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La cognition sociale dans la démence fronto-temporale

Article  in  Revue de Neuropsychologie · June 2015


DOI: 10.1684/nrp.2015.0341

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4 1,523

4 authors:

Harmony Duclos Mickaël Laisney


Université de Picardie Jules Verne Ecole Pratique des Hautes Etudes
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Francis Eustache Béatrice Desgranges


Ecole Pratique des Hautes Etudes Unité Inserm U1077
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Article de synthèse
Rev Neuropsychol

2015 ; 7 (2) : 100-8 La cognition sociale


dans la démence fronto-temporale
Social cognition
in frontotemporal dementia

Résumé Les troubles du comportement, depuis longtemps décrits


Harmony Duclos, Mickaël Laisney,
dans la démence fronto-temporale (DFT), altèrent les rela-
Francis Eustache,
Béatrice Desgranges tions interpersonnelles. Ces perturbations pourraient être expliquées en partie par des
difficultés de cognition sociale. La cognition sociale regroupe un ensemble de processus
U1077, Inserm-EPHE-UNICAEN, Caen, France spécifiquement impliqués dans les relations sociales, en permettant de produire des réponses
<harmony.duclos@inserm.fr>
comportementales adaptées à des stimuli sociaux. Elle correspond à un concept complexe
constitué de processus distincts, pouvant s’influencer mutuellement. Des déficits des diffé-
Pour citer cet article : Duclos H, Laisney rents processus de cognition sociale sont rapportés dans la DFT. Toutefois, les liens entre ces
M, Eustache F, Desgranges B. La cognition
troubles et les désordres comportementaux sont encore mal compris. Nous montrerons dans
sociale dans la démence fronto-temporale.
Rev Neuropsychol 2015 ; 7 (2) : 100-8 cette revue dans quelle mesure les différents processus de cognition sociale sont atteints
doi:10.1684/nrp.2015.0341 dans la DFT, en nous intéressant plus particulièrement à la reconnaissance des émotions,
l’empathie, les connaissances sociales et la théorie de l’esprit. Enfin, nous présenterons les
liens qu’entretiennent les différents processus de cognition sociale entre eux, ainsi que leurs
liens avec les troubles du comportement.
Mots clés : démence fronto-temporale · cognition sociale · troubles du comportement · empathie ·
théorie de l’esprit

Abstract Behavioral disorders in frontotemporal dementia (FTD)


have been observed since decades, some of them causing
dysfunctions in interpersonal relations. The latter can be in part explained by impairments
in social cognition. Social cognition is an umbrella term for a set of processes specifi-
cally involved in social relations and allowing behavioral responses appropriate for social
situations. Therefore it can be regarded as a multidimensional concept, encompassing
multi-determined dimensions. While social cognition impairments in FTD are much better
understood nowadays the specific role of different processes of social cognition in beha-
vioral disorders is still little known. In this review we will examine different social cognition
processes and their impairments in FTD, in particular those affecting emotion recognition,
empathy, social knowledge and theory of mind. Finally we will discuss existing relations
between different social cognition processes as well as their links with behavioral disorders.

Key words: frontotemporal dementia · social cognition · behavioral disorders, empathy · theory of mind
doi:10.1684/nrp.2015.0341

Introduction sens aux actes des autres personnes et aux leurs afin d’avoir
un comportement adapté dans leur monde social [1]. Les
La cognition sociale peut se définir comme l’ensemble différents travaux de la littérature restent pourtant impré-
des processus qui permettent aux individus de donner du cis quant aux différentes fonctions cognitives relevant de ce
domaine d’étude. La plupart de ces travaux ont mis l’accent
sur la théorie de l’esprit (TDE), négligeant les autres pro-
Correspondance : cessus appartenant au domaine de la cognition sociale.
H. Duclos Bien qu’étant une composante centrale de la cognition

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sociale, la TDE interagit avec différentes habiletés comme ces régions et s’étendrait à des aires plus postérieures
les processus émotionnels, l’empathie, ou les connaissan- incluant l’insula postérieure, les lobes temporaux et parié-
ces sociales afin de produire un comportement adapté. taux.
Ainsi, la cognition sociale peut être envisagée comme un Les troubles du comportement ont d’importantes consé-
concept multidimensionnel composé de dimensions elles- quences sur la prise en charge et sur le pronostic fonctionnel
mêmes multidéterminées. Son altération pourrait être à des patients. Ces derniers présentent des troubles dans
l’origine de certains des troubles du comportement obser- les relations interpersonnelles avec des modifications dans
vés dans les maladies neurodégénératives et notamment les relations sociales, pouvant se manifester par un chan-
dans la démence fronto-temporale (DFT). Les troubles cog- gement de personnalité (où par exemple des personnes
nitifs et comportementaux de ce syndrome sont de mieux auparavant discrètes vont devenir excentriques) et un
en mieux décrits, par contre l’implication des différents comportement antisocial [4]. Les modifications comporte-
processus de la cognition sociale dans les troubles du mentales se manifestent soit sur un versant apathique avec
comportement des patients DFT est encore mal connue. une perte de la volition et une inertie comportementale, en
Cette revue a pour objectif de présenter les troubles des rapport avec une atteinte frontale dorsolatérale, soit sur un
patients atteints de DFT relevant de plusieurs composan- versant désinhibition, avec de la distractibilité, une hyperac-
tes de la cognition sociale : la reconnaissance d’émotions, tivité sans but, en lien avec une atrophie frontale au niveau
l’empathie, la TDE et les connaissances sociales. Il s’agit orbitomédian et des pôles temporaux [6]. Les patients
également de préciser quels sont les liens existant entre peuvent également adopter des comportements sociaux
ces troubles et les altérations comportementales de ces embarrassants, avec un irrespect des normes et des règles
patients. sociales [7]. Les symptômes comportementaux peuvent
aussi se traduire par des troubles de l’autorégulation avec
de la négligence physique, des modifications alimentaires
(gloutonnerie, appétence pour le sucre ou l’alcool) et une
La démence fronto-temporale : dépendance à l’environnement [6]. C’est l’apparition pré-
profil clinique coce de ces troubles qui fait la spécificité de la DFT.
Ces symptômes sont communément rapportés mais il est
Le terme de dégénérescence lobaire fronto-temporale encore difficile de les quantifier car certaines des échelles
regroupe un ensemble de syndromes associés à des comportementales utilisées, notamment l’inventaire neu-
lésions dégénératives de la partie antérieure de l’encéphale, ropsychiatrique (NPI), ne sont pas adaptées pour évaluer
notamment des régions frontales et temporales. C’est ce type de troubles [8]. La sévérité et l’hétérogénéité
une pathologie affectant le présénium, dont l’incidence des symptômes comportementaux sont liées à l’avancée
est maximale entre 55 et 65 ans [2]. Trois entités syn- de la pathologie et parfois à l’existence de troubles
dromiques ont été décrites en fonction des symptômes cognitifs.
cliniques et de la localisation des lésions cérébrales : Les difficultés cognitives, principalement exécutives
la DFT, la démence sémantique et l’aphasie progressive s’installent graduellement et différemment en fonction de
primaire [2]. La DFT se caractérise par une installation la localisation des lésions cérébrales [9] et semblent n’être
insidieuse d’importantes modifications comportementa- manifestes qu’à un certain stade de la maladie. De plus, les
les, associée à une dégénérescence première du lobe tests classiques ne permettent pas toujours d’objectiver des
frontal, généralement bilatérale. Depuis la première confé- troubles parfois subtils [10]. Même si leurs performances
rence de consensus [3], ayant proposé les premiers aux tests exécutifs classiques ne sont pas toujours altérées,
critères diagnostiques, ces derniers ont évolué, reflé- les patients DFT présentent des difficultés attentionnelles,
tant l’évolution des connaissances [4]. Actuellement, de mémoire de travail, d’inhibition, de flexibilité et de
le diagnostic de DFT possible repose sur la survenue prise de décision [9]. La présence de troubles cognitifs de
précoce de changements comportementaux caractéris- type dysexécutif favorise l’hypothèse d’une DFT, mais leur
tiques rapportés lors d’un entretien clinique et par absence n’en n’exclut pas le diagnostic.
l’entourage, qui peuvent être associés à des troubles Le profil clinique alliant désordres comportementaux et
neuropsychologiques typiques. Le diagnostic probable troubles cognitifs ainsi que les anomalies cérébrales des
nécessite également un examen d’imagerie compatible patients atteints de DFT a amené les auteurs à s’intéresser
avec l’hypothèse diagnostique [4]. L’imagerie anato- aux capacités de cognition sociale de ces patients, avec
mique de ces patients montre généralement une atrophie l’idée que des difficultés dans ce domaine pourraient précé-
frontale et temporale antérieure. Plus précisément, ces der les troubles exécutifs et être ainsi un élément pertinent
patients présentent, en début de maladie, une atrophie pour le diagnostic précoce de cette maladie. Ainsi, diffé-
frontale (rostromédiale, dorsolatérale et orbitofrontale), rents domaines de la cognition sociale ont été investigués
mais aussi au niveau du cortex cingulaire antérieur, de chez les patients DFT, parfois séparément et parfois conjoin-
l’insula antérieure et de l’hippocampe (pour revue, [5]). tement, montrant les liens existant entre les différents
Avec l’évolution, l’atrophie serait plus prononcée dans processus.

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Les processus émotionnels : automatiques, qui ne seraient pas le reflet d’autres troubles
cognitifs, bien que des déficits attentionnels puissent modu-
des troubles plutôt consensuels ler ces troubles [16].
Quelques études ont investigué les processus émotion-
La perception sensorielle liée aux émotions est un nels via la modalité auditive et ont montré des déficits de
processus basique, nécessaire à la production de compor- reconnaissance d’émotions à partir de l’écoute d’extraits
tements sociaux adaptés, notamment via la régulation musicaux [19, 22]. Ainsi, le déficit des processus émotion-
comportementale face à la réaction d’autrui [11]. Deux nels dans la DFT apparaît comme multimodal (pour revue,
types d’émotions sont classiquement distingués : les émo- [14]). Les liens entre le déficit dans la reconnaissance des
tions basiques (joie, surprise, colère, peur, tristesse et émotions et les troubles comportementaux sont fréquem-
dégoût) qui seraient innées et universelles et les émotions ment suggérés dans la DFT, ils ne sont toutefois pas encore
complexes (embarras, fierté, amour. . .) qui seraient liées à la bien établis.
culture et aux relations interpersonnelles [12]. Les émotions
suscitent l’intérêt des chercheurs depuis plusieurs années,
ce qui a amené à une meilleure connaissance des struc-
tures cérébrales les sous-tendant [11]. Selon Aldophs [11], Les processus empathiques :
les émotions basiques à valence négative seraient préfé- d’importants déficits
rentiellement associées à certaines régions cérébrales, par
exemple la peur à l’amygdale, ou le dégoût à l’insula et au L’empathie est un prérequis essentiel à la communi-
putamen. Les soubassements cérébraux des émotions ayant cation et un processus nécessaire au bon déroulement
une valence positive sont moins connus. Les régions céré- des relations sociales. L’empathie est un concept diffi-
brales impliquées dans la reconnaissance des émotions à cile à définir, du fait du recouvrement conceptuel existant
partir d’expressions faciales sont affectées dans la DFT, ce avec d’autres composantes comme la TDE et les pro-
qui amené les auteurs à s’intéresser aux processus émotion- cessus émotionnels. Elle correspond à une compétence
nels dans cette maladie. socio-émotionnelle naturelle permettant de former et de
Actuellement, une vingtaine d’études ont été consa- maintenir des liens sociaux [23]. Selon cette accep-
crées aux processus émotionnels chez les patients atteints tion, l’empathie est une construction comprenant trois
de DFT à l’aide de différents outils explorant les capaci- composantes neurocognitives : affective, motivationnelle et
tés d’inférence émotionnelle à partir d’expressions faciales, cognitive. Ces composantes sont dissociables mais inter-
notamment avec le set de photographies d’Ekman et Frie- dépendantes, interagissant et opérant en parallèle pour
sen [13] (pour revue, [14]). L’étude princeps de Lavenu et produire une réponse adaptée [24]. La composante affective
al. a mis en évidence que les patients DFT sont capables de de l’empathie correspond à une résonance émotionnelle,
différencier un visage exprimant une émotion d’un visage un éveil affectif face à l’émotion ressentie par l’autre
neutre [15]. Les patients DFT ne semblent pas non plus qui conduit à partager un affect avec lui. La compo-
présenter de difficultés à discriminer les émotions basiques sante motivationnelle correspond au désir de prendre soin
selon leur valence positive ou négative [16]. Leurs capacités d’autrui. Quant à la composante cognitive, il s’agit de
à identifier des émotions, en particulier négatives, seraient la capacité à reconnaître et à comprendre l’expérience
par contre affectées. La majorité des études a conclu à un émotionnelle d’autrui. Cette compétence peut être envi-
déficit, majoré pour le dégoût et la colère, et suggère que sagée comme étant proche du versant affectif de la TDE.
les patients présentent des difficultés à distinguer deux émo- L’empathie serait très liée à différents processus de la
tions négatives entre elles [14]. Les résultats concernant les cognition sociale, comme la TDE, la reconnaissance des
émotions à valence positive sont plus controversés, certains émotions à partir d’expressions faciales, les connaissances
sont en faveur d’une préservation [16, 17] et d’autres d’un sociales et les fonctions cognitives notamment exécutives
déficit [18, 19]. La reconnaissance de la joie et de la surprise [25].
semble préservée en début de maladie, des déficits appa- Dans la DFT, des désordres dans les comportements
raissant au cours de l’évolution [20]. Les substrats cérébraux sociaux pourraient s’expliquer par un déficit d’empathie.
affectés dans la DFT correspondraient aux régions sous- Les familles des patients souffrant de DFT rapportent sou-
tendant les émotions basiques principalement négatives, vent une réponse diminuée aux sentiments et besoins
rejoignant la conception d’Adolphs [11]. d’autrui et un manque de chaleur humaine chez ces
De façon intéressante, les patients présentent une patients. Mesurer objectivement le déclin de l’empathie est
réponse physiologique (cardiaque et électrodermale) simi- délicat, car la présence de ce symptôme s’appuie souvent
laire à celle de sujets contrôles lors de la présentation de sur une impression clinique, basée sur la perception du pro-
scènes de films où des acteurs expriment des émotions fessionnel et sur les propos de la famille, plutôt que sur des
basiques [21]. Les difficultés des patients résideraient ainsi outils standardisés.
non pas dans la détection de l’émotion mais dans la compré- La plupart des travaux sur l’empathie dans la DFT ont
hension de sa signification. Les difficultés à reconnaître des utilisé l’Interpersonal Reactivity Index (IRI, [26]). L’IRI peut
émotions basiques seraient sous-tendues par des processus être proposé au patient ou à son accompagnant [27]. Une

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évaluation faite par l’aidant semble plus sensible et fiable entre les troubles empathiques et les troubles du comporte-
qu’une évaluation proposée au patient, dans la mesure ment ont été observés, dans le sens où les patients ayant
où les patients ne perçoivent pas bien leurs changements le moins de souci empathique sont ceux présentant le
de comportement [28]. L’IRI est composé de 4 sous- plus de troubles du comportement et une importante ano-
échelles : la prise de perspective et l’imagination pour sognosie [28]. Il semble exister une influence mutuelle
l’évaluation de la composante cognitive et le souci empa- entre l’empathie et les autres processus de cognition
thique et la détresse personnelle pour le versant affectif. sociale. Par exemple, les patients ayant des troubles dans
En 2005, dans l’étude princeps, Rankin et ses collabora- la reconnaissance d’émotions présentent également des
teurs ont proposé l’IRI aux aidants de 18 patients souffrant difficultés d’empathie rapportées par l’aidant [17]. Des
de DFT [27]. Ils rapportent des difficultés d’empathie uni- corrélations entre l’empathie (sous-score prise de perspec-
quement sur le versant cognitif et plus précisément pour la tive) et la compréhension du langage figuratif (considéré
sous-échelle de prise de perspective qui mesure la capa- ici comme des connaissances sociales) ont été observées
cité à adopter spontanément la perspective psychologique [31]. Ainsi, plus les patients ont une bonne compréhen-
d’autrui. Depuis, les résultats des études ayant utilisé l’IRI sion du mensonge ou du sarcasme, plus ils font preuve
sont plus hétérogènes. Certains sont en faveur d’un défi- d’empathie cognitive. Toutefois peu d’études sont par-
cit de la prise de perspective associé à un déclin du souci venues à proposer des liens précis entre les différents
empathique c’est-à-dire à une diminution de la sympathie processus empathiques et les autres domaines de la cog-
et de la compassion envers autrui [17, 29, 30]. Une étude nition sociale.
plus récente portant sur 25 patients DFT a montré en utili-
sant l’épreuve empathy for pain task (voir infra) que, seul
le souci empathique serait affecté chez les patients [25].
Autrement dit, les patients souffriraient simplement d’un Les connaissances sociales :
désintérêt émotionnel. des troubles à des degrés variables
Fernandez-Duque et al. ont proposé une évaluation éco-
logique de l’empathie à partir du visionnage de trois vidéos, Les connaissances sociales font partie intégrante de la
où une femme raconte une histoire induisant une émo- cognition sociale et seraient, selon la conception de Sam-
tion dans un contexte adapté (une femme vient d’avoir son son et al., un des prérequis nécessaires à la TDE [32].
premier enfant et exprime son bonheur) ou ambigu (une Les savoirs sociaux comprennent des connaissances séman-
femme vient d’avoir son enfant et se montre ambivalente) tiques sur le monde social, les scripts sociaux et les relations,
[29]. Les résultats montrent que les patients DFT font preuve et des représentations procéduralisées qui s’expriment dans
d’empathie de manière adaptée lorsque le contexte est des règles, habiletés et stratégies relationnelles. Certaines
approprié, mais présentent des déficits d’empathie lorsque connaissances sociales sont associées à une dimension
la situation est ambiguë. Ils ont tendance ici à interpré- morale, qui représente un code de valeurs et de coutumes
ter ces situations de manière plus positive que le font guidant les conduites sociales. Ces connaissances sociales
les sujets contrôles. Toutefois cette étude n’a été réalisée particulières seraient liées aux émotions morales comme
que chez 9 patients DFT et ne propose que très peu de la culpabilité, la honte ou la compassion (pour revue,
stimuli. [7]).
Certains auteurs ont cherché à identifier les régions céré- La transgression des normes sociales et la difficulté
brales responsables des troubles empathiques, en utilisant à moduler le comportement social sont deux éléments
des scores composites d’empathie basés sur l’ensemble des typiques du comportement des patients souffrant de DFT.
réponses données à l’IRI. Ce score total d’empathie est La connaissance des règles sociales a été peu étudiée
corrélé au volume du gyrus frontal inférieur droit, mesuré dans la DFT et les résultats obtenus divergent [25, 33].
en IRM, dans un groupe de patients DFT, suggérant que Dans le questionnaire proposé dans ces études, le sujet
l’atteinte de cette région aurait un rôle crucial dans la perte doit lire des phrases, par exemple « dire à un étranger
des capacités d’empathie [30]. Plus récemment, des liens que l’on n’aime pas sa coupe de cheveux » et ensuite
ont été observés entre la perte de l’empathie et un réseau juger si le comportement est socialement acceptable ou
cérébral plus étendu et prédominant dans l’hémisphère non. Possin et al. [33] ont observé des performances défi-
droit [28]. citaires chez les patients DFT par rapport à des sujets
Des liens spécifiques entre l’empathie et les fonctions contrôles, contrairement à Baez et al. [25], ce qui pour-
cognitives ont été envisagés, toutefois les résultats des diffé- rait s’expliquer par le fait que les patients de cette étude
rentes études réalisées restent imprécis. Pour la composante ont un niveau socioculturel plus élevé que dans l’étude
cognitive, des corrélations ont été rapportées avec cer- précédente. Les items employés dans ce questionnaire
taines fonctions exécutives, notamment les capacités de ne fournissent toutefois pas beaucoup d’éléments cont-
flexibilité mentale et de raisonnement [27]. Concernant extuels et le choix de réponse proposé est binaire, ce
le souci empathique, il s’agirait plutôt d’un déficit pri- qui limite la qualité de l’évaluation. Des épreuves pro-
maire, qui ne serait lié ni au fonctionnement exécutif ni posant des scénarios sociaux ont également été utilisées.
aux autres processus de cognition sociale [25]. Des liens La tâche des situations sociales [34] propose 9 situations

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sociales, dans lesquelles le sujet doit juger du compor- affirment agir de manière rationnelle en sauvant plus de vies
tement approprié ou non des personnages. L’intérêt de et n’évoquent aucun inconfort émotionnel. Les corrélations
cette épreuve est qu’elle concerne des comportements avec les performances de TDE affective évalué avec le Rea-
pour lesquels il n’existe pas de prohibition sociétale for- ding the mind in the eyes suggèrent que la résolution de
melle, mais pouvant induire de l’irritation, par exemple une dilemmes ne serait pas vraiment guidée par le raisonnement
mère qui laisse son enfant pleurer. Lough et al. [17] ont logique mais plutôt par des aspects émotionnels, dont la
observé que les patients DFT perçoivent moins de trans- réponse émotionnelle face aux stimuli sociaux, déficitaires
gressions comportementales que des sujets contrôles, ce chez les patients DFT. Il est toutefois important de rester
qu’ils expliquent par les déficits de TDE ou des processus prudent avec cette épreuve car d’importantes variations
émotionnels. interindividuelles ont été rapportées dans la population
Certaines études se sont intéressées aux connaissan- générale. Lough et al. [40] ont présenté à 18 patients DFT
ces sociales plus implicites comme la compréhension du 16 situations sociales [40], dans lesquelles, pour la moi-
langage figuratif, en utilisant notamment le subtest Social tié, il y a une transgression morale [un enfant court vers
Inference Enriched, issu de The Awareness of Social Infe- un autre enfant et le frappe au visage] et, pour l’autre moi-
rence Test [35]. Les auteurs ont ainsi investigué les capacités tié, une transgression conventionnelle (un enfant se lève
de compréhension du mensonge, de l’ironie et du sar- et sort de la classe au milieu d’une leçon). Ils montrent
casme avec l’idée qu’il s’agit de connaissances socialement que, contrairement aux sujets sains contrôles, les patients
acquises et qui requièrent une bonne compréhension des ne font pas la différence entre les transgressions morales et
indices contextuels. Les résultats d’une étude sur 39 patients conventionnelles. Ils sont aussi plus permissifs que les sujets
DFT ont montré qu’ils avaient des déficits pour comprendre contrôles face aux transgressions morales [17]. Dans le
ce type de communication [31]. De plus, les performances même esprit, une version modifiée de l’épreuve Empathy for
au Social Inference Enriched sont corrélées aux déficits pain task contenant 25 vidéos, où des acteurs commettent
de TDE, de reconnaissance d’émotions et à certains items une action moralement inacceptable dans des contextes
du NPI (désinhibition, euphorie et apathie). Les auteurs différents, a été proposée à 25 patients DFT [25]. Dans la
avancent que les patients DFT éprouvent des difficultés pour moitié des vidéos, l’action est effectuée de manière inten-
comprendre le langage figuratif, en conséquence de leurs tionnelle et dans l’autre moitié de manière accidentelle.
déficits de TDE et de reconnaissance d’émotions mais sur- La tâche consiste à juger de l’intentionnalité du person-
tout car ils ne parviennent pas à repérer les indices contex- nage et de la gravité de l’acte. Les résultats montrent que
tuels pertinents. les patients ont tendance à juger un acte commis acci-
Les connaissances sociales ont été principalement inves- dentellement comme étant aussi grave qu’un acte commis
tiguées dans la DFT avec des tests faisant référence aux intentionnellement. Ces résultats renforcent l’idée de diffi-
valeurs morales. Différents outils ont été utilisés : des ques- cultés chez les patients DFT à détecter des indices sociaux
tionnaires de comportements moraux (Moral Behavioural contextuels.
Inventory), des paradigmes de résolution de dilemmes Différentes hypothèses sont évoquées dans la littéra-
moraux (Les dilemmes de Footbridge) ainsi que des tâches ture pour expliquer le déficit de jugement moral des
plus écologiques constituées de vidéos (Empathy for pain patients DFT : une perte des connaissances morales, une
task). Le Moral Behavioural Inventory est un questionnaire altération du raisonnement logique ou émotionnel, un
en 22 items portant sur les connaissances morales, où le déficit d’inhibition, un trouble dans la reconnaissance
sujet doit juger sur une échelle la gravité d’une action (dire des émotions, une altération des marqueurs somatiques,
un petit mensonge pour avoir une réduction ou vendre une de l’empathie et enfin un déficit de TDE (pour revue,
voiture défectueuse) [36]. Les connaissances des notions [7]).
de bien et de mal, explorées à l’aide de ce questionnaire,
sont préservées dans la DFT [36, 37]. Certaines études se
sont intéressées aux connaissances sociales en évaluant le
raisonnement moral. Les jugements moraux ont été étudiés La théorie de l’esprit : des déficits
avec la résolution de dilemmes moraux et notamment ceux en fonction des paradigmes utilisés
de Footbridge [38]. Le sujet, face à un scénario suscitant
un dilemme moral, doit choisir entre deux actions impli- La TDE est à la base des interactions sociales et elle
quant une violation morale : le participant, sur un pont, constitue pour certains auteurs l’aspect clef de la cognition
voit un train qui va tuer cinq ouvriers. À côté de lui, se sociale [17, 41]. Le concept de TDE désigne la capacité
trouve un étranger. Le seul moyen de sauver les cinq ouvriers mentale à inférer des états mentaux à soi-même et à autrui,
est de pousser l’étranger sur la voie, sachant qu’il va mou- et à les comprendre. Cette aptitude cognitive qui permet
rir, mais que les cinq ouvriers seront sauvés. Le participant de prédire, d’anticiper et d’interpréter les comportements,
doit dire s’il choisirait de pousser l’étranger pour sauver les serait essentielle à un accomplissement normal des interac-
ouvriers. Les résultats montrent que la moitié des patients tions sociales [42]. Elle nous permet de comprendre qu’il
choisissent (contre 19 % des sujets contrôles) de pousser existe une distinction entre soi et autrui. Du fait de la diver-
l’étranger sur la voie [36, 37]. Plus intéressant, les patients sité des processus qu’elle sous-tend, plusieurs distinctions

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ont été proposées au sein de la TDE selon la nature de l’état De nombreux travaux ont utilisé le paradigme des
mental et les processus inférentiels eux-mêmes. Une dis- fausses croyances, afin d’évaluer la TDE cognitive dans la
tinction est aujourd’hui classiquement faite entre une TDE DFT. Il s’agit d’histoires présentant des situations du quoti-
dite froide concernant les états mentaux épistémiques et dien, qui vont amener un des personnages à une croyance
une TDE dite chaude faisant référence aux représentations erronée de la réalité. La tâche du participant consiste à
liées aux émotions. La TDE cognitive est la capacité à se attribuer la représentation correspondant à la réalité pour
représenter, inférer et comprendre des états mentaux et à le personnage, sachant que celle-ci est différente de sa
raisonner sur des pensées, croyances ou intentions, indé- propre connaissance. Le participant doit être en mesure
pendamment de toute connotation émotionnelle. La TDE de différencier sa propre connaissance de l’histoire, de la
affective est la capacité à se représenter les états affec- croyance du personnage. Cette épreuve propose des fausses
tifs d’autrui, à comprendre et à déduire leurs sentiments, croyances de 1er ordre, où le sujet doit identifier la repré-
émotions et intentions dans un contexte social. De plus, sentation mentale d’un personnage, ainsi que des fausses
différentes études ont montré que ces deux composantes croyances de 2nd ordre où il doit inférer la représentation
sont sous-tendues par des substrats cérébraux en partie dif- mentale qu’un personnage a de celle d’un autre person-
férents, la jonction temporo-pariétale, le cortex préfrontal nage. Une tâche de compréhension est parfois proposée
dorsolatéral et médian pour la TDE cognitive (pour revue en tant que tâche contrôle. Dans l’étude princeps de Gre-
[43]) et le cortex préfrontal ventromédian et inférieur ainsi gory et al. [51], les auteurs rapportent un déficit des patients
que l’amygdale pour la TDE affective. Bien qu’une distinc- DFT aux tâches de fausses croyances de 1er et de 2nd ordre,
tion existe entre ces deux dimensions, elles interviennent avec un déficit plus important pour le second ordre. Les
de concert lors des interactions sociales. auteurs interprètent ces résultats comme étant le reflet
Les épreuves utilisées pour évaluer la TDE requièrent d’un trouble authentique de TDE. Toutefois, les troubles
l’intervention de différentes fonctions cognitives, comme le ne concernent que 7 des 19 patients pour le 1er ordre et
langage, la mémoire de travail et les fonctions exécutives 9 patients pour le 2nd ordre. De plus, d’un point de vue
notamment les processus d’inhibition et de flexibilité men- méthodologique, l’épreuve ne propose que 3 stimuli par
tale (pour revue [44]). La TDE serait une fonction complexe, condition, avec un choix de réponse binaire, ce qui pourrait
intégrant des informations provenant de diverses sources, remettre en question sa sensibilité. Depuis, quelques études
avec des processus basiques nécessaires au décodage et (4 incluant au moins 10 patients) rapportent des résultats
des processus plus complexes permettant de raisonner. allant dans ce sens (pour revue, [52]). Une interprétation
Une méta-analyse a montré, en créant un score composite différente des résultats à cette épreuve de fausses croyances
obtenu à partir de l’ensemble des épreuves de TDE, que a depuis été proposée [53]. Les auteurs avancent que les
les patients DFT avaient des déficits [45]. Toutefois, carac- fausses croyances de 2nd ordre sont plus coûteuses cogni-
tériser les profils des patients DFT en fonction des différents tivement. Ils postulent que les patients DFT n’auraient pas
paradigmes utilisés semble essentiel car chacun requiert des de réelles difficultés de TDE, mais plutôt que les déficits
processus différents. Classiquement, 5 tâches sont utilisées seraient le reflet d’un dysfonctionnement exécutif. La ques-
pour évaluer la TDE dans la DFT : le Reading the mind in tion aujourd’hui se pose quant à la nature des processus
the eyes [39], un test des fausses croyances tel que TOM-15 sous-jacents à ces déficits. Certains auteurs ont voulu pré-
[46], le test des histoires étranges [47], la tâche du jugement ciser l’origine de ces troubles de TDE, à savoir s’il s’agit
de préférence [48] et le test des faux pas sociaux [49]. de difficultés dans la sélection de la représentation ou d’un
L’évaluation de la composante affective de la TDE dans trouble de l’inhibition de sa propre représentation [54, 55].
la DFT se fait classiquement avec des photographies ou Une épreuve de fausses croyances particulière (visual pers-
des vidéos de visages exprimant une émotion. La tâche pective taking), qui empêche le patient de se créer sa
la plus utilisée est le Reading the mind in the Eyes [39]. propre représentation mentale a été proposée à 14 patients
Cette épreuve consiste à choisir, parmi 3 adjectifs, celui DFT [54]. Les résultats montrent que lorsqu’ils n’ont pas à
qui correspond le mieux à l’état mental exprimé par le inhiber leurs propres représentations, les patients DFT par-
regard ou le visage d’une personne. Elle propose des émo- viennent à sélectionner la bonne représentation. Dans le
tions basiques et des émotions complexes. Inférer une même esprit, Le Bouc et al. ont utilisé l’épreuve de fausses
émotion complexe n’est pas un processus automatique croyances non verbale de Samson [32], qui permet de cal-
contrairement aux émotions basiques. En effet, ces émo- culer deux scores, un pour la sélection de la représentation
tions prennent tout leur sens lorsqu’elles sont dans un et un pour son inhibition [55]. Les résultats montrent que
contexte social. À l’heure actuelle, 7 études ont utilisé cette les patients DFT ont des déficits pour l’inhibition de leur
épreuve dans sa version originale ou modifiée et la majo- propre représentation. En outre, ils rapportent des corré-
rité d’entre elles (5/7) montrent des déficits chez les patients lations entre ce déficit et d’une part les performances au
DFT (pour revue, [50]). Cette tâche, bien que très utili- Stroop et d’autre part, un hypométabolime du gyrus fron-
sée, ne reflète pas forcément les capacités des patients tal moyen droit. Les patients DFT éprouveraient donc des
au quotidien. Il pourrait être donc pertinent de proposer difficultés à admettre que leur propre croyance est diffé-
des épreuves impliquant d’inférer une émotion dans un rente de celle d’autrui et ce déficit serait lié à des troubles
contexte social. exécutifs.

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Des épreuves composites évaluant les composantes dans les épreuves de TDE [51, 57, 58]. Plus précisément,
cognitives et affectives ont aussi été proposées. La tâche des corrélations sont rapportées entre la densité de sub-
originale de Happé est constituée d’images humoristiques stance grise au niveau du cortex frontal médian et les
accompagnées de courtes questions auxquelles le sujet doit scores au test du faux pas social [57, 58]. Dans une
répondre [47]. La moitié des stimuli implique l’explication moindre mesure et avec l’idée que la TDE serait sous-tendue
d’un état mental subtil (humour, sarcasme, mensonge) et par un réseau cérébral étendu, d’autres régions semblent
l’autre moitié requiert de raisonner sur les aspects phy- impliquées dont le cortex préfrontal dorsolatéral, le lobe
siques des stimuli. Cette épreuve, assez coûteuse sur le plan temporal et la jonction temporo-pariétale (pour revue,
cognitif, a été utilisée avec des patients DFT, qui échouent [43]).
constamment (pour revue, [52]). Avec une version modi- L’ensemble des travaux actuels s’accorde sur un défi-
fiée de cette épreuve, Snowden et ses collaborateurs ont cit des patients DFT en TDE. Toutefois certains auteurs
montré que les patients donnent des réponses concrètes et postulent un déficit pur de TDE [10] et d’autres sont en
ne raisonnent pas en intégrant l’ensemble des éléments de faveur d’un déficit qui serait lié aux fonctions exécutives
l’histoire [56]. L’épreuve du jugement de préférence mesure [55]. Quelques études ont voulu comprendre les liens
l’habileté à juger la préférence d’une autre personne dans entre les troubles du comportement et les déficits de TDE
un contexte en se basant sur la direction de son regard [31, 50, 51]. Une étude a montré des corrélations entre les
[48]. En se basant sur ce paradigme, une étude a mon- troubles comportementaux évalués avec le NPI et les défi-
tré que les patients DFT sont déficitaires à cette épreuve cits de patients DFT pour les épreuves de fausses croyances
et ont tendance à donner leur propre préférence en guise et du faux pas social [51]. Des liens ont également été obser-
de réponse, plutôt que celle du personnage, bien qu’ils vés entre les items négatifs du Frontal Behavioural Inventory
n’aient pas de difficultés à repérer la direction du regard et les performances au test du regard [50]. Toutefois, les
[56]. Ce résultat est en faveur d’une perception égocentrée outils d’évaluation du comportement utilisés dans ces tra-
du monde des patients, où ils éprouvent des difficultés à vaux, comme le NPI sont peu adaptés aux troubles des
imaginer qu’un état mental puisse être différent du leur. De patients DFT, car il s’intéresse à de nombreux domaines et
nombreux travaux ont utilisé la tâche du faux pas social ne reflète pas les réelles difficultés comportementales des
(pour revue [52]). Elle serait selon beaucoup d’auteurs la patients DFT.
tâche la plus sensible aux troubles des DFT et serait défici-
taire dès les premiers stades de la pathologie [17]. Cette
épreuve est constituée de 20 histoires que le participant Conclusion et perspectives
doit lire. La tâche du participant consiste à repérer les
maladresses sociales non intentionnelles et à déterminer Des troubles de plusieurs dimensions de la cognition
la réaction émotionnelle de la personne victime de ces sociale sont décrits chez les patients atteints de DFT. Il
maladresses. Dans la moitié, un des protagonistes com- est important de souligner l’hétérogénéité des processus
met une maladresse non intentionnelle. Cette tâche fait étudiés, des outils utilisés et en conséquence des résul-
donc appel aux deux dimensions de la TDE. Pour chaque tats rapportés. Les liens entre les différents processus de
histoire, une question contrôle est proposée. Les patients cognition sociale sont à l’heure actuelle peu établis. Nous
DFT semblent échouer constamment à cette épreuve (pour sommes donc encore loin d’une approche intégrative pre-
revue, [52]). Ainsi, ils détecteraient moins d’événements nant en compte l’ensemble de ces processus. De plus, les
sociaux inappropriés et, lorsqu’ils les identifient, éprouve- liens avec les troubles du comportement sont très souvent
raient des difficultés pour attribuer l’état mental affectif. présupposés mais n’ont que très peu été mis en évidence. Il
Certains auteurs postulent que le versant affectif serait paraît donc important de poursuivre les investigations des
plus affecté que le versant cognitif, du fait des difficul- troubles de la cognition sociale dans la DFT, avec l’optique
tés d’intégration des processus émotionnels [10]. Toutefois, de comprendre l’origine des troubles du comportement et
cette épreuve fait appel à de nombreuses compétences, leurs substrats cérébraux. C’est dans ce cadre unifié que
notamment aux connaissances sociales, un des prérequis pourront être développés des outils de prise en charge vrai-
de la TDE. Il est donc possible que, derrière l’échec à ment pertinents.
cette épreuve, il existe une perte des connaissances sociales
ou du moins une diminution de l’attention aux normes Liens d’intérêts
sociales.
Certaines études montrent un lien entre l’atrophie du les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt en
cortex préfrontal ventromédian et les difficultés des patients rapport avec cet article.

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