilation, homicide de frontière

Résumé
Wolfe se demande en quoi la logique d’élimination intrinsèque au settler colonialism recoupe la
notion de génocide. D’emblée il fait remarquer que la façon dont la race ciblée (ou construite
socialement) permet de comprendre pourquoi ce sont spécifiquement les autochtones qui sont
pointés par cette logique et non pas les noirs, par exemple. Ces premiers empêchent l’accès au
territoire des colons; ils ne sont d’aucune utilité pour leur projet; ils sont dispensables. Pour ces
raisons, Wolfe analyse le settler colonialism comme une structure et non un événement; le
processus de colonisation est persistant, mais qui s’opère de façon distincte d’un contexte
historique à l’autre où l’on vise principalement l’élimination totale des autochtones et, parfois, sa
récupération afin d’exprimer sa différence par rapport à l’Europe notamment (dans un cas de
nationalisme de colons, sauf le cas israélien où l’accent est plutôt mis sur la construction d’un
Juif nouveau à travers la valorisation de l’hébreu plutôt que du yiddish par exemple). Plusieurs
idéologies justifient la dépossession des autochtones de leurs terres, notamment le fait qu’ils
l’utilisent de manière improductive ou encore qu’ils n’en sont pas les premiers habitants (cas
israélien en particulier) (à cet effet, Veracini 2010 pointait que dans l’imaginaire colon, il y a ce
fantasme d’être les premiers habitants et donc une tentative d’évincer ces premiers occupants).

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Wolfe reconnaît que la structure du settler colonialism est complexe, c’est-à-dire que le processus
qui l’accompagne varie selon plusieurs données. La convoitise des empires pour un même
territoire fait, par exemple, en sorte que des droits seront donnés aux autochtones afin qu’ils
s’allient au projet de l’un plutôt que l’autre; autrement ils seront instrumentalisés. Contrairement,
si le contrôle du territoire est assuré à un empire celui-ci aura tendance à ne pas reconnaître de
titre aux autochtones comme c’est le cas de l’Australie. La notion de préemption (le premier
empire arrivé a lui seul le droit d’acheter des territoires aux autochtones) et de dominion (cette
préemption vient avec la souveraineté d’un empire sur l’ensemble du territoire où les autochtones
en sont que des occupants) participent à laisser aller les raids par des colons (souvent sans terre)
sur le territoire chassant les autochtones de leurs territoires tout en les pillant de leurs
possessions, ce qui permet en revanche à l’empire d’étendre son contrôle du territoire en
repoussant toujours plus loin ses frontières. Bien que critiqué, ces attaques sont appuyées par les
États.
Wolfe conçoit que la modernité est un fait du settler colonialism impulsé par la révolution
industrielle étant à la recherche d’un marché et donc toujours plus de terres à exploiter et à
coloniser : « The Industrial Revolution, misleadingly figuring in popular consciousness as an
autochthonous metropolitan phenomenon, required colonial land and labour to produce its raw
materials just as centrally as it required metropolitan factories and an industrial proletariat to
process them, whereupon the colonies were again required as a market » (2006 : 394).
L’agriculture est également importante dans cet impératif, car afin de gérer l’arrivée des
immigrants vers les villes, la colonie doit pouvoir les nourrir et pour cela il faut défricher et
exploiter plus de terre, et donc les autochtones sont repoussés de plus en plus loin. En outre, pour
Wolfe l’agriculture ajoute un argument en faveur de l’élimination des autochtones de ce
territoire, car celle-ci est sédentaire et permanente, tandis que les autochtones, comme le souligne
aussi Veracini (2010), sont conceptualisés comme des nomades, non établis, et donc amovibles
au profit d’une plus grande productivité. Leur permanence sur les territoires est également
menaçante – pour Wolfe, c’est cet élément qui permet de pointer la notion de race – même s’ils
professent l’agriculture, car ils continuent de posséder la terre de façon collective et donc de
façon éloignée aux blancs « civilisés ». Comme il l’illustra à travers l’exemple de la Trail of
Tears aux États-Unis, les Cherokee seront repoussés, sauf s’ils adhèrent à la notion de propriété
individuelle délaissant ainsi leur appartenance collective et les titres de propriété associés au
profit d’une citoyenneté settler. On passe ainsi d’une élimination vers l’extérieur (les repoussant
au-delà des frontières) et à une élimination vers l’intérieur notamment rattachée à leur
assimilation permettant de briser en pièces détachées les collectivités autochtones et ainsi retirer
l’autochtone qui le compose afin d’en faire un individu, de sauver l’homme qu’il est : « Kill the
Indian in him and save the man » (Capitaine Richard Pratt cité dans Wolfe 2006 : 397) qui sera
par la suite incorporé dans la société de colons. La même logique entre en ligne de compte dans
les cas des enfants métissés. (Ce qui va à l’encontre de la logique coloniale décrite par Saada où
la race permet plutôt de séparer les groupes afin de maintenir un certain prestige français; il faut
croire que les idéologies coloniales ne sont pas toutes les mêmes et qu’en ce sens le settler
colonialism est particulier). Wolfe explique une élimination vers l’extérieur prend place
particulièrement une fois où il n’y a plus d’espace au-delà des frontières, laissant ainsi que la
possibilité de les éliminer vers l’intérieur ce qui s’exprime soit en les éliminant physiquement
(frontière homicide) ou collectivement par cooptation en amenant la notion de propriété privée,
de citoyenneté, de blood quantum (statistical elimination) ou les écoles résidentielles qui sont
somme toute des stratégies beaucoup plus fonctionnelles, car elles permettent à un taux plus

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rapide l’élimination des autochtones au profit de leur incorporation à la société de colons et à la
vente de leurs terres. Ce type d’élimination n’est toutefois pas utilisé par tous, cela dépend des
circonstances historiques –en Israël, les Palestiniens sont plutôt confinés à l’extérieur des
frontières (ségrégés) et liquidés. Les stratégies d’élimination varient de dures à douces, mais
demeurent pour l’élimination démographique des autochtones.
Parler de génocide pour décrire la logique d’élimination présente dans le settler colonism fait
sens pour Wolfe, mais il craint qu’elle soit réduite à la notion de génocide culturel qui est
banalisé par rapport au génocide biologique. Pour lui, le génocide des autochtones est continu. Il
suffit seulement de comparer les taux de mortalité infantile et la durée de vie des peuples
autochtones comparativement aux colons. Il préfère utiliser la notion de ‘génocide structurel’
soulignant la continuité du processus (n’est donc pas un événement) et son dynamisme (les
formes sont changeantes et varient d’une circonstance à l’autre). Elle permet aussi de rallier les
différentes stratégies d’élimination que ce soit de repousser les autochtones au-delà des
frontières, les homicides ou encore la pénétration de cette logique dans les modalités, les discours
et institutions de la société de colons. L’entrée en jeu de cette notion ouvre également la porte à la
possibilité d’éviter ces génocides, car ils s’étalent sur le long plutôt que les autres qui se déroulent
dans un court laps de temps. La ‘realpolitik’ mine toutefois les possibilités de les contrer.

Commentaires généraux
De nombreuses comparaisons entre Wolfe et Veracini, surtout des distanciations :
¯ Wolfe parle de settler colonization afin de pointer le caractère structurel et en cours du
settler colonialism, tandis que parle Veracini de settler colonialism uniquement bien qu’il
pointe aussi son caractère continu.
¯ Wolfe soutient que les colons n’ont pas cherché à éliminer les autochtones, car ils sont les
premiers occupants, mais bien parce qu’ils (les autochtones) empêchaient leur occupation
du territoire. Ainsi, Wolfe argumente que la dépossession des autochtones de leurs terres
ne s’explique pas sur le plan idéologique par le fait qu’ils pensent être les premiers à s’y
être établi, mais plutôt par le fait qu’ils allaient rendre cette terre plus productive. Veracini
(2010), de son côté, soutient que l’imaginaire du colon est organisé de sorte qu’il se croit
comme le premier occupant étant donné sa sédentarité, mais aussi son désir qu’il a de la
posséder à lui seul et de la contrôler. Il a le fantasme de sa virginité ce qui fait en sorte
qu’il développe une mémoire-écran où il omet le caractère violent associé à la fondation
de sa colonie faisant que le territoire soit « vide » (ou « veuf ») et empreint de sa
subjectivité seule.
¯ Trois groupes interagissant dans une relation triangulaire caractérisent selon Veracini la
situation settler colonial, tandis que chez Wolfe la composition du groupe des colons
semble d’emblée plus complexe, car on y distingue déjà des colons laissés pour compte
dont l’utilité est incontestable pour l’expansion des États – cela fait d’ailleurs contraste
avec Saada qui pointe que les colons marginaux nuisent au prestige français, mais aussi à
l’économie et sont souvent renvoyés en métropole.
¯ Lorsque Veracini parle de la souveraineté des colons, il parle particulièrement de
corporations qui les rassemblent et permettant l’auto-organisation politique et sociale des

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communautés, tandis que Wolfe pointe plus précisément des groupes de vandales étant
critiqués, selon Veracini, par ces corporations, car ils nuiraient à leur tranquillité.
¯ Les stratégies d’élimination pointées par Wolfe varient en quelles mesures de la notion de
transfert de Veracini? Sont-ils des synonymes?
¯ Contrairement à Veracini, Wolfe pointe des phases dans la transformation du settler
colonialism. Veracini fait plutôt du leapfrogging en passant de la fondation violente à la
décolonisation.
Quelques critiques :
¯ Wolfe ne pointe pas en quoi l’impératif de la colonisation influence celle-ci, c’est-à-dire
les objectifs qui la sous-entend. Dans le cas israélien on voit bien que l’impératif de la
réunification des Juifs sur la terre sainte est lié non seulement à la logique d’élimination
des Palestiniens, mais aussi, et particulièrement à leur exclusion totale ou presque des
interactions israéliennes qui s’appuie sur une série de transfert et de mesures.
¯ Wolfe défend mal l’idée selon laquelle le settler colonialism aurait permet l’entrée en jeu
de la modernité. Il explique qu’elle est liée avec la révolution industrielle étant à la
recherche de nouveaux marchés, mais aussi de ressources naturelles et de main-d’œuvre
pour les transformer ce qui aurait participé à l’afflue d’immigrants dans les colonies.

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