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Philippe Guillot
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Introduction
à la sociologie
politique
ARMAND COLIN
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I
Avant-propos 4
PREMIÈRE PARTIE
La scène
Chapitre 1. Une approche sociologique de la politique ... 9
Chapitre 2. État et nation 22
Chapitre 3. Les régimes politiques 50
DEUXIÈME PARTIE
Les acteurs
Chapitre 4. Déterminants et apprentissage de la politique 69
Chapitre 5. Les organisations politiques 86
Chapitre 6. Militants et dirigeants 96
TROISIÈME PARTIE
La pièce
Chapitre 7. Les élections 113
Chapitre 8. Action collective et mobilisation .................. 140
Chapitre 9. L'exercice du pouvoir 160
LES UTILITAIRES
Glossaire 173
Bibliographie 177
Table des encadrés 182
Index des noms de personnes ............................................ 183
Index thématique .............................................................. 189
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Avant-propos
«Je hais la vie publique et les politiciens». Si l'on en croit des études récentes
(c/; tableau infra), cette phrase, la première de Loués soient nos seigneurs, de
Régis Debray (1996), emporterait l'adhésion debeaucoupdenos contemporains.
Ainsi, 66%des personnes interrogées en octobre 1996par la SOFRESdéclarent
qu'à leurs yeux la politique atrès peu, voire pas d'importance du tout, ouqu'elle
inspire plus de «méfiance» (58%)qued'«espoir» (28%),d'«intérêt» (25%)et
de «respect» (8 %)(Pouvoirs, n° 81, avril 1997, p. 159).
Les valeurs des Français
Question : pour chacune des choses suivantes, pouvez-vous me dire si, dans
votre vie, cela est très important (colonne 1), assez important (colonne 2), peu
important (colonne 3), ou pas important du tout (colonne 4)?
Chapitre 1
Uneapproche sociologique
de la politique
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I
France, devenir une discipline à part entière avec ce que cela suppose d'institu-
tionnalisation et de professionnalisation.
Les premières grandes écoles qui se préoccupent d'étudier les phénomènes
politiques le font dans le cadre de sciences politiques —au pluriel —qui se
situent aucarrefour dedifférentes sciences humaines, et notammentdel'histoire,
de la géographie et du droit constitutionnel. Il s'agit, dès avant la Deuxième
Guerre mondiale, de l'École libre des sciences politiques, et, àla Libération, des
instituts d'études politiques, créés, comme l'ÉNA (École nationale d'adminis-
tration), à l'initiative de Michel Debré, soucieux de former des hauts
fonctionnaires compétents, et de la Fondation nationale des sciences politiques.
La sociologie, dernière venue des sciences humaines, est appelée à compléter le
droit constitutionnel dans les facultés de Droit àl'initiative de LéonDuguitet de
Maurice Hauriou, puis de Maurice Duverger, les deux premiers se situant plutôt
dans la mouvance des penseurs du début du siècle, Émile Durkheim et Lucien
Lévy-Bruhl pour Duguit, Gabriel Tarde pour Hauriou, tandis que Duverger
s'inspire de l'expérience des États-Unis où s'enseigne, dès les années 1950, une
science politique.
Or, la politique est une activité sociale. Le fait politique peut donc être assi-
milé à unfait social. Si on ne veut pas seulement le décrire, si on veut aller plus
loin en l'analysant, il faut avoir recours aux outils du sociologue. C'est ce que
nousexaminerons dans unpremiertemps. Il nousfaudra ensuite tenterde définir
cequi est politique et cequi ne l'est pas, afin de biencerner cequ'est l'objet que
se propose de décortiquer la sociologie politique.
LI'EPde Paris
L'établissement d'enseignement supérieur qu'on appelle aujourd'hui couramment
«Sciences po» a été fondé en 1872 par Émile Boutmy. Il s'agissait de l'École libre des
sciences politiques qui fut scindée en deux institutions à la Libération : l'Institut d'études
politiques de Paris (IEP) et la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP). Depuis
cette époque, c'est la Fondation qui a en charge la gestion de l'IEP, institut très autonome,
puisqu'il bénéficie du statut de «grand établissement ».
Si l'IEP de Paris est le plus célèbre d'entre eux, il ne faudrait pas pour autant oublier que
d'autres IEPexistent à Bordeaux, Lille, Lyon, Rennes, Strasbourg et Toulouse.
Contrairement àce que suggère son intitulé, l'IEP de Paris dispense unenseignement pluri-
disciplinaire orienté vers trois directions :
▲Une formation à la fois générale, axée sur diverses disciplines comme l'histoire, l'éco-
nomie, les «grandes lignes de partage du monde contemporain xet «les grands enjeux du
débat politique, économique et social », et spécialisée pour tenir compte des exigences des
employeurs des futurs diplômés, et, plus largement, de la mondialisation.
▲Un souci méthodologique qui se manifeste par l'organisation de conférences de
méthode, obligatoires, où les étudiants apprennent «à aller à l'essentiel, à développer
l'esprit de synthèse, à s'exprimer clairement et simplement»(Sciencespo, 1995, p. 18).
A Laprésence, pour compléter la formation initiale, d'une formation continue.
Lescours magistraux, les plus nombreux, les cours-séminaires, en groupes restreints, et les
conférences de méthode sont assurés par une cinquantaine d'enseignants attachés à ►
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► l'institut, mais aussi par plusde 1200 intervenants extérieurs, dont le quart vient dusecteur
privé et près de la moitié de l'Université.
Pour accéder à la première année de formation, les étudiants français, sauf certains candi-
dats ayant obtenu le bac avec la mention «très bien», doivent passer un examen, soit juste
après le bac, soit un an après. Lescours de première année concernent surtout l'histoire,
mais aussi la géographie, l'introduction aux études politiques, l'économie, une langue
étrangère, l'éducation physique et sportive, et la... lecture, à quoi s'ajoutent des enseigne-
ments facultatifs.
Le passage en deuxième cycle se fait sur avis d'un jury composé des principaux ensei-
gnants. S'il est négatif, le candidat doit passer un examen en septembre, tout comme les
candidats extérieurs, lesquels doivent avoir au moins la licence ou cinq ans d'activité
professionnelle. En deuxième année, il y a environ dix-huit heures de cours hebdoma-
daires, obligatoires, et uncontrôle continu. Enplus d'une formation générale qui comprend
en particulier l'économie et une science sociale, une formation spécialisée est dispensée,
qui correspond à quatre sections aux enseignements spécifiques :
1.Une section «Communication et ressources humaines», elle-même scindée en trois
filières :communication, gestion des ressources humaines, recherche et enseignement.
2. Une section économique et financière.
3. Une section internationale, elle aussi scindée en trois filières : action internationale de
l'entreprise, Europe communautaire et relations internationales.
4. Une section «Service public».
Latroisième année se divise en deux périodes. Lapremière, de trois à cinq mois, corres-
pond à un stage, à des études à l'étranger, à un mémoire, ou encore à l'obtention d'un
certificat de spécialisation. Àcompter de novembre, suit une période de formation géné-
rale et de préparation de trois certificats de spécialisation.
Bien entendu, il est possible, ensuite, de préparer à Sciences po un DEA, un DESSou un
MBA.
Source :d'après Sciences po :admissions, scolarités, programmes des enseignements 1995,
Paris, lEP/Presses de la FNSP.
politeia en latin» (Colas, 1994, p. 6). Plus qu'un animal social, c'est un animal
politique. Non seulement il peut, comme beaucoup d'animaux, vivre en compa-
gnie d'autres animaux en société, mais il est capable d'organiser cette société.
Enfait, il apparaît que la science politique est, àl'origine, une sorte d'«art de
gouverner envuedubien public»(Denni et Lecomte, 1992, p. 10),cequicorres-
pondplus autermegrecpolitikè qu'au motlatinpoliteia quirecouvre l'ensemble
des institutions politiques de la Cité et la communauté des citoyens qui peut la
faire fonctionner (politika). L'homme politique serait un praticien au sens
médical duterme, unmédecin capable de guérir la société de ses mauxen appli-
quant les solutions proposées par la science politique. On comprend, dès lors,
qu'adopter l'expression «sociologie politique» àla place de «science politique»
revient à s'affranchir de cette vision qu'on pourrait qualifier de «technicienne».
Mais n'est-ce que cela?
1.2. Science politique et sociologie politique :
quelles différences ?
Àvrai dire, les différences entre science politique et sociologie politique sont
ténues, si ténues que des auteurs commeCotet Mouniern'y voient qu'une seule
discipline et qu'il est, de loin, préférable d'utiliser l'expression «sociologie poli-
tique». Ils estiment que, si l'on veut étudier en profondeur les phénomènes
politiques, on ne peut le faire que dans le cadre de la sociologie puisque le fait
politique est un fait social et que le politique est simplement un aspect de la
société globale. Cette dernière est un ensemble d'éléments interdépendants,
mêmes'ils sont plus ou moins autonomes. C'est donc une totalité structurée qui
constitue un système. Ce système peut être décomposé en sous-ensembles, eux-
mêmes constitués d'éléments interdépendants qui forment aussi des systèmes.
C'est ainsi que le système social serait la somme de différents systèmes dont la
structure se maintient grâce à la relative stabilité des rapports entre les partici-
pants. Jean-William Lapierre en distingue cinq :
▲un système «biosocial», relatif à la reproduction sociale de la population, où
jouent les relations deparenté, de filiation, d'alliance, d'âges, notamment;
▲un système «écologique» où sedéfinissent les rapports de la collectivité avec
son environnement, ou encore la répartition géographique des hommes et des
activités;
▲unsystème«économique»oùl'on peutobserver la manièredontles individus
s'organisent pour satisfaire leurs besoins en mettant le mondeen valeur;
▲un système «culturel» relatif à la communication, mais aussi à la création et
à la diffusion de signes, de symboles, de normes et de valeurs;
▲enfin, un système «politique», qui regroupe tous les processus de décision
concernant l'ensemble de la société. Ces processus, qui prennent appui sur des
relations de pouvoir qui l'engagent tout entière, ont trait à sa régulation interne
ou à ses entreprises collectives (Lapierre, 1973).
Certes, chaque membrede la société aune personnalité sociale multiple etjoue
des rôles sociaux différents. Onpeut être à la fois professeur et consommateur et
participer ainsi à la vie économique, citoyen et électeur et participer au système
politique. Onpeutaussi être mariéetpèredefamille, pratiquerunsportoutoutautre
passe-temps, suivre ou non les préceptes d'une religion... Tous ces rôles, qui
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Ce caractère scientifique se manifeste aussi par l'usage qui est fait de l'outil
scientifique par excellence, les mathématiques. Comme toute science, en effet,
la sociologie politique, nous l'avons vu plus haut, cherche à mettre en évidence
les éventuelles régularités qui pourraient lui permettre d'établir des lois. C'est
que certains phénomènes peuvent se répéter dans certaines circonstances. Pour
les connaître, l'outil statistique peut être utilisé commeil l'est couramment dans
l'ensemble des sciences sociales. C'est le cas, notamment, en sociologie électo-
rale, branche bien connue de la sociologie politique. Mais cet outil n'est pas
toujours efficace, soit parce que les statistiques dont on dispose sont sujettes à
caution, soit parce que certains phénomènespeuvent difficilement être saisis par
l'outil statistique : qu'on songe, par exemple, aux typologies des partis. Leurs
auteurs, pour les établir, ont dû alors collecter, regrouper et ordonner des carac-
téristiques souvent difficilement quantifiables. Ajoutons que les répétitions
qu'on peut enregistrer sont toutes relatives. Aussi, pour tenir compte de l'exis-
tence, dans une certaine mesure, du hasard et du désordre, pour rendre compte
de l'«inexplicable» et de l'aléatoire, on peut avoir recours à un autre outil
mathématique : les probabilités.
2.1.2. Une démarche sociologique
Mêmesi elle ne saurait négliger les méthodes utilisées par les disciplines qui lui
sont proches, la sociologie politique privilégie la démarche sociologique.
Avantd'en aborder les grandesétapes, il n'est peut-être pasinutile derappeler
que, malgré l'ambition scientifique des sciences sociales évoquée précédem-
ment, les instruments utilisés sont eux-mêmes des faits sociaux, qu'ils ont été
conçus par des individus qui participent à la vie sociale et qu'ils seront inter-
prétés par eux après avoir été appliqués à d'autres individus participant à la
mêmevie sociale. Le risque d'interaction est évident et l'information recueillie
n'est jamais absolument certaine. Certes, les statistiques sont de plus en plus
utilisées et leur traitement est toujours plus facile grâce aux progrès de l'infor-
matique. Celle-ci, en outre, avec l'établissement de banques de données de plus
en plus complètes, contribue à les homogénéiser et à faciliter les comparaisons
dans le temps et dans l'espace. Pourtant, même les statistiques doivent être
maniées avec prudence. L'existence d'un «chiffre noir» reste toujours possible
et risque de fausser grandement l'analyse (Ferréol, 1995, p. 16-19).
2.2. Trois étapes
L'analyse des faits implique leur enregistrement, puis leur interprétation, enfin
leur traitement (Ferréol et Deubel, 1993).
2.2.1. L'enregistrement des données
Trois outils servent àenregistrer les données.
Il y a d'abord l'observation desfaits que l'on veut étudier. Pour les petits
groupes, l'observation peut être faite directement, mais l'observateur doit, en
tout état decause, rester neutre. Cet outil est privilégié par les ethnologues et les
anthropologues.
Le sociologue, s'attachant à étudier des groupes souvent très vastes, est
fréquemment amené à une observation plus indirecte qui prend la forme d'en-
quêtes. L'enquête peut être quantitative si elle porte sur un grand nombre
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d'enquêtés. Elle peut prendre la forme d'un sondage, par exemple, outil large-
ment utilisé pour connaître l'état de l'opinion à unmomentdonné, pourprévoir
les résultats des prochaines élections. En ce cas, on étudie un échantillon de la
population étudiée. Onle constitue, soit de manière aléatoire, par tirage au sort,
soit en reproduisant la structure de la population étudiée par la méthode des
quotas. En ce cas, on constitue un échantillon qui doit être représentatif de la
population étudiée. Il l'est dans la mesure où, comme pour la maquette d'un
objet, il en respecte les principaux aspects. Sa structure doit donc être conforme
àcelle de la population totale. Onytrouvera les mêmespourcentages d'hommes
et de femmes, d'individus de tel à tel âge, de citadins et de ruraux, de titulaires
de tel ou tel diplôme, de pratiquants de telle ou telle religion... En bref, on y
trouvera les mêmesquotas. Faut-il préciser que laqualité de l'échantillon est une
condition nécessaire, même si elle n'est pas suffisante, de la qualité des infor-
mations obtenues? D'autres risques de biais existent. Ainsi, certaines personnes,
celles qui sont seules et âgées notamment, refusent souvent de répondre aux
questions, lesquelles sont, par ailleurs, parfois mal posées et incompréhensibles
pour une partie de la population interrogée, ou redondantes.
Si l'on veut que toutes les nuances de la pensée ou de l'opinion puissent
s'exprimer, on peut poser des questions ouvertes dans le cadre d'entretiens non
directifs, commele font les psychothérapeutes depuis fort longtemps. L'enquête
est alors qualitative, en ce sens que la personne interrogée est encouragée à
exprimer toutes les nuances de sa pensée par l'attitude positive de l'enquêteur
qui doit absolument éviter de laisser paraître ses propres sentiments. C'est ainsi
que Janine Mossuz-Lavau a procédé pour connaître, au-delà des habituelles
représentations négatives, la véritable opinion des Français sur la politique. Elle
a interrogé soixante personnes dont elle détaille les caractéristiques dans l'ou-
vrage qu'elle tire decetravail (Mossuz-Lavau, 1994,p. 357-360). Lesentretiens,
dûment enregistrés puis retranscrits dans le moindre détail sur papier, ont duré
environ quatre-vingt-dix minutes pendant lesquelles chaque personne interrogée
a pu librement s'exprimer. Environ 2 000 pages dactylographiées en ont été
tirées, la synthèse obtenue faisant ressortir que les Français ne se détournent
peut-être pas autant de la politique qu'on ne le croit généralement.
Onpeut, enfin, avoirrecours àl'analyse documentaire. Celle-ciporte surlesdocu-
ments les plus divers, qui peuvent s'avérer d'une grande utilité : articles de presse,
archives des organisations politiques, délibérations, discours, et, bienentendu, statis-
tiques. Laparticularité de ces documents, c'est qu'ils n'ont pas été élaborés pour la
recherche, cequi suppose, delapart duchercheur, uneattitude critique.
2.2.2. Letraitement des données
Là encore, on peut opposer, même si cela paraît un peu artificiel, les méthodes
qualitatives auxméthodesquantitatives. Dansle cadre despremières, ontente de
saisir desfaits dans leur totalité. Il est clair que detelles études nepeuventporter
que sur des groupes —sous la forme de monographies, par exemple —ou des
phénomènes restreints. Si l'on veut une vision plus large, il faut user de
méthodes quantitatives. Grâce à elles, on pourra mettre en valeur des corréla-
tions. On pourra aussi, éventuellement, établir des typologies. Mais attention :
qui dit «corrélation»ne dit pas nécessairement «relation de cause à effet»!Les
phénomènes politiques, comme les phénomènes sociaux, sont plus complexes
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qu'il n'y paraît. Leurs causes sont multiples. Il faut donc, après avoir déterminé
les multiples facteurs, eux-mêmes interdépendants, dontils sont la résultante, les
classer afin demettre envaleurceuxquijouent vraisemblablement le rôle le plus
important. Onle voit, l'analyse est multifactorielle et probabiliste.
2.2.3. L'interprétation des données
La recherche sociologique se fait dans le cadre d'un système d'hypothèses lui-
même établi en conformité avec différents modèles, différentes grilles
d'interprétation. Onpeut en distinguer deux grandes.
Lapremière, dans lalogique d'Emile Durkheim hier (1858-1917) oude Pierre
Bourdieu aujourd'hui, considère que les faits sociaux sont, en grande partie, le
fruit de déterminants sociaux. La vision de Durkheim et de ses disciples est
«macrosociale», «holiste», en ce sens que l'on considère que le tout est supé-
rieur aux parties, et que, par conséquent, l'individu est, dans une large mesure,
lejouet dela société etn'est pasréellement libre de ses actes. Desforces sociales
—valeurs, passions, contraintes, us et coutumes—le poussent à agir detelle ou
telle façon, déterminant son action. Ainsi, quand il vote, il le fait avant tout en
fonction de son appartenance sociale, et non en fonction d'une stratégie vérita-
blement réfléchie. Certes, Bourdieu admet que l'individu a une certaine liberté
d'action, mais, dufait qu'il aintériorisé les schèmes de perception, de pensée et
d'action des groupes sociaux dans lesquels il a été socialisé, sous la forme d'un
habitus, il reproduit inconsciemment le système.
Àcette analyse déterministe, bien dans la tradition française, s'oppose, dans la
tradition anglo-saxonne, une analyse qui prend l'individu commepoint de départ.
Cette approche microsociale trouve ses origines dans la pensée de Weber (1864-
1920). Lecélèbre sociologueallemanddéfinit la sociologie commela «science qui
seproposedecomprendreparinterprétation l'activité sociale» (Weber, 1971,p.4).
L'activité, correspondant à tout comportement humain qui fait sens aux yeux de
l'acteur, est nécessairement «rationnelle», aumoins àses yeux, soit «en finalité»,
soit «en valeur» (ibid., p. 22). Elle est rationnelle enfinalité si elle est conforme à
des objectifs qu'il s'est fixés. Elle est rationnelle en valeur s'il agit par conviction
ouenconformitéausystèmedesvaleursdelasociété àlaquelleil appartient. Même
des comportements engendrés par la haine ou la jalousie, et que Weber qualifie
d'«affectuels»,peuventêtreconsidérés commerationnelspuisqu'ils correspondent
à une certaine logique de la part de l'acteur, fût-elle «émotionnelle» (ibid.). Le
sociologuedoitdoncessayer desaisir le sensdel'action dechacun, decomprendre
salogique de l'intérieur. C'est pourquoi cette démarche, qui part de l'individu, est
qualifiée de «compréhensive». Elle est àl'origine de l'individualisme méthodolo-
gique que reprennent à leur compte des auteurs comme Raymond Boudon ou
RaymondAron, Albert Hirschman,MancurOison ouThomasSchelling. Si l'indi-
vidu a un comportement rationnel, s'il est capable de choix stratégiques, il faut
«mettre en évidence les bonnes raisons qui l'ont poussé à adopter ce comporte-
ment» (Boudon, 1992, p. 25). L'addition des comportements individuels donne
naissance àdesfaits sociaux dontils sontles «effets émergents».Enconséquence,
ces faits sont le fruit de décisions non concertées, car individuelles. Cela signifie
que les votes ne sont pas fonction uniquement de la position sociale des électeurs,
maisd'un choixraisonnéquidépenddelafaçondontils perçoivent, chacundeleur
côté, leur situation personnelle.
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