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Key words: frontotemporal dementia · social cognition · behavioral disorders, empathy · theory of mind
doi:10.1684/nrp.2015.0341
Introduction sens aux actes des autres personnes et aux leurs afin d’avoir
un comportement adapté dans leur monde social [1]. Les
La cognition sociale peut se définir comme l’ensemble différents travaux de la littérature restent pourtant impré-
des processus qui permettent aux individus de donner du cis quant aux différentes fonctions cognitives relevant de ce
domaine d’étude. La plupart de ces travaux ont mis l’accent
sur la théorie de l’esprit (TDE), négligeant les autres pro-
Correspondance : cessus appartenant au domaine de la cognition sociale.
H. Duclos Bien qu’étant une composante centrale de la cognition
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Les processus émotionnels : automatiques, qui ne seraient pas le reflet d’autres troubles
cognitifs, bien que des déficits attentionnels puissent modu-
des troubles plutôt consensuels ler ces troubles [16].
Quelques études ont investigué les processus émotion-
La perception sensorielle liée aux émotions est un nels via la modalité auditive et ont montré des déficits de
processus basique, nécessaire à la production de compor- reconnaissance d’émotions à partir de l’écoute d’extraits
tements sociaux adaptés, notamment via la régulation musicaux [19, 22]. Ainsi, le déficit des processus émotion-
comportementale face à la réaction d’autrui [11]. Deux nels dans la DFT apparaît comme multimodal (pour revue,
types d’émotions sont classiquement distingués : les émo- [14]). Les liens entre le déficit dans la reconnaissance des
tions basiques (joie, surprise, colère, peur, tristesse et émotions et les troubles comportementaux sont fréquem-
dégoût) qui seraient innées et universelles et les émotions ment suggérés dans la DFT, ils ne sont toutefois pas encore
complexes (embarras, fierté, amour. . .) qui seraient liées à la bien établis.
culture et aux relations interpersonnelles [12]. Les émotions
suscitent l’intérêt des chercheurs depuis plusieurs années,
ce qui a amené à une meilleure connaissance des struc-
tures cérébrales les sous-tendant [11]. Selon Aldophs [11], Les processus empathiques :
les émotions basiques à valence négative seraient préfé- d’importants déficits
rentiellement associées à certaines régions cérébrales, par
exemple la peur à l’amygdale, ou le dégoût à l’insula et au L’empathie est un prérequis essentiel à la communi-
putamen. Les soubassements cérébraux des émotions ayant cation et un processus nécessaire au bon déroulement
une valence positive sont moins connus. Les régions céré- des relations sociales. L’empathie est un concept diffi-
brales impliquées dans la reconnaissance des émotions à cile à définir, du fait du recouvrement conceptuel existant
partir d’expressions faciales sont affectées dans la DFT, ce avec d’autres composantes comme la TDE et les pro-
qui amené les auteurs à s’intéresser aux processus émotion- cessus émotionnels. Elle correspond à une compétence
nels dans cette maladie. socio-émotionnelle naturelle permettant de former et de
Actuellement, une vingtaine d’études ont été consa- maintenir des liens sociaux [23]. Selon cette accep-
crées aux processus émotionnels chez les patients atteints tion, l’empathie est une construction comprenant trois
de DFT à l’aide de différents outils explorant les capaci- composantes neurocognitives : affective, motivationnelle et
tés d’inférence émotionnelle à partir d’expressions faciales, cognitive. Ces composantes sont dissociables mais inter-
notamment avec le set de photographies d’Ekman et Frie- dépendantes, interagissant et opérant en parallèle pour
sen [13] (pour revue, [14]). L’étude princeps de Lavenu et produire une réponse adaptée [24]. La composante affective
al. a mis en évidence que les patients DFT sont capables de de l’empathie correspond à une résonance émotionnelle,
différencier un visage exprimant une émotion d’un visage un éveil affectif face à l’émotion ressentie par l’autre
neutre [15]. Les patients DFT ne semblent pas non plus qui conduit à partager un affect avec lui. La compo-
présenter de difficultés à discriminer les émotions basiques sante motivationnelle correspond au désir de prendre soin
selon leur valence positive ou négative [16]. Leurs capacités d’autrui. Quant à la composante cognitive, il s’agit de
à identifier des émotions, en particulier négatives, seraient la capacité à reconnaître et à comprendre l’expérience
par contre affectées. La majorité des études a conclu à un émotionnelle d’autrui. Cette compétence peut être envi-
déficit, majoré pour le dégoût et la colère, et suggère que sagée comme étant proche du versant affectif de la TDE.
les patients présentent des difficultés à distinguer deux émo- L’empathie serait très liée à différents processus de la
tions négatives entre elles [14]. Les résultats concernant les cognition sociale, comme la TDE, la reconnaissance des
émotions à valence positive sont plus controversés, certains émotions à partir d’expressions faciales, les connaissances
sont en faveur d’une préservation [16, 17] et d’autres d’un sociales et les fonctions cognitives notamment exécutives
déficit [18, 19]. La reconnaissance de la joie et de la surprise [25].
semble préservée en début de maladie, des déficits appa- Dans la DFT, des désordres dans les comportements
raissant au cours de l’évolution [20]. Les substrats cérébraux sociaux pourraient s’expliquer par un déficit d’empathie.
affectés dans la DFT correspondraient aux régions sous- Les familles des patients souffrant de DFT rapportent sou-
tendant les émotions basiques principalement négatives, vent une réponse diminuée aux sentiments et besoins
rejoignant la conception d’Adolphs [11]. d’autrui et un manque de chaleur humaine chez ces
De façon intéressante, les patients présentent une patients. Mesurer objectivement le déclin de l’empathie est
réponse physiologique (cardiaque et électrodermale) simi- délicat, car la présence de ce symptôme s’appuie souvent
laire à celle de sujets contrôles lors de la présentation de sur une impression clinique, basée sur la perception du pro-
scènes de films où des acteurs expriment des émotions fessionnel et sur les propos de la famille, plutôt que sur des
basiques [21]. Les difficultés des patients résideraient ainsi outils standardisés.
non pas dans la détection de l’émotion mais dans la compré- La plupart des travaux sur l’empathie dans la DFT ont
hension de sa signification. Les difficultés à reconnaître des utilisé l’Interpersonal Reactivity Index (IRI, [26]). L’IRI peut
émotions basiques seraient sous-tendues par des processus être proposé au patient ou à son accompagnant [27]. Une
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sociales, dans lesquelles le sujet doit juger du compor- affirment agir de manière rationnelle en sauvant plus de vies
tement approprié ou non des personnages. L’intérêt de et n’évoquent aucun inconfort émotionnel. Les corrélations
cette épreuve est qu’elle concerne des comportements avec les performances de TDE affective évalué avec le Rea-
pour lesquels il n’existe pas de prohibition sociétale for- ding the mind in the eyes suggèrent que la résolution de
melle, mais pouvant induire de l’irritation, par exemple une dilemmes ne serait pas vraiment guidée par le raisonnement
mère qui laisse son enfant pleurer. Lough et al. [17] ont logique mais plutôt par des aspects émotionnels, dont la
observé que les patients DFT perçoivent moins de trans- réponse émotionnelle face aux stimuli sociaux, déficitaires
gressions comportementales que des sujets contrôles, ce chez les patients DFT. Il est toutefois important de rester
qu’ils expliquent par les déficits de TDE ou des processus prudent avec cette épreuve car d’importantes variations
émotionnels. interindividuelles ont été rapportées dans la population
Certaines études se sont intéressées aux connaissan- générale. Lough et al. [40] ont présenté à 18 patients DFT
ces sociales plus implicites comme la compréhension du 16 situations sociales [40], dans lesquelles, pour la moi-
langage figuratif, en utilisant notamment le subtest Social tié, il y a une transgression morale [un enfant court vers
Inference Enriched, issu de The Awareness of Social Infe- un autre enfant et le frappe au visage] et, pour l’autre moi-
rence Test [35]. Les auteurs ont ainsi investigué les capacités tié, une transgression conventionnelle (un enfant se lève
de compréhension du mensonge, de l’ironie et du sar- et sort de la classe au milieu d’une leçon). Ils montrent
casme avec l’idée qu’il s’agit de connaissances socialement que, contrairement aux sujets sains contrôles, les patients
acquises et qui requièrent une bonne compréhension des ne font pas la différence entre les transgressions morales et
indices contextuels. Les résultats d’une étude sur 39 patients conventionnelles. Ils sont aussi plus permissifs que les sujets
DFT ont montré qu’ils avaient des déficits pour comprendre contrôles face aux transgressions morales [17]. Dans le
ce type de communication [31]. De plus, les performances même esprit, une version modifiée de l’épreuve Empathy for
au Social Inference Enriched sont corrélées aux déficits pain task contenant 25 vidéos, où des acteurs commettent
de TDE, de reconnaissance d’émotions et à certains items une action moralement inacceptable dans des contextes
du NPI (désinhibition, euphorie et apathie). Les auteurs différents, a été proposée à 25 patients DFT [25]. Dans la
avancent que les patients DFT éprouvent des difficultés pour moitié des vidéos, l’action est effectuée de manière inten-
comprendre le langage figuratif, en conséquence de leurs tionnelle et dans l’autre moitié de manière accidentelle.
déficits de TDE et de reconnaissance d’émotions mais sur- La tâche consiste à juger de l’intentionnalité du person-
tout car ils ne parviennent pas à repérer les indices contex- nage et de la gravité de l’acte. Les résultats montrent que
tuels pertinents. les patients ont tendance à juger un acte commis acci-
Les connaissances sociales ont été principalement inves- dentellement comme étant aussi grave qu’un acte commis
tiguées dans la DFT avec des tests faisant référence aux intentionnellement. Ces résultats renforcent l’idée de diffi-
valeurs morales. Différents outils ont été utilisés : des ques- cultés chez les patients DFT à détecter des indices sociaux
tionnaires de comportements moraux (Moral Behavioural contextuels.
Inventory), des paradigmes de résolution de dilemmes Différentes hypothèses sont évoquées dans la littéra-
moraux (Les dilemmes de Footbridge) ainsi que des tâches ture pour expliquer le déficit de jugement moral des
plus écologiques constituées de vidéos (Empathy for pain patients DFT : une perte des connaissances morales, une
task). Le Moral Behavioural Inventory est un questionnaire altération du raisonnement logique ou émotionnel, un
en 22 items portant sur les connaissances morales, où le déficit d’inhibition, un trouble dans la reconnaissance
sujet doit juger sur une échelle la gravité d’une action (dire des émotions, une altération des marqueurs somatiques,
un petit mensonge pour avoir une réduction ou vendre une de l’empathie et enfin un déficit de TDE (pour revue,
voiture défectueuse) [36]. Les connaissances des notions [7]).
de bien et de mal, explorées à l’aide de ce questionnaire,
sont préservées dans la DFT [36, 37]. Certaines études se
sont intéressées aux connaissances sociales en évaluant le
raisonnement moral. Les jugements moraux ont été étudiés La théorie de l’esprit : des déficits
avec la résolution de dilemmes moraux et notamment ceux en fonction des paradigmes utilisés
de Footbridge [38]. Le sujet, face à un scénario suscitant
un dilemme moral, doit choisir entre deux actions impli- La TDE est à la base des interactions sociales et elle
quant une violation morale : le participant, sur un pont, constitue pour certains auteurs l’aspect clef de la cognition
voit un train qui va tuer cinq ouvriers. À côté de lui, se sociale [17, 41]. Le concept de TDE désigne la capacité
trouve un étranger. Le seul moyen de sauver les cinq ouvriers mentale à inférer des états mentaux à soi-même et à autrui,
est de pousser l’étranger sur la voie, sachant qu’il va mou- et à les comprendre. Cette aptitude cognitive qui permet
rir, mais que les cinq ouvriers seront sauvés. Le participant de prédire, d’anticiper et d’interpréter les comportements,
doit dire s’il choisirait de pousser l’étranger pour sauver les serait essentielle à un accomplissement normal des interac-
ouvriers. Les résultats montrent que la moitié des patients tions sociales [42]. Elle nous permet de comprendre qu’il
choisissent (contre 19 % des sujets contrôles) de pousser existe une distinction entre soi et autrui. Du fait de la diver-
l’étranger sur la voie [36, 37]. Plus intéressant, les patients sité des processus qu’elle sous-tend, plusieurs distinctions
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Des épreuves composites évaluant les composantes dans les épreuves de TDE [51, 57, 58]. Plus précisément,
cognitives et affectives ont aussi été proposées. La tâche des corrélations sont rapportées entre la densité de sub-
originale de Happé est constituée d’images humoristiques stance grise au niveau du cortex frontal médian et les
accompagnées de courtes questions auxquelles le sujet doit scores au test du faux pas social [57, 58]. Dans une
répondre [47]. La moitié des stimuli implique l’explication moindre mesure et avec l’idée que la TDE serait sous-tendue
d’un état mental subtil (humour, sarcasme, mensonge) et par un réseau cérébral étendu, d’autres régions semblent
l’autre moitié requiert de raisonner sur les aspects phy- impliquées dont le cortex préfrontal dorsolatéral, le lobe
siques des stimuli. Cette épreuve, assez coûteuse sur le plan temporal et la jonction temporo-pariétale (pour revue,
cognitif, a été utilisée avec des patients DFT, qui échouent [43]).
constamment (pour revue, [52]). Avec une version modi- L’ensemble des travaux actuels s’accorde sur un défi-
fiée de cette épreuve, Snowden et ses collaborateurs ont cit des patients DFT en TDE. Toutefois certains auteurs
montré que les patients donnent des réponses concrètes et postulent un déficit pur de TDE [10] et d’autres sont en
ne raisonnent pas en intégrant l’ensemble des éléments de faveur d’un déficit qui serait lié aux fonctions exécutives
l’histoire [56]. L’épreuve du jugement de préférence mesure [55]. Quelques études ont voulu comprendre les liens
l’habileté à juger la préférence d’une autre personne dans entre les troubles du comportement et les déficits de TDE
un contexte en se basant sur la direction de son regard [31, 50, 51]. Une étude a montré des corrélations entre les
[48]. En se basant sur ce paradigme, une étude a mon- troubles comportementaux évalués avec le NPI et les défi-
tré que les patients DFT sont déficitaires à cette épreuve cits de patients DFT pour les épreuves de fausses croyances
et ont tendance à donner leur propre préférence en guise et du faux pas social [51]. Des liens ont également été obser-
de réponse, plutôt que celle du personnage, bien qu’ils vés entre les items négatifs du Frontal Behavioural Inventory
n’aient pas de difficultés à repérer la direction du regard et les performances au test du regard [50]. Toutefois, les
[56]. Ce résultat est en faveur d’une perception égocentrée outils d’évaluation du comportement utilisés dans ces tra-
du monde des patients, où ils éprouvent des difficultés à vaux, comme le NPI sont peu adaptés aux troubles des
imaginer qu’un état mental puisse être différent du leur. De patients DFT, car il s’intéresse à de nombreux domaines et
nombreux travaux ont utilisé la tâche du faux pas social ne reflète pas les réelles difficultés comportementales des
(pour revue [52]). Elle serait selon beaucoup d’auteurs la patients DFT.
tâche la plus sensible aux troubles des DFT et serait défici-
taire dès les premiers stades de la pathologie [17]. Cette
épreuve est constituée de 20 histoires que le participant Conclusion et perspectives
doit lire. La tâche du participant consiste à repérer les
maladresses sociales non intentionnelles et à déterminer Des troubles de plusieurs dimensions de la cognition
la réaction émotionnelle de la personne victime de ces sociale sont décrits chez les patients atteints de DFT. Il
maladresses. Dans la moitié, un des protagonistes com- est important de souligner l’hétérogénéité des processus
met une maladresse non intentionnelle. Cette tâche fait étudiés, des outils utilisés et en conséquence des résul-
donc appel aux deux dimensions de la TDE. Pour chaque tats rapportés. Les liens entre les différents processus de
histoire, une question contrôle est proposée. Les patients cognition sociale sont à l’heure actuelle peu établis. Nous
DFT semblent échouer constamment à cette épreuve (pour sommes donc encore loin d’une approche intégrative pre-
revue, [52]). Ainsi, ils détecteraient moins d’événements nant en compte l’ensemble de ces processus. De plus, les
sociaux inappropriés et, lorsqu’ils les identifient, éprouve- liens avec les troubles du comportement sont très souvent
raient des difficultés pour attribuer l’état mental affectif. présupposés mais n’ont que très peu été mis en évidence. Il
Certains auteurs postulent que le versant affectif serait paraît donc important de poursuivre les investigations des
plus affecté que le versant cognitif, du fait des difficul- troubles de la cognition sociale dans la DFT, avec l’optique
tés d’intégration des processus émotionnels [10]. Toutefois, de comprendre l’origine des troubles du comportement et
cette épreuve fait appel à de nombreuses compétences, leurs substrats cérébraux. C’est dans ce cadre unifié que
notamment aux connaissances sociales, un des prérequis pourront être développés des outils de prise en charge vrai-
de la TDE. Il est donc possible que, derrière l’échec à ment pertinents.
cette épreuve, il existe une perte des connaissances sociales
ou du moins une diminution de l’attention aux normes Liens d’intérêts
sociales.
Certaines études montrent un lien entre l’atrophie du les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt en
cortex préfrontal ventromédian et les difficultés des patients rapport avec cet article.
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