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Rev Neuropsychol
Correspondance :
A. Prouteau
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n’existe actuellement de normes que pour quelques tests : nombre variable de sujets traumatisés crâniens ou souffrant
la tâche de fausses croyances [19], la tâche des faux pas de schizophrénie (au moins 2) à l’occasion d’évaluations
[20] et la tâche de l’interprétation du regard [21]. neuropsychologiques courantes. Le but de ces prétests était
C’est dans ce contexte qu’a été créé le Protocole d’évaluer la clarté des consignes, le niveau de difficulté,
d’évaluation de la cognition sociale de Bordeaux (PECS-B), et le vécu du patient comme de l’évaluateur. Les modifi-
qui est destiné à l’évaluation de la cognition sociale chez cations et révisions ont été suivies par un groupe de cinq
l’adulte, aussi bien dans les populations neurologiques que experts composé de chercheurs et cliniciens en neuropsy-
psychiatriques. Le PECS-B propose notamment une éva- chologie. Les consignes ont été standardisées en partant des
luation de deux des dimensions de la cognition sociale consignes de base proposées dans les versions anglophones
postulées par Green et al. [16, 17]. La première est la théorie puis traduites, avec un ajout de points de clarification
de l’esprit qui est la « capacité à inférer des états mentaux à si le besoin avait été identifié dans les prétests. En effet,
autrui, comme des croyances, des désirs, ou des intentions. la plupart des tests inclus dans la batterie sont issus de
Elle permet ainsi d’interpréter, de prédire et d’anticiper procédures expérimentales, non destinées à la pratique
les comportements » [22]. On distingue habituellement clinique. Les administrations et les cotations ont égale-
deux versants dans la théorie de l’esprit [23, 24] (ou la ment fait l’objet d’une standardisation par ce même groupe
mentalisation pour reprendre les termes de Coricelli [25]). d’experts.
Celle-ci serait constituée d’une partie affective (ou chaude),
impliquant un rôle important des émotions et d’une partie
cognitive (ou froide) où la dimension émotionnelle n’est pas Objectifs
utilisée. Cette distinction a été clairement démontrée dans
les études lésionnelles comme en neuro-imagerie et psy- L’objectif principal de cette étude est de réaliser une
chophysiologie [23, 24, 26]. La seconde dimension évaluée validation préliminaire du PECS-B chez des sujets adultes
est le traitement des émotions, proche de ce qui est cou- sains âgés de 18 à 60 ans. L’objectif secondaire consiste à
ramment appelé reconnaissance des émotions faciales, et tenter de définir, à l’aide d’analyses statistiques, la cognition
qui renvoie à « la capacité à inférer des informations de sociale et ses sous-dimensions au sein du PECS-B.
nature émotionnelle à partir des expressions faciales et/ou
des inflexions vocales » [27]. La troisième dimension mesu-
rée par le PECS-B est la conscience émotionnelle qui est Méthode
la « capacité à décrire et à se représenter des états émo-
tionnels distincts sur soi et sur autrui » [28]. La quatrième
dimension est l’alexithymie, définie comme une difficulté Sujets
à identifier et décrire ses émotions, le sujet présente un Les participants témoins sains ont été recrutés par voie
style cognitif concret et orienté vers l’extérieur [29]. Dans d’affichage et « bouche-à-oreille ». Cent neuf participants
le cadre de la cognition sociale telle que précédemment sains, âgés de 18 à 59 ans (moyenne [M] = 36,16, écart-
définie, la capacité à identifier et à verbaliser ses émotions, type [ET] = 12,42) ont été inclus dans la présente étude.
déficitaire dans l’alexithymie, apparaît fondamentale, et ne L’échantillon était composé de 51 hommes (46,8 %) et
constitue pas seulement un prérequis. La dernière dimen- 58 femmes (53,2 %) avec un niveau d’éducation compris
sion évaluée est la fluence émotionnelle où l’intérêt est entre 5 et 20 années d’études (M = 12,95, ET = 2,66). Afin
porté à l’accès et à la richesse du lexique émotionnel du de garantir la représentativité de l’échantillon, les sujets
sujet. Dans le PECS-B, qui regroupe six épreuves et un ques- ont été répartis en trois groupes d’âge : 18-35 ans (n = 60),
tionnaire, la théorie de l’esprit est mesurée par les tâches 36-45 ans (n = 22) et 46-60 ans (n = 27), et trois niveaux
d’attribution d’intention, des faux pas, et d’interprétation d’études, catégorisés sur la base du nombre d’années
du regard, la capacité à reconnaître des émotions faciales d’études à partir de l’âge de 6 ans : inférieur à 12 ans
par l’épreuve du Faces Test, le lexique émotionnel du sujet (n = 30), égal à 12 ans – niveau bac – (n = 25) et égal ou
par la tâche de la fluence émotionnelle, la conscience supérieur à 13 ans (n = 54). La répartition des participants
émotionnelle par la LEAS et le niveau d’alexithymie par le selon l’âge, le sexe et le niveau d’études est présentée dans
BVAQ. le tableau 1.
La multi-dimensionnalité constitue un atout majeur du Les participants devaient répondre aux critères
PECS-B. La multiplication des tests permet également de d’inclusion suivants : être âgé d’au moins 18 ans et au
contrôler divers biais comme ceux liés aux difficultés maximum de 60 ans, avoir comme langue maternelle
de langage, grâce à des épreuves non verbales comme le français, avoir signé un formulaire de consentement
l’attribution d’intention. Enfin, le PECS-B permet d’évaluer éclairé. Les critères d’exclusion étaient : présenter des
des sujets avec différents niveaux de fonctionnement, en antécédents neurologiques et/ou psychiatriques, avoir
incluant des tests de difficulté variée. Certains tests existant étudié la psychologie à l’université et présenter un score
déjà ont été modifiés pour être adaptés à la pratique neuro- supérieur à 27 à la BDI-II, seuil correspondant à une
psychologique, et notamment à la fatigabilité de certaines dépression sévère. Les sujets ont perçu une indemnité
populations cliniques. Chaque test a été prétesté sur un financière pour leur participation à l’étude.
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dans la performance de cognition sociale. Le tableau 2 pré- au regard de la LEAS, déjà validée et étalonnée. Dans
sente la description détaillée des variables pour chacune un second temps, une analyse factorielle exploratoire a
des épreuves. été effectuée sur l’ensemble des tâches du PECS-B. Elle
permet, d’une part, de vérifier la validité de construit et,
d’autre part, de savoir s’il existait différentes dimensions
Analyses statistiques dans l’évaluation de la cognition sociale avec le PECS-
Dans un premier temps, un test de Shapiro a été réa- B. La méthode d’extraction choisie était le maximum de
lisé afin de vérifier la normalité de la distribution des scores vraisemblance. Pour une meilleure lisibilité des résultats et
et le pouvoir discriminant des épreuves. Des régressions en l’absence d’hypothèse a priori sur les corrélations entre
linéaires multiples ont ensuite été effectuées afin d’explorer facteurs, une rotation varimax a été appliquée. L’ordre de
l’effet potentiel de l’âge, du niveau d’études et du sexe passation des tâches ayant été contrebalancé, l’effet d’ordre
sur les performances obtenues par les participants. Les a été exploré par des analyses de variance (Anova) ou des
effets croisés de ces variables ont également été étudiés. tests de Kruskal-Wallis. Enfin, le nombre de participants
Une matrice de corrélation explorant les liens entre les obtenant des scores dits déficitaires (c’est-à-dire inférieurs
performances obtenues aux différentes épreuves a permis ou égaux au 5e percentile) a été relevé pour chaque
d’explorer la validité concourante des tâches non validées épreuve afin de savoir si la diminution de performance était
Tâches R2 ajusté
Résultats Interprétation du regard 0,14***
Pour explorer la normalité de la distribution des scores, Faces Test « choix forcé » 0,08**
un test de Shapiro a été réalisé pour l’ensemble des tâches.
Les tests effectués montrent une normalité de la distribu- Faces Test « évocation libre » -0,002
tion du score d’interprétation du regard (W = 0,98, p = 0,09), Faux pas -0,009
de la LEAS (W = 0,99, p = 0,57), et du BVAQ (W = 0,98,
p = 0,17). Cela n’est pas le cas pour les scores d’attribution Fluence émotionnelle pourcentage 0,16***
d’intention (W = 0,70, p < 0,001), du Faces Test pour la par- total de mots émotionnels
tie « évocation libre » (W = 0,97, p < 0,05) comme pour
Fluence émotionnelle pourcentage 0,03
celle du « choix forcé » (W = 0,96, p < 0,01), des faux
de mots émotionnels de niveau 3
pas (W = 0,77, p < 0,001) et de la fluence émotionnelle
pour le pourcentage de mots émotionnels total (W = 0,79, Attribution d’intention 0,07*
p < 0,001) comme de niveau 3 (W = 0,95, p < 0,01). Les
tâches d’attribution d’intention, des faux pas et de fluence LEAS 0,21***
émotionnelle (pour le pourcentage de mots émotionnels BVAQ 0,01
total) présentent un effet plafond. Les performances de la
fluence émotionnelle – pourcentage de mots émotionnels *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 ; LEAS : Level of Emotional Awa-
de niveau 3 – et du Faces Test apparaissent relativement reness Scale ; BVAQ : Bermond-Vorst Alexithymia Questionnaire.
bien distribuées selon l’interprétation graphique.
Les analyses de régressions linéaires multiples mettent
en évidence un effet significatif de l’âge, du genre ou du type et le percentile 5 sont précisés pour chaque groupe de
niveau d’études sur certaines tâches. En revanche, aucun résultats.
effet croisé de ces différentes variables n’est observé. En Une matrice de corrélation des épreuves évaluant la
ce qui concerne l’âge, un effet significatif est observé dans cognition sociale a ensuite été réalisée. La LEAS a été vali-
les tests d’interprétation du regard ( = -0,35, p < 0,001), dée en français par Bydlowski et al. [39] et étalonnée auprès
d’attribution d’intention ( = -0,22, p < 0,05) et de fluence de 750 sujets français par Nandrino et al. [40]. Elle a donc
émotionnelle – pourcentage de mots émotionnels – ( = été utilisée comme critère de référence et les corrélations
-0,38, p < 0,001). Plus le participant est âgé et plus les de Spearman avec les autres tâches non validées ont été
scores obtenus aux tâches sont faibles. Concernant le niveau calculées (cf. tableau 4). Les résultats montrent que la LEAS
d’études, un effet significatif est observé dans le Faces Test, est corrélée de façon significative à la grande majorité des
partie « choix forcé » ( = 0,31, p < 0,01). Plus les partici- épreuves évaluant la cognition sociale, exception faite du
pants ont un niveau d’étude élevé et plus ils obtiennent Faces Test en condition « évocation libre ». Cependant,
de bonnes réponses à la tâche. Seule la tâche de la lorsque l’on applique une correction de Bonferroni, le seuil
LEAS présente à la fois un effet significatif de l’âge ( = de significativité est abaissé à 0,0006 (i.e. pour 81 analyses
-0,30, p < 0,01), du niveau d’études ( = 0,24, p < 0,01), effectuées, ␣ = 0,05/81). Aucune des corrélations initiale-
et du genre ( = -0,20, p < 0,05). Pour ce dernier point, ment relevées n’est donc plus significative. Ces données
les hommes ont de façon significative une meilleure montrent clairement que les tests de cognition sociale ne
conscience émotionnelle que les femmes. Plus le partici- sont pas équivalents les uns aux autres. Ce type de résultats
pant est âgé et plus sa conscience émotionnelle est faible. a été rapporté dans le domaine des fonctions exécutives,
Enfin, plus son niveau d’études est élevé et meilleure est reflétant la nature diverse et hétérogène de ce domaine
sa conscience émotionnelle. Enfin, aucun effet significa- [44].
tif de l’âge, du niveau d’études ou du genre n’est observé Dans le cadre de l’analyse factorielle, un test de sphé-
pour les tests du Faces Test, partie « évocation libre », ricité de Bartlett et un test de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO)
F(3,107) = 0,94, p = 0,42, des faux pas, F(3,108) = 0,68, ont été réalisés. Le premier test est significatif (p < 0,001)
p = 0,56, de la fluence émotionnelle – pourcentage de mots et le KMO est égal à 0,63, les données recueillies sont
émotionnels de niveau 3 –, F(3,108) = 2,18, p = 0,094 et du donc factorisables. L’analyse factorielle exploratoire montre
BVAQ, F(3,108) = 1,39, p = 0,25. Le tableau 3 présente les que 65 % de la variance est expliquée par quatre fac-
valeurs des R2 ajustés pour chaque régression. Le tableau 7, teurs. Le premier facteur rend compte de 25,7 % de la
en annexe 1, présente les résultats obtenus à l’ensemble de variance. Il est composé des tâches suivantes : la LEAS
ces épreuves en fonction de l’âge, du niveau d’études ou du (saturation = 0,65), le Faces Test « choix forcé » (0,56), les
genre selon l’effet significatif observé. La moyenne, l’écart- faux pas (0,43), le BVAQ (-0,40) et l’interprétation du
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Tableau 4. Matrice de corrélation des tâches évaluant la cognition sociale.
Tâches
LEAS Faux Faces Test Faces Test Attribution Interprétation Fluence émotionnelle : Fluence émotionnelle : BVAQ
pas « évocation « choix d’intention du regard mots émotionnels mots émotionnels
libre » forcé » total de niveau 3
LEAS 1,000 0,274** 0,017 0,389*** 0,182* 0,271** 0,247** 0,202* -0,178*
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Faux pas 0,274** 1,000 0,021 0,256** 0,044 0,140 0,031 -0,035 -0,147
Faces Test 0,017 0,021 1,000 0,353*** 0,039 0,192* 0,182* 0,093 -0,143
« évocation
libre »
Faces Test 0,389*** 0,256** 0,353*** 1,000 0,218* 0,259** 0,194* 0,066 -0,269**
« choix forcé »
Attribution 0,182* 0,044 0,039 0,218* 1,000 0,201* 0,019 0,000 0,007
d’intention
Interprétation 0,239 0,164* 0,199* 0,262** 0,192* 1,000 0,250** 0,017 -0,189*
du regard
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Fluence 0,247** 0,031 0,182* 0,194* 0,019 0,274** 1,000 0,389*** 0,095
émotionnelle :
*p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001 ; LEAS : Level of Emotional Awareness Scale ; BVAQ : Bermond-Vorst Alexithymia Questionnaire.
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regard (0,30). Le deuxième facteur explique 15,9 % de la 25 % des sujets ayant un seul score déficitaire). Les autres
variance totale et est composé uniquement de la tâche tâches sont à chaque fois échouées par deux ou trois parti-
d’attribution d’intention (0,99). Le troisième facteur rend cipants.
compte de 12,1 % de la variance et se compose de la tâche Neuf participants (soit 8 % de l’échantillon total) ont
de fluence émotionnelle, regroupant le pourcentage total de obtenu deux performances déficitaires. Ceux-ci ont un âge
mots émotionnels donnés (0,74) et le pourcentage de mots et un niveau d’études variables, aucun groupe n’est surre-
émotionnels de haut niveau (0,53). Enfin, le quatrième fac- présenté en termes de performances déficitaires. Les tâches
teur explique 11,3 % de la variance totale et est composé les plus fréquemment déficitaires sont la LEAS (n = 4) et le
de la tâche du Faces Test (« choix forcé » : 0,40, « évocation Faces Test, partie « évocation libre » (n = 4). Enfin, chez les
libre » : 0,74). sujets ayant au moins trois scores déficitaires (n = 3, soit
L’ordre d’administration des tâches du PECS-B a été 2,8 % des participants), la LEAS est la seule tâche échouée
contrebalancé selon quatre ordres différents. Ces effets dans tous les cas. Les sujets concernés ont un niveau infé-
d’ordre ont donc été vérifiés par des analyses de variance rieur ou égal au bac et moins de 46 ans (cf. tableau 6).
(Anova) ou des tests de Kruskal-Wallis. Aucun effet dû à
l’ordre d’administration des tâches n’est relevé.
Enfin, le pourcentage de sujets ayant obtenu des Discussion
performances dites déficitaires (c’est-à-dire ayant une per-
formance inférieure ou égale au 5e percentile) sur les L’analyse de la distribution des scores suggère que
différentes épreuves est présenté dans le tableau 5. Les résul- les tâches d’interprétation du regard, du BVAQ, de la
tats montrent que 40 sujets, soit 36,7 % de l’échantillon LEAS, et dans une moindre mesure, de la fluence émo-
total, présentent au moins un score considéré comme défi- tionnelle – pourcentage de mots émotionnels de niveau
citaire. Parmi eux, 28 sujets, soit 26 % de l’échantillon total, 3 – et du Faces Test, suivent une loi normale et peuvent
présentent une performance déficitaire sur une seule tâche. assez bien discriminer les sujets entre eux. À l’inverse,
Ainsi, le Faces Test, partie « évocation libre », est l’exercice la tâche d’attribution d’intention et de fluence émotion-
le plus fréquemment échoué par les participants (n = 7, soit nelle – pourcentage de mots émotionnels total – peuvent
Tableau 5. Pourcentage de sujets ayant un score inférieur ou égal au 5e percentile sur une ou plusieurs épreuve(s) évaluant
la cognition sociale.
À aucun test 63 %
À 3 tests 2%
À 4 tests 1%
Tableau 6. Caractéristiques sociodémographiques des sujets présentant au moins 2 scores déficitaires (n = 12).
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rapidement présenter un effet plafond chez les sujets qui serait insuffisamment long pour mettre en évidence un
sains. Des études supplémentaires auprès de populations effet de ce type.
cliniques sont nécessaires pour explorer plus avant leur De façon générale, cette absence d’effet de l’âge, du
capacité de discrimination. niveau d’études ou d’effet croisé sur plusieurs performances
Les analyses de régression linéaire ont mis en évidence en cognition sociale doit être soulignée. On ne peut exclure
un effet de l’âge sur certaines tâches (interprétation du qu’elle soit due à un manque de puissance statistique étant
regard, attribution d’intention, fluence émotionnelle – pour- donné la taille du présent échantillon, ou encore à la répar-
centage de mots émotionnels total –, LEAS). Cet effet de tition des sujets par groupe d’âge et de niveau d’études,
l’âge a précédemment été rapporté dans la littérature pour légèrement hétérogène.
l’interprétation du regard par Thomassin-Havet [21], et pour Les corrélations significatives relevées entre la LEAS et la
la LEAS par Nandrino et al. [40]. Néanmoins, les explica- grande majorité des épreuves évaluant la cognition sociale
tions face à ce phénomène divergent. Ainsi, les sujets plus vont dans le sens d’une validité concourante satisfaisante.
âgés décoderaient plus difficilement les indices informatifs En effet, la LEAS est présentée par ses auteurs comme une
sur autrui à partir d’un matériel statique, comme des pho- mesure de la conscience émotionnelle, ce qui constitue un
tographies [45]. L’effet de l’âge a également été attribué concept assez large, intégrant potentiellement plusieurs des
à la diminution des capacités inhibitrices des sujets plus compétences mesurées dans les autres épreuves. Cepen-
âgés [46]. En outre, pour les tâches demandant au sujet dant, l’étude de ces corrélations est à répliquer dans un
une réponse directe sans qu’il puisse bénéficier d’indices, échantillon plus important. En effet, lorsqu’une correction
des facteurs culturels interviendraient, les générations pré- de Bonferroni est appliquée, la significativité des corréla-
cédentes ayant baigné dans une culture où ils n’avaient pas tions disparaît. La correction de Bonferroni est cependant
pour habitude d’exprimer leurs émotions [40]. Il faut enfin controversée (par exemple : Greeland et Rothman [47],
noter que les tâches du PECS-B impliquent une charge atten- Michels et Rosner [48]), eu égard à sa grande sévérité
tionnelle, mnésique et/ou exécutive, charge qui pourrait notamment dans les études exploratoires telles que la nôtre.
également participer à la baisse de performance liée à l’âge. L’étude des performances de l’échantillon à la LEAS a
Un effet du niveau d’études a été mis en évidence dans mis en évidence que cette tâche était quasiment toujours
la tâche du Faces Test partie « choix forcé » et la LEAS. échouée chez les sujets ayant deux scores déficitaires ou
Dans l’étude de validation de la LEAS, Nandrino et al. [40] plus. Ces résultats suggèrent que la LEAS constituerait un
observent un effet similaire. En revanche, aucune recherche bon test de première intention, mais pas suffisamment pré-
à ce jour n’avait étudié l’effet du niveau d’études dans le cis pour qualifier la nature de la difficulté. Cette hypothèse
Faces Test chez des sujets sains. Ce type d’effet pourrait cor- doit être explorée plus avant par des études sur des groupes
respondre à un biais éducationnel. En effet, les personnes cliniques.
ayant réalisé des études supérieures verraient l’ensemble de L’analyse factorielle exploratoire montre que le PECS-
leurs capacités expressives renforcées, contrairement aux B se structure en quatre grands facteurs expliquant 65 %
sujets ayant développé des compétences particulières via de la variance totale, ce qui est en faveur d’une validité
l’apprentissage d’un métier spécifique par exemple [40]. de construit correcte. Le facteur 1, regroupant les tâches
La seule tâche présentant un effet significatif du genre de la LEAS, du Faces Test « choix forcé », des faux pas,
est la LEAS, mais le sens de l’effet diffère des résultats de l’interprétation du regard et du BVAQ, suggère qu’il
précédents. En effet, dans l’étude de validation de l’outil, existe un facteur commun dans les tâches de cognition
Nandrino et al. [40] ont constaté que les femmes présen- sociale, que l’on nommera « traitement de l’information
taient de meilleurs scores que les hommes. Cette divergence émotionnelle ». En effet, les scores regroupés dans ce
peut cependant être due à un biais d’échantillonnage de facteur renvoient notamment à la capacité du sujet à
notre population. En effet, celle-ci compte plus d’hommes identifier une information émotionnelle, venant de soi ou
jeunes (âgés de 18 à 35 ans) que de femmes de la même d’autrui, et à la capacité d’utiliser cette information dans
tranche d’âge (n = 36 versus n = 26). Or, plus un sujet est le cadre des relations interpersonnelles (à l’image de la
jeune et plus sa conscience émotionnelle est bonne. Ces LEAS ou des faux pas). Le facteur 2, nommé « théorie de
résultats pourraient donc être biaisés par l’effet d’âge pré- l’esprit cognitive », est composé uniquement de la tâche
cédemment discuté. d’attribution d’intention. Il se distingue du précédent dans
Enfin, aucun effet de l’âge, du niveau d’études et du le sens où, dans la tâche désignée, le sujet a à traiter une
genre n’a été mis en évidence pour les tâches du Faces intention et non plus une émotion. Ce facteur renverrait
Test, partie « évocation libre », de la fluence émotionnelle donc plus particulièrement à la théorie de l’esprit cogni-
– nombre de mots de niveau 3 –, du BVAQ et des faux pas. tive. Le facteur 3, nommé « lexique émotionnel », regroupe
Il est à noter que dans la version originale des faux pas les deux scores de fluence émotionnelle, et suggère quant
(version à 20 histoires), les sujets ayant un niveau d’études à lui que le vocabulaire du sujet relatif aux émotions doit
supérieur réalisaient de meilleures performances que ceux être considéré de manière distincte dans les évaluations de
ayant un niveau d’études plus faible. On ne retrouve pas la cognition sociale. Enfin, le facteur 4, que l’on nommera
cet effet dans notre échantillon. Cependant, notre version « reconnaissance des émotions faciales », est composé des
de la tâche des faux pas ne comporte que dix histoires, ce deux scores du Faces Test. Ce facteur suggère que l’aptitude
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NE : niveau d’études
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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